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SOMMAIRE Les libraires n o 91 NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2015 LE MONDE DU LIVRE Billet (Laurent Laplante) 6 Éditorial (Dominique Lemieux) 7 Librairie Lu-Lu : Ma librairie, ma maison, mon chalet 60 ENTRE PARENTHÈSES 8-9-20-28-40-59-65-68 LIBRAIRE D’UN JOUR Marina Orsini : La lecture comme voyage 10 LITTÉRATURE QUÉBÉCOISE ET CANADIENNE Les libraires craquent! 12-13-20-21 Monia Mazigh : Le goût de la révolte 14 Ici comme ailleurs (Stanley Péan) 17 Neil Smith : Le paradis de l’imaginaire 18 Les choix de la rédaction 21 Road trip littéraire en Gaspésie 26 POÉSIE ET THÉÂTRE Les libraires craquent! | Les choix de la rédaction 25 LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE Les libraires craquent! 29-32 Les choix de la rédaction 29 Sur la route (Elsa Pépin) 31 Edgar Hilsenrath : Le dernier des conteurs 33 En état de roman (Robert Lévesque) 35 BEAU LIVRE ET LIVRE PRATIQUE Les libraires craquent! | Les choix de la rédaction 37 ESSAI Les libraires craquent! | Les choix de la rédaction 41 Sens critique (Normand Baillargeon) 43 DOSSIER : LA CENSURE 45 À 54 POLAR ET LITTÉRATURES DE L’IMAGINAIRE Les libraires craquent! 56-58 Découvrir l’Asie par le polar 57 Les choix de la rédaction 57 Au-delà du réel (Élisabeth Vonarburg) 59 LITTÉRATURE JEUNESSE Alexandra Larochelle : La jeune fille à la plume 63 Il était une fois la guerre 64 Laurent Theillet : La poésie, ou comment mettre... 66 Les libraires craquent! 68-70 Les choix de la rédaction 68 Au pays des merveilles (Nathalie Ferraris) 69 BANDE DESSINÉE Les libraires craquent! | Les choix de la rédaction 71 DANS LA POCHE 74 : Symbole signifiant que le livre existe en format numérique Fille de libraire et globe-trotter engagée, Josée-Anne Paradis a grandi entre livres, parties de soccer et sorties culturelles. Le mot de Josée-Anne Paradis Littérature caviardée Contrairement à bien des gens de ma génération, le roman Le libraire ne me fut pas imposé comme lecture obligatoire au secondaire, ni au cégep ou à l’université. En fait, je suis tombée sur ce livre en allant acheter du lait, alors que j’avais 16 ans. Il y avait une vente de garage à deux pas du dépanneur et je m’y étais arrêtée. À l’époque, je travaillais en librairie et le titre m’avait ainsi vivement accrochée. Je ne savais pas à quoi m’attendre de ce vieux roman, tout jauni, et de cet auteur – Gérard Bessette – que je ne connaissais pas encore. Mais dès le roman entamé, impossible de reculer : j’étais happée, habitée par cette époque autre. Le libraire est un très court roman, mettant de l’avant un personnage assez atypique. On pourrait même le qualifier, tel le Meursault de Camus, d’existentialiste. La vie d’Hervé se résume à son travail (où il dort, les yeux cachés sous une visière, la tête penchée sur un livre ouvert dont il ne tourne jamais les pages), la taverne Le Trefflé (où il y boit une moyenne de vingt (!) verres de bière tous les soirs) et ses nuits dans sa chambre louée (dont la propriétaire, comble de malheur pour notre protagoniste, souhaiterait partager avec lui des plaisirs charnels qu’il n’a plus la force d’accomplir). Aspect intéressant : le libraire décrit dans ce roman est en fait un antilibraire, dans le sens où, bien qu’il ait une bonne culture littéraire et générale, il déteste fouiner dans sa librairie, répondre aux clients et les conseiller. Il va même jusqu’à refiler les plus mauvais bouquins à ses fidèles clients afin que ceux-ci ne reviennent plus jamais lui demander conseil ou bien il leur vend d’immenses pavés afin qu’ils ne repassent pas le voir avant plusieurs jours! Alors, imaginez ce qui arrive lorsque c’est à ce libraire que le propriétaire remet la clé du capharnaüm, pièce cachée contenant les livres interdits ne devant être remis qu’aux clients « sérieux », « sans risque »... Le curé du village débarquera en librairie et chamboulera le train-train quotidien de tous. Pourquoi lire ce livre, encore aujourd’hui, cinquante-cinq ans après sa parution? Parce qu’en plus de se lire aisément, il exprime de belle façon ce que fut l’époque de la censure au Québec. Dans une ruralité éloignée, où la lecture est proscrite par l’élite religieuse – et politique, devrait-on dire – puisque jugée subversive, on découvre un personnage qui n’a rien à faire des « délires églisiastiques », mais qui, au contraire, semble tenir davantage aux discours conséquents de ses semblables et à son bienêtre immédiat qu’au laïus de la bonne morale et à l’opinion d’autrui. En moins de 200 pages, Gérard Bessette nous démontre que tout n’a pas toujours été acquis, qu’il fut une époque où les idées ne pouvaient circuler librement et qu’une librairie est plus qu’un commerce, qu’elle est un lieu où la réflexion est permise, où les différents points de vue peuvent converger. Lire ce roman nous fait réaliser les acquis que nous avons maintenant et, surtout, nous pousse à nous interroger sur la force de nos convictions. Jusqu’où irions-nous pour nos idées? La censure, d’hier à aujourd’hui Dans le dossier du présent numéro (p. 45), nous proposons un tour d’horizon des livres qui ont été censurés par le passé ou qui le sont encore de nos jours, et ce, partout à travers le monde. Avec l’auteure Clélia Anfray (p. 53), nous découvrons par la fiction les dessous du métier de censeur au théâtre, au XIX e siècle, alors qu’avec Denise Boucher (p. 51), nous revenons sur Les fées ont soif, pièce hautement contestée lors de sa parution. Nous abordons également le cas des pressions auxquelles sont soumises les bibliothèques scolaires concernant les livres qu’elles placent entre les mains des jeunes : attention, dossier chaud (p. 48)! Dans ce numéro, nous ne dressons pas un portrait réjouissant de la censure, prêchant plutôt pour la liberté d’expression. Mais attention, il ne faut pas s’enflammer sur des statistiques qui, d’un œil extérieur, peuvent sembler outrageuses, mais qui, de l’intérieur, permettent peut-être d’éviter des débordements qui seraient encore plus dommageables. Où se situe la limite de la liberté d’expression? Lorsque des mensonges sont énoncés, sont publiés, doit-on le dire? Et comment le faire lorsqu’il ne s’agit pas de mensonges pour tous, lorsqu’il s’agit d’une vérité pour certains, mais d’une calomnie pour d’autres? Qui l’emporte entre la liberté d’expression et le besoin d’un tissu social solide? La censure est un outil, et elle ne provient pas toujours uniquement des instances supérieures : gardons cela en tête, pendant que nous découvrons tous ces titres mis de côté par les élites, pour des raisons qui, pour la plupart, nous font sourciller en raison de leur loufoquerie! Allez, célébrez votre liberté de lecteurs!