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FRAN 4002 Mme de Sévigné Lettres - A MADAME DE GRIGNAN A ...

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<strong>FRAN</strong> <strong>4002</strong><br />

<strong>Mme</strong> <strong>de</strong> <strong>Sévigné</strong><br />

<strong>Lettres</strong> - A <strong>MADAME</strong> <strong>DE</strong> <strong>GRIGNAN</strong><br />

A Paris, mercredi 29 juillet 1676<br />

Voici, ma bonne, un changement <strong>de</strong><br />

scène qui vous paraîtra aussi agréable qu’a tout le<br />

mon<strong>de</strong>. Je fus samedi à Versailles avec les Villars 1 ;<br />

voici comme cela va. Vous connaissez la toilette 2 <strong>de</strong> la<br />

Reine, la messe, le dîner ; mais il n’est plus besoin <strong>de</strong> se<br />

faire étouffer, pendant que Leurs Majestés sont à table,<br />

car, à trois heures, le Roi, la Reine, Monsieur 3 ,<br />

Madame 4 Ma<strong>de</strong>moiselle 5 , tout ce qu’il y a <strong>de</strong> princes et<br />

<strong>de</strong> princesses, Madame <strong>de</strong> Montespan 6 , toute sa suite,<br />

tous les courtisans, toutes les dames, enfin ce qui<br />

s’appelle la cour <strong>de</strong> France, se trouve dans ce bel<br />

appartement du Roi que vous connaissez. Tout est<br />

meublé divinement, tout est magnifique. On ne sait ce<br />

que c’est que d’y avoir chaud on passe d’un lieu à<br />

l’autre sans faire la presse en nul lieu…<br />

Je saluai le Roi, comme vous me l’avez appris ; il me redit mon salut, comme si<br />

j’avais été jeune et belle. La reine me parla longtemps <strong>de</strong> ma maladie. Elle me parla aussi<br />

<strong>de</strong> vous. Monsieur le duc 7 me fit mille <strong>de</strong> ces caresses à quoi il ne pense pas. Le maréchal<br />

<strong>de</strong> Lorges 8 m’attaqua sous le nom 9 du chevalier <strong>de</strong> Grignan 10 , enfin tutti quanti 11 : vous<br />

savez ce que c’est <strong>de</strong> recevoir un mot <strong>de</strong> tout ce qu’on trouve en chemin. <strong>Mme</strong>. <strong>de</strong><br />

Montespan me parla <strong>de</strong> Bourbon 12 , et me pria <strong>de</strong> lui conter Vichy, et comme je m’en étais<br />

trouvée ; elle dit que Bourbon, au lieu <strong>de</strong> lui guérir un genou, lui a fait mal aux <strong>de</strong>ux. Je<br />

lui trouvai le dos bien plat, comme disait la Maréchale <strong>de</strong> la Meillerai ; mais<br />

sérieusement, c’est une chose surprenante que sa beauté ; et sa taille qui n’est pas <strong>de</strong> la<br />

moitié si grosse qu’elle était, sans que son teint, ni ses yeux, ni ses lèvres en soient moins<br />

bien. Elle était toute habillée <strong>de</strong> point <strong>de</strong> France 13 ; coiffée <strong>de</strong> mille boucles ; les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>s<br />

1 L’ambassa<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> France en Savoie et sa femme.<br />

2 La reunión <strong>de</strong>s dames qui venaient ai<strong>de</strong>r la Reine pendant qu’elle s’habillait.<br />

3 Philippe d’Orléans, frère <strong>de</strong> Louis XIV<br />

4 Elisabeth-Charlotte <strong>de</strong> Bavière, princesse palatine femme <strong>de</strong> Monsieur<br />

5 Marie-Louise d’Orléans, fille <strong>de</strong> Philippe d’Orléans et <strong>de</strong> sa première femme, Henriette d’Angleterre<br />

6 favorite du Roi<br />

7 le Duc d’Enghien, fils du Grand Condé<br />

8 neveu <strong>de</strong> Turenne<br />

9 à propos<br />

10 frère du comte Grignan<br />

11 tous<br />

12 Bourbon-L’Archambault, ville <strong>de</strong> cures d’eau, où Me. <strong>de</strong> <strong>Sévigné</strong> alla , ansi qu’à Vichy , soigner ses<br />

rhumatismes.<br />

13 <strong>de</strong>ntelle


tempes lui tombaient fort bas sur les <strong>de</strong>ux joues ; <strong>de</strong>s rubans noirs sur la tête, <strong>de</strong>s perles<br />

<strong>de</strong> la Maréchale <strong>de</strong> l’Hospital 14 , l’embellies <strong>de</strong> boucles et <strong>de</strong> pen<strong>de</strong>loques <strong>de</strong> diamant <strong>de</strong><br />

la <strong>de</strong>rnière beauté, trois ou quatre poinçons 15 , une boite, point <strong>de</strong> coiffe, en un mot, une<br />

triomphante beauté à faire admirer à tous les ambassa<strong>de</strong>urs. Elle a su qu’on se plaignait<br />

qu’elle empêchait tout la France <strong>de</strong> voir le Roi ; elle l’a redonné, comme vous voyez ; et<br />

vous ne sauriez croire la joie que tout le mon<strong>de</strong> en a, ni <strong>de</strong> quelle beauté cela rend la cour.<br />

Cette agréable confusion , sans confusion, <strong>de</strong> tout ce qu’il y a <strong>de</strong> plus choisi, dure jusqu’à<br />

six heures <strong>de</strong>puis trois. S’il vient <strong>de</strong>s courriers, le Roi se retire pour lire ses lettres, et puis<br />

revient. Il y a toujours quelque musique qu’il écoute, et qui fait un très bon effet. Il cause<br />

avec celles qui ont accoutumé d’avoir cet honneur. Enfin on quitte le jeu à l’heure que je<br />

vous ai dit ; on n’a du tout point <strong>de</strong> peine à faire les compte […]<br />

A six heures donc, on monte en calèche, le roi, <strong>Mme</strong>. <strong>de</strong> Montespan,<br />

Monsieur, <strong>Mme</strong>. <strong>de</strong> Thianges 16 , et la bonne 17 d’Heudicourt sur le strapontin, c’est-à-dire<br />

comme en paradis, ou dans la Gloire <strong>de</strong> Niquée 18 . Vous savez comme ces calèches sont<br />

faites : on ne se regar<strong>de</strong> point, on est tourné du même côté. La Reine était dans une autre<br />

avec les princesses, et ensuite tout le mon<strong>de</strong> attroupé selon sa fantaisie. On va sur le canal<br />

dans <strong>de</strong>s gondoles, on y trouve <strong>de</strong> la musique, on revient à dix heures, on trouve la<br />

comédie, minuit sonne, on fait médianoche 19 voilà comme se passa le samedi. Nous<br />

revînmes quand on monta en calèche.<br />

De vous dire combien <strong>de</strong> fois on me parla <strong>de</strong> vous, combien on me <strong>de</strong>manda <strong>de</strong><br />

vos nouvelles, combien on me fit <strong>de</strong>s questions sans attendre la réponse, combien j’en<br />

épargnai, combien on s’en souciait peu, combien je m’en souciait encore moins, vous<br />

connaîtriez au naturel l’iniqua corte. Cependant elle nu fut jamais si agréable, et l’on<br />

souhaite fort que cela continue. <strong>Mme</strong> <strong>de</strong> Nevers est fort jolie, fort mo<strong>de</strong>ste, fort naïve : sa<br />

beauté fait souvenir <strong>de</strong> vous. M. <strong>de</strong> Nevers est toujours le plus plaisant robin ; sa femme<br />

l’aime <strong>de</strong> passion. Mlle <strong>de</strong> Thianges est plus régulièrement belle que sa soeur. M. du<br />

Maine est incomparable, l’esprit qu’il a est étonnant ; les choses qu’il dit ne se peuvent<br />

imaginer…<br />

M. le Prince fut voir l’autre jour <strong>Mme</strong> <strong>de</strong> La Fayette : ce prince alla cui spada<br />

ogni vittoria è certa…Il parle <strong>de</strong> la guerre, il attend <strong>de</strong>s nouvelles comme les autres. On<br />

tremble un peu <strong>de</strong> celles d’Allemagne. On dit pourtant que le Rhin est tellement enflé <strong>de</strong>s<br />

neiges qui fon<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s montagnes, que les ennemis sont plus embarrassés que nous.<br />

Rambures a été tué par un <strong>de</strong> ses soldats, qui déchargeait son mousquet trèsinnocemment.<br />

Le siège d’Aire continue ; nous avons perdu quelques lieutenants aux<br />

gar<strong>de</strong>s et quelques soldats. L’armé <strong>de</strong> Schomberg est en pleine sûreté. . . Voilà ma bonne,<br />

d’épouvantables détails : ou ils vous ennuieront beaucoup, ou ils vous amuseront ; ils ne<br />

peuvent point être indifférents …<br />

14<br />

célèbre pour ses pierreries, plus grosses que celles <strong>de</strong> la Reine<br />

15<br />

joyaux que les femmes piquaient dans leur chevelure<br />

16<br />

soeur <strong>de</strong> <strong>Mme</strong>. De Montespan<br />

17<br />

chère (ironique)<br />

18<br />

allusion à la béatitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la princesse Niquée dans l’Amadis <strong>de</strong> Gaule<br />

19 collation nocturne


Vous trouvez que ma plume est toujours taillée pour dire <strong>de</strong>s merveilles du grand<br />

maître : je ne le nie pas absolument ; mais je croyais m’être moqué <strong>de</strong> lui, en vous disant<br />

l’envie qu’il a <strong>de</strong> parvenir, et qu’il veut être maréchal <strong>de</strong> France à la rigueur, comme du<br />

temps passé ; mais c’est que vous m’en voulez sur ce sujet ; le mon<strong>de</strong> est bien injuste.<br />

Contez à M. l’Archevêque ce que m’a fait dire M. le premier prési<strong>de</strong>nt pour ma<br />

santé. J’ai fait voir mes mains et quasi mes genoux à Langeron, afin qu’il vous en ren<strong>de</strong><br />

compte. J’ai d’une manière <strong>de</strong> pomma<strong>de</strong> qui me guérira, à ce qu’on m’assure ; je n’aurai<br />

point la cruauté <strong>de</strong> me plonger dans le sang d’un bœuf, que la canicule ne soit passée.<br />

C’est vous, ma fille, qui me guérirez <strong>de</strong> tous mes maux. Si M. <strong>de</strong> Grignan pouvait<br />

comprendre le plaisir qu’il me fait d’approuver votre voyage, il serrait consolé par avance<br />

<strong>de</strong> six semaines qu’il sera sans vous.<br />

Adieu, ma très-aimable et très-aimée : vous me priez <strong>de</strong> vous aimer ; ah !<br />

vraiment je le veux bien ; il ne sera pas dit que je vous refuse quelquechose.<br />

À M. <strong>de</strong> Pompone<br />

le 1 décembre 1664<br />

… Il faut que je vous conte une petite historiette, qui est très vraie et qui vous divertira.<br />

Le roi se mêle <strong>de</strong>puis peu <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s vers ; MM. De Saint-Aignan et Dangeau lui<br />

apprennent comment il faut s’y prendre. Il fit l’autre jour un petit madrigal, que lui-même<br />

ne trouva pas trop jolie. Un matin il dit au maréchal Gramont :<br />

« M. le Maréchal, je vous prie, lisez ce petit madrigal, et voyez si<br />

vous en avez jamais vu un si impertinent. Par ce qu’on sait que<br />

<strong>de</strong>puis peu j’aime les vers, on m’en apporte <strong>de</strong> toutes les<br />

façons. » Le maréchal, après avoir lu, dit au roi : « Sire, votre<br />

Majesté juge divinement bien <strong>de</strong> toutes choses : il est vrai que<br />

voilà le plus sot et le plus ridicule madrigal que j’aie jamais lu. »<br />

Le Roi se mit à rire, et lui dit : « N’est-il pas vraie que celui qui<br />

l’a fait est bien fat ? » - Sire il n’y a pas moyen <strong>de</strong> lui donner un<br />

autre nom. – Oh bien ! dit le Roi, je suis ravi que vous m’en ayez<br />

parlé si bonnement ; c’est moi qui l’ai fait. – Ah ! Sire, quelle<br />

trahison ! que votre Majesté me le ren<strong>de</strong> ; je l’ai lu brusquement.<br />

– Non, M. le maréchal : les premiers sentiments sont toujours<br />

plus naturels. » Le roi a fort ri <strong>de</strong> cette folie, et tout le mon<strong>de</strong> trouve que voilà la plus<br />

cruelle petite chose que l’on puisse faire à un vieux courtisan. Pour moi, qui aime<br />

toujours à faire <strong>de</strong>s réflexions, je voudrais que le Roi en fît là-<strong>de</strong>ssus, et qu’il jugeât par là<br />

combien il est loin <strong>de</strong> connaître jamais la vérité…


QUESTIONS GUI<strong>DE</strong>S.<br />

En principe, quel est le but d'une lettre? Quelles sont les caractéristiques d'une lettre?<br />

Pourquoi, en général, une lettre n'est pas considérée <strong>de</strong> la "littérature"?<br />

Lettre à <strong>Mme</strong>. De Grignan<br />

1. Quel est le ton adopté par <strong>Mme</strong> <strong>de</strong> <strong>Sévigné</strong> (la narratrice) ? En quoi s'est-elle<br />

transformée en adoptant ce ton?<br />

2. Quel mo<strong>de</strong> narratif est privilégié dans cette lettre ? Quels sont les aspects (les<br />

traits, les thèmes, les figures <strong>de</strong> style) mis en valeur (choisis par la narratrice) pour<br />

développer ce mo<strong>de</strong> narratif ?<br />

3. Quel jugement <strong>Mme</strong> <strong>de</strong> <strong>Sévigné</strong> porte-t-elle sur la cour ? Justifiez votre réponse<br />

en vous appuyant dans le texte.<br />

Lettre à M. <strong>de</strong> Pompone<br />

1. Dans la lettre à M. <strong>de</strong> Pompone la narratrice adopte un autre ton; quel est-ce et<br />

pourquoi ?<br />

2. En contraste avec la lettre à <strong>Mme</strong> <strong>de</strong> Grignan, la narratrice utilise plusieurs mo<strong>de</strong>s<br />

narratifs pour construire cette lettre, quels sont-ils ? Quelle est leur fonction ?<br />

3. D’après vous quel est le but <strong>de</strong> <strong>Mme</strong> <strong>de</strong> <strong>Sévigné</strong> en racontant cette<br />

« historiette » ?<br />

D'après vous, peut-on parler d'oeuvre littéraire en ce qui concerne ces <strong>de</strong>ux lettres?<br />

Justifiez votre réponse.<br />

Pour connaître un peu plus sur le genre épistolaire visitez :<br />

www.site-magister.com (genres littéraires)<br />

http://serieslitteraires.org

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