Bulletin

effets induits par une demande incessante de
transparence auraient donc été mal mesurés
ou sous-évalués et mériteraient d’être
considérés, car ils pourraient contribuer à
fragiliser plutôt qu’à renforcer la démocratie 3 .
Interconnexions, suppositions
et interprétations erronées des données
L’éminent professeur de droit à
l’Université Harvard, Lawrence Lessig,
mondialement connu comme défenseur de
la liberté sur Internet, publiait en 2009 un
texte dans le magazine américain The New
Republic avec un titre aussi polémique que
« Against Transparency – Perils of Openness
in Governement ». Dans cet essai, il met en
garde contre les avancées de la transparence
qui, si elle n’est pas encadrée adéquatement,
peut mener, selon lui, à une suspicion et
à une aversion généralisées du politique
dans son ensemble. Il affirme que certaines
initiatives pour une plus grande transparence
devraient susciter un questionnement et une
réflexion plus profonde que ce qui a cours
actuellement.
Afin d’expliquer sa position, il prend
à partie un type précis d’initiatives du
« mouvement pour la transparence » qu’il juge
dangereux - celles qui ont pour but de mettre
en lumière ce qui a pu influencer le vote des
élus et les cas de corruption manifestes. Pour
Lessig, la réalisation de projets comme celui
de la base de données maplight.org 4 – qui
établit des corrélations entre les sources de
financement des élus du Congrès et la façon
dont ceux-ci ont ensuite voté pour chacun
des textes de loi – aura sans aucun doute un
impact profond.
Ce qui inquiète surtout le juriste, c’est
l’instantanéité et l’étendue des possibilités
que fourniront les avancées législatives (le
Congrès se soumettant de plus en plus aux
exigences de transparence) et technologiques
(les programmeurs développant des
techniques de plus en plus efficaces pour
compiler et interconnecter les données
fournies). En effet, selon Lessig, les possibilités
d’interconnexions et de corrélations des
données seront tellement vastes que chacun
des actes des parlementaires pourra, de
façon plausible, être attribué à l’influence de
l’argent 5 .
À première vue, cette transparence ne
peut sembler que bénéfique à la démocratie,
puisqu’elle permettra enfin de savoir qui
finance qui, et pourquoi, et qui a agi de
façon répréhensible. Toutefois, Lawrence
Lessig affirme qu’il y a un problème avec
les initiatives du « mouvement pour la
transparence » : toutes les données ne
remplissent pas les conditions requises
pour être exploitables. Ainsi, pour que les
mesures de transparence soient efficaces et
utiles, il faut, argue Lessig, « que les données
permettent d’effectuer des comparaisons et
que ces comparaisons révèlent quelque chose
de réel. Et c’est cela que le “ mouvement de la
transparence nue 6 ” ne parvient pas à faire 7 ».
Alors que tous les utilisateurs de
maplight.org seront tentés de penser sans
se questionner - puisque c’est ce que le
croisement des données cherche à prouver -
que c’est l’argent qui a influencé le vote de tel
ou tel élu, Lessig suggère d’autres questions
qui devraient être posées :
Un don incite-t-il un élu à adopter telle ou
telle position? Ou bien est-ce la position qu’il
a adoptée qui suscite le don? Une promesse
de don rend-elle un élu plus sensible à telle
ou telle position? Facilite-t-elle l’accès à cet
élu? Les élus lorgnent-ils une place dans telle
ou telle commission en fonction des dons
que ladite commission pourrait leur valoir?
Toutes ces interrogations – bien que
la connaissance de la nature du système
états-unien permette une réponse affirmative
dans certaines circonstances – demeurent
non résolues. Mais une chose est sûre selon
Lessig, toutes les données du monde ne
permettraient jamais de garantir « un lien de
causalité entre un don et un vote, et de faire le
tri entre dons innocents et dons corrupteurs ».
Tout ce que les données peuvent apporter
ce sont des suppositions, des insinuations
ou d’autres questionnements. Et selon le
professeur, puisque : « […] à l’heure actuelle,
l’idée que tout dans le système politique
américain est affaire d’argent est si répandue
et si profondément ancrée que, de toutes
les explications que l’on [puisse] trouver à
un acte déroutant, l’argent est la première
et souvent la seule que l’on donne », les
corrélations proposées par le « mouvement
pour la transparence » ne feront que soutenir,
BULLETIN, 39, 2, AUTOMNE 2010
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