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<strong>Notes</strong> <strong>du</strong> <strong>mont</strong> <strong>Royal</strong><br />
www.notes<strong>du</strong><strong>mont</strong>royal.com<br />
Ceci est une œuvre tombée<br />
dans le domaine public, et<br />
hébergée sur « <strong>Notes</strong> <strong>du</strong> <strong>mont</strong><br />
<strong>Royal</strong> » dans le cadre d’un exposé<br />
gratuit sur la littérature.<br />
Source des images<br />
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L<strong>ES</strong> <strong>VIE</strong> S<br />
D<strong>ES</strong> PLUS <strong>IL</strong>LUSTR<strong>ES</strong><br />
PH<strong>IL</strong>OSOPH<strong>ES</strong><br />
DE L'ANTIQUITÉ.<br />
TOME SECOND.
<strong>IL</strong> E S <strong>VIE</strong> <strong>Scftf</strong><br />
D<strong>ES</strong> PLUS <strong>IL</strong>LUSTR<strong>ES</strong>jvO<br />
H <strong>IL</strong> OS OFH<strong>ES</strong> Ô<br />
DE L'ANTIQUITÉ,<br />
Avec leurs Dogmes, leurs Syftêmes, leur Morale,<br />
Si leurs Sentences les plus remarquables ;<br />
TRADUIT<strong>ES</strong> DU GREC DE DIOGÈNE LAERCE;<br />
Auxquelles on a ajouté h VU de I'AUTIUR , etlle*<br />
d'ÉpiCTETB, de CONFUCIVS , & leur Morale ; 6c<br />
un Abrégé hiftorique de la vie un Femme» Phîlolophes<br />
de l'Antiquité :<br />
NOUVELLE EDITION, AVEC PORTRAITS,<br />
X O M E SECOND;<br />
-wCi /^'^4) v -w%<br />
tri > ,# ^ ** H sV ^l ¥<br />
A AMSTERDAM,<br />
CHEZ /. H. S C HNE I D E R , Libraire;<br />
M. DCC. L X I.
A.HT1STHF.N<strong>ES</strong><br />
S'HHri
-L Ï.VRE VL<br />
ANTI ST H E NE.<br />
! i<br />
V&iMtV Ntifthène, fils d'un homme qui por."<br />
"5s T ~*0L tolt * e «nêmé'nom > étoit d'Athènes.<br />
-?&•-.. «** ^ n ^' f P ourtant «P^ n'étoit point<br />
/ ? T'H"«K né d'une Citoyenne de cette ville ;<br />
& comme on luienfaifoit un reproche, La mère<br />
des Dieux , repliqua-t'il, efl bien de Phri.<br />
gic. On croit que la Tienne étoit de Thrace -<br />
- & ce fut ce qui donna occafion à Socrate de dire,<br />
après qu'Antifthène fe fut extrêmement diftingué<br />
à la bataille de Tanagre, qu'il n'auroit pas <strong>mont</strong>ré<br />
tant de courage , s'il eût été né de père &<br />
de mère tous deux Athéniens ; & lui-même , pour<br />
fe moquer des Athéniens qui faifoient valoir leur<br />
fiaifiance , difok que la qualité de naturels dn<br />
Tome II. A
2 A N T 1 S T H È N E .<br />
pays leur étoit commune avec les limaçons & les<br />
fauterelles.<br />
Le Rhéteur Gorgias fut le premier maître que<br />
prit ce Philofophe ; de là vient que fes Dialogues<br />
fentent l'Art Oratoire , fur-tout celui qui eft intitulé<br />
De la vérité, & fes Exhortations.<br />
Hermippe raporte qu'ilavoiteu deflein défaire<br />
dans la folemnité des Jeux Iflmiques l'éloge &<br />
la cenfure des Athéniens, des Thébains & des<br />
Lacédémoniens ; mais que voyant un grand concours<br />
à cette folemnité , il ne le fit pas. Enfin il<br />
devint difciple de Socrate, & fit tant de progrès<br />
fous lui, qu'il engagea ceux qui venoientprendre<br />
fes leçons, à devenir fes condifciples auprès de<br />
cePhilofoplie. Et comme il demeuroitau Pyrée,<br />
il faifoit tous les jours un chemin de quarante ftades<br />
pour venir jufqu'à la'Ville entendre Socrate.<br />
Il aprit de lui la patience, & ayant conçu le defir<br />
de s'élever au-deffus de toutes les parlions , il fut<br />
le premier Auteur de la Philofophie Cynique.<br />
Il prouvoit l'utilité des travaux par l'exemple <strong>du</strong><br />
grand Hercule parmi le&Qrecs, & par celui de<br />
Cyrus parmi les Etrangers. ..<br />
Il définiflbit le Difcours , lafiience d'exprimer<br />
ce qui qui a été & ce qui eft. Il (Jifoit aufîi qu'il fouhaitoit<br />
plutôt d'être atteint de folie, que de la volupté<br />
; & par raport aux femmes. $ qu'un homme ne<br />
doit avoir de commerce qu'avec celles qui lui en<br />
fçauront gré. Un jeune homme, <strong>du</strong> Pont , qui
A N T I S T H È N E . j<br />
Touloitfe rendre fon difciple , lui ayant demandé<br />
de quelles chofes il avoit befoin pour cela ; D'un<br />
livre neuf, dit-il , Sun ftyle (i) neuf, & d'une<br />
tablette neuve, voulant dire qu'il avoit principalement<br />
befoin d'efprit(a). Un autre qui cherchoit<br />
à fe marier , l'ayant confulté , il répondit que<br />
s'il prenait une femme qui fût belle , elle ne ferait<br />
point à luifeul; $» que s'il enprenoit une laide,<br />
elle lui deviendroit bien-tôt à charge. Ayant un<br />
jour enten<strong>du</strong> Platon parler mal de luf, il dit,<br />
qu'il lui arrivoit, comme aux Rois,'d'être blâmé pour<br />
avoir bien fait. Comme on l'initioit auxmyftéres<br />
d'Orphée, & que le Prêtre lui difoit que ceux qui<br />
y étoient initiés, jouiffoient d'un grand bonheur<br />
aux Enfers .* Pourquoi ne meurs-tu donc pas , lui<br />
repliqua-t'il ? On lui reprochoit qu'il n'étoit point<br />
né de deux perfonnes libres : Je ne fuis pas né<br />
non plus, repartit-il, de deux lutteurs , & cependant<br />
je ne laiffe pas de fçavoir la lutte. On lui<br />
demandoit auffi pourquoi il avoit fi peu de difciples<br />
: Cejl que je ne les fais pas entrer che\<br />
moi avec une verge d'argent (3), répondit-il.<br />
(1) Sorte de poinçon dont les Anciens fe fer voient pour<br />
écrire.<br />
(1) C'eft un jeu-de mots , qui confifte en ce que le terrn:<br />
Crée , qui lignine ici neuf ou nnuviau, peut auul lignifier<br />
érd'tfprit.<br />
(;) Cela veut dite que les chofes les plus 1 hères étoienc<br />
les plus eftimees. Les Cyniques ne prenoienc point d'argent,<br />
de leurs dilciplcs. n_,<br />
A»
4 A N T I S T H Ê N E .<br />
Interrogé pourquoi il en aguToit rudement avec<br />
fes difciples : Les Médecins , dit-il, traitent de<br />
mime leurs malades. Voyant un jour un a<strong>du</strong>ltère<br />
qui fe fauvoit : Malheureux , lui cria-t'il, quel<br />
péril n'aurois-tu pas pu éviter avec une obole ! Hé-"~<br />
caton dans fes Difcours , lui attribue d'avoir dit ><br />
qu'il vaut mieux tomber entre les pattes des cor^<br />
beaux, qu'entre les mains des flatteurs ; parce que<br />
ceux-là ne font <strong>du</strong> mal qu'aux morts , au lieu que<br />
ceux-ci dévorent les vivans. Interrogé fur ce qui<br />
pouroit arriver de plus heureux à un homme , il<br />
. Tépondit que c'étoit de mourir content. Un de fes<br />
amis fe plaignant un jour à lui d'avoir per<strong>du</strong> fes<br />
écrits, il lui dit, qu'il auroit fallu mettre les chofes<br />
qu'ils contenoient, dans fon efprit, mais non<br />
fur <strong>du</strong> papier. Il difoit que les envieux font confîmes<br />
par leur propre caraflére , comme le fer eji<br />
rongé par la rouille qui s'y met ; que le moyen de<br />
s'immortalifer eft de vivre pieufement &juflement ,<br />
& que quand on ne peut plus difcerner les honnie<br />
tes gens d'avec les vicieux,, c'ejl alors qu'un pays<br />
ejl per<strong>du</strong>. -<br />
Etant un jour loué par des gens d'un mauvais<br />
caractère , il dit , que cela lui faifoit craindre<br />
qu'il n'eût fait quelque chofe de mal. Il difoit<br />
auffi , qu'une fociété de frères, qui font unis, ejl la<br />
meilleure de toutes les fortereffcs ; & qu'il falloït<br />
fe munir principalement de biens, qu'on pût<br />
• dans un naufrage fauver avec foi. Comme on
A N T I S T H È N E ; j<br />
le blâmoit de ce qu'il fréquentoit des gens vicieux<br />
, il répondit, que les Médecins voient bien<br />
les malades , fans pour cela prendre la fièvre. Il<br />
difoit encore , qu'il e'toii abfurde , tandis qu'on<br />
prenoit. tant de foin deféparer le froment de tivraie ,'<br />
& de purger une armée de gens inutiles , qu'on<br />
ne prît pas le même foin de purger la fociété de*<br />
méchans qui la corrompent. On lui demanda ce qui<br />
lui étoit revenu de l'étude de la Philofophie ; Dt<br />
fçavoir, dit-il, converfer avec moi-même. Chante^ ,<br />
lui dit quelqu'un dans un repas ; Et vous, repli.<br />
qua-t'il , jouc{-moi de la flûte. Diogène lui demandant<br />
un habit, il lui dit, qu'il n'avait qu'à<br />
plier fon manteau en ' double. Quelle eft , lui<br />
demanda^t'on , de toutes les chofes, qu'il faut<br />
aprendre , la plus nécejjaire ? Celle, répondit-il,<br />
d'oublier le mal. Il exhortoit ceux qui étoient<br />
l'objet de la médifance, à la .(«porter comme fî<br />
quelqu'un fe jettoit des pierres à lui-même, l'<br />
taxoit Platon d'orgueil ; & voyant un jour dans<br />
une pompe publique un cheval qui henniflbit,<br />
il dit à Platon : vous me femble^ avoj[ une fierté<br />
pareille à celle-là, faifant allufion par ce di(cours,<br />
à ce que Platon donnoit beaucoup de louanges<br />
au Cheval. Etant venu un jour auprès de ces<br />
Philofophe qui étoit malade, & voyant un vaftf<br />
dans lequel il avoit vomi : Je vois bien, dit-il ,'<br />
la bile de Platon , mais non pas fon orgueil. Il<br />
confeilloit aux Athéniens de faire un Décret, pat;<br />
A3
« A N t l S T H Î N Ê .<br />
lequel ils déclaraient que les ânes font des che^<br />
vaux; & comme on trouvoit cedifcours déraifon*rable,<br />
il ajouta : Ne choififfe^ - vous pas pour Généraux<br />
desgens qui ne fçavent rien, 6» qui n'ont<br />
d'autre droit que leur éleflion à ta charge qu'ils rempliffènt<br />
? Quelqu'un lui^difant que beaucoup de<br />
gens lui donnoient des louanges : Je nefçache pas<br />
non plus, dit-il, avoir fait quelque chofe de mauvais.<br />
On raconte que comme il laiflbit voir un<br />
- côté de fon manteau qui étoit déchiré, Socrate,<br />
qui s'en aperçut , lui dit : Je vois ta vanité au<br />
travers des trous de ton manteau. Phanias raporte<br />
dans fon Livre des difciples de Socrate, que<br />
quelqu'un ayant demandé à Antiflhène, par quel<br />
moyen il pourrait acquérir un caraSére bon 6*<br />
honnête , il lui répondit : En aprenant de aux<br />
qui font plus inflruits que vous , que k i vices que<br />
vous avec font des chofes qu'il faut fuir. Quelqu'an<br />
vantant beaucoup les piaifirs d'une vie délicate<br />
, il dit, qu'il ne les fouhaitoit qu'aux enfans<br />
de fes ennemis. Ayant vu un jeune homme qui<br />
tâchoit dç paroître tel que le Statuaire l'avoit<br />
reprefenté, il lui adrefla
, ANTISTHÊNE. 7<br />
freçu un navire chargé de chofcs falées qu'il attendoit,<br />
il prit an fac & mena le jeune homme<br />
avec lui chez une femme qui vendoit de la farice<br />
; & lui ayant dit d'en remplir fon fac, comme<br />
elle lui demandoit de l'argent : Ce jeune homme ,<br />
dit-il, vous en donnera quand fon navire, chargé<br />
de choj"es filles, fera arrivé.<br />
Antifthène paffe auffi pour avoir fait bannir<br />
'Anytus, & condamner Mèlîtus ( 1 ) à mort j.car<br />
on dit qu'ayant rencontré déjeunes gens <strong>du</strong> Pont,<br />
que la réputation de Socratearoit attirés, il les<br />
mena à Anytus ,. en lenr difant, qu'il étoit bien,<br />
plus,réglé dansfes moeurs que Socrate ; ce qui excita<br />
tellement l'indignation des afMans, que ce<br />
fut la caufe <strong>du</strong> banniflement d'Anytus. Un jour,<br />
ayant vu paffer une femme qui étoit ornée , il alla<br />
fur le .champ àja maifon ce cette femme, & ordonna<br />
à fon mari de pro<strong>du</strong>ire fon cheval & fes<br />
armes ; lui difant que ç*il étoit pourvu de ce dont<br />
il avoit befoin pour la guerre, il pouvoit permettre<br />
à (A femme de donner dans le luxe ; finon,<br />
qu'il devoit lui ôter fes ornemens.<br />
-.' On lui attribue encore les fentimens fuivans.'<br />
Il croyoit que la vertu peut s'enfeigner: Que les<br />
gens vertueux font en mém'e-tems nobles : Que la<br />
vertu fitffit pour rendre heureux , n'ayant befoin<br />
(•) Anytus & Militas avaient été In principaux accula.<br />
tcuts de Socraie.<br />
A4
8 A N T I S T H È N E.<br />
d'autre fecours que d'une ame telle que celle de Socrate<br />
; quefon objet font les chofes même s,& qu'elle n'a<br />
befoin, ni de beaucoup de paroles, ni d'une grande<br />
fcience : Que le fagefe fuffit d'autant plus à lui-même<br />
, qu'il participe à tous les biens que les autres<br />
pojfédent: Que c'eftun bien d'être dansrobfcuriti*<br />
& qu'elle a les mêmes ufages que le travail : Que<br />
le fagenefe régie pas dans la pratique des devoirs civils<br />
par les loix établies, mais par la vertu ; qu'il ft<br />
marie dans ta vue d'avoir des enfans , choififfant<br />
pour cet effet une femme dont les agrémens puijfent<br />
lui plaire; qu'il peut aujji former des liaifons de tendre<br />
ffe, fçachant feul quel en doit être l'objet ( t \<br />
Dioclès lui attribue auffi ces maximes : Que<br />
rien n'ejl étrange ni extraordinaire pour le fage :<br />
Que les gens d'un bon cara&êre font ceux qui méritent<br />
le plus d'être aimés : Que ceux qui recherchent<br />
les bonnes chofes ,font amis les uns des autres : Qu'il<br />
faut avoir pour compagnons Je guerre des gens qui<br />
foient à la fois courageux fi» juff.es : Que la Vertu<br />
eff une arme qui ne peut être ravie : Qu'il vaut<br />
mieux avoir à combattre avec un petit nombre de<br />
gens courageux contre une'trompe de gens lâches fi»<br />
(i ) Il ne s'agit point ici de l'amour des femme» i ort n*<br />
peut douter polluant qu'il ne s'agifle d'une* tendreiTe honnfte.<br />
Voici donc un de ces endroits des anciens Auteurs t<br />
gui prouve que le terme de l'original ne doit cas toujours<br />
tu eue interpiété dans un fens odieux.
ANTISTHÊNE.' *<br />
fans cttur, que d'avoir à fe défendre avec une pareille<br />
troupe contre un petit nombre des premiers : Qvnl<br />
faut prendre garde de ne pas donnerprife àfes ennemis<br />
, parce qu'ils font les premiers qui s'aperçoivent<br />
ides fautes qu'on fait: Que la vertu des femmes confifle<br />
dans les mêmes chofes que celle des hommes:<br />
Que les chofes qui'font bonnes font aujfi belles , S»<br />
que celles qui font mauvaifes font honteufes: Qu'i*<br />
. faut regarder les aflions vicieufes comme étant itran^<br />
gères à Vhomme : Que la prudence efl plus affarée<br />
qu'un mur, parce qu'elle ne peut] ni crouler, ni être<br />
minée : Qu'il faut élever dans fon orne une fortereffi<br />
qui fait imprenable.<br />
Antifthèoe enfeignoit dans un Collège apeRé<br />
•Çynofarge, pas loin des portes de la ville ; &<br />
quelques-uns prétendent quec'eft de laque la Secte<br />
Cynique a pris fon nom. Lui-même étoit ftfnofflfflé<br />
d'un nom qui fignifioit un Chienfmple, 8c<br />
an raport de Dioclès , il fut le premier qui doubSi<br />
fon manteau , afin de n'avoir pas befoin d'autre<br />
habillement. Il portoit une beface & un bâton;<br />
&'Néanthe dit) qu'il fut auffi le premier qui fît<br />
doubler fa vefte. Soficrate, dans fon troifiém»<br />
Livre des Succejpons , remarque que Diodàre Afpendien<br />
ajouta à la beface fie au bâton l'ufage de<br />
porter la barbe fort longue.<br />
Antiflhène eft le feul des difciples de Socrl*<br />
te, qui ait été loué par Théopompe. Il dk, qu'il<br />
étoit d'un efprit fin, Se qu'il menoit, comme ij
*o ANTISTH'È N El<br />
,Vouloit, ceux qui s'engageoient en difcours avec<br />
lui. Cela paroit aaffi par Tes Livres, & par te Feftin<br />
de Xénophon. Il paroît auffi avoir été le<br />
premier Chef de la Sede Stoïque, qui étoit la plus<br />
auftére de toutes i ce qui a donné occafion au<br />
Foëte Athénée déparier ainfi de cette Seâe :<br />
O vous ! auteurs des Maximes Stoïciennes ; vous ,<br />
'dont les faims ouvrages contiennent les plus excellent<br />
tes vérités ,. vous avcr^ raifon de dire que la vertu<br />
tft le'ifeul bien de l'ame : c'ejl elle qui protège U<br />
vie des hommes, & qui garde lés cités. Et s'il y en<br />
"a d'autres" qui regardent la volupté corporelle comme<br />
leur dernière fin, ce riejl qu'une des Mufes qui le<br />
leur a perfuadè. (i) '<br />
C'eft Antifthène qui a ouvert les voies à Diogène<br />
pour fon fyftême de la tranquillité, à Crar<br />
tes pour celui de la, continence, à Zenon pour<br />
celui de la patience ; de forte qu'il ajetté les fon-<br />
Jdemens del'édifice. En effet, Xénophon dit qu'il<br />
itoit fort doux dans la converfation, & fart retenu<br />
fur tout le refte,<br />
Oa divife fes ouvrages en dix volumes. Le<br />
premier, contient les pièces fuivantes : De la Die"<br />
tion, ou des figures <strong>du</strong> difcours. Ajax jou lu harangue<br />
d'Ajax. Ulyjfe , ou de VOdiffèe. L'Apologie<br />
d'Orefte. Des Avocats,- L'Ifographic, ou Défias-,<br />
.autrement Ifocrate; pièce contre ce qu'Ifocrate s<br />
( i ) Voy« U note fur ces vert dans la Vie de Zenon. '
àNTISTHÊ'NE. «<br />
écrit fur le manque de témoins. Le tome <strong>IL</strong> contient<br />
les ouvrages fuivans : De la Nature des Animaux.<br />
De la Procréation des En/ans, ou des Noces<br />
, autrement VAmouteux. Des Sophiftes. Le<br />
Phyjîognomonique. Trais difcours d'exhortation fur<br />
la Juftice & la Valeur. De Théognis , quatrième 6><br />
cinquième difcours. Les pièces <strong>du</strong> tome III. font<br />
intitulées : Du Sien. De la Valeur. De la Loi, ou<br />
de la Police. De la Loi , ou de l'honnête & <strong>du</strong>jufle.<br />
De la liberté & de la Servitude. De la Confiance.<br />
Du Curateur, ou de la foumijjlon. De là Viffoire ,<br />
difcours économique. Le tome IV. contient le Cyrus,<br />
le grand Hercule , ou de la force. Le V.<br />
traite de Cyrus , ou de la Royauté , 6» d'Afpafie.<br />
Les pièces <strong>du</strong> tome VIi font intitulées : De la Vérité.<br />
De la Difcuffion, difcours critique. Satkon, de<br />
Ut ContradiSion,trois difcours Du langage, ht Vil,<br />
tome traite, De VErudition, ou des Noms, chef<br />
livres. De la Mort. De ta Vie d» de la Mort.' Det<br />
Enfem. De tufage des Noms ; pièce intitulée autrement<br />
, le Dijputeur. Des Demandes 6» des Répon*<br />
fes. De la Gloire & de la Sc'unce,quatre livres. Delà<br />
Nature, deux livres. Interrogation fur la Nature r<br />
deuxième livre. Des Opinioas,ou U Difputeur.D'aprenârcdts<br />
que fiions. Lespiéces <strong>du</strong> tomeVI<strong>IL</strong> fon,t<br />
intitulées ,dela Mufique ; des Interprètes } d'Homère<br />
; de rinjuftice & F Impiété ? de Calchas^<br />
de tEmiffaire ; de la Volupté. Dans le tome IX.<br />
il eu parlé : de l'Odyffée ; <strong>du</strong> Bitani.de Minerve ±
.** AN'T I S TH feN E; .<br />
autrement de Télémaque ; d'Hélène & de Pinélppe4<br />
de Protée; <strong>du</strong> Cyclope, ou tfUlyffe; de l'Ûfagt<br />
<strong>du</strong> Fin, ou de UYvrogntrie , autrement <strong>du</strong> Cyclope ;<br />
de Circé ; cTAmphiaraus ; dUliffe & dcténélope;<br />
<strong>du</strong> Chien. Le tome X, traite : d'Hercule, ou de<br />
Midas ; d'Hercule , eu de la Prudence & de la<br />
Force ; <strong>du</strong> Seigneur, ou de F Amoureux f des Seigneurs,ou<br />
des Emijfaires; de Ménexene, ou de F Empire<br />
; d'Alcibiade ; SArchélaus, ou de la Royauté.<br />
Ce font-là les ouvrages d'Antifthène , dont le<br />
grand nombre a donné occaûon à Timon de le<br />
critiquer, en apellant un ingénieux Auteur de<br />
bagatelles. Il mourut de maladie, & l'on dit que<br />
Diogène vint alors le voir, en lui demandant s'il<br />
avoit befoin d'un ami. Il vint auffi une fois chez<br />
lui , en portant un poignard-, & comme Antifthène<br />
lui eut dit : Qui me délivrera de mes douceurs<br />
: Ceci, dit Diogène , en lui <strong>mont</strong>rant le poignard<br />
; à quoi il répondit : Je parle de mes douleurs<br />
, & non pas de la vie; de forte qu'il {emble<br />
que l'amour de la vie lui ait fait porter fa maladie<br />
impatiemment. Voici une épigramme que j'ai<br />
faite fur fon fujet.<br />
Durant ta vie, Antiflhine , tufaifois le devoir<br />
'd'un chien & mordois, non des dents, mais parte*<br />
difeours qui cenfuroientle-vice. Enfin tu meurs de<br />
tonfomptioh. Si quelqu'un s'en étonne , 6» demande<br />
pourquoi cela arrivé: Ne faut-il pas quelqu'un qui<br />
ferve de guide aux Enfers ?
A V T I S T H È N E. i*<br />
. Il y a eu trois autres Antifthènes ; l'un, difci*<br />
pie d'Heraclite; le fécond, natif d'Ephèfe; le troifiéme<br />
de Rhodes : ce dernier étoit hiftorien.<br />
Après avoir parlé des difciples d'Ariftippe •<br />
& de ceux de Phœdon , il eft tems de paffer aui<br />
difciples d'Amiftbène, qui font les Cyniques 6ç<br />
les Stoïciens.
%4 D I O G Ê N E.<br />
XXXXXXXXXXXXXXXXXX30CXXX<br />
DI O G É N E.<br />
DIogène fils d'Icefe, Banquier, étoit de Sinope.<br />
Dioclès dit que ion père ayant la banque<br />
publique & altérant la monnoie, fut obligé<br />
de prendre la fuite ; & Eubulide , dans le livre<br />
qu'il a écrit touchant Diogène , raporte que<br />
ce Philofophe le fit auflî, & qu'il fut chaiTé avec<br />
fon père ; lui-même s'en accufe dans fon livre, intituléPWd/w.Quelques-uns<br />
prétendent qu'ayant<br />
été fait maître de la monnoie, il fe laifla porter à<br />
altérer les efpéces par les ouvriers, & vint à Delphes<br />
on à Délos , patrie d'Apollon, qu'il interrogea<br />
pour fçavoir s'il feroit ce qu'on lui confeilloit<br />
; & que n'ayant pas compris qu'Apollon, en<br />
/Confentant qu'il changeât la monnoie, avoit parlé<br />
allégoriquement,(i) il corrompitla valeur de l'argent,&<br />
qu'ayant été furpris, il fut envoyé en exil.<br />
D'autres difent qu'il fe retira volontairement ,<br />
craignant les fuites de ce qu'il avoit fait. Il y en<br />
a auffi qui difent qu'il altéra de la monnoie<br />
qu'il avoit reçue de fon père ; que celui-ci mourut<br />
en prifon, & que Diogène prit la fuite &<br />
vint à Delplies, où ayant demandé à Apollon,<br />
(l) L'oracle qu il reçut , étoic : Chance U mmnaïe ; ex»<br />
pte Tinn allégorique qui fignifiet Ni fuit ptiat ta cuntumi.<br />
Ménage.
D 1 O G È N E. 1$<br />
non pas s'il changeroit lamonnoie, mais par qu«l.<br />
moyen il fe rendroit plus iUuftre, il reçut l'ora^<br />
c le dont nous avons parlé.<br />
Etant venu à Athènes, il prit les leçons' d'Antîfthène<br />
; & quoique celui-ci le rebutât d'abord ;<br />
ne voulant point de difciples , il le vainquit par<br />
ion affi<strong>du</strong>ité. On dit qu'Antifthène menaçant de<br />
le fraper à la tête avec fon bâton, il lui dit :<br />
Frapes, tu ne trouveras point de bâton affe\ <strong>du</strong>r<br />
pour m'empécher de venir {écouter. Depuis ce<br />
tems-là il devint fon difciple , &fe voyant exilé<br />
de fa patrie , il fe mit à mener une vie fort fimple.'<br />
Théophrafte, dans fon livre intitulé Mégarique ,<br />
raconte là-deffus , qu'ayant vu une fouris qui<br />
couroit, & faifant réflexion que cet animal ne<br />
s'embarraflbit point d'avoir une chambre pour<br />
coucher, & ne craignoit point les ténèbres, ni<br />
ne recherchent aucune des chofes dont on fouhaite<br />
l'ufage, cela lui donna l'idée d'une vie conforme<br />
à fon état. Il fut le premier , félon quelques-uns,quifit<br />
doubler fon manteau, n'ayant pas<br />
le moyen d'avoir d'autres habillemens, & il s'en<br />
Fervit pour dormir. Il portoit une beface où il mettoit<br />
fa nourriture, &féfervoit indifféremment <strong>du</strong><br />
premier endroit qu'il trouvoit, foit pour manger,'<br />
foit pour dormir, ou pour y tenir fes difeours; cù<br />
qui lui faifoit dire , en <strong>mont</strong>rant le Portique de Ju-;<br />
piter, le Pompée, queles Athéniens lui avoient<br />
bâti un endroit pour paffèr la journée'. Ilfe fervoit
jtô D I O G È N E.<br />
auffi d'un bâton lorfqu'il étoit incommodé, & dans<br />
la ûiite il le portait par-tout, auffi-bien que la beface,<br />
non à la vérité en Tille , mais lorfqu'il étoit<br />
en voyage, amfi -que le raporte Olympiodore ,<br />
Patron des étrangers à Athènes, (i) & PolyeuÔe<br />
Rhéteur, auffi-bien que Lyfanias, fils d'.
D I O G È N E . i7<br />
rien ne lui ftmbloit plus infcnfi que Vhommc. Il<br />
répétoit fouvent qu'il faut fe munir dans la vie ,oa<br />
de raifort, ou d'un licou. Ayant remarqué un jour<br />
dans un grand ferlin que Platon ne mangeoit que<br />
des olives : Pourquoi, lui demanda-t'il, fage contint<br />
vous êtes, ri ayant voyagé en Sicile que pour yt<br />
trouver de bçns morceau» , maintenant qu'on vous,<br />
les prefente, n'en faites-vous point ufage ? Platon<br />
lui répondit : En vérité, Diogène, en Sicile même<br />
je ne mangeois la plupart <strong>du</strong>'uems que des olives<br />
Si cela ejl, répliqua-fil, qu'avie^-vous befoin d'aller<br />
à Syracufe?'Le pays d'Athènes neporte-t'il point<br />
affi^ d'olives i Phavorin dans fon Hifloire diverfe,<br />
attribue pourtant ce mot à Ariftippe. Une<br />
autre fois mangeant des figues-, il rencontra Platon<br />
, à qui il dit qu'il pou voit en prendre fa part ;<br />
& comme Platon en prit
*8 D I O G È N E.<br />
crié ce Philofophe de lui envoyer <strong>du</strong> vîn, &<br />
en même-tems des figues, Platon lui fît porter<br />
une cruche pleine de vin : fur quoi Diogène lui<br />
dit : Si l'on vous demandoit combien font deux &<br />
deux , vous 'répondriez qu'ils font vingt. Vous ne<br />
donnei point fuivant ce qu'on vous demande, &<br />
vous ne réponde^ point fuivant les queftions qu'on<br />
vous fait : voulant par-là le taxer d'être grand parleur.<br />
Comme on lui demandoit dans quel endroit<br />
de la Grèce il avoit vu les hommes les plus courageux<br />
: Des hommes ? dit-il, je n'en ai vu nulle<br />
part ; mais j'ai vu des enfant à Lacêdimone.(t)YL<br />
traitoitune matière férieufe, i&perfonne ne s'aproc!ioit<br />
pour l'écouter. Voyant cela, il fe mit à<br />
chanter ; ce qui ayant attiré beaucoup de gens<br />
autour de lui, il leur reprocha, qu'ils recherchoiênt<br />
'•avec foin ceux qui les amufoient de bagatelles, &•<br />
qu'ils n avaient aucun emprcjfcment pour les chofes<br />
firieufes. Il difoit auflî, qu'on fe difputoit bien<br />
à quifçauroit le mieux faire desfoffes & ruer ;(a)<br />
mais'non pas à quife rendroit le meilleur & le plus<br />
fagt. Il admiroit les Grammairiens, qui rechet'<br />
choient avec foin quels avoient été les malheurs a"U- '<br />
lyffe , 6- ne connoiffoieht pas leurs propres maux ;•<br />
les Muficiens, qui accordoient fo'tgneufement les.<br />
fi) Cela regarde !e- courage ("es enfant , qui fe ûiïoient<br />
bacirr i l'envi devant l'autel de Diane. Min^t.<br />
(a Cela porte fur les jeux de combats, où l'on fe donne<br />
it des coups de pied , Se où l'on ftifoit des folles Joui Ici.<br />
aincut. Menait,
D I O G Ê N E. *><br />
Osrdet de leurs inftrumens, & nepenfoitnt point à<br />
mettre de raccord dans leurs mœurs; les Mathématiciens,<br />
qui obfervoient le foleil & la tune, & ne<br />
prenaient pas garde auxchofes qu'ils avoient devant<br />
Us yeux; les Orateurs, qui s'apliquoient à parler<br />
de la juftice , & ne penfoient point à la pratiquer j<br />
les Avares, qui parloient de F argent avec méprit*<br />
quoiqu'il n'y eût rien qu'ils aimaffent plus. Il coadamnoit<br />
auffi ceux , qui louent les gens débita comme<br />
fort ejlimables en ce qu'ils s''élevoient au-deffut<br />
de l'amour des richeffes, n avoient eux-mêmes rien,<br />
de plus à cœur que d'en acquérir. Il s'indignoit de<br />
ce qu'on faifoit des facrifices aux Dieux pour en<br />
obtenir la janté, tandis que ces facrifices étoient<br />
accompagnés de fejlins nuifibles au corps. Il s'étonnoit<br />
de ce que des efclav:s , gui avoient des<br />
maîtres gourmans, ne voloient pas leur part des mets<br />
qu'ils leur voyaient manger. Il louoit également<br />
ceux qui vouloient Je marier , & ceux qui ne fe mariaient<br />
point ; ceux qui voyageoientfur mer, & ceux<br />
qui ne le faifoient pas ; ceux qui fe dejlinoient au<br />
gouvernement de la République , & ceux qui faifoient<br />
le contraire ; ceux qui élevoient des enfans, &•<br />
eeux qui n'en élevoient point ; ceux qui cherchaient<br />
le commerce des Grands, &• ceux qui U évitaient, (i)<br />
Il difoit auffi , qu'il ne faut pas tendre la main à ft£<br />
tmis avec les doigts fermés, ,<br />
(i) Ce partage tft obfcur dam l'original, K le» Tnwr-gtétcj<br />
ne difcnt pas grani'chofe pour Péchircir.-<br />
Ex
iW D I O G à N &<<br />
Ménîppe, (i) dans F Encan de Dîogène j ra^<br />
porte que lorfqti'il fut ven<strong>du</strong> comme captif, on<br />
lui demanda ce qu'il fçavoit faire, & qu'il répondit,<br />
qu'ilfç.avoit commander à des hommes > ajoutant, en<br />
s'adreflant au crieur , qu'il eût à crier : Si quelqu'un<br />
voulait s'acheter un maître. Comme on lui der<br />
fendoit de s'affeoir: Cela ne fait rien, dit-il, on vend<br />
bien Us poiffbns de quelque manière qu'ils foitnt<br />
éten<strong>du</strong>s. Il dit encore , qu'il s'étonnoit de ce que<br />
quand on acheté un pot ou une ajjîctte , on Vexamine<br />
de toutes les manières ; au lieu que quand on achetait<br />
un homme , on/e comcnioït d'en juger par la vue.<br />
Xéniade l'ayant acheté, il lui dit, que quoiqu'il fût<br />
fon efclave, c'étoit à lui de lui obéir, tout comme<br />
en obéît à un Pilote ou à un Médecin, quoiqu'on les<br />
ait à fon fervice.<br />
Eubulus raporte, dans le livre intitulé, FEncan<br />
de Diogène, que la manière d'mftruire les enfans<br />
de Xéniade étoit de leur faire aprendre, outre<br />
les autres chofes qu'ils dévoient fça.voir, à aller à.<br />
cheval, à tirer de l'arc, à manier la fronde , &<br />
à lancer un dard. Il ne permettait pas non plus,<br />
lorfqu'iïs étoienr dans l'école des exercices , que<br />
leur maître les exerçât à la manière des Athlètes-,<br />
mais feulement autant que cela étoit utile pour<br />
les animer, & pour fortifier leur conftitution. C«s<br />
enfans fçavoient auffi par cœur plufieurs chofe»<br />
(i) Ménage croit qu'il faut corriger Minipe*
D I O- O t N E. s*<br />
qu'ils avoierrt aprrfes des Poètes, des autres Ecrit"<br />
vains , & de la bouche de Diogèné même, qui ré*<br />
<strong>du</strong>ifott en abrégé Tes explications qu'il leur endort"<br />
soit, afin qu'H leur rut plus facile de les rêteair.<br />
Il leur faHbk faire une partie <strong>du</strong> fervicedor<br />
meftfcrue*, &leuraprenoitàfenourrirlegéremen«<br />
& à boire de l'eau. Il leur faifoit couper les chef<br />
veux juiqu'à la peau, renoacer à tout ajuftemenr ,<br />
& marcher avec lui dans les rues fans verte, fans<br />
fouliers, en (ilence, & les yeux baifi/ïés ; il les menoit<br />
auffi à la chafle. De leur côté ils «voient<br />
foin de ce qui le regardoit, & le recommar*<br />
doient à leur père & à leur mère.<br />
•''V<br />
Lemême Auteur ,.que je viens Je citer, dit qu'il<br />
vieillit dans la maifon de Xéniade , dont les fil»<br />
eurent foin de l'enterrer. Xéniade lui ayant de"<br />
mandé , comment il fouhaïtoit detre enterré , it<br />
répondît, te vifage contre terre ; & comme il lui<br />
demanda la raifon de cela , Parce, dit-il, que dans<br />
peu de tems tes chofes qui font dejfous, fe trouveront<br />
dcjjfus ; faifant allufion à la puiffanre des Macédoniens<br />
, qui de peu de chofe qu'ils avoient : été<br />
commençoient à s'élever. Quelqu'un l'ayant mené<br />
dans une maifon richement ornée , & lui-ayant<br />
défen<strong>du</strong> de cracher , H lui cracha 1 dan» lé vifage ,<br />
difant qu'il ne voyôîi point d'endroit pl»s fait oh<br />
il le -pût faire .- d'auttes pourtant attribuent cela<br />
à Ariftîppe. Un jour il crioit : Hommes , aprocàéç'y<br />
& plufieùrs étant venus U les repouffa avec
ai P I O G t N E.<br />
fon bafbn, eu difant : T'ai apelè des hommes &<br />
non pas des excrémens : cela eft raporté par Hécaton<br />
au premier livre de fes Chries. (r) On attribue<br />
auffi à Alexandre d'avoir dit, que s'iln'éroitpas<br />
ni Alexandre, H aurait voulu être Diogène.Ce Ph£lefopbe<br />
apelloit pauvres , non pas les fourds &<br />
les aveugles ; mais ceux qui n'avoient point de bé~<br />
face. Métrocles j dans fes Chries , raporte qu'étant<br />
entré un jour avec les cheveux à moitié coupés,<br />
dans un feftîn déjeunes gens, il en fut battu<br />
; & qu'ayant écrit leurs noms , il fe promena<br />
«vec cet écriteau attaché fur lui, fe Vengeant parlà<br />
de ceux qui l'avoient battu, en les expofânt à<br />
la cenfure publique. Il difoit qu'il itoit <strong>du</strong> nombre<br />
des chiens qui méritent des louanges , & que «fendant<br />
ceux quifaifoientprofejjïonde^ le louer, n'ai*<br />
moientpoint à chaffer avec lui. Quelqu'un fe van-<br />
*oit en fa prefence de fur<strong>mont</strong>er des hommes<br />
aux Jeux Pythiques : Tu te trompes, lui dit-il, c'e/Z'<br />
à moi de vaincre des hommes; pour tôt, tu ne fur<strong>mont</strong>es<br />
que des efclaves. On lui difoit qu'étant âgé ,<br />
il de voit fe repofer le refte de fes jours *: Hé quoi,.<br />
répondit-il ,Jîje fourniffois une carrière, & que je<br />
fujfe arrivé près <strong>du</strong> but, ne devrois-je pas y tendre<br />
avec encore plus de force , au lieu de me repofer ?<br />
Quelqu'un l'ayant in vite à ira. régal, il refafa d'y;<br />
quelques, tcaiu d'hiltoiré..
t> I O G Ê N E. sf<br />
aller, parce que le jour précédent on ne lui en avott<br />
point jeu gré.U marchoit nûs pieds fur là neige »<br />
&. faifoit d'autres choies femblables, que nous<br />
avons raportées. Il eflàya même de manger de lachair<br />
crue, mais il ne continua pas. Ayant trouvé<br />
un jour l'Orateur Démofthène, qui dinoit dansune<br />
taverne, & celui-ci le retirant, Diogène lui dit :<br />
Tu ne fais , en te retirant, qu'entrer dans une taverne<br />
plus grande. Des étrangers fouhaitant de voir Démofthène<br />
, il leur <strong>mont</strong>ra l'on doigt <strong>du</strong> milieu ten»<br />
<strong>du</strong>, en difant : Tel eft celui qui gouverne le peuple<br />
d'Athènes, (i) Voulant corriger quelqu'un qui<br />
avoit laiffé tomber <strong>du</strong> pain , & avoit honte de<br />
le ramafler, il lui pendit unpot de terre au cou, 5c<br />
dans cet équipage le promena par la Place Céramique,<br />
(a) Il difoit, qu'il faifoit comme les maîtres<br />
dcmujique , qui changeaient leur ton pour aider Us<br />
autres à prendre celui qu'ilfalloit. Il difoit auffi que<br />
beaucoup de gens paffbient pour fous à caufe de leurs<br />
doigts , parce quefiquelquun portoitle doigt <strong>du</strong> milieu<br />
ten<strong>du</strong> , on le regardoit comme un infenfé ; ce qui<br />
riarrivait point, fi.on portoit le petit doigt'ten<strong>du</strong>.<br />
U fe plaignoit de ce que leschofes précieufes cous<br />
toient moins que celles qui ne l'étoient pas tant"»<br />
(i) CVft-à-dire qu'il étoit foû,, comme cela tft explique<br />
quelques lignes plus bis.<br />
(*) On dit qu'on »pelloit ait)fi plufîours endioit»M'A.<br />
tiiincs, 8c encre autres un endroit où on encerrolt ceuxquiûoieat-morts<br />
à. la guerre. Virex. U Trifir iCEtuHn*.
*4 D I O G È N E .<br />
difant, qu'une flatue.çoûtoit trois mille pièces t ff<br />
qu'une mefitre (i ) de farine ne coûtait que deuxpiétes<br />
de cuivre,<br />
II dit encore à Xéniade, lorfque celui-ci l'eut<br />
acheté , qu'il prît garde de faire et qu'il lui ordonnerait<br />
; & Xéniade lui ayant répon<strong>du</strong> ; // me<br />
femble que les fieuves re<strong>mont</strong>ent vers leurs fource (a).<br />
Si étant malade, répliqua Diogène , vous avie\ •<br />
pris un Médecin à vos gages » au lieu d'obéir à<br />
fts ordres, lui répon<strong>du</strong>e^-vous que les fieuves re*<br />
<strong>mont</strong>ent vers leur fource ? Quelqu'un voulant<br />
aprendre de lui la Phtlofophie, il lui donna un<br />
mauvais poiiTon à porter, & lui dit de le Cuivre.<br />
Le nouveau difciple, honteux de cette première<br />
épreuve, jetta le poiflon & s'en fut. Quelque-tems<br />
après Diogèoe le rencontra , & fe mettant à<br />
rire : Un mauvais poiflbn , lui dit-il, a rompu no~<br />
trtr amitié ! Dîoclès raconte cela autrement»<br />
Il dit que quelqu'un ayant dit à Diogène : Tu<br />
peux nous commander ce que tu veux , le Phi-:<br />
loiophe lui donna un demi-fromage à porter ; &<br />
que comme il refuibit de le faire, Diogène ajouta<br />
, Un demi-fromage a rompu notre amitié. Ayant<br />
TU ua enfant qui buvait de l'eau en fe fetvant <strong>du</strong><br />
creux.<br />
fij lf y X dans le Ge.ec un Chenix , mefure far lique'Ie on<br />
»*e(t pas d'accori. Voyez. le Trtfor d'Etienne.<br />
(i) C'sft un pf>ve;b= /qui lignifie ici : lime femble qtt*<br />
ht effUve* cimmandtnt i Itnrt vitres. Voysz les trovetbes<br />
d'ïrafme,. pag. ?i>k
D I O G t N E. *j<br />
creux de fa main , il jett« un petit vafe qu'il portait<br />
pour cela dans fa beface , en difant, qu'un<br />
enfant le furpajfoit en /implicite. Il jetta auffi fa<br />
cuiller , ayant vu un autre enfant, qui, après<br />
avoit caffé fon écuelle , ramaffoit des lentilles.<br />
avec un morceau de pain qu'il avoir creuie.<br />
Voici un de Ces j-aifonnemens : Toutes chofes<br />
apartiennent aux Dieux. Les fages font amis des<br />
Dieux. Les amis ont toutes chofes communes ; ainfi<br />
toutes chofes font pour lés fages. Zoïle de Perge<br />
xaporte, qu'ayant vu une femme qui fe profternoit<br />
d'un manière deshonnête devant les Dieux ,'<br />
.& voulant la corriger de fa fuperflition , il s'a.<br />
procha d'elle & lui dit : Ne crains - tu point, dant<br />
cette poflure indécente , que Dieu ne foit peutêtre<br />
derrière toi ; car toutes chofes font pleines de<br />
fa prefence. Il conT|era à Efculape un tableau j<br />
reprefentant un homme qui venoit fraper des<br />
gens qui fe profternoient le vifage contre terre.<br />
( i > Il avoit coutume de dire j que toutes les<br />
imprécations , dont les Poètes font ufage dans leurs<br />
tragédies; étoient tombées fur lui, pàifqu'iln avoit<br />
ni ville , ni maifon,& qu'il étoit h*rs de fa patrie ,<br />
pauvre, vagabond, & vivant au jour la journée ,<br />
ajoutant qu'il opofoit à la fortune le courage , aux<br />
hix la nature, la raifon auxpajfions. Pendant que<br />
(i> On dit
*5 D I O G É IJ £.<br />
dans un lieu d'exercice, nommé Cranion (i), iT<br />
fe chauffoit auToleil; Alexandre s'aprocha &lui<br />
dit, qu'il pouvoit lui demander ce qu'il fouhaitoit.<br />
Je fouhaite, répondit-il , que tu ne mefajjis point<br />
•d'ombre ici. 11 avoit été prefent à une longue<br />
le&ure , & celui qui lifoit aprochant de la fin <strong>du</strong><br />
livre, <strong>mont</strong>roit aux afliftans qu'il n'y avoit plus<br />
rien d'écrit : Courage , amis , dit Diogène , j e<br />
vois terre. Quelqu'un, qui luifaifoit desSillogiCmes,<br />
les ayant conclus par lui dire qu'il avoit des<br />
cornes , il fe toucha le front & répondit, -c'ejl<br />
pourtant de quoi je ne m'aperçois point. Un autre<br />
voulant lui prouver qu'il n'y avoit point de mouvement<br />
, il fe contenta, pour toute réponfe ", de fe<br />
lever & de fe mettre à marcher. ; Quelqu'un difcouroit<br />
beaucoup des Phénomènes céleftes ; En<br />
combien de jours, lui dit-il , es - tu venu <strong>du</strong> ciel ?<br />
Un Eunuque de mauvaifes mœurs , ayant écrit<br />
fur fa maifon, n que rien de mauvais n'entre ici » :<br />
Et comment donc , dit Diogène , le maître <strong>du</strong> logis '<br />
pourra-t'ily .entrer? S'étant oint les pied*, au lieu<br />
de la tête, il en donna pour ralfon, que lorsqu'on<br />
ioignoitla tête, V odeur Ce perdoit en V air,au lieu que<br />
des pieds elle <strong>mont</strong>oit à Vodorat. Les Athénien*<br />
vouloient qu'il fe fit initier à quelques myftéres ;<br />
& lui difoient pour l'y engager, que les Initiés<br />
préfidoient fur les autres aux Enfers. Nef*.<br />
(i) Nom d'un lieu d'exercice à Coiimhr.
D I O G fc N E. t7<br />
feroit-U pas ridicule, répondit-il, quAgèfilas &<br />
Epaminondas croupiffent dtns la boue, & que quel'<br />
qucs gens <strong>du</strong> commun fuffent placés dans les IJles<br />
des bienheureux , parce qu'ils auraient été initiés \<br />
Il 'vit des fouris grimper fur fa table : Voyt{ ,<br />
dit-il, Diogine nourrit aujji des Parajîtes. Platon<br />
lui ayant donné, le titre de fa Sefte , qui<br />
étoit celui de Chien , il lui dit : Tu as raifon ; car<br />
je fuis retourné auprès de ceux qui m'ont ven<strong>du</strong>,<br />
(i) Comme il fortoit <strong>du</strong> bain, quelqu'un lui demanda<br />
s'il y avoit beaucoup d'hommes qui fe layoient<br />
; il dit que non. » Y a-t'il donc beaucoup<br />
yf de gens, Reprit l'autre ? » Oui, dit Diogène. II<br />
Bvoit enten<strong>du</strong> aprouver la définition que Platon<br />
donnoit de l'homme , qu'il apelloit un Animal<br />
à deux pieds, fans plumes. Cela lui fit naître la<br />
penfée de prendre un Coq , auquel il ôta le*<br />
plumes, & qu'il porta enfuite dans l'école de Platon<br />
, en difant : Voilà l'homme de Platon ; ce qui<br />
•fit ajouter à la définition de .ce Philofophe, que<br />
Ihomme efl un Animal à grands ongles. On lui<br />
demandoit quelle heure convient le mieux pour<br />
Jî'ner. Quand on efl riche , dit-il, on dîne lorf/u'o*<br />
veut], 6> quand on efl pauvre lorfqu'on le peut,<br />
II vit les brebis des Mégariens, qui étoient cou-<br />
(i) C'eft une raillerie qui faifoit altufîon 2 ce que pla<br />
I*) v-CIï «ne laïucnc vpi rauoic anunon x ce que pi<br />
Sicile.<br />
ton , apïcs aroic fcç veu<strong>du</strong> par Dcn/* , é toi ^retourné ea<br />
Ct
a8 D I O G Ê N E.<br />
vertes ( i ) , pendant que leurs enfans alloient<br />
nus ; il en prit occafion de dire , qu'il valait<br />
mieux être le bouc des Mégariens que leur enfant.<br />
Quelqu'un l'ayant heurté avec une poutre, &<br />
lui difant enfuite de prendre garde: Eft-ce, répondit-il<br />
, que tu veux me fraper encore ? Il apelloit<br />
ceux qui gouvernent le peuple, des Ministres<br />
de la populace; & nommoit les couronnes<br />
des ampoules de la gloire. Une fois il alluma une<br />
chandelle en plein jour, difant qu'il cherchoit un<br />
-homme. Il fe tenoit quelquefois dans un endroit<br />
, d'où il faifoit découler de l'eau fur fon<br />
corps ; & comme les aflîftans en avoient pitié ,<br />
Platon , qui étoit prefent , leur dit : Si vous<br />
avec pitié de lui , vous n'avcç qu'à vous retirer;<br />
voulant dire que ce qu'il en faifoit , étoit par<br />
vaine gloire. Quelqu'un lui ayant donné un<br />
coup de poing : En vérité, dit-il, je penfe à une<br />
chofe bien importante que je ne fçavois pas ; c'eftqm<br />
j'ai befoin de marcher avec un cafque. Un nommé<br />
Midias lui ayant donné des coups de poing,<br />
en lui difant qu'il y àvoit trois mille pièces toutes<br />
comptées pour fa récompenfe, Diogène prit le<br />
lendemain des courroies, comme celles des combattans<br />
<strong>du</strong> Celle, & lui dit en le frapant: Il<br />
y a trois mille pièces comptées pour toi. Lyfias,<br />
(i) Cela fe faifoit, afin que la laine fût plus douce»<br />
tint» dt Ménage, qut citt Vairon. j|
D I O G È N E; i9<br />
Apoticaire , lui demanda s'il croyoit qu'il y eût<br />
jo D I O G È N E.<br />
l'efpion de ta cupidité ; ce qui émut tellement Phfc<br />
lippe , qu'il le laifla aller. Un jour Alexandre<br />
chargea un nommé Athlias de porter à Athènes,<br />
une lettre pour Antipater. Diogène , qui étoit<br />
prefent, dit qu'on pouvoit dire de cette, lettre.<br />
fuAthlias Fcnvoyoit £ Athlias par Athlias à A ta-,<br />
lias. ( i ) Perdicéas-l'ayant menacé de le faire<br />
Snourir s'il ne fe rendoit auprès de lui ; il répondit<br />
, qu'il ne ferait rien de fort grand par - là *<br />
puifqu'un efcarbot, ou l'herbe Phalange, pouvoien»<br />
faire la même chofe. Bien au contraire, il renvoya<br />
pour menace à Perdicéas, qu'il vivroit pltt+<br />
heureux, s'il viyoit fans voir Diogine. Il s'eçrioit<br />
fouvent que les Dieux avoient mis les hommes en<br />
état de mener une vie keureuje ; mais que le moyen<br />
de vivre ainjî n étoit pas connu de ceux qui aiment<br />
les tartes , les onguens , & autres chofes fembtalles.<br />
Il dit à un homme qui fe faifoit chauffer<br />
par fon Domeftique , qu'il ne feroit heureux que<br />
lorfqu'il fe ferait avff moucher par un autre ; ce qui<br />
arriverait , s'il perdoit Tufagt des mains. Il .vit<br />
un jour les Magiftrats qui préfidojent aux chofes<br />
faintes ( a ), accufer nn homme d'avoir volié<br />
une phiole dans le Tréfor ; fur quoi il dit k<br />
( t ) Jeu de mou fur lAthliu , terme Grec qui lignifie<br />
mifcrtbtl.<br />
(t) Gr. Les HiénmnlmtJiei. Etienne dit qu'on apeloit<br />
fctdalcmcm aiufi Ici deputéi de chaque vilu au ÇonfciL<br />
des Awphiâyoni.
D I O G. Ê N E. 3»<br />
f ht les grands voleurs accu/oient les petits. Voyant<br />
auffi un garçon qui jettoit des pierres contre une<br />
potence : Courage , lui dit-il , tu atteindras au<br />
tut. De jeunes gens , qui étoiem autour dt<br />
lui, lui dirent, qu'ils auroient bien foin quKI n«<br />
les mordit pas. Tranquilifi^-vous, mes enfans , leur<br />
dit-il, les Chiens n* mangent point de betteraves (i).<br />
Il dit auffi à un homme qui fe croyoit relevé par<br />
la peau d'un lion dont il étoit couvert, Cejfrs dt<br />
deshonorer les enfeignes de la vertu. Quelqu'un<br />
trouvoit que Callifthène étoit fort heureux d'être<br />
fi magnifiquement traité par Alexandre : Au.<br />
contraire , dit-il, je le trouve bien malheureux de<br />
ne pouvoir dîner & fouper que quand il plaît à<br />
Alexandre. Lorsqu'il avoit befoin d'argent ,<br />
il difoit, qu'il en demandait à fis amis, plutôt comme<br />
une reflitution que comme un piifent. Un<br />
jour qu'étant au Marché, il faifoit dés geilet indécens<br />
, il dit, qu'il feroit à fouhaiter fuonput ainfi<br />
apaifer la faim. Un 3 autre fois il vit un<br />
jeune garçon qui alloit fouper avec de grands<br />
» «Seigneurs : il le tira de leur compagnie,& le reçoit.<br />
3* D I O G È N E.<br />
lui eût fait connaître s'il était homme ou femme'.<br />
Il vit aufli un jeune homme dans le bain , qui<br />
yerfoit <strong>du</strong> vin d'une phiole dans une coupe ,<br />
dont l'écoulement rendoit un fon (i). Mieux<br />
tu réujjîs , lui dit-il, moins tu fais bien. Etant à<br />
un fouper , on lui jetta des os comme à un<br />
chien : il vengea cette injure , en s'aprochant<br />
de plus près de ceux qui la lui avoient faite, &<br />
en faliflant leurs habits. Il apeloit les Orateurs<br />
& tous ceux qui mettoient dé la gloixe à<br />
bien dire , des gens trois fois hommes, en prenant<br />
cette expreffion dans le fens de trois fois<br />
malheureux. Il difoit qu'un riche ignorant feffemble<br />
à une brebis couverte d'une toifon d'or.<br />
Ayant remarqué fur la maifon d'un gourmand<br />
qu'elle étoit à vendre: Je fçavois bien, dit-il t<br />
qu'étant fi pleine de crapule , tu ne manquerais pas<br />
de vomir ton maître. Un jeune homme fe plai—<br />
gnoit qu'il étoit obfédé par trop de monde ; Et<br />
loi , lui dit-il, ceffesde donner des marques de tes<br />
mauvaifes inclinations. Etant un jour entré dans<br />
un bain fort fale : Oh fe lavent, dit-il, ceux que»*<br />
fe font lavés ici ? Tout le monde méprifoit un. •<br />
homme qui jouoit grofllérement <strong>du</strong> luth , loi<br />
feul lui donnoit des louanges ; & comme on lui<br />
en demandoit la raifon, il répondit que c'était<br />
(O Efpécede ieu dont le» jeunes gens tiroient un augure<br />
fur le lucre* de leuis inclinations. i^Aldtbrtniiin te<br />
li Triftr d'Etitimi.
D I O G È N E. JJ<br />
parce que quoiqu'il jouât mal de cet inflrument, il<br />
aimoli mieux gagner fa vie de la forte que defe mttr<br />
tre i voler. 11 faluoit un joueur
J4 D I O G È N t;<br />
.un jour un homme , qui avoit été vainqueur au*<br />
Jeux Olympiques, menant paître des brebis, 5c<br />
lui dit: Brave homme, vous êtes bien-tôt paffé d'Olympe<br />
à Nimée ' i ). On lui demandoit ce qui<br />
rendoit les Athlètes fi infenlîbles , il répondit :<br />
)C'eft qu'ils font compofés de chair de bceuf& de pourceau.<br />
Une autre fojs il éxigeoit qu'on lui érigeât<br />
une ftatue ; & comme on vou loit fçavoir le<br />
lujet d'une pareille demande, il dit : Je m'accoutume<br />
par-là "
» I O © È N E. )f<br />
foit l'amour de l'Argent la Métropole de tous Us<br />
maux. Un diflipateur mangeoit des olives dan»,<br />
«ne taverne, Diogène lui dit : Si ta avois. toujours<br />
dîné ainfi, tu ne fouperois pas de mime. Il apeloit<br />
les hommes vertueux, /M~ Imagts der<br />
Dieux ; & l'amour , t occupation de ceux qui n'ont<br />
rien à faire. On- lui demandoit quelle étoit la<br />
condition la plus miférable de la vie : il répondit<br />
, que c'étoit celle d'être', vieux & pauvre. Un<br />
autre lui demanda quelle étoit celle 'de toutes les<br />
bêtes qui mordoit le plus dangereusement ; Cejl,<br />
dit-il, le calomniateur parmi les bues fawvages ,<br />
& le fiateur parmi les animaux domeftiques. Uneautre<br />
fois voyant deux Centaures qui étoient<br />
fort mal reprefentés ; lequel, dit-il, efl le plus<br />
mauvais ? Il difoit qu'o/i di/cours ,fait pour plaire,<br />
étoit un filet eniuit de miel; & que le ventre<br />
tft comme le gouffre Chsrybde, l'abîme des biens<br />
it la vie. Ayant apris qu'un nommé Didyme<br />
avoit été pris en a<strong>du</strong>ltère : Il efl digne, dit-il,<br />
d'être pen<strong>du</strong> de la manière la plus honttufe. » Pour.<br />
» quoi, lui dit-on, l'or eft-il fi pâle? » Cefl, rép3tv<br />
dit-il, parce que beaucoup de gens cherchent à s'en<br />
emparer. Sur ce qu'il vit une femme qui étoit<br />
portée dans une litière , il dit, qu'il faudroit mu<br />
autre cage pour un animal fi farouche. Une autre<br />
fois il vit un elclave fugitif qui étoit fur un<br />
puits, & lui dit : Jeune homme , prends garde de<br />
tomber. Voyant dans un bain un jeune garçon qui
i6 D ï • O G Ê tf Ë<br />
avoit dérobé des habits, il lut demanda s'ilitoît<br />
là pour prendre des onguens , ou d'autres vétemens ?<br />
Sur ce qu'il vit des femmes qui avoiént été pen<strong>du</strong>es<br />
à des oliviers : Quel bonheur l s'écria-t'il ,<br />
fi tous les arbres portoient des fruits de cette efpéce.<br />
Il vit auffi un homme qui déroboit des habits<br />
dans les fépulchres , &. lui dit: Ami, que cherehes-tù<br />
ici:^Viens-tu dépouiller quelqu'un desmorts?<br />
(ij On lui demandôit s'il n'avoit ni valet, ni"<br />
Servante. Non, dit-il : » Qui eft celui, reprit-on,<br />
>' qui vous enterrera lorfque vous ferez mort ?<br />
Celui, repliqua-t'il , qui aura befoin de ma mai'<br />
fon. Voyant un Jeune homme, fort beau , qui<br />
dormoit inconfidérément, il le pouffa & lui- dit :<br />
Réveilles-toi , de peur que quelqu'un ne te lance un<br />
trait inatten<strong>du</strong> ( a ;. Sur ce qu'un .autre faifoi*<br />
de grands feftins, il lui dit: Mon fils , tes jours<br />
ne feront pas de longue <strong>du</strong>rée ; tu fréquentes les<br />
Marchés ( 3 ). Platon , en difcourant fur les idées ,<br />
«yant parlé de la. qualité de Table & de Taffk<br />
confidérée abftraitement, Diogène lui dit : Jt<br />
vois bien ce que c'efl qu'une Table & une Tajfe ,<br />
mais pour la qualité de Table & de Taffe ( 4 ),<br />
je ne la vois point. A Quoi Platon répondit,<br />
(r) Vers d'Homère. Minage.<br />
(») Veis d'Ho.néie. Mii.agt.<br />
(j) Parodie d'un vers d'Homère : Minute.<br />
(4) Il n'y a point de terme qui repunde a celui de l'original,<br />
que le terme barbare de TMcti k de T'Jftri , qu*i<br />
amployé Fm^tnlUs.
D I O G Ê N E. J7<br />
Ta parles fort bien. En effet, tu as des yeux<br />
qui font ce qu'il faut pour voir une Table & un»<br />
Taffe ; mais tu n'as point ce qu'il faut pour voir,<br />
la qualité de Table & de Taffe ;fçavoir ,tentendement.<br />
On lui demanda ce qui lui fembloit de<br />
Socrate ; il répondit que c'etoit un fou. Quand il<br />
croyoit qu'il falloit fe marier : Les jeunes gens, pas<br />
encore, dit-il; 6» let vieillard s, jamais. Ce qu'il voaloit<br />
avoir pour recevpir un fouffiet : Un cafque t<br />
repliqua-t'il. Voyant un jeune homme qui s'ajuftoit<br />
beaucoup , il lui dit : Si tu. fais cela pour<br />
les hommes , c'efi une chofe inutile; &fi tu le fait<br />
pour les femmes , c'eft une chofe mauvaife. Une<br />
autre fois il vit un jeune garçon qui rouguToit :<br />
Voilà de bonnes di/pofitions , lui dit-il, c'eft la couleur<br />
de la vertu. Il entendit un jour deux Avocats<br />
, & les condamna tous deux, difant que<br />
l'un avoit dérobé ce dont il s'agijfoit, 6> que l'autre<br />
ne Pavoit point per<strong>du</strong>, n Quel vin aimes-tu<br />
n mieux boire ? lui dit quelqu'un. « Celui des autrès,<br />
reprit -il. On lui raporta que beaucoup<br />
de gens fe moquoient de lui ; il répondit : Je ne<br />
m'en tiens point pour moqué. Quelqu'un fe plaignoit<br />
des malheurs qu'on rencontre dans la vie i<br />
à quoi il répondit, que le malheur riétoit point de<br />
vivre , mais de mal vivre. On lui_ confeilloîc<br />
de chercher fon efclave qui l'avoit quitté : Ce<br />
feroit bien , dit-il , une chofe ridicule que mon<br />
efclave Manis put vivre fans Diogine , fy
58 D I O G È N E.<br />
•fB* Diogène 'ne put vivre fans Manès. Pendant<br />
qu'il dînoit avec des olives , quelqu'un<br />
âporta une tarte ; ce qui lui fit jetter les olives<br />
, en difant ; Hôte ! ccdeç ta place aux Tyrans ,<br />
(i) & cita en même-tems ces autres paroles: Iljetta<br />
rolive. (a) On lui demanda de quelle race dé<br />
Chiens il *étoit i Quand j'ai faim , dit-il, je fuis<br />
Chien de Malthe, (31 & quand je fuis raffafii,<br />
je fuis Chien Molojfe. Et de même qu'il y a des<br />
gens qui donnent beaucoup de louanges à certains<br />
chiens, quoiqu'ils riofent pas chajjer avec eux ,<br />
craignant la fatigue ;.d'e même aufii vous nepouvcr<br />
pas vous ajfocier à la vie que je mené , parce que<br />
vous craigne^ la douleur. Quelqu'un "lui demanda<br />
s'il étoit permis aux Sages de manger des tartes<br />
: Aujfi'bien qu'aux^ autres hommes , dit-il»<br />
>i Pourquoi, lui dit un autre , donne-t'on corn—<br />
» munément aux mendians, & point aux Phi-<br />
» lofophes ? » Parce que, répondit-il, on croi*<br />
qu'on pourra devenir plutôt aveugle & boiteux<br />
que Philofophe. Il demandoit quelque chofe à un<br />
avare, & celui-là tardant à lui donner , il lui dit :<br />
Tenfe{,jevous prie, que ce que je vous demande<br />
tfl pour ma nourriture , & non pas pour mon en-<br />
r (1) Vers d'Euripide, qui lignifie ici que le pain com.<br />
nuit doit faiir place àwlui qui eft plus exquis. Mcnag,.<br />
I (1) Paro-iie d'un veis d'Homère , qui renferme un je«<br />
*e mots qu'on ne fçauroit rendre en François. Men^e.<br />
(l ) Chien de Mdihe , c'eft-à-dirc âatieui. Chjcn Molof-<br />
U, c'cft-à-diie mordant. Miini*.
D I O G È N E . M<br />
ferrement. Quelqu'un lui reprochant qu'il avoit<br />
fait de la fauffe monnoîe , il lui répondit : // ejl<br />
vrai qu'il fut un ums ohfétois ce que tu tsiprtr<br />
fent ; mais ce que je fuis maintenant, tu nt le feras<br />
jamais. Un autre lui reprochoit aufli cette fau.<br />
te paffée : Ci-devant, reprit-il, étant enfant, je<br />
fdiffois auffi mon lit : je ne le fais plus à prefenti<br />
Etant à Minde, il remarqua que les pprtes de la<br />
ville étoient fort grandes, quoique la ville ellemême<br />
tut fort petite, & fe mit à dire : Citoyens<br />
de Minde, fermer^ vos portes , de peur que votre<br />
ville n'en forte. Un homme avoit été attrapé<br />
volant de la pourpre ; Diogène lui apliqua ces<br />
paroles : Une fin éclatante 6» un fort tragique Pont<br />
furpris. (i) Cratérus le prioit de fe rendre auprès<br />
de lui : Ta'tme mieux ,dit-il, manger <strong>du</strong> fei<br />
d Athènes, que de me trouver aux magnifiques feftins<br />
de Cratértts. Il y a"voit un Orateur , nommé<br />
Anaximénes, qui étoit extrêmement gros. Diogène<br />
i en l'accoftant, lui dit: Tu devroisbien fairt<br />
part de ton ventre à nous autres pauvres gens ; tu<br />
ferais foulage d'autant, & nous nous en trouverions<br />
mieux. Un jour que ce Rhéteur traitoit quelque<br />
queftion , Diogène, tirant un morceau de falé,<br />
s'attira l'attention de fes auditeurs, & dit, fur<br />
fco D 1 O G Ê N E.<br />
prochoit qu'il mangeoit en plein Marché, il répondit<br />
, que c'étoitfur le Marché que la faim C'avait<br />
pris. Quelques-uns lui attribuent aufli la repartie<br />
fui vante à Platon. Celui-ci l'ayant vu éplucher<br />
des herbes , il s'aprocha & lui dit tout<br />
bas : » Si tu avois fait ta cour à Denys , tu né<br />
» ferois pas ré<strong>du</strong>it à éplucher des herbes «. Et<br />
toi, lui repartit Diogène ,/î tu avois épluché des<br />
•herbes, tu naurois pas fait ta cour à Denys. Quel-»<br />
qu'un lui difant. » La plupart des gens fe moquent<br />
» de vous « , il répondit : Peut-être que les ânes<br />
fe moquent aujfi d'eux ; mais comme ils nefe foucient<br />
pas des ânes , je ne m'embarrajfe pas non<br />
plus d'eux. Voyant un jeune garçon qui s'apli-<br />
•quoit à la Philofophie, il lui dit: Courage,fais<br />
qu'au lieu de plaire par ta jtunejfe , tu plaifes par.<br />
les qualités de l'ame. Quelqu'un s'étonnoit <strong>du</strong><br />
grand nombre de dons facrés qui étoient dans<br />
l'Antre de (i) Samothrace : Il y en auroit bien<br />
davantage, lui dit-il, s'il y en avait de tous ceux<br />
qui ont fuccombé fous les périls. D'autres attribuent<br />
ce mot à Diagoras de Melos. Un jeune garçon<br />
alloit à un f eftin , Diogène lui dit : Tu en reviendras<br />
moins fage. Le lendemain le jeune garçon<br />
l'ayant rencontré, lui dit : » Me voilà de retour<br />
» <strong>du</strong> feftin, & je n'en fuis pas devenu plus man-<br />
» vais;<br />
' (i) On y facrifioit à Hécate , Se on y faKoit des don*<br />
-en aûion de grâces pour les félils dont on avoir été jré-<br />
Ietyé. Minai*.
D I O G È N E . 41<br />
S> vais, ce Je ravoue, répondit Diogène, lu n'ts<br />
pas plus mauvais, mais plus relâché. Il demandoit<br />
quelque chofe à un homme fort difficile , qui lui<br />
dit : » Si vous venez à bout de me le perfuader »#<br />
Si je pouvais vous perfuader quelque chofe, répondit<br />
Diogène , ce feroit d'aller vous étrangler. Rêve».<br />
nant un jour de- Lacédémone à Athènes , H rencontra<br />
quelqu'un qui lui demanda d'où il ve.<br />
Doit, & où il alloit ; De Vapartement des hom-i<br />
mes à celui des femmes (1 , répondit-il. Une autre<br />
fois qu'il revenoit des Jeux Olympiques, on lui<br />
demanda s'il y avoitbeaucoup de monde ; Oui,'<br />
' dit-il, beaucoup de monde ; mais peu d'hommes.<br />
Il difoit que les gens, per<strong>du</strong>s de moeurs, reflemblent<br />
aux figues qui crouTent dans les précipices ,<br />
& que les hommes ne mangent point ; mais qui<br />
fervent aux corbeaux & aux vautours. Phryné<br />
ayant offert à Delphes une Vénus d'or , il Tapella<br />
la preuve de VIntempérance des Grecs. Alexandre<br />
s'étant un jour prefenté devant lui , & lui<br />
ayant dit : » Je fuis le grand Monarque Aléxanj><br />
dre «. Et moi, répondit-il, je fuis Diogène le<br />
Chien. Quelqu'un lui demanda ce qu'il avoit fait<br />
pour être apelé Chien ; à quoi il répondit : Cejl<br />
que je carreffe ceux qui me donnent quelque chofe<br />
que j'aboie après d'autres qui ne me donnent rien<br />
( t) Voyez fut ces apattemcni itt ftmmct as faitâge- «k<br />
t»r. tiipot Uns fa Prciace*<br />
Tome II. D
5JÏ D I O G È N E.<br />
& que je mords les méchans. Un homme pre- 1<br />
pofé à garder des figues , lui en ayant vu cueillir<br />
une, lui dit: » Il n'y a pas long-tems qu'un homme<br />
fe pendit à cet arbre «. Eh 4i«|, répondit-il,<br />
je le purifierai. Un autre, qui avoit vaincu aux<br />
Jeux Olympiques , fixoit fes regards fur une<br />
Courtifanne : Voye^ , dit Diogène , ce Bélier, de.<br />
Mars, qu'une jeune fille tire par le cou. Il difoit<br />
que les belles Courtifannes reffemblent à de Veau,<br />
miellée-, mêlée de poifon. Dînant un jour à la<br />
vue de tout le monde, ceux qui étoient autour<br />
de lui, l'apelérent Chien : Vous Vêtes vous-mêmes ,<br />
dit-il ,puifque vous vous rafemble^ autour de moi<br />
pour me voir manger. Deux perfonnes d'un caractère<br />
efféminé l'évitoient avec foin. Ne craigne^pas<br />
, leur dit-il, le Chien ne mange point de<br />
betteraves. On lui demandoit d'où étoit un jeune<br />
homme qui s'étoit laiffé débaucher: De Tégée ,<br />
(i) dit-il. Ayant vu un mauvais lutteur qui<br />
éxerçoit la profeffion de Médecin, il hii demanda'<br />
, par quel hasard il abbatoit à prefent<br />
ceux qui fçayoient le vaincre. autrefois ? Le<br />
fils d'une Courtifanne jettoit une pierre parmi<br />
<strong>du</strong> monde affemblé ; Prens garde, dit-il , que<br />
tu n'atteignes ton père. Un jeune garçon lui mon.<br />
trànt une épée qu*il avoit reçue d'une manière<br />
(O Le mot Grec figaifie U rillcdc Tl$(*tH uaaa*fais<br />
lieu. Méat^t.
D I O G Ê N E . 49<br />
peu honnête, il lui dit : L'épie eft belle , maïs<br />
la poignée ne l'eft pas. Il entendit louer quelqu'an<br />
de qui il avoit reçu un préfent : Et moi,<br />
dit il, ne me loueç-vous pas de ce que j'ai été digne<br />
de le recevoir} Quelqu'un lui redemandant fon<br />
manteau , il lui fit cette réponfe : Si 'vous me<br />
tave{ donné, il eft i moi ; fi vous me Tave^ prêté<br />
pour m'en fervir, j'en fais ufage. Il répondit à<br />
an autre, qui avoit été apofté pour lui dire qu'il<br />
y avoit de flor caché dans fon habit : Ji le fçais<br />
tien; c'eft pour cela que je couche dejfus quand je<br />
dors, n Quel gain , lui demanda-ton, vous<br />
» raporte la Philofophie ? Quand il n'y en auroitpas<br />
d'autre, répondit-il, elle fait que je fuis<br />
préparé à tout événement. Un autre lui demanda<br />
d'où il étoit ? Je fuis, dit-il, Citoyen <strong>du</strong> Mondé.<br />
Voyant quelqu'un qui offroit des facrtfices pouf<br />
avoir un fils, il le blâma de ce qu'il n'en offroit<br />
point par ra'port au~caractère dont feroit ce ffls.<br />
On lui demandoit fa quote-part de la collecte<br />
qu'on faifoit pour les pauvres, il répondit par ce<br />
vers:Dépouille^Us autres; mais abftene^-vousde<br />
joncher HeElor ( I ). Il apeloit les Courtifanne»<br />
lesReines des Rois, parce qu'elles demandent tout<br />
ce qui leur plaît. Les Athéniens ayant décerné<br />
à Alexandre les honneurs de Bacchus, H leur<br />
dît: Je vous prie, faites aujjî que je fois Sirapis.<br />
'*
M D I O G È N E.<br />
On le blâmoit de ce qu'il entroit dans des etr^<br />
droits Taies ; Et le Soleil, dit-il , entre bien dans<br />
les latrines , fans en être fait. Un jour qu'il<br />
prenoit fon repas dans un Temple, il y vit a porter<br />
des pains mal - propres ; il les prit & les<br />
jetta au loin , en difant , Jju'il ne devoit entrer<br />
rien d'impur dans les lieux faints. Quelqu'un<br />
l'interrogea pourquoi , tandis qu'il ne fçavoit<br />
rien, il profeffoit la Philofophte • Il rêdondit :<br />
Quand je ne ferois que contrefaire la fageJJ}*, en<br />
cela même je ferois Philofophe. Un autre lui présenta<br />
fon enfant , dont il lui vantoit le génie<br />
& la tempérance; Sicelaeft, lui dit-il, en quoi<br />
a-t'il donc btfoin de moi ? 11 difoit que ceux qui<br />
parlent des chofes honnêtes & ne les pratiquent<br />
pas , reffemblent à un inftrument de Mufique,<br />
(i) qui n'a ni ouïe , ni fendaient. Il entroit<br />
au Théâtre, en tournant le dos à ceux qui en<br />
fortoient ; & comme on lui en demandoit la raifon<br />
, il répondit, que c'était cejqu'il avait toujours<br />
tâché de faire toute Ça vie. (a) Il reprit un honv<br />
me qui affeftoit des airs efféminés. N'êtes vous .<br />
pas honteux, lui dit-il , de-vous rendre pire que la<br />
Nature ne vous a fait ? Vous êtes homme , & vous<br />
vous efforce^ de vous rendre femme. Une autre<br />
fois il vit un homme , déréglé dans te moeurs.,<br />
(il te mot Grec eft C iftrt y Selon H. Etienne, c'éwU U»<br />
infttunient à vingt-muue cctdcs.Jt/t'eW.*f fuftif^f<br />
(V Ce.lk-i.<strong>du</strong>*,ltsaur»tr*dti*MTM* '<br />
r *
D I O G È N E. 4j<br />
qui accordoit une harpe. ,i) N'avérerons pat<br />
honte ,lui reprocha-t'il, de fçavoir accorder les font<br />
d'un morceau de bois, & de ne pouvoir accorder<br />
votre a me avec les devoirs de la vie? Quelqu'un<br />
lui difoit, n Je ne fuis pas propre à la Philofo"<br />
phie. » Pourquoi donc , lui repliqua-t*!!, viver^<br />
vous, puifque vous ne vous embarrafft\pas de vivre<br />
bien ? Il entendit un homme parler mal de fon<br />
père , & lui dit : Nerougiffir-vous pas d'aceuftr de<br />
manque £efprit celui par qui vous en ave{ ? Voyant<br />
un jeune homme d'un extérieur honnête , qui tenoit<br />
des difeours indécens : Quelle vergogne t.<br />
lui dit-il , d* tirer une épie de plomb d'une<br />
gaine d'yvoire ? On le blâmoit de ce qu'il buvoit<br />
dans un cabaret : Jt ètanche ici ma foif , réponditil,<br />
tout comme je jne fais faire la barbe che{ un<br />
barbier. On le blâmoit aufli de ce'qu'il avoit<br />
reçu un petit manteau d'Antipater ; il employa ce<br />
vers pour réponfe : // ne faut pas rejetter les précieux<br />
dons des Dieux. (2) Quelqu'un le heurta<br />
d'unepoutre, en luidifant,- Prensgarde : il lu» donna<br />
un coup de fon bâton , & lui répliqua, Prensgarde<br />
toi-même. Témoin qu'un homme fuplioit<br />
Hne Courtifanne, il lui ait: Malheureux ! pourquoi<br />
tâches-tu de parvenir à ce dont il vaut bien<br />
tûeux être privé ? 11 dit auffi. à un homme, qui<br />
ft> Selon. H. Etienne, s'était ttfi iafiiunc&t i.viogp<br />
cordes.<br />
(ij Vcii d'Hococu.
#S D I O G Ê N E.<br />
étoit parfumé : Prene^ garde que la bonne odeur<br />
de votre tête ne rende votre vie de mauvaife odeur.<br />
II difoit encore, que comme les ferviteurs font fournis<br />
à leurs maîtres , les michans le font à leurs<br />
convoitifts. Quelqu'un lui demandoit ppurquoi<br />
les efclaves étoient apellés d'un nom qui figiii—<br />
fie Pieds d'hommes; il répondit : parce qu'ils ont<br />
des pieds comme les hommes , & une ame formée<br />
comme la tierthe , puifque tu fais cette queflion. Il<br />
demandoit une mine à un luxurieux ; -& interrogé<br />
pourquoi il fouhaitoit de celui-là une mine ,<br />
tandis qu'il ne demandoit qu'une obole à d'autres ;<br />
il répondit : Cefl que j'efpére déformais recevoir<br />
des autres; au lieu qu'il n'y a que les Difux qui<br />
fâchent fi tu me donneras jamais quelque chofe de<br />
plus. On lui reprochoit qu'il demandoit des dons ,<br />
pendant que - Platon s'abftenoit de pareilles demandes.<br />
// enfaitaujjt,à\t-\)'t mais c'eflen aprochant<br />
fa tête de F oreille, de peur que d'autres ne'le fâchent.<br />
Voyant un mauvais tireur d'arc, il fut s'afleoir<br />
à l'endroit où étoit le but, alléguant que c'étoit<br />
de peur que cet homme ne rattrapât. Il difoit<br />
que les amoureux font la <strong>du</strong>pe de l'idée qu'ils.<br />
fe forment de la volupté. On toi demandoit A<br />
la mort étoit un mal : Comment Jeroit-ce un mal *.<br />
répondit-il, puifqu'on ne la fent pas ? Alexandre<br />
s'étant fubitement prefenté devant lui, luidemandoitfi<br />
fa prefence ne lui caufoit point de crainte »<br />
il répondit: En quelle qualité voulez-vous que}*
D I O G è N E. 4£<br />
vous craigne ? Eft-ce eommt bon , ou comme mauvais?<br />
n Comme bon, dit Alexandre». Eh ! reprit<br />
Diqgène, comment peut-on craindre ce qui eft bon ?<br />
11 apeloit l'inftruûion la prudence des jeunet<br />
gens , la confolation des Vieillards , la richejfi<br />
des pauvres, & Tornement des riches. L'a<strong>du</strong>ltère<br />
Dydimon étoit occupé à guérir les yeux d'une<br />
fille. Diogène lui dit : Prene\ garde iju'en guèrifi<br />
fant les yeux de cette fille, vous ne lui blejfit[ la<br />
prunelle (i). Quelqu'un lui difant que fes amis lut<br />
tendoient des pièges : Quefera-t'on, répondit-il ,<br />
s'Ufautvivre avec fis amis comme avec fis ennemis?<br />
Interrogé fur ce qu'il y avoit de plus beau parmi<br />
les hommes, il répondit que c'étoit la franchifi*<br />
Il entra un jour dans une école, où il vit plufieurs<br />
images des Mufes & peu d'écoliers. Il dit<br />
au Maître : Vous avez bien des difiiplts, grâces<br />
aux Dieux.<br />
Il .faifoit publiquement fes fonftions naturelles<br />
, celle de manger, auffi-bien que tes autres ;<br />
& il avoit coutume de s'exeufer par ces fortes de<br />
raifonnemens : S'il n'eft pas déplace de prendre<br />
fes repas , il ne F eft pas non plus de les prendre<br />
en plein Marché : or il n'eft pas malhonnêtede<br />
manger i il ne Pejl donc pas aujfi de mange?<br />
(%) Il y a ici va jeu
4& D I O G Ê N E.<br />
publiquement, (i) Il lui arrivoit auffi Couvent de<br />
faire des geftes indécens, & difoit pour excufe',;<br />
qu'il n'héfiteroit point d'en faire pour apaifer<br />
la faim , s'il le pouvait. .On lui attribue d'autres<br />
difcours, qu'il feroit trop long de raporter. Il<br />
dhtinguoit deux fortes d'exercices, celui de l'ame<br />
& celui <strong>du</strong> corps. Concevant que l'occupationque<br />
l'exercice donne continuellement à l'imagination<br />
, facilite la pratique de la vertu, il difoit<br />
que l'un de ces fortes d'exercices eft imparfait<br />
fans l'autre, la bonne difpofition 6k la force fe<br />
znanifeftant dans la pratique de nos devoirs, telle<br />
qu'elle a lieu par raport au corps & à l'ame.<br />
Il alleguoit, pour marque de la facilité que l'exercice<br />
donn e pour la vertu, l'adrefle qu'acquié*<br />
tent les Artifans & ceux qui font des ouvrages?<br />
manuels, à force de s'y apliquer. Il faifoit<br />
encore remarquer la différence qu'il y a entre le*<br />
Muficiens & les Athlètes, félon que l'un s'aplique<br />
au travail plus que l'autre ; & difoit que fi<br />
ces gens-là avoient aporté le même foin à éxer-cerleurame,<br />
ils n'auroient pas travaillé inutilement.<br />
En un mot, il étoit dans le principe que<br />
rien de tout ce qui concerne la vie ne fe fait<br />
fcien fans exercice, & que par ce moyen on peut<br />
venhr<br />
fl) C'eft ici le grand reproche qu'oto a fait aox Cy-.<br />
•rques. Il n'y a pas moyen d'excufer leur grofliéreté „-<br />
pi alloit jufqu'au vice : elle fait voir que lOtite Philo»<br />
3ophie , purement hiuuaioc x Ce tefient ,d» deloidtc dft<br />
Y tigtii h lima in.
D 1 O G È N E; 49<br />
Venir à bout de tout. Il concluoit de là, que fi ,'<br />
renonçant aux travaux inutiles •', on s'aplique à<br />
ceux qui font félon la nature, on vivra heureufement<br />
; & qu'au contraire le manque de jugement<br />
rend malheureux. Il difoit même que û<br />
on s'accoutume à méprifer les voluptés , on<br />
trouvera ce fentiment très-agréable, & que comme<br />
ceux qui ont pris l'habitude des voluptés,'<br />
s'en partent difficilement ; de même fi on s'exer- '<br />
ce à mener une vie contraire, on prendra plaifif<br />
à les méprifer. C'étoient là les principes qu'if<br />
enfeignoit, & qu'il pratiquoit en même-tems,<br />
remphflant ainfi l'efprit <strong>du</strong> mot , Changes la<br />
monnoye, (i) parce que par cette manière de vi"<br />
vre il fuivoit moins la coutume .que la nature.<br />
U donnoit pour caractère général de fa vie, qu'elle<br />
reffembloit à celle d'Hercule , en ce qu'il préféroit<br />
la liberté à tout. Il difoit que les Sages ont)'<br />
toutes chofes communes , & fe fervoit de ces<br />
raifonnemens : Toutes chofes aparuennent aux<br />
Dieux. Les Sages font amis des Dieux. Les amis<br />
ont toutes chofes communes : ainfi toutes chofes<br />
font pour les Sages. Il prouvoit d'une manière<br />
femblable que la Société ne peut être gouvernée<br />
fans loix. llnefcrt de rien d'être civilifé, fi Ton<br />
n'efl dans une ville. La Société d'une ville confifte<br />
en cela mime qu'on foit civilifé. Une ville<br />
Ci) C'eft-à-dire , Ht fuis f*t ?*&>* de '* »*'"'**•<br />
Tome <strong>IL</strong> E
p D I O G È N E.<br />
ritft rien fans loix ; la civilité eft donc une loi. Il fe<br />
moquoit de la noblefle, de la gloire & d'autres<br />
chofes femblables , qu'il apelloit des Ornement<br />
<strong>du</strong> vice, difant que les loix de Société, établies<br />
par la conftitution <strong>du</strong> monde, font les feules juf-.<br />
tes. Il croyoit que les femmes dévoient être communes<br />
, & n'eftimoit point le mariage, ne foumettant<br />
l'union des deux fexes qu'à la condition <strong>du</strong><br />
confentement réciproque : de là vient qu'il<br />
croyoit auffi que les enfans dévoient être communs.<br />
Il ne regardoit pas comme mauvais de<br />
recevoir des chofes faintes , & de manger des<br />
animaux ; il penfoit même qu'il étoit permis de<br />
manger de la chair humaine , & alléguoit là-def_<br />
fus les moeurs des peuples étrangers. Il ajoutoit<br />
auffi qu'à la lettre toutes chofes font les unes dans<br />
les autres, & les unes pour les autres; qu'il y a<br />
de la chair dans le pain, & <strong>du</strong> pain dans les légumes<br />
; que par raport aux autres corps, ils onttous<br />
des pores infenfibles, dans lefquels s'infinuent<br />
des corpufcules détachés & attirés par la refpiration.<br />
C'eft ce qu'il explique dans la tragédie dé<br />
Thyefie ,fi tant eft que les tragédies, qui courent<br />
fous fon nom, foient de lui, &non|de Philifcus<br />
d'^Egine , un de fes amis ; ou de Pafiphon ,<br />
Lucanien , que Phavorin , dans fon Hiftoire<br />
diverfe, dit avoir écrites après la mort de Dîo- .<br />
gène.<br />
Il négligeoit la Mufique, la Géométrie, l'Af-
D I O G È N E. fi<br />
trologie & autres Sciences de ce genre, comme<br />
n'étant ni utiles, ni néceffaires. Au refte il avoit<br />
la répartie fort prompte, comme il paroit par ce<br />
que nous avons dit.<br />
Il fouffrit courageufement d'être ven<strong>du</strong>. Se<br />
trouvant fur un vaiffeau qui alloit à jEgine , il<br />
fut pris par des Corfaires , dont Scirpalus étoit<br />
le Chef, & fut con<strong>du</strong>it en Crète, oùon le vendit.<br />
Comme le Crieur demandoit ce qu'il fçavoit faire<br />
il répondit ; Commander à des hommes. Montrant<br />
enfuite un Corinthien, qui avoit une belle bor<strong>du</strong>re<br />
à fa vefte ( c'étoit Xéniade dont nous avons<br />
parlé ; Fendes-moi, dit-il, à cet homme-là, il .1 be.<br />
foin d'un Maître. Xéniade l'acheta, & l'ayant mené<br />
à Corinthe, il lui donna fes enfans à élever, &<br />
lui confia toutes fes affaires , qu'il ladminiftra fi<br />
bien, que Xéniade difoit par-tout qu'un bon Génie<br />
ètoit entré che{ lui.<br />
Cléoméne raporte, dans fon livre de TE<strong>du</strong>cation<br />
des Enfans, que les amis de Diogène voulurent<br />
le racheter -, mais qu'il les traita de gens fim«<br />
pies , & leur dit que les lions ne font point efclaves<br />
de ceux qui les nourrirent ; qu'au contraire<br />
ils en font plutôt les maîtres, puifque la crainte<br />
eft ce qui diftingue les efclaves, & que les bêtes<br />
fauyagesfe font craindre des hommes.<br />
11 poffedoit au fuprême degré le talent de la<br />
perfuafion ; de forte qu'il gagnoit aifé nent par<br />
fies difcours tous ceux qu'il vouloit. On dit<br />
£ a
'Jï D I O G È N E.<br />
qu'Onéfiçrite d'Mgiae, ayant envoyé à Athènè*<br />
'le plus jeune de fes deux fils, nommé Androfthène,<br />
celui-ci vint entendre Diogène, & refta auprès<br />
de lui. Le père envoya enfuite l'aîné » ce<br />
même Philifcus dont nous avons fait mention, &<br />
qui fut pareillement retenu. Enfin étant venu luimême<br />
après eux, il fe joignit à fes fils , &s'apliqua<br />
à la Philofophie, tant Diogène fçavoit la rendre<br />
aimable par fes difcours. Il eut auffi pour difciples<br />
Phocion, furnommé le Bon, Stilpon de<br />
Mégare, & plufieurs autres, qui furent revêtus<br />
d'emplois politiques.<br />
On dit qu'il mourut à l'âge de quatre-vingt-:<br />
dix ans, & on parle diversement de fa mort. Les<br />
uns croyent qu'il mourut d'un épanchement de<br />
bile, caufé par un pied de bœuf cru qu'il avoir,<br />
mangé ; d'autres difent qu'il finit fa vie en retenant<br />
fon haleine. De ce nombre eft Cercidas de<br />
Mégalopolis, ou de Crète, dans fes ToëfiesM'u<br />
miambes, (i) où il parle ainfi ;<br />
Cet ancien Citoyen de Synope , portant un bâton ,<br />
une robe double, & ayant le ciel pour couverture , efl<br />
mort fans aucun fentiment de douleur, en fe ferrant<br />
les lèvres avec les dents, & en retenant fon haleine.<br />
Ce qui prouve que Diogène étoit véritablement fils de<br />
Jupiter t&un Chien célejle.<br />
D'autres difent que voulant partager un poly-<br />
Ci) C: naine mefuré , apellée lamtiqHe.
D I O G È N E. jy<br />
^e (1) à des chiens, il y en eut un qui le mor-<br />
\ dit tellement au nerf <strong>du</strong> pied , qu'il en mourut.<br />
/ Mais, comme dit Antrfthène dans fes Succejjîons,<br />
fes amis ont conjecturé qu'il étoit mort en retenant<br />
fa refpiration. Il detneuroit dans un Collège<br />
, fitué vis-à-vis de Corinthe , & qui s'apelloit<br />
Cranium. Ses amis gérant venus le voir félon<br />
leur coutume, le trouvèrent envelopé dans<br />
fon manteau ; mais fe doutant qu'il ne dormoit pas*<br />
parlaraifon qu'ilne donnoit guéres de tems au<br />
fommeil, ils défirent fon manteau; &. comme ils le<br />
trouvèrent expiré., ils crurent qu'il étoit mort<br />
volontairement par un defir de fortir de la vie. Il<br />
y eut à cette occafion une difpute entre fes amis ,<br />
pour fçavoir à qui l'enféveliroit. Ils furent même<br />
prêts d*en venir aux mains', jufqu'à ,ce que leurs<br />
pères & leurs fupérieurs étant furvenus , la difpute<br />
fut accordée, ck Diogène enterré près de la<br />
porte qui con<strong>du</strong>it à l'Ifthme. On lui érigea un<br />
tombeau, fur lequel on mit un chien de pierre<br />
de Paros. Ses concitoyens lui firent même l'honneur<br />
de lui élever des ftatues d'airain, avec cette<br />
infeription.<br />
Le ums confume Tairain ; maH ta gloire , 4<br />
'Diogène ! <strong>du</strong>rera dans tous les âges. Tu asfeulfait<br />
çonnoître aux mortels le bonheur dont ils peuvent<br />
(>) Sorte depoiffon , qui avoit huit pfcds OU najeoi-<br />
»es. V°J'*. Il Tréfir 4'Etitnne.<br />
El
\4 D I O G Ê N E.<<br />
jouir par eux-mêmes, 6» leur a <strong>mont</strong>ré U moyen je<br />
pajjer doucement la vie.<br />
Nous avons au(H fait à fa louange l'épigram»<br />
me fui vante.<br />
Dioglne , dis-moi quel accident t'amène au»<br />
Enfers? Cefl la morfure (tunChien féroce.<br />
Il y a des Auteurs qui difent qu'en mourant,"<br />
îl ordonna qu'on jettât fon corps fans lui donner<br />
de fépulture, afin qu'il fervît de pâture aux bêtes<br />
fauvages ; ou qu'on le mit dans une forte , couverte<br />
d'un peu de poufliére. D'autres difent qu'il<br />
voulut être jette dans l'EIiflon (i) pour être utile<br />
à fes frères. Démétrius, dans fon livre intitulé<br />
Equivoques, dit qu'Alexandre mourut à Babylone<br />
le même jour que Diogène mourut à Corinthe.<br />
fa) Or il étoit déjà vieux dans la CXIÎÏ»<br />
'Olympiade.^'' : '"'* : ' •• ;•'•''•''<br />
On luî attribue les ouvrages fuivans : Des Dialogues<br />
, irïtitulés Cephalio, 'ùhthyas. Le Geai,<br />
Le Léopard. Le Peuple d'Athènes, La République.<br />
L'Art de la Morale. Des Richeffes. De l Amour,<br />
Théoiere. Hypfias. Arifiarque. De la Mort. Des<br />
Lettres. Sept Tragédies , qui font : Hélène »<br />
Thyefle, Hercule, Achille, Médée , Chryfippè,<br />
Oedipe. Mais, Soficrate, dans le premier livre<br />
{i) C'eft le nom d'un fleuve. PaufanUs , Vv/ûgt dtCttintbe<br />
. çbap. il<br />
(x) Uiogènr pafibit l'hyvei à Athènes, & l'été à Corimhe,<br />
au i»[>oit de Dion Cluyloitôinc. iiintgt.
D I O G È N E . «,«.<br />
(de la SueceJJion, & Satyrus, dans le quatrième livre<br />
des Vies, affurent, qu'il n'y a aucun de ces<br />
ouvrages qui foit de Diogène ;& le dernier des<br />
Auteurs que je viens de citer, donne les Tragédies<br />
aPhilifcus d'jEgine, ami de Diogène»<br />
Sotion, dans Ion feptiéme livre, dit que nous<br />
n'avons de Diogène que les ouvrages qui portent<br />
pour titre : De la Vertu. Du Bien. De F Amour. Le<br />
Mendiant. Le Courageux. Le, Léopard. Cafandre,<br />
Céphalio , Philifcus, Arijlarque , Sifyphe , Gany-<br />
•méde. Il ajoute des Chries & des Lettres.<br />
Il y a eu cinq Diogènes. Le premier étoit<br />
d'Apollonie , & fut Phyïicien. Il commence<br />
ainû fon ouvrage : Je crois que la première chefs"<br />
que doit faire un homme qui veut traiter quelque<br />
Jujct, c'efl de pofer.un principe inconteftéble. Le'fecond<br />
étoit de Sicyone ;il-aécrit-furiePéloponnèfe.<br />
Le troifiéme eft le Philofophe dont nous<br />
parlons. Le quatrième fût Stoïcien ; il naquit à<br />
Seleucie, & fut fapellé Babylonien à caufe i<strong>du</strong><br />
voifinage des villes. Le cinquième fut de Tarfe ;<br />
il a écrit fur des Queftions Poétiques qu'il tâche<br />
de réfoudre. Il faut encore remarquer fur 'ce<br />
Philofophe qu'Athénodore, dans le huitième <strong>IL</strong><br />
vre de fes Promenades, rapdfte qu'il avoit toujours<br />
l'air luifant, à caufe de la coutume qu'il<br />
avoit de s'oindre le corps.<br />
E4
$6 M O N I M E.<br />
M O N I M E.<br />
• "SSI<br />
"K/T Onime, né à Syracufe , fut difciple 4J5^<br />
•*•"•*• Diogène, &domeftique d'un certain Ban-^t^<br />
«prier de Corinthe, comme le raporte Soficrate.<br />
Xéniade, qui avoit acheté Diogène, venoit fouvent<br />
auprès de Moninie & l'entretenoit de la<br />
vertu de Diogène, de fes aâions&de fes dif- ._/.<br />
cours. Cela infpira tant d'inclination à Monime ' j<br />
pour le Philofophe , qu'il affefta d'être tout d'un<br />
coup faifi de folie. Il jet toit [la monnoïe <strong>du</strong><br />
change & tout l'argent de la banque ; de forte<br />
que fon Maître le renvoya. Dès-lors il s'attacha<br />
à Diogène, fréquenta auffi Cratès le Cynique<br />
& autres perfonnes femblables ; ce qui donna de<br />
plus en plus à fon Maître lieu de croire qu'il avoit . : U<br />
entièrement per<strong>du</strong> l'efprit.<br />
x « m<br />
Il fe rendit fort célèbre ; auffi Ménandre , Poë- W<br />
te comique , parle de lut dans une de fes pièces 3.<br />
intitulée Hippocome.<br />
M E N. O l Philon, il y a eu Un certain Moninie,<br />
kommefage, mais obfcar, & portant une pe- "•-•••"'<br />
tite befaee. ..'•'.<br />
PH<strong>IL</strong>. Voilà trois befaces, dont vous avt{ partit l **'<br />
M EN. Mais il a prononcé uneftntenee, dont<br />
Je fens figuren'a rien de reffimblant, nia celle r f* »
M O N 1 M E; 17<br />
Connois-toi toi-même, ni aux autres dont on fait<br />
tant de cas ; elle leur efl fort fupérieure. Le Mendiant<br />
, cet homme plein de crajfe , a dit que tout c*<br />
qui fait le fujet de nos opinions , n'efi que fumée.<br />
d) Monime avoit une fermeté d'efprit qui le<br />
portoit à méprifer la gloire & à rechercher la<br />
vérité feule .Ha compofé des ouvrages d'un ftyle<br />
gai, mais qui cachoit un fens férieux ; (%) il a<br />
aufli donné deux autres ouvrages fur les PaJJîons ,<br />
& un troifiéme d'Exhortation. ,<br />
(0 Gtotius rend cet ver» tout autrement, l! y » H-deCfus<br />
une longue note de Minait. Je fuit un: de celle* de<br />
Miibwn*<br />
(i) On dit que cïcoit la manière <strong>du</strong> Philofophei Cy.<br />
Bique». Min*ie.
$8 ONÉSICRITE.<br />
O N E S I C R I T E.<br />
<strong>IL</strong> y a des Auteurs qui veulent qu'Onéfïcrite naquit<br />
à .ffigine ; mais Démétrius de Magnéfie<br />
dit qu'il étoit d'Aftypalée. (i) Il fut un des plus<br />
célèbres difciples de Diogène.<br />
Il y eut entre lui & Xénophon une efpéce de<br />
conformité, en ce que celui-ci fut Capitaine de<br />
Cyrus, & celui-là d'Alexandre ; en ce que Xénophon<br />
traita de l'é<strong>du</strong>cation de Cyrus, & Onéficrite<br />
de celle d'Alexandre ; en ce que le premier<br />
fit l'éloge de Cyrus, & le fécond le panégyrique<br />
d'Alexandre. Onéficrite a même quelque<br />
chofe d'aprochant de Xénophon pour lama,<br />
niére de s'exprimer , excepté qu'il lui eft auflt<br />
inférieur qu'une copie l'eft à l'original.<br />
Diogène eut aufll pour difciples Menandre ',<br />
{urtiommèDrymus 8c admirateur d'Homère; Héjéfée<br />
de Synope , furnommé le Colier ; & Phiifcus<br />
d'iEgine, dont nous avons fait mention.<br />
Î<br />
(t) Pline en ftit une Ifle <strong>du</strong> nombre de celles qu'on<br />
«pelloit Sftraiei, & qu'on dit eue des 'Iles de l'Archipel.<br />
Wfi. W4f. Liv. 4. ch. i>. Se Liv. ». ch. JJ.
C 3t A T Ê Si<br />
C R A T E S.<br />
C Ratés, fils d'Afconde , naquit à Thèbes;<br />
& fut auffi un illuftre difciple <strong>du</strong> Philofç—<br />
pheCynique, quoiqu'Hippoboteconteftecefait,<br />
& loi donne pour Maître Bryfon l'Achéen. Qn<br />
lui attribue ces vers burlefques : » Il y a une<br />
» ville qui fe nomme Bejact, fituée au milieu<br />
n d'un /ombre fafte ; mais belle , opulente, arro-<br />
, » fée, n'ayant rien, où n'aborde jamais un infen-<br />
» fé parafite, ni un voluptueux qui cherche à fe<br />
. » réjouir avec fa Coùrtifanne. Elle pro<strong>du</strong>it -<strong>du</strong><br />
» thym, de l'ail, des figues & <strong>du</strong> pain ; auj»<br />
tant de biens , pour lefqoeJs fes habitans ne<br />
» font jamais.en guerre les uns contre les autres.<br />
_*> On n'y prend.point les armes , ni par COR**<br />
» voitife pour l'argent, ni par ambition pourla<br />
» gloire »<br />
On lui attribué auffi ce Journal de dépenfe<br />
: Il faut donner à un Cuifinier dix mines ,jin<br />
Médecin une dragme , à un flatteur cinq talent, de<br />
la fumée à un homme à cojifeil, un talent à une<br />
Coùrtifanne , & trois oboles à un Philofophc : On<br />
Fapelloit l'Ouvreur de portes { parce qu'il entroit<br />
dans toutes les maifons pour y donner des pré—<br />
.captes. U eft auteur de ces vers:
$o C R A T Ê S<br />
Jcpoffcdc ce que j'ai apris ; ce que j'ai tlti~<br />
dite, &• ce que les Augujles Mu/es m'ont enfeigné}<br />
quant à ces autres biens éclatans , Corgueil s'en<br />
empare. Il difoit qu'il lui étoit revenu de l'étude<br />
de la Philofophie un CAenix(i) de lupins,&<br />
l'avantage de vivre éxemt de foucis. On lui attribue<br />
encore d'avoir dit que l'amour s'apaift ,finon<br />
avec le tems, <strong>du</strong> moins par la faim , & que fil'un<br />
& l'autre fie font aucun effet, il faut prendre la réfi'<br />
lution de fe pendre.<br />
Au rerte il fleurifloit ve« la CXHI. Olympiade.<br />
Antifthène, dans fes SucceJJions, dit qu'ayant<br />
vu , à la reprefentation d'une certaine tragédie,'<br />
Telephe(a) dans un état fort vil, & tenant une<br />
corbeille à la main, il Te livra autîi-tôt à ta Philofophie<br />
Cynique ; qu'étant d'un rang distingué, i'<br />
vendit fes biens ; qu'après en avoir retiré environ<br />
cent, ou deux cens talens , il les donna à (es<br />
concitoyens , & s'apliqua fermement à la Philofophie.<br />
Philémon, Poëte comique, parle de<br />
lui en ces termes :<br />
Pour être plus tempérant, ilportoit l'été'un habit<br />
fort épais, & l'hyver un vêtement fort léger.<br />
Diodes dit que Diogène lui perfuada de céder<br />
fes poffeffions pour fervir de pâturage aux brebis,<br />
(I) Mefure , fur laquelle on n'eft pas d'accord.<br />
(*) C'eft une Tragédie.d'Euripide , dans laquelle Te»<br />
lephe, Roi deMyfie éioit intro<strong>du</strong>it vêm en nun4uuir»fc<br />
tenant une coibeilie. Mitugt. '
C R A T È S.
%%> C-'R A T È S.<br />
le.deuxième livre de fes Commentaires , raporte<br />
use chofc affez plaifante. Comme il demandoit<br />
un jour quelque grâce au Principal <strong>du</strong> Collège ,<br />
il lui toucha les cuiffes, ce que celui-ci- ayant<br />
trouvé mauvais , l'autre lui dit : Pourquoi ? Ces<br />
membres <strong>du</strong> corps ne vous apartiennent-Us .pas au.<br />
tant que les genoux ?<br />
Cratès étoit dans le fentiment, qu'il eft impof*<br />
fible de trouver quelqu'un éxemt de faute , &<br />
qu'il en eft,de cela comme de la grenade , où<br />
l'on trouve toujours quelque grain pourri. Ayant<br />
fiché Nicodrome le joueur de cithre, Ci) il en<br />
reçut un fouffiet, dont il fe vengea par une tablette<br />
qu'il fe mit au front avec ces mots : Cefl<br />
Hicodrome dtquije le tiens. Il faifoit profeffion<br />
d'injurier les Courtifannes, & s'accoutumoit parlà<br />
à ne point épargner les reproches. Démétrius<br />
de Phalere lut envoya quelques pains avec<br />
<strong>du</strong> vin, il lui fit cette piquante réppnfe, qu'il<br />
•voudroit que les fontaines pro<strong>du</strong>ijiffent <strong>du</strong> pain ;<br />
d'où il paroît qu'il buvoit de l'eau. Blâmé des inspecteurs<br />
des chemins & des rues d'Athènes de<br />
ce qu'il sliabilloit de toile : Je vous ferai voir<br />
Thêophraftc vêtu de même , leur répondit - il*<br />
Comme ils ne l'en^royoient pas fur fa parole, il<br />
les mena à la boutique d'un barbier , ou il le<br />
f i) Je mets le mot Grec , parce qu'on tra<strong>du</strong>it le mot<br />
Latin, qui y coirefpoad , par Luth ,Gmt*rrc U H*r/i.
C R A T È S 6i<br />
leur <strong>mont</strong>ra pendant qu'il fe faifoit faire la barbe.<br />
Tandis qu'à Thèbes il recevoit des coups<br />
<strong>du</strong> Principal <strong>du</strong> Collège , d'autres difent d'Eathycrate<br />
à Corinthe, fans s'einbarraflerbeaucoup<br />
<strong>du</strong> châtiment, il répondit par ces vers: L'ayant<br />
pris par un pied, il le précipita dùTemple. (i)<br />
Dioclès dit que celui qui letrainoitpar le pied,<br />
étoit Ménédème d'Ere t h rée, homme d'un bel extérieur<br />
, & qui paflbit pour avoir participé aux débauches<br />
d'Afclépiade Phliafien. Cratès lui en -<br />
ayant fait un reproche,' Ménédème en fut fâché, ,<br />
& le tira comme nous venons de le dire , lorfqu'i|<br />
répondit par le vers que nous avons cité.<br />
Zenon de Cittie raporte dans fes Chues, qu'il<br />
confoit quelquefois une peau de brebis à fon<br />
manteau , fans la tourner de l'autre côté, (a) Il<br />
étoit fort dégoûtant pour fa faloperie, & lorfqu'il<br />
fe préparoit à fes exercices , on le tournoit<br />
en ridicule ; mais il avoit coutume de dire, les<br />
mains levées : Courage , Cratès, comptes fur tes<br />
yeux 6» fur le refte de ton corps. Tu verras •<br />
ceux qui fe moquent de toiàprefent, faijts de maladie<br />
, te dire heureux, & fe condamner eux-mêmes'<br />
pour leur négligence. II diioit qu'il falloit s'a.<br />
pliquer à la Philofophie , jufqu'à ce qu'on regat*<br />
(i) Vers d'Hora»re.<br />
(1) La veilion Latine a tra<strong>du</strong>it, finit fi mtttrt
U C R A T Ê S:<br />
Vât les Généraux d'armée comme n'étant 'que des<br />
con<strong>du</strong>Seurs d'ânes. Il difoit auffi que ceux qui<br />
fe trouvent dans la compagnie des flatteurs, ne<br />
font pas moins abandonnés que les veaux parmi<br />
les loups, parce que les uns & les autres , au<br />
lieu d'être avec ceux qui leur conviennent, font<br />
environnés de pièges.<br />
A la veille de fa mort, il fe chanta à lui-même<br />
ces vers : Tu t'en vas , cher ami , tout courte ;<br />
tu defcends aux Enfers, voûté de vieillejfe. En<br />
effet il ployoit fous le poids des années. Alexandre<br />
lui ayant demandé s'il vouloit qu'on rétablit<br />
fa patrie , il lui répondit : A quoi cela ferviroit-il,<br />
puifqu'un autre Alexandre la détruirait de nouveau<br />
? D'ailleurs le mépris que j'ai pour la gloire, &<br />
ma pauvreté, me tiennent lieu de patrie ; ce [ont des<br />
biens que la fortune ne peut ravir. Il finit par dire :<br />
Je fuis citoyen de Diogine, qui efl au-deffus des<br />
traits de Venvie. Ménandre, dans fa pièce des<br />
Gémeaux, parle de lui en ces termes : » Tu te<br />
p promèneras avec moi, couvert d'un manteau,<br />
» auffi-bien que la femme de Cratès le Cym-<br />
» que. » Il maria fes filles à fes difciples, & les<br />
leur confia d'avance pendant trente jours , pour<br />
voir s'ils pourroient vivre avec elles, dit le même<br />
'Auteur.<br />
MÉTROCLE.
M É T R O C L E . 6f<br />
MÉTROCLE^<br />
UN cfes difciples de Cratès fut MétrocIeV<br />
frère d'Hipparchie , mais auparavant difcîple<br />
de Théophrafte le Péripatéticien. Il avoir<br />
la fanté fi dérangée par les flatuofités continuelles<br />
aufqudles il étpit fujet, que ne pouvant<br />
les retenir pendant les exercices d'étude, il fe renferma<br />
de défefpoir, rél'olu de-fe laifler mourir de<br />
faim. Cratès le fçut, il alla le voir poux le confoler,<br />
après avoir mangé exprès des lupins. Il tâcha<br />
de lui remettre l'efprit, & lui dit qu'à moins<br />
«l'une efpécede miracle , il ne pou voit fe délivrer<br />
«l'un accident auquel la nature avoit fournis tous<br />
les hommes plus ou moins. Enfin- ayant lâcher<br />
lui-même quelques vents, il acheva de le perfuader<br />
par fon exemple. Depuis lors il devint for»<br />
difciple & habile Philofophe.<br />
Hécaton, dans le premier livre de fès Chries r<br />
dit que Métrocle jerta au feu fes écrits, fous prétexte<br />
que c'étaient des fruits de rêveries de l'autre<br />
monde & de pures bagattlles. D'autres difent<br />
qu'il brûla les Leçons de Théophrafte , en?<br />
prononçant ces paroles': (i) Aproehc, Vulcain £<br />
(i)C'efl un vers d'Homère , Mer. Cnfaubm remarque<br />
que les An-ifs aHcftoicnt d: faite ïllufion dans leurs difW<br />
«ours à des vers d'Homère. Minage a ici une note , beattr<br />
coap moins folideque celle de S*[Mhm.<br />
T*vu II, W
66 MÊTROCLE.<br />
Thétis a lefoin de toi. Il dif oit qu'il y a des chofes'qui<br />
s'acquièrent par argent, comme une maifon<br />
; d'autres par le tems & la diligence, comme<br />
l'inftru&ion. Il difoit auffi que les ficliefles<br />
font nuifibles, à moins qu'on n'en fafle un bon<br />
nfage. Il mourut dans un âge avancé , s^tant<br />
étouffé lui-même.<br />
Il eut pour difciples Théombrote & Cléomene,<br />
dont le premier inftruifit Démétrius d'Alexandrie.<br />
Cléomene eut pour auditeurs Timarque d'Alexandrie<br />
& Echecle d'Ephèfe; mais celui-ci fut<br />
principalementdifciple de Théombrote quiform*<br />
Ménédème, <strong>du</strong>quel nous parlerons ci-après.<br />
Ménippe de Synope devint aufEun Uluftra di£ciple<br />
de Théombrote.
H I P p A R C H I E . «7<br />
HIPPARCHIE.'<br />
HIpparchie, fceur de Métrocle, l'une & l'autre<br />
de Maronée , fe laiffa auffi éblouir par<br />
les difcours <strong>du</strong> Philofophe Cratès. Elle eh aimoit<br />
tant les propos & la vie , qu'aucun de<br />
ceux qui la recherchoienr* en mariage , n«<br />
put la faire changer. Richeflê , noblefle , beauté<br />
, rien ne la touchoit ; Cratès lui tenoit lieu<br />
«le tout. Elfe menaça même Tes paréos de fe<br />
défaire elle-même, fi on ne la marioit avee kii.<br />
Jls s'adrefférent à Cratès , qu'ils prièrent de la<br />
détourner de fon deflein ; il fit tout ce qu'ils<br />
voulurent. Enfin voyant qu'il ne pouvott rient<br />
gagner fur elle , il fe leva, lui <strong>mont</strong>ra le rJéfa<br />
qu'il pofliedoit, & lui dit ; Voilà F époux quevttàs<br />
fouhaitc{, voilà tous/es Biens. Confulte^-vous /i_<br />
deffus ; vous ne pouveç m'épaufer T à moins que<br />
vous ne preniez ^ a réjblution de vous ' affbcier à ttiis<br />
* taie s. Elle accepta îe parti r s'habilla co*rttrie<br />
lePhilofophe, & le fuivft par-tout, lut permettant<br />
•d'en agir publiquement avec' efle comme mari ,•<br />
& allant avec lui mendier des repas. Quelque<br />
jourLyfimaque en donnait un, elle s'y trouva, 6c<br />
y difputa. contre Théodore furnommé VAthée*<br />
en lui opofànt le Sophifme ftyrant : Twt ci q*e<br />
Théodorepeutfairefans/attirer it reprocAet}Tippaif'<br />
F*
63 H I P P A R C H I E.<br />
ehie le peut aujjl, fans mériter qu'on la blâme. Or<br />
'fi Théodore fe frape lui-même, il ne fera mjufiîcer<br />
à perfonne ; ainfi, fi Hipparchie frappe Théodore „<br />
tlle n'en commettra envers qui que cefoit. Théododore<br />
ne répondit rien à ce raifonnément, ilfe cootenta<br />
de tirer Hipparchie par la juppe. Cetteaâion<br />
ne l'émut , ni ne la déconcerta ; & fur<br />
ce qu'il lui adreffa enfuite ces paroles, » Quir><br />
eft cette femme qui a laifle fa navette an-<br />
» près de fa toile"? » (t) elle répondit , C*eft<br />
moi, Théodore; mais trouvez-vous que faye pris un<br />
'mauvaisparti d'employer à m'inftruïre le tems que<br />
jaurois per<strong>du</strong> à faire de U toile ? On conte d'elfe<br />
flufieurs autres traits de cette nature.<br />
Il y a un livre deCratès,.qui porte le titre de<br />
Lettre, &qui contientune excellente Philofophie,,<br />
iontleftyleaproche beaucoup de celui de Plat-<br />
' ton.. Il çompofa aufîi des Tragédies ,. qui renr<br />
fermentdestraitedelaplusfublime Philofophie-,<br />
tels, que ceux-ci: Je n'ai dans ma patrie, ni tour,,<br />
ni.taît qui m'apartienne ; mais- toutes les villes & les<br />
inaïjpBs de la, terre font Us lieux okje puis har<br />
Via., (a),<br />
il mourut fott vieux, & fut enterré en Réotie*.<br />
^•) Vert d'Eoripide.<br />
(r) Min*ge conjecture que tout ce gsuTag* (fp Craifr $:<br />
joatiou «£li%Dcr d'Hipjjiehifc.
M Ê N I P P E. €i<br />
TTTTTTTTTT 4- 'VJr Fi' X 1 l n ** W<br />
M<br />
M E N I P P E.<br />
Enipe fut Philofophe Cynique, Phénicien<br />
d'origine,& efclave,félon Axhaicus dans fer<br />
Difcours de Morale. Diodes dit que fon Maître<br />
étoit de Pont,& qu'il s'apelloit Bato; mais à fores<br />
de demander & d'amafler de l'argent, Ménipp*<br />
Tint à boutd'acheterle droit de Citoyen de Thé-<br />
Bès.<br />
Il n r a rien fait qui foit digne d'éloge. Ses<br />
livres ne font pleins que de bouffonneries ; en<br />
quoi ils refTemblent à ceux de Méléagre , fon'<br />
contemporain. Hermippe avance qu'il pratiqua<br />
Fiifure jufqu'à s'attirer le nom d'Ufuritr de jour'<br />
née. •. i) 11 exerça- auffi l'ufure navale ( 2) é5c<br />
prêta fur gages ; de forte qu'il amaiTa beaucoup!<br />
de bien. Mais enfin on lui tendit de» pièges %<br />
i\ perdit tout ce qitfil avoir, grapillé, & finit f*<br />
vie, en fe pendant lui-même de defefpoir. Voie»<br />
des vers, fatyriques que j'ai compofés-à fonfùjet r.<br />
Vous connaiffe^ Ménippe , Phénicien d'origine •"•<br />
mais de. la nature det chiens de Crète, tetUptrwr<br />
/i) C'èfW-dire,.qui recevoir:, cliacjoe joui l'ufure de-ce»<br />
(ju'fl" avoit avance. ^Atdobrundm.<br />
(%! II y a ici des variations. Vpy« Minagr. On ci(C<br />
au(II les PandcSts. Erafme dit qu'on prenoit un» plu*.<br />
%te ufare de ceux qui allaient fui mci.Oiil. u(i-
?0 M E N I P P E„<br />
de journée ; c'efl ainfi qu'on l'apelloit. Vousfçaveç<br />
comment fa mai/on , ayant été forcée à Thèbes, il<br />
perdit tous fes- biens ; mais s'il eût bien connu la<br />
nature <strong>du</strong> chien, (i) fe feroit-il pen<strong>du</strong> pour cette raifon<br />
?<br />
Il y a des Auteurs qui croyent que les ouvrages<br />
qu'on lui attribue ne font pas de lui ; mais<br />
de Denys & de Zopyre de Colophoh, qui les firent<br />
par amufement, & les lui donnèrent pour lestaettre<br />
en ordre.<br />
Il y a eu fix Ménippes. Le premier, auteur de<br />
VHiftoire des Lydiens & de l'Abrégé de Xanthus.<br />
le fécond efl celui dont nous parlons. Letroifiéme<br />
itoit un Sophifte de Stratonice , originaire de<br />
Carie. Lequatriéme fut Statuaire. Le cinquième<br />
& le Çxiétne furent Peintres. Apollodore a parle<br />
de ces deux derniers.<br />
Mènippele Cynique a compolié treize Volumes<br />
d'oeuvres , qui font : Les Mânes. Des Préceptes.<br />
Des Lettresamufantes , dans le/quelles il intro<strong>du</strong>it<br />
les Dieux. Des Traités fur les Phyficiens,.<br />
tes Mathématiciens & les Grammairiens. Sur la-<br />
'Naïflance d'Epicurc. L'obfervation <strong>du</strong> vingtiém c<br />
jour <strong>du</strong> mois par les Epicuriens , fans d'autres.<br />
Ecrits fur des matières de ce genre*<br />
t») Ccft-i-direjrtlsût été vrai Philofophe Cynique,
M É N Ê D Ê M E . 7«<br />
xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx<br />
M É N É D E M E.<br />
M Enédème fut dîfciple de Colotès de Lampfaque.<br />
Hippobote dit que fon goit pour lesprodiges<br />
l'avoit ren<strong>du</strong> fi extravagant, que fou*<br />
la figure d'une Furie il fe promenoit, en criant,<br />
qu'il était venu des Enfers pour obftrver ceux qui<br />
faifoient mal ,&pour en faire raport aux Démons a.<br />
fon retour dans ces lieux.<br />
Voici dans quel équipage il fe <strong>mont</strong>roit en public.<br />
Il fe revêtoit d'une robe de couleur foncée,<br />
laquelle lui defcendoit jusqu'aux talons, & qu'il<br />
Boit d'une ceinture rouge. Il fe couvroit la tête<br />
d'un chapeau Arcadien ,(i) ouétoient reprefen»<br />
tés les douze Agnes <strong>du</strong> Zodiaque, & fa chauffure<br />
reflembJoit au. Cothurne tragique. Il portoit<br />
«ne longue barbe, & tenoit à la main une baguette<br />
de bois de frêne.<br />
Voilà les Vies des Philofophes Cyniques, confidérés<br />
chacun en particulier. Ajoutons quelque<br />
chdfe , des fentimens qu'ils foutenoient en<br />
commun ; car nous regardons, leur Philofophi«<br />
comme formant une Sefte particulière , &<br />
aoa , ainfi que le préteadeat quelques - uns,<br />
as ample genre de vie. Un. de leurs- dog-<br />
(*} C*eft. à-dite font grand. lii**zr+
7* M É N É D È M E .<br />
mes eft donc de retrancher , à l'exemple d'Air<br />
rifton de Chio, <strong>du</strong> nombre des cormouTances néceflaires<br />
tout ce qui regardera Logique & la Phy-<br />
£que,& de ne s'apltquer qu'à laMora!e,jufques-là<br />
que ce que quelques-uns attribuent à Sacrate-r<br />
Dioclès le fait dire à Diogène, C'efl-à-dire , qu'il<br />
faut s'étudier à connoître ce qui fe pafledeboa<br />
& de mauvais en nous-mêmes. Ils rejettent auf- -<br />
fi l'étude des Humanités, & Antiftaène dit que<br />
ceux qui font parvenus àlafageffe,nes'apliquent<br />
point aux Lettres , pour n'être point diflraïls par<br />
des chofes étrangères. Ils méprifent pareillement<br />
la Géométrie , la Mufique & autres fciences<br />
femblables, puifque Diogéne répondit à quelqu'un<br />
qui lui <strong>mont</strong>roit un cadran , que c'ètoit une<br />
inventionfort utile pour ne pas paffer le tems de dîner.<br />
Il dit auffi à un autre qui lui faifoit voir de la<br />
Mufique, qu'on gouverne des villes entières par<br />
de tonnes maximes ,& qu'on ne parviendra jamais<br />
à bien con<strong>du</strong>ire une feule maifon par la mufique.-<br />
Les Philofophes Cyniques établiflenf pour fin - ;<br />
ie vivre félon la vertu, comme dit Antifthène<br />
dans Hercule ; en quoi ils penfent comme les<br />
Stoïciens. En effet , il y a de l'affinité entreces<br />
deux Seâes ; de là vient qu'on a a-pellé 1*<br />
Philofophie Cynique un chemin abrégé pour arriver<br />
à l'a Vertu. Aïnfi. -»écut auffi Zenon le<br />
Citùen» Ils obfervent, une grande {implicite
M E N E D Ê - M E . 7 j<br />
de vie , ne prennent de nourriture qu'autant<br />
qu'elle eft néceflaire, & ne fe fervent d'autre habillement<br />
que <strong>du</strong> manteau. Ils méprifent la richefle<br />
, la gloire & la noblefle. Plufieurs ne fe<br />
nourriffent que d'herbes, & ils ne boivent abfo-,<br />
fument que de l'eau froide. Ils n'ont de couvert<br />
que celui qu'ils rencontrent, ne fût-ce qu'un)<br />
tonneau, à l'imitation de Diogène , qui difoi't<br />
que comme ce qui diftingue principalement let<br />
Dieux , c'eft qu'ils n'ont be/oin de rien ; de même<br />
celui-là leur rejfemble le plus qui fait ufage di<br />
moins de chofes.<br />
Ils croyent, comme dit Antifthène dans Her-<br />
. cule', que la vertu fe peut aprendre, & que<br />
lorfqu'on l'a acquife, elle ne peut fe perdre. Ils<br />
difent que le Sage eft digne d'être aimé, qu'il ne<br />
pèche point, qu'il eft ami de celui qui lui reffemble,<br />
& qu'il ne fe fie nullement à la fortune;<br />
Us apellent indifférentes les chofes qui font entre<br />
le vice & la vertu; en quoi ils fuivent lesfentir<br />
mens d'Arifton de Chio.<br />
Voilà pour ce qui regarde les Philofophes Cyniques.<br />
Venons, à prefent aux Stoïciens , qui<br />
ont eu pour Chef Zenon, difciple de Cratès.<br />
Tonulli Q
s><br />
o ^ x x ^ ^ ^~<br />
3 V<br />
LIVRE VI i •<br />
ifeeoowHKHM» e-4-wHMMweefty,<br />
ZENON.<br />
Y&&sS'j/ Énon, fils de Mnafée , ou cfe Dé-'<br />
"$? 7 A&! m ^ e » "oit c ' e Cittie en Chypre;<br />
tft-H jçç- C'eft une petite ville Grecque, où<br />
.jripiffK s>étoit établie une Colonie de Phénicien?.<br />
H avoit le coû un peu panché d'un côté ,'<br />
fuivant Timothée l'Athénien dans fon livre des<br />
} les.,Apollonius Tyrien nous ]g dépeint mince<br />
de corps, affez haut de taille & bazané ; ce<br />
qui fut caufe que quelqu'un le furnomma Sarment<br />
d'Egypte , dit Chryfippe dans le premier livre de<br />
fes Proverbes. Il avoit les jambes grofles, lâches<br />
&foib!es;au(Tiévitoit-il la plupart <strong>du</strong> tems les<br />
repas, félon le témoignage de Perfée dans fes<br />
Commentaires de Table. Il aimoit beaucoup , dit-
Z E N O N . 7f<br />
on les figues vertes, & à fe chauffer au foleil;<br />
Nous avons fait mention qu'il eut Cratès pour<br />
Maître. On veut qu'enfuite il prit les leçon»<br />
de Stilpon, 6c que pendant- dix ans il fut auditeur<br />
de Xénocrate, au raport de Timocrate<br />
dans Dion. Polémon eft encore un Philofophe f><br />
dont il fréquenta l'école. Hécaton & Apollonius<br />
Tyrien , dans le premier livre fur Zenon , ra»<br />
portent que ce Philofophe ayant cônfulté l'oracle<br />
pour fçavoir quel étoit le meilleur genre<br />
de vie qu'il pût embraffer,illuifut répon<strong>du</strong> que<br />
c'était celui qui le feroit converfer avec les<br />
morts. Il comprit le fens de l'oracle , & s'apliqua<br />
à la le&ure des Anciens. Voici comment il<br />
entra en connoiffance avec Cratès. Il avoit négocié<br />
de la pourpre en Phénicie , qu'il perdit<br />
dans un naufrage près <strong>du</strong> Pirée. Pour lors déjà âgé<br />
de trente ans , il vint à Athènes , où il s'aflit<br />
auprès de la boutique d'un Libraire , qui lifoit<br />
le fécond livre des Commentaires de Xénophon.<br />
Touché de ce fujet, il demanda où fe tenoient<br />
ces hommes-là? Le hazard voulut que Crues<br />
vint à pafler dans ce moment. Le Libraire le<br />
<strong>mont</strong>ra à Zenon, & lui dit : » Vous n'avez qu'à<br />
fuivre celui-là. » Depuis lors il devint difciple<br />
de Cratès ; mais quoiqu'il fût d'ailleurs propre à<br />
la Philofophié , il avoit trop de modeftie pour<br />
s'accourumer au mépris que les Philofophes Cyniques<br />
faifoient de la honte. Cratès, voulant l'en<br />
Ga
75 Z E N O N .<br />
guérir, lui donna à porter un pot de lentilles!<br />
la place Céramique. Il remarqua qu'il le couvroit<br />
le vifage de honte, il cafla d'un coup de fon<br />
bâton le pot qu'il portoit ; de forte que les lentilles<br />
fe répandirent Air lui. Auff:-:ôt Zenon prit<br />
la fuite, 6k Cratès lui cria : Pourquoi t'enfuis-tu ,<br />
petit Phénicien ? tu n'as reçu aucun mal. Néanmoins<br />
cela fut caufe qu'il quitta Cratès quelquetems<br />
après.<br />
Ce fut alors qu'il écrivit fon Traité de la République,<br />
dont quelques-uns dirent, en badinant,'<br />
qu'il l'avoit compofé fur la queue d'un Chien, (i)<br />
Il fit auffi d'autres ouvrages ; fur la Vie , conforme<br />
à la Nature ; fur les Inclinations , ou fur la<br />
Nature de l'Homme ; fur les Paffions ; fur le Devoir;<br />
lut la Loi, fur ['Erudition Grecque; fur la<br />
Vue; fur F Univers ; fur les Signes ; fur les Sentimens<br />
de Pythagore : fur les Préceptes généraux ,<br />
fur la Diâion ; cinq Queftionsfur Homère ; de la<br />
Letlure des Poètes , outre un Art de Solutions, &<br />
des Argumens, au nombre de deux Traités ; des<br />
Commentaires, 6k la Morale de Cratès. C'eft à quoi<br />
fe ré<strong>du</strong>ifent fes œuvres.<br />
Enfin il quitta Cratès, 6k fut enfuite pendant<br />
vingt ans difciple des Philofophes dont nous<br />
avons parlé-; à propos de quoi on raporte qu'il<br />
(0 Selon Mi : Cdf*nhn , c'eft une alluGon à la ConA<br />
tellïcion <strong>du</strong> Chfen. sU+n/'+fe / Se? 1?*/»* -r>*+no-
ZENON. 77<br />
dit : J'arrivai à bon port lorfque je fis naufrage.<br />
D'autres veulent qu'il fe foit énoncé en ces termes<br />
à l'honneur de Cratès ; d'autres encore,<br />
qu'ayant apris le naufrage de Tes marchandifes pendant<br />
qu'il demeuroit à Athènes, il dit : La fortune<br />
fait fort bien , puifquelle me con<strong>du</strong>it par là à.<br />
? étude de la Philofophie. Enfin on prétend aufli<br />
qu'il vendit Tes marchandifes à Athènes ,& qu'il<br />
s'occupa en fuite de la Philofophie.<br />
11 choifit donc le Portique , apellé Pttcileï<br />
(i ) qu'on nommait aufli PifianaSée. Le premier,<br />
de ces noms fut donné au Portique, à caufe de»<br />
diverfes peintures dont Polygnote l'avoit enrichi ;<br />
mais (bus les trente Tyrans mille quatre cens citoyens<br />
y avoient été mis à mort. Zenon , voulant<br />
effacer l'odieux de cet endroit, le choifit<br />
pour y tenir fes difcours. Ses difciples y vinrent<br />
l'écouter, & furent pour cette raifon apellés<br />
Stoïciens ,. auflï-bien que ceux qui fuivirent<br />
leurs opinions. Auparavant , dit Epicure<br />
dans fes Lettres, on les diflinguoit fous le nom<br />
de Zénoniens. On comprenoit même antérieurement<br />
fous la dénomination de Stoïciens les Poètes<br />
qui fréquentoient cet endroit, comme le raporte<br />
Eratofthène dans le huitième livre de fon<br />
Traité de F Ancienne Comédie ; mais les difciples<br />
(t) Le root Pxcilt fignifie vtiiè. Cet endroit étoit fitué<br />
fur le Marché. Mintgt. Le mot Stoïcien vient d'un iciae<br />
tui figaifie Ptrtiqmt.<br />
G3
^8 Z E N O N .<br />
de Zenon rendirent ce nom encore plus illuftre;<br />
Au refte, les Athéniens eurent tant d'eftime pour<br />
ce Philofophe, qu'ils dépoférent chez lui les clef*<br />
de leur ville, l'honorèrent d'une couronne d'or,<br />
& lui drefférent une ftatuë d'airain. Ses compatriotes<br />
en firent autant, perfuadés qu'un pareil<br />
monument, érigé à un fi grand homme, leur feroit<br />
honorable. Les Cittiens imitèrent leur exemple »<br />
& Antigone lui-même lui accorda fa bienveillance.<br />
Il alla l'écouter lorfqu'U vint à Athènes, & le<br />
pria avec inftance de venir le voir ; ce qu'il re*<br />
fufa. Zenon lui envoya Perfée, l'un de fes amis ,<br />
fils de Démétrius & Cittien de naiflance , qui<br />
fleuriffoitverslaCXXX. Olympiade , tems auquel<br />
le Philofophe étoit déjà fur l'âge. Apollonius<br />
de Tyr , dans fes Ecrits fur Zenon , nous a coafervé<br />
la lettre qu'Antigone lui écrivit.<br />
'Le Roi Antigone au Philofophe Zenon ,falut.<br />
•n Du côté de la fortune & de la gloire , je<br />
» crois que la vie que je mène , vaut mieux<br />
» que la vôtre ; mais je ne doute pas que je ne<br />
» vous fois inférieur, fi je conûdére l'ufage que<br />
r> vous faites de la raifon, les lumières qui.vous<br />
j» font acquifes , & le vrai bonheur dont vous<br />
JJ jouiiïez. Ces raifons m'engagent à vous prier de<br />
» vous rendre auprès de moi, & je me flatte que<br />
n vous ne ferez point de difficulté de confentix;
ZENON. 79<br />
h à ma demande. Levez donc tous les obftacles<br />
» qui pourroient vous empêcher de lier com-<br />
» merce avec moi. Confidérez fur-tout que non-<br />
» feulement vous deviendrez mon maître ; mars<br />
M que vous ferez en même-tems celui de toi»<br />
v les Macédoniens, mes fujets. En inftruifant<br />
» leur Roi , en le portant à la vertu, vous leur<br />
» donnerez en ma perfonne un modèle à fuivre<br />
» pour fe con<strong>du</strong>ire félon l'équité & la raifon ,<br />
n puilque tel eft celui qui commande, tels font<br />
» ordinairement ceux qui obéïffenf. »<br />
Zenon lui répondit en ces termes :<br />
Zenon au Roi Antigone, falut,<br />
» Je reconnoisavec plaifir l'empreflement que<br />
» vous avez de vous inftruire & d'acquérir<br />
» de folides connoiflances qui vous foient uti-<br />
» les, fans vous borner à une fcience vulgaire,<br />
» dont l'étude n'eft propre qu'à dérégler les<br />
» mœurs. Celui qui fe donne à la Philofophie t<br />
» qui a foin d'éviter cette volupté fi commune,<br />
» fi capable d'émouffer l'efprit de la jeuneffe ,<br />
» .annoblit fes fentimens,je ne dis pas par inclina-<br />
» tion naturelle, mais auffi par principe. Au ref-<br />
» te quand un heureux naturel eft foutenu par<br />
» l'exercice, & fortifié par une bonne inftruc-<br />
» tion, il ne tarde pas à fe faire une parfaite<br />
9 notion de la vertu. Pour moi * qui fuccem--<br />
G 3
flo Z E N O N .<br />
» be à h foiblefle <strong>du</strong> co.rps, fruit d'une vîeillefle<br />
» de quatre-vingt ans , je crois pouvoir me<br />
» difpenfer de me rendre auprès de votre per-<br />
» fonne. SoufFrez donc que je fubftitue à ma<br />
» place quelques-uns de mes Compagnons d'étu-<br />
» de, qui ne me font point inférieurs en dons de<br />
» l'efprit, 8cqui me furpaffent pour la vigueur<br />
» <strong>du</strong> corps. Si vous les fréquentez , j'ofe me<br />
j» promettre que vous ne manquerez d'aucun des<br />
» fecours qui peuvent vous rendre parfaitement<br />
» heureux, »<br />
Ceux que Zenon envoya à Antigone, furent<br />
Perfée , & Philonide Thébain. Epicure a parlé<br />
«f eux, comme d'amis de ce Roi, dans fa lettre<br />
à fon frère Ariftobule. (i)<br />
Il me paroît à propos d'ajouter ici le Décret<br />
que rendirent les Athéniens à l'honneur de Zenon<br />
; le voici.<br />
Décret.<br />
Sous PArchontat ÎArrenidas , la Tribu d'Acsmantis,<br />
la cinquième en tour , exerçant le Pritanéat,<br />
la troifiime dixaine de jours <strong>du</strong> mois de Septembre<br />
, le vingt-troifiime <strong>du</strong> Pritanéat courant,'<br />
ÏAffemblèe principale des Préfident aprisfes conclufionsfouslapréjîdence<br />
d'Hippo, fils de Gratifie*<br />
"(i) D'amies corrigent , Atiftodcme.
Z E N O N . f i<br />
tele, deXympetéon fi» de leurs Collègues ; Thrafon J<br />
fils de Thrafon <strong>du</strong> bourg d'Anacaïe , difant et<br />
qui fuit :<br />
» Comme Zenon , fils de Mnafée , Cittïeor<br />
» de naifîance , a employé plufîeurs années dans<br />
n cette ville' à cultiver la Philofophie ; qu'il s'eft<br />
» <strong>mont</strong>ré homme de bien dans toutes les au-<br />
» très chofes aufquelles il s'eft adonné ; qu'il a<br />
» exhorté à la vertu & à la fageffe les jeunet<br />
M gens qui venoient prendre tes inftruttions ;<br />
» & qu'il a excité tout le monde à bien faire par v<br />
» l'exemple de fa propre vie, toujours conforme<br />
» à fa doârme ; le Peuple a jugé, fous de fa-<br />
» vorables aufpkes, devoir récompenfer Zénoa<br />
» Cittien , fils de Mnafée , & le couronner,<br />
» avec juftice d'une Couronne d'or, pour-fa ver-<br />
» tu & fa fageffe. De plus, il a été réfolu de lut<br />
» élever une tombe publique dans la place Cirer.<br />
» mlque, cinq hommes d'Athènes étant défignés,;<br />
» avec ordre de fabriquer la Couronne & de conf«<br />
» truire la tombe. Le prêtent Décret fera cou-<br />
» ché par l'Ecrivain fur deux Colomnes, dont U<br />
» pourra en- dreffer une dans l'Académie , 8c<br />
i> l'autre dans le Lycée. Les dépenfes de ces<br />
» Colomnes fe feront par l'Adminiftrateur des<br />
» deniers publics, afin que tout le monde fça-<br />
» che que les Athéniens honorent les gens de<br />
u bien, autant pendant leur vie qu'après leur,<br />
» rnoiUa
Si Z É N p N.<br />
Les personnes, choifies pour la conflrufrion dç<br />
cesmonumens, furent Thrafon <strong>du</strong> bourg d'Anacaye,<br />
Philoclès <strong>du</strong> Pirée, Phèdre <strong>du</strong> bourg d'Analyfte,<br />
Melon <strong>du</strong> bourg d'Acharné, Mycythus dot<br />
ourgdeSypallete, &Dion <strong>du</strong> bourg de Paea-<br />
Ï<br />
nie.<br />
Antigone de Caryfte dit qu'il ne cela point fa<br />
patrie ; qu'au' contiaire , comme il fut un de<br />
ceux qui contribuèrent à la réparation <strong>du</strong> bain •<br />
ion nom ayant été écrit fur une Colomne de cette<br />
manière , Zenon le Philofophe, il voulut qu'on<br />
y ajoutât le-mot de Cittien. Un jour il prit le<br />
couvercle d'un vauTeau où l'on met toit l'huile<br />
pourjes^_Athlétes , & après l'avoir creufé , il le<br />
porta par-tout poury recueillir l'argent qu'il colleftoit<br />
en faveur de fon Maître Cratès. On aflure<br />
que lorfqu'il vint en Grèce, il étoit riche de<br />
plus de mille talens, qu'il prêtoit à intérêt aux<br />
gens qui alloient fur mer.<br />
Il fe nourriflbit de petits pains , de miel &<br />
id'un peu de vin aromatique. Il ne faifoit guéres<br />
d'attention aux filles, & ne fe fervit qu'une<br />
ou deux fois d'une fervante , afin de n'avoir<br />
pas le nom de haïr les femmes. Lui&Perféehafoitoient<br />
une même maifon , ou celui-ci ayant<br />
quelque jour intro<strong>du</strong>it auprès de lui une joueufe<br />
de flûte, il la tira de là, & la recon<strong>du</strong>ifit à celui<br />
«jui la lui avoit envoyée. Il étoit fort accommodant<br />
; auffc le Roi Antigone venoit fouvent
Z E N O N . «j<br />
fouper chez lui, ou le menoit Couper chez Ariftoclée<br />
le Muficien : liaifon à laquelle il renonça<br />
dans la fuite.<br />
On dit qu'il évitoit d'aflembler beaucoup de<br />
monde autour de lui, & que pour fe débarraffer<br />
de la foule ,il s'afféyoit au haut de l'efcalier. (l)<br />
Il ne fe promenoit guéres qu'avec deux ou trois<br />
perfonnes, &éxigeoit quelquefois un denier de<br />
ceux qui l'entouroient, afin d'écarter la multitude,<br />
comme le raporte Cléanthe dans fon Traité de<br />
VAirain. Un jour que la prefle étoit fort grande ,<br />
il <strong>mont</strong>ra aux aflîftans la baluftrade de bois d'un<br />
Autel au haut <strong>du</strong> Portique, & leur dit : Autrefois<br />
ceci en jaifoit le milieu ; mais comme on en rectvoitde<br />
l'embarras, on le tranfpofa dans un endroit<br />
ftparé :de même fi vous vous ôiiei <strong>du</strong> milieu d'ici t<br />
vous nous emiarrajferie^ moins.<br />
Démochare , fils de Lâches , vint le faluer , &<br />
lui demanda s'il âvoit quelque commiflion à lui<br />
donner pouf Antigone, qu'il fe feroit un plaifir<br />
de l'obliger. Ce compliment lui déplut fi fort,<br />
que depuis ce moment il rompit tout commerce<br />
avec lui. On raporte aufli qu'après la mort de<br />
(i) Mintgt 8c antres Interprètes Latins ne difenr r>'ei»<br />
fut ce partage ; Btilea» & FoHgimllts le défigurent", le<br />
crois qu'il s'igit au monde qui s'aflcmblou autour 3e<br />
Zenon lorfqu'il donnait fes leçons, 8c je fupol'e qu'il<br />
y avoit de* degrés au l'unique <strong>du</strong> Pœcilc ,- où il fe ttsoit,<br />
Se que c'elt de ce portique que parle Diogène<br />
LacAc.
$4 Z Ê N O K.<br />
Zenon, Antigone dit qu'il avoit perdii en lui utl<br />
homme qu'il n» pouvoit affez admirer, & qu'it<br />
envoya Thrafon aux Athéniens pour les prier<br />
d'enterrer le corps <strong>du</strong> Philofophe dans la-place<br />
Céramique. O» demandent à ce Prince pourquoi<br />
il admtroit tant Zenon.- 11 répondit que c'étoit<br />
» parce que ce Philofophe, malgré les grands<br />
» préfens qu'il avoit reçus de lui, n'en étoit<br />
» devenu ni plus orgueilleux, ni plus hu-<br />
» milié»<br />
Zenon étoit fort curieux, & aportoit Beaucoup<br />
de foin à fes recherches. De là vient que<br />
Timon , dans fes Fers fatiriques, l'apoftrophe èii<br />
ces termes :<br />
J'ai vu une vieille goulue de Phénicienne à<br />
't'ombre de fon orgueil, avide de tout ; mais ne retenant<br />
rien, non plus ' qu'un petit panier percé, &<br />
ayant moins cFeJprit qu'un violon. ( i )<br />
Il étudioit avec Philon le Dialecticien. Comme<br />
étant jeune, H difputoït affidûment avec lui;<br />
cette fréquentation l'accoutuma à n'avoir pas<br />
moins d'admiration pour ce compagnon d'étude<br />
que pour Diodore fon Maître, (i)<br />
Zenon avoit fouvent autour de lui des gens<br />
mal-propres & mal vêtus ; ce qui donna occafion à<br />
fi) Eritme tra<strong>du</strong>it le nrot de l'original *» infirmant<br />
m ijnttre cordts. C'étoit aparemmenc une efpice _de vio-<br />
(i) Il y » des variations far ce paflige.
Z E N O N . S^<br />
Timon de l'accufer qu'il aimoit à attrouper tout<br />
ce qui fe trouvoit de gens pauvres & inutiles<br />
dans la ville. Il avoit l'air trifte & chagrin, ridoit<br />
le front, droit la bouche, & paroiffoit fort groC<br />
fier.il étoit d'une étrange lézine, mais qu'il traitoif<br />
de bonne économie.Il reprenoit les gens d'une manière<br />
concife & modérée, en amenant la chofe de<br />
loin. Par exemple , il dit à un homme fort<br />
affeâé., qui paffoit lentement par-deffus un égout:<br />
Il a raifonde craindre la boue ; car il n'y a pas<br />
moyen de s'y mirer. Un Philofophe Cynique,'<br />
n'ayant plus d'huile dans fa phiole, vint le prier<br />
de lui en donner. Il lui en refufa ; & comme il<br />
s'en alloit, il lui dit de confidérer qui des deux<br />
étoit le plus effronté. Un jour qu'il fe fentoit<br />
de la difpofition à la volupté, & qu'il étoit affil<br />
avec Cléanthe auprès de Chrémonide, il fe leva<br />
tout à coup. Cléanthe en ayant marqué delà furprife:<br />
Tai apris, dit-il, que les tons Médecins ;<br />
ne trouvent point de meilleur remède que 1èrepos<br />
contre les inflammations. Il étoit couché à<br />
un repas au-deffus de deux perfonnes , dont l'une<br />
pouffoif l'autre <strong>du</strong> pied. S'en étant aperçu", il<br />
fe mit auffi à pouffer <strong>du</strong> genou, & dit à celui qui<br />
fe retourna fur lui : Si cela vous incommode, corn-'<br />
bien n incommodez-vouspas votre voifin ? Un homme<br />
aimoit beaucoup les enfans : Sacheç , lui dit<br />
Zenon , que les Maîtres qui font toujours avec Us<br />
enfans, n'ont pas plus d'efprit qu'eux. Il difoit
86 Z É N O N.<br />
que ceux dont les difcours étoientbien rangés J<br />
coulans & fans défaut, reffembloient à la monnûye<br />
d'Alexandrie, qui quoique belle & bien marquée<br />
, n'en étoit pas moins de mauvais alloi :<br />
au lieu que lés propos d'autres, où il n'y avoit<br />
ai'fuite , ni exactitude , étoient comparables<br />
aux pièces Attiques de quatre dragmes. Il<br />
ajoutoit que la négligence furpafloit quelquefois<br />
l'ornement dans les expreffions , & que fouvent<br />
la {implicite de l'élocution de l'un entraîncit<br />
celui qui faifoit choix de termes plus élevés.<br />
Un jour qu'Arifton , fon difciple , énonçoit<br />
mal certaines chofes , quelques-unes hardiment<br />
, & d'autres avec précipitation : // faut<br />
croire, lui dit-il , que votre père vous a engendré<br />
if&ns un moment d'yvrefj'e. 11 l'apelloit babillard,<br />
avec d'autant plus de raiibn , qu'il étoit lui-même<br />
fort laconique. Il fe trouva à diner avec un<br />
grand gourmand qui avaioit tout, fans rien lauTer<br />
aux autres. On fervit un gros poiffon , il le tira<br />
vers lui comme s'il avoit voulu le manger feul,<br />
& l'autre l'ayant regardé , il lui dit ; Si vous ne pow<br />
i veç un feul jour fouffrir ma gourmandife, combien<br />
penfeç-vous que la vôtre doive journellement déplaire<br />
à vos camarades i Un jeune garçon faifoit<br />
des queftions plus curieufes que ne comportoit fon<br />
âge, il le mena vis-à-vis d'un miroir : Voyt{ »<br />
lui dit- il , regarde^ -vous , & juge^ fi vos<br />
queftions font afforlies à votre jeunefft. Quel-
Z Ê N O tf.' %f<br />
qu'un trouvoit à redire à plufieurs penfée»<br />
d'Antifthène. Zenon lui prefenta un Difcours de<br />
Sophocle, St lui demanda s'il ne croyoit pas,<br />
qu'il contint de belles & bonnes chofes ? L'autre<br />
répondit qu'il n'en fçavoit rien. N'ave[-vous doncpas<br />
honte , reprit Zenon , de vous fouvenir de ce<br />
qu' Antijlhènc peut avoir mal dit , & de négliger<br />
i'aprendre ce qu'on a dit de bon ? Un autre ia<br />
plaignoit de la brièveté des difcours des Philofo*<br />
phes : Vous avc{ raifon , lui dit Zenon ; il faudroit<br />
même, s'il ètoit pojjible , qu'ils abrégeaffent<br />
ju/qu'àleurs fyllabes. Un troifiétneblâmoit Polé-^<br />
mon de ce qu'il avoit coutume de prendre une<br />
matière & d'en traiter une autre. Ace reproche<br />
il fronça le fourcil, & lui fit cette réponfe : Ilparoît<br />
que vousfaifie^grandcas de ce qu'on vous don",<br />
noit. ( i ) Il difoit que celui , qui difpute de<br />
quelque chofe , doit reffembler aux Comédiens ,<br />
avoir la voix bonne & la poitrine forte ; mais na<br />
pas trop ouvrir la bouche ; coutume ordinaire de*<br />
grands parleurs, qui ne débitent que des fadaifes.<br />
Il ajoutoit que ceux qui parlent bien , avoient<br />
à imiter les bons Artifans, qui ne changent point<br />
de lieux pour fe donner en fpeftacle ,, & que<br />
ceux qui les écoutent , doivent être fi atten-*<br />
tifs, qu'ils n'ayent pas le tems de faire des re-;<br />
(•) Allufion à ce que Polcmon enfeignoic pour rieiw<br />
f TH&crtllts.
$8 Z E N O N .<br />
marques. (i) Un jeune homme , parlant beaucoup<br />
en fa prefence , il l'interrompit par ces pa-<br />
«P ** i rôles : Mes oreilles fe font fon<strong>du</strong>es dans ta langue,<br />
CPT avis ^a. JJ répondit a un bel homme qui ne pouvoit<br />
fe figurer que le Sage dût avoir de l'amour,<br />
1/Z n'y a rien de plus miférable que l'homme qui<br />
brille par la beauté <strong>du</strong> corps. Il accufok la plupart<br />
des Phîlofophes de manquer de fageffe dans<br />
les grandes chofes, & d'expérience dans les petites,<br />
& qui font fujettes au hazard. Il citoit<br />
Daphefius fur ce qu'entendant un de fes difciples<br />
entonner un grand air de Mufique, il lui donna un<br />
coup pour lui aprendre que ce n'eft pas dans la<br />
grandeur d'une chofe que confifte fa bonté ; mais<br />
que fa bonté eft renfermée dans fa grandeur. Un<br />
jeune drôle difputoit'plus hardiment qu'il ne lui<br />
convenoit : Jeune homme ,lui dit Zenon ,je ne te<br />
dirai pas ce que j'ai rencontré aujourd'hui. On raconte<br />
qu'un autre jeune homme Rhodien, beau,'<br />
riche, mais qui n'avoit d'autre mérite de plus,<br />
vint fe fourrer parmi fes difciples. Zenon , qui<br />
ne fe foucioit pas de le recevoir, le fit d'abord<br />
affeoir fur les dégrés, qui étoient pleins de pouf,<br />
fiére, afin qu'il y falît fes habits. Enfuite il le<br />
mit dans la place des pauvres, à deffein d'acheyer<br />
de gâter fes ajuftemens, jufqu'à ce qu'enfin<br />
(O Selon Kjtknim , il faut tra<strong>du</strong>ire , défaire ici gtfiei<br />
fafUHdifemtnr i l'un vaut l'autre pour le itns.<br />
(O C'eft. à-dire qu'il dévoie écoutée autant qu'il parloir.<br />
le
Z E N O N . 89<br />
le jeune homme, rebuté de ces façons, prit le<br />
parti de fe retirer.<br />
Il difoit que rien ne fied plus mal que l'orgueil<br />
, fur-tout aux jeunes gens, & qu'il ne fuffit<br />
pas de retenir les parafes & les termes d'un bon<br />
difcours ; mais qu'il faut s'apliquer à en faifir<br />
Tefprit, afin de ne pas le recevoir comme on<br />
avale un bouillon, ou quelque autre aliment. 11<br />
recommandoit la bienfeance aux jeunes gens dans<br />
leur démarche , leur air & leur habillement, &C<br />
leur citoit fréquemment ces vers d'Euripide fur<br />
Capanée.<br />
Quoi qu'il eût de quoi vivre, il ne Sénorgucilliffoit<br />
pas de fa fortune ; il n'avoitpasplusde vanité que<br />
n'en a un nécejjîteux. Zenon foutenoit que riea'<br />
ne rend moins propre aux Sciences que la Poèfie y<br />
&queletems étoit de toutes les chofes,celle<br />
dont nous avons le plus befoin. Interrogé fur ce<br />
qu'eft un ami, il dit que c'étoit un autre foi-mêmei<br />
On raconte qu'un efclave qu'il puniflbit pour<br />
caufedevol", imputant cette mauvaife habitude<br />
à fa deftinée,il répondit : Elle a aujffiréglé que<br />
tu en ferois puni. Il difoit que la be.auté eft l'agrément<br />
(ï) de la voix ; d'autres veulent qu'il ait<br />
dit que la voix eu l'agrément de la beauté. Le<br />
Domeftique d'un de fes amis parut devant lui ><br />
tout meurtri de coups ; Je vois >dit-il au Maître,<br />
( •.} il y * dam feGtec , h fient de la voir.<br />
Tome <strong>IL</strong> H
ço Z E N O N .<br />
les marques de votre paffion. Examinant quelqu'un<br />
qui étoit parfumé , il s'informa qui étoit cet<br />
homme qui fentoit la femme. Denys le Transfuge<br />
, demandoit à Zenon d'où vient il étoit le<br />
feul à qui il n'adreffât point de corre&ions ; il<br />
tépondit que c'étoitparce qu'il n'avoitpoint de cow<br />
fiance en lui. Un jeune garçon parloit inconsidérément<br />
: Nous avons, lui dit-il, deux oreilles & •<br />
«ne feule bouche, pour nous aprendre que nous<br />
devons beaucoup plus écouter que parler. Il affiftoit à<br />
lin repas , où il ne difoit mot : on voulut en fçavoir<br />
la raifon : Afin, répondit-il, que vous ra~<br />
portiez au Roi qu'il y a ici qutlqu'un qui fçaitfc<br />
taire. Il faut remarquer que ceux à qui il fai-<br />
•foit cette réponfe, étoient venus exprès» de la part<br />
de Ptolomée pour épter la con<strong>du</strong>ite <strong>du</strong> Philosophe<br />
& en faire raport à leur Prince. On demandoit<br />
à Zéhon comment il en agiroit avec un<br />
•homme qui l'accahlerort d'injures : Comme avec<br />
un Envoyé que Pon congédie fans réponfe, repliqua-<br />
Vil. Apollonius Tyrien raporte que Cratès le<br />
tira par fon habit pour l'empêcher de fuivre Stilpon<br />
, & que Zenon lui dit : Cratès, on ne peut bien<br />
prendre les_ Philofophes que par l'oreille. Quand<br />
•vous m'aurez perfuadé, tirez-moi par là ; autrement<br />
fi vous me faites violence, je ferai bien prefent de<br />
torps auprès de vous ,' mais j'aurai l'efprit auprès<br />
dt Stilpon.<br />
Hippobote dit qu'il converfa avec Diodore
Z E N O N . 91<br />
fous lequelils'apliqua à la Dialectique. Quoiqu'il<br />
y eût déjà fait de grands progrès, il ne laiiToit<br />
pas, pour dompter fon amour-propre, de courir<br />
aux inftruôions de Polémon. On raconte qu'à<br />
cette occafion celui-ci lui dit : » En vain, Zenon ,<br />
» vous vous cachez ; nous fçavons que vous vous<br />
» gliflez ici par les portes de notre jardin pour<br />
» dérober nos Dogmes,que vous habillez enfuite<br />
» à la Phénicienne. » ( 1 ) Un Dialecticien lui <strong>mont</strong>ra<br />
fept idées de Dialectique dansunSyllogifme»<br />
apellé mefurant. (2) Il lui demanda ce qu'il en<br />
vouloit, & l'autre en ayant exigé cent drachmes<br />
, il en paya cent de plus , tant il étoit curieux<br />
de s'inflruire. *VYi0$*+v**>* r -<br />
On prétend qu'il eft le premier qui employa<br />
le mot de devoir , & qu'il en fit un Traité. Il<br />
changea aufli deux vers d'Héfiode de cette manière<br />
: Il faut aprouver celui qui s'inftruit de ce qu'il entend<br />
dire de bon ; & plaindre celui qui veut tout aprer. - ?»«*&.<br />
dreparlui-même.(y) Il croyoit en effet que tel,<br />
qui prêtoit attention à ce que l'on difoit, & fçavoit<br />
en profiter, étoit plus louable que tel autre qui<br />
devoittoutes fesidées à fes propres méditations,<br />
parce que celui-ci ne faifoit paroître que de l'in-<br />
(1) Diodore étoit de la Seâe Megarique. CîS Philofopies<br />
enfeignoient dan; un jardin, hiinuge.<br />
(t) C'eft le nom d'une efpéee de S^llo;',ifme. Les Ancien*<br />
apellcri;nc leurs Syllogilmes de divers noms.<br />
ilJ tHHode ivoit dû tout le contraire.<br />
H:
g* Z Ê N O In<br />
telligence , au lieu que [celui-là , en fe laiflant<br />
perfuader , joignoit la pratique à l'intelligence»<br />
On lui.demandoit pourquoi, lui qui étoit fLféïieux<br />
, s'égayoit dans un repas ? Les lupins, dit—<br />
51, quoiqu'améres, perdent leur amertume dans Veau*<br />
Hécaton, dans le deuxième livre de fes Chriest<br />
confirme qu'il fe relâchoit de fon humeur dans .<br />
ces fortes d'occafions , qu'il difoit qu'il valoit<br />
mieux cheoir par les pieds que par la langue, Sc~<br />
que quoiqu'une chofe ne rut qu'à peu près bien<br />
faite, elle n'en étoit pas pour cela une de peu<br />
d'importance. D'autres donnent cette penfée à<br />
Socrate.<br />
Zenon, dans fa manière de vivre, pratiquok<br />
ta patience & la {implicite. Ilfe nourrifToit de chofes<br />
qui n'avoient pas befoin d'être cuites , & s'habilloit<br />
légèrement. De là. vient ce qu'on difoit<br />
de lui, qaenilès rigueurs de fhyver, ni les pluies %<br />
ni tardeur <strong>du</strong> foleil , ni les. maladies accablantes<br />
, ni tout ce quon eftime communément' , ne purent<br />
jamais vaincre fa confiance , laquelle égala toujours<br />
FaJJi<strong>du</strong>ité avec laquelle il s'attacha jour 6» nuit<br />
à l'étude. —<br />
Les Poètes Comiques même n'ont pas pris garde<br />
que leurs traits envenimés tournoient à fav<br />
louange, comme quand Philémon lui reproche;<br />
dans une Comédie aux Philafaphes*<br />
Ses mets font des figues, qu'il mange avec <strong>du</strong><br />
gaini fi boijfan. «J2 l'eau claire*. Ce genre de «ft
ZêNON: M<br />
/accorde avec une nouvelle Philofophie qu'il enfe^<br />
gne, & qui confifle à en<strong>du</strong>rer la faim i encore ne laifi<br />
fc-t il pas de s'attirer des difciples.<br />
D'autres attribuent ces vers à Pofidippe. Aurefte<br />
il eft même prefque parte en Proverbe de<br />
dire: Plus tempérant que lePhilofophe Zenon. Po»<br />
fidippe, dans fa Pièce intitulée , Ceux qui ont<br />
changé de lieu , dit : Dix fois plus fobre que Zenon.<br />
En effet, il fûrpaflbir tout le monde, tant <strong>du</strong><br />
eôté de la tempérance & de la gravité, qu'à l'égard<br />
de fon grand âge, puisqu'il mourut âgé de quatre-vingt-dix-huit<br />
ans qu'il pafla heureufement<br />
fans maladie,. quoique Perfée, dans fes Récréations<br />
Morales, ne lui donne que Soixante & douze<br />
ans au tems de fon décès. Il en avoit vingtdeux,<br />
lorfqu'il vint à Athènes, & préiîda à fore<br />
école cinquante-huit ans, à ce que dit Apollonius»<br />
Voici qu'elle fut fa fin. En fortant de fon école ,<br />
il tomba & fe caffa un doigt. Ii fe mit alors à.<br />
fraper la terre de fa main, & après avoir proféré<br />
ce vers de la Tragédie de Niobé, Je viens ±.<br />
pourquoi, mapelles-tu ? Il s'étrangla lui-même»<br />
Les Athéniens l'enterrèrent dans la place Céramique<br />
, & rendirent témoign;geàfa-vertu, en fta—<br />
tuant à fon. honneur Te Décret dont nous avons»<br />
parlé. L'Epigrarome fuivante eft celle qu'Antipar<br />
ter de Sidon compofa à fa louange.<br />
Cifft Zinan.t qui fit Ut délices de Cittie fap*.-
$4 Z E N O N .<br />
trie. Il eft <strong>mont</strong>é dans l'Olympe , non en mettant<br />
le <strong>mont</strong> OJfafurle <strong>mont</strong> Pelion ; car ces travaux ne<br />
font pas des effets de la vertu d'Hercule. La fagejfe<br />
feule lui a fervi de guide dans la route qui<br />
mène fans 1 détour au Ciel. •<br />
Celle-ci eft de Zénodotele Stoïcien, difciple<br />
de Diogène.<br />
Zenon, toi dont le front chauve fait te plus bel<br />
ornement, tu as trouvé Fart de fefuffre à foi-même<br />
dans le mépris d'une vaine richeffe. Auteur d'une<br />
fcience mâle, ton génie a donné ndiffance à une<br />
Sede , qui eft la mère d'une courageufe indépendante.<br />
L'Envie ne peut même te reprocher d'avoir eu<br />
la Pkénicie pour patrie. Mais ne fut-elle pas celle<br />
de Cadmus , à qui la Grèce eft redevable de la fource<br />
où elle a puifé fon érudition ? "Athénée, Po ë te<br />
Epigrammatifte, en a fait une fur tous les Stoïciens<br />
en général ;la voici.<br />
O vous ! Auteurs des maximes Stoïciennes, vous<br />
dont les faints ouvrages contiennent les plus excellentes<br />
vérités , que vous ave[ raifon de dire que la<br />
vertu eft le feul bien de F Ame ! Elle feule protège<br />
la vie des hommes , & garde les Cités. Si d'autre<br />
regardent la volupté corporelle comme leur dernière<br />
fin, ce n'eft qu'une des Mufts qui le leur a perfuadé.(i)<br />
,<br />
|i) C'eft-à dire Tha'.ie , nom d'une des Grâces de I*<br />
labié , 8c aûtfi d'une des Mufes qui préfidoit fur les<br />
énits de La. teite. De U vienc «pie Thalie ftgniie q,uel-
Z E N O N . çç<br />
Aux particularités de la mort <strong>du</strong> Philofophe<br />
J'ajouterai des vers de ma façon inférés dans<br />
mon Recueil de vers de toutes fortes de me»<br />
fur es.<br />
On varie fur le genre de mort de Zenon de Citt'u.<br />
Les uns veulent qu'il finit fa vie , épuifé d'années<br />
;les autresfoutiennent qu'il la perdit pour s'être<br />
privé de nourriture ; quelqu'autres encore prétendent<br />
que s'étant blejfè par une chute, ilfrapa la terre de<br />
fa main & dit : » Je viens de moi-même, ô mort l<br />
» pourquoi m'apelles-tu » i<br />
En effet, il y a des Auteurs-qui affurent qu'il<br />
mourut de cette dernière manière, & voilà ce<br />
qu'on a à dire fur-la mort de ce Philofophe. Dé»<br />
métrius de Magnéfie, dans fon livre des Poètes<br />
de même nom, raporte que Mnafée » père de<br />
Zenon, alloit fouvent à Athènes pour fon négoce;<br />
qu'il en raportoit des ouvrages philofophiques<br />
des difciples de Socrate ; qu'il les donnoit<br />
à fon fils ; que celui-ci, qui n'étoit encore qu'un<br />
enfant, prenoit déjà dès-lors <strong>du</strong> goût pour<br />
la Philofophie ; que cela fut caufe qu'il quitta<br />
fa patrie & vint à Athènes , où il s'attacha à<br />
Cratès. Le même Auteur ajoute qu'il eft vraifemblable<br />
qu'il mit fin aux erreurs eu l'oa»<br />
r fois r» volupH» Voyez le Triftr fZùennt. ta fin<br />
c-j vers paroîs défigner les Epicuriens, liéitot»». Au»<br />
t«ft« Diogèn* Macs, le* a. de> i»B°Mfc 4»»s 1»- »" « An»<br />
(Utiitac.
96 Z E N O N .<br />
4toit tombé au fujet des Enonciations. ( tj<br />
On dit auffi qu'il juroit par le Câprier, (*) cornaie<br />
Socrate par le Chien. Il y a cependant de»<br />
Auteurs , <strong>du</strong> nombre defquels eft Caffius le Pyr—<br />
rkonien, qui acculent Zenon ;• premièrement, de<br />
ce qu'au commencement de fa République il avance<br />
que l'étude des Humanités eft inutile ; en fécond<br />
lieu de ce qu'il déclare efclaves & étrangers,<br />
ennemis les uns des autres, tous ceux qui<br />
ae s'apliquent pas à la vertu, fans même- exclure<br />
les parens à l'égard de leurs enfans, les,fre^<br />
res à l'égard de leurs frères , & les proches,.<br />
les uns à l'égard des autres. Ils l'accufent de<br />
plus d'àflurer dans fa République r qu'il n'y a que<br />
ceux qui s'adonnent à la vertu, à "qui apartienne<br />
réellement l'a qualité de parens, d'amis, de<br />
citoyens & de perforines libres ; de forte que le*<br />
Stoïciens haïflent leurs parens & leurs enfans qui<br />
ne font pas profeffion d'être fages. Un autre<br />
grief eft d'avoir enfeigné ,. comme Platon dansfâ<br />
République, que les femmes doivent être communes<br />
, Sa. d'avoir infinué dans un ouvrage, qui<br />
contient deux cens verfets, (3) qu'il ne faut<br />
avoir<br />
(i) Terme de" Logique ,
Z É N O N. yf<br />
•voir dans lès villes ni Temples, ni Tribunaux;'<br />
de juftice , ni Lieux d'exercice ; qu'il eft à pro-,<br />
pos de ne pas fe pourvoir d'argent, foit pour,<br />
voyager, ou pour faire des échanges ; que les;<br />
hommes & les femmes doivent s'habiller uniformément<br />
, fans laifler aucune partie <strong>du</strong> corps h<br />
découvert.<br />
Chryfippe, dans fon livre fur la République!<br />
attefte que celui de Zenon fous le même titre eft<br />
de la compofttion de ce Philofophe. Il a au(fi<br />
écrit fur l'amour dans le commencement d'un ouvrage<br />
, intitulé, de Part d'aimer. Il traite encore<br />
de pareils fujets dansfes Converfations. Quelques-uns<br />
de ces reproches, qu'on fait aux Stoïciens<br />
fe trouvent dans Caffius & dans le Rhéteur<br />
Ifidore, qui dit, que le Stoïcien Athénodo.<br />
re, à qui on avoit confié la garde de la bibliothèque<br />
de Pergame , biffa des livres des Philosophes<br />
de fa Secte tous les paffages dignes de cenfure<br />
; mais qu'enfuite ils furent reftitu'és lorf*<br />
qu'Athénodore ayant été découvert, courut rifaue<br />
d'en être puni (i). Voilà pour ce qui regarde<br />
les dogmes qu'on condamne dans les Stoïciens.<br />
(i) Le fçavant le Clerc a fait ufage de eei exemple dam<br />
ton llrr Criutm , T. t. p. »77- où il parle des corn ptioni<br />
ftau<strong>du</strong>leufes des Manufcm» , & on peut remarqu-r , pac<br />
L temple même , que ce qui empêche qu'on ne p.ifle.<br />
-nfttetde la le Pytrhonifmehiftanque , c^eft que des coriuptions<br />
conlUérables , tomme celle-là, nepcuvoicut Su«.<br />
,c« teftei rachées.<br />
Tome II. *•
58 Z E N O N .<br />
Il y a eu huit Zénons. Le premier eft celui<br />
«l'Elée, <strong>du</strong>quel nous parlerons ci-après. Le fe-<br />
' cond eft le Philofophe dont nous avons décrit la<br />
Vie. Le troifieme , natif de Rhodes, a donné<br />
en un volume l'Hiftoire de fon pays. Le quatrième,<br />
Hiftorien, a traité de l'expédition de Pyrrhus<br />
en Italie & en Sicile, outre un Abrégé •;<br />
qu'on a dclui, des Faits des Romains & des<br />
Carthaginois. Le cinquième, difciple'de Ghryfippe<br />
» a peu écrit, mais a laiffé beaucoup de difeiples.<br />
Le fixiéme qui fut Médecin de la Seâe<br />
é'Hérophile, avoit <strong>du</strong> génie, mais peu de capacité<br />
pour écrire. Le feptiéme ; Grammairien, a<br />
compofé des Epigrammes & d'autres chofes. Le<br />
Kuitiéme , natif de Siden & Philofophe Epicurien<br />
; avoit tout à la fois de l'efprit & <strong>du</strong> talen 1<br />
, pour rélocution.<br />
Zenon eut beaucoup de dïfciples, dont les<br />
plus célèbres furent Perfée.Cittien, & fils de Détnétrius.<br />
Quelques-uns le font ami, d'autres domeftique<br />
de Zenon, & l'un de ceux qu'Antigone<br />
lui avoit envoyés pour l'aider à écrire. On dit<br />
auffi que ce Prince lui confia ['é<strong>du</strong>cation de foa<br />
fils Alcyonée, & que vbulant fonder fes fentimens,<br />
il lui fit porter la fauiïe nouvelle que les<br />
ennemis avoîent ravagé fes terres. Comme Perr<br />
fée en témoignoit <strong>du</strong> chagrin : » Vous voyez ,<br />
» lui dit Antigone, que les richefles ne font pas<br />
» indifférentes ». On lui attribue les ouvrages,
Z É N O fT. 9g<br />
fcivans : De la Royauté. De la République de La;<br />
tidémone. Des Noces. De t'Impiété. Thyefte. De.<br />
l'Amour. Des Difcours d'exhortation. Des Conver^<br />
Cations. Quatre Difcours,int\tMs,Chries.Des Cou*,<br />
mentaires , ôcfept Difcours fur les Lo'ix de Platon^<br />
Zenon eut encore pour difciples Arifton da<br />
Chio , fils de Miltiade, lequel intro<strong>du</strong>isît le dogme<br />
de l'Indifférence (i) ; Herille de Carthage,'<br />
qui établiflbit la fcience pour fin ; Denys d'Héxaclée<br />
, qui changea de fentiment pour s'abandonner<br />
à la volupté, à caufe d'un mal qui lui Survint<br />
aux yeux, dont la violence ne lui permettoit<br />
plus de Soutenir que la douleur eft indifférente ;<br />
Sphérus, natif <strong>du</strong> Bofphore ; Cléonthe d'Aile ,<br />
fils de Phanius, qui fuccéda à l'école de fon Maître.<br />
Zenon avoit coutume de le comparer à ces<br />
tablettes en<strong>du</strong>ites de cire forte , fur lefquelles les<br />
caraâéres fe tracent avec peine ; mais s'y confervent<br />
plus long-tems. Au refte après la mort de<br />
Zenon , Sphérus devint difciple de Cléanthe,<br />
dans la Vie <strong>du</strong>quel nous nous réfervons de parler<br />
de ce qui le regarde perfonnellement. Hippobote<br />
range au nombre des difciples de Zenon Athénoclore<br />
de Soles , Philonide de Thébes, Calippe<br />
de Corinthe, Pofidonius d'Alexandrie StZénoa<br />
de Sidon.<br />
,ïOO Z E N O N .<br />
- J'ai crû qu'il étoit à propos d'expofer en gêW<br />
•néral les dogmes des Stoïciens dans la Vie particulière<br />
de Zenon , puisqu'il en a inftitué la<br />
Seâe. Nous avons une lifte de Tes ouvrages, qu l<br />
font plus fçavans que ceux de tous fes feétateurs*<br />
Voici les fentimens qu'ils tiennent en commun}<br />
nous les raporterons fommairement à notre ordinaire.<br />
Les Stoïciens divifent la Philofophie en trois<br />
parties ; en Phyfique , Morale, & Logique. Cette<br />
divifion, faite premièrement par Zenon le Cit-t<br />
tien dans fon Traité <strong>du</strong> Difcours, a été enfuite<br />
adoptée par Çhryfippe dans la première partie de<br />
fa Phyfique, par Apollodore Ephillus ( i ) dans<br />
le premier livre de fon Intro<strong>du</strong>âion aux Opinions, .<br />
par Eudromus dans fes Elimcns de Morale, par<br />
Diogène de Babylone & par Pofidonius. Apollodore<br />
donne à ces diverfes parties de la Philofophie<br />
le nom de Lieux, Çhryfippe & Eudromus<br />
celui i'Efpéces ; d'autres les apellent Genres»<br />
Ils comparent la Philofophie jà un Animal, dont<br />
ils difent, que les os &les nerfs font la Logique»<br />
les chairs la Morale , & l'ame la Phyfique. Ils<br />
la mettent auffi en parallèle avec un oeuf, dont<br />
ils apliquent l'extérieur à la Logique , ce qui<br />
fuit à la Morale, & l'intérieur à la Phyfique. Ils.<br />
< i ) Mi»*g> couig« le nom ËfhiUui ; il'cft Polluant dan<br />
YcjfiHs, Hiit. Gr.
Z É N O N. îox<br />
tmployent encore la comparaifon d'un champ<br />
fertile, dont ils prennent figurément la haye pour<br />
la Logique, les fruits pour la Morale , & la terre<br />
ou les arbres pour la Phyfique. D'autres fe re»<br />
prefentent la Philofophie comme une Ville bien<br />
entourée de murailles & fagement gouvernée.,<br />
fans donner la préférence à aucune des trois parties.<br />
Quelques - uns même parmi eux les prennent<br />
pour un mélange qui conftitue un corps de<br />
fcience, & les enfeigncnt indiftinâetnent comme<br />
mêlées enfemble.<br />
Il y en a qui, ainii que Zenon dans fon livre<br />
<strong>du</strong> Difcours , Chryfippe, Archedème & Eudromus,<br />
admettent la Logique pour la première, la<br />
Phyfique pour la féconde , & la Morale pour la<br />
troifiéme. Diogène de Ptolemaïs commence par<br />
la Morale, & Apollodore la place dans le fécond<br />
ran?. Phanias , au premier livre des Amufemeni<br />
de Pojîdonius, dit que ce Philofophe fon ami, de<br />
même que Panetius, commencent par la Phyfique.<br />
Des trois parties de la Philofophie, Cléanthe en<br />
fait fix, la Dialeâique, la Rhétorique, la Morale<br />
, la Politique , la Phyfique & la Théologie»<br />
D'autres font <strong>du</strong> fentiment de Zenon de Tarfe,<br />
qui regarde ces parties, non comme une divifton<br />
de difcours , mais comme différentes branches<br />
de la Philofophie elle-même.<br />
La plupart partagent la Logique en deux fciences,<br />
dont Tune eft la Rhétorique, & l'autre la<br />
I3
*o* Z Ê N O N.<br />
Dialeâique, à quoi quelques - uns ajoutent une<br />
«fpéce de fcience définie , qui a' pour objet le*<br />
régies 6c lesjugemens ; mais que quelques autres,<br />
divifent de nouveau, eft tant que concernant les<br />
régies & les jugemens, elle con<strong>du</strong>it à découvrir<br />
la vérité , à laquelle ils raportent la diverfité<br />
des opinions. Ils fe ferrent de cette fcience<br />
définie pour reconnoître la vérité, parce que c'eft<br />
par les idées qu'on a des chofes, que fe conçoivent<br />
les chofes mêmes. Les Stoïciens apellent<br />
la Rhétorique, tArt de bien dire 6> de perfuader<br />
, & nomment la Dialeâique la Méthode dt<br />
raifonner proprement par demandes &réponfes; aufli<br />
la définiflent-ils de cette manière : La Science dt<br />
tonnoître le vrai,& le faux , 6> ce qui n'eft ni l'un ,<br />
ni l'autre, (i) Ils aifignent à la Rhétorique trois<br />
parties , qui confident à délibérer, à' juger & à<br />
dé<strong>mont</strong>rer. Ils y diflinguent l'invention, l'expremon,<br />
l'arrangement , l'a&ion, & partagent<br />
un difcours oratoire en éxorde , narration , réfutation<br />
& conclufion. Ils établirent dans 1»<br />
Dialeâique une divifion en chofes dont la figure<br />
. porte la fignification, & en d'autres dont la connoiflance<br />
git dans la voix (2 ), celles-ci étant en-»<br />
core divifées en chofes déguifées fous la fiâion ^<br />
& dont le fens dépend de termes propres , d'à-*<br />
ii) Jt crois que cela veut dite vraifembltbU*<br />
(»} éH Grec îtt*x de U vwf, \
Z E N O N . IOî<br />
tributs & d'autres chofes femblables, de genre*<br />
& d'efpéces directes, de même que <strong>du</strong> difcours,<br />
des modes & des fyllogifmes, tant de ceux de<br />
mots que de ceux de chofes, tels que les argumens<br />
vrais & faux, les Négatifs & leurs pareils<br />
, les dcfcHucux, les ambigus, les concluant> -<br />
les cachés & les cornus , les impcrfonnels & le»<br />
me fur ans ( i ). Suivant ce que nous venons de MMU^"<br />
dire de la voix, ils en font un lieu particulier de *•«*•*<br />
Ja Diale&ique , fondés fur ce que par l'articulation<br />
on dé<strong>mont</strong>re certaines parties <strong>du</strong> raifonnement,<br />
les folécifmes, les barbarifmes, les vers,<br />
les équivoques , l'ufage de la voix dans le chant,<br />
la Mufique, & félon quelques-uns, les périodes ,<br />
les diviûons & les diftinftions.<br />
Ils vantent beaucoup les Syllogifmes pour leur<br />
grande utilité, en ce qtt'aigufant l'efprit, ils leur<br />
ouvrent le chemin aux démonstrations, qui contribuent<br />
beaucoup à reâiâer les fentimens.- Ils<br />
ajoutent que l'arrangemeat & la mémoire aident à<br />
débrouiller de fçavantes propofitions majeures,<br />
(z) que ces fortes de raifonnemens font propres<br />
à forcer le confentemeat & à former des<br />
fi) Ce font , comme on l'a remarqué plus haut, divers<br />
noms de Syllogirmes qu'on ne pourroit rendre autrement<br />
que par de longues périphrafes. L'argument , nommé im.<br />
ftrfmnel , eft expliqué a la fin de cette Dialettiquc ; ce<br />
font ceux qui ne déiigncnt perfonne.<br />
( ») Voyez le Trcfoi d'Etienne au mot Lmmt.<br />
14
*04 ï É N O N.<br />
conclufions;que le Syllogifme eft un difcours raiionné<br />
& fondé fur ces principes; la démonftration,<br />
un difcours
2 Ê N O N. îOf<br />
fce ; la réfiftance à la conviftion, de crainte<br />
qu'on ne fe lahTe enlacer par les argamens contraires<br />
; l'éloignement pour la faufleté & l'aflujettiffement<br />
de l'efprit à la faine raifon. Ilsdéfiuiffent<br />
la fcience elle-même, on une compréhenfion<br />
certaine, ou une difpofttion à ne point s'écarter<br />
de la raifon dans l'exercice de l'imagination.<br />
Ils foutiennent que le fage ne fçauroit<br />
/aire un bon ufage de fa raifon fans le fecours<br />
de la Dialeâique ; que c'eft elle qui nous aprend<br />
à démêler le vrai & le faux, à difcerner le<br />
vraifemblable , & à déveloper ce qui eft ambigu<br />
; qu'indépendamment d'elle, nous ne faurions<br />
ni propofer de folides queftions , ni rendre<br />
de pertinentes réponfes ; que ce dérèglement<br />
dans le difcours s'étend jufqu'aux effets qu'il<br />
pro<strong>du</strong>it, de manière que ceux , qui n'ont paf<br />
foin d'exercer leur imagination ^n'avancent qu:<br />
des abfurdités & des vétilles ; qu'en un mot ce<br />
n'eft qu'à l'aide de la Dialeûique que le Sage<br />
peutfe faire un fond de fagacité, de finefle d'ef.<br />
prit,& de tout ce qui donne <strong>du</strong> poids aux difcours,<br />
puifque le propre <strong>du</strong> Sage eft de bien parler, de<br />
répondre folidement à une queftion , autant de<br />
chofes qui apartiennent à un homme verfé dans<br />
la Dialeôique. Voilà en abrégé ce que penfent<br />
ces Philofophes fur les parties qui entrent dans<br />
la Logique.
fre« Z É N O K.<br />
*<br />
Mais pour dire encore en détail ce qui touche<br />
leur fcience intro<strong>du</strong>ctrice, nous rapporterons mot<br />
à mot ce qu'en dit Dioclès de} Magnéfie dans<br />
la Narration fur Us Philofophes.<br />
Les Stoïciens traitent premièrement de ce, qui<br />
regarde l'entendement 5c les fens, en tant que le<br />
moyen , par lequel on parvient à connoître 1*<br />
vérité des chofes, eft originairement l'imagination<br />
, & entant que l'acqurefcement, la compréhenfion<br />
& l'intelligence des chofes, qui va. devant<br />
tout le refte, ne peuvent fe faire fans l'opération<br />
de cette faculté. C'eft elle qui précède»<br />
«nfuite vient l'entendement, dont la fonction eft<br />
d'exprimer par le difcours ks idées qu'il reçoit<br />
de l'imagination.<br />
Au refte , elle diffère d'une impr.effion fan»<br />
tâftkjue. Celk-ci n'eft qu'une opinion de l'efprit r<br />
comme font les idées qu'on a dans le fommeil i<br />
au lieu que l'autre eft june impreffion dans l*ame,<br />
quiemportçun changement,comme l'établitChry»<br />
fippe dans fon douzième livre de Y Ame : car il<br />
ïie faut point confidérer cette imprefiîon comme<br />
fi elle reffembloit à celle que fait un cachet, parce<br />
qu'il eft impoflîble qu'il fé fafle plufieurs impreffions<br />
par une même chofe fur le même fujet.<br />
On entend par imagination, celle pro<strong>du</strong>ite par<br />
un objet éxiftant, imprimée & fcellée dans l'âme<br />
de la manière dont il éxiftent ; or , telle n'eft pas.<br />
l'imagination qui naîtroit d'un objet non éxiftant»<br />
\*.
Z E N O N . Ï07<br />
Les Stoïciens diftinguent les impreffions de<br />
l'imagination en celles qui font fenfibles, & celles<br />
qui ne le font point. Les premières nous<br />
viennent par le fens commun ( 1 ), ou par les<br />
organes particulières des fens. Les impreffions<br />
non fenfibles de l'imagination font formées par<br />
l'efprit, comme font les idées des chofes incorporelles,<br />
& en général de celles dont la perception<br />
eft l'objet de la raifon. Ils ajoutent que le»<br />
impreffions fenfibles fe font par des objets éxiftans,<br />
aufquels l'imagination fe foumet & fe joint »<br />
& qu'il y a auffi des impreffions aparentes de l'imagination,qui<br />
fe font de la même manière quecelles<br />
qui naiftent d'objets éxiftans. Ils diftinguent<br />
auffi ces impreffions en raifonnables & non raisonnables<br />
, dont les premières font celles des êtres<br />
doués de raifon; les fécondes celles des animaux<br />
qui n'en ont point. Celles-là, ils les apellent des<br />
ftnfits, & ne donnent point de nom aux fécondes.<br />
Ils diftingent encore les impreffions de l'imagination<br />
en celles qui renferment de l'Art ^<br />
& celles où il ne s'en trouve pas, parce qu'une<br />
image fait une autre impreffion fut un Artifte que<br />
fur un homme qui ne l'eft point. La fenfation ,'<br />
fuivant les Stoïciens , eft un principe fpirituel»<br />
qui tirant fon origine de la partie principale de<br />
(1) Le mot fignl£e ici l'organe commua det GrnùtioM»
*©* Z E N O N .<br />
I amë, atteint jufqu'aux fens. Ils entendent suffi<br />
par-là les perceptions qui fe font par les fens t St<br />
la difpofition des organes des fens, à laquelle il*<br />
attribuent la foibleffe d'efprit qui psrok dans quelques-uns.<br />
Ils nomment auffi fenfation Yaftion des<br />
fens.<br />
Au fentiment de ces Philofophes, il y a de»<br />
chofes que l'on comprend par les fens ; c'eft ainfi<br />
qu'on difcerne ce qui eft blanc d'avec ce qui eft<br />
noir, & ce qui eft rude d'avec ce qui eft moû.<br />
II y en a auffi d'autres que l'on conçoit par la<br />
raifon ; telles {ont les chofes qu'on aflemble par<br />
la vole de la démonftration, comme celles qui regardent<br />
les Dieux & leur providence.<br />
Ils difent que l'entendement connoît de différentes<br />
manières les chofes qu'il aperçoit ; le»<br />
unes par incidence , les autres par reflemblance ;<br />
d'autres par analogie , d'autres encore par tranfpofition<br />
; celles-ci par composition, celles-là par<br />
Qpofition. Par incidence , il connoît les chofes<br />
fenfiblés ; par reflemblance , les chofes dont<br />
l'intelligence dépend d'autres qui leur font a)oirites<br />
: c'eft ainfi qu'on connoît Socrate par fon image.<br />
L'analogie fait connoître les chofes qui<br />
emportent augmentation, comme l'idée de Titye<br />
& de Cyclope, & celles qui emportent diminution<br />
, comme l'idée de Pygmée : c'eft auffi<br />
par une analogie, tirée, des plus petits corps fphériques<br />
, qu'on juge que la terre a un centre*<br />
f/efprit penfe par tranfpofuion , lorfque pa*
ZENON. i
luo Z E N O N .<br />
la Dialeôique eft l'ufage de la voix, qu'ils définiffent<br />
un Airfrapé, ou comme dit Diogène de Babylone<br />
dans fon Syflime de l'Ouïe , l'objet particulier<br />
de ce fens. La voix des animaux n'eft qu'un effort<br />
qui frape l'air ; mais celle des hommes eft<br />
articulée, & tout-à-fait formée à l'âge de quatorze<br />
ans ou environ. Diogène la nomme un effet de<br />
la volonté de Vejprït. La voix eft auffi quelque<br />
chofe de corporel félon les Stoïciens , remarquent<br />
Archédeme dans fon Traité de la Voix,<br />
Diogène, Antipater & Chryfippe dans la deuxième<br />
partie de fa Phyfiquet, car tout ce qui pro<strong>du</strong>it<br />
quelque a&ion eft corporel, (i) &. la voix en<br />
pro<strong>du</strong>it une, en fe tranfportant de ceux qui parlent<br />
à ceux qui écoutent. La parole comme<br />
le raporte Diogène , eft , dans l'opinion des<br />
Stoïciens, la voix articulée, comme feroit cette<br />
expreftton : Il fait jour. Le difcours eft la voix<br />
pouffée par une a&ion de la penfée, & donnant<br />
quelque chofe à entendre. La dialeâe eft l'expreflion<br />
de la parole, confidérée entant qu'elle<br />
porte un certain caraftére, foit étranger , foit<br />
Grec, ou une expreffion, quelle qu'elle foit envifagée<br />
dans la manière dont elle eft conçue ,<br />
comme, par exemple, le terme de Mer en idiome<br />
Attique,8c celui de Jour en Dialeâe Ionique*<br />
(i) Voici, je crois, une trace <strong>du</strong> mot de Ctrpi, pris a*<br />
tens de fubfianu : cela vient i propos dans VMjltirc Ec<br />
stt/taftijur.
Z E N O N . ii*<br />
Les élémens de la parole font les lettres, au<br />
nombre de vingt-quatre. On confidére trois choies<br />
par raport à chacune , fa qualité d'élément ,<br />
fa figure & Ton nom , comme Alpha. Il y a<br />
fept voyelles, a, e, ee, i, o, u, oo, & fix muettes *<br />
b,g,d,k,p,t. La voix diffère de la parole<br />
en ce qu'un fon fait auffi une voix, & que la parole<br />
eft un fon articulé. La parole diffère auffi <strong>du</strong><br />
difcours, en ce qu'un difcours fignifie toujours<br />
quelque chofe ; au lieu qu'il y a des paroles qui<br />
n'emportent point de fignification, comme feroit<br />
le mot Blitri ; ce qui n'a jamais lieu par raport<br />
au difcours. Il y a auffi de la différence env<br />
tre les idées de parler & de proférer quelque<br />
chofe; car on ne profère que les fons, au lien<br />
qu'on parle des actions, de celles <strong>du</strong> moins qui<br />
peuvent être un fujet de difcours.<br />
Diogène dans fon Trahi de la voix , aînfl<br />
que Chryfippe, font cinq parties <strong>du</strong> difcours ,'<br />
le nom, l'apellation , le verbe , la conjonction<br />
& l'article ; mais Antipater y en ajoute<br />
une moyenne dans fon ouvrage fur les Diflions fi»<br />
les chofes qui fe difent. Selon Diogène, l'apellation<br />
eft une partie <strong>du</strong> difcours, qui fignifie<br />
une qualité commune » comme celle à'homme }<br />
ou de cheval ; le nom, une partie <strong>du</strong> difcours ,'<br />
donnant à connoître une qualité particulière ,'<br />
comme Diogène, Socrate ; le verbe, une partie<br />
<strong>du</strong> difcours, qui défigne un attribut fimple.ou,
tix Z E N O N .<br />
félon quieques - uns, un élément indéclinable dn<br />
difcours & qui fignifie quelque chofe de compofé<br />
par raport à un , ou à plufieurs , comme,<br />
J'écris , ou Je parle ; la conjonction, une partie<br />
•ndéclinable, qui unit les diverfes parties <strong>du</strong> difcours;<br />
l'article, un élément <strong>du</strong> difcours qui a<br />
les cas des déclinaifons, &qui distingue les genres<br />
des noms & les nombres, comme il, elle, iUi<br />
tlles. , .<br />
Le difcours doit avoir cinq ornemens, lhelrénifme,<br />
l'évidence, la brièveté, la convenance<br />
& la grâce. Par l'hellénifme on entend une diâion<br />
exempte de fautes, conçue en termes d'art, &<br />
non vulgaires; l'évidence, une expreflion diftincte<br />
& qui expofe clairement la penfée ; la brièveté<br />
renferme une manière de parler qui embraffe<br />
tout ce qui eft néceffaire à l'intelligence d'une<br />
chofe. La convenance requiert que l'expreffion<br />
foit apropriée à la cnofe dont on parle. La grâce<br />
<strong>du</strong> difcours confifte à éviter les termes ordinaires,<br />
(i) L e barbarifme eft une manière de<br />
parler vicieufe, & contraire à l'ufage des Grecs<br />
bien élevés ; le folécifme, un difcours, dont les<br />
parties font mal arrangées.<br />
• Le<br />
1 (,) La manière >de patler en termes ordinaires éioit ce<br />
qu'on apelloit Idiitifmc. Elle confiitoit à exprimer chaque<br />
chofe par les termes qui lui Soient prop:es , K<br />
c'étoit, dit-on, le ftyle des gens far., lctrres, 1 gloquen.<br />
ce confiftam à employa des termes recherches. Mtn*i*>
Z E N O N . nj<br />
Le vers , dit Pofidonius dans fon Intro<strong>du</strong>ttion<br />
« la Diélion, eft une façon de parler mefurée ,<br />
une compofition nombrée &puifée des régies da<br />
la profe. Ils donnent pour exemple de rythme ,<br />
ces mots fui-vans : Limmenfe Terre : Le divin<br />
Ether. La poëfie eft un ouvrage fignificatif en<br />
vers , & qui renferme une imitation des chofes<br />
divines & humaines.<br />
La définition eft , comme dit Antipater dans<br />
le premier livre de fes Définitions, un difcours<br />
exprimé fuivant un éxaéle analyfe, on même une<br />
explication, félon Chryfippe dans fon livre fur<br />
cette matière. La description eft un difcours<br />
figuré qui con<strong>du</strong>it aux matières , ou une défini"<br />
tion plus ample qui exprime la force de la<br />
définition. Le genre eft une collection de plu»<br />
fleurs idées de l'efprit, conçues comme irréparables;<br />
telle eft l'idée d'animal,laquelle comprend<br />
celle de toutes les efpéces d'animaux particu*liers.<br />
Une idée de l'efprit eft un être imaginaire,<br />
formé parla penfée, & qui n'a pour objet aucune<br />
chofe qui eft ou qui agit, mais qui la confi.<br />
dire comme û elle étoh , ou comme fi elle/<br />
agiffoit d'une certaine manière; telle eft la re^prefentation<br />
qu'on fe fait d'un cheval, quoi qu'il<br />
ne foit pas prefent. L'efpéce eft comprife fous<br />
le genre, comme l'idée d'homme eft comprife fou*<br />
l'idée d'animal. Plus général eft ce qui étant<br />
jeure , n'apoiat de genre au-deflus de luï,cooir<br />
Tome <strong>IL</strong> _ &
*î4 Z Ê N O N.<br />
me l'idée d'éxiflant. Plus fpécial, eft ce qui<br />
létant efpéce, n'a point d'efpéce au-deffous de lui »<br />
comme Socratt.<br />
La divifion a pour objet le genre diftinguê<br />
dans les efpéces qui lui apartiennent , comme<br />
cette phrafe , Parmi tes animaux les uns font raifonnables,<br />
les autres privés de rai/on. La contredivifion<br />
fe fait <strong>du</strong> genre dansMes efpéces à rebours,<br />
comme par voye de négation; par exemple<br />
dans cette période , Des chofes qui éxiftent +<br />
les unis font bonnes , les autres ne le font point. La<br />
fous divifion eft la divifion de la divifion, comme<br />
dans cet exemple, Des chofes qui éxiftent, lesunes<br />
font bonnes Jes autres points & parmi celles qui<br />
ne font pas bonnes , les unes font mauvaifes t les<br />
autres indifférentes. Partager , c'eft ranger les.<br />
genres fuivant leurs lieux , comme dit Crinis j<br />
tel eft ce qui fuit, Parmi les biens > Us uns regat-:<br />
dent Famé , les. autres le corps*<br />
L'équivoque eft une manière de parler conçue<br />
en termes * qui, pris, tels qu'ils font exprimés Se<br />
dans leur fens propre, fignifient.plufieurs chofes*<br />
dans le même pays ; de forte qu'on peut s'en fer-<br />
"Wr pour dire des chofes difFérentes. C'eft ainfi<br />
que les. mots, qui en Grec fignifient, La-joueufe:<br />
de flûte eft tombée-, peuvent fignifier auffi dans la><br />
Blême Langue La, maifon eft tombée twis fois.<br />
La Dialeâique eft, comme ditPofidonius rla<br />
fàsas* de. difeetnexkvrai yï&, faux, &; ce qiàeflt
Z Ë N O N. irç<br />
fceûtre. Elle a pour objet, félon Chriiippe, les<br />
fignes & les chofes fignifiées. Ce que nous veaons<br />
de dire regarde leurs idées fur la théorie<br />
de la voix.<br />
Sous la partie de la dialectique, qui comprend<br />
les matières & les chofes fignifiées par la voix,<br />
les Stoïciens rangent ce qui regarde les expreffions<br />
,ies énonciations parfaites, les propositions,<br />
Jes fyllogifmes, les difcours imparfaits, les attributs<br />
& les chofes dites directement, ou renversées.<br />
L'expretfion, qui naît d'une représentation<br />
de la raifon , eft de deux efpéces , que les Stoïciens<br />
nomment expreffions parfaites & imparfaites.<br />
Ces dernières n'ont point de fens corn»<br />
plet, comme : // écrit ; les autres,au contraire, enont<br />
un, comme, Socrate écrit, Ainfi les expreffions<br />
imparfaites font celles qui n'énoncent que les attributs,<br />
& les parfaites fervent à énoncer les<br />
proportions, les fyllogifmes, les interrogation*<br />
& les questions. L'attribut eft ce qu'on déclare<br />
de quelqu'un , ou une chofe compofée qui fe dit<br />
d'un ou de plufieurs, comme le définit Apollon<br />
dore ; ou bien c'eft une expreflion imparfaite,<br />
conftruite avec un cas droit pour former unepro"<br />
pofnion. Il y a des attributs accompagnés de<br />
norn & de verbe, comme ,Navigerparmi des ro+<br />
thers;{i\ d'autres exprimés d'une manière droite,;<br />
C»)- On>croit qjtfil manque ici quelque chofc-itffou*»-
*i6 Z E N O N .<br />
d'une manière renverfée, & d'une manière neutre*<br />
Les premiers font construits avec un des (i) cas<br />
obliques pour former un attribut, comme; // entend,<br />
il voit, ildifpute. Lèsrenverfés fe conftruifent<br />
avec une particule paffiv.e , comme; Je fuis<br />
enten<strong>du</strong>, je fuis vu. Les neutres n'apartiennent ni<br />
à l'une, ni à l'autre de ces clafles, comme, Etre<br />
fage, fe promener. Les attributs réciproques font<br />
ceux qui, quoiqu'exprimés d'une manière renverfée,<br />
(a)ne font pas renverfés, parce qu'ils empor><br />
tent une aftion ; telle eft l'expreflion de fe faire<br />
rafer, dans laquelle celui qui eft ràfé, défîgne<br />
aufli l'action qu'il fait lui-même. Au refte, les<br />
cas obliques font le génitif,le datif, & l'accufatif.<br />
On entend par proposition (3 ) l'expreiTîon<br />
d'une chofe vraye ou faufle, ou d'une chofe qui<br />
forme un fens complet »& qui fe peut dire en<br />
elle-même, comme l'enfeigne Chryfippe dans fes<br />
Définitions de Dialectique. ?>La Propofition, dit-il-,<br />
» eft l'expreftron de toute chofe qui fe peut affir-<br />
» mer, ou nier en elle - même, comme, Il fait<br />
»• jour, ou Dion-fe promine j» On l'apelle pcopofir<br />
fi) Il appelle ici iraitt le* verbes aûifï. ^AlMrAndi*.<br />
(1) Cette conftruaion paroic donner à eounoître «joe<br />
Je terme de l'original, que nom avons-tta<strong>du</strong>ic renvtr/e ,tc<br />
qjij eltaOez difficile à rendre, eft gris par Diogcne pout fi.<br />
gnifitr le pallif.<br />
(} / Il y a en Grec ^ixiimt ; mais- le fens fait roir «jus<br />
Cietron a fou bien tia<strong>du</strong>it ce mot far EntncUtim , oit<br />
Jrtgejftiitt»
ZENON. xtf<br />
lion, relativement à l'opinion de celui qui l'énonce<br />
; car celui qui dit qu'il fait jour, par oit cro»*<br />
re qu'il fait jour en effet. Si donc il fait effectivement<br />
jour, la proposition devient vraye ; au<br />
lieu qu'elle eu faufle s'il ne fait pas jour. Il y à<br />
de la différence entre proportion , interrogation,<br />
queftion, ordre, adjuration, imprécation ,<br />
fupofition , apellation , & reftemblance de<br />
propofition. La proportion eft toute chofe qu'on<br />
énonce en parlant, foit vraye, ou fauffe. L'interrogation<br />
eft une énonciatiortcomplette, auflrbien<br />
que la proportion ; mais qui requiert une<br />
ïéponfe, comme cette phrafe, Èft-itjoar ? Cette<br />
demande n'eft ni vraye, nifaufle : c'eft proposition,<br />
lorfqu'on dit II fait jour, c'eft interrogation<br />
quand on demande , Fait-il jour ? La queftion eft<br />
quelque chofe à quoi on ne peut répondre ouï<br />
ou non, comme à l'interrogation' ; mais à laquelle<br />
il faut répondre, comme on diroit, It demeure<br />
dans cet endroit. L'ordreeftquelque chofe que<br />
l'on dit en commandant , comme, Va-t'en aux<br />
rives d'Inachus. L'apellation eft quelque chofe<br />
qu'on dit, en nommant quelqu-'un, comme, Aça*<br />
memnon , fils cTAtrie x glorieux Monarque de<br />
plujîeurs peuples. ;La reftemblance d'une proposition<br />
eft un difcours qui- renfermant la corr—<br />
clufton d'une propofition, d'échoit <strong>du</strong> genre de»<br />
propositions pa* quelque particule abondante,<br />
«u paflive, comme dans ces. -vêts-;
Wefl-ce pas ici le beau fijour de ces vierges r*<br />
ïr Bouvier reffemble aux en/ans de Priarru<br />
II y a encore une chofe qui diffère de la proposition,<br />
en ce qu'elle s'exprime d'une manière<br />
douteufe, comme fi on demandoit fi vivre & reffentir<br />
de la douleur ne font pas des chofes jointes<br />
«nfembte f Car les interrogations, les queftions-<br />
& autres chofes femblables ne font ni vrayes , ni<br />
fauffes ; au lieu que les propofitions font , ou l'une,<br />
ou* l'autre. Il y a des propofitions fimples-<br />
& non fimples, comme difent Chryfippe, Archédeiqe,<br />
Athénodore, Antipater & Crinis. Le»<br />
fimples confiftent dans une ou plus d'unepropofition<br />
où il n'y a aucun doute, comme : Il fait jour*-<br />
Celles , qui ne font pas fimples, confident dans<br />
une ou plus d'une propofitien douteufe ; dans<br />
une propofition douteufe, comme : S'il fait jour ;<br />
dans plus d'une , comme, S'il fait jour,: il fait<br />
clair. Dans la clafle des propofitions fimples il<br />
£aut ranger les énonciations, les négations, leschofes<br />
qui emportent privation, lesatrributs, lesattributs<br />
entant qu'ils apartiennent à un fujèf<br />
particulier, & ce qui eft indéfini. Danslaclafle<br />
des propofitions non fimples on doit placer celles<br />
qui font conjointes , adjointes , compliquées r<br />
féparées , caufales , celles qui expriment la principale<br />
partie d'une chofe, & celle»quijen expriv<br />
ment la moindre. On a un exemple d'une propo*<br />
fition énoaciative dans ces paroles : Jl ne- faxt
Z E N O N . ri*<br />
point jour. De l'efpéce de ces fortes de proportions<br />
font celles qu'on apelle fwénonciaùvesy<br />
qui contiennent la négation de la négation, comme<br />
quand on dit; IIne faitpasnon jour, on po—<br />
fe qu'il fait jour. Les propositions négatives font<br />
composées d'une particule négative & d'un attribut,<br />
comme, Perfonne ne fe promené. Lesprivatiyes<br />
fe forment d'une particule privative & d'uae<br />
expreflîon ayant force de propofitions comme r<br />
Cet homme efl ùihumain*hes propofitions ; attributives<br />
font composées d'un ca« droit de déclinaifon<br />
& d'un attribut, comme, Dion fe oro»<br />
mène. Les propofitions attributives particulièresfe<br />
conftruiient d'un cas droit démonftratif 8c d'un*<br />
attribut, comme, Cet homme fe promène,les indéfinies<br />
fe font par une , ou plufieurs particule»<br />
indéfinies, comme : Quelqu'un fi protnéne , If<br />
fe remue. Quant aux propofitions non fimples r<br />
celles qu'on nomme conjointes, font t felbn-Chry»<br />
fîppe dans fa Dialectique, & Diogène dans fon Art<br />
Dialecticien, formées par la particule conjonctive<br />
jî, cette particule voulant que d'une première<br />
chofe pofée, il s'enfuive une féconde, commer<br />
S'il fait jour, il fait clair. Les propofitions ad*<br />
jointes font, dît Crinis dans-fon Art de la Dis*<br />
Védique, des propofitions unies par la conjonction<br />
puifque y Tefquelles commencent & finifferrt par<br />
d'eux expreffions qui forment autant depropofi—<br />
pQt&t comme : Puifyuilfait j»urx U fûtdaim-
no Z Ê N O N/<br />
Cette conjonction fert à fignifier que pbfé 1 nnfl<br />
première chofe, il en fuit une féconde , & que<br />
la première eu auffi vraye. Les propofitionscompliquées<br />
font celles-qui fe lient enfemble par<br />
quelques conjonctions qui les compliquent ,- corn»<br />
me, Et il fait jour & il fait clair. Les féparée»<br />
font celles que l'on déjoint par la particule disjonctive,<br />
ou comme , Ou il fait jour, ou ilfaitnuit;<br />
& cette particule fert à fignifier que l'une des<br />
deux propositions eft faufle. Les propositions<br />
caufales font compofées <strong>du</strong> mot de parce que ,<br />
comme , Parce qu'il fait jour, il fait clair. Ce mo*<br />
indique que la première chofe , dont cm parle ,<br />
eft en quelque forte la caufe de la féconde. Les<br />
propofitions qui expriment la principale partie<br />
d'une chofe, font celles où entre la particule<br />
conjonctive/j/itfof, placée entre des propofitions<br />
comme, Il fait plutôt jour que nuit ;, les propofitions,<br />
qui expriment une chofe par la moindre<br />
partie, font le contraire des précédentes, comme,<br />
Il fait moins nuit que jour. Il faut encore<br />
remarquer que des propofitions, opofées l'une<br />
à l'autre, quant à la vérité & àlafauffeté , l'une<br />
renferme la négation de l'autre , comme, Il fait<br />
jour & il ne fait point jour. Ainfi une propofition<br />
conjointe eft vraye, lorfque l'opofé <strong>du</strong>r<br />
dernier terme eft en- contradiction avei lé premier,<br />
comme ,, S'il fait jour r il fait clair.<br />
Cette- prop. QÛtioa eft vraye > parce que l'opofé
ZENON.' lit<br />
flu dernier terme, qui feroit, il ne fait point clairi<br />
eft en contradiction avec le premier il fait jour»<br />
Pareillement une propofitioa conjointe eft faufils ,<br />
lorfque l'opofé <strong>du</strong> dernier terme n'eft point contraire<br />
au premier, comme, s'il fait jour, Dion ft<br />
promène ; car la propofition Dion ne fe promène<br />
point, n'eft pas contraire ?. celle qu'il fait jour^<br />
Une propofition adjointe eft vraie, lorfque commençant<br />
par l'expreffion d'une vérité, elle finit<br />
en exprimant une chofe qui en refaite; commet<br />
Puifqu'il fait jour , le foleil eft au-dejfus de la terre »,<br />
au contraire une propofition adjointe eft faufile »<br />
lorfqu'elle commence par une fauffeté, ou qu'elle<br />
ne finit pas par une vraye conféquence ; comme<br />
fi l'on difoit, pendant qu'il feroit jour , Puifquil<br />
fait nuit, Dion fe promène.<br />
Une propofition caufale eft vraye , lorfque<br />
commençant par une chofe vraye, elle finit par<br />
une conféquence, quoique le terme, par lequel<br />
elle commence, rie foit pas une conféquence de<br />
celui par lequel elle finit ; par exemple , dans<br />
cette propofition , parce qu'il fait jour , il fait<br />
clair. Ce qu'on dit qu'il fait clair , eft une fuite<br />
de ce qu'on dit qu'il fait jour ; mais qu'il fafle<br />
jour n'eft pas une fuite de ce qu'il fait clair.<br />
Une propofition probable tend à emporter un<br />
àcquiefeement, comme, fi quelque chofe en a mis<br />
une autre au monde, elle en eft la mère; cela n'eft<br />
Cependant pas vrai, puisqu'une poule n'eft pas I»<br />
Tome II, L
Hi t Ê N O N.<br />
mère de l'œuf. Les propofitions fe diftinguent<br />
auffi en poffibles & impoffibles , auffi-bien qu'en<br />
néceffaires 8c non-néceffaires. Les poffibles font<br />
celles qu'on peut recevoir comme vrayes, parce<br />
qu'il n'y a rien hors d'elles qui empêche qu'elles<br />
»e foient vrayes , comme , Dioclis eft vivant.<br />
Les impoffibles font celles qui ne peuvent être<br />
reçues pour vrayes, comme, La terre vole. Les<br />
propofitions néceffaires font celles qui font tellement<br />
vrayes, qu'on ne peut les recevoir pour<br />
jfauffes ; ou qu'on peut bien en elles-mêmes recevoir<br />
pour fauffes ; mais qui par les chofes, qui<br />
'font hors d'elles, ne peuvent être faufles , comme<br />
, La vertu eft utile. Les non-néceffaires font<br />
«elles qui font vrayes, mais peuvent auffi être<br />
fauffes, les chofes, qui font hors d'elles, ne s'y<br />
tjpofant point, comme, Dion fe promine. Une<br />
propofition vraifemblable eft celle que pluûeucs<br />
aparences peuvent rendre vraye, comme, Nous<br />
•vivrons demain. Il y a encore entre les proportions<br />
d'autres différences & changemens qui les<br />
rendent fauffes ou opofées, & dont nous parle-:<br />
rons plus au long.<br />
Le raifonnement , comme dit Crinis , eft<br />
compofé d'un, ou de plus d'un lemme, de J'affomtion<br />
& de la conclufion ; par exemple » dans<br />
cet argument , S'il fait jour, il fait clair : or il<br />
fait jour ; donc il fait clair. Le lemme eft cette<br />
propofition, S'il fait jour, il fait clair; l'affen>4
2 Ê N O N. lij<br />
tion, celle-ci. Il fait jour ; laconclufion cet»<br />
autre, Donc il fait clair. Le mode eft comme<br />
une figure <strong>du</strong> rationnement ; tel eft celui-ci, Si<br />
Je premier a lieu, le fécond a lieu aufji: or le premier<br />
a lieu ; donc le fécond a lieu aujf. Le monde<br />
raifonné (i)eft un compofé des deux; comme<br />
, Si Platon vit, platon refpire : or le premier<br />
tft vrai ; donc le fécond Veft aujji. Ce dernier<br />
genre a été intro<strong>du</strong>it pour ferrir dans les raifonnemens<br />
prolixes, afin de n'être point obligéjd'exprimer<br />
une trop longue afiomtion, non plus que<br />
la conclufion , & de pouvoir les indiquer par<br />
cette manière de parler abrégée, Le premier eft<br />
vrai, [donc le fécond teft aujji. Les raifonnemens<br />
font, ou concluans, ou non concluans. Dans ceux<br />
qui ne concluent point , l'opofé de la concludon<br />
eft contraire à la liaifon des prémiiles ;<br />
comme, , S'il fait jour , il fait clair : or il fait<br />
jour , donc Dion fe promène. Les raifonnemens<br />
concluans font de deux fortes : les uns font<br />
apellés <strong>du</strong> même nom que leur genre, c'efï-àdire,concluans<br />
; les autres, fyllogiftiques. Ces<br />
derniers font ceux qui, ou ne dé<strong>mont</strong>rent point,<br />
ou con<strong>du</strong>ifent à des chofes qui ne fe prouvent<br />
pas au moyen d'une ou de quelques portions,<br />
comme feroient celles-ci, Si Dion fe promine •<br />
(i) Le mot Grec, que je tra<strong>du</strong>is Mtit, eft Trtfe i 8c<br />
Mode laifonné iyorti/».<br />
Li
t»4 Z E N O N .<br />
Dion fe remue donc. Ceux qui portent fpéciale^<br />
ment le nom de concluons, font ceux qui concluent<br />
, fans le faire fyllogiftiquement, comme,il<br />
eft faux qu'il fajfe en même-tems jour Jy nuit;<br />
or il fait jour; il ne fait donc pas nuif. Les raifonnemens<br />
non-fyllogiftiques font ceux , qui ;<br />
aprochant des Syllogiftnes pour la crédibilité, ne<br />
concluent pourtant pas , comme , fi Dion eft un<br />
cheval, Dion eft un animal : or Dion ri eft point<br />
un cheval, ainfi Dion ri eft pas non plus un animal.<br />
Les raifonnemens font auffi vrais , bu faux;<br />
Les vrais font]ceux, dont les conclufions fe tirent<br />
de chofesvrayes, comme celui-ci ,fi la Vertu eft<br />
utile, le vice eft nuifible. Les faux font ceux qui<br />
ont quelque chofe de faux dans les prémiffes, ou<br />
qui ne concluent point, comme , s'il fait jour,<br />
il fait clair : or il fait jour; donc Dion tft en vie:<br />
Il y a encore des raifonnemens poffibles & impoffibles,<br />
néceffaires &non-néceffaires,& d'autre»<br />
qui ne fe dé<strong>mont</strong>rent point , parce qu'ils n'ont<br />
pas befoin de démonftration. On les dé<strong>du</strong>it diverfement<br />
; mais Chryfippeen compte cinq claffes,<br />
qui fervent à former toutes fortes de raifonnemens<br />
, & s'emploient dans les raifonnemens<br />
«oncluans , dans les fyllogiftiques & dans ceux<br />
qui reçoivent des modes. Dans la première<br />
claffe des raifonnemens qui ne fe dé<strong>mont</strong>rent<br />
point, font ceux que l'on compofe d'une prop©-,
2 Ê N O N. «f<br />
fition conjointe & d'un antécédent, par lequel<br />
la propofition conjointe commence , & dont le<br />
dernier terme forme la conclufion, comme , fi<br />
le premier efi vrai; le fécond l"efl aujji : or le premier<br />
eft -Mai ; donc le fécond tefi aujfi. La féconde<br />
claffe renferme lesraifonnemens, qui, par<br />
le moyen de la propofition conjointe & de l'opofé<br />
<strong>du</strong> dernier terme , ont l'opofé de. l'antécédent<br />
pour conclufion; comme, s'il fait jour,<br />
il fait clair: or il fait nuit ; il ne fait donc pas<br />
jour. Car dans ce raisonnement l'affomtion eft<br />
prife de l'opofé <strong>du</strong> dernier terme ; & la conclufion<br />
, cU l'opofé de l'antécédent. La troifiéme<br />
claffe de ces raifonnemens contient ceux dans<br />
lefquels, par le moyen d'une énonciatioif compliquée,<br />
on infère d'une des chofes qu'elle exprime<br />
le contraire <strong>du</strong> refte , comme, Platon n'ejl<br />
point mort 6» Platon vit; mais Platon efi mort;<br />
donc Platon ne vit point. A la quatrième claffe<br />
apartiennent les raifonnemens dans lefquels , par<br />
le moyen des proportions fépaîées, on infère de<br />
l'une de ces proportions féparées une conclufion<br />
contraire au refte , comme* où c'eft te premier,<br />
ou c'efl le fécond : mais, c'eft le premier ; ce n'ejl<br />
donc pas le fécond. Dans la cinquième claffe de»<br />
raifonnemens qui ne fe dé<strong>mont</strong>rent point, font<br />
ceux quife conftruifent depropofxtions féparées,<br />
& dans lefquels de l'opofé de l'une des chofes<br />
qui y font dites , on infère le refte j comme ^
*«« Z É N O N.<br />
Qu il fait jour , ou il fait nuit : mais il ne' fah<br />
point nuit ; il fait donc jour.<br />
Suivant les Stoïciens, une vérité fuit de l'autre,<br />
comme de cette vérité qu'il fait jour fuit<br />
celle qu'il fait clair; & tout de même une fauffeté<br />
fuit de l'autre, comme s'il eft faux qu'il fait<br />
mit, il eft auffi faux qu'il faff'e des ténèbres. On<br />
peut inférer auffi une vérité d'une fauffeté, comme<br />
de celle-ci, que la ttrre vole, on infère cette<br />
Térité , que la terre ixifle. Mais d'une vérité<br />
*n ne peut point inférer une fauffeté, comme de<br />
ce que la terre éxifte, il ne s'enfuit point qu'elle<br />
vole. Il y a auffi des raifonnemens émban*ffés<br />
qu'on nomme diversement, couverts , cachés ,<br />
les forites , ceux dits Cornus , & les imperfonnels,<br />
ou qui ne défignent perfonne. Voici un<br />
exemple <strong>du</strong> raifonnement caché, N'efl-il pas vrai<br />
que deux font un petit nombre } Que trois font<br />
Vn petit nombre, & que cts nombres enfemblefont<br />
*» petit nombre ? n'efl-il pas vrai auffi que quatre<br />
font un petit nombre, & ainfi de fuite jufqu'à dix ><br />
m deux font un petit nombre ; donc dix en font un<br />
pareil. Les raifonnemens, qui ne défignent perfonne,<br />
font compofés d'un terme fini & d'un terpie<br />
indéfini, & ont aflbmtion & conclufion, comme<br />
, Si quelqu'un efl ici, il riefl point à Rhodes,<br />
Telles font les idées des Stoïciens fur la Logique<br />
, & c'eft «e qui les fait infifter fur l'opinion,<br />
que le Sage doit toujours être bon Dialecticien*
Z Ê N O W. Uf<br />
Ils prétendent que toutes chofes fediscernent par<br />
la théorie <strong>du</strong> raifonnement, en tant qu'elles apar-i •<br />
tiennent à la Phyfique, & de nouveau encors<br />
en tant qu'elles apartiennent à la Moral*. Car<br />
ils ajoutent que pour ce qui regarde la Logique ,<br />
elle n'a rien à dire for la légitimité des noms concernant<br />
la manière dont les Loix ont ftatué par<br />
taport aux actions , mais qu'y ayant un doubla,<br />
ufage dans la vertu de la Dialectique, l'un fert<br />
à considérer ce qu'eft une chofe, & l'autre comment<br />
on la nomme ; & c'eft - là l'emploi qu'ils,<br />
donnent à la Logique.<br />
Les Stoïciens divifent la partie morale de la<br />
Philofophie en-ce qui regarde les panchans, les<br />
biens & les maux, les panions,1a vertu, la fin<br />
qu'on doit,fe propofer,les chofes tjui méritent<br />
notre première eftime, lesaâions, les devoirs,'<br />
& ce qu'il faut confeill/er & diffuader. C'eft ainfi<br />
que la Morale eft divifîepar Chryfippe , Arche»<br />
deme, Zenon de Tarfe, Apollodore, Diogène *<br />
Anttpater & Pofidonius; car Zenon Cittien 6c<br />
Cléanthe, comme plus anciens, ont traité ces<br />
matières plus Amplement, s'étant d'ailleurs plu?<br />
apliqués à divifer la Logique & la Phyfique.<br />
Lés Stoïciens difent que le premier panchant<br />
d'un être animal, eft qu'il cherche fa conferva»<br />
tion , la nature fe l'attachant dès fa naiflance*'<br />
fuivant ce que dit Chryfippe dans fon premier li?<br />
yre des Fins, qne le premier attachement de*tout<br />
L4
*MT Z É N O N.<br />
animal a pour objet fa conftitution & l'union de<br />
(es parties, puifqu'il n'eft pas vraifemblable que><br />
l'animal s'aliène de lui-même, ou qu'il ait été<br />
fiiit, ni pour ne point s'aliéner de lui-même, n*<br />
pour ne pas s'être attaché ; de forte qu'il ne refte<br />
autre chofe à dire, finon que la nature l'a difpofé<br />
pour être attaché à lui-même, & c'eft par-là qu'il<br />
s'éloigne des chofes qui peuvent lui nuire, & cherche<br />
celles qui lui font convenables.<br />
Ils traitent de faufle l'opinion de quelques - uns<br />
'que la volupté eft le premier panchant qui foit<br />
donné aux animaux; car ils difent que ce n'eft<br />
Qu'une addition , fi tant eft même qu'il faille<br />
apeller la volupté ce femiment qui naît après que<br />
lanattre, ayant fait fa recherche, a trouvé ce qui<br />
convient à la conftitution. C'eft de cette manière<br />
que les animaux reflentent de la joye, & que<br />
tes plantes végètent. Car, difent-ils, la nature<br />
ne met point de différence entre les animaux &<br />
les plantes , quoiqu'elle gouverne celles-ci fans le<br />
fecours des panchans & <strong>du</strong> fentiment, puifqu'il<br />
y a en nous des chofes qui fe font à la manière<br />
des plantes, & que les panchans, qu'ont les animaux<br />
, & qui leur fervent à chercher les chofes<br />
qui leur conviennent, étant en eux comme un<br />
Surabondant, ce à quoi portent les panchans eft<br />
'dirigé par ce à quoi porte la nature ; enfin que<br />
la raifon ayant été donnée aux animaux raifon-<br />
«abtespar uae furintendance plus parfaite *vivr%
Z E N O N . 119<br />
félon la raifon peut être fort bien une vie félon<br />
ta nature, (1) parce que la raifon devient comme<br />
l'artrfant qui forme le panchant.<br />
C'eft pour cela que Zenon a dît le premier<br />
dans fon livre de la Nature de F Homme, que la<br />
fin, qu'on doit fe propofer, confifte à vivre félon<br />
la nature; ce qui eft la même chofe que vivre<br />
, car c'eft à cela que la nature nous con<strong>du</strong>it.<br />
Cléanthe dit la même chofe dans fon livre de la<br />
Volupté , auffi-bien que Pofidonius, & Hécaton<br />
dans fon livre des Fins. Ceft auffi une même<br />
chofe de vivre félon la vertu, ou de vivre félon<br />
l'expérience des chofes qui arrivent par la nature»<br />
comme dit Chrifippe dans fon livre des Finsi<br />
parce que notre nature eft une partie de la nature<br />
de l'Univers. Cela fait que la fin, qu'on doit<br />
fie propofer, eft de vivre en fuivant ta nature ;<br />
c'eft-à-dire, félon lavertu que nous prefcrit notre<br />
propre nature, 6c félon celle que nous prefcrit<br />
k nature de l'Univers , ne faifant rien de ce<br />
qu'a coutume de défendre la Loi commune, qui<br />
eft la droite raifon répan<strong>du</strong>e par-tout, & la mê*me<br />
qui eft en Jupiter , qui con<strong>du</strong>it par elle le<br />
gouvernement <strong>du</strong> Monde. Ils ajoutent qu'en cela<br />
même confifte la vertu & le bonheur d'un<br />
homme heureux, de régler toutes fes aâions de<br />
manière qu'elles pro<strong>du</strong>isent l'harmonie <strong>du</strong> géjj<br />
(D Je fuit iue couc&on de Uén»£t^
ï3o * t N O K.<br />
nie, quî rêfide en chacun avec la volonté de. celui<br />
qui gouverne l'Univers. En effet, Diogène[dit<br />
expreflement que la fin qu'on doit fe propofer,<br />
eonfifre à bien raifonner dans le choix des chofes<br />
qui font félon la nature. Archjederae la fait confifter<br />
à vivre en rempli/Tant tous tes devoirs.'<br />
Chryfippe par la nature entend une nature à laquelle<br />
il faut conformer fa vie ; c'eft-à-dire, la nature<br />
commune, èk celle de l'homme en particulier.'<br />
Mais Cléanthe n'établit, comme devant être fuir<br />
vie, que la nature commune , & n'admet point<br />
à avoir le même ufage celle qui n'eft que particû»<br />
lîére. Il dit que la vertu eft une difpofitipn conforme<br />
à cette nature, & qu'elle doit être chorfie<br />
pour l'amour d'elle-même , & non par crainte<br />
, par efpérance, ou par quelque autre mptif<br />
qui foit hors d'elle; que c'eft en elle que confifte<br />
ta félicité, parce que l'ame eft faite pour, jouit<br />
«l'une vie toujours uniforme, & que ce qui corrompt<br />
un animal raifonnable,ce font quelquefois<br />
les vraifemblances des chofes extérieures, & quelquefois<br />
les principes de ceux avec qui l'on converfe,<br />
la nature ne donnant jamais lieu à cette<br />
dépravation.<br />
Le mot de vertu fe prend différemment. Quelquefois<br />
il fignifie en général la perfection d'une<br />
chofe, comme celle d'une flatue; quelquefois ft<br />
fe prend pour une chofe qui n'eft pas un fujet de<br />
fpéculation » comme la fanté ; d'autres fois pour
Z Ê N O N. IJ#<br />
une chofe qui eft un fujet de fpéculation, comme<br />
la prudence. Car Hécaton dit, dans fon premier<br />
livre des Vertus, que parmi celle» qui font un<br />
fujet de fcience, il y en a qui font aufli fpéculatives<br />
; fçavoir celles qui font compofées des obfervations<br />
qu'on a faites , comme la prudence & la<br />
juftice ; & que celles, qui ne font point fpéculatives<br />
, font celles qui confidérées dans leuf<br />
pro<strong>du</strong>ction , font compofées de celles qui font<br />
fpéculatives , comme la fanté & la force. Car<br />
de la prudence, qui eft une vertu de fpéculation »<br />
réfulte ordinairement la fanté» comme de la<br />
ftruâure des principales pierres d'un bâtiment réfulte<br />
fa conftftance. On apelle ces vertus nonfpéculatives,<br />
parce qu'elles ne font pas fondée»<br />
fur des principes ; qu'elles font comme des additions,<br />
& que les méchans peuvent les avoir ;<br />
telles font, par exemple, la fanté & la force.<br />
Pofidonius 3 dans fon premier livre de la Morale ,<br />
allègue comme une preuve que la vertu eft quel*que<br />
chofe de réellement éxiftant, les progrès<br />
qu'y ont fait Socrate , Diogène & Antifthène,'<br />
& comme une preuvede l'éxiftence réelle <strong>du</strong> vice,<br />
cela même qu'il eft opofé à la vertu. Chryfippe<br />
dans fon premier livre des Fins , Cléanthe, ?or<br />
fidonius dans fes Exhortations, & Hécaton di"<br />
fent auffi que la vertu peut s'acquérir par l'inf"<br />
tru&ion, & en donnent pour preuve qu'il y a de$<br />
cens, qui de méchans deviennent bons» ;<br />
/
*3* Z É N O tf-<br />
Panétius diftingue deux fortes de vertus, l'une<br />
fpéculative & l'autre pratique. D'autres etf<br />
diftinguent trois fortes , & les apellent Vertu*<br />
Logique , PhyfiqUe & Morale. Pofidonius en<br />
compte quatre fortes, Cléanthe & Chryfippe urr<br />
plus grand nombre , auffi-bien qu'Antipater.<br />
Apollophane n'en compte qu'une, à laquelle il<br />
donne le nom de Prudence. Il y a- des vertusprimitives,<br />
& d'autres qai leur font fubordonnées.<br />
Les primitives font la prudence ; la force, :<br />
la juftice & la tempérance, qui renferment, comme<br />
leurs efpéces , la grandeur d'à me , la continence<br />
3 la patience , le génie, le bon choix»<br />
La prudence a pour objet la connoiffance des<br />
biens & des maux, & des chofes qui font neutres<br />
; la juftice celles des chofes qu'il faut choifir<br />
& éviter, & des chofes qui font neutres par<br />
faport à celles-là. La grandeur d'ame eft une fituation<br />
d'efprit, élevée au-deffus des acciden»<br />
communs aux bons & aux médians*<br />
La continence eft une difpofition conftante<br />
pour les chofes qui font félon la droite raifon,<br />
ou une habitude à ne point fe laiffer vaincre par<br />
les voluptés. La patience eft une fcience, ou<br />
une habitude par raport aux chofes dans lesquelles<br />
il faut perfifter , ou ne point perfifter,.<br />
auffi-bien que par raport à celles de cette claff*<br />
qui font neutres. Le génie eft une habitude<br />
jk comprendre promptement ce qu'exige le dp-
U N O Ni ïfl!<br />
Wir. Le bon choix eft la fcience de voir quelles<br />
chofes on doit faire, & de quelle manière on<br />
doit les exécuter pour agir utilement.<br />
On diftingue .pareillement les vices en primitifs<br />
& fubordonnés. Ceux-là font l'imprudence<br />
, la crainte, l'injuftice , l'intempérance. Les<br />
fubordonnés font l'incontinence « la ftupidité;<br />
le mauvais choix ; & en général les vices confiftent<br />
dans l'ignorance des chofes, dont la connoiûance<br />
eft la matière des vertus.<br />
Par le bien les Stoïciens entendent en général<br />
ce qui eft utile, fous cette dL&inftion particulière<br />
en ce qui eft effectivement utile, 6c ce qui n'eft<br />
pas contraire à l'utilité. De là vient qu'ils con»<br />
iidérent la vertu, & le bien qui en eft une parti,<br />
cipation, de trois diverfes manières ; combien<br />
par la càufe d'où il procède , par exemple , une<br />
aâion conforme à la vertu ; & comme bien par<br />
celui qui le fait ; par exemple , un homme qui<br />
s'aplique avec foin à la vertu. ( I J Ils.définiffent<br />
autrement le bien d'une manière plus<br />
propre, en l'apellant la perfeflion de la nature<br />
raifonaable , ou de la nature entant que raifonnable.<br />
Quant à la vertu , ils s'en font cette idée. 1<br />
Us regardent comme des participations de laver-;<br />
tu , tant les actions qui y font conformes ,'<br />
(i) On croit que la troiliéme diftinftion manque , c'eftà-diic<br />
t etmmt km far U n*t»re de PaMim. Ménage.
«;4 Z É N O N.<br />
que ceux qui s'y apliquent, & envifagent comme<br />
des acceflbires de la vertu, la joye, le contentement<br />
âtlesfentimens femblables. Pareillement ils<br />
•pellent vices l'imprudence, la crainte, l'injuftice<br />
& autres pareilles participations <strong>du</strong> vice, tant<br />
les actions vicieufes, que les vicieux eux-mêmes ;<br />
ils nomment encore accejfoires <strong>du</strong> vice la triftefle,<br />
le chagrin & autres fentimens de cette forte.<br />
- Ils difiinguent auffi les biens en bien de l'ame<br />
même,en biens qui font hors d'elle, &en ceux<br />
qui ne font, ni de l'ame, ni hors d'elle. Les<br />
biens de l'ame même font les vertus & les actions<br />
qui leurs font conformes ; ceux hors d'elle, font<br />
d'avoir une partie honnête, un bon ami, & le<br />
Jbonheur que procurent ces avantages ; ceux ,<br />
qui ne font ni de l'ame même, ni hors d'elle ,<br />
font la culture de foi-même, & de faire fon projpre<br />
bonheur. Il en eft de même des maux. Les<br />
maux de l'ame elle-mêmefontlesvices&lesactions<br />
vicieufes; ceux hors d'elle font d'avoir une<br />
mauvaife patrie & un mauvais ami, avec les matheurs<br />
attachés à ces défavantages. Les maux<br />
qui ne font ni de l'ame elle-même, ni hors d'elle<br />
, font de fe nuire à foi~même & de fe rendre<br />
malheureux.<br />
; On diftingue encore les biens en efficiens, en<br />
biens qui arrivent comme fins, (i) 8t ceux qui<br />
(') C'eft. i-dite comme yfiw de la con<strong>du</strong>ite qu'on tient,
2 É N O N. iîV<br />
font l'un & l'autre. Avoir un ami & jouir des<br />
avantages qu'il procure, c'eft un bien efficient ;<br />
l'affurance, un bon jugement, la liberté d'efprit,<br />
le contentement,lajoye, la tranquillité-,<br />
& tout ce qui entre dans la pratique de la vertu ,<br />
ce font les biens qui arrivent comme fins. Il<br />
v a auffi des biens qui font efficiens & fins<br />
tout 4 la fois ; ils font efficiens, entant qu'ils effectuent<br />
le bonheur ; ils font fins, entant qu'ils<br />
entrent dans la compofition <strong>du</strong> bonheur comme<br />
parties. Il en eft de même des maux. Les uns<br />
ont la qualité de fins, les autres font efficiens ,<br />
quelques-uns font l'un & l'autre. Un ennemi,<br />
& les torts qu'il nous fait, font des maux efficiens<br />
; la ftupidité , l'abbatement , la fervitude<br />
d'efprit, & tout ce qui a raport à une vie vicieufe<br />
, font les maux qu'on conûdére comme<br />
ayant la qualité de fins. Il y en a auffi qui font<br />
en même-tems efficiens, entant qu'ils effectuent.<br />
la mifére, & qui ont la qualité de fins , entant<br />
qu'ils entrent dans fa compofition comme parties.<br />
On diftingue encore les biens de l'ame ello 3<br />
«nêmé en habitudes, en difpofitions, & en d'autres<br />
qui ne font ni celles-là , ni celles-ci. Les<br />
difpofitions font les vertus mêmes ; les habita-:<br />
des font leur recherche. Cequin'eftni des unes» 1<br />
ni des autres, va fous le nom d'actions vertueufes.<br />
Communément il faut mettre patmi les biens ,]
V3o" Z ê N O N :<br />
mêlés une heureufe poftérité &une bonne viet^"<br />
leffe ; mais la fcience eu un bien fimple. Les<br />
vertus font un bien toujours préfent ; mais il y<br />
en a qu'on n'a pas toujours , comme la jaye,<br />
ou la promenade.<br />
Les Stoïciens caraftérifent ainû le bien. Ils<br />
l'apellent avantageux, convenable, profitable,<br />
utile, commode, honnête, fecourable , deûxable<br />
& jufte. Il eu avantageux , en ce que les choies<br />
qu'il procure, nous font favorables ; convenable,<br />
parce qu'il eft compofé de ce qu'il faut ; profitai<br />
ble, puifqu'il paye les foins qu'on prend pour<br />
l'acquérir , de manière que l'utilité qu'on en retire<br />
, furpaffe ce qu'on donne pour l'avoir ; utile ,<br />
par les fervices que procure Ton ufage ; commode,<br />
par la louable utilité qui en réfulte ; honnête, parce<br />
qu'il eft modéré dans fon utilité ; fecourable ,<br />
parce qu'il eft tel qu'il doit être pour qu'on en<br />
retire de l'aide ; defirable , parce qu'il mérite<br />
d'être choift pour fa nature ; jufte, parce qu'il<br />
s'accorde avec l'équité, & qu'il engage à vivre<br />
d'une manière jociable.<br />
L'honnête , fuivant ces Philofophes, eft le<br />
bien parfait ; c'eft-à-dire, celui qui a tous les nom»<br />
bres requis (i)par la nature , ou qui eft parfaitement<br />
'(i) Les Stoïcien: mettoient des nombres dans la vertu.<br />
TtM^itvrir tfi comftfc de certtiai mmbrts. Marc Antajiin ,<br />
V. S. 1.6. D»'eitr a cra<strong>du</strong>ic, d'un ceruia nombre de cheju-
Z E N O N . t37<br />
laitement mefuré. Ils diftinguent quatre efpéces<br />
dans l'honnêteté ; la juflice, la force, la bienféance,<br />
la fcience, & difent que ce font-là les<br />
parties qui entrent dans toutes les actions parfaitement<br />
honnêtes. Ils fupofent aufli dans ce qui<br />
efl honteux quatre efpéces, analogues à celles de<br />
l'honnêteté ; l'injuftice, la crainte, la grofliéreté ,<br />
la folie. Ils difent que l'honnête fe prend dans<br />
un fens fimple, entant qu'il comprend les chofes<br />
louables 6c ceux qui poffédent quelque bien qui<br />
eft digne d'éloge ; que l'honnête fe prend auffi<br />
pour défigner la bonne difpofition aux aâions<br />
particulières qu'on doit faire; qu'il fe prend encore<br />
autrement pour marquer ce qui eft bien ré-<br />
' glé , comme quand nous djfons que le fagefeul<br />
eft bon & honnête. Us difent de plus qu'il n'y a que<br />
ce qui eft honnête qui foit bon, comme le rapo'rtent,<br />
Hécaton dans fon troifiémelivre des Biens i<br />
& Chryfippe dans fon ouvrage fur l'Honnête.<br />
Ils ajoutent que ce bien honnête eft la vertu, de même<br />
que ce qui en-eft une participation. C'eft-àdire,<br />
précifément quefeut ce qui eft bien eft honnête<br />
, & que le bien eft équivalent à l'honnête<br />
, purfqu'il lui eft égal ; car dès qu'une chofe effc<br />
honnête lorfqu'elle eft bonne , il s'enfuit au(fi<<br />
qu'elle eft bonne, fi elle eft honnête.<br />
Ils font dans l'opinion que tous les biens font<br />
égaux, que tout bien mérite d'être recherché»<br />
& qu'iLn'eft fujet, ni à augmentation, ni à dâmir<br />
Tome- //- M.
13» Z Ê N O N.<br />
nution. Ds difent que les chofes <strong>du</strong> monde fe<br />
partagent en celles qui font des biens, en celles<br />
qui font des maux, & en celles qui ne font ni<br />
l'un ni l'autre. Ils apellent tiens les vertus ,<br />
comme la prudence, la jaftice , la force , la<br />
tempérance, & les autres. Ils donnent le nom<br />
de maux aux chofes contraires à celles-là, à fimprudence,<br />
àilnjuftice 6t au refte. Celles qui ne<br />
font ni biens, ni maux, n'aportent ni utilité ,<br />
ni dommage, comme la vie, la fanté, la volupté<br />
, la beauté, la force de corps, la richefTe ,.<br />
la gloire , la nobleffe, & leurs opofès, comme<br />
la mort, la maladie , la douleur, l'oprobre » l'infirmité<br />
, la pauvreté, Tobfcurité, la baffeffe de<br />
nauTance , & les chofes pareilles à celles-là ><br />
•ainfi que le raportent Hécaton dans fon feptiéme<br />
livre àcsFins , Apollodore dans fa Morale ,<br />
,& Chryfippe , qui difent ique ces chofes-là ne<br />
font point matière de biens, mais des chofes indifférentes<br />
, aprouvables dans leur efpéce. Car<br />
comme l'attribut propre de la chaleur eft de réchauffer<br />
& de ne pas refroidir, de même le bien<br />
a pour propriété d'être utile & de ne pas faire de<br />
mal. Or Us rjcheffes & la fanté ne font pas plu»<br />
' de bien que de mal, ainfi, ni la fanté, ni les richefles<br />
ne font pas un bien. Ils difent encore qu'on<br />
ne doit pas apeller bien unechofe dont on peut<br />
. tùre un boa & un mauvais ufage. Or on peut<br />
• feireun bon & aa mauvais ufage de 2a fanté ôt
Z Ê N 0 tf. «39<br />
des richefles ; ainfi ni l'un ni l'autre ne doivent<br />
paffer pour être un bien. Cependant Pofidonius<br />
les met au nombre des biens. Ils ne regardent<br />
pas même la volupté comme un bien, fuivant Hécaton<br />
dans fon dix-neuviéme livre des Biens, èc<br />
Chryfippe dans fon livre de la Volupté ; ce qu'ils<br />
fondent fur ce qu'il y a des voluptés bonieufes,<br />
& que rien de ce qui eft honteux n'eft un bien.<br />
Us font confifter l'utilité à régler fes mouvemens<br />
& fes démarches félon la vertu ; 8c ce qui eft nuisible<br />
, à régler fes mouvemens & fes démarche»<br />
felon le vice.<br />
Us croyent que les chofes indifférentes font<br />
, telles de deux manières. D'abord elles font indifférentes<br />
en tant qu'elles ne font rien au bonheur<br />
, ni à la mifére , telles que les richefles , la<br />
fanté, la force de corps, la réputation & autres<br />
chofes femblables. La raifon en eft, qu'on peut<br />
être heureux fans ejles, puifque c^eft félon la manière<br />
dont on en ufe , 'qu'elles contribuent au<br />
bonheur, ou à la miférè.Les chefes indàférentes<br />
font encore telles, entant qu'il y en a qui n'ëxcitent<br />
ni le defir, ni l'averfion, comme feroit<br />
d'avoir fur la tête ua nombre de cheveux égal<br />
ou inégal, & d'étendre le doigt, ou de le tenir<br />
fermé. Ceft en quoi cette dernière forte d'Indifférence<br />
eft diftïnfte de la première rfurva«t laquelle<br />
il y a des chofes indifférentes , qui ne<br />
faiflènt pas d'exciter le penchant, ou rarerfwte.'<br />
* M*
M Z E N O N .<br />
Delà vient qu'on en préfère quelques-unes, quoique<br />
par les mêmes raifons on devroit auffi préférer<br />
les autres, ou les négliger toutes.<br />
Les Stoïciens diftinguent encore les chofes indifférentes<br />
ea celles qu'on aprouve, (i) & celles<br />
qu'on rejette. Celles qu'on aprouve , renferment<br />
quelque chofe d'eftimable ; celles qu'on rejette<br />
, n'ont rien dont on puiffe faire cas. Par<br />
eftimable ils entendent d'abord ce qui contribue<br />
en quelque chofe à une vie bien réglée ; en quel<br />
fens tout bien eft eftimable. On entend auffi<br />
par-là un certain pouvoir, ouufagemitoyen par<br />
lequel certaines chofes peuvent contribuer à une<br />
vie conforme àla nature ; tel eft l'ufage que peuvent<br />
avoir pour cela les richeffes & la fanté. On<br />
apelle encore eftime.le prix auquel une chofe eft<br />
aptéciée par un homme qui s'entend à en eftimer<br />
la valeur ; comme par exemple, lorfqu'on<br />
échange une mefure d'orge contre une mefure &<br />
demi (a) de froment. dl contraria faU- Jectr-<br />
Les chofes indifférentes & aprouvables font<br />
donc celles qui renferment quelque fujet d'eftime<br />
; tels font , par raport aux biens de Pâme,.<br />
le génie, les Arts, les progrès & autres femblafeles<br />
}. tels ». par raport aux biens <strong>du</strong>. corps y la.<br />
Il) Nous-préférom les expreflGoni apriaver 3c rejette*,.<br />
glitifiees pat la définition de Diogène, à d'autres plus litliralcs<br />
, mais qui ne forment pas de fens en FjaSkOis...<br />
|i> Je <strong>du</strong>s une «utçcîiou de KjthatHi^
Z Ê N O N. rAi<br />
Vie,- Ta fanté, la force, la bonne difpofition ;<br />
Fufage de toutes les parties <strong>du</strong> corps, la beauté;<br />
tels encore, par raport aux biens extérieurs, la<br />
rkheffe , la réputation, la nauTance& autres pareils.<br />
Les chofes indifférentes k rejetter font,<br />
par raport aux biens de lame , là ftupidité,'<br />
l'ignorance des Arts & autres femblables; par<br />
raport aux biens <strong>du</strong> corps t la mort, la maladie r<br />
les infirmités, une mauvaife conftitution, le défaut<br />
de quelque membre T la difformité & antres<br />
pareils M y par raport aux biens extérieurs , 1»<br />
pauvreté, l'obfcurité, la baffefle de condition ,<br />
& autres femblables. Les chofes indifférentes<br />
neutres font celles qui n'ont rien qui doive les<br />
faire aprouver ,, ou rejetter. Parmi celles d«<br />
ces chofes qui font aprouvables r il y en a qui<br />
le font par elles-mêmes, qui le font par d'autres<br />
chofes, & qui le font, en même
|4* Z È N O NV<br />
de même dans un fens contraire des chofes qu'oit<br />
rejette.<br />
Les Stoïciens apellent devoir une chofe qui<br />
emporte qu'on puiffe rendre raifon pourquoi*felle<br />
eft faite ; comirne par exemple, que c'eft une chofe<br />
qui fuit de la nature de la vie : en quel fens<br />
l'idée de devoir s'étend jufqu'aux plantes & aux<br />
animaux ; car- on peut remarquer des obligations<br />
dans la condition des unes & des autres. Ce fut<br />
Zenon qui fe fervit le premier <strong>du</strong> mot Grec qui<br />
fignifie devoir , & qui veut dire originairement<br />
venir de certaines chofes. Le devoir, même eft<br />
l'opération des inftitutions de la nature; car dans<br />
les chofes qui font l'effet des panchans, il y en<br />
a qui-fônt des devoirs, il y en a qui font contraires<br />
aux devoirs ; il y en a qui ne font ni devoirs,<br />
ni contraires au devoir. Il faut regarder<br />
comme des devoirs toutes les chofes que la raifon<br />
confeille de faire ; par exemple, d'honorer<br />
fes parens, fes frères , fa patrie, & de converfer<br />
amicalement avec fes amis. Il faut envifager<br />
comme contraire au devoir tout ce que ne difte<br />
pas la raifon ; par exemple, de ne pas avoir foin<br />
de fon père & de fa mère, de méprifer fes proches<br />
, de ne pas s'accorder avec fes amis, de ne<br />
point eftimer fa patrie, & autres pareils fentir<br />
mens. Enfin les chofes, qui ne jbnt ni devoirs ,<br />
ni contraires au devoir, font celles qne la rai*<br />
Jôn, ni ne confeille , ni ne diûaade de faire *
Z é N O N : *#<br />
comme de ramaffer une paille, de tenir, une plume<br />
, une broffe & autres chofes fcmblables. Ou.<br />
tre cela, il y a des devoirs qui ne font point<br />
accompagnés de circonstances qui y obligent, &<br />
d'autres que de pareilles circonftances accompagnent.<br />
Les premiers font, par exemple, d'avoir<br />
foin de fa fanté, de fes fens & autres femblables<br />
; les féconds, de fe priver quelquefois d'un<br />
membre <strong>du</strong> corps, & de renoncera fe* biens.Il<br />
en eft de même d'une manière analogue des chofes<br />
contraires au devoir. Ilyaauffi des devoir»<br />
qui toujours obligent, & d'autres qui n'obligent<br />
pas toujours. Ljes premier» font de vivre félon<br />
la vertu ; ks autres font par exemple , de faire<br />
des queftions, de répondre , & autres femblables.<br />
La même diftinâion a lien parraport aux<br />
chofes contraires au devoir* Il y a même un<br />
certain devoir dans les chofes moyennes.; tel eft<br />
celui de l'obéuTance des enians envers leurs précepteurs.<br />
Les Stoïciens divîfent l'âme en- Huit parties f<br />
car Us regardent, comme autant de parties de<br />
•Famé, les cinq fens, l'organe de lavoiac & celui<br />
de la penféç, qui eft l'intelligence elle-même,.<br />
auxquelles ils joignent la faculté générative. Ils<br />
ajoutent que l'erreur pro<strong>du</strong>it une corruption de<br />
Pefprit, d'oànaiflent plufieurs paillons, ou causes<br />
de troubles dans l'ame. La paiTion même »<br />
Vivant Zénoa, eft vu» taotww raifonnaile 6>
*44 Z Ê K O N.<br />
contraire à la nature de l'ame , ou un panchant<br />
qui devient exceflif. Il y a quatre genres de<br />
paffions fupérieures , félon Hécaton dans fon<br />
deuxième livre des Paffïons, & félon Zenon dans<br />
ion ouvrage fous le même titre. Ils les nomment<br />
la triftefle , la crainte, la convoitife, là volupté;<br />
Au raport de Chryfippe dans fan livre des Paffions<br />
, les Stoïciens regardent les partions commentant<br />
des- jugemens de l'efprit ; car l'amour de<br />
l'argent eftuneopinion que l'argent eft une chofe<br />
Jionnête, & il en eft de même de l'yVrognerie,<br />
de la débauche & des autres. Ils difent que la<br />
trifteffe eft une contraction déraifonnable de l'ëfprit,<br />
& lui donnent pour efpéces la pitié, le mécontentement",<br />
l'envie, la jaloufie , l'affliction,<br />
Fangoifle , l'inquiétude, la douleor, & la confc<br />
ternation. La pitié eft Une- triftefle fernblablè *<br />
celle qu'on a pour quelqu'un qui fouffre fans<br />
l'avoir mérité ; le mécontentement, une trifteffe<br />
qu'on reffent <strong>du</strong> bonheur d'autrui ; l'envie, une<br />
trifteffe que l'on-conçoit de ce que les autres ourdes*<br />
biens qu'on voudroit avoir ; la jaloufie , une triCteffe<br />
qui a pour objet des biens qu'on a«n mêmetems<br />
que les autres; l'affliftion, une trifteffe qui<br />
eft à chargerl'àngoiffe, une triftefle preffante, &<br />
qui prefente une idée de péril ; l'inquiétude,une -<br />
trifteffe entretenue,, ou augmentée par le* réflexions<br />
de-l'efprit; la douleur , une triftefle', mêl&e.de.tou,rmejit;,la<br />
confternation , une trifteffe<br />
ds
Z É N O N. t4f<br />
déraifonnable qui ronge le cœur,& empêche qu'on<br />
ne prenne garde aux chofes qui font prefentes.<br />
' La crainte a pour objetjun mal qu'on prévoit^<br />
On range fous elle la frayeur , l'àpréhenfion <strong>du</strong>r<br />
travail, la confufion, la terreur, l'épouvante, 8c<br />
l'anxiété. La frayeur eft une crainte tremblante *<br />
l'àpréhenfion <strong>du</strong> travail, la crainte d'une v chofa<br />
qui donnera de la peine ; la terreur, un effet d«<br />
l'impreffion qu'une chofe extraordinaire fait fur<br />
l'imagination; l'épouvante, une.crainte accompagnée<br />
d'extinâion de voix ; l'anxiété, l'àpréhenfion<br />
que pro<strong>du</strong>it un fujet inconnu ; la convoitife J<br />
un defir déraifonnable, auquel on raporte le be->.<br />
foin, la haine la difcorde, la colère, l'amour;<br />
l'animofité, la fureur. Lebefoin eft un defir re»<br />
pouffé & mis comme hors de la pofTeflîon de h<br />
chofe fouhaitée, vers laquelle , il tend & eft attiré<br />
; la haine, un defir de nuire à quelqu'un quï<br />
croît & s'augmente; la difcorde, le defir d'avoir<br />
-raifon dans une opinion ; la colère, le defir de<br />
•punir quelqu'un d'un tort qu'on croit en avoir<br />
reçu ; l'amour un defir auquel un bon efprit n'eft<br />
point difpofé, carc'eft l'envie de fe concilier l'affeâion<br />
d'un fujet qui nous frape par une beauté<br />
apareqte. L'animofité eft une colère invétérée "<br />
qui attend l'occafion de paroître, ainfi qu'elle<br />
eft reprefentée dans ces vers.<br />
., Quoiqu'il digère fà bile pour ce jour mime, il<br />
tonfemefa colère jufqu'à ce qu'elle foitaffbuvic. La<br />
Tome Z/L N
146 Z É N O N.<br />
fureur eft une colère qui emporte. Quant à la<br />
volupté, c'eft une ardeur pour une chofe qui paroît<br />
fouhaitable. Elle comprend la délectation,<br />
le charme, le plaifir qu'on prend au mal ,1a dlffolution.<br />
La délectation eft le plaifir qui flatte<br />
l'oreille ; le plaifir malicieux, celui qu'on prend<br />
aux maux d'autrui ; le charme , une forte de renversement<br />
de l'ame, ou une inclination au relâchement<br />
; la diffolution, le relâchement de la vertu.<br />
De même que le corps eft fujet à de grandes<br />
maladies, comme la goutte & les douleurs qui<br />
viennent aux jointures ; de même liante eft foumi<br />
fe à de pareils maux, qui font l'ambition , la<br />
volupté & les vices femblables. Les maladies font<br />
des dérangemens , accompagnés d'affoibliffement<br />
$t cette opinion fubite qu'on prend d'une chofe<br />
qu'on fouhaite , eft un dérangement de l'ame.<br />
Comme le corps eft auffi fujet à des accidens,<br />
tels que les catharres & les diarrhées ; ainfi il y<br />
a dans l'ame certains fentimens qui peuvent l'entraîner<br />
, tels que le panchant à l'envie, la <strong>du</strong>reté<br />
, les difputes & autres femblables.<br />
On compte trois bonnes affeétions de l'ame i<br />
la joye, la circonfpeérion, la volonté. La joye<br />
eft contraire à la volupté, comme étant.un ardeur<br />
raifonnabie , la circonfpeôion contraire à la<br />
crainte , comme confiftant dans un éloignement<br />
raisonnable. Le Sage ne craint jamais : mais il<br />
eft circonfpeâ. La volonté eft contraire à la
Z E N O N . *4r<br />
çonvoitife, en ce que c'eft un deCr ratfonnable.<br />
Et comme il y a des fentimens qu'on range fous<br />
les parlions primitives, il y en a aufli qu'on place<br />
fous les affettions de cette efpéce. Ainfi à la<br />
Volonté on fubordonne la bienveillance, l'humeur<br />
pacifique, la civilité, l'amitié ; à lacirconfpeâion<br />
, la modeftie & la pureté, à la joye,~<br />
le contentement, la gayeté , la bonne humeur.<br />
Les Stoïciens prétendent que le Sageeft fan»<br />
paflions, parce qu'il eft éxemt de fautes. Ils distinguent<br />
cette apathie d'une autre mauvaife qui<br />
reffemble à celle-ci, & qui eft celle des gens <strong>du</strong>rs,<br />
& que rien ne touche. Ils dii'ent encore que le<br />
Sage eft fans orgueil , parce qu'il n'eftime pas<br />
plus la gloire que le deshonneur ; mais qu'il y a<br />
un autre mauvais mépris de l'orgueil, qui confifte<br />
à ne pas fe foucier comment on agit. Ils<br />
attribuent l'auftérité aux Sages , parce qu'ils ne<br />
cherchent point à paroître voluptueux dans leur<br />
commerce, & qu'ils n'aprouvent pas ce qui<br />
part des autres & porte ce cara&ére. Ils ajoutent<br />
qu'il y a une autre auftérité , qu'on peut<br />
comparer au vin rude dont on fe fert pour les médecines<br />
, mais qu'on ne prefente point à boire.<br />
Ils ctifent encore que les Sages font éloignés de<br />
tout déguifement,qu'ils prennent garde à ne fe<br />
pas <strong>mont</strong>rer meilleurs"qu'ils ne font par un extérieur<br />
compofé, fous lequel on cache fes défauts<br />
& on n'étale que fes bonnes qualités. Ils n'u-<br />
Ni
148 ï É N O N.<br />
fent point de feintes, ils la banniffent même dé<br />
la voix & de la phyfionomie.<br />
Us ne fe Turchargent point d'affaires , & font<br />
attentifs à ne rien faire qui foit contraire à leur<br />
devoir. Us peuvent boire <strong>du</strong> vin , mais ils ne<br />
s'enyvrent pas ; ils ne fe livrent pas non plus à<br />
la fureur. Cependant il peut arriver qu'ils ayent<br />
de monftrueufes imaginations, & excitées par un<br />
excès de bile, ou dans un transport de délire, non<br />
par une conféquence <strong>du</strong> fyftême qu'ils fuivent,<br />
mais par un défaut de nature. Ils ne s'affligent<br />
point, parce que la triftefle eft une contraction<br />
déraifonnable de l'ame, comme dit Apollodore<br />
dans fa Morale. Ce font des efprits céleftes, qui<br />
ont comme un génie qui réftde au-dedans d'euxmêmes<br />
; en cela bien différens des méchans,<br />
lefquels-font privés de cette prefence de la Divinité.<br />
De là vient qu'un homme peut être dit<br />
Athée de deux manières, ou parce qu'il a des inclinations<br />
qui le mettent en opofition avec Dieu,<br />
ou parce qu'il compte la Divinité pour rien <strong>du</strong><br />
tout; ce qui cependant n'eft pas commun à tous<br />
les méchans. Selon les Stoïciens, les Sages font<br />
pieux, étant pleinement inftruits'de tout ce qu£<br />
a raport à la religion. Us qualifient la piété<br />
la Connoijfance <strong>du</strong> culte, divin , & garantirent la<br />
pureté de cœur à ceux qui offrent des facrifices.<br />
Les Sages haïffent le crime, qui bleffe la majefté<br />
des Dieux ; ils en font les favoris pour,
Z E N O N . 149<br />
leur fainteté & leur juflice. Eux feuls peuvent fe<br />
Vanter d'en être les vrais miniftres par l'attention<br />
qu'ils aportentdans l'examen de ce qui regarde<br />
les facrifices, les dédicaces de Temples , les pu.<br />
rifications, & autres cérémonies relatives au fervice<br />
divin. Les Stoïciens établiffent comme un<br />
devoir, dont ils font gloire aux Sages, d'honorer,<br />
immédiatement, après les Dieux , père & mère,<br />
frères & Jfœurs, aufquels l'amitié pour leurs enfans<br />
eft naturelle , au lieu qu'elle ne l'eft pas dans les<br />
méchans. Selon Chryfippe dans le quatrième livre<br />
de fes Queflions morales, Perfée & Zenon»<br />
ils mettent l»s péchés au même degré , fondés<br />
fur ce qu'une vérité , n'étant pas plus grande<br />
qu'une autre vérité, un menfonge plus grand<br />
qu'un autre menfonge , une tromperie par conféquent<br />
n'eft pas plus petite*qu'une autre fourberie ,'<br />
ni un péché moindre qu'un autre : & de même<br />
que' celui qui n'eft éloigné que d'une ftade de<br />
Canope , n'eft pas plus dans Canope que celui<br />
qui en eft à cent ftades de diftance ; tout de même<br />
aufli celui qui pèche plus, & celui qui pèche<br />
moins , font tout aufli peu l'un que l'autre dans<br />
le chemin <strong>du</strong> devoir. Néanmoins Héraclide de<br />
Tarfe, difciple d'Antipater, fon compatriote, ÔC<br />
Athénodore croyent que les péchés ne font point<br />
égaux. Rien n'empêche que te Sage ne fe mêle<br />
<strong>du</strong> Gouvernement, à moins que quelque raifon<br />
n'y mette obftacle, dit Chryfippe dans le premier<br />
N3
*5
Z E N O N . t^f<br />
frature, de Barreau & d'éloquence; autant de<br />
poftes que les méchans ne fçauraient dignement<br />
remplir. Ils font irrépréhenfibles , parce qu'ils<br />
ne tombent point en faute ; ils font innocens,<br />
puifqu'ils ne portent préjudice à perfonne, ni a<br />
eux-mêmes,mais aufli ils ne fe piquent point d'être<br />
pitoyables, ne pardonnent point à ceux qui font<br />
mal, & ne fe relâchent pas fur les punitions établies<br />
par les Lobe. Céder à la clémence, fe lahTer<br />
émouvoir parla compaffion, font des fentimens<br />
dont ne peuvent être fufceptibles ceux qui ont à<br />
infliger des.peines, & à qui l'équité ne permet pa<<br />
de les regarder comme trop rigoureufes. Le Sage<br />
ne s'étonne pas non plus des phénomènes &des<br />
prodiges delà nature, qui femanifeftentinopinément<br />
des lieux d'où exhalent dés odeurs empeftées,<br />
<strong>du</strong> flux & reflux de la mer, des fources<br />
d'eau minérale & des feux fouterrains. Né pouf<br />
h fociété , fait pour agir , pour s'apliquer t<br />
l'exercice, pour en<strong>du</strong>rcir le corps à la fatigue, il<br />
ne lui convient pas de vivre folitairement, éloigné<br />
<strong>du</strong> commerce des hommes. Un de fes vœux<br />
dirent Pofidonius , dans fon premier livre des<br />
Devoirs,Sc Hécaton dans fon treizième livre de fes<br />
Paradoxes , eft de demander aux Dieux les biens<br />
qui lui font néceflaires. Les Stoïciens eftiment<br />
que la vraye amitié ne peut avoir lieu qu'entrer<br />
des Sages, parce qu'ils s'aiment par conformité<br />
de fentimens. Us veulent que l'amitié foit unet<br />
N 4
*î* Z É N O N.<br />
communauté des chofes n éceffaires à la vie, & que<br />
nous difpofions de nos amis comme nous difpoferions<br />
de nous-mêmes ; auffi comptent-ils la pluralité<br />
de ces fortes de liaifonsparmi les biens que<br />
Ton doit defirer, & que l'on chercheroit en vaia<br />
dans la fréquentation des méchans. Ils confeiL<br />
lent de n'avoir aucune difputeavec desinfenfés,<br />
toujours prêts à entrer en fureur, & fi éloignés de<br />
la prudence , qu'ils ne font & n'entreprennent<br />
rien que par des boutades qui tiennent de la fo- •<br />
lie. Le Sage,, au contraire , fait toutes chofes avec<br />
poids Stmefure, femblable au Muficienlfménias,<br />
qui jouoit parfaitement bien tous les airs de flûte.<br />
iTout eft au Sage en vertu de la pleine puiflance<br />
à lui accordée par la Loi. Quant aux méchans &<br />
aux infenfés , ils ont bien droit fur certaines<br />
chofes ; mais on doit les comparer à ceux qui<br />
poffédent des biens injuftement. Au refte, nous<br />
distinguons le droit de poffeffion qui apartien*<br />
au public, d'avec le pouvoir d'ufage(i}.<br />
Les Stoïciens penfent que les vertus font<br />
tellement unies les unes avec les autres, que celui<br />
qui en a une , lésa toutes , parce qu'elles<br />
sautent en général <strong>du</strong> même fond de réflexions ,<br />
comme le difent Chryfippe dans fon livre des V>er-<br />
\i) C'tft-à-dire, que toutes chofes apartiennent aux Sages<br />
, en tant qu'ils font propres à faire un bon ufage de tour.<br />
C'eft une manière de parler , comme quelques auues trait»<br />
4* S« fOtirait <strong>du</strong> Sage. 1
Z Ê N O N. ïJJ|<br />
lus ', Àpollodore dans fa Phyfique ancienne, &,<br />
Hécaton dans (on troifiéme livre des Vertus. Car<br />
un homme vertueux joint la Spéculation à la pratique<br />
, & celle-ci renferme les chofes qui demandent<br />
un bon choix , de la patiedce, une Cage<br />
diftribution & de la perfévérance. Or, comme 1«<br />
Sage fait certaines chofes par efprit de choix ,<br />
d'aû'tres avec paiience , celles-ci avec équité,<br />
celles-là avec perfévérance, il eft en même-tem*<br />
prudent, courageux, jufte & tempérant. Chaque<br />
vertu fe raporte à fon chef particulier. Par<br />
exemple, les chofes qui exigent de la patience »<br />
font le fujet <strong>du</strong> courage ; le choix de celles qui<br />
doivent être lahTées & de celles qui font neutres,<br />
eft le fujet de la prudence. Il en eft aisfi des autres<br />
, qui ont toutes un fujet d'exercice particulier.<br />
De la prudence viennent la maturité &<br />
le bon fensjde la tempérance procèdent l'ordre<br />
& la décence; de la juftice naiflent l'équité & la<br />
candeur ; <strong>du</strong> courage, proviennent la confiance,'<br />
la réfolution.<br />
Les Stoïciens ne croyent pas qu'il y ait de milieu<br />
entre le vice & la vertu, en cela contraires<br />
à l'opinion des Péripatéticiens , qui établirent que<br />
les progrès font un milieu de cette nature. Ils fe<br />
fondent fur ce que comme il faut qu'un morceau<br />
de bois foit droit ou courbé , il faut de même<br />
qu'on foit jufte, & qu'il ne peut y avoir de fuperlatifà<br />
l'un ou à l'autre égard. Ce raisonnement
tç+ Z E N O N .<br />
eft le même qu'ils font fur Tes autres vertu»;<br />
Chryfippe dit que la vertu peut fe perdre ; Qéanthe<br />
foutrent le contraire. Le premier allègue<br />
pour caufes , qui peuvent faire perdre la vertu-,<br />
Pyvrognerie & la mélancolie; le fécond s'apuye<br />
fur la folidité des idées qui forment la vertu.<br />
Ils difent qu'on doit l'embraffer, puifque nousavons<br />
honte de ce que nous faifons de mauvais ><br />
ce qui dé<strong>mont</strong>re que nous fçavons que l'honnêteté<br />
feule eft le vrai bien. La vertu fuffit aufll pour<br />
rendre heureux, dîfent avec Zenon Chryfippe<br />
dans fon premier livre des Vtrtm,&. Hécaton dan s<br />
fon deuxième livre des Biens. Car fi la grandeur<br />
d'ame , qui eft une partie de la vertu, fuffit pour<br />
que nous furpaffions tous les autres, la vertu ellemême<br />
eft auffi fuffifante pour rendre heureux r<br />
d'autant plus qu'elle nous porte à méprifer les<br />
chofes que l'on répute pour maux. Néanmoins.<br />
Panétius & Pofidonius prétendent que ce n'eft<br />
point aflez de la vertu, qu'il faut encore de la fanté,<br />
de la force <strong>du</strong> corps & de l'abondance.néceflaires.<br />
Une autre opinion ^des Stoïciens eft<br />
que la vertu requiert qu'on en faffe toujoursufage<br />
r comme dit Cléanthe , parce qu'elle ne<br />
peut fe petdre, & quelorfqu'il ne manque rien<br />
à la perfection de L'arrte, le Sage en jouit à toutes<br />
fortes d'égards..<br />
Ils croyent que la juffiice eft ce qu'elle eft, &<br />
noa telle par inftitutioti. Ils parlent fur le même-
Z Ê N O tf. 1(f<br />
ton de la Loi & de la droite raifon ; ainfi que le<br />
«porte Chryfippe dans fon livre de l'Honnétei<br />
Ils penfent auffi que la diverfité des opinions ne<br />
doit pas engager à renoncer à la Philofophie ;<br />
puifque par une pareille raifon il faudroit auffi quitter<br />
toute la vie, ditPofidonius dans fes Exhortations.<br />
Chryfippe trouve encore l'étude des Humanités<br />
fort utile. Aucun droit, félon les Stoïciens»<br />
ne lie les hommes envers les autres a nimaux, parce<br />
qu'il n'y a entr'eux aucune reffemblance, dit<br />
encore Chryfippe dans fon premier livre de là<br />
Juftice, de même que Pofidonius dans fon premier<br />
livre <strong>du</strong> Devoir. Le Sage peut prendre de<br />
l'amitié pour déjeunes gens qui parohTent avoir<br />
de bonnes difpofitions pour la vertu. C'eft ce<br />
que raportent Zenon dans fa République ,<br />
Chryfippe dans fon premier livre des Vies, &<br />
Apollodore dans fa Morale. Ils défihiffent cet<br />
attachement, un goût de bienveillance qui naît des<br />
agrément de ceux qu'il a pour objet,. & qui ne va<br />
pointjufqu'à desfentimens plus forts ; mais demeure<br />
renfermé dans les bornes de l'amitié ( i). On en a<br />
un exemple dans Thrafon, qui, quoiqu'il eût là<br />
maîtreffe en fa puiflance, s'abftint d'en abufer, 1<br />
parce qu'elle le haïffoit (z). Us apellent donc cet-<br />
(0 II faut prendre garde à cette définition, parce qu'ellejullifie<br />
le» anciens Philofophes <strong>du</strong> reproche qo'oa a fcit<br />
i quelques-uns d'avoir de mauvais attachemens..<br />
{*) Caf*»bi>a croit cet endroit déïeâucujc» '
y/A^à<br />
tj8 Z Ê N O N;<br />
te inclination an Amour d'amitié, qu'ils ne taxent<br />
point de vicieufe, ajoutant que les agrémens de<br />
la première jeunefle font une rieur de la vertu.<br />
Selon Bion, des trois fortes de vies, fpécula-<br />
-?pl**, *><br />
te*M-<br />
ve , pratique & raisonnable , la dernière<br />
/ . doit être préférée aux autres, parce que l'animal<br />
raifonnable eft naturellement, fait pour s'apliquer<br />
à la contemplation & à la pratique.<br />
Les Stoïciens préfument* que le Sage peut raifonnablement<br />
s'ôter la vie, fait pour le fervice<br />
de fa patrie , foit pour celui de fe9 amis , ou<br />
ïorfqu'il fouffre de trop grandes douleurs, qu'il<br />
perd quelque membre, ou qu'il contracte des maladies<br />
incurables. Ils croyent encore que les<br />
Sages doivent avoir communauté de femmes,<br />
& qu'il leur eft permis de fe fervir de cellesqa ort<br />
rencontre. Telle eft l'opinion de Zenon dans fâ<br />
République ,At Chryfippe dans fon ouvrage fur<br />
cette matière, deDiogène leCynique& de Platon.<br />
Ils la fondent fur ce que cela nous<br />
engage à aimer tous les enfans , comme fi<br />
nous en étions les pères, & que c'eft le moyen<br />
de bannir la jaloufie que caufe l'a<strong>du</strong>ltère. Ils<br />
penfent que le meilleur Gouvernement eft celui<br />
.quieft mêlé de la Démocratie,de:1a Monarchie<br />
& de l'Ariftocratie. Voilà quels font les fent**<br />
mens des Stoïciens fur la Morale. Us avancent<br />
encore fur ce fujet d'autres chofes, qu'ils<br />
prouvent par des argumens particuliers ; mais c'en
158 Z E N O N .<br />
me la manière dont fe fait la vifion; quejleeft la<br />
caufe <strong>du</strong> phénomène que forme un objet vu dans<br />
un miroir ; comment fe forment les nuées , les<br />
tonnerres , les cercles qui paroiflent autour<br />
<strong>du</strong> foleil & de la lune, les comètes, & autres<br />
queftions de cette nature.<br />
Ils établiflent deux principes de l'Univers;<br />
dont ils apellent l'un Agent & l'autre Patient.<br />
Le principe patient eft la matière, qui eft une<br />
fubftance fans qualités. Le principe qu'ils nomment<br />
agent, eft la raifon qui agit fur la matière ;<br />
fçavoir Dieu, qui étant éternel , crée toutes les<br />
chofes qu'elle contient. Ceux qui établiflent ce<br />
dogme, font Zenon Cittien dans fon livre de la<br />
Subfiance, Cléanthe dans fon livre des Atomes,<br />
Chryfippe dans le premier livre de fa Phyfique vers<br />
la fin, Archedème dans fon livre des Elémens, &<br />
Pofidonius dans fon deuxième livre <strong>du</strong> Syftcme<br />
Phyfique. Ils mettent une différence entre les<br />
principes & les élémens. Les premiers ne font<br />
ni engendrés, ni corruptibles; les féconds fe corrompront<br />
par un embrafement. Les principes<br />
font aufli incorporels & fans forme , au lieu que<br />
les élémens en ont une. Le corps, dit Apollodore<br />
dans fa Phyfique, eft c.e qui a trois dimenûons, la<br />
longueur, la largeur & la profondeur ; &. c'eft ce<br />
qu'on apelle un corps folide. .La fuperficie eft<br />
compofée des extrémités <strong>du</strong> corps, & elle n'a que<br />
de la longueur & de la largeur, fans profondeur.
Z E N O N . 153<br />
C'eft ainfi que l'explique Pofidonius dans fon troifiéme<br />
livre des Météores, confidérés,tant félon<br />
la manière de les entendre que félon leur fubfiftence.<br />
(i) La ligne eft l'extrémité de la fupèrficie,<br />
ou une longueur fans largeur ; ou bien ce<br />
qui n'a que de la longueur. Le point eft l'extrémité<br />
de la ligne, & forme la plus petite marque<br />
•qu'il y ait. Les Stoïciens difent que l'entendement<br />
, la deftinée & Jupiter ne font qu'un même<br />
Dieu, qui reçoit plufieurs autres dénominations ;<br />
que celui qui par le moyen des principes qui<br />
font en lui, change toute la fubftance d'air en<br />
eau; & que comme les germes* font contenus<br />
dans la matière , il en eft de même de Dieu, confidéré<br />
conime raifon féminale <strong>du</strong> monde ; que<br />
cette raifon demeure dans la fubftance aqueiffe ,'<br />
& reçoit le fecours de la matière pour les chofes<br />
qui font formées enfuite ; enfin qu'après cela j<br />
Dieu a créé premièrement quatre élémens, le<br />
feu, l'eau , l'air & la terre. Il eft parlé de ces<br />
élémens dans le premier livre de Zenon fur Y Uni;<br />
vers, dans le premier livre de la Phyfique de Chryv'<br />
fippe, & dans un ouvrage d'Archedème fur les<br />
Elémens. _, ...<br />
Ils définiflent l'élément ce qui entre le premier<br />
dans la compoûtion d'une-chofe , &. Je dernier<br />
(0 II piioû y avoir ici quelque équivoque, ou obfciU<br />
lité/8c iln'y a point de noce.
,6o Z É N O N.<br />
dans fa réfolution. Les quatre élemens conftituent<br />
enfemble une fubftance fans qualités, qui eft la<br />
matière. Le feu eft chaud , l'eau humide, l'air<br />
froid, la terre feche , & il y,a auffi quelque<br />
chofe de cette qualité dans l'air. Le feu occupe<br />
lé lieu le plus élevé , & ils lui donnent le nom<br />
A'éther. C'eft-là que fut formé premièrement l'orbe<br />
des étoiles fixes, puis celui des étoiles errantes<br />
, & placent enfuite l'air après l'eau. Enfin la<br />
terre occupe le lieu le plus bas, qui eft en mêmetems<br />
le centre <strong>du</strong> monde.<br />
Ils prennent le' mot de monde en trois fens ;<br />
premièrement pour Dieu même, qui s'aproprie<br />
la fubftance univerfelle , qui eft incorruptible ,<br />
non engendré, l'auteur de ce grand & bel ouvrage<br />
, qui enfin au bout de certaines révolutions<br />
de tems, engloutit en lui-même toute la fubftance<br />
, & l'engendte de nouveau hors de lui-même.<br />
Ils donnent auffi le nom de monde à l'arrangement<br />
des corps céleftes, & apellent " encore ainfi la<br />
réunion des deux idées précédentes. Le monde<br />
eft la difpofition de la fubftance univerfelle en<br />
qualités particulières, ou comme dit Pofidonins<br />
dans fes Elémens fur la Science des chofes céleftes ,<br />
l*afi*embiage <strong>du</strong> ciel & de la terre , 6c defs natures<br />
qu'ils contiennent; ou bien l'affemblage des Dieux,<br />
des hommes , & des chofes qui font créées<br />
pour leur ufage. Le ciel eft la dernière circonférence<br />
dans laquelle réfide tout ce qui participe,
Z E N O N . 161<br />
cîpe à la Divinité. Le monde eft gouverné avec<br />
intelligence & con<strong>du</strong>it par une Providence , comme<br />
s'expliquent Chryfippe dans fes livres des EUmens<br />
des chofes céleftes, & Pofidonius dans fon<br />
treizième livre des Dieux. On fupofe dans ce<br />
fenti ment que l'entendement eft répan<strong>du</strong> dans toutes<br />
les parties <strong>du</strong> monde , comme il l'eft dans<br />
toute notre ame, moins cependant dans le unes '<br />
& plus dans les autres. Il y en a de certaines<br />
ou il n'a qu'un, ufage de faculté, comme dans les<br />
os & les nerfs ; il y en a encore dans lefquelles<br />
il agit comme entendement ; par exemple, dans<br />
la partie principale de l'ame. C'eft ainfi que le<br />
monde univerfel eft un animal doué d'ame & de<br />
raifon , dont la partie principale eft l'éther , comme<br />
le dit Antipater Tyrien dans fon huitième livre<br />
<strong>du</strong> Monde. Chryfippe, dans fon premier lir<br />
vre de la Providence, &. Pofidonius dans fon livre<br />
des Dieux, prennent le ciel pour la partie<br />
principale <strong>du</strong> monde : Cléanthe admet lefoleil;<br />
mais Chryfippe, d'un avis encore plus différent,<br />
prétend que c'eft la partie la plus pure de l'éther ,<br />
qu'on apelle, auflï le Premier dts Dieux, qui pénétre<br />
, pour ainfi dire, comme un fens, dans les<br />
chofes qui font dans l'air, dans les animaux 8C<br />
dans les plantes ; mais qui n'agit dans la- terre<br />
que comme une faculté».<br />
Tl n'y a qu'un monde, terminé , & de forme<br />
fphérïque, forme la plus convenable pour le mou-<br />
Tome //. O
l6i Z É N O N.<br />
vement, comme dit Pofidonius dans fon quinzième<br />
livre <strong>du</strong> Syftéme Phyfique, avec Antipater dans<br />
fes livres <strong>du</strong> Monde. Le monde eft environné<br />
extérieurement d'un vuide infini, & incorporel. Ils<br />
apellent incorporel ce qui, pouvant être occupé<br />
par des corps, ne Teft point. Quant à l'intérieur<br />
<strong>du</strong> monde , il ne renferme point de vuide, mais<br />
tout y eft néceffairement uni enfemble par le raport<br />
& l'harmonie que les chofes céleftes ontavec<br />
les terreftres. Il eft parlé <strong>du</strong> vuide dans le premier<br />
livre de Chryfippe fur cet article, & dans fon<br />
premier livre des Syftêmes Phyfiques-, auffi-bien<br />
que dans la Phyfique d'Apollophane , dansApollodore,<br />
& dans Pofidonius au deuxième livre de<br />
fon traité de Phyfique. Ils difent que les chofes<br />
incorporelles font femblables, & que le temseft<br />
incorporel, étant un intervalle <strong>du</strong> mouvement<br />
<strong>du</strong> monde. Us ajoutent que le paffé & le futuf<br />
n'ont point de bornes, mais que le prefent eft<br />
borné. Us croyent auffi que le monde eft corruptible,<br />
puifqull a été pro<strong>du</strong>it ; ce qui fe prouve<br />
parce qu'il eft compofé d'objets quife comprend<br />
nent par les fens , outre que fi les parties <strong>du</strong>:<br />
inonde font corruptibles, le tout l'eft auflï.. Ot<br />
lesparties <strong>du</strong> monde font corruptibles, puifqu'elles<br />
fe changent l'une dans l'autre ;ainfi le monde<br />
eft corruptible auffi. D'ailleurs fi on peut prouver<br />
qu'il y a des chofes qui changent de maaléxe<br />
qu'elles foient dans un état plus mauvai»
Z É N O N. t€$<br />
qu'elles'n'étoient, elles font corruptibles. Or cela<br />
a lieu par raport au monde , car il eft fujet à<br />
des excès de féchereffe & d'humidité. Voici<br />
comment ils expliquent la formation <strong>du</strong> monde.'<br />
Après que la fubftance (i) eut été convertie dé<br />
feu en eau par le moyen de l'air, la partie la plus<br />
groffiére s'étant arrêtée & fixée, forma la terre ; la<br />
moins groffiére fe changea en air ; & la plus fubtile<br />
pro<strong>du</strong>isit Je feu ; de forte que de leur mélange<br />
provinrent enfuite les plantes, les animaux &<br />
les autres genres. Ce qui regarde cette pro<strong>du</strong>ction<br />
<strong>du</strong> monde & fa corruption , eft traité<br />
par Zéno>n dans fon livre de VUnivers par Chryfippe<br />
dans fon;premier livre de la Phyfique, par<br />
Pofidonius dans fon premier livre <strong>du</strong> Monde, pan<br />
Cléanthe , & par Antipater dans fon'idixiéme livre<br />
fur le même fujet. Au refte Panétius foutienf<br />
que le monde eft incorruptible. Sur ce que le;<br />
monde eft un animal doué de vie , de raifon Se<br />
d'intelligence, on peut voir Chryfippe dans fo»<br />
premier livre de la Providence, ApoUodore dans<br />
fe Phyfique & PôfidoniusV Le monde eft un animal<br />
au fens de fubftance ^ doué d'une ame fenfible<br />
; car ce qui eft un animal eft< meilleur que<br />
ce qui ne l'eft point; or il n'y a rien deplusexcellentquele<br />
monde ; donc le monde eft un ani~<br />
mal. Qu'il eft doui d'une ame,- c'èft ce qui pa*.<br />
(i) La'raiticre. Voyez ci-Jcffus.
164 Z E N O N .<br />
roît par la nôtre, laquelle en eft une portion détachée<br />
: Boëthe nie cependant que le monde-foie<br />
animé. Quant à ce que le monde eft unique<br />
» on peut confulter Zenon, qui l'affirme dans,<br />
fonlivrede Y Univers , Chryfippe, ApoUodore<br />
dans fa f hyfique, & Pofidonius dans le premier<br />
livre de fon Syftéme Phyfique, ApoUodore dit<br />
qu'on, donne au monde le nom de tout, & que<br />
ce terme fe prend auffi d'une autre manière pour,<br />
défigner le monde avec le vuide qui l'environne<br />
extérieurement. Il faut fe fouvenir que le monde<br />
eft borné, mais que le vuide eft infini.<br />
Pour ce qui eft des aftres, les étoiles fixes<br />
font emportées circulairement avec le ciel ; mais<br />
tes étoiles errantes ont leur mouvement particulier;<br />
Le foleil fait fa route obliquement crans<br />
le cercle <strong>du</strong> Zodiaque, & la lune a pareillement<br />
une route pleine de détours. Le foleil eft un<br />
feu très-pur. dit Pofidoriius dans fon dix-feptiéme<br />
livre des Météores, & plus grand que la terre ±<br />
félon le même Auteur dans fon feiziéme livre <strong>du</strong><br />
Syftéme Phyfique. Il le 'dépeint de forme fphérique,<br />
fuivant en cela la proportion <strong>du</strong> monde»<br />
Il paroît être un globe igné, parce qu'il fait toutes<br />
les fondions <strong>du</strong> feu ; plus grand que le glo.<br />
ke de la terre , puifqu'il l'éclairé en tout feus ,.&<br />
qu'il répand même fe. lumière, dans toute l'é.ten<strong>du</strong>e<br />
<strong>du</strong> ciel. On conclut encore de l'ombre fc<br />
que forme lit terre en guife de cône* que le for *
Z Ê N O tf; i6<<br />
leil la furpaffe en- grandeur , & que c'eft pou*<br />
cette raifon qu'on l'aperçoit par-tout. La lune<br />
a quelque chofe de plus terreftre , comme étant<br />
plus près de la terre. Au refte, les corps igné*<br />
°nt une nourriture , au-ffi-bien- que les autres af-<br />
*res. Le foleil fe nourrit dans l'Océan , étant<br />
une flamme intellectuelle. La lune s'entretient de<br />
leau des rivières, parce que , félon Pofidonius<br />
dans Ton fixiéme livre <strong>du</strong> Syftême Phyfique , elle<br />
eft mêlée d'air & voifine de la terre, d'où les<br />
autres corps tirent leur nourriture. Ces Philefophes<br />
croyent que les aftres font de figure,<br />
fphérique, & que la terre eft immobile. Ils ne<br />
penfent pas que la lune tire fa lumière d'elle-même,<br />
ils tiennent au contraire qu'elle.la reçoit <strong>du</strong><br />
foleil. Celui-ci s'eclipfe , Ibrfque l'autre lui eft'<br />
opofée <strong>du</strong> coté qui regarde la terre, dit Zenon<br />
dans fon livre de l'Univers. En effet, le foleiî<br />
dîfparoît & nos yeux pendant fa conjonction avec<br />
la lune , & reparoît lorfque la conjonction eft fii.<br />
me. On ne içauroit mieux remarquer ce phénomène<br />
que dans un baffin où Ton a mis de l'eau;<br />
La lune s'eclipfe , lorfqu"elle tombe dans l'ombre<br />
de la terre. De là vient que les éclipfes de lune<br />
n'arrivent que quand elle eft pleine .quoiqu'elle<br />
foit tous les mois vis-à-vis <strong>du</strong> foleil ; car comme<br />
eHefe meut obliquement vers lui , fa latitude<br />
varie félon qu'elle fe trouve au Nord ou au Midi.<br />
Mais lorfque la latitude fe rencontre avec
«55 Z Ë W O NV<br />
celle <strong>du</strong> foleii & avec celle des corps qui fonr<br />
entre-deux, & qù* avec cela elle eft opolée au<br />
foleii ; alors s'enfuit l'éclipfe; Pofidonius dit<br />
que le? mouvement de fa latitude fe rencontreavec<br />
celle des corps intermédiaires dans l'Ecrevifle,<br />
le Scorpion, le Bélier & 1 e Taureau.<br />
Dieu, félon les Stoïciens, eft un animalimmor»<br />
tel, raifonnable,parfait, ou intellectuel dans fa<br />
félicité jinacceflîble au mal .lequel prend foin <strong>du</strong><br />
monde & des chofes y contenues. Il n'a point<br />
de forme humaine, il eft l'architecle de l'Univers<br />
& le père de toutes chofes. On donne auftî vulgairement<br />
la qualité d'architefte <strong>du</strong> monde à cette<br />
partie de la Divinité qui eft répan<strong>du</strong>e en toutes<br />
chofes-, & qui reçoitdiverfesdénominations, eu<br />
égard à fes difFérens effets. On l'apelle Jupi~<br />
ter, parce que, félon la fignification de ce terme,<br />
c'eft d'elle que viennent toutes chofes, &<br />
qu'elle eft le principe de la vie , ou qu'elle'eft<br />
unie à tout ce qui vit; Minerve, parce que fa<br />
principale aftion eft dans l'éther ; Junon , entant<br />
qu'elle domine dans l'air ; Vitlcain y entant qu'elle<br />
préfide au feu artificiel ; Neptune, entant qu'el- ~<br />
le tient l'empire des- eaux ; Cérès, entant qu'elle'<br />
gouverne la terre. Il en eft de même des autresdénominations<br />
fous lefquelles on la diftingue relativement<br />
à quelque propriété. Le monde en*<br />
tier & le ciel font la- fubftance de Dieu, difent'<br />
Zenon,, Chryfipge dans fon livre onzième, des-
f é N o N. «$<br />
Dieux, & Pofidonius dans fon premier livre, intitulé<br />
de même; Amipater, dans fon feptiéme<br />
livre <strong>du</strong> Monde -, compare la fubftance divine à<br />
celle de l'air , & Boëthe, dans fon livre de la<br />
Nature , veut qu'elle reflemble à la fubfiance desétoiles<br />
nxes-<br />
Quant à la nature, tantôt ils donnent' ce nom<br />
à la force qui unit le» parties <strong>du</strong> monde-, tantôt<br />
à celle qui fait germer toutes chofes fur la terre.'<br />
La nature, eft une vertu, qui, par un mouvement<br />
qu'elle a en elle-même, agit dans les fèmences ;<br />
achevant & unifiant dan» des efpaces de tems<br />
marqués ee qu'elle.pro<strong>du</strong>ir, & formant des chofes<br />
pareilles à- celles dont elle a été féparée. (i)<br />
Au refte elle réunit dans cette acHon l'utilité avec<br />
le plaint, comme cela paroit parla formation de<br />
l'homme. Toutes chofes font foumifes à une<br />
deftinéiç,. difent Chryfippe dans fes livres fur cefujet,<br />
Pofidonius dans fon deuxième livre fur la<br />
même matière r & Zenon auffi-bien que Boëthe<br />
, dans fon onzième livre de la Dtflinêc. Cette<br />
deûinée-eft l'enchaînement des caufes, ou là.<br />
raifon par laquelle le monde eft dirigé..<br />
Les Stoïciens prétendent que la divination a.<br />
un fondement réel, & qu'elle eft même une prévis<br />
fion. Ils la té<strong>du</strong>ifent en Art par caport à cer«r<br />
(i)' Ctft-i-dire, jt eioh, dont elle *itt Cé&iitvrtt:<br />
6s.&i»9«t.daiuleôjueUe» cfie agir,.
t€8 Z É N O N.<br />
tains événemens .''comme difent Zenon , Cbryfippe<br />
dans fon deuxième livre de la Divination,<br />
Athénodore, & Pofidonius dans fon douzième livre<br />
<strong>du</strong> Syftéme Phyfique ,ainfi que dans fon cinquième<br />
livre de la Divination. Panétius.eft d'un<br />
fentiment contraire ; il refufe à la divination ce<br />
que lui prêtent les autres.<br />
. Ils difent que la fubftance de tons tes êtres<br />
eft la matière première. C'eft le fentiment de'<br />
Chryfippe dans fon premier livre de Phyfique^<br />
& celui de Zenon. La matière eft ce dont<br />
toutes chofes,quelles qu'elles forent, font pro<strong>du</strong>ites.<br />
On l'apelle fubftance & matière en deux<br />
fens , entant qu'elle eft fubftance & matière dont<br />
toutes chofes font faites , & entant qu'elle eft<br />
fubftance & matière de chofes particulières. Comme<br />
matière universelle, elle n'eft fujette , ni à<br />
augmentation, ni à diminution comme matière<br />
de chofes particulières , elle eft fufceptible de<br />
ces deux accidens. La fubftance eft corporelle<br />
& bornée , difent Antipater dans fon deuxième<br />
Evre de la Subftanct,, &.Apollodre dans faPny<br />
fiquu Elle eft auffi pailible, félon le même Auteur;<br />
car fi elle n'étoit pas.muable .leschofes,<br />
qui fe font, ne pourroient en être faites. Delà<br />
Vient auftî qu'elle eft divifible à l'infini. Chryfippe<br />
trouve cependant que cette divifion n'eft point<br />
infinie, parce que le fujet qui reçoit la divifion<br />
n'eft point infini ; mais il convient que la<br />
divifion ne finit point. Le*
2 Ê N O ff. ifij<br />
Les mélanges fe font par l'union de toutes les<br />
parties , & non par une fimple addition de l'une<br />
à l'autre , ou de manière que celles-ci environnent<br />
celles-là, comme dit Chryfippe dans fon troifiéme<br />
livre de Phyfique. Par exemple, un peu de<br />
vin, jette dans la mer, réfifte d'abord en s'éteadant,<br />
mais s'y perd enfuite.<br />
Ils croyent auffi qu'il y a certains Démons }<br />
qui ont quelque fympathie avec les hommes, dont<br />
ils obfervent les actions, de même que des Héros<br />
, qui font les âmes des gens de bien.<br />
Quant aux effets qui arrivent dans l'air , ils»<br />
difent que l'hyver eft l'air refroidi par le grand<br />
éJoignement <strong>du</strong> foleil ; le printems, l'air tern-*<br />
péré par le retour de cet aftre ; l'été , l'air<br />
échauffé par fon cours vers le nord ; & l'autom»<br />
ne l'effet de fon départ v.ers les lieux d'où viennent<br />
les vents (i). La caufe de ceux-ci eft le<br />
foleil , qui convertit les nuées en vapeursi<br />
L'arc-en-ciel eft compofé de rayons, réfléchis par<br />
l'humidité des nuées , ou, comme dit Pofidonius<br />
dans fon traité des Chofes céleftes, c'eft l'aparence<br />
d'une portion <strong>du</strong> foleil, ou de la lune vue<br />
dans une nuée pleine de rofée, concave & continue<br />
, qui fe manifefte fous la forme d'un cercle,<br />
r<br />
(i) Il manque id quelque chofe dans le Grec; on y fuplée<br />
pat coûte une période. J'ai mieux aimé fuivre Fs«traites<br />
, qui ne ûiplce qu'un mot, quoiqu'il ne (oie j>a»<br />
'aille'»" hi-ureux dans piefque loue ce livre.<br />
J
«7
Z E N O N . ,7l<br />
environnée de feu & accompagnée d'un vent qui<br />
fort des .cavités de la teilfe, on jointe à un vent<br />
comprimé dans les fouterrains , comme l'explique<br />
Pofidonius dans Ton huitième livre. Il y en a<br />
de différente efpéce. Les uns caufent les tremblemens<br />
de terre, les autres les gouffres ; ceuxci<br />
des inflammations , ceux-là des bouillonne-'<br />
mens.<br />
Voici comme ils conçoivent l'arrangement <strong>du</strong><br />
monde. Ils mettent la terre au milieu, & la font<br />
fervir de centre ; enfuite ils donnent à l'eaa, qui<br />
eft de forme fphérique, le même centre qu'à la<br />
terre ; de" forte que celle-ci fe trouve être placée<br />
dans l'eau ; après ce pernier élément, vient l'air<br />
qui l'*nvironne comme une fphére. Ils pofenç<br />
dans le ciel cinq cercles , dont le premier eft le<br />
cercle ar&ique qu'on voit toujours ; le fécond,<br />
le tropique d'été ; le troifiéme, le cercle équL<br />
noâial ; le quatrième , le tropique d'hyver ; le<br />
cinquième , le cercle antarctique , qu'on n'aperçoit<br />
pas. On apelle ces cercles Parallèles j<br />
parce qu'ils ne fe touchent point l'un l'autre, &<br />
qu'ils font décrits autour <strong>du</strong> même Pôle. Le zodiaque<br />
eft un cercle oblique, qui pour ainfi dire ,<br />
traverfe les cercles parallèles. la terrre eft auflï<br />
partagée en tfînq zones : en zone feptentrionale<br />
au-delà <strong>du</strong> cercle ar&ique, inhabitable par<br />
fa froideur ; en zone tempérée ; en zone torride,ainfi<br />
nommée àcaufe de fa chaleur, qui la<br />
P*
17» Z É N O N-<br />
rend inhabitable ; en zone tempérée, comme cel"<br />
le.quiluieftopofée , & en zone auftrale, auflî inhabitable<br />
pour fa froi<strong>du</strong>re que le font les deux<br />
autres.<br />
Les Stoïciens fe figurent que la nature eft un<br />
feu plein d'art, lequel renferme dans fon mouvement<br />
une vertu générative ;c'eft- à-dire, un efprit,<br />
qui a les qualités <strong>du</strong> feu & celles de l'art.<br />
Ils croyentl'ame douée de fentîment, &l'apellent<br />
un tfprh formé avec nous ; auflî en font - ils un<br />
corps qui fubfifte bien après la mort, mais qui<br />
cependant eft corruptible. Au refte ils tiennent<br />
que l'ame de l'Univers, dont les âmes des animaux<br />
font des parties , n'eft point fujette à corruption.<br />
Zenon Cittien, Antipater dans fes livres de<br />
l'^me.&Pofidonius nomment l'ame un Efpritdoui<br />
de chaleur, qui nous donne la refpiration & le<br />
mouvement. Çléanthe eft d'avis que toutes les<br />
âmes le confervent jufqu'à la conflagration <strong>du</strong><br />
monde ; mais Chryfippe reftreint cette <strong>du</strong>rée aux<br />
âmes des Sages. Ils comptent huit parties de<br />
l'ame ; les cinq fens, les principes de génération ,<br />
la faculté de parler, & celle de raifonner. La<br />
vue eft une figure conoïde , formée par la lu-*<br />
miére
Z E N O N . 17)<br />
ife vers fobjet, comme fi on écartoît l'air avec<br />
un bâton pour rendre l'objet vifible. L'ouïe fe<br />
fait parle moyen de l'air qui fe trouve entre celui<br />
qui parle & celui qui écoute, lequel, frapé orbiculairement<br />
, énfuite agité en ondes , s'infinua<br />
dans l'oreille de la même manière qu'une pierre ,'<br />
jettée dans l'eau, l'agite & y caufe une on<strong>du</strong>lation.<br />
Le fommeil confifte dans un relâchement<br />
des fens occafionné'par la partie principale de<br />
l'âme. Ils donnent pour caufe des paf&ons le»<br />
changemens de l'efprit.<br />
La femence, difent les Stoïciens, eft une chofe<br />
propre à en pro<strong>du</strong>ire une pareille à celle dont<br />
elle a été féparée. Par raport aux hommes ,1<br />
- elle fe mêle avec les parties de l'ame, en fuivant<br />
la proportion de ceux qui s'unifient. Chryfippe,<br />
dansfon deuxième livre de Phyfique, apelle<br />
les femences un Efprit jointe la jubftmtce ; ce<br />
qui paroît par les femences qu'on jette à terre,)<br />
& qui, lorfqu'elles font flétries, n'ont plus 1*<br />
vertu de rien pro<strong>du</strong>ire , parce que la force eo!<br />
eft per<strong>du</strong>e. Sphœrus allure que les femences pro-;<br />
viennent des corps entiers ; de forte que la ver-;<br />
tu générative apartient à toutes les parties <strong>du</strong><br />
corps. Il ajoute que les germes des animaux fe-;<br />
melles n'ont point de fécondité, étant foibles, en<br />
petite quantité & de nature aqueufe.<br />
La partie principale de l'ame eft ce qu'elle}<br />
P3
»7ij t EN O N.<br />
jrenfermedeplus excellent. Ceft-là que fe forment<br />
les images que l'ame conçoit , que naiffent les<br />
panchans.les defirs, & tout ce qu'on exprime<br />
par la parole. On place cette partie de l'ame<br />
dans le coeur.<br />
Ceci, je crois, peut fuffire pour ce qui regarde<br />
les fentimens des Stoïciens fur la Phyfique,<br />
•utant qu'ils concernent l'ordre de cet ouvrage.<br />
[Voyons encore quelques différences d'opinions >.<br />
gui fubûftent entr« ces Phtlofophes.<br />
«*>
A R I S T O ï. ï7f<br />
A R I S TON.<br />
A<br />
Rifton le Chauve, natif de Chio, & furnorè><br />
mé Sirène , faifoit coofifter la fin qu'o*<br />
doit fe propofer, à étte indifférent fur ce où il<br />
n'y a ni vice , ni vertu. Il n'exceptoit aucune<br />
de ces chofes , ne panchoit pas plus pour les unes<br />
que pour les autres , & les regardoit toutes<br />
de même œil. Le Sage, ajoutoit-il, doit rejfemf<br />
hier à un bon A&eur, foit qu'il joue le rèle de Therfite<br />
(i) , ou celui d'Agamemnon, s'en sé<strong>du</strong>ite d'une manière<br />
également convenable. Ilvouloit qu'on ne s'appliquât,<br />
ni à la Phyfique, ni à la Logique, fous prétexte<br />
que l'une de ces fctences étoit au-deffus de<br />
nous, & que l'autre ne nous intéreffoit point. Lé<br />
Morale lui paroiffoit être le feul genre d'étude<br />
qui fût propre à l'homme. H comparoit les raifonnemens<br />
de la Dialectique aux toiles d'araignées,<br />
qui quoiqu'elles femblent renfermer beau-;<br />
coup d'art , ne font d'aucun ufdge. Il n'étoit<br />
ni de l'avis de Zenon, qui croyoit qu'il y a plufleurs<br />
fortes de vertus, ni de celui des Philofôphes<br />
Mégariens, qui difoient que la vertu eftune<br />
çhofe unique, mais à laquelle on donne plufteurs<br />
(i) Hoir.»» laid Se grofficr.<br />
P4
*7t A R I S T O W:<br />
noms. Il Ja définiflbit la manière dont il Je faut<br />
ton<strong>du</strong>irc par raport A une ckofe. Il enfeignoit<br />
cette Philofophie dans le Cynofarge (i), & devint<br />
ainfi Chef de Seôe. Miltiade&'Diphilus furent<br />
apellés Arijloniens <strong>du</strong> nom de leur Maîtres<br />
Au relie il avoit beaucoup de talent à perfuader,'<br />
& étoit extrêmement populaire dansfe* leçons JDe<br />
*» cette expreflîon de Timon :<br />
Quelqu'un, forti de la famille de cet Arijlon, qui<br />
ttoitfia faite.<br />
Dioclès de Magnéfie raconte qu'Ariftoh s'étant<br />
attaché à Polémon, changea de fentiment àl'occafiott<br />
d'une grande maladie où tomba Zenon. Il<br />
infiftoit beaucoup fur le dogme Stoïcien, que le<br />
Sage ne doit point juger par (impie opinion. Per-;<br />
fée , qui contredifoit ce dogme , fe fervit de<br />
deux frères jumeaux, dont l'un vint lui confier<br />
un dépôt, que l'autre vint lui redemander, & le<br />
tenant ainfi en fufpens, il lui fit fentir fan erreur;<br />
Il critiquoit fort & haïffoit Arcéfilas ; de forte<br />
qu'un jour ayant vu un monftrueux taureau.qui<br />
avoit une matrice, il s'écria: Hélas! voilà pour<br />
'Arcéfilas un argument contre Vévidence (a). Un<br />
Fhilofophe Académicien luifoutint qu'il n'y avoit<br />
lien de certain. Quoi! dit-il,ne voycç-vous pas,<br />
(l> Nom d'an Temple d'Hercule à Athènes, Pa*f**Ui,<br />
voyage de l'Actitjue , ch. 18.<br />
(>) Il fiu le premier cjiii foutjnt le pour te le contre..
A R I S T O N; ïff,<br />
'celui -qui eft affis à cité de vous ? n Non , répond<br />
» dit l'autre «. Sur quoi Arifton reprit : Qui<br />
vous a ainfi aveuglé ? qui vous a été Tufage des,<br />
yeux ( i) ?<br />
On lui attribue les ouvrages fuivans : Deuit<br />
•livres d'Exhortations. Des Dialogues fur la Phb^.<br />
lofophie de Zenon. Sept autres Dialogues d'école!<br />
Sept Traités fur la Sagejfe. Des Traités fur L'Amour.<br />
Des Commentaires fur la vaine Gloire!<br />
Quinze livres de Commentaires. Trois livres de<br />
chofes mémorables. On^e livres de Caries. Des<br />
Traités contre les Orateurs. Des Traités contre les<br />
Répliques £Alexinus. Trois Traités contre les Dia-~<br />
leHiciens. Quatre livres de Lettres à Cléanthe.<br />
Panétius & Soficrate dïfent qu'il n'y a que ce*<br />
lettres qui foient de lui ,& attribuent les autre»<br />
ouvrages de ce catalogue à Arifton le Péripa-j<br />
téticien.<br />
Se^on la voix commune, celui dont nous parlons<br />
étant chauve , fut frapé d'un coup de foleiltce<br />
qui lui caufa la mor(. C'eft à quoi nous avons<br />
fait allufioa da ns ces vers Choliambes (a) quÇ<br />
BOUS avons compofés à fon fujet.<br />
Pourquoi vieux & chauve, Arifton, donnois-tu<br />
ta tête à rôtir au foie il? En cherchant plus de cka$<br />
(\) Vers d'un Poïte inconnu. Menait,,<br />
{ij ioue de vers ïambes»
t7* A R I S T O' «.•<br />
leur qu'Une t'en faut, tu tombes, fans le vouloir*<br />
•dans les glaçons de la mort.<br />
Il y a eu un autre Arifton , natif d'Ioulis ;<br />
PhilofophePéripatéticien; un troifiéme, MuiSciea<br />
^d'Athènes ; un quatrième , P©ëte Tragique ; un<br />
xinquiéme <strong>du</strong> boifrg d'Alsee, qui écrivit des Syf-<br />
.têmes de Rhéthorique, &vnfixiémené à Alexandrie<br />
, & Philofophe de la Secte Péripatéticienne.
H E R I L L ti 179<br />
H E R I L L E.<br />
H Erille de Carthage, faifoit confifler dans la<br />
fcience la fin que l'on doit fe propofer ; c'efta-<br />
dire , à vivre de telle forte qu'on raporte toutes<br />
fes aérions au deffein de vivre avec fcience , de<br />
crainte qu'on ne s'abrutiffe dans l'ignorance. I*<br />
définiffort la fcience une Capacité d'imagination à<br />
recevoir les chofes qui font Itfujet de la rai/on.<br />
Quelquefois il doutoit qu'il y eût de fin proprement<br />
dite , parce qu'elle change félon les circonftartces<br />
& les a&ions ; ce qu'il écIaircilToit par<br />
la comparaifon d'une certaine quantité de métal ,<br />
qui peut auffi-bien fervir àfaire une ftatued'Alexandre<br />
qu'une de Socrate. Il difok qu'il y a de la<br />
différence entre la fin & ce qui n'eft que fin fubordonnée<br />
; que tous ceux qui n'ont point la<br />
fageffe en partage, tendent à la dernière, 6c que<br />
l'autre n'eft recherchée que par les feuls Sages.<br />
Il croyoh encore que les chofes, qui tiennent le<br />
milieu entre le vice^ôt la vertu , font indifférentes.<br />
Quant à fes ouvrages , il eil vrai qu'ils font<br />
fort courts, mais pleins de feu & de force contre<br />
Zenon , qu'il prend à tâche de contredire. On<br />
raconte qu'étant enfant , il étoit fi chéri desuns<br />
& des autres, que Zenon, pour les écarter ,
Ud H E R I L L E;<br />
fit couper les cheveux à Herille ; ce qui réunit<br />
au gré <strong>du</strong> Philofophe. Ses œuvres font intitulées :<br />
De F exercice. Des Pajjions. De l'Opinion. Le Législateur.<br />
L'accoucheur 11). Antipheron le Précepteur.<br />
Le Fa'ifeur de préparations. Le Directeur.<br />
Mercure , Médée. Dialogues fur des Queftion*<br />
morales*<br />
r (i) Dialogues, qui ponoient ce nom. Nous avons confeivé<br />
le mot dans la Vie de Platon, en mmaw Diult'<br />
X«e* Meutiq»ti.<br />
%•'**<br />
te^.I#é<br />
^Mt<br />
&
D EN Y S. itt<br />
D E N Y S-<br />
TT\ Enys, furnommé le Transfuge, établiffoit<br />
•"-^ la volupté pour fin. Le goût pour ce fyftême<br />
lui vint d'un accident aux yeux , mais fi<br />
violent, que n'en pouvant fouffrir l'excès , il<br />
fe dépouilla <strong>du</strong> préjugé que la douleur efl: indifférente.<br />
Il étoit fils de Théophante , & natif de<br />
la ville d'Héraclée. Dioclès dit qu'il fut premièrement<br />
difciple d'Héraclidefonconcitoyen,<br />
enfuke d'AIexinus, puis de Menedème, & en dernier<br />
lieu de Zenon.<br />
Il eut d'abord beaucoup d'amour pour les Lettres,<br />
& s'apliqua à toutes fortes d'ouvrages de<br />
Poëfie, jufques-là qu'étant devenu partifand'Aratus,<br />
il tâcha de l'imiter. Il renonça enfuite à Zenon<br />
& fe tourna <strong>du</strong> côté des Philofophes Cyrénaïques<br />
, dont il prit tellement les fentimens , qu'il<br />
entroit publiquement dans les lieux de débauche,<br />
& fe vautroit, fous les yeux d'un chacun , dans<br />
le fein des voluptés. Etant octogénaire, il mourut<br />
à force de fe paffer de nourriture. On lui<br />
attribue les ouvrages fuivans : Deux livres de<br />
r Apathie : deux de l'Exercice : quatre de la Volupté.<br />
Les autres ont pour titres : de la RicheJJc :<br />
des Agrément ; de la Douleur ; de l'ufage de*,
»8z N D E N f S.<br />
Hommes. Du Bonheur. Des Anciens Rois., Du<br />
thofcs' qu'on loue. Des Mœurs étrangères.<br />
Tels font ceux qui ont fait clafle à part , en<br />
s'éloignant des opinions des Stoïciens. Zenon eut<br />
pour fuccefleurCléanthe, de qui nousavons maintenant<br />
à parler.<br />
•% **
C L Ê A N T H JL i»)<br />
C L Ê A N T H E-<br />
f~> Léanthe, fils de Phanius , naquit dans la<br />
^ ville d'Affe , témoin Antifthènè dans fés<br />
SucceJJîons. Sa première profeflion fut celle d'Athlete.<br />
Il vint à Athènes, n'ayant, dit-on, que<br />
quatre drachmes pour tout bien.Il fit connoiffance<br />
avec Zéno n , fe donna tout entier à la Philofophie,<br />
& perfévéra toujours dans le même deffein.<br />
On a confervéle fouvenir <strong>du</strong> courage avec lequel<br />
il fuportoit lapeine , jufques-là que contraint par<br />
la mifére de fervir pour domeftique, il pompoit<br />
la nuit de l'eau dans les jardins, & s'occupoit<br />
le jour à l'étude ; ce qui lui attira le furnom<br />
de Puifeur d'eau. On raconte auflî qu'apellé e»<br />
Juftice pour rendre raifon de ce qu'il faifoit pour<br />
vivre & fe porter fi bien » il comparut avec le témoignage<br />
<strong>du</strong> jardinier dont il arrofoit le jardin v<br />
& que l'ayant pro<strong>du</strong>it avec le certificat d'une marchande<br />
chez laquelle il blutoit la farine , il fuf<br />
renvoyé abfous. A cette circonftance on ajouté<br />
que les Juges de l'Aréopage, épris d'admiration ,.<br />
décrétèrent qu'il luiferoit donné dix Mines ; mais<br />
que Zenon l'empêcha de les accepter. On dit aufli<br />
qu'Antigone lui en donna trois mille , & qu'un<br />
Jour qu'il con<strong>du</strong>ifoit de jeunes gens à quelque<br />
fpeftacle, Uhe bouffée de vent ayant levé fon ha*<br />
bit, il parut fans vefte ; tellement que touché»
*84 C L É A N T H E .<br />
de fon état, les Athéniens, au raport de Dé-<br />
«nétrius de Magnéfie dans fes Synontmes, lui firent<br />
préfem d'une vefte de couleur de faffràn. L'hiftorre<br />
porte qu'Antigone Ton difciple lui demanda<br />
pourquoi i! pompoit de l'eau, & s'H ne faifoit rien<br />
de plus, & qu'à cette queftion Cléanthe répondit :<br />
Eft-ce qucjenciéchc & riarroft point la terre ? ne<br />
fais-je pas tout au monde par amour pour la Phi*'<br />
iofophie ?Zénon lui-même l'exerçoit à ces trayaux,<br />
& vouloit qu'il lui aportât chaque fois unobole<br />
de fon falaire. En ayant raflemblé une affez<br />
grande quantité ,illes <strong>mont</strong>ra à fes amis , & leur<br />
dit : Cléanthe pourroit, s'il le vouloit, entretenir un<br />
'autre Cléanthe, tandis que ceux qui ont de quoift<br />
nourrir, cherchent à tirer d'autres les chofesnécejfaites<br />
à la vie , quoiqu'ils ne s'apliquent que faiblement<br />
à la Philofophie. De là vient qu'on lui donna<br />
le nom de fécond Hercule. Il avoit beaucoup<br />
d'inclination pour la fcience, & peu de capacité<br />
d'efprit, à laquelle il fupléoit par le travail &<br />
l'aflî<strong>du</strong>ité. De là ce que dit Timon :<br />
Que/ eji ce bélier qui fe gliffi par-tout dans la<br />
'foule, cet hébété Vieillard , ce bourgeois d' Affe , ce<br />
grand parleur, qui rejfemble à un mortier ?<br />
Il en<strong>du</strong>roit patiemment les rifées de fes compagnons.<br />
Quelqu'un l'ayant apellé âne , il convint<br />
qu'il étoit celui de Zenon , dont il pouvoit<br />
feul porter le paquet. On lui faifoit honte de fa<br />
timidité. Ceft un heureux défaut, dit-il ; j'en cornfpets<br />
moins des fautes.
C L É A N T H E . 18?<br />
Il préféroit fa pauvreté à l'opulence. Les riches<br />
, difoit-il, jouent à la boule; mais moi , j'ôtt<br />
à la terre fa <strong>du</strong>reté 6> fa Jlérilité à force de travail.<br />
Il lui arrivoit quelquefois, en bêchant, de par- •<br />
1er en lui-même. Arifton le prit un jour fur le<br />
fait & lui demanda , » Qui grondez - vous i II<br />
fe mit à rire & répondit : Je murmure contre un<br />
Vieillard, qui quoique chauve , manque de bonftns.<br />
Quelqu'un trouvoit mauvais qu'Arcéfilas négligeât<br />
les devoirs de la vie. Taifeçvous , dit<br />
Cléanthe, & ne méprife^ pas ce Philofophe. Quoi'<br />
qu'il anéantiffepar fes difcours les devoirs de la vie ,<br />
il les établit par fes allions. » Je n'aime pas les<br />
» flatteurs, interrompit Arcéfilas. Aufji n'eft-ce.<br />
pas, reprit Cléanthe, vous flatter que de dire que vos<br />
aflions & vos difcours fe contredifent. Quelqu'un<br />
le pria de lui aprendre quel précepte il devoit te<br />
plus fouvent inculquer à fon fils. Celui,- dit-il ,<br />
qu'exprime ce vers d'Eleftre, Silence, vas douce,<br />
ment. Un Lacédémonien lui vantbit le travail<br />
comme urr bien. Mon chef fils , lui répondit-il<br />
avec tranfport, je vois que tu es né d'un fang généreux.<br />
Hécaton, dans fon traité des Vfages , raporte<br />
qu'un jeune garçon d'aflez bonne mine lui<br />
tint ce raifonnement. Si celui qui fè donne un<br />
coup au ventre, eft dit fe fraper cette partie <strong>du</strong><br />
corps, ne fera-t'il pas dit fe donner un coup à la<br />
hanche s'il fe frape à cet endroit ? jeune homme<br />
lui dit Cléanthe , gardescela pourtoi ; maisfacAesi<br />
Tome M- Q!
iK C L É A N T H E ;<br />
que les termes analogues ne déjîgaentpas toujours 1er<br />
chofes, ni des dations analogues. Quelqu'autre<br />
garçon difcouroit en fa prefenee. Il luî demanda<br />
s'il avoit <strong>du</strong> fentiment » ? Oui, dit l'autre i<br />
Et comment donc fe fait -il , répliqua Cléan-<br />
-the, que je ne fente pas que tu en ayes ? Un jour<br />
Sofithée le Poëte déclama contre lui fur le Théâtre<br />
en ces termes : Ceux que la folie de Cléanthemené<br />
comme des boeufs ; mais quoiqu'il fût préfent »<br />
il ne perdit point contenance. Les fpeâateurs<br />
aplaudirent à fon fang froid, & chafférent le déclajnateur.<br />
Celui-ci , s'étant enfuite repenti de<br />
l'avoir injurié, Cléanthe l'excufa , & dit qu'il ne<br />
lui convieadroit pas de conferver <strong>du</strong> refféntiment<br />
pour une petit injure » tandis que Bacchus &<br />
Hercule ne s'irritent pas des infultes que leur<br />
font les Poètes.<br />
IF comparait lesPéripatéticiens aux rnftrumens<br />
de Mufique , qui rendent des fons agréables;<br />
mais ne s'entendent pas eux-mêmes. On raconte<br />
qu'ayant un jour avancé l'opinion de Zenon, qui -<br />
foutient que l'on peut juger des mœurs par la<br />
phyfionomie , quelques jeunes gens d'humeur<br />
bouffonne lui amenèrent un campagnard libertin<br />
quiavoit les marques d'un homme en<strong>du</strong>rci aux travaux<br />
de la campagne, & prièrent Cléanthe de leur<br />
aprentke quel étoit fon caractère^ Il héfita<br />
quelque-tems, & ordonna au perfonnage de fe<br />
^retirer. Cet homme ea tournant le dos » corn-
C L É A N T H E ity<br />
rtiença à éternuer ; fur quoi Cléanthe dk : /»<br />
fuis au fait dt fes moeurs ; il eft dévoué à la mol-<br />
Uffe. Un homme s'entretenoit en lui-même*<br />
Tu parles , lui dit-il, à quelqu'un qui n eft pas mauvais.<br />
Un autre lui reprochant de ce qu'à ,'un âge;<br />
fi avancé il ne finiflbit pas fes jours. J'en ai<br />
lien la penfée ; répondit-il, mais lorfque je confia<br />
'dire que je me porte bien à tous égards , que je<br />
puis lire , que je fuis en état d'écrire , je change<br />
d'avis. On raporte que faute d'avoir deqtioi<br />
acheter <strong>du</strong> papier, il couchoit par écrit fur de»<br />
crânes & des os de bœuf tout ce qu'il entendoît<br />
dire à Zenon. Cette manière de vivre lui acquit<br />
tant d'eflime, que quoique Zenon eût quantité<br />
d'autres difciples de mérite /il fut celui qu'il<br />
choifit pour lui fuccéder.<br />
Il a laiffé d'excellens ouvrages , dont voici 1er<br />
catalogue. Du tems : deux livres fur la phy*<br />
fiologie de Zenon : quatre livres d'Explication d'Heraclite<br />
: <strong>du</strong> fentimtnt : de F Art: contre Pémocritéf<br />
contre Ariftarque : contre Uérillt : .deux livres<br />
des panchans : de F antiquité : un traité des Dieux ,<br />
des Géans : des Noces : <strong>du</strong> poète : trois livret<br />
des devoirs : des bons confeils : des Agrémens : a»<br />
ouvrage d'exhortation : des vertus : <strong>du</strong> bon Naturel:<br />
fur Gorgippe: de t'envie : de Camour• : dk<br />
la liberté : de l'art d'aimer : de Vhonntur i de<br />
la gloire : le politique : des confeils : des loix; s<br />
des jugemens : de {é<strong>du</strong>cation : trois livres <strong>du</strong>t<br />
Q>
«88 C L Ê A N T H F;<br />
difcours : de la fin : de l'honnête : des a étions z<br />
de la fcience : de la royauté : de t amitié : des<br />
tepas ; un ouvrage fur ce que la vertu des hommes<br />
& des femmes efl la même. Un autre fur ce<br />
que le Sage doit s'apliquer à enfeigner : un autre<br />
de difcours, intitulé chries : deux livres de l'u^<br />
fage : de la volupté : des chofes propres. : des;<br />
chofes ambiguës : de la dialeSique : des modes :<br />
<strong>du</strong> difcours : des prcdicamens. Voilà fes œuvres.<br />
Il mourut de cette manière. Ayant, la gencive<br />
«nflée & pourrie, les Médecins lui prefcri virent<br />
une abftinence de toute nourriture pendant deux,<br />
jours ; ce qui lui procura un fi grand foulagement,<br />
que les Médecins, étant revenus au bout de cetems-là,.<br />
lui permirent de vivre comme à (on<br />
ordinaire. Il rrfufa de fuivre leur avis, fous prétexte<br />
qu'il avoit déjà fourni toute fa carrière ; de<br />
forte qu'il mourut volontairement d'inanition au<br />
même âge que Zenon, difent quelques-uns, &<br />
après avoir pris dix-neuf ans les leçons de ce Philofophe<br />
: Voici des vers de notre façon à fon fuj etl<br />
, T admire la con<strong>du</strong>ite de Clianthe ; mais je loue encore<br />
plut la Mon, qui.voyant ce Vieillard accablé,<br />
d'années, trancha,, le fil de fes jours, 6* voulut qtie.<br />
celui qui avoit tant puifé d'eau dam cttte.vie,,/ê.<br />
ftpofât dans lautn..
S F H Œ RIT S W$<br />
S P H (E R U 5.<br />
SPhœrus <strong>du</strong> Bofphore fut, comme nous l'avons<br />
dit, difciple de Cléanthe , après avoir été<br />
celui de Zenon. Ayant fait des progrès dans l'étude,<br />
il fe rendit à Alexandrie auprès deÊtolomée<br />
Philopator. Ua jour que la converfation»<br />
tomba fur la queftion fi le Sage doit juger des<br />
chofes par fimple opinion , Sphœrus décida négativement.<br />
Le Roi pour le convaincre de foi»,<br />
erreur, ordonna qu'on lui prefentât des grenades<br />
dé cire moulée. Sphœrus les prit pour <strong>du</strong>:<br />
fruit naturel; fur quoi le.Roi- s'écria,, qu'il s'étoit<br />
trompédans fon jugement. Sphœrus répondit fur<br />
le champ & fort à propos , qu'il n'àvoit pas jugé<br />
décifivement, mais probablement quecefuffent<br />
des grenades ,.& qu'il y a de la différence entre uneidée<br />
qu'on admet pofitivement, & une autre qu'on<br />
reçoit comme probable. Mhéfiftrate le reprenoit<br />
de ce
igo S P H O E R V, 5.<br />
panchans : deux livres des payions : des dîjjcrtàlions<br />
: de la royauté: de la république de Lacédé<strong>mont</strong><br />
: trois livres fur Lycurgue 6» Socrate : de /
C H> R Y S ï P P E. 194<br />
)boooooc>ocxxxxx>c<br />
C H R Y S I P P E.<br />
f* Hryfippe, fils d'Apollonius, naquit à Soles » •<br />
•^- > ou à Tarie , félon Alexandre dans fes Sucetjfions.<br />
U s'exerça au combat de la lance , avant<br />
qu'il devint difciple de Zenon , ou de Cléanthe,<br />
qu'il quitta lorfqu'il vivoit encore, affurent<br />
Diodes & plufieurs autres. Il ne fut pas un des<br />
médiocres Philofophes. Il avoit beaucoup de<br />
génie, l'efprit fi délié & fi fubtil en tout genre ,<br />
qu'en plufieurs chofes il s'écartoit de l'avis, non-<br />
/eulement de Zenon, mais de Cléanthe même, *<br />
qui il difoit fouvent qu'il n'avoit befoin que d'être<br />
inftruk de fes principes, & que pour les preuves<br />
, il fçauroit bien les trouver lui-même. Cefwndant<br />
il ne ïàiffoit pas que de fe dépiter lorf-<br />
«ju'il difputoit contre lui, jufqu'à dire fréquemment<br />
qu'il étoit heureux à tous égards, excepté<br />
*n ce qui regardoit Cléanthe. Il étoit fi bon,<br />
Diaîefttcien, Scfieftimédetout le monde pourfe<br />
fcience, que bien des gens difoient que fi les<br />
•Dieux farfoient ufage de la Dialeôique, 3s ne<br />
pouvoient fé fervir que de celle de Chryfippe.<br />
Au refte, quoiqu'il fût extrêmement fécond e»<br />
•jfublimités,ilne parut pas aura" habile fur la diction<br />
qoefur les chofes. Peribnne ne l'égaloit<br />
pour la confiance &l*affidqité au travail, témoin<br />
fe* ouvrages, qui font au sombre de feptcen*
!*9» G H R Y SI F P E;<br />
cinq volumes. Mais la raifon de cette multitude de*<br />
pro<strong>du</strong>irions, eft qu'il traitoit plufieurs fois le même<br />
fujet, qu'il mettoit par écrit tout ce qui lui venoit<br />
dans la penfée , qu'il retouchoit fouvent ce qu'il<br />
avoit fini, & qu'il farciffoit fes compofitibns d'une<br />
infinité de preuves. Il avoit tellement pris cette<br />
habitude, qu'il tranfcrivit prefque toute entière la<br />
Médie d'Euripide dans quelques opufcules,jufques*<br />
là que quelqu'un, qui avoit cet ouvrage entre les<br />
mains, & à qui un autre demandent ce qu'il conter<br />
noit, répondit que c'étoit la Médée de Chryfippei<br />
De-Ià vient auffi qu'Apollodore l'Athénien, dans<br />
fa Colleftion des Dogmes Philofophiques, voulant<br />
prouver que quoiqu'Epicure ait enfanté fes ouvrai<br />
ges , fans puifer dans les fources des autres, fes<br />
livres font beaucoup plus nombreux que ceux de<br />
.Chryfippe, dit que fi on ôtoit des écrits de celuici<br />
ce qui apartientàautrui, il ne refteroit que le<br />
papier vuide. Tels font les termes dans lefquels<br />
s'exprime Apollodore à cette occafion. Dioclès<br />
raporte qu'une vieille femme , qui étoitauprèsde<br />
Chryfippe, difoit qu'ordinairement il écrivoit cinq<br />
cens verfets par|jour. Hécaton affurequ'il ne s'avi"<br />
fa de s'apliquer à la Philofophie que parce que (es<br />
Biens a voient été confifqués au profit <strong>du</strong> Roi. Il<br />
avoit la complexion délicate & la taille fort cour»<br />
.te, comme il parqît par fa ftatue dans la place'<br />
Céramique ,& qui eft prefque cachée par une<br />
autre, ftatue équeftre, placée près de là; ce qui<br />
: - donira
C H R Y S I P P Ê; ^f<br />
Bonne occafion àCarnéade de YapellerC/iryp/îppej<br />
au lieu de Chryfippe (i >. Onlni reprochoit qu'il<br />
n'alloit pas aux le çons d'Arifton,qui avoit un grand<br />
nombre de difciples* Si j'avois pris garde au grand<br />
nombre, répondit-il, je ne me ferois pas adonné
124 C H R Y S I P P E.<br />
phie.Auffi lui apliqua-t'on ces paroles,Ce//M-/J/èuf,<br />
a des (i) lumières ; les autres ne font que s'agiter<br />
comme des ombres. On difoit auffi de lui, que s'il<br />
n'y avoit point de Chryfippe, il n'y airroit plus<br />
d'école au Portique. Enfin Sotion, dans le huitième<br />
livre de fes.5ttc«^?o/w,remarque que lorfqu'Arcéfilas<br />
& Lacydes vinrent à l'Académie , il fe<br />
joignit à eux dans l'étude de la Philofophie , &<br />
que ce fut ce qui lui donna lieu d'écrire contre la.<br />
coutume & celle qu'il avoit fuivie dans fes ouvrages,<br />
en fe fervant des argumens des Académiciens<br />
, fur les grandeurs & les quantités (2).<br />
Hermippe dit que Chryfippe , étant occupé<br />
dans le Collège Odéen, fut apellé par fes difciples<br />
pour affifler au facrifice, & qu'ayant bûdtt<br />
vin doux pur, il lui prit un vertige, dont les fuites<br />
lui cauférent la mort cinq jours après. Il mou»<br />
rut âgé de foixante & treize ans dans la CXLIII.<br />
Olympiade, félon Apollodore dans fes Chroniques.<br />
Nous lui avons compofé cette Epigramme.<br />
Allèche par le vin ', Chryfippe en boit jufqu'à et<br />
que la tête lui tourne. Il nefefoucie plus ni <strong>du</strong> Portique,<br />
ni de Ça patrie , ni de fa vie fil abandonne tout<br />
pour courir au féjour des morts.<br />
Il y en a qui prétendent qu'il mourut à force<br />
d'avoir trop ri, voici à propos de quoi. Ayant '<br />
(1) Vers li'Honére fur Tirtfias.<br />
(i) C'ell à dire, qu'il combattit fe» principel 8c l'évidence<br />
deileui. Kjfhnim.
C H R Y S I P P E. iof<br />
vu un âne manger fes figues, il dit à la vieille<br />
femme qui demeuroit avec lui, qu'il falloit donner<br />
à l'animal <strong>du</strong> vin pur à boire, & que là-defliis<br />
il éclata fi fort de rire , qu'il en rendit l'efprit.<br />
Il paroît que le mépris faifoit partie de fon caractère<br />
, puifque d'un fi grand nombre d'ouvrages<br />
écrits de fa main, il n'en dédia pas un feul à aucun<br />
Prince. Il ne fe plaifoit qu'avec«fa Vieille ,'<br />
dit Démétrius dans fes Synonimcs. "Ptolomée<br />
ayant écrit à Cléante de venir lui-même le voir ,<br />
ou <strong>du</strong> moins de lui envoyer quelqu'autre , Sphœrus<br />
s'y en fut ; mais Chryfippe refufa d'y aller.'<br />
Démétrius ajoute qu'après avoir mandé auprès<br />
de lui les fils de fa foeur , Ariftocréon & Philocrate,<br />
il les inftruifit, & qu'enfuite s'étant attiré<br />
*o6 C H R Y S I P P E.<br />
qui préfide aux myftéres, les communique à de*<br />
perfonnes non initiées ; donc celui qui -préfide;<br />
aux myftéres, eft un impie. Ce quin'eft pas dans<br />
la ville, n'eft point dans la maifon: or, il n'y a<br />
point de puits dans la ville ; donc il n'y en a pas<br />
dans la maifon. S'il y a quelque part une tête.vous<br />
ne l'avez point: or, il y a quelque part une tête<br />
que vous n'avez point ;doncvous n'avez point de<br />
tête.Si quelqu'un eft àMégare,il n'eft point à Athènes<br />
: or l'homme eft à Mégare ; donc il n'y a<br />
point d'homrrre à Athènes ; & au contraire, s'il<br />
eft à Athènes, il n'eft point à Mégare. Si vou$<br />
dites quelque chofe , cela vous parte par la bouche':<br />
or,vous parlez d'un chariot, ainfi un chariot<br />
vous pafle par la bouche. Ce que vous n'avez<br />
pas jette vous l'avez : or, vous n'avez pas jetté<br />
des cornes, donc vous avez des cornes. D'autres<br />
attribuent cet argument à Eubulide.<br />
Certains Auteurs condamnentCh/yfippe comme<br />
ayant mis au jour plufîeurs ouvrages honteux St<br />
obfcènes. Ils citent celui fur les Anciens Phyfîcïtns,<br />
où il fe trouve une pièce d'environ fix<br />
cens verfets, contenant une fiction fur Jupiter<br />
& Junon,~ mais qui renferme des chofes qui ne<br />
peuvent fortir que d'une bouche impudique. Ils<br />
ajoutent que malgré l'obfcénité de cette hiftoire,<br />
il la prôna comme une Hiftoire Phyfique, quoiqu'elle<br />
convienne bien moins aux Dieux qu'à des<br />
lieux de débauche. Auffi ceux qui ont parlé
CgRYS'IPFE. 197;<br />
Ses Tablettes, n'en ont point faitufage , pas même<br />
Polérrion, ni Hypficrate, ni Antigone ; mats<br />
c'eft une fi&ion de Chryfippe. Dans fon livre de<br />
la République, il ne fe déclare pas contre les mariages<br />
entre père & fille, entre mère & fils ; il ne<br />
les aprouve pas moins ouvertement dès le commencement<br />
de fon.Traité fur les Chofes qui ne font<br />
point préférables par elles-mêmes. Dans fon troisième<br />
livre <strong>du</strong> Droit, ouvrage d'environ mille<br />
verfets, il veut qu'on mange les corps morts. On<br />
allègue encore contre lui ce qu'il avance dans le,<br />
deuxième livre de fon ouvrage fur les.Biens 8^<br />
l'Abondance, où il examine comment & pourquoi,<br />
le Sage doit chercher fon profit : que fi c'eft pour la<br />
vie même, il eft indifférent de quelle manière if<br />
vive ; que fi c'eft pour la volupté , il n'importe pas<br />
qu'il en jouiffe ou non ; que fi c'eft pour la vertu ,.<br />
elle lui fuffit feule pour le rendre [heureux. Il<br />
traite <strong>du</strong> derniet ridicule les gains que l'on fait,<br />
foit en recevant des préfens de la main des Princes<br />
, parce qu'ils obligent à ramper devant eux ,<br />
foit en obtenant des bienfaits de fes amis , parce<br />
qu'ils changent l'amitié en commerce d'intérêt r<br />
foit en recueillant <strong>du</strong> fruit de la fageffe, parce<br />
qu'elle devient mercenaire. Tels font les points,<br />
contre lefquels on fe récrie.<br />
Mais comme les ouvrages de Chryfippe font<br />
fort célèbres, j'ai crû en devoir placer ici le catalogue<br />
, en les rangeant fuivant leurs différente»<br />
R3
Ï9* C H R Y S I P P E.<br />
clafles. Propofitions far la Logique : que les m*-,<br />
tiéres de Logique font <strong>du</strong> nombre des recherches d'un<br />
Philofophe. Six Traités fur les Définitions de la<br />
DialeSique à Métrodore. Un Traité des Noms fui-<br />
*ant la-Dialectique à Zenon, Un Traité fur l'Art<br />
de la DialeSique à Ariftagoras. Quatre de Propofitions<br />
conjointes qui font vraifemblables, à Diofcorhde.<br />
De la Logique concernant les chofes. Première<br />
colleôion : Un Traité des Propofitions. Un de<br />
'•Celles qui ne font point fimples. Deux de et qui ejl<br />
*ompofi à Athênade. Trois des Négations à Ariftagoras.<br />
Un des Chofes qui peuvent être Prédïcamtns<br />
,à Athénodore. Deux de celles qui fe difent<br />
frivativement. Un àThiarus. Trois des meilleures<br />
Propofitions à Dion. Quatre de la Différence des<br />
tems indéfinis. Deux des Cho/es qui fe difent relativement<br />
à certains tems. Deux des Propofitions parfaites.<br />
Seconde colleôion : Un Traité des Chofes<br />
vrayes , exprimées disjonltiv'ement , à Gor~<br />
gippide. Quatre des Chofes vrayes , exprimées<br />
tonjon&ivement , au même. Un de la DiftinSion<br />
au même. Un touchant ce qui eft par conféquenee.<br />
Un des chofes ternaires, aitffi à Gorgippide.<br />
Quatre des Chofes poffibles à Cliton. Un fur les<br />
Significations des Mots par Fhilon. Un fur ce<br />
qu'il faut regarder comme faux. Troifiéme collection<br />
: DeuxTraités des Préceptes. Deux d'Interrogations.<br />
Quatre de Rêponfes. Un Abrégé d'Jnterroga.<br />
lions. Un autre de Rêponfes. Deux livres de De,
C H R Y S I V P Ê. i'9f<br />
mandes, & deux de Solutions. Quatrième collection<br />
: Dix Traités de Prédicamens à Métrodore.<br />
Un des Cas de diclinaifon droits & obliques à Philarque.<br />
Un des Conjenflions à Apollonide. Quatre<br />
des Prédicamens à Pafylus. Cinquième colleôion :<br />
Un Traité des cinq Cas de déclinaifon. Un des Cai<br />
définis énoncés fuivans lefujft. Un d'apellatifs.DetUt<br />
defubinfinuaiion à Stcfagorus.DesRégles deLogiquc<br />
par raport aux mots 6r au difcours. Première colleâion<br />
: Six Traités d'ExpreJJions au Jîngulier & ad<br />
plurier. Cinq d'ExpreJJions à Sofîgéne & Alcxandre.Quatre<br />
d'Anomalies d'ExpreffionsàDion.Tro'is<br />
de Syllogifmes Sorites, conjîdérés par raport aux<br />
mots. Un de Solécifmes. Un de Difcours folécifans<br />
â Denys. Un de la Diftion à Denys. Seconde colleftion<br />
: Cinq Traités d'Elémens <strong>du</strong> Difcours , &<br />
de chofes qui font lefujet <strong>du</strong> Difcours. Quatre ctt<br />
la conftruflion <strong>du</strong> Difcours. Trois de la conjlruetion<br />
& des Elémens <strong>du</strong> Difcours â Philippe. Un<br />
des Elémens <strong>du</strong> Difcours à N'tcias. Un des chofet<br />
qu'on dit relativement à d'autres. Troifiéme col»<br />
leâion : Deux Traités contre ceux qui ne font point<br />
ufage de la Divifion. Quatre d'Ambiguïtés à ApoU<br />
la. Un des Figures équivoques. Deux des Figures<br />
équivoques conjointes. Deux fur ce que Panthoedt a<br />
écrit des Equivoques. Cinq Traités d'Intro<strong>du</strong>ction<br />
aux Ambiguïtés. Un Abrégé a" Equivoques à<br />
Epicrate. Deux de 'chofes réunies, fervant d'inr<br />
Iro<strong>du</strong>Hion, à la matière des. Equivoques. Col-<br />
R 4
Soo C H R Y S I P P E.<br />
lettion far les difcours 6* figures de Logique 1<br />
Première colle&ion : Cinq Traités fur VArt des<br />
Difcours & des Modes à Diofcoride. Trois des Difcours.<br />
Deux de la conftïtution des.figures àStéfaforas.<br />
Un i'Affemblage de Propofitions figurées*<br />
Un Traité de Difcours conjoints & réciproques. Un<br />
'à Agathon , ou des Problêmes conféquens. Un de<br />
\Conclufions à Ariflagoras. Un fur ce qu'un même<br />
Difcours peut être diverfement tourné par lé moyen<br />
'des'figures. Deux fur les difficultés qu'on opofe à<br />
ce qu'un même Difcours puiffe être exprimé par Syl"<br />
ïogifme ùfans Syllogifme. Trois fur ce qu'on ob~<br />
je fie touchant les Solutions des Syllogifmes. Un â,<br />
Timocrate fur ce que Philon a écrit des figures.<br />
Deux de Logique compofée à Timocrate & t'hilo-,<br />
mathes : Un des difcours & des figures. Deuxième<br />
colleûion :UnTraité à Zenon furies Dijcoursconcluans.<br />
Unau même fur les Syllogifmes qu'on nomme,<br />
premiers, & qui ne font pas démoajiratifs. Un<br />
fur l'Analyfe de Syllogifmes. Deux des difcours<br />
trompeurs à Pafylus. Un de Confidirations fur les<br />
Syllogifmes, c'eft-à-dire , Syllogifmes intro<strong>du</strong>flifs<br />
à Zenon. Cinq des Syllogifmes ,dont les figures font<br />
fauff'es. Un d'Analyfes de difcours Syllogifliques<br />
dans les chofes où manque la démonfiration; favoir,<br />
Qucfiions figurées, à Zenon & Philomathes; mais<br />
ce dernier ouvrage pafle pour fupofé. Troifiéme<br />
colle&ion: UnTraité des difcoursincidensà Atkér<br />
nadt, ouvrage fupofé. Trois de difcours inciden^<br />
X<br />
.( S-iî<br />
v '• ; ; •
C H R Y S I P P E. soi<br />
vers Je milieu , ouvrages fupofès de même. Un.<br />
Traité contre les Disjonilifs £Aménius. Quatrième<br />
collection : Trois Traités de Quefiions politiques à<br />
Mêlêagre. Un Traité de difcours hypothétiques fut<br />
les Loix, au même. Deux Traités de difcours hypothétiques<br />
pour fervir £ Intro<strong>du</strong>ction. L eux autres<br />
de difcours , contenant des Confidérations hypothé~<br />
tiques. Deux Traités de Réfolutions d'hypothcti-.<br />
ques à'Hedyllus. Trois Traités de Résolutions d'hy.<br />
pothétiques d'Alexandre ; ouvrage fupofé. Deux<br />
Traités d''Exportions à Laodamas. Cinquième collection<br />
: Un Traité a"Inlro<strong>du</strong>flion à ce qui efl faux ,<br />
à Ariflocréon. Un de difcours faux pour Intro<strong>du</strong>cdon<br />
, au même. Six Traités <strong>du</strong> Faux, au même<br />
Sixième collection : Un Traité contre ceux qui<br />
troyent qu'il n'y a pas de différence .entre le Frai<br />
& le Faux. Eeux contre ceux qui dev dopent<br />
les difcours faux en les coupant, à Ariflrocrèon.<br />
Un Traité où l'on dé<strong>mont</strong>re qu'il ne faut point partager<br />
les infinis. Trois pour réfuter les difficultés contre<br />
l'opinion qu'il ne faut point divifer les infinis, à<br />
Pa/ylus.UnTraitê desSolutions fuivant les Anciens^<br />
à Diofcoride. Trois de la Solution de ce qui efl<br />
faux, à Ariflocréon. Un Traité de la Solution des<br />
hypothétiques tTHcdyllc, â Ariflocréon & Apollai<br />
Septième collection : Un Traité contre ceux qui<br />
difent qu'un difcours faux fupofe des affomptions<br />
fauffes. Deux de la Négation , â Ariflocréon.<br />
f/n contenant des. difcours négatifs pour s'êxer?*
»6& C H R Y S I P P E.<br />
eer.* Deux des difcours fur les Opinions, & des<br />
Argumens arrêtans à Onetor. Deux des Argumens<br />
tachés à Athénade. Huitième colle&ion : Huit<br />
Traités de VArgument, intitulé Perfonne , à Mênecratei.<br />
Deux des difcours , compôfss de chofes définies<br />
6" de chofes infinies, à Pafylus. Un de l'Argument,<br />
intitulé Perfonne, à Epicrate. Neuvième<br />
eolleftion : Deux Traités des Sophifmes à Héraclide<br />
& Pollis. Cinq des difcours ambigus de DialcHiqut<br />
à Diofcoriie.Vn contre l'An £ Arcêfilas à Sphœrus.<br />
Dixième colle&ion : Six Traités contre VUfage à<br />
Métrodore. Sept fur VUfage à Gorgipide. Articles<br />
de la Logique, différens des quatre chefs généraux<br />
dorît on a parlé , & qui contiennent diverfes<br />
Questions de Logique qui ne font pas ré<strong>du</strong>ites en<br />
corps. Trente-neuf Traités de Quefiions particularifées.<br />
En tout, les ouvrages de Chryfippe fu»<br />
la Logique fe <strong>mont</strong>ent à trois cens onze vo-.<br />
lûmes.<br />
Ses ouvrages de Morale, qui roulent fur la<br />
manière de reftifier les notions morales, contiennent<br />
ce qui fuit : Première collection : Un Traité<br />
de la defcription <strong>du</strong> difcours à Théofpore. Un Traité<br />
de Quefiions morales. Trois d'Affomptions vraifemtlables<br />
pour des opinions à Philomates. Deux de<br />
définitions félon des gens civilifés , à Métrodore.<br />
Deux de définitions félon des gens rufliques, à Métrodore.<br />
Sept de définitions félon leurs. genres,<br />
flu même. Deux des définitions fuivant d'autres.
CH RYSIHE; ae?<br />
Jyflimes, au mime. Deuxième colleâion : Trois 1<br />
Traités des chofes femblables à Ârifioclèe. Sept des<br />
définitions â Métrodore. Troifième colleâion :<br />
Sept Traités des difficultés qu'on fait mal à propo*<br />
contre les Définitions à Laodamas. Deux de chofes<br />
vraifemblables fur Us définitions à Diofcoride*<br />
Deux des Genres & des E/péces â Gorgippide. Un<br />
des diftinflions.Deux des chofes contraires à Denys*<br />
Chofes vraifemblables fur les diftinclions, les Genre*<br />
fi* les Efpéces. Un Traité des chofes contraires*<br />
Quatrième colleâion '.Sept Traités de l'Etymologie<br />
à Dioclès ; quatre autres Traités au même. Cinquième<br />
colleâion : Deux Traités des Proverbes â<br />
Zénodote. Un des Poèmes à Philomathes. Deux<br />
de la manière dont il faut écouter les Poèmes'<br />
Un contre les Critiques à Liodore. De la Morale<br />
, confidérée par raport aux' notions communes<br />
, aux fyftimes & aux vertus qui en réfultent.<br />
Colleâion première : Un Traité contre les Peintures<br />
à TimonaCle. Un fur la manière dont nous<br />
parlons & penfons. Deux des notions à Laodamas*<br />
Deux de l'Opinion à PythonaSe. Un Traité pour<br />
prouver que le Sage ne doit point juger par opinion'<br />
Quatre de la compréàenjîon, de la Science & de<br />
l'Ignorance. Deux <strong>du</strong> difcours. De l'ufage <strong>du</strong>.<br />
difcours à Leptena. Deuxième colleâion : deux<br />
Traités pour prouver que les Anciens ont jugé de la<br />
Dialeélique par démonstration à Zenon. Quatre de<br />
/
iot C H R Y S I P P E.<br />
opofe aux Dialefliciens. Quatre delà Rhétorique à<br />
Diofcoride.TtoiCiéme colle&ion : Trois Traités de<br />
l'habitude à Cléon. Quatre de C Art & <strong>du</strong> défaut<br />
d'Art à Arijlocféou. Quatre de la différence des<br />
Vertus à Diodore. Unpourfaire voir que les Vertus<br />
font des qualités. Deux des Vertus à Pollis. De la<br />
Morale.par rapert aux biens & aux maux. Première<br />
colle&ion : Dix Traités de l'Honnête & de<br />
la Volupté à Ar'tflocréon.Quatrepourprouverque la<br />
Volupté n'efi point la fin qu'il faut fepropofer. Quatre<br />
pour prouver que la Volupté n'efi pas Un bien.<br />
Deschafes qu'on dit. (I),<br />
(0 Le «(le de ce Catalogue nviaque. Vojwz dans Ménage<br />
plulïeurs titres d'ouvrages dî Chryfippe , qui font recueillis<br />
d'aillfurs. Au relie , il fjut re.narquer fur tout c*<br />
Catalogue que fi quelques - uns- de ces tities ns font peutêtre<br />
pas ren<strong>du</strong>s exactement, c'eft que le fens des terme*<br />
Crée» n'eft pas toujours clair. '<br />
tdfcr<br />
Q
y y . M . i - » m , ,v , s ^<br />
——^<br />
V «s »y \ ** > ** * \ %<br />
^v _ 1 _ ^ * ~~^ji<br />
LIVRE SVIII.<br />
xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx<br />
P Y T H A G 0 ti E.<br />
+t*****?£* Puis avoir parlé de la Philofophie<br />
+**^ •*•**+ Ionique qui <strong>du</strong>t ion commencement<br />
+*#•? »>**+ a Thaïes , & des hommes, célèbres<br />
+?£#*** ^+ qu'elle a pro<strong>du</strong>its, venons à la Seâe<br />
Italique, dont Pythagore fut le fondateur.<br />
Hermippe le dit fils de Mnéfarque,, Graveur<br />
de cachets ; Ariftoxene le fait naître Tyrrhénien,<br />
dans l'une des Mes dont les Athéniens fe<br />
mirent en poffeflion lorsqu'ils en eurent chaffé les<br />
Tyrrhéniens ; quelques-uns lui donnent Marmacus<br />
pour père, pour ayeul Hippafus, fils d'Eutyphfon<br />
, & pour bifayeul Cléonyme, fugitif de<br />
Phliunte. Ils ajoutent que Marmacus demeuroit<br />
à Samos ; que pour cette raifon Pythagore fût,
ao6 PYTHAGORE;<br />
furnommé S amie n ; qu'étant venu de là à Lesbos l<br />
Zoïle fon oncle paternel le recommanda à Phérécyde<br />
; qu'il y fabriqua trois coupes d'argent, &<br />
qu'il en fit préfent à chacun des trois Prêtres<br />
d'Egypte. Il eut des frères, dont l'aîné fe nommoit<br />
Eunomc, & le puîné Tyrrkenus. Son domeftique<br />
s'apeloit Zamolxis, auquel, dit Hérodote,<br />
facrifient les Getes, dans la fupofition qu'il eft<br />
Saturne.<br />
Pythagore fut donc difciple de Phérécide de<br />
Syros, après la mort <strong>du</strong>quel il fe rendit à Samos<br />
& y étudia fous Hermodamante, déjà avancé en<br />
âge, & neveu 'de Créophile. Jeune & plein<br />
d'envie de s'inftruire , Pythagore quitta fa patrie,<br />
& fe fit initier à tous les myftéres , tant de la religion<br />
des Grecs, que des religions étrangères.<br />
Il paffa enfin en Egypte, muni de lettres de recommandation<br />
que Polycrate lui donne pour<br />
Amafis. Antiphon, dans l'ouvrage ou il parle<br />
de ceux qui fe font diftingués par la vertu , raporte<br />
qu'il aprit la langue Egyptienne, & fréquenta<br />
beaucoup les Chaldéens. Etant en Crète<br />
avec Epiménide, il defcendit dans la caverne<br />
<strong>du</strong> <strong>mont</strong> Ida , & après être entré dans les<br />
fanâuaires des Temples d'Egypte, où il s'inftruifit<br />
des chofes les plus fecrettes de la religion,<br />
il revint à Samos, qu'il trouva oprimée<br />
par Polycrate. Il en fortit pour aller fe fixer à
PYTHAOORE. »©*<br />
Crotone en Italie, ou il donna des Loix aux<br />
.Italiotes (i). Il fe chargea <strong>du</strong> maniment des affaires<br />
publiques, qu'il adtniniftra Conjointement<br />
avec fes difciples, qui étoient au nombre de<br />
trois, cens ou à peu près ; mais avec tant de fageffe,<br />
qu'on pouvoh avec juftice regarder leur<br />
gouvernement comme une véritable Ariftocratie.<br />
Héracljde <strong>du</strong> Pont raporte que Pythagore dïfoit<br />
ordinairement qu'autrefois il fut ^thalide",<br />
& qu'on le crut fils de Mercure ; que Mercure<br />
lui ayant promis de lui accorder la grâce qu'il<br />
fouhaiteroit, hormis celle d'être immortel, il lui<br />
demanda le don de conferver la mémoire de tout<br />
ce qui lui arriveroit pendant fa vie & après fa<br />
mort ; qu'effectivement il fe rapeloit toutes les<br />
chofes qui s'étoient paffées pendant fon féjour<br />
fur la terre , & qu'il fe réfervoit ce don de<br />
fouvenir pour l'autre monde ; que quelque-tena»<br />
après l'oftroi de cette faveur, il anima le corps<br />
d'Euphorbe, lequel publia qu'un jour il devint<br />
jEthalide ; qu'il obtint de Mercure que fon aine<br />
voltigeroit perpétuellement de côté &. d'autre ;<br />
qu'elle s'infinueroit dans tels arbres ou animaux<br />
qu'il lui plairoit ; qu'elle avoit éprouvé tous les<br />
tourmens qu'on en<strong>du</strong>re aux Enfers , & les fuplices<br />
des autres âmes détenues dans ce lieu. A<br />
(i) Habiuns des pays qu'on apcloit l* Grande Grieu
fcoS PYTHAGOR E.'<br />
CC détail Pythagore ajoutoit qu'Euphorbe étant<br />
mort, fon ame paffa dans Hermotime, qui, pour<br />
perfuader la chofe, vint à Branchide, où étant<br />
•entré 'dans le Temple d'Apollon, il <strong>mont</strong>ra le<br />
bouclier y attaché parMénélas ; que ce Tut à fon<br />
retour de Troye qu'il confacra à ce Dieu le bouclier<br />
, déjà tout pourri, & dont le tems n'avoit<br />
épargné que la face d'yvoire ; qu'après le décès<br />
d'Hermotime, il revêtit le perfonnàge de Pyrrhus<br />
, pêcheur de Delos ; que lui Pythagore<br />
avoit prefent à Fefprit tout w^ qui s'étoit fait<br />
dans ces différentes métamorphofes ; c'eft-à-dire»<br />
qu'en premier lieu il avoit été jEthalide, en fécond<br />
lieu Euphorbe, en troifiéme lieu Hermotime<br />
, en quatrième lieu Pythagore , & qu'enfin il<br />
avoit la mémoire récente de tout ce qu'on vient<br />
de dire.<br />
Il y en a qui prétendent que Pythagore n'a<br />
rien écrit ; mais ils fe trompent groffiérement,<br />
n'eût-on d'autre garand qu'Eraclide le Phyficien.<br />
Il déclare ouvertement que Pythagore , fils de<br />
Mnéfarque, s'eft plus que perfonne éxeercé a<br />
l'hiftoire, & qu'ayant fait un choix des écrits de<br />
ce genre, il a donné des marques de feience, de<br />
profonde érudition , & fourni des modèles de<br />
fart d'écrire. Héraclide s'exprimoit en ces<br />
termes , parce que dans l'éxorde de fon<br />
Traité de Phyfiqut, Pythagore fe fert de ces expreffions<br />
: Par l'air que je refpire, par l'eau que je<br />
bois i
PYTHAGORE. aoj<br />
(ois, je ne foufrirai pas qu'onméprifc cette fcience.<br />
On attribue trois ouvrages à ce Philofophe, un<br />
de l'Jnflitution, un de la Politique , & un de /*<br />
Phyfique ; mais ce qu'on lui donne, apartient k<br />
Lyfis de Tarente, Philofophe Pythagoricien,<br />
qui s'étant réfugié à Thèbes, fut précepteur<br />
d'Epaminondas. Héraclide , fils de Sérapion ,<br />
dit dans Y Abrégé de Sotion, que Pythagore composa<br />
premièrement un Poëme fur l'Univers ; enfuite<br />
un Oifcpurs des Myfléres, qui commence par<br />
ces mots : Jeunes gens, refpe&eç enfilenct ces cho*<br />
fesfaintcs ; entroifiéme lieu un Traité fur X'Amef<br />
. en quatrième lieu un fur la Piété; en cinquième<br />
Heu un autre qui a pour titre , Hélothalc, père<br />
d'Epicharme de Co ; en fixiéme lieu un ouvrage,<br />
fntitulé Crotone, & d'autres. Quant au Difcours<br />
myftique , on le donne à Hippafus, qui le compofa<br />
exprès pour décrier Pythagore. Il y a encore<br />
pluiîeurs ouvrages d'Afton de Crotone, qui<br />
ont couru fous lé nom <strong>du</strong> même Philofophe.<br />
Ariftoxène aflure que Pythagore eft redevable<br />
de la pjûpart de Ces dogmes de Morale à Thémif-r<br />
foclée., Prêtrefle de Delphes. Ion de Chio, dans<br />
fes Triagmes (i), dit qu'ayant fait un Poëme,.<br />
il l'attribua à Orphée. On veut aufli qu'il foit<br />
l'auteur d'un ouvrage , intitulé Confédérations, St<br />
O» ©image', ainfî nommé dé ce qtie le îujêt, fur léi.<br />
quel il roule, eft de prouva que-(Otites chofts font cdmpo**<br />
fies de [fois. M«M>£*.-<br />
Time <strong>IL</strong>- $
*io P Y T H A G O R E.<br />
qui commence par ces mots : N'offenfesperfonnt:<br />
Soficrate, dans Tes SucccJJions, dit que Pythagore,<br />
interrogé par Léonte, Tyran de Phliaffe,<br />
qui il étoit, lui répondit: Je fuis Pàilofbphe, &<br />
qu'il ajouta que la vie reflembloit aux folemnités<br />
des Jeux publics ou s'aflembloient diverfes fortes<br />
de perfonnes, les uns pour difputer le prix, les autres<br />
pour y commercer, d'autres pour être fpe&ateurs&pour<br />
réformer leurs mœurs, en quoi ils<br />
font les plus louables ; qu'il en eft de même de<br />
la vie ; que ceux-ci naiflent pour être efclaves de<br />
la gloire, ceux-là des richefles qu'ils convoitent,<br />
& d'autres, qui, n ayant d'ardeur que pour la<br />
vérité, embraflent la Philofophie. Ainfi parle<br />
Soficrate ; mais dans les trois opufcules dont nous<br />
avons fait mention, ce propos eft attribué à Pythagore,<br />
comme l'ayant dit en général. U défaprouvoit<br />
les prières que l'on adrefloit aux<br />
Dieux pour foi-même en particulier, à caufe de<br />
l'ignorance où l'on eft de ce qui eft utile. Il<br />
apelle l'yvreffe un Mal caufé à îcfyriu II blâ-<br />
«noit tout excès, &difoit qu'il ne faut ni excéder<br />
dans le travail, ni pafler les bornes dans les alimens.<br />
Quant à l'amour, il en permettoit l'ufage<br />
en hyver, le défendoit abfolument en été, &<br />
confentoit qu'on s'y livrât, mais fort peu, en automne<br />
& au printems* Néanmoins il s'expliquoit<br />
for le tout, qu'il n'y avoit aucune faifondans la»<br />
quelle cette paflian. ne fût nuiûble à la famé ,
PYTHAGORE. an<br />
jofque-là, qu'ayant été requis de dire fon fentîment<br />
fur le tems qu'il croyoit le plus propre à<br />
fatisfaire cette paflîon , il répondit : Celui où vous<br />
formerez ? e deffein de vous énerver.<br />
Il partageoit de cette manière les différens<br />
tems de la vie. Il donnoit vingt ans à l'enfance<br />
, vingt à l'adolefcence r vingt à la jeuneffe, &<br />
autant à la vieilleffe ; ces différens âges correspondant<br />
aux faifons, l'enfance au printems, l'adolefcence<br />
à l'été* la jeuneffe à l'automne, la<br />
vieilleffe à Thyver. Par l'adolefcence , Pythagore<br />
entendoit l'âge de puberté , & l'âge viril par la<br />
jeuneffe. Selon Timée , il fut le premier qui<br />
avança que les amis doivent avoir toutes ckofes<br />
communes , & qui dépeignit l'amitié une Egalité<br />
de biens & de fentimens. Conformément au principe<br />
<strong>du</strong> Philofophe, fes difciples fe dépouilloient<br />
de la propriété de leurs biens, mettoient leurs<br />
facultés en mafle, & s'en faifotent une fortune à<br />
laquelle chacun avoit part avec autant de droit<br />
l'un que l'autre. Il falloit qu'ils ©bfervaffent uit<br />
filence de cinq ans, pendant lefquels ils ne dévoient<br />
être qu'attentifs à écouter. Aucun nTétort<br />
admis à voir Pythagore qu'après cette épreuve<br />
finie.' Alors ils étoient con<strong>du</strong>its à fa maifon , &<br />
avoient la permiflîon de fréquenter fon école.<br />
Hermippe, dans fon deuxième livre fur Pythagore<br />
, affure qu'ils ne fe fervoient point de planches<br />
S %
xtz P Y T H A G O R E.<br />
de cyprès pour la conftruûion de leurs fépulcres,<br />
par fcrupule de ce que le fceptre de Jupites<br />
étoit fait de ce bois.<br />
Pythagore paffe pour avoir été fort beau de fa<br />
perfonne ; tellement que fes difciples croyoient<br />
qu'il étoit Apollon , venu des régions HyperBorées.<br />
On raconte qu'un jour étant deshabillé",'<br />
on lui vit une cuiffe d'or. H s'eft même trouvé<br />
des gens qui n'ont point héfité de foutenir<br />
que le fleuve Nelîùs l'apela par fon nom pendant<br />
qu'il le traverfoit. On lit dans Timée, livre<br />
dixième de fes Hiftoires , qu'il difoit que le»<br />
filles, qui habitent avec des hommes fans chan J<br />
ger d'état, doivent être cenfëes Déeffes, Vierges<br />
, Nymphes, & enfuite nommées Matrones;<br />
Anticlide , dans fon deuxième livre• d'Alexandre,'<br />
Veut qu'il ait porté à fa perfection la Géométrie-,<br />
des premiers élémens de laquelle Mœris avoit été<br />
l'inventeur; qu'il fr'apliqua Air - tout-"à l'Arithmétique<br />
qui fait partie de cette fcience, & qu'il<br />
trouva la régie d'une corde (i)* Une négligea<br />
pas non plu* l'étude de la Médecine. Apol*<br />
lodore le Calculateur raporte qu'il, immola une<br />
Hicatombe lorfqu'il eut découvert que le côté<br />
de. l'hypoténufe. <strong>du</strong> triangle reftangle eft. égal<br />
(0 M1n*£t feroWe expliquer cela dé quelque îriventio»<br />
dé Mulïque. Il y a auili un inftiument à une corde-,<br />
qu'Eninni dit avoir hé inventé par les Arabes i nu' 1<br />
gcutr&re. ceJa po.'tei dil foi c« «jpi ftik».
P Y T H A G O R E. ai*<br />
aux deux autres ; fur quoi furent cotnpofés ces<br />
•ers : Vythagore trouva cette fameufe ligne pour<br />
laquelle il offrit aux Dieux- un grand facrifice en<br />
allions de grâces.<br />
On prétend aufïi qu'il fut le premier qui forma<br />
des Athlètes, en leur faifant manger de la viande<br />
, & qu'il commença par Euryméne , dit Pha-<br />
•orin dans le troifiéme livre de fes ( ommentairesi<br />
Cet Auteur ajoute , dans le huitième livre de fou<br />
Hiftoire diverfe , que jufqu'alors ces gens ne s'étoient<br />
nourris que de figuts féches, de fromages<br />
mous & de froment. Mais d'autres foutiennent<br />
que ce fut Pythagore le Baigneur quiprefcrivit<br />
cette nourriture aux Athlètes, & non<br />
celui-ci, lequel, tant s'en faut qu'il leur eût ordonné<br />
de fe repaître de viande, défendoit an<br />
contraire de tuer les animaux, comme ayant<br />
en commun avec les hommes un droit par raport<br />
à l'ame dont ils font doués aufïi-bien que nous»<br />
Rien_n*eftplus-fabuleux que ce conte-; mais ce<br />
qu'il y a de vrai, c'eft-qu'il racommandoit l'aWli*<br />
nence de. toute viande , afin que les hommes<br />
s'accoutumaffent à une manière de vivre plus<br />
commode. , qu'ils fe contentaflent d'alimens<br />
fans aprêt , qu'rls" s'accommodaffent de mets<br />
qui n'euffent pa*befoin de paffer par le feu-,.<br />
& qu'ils apriffent à étancher leur foif en<br />
ne buvant que de l'eau claire- Il infiftoitd'autaat<br />
glus, fur. lfe néxeffité. de. fuilentex. 1&<br />
+ -H^i râii. /uiJ\ %» TO 7T(>9lr£i//at. -,y+ /**&*£* ~<br />
suit. -• y &W? 44 js^&tMimtf-
*i4 V Y T H A G O R E.<br />
fcorps de cette manière , qu'elle contribuoif I<br />
lui donner de la fanté & à aiguifer 1'efprit.<br />
Auffi ne pratiquoit - il Tes actes de piété qu'à<br />
Délos, devant l'autel d'Apollon le père, placé derrière<br />
l'Autel des Cornes, parce qu'on n'y offroit<br />
que <strong>du</strong> froment, de l'orge , des gâteaux fans<br />
feu i & qu'on n'y immoloit aucune viâime, dit<br />
Ariftote dans fa République de Délos. 11 a encore<br />
le nom d'avoir été le premier quï avança que<br />
l'ame change alternativement de cercle de néceffitê,<br />
& revêt différemment d'autres corps d'animaux.<br />
Selon Ariftoxene le Muficien , il fût encore<br />
celui qui avant tout autre intro<strong>du</strong>isit parmi les<br />
Grecs l'ufage des poids & de» mefures.-Parmenide<br />
eft un antre garand qui dit le premier, que<br />
l'étoile <strong>du</strong> matin & celle <strong>du</strong> foir font le même<br />
aftre. Pythagore étoit en fi grande admiration,"<br />
que fes difciples apeioient fes difcours autant<br />
de voix divines, & lui-même a écrit quelque<br />
part dans fes œuvres, qu'il y avoit deux cens fept<br />
ans qu'il étoit venu de l'autre monde parmi les<br />
hommes. Ses difciples lui demeuToient conftamment<br />
attachés, & fa do&rine lui attiroft de tous<br />
côtés une foule d'auditeurs, de Lucques, d'Ancone<br />
& de la Pouille, fans même en excepter Rome.<br />
Ses dogmes furent inconnus jufqu'au tems dePhilolaus<br />
, le feul qui publia ces trois fameux ouvrage»<br />
quePiatoo ordonna qu'on lui achetât pour le
P Y T H A G O R E. *rç<br />
prix de cent mines. On ne lui comptait pas<br />
moins de fix cens difciples , qui yenoient de nuit<br />
prendre fes leçons ; &fi quelques-uns avoient mérité<br />
d'itre admis à le voir, ils en écrivoient à<br />
leurs amis comme s'ils avoient à leur faire part <strong>du</strong><br />
plus grand bonheur qui eût pu leur arriver. Au<br />
raport de Phavorin, dans fes Hifloirts diverfes y<br />
les habitans de Métapont apeloient fa maifort<br />
le Temple de Cérès, & 1a petite rue, oïl elle<br />
étoit fituée , un Endroit confacré aux Mufes. Au<br />
refte, Us autres Pythagoriciens difoient qu'il ne<br />
falloit point divulguer toutes chofes à tout le<br />
mojide,comme s'exprimeAriftoxene dans le dixié»<br />
me livre de fes Loix tflnjlitution-, où il remarque<br />
queXénophilePythagoricien étant interrogé comment<br />
on devoit s'y prendre pour bien élever ut»<br />
enfant, il répondit qu'il falloit qu'il fût né dans<br />
tme ville bien gouvernée. Pythagore ferma en-<br />
Italie plufieurs grands hommes célèbres par leur<br />
vertu, entr'autres les Légiflateurs Zaîeucus &<br />
Charondas. Il étoit fur-tout zélé partifan de l'amitié,<br />
& s'il aprenoit que)quelqu'un participent<br />
à fes fymboles, aufli-tôt il recherchoit fa comr<br />
pagnie & s'en faifolt un ami.<br />
Voici quels étoient ces fymbores : Ne remueç<br />
point le feu avec Vèpie. Ne paffe^ point par-dejfus<br />
ta balance. Ne vous ajfeye^pas fur le boiffeau. Ne<br />
mangeç point votre caur. Ote{ les fardeaux de con>~<br />
sut i mais naide^pas à les impofer* Aye^ toujours
*Ié P Y T H À G O R E .<br />
vos couverturespliêes. Ne porteras l'image deDïetf<br />
enchaffée dans votre anneau. EnfouiJJe^ les<br />
traces de la marmite dans Us cendres. Ne nettoyé^<br />
pas votre (tige avec de l'huiU. Gardez-vous de lâcher<br />
de teau le vifage tourné vers le foltil. 'Ne<br />
marche^ point hors <strong>du</strong> grand chemin. Ne tendez^ pas<br />
légèrement la main droite. Ne vous logez_ point<br />
fous un toit oh nichent des hirondelles. Une faut pas<br />
nourrir des oifeaux à ongUs crochus. N'urinez ni<br />
fur les rognures de vos ongles , ni fur vos cheveux<br />
coupés, &prenez^garde que vous riarrêtiez le pied<br />
fur les unes & Us autres. Détournez-vous d'un<br />
glaive pointu. ,Ne revenez pas fur les frontières de<br />
votre pays, après en être forti. Voici l'explication<br />
de ces expreflions figurées. Ne remuez, pas le<br />
feu avec Vèpèe, fignifie que nous ne devons pas<br />
exciter la colère & l'indignation de gens plus<br />
puiflans que nous. -Ne paffiz_point par-deffus la<br />
balance, veut dire qu'il ne faut pas tranfgreffer<br />
l'équité & la juftice. Ne vous, affeyez^ pas fur U<br />
boijfeau i c'eft-à-dire, qu'on doit prendre égale*<br />
ment foin <strong>du</strong> prefent & de l'avenir, parce que le<br />
boifleau (i)eft la mefure d'une portion de nour*<br />
riture pour un jour. Ne mangez^ point voir*<br />
cœur ..fignifie qu'il ne faut pas fe laifler abbatrepar<br />
le chagrin & l'ennui. Ne retourne^ point fur vos'<br />
gas^après-vaus-ctremis en voyage ,.eftun ave-rtuTemeat<br />
fii) Il y. i en Grèce, £t CHcnixi-
PTTHAGORE. 417<br />
tiffement qu'on ne doit point regretter la vie<br />
lorfqu'on eft près de mourir, ni être touché des<br />
plàifirs de ce monde. Ainfi s'expliquent ces 1<br />
fymboles , 65c ceux qui les fuivent ; mais auxquels<br />
nous ne nous artêterons pas plus longtems.<br />
Pythagore défendoit fur-tout de manger<br />
<strong>du</strong> rouget & de la féche ; défenfe dans laquelle<br />
il comprenoit le cœur des animaux & les fèves.<br />
Ariftote y ajoute la matrice des animaux & le<br />
poiffon nommé Mulet. Pour lui, comme le pré;<br />
fument quelques-uns , il ne vivoît que de mîel •<br />
ou de rayons de miel avec <strong>du</strong> pain , & ne goûto'it<br />
d'aucun vin pendant le jour. La plupart <strong>du</strong><br />
tems il mangeoit avec fon pain des légumes crûs<br />
ou bouillis, & rarement des chofes qui venoient<br />
de la mer. Il portoit une robe blanche, qu'il avoit<br />
toujours foin détenir fort propre, &fe fervoit<br />
de couvertures de laine de même couleur, l'ufage<br />
delà toile n'ayant point encore été intro<strong>du</strong>it<br />
dans ces endroits-là. Jamais on ne le furprit en<br />
gourmandife , ni en débauche d'amour ,. ou en<br />
yvreffe. Il s'abftenoit de rire aux dépens, d'autrui,<br />
& fçavoit fi bien réprimer la colère, qu'elle<br />
n'eut jamais allez de force fur fa raifon pour<br />
le ré<strong>du</strong>ire à fraper perfonne, efclave ou non.<br />
Il comparait l'inftru&ion à la manière dont les<br />
cigognes-nourriflènt leurs petits. Il ne fe fervoit<br />
que de cette partie de la divination qui confifte<br />
dans les préfages & les augures, n'employant jamais<br />
celle qui fe fait par le feu , hormis l'en-<br />
Tome II. T
*i* PYTHAGORE,<br />
cens, que l'on brûle dans les facrifices fans vîâïmes.<br />
Sa coutume, dit-on, étoit de n'offrir que des<br />
coqs &. des chevreaux de lait, de ceux qu'on apelle<br />
tendres ; mais aucun Agneau. Ariftoxeneraporte<br />
qu'il permettoit de manger toutes fortes d'animaux<br />
, excepté le bœuf qui fert au labourage, le<br />
bélier & la brebis.<br />
Le même Auteur , ainfi que nous l'avons déjà<br />
raporté, dit que Pythagore tenoit fes dogmes de<br />
Themiftoclée , Prêtreffe de Delphes. Jérôme raconte<br />
qu'il defcendit aux Enfers , qu'il y vit l'ame<br />
d*Héfiode attachée à une colomne d'airain &<br />
grinçant les dents ; qu'il y aperçut encore celle<br />
d'Homère pen<strong>du</strong>e à un arbre , & environnée de<br />
ferpens , en punition des chofes qu'il avoit attribuées<br />
aux Dieux ; qu'il y fut aufli témoin des<br />
{uplice* infligés à ceux qui ne 1 s'acquitent pas<br />
envers leurs femmes des devoirs de maris ; & que<br />
par tous' ces récits Pythagore fe rendit fort refpeftable<br />
parmi les Ootoniates. Ariftippe de<br />
Çyréne obferve dans Jàn traité de PhyfiologU<br />
que le nom dé' Pythagore, donné à ce Philofophe,<br />
fait alhrfi'ofn à Ce qu'il paflbit pouT dire la<br />
vérité, ni plus ni moins qu'Apollon Pythien luimême.<br />
On dit qu'il recommandoit à fes difciples<br />
de fe faire ces queftions à chaque fois qu'ils<br />
. rentroient chez eux '. Par oh as-tu pajffè ? qu as-tu.<br />
fait ? quel devoir as-tu négligé de remplir ? Il<br />
défendoit d'offrir aux Dieux des victimes égof-.
P Y T H A G O R t 11$<br />
gêes, & vouloit qu'on ne fît fes adorations que<br />
devant des Autels qui ne fuffent pas teints <strong>du</strong> fang<br />
des animaux. Il interdifoit les juremens par les -<br />
Dieux, juremens d'autant plus inttiles, que chacun<br />
pouvoit mériter par fa con<strong>du</strong>ite d'en itre crû<br />
fur fa parole. Il vouloit qu'on honorât les vieillards,<br />
parce que les chofes qui ont l'avantage<br />
de la priorité de tems, exigent plus d'eftime que<br />
les autres, comme dans la nature le lever <strong>du</strong> fo-.<br />
leil eft plus eilimable que le coucher , dans le<br />
cours de la vie fon commencement plus que fa<br />
fin , dans l'éxiftance la génération plus que la<br />
corruption. Il recommandoit de révérer les Dieux<br />
avant les Démons (i), les Héros plus que les mor.<br />
tels , & fes parens plus que les autres hommes.<br />
Il difok qu'il faut converfer avec ceux-ei de ma-,<br />
niére que d'amis ils ne deviennent pas ennemis ;<br />
mais tout au contraire, que d'ennemis on s'en faffe<br />
des amis. Il n'aprouvoit pas qu'on poffédât<br />
rien en particulier, exhortoit chacun à contribuer<br />
kl exécution des Loix, &às'opoferà l'injultice.<br />
- Il trou voit mauvais que l'on gâtât ou détruisît<br />
lés arbres dans le tems _de la maturité de leurs »*«»«. i&t-I,<br />
fruits, & que l'on maltraitât les animaux qui ne *"**"•<br />
nuifent point aux hommes. Il inculquoit la pudeur<br />
& la piété, & vouloit qu'on tint un milieu<br />
entre la joïè exceffive & la trifteffe; qu'on évitât<br />
de trop s'engraiffer le corps ; que tantôt on<br />
(i) Autrement . les demi-Dieux.<br />
Ta
aao PYTHAGORE.<br />
interrompît les voyages, & que tantôt on les réprît<br />
; qu'on cultivât fa mémoire ; qu'on ne dît<br />
& ne fit rien dans la colère ; qu'on refpectlt toutes<br />
fortes de divinations ; qu'on s'exerçât à j-ouer<br />
de la lyre ; & qu'on aimât à chanter les louanges<br />
des Dieux & des grands hommes.<br />
Pythagore excluoit les fèves des alimens, par^<br />
ce qu'étant fpiritueufes, elles tiennent de la nature<br />
de ce qui eft animé. D'autres prétendent<br />
que fi on en mange , elles rendent le ventre plus<br />
léger, &les représentations , qui s'offrent à l'efprit<br />
pendant le fommeil , moins groffiéres &<br />
plus tranquilles.<br />
Alexandre dans fes SucceJJîons des Philofophcs ,"<br />
dit avoir lu dans les Commentaires des Pythagoriciens,<br />
que l'Unité eft le principe de toutes chofes<br />
; que de là eft venu la - Dualité qui eft infinie<br />
, & qui eft fujette à l'Unité comme à fa caufe<br />
; que de l'Unité & de la Dualité infinie proviennent<br />
les nombres , des nombres les points,'<br />
& des points les lignes ; que des lignes procèdent<br />
les figures planes , des figures planes les folide6 ,<br />
desfolides les corps qui ont.quatre élémens ,1e<br />
feu, l'eau, la terre & l'air j que de l'agitation<br />
ôtdes changemens de ces quatre élémens dans<br />
toutes les parties de l'Univers réfulte le monde,<br />
qui eft animé, intellectuel & fphérique, ayant<br />
pour centre la terre, qui eft de même figure &<br />
habitée tout autour; qu'il y a des Antipodes j
P I T H A G O R E. an<br />
qu'eux & nous marchons pies contre pies ; que la<br />
lumière 6k les ténèbres, le froid & le chaud , le feC<br />
& l'humide font en égale quantité dans le monde ',<br />
que quand la portion de chaleur prédomine , elle<br />
amène l'été, & que lorfque la portion de froi<strong>du</strong>re'<br />
l'emporte fur celle de la chaleur , elle caufe<br />
l'hyver ; que fi ces portions de froid &. de chaud<br />
fe trouvent dans un même degré de proportion,<br />
elles pro<strong>du</strong>ifent les meilleures faifons de l'année ;<br />
que le printems où tout verdit eft fain, & que<br />
l'automne où tout deffeche, eft contraire à la<br />
fanté ; que. même par raport au jour , l'aurore<br />
ranime par-tout la vigueur, au lieu que le foir><br />
répand fur toutes chofes une langueur qui le<br />
rend plus mal fain ; que l'air qui environne la<br />
terre eft immobile, propre à caufer des maladies<br />
, & à tuer tout ce qu'il renferme dans fort<br />
volume ; qu'au contraire , celui qui eftau-deffus ,<br />
agité par un mouvement continuel , n'ayant<br />
rien que de très-pur & de bienfaifant, ne contient<br />
que des êtres tout à la fois immortels &;<br />
divins ; que le foleil, la lune & les autres aftres.<br />
font autant de Dieux,par l'excès de chaleur<br />
qu'ils communiquent, & qui eft la caufe de la<br />
vie ; que la lune emprunte fa lumière <strong>du</strong> foleil;<br />
que les hommes ont de l'affinité avec les Dieux,<br />
en ce qu'ils participent à la chaleur ; que pour<br />
cette raifon la Divinité prend foin de nous ; qu'il<br />
y a une deftinée pour tout l'Univers en gé-<br />
T3
sa» P Y T H A G O R E.<br />
aérai, pour chacune de fes parties en particulier,'<br />
& qu'elle eft le principe <strong>du</strong> gouvernement <strong>du</strong> monde<br />
; que les rayons <strong>du</strong> foleil pénétrent l'éther froid<br />
& l'éther épais. Or, ils apellent l'air l'éther froid ,<br />
& donnent le nom d'éther épais à la mer & à<br />
l'humide. Ils ajoutent que ces rayons <strong>du</strong> foleil<br />
percent dans les endroits les phis profonds, &<br />
que par ce moyen ils vivifient toutes chofes ; que<br />
tout ce qui participe à la chaleur eft doué dé<br />
Vie ; que parconféquent les plantes font animées,<br />
nais qu'elles n'ont pas toutes une ame; que l'âme<br />
eft une partie détachée de l'éther froid &<br />
chaud , puifqu'elle participe à l'éther froid ;<br />
qu'elle diffère de la vie en ce qu'elle eft immortelle,<br />
ce dont elle eft détachée, étant de même<br />
nature ; que les animaux s'engendrent les uns des<br />
autres par le moyen de la femence ; mais que<br />
celle qui naît de la terre n'a point de confiftanée<br />
; que la femence eft une diftillation <strong>du</strong><br />
cerveau, laquelle contient une vapeur chaude ;<br />
que lorsqu'elle eft portée dans la matrice , les<br />
matières groffiéres & le fang qui viennent dit<br />
cerveau , forment les chairs, les nerfs , les os.,<br />
le poil & tout le corps ; mais que la vapeur qui<br />
accompagne ces matières , conftitue l'ame &<br />
les fens ; que le premier affemblage des parties<br />
<strong>du</strong> corps Te fait dans l'efpace de quarante<br />
jours , & qu'après que , fuivant des régies de<br />
proportion, l'enfant a acquis fon parfait accrois
IYTHAGORE. aij<br />
lèment en fept ou neuf, ou au plus tard en dix<br />
mois , il vient an monde ; qu'A a en lui-même les<br />
principes de rie , qu'il reçoit joints enfemble>6t<br />
dont chacun fe dévelope dans un tems marqué ,<br />
félon des régies harmoniques ; que les fens font<br />
en général une vapeur extrêmement chaude , fitla<br />
vue en particulier, ce qui fait qu'elle pénétre<br />
dans l'air & dans l'eau ; que la chaleur éprouvant<br />
une réfiftance de la part <strong>du</strong> froid, fi la vapeur<br />
«je l'air étoit froide , elle fe perdroit dans un air<br />
de même cjualké. Il y a des endroits oîi Pythagore<br />
«pelle les yeux les portts <strong>du</strong> fbleil , Se en<br />
dit autant for rouïe& fur les autres fens.<br />
Il divife l'ame humaine en trois parties , qui<br />
font l'efprit , la raifon & la paffion. Ce Philofophe<br />
enfeigne que l'efprit & la paffion apartiennent<br />
auffiaux autres animaux ; que la raifon<br />
ne fe trouve que dans l'homme ; que le principe<br />
de l'ame s'étend depuis le cœur jufqu'au cerveau,<br />
& que la paffion eft la partie de l'ame qui réfide<br />
dans le cœur ; que le cerveau eft le fiége de la<br />
raifon & de l'efprit, & que les fens paroiffent être<br />
des écoalemens de ces parties de l'ame ; que<br />
celle qui confifte dans le jugement, eft immortelle<br />
, à l'exclufion des deux autres ; que le fang<br />
fért à nourrir Famé; que la parole en eftlefouffle,<br />
qu'elles font l'une & l'autre invifibles , parce<br />
que l'éther lui-même eft imperceptible ; que les<br />
veines , les artères & les nerfs font les liens de<br />
T4
«4 PYTHAGORE.<br />
l'ame ; mais que lorsqu'elle vient à-fe fortifier &C<br />
«[u'elle fe renferme en elle-même , alors les pareles<br />
& les actions deviennent fes liens ( i ) , que<br />
l'ame jettée en terre , erre dans l'air avec l'aparence<br />
d'un corps ; que Mercure eft celui qui pré-<br />
£de fur ces êtres, & que de là lui viennent les<br />
noms de Con<strong>du</strong>lteur , de Portier , & de Terreftre,<br />
parce qu'il tire les âmes des corps, de la terre<br />
& de la mer; qu'il con<strong>du</strong>it au Ciel les âmes<br />
pures, & ne permet pas que les âmes impures<br />
aprochent, ni de celles qui (ont pures , ni<br />
fe joignent les unes aux autres ; que les Furies<br />
les attachent avec des liens qu'elles ne peuvent<br />
rompre ; que l'air entier eft rempli d'ames; qu'on<br />
les apelle Démons & Héros ; qu'ils envoyenit<br />
aux hommes les fonges, leur annoncent la fanté<br />
& la maladie , de même qu'aux quadrupèdes &<br />
aux autres bêtes ; que c'eft à eux que fe reportent<br />
les purifications, les expiations, les divinations<br />
de toute efpéce , les préfages , & les autres<br />
chofes de ce genre.<br />
Py thagore difoit qu'en ce qui regarde l'homme,<br />
rien n'eft plus confidérable que la difpofition de<br />
l'ame au bien ou au mal, & que ceux à qui<br />
une bonne ame écheoit en partage , font heureux;<br />
qu'elle n'eft jamais en repos, ni toujours dans le<br />
même mouvement ; que je jufte a l'autorité de<br />
(0 II a'yi point de note fur ce pafhgc
P Y T H A G O R E.' xxf<br />
jurer, & que c'eft par équité que l'on donne k<br />
Jupher l'hépithéte de Jureur ; que la vertu, la<br />
fanté, & en général toute forte de bien, fans en<br />
excepter Dieu même , font une harmonie, au<br />
moyen de laquelle toutes chofes fe foutiennent ;<br />
que l'amitié eu auflî une égalité harmonique;<br />
qu'il faut honorer les Dieux & les Héros, mail<br />
aon également; qu'à l'égard des Dieux , on doit<br />
en tout teins célébrer leurs louanges avec chaf»<br />
teté- & en habit blanc ; au lieu que pour les<br />
Héros, il fuffit qu'on leur porte honneur après<br />
que le foleil a achevé la moitié de la courfe de<br />
la journée ; que la pureté de corps s'acquiert pat<br />
les expiations, les ablutions & les afperfions,<br />
en évita.nt d'aflifter aux funérailles en fe fevrant<br />
des plaifirs de l'amour, en fe préfervantde toute<br />
fouillure, en s'abftenant de manger-de la cha«<br />
d'animaux fujets à la mort $c fufceptibles de corruption<br />
, en prenant garde de ne point fe nourrir<br />
de. mulets & de furraulets, d'oeats, d'animaux<br />
ovipares , de fèves, &. d'autres alimens prohibés<br />
par les Prêtres qui préfident aux myftéres qu'on<br />
célèbre dans les Temples. Ariflote, dans foa<br />
livre des Fèves , dit q'je Pythagore en défendoit<br />
l"ufage, foit parce qu'elles ont la figure d'une)<br />
chofe honteufe , foit parce qu'étant le feul des<br />
légumes. qui n'a point de nœuds , elles font<br />
l'emblème de la cruauté, & reffembleot à la
»s6 PYTHAGORE,<br />
mort (i) , ou parce qu'elles deflechent, ou qu'elles<br />
ont quelque affinité avec toutes les pro
PYTHAGOUE. %vf<br />
Noient pour le manger enfemble, comme cela (•<br />
pratique encore chea les étrangers , înfinuant<br />
par-là qu'on ne doit pas difloudre l'union de l'a*<br />
Biitié. D'autres interprètent ce précepte comme<br />
relatif au jugement des Enfers, d'autres comme<br />
ayant raport au courage qu'il faut confenrer pour<br />
la guerre , d'autres encore comme un marqu*<br />
que le pain eft le commencement de toutes chofes.<br />
Enfin le Philofophe prétendoit que la forme<br />
fphérique eft la plus belle des corps folrdes, &<br />
que la figure circulaire l'emporte «a beauté fur<br />
les figures planes ; que la vieillefle, 6c tout ce qui<br />
éprouve quelque diminution , reflortit à une lot<br />
commune ; qu'il en eft de même de la jeunette Se<br />
de tout ce qui prend quelque accroiflement ; que là<br />
fanté eft la perfévérance de l'efpéce dans le même<br />
état , au lieu que la maladie en eft l'altération*<br />
Il recommandoit de prefenter <strong>du</strong> fel dans les repas<br />
, afin qu'on penfàt à la juftice * parce que le<br />
fel préferve de corruption , & que par l'effervefcence<br />
<strong>du</strong>foleil, il eft formé des parties les phi*<br />
pures de l'eau de la mer.<br />
Voilà ce qu'Alexandre dit avoir lu dans les<br />
Commentaires des Philofophes Pythagoriciens *<br />
& en quoi Ariftote eft d'accord avec lui.<br />
Timon , qui cenfure Pythagore dans fes poëfie»<br />
bouffonnes , n'a pas épargné fa gravité & fa<br />
modeftie.<br />
Pythagore , dit-il, ayant renonce à la Magie \
*»8 P Y T H A G O R E.<br />
s'efl mis à enfeigner des opinions pour furprendri<br />
les hommes par fes converfations graves & myfti-,<br />
rieufes. .<br />
Xénophane relève ce qu'afluroit Pythagore,<br />
qu'il avoit éxifté auparavant fous une autre forme,<br />
lorfque dans une Elégie il commence par ces paroles<br />
: Je vais parler d'autres chofes , je vais vous<br />
indiquer le chemin. Voici comme en parle Xénophane<br />
On raporte qu'en pajfant, il vit un jeune chien<br />
qu'on battoit avec beaucoup de cruauté Al en eut cornpajfion<br />
, & dit : Arrête^, ne frape^plus. C'eft l'ame<br />
infortunée d'un de mes amisfje le reconnois à fa voix,<br />
Cratinus lui lance auffi des traits dans fa pièce<br />
intitulée, La Pythagoricienne. Il l'apoflrophe en<br />
ces termes dans celle qui a pour titre, Les Taftnt'ms.<br />
Ils ont coutume ilorfque quelqu'un fans étude vient<br />
parmi eux, d'ejjayer la force de fon génie, en<br />
confondant fes idées par des objections , des conclufions,<br />
des propofitions compoféts de membres quife<br />
rejfemblent, des erreurs & des dijcours ampoulés ;<br />
tellement qu'ils le jettent dans un fi étrange embarras,<br />
qu'il n'en peut fortir.<br />
Mnéfimaque, dans fa pièce d'Alcméon, s'exr<br />
prime ainfi.<br />
Nous facrifions à Apollon , comme facrifient les<br />
Pythagoriciens , fans rien manger d'animé.<br />
Anflophon de ion côté plaifante fur le compte
P Y T H A G O R E. 119<br />
8a Philofophe dans fa pièce, intitulée Le Pytha-,<br />
goricien.<br />
Pythagore racontoit qu'étant defcen<strong>du</strong> aux Enfersi<br />
il vit la manière de vivre des morts & les obfervs<br />
tous; mais qu'il'remarqua une grande différence<br />
entre les Pythagoriciens & les autres, les premiers<br />
ayant feuls l'honneur de manger ayec Pluton,en considération<br />
de leur piété. A. Il faut, félon ce que<br />
vous dites, que et Dieu ne foif pas délicat, puifr.<br />
qu''il fe plaît dans la compagnie de gens fi f aies.<br />
11 dit auffi dans la même pièce : Ils mangent<br />
des légumes & boivent de l'eau ; mais je défit que<br />
performe puijft fuporttr la vermine qui les couvre i<br />
leur manteau fale & leur craffe.<br />
Pythagore eut une fin tragique. Il étoit chez<br />
Mylon avec fes amis ordinaires, quand quelqu'un<br />
de ceux qu'il avoit refufé d'admettre dans cette<br />
compagnie, mit le feu a la maifon. Il y en a<br />
qui aceufent les Crotoniates d'avoir commis cette<br />
-a.£Hon, par la crainte qu'ils avoient de fe voir inv<br />
pofer le joug de la. Tyrannie. Ceux-là racon*-.<br />
tent que s'étant fauve de l'incendie, & étant ref-j<br />
té feul, il fe trouva près d'un champ planté def<br />
fèves, à l'entrée <strong>du</strong>quel il s'arrêta , en difaat :<br />
// vaut mieux fe laiffer prendre que fouler aux<br />
pies ces légumes, & j'aime' mieux périr que parler.<br />
Us ajoutent qu'enfuit e il fut égorgé par ceux<br />
qui le. pourfuivoient.; que pluiieurs de fes amis ,<br />
au nombre d'environ quarante,pécirent dan» cette,
*y> PYTHAGORE:<br />
occafion ; qu'il y en eut fort peu qui fe fanrê-J<br />
rent, entr'autres Archytas de Tarente & Lyfir,'<br />
dont nous ayons parlé ci-deffus, Dicearque «fit<br />
que Pythagore mourut àMétaportt dans le Temple<br />
des Mufes où il s'étoit réfugié, & où la faim<br />
1» c on fa ma au bout de quarante jours. HéracK-<br />
«le , dans (on abrégé des Vit s de Satyrus , prétend<br />
que Pythagore , ayant enterré^Phérécyde<br />
dans l'Ifle de Délos , revint en Italie, fe trouva à<br />
un grand ferlin d'amitié que donnoit Mylon de<br />
Crotone r & qu'il s'en fut cre là à Métapont, oh ,<br />
ennuyé de vivre, il finit fes jours en s'abftenant<br />
de nourriture. D'un autre côté Hermippe raporte<br />
que dans une guerre entre les Agrigentins<br />
àc les Syracufains , Pythagore courut avec fes<br />
amis au fecours des premiers ; que les Agrigentins<br />
forent battus, & que Pythagore lui-même fut tué<br />
par les vainqueurs pendant qu'il faifoit le tour<br />
d'un champ planté de fèves. Il raconte encore<br />
que les autres au nombre de près de trente-cinq ,<br />
furent brûlés à Tarente, parce qu'ils s'opofoient<br />
à ceux qui avoient le gouvernement en main.<br />
Uns autre particularité dont Hermippe fait mention,<br />
eft que le Philofophe étant venu en Italie, fe<br />
fit une petite demeure fous terre ; qu'il recommaada<br />
à fa mère d'écrire fur des tablettes tout ce<br />
qui fe pafferott ; qu'elle eut foin d'en marquer<br />
les époques.,.St.:de lés lui envoyer lorfqu'it repa-<br />
«dtioit; quefamer^ixécutalacoaimiffioa; qu'au]
P T T H A G O R E . *j*<br />
t)«trt de quelque-tems, Pythagore reparut avec<br />
um air défait & décharné ; que s'étant prefenté<br />
as peuple , il dit qu'il venoit des Enfers ; quo<br />
pour preuve de'vérité, il lut publiquement tout<br />
ce qui étoit arrivé pendant fon abfence ;, que les<br />
affiftans, émus de fes dtfcours , s'abandonnèrent<br />
aux cris & aux larmes ; que regardant Pythagore<br />
comme un homme divin, il» lui amenèrent leurs<br />
femmes pour être inftruites def fes préceptes, OC<br />
que ces femmes forent celles qu'on apela Pytha~<br />
gtriciennes. Tel eft le i>ecit d'Hermippe.<br />
Pythagore avoit épouié une nommée Thetmol<br />
fille de Brontin de Crotone. D'autres- difent qu'elle<br />
étoit femme de Brontin, & qu'elle fut difciple<br />
<strong>du</strong> Philofophe. Il eut auffi une fille nommée<br />
Damo, félon Lyfis dans fon Epître à Hipparque ,'<br />
oîi il parle ainfi de Pythagore : Plufieurs perfonnes<br />
vous accufent de rendte publiques les lumières<br />
de la Philofophie x contre les ordtes de Pythagore J<br />
qui, en confiant fes commentaires à Damo fa fille }<br />
lui défendit de les laiffer fortir de chc{ elle. En<br />
effet, quoiqu'elle pût en avoir beaucoup d'argent J><br />
elle ne voulut jamais les vendre , & aima mieux ,<br />
tout* femme qu'elle étoit , préférer à la richefje<br />
la pauvreté & les exhortations de fon père. Pythagore<br />
eut encore un fils nommé Télauge , qui<br />
lui fuccéda, Se qui , félon le fentiment de quelques-uns<br />
, fût le Maître d'Empédocle. On cite<br />
ces paroles que celui-ci adreffa a Télauge xlllufin,
ï$t PYTHAGORE.<br />
fis de Thiano 6» de Pythagore. Ce Télauge n'a<br />
rien écrit; mais on attribue quelques ouvrages à<br />
fatnere. Ceft elle qui, étant interrogée quand<br />
une femme devoit être cenfée pure <strong>du</strong> commerce<br />
des hommes, répondit qu'elle rétoit toujours avec<br />
fon mari, & jamais avec d'autres. Elle exhortott<br />
ajifll les mariées, qu'on con<strong>du</strong>ifoit à leurs maris,<br />
de ne quitter leur modeftie qu'avec leurs habits,<br />
43c de la reprendre toujours en fe r'habillant.Quelqu'un<br />
lui ayant demandé de quelle modeftie elle<br />
parloit ,elle répondit, de celle qui eft la principale<br />
diftinftion de mon fexe.<br />
. Héraclide, fils de Sérapion, dit que Pythagore<br />
mourut âgé de quatre-vingt ans, félon le partage<br />
qu'il avoit lui-même fait des différens âges<br />
de la vie ; mais fuivant l'opinion la plus générale*<br />
il parvint à l'âge de' quatre-vingt-dix ans. Ces<br />
vers, que j'ai compofés à fon fujet, contiennent<br />
des allufions à fes fentimens.<br />
Tu n'es pas le feul, ô Pythagore! qui t'abfliens<br />
Se manger des chofes animées ; nous faifons la mi'<br />
me chofe. Car qui de nous fe nourrit de pareils ailbiens<br />
? Lorfqu'on mange <strong>du</strong> rôti, <strong>du</strong> bouilli , ou <strong>du</strong><br />
falé, ne mange-t'on pas des chofes qui n'ont plus<br />
ni vie, ni fentiment ?<br />
" En voici d'autres femblables.<br />
J Pythagore étoit fi grand Philofophe, qu'il ne<br />
'vouloit point goûter, de viande, fous prétexte que.<br />
c'eût été lin crime., D'où vient donc en régaloit-il
PYTHAGORE. i n<br />
fis amis ? Etrange manie ! de regarder comme per'<br />
mis aux autres ce que L'on croit mauvais pour<br />
J'ai- même.<br />
En voici encore d'autres.<br />
Veut-on connaître l'efprit de Pythagore, que l'on<br />
envijâge la face empreinte fur le (i) bouclier d'Eufhorbe.<br />
Il prétend que c'ejl-là ce qu'il itoit lorffu'il<br />
vivoit autrefois , & qu'il n'ètoit point alors ce<br />
qu'ilefl àprefent. Traçons ici fes propres paroles.<br />
Lorfque j'éxiflois alors , jen'ètois point ce que je<br />
fuis aujourd'hui.<br />
Ceux-ci font allnfion à fa mort.<br />
Hélas l pourquoi Pythagore honore-t'il lesfcvcs<br />
mu point de mourir avec fes difciples pour l'amour<br />
d'elles. Il fe trouve près d'un champ planté de ce<br />
légume ; il aime mieux négliger la confervation de<br />
fa vie par fcrupule, que de Us fouler aux pies en<br />
prenant la finte , qu'échaper à la main meurtrière<br />
des Agrigentins, tn fe rendant coupable d'un<br />
trime.<br />
II fleurifïbit vers- la LX. Otympiade. L'école ^<br />
éoat il fut le fondateur, <strong>du</strong>ra près de dix-neuf giitérations<br />
, puifque les derniers Pythagoriciens,<br />
«pi* connut Ariftoxène , fjrent Xénophile , Oialei'.!"»<br />
Le Ccm .i'ii'leur lo ui* i coauoùre qu'on voym fur ts»<br />
lui-n l« cr*its d'Euftxubc»<br />
Tome II. V,
134 PTTHAGORE<br />
Echecrates , Dioclès & Polymnefte , auflï<br />
Phliafiens. Ces Philofophes étoient difciples de<br />
Philolaus & d'Euryte , tous deux natifs de Tarente.<br />
Il y eut quatre Pythagores qui vécurent dans<br />
le même-tems, & non loin les uns des autres»<br />
L'un étoit de Crotone , homme d'un caractère<br />
fort tyrannique ; l'autre de Phlifie , Maître<br />
d'exercices & Baigneur (i), à ce qu'on dit ; le<br />
troifiéme , né à Zacynthe , auquel on attribue<br />
des myftéres de Philofophie qu'il enfeignoit ,<br />
& l'ufage de cette expreffion proverbiale , Ze<br />
Maître ta dit. Quelques-uns ajoutent à ceux-1*<br />
un Pythagore de Reggro, Statuaire de profeûaon r<br />
& qui paffe pour avoir le premier réuffi dans les-,<br />
proportions ; un autre de Samos, auiîî Statuaire V<br />
Mn troifiéme , Rhéteur , mais peu eftimé ; unquatrième<br />
, Médecin , qui donna quelque traité<br />
fur la Hernie & fur Homère. Enfin, Denys pari»<br />
d'un Pythagore , Ecrivain en langue Dorique»<br />
Eratofthène , en cela d'accord avec Phavori»<br />
dans fon HiJIoire Diverfe, dit que dans la XLVIII»<br />
Olympiade celui-ci combattit le premier , felotr<br />
les régies de l'art, dans les combats <strong>du</strong> cefte ~<br />
qu'ayant été chafle & infulté par Tes jeunesgens<br />
à caufe qu'il portoit une longue chévelu-<br />
(ij Js prens ce mot pour ré^uïvalent<strong>du</strong> GMC > odilya-
PYTHAGORE. i3ç<<br />
re &une robe de pourpre , il fut fi fenfible à cet<br />
affront , qu'il alla fe mefurer avec des hommes<br />
& les vainquit. Théaetete lui adreffe cette Epi*,<br />
gramme :<br />
PaJJ'ant,'fâches que ce Pytkagore de Samos à<br />
longue chevelure, fe rendit fameux dans les comhats<br />
<strong>du</strong> Cefle. Oui, te dit-il, je fuis Pythagore ; &<br />
fi tu t'informes à quelque habitant £Èlce quels furent<br />
mes exploits, tu en aprendras des chofes incroyables.<br />
Phavori» affare que ce Pythagore fe fcrw<br />
voit de définition* tirées des: Mathématiques, qu*<br />
Socrate & fesfeâateursen firent un plus fréquent<br />
nfage, laque! Ariftote & les Stoïcien* fuivircn*<br />
après eux (i). On le répute encore pour le<br />
premier qui donna au ciel le nom de Mondé 4 &<br />
qui crut que la terre eft orbicul'aire ", ce que<br />
néanmoins Théophrafte attribue^ Pàfmémde 1 , et<br />
Zenon à Héfiode. On prétend de plus qrfil.eut<br />
an adverfaire dans la perfonne de Cydoh, comme<br />
Socrate eut lefien dans celle d*Antidocus (a).<br />
Enfin on a vu courir rEpîgramme fuivante à Poe*:<br />
cafion de cet Athlète :<br />
Ce Pythagore de Samos , ce fils de Crateus, tout<br />
è la fois enfant & Athlète ,. vint <strong>du</strong> berceau £<br />
(IJ FoH-erotlei dit q»« Phavorin s'eft trompé , 0\ coofendmt<br />
Pjr.-hs^ore l'Athlète avec le Philafophs, Diogw* 08<br />
diftingue par clairement ces fujets,<br />
±36 PYTHAGORE.:<br />
Olvmpie fe difiinpier dans les combats <strong>du</strong> Cejlei<br />
Revenons à Pythagore le Philoibphe ,• dont<br />
voici une lettre.<br />
• Pythagore â Anaxlmïni.<br />
» Vous, qui êtes le plus eftlmable des homj»<br />
mes, fi vous ne furpafliéz Pythagore en nop<br />
blefle 5c en gloire, vous enfliez certainement<br />
" » quitté Milet pour nous joindre. Vous en<br />
«êtes détourné par l'éclat que vous tenez de<br />
» TOS ancêtres , & j'avoue que j'aurois le mê-<br />
«• me éloignement ; fi- j'étols Anaximène ? le<br />
» conçois d'ailleurs, que fi vous quittiez vos vil-<br />
•> les, vous les priveriez de leur plus beau luflre,<br />
» & les exposeriez à l'invafioa des Médes (i).<br />
M II n'eft pas toujours à propos de contempler<br />
m les aftres , il convient aufli que l'on dirige Tes<br />
•> penfées & fes foins au bien de fa patrie.<br />
» Moi - même , je ne m'occupe pas tant de<br />
» mes raifonnemens , que je ne m'intéreffe<br />
» quelquefois aux guerres qui divifent les lîir<br />
» liotes ..<br />
Après avoir fini ce qnî regarde Pythagore, il<br />
aousrefte à parler de fes plus célèbres fettateurs,<br />
& de ceux que Ton met communément dans cfc<br />
|i)Vojre» dans le livre fcond uns lnve d'Anastata*<br />
à_Byih»jorc.
PYTHAGORE. %yf<br />
nombre ; à quoi nous ajouterons la fuite des plu»<br />
fçavans hommes jufqu'à Epicure , comme nou».<br />
nous le fommes propofé dans le plan de cet Ou-<br />
Trage. Nous avons déjà fait-mention deTh-éaaus<br />
& de Télauge; àprefent nous entrerons en<br />
matière par Empédocle, qui, lelon quelques-uns,<br />
fut difciple de Pythagore.<br />
$#>*<br />
* *
*j3 EMPlflOC'Lf.<br />
. . E M P\É D O C L E.<br />
E MpédocIe dr Agrigente fut fils de Meron, 8t<br />
petit-fils'd'Empédocle. C'eft le. fèntimenr<br />
d"Hippobote & celui de Timée, qui, dans le quinzième<br />
livre de fes Hiftoires, dépeint Empédocle,<br />
ayeul <strong>du</strong> Poëte, comme un homme fort diftingué.-<br />
Hermippe aproche de leur opinion r & Héraclide,<br />
dans fon traité des Maladies, la confirme r<br />
en afluratrt que le grand-pere d'Empédocle defcendoit<br />
de famille noble, & qu'il entretenoit des<br />
chevaux pour fon fervice. Eratofthène , dans fes<br />
flaires Olympiques ajoute à toutes ces particularités<br />
que le père de Meton remporta le prix dans<br />
h LXXI. Oîympiade , en quoi il s'apuye <strong>du</strong><br />
témoignage d'Ariftotè. Apollbdore le Grammairien,<br />
dans fes Chroniques', eft de l'avis de ceux qui<br />
font Empédocle fils de Méton. Glaucus rapor-<br />
*e qu'il fe rendit chéries Thuriens lorfque cette<br />
Colonie ne venoit que d'être fondée. Ce<br />
même Auteur remarque plus bas, que ceux -<br />
qui racontent qu'il s'enfuit de fa patrie, &<br />
que s'étant réfugié chez les Syracufains f'<br />
H porta avec eux les armes contre le peuple<br />
d'Athènes , ne prennent pas garde aux époques r<br />
» car ,.dit-il, ou il devoît être mort en ce tems-<br />
» là > ouïott avance en âge y ce qui n'eil nuiler
E M P Ê D 0 C L E. «^<br />
» ment vraisemblable , puifqu'Ariftote obferve<br />
*» qu'Heraclite & Empédocle moururent à l'âge<br />
» de Soixante ans. Mais , continue Glaucus ,<br />
» ce qui peut avoir donné lieu à Terreur, c'eft<br />
y> que celui , qui dans la L X XI. Olympiade-.<br />
» remporta le prix à la courte <strong>du</strong> cheval, por-<br />
» toit le même nom, comme il compte par cét-<br />
» te époque , que raporte Apollodore
«4» E M P i D O C t E .<br />
Pythagore ; mais qu'ayant été furpris comme<br />
Platon, dans un larcin de papiers, il ne fût<br />
plus admis aux converfations de ce Philofophe;<br />
C'eft de lui qu'Empédocle parle dans ces<br />
»ers.<br />
. Entre ceux - là était un homme qui eonnoiffoit<br />
Ut chojes lis plus fublimcs , & qui pojjèdoit plu*<br />
que per/onne les rickejfes de Came.<br />
D'autres prétendent qu'en s'énonçaat aind,'<br />
Empédecle avoit égard à Parroénide. Néanthe<br />
raporte que les Pythagoriciens avoient coutume<br />
de converfer enfemble jufqu'au tems de Philolaus<br />
& d'Empédocle ; mais que depuis que celuici<br />
eut divulgué leurs fentimens par fes vers, on.<br />
fit une loi qu'aucun Poète ne feroit admis dans<br />
leurs entretiens. On raconte la même chofe de<br />
Platon , qui pour un pareil ca» fut exclu <strong>du</strong> commerce<br />
des Pythagoriciens. Cependant, Empédocle<br />
ne défigne pas lequel de ces Philpfophes<br />
fut celui dont il étudia les préceptes, Si on ne<br />
peut guéres ajouter foi à une préten<strong>du</strong>e épître de *<br />
Télauge, où il eft dit qu'il s'attacha à Hippafe<br />
& à Bronrin. Silon Thécrphraffo',ïl fut l'émule*<br />
de ParméniJe, leque'il fe propofa pour modèle<br />
dans fes Puëfies En effet, il parle dans fes vers -<br />
de la doftrine de la nature , mais Hermippe<br />
foutient que ce fur Xénophane, & non Par-<br />
Biénide, qu'EmpéVJode voulut égarer; qu'ayant<br />
€té long tems en liaifon avec le premier, il en<br />
kaif*
E M P É D O C L E . 141-<br />
Imita le génie p.pëtique , & qu'enfuite il fréquenta<br />
les Pythagoriciens. Alcidamas, dans fa thyfigue<br />
, raporte que Zenon fit Empédocle prirent<br />
dans Je même-tenu les inftru£Hons de Parmenide,<br />
mais qu'après s'être féparés, Zenon continua<br />
fes études de Philofophie en particulier,"<br />
& qu'Empéddcle fe mit fous la discipline d'Anaxagore&de<br />
Pythagore, ayant imité l'un dan^<br />
fes recherches fur la nature, & l'autre danslagra-^<br />
vite de fes mœurs & de fon extérieur.<br />
Ariftote, dans fon ouvrage intitulé le Sophijlej<br />
attribué à Empédocle l'invention de la Réthori-.<br />
que, & donne celle de la Oialeâique à Zenon»<br />
Dans fon livre des Poètes, il dit qa'Enpéijcle<br />
reffembloit beaucoup à Homère, qu'il avoit l'élocution<br />
forte, 6k qu'il étoit riche en métaphores<br />
& en d'autres figures poétiques. Il eompofa entr'autres<br />
un poëme fur la defcente de Xerxès<br />
en Grèce, 6c un Hymne à Apollon ; pièces que<br />
fa fœur ou fa fille, aflure Jérôme, mit au feu ><br />
l'Hymne fans y penfer , mais les Perfiques 4<br />
deftein, fous .prétexte que c'étok un ouvrage imparfait.<br />
Le même Auteur veut qu'Empédocle<br />
ait suffi écrit des tragédies & des ouvrages de<br />
politique ; mais Héraclide , fils de Sérapîon, prétend<br />
que les tragédies qu'on lui fupofe , font<br />
d'un autre. Jérôme attefte qu'il lui en eft tombé<br />
quarante - trois .entre les mains, & NéantJiG<br />
Tome II. X
14* E M P É D O C L E.<br />
certifie avoir lu des tragédies faites parEmpédor<br />
cle dans le tems de fa jeunefle.<br />
Satyrus, dans fes Vus, le qualifie Médecin &<br />
excellent Orateur. La preuve qu'il en allègue,<br />
eft qu'il eut pour difciple Gorgias de Léonte ,<br />
ameux en ce genre de feience, & qui ïlaiffé des<br />
régies fur l'Art de bien dire. Apollodore, dans<br />
fes Chroniques, remarque que Gorgias vécut jufqu'à<br />
l'âge de cent neuf ans , & Satyrus raconte<br />
qu'il difoit avoir connu Empédocle, exerçant la<br />
Magie. Lui-même en convient dans Tes poëfies,<br />
lorfqu'entr'autres chofes il dit :<br />
Vous connoître^ les remèdes qu'il y a pour les<br />
maux & pour foulager la vieillejfe ; vousfereç le<br />
feul à qui je donnerai ces lumières. Vous réprimerez<br />
la fureur des vents infatigables qui s'élèvent<br />
fur la terre, & dont l'haleine dejféche les champs<br />
labourés ; ou bien (î vous voule^ , vous pourrez<br />
exciter les ouragans , vousfereç naître la féckereffe<br />
dans les tems pluvieux, vousfere^ tomber dans<br />
les faifons les plus arides ces torrens d'eaux qui déracinent<br />
les arbres & gâtent les moijfons, vouspauf.<br />
rc{ ntéme évoquer les morts*<br />
Timée, dans le dix-huitiéme livre de fes<br />
Hifloires, dit auffi qu'Empédoclefe fit admirer à<br />
plufieurs égards ; qu'un jour fur-tout les vents<br />
périodiquesj qu'on nomme Etéjîens, s'étant élevés<br />
avec tant de violence qu'ils gâtoient tous les<br />
fruits , il ordonna qu'on écorchât des ânes ; que
E M P É D O C t E. i4f<br />
de leur peau on fit des outres, qu'enfuite on les<br />
plaçât au haut des collines & fur les fommets des<br />
<strong>mont</strong>agnes pour rompre le vent , lequel cefla<br />
en effet ; ce qui le fit furnommer Maître des vents»<br />
Héraclide dans fon livre des Maladies, affure<br />
qu'Empédocle "diâa à Paufanias ce qu'il a<br />
écrit touchant une femme que l'on réputoit pour<br />
morte. Selon Ariftippe & Satyrus , il avott<br />
pour Paufanias une amitié fi particulière , qu'il<br />
lui dédia fon ouvrage fur la Nature , en employant<br />
ces termes : Ecoutes-moi, Paufanias ,fils<br />
<strong>du</strong> fage Anchite. Il lui fit encore l'Epigramma<br />
suivante.<br />
Cela efl la Patrie <strong>du</strong> célèbre difciple d'Efculape ;<br />
de Paufanias, Jurnommé fils £ Anchite, de celui<br />
qui a fauve <strong>du</strong> pouvoir de Proferpineptufieurs malades<br />
, attaques de langueurs mortelles.<br />
Héraclide définit cet empêchement de la refpiration,<br />
un état dans lequel le corps peut fe conferver<br />
trente jours fans refpiration & fans battement<br />
de poux. De là vient qu'il apelle Empéàocle'Médecin<br />
& Devin; ce qui infère encore de<br />
ces vers :<br />
Je vous falue, chers Amis, qui habite^ lafameufe<br />
& grande Cité près des rives dorées <strong>du</strong> fleuve<br />
Acragas ; vous ne vous attache^ qu'à des chofes.<br />
utiles y 6» je vous parois un Dieu, plutôt (i ) qu*ua<br />
(i)Li Y ci (ion Latine, Fiw&riUti Se Briltau fontdiiei<br />
X z
«44 E M P É D O C L t<br />
mortel, lorfqueje viens, honoré convenablement de<br />
tout le monde, me rendre auprès de vous. Quand,<br />
orné de couronnes ou de guirjandjs , j'aproche de<br />
ces fioriffantes villes , les hommes & Us femmes<br />
viennent enfouie me rendre leurs hommages. Je fuis<br />
accompagné de ce grand nombre de gens qu'attire<br />
la recherche <strong>du</strong> gain , de ceux qui s'apliquent à la<br />
Divination t de ceux enfin qui fouhaitent S acquérir<br />
lafciençe, de connoitre Us maladies & de procurer la<br />
fanté.<br />
Empédocle apetloit Agrigente une ville confidérable,<br />
parce que, dit Potamilla, elle contenoit<br />
huit cens (i mille habitans. De là ce mot<br />
d'Empédocle fur la molleffe de cette ville : Lés<br />
Jgrigentins jouiffent desplaifirs avec autant d'ardeur<br />
que s'ils dévoient mourir demain, & bâtijfent<br />
des maifons comme s'ils avoient toujours à vivre.<br />
Cléoméne, chantre devers héroïques , recita à<br />
Olympie ceux qu'Empédocle fit pour l'ufage des<br />
expiations , comme le raporte Phavorin dans<br />
fes .Commentaires. Ariftote dit qu'Empédocle<br />
avoit de généreux fentimens, & qu'il ëtoit fi<br />
«loigné de tout efprit de domination , qu'au raport<br />
de Xanthus qui vapte fes qualités, la Royait,<br />
i Empédocle qu'il eft un Dieu i mais outre que le Giec ne<br />
dit pa abfolumtnt cela , je ne penfe pas que janw.s petlon.<br />
ne ieCoit teiieufcra-nt
Ê M P É D O CLE. 14<<br />
tè lui ayant été offerte, il la refufa par prédileâion<br />
pour une condition médiocre. Timée<br />
ajoute à ce trait le récit d'une occafion ou il fit<br />
voir qu'il avoit le cœur populaire. Il fut invité<br />
à un repas par un des principaux de la<br />
ville; & comme on fe mit à boire avant que de<br />
fervir fur table, Empédocle, témoin <strong>du</strong> filence<br />
des autres conviés , s'impatienta & ordonna qu'on<br />
aportât de quoi manger. Le maître <strong>du</strong> logis<br />
*'excu r a fur ce qu'il attendoit un Officier <strong>du</strong> Confeil.<br />
Il arriva enfin , & ayant) été établi Roi de<br />
la fête par les foins de celui qui donnoit le régal<br />
, il fit entrevoir affez clairement des difpofitk>ns<br />
à la tyrannie , en voulant que les conviés<br />
bufTent , ou qu'on leur répandît le vin fur la<br />
tête. Empédocle fe tut ; mais le lendemain il<br />
convoqua le Confeil, fit condamner à mort ce.<br />
Officier & celui qui avoit fait les frais <strong>du</strong> repas<br />
Tel fut le commencement de la part qu'il prit<br />
aux affaires publiques. Une autre fois le Médecin<br />
Acron prioit le Confeil de lui affigner une<br />
place où il pût élever un monument à fon père ,<br />
comme ayant furpafie tous les Médecins en fçav-oir.<br />
Empédocle empêcha qu'on ne lui o&royât<br />
fa demande, tant par des raifons prifes de l'égalité<br />
, que par le difeours qu'il lui tint : Quelle<br />
infeription voulez-vous , lui demanda-t'il, qu'on<br />
mette fur le monument ? fera-ce cette Epitapke :<br />
Le grand Médecin. Acron d'Agrigtnte, filt d'un'
*«•£ E M P é D O C L E ;<br />
perecc'léère, repofe ici fous le précipice defaglorieufe<br />
patrie (i). D'autres tra<strong>du</strong>ifent ainfi le fécond<br />
vers , ce grand tombeau contient une grande tête, U<br />
y a des Auteurs qui attribuent cela à Simonide.<br />
Enfin Empédocle abolit le confeil des Mille ,'<br />
& luifubftitua une Magistrature de trois ans, dans<br />
laquelle il admettoit non-feulement les riches ;<br />
mais auffi des perfonnes qui foutinflent les droits<br />
<strong>du</strong> peuple. Timée, qui parle fouvent de lui ;<br />
dit pourtant qu'il ne paroifioit pas avoir un fyftème<br />
utile au bien de fa Patrie, parce qu'il témoignoit<br />
beaucoup de préfomption & d'amour-propre<br />
, témoin de ce qu'il dit dans ces vers :<br />
Je vousfalue, ma performe vouiparoît celle d'un<br />
Dieu , plutôt que d'un mortel, quand je viens vers<br />
vous , & le refte.<br />
On raconte que lorfqu'ilaffifta aux Jeux Olympiques<br />
, il attira fur lui l'attention de tout le<br />
monde ; de forte que dans les conventions<br />
on ne s'entretenoit de perfonne autant que d'Empédocle.<br />
Néanmoins dans le tems qu'on rétablit<br />
la ville d'Agrigente , les parens defes ennemis<br />
s'opoférent à ion retour ; ce qui l'engagea à fe<br />
f étirer dans le Péloponèfe, où il finit'fa vie. Timon<br />
ne l'a pas épargné, au contraire, il l'invective<br />
dans ces vers :<br />
(il 11 y a ici an jeu de mots, qui perd fon fcl dans U<br />
tta<strong>du</strong>ftion j il confifte en ce que le moi de £r*iU eft ti-,<br />
{«té pluGeuij fois.
EMPÉDQCL. K ùf<br />
Empidocle, hiriffi de termes <strong>du</strong> Barreau, & en<br />
ceci fupérieur aux autres , créa des Magiflrats qu l t,<br />
«voient befoin qu'on leur donnât des féconds.<br />
Il y a différentes opinions fur le fujet de fa<br />
mort. Héraclyde , qui détaille l'hiftoire de la<br />
femme fenfée n'être plus en vie, dit qu'EmpédocIe<br />
l'ayant ranimée & mérité beaucoup de<br />
gloire par ce prodige , fit un facrifice dans le<br />
champ de Pyfianacte , auquel il invita Tes amis»<br />
<strong>du</strong> nombre defquels fut Paufanias ; qu'après le<br />
tepas, quelques - uns Ce retirèrent pour fe repofer,<br />
quelques autres fe mirent fous les arbres<br />
d'un champ voifin , d'autres s'en allèrent où<br />
ils voulurent ; qu'EmpédocIe fe tint dans fa place<br />
qu'il avoit occupée pendant le repas ; que le lendemain<br />
chacun s'étant levé, il n'y eut qu'EmpédocIe<br />
.qui ne parut point-, qu'on le chercha &<br />
queftionna les Domeftiques pour fçavoir ce qu'il<br />
étoit devenu ; qu'un d'entr'eux déclara qu'à minuit<br />
il avoit enten<strong>du</strong> une voix forte ,' qui apelloit<br />
Empédocle par fon nomjque là-deflus il s'étoit<br />
levé , mais qu'il n'avoit aperçu rien d'autre<br />
qu'une lumière célefte, & la lueur de flambeaux ;<br />
que ce difeours caufa une furprife extrême ; que<br />
Paufanias defeendit de la chambre & envoya des<br />
gens à la découverte d'Empédocle ; qu'enfin il<br />
cefla de fe donner des peines inutiles, en difant<br />
qu'EmpédocIe avoit reçu un bonheur digne de la<br />
dévotion qu'il avoit fait pa'roîtré , & qu'il fah<br />
X4
M E M P É D O C L E .<br />
loit lui immoler des victimes comme à un homme<br />
ilevé au rang des Dieux. Hermippe contredit<br />
Héraclide en ce que le facrificefut offert à l'oceafion<br />
d'une femme d'Agrigente nommée Fàn~<br />
*hie , qu'Empédocle avoit guérie, quoiqu'abandonnée<br />
des Médecins : à quoi il ajoute que le<br />
nombre de ceux qu'il avoit invité, fe <strong>mont</strong>oit<br />
à près de quatre-vingt perfonnes. Hippobote<br />
«conte qu'à fon réveil Empédocle prit le chemin<br />
<strong>du</strong> <strong>mont</strong> Ethna, qu'il fe précipita dans les ouvertures<br />
de cette <strong>mont</strong>agne , & dtfparut ainfi dans<br />
le deflein de confirmer par-là le bruit de fon apo.<br />
théofe ; mais que la chofe fe découvrit par un fandale,<br />
travaillé avec de l'airain, que le volcan rejetta<br />
«n vomiffant desflammes,&que l'on reconnut être<br />
un.des ftens, tels qu'il avoit coutume d'en porter»<br />
Néanmoins ce fait fut toujours démenti par Paufanias.<br />
Diodore d'Ephèfe, en parlant d'Anaximandre<br />
, dit qu'Empédocle le prenoit pour modèle,<br />
qu'ill'imitoit dans fes expreflions ampoulées,&<br />
affectoit la gravité de fon habillement. On ajou"<br />
te à cela que les habitans de Selinunte, étant<br />
affligés de la pefte, caufée par l'infection d'une<br />
rivière voifine qui exhaloit de fi mauvaifes<br />
odeurs, qu'elles pro<strong>du</strong>ifoient des maladies & faifoient<br />
avorter les femmes , Empédocle imagina<br />
de con<strong>du</strong>ire à fes propres dépens deux autres ri.<br />
prières dans celle-là pour en adoucir les eaux par,
E M P É D O C L E . M9<br />
«e mélange ; qu'effectivement il fit ceffer le fléau ;<br />
qu'enfuite il fe prefentaaux Sélinuntiens pendant<br />
qu'ils affiftoient à un feftin auprès de ce fleuve ;<br />
qu'à fon afpeâ ils fe levèrent & lui rendirent<br />
les honneurs divins ; que ce fut pour les confirmer<br />
dans l'opinion qu'il étoit un Oieu , qu'il<br />
prit la réfolution de fe jetter dans le feu. Mais<br />
ce récit eft conteûé par Timée , qui dit formellement<br />
qu'il fe retira dans le Péloponnèfe, d'oa<br />
il ne revint-jamais ; de forte qu'on ne fçait de<br />
quelle manière il finit fes jours. Dans fon quatrième<br />
livre il prend à tâche de décréditer le récit<br />
d'Héraclide , en difant que Pyfianaôe étoit<br />
de Syracufe , qu'il n'avoit point de champ à<br />
Agrigente, & qu'au refle ce bruit s'étant répan<strong>du</strong><br />
touchant Empédocle, Paufanias, qui étoit riche,<br />
érigea à fa mémoire un monument, foit ftatue<br />
ou chapelle. » Et comment pour fuit-il, Empé«<br />
» docle fe feroit • il jette dans les ouvertures do<br />
» <strong>mont</strong> Ethna , lui qui n'en fit jamais mention »<br />
„ quoiqu'il ne demeurât pas loin de là ? Il mou-<br />
» rut donc dans lePéloponnèfe,&onne doit pas<br />
w être furpris fi on ne rencontre pas fon fépulchre,<br />
» puifqu'on ignore la fépulture de plufieurs au-<br />
» très «.Timée conclut, en reprochant à Héraclide<br />
la coutume d'avancer des paradoxes , jufqu'à<br />
parler d'un homme , tombé de la lune en terre»<br />
Hippobote dit qu'Empédocle eut d'abord à<br />
Agrigente une ftatue couverte , dreffée. à fon<br />
honneur ; nuis qu'enfuite elle fut placée décoa-
ï59 E M P É D O C L E .<br />
Tcrte vis-à-vis le Sénat des Romains, qui ta<br />
tranfportérent dans cet endroit, il eft aufli représenté<br />
.dans quelques tableaux, qui éxiflent encore.<br />
Néanthe de Cyzique, quija écrit fur le*<br />
Pythagoriciens , raporte qu'après ta mort de<br />
Méton , la Tyrannie commença à s'établir , &<br />
qu'Empédocle perfuada aux Agrigentins de calmer<br />
leurs l'éditions & de conferver l'égalité dans<br />
leur gouvernement. Comme il poffédoit de gros<br />
biens, il dota plufieurs filles qui n'en «voient pas ;<br />
& Phavorin, dans le premier livre de fès Cour<br />
mcntaircs , dit qu'il étoit dans une fi grande<br />
opulence , qu'il portoit la pourpre, un ornement<br />
d'or autour de la tête , des fandales d'airain ,<br />
& une couronne Oelphienne. Il avait ta chevelure<br />
longue , l'air impofant, fe faifoit Cuivre<br />
par des Domeftiques, & ne changeoit jamais de<br />
manière & d'arrangement. C'eft ainfi qu'il paroiflait<br />
en public, & l'on remarquoit dans ion maintien<br />
une forte d'aparence royale qui te rendoit réf.<br />
peâable. Enfin un jour qu'il fe tranfportoit en<br />
chariot à Meiline pour y affilier à une fête folemnelle,<br />
il tomba & fe cafla.la cuiffe ; accident<br />
dont il mourut à l'âge de foixante & dit-fept ans»<br />
Il a fon tombeau à Mégare. Ariftote eft d'un<br />
autre avis touchant fon âge. Il ne lui donne<br />
que foixante ans de vie ; d'autres cent & neuf. Il<br />
fleuriflbit vers la LXXXIV. Olympiade. Démétrius<br />
de Treezene > dans fon livre contre les Sophïfr.
E M P É D O C L E . »?*<br />
tes, nous aprend, en fe fervant des expreflion»<br />
d'Homère, qu'ayant pris un licou, ilfe pendit à<br />
un cornouiller fort haut, afin que fon ame defcendît<br />
de là aux Enfers. Mais dans la lettre de Télauge,<br />
dont rrous avons parlé, il eft dit qu'il tomba<br />
dans la mer par un effet de vieillerie, & qu'il<br />
s'y noya. Telles font les opinions qu'on a fur fa<br />
mort. Voici des vers fatyriques qui fe trouvent<br />
fur fon fujet dans notre Recueil de vers de toutes<br />
fortes de mefures.<br />
Empédoclc, tu as purifié ton corps par le moyen<br />
des flammes dévorantes qui s'élancent continuelle-*<br />
ment à travers les ouvertures de F Etna. Je ne dirai<br />
pas que tu t'y es plongé de propos délibéré. Qu'on<br />
ignorât ton fort, c'itou-là ton dejfein ; mais qu'il t'en<br />
coûtât la vie , n'était pas ta volonté.<br />
En voici encore d'autres.<br />
Empédocle, dit-on , mourut d'une chute de cha^<br />
riot, qui lui caffa la cuijfe droite. S'il fut affe^r malavifé<br />
pour s'être jette dans les ouvertures <strong>du</strong> <strong>mont</strong><br />
Etna, comment fe peut-il que fis os repofent dans<br />
fon fépulchre à Mégare ?<br />
Au refte Empédocle croyoit qu'il y a quatre<br />
élémens, le feu, l'eau, la terre & l'air, accompagnés<br />
d'un accord qui les unit, & d'une antipathie<br />
qui les fépare. Il les nomme , te prompt<br />
Jupiter , Junon qui donne ta vie > Platon , 6*<br />
Neftis qui remplit de larmes les yeux des humains}<br />
Jupiter eft le feu, Junon la terre, Plutoa l'air ^
»t* E M" PéD' a c t E;<br />
& Neftis l'eau. Il ajoute que ces élémens , Tujets<br />
à de continuels changemens, ne périffent jamais<br />
, & que cet ordre de l'Univers'eft éternel'.-<br />
Il conclut enfin que tantôt une correfpondance'<br />
unit ces parties , & que tantôt une contrariété les<br />
fait agir féparérrient.- Il eftimoit que le foleil eft<br />
Mn amas de feu, & un aftre plus grand que la lune j<br />
que celle-ci reffemble à un difque pour la figure ;'<br />
que le ciel eftfemblable à <strong>du</strong> criftal, & que l'aine<br />
. revêt toutes fortes de formes de plantes & d'arir-maux.<br />
Il affuroit qu'il fe fouvenoit d'avoir été<br />
autrefois jeune garçon & jeune fille , plante ,<br />
poiffon & oifeau.<br />
* On a en cinq cens vers ce qu'il a compofé fur<br />
la Nature & fur les Expiations, & en fix cens ce<br />
qu'il a écrit de la. Médecine. Nous avons parlé;<br />
plus haut de fes tragédies.<br />
^^d^?^
ÉPI C H A R M E . *5*<br />
EPICHARME.<br />
"Ç Picharme, natif de Co & fils cVEIo.thale J<br />
•*-' étudia fous Pythagore. Il n'avoit que trois<br />
moislorfqu'on le powa àMégare de Sicile, & de<br />
là à Syracufe, comme il le dit lui-même dans fe»<br />
œuvres. "Voici l'infcription quife trouve au bas<br />
de fa tfatue :<br />
Autant le Soleil furpaffe en éclat les autres afl<br />
très , & autant la force des vagues de la mer l'emporte<br />
fur la rapidité des fleuves ,* autant Epichafme t<br />
couronné par Syracufe fa patrie., excelle en fagejfe<br />
par-dejfus les autres hommes.<br />
Il a laiffé des Commentaires , qui contiennent<br />
des fentences, & dans lefquelsil traite de la Nature<br />
& de la Médecine. A la plupart de ces Commentaires<br />
forrt joints des vers acroftiches , qui<br />
prouvent in<strong>du</strong>bitablement qu'il en eft l'Auteur»<br />
Il mourut âgé de quatre-vingt-dix ans.<br />
IOF<br />
*¥
*54 A R C H" Y T A S :<br />
À R C H Y T A S.<br />
Rchytas de Tarentè^iflu de, Mnefagore;<br />
A ou d'Heftiée félon Ariftoxene, embraffa la<br />
feâe de Pythagore. Ce fut lui qui , par une<br />
ïettre qu'il écrivit à Denys, fauva la vie à Platon<br />
, dont le Tyran avoit réfolu la mort. Il réuniflbit<br />
en fa perfonne tant de vertus, qu'admiré<br />
des uns & des autres pour fon mérite , on lui<br />
confia jufqu'àfept fois la Régence, malgré la Loi<br />
qui défendoit qu'on l'exerçât plus d'un an.<br />
Platon lui écrivit deux fois en réponfe à un*<br />
lettre qu'il en avoit reçue, &_qui étoit conçue<br />
-en ces termes :<br />
Archytas à Platon, fanté.<br />
» 7e vous félicite de votre rétabliffement ;<br />
» fuivant ce que vous m'en dites, & comme je<br />
» l'ai apris de Damifcus. Quant aux écrits<br />
M dont vous m'avez parlé , j'en ai eu foin , &<br />
» me fuis ren<strong>du</strong> en Lucariie auprès des parens<br />
» d'Ocellus. Les Commentaires fur la Loi , la<br />
» Royauté, la Piété & la Génération de toutes<br />
M chofes font entre mes mains. Je vous en ai<br />
« même fait tenir une partie ; mais j iifqu'ici on n'a
A R C H Y T A S . 4jf<br />
» encore pu recouvrer les autres. S'ils fe retrou^<br />
» vent, foyez perfuadé que je ne manquerai pas<br />
» de vous les envoyer. »<br />
Tel étoit le contenu de la lettre d'Archytas j 1<br />
tel celui de la réponfe fuivante de Platon.<br />
Platon à Archytas , figeffi.<br />
» Je ne fçaurois aflez vous exprimer la fatif-<br />
»> faftion avec laquelle j'ai reçu les écrits que<br />
» vous m'avez envoyés. Je fais de l'Auteur un cas<br />
» infini, je l'admire en ce qu'il fe <strong>mont</strong>re digne<br />
» de fes ancêtres <strong>du</strong> vieux tems, & fi eftima-<br />
» blés pour leurs bonnes qualités. On les dit<br />
» originaires de Myra, & <strong>du</strong> nombre de ces<br />
» Troyens que Laomédon amena avec lui ; tous<br />
n gens pleins de vertus, félon le témoignage<br />
» qu'en rend l'hiftoire. Les Commentaires ,'<br />
» dont vous me parlez & que vous fouhaitez »'<br />
n ne font pas encore en aflez bon état ; n'im-<br />
» porte, je vous les envoyé tels qu'ils fe trou-.<br />
» vent. Nous penfons de même l'un & l'autre.<br />
n fur le foin avec lequel ils méritent d'être con-<br />
» fervés : auffi n'ai-je rien à vous recommander<br />
» là'detfus. Je finis, portez-vous bien. »<br />
Voilà en quels termes ils s'écrivoient de part<br />
& d'autre.<br />
Il y a eu 'quatre Archytas. Le premier eft<br />
celui dont nous parlons ; le fécond étoit de
*56 A R C H Y T A S.<br />
Mitylene, & Muficien de profeflîon ; le troifiéme<br />
a écrit de l'Agriculture; le quatrième a compofé<br />
des Epigrammes. Quelques Auteurs en comptent<br />
un cinquième, qu'ils difent avoir été Archite&e,<br />
& dont on- a un ouvrage fur la Mécanique,<br />
qui commence par ces mots : J'aiapris<br />
•ceci de Teucer de Carthage. On raporte aufli <strong>du</strong><br />
MuficienArchytaSjCjue quelqu'un lui difant qu'oa<br />
ne l'écoutoit pas lorfqu'il difcouroir, il répondit<br />
que fon infiniment de Mufique parloit pour lui.<br />
Ariftoxéne raconte d*Archytas le Pithagoricien<br />
que pendant qu'il fut Général, il.ne perdit jamais<br />
de combat; mais qu'ayant été démis de cet emploi<br />
par envie, l'armée fuccomba & tomba au<br />
pouvoir des ennemis.<br />
Celui-ci eft le premier qui ait traité des Mécaniques<br />
par des principes qui leur fon. propres,<br />
& qui ait communiqué un mouvement organique à<br />
«ne figure faite géométriquement, en cherchant,<br />
bar le moyen de la fe&ion d'un demi cylindre,<br />
deux lignes proportionnelles pour trouver<br />
la <strong>du</strong>plication <strong>du</strong> cube. Platon dans fa République,<br />
attelle qu'on lui eft aufi redevable de la<br />
découverte de la <strong>du</strong>plication <strong>du</strong> cube par la Géométrie.<br />
ULCMEON.
A L C M É O N. ij7<br />
A L C M É O N-.<br />
À Lcméon de Crotone, autre Difciple de Py-<br />
•**• thagore , a principalement traité de la Médecine<br />
, quoiqu'il ait auffi parlé de la nature •<br />
comme quand il dit, que la plupart des choies<br />
Humaines font- doubles, (i) Phavorin , dans fon<br />
Hiftoire diverfe, préfume qu'il fut le premier qui<br />
enfanta le fyftême de Phyfique , & qui crut<br />
que la lune conferve éternellement ' la même<br />
nature. Il étoit fils de Pirithus , fuivant fon propre<br />
aveu dans l'éxorde d'un ouvrage , en ces<br />
termes : Alcmion, Crotoniate, fils de Pirithus; à<br />
Srontin, Leonte & Bathyllus touchant les Etres<br />
invifibles. Les Dieux ont une parfaite connoijfancede<br />
ce qui regarde les chofes mortelles ; mais les<br />
hommes rien peuvent juger que-par conjeâure, &<br />
le refte. Il difoit auffi que l'àme eft immortelle,<br />
& qu'elle fe meut continuellement, comme le.foleit.<br />
(0 Cela défigne l*s contraires, comme Utne & noir,,<br />
imx & amir . &c. Ménage.<br />
Tome If.. . V
!ȕ& H I P P A S U S.<br />
H I P P A S U S.<br />
H ippafus de Métapont étoit Pythagoricien;<br />
Il croyoit que le monde eft fujet à des viciflitudes<br />
dont le tems eft déterminé, que l'U"aîyers<br />
eft iîni, & qu'il fe meut continuellement.<br />
Démétrius, dans Coti Traité de* auteurs de<br />
même nom, veut qu'il n'ait laiffé aucun ouvrage.<br />
U y a eu deux Hippafus ; celui-ci, & un autre<br />
qui a traité en cinq livres de la République de<br />
Lacédémone, fa patrie.
P H I L O L A U S. i;?<br />
^ "4r -4»- -4»- «)r -4»- «Jk «J** *lr *
%6o P M I L O L A U S.<br />
avoit condamné à mort. Démétrius , dans fes<br />
Auteurs de même nom , aflure qu'il fut le pre.niét<br />
qui publia les dogmes des Pythagoriciens fur la<br />
Nature, & qui commencent par cette opinion:<br />
que la Nature, le Monde 6" tout ce qu'il contient?,<br />
renferment une harmonie des ihofes finies avec /«.<br />
(Jiofcs infinies*.<br />
. w '<br />
§£
E U D O X E. *6t<br />
E U D O X E.<br />
"E Udoxe, fils d'iEfchine, naquit à Gnide, &<br />
•*—• devint tout à la fois Aftrologue , Géomètre<br />
, Médecin & Légiflateur. Il aprit d'Archytas<br />
la Géométrie, & étudia la Médecine fous<br />
Philiftion de Sicile, ditCallimaque dansfes Tables.<br />
Sotion, dans fes Succédions , nous informe<br />
qu'il eut Platon pour Maître. Dans fa vingt"<br />
troifiémeannée, Eudoxe, pauvre &nécefliteux^<br />
mais auffi empreffé de s'inftruire que touché dé<br />
la réputation, dés difciples de Socrate , s'en fut<br />
à Athènes avec le Médecin Théomédon , quj<br />
lenourrifloit, & qui, félon quelques-uns, avoit<br />
pour lui une tendreffe toute particulière. Etant<br />
arrivé an Pyrée , il alloit régulièrement tous<br />
. les- jours à Athènes, d'où après avoir entertdo,<br />
les Orateurs, il revenoit au logis. Son féjour<br />
dans ce lieu <strong>du</strong>ra deux mois, au-bout defquels<br />
il s'en retourna, chez lui. Ses amis ayant contri»<br />
bué à lui amafler quelqu'argent , il partit pour.<br />
FEgypte , accompagné <strong>du</strong> Médecin Chryfippe ,_<br />
& muni d'une lettre de recommandation qu'Agéfilas<br />
lui donna pour Nëftanabe, qui parla en fafa<br />
veur aux Prêtres d'Egypte. II s'arrêta dans ce<br />
pays pendant un- an & quatre mois,, fe fàifantsafer<br />
la barbe & les fourcils. Si on en croit:<br />
quelques-uns, il s x accuga à.com£ofer unousr
•iSt t U D O X E.<br />
vrage de mathématique , qu'il intitula Ctâaêtreï<br />
Il fe rendit en fui te à Cyzique & dans laPropontide,<br />
où il exerça la Philofophie. Enfin , après<br />
avoir vu Maufole , il reprit la route d'Athènes, Sf.<br />
y parut avec un grand nombre de difciples, dans<br />
le deflein, à ce qu'on croit, de mortifier Platon,<br />
qui n'avoit pas d'abord voulu le recevoir. Il y<br />
es a qui difent qu'étant avec plufteurs autres à<br />
un repas que donnoit celui-ci , il intro<strong>du</strong>ifit l'ufage<br />
de fe placer à table en demi-cercle. Nicomaque<br />
, fils d'Ariftote, lui attribue d'avoir dit<br />
que la volupté eft un bien.<br />
Eudoxe fut extraordinairement eftimé dans fa,<br />
patrie, témoin le décret qu'on y fit à fon honneur.<br />
La Grèce n'eut pas moins de refpeâ pour<br />
lui, tant à caufe des Loix qu'il donna à fes concitoyens,<br />
comme le raparte Hermippe dans fon<br />
quatrième livre des Sept Sages , que par raport<br />
à fes excellens ouvrages fur l'Aftrologie, la Géométrie<br />
& d'autres Sciences.<br />
Ce Philofophe eut trois filles, nommées Ac~<br />
tis, Philtîi & Delphis. Eratofthène , dans fes<br />
livres adreffés à Bâton,(i)dît qu'il écrivit aufi»<br />
des Dialogues Ciniques. D'autres au contraire<br />
prétendent qu'ils furent l'ouvrage d'AuteursEgyptiens,qui<br />
les compoférent en leur langue,& qu'Eudoxe<br />
les tra<strong>du</strong>ifit e» Grec. Il prit de Chryfip-<br />
fe) D'autre» pa<strong>du</strong>ifeut Hi(*w * Voyez Mtn*$n
E U D O X E . s0$<br />
pe de Gnide, fils d'Erinée, les notions des ehofes<br />
qui regardent les Dieux, le Monde & le»<br />
Météores. Quant à la Médecine, il fat dreffé.<br />
à cette fcience par Philiftion de Sicile. Au ref- '<br />
te il a laiffé de fort beaux Commentaires »<br />
Outre fes trois filles, Eudoxe eut un fils apelle<br />
Arifiagore, qui éleva Chryfippe , fils d*^Ethlius.<br />
Ce Chryfippe eft Auteur d'un Traité dé-<br />
Médecine fur les maladies des yeux, auquel il<br />
travailla par occafion, ea faifant des recherche»<br />
Phyfiques.<br />
II y a eu trois Eudoxes ; celui-ci ; un autre ;<br />
Rhodien de naiflance & Hiftorien ; un troifiéme de<br />
Sicile, fils d'Agathocle, Poëte Comique , trois<br />
fois vainqueur dans les fêtes de Bacchus qui fe<br />
célébroient en ville, & cinq fois dans celles de<br />
la campagne, félon Apollodore dans fes Chroniques.<br />
Nous trouvons encore un Médecin Je même<br />
nom, natif de Gnide, & de qui notre Eudoxe<br />
, dans fon livre de la ^Circonférence de la<br />
Terre , dit qu'il avoit pour maxime d'avertir<br />
qu'il falloir tenir fon corps & fes fens dans un mouvement<br />
continuel par toutes fortes d'exercices.<br />
Le même raporfe que cet Eudoxe de Gnide<br />
étoit en vogue vêts la CUL Olympiade, Se<br />
qu'il découvrit les régies des lignes courbes. Il<br />
mourut dans la cinquante-troifiéme année de fon<br />
âge. Pendant qu'il étoit en Egypte auprès d'Itenuphis,<br />
Héliopoûtaiûf â.atiiv» que le. houf
i«4 E V D O X E.<br />
\Apis lui lécha l'habit, d'où les Prêtres conclurent<br />
qu'il feroit fort célèbre, mais qu'il ne viyroit<br />
pas long-tems. Ce récit de Phavorin, dansées<br />
Commentaires , nous a donné matière à cesvers*<br />
fur fon fujet.<br />
On dit qu'Eudoxe , étant à Memphis, s'informa<br />
de fon fort en s'adrejfant au boeuf célèbre de<br />
ces lieux. L'animal ne répondit rien. Eh ! qu'auroitpû<br />
dire un bœuf? Apis manque de voix-, la nature<br />
ne lui en a pas donné Uufage ; mais fe tenant<br />
de coté, // lécha l'habit d'Eudpxe. Qu'annonçoib<br />
il par-là ? qu'Eudoxe ne vivroit pas long-tems. En<br />
tffiet, il mourut bien-tôt, n'ayant vécu que cinquan*<br />
te-troïs ans.<br />
La grande réputation, qu'il avoit dans le mon^<br />
de, fit. que par le changement de la féconde<br />
lettre de fon nom , on l'apella d'un autre qui<br />
fignifioit Homme célèbre.<br />
Mais après avoir fait mention des Philofophes<br />
Pythagoriciens les plus diftingués , venons - en à<br />
divers autres qui fe font ren<strong>du</strong>s illuftres ,.ôt com»<br />
mençons par Heraclite..<br />
nrv R E IX.
' ^wVWWWWw
*65<br />
f°v ^ • V i^V*<br />
LIVRE ï<br />
H É R A C L I TE.<br />
:*Ç ÉRACLITE , fils de Blyfon, ou d'Héra-<br />
R*U*KT cionte, félon quelques-uns, naquit à<br />
r £-~If Ephèfe & flearit vers la Lxlx -° 1 y m -<br />
B^r^^-jj piade. Il étoit haut & décifif dans<br />
fe.s idées comme on en peut juger par un de fes<br />
ouvrages, où il dit que ce n'eft pas une grande<br />
fcience qui forme tcfprit. Il enfeignoit à Héfiode ,<br />
à Pythagore, à Xénophane & à Hécatée que la<br />
feule fagefle confifle àconnoître la volonté, fui-<br />
•ant laquelle toutes chofes fe gouvernent dans<br />
l'Univers , ajoutant qu'Homère & Archilochus<br />
méritoient d'être chaffés des Collèges à coups de<br />
poing.<br />
Il avoit pour maxime , qu'il faut étouffer les in-<br />
Tome II, Z<br />
-"'••'**»•...
& HERACLITE.<br />
jures avec plus de foin qu'un incendie , & quur»<br />
peuple doit combattre pour fes loix comme pour fe*<br />
murailles. Il reprit aigrement les Ephéfiens fur.<br />
ce qu'ils a voient chafie fon ami Hermodore.<br />
Ils font dignes , difoit-il, qu'on les mette à mort<br />
dès l'âge de puberté, & qu'on laiffe leur ville â<br />
des enfans, eux qui ont été ajfe^ lâches pour en<br />
chaffer Hermodore leur bienfaiteur , en fe fervant<br />
de ces.expreff.ons : Que perfonne ne mérite notre rc<br />
connoijfance ,& fi quelqu'un nous rend jufques4â<br />
redevables envers lui , qu'il aille vivre ailleurs &<br />
avec d'autres.<br />
On dit même que requis par fes concitoyens _<br />
de leur donner des Loix , Heraclite rejetta leur<br />
demande avec mépris, parce qu'une maovaife"<br />
police avoit déjà corrompu la ville. S'en étant<br />
allé <strong>du</strong> côté <strong>du</strong> Temple de Diane, il s'y mit à<br />
jouer avec des enfans. De quoi vous étonnez-vous,<br />
gerts per<strong>du</strong>s de mœurs ? dit-il à ceux qui l'éxaminoient.<br />
Ne vaut-il pas mieux s'amufer de cette<br />
façon, que partager avec vous Fadminifiration des,<br />
affaires publiques ? A la fin il devint fi mifantrope,<br />
qu'il fe retira dans les <strong>mont</strong>agnes, ou il paffoit<br />
fa vie , ne fe nourrùTant que d'herbes & de<br />
racines. Il en contracta- une hydropifie, qui<br />
l'obligea d« revenir en ville, où il demanda<br />
énygmatiquement aux Médecins, s'ils pourraient<br />
bien changer la pluyc en fécherejfe ? Us ne la<br />
comprirent point; de forte qu'il entra dans un
HERACLITE; *6><br />
îtable & s'y enfonça dans <strong>du</strong> fumier de vache','<br />
efpérant que la chaleur évaporeroit par les pores<br />
les eaux dont il étoit furchargé. Il éprouva l'inutilité<br />
de ce remède , & mourut âgé de foixants<br />
ans. Telle eft notre Epigramme à fon fujet.<br />
/* me fuis fouvent étonné qu''Heraclite fe fait attiré<br />
une <strong>du</strong>re mort' par Une vie fi <strong>du</strong>re. Une fitnefte<br />
hydropifie inonda fon corps, glaça fes membres,<br />
éteignit la lumière de fes yeux & les couvrit de<br />
ténèbres.<br />
Hermippe raporte qu'il confulta les Médecins i<br />
pour fçavoir s'il n'y avoit pas moyen de pomper<br />
l'eau des inteftins ; qu'ils répondirent qu'ils n'en<br />
connoiflbient aucun ; que là-deflus il alla fe'mettre<br />
au foleil ; qu'il ordonna à des enfans de le<br />
couvrir de fumier ; que ce remède dont il s'étoit<br />
avifé, l'exténua à un tel point, qu'il en mou?<br />
rut deux jours après, & qu'on l'enterra dans la<br />
place publique. Néanthe de Cyzique dit au<br />
contraire, que n'ayant pu fe tirer de deflbus<br />
le fumier, il refta dans cet état ,* & fut mangé<br />
des chiens.<br />
Il fé fît admirer dès l'enfance. Lorfqu'il étoî<br />
jeune, ilavouoit qu'il ne fçavoit rien, & quand il<br />
eut atteint l'âge viril, il fe vantoit de fçavoir tout.<br />
Il n'eut point de Maître , auffi difoit-il qu'il ne<br />
devoit fa Phitofophie & toute fa fcience qu'à fes<br />
propres foins.NéanmoinsSotion allure avoir trouvé<br />
des Auteurs qui atteftent qu'il fut difciple 'de<br />
Z 2
•68 HERACLITE.<br />
Xénophane. Il cite même Arifton, lequel dan»<br />
fon livre fur Heraclite veut que ce Philofophe t<br />
ayant été guéri de fon hydropifie, mourut d'une<br />
autre maladie, en quoi Hippobote eft de même<br />
fentiment.<br />
A la vérité l'ouvrage qui porte fon nom, a en<br />
général la Nature pour objet ; auffi il roule fur<br />
trois fortes de matières , fur l'Univers, fur la<br />
Politique , & la Théologie. Selon quelques-uns »<br />
il dépofa cet ouvrage dans le Temple de Diane<br />
& l'écrivit exprès d'une manière obfcure , tant<br />
afin qu'il ne fût enten<strong>du</strong> que par ceux qui en<br />
pourroient profiter , qu'afin qu'il ne lui arrivât<br />
pas d'être expofé au mépris <strong>du</strong> vulgaire. De là<br />
cette critique de Timon :<br />
Entre ceux-là eft Heraclite , ce criard mal bâti,<br />
cet injurieux dijeoureur & ce difeur d'enygmes.<br />
Théophrafte attribue à fon humeur mélancolique<br />
les chofes qu'il a écrites imparfaitement &<br />
celles qu'il a traitées différemment de ce qu'elles<br />
font. Antifthène , dans fes Succejjions , allègue<br />
pour preuve de fa grandeur d'airie, qu'il céda à<br />
fon frère la préfidence des affaires de Prêyife. Au<br />
refte , fon livre lui acquit tant d'honneur, qu'il<br />
eut des feâateurs qui portèrent le nom d'Hèraçlitiens.<br />
Voici en général quelles furent fes opinions. Il<br />
croyoit que toutes chofes font compofées <strong>du</strong> feu,<br />
Si. fe iréfolvent dans cet élément ; que tout fe
H É R A C L I TE. 469<br />
fait par un deftin , & que tout s'arrange & s'unit<br />
par les changernens des Contraires ; que<br />
toutes les parties <strong>du</strong> monde font pleines<br />
d'efprits . & de Démons. Il a parlé au/fi des<br />
divers changernens qui fe remarquent dans<br />
les mouvemens de la nature. Il croyoit de<br />
plus que la grandeur <strong>du</strong> foleil eft telle qu'elle<br />
paroît ; que la nature de l'ame eft une chofe<br />
fi profonde, qu'on n'en peut rien définir, quelque<br />
route qu'on fuive pour parvenir à la connoître.<br />
Il difoit que l'opinion de foi-même eft une<br />
maladie facrée, & la vue une chofe trompeufe.<br />
Quelquefois il s'énonce d'une manière claire &<br />
intelligible ; de forte que les efprits les plus lents<br />
peuvent l'entendre, & que ce qu'il dit pénétre<br />
jufques dans le fond de l'ame. II eft incomparable<br />
pourla brièveté & pour la force avec laquelle il s'explique;<br />
mais expofons fes fentimens plus en détail.<br />
Suivant ce Philofophe , le feu eft un élément,<br />
& c'eft de fes divers changernens que naiffent<br />
toutes chofes, félon qu'il eft plus raréfié , ou<br />
plus denfe. Il s'en tient-là, & n'explique rien<br />
ouvertement. Il croit que tout fe fait par l'opofition<br />
qu'une chofe a avec l'autre, & compare<br />
le cours de la nature à celui d'un fleuve. Il<br />
fupofe l'Univers fini, & n'admet qu'un feul monde<br />
, qui, comme il eft pro<strong>du</strong>it par le feu, fe<br />
drflbut auffi par cet élément au bout de certains<br />
périodes; & cela en vertu d'une deftinée. If<br />
Z3
*7
H Ê R A C L I T E.' *?#<br />
eil placé dans irn lieu par , clair, & éloigné<br />
de nous à une diftance proportionnée ; ce qn*<br />
fait qu'il éclaire & échauffe davantage. Le*<br />
éclipfes <strong>du</strong> foleil & de la lune viermen* de c«<br />
que les baffins qui forment ces aftres , font<br />
tournés à rebours de notre côté , &1es phafes ,<br />
que la lune prefente cliaque mois, viennent de<br />
ce que le baflin qui la forme, tourne peu k<br />
peu. Les jours & les nuits, les mois, les fanfons,<br />
les années, les pluyes , les vents St antre»<br />
phénomènes femblables ont leur caufe dans les<br />
différences des évaporations. L'évaporation pure<br />
, enflammée dans le cercle <strong>du</strong> foleil, pro<strong>du</strong>it<br />
le jour ; l'évaporation contraire à cellelà<br />
caufe la nuit. Pareillement la chaleur augmentée<br />
par, les évaporations pures, occafionne<br />
l'été, & au contraire l'augmentation del'hu midi»<br />
té par les évaporations obfcures amène l'hyver.<br />
Ainfi raifonne Heraclite fur les autres caufes naturelles.<br />
Au refte, H ne s'explique ni fur<br />
la forme de la terre , ni fur les baffins<br />
des aftres. Voilà ce qu'on fait de fes opinions.<br />
Nous avons en occafion de parler dans la vie<br />
de Socrate de ce que ce Philofophe penfoit d'Heraclite<br />
après en avoir lu le livre que lui remit<br />
Euripide, comme le raporte Arifton. Néanmoins<br />
Séleucus UGrammairien, dit qu'un nomméCroton,<br />
dans un ouvrage intitulé U verfiur d'eau ,,-r*»
*7» H É R A C L I T E.<br />
conte qne ce fut un certain Cratès qui le premier<br />
fit connoitre ce livre ea Grèce , fit qui en avoi*<br />
cette idée, qu'il faudroit être nageur de Dékjs<br />
pour ne pas y fiiffoquer. Ce livre d'Heraclite<br />
eft différemment intitulé. Les Mufes par les uns;<br />
De la nature par les autres. Diodote le défigne<br />
fous ce titre : Le moyen de bien con<strong>du</strong>ire fa Vie }<br />
d'autres le distinguent fous celui - ci : La fcience<br />
des Moeurs, renfermant une régit de con<strong>du</strong>ite<br />
univerfelle.<br />
, Heraclite, interrogé pourquoi il ne répondoit<br />
pas à ce qu'on lui demandoit, répliqua : C'efl afin<br />
que vous parliez. Il fut recherché de Darius , &<br />
ce Prince avoit tant d'envie de jouir de fa compagnie<br />
, qu'il lui écrivit cette lettre.<br />
Le Roi Darius, fils d'Hyftafpe, au fage Heraclite<br />
SEphife, falut.<br />
» Vous avez compoféun livre fur la Nature,<br />
» mais en termes fi obfcurs & fi couverts, qu'il<br />
» a befoin d'explication. En quelques endroits<br />
» fi on prend vos exprefïions à la lettre , il fem«<br />
*> ble que l'on ait une théorie de l'Univers , des<br />
» chofes qui s'y font, & qui cependant dépendent<br />
» d'un mouvement de la puiiïance divine. On eft<br />
» arrêté à la leâure de la plupart des partages ;<br />
» de forte que ceux mêmes , qui ont manié le<br />
M plus de volumes, ignorent ce que vous avec
HERACLITE. vff<br />
»» précifément voulu dire. Ainfi le Roi Darius,'<br />
» fils d'Hyftafpe, fouhaite de vous entendre ÔC<br />
» de s'inftruire par votre bouche de la 'doârine<br />
» des Grecs. Venez donc au plutôt, & que je<br />
» vousvoye dans mon Palais. Ceft allez la cour<br />
» tume en Grèce d'être peu attentif au mérite<br />
» des grands hommes, & de ne pas faire beau-<br />
» coup de cas des fruits de leurs veilles , quoi»<br />
y qu'ils foi en t dignes qu'on y prête une férieufe<br />
» attention, & que l'on s'empreffe à en profiter»<br />
» Il n'en fera pas de même chez moi. Je vous<br />
» recevrai avec toutes les marques d'honneur<br />
» poflibles ; j'aurai journellement avec vous des<br />
» entretiens d'eftime Se de politefle, en un mot,<br />
» vous ferez témoin <strong>du</strong> bon ufage que je ferai<br />
» de vos préceptes.<br />
Heraclite d'Ephèfc au Roi Darius, fils d'HyJlafpei<br />
falut.<br />
» Tous les hommes, quels qu'ils foient, s'é-<br />
» cartent de la vérité & de la juflice. Ils n'ont<br />
» d'attachement que pour l'avarice , ils ne ref-<br />
» pirent que la vaine gloire pas un entêtement<br />
» qui eft le comble de la folie. Pour moi, qui<br />
» ne copnois point la malice, qui évite tout fu-<br />
» jet d'ennui, qui ne m'attire l'envie de perfoiy<br />
» ne j moi, dis-je, qui méprife fouverainemeqp
474 HERACLITE,<br />
» la vanité qui régne dam les Cours, jamais il<br />
» ne m'arrivera de mettre le pied fur les terres<br />
» dePerfe. Content de peu de chofe, je jouis<br />
» agréablement de mon fort & vis à mon gré «.<br />
- Telles furent les difpofitions de ce Philofophe<br />
à l'égard <strong>du</strong> Roi Darius.<br />
Démétrius, dans fon livre des Auteurs de mt~<br />
me nom, raporte qu'il eut <strong>du</strong> mépris pour les<br />
Athéniens , malgré la grande opinion qu'ils<br />
avoient de fon mérite, & que quoiqu'il ne fût<br />
pas fort eftimé des Ephéfiens, il préféra de demeurer<br />
chez eux. Démétrius de Phalére a aufH<br />
parlé de lui dans fa Défenfi de Socrate.<br />
Son Livre a eu plusieurs Commentateurs ; Antifthène,<br />
Heraclite ôt Cléanthe , natifs <strong>du</strong> Pont ;<br />
Sphserus le Stoïcien ; Paufania*, furnommé \'Héracliftique<br />
; Nicoméde, Denys, & Diodote entre<br />
les Grammairiens. Celui-ci prétend que cet ouvrage<br />
ne roule pas fur la Nature, mais fur la<br />
Politique, ce qui s'y trouve fur la première de<br />
ces matières , n'y étant propofé que fous l'idée .<br />
d'exemple. Jérôme nous inftruit qu'un nommé<br />
Seythmus, Poëte en vers ïambes, avoit entrepris<br />
de verfifier cet ouvrage.<br />
On lit diverfes Epigrammes àl'occafion d'Heraclite<br />
, entr'autres celle-ci :<br />
Je fuis Heraclite ; à quel propos , gens fans<br />
lettres, voulez-vous me connoître de plus près ? Un.<br />
'•travail aujfi important que le mien, n'efi pas fait
HERACLITE. i7ï<br />
pour vous; il ne s'adreffe qu'aux Savans. Unfeul<br />
me fuffit autant que trois mille. Que dis-je ? Vne<br />
infinité de leSeurs me vaut à peine un fcul qui m'entend.<br />
J'en avertis, j'en infiruis les Mânes & les<br />
Ombres.<br />
En voici d'autres femblables.<br />
Lecleur , ne parcoure^ par Heraclite avec trop<br />
de vîteffe. Les routes qu'il trace , font difficiles à<br />
trouver. Vous ave^ befoin d'un guide qui vous<br />
con<strong>du</strong>ife à travers des ténèbres qu'il répand fur fes<br />
Ecrits, & à moins qu'un fameux Devin ne vous déchiffre<br />
le fens de fes exprtjfions, vous n'y verreç<br />
jamais clair.<br />
Il y a eu cinq Héraclites. Le premier eft ce.<br />
lui-ci ; le fécond, Poète Lyrique , qui a fait<br />
réloge des douze Dieux; le troifiéme natif d'HalicarnaiTe<br />
& Poëte Elégiaque, au fujet <strong>du</strong>quel<br />
Callimaque cotnpofa ces vers.<br />
Heraclite, la nouvelle de ta mort m'a arraché<br />
les larmes des yeux , en me fouvenant combien de<br />
jours nous avons paffes enfemble à miter le férieux<br />
avec le badin. Hélas! où es-tu maintenant, chtr<br />
Hâte d'Halicarnaffe ? Tu n'éxiftet plus qu'en pouffiére<br />
; mais les fruits de ta verve fubfiflent encore »<br />
6» ne font point fournis au pouvoir de la mort.<br />
Le quatrième Heraclite de nom, né à Lesbos »<br />
a écrit l'Hiftoire de Macédoine j le cinquième<br />
n'a pro<strong>du</strong>it que des fottifes , aufquelles il s'efk<br />
àmufé, au Heu de fuivre fa profeffion. de ioueu^<br />
decithre,
»76 X E N O P H A N E .<br />
X EN 0 P'ti.A N E,<br />
XEnophane, fils de Dexius, ou d'Orthoméae<br />
au raport d'Apollodore , naquit à Colophon.<br />
Timon parle de lui avec éloge.<br />
Xenophant moins vain , & le fléau d'Homère ;<br />
par fes critiques. Chaffé de fa patrie , il fe réfugia<br />
à Zancle en Sicile, & de là à Catane. Selon<br />
les uns, il n'eut point de Maître ; félon les, autres,'il<br />
fut difciple de Boton d'Athènes , ou<br />
d'Archelaus félon quelques - uns* Sotion le croit<br />
contemporain d'Anaximandre.<br />
Il compofa des Pocfies élegiaques & des vers<br />
ïambes contre Héfiode & Hométe , qu'il critique<br />
fur les chofes qu'ils ont dites des Dieux. 11 déclamoit<br />
lui-même fes vers. On veut aufli qu'il<br />
ait combattu les fentimens de Thaïes, dePythsgore<br />
& d'Epiménide. Au relie , il mourut fort<br />
âgé ; témoignage qu'il rend de lui-même dans<br />
«es vers :<br />
lly a déjà foixantc-fept anfque la Grèce vante<br />
mes lumières, 6» dès avant ce tems-là j'en complots<br />
vingt-cinq depuis ma naijjance ,fi tant efique<br />
je puijfe fuputer mon âge avec certitude.<br />
Il fupofoif quatre élémens, dont toutes cho*<br />
fes font compofées, & n'admettoit des mondes<br />
infinis, qu'il difoit n'être fujets à aucun change-;
XENOPHAN.E/ vji<br />
tnent. Il croyo'tt gue les nuées font formées de<br />
vapeurs, que le foleil élève & foutient dans l'air ;<br />
que la fnbftance divine eft fphérique & ne reffemble<br />
point à l'homme -, qu'elle voit & entend<br />
tout, mais ne refpire point ; qu'elle réunit tout<br />
en>elle-même, l'entendement, la fageffe & l'éternité.<br />
Il eu le premier qui ait dit que tout être<br />
créé eft corruptible. Il défîhuToit l!ame un Efpr'u,<br />
& mettoit les biens au-deflbus de l'entendement.<br />
Il étoit dans l'opinion qu'on ne doit aprocher<br />
des-Tyrans, 911 en aucune façon, ou avec beaucoup<br />
de douceur. Empédocle lui ayant dit, qu'il<br />
étoit difficile de rencontrer un homme fage : Vous<br />
avec raifort, répondit-il ; car pour en trouver un,<br />
il faut être fage foi-même. Sotion prétend qu'avant<br />
lui perfonne n'avança que toutes chofes fontincompréhenfibles;<br />
mais il fe trompe. Xénophane<br />
a écrit deux mille vers fur la fondation de<br />
Colophon, & fur une colonie Italienne , envoyée<br />
à Elée. Il étoit en réputation vers k I*X.<br />
Olympiade.<br />
Démettais de Phalére, dans fon livre de la<br />
Vieillejfe , & Panoetius le Stoïcien , dans fon ouvrage<br />
de la Tranquillité, racontent qu'il enterra<br />
fes fils de fes propres mains, comme Anaxagore.<br />
' Il paroît, fuivant ce que dit Phavorin, livre<br />
premier de fes Commentaires , que les Philosophes<br />
Pythagoriciens , Parménifcus & Oreftade
*ft XENOPHANE:<br />
pratiquèrent la même chofe à l'égard .de leurs<br />
enfans.<br />
Il y a eu un autre Xénophane de Lesbos ,'<br />
Poëte en vers ïambes. Voilà ceux qu'on apelle<br />
Philofophcs divers*<br />
•vs-<br />
s.
P<br />
PARMENIDE. 179<br />
PARMENIDE-<br />
Arménîde, fils de Pyrithus & natif d'Elée, fut<br />
difciple de Xénophane , quoique Théophraf»<br />
te dans fon Abrégé, le faffe difciple d'Anaximandre.<br />
Cependant, bien qu'il ait eu Xénophane<br />
pour Maître, au lieu de l'avoir fuivi, il fè<br />
lia avec Aminias, enfuite avec Diochete, lequel»<br />
dit Sotion, étoit Pythagoricien & pauvre ; mai»<br />
fort honnête homme. Auffi fut-ce pour ces raifons<br />
que Parménide s'attacha plus à lui qu'à tout<br />
autre; jufques-là qu'il lui éleva une Chapelle<br />
après fa mort. Parménide également noble &<br />
riche, <strong>du</strong>t aux foins d'Aminias , & non aux inftruâions<br />
de Xénophane , le bonheur d'avoir acquis<br />
la tranquillité d'efprit.<br />
On tient de lui ce fyftême, que la terre eft<br />
ronde , & fituée au centre <strong>du</strong> monde. Il croyoit<br />
qu'il y a deux élémens, le feu & la terre, dont<br />
le premier a la qualité d'ouvrier, & le fécond<br />
lui fert de matière ; que l'homme a été premières<br />
ment formé par le foleil, qui efl lui-même corn*<br />
pofé de ftoid & de chaud ; qualités dont l'aflemblage<br />
conftitue l'eflence de tous les êtres. Selon<br />
«e Philofophe, l'ame & l'efprit ne font qu'une<br />
même chofe , comme le raporte Théophrafte<br />
dans fes livres de Pkyfique , où il détaille les fen-
*«o PARMEN1DE<br />
timens de prefque tous les Philofophes. Enfin J<br />
il diftingue une double Philofophie, l'une fondée<br />
fur la vérité , l'autre fur l'opinion. De là ce<br />
qu'il dit : Il faut que vousconnoiffie^ toutes chofes;<br />
lafimple vérité qui parle toujours fincérement, 6><br />
les opinions des hommes, fur lefquelles il n'y a<br />
point de fond à faire.<br />
Il a expliqué en vers Ces idées philosophiques<br />
.à la manière d'Héfiode, de Xénophane & d'Empédocle.<br />
Il établiflbit la raifon dans le jugement,<br />
& ne trouvoit pas que les fens puflent fuffire pour<br />
juger fainement des chofes.<br />
Que les aparences diverfes, difoit-il, ne t'en-<br />
Sraînent jamais à juger, fans examen , fur le faux<br />
raport des yeux, des oreilles, ou de la langue,<br />
Mais difcernes toutes chofes par la raifon.<br />
C'eft ce qui donna à Timon occafion de dire,'<br />
en parlant de Parménide, que fon grand fens lui<br />
fit rejetter les erreurs qui s'inftnuent dans l'imagination.<br />
Platon compofa à la louange de ce Philofophe,'<br />
un Dialogue qu'il intitula Parménide , ou des<br />
'Idées. Il fleuriflbit vers la LXIX. Olympiade,<br />
& paroît avoir obfeirvé le premier que l'étoile <strong>du</strong><br />
matin & celle <strong>du</strong> foir font le même aftre, écrit<br />
Phavorin dans le cinquième livre de les Commentaires.<br />
D'autres attribuent cette obfervation à,<br />
Pythagore. Callimaque contefte au Philofophe<br />
le Poëme qu'on lui attribue.<br />
L'hiftoire
P A R M E N I D E. a**,<br />
LTiiftoire porte qu'il donna des Loix à fes concitoyens.<br />
Speufippe en fait foi dans fon premier<br />
livre des Philofophes, & Phavorin, dan»<br />
fon Hiftoire Diverfe, le répute pour le premier<br />
qui s'eft fervi <strong>du</strong> fyllogifme, apelé AcfiilU.<br />
Il y a eu un autre Parmenide , Auteur d'un<br />
traité de l'art oratoire.<br />
*•*+*£ ~^jpx!Ç jU~»a<br />
Tomelli 'A'g)
*8i<br />
M E L I S S E . -<br />
aa+s<br />
iM E L ISS &•<br />
MÉliffe de Samos & fils dlthagène, -fût auditeur<br />
de Parménide. H eut aufG des entretiens<br />
fur U Philofophie avec Heraclite , mule<br />
recommanda aux Ephéfiens dont .1 éto.t inconnu<br />
, de même qu'Hippocrate recommanda<br />
Democrite aux Abdéritains. Ce fat un homme<br />
orné de vertus civiles, par conféquent fort chéri<br />
& eftimé de fes concitoyens. Devenu- Amiral<br />
U fe con<strong>du</strong>ifit dans cet emploi de manière<br />
à faire paroitre encore plus la vertu qui lui etoit<br />
naturelle. • ........ ur -,<br />
Il fupofoit Wnivers infini, immuable ^immobile<br />
, unique , femblable à lui-même, & dont<br />
tous les efpaces font remplis- U n'admettoit<br />
point de mouvement réel, n'y en ayant d'autre<br />
qu'un aparent & imaginaire. Par raport au*<br />
Dieux, il étoit d'avis qu'il n'en faut rien définir,<br />
~ parce qu'on ne les connoît point affez pour expliquer<br />
leur effence; rmm*r<br />
Apollodore dit qu'il floriffoit vef s la LXXXIV.<br />
Olympiade»
Z Ê N O K. a%<br />
\Xitt it l l l l l l l l t f lut I I t ,t t jt.ll jtiAllf llit.<br />
TrHHHHnUT+TTTTTTttTTttT*TTt<br />
ZENON.<br />
ZÉnom naquit à Elée. Apollodore , d'ans fe»<br />
Chroniques, le dit iffu de Pyrithus. Quelques-uns<br />
lui donnent Parménidepour père, d'autres<br />
le font fils de Teleutagore par nature, & celui<br />
de Parménide par adoption.. Timon parle de<br />
lui & de Méliffe en ces termes :<br />
Celui qui poffede les forces d'une double éfo'<br />
quence,\i)eft à Fabri des atteintes de Zenon, dont<br />
la critique n'épargne rien, & à couvert des contentions<br />
de Méliffus, qui ayant peu-de fauffis idées ^<br />
#/i a corrigé beaucoup.<br />
Zenon étudia fous Parménide, qui le prit en<br />
amitié. Il étoit de haute taille, fuivant la remarque<br />
de Platon dans le Dialogue de Pantiénide, lequel<br />
dans celui des Sophifies lui donne le nom de<br />
Palaméde tfElée. Ariftote lui fait gloire d'avoir<br />
inventé la Dialeâique, & attribue l'irtvention de<br />
ik Rhétorique à Ëmpedocle- Au reûe r Zénont<br />
s'eft fort diftmgué, tant par fa capacité dan* 1»<br />
Fhilofophie, que par fon habileté dans la Politique.<br />
En effet, on a de lui des ouvrages pleins,<br />
de jugement & d'érudition,<br />
(ri 11 s'agit:, je lccioij,. <strong>du</strong> [alvotde (finpucrpoiudk<br />
«OI.Wî. Voyea- Mt»*îfr<br />
A»j*
»84 Z E N O N .<br />
Héraclide , dans l'Abrégé de Satyrus , raconte<br />
que Zenon, réfolu d'attenter à la vie <strong>du</strong> Tyran<br />
Néarque, apelé par d'autres Diomédon, fut pris<br />
& mis en lieu de fôreté ; qu'interrogé fur fes complices<br />
& fur les armes qu'il avoit affexnblées à Lipara,<br />
il répondit, exprès pour <strong>mont</strong>rer qu'il étoit<br />
abandonné & fans apui, que tous les amis <strong>du</strong><br />
Tyran étoïent fes complices ; qu'enfuite ayant<br />
nommé quelques-uns, il déclara qu'il avoit des<br />
chofes à dire à l'oreille de Néarque, laquelle il<br />
faifit avec les dents, & ne lâcha que par les coups<br />
dont il fut percé ; de forte qu'il eut le même fort<br />
qu'Ariûogiton, l'homicide d'un autre Tyran.<br />
Démétrins, dans fes Auteurs de même nom.;<br />
prétend que Zéoon arracha le nez à Néarque, fie<br />
Antifthène , dans fes Succédons , affure qu'après<br />
qu'il eut nommé fes complices , le Tyran- l'wtexxogea<br />
s'il y. avoit encore quelque coupable ;. qu a<br />
cette demande il répondit :.Oui, c''ejl toi-même,<br />
qui esla.pefie dt la ville ; qu'enfuite il adrefla ces<br />
paroles, à ceux qui étoient prefens : Je niètonnt<br />
de votre peu de courage, fi après ce- qui m arrive ,<br />
vous continue^ encore de porter le joug de la. Tyranr<br />
nie ; qu'enfin s'étatit mor<strong>du</strong> la langue en deux, H<br />
la cracha au vifage 4" Tytan i que ce fpe&acle<br />
anima tellement le peuple»qu'il fe fouleva contse<br />
Néarque, & l'affomma à coups de pierres. La plupart<br />
des Auteurs s'accordent-dans les circonftances<br />
de cet événement; mais Hermippe dit que
Z E N O N . 4851<br />
Zenon fut jette & mis en pièces dans un mortier;<br />
Cette opinion eft celle que nous avons fuivie dam<br />
ces vers fur le fort <strong>du</strong> Philofophe.<br />
' Affligé de la déplorable oprejfion d'Elée ta patrie,<br />
tu veux, courageux Zenon, en être le libérateur.<br />
Mais le Tyran, qui échape à ta main , te faiÇis<br />
de la fienne , 6> t'écrafes, par un cruel genre dt^<br />
fuplice, dans un mortier à coups de pilon,<br />
Zenon étoit encore illuftre à d'autres égards<br />
Semblable à Heraclite , il avoit l'ame fi élevée ,'<br />
qu'il méprifoit les Grands. Il en donna des preuves<br />
en ce qu'il préféra à la magnificence des.<br />
Athéniens Elée fa patrie, chétive ville, autrefois<br />
apelée Hyelé, & colonie des Phocéens ; mais recommandable<br />
pour la probité de fes habitans.<br />
Auflî alloit-il peu à Athènes » fe tenant chez lui<br />
la plupart <strong>du</strong> terns.<br />
Il eft le premier qui dans la difpute ait fait<br />
ufage de l'argument, connu fous le nom d'Achille<br />
, quoi qu'en puiffe dire Phavorin , qui cite<br />
avant luiParménide & plufieurs autres.<br />
Il penfoit qu'il y a plufieurs mondes , & point<br />
de vuide ; que l'eflence de toutes chofes eft compofée<br />
des changemens réciproques, <strong>du</strong> chaud, <strong>du</strong><br />
froid, <strong>du</strong> fec & de l'humide ; que les hommes<br />
font engendrés de la terre, & que l'ame eft un<br />
mélange des élémens dont nous avons parlé ; mais<br />
en telle proportion, qu'elle ne tient pas plus de»<br />
Fun que de l'autre.
iS6 Z t K O JT.<br />
On raconte que piqué au vif à l'occafîbn de<br />
quelques injures que l'on vomiflbit contre lui,<br />
quelqu'un l'ayant repris de fa colère, il répondit:<br />
Sijt ntfuis pas fenfible aux inveHivesTl'e ferai-je<br />
aux louanges ?<br />
En parlant de Zenon Cittien, nous avons ait<br />
mention de huit perfonnes de même nom. Celui-ci<br />
fleuruToit vers la LXXIX. Olympiade^<br />
x*vtf*
LEUCIPPE,<br />
>ooooooocxxxxxxxxxxxxxxx<br />
l E V C l P P E.<br />
LEucïppe étoît d*Elée , ou d'Abdére, félon<br />
quelques-uns, ou de Milet félon d'autres.<br />
Ce difciple de Zenon croyoit que le monde<br />
eft infini ; que fes parties fe changent l'une dan»<br />
l'autre ; que l'Univers eft vuide & rempli de<br />
corps ; que les mondes fe forment par les corps<br />
qui tombent dans le yuide & s'accrochent l'un à<br />
l'autre ; que le mouvement, qui réfulte de l'accroiffement<br />
de ces corps, pro<strong>du</strong>it les aftres ; que le<br />
foleil parcourt le plus grand cercle autour de la<br />
lune ; que la terre eft portée comme dans un cha»<br />
riot, qu'elle tourne autour <strong>du</strong> centre-, &que fa<br />
figure eft pareille à celle d'un tambour. Ce Philofophe<br />
eft le premier qui ait établi les atomes*<br />
pour principes. Tels font fes fentimens en général<br />
, les voici plus en détail.<br />
Il croyoit, comme on vient de dire, que TU"—<br />
nivers eft infini ; qne par raport à quelques-unes<br />
de fes parties il eft vuide, & plein par raport<br />
à quelques autres- Il admettoit des élémens, qui<br />
fervent à pro<strong>du</strong>ire des mondes à l'infini, & danstefquels<br />
ils k dkTolvent. Les mondes, fuivant<br />
xe Philofophe, fe font de cette manière : un<br />
-grand nombre dexorpufcules r détaché» de KnfiV<br />
•m, ôcdiflEéiens en.toutesfortea de figures,volti^
a88 LEUCIPPE<br />
gent dans le vuide immenfe, jufqu'à ce qu'Us ft<br />
raflemblent & forment un tourbillon , qui fe<br />
meut en rond de toutes les manières poffiblesj<br />
mais de telle forte que les parties, qui font ferablables<br />
, fe féparent pour s'unir les unes aux au?<br />
très. Celles qui font agitées par un mouvement<br />
équiv aient, ne pouvant être également transportées<br />
circulairement àcaufe de leur trop grand<br />
nombre, il arrive de là que les moindres palTent néceflairement<br />
dans le vuide extérieur, pendant que<br />
les autres relient, & que jointes enfentble , elles<br />
forment un premier affemblage de corpufcules<br />
qui eft fpherique. De cet amas conjoint fe fait<br />
une efpéce de membrane , qui contient en ellemême<br />
toutes fortes de corps, lefqueis étant agités<br />
en tourbillon à caufe de la réfiilance qui<br />
vient <strong>du</strong> centre, il fe fait encore-une petite membrane<br />
, fuirant le cours <strong>du</strong> tourbillon, par le<br />
moyen des corpufcules qui s'aflemblent continuellement.<br />
Ainfi fe, forme la terre, lorfqne les<br />
corps, qui avoient été pouffes dans le milieu,'<br />
demeurent unis les uns aux autres. Réciproquement<br />
l'air , comme une membrane , augmente<br />
félon l'accroiffement des corps qui viennent de<br />
dehors, Se étant agité en tourbillon, il s'apr'oprie<br />
tout ce qu'il touche. Quelques-uns de ces<br />
corpufcules-, defféchés & entraînés par le tousbrlton<br />
qai agite le tout, forment par leur entrer<br />
laffeweat un aflembUge, lequel, d'abord itamiàe<br />
&
L E U C I P P E. 289<br />
& bourbeux, s'enflamme enfuite & fe transforme<br />
en autant d'aftres différens. Le cercle <strong>du</strong> folei't<br />
eft le plus éloigné, celui de la lune le plus voifin<br />
de la terre, ceux des autres aftres tiennent le milieu<br />
entre ceux-là. Les aftres s'enflamment par la<br />
rapidité de leur mouvement. Le foleil tire fon feu<br />
des aftres, la lune n'en reçoit que très-peu. Tous<br />
les deux s'éclipfent, parce que la terre eft entraînée<br />
par fon mouvement vers le Midi ; ce qui fait<br />
que tes pays feptentrionnauxfont pleins déneige,<br />
de brouillards & de glace. Le foleil s'éclipfe rarement<br />
; mais la lune eft continuellement fujette à<br />
ce phénomène, à caufe de l'inégalité de leurs orbes.<br />
Au refte, de même que la génération <strong>du</strong><br />
inonde, de même auflî fes accroiflemens, fes diminutions<br />
& fes diflblutions dépendent d'une certaine<br />
néceflité, dont le Philofophe ne rend point<br />
raifon.<br />
*£*<br />
Tome <strong>IL</strong> Bl»
*?o D É M O C R I T t.<br />
-f é -f- -&- % -f # 4 •# -& # 4 # # & *&<br />
DEmocrite, fils d'Hégéfiftrate ,ou d'Athém*crite<br />
félon les uns , ou même de Damafippe<br />
félon d'autres, naquit à Abdére , finon à Milet<br />
fuivant une troifiéme opinion.<br />
Il fut difciple de quelques Mages & de Philosophes<br />
Chaldéens , que le Roi Xerxès raporte<br />
Hérodote , laifla pour précepteurs à fon père<br />
jorfqu'il le reçut chez lui, Ce fut d'eux qu'il aprit<br />
]a Théologie & l'Aftrologie dès fon bas âge. En-'.<br />
fuite il s'attacha à Leucippe, & fréquenta , difeatiit<br />
quelques-uns , Anaxagore, quoiqu'il eût quaraj^Or<br />
ans molni que lui. Phavorin, dans (on, Hijloiftj^f<br />
Diverfe, raconte que Démocrite accufoit celni- : .<br />
ci de s'être aproprié ce qu'il avoit écrit touchant<br />
le foleil & la lune , d'avoir traité fes opinions de<br />
Surannées , & foutenu qu'elles n'étoient pas de<br />
lui, ju/ques-là même qu'il avoit défiguré fon fyf-- -<br />
tême fur la formation <strong>du</strong> monde & fur l'entendement<br />
, par dépit de ce qu'Anaxagore avoit refufé<br />
de l'admettre d ans fon commerce. Cela étant,<br />
comment a-t "il. pu être fon difciple? Démétrius,<br />
dans fon livre des Auteurs de même nom , & Antifthène<br />
dans fes Succédions, difent qu'il fut trouver<br />
en Egypte les Prêtres de ce Pays, qu'il aprit<br />
d'eux la Géométrie, qu'il fe rendit en Perfe au-
• t-..
D É M O C R I T E. ,9,<br />
près des Philofophes Chaldéens, & pénétra jufqu'à<br />
la Mer Rouge. Il y en a quiaffurent qu'il pafla<br />
dans les Indes, qu'il converfa avec des Gymno;<br />
fophiftes, & fit un voyage en Ethiopie.<br />
Il étoit le troifiéme fils de fon père, dont le<br />
bien ayant été partagé , il prit, difent la plupart<br />
des Auteurs, la moindre portion qui confiftoit<br />
en argent, dont il avoit befoin pour voyager ;<br />
ce qui donna lieu à fes frères de foupçonner qu'il<br />
avoit deffein de les frauder. Démétrius ajoute<br />
que fa portion fe <strong>mont</strong>oità près de cent talens ,<br />
& qu'il dépenfa toute la fomme.<br />
Il avoit tant de paflion pour l'étude^ qu'il fe<br />
choifit dans le jardin de la maifon un cabinet,<br />
où il fe renferma. Un jour fon père ayant attaché<br />
à l'endroit un bœuf qu'il vouloit immoler<br />
;1 y fut long-tems avant que Démocrite s'en<br />
aperçut, tant il étoit concentré en lui-même ;<br />
encore ne fçut-il qu'il s'agiflbit, d'un facrifice qua<br />
jorfque fon père le lui aprit, & lui ordonna de<br />
prendre garde au bœuf.<br />
Démétrius raconte qu'il vint à Athènes; qu'à<br />
caufe <strong>du</strong> mépris qu'il avoit pour la gloire, il ne<br />
chercha point à s'y faire connoître ; & que quoiqu'il<br />
eût occafion de voir Socrate, il ne fut pas<br />
connu de ce Philofophe; auflî dit-il : Je fuis venu<br />
à Athènes, & enfuis forti inconnu.j<br />
Bbi
29a D É M O C R I T E .<br />
Thrafillus dit que fi le Dialogue , intitulé Les<br />
Rivaux, eft de Platon , Démocrite pourroit bien<br />
être le perfonnage anonyme qui fe rencontre avec<br />
(Enopide & Anaxagore,& dans une converfatioa.<br />
fur la Philofophie avec Socrate, qui compare le<br />
Philofophe à un Athlète qui fait cinq fortes d'exercices.<br />
En effet, il étoit quelque chofe de pareil en<br />
Philofophie, car il entendoit la Phyfique , la Morale<br />
, les Humanités , les Mathématiques , &<br />