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LA CHEVALERIE - Jacques-Youenn de QUELEN

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Dauphiné, doubla d’un ordre militaire. Ce fut le fameux ordre<br />

<strong>de</strong>s Hospitaliers <strong>de</strong> Saint-Jean <strong>de</strong> Jérusalem qui, tour à tour,<br />

fut vulgairement connu sous le nom d’ordre <strong>de</strong> Rho<strong>de</strong>s puis<br />

d’ordre <strong>de</strong> Malte du nom <strong>de</strong>s sièges successifs <strong>de</strong> sa gran<strong>de</strong><br />

maîtrise. En 1118, c’était la fondation <strong>de</strong> l’ordre du Temple <strong>de</strong><br />

Jérusalem dont le caractère militaire était encore plus<br />

nettement marqué. On notera encore parmi les grands ordres<br />

internationaux celui du Saint-Sépulcre, fondé par Go<strong>de</strong>froy <strong>de</strong><br />

Bouillon, et, <strong>de</strong> beaucoup moins d’importance, celui <strong>de</strong> Saint-<br />

Lazare, particulièrement voué aux soins <strong>de</strong>s ladres, <strong>de</strong>s<br />

lépreux.<br />

Mais déjà naissaient les ordres à recrutement national,<br />

localisation qui allait contre le catholicisme <strong>de</strong> la chrétienté et<br />

l’internationalisme essentiel <strong>de</strong> la chevalerie. Le plus fameux<br />

<strong>de</strong> ces ordres recrutés dans une seule nation est sans doute<br />

l’ordre <strong>de</strong> Sainte-Marie <strong>de</strong>s Teutons <strong>de</strong> Jérusalem qui joua un<br />

si grand rôle dans l’évangélisation <strong>de</strong>s territoires baltes. En<br />

Espagne, il faut citer les ordres <strong>de</strong> Calatrava (1157), <strong>de</strong> Saint-<br />

<strong>Jacques</strong> <strong>de</strong> l’Epée (XII ème siècle) et d’Alcantara (1156) ; et au<br />

Portugal, l’ordre militaire <strong>de</strong> Saint-Benoît d’Avis.<br />

Internationaux ou nationaux, ces ordres eurent <strong>de</strong>s<br />

fortunes diverses. Quelques-uns subsistent, refuges d’une<br />

assez sotte vanité nobiliaire comme l’ordre dit <strong>de</strong> Malte,<br />

cependant que d’autres, disparus, ont été recréés par <strong>de</strong>s<br />

particuliers tantôt escrocs, tantôt illuminés comme d’ordre <strong>de</strong><br />

Sain-Lazare. Mais tous, aujourd’hui, n’ont plus aucune mesure<br />

commune avec ces ordres du XII ème et XIII ème siècles qui<br />

avaient rêvé d’allier la Croix et l’épée.<br />

Peut-être parce que le mieux se fait souvent l’ennemi du<br />

bien, les ordres que l’on a dit, assez improprement,<br />

chevaleresques, ne contribuèrent pas peu à l’effacement <strong>de</strong><br />

l’authentique chevalerie. Et tout d’abord, puisqu’ils étaient <strong>de</strong><br />

véritables congrégations religieuses, en retirant du mon<strong>de</strong><br />

militaire où se recrutait la chevalerie les hommes qui tout<br />

naturellement auraient été le levain <strong>de</strong> l’institution<br />

chevaleresque séculière. Encore une fois, la chevalerie s’était<br />

voulue un équilibre entre l’homme <strong>de</strong> guerre et l’homme <strong>de</strong><br />

foi. Cet équilibre est désormais rompu. Alors que les ordres<br />

chevaleresques donneront, du moins dans leurs<br />

commencements, la primauté au spirituel, les hommes <strong>de</strong><br />

guerre, enfoncés dans le siècle, oublieront, faute d’exemple,<br />

<strong>de</strong> meneurs, qu’ils sont aussi chrétiens. Cette absence <strong>de</strong>s<br />

meilleurs engagés dans les ordres jaloux <strong>de</strong> leur singularité, se<br />

fera particulièrement sentir au moment où la chevalerie tendra<br />

à <strong>de</strong>venir, au XV ème siècle, une institution mondaine, un<br />

cercle, dirions-nous aujourd’hui, auquel chacun qui est <strong>de</strong> la<br />

“société” se doit d’appartenir.<br />

Si les ordres internationaux rompent ainsi l’unité<br />

spirituelle <strong>de</strong> l’institution chevaleresque, l’allégeance que ces<br />

ordres <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt à leurs membres en détruisent l’unité<br />

physique. Un chevalier était un chevalier en soi. Il appartenait,<br />

comme chevalier, à une fraternité liée au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> patries et<br />

<strong>de</strong>s clans. Il était en tant que chevalier, l’homme <strong>de</strong> personne<br />

ou, plutôt, il était l’homme <strong>de</strong> tous les autres chevaliers à<br />

travers toute l’Europe chrétienne. Il est maintenant, un<br />

chevalier <strong>de</strong> Saint Jean ou du Temple. Il ne sera plus un<br />

homme mû par un idéal commun à toute l’institution<br />

chevaleresque mais l’agent d’exécution, d’abord, d’une<br />

spiritualité singulière dans ses moyens et, ensuite et trop<br />

souvent, d’une politique partisane. En effet, puissance à la fois<br />

militaire et économique (les Templiers), les ordres<br />

chevaleresques <strong>de</strong>viendront vite <strong>de</strong> véritables Etats avec tous<br />

les compromis, tous les égoïsmes et toutes les injustices que<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> un Etat qui veut vivre longtemps.<br />

Cette politisation <strong>de</strong> l’institution chevaleresque par les<br />

ordres sera éclatante quand apparaîtront les ordres nationaux.<br />

Ceux-ci, s’ils conservent encore leur caractère religieux ne<br />

pourront pas cependant éviter <strong>de</strong> se transformer ou d’être<br />

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transformés en moyens d’une politique. Tantôt, à la main du<br />

chef <strong>de</strong> l’Etat où ils sont implantés, ils serviront les <strong>de</strong>sseins<br />

tout terrestres <strong>de</strong> ce prince, tantôt, sous le gouvernement d’un<br />

grand maître ambitieux, ils pèseront <strong>de</strong> tout leur poids sur ce<br />

prince, dans un but qui ne sera pas toujours, et il s’en faut, la<br />

plus gran<strong>de</strong> gloire <strong>de</strong> Dieu.<br />

Instruits par cet exemple, les empereurs et les rois,<br />

désireux <strong>de</strong> soumettre entièrement à leur dévotion <strong>de</strong><br />

semblables compagnies d’hommes choisis parmi les meilleurs<br />

– et ce mot, ici, voudra dire les plus fidèles au prince – ne<br />

manqueront pas, à leur tour, <strong>de</strong> créer <strong>de</strong>s ordres laïcs et<br />

dynastiques qui, s’ils ne se recrutent encore que parmi les<br />

croyants d’une foi, placent, en fait, l’idéal religieux <strong>de</strong> la<br />

chevalerie primitive assez loin dans leurs soucis. Nous<br />

traiterons <strong>de</strong> ces ordres dévoyés plus loin ; disons pourtant<br />

déjà que l’ordre <strong>de</strong> la Jarretière en Angleterre (vers 1344), <strong>de</strong><br />

la Toison d’Or en Bourgogne, Autriche et Espagne (1430) et<br />

du Saint-Esprit en France (1578) furent ou sont encore les plus<br />

prestigieux <strong>de</strong> ces hochets créés par <strong>de</strong>s princes pour<br />

s’attacher <strong>de</strong>s partisans ; prestigieux, certes, mais sans plus<br />

rien <strong>de</strong> commun, sinon quelques rites, avec l’esprit <strong>de</strong> la<br />

gran<strong>de</strong> fraternité <strong>de</strong>s chevaliers <strong>de</strong> jadis.<br />

Il convient, enfin, <strong>de</strong> remarquer que l’Eglise, empirique<br />

comme toujours, dans le choix <strong>de</strong>s moyens, si elle reste<br />

intransigeante sur les principes, n’emploiera que le temps utile<br />

l’outil représenté par les ordres chevaleresques. Quand la<br />

force l’aura cédé, pour une part, à l’esprit, l’Eglise opposera<br />

d’autres combattants à ses adversaires et à l’erreur. L’ordre<br />

chevaleresque <strong>de</strong>s temps mo<strong>de</strong>rnes c’est la Compagnie <strong>de</strong><br />

Jésus – les jésuites haïs ou admirés et, surtout, imités – que<br />

fon<strong>de</strong>, en 1534, alors que l’institution chevaleresque laïque<br />

peut être considérée comme agonisante sinon morte, Ignace <strong>de</strong><br />

Loyola, un Espagnol qui avait reçu l’adoubement comme il<br />

seyait à tout jeune gentilhomme d’alors.<br />

3. Le soldat hors la foi. – Cependant que se groupaient à<br />

travers toute l’Europe les ordres chevaleresques, tant<br />

internationaux que nationaux, aussi bien religieux que laïcs, la<br />

foi chrétienne qui avait submergé <strong>de</strong> sa vague tout le Moyen<br />

Age, d’abord étale, commençait à se retirer. La société<br />

militaire, par le bas, touchait au très pittoresque mais assez<br />

amoral mon<strong>de</strong> du brigandage <strong>de</strong> grand chemin. Aussi fut-elle,<br />

on le <strong>de</strong>vine, l’une <strong>de</strong>s premières à se soucier moins <strong>de</strong> ses<br />

fins <strong>de</strong>rnières. Qui fait le métier <strong>de</strong> tuer – et <strong>de</strong> rapiner et <strong>de</strong><br />

violer – aime assez croire que nul ne jugera jamais ses actes.<br />

Avec la Réforme, voici même que le mon<strong>de</strong> chrétien se<br />

déchire et entre furieusement dans une atroce guerre fratrici<strong>de</strong>.<br />

Où sont, alors, la charité, la fraternité, voire la simple douceur<br />

enseignées par l’Evangile ? Dans ce désarroi, le soldat n’aura<br />

bientôt plus d’autre foi ni d’autre temple que la ban<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

soudoyers à laquelle il appartient et les très grossières mais<br />

tangibles délices <strong>de</strong>s à-côtés <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong> camp. Il n’a plus<br />

guère d’angoisse ni même <strong>de</strong> gêne à mettre chaque jour en<br />

contradiction un christianisme qui n’est plus qu’une habitu<strong>de</strong><br />

avec sa condition <strong>de</strong> meurtrier sur ordre dont il obtient le pain<br />

et les jeux. Le temps est passé où l’épée ne pouvait être tirée<br />

que pour le service <strong>de</strong> Dieu et la défense <strong>de</strong> son Eglise. Une<br />

nouvelle morale militaire se forme ou, plutôt, retrouve sa<br />

place après avoir connu une éclipse (mais sans avoir jamais<br />

été totalement oubliée) : le soldat ne doit avoir d’autre loi que<br />

le patriotisme qui, alors, était davantage la fidélité à un chef<br />

qu’à une théorique nation. Les gouvernements, c’est<br />

l’évi<strong>de</strong>nce, ne feront rien, et au contraire, pour que, à nouveau,<br />

la classe militaire connaisse un autre maître qu’eux-mêmes.

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