LA CHEVALERIE - Jacques-Youenn de QUELEN
LA CHEVALERIE - Jacques-Youenn de QUELEN
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III.- Une persistance <strong>de</strong> l’esprit chevaleresque<br />
L’ancienne chevalerie n’habite pas les ordres dits<br />
abusivement chevaleresques que les princes et les Etats<br />
distribuent, hier comme aujourd’hui, pour mieux s’attacher<br />
leurs serviteurs. Elle est encore moins présente, s’il se peut,<br />
dans les prétendus ordres que les particuliers, poussés par une<br />
maladive vanité ou l’esprit <strong>de</strong> lucre, créent en toutes saisons.<br />
La chevalerie libre, fraternité militaire qui donna pour une part<br />
sa couleur au Moyen Age, est morte. Nul, aujourd’hui ne<br />
saurait se dire valablement chevalier. Il faudrait pour cela que<br />
sans interruption, ce prétendant à la chevalerie puisse<br />
remonter <strong>de</strong> chevalier librement adoubé suivant le vieux rite<br />
en chevalier librement adoubé jusqu’à un authentique et libre<br />
chevalier du temps <strong>de</strong> la chevalerie vivante. On peut<br />
s’émerveiller d’une telle filiation, d’une aussi prestigieuse<br />
généalogie, semblable à celles qui, d’évêque en évêque, relient<br />
les chefs <strong>de</strong> diocèse d’aujourd’hui aux Apôtres par<br />
consécration épiscopale. Mais ce n’est qu’un songe, et le fil<br />
est définitivement rompu qui unissait les uns aux autres, et <strong>de</strong><br />
génération en génération, les membres <strong>de</strong> la fraternité<br />
chevaleresque.<br />
Un fil n’est que matière. La chevalerie, nous l’avons<br />
marqué dès les premières pages <strong>de</strong> cette étu<strong>de</strong>, fut, plus<br />
qu’une institution régie par <strong>de</strong>s lois strictes, un état d’âme. La<br />
qualité chevaleresque, tout au moins idéalement, s’acquérait<br />
moins par un cérémonial que par une vocation et un<br />
dévouement personnel. Et si les institutions meurent, les âmes<br />
ou, si l’on veut, les imaginations, elles, n’ont pas <strong>de</strong> fin. Ainsi<br />
<strong>de</strong> ce qu’on peut appeler l’esprit <strong>de</strong> chevalerie.<br />
Le haut idéal qu’avait représenté la chevalerie vivante<br />
continua donc à hanter les consciences, comme le souvenir<br />
d’un rêve dont on n’arrive pas à se débarrasser. Certains, nous<br />
nous sommes longuement expliqué là-<strong>de</strong>ssus, crurent le<br />
retrouver avec les ordres chevaleresques à la façon<br />
d’aujourd’hui ou en créant <strong>de</strong>s milices dont ils s’imaginaient<br />
et s’imaginent qu’elles ont recueilli en même temps que les<br />
formes extérieures la qualité intérieure <strong>de</strong> l’ancienne<br />
chevalerie : dérisoires produits <strong>de</strong> remplacement qui n’avaient<br />
et n’ont rien <strong>de</strong> commun avec ce qu’ils préten<strong>de</strong>nt continuer.<br />
En fin <strong>de</strong> compte, on a pu croire plus justement que<br />
l’esprit <strong>de</strong> chevalerie s’est retrouvé, au moins en partie, dans<br />
<strong>de</strong>ux <strong>de</strong>s activités <strong>de</strong>s hommes d’aujourd’hui, et qui sont, dans<br />
la forme qu’elles ont prises actuellement, propres à l’homme<br />
contemporain : le sport et le scoutisme. Il convient donc <strong>de</strong><br />
considérer tour à tour :<br />
1) L’illusoire chevalerie sportive ;<br />
2) Le scout, lointain héritier <strong>de</strong>s chevaliers.<br />
1. L’illusoire chevalerie sportive. – Le sport dans sa<br />
forme mo<strong>de</strong>rne est né dans la <strong>de</strong>uxième partie du XIX ème<br />
siècle, tout particulièrement en Angleterre. Le ton que lui<br />
donnèrent alors les Britanniques, le fameux fair play, venait,<br />
consciemment ou par un mouvement instinctif mais<br />
indiscutable, <strong>de</strong> l’esprit chevaleresque. L’homme sportif,<br />
comme le chevalier, doit être désintéressé (l’amateurisme) et<br />
loyal dans son combat. Ce n’est pas tellement la victoire qui<br />
compte mais l’affrontement <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux combattants sans haine,<br />
et pour que le meilleur triomphe.<br />
Si cette guerre <strong>de</strong> remplacement qu’était le sport pouvait<br />
effectivement ouvrir un champ d’action à quelques-unes <strong>de</strong>s<br />
qualités secon<strong>de</strong>s du chevalier d’autrefois, il était évi<strong>de</strong>nt qu’il<br />
y manquait l’essentiel : une foi. Le combattant du Moyen Age<br />
s’efforçait <strong>de</strong> vivre son christianisme dans et malgré la guerre.<br />
Le sport, lui, n’avait que faire d’un idéal surnaturel, et cela en<br />
dépit <strong>de</strong>s champions qui font le signe <strong>de</strong> la Croix ou baissent<br />
une médaille pieuse avant <strong>de</strong> se lancer dans l’arène.<br />
26<br />
Au reste, et le désintéressement et la loyauté voulus par<br />
les inventeurs anglais du sport mo<strong>de</strong>rne <strong>de</strong>vaient être assez<br />
vite oubliés. Aujourd’hui le sport est un véritable métier, une<br />
forme <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> comédien (ou <strong>de</strong> tragédien). Quant à la<br />
loyauté <strong>de</strong>s combats, il n’est qu’à lire la presse spécialisée<br />
pour <strong>de</strong> rendre compte que, en <strong>de</strong>hors même <strong>de</strong> la boxe, (le<br />
sport noble, chevaleresque par essence, à ce qu’il paraît), tous<br />
les coups bas sont permis dès l’instant qu’ils passent<br />
inaperçus.<br />
Et pour la fraternité par-<strong>de</strong>ssus les frontières, à l’image <strong>de</strong><br />
la chevalerie, il n’y a qu’à voir le déchaînement <strong>de</strong> bas<br />
nationalisme qui accompagne les rencontres sportives<br />
internationales pour en connaître toute la vanité.<br />
2. Le scout lointain héritier <strong>de</strong> l’esprit chevaleresque. –<br />
Cependant que le sport <strong>de</strong>venait lentement une affaire<br />
commerciale, naissait et se répandait en Europe, un<br />
phénomène social qui n’a pas encore trouvé son historien alors<br />
que, pourtant, il a compté et comptera dans l’histoire profon<strong>de</strong><br />
du XX ème siècle : le scoutisme (certaines tendances politiques<br />
ou mieux certaines manières d’envisager la politique – la<br />
synarchie et quelques aspects du planisme ou du fascisme –<br />
ont été curieusement influencés par lui).<br />
Rappelons brièvement que son créateur fut un anglais,<br />
lord Ba<strong>de</strong>n-Powell. Cet officier organisa, pour la jeunesse, un<br />
mouvement qu’alimentaient trois sources : la discipline<br />
militaire coloniale anglaise, la vie <strong>de</strong> nature (ce que les<br />
théoriciens du scoutisme ont appelé le peau-rougisme) et la<br />
franc-maçonnerie (celle, conservatrice et déiste, d’Angleterre).<br />
Le scout, suivant son créateur, <strong>de</strong>vait être dévoué à sa patrie,<br />
courageux dans le combat <strong>de</strong> la vie, loyal en toutes<br />
circonstances.<br />
Dès avant la guerre <strong>de</strong> 1914-1918, l’invention <strong>de</strong> lord<br />
Ba<strong>de</strong>n-Powell s’était implantée en Europe. Elle <strong>de</strong>vait y<br />
trouver un grand développement aussitôt la première guerre<br />
mondiale terminée. Mais alors, et comme la classe <strong>de</strong>s<br />
Germains et son initiation guerrière dans le plus haut Moyen<br />
Age, elle allait, aussi, y affronter l’Eglise romaine.<br />
Le premier mouvement <strong>de</strong> la hiérarchie catholique <strong>de</strong>vant<br />
cette nouveauté qui rencontrait dans la jeunesse un succès hors<br />
<strong>de</strong> l’ordinaire fut sinon d’hostilité du moins <strong>de</strong> réserve (on<br />
notera cependant que les premières troupes <strong>de</strong> scouts – à<br />
l’époque on disait plus souvent d’éclaireurs – furent<br />
rassemblées par <strong>de</strong>s prêtres comme le chanoine Cornette, à<br />
Paris, ou l’abbé d’Andreis, à Nice). Advint alors un père<br />
jésuite, le R.P. Sevin, qui, pour parler le jargon mo<strong>de</strong>rne,<br />
“pensa” le scoutisme dans la perspective religieuse. Dès lors,<br />
les Scouts <strong>de</strong> France (catholiques) et, dans une moindre<br />
mesure, les Eclaireurs unionistes (d’inspiration protestante),<br />
rejoignirent, par un chemin dont ils ignoraient peut-être où il<br />
allait les mener, les grands thèmes qui animèrent l’ancienne<br />
chevalerie (et cela parut, un jour, si évi<strong>de</strong>nt aux responsables<br />
<strong>de</strong>s Scouts <strong>de</strong> France qu’ils donnèrent à l’échelon le plus<br />
élevé <strong>de</strong> la formation scoute le titre <strong>de</strong> chevalier <strong>de</strong> France,<br />
échelon supprimé aujourd’hui, où le scoutisme, pour suivre la<br />
mo<strong>de</strong>, essaye <strong>de</strong> se démocratiser alors qu’il est par essence un<br />
mouvement aristocratique).<br />
Ce parallélisme entre la chevalerie et le scoutisme<br />
apparaît évi<strong>de</strong>nt à qui met côte à côte l’une et l’autre :<br />
apprentissage du novice et dressage <strong>de</strong> l’écuyer, promesse<br />
solennelle et adoubement, fraternité, chez l’une et l’autre, au<strong>de</strong>là<br />
<strong>de</strong>s nations, goût, là et ici, pour les signes et les symboles<br />
(héraldique ou badge). Certes, toute une partie du cérémonial<br />
scout vient en droite ligne <strong>de</strong> la franc-maçonnerie anglaise,<br />
mais la franc-maçonnerie elle-même ne tenait-elle pas toute<br />
une part <strong>de</strong> son rituel <strong>de</strong> la chevalerie (les francs-maçons qui,<br />
eux aussi, font <strong>de</strong>s fables sur leur passé, ne se disent-ils pas<br />
héritiers, entre autres, <strong>de</strong>s Templiers qui, eux-mêmes, seraient