Art et technique - Centre Pompidou
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<strong>Centre</strong> <strong>Pompidou</strong> / Dossiers pédagogiques / <strong>Art</strong> <strong>et</strong> philosophie : ART ET TECHNIQUE. CHOIX DE TEXTES ET PARCOURS<br />
considéré comme vrai <strong>et</strong> viable. Mais le vrai en question, par son indexation à<br />
l'arraisonnement, « nous masque l'éclat <strong>et</strong> la puissance de la vérité » (p.37), celle d'un<br />
dévoilement plus originel, où l'homme prendrait place dans la nature sans prétendre la<br />
dominer, mais en s'en faisant, au contraire, le gardien.<br />
L'ART EST CE QUI SAUVE<br />
Vincent Van Gogh, les Vieux Souliers aux lac<strong>et</strong>s, 1886<br />
Huile sur toile, 37.5 X 45 cm<br />
Van Gogh Museum, Amsterdam<br />
Voir l’œuvre<br />
http://www.vangoghmuseum.nl/vgm/index.jsp?page=1576&lang=en<br />
CONTRE L’OUBLI DE L’ÊTRE<br />
La <strong>technique</strong>, en son essence, n'est pas un simple instrument qu'il s'agirait de maîtriser. Si<br />
tel était le cas, les risques du développement de la <strong>technique</strong> moderne pourraient euxmêmes<br />
être maîtrisés, avec de la bonne volonté. Le danger est ailleurs : il est dans l'oubli<br />
de l'être auquel conduit l'esprit de la <strong>technique</strong> moderne, l'arraisonnement.<br />
L'art est ce qui sauve de la logique de l'arraisonnement. Dans « L'Origine de l'œuvre d'art »<br />
(1935), Heidegger prend l'exemple, devenu célèbre, des Vieux Souliers aux lac<strong>et</strong>s (1886) de<br />
Van Gogh. La modernité du tableau <strong>et</strong> sa valeur tiennent au fait que Van Gogh n'a pas<br />
présenté ces souliers dans un contexte qui leur assigne, logiquement – <strong>et</strong> utilitairement –<br />
leur signification : « autour de c<strong>et</strong>te paire de souliers de paysan, il n’y a rigoureusement rien<br />
où ils puissent prendre place : rien qu’un espace vague » (Chemins qui ne mènent nulle part,<br />
pp.33-34).<br />
Cela ne signifie nullement que ces chaussures restent enfermées dans leur mu<strong>et</strong>te<br />
présence, au contraire. Mais ce qu'elles ont à nous dire ne porte pas sur une situation, une<br />
histoire, ou un scénario. Ce qu'elles ont à nous dire est plus fondamental.<br />
Dans l'obscure intimité du creux de la chaussure est inscrite la fatigue des pas du<br />
labeur. Dans la rude <strong>et</strong> solide pesanteur du soulier est affermie la lente <strong>et</strong> opiniâtre<br />
foulée à travers champs, le long des sillons toujours semblables, s'étendant au loin<br />
sous la bise. Le cuir est marqué par la terre grasse <strong>et</strong> humide. Par-dessous les<br />
semelles s'étend la solitude du chemin de campagne qui se perd dans le soir. À<br />
travers ces chaussures passe l'appel silencieux de la terre, son don tacite du grain<br />
mûrissant, son secr<strong>et</strong> refus d'elle-même dans l'aride jachère du champ hivernal. À<br />
travers ce produit repasse la mu<strong>et</strong>te inquiétude pour la sûr<strong>et</strong>é du pain, la joie<br />
silencieuse de survivre à nouveau au besoin, l'angoisse de la naissance imminente,<br />
le frémissement sous la mort qui menace.<br />
Heidegger, « L'Origine de l'œuvre d'art » (1935)<br />
in Chemins qui ne mènent nulle part, traduction. W. Brokmeier,<br />
Gallimard, 1962, p.34<br />
Peints par Van Gogh, les souliers dévoilent l'être dont ils proviennent. Arrachée à la banalité<br />
des déterminations objectives par quoi l'intelligence humaine distribue des propriétés aux<br />
choses en un réseau de sens qui la satisfait, la chose peinte donne à voir ce qui la soutient,<br />
dans son avènement mystérieux : la clarté de l'Être. Le tableau lui-même peut être considéré<br />
comme une ouverture vers l'Être, une éclaircie de l'Être.<br />
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