Avril 2005 - Commission scolaire de la Rivière-du-Nord
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Marc St-Pierre<br />
Directeur général adjoint<br />
Normand Maurice<br />
est décédé le 31<br />
décembre 2004 à<br />
l'âge <strong>de</strong> 58 ans. Le<br />
Québec a per<strong>du</strong> un grand pédagogue. On a souligné à<br />
juste titre sa contribution exceptionnelle au<br />
développement <strong>du</strong>rable au moyen <strong>de</strong> <strong>la</strong> récupération et<br />
<strong>du</strong> recyc<strong>la</strong>ge. On a dit <strong>de</strong> lui qu'il était le père <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
récupération au Québec. Mais son apport au<br />
développement d'une pédagogie adaptée aux besoins<br />
<strong>de</strong>s élèves <strong>la</strong>issés pour compte <strong>du</strong> système <strong>sco<strong>la</strong>ire</strong> n'est<br />
pas moins remarquable.<br />
En ce sens, il n'est pas exagéré <strong>de</strong> dire qu'il est mort au<br />
combat, le combat sans merci et sans compromis pour<br />
<strong>la</strong> dignité <strong>de</strong>s jeunes que <strong>la</strong> vie n'a pas choyés. Ceux<br />
qu'il appe<strong>la</strong>it avec beaucoup <strong>de</strong> respect les rebuts <strong>du</strong><br />
système <strong>sco<strong>la</strong>ire</strong> et qu'il avait fait le pari <strong>de</strong> recycler par<br />
le truchement <strong>de</strong>s activités <strong>de</strong> récupération!<br />
Pédagogie originale<br />
Après avoir con<strong>du</strong>it avec succès l'expérience <strong>de</strong>s<br />
« ateliers <strong>de</strong> culture » dont l'objectif était <strong>de</strong> mieux<br />
rejoindre et d'intéresser les élèves <strong>de</strong> l'enseignement<br />
professionnel aux matières plus abstraites <strong>de</strong> formation<br />
générale, lui et ses camara<strong>de</strong>s <strong>de</strong> <strong>la</strong> polyvalente Le<br />
Boisé, <strong>de</strong> Victoriaville, ont mis sur pied le premier<br />
centre <strong>de</strong> formation en entreprise et récupération<br />
(CFER) en 1990.<br />
Dans le système <strong>sco<strong>la</strong>ire</strong> québécois, le CFER est un<br />
cheminement particulier d'insertion sociale et<br />
professionnelle (ISPJ) <strong>de</strong>stiné à <strong>de</strong>s élèves <strong>de</strong> 16 ans<br />
et plus qui connaissent un retard <strong>sco<strong>la</strong>ire</strong> quasi<br />
irrattrapable. La caractéristique principale <strong>du</strong> CFER est<br />
d'intégrer à l'école l'entreprise dans <strong>la</strong>quelle les élèves<br />
font <strong>de</strong>s stages qui les préparent à l'exercice <strong>de</strong> leurs<br />
fonctions <strong>de</strong> travail <strong>de</strong> faible niveau <strong>de</strong> qualification.<br />
La formation en entreprise, tout comme <strong>la</strong> formation<br />
proprement <strong>sco<strong>la</strong>ire</strong>, est assumée <strong>de</strong> façon intégrée<br />
par les mêmes enseignants réunis en équipe et<br />
fonctionnant dans l'optique dite <strong>de</strong> <strong>la</strong> « tâche globale ».<br />
Il existe aujourd'hui près d'une vingtaine <strong>de</strong> CFER<br />
répartis sur le territoire québécois. Chaque CFER a<br />
donc son entreprise, son école-usine, dont l'activité<br />
principale consiste en <strong>de</strong> <strong>la</strong> récupération dans <strong>la</strong><br />
perspective <strong>du</strong> développement <strong>du</strong>rable. On y fait donc,<br />
selon le cas, <strong>la</strong> récupération <strong>de</strong>s ordinateurs, <strong>du</strong> mobilier<br />
<strong>sco<strong>la</strong>ire</strong>, <strong>de</strong>s palettes <strong>de</strong> transport, <strong>de</strong> <strong>la</strong> quincaillerie<br />
J’aime bien prendre <strong>la</strong> plume, mais il est <strong>de</strong>s moments où ce qu’on a envie d’écrire, d’autres l’ont fait<br />
bien mieux que nous. Le texte qui suit, je l’ai lu il y a peu <strong>de</strong> temps dans les pages <strong>du</strong> Devoir. C’est un<br />
texte dont j’aurais assumé <strong>la</strong> paternité sans aucun problème, tellement j’endosse chacune <strong>de</strong>s lignes qui<br />
y sont écrites. Je suis même un peu jaloux <strong>de</strong> ne pas l’avoir écrit moi-même. Mais enfin… l’important<br />
c’est que vous puissiez le lire à votre tour!!!<br />
Marc St-Pierre<br />
LES LEÇONS D'UN GRAND PÉDAGOGUE<br />
électrique d'Hydro-Québec, <strong>de</strong> <strong>la</strong> peinture, <strong>du</strong> papier et<br />
<strong>du</strong> carton.<br />
Avec ses camara<strong>de</strong>s <strong>de</strong> <strong>la</strong> première heure, Normand<br />
Maurice a marqué <strong>de</strong> façon très particulière le<br />
développement d'une pédagogie originale propre aux<br />
CFER. Pour peu qu'on s'arrête à étudier cette expérience<br />
originale, on remarque qu'il y a <strong>la</strong>issé l'empreinte <strong>de</strong>s<br />
principales caractéristiques <strong>de</strong> sa personnalité.<br />
Pas <strong>de</strong> pédagogie <strong>de</strong> comp<strong>la</strong>isance<br />
Normand Maurice était un être paradoxal au sens le<br />
plus fort <strong>du</strong> terme. Au premier abord, il n'annonçait<br />
pas toujours ce qu'il était. Et surtout, il n'était pas<br />
toujours ce qu'il annonçait. Le ton facilement bourru,<br />
<strong>la</strong> riposte parfois cing<strong>la</strong>nte, le sens <strong>de</strong> <strong>la</strong> réplique<br />
péremptoire, un goût <strong>du</strong> paradoxe qu'il lui arrivait <strong>de</strong><br />
pousser jusqu'à l'absur<strong>de</strong>, autant <strong>de</strong> dispositions<br />
personnelles qui pouvaient à l'occasion déconcerter,<br />
voire intimi<strong>de</strong>r l'interlocuteur d'une première<br />
rencontre. Il croyait aux vertus didactiques <strong>du</strong><br />
paradoxe, et comment!<br />
S'il était capable d'être catégorique, voire fendant, il<br />
fal<strong>la</strong>it peu <strong>de</strong> temps pour découvrir et apprécier,<br />
par-<strong>de</strong>là les apparences, son côté sensible, ouvert et<br />
conciliant. Doté d'une personnalité charismatique et<br />
f<strong>la</strong>mboyante, ce<strong>la</strong> ne l'empêchait pas d'être altruiste et<br />
mo<strong>de</strong>ste, n'utilisant son ascendant très fort que pour<br />
les causes dans lesquelles il croyait, jamais pour en tirer<br />
<strong>de</strong>s avantages personnels. [...] Jamais comp<strong>la</strong>isant,<br />
toujours compatissant, tel était le pédagogue Normand<br />
Maurice.<br />
La pédagogie <strong>de</strong> Normand Maurice, que j'ai eu<br />
l'occasion d'étudier <strong>de</strong> manière approfondie, était,<br />
à l'image <strong>de</strong> l'homme, paradoxale. Le propos<br />
pédagogique était, d'entrée <strong>de</strong> jeu, traditionnel,<br />
autoritaire et conservateur. Comme pour contrer les<br />
propos lénifiants <strong>de</strong>s pédagogies <strong>de</strong> comp<strong>la</strong>isance, il lui<br />
fal<strong>la</strong>it vanter rapi<strong>de</strong>ment les vertus <strong>de</strong> l'obéissance, <strong>de</strong><br />
l'ordre, <strong>de</strong> <strong>la</strong> discipline et <strong>du</strong> respect <strong>de</strong> l'autorité.<br />
« J'en vaux <strong>la</strong> peine »<br />
Contre toute attente, ce type <strong>de</strong> pédagogie, que les<br />
paradigmes pédagogiques dominants dénoncent comme<br />
attentatoire aux droits et libertés <strong>de</strong> l'enfant-roi, avait<br />
<strong>de</strong>s effets émancipateurs chez <strong>de</strong> tels élèves auxquels il<br />
redonnait une confiance en soi per<strong>du</strong>e dans les couloirs<br />
et les dédales <strong>de</strong> <strong>la</strong> polyvalente. Même autoritaire, <strong>la</strong><br />
pédagogie céférienne, loin d'écraser l'élève, lui révèle<br />
au contraire qu'il vaut <strong>la</strong> peine qu'on soit exigeant avec<br />
lui.<br />
En entrevue, <strong>de</strong>s élèves me racontaient que, <strong>de</strong>puis<br />
qu'ils étaient au CFER, ils avaient le sentiment <strong>de</strong><br />
renaître tout simplement parce que les professeurs<br />
prenaient le temps <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r leurs travaux et <strong>de</strong> les<br />
commenter sans comp<strong>la</strong>isance, ce qu'on ne faisait plus<br />
avec eux <strong>de</strong>puis quelque temps déjà à <strong>la</strong> polyvalente,<br />
où ils ne va<strong>la</strong>ient souvent même plus une remontrance.<br />
« Si les profs <strong>du</strong> CFER sont exigeants avec moi, me<br />
disait l'un d'eux, ça doit être parce que je suis capable<br />
<strong>de</strong> faire <strong>la</strong> job! »<br />
Mais là ne s'arrêtent pas les effets bénéfiques <strong>de</strong> cette<br />
pédagogie paradoxale. Outre le fait <strong>de</strong> redonner<br />
confiance à ces poqués <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie et <strong>du</strong> système <strong>sco<strong>la</strong>ire</strong>,<br />
<strong>la</strong> pédagogie <strong>du</strong> CFER les invite aussi à quitter le<br />
mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s illusions dans lequel se réfugient trop<br />
souvent les <strong>la</strong>issés-pour-compte et à faire <strong>de</strong>s projets<br />
d'avenir réalistes, à <strong>la</strong> mesure <strong>de</strong> leurs véritables<br />
capacités, redécouvertes et assumées.<br />
Je pense à ces élèves reçus en entrevue qui, à 16 ans,<br />
n'avaient pas l'équivalent d'un cours primaire réussi et<br />
qui, avant d'entrer au CFER, rêvaient <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir qui<br />
pilote <strong>de</strong> chasse, qui notaire, qui paléontologue! Au<br />
sortir <strong>du</strong> CFER, ces mêmes élèves songeaient à <strong>de</strong>venir<br />
l'un préposé aux pièces dans un grand atelier, l'autre<br />
préposé au recyc<strong>la</strong>ge dans une usine et le troisième<br />
préposé à <strong>la</strong> collecte sur un camion <strong>de</strong> recyc<strong>la</strong>ge. Et,<br />
comble <strong>du</strong> paradoxe, ils envisageaient tous les trois<br />
l'avenir avec plus d'optimisme que <strong>du</strong> temps où ils se<br />
berçaient d'illusions.<br />
Cette expérience pédagogique qui <strong>du</strong>re <strong>de</strong>puis près <strong>de</strong><br />
15 ans témoigne <strong>de</strong> <strong>la</strong> capacité <strong>de</strong>s enseignants <strong>de</strong><br />
l'école publique d'innover et, peut-être davantage, <strong>de</strong><br />
leur attachement aux élèves mis en difficulté par une<br />
école débordée parce que <strong>de</strong>venue avec le temps le site<br />
d'enfouissement sanitaire par excellence <strong>de</strong> tous les<br />
problèmes <strong>de</strong> <strong>la</strong> société. En ce sens, le Québec doit<br />
beaucoup à <strong>de</strong>s pédagogues comme Normand Maurice.<br />
Antoine Baby<br />
Sociologue, auteur d'un ouvrage qui doit paraître ce<br />
printemps aux Presses <strong>de</strong> l'Université <strong>du</strong> Québec sous le<br />
titre Pédagogie <strong>de</strong>s poqués<br />
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