Agone n° 18-19 - pdf (1090 Ko) - Atheles
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IMMANUEL WALLERSTEIN 67<br />
politiques, dont les motivations ont toujours été plus ambivalentes, et<br />
dont l’hostilité s’est régulièrement manifestée à l’encontre du progrès<br />
technologique. En d’autres lieux et en d’autres temps, cela a pu jouer<br />
comme facteur d’inhibition sur le genre de révolution scientifique<br />
qu’a connu l’Europe au XVII e siècle.<br />
J’en tire la conclusion que l’innovation technologique n’a pu<br />
occuper le devant de la scène que parce qu’il y a eu du capitalisme.<br />
Nous tenons là une des clefs de la réalité des relations de pouvoirs. La<br />
science moderne est fille du capitalisme et en dépend. Les<br />
scientifiques ont été socialement considérés et encouragés parce qu’ils<br />
offraient la possibilité d’un progrès concret pour ces merveilleuses<br />
machineries qui permettent d’améliorer la productivité, de réduire les<br />
contraintes que le temps et l’espace semblaient imposer, ainsi que<br />
d’améliorer le confort de tous. La science était productive.<br />
Une vision du monde fut créée pour servir de cadre à l’activité<br />
scientifique. Les savants étaient censés être, et se devaient d’être,<br />
« désintéressés ». Ils se devaient d’être « empiristes », de découvrir<br />
des « vérités universelles ». Ils étaient invités à analyser des réalités<br />
complexes et à en dégager les règles simples et fondamentales. Mais,<br />
par dessus tout, ils se devaient de rechercher les causes efficientes et<br />
non les causes finales. En outre, toutes ces qualités et ces devoirs<br />
devaient tenir ensemble, former un tout.<br />
Cet ethos du savant était bien entendu mythique – dans la mesure<br />
où il prétendait décrire exactement ce que les scientifiques faisaient<br />
réellement. Il suffit de se référer à la belle étude de Steven Shapin,<br />
Une Histoire sociale de la vérité 4 , pour réaliser combien le prestige<br />
social et l’autorité extra-scientifique ont contribués à l’établissement<br />
de la réputation et de la crédibilité scientifique de la Royal Society of<br />
London au XVII e siècle. Il s’agissait, comme il le souligne, de la<br />
crédibilité de gentlemen, fondée sur la confiance, la civilité, l’honneur<br />
et l’intégrité. Néanmoins, la science – la science empirique, la<br />
mécanique newtonienne – est devenue le modèle de l’activité<br />
intellectuelle – un modèle auquel les analystes du monde social se<br />
4. Cf. Steven Shapin, A Social History of Truth : Civility and Science in<br />
Seventeenth-Century England, Chicago, Univ. of Chicago Press, <strong>19</strong>94.