L'histoire industrielle de l'Oise - Conseil général de l'Oise
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capacité des ruraux à récupérer un quelconque bénéfice de leur mise en relation avec les corporations
urbaines d’Ancien Régime. L’optique picarde offre plusieurs exemples du profit retiré par des artisans
lunetiers, engagés dans ce type de relation avec le milieu urbain.
Le premier profit possible est l’intégration à la corporation, qui, par l’apprentissage institutionnalisé,
permet l’assimilation à l’économie urbaine. Un bel exemple est fourni par la famille Cluet de
Villers-Vermont. Les deux fils du frotteur de verres, Antoine Cluet entrent dans la corporation des
miroitiers-lunetiers de Paris au milieu du XVIII e siècle. Le premier, Nicolas, 21 ans, s’engage pour
son apprentissage de cinq ans chez François Trochon, opticien à la Tour de l’Horloge, le 25 mars
1753. Si, comme d’habitude, l’apprenti ne perçoit aucun salaire, Trochon s’engage néanmoins à
« le blanchir de gros et menu linge et l’entretenir d’habits et vêtements nécessaires ». Par ailleurs,
contrairement à beaucoup d’autres contrats d’apprentissages, le maître ne reçoit ici aucune somme
d’argent. La raison en est peut-être que le jeune homme sait déjà (au moins) polir des verres ou même
les placer dans leur monture ; le maître sait le bénéfice qu’il tire d’employer un ouvrier qualifié, pour
un coût modique 14 . L’objectif de cet apprenti, qui quitte son village et son travail de frotteur de verres
auprès de son père, est évidemment d’entrer dans la corporation. Il y parvient neuf ans plus tard. Il
est reçu maître après avoir réalisé un chef-d’œuvre et payé à la corporation la taxe importante qui
y est associée 15 .
Le caractère désirable de la situation de membre de la corporation parisienne – au moins relativement
à celle d’ouvrier rural à Villers-Vermont – est d’ailleurs confirmé par la venue de Jean, frère de
Nicolas, l’année suivante, qui vient faire son apprentissage chez son frère 16 . La famille Cluet se
maintient dans l’optique parisienne jusque dans les années 1820 : c’est ainsi qu’un Jean-Nicolas
Cluet, opticien, propose en 1828, au bureau des Arts et Métiers du Ministère de l’Intérieur de
construire une machine à tailler les verres. Ce type de migrations se poursuit bien évidemment après
la suppression des corporations. Ainsi dans les années 1830, deux orphelins Pierre François et
François Chrisostome Bournisien partent pour Paris, et deviennent opticiens. Leur oncle, frotteur de
verres, n’avait peut-être pas les moyens de subvenir à leurs besoins 17 .
Un second type de migration vers Paris correspond au développement des ateliers picards les plus
innovants et à leur représentation au sein même de la capitale. Wallet et Derogy offrent un parfait
exemple de cette stratégie. Dès le début des années 1820, Jean-Baptiste Wallet, frère de l’inventeur
de la machine « mécanoptique », est installé au 73 quai de l’Horloge. Il dépose également des
brevets d’invention : l’un le 11 décembre 1834, un pour un « Instrument d’optique destiné à faciliter
la lecture aux personnes âgées ou qui ont la vue faible dit Valopanoptique », un autre le 8 décembre
1840 pour une « Nouvelle optique avec modification de lumière dite diorama de salon » 18 .
Son gendre, Eloi-Eugène Derogy, fils du fabricant de verres périscopiques à Sully, réunit, par son
mariage, les établissements de Sully et d’Ernemont à la boutique de Paris. Il oriente une partie de la
production vers la photographie, comme en témoigne son brevet du 9 mars 1858, pour un objectif
qui « permet de faire avec une extrême facilité, sans accessoire ni monture séparée, à tous foyers
et à volonté le
portrait, le paysage
et les instantanés » 19 .
Les usines de Sully
et d’Ernemont sont
confiées à des
contremaîtres, tandis
que l’entreprise
prospère et permet
le rachat de plusieurs
Fig. 56 - En-tête de lettre commercial Derogy, 31-33 quai de l’Horloge à Paris, 1923 (A.D. Oise, fonds
écomusée des Pays de l’Oise).
immeubles quai de
l’Horloge (Fig. 56).
14 Archives Nationales, Minutier Central, étude XXXIV, 590. Apprentissage de Nicolas Cluet chez François Trochon, 25 mars 1753.
15 Archives Nationales, Y 9330. Réception de Nicolas Cluet dans la communauté des maîtres miroitiers-lunetiers-bimblotiers, comme apprenti et par chef
d’œuvre, 17 décembre 1764.
16 Archives Nationales, Minutier Central, étude XXXIV : Apprentissage de Jean Cluet chez Nicolas Cluet, 4 aout 1765 - L’atelier Cluet formera encore d’autres
apprentis picards, comme Clément Levasseur, originaire d’Héricourt.
17 e A.D. Oise, 8 U 307 : étude de M Goullancourt, notaire à Songeons (1843-1863).
18 Catalogue des brevets d’invention, d’importation et de perfectionnement. Paris : Bouchard-Huzard, 1828-1860.
19 Ministère de l’Agriculture et du Commerce. Brevets d’invention. Description des machines et procédés, vol. 67, 1869 : Brevet n° 20.522.