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1920 à 1930 : Une enfance et une adolescence sous le signe du père

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Texte <strong>et</strong> images de la séance 4<br />

de « Parlons cerveau » (29 mars 2011)<br />

<strong>1920</strong> <strong>à</strong> <strong>1930</strong> : <strong>Une</strong> <strong>enfance</strong> <strong>et</strong> <strong>une</strong> <strong>ado<strong>le</strong>scence</strong> <strong>sous</strong><br />

<strong>le</strong> <strong>signe</strong> <strong>du</strong> <strong>père</strong><br />

On va donc poursuivre aujourd’hui notre récit chronologique de l’histoire des<br />

neurosciences au XXe sièc<strong>le</strong> <strong>à</strong> travers la vie de nos 4 neurobiologistes, c’est-<strong>à</strong>dire<br />

pour l’instant seu<strong>le</strong>ment Laborit qui est <strong>le</strong> plus âgé des 4. Et on va parcourir<br />

aujourd’hui <strong>le</strong>s années de son <strong>enfance</strong> <strong>et</strong> de son <strong>ado<strong>le</strong>scence</strong>.<br />

À partir de c<strong>et</strong>te trame principa<strong>le</strong>, on va bien sûr faire aussi plusieurs p<strong>et</strong>ites<br />

parenthèses pour présenter certaines notions qui ont un lien avec ce qu’on va<br />

raconter.<br />

Mais comme toujours, on va commencer la séance avec <strong>une</strong> p<strong>et</strong>ite citation pour<br />

nous m<strong>et</strong>tre dans l’ambiance...<br />

"Comment espérer qu'un jour l'Homme que nous portons tous en nous puisse se<br />

dégager de l'animal que nous portons éga<strong>le</strong>ment si jamais on ne lui dit comment<br />

fonctionne c<strong>et</strong>te admirab<strong>le</strong> mécanique que représente son système nerveux?<br />

[…] N'est-il pas indispensab<strong>le</strong> de lui montrer combien aux yeux de la science<br />

peuvent paraître mesquins <strong>et</strong> ridicu<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s sentiments qu'on lui a appris <strong>à</strong><br />

considérer souvent comme <strong>le</strong>s plus nob<strong>le</strong>s sans lui dire que c'est seu<strong>le</strong>ment<br />

parce qu'ils sont <strong>le</strong>s plus uti<strong>le</strong>s <strong>à</strong> la conservation des groupes <strong>et</strong> des classes<br />

socia<strong>le</strong>s, alors que l'imagination créatrice, propriété fondamenta<strong>le</strong> <strong>et</strong><br />

caractéristique de son cerveau, n'est <strong>le</strong> plus souvent, c'est <strong>le</strong> moins qu'on puisse<br />

dire, absolument pas exigée pour faire un honnête homme <strong>et</strong> un bon citoyen."<br />

- Henri Laborit (1914-1995), L'agressivité détournée, p. 8<br />

Alors aujourd’hui on va continuer notre exploration de « c<strong>et</strong>te admirab<strong>le</strong><br />

mécanique que représente [notre] système nerveux », parce que ça ne peut<br />

certainement pas nuire... Et on va essayer de <strong>le</strong> faire en s’amusant en continuant<br />

donc notre p<strong>et</strong>ite histoire en <strong>1920</strong>.<br />

<strong>1920</strong><br />

Et fidè<strong>le</strong> <strong>à</strong> notre habitude encore <strong>une</strong> fois, un p<strong>et</strong>it événement survenu c<strong>et</strong>te<br />

année-l<strong>à</strong> :


Stephen Walter Ranson<br />

<strong>1920</strong>, c’est l’année où Stephen Walter Ranson découvre <strong>le</strong>s connexions qui<br />

unissent l’hypothalamus <strong>à</strong> l’hypophyse.<br />

L’hypothalamus qui est <strong>une</strong> partie <strong>du</strong> cerveau, plus précisément <strong>du</strong> diencépha<strong>le</strong>,<br />

colorée en b<strong>le</strong>u ici, <strong>et</strong> l’hypophyse qui est <strong>une</strong> glande endocrine, colorée en rose,<br />

<strong>et</strong> donc située juste en des<strong>sous</strong> de l’hypothalamus, <strong>à</strong> la base <strong>du</strong> cerveau.


On va revenir sur l’importance des connexions entre ces deux structures qui ont<br />

des eff<strong>et</strong>s sur de nombreux organes dans <strong>le</strong> corps quand on abordera la<br />

question <strong>du</strong> stress <strong>et</strong> de l’inhibition de l’action avec Laborit.<br />

Mais aussi avec un autre de nos 4 neurobiologistes, qui affectionne<br />

particulièrement <strong>le</strong>s hormones, c’est-<strong>à</strong>-dire…? (pour ceux qui ont assisté aux<br />

cours précédents)<br />

Eh oui, notre ami Jean-Didier Vincent, neuroendocrinologue qui a forcément<br />

travaillé beaucoup sur ces structures cérébra<strong>le</strong>s primitives. Jean-Didier Vincent<br />

que l’on verra apparaître dans notre histoire dès la prochaine séance…<br />

Mais pour ce qui est de la famil<strong>le</strong> Laborit, vous vous souviendrez qu’<strong>à</strong> la fin de<br />

notre dernier épisode, Henri Ferdinand, <strong>le</strong> <strong>père</strong>, Denise, la mère, <strong>et</strong> <strong>le</strong> p<strong>et</strong>it Henri<br />

âgé de 6 ans, ont quitté la France pour la Guyane française


suite <strong>à</strong> un ordre de l’armée qui as<strong>signe</strong> Henri Ferdinand, je<strong>une</strong> médecin des<br />

colonies qui a fait ses premières armes en Indochine <strong>et</strong> qui revient passab<strong>le</strong>ment<br />

traumatisé de la Première Guerre mondia<strong>le</strong>, qui lui as<strong>signe</strong>, donc, un poste dans<br />

c<strong>et</strong>te colonie française d’Amérique <strong>du</strong> Sud située au nord <strong>du</strong> Brésil.<br />

En Guyane, dans <strong>le</strong>s premiers mois de <strong>1920</strong>, la famil<strong>le</strong> Laborit remonte d’abord<br />

<strong>le</strong> f<strong>le</strong>uve Maroni, puis <strong>le</strong> Mana, son affluent, <strong>et</strong> débarque dans <strong>une</strong> bourgade<br />

per<strong>du</strong>e dans la brousse.<br />

Ils habitent <strong>une</strong> p<strong>et</strong>ite maison <strong>et</strong> ont pour serviteurs 3 forçats (3 indivi<strong>du</strong>s<br />

condamnés aux travaux forcés) <strong>du</strong> bagne de Cayenne, situé ici (montrer<br />

Cayenne avec pointeur).<br />

Ces 3 personnes s’occupent <strong>du</strong> ménage <strong>et</strong> l’un d’eux, d’origine algérienne,<br />

nommé Kéal, fut <strong>le</strong> protecteur <strong>du</strong> je<strong>une</strong> Henri.


Première p<strong>et</strong>ite parenthèse sur <strong>le</strong> bagne de Cayenne <strong>et</strong> <strong>le</strong>s prisons en général.<br />

Fondé en 1852, ce bagne fut employé dans un premier temps pour recevoir des<br />

prisonniers politiques opposés au Second Empire, <strong>et</strong> de nombreux communards<br />

de la Comm<strong>une</strong> de Paris de 1871 y furent ainsi envoyés, mais pas Louise<br />

Michel, dont on avait parlé il y a deux semaines qui, el<strong>le</strong>, avait été déportée en<br />

Nouvel<strong>le</strong>-Calédonie, près de l’Australie.<br />

Les conditions sanitaires au bagne étaient déplorab<strong>le</strong>s, avec <strong>une</strong> espérance de<br />

vie moyenne ne dépassait pas <strong>le</strong>s 3 <strong>à</strong> 5 ans.


Le film Papillon, sorti en 1973 avec Steve McQueen <strong>et</strong> Dustin Hoffman, raconte<br />

d’ail<strong>le</strong>urs la vie d'un bagnard <strong>à</strong> Cayenne <strong>et</strong> ses tentatives d'évasion pour se sortir<br />

de c<strong>et</strong> enfer.<br />

C'est donc de c<strong>et</strong>te époque peu glorieuse de la Guyane <strong>et</strong> de son <strong>enfance</strong> l<strong>à</strong>-bas<br />

aux côtés de Kéal, que Laborit dit garder <strong>une</strong> certaine nostalgie des prisonniers.<br />

Si bien que tout au long de sa vie, il va se faire un devoir de répondre aux<br />

nombreux messages qui lui parviennent des prisons.<br />

Ce qui a un jour donné lieu <strong>à</strong> <strong>une</strong> succu<strong>le</strong>nte anecdote que l’on va écouter<br />

raconté dans c<strong>et</strong> extrait vidéo par Geneviève Laborit, la femme d’Henri. C’est tiré<br />

d’<strong>une</strong> série de 3-4 p<strong>et</strong>its films sur Laborit tournés en 1996, donc un an après la<br />

mort de Laborit.<br />

[ L’extrait vidéo de l’anecdote racontée par Geneviève Laborit dans <strong>le</strong> film Itinéraires, au<br />

suj<strong>et</strong> <strong>du</strong> livre Éloge de la fuite envoyé <strong>à</strong> un prisonnier :<br />

52 :37 <strong>à</strong> 54 :05 donc environ 1 minute 30 sec. ]<br />

Le Badinter dont il est question dans l’extrait est Robert Badinter, principa<strong>le</strong>ment<br />

connu pour son combat en faveur de la réinsertion des détenus <strong>et</strong> contre la peine<br />

de mort, dont il obtient l'abolition en France <strong>le</strong> 30 septembre 1981. Donc un type<br />

qui a quand même fait pas mal pour <strong>le</strong>s détenus, ce qui ne l’a pas empêché de<br />

sursauter un peu quand Laborit lui a dit qu’il voulait faire lire un « Éloge de la<br />

fuite » <strong>à</strong> un prisonnier…


Un autre exemp<strong>le</strong> de relation qu’a entr<strong>et</strong>enu Laborit avec un détenu nous vient<br />

<strong>du</strong> livre L'esprit <strong>du</strong> grenier, publié en 1992, qui rassemb<strong>le</strong> différents textes écrits<br />

par Laborit <strong>à</strong> différentes époques, dont un échange qu’il a eu avec un détenu qui<br />

lui avait envoyé <strong>une</strong> liste de questions.<br />

Je vais vous lire deux extraits des réponses de Laborit, en commençant par sa<br />

mise en garde <strong>du</strong> début, p.259 :<br />

« Vous me demandez de répondre <strong>à</strong> plusieurs questions. Je vais <strong>le</strong> faire avec <strong>le</strong><br />

plus grand plaisir. Cependant, ce qui me gêne beaucoup, c’est que je ne peux<br />

pas traiter un suj<strong>et</strong>, un événement, un concept, en ne l’abordant qu’<strong>à</strong> un seul<br />

niveau d’organisation. Il y a déj<strong>à</strong> trente ans que j’ai réalisé que nous étions<br />

entourés par un monde qui, de même que <strong>le</strong> monde qui vit en nous, était<br />

construit par niveaux d’organisation <strong>et</strong> que chacun de ces niveaux agissait sur<br />

celui qui l’englobait, de même que celui qui l’englobe agit sur <strong>le</strong> précédent. Et<br />

donc je pense qu’il est très diffici<strong>le</strong> de traiter un suj<strong>et</strong> de façon isolée. Je pense<br />

aussi que c’est l’ignorance de l’existence de ces niveaux d’organisation qui est <strong>à</strong><br />

l’origine de toutes ces erreurs, tous ces jugements de va<strong>le</strong>ur dans <strong>le</strong>squels<br />

actuel<strong>le</strong>ment nous nous noyons. »


5 niveaux<br />

d’organisation<br />

Et donc c’est justement pour ne jamais perdre de vue ces différents niveaux<br />

d’organisation que je <strong>le</strong>s ai intégrés dans la navigation même <strong>du</strong> cerveau <strong>à</strong> tous<br />

<strong>le</strong>s niveaux. Un peu pour qu’on prenne <strong>le</strong> réf<strong>le</strong>xe de se demander, en regardant<br />

c<strong>et</strong>te boîte de navigation, « mais qu’est-ce qui se passe aux autres niveaux<br />

d’organisation pendant ce temps-l<strong>à</strong> ? »<br />

Et j’en profite pour vous signa<strong>le</strong>r aussi que <strong>le</strong> bill<strong>et</strong> <strong>du</strong> blogue <strong>du</strong> Cerveau <strong>à</strong> tous<br />

<strong>le</strong>s niveaux de la semaine passée présente l’un des rares site web que j’ai vu, <strong>à</strong><br />

part <strong>le</strong> nôtre, <strong>à</strong> être structurés en fonction de ces différents niveaux<br />

d’organisation <strong>du</strong> vivant.


Il s’agit <strong>du</strong> site Genes to Cognition Online au www.g2conline.org avec <strong>une</strong><br />

interface qui s’inspire des cartes conceptuel<strong>le</strong>s, <strong>et</strong> <strong>une</strong> ligne au-dessus c<strong>et</strong>te<br />

carte où sont alignés <strong>le</strong>s différents niveaux d’organisation avec <strong>le</strong>ur code de<br />

cou<strong>le</strong>ur.<br />

Laissez-moi maintenant vous lire <strong>le</strong> deuxième extrait, qui entre un peu plus dans<br />

un suj<strong>et</strong> qui préoccupe <strong>le</strong> prisonnier, celui de la rébellion.<br />

« Pour votre neuvième question, vous me par<strong>le</strong>z de la rébellion qui bien sûr est<br />

<strong>une</strong> façon d’agir. Mais vous savez, <strong>le</strong> jogging aussi, tourner en rond, quand on a<br />

passé la journée au bureau, avec <strong>une</strong> p<strong>et</strong>ite culotte, autour d’un pâté de<br />

maisons, c’est <strong>une</strong> façon d’agir. Les psychologues contemporains, la<br />

psychothérapie moderne, en p<strong>le</strong>in empirisme, <strong>et</strong> sans rien y comprendre, ont<br />

redécouvert <strong>le</strong> caractère thérapeutique de l’action. De même, défi<strong>le</strong>r de la<br />

Bastil<strong>le</strong> <strong>à</strong> la République en <strong>le</strong>vant <strong>le</strong> poing, en envoyant quelques pavés dans <strong>le</strong>s<br />

vitrines ou en foutant <strong>le</strong> feu <strong>à</strong> certaines bagno<strong>le</strong>s, ça évite d’attraper un ulcère de<br />

l’estomac. Mais <strong>à</strong> quoi ça sert ? À quoi ça rime ? Quel est <strong>le</strong> résultat ? Vous<br />

savez qu’en mai-juin 68, on n’a jamais vu moins d’entrées dans <strong>le</strong>s hôpitaux<br />

généraux <strong>et</strong> dans <strong>le</strong>s hôpitaux psychiatriques. On descendait dans la rue, on<br />

racontait sa vie, l’autre ne vous écoutait pas mais vous racontait la sienne, <strong>et</strong><br />

fina<strong>le</strong>ment on avait l’impression qu’on faisait quelque chose, on cassait la figure<br />

aux agents, <strong>et</strong>c. Puis qu’est-ce qui ça a changé ? Rien, on est r<strong>et</strong>ombé dans <strong>le</strong>s<br />

mêmes structures socia<strong>le</strong>s qu’avant. »<br />

Et Laborit ajoute, dans <strong>une</strong> note un peu plus loin :<br />

« Depuis l’enregistrement de c<strong>et</strong>te cass<strong>et</strong>te, l’histoire récente des pays de l’Est<br />

[on est en 1992 quand ce livre est publié, donc après la chute <strong>du</strong> mur de Berlin<br />

en 1989] nous a montré que la liberté qu’ils souhaitaient <strong>et</strong> qu’ils ont conquise


est la liberté de se soum<strong>et</strong>tre aux lois <strong>du</strong> marché, <strong>à</strong> la compétition économique<br />

pour l’appropriation des choses <strong>et</strong> des êtres. »<br />

Et on peut diffici<strong>le</strong>ment lui donner tort l<strong>à</strong>-dessus. Ce qui nous ramène <strong>à</strong> l’idée de<br />

notre citation <strong>du</strong> début <strong>du</strong> cours, <strong>et</strong> au fait que ce qu’on a de mieux <strong>à</strong> faire pour<br />

l’instant est peut-être de continuer notre histoire…<br />

<strong>1920</strong> (suite)<br />

Revenons donc en Guyane en <strong>1920</strong> avec la famil<strong>le</strong> Laborit dans <strong>le</strong>ur p<strong>et</strong>ite<br />

bourgade per<strong>du</strong>e dans la brousse où, <strong>à</strong> part <strong>le</strong>s Laborit, <strong>le</strong>s seuls blancs <strong>du</strong> lieu<br />

étaient un prêtre, deux sœurs <strong>et</strong> l’institutrice de l’éco<strong>le</strong>.<br />

Le p<strong>et</strong>it Henri va donc <strong>à</strong> l'éco<strong>le</strong> de la mission, se r<strong>et</strong>rouvant seul avec de p<strong>et</strong>its<br />

camarades autochtones. Son <strong>père</strong> s'occupe aussi activement de son é<strong>du</strong>cation.<br />

Un jour, exaspéré par <strong>le</strong>s p<strong>le</strong>urnicheries de son fils (qui avait des parasites <strong>sous</strong><br />

la peau des pieds), Henri Ferdinand ira jusqu'<strong>à</strong> lui faire visiter la léproserie dont il<br />

avait la charge (<strong>à</strong> 4 heures de pirogues de <strong>le</strong>ur domici<strong>le</strong> !), pour lui montrer que<br />

d’autres avaient des plaies bien plus atroces que <strong>le</strong>s siennes!<br />

Néanmoins, Henri Laborit écrit, dans La vie antérieure, que :<br />

« C<strong>et</strong>te époque de ma vie, pourtant lointaine, est sans doute l’<strong>une</strong> de cel<strong>le</strong>s dont<br />

je me souviens <strong>le</strong> mieux. L’enfant de cinq ans que j’étais se trouvait transporté<br />

dans un monde de cou<strong>le</strong>urs, de parfums, de sons, d’<strong>une</strong> richesse infinie, entouré<br />

de l’ambiance sécurisante d’un <strong>père</strong> <strong>et</strong> d’<strong>une</strong> mère je<strong>une</strong>s <strong>et</strong> heureux. »<br />

Or, au milieu de l'été <strong>1920</strong>, tout bascu<strong>le</strong>. Son <strong>père</strong> est soudainement atteint de<br />

névralgie facia<strong>le</strong> <strong>et</strong> pose lui-même <strong>le</strong> diagnostic <strong>du</strong> tétanos.


Le tétanos est <strong>une</strong> maladie infectieuse grave causée par <strong>une</strong> bactérie : la<br />

Clostridium t<strong>et</strong>ani. Donc, pour ceux qui étaient l<strong>à</strong> il y a deux semaines, un<br />

organisme procaryote de quelques microns de longueur.<br />

Le tétanos s’attrape par la contamination d'<strong>une</strong> plaie avec des spores de c<strong>et</strong>te<br />

bactérie (c’est-<strong>à</strong>-dire <strong>une</strong> forme arrondie que prend la bactérie pour résister <strong>à</strong><br />

des conditions environnementa<strong>le</strong>s diffici<strong>le</strong>s), spores qui vont ensuite se<br />

transformer en bactérie dans <strong>le</strong> corps <strong>et</strong> vont sécréter <strong>une</strong> neurotoxine qui migre<br />

<strong>le</strong> long des axones des nerfs moteurs jusqu'<strong>à</strong> la moel<strong>le</strong> épinière <strong>et</strong> au tronc<br />

cérébral, entraînant des contractures musculaires, des spasmes, des<br />

convulsions <strong>et</strong> éventuel<strong>le</strong>ment la mort.<br />

Et c’est malheureusement ce qui arriva <strong>à</strong> Henri Ferdinand qui, quelques jours<br />

plus tard, après d'horrib<strong>le</strong>s souffrances, meurt, <strong>le</strong> 21 juill<strong>et</strong> <strong>1920</strong>, <strong>à</strong> l’âge de 31<br />

ans, en présence de sa femme <strong>et</strong> de son fils.<br />

Denise Laborit <strong>et</strong> son fils Henri vont alors être contraints de s’en r<strong>et</strong>ourner en<br />

France, <strong>une</strong> fois encore. Le r<strong>et</strong>our <strong>à</strong> St-Laurent <strong>du</strong> Maroni (pour reprendre <strong>le</strong><br />

bateau pour l’Europe) dans <strong>une</strong> p<strong>et</strong>ite chaloupe, assis avec sa mère en larmes<br />

sur <strong>le</strong> cercueil provisoire de son <strong>père</strong>, sont des images qui resteront très claires<br />

toute sa vie pour Laborit qui affirme toutefois :<br />

« Je n’ai jamais éprouvé de peine de la mort de mon <strong>père</strong>, car <strong>à</strong> partir de ce<br />

moment, tout a été fait pour qu’il continue <strong>à</strong> vivre en moi, pour que je sois lui.<br />

Aujourd’hui encore, conscient de tout cela, mon <strong>père</strong>, ou <strong>du</strong> moins <strong>le</strong> mythe qui


s’est construit en moi, est toujours présent. Je n’ai pas eu <strong>à</strong> « tuer » mon <strong>père</strong><br />

pour devenir a<strong>du</strong>lte, il m’a suffi d’être lui, ou <strong>du</strong> moins d’être l’image que je<br />

m’étais faite de lui. »<br />

P<strong>et</strong>it détail que je n’ai pas encore mentionné : quand Henri Ferdinand meurt,<br />

Denise Laborit, est enceinte d'un second enfant qui ne connaîtra donc jamais<br />

son <strong>père</strong>.<br />

Chauvigny<br />

De r<strong>et</strong>our <strong>à</strong> Chauvigny, en France, el<strong>le</strong> m<strong>et</strong> au monde ce second fils, Jacques.<br />

Cependant, la précarité matériel<strong>le</strong> de Denise ne lui perm<strong>et</strong>tant plus de<br />

garder ses deux enfants auprès d'el<strong>le</strong>, <strong>le</strong> p<strong>et</strong>it Henri doit rejoindre ses<br />

grands-parents paternels <strong>à</strong> Luçon, en Vendée. Et sa mère, el<strong>le</strong>, va rejoindre la<br />

sienne dans son modeste appartement parisien, avec son bébé…<br />

C<strong>et</strong>te séparation précoce fera souffrir énormément <strong>le</strong> p<strong>et</strong>it Henri, d'autant plus<br />

que ses grands-parents paternels se montreront intransigeants <strong>et</strong> fermes <strong>à</strong> son<br />

égard.<br />

« Pour donner <strong>une</strong> idée <strong>du</strong> type d’é<strong>du</strong>cation que je reçus, je ne citerai qu’un<br />

exemp<strong>le</strong>. On m’avait dit plusieurs fois, entre autres choses, que l’on devait porter<br />

sa cuil<strong>le</strong>r <strong>à</strong> sa bouche en mangeant sa soupe <strong>et</strong> non abaisser la tête vers son<br />

assi<strong>et</strong>te. Comme je tardais <strong>à</strong> me conformer <strong>à</strong> ce principe fondamental, ma grandmère<br />

passant un jour derrière moi, alors que je mangeais ma soupe, d’<strong>une</strong> main<br />

a<strong>le</strong>rte appuyée sur mon occiput me plongea la face dans mon assi<strong>et</strong>te. Je dois<br />

dire que par la suite je fis un effort pour me conformer au dogme. »


De c<strong>et</strong>te époque, Laborit dit encore, toujours dans La vie antérieure :<br />

« Je vivais seul, renfermé, <strong>et</strong> l’unique contact affectueux dont je me souvienne,<br />

c’est <strong>le</strong> soir quand ma grand-mère m’accompagnait pour me coucher <strong>et</strong> que’el<strong>le</strong><br />

me faisait faire ma prière. Après <strong>le</strong> Notre Père <strong>et</strong> <strong>le</strong> Je vous salue Marie, el<strong>le</strong><br />

avait composé ce p<strong>et</strong>it adden<strong>du</strong>m que je prononçais tous <strong>le</strong>s soirs : Papa, tu<br />

seras ma religion <strong>et</strong> mon modè<strong>le</strong>. Mon Dieu donnez-moi <strong>le</strong> moyen d’accomplir<br />

ma promesse. »<br />

Heureusement, Laborit passait ses vacances <strong>à</strong> Chauvigny, <strong>du</strong> côté maternel, où<br />

il r<strong>et</strong>rouvait sa mère <strong>et</strong> ses grands-parents. Il jouait dans la rivière, découvrait la<br />

pêche <strong>à</strong> la ligne, r<strong>et</strong>rouvait des amis de sa p<strong>et</strong>ite <strong>enfance</strong> <strong>et</strong>, surtout, <strong>une</strong><br />

indépendance dont il était privé <strong>du</strong> côté paternel.<br />

« À huit ans, je me vois encore dans <strong>une</strong> propriété d’amis de mes grandsparents<br />

maternels. J’étais sur un vélo <strong>et</strong> <strong>le</strong> soir tombait. Ma grand-mère Saunière<br />

me dit : « Henri, arrête de faire <strong>du</strong> vélo, tu vas mouil<strong>le</strong>r ta chemise », el<strong>le</strong> me<br />

m<strong>et</strong>tait la main dans <strong>le</strong> dos pour voir si je transpirais. À ce moment-l<strong>à</strong>, j’ai eu <strong>une</strong><br />

espèce de bien-être physique de gosse de huit ans sur un vélo <strong>et</strong> en passant<br />

devant el<strong>le</strong> je lui ai crié : « Les Laborit vaincront toujours. » »<br />

1921<br />

Le prix Nobel de physique est attribué <strong>à</strong> Albert Einstein<br />

1921<br />

Albert Einstein,<br />

après la réception<br />

de son prix Nobel<br />

en 1921


pour son apport <strong>à</strong> la physique théorique <strong>et</strong> particulièrement pour son explication<br />

de l'eff<strong>et</strong> photoé<strong>le</strong>ctrique.<br />

Et il faut se rem<strong>et</strong>tre dans <strong>le</strong> contexte pour se rappe<strong>le</strong>r l’amp<strong>le</strong>ur de c<strong>et</strong>te<br />

révolution scientifique. Après 200 ans d’utilisation presque sans fail<strong>le</strong>s des lois<br />

de Newton, en gros <strong>le</strong> 18 e <strong>et</strong> <strong>le</strong> 19 e sièc<strong>le</strong>, des découvertes sur la vitesse<br />

indépassab<strong>le</strong> de la lumière vers la fin <strong>du</strong> XIXe sièc<strong>le</strong>, puis l’apport d’Einstein<br />

avec la relativité, a j<strong>et</strong>é un véritab<strong>le</strong> pavé dans la mare <strong>du</strong> positivisme, c<strong>et</strong>te<br />

conception de la science qui voulait qu’el<strong>le</strong> se bâtisse de manière cumulative, en<br />

allant inexorab<strong>le</strong>ment toujours vers plus de progrès.<br />

Et c’est c<strong>et</strong> édifice qui va se fissurer pas mal avec Einstein, puis la physique<br />

quantique par la suite.<br />

Pour l’instant, avant de revenir <strong>à</strong> l’<strong>enfance</strong> de Laborit, notons simp<strong>le</strong>ment qu’en<br />

1987, ce même Laborit publiera « Dieu ne joue pas aux dés », son effort de<br />

synthèse entre la physique de l’infiniment p<strong>et</strong>it, de l’infiniment grand <strong>et</strong> de la<br />

biologie. Et <strong>le</strong> titre de ce livre, comme vous <strong>le</strong> savez peut-être, était la réponse<br />

de Einstein au caractère probabiliste de la physique quantique avec <strong>le</strong>quel il<br />

n’était pas <strong>à</strong> l’aise, d’où c<strong>et</strong>te remarque pour exprimer son malaise : « Dieu ne<br />

joue pas aux dés ». Ce <strong>à</strong> quoi Niels Bohr, physicien quantique, aurait répon<strong>du</strong> :<br />

« Einstein, cessez de dire <strong>à</strong> Dieu ce qu'il doit faire ! »<br />

1921<br />

Mais revenons au p<strong>et</strong>it Henri qui a 7 ans en 1921, <strong>et</strong> qui fréquente désormais<br />

l'éco<strong>le</strong> primaire de Luçon, où son grand-<strong>père</strong> <strong>le</strong> con<strong>du</strong>it <strong>à</strong> pied <strong>à</strong> chaque matin.


Au primaire, Laborit est un élève plutôt inattentif <strong>et</strong> insouciant qui ne prom<strong>et</strong> rien<br />

de bon. Il est renfermé <strong>et</strong> presque sans contact. Ses seu<strong>le</strong>s prouesses, il <strong>le</strong>s<br />

accomplit en sport <strong>et</strong> en dessin.<br />

L'été, ses grands-parents obligeaient <strong>le</strong> p<strong>et</strong>it Henri <strong>à</strong> porter <strong>une</strong> casqu<strong>et</strong>te<br />

curieuse, agrémentée d'un couvre-nuque, comme il en existait sur <strong>le</strong>s képis des<br />

troupes d'Afrique. Or <strong>le</strong>s élèves de sa classe trouvèrent ce déguisement ridicu<strong>le</strong><br />

<strong>et</strong> Laborit devint la risée de la classe.<br />

« Un jour <strong>une</strong> sarabande se constitua autour de moi, tournant en rond pour se<br />

moquer, con<strong>du</strong>ite par un élève dont je me rappel<strong>le</strong> encore <strong>le</strong> nom, qui était un<br />

prénom, Pierre. Exaspéré, j’empoignai <strong>le</strong> Pierre en question <strong>et</strong> <strong>une</strong> bagarre<br />

sérieuse en résulta dont je sortis vainqueur, <strong>et</strong> dès lors respecté. C<strong>et</strong>te<br />

agressivité, gratifiée, fut un enseignement dont je me souvins pendant toute ma<br />

vie scolaire <strong>et</strong> universitaire. »<br />

Et il poursuit en faisant <strong>une</strong> allusion aux chimpanzés qui va nous intéresser :<br />

« Pendant toutes mes études secondaires, ayant été généra<strong>le</strong>ment premier en<br />

gymnastique, comme dans <strong>le</strong>s compagnies de chimpanzés, je fus <strong>le</strong> plus<br />

souvent un des <strong>le</strong>aders <strong>et</strong> je n’eus plus <strong>à</strong> subir <strong>le</strong>s taquineries des autres. »


Je voudrais donc profiter de ce lien naturel pour causer un peu primatologie avec<br />

vous. La primatologie étant c<strong>et</strong>te branche de l’éthologie qui se spécialise dans<br />

l’observation des primates, <strong>le</strong>s mammifères qui sont nos plus proches parents.<br />

<strong>Une</strong> discipline que je trouve fascinante où l’on peut observer en germe<br />

pratiquement toutes <strong>le</strong>s con<strong>du</strong>ites humaines, que ce soit <strong>le</strong>s comportements<br />

maternels, <strong>le</strong> jeu, <strong>le</strong>s rapports de dominance, <strong>le</strong>s coalitions, tout nous renvoie<br />

directement <strong>à</strong> des comportements humains.<br />

<strong>Une</strong> science dont l’obj<strong>et</strong> <strong>et</strong> <strong>le</strong>s méthodes se situent donc aux niveaux<br />

d’organisation <strong>le</strong>s plus é<strong>le</strong>vés que sont <strong>le</strong>s comportements indivi<strong>du</strong>els <strong>et</strong> <strong>le</strong>s<br />

rapports sociaux.


J’ai eu, par <strong>le</strong> passé, la chance de rencontrer <strong>à</strong> quelques reprises Bernard<br />

Chapais, un primatologue qui travail<strong>le</strong> depuis de nombreuses années <strong>à</strong><br />

l’Université de Montréal,<br />

<strong>et</strong> nous avions réalisé <strong>une</strong> entrevue qui fut publiée dans Québec Science en<br />

mars 1994, intitulée « Sexe, mensonges <strong>et</strong> politique ». Et c’est lui qui m’a fait<br />

comprendre <strong>à</strong> quel point l’accès aux ressources était déj<strong>à</strong> déterminant dans<br />

l’organisation socia<strong>le</strong> des primates, chose que j’ai essayé d’exposer dans <strong>le</strong><br />

Cerveau <strong>à</strong> tous <strong>le</strong>s niveaux par 3 diagrammes successifs :


Le premier montre que c’est lorsque <strong>le</strong>s ressources sont limitées que l’on voit<br />

apparaître <strong>le</strong> phénomène de compétition interindivi<strong>du</strong>el<strong>le</strong>.<br />

Le second distingue entre la compétition de vitesse, qui s’établit lorsque <strong>le</strong>s<br />

ressources limitées sont dispersées (comme <strong>le</strong>s oiseaux insectivores qui<br />

rivalisent de vitesse pour attraper <strong>le</strong>s insectes au vol), <strong>et</strong> la compétition<br />

agressive, lorsque <strong>le</strong>s ressources sont concentrées <strong>et</strong> qu’on peut <strong>le</strong>s défendre<br />

(un oasis ferti<strong>le</strong>, la viande de gibier abattu, <strong>et</strong>c). Mais comme la compétition<br />

agressive peut s’avérer très coûteuse énergétiquement <strong>et</strong> en terme de b<strong>le</strong>ssure<br />

(même pour <strong>le</strong>s vainqueurs), des hiérarchies de dominance se développent où<br />

chacun connaît son rang, ce qui diminue la fréquence des agressions.


Fina<strong>le</strong>ment, avec <strong>le</strong>s hiérarchies de dominance apparaissent des phénomènes<br />

sociaux comme <strong>le</strong>s alliances entre plusieurs indivi<strong>du</strong>s pour obtenir plus de<br />

pouvoir, ou encore toute <strong>une</strong> gamme de comportements ré<strong>du</strong>cteurs de tension<br />

qui sont nécessaires parce que même établies, <strong>le</strong>s échel<strong>le</strong>s hiérarchiques ont<br />

tendance <strong>à</strong> entr<strong>et</strong>enir <strong>une</strong> tension entre <strong>le</strong>s membres <strong>du</strong> groupe.<br />

Les études de primatologie, comme cel<strong>le</strong>s menées par Bernard Chapais, ont de<br />

plus démontré que <strong>le</strong> rang de dominance dans <strong>une</strong> hiérarchie se transm<strong>et</strong><br />

principa<strong>le</strong>ment de deux façons chez <strong>le</strong>s grands singes :<br />

1. par l'appui de la famil<strong>le</strong> : en donnant son appui <strong>à</strong> son enfant lors de ses<br />

premiers conflits, la mère lui transm<strong>et</strong> son rang de dominance, lui évitant<br />

ainsi de tomber au bas de l'échel<strong>le</strong> hiérarchique;<br />

2. par des alliances avec des indivi<strong>du</strong>s de rang é<strong>le</strong>vé : l'intervention d'un<br />

indivi<strong>du</strong> lors d'un conflit va toujours dans <strong>le</strong> sens de soutenir <strong>le</strong> dominant<br />

contre <strong>le</strong> dominé. Le corollaire est qu'un indivi<strong>du</strong> dominant isolé <strong>et</strong> privé<br />

de ses appuis habituels est rapidement renversé par <strong>une</strong> coalition<br />

d'indivi<strong>du</strong>s subordonnés.<br />

Je sais pas pourquoi, mais je pense tout <strong>à</strong> coup non plus aux singes, mais aux<br />

humains des pays arabes <strong>du</strong> nord de l’Afrique…


Ou encore, toujours chez <strong>le</strong>s primates humains, <strong>à</strong> toutes ces dynasties familia<strong>le</strong>s<br />

où un fiston, appelons-<strong>le</strong> par exemp<strong>le</strong> Pierre-Karl, hérite d’un empire clé en<br />

main…<br />

Ou encore, <strong>à</strong> l’approche d’é<strong>le</strong>ctions par exemp<strong>le</strong>, <strong>à</strong> toute c<strong>et</strong>te glorification <strong>du</strong><br />

chef de parti politique, présenté comme un « winner », un bagarreur, bref un<br />

dominant, qui amène <strong>le</strong> monde <strong>à</strong> vouloir <strong>le</strong>ur serrer la main <strong>et</strong> <strong>à</strong> voter pour lui…<br />

Et c’est ainsi que se s’établissent aussi chez l'humain <strong>le</strong>s hiérarchies, <strong>et</strong> se<br />

maintiennent <strong>le</strong>s inégalités socia<strong>le</strong>s de génération en génération, phénomène<br />

comp<strong>le</strong>xe dont il est très diffici<strong>le</strong> de s’échapper, mais dont nous n'avons pas<br />

inventé l'essence, comme <strong>le</strong> montre la primatologie.<br />

Et chez l'humain, ce n’est plus seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> des ressources comme<br />

tel<strong>le</strong>s qui importe, mais aussi <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> de l'information qui devient la pierre<br />

angulaire <strong>du</strong> pouvoir. On n’a qu’<strong>à</strong> penser <strong>à</strong> qui possède <strong>le</strong>s grands médias pour<br />

nous <strong>le</strong> rappe<strong>le</strong>r.<br />

Et d’ail<strong>le</strong>urs, comme <strong>à</strong> chaque séance, <strong>le</strong> « hasard » m’amène ici <strong>à</strong> vous<br />

rappe<strong>le</strong>r l’existence d’<strong>une</strong> presse indépendante bien vivante au Québec, même<br />

si el<strong>le</strong> n’a pas <strong>le</strong>s moyens de s’afficher sur <strong>le</strong>s abri-bus,<br />

<strong>et</strong> <strong>le</strong> journal Le Couac, que vous pouvez prendre ici en avant, en est un bon<br />

exemp<strong>le</strong>. Et c<strong>et</strong>te semaine, en plus <strong>du</strong> numéro courant, je vous ai même amené<br />

un ancien numéro dont <strong>le</strong> titre nous rappel<strong>le</strong> vaguement quelque chose…


Il s’agit bien sûr, <strong>le</strong>s cinéphi<strong>le</strong>s parmi vous l’auront remarqué, des nombreuses<br />

déclinaisons de « Sexe, mensonges <strong>et</strong> vidéo » (Sex, Lies, and Videotape), <strong>le</strong> film<br />

de Steven Soderbergh, sorti en 1989.<br />

Et c’est exactement la même année, en 1989, que Laborit a publié La vie<br />

antérieure, ce qui nous ramène directement <strong>à</strong> notre histoire…<br />

1925<br />

Plus précisément en 1925, alors que Laborit s’apprête <strong>à</strong> rentrer en sixième dans<br />

<strong>le</strong> système français, c’est-<strong>à</strong>-dire en secondaire un ici; il a donc 11-12 ans.<br />

À c<strong>et</strong>te époque, sa grand-mère paternel<strong>le</strong> devient aveug<strong>le</strong> des suites d’un<br />

glaucome <strong>et</strong> sa mère va donc <strong>le</strong> reprendre <strong>à</strong> Paris où il poursuit sa scolarité au<br />

Lycée Carnot.<br />

Comme la pension d'un médecin-capitaine, mort pour la Patrie, est bien<br />

misérab<strong>le</strong>, <strong>et</strong> que Denise Saunière ne s’était par remariée, el<strong>le</strong> doit travail<strong>le</strong>r <strong>du</strong>r<br />

pour faire vivre ses deux fils, en faisant des travaux de couture <strong>et</strong> en donnant<br />

des <strong>le</strong>çons de piano <strong>et</strong> de chant.<br />

Et <strong>à</strong> propos de son mari disparu, Laborit nous dit que sa mère :<br />

« […] en parlait <strong>à</strong> chaque instant, rappelant son caractère diffici<strong>le</strong>, vio<strong>le</strong>nt, entier.<br />

El<strong>le</strong> <strong>le</strong> parait de tous <strong>le</strong>s dons intel<strong>le</strong>ctuels <strong>et</strong> physiques, citait ses phrases, ses<br />

mots cinglants dans la vie de tous <strong>le</strong>s jours. Ses photos étaient partout. Il vivait<br />

vraiment avec nous, cinq <strong>à</strong> dix ans après sa mort. »


Donc ça ne lâche pas <strong>du</strong> côté <strong>du</strong> culte <strong>du</strong> <strong>père</strong>…<br />

Les récits de L’alchimie de la découverte (écrit par Fabrice Rou<strong>le</strong>au suite <strong>à</strong> des<br />

entr<strong>et</strong>iens avec Laborit) <strong>et</strong> La vie antérieure (écrit par Laborit lui-même) se<br />

suivent <strong>et</strong> se recoupent pas mal en ce qui concerne l’<strong>enfance</strong> de Laborit.<br />

Mais il y a parfois des passages qui se r<strong>et</strong>rouvent dans un seul des deux livres,<br />

comme celui-ci que l’on r<strong>et</strong>rouve uniquement dans <strong>le</strong> livre de Fabrice Rou<strong>le</strong>au, <strong>et</strong><br />

qui ajoute <strong>une</strong> anecdote intéressante sur la relation entre Laborit <strong>et</strong> sa mère, <strong>et</strong><br />

surtout un détail tout de même pas sans intérêts sur la vie de Henri Laborit <strong>père</strong>,<br />

un p<strong>et</strong>it « couac », si je peux m’exprimer ainsi, dans <strong>le</strong> concert d’éloges <strong>à</strong> son<br />

endroit…<br />

Et je vais vous lire ça sur <strong>une</strong> photo de circonstance, l’<strong>une</strong> des rares dont on<br />

dispose de Laborit enfant.<br />

« J’avais dix ans quand ma mère a été demandée en mariage par un<br />

administrateur des colonies. Un matin au p<strong>et</strong>it déje<strong>une</strong>r el<strong>le</strong> me fit part de son<br />

proj<strong>et</strong>. Je me suis mis <strong>à</strong> chia<strong>le</strong>r. El<strong>le</strong> ne s’est jamais remariée. El<strong>le</strong> a dit non <strong>à</strong><br />

son prétendant parce qu’el<strong>le</strong> ne voulait pas faire de peine <strong>à</strong> son fils. J’étais <strong>le</strong><br />

gars qui prenait <strong>le</strong>s décisions. Quand il y avait un problème on me demandait ce<br />

qu’il fallait faire, si bien que j’étais a<strong>du</strong>lte <strong>à</strong> treize ans. J’avais c<strong>et</strong> âge lorsque ma<br />

mère m’a appris que mon <strong>père</strong> était morphinomane. El<strong>le</strong> lui en voulait mais avec<br />

de l’adoration parce qu’il était vraiment l’homme de sa vie. El<strong>le</strong> lui en voulait<br />

d’avoir fui. El<strong>le</strong> disait : « Lui, il s’est fait plaisir <strong>et</strong> il nous a abandonnés. » Au-del<strong>à</strong><br />

de c<strong>et</strong>te auréo<strong>le</strong> de gloire dont el<strong>le</strong> <strong>le</strong> parait, il y avait c<strong>et</strong>te fuite qui faisait de lui<br />

un franc salaud. Il représentait ces deux choses : <strong>le</strong> type de génie <strong>et</strong> <strong>le</strong> franc<br />

salaud. Je devais réaliser mon <strong>père</strong> moins sa morphinomanie. »


P<strong>et</strong>ite parenthèse ici. On vient de par<strong>le</strong>r des eff<strong>et</strong>s calmants de la morphine. Ces<br />

eff<strong>et</strong>s, on <strong>le</strong>s connaissait depuis longtemps, <strong>le</strong>s Sumériens <strong>et</strong> <strong>le</strong>s Chinois<br />

louaient déj<strong>à</strong> <strong>le</strong>s vertus des opiacés il y a des milliers d’années. Mais cela ne fait<br />

que quelques décennies que l’on sait que <strong>le</strong> corps humain possède ses propres<br />

morphines endogènes.<br />

Depuis la première moitié des années 1970, en fait, alors qu’on avait déclaré<br />

ouverte « la chasse aux récepteurs » des morphines endogènes, comme<br />

certains l’ont appelé, puisque ça a été <strong>une</strong> véritab<strong>le</strong> course, remplie de<br />

rebondissement.<br />

Il y en a eu beaucoup de quêtes scientifiques fascinantes au XXe sièc<strong>le</strong>. On n’a<br />

qu’<strong>à</strong> penser par exemp<strong>le</strong> <strong>à</strong> la découverte de la structure de l’ADN par Watson <strong>et</strong><br />

Crick en 1953, mentionnée <strong>à</strong> la séance précédente, <strong>et</strong> dont Watson raconte<br />

toutes <strong>le</strong>s péripéties dans ce livre publié en 1968, La doub<strong>le</strong> hélice.<br />

Mais l’<strong>une</strong> des quêtes <strong>le</strong>s plus épiques est sûrement c<strong>et</strong>te course pour découvrir<br />

des récepteurs aux opiacés dans <strong>le</strong> système nerveux humain, <strong>et</strong> peu de temps<br />

après, des substances opioïdes endogènes, <strong>le</strong>s endorphines.


http://<strong>le</strong>cerveau.mcgill.ca/flash/d/d_03/d_03_m/d_03_m_dou/d_03_m_dou.html#2<br />

J’ai essayé de résumer très succinctement <strong>le</strong> récit de ces découvertes sur c<strong>et</strong>te<br />

page <strong>du</strong> Cerveau <strong>à</strong> tous <strong>le</strong>s niveaux.<br />

Mais si vous vou<strong>le</strong>z lire un bon livre qui se lit presque comme un thril<strong>le</strong>r sur la<br />

saga de c<strong>et</strong>te découverte des endorphines,<br />

je vous conseil<strong>le</strong> ce livre de Jeff Goldberg, publié en 1989 (décidément),<br />

Anatomy of a Scientific Discovery. Je ne sais pas toutefois, si ça a été tra<strong>du</strong>it en<br />

français.


J’ai lu ça il y a longtemps, <strong>et</strong> je me rappel<strong>le</strong> qu’on va d’indice en indice avant de<br />

trouver <strong>le</strong> coupab<strong>le</strong>, avec des scientifiques qui travail<strong>le</strong>nt dans des conditions<br />

plus que précaires, qui se promènent <strong>à</strong> vélo <strong>et</strong> écument <strong>le</strong>s abattoirs d’Aberdeen<br />

en Écosse tôt <strong>le</strong> matin pour trouver suffisamment de cerveaux de cochons pour<br />

faire <strong>le</strong>urs expériences de la journée…<br />

1925<br />

De r<strong>et</strong>our en 1925 pour dire un mot sur Denise, la maman de Laborit. Celui-ci la<br />

décrit comme <strong>une</strong> femme ne vivant que sur son affectivité, pour l’amour de ses<br />

enfants, <strong>et</strong> incapab<strong>le</strong> de logique cartésienne. C’est pour ça qu’el<strong>le</strong> va chercher<br />

très tôt chez son aîné, <strong>le</strong> soutien moral, l'avis masculin, <strong>le</strong> conseil logique qui lui<br />

manquaient.<br />

En plus de beaucoup travail<strong>le</strong>r, ce qu’el<strong>le</strong> n’a jamais fait de sa vie, el<strong>le</strong> consacre<br />

toutes ses soirées <strong>à</strong> ses enfants, <strong>le</strong>s initiant <strong>à</strong> l'art de la musique. Mais si el<strong>le</strong><br />

élève ses enfants dans la misère, c’est sans jamais descendre de sa position de<br />

nob<strong>le</strong>, épouse de médecin de la Colonia<strong>le</strong>, mort <strong>à</strong> trente <strong>et</strong> un ans…<br />

Laborit entre donc dans l'<strong>ado<strong>le</strong>scence</strong> porté par l'amour qu'il voue <strong>à</strong> sa mère <strong>et</strong><br />

par l'admiration pour un <strong>père</strong> inaccessib<strong>le</strong>. Et l<strong>à</strong> je vais vous donner<br />

l’interprétation personnel<strong>le</strong> de Fabrice Rou<strong>le</strong>au quant <strong>à</strong> l’impact de c<strong>et</strong>te<br />

situation sur <strong>le</strong> type de relation que développera Laborit plus tard dans sa vie.<br />

Rou<strong>le</strong>au écrit :<br />

« L’investissement affectif de sa mère qui lui voue un amour sans limite renforce<br />

sa position, d’autant qu’il n’existe pas <strong>le</strong> « troisième terme », son <strong>père</strong>, pour<br />

briser la relation <strong>du</strong>el<strong>le</strong> qui s’établit entre eux. Henri essayera tout au long de son<br />

existence de repro<strong>du</strong>ire ce type de rapports exclusifs qui lui assurent <strong>une</strong><br />

sécurité affective <strong>et</strong> l’in<strong>du</strong>lgence de l’autre. En multipliant ces relations binaires il<br />

parvient <strong>à</strong> se constituer un entourage non concurrentiel, <strong>le</strong>s rivalités s’exerçant<br />

entre ses partenaires qui défendent inconsciemment la relation privilégiée établie<br />

par lui. »<br />

Alors voil<strong>à</strong>, <strong>à</strong> vous de juger, peut-être un peu plus tard dans <strong>le</strong> cours, si M.<br />

Rou<strong>le</strong>au avait raison…<br />

1926<br />

En 1926, Laborit a 12 ans <strong>et</strong> il va contracter la tuberculose, qui est provoquée<br />

par <strong>une</strong> bactérie qu’on appel<strong>le</strong> communément <strong>le</strong> Bacil<strong>le</strong> de Koch, <strong>et</strong> qui<br />

provoque fièvre, toux, amaigrissement <strong>et</strong> atteintes aux poumons.


Il en conserva quelques séquel<strong>le</strong>s aux membranes qui entourent <strong>le</strong>s poumons<br />

qui ne vont toutefois pas l’empêcher un peu plus tard de préparer, <strong>et</strong> de réussir,<br />

son baccalauréat (français) au lycée Carnot. Mais c<strong>et</strong> épisode de tuberculose<br />

aura des conséquences déterminantes <strong>à</strong> la toute fin de la vie de Laborit, comme<br />

nous <strong>le</strong> verrons plus tard…<br />

Pendant ce temps, toujours en 1926, mais de l’autre côté de la Manche, plus<br />

précisément <strong>à</strong> Cambridge, en Angl<strong>et</strong>erre, Edgar Adrian effectue <strong>le</strong>s expériences<br />

qui vont lui valoir <strong>le</strong> prix Nobel avec Sherrinton quelques années plus tard. En<br />

eff<strong>et</strong>, grâce <strong>à</strong> des tubes <strong>à</strong> vide qui vont lui perm<strong>et</strong>tre d’amplifier jusqu’<strong>à</strong> 5 000 fois<br />

<strong>le</strong> signal é<strong>le</strong>ctrique très faib<strong>le</strong> de l’influx nerveux, il va démontrer <strong>le</strong> caractère<br />

« tout ou rien » de la propagation <strong>du</strong> potentiel d’action <strong>le</strong> long de l’axone, qui est<br />

un peu, si vous vou<strong>le</strong>z, la langue comm<strong>une</strong> officiel<strong>le</strong> qu’utilisent <strong>le</strong>s neurones<br />

pour communiquer <strong>et</strong> générer nos pensées <strong>et</strong> nos actions !<br />

Et on va al<strong>le</strong>r dans un instant directement sur Le cerveau <strong>à</strong> tous <strong>le</strong>s niveaux<br />

parce que j’ai plusieurs p<strong>et</strong>ites animations pour vous expliquer tout ça.<br />

Mais avant, j’aimerais attirer votre attention sur <strong>le</strong> mot « expliquer », justement.<br />

Autrement dit, qu’est-ce qu’<strong>une</strong> explication en neuroscience ? Je ne ferai ici que<br />

vous donner un avant-goût de la démarche ré<strong>du</strong>ctionniste <strong>et</strong> mécaniste <strong>à</strong> l’œuvre<br />

comme mode d’explication dans <strong>le</strong>s neurosciences, bien qu’il existe évidemment<br />

d’autres modè<strong>le</strong>s <strong>et</strong> variantes, selon <strong>le</strong>s philosophes des sciences.<br />

Mais en gros, ça fonctionne un peu comme suit. Adm<strong>et</strong>tons qu’on veuil<strong>le</strong> essayer<br />

« d’expliquer » par exemp<strong>le</strong>, <strong>une</strong> pensée ou <strong>une</strong> image menta<strong>le</strong> particulière. Et<br />

que l’on adm<strong>et</strong>, ce qui n’est pas <strong>le</strong> cas de tous <strong>le</strong>s scientifiques <strong>et</strong> de tous <strong>le</strong>s<br />

neurobiologistes, je vous <strong>le</strong> signa<strong>le</strong>, mais d’<strong>une</strong> bonne partie, que l’on adm<strong>et</strong>,<br />

donc, qu’<strong>une</strong> activité cérébra<strong>le</strong> globa<strong>le</strong>, dynamique <strong>et</strong> impliquant <strong>une</strong> synchronie<br />

particulière de ses circuits est <strong>à</strong> l’origine de c<strong>et</strong>te pensée.


Alors on pourrait déj<strong>à</strong> dire qu’on a « expliqué », ou <strong>du</strong> moins « ren<strong>du</strong> compte »,<br />

en terme d’activité cérébra<strong>le</strong> globa<strong>le</strong>, c<strong>et</strong>te pensée. Mais pourquoi s’arrêter en si<br />

bon chemin ? En eff<strong>et</strong>, comme <strong>le</strong>s organismes vivants sont organisés en<br />

différents niveaux d’organisation, on peut al<strong>le</strong>r voir au niveau inférieur qu’est-ce<br />

qui crée c<strong>et</strong>te activité neurona<strong>le</strong> dynamique <strong>et</strong> synchrone…<br />

On peut donc raffiner notre explication au niveau cellulaire <strong>et</strong> considérer <strong>le</strong>s<br />

mécanismes de l’intégration neurona<strong>le</strong> qui aboutissent au déc<strong>le</strong>nchement d’un<br />

potentiel d’action, de manière « tout ou rien », quand <strong>le</strong> seuil est atteint. C’est ce<br />

qu’illustre l’animation de la page<br />

http://<strong>le</strong>cerveau.mcgill.ca/flash/i/i_01/i_01_cl/i_01_cl_fon/i_01_cl_fon.html <strong>du</strong><br />

Cerveau <strong>à</strong> tous <strong>le</strong>s niveaux.<br />

On peut ensuite raffiner encore notre explication au niveau de l’axone en<br />

précisant la nature de ce potentiel d’action qui s’y propage <strong>sous</strong> forme de<br />

dépolarisation loca<strong>le</strong> qui s’auto-regénère, comme l’expose l’animation de la page<br />

http://<strong>le</strong>cerveau.mcgill.ca/flash/d/d_01/d_01_m/d_01_m_fon/d_01_m_fon.html <strong>du</strong><br />

Cerveau <strong>à</strong> tous <strong>le</strong>s niveaux.<br />

Et l’on peut bien sûr continuer notre explication au niveau des canaux de c<strong>et</strong>te<br />

membrane de l’axone en montrant que c<strong>et</strong>te dépolarisation se fait grâce <strong>à</strong> des<br />

échanges d’ions ayant des charges é<strong>le</strong>ctriques <strong>à</strong> travers des canaux<br />

membranaires, comme <strong>le</strong> suggère l’animation de la page<br />

http://<strong>le</strong>cerveau.mcgill.ca/flash/a/a_01/a_01_m/a_01_m_fon/a_01_m_fon.html <strong>du</strong><br />

Cerveau <strong>à</strong> tous <strong>le</strong>s niveaux.<br />

On pourrait ensuite continuer <strong>à</strong> raffiner encore notre explication au niveau de<br />

l’axone, en rappelant que ces canaux sont des protéines faites d’acides aminés


qui sont des molécu<strong>le</strong>s chargées, <strong>et</strong> que ce sont <strong>le</strong>s interactions de ces charges<br />

qui en bout de ligne vont changer la forme <strong>du</strong> canal <strong>et</strong> <strong>le</strong> faire ouvrir ou se<br />

fermer.<br />

Et certaines propriétés de l’influx nerveux, comme l’existence d’un seuil <strong>à</strong> partir<br />

<strong>du</strong>quel est déc<strong>le</strong>nché <strong>le</strong> potentiel d’action, trouve son explication dans certains<br />

de ces canaux sensib<strong>le</strong>s au voltage de part <strong>et</strong> d’autre de la membrane, par<br />

exemp<strong>le</strong>.<br />

Mais l<strong>à</strong> on ne peut pas dire qu’on a tout expliqué, loin de l<strong>à</strong>, puisqu’on pourrait<br />

encore descendre <strong>et</strong> s’intéresser <strong>à</strong> ces molécu<strong>le</strong>s chargées des protéines<br />

transmembranaires, <strong>et</strong> l<strong>à</strong> on entre dans <strong>le</strong> domaine de la biochimie, <strong>et</strong> bientôt de<br />

la physique des particu<strong>le</strong>s…<br />

Sans par<strong>le</strong>r <strong>du</strong> phénomène de « propriétés émergentes », <strong>le</strong> fait qu’en remontant<br />

<strong>le</strong>s niveaux d’organisation, on voit parfois surgir des propriétés qui ne sont pas<br />

explicab<strong>le</strong>s uniquement par la « somme de ses parties »…<br />

Donc on pourrait finir c<strong>et</strong>te parenthèse par un clin d’œil en disant qu’<strong>une</strong><br />

explication, contrairement <strong>à</strong> un potentiel d’action, n’est pas vraiment un<br />

phénomène « tout ou rien »… Bref, qu’on peut rarement dire qu’un phénomène<br />

est « complètement » expliqué en neuroscience…<br />

1927<br />

En 1927, Laborit a 13 ans.<br />

Et c’est au printemps de c<strong>et</strong>te année 1927 que fut énoncé l’un des principes <strong>le</strong>s<br />

plus révolutionnaires de la science moderne


<strong>le</strong> principe d'incertitude d’Heisenberg en physique quantique (on dit aussi<br />

principe d’indétermination) qui dit qu’on ne peut pas connaître <strong>à</strong> la fois la position<br />

<strong>et</strong> la vitesse d’un é<strong>le</strong>ctron.<br />

On <strong>le</strong> voit ici au centre, <strong>et</strong> <strong>le</strong> type <strong>à</strong> gauche c’est Niels Bohr, celui qui disait <strong>à</strong><br />

Einstein d’arrêter de dire <strong>à</strong> Dieu ce qu’il doit faire…<br />

Et l<strong>à</strong> je voudrais bien causer physique quantique un peu avec vous, <strong>et</strong> vous<br />

voyez comment ce pourrait être intéressant de poursuivre notre descente des<br />

niveaux de tantôt jusqu’aux interactions atomiques, mais comme je suis un<br />

néophyte en la matière, je ne pourrais <strong>le</strong> faire que d’<strong>une</strong> façon très… incertaine<br />

<strong>et</strong> indéterminée justement…<br />

Heureusement, il y a des initiatives comme l’UPop, qui favorise c<strong>et</strong>te<br />

multidisciplinarité non seu<strong>le</strong>ment <strong>à</strong> l’intérieur des séances, mais la facilite par la<br />

large pal<strong>et</strong>te des disciplines abordées dans ses différents cours.


Et ça s’adonne que, pas plus tard que la semaine passée, <strong>le</strong> cours Qu’on<br />

science coordonné par Louise-Caroline Bergeron, a reçu <strong>le</strong> philosophe des<br />

sciences Serge Robert pour <strong>une</strong> conférence passionnante intitulée « Quelques<br />

grandes révolutions scientifiques <strong>et</strong> <strong>le</strong>urs <strong>le</strong>çons épistémologiques ».<br />

Or j’ai eu la chance d’assister encore <strong>une</strong> fois <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te conférence où Serge<br />

Robert a réussi <strong>le</strong> tour de force de synthétiser en <strong>une</strong> heure l’histoire des plus<br />

grandes révolutions scientifiques, de Galilée <strong>à</strong> la physique quantique, en passant<br />

par Newton <strong>et</strong> Einstein, un cours qu’il donne norma<strong>le</strong>ment en 45 heures !<br />

Et comme M. Robert, qui est un spécialiste en la matière, a quand même pris un<br />

bon 5-10 minutes pour expliquer <strong>le</strong> principe d’incertitude d’Heisenberg, ce n’est<br />

pas moi qui va s’y risquer ici, sinon pour lire simp<strong>le</strong>ment la conclusion de sa<br />

diapo sur ce suj<strong>et</strong> <strong>et</strong> qui dit ceci :<br />

« Nous ne connaissons pas la nature en soi, nous connaissons la perturbation<br />

que nous faisons sur el<strong>le</strong>. Autrement dit, nous ne connaissons que la relation<br />

entre notre cerveau <strong>et</strong> notre environnement. »


Si vous vou<strong>le</strong>z, on pourra y revenir <strong>du</strong>rant la 2 e heure, surtout s’il y a des<br />

physiciens ou des physiciennes dans la sal<strong>le</strong>. Mais en attendant, je vous suggère<br />

d’al<strong>le</strong>r j<strong>et</strong>er un coup d’œil <strong>à</strong> la dizaine d’autres diapos Power Point que Serge<br />

Robert a mis sur <strong>le</strong> site de l’UPop juste au bas <strong>du</strong> résumé de son cours, en<br />

attendant, peut-être un jour, de l’inviter <strong>à</strong> venir en discuter avec nous…<br />

1928<br />

Ce qui nous ramène <strong>à</strong> notre histoire en 1928, année Laborit a 14 ans.<br />

1928<br />

1928, c’est aussi l’année de naissance d’un biologiste, qui n’est pas l’un des 4<br />

dont on va faire <strong>le</strong> récit, mais qui a eu <strong>une</strong> tel<strong>le</strong> influence sur l’un de ceux-ci, en<br />

l’occurrence Francisco Varela, qu’on ne peut passer <strong>sous</strong> si<strong>le</strong>nce son apparition.<br />

Il s’agit de Humberto Maturana qui naît <strong>le</strong> 14 septembre 1928 <strong>à</strong> Santiago <strong>du</strong><br />

Chili. Maturana est un biologiste, un cybernéticien <strong>et</strong> un philosophe chilien qui<br />

sera surtout <strong>le</strong> professeur de Varela <strong>et</strong>, quelques années plus tard quand Varela<br />

rentrera de Harvard, doctorat en poche, son collègue.


C’est avec Maturana que Varala va élaborer <strong>le</strong> concept d’autopoïèse <strong>et</strong> rem<strong>et</strong>tre<br />

en cause par la suite bien des idées reçues en sciences cognitives. Maturana est<br />

toujours vivant <strong>et</strong> âgé de 83 ans aujourd’hui.<br />

1929<br />

En 1929, Laborit a 15 ans. Son <strong>ado<strong>le</strong>scence</strong> se dérou<strong>le</strong> dans <strong>une</strong> ambiance<br />

d’affectivité <strong>à</strong> f<strong>le</strong>ur de peau, avec des fins de mois diffici<strong>le</strong>s.<br />

Heureusement, Laborit a maintenant des copains, qui étaient curieusement tous<br />

dans des situations familia<strong>le</strong>s analogues, quoique moins précaires<br />

financièrement. Deux vivaient avec <strong>une</strong> mère veuve, <strong>et</strong> un troisième avec un<br />

<strong>père</strong> veuf <strong>et</strong> deux tantes. Ce sont des amis de toujours, qui <strong>le</strong> sont restés au<br />

moins jusqu’<strong>à</strong> passé 70 ans, quand Laborit écrit La vie antérieure.<br />

Avec ses amis, Laborit se montre attiré davantage par la littérature <strong>et</strong> <strong>le</strong>s arts<br />

que par <strong>le</strong>s sciences, allant jusqu'<strong>à</strong> écrire certains devoirs de français en<br />

a<strong>le</strong>xandrins ! Laborit <strong>et</strong> ses copains forment même <strong>une</strong> association artistique <strong>et</strong><br />

littéraire, « la P<strong>et</strong>ite Ourse, ému<strong>le</strong> de la Pléiade »…<br />

Un dernier mot peut-être sur <strong>le</strong>s grandes vacances d’été où Henri r<strong>et</strong>rouvait ses<br />

grands-parents Laborit en Vendée, ainsi que deux cousins germains d’<strong>à</strong> peu<br />

près son âge. Or <strong>le</strong>s grands-parents de Laborit se montrent beaucoup plus<br />

sévères <strong>à</strong> son égard que pour ses cousins, peut-être pour remplacer <strong>le</strong> rô<strong>le</strong><br />

d’autorité <strong>du</strong> <strong>père</strong> absent de Laborit.<br />

« Un avenir sp<strong>le</strong>ndide s’ouvrait <strong>à</strong> eux, selon mes grands-parents, alors qu’ils<br />

restaient très sceptiques sur mes possibilités de réussite <strong>à</strong> mes examens. Il est


vrai qu’<strong>à</strong> quinze ans, je préférais entrer dans la vieil<strong>le</strong> maison par la fenêtre<br />

donnant sur <strong>le</strong> jardin, en faisant un rétablissement, alors que mes cousins, plus<br />

respectueux des conventions, entraient sagement par la porte. Ils parlaient peu,<br />

alors que moi, comme <strong>le</strong>s Saunière, je parlais beaucoup <strong>et</strong>, bien sûr, pour ne<br />

rien dire. »<br />

Laborit affirme, dans La vie antérieure, avoir pris <strong>le</strong> temps de schématiser ses<br />

années d’<strong>enfance</strong> <strong>et</strong> d’<strong>ado<strong>le</strong>scence</strong> parce que, dit-il :<br />

« À c<strong>et</strong>te période de la vie, <strong>le</strong> monde pénètre tout frais dans <strong>le</strong> champ de<br />

conscience, sans que l’on soupçonne <strong>le</strong>s pulsions <strong>et</strong> <strong>le</strong>s automatismes culturels<br />

qui ont déj<strong>à</strong> fait <strong>le</strong>ur nid dans l’inconscient <strong>et</strong> colorent nos jugements de va<strong>le</strong>ur<br />

ainsi que ceux des êtres qui nous entourent; »<br />

Et un peu plus loin, considérant tout ce que sa vie scientifique lui a permis de<br />

comprendre, il ajoute même :<br />

« je suis effrayé par <strong>le</strong>s automatismes qu’il est possib<strong>le</strong> de créer <strong>à</strong> son insu dans<br />

<strong>le</strong> système nerveux d’un enfant. Il lui faudra, dans sa vie d’a<strong>du</strong>lte, <strong>une</strong> chance<br />

exceptionnel<strong>le</strong> pour s’en détacher, s’il y parvient jamais. »<br />

Et dans <strong>le</strong> cas particulier de Laborit, on peut se demander quels sont ces<br />

automatismes qui se sont créés <strong>à</strong> son insu dans son système nerveux <strong>du</strong>rant<br />

son <strong>enfance</strong>. Et <strong>une</strong> partie de la réponse, Laborit nous la donne lui-même dans<br />

un passage d’<strong>une</strong> grande lucidité de La vie antérieure que je vais vous lire <strong>à</strong><br />

l’instant. Laborit y résume donc <strong>le</strong>s influences qu’il a subies. Écoutez ça, presque<br />

tout est l<strong>à</strong>…<br />

« La rigidité logique <strong>et</strong> sans tendresse de ma famil<strong>le</strong> paternel<strong>le</strong>, l’anarchie<br />

affective <strong>et</strong> la déroute socia<strong>le</strong> que je découvrais chez mes ascendants maternels,<br />

la présence de ma mère, travail<strong>le</strong>use acharnée, motivée par l’amour de ses<br />

enfants <strong>et</strong> donnant <strong>à</strong> ma situation d’aîné <strong>du</strong> sexe masculin <strong>une</strong> importance<br />

précoce, sans cadre de con<strong>du</strong>ite <strong>et</strong> sans logique d’action, tout cela fut<br />

certainement fondamental dans l’élaboration de mon moi. Plus fondamenta<strong>le</strong><br />

encore c<strong>et</strong>te image aimée, admirée, <strong>du</strong> <strong>père</strong>, qui ne fut jamais contraignante,<br />

mais assez soup<strong>le</strong> pour être idéalisée au fur <strong>et</strong> <strong>à</strong> mesure de l’enrichissement de<br />

mon vécu journalier »<br />

Moi je trouve ce passage très révélateur parce que j’ai l’impression que son<br />

sty<strong>le</strong>, son tempérament, la façon singulière dont il va mener sa carrière<br />

scientifique, presque tout tient en ces quelques lignes…<br />

Il ajoute d’ail<strong>le</strong>urs un peu plus loin que son <strong>père</strong> fut pour lui « la plus bel<strong>le</strong><br />

création de son imaginaire »…


Mais tout cela est encore en gestation car, de l’aveu même de Laborit, si on lui<br />

avait demandé <strong>à</strong> c<strong>et</strong>te époque pourquoi il vivait, il affirme qu’il aurait répon<strong>du</strong><br />

simp<strong>le</strong>ment : pour acquérir au plus vite <strong>une</strong> situation perm<strong>et</strong>tant de soulager sa<br />

mère <strong>du</strong> souci de <strong>le</strong> faire vivre. Tout simp<strong>le</strong>ment.<br />

Et Laborit insiste pour dire qu’<strong>à</strong> 10-15 ans, il n’imaginait pas qu’on puisse vivre<br />

heureux sans atteindre un certain niveau dans <strong>le</strong>s échel<strong>le</strong>s hiérarchiques,<br />

conformément <strong>à</strong> la façon dont la vie socia<strong>le</strong> lui avait été présentée, <strong>et</strong> de la façon<br />

que son idéal <strong>du</strong> Moi s’était construit, comme il <strong>le</strong> dit lui-même, sur « <strong>une</strong> bouillie<br />

de jugements de va<strong>le</strong>ur ».<br />

C<strong>et</strong>te bel<strong>le</strong> « bouillie » est bien enten<strong>du</strong>e emmagasinée dans notre mémoire<br />

biographique, ou épisodique, comme on en a parlé il y a deux semaines avec <strong>le</strong>s<br />

souvenirs associés <strong>à</strong> l’odeur des p<strong>et</strong>its citrons verts pour Laborit. Or nos<br />

capacités de mémoire nous viennent de la grande plasticité de notre système<br />

nerveux, en particulier la plasticité de nos synapses chimiques qui peuvent<br />

modifier <strong>le</strong>ur efficacité avec l’apprentissage.<br />

Et je vais terminer c<strong>et</strong>te séance en faisant <strong>une</strong> dernière p<strong>et</strong>ite parenthèse autour<br />

de c<strong>et</strong>te idée de plasticité. Et mes observations resteront cependant au niveau<br />

« cérébral », c’est-<strong>à</strong>-dire au niveau macroscopique des grandes régions <strong>du</strong><br />

cerveau, parce que dans mon p<strong>et</strong>it tour d’horizon des niveaux d’organisation de<br />

c<strong>et</strong>te semaine, c’est celui dont on n’a pas encore beaucoup parlé.<br />

Et donc c<strong>et</strong>te parenthèse voudrait essayer de répondre <strong>à</strong> la question : jusqu’où<br />

peut al<strong>le</strong>r c<strong>et</strong>te plasticité <strong>du</strong> cerveau, pris dans son ensemb<strong>le</strong> ?<br />

Si je vous dis qu’il y a quelques dizaines de Québécois qui vivent avec la moitié<br />

de <strong>le</strong>ur cerveau seu<strong>le</strong>ment,


comme ça, al<strong>le</strong>z-vous me croire ? C’est pourtant vrai. Pour traiter <strong>le</strong>urs crises<br />

d’épi<strong>le</strong>psie rebel<strong>le</strong>s, ils ont subi <strong>une</strong> opération appelée « hémisphérectomie »,<br />

soit ni plus ni moins que l’ablation chirurgica<strong>le</strong> d’un hémisphère cérébral au<br />

compl<strong>et</strong> !<br />

Vous devez vous dire que la pauvre personne qui subit <strong>une</strong> tel<strong>le</strong> opération doit<br />

être bien mal en point, <strong>et</strong> c’est bien logique comme réf<strong>le</strong>xe de penser ça. Mais<br />

figurez-vous que vous ne pourriez même pas reconnaître dans la rue <strong>une</strong><br />

personne qui a subi ce traitement !<br />

Et ça c’est pas moi qui <strong>le</strong> dit mais bien Maurice Ptito, de l’Université de Montréal,<br />

qui côtoie depuis plus de 15 ans ces patients <strong>et</strong> qui cherche <strong>à</strong> comprendre<br />

comment <strong>le</strong> cerveau parvient <strong>à</strong> s'adapter <strong>à</strong> la perte d'un hémisphère compl<strong>et</strong>.<br />

Ce scan montre par exemp<strong>le</strong> <strong>le</strong> cerveau d’<strong>une</strong> femme d’<strong>une</strong> quarantaine<br />

d’années dont on a r<strong>et</strong>iré un hémisphère compl<strong>et</strong> <strong>à</strong> l’âge de 23 ans. C<strong>et</strong>te mère<br />

de trois enfants n’a aucun regr<strong>et</strong> depuis son opération puisque ses crises<br />

d’épi<strong>le</strong>psie ont complètement cessé <strong>et</strong> qu’el<strong>le</strong> mène aujourd’hui <strong>une</strong> vie<br />

pratiquement norma<strong>le</strong>.<br />

La «plasticité» <strong>du</strong> cerveau perm<strong>et</strong> ici, on ne sait pas encore trop comment, de<br />

recyc<strong>le</strong>r <strong>une</strong> bonne partie des fonctions cérébra<strong>le</strong>s per<strong>du</strong>es dans l’hémisphère<br />

en<strong>le</strong>vé dans <strong>le</strong>s aires homologues, ou non homologues (on ne <strong>le</strong> sait pas trop),<br />

de l’hémisphère restant.<br />

En passant, il ne faut pas confondre <strong>le</strong>s hémisphérectomies avec <strong>le</strong>s lobotomies<br />

fronta<strong>le</strong>s que l’on a pratiquées <strong>du</strong>rant <strong>le</strong>s années 1950 <strong>et</strong> où l’on en<strong>le</strong>vait <strong>le</strong>s<br />

deux hémisphères frontaux dans l’espoir de corriger des problèmes de santé<br />

menta<strong>le</strong>. Les résultats étaient souvent catastrophiques sur la personnalité <strong>du</strong><br />

patient, sans doute parce l’ablation était bilatéra<strong>le</strong>, c’est-<strong>à</strong>-dire qu’on en<strong>le</strong>vait <strong>le</strong>s<br />

deux côtés d’<strong>une</strong> même structure en même temps.<br />

« Et ce n’est pas tout », comme ils disent dans <strong>le</strong>s pubs télévisées…


En juill<strong>et</strong> 2007, dans la revue spécialisée The Lanc<strong>et</strong>, paraissait c<strong>et</strong>te histoire<br />

incroyab<strong>le</strong> d’un Français de 44 ans qui a réussi <strong>à</strong> vivre de manière parfaitement<br />

norma<strong>le</strong> malgré un cerveau complètement comprimé contre la paroi de sa boîte<br />

crânienne, en raison d'<strong>une</strong> importante poche de liquide dans ses ventricu<strong>le</strong>s<br />

cérébraux.<br />

En fait, <strong>le</strong>s scanners ont montré qu'un énorme ventricu<strong>le</strong> cérébral occupait<br />

quasiment tout l'espace de la boîte crânienne, laissant <strong>à</strong> peine plus qu'<strong>une</strong> fine<br />

couche de tissu cérébral en guise de cerveau.<br />

C<strong>et</strong> homme était marié, <strong>père</strong> de deux enfants <strong>et</strong> travaillait dans la fonction<br />

publique. Il s'est ren<strong>du</strong> <strong>à</strong> l'hôpital en raison d'un léger problème <strong>à</strong> la jambe<br />

gauche. Lorsque <strong>le</strong>s médecins ont examiné son dossier médical, ils ont appris<br />

qu'on lui avait posé un drain dans son <strong>enfance</strong> pour traiter <strong>une</strong> hydrocéphalie,<br />

c'est-<strong>à</strong>-dire <strong>une</strong> accumulation de liquide dans <strong>le</strong> cerveau.<br />

Ce drain lui a été r<strong>et</strong>iré <strong>à</strong> l'âge de 14 ans.<br />

Les médecins ont donc décidé de procéder <strong>à</strong> <strong>une</strong> imagerie par résonance<br />

magnétique (IRM) <strong>et</strong> c’est l<strong>à</strong> qu’ils ont constaté avec stupéfaction c<strong>et</strong>te "énorme<br />

hypertrophie" des ventricu<strong>le</strong>s latéraux –


des poches habituel<strong>le</strong>ment p<strong>et</strong>ites contenant <strong>le</strong> liquide cérébro-spinal.<br />

Des tests ont permis d'estimer <strong>le</strong> QI de c<strong>et</strong> homme <strong>à</strong> 75, soit un niveau inférieur<br />

<strong>à</strong> la moyenne, mais n'impliquant pas non plus un quelconque r<strong>et</strong>ard mental.<br />

Donc je répète, pas de r<strong>et</strong>ard mental avec ce type de cerveau :<br />

Donc ça montre que : "Si quelque chose se pro<strong>du</strong>it très <strong>le</strong>ntement sur <strong>une</strong> assez<br />

longue période, peut-être des décennies dans ce cas-ci, <strong>le</strong>s différents circuits <strong>du</strong><br />

cerveau peuvent se réorganiser <strong>et</strong> prendre en charge des fonctions de parties<br />

détruites ou per<strong>du</strong>es"


Et fina<strong>le</strong>ment, un dernier exemp<strong>le</strong> que je vais me contenter de mentionner, car<br />

toute l’histoire est racontée dans un reportage diffusé en décembre dernier <strong>à</strong><br />

l’émission de télé W5 <strong>à</strong> CTV. Je remercie d’ail<strong>le</strong>urs Josée Deschamps de l’avoir<br />

porté <strong>à</strong> mon attention.<br />

Le reportage se troue au http://www.ctv.ca/CTVNews/WFive/20101201/w5trevor-greene-soldier-amazing-recovery-102101/<br />

<strong>et</strong> vous pourrez l’écouter,<br />

après vous être muni d’<strong>une</strong> boîte de K<strong>le</strong>enex. Je dis ça parce qu’en deux mots,<br />

ça raconte l’histoire d’un bon p<strong>et</strong>it gars de Vancouver, <strong>le</strong> genre plutôt p<strong>le</strong>in de vie<br />

<strong>et</strong> <strong>une</strong> force de la nature, qui est parti « servir sa patrie » en Afghanistan afin,<br />

comme tout <strong>le</strong> monde <strong>le</strong> sait, d’aider <strong>le</strong>s Afghans <strong>à</strong> « construire des éco<strong>le</strong>s pour<br />

que <strong>le</strong>s p<strong>et</strong>ites fil<strong>le</strong>s puissent étudier »…<br />

Toujours est-il que <strong>le</strong> pauvre garçon a reçu, alors qu’il discutait sans son casque<br />

avec des chefs d’un village, un coup de hache sur la tête qui lui a ouvert <strong>le</strong> crâne<br />

<strong>et</strong> aurait dû <strong>le</strong> tuer sur <strong>le</strong> champ. Selon <strong>le</strong> chirurgien qui l’a vu <strong>le</strong> premier, c’était<br />

<strong>le</strong> pire cas, en terme de dégât au cerveau, qu’il n’avait jamais vu.<br />

Toutefois, on ne sait toujours pas pourquoi, mais il a survécu. D’abord dans <strong>le</strong><br />

coma, puis réveillé mais paralysé, il a réussi, grâce entre autres au soutien<br />

indéfectib<strong>le</strong> de sa p<strong>et</strong>ite amie, <strong>à</strong> repar<strong>le</strong>r, <strong>à</strong> remanger seul <strong>et</strong>, <strong>à</strong> la toute fin <strong>du</strong><br />

reportage quelques années après l’accident (<strong>et</strong> c’est l<strong>à</strong> où je vous suggère<br />

d’avoir votre boîte de K<strong>le</strong>enex pas loin), <strong>à</strong> se marier avec el<strong>le</strong> debout en se<br />

tenant tout seul…<br />

Mais moi ce qui m’a presque ému autant, c’est quand il dit dans <strong>le</strong> reportage qu’il<br />

rêve parfois <strong>à</strong> son agresseur <strong>et</strong> qu’ils sont amis. Et quand on lui demande ce qu’il<br />

aurait <strong>le</strong> goût de lui dire aujourd’hui (l’agresseur avait évidemment été


immédiatement descen<strong>du</strong> par <strong>le</strong>s collègues <strong>du</strong> soldat), il dit qu’il lui demanderait<br />

pardon ! Je répète : <strong>le</strong> soldat canadien lui demanderait pardon, parce que c’est<br />

lui, dit-il dans <strong>le</strong> reportage, qui est <strong>à</strong> allé dans <strong>le</strong> village de l’autre avec son<br />

uniforme <strong>et</strong> son fusil…<br />

Ça c’est juste pour dire que s’il était tombé sur c<strong>et</strong>te pub publiée dans <strong>le</strong> Couac,<br />

il ne serait peut-être pas allé « construire des éco<strong>le</strong>s » en Afghanistan… <strong>et</strong> aurait<br />

pu faire sa bel<strong>le</strong> prise de conscience un peu avant, ce qui lui aurait évité bien <strong>du</strong><br />

troub<strong>le</strong>…<br />

<strong>1930</strong><br />

Et cela nous ramène <strong>une</strong> dernière fois <strong>à</strong> notre récit de la vie de Laborit qui a<br />

maintenant 16 ans en <strong>1930</strong>. Et ce, pour deux bonnes raisons.


D’abord parce que, qui dit armée, dit guerre <strong>et</strong> donc sang, <strong>et</strong> que c’est en <strong>1930</strong><br />

que Karl Landsteiner, un médecin autrichien, obtient <strong>le</strong> prix Nobel pour sa<br />

découverte des groupes sanguins chez l'humain…<br />

Et aussi parce que depuis plusieurs années déj<strong>à</strong>, Laborit a <strong>le</strong> désir de décharger<br />

sa mère de la responsabilité de subvenir <strong>à</strong> ses besoins. Cela veut dire,<br />

concrètement pour un pauvre comme lui, d’entrer dès que possib<strong>le</strong> dans <strong>une</strong><br />

éco<strong>le</strong> d'État (<strong>et</strong> dans son cas, avec <strong>le</strong> <strong>père</strong> qu’il a eu, c’était évidemment l’armée,<br />

donc voil<strong>à</strong> <strong>le</strong> deuxième lien…), rentrer dans <strong>une</strong> éco<strong>le</strong> d'État donc, pour que<br />

cel<strong>le</strong>-ci prenne en charge son enseignement supérieur, en échange d'<strong>une</strong> activité<br />

professionnel<strong>le</strong> future au service de la Nation. Aiguillonné peut-être par ce désir,<br />

Laborit voit d’ail<strong>le</strong>urs ses résultats scolaires s'améliorer.<br />

Durant l’hiver de ses 16 ans, Laborit fait donc son année de propédeutique<br />

médica<strong>le</strong> <strong>à</strong> la faculté des sciences <strong>à</strong> Paris. Son <strong>père</strong> ayant suivi c<strong>et</strong>te route, c’est<br />

évidemment cel<strong>le</strong> que Laborit va suivre <strong>et</strong> que nous allons nous aussi continuer<br />

<strong>à</strong> suivre dans deux semaines.

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