Pour en finir avec l'androlecte (*) - Michèle Causse
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Lequel régit, règle, réglem<strong>en</strong>te la totalité de l’expéri<strong>en</strong>ce humaine qu’il convi<strong>en</strong>t, dans le cas<br />
prés<strong>en</strong>t, d’appeler androssi<strong>en</strong>ne puisque seul l’andros l’exprime, la représ<strong>en</strong>te, la manifeste mais<br />
aussi – comme un citron – la fait sortir par pression. Disons même franchem<strong>en</strong>t par oppression.<br />
L’androlecte est un soliloque. C’est la production m<strong>en</strong>tale, disons la pathologie langagière de<br />
l’andros qui victime d’une faille principielle, s’est érigé <strong>en</strong> seul locuteur, n’a eu d’autre interlocuteur que<br />
lui-même. Quoi d’étonnant dès lors qu’un sujet sexué au féminin s’écrie « pr<strong>en</strong>dre consci<strong>en</strong>ce que le<br />
s<strong>en</strong>s fait défaut, telle aurait toujours été ma façon NEGATIVE d’appréh<strong>en</strong>der le s<strong>en</strong>s ». Cette réflexion<br />
de Clarice Lispector résume absolum<strong>en</strong>t mon propos. Ici une femme dit clairem<strong>en</strong>t « qu’elle ne s’y<br />
retrouve pas ». Comm<strong>en</strong>t le pourrait-elle puisqu’elle n’y est pas ? Auto-érigé <strong>en</strong> sujet unique, o<br />
combi<strong>en</strong> peureux, o combi<strong>en</strong> solipsiste, o combi<strong>en</strong> abs<strong>en</strong>t par excès de prés<strong>en</strong>ce, l’homme a courtcircuité<br />
toute relation de parole de l’un à l’autre. Le principe qui régit le discours androcratique étant<br />
celui de l’id<strong>en</strong>tité/différ<strong>en</strong>ce, la différ<strong>en</strong>ce n’étant qu’une id<strong>en</strong>tité refusée.<br />
La subordination c’est précisém<strong>en</strong>t cela, être obligée de mettre <strong>en</strong> œuvre le langage de l’autre.<br />
Partout, <strong>en</strong> tout temps, <strong>en</strong> tout lieu, ce sont les champs de domination et, partant, de nomination des<br />
hommes ou Diviseurs qui établiss<strong>en</strong>t l’id<strong>en</strong>tité des femmes ou dividues, La réalité sociale, voire<br />
physique, des dividues est <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t construite par autre qu’elles : il n’est pas de discipline<br />
humaine, (voire humaniste) qui ne montre ce que l’andros ou Diviseur peut faire à la dividue. En<br />
viriocratie, l’unilatéralité de cette position de force sera appelée complém<strong>en</strong>tarité.<br />
Tous les êtres humains de la planète parl<strong>en</strong>t un langage dont le noyau sémantique est,<br />
précisém<strong>en</strong>t, la sem<strong>en</strong>ce.<br />
Certes, il peut sembler ardu, voire impossible à la dividue de montrer la captation du langage dans<br />
ce même langage capturé. Avec les mots qui, d’emblée, avant que d’être écrits ou prononcés, la<br />
néantis<strong>en</strong>t, l’anéantiss<strong>en</strong>t, la réifi<strong>en</strong>t, la nullifi<strong>en</strong>t ou l’exalt<strong>en</strong>t <strong>en</strong> dividue, pour surgir, ex/ister, se<br />
p<strong>en</strong>ser, se vivre <strong>en</strong> se dépr<strong>en</strong>ant de tout ce qu’elle est, à savoir une colonie de chair et de p<strong>en</strong>sée,<br />
une effigie phallique, occupée par les m<strong>en</strong>tula, organes reproducteurs masculins. Vas, réceptacle du<br />
verbe (verge, vir) humain ou divin, l’un créant l’autre. Les mots m<strong>en</strong>tulatus et m<strong>en</strong>talitas n’étant pas<br />
semblables par hasard. Equipé d’organes génitaux et de m<strong>en</strong>s, les m<strong>en</strong>tulati sont (tels les literati) la<br />
communauté des androi et des foeminae qui pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t les organes génitaux mâles comme la mesure<br />
de la p<strong>en</strong>sée dans le monde. Ce sont les m<strong>en</strong>tulati qui ont inv<strong>en</strong>té et pris des morphèmes ayant pour<br />
matrice (rions un peu) le phallus et forgé l’androlecte.<br />
Le fonctionnem<strong>en</strong>t ess<strong>en</strong>tialiste de l’androlecte, la référ<strong>en</strong>ce obligée (et cep<strong>en</strong>dant occultée) au<br />
sexe anatomique, est une fraude commise par des êtres de langage, de culture. Or, pour rester dans<br />
un cadre de référ<strong>en</strong>ce archaïquem<strong>en</strong>t biologique, il pourrait être opposé aux phallogoc<strong>en</strong>tristes, à la<br />
lumière des connaissances sci<strong>en</strong>tifiques actuelles, que si l’on passe de l’hyper-visible anatomique à<br />
l’invisible génétique, « la formule chromosomique qui a la simplicité d’une formule mathématique,<br />
r<strong>en</strong>verse l’ordre du sci<strong>en</strong>tifique et du général. La formule chromosomique est la formule inverse des<br />
g<strong>en</strong>res » comme le dit plaisamm<strong>en</strong>t Priscille Touraille après lecture du Bréviaire. <strong>Pour</strong>quoi, <strong>en</strong> effet<br />
un Y prévaudrait-il sur les trois X communs aux animés ? Les implications logiques de la découverte<br />
des chromosomes sexuels n’ont pas été p<strong>en</strong>sées sur le plan symbolique. Et pour cause. Les<br />
vulgarisateurs sci<strong>en</strong>tifiques glos<strong>en</strong>t sur l’idée que les recherches <strong>en</strong> biologie ne doiv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> aucun cas<br />
faire p<strong>en</strong>ser que l’id<strong>en</strong>tité féminine (sic) se dilue (sic) dans l’id<strong>en</strong>tité humaine (sic) <strong>en</strong> général. Preuve,<br />
s’il <strong>en</strong> fallait une, que l’andros redoute de se voir arraché à cette id<strong>en</strong>tité humaine générale à laquelle<br />
il apparti<strong>en</strong>drait seul, tel l’anatife accroché à son rocher.<br />
<strong>Pour</strong> l’heure, sur la surface la plus vaste de la terre, une muette parle à un sourd.<br />
Il n’existe pas de contrat social <strong>en</strong>tre les dividues et les Diviseurs. En ce s<strong>en</strong>s qu’à la volonté<br />
politique des uns (dominants) ne répond pas la volonté politique des unes (dominées). Les dividues<br />
ne produis<strong>en</strong>t pas les conditions de leur propre exist<strong>en</strong>ce et, partant, ne se produis<strong>en</strong>t pas ellesmêmes.<br />
Les Diviseurs se sont constitués <strong>en</strong> socius <strong>en</strong> écartant les dividues de la société de droitet<br />
partant des fonctions langagières. Comme le souligne Lyotard et comme je l’ai illustré dans<br />
L’<strong>en</strong>contre, la thèse de la différ<strong>en</strong>ce’ ne dit-elle pas que « les êtres humains peuv<strong>en</strong>t être répartis <strong>en</strong><br />
deux catégories, selon qu’ils sont nantis d’un pénis ou non, et que seule la première apparti<strong>en</strong>t au<br />
Corpus Socians » ?<br />
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