Télécharger ce livre au format PDF - Index of

Spontanément, il avait commencé à se lever pour venir en aide à son père, mais il avait
suffi qu’elle lui effleure l’épaule en passant près de lui pour qu’il comprenne et se rasseye.
— Ne le soyez pas, car j’ai ainsi eu le plaisir de faire connaissance avec votre père.
Figurez-vous que nous avons découvert que nous étions à Djakarta à la même époque.
Nicole approcha le verre des lèvres de son père en le surveillant du coin de l’œil. Elle
l’inclina afin qu’il en prenne une gorgée, puis reposa le verre sur la tablette, s’appliquant à
avoir des gestes aussi naturels que possible afin de ne pas le mettre mal à l’aise.
— Nos occupations n’étaient pas tout à fait les mêmes, cependant, observa son père.
— En effet, acquiesça Sam Reston avec un grand sourire.
Nicole le fixa, médusée. C’était la première fois qu’elle le voyait sourire et elle dut faire
appel à tout son sang-froid de fille d’ambassadeur pour se retenir d’écarquiller les yeux. Sans
adoucir ses traits, le sourire de Sam Reston illuminait son visage, et le faisait paraître
presque… beau.
— Nos activités étaient moins respectables que les vôtres, monsieur, mais nous n’en
servions pas moins le même maître. Oncle Sam.
Seigneur, il n’aurait pas dû sourire ainsi ! songea Nicole. Elle s’était préparée à dîner avec
lui pour le remercier de l’avoir tirée d’un mauvais pas et parce qu’elle lui avait donné sa
parole.
Mais elle ne voulait pas ressentir d’attirance pour lui.
Elle ne voulait pas que ce dîner se transforme en un galant tête-à-tête. Si elle avait
longuement tergiversé avant de choisir sa robe, c’était uniquement parce que… parce qu’elle
cherchait toujours à faire bonne impression. C’était dans sa nature. Et si elle avait réagi
comme si elle avait reçu un coup de poing dans l’estomac en le voyant, c’était juste qu’elle
avait été surprise de le découvrir en tenue d’homme d’affaires.
Elle avait prévu de passer deux heures plutôt ennuyeuses en compagnie de Monsieur
Muscle. À subir avec stoïcisme le trajet en voiture jusqu’au restaurant, à grignoter
discrètement du pain blanc en l’écoutant parler de lui – si elle se fiait à son expérience en ce
domaine, les hommes ne parlaient jamais que de leur travail et des nouveaux gadgets qu’ils
venaient de s’offrir –, les dents serrées pour éviter de bâiller, à se laisser raccompagner chez
elle sur le coup de 22 heures, à le tenir à distance au moment de la séparation, et à pousser
un soupir de soulagement une fois qu’elle aurait refermé la porte derrière elle.
Cela lui était arrivé si souvent, elle connaissait le programme par cœur.
Passer la soirée avec un homme qui faisait sourire son père et la faisait chavirer quand il
s’avisait de sourire à son tour n’était absolument pas prévu dans ledit programme.
Elle n’avait pas le temps d’avoir un homme dans sa vie. Aucun. Son père était gravement
malade. Son état se détériorait de jour en jour, et elle devait se préparer à l’inéluctable.
S’appliquer à lui présenter un visage serein alors qu’elle le voyait mourir à petit feu
consumait le peu d’énergie qu’il lui restait après une journée de travail.
Sa vie entière tournait autour de la maladie de son père. Elle ne faisait que travailler,
s’efforçait de garder la tête hors de l’eau et d’adoucir autant que possible ses derniers jours.
Dans ces conditions, elle voyait mal comment elle aurait pu consacrer du temps à une
aventure.
Elle devait en informer Sam sans tarder. Le regard dont il l’avait gratifiée était celui d’un
homme qui se faisait déjà des illusions et elle devait les dissiper au plus tôt.
Sam se leva, se pencha pour serrer brièvement la main de Nicholas Pierce, et feignit de