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Lire le Prologue : Charlotte Mortimer PARTIE IV - Les Chroniques de ...

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<strong>Les</strong> <strong>Chroniques</strong> <strong>de</strong> Sorgentel<br />

__________<br />

Tome 2<br />

- Le Clan d'Azulnot -<br />

1


"Mon âme a plus <strong>de</strong> feu que vous n'avez <strong>de</strong> cendre!<br />

Mon coeur a plus d'amour que vous n'avez d'oubli!"<br />

Victor Hugo, "<strong>Les</strong> chants du crépuscu<strong>le</strong>", 1835<br />

2


Danse mon frère, rejoins ma gigue,<br />

Unis par ce lien nous serons désormais;<br />

Danse mon frère, toi qui soutiens la voûte,<br />

Car lorsque <strong>le</strong> ciel s'assombrira et que <strong>le</strong> temps ra<strong>le</strong>ntira,<br />

Seul prévaudra <strong>le</strong> souvenir <strong>de</strong> notre déréliction commune.<br />

Lorsque l'heure sera secon<strong>de</strong> et lorsque la secon<strong>de</strong> sera éternité ;<br />

Lorsque <strong>le</strong>s spectres du passé auront <strong>de</strong> nouveau siégé<br />

Sur <strong>le</strong> trône qui est <strong>le</strong>ur et chassé l'imposteur inopportun;<br />

Lorsque <strong>le</strong>s mon<strong>de</strong>s auront cessé <strong>de</strong> n'être qu'un,<br />

Alors… notre <strong>de</strong>stin n'aura plus d'emprise sur nous.<br />

3


<strong>Prologue</strong> : <strong>Charlotte</strong> <strong>Mortimer</strong><br />

Rési<strong>de</strong>nce médicalisée Sainte Claire, Paris 17 ème , Dimanche 20 Septembre<br />

1992<br />

"Est-ce que tu fais bien tes <strong>de</strong>voirs?<br />

-Oui…<br />

-Tu es bon en Histoire?<br />

-Oui, maman."<br />

El<strong>le</strong> émit un soupir soulagé et noua son interminab<strong>le</strong> chevelure noire<br />

d'un habi<strong>le</strong> mouvement du poignet.<br />

"C'est très bien mon fils. Tu dois être bon élève, surtout en Histoire! Que<br />

ferais-tu <strong>de</strong> tous ces objets que notre famil<strong>le</strong> a accumulés sans un<br />

minimum <strong>de</strong> culture?"<br />

Maman arrangea ses épais oreil<strong>le</strong>rs mauves afin <strong>de</strong> se redresser un<br />

peu, puis me <strong>de</strong>manda d'ouvrir la fenêtre <strong>de</strong> la chambre, d'un signe <strong>de</strong><br />

tête. Je me <strong>le</strong>vai <strong>de</strong> mon siège et m'exécutai. Le fait d'aérer la pièce me<br />

fit du bien. J'avais l'impression que l'air pollué <strong>de</strong> Paris se substituait, avec<br />

bienfaisance, aux effluves chimiques émanant <strong>de</strong> l'intérieur du bâtiment.<br />

Je m'appuyai quelques instants sur <strong>le</strong> rebord <strong>de</strong> la fenêtre pour observer<br />

ce qu'il se passait sur <strong>le</strong> parking, quelques étages plus bas.<br />

Quelques voitures rutilantes étaient garées ça et là, témoignant <strong>de</strong><br />

l'opu<strong>le</strong>nce <strong>de</strong>s famil<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s patients. Une dame aux formes généreuses et<br />

au maquillage excessif déambulait maladroitement sur ses talons hauts<br />

entre <strong>le</strong>s voitures, portant un panier <strong>de</strong> fruits juteux dans ses bras. Quel<br />

meil<strong>le</strong>ur moyen <strong>de</strong> se donner bonne conscience après avoir placé <strong>de</strong>s<br />

proches trop encombrants dans ce lieu stéri<strong>le</strong> ? Je l'observai un moment,<br />

espérant secrètement qu'el<strong>le</strong> se vautre avant <strong>de</strong> parvenir à la clinique.<br />

Peine perdue. Malgré sa démarche titubante, el<strong>le</strong> atteignit <strong>le</strong> bâtiment<br />

saine et sauve.<br />

"Que fais-tu à la fenêtre? Tu vas attraper froid, me dit maman d'un air<br />

excessivement inquiet.<br />

-Non, ne t'inquiète pas. Ca ira…<br />

-Où est ce pull que je t'ai acheté <strong>le</strong> mois <strong>de</strong>rnier? Tu <strong>de</strong>vrais <strong>le</strong> porter plus<br />

souvent, me gourmanda-t-el<strong>le</strong>."<br />

Comment lui expliquer sans trop la perturber qu'el<strong>le</strong> m'avait offert<br />

ce pull lorsque j'avais douze ans, donc presque une décennie plus tôt?<br />

Mieux valait continuer à jouer <strong>le</strong> jeu, pour ne pas la peiner. La <strong>de</strong>rnière<br />

fois que j'avais voulu faire preuve d'honnêteté, el<strong>le</strong> était restée prostrée<br />

dans son lit trois jours durant, refusant <strong>de</strong> manger ou <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r aux<br />

4


infirmières. Le sentiment <strong>de</strong> culpabilité qui m’avait étreint <strong>le</strong>s jours<br />

suivants avait été diffici<strong>le</strong> à dissiper.<br />

"Je <strong>le</strong> porterai la prochaine fois. Promis!"<br />

El<strong>le</strong> me fit un sourire entendu et se mit à chantonner un air en grec.<br />

A l'époque où el<strong>le</strong> était encore saine d'esprit, el<strong>le</strong> m'avait confié tenir cette<br />

comptine <strong>de</strong> sa mère : <strong>le</strong> récit d'un enfant roi tyrannique dont <strong>le</strong><br />

comportement immature l'avait mené à l'iso<strong>le</strong>ment. Tous ses sujets<br />

étaient exécutés <strong>le</strong>s uns après <strong>le</strong>s autres, dès qu'ils avaient <strong>le</strong> malheur <strong>de</strong><br />

contester ses décisions ou <strong>de</strong> <strong>le</strong> regar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> travers. Au bout <strong>de</strong> quelques<br />

années, l'enfant roi se retrouvait seul avec <strong>le</strong> bourreau, auquel il ordonnait<br />

<strong>de</strong> s'ôter la vie. El<strong>le</strong> m'avait appris cet air dès mon plus âge, afin <strong>de</strong> me<br />

rappe<strong>le</strong>r que mes bêtises seraient plus dommageab<strong>le</strong>s à ma propre<br />

personne qu'à mon entourage. L'entendre fredonner ceci à cet instant me<br />

sembla une torture impitoyab<strong>le</strong>. Je me sentais visé, bien que n’ayant, a<br />

priori, rien à me reprocher. Je me concentrai <strong>de</strong> nouveau sur <strong>le</strong> parking.<br />

C'est là que je la vis arriver : une jeune femme à la vingtaine toute<br />

fraîche et aux goûts vestimentaires discutab<strong>le</strong>s (jean troué trop grand,<br />

tee-shirt délavé et gi<strong>le</strong>t vio<strong>le</strong>t) venait <strong>de</strong> passer <strong>le</strong> portail <strong>de</strong>s visiteurs, un<br />

sac à dos kaki sur <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s. Ses longs cheveux blonds bouclés<br />

couvraient ses épau<strong>le</strong>s et atteignaient presque la ceinture rouge <strong>de</strong> son<br />

pantalon. Bien qu'éloignée du bâtiment, el<strong>le</strong> <strong>le</strong>va immédiatement <strong>le</strong>s yeux<br />

vers ma fenêtre, sourit et me fit un signe <strong>de</strong> main. Je lui rendis son<br />

sourire sans bouger un membre, pour ne pas a<strong>le</strong>rter ma mère qui chantait<br />

toujours <strong>de</strong>rrière moi, puis m'éloignai.<br />

"Maman, je vais faire un tour, déclarai-je."<br />

El<strong>le</strong> me dévisagea un instant <strong>de</strong> ses yeux b<strong>le</strong>us, l'air intrigué.<br />

Fina<strong>le</strong>ment el<strong>le</strong> baissa la tête sans poser <strong>de</strong> question et me tendit la tige<br />

d'une marguerite dont el<strong>le</strong> avait compulsivement retiré <strong>le</strong>s péta<strong>le</strong>s. Je<br />

l'acceptai <strong>de</strong> bonne grâce et lui promis <strong>de</strong> revenir rapi<strong>de</strong>ment, même s'il<br />

était diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> cacher mon empressement à quitter cette chambre<br />

austère. Ses murs vierges, son décor impersonnel, tout m'irritait là<strong>de</strong>dans.<br />

Si ça n'avait été pour el<strong>le</strong>, jamais je n'aurais pu me résoudre à<br />

m'y rendre toutes <strong>le</strong>s semaines.<br />

Le cœur léger, je sortis d'un pas rapi<strong>de</strong>, sinuai entre <strong>le</strong>s visiteurs et<br />

<strong>le</strong>s membres du personnel dans un couloir aux immon<strong>de</strong>s teintes rose<br />

saumon et m'infiltrai dans l'ascenseur, juste avant que ses portes ne se<br />

ferment.<br />

El<strong>le</strong> m'attendait en bas dans <strong>le</strong> hall d'accueil, attirant <strong>le</strong>s regards<br />

outrés <strong>de</strong>s gens avec son look <strong>de</strong> hippie échappée <strong>de</strong> Woodstock. Je<br />

trottai littéra<strong>le</strong>ment vers el<strong>le</strong> pour l'embrasser puis l'entraîner <strong>de</strong>hors,<br />

juste <strong>de</strong>vant l'entrée <strong>de</strong> la clinique. Là, sans lui lâcher la main, je me mis<br />

à fouil<strong>le</strong>r dans ma poche intérieure <strong>de</strong> veste pour y trouver mes<br />

cigarettes. El<strong>le</strong> me frappa instinctivement du poing sur la tempe, <strong>de</strong>vinant<br />

sans gran<strong>de</strong> difficulté mon intention.<br />

5


"Quoi?<br />

-Sam, tu ne comptes pas sérieusement perpétuer cette sa<strong>le</strong> habitu<strong>de</strong>? me<br />

reprocha-t-el<strong>le</strong>. Ca te mènera droit à la mort.<br />

-Je n'ai pas peur <strong>de</strong> la mort Frisette, répondis-je simp<strong>le</strong>ment."<br />

Malgré ma réponse audacieuse, je ne tentai pas <strong>de</strong> ressortir mes<br />

cigarettes, craignant <strong>de</strong> déc<strong>le</strong>ncher <strong>le</strong> courroux <strong>de</strong> Sonia.<br />

"Ne m'appel<strong>le</strong> pas comme ça. Il n'y a que cet odieux Dr Martin pour me<br />

taquiner ainsi, dit-el<strong>le</strong> en plissant <strong>le</strong>s yeux. Ce n'est pas <strong>de</strong> ma faute si je<br />

n'arrive toujours pas à dresser cette crinière."<br />

Je me contentai d'un soupir en guise <strong>de</strong> réponse.<br />

"Comment va <strong>Charlotte</strong> ? me <strong>de</strong>manda-t-el<strong>le</strong> enfin.<br />

-Pareil<strong>le</strong> à el<strong>le</strong>-même.<br />

-Ah…<br />

-J'ai vraiment l'impression qu'el<strong>le</strong> ne sera plus jamais saine d'esprit.<br />

-Sans vouloir enfoncer <strong>le</strong> couteau dans la plaie, <strong>le</strong>s mé<strong>de</strong>cins n'ont jamais<br />

vraiment été optimistes. Ils t'ont déconseillé <strong>de</strong> nourrir trop d'espoir à son<br />

sujet.<br />

-Oui, mais…"<br />

J'observai machina<strong>le</strong>ment la chevelure <strong>de</strong> Sonia pour y trouver la<br />

tresse enrubannée que je lui avais faite la <strong>de</strong>rnière fois que nous nous<br />

étions vus. Un ca<strong>de</strong>au <strong>de</strong> ma part pour qu'el<strong>le</strong> me gar<strong>de</strong> à ses côtés en<br />

tous temps. Pour m'assurer <strong>de</strong> sa loyauté aussi, <strong>de</strong> manière plus<br />

insidieuse. El<strong>le</strong> avait juré <strong>de</strong> ne plus jamais en<strong>le</strong>ver ce bout <strong>de</strong> tissu<br />

rouge.<br />

"Tu as peur <strong>de</strong> la laisser ici seu<strong>le</strong> pendant que nous serons à Sorgentel,<br />

n'est-ce pas? suggéra-t-el<strong>le</strong>.<br />

-Pas vraiment, répondis-je en jouant avec sa tresse du bout <strong>de</strong>s doigts.<br />

J'imagine qu'el<strong>le</strong> ne se rendra pas compte <strong>de</strong> mon absence. Après tout el<strong>le</strong><br />

croit dur comme fer que je suis encore un enfant alors que j'entre dans la<br />

vingtaine."<br />

Sonia soupira, l'air contrit.<br />

"Tu sais que si je pouvais utiliser mon don pour la soigner, je <strong>le</strong> ferais. Je<br />

te jure que je <strong>le</strong> ferais…<br />

-Mais ça ne marche pas comme ça. Tu ne peux pas soigner <strong>le</strong>s b<strong>le</strong>ssures<br />

<strong>de</strong> l'âme."<br />

El<strong>le</strong> baissa <strong>le</strong>s yeux.<br />

6


"Ne t'en fais pas. Je n'ai aucune raison <strong>de</strong> t'en vouloir, dis-je pour lui<br />

remonter <strong>le</strong> moral. De toute façon, je suis persuadé qu'el<strong>le</strong> re<strong>de</strong>viendra<br />

norma<strong>le</strong> un jour.<br />

-Persuadé?<br />

-Oui.<br />

-Samuel… Tu dis ça avec tant d'assurance que je serais bien tentée <strong>de</strong><br />

croire, admit-el<strong>le</strong>.<br />

-Ah bon? Je ne <strong>le</strong> réalisais pas, fis-je avec une pointe <strong>de</strong> sarcasme.<br />

-Pourtant tu agis toujours ainsi, dit-el<strong>le</strong> avec un sourire malicieux. Comme<br />

ces politiciens qui semb<strong>le</strong>nt convaincus <strong>de</strong> la véracité <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs propos alors<br />

qu’ils finissent presque tous par admettre que <strong>le</strong>urs objectifs <strong>de</strong><br />

campagnes étaient irréalisab<strong>le</strong>s!<br />

-Je suis un politicien maintenant?<br />

-Non idiot, tu vois bien ce que je veux dire! Je veux dire par là que tes<br />

gran<strong>de</strong>s déclarations pourraient bien te faire déchanter un jour… comme<br />

ces individus. Je ne voudrais pas te voir tomber <strong>de</strong> haut. Devenir un<br />

politicien…"<br />

El<strong>le</strong> s’imposa un long si<strong>le</strong>nce, comme pour me laisser <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> réagir.<br />

"Tu es aussi cynique que moi, lui lançai-je avec ironie. Me traiter <strong>de</strong><br />

politicien, franchement…"<br />

El<strong>le</strong> émit un gron<strong>de</strong>ment tout en plissant <strong>le</strong>s yeux <strong>de</strong> manière féline.<br />

Son sac usé me tomba dans <strong>le</strong>s bras sans que je puisse n’y mettre <strong>le</strong> holà<br />

et nous partîmes nous asseoir sur un banc, afin <strong>de</strong> continuer à discuter. A<br />

discuter <strong>de</strong> tout, sauf <strong>de</strong> GLOW, <strong>de</strong> Sorgentel et <strong>de</strong>s élus. J’espérais aussi<br />

bannir ma mère <strong>de</strong> la discussion mais Sonia semblait vouloir m’exposer<br />

ses vues sur la question. Je la laissai faire sans vraiment y prêter<br />

attention.<br />

"…d’ail<strong>le</strong>urs, quand ma mère a brusquement décidé <strong>de</strong> quitter la maison<br />

pour rejoindre son "véritab<strong>le</strong> amour", mon père m’a interdit <strong>de</strong> prononcer<br />

son nom <strong>de</strong>vant lui! Lorsque je lui ai <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong>s explications sur cette<br />

subite prohibition, il m’a raconté que ça la ferait peut-être revenir. Selon<br />

lui, il s’agissait d’une forme <strong>de</strong> sacrifice symbolique auquel nous <strong>de</strong>vions<br />

nous soumettre dans l’espoir <strong>de</strong> son retour. Il a même ajouté qu’il se<br />

joindrait à moi et qu’avec ce pacte renforcé, el<strong>le</strong> reviendrait pour sûr. Bien<br />

évi<strong>de</strong>mment, j’ai compris assez vite que cette histoire n’était qu’un<br />

mensonge <strong>de</strong>stiné à calmer la gamine émotive que j’étais! Tout ce qu’il<br />

voulait, c’était préserver son ego <strong>de</strong> macho méditerranéen en évitant<br />

qu’on repar<strong>le</strong> <strong>de</strong> son incapacité à gar<strong>de</strong>r sa femme auprès <strong>de</strong> lui."<br />

Je me tus, presque choqué par la dureté <strong>de</strong> ses paro<strong>le</strong>s.<br />

"Quoi qu’il en soit, el<strong>le</strong> a fini par revenir quelques mois plus tard. Certes,<br />

je pense qu'il ne s'agissait que d’une extraordinaire coïnci<strong>de</strong>nce (el<strong>le</strong> est<br />

7


epartie définitivement trois mois après) mais je n’ai pas pu m’empêcher<br />

<strong>de</strong> me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si <strong>le</strong> sacrifice symbolique y était pour quelque chose.<br />

-J’en doute sincèrement. Ca ne semb<strong>le</strong> pas très rationnel!<br />

-Je ne suis pas rationnel<strong>le</strong> du tout, tu <strong>de</strong>vrais <strong>le</strong> savoir! Je croyais encore<br />

aux vampires il y a cinq ans ! ajouta-t-el<strong>le</strong> en écarquillant <strong>le</strong>s yeux. Bref…<br />

Tu as peut-être besoin <strong>de</strong> t’accrocher à quelque chose <strong>de</strong> ce genre pour ta<br />

mère, à défaut <strong>de</strong> diagnostics positifs. Ce serait bon pour ton moral."<br />

Je soupirai, exaspéré.<br />

"Mon moral est au beau fixe, en gran<strong>de</strong> partie grâce à toi, assurai-je.<br />

Merci <strong>de</strong> t’en inquiéter, mais j’arriverai à gérer la maladie <strong>de</strong> ma mère."<br />

Je me <strong>le</strong>vai subitement. Sonia prit peur, pensant sans doute que<br />

j’étais irrité, mais je la rassurai avec un semblant <strong>de</strong> sourire.<br />

"On <strong>de</strong>vrait y al<strong>le</strong>r je crois. La réunion au QG a lieu dans une heure si je<br />

ne me trompe pas. Je vais dire au revoir à <strong>Charlotte</strong>.<br />

-Tu veux que je t’accompagne?"<br />

Il était hors <strong>de</strong> question qu’el<strong>le</strong> la rencontre. Cela aurait sou<strong>le</strong>vé<br />

bien trop <strong>de</strong> questions. Ma mère n'aurait pas compris la présence <strong>de</strong><br />

Sonia, ou ma relation avec el<strong>le</strong>.<br />

"Non, tu n’as qu’à m’attendre ici ou dans <strong>le</strong> hall. Je serai <strong>de</strong> retour dans<br />

une petite dizaine <strong>de</strong> minutes. Prends quelque chose à boire ou à manger,<br />

je paierai.<br />

-Entendu, acquiesça Sonia en hochant la tête. Je vais rester prendre l’air.<br />

-A tout <strong>de</strong> suite Frisette!"<br />

Je pris la fuite avant qu’el<strong>le</strong> n’ait <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> protester et retournai à<br />

l’intérieur <strong>de</strong> la rési<strong>de</strong>nce qui hébergeait ma mère, <strong>Charlotte</strong> <strong>Mortimer</strong>,<br />

née Caristanopoulos. Après avoir traversé <strong>le</strong> hall d’accueil où <strong>de</strong>s<br />

infirmières rondouillar<strong>de</strong>s discutaient près <strong>de</strong> la machine à café, je fis un<br />

détour <strong>de</strong> <strong>de</strong>rnière minute et me dirigeai vers <strong>le</strong>s toi<strong>le</strong>ttes pour hommes.<br />

J’avais l’étrange sensation que l’épi<strong>de</strong>rme <strong>de</strong> mon visage était<br />

soudainement entré en ébullition, comme si on y avait appliqué du sumac<br />

vénéneux. Une soudaine al<strong>le</strong>rgie? Non, je n’avais jamais manifesté la<br />

moindre al<strong>le</strong>rgie. Pourtant mes oreil<strong>le</strong>s aussi commençaient à me brû<strong>le</strong>r et<br />

mes yeux p<strong>le</strong>uraient, irrités.<br />

Je poussai la porte <strong>de</strong>s toi<strong>le</strong>ttes, vi<strong>de</strong>s, et me dirigeai vers <strong>le</strong> bloc <strong>de</strong><br />

lavabos afin <strong>de</strong> m’observer dans un large miroir terni. Mon ref<strong>le</strong>t <strong>de</strong> jeune<br />

adulte ayant grandi trop vite m’apparut. Mes traits étaient tirés. Mes<br />

cheveux noirs se faisaient <strong>de</strong> plus en plus longs et indisciplinés. Mes yeux<br />

vairons habituel<strong>le</strong>ment très clairs paraissaient délavés. C’était sans doute<br />

dû aux cernes profonds qui soulignaient mes yeux. Peu <strong>de</strong> sommeil, peu<br />

<strong>de</strong> répit, songeai-je. Là, pour couronner <strong>le</strong> tout, mon teint avait pris une<br />

inquiétante cou<strong>le</strong>ur rouge pomme.<br />

8


J’avançai mon visage du miroir pour mieux l’ausculter, ahuri. J’avais<br />

<strong>de</strong> plus en plus en chaud et mes oreil<strong>le</strong>s bourdonnaient comme <strong>de</strong>s<br />

ruches. Impossib<strong>le</strong> <strong>de</strong> comprendre ce qui avait pu me mettre dans cet<br />

état. Je n'avais rien bu ni mangé <strong>de</strong>puis <strong>le</strong> matin. J’ouvris <strong>le</strong> robinet d’eau<br />

froi<strong>de</strong> afin <strong>de</strong> m’asperger <strong>le</strong>s joues et me soulager.<br />

"Ne prends pas peur Samuel. Ton visage sera re<strong>de</strong>venu normal d’ici<br />

quelques minutes."<br />

Surpris, je sursautai. La voix masculine qui venait <strong>de</strong> m’interpel<strong>le</strong>r<br />

venait <strong>de</strong> nul<strong>le</strong> part. J’étais complètement seul dans <strong>le</strong>s toi<strong>le</strong>ttes.<br />

"Qui est là? <strong>de</strong>mandai-je."<br />

Pas <strong>de</strong> réponse. Dans <strong>le</strong> doute je procédai à une vérification<br />

minutieuse <strong>de</strong> chacune <strong>de</strong>s cabines, tout en commençant à douter <strong>de</strong> ma<br />

santé menta<strong>le</strong>. Aucune n’était occupée, à ma gran<strong>de</strong> stupéfaction.<br />

"Inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> me chercher Samuel, je ne suis pas ici, reprit la voix râpeuse<br />

alors que je m’apprêtais à abandonner.<br />

-Qui êtes-vous bon sang? Où êtes-vous?"<br />

La réponse me vint aussitôt à l’esprit alors que je scrutais vainement<br />

<strong>le</strong>s murs. Ca ne pouvait être qu’eux. Ils avaient bien déclaré qu’ils<br />

finiraient par reprendre contact avec moi dès que ce serait nécessaire.<br />

Mais pourquoi ici ?<br />

"Vous êtes <strong>de</strong> la Confrérie? <strong>de</strong>mandai-je à voix haute, scrutant <strong>le</strong> plafond<br />

du regard.<br />

-Es-tu seul ? <strong>de</strong>manda la voix en guise <strong>de</strong> réponse.<br />

-Oui."<br />

Une courte pause s'ensuivit.<br />

"Désolé d’avoir dû procé<strong>de</strong>r ainsi jeune homme. Il fallait que je t’attire<br />

dans un endroit isolé.<br />

-Mon visage… C’est vous qui avez fait ça? m’indignai-je. Comment a…"<br />

Je m’observai <strong>de</strong> nouveau dans <strong>le</strong> miroir. Déjà mes joues<br />

reprenaient une cou<strong>le</strong>ur à peu près norma<strong>le</strong>.<br />

"Pourquoi avoir attendu si longtemps pour me recontacter? fis-je d’une<br />

voix peu assurée.<br />

-Ton rô<strong>le</strong> ne commence que maintenant, répondit la voix d’un ton neutre.<br />

Il était inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> t’alarmer plus tôt. Inuti<strong>le</strong> et risqué, d’autant plus que tu<br />

es en permanence entouré par <strong>de</strong>s élus…"<br />

La voix fit une nouvel<strong>le</strong> pause.<br />

9


"…un peu comme cel<strong>le</strong> qui t’attend sur ce banc <strong>de</strong>hors, Sonia Donetti."<br />

Mon sang ne fit qu’un tour.<br />

"Si vous <strong>le</strong>s approchez, ma mère ou el<strong>le</strong>, je…<br />

-Tes menaces auraient bien plus d’impact si tu ne tremblais pas <strong>de</strong> peur<br />

Samuel, répliqua la voix avec un calme perturbant. N’oublie pas où est ta<br />

place."<br />

Je me tus, refroidi. La voix était miel<strong>le</strong>use mais étrangement<br />

effrayante. Son timbre avenant me faisait penser à celui d’un hypnotiseur<br />

essayant <strong>de</strong> me mettre en confiance.<br />

"Rends toi immédiatement <strong>de</strong>rrière la rési<strong>de</strong>nce, ordonna la voix sur un<br />

ton toujours aussi affab<strong>le</strong>. Nous t’attendons là-bas."<br />

Derrière l’hôpital? Un endroit désert et isolé? Autant se jeter dans la<br />

gueu<strong>le</strong> du loup, la gorge bien en évi<strong>de</strong>nce.<br />

"Pour y faire quoi? Qu’est-ce qui me dit que tout ceci n’est pas un piège?<br />

-Voyons, si nous avions voulu te tuer, nous en aurions eu dix fois<br />

l’occasion, railla la voix. Quand tu étais dans la chambre <strong>de</strong> ta mère, dans<br />

l’ascenseur, ou même sur ce banc avec ta petite amie l’élue! Viens à<br />

l’endroit indiqué. Il fait à peu près beau aujourd’hui.<br />

-Comment vais-je expliquer mon retard à Sonia? protestai-je.»<br />

Je n’eus pas <strong>de</strong> réponse. Mon interlocuteur semblait avoir cessé<br />

d’habiter <strong>le</strong>s murs <strong>de</strong>s toi<strong>le</strong>ttes <strong>de</strong> la rési<strong>de</strong>nce. Secoué par ce bref<br />

dialogue, je m’appuyai sur <strong>le</strong> rebord du lavabo en respirant profondément.<br />

Mon visage était re<strong>de</strong>venu normal mais mes membres s’étaient mis à<br />

tremb<strong>le</strong>r. Je fus forcé <strong>de</strong> me coincer <strong>le</strong>s mains entre <strong>le</strong>s jambes pour <strong>le</strong>s<br />

empêcher d’échapper à mon contrô<strong>le</strong>. J’avais alors tout <strong>de</strong> l’enfant <strong>de</strong><br />

douze ans pour <strong>le</strong>quel me prenait ma mère. Un enfant apeuré et<br />

tremblant.<br />

"Un traître…, murmurai-je soudain."<br />

La vague d’allégresse qu’avait occasionnée la venue <strong>de</strong> Sonia me<br />

quitta aussitôt et j’eus <strong>le</strong> sentiment <strong>de</strong> quitter mon corps. Je me<br />

visualisais déjà <strong>de</strong>rrière la rési<strong>de</strong>nce, en train d’écouter ce que la Confrérie<br />

attendait <strong>de</strong> moi. Tout <strong>le</strong> reste se troubla dans mon esprit : Sonia, mes<br />

amis, GLOW, ma mère <strong>Charlotte</strong>, la disparition <strong>de</strong> mon père, mes étu<strong>de</strong>s,<br />

mes rêves incompréhensib<strong>le</strong>s sur <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> Sorgentel que je ne pouvais<br />

pas encore connaître. Tout ceci me sembla soudain extrêmement loin,<br />

déréalisé, imaginaire. Il paraissait impossib<strong>le</strong> que <strong>le</strong> Samuel <strong>Mortimer</strong> qui<br />

vivait cette vie et qui était lié à ces personnes puisse être <strong>le</strong> même que<br />

celui qui s’apprêtait à al<strong>le</strong>r discuter avec la Confrérie.<br />

1


Après avoir avalé une gorgée d’eau froi<strong>de</strong> au robinet, je sortis <strong>de</strong>s<br />

toi<strong>le</strong>ttes d’un pas rapi<strong>de</strong> et me retrouvai <strong>de</strong> nouveau dans <strong>le</strong> hall d’accueil.<br />

Je <strong>de</strong>vais me rendre à l’arrière du bâtiment sans que Sonia ne me voie<br />

passer. Il serait impossib<strong>le</strong> <strong>de</strong> lui expliquer mon trajet autrement. El<strong>le</strong><br />

poserait <strong>de</strong>s questions, comme d’habitu<strong>de</strong>. Sonia… Que penserait-el<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

tout ça si el<strong>le</strong> l’apprenait autrement que par moi?<br />

Je lui expliquerais tout en temps voulu, lorsque mes objectifs<br />

seraient atteints. El<strong>le</strong> comprendrait. <strong>Les</strong> autres élus aussi. Après tout<br />

c’était dans <strong>le</strong>ur intérêt aussi.<br />

Vérifiant que personne ne m’observait, je fis quelques pas vers <strong>le</strong><br />

grand ficus en pot qui occupait l’un <strong>de</strong>s ang<strong>le</strong>s du hall et me faufilai<br />

<strong>de</strong>rrière. Là, non sans une certaine culpabilité, j’invoquai mon don. Ma vue<br />

se voila un très bref instant, tandis que <strong>le</strong>s poils <strong>de</strong> mes bras se<br />

hérissaient, frôlés par une vague <strong>de</strong> froid.<br />

"On dirait que la climatisation fait <strong>de</strong>s siennes, fit remarquer une hôtesse<br />

d’accueil à ses collègues, <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s se frictionnèrent énergiquement <strong>le</strong>s<br />

épau<strong>le</strong>s en riant."<br />

Invisib<strong>le</strong> à <strong>le</strong>urs yeux, je traversai une énième fois <strong>le</strong> hall en faisant<br />

en sorte <strong>de</strong> ne pas toucher la moindre personne. Je savais par expérience<br />

que je <strong>de</strong>vais être particulièrement pru<strong>de</strong>nt lorsque j’utilisais cet aspect <strong>de</strong><br />

mon don dans <strong>de</strong>s lieux bondés. Je parvins rapi<strong>de</strong>ment aux portes <strong>de</strong> la<br />

rési<strong>de</strong>nce, puis au parking. Là je m’arrêtai un instant pour chercher Sonia<br />

du regard. El<strong>le</strong> n’avait pas quitté son banc. Son sac était posé sur ses<br />

genoux et el<strong>le</strong> lisait un épais roman en écoutant <strong>de</strong> la musique dans <strong>le</strong>s<br />

écouteurs <strong>de</strong> son walkman. Je la quittai <strong>de</strong>s yeux, <strong>le</strong> vague à l’âme, et fis<br />

<strong>le</strong> tour du bâtiment. Un petit sentier dallé sinuait sur la pelouse<br />

abondante. Près <strong>de</strong> la faça<strong>de</strong> latéra<strong>le</strong>, il n’y avait personne, hormis un<br />

jardinier en train <strong>de</strong> tail<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s haies. Rien <strong>de</strong> bien inquiétant. A la vitesse à<br />

laquel<strong>le</strong> il opérait, il n’atteindrait pas l’arrière <strong>de</strong> la rési<strong>de</strong>nce avant un bon<br />

moment.<br />

A gran<strong>de</strong>s enjambées, je franchis, en tremblant, la distance qui me<br />

séparait <strong>de</strong> la faça<strong>de</strong> arrière. Ma chair <strong>de</strong> pou<strong>le</strong> n’avait rien à voir avec <strong>le</strong><br />

petit vent frais qui soufflait sur <strong>le</strong> quartier. Mon appréhension augmentait<br />

à chaque pas que j’effectuais.<br />

Lorsque je fus arrivé au point <strong>de</strong> ren<strong>de</strong>z-vous, je crus d’abord qu’il<br />

n’y avait personne. L’endroit était un large espace <strong>de</strong> verdure délimité par<br />

une haute palissa<strong>de</strong> en bois verni. Deux chaises <strong>de</strong> jardin sa<strong>le</strong>s et<br />

mouillées étaient pliées au sol, visib<strong>le</strong>ment inusitées <strong>de</strong>puis longtemps. Au<br />

fond du jardin se dressait une cabane usée, à la porte entrouverte. Je<br />

<strong>de</strong>vinai que c’est <strong>de</strong> là que <strong>le</strong> jardinier venait <strong>de</strong> sortir son matériel.<br />

"J’ai cru que tu avais retourné ta veste, me fit une voix désormais<br />

familière."<br />

Je me retournai en sursautant. Mon interlocuteur du mur <strong>de</strong>s<br />

toi<strong>le</strong>ttes se trouvait juste <strong>de</strong>rrière moi, adossé à la faça<strong>de</strong> <strong>de</strong> la rési<strong>de</strong>nce.<br />

1


Grand, mince, <strong>le</strong> visage fin et altier. Ses cheveux châtain gominés et sa<br />

petite moustache bien définie lui donnaient l’allure d’un nob<strong>le</strong>, d’autant<br />

plus qu’il était drapé dans une longue cape noire. Il me dardait <strong>de</strong> ses<br />

yeux argentés, comme si mon personnage l’intriguait au plus haut point.<br />

Après m’avoir examiné, il m’accorda un sourire qui me parut hypocrite.<br />

"Nous ne nous sommes jamais rencontrés il me semb<strong>le</strong>, déclara-t-il en<br />

opinant <strong>de</strong> la tête. Je me nomme Marshal, Marshal Shaet.<br />

-Pourquoi n’est-ce pas la femme <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière fois qui vient à ma<br />

rencontre? <strong>de</strong>mandai-je sans égards.<br />

-Tu par<strong>le</strong>s sans doute <strong>de</strong> Munin. On m’a effectivement expliqué que c’est<br />

el<strong>le</strong> qui est entrée en contact avec toi. Sache qu’el<strong>le</strong> est actuel<strong>le</strong>ment<br />

indisponib<strong>le</strong>.<br />

-El<strong>le</strong> m’avait assuré qu’el<strong>le</strong> ferait office d’intermédiaire, répliquai-je."<br />

Marshal se caressa <strong>le</strong> menton.<br />

"Tu ne manques pas d’éloquence mon cher Samuel…<br />

-Je n’aime pas qu’on se moque <strong>de</strong> moi, surtout quand je mets ma vie en<br />

jeu.<br />

-Ressentiment ô combien compréhensib<strong>le</strong>, admit Marshal. Si cela peut te<br />

rassurer, Munin n’est pas venue uniquement car sa médiation n’avait plus<br />

lieu d’être. Notre <strong>le</strong>a<strong>de</strong>r souhaite te voir en personne."<br />

Mon cœur fit un bond mais je tentai <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r mon impassibilité,<br />

afin <strong>de</strong> ne pas laisser penser à Marshal que j’étais effrayé. Rencontrer <strong>le</strong><br />

dirigeant <strong>de</strong> la Confrérie en personne? Bien qu’avec <strong>le</strong> recul cela n’ait pas<br />

semblé inattendu, je ne m’étais pas du tout préparé à cette éventualité.<br />

Ceci me paraissait être une étape <strong>de</strong> plus, une étape <strong>de</strong> trop, dans mon<br />

implication. Le point <strong>de</strong> non-retour.<br />

"Ne prends pas peur, il s’agit d’un homme sage et ouvert d’esprit, dit<br />

Marshal comme s’il avait <strong>de</strong>viné <strong>le</strong> fin fond <strong>de</strong> ma pensée. Son seul<br />

souhait est <strong>de</strong> mieux te connaître.<br />

-Quand veut-il me rencontrer ? <strong>de</strong>mandai-je, pas rassuré pour un sou.<br />

-Maintenant.<br />

-…"<br />

" BOUM "<br />

En une fraction <strong>de</strong> secon<strong>de</strong>, je me retrouvai dans une pièce<br />

inconnue, <strong>le</strong> souff<strong>le</strong> court et <strong>le</strong>s sens altérés. Mes genoux avaient<br />

vio<strong>le</strong>mment heurté un sol froid, occasionnant une dou<strong>le</strong>ur lancinante dans<br />

mes jambes. Je serrai <strong>le</strong>s <strong>de</strong>nts pour retenir un gémissement. Mes mains<br />

trouvèrent <strong>le</strong> sol et je restai à quatre pattes, <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> régu<strong>le</strong>r mon<br />

souff<strong>le</strong> et <strong>de</strong> reprendre mes esprits.<br />

"Qu’est-ce que vous m’avez fait…, sifflai-je entre mes <strong>de</strong>nts."<br />

1


Ma vue, troub<strong>le</strong> jusque là, s’éclaircit progressivement. Le sol blanc<br />

carrelé qui s’offrait à mes yeux était immaculé, presque plus propre que la<br />

clinique que je venais <strong>de</strong> quitter. Je <strong>de</strong>vinai que j’avais été transporté<br />

ail<strong>le</strong>urs, contre mon gré.<br />

"Bonjour à toi Samuel…"<br />

Une nouvel<strong>le</strong> voix masculine, différente <strong>de</strong> cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Marshal. Bien<br />

moins sophistiquée mais plus audib<strong>le</strong>. Je pris une longue inspiration et<br />

m’appuyai sur mes mains pour me redresser. J’étais dans une pièce assez<br />

étroite mais très haute, dont <strong>le</strong>s murs, aussi blancs que <strong>le</strong> sol, étaient<br />

recouverts d’étagères <strong>de</strong> livres. Une bibliothèque. L’endroit était sombre,<br />

tout juste distinguab<strong>le</strong> grâce à la lumière qui émanait d’un œil-<strong>de</strong>-bœuf.<br />

Un homme <strong>de</strong> tail<strong>le</strong> mo<strong>de</strong>ste était au sommet d’un escabeau en train <strong>de</strong><br />

chercher un ouvrage parmi <strong>le</strong>s rayonnages. Il était <strong>de</strong> dos et s’affairait<br />

sans m’accor<strong>de</strong>r <strong>le</strong> moindre regard. Seu<strong>le</strong> sa couronne <strong>de</strong> cheveux blancs<br />

disparates était visib<strong>le</strong>.<br />

"Aaaah…, soupira-t-il en se grattant la calvitie."<br />

Il mit ses mains sur ses hanches, visib<strong>le</strong>ment perp<strong>le</strong>xe. Malgré mon<br />

malaise, je ne pus m’empêcher <strong>de</strong> me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r pourquoi quelqu’un<br />

rangerait une bibliothèque vêtu d’un comp<strong>le</strong>t veston rouge. S’agissait-il du<br />

fameux <strong>le</strong>a<strong>de</strong>r qui avait <strong>de</strong>mandé à <strong>le</strong> rencontrer ?<br />

"Tu sais, être maniaque est une plaie lorsque l’on aime accumu<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s<br />

bel<strong>le</strong>s choses, déclara l’homme sans se retourner. J’ai décidé <strong>de</strong> classer<br />

tous mes romans par ordre alphabétique, mais je viens <strong>de</strong> réaliser que je<br />

n’arrive pas à retenir <strong>le</strong> nom <strong>de</strong>s auteurs <strong>de</strong> la moitié <strong>de</strong>s livres que je lis.<br />

<strong>Les</strong> titres ne me posent pas <strong>de</strong> problèmes, mais <strong>le</strong>s auteurs me créent<br />

bien du souci."<br />

Il se gratta <strong>de</strong> nouveau la tête.<br />

"Ceci peut prendre une tournure fâcheuse! Si je suis tenté <strong>de</strong> lire Le Chien<br />

<strong>de</strong>s Baskervil<strong>le</strong> mais que j’omets <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> Conan Doy<strong>le</strong>, je suis<br />

condamné à ne pas pouvoir retrouver mon roman… à moins <strong>de</strong> passer<br />

tous ces rayonnages au peigne fin bien sûr! De sorte que <strong>le</strong> classement<br />

que je viens <strong>de</strong> mettre en place durant <strong>de</strong>s heures voit son intérêt<br />

anéanti. Je ne peux pas me permettre <strong>de</strong> perdre <strong>de</strong>s heures à trouver un<br />

livre."<br />

Sans plus <strong>de</strong> cérémonial, il commença à déloger <strong>le</strong>s livres <strong>de</strong>s<br />

étagères, <strong>de</strong>ux par <strong>de</strong>ux. Je ne dis pas un mot, perturbé par son<br />

comportement. Pourquoi n’allait-il pas droit au but ?<br />

1


"Pourquoi ne vous montrez vous pas ? <strong>de</strong>mandai-je fina<strong>le</strong>ment, après que<br />

l’homme ait vidé toute une étagère."<br />

Il continua son ouvrage pendant une poignée <strong>de</strong> secon<strong>de</strong>s, avant <strong>de</strong><br />

consentir à me répondre. Il fut bref :<br />

"Tout simp<strong>le</strong>ment car je ne sais pas encore si je peux te faire confiance<br />

Samuel. Il s’agit là <strong>de</strong> notre première rencontre, n’est-ce pas?<br />

-C’est pourtant vous qui avez voulu que je participe à vos projets, en<br />

m’assurant que je pourrais contribuer à sauver l’Humanité du<br />

déséquilibre. Votre subordonné vient <strong>de</strong> me propulser hors du jardin <strong>de</strong> la<br />

clinique pour m’amener ici, sur votre <strong>de</strong>man<strong>de</strong> et sans me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r mon<br />

avis. Si vous n’avez rien à me dire et que vous préférez ranger vos livres,<br />

je préfèrerais rentrer avant que l’on ne remarque mon absence."<br />

L’homme laissa échapper un rire amusé.<br />

"Tu peux m’appe<strong>le</strong>r Primo, déclara-t-il sans se soucier <strong>de</strong> ma <strong>de</strong>rnière<br />

phrase."<br />

Et il continua son œuvre <strong>de</strong> rangement, réorganisant sa bibliothèque<br />

sous mes yeux comme si <strong>de</strong> rien n’était. Etrangement, je ne trouvai pas à<br />

y redire, incapab<strong>le</strong> <strong>de</strong> m’exprimer <strong>de</strong> nouveau à voix haute. Le<br />

comportement <strong>de</strong> Primo créait un attrait curieux. J’avais envie d’en savoir<br />

plus sur cet individu qui dirigeait la Confrérie et prétendait avoir <strong>de</strong>s<br />

objectifs compatib<strong>le</strong>s avec ceux <strong>de</strong> GLOW. Un tel homme avait-il vraiment<br />

<strong>le</strong> temps <strong>de</strong> trier ses romans alors qu’au même instant, <strong>le</strong>s élus<br />

préparaient énergiquement <strong>le</strong>ur départ pour GLOW, après avoir recherché<br />

<strong>le</strong>s éléments-clés pendant <strong>de</strong>s mois?<br />

Je regardai instinctivement ma montre. J’avais quitté Sonia un peu<br />

moins <strong>de</strong> dix minutes plus tôt. Bientôt el<strong>le</strong> se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rait où j’étais passé<br />

et, au pire, se rendrait dans la chambre <strong>de</strong> ma mère pour vérifier que je<br />

n’y étais pas. Ce serait <strong>le</strong> début <strong>de</strong> mes problèmes.<br />

"As-tu déjà constaté <strong>de</strong>s comportements étranges chez ta propre<br />

personne ? me <strong>de</strong>manda soudain Primo."<br />

J’écarquillai <strong>le</strong>s yeux, pris au dépourvu. Après cet intermè<strong>de</strong><br />

littéraire, il s’était décidé à al<strong>le</strong>r droit au but.<br />

"Je me dois <strong>de</strong> préciser ma question, fit-il, toujours sans me regar<strong>de</strong>r. Je<br />

sais déjà que tu as pu manifester <strong>de</strong>s comportements étranges, mais<br />

j’aimerais précisément que tu me donnes <strong>de</strong>s exemp<strong>le</strong>s."<br />

Je n’eus pas besoin <strong>de</strong> réfléchir longtemps pour savoir ce qu’il<br />

attendait <strong>de</strong> moi en posant cette question. Je répondis sans réserve.<br />

1


"Il y a plusieurs choses… Des rêves sur <strong>de</strong>s lieux que je n’ai jamais visités,<br />

<strong>de</strong>s absences à répétition, <strong>de</strong>s fatigues subites…"<br />

Je réfléchis pour mobiliser mes pensées.<br />

"Parfois mon don se bloque sans raison, ajoutai-je. Et puis…"<br />

J’hésitai. Primo s’immobilisa, comme pour me faire signe <strong>de</strong><br />

continuer, m’indiquer qu'il m'écouterait, quoi que je dise.<br />

"C’est un peu plus insidieux, mais <strong>de</strong>puis quelques temps j’ai <strong>le</strong> sentiment<br />

que quelqu’un manque à mon existence.<br />

-C’est-à-dire?<br />

-Et bien… ça va vous paraître ridicu<strong>le</strong>…<br />

-Nul<strong>le</strong>ment!<br />

-… j’ai l’impression… <strong>de</strong> rechercher quelqu’un, inconsciemment. Ca n’a<br />

sans doute aucun rapport mais…"<br />

Je me ravisai, réalisant que ce problème était plus psychologique<br />

que surnaturel. Etant enfant unique je m’étais toujours senti seul et avais<br />

du mal à me faire <strong>de</strong>s amis. Ma mère m'avait toujours surprotégé. C’était<br />

sans doute la raison pour laquel<strong>le</strong> je m’étais senti aussi exalté quelques<br />

jours plus tôt, lorsque j’avais rencontré un coup<strong>le</strong> patientant dans une<br />

sal<strong>le</strong> d’attente d’hôpital avec son enfant d’une dizaine d’années. La mère<br />

<strong>de</strong> l’enfant, une dame assez amène, m’avait expliqué qu’ils étaient venus<br />

voir <strong>le</strong> grand-père paternel, hospitalisé pour un tibia fracturé ("Une<br />

stupi<strong>de</strong> chute en rol<strong>le</strong>r… Quel<strong>le</strong> idée à son âge, avait déploré la dame").<br />

J’avais profité <strong>de</strong> ce moment pour jouer un peu avec <strong>le</strong> gamin : un garçon<br />

calme, un peu ahuri mais plutôt attachant.<br />

Alors que d’autres enfants accaparaient <strong>le</strong>s jouets <strong>de</strong> la sal<strong>le</strong><br />

d’attente, lui s’était saisi d’un programme télé et avait entrepris <strong>de</strong> <strong>le</strong> lire<br />

page après page, effectuant parfois <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ssins en bas <strong>de</strong> page. Lorsque<br />

je lui avais fina<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>mandé pourquoi il préférait affub<strong>le</strong>r Jean-Pierre<br />

Foucault d’une moustache plutôt que <strong>de</strong> jouer avec <strong>le</strong>s autres enfants, il<br />

m’avait simp<strong>le</strong>ment répondu que <strong>le</strong>s autres avaient l’air <strong>de</strong> <strong>de</strong>meurés et<br />

qu’il préférait ne pas prendre <strong>le</strong> risque d'être contaminé. J’en avais conclu<br />

qu’avoir un petit frère aurait été agréab<strong>le</strong> et avais souvent repensé à cet<br />

instant par la suite, bien que je n'aie pas revu <strong>le</strong> garçon et ses parents.<br />

"Rien à part ce que je viens <strong>de</strong> vous expliquer, déclarai-je fina<strong>le</strong>ment à<br />

Primo, tout en essayant <strong>de</strong> réprimer mes tremb<strong>le</strong>ments.<br />

-Entendu, merci <strong>de</strong> ta réponse franche, fit Primo en <strong>de</strong>scendant <strong>de</strong> son<br />

escabeau."<br />

Je ne voulais pas me révé<strong>le</strong>r entièrement à Primo. Même si nous<br />

étions amenés à collaborer, même si je trahissais la confiance <strong>de</strong> Mme<br />

Jones pour ai<strong>de</strong>r la Confrérie à assurer l’équilibre, je refusais <strong>de</strong> me livrer<br />

corps et âme.<br />

1


Dans un bruit assourdissant, Primo posa une pi<strong>le</strong> <strong>de</strong> livres sur<br />

l’unique tab<strong>le</strong> <strong>de</strong> la pièce puis m’observa. Du moins c’est ce que j’imaginai<br />

vu l’obscurité <strong>de</strong> la pièce. Je ne distinguais que sa silhouette et certains<br />

traits <strong>de</strong> son visage mais sa simp<strong>le</strong> présence m’indisposa, bien plus encore<br />

que cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Marshal. J’avais beau tenter <strong>de</strong> me braquer, je sentais qu’il<br />

tentait <strong>de</strong> me percer à jour.<br />

"Comment se porte ta mère Samuel? me <strong>de</strong>manda-t-il soudain. Après<br />

tout, c’est en partie à cause d’el<strong>le</strong> que tu as accepté <strong>de</strong> nous rencontrer,<br />

n’est-ce pas ?"<br />

1


Chapitre 1 : La course aux créatures<br />

"Ho, réveil<strong>le</strong>-toi, souffla une voix à l'oreil<strong>le</strong> <strong>de</strong> Sonia."<br />

L'esprit encore embrumé par son rêve, Sonia mit du temps à<br />

percevoir la voix qui appelait son nom. Reconnaissant son propre<br />

ronf<strong>le</strong>ment, el<strong>le</strong> plaqua prestement sa main sur ses lèvres, par réf<strong>le</strong>xe.<br />

El<strong>le</strong> ouvrit <strong>le</strong>s yeux et redressa la tête, pour constater avec horreur qu'el<strong>le</strong><br />

avait dormi sur l'épau<strong>le</strong> <strong>de</strong> son voisin <strong>de</strong> droite, un grand échalas brun à<br />

l'expression fière et assurée. Celui-ci émit un sourire victorieux et se<br />

gratta l'arête du nez.<br />

"Sonia… Dois-je prendre <strong>le</strong> fait que tu m'aies bavé <strong>de</strong>ssus comme <strong>le</strong> signe<br />

que tu consens enfin à sortir avec moi?<br />

-Anthony…<br />

-C'est un peu gluant comme manifestation d'affection, mais…<br />

-Anthony…<br />

-Je t'aurais bien laissé dormir un peu plus longtemps sur mon épau<strong>le</strong><br />

mais…<br />

-ANT!<br />

-Hum, quoi?"<br />

Sonia saisit vio<strong>le</strong>mment l'Etemenanki d'Anthony Nichols pour<br />

l'obliger à baisser la tête. Ils se retrouvèrent nez à nez.<br />

"Sonia… ça fait mal, gémit Anthony."<br />

El<strong>le</strong> tira davantage sur l'Etemenanki d'Anthony pour <strong>le</strong> tenir en<br />

respect, continuant à <strong>le</strong> foudroyer du regard. Son collègue <strong>de</strong>vint blême.<br />

"Ne réduis pas à néant <strong>le</strong> peu d'estime que j'ai pour toi, chuchota-t-el<strong>le</strong> en<br />

fronçant <strong>le</strong>s sourcils. Tu es un instructeur, comme moi. Vu la situation<br />

nous allons être forcés <strong>de</strong> collaborer ensemb<strong>le</strong> durant <strong>le</strong>s semaines à<br />

venir. Toutefois, si tu persistes à faire ce genre <strong>de</strong> remarques, je<br />

n'hésiterai pas à te jeter dans <strong>le</strong> premier ravin que nous croiserons. Mes<br />

élus sont suffisamment doci<strong>le</strong>s pour confirmer ma version <strong>de</strong>s faits et<br />

déclarer que tu es tombé par acci<strong>de</strong>nt.<br />

-Tu n'oserais pas, dis…<br />

-Suis-je suffisamment claire? fit Sonia en tirant bruta<strong>le</strong>ment sur<br />

l'Etemenanki d'Anthony.<br />

-Oui, parfaitement, souffla-t-il."<br />

Sonia relâcha son emprise, au grand soulagement d'Anthony. Celuici<br />

éloigna sa chaise d'une dizaine <strong>de</strong> centimètres et se massa la nuque en<br />

gémissant. El<strong>le</strong> esquissa alors un sourire à son attention.<br />

"Ne crois pas que je ne t'apprécie pas, dit-el<strong>le</strong>.<br />

1


-Permets moi d'en douter, méchante Frisette, grogna Anthony avec une<br />

expression d'enfant battu."<br />

Il ajusta <strong>le</strong> col <strong>de</strong> sa chemise pour se donner une contenance et<br />

consulta <strong>le</strong> dossier qui était posé juste <strong>de</strong>vant lui. Sonia en profita pour<br />

faire <strong>le</strong> tour <strong>de</strong> la tab<strong>le</strong>, du regard. Cela faisait longtemps qu'autant <strong>de</strong><br />

hauts protagonistes <strong>de</strong> GLOW n'avaient pas été rassemblés dans <strong>le</strong> "Salon<br />

Gaetan", la gran<strong>de</strong> sal<strong>le</strong> <strong>de</strong> réunion du quartier général <strong>de</strong> Londres. Cette<br />

gran<strong>de</strong> pièce ova<strong>le</strong>, aux murs beiges vivement éclairés par <strong>de</strong>s spots,<br />

abritait une large tab<strong>le</strong> triangulaire autour <strong>de</strong> laquel<strong>le</strong> étaient disposés<br />

plusieurs sièges au cuir confortab<strong>le</strong>. Personne n'y avait <strong>de</strong> place<br />

prédominante, Osman-Wallace ayant détesté la simp<strong>le</strong> idée qu'une<br />

réunion puisse être chapeautée par une personne mieux campée que <strong>le</strong>s<br />

autres.<br />

Plusieurs écrans étaient incrustés dans la surface boisée <strong>de</strong> la tab<strong>le</strong>,<br />

en face <strong>de</strong>s sièges, afin <strong>de</strong> permettre aux participants <strong>de</strong> consulter <strong>le</strong>s<br />

informations qui <strong>le</strong>ur étaient fournies en temps réel. En outre, un grand<br />

écran à cristaux liqui<strong>de</strong>s émergeait à volonté du plafond <strong>de</strong> la sal<strong>le</strong> afin<br />

d'organiser <strong>de</strong>s visioconférences. En somme, <strong>le</strong> Salon Gaetan disposait <strong>de</strong><br />

toutes <strong>le</strong>s facilités nécessaires aux activités <strong>de</strong> la section londonienne <strong>de</strong><br />

GLOW. La seu<strong>le</strong> lacune <strong>de</strong> la pièce était son absence <strong>de</strong> fenêtre.<br />

En face <strong>de</strong> Sonia, Ella Jones, la dirigeante <strong>de</strong> la section parisienne,<br />

affichait un regard sévère. Cette femme afro-américaine aux cheveux<br />

poivre et sel était généra<strong>le</strong>ment considérée comme agréab<strong>le</strong> mais<br />

intransigeante, surtout à l'égard <strong>de</strong> Sonia qu'el<strong>le</strong> connaissait <strong>de</strong>puis plus<br />

d'une décennie. L'instructrice baissa <strong>le</strong>s yeux, honteuse. Nul doute que sa<br />

sieste inopinée n'avait pas échappé au regard <strong>de</strong> lynx d'Ella. El<strong>le</strong> ne re<strong>le</strong>va<br />

pas la tête jusqu'à ce qu'el<strong>le</strong> fût certaine que l'attention d'Ella était<br />

détournée.<br />

"Ha ha ha! Je n'arrive pas à croire que tu te sois encore pris la porte dans<br />

la face, ricana Anthony en s'adressant à sa voisine <strong>de</strong> droite. Ma pauvre<br />

Jen, tu es irrattrapab<strong>le</strong>."<br />

Sonia continua à observer <strong>le</strong>s occupants <strong>de</strong> la tab<strong>le</strong>. Après tout la<br />

réunion n'avait pas encore débuté et <strong>le</strong> grand manitou ne s'était pas<br />

présenté à eux. La jeune femme qu'Anthony venait ainsi d'apostropher se<br />

nommait Jennifer Mallory, "Jen" pour <strong>le</strong>s amis, la secrétaire administrative<br />

<strong>de</strong>s lieux. Une sorte d'équiva<strong>le</strong>nt britannique <strong>de</strong> Norah, comme aimait à <strong>le</strong><br />

penser Sonia. Cette femme aux cheveux blonds toujours noués était très<br />

gentil<strong>le</strong>, voire trop. Par-<strong>de</strong>ssus tout, el<strong>le</strong> était d'une maladresse<br />

légendaire. Tous <strong>le</strong>s pieds <strong>de</strong> tab<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s coins <strong>de</strong> meub<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s câb<strong>le</strong>s<br />

é<strong>le</strong>ctriques et assimilés semblaient n'avoir vécu que pour assurer sa perte.<br />

De ce fait, Jen arrivait souvent au QG avec <strong>de</strong>s hématomes, <strong>de</strong>s<br />

égratignures ou <strong>de</strong>s pansements. Malgré cela, son visage restait<br />

perpétuel<strong>le</strong>ment souriant et el<strong>le</strong> se rendait toujours disponib<strong>le</strong> pour ses<br />

collègues <strong>de</strong> travail. Ils <strong>le</strong> lui rendaient bien, écartant toujours <strong>de</strong> son<br />

chemin <strong>le</strong> moindre objet qui risquerait <strong>de</strong> la mener à l'hôpital. Seul <strong>le</strong><br />

1


"Démon Anthony", réputé pour son f<strong>le</strong>gme, s'évertuait à lui compliquer la<br />

tâche en laissant un désordre pharaonique <strong>de</strong>rrière lui.<br />

Heureusement, l'antithèse d'Anthony (qui, paradoxa<strong>le</strong>ment, s'avérait<br />

être son meil<strong>le</strong>ur ami) était lui aussi présent dans <strong>le</strong>s locaux <strong>de</strong> la section<br />

londonienne afin <strong>de</strong> tempérer <strong>le</strong> vent <strong>de</strong> perversité et d'oisiveté qu'avait<br />

créé l'instructeur. Bennett Stumpton, un homme posé et cultivé.<br />

Britannique d'origine caribéenne, il jouait un rô<strong>le</strong> important dans GLOW,<br />

en tant que "Coordinateur/Informateur" (un statut que peu <strong>de</strong> gens<br />

comprenaient). Métisse aux yeux b<strong>le</strong>us très clairs et aux cheveux<br />

dissimulés par un béret, Bennett était généra<strong>le</strong>ment habillé <strong>de</strong> manière<br />

très classieuse et n'ouvrait la bouche que pour dire <strong>de</strong>s choses sensées,<br />

contrairement à Anthony. Il avait <strong>de</strong>s contacts haut placés dans <strong>le</strong> mon<strong>de</strong><br />

entier. Un réseau très étendu, voire tentaculaire, qui lui permettait <strong>de</strong><br />

disposer assez rapi<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> données vita<strong>le</strong>s à GLOW. Rien ne lui<br />

échappait, pas même <strong>le</strong> moindre chuchotement émis dans un couloir <strong>de</strong><br />

gouvernement ou dans une sal<strong>le</strong> <strong>de</strong> casino.<br />

En raison <strong>de</strong> cette omniscience, <strong>de</strong>s rumeurs étranges circulaient sur<br />

son compte, certaines évoquant notamment une ancienne vie d'escroc <strong>de</strong><br />

luxe. Bennett se contentait d'éclater d'un rire cristallin lorsqu'on lui<br />

soumettait cette idée et sirotait son grand mug <strong>de</strong> café, ce qui ne<br />

rassurait pas du tout ses collègues.<br />

Anthony Nichols, lui, n'en avait cure. Insubordonné, retardataire,<br />

inso<strong>le</strong>nt, américain qui plus est (ce qui, dans un groupe composé<br />

essentiel<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> ressortissants <strong>de</strong> la vieil<strong>le</strong> Europe, passait souvent<br />

pour une tare), il manquait trop <strong>de</strong> discipline pour se permettre <strong>de</strong> juger<br />

qui que ce soit. Pour agrémenter sa réputation déjà ternie, Anthony faisait<br />

oeuvre <strong>de</strong> perversité, était un buveur invétéré et répondait presque<br />

toujours par "Ouais". En somme, il était connu pour son manque <strong>de</strong><br />

mora<strong>le</strong> et beaucoup <strong>de</strong> membres <strong>de</strong> GLOW ne comprenaient pas qu'il eût<br />

pu être nommé instructeur. Comme <strong>le</strong> répondait Sonia lorsqu'on lui posait<br />

la question "Il faut connaître <strong>le</strong>s circonstances <strong>de</strong> sa venue pour<br />

comprendre ce qui fait <strong>de</strong> lui un bon instructeur".<br />

A eux trois, Anthony, Jennifer et Bennett formaient la Sainte Trinité<br />

<strong>de</strong> la section londonienne, <strong>le</strong>s piliers porteurs du QG. "<strong>Les</strong> piliers <strong>de</strong> bar"<br />

précisaient souvent <strong>le</strong>urs autres collègues pour <strong>le</strong>s rail<strong>le</strong>r et évoquer <strong>le</strong>ur<br />

présence récurrente dans <strong>le</strong> pub du quartier. En effet, malgré <strong>le</strong>urs<br />

différences, <strong>le</strong>s trois collaborateurs étaient inséparab<strong>le</strong>s et travaillaient<br />

toujours <strong>de</strong> concert, même en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong>s locaux <strong>de</strong> GLOW. Pour cette<br />

raison, Sonia ne fut pas étonnée <strong>de</strong> <strong>le</strong>s voir assis ensemb<strong>le</strong> à la tab<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

réunion.<br />

"Le grand patron se fait attendre, fit remarquer Bennett en observant sa<br />

montre en or. Ce n'est pas son genre.<br />

-Il ne <strong>de</strong>vrait plus tar<strong>de</strong>r, dit Ella. Soyons patients."<br />

Impatient, Anthony faisait nerveusement tourner son in<strong>de</strong>x dans son<br />

oreil<strong>le</strong> droite. Excepté <strong>le</strong> grand dirigeant, tous étaient là : la dirigeante <strong>de</strong><br />

la section parisienne, <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux instructeurs, <strong>le</strong> coordinateur/informateur, la<br />

1


secrétaire administrative et cinq représentants détachés par <strong>le</strong>s Nations<br />

Unies. Ces <strong>de</strong>rniers jetaient <strong>de</strong>s regards réguliers vers l'horloge suspendue<br />

à l'un <strong>de</strong>s murs. 8h11. La réunion avait déjà plusieurs minutes <strong>de</strong> retard.<br />

Sonia commença à se ronger <strong>le</strong>s ong<strong>le</strong>s. Se réveil<strong>le</strong>r si tôt un dimanche<br />

avait été une torture, el<strong>le</strong> espérait que son sacrifice n'avait pas été vain.<br />

Soudain, alors qu'une nouvel<strong>le</strong> poignée <strong>de</strong> minutes s'était écoulée,<br />

la porte du Salon Gaetan s'ouvrit enfin. Cependant, à la surprise <strong>de</strong> tous,<br />

ce n'est pas <strong>le</strong> dirigeant qui fit son entrée. Une ado<strong>le</strong>scente passa <strong>le</strong> seuil<br />

<strong>de</strong> la porte d'un pas assuré, contourna la tab<strong>le</strong> <strong>de</strong> réunion sans dire un<br />

mot, puis se posta sous l'écran à cristaux liqui<strong>de</strong>s qui sortait du plafond.<br />

Sonia ouvrit la bouche, stupéfaite. <strong>Les</strong> regards torves <strong>de</strong> ses collègues et<br />

<strong>de</strong> Mme Jones exprimaient la même surprise qu'el<strong>le</strong>. D'où sortait cette fil<strong>le</strong><br />

même pas majeure qui s'introduisait dans la sal<strong>le</strong> sans saluer qui que ce<br />

soit? De longs cheveux noirs rai<strong>de</strong>s aux ref<strong>le</strong>ts b<strong>le</strong>us, un front large, <strong>de</strong>s<br />

yeux marrons sans expression et un uniforme d'éco<strong>le</strong> britannique.<br />

L'arrivante avait seize ou dix-sept ans tout au plus. El<strong>le</strong> jeta un regard<br />

circulaire à l'assemblée.<br />

"Inès, que fais-tu ici? l'interrogea Ella en se <strong>le</strong>vant <strong>de</strong> son siège. Tu n'es<br />

pas censée t'éloigner du dirigeant.<br />

-Inès? répéta Sonia."<br />

L'ado<strong>le</strong>scente nommée Inès opina <strong>de</strong> la tête comme pour prendre<br />

acte <strong>de</strong> la question d'Ella Jones, puis prit la paro<strong>le</strong> d'une voix monocor<strong>de</strong> :<br />

"Enzo n'est pas en mesure <strong>de</strong> vous rejoindre pour la réunion, commençat-el<strong>le</strong><br />

à expliquer.<br />

-Pour quel<strong>le</strong> raison? s'indigna Anthony en écarquillant <strong>le</strong>s yeux. On s'est<br />

tous <strong>le</strong>vés aux aurores sur sa <strong>de</strong>man<strong>de</strong> alors qu'on ne dort presque pas<br />

<strong>de</strong>puis une semaine.<br />

-Je ne peux pas vous l'expliquer à sa place, déclara Inès. Vous <strong>de</strong>vez juste<br />

savoir qu'il n'est pas en mesure <strong>de</strong> se déplacer jusqu'ici."<br />

Ella Jones plissa <strong>le</strong>s yeux comme si el<strong>le</strong> comprenait soudain quelque<br />

chose. El<strong>le</strong> continua à observer la jeune Inès se diriger vers <strong>le</strong> fond <strong>de</strong> la<br />

sal<strong>le</strong> et mettre en marche <strong>le</strong> système <strong>de</strong> visioconférence. Le grand écran<br />

s'alluma alors mais resta étrangement noir. Sonia échangeait <strong>de</strong>s regards<br />

perp<strong>le</strong>xes avec Bennett et Jennifer.<br />

"Le dispositif est prêt, dit fina<strong>le</strong>ment Inès à voix haute."<br />

Tous <strong>le</strong>s regards convergèrent vers l'écran, toujours aussi noir. Des<br />

grésil<strong>le</strong>ments se firent entendre, comme si un interlocuteur inconnu<br />

trifouillait dans <strong>le</strong>s câb<strong>le</strong>s du système.<br />

"Est-ce qu'il va nous par<strong>le</strong>r grâce à la visioconférence? <strong>de</strong>manda Sonia."<br />

2


Inès hocha la tête. Malgré tout, l'écran <strong>de</strong>meurait obstinément noir.<br />

Après une longue minute <strong>de</strong> bourdonnement, une voix quelque peu<br />

brouillée se fit enfin entendre :<br />

"Désolé, je crois que je n'arrive pas à rég<strong>le</strong>r la visioconférence tout seul.<br />

Nous allons <strong>de</strong>voir nous contenter du son. Bonjour tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>… Désolé<br />

<strong>de</strong> mon absence.<br />

-Enzo, que se passe-t-il? fit Ella, passab<strong>le</strong>ment troublée.<br />

-J'expliquerai tout ceci plus tard, ce n'est rien d'important. Est-ce que tout<br />

<strong>le</strong> mon<strong>de</strong> est présent? Je ne peux pas vous voir."<br />

Tous répondirent à voix haute, déclamant <strong>le</strong>ur nom à voix haute<br />

pour montrer <strong>le</strong>ur présence. Une légère quinte <strong>de</strong> toux <strong>le</strong>ur fit réponse.<br />

"Très bien, passons au vif du sujet, dit la voix d'Enzo. Je suppose que<br />

vous avez tous pris connaissance <strong>de</strong>s dossiers qui vous ont été distribués<br />

avant <strong>le</strong> début <strong>de</strong> la réunion."<br />

Sonia ouvrit <strong>le</strong> sien en jetant un œil à Inès. L'ado<strong>le</strong>scente se tenait<br />

dans un coin <strong>de</strong> la sal<strong>le</strong>, si<strong>le</strong>ncieuse. Un Etemenanki était suspendu à son<br />

cou, à l'instar <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s participants <strong>de</strong> la réunion.<br />

"Je vais vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong> nous fournir un bref résumé <strong>de</strong>s évènements,<br />

afin que tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> soit au parfum, dit Enzo. Ma<strong>de</strong>moisel<strong>le</strong> Donetti, je<br />

compte sur vous pour confirmer ou compléter <strong>le</strong>s informations qui seront<br />

présentées par vos collaborateurs.<br />

-Oui, fit Sonia."<br />

Bennett se <strong>le</strong>va, un dossier dans <strong>le</strong>s mains. Il était vêtu d'un jean<br />

délavé et d'un polo <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> marque. Une boutique ambulante, songea<br />

Sonia.<br />

"Bon… par où commencer? fit Bennett en feuil<strong>le</strong>tant rapi<strong>de</strong>ment son<br />

dossier. Pour ceux qui sont al<strong>le</strong>rgiques aux ca<strong>le</strong>ndriers, je rappel<strong>le</strong> que<br />

nous sommes <strong>le</strong> 7 Mars 2004 et que <strong>le</strong>s élus encadrés par Sonia sont<br />

revenus <strong>de</strong> Sorgentel il y a trois mois, à la pério<strong>de</strong> <strong>de</strong>s fêtes. Leur mission<br />

a cependant été compromise en raison <strong>de</strong> l'intervention <strong>de</strong> la Confrérie,<br />

une organisation secrète aux buts toujours obscurs, composée à la fois <strong>de</strong><br />

Sorgenteli et d'élus, selon nos informations. Cette organisation a<br />

assassiné onze <strong>de</strong>s quinze Anciens, <strong>le</strong>s dirigeants politiques <strong>de</strong> Sorgentel,<br />

piégé <strong>le</strong>s élus au Cénac<strong>le</strong> et attaqué la cité du Havre en y lâchant <strong>de</strong>s<br />

créatures… démoniaques. Plus important, el<strong>le</strong> a subtilisé l'orbe du Cénac<strong>le</strong><br />

et ainsi trouvé un moyen d'empêcher <strong>le</strong> dérou<strong>le</strong>ment normal <strong>de</strong> la<br />

Concrétisation. De ce fait… euh, l'équilibre a été rompu et <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

créatures qui <strong>le</strong> composaient ont été libérées sur Terre. Il s'agit <strong>de</strong> Fenrir<br />

et Altaïr. Pour résumer, Fenrir est l'avatar du mal et Altaïr celui du bien.<br />

<strong>Les</strong> membres survivants du Cénac<strong>le</strong> ont expliqué aux élus que <strong>le</strong>s<br />

évènements qui ont perturbé la société humaine il y a une dizaine<br />

2


d'années lors <strong>de</strong> la rupture <strong>de</strong> l'équilibre allaient se reproduire <strong>de</strong> nouveau<br />

si Fenrir et Altaïr n'étaient pas rapi<strong>de</strong>ment rapatriés à Sorgentel.<br />

Toutefois, il était jusqu'à présent impossib<strong>le</strong> <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r à <strong>le</strong>ur recherche,<br />

du fait <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur… hibernation si j'ai bien compris. Nos activités sont donc en<br />

hiatus <strong>de</strong>puis la disparition <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux créatures."<br />

Sonia avait hoché la tête tout au long <strong>de</strong> cette explication quelque<br />

peu chaotique. Bennett s'en excusa.<br />

"Il n'est pas faci<strong>le</strong> <strong>de</strong> résumer ce genre d'évènements hors du commun,<br />

surtout lorsqu'on n'y a pas assisté, dit-il d'un air gêné. Bref…<br />

-Qu'en est-il <strong>de</strong>s effets sur la société humaine? <strong>de</strong>manda Enzo.<br />

-On commence à répertorier <strong>de</strong>s comportements suspects dans plusieurs<br />

points du globe, répondit Bennett. Jen!<br />

-Euh… oui, fit Jennifer en se <strong>le</strong>vant précipitamment. Multiplications <strong>de</strong>s<br />

foyers <strong>de</strong> guerre civi<strong>le</strong> dans la zone ouest africaine, augmentation du<br />

nombre <strong>de</strong> partis politiques mineurs dans <strong>le</strong>s démocraties <strong>de</strong> certains pays<br />

d'Europe <strong>de</strong> l'Est, suici<strong>de</strong>s récurrents chez bonzes d'Asie du Sud,<br />

augmentation bruta<strong>le</strong> du nombre d'acci<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> la route dus à l'ébriété<br />

dans l'Etat du Texas, tentative <strong>de</strong>… bizutage sur <strong>le</strong>s professeurs d'une<br />

université belge… La liste continue.<br />

-Je crois que ça suffira, intervint Ella en agitant un exemplaire du<br />

Washington Post. Il suffit <strong>de</strong> lire la presse pour voir que <strong>le</strong>s choses ne<br />

tournent pas rond. Le commun <strong>de</strong> mortel ne peut sans doute pas faire <strong>le</strong><br />

lien entre ces différents évènements, mais nous si. Cela ne peut signifier<br />

qu'une chose : Fenrir et Altaïr sont en train <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur sommeil.<br />

-<strong>Les</strong> effets sont encore relativement localisés, fit remarquer Bennett. On<br />

peut penser que <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux créatures ne sont pas complètement réveillées,<br />

sinon nous assisterions à <strong>de</strong>s inci<strong>de</strong>nts bien plus globaux.<br />

-Inuti<strong>le</strong> d'attendre que <strong>le</strong>s effets <strong>de</strong> l'influence <strong>de</strong>s créatures se répan<strong>de</strong>nt,<br />

il faut déc<strong>le</strong>ncher <strong>le</strong> dispositif dès maintenant, déclara Ella d'une voix<br />

ferme.<br />

-Je suis d'accord sur ce point, dit la voix d'Enzo. Le temps est venu <strong>de</strong><br />

mobiliser <strong>le</strong>s élus."<br />

L'un <strong>de</strong>s représentants <strong>de</strong>s Nations Unies, un homme chétif au crâne<br />

dégarni, se manifesta, faisant jouer sa bouteil<strong>le</strong> d'eau entre ses mains.<br />

"Excusez-moi d'intervenir, mais quelque chose ne me semb<strong>le</strong> pas clair, à<br />

la fois dans <strong>le</strong> dossier et dans vos explications : quel<strong>le</strong> est la nature <strong>de</strong><br />

cette Confrérie qui s'évertue à nous mettre <strong>de</strong>s bâtons dans <strong>le</strong>s roues?<br />

N'est-el<strong>le</strong> pas localisée dans un Etat donné, afin que nous puissions<br />

entreprendre <strong>de</strong>s mesures à son égard?<br />

-Nous n'avons jamais réussi à localiser <strong>le</strong>s membres <strong>de</strong> la Confrérie,<br />

expliqua Sonia en croisant <strong>le</strong>s bras. Ils sont invisib<strong>le</strong>s et discrets. D'eux,<br />

nous ne connaissons que <strong>le</strong>s visages et <strong>le</strong>s noms. Et encore, rien ne nous<br />

prouve que <strong>le</strong>s membres que nous avons rencontrés sont <strong>le</strong>s seuls. Ils<br />

pourraient aussi bien être dix que mil<strong>le</strong>!<br />

2


-Leur i<strong>de</strong>ntité ne donne rien dans <strong>le</strong>s bases <strong>de</strong> données d'Interpol?<br />

<strong>de</strong>manda <strong>le</strong> représentant d'un air atterré.<br />

-Non, fit Sonia en haussant <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s. Pour autant qu'on <strong>le</strong> sache, ils<br />

pourraient tous venir <strong>de</strong> Sorgentel, à part Nils Duquette.<br />

-L'élu qu'ils ont capturé il y a plus d'un an en <strong>le</strong> faisant passer pour mort,<br />

c'est bien ça? intervint Jennifer.<br />

-Oui, tout laisse penser qu'il a été victime d'un lavage <strong>de</strong> cerveau après sa<br />

disparition. Son comportement était loin d'être cohérent lors <strong>de</strong> notre<br />

brève rencontre, dit Sonia.<br />

-Avez-vous <strong>de</strong>s raisons <strong>de</strong> penser que d'autres élus puissent nous avoir<br />

trahi, à part ce fameux Samuel <strong>Mortimer</strong> et Nils Duquette? interrogea <strong>le</strong><br />

représentant"<br />

Sonia serra <strong>le</strong>s <strong>de</strong>nts.<br />

"Je pense qu'il est malvenu <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> traîtrise concernant Nils ou <strong>de</strong><br />

l'assimi<strong>le</strong>r à Samuel <strong>Mortimer</strong>, répliqua-t-el<strong>le</strong>. Nous sommes certains qu'il<br />

a rejoint la Confrérie contre son gré et qu'il n'est pas en possession <strong>de</strong><br />

toutes ses facultés menta<strong>le</strong>s. Nous <strong>le</strong> considérons plus comme une victime<br />

que comme un allié <strong>de</strong> la Confrérie. Quant à votre question, nous ne<br />

sommes actuel<strong>le</strong>ment pas en mesure <strong>de</strong> déterminer si la Confrérie a rallié<br />

d'autres élus à sa cause.<br />

-En parlant <strong>de</strong> ça, avons-nous <strong>de</strong>s informations concrètes sur Samuel<br />

<strong>Mortimer</strong> <strong>de</strong>puis son incursion à Sorgentel? fit Enzo.<br />

-Pas la moindre, dit Ella. Samuel a… disparu sans laisser <strong>de</strong> trace. La<br />

boutique qu'il tenait ne recélait pas <strong>le</strong> moindre élément tendant à prouver<br />

qu'il était membre <strong>de</strong> la Confrérie. Il semb<strong>le</strong> avoir été très bon pour<br />

séparer sa vie quotidienne <strong>de</strong> ses activités au sein <strong>de</strong> la Confrérie. <strong>Les</strong><br />

<strong>de</strong>ux n'ont jamais dû se mê<strong>le</strong>r.<br />

-Etait-il propriétaire <strong>de</strong> cette boutique? <strong>de</strong>manda Jennifer d'un air intrigué.<br />

-Oui, mais cela ne nous a pas apporté <strong>le</strong> moindre indice, soupira Ella. La<br />

propriété <strong>de</strong> la boutique lui a été transmise après la disparition du seul<br />

membre connu <strong>de</strong> sa famil<strong>le</strong>, <strong>Charlotte</strong> <strong>Mortimer</strong>, sa mère. El<strong>le</strong> est morte<br />

en mai 1993, dans la rési<strong>de</strong>nce privée Sainte Claire, après avoir été<br />

victime d'un Alzheimer précoce. A cette époque Samuel avait déjà quitté<br />

nos rangs pour rejoindre ceux <strong>de</strong> la Confrérie. On peut penser que la<br />

pauvre femme n'a pas supporté <strong>de</strong> ne plus avoir <strong>de</strong> visites <strong>de</strong> son seul<br />

proche.<br />

-Aucune adresse connue pour <strong>Mortimer</strong>?<br />

-Aucune, à part cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> la boutique. Léga<strong>le</strong>ment il en est toujours<br />

propriétaire. <strong>Les</strong> lieux sont étroitement surveillés mais je doute qu'il soit<br />

assez stupi<strong>de</strong> pour s'y présenter <strong>de</strong> nouveau.<br />

-Est-ce à dire que nous n'avons rien du tout sur la Confrérie? râla l'une<br />

<strong>de</strong>s fonctionnaires <strong>de</strong>s Nations Unies.<br />

-Et bien, pas tout à fait… Il y a une raison spécifique pour laquel<strong>le</strong> je vous<br />

ai tous convoqués aussi tôt, annonça la voix d'Enzo. Inès, montre <strong>le</strong>ur ce<br />

que tu sais."<br />

2


La jeune fil<strong>le</strong> brune sortit du Salon Gaetan sans dire mot, sous <strong>le</strong>s<br />

regards intrigués <strong>de</strong> tous. Sonia se jura alors <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à Ella qui était<br />

cette gamine venue <strong>de</strong> nul<strong>le</strong> part. GLOW n'avait pas pour habitu<strong>de</strong><br />

d'engager <strong>de</strong>s collaborateurs aussi jeunes, si l'on exceptait <strong>le</strong> cas <strong>de</strong>s élus.<br />

"Comment va Jamie? souffla Bennett à Sonia, profitant <strong>de</strong> cette accalmie.<br />

-Ton petit protégé se porte comme un charme, chuchota Sonia sans<br />

quitter l'écran du regard. Il s'est enfin trouvé un ami qui arrive à <strong>le</strong><br />

supporter sur la durée. Je suis la première étonnée.<br />

-Il est <strong>de</strong> la vieil<strong>le</strong> éco<strong>le</strong>, répliqua Bennett. Pour lui, l'amitié n'a aucun<br />

rapport avec cette conception tronquée qu'ont <strong>le</strong>s jeunes d'aujourd'hui. Je<br />

suis content qu'il ait trouvé quelqu'un qui soit un peu comme lui.<br />

-Moi aussi.<br />

-Et concernant sa relation avec Sally?<br />

-Euh… et bien… comment te dire…"<br />

Un bref signal sonore interrompit <strong>le</strong>ur conversation. Inès était<br />

revenue dans la sal<strong>le</strong> <strong>de</strong> réunion et <strong>le</strong> grand écran <strong>le</strong>ur présentait<br />

désormais <strong>le</strong> visage d'un homme âgé aux lunettes ron<strong>de</strong>s et aux cheveux<br />

blancs. Il affichait un sourire presque apaisant.<br />

"Qui est ce type? s'étonna Anthony."<br />

Sonia fronça <strong>le</strong>s sourcils. <strong>Les</strong> traits <strong>de</strong> l'inconnu lui étaient<br />

étrangement familiers, même si el<strong>le</strong> était certaine <strong>de</strong> ne pas l'avoir<br />

rencontré en personne. La vidéo, figée jusque là, se déc<strong>le</strong>ncha :<br />

"Bonjour, ou bonsoir à vous amis <strong>de</strong> GLOW, selon l'heure d'arrivée <strong>de</strong><br />

cette vidéo, déclara l'homme. Je me présente : mon nom est Primo. Vous<br />

ne <strong>le</strong> savez sans doute pas, mais je suis <strong>le</strong> <strong>le</strong>a<strong>de</strong>r <strong>de</strong> ce que vous<br />

connaissez sous <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> Confrérie."<br />

Tous tressaillirent autour <strong>de</strong> la tab<strong>le</strong>, interdits. Ella Jones se mit<br />

<strong>de</strong>bout, plaquant instinctivement sa main sur son cœur. Le <strong>le</strong>a<strong>de</strong>r <strong>de</strong> la<br />

Confrérie se dévoilait à <strong>le</strong>urs yeux, sans cérémonie.<br />

"D'où vient cette vidéo, aboya Anthony.<br />

-Le dirigeant a reçu un DVD hier en fin d'après midi, dans son courrier,<br />

expliqua Inès. Il lui était personnel<strong>le</strong>ment adressé.<br />

-Primo, son nom est Primo, nota Jennifer, dans tous ses états."<br />

El<strong>le</strong> pianota frénétiquement sur <strong>le</strong> clavier qui était posé <strong>de</strong>vant el<strong>le</strong><br />

et une imprimante située au milieu <strong>de</strong> la tab<strong>le</strong> sortit une capture d'écran<br />

représentant <strong>le</strong> visage <strong>de</strong> l'homme. Primo était sereinement assis dans un<br />

fauteuil en osier, jambes croisées, mains posées sur <strong>le</strong>s bras du siège. Il<br />

était vêtu d'un costume b<strong>le</strong>u impeccab<strong>le</strong>, avec <strong>de</strong>s boutons en or. Un mur<br />

blanc vierge faisait office <strong>de</strong> toi<strong>le</strong> <strong>de</strong> fond.<br />

2


"J'imagine aisément votre réaction, reprit Primo après un si<strong>le</strong>nce. Pourquoi<br />

se présente-t-il ainsi? Pourquoi prendre contact? Pouvons nous utiliser<br />

cette vidéo pour obtenir <strong>de</strong>s informations sur lui ou la Confrérie? Je vous<br />

invite à ne pas vous torturer inuti<strong>le</strong>ment l'esprit avec ce genre<br />

d'interrogations et à vous concentrer sur ce qui va suivre."<br />

Un si<strong>le</strong>nce religieux était tombé sur <strong>le</strong> Salon Gaetan. Sonia se<br />

mordait <strong>le</strong>s lèvres jusqu'au sang.<br />

"Je déclare ouverte la course aux créatures. Désormais, nous ne ferons<br />

plus <strong>de</strong> quartiers. Contrairement au passé, chaque rencontre entre nos<br />

<strong>de</strong>ux camps pourra signifier la mort d'un individu. D'ail<strong>le</strong>urs la Ligue est<br />

mobilisée et a pour instruction <strong>de</strong> ne plus tenter <strong>de</strong> préserver <strong>le</strong>s élus…"<br />

Primo retira ses lunettes et ferma <strong>le</strong>s yeux, comme s'il réfléchissait.<br />

Il se massa <strong>le</strong> front <strong>de</strong> la main droite.<br />

"Vous comprenez ce que cela emporte comme conséquence, Enzo, Ella.<br />

Vous serez personnel<strong>le</strong>ment responsab<strong>le</strong>s en cas <strong>de</strong> décès <strong>de</strong> l'un <strong>de</strong> vos<br />

protégés. A partir du moment où cette vidéo a été communiquée, envoyer<br />

un élu à la recherche <strong>de</strong> Fenrir ou d'Altaïr équivaut à signer son arrêt <strong>de</strong><br />

mort."<br />

Il remit ses lunettes en métal rouge sur l'arête <strong>de</strong> son nez.<br />

"Considérez ceci comme un avertissement amical. Tant que vous ne vous<br />

mettez pas en travers <strong>de</strong> notre chemin, nous ne vous verrons pas comme<br />

<strong>de</strong>s ennemis. Après tout… nous tentons tous <strong>de</strong> révolutionner <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> à<br />

notre manière!"<br />

La vidéo s'interrompit aussitôt et l'écran re<strong>de</strong>vint noir. Sonia, après<br />

avoir examiné fixement ses doigts, observa ses collaborateurs. <strong>Les</strong> paro<strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong> Primo semblaient avoir eu <strong>le</strong> même effet sur eux que sur el<strong>le</strong>.<br />

Désormais, la Confrérie s'en prendrait directement aux élus si el<strong>le</strong> <strong>le</strong>s<br />

trouvait sur son chemin. Y avait-il vraiment une différence avec son<br />

comportement antérieur? Rick avait été forcé d'éliminer Omero pour<br />

protéger Shui-Khan. Kaznaël avait dû éliminer Mach pour sauver Arthur,<br />

Sally et Jamie. Arthur avait affronté Samuel et avait manqué d'y perdre la<br />

vie. I<strong>de</strong>m pour Jamie qui avait échappé à la mort que lui promettaient <strong>le</strong>s<br />

carreaux mortels <strong>de</strong> Maggie. Xenia avait subi <strong>le</strong> maléfice <strong>de</strong> Marshal et<br />

perdu <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> d'el<strong>le</strong>-même, au risque d'en mourir éga<strong>le</strong>ment. Tous <strong>le</strong>s<br />

élus avaient risqué <strong>le</strong>urs vies pour débarrasser Havre <strong>de</strong>s Adrame<strong>le</strong>ch.<br />

Non, il n'y aurait pas vraiment <strong>de</strong> différence, songea-t-el<strong>le</strong>. La hache <strong>de</strong><br />

guerre avait été déterrée bien avant cette vidéo.<br />

"Tissu <strong>de</strong> conneries, lança Anthony en fronçant <strong>le</strong>s sourcils. Si un <strong>de</strong> mes<br />

élus tombe sur un membre <strong>de</strong> la Confrérie, il lui mettra une raclée<br />

légendaire. La Ligue retournera chez ce Primo la queue entre <strong>le</strong>s jambes.<br />

2


-Je souhaite que tu aies raison Anthony, fit Ella, quelque peu éprouvée. Si<br />

ce Primo en arrive à nous expédier <strong>de</strong> tel<strong>le</strong>s menaces à visage découvert,<br />

c'est que la Confrérie n'a plus peur <strong>de</strong> rien.<br />

-El<strong>le</strong> n'a surtout plus peur <strong>de</strong> GLOW, reprit Enzo dont on n'avait plus<br />

entendu la voix <strong>de</strong>puis <strong>le</strong> début <strong>de</strong> la vidéo. On ne peut pas lui en vouloir,<br />

après l'échec cuisant <strong>de</strong>s élus.<br />

-Ha! J'aimerais bien vous y voir, murmura Sonia, juste assez fort pour que<br />

seul Anthony puisse l'entendre."<br />

Anthony laissa échapper un soupir.<br />

"Nous reviendrons sur cette vidéo plus tard, déclara Enzo. De toute façon,<br />

Primo ne nous donne pas grand-chose à commenter."<br />

Jennifer récupéra la photo <strong>de</strong> Primo qu'el<strong>le</strong> venait d'imprimer et la<br />

glissa fébri<strong>le</strong>ment dans son dossier.<br />

"Ella, j'ai cru comprendre que certains <strong>de</strong>s élus n'étaient plus à Paris,<br />

reprit Enzo, visib<strong>le</strong>ment pressé <strong>de</strong> changer <strong>de</strong> sujet. Pouvez vous<br />

m'éclaircir à ce sujet?<br />

-Tout à fait. Xenia Ve<strong>le</strong>itov est rentrée à St Petersbourg pour prendre un<br />

long repos. El<strong>le</strong> a été passab<strong>le</strong>ment affectée par <strong>le</strong> sort qu'a utilisé la<br />

Confrérie pour la contrô<strong>le</strong>r et a perdu l'usage <strong>de</strong> son don. J'ai estimé qu'il<br />

valait mieux la laisser reprendre <strong>de</strong>s forces auprès <strong>de</strong>s siens.<br />

-Pouvez-vous m'assurer que la Confrérie ne dispose plus d'aucun moyen<br />

<strong>de</strong> la contrô<strong>le</strong>r?<br />

-Je vous <strong>le</strong> garantis personnel<strong>le</strong>ment.<br />

-Bien… Qu'en est-il <strong>de</strong>s trois élus qui sont <strong>de</strong>meurés à Sorgentel? Enrique<br />

Vasquez Montero, Shui-Khan Liu et Asuka Maekawa?<br />

-Nous n'avons pas <strong>de</strong> nouvel<strong>le</strong>s, mais nous n'avons pas <strong>de</strong> raisons <strong>de</strong><br />

nous inquiéter pour eux. Ils sont censés collaborer avec <strong>le</strong>s membres du<br />

Cénac<strong>le</strong> afin <strong>de</strong> reconstruire la cité <strong>de</strong> Havre et assurer sa protection<br />

jusqu'à notre retour.<br />

-Leurs famil<strong>le</strong>s respectives sont-el<strong>le</strong>s au courant?<br />

-Oui, el<strong>le</strong>s ont été informées. Enfin… excepté pour Rick, comme vous<br />

pouvez <strong>le</strong> comprendre."<br />

Enzo se tut un instant.<br />

"Très bien, j'en viens maintenant aux <strong>de</strong>ux sujets qui me perturbent."<br />

Sonia se tourna vers l'écran comme si Enzo s'y trouvait. El<strong>le</strong> savait<br />

que la question serait mise sur <strong>le</strong> tapis un jour ou l'autre.<br />

"Qu'en est-il? <strong>de</strong>manda Ella d'un air impassib<strong>le</strong>.<br />

-Commençons par Léonard Duquette. J'ai bien compris que cet ancien<br />

policier s'avère être l'onc<strong>le</strong> <strong>de</strong> Nils. Toutefois, j'aimerais savoir pourquoi<br />

vous avez décidé <strong>de</strong> lui faire intégrer la section parisienne <strong>de</strong> GLOW?"<br />

2


Ella répondit sans se démonter.<br />

"J'ai considéré qu'il s'agissait là du meil<strong>le</strong>ur moyen <strong>de</strong> <strong>le</strong> gar<strong>de</strong>r sous<br />

contrô<strong>le</strong> sans prendre <strong>de</strong>s mesures drastiques. Le hasard a voulu qu'il soit<br />

associé malgré lui aux mésaventures <strong>de</strong>s élus et qu'il se retrouve dans un<br />

endroit qu'aucun autre humain n'aurait dû voir. En lui faisant intégrer<br />

GLOW, je m'assure qu'il tiendra sa langue et qu'il ne tentera pas <strong>de</strong><br />

retrouver Nils par ses propres moyens. Cela n'aboutirait qu'à nous<br />

entraver. Je tiens par ail<strong>le</strong>urs à préciser que son expérience s'avère<br />

enrichissante pour nous. Sa présence est loin d'être un problème."<br />

Enzo ne répondit pas, à la plus gran<strong>de</strong> satisfaction <strong>de</strong> Sonia. El<strong>le</strong><br />

savait que la dirigeante <strong>de</strong> la section parisienne savait se montrer très<br />

convaincante.<br />

"Vu <strong>le</strong>s circonstances, cela me convient, dit fina<strong>le</strong>ment Enzo. Par contre,<br />

je serai plus diffici<strong>le</strong> à convaincre concernant Arthur Gall. En tant qu'élite,<br />

il aurait dû être affecté à la section londonienne et être encadré par<br />

Anthony, comme <strong>le</strong>s autres. Lorsque vous avez découvert son existence,<br />

je vous ai dit que je lui accordais un délai, <strong>le</strong> temps que la mission à<br />

Sorgentel se dérou<strong>le</strong> et qu'il s'adapte à son don. Or, cela fait maintenant<br />

trois mois. Pourquoi mes directives n'ont-el<strong>le</strong>s pas été respectées?"<br />

Cette fois, c'est Sonia qui répondit.<br />

"Dirigeant, séparer Arthur <strong>de</strong>s autres serait une très mauvaise idée! C'est<br />

à <strong>le</strong>ur contact qu'il a développé son don et décidé <strong>de</strong> prendre en main son<br />

<strong>de</strong>stin. Il a noué <strong>de</strong>s liens très forts avec eux et…<br />

-Ce n'est pas à vous que s'adressait ma question Mel<strong>le</strong> Donetti.<br />

-Je ne vois pas en quoi <strong>le</strong> fait <strong>de</strong> rattacher Arthur à la section londonienne<br />

changerait quelque chose, insista Sonia. Quoi qu'il arrive, tous <strong>le</strong>s élus<br />

<strong>de</strong>vront se rendre ensemb<strong>le</strong> à Sorgentel, élites ou non!<br />

-Pourquoi <strong>de</strong>vrait-il bénéficier d'un traitement <strong>de</strong> faveur? fit Enzo.<br />

-Parce qu'il est spécial, laissa échapper Sonia."<br />

El<strong>le</strong> regretta aussitôt cette paro<strong>le</strong>. Tous <strong>le</strong>s regards avaient convergé<br />

vers el<strong>le</strong>, y compris celui d'Ella Jones. Même Inès semblait désormais<br />

intéressée par <strong>le</strong> cours <strong>de</strong> la conversation.<br />

"En quoi Arthur Gall est-il spécial? <strong>de</strong>manda Enzo."<br />

Sonia lança un regard implorant vers Ella. Cel<strong>le</strong>-ci finit par prendre<br />

la paro<strong>le</strong> après un moment d'hésitation.<br />

"Enzo, Sonia n'a peut-être pas tort. <strong>Les</strong> trois autres élites ont été dès <strong>le</strong><br />

début habituées à évoluer au sein <strong>de</strong> la section londonienne tandis<br />

qu'Arthur a pris ses marques à Paris, où il a sa famil<strong>le</strong> et ses étu<strong>de</strong>s.<br />

2


-Je ne vois toujours pas la différence avec <strong>le</strong>s autres élites. Notre <strong>de</strong>rnière<br />

recrue était éga<strong>le</strong>ment établie à Paris. El<strong>le</strong> a pourtant accepté <strong>de</strong> venir<br />

s'instal<strong>le</strong>r ici.<br />

-La différence est que <strong>le</strong> légat d'Arthur s'oppose formel<strong>le</strong>ment à sa venue<br />

à Londres."<br />

Sonia haussa <strong>le</strong>s sourcils. El<strong>le</strong>-même ne connaissait toujours pas<br />

l'i<strong>de</strong>ntité du légat d'Arthur.<br />

"Son légat s'y oppose? répéta Enzo.<br />

-J'ai achevé une longue conversation téléphonique juste avant la réunion,<br />

affirma Ella. Le légat refuse qu'Arthur vienne s'établir à Londres. Nous<br />

sommes tous <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>s légats Enzo, nous savons ce qu'emporte ce<br />

genre <strong>de</strong> déclaration. Aucun d'entre nous ne peut al<strong>le</strong>r à l'encontre d'une<br />

tel<strong>le</strong> résolution.<br />

-…<br />

-Si vous <strong>de</strong>viez tenter <strong>de</strong> contourner <strong>le</strong> choix <strong>de</strong> son légat, je serais la<br />

première à vous critiquer, même si j'espère ne pas <strong>de</strong>voir en arriver là.<br />

Arthur doit rester dans la section parisienne."<br />

Nouveau si<strong>le</strong>nce. Anthony décida <strong>de</strong> mettre son grain <strong>de</strong> sel dans la<br />

conversation :<br />

"Bah… en ce qui me concerne, je ne veux pas encadrer un type contre son<br />

gré, intervint Anthony en haussant <strong>le</strong>s mains. Qu'il reste avec Sonia! Je<br />

comprends qu'il la préfère à moi."<br />

Sonia secoua la tête, dépitée.<br />

"Merci pour cette remarque constructive Anthony, soupira Enzo. Ella, je ne<br />

comprends pas ce qui motive sa décision, mais je suppose ce légat a <strong>de</strong>s<br />

raisons que la raison ignore. Je désapprouve mais je me plie à son choix.<br />

Arthur Gall restera votre protégé. Ne me faites pas regretter ma décision<br />

-Je vous remercie <strong>de</strong> votre ouverture d'esprit."<br />

Ella esquissa un sourire, puis se tourna vers la porte du Salon Gaetan.<br />

"Maintenant que ceci est réglé, peut-être que <strong>le</strong>s trois jeunes gens qui se<br />

dissimu<strong>le</strong>nt <strong>de</strong>rrière la porte aimeraient nous rejoindre?<br />

-J'allais suggérer la même chose, ajouta la voix d'Enzo."<br />

Surprise, Sonia se tourna vers la porte. Cel<strong>le</strong>-ci s'ouvrit <strong>le</strong>ntement et<br />

une jeune femme aux cheveux châtains mi-longs fit son entrée, rouge<br />

comme une tomate. El<strong>le</strong> resta sur <strong>le</strong> seuil en se dandinant, incertaine<br />

quant à la conduite à adopter.<br />

"Euh… nous sommes désolés, bégaya-t-el<strong>le</strong> soudain. Nous ne pensions<br />

pas à mal et nous…<br />

2


-Vous? Ma pauvre Anaïs, tu es toute seu<strong>le</strong>, fit remarquer Anthony d'un air<br />

compatissant."<br />

Anaïs se retourna, stupéfaite. Des bruits <strong>de</strong> pas précipités étaient<br />

perceptib<strong>le</strong>s à distance. Ses complices avaient manifestement pris la fuite<br />

en décidant <strong>de</strong> la sacrifier.<br />

"<strong>Les</strong> traîtres…, gronda Anaïs. Ils ne per<strong>de</strong>nt rien pour attendre.<br />

-Je pense qu'il est temps <strong>de</strong> mettre fin à cette réunion, déclara Enzo."<br />

L'élue se mit littéra<strong>le</strong>ment au gar<strong>de</strong> à vous, se rappelant dans quel<strong>le</strong><br />

situation embarrassante el<strong>le</strong> se trouvait. Sonia ne put s'empêcher <strong>de</strong><br />

sourire. C'était donc el<strong>le</strong> la fameuse Anaïs Guérin.<br />

"Ella, je compte sur vous pour vous occuper <strong>de</strong> la coordination <strong>de</strong> cette<br />

nouvel<strong>le</strong> mission, conclut Enzo. Je vais avoir du mal à interagir avec vous<br />

d'ici là.<br />

-Je comprends tout à fait, fit Ella. Soyez tranquil<strong>le</strong>.<br />

-Bonne journée à tous."<br />

Un nouveau bourdonnement émana du dispositif <strong>de</strong> visioconférence<br />

puis celui-ci s'éteignit. Inès choisit cet instant pour se retirer sans<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r son reste. El<strong>le</strong> salua tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> d'un rapi<strong>de</strong> signe <strong>de</strong> tête,<br />

contourna Anaïs, puis quitta <strong>le</strong>s lieux. Tous <strong>le</strong>s collaborateurs se <strong>le</strong>vèrent<br />

alors <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs sièges pour partir. Anthony, lui, se dirigea vers Anaïs et<br />

laissa tomber son dossier sur sa tête. Sonia s'approcha discrètement.<br />

"Alors Frenchie, tu pars en expédition sans t'assurer <strong>de</strong> la loyauté <strong>de</strong> tes<br />

camara<strong>de</strong>s? fit-il avec sarcasme. Ce n'est pas digne d'une élite comme toi.<br />

-C'était l'idée d'Ibtissam, se justifia Anaïs. Il nous a entraînées Aïshani et<br />

moi dans ce projet idiot. A l'origine nous n'étions pas si curieux que ça<br />

d'écouter votre conversation mais il a dit qu'en tant qu'élus, nous <strong>de</strong>vions<br />

tout savoir sur tout.<br />

-Hum… Pour ce qu'il y avait à entendre…, soupira Anthony d'un air blasé."<br />

Sonia vit Ella, Bennett et Jennifer approcher <strong>de</strong> la sortie.<br />

"Nous allons prendre un brunch, tu <strong>de</strong>vrais venir Sonia, suggéra Jennifer.<br />

-Ca ne me déplairait pas. Je n'ai pas eu <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> manger quelque<br />

chose avant <strong>de</strong> quitter ma chambre d'hôtel.<br />

-Et puis ça fait longtemps que nous n'avons pas vu Jen s'étouffer avec un<br />

bagel et <strong>de</strong>venir aussi b<strong>le</strong>ue que son pull. Ca <strong>de</strong>vrait être marrant, railla<br />

Anthony."<br />

Jennifer prit un air indigné, ouvrit la bouche, la referma, puis s'en<br />

alla, à la suite d'Ella et Bennett. Sonia s'apprêtait à <strong>le</strong>s suivre, quand<br />

Anaïs l'agrippa du regard. El<strong>le</strong> s'immobilisa, étonnée.<br />

2


"Vous êtes Sonia? lui <strong>de</strong>manda Anaïs en écarquillant <strong>le</strong>s yeux.<br />

-Oui, enchantée <strong>de</strong> te rencontrer Anaïs. J'ai failli ne pas te reconnaître, on<br />

m'avait dit que tu avais <strong>le</strong>s cheveux longs.<br />

-Oh… je <strong>le</strong>s ai coupés hier, je me suis dit que ce serait mieux pour al<strong>le</strong>r<br />

sur <strong>le</strong> terrain et… Peu importe. Je tenais à vous remercier d'avoir pris la<br />

défense d'Arthur.<br />

-Oh, ça…<br />

-C'est important pour lui, même s'il n'en a pas conscience. Il a besoin <strong>de</strong><br />

rester là-bas avec ses grands-parents et ses amis <strong>de</strong> la section parisienne.<br />

<strong>Les</strong> <strong>de</strong>rniers mois ont été suffisamment durs pour lui.<br />

-Ca n'a pas été <strong>de</strong> tout repos pour toi non plus, rétorqua Sonia. Après<br />

tout, vous avez <strong>de</strong>s choses en commun."<br />

Anaïs prit soudain un air nostalgique. Son regard <strong>de</strong>meura vi<strong>de</strong> une<br />

bonne poignée <strong>de</strong> secon<strong>de</strong>s.<br />

"C'est vrai, mais bientôt <strong>le</strong>s choses s'arrangeront, assura-t-el<strong>le</strong>. Dès<br />

qu'Arthur saura qui je suis vraiment, nous pourrons nous entrai<strong>de</strong>r et<br />

sauver Nils avec l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>s autres élus. Quant à Samuel… je suis sûre qu'il<br />

y a anguil<strong>le</strong> sous roche."<br />

El<strong>le</strong> esquissa un sourire mélancolique.<br />

"Je veux l'entendre me dire <strong>de</strong> vive voix qu'il est du mauvais côté. Sans<br />

ça, je ne pourrai pas me résoudre à perdre tota<strong>le</strong>ment foi en lui."<br />

Sonia sentit un frisson lui glacer <strong>le</strong> dos. El<strong>le</strong> vérifia que tous, sauf<br />

Anaïs et el<strong>le</strong>, avaient quitté <strong>le</strong> Salon Gaetan.<br />

"Tu sais quoi Anaïs? Depuis que je suis revenue <strong>de</strong> Sorgentel, j'éprouve <strong>le</strong><br />

même besoin que toi. Je doute. J'aimerais penser qu'il a quelque chose<br />

<strong>de</strong>rrière la tête, qu'il œuvre dans notre intérêt à tous <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s années<br />

en mettant son bien-être entre parenthèses et que <strong>le</strong>s évènements d'il y a<br />

dix ans n'étaient qu'un acci<strong>de</strong>nt, mais…"<br />

Sonia soupira, tortillant compulsivement sa tresse.<br />

"…je ne veux pas me voi<strong>le</strong>r la face. Tant que je n'aurai pas la preuve du<br />

contraire, je continuerai à <strong>le</strong> considérer comme un traître… et à <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r<br />

sa tête sur un plateau."<br />

3


Chapitre 2 : Le Roi Arthur<br />

Lorsqu'il y réfléchissait sérieusement, il y avait bien trois choses<br />

qu'Arthur Gall détestait. La première était <strong>de</strong> se réveil<strong>le</strong>r autrement que<br />

naturel<strong>le</strong>ment. Cet acte était tout simp<strong>le</strong>ment barbare. Qui avait décrété<br />

qu'une personne confortab<strong>le</strong>ment dissimulée sous ses couettes <strong>de</strong>vait voir<br />

son cyc<strong>le</strong> <strong>de</strong> sommeil interrompu par un mécanisme inanimé? Pourquoi <strong>le</strong><br />

sommeil <strong>de</strong>vait-il être ainsi amputé <strong>de</strong> précieuses heures <strong>de</strong> ronf<strong>le</strong>ment?<br />

S'il <strong>de</strong>venait un jour un individu haut placé, il mettrait en place un couvrefeu<br />

<strong>de</strong> cinq heures du matin à midi.<br />

La <strong>de</strong>uxième chose était d'al<strong>le</strong>r à l'encontre <strong>de</strong> sa volonté. Bien qu'il<br />

fut plutôt faci<strong>le</strong> à vivre, Arthur p<strong>le</strong>urait intérieurement à chaque fois qu'il<br />

<strong>de</strong>vait se plier à une activité qui ne lui plaisait pas. Il souriait en faça<strong>de</strong>,<br />

s'exécutait avec bonne grâce, mais intérieurement c'est <strong>le</strong> dépit qui<br />

régnait. Si la vie lui permettait <strong>de</strong> vivre jusqu'à au moins cinquante ans, il<br />

savait qu'un ulcère aurait raison <strong>de</strong> lui.<br />

Enfin, la troisième chose qui indisposait Arthur (la liste était loin<br />

d'être exhaustive) était <strong>de</strong> se ridiculiser en public. D'un naturel réservé et<br />

manquant beaucoup <strong>de</strong> confiance en lui, Arthur savait qu'une humiliation<br />

médiatisée pourrait <strong>le</strong> rendre agoraphobe à tout jamais. Enfant, il avait<br />

refusé d'al<strong>le</strong>r à l'éco<strong>le</strong> pendant trois jours après qu'une camara<strong>de</strong> <strong>de</strong> CE1<br />

ait baissé son pantalon <strong>de</strong>vant l'ensemb<strong>le</strong> <strong>de</strong> la classe.<br />

"Spouic! Spouic!"<br />

En montant <strong>le</strong>s escaliers <strong>de</strong> son immeub<strong>le</strong>, Arthur fit <strong>le</strong> compte <strong>de</strong><br />

sa vie et, avec l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> son ego et <strong>de</strong> ses souvenirs, s'accorda sur <strong>le</strong> fait<br />

que ces trois choses étaient <strong>le</strong>s principa<strong>le</strong>s plaies <strong>de</strong> sa vie. Il changerait<br />

sans doute <strong>de</strong> boucs émissaires dans <strong>le</strong>s heures à venir, mais à cet<br />

instant, ceux-ci faisaient <strong>de</strong> parfaits coupab<strong>le</strong>s.<br />

"Spouic! Spouic!"<br />

Au vu <strong>de</strong> cet obscur bilan, Arthur approcha du palier <strong>de</strong> son<br />

appartement en concluant qu'il était fina<strong>le</strong>ment assez faci<strong>le</strong> <strong>de</strong> mettre en<br />

oeuvre <strong>le</strong>s trois plaies <strong>de</strong> sa vie en une seu<strong>le</strong> journée. Sommeil avorté,<br />

humiliation publique, activité allant à l'encontre <strong>de</strong> sa volonté. Le trio <strong>de</strong><br />

l'enfer, l'arme parfaite pour la Confrérie si el<strong>le</strong> décidait <strong>de</strong> l'achever par la<br />

voie psychologique.<br />

"Spouic!"<br />

Trempé jusqu'aux os, <strong>le</strong>s chaussettes noyées, Arthur ajusta sa<br />

couronne sur sa tête, empoigna fermement son sceptre et appuya sur la<br />

sonnette en affichant un sourire aussi crédib<strong>le</strong> que possib<strong>le</strong>. Des bruits <strong>de</strong><br />

pas se firent entendre et la porte s'ouvrit presque aussitôt, laissant<br />

apparaître <strong>le</strong> visage souriant, puis intrigué d'Eric Gall.<br />

3


"Salut Grand-père…"<br />

La bouche d'Eric se tordit en un rictus, puis il explosa bruta<strong>le</strong>ment<br />

<strong>de</strong> rire, se tapant sur <strong>le</strong> ventre au point qu'Arthur se <strong>de</strong>mandât s'il ne<br />

risquait pas l'infarctus.<br />

"Mon pauvre Art. C'est quoi cette dégaine? ricana Eric après avoir réussi à<br />

reprendre son souff<strong>le</strong>."<br />

Arthur haussa <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s. Il arborait une luxueuse couronne en<br />

pâte à sel, un sceptre en carton peint et <strong>le</strong> moindre centimètre <strong>de</strong> tissu<br />

qu'il portait était humi<strong>de</strong>, ce qui était loin d'être recommandab<strong>le</strong> en p<strong>le</strong>in<br />

mois <strong>de</strong> mars.<br />

"Je ne m'expliquerai que sous la torture, dit-il d'un air déterminé.<br />

-Voyons, cette aventure a l'air trop péril<strong>le</strong>use pour ne pas être partagée,<br />

protesta Eric, <strong>le</strong> sourire aux lèvres. Un gage? Mardi-gras? Non… ce n'est<br />

pas la bonne pério<strong>de</strong>… Un simp<strong>le</strong> délire <strong>de</strong> jeunes dépravés?"<br />

Arthur contourna son grand-père hilare et s'engagea dans <strong>le</strong> couloir.<br />

Un miroir fixé au mur près d'une patère lui offrit une vision peu glorieuse<br />

<strong>de</strong> lui-même. Avec <strong>le</strong> recul, il eut du mal à croire qu'il avait osé prendre<br />

<strong>le</strong>s transports en commun dans cet état. Ses vêtements dégoulinaient<br />

d'eau et son équipement royal était <strong>de</strong>s plus ridicu<strong>le</strong>s. En outre, <strong>le</strong> fait <strong>de</strong><br />

ne pas s'être rasé <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s semaines apportait une touche dramatique à<br />

son apparence globa<strong>le</strong>.<br />

"Dois-je prendre votre sac, votre altesse Arthur? lança Eric <strong>de</strong>puis la<br />

porte, avant <strong>de</strong> sombrer <strong>de</strong> nouveau dans une crise <strong>de</strong> fou rire."<br />

Rouge comme une tomate, Arthur fila droit vers <strong>le</strong> confortab<strong>le</strong> salon<br />

<strong>de</strong> l'appartement <strong>de</strong>s Gall, espérant fuir <strong>le</strong>s piques <strong>de</strong> son aïeul. Le poste<br />

<strong>de</strong> télévision était allumé, déversant dans la pièce un flot continu<br />

d'informations politiques qui semblaient passionner <strong>le</strong> chat Magellan, roulé<br />

en bou<strong>le</strong> dans son panier. Arthur se posta discrètement près du radiateur<br />

et chercha à emmagasiner un peu <strong>de</strong> cha<strong>le</strong>ur, sous <strong>le</strong> regard critique du<br />

félin.<br />

"Ne me juge pas, murmura Arthur."<br />

Magellan ronronna, toisa Arthur d'un air dédaigneux, puis quitta<br />

dignement son panier pour rallier la cuisine où l'attendait sans doute un<br />

bol <strong>de</strong> nourriture et une ambiance plus accueillante. Ravi d'en être<br />

débarrassé, Arthur se tourna vers <strong>le</strong> poste <strong>de</strong> télévision. Kaznaël était<br />

assis en tail<strong>le</strong>ur à même <strong>le</strong> sol, à une cinquantaine <strong>de</strong> centimètres <strong>de</strong><br />

l'écran. Il tentait manifestement <strong>de</strong> s'imprégner <strong>de</strong> la moindre paro<strong>le</strong><br />

prononcée par la présentatrice du flash info sur <strong>le</strong>s inondations en<br />

Camargue.<br />

3


Quant à Louise Gall, la grand-mère d'Arthur, el<strong>le</strong> était assise sur l'un<br />

<strong>de</strong>s canapés, se concentrant pour parvenir à résoudre un Sudoku. El<strong>le</strong> finit<br />

par remarquer la présence d'Arthur, plaça ses lunettes bien en face <strong>de</strong>s<br />

yeux pour vérifier qu'el<strong>le</strong> n'avait pas la berlue, puis ouvrit la bouche<br />

comme un poisson rouge sorti <strong>de</strong> son bocal.<br />

"Bonté divine, Arthur.<br />

-Oui, je sais…<br />

-Tu es roi?"<br />

Eric Gall passa <strong>de</strong>vant <strong>le</strong> salon à cet instant et éclata <strong>de</strong> nouveau<br />

d'un rire sonore, irritant davantage Arthur. Cela ne suffit pas à détourner<br />

Kaznaël <strong>de</strong> son poste <strong>de</strong> télévision.<br />

"Merci <strong>de</strong> me soutenir grand-mère, ronchonna Arthur en se plaquant<br />

contre <strong>le</strong> radiateur.<br />

-Que s'est-il passé? soupira Louise d'un air mi-amusé, mi-contrit.<br />

-Je préfère ne pas raconter.<br />

-Bon… Très bien. Je vais te chercher une serviette et <strong>de</strong>s vêtements secs<br />

avant que tu n'attrapes la mort. Reste accroché à ce radiateur.<br />

-J'y compte bien, merci."<br />

Louise referma son journal <strong>de</strong> jeu en secouant <strong>le</strong>ntement la tête et<br />

se <strong>le</strong>va pour quitter <strong>le</strong> salon, laissant Arthur seul avec Kaznaël et <strong>le</strong><br />

radiateur. Ce <strong>de</strong>rnier n'offrant pas une conversation très développée,<br />

Arthur s'adressa à Kaznaël.<br />

"Tu ne me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s pas ce qu'il s'est passé?<br />

-Ca ne m'intéresse pas <strong>le</strong> moins du mon<strong>de</strong>, répondit Kaznaël en attrapant<br />

une ma<strong>de</strong><strong>le</strong>ine dans un bol posé <strong>de</strong>vant lui.<br />

-Qu'est-ce que tu regar<strong>de</strong>s <strong>de</strong> beau?"<br />

Kaznaël était toujours dos tourné, concentré sur la télévision. Ses<br />

cheveux fraîchement coupés par Ana Rosa ne lui tombaient désormais que<br />

jusqu'aux épau<strong>le</strong>s, <strong>le</strong> rendant un peu moins sauvage.<br />

"Vos chefs sont très forts. La réponse <strong>de</strong> celui-ci était si bien tournée que<br />

je ne me rappel<strong>le</strong> même plus <strong>de</strong> la question qui lui était posée, déclara<br />

Kaznaël en désignant un obscur ministre apparaissant à l'écran. Pourquoi<br />

n'embrasses-tu pas une tel<strong>le</strong> carrière Arthur? Ces hommes ont l'air<br />

puissant!<br />

-Je mens très mal et je n'aime pas m'entendre par<strong>le</strong>r."<br />

Kaznaël détacha son regard <strong>de</strong> l'écran pour dévisager Arthur, plissa<br />

<strong>de</strong>s yeux comme s'il analysait la pertinence <strong>de</strong> cette réponse, puis<br />

retourna à ses frasques télévisuel<strong>le</strong>s. C'est alors qu'un cri <strong>de</strong> Louise <strong>le</strong>ur<br />

parvint <strong>de</strong>puis la chambre d'Arthur. Ce <strong>de</strong>rnier sursauta, approcha trop la<br />

jambe du radiateur et se brûla.<br />

3


"Qu'est-ce qu'il se passe encore? marmonna Arthur après avoir proféré<br />

<strong>de</strong>s jurons."<br />

Le protecteur ne bougea pas d'un pouce, visib<strong>le</strong>ment peu inquiété<br />

par <strong>le</strong>s cris réguliers <strong>de</strong> Louise Gall. La grand-mère d'Arthur était connue<br />

pour paniquer faci<strong>le</strong>ment. Rat, mouche, abeil<strong>le</strong>, araignée étaient souvent<br />

<strong>le</strong>s responsab<strong>le</strong>s involontaires <strong>de</strong> ses crises <strong>de</strong> panique.<br />

"Bon sang, lâche cette chose! Tu vas te casser <strong>le</strong> dos, criait Louise d'une<br />

voix paniquée."<br />

Conscient du fait qu'Eric était aux fourneaux et qu'il ne comptait pas<br />

sortir <strong>de</strong> la cuisine pour si peu, Arthur se résolut à rejoindre sa grandmère<br />

dans sa chambre, presque certain <strong>de</strong> connaître la cause <strong>de</strong><br />

l'agitation. Kaznaël changea <strong>de</strong> chaîne et opta pour un combat <strong>de</strong> catch.<br />

"Allons bon, qu'y a-t-il encore? fit Arthur en ouvrant la porte <strong>de</strong> sa<br />

chambre."<br />

Le visage rubicond, Louise s'agitait éperdument au milieu <strong>de</strong> la<br />

pièce, <strong>le</strong> regard fixé sur un grand individu blond aux joues ron<strong>de</strong>s et au<br />

regard enthousiaste. Le jeune homme, vêtu d'une veste en daim<br />

(vraisemblab<strong>le</strong>ment très chère), aurait tout eu d'un dandy s'il n'avait pas<br />

<strong>de</strong>s Converse aux pieds, un jean troué <strong>de</strong> toutes parts et une mal<strong>le</strong> verte<br />

<strong>de</strong> presque cent kilos sur l'épau<strong>le</strong>. Il remarqua Arthur et esquissa un<br />

sourire admiratif, comme si Hercu<strong>le</strong> lui-même était apparu sous ses yeux<br />

après avoir sou<strong>le</strong>vé une montagne.<br />

"King Arthur, s'exclama Jamie en scrutant son ami <strong>de</strong>s pieds à la tête."<br />

Toute autre personne qu'Arthur, Louise par exemp<strong>le</strong>, aurait été<br />

choquée <strong>de</strong> voir Jamie porter un objet <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> cent kilos avec une tel<strong>le</strong><br />

facilité. Après tout, <strong>le</strong> jeune homme britannique était d'une constitution<br />

plutôt légère. Mais Arthur avait vu Jamie défoncer une épaisse porte en<br />

bois, faire vibrer <strong>le</strong>s murs d'un temp<strong>le</strong>, enfoncer son poing dans la terre,<br />

et assommer un monstre invulnérab<strong>le</strong>, entre autres. Sans compter <strong>le</strong>s<br />

nombreuses fois où il avait porté Arthur comme un simp<strong>le</strong> sac <strong>de</strong> courses,<br />

pour <strong>de</strong>s raisons diverses et variées. Conséquemment, ce <strong>de</strong>rnier fut<br />

rapi<strong>de</strong>ment contraint <strong>de</strong> feindre la surprise.<br />

"Mais tu es fou Jam'! Tu vas te faire mal, pose ça vite, fit-il d'une voix<br />

aussi traumatisée que possib<strong>le</strong>.<br />

-Oh, sorry, réalisa Jamie en laissant presque tomber la mal<strong>le</strong> sur <strong>le</strong> sol."<br />

Le sol <strong>de</strong> la chambre vibra. Arthur espéra qu'aucune <strong>de</strong> ses affaires<br />

ne se trouvait en <strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> la mal<strong>le</strong> au moment <strong>de</strong> la chute.<br />

3


"Il est fou, il est fou, s'écria Louise en s'en prenant presque à Arthur. Tout<br />

ce que je voulais c'était récupérer la bouc<strong>le</strong> d'oreil<strong>le</strong> que j'avais fait<br />

tomber <strong>de</strong>rrière la mal<strong>le</strong> en te cherchant <strong>de</strong>s vêtements. Il est intervenu<br />

avant que je n'aie pu protester et a carrément sou<strong>le</strong>vé la mal<strong>le</strong>! Cette<br />

chose est norma<strong>le</strong>ment impossib<strong>le</strong> à déplacer si on ne vi<strong>de</strong> pas tout ce qui<br />

se trouve <strong>de</strong>dans!<br />

-Ne vous inquiétez pas, assura Jamie avec prestance. Il paraît que je suis<br />

plus fort que la commune <strong>de</strong>s mortels! Salut Arty!<br />

-Salut Jam'."<br />

Louise s'épongea <strong>le</strong> front, visib<strong>le</strong>ment éprouvée. El<strong>le</strong> posa <strong>le</strong>s<br />

vêtements d'Arthur sur son lit, au milieu d'un amoncel<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> fiches <strong>de</strong><br />

cours.<br />

"Je vous laisse, j'ai besoin <strong>de</strong> boire quelque chose. J… Jamie, pour<br />

accompagner <strong>le</strong>s chocolats tu prendras bien un thé comme d'habitu<strong>de</strong>?<br />

-I would love it Mrs Gall. Thank you."<br />

El<strong>le</strong> quitta la pièce en soupirant et ferma la porte <strong>de</strong>rrière el<strong>le</strong>.<br />

Arthur récupéra alors ses vêtements et entreprit <strong>de</strong> se changer, après<br />

avoir vio<strong>le</strong>mment jeté la couronne et <strong>le</strong> sceptre sur la mal<strong>le</strong>. Intrigué,<br />

Jamie <strong>le</strong>s récupéra.<br />

"Tu vas me raconter pourquoi tu es en roi? fit-il.<br />

-Je n'y tiens pas. Pourquoi es-tu là si tôt?"<br />

Jamie fit pirouetter <strong>le</strong> sceptre en carton entre ses doigts.<br />

"Comme je suis dans votre <strong>de</strong>meure presque tous <strong>le</strong>s temps, je me suis<br />

dit que t'ai<strong>de</strong>r à porter ton valise n'était pas euh… Hum… C'est quoi <strong>le</strong> mot<br />

déjà?<br />

-Mets ton Etemenanki voyons. Il n'y a personne d'autre que nous ici."<br />

Jamie <strong>le</strong>va l'in<strong>de</strong>x d'un air reconnaissant et mit son Etemenanki<br />

autour du cou. Il reprit alors la conversation avec un français impeccab<strong>le</strong> :<br />

"Etant donné que je suis presque tout <strong>le</strong> temps chez vous, je me suis dit<br />

que t'ai<strong>de</strong>r à porter ta valise jusqu'à la gare n'était pas suffisant pour vous<br />

remercier. Par conséquent, j'ai apporté <strong>de</strong>s chocolats à ta grand-mère,<br />

<strong>de</strong>s ma<strong>de</strong><strong>le</strong>ines à Kaznaël et mon soutien psychologique pour t'appuyer<br />

pendant que tu bouc<strong>le</strong>ras ta valise.<br />

-On dirait que tu veux te faire adopter par ma famil<strong>le</strong>, plaisanta Arthur en<br />

enfilant un pull à col roulé. Même si tu en as <strong>le</strong>s moyens, il est inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

nous acheter <strong>de</strong>s ca<strong>de</strong>aux. Tu es <strong>le</strong> bienvenu ici.<br />

-Et j'en suis honoré, Roi Arthur!<br />

-Jette cette couronne ail<strong>le</strong>urs, rugit Arthur."<br />

3


La couronne chuta <strong>de</strong> la tête <strong>de</strong> Jamie après un mouvement <strong>de</strong> sa<br />

part vers la gauche.<br />

"Dis-moi ce qu'il s'est passé ou je serai forcé <strong>de</strong> la ramener avec moi pour<br />

que tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> la voie, menaça Jamie en s'asseyant sur la mal<strong>le</strong>!<br />

-Tu oserais me faire du chantage?<br />

-Sans la moindre hésitation. Ce ne serait pas la première fois!"<br />

Arthur baissa la tête, vaincu.<br />

"Rien <strong>de</strong> dramatique…<br />

-Raison <strong>de</strong> plus pour raconter cette histoire à ton bon Jamie.<br />

-Bah… Un bizutage stupi<strong>de</strong> organisé par <strong>le</strong>s membres du club <strong>de</strong> vol<strong>le</strong>y <strong>de</strong><br />

l'université. Tous ceux qui voulaient l'intégrer et qui avaient raté la<br />

pério<strong>de</strong> d'inscription <strong>de</strong>vaient participer à une course autour <strong>de</strong> la fac,<br />

accoutrés ainsi, sans perdre la couronne et <strong>le</strong> sceptre.<br />

-Et?<br />

-Et je l'ai fait… Stupi<strong>de</strong> que je suis. Je ne sais pas ce qui m'a pris.<br />

-Et? insista Jamie.<br />

-Et… je suis arrivé premier, assez faci<strong>le</strong>ment d'ail<strong>le</strong>urs. Malheureusement<br />

<strong>le</strong>s étudiants du club nous attendaient au point d'arrivée avec <strong>de</strong>s seaux<br />

d'eau. Tu imagines la suite…<br />

-Formidab<strong>le</strong>! Tu es arrivé premier Arty, se réjouit Jamie.<br />

-Ce n'est pas vraiment l'aspect que j'espérais souligner.<br />

-Au moins tu as intégré <strong>le</strong> club <strong>de</strong> vol<strong>le</strong>y comme tu <strong>le</strong> souhaitais.<br />

-Certes, mais j'ai été obligé <strong>de</strong> faire <strong>le</strong> trajet <strong>de</strong> retour dans cet état. Ils<br />

m'ont même accompagné jusqu'en bas <strong>de</strong> l'immeub<strong>le</strong> pour être sûrs que<br />

je ne me débarrasse <strong>de</strong> mon matériel royal avant d'être arrivé."<br />

Jamie était plié en <strong>de</strong>ux sur la mal<strong>le</strong>, s'esclaffant si bien qu'il<br />

manqua d'en tomber.<br />

"Je sais, ma vie est une comédie permanente, soupira Arthur. J'aimerais<br />

bien te voir dans la même situation! Tu rirais moins, pour sûr!"<br />

Jamie sortit un mouchoir <strong>de</strong> l'intérieur <strong>de</strong> sa veste et essuya ses<br />

larmes en laissant échapper <strong>de</strong>s hoquets.<br />

"Ce n'est pas vraiment l'histoire <strong>de</strong> la couronne qui me fait rire ainsi Arty.<br />

Regar<strong>de</strong>-toi!"<br />

Arthur s'observa globa<strong>le</strong>ment.<br />

"Je ne comprends pas, fit Arthur en baissant vainement <strong>le</strong>s yeux vers ses<br />

mains.<br />

-Non, je voulais par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> ton comportement Arty, reprit Jamie en<br />

reprenant son calme. Lorsqu'on s'est connus, c'était à peine si tu étais<br />

disposé à communiquer avec quelqu'un d'autre qu'Anaïs. Tu ne voulais<br />

3


t'impliquer dans rien. Tout ce qui t'importait était <strong>de</strong> vivre tranquil<strong>le</strong>ment<br />

ta vie. Et là je te vois, presque aussi barbu qu'un pirate, en train <strong>de</strong> te<br />

ridiculiser pour pouvoir te remettre au sport, quitte à traverser tout Paris<br />

habillé comme la Reine Victoria.<br />

-Tu exagères un peu <strong>le</strong>s faits, répondit Arthur, conscient toutefois <strong>de</strong> la<br />

véracité <strong>de</strong> ces paro<strong>le</strong>s.<br />

-Pas du tout! Comme <strong>le</strong> dirait Sally, tu prends ton <strong>de</strong>stin en main plutôt<br />

que <strong>de</strong> te laisser porter par <strong>le</strong>s vagues <strong>de</strong> l'incertitu<strong>de</strong>.<br />

-Sally a vraiment dit ça?<br />

-Non, c'est une réplique <strong>de</strong> Libby dans Cœurs enflammés et… OOOOOH!"<br />

Il observa sa montre et <strong>de</strong>vint pâ<strong>le</strong> comme la mort.<br />

"C'est l'heure <strong>de</strong> la rediffusion! Il faut que j'ail<strong>le</strong> poliment éjecter Kaz <strong>de</strong><br />

ton écran.<br />

-Remets ma mal<strong>le</strong> en place avant, intima Arthur."<br />

Jamie obéit <strong>de</strong>rechef et s'échappa <strong>de</strong> la chambre au pas <strong>de</strong> course,<br />

laissant Arthur seul au milieu d'un bor<strong>de</strong>l sans nom. La pièce re<strong>de</strong>vint<br />

soudain si<strong>le</strong>ncieuse.<br />

"Ranger un peu avant <strong>le</strong> départ ne me fera pas <strong>de</strong> mal, songea Arthur en<br />

ramassant <strong>le</strong>s papiers qui traînaient par terre."<br />

Après avoir consacré une dizaine <strong>de</strong> minutes à une laborieuse<br />

remise en ordre <strong>de</strong> sa chambre, Arthur revint au salon. Trois tasses <strong>de</strong> thé<br />

fumantes et une assiette <strong>de</strong> chocolats étaient posés sur la tab<strong>le</strong> basse,<br />

attendant <strong>le</strong>urs propriétaires. Dehors, un vent puissant, transportant <strong>de</strong>s<br />

multitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> feuil<strong>le</strong>s d'arbres, faisait vibrer <strong>le</strong>s vitres. Arthur trouva<br />

Jamie affalé sur un fauteuil, au bord <strong>de</strong> la dépression. Il n'avait<br />

apparemment pas convaincu Kaznaël <strong>de</strong> changer <strong>de</strong> chaîne, ce <strong>de</strong>rnier<br />

étant toujours collé à son écran <strong>de</strong>vant une prestation <strong>de</strong> catch peu<br />

réaliste.<br />

"Désolé Jam', on gagne rarement contre Kaz, fit Arthur en assénant une<br />

tape compatissante sur l'épau<strong>le</strong> <strong>de</strong> Jamie.<br />

-Je survivrai. Le magnétoscope chez moi est programmé pour ce genre<br />

d'imprévu, larmoya Jamie.<br />

-Arthur, as-tu préparé tes bagages? <strong>de</strong>manda Eric Gall en entrant dans <strong>le</strong><br />

salon. Il me semb<strong>le</strong> que ton départ pour Londres est imminent.<br />

-J'ai juste commencé. Je pense finir ma valise maintenant.<br />

-Tant mieux, dit Eric d'un air réjoui. C'est quand même formidab<strong>le</strong> que tu<br />

aies trouvé ce stage dans une institution <strong>de</strong>s Nations Unies grâce aux<br />

relations <strong>de</strong> Jamie. Une opportunité comme cel<strong>le</strong>-ci se présente rarement.<br />

J'avoue qu'au début, je ne comprenais pas trop pourquoi tu t'étais mis en<br />

régime terminal pour tes examens universitaires, mais là, j'ose penser<br />

que rater <strong>de</strong>ux ou trois semaines <strong>de</strong> cours en vaut la peine!"<br />

3


Arthur détourna <strong>le</strong> regard et hocha frénétiquement la tête. Il avait<br />

toujours autant <strong>de</strong> mal à lui mentir sans être rongé par la culpabilité.<br />

"Oui, c'est génial, dit-il simp<strong>le</strong>ment.<br />

-Ca ne dérange pas ta famil<strong>le</strong> d'héberger Art pendant ce temps? <strong>de</strong>manda<br />

Eric à Jamie. Je crois <strong>de</strong>viner que vous êtes <strong>de</strong>s gens importants, tes<br />

parents sont sans doute occupés…<br />

-Nul<strong>le</strong>ment! De plus, je <strong>le</strong>ur ai tel<strong>le</strong>ment parlé d'Arthur qu'il fait presque<br />

déjà partie du clan Corbell."<br />

Eric écarquilla <strong>le</strong>s yeux.<br />

"On croirait presque que tu as perdu ton accent d'un coup."<br />

Arthur et Jamie tressaillirent. Ce <strong>de</strong>rnier fit mine <strong>de</strong> vouloir al<strong>le</strong>r aux<br />

toi<strong>le</strong>ttes et quitta la pièce au trot. Arthur en profita pour observer Kaznaël.<br />

A <strong>le</strong> voir ainsi, personne n'imaginerait qu'il était un guerrier taciturne,<br />

capab<strong>le</strong> d'éliminer faci<strong>le</strong>ment un être humain normal, se dit Arthur.<br />

"Je culpabilise quand même <strong>de</strong> te laisser seul ici pendant mon absence,<br />

déclara-t-il. Tu risques <strong>de</strong> t'ennuyer et <strong>de</strong> n'avoir personne à qui par<strong>le</strong>r… à<br />

part mes grands-parents.<br />

-Peu importe.<br />

-Peu importe? répéta Arthur. C'est comme ça que tu réagis alors que je<br />

me sens coupab<strong>le</strong>!? Ingrat!<br />

-Il faut faire la vaissel<strong>le</strong>, lança Louise <strong>de</strong>puis la cuisine.<br />

-C'est au tour <strong>de</strong> Kaz, répondit prestement Arthur en désignant l'intéressé<br />

du doigt."<br />

Kaznaël sursauta, se tourna vers Arthur pour lui lancer un regard<br />

assassin, puis consentit à se <strong>le</strong>ver.<br />

"Traître, tu oses par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> culpabilité. Dans d'autres circonstances, je<br />

t'aurais tué pour moins que ça.<br />

-Essuie bien <strong>le</strong>s verres, répliqua Arthur, lassé.<br />

-Ne dors pas trop profondément quand nous serons amenés à cohabiter<br />

<strong>de</strong> nouveau, menaça Kaznaël en se dirigeant vers la cuisine.<br />

-Je ne risque pas <strong>de</strong> fermer l'oeil avec tes ronf<strong>le</strong>ments bestiaux! Je suis<br />

bien content <strong>de</strong> quitter <strong>le</strong>s lieux, ça va me faire <strong>de</strong>s vacances!"<br />

Eric croisa <strong>le</strong>s bras et arbora un large sourire.<br />

"J'ai l'impression d'avoir <strong>de</strong> nouveaux mes <strong>de</strong>ux fils à la maison. Quel<strong>le</strong><br />

joie d'avoir <strong>de</strong>ux gamins inso<strong>le</strong>nts pour mettre <strong>de</strong> l'ambiance ici!<br />

-C'est pas non plus la fête à la maison, râla Arthur.<br />

-Qui aime bien châtie bien. Il faudrait être stupi<strong>de</strong> pour ne pas reconnaître<br />

l'amitié qui vous lie. El<strong>le</strong> vaut bien cel<strong>le</strong> que tu entretiens avec Anaïs et<br />

3


Jamie! En parlant <strong>de</strong> Jamie, tu n'atteindras jamais Londres si tu ne vas<br />

pas faire tes bagages! Al<strong>le</strong>z!"<br />

Arthur se <strong>le</strong>va à contrecoeur, ayant à peine eu <strong>le</strong> temps d'ava<strong>le</strong>r un<br />

<strong>de</strong>mi chocolat. Il retourna dans sa chambre, sortit une gran<strong>de</strong> valise noire<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>ssous son lit et entreprit <strong>de</strong> finir <strong>de</strong> la remplir avec <strong>le</strong>s vêtements<br />

qu'il avait déjà rangés. En fouillant dans <strong>le</strong> tiroir <strong>de</strong> sa tab<strong>le</strong> <strong>de</strong> chevet<br />

pour y récupérer ses papiers d'i<strong>de</strong>ntité, il tomba sur <strong>le</strong> journal intime <strong>de</strong><br />

Nils. Sa vue lui donna <strong>de</strong>s frissons. Le carnet n'avait pas bougé <strong>de</strong>puis<br />

janvier <strong>de</strong>rnier, lorsque Arthur avait <strong>de</strong>mandé à son camara<strong>de</strong> Andreas<br />

d'utiliser son don <strong>de</strong>ssus.<br />

L'examen <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier n'avait rien donné. Le jeune homme s'était<br />

excusé à Arthur, expliquant que Nils n'avait pas retouché au carnet après<br />

y avoir écrit sa <strong>de</strong>rnière note et que, <strong>de</strong> ce fait, <strong>le</strong>s informations liées à<br />

l'objet n'étaient pas suffisantes pour obtenir <strong>de</strong>s détails sur l'intervention<br />

<strong>de</strong> la Confrérie. Il aurait fallu que Nils ait <strong>le</strong> carnet sur lui au moment <strong>de</strong><br />

sa rencontre avec cette <strong>de</strong>rnière pour que <strong>le</strong> don d'Andreas soit efficace.<br />

Sur <strong>le</strong> coup Arthur avait été profondément déçu. Cependant, il avait<br />

rapi<strong>de</strong>ment relativisé en réalisant qu'il avait déjà toutes <strong>le</strong>s données<br />

essentiel<strong>le</strong>s grâce à son voyage à Sorgentel. En outre, <strong>le</strong> fait d'apprendre<br />

que Nils était vivant avait considérab<strong>le</strong>ment changé la donne.<br />

"Quelque chose te perturbe mon vieux?"<br />

Il sursauta, effrayé. Jamie était étendu sur <strong>le</strong> dos, sous <strong>le</strong> bureau,<br />

dans la planque élaborée <strong>de</strong>s années auparavant par Arthur. Y étaient<br />

installés une lampe, une couverture usée, <strong>de</strong>s livres et un bol <strong>de</strong><br />

Dragibus. Cette pseudo cachette lui permettait <strong>de</strong> se détendre lorsqu'il<br />

voulait s'iso<strong>le</strong>r pour lire ou méditer. Il se surprenait souvent à s'y<br />

endormir.<br />

Jamie lisait un magazine <strong>de</strong> cinéma, jambes croisées, en picorant <strong>le</strong>s<br />

confiseries d'Arthur.<br />

"Désolé, je ne voulais pas te surprendre, s'excusa Jamie. Je testais ta<br />

planque et laisse moi te dire qu'el<strong>le</strong> est très confortab<strong>le</strong>! Un souci disaisje?"<br />

Arthur hocha la tête et continua <strong>de</strong> faire sa valise.<br />

"Tu peux me raconter si tu veux! Je suis un bon auditeur!"<br />

Cette fois-ci, Arthur ne lutta pas. Jamie avait <strong>le</strong> don pour lui tirer <strong>le</strong>s<br />

vers du nez.<br />

" Rien <strong>de</strong> spécial… Juste un rêve que je fais régulièrement <strong>de</strong>puis quelques<br />

semaines… à propos <strong>de</strong> Samuel."<br />

Jamie haussa <strong>le</strong>s sourcils.<br />

3


"Qu'est-ce qui s'y passe?<br />

-On refait notre combat <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière fois, dans la Sal<strong>le</strong> <strong>de</strong>s Archives du<br />

Cénac<strong>le</strong>.<br />

-Oh…<br />

-Tout se dérou<strong>le</strong> sensib<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> la même manière : <strong>le</strong>s coups portés, <strong>le</strong>s<br />

mouvements, <strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s, la hargne… C'est comme si je revenais là-bas en<br />

tant que spectateur. A chaque fois, je <strong>le</strong> vois m'asséner <strong>le</strong> coup fatal à la<br />

fin du rêve, sans la moindre variante. Mon sang cou<strong>le</strong> <strong>le</strong> long <strong>de</strong> l'épée<br />

Casca<strong>de</strong> et je tombe. Enfin… <strong>le</strong> Arthur que j'observe tombe.<br />

-Mort?<br />

-Mort…<br />

-Je comprends ton malaise, fit Jamie en se caressant <strong>le</strong> menton. Il ne doit<br />

pas être réjouissant <strong>de</strong> rêver <strong>de</strong> sa mort tous <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux jours. Même si,<br />

techniquement, tu as survécu à ton combat contre Samuel.<br />

-Détail… Ce n'est pas vraiment <strong>le</strong> fait <strong>de</strong> me voir mourir qui me<br />

traumatise, même si l'image reste assez dérangeante. C'est plutôt <strong>le</strong> fait<br />

d'assister à ma défaite… je veux dire, <strong>de</strong> perdre à chaque fois. On dirait<br />

que mes rêves me pointent du doigt pour me rappe<strong>le</strong>r à quel point j'ai été<br />

faib<strong>le</strong>. C'est assez désagréab<strong>le</strong>. J'aimerais que mon don soit suffisamment<br />

développé pour que ce genre <strong>de</strong> chose ne se reproduise pas.<br />

-Je pense que c'est <strong>le</strong> cas, intervint Kaznaël en entrant dans la chambre."<br />

Arthur <strong>le</strong>va la tête. Kaznaël se tenait dans l'embrasure <strong>de</strong> la porte,<br />

s'essuyant <strong>le</strong>s mains avec un torchon. Cette image perturba davantage<br />

Arthur que cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> sa propre mort.<br />

"Soyons clairs, il n'y a aucune chance que tu puisses dominer cet individu<br />

quels que soient tes progrès. Il a sans doute <strong>de</strong>s années d'expérience en<br />

tant qu'épéiste alors qu'il y a un an, tu n'avais encore jamais touché<br />

d'arme.<br />

-Je sens la joie envahir mon cœur, marmonna Arthur.<br />

-Invoque ton don, ordonna Kaznaël en se plaçant soudain face à lui.<br />

-Ici? Tu plaisantes!?"<br />

Kaznaël partit fermer la porte <strong>de</strong> la chambre.<br />

"Nous ne serons pas dérangés. Invoque ton don.<br />

-Mais…<br />

-Vas-y, insista Kaznaël, en secouant la tête d'un air agacé."<br />

Jamie haussa <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s pour montrer qu'il ne comprenait pas plus<br />

qu'Arthur. Ce <strong>de</strong>rnier soupira.<br />

"Comme tu voudras, dit-il en tendant <strong>le</strong> bras en avant. Sache quand<br />

même que tu seras déçu car…"<br />

4


Il n'acheva pas sa phrase, <strong>le</strong> souff<strong>le</strong> coupé par une sensation glacée<br />

lui traversant <strong>le</strong> corps <strong>de</strong>s pieds à la tête. La température <strong>de</strong> la pièce<br />

chuta d'une vingtaine <strong>de</strong> <strong>de</strong>grés et la surface <strong>de</strong> la fenêtre se recouvrit<br />

d'une fine couche <strong>de</strong> givre. Toutes <strong>le</strong>s feuil<strong>le</strong>s posées sur <strong>le</strong> bureau<br />

s'étaient envolées, portées par un souff<strong>le</strong> bref mais intense.<br />

Drydock était apparue dans la main droite d'Arthur, aussi légère<br />

qu'une simp<strong>le</strong> baguette en bois. Lumineuse et miroitante, el<strong>le</strong> n'avait rien<br />

perdu <strong>de</strong> sa pureté. Au moindre mouvement, <strong>le</strong>s motifs gravés sur sa<br />

surface et <strong>le</strong> nom d'Arthur variant légèrement <strong>de</strong> cou<strong>le</strong>ur, passant <strong>de</strong><br />

l'azur à l'argenté.<br />

"Wow, laissa échapper Jamie en refermant rapi<strong>de</strong>ment sa veste."<br />

Sidéré, Arthur observa Drydock comme s'il la découvrait sous un<br />

nouveau jour. Il n'avait pas <strong>de</strong> mal à se remémorer la première fois qu'il<br />

avait fait appel à el<strong>le</strong>. Ce jour-là, l'épée lui avait semblé terrib<strong>le</strong>ment<br />

lour<strong>de</strong>, presque impossib<strong>le</strong> à manier. Or, la différente était désormais<br />

flagrante. Encore sous <strong>le</strong> choc, il fit glisser son in<strong>de</strong>x <strong>le</strong> long du liseré qui<br />

ornait <strong>le</strong> pourtour <strong>de</strong> l'arme.<br />

"Depuis combien <strong>de</strong> temps n'avais-tu pas fait ça? <strong>de</strong>manda Kaznaël.<br />

-Invoquer mon don? Un peu plus d'un mois je crois. Depuis notre retour<br />

<strong>de</strong> Sorgentel j'ai surtout pratiqué <strong>le</strong> duel au bâton avec Sally, je n'avais<br />

donc pas vraiment besoin <strong>de</strong> Drydock. Pourtant j'ai l'impression qu'el<strong>le</strong> est<br />

plus maniab<strong>le</strong> qu'avant."<br />

Kaznaël effectua un mouvement <strong>de</strong> recul, <strong>le</strong> voyant tenter <strong>de</strong> faire<br />

<strong>de</strong>s moulinets élaborés avec Drydock.<br />

"Pour discipliner ton don, discipline ton corps me disait Bennett, fit<br />

remarquer Jamie.<br />

-Qui est Bennett?<br />

-Un grand frère spirituel, répondit Jamie d'un air évasif. Bref… <strong>Les</strong> élus ont<br />

besoin d'une bonne dose <strong>de</strong> self-control pour maîtriser <strong>le</strong>ur don. Travail<strong>le</strong>r<br />

régulièrement avec Sally et subir son courroux n'ont pas été une perte <strong>de</strong><br />

temps. El<strong>le</strong> <strong>de</strong>vait savoir ce qu'el<strong>le</strong> faisait en te battant à mort trois fois<br />

par semaine."<br />

Une légère démangeaison se fit ressentir dans <strong>le</strong> dos d'Arthur. Il n'y<br />

prêta pas attention, sachant que <strong>le</strong> motif <strong>de</strong> l'Abnégation venait d'y<br />

apparaître, sous forme <strong>de</strong> larges caractères noirs d'origine Sorgenteli.<br />

Sonia lui avait expliqué qu'il s'agissait simp<strong>le</strong>ment d'une manifestation <strong>de</strong><br />

son don et qu'il ne <strong>de</strong>vait pas s'en inquiéter. Maria, <strong>le</strong> prédécesseur<br />

d'Arthur, avait vécu la même chose.<br />

"Il est fort peu probab<strong>le</strong> que tu puisses vaincre Samuel ainsi, mais au<br />

moins tu lui tiendras tête, intervint Kaznaël. Si tu continues à progresser<br />

4


aussi vite, votre prochaine rencontre ne s'achèvera pas comme la<br />

précé<strong>de</strong>nte."<br />

Arthur fit disparaître Drydock, la mine sombre. Il n'avait parlé à<br />

personne du message que lui avait fait parvenir Samuel quelques mois<br />

plus tôt. D'ail<strong>le</strong>urs, pris d'une hantise obscure, il n'avait pas jeté un œil à<br />

l'ouvrage qui <strong>le</strong> contenait. Samuel avait beau affirmer dans son message<br />

qu'il était du bon côté et qu'il oeuvrait contre la Confrérie, Arthur restait<br />

sceptique, voire très dubitatif. Il lui avait menti une fois, <strong>de</strong> manière<br />

magistra<strong>le</strong>. Recommencer ne <strong>de</strong>vait être qu'un jeu d'enfant pour lui. Sans<br />

compter qu'il avait tout <strong>de</strong> même capturé et torturé Kaznaël, attaqué Sally<br />

et Jamie dans <strong>le</strong> Sanctuaire Emerau<strong>de</strong>, probab<strong>le</strong>ment tué Maya, la<br />

protectrice du Palais <strong>de</strong> Glace, et enfoncé Casca<strong>de</strong> dans la poitrine<br />

d'Arthur. La mort <strong>de</strong>s élus <strong>de</strong> la première génération était la cerise sur <strong>le</strong><br />

gâteau. Il ne pouvait pas se fier à lui, il ne voulait même plus savoir ce<br />

que contenait <strong>le</strong> livre. Ce <strong>de</strong>rnier avait fini sous <strong>le</strong> lit, <strong>de</strong>rrière un bataillon<br />

<strong>de</strong> chaussures.<br />

"Kaz, j'ai un service à te <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r, dit Arthur."<br />

L'intéressé fronça <strong>le</strong>s sourcils, à l'écoute.<br />

"Comme GLOW ne soupçonne pas ta présence ici, il est hors <strong>de</strong> question<br />

que tu nous suives à Londres. Fina<strong>le</strong>ment ça tombe bien car j'aimerais<br />

que tu gar<strong>de</strong>s un œil sur mes grands-parents et Léonard. Je veux que tu<br />

me promettes <strong>de</strong> faire en sorte qu'il ne <strong>le</strong>ur arrive rien. La Confrérie ne<br />

doit pas en faire ses cib<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong> but <strong>de</strong> m'atteindre.<br />

-Très bien, je te fais <strong>le</strong> serment <strong>de</strong> <strong>le</strong>s protéger, assura Kaznaël en<br />

hochant <strong>le</strong>ntement la tête."<br />

Sachant ce que représentaient <strong>le</strong>s serments pour un protecteur,<br />

Arthur se sentit tout <strong>de</strong> suite soulagé. Kaznaël lui avait juré <strong>de</strong> l'ai<strong>de</strong>r à<br />

faire tomber la Confrérie et sauver Nils. Il savait qu'il pouvait lui faire une<br />

confiance aveug<strong>le</strong>.<br />

"Merci."<br />

Arthur ferma sa valise et se remit <strong>de</strong>bout. Il faisait assez froid dans<br />

la pièce <strong>de</strong>puis que Drydock avait fait son apparition, mais <strong>le</strong> chauffage<br />

faisait peu à peu son œuvre.<br />

"Je suis prêt!"<br />

Il saisit sur son bureau la chaîne argentée que lui avait restitué Nils<br />

à Sorgentel, la mit autour <strong>de</strong> son cou et enfila une veste, avant <strong>de</strong> faire<br />

signe à Jamie qu'ils pouvaient partir.<br />

"Kaz, on se retrouve pour <strong>le</strong> départ à Sorgentel…<br />

4


-…lorsque vous aurez retrouvé Fenrir et Altaïr, fit Kaznaël. Restez sur vos<br />

gar<strong>de</strong>s, plus particulièrement face à Fenrir. Cette entité n'est pas <strong>de</strong> cel<strong>le</strong>s<br />

que l'on peut faci<strong>le</strong>ment raisonner.<br />

-Au pire, on <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ra à Ana <strong>de</strong> créer une muselière géante, suggéra<br />

Jamie."<br />

Tous trois quittèrent la chambre, Arthur tirant sa valise <strong>de</strong>rrière lui.<br />

Ils parvinrent dans <strong>le</strong> salon, où Jamie récupéra <strong>de</strong>ux valises au poids<br />

indéterminé. Eric et Louise étaient assis sur un canapé, guettant <strong>le</strong>s<br />

voyageurs en buvant <strong>le</strong>ur thé.<br />

"Tiens mon grand, lança Eric en tendant une enveloppe à Arthur. Un peu<br />

d'argent <strong>de</strong> poche!<br />

-Ce n'était pas nécessaire grand-père, fit Arthur, gêné. Une fois sur place<br />

je serai nourri et blanchi.<br />

-Pas <strong>de</strong> protestation! Au pire tu nous ramèneras un souvenir. Mais surtout<br />

pas une <strong>de</strong> ces stupi<strong>de</strong>s tasses avec l'image <strong>de</strong> la reine <strong>de</strong>ssus."<br />

Jamie écarquilla <strong>le</strong>s yeux d'un air horrifié mais resta coi, tandis<br />

qu'Arthur saluait ses grands-parents.<br />

"Pas <strong>de</strong> bêtises en mon absence, dit-il à Kaznaël en lui serrant la main. Je<br />

te confie ma chambre.<br />

-Oui. A bientôt, murmura Kaznaël.<br />

-N'oubliez pas <strong>de</strong> nourrir cette ordure <strong>de</strong> Magellan, <strong>le</strong>ur rappela Arthur en<br />

ouvrant la porte <strong>de</strong> l'appartement.<br />

-Ne t'inquiète pas, il n'y a aucune chance qu'il nous laisse <strong>de</strong>ux heures <strong>de</strong><br />

répit celui-là, répondit Louise. Bon voyage! Surtout, pense à nous appe<strong>le</strong>r<br />

en arrivant. A bientôt Jamie!<br />

-Goodbye! dit Jamie en se courbant juste <strong>de</strong>vant l'entrée."<br />

<strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux amis sortirent <strong>le</strong>urs bagages, <strong>le</strong>s posèrent sur <strong>le</strong> palier,<br />

puis Arthur referma la porte <strong>de</strong>rrière lui, se <strong>de</strong>mandant quel<strong>le</strong> serait son<br />

humeur lorsqu'il reviendrait.<br />

"London is calling, déclara Jamie avec un grand sourire."<br />

4


Chapitre 3 : Le légat<br />

Juste après que la porte se soit refermée, Kaznaël retourna dans <strong>le</strong><br />

salon et se posta <strong>de</strong>vant la fenêtre, observant vaguement la ruel<strong>le</strong> plus<br />

bas. Arthur et Jamie venaient juste d'entrer dans une petite voiture rouge,<br />

après avoir chargé <strong>le</strong>urs bagages dans <strong>le</strong> coffre. En dépit du vent<br />

impitoyab<strong>le</strong> et <strong>de</strong>s premières gouttes <strong>de</strong> pluie, l'automobi<strong>le</strong> démarra<br />

aussitôt, roula jusqu'au bout <strong>de</strong> la rue, s'arrêta quelques instants au feu<br />

rouge, puis disparut après avoir tourné à droite. Ils étaient partis.<br />

"J'imagine qu'il <strong>de</strong>vient adulte plus vite qu'on ne s'y attendait, confia Eric."<br />

Kaznaël sursauta, ne l'ayant même pas senti approcher. Le vieil<br />

homme contemplait lui aussi la ruel<strong>le</strong>, affichant une expression satisfaite.<br />

Il s'était vêtu d'un pull épais, d'un par<strong>de</strong>ssus et avait un grand parapluie<br />

rouge à la main.<br />

"Bon, je vais <strong>de</strong>scendre faire <strong>le</strong>s courses pour <strong>le</strong> dîner <strong>de</strong> ce soir avant que<br />

<strong>le</strong> temps n'empire, déclara-t-il."<br />

Louise qui venait <strong>de</strong> rallier <strong>le</strong> canapé <strong>le</strong>va <strong>le</strong>s yeux, surprise.<br />

"Tu ne restes pas? s'étonna-t-el<strong>le</strong>.<br />

-Oh que non, répondit Eric en se dirigeant vers l'entrée <strong>de</strong> l'appartement.<br />

Vos histoires abracadabrantesques ne me concernent pas. Mieux j'en sais,<br />

mieux je me porte. A tout à l'heure!"<br />

Le claquement <strong>de</strong> la porte se fit entendre, suivi par <strong>le</strong>s bruits <strong>de</strong> pas<br />

d'Eric Gall dans l'escalier <strong>de</strong> l'immeub<strong>le</strong>. Kaznaël ne bougea pas <strong>de</strong> son<br />

point d'observation, pensif. Le bourdonnement <strong>de</strong> la télévision ne lui<br />

parvenait plus que <strong>de</strong> manière lointaine. Un simp<strong>le</strong> bruit <strong>de</strong> fond ne<br />

perturbant même pas sa réf<strong>le</strong>xion. Il fut ramené à la réalité par un soupir<br />

<strong>de</strong> Louise.<br />

"<strong>Les</strong> excuses <strong>de</strong> ce cher Arthur se font <strong>de</strong> plus en plus élaborées, dit-el<strong>le</strong><br />

en souriant. Le pauvre, lui qui déteste mentir. Il doit être tourmenté…<br />

Sans compter qu'Eric ne lui facilite pas la vie en <strong>le</strong> bombardant <strong>de</strong><br />

questions."<br />

Kaznaël se retourna et constata qu'el<strong>le</strong> l'observait. Son visage était<br />

toujours aussi souriant, mais son expression n'avait rien <strong>de</strong> cel<strong>le</strong> qui la<br />

caractérisait d'habitu<strong>de</strong>. El<strong>le</strong> paraissait plus soucieuse, bien qu'el<strong>le</strong> tentât<br />

<strong>de</strong> <strong>le</strong> dissimu<strong>le</strong>r.<br />

"Vous n'avez pas à vous inquiéter pour Arthur, assura Kaznaël. Il est prêt.<br />

-Prêt à lutter va<strong>le</strong>ureusement, pour sûr, mais qu'en sera-t-il lorsqu'il sera<br />

confronté à ses propres démons? Saura-t-il suivre son instinct et mettre <strong>le</strong><br />

reste <strong>de</strong> côté?"<br />

4


El<strong>le</strong> se frictionna <strong>le</strong>s mains, l'air pensif.<br />

"Quoi qu'il en soit, je dois lui faire confiance. Arthur a une personnalité<br />

rare, <strong>de</strong>s qualités que peu d'autres personnes ont. Par ail<strong>le</strong>urs il est très<br />

bien entouré, qu'il s'agisse <strong>de</strong>s élus… ou <strong>de</strong> toi.<br />

-Je ne fais qu'accomplir mon <strong>de</strong>stin, répondit Kaznaël sans sourcil<strong>le</strong>r.<br />

-Tu semb<strong>le</strong>s oublier que ton <strong>de</strong>stin n'a rien d'une ligne <strong>de</strong> conduite tracée<br />

arbitrairement et que l'on t'aurait imposée. Ce <strong>de</strong>stin et cette mission que<br />

tu évoques systématiquement pour justifier ton comportement, n'est-ce<br />

pas toi qui <strong>le</strong>s as choisis à l'époque où tu as été sauvé <strong>de</strong>s eaux? Si j'ose<br />

dire, c'est <strong>de</strong> ton p<strong>le</strong>in gré que tu as choisi d'assumer <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> qui t'a été<br />

confié… par pure loyauté, ou pour exprimer ta gratitu<strong>de</strong>."<br />

Kaznaël détourna <strong>le</strong> regard.<br />

"Je ne me souviens plus <strong>de</strong> cette époque. Vous évoquez un passé révolu.<br />

-J'en doute, riposta Louise d'une voix assurée. Même si ta mémoire te<br />

faisait défaut au moment où tu es venu dans notre mon<strong>de</strong>, je suis certaine<br />

que tu l'as recouvrée en gran<strong>de</strong> partie. Sans compter que tes instincts<br />

n'ont jamais disparu, eux. J'ai encore à l'esprit ta réaction <strong>le</strong> jour où<br />

Arthur t'a ramené chez nous en te faisant passer pour un étudiant<br />

étranger. Dès que tu m'as rencontrée, tu as été perturbé par ma<br />

présence. J'ai même cru que tu allais repartir aussitôt.<br />

-C'était dans mon intention, mais Arthur a ri <strong>de</strong> mon excuse.<br />

-Sans surprise! Lui affirmer que tu étais terrifié par <strong>le</strong>s personnes âgées…,<br />

soupira Louise. Tu mens presque aussi mal que lui."<br />

El<strong>le</strong> laissa échapper un rire. Malgré lui, Kaznaël ne put s'empêcher<br />

d'esquisser un sourire.<br />

"Je ne <strong>de</strong>vrais pas te taquiner ainsi, s'excusa-t-el<strong>le</strong>. Pas après que tu aies<br />

protégé mon petit fils pendant si longtemps. Tu aurais pu refuser, mais tu<br />

l'as fait. Tu es même allé bien au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> mes espérances.<br />

-Je ne fais qu'accomplir ma…<br />

-Assez <strong>de</strong> cet argument. Tu l'as fait car tu <strong>le</strong> considères comme un ami,<br />

c'est tout. C'est ce que font <strong>le</strong>s amis! Ils s'entrai<strong>de</strong>nt."<br />

Ce faisant, el<strong>le</strong> se <strong>le</strong>va <strong>de</strong> son siège, se dirigea vers lui et lui pinça<br />

énergiquement la joue pour <strong>le</strong> répriman<strong>de</strong>r. Kaznaël fit <strong>de</strong> gros yeux, pris<br />

au dépourvu. Louise agissait comme el<strong>le</strong> l'aurait fait avec Arthur.<br />

"O… Oui, admit Kaznaël, apeuré.<br />

-C'est mieux ainsi, dit-el<strong>le</strong> satisfaite."<br />

La sonnerie <strong>de</strong> la porte retentit à cet instant, sauvant Kaznaël <strong>de</strong> la<br />

faib<strong>le</strong> poigne <strong>de</strong> Louise. El<strong>le</strong> lui libéra la joue et s'empressa d'al<strong>le</strong>r ouvrir<br />

tandis qu'il restait immobi<strong>le</strong> <strong>de</strong>vant la fenêtre.<br />

4


"Oh, Ella, vous voila enfin, s'exclama Louise au loin.<br />

-Désolée, j'ai dû attendre qu'ils soient bien partis. A mon âge, rester<br />

cachée dans ma voiture comme une vo<strong>le</strong>use…"<br />

Kaznaël tressaillit. Ella? Ella Jones? Il avait déjà entendu ce nom<br />

quelque part, <strong>de</strong> la bouche <strong>de</strong> Sonia, ou d'Arthur. La dirigeante <strong>de</strong> GLOW<br />

qui n'était pas censée savoir qu'il était <strong>de</strong>meuré dans ce mon<strong>de</strong>, réalisa-til<br />

après un court instant <strong>de</strong> réf<strong>le</strong>xion. A <strong>de</strong> nombreuses reprises, Sonia<br />

avait fermement déclaré qu'il ne <strong>de</strong>vait jamais la rencontrer. A force<br />

d'entendre <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> cette femme, il se l'était imaginé comme une sorte<br />

<strong>de</strong> matrone furieuse, capab<strong>le</strong> <strong>de</strong> répandre la terreur parmi <strong>le</strong>s élus. La<br />

femme <strong>de</strong> Priam, en pire.<br />

"Entrez, entrez, fit la voix <strong>de</strong> Louise."<br />

Ella la remercia poliment et <strong>le</strong> bruit <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs pas se fit <strong>de</strong> plus en<br />

proche. El<strong>le</strong>s étaient encore dans <strong>le</strong> couloir. Pris d'une soudaine<br />

inspiration, Kaznaël ouvrit la fenêtre et commença à l'enjamber, prêt à<br />

sauter.<br />

"Oui, Kaznaël est bien là, affirma Louise en entrant dans <strong>le</strong> salon."<br />

Kaznaël se figea, puis fit volte-face après un moment d'hésitation.<br />

<strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux femmes se tenaient <strong>de</strong>rrière <strong>le</strong> fauteuil, contemplant sa tentative<br />

<strong>de</strong> fuite avec perp<strong>le</strong>xité. Ella plissa <strong>le</strong>s yeux, dépitée.<br />

"Je…, commença Kaznaël.<br />

-Inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> prendre la clé <strong>de</strong>s champs, Ella sait <strong>de</strong>puis bel<strong>le</strong> lurette que tu<br />

vis ici, confia Louise.<br />

-Ah.<br />

-Ma foi, je ne pensais pas inspirer une peur tel<strong>le</strong> qu'il soit prêt à sauter <strong>de</strong><br />

si haut, fit Ella avec un petit rire.<br />

-Je ne l'aurais pas soupçonné non plus. Il doit avoir <strong>de</strong>ux Kaz en moins,<br />

plaisanta Louise."<br />

Toutes <strong>de</strong>ux éclatèrent d'un rire commun, <strong>le</strong> laissant plongé dans <strong>le</strong><br />

plus grand désarroi. Il se résigna, revint à l'intérieur du salon et referma<br />

la fenêtre. Quelques feuil<strong>le</strong>s s'étaient introduites dans <strong>le</strong>s lieux et gisaient<br />

immobi<strong>le</strong>s sur <strong>le</strong> tapis, procurant un amusement inattendu au chat<br />

Magellan.<br />

Une dizaine <strong>de</strong> minutes plus tard, Kaznaël se tenait toujours <strong>de</strong>vant<br />

la fenêtre – ce coin <strong>de</strong> la pièce faisant office d'abri psychologique – tandis<br />

que <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux femmes, assises dans <strong>le</strong> canapé, buvaient <strong>le</strong>ur café en<br />

papotant <strong>de</strong> tout et <strong>de</strong> rien, comme <strong>de</strong>s amies <strong>de</strong> longue date.<br />

Juste après son arrivée, Ella avait brièvement expliqué que Louise<br />

l'avait informé <strong>de</strong> la présence <strong>de</strong> Kaznaël dès <strong>le</strong> premier jour. Au début, la<br />

dirigeante n'avait pas souhaité qu'il <strong>de</strong>meure dans <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> humain, <strong>de</strong><br />

4


peur qu'il y crée <strong>de</strong>s troub<strong>le</strong>s ou, pire, qu'il soit <strong>de</strong> nouveau approché par<br />

la Confrérie. Puis, el<strong>le</strong> s'était rassérénée en pensant qu'il serait sous la<br />

coupe <strong>de</strong> Louise, dans un logement régulièrement visité par <strong>le</strong>s élus.<br />

Ainsi, il pourrait à la fois assurer la protection d'Arthur et être étroitement<br />

surveillé par Louise.<br />

"Tu n'imagines pas à quel point ce pauvre Kaz avait peur <strong>de</strong> moi <strong>le</strong>s<br />

premiers jours, révéla Louise. Dès qu'Arthur quittait <strong>le</strong>s lieux, il faisait en<br />

sorte <strong>de</strong> disparaître aussitôt, quitte à ne revenir que <strong>le</strong> soir. Tout ceci dans<br />

<strong>le</strong> seul but <strong>de</strong> ne pas rester seul avec moi. Il n'avait pas <strong>le</strong> moindre souci<br />

avec Eric, mais moi… bon sang, j'en venais à me sentir coupab<strong>le</strong>.<br />

-Je regrette d'avoir raté ça, dit Ella en observant Kaznaël du coin <strong>de</strong> l'œil.<br />

Le Protecteur, mis en échec par une retraitée <strong>de</strong> l'Education Nationa<strong>le</strong>.<br />

-Ne t'inquiète pas, je lui ai rapi<strong>de</strong>ment imposé une discussion afin qu'il<br />

sache qu'il n'avait pas à me craindre."<br />

Kaznaël fronça <strong>le</strong>s sourcils, agacé que ces <strong>de</strong>ux femmes âgées se<br />

moquent <strong>de</strong> lui comme s'il n'était pas là. Ce n'était pas son rô<strong>le</strong>, ce n'était<br />

pas là sa place. La simp<strong>le</strong> idée d'être bloqué à Paris alors que <strong>le</strong>s élus<br />

allaient sans doute être confrontés aux membres <strong>de</strong> la Confrérie lui<br />

semblait absur<strong>de</strong>. Si Ella Jones savait qu'il vivait chez Arthur, il aurait<br />

fina<strong>le</strong>ment pu al<strong>le</strong>r à Londres pour ai<strong>de</strong>r à rechercher <strong>le</strong>s créatures.<br />

Inconsciemment il serra <strong>le</strong>s poings et se mit dos au mur, tentant <strong>de</strong><br />

s'apaiser.<br />

"Venons en aux choses sérieuses, dit soudain Louise. Après tout, j'imagine<br />

que tu es débordée en ce moment.Quel<strong>le</strong> a été la réaction d'Enzo?"<br />

Ella remuait <strong>le</strong>ntement son café avec une cuillère, yeux dans <strong>le</strong> vague.<br />

"Il a été décontenancé, bien évi<strong>de</strong>mment, répondit-el<strong>le</strong>. Toutefois, il n'a<br />

pas émis d'objection. J'imagine qu'il a dû rava<strong>le</strong>r sa fierté et accepter ta<br />

décision.<br />

-J'espère qu'il n'a pas pensé que j'agissais dans <strong>le</strong> but <strong>de</strong> remettre en<br />

cause son autorité, s'enquit Louise. Je pensais à Arthur avant tout.<br />

L'envoyer à Londres aurait été une très mauvaise idée.<br />

-J'avoue m'être <strong>de</strong>mandé pendant un bon moment si tu ne tentais pas<br />

juste <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r ton précieux petit-fils auprès <strong>de</strong> toi.<br />

-Oh, Ella! Comment ose-tu ne serait-ce qu'imaginer une tel<strong>le</strong> chose?<br />

répliqua Louise en haussant <strong>le</strong>s sourcils. Je sais faire la part <strong>de</strong>s choses.<br />

C'est d'ail<strong>le</strong>urs pour cette raison que je préfère dissimu<strong>le</strong>r mon statut à<br />

Arthur pour l'instant. Je ne voudrais pas qu'il doive à chaque fois se<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si je lui par<strong>le</strong> en tant que grand-mère ou en tant que légat.<br />

-C'est un raisonnement qui tient la route, admit Ella.<br />

-Merci. Je pense sincèrement que c'est à Paris qu'il s'épanouira <strong>le</strong> plus, en<br />

tant que jeune adulte et en tant qu'élu. Moi vivante, il ne bougera pas<br />

d'ici."<br />

4


Kaznaël sentit son estime pour Louise faire un bond. El<strong>le</strong> n'avait<br />

jamais fait preuve d'autant <strong>de</strong> détermination <strong>de</strong>vant lui, jusqu'à présent.<br />

Etait-ce <strong>le</strong> fait qu'el<strong>le</strong> soit <strong>le</strong> légat d'Arthur ou un simp<strong>le</strong> trait <strong>de</strong> caractère?<br />

Il ne <strong>le</strong> savait pas, mais sa considération pour el<strong>le</strong> n'en était pas moins<br />

gran<strong>de</strong>.<br />

"Louise, toi qui connais bien ton petit-fils, j'ai une question à te poser, fit<br />

soudain Ella, visib<strong>le</strong>ment troublée.<br />

-Fais donc.<br />

-A ton avis, que se passera-t-il la prochaine fois qu'Arthur se retrouvera<br />

face à Samuel?"<br />

Un long si<strong>le</strong>nce s'ensuivit. L'ambiance était soudain <strong>de</strong>venue lour<strong>de</strong>,<br />

oppressante. Louise mit du temps à vi<strong>de</strong>r sa tasse <strong>de</strong> café, comme pour<br />

retar<strong>de</strong>r l'instant <strong>de</strong> sa réponse. Lorsqu'el<strong>le</strong> la reposa sur la tab<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> se<br />

tourna vers Kaznaël.<br />

"Je ne sais pas vraiment. Quelque chose me dit que Kaz est <strong>le</strong> plus à<br />

même <strong>de</strong> répondre à cette question."<br />

4


Chapitre 4 : Paris – Londres – Kent<br />

Norah freina bruta<strong>le</strong>ment, propulsant sans ménagement Arthur et<br />

Jamie sur <strong>le</strong>s repose-têtes <strong>de</strong>s sièges avant. Ils se mirent à rouspéter,<br />

n'obtenant en réponse qu'une grimace <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur chauffeur improvisé.<br />

"Zut, ce chauffard m'a subtilisé la place, bougonna-t-el<strong>le</strong>."<br />

Arthur frotta son nez endolori, accusant <strong>le</strong> choc. Derrière eux, <strong>de</strong>s<br />

klaxons furieux rappelèrent à Norah qu'el<strong>le</strong> n'était pas la seu<strong>le</strong> sur la<br />

route. El<strong>le</strong> murmura <strong>de</strong>s jurons puis se tourna vers ses passagers en<br />

fronçant <strong>le</strong>s sourcils. Ils <strong>de</strong>meurèrent interdits, s'attendant à une<br />

répriman<strong>de</strong>.<br />

"Impossib<strong>le</strong> <strong>de</strong> se garer dans <strong>le</strong> coin à cette heure-ci, dit l'assistante d'un<br />

air résigné. Vous feriez mieux <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre, je vais al<strong>le</strong>r chercher une<br />

place dans <strong>le</strong>s petites rues.<br />

-Je vois <strong>de</strong> la place là-bas, fit remarquer Jamie en pointant du doigt un<br />

emplacement étroit situé plus loin. A moins que… tu n'aimes pas l'idée <strong>de</strong><br />

rater ton créneau <strong>de</strong>vant autant <strong>de</strong> mon<strong>de</strong>?<br />

-Je refuse d'entendre ce genre <strong>de</strong> commentaires <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> personnes<br />

n'ayant pas <strong>le</strong>ur permis, riposta-t-el<strong>le</strong>. Outre <strong>le</strong> fait que je sois<br />

gracieusement venue vous chercher avec ma voiture personnel<strong>le</strong> alors que<br />

cela ne fait pas partie <strong>de</strong> mes attributions, je…<br />

-Tu quoi? fit Jamie en arborant un sourire."<br />

<strong>Les</strong> klaxons retentirent <strong>de</strong> nouveau, <strong>de</strong> manière plus appuyée.<br />

Norah soupira et <strong>le</strong>ur fit signe <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre au plus vite. El<strong>le</strong> avait beau<br />

essayer, el<strong>le</strong> n'arrivait jamais à atteindre <strong>le</strong> <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> répartie <strong>de</strong> Sonia,<br />

songea Arthur en ouvrant la portière.<br />

<strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux garçons quittèrent la Twingo rouge sous une pluie <strong>de</strong><br />

klaxons, récupérèrent <strong>le</strong>urs valises laborieusement encastrées dans <strong>le</strong><br />

coffre et rallièrent rapi<strong>de</strong>ment <strong>le</strong> trottoir. <strong>Les</strong> vents vio<strong>le</strong>nts qui affectaient<br />

la vil<strong>le</strong> <strong>de</strong>puis plusieurs heures étaient brusquement retombés durant <strong>le</strong><br />

trajet en voiture. Désormais <strong>le</strong> ciel, bien que pâ<strong>le</strong>, était dégagé et calme.<br />

"Je vous rejoins dès que j'ai garé la voiture, cria Norah par-<strong>de</strong>ssus sa<br />

vitre. Vos confrères sont dans la cour!"<br />

La jeune femme rousse démarra en trombe, au grand soulagement<br />

<strong>de</strong> la dizaine d'automobilistes bloqués <strong>de</strong>rrière el<strong>le</strong>. Le sourire aux lèvres,<br />

Arthur empoigna alors sa valise et se dirigea vers l'entrée <strong>de</strong> l'immeub<strong>le</strong><br />

abritant la section parisienne <strong>de</strong> GLOW. La faça<strong>de</strong> défraîchie du bâtiment<br />

laissait toujours entendre qu'une obscure maison d'édition nommée<br />

Trujillo occupait <strong>le</strong>s lieux, bien que jamais <strong>le</strong> moindre best-sel<strong>le</strong>r n'en<br />

fusse sorti.<br />

"J'y pense, tu comptes voir Anaïs une fois là-bas? <strong>de</strong>manda Jamie.<br />

4


-Oui, <strong>de</strong>main après la réunion <strong>de</strong> GLOW, répondit sobrement Arthur. On<br />

s'est organisés par mail.<br />

-Hum… Je vois.<br />

-Sans commentaire Jam'.<br />

-Okay, okay, je m'abstiens mais n'en pense pas moins!"<br />

Arthur ignora cette remarque et se posta <strong>de</strong>vant <strong>le</strong> visiophone <strong>de</strong><br />

l'immeub<strong>le</strong>.<br />

"Et on entre comment sans Norah? réalisa-t-il soudain. C'est el<strong>le</strong> qui<br />

assure l'accès <strong>de</strong>s visiteurs au QG.<br />

-Il <strong>de</strong>vrait tout <strong>de</strong> même y avoir quelqu'un à son bureau, dit Jamie en<br />

appuyant sur <strong>le</strong> bouton."<br />

L'écran s'alluma presque aussitôt, montrant <strong>le</strong> visage goguenard<br />

d'Ana Rosa, une élue, comme eux. El<strong>le</strong> esquissa un sourire en <strong>le</strong>s<br />

i<strong>de</strong>ntifiant, passa la main dans ses courts cheveux noirs, croisa <strong>le</strong>s bras et<br />

posa <strong>le</strong>s pieds sur <strong>le</strong> bureau <strong>de</strong> Norah.<br />

"Bonjour, déclara-t-el<strong>le</strong> en mimant soudain la secrétaire <strong>de</strong> Mme Jones. Je<br />

suis payée à ne rien faire et je passe <strong>le</strong> tiers <strong>de</strong> ma journée à surfer sur<br />

internet pour trouver <strong>de</strong>s photos du Dr Martin. J'adooooooooore <strong>le</strong> Dr<br />

Martin."<br />

Ana Rosa se mit à battre <strong>de</strong>s paupières et prit une voix superficiel<strong>le</strong>,<br />

déc<strong>le</strong>nchant <strong>le</strong>s éclats <strong>de</strong> rire d'Arthur et Jamie.<br />

"Haaaaaaaaaaaaaaan, Docteur Martiiiiiiiiiin! soupira Ana Rosa en plaquant<br />

<strong>le</strong> revers <strong>de</strong> sa main sur son front. Comment vais-je lui déclarer ma<br />

flamme? Je pourrais lui écrire une <strong>le</strong>ttre, ou lancer <strong>de</strong>s signes, ou… IRK!"<br />

Arthur et Jamie tressaillirent, sentant une présence hosti<strong>le</strong> dans <strong>le</strong>ur<br />

dos. Norah était revenue plus vite que prévu et fusillait Ana Rosa du<br />

regard, via <strong>le</strong> visiophone. La jeune élue, visib<strong>le</strong>ment gênée, émit un rire<br />

nerveux.<br />

"Je te confie mon bureau et tu oses m'imiter? s'indigna Norah en<br />

approchant <strong>le</strong> visage du visiophone.<br />

-Oui, tu n'as pas honte <strong>de</strong> te moquer d'el<strong>le</strong> espèce <strong>de</strong> sournoise? ajouta<br />

Arthur pour se dédouaner.<br />

-C'est vraiment indélicat <strong>de</strong> ta part Ana, s'offusqua Jamie en se retenant<br />

<strong>de</strong> rire."<br />

L'assistante <strong>le</strong>s considéra avec une nuance <strong>de</strong> fureur qu'Arthur<br />

n'avait jamais perçue chez el<strong>le</strong> auparavant. Une expression tout à fait<br />

digne <strong>de</strong> Sonia cette fois-ci. On ne plaisantait pas décemment avec<br />

l'admiration qu'éprouvait Norah pour <strong>le</strong> Dr Martin.<br />

5


Arthur fut soulagé <strong>de</strong> voir Ana Rosa déc<strong>le</strong>ncher l'ouverture <strong>de</strong> la<br />

porte et s'engouffra aussitôt à l'intéérieur, avant que l'assistante n'ait <strong>le</strong><br />

temps <strong>de</strong> déverser son sp<strong>le</strong>en sur lui. Jamie fut sacrifié et condamné à<br />

supporter seul la plainte.<br />

Après avoir traversé <strong>le</strong> vestibu<strong>le</strong> encombré <strong>de</strong> cartons, Arthur arriva<br />

dans la cour où patientaient déjà Sally et Andreas. Ce <strong>de</strong>rnier sirotait<br />

sereinement une canette <strong>de</strong> jus d'orange, dos à la petite fontaine qui<br />

égayait l'endroit, tandis que Sally était affalée sur une grosse valise b<strong>le</strong>ue.<br />

Plusieurs autres bagages <strong>de</strong> même amp<strong>le</strong>ur, empilés <strong>le</strong>s uns sur <strong>le</strong>s<br />

autres, formaient une sorte <strong>de</strong> barrière entre eux et l'entrée <strong>de</strong>s bureaux.<br />

Andreas <strong>le</strong>va <strong>le</strong>s yeux, sans doute a<strong>le</strong>rté par la voix <strong>de</strong> Norah. Ses<br />

lunettes glissèrent sur son nez et il dût <strong>le</strong>s remettre en place pour<br />

reconnaître Arthur. Sans un mot, il marcha vers lui, lui serra la main en<br />

continuant à boire son jus, puis repartit à son poste.<br />

"Salut aussi Andreas, dit Arthur sans se vexer."<br />

Andreas n'était pas réputé pour sa loquacité. Timi<strong>de</strong>, discret et<br />

souvent prompt à minimiser ses capacités <strong>de</strong> réf<strong>le</strong>xion hors du commun, il<br />

faisait rarement <strong>le</strong> premier pas. <strong>Les</strong> élus avaient rapi<strong>de</strong>ment compris que<br />

pour lui, effectuer plusieurs mètres pour saluer quelqu'un était un signe<br />

<strong>de</strong> considération.<br />

"Aaaaaah, ai<strong>de</strong>-moi à me <strong>le</strong>ver Andreas, gémit Sally."<br />

Il lui tendit une main salvatrice et tira d'un coup, pour la décol<strong>le</strong>r <strong>de</strong><br />

son siège <strong>de</strong> fortune et la mettre <strong>de</strong>bout. Sally, bien que toujours aussi<br />

charmante selon Arthur, affichait une expression éreintée qui lui donnait<br />

dix ans <strong>de</strong> plus. La jeune femme n'avait pas semblé aussi épuisée <strong>de</strong>puis<br />

l'arrivée impromptue <strong>de</strong> la neige à Paris, en février. El<strong>le</strong> avait aussitôt<br />

décrété qu'el<strong>le</strong> <strong>de</strong>vait retourner se réchauffer au Sénégal avant la reprise<br />

<strong>de</strong>s activités <strong>de</strong> GLOW. De fait, Arthur ne l'avait pas vue <strong>de</strong>puis trois ou<br />

quatre semaines.<br />

"Salut Arthur, murmura-t-el<strong>le</strong> en titubant vers lui. Contente <strong>de</strong> te<br />

revoir!…"<br />

En guise d'accola<strong>de</strong>, el<strong>le</strong> lui tomba dans <strong>le</strong>s bras comme une masse.<br />

<strong>Les</strong> genoux d'Arthur ployèrent, aussi surpris que lui.<br />

"S… Salut? Si j'ose dire…<br />

-Désolée, s'excusa-t-el<strong>le</strong> en reprenant son équilibre, je n'ai quasiment pas<br />

dormi <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux jours. Mon avion est arrivé <strong>de</strong> Dakar il y a à peine<br />

quatre heures et je dois déjà repartir pour Londres.<br />

-Ouch, fit Arthur d'un air compatissant.<br />

-Je n'ai même pas eu <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> repasser à mon appartement et je vais<br />

voyager avec <strong>le</strong>s mêmes bagages que ceux que je viens <strong>de</strong> ramener du<br />

Sénégal, se lamenta Sally. Mais surtout…"<br />

5


El<strong>le</strong> eut un frisson.<br />

"…il fait toujours aussi froiiiiiiid ici, couina-t-el<strong>le</strong> en secouant Arthur<br />

comme un prunier.<br />

-Et en quoi suis-je responsab<strong>le</strong>? protesta Arthur.<br />

-Je t'ai sous la main, c'est tout, se justifia Sally. Dis, tu comptes raser<br />

cette horrib<strong>le</strong> barbe et couper tes cheveux?<br />

-Non, ça fait partie <strong>de</strong> son nouveau sty<strong>le</strong> royal, intervint Jamie en arrivant<br />

avec Norah."<br />

Il se gratta la tête et baissa <strong>le</strong>s yeux.<br />

"Salut Sally, content <strong>de</strong> te revoir, fit-il avec un sourire discret.<br />

-Salut…"<br />

Sally aurait manifestement rougi si sa cou<strong>le</strong>ur <strong>de</strong> peau <strong>le</strong> lui avait<br />

permis. El<strong>le</strong> ne dût son salut qu'à la venue d'Ana Rosa, laquel<strong>le</strong> fut<br />

immédiatement prise à parti par Norah pour sa récente prestation.<br />

"Ne me tire pas <strong>le</strong>s cheveux, cria Ana Rosa en repoussant Norah, je ne<br />

faisais que plaisanter! Je ne te prends pas pour une gour<strong>de</strong>!"<br />

Arthur contempla <strong>le</strong>s valises <strong>de</strong> plus en plus nombreuses sur <strong>le</strong> sol.<br />

"Il nous manque du mon<strong>de</strong>, n'est-ce pas?<br />

-Excepté Sonia qui est déjà à Londres, il vous manque Rachel et Elliott, lui<br />

répondit Norah.<br />

-Et Rick, Asuka et Shu, fit remarquer Ana Rosa.<br />

-Oui, c'est vrai admit Norah d'un air gêné."<br />

Un court si<strong>le</strong>nce s'ensuivit, comme si <strong>le</strong>s trois compères cités étaient<br />

passés outre tombe.<br />

"Hum… Où sont Rachel et Elliott? <strong>de</strong>manda Arthur pour changer <strong>de</strong> sujet.<br />

-Elliott est déjà à la gare, pour une raison que j'ignore, et Rachel… Rachel,<br />

je ne sais pas, el<strong>le</strong> a déposé ses bagages ici ce matin, m'a expliqué qu'el<strong>le</strong><br />

avait un ren<strong>de</strong>z-vous qu'el<strong>le</strong> ne pouvait pas annu<strong>le</strong>r et qu'el<strong>le</strong> nous<br />

rejoindrait aussi vite que possib<strong>le</strong>. Je n'ai pas <strong>de</strong> nouvel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>puis.<br />

-Osons espérer qu'el<strong>le</strong> ne nous fera pas rater <strong>le</strong> train, marmonna Ana<br />

Rosa.<br />

-Mais… Vous oubliez Xenia, intervint Sally. El<strong>le</strong> est censée être revenue en<br />

France, non?<br />

-Tu n'es pas au courant? s'étonna Arthur.<br />

-On a tous reçu une carte posta<strong>le</strong> pourtant, ajouta Ana Rosa.<br />

-El<strong>le</strong> n'a pas eu <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> rentrer chez el<strong>le</strong> prendre son courrier, fit<br />

justement remarquer Andreas."<br />

5


Devant l'air déconcerté <strong>de</strong> Sally, Arthur exposa la situation, du<br />

moins ce qu'il en savait. Quelques jours plus tôt, Xenia <strong>le</strong>ur avait écrit<br />

pour <strong>le</strong>ur expliquer qu'el<strong>le</strong> ne pourrait pas <strong>le</strong>s accompagner dans la<br />

recherche <strong>de</strong>s créatures. Alors qu'el<strong>le</strong> était prête à quitter la Russie, sa<br />

mère avait manifesté d'importants problèmes <strong>de</strong> santé qui requéraient la<br />

présence <strong>de</strong> ses proches auprès d'el<strong>le</strong>.<br />

"…mais el<strong>le</strong> reviendra sûrement pour partir avec vous à Sorgentel, une<br />

fois que vous aurez récupéré ces sa<strong>le</strong>s bêtes, conclut Norah avec une once<br />

d'incertitu<strong>de</strong>."<br />

Sally eut l'air déçu <strong>de</strong> l'absence <strong>de</strong> Xenia. Tous savaient que <strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux jeunes femmes étaient assez proches et que Sally s'était toujours<br />

sentie coupab<strong>le</strong> <strong>de</strong> ne pas avoir remarqué l'emprise qu'avait eu la<br />

Confrérie sur el<strong>le</strong>.<br />

"El<strong>le</strong> nous rejoindra dès que possib<strong>le</strong> dans ce cas, s'exclama Sally en<br />

feignant un sourire. Ca me fait penser que je t'ai ramené un souvenir<br />

Arthur.<br />

-Ah?<br />

-Tu es <strong>le</strong> seul à ne jamais avoir bénéficié <strong>de</strong> mes souvenirs <strong>de</strong> voyage,<br />

c'est une première pour toi, dit-el<strong>le</strong> en ouvrant sa valise pour en sortir une<br />

large pièce <strong>de</strong> tissu."<br />

Arthur laissa d'abord échapper un cri, pensant qu'el<strong>le</strong> venait <strong>de</strong> lui<br />

dévoi<strong>le</strong>r une robe b<strong>le</strong>ue brodée.<br />

"Ne sois pas stupi<strong>de</strong>, ce n'est qu'un boubou que je t'ai fait faire au<br />

Sénégal, <strong>le</strong> gourmanda-t-el<strong>le</strong> après avoir <strong>de</strong>viné <strong>le</strong> fond <strong>de</strong> sa pensée.<br />

Tous <strong>le</strong>s hommes classieux et conscients <strong>de</strong> l'être portent ça là-bas! Même<br />

Jamie et Andreas en ont.<br />

-C'est vrai?"<br />

<strong>Les</strong> intéressés hochèrent si<strong>le</strong>ncieusement la tête, tandis qu'Arthur<br />

accordait un <strong>de</strong>uxième regard, plus diligent, à l'amp<strong>le</strong> tenue b<strong>le</strong>ue qu'avait<br />

dépliée Sally. El<strong>le</strong> ressemblait à une djellaba, plus large que la norma<strong>le</strong>. Il<br />

était presque certain d'avoir vu Eric Gall porter un vêtement similaire sur<br />

une vieil<strong>le</strong> photo <strong>de</strong> sa "pério<strong>de</strong> africaine". Avec <strong>le</strong> recul, il se dit qu'il<br />

s'agissait sans doute là d'un ca<strong>de</strong>au <strong>de</strong> va<strong>le</strong>ur qu'il pourrait agiter sous <strong>le</strong><br />

nez <strong>de</strong> son grand-père pour <strong>le</strong> faire bisquer.<br />

"Tiens, tu pourras l'essayer quand on sera dans l'Eurostar, dit Sally,<br />

radieuse.<br />

-M… Merci… Sally."<br />

Ana Rosa et Jamie s'esclaffèrent discrètement, sous <strong>le</strong> regard<br />

catastrophé d'Arthur. A cet instant, une sirène provenant sans doute d'un<br />

véhicu<strong>le</strong> d'urgence se fit entendre à l'extérieur du bâtiment, dans<br />

5


l'avenue. Cependant, au lieu <strong>de</strong> s'accroître puis <strong>de</strong> s'éloigner comme à<br />

l'accoutumée, <strong>le</strong> bruit <strong>de</strong> la sirène resta constant, comme si <strong>le</strong> véhicu<strong>le</strong><br />

s'était stationné juste <strong>de</strong>vant l'entrée du QG. Norah écarquilla <strong>le</strong>s yeux.<br />

"Ca ne peut pas être pour ici, dit-el<strong>le</strong> en haussant <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s."<br />

Un court instant plus tard, la porte <strong>de</strong> l'immeub<strong>le</strong> s'ouvrit et Rachel<br />

fit son entrée, montée sur <strong>de</strong>s talons inconfortab<strong>le</strong>s et vêtue d'un tail<strong>le</strong>ur<br />

noir. El<strong>le</strong> défit la barrette qui retenait ses longs cheveux noirs, <strong>le</strong>s<br />

ébouriffa, puis s'introduisit dans la cour tandis que la sirène semblait enfin<br />

s'éloigner. Comme souvent ces <strong>de</strong>rniers temps, el<strong>le</strong> paraissait d'humeur<br />

maussa<strong>de</strong>. En passant <strong>de</strong>vant Jamie, el<strong>le</strong> s'attarda sur sa tenue.<br />

"Jamie, tous ces trous dans ton jean c'est pour te donner un sty<strong>le</strong> SDF ou<br />

pour aérer tes bijoux <strong>de</strong> famil<strong>le</strong>?<br />

-Dois-je vraiment répondre? répliqua-t-il avec un sourire.<br />

-Par pitié non, mais accepte au moins ceci : <strong>le</strong>s Converse ne reviendront<br />

jamais à la mo<strong>de</strong>, alors cesse d'en porter!"<br />

El<strong>le</strong> se tourna enfin vers <strong>le</strong>s autres, <strong>le</strong> visage relaxé.<br />

"Salut tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>, soupira-t-el<strong>le</strong> en faisant la bise à Sally. Tu as fait<br />

bon voyage toi?<br />

-Oh, et bien…, commença Sally.<br />

-JE SUIS MORTE, cria Rachel en retirant ses talons."<br />

Effrayée, Sally tressaillit. Rachel ouvrit l'une <strong>de</strong> ses trois valises et y<br />

récupéra <strong>de</strong>s chaussures qui ne compresseraient pas chacun <strong>de</strong> ses<br />

orteils. El<strong>le</strong> <strong>le</strong>s enfila avec soulagement.<br />

"Que se passe-t-il? <strong>de</strong>manda Jamie. Tu es dans tous tes états.<br />

-Mon père a envoyé David Stinklitsky à Paris pour qu'il me convainque <strong>de</strong><br />

l'épouser, répondit Rachel d'un air indigné.<br />

-Stinky est <strong>de</strong> retour? s'exclama Ana Rosa, visib<strong>le</strong>ment ravie.<br />

-Hélas oui…<br />

-Qui est… euh, Stinky? <strong>de</strong>manda Arthur.<br />

-L'avocat new-yorkais que <strong>le</strong>s parents <strong>de</strong> Rachel Vivian Mitchells<br />

voudraient la voir épouser, ricana Ana Rosa.<br />

-Il est riche, dit Sally.<br />

-Il sort <strong>de</strong> Ya<strong>le</strong>, dit Ana Rosa.<br />

-Mais il est moche, reprit Sally.<br />

-On dirait Bing Crosby en jeune, confirma Ana Rosa.<br />

-Ewwww, se lamenta Rachel.<br />

-Et c'est un avocat, comme <strong>le</strong> père <strong>de</strong> Rachel, ajouta Jamie.<br />

-Pourquoi tes parents veu<strong>le</strong>nt-ils te faire épouser ce type si tu ne l'aimes<br />

pas… à part <strong>le</strong> fait qu'il est riche, manifestement laid, et qu'il a fait <strong>de</strong><br />

bonnes étu<strong>de</strong>s? s'enquit Arthur.<br />

5


-Parce que c'est un bon juif, cria Rachel en saisissant vio<strong>le</strong>mment Arthur<br />

par <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s. Si j'épouse un goy, ma mère m'éviscérera vivante puis se<br />

pendra! Mon père s'en moque, mais ma mère… (el<strong>le</strong> brandit un in<strong>de</strong>x<br />

terrifiant) est un tyran qui veut m'imposer son choix! Sorcière!<br />

-Ca n'explique pas <strong>le</strong>s sirènes que nous avons entendues à ton arrivée,<br />

remarqua Jamie.<br />

-Oh ça…, fit Rachel en rougissant. Mon déjeuner avec Stinky s'éternisait<br />

terrib<strong>le</strong>ment et il a voulu enchaîner sur un café, sans me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r mon<br />

avis. Ce type est un véritab<strong>le</strong> goujat qui aime s'entendre par<strong>le</strong>r et<br />

n'accor<strong>de</strong> pas <strong>le</strong> moindre crédit à mon point <strong>de</strong> vue. Après avoir subi <strong>le</strong><br />

récit <strong>de</strong> sa vie pendant trois heures sans pouvoir faire autre chose que <strong>de</strong><br />

hocher la tête, j'ai commencé à réfléchir à un moyen subtil <strong>de</strong> m'enfuir.<br />

-Tu n'as pas osé? s'écria Ana Rosa, incrédu<strong>le</strong>.<br />

-Si! Il ne m'a pas laissé <strong>le</strong> choix. Autrement, je serais encore là-bas!"<br />

Rachel esquissa un sourire satisfait.<br />

"Le café où nous étions installés se trouvait près d'une caserne <strong>de</strong><br />

pompiers. Une opportunité à ne pas rater! J'ai utilisé mes ta<strong>le</strong>nts d'actrice<br />

pour feindre un malaise et être sauvée par <strong>le</strong>s pompiers qu'avait contacté<br />

<strong>le</strong> patron du café."<br />

Arthur éclata <strong>de</strong> rire. Rachel avait <strong>le</strong> don pour utiliser tous <strong>le</strong>s<br />

moyens à sa disposition afin <strong>de</strong> parvenir à ses fins.<br />

"Tu n'as aucune éthique, soupira Ana Rosa.<br />

-Oh que non, ces pompiers non plus d'ail<strong>le</strong>urs! Ils n'ont pas hésité à<br />

m'accompagner jusqu'ici avec <strong>le</strong>ur véhicu<strong>le</strong> d'intervention, bien que j'aie<br />

simulé un malaise. Tout ça pour mes beaux yeux!"<br />

Rachel se figea <strong>de</strong> surprise. Sally venait <strong>de</strong> poser sa tête sur son<br />

épau<strong>le</strong> et <strong>de</strong> fermer <strong>le</strong>s yeux en faisant mine <strong>de</strong> ronf<strong>le</strong>r.<br />

"Désolée, mais je ne tiens plus <strong>de</strong>bout, souffla Sally. Ton histoire <strong>de</strong><br />

mariage arrangé m'a achevée.<br />

-On en repar<strong>le</strong>ra, assura Rachel d'un air mauvais.<br />

-C'est pas tout ça <strong>le</strong>s jeunes, mais il est temps pour vous d'y al<strong>le</strong>r,<br />

intervint Norah. Si vous continuez votre petite discussion ici, vous raterez<br />

<strong>le</strong> train, arriverez tard à Londres et Sonia aura ma peau!<br />

-M… Mais… Elliott n'est pas encore là, se lamenta Rachel. Nous <strong>de</strong>vons<br />

l'attendre."<br />

Jamie laissa échapper un rire sarcastique, ignoré par Rachel.<br />

"Il est déjà à la gare du Nord, dit Norah.<br />

-Pourquoi y est-il allé sans nous? s'offusqua Rachel.<br />

-Je n'en sais rien, Elliott est bizarre quand il s'y met.<br />

5


-A mon humb<strong>le</strong> avis, il voulait visiter la gare et admirer son architecture<br />

révolutionnaire, suggéra Jamie en donnant un coup <strong>de</strong> cou<strong>de</strong> complice à<br />

Arthur.<br />

-Suffit, rétorqua Rachel. Nous <strong>de</strong>vons vite al<strong>le</strong>r à la gare! Al<strong>le</strong>z, al<strong>le</strong>z!<br />

Vite!"<br />

Norah contempla Rachel d'un air sombrement compatissant.<br />

"Rachel, je sais que tu as quelques années <strong>de</strong> moins que moi et que tu<br />

manques d'expérience, mais… pour une femme, se comporter ainsi à<br />

cause d'un homme n'est pas très distingué. Tu dois être discrète et gar<strong>de</strong>r<br />

un peu <strong>de</strong> réserve si tu souhaites être crédib<strong>le</strong>.<br />

-Hello tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>."<br />

Norah fit un bond digne <strong>de</strong>s jeux olympiques. Le Dr Lucas Martin<br />

venait <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre <strong>de</strong>s bureaux et <strong>de</strong> s'introduire dans la cour, affublé<br />

d'une veste en cuir qui tranchait avec son habituel<strong>le</strong> blouse.<br />

"Oh, désolé <strong>de</strong> vous avoir surpris Norah, s'excusa-t-il.<br />

-Je vais très bien, assura Norah d'une voix aigue."<br />

-Son regard subjugué semb<strong>le</strong> dire "Puis-je passer ma main dans tes<br />

beaux cheveux bouclés?", souffla Ana Rosa à Arthur"<br />

Il n'osa rire, <strong>de</strong> peur d'être à nouveau ciblé par Norah. L'assistante<br />

avait pris une pose aussi neutre et digne que possib<strong>le</strong>, afin <strong>de</strong> jouer<br />

l'indifférence qu'el<strong>le</strong> venait <strong>de</strong> conseil<strong>le</strong>r à Rachel.<br />

"Je voulais juste vous prévenir que <strong>le</strong>s taxis seront là d'ici quelques<br />

minutes, déclara Martin. Je vais vous accompagner à la gare vu que Sonia<br />

et Mme Jones ne sont pas là pour <strong>le</strong> faire.<br />

-C'est gentil <strong>de</strong> votre part Martin, fit Sally.<br />

-Dr Martin, corrigea-t-il avec un grand sourire.<br />

-Pourquoi ne venez vous pas à Londres? <strong>de</strong>manda Jamie.<br />

-Je n'aurais pas d'utilité sur place voyons. Je ne suis qu'un simp<strong>le</strong> mé<strong>de</strong>cin<br />

et mon collègue présent là-bas vous soignera très bien si nécessaire. Sans<br />

compter que j'ai un boulot monstre qui m'attend ici. Des tonnes <strong>de</strong> papier<br />

à noircir. Sans mon assistant <strong>de</strong> fortune, je vais en avoir pour <strong>de</strong>s jours,<br />

dit-il en posant la main sur l'épau<strong>le</strong> d'Andreas."<br />

Il soupira.<br />

"Je crois que je vais <strong>de</strong>voir rester tard au QG. Il ne me reste plus qu'à me<br />

faire livrer une pizza aux anchois à mon retour <strong>de</strong> la gare."<br />

Après un court moment <strong>de</strong> réf<strong>le</strong>xion, il se tourna vers Norah,<br />

laquel<strong>le</strong> <strong>de</strong>vint rouge comme un pivoine.<br />

5


"Vous voudrez peut-être en prendre un bout Norah? Ah… suis-je bête,<br />

Sonia m'a dit que vous avez <strong>le</strong>s anchois en horreur! Apparemment ça<br />

vous donne la nausée…<br />

-Sonia perd la bou<strong>le</strong>, rétorqua Norah, excitée comme une puce. L'anchois<br />

est la meil<strong>le</strong>ure garniture du mon<strong>de</strong>! Je pourrais en manger <strong>de</strong>s tonnes!"<br />

***<br />

Une dizaine <strong>de</strong> minutes plus tard, <strong>le</strong>s élus, sur <strong>le</strong> départ, s'étaient<br />

repartis dans <strong>de</strong>ux taxis avec <strong>le</strong>urs bagages et faisaient <strong>de</strong>s signes <strong>de</strong><br />

main à Norah, restée <strong>de</strong>vant <strong>le</strong> QG. Assis dans <strong>le</strong> véhicu<strong>le</strong> qu'il partageait<br />

avec Jamie, Andreas et <strong>le</strong> Dr Martin, Arthur contempla <strong>le</strong> défi<strong>le</strong>ment<br />

rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong>s rues. Le crépuscu<strong>le</strong> ayant déjà assombri <strong>le</strong> ciel parisien laissait<br />

progressivement place à une nuit froi<strong>de</strong>. Heureusement, la climatisation<br />

du véhicu<strong>le</strong>, alliée à la musique classique émanant du poste du radio,<br />

réchauffait rapi<strong>de</strong>ment <strong>le</strong>s passagers. Arthur eut du mal à gar<strong>de</strong>r <strong>le</strong>s yeux<br />

ouverts, épuisé par <strong>de</strong>s journées d'intense préparation avec ses<br />

camara<strong>de</strong>s.<br />

Entendant <strong>le</strong> léger ronf<strong>le</strong>ment d'Andreas, assoupi à côté <strong>de</strong> lui, il<br />

réalisa qu'il n'était pas <strong>le</strong> seul à subir <strong>le</strong> contrecoup du surmenage. Même<br />

en l'absence <strong>de</strong> Sally et <strong>de</strong> Rick, tous avaient continué à s'entraîner <strong>le</strong> soir<br />

après <strong>le</strong>s cours : course à pied pour accroître l'endurance, gymnastique,<br />

étirements, combat. Tout ceci en sus <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s et <strong>de</strong>s obligations <strong>de</strong> la<br />

vie quotidienne. Tout ceci pour être prêts à tenir tête à la Confrérie.<br />

Ereinté, Arthur finit par fermer lui aussi <strong>le</strong>s yeux et <strong>le</strong>s rouvrir, après<br />

un sommeil qui lui parut avoir duré <strong>de</strong>ux minutes. <strong>Les</strong> taxis étaient<br />

stationnés <strong>de</strong>vant la gare du Nord et <strong>le</strong> Dr Martin payait la course aux<br />

<strong>de</strong>ux chauffeurs.<br />

"On est arrivés <strong>le</strong>s gars, murmura Arthur en réveillant ses compagnons."<br />

Jamie émit un bâil<strong>le</strong>ment outrageux, puis donna une pichenette à<br />

Andreas pour <strong>le</strong> réveil<strong>le</strong>r. Tous <strong>le</strong>s trois <strong>de</strong>scendirent <strong>de</strong> voiture pour<br />

récupérer <strong>le</strong>urs bagages et rejoindre <strong>le</strong>s occupantes <strong>de</strong> l'autre taxi, déjà<br />

prêtes. L'effervescence due aux départs du week-end était palpab<strong>le</strong> aux<br />

abords <strong>de</strong> la gare : famil<strong>le</strong>s poussant <strong>de</strong>s chariots démesurés, cadres<br />

accrochés à <strong>le</strong>urs PDA, jeunes chargés <strong>de</strong> gros sacs à dos. Un brouhaha<br />

désagréab<strong>le</strong> mais typique <strong>de</strong> ce genre d'endroits, se dit Arthur.<br />

"Elliott doit être près du quai, supposa Martin. Je vais vous laisser ici pour<br />

ne pas vous ra<strong>le</strong>ntir. Il y a bien trop <strong>de</strong> mon<strong>de</strong>.<br />

-Occupez vous bien <strong>de</strong> Norah, conseilla Sally."<br />

Le Dr Martin acquiesça sans vraiment comprendre, au grand dam <strong>de</strong><br />

Sally. Il <strong>le</strong>ur fit un simulacre <strong>de</strong> salut militaire puis <strong>le</strong>s quitta pour<br />

reprendre un taxi. Rachel décida alors d'assurer la suite <strong>de</strong>s opérations,<br />

dans <strong>le</strong> but non dissimulé <strong>de</strong> retrouver Elliott. Bil<strong>le</strong>ts en main et regard<br />

rivé sur <strong>le</strong>s panneaux d'affichage <strong>de</strong> la gare, el<strong>le</strong> arpenta <strong>le</strong>s lieux au trot<br />

5


tandis que Jamie poussait <strong>le</strong> chariot contenant <strong>le</strong>s bagages <strong>de</strong> tout <strong>le</strong><br />

mon<strong>de</strong>. La recherche fut <strong>de</strong> courte durée : Elliott fut retrouvé dans la zone<br />

d'embarquement <strong>de</strong> l'Eurostar, assis sur une rambar<strong>de</strong>.<br />

Si l'on avait <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong>s mois plus tard à Arthur comment ils<br />

avaient repéré <strong>le</strong> jeune homme dans la gare, il n'aurait pas su dire s'ils<br />

avaient été aiguillés par <strong>le</strong>s trois touristes anglaises en train d'essayer <strong>de</strong><br />

<strong>le</strong> draguer, par son apparence <strong>de</strong> surfeur hawaïen perdu dans <strong>le</strong> froid<br />

(cheveux blonds mi-longs, barbe <strong>de</strong> trois jours et sac à dos en guise <strong>de</strong><br />

bagage) ou par son accoutrement inadapté (short kaki, chemise bariolée à<br />

manches courtes et tongs). En voyant <strong>le</strong>s élus, Elliott se détourna<br />

rapi<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> ses prétendantes.<br />

"Bon sang, tu vas mourir <strong>de</strong> froid Elliott, gémit Rachel après avoir écarté<br />

sans ménagement <strong>le</strong>s trois touristes. Tu ne veux pas que je te prête un<br />

pull?<br />

-Non, ça va, s'exclama Elliott. Je résiste bien au froid. Salut tout <strong>le</strong><br />

mon<strong>de</strong>! Vous al<strong>le</strong>z bien?"<br />

Rachel se raidit, dépitée d'avoir été si rapi<strong>de</strong>ment écartée.<br />

"Je te retourne la question, répliqua Arthur d'un air ahuri. Tu connais <strong>le</strong><br />

climat londonien?<br />

-Deman<strong>de</strong> lui surtout comment il est venu jusqu'ici sans tomber inanimé,<br />

s'écria Sally. Il ne fait pas dix <strong>de</strong>grés!<br />

-J'ai jamais froid, insista Elliott avec un grand sourire."<br />

Une fois Elliott appréhendé, <strong>le</strong>s élus purent enfin procé<strong>de</strong>r à<br />

l'enregistrement et embarquer dans <strong>le</strong> TGV qui allait <strong>le</strong>s mener à Londres.<br />

Ils se réjouirent <strong>de</strong> constater que <strong>le</strong>urs places étaient <strong>le</strong>s unes à côté <strong>de</strong>s<br />

autres, <strong>le</strong>ur permettant <strong>de</strong> continuer <strong>le</strong>ur discussion dans <strong>le</strong> train et<br />

d'échanger régulièrement <strong>le</strong>urs sièges, entre plusieurs phases <strong>de</strong> sieste.<br />

Remarquant que Jamie était particulièrement excité par son retour, Arthur<br />

évita autant que possib<strong>le</strong> <strong>de</strong> rester longtemps à côté <strong>de</strong> lui, <strong>de</strong> peur <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>voir <strong>le</strong> frapper. Il regretta vite sa décision. Dès qu'il prit place à côté <strong>de</strong><br />

Sally, el<strong>le</strong> lui suggéra d'essayer son boubou.<br />

"Tu étais sérieuse? Avec tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> qu'il y a dans ce wagon?<br />

-Reste à ton siège, personne à part nous ne remarquera, bailla-t-el<strong>le</strong>."<br />

Pressé par ses amis, Arthur s'exécuta à contrecoeur. Il partit<br />

chercher <strong>le</strong> vêtement, revint discrètement à sa place, puis entreprit <strong>de</strong><br />

l'enfi<strong>le</strong>r. Ignorant <strong>le</strong>s rires <strong>de</strong>s autres, il mit un moment à se dépêtrer<br />

avant que sa tête ne trouve la sortie.<br />

"Fiouuu, j'ai l'impression d'être Harry Potter dans <strong>le</strong> train vers Poudlard,<br />

souffla-t-il une fois vêtu.<br />

-Ca te va, assura Sally.<br />

5


-Tu ressemb<strong>le</strong>s à un grand prêtre schtroumpf enroulé dans un drap,<br />

ajouta Ana Rosa."<br />

Même Andreas se laissa al<strong>le</strong>r au rire, entraîné par l'euphorie<br />

col<strong>le</strong>ctive. Décidant alors <strong>de</strong> ne pas se prendre au sérieux et <strong>de</strong> faire<br />

plaisir à Sally, Arthur garda <strong>le</strong> boubou sur lui tout <strong>le</strong> reste du voyage.<br />

Un peu plus tard, alors qu'el<strong>le</strong> s'était endormie sur son épau<strong>le</strong>, il<br />

tourna doucement la tête pour par<strong>le</strong>r à Rachel et Ana Rosa, assises<br />

<strong>de</strong>rrière lui.<br />

"Dites, vous pouvez me par<strong>le</strong>r d'Aïshani et Ibtissam? J'aimerais bien en<br />

savoir un minimum sur eux avant <strong>de</strong> <strong>le</strong>s rencontrer."<br />

Sally se mit à frémir dans son sommeil et se rabattit vers la fenêtre.<br />

"Miss Bollywood et Aladdin, résuma Rachel.<br />

-C'est un peu réducteur, lui reprocha Ana Rosa.<br />

-Je sais, mais c'est comme ça que je <strong>le</strong>s appelais quand je venais <strong>de</strong> <strong>le</strong>s<br />

rencontrer et que je ne retenais pas encore <strong>le</strong>urs noms. Hum… que dire?<br />

Ibtissam est la parfaite représentation du prince <strong>de</strong>s Mil<strong>le</strong> et une nuits!<br />

Grand, mat, <strong>de</strong>s yeux exceptionnel<strong>le</strong>ment b<strong>le</strong>us, <strong>de</strong>s fossettes, <strong>de</strong>s<br />

cheveux noirs très bouclés et…<br />

-Je ne <strong>de</strong>mandais pas son book, la coupa Arthur. Bref… et Aïshani?<br />

-Hum… je ne la connais pas très bien, il faut l'avouer.<br />

-Aï est très spirituel<strong>le</strong>, cultivée, mature, continua Ana Rosa. Une sorte <strong>de</strong><br />

Rick au féminin. Toi qui aime te torturer l'esprit, tu <strong>de</strong>vrais t'entendre<br />

avec el<strong>le</strong>.<br />

-Par contre son don est terrifiant, reprit Rachel, surtout pour un homme.<br />

-Pourquoi? <strong>de</strong>manda Arthur, soudain mal à l'aise. Quel est son don?<br />

-Castration par la pensée, lança Ana Rosa.<br />

-QUOI?"<br />

Il avait parlé si fort que Sally manqua <strong>de</strong> se réveil<strong>le</strong>r. El<strong>le</strong> se<br />

contenta toutefois <strong>de</strong> remuer un peu.<br />

"Du calme, du calme, je plaisante, tempéra Ana Rosa. De toute façon, je<br />

suis certaine que tu auras l'occasion <strong>de</strong> voir <strong>le</strong>urs dons. Sois patient.<br />

-Je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> comment est la nouvel<strong>le</strong>, fit Rachel. On ne sait toujours<br />

rien d'el<strong>le</strong>.<br />

-J'imagine qu'on nous la présentera à la réunion <strong>de</strong> <strong>de</strong>main, dit Arthur.<br />

-Ouais, <strong>le</strong>s quatre élites réunies, s'exclama Rachel. C'est presque<br />

mythique! Si avec ça on ne botte pas <strong>le</strong> <strong>de</strong>rrière <strong>de</strong> la Confrérie, je me fais<br />

nonne!<br />

-En attendant <strong>de</strong> te pouvoir te vouer à Dieu, tu ferais mieux <strong>de</strong> t'endormir<br />

rapi<strong>de</strong>ment, conseilla Ana Rosa. Le tunnel approche."<br />

5


Rachel <strong>de</strong>vint soudain livi<strong>de</strong>. El<strong>le</strong> mit <strong>de</strong>s bou<strong>le</strong>s quiès, ferma<br />

aussitôt <strong>le</strong>s yeux, et tenta <strong>de</strong> trouver <strong>le</strong> sommeil. Devant l'expression<br />

déconcertée d'Arthur, Ana Rosa s'expliqua en soupirant :<br />

"La miss est claustrophobe et trouve <strong>le</strong> moyen d'être perturbée par la<br />

seu<strong>le</strong> perspective <strong>de</strong> rou<strong>le</strong>r sous la Manche.<br />

-Je ne vois pas <strong>le</strong> rapport.<br />

-Moi non plus, mais j'ai vu <strong>le</strong>s crises d'hystérie dont el<strong>le</strong> est capab<strong>le</strong>. Je<br />

préfère donc ne pas polémiquer."<br />

***<br />

Une vague <strong>de</strong> soulagement transcenda Arthur lorsque <strong>le</strong> train<br />

parvint enfin à Londres, à la gare <strong>de</strong> Waterloo International. En effet,<br />

Elliott lui avait tenu la jambe pendant <strong>le</strong>s trente <strong>de</strong>rnières minutes du<br />

trajet, posant d'incessantes questions sur <strong>le</strong>s britanniques, <strong>le</strong>urs mœurs,<br />

et <strong>le</strong>ur supposée propension à porter <strong>de</strong>s chapeaux melon. Arthur avait<br />

tenté <strong>de</strong> répondre aussi poliment que possib<strong>le</strong>, mais sa patience atteignait<br />

ses limites. Outre <strong>le</strong> fait qu'il ne soit pas particulièrement fan du jeune<br />

australien, <strong>le</strong>s jérémia<strong>de</strong>s subites <strong>de</strong> Rachel sur <strong>le</strong>s dangers du tunnel<br />

sous la Manche s'étaient avérées être assez déplaisantes.<br />

Alors que <strong>le</strong> TGV ra<strong>le</strong>ntissait et que <strong>le</strong>s élus rassemblaient <strong>le</strong>urs<br />

bagages, Arthur réalisa que Jamie manquait à l'appel. Repliant son<br />

boubou pour <strong>le</strong> ranger à la hâte, il interrogea Andreas sur l'absence <strong>de</strong><br />

son ami.<br />

"Il est aux toi<strong>le</strong>ttes."<br />

C'est à cet instant que l'intéressé revint, émergeant <strong>de</strong> la fou<strong>le</strong> <strong>de</strong>s<br />

passagers prêts à sortir. Alors qu'il se dirigeait vers sa place pour<br />

récupérer ses affaires, nul ne put ignorer son surprenant changement<br />

d'apparence. Jamie arborait un élégant costume noir, <strong>de</strong>s chaussures<br />

vernies, <strong>de</strong>s boutons <strong>de</strong> manchettes au prix inestimab<strong>le</strong> et une cravate<br />

qu'aurait indéniab<strong>le</strong>ment jalousée John Steed. <strong>Les</strong> yeux d'Arthur se<br />

rivèrent sur la chevelure <strong>de</strong> son camara<strong>de</strong> britannique, plaquée sur son<br />

crâne. L'unique vestige <strong>de</strong> sa coiffure habituel<strong>le</strong> était une mèche rebel<strong>le</strong><br />

au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> son front, laquel<strong>le</strong> n'avait visib<strong>le</strong>ment pas courbé l'échine<br />

<strong>de</strong>vant la dictature du gel et du peigne.<br />

Jamie rassembla ses bagages comme si <strong>de</strong> rien n'était, fit un grand<br />

sourire à Arthur, puis <strong>le</strong> suivit vers la sortie du wagon. Pendant tout ce<br />

temps, Sally l'avait dévisagé, interdite. Toutefois, el<strong>le</strong> ne dit mot, se<br />

contentant <strong>de</strong> mener <strong>le</strong> groupe sur <strong>le</strong> quai.<br />

"Je ne suis pas mécontent <strong>de</strong> mon effet, avoua Jamie à mi-voix."<br />

Mettant <strong>le</strong> pied sur <strong>le</strong> sol britannique, Arthur posa sa valise à un<br />

mètre du wagon puis se tourna vers lui pour l'interroger.<br />

6


"A quoi rime cette tenue <strong>de</strong> petit lord? <strong>de</strong>manda-t-il à voix basse.<br />

-Je n'ai pas vu mes parents <strong>de</strong>puis longtemps, je veux <strong>le</strong>ur faire honneur.<br />

-…et montrer à quel point tu as mûri?"<br />

Arthur n'avait pas fini sa phrase que Jamie avait retiré son<br />

Etemenanki et était grimpé sur une poubel<strong>le</strong> pour hur<strong>le</strong>r.<br />

"I AM BACK! GOD SAVE THE QUEEN!"<br />

<strong>Les</strong> passagers <strong>de</strong>scendus sur <strong>le</strong> quai se figèrent, stupéfaits. Accablé<br />

par la honte, Arthur <strong>de</strong>vint rouge comme une tomate.<br />

"Pitoyab<strong>le</strong>, déplora Rachel en se dissimulant <strong>de</strong>rrière Sally.<br />

-Faisons comme si on ne <strong>le</strong> connaissait pas et avançons avant <strong>de</strong> nous<br />

faire arrêter, suggéra cette <strong>de</strong>rnière. Sonia doit nous attendre au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong><br />

la zone <strong>de</strong> contrô<strong>le</strong>."<br />

Après avoir dissuadé Elliott <strong>de</strong> suivre Jamie sur la poubel<strong>le</strong>, Arthur<br />

récupéra son ami en tirant un pan <strong>de</strong> sa veste et <strong>le</strong> contraignit à <strong>le</strong> suivre,<br />

afin qu'ils ne soient pas distancés par <strong>le</strong>s autres. Par-<strong>de</strong>ssus tout, il voulait<br />

fuir aussi vite que possib<strong>le</strong> la fou<strong>le</strong> qui <strong>le</strong>s contemplait désormais comme<br />

s'ils avaient été <strong>de</strong>s phénomènes <strong>de</strong> cirque. Andreas <strong>le</strong>s talonnait,<br />

visib<strong>le</strong>ment indifférent aux regards braqués sur lui.<br />

Alors qu'ils avançaient vers <strong>le</strong>s douanes en traînant <strong>le</strong>urs valises<br />

<strong>de</strong>rrière eux, Arthur ne put s'empêcher <strong>de</strong> réaliser que ce voyage au<br />

Royaume-Uni n'avait rien à voir avec <strong>le</strong>s précé<strong>de</strong>nts. <strong>Les</strong> bribes <strong>de</strong><br />

dialogue qu'il percevait dans la gare lui parvenaient toutes en français,<br />

bien qu'il fût certain que <strong>le</strong>s gens concernés étaient britanniques. Penser à<br />

retirer son Etemenanki aux moments opportuns ne serait pas une<br />

sinécure, se dit-il en continuant à tirer Jamie par la veste. Lorsqu'il portait<br />

<strong>le</strong> pen<strong>de</strong>ntif, il comprenait parfaitement ce qu'on lui disait, quel<strong>le</strong> que soit<br />

la langue, comme s'il s'agissait <strong>de</strong> la sienne.<br />

Par contre, une personne non dotée d'un Etemenanki ne bénéficiait<br />

pas du pouvoir <strong>de</strong> traduction <strong>de</strong> l'Etemenanki porté par une autre<br />

personne. De sorte que <strong>le</strong>s Etemenanki n'avaient d'intérêt que si tous <strong>le</strong>s<br />

participants à une discussion en étaient équipés. <strong>Les</strong> élus avaient<br />

rapi<strong>de</strong>ment appris à retirer <strong>le</strong>s <strong>le</strong>urs quand ils étaient en présence <strong>de</strong><br />

mon<strong>de</strong>, pour ne pas semer <strong>le</strong> doute sur <strong>le</strong>ur capacité à communiquer<br />

entre eux malgré <strong>le</strong>urs idiomes différents.<br />

"J'ai hâte <strong>de</strong> revoir Sonia, affirma Sally après que tous aient passé <strong>le</strong>s<br />

contrô<strong>le</strong>s.<br />

-El<strong>le</strong> ne nous pas vraiment donné <strong>de</strong> ses nouvel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>puis qu'el<strong>le</strong> est<br />

venue ici avec Mme Jones, remarqua Ana Rosa. On lui a sans doute donné<br />

beaucoup <strong>de</strong> responsabilités afin d'organiser la recherche et la capture <strong>de</strong>s<br />

créatures.<br />

-Ce n'est pas comme si el<strong>le</strong> était la seu<strong>le</strong> instructrice, dit Sally en<br />

cherchant du regard <strong>le</strong> chemin vers la zone d'arrivée. Malgré ses défauts,<br />

6


Anthony reste un membre essentiel <strong>de</strong> GLOW. Il doit pouvoir la décharger<br />

un peu <strong>de</strong> son travail.<br />

-Anthony, il s'agit bien l'instructeur <strong>de</strong>s trois élus qui sont installés ici?<br />

<strong>de</strong>manda Arthur.<br />

-Exact, Anthony Nichols, répondit Sally. Un type un peu rustre au premier<br />

abord mais compétent malgré tout. Evi<strong>de</strong>mment, il n'a pas <strong>le</strong> charisme et<br />

<strong>le</strong> sérieux <strong>de</strong>…<br />

-BENNETT!!"<br />

Jamie laissa subitement tomber ses bagages et se rua sur un<br />

homme métissé d'une trentaine d'années aux yeux b<strong>le</strong>u clair et au béret<br />

élégant, posté en <strong>de</strong>ssous d'un grand panneau d'information.<br />

"Oh, c'est Bennett qui est venu nous chercher, s'exclama Sally.<br />

-Bennett Stumpton, précisa Andreas pour Arthur. Il travail<strong>le</strong> à la section<br />

londonienne <strong>de</strong> GLOW."<br />

Presque fauché par Jamie, Bennett ne dût son salut qu'à la barrière<br />

en métal à laquel<strong>le</strong> il s'était adossé pour attendre <strong>le</strong>s élus. Tous <strong>de</strong>ux<br />

s'accordèrent une franche accola<strong>de</strong>, tandis qu'Arthur et <strong>le</strong>s autres <strong>le</strong>s<br />

rejoignaient. Malgré l'heure tardive, <strong>le</strong> hall <strong>de</strong> la gare <strong>de</strong> Waterloo était<br />

bondé, ce qui rendait la traversée diffici<strong>le</strong>.<br />

"Tu n'as plus dix sept ans Jam', fit mine <strong>de</strong> lui reprocher Bennett malgré<br />

un sourire. Evite <strong>de</strong> me sauter dans <strong>le</strong>s bras en public, ça pourrait être<br />

mal interprété.<br />

-Désolé, mais je suis très content <strong>de</strong> te revoir Ben! Ca faisait <strong>de</strong>s lustres!<br />

-Coucou Bennett, comment tu vas? lança Ana Rosa en lui frappant<br />

énergiquement <strong>le</strong> dos."<br />

Après avoir craché ses poumons, Bennett accueillit cha<strong>le</strong>ureusement<br />

chacun <strong>de</strong>s élus. Ces <strong>de</strong>rniers paraissaient réciproquement ravis <strong>de</strong> <strong>le</strong> voir<br />

et discutèrent avec lui un bon moment, avant que Sally ne remarque<br />

qu'Arthur se tenait en retrait, mal à l'aise.<br />

"Bennett, tu ne connais pas Arthur Gall, dit-el<strong>le</strong> en allant <strong>le</strong> chercher par<br />

la main.<br />

-Uniquement <strong>de</strong> nom et <strong>de</strong> réputation, répondit Bennett en sou<strong>le</strong>vant<br />

machina<strong>le</strong>ment son béret. Je suis enchanté <strong>de</strong> te rencontrer Arthur, on a<br />

beaucoup entendu par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> toi ces <strong>de</strong>rniers temps.<br />

-Ah bon? En bien j'espère, fit Arthur en lui serrant timi<strong>de</strong>ment la main."<br />

Bennett opina mystérieusement <strong>de</strong> la tête, tout en <strong>le</strong> dévisageant<br />

avec un intérêt non contenu. Arthur eut du mal à soutenir son regard. Il<br />

avait l'impression d'avoir affaire à un limier particulièrement perspicace,<br />

procédant à une analyse physionomique <strong>de</strong> son interlocuteur.<br />

6


"Je m'excuse si d'aventure je te mets mal à l'aise, <strong>de</strong>vina Bennett en<br />

souriant <strong>de</strong> nouveau. On me reproche souvent <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r <strong>le</strong>s gens droit<br />

dans <strong>le</strong>s yeux, mais il ne s'agit pas <strong>de</strong> curiosité mal placée ou<br />

d'intimidation.<br />

-Oui, bien sûr, acquiesça Arthur.<br />

-Une simp<strong>le</strong> habitu<strong>de</strong>, intervint Jamie. D'ail<strong>le</strong>urs il nous terrifiait avant!<br />

Nous étions persuadés qu'il essayait <strong>de</strong> lire nos pensées. On dit bien que<br />

<strong>le</strong>s yeux sont <strong>le</strong> ref<strong>le</strong>t <strong>de</strong> l'âme après tout.<br />

-Ne nous mets pas dans <strong>le</strong> même panier que toi, protesta Rachel.<br />

Bennett, est-ce que Sonia est dans <strong>le</strong>s environs?<br />

-Et bien… pas vraiment, hésita Bennett en plongeant <strong>le</strong>s mains dans <strong>le</strong>s<br />

poches <strong>de</strong> son pantalon en tweed. C'est un peu la raison <strong>de</strong> ma présence<br />

ici.<br />

-Que se passe-t-il? grimaça Sally, anxieuse.<br />

-Rien <strong>de</strong> grave, rassure-toi! Sonia est juste victime d'un rhume assez<br />

vicieux, faute <strong>de</strong> s'être suffisamment couverte ces <strong>de</strong>rniers jours. El<strong>le</strong><br />

aurait norma<strong>le</strong>ment dû venir vous chercher mais nous l'avons forcé à<br />

rester dans sa chambre. Jennifer fait office <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>-mala<strong>de</strong> étant donné<br />

que cet égoïste d'Anthony ne souhaitait pas être contaminé.<br />

-Mince, el<strong>le</strong> sera tout <strong>de</strong> même à la réunion <strong>de</strong>main? <strong>de</strong>manda Sally.<br />

-Je doute que Jen la laisse faire. A moins que Sonia ne soit capab<strong>le</strong> <strong>de</strong> fuir<br />

par la fenêtre, el<strong>le</strong> n'a pas la moindre chance <strong>de</strong> quitter sa chambre. Quoi<br />

qu'il en soit, je me dois <strong>de</strong> vous ramener à vos pénates comme on dit en<br />

France."<br />

Il regarda l'heure sur une gran<strong>de</strong> horloge située en hauteur.<br />

"Il est déjà un peu plus <strong>de</strong> vingt-<strong>de</strong>ux heures, constata-t-il. Je vous aurais<br />

bien payé un restaurant, mais vu notre timing il faudra se contenter <strong>de</strong><br />

sandwiches dans la voiture. Sally, ton véhicu<strong>le</strong> t'attend à la station <strong>de</strong><br />

taxis et <strong>le</strong> compteur tourne!"<br />

Arthur haussa <strong>le</strong>s sourcils, à l'instar <strong>de</strong> ses compagnons.<br />

"Tu ne viens pas avec nous chez <strong>le</strong>s Corbell? s'étonna Rachel.<br />

-Pas ce soir. Je dors chez Aïshani cette nuit, avoua Sally. Je lui ai promis<br />

une nuit blanche <strong>de</strong> discussion avec visionnage <strong>de</strong> films et grignotage <strong>de</strong><br />

cochonneries.<br />

-R…Rassure-moi, balbutia Jamie soudain embarrassé, ce n'est pas à cause<br />

<strong>de</strong>…<br />

-Aucun rapport, assura Sally en <strong>le</strong> dévisageant. D'ail<strong>le</strong>urs je vous rejoins<br />

dès <strong>de</strong>main."<br />

Un si<strong>le</strong>nce pesant s'installa.<br />

"Oh, encore un dossier confi<strong>de</strong>ntiel <strong>de</strong> l'ante coup<strong>le</strong> Jamie-Sally. Quelque<br />

chose me dit qu'on n'en saura pas plus, murmura Rachel à l'oreil<strong>le</strong> d'Ana<br />

Rosa, suffisamment fort pour qu'Arthur enten<strong>de</strong>.<br />

6


-Tu disais quelque chose Rachel? fit Sally en se tournant brusquement<br />

vers el<strong>le</strong>.<br />

-Rien du tout, je constatais juste que tu allais retrouver ta gran<strong>de</strong> amie<br />

Aïshani, mentit Rachel.<br />

-Ne sois pas jalouse, je t'aime aussi, plaisanta Sally en se saisissant <strong>de</strong><br />

ses bagages.<br />

-Jalouse? Ha, je préfère cent fois la confortab<strong>le</strong> <strong>de</strong>meure <strong>de</strong>s Corbell que<br />

l'étroit studio d'Aïshani, répliqua Rachel avec un rire. J'espère que vous<br />

aurez assez <strong>de</strong> place pour disposer vos matelas <strong>de</strong> fortune!"<br />

Sally fit une moue dubitative. Pressée du regard par Bennett, el<strong>le</strong><br />

consentit enfin à partir prendre son taxi.<br />

"On se voit <strong>de</strong>main <strong>le</strong>s gars! Jam'… salue Wilson pour moi, ajouta-t-el<strong>le</strong><br />

après une courte hésitation.<br />

-Je n'y manquerai pas, acquiesça Jamie en mimant un sourire."<br />

El<strong>le</strong> <strong>le</strong>ur fit un signe <strong>de</strong> main puis disparut dans la fou<strong>le</strong> avec ses<br />

bagages, courant vers l'endroit que lui avait indiqué Bennett. Arthur<br />

remarqua que ce <strong>de</strong>rnier avait <strong>le</strong> regard fixé sur Jamie.<br />

"Bien, suivez-moi <strong>le</strong>s jeunes, lança-t-il en claquant <strong>de</strong>s doigts. GLOW a eu<br />

l'amabilité <strong>de</strong> mettre une voiture à notre disposition pour vous déposer<br />

chez <strong>le</strong>s Corbell. Nous avons une longue route à faire, il serait donc bon<br />

<strong>de</strong> partir maintenant. Si vous avez besoin <strong>de</strong> changer vos <strong>de</strong>vises ou<br />

d'appe<strong>le</strong>r vos famil<strong>le</strong>s, ça <strong>de</strong>vra attendre."<br />

Le groupe se mit en route, longeant une rangée <strong>de</strong> boutiques et<br />

sinuant entre <strong>de</strong>s voyageurs agités comme <strong>de</strong>s fourmis, afin <strong>de</strong> quitter <strong>le</strong>s<br />

lieux. Arthur marchait tête <strong>le</strong>vée. Le plafond vitré <strong>de</strong> la gare montrait un<br />

ciel nocturne, sans étoi<strong>le</strong>s, et dont seu<strong>le</strong> la p<strong>le</strong>ine lune brisait<br />

l'homogénéité. L'idée qu'il s'était géographiquement rapproché d'Anaïs lui<br />

vint à l'esprit. Pourtant, il se sentait plus troublé qu'autre chose. Qu'allaitil<br />

lui dire en la voyant? Après tout il n'était même pas sûr <strong>de</strong> ses propres<br />

sentiments, comme souvent. De plus, la situation comp<strong>le</strong>xe <strong>de</strong> Jamie et<br />

Sally n'était pas pour l'encourager : <strong>de</strong>ux amis qui avaient eu <strong>le</strong> malheur<br />

<strong>de</strong> sortir ensemb<strong>le</strong> et qui, après <strong>le</strong>ur rupture, étaient <strong>de</strong>venus tota<strong>le</strong>ment<br />

incapab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> tenir une discussion norma<strong>le</strong>. Il n'était pas prêt à prendre ce<br />

risque avec Anaïs, du moins pas si tôt.<br />

"Voici notre coursier, déclara Bennett."<br />

Arthur sortit bruta<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> ses pensées. Il n'avait pas réalisé qu'ils<br />

étaient déjà à l'extérieur <strong>de</strong> la gare, dans <strong>le</strong> parking, exposés à un vent<br />

froid et humi<strong>de</strong> qui ne semblait pas avoir raison d'Elliott. Bennett <strong>le</strong>ur<br />

désigna du doigt un minibus cou<strong>le</strong>ur chrome, très similaire à celui que <strong>le</strong>s<br />

élus utilisaient à Paris lorsqu'ils <strong>de</strong>vaient se déplacer en groupe.<br />

6


"Mettez vos bagages à l'arrière et grimpez, c'est moi qui conduis, indiqua<br />

Bennett en se dirigeant vers <strong>le</strong> siège conducteur. Anthony a prétendu ne<br />

pas aimer conduire la nuit et détester <strong>le</strong>s voitures britanniques"<br />

<strong>Les</strong> élus montèrent sans broncher, épuisés par <strong>le</strong>ur longue journée.<br />

Tous avaient <strong>de</strong> petits yeux et parlaient peu. Une fois <strong>de</strong> plus Arthur,<br />

Jamie et Andreas furent assis sur la même rangée <strong>de</strong> sièges. Arthur en<br />

profita pour se renseigner sur <strong>le</strong>ur <strong>de</strong>stination, pendant que Bennett<br />

enc<strong>le</strong>nchait son GPS.<br />

"Ma famil<strong>le</strong> habil<strong>le</strong> dans l'Ouest du Kent, entre Medway et Seven Oaks.<br />

Notre domaine est un peu isolé. Ce n'est pas si loin <strong>de</strong> Londres qu'on<br />

pourrait <strong>le</strong> penser mais il faudra bien <strong>de</strong>ux heures pour nous y rendre, vu<br />

la circulation.<br />

-Notre domaine? répéta Arthur d'un air intrigué."<br />

Jamie répondit par un sourire et se tourna vers sa vitre, au grand<br />

étonnement d'Arthur. Il aurait juré que l'attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> son ami avait changé<br />

du tout au tout <strong>de</strong>puis que Sally avait annoncé qu'el<strong>le</strong> ne passerait pas la<br />

première nuit chez <strong>le</strong>s Corbell. Sans doute imaginait-il qu'el<strong>le</strong> préférait ne<br />

pas loger là-bas vu <strong>le</strong>s circonstances, cela aurait pu être source <strong>de</strong><br />

malaise. Pourtant, el<strong>le</strong> avait déclaré qu'el<strong>le</strong> <strong>le</strong>s rejoindrait <strong>le</strong> <strong>le</strong>n<strong>de</strong>main.<br />

Arthur ne voyait donc pas ce qui mettait <strong>le</strong> jeune homme dans cet état.<br />

"Voila <strong>de</strong> quoi vous remplir l'estomac, dit Bennett en <strong>le</strong>ur faisant passer<br />

un sachet rempli <strong>de</strong> sandwiches et <strong>de</strong> boissons. C'est un peu frugal mais<br />

nous aurons l'occasion <strong>de</strong> nous rattraper <strong>de</strong>main."<br />

Fouillant passivement dans <strong>le</strong> sachet pour y récupérer un club<br />

sandwich au pou<strong>le</strong>t et un soda, Arthur continua à contemp<strong>le</strong>r la nuque <strong>de</strong><br />

Jamie, intrigué.<br />

"Tiens, fit Andreas en passant <strong>le</strong> sachet à ce <strong>de</strong>rnier.<br />

-Ah… merci Andy, mais je vais attendre un petit peu, répondit poliment<br />

Jamie sans quitter la vitre <strong>de</strong>s yeux.<br />

-Oulà, murmura Ana Rosa en écarquillant <strong>le</strong>s yeux."<br />

Bennett fit démarrer <strong>le</strong> minibus et alluma la radio, sans dire mot. Le<br />

véhicu<strong>le</strong> fit marche arrière pour quitter sa place, puis roula <strong>le</strong>ntement vers<br />

la sortie du parking. Le son <strong>de</strong> la radio parut anorma<strong>le</strong>ment fort à Arthur.<br />

Il soupçonna Bennett <strong>de</strong> vouloir <strong>le</strong>s dissua<strong>de</strong>r <strong>de</strong> discuter avec Jamie.<br />

Malgré cela, il fit <strong>le</strong> choix d'insister.<br />

"Dis Jam', tu…"<br />

Il s'interrompit. Assis juste <strong>de</strong>rrière lui, Elliott venait <strong>de</strong> poser<br />

fermement la main sur son épau<strong>le</strong>. Un bout <strong>de</strong> sandwich dépassait peu<br />

gracieusement <strong>de</strong> sa bouche.<br />

6


"Laisse tomber Art, il y aura un meil<strong>le</strong>ur moment pour lui en par<strong>le</strong>r, fit-il<br />

en mâchonnant son sandwich.<br />

-Je ne pense pas que tu…<br />

-T'es épuisé mon vieux. Si j'étais toi, je dormirais… Un petit somme ne te<br />

ferait pas <strong>de</strong> mal."<br />

Alors qu'il s'apprêtait à répliquer, Arthur sentit un revirement<br />

s'opérer dans son esprit. Fina<strong>le</strong>ment l'idée n'était pas absur<strong>de</strong>, Elliott avait<br />

tout à fait raison. Dormir pendant <strong>le</strong> trajet paraissait la décision la plus<br />

adéquate, il par<strong>le</strong>rait à Jamie plus tard.<br />

"Ok Elliott, dit Arthur en opinant <strong>de</strong> la tête."<br />

Ce <strong>de</strong>rnier fit <strong>de</strong> même, visib<strong>le</strong>ment satisfait, et continua d'engloutir<br />

son sandwich tandis qu'Arthur remettait <strong>le</strong> sien dans <strong>le</strong> sachet, sans dire<br />

un mot. Il retira sa veste, la jeta sur son corps en guise <strong>de</strong> couverture,<br />

puis ferma <strong>le</strong>s yeux. Le sommeil qui s'ensuivit fut immédiat, profond et<br />

sans rêve.<br />

Lorsqu'il se réveilla, il avait perdu toute notion du temps mais se<br />

sentait frais et dispos, comme s'il avait dormi <strong>de</strong>s heures. Il se frotta <strong>le</strong>s<br />

yeux pour s'éclaircir la vue et observa ses compagnons <strong>de</strong> route. Bennett<br />

conduisait tranquil<strong>le</strong>ment en fredonnant l'air d'une chanson <strong>de</strong> variété<br />

diffusée à la radio. Le minibus semblait rou<strong>le</strong>r sur une route champêtre,<br />

assez mal éclairée et bordée <strong>de</strong> vastes champs sur <strong>le</strong>squels étaient<br />

parsemés quelques cottages et fermes. Malgré l'obscurité, la lumière<br />

projetée par la lune permettait éga<strong>le</strong>ment d'apercevoir <strong>de</strong>s vergers situés<br />

à l'orée d'une vaste forêt aux arbres resserrés. La route suivie par <strong>le</strong>ur<br />

véhicu<strong>le</strong> pénétrait justement dans cette forêt. Arthur bailla.<br />

"Tu as dormi comme un loir, lui fit remarquer Bennett avec un rire.<br />

-Un tremb<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> terre ne t'aurait pas réveillé, ajouta Jamie.<br />

-J'imagine… que j'avais du sommeil à rattraper, répondit Arthur, étonné<br />

<strong>de</strong> s'être endormi si profondément.<br />

-Nous sommes sortis <strong>de</strong> Londres il y a un peu plus d'une heure, expliqua<br />

Jamie. C'est dommage, tu n'as même pas eu l'occasion d'observer la vil<strong>le</strong>.<br />

Il faudra qu'on organise une petite visite pour nous rattraper!<br />

-On arrive dans combien <strong>de</strong> temps? <strong>de</strong>manda Arthur.<br />

-Moins <strong>de</strong> cinq minutes!"<br />

Arthur fut soulagé <strong>de</strong> voir que Jamie semblait avoir repris du poil <strong>de</strong><br />

la bête. Il ne perdait jamais longtemps <strong>le</strong> sourire.<br />

"Tous <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> s'est endormi à part nous et Rachel, constata Arthur en se<br />

retournant."<br />

Elliott et Ana Rosa ronflaient bruyamment, endormis l'un contre<br />

l'autre, au grand dam <strong>de</strong> Rachel qui semblait en avoir perdu <strong>le</strong> sommeil et<br />

6


observait si<strong>le</strong>ncieusement la campagne. Quant à Andreas, il respirait<br />

profondément, <strong>le</strong> visage collé contre la vitre <strong>de</strong> la portière. Ses lunettes<br />

étaient soigneusement posées sur ses genoux, à côté d'une conso<strong>le</strong><br />

portab<strong>le</strong>.<br />

"Deux heures <strong>de</strong> trajet, c'est tout <strong>de</strong> même long, fit remarquer Rachel.<br />

Même s'il est louab<strong>le</strong> <strong>de</strong> nous loger chez Jamie, n'aurions-nous pas intérêt<br />

à rester dans Londres même, afin d'être proche du QG?<br />

-Vous ne logerez chez <strong>le</strong>s Corbell qu'en attendant <strong>le</strong> lancement <strong>de</strong> la<br />

mission, assura Bennett. Inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> rester coincés <strong>de</strong>ux ou trois jours dans<br />

un hôtel si vous n'avez rien d'intéressant à faire à Londres. De toute<br />

façon, nous nous adapterons à l'évolution <strong>de</strong> la situation.<br />

-Oui, on ira à l'hôtel quand ce sera nécessaire, ajouta Jamie. Il est hors <strong>de</strong><br />

question que je ne vous présente pas à ma famil<strong>le</strong>, ils ont tel<strong>le</strong>ment<br />

entendu par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> vous!"<br />

Le minibus s'introduisit dans la forêt <strong>de</strong> pins qu'avait repérée Arthur<br />

plus tôt. Il s'étonna <strong>de</strong> constater que <strong>de</strong>s éclairages étaient disposés<br />

régulièrement <strong>le</strong> long d'une route bien entretenue et bordée par <strong>de</strong> jolies<br />

palissa<strong>de</strong>s blanches.<br />

"Oh, je crois avoir vu un animal dans la forêt, s'exclama Rachel.<br />

-Sans doute <strong>le</strong>s cerfs, répondit simp<strong>le</strong>ment Jamie. Ils sont assez craintifs<br />

donc on ne pourra pas <strong>le</strong>s approcher.<br />

-Tu te promènes donc dans cette forêt.<br />

-Oui! Mon petit frère adore <strong>le</strong>s bala<strong>de</strong>s en forêt!"<br />

Ce faisant, il lécha ses doigts et <strong>le</strong>s passa dans sa cheveux afin<br />

d'essayer <strong>de</strong> dresser sa mèche rebel<strong>le</strong>. La démarche fut vaine. Il haussa<br />

<strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s et contempla <strong>le</strong> paysage d'un air ravi. La traversée <strong>de</strong> la forêt<br />

ne prit que quelques minutes et <strong>le</strong> véhicu<strong>le</strong> aboutit fina<strong>le</strong>ment dans un<br />

grand jardin orné <strong>de</strong> haies hautes <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mètres. La route, jusque là<br />

bitumée, <strong>de</strong>vint gravillonnée et se divisa en plusieurs chemins, dont l'un<br />

menait à une bâtisse monumenta<strong>le</strong> ressemblant à un modè<strong>le</strong> réduit du<br />

Château <strong>de</strong> Versail<strong>le</strong>s.<br />

"Tiens, il y a un château près <strong>de</strong> chez toi? s'étonna Rachel.<br />

-Ah bon, où ça? fit Jamie en écarquillant <strong>le</strong>s yeux.<br />

-Cette chose là, qui doit faire environ mil<strong>le</strong> mètres carré, avec trois<br />

étages, <strong>de</strong>s fenêtres hautes <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mètres, une faça<strong>de</strong> blanche<br />

recouverte <strong>de</strong> lierre et une immense porte à doub<strong>le</strong> battant, répondit<br />

Rachel.<br />

-Juste <strong>de</strong>rrière la fontaine, précisa Arthur. Cel<strong>le</strong> avec la réplique <strong>de</strong> la<br />

Vénus <strong>de</strong> Milo.<br />

-Quels beaux jardins, marmonna Ana Rosa en se réveillant. Tous ces<br />

parterres <strong>de</strong> f<strong>le</strong>urs doivent être diffici<strong>le</strong>s à entretenir.<br />

-Ne vous inquiétez pas, Mark <strong>le</strong> majordome s'en occupe avec amour, dit<br />

Jamie."<br />

6


Une idée absur<strong>de</strong> traversa soudain l'esprit d'Arthur. Il consulta<br />

Rachel et Ana Rosa du regard pour vérifier qu'il n'était pas <strong>le</strong> seul à l'avoir<br />

envisagée. Leurs regards horrifiés furent significatifs.<br />

"Euh… Jam'… ce château…, commença Arthur.<br />

-Manoir, corrigea Jamie.<br />

-Peu importe. De quoi s'agit-il?"<br />

Jamie fit <strong>le</strong>s gros yeux.<br />

"De ma maison bien sûr, répondit-il comme s'il s'agissait d'une évi<strong>de</strong>nce.<br />

C'est là que vous logerez <strong>le</strong>s jours à venir mes amis!"<br />

Le cri <strong>de</strong> stupeur émis par <strong>le</strong>s occupants <strong>de</strong> la voiture fut si stri<strong>de</strong>nt<br />

qu'Andreas et Elliott se réveillèrent en sursautant. Bennett manqua <strong>de</strong><br />

quitter la route. Tous savaient que la famil<strong>le</strong> <strong>de</strong> Jamie était aisée, mais ils<br />

ne s'étaient pas attendus à une tel<strong>le</strong> opu<strong>le</strong>nce. Le "manoir" était<br />

grandiose, digne d'un membre <strong>de</strong> la famil<strong>le</strong> roya<strong>le</strong>. Arthur avait <strong>le</strong>s yeux<br />

rivés sur sa faça<strong>de</strong>, la bouche sèche, se disant qu'il allait bien s'y<br />

introduire et y dormir. Jamie avait grandi là, dans cette immense<br />

<strong>de</strong>meure. Le même Jamie qu'il avait invité à <strong>de</strong> multip<strong>le</strong>s reprises dans<br />

son mo<strong>de</strong>ste appartement <strong>de</strong> quatre pièces et qui avait occupé un matelas<br />

à côté <strong>de</strong> son lit. Arthur en vint à être accablé par la honte. Jamie n'était<br />

pas n'importe qui.<br />

"M… Mais…, fit Rachel."<br />

El<strong>le</strong> semblait au bord <strong>de</strong> la syncope. <strong>Les</strong> autres n'en menaient pas<br />

large mais avaient choisi <strong>de</strong> se complaire dans un si<strong>le</strong>nce admiratif. Même<br />

Ana Rosa, habituel<strong>le</strong>ment vindicative face aux étalages <strong>de</strong> "richesse<br />

capitaliste", n'arrivait plus à fermer la bouche.<br />

"Et cette forêt que nous venons <strong>de</strong> traverser? reprit Rachel en tremblant.<br />

Quand tu disais que tu t'y promenais avec ton petit frère, tu n'entendais<br />

pas…<br />

-El<strong>le</strong> fait partie <strong>de</strong> notre domaine, confirma Jamie. Je ne sais plus quel<strong>le</strong><br />

tail<strong>le</strong> el<strong>le</strong> fait… peut-être une vingtaine d'hectares, dit-il au hasard. On s'y<br />

perd tout <strong>le</strong> temps avec Wilson!"<br />

Le sourire aux lèvres, Bennett contourna la fontaine et se gara juste<br />

<strong>de</strong>vant l'entrée du manoir, au moment où cel<strong>le</strong>-ci s'ouvrait.<br />

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Chapitre 5 : <strong>Les</strong> va<strong>le</strong>urs du clan Corbell<br />

Sidéré, Arthur <strong>de</strong>scendit <strong>de</strong> voiture et <strong>le</strong>va la tête pour contemp<strong>le</strong>r<br />

<strong>le</strong> manoir. Il s'agissait d'une haute et large bâtisse à la structure<br />

harmonieuse et à la faça<strong>de</strong> laiteuse. Trois rangées <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s fenêtres,<br />

dont <strong>le</strong>s pourtours en brique rouge étaient envahis par du lierre,<br />

semblaient indiquer un nombre égal <strong>de</strong> niveaux. Le manoir était<br />

chapeauté par un toit en carène orné d'autres fenêtres, un peu plus<br />

petites que <strong>le</strong>s autres. Ce tout formait un ensemb<strong>le</strong> luxueux et imposant<br />

mais, somme toute, assez accueillant.<br />

<strong>Les</strong> compagnons <strong>de</strong> route d'Arthur <strong>de</strong>scendirent à <strong>le</strong>ur tour et<br />

observèrent <strong>le</strong>s environs, plus particulièrement la fontaine en casca<strong>de</strong> qui<br />

trônait au milieu <strong>de</strong> la cour. Faite <strong>de</strong> pierre taillée, el<strong>le</strong> était sans aucun<br />

doute la pièce maîtresse du jardin, apportant une touche artistique, bien<br />

qu'hétéroclite, à l'endroit. Une Venus <strong>de</strong> Milo plus vraie que nature<br />

siégeait en son centre, <strong>le</strong> regard tourné vers l'entrée.<br />

"Wow, fit Rachel, <strong>le</strong>s yeux rivés sur l'eau bouillonnante."<br />

Arthur s'en était déjà détaché, apercevant <strong>de</strong>s dépendances situées<br />

un peu plus loin, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s parterres <strong>de</strong> f<strong>le</strong>urs. Il semblait y en avoir<br />

<strong>de</strong>ux. L'une avait l'apparence d'une grange, faisant à peu près la moitié <strong>de</strong><br />

la tail<strong>le</strong> du manoir. Son toit en chaume tranchait radica<strong>le</strong>ment avec <strong>le</strong><br />

sty<strong>le</strong> global du domaine. La <strong>de</strong>uxième était beaucoup plus petite, mais un<br />

arbre touffu, planté <strong>de</strong>vant, la dissimulait en partie. Des chemins pavés<br />

menaient à ses <strong>de</strong>ux endroits.<br />

"Je suis rentré, cria Jamie après avoir laissé tomber <strong>de</strong>ux valises à terre."<br />

Enthousiaste, il foula rapi<strong>de</strong>ment du pied <strong>le</strong> sol gravillonné, se<br />

dirigeant vers l'entrée. Et quel<strong>le</strong> entrée! songea Arthur. Cel<strong>le</strong>-ci était<br />

constituée d'une petite tour formant un porche à arca<strong>de</strong>s, soutenu par<br />

quatre piliers alignés. L'un <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux battants <strong>de</strong> l'immense porte en bois<br />

verni s'était ouvert, occasionnant un trait <strong>de</strong> lumière vive. Sur son seuil<br />

était posté un petit homme chauve à la moustache grise, vêtu d'un<br />

pantalon <strong>de</strong> flanel<strong>le</strong> b<strong>le</strong>u et d'une chemise blanche boutonnée jusqu'au<br />

cou. Il contempla Jamie d'un air affab<strong>le</strong>, bien que contenu.<br />

"Bonsoir Mark, lui lança Jamie en lui serrant énergiquement la main.<br />

-Je suis enchanté <strong>de</strong> vous revoir Monsieur, déclara <strong>le</strong> dénommé Mark en<br />

opinant <strong>de</strong> la tête. Vous semb<strong>le</strong>z avoir mûri <strong>de</strong>puis la <strong>de</strong>rnière fois.<br />

-Ce n'est qu'une impression, assura Jamie en souriant. Où sont-ils tous?"<br />

Mark arbora un léger sourire qui accentua ses pattes d'oie déjà<br />

marquées. Il tourna la tête vers Arthur et <strong>le</strong>s autres, transis au milieu <strong>de</strong><br />

la cour.<br />

6


"Vous <strong>de</strong>vriez vous préoccuper <strong>de</strong> faire entrer vos amis auparavant,<br />

professa Mark. Ils semb<strong>le</strong>nt craindre <strong>de</strong> s'approcher du manoir.<br />

-Ho, tu as raison. Je manque à tous mes <strong>de</strong>voirs, réalisa Jamie en<br />

rebroussant chemin pour attraper Arthur et Ana Rosa par <strong>le</strong>s bras."<br />

Surpris, ils n'opposèrent que peu <strong>de</strong> résistance et furent aussitôt<br />

suivis par <strong>le</strong>s autres, comme si ces <strong>de</strong>rniers craignaient <strong>de</strong> <strong>de</strong>meurer seuls<br />

avec la Venus <strong>de</strong> Milo.<br />

"Voila, ils sont là affirma Jamie après avoir stratégiquement placé ses<br />

amis <strong>de</strong>vant Mark.<br />

-Euh…, fit Arthur."<br />

Il entreprit <strong>de</strong> fouil<strong>le</strong>r dans ses connaissances en anglais, afin <strong>de</strong><br />

trouver la formu<strong>le</strong> adaptée à un tel standing. Toutes <strong>le</strong>s phrases qui se<br />

présentaient à lui semblaient inadéquates, bana<strong>le</strong>s ou trop familières.<br />

Devinant sans doute son troub<strong>le</strong>, Mark <strong>le</strong>va l'in<strong>de</strong>x d'un air Jamiesque,<br />

signe qu'il se remémorait quelque chose, puis <strong>le</strong> pointa vers un<br />

Etemenanki accroché à son cou.<br />

"Ne soyez pas embarrassé par <strong>le</strong>s barrières <strong>de</strong> la langue Monsieur, dit-il.<br />

Des dispositions ont été prises afin que nous puissions tous communiquer<br />

aisément.<br />

-Dieu merci, soupira Arthur, soulagé. Je suis…<br />

-Monsieur Arthur Gall évi<strong>de</strong>mment, dit Mark. Et vous êtes Ma<strong>de</strong>moisel<strong>le</strong><br />

Rachel Mitchells, Ma<strong>de</strong>moisel<strong>le</strong> Ana Rosa Costa, Monsieur Andreas Wolf<br />

et…"<br />

Il hésita après s'être tourné vers Elliott.<br />

"Par élimination, vous êtes probab<strong>le</strong>ment Monsieur Elliott Corr.<br />

-Tout juste, répondit ce <strong>de</strong>rnier.<br />

-Quant à vous Monsieur Stumpton, je ne vous connais que trop bien,<br />

affirma Mark en souriant à l'intéressé.<br />

-Ca fait un bail Mark, fit Bennett avec un clin d'œil."<br />

Mark hocha <strong>le</strong>ntement la tête puis s'adressa <strong>de</strong> nouveau au groupe.<br />

"Soyez tous <strong>le</strong>s bienvenus chez Monsieur Corbell. Considérez cette maison<br />

comme la vôtre durant votre présence ici.<br />

-Merci, répondirent-ils en chœur.<br />

-Veuil<strong>le</strong>z entrer rapi<strong>de</strong>ment. Il fait froid <strong>de</strong>hors et la route a été longue,<br />

dit-il en <strong>le</strong>ur laissant la voie libre."<br />

Menés par Jamie, ils s'introduisirent dans <strong>le</strong> manoir un par un tandis<br />

que Mark se postait sur <strong>le</strong> côté, <strong>le</strong>s observant comme un instituteur<br />

attentif. Alors qu'il approchait <strong>de</strong> l'entrée, Arthur, déjà bou<strong>le</strong>versé par la<br />

7


vue extérieure, ne put s'empêcher d'appréhen<strong>de</strong>r ce qui l'attendrait<br />

<strong>de</strong>dans. Il fut loin d'être déçu.<br />

Un hall majestueux s'offrit à eux, vivement éclairé par <strong>de</strong>s lustres en<br />

cristal suspendus plusieurs mètres au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs têtes. Une fois <strong>de</strong><br />

plus, Arthur se figea pour contemp<strong>le</strong>r. Tout semblait démesuré, <strong>de</strong>puis <strong>le</strong>s<br />

hauts murs blancs couverts <strong>de</strong> peintures jusqu'au sol en parquet stratifié<br />

vernis, en gran<strong>de</strong> partie caché par un tapis rouge bor<strong>de</strong>aux. Ce <strong>de</strong>rnier<br />

donnait un aspect so<strong>le</strong>nnel à l'entrée, accentué par <strong>le</strong> grand escalier <strong>le</strong>ur<br />

faisant face et dont il recouvrait <strong>le</strong>s marches. Même <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux mainscourantes<br />

et <strong>le</strong>s gar<strong>de</strong>-corps attiraient <strong>le</strong> regard, par <strong>le</strong>ur cou<strong>le</strong>ur dorée.<br />

En outre, plusieurs vases magnifiquement ornés étaient disposés sur <strong>de</strong>s<br />

piliers, <strong>de</strong> part et d'autre <strong>de</strong> l'escalier, mis en va<strong>le</strong>ur par quelques plantes<br />

d'intérieur. On pouvait apercevoir <strong>de</strong>ux portes, juste <strong>de</strong>rrière.<br />

Un large couloir sur la gauche semblait mener au salon ou à une<br />

sal<strong>le</strong> à manger, tandis qu'un autre sur la droite, donnait sur une porte à<br />

doub<strong>le</strong> battant, fermée.<br />

"Comment trouvez-vous ma maison? <strong>de</strong>manda Jamie sans la moindre<br />

nuance <strong>de</strong> vanité."<br />

Mark referma la porte d'entrée en si<strong>le</strong>nce. Aucun d'entre eux n'osa<br />

se hasar<strong>de</strong>r à répondre. Seuls <strong>de</strong>s yeux écarquillés et <strong>de</strong>s onomatopées<br />

auraient pu caractériser <strong>le</strong>ur réaction à ce sta<strong>de</strong>. Alors qu'ils déposaient<br />

précautionneusement <strong>le</strong>urs valises sur <strong>le</strong> tapis, une ravissante femme<br />

blon<strong>de</strong> en robe <strong>de</strong> chambre pourpre <strong>de</strong>scendit <strong>le</strong>s escaliers, <strong>le</strong>s cheveux<br />

épars sur ses courtes épau<strong>le</strong>s. El<strong>le</strong> avait un visage fin et pâ<strong>le</strong> aux traits<br />

juvéni<strong>le</strong>s, un nez retroussé parsemé <strong>de</strong> tâches <strong>de</strong> rousseurs et <strong>de</strong> grands<br />

yeux d'un b<strong>le</strong>u mouillé. Sa frange désordonnée dissimulait un large front<br />

et lui voilait brièvement <strong>le</strong> regard à chaque pas qu'el<strong>le</strong> effectuait. Arthur<br />

n'eut pas <strong>de</strong> mal à i<strong>de</strong>ntifier l'arrivante, bien qu'el<strong>le</strong> parût trop jeune pour<br />

être mère d'un grand garçon <strong>de</strong> vingt et un ans.<br />

La femme parvint au bas <strong>de</strong>s escaliers, sans que <strong>le</strong> châ<strong>le</strong> qu'el<strong>le</strong><br />

portait négligemment sur ses épau<strong>le</strong>s ne tombe. Arthur remarqua alors<br />

qu'el<strong>le</strong> possédait el<strong>le</strong> aussi un Etemenanki.<br />

"Je pensais bien avoir entendu du bruit dans l'entrée, dit-el<strong>le</strong> d'une voix<br />

calme, en jetant un regard circulaire sur <strong>le</strong>s élus."<br />

Jamie esquissa un sourire radieux et se dirigea vers el<strong>le</strong> en<br />

trottinant, après avoir <strong>de</strong> nouveau essayé <strong>de</strong> dresser sa mèche. Il se<br />

planta <strong>de</strong>vant el<strong>le</strong> sans qu'el<strong>le</strong> ne dise un mot.<br />

"Je suis rentré maman."<br />

A la surprise <strong>de</strong> tous, Mme Corbell éclata soudain en sanglots et<br />

embrassa son fils sur <strong>le</strong> front, <strong>le</strong> noyant <strong>de</strong> larmes. Puis el<strong>le</strong> <strong>le</strong> serra dans<br />

ses bras avec <strong>de</strong>s gémissements dramatiques.<br />

7


"Mon grand et fort garçon, j'ai cru que je ne te reverrais que <strong>le</strong> visage<br />

couvert <strong>de</strong> cicatrices, larmoya-t-el<strong>le</strong> en <strong>le</strong> câlinant et en lui ébouriffant <strong>le</strong>s<br />

cheveux.<br />

-Maman! J'ai passé une <strong>de</strong>mi-heure à me coiffer correctement, protesta<br />

gentiment Jamie.<br />

-Ce n'est pas grave, ce n'est pas grave, p<strong>le</strong>urait-el<strong>le</strong> sans relâcher son<br />

étreinte.<br />

-C'est sa mère!? souffla Ana Rosa stupéfaite. A voir son physique, el<strong>le</strong><br />

pourrait être sa sœur!<br />

-Il faut croire qu'el<strong>le</strong> l'a eu très tôt, répondit Rachel. Ou alors el<strong>le</strong> possè<strong>de</strong><br />

un anti-ri<strong>de</strong>s extrêmement efficace."<br />

La scène <strong>de</strong> retrouvail<strong>le</strong>s mère-fils s'éternisa encore <strong>de</strong>ux bonnes<br />

minutes, avant que Mme Corbell ne consente enfin à s'écarter <strong>de</strong> Jamie et<br />

à essuyer ses larmes avec un pan <strong>de</strong> son châ<strong>le</strong>. De manière inattendue,<br />

el<strong>le</strong> se dirigea alors vers Arthur et fit <strong>de</strong> même avec lui, y mettant<br />

toutefois un peu plus <strong>de</strong> retenue.<br />

"Oh Arty, c'est comme si on se connaissait déjà, dit-el<strong>le</strong> d'une voix<br />

enthousiaste. Merci <strong>de</strong> prendre soin <strong>de</strong> mon fils comme tu <strong>le</strong> fais!<br />

-Euh… <strong>de</strong> rien madame, souffla Arthur, au bord <strong>de</strong> la suffocation. Je vois<br />

d'où vient l'habitu<strong>de</strong> qu'a Jamie <strong>de</strong> serrer tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> dans ses bras.<br />

-Je m'excuse, dit-el<strong>le</strong> en reculant."<br />

Tous étaient quelque peu perturbés par l'arrivée <strong>de</strong> Mme Corbell,<br />

s'étant préparés à la vision d'une dame au standing digne <strong>de</strong> cette<br />

<strong>de</strong>meure fastueuse. Au lieu <strong>de</strong> ça, se présentait une maman gâteau assez<br />

affectueuse qui ne manqua pas <strong>de</strong> saluer chacun d'entre eux <strong>de</strong> la même<br />

manière.<br />

"Bennett, je ne savais pas que vous veniez, s'étonna-t-el<strong>le</strong>. Wilson sera<br />

déçu <strong>de</strong> vous avoir raté si vous repartez maintenant.<br />

-Je n'ai hélas pas <strong>le</strong> choix, s'excusa Bennett en sou<strong>le</strong>vant légèrement son<br />

béret. <strong>Les</strong> obligations n'atten<strong>de</strong>nt pas.<br />

-C'est fâcheux, déplora-t-el<strong>le</strong>.<br />

-EN effet… J'y pense, pourrais-je utiliser votre téléphone?<br />

-Bien évi<strong>de</strong>mment. Mark, montrez lui <strong>le</strong> chemin s'il vous plaît."<br />

Le majordome obtempéra et guida Bennett vers <strong>le</strong> couloir situé à<br />

gauche. Mme Corbell s'adressa alors à Arthur et ses amis :<br />

"Je suis Diane Corbell, la maman <strong>de</strong> Jamie et votre hôtesse, se présentat-el<strong>le</strong>.<br />

Faites moi plaisir et appe<strong>le</strong>z moi Diane. <strong>Les</strong> "madame" me font me<br />

sentir vieil<strong>le</strong>.<br />

-Oui… Diane, firent <strong>le</strong>s élus sans gran<strong>de</strong> conviction.<br />

-Parfait! Il est déjà tard et j'imagine que vous êtes tous fatigués d'avoir<br />

voyagé jusqu'ici <strong>de</strong>puis Paris. Mark va vous gui<strong>de</strong>r dans vos chambres dès<br />

qu'il sera revenu. Il me semb<strong>le</strong> que vous avez déjà mangé, non?<br />

7


-Nous avons pris un en-cas, affirma Jamie, tandis que sa mère continuait<br />

à lui caresser la nuque.<br />

-Vous êtes certains <strong>de</strong> ne pas vouloir ava<strong>le</strong>r quelque chose d'autre?<br />

insista-t-el<strong>le</strong>.<br />

-C'est gentil à vous madame, mais ne vous inquiétez pas, assura Ana<br />

Rosa. Nous sommes calés.<br />

-Bon… Je n'insiste pas dans ce cas.<br />

-Où sont papa et Wilson? <strong>de</strong>manda Jamie en tournant vainement la tête<br />

dans toutes <strong>le</strong>s directions.<br />

-Ton frère est déjà couché. Il a tout fait pour rester éveillé mais a fini par<br />

sombrer dans <strong>le</strong> sommeil il y a une heure. Quant à ton père, tu ne <strong>le</strong><br />

verras pas ce soir, malheureusement. Il a été bloqué à Canterbury par un<br />

ennui moteur et ne pourra pas revenir avant <strong>de</strong>main.<br />

-Ah mince, fit Jamie d'un air déçu. Nous serons sans doute repartis à<br />

Londres lorsqu'il reviendra.<br />

-Il t'appel<strong>le</strong>ra <strong>de</strong>main matin, quoi qu'il arrive, promit Mme Corbell."<br />

El<strong>le</strong> écarquilla soudain <strong>le</strong>s yeux et contempla <strong>de</strong> nouveau <strong>le</strong>s élus,<br />

l'air perp<strong>le</strong>xe. Puis el<strong>le</strong> se tourna vers son fils.<br />

"Il ne manque pas quelqu'un? s'étonna-t-el<strong>le</strong>.<br />

-Sally qui nous rejoindra <strong>de</strong>main, indiqua Elliott. El<strong>le</strong> dort chez une amie<br />

ce soir.<br />

-Bonté divine, comment ai-je pu oublier cette fameuse Sally? Jamie,<br />

comment va…<br />

-El<strong>le</strong> va très bien! Tu la rencontreras bientôt, répondit rapi<strong>de</strong>ment Jamie,<br />

au moment où Mark et Bennett revenaient dans <strong>le</strong> hall.<br />

-Hum… Très bien, fit Mme Corbell sans insister."<br />

Bennett se frottait <strong>le</strong> front d'un air penaud. Son coup <strong>de</strong> téléphone<br />

s'était visib<strong>le</strong>ment mal passé.<br />

"Un problème Ben? lui <strong>de</strong>manda Jamie, ravi <strong>de</strong> pouvoir changer <strong>de</strong> sujet.<br />

-Une épine dans <strong>le</strong> pied, oui. J'appelais ce cher Anthony, supposément<br />

instructeur <strong>de</strong> son état, pour savoir si je pouvais déposer <strong>le</strong> minibus chez<br />

lui, afin qu'il vienne vous chercher <strong>de</strong>main matin. Monsieur m'apprend<br />

qu'il a découché et…"<br />

Bennett marqua une pause, hésitant.<br />

"Pour d'obscures raisons, il ne pourra pas venir vous chercher lui-même,<br />

conclut-il. Je vais <strong>de</strong>voir <strong>le</strong> faire à sa place.<br />

-Cet individu n'a aucune éthique, soupira Ana Rosa. Je suis sûre que c'est<br />

encore une histoire <strong>de</strong> femme qui est à l'origine <strong>de</strong> tout ça… Bennett, tu<br />

ne vas pas t'amuser à repartir jusqu'à Londres <strong>de</strong> nuit pour revenir<br />

<strong>de</strong>main matin!?<br />

-Ce genre <strong>de</strong> mésaventures ne me tuera pas. J'ai l'habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> rattraper<br />

<strong>le</strong>s bêtises d'Ant, rassura-t-il.<br />

7


-Mark, veuil<strong>le</strong>z préparer la chambre originel<strong>le</strong>ment prévue pour Sally,<br />

intervint Mme Corbell.<br />

-Non, non, protesta Bennett, gêné. Ca ne me dérange pas <strong>de</strong>…<br />

-Votre refus ne sera pas toléré, plaisanta Mme Corbell. Il est hors <strong>de</strong><br />

question que vous fassiez autant <strong>de</strong> route en si peu <strong>de</strong> temps. Restez<br />

dormir ici et vous conduirez <strong>le</strong>s enfants à Londres <strong>de</strong>main! On vous<br />

trouvera bien une brosse à <strong>de</strong>nts neuve quelque part.<br />

-D'accord… Merci <strong>de</strong> votre hospitalité, fit Bennett.<br />

-Je vous en prie. Ce manoir a fait office d'hôtel pendant <strong>de</strong>s lustres. Nous<br />

ne manquons pas <strong>de</strong> place! Arthur va dormir dans la chambre <strong>de</strong> Jamie,<br />

Elliott et Andreas seront ensemb<strong>le</strong>, tout comme Ana Rosa et Rachel.<br />

J'avais prévu une chambre pour Sally ainsi que <strong>de</strong>ux autres, au cas où <strong>de</strong>s<br />

amis <strong>de</strong> Jamie voudraient passer un peu <strong>de</strong> temps ici."<br />

Arthur se <strong>de</strong>manda combien <strong>de</strong> chambres pouvait bien abriter cette<br />

immense maison.<br />

"Je vais vous gui<strong>de</strong>r, indiqua Mark avec déférence. Veuil<strong>le</strong>z avoir<br />

l'obligeance <strong>de</strong> me suivre."<br />

Ils s'exécutèrent et montèrent l'escalier, précédés par Mark et Mme<br />

Corbell. Rachel profita <strong>de</strong> l'ascension pour la complimenter sur la beauté<br />

<strong>de</strong> l'endroit.<br />

"Merci, mais je n'y suis pas pour grand' chose, avoua Mme Corbell. Je suis<br />

si lunatique qu'il me serait impossib<strong>le</strong> d'entretenir une tel<strong>le</strong> maison toute<br />

seu<strong>le</strong>. Mark et <strong>le</strong>s gens qui travail<strong>le</strong>nt ici sont <strong>le</strong>s piliers <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>meure.<br />

-Est-ce que vous avez un emploi… si ce n'est pas indiscret? <strong>de</strong>manda<br />

Rachel.<br />

-Et bien, j'illustre <strong>de</strong>s livres pour enfants, annonça Mme Corbell avec une<br />

nuance d'embarras. Beaucoup <strong>de</strong> gens s'étonnent <strong>de</strong> l'aisance dans<br />

laquel<strong>le</strong> je vis, vu mon métier hors du commun. Cependant, je n'ai pas<br />

honte <strong>de</strong> reconnaître que je vis aux crochets <strong>de</strong> Monsieur Corbell."<br />

Rachel laissa échapper un rire. L'escalier se divisait en <strong>de</strong>ux voies<br />

distinctes qui finissaient par converger sur <strong>le</strong> palier du premier étage.<br />

Mark et Bennett aidaient à la montée <strong>de</strong>s lourds bagages.<br />

"Vous <strong>de</strong>ssinez? fit Ana Rosa, agréab<strong>le</strong>ment surprise. Jamie ne me l'avait<br />

jamais dit.<br />

-Je n'y ai tout simp<strong>le</strong>ment pas pensé, dit Jamie. Maman, je t'ai parlé du<br />

don d'Ana Rosa, n'est-ce pas?"<br />

Mme Corbell s'arrêta soudain, l'air émerveillé. El<strong>le</strong> se saisit <strong>de</strong>s<br />

mains <strong>de</strong> la jeune femme.<br />

"Bon sang, c'est donc toi qui as <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> donner vie à tout ce que tu<br />

<strong>de</strong>ssines?<br />

7


-O… Oui!<br />

-J'ai eu du mal à y croire lorsque Jamie m'a parlé <strong>de</strong> toi. Un don tout<br />

simp<strong>le</strong>ment merveil<strong>le</strong>ux, s'extasia Mme Corbell sans lui lâcher <strong>le</strong>s mains.<br />

J'aurais aimé possé<strong>de</strong>r une tel<strong>le</strong> capacité. Consentirais-tu à m'en faire une<br />

démonstration lorsque tu auras un peu <strong>de</strong> temps libre?<br />

-Oui, avec plaisir, répondit Ana Rosa en rougissant."<br />

Ils arrivèrent au premier étage, au milieu d'un large couloir qui<br />

semblait couvrir toute la longueur du manoir. Plusieurs grands miroirs<br />

disposés <strong>de</strong> manière régulière sur <strong>le</strong>s murs, entre <strong>le</strong>s éclairages,<br />

accentuaient la luminosité et donnaient une impression <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>ur au<br />

couloir. Mark <strong>le</strong>s mena vers la partie gauche <strong>de</strong> celui-ci, foulant d'un pas<br />

régulier <strong>le</strong> parquet grinçant. Ils passèrent plusieurs portes closes, avant<br />

<strong>de</strong> s'arrêter <strong>de</strong>vant l'une d'el<strong>le</strong>s. Le majordome fouilla dans ses poches et<br />

en sortit un trousseau <strong>de</strong> clés.<br />

"Wilson a la mauvaise habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> jouer à cache-cache dans la maison,<br />

expliqua Mme Corbell. Il suit <strong>le</strong> mauvais exemp<strong>le</strong> <strong>de</strong> son frère. Si nous ne<br />

verrouillons pas <strong>le</strong>s pièces inutilisées, retrouver ce garnement peut<br />

prendre <strong>de</strong>s jours."<br />

Mark entreprit d'ouvrir la porte, entra pour allumer la lumière, puis<br />

alla en faire <strong>de</strong> même pour la chambre située juste en face.<br />

"Mes<strong>de</strong>moisel<strong>le</strong>s Ana Rosa et Rachel occuperont cette chambre. Cel<strong>le</strong> d'en<br />

face sera <strong>de</strong>stinée à ces messieurs, indiqua-t-il en se tournant vers Elliott<br />

et Andreas. J'ai mis du linge <strong>de</strong> bain à votre disposition près <strong>de</strong>s lits. Vous<br />

trouverez éga<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>s armoires dans <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s sont rangées <strong>de</strong>s<br />

couvertures supplémentaires, au cas où <strong>le</strong>s nuits seraient plus froi<strong>de</strong>s que<br />

prévu. Faites en usage comme cela vous conviendra.<br />

-Où se trouve la sal<strong>le</strong> <strong>de</strong> bain? <strong>de</strong>manda Rachel d'un air ravi.<br />

-<strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux portes situées à l'entrée <strong>de</strong> cette partie du couloir, répondit<br />

Mark en faisant quelques pas pour <strong>le</strong>s montrer. Monsieur Bennett, je vais<br />

vous instal<strong>le</strong>r dans la chambre initia<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>stinée à Ma<strong>de</strong>moisel<strong>le</strong> Sally.<br />

Il me faut juste procé<strong>de</strong>r à un rapi<strong>de</strong> ajustement quant à… la cou<strong>le</strong>ur <strong>de</strong>s<br />

parures <strong>de</strong> lit et <strong>de</strong>s serviettes.<br />

-Fort bien! J'aurais du mal à trouver <strong>le</strong> sommeil dans <strong>de</strong>s draps <strong>de</strong> soie<br />

rose, fit Bennett en imitant <strong>le</strong> ton obséquieux du majordome."<br />

Rachel, Ana Rosa, Andreas et Elliott souhaitèrent bonne nuit et<br />

s'introduisirent hâtivement dans <strong>le</strong>urs chambres respectives pour <strong>le</strong>s<br />

admirer. Quant à Bennett, il partit utiliser la sal<strong>le</strong> <strong>de</strong> bain pendant que son<br />

lit était en cours d'ajustement.<br />

"Je vais vous laisser, déclara Mme Corbell après un bâil<strong>le</strong>ment. Ma<br />

chambre se trouve au bout <strong>de</strong> ce couloir. Arthur, tu seras chez Jamie,<br />

juste à côté <strong>de</strong> la chambre <strong>de</strong> Wilson. J'espère que ces <strong>de</strong>ux-là ne te<br />

réveil<strong>le</strong>ront pas à l'aube, comme ils ont l'habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>le</strong> faire.<br />

7


-Merci <strong>de</strong> votre hospitalité Mme Corbell.<br />

-Appel<strong>le</strong> moi Diane s'il te plaît. Nous nous reverrons au petit déjeuner.<br />

Bonne nuit à vous <strong>de</strong>ux."<br />

El<strong>le</strong> embrassa son fils sur <strong>le</strong> front puis partit vers sa chambre, en<br />

évitant <strong>le</strong>s valises placées sur son chemin. Jamie fit alors signe à Arthur<br />

<strong>de</strong> <strong>le</strong> suivre, la main vainement plaquée sur sa chevelure ébouriffée. Sa<br />

mère avait, en une poignée <strong>de</strong> secon<strong>de</strong>s, réduit à néant un travail <strong>de</strong><br />

longue ha<strong>le</strong>ine. Arthur <strong>de</strong>vina qu'il ne reverrait pas Jamie aussi bien coiffé<br />

<strong>de</strong> si tôt.<br />

Tous <strong>de</strong>ux retournèrent vers l'escalier, <strong>le</strong> contournèrent, puis<br />

s'introduisirent dans l'ai<strong>le</strong> opposée, en tout point similaire à cel<strong>le</strong> qu'ils<br />

venaient <strong>de</strong> quitter. Jamie posa ses valises <strong>de</strong>vant la première porte sur la<br />

droite et l'ouvrit.<br />

"Une fois, je l'ai défoncée par acci<strong>de</strong>nt, fit-il remarquer. Je ne maîtrisais<br />

pas encore mon don à l'époque."<br />

La pièce était plongée dans l'obscurité. Jamie appuya sur<br />

l'interrupteur et une vaste chambre fut alors révélée à Arthur. El<strong>le</strong> faisait<br />

au moins trois fois la tail<strong>le</strong> <strong>de</strong> la sienne et contenait <strong>de</strong>ux lits. Il y avait<br />

une haute fenêtre au fond, entre un long bureau occupé par une quantité<br />

improbab<strong>le</strong> <strong>de</strong> matériel informatique, et une bibliothèque remplie <strong>de</strong><br />

romans et <strong>de</strong> ban<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ssinées.<br />

"Bienvenue dans ta chambre provisoire, lança Jamie. Tu as même accès à<br />

une bel<strong>le</strong> terrasse pour profiter du <strong>le</strong>ver du so<strong>le</strong>il!"<br />

L'attention d'Arthur fut attirée par l'un <strong>de</strong>s murs <strong>de</strong> la chambre,<br />

tapissé <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssins dont il attribua la création à Mme Corbell.<br />

"El<strong>le</strong> m'a toujours offert une <strong>de</strong> ses créations pour mes anniversaires,<br />

expliqua Jamie en se postant <strong>de</strong>vant <strong>le</strong> mur. J'avais déjà tout ce dont un<br />

enfant pouvait rêver, alors ce genre <strong>de</strong> ca<strong>de</strong>au semblait plus significatif.<br />

-C'est assez sensé, dit Arthur. En tout cas ta mère est un sacré<br />

phénomène, dans <strong>le</strong> sens positif du terme bien sûr.<br />

-Je suis d'accord avec toi. D'ail<strong>le</strong>urs il me semb<strong>le</strong> que je tiens beaucoup<br />

d'el<strong>le</strong>, non?"<br />

Arthur ne manqua pas d'approuver.<br />

"Contrairement à mon père, el<strong>le</strong> n'est pas issue d'une famil<strong>le</strong> riche. De ce<br />

fait, el<strong>le</strong> a toujours voulu gar<strong>de</strong>r la tête sur <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s, même après <strong>de</strong>s<br />

années <strong>de</strong> mariage et d'aisance. El<strong>le</strong> a conservé son travail et sa<br />

mentalité.<br />

-J'imagine qu'el<strong>le</strong> vous a éduqués dans cet esprit.<br />

7


-Tout à fait! El<strong>le</strong> souhaite plus que tout éviter <strong>de</strong> faire nous <strong>de</strong>s fils à papa<br />

(je ne sais pas si el<strong>le</strong> a réussi). Cependant ça ne l'empêche pas d'être<br />

beaucoup trop protectrice, comme tu l'as sans doute remarqué."<br />

Jamie dévisagea Arthur, <strong>le</strong>s sourcils froncés.<br />

"Ca me fait penser que tu ne par<strong>le</strong>s jamais <strong>de</strong> tes parents Arty. Tu as <strong>de</strong>s<br />

soucis avec eux?<br />

-Non, ça va, répondit évasivement Arthur. Tout va bien, si ce n'est qu'ils<br />

vivent à l'autre bout du pays. Pas <strong>de</strong> quoi s'inquiéter, ça ne m'empêche<br />

pas <strong>de</strong> mener une vie agréab<strong>le</strong> chez mes grands-parents."<br />

Son ami arbora une moue dubitative. Ennuyé, Arthur sentit qu'il<br />

était temps <strong>de</strong> changer <strong>de</strong> sujet, avant que la conversation ne <strong>de</strong>vienne<br />

rapi<strong>de</strong>ment embarrassante.<br />

"Le <strong>de</strong>uxième lit a toujours été ici? <strong>de</strong>manda-t-il <strong>de</strong> son air <strong>le</strong> plus<br />

intéressé possib<strong>le</strong>.<br />

-Depuis que Wilson est en âge <strong>de</strong> dormir dans un lit, répondit Jamie avec<br />

un grand sourire. Cette gran<strong>de</strong> maison n'était pas vraiment rassurante<br />

pour un enfant <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ans et il avait parfois peur <strong>de</strong> dormir seul, surtout<br />

quand <strong>le</strong> temps était orageux. On lui a donc fait instal<strong>le</strong>r un lit ici pour<br />

qu'il puisse venir."<br />

Il indiqua une porte close, située près <strong>de</strong> son lit.<br />

"Nos <strong>de</strong>ux chambres communiquent. Du moins, el<strong>le</strong>s communiquaient<br />

jusqu'à ce qu'on déci<strong>de</strong> qu'on voulait chacun notre intimité. Cette porte<br />

est désormais verrouillée. Aucun risque que je <strong>le</strong> surprenne un jour en<br />

train <strong>de</strong> lire <strong>de</strong>s catalogues <strong>de</strong> lingerie."<br />

Arthur se mit à rire. Il fit rou<strong>le</strong>r sa valise jusqu'à son lit en prenant<br />

gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> ne pas abîmer <strong>le</strong> tapis, puis s'assit. Le matelas était ferme mais<br />

confortab<strong>le</strong>.<br />

"Arty, pendant que nous parlons <strong>de</strong> choses et d'autres, puis-je formu<strong>le</strong>r<br />

une requête? hésita Jamie, visib<strong>le</strong>ment gêné.<br />

-Bien sûr! Après tout, tu m'héberges dans une annexe <strong>de</strong> Buckingham<br />

Palace. Tu peux tout me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r! De quoi s'agit-il?"<br />

Jamie plongea <strong>le</strong>s mains dans ses poches <strong>de</strong> veste et se dandina<br />

d'un pied sur l'autre, <strong>le</strong> regard baissé. Soudain, à la gran<strong>de</strong> stupeur<br />

d'Arthur, il se dirigea vers lui, mit un genou à terre et prit une expression<br />

grave.<br />

"Arthur Gall, accepterais-tu d'être mon témoin si j'étais amené à me<br />

marier un jour?<br />

-HEIN? ÊTRE TON QUOI?"<br />

7


Arthur fit un pas en arrière, troublé. Jamie l'avait appelé par son<br />

nom entier. La situation était inquiétante.<br />

"Que se passe-t-il Jamie? Un nouveau délire!?<br />

-J'ai besoin d'une réponse maintenant Arthur. Je n'ai jamais été aussi<br />

sérieux qu'aujourd'hui! Tous <strong>le</strong>s membres défunts du clan Corbell<br />

t'observent <strong>de</strong>puis <strong>le</strong>s cieux, dans l'attente <strong>de</strong> ta réaction."<br />

La mâchoire d'Arthur manqua sûrement <strong>de</strong> se décrocher, vu la<br />

dou<strong>le</strong>ur lancinante qu'il y ressentit à cet instant. Il mit un instant à<br />

répondre, convaincu par l'air pressant <strong>de</strong> Jamie.<br />

"Je… je suppose que je pourrais faire ça. Je veux dire…, être ton témoin <strong>le</strong><br />

jour <strong>de</strong> ton mariage. Oui, je <strong>le</strong> ferai mais, par pitié, relève toi!"<br />

Jamie hocha dramatiquement la tête et se re<strong>le</strong>va.<br />

"Tu es <strong>le</strong> meil<strong>le</strong>ur <strong>de</strong>s amis que cette Terre ait engendré Arthur, je ne<br />

l'oublierai jamais, déclara-t-il. En tant qu'homme issu d'une lignée qui<br />

érige l'amitié au rang <strong>de</strong> va<strong>le</strong>ur suprême, je suis heureux.<br />

-Merci… j'imagine, soupira Arthur."<br />

Jamie se retourna et partit en direction <strong>de</strong> son lit. Ce faisant, il lança<br />

négligemment un objet au meil<strong>le</strong>ur ami qu'ait engendré la Terre. Arthur<br />

l'attrapa in extremis et l'examina avec curiosité. Il s'agissait d'un<br />

minuscu<strong>le</strong> coffret en velours noir.<br />

"Tu peux commencer à chercher <strong>le</strong> nœud papillon! Je compte <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r<br />

Sally en mariage dans <strong>le</strong>s jours à venir, murmura Jamie en s'étendant sur<br />

son lit."<br />

***<br />

Alors qu'il avait <strong>le</strong>s paupières encore bien lour<strong>de</strong>s, Arthur fut tiré du<br />

sommeil par un poids subit sur son ventre et <strong>de</strong>s échos d'exclamations<br />

enjouées. Bien qu'épuisé, il fit glisser sa tête hors <strong>de</strong> l'épaisse couette qui<br />

la recouvrait et ouvrit <strong>le</strong>s yeux. <strong>Les</strong> ri<strong>de</strong>aux <strong>de</strong> la fenêtre étaient fermés et<br />

la pièce était plongée dans une semi obscurité. Sur la tab<strong>le</strong> <strong>de</strong> chevet <strong>de</strong><br />

Jamie, <strong>le</strong> réveil indiquait 7h58. Son propriétaire avait quitté son lit.<br />

Arthur bailla et s'étira, non sans dou<strong>le</strong>ur. Des courbatures<br />

impossib<strong>le</strong>s à ignorer <strong>le</strong> lançaient, <strong>de</strong>s chevil<strong>le</strong>s jusqu'aux omoplates.<br />

"Barf"<br />

Surpris par cet aboiement soudain, il tressaillit et manqua <strong>de</strong><br />

renverser l'occupant indésirab<strong>le</strong> qui s'était couché sur son ventre. Un<br />

7


ichon frisé aux yeux foncés <strong>le</strong> jaugeait du regard, sans bouger. Il ne<br />

l'avait même pas senti venir s'instal<strong>le</strong>r dans <strong>le</strong> lit.<br />

"Tu dois être… Puffer, murmura Arthur en caressant la tête du petit<br />

chien."<br />

Il avait déjà entendu par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> l'animal <strong>de</strong> compagnie <strong>de</strong> Jamie,<br />

souvent <strong>de</strong> manière péjorative. Sally l'avait décrit comme "amorphe" et<br />

"aux portes <strong>de</strong> la mort", ce que contestait évi<strong>de</strong>mment Jamie. Lui<br />

considérait que Puffer était "juste ennuyé par la maturité soudaine <strong>de</strong> son<br />

maître" et préférait désormais opter pour un rythme <strong>de</strong> vie plus posé.<br />

Pourtant, Puffer ne bougea pas d'un poil lorsque Arthur entreprit <strong>de</strong> <strong>le</strong><br />

sou<strong>le</strong>ver délicatement et <strong>de</strong> <strong>le</strong> poser sur son oreil<strong>le</strong>r.<br />

"Tu as dû me confondre avec Jamie ou Wilson, fit Arthur en se <strong>le</strong>vant."<br />

Il sortit <strong>de</strong> son lit, ouvrit sa valise pour y trouver sa trousse <strong>de</strong><br />

toi<strong>le</strong>tte et ses chaussons, puis traversa la chambre d'un pas <strong>le</strong>nt, en<br />

direction <strong>de</strong> la sortie. <strong>Les</strong> cris enthousiastes provenant <strong>de</strong> l'extérieur<br />

s'étaient brusquement atténués.<br />

Arrivé dans <strong>le</strong> couloir, il se dirigea vers <strong>le</strong>s sal<strong>le</strong>s <strong>de</strong> bain. Des bruits<br />

<strong>de</strong> discussion en émanaient et <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux portes étaient visib<strong>le</strong>ment<br />

ouvertes. Intrigué, il s'approcha.<br />

"Oh, hello Art, lança Ana Rosa en sortant subitement <strong>de</strong> la première sal<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong> bain.<br />

El<strong>le</strong> était déjà en tenue d'élue mais avait une brosse à <strong>de</strong>nts dans la<br />

bouche. De profonds cernes sous ses yeux indiquaient qu'el<strong>le</strong> n'avait pas<br />

fait sa nuit.<br />

"Toi, tu n'as pas suffisamment dormi, constata Arthur. Bienvenue au<br />

club."<br />

El<strong>le</strong> opina <strong>de</strong> la tête et retourna d'où el<strong>le</strong> venait. Arthur se posta<br />

alors entre <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux sal<strong>le</strong>s <strong>de</strong> bain. Andreas, Elliott et Rachel s'y étaient<br />

répartis, tous en train <strong>de</strong> se brosser <strong>le</strong>s <strong>de</strong>nts avec apathie. Cette <strong>de</strong>rnière<br />

était toujours en nuisette, bien que <strong>le</strong>s autres se soient vêtus.<br />

"B'jour, lâcha Arthur."<br />

Ils répondirent par <strong>de</strong>s grognements plaintifs. Même Elliott<br />

paraissait plus déphasé que d'habitu<strong>de</strong>. Arthur entra dans la sal<strong>le</strong> <strong>de</strong> bain<br />

attribuée aux garçons, se plaça entre ses <strong>de</strong>ux camara<strong>de</strong>s et <strong>le</strong>s imita.<br />

"Bon sang, fit Ana Rosa en s'introduisant dans la pièce. Je m'imaginais<br />

bien ne pas pouvoir faire la grasse matinée, mais à ce point… <strong>Les</strong><br />

retrouvail<strong>le</strong>s entre Jamie et sa famil<strong>le</strong> sont trop bruyantes.<br />

7


-Qu'est-che que tu fais dans notre chal<strong>le</strong> <strong>de</strong> bains, marmonna Arthur sans<br />

vraiment s'en soucier.<br />

-Je viens mater vos corps <strong>de</strong> rêve bien sûr, ironisa Ana Rosa."<br />

Rachel <strong>le</strong>s rejoignit, brosse à la main.<br />

"Joli pyjama Arthur! Apparemment, Bennett est déjà en train <strong>de</strong> prendre<br />

son petit déjeuner.<br />

-Et Jam'?<br />

-Vu <strong>le</strong> boucan qu'il fait avec son frère, il doit y être aussi, bougonna-t-el<strong>le</strong>.<br />

-On doit partir bientôt? <strong>de</strong>manda Elliott.<br />

-J'imagine, fit Rachel. Je vais me dépêcher d'al<strong>le</strong>r prendre une douche…<br />

ou un bain."<br />

Elliott hocha la tête et sa gargarisa, au grand dam <strong>de</strong> Rachel. El<strong>le</strong><br />

parut déçue <strong>de</strong> son absence <strong>de</strong> réaction. Il était probab<strong>le</strong> qu'el<strong>le</strong> ait tenté<br />

d'attirer l'attention du jeune homme par cette allusion.<br />

"J'ai bien fait <strong>de</strong> prendre mon tour avant el<strong>le</strong>, soupira Ana Rosa en<br />

haussant <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s. El<strong>le</strong> n'est pas prête d'en sortir."<br />

Excepté Rachel, <strong>le</strong>s élus furent tous habillés au bout d'une <strong>de</strong>miheure.<br />

Sans l'attendre, ils <strong>de</strong>scendirent au rez-<strong>de</strong>-chaussée où <strong>le</strong>s<br />

attendait Mark, <strong>le</strong> majordome, posté au pied <strong>de</strong> l'escalier. Il <strong>le</strong>s salua.<br />

"Je n'ose vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si vous avez bien dormi, dit-il d'une voix gênée.<br />

J'ai bien essayé <strong>de</strong> contenir ces messieurs, mais…<br />

-Ne vous en faites pas, assura Ana Rosa. On connaît bien notre Jamie."<br />

Soulagé, Mark <strong>le</strong>s mena tous vers la sal<strong>le</strong> à manger après que<br />

Rachel <strong>le</strong>s ait hâtivement rejoints. Leur court trajet <strong>le</strong>s fit traverser un<br />

grand salon occupé par <strong>de</strong>s canapés en cuir rouge et une longue tab<strong>le</strong><br />

basse en verre. Jamie tournait autour <strong>de</strong> cel<strong>le</strong>-ci, l'oreil<strong>le</strong> collée au<br />

combiné d'un téléphone, tandis qu'une copie miniature <strong>de</strong> lui était<br />

sagement assise sur un siège. Il s'agissait d'un garçon blond, d'onze ou<br />

douze ans tout au plus. Arthur reconnut en lui <strong>le</strong>s traits <strong>de</strong> Mme Corbell,<br />

bien plus prononcés que chez Jamie. Ses yeux étaient d'un b<strong>le</strong>u pâ<strong>le</strong> et<br />

son visage rond était constellé <strong>de</strong> tâches <strong>de</strong> rousseur. Il portait un simp<strong>le</strong><br />

T-shirt et d'un short kaki.<br />

Lorsqu'il vit <strong>le</strong>s élus, il se <strong>le</strong>va précipitamment, visib<strong>le</strong>ment<br />

impressionné. Il <strong>le</strong>s contempla un instant sans rien dire, juste avant <strong>de</strong><br />

tirer sur <strong>le</strong> pantalon <strong>de</strong> Jamie pour attirer son attention. Ce <strong>de</strong>rnier<br />

suspendit sa conversation téléphonique.<br />

"Salut <strong>le</strong>s amis! Veuil<strong>le</strong>z m'accor<strong>de</strong>r quelques minutes, je suis au<br />

téléphone avec mon père! Wilson, va <strong>le</strong>ur dire bonjour! Ne sois pas<br />

timi<strong>de</strong>, ce sont juste mes camara<strong>de</strong>s!"<br />

8


Wilson obéit et se dirigea vers <strong>le</strong>s élus, sous <strong>le</strong> regard bienveillant<br />

du majordome. Il <strong>le</strong>ur serra à chacun la main, se présentant par la même<br />

occasion.<br />

"Je suis Wilson Corbell, mais tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> m'appel<strong>le</strong> Will. Je suis honoré<br />

<strong>de</strong> faire votre connaissance.<br />

-Quel garçon bien éduqué, s'extasia Rachel. Je suis certaine que tu feras<br />

<strong>de</strong>s ému<strong>le</strong>s lorsque tu seras plus grand. Quel âge as-tu?<br />

-Douze ans ma<strong>de</strong>moisel<strong>le</strong>."<br />

Il se tourna vers Arthur.<br />

"Tu es bien Arthur Gall?<br />

-Oui, c'est moi, reconnut l'intéressé.<br />

-Je <strong>le</strong> savais, triompha Wilson.<br />

-Ne <strong>le</strong>s importunez pas trop Monsieur, <strong>le</strong> gourmanda Mark. Ces jeunes<br />

gens ont peu <strong>de</strong> temps pour se restaurer avant <strong>de</strong> repartir pour Londres<br />

avec Monsieur Stumpton.<br />

-Oh, oui, c'est vrai, fit Wilson, dépité. C'est bien dommage, je viens à<br />

peine <strong>de</strong> <strong>le</strong>s rencontrer et ils doivent déjà repartir.<br />

-Ne te fais pas <strong>de</strong> souci, rassura Arthur. On aura l'occasion <strong>de</strong> passer un<br />

peu plus <strong>de</strong> temps ensemb<strong>le</strong> à notre retour. Tu pourras nous raconter tout<br />

ce que tu sais <strong>de</strong> compromettant sur ton frère!<br />

-J'en serais ravi, s'exclama Wilson. Bon appétit."<br />

Accompagnés par Mark, ils continuèrent <strong>le</strong>ur chemin vers la sal<strong>le</strong> à<br />

manger tandis que Jamie et son frère <strong>de</strong>meuraient dans <strong>le</strong> salon, au<br />

téléphone. Mme Corbell et Bennett attendaient <strong>le</strong>s élus, attablés autour<br />

d'un brunch typiquement britannique : œufs, bacon, beans, toasts et<br />

céréa<strong>le</strong>s, en plus <strong>de</strong>s traditionnels cafés et jus <strong>de</strong> fruits. A la vue <strong>de</strong> ce<br />

festin, Arthur sentit son estomac sortir <strong>de</strong> sa léthargie.<br />

"Salut <strong>le</strong>s jeunes, lança Bennett d'une voix enjouée. Pressez vous un peu,<br />

nous partons pour Londres dans quarante minutes, pas plus.<br />

-Ce sera amp<strong>le</strong>ment suffisant, assura Mme Corbell qui faisait <strong>le</strong> service<br />

avec l'ai<strong>de</strong> d'une employée <strong>de</strong> maison. Asseyez-vous et mangez à votre<br />

faim! Vous êtes peut-être <strong>le</strong>s gardiens <strong>de</strong> notre mon<strong>de</strong> après tout.<br />

-Inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> nous <strong>le</strong> dire <strong>de</strong>ux fois Mme C… euh Diane, se réjouit Arthur."<br />

Mme Corbell lui sourit. Ses cheveux étaient attachés en queue <strong>de</strong><br />

cheval et el<strong>le</strong> était simp<strong>le</strong>ment affublée d'un jean et d'un chemisier qui<br />

rendaient toujours aussi improbab<strong>le</strong>s l'hypothèse <strong>de</strong> sa maternité passée.<br />

S'il avait osé, Arthur lui aurait <strong>de</strong>mandé son âge.<br />

Après un bref mais agréab<strong>le</strong> petit déjeuner, au cours duquel ils<br />

furent rejoints par Jamie et Wilson, <strong>le</strong>s élus durent quitter <strong>le</strong> manoir avec<br />

Bennett, afin <strong>de</strong> se rendre à la réunion <strong>de</strong> GLOW. Ils n'emportèrent avec<br />

eux qu'une infime partie <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs affaires, en vue <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur rapi<strong>de</strong> séjour à<br />

8


l'hôtel. Mme Corbell et Wilson se tenaient <strong>de</strong>vant l'entrée du manoir, au<br />

moment <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur départ. A l'extérieur, l'air était froid et sec, faute <strong>de</strong> so<strong>le</strong>il.<br />

"Vous <strong>de</strong>vez revenir <strong>de</strong>main soir si je comprends bien? <strong>le</strong>s interrogea Mme<br />

Corbell.<br />

-Oui, si tout se passe bien, répondit Jamie. A ce moment là, nous aurons<br />

un peu plus <strong>de</strong> temps pour nous.<br />

-J'y compte bien! Je tiens à voir <strong>le</strong> don extraordinaire d'Ana Rosa!"<br />

Ana Rosa ne parvint pas à dissimu<strong>le</strong>r sa fierté, un sourire plaqué sur<br />

<strong>le</strong> visage même après <strong>le</strong> départ du minibus.<br />

***<br />

Tout au long du trajet, Arthur n'eut pas vraiment l'opportunité<br />

d'observer <strong>le</strong>s paysages champêtres du Kent ou <strong>le</strong>s décors plus urbains <strong>de</strong><br />

Londres. Il était bien trop occupé à tenter <strong>de</strong> communiquer avec Jamie,<br />

sans se faire remarquer <strong>de</strong>s autres occupants du véhicu<strong>le</strong>. A aucun<br />

moment <strong>de</strong>puis la veil<strong>le</strong>, il n'avait eu <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> lui par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> ce projet<br />

qu'il considérait comme tota<strong>le</strong>ment aberrant. Deman<strong>de</strong>r Sally en mariage?<br />

Si tôt? Cette idée l'avait tel<strong>le</strong>ment perturbé qu'il avait mis une bonne<br />

heure à s'endormir la nuit précé<strong>de</strong>nte, surtout qu'il n'était pas sans savoir<br />

que Jamie changeait rarement son fusil d'épau<strong>le</strong>.<br />

Toujours assis du côté portière, ce <strong>de</strong>rnier admirait béatement <strong>le</strong>s<br />

immeub<strong>le</strong>s <strong>de</strong> la banlieue londonienne et <strong>le</strong>s quelques boutiques du<br />

quartier <strong>de</strong> Key Gar<strong>de</strong>ns. Rien ne semblait pouvoir <strong>le</strong> faire sortir <strong>de</strong> sa<br />

bul<strong>le</strong>, comme si la perspective (certaine selon lui) d'épouser Sally avait<br />

teinté <strong>le</strong> reste du mon<strong>de</strong> d'une aura négative, incompatib<strong>le</strong> avec sa<br />

sérénité du moment. Dès qu'Arthur tentait d'engager la conversation, il <strong>le</strong><br />

regardait avec can<strong>de</strong>ur et posait sa main sur son épau<strong>le</strong> en secouant<br />

<strong>le</strong>ntement la tête, l'air <strong>de</strong> dire "Je suis heureux, tout <strong>le</strong> reste m'importe<br />

peu. Va en paix.".<br />

Arthur se résigna provisoirement et s'enfonça dans son siège. Cela<br />

ne faisait que reporter son projet <strong>de</strong> dissua<strong>de</strong>r Jamie.<br />

"Quel<strong>le</strong> chance, ça a très bien roulé, lança Bennett dont <strong>le</strong> béret dépassait<br />

du siège conducteur. Nous serons arrivés au QG dans <strong>de</strong>ux minutes.<br />

-Espérons que Sally et Aïshani seront déjà arrivés, dit Rachel.<br />

-Je n'en doute pas, el<strong>le</strong>s sont très ponctuel<strong>le</strong>s, dit Bennett."<br />

A l'évocation du nom <strong>de</strong> Sally, <strong>le</strong> sourire <strong>de</strong> Jamie s'élargit. Paniqué,<br />

Arthur se <strong>de</strong>manda s'il n'avait pas compté faire sa <strong>de</strong>man<strong>de</strong> la veil<strong>le</strong>. Cela<br />

aurait expliqué son mal être et sa déception lorsqu'el<strong>le</strong> avait annoncé<br />

partir dormir ail<strong>le</strong>urs que chez <strong>le</strong>s Corbell.<br />

Du coup, il lui donnerait sans doute la bague en or dès la fin <strong>de</strong> la<br />

mission. <strong>Les</strong> mains d'Arthur tremblèrent. Il avait trop peu <strong>de</strong> temps et son<br />

propre agenda était déjà rempli. La seu<strong>le</strong> solution serait <strong>de</strong> s'adjoindre <strong>le</strong><br />

soutien <strong>de</strong>s autres élus.<br />

8


"Ah, ça y est, je reconnais, s'exclama Elliott en haussant <strong>le</strong>s sourcils. On y<br />

est!"<br />

Le minibus roulait sur une route <strong>de</strong> banlieue peu fréquentée, bordée<br />

par un grand parc public, <strong>de</strong>s immeub<strong>le</strong>s <strong>de</strong> bureau et un petit centre<br />

commercial. Le coin semblait assez tranquil<strong>le</strong>, loin <strong>de</strong>s affres du Central<br />

London.<br />

"Arthur, tu vas rire lorsque tu verras <strong>le</strong> QG, l'avertit Ana Rosa. C'est<br />

encore mieux que <strong>le</strong> coup <strong>de</strong>s éditions Trujillo!<br />

-Dois-je m'inquiéter?<br />

-Non, il n'y a rien <strong>de</strong> méchant. Tu vas juste en rire. Du moins j'espère…<br />

Sache déjà que <strong>le</strong> QG a été installé dans un ancien collège du quartier."<br />

Arthur en oublia <strong>le</strong> "plan Jamie", intrigué par <strong>le</strong>s propos d'Ana Rosa.<br />

Le véhicu<strong>le</strong> quitta la route et s'engagea dans une voie privée menant vers<br />

un large bâtiment <strong>de</strong> trois étages, partiel<strong>le</strong>ment caché par une haute paroi<br />

blanche qui <strong>le</strong> cernait <strong>de</strong> part en part. Seul un portail noir automatisé<br />

permettait d'y accé<strong>de</strong>r. Bennett arrêta <strong>le</strong> minibus juste <strong>de</strong>vant et actionna<br />

la vitre é<strong>le</strong>ctrique <strong>de</strong> sa portière, afin <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r dans une sorte<br />

d'interphone installé sur <strong>le</strong> côté.<br />

"Ohé, du bateau, dit-il en appuyant sur <strong>le</strong> bouton <strong>de</strong> l'interphone."<br />

Un léger grésil<strong>le</strong>ment se fit entendre, puis une voix féminine<br />

agréab<strong>le</strong> s'exprima.<br />

"Institut Hop<strong>le</strong>th pour <strong>le</strong>s jeunes délinquants, je vous écoute.<br />

-Ici Bennett Stumpton, matricu<strong>le</strong> 220261M.<br />

-A une soirée, une femme dit à Churchill "Si vous étiez mon mari, je<br />

mettrais du poison dans votre thé"!<br />

-Churchill répondrait : "Si j'étais votre mari, je <strong>le</strong> boirais". Toutefois, ça ne<br />

t'est pas particulièrement <strong>de</strong>stiné ma chère Jen!<br />

-I<strong>de</strong>ntification voca<strong>le</strong> validée. Tu peux entrer Bennett!<br />

-Merci!"<br />

Un signal sonore retentit et <strong>le</strong> grillage qui faisait office d'issue glissa<br />

<strong>le</strong>ntement sur <strong>le</strong> côté, libérant <strong>le</strong> passage. Bennett redémarra, tandis<br />

qu'Arthur se tournait <strong>de</strong> nouveau vers Ana Rosa pour commenter la<br />

fonction <strong>de</strong> faça<strong>de</strong> du QG.<br />

"Institut Hop<strong>le</strong>th? Cette fois-ci, ils ne se sont pas foulés pour rechercher<br />

un nom alambiqué.<br />

-Ca a au moins <strong>le</strong> mérite d'éloigner <strong>le</strong>s membres du voisinage. Qui aurait<br />

envie <strong>de</strong> s'intéresser à une rési<strong>de</strong>nce fourmillant d'ado<strong>le</strong>scents malsains?<br />

-<strong>Les</strong> gens qui nous voient entrer là-<strong>de</strong>dans doivent avoir une très bonne<br />

image <strong>de</strong> nous, ironisa Arthur."<br />

8


Le minibus s'introduisit dans une gran<strong>de</strong> cour en bitume, ombragée<br />

par un grand sau<strong>le</strong> située en son centre. Derrière se profilait l'imposant<br />

bâtiment rouge rouil<strong>le</strong>, en forme <strong>de</strong> "U", qu'avait aperçu Arthur un peu<br />

plus tôt. Il était typique d'une infrastructure scolaire, percé <strong>de</strong> dizaines <strong>de</strong><br />

fenêtres à chaque étage et relativement austère. Cela donna à Arthur<br />

l'étrange impression <strong>de</strong> retourner au collège, malgré l'absence d'élèves et<br />

<strong>de</strong> bruits caractéristiques <strong>de</strong> ce type d'endroit. Seu<strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux personnes,<br />

dont l'une avait une posture familière, se tenaient <strong>de</strong>vant ce qui <strong>de</strong>vait<br />

être l'entrée du QG, en p<strong>le</strong>ine discussion.<br />

Bennett trouva une place vacante dans <strong>le</strong> parking situé sur la droite<br />

<strong>de</strong> la cour, entre plusieurs voitures et <strong>de</strong>ux vélos. Il éteignit la radio et<br />

arrêta enfin <strong>le</strong> moteur.<br />

"Terminus. Tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>scend!"<br />

Des soupirs soulagés lui répondirent et <strong>le</strong>s portières s'ouvrirent<br />

simultanément. Arthur bondit hors du minibus juste après Jamie, heureux<br />

<strong>de</strong> quitter ce véhicu<strong>le</strong> <strong>de</strong> malheur qui l'horripilait déjà par son exiguïté.<br />

Avoir passé quasiment cinq heures <strong>de</strong>dans en moins <strong>de</strong> vingt-quatre<br />

heures l'avait rendu beaucoup moins tolérant.<br />

"J'avais peur que vous n'arriviez en retard <strong>le</strong>s gars!"<br />

Sally se dirigeait vers eux au pas <strong>de</strong> course, vêtue el<strong>le</strong> aussi <strong>de</strong> sa<br />

tenue d'élue. Une autre jeune femme, qu'Arthur ne connaissait pas, était<br />

restée en retrait, <strong>de</strong>vant l'entrée du QG. Il en déduisit qu'il s'agissait<br />

d'Aïshani, bien qu'el<strong>le</strong> soit trop loin pour être i<strong>de</strong>ntifiab<strong>le</strong>.<br />

"Salut, lança gaiement Jamie en sortant son sac du coffre."<br />

Sally marqua une hésitation, puis lui rendit son bonjour avec un<br />

sourire qui dérouta Arthur. Ces <strong>de</strong>ux-là étaient vraiment imprévisib<strong>le</strong>s.<br />

Méfiant, il garda Jamie dans son champ <strong>de</strong> vision.<br />

"Désolée que tu aies dû rester chez <strong>le</strong>s Corbell Bennett, compatit Sally.<br />

J'ai cru comprendre qu'Anthony t'avait encore fait un coup fourré.<br />

-Ma foi, je commence à avoir l'habitu<strong>de</strong>. Ce type n'est pas vraiment<br />

quelqu'un <strong>de</strong> fiab<strong>le</strong>, mais on ne peut pas espérer <strong>le</strong> changer du jour au<br />

<strong>le</strong>n<strong>de</strong>main. Et puis, cela fait partie <strong>de</strong> sa personnalité!<br />

-Je ne considère pas cela comme une excuse valab<strong>le</strong>, mais passons.<br />

Arthur, viens que je te présente Aïshani avant que tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> ne lui<br />

saute <strong>de</strong>ssus."<br />

Sans attendre sa réponse, el<strong>le</strong> <strong>le</strong> saisit par la lanière <strong>de</strong> son sac et<br />

l'entraîna en direction <strong>de</strong> l'entrée, là où attendait l'autre jeune femme.<br />

"Et nous, on compte pour du beurre? râla Rachel."<br />

8


Lorsqu'il fut enfin face à Aïshani, une seu<strong>le</strong> pensée vint à l'esprit<br />

d'Arthur : el<strong>le</strong> était gracieuse. Malgré <strong>de</strong>s lunettes à l'épaisse monture<br />

noire, ses yeux en aman<strong>de</strong> et son visage mat, régulièrement <strong>de</strong>ssiné,<br />

contribuaient à lui donner une délicatesse incontestab<strong>le</strong>. Par ail<strong>le</strong>urs, el<strong>le</strong><br />

avait <strong>de</strong> longs cheveux noirs, rai<strong>de</strong>s et brillants, qui lui arrivaient au bas<br />

du dos. Toutefois, el<strong>le</strong> était assez petite <strong>de</strong> tail<strong>le</strong>, arrivant à peine aux<br />

épau<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Sally. Cette <strong>de</strong>rnière intervint d'ail<strong>le</strong>urs pour tirer Arthur <strong>de</strong> sa<br />

réf<strong>le</strong>xion.<br />

"AR-THUR!<br />

-Oui, sursauta-t-il. Désolé!<br />

-Heureusement que toutes <strong>le</strong>s élues ne sont pas <strong>de</strong>s canons <strong>de</strong> beauté, lui<br />

reprocha Sally. On mettrait une heure à te présenter chacune d'el<strong>le</strong>s."<br />

Aïshani écarquilla <strong>le</strong>s yeux, puis jeta un regard insistant à Sally.<br />

"Ne me réduis pas à mon apparence s'il te plaît, murmura-t-el<strong>le</strong> avec une<br />

nuance <strong>de</strong> reproche."<br />

El<strong>le</strong> se tourna <strong>de</strong> nouveau vers Arthur, <strong>le</strong>s traits plus relâchés. Il<br />

remarqua qu'el<strong>le</strong> avait une grosse bouc<strong>le</strong> d'oreil<strong>le</strong> dorée en forme <strong>de</strong> tête<br />

d'animal, à l'oreil<strong>le</strong> gauche.<br />

"Enfin je fais ta connaissance Arthur. Tu <strong>le</strong> sais sans doute déjà mais mon<br />

nom est Aïshani Ghansali. Je suis honorée <strong>de</strong> te rencontrer."<br />

Il tendit la main afin <strong>de</strong> répondre à sa salutation, mais pour une<br />

raison qu'il ignorait, Sally tenta <strong>de</strong> l'en empêcher. Avant qu'il n'ait pu<br />

comprendre quoi que ce soit, la bouc<strong>le</strong> d'oreil<strong>le</strong> d'Aïshani se mit à irradier,<br />

puis un gron<strong>de</strong>ment terrib<strong>le</strong> retentit. Arthur se figea, perp<strong>le</strong>xe. En une<br />

fraction <strong>de</strong> secon<strong>de</strong>, une masse informe mais infiniment lour<strong>de</strong> l'écrasa au<br />

sol, l'empêchant <strong>de</strong> respirer et <strong>de</strong> bouger. Après un court instant<br />

d'égarement, il ouvrit <strong>le</strong>s yeux et se trouva nez à nez avec <strong>le</strong>s crocs<br />

aiguisés d'un grand fauve blanc. Son cœur se mit à battre à toute vitesse.<br />

"Non Khan, non! cria Aïshani<br />

-Laisse <strong>le</strong> tranquil<strong>le</strong>! s'époumona Sally."<br />

Arthur eut <strong>le</strong> souff<strong>le</strong> court. La créature, une sorte <strong>de</strong> tigre aux<br />

grands yeux jaunes et au museau court, approchait <strong>le</strong>ntement sa tête<br />

poilue <strong>de</strong> son visage, <strong>le</strong> considérant d'un air menaçant. Il ouvrit une<br />

gueu<strong>le</strong> béante, au point que l'intérieur <strong>de</strong> sa gorge en fut presque visib<strong>le</strong>.<br />

Arthur crut sa <strong>de</strong>rnière heure arrivée. Il fut incapab<strong>le</strong> <strong>de</strong> bouger ou <strong>de</strong><br />

crier, écrasé par <strong>le</strong> poids <strong>de</strong> son assaillant.<br />

"Khan, non, cria encore Aïshani en tirant vainement sur sa queue."<br />

8


Khan – tel était donc son nom – <strong>le</strong>va la patte droite et montra ses<br />

griffes rétracti<strong>le</strong>s à Arthur, comme pour lui montrer que sa fin était<br />

proche. Alors que ce <strong>de</strong>rnier était à <strong>de</strong>ux doigts <strong>de</strong> se mettre à p<strong>le</strong>urer, <strong>le</strong><br />

fauve fut <strong>de</strong> nouveau interpellé, par une voix masculine cette fois-ci.<br />

"Nob<strong>le</strong> Khan, aie l'obligeance <strong>de</strong> libérer mon aimab<strong>le</strong> ami où je serai<br />

contraint <strong>de</strong> te châtier, encore une fois."<br />

Arthur n'était pas en position <strong>de</strong> voir qui avait parlé mais, malgré<br />

ses larmes, il constata une fébrilité certaine chez Khan. Celui-ci rentra ses<br />

griffes et tourna sa grosse tête blanche vers la gache. De manière<br />

inattendue, il ouvrit la gueu<strong>le</strong> et se mit à par<strong>le</strong>r d'une voix audib<strong>le</strong> :<br />

"Il a voulu toucher à Aï. Je ne peux pas <strong>le</strong> permettre!"<br />

Cette fois, c'est l'effarement qui figea Arthur. L'animal s'était<br />

clairement exprimé, comme l'aurait fait un homme ordinaire. Malgré tout<br />

ce qu'il avait pu voir <strong>de</strong> prodigieux au sein <strong>de</strong> GLOW, il n'arrivait pas à<br />

croire ce qui lui arrivait.<br />

"Peu m'importe Khan. Arthur est notre allié, celui d'Aïshani et donc <strong>le</strong> tien.<br />

Dois-je te friser <strong>le</strong> pelage pour t'en convaincre?"<br />

Khan plissa <strong>le</strong>s yeux, semblant évaluer la pertinence <strong>de</strong> cette<br />

menace. Après un moment <strong>de</strong> réf<strong>le</strong>xion qui parut infini à Arthur, il <strong>le</strong>va <strong>de</strong><br />

nouveau la patte, puis lui caressa doucereusement l'épau<strong>le</strong>, avec ce qui<br />

ressembla étrangement à un sourire contraint. Un soupire quitta <strong>le</strong>s lèvres<br />

<strong>de</strong> Sally, à l'instant où il daigna enfin libérer sa victime <strong>de</strong> son poids.<br />

"Aaaaaah, gémit Arthur."<br />

Son torse était douloureux et ses jambes flageolaient. Par-<strong>de</strong>ssus<br />

tout, il n'arrivait plus à mobiliser ses forces pour se <strong>le</strong>ver, encore sous <strong>le</strong><br />

choc. C'est alors qu'une main saisit énergiquement la sienne pour <strong>le</strong><br />

remettre sur ses pieds.<br />

Un nouvel individu lui faisait face, beaucoup plus engageant que<br />

Khan. Il avait <strong>le</strong> teint hâlé, <strong>de</strong>s yeux d'un b<strong>le</strong>u profond, un bouc<br />

parfaitement taillé et <strong>de</strong>s cheveux noirs bouclés, mi-longs. Des fossettes<br />

marquées accentuaient son sourire assuré. L'apparence <strong>de</strong> ce jeune<br />

homme donnait l'image d'un prince touareg sorti <strong>de</strong>s Mil<strong>le</strong> et Une Nuits,<br />

impression encensée par la présence d'une large pièce <strong>de</strong> tissu b<strong>le</strong>u foncé<br />

autour <strong>de</strong> sa tail<strong>le</strong>. Arthur ne put que se sentir impressionné.<br />

"Ibtissam… je suppose, fit-il, la voix rauque.<br />

-Précisément!<br />

-Je n'aurais pas pu être plus heureux <strong>de</strong> te rencontrer, souffla Arthur,<br />

reconnaissant."<br />

8


Ibtissam eut un sourire ravi et serra cha<strong>le</strong>ureusement la main à<br />

Arthur, plaçant sa paume libre sur <strong>le</strong> cœur en signe d'estime.<br />

"Sauver la vie <strong>de</strong> mon honorab<strong>le</strong> frère d'armes est tout naturel, déclara<br />

Ibtissam sur un ton cheva<strong>le</strong>resque, surtout…"<br />

Il se tourna soudain vers Sally, <strong>le</strong>s bras croisés.<br />

"… s'il s'agit d'ôter du visage <strong>de</strong> ma douce Salimata l'expression d'effroi<br />

qui l'a momentanément hanté.<br />

-Irk, fit Sally."<br />

El<strong>le</strong> recula d'un pas et se plaça machina<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>rrière Khan. Arthur<br />

remarqua alors que celui-ci avait tout d'un tigre blanc, plus gros que la<br />

moyenne <strong>de</strong> ceux qu'il avait pu voir en images, et dépourvu <strong>de</strong> rayures.<br />

Soli<strong>de</strong>ment bâti, il était doté <strong>de</strong> membres musclés et <strong>de</strong> pattes <strong>de</strong> la tail<strong>le</strong><br />

d'un visage humain. Une bar<strong>de</strong> grise abondante lui octroyait une allure<br />

majestueuse et semblait accentuer la circonférence <strong>de</strong> son crâne. Quant à<br />

ses courtes oreil<strong>le</strong>s, el<strong>le</strong>s se dressaient, a<strong>le</strong>rtes, au <strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> sa tête et<br />

étaient terminées par une touffe <strong>de</strong> poils noirs.<br />

Arthur comprit où avaient voulu en venir Rachel et Ana Rosa<br />

lorsqu'el<strong>le</strong>s l'avaient averti au sujet du don d'Aïshani.<br />

"Pourquoi me regar<strong>de</strong>s-tu? <strong>de</strong>manda soudain Khan d'un air intrigué. Ai-je<br />

une mouche sur <strong>le</strong>s oreil<strong>le</strong>s? Ma tête ne te revient pas?<br />

-P…Pas du tout, bégaya Arthur. Non, je veux dire… si! Ta tête me plaît<br />

beaucoup!"<br />

Il était mortifié. Khan avait l'étrange capacité d'adopter <strong>de</strong>s<br />

expressions facia<strong>le</strong>s humaines.<br />

"Ne fais pas attention, Khan prétend tuer tout homme qui m'approchera<br />

d'un peu trop près, rassura Aïshani en observant Arthur à travers ses<br />

lunettes. Il est très jaloux mais personne n'a jamais été b<strong>le</strong>ssé. Enfin…<br />

pas <strong>de</strong>puis longtemps.<br />

-Il faut croire que je m'adoucis, supposa Khan en frottant sa tête contre la<br />

hanche d'Aïshani (Arthur s'interrogea sur <strong>le</strong> <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> sauvagerie du fauve<br />

auparavant). Quoi qu'il en soit, ma mission est terminée. Je vais repartir<br />

Aï.<br />

-Ne reviens pas sans ma permission espèce <strong>de</strong> brute, à moins que tu ne<br />

tiennes à ce que je te frise <strong>le</strong>s poils <strong>de</strong> la tête, menaça-t-el<strong>le</strong>."<br />

Il émit un grognement outré, puis ferma <strong>le</strong>s yeux. A la gran<strong>de</strong><br />

surprise d'Arthur, il s'embrasa littéra<strong>le</strong>ment, tel une immense torche, puis<br />

il se consuma jusqu'à disparaître tota<strong>le</strong>ment. La bouc<strong>le</strong> d'oreil<strong>le</strong> d'Aïshani,<br />

en forme <strong>de</strong> tête <strong>de</strong> Khan, cessa aussitôt <strong>de</strong> bril<strong>le</strong>r. "Un don très<br />

particulier", songea Arthur.<br />

8


"Il a une peur b<strong>le</strong>ue <strong>de</strong>s rongeurs, indiqua Aïshani à son attention. Tu <strong>le</strong><br />

sauras s'il est tenté <strong>de</strong> te causer à nouveau du souci.<br />

-Merci pour l'info, fit Arthur, pas plus rassuré."<br />

Son attention se focalisa sur Ibtissam, à genoux <strong>de</strong>vant une Sally<br />

horrifiée, et en train <strong>de</strong> déclamer ouvertement son amour pour el<strong>le</strong> grâce<br />

à une séréna<strong>de</strong> improvisée. Lorsqu'il sembla être sur <strong>le</strong> point <strong>de</strong> chanter,<br />

Sally paniqua et attrapa fermement Aïshani par la main.<br />

"Tu es insupportab<strong>le</strong> Tissam, bougonna-t-el<strong>le</strong>. Ca fait à peine vingt<br />

minutes que je suis là et tu me harcè<strong>le</strong>s déjà!<br />

-Cet acharnement n'est que la preuve <strong>de</strong> mon amour passionné ma chère<br />

Sally. Aï, dis-lui ce que je ressens lorsqu'el<strong>le</strong> est loin <strong>de</strong> moi!<br />

-Je ne compte pas m'engager dans <strong>le</strong>s affaires <strong>de</strong> Sally, répliqua Aïshani.<br />

Nous avons mieux à faire."<br />

Toutes <strong>de</strong>ux battirent en retraite, à l'intérieur du QG. Cela parut plus<br />

qu'opportun à Arthur, <strong>le</strong>quel voyait Jamie se diriger vers Ibtissam d'un pas<br />

rapi<strong>de</strong>. Il craignit une altercation.<br />

"Euh, Jam'…, commença-t-il en envisageant <strong>de</strong> <strong>le</strong> retnir."<br />

A sa gran<strong>de</strong> stupeur, Jamie serra la main d'Ibtissam avec un large<br />

sourire. Il n'y eut pas même un sourcil froncé.<br />

"Salut honorab<strong>le</strong> rival, s'exclama Ibtissam d'une voix enthousiaste. Nous<br />

ne nous sommes pas vus <strong>de</strong>puis longtemps."<br />

Il plaça encore la main gauche sur <strong>le</strong> cœur.<br />

"Bien trop longtemps, approuva Jamie. Tu n'as toujours pas abandonné<br />

tes projets à l'égard <strong>de</strong> Sally?<br />

-Bien sûr que non! Et toi?<br />

-Jamais <strong>de</strong> la vie, répondit Jamie comme si cela avait été une évi<strong>de</strong>nce.<br />

Que <strong>le</strong> meil<strong>le</strong>ur gagne!<br />

-Que <strong>le</strong> plus digne gagne, corrigea Ibtissam.<br />

-Soit!<br />

-Un verre ce soir pour consacrer notre rivalité amica<strong>le</strong>?<br />

-Avec plaisir."<br />

Ibtissam se dirigea vers <strong>le</strong> reste du groupe, <strong>le</strong>s bras ouverts, afin<br />

d'accueillir <strong>le</strong>s autres élus, tandis que Jamie rejoignait Arthur. Celui-ci <strong>le</strong><br />

jaugea du regard, intrigué. Il s'était attendu à un coup d'éclat. En fait<br />

d'éclat, il n'avait perçu que celui que <strong>de</strong>s <strong>de</strong>nts blanches <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

prétendants.<br />

"Tout va bien? <strong>de</strong>manda-t-il à Jamie.<br />

8


-Tout est pour <strong>le</strong> mieux dans <strong>le</strong> meil<strong>le</strong>ur <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s! Je suis sûr <strong>de</strong> mon<br />

bon droit à l'égard <strong>de</strong> Sally.<br />

-Ah… Ton assurance t'honore."<br />

Arthur se gratta la tête, à court <strong>de</strong> mots.<br />

"Je vous trouvais hors du commun, mais je n'avais pas encore vu <strong>le</strong>s<br />

élites. Tu es sûr que <strong>le</strong> fait d'être <strong>de</strong>s élus n'affecte pas nos<br />

comportements?<br />

-Hum… Je ne saurais dire. Hormis <strong>le</strong> fait que cela fasse <strong>de</strong> nous <strong>de</strong>s<br />

individus plus endurants et dotés <strong>de</strong> capacités d'assimilation très rapi<strong>de</strong>s,<br />

je doute que cela nous ren<strong>de</strong> dingues. En ce qui me concerne, je suis mal<br />

luné <strong>de</strong>puis <strong>le</strong> berceau! Aucun rapport avec mon statut d'élu donc.<br />

-Toujours est-il qu'Aïshani et Ibtissam ont l'air assez intéressants, fit<br />

Arthur en <strong>le</strong>vant la tête pour observer la faça<strong>de</strong> du QG. J'ai hâte <strong>de</strong> <strong>le</strong>s<br />

connaître un peu plus…<br />

-Il ne nous reste plus qu'à rencontrer la petite nouvel<strong>le</strong>."<br />

Arthur ne répondit pas, <strong>le</strong> regard braqué sur l'une <strong>de</strong>s fenêtres du<br />

bâtiment. Un frisson lui parcourait la nuque. Adossée au rebord <strong>de</strong> cette<br />

fenêtre se tenait une jeune femme brune dont <strong>le</strong>s cheveux ondulés,<br />

fraîchement coupés courts, étaient coiffés d'un couvre-chef rouge familier.<br />

El<strong>le</strong> <strong>le</strong> regardait, lui et rien que lui. Bien qu'el<strong>le</strong> fût éloignée, ses traits ne<br />

pouvaient échapper à Arthur. Il la connaissait, il en était plus que certain.<br />

Sans s'en rendre compte, il fit quelques pas en avant, puis s'arrêta<br />

pour mieux l'observer, pour tenter <strong>de</strong> se convaincre qu'il s'était trompé.<br />

C'est alors que la jeune femme fit un sourire gêné, puis <strong>le</strong>va timi<strong>de</strong>ment la<br />

main, en signe <strong>de</strong> salut. L'infime espoir qui animait encore l'esprit d'Arthur<br />

s'éteignit alors. Il ne pouvait pas en croire ses yeux. La coïnci<strong>de</strong>nce était<br />

hautement improbab<strong>le</strong>. Nils. Samuel. "Pas el<strong>le</strong>, pas el<strong>le</strong>", pensa-t-il<br />

aussitôt, la gorge comprimée.<br />

"Arty, qu'est-ce que tu regar<strong>de</strong>s? <strong>de</strong>manda Jamie en <strong>le</strong>vant à son tour <strong>le</strong>s<br />

yeux.<br />

-Anaïs…"<br />

8


Chapitre 6 : <strong>Les</strong> élites rassemblées<br />

Anaïs sentit son rythme cardiaque atteindre <strong>de</strong>s sommets affolants.<br />

Bien qu'el<strong>le</strong> eût visualisé cette scène <strong>de</strong>s dizaines <strong>de</strong> fois, el<strong>le</strong> ne s'était<br />

jamais préparée au regard atterré d'Arthur. <strong>Les</strong> poings <strong>de</strong> son ami étaient<br />

serrés et il ne bougeait pas, la dévisageant <strong>de</strong> loin. Aucun doute, il l'avait<br />

reconnu. Fébri<strong>le</strong>ment, el<strong>le</strong> baissa la main qu'el<strong>le</strong> avait agitée pour <strong>le</strong><br />

saluer.<br />

"Oh mon Dieu, souffla-t-el<strong>le</strong>, <strong>le</strong> voyant effectuer un pas en arrière."<br />

Contre toute attente, Arthur tourna <strong>le</strong>s talons et s'enfuit au trip<strong>le</strong><br />

galop. Il tenta tout d'abord <strong>de</strong> fi<strong>le</strong>r vers la gril<strong>le</strong> qu'il trouva close, se figea<br />

un court instant, puis partit en direction du bâtiment. Anaïs ouvrit la<br />

bouche, stupéfaite.<br />

"ARTHUR, cria-t-el<strong>le</strong>, plus par rage que par dépit."<br />

Il disparut <strong>de</strong>rrière <strong>le</strong> bâtiment, après avoir visib<strong>le</strong>ment fait <strong>le</strong> tour<br />

<strong>de</strong> celui-ci. Anaïs se décolla du rebord <strong>de</strong> la fenêtre et prit une gran<strong>de</strong><br />

inspiration, au moment où Aïshani entrait dans <strong>le</strong> petit bureau pour lui<br />

présenter quelqu'un.<br />

"Anaïs, commença Aïshani, voici Sally…<br />

-Désolée, pas tout <strong>de</strong> suite! J'ai un abruti à rattraper."<br />

Sans vraiment s'accor<strong>de</strong>r <strong>de</strong> moment <strong>de</strong> réf<strong>le</strong>xion, el<strong>le</strong> enjamba la<br />

fenêtre et se laissa tomber, sous <strong>le</strong>s cris hystériques d'Aïshani. Quelques<br />

paro<strong>le</strong>s qui se résumaient à "Tu vas te tuer idiote!". Non, el<strong>le</strong> n'allait pas<br />

se tuer. El<strong>le</strong> savait tout à fait à quoi s'en tenir désormais. Arthur, par<br />

contre, ne savait pas ce qui allait s'abattre sur lui lorsqu'el<strong>le</strong> <strong>le</strong><br />

rattraperait.<br />

Alors qu'el<strong>le</strong> se rapprochait dangereusement du sol, el<strong>le</strong> tendit <strong>le</strong><br />

bras en avant et traça une ligne droite imaginaire, avec son in<strong>de</strong>x.<br />

Aussitôt, <strong>le</strong> sol sembla se troub<strong>le</strong>r, comme si el<strong>le</strong> l'observait à travers une<br />

bul<strong>le</strong> irisée <strong>de</strong> teintes multicolores. Sa chute cessa.<br />

"Ref<strong>le</strong>t parfait, pensa Anaïs."<br />

El<strong>le</strong> flottait quelques centimètres au-<strong>de</strong>ssus du sol, protégée par une<br />

bul<strong>le</strong> invisib<strong>le</strong> qui avait absorbé l'impact <strong>de</strong> sa chute. Soulagée d'avoir<br />

réussi, el<strong>le</strong> plaqua sa main gauche sur la per<strong>le</strong> en forme <strong>de</strong> larme qu'el<strong>le</strong><br />

avait accrochée à une chaîne, à son poignet droit. La lumière blanche qui<br />

émanait <strong>de</strong> cel<strong>le</strong>-ci disparut et <strong>le</strong>s pieds d'Anaïs touchèrent <strong>le</strong> sol assez<br />

vio<strong>le</strong>mment. El<strong>le</strong> contint un grognement, puis hurla :<br />

"ARTHUR GALL!! REVIENS ICI!"<br />

9


Tremblant <strong>de</strong> colère, el<strong>le</strong> partit à la poursuite <strong>de</strong> l'intéressé, parti se<br />

réfugier el<strong>le</strong> ne savait où <strong>de</strong>rrière <strong>le</strong> QG. Durant sa course, el<strong>le</strong> croisa celui<br />

qu'el<strong>le</strong> reconnut comme étant Jamie, déjà rencontré quelques mois plus<br />

tôt, à Paris. Il était livi<strong>de</strong>, visib<strong>le</strong>ment surpris par la tournure <strong>de</strong>s<br />

évènements.<br />

"Salut Jamie, lança-t-el<strong>le</strong> sans s'arrêter.<br />

-S… Salut."<br />

El<strong>le</strong> continua sa route en hurlant, ignorant momentanément <strong>le</strong>s<br />

autres élus qui stationnaient là, perp<strong>le</strong>xes. Arthur était quelques mètres<br />

<strong>de</strong>vant el<strong>le</strong>, en train <strong>de</strong> courir en longeant la faça<strong>de</strong> du bâtiment. El<strong>le</strong> ne<br />

se rappelait pas l'avoir déjà vu cava<strong>le</strong>r aussi vite.<br />

"Comment ose-tu inciter une fil<strong>le</strong> à te poursuivre? cria-t-el<strong>le</strong>.<br />

-Laisse-moi tranquil<strong>le</strong>, riposta Arthur en accélérant.<br />

-Je sais que tu m'en veux, mais t'enfuir n'est pas LA SOLUTION!!<br />

-Je ne veux pas te voir!"<br />

Loin <strong>de</strong> s'arrêter, il bondit par-<strong>de</strong>ssus un banc assez haut, à la<br />

gran<strong>de</strong> stupeur d'Anaïs. El<strong>le</strong> suivit la ca<strong>de</strong>nce, avec un peu moins <strong>de</strong><br />

verve. L'endurance <strong>de</strong> son ami – s'il l'était toujours – n'avait rien à voir<br />

avec son rythme d'antan. Physiquement, il paraissait un peu plus carré,<br />

moins frê<strong>le</strong>. El<strong>le</strong> avait presque eu du mal à <strong>le</strong> reconnaître, avec ses<br />

cheveux mi-longs et sa barbe ridicu<strong>le</strong>.<br />

"ARTHUR! JE SUIS DESOLEE DE T'AVOIR CACHE QUE J'ETAIS UNE ELUE!"<br />

Sans surprise, il ne s'arrêta pas. El<strong>le</strong> <strong>le</strong> poursuivait maintenant dans<br />

la gran<strong>de</strong> cour située <strong>de</strong>rrière <strong>le</strong> QG, austère et bitumée, avec quelques<br />

bancs disposés ça et là pour <strong>le</strong> repos <strong>de</strong>s agents <strong>de</strong> GLOW.<br />

Habituel<strong>le</strong>ment, ceux-ci s'y relayaient pour discuter ou boire <strong>le</strong>urs cafés<br />

pendant <strong>le</strong>urs pauses. Toutefois, <strong>le</strong> froid, associé à l'humidité <strong>de</strong> ce jour,<br />

<strong>le</strong>s en avait dissuadés.<br />

"Je voulais te protéger, tenta <strong>de</strong> se justifier Anaïs. Ca ne t'aurait servi à<br />

rien d'apprendre…<br />

-La ferme!"<br />

Anaïs laissa échapper un cri indigné.<br />

"Je te rappel<strong>le</strong> que tu m'as menti aussi, espèce <strong>de</strong>… fieffé menteur!"<br />

Arthur se retourna brièvement pour lui lancer un regard vipérin, puis<br />

repartit <strong>de</strong> plus bel<strong>le</strong>, peu disposé à entamer une discussion posée, ou à<br />

réfléchir. En effet, à court <strong>de</strong> perspective <strong>de</strong> fuite, il fit <strong>le</strong> tour du<br />

bâtiment, repassa <strong>de</strong>vant <strong>le</strong>s élus – qui cessèrent immédiatement <strong>le</strong>ur<br />

discussion – et continua son tour.<br />

9


"Arthur, es-tu <strong>de</strong>venu fou? lui lança une jeune femme aux longs cheveux<br />

noirs. Arrête <strong>de</strong> tourner autour du QG!"<br />

Il l'ignora et continua sa course effrénée, talonné <strong>de</strong> plus en plus<br />

près par une Anaïs essoufflée.<br />

"Tête <strong>de</strong> mu<strong>le</strong>, lui hurla Anaïs entre <strong>de</strong>ux râ<strong>le</strong>s. Tu es encore plus borné<br />

que je <strong>le</strong> pensais. Fina<strong>le</strong>ment tu ne mérites pas d'excuses."<br />

Tous <strong>de</strong>ux étaient <strong>de</strong> retour dans la cour arrière, toujours vi<strong>de</strong>.<br />

Epuisé ou irrité par la <strong>de</strong>rnière pique d'Anaïs, Arthur ra<strong>le</strong>ntit subitement,<br />

près d'un arbuste en pot et s'appuya <strong>de</strong>ssus. Instinctivement, Anaïs<br />

s'arrêta éga<strong>le</strong>ment. Ses poumons semblaient avoir atteint <strong>le</strong>urs limites,<br />

tout comme ses jambes.<br />

"Art? Tu es calmé?"<br />

Arthur lui tournait <strong>le</strong> dos, si<strong>le</strong>ncieux, <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s tremblantes. Il<br />

sembla à Anaïs qu'il murmurait quelque chose, <strong>de</strong> manière inaudib<strong>le</strong>.<br />

"Je veux que…<br />

-Arthur? fit Anaïs, inquiète."<br />

Il se retourna bruta<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong> bras tendu vers el<strong>le</strong> et la paume<br />

ouverte. La nuque d'Anaïs fut parcourue d'un frisson. <strong>Les</strong> yeux d'Arthur<br />

avaient brusquement perdu toute émotion, désormais teintés d'une<br />

d'indifférence grisâtre. Il n'était pas lui-même, el<strong>le</strong> <strong>le</strong> comprit aussitôt. Le<br />

regard qui la jaugeait ne lui appartenait pas.<br />

"Je veux que tu disparaisses, répéta Arthur d'une voix claire.<br />

-Tu ne <strong>le</strong> penses pas!"<br />

En guise <strong>de</strong> réponse, il fit apparaître son arme. Anaïs vit <strong>le</strong> sol se<br />

recouvrir progressivement <strong>de</strong> gel, comme un jour d'hiver. La température<br />

chutait rapi<strong>de</strong>ment et ne pas déraper tenait <strong>de</strong> l'exploit.<br />

"Arthur Alfred Gall, tu n'oserais pas utiliser ton don contre moi?<br />

-Je veux que tu disparaisses, hurla Arthur, <strong>le</strong> visage crispé."<br />

A cet instant, un tourbillon enneigé extrêmement viru<strong>le</strong>nt se<br />

déc<strong>le</strong>ncha, émanant du centre <strong>de</strong> gravité <strong>de</strong> l'épée doub<strong>le</strong>. Anaïs<br />

écarquilla <strong>le</strong>s yeux, horrifiée. Il l'attaquait bel et bien, sans la moindre<br />

retenue. Déterminée à ne pas se laisser faire, el<strong>le</strong> eut éga<strong>le</strong>ment recours<br />

à son don, dressant une enceinte miroitante <strong>de</strong>vant el<strong>le</strong>. La larme <strong>de</strong> Nace<br />

irradia <strong>de</strong> nouveau.<br />

L'impact <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux dons occasionna un étrange bruit d'aspiration qui<br />

fit écho à travers la cour. L'assaut d'Arthur était vio<strong>le</strong>nt et <strong>de</strong>s pans<br />

9


entiers <strong>de</strong> béton gelaient autour d'Anaïs. Toutefois, el<strong>le</strong> tint bon,<br />

canalisant son don comme el<strong>le</strong> l'avait appris, en se remémorant son<br />

premier usage. Après quelques secon<strong>de</strong>s, <strong>le</strong> tourbillon se dissipa, puis vint<br />

se masser en une grosse sphère, <strong>de</strong>vant la paume <strong>de</strong> sa main.<br />

C'était <strong>de</strong> nouveau l'accalmie, Arthur avait cessé son attaque. Pour<br />

s'assurer qu'el<strong>le</strong> avait bien <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> <strong>de</strong> la sphère, Anaïs bougea<br />

<strong>le</strong>ntement <strong>le</strong> bras, <strong>de</strong> haut en bas. Cel<strong>le</strong>-ci suivit doci<strong>le</strong>ment son<br />

mouvement, tout en continuant <strong>de</strong> vril<strong>le</strong>r sur el<strong>le</strong>-même.<br />

"Bien, expliqua-t-el<strong>le</strong> en dévisageant Arthur d'un air peiné. Comme tu<br />

l'apprendras vite, mon don est associé au Miroir Millénaire. De ce fait, la<br />

larme <strong>de</strong> Nace me permet <strong>de</strong> parer une attaque et <strong>de</strong> l'assimi<strong>le</strong>r<br />

provisoirement, pour la renvoyer à son expéditeur… entre autres."<br />

<strong>Les</strong> yeux d'Arthur reprenaient <strong>le</strong>ntement une teinte norma<strong>le</strong>, alors<br />

qu'il semblait recouvrer ses esprits.<br />

"Anaïs?"<br />

Il haussa <strong>le</strong>s sourcils, la contempla avec effarement, puis observa<br />

son arme. Anaïs eut alors un hoquet. Des larmes lui montèrent aux yeux,<br />

puis roulèrent sur ses joues, sans qu'el<strong>le</strong> ne parvienne à se reprendre.<br />

"Est-ce… est-ce que tu vas me pardonner ou est-ce que je vais <strong>de</strong>voir te<br />

renvoyer ça dans la tronche Art? Si tu dois me haïr jusqu'à la fin <strong>de</strong>s<br />

temps, je préfère autant te conge<strong>le</strong>r!"<br />

Il baissa <strong>le</strong>s yeux après un moment d'hésitation, puis fit disparaître<br />

son arme en signe d'apaisement.<br />

"Je vois, fit Anaïs entre <strong>de</strong>ux sanglots."<br />

D'un geste <strong>de</strong> main, el<strong>le</strong> réduisit la sphère enneigée à néant et se<br />

dirigea vers Arthur d'un pas rapi<strong>de</strong>, essuyant ses larmes au passage. A sa<br />

propre surprise, dès qu'el<strong>le</strong> fut arrivée en face <strong>de</strong> lui, el<strong>le</strong> <strong>le</strong> poussa<br />

vio<strong>le</strong>mment <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux mains. Déséquilibré, il tituba, puis tomba en arrière.<br />

Cependant, il ne tenta pas <strong>de</strong> se re<strong>le</strong>ver. Son regard trahissait son<br />

incompréhension et sa culpabilité.<br />

"Arthur…"<br />

Eprouvée, Anaïs approcha et s'accroupit près <strong>de</strong> lui, débordant <strong>de</strong><br />

larmes. El<strong>le</strong> se sentit ridicu<strong>le</strong>. Sa volonté <strong>de</strong> ne pas p<strong>le</strong>urer fondait comme<br />

neige au so<strong>le</strong>il. Nerveusement, el<strong>le</strong> se mit à triturer la fermeture éclair <strong>de</strong><br />

la veste d'Arthur, <strong>le</strong>quel ne fit pas un mouvement <strong>de</strong> protestation. Au loin,<br />

Bennett et plusieurs <strong>de</strong>s élus venaient d'arriver, sans doute a<strong>le</strong>rtés par<br />

son comportement absur<strong>de</strong>.<br />

9


"Je n'ai pas eu <strong>de</strong> réveil serein <strong>de</strong>puis que j'ai découvert mon é<strong>le</strong>ction,<br />

murmura Anaïs. Pas un seul… J'ai dû t'écrire dix <strong>le</strong>ttres que j'ai toutes<br />

jetées. J'ai dû <strong>le</strong>ver cinq fois <strong>le</strong> combiné du téléphone, pour fina<strong>le</strong>ment<br />

raccrocher. Je n'ai jamais été assez courageuse pour tout te révé<strong>le</strong>r."<br />

El<strong>le</strong> s'essuya <strong>de</strong> nouveau <strong>le</strong>s yeux et renifla.<br />

"Je suis passée par <strong>le</strong>s mêmes choses que toi Art. Ne crois pas que je me<br />

suis amusée à Londres <strong>de</strong>puis six mois. Devenir une élue du jour au<br />

<strong>le</strong>n<strong>de</strong>main… apprendre que Samuel est considéré comme un traître et…<br />

que Nils… Nils…"<br />

Sa vue fut troublée par <strong>le</strong>s larmes. El<strong>le</strong> avait <strong>le</strong> sentiment d'étouffer.<br />

"Nils est vivant, il est vivant, p<strong>le</strong>ura Anaïs. Nous avions fait son <strong>de</strong>uil<br />

<strong>de</strong>puis un an quand j'ai appris cette nouvel<strong>le</strong>. J'étais désemparée et… et…<br />

j'ai dû faire comme si <strong>de</strong> rien n'était, comme si je n'étais pas au courant ;<br />

t'envoyer <strong>de</strong> stupi<strong>de</strong>s courriers où je racontais mes aventures à Londres,<br />

t'appe<strong>le</strong>r sans rien laisser transparaître!"<br />

El<strong>le</strong> s'effondra sur Arthur, inondant sa chemise <strong>de</strong> larmes.<br />

"Ca fait <strong>de</strong>s mois que je suis malheureuse et que je suis forcée <strong>de</strong> sourire.<br />

Il n'y a que la perspective <strong>de</strong> pouvoir sauver Samuel et Nils avec toi qui<br />

m'a permis <strong>de</strong> tenir. Si tu me rejettes… je ne tiendrai plus <strong>de</strong>bout."<br />

<strong>Les</strong> bras d'Arthur se refermèrent sur el<strong>le</strong>, en une étreinte<br />

affectueuse. El<strong>le</strong> l'entendit dire "Pardon", du bout <strong>de</strong>s lèvres. Enfin!<br />

Libérée, el<strong>le</strong> se mit à p<strong>le</strong>urer <strong>de</strong> plus bel<strong>le</strong>, pendant un moment qui lui<br />

sembla durer <strong>de</strong>s heures. Arthur ne broncha pas, lui laissant <strong>le</strong> temps <strong>de</strong><br />

se remettre, <strong>de</strong> défaire l'étau qui l'entravait <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s mois.<br />

Lorsque Anaïs se sentit <strong>de</strong> nouveau en état <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r, el<strong>le</strong> re<strong>le</strong>va<br />

<strong>le</strong>ntement la tête. Arthur avait <strong>le</strong>s yeux tournés vers <strong>le</strong> ciel, impassib<strong>le</strong>.<br />

Lui aussi accusait mal cette récente révélation.<br />

"Pardon pour cette scène Art…<br />

-Ce n'est pas grave."<br />

Un court si<strong>le</strong>nce s'ensuivit.<br />

"Qu'est-ce que c'est? fit doucement Anaïs en tirant sur <strong>le</strong>s poils qui<br />

ornaient <strong>le</strong> menton d'Arthur.<br />

-Une barbe…<br />

-Ah… Tu <strong>de</strong>vrais la raser. Ca te donne un faux air <strong>de</strong> Samuel, en moins<br />

beau."<br />

Le regard triste d'Arthur se porta sur el<strong>le</strong>.<br />

9


"Tu as toujours été secrètement amoureuse <strong>de</strong> lui, n'est-ce pas?<br />

-Tu as toujours vu en lui une ido<strong>le</strong>, riposta Anaïs.<br />

-Egalité…, conclut-il avec une esquisse <strong>de</strong> sourire."<br />

Une main se posa sur l'épau<strong>le</strong> d'Anaïs. El<strong>le</strong> en avait presque oublié<br />

qu'ils avaient <strong>de</strong>s spectateurs. Ibtissam s'était approché à pas <strong>de</strong> loup et<br />

lui faisait un grand sourire. Il lui tendit la main.<br />

"Je suis heureux <strong>de</strong> te voir enfin libre ma chère Anaïs, déclara-t-il.<br />

Maintenant, lève-toi et sèche ces larmes qui ne te font pas honneur.<br />

-Oui…"<br />

Ibtissam avait <strong>le</strong> don pour re<strong>de</strong>venir sérieux et disponib<strong>le</strong> quand<br />

cela s'avérait nécessaire. El<strong>le</strong> lui prit la main et fut énergiquement remise<br />

sur ses pieds, sous <strong>le</strong>s regards indécis <strong>de</strong>s autres élus et <strong>de</strong> Bennett.<br />

Aïshani et Sally étaient éga<strong>le</strong>ment là. Anaïs eut honte d'avoir p<strong>le</strong>uré<br />

<strong>de</strong>vant eux. El<strong>le</strong> ne <strong>le</strong>s connaissait même pas. Quel<strong>le</strong> mauvaise première<br />

impression. Toujours au sol, Arthur ne se <strong>le</strong>va qu'après avoir pris un coup<br />

<strong>de</strong> pied d'une jeune femme brune, au regard pétillant.<br />

"Je crois qu'il serait temps <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r à <strong>de</strong>s présentations dignes <strong>de</strong> ce<br />

nom, histoire <strong>de</strong> briser la glace, dit-el<strong>le</strong>, gênée. Je suis Ana Rosa, mais tu<br />

peux m'appe<strong>le</strong>r Ana."<br />

Anaïs fut convenab<strong>le</strong>ment présentée aux élus et la glace fut brisée.<br />

Certes, Rachel lui parut un peu froi<strong>de</strong> et Andreas ne fut pas loquace, mais<br />

ils ne semblèrent pas lui en vouloir d'avoir menti à Arthur. "Nous aurions<br />

sans doute fait la même chose à ta place! La plupart <strong>de</strong> nos proches ne<br />

savent pas ce que nous faisons <strong>de</strong> nos vies", lui confia discrètement Sally<br />

un peu plus tard.<br />

Quant à Arthur, bien qu'il se fût décidé à lui pardonner son<br />

mensonge, el<strong>le</strong> décela une nuance <strong>de</strong> formalisme dans ses paro<strong>le</strong>s. Il<br />

parlait <strong>de</strong> façon distraite et distante, toujours en détournant <strong>le</strong> regard.<br />

"Désolé <strong>de</strong> jouer l'horloge parlante en permanence, s'excusa Bennett<br />

après avoir manqué <strong>de</strong> déraper sur une plaque <strong>de</strong> glace, mais il faut<br />

vraiment que nous rentrions à l'intérieur. La réunion avec <strong>le</strong> dirigeant<br />

débute dans une dizaine <strong>de</strong> minutes.<br />

-J'ai aperçu Sonia et Anthony, dit Sally. Ils sont dans la cantine.<br />

-El<strong>le</strong> a donc fina<strong>le</strong>ment réussi à sortir <strong>de</strong> son lit, déplora Bennett.<br />

-Ouais, et ce n'est pas beau à voir…"<br />

Ils se mirent en route. Arthur et ses amis étaient en tête <strong>de</strong> peloton<br />

– Sally était harcelée par un Ibtissam plus amoureux que jamais – tandis<br />

qu'Anaïs restait un peu plus en retrait, en compagnie d'Aïshani. La jeune<br />

indienne la scrutait à travers ses lunettes, sourcils froncés.<br />

"Ca va al<strong>le</strong>r?<br />

9


-J'ai toujours su que ce ne serait pas un moment faci<strong>le</strong>. Ca va al<strong>le</strong>r!<br />

-Une femme, assez sensée <strong>de</strong> mon point <strong>de</strong> vue, a déclaré un jour que <strong>le</strong><br />

meil<strong>le</strong>ur moyen <strong>de</strong> renouer une amitié décousue était <strong>de</strong> faire <strong>le</strong> premier<br />

pas vers l'autre, fil à la main.<br />

-C'est effectivement sensé. Qui est cette brillante personne?"<br />

Aïshani sourit.<br />

"Merci du compliment Anaïs, fit-el<strong>le</strong> en rejoignant <strong>le</strong> reste du groupe,<br />

mains dans <strong>le</strong> dos. Prends l'aiguil<strong>le</strong> et couds.<br />

-Je vais essayer."<br />

Voir autant <strong>de</strong> pertinence chez une fil<strong>le</strong> <strong>de</strong> trois ans sa ca<strong>de</strong>tte<br />

stupéfiait toujours autant Anaïs. Avoir passé son ado<strong>le</strong>scence dans une<br />

bibliothèque avait sans doute fait du bien à Aïshani.<br />

"Vous voila enfin, s'écria Jennifer en <strong>le</strong>s voyant se présenter <strong>de</strong> nouveau<br />

<strong>de</strong>vant l'entrée du QG. Je vous ai ouvert il y a bien un quart d'heure mais<br />

je ne vois personne arriver! Où étiez-vous donc passés?"<br />

Perchée sur <strong>de</strong>s talons qui présageaient sa chute prochaine, Jennifer<br />

Mallory, la secrétaire administrative <strong>de</strong> la section londonienne, s'était<br />

plantée <strong>de</strong>vant la porte, <strong>le</strong>s mains sur <strong>le</strong>s hanches, sourcils vainement<br />

froncés. El<strong>le</strong> s'en prit plus particulièrement à Bennett pour son manque <strong>de</strong><br />

rigueur.<br />

"A quoi bon te confier <strong>le</strong>s enfants si tu agis aussi inconsidérément qu'Ant?<br />

Je comptais sur toi.<br />

-Ne te mets pas dans un tel état <strong>de</strong> stress, tout va bien.<br />

El<strong>le</strong> s'offusqua.<br />

"Je suis tout à fait sereine, s'agita-t-el<strong>le</strong>, manquant <strong>de</strong> déva<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s<br />

quelques marches qui permettaient d'accé<strong>de</strong>r à l'entrée.<br />

-La mort est sereine, pour sûr, dit Bennett après l'avoir rattrapée."<br />

El<strong>le</strong> accueillit <strong>le</strong>s élus et fut présentée à Arthur par Anaïs, cel<strong>le</strong>-ci<br />

ayant décidé <strong>de</strong> renouer son amitié avec lui, <strong>de</strong> gré ou <strong>de</strong> force. Une fois<br />

ces prélu<strong>de</strong>s achevés, Jennifer <strong>le</strong>s incita à entrer, ce qu'ils firent avec joie.<br />

Le ciel s'était obscurci et l'atmosphère était <strong>de</strong> plus en plus humi<strong>de</strong>.<br />

Jennifer <strong>le</strong>s précéda dans un couloir étroit, aux murs boisés pour la<br />

partie inférieure, et crépis au-<strong>de</strong>ssus. Ils étaient presque obligés <strong>de</strong><br />

marcher en fi<strong>le</strong> indienne pour ne pas se bouscu<strong>le</strong>r ou entrechoquer <strong>le</strong>urs<br />

bagages ; mais au moins il faisait chaud.<br />

Voyant qu'Arthur observait avec attention <strong>de</strong>s photos alignées dans<br />

<strong>de</strong>s cadres, sur <strong>le</strong>s murs, Anaïs lui expliqua :<br />

9


"Il s'agit <strong>de</strong>s portraits <strong>de</strong>s élus <strong>de</strong> la génération précé<strong>de</strong>nte. Une sorte<br />

d'hommage pour s'assurer que quiconque entre ici gar<strong>de</strong> à l'esprit <strong>le</strong>ur<br />

sacrifice. Là, tu peux reconnaître Sonia."<br />

Arthur se figea <strong>de</strong>vant la photo d'une pseudo hippie aux cheveux<br />

très longs et bouclés.<br />

"El<strong>le</strong> a beaucoup changé, constata Arthur. Ses cheveux sont tout rai<strong>de</strong>s<br />

maintenant. Je ne l'aurais jamais reconnue.<br />

-Pour sûr. Quand j'ai vu cette photo pour la première fois, j'ai eu très peur<br />

<strong>de</strong> rencontrer Sonia."<br />

Bennett, Jennifer et <strong>le</strong>s autres élus avait déjà quitté <strong>le</strong> couloir,<br />

tandis qu'ils s'attardaient <strong>de</strong>vant <strong>le</strong>s photos. Cel<strong>le</strong>s-ci étaient i<strong>de</strong>ntifiées<br />

par <strong>de</strong> petites plaques argentées qui indiquaient <strong>le</strong>s noms <strong>de</strong>s élus et <strong>le</strong>urs<br />

années <strong>de</strong> naissance et <strong>de</strong> mort. Seu<strong>le</strong>s cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Sonia et d'une<br />

ado<strong>le</strong>scente brune, aux traits ibériques, étaient absentes.<br />

"Maria Hernan<strong>de</strong>z, lut Arthur.<br />

-Ton prédécesseur. Une élite, comme nous.<br />

-El<strong>le</strong> avait quasiment <strong>le</strong> même âge que moi à l'époque. On sait ce qu'el<strong>le</strong><br />

est <strong>de</strong>venue?<br />

-Pas vraiment. Il semb<strong>le</strong>rait qu'el<strong>le</strong> n'ait plus <strong>le</strong> moindre lien avec GLOW."<br />

Le visage <strong>de</strong> Maria était radieux, paisib<strong>le</strong>. A peine sortie <strong>de</strong><br />

l'ado<strong>le</strong>scence, el<strong>le</strong> ne soupçonnait pas encore <strong>le</strong> drame terrib<strong>le</strong> qui allait<br />

<strong>le</strong>s frapper, el<strong>le</strong> et ses compagnons, peu <strong>de</strong> temps après cette photo.<br />

"Lui c'est Daniel Nichols. Tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> l'appelait "Danny".<br />

-Nichols…"<br />

Ils s'étaient arrêtés <strong>de</strong>vant <strong>le</strong> portrait d'un individu châtain à la<br />

coiffure pétaradante et au sourire enthousiaste. Ses traits étaient<br />

juvéni<strong>le</strong>s, comme s'il avait grandi trop vite.<br />

"Ce nom me dit quelque chose, fit remarquer Arthur.<br />

-Daniel Nichols. Anthony Nichols. Notre instructeur est son petit frère. La<br />

légen<strong>de</strong> raconte qu'il a harcelé Mme Jones pendant trois semaines pour<br />

qu'el<strong>le</strong> <strong>le</strong> laisse intégrer GLOW. Il a dû voir là <strong>le</strong> moyen <strong>de</strong> venger Danny<br />

tout en se rendant uti<strong>le</strong>. Il a fini par <strong>de</strong>venir instructeur.<br />

-Oh…"<br />

Arthur avança jusqu'au bout du couloir, <strong>le</strong>s yeux rivés sur <strong>le</strong>s<br />

photos. Il s'arrêta.<br />

"Pas d'image <strong>de</strong> Sam, évi<strong>de</strong>mment, murmura-t-il.<br />

-Non, sans doute retirée. A ce propos Art…<br />

-…<br />

9


-N'évoque jamais <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> Samuel <strong>de</strong>vant Anthony. Je ne sais pas ce<br />

que tu penses <strong>de</strong> ses actes, mais ici, sa trahison ne fait pas <strong>le</strong> moindre<br />

doute. De plus, c'est lui qui a tué Danny.<br />

-Je suis d'accord.<br />

-Hein?<br />

- Je suis d'accord avec <strong>le</strong>s gens d'ici. Samuel nous a trahis. Il n'y a pas à<br />

tergiverser là-<strong>de</strong>ssus. Viens, <strong>le</strong>s autres nous atten<strong>de</strong>nt."<br />

Il se détourna rapi<strong>de</strong>ment, à son grand étonnement. Ca ne lui<br />

ressemblait pas d'être si catégorique, sans chercher à argumenter,<br />

retourner la question sous tous <strong>le</strong>s ang<strong>le</strong>s ou s'arracher <strong>le</strong>s cheveux pour<br />

comprendre. Cette réponse évasive cachait quelque chose.<br />

Ils reprirent <strong>le</strong>ur route, croisant plusieurs agents pressés qui prirent<br />

tout <strong>de</strong> même la peine <strong>de</strong> <strong>le</strong>s saluer au passage. Le personnel était en<br />

ébullition <strong>de</strong>puis plusieurs jours. Même ceux qui n'allaient pas sur <strong>le</strong><br />

terrain <strong>de</strong>vaient fournir un important travail <strong>de</strong> préparation et <strong>de</strong><br />

rassemb<strong>le</strong>ment d'informations, en collaboration avec différents organes<br />

gouvernementaux et internationaux. Il fallait récolter, résumer,<br />

communiquer, dispatcher. En somme, jouer <strong>le</strong>s intermédiaires entre <strong>de</strong>s<br />

entités éparpillées à travers <strong>le</strong> globe. Anaïs préférait encore al<strong>le</strong>r en<br />

mission et sauter par-<strong>de</strong>ssus un ravin.<br />

Le reste du groupe se trouvait dans un vestibu<strong>le</strong> orné <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s<br />

colonnes boisées, <strong>le</strong>quel donnait accès à un ascenseur et à <strong>de</strong>ux couloirs,<br />

situées <strong>de</strong> part et d'autre. Arthur et Anaïs retrouvèrent <strong>le</strong>urs compagnons.<br />

"Laissez vos bagages ici, indiqua Jennifer. Quelqu'un viendra <strong>le</strong>s récupérer<br />

pour <strong>le</strong>s monter là-haut."<br />

Au moment où el<strong>le</strong> appuyait sur <strong>le</strong> bouton <strong>de</strong> l'ascenseur, ils furent<br />

rejoints par Anthony et Sonia, sans doute sortis <strong>de</strong> la cantine du QG.<br />

Cette <strong>de</strong>rnière, malgré un nez rougi et <strong>de</strong>s yeux gonflés, avait fait un<br />

effort vestimentaire, affublée d'une jupe à fente et d'un chemisier blanc.<br />

Ses chaussures à talons et ses collants, plutôt inhabituels, lui donnaient<br />

un air <strong>de</strong> "Working Girl" accablée par la grippe.<br />

"Hey! Comment bous… vous al<strong>le</strong>z! lança-t-el<strong>le</strong>."<br />

Tous firent un mouvement <strong>de</strong> recul. El<strong>le</strong> avait encore un k<strong>le</strong>enex<br />

usité à la main. Même Anthony, habituel<strong>le</strong>ment prompt à lui faire du<br />

charme, respectait une distance <strong>de</strong> trois mètres.<br />

"Tu aurais franchement dû rester au lit, dit Rachel en plaquant ses mains<br />

sur son visage pour se protéger <strong>de</strong>s microbes qui envahissaient sans<br />

doute l'atmosphère.<br />

-Quelques vitamines et je suis opérationnel<strong>le</strong>, affirma-t-el<strong>le</strong> juste avant<br />

d'éternuer."<br />

Andreas lui tendit un paquet <strong>de</strong> mouchoir, <strong>le</strong> teint étrangement rouge.<br />

9


"Merci Andreas, fit Sonia avec reconnaissance. Ant, tu ne dis pas bonjour<br />

aux jeunes? Surtout après <strong>le</strong>s avoir laissés en plan chez <strong>le</strong>s Corbell?<br />

-Je voudrais bien mais ta barrière microbienne m'empêche d'approcher,<br />

répliqua-t-il. Salut <strong>de</strong> loin, vous autres!"<br />

<strong>Les</strong> portes <strong>de</strong> l'ascenseur s'ouvrirent, accompagnées par un léger<br />

tintement <strong>de</strong> cloche. Contre toute attente, Bennett, Jennifer et tous <strong>le</strong>s<br />

élus, sauf Arthur et Anaïs s'y introduisirent.<br />

"Quel dommage, déplora faussement Sally. Il n'y a plus <strong>de</strong> place là<strong>de</strong>dans.<br />

Vous al<strong>le</strong>z <strong>de</strong>voir prendre <strong>le</strong> suivant avec Sonia et Ant!<br />

-Essayez <strong>de</strong> ne pas vous faire contaminer dans cet espace réduit, ajouta<br />

Aïshani. Une minute suffira à vous rendre mala<strong>de</strong>s aussi.<br />

-Traîtres, firent Arthur et Anaïs en chœur."<br />

<strong>Les</strong> portes se refermèrent avant qu'ils n'aient pu réagir. Ils se<br />

retrouvèrent à quatre, attendant <strong>le</strong>ur tour. Sonia s'acharnait sur ses<br />

mouchoirs, comme si el<strong>le</strong> se vidait <strong>de</strong> tout liqui<strong>de</strong> contenu dans son corps.<br />

"Oh, en passant, on a aperçu votre petite dispute <strong>de</strong>hors, dit Anthony en<br />

haussant <strong>le</strong>s sourcils.<br />

-Oh… ça, fit Arthur, embarrassé.<br />

-Je n'abbel<strong>le</strong> bas ça une betite disbute, marmonna Sonia."<br />

El<strong>le</strong> poussa un petit cri et se força à éternuer pour reprendre une<br />

voix à peu près norma<strong>le</strong>.<br />

"Peu m'importe <strong>le</strong> contenu <strong>de</strong> votre dispute, ça ne m'étonne pas vu <strong>le</strong>s<br />

circonstances, reprit-el<strong>le</strong>. Toutefois, à partir du moment où Arthur perd <strong>le</strong><br />

contrô<strong>le</strong> <strong>de</strong> son don, ça <strong>de</strong>vient TRES TRES gênant. Est-ce que ça arrive<br />

souvent?<br />

-J'ai eu une absence du même genre à Sorgentel, mais c'est tout. Je<br />

n'avais pas conscience d'attaquer Anaïs et je <strong>le</strong> regrette profondément.<br />

-Pour si peu, assura Anaïs en secouant la main."<br />

Anthony vint se mettre face à Arthur et plaça sa main sur son<br />

épau<strong>le</strong>, avec un peu trop <strong>de</strong> force.<br />

"Quoi qu'il en soit Arthur, si jamais je te revois faire p<strong>le</strong>urer Anaïs, je te<br />

démonte la tête, promit-il avec un sourire inquiétant. Capté?<br />

-Aucune raison que ça arrive <strong>de</strong> nouveau.<br />

-On ne sait jamais. J'espère que tu comprends mon point <strong>de</strong> vue.<br />

-Ouais…, dit Arthur d'un air sceptique.<br />

-Laisse mon élu tranquil<strong>le</strong>, intervint Sonia alors qu'ils montaient à <strong>le</strong>ur<br />

tour dans l'ascenseur.<br />

-Tant qu'il laisse la mienne en paix."<br />

9


<strong>Les</strong> portes se refermèrent. Sonia appuya sur <strong>le</strong> bouton du premier étage.<br />

"On ba… on VA au Salon Gaetan, indiqua Sonia.<br />

-De quoi va-t-on par<strong>le</strong>r? <strong>de</strong>manda Arthur. <strong>Les</strong> créatures ont été localisées,<br />

n'est-ce pas?<br />

-Oui. Enfin!<br />

-Mais <strong>le</strong>s choses vont se compliquer, grogna Anthony en se grattant la<br />

tête. Rien que <strong>de</strong> penser à cette galère, j'en ai mal au…"<br />

"TING"<br />

Ils sortirent <strong>de</strong> la cabine et s'introduisirent aussitôt dans la sal<strong>le</strong><br />

située en face d'eux. La porte à doub<strong>le</strong> battant, en bois verni, était<br />

surmontée d'une courte indication en <strong>le</strong>ttres d'or : "Salon Gaétan." Arthur<br />

découvrit, non sans un certain émerveil<strong>le</strong>ment, la sal<strong>le</strong> <strong>de</strong> réunion <strong>de</strong> la<br />

section londonienne, son équipement high-tech et sa gran<strong>de</strong> tab<strong>le</strong><br />

triangulaire, autour <strong>de</strong> laquel<strong>le</strong> étaient déjà installés tous <strong>le</strong>s élus.<br />

Sonia et Anthony prirent place auprès <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs collègues tandis<br />

qu'Anaïs et Arthur s'installaient dans <strong>de</strong>ux sièges en cuir vi<strong>de</strong>s, entre<br />

Jamie et Sally. <strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux jeunes femmes s'accordèrent un bref sourire.<br />

Anaïs avait entendu beaucoup <strong>de</strong> bien <strong>de</strong> Sally et était ravie <strong>de</strong> la<br />

rencontrer enfin, même si <strong>le</strong>urs présentations avaient été quelque peu<br />

troublées.<br />

Autour <strong>de</strong> la tab<strong>le</strong>, <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce était religieux et l'ambiance tendue,<br />

dans l'attente du début <strong>de</strong> la réunion. Anaïs en profita pour étudier <strong>le</strong>s<br />

élus qu'el<strong>le</strong> venait <strong>de</strong> rencontrer. D'après ce qu'el<strong>le</strong> savait, trois d'entre<br />

eux étaient restés à Sorgentel. Ceux qui restaient étaient déjà nombreux.<br />

El<strong>le</strong> aurait sans doute du mal à se familiariser avec eux tous. D'autant<br />

plus que <strong>le</strong>s circonstances n'étaient pas favorab<strong>le</strong>s à la prise <strong>de</strong> contact.<br />

Très bientôt, ils <strong>de</strong>vraient partir en mission pour retrouver Fenrir et Altaïr.<br />

"Vous avez déjà rencontré <strong>le</strong> dirigeant? <strong>de</strong>manda Arthur.<br />

-Jamais, dit Sally.<br />

-Pas vu, ajouta Jamie.<br />

-Je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> même s'il existe, conclut Anaïs.<br />

-Vous plaisantez? s'écria Arthur. Anaïs, t'es ici <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s mois! Et vous,<br />

vous êtes parmi <strong>le</strong>s plus vieux élus!<br />

-Ce sera notre première rencontre avec lui, assura Sally. On ne sait même<br />

pas son nom. D'habitu<strong>de</strong>, <strong>le</strong>s instructions transitent toujours par Mme<br />

Jones. S'il se présente en personne, c'est que la situation est vraiment<br />

grave.<br />

-Moi je l'ai bu… VU, <strong>le</strong>s nargua Sonia <strong>de</strong>puis l'autre côté <strong>de</strong> la tab<strong>le</strong>. Et<br />

vous risquez d'être surpris!<br />

-Va te moucher, t'as <strong>le</strong> nez qui cou<strong>le</strong>, répliqua Sally."<br />

La porte du Salon Gaetan s'ouvrit et une ado<strong>le</strong>scente brune au front<br />

large entra, habillée d'un uniforme scolaire. El<strong>le</strong> avait une importante pi<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong> dossiers dans <strong>le</strong>s mains. Anaïs se rappelait l'avoir croisée à plusieurs<br />

1


eprises dans <strong>le</strong> QG, mais el<strong>le</strong> fut incapab<strong>le</strong> <strong>de</strong> dire aux autres qui il était.<br />

L'inconnue partit se placer au fond <strong>de</strong> la sal<strong>le</strong>, sans piper mot.<br />

Au même instant, <strong>de</strong>s bruits <strong>de</strong> pas se firent entendre <strong>de</strong>rrière la<br />

porte, ponctués par d'étranges cliquetis. <strong>Les</strong> regards se tournèrent dans la<br />

même direction. A la gran<strong>de</strong> stupéfaction <strong>de</strong> tous, un enfant en jean et Tshirt,<br />

qui ne <strong>de</strong>vait pas avoir dix ans, entra, s'appuyant sur une canne en<br />

bois. Du moins, Anaïs déduisit <strong>de</strong> sa tail<strong>le</strong> et <strong>de</strong> ses traits qu'il s'agissait<br />

d'un enfant. En effet, malgré son visage puéril, <strong>le</strong> nouvel arrivant avait<br />

une chevelure grise, tirant sur <strong>le</strong> blanc. Ses grands yeux d'un b<strong>le</strong>u vif<br />

firent <strong>le</strong> tour <strong>de</strong> la pièce, inquisiteurs.<br />

"Le dirigeant est un gamin!? souffla Rachel.<br />

-Un gamin Sorgenteli surtout? chuchota Arthur, estomaqué."<br />

Sonia avait un sourire triomphal. Il s'agissait bel et bien du dirigeant<br />

<strong>de</strong> GLOW. Anaïs eut du mal à en croire ses yeux. Ca dépassait<br />

l'enten<strong>de</strong>ment. Cet individu ne pouvait pas avoir autant <strong>de</strong> pouvoir à cet<br />

âge. El<strong>le</strong> avait baby-sitté <strong>de</strong>s enfants plus vieux que lui, et avec <strong>de</strong>s<br />

oreil<strong>le</strong>s moins décollées.<br />

Toujours muet, <strong>le</strong> dirigeant fit <strong>le</strong> tour <strong>de</strong> la tab<strong>le</strong> en boitant<br />

légèrement, <strong>le</strong> regard rivé au sol. Il ne paraissait pas s'émouvoir <strong>de</strong>s<br />

réactions <strong>de</strong> surprise que sa venue avait occasionnées.<br />

"Bonjour, dit-il fina<strong>le</strong>ment après avoir pris place à la tab<strong>le</strong>."<br />

<strong>Les</strong> élus mirent un moment à répondre. Anaïs s'était presque<br />

attendue à l'entendre s'exprimer d'une voix adulte. Ce n'était pas <strong>le</strong> cas.<br />

"Inès, peux-tu distribuer <strong>le</strong>s dossiers s'il te plaît? <strong>de</strong>manda-t-il <strong>le</strong> plus<br />

naturel<strong>le</strong>ment du mon<strong>de</strong> à l'ado<strong>le</strong>scente inconnue."<br />

El<strong>le</strong> obtempéra avec un signe <strong>de</strong> tête, faisant <strong>le</strong> tour <strong>de</strong> la tab<strong>le</strong> pour<br />

déposer un dossier <strong>de</strong>vant chacun d'entre eux. Lorsqu'el<strong>le</strong> passa près<br />

d'el<strong>le</strong>, Anaïs remarqua qu'el<strong>le</strong> portait un Etemenanki.<br />

"Merci, dit <strong>le</strong> dirigeant quand el<strong>le</strong> eût fini sa tâche."<br />

Le regard d'Anaïs croisa celui du garçon. Il baissa <strong>le</strong>s yeux et reprit<br />

la paro<strong>le</strong> :<br />

"Je ne me suis jamais présenté à vous, pour <strong>de</strong>s raisons <strong>de</strong> sécurité, et je<br />

comprends que la découverte <strong>de</strong> mon i<strong>de</strong>ntité puisse vous troub<strong>le</strong>r. C'est<br />

pour cela que je vais commencer par vous dire ceci : ne vous laissez pas<br />

duper par mon âge et par mon apparence."<br />

Un long si<strong>le</strong>nce s'ensuivit, durant <strong>le</strong>quel il parut évaluer la portée <strong>de</strong><br />

son affirmation. Son visage était dénué d'expression.<br />

1


"Je suis Enzo Wallace, dit-il.<br />

-Wall… Wallace? répéta Sally."<br />

Arthur ouvrit la bouche.<br />

"Wallace? Comme Gaetan Léopold Osman Wallace? s'exclama Aïshani dont<br />

<strong>le</strong>s lunettes avaient glissé jusqu'en bas <strong>de</strong> son nez.<br />

-Je suis la réincarnation <strong>de</strong> Gaetan, répondit patiemment Enzo. Du moins,<br />

il serait plus correct <strong>de</strong> dire que je suis son parent spirituel.<br />

-Mais… mais, tu es… je veux dire, vous êtes bien un enfant humain?<br />

bégaya Anaïs. Pas un Sorgenteli.<br />

-Tout à fait. Je suis né et ai été éduqué dans notre société, <strong>de</strong> parents<br />

humains. Ma cou<strong>le</strong>ur <strong>de</strong> cheveux particulière atteste <strong>de</strong> mon lien avec<br />

Gaetan. D'autres questions?"<br />

Plusieurs mains se <strong>le</strong>vèrent, dont cel<strong>le</strong> d'Anaïs. On ne voyait pas<br />

souvent un être réincarné, surtout lorsqu'il prenait la forme d'un enfant<br />

s'exprimant aussi bien qu'un adulte.<br />

"Fina<strong>le</strong>ment, vos questions <strong>de</strong>vront attendre une autre occasion, se ravisa<br />

Enzo. Nous aurons l'opportunité <strong>de</strong> nous repar<strong>le</strong>r assez rapi<strong>de</strong>ment. Pour<br />

<strong>le</strong> moment, j'aimerais al<strong>le</strong>r droit au but. Pouvez-vous tous ouvrir <strong>le</strong><br />

dossier posé <strong>de</strong>vant vous et me dire si vous êtes en mesure d'i<strong>de</strong>ntifier<br />

l'homme présent sur la photo?"<br />

Anaïs ouvrit <strong>le</strong> sien. Il contenait une gran<strong>de</strong> photo d'un vieil homme<br />

affublé <strong>de</strong> lunettes ron<strong>de</strong>s. Il était assis dans un fauteuil en osier, jambes<br />

croisées. Son expression assurée n'avait rien <strong>de</strong> rassurant, mais son<br />

visage ne lui disait rien. Visib<strong>le</strong>ment, ce fut <strong>le</strong> cas pour <strong>le</strong>s autres aussi, y<br />

compris Arthur. Enzo ne parut pas surpris.<br />

"Je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rai <strong>de</strong> ne pas oublier cet individu. Nous sommes à peu<br />

près sûrs qu'il s'agit du <strong>le</strong>a<strong>de</strong>r <strong>de</strong> la Confrérie. Il se dénomme Primo mais<br />

il s'agit peut-être d'un pseudonyme, Primo signifiant "<strong>le</strong> premier" en<br />

italien."<br />

Arthur fronça <strong>le</strong>s sourcils, manifestement perturbé. Il secoua la tête<br />

et reprit son écoute.<br />

"Ce vieil homme? s'exclama Ibtissam. Je suis presque déçu. Il n'a pas l'air<br />

vraiment inquiétant.<br />

-Il est tout à fait probab<strong>le</strong> que ce vieil homme ait essayé <strong>de</strong> vous<br />

approcher, sous une autre i<strong>de</strong>ntité et une autre apparence, continua Enzo.<br />

-Que vou<strong>le</strong>z-vous dire? s'étonna Sonia.<br />

-Si l'on compi<strong>le</strong> <strong>le</strong>s informations que l'on possè<strong>de</strong> sur la Confrérie et ses<br />

membres, on peut en déduire qu'ils disposent <strong>de</strong>s moyens nécessaires<br />

pour déguiser <strong>le</strong>ur apparence, surnaturel<strong>le</strong>ment. De même, ils sont sans<br />

1


doute capab<strong>le</strong>s d'altérer la volonté ou la mémoire d'un individu, comme ils<br />

l'ont fait avec Xenia Ve<strong>le</strong>itov… dont je constate d'ail<strong>le</strong>urs l'absence."<br />

Enzo joignit <strong>le</strong>s mains d'une manière qui tranchait dramatiquement<br />

avec son apparence d'enfant.<br />

"Si mes déductions sont bonnes, il est tout fait possib<strong>le</strong> que vous croisiez<br />

régulièrement <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> la Confrérie, sans <strong>le</strong> savoir. Par<br />

conséquent, nous pouvons craindre qu'ils en sachent plus sur nous que<br />

nous sur eux. Je vous invite à la plus gran<strong>de</strong> pru<strong>de</strong>nce ; méfiez <strong>de</strong>s<br />

personnes qui n'ont, a priori, rien à voir avec votre entourage habituel.<br />

Tentez éga<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> déce<strong>le</strong>r <strong>le</strong> moindre changement <strong>de</strong> comportement<br />

chez vos proches."<br />

Peu rassurés, <strong>le</strong>s élus opinèrent <strong>de</strong> la tête. Enzo se saisit alors d'une<br />

télécomman<strong>de</strong> et appuya sur l'un <strong>de</strong>s boutons. <strong>Les</strong> écrans qui étaient<br />

incrustés dans la tab<strong>le</strong> s'allumèrent en même temps, affichant <strong>de</strong>ux cartes<br />

géographiques juxtaposées.<br />

"Est-ce que ces localisations correspon<strong>de</strong>nt à votre intuition Elliott?<br />

<strong>de</strong>manda Enzo."<br />

Le jeune homme blond approuva.<br />

"Tout à fait.<br />

-Tant mieux. Cela confirme notre travail <strong>de</strong> recherche concernant Fenrir et<br />

Altaïr.<br />

-L'une <strong>de</strong> ces cartes… il s'agit <strong>de</strong>s Etats-Unis, plus précisément <strong>de</strong> l'Etat<br />

du Nouveau Mexique, fit remarquer Rachel.<br />

-Oui. Altaïr a été localisé là-bas, dans une petite localité dénommée<br />

Salvación, à proximité d'Albuquerque.<br />

-…et <strong>de</strong> Roswell, intervint Aïshani avec un petit sourire. Si Altaïr altère <strong>le</strong>s<br />

comportements là-bas, ça doit faire jaser <strong>le</strong>s médias.<br />

-Quant à Fenrir, il se trouve sur l'î<strong>le</strong> <strong>de</strong> Silhouette, dans l'archipel <strong>de</strong>s<br />

Seychel<strong>le</strong>s, dit Enzo. Il ne s'agit que <strong>de</strong> localisations assez floues. Vous ne<br />

pourrez vraiment <strong>le</strong>s retrouver qu'une fois sur place.<br />

-Quand aura lieu la mission? <strong>de</strong>manda Arthur.<br />

-Demain.<br />

-QUOI? crièrent-ils tous en chœur."<br />

Enzo ferma <strong>le</strong>s yeux.<br />

"Si cela avait été faisab<strong>le</strong>, je vous aurais même envoyés aujourd'hui. Je<br />

crains que la Confrérie ne soit trop rapi<strong>de</strong> et ne nous coupe l'herbe sous <strong>le</strong><br />

pied. Il faudra partir à quinze heures.<br />

-Comment allons-nous faire pour nous rendre sur place en l'absence<br />

d'Asuka? <strong>de</strong>manda Sally. Il s'agit <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux endroits plutôt éloignés l'un <strong>de</strong><br />

l'autre.<br />

1


-Elliott nous enverra là-bas, supposa Andreas.<br />

-C'était là mon idée, approuva Sonia. Elliott ouvrira <strong>de</strong>ux portails distincts,<br />

vous permettant d'accé<strong>de</strong>r à Silhouette et Salvación. Tu penses que cela<br />

sera dans tes cor<strong>de</strong>s Elliott?<br />

-Oui, mais si je dois maintenir <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux passages ouverts, je ne pourrai<br />

pas quitter <strong>le</strong> QG, affirma Elliott.<br />

-J'avais envisagé <strong>le</strong> problème, dit-el<strong>le</strong>.<br />

-Sonia, <strong>le</strong>s listes s'il vous plaît, fit Enzo."<br />

El<strong>le</strong> se <strong>le</strong>va, après s'être énergiquement mouchée.<br />

"A Silhouette, j'envoie Anaïs, Aïshani, Sally, Jamie et Anthony."<br />

Anaïs ne fut pas mécontente <strong>de</strong> son affectation, bien qu'el<strong>le</strong> ne soit<br />

pas avec Arthur. Ce ne fut pas <strong>le</strong> cas <strong>de</strong> tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>.<br />

"Bouhouuu, on est séparés, p<strong>le</strong>ura Jamie auprès d'Arthur.<br />

-ATTENDEZ, couina Anthony. Je pars en mission!?<br />

-Sonia n'est évi<strong>de</strong>mment pas en état <strong>de</strong> <strong>le</strong> faire, répliqua Jennifer. En tant<br />

qu'instructeur numéro <strong>de</strong>ux, c'est toi qui prends <strong>le</strong> relais!<br />

-Mais…<br />

-Ce n'est pas négociab<strong>le</strong> Anthony, trancha Enzo. La suite s'il vous plaît."<br />

Anthony se rassit en croisant <strong>le</strong>s bras, faisant une moue digne d'un<br />

enfant réprimandé, pour <strong>le</strong> plus grand plaisir <strong>de</strong> Sonia.<br />

"A Salvación j'envoie Arthur, Ibtissam, Ana Rosa et Andreas. Deux élites<br />

<strong>de</strong>vraient suffire.<br />

-Et moi, je vais où? s'interrogea Rachel.<br />

-Nul<strong>le</strong> part, tu restes ici.<br />

-PARDON? Pour quel<strong>le</strong> raison? Ai-je encore fait quelque chose<br />

d'inconsidéré?"<br />

Sonia fronça <strong>le</strong>s sourcils, un brin agacée.<br />

"Non, mais je préfère que tu restes avec Elliott en cas <strong>de</strong> problème. Je ne<br />

veux pas que quelqu'un puisse utiliser <strong>le</strong>s passages pour venir ici nous<br />

attaquer, sans que nous ayons la moindre protection."<br />

Rachel se ravisa, soudain toute sourire.<br />

"Dans ce cas, je serai ravie <strong>de</strong> rester ici pour coopérer avec Elliott,<br />

s'exclama-t-el<strong>le</strong>."<br />

Ana Rosa lui lança un regard las.<br />

1


"Parfait, déclara fina<strong>le</strong>ment Enzo. Une autre réunion aura lieu <strong>de</strong>main<br />

matin pour mettre au point <strong>le</strong>s détails techniques. En attendant, vous<br />

avez quartier libre. Profitez-en pour vous détendre."<br />

Il se <strong>le</strong>va, <strong>le</strong>ur indiquant qu'ils pouvaient en faire <strong>de</strong> même et quitter<br />

<strong>le</strong>s lieux. Anaïs se redressa en s'étirant. La réunion avait été beaucoup<br />

plus brève qu'el<strong>le</strong> ne l'avait pensé.<br />

"J'aimerais par contre qu'Arthur Gall m'accor<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux minutes <strong>de</strong> son<br />

temps, si cela ne <strong>le</strong> dérange pas, dit Enzo au moment où ils s'éloignaient<br />

<strong>de</strong> la tab<strong>le</strong>."<br />

Arthur s'immobilisa, surpris. Il échangea un regard perp<strong>le</strong>xe avec<br />

Anaïs, puis se tourna vers <strong>le</strong> dirigeant.<br />

"Ca ne me dérange pas.<br />

-Merci."<br />

Anaïs observa un instant Enzo, se <strong>de</strong>mandant ce qu'il voulait à<br />

Arthur. Y avait-il un rapport avec la crise qui avait eu lieu quelques<br />

minutes plutôt, à l'extérieur? Le fait d'avoir utilisé son don contre el<strong>le</strong><br />

pouvait être mal vu. Frustrée <strong>de</strong> ne pas pouvoir rester dans la pièce, el<strong>le</strong><br />

se dirigea vers la sortie à la suite <strong>de</strong>s autres et referma la porte <strong>de</strong>rrière<br />

el<strong>le</strong>. Arthur lui raconterait bien ce qu'ils s'étaient dit.<br />

1


Chapitre 7 : Downin<br />

La pluie faisait rage. Un temps comme on en voyait rarement à<br />

Sorgentel. Un phénomène considéré comme étant <strong>de</strong> mauvais augure par<br />

tous ceux qui avaient vécu assez longtemps pour connaître <strong>le</strong>s légen<strong>de</strong>s<br />

du territoire. Ceux qui avaient déjà vu <strong>le</strong> ciel se couvrir <strong>de</strong> nuages, peu<br />

avant l'annonce <strong>de</strong> nouvel<strong>le</strong>s dramatiques, et qui, maintenant, se<br />

<strong>de</strong>mandaient avec appréhension ce qu'il allait advenir <strong>de</strong>s <strong>le</strong>urs.<br />

Lorsqu'il ouvrit la lour<strong>de</strong> porte <strong>de</strong> l'auberge, <strong>le</strong>s regards se<br />

tournèrent vers lui et <strong>le</strong>s conversations cessèrent un court instant.<br />

L'endroit était isolé, éloigné <strong>de</strong>s routes principa<strong>le</strong>s qui reliaient Juval aux<br />

bourga<strong>de</strong>s environnantes. Toute personne qui s'aventurait là ne venait<br />

donc pas par hasard.<br />

Le voyageur s'arrêta, dégoulinant d'eau, et <strong>le</strong>ur retourna <strong>le</strong>urs<br />

regards avec une nuance <strong>de</strong> brava<strong>de</strong>. La porte se referma dans un<br />

claquement <strong>de</strong>rrière lui et tous vaquèrent <strong>de</strong> nouveau à <strong>le</strong>urs occupations.<br />

Il observa alors rapi<strong>de</strong>ment <strong>le</strong>s lieux, sans pour autant re<strong>le</strong>ver la capuche<br />

qui lui bouchait en partie la vue. L'intérieur <strong>de</strong> l'auberge était sobre, plutôt<br />

mal éclairé et peu avenant. Une dizaine <strong>de</strong> petites tab<strong>le</strong>s ron<strong>de</strong>s,<br />

auxquel<strong>le</strong>s étaient assis <strong>de</strong>s hommes d'âge et <strong>de</strong> provenances diverses,<br />

discutant à voix basse ou vidant si<strong>le</strong>ncieusement <strong>de</strong>s chopes débordantes<br />

<strong>de</strong> mousse.<br />

Certains l'observaient encore, mais la plupart d'entre eux semblaient<br />

avoir oublié l'existence du voyageur. Au fond <strong>de</strong> la sal<strong>le</strong>, un aubergiste<br />

rachitique à la chevelure abondante et à la barbe fournie nettoyait <strong>de</strong>s<br />

verres et <strong>le</strong>s empilait sur une étagère. <strong>Les</strong> ri<strong>de</strong>aux étaient étrangement<br />

tirés, comme pour rendre <strong>le</strong>s lieux hermétiques.<br />

Il prit place à une tab<strong>le</strong> à peu près libre, en face <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux étranges<br />

individus vêtus d'épaisses toges et capuchonnés, comme lui. D'un signe<br />

<strong>de</strong> tête, l'un d'entre eux indiqua qu'il pouvait s'asseoir.<br />

"Merci…"<br />

Le voyageur appela l'aubergiste du regard et profita <strong>de</strong> l'attente<br />

pour continuer à observer son environnement, l'in<strong>de</strong>x nerveusement<br />

plaqué sur sa tempe. Manifestement, la majeure partie <strong>de</strong>s clients faisait<br />

partie d'un même groupe. Des hommes aux traits rugueux, mais à la mine<br />

enthousiaste, passaient d'une tab<strong>le</strong> à l'autre pour s'échanger <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s<br />

inaudib<strong>le</strong>s et se fournissaient régulièrement en alcool. L'un d'entre eux,<br />

plus posé, fixait la surface <strong>de</strong> sa tab<strong>le</strong> en si<strong>le</strong>nce et paraissait dissua<strong>de</strong>r<br />

ses camara<strong>de</strong>s <strong>de</strong> lui par<strong>le</strong>r. D'une stature carrée, il se distinguait par ses<br />

cheveux coupés très courts, et surtout par un tatouage b<strong>le</strong>u situé<br />

quelques centimètres en <strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> son œil. Il s'agissait d'une f<strong>le</strong>ur<br />

semblab<strong>le</strong> à un lys, contenue dans un cerc<strong>le</strong>.<br />

"Qu'al<strong>le</strong>z-vous prendre? <strong>de</strong>manda l'aubergiste en arrivant enfin.<br />

-<strong>Les</strong> informations promises, dit <strong>le</strong> voyageur en détournant son regard <strong>de</strong><br />

l'homme au tatouage."<br />

1


L'aubergiste pâlit à vue d'œil, terrifié. Il mima "Non" du bout <strong>de</strong>s<br />

lèvres, <strong>de</strong> façon presque implorante. Le voyageur l'invita alors à<br />

s'approcher pour qu'il puisse lui par<strong>le</strong>r à mi-voix.<br />

"Je vous rappel<strong>le</strong> que c'est vous qui nous avez contactés.<br />

-O… Oui, j'en ai p<strong>le</strong>inement conscience, bafouilla l'aubergiste, lançant<br />

nerveusement <strong>de</strong>s regards <strong>de</strong>rrière lui. Mais je n'imaginais pas qu'ils<br />

étaient impliqués!<br />

-Qui "ils"?"<br />

L'aubergiste ouvrit <strong>de</strong> gros yeux vitreux, comme si on venait <strong>de</strong> lui<br />

poser une question <strong>de</strong>s plus aberrantes.<br />

"Le fameux clan bien sûr, souffla l'aubergiste. L'Azulnot!"<br />

Le voyageur se tut. Rassurer l'aubergiste à tout prix était la priorité.<br />

Il observa rapi<strong>de</strong>ment ses voisins <strong>de</strong> tab<strong>le</strong>, s'assurant qu'ils regardaient<br />

ail<strong>le</strong>urs.<br />

"Votre protection sera assurée si nécessaire. Votre vie ne sera pas<br />

inuti<strong>le</strong>ment mise en danger, à condition que vous coopériez."<br />

Le ton était pressant. Il sentait que <strong>le</strong>s regards se fixaient <strong>de</strong><br />

nouveau sur lui. L'aubergiste était resté trop longtemps <strong>de</strong>vant lui et cela<br />

<strong>de</strong>vait attirer <strong>le</strong>s soupçons.<br />

"Dans ma cave, chuchota l'aubergiste après avoir longuement hésité. Ils…<br />

ils ont l'ont réquisitionnée pour y mettre quelque chose lorsqu'ils sont<br />

arrivés. Je ne sais pas <strong>de</strong> quoi il s'agit et je n'ai pas <strong>le</strong> droit d'en<br />

approcher. Tout ce que je sais, c'est qu'ils ne comptent rester ici que<br />

quelques heures.<br />

-Quelque chose dans votre cave?<br />

-Oui…<br />

-Hé, <strong>le</strong> maître <strong>de</strong>s lieux!"<br />

L'aubergiste tressaillit. L'homme au tatouage venait <strong>de</strong> l'interpel<strong>le</strong>r<br />

<strong>de</strong> manière assez cavalière, sa chope <strong>le</strong>vée. Discret, <strong>le</strong> voyageur baissa la<br />

tête pour ne pas attirer son attention.<br />

"Je commence à manquer <strong>de</strong> boisson, lança l'autre.<br />

-O… Oui, un instant…"<br />

Le maître <strong>de</strong>s lieux avait répondu sans oser se retourner, figé par<br />

une terreur irrationnel<strong>le</strong>.<br />

"Dépêche-toi, je n'ai pas <strong>de</strong> temps à perdre, insista l'homme tatoué, <strong>de</strong><br />

façon impérieuse."<br />

1


Il se <strong>le</strong>va en faisant tomber sa chaise et fixa la tab<strong>le</strong> <strong>de</strong>vant laquel<strong>le</strong><br />

se tenait l'aubergiste. Tous observaient la même direction, muets.<br />

L'homme tatoué traversa <strong>le</strong>ntement la sal<strong>le</strong> et se posta juste <strong>de</strong>rrière son<br />

interlocuteur.<br />

"Désolé, fit soudain l'aubergiste au voyageur, juste avant <strong>de</strong> s'écarter."<br />

Ce <strong>de</strong>rnier <strong>le</strong>va <strong>le</strong>s yeux, comprenant rapi<strong>de</strong>ment ce qui se tramait.<br />

L'homme tatoué bouscula l'aubergiste sans ménagement et se planta<br />

<strong>de</strong>vant la tab<strong>le</strong>, <strong>le</strong> regard scrutateur.<br />

"Ton travail est fini. Hors <strong>de</strong> ma vue, aboya-t-il à l'aubergiste. C'est cet<br />

énergumène qui m'intéresse."<br />

L'aubergiste ne <strong>de</strong>manda pas son reste et s'éloigna, pour se<br />

retrancher au fond <strong>de</strong> la sal<strong>le</strong>. De toute évi<strong>de</strong>nce, il avait été incité, <strong>de</strong> gré<br />

ou <strong>de</strong> force, à participer à ce qui s'avérait être un piège. L'homme tatoué<br />

et ses compagnons s'attendaient à la venue <strong>de</strong> visiteurs indésirab<strong>le</strong>s.<br />

"Il en faut du cran…, dit l'homme tatoué."<br />

Son regard était plongé dans celui du voyageur.<br />

"Du cran pour quoi? répondit calmement ce <strong>de</strong>rnier.<br />

-Ma foi, je me trompe peut-être en parlant <strong>de</strong> cran… Requérir <strong>de</strong>s<br />

informations d'une importance capita<strong>le</strong> en utilisant ce peureux comme<br />

source, puis venir seul ici relève plus <strong>de</strong> l'inconscience que du courage."<br />

<strong>Les</strong> voisins <strong>de</strong> tab<strong>le</strong> du voyageur gardaient <strong>le</strong>s yeux baissés, ne<br />

<strong>le</strong>vant même pas la tête pour observer l'homme tatoué. D'ail<strong>le</strong>urs, tous<br />

<strong>le</strong>s individus qui ne faisaient pas partie <strong>de</strong> son groupe se tenaient<br />

désormais en retrait, se <strong>de</strong>mandant sans doute dans quel<strong>le</strong> situation<br />

imprévisib<strong>le</strong> ils s'étaient retrouvés malgré eux. L'homme tatoué n'avait<br />

rien d'un diplomate. L'épée accrochée à son flanc et son haubert<br />

indiquaient qu'il était un habitué <strong>de</strong>s champs <strong>de</strong> batail<strong>le</strong>, ce qui n'était pas<br />

légion à Sorgentel, en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> la Milice <strong>de</strong> Juval.<br />

"Qui es-tu? lui <strong>de</strong>manda <strong>le</strong> voyageur.<br />

-Si tu tiens tant à <strong>le</strong> savoir, je suis Downin, répondit l'autre sans cil<strong>le</strong>r. A<br />

moi maintenant <strong>de</strong> poser <strong>le</strong>s questions. Qui es-tu? Un espion du Cénac<strong>le</strong>?<br />

Un membre <strong>de</strong> l'Etoi<strong>le</strong> Alaxand?<br />

-…"<br />

Downin posa <strong>le</strong> pied sur <strong>le</strong> rebord <strong>de</strong> la chaise du voyageur et<br />

s'approcha <strong>de</strong> lui, avec un sourire impu<strong>de</strong>nt :<br />

1


"Je crois que tu ne comprends pas bien ta situation, dit-il, à voix haute<br />

pour que tous enten<strong>de</strong>nt. Quels qu'ils soient, tes maîtres t'ont fait<br />

marcher droit vers notre guet-apens et je suppose qu'ils ne seront que<br />

fort peu contrits par ta disparition éventuel<strong>le</strong>, tant qu'un autre pourra te<br />

remplacer. Inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> te sacrifier pour ceux qui n'accor<strong>de</strong>nt que peu <strong>de</strong><br />

va<strong>le</strong>ur! Il serait dans ton intérêt <strong>de</strong> me dire ce que tu sais, à moins que tu<br />

ne sois disposé à repartir d'ici <strong>le</strong> corps démembré.<br />

-Je n'ai rien à vous dire, je ne travail<strong>le</strong> pour personne d'autre que moi.<br />

-Nous verrons si tu es toujours aussi peu loquace une fois que je t'aurai<br />

passé à tabac, fit Downin en lui découvrant vio<strong>le</strong>mment la tête."<br />

Des bruits <strong>de</strong> stupeur émanèrent alors <strong>de</strong> toute l'auberge. Même<br />

Downin s'immobilisa, <strong>le</strong> regard injecté <strong>de</strong> sang.<br />

Rick émit un soupir las. Il commençait à s'habituer à ce genre <strong>de</strong><br />

réactions <strong>de</strong>puis sa venue à Sorgentel, mais, en l'occurrence, il avait<br />

espéré que son statut d'élu ne serait pas révélé pendant sa mission.<br />

"Découverte intéressante, ricana Downin après avoir dégainé son arme. Je<br />

doute que tu soies un natif <strong>de</strong>s î<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s Nace! Tu es donc un humain,<br />

n'est-ce pas?<br />

-Et?<br />

-Un élu, ça change tout, s'écria l'un <strong>de</strong>s hommes qui accompagnaient<br />

Downin.<br />

-Ca ne change rien, répliqua Downin avec un rictus. Si tu crois qu'un<br />

membre du clan craint ces types uniquement parce qu'ils sont capab<strong>le</strong>s <strong>de</strong><br />

faire quelques sortilèges, tu te trompes. Ils ne va<strong>le</strong>nt pas mieux qu'un bon<br />

Sorgenteli et nous avons, nous aussi, plus d'un tour dans notre sac."<br />

Downin cracha aux pieds <strong>de</strong> Rick. Ce <strong>de</strong>rnier vit alors une partie du<br />

sol se ge<strong>le</strong>r, presque instantanément. Surpris, il <strong>le</strong>va <strong>le</strong>s pieds, afin <strong>de</strong> ne<br />

pas être piégé par la fine couche <strong>de</strong> glace.<br />

Au même instant, l'un <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>ux voisins posa une main en<br />

évi<strong>de</strong>nce sur la tab<strong>le</strong>. Un caractère noir était apposé sur <strong>le</strong> revers <strong>de</strong> cel<strong>le</strong>ci.<br />

"Joli tour en effet, ironisa Rick. J'ai un ami qui fait presque aussi bien que<br />

vous. Bref… Maintenant que vous nous avez fait votre démonstration,<br />

c'est à mon tour <strong>de</strong> poser <strong>de</strong>s questions.<br />

-Qu'est-ce qui te fait croire que je vais changer d'attitu<strong>de</strong> uniquement<br />

parce que tu es un élu? ricana Downin.<br />

-Où est l'orbe du Cénac<strong>le</strong>?"<br />

Rick fut vio<strong>le</strong>mment saisi par <strong>le</strong> col et se trouva nez à nez avec<br />

Downin. Ce <strong>de</strong>rnier pointa la lame <strong>de</strong> son épée sur son front.<br />

"Tu ne vas pas utiliser ton don d'élu pour te défendre? fit-il entre ses<br />

<strong>de</strong>nts.<br />

1


-Mon don ne me servirait pas vraiment dans cette situation… Je répète :<br />

où est l'orbe?<br />

-Un orbe? Quel orbe? répliqua Downin avec un sourire provocateur.<br />

-Celui que vous prévoyez sans doute <strong>de</strong> transporter à Ca<strong>de</strong>ro, maintenant<br />

que la Confrérie vous l'a remis. Après tout, seul <strong>le</strong> régent Hermès serait<br />

susceptib<strong>le</strong> <strong>de</strong> collaborer avec cette organisation et d'engager <strong>de</strong>s<br />

membres du fameux clan d'Azulnot.<br />

-Moi et mes hommes n'avons aucun lien avec ce chien d'Hermès.<br />

-Ce n'est pas parce que vous l'insultez et portez un accoutrement différent<br />

<strong>de</strong> celui <strong>de</strong> sa gar<strong>de</strong> que nous allons croire aux apparences. Vous tentez<br />

juste <strong>de</strong> <strong>le</strong> protéger en niant toute affiliation à son régime, n'est-ce pas?<br />

-…<br />

-Des mercenaires, c'est ce que vous êtes.<br />

-Ton expression me déplaît fortement."<br />

Downin retira la pointe <strong>de</strong> son arme du front <strong>de</strong> Rick, prêt à <strong>le</strong><br />

frapper. A cet instant, <strong>le</strong> rac<strong>le</strong>ment d'une chaise sur <strong>le</strong> carrelage se fit<br />

entendre. Une lame blanche, parcourue d'éclairs, s'interposa entre Rick et<br />

Downin et frappa ce <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong> son plat, sur <strong>le</strong> front. A la fois surpris et<br />

étourdi par cette intervention inattendue, Downin tituba en arrière.<br />

"Shui, tu sais que j'étais sur <strong>le</strong> point <strong>de</strong> <strong>le</strong> désarmer, fit remarquer Rick<br />

sans quitter Downin <strong>de</strong>s yeux."<br />

Shui-Khan, resté assis jusque là, s'était mis <strong>de</strong>bout, tenant<br />

fermement la poignée <strong>de</strong> son épée. Il se découvrit la tête, à la gran<strong>de</strong><br />

stupeur <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> Downin, puis se gratta passivement <strong>le</strong> nez. Le<br />

caractère chinois inscrit sur sa main droite était plus intense que jamais.<br />

"Tu aurais pu rater ton coup et te faire décapiter inuti<strong>le</strong>ment, déplora<br />

Shui. Ca aurait fait beaucoup <strong>de</strong> sang.<br />

-Ton amitié me réjouit… mais la prochaine fois que tu me vo<strong>le</strong>s la ve<strong>de</strong>tte<br />

en public, je confisque ton arme.<br />

-Essaie donc, grand dadais, riposta l'ado<strong>le</strong>scent.<br />

-Grand dadais? répéta Rick."<br />

Shui marqua un mouvement <strong>de</strong> recul, livi<strong>de</strong>.<br />

"Euh… pardon, s'excusa-t-il, apeuré.<br />

-Il prend quelques centimètres, a <strong>de</strong>ux poils au menton et déci<strong>de</strong> donc<br />

qu'il peut manquer <strong>de</strong> respect à ses aînés, soupira Rick. La puberté…"<br />

Downin observait <strong>le</strong>ur conversation, sidéré. A cet instant, <strong>le</strong><br />

<strong>de</strong>uxième voisin <strong>de</strong> tab<strong>le</strong> se <strong>le</strong>va, faisant <strong>de</strong> grands gestes pour se<br />

dépêtrer <strong>de</strong> sa toge et <strong>de</strong> sa capuche.<br />

"Comment enlève-t-on cette sa<strong>le</strong>té, gémit une voix féminine."<br />

1


Au grand dam <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> Downin, <strong>le</strong> retrait <strong>de</strong> l'amp<strong>le</strong> tenue<br />

en tissu révéla une femme aux formes avantageuses mais à l'apparence<br />

particulière. Une petite chemise verte au décol<strong>le</strong>té plongeant, un pantalon<br />

<strong>de</strong> même cou<strong>le</strong>ur et <strong>de</strong>s sanda<strong>le</strong>s rouge vif constituaient son<br />

accoutrement. Par ail<strong>le</strong>urs, un épais turban bariolé recouvrait en partie sa<br />

longue chevelure éminemment verte. Enfin, une étoi<strong>le</strong> argentée était<br />

tatouée en haut <strong>de</strong> sa poitrine.<br />

"C'EST GLENDA!!! hurla l'un <strong>de</strong>s occupants <strong>de</strong> l'auberge, terrorisé.<br />

-Quoi? G<strong>le</strong>nda la Barrée!? La dirigeante <strong>de</strong> l'Etoi<strong>le</strong> Alaxand?<br />

-La fol<strong>le</strong>?<br />

-C'est la femme qui contrô<strong>le</strong> Port Sullivan et toutes <strong>le</strong>s voies maritimes<br />

environnantes!"<br />

Un mouvement <strong>de</strong> panique traversa la pièce, touchant tous ses<br />

occupants excepté Downin. La réputation <strong>de</strong> la femme la plus mal lunée<br />

du territoire l'avait précédée.<br />

A peine échaudée par cet accueil, G<strong>le</strong>nda se tourna vers Rick, <strong>le</strong>s<br />

sourcils légèrement froncés. El<strong>le</strong> s'adressa à lui <strong>de</strong> manière casuel<strong>le</strong> :<br />

"Alors Maître Rick, ces gars seraient <strong>le</strong>s complices <strong>de</strong> la Confrérie?<br />

-A n'en point douter."<br />

G<strong>le</strong>nda plaça son in<strong>de</strong>x sur ses lèvres, un sourire malsain plaqué sur<br />

<strong>le</strong> visage. El<strong>le</strong> semblait irradier d'un bonheur maléfique.<br />

"N'en dis pas plus. Mon désir <strong>de</strong> vengeance transcen<strong>de</strong> tout explication<br />

rationnel<strong>le</strong>."<br />

El<strong>le</strong> émit alors un rire à glacer <strong>le</strong> sang <strong>de</strong> l'homme <strong>le</strong> plus aguerri.<br />

"Alors… l'indomptab<strong>le</strong> G<strong>le</strong>nda s'est associée au Cénac<strong>le</strong> et aux élus, fit<br />

Downin qui avait repris ses esprits. Je n'aurais jamais cru vivre assez<br />

longtemps pour voir une chose pareil<strong>le</strong>.<br />

-Tout comme je n'aurais jamais imaginé que l'honorab<strong>le</strong> Clan d'Azulnot<br />

n'aurait jamais daigné ne pas vouloir occulter d'ignorer la requête d'un<br />

re<strong>le</strong>nt tel qu'Hermès.<br />

-…<br />

-Euh…, fit Rick.<br />

-T'es vraiment cinglée! Ta phrase ne veut rien dire, dit Shui-Khan d'une<br />

voix cinglante.<br />

-Au contraire, el<strong>le</strong> prend tout son sens… <strong>de</strong> mon point <strong>de</strong> vue."<br />

Downin se saisit <strong>de</strong> son épée à <strong>de</strong>ux mains, proférant <strong>de</strong>s jurons<br />

dans sa barbe. C'est alors que G<strong>le</strong>nda sortit une dague <strong>de</strong> son décol<strong>le</strong>té et<br />

la projeta vers lui, à une vitesse impressionnante. Rick jura que Downin<br />

venait <strong>de</strong> vivre sa <strong>de</strong>rnière heure.<br />

1


Hors, tout aussi prompt, Downin ouvrit la paume <strong>de</strong> sa main <strong>de</strong>vant<br />

sa bouche et souffla une volute <strong>de</strong> fumée blanche, au moment où l'arme<br />

allait <strong>le</strong> frapper. Cel<strong>le</strong>-ci ra<strong>le</strong>ntit net, congelée, et tomba en cliquetant. La<br />

volute se dissipa presque aussitôt.<br />

"Hum…, fit G<strong>le</strong>nda, intriguée."<br />

Downin eut un rire suffisant. Ses yeux avaient pris une mystérieuse<br />

teinte grisâtre, l'espace <strong>de</strong> quelques secon<strong>de</strong>s.<br />

"Je suis toujours aussi impressionnée lorsqu'un membre du clan effectue<br />

ce genre <strong>de</strong> tours, déclara G<strong>le</strong>nda."<br />

Plusieurs hommes <strong>de</strong> Downin l'encerclèrent, ainsi que Rick et Shui.<br />

Ce <strong>de</strong>rnier était tenu en respect par quatre individus armés jusqu'aux<br />

<strong>de</strong>nts. Il fit mine <strong>de</strong> vouloir se défendre mais Rick parvint à l'en dissua<strong>de</strong>r,<br />

du regard.<br />

"La Barrée et <strong>de</strong>ux élus… et alors? maugréa Downin. Nous avons la<br />

supériorité numérique et la maîtrise <strong>de</strong>s lieux. Posez gentiment vos armes<br />

avant que ma patience n'atteigne ses limites.<br />

-La maîtrise <strong>de</strong>s lieux? ricana G<strong>le</strong>nda. Ne me fais pas rire. Otis! Roze! Le<br />

Rapace!"<br />

En un court instant, trois individus, qui s'étaient manifestement<br />

fondus dans la masse, en émergèrent, dégainant, l'un une francisque, <strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux autres <strong>de</strong>s arbalètes. <strong>Les</strong> sbires <strong>de</strong> G<strong>le</strong>nda s'étaient placés<br />

stratégiquement, à trois <strong>de</strong>s coins <strong>de</strong> la sal<strong>le</strong>. Déconfit, Downin ne bougea<br />

pas.<br />

"J'interdis à mes hommes <strong>de</strong> se teindre <strong>le</strong>s cheveux, précisément pour<br />

qu'ils puissent passer inaperçus, murmura G<strong>le</strong>nda en opinant <strong>de</strong> la tête.<br />

S'il y a ici quelqu'un qui maîtrise <strong>le</strong>s lieux, c'est bien moi."<br />

Ce faisant, el<strong>le</strong> fouilla dans une besace qu'el<strong>le</strong> avait laissée près <strong>de</strong><br />

sa chaise et y récupéra une étrange tige marron, assez épaisse et<br />

prolongée par une mèche. Rick avala sa salive, voyant qu'el<strong>le</strong> l'approchait<br />

<strong>de</strong> la flamme d'une bougie située sur la tab<strong>le</strong>.<br />

"G<strong>le</strong>nda, tu ne vas pas faire exploser cette chose, rassure-moi? s'inquiétat-il.<br />

-Bien sûr que si! Leur complice a saccagé mon repaire, je compte en faire<br />

<strong>de</strong> même.<br />

-Mai… Maîtresse, s'écria <strong>le</strong> subordonné nommé Otis, un gigantesque<br />

homme noir au crâne chauve et à la moustache droite. Par pitié, atten<strong>de</strong>z<br />

que nous soyons sortis avant!<br />

-Ce ne serait pas drô<strong>le</strong> ainsi, assura G<strong>le</strong>nda en allumant son explosif."<br />

1


Au grand effarement <strong>de</strong> tous, el<strong>le</strong> brandit la tige allumée au-<strong>de</strong>ssus<br />

<strong>de</strong> sa tête. Le visage <strong>de</strong> l'aubergiste, recroquevillé au fond <strong>de</strong> la sal<strong>le</strong>,<br />

perdit alors toute cou<strong>le</strong>ur.<br />

"Que tous ceux qui sont étrangers à cette histoire prennent <strong>le</strong>urs jambes à<br />

<strong>le</strong>urs cous, pendant qu'il en est encore temps, lança-t-el<strong>le</strong>, juste avant <strong>de</strong><br />

propulser l'explosif vers <strong>le</strong> plafond."<br />

L'auberge résonna <strong>de</strong>s cris affolés <strong>de</strong> tous ceux qui s'y trouvaient,<br />

chacun tentant <strong>de</strong> rallier la sortie. Rick et Shui échangèrent un bref<br />

regard, puis se réfugièrent sous la première tab<strong>le</strong> qu'ils trouvèrent. Ils<br />

virent alors l'explosif retomber au sol et rou<strong>le</strong>r quelques centimètres.<br />

"Bouche toi <strong>le</strong>s oreil<strong>le</strong>s, conseilla Rick."<br />

Shui proféra un flot <strong>de</strong> jurons mais obtempéra, juste au moment où<br />

une vio<strong>le</strong>nte détonation se faisait entendre. Une lumière aveuglante<br />

illumina l'auberge et <strong>le</strong> sol trembla, obligeant Rick à s'accrocher à l'un <strong>de</strong>s<br />

pieds <strong>de</strong> la tab<strong>le</strong>. Après quelques secon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> chaos, il rouvrit <strong>le</strong>s yeux,<br />

pour constater qu'il était nez à nez avec une G<strong>le</strong>nda souriante.<br />

"Ah, s'écria-t-il surpris.<br />

-Juste une petite bombe, révéla-t-el<strong>le</strong> d'un air moqueur. Profitons-en pour<br />

capturer <strong>le</strong>ur chef."<br />

El<strong>le</strong> sortit <strong>de</strong> sous la tab<strong>le</strong>, aussitôt suivie par <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux élus. La sal<strong>le</strong><br />

était emplie d'une fumée épaisse, mais <strong>de</strong>s bruits d'entrechocs indiquaient<br />

que <strong>le</strong>s subordonnés <strong>de</strong> G<strong>le</strong>nda étaient entrés en action.<br />

"Cette fois-ci, tu ne me retiendras pas Rick, jubila Shui, arme à la main."<br />

Il disparut du champ <strong>de</strong> vision <strong>de</strong> Rick, à la suite <strong>de</strong> G<strong>le</strong>nda. Rick ne<br />

put alors s'empêcher <strong>de</strong> sourire.<br />

"Si tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> se bat…, dit-il pour lui-même."<br />

Deux hommes <strong>de</strong> Downin se dirigeaient vers lui, prêts à en découdre<br />

à mains nues. Agi<strong>le</strong>ment, il sauta pour s'accrocher à une poutrel<strong>le</strong><br />

suré<strong>le</strong>vée, se balança d'avant en arrière, puis <strong>le</strong>s éjecta à travers une<br />

fenêtre. Dans <strong>le</strong>ur chute, ils entraînèrent <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs comparses qui<br />

luttaient, malgré eux, l'un contre l'autre, sans se reconnaître.<br />

Rick effectua une pirouette pour se poster sur la poutrel<strong>le</strong> et scruta<br />

la sal<strong>le</strong> du regard pour tenter <strong>de</strong> se repérer. On n'y voyait pas à <strong>de</strong>ux<br />

mètres à la ron<strong>de</strong>. Seuls <strong>de</strong>s éclairs et <strong>de</strong>s cris lui donnaient une<br />

indication sur la localisation <strong>de</strong> G<strong>le</strong>nda et Shui.<br />

"Descends <strong>de</strong> là espèce <strong>de</strong> lâche, hurla l'un <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> Downin.<br />

-J'arrive, fit Rick après avoir retroussé ses manches."<br />

1


Il atterrit <strong>de</strong>vant <strong>de</strong>ux combattants dotés d'épées aiguisées. A peine<br />

eut-il touché <strong>le</strong> sol qu'il se laissa tomber en arrière, afin d'esquiver <strong>le</strong>urs<br />

attaques.<br />

"Vous êtes bien trop <strong>le</strong>nts <strong>le</strong>s gars, <strong>le</strong>s nargua-t-il en se réceptionnant sur<br />

sa main."<br />

D'un coup <strong>de</strong> pied, il <strong>le</strong>s projeta à terre, se rétablit d'un bond, puis<br />

partit récupérer une tring<strong>le</strong> à ri<strong>de</strong>aux gisant au sol. Cel<strong>le</strong>-ci était tombée<br />

lorsqu'il avait expulsé <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ses adversaires par la fenêtre, une minute<br />

plus tôt. "On va faire avec", pensa-t-il en la faisant tournoyer dans sa<br />

main droite.<br />

Equipé <strong>de</strong> son arme <strong>de</strong> fortune, Rick se fraya un chemin à travers<br />

l'auberge, mettant hors d'état <strong>de</strong> nuire tous ceux qui se dressaient sur son<br />

chemin. Il escalada <strong>le</strong>s tab<strong>le</strong>s, enjamba <strong>le</strong>s corps inertes et baissa la tête<br />

quand cela s'avérait nécessaire, afin <strong>de</strong> répliquer aux assauts qui lui<br />

étaient portés. L'atmosphère était suffocante, en raison <strong>de</strong> l'épaisse fumée<br />

issue <strong>de</strong> l'explosion. Il fallait se couvrir la bouche et <strong>le</strong> nez pour ne pas<br />

l'inha<strong>le</strong>r et cracher ses poumons, tout en se prémunissant contre <strong>de</strong>s<br />

attaques invisib<strong>le</strong>s.<br />

Malgré tout, il parvint à l'endroit où G<strong>le</strong>nda et Shui affrontaient<br />

Downin, en <strong>de</strong>ux contre un. Du moins, c'est l'impression qu'il eut, juste<br />

avant <strong>de</strong> réaliser que <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux premiers se battaient l'un contre l'autre,<br />

pour déterminer qui aurait <strong>le</strong> droit d'assaillir <strong>le</strong> troisième.<br />

"J'hallucine… <strong>Les</strong> crétins!"<br />

<strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux "crétins" se donnaient volontairement <strong>de</strong>s coups d'épau<strong>le</strong>,<br />

tout en parant <strong>le</strong>s vio<strong>le</strong>nts assauts <strong>de</strong> Downin. Ce <strong>de</strong>rnier finit par <strong>le</strong>s<br />

mettre d'accord. Après avoir déséquilibré G<strong>le</strong>nda d'un coup du plat <strong>de</strong><br />

l'épée asséné avec force, il plaça la paume <strong>de</strong> sa main sous ses lèvres et<br />

souffla une nouvel<strong>le</strong> volute <strong>de</strong> fumée blanche. La femme poussa alors un<br />

cri stri<strong>de</strong>nt. Son bras venait d'être en partie gelé.<br />

"Occupe-toi d'el<strong>le</strong>, je vais <strong>le</strong> finir, lança Shui par-<strong>de</strong>ssus son épau<strong>le</strong>.<br />

-Prends gar<strong>de</strong> à ses attaques, conseilla Rick en se ruant vers G<strong>le</strong>nda."<br />

Il plaça sa main au-<strong>de</strong>ssus du bras <strong>de</strong> G<strong>le</strong>nda et entreprit <strong>de</strong> la<br />

soigner, grâce à son don. Un halo <strong>de</strong> lumière verte se créa alors à ses<br />

pieds, tandis que <strong>le</strong> bras récupérait progressivement sa physionomie<br />

initia<strong>le</strong>. Impressionnée, G<strong>le</strong>nda ne manqua pas d'y trouver un intérêt<br />

potentiel, malgré la dou<strong>le</strong>ur :<br />

"Une tel<strong>le</strong> capacité serait très uti<strong>le</strong> à l'Etoi<strong>le</strong> d'Alaxand. Tu ne voudrais pas<br />

intégrer notre organisation? proposa-t-el<strong>le</strong> en grimaçant.<br />

-Non, merci. Je compte bien retourner parmi <strong>le</strong>s miens une fois ma<br />

mission achevée.<br />

1


-Je pourrais te gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> force.<br />

-Tu pourrais essayer, oui…"<br />

Un cri attira son attention. Shui venait <strong>de</strong> mettre son adversaire à<br />

terre après l'avoir désarmé et s'apprêtait à en finir. Mais, contre toute<br />

attente, Downin eut <strong>de</strong> nouveau recours à son souff<strong>le</strong> glacial.<br />

"Attention Shui!"<br />

Rick l'avertit trop tard. <strong>Les</strong> pieds <strong>de</strong> l'ado<strong>le</strong>scent étaient soli<strong>de</strong>ment<br />

fixés au sol par un carcan <strong>de</strong> glace qui l'empêchait d'effectuer <strong>le</strong> moindre<br />

mouvement. Irrité, il asséna <strong>de</strong>s coups d'épée sur sa prison pour tenter <strong>de</strong><br />

se libérer, en vain. Sa rage ne parvint pas à entamer la glace.<br />

Downin profita <strong>de</strong> ce moment <strong>de</strong> répit pour se remettre <strong>de</strong>bout et<br />

récupérer son épée. Il s'approcha <strong>de</strong> Shui, <strong>le</strong> regard menaçant. Paniqué,<br />

Rick cessa la guérison <strong>de</strong> G<strong>le</strong>nda pour se porter au secours <strong>de</strong> son ami.<br />

"Pas un pas <strong>de</strong> plus!"<br />

Une lame placée sous sa gorge <strong>le</strong> dissuada d'avancer. <strong>Les</strong> hommes<br />

<strong>de</strong> Downin avaient fina<strong>le</strong>ment pris l'avantage et s'étaient groupés autour<br />

d'eux. Quant aux membres <strong>de</strong> l'Etoi<strong>le</strong> d'Alaxand, ils avaient été désarmés.<br />

L'un d'entre eux avait d'ail<strong>le</strong>urs une entail<strong>le</strong> profon<strong>de</strong> à la jambe droite.<br />

"Alors, vous ne payez plus beaucoup <strong>de</strong> mine, n'est-ce pas? triompha<br />

Downin, malgré son visage tuméfié."<br />

Rick se tourna vainement vers G<strong>le</strong>nda, laquel<strong>le</strong> était toujours inapte<br />

au combat à cause <strong>de</strong> son bras. La situation s'était renversée <strong>de</strong> manière<br />

tota<strong>le</strong>ment imprévisib<strong>le</strong>, en <strong>le</strong>ur défaveur. Downin arbora une mine<br />

victorieuse, comme s'il avait défait Goliath lui-même. Il récupéra son arme<br />

et se dirigea vers Shui, <strong>de</strong>meurant à une distance raisonnab<strong>le</strong> afin <strong>de</strong> ne<br />

pas être à portée <strong>de</strong> l'épée <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier.<br />

"Qu'est-ce que vous faites? Dépêchez-vous, siffla Rick entre ses <strong>de</strong>nts,<br />

alors qu'on maintenait fermement la lame d'une dague contre sa gorge.<br />

-A quel<strong>le</strong> divinité t'adresse-tu? <strong>le</strong> tança Downin. Je croyais que vous aviez<br />

été é<strong>le</strong>vées au rang <strong>de</strong> dieux par <strong>le</strong>s imbéci<strong>le</strong>s du Cénac<strong>le</strong>.<br />

-Tu dois te sentir particulièrement dévalorisé pour être si amer, lui dit<br />

Shui d'une voix vipérine."<br />

Downin s'avança rapi<strong>de</strong>ment vers lui et lui asséna un vio<strong>le</strong>nt coup<br />

<strong>de</strong> poing dans <strong>le</strong> ventre. Sous l'impact, il se mit à hoqueter et son corps<br />

ploya. Rick serra <strong>le</strong>s poings. Si <strong>le</strong>s choses ne se passaient pas comme<br />

prévu, il serait obligé d'avoir recours au tabou.<br />

1


"As-tu fini <strong>de</strong> cracher ton venin? J'aimerais que tu me donnes une excuse<br />

pour te frapper encore une fois, fit Downin en re<strong>le</strong>vant <strong>le</strong> menton <strong>de</strong><br />

Shui."<br />

Il <strong>le</strong> désarma d'un coup <strong>de</strong> pied. Malgré cela, Shui lui sourit avec<br />

brava<strong>de</strong>.<br />

"Pourquoi un dieu, même contesté, <strong>de</strong>vrait-il répondre aux paro<strong>le</strong>s<br />

insignifiantes d'un immon<strong>de</strong> ver <strong>de</strong> terre comme toi?<br />

-…<br />

-Continue à frapper si tu <strong>le</strong> souhaites, inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> chercher <strong>de</strong>s excuses…<br />

surtout que tu n'as pas plus <strong>de</strong> force qu'une fil<strong>le</strong>tte."<br />

Downin <strong>le</strong> frappa <strong>de</strong> nouveau. Il enchaîna sur un crochet du droit<br />

dans la mâchoire, puis lui attrapa plusieurs mèches <strong>de</strong> cheveux pour <strong>le</strong><br />

maintenir <strong>de</strong>bout. L'ado<strong>le</strong>scent n'avait fait qu'attiser sa colère.<br />

"Ferme-la Shui, cria Rick. Tu n…"<br />

Il s'interrompit, abasourdi par la subite apparition d'un individu<br />

asiatique aux cheveux mi-longs, drapé dans une longue cape noire. Sans<br />

crier gare, il s'était matérialisé juste à côté <strong>de</strong> Downin, à l'insu <strong>de</strong> ce<br />

<strong>de</strong>rnier.<br />

"Asuka, souffla Rick, soulagé."<br />

A<strong>le</strong>rtés par <strong>le</strong>s cris <strong>de</strong> stupeur <strong>de</strong> ses hommes, Downin cessa <strong>de</strong><br />

passer Shui à tabac et se retourna pour en connaître la source. Il fut<br />

accueilli par un coup <strong>de</strong> genou dans <strong>le</strong> visage.<br />

"On a <strong>de</strong>mandé un dieu ici? <strong>de</strong>manda Asuka avec un clin d'œil.<br />

-Pas trop tôt, répliqua Rick."<br />

Assommé par <strong>le</strong> coup <strong>de</strong> l'élu, Downin s'était définitivement<br />

effondré, <strong>le</strong> visage en sang. Après avoir brièvement convulsé, il perdit<br />

conscience. A cet instant, <strong>le</strong>s vitres <strong>de</strong> l'auberge explosèrent subitement<br />

et la porte d'entrée fut sortie <strong>de</strong> ses gonds. Un flot <strong>de</strong> soldats en tenue<br />

argentée déferla à l'intérieur, mené par Omar, l'un <strong>de</strong>s membres du<br />

Cénac<strong>le</strong> et Chef <strong>de</strong> la Milice <strong>de</strong> Juval. Déroutés par cette intervention<br />

bruta<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s sbires <strong>de</strong> Downin tentèrent <strong>de</strong> battre en retrait. Leur fuite fut<br />

vaine, l'auberge ayant été complètement encerclée.<br />

"Mettez tous ces individus aux arrêts et fouil<strong>le</strong>z cet endroit <strong>de</strong> fond en<br />

comb<strong>le</strong>, ordonna Omar d'une voix tonitruante. Si l'orbe est ici, nous<br />

<strong>de</strong>vons <strong>le</strong> récupérer!"<br />

1


Sa tail<strong>le</strong> démesurée et son épée <strong>de</strong> même envergure avaient<br />

convaincu <strong>le</strong>s dits individus. Ils abandonnèrent <strong>le</strong>urs armes et se mirent<br />

doci<strong>le</strong>ment à genoux, sous <strong>le</strong>s rires <strong>de</strong> G<strong>le</strong>nda.<br />

"Désolé pour <strong>le</strong> retard, s'excusa Omar en fixant Rick, puis Shui. Votre<br />

camara<strong>de</strong> ici présent a mis plus <strong>de</strong> temps que prévu à nous amener tous<br />

jusqu'aux abords <strong>de</strong> cet endroit et nous ne pouvions pas décemment<br />

apparaître ici.<br />

-Vous avez fait <strong>de</strong> votre mieux, supposa Rick. L'essentiel est que vous<br />

soyez fina<strong>le</strong>ment là.<br />

-Il m'arrive rarement <strong>de</strong> transporter une cinquantaine <strong>de</strong> soldats avec<br />

moi, protesta Asuka, dont <strong>le</strong> front était marqué d'une épaisse ligne rouge<br />

et ondulée. Ca nécessitait un minimum <strong>de</strong> temps <strong>de</strong> concentration! Dis-lui<br />

Rick."<br />

Rick jeta un œil par ce qu'il restait <strong>de</strong> fenêtre. Un gigantesque<br />

oiseau <strong>de</strong> feu flottait se tenait à plusieurs mètres du sol, déployant ses<br />

gran<strong>de</strong>s ai<strong>le</strong>s <strong>de</strong> manière statique.<br />

"Bien joué Asu.<br />

-Tu peux <strong>le</strong> dire, jubila Asuka en <strong>le</strong>vant <strong>le</strong> pouce.<br />

-Arrête <strong>de</strong> crier idiot… Tu me donnes mal à la tête, rouspéta Shui."<br />

Sa tête do<strong>de</strong>lina quelque peu, puis il tomba à la renverse. Asuka se<br />

téléporta <strong>de</strong>rrière lui in extremis pour <strong>le</strong> rattraper. Le jeune garçon avait<br />

perdu connaissance à son tour. Il était amoché mais il s'en sortirait.<br />

"Avec ses pieds bloqués dans la glace, sa chute lui aurait sans doute brisé<br />

<strong>le</strong>s chevil<strong>le</strong>s, soupira Asuka.<br />

-Ses chevil<strong>le</strong>s sont trop enflées pour se rompre si faci<strong>le</strong>ment, ironisa<br />

Omar. Par contre, son ego risque d'en prendre un coup."<br />

<strong>Les</strong> soldats étaient en train <strong>de</strong> faire sortir <strong>le</strong>s hommes <strong>de</strong> Downin un<br />

par un, tout en essayant <strong>de</strong> calmer l'aubergiste. Retranché sous <strong>le</strong>s débris<br />

d'une tab<strong>le</strong>, l'homme hurlait hystériquement, évoquant sa "pauvre<br />

auberge" et <strong>le</strong>s frais prohibitifs qu'allait entraîner sa réparation.<br />

"Que ce vieux fou se calme, nous <strong>le</strong> dédommagerons pour sa perte,<br />

rumina Omar. Vous auriez pu y mettre un peu <strong>le</strong>s formes, reprocha-t-il<br />

ensuite à G<strong>le</strong>nda.<br />

-Hé, je n'avais pas dit que j'adopterais vos métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> faiblards,<br />

répliqua G<strong>le</strong>nda en haussant <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s. De plus, il fallait bien une<br />

"petite" explosion pour atténuer <strong>le</strong>s ar<strong>de</strong>urs du Sieur Azulnot! Rick, finis<br />

<strong>de</strong> me soigner! Mon bras refroidit!<br />

-Je m'occupe <strong>de</strong> Shui d'abord. Il faut dége<strong>le</strong>r ses jambes avant qu'el<strong>le</strong>s<br />

ne… cassent. Ton bras est quasiment guéri."<br />

1


Il enjamba <strong>le</strong> corps immobi<strong>le</strong> <strong>de</strong> Downin et se mit à l'ouvrage, aidé<br />

par Asuka qui maintenait Shui en position <strong>de</strong>bout. Derrière eux, Omar<br />

observait <strong>le</strong> membre du Clan d'Azulnot avec perp<strong>le</strong>xité. Il se gratta<br />

longuement la barbe, puis se pencha pour <strong>le</strong> sou<strong>le</strong>ver par <strong>le</strong> col, sans<br />

ménagement. L'autre ne se réveilla pas.<br />

"Si ces gens s'acoquinent avec la Confrérie et Hermès, nos soucis ne font<br />

que commencer…<br />

-Chef, il n'y a rien d'autre qu'un coffre vi<strong>de</strong> ici, intervint un soldat, l'air<br />

dépité. Aucune trace <strong>de</strong> l'orbe."<br />

Omar laissa tomber Downin, yeux écarquillés.<br />

"En es-tu certain?<br />

-Nous avons fouillé toutes <strong>le</strong>s pièces <strong>de</strong> l'auberge et <strong>le</strong>s hommes qui s'y<br />

trouvaient, chef, affirma <strong>le</strong> soldat. Le coffre qu'ils se sont évertués à<br />

escorter jusqu'ici était rempli <strong>de</strong> pierres.<br />

-Et mer<strong>de</strong>, laissa échapper Rick, frustré. Tout ça pour ça…"<br />

Asuka jura à son tour.<br />

"J'avais craint une tel<strong>le</strong> félonie, avoua Omar. Nous avons été dupés ;<br />

l'orbe n'a jamais été ici."<br />

***<br />

Ivre <strong>de</strong> rage, Shui traîna lui-même Downin à travers <strong>le</strong> bivouac,<br />

malgré <strong>le</strong>s exhortations <strong>de</strong> Rick et Omar. Sur <strong>le</strong>ur passage, <strong>le</strong>s soldats<br />

postés <strong>de</strong>vant <strong>le</strong>s tentes contemplaient la scène avec amusement ou<br />

horreur, selon <strong>le</strong>s cas. Tous s'étaient habitués aux crises <strong>de</strong> colère du<br />

garçon.<br />

"Lâche-moi ordure! Lâche-moi, hurlait Downin en se débattant<br />

frénétiquement. Si tu ne me libères je vais…<br />

-Souff<strong>le</strong>-moi <strong>de</strong>ssus, ricana Shui avec hystérie. Je t'amocherai<br />

suffisamment pour que Rick ne puisse pas te remettre en état cette foisci."<br />

<strong>Les</strong> invectives <strong>de</strong> Downin envahirent <strong>le</strong> ciel nocturne.<br />

"Maudits soyez-vous, tous autant que vous êtes! Il finira par avoir votre<br />

peau et rétablir l'ordre!"<br />

Rick <strong>le</strong>s suivait <strong>de</strong> près, avec Asuka, Omar et G<strong>le</strong>nda. Ils<br />

traversaient <strong>le</strong> grand campement qu'avait établi la Milice <strong>de</strong> Juval, à<br />

quelques centaines <strong>de</strong> mètres <strong>de</strong> l'auberge. Plusieurs rangées <strong>de</strong> tentes<br />

étaient alignées, faib<strong>le</strong>ment éclairées par quelques torches régulièrement<br />

enfoncées dans <strong>le</strong> sol. Un brouhaha général, créé par <strong>le</strong>s discussions <strong>de</strong>s<br />

1


soldats envahissait <strong>le</strong>s lieux. Nul doute qu'ils commentaient l'échec <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur<br />

mission. Sur la foi d'une information fournie par <strong>le</strong> propriétaire du<br />

mo<strong>de</strong>ste établissement, la Milice avait mobilisé une partie <strong>de</strong> ses hommes<br />

et requis l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>s élus. Il s'agissait d'intercepter l'escorte présumée <strong>de</strong><br />

l'orbe avant qu'el<strong>le</strong> ne parvienne à Ca<strong>de</strong>ro. Toutefois, malgré <strong>le</strong>s efforts <strong>de</strong><br />

tous, la tentative s'était avérée vaine. Du point <strong>de</strong> vue d'Omar, <strong>de</strong> fausses<br />

rumeurs avaient été volontairement répandues, afin que l'attention <strong>de</strong> la<br />

Milice soit détournée. L'orbe avait dû emprunter un autre chemin, avec<br />

une escorte plus rapi<strong>de</strong> et discrète. Downin et ses hommes avaient fait<br />

office <strong>de</strong> <strong>le</strong>urre ; un <strong>le</strong>urre voyant et suffisamment bruyant pour attirer<br />

l'attention.<br />

"Là-<strong>de</strong>dans, fit Shui en jetant Downin <strong>de</strong>vant la gran<strong>de</strong> tente d'Omar."<br />

Le membre du clan d'Azulnot était couvert <strong>de</strong> boue, après avoir été<br />

traîné dans une terre humi<strong>de</strong> sur plusieurs dizaines <strong>de</strong> mètres. Malgré<br />

tout, il <strong>le</strong>s défia tous du regard et refusa <strong>de</strong> faire <strong>le</strong> moindre mouvement<br />

en direction <strong>de</strong> la tente.<br />

"Je m'occupe <strong>de</strong> lui, écarte toi, intima Omar à Shui."<br />

Il mit l'ado<strong>le</strong>scent hors <strong>de</strong> son chemin et se tint <strong>de</strong>vant Downin, <strong>le</strong><br />

dominant <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>ux mètres <strong>de</strong> haut. Shui fronça <strong>le</strong>s sourcils mais se tut.<br />

"Dis-nous tout ce que tu sais si tu tiens à notre clémence, dit Omar. Nous<br />

avons <strong>de</strong> l'estime pour l'Azulnot et connaissons son histoire. De plus, tu<br />

n'es sans doute qu'un simp<strong>le</strong> exécutant qui se conforme aux ordres qui lui<br />

ont été donnés. Ton châtiment ne sera pas excessif, à condition que tu<br />

coopères."<br />

Downin était adossé à la toi<strong>le</strong> <strong>de</strong> la tente, <strong>le</strong> regard dans <strong>le</strong> vague.<br />

Soudain, il laissa échapper un long rire.<br />

"Aimerais-tu nous faire partager ton euphorie? tonna Omar, offensé. Tu<br />

n'es plus vraiment en situation <strong>de</strong> nous provoquer!<br />

-Ma foi… Si c'est la <strong>de</strong>rnière chose que j'ai l'opportunité <strong>de</strong> faire, autant en<br />

profiter. Vous êtes si faci<strong>le</strong>s à manipu<strong>le</strong>r.<br />

-Selon qui? Le Régent Hermès."<br />

Downin haussa <strong>le</strong>s sourcils, comme si ce nom ne lui rappelait rien.<br />

"Hermès? Je ne connais pas cet homme! Je n'ai rien à voir avec lui.<br />

-Cesse <strong>de</strong> te moquer <strong>de</strong> nous! Tout porte à croire que tu collabores avec<br />

la Confrérie! Or, <strong>le</strong>s membres <strong>de</strong> la Confrérie ont été vu à Ca<strong>de</strong>ro juste<br />

avant l'échec <strong>de</strong> la Concrétisation et tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> est prêt à attester <strong>de</strong>s<br />

liens <strong>de</strong> cette organisation avec Hermès!<br />

-Sans compter que ce vicieux <strong>de</strong> Hermès ne jure que par la disparition du<br />

Cénac<strong>le</strong>, fit remarquer G<strong>le</strong>nda avec un rire.<br />

1


-Dis nous où se trouve l'orbe, ou reconnais au moins ton lien avec Hermès<br />

et la Confrérie, fit Omar en haussant <strong>le</strong> ton."<br />

Downin affichait une expression neutre. Sans <strong>le</strong> connaître, Rick<br />

<strong>de</strong>vina qu'il faisait partie <strong>de</strong> ces hommes qui ne se pliaient même pas à la<br />

torture, si cela risquait <strong>de</strong> compromettre sa mission. Son arrogance <strong>le</strong><br />

prouvait. Il n'avait rien à perdre.<br />

"Ce que vous souhaitez en fait, c'est une preuve qui vous permette<br />

d'accuser officiel<strong>le</strong>ment Hermès, déclara-t-il soudain. Sans cela, vous êtes<br />

contraint <strong>de</strong> tolérer la présence <strong>de</strong> son représentant au Cénac<strong>le</strong> et ne<br />

pouvez pas envisager la moindre mesure contre lui…<br />

-…<br />

-Vous êtes tel<strong>le</strong>ment imbibés <strong>de</strong> votre bienséance que vous ne réalisez<br />

pas ce que vous risquez <strong>de</strong> perdre, à plus ou moins court terme. L'histoire<br />

du Clan d'Azulnot <strong>de</strong>vrait vous l'avoir enseigné : avoir recours à trop <strong>de</strong><br />

formalisme n'est pas toujours adapté."<br />

Il eut un sourire mesquin.<br />

"Je peux jurer, sur mon symbo<strong>le</strong>, que vous n'oublierez jamais mes paro<strong>le</strong>s<br />

; car l'existence <strong>de</strong> Sorgentel, tel<strong>le</strong> que vous l'avez connue jusqu'à<br />

présent, ne sera plus. Je suis si certain <strong>de</strong> la réalisation <strong>de</strong> cette prédiction<br />

que je suis disposé à vous donner la preuve que vous réclamez tant.<br />

-Ne joue pas avec nos nerfs, cria Omar. Si tu disposes <strong>de</strong> cette preu…"<br />

Omar cessa <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r, pétrifié. Contre toute attente, Downin s'était<br />

effondré au sol. Rick et <strong>le</strong>s autres échangèrent <strong>de</strong>s regards. Jouait-il<br />

simp<strong>le</strong>ment la comédie?<br />

"Ho! fit Omar en se baissant."<br />

Il lui tapota vio<strong>le</strong>mment la joue, puis, en l'absence <strong>de</strong> réponse, mit<br />

ses doigts sur sa gorge. Il resta muet un instant, puis se tourna vers <strong>le</strong>s<br />

autres, <strong>le</strong>s traits durcis.<br />

"Il est mort.<br />

-Quoi? s'écria Rick.<br />

-Inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> tenter <strong>de</strong> <strong>le</strong> soigner Rick, cet homme a déjà quitté <strong>le</strong> mon<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>s vivants, assura Omar pour <strong>le</strong> dissua<strong>de</strong>r."<br />

Shui fit <strong>de</strong> gros yeux. Downin était bel et bien mort, comme put <strong>le</strong><br />

vérifier Rick. Son regard était vi<strong>de</strong> son cœur avait cessé <strong>de</strong> battre, sans<br />

raison apparente.<br />

"Il n'a pas bougé, ni subi la moindre b<strong>le</strong>ssure fata<strong>le</strong>, dit Rick, stupéfait. Je<br />

ne comprends pas… Je l'ai même soigné pour qu'il soit en état <strong>de</strong><br />

répondre à nos questions.<br />

1


-Il ne peut pas être mort d'une attaque cardiaque, n'est-ce pas? fit Asuka.<br />

-Il s'est ôté la vie…"<br />

Rick se tourna vers G<strong>le</strong>nda. El<strong>le</strong> s'était accroupie et forçait la<br />

mâchoire <strong>de</strong> Downin à s'ouvrir, au grand effarement <strong>de</strong> ses compagnons.<br />

"Par Ky<strong>le</strong>an, que faites-vous donc? s'écria Omar. Même s'il s'agissait <strong>de</strong><br />

notre ennemi, nous ne pouvons pas… OH!"<br />

Un liqui<strong>de</strong> b<strong>le</strong>uâtre s'écoulait <strong>de</strong> la bouche <strong>de</strong> Downin, coulant sur<br />

son menton. Rick en eut <strong>de</strong>s frissons. Sans <strong>le</strong> moindre dégoût, G<strong>le</strong>nda<br />

glissa <strong>de</strong>ux doigts à l'intérieur et en retira <strong>de</strong> minuscu<strong>le</strong>s éclats <strong>de</strong> verre<br />

qu'el<strong>le</strong> <strong>le</strong>ur montra.<br />

"Ceux qui connaissent bien ce clan savent que ces membres préfèrent se<br />

tuer plutôt que <strong>de</strong> se rendre. Lorsqu'ils acceptent un mercenariat, ils<br />

fixent une minuscu<strong>le</strong> fio<strong>le</strong> <strong>de</strong> poison sur <strong>le</strong>ur pa<strong>le</strong>t. Il <strong>le</strong>ur suffit <strong>de</strong> la<br />

décol<strong>le</strong>r avec la langue et <strong>de</strong> la briser pour mourir dans <strong>le</strong>s minutes qui<br />

suivent. Lorsqu'il a commencé à nous par<strong>le</strong>r, il se savait déjà condamné…"<br />

Rick fixa <strong>le</strong> corps <strong>de</strong> Downin, contrarié. Comment pouvait-on<br />

sacrifier sa vie pour une tel<strong>le</strong> cause? Cet homme ne savait sans doute pas<br />

vraiment pour quel<strong>le</strong>s raisons il avait été enrôlé. Pourtant, il avait défendu<br />

son secret jusqu'au bout et accepté d'être traîné dans la boue, d'être<br />

humilié en public, plutôt que <strong>de</strong> coopérer.<br />

"Il n'y a pire ennemi que celui qui ne craint pas la mort, soupira Omar,<br />

désappointé.<br />

-Notre preuve disparaît, ajouta Asuka.<br />

-Vous ne pouvez vous en prendre qu'à vous-même, fit remarquer G<strong>le</strong>nda<br />

en s'éloignant. On n'extrait jamais la moindre information <strong>de</strong> ces gens là.<br />

J'ai assez souvent eu l'occasion <strong>de</strong> m'y essayer pour <strong>le</strong> savoir.<br />

-Où al<strong>le</strong>z-vous? lui <strong>de</strong>manda Rick.<br />

-Rejoindre ma troupe et prendre mes dispositions pour l'avenir. Je ne<br />

compte pas risquer ma vie, même pour éponger ma <strong>de</strong>tte envers <strong>le</strong><br />

Cénac<strong>le</strong> et Priam. Nous avons affaire à <strong>de</strong>s hommes prêts à tuer et mourir<br />

désormais.<br />

-En quoi cela change-t-il votre position? protesta Omar. Nous nous<br />

doutions déjà <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur détermination!"<br />

G<strong>le</strong>nda s'arrêta pour <strong>le</strong> toiser du regard.<br />

"Cet hurluberlu a prédit <strong>le</strong> renversement <strong>de</strong> l'ordre établi à Sorgentel,<br />

rappela-t-el<strong>le</strong>. Omar, vous n'êtes pas sans savoir que <strong>le</strong>s prédictions <strong>de</strong>s<br />

Azulnot se réalisent souvent! Il s'agit d'hommes sages, versés dans l'art<br />

<strong>de</strong> la magie. On ne doit pas prendre <strong>le</strong>urs déclarations à la légère…"<br />

Omar <strong>de</strong>meura si<strong>le</strong>ncieux, indécis.<br />

1


"Faites moi signe lorsque vous saurez ce que vous vou<strong>le</strong>z, lança-t-el<strong>le</strong>. Je<br />

ne tiens pas à traîner trop longtemps dans votre ombre!"<br />

El<strong>le</strong> disparut dans l'obscurité du camp, alors que <strong>de</strong>s soldats<br />

approchaient, a<strong>le</strong>rtés par la chute <strong>de</strong> Downin. Tous fixèrent son corps<br />

inanimé, dans une sorte <strong>de</strong> recueil<strong>le</strong>ment embarrassé. Même Shui n'osa<br />

pas broncher, choqué par ce qui venait <strong>de</strong> se passer.<br />

"Gardons la tête froi<strong>de</strong>, conseilla Omar. Commençons par l'enterrer et<br />

nous aviserons ensuite. Contemp<strong>le</strong>r son cadavre ne nous donnera pas <strong>de</strong><br />

solution!"<br />

***<br />

Rick et Asuka étaient assis à quelques mètres du camp, regards<br />

rivés sur <strong>le</strong> f<strong>le</strong>uve Ka<strong>de</strong>ïsi, situé au loin, en contrebas. Celui-ci formait une<br />

ligne opaline sinuant au milieu <strong>de</strong>s terres et traversant un groupe <strong>de</strong><br />

hautes bâtisses jaunâtres. L'Avant-poste <strong>de</strong> Ka<strong>de</strong>ïsi, <strong>de</strong>rnier rempart <strong>de</strong> la<br />

cité <strong>de</strong> Ca<strong>de</strong>ro contre toute tentative d'intrusion non voulue. De<br />

minuscu<strong>le</strong>s points lumineux se déplaçaient au sommet <strong>de</strong>s bâtisses,<br />

indiquant une présence continue <strong>de</strong> sentinel<strong>le</strong>s dans l'avant-poste.<br />

Malgré l'heure avancée, <strong>le</strong> camp provisoire <strong>de</strong> la Milice était encore<br />

en effervescence. <strong>Les</strong> soldats n'arrivaient sans doute pas à dormir, où<br />

n'en avaient pas <strong>le</strong> désir, échaudés par <strong>le</strong>s évènements du soir. Rick ne<br />

fut donc pas surpris <strong>de</strong> voir Ronan <strong>le</strong>s rejoindre. Le fils <strong>de</strong> Priam se posta<br />

<strong>de</strong>rrière eux, bras croisés dans <strong>le</strong> dos. Il était habillé <strong>de</strong> l'uniforme blanc<br />

et argenté <strong>de</strong> la gar<strong>de</strong> du Havre. Une courte épée était ceinte à sa tail<strong>le</strong>.<br />

"Tu te pavanes? <strong>le</strong> nargua Asuka. <strong>Les</strong> soldats <strong>de</strong> la Milice vont te prendre<br />

pour un parvenu qui vient jouer <strong>le</strong> fils à papa.<br />

-Ce n'est pas dans mon intention, rumina Ronan, vexé. De toute façon, je<br />

ne suis même pas un vrai gar<strong>de</strong> du Cénac<strong>le</strong>. Je suis bien trop jeune pour<br />

cela.<br />

-Tu es en formation, c'est déjà très honorab<strong>le</strong>.<br />

-Sans doute… Mais je dois ma place au statut <strong>de</strong> mon père, j'en suis<br />

conscient. D'ail<strong>le</strong>urs, Maître Omar ne m'a permis <strong>de</strong> venir que parce que<br />

je suis votre gui<strong>de</strong>. Il est pire que papa.<br />

-Parce qu'il refuse <strong>de</strong> te laisser risquer ta vie? fit Rick.<br />

-J'aurais dû al<strong>le</strong>r à l'auberge avec Asuka. A quoi bon avoir appris <strong>le</strong>s<br />

rudiments <strong>de</strong> l'épée pour rester au camp? s'indigna Ronan. Ma mère et<br />

Roxana vont rire <strong>de</strong> moi quand je vais rentrer."<br />

Asuka se mit à rire.<br />

"Enfin… Qu'est-ce qu'il va se passer maintenant? <strong>de</strong>manda Ronan en<br />

s'asseyant près d'eux.<br />

-Maintenant? Bah…, hésita Asuka.<br />

1


-Il va falloir se préparer. Nous allons sans doute <strong>de</strong>voir récupérer l'orbe <strong>de</strong><br />

force, expliqua Rick.<br />

-La lutte ouverte? s'écria Ronan. Le Cénac<strong>le</strong> ne <strong>le</strong> souhaite pas.<br />

-Qui par<strong>le</strong> du Cénac<strong>le</strong>?"<br />

Ronan écarquilla <strong>le</strong>s yeux. Sans apporter plus <strong>de</strong> détails, Rick se<br />

tourna vers Asuka.<br />

"Il va falloir faire ce dont nous avions parlé.<br />

-Je m'en doute mon vieux.<br />

-Hum…<br />

-Prends pas cet air inquiet, je suis prêt, assura Asuka. Ils vont être<br />

époustouflés!"<br />

1


Chapitre 8 : Sur <strong>le</strong> départ…<br />

Une agréab<strong>le</strong> o<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> café emplissait <strong>de</strong> son arôme corsé la<br />

cafétéria, réchauffant une atmosphère refroidie par <strong>le</strong>s re<strong>le</strong>nts <strong>de</strong> javel et<br />

l'invasion <strong>de</strong> l'obscurité. Circulant entre <strong>le</strong>s tab<strong>le</strong>s en dépit <strong>de</strong>s ténèbres<br />

omniprésentes, la femme <strong>de</strong> ménage donnait d'âpres coups <strong>de</strong> serpillières<br />

au sol, dans un objectif, non dissimulé, d'annihilation <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rnières traces<br />

<strong>de</strong> tout passage humain. Dans son sillage, sa bassine remplie d'eau et <strong>de</strong><br />

produits ménagers émettait un grincement à arracher <strong>le</strong> cœur, à chacun<br />

<strong>de</strong> ses pas. Arthur s'enquit un bref instant <strong>de</strong> la présence <strong>de</strong> la dame.<br />

Savait-el<strong>le</strong> ce qu'il se passait réel<strong>le</strong>ment dans ces locaux <strong>le</strong> jour, ou<br />

fermait-el<strong>le</strong> <strong>le</strong>s yeux sur une réalité trop éloignée <strong>de</strong> ses préoccupations<br />

quotidiennes? Après tout, lui-même était <strong>le</strong> premier à reconnaître que<br />

l'ignorance était l'une <strong>de</strong>s plus gran<strong>de</strong>s vertus que la Terre ait engendré.<br />

Loin <strong>de</strong> lui accor<strong>de</strong>r un semblant <strong>de</strong> réponse, la femme continua son<br />

<strong>le</strong>nt circuit à travers la cafétéria, vidée <strong>de</strong> ses occupants habituels. Son<br />

passage près <strong>de</strong> la tab<strong>le</strong> <strong>de</strong> Sonia donna lieu à <strong>de</strong>s "Bonjour" polis,<br />

aussitôt suivis par une conversation peu disciplinée. L'instructrice était<br />

attablée avec Anthony, Bennett et Jen, contemplant oisivement l'écran <strong>de</strong><br />

télé suspendu au plafond, tout en formulant <strong>de</strong>s commentaires<br />

incohérents, voire disparates. L'immense chope <strong>de</strong> bière qui trônait vi<strong>de</strong><br />

au centre <strong>de</strong> la sal<strong>le</strong> n'était sans doute pas étrangère à ces discussions <strong>de</strong><br />

comptoir et aux ricanements qui <strong>le</strong>s accompagnaient.<br />

"Qui dans ce pays s'intéresse à l'art ancestral du cirque et à son histoire<br />

millénaire quand <strong>de</strong>ux membres du gouvernement sont, au vu et au su <strong>de</strong><br />

tous, accusés <strong>de</strong> malversations? rouspétait Anthony. Hein? Ce sujet<br />

stupi<strong>de</strong> fait pourtant l'ouverture <strong>de</strong>s news et dure dix satanées minutes.<br />

-Soit <strong>le</strong>s médias sont bridés, soit on nous prend vraiment pour <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>meurés, remarqua Jennifer."<br />

Sonia approuvait dramatiquement <strong>de</strong> la tête, tout en contemplant<br />

avec opiniâtreté son verre vi<strong>de</strong>.<br />

"Où est la bel<strong>le</strong> époque <strong>de</strong> la BBC? ironisa Bennett<br />

-Pour sûr..., déplora Anthony. Change <strong>de</strong> chaîne, on va se rabattre sur Big<br />

Brother. Tant qu'à passer pour <strong>de</strong>s ignares..."<br />

Le quatuor infernal se remit à jacasser, dans la pénombre. Miamusé,<br />

mi-contrit, Arthur baissa <strong>le</strong>s yeux, et son expression se refléta<br />

dans la surface noire <strong>de</strong> son café. Le breuvage fumant lui renvoyait une<br />

image peu familière, particulièrement vieillie. Son visage s'était durci, plus<br />

particulièrement ses yeux qui exprimaient une froi<strong>de</strong>ur inhabituel<strong>le</strong>. Etaitce<br />

visage qu'avait vu Anaïs quelques heures plus tôt, lorsqu'il avait tenté<br />

<strong>de</strong> s'en prendre à el<strong>le</strong>? Celui-ci, ou celui d'une autre personne? Pour se<br />

convaincre <strong>de</strong> son unité cérébra<strong>le</strong>, et aussi pour briser l'étrange attrait<br />

qu'exerçait son ref<strong>le</strong>t, il se força à sourire, <strong>de</strong> toutes ses <strong>de</strong>nts.<br />

L'expression ridicu<strong>le</strong> qui en résulta <strong>le</strong> rassura presque : personne d'autre<br />

1


que lui n'était capab<strong>le</strong> d'afficher un sourire si crispé. Il faisait partie <strong>de</strong> ce<br />

gens qui ne souriaient pas sur comman<strong>de</strong>.<br />

"Je te rassure, tu n'as rien perdu <strong>de</strong> ton charme, dit Anaïs. Cesse <strong>de</strong> te<br />

dévisager dans ta tasse <strong>de</strong> café."<br />

Arthur re<strong>le</strong>va la tête et sourit <strong>de</strong> manière bien plus spontanée cette<br />

fois-ci. Anaïs et Jamie <strong>le</strong> contemplaient avec bienveillance, appuyant tous<br />

<strong>de</strong>ux <strong>le</strong>ur menton sur la paume <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur main droite selon un mimétisme<br />

déconcertant.<br />

"Es-tu en train <strong>de</strong> ressasser cet après-midi agité Art? <strong>de</strong>manda Anaïs. Nos<br />

retrouvail<strong>le</strong>s tourmentées? La réunion dramatique? Ton entretien privé<br />

avec <strong>le</strong> dirigeant Enzo Wallace?<br />

-Oui, ouvre nous ton âme, susurra Jamie après avoir avalé une rasa<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

chocolat chaud.<br />

Sonia s'esclaffa au loin, pour <strong>de</strong>s raisons toutes autres.<br />

"Chers gardiens <strong>de</strong> mon âme, déclama Arthur, il ne s'agit nul<strong>le</strong>ment <strong>de</strong><br />

mes retrouvail<strong>le</strong>s inoubliab<strong>le</strong>s avec Anaïs. Certes, je ne me remettrai<br />

jamais <strong>de</strong> cette funeste découverte, et la perspective <strong>de</strong> voir Anaïs en<br />

tenue d'élue ad nauseam me fait glousser par avance. Toutefois, là n'est<br />

pas mon troub<strong>le</strong> actuel."<br />

Anaïs et Jamie se mirent à rire <strong>de</strong> bon coeur. Arthur n'avait,<br />

indéniab<strong>le</strong>ment, pas <strong>le</strong> ta<strong>le</strong>nt <strong>de</strong> dramaturge <strong>de</strong> Nils, bien qu'il y essayât<br />

avec velléité. Cependant, <strong>le</strong> résultat escompté était là : déri<strong>de</strong>r ses amis<br />

et se changer <strong>le</strong>s idées, par la même occasion.<br />

Même loin et sans <strong>le</strong> vouloir, Nils parvenait encore à jouer <strong>le</strong>s<br />

troub<strong>le</strong>-fête. Là résidait la preuve, selon Arthur, que l'attache spirituel<strong>le</strong><br />

qui <strong>le</strong>s liait via son don n'était pas tota<strong>le</strong>ment rompue. Pas encore, du<br />

moins.<br />

"Plus sérieusement, j'étais en train <strong>de</strong> songer à la rapidité <strong>de</strong>s<br />

évènements, avoua Arthur. A peine arrivés, nous <strong>de</strong>vons déjà nous<br />

préparer à al<strong>le</strong>r sur <strong>le</strong> terrain, pour affronter je ne sais quoi."<br />

Anaïs fronça légèrement <strong>le</strong>s sourcils.<br />

"Je n'ai quasiment pas eu l'opportunité <strong>de</strong> faire connaissance avec <strong>le</strong>s<br />

autres et tu viens tout juste <strong>de</strong> m'apprendre que tu étais une élue, comme<br />

moi (ce qui est étrange, maintenant que j'y pense, chacun <strong>de</strong>s membres<br />

du trio que nous formions avec Nils est ou a été un élu) mais il faut passer<br />

outre et remettre l'uniforme kaki, pour <strong>de</strong> nouvel<strong>le</strong>s aventures.<br />

-Toi qui as eu l'occasion <strong>de</strong> t'entretenir avec Enzo Wallace, tu en as peutêtre<br />

profité pour l'interroger à ce sujet, suggéra Jamie.<br />

-Pas vraiment… Pas du tout en fait. Ca ne m'est pas tout venu à l'esprit."<br />

1


Il s'étonna lui-même. Cette rencontre aurait pourtant été <strong>le</strong> moment<br />

<strong>le</strong> plus adéquat pour poser toutes <strong>le</strong>s questions qui lui passaient par la<br />

tête au jeune dirigeant <strong>de</strong> GLOW.<br />

"Dans ce cas, <strong>de</strong> quoi avez-vous parlé? s'étonna Anaïs. Je sais que c'est<br />

un enfant, mais il doit quand même avoir un minimum <strong>de</strong> conversation.<br />

-Franchement, je crois qu'il ne s'agissait que <strong>de</strong> présentations formel<strong>le</strong>s.<br />

Enzo… je veux dire, <strong>le</strong> dirigeant, ne semblait pas vouloir me par<strong>le</strong>r <strong>de</strong><br />

quelque chose en particulier.<br />

-Des présentations? C'est tout? insista Jamie. Pas la moindre révélation?"<br />

Arthur confirma.<br />

"Et la fil<strong>le</strong> qui se trouvait dans <strong>le</strong> Salon Gaetan? l'interrogea Jamie. Tu<br />

sais, cel<strong>le</strong> qui est aussi loquace qu'une veillée funèbre.<br />

-Je n'en sais pas plus à son sujet, si ce n'est que j'ai entendu <strong>le</strong> dirigeant<br />

l'appe<strong>le</strong>r Inès. El<strong>le</strong> doit faire office d'assistante, ou d'accompagnatrice. Pas<br />

une fois el<strong>le</strong> ne m'a adressé la paro<strong>le</strong>, <strong>le</strong> peu <strong>de</strong> temps que je suis resté<br />

là-bas. Cette fil<strong>le</strong> n'est pas loquace, c'est <strong>le</strong> cas <strong>de</strong> <strong>le</strong> dire…"<br />

Aussi déçu que sa propriétaire, <strong>le</strong> béret rouge d'Anaïs glissa d'un<br />

bon centimètre sur son front.<br />

"Un quart d'heure pour ça? J'aurais au moins tablé sur une répriman<strong>de</strong><br />

pour <strong>le</strong> fait que tu aies tenté <strong>de</strong> me transformer en Mister Freeze.<br />

-Inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> me rappe<strong>le</strong>r ceci Anaïs. Je me suis déjà excusé une bonne<br />

dizaine <strong>de</strong> fois, marmonna Arthur en baissant <strong>le</strong>s yeux.<br />

-Encore trois ou quatre fois et je passerai l'éponge, <strong>le</strong> gourmanda Anaïs."<br />

Le soupir consécutif d'Arthur fut moqué par Jamie. Ce faisant, Arthur<br />

tenta <strong>de</strong> ramener à sa mémoire <strong>le</strong>s éléments <strong>de</strong> sa discussion, dans <strong>le</strong><br />

Salon Gaetan, avec Enzo Wallace. Bien qu'il eût généra<strong>le</strong>ment une<br />

mémoire fiab<strong>le</strong>, il ne pouvait pas se remémorer autre chose que <strong>le</strong>s<br />

présentations formel<strong>le</strong>s pendant <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s <strong>le</strong> dirigeant pré-pubère lui<br />

avait posé quelques questions assez bana<strong>le</strong>s, sur ses étu<strong>de</strong>s, ses proches<br />

et ses projets pour l'avenir. Pas la moindre référence à Samuel ou à Nils,<br />

comme il aurait pourtant pu s'y attendre. Ce n'était pas plus mal.<br />

"J'ai tout <strong>de</strong> même du mal à me faire à l'idée que notre dirigeant soit aussi<br />

âgé que mon Wilson, médita Jamie, in<strong>de</strong>x droit <strong>le</strong>vé.<br />

-Crois-moi, cette perp<strong>le</strong>xité est partagée, assura Arthur. Ce garçon me<br />

mettait extrêmement mal à l'aise d'ail<strong>le</strong>urs. Je ne savais pas si je <strong>de</strong>vais<br />

lui par<strong>le</strong>r avec déférence ou poser un genou à terre pour lui offrir <strong>le</strong>s<br />

bonbons qui traînaient dans ma poche <strong>de</strong> veste. Il s'exprime clairement<br />

comme un adulte.<br />

-Je confirme qu'il n'avait rien d'un enfant lorsqu'il nous a informé <strong>de</strong> notre<br />

départ <strong>de</strong>main, intervint Anaïs."<br />

1


Arthur la darda du regard, intrigué. Il était inuti<strong>le</strong> d'être <strong>de</strong>vin pour<br />

passer outre <strong>le</strong> sourire <strong>de</strong> circonstance <strong>de</strong> la jeune femme. El<strong>le</strong> dissimulait<br />

très mal son appréhension, voire même sa peur. L'envie <strong>de</strong> la serrer dans<br />

ses bras pour la rassurer lui frôla subitement l'esprit.<br />

"Tu as <strong>de</strong>s angoisses? s'enquit-il.<br />

-N'utilise pas <strong>de</strong> termes si marqués, lui reprocha fébri<strong>le</strong>ment Anaïs."<br />

L'attention <strong>de</strong> Jamie se détourna du poste <strong>de</strong> télévision, à son profit.<br />

"Disons que… ça va changer <strong>de</strong>s simulations que j'ai pu faire avec Tissam,<br />

Aïshani et Anthony. Bien sûr, je ressens une certaine excitation à l'idée<br />

d'étrenner mon don sur <strong>le</strong> terrain, mais en même temps je crains d'être<br />

un poids mort… <strong>de</strong> vous ra<strong>le</strong>ntir."<br />

El<strong>le</strong> mima un sourire.<br />

"Je n'ai pas autant d'expérience que vous, conclut-el<strong>le</strong>. Pas même autant<br />

que toi Art.<br />

-N'aie pas ce genre <strong>de</strong> pensées, je suis sûr que tu seras à la hauteur,<br />

rassura Arthur. De ce que j'ai pu voir plus tôt, ton don est impressionnant.<br />

Tu l'as utilisé avec sang-froid et maîtrise!<br />

-Sans compter que tu ne seras pas seu<strong>le</strong>! Tu feras partie <strong>de</strong> la même<br />

équipe que Sally et moi, précisa Jamie."<br />

Cette perspective mit du baume au cœur d'Arthur. A défaut <strong>de</strong><br />

pouvoir partir avec Anaïs, il savait que <strong>le</strong>s personnes auxquel<strong>le</strong>s il avait<br />

accordé <strong>le</strong> plus faci<strong>le</strong>ment sa confiance seraient aux côtés <strong>de</strong> son amie.<br />

Après tout, n'était-ce pas eux qui l'avaient encadré lors <strong>de</strong> sa toute<br />

première mission?<br />

"Tu seras entre <strong>de</strong> bonnes mains, promit-il à Anaïs.<br />

-C'est un sacré engagement que je m'impose à l'égard d'Arty, reconnut<br />

Jamie avec un sourire.<br />

-Je compte sur toi pour la mettre à l'aise Jam'.<br />

-C'est un serment! Je ne peux pas figer Fenrir du regard comme tu <strong>le</strong> fais,<br />

mais s'il approche trop d'Anaïs, il se prendra un sacré coup sur <strong>le</strong> museau.<br />

Foi <strong>de</strong> Corbell!<br />

-Je suis impressionnée par la confiance qu'Arthur peut t'accor<strong>de</strong>r, dit<br />

Anaïs. Je ne pensais pas que tu étais quelqu'un <strong>de</strong> si…"<br />

El<strong>le</strong> chercha <strong>le</strong> mot en français, puis se résigna à un vocab<strong>le</strong> anglais<br />

sans doute plus adapté :<br />

"Dependab<strong>le</strong>.<br />

1


-Mes engagements avec Arty sont particuliers, explique Jamie. Lui et moi<br />

avons désormais atteint un <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> relation fusionnel basé sur une<br />

confiance illimitée... Sans tous <strong>le</strong>s aspects tendancieux bien entendu!<br />

-Evite d'inclure mon nom dans tes phrases à l'avenir, <strong>le</strong> menaça Arthur.<br />

-La preuve! Nous avons déjà <strong>de</strong>s disputes pseudo-conjuga<strong>le</strong>s, continua<br />

Jamie en esquivant <strong>le</strong> poing serré <strong>de</strong> son ami."<br />

Anaïs suffoqua <strong>de</strong> rire, rouge comme une tomate. Si Jamie avait eu<br />

dans l'idée <strong>de</strong> la détendre par son sens <strong>de</strong> l'humour décalé, il avait réalisé<br />

là une œuvre aboutie.<br />

"Je me sens mieux, merci, fit Anaïs après être parvenue à reprendre son<br />

souff<strong>le</strong>."<br />

Ses rires n'avaient pas perturbé la discussion animée <strong>de</strong> Sonia et<br />

<strong>de</strong>s piliers <strong>de</strong> bar, à l'autre bout <strong>de</strong> la cafétéria. Toutefois, ils avaient<br />

peut-être fait écho dans <strong>le</strong> bâtiment et empêché certains élus <strong>de</strong> dormir.<br />

En effet, Arthur vit Aïshani et Ibtissam entrer dans la cafétéria et se<br />

diriger vers eux, en robes <strong>de</strong> chambre. <strong>Les</strong> cheveux bouclés <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier<br />

étaient attachés <strong>de</strong>rrière son dos et ses yeux clairs perçaient l'obscurité <strong>de</strong><br />

manière presque surnaturel<strong>le</strong>, faisant ainsi penser au regard vif d'un<br />

rapace nocturne. Il tenait un goéland en peluche dans ses bras croisés.<br />

"Nous pensions bien que vous seriez encore ici, constata Aïshani."<br />

El<strong>le</strong> contempla la tab<strong>le</strong> <strong>de</strong>s piliers <strong>de</strong> bar avec perp<strong>le</strong>xité, tout en<br />

jouant inconsciemment avec l'extrémité <strong>de</strong> sa longue natte noire. Arthur<br />

s'imagina tout à fait à quel point il était inenvisageab<strong>le</strong> <strong>de</strong> dormir cheveux<br />

détachés, affublé d'une crinière aussi longue. Il se garda bien <strong>de</strong> lui faire<br />

remarquer, <strong>de</strong> peur <strong>de</strong> donner au fauve Khan une raison d'apparaître.<br />

"Chers camara<strong>de</strong>s, avez-vous vu ma douce Sally par <strong>le</strong> plus grand <strong>de</strong>s<br />

hasards? <strong>le</strong>ur <strong>de</strong>manda Ibtissam.<br />

-El<strong>le</strong> a disparu il y a plus d'un quart d'heure, répondit Jamie, <strong>le</strong> plus<br />

naturel<strong>le</strong>ment du mon<strong>de</strong>. J'imagine qu'el<strong>le</strong> est allée dormir, comme <strong>le</strong>s<br />

autres.<br />

-Oh… Je <strong>de</strong>vrais peut-être al<strong>le</strong>r la bor<strong>de</strong>r dans ce cas, déplora Ibtissam.<br />

Aïshani, je t'avais dit que nous n'étions restés que trop longtemps dans<br />

cette bibliothèque inuti<strong>le</strong>."<br />

Aïshani haussa ses sourcils fins.<br />

"Mon ca<strong>de</strong>au attendra la nouvel<strong>le</strong> aube, déclama Ibtissam avec une verve<br />

digne <strong>de</strong>s plus grands comédiens dramatiques."<br />

Le goéland en peluche fut posé sous <strong>le</strong> nez <strong>de</strong> Jamie, comme pour <strong>le</strong><br />

narguer. Celui-ci ne sourcilla pas, plus amusé qu'autre chose. Après tout,<br />

ce n'était pas la première peluche immon<strong>de</strong> qu'Ibtissam offrait à sa<br />

1


dulcinée. Arthur avait vu défi<strong>le</strong>r une dizaine <strong>de</strong> ses congénères à Paris,<br />

dans diverses variantes <strong>de</strong> cou<strong>le</strong>urs et <strong>de</strong> tail<strong>le</strong>s. Toutes finissaient<br />

presque inexorab<strong>le</strong>ment par disparaître, <strong>de</strong> manière plus ou moins<br />

inexpliquée.<br />

"Mon grand Jamie. Verrais-tu un inconvénient au fait <strong>de</strong> nous laisser<br />

quelques minutes avec l'honorab<strong>le</strong> Arty?"<br />

Arthur eut un frisson. Son surnom avait trouvé un nouvel hôte.<br />

"Nous voudrions juste avoir une petite discussion entre élites, afin <strong>de</strong><br />

scel<strong>le</strong>r notre lien particulier et expliquer quelques choses à la nouvel<strong>le</strong><br />

recrue, expliqua Ibtissam pour écarter toute confusion.<br />

-Ca ne me pose pas <strong>de</strong> souci. Je vais en profiter pour al<strong>le</strong>r faire un petit<br />

tour dans <strong>le</strong> QG, dit Jamie en se <strong>le</strong>vant. J'emporte mon chocolat chaud, <strong>de</strong><br />

crainte que vous ne soyez tentés d'en profiter pour me <strong>le</strong> vo<strong>le</strong>r.<br />

-Ne fais rien que je ne ferais, Jamie, lui conseilla Arthur.<br />

-Il n'y a rien que tu ne ferais, tel que je te connais aujourd'hui, riposta<br />

Jamie avec un grand sourire."<br />

Sa main libre plongée dans une poche <strong>de</strong> sa robe <strong>de</strong> chambre, il<br />

s'éloigna avec une démarche guil<strong>le</strong>rette, fredonnant son habituel<strong>le</strong> Elégie<br />

<strong>de</strong> Leryan. A<strong>le</strong>rté par cette bonne humeur inébranlab<strong>le</strong>, Arthur craignit<br />

plus que jamais que son ami ne soit en train <strong>de</strong> fomenter <strong>de</strong>s stratégies<br />

détaillées <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> en mariage.<br />

"Un brave type que ce Jamie, fit remarquer Ibtissam. Bien qu'il soit mon<br />

rival en amour, je ne peux m'empêcher <strong>de</strong> lui vouer un culte pour sa<br />

gentil<strong>le</strong>sse et sa disponibilité."<br />

Arthur soupçonna Ibtissam d'avoir voulu s'attirer sa sympathie par<br />

cette remarque positive. Ce <strong>de</strong>rnier semblait toutefois sincère. Il lui<br />

accorda son attention, bien que la fatigue commence à <strong>le</strong> gagner.<br />

"Il s'agit d'une occasion inespérée <strong>de</strong> mieux faire connaissance, expliqua<br />

Ibtissam d'un air épiscopal. Demain nous allons, ensemb<strong>le</strong>, affronter mil<strong>le</strong><br />

dangers, et je ne me sentirais pas serein, en tant que référent, si nous ne<br />

parlions pas un peu auparava…<br />

-Attends une secon<strong>de</strong>, l'interrompit Arthur, tout aussi poliment. Tu as bien<br />

dit référent?<br />

-Référent, répéta Ibtissam.<br />

-Il me semblait ne plus avoir besoin <strong>de</strong> référent <strong>de</strong>puis l'époque <strong>de</strong> mon<br />

départ à Sorgentel, protesta Arthur. Être pouponné passait encore lorsque<br />

je venais <strong>de</strong> rejoindre GLOW, mais j'ai <strong>de</strong> l'ancienneté maintenant! De<br />

plus, Sally a déjà très bien fait son travail en tant que référente! El<strong>le</strong> a<br />

même reconnu que je n'avais plus besoin d'el<strong>le</strong>."<br />

1


<strong>Les</strong> yeux d'Ibtissam étincelèrent brièvement à l'évocation <strong>de</strong> sa<br />

bien-aimée.<br />

"Sans vouloir t'offenser, tu ne <strong>de</strong>vrais pas être surpris par cette nouvel<strong>le</strong>,<br />

après ce qui s'est passé cet après-midi, exposa Aïshani."<br />

Anaïs détourna <strong>le</strong> regard, embarrassée. Il n'était pas diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> voir<br />

où voulait en venir sa camara<strong>de</strong>. Arthur ne manqua pas <strong>de</strong> <strong>le</strong> <strong>de</strong>viner. Son<br />

esprit divagua vers <strong>de</strong>s îlots <strong>de</strong> paranoïa, dans <strong>le</strong>squels Enzo Wallace<br />

l'avait occupé dans <strong>le</strong> Salon Gaetan pour que <strong>le</strong>s autres dignitaires <strong>de</strong><br />

GLOW et <strong>le</strong>s élus puissent par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> son cas en toute quiétu<strong>de</strong>.<br />

"Qui a suggéré ceci? Enzo Wallace?<br />

-Non, c'est Sonia qui est à l'origine <strong>de</strong> cette idée, lui révéla Aïshani.<br />

-SONIA?"<br />

Arthur déglutit. La vi<strong>le</strong> instigatrice <strong>de</strong> son tutorat forcé était à<br />

quelques mètres <strong>de</strong> lui, se dirigeant vers <strong>le</strong> fond <strong>de</strong> la cafétéria pour y<br />

trouver <strong>de</strong>s stocks <strong>de</strong> liqui<strong>de</strong>s. Croisant momentanément son regard, el<strong>le</strong><br />

lui fit un signe <strong>de</strong> main amical, afin d'achever son protégé.<br />

"Encore une fois, ne <strong>le</strong> prends pas mal, insista Aïshani. Sonia est ton<br />

instructrice et c'est là son rô<strong>le</strong>. El<strong>le</strong> s'inquiète légitimement <strong>de</strong> la maîtrise<br />

que tu as <strong>de</strong> ton don et a pensé qu'une autre élite serait plus à même <strong>de</strong><br />

t'ai<strong>de</strong>r à comprendre ce que tu traverses.<br />

Arthur eut du mal à dissimu<strong>le</strong>r son haut <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> vexation.<br />

"Sans compter qu'il n'est pas question d'agir en tant que chaperon,<br />

précisa Ibtissam, pas subtil pour un sou. Considère plutôt que je me tiens<br />

à ton entière disposition si tu te poses la moindre question sur ton don. Ce<br />

sont <strong>de</strong>s circonstances idéa<strong>le</strong>s pour <strong>de</strong>venir bons amis."<br />

Un coup <strong>de</strong> pied asséné sous la tab<strong>le</strong> par Anaïs força Arthur à<br />

considérer cette invitation avec bienveillance. Il fit un effort d'expression<br />

et accepta, conscient, malgré tout, <strong>de</strong> la bonne volonté <strong>de</strong> Sonia et<br />

d'Ibtissam. De plus, il ne pouvait occulter ses inquiétu<strong>de</strong>s à propos <strong>de</strong> sa<br />

perte <strong>de</strong> contrô<strong>le</strong> survenue plus tôt. Dans ce contexte, on ne pouvait pas<br />

se permettre <strong>de</strong> refuser une main tendue, aussi rabaissante qu'el<strong>le</strong> puisse<br />

être.<br />

"Pardon d'avoir mal réagi. J'accepte ton offre avec reconnaissance,<br />

Ibtissam.<br />

-Mes amis m'appel<strong>le</strong>nt Tissam!<br />

-Je ferai en sorte <strong>de</strong> m'en rappe<strong>le</strong>r."<br />

1


Anaïs soupira <strong>de</strong> soulagement, avec la discrétion d'une centra<strong>le</strong><br />

thermique opérant à p<strong>le</strong>in régime. Aïshani se contenta d'un signe <strong>de</strong> tête<br />

approbateur.<br />

"Je vais introduire <strong>le</strong>s présentations, s'exclama Ibtissam d'un air enjoué. Il<br />

est <strong>de</strong> mon <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> te fournir toutes <strong>le</strong>s informations essentiel<strong>le</strong>s sur ma<br />

personne!"<br />

En fait d'informations essentiel<strong>le</strong>s, Ibtissam passa <strong>le</strong> quart d'heure<br />

qui suivit à résumer sa vie, <strong>de</strong> sa naissance jusqu'au jour <strong>de</strong> cette<br />

discussion, avec force détail. Confronté à ce flot <strong>de</strong> données ininterrompu<br />

(et contre <strong>le</strong>quel toute tentative <strong>de</strong> barrage s'avérait vaine), Arthur retint<br />

principa<strong>le</strong>ment qu'Ibtissam allait sur ses vingt ans, qu'il était né à Rabat,<br />

au Maroc, qu'il affectionnait particulièrement <strong>le</strong>s films d'action<br />

hollywoodiens et, plus paradoxa<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong>s pièces <strong>de</strong> théâtre. Fait notab<strong>le</strong><br />

: il était l'aîné d'une fratrie <strong>de</strong> cinq enfants et était né <strong>de</strong> manière<br />

inespérée, alors que ses parents ne pensaient pas pouvoir procréer. Cela<br />

avait valu à Ibtissam un excès d'affection parental et un titre <strong>de</strong> "petit<br />

prince" qui lui était resté jusqu'à l'âge assez avancé <strong>de</strong> dix-huit ans. Dans<br />

son récit, il évoqua quelques ta<strong>le</strong>nts qui stupéfièrent Arthur, tels que <strong>le</strong><br />

chant lyrique, la maîtrise d'instruments dont <strong>le</strong>s noms sou<strong>le</strong>vaient <strong>le</strong><br />

scepticisme, la peinture, ainsi que <strong>le</strong>s cuisines <strong>de</strong> quatre continents sur<br />

cinq.<br />

"… et c'est ainsi que je t'ai rencontré, asséna Ibtissam à un Arthur<br />

lobotomisé. Voila!<br />

-Tu as eu une vie plus… chargée que cinq <strong>de</strong> mes existences, souffla son<br />

interlocuteur. Ou alors tu as été très exhaustif! J'ai l'impression d'en<br />

savoir trop sur toi.<br />

-Cela fait souvent cet effet, intervint Aïshani d'un air magnanime.<br />

-Et toi Aïshani? Vas-tu présenter ton parcours à Arthur? <strong>de</strong>manda Anaïs."<br />

Le cœur d'Arthur se glaça à cette idée. Bien heureusement pour lui,<br />

Aïshani fit preuve <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> sagesse et <strong>de</strong> compassion que son compère :<br />

"Nous nous connaîtrons bien mieux avec <strong>le</strong> temps Arthur. Inuti<strong>le</strong> que je<br />

t'abreuve <strong>de</strong> récits faramineux sur ma vie, somme toute, assez classique."<br />

La gangue <strong>de</strong> mystère qui enveloppait alors Aïshani fit alors<br />

regretter à Arthur un récit qui aurait, sans doute, été plus passionnant<br />

que ne <strong>le</strong> pensait sa conteuse.<br />

"Tu as raison, reconnut-il à contrecoeur. Inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> brusquer <strong>le</strong>s choses!"<br />

Leur conversation s'éternisa jusqu'à une heure avancée <strong>de</strong> la nuit,<br />

puis <strong>le</strong>s quatre élites s'accordèrent sur un départ au lit, après avoir réalisé<br />

que Jamie n'était fina<strong>le</strong>ment jamais revenu <strong>de</strong> sa bala<strong>de</strong> dans <strong>le</strong> QG. Ils<br />

1


abandonnèrent <strong>le</strong> récent "Quatuor du Malt" à ses divagations télévisuel<strong>le</strong>s<br />

et rallièrent <strong>le</strong>urs chambres, au troisième étage.<br />

Suite à une nuit <strong>de</strong> plomb durant laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s songes d'Arthur<br />

l'avaient transformé en ange gardien ailé au service <strong>de</strong> Nils, <strong>le</strong> jeune<br />

homme se retrouva une fois <strong>de</strong> plus dans la cafétéria, exactement à la<br />

même place que la veil<strong>le</strong>, en face d'Andreas cette fois-ci. L'horloge<br />

indiquant <strong>le</strong>s treize heures et la pizza qu'ingurgitait Andreas culpabilisaient<br />

Arthur, récemment réveillé. Le nez encore plongé dans un bol <strong>de</strong> céréa<strong>le</strong>s<br />

mol<strong>le</strong>s comme <strong>de</strong>s chaussettes, il tentait vainement <strong>de</strong> se forcer à manger<br />

et <strong>de</strong> faire abstraction <strong>de</strong> la maussa<strong>de</strong>rie qui <strong>le</strong> quittait diffici<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>puis<br />

<strong>le</strong> jour précé<strong>de</strong>nt. Son parcours morphéique sur Nils n'avait pas arrangé<br />

<strong>le</strong>s choses, et il craignait que son moral n'entrave sa mission.<br />

Andreas parut s'en rendre compte et, chose exceptionnel<strong>le</strong>, prit<br />

l'initiative <strong>de</strong> lui par<strong>le</strong>r, <strong>de</strong> sa voix basse.<br />

"Quelque chose ne va pas?"<br />

Surpris par cette prise <strong>de</strong> paro<strong>le</strong> rare et miracu<strong>le</strong>use, Arthur tressaillit.<br />

"Tu t'inquiètes pour Anaïs peut-être? l'interrogea Andreas.<br />

-Non, plus vraiment. J'ai juste un mauvais pressentiment… Comme si ce<br />

qui nous attendait au tournant était plus différent, plus… insidieux. Cette<br />

sensation ne me quitte pas <strong>de</strong>puis mon arrivée ici, hier."<br />

Andreas <strong>le</strong> jaugea du regard, à travers ses épaisses lunettes<br />

carrées. Il émit une réponse qui surprit Arthur et <strong>le</strong> marqua pendant<br />

l'heure qui suivit :<br />

"Confrérie ; monstres mythiques ; territoires hosti<strong>le</strong>s… Je ne vois rien<br />

dans cette liste que nous n'ayons déjà surmonté avec succès."<br />

Ce faisant, il retira ses lunettes et se <strong>le</strong>va.<br />

"Va mettre ta veste et rejoins moi <strong>de</strong>hors avec <strong>le</strong>s autres quand tu auras<br />

fini, Art. Tu es une élite. Le doute n'est plus un luxe que tu peux te<br />

permettre."<br />

Interdit, Arthur se contenta d'opiner <strong>de</strong> la tête en contemplant <strong>le</strong><br />

départ tranquil<strong>le</strong> <strong>de</strong> son compagnon. Ce souff<strong>le</strong>t avait été <strong>le</strong> coup <strong>de</strong> fouet<br />

qui lui manquait pour se réveil<strong>le</strong>r. Ragaillardi, il n'accorda pas la moindre<br />

pitié au contenu <strong>de</strong> son bol, puis quitta la cafétéria, toujours aussi austère<br />

en ce début <strong>de</strong> week-end.<br />

Sur <strong>le</strong> seuil <strong>de</strong> la porte, il fut surpris <strong>de</strong> tomber sur Sally, adossée au<br />

mur. Son amie était déjà prête au départ et avait un gros sac à dos sur<br />

<strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s.<br />

1


"Je me cache d'Ibtissam, admit-el<strong>le</strong> sans que la question ne lui soit posée.<br />

Il paraît qu'il veut m'offrir un cormoran en peluche.<br />

-Un goéland, corrigea Arthur d'une voix neutre.<br />

-Ca reste une histoire <strong>de</strong> volati<strong>le</strong> gênant."<br />

Arthur se permit <strong>de</strong> rire.<br />

"J'ai entendu ce que t'a dit Andreas, pendant que j'étais dissimulée. Il a<br />

eu parfaitement raison.<br />

-Je m'en doute.<br />

-La seu<strong>le</strong> chose que je réfute dans son raisonnement, c'est <strong>le</strong> qualificatif<br />

d'élite. Tu n'as pas besoin d'être "particulier" pour avoir <strong>de</strong>s raisons <strong>de</strong> ne<br />

plus douter <strong>de</strong> toi. Fais-<strong>le</strong> juste pour ton bien-être.<br />

-Oui…, fit Arthur, comme un enfant réprimandé.<br />

-Oh… et nous avons une bonne heure avant <strong>de</strong> partir alors, je t'ai acheté<br />

ça…"<br />

El<strong>le</strong> lui lança nonchalamment une grosse boîte qui s'avérait contenir<br />

<strong>de</strong>s rasoirs jetab<strong>le</strong>s. Arthur fit <strong>de</strong> gros yeux.<br />

"Paro<strong>le</strong> <strong>de</strong> ta référente d'antan : rase cette barbe que je ne saurais tolérer<br />

plus longtemps! La rime est offerte!<br />

-Mais…<br />

-La commission <strong>de</strong>s élus a voté ce matin : nous sommes 95% à nous<br />

opposer à la croissance <strong>de</strong> ces poils disgracieux. J'ai parlé.<br />

-Mais…<br />

-Je te ferai même l'immense honneur <strong>de</strong> t'attendre ici jusqu'à ton retour,<br />

pour que nous rejoignions <strong>le</strong>s autres ensemb<strong>le</strong>, acheva-t-el<strong>le</strong> avec un<br />

sourire qui n'autorisait pas la réplique."<br />

Défait, Arthur s'introduisit immédiatement dans l'ascenseur pour<br />

al<strong>le</strong>r découvrir <strong>le</strong>s plaisirs du rasage forcé. Avec une certaine amertume, il<br />

fit disparaître toute trace <strong>de</strong> pilosité sur ses joues et son menton, puis<br />

re<strong>de</strong>scendit sans vraiment s'être regardé dans un miroir. Il se sentait<br />

étrangement nu, comme si on l'avait spolié d'une protection essentiel<strong>le</strong><br />

contre <strong>le</strong>s agressions extérieures.<br />

"A la bonne heure, <strong>le</strong> félicita Sally lorsqu'il l'eut rejointe. Tu es bien plus<br />

Arthurien à mon goût maintenant.<br />

-Si tu <strong>le</strong> dis…<br />

-Viens, on y va! Et sois un gent<strong>le</strong>man, donne moi <strong>le</strong> bras pour dissua<strong>de</strong>r<br />

Tissam <strong>de</strong> m'approcher."<br />

Ainsi, l'un rajeuni et ragaillardi, l'autre sauvée d'un prétendant trop<br />

entreprenant, ils se dirigèrent vers la sortie du QG, bras <strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>ssous,<br />

en plaisantant sur la renaissance facia<strong>le</strong> d'Arthur.<br />

Le point <strong>de</strong> ren<strong>de</strong>z-vous avait été fixé à l'arrière <strong>de</strong> la bâtisse, dans<br />

la cour. C'est <strong>de</strong> là que <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux équipes formées la veil<strong>le</strong> <strong>de</strong>vaient partir<br />

1


pour <strong>le</strong>urs <strong>de</strong>stinations respectives, tandis que Rachel <strong>de</strong>meurerait sur<br />

place avec Elliott pour assurer la sécurité <strong>de</strong>s passages maintenus<br />

ouverts. Lorsque Sally et Arthur arrivèrent à l'extérieur, la plupart <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs<br />

camara<strong>de</strong>s étaient déjà prêts au départ, flanqués <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs habituels<br />

uniformes kaki à la coupe variab<strong>le</strong>. Arthur s'étonna d'ail<strong>le</strong>urs <strong>de</strong> voir<br />

qu'Ibtissam et Aïshani portaient d'amp<strong>le</strong>s pièces <strong>de</strong> tissu blanc faisant<br />

office <strong>de</strong> ceintures, autour <strong>de</strong> la tail<strong>le</strong>. Il se promit <strong>de</strong> <strong>le</strong>s interroger à ce<br />

sujet lorsqu'il en aurait l'occasion.<br />

"Il ne manque qu'Anaïs et Anthony, déclara Sonia qui se tenait au milieu<br />

<strong>de</strong> la cour, emmitouflée dans une épaisse doudoune verte."<br />

Sally et Arthur se séparèrent pour rejoindre <strong>le</strong>urs groupes, dont <strong>le</strong>s<br />

membres piétinaient déjà dans <strong>le</strong> froid intense. A l'inverse, Rachel, en<br />

retrait avec Elliott, semblait n'avoir jamais été aussi comblée <strong>de</strong> sa vie. La<br />

seu<strong>le</strong> présence <strong>de</strong> l'australien à ses côtés semblait outrepasser la<br />

puissance <strong>de</strong> dix mil<strong>le</strong>s réchauds. El<strong>le</strong> ne remarqua même pas l'arrivée<br />

d'Anthony Nichols et Anaïs, alors que tous <strong>le</strong>s autres avaient <strong>le</strong>s yeux<br />

rivés sur eux, dans l'expectative. L'instructeur avait opté pour une lour<strong>de</strong><br />

veste en cuir, un pantalon en toi<strong>le</strong> grise et un couvre-chef qu'il avait sans<br />

aucun doute volé au costumier d'Indiana Jones.<br />

Quant à Anaïs, dont la venue faisait l'objet <strong>de</strong> regards curieux et<br />

attentifs, el<strong>le</strong> portait, sans gran<strong>de</strong> surprise, l'uniforme <strong>de</strong>s élus, avec <strong>le</strong><br />

même foulard blanc qu'Ibtissam et Aïshani au niveau <strong>de</strong> la tail<strong>le</strong>. Plutôt<br />

qu'un pantalon, el<strong>le</strong> affichait un short kaki semblab<strong>le</strong> à celui qui faisait la<br />

fierté <strong>de</strong> Rachel, <strong>le</strong>quel surmontait <strong>de</strong> longues et épaisses chaussettes<br />

noires arrivant jusqu'au-<strong>de</strong>ssus du genou. Arthur ne resta a<strong>le</strong>rte que<br />

grâce à la vision du béret rouge <strong>de</strong> son amie, toujours flanqué sur sa tête.<br />

"Je <strong>le</strong> gar<strong>de</strong>rai pour me porter chance! C'était un ca<strong>de</strong>au <strong>de</strong> Nils après<br />

tout, se justifia-t-el<strong>le</strong>."<br />

Sonia mit un bon moment à cesser <strong>de</strong> rail<strong>le</strong>r la tenue clichée <strong>de</strong> son<br />

remplaçant, puis, constatant que tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> était là, s'adressa à ses<br />

protégés. Sa voix était bien plus stab<strong>le</strong> que la veil<strong>le</strong>.<br />

"Je vais éviter <strong>le</strong>s longs discours! Vous savez déjà à quoi vous en tenir<br />

grâce au briefing <strong>de</strong> ce matin et je ne compte pas parasiter vos cerveaux<br />

déjà bouillants par <strong>de</strong>s recommandations connues! Je veux juste que vous<br />

gardiez une chose à l'esprit…"<br />

Elliott avait déjà commencé son cérémonial <strong>de</strong>rrière el<strong>le</strong>. Quatre<br />

rangées <strong>de</strong> hauts piliers en pierre venaient <strong>de</strong> chuter du ciel et <strong>de</strong> former<br />

<strong>de</strong>s chemins distincts, menant à l'un <strong>de</strong>s murs qui cernaient <strong>le</strong> QG. <strong>Les</strong><br />

vortex avec <strong>le</strong>squels <strong>le</strong>s élus étaient désormais familiers s'ouvrirent, tels<br />

<strong>de</strong>s portes donnant sur l'espace intersidéral. Arthur perçut <strong>le</strong> troub<strong>le</strong><br />

d'Anaïs.<br />

1


"…évitez toute confrontation inuti<strong>le</strong> avec la Confrérie, ou toute autre<br />

personne que vous seriez susceptib<strong>le</strong> <strong>de</strong> croiser. Je pense plus<br />

particulièrement à vous, précisa-t-el<strong>le</strong> en se tournant vers l'équipe dans<br />

laquel<strong>le</strong> allaient évoluer Jamie, Sally, Anaïs et Aïshani. Fenrir est la plus<br />

dangereuse <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux créatures. C'est pour vous <strong>le</strong> rappe<strong>le</strong>r et vous ai<strong>de</strong>r<br />

à gar<strong>de</strong>r la tête froi<strong>de</strong> que nous vous faisons escorter par Anthony. Vous<br />

ne pourrez pas vous permettre <strong>de</strong> lutter sur <strong>de</strong>ux fronts à la fois, si une<br />

situation d'embusca<strong>de</strong> se présente."<br />

Sally approuva gravement, consciente <strong>de</strong> son statut d'unique <strong>le</strong>a<strong>de</strong>r,<br />

en l'absence <strong>de</strong> Rick.<br />

"Fais attention à toi Anaïs, ajouta Sonia avec un sourire encourageant.<br />

Nous comptons autant sur ton don que sur ta présence d'esprit.<br />

-Je ferai <strong>de</strong> mon mieux.<br />

-Bottez <strong>le</strong>ur <strong>le</strong>s fesses à ces sadiques, si vous <strong>le</strong>s voyez, mima Rachel <strong>de</strong>s<br />

lèvres, pour ne pas être repérée par Sonia.<br />

-Je pourrai maintenir <strong>le</strong>s passages environ <strong>de</strong>ux heures, pas plus, indiqua<br />

Elliott. Passé ce délai, l'issue sera bloquée et vous <strong>de</strong>vrez attendre<br />

quelques heures avant que j'aie la force nécessaire pour venir vous<br />

récupérer."<br />

Anaïs fit un clin d'œil à Arthur, comme pour <strong>le</strong> rassurer, puis se<br />

tourna, à l'instar <strong>de</strong> ses coéquipiers, vers l'entrée <strong>de</strong> son passage. <strong>Les</strong><br />

intestins d'Arthur jouaient aux contorsionnistes, malgré sa volonté <strong>de</strong> ne<br />

pas s'inquiéter outre mesure.<br />

"Al<strong>le</strong>z, équipe Ant! Vers l'infini et au-<strong>de</strong>là, cita Anthony, arborant un<br />

sourire <strong>de</strong> circonstance."<br />

Il jeta un regard défiant à Arthur et aux compagnons <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier.<br />

"Je parie tous mes ca<strong>le</strong>çons qu'on revient bien avant vous, dit-il.<br />

-De quoi confectionner une jolie bannière <strong>de</strong> soie, afin <strong>de</strong> fêter notre<br />

victoire, répliqua Ana Rosa en posant <strong>le</strong>s mains sur <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s d'Arthur et<br />

Ibtissam. Prépare tes sous-vêtements, nous allons te pil<strong>le</strong>r!"<br />

Précédant l'équipe "Anthony", Jamie fit un signe du pouce à Arthur,<br />

puis disparut dans <strong>le</strong> passage. Anaïs hésita une <strong>de</strong>mi secon<strong>de</strong>, et <strong>le</strong> suivit<br />

sans se retourner, avec une bravoure qui sidéra Arthur. El<strong>le</strong> était bien plus<br />

courageuse que lui, dans <strong>le</strong>s mêmes circonstances. Cela attisa sa fierté.<br />

"Al<strong>le</strong>z <strong>le</strong>s gars, montrons <strong>le</strong>ur que nous n'avions rien à envier à l'équipe<br />

Anthony, lança-t-il, brusquement motivé. Nous sommes moins nombreux<br />

mais tout aussi efficaces!"<br />

Ibtissam, Andreas et Ana Rosa approuvèrent énergiquement. Ils<br />

prirent congé <strong>de</strong> Sonia et <strong>de</strong>s autres élus, puis s'introduisirent dans <strong>le</strong><br />

1


passage d'un pas déterminé. Désormais Arthur n'avait plus<br />

d'appréhension, et il ne comptait pas repasser ce chemin sans avoir<br />

ramené Altaïr avec lui. Si un membre <strong>de</strong> la Confrérie se dressait sur son<br />

chemin, il en aurait pour son argent.<br />

***<br />

Vio<strong>le</strong>mment propulsé par la sortie du passage, Arthur vacilla sur<br />

plusieurs mètres, tenta un vain rééquilibrage <strong>de</strong> son corps, puis finit par<br />

s'éta<strong>le</strong>r sur un sol rocheux, sec et poussiéreux. Le choc ne fut pas<br />

douloureux mais désagréab<strong>le</strong>, en raison <strong>de</strong> la température é<strong>le</strong>vée du sol<br />

et <strong>de</strong>s quelques grains <strong>de</strong> poussière qu'il avala au passage.<br />

"Erk…"<br />

Il toussota et cracha <strong>le</strong>s éléments étrangers qui s'étaient insinués<br />

entre ses lèvres, avec dégoût. C'est cet instant que choisirent ses<br />

compagnons pour émerger à <strong>le</strong>ur tour du passage et lui tomber <strong>de</strong>ssus,<br />

chacun <strong>le</strong>ur tour. Il y eut d'abord Ana Rosa, puis Andreas, et enfin<br />

Ibtissam dont la chute fut agrémentée d'un cri digne d'un Tarzan tyrolien.<br />

Compressé par <strong>le</strong>urs poids cumulés, Arthur gémit pour sa vie et ne<br />

fut libéré qu'après <strong>de</strong> longues secon<strong>de</strong>s d'étouffement.<br />

"Désolée, s'excusa Ana Rosa en balayant la poussière qui tâchait son<br />

pantalon. J'imagine que courir là-<strong>de</strong>dans n'est pas conseillé si l'on<br />

souhaite faire une sortie digne <strong>de</strong> ce nom."<br />

Andreas aida Arthur à se re<strong>le</strong>ver. Il avait troqué ses lunettes contre<br />

<strong>de</strong>s <strong>le</strong>ntil<strong>le</strong>s <strong>de</strong> contact, pour l'occasion.<br />

"Sommes nous bien arrivés? <strong>de</strong>manda Ibtissam.<br />

-Va savoir, fit Ana Rosa, désorientée."<br />

Arthur pivota sur lui-même pour observer <strong>le</strong>s a<strong>le</strong>ntours. <strong>Les</strong> quatre<br />

élus se trouvaient au milieu d'une gran<strong>de</strong> étendue désertique, à proximité<br />

d'une petite route isolée et non fréquentée. La végétation était quasi<br />

inexistante, la faute à un so<strong>le</strong>il <strong>de</strong> plomb et un ciel sans nuages.<br />

Des pans entiers <strong>de</strong> poussière étaient régulièrement sou<strong>le</strong>vés par un<br />

vent sec et chaud, troublant <strong>le</strong>urs vues, <strong>le</strong>urs odorats et donnant l'image<br />

d'un décor <strong>de</strong> western. Arthur ne put s'empêcher <strong>de</strong> penser à l'ambiance<br />

<strong>de</strong> films tels que "Thelma et Louise".<br />

"Le Nouveau Mexique, supposa Andreas."<br />

Arthur fit quelques pas vers la route, raclant <strong>le</strong> sol <strong>de</strong> ses bottes. La<br />

seu<strong>le</strong> preuve <strong>de</strong> vie humaine qu'il pouvait trouver jusque là, était la<br />

présence <strong>de</strong> pylônes é<strong>le</strong>ctriques plantés <strong>le</strong> long <strong>de</strong> cette voie mal<br />

1


entretenue. A <strong>le</strong>s voir, on pouvait légitimement se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r s'ils<br />

charriaient toujours du courant.<br />

"Ne t'éloigne pas trop Art, conseilla Ana Rosa. Il vaut mieux vérifier que<br />

l'on est au bon endroit avant <strong>de</strong> s'éloigner <strong>de</strong> l'entrée du passage!"<br />

L'attention d'Arthur avait été attirée par une gran<strong>de</strong> planche en bois,<br />

perdue au milieu d'un épais amas broussail<strong>le</strong>ux, sur <strong>le</strong> rebord <strong>de</strong> la route.<br />

Il s'en approcha et <strong>le</strong> saisit à <strong>de</strong>ux mains, délogeant par la même occasion<br />

un petit lézard courroucé qui avait profité <strong>de</strong> son ombre pour se réfugier.<br />

La planche était volumineuse. Il en appuya la base sur <strong>le</strong> sol, puis la laissa<br />

tomber. El<strong>le</strong> claqua au sol en lui arrachant <strong>de</strong>s volutes <strong>de</strong> poussière<br />

cuivrée.<br />

"Oh…, fit Arthur après avoir <strong>de</strong> nouveau craché ses poumons."<br />

La planche était en fait une pancarte défraîchie, à la peinture<br />

écaillée. Un court texte en <strong>le</strong>ttres noires calligraphiées y était apposé, peu<br />

lisib<strong>le</strong> mais tout <strong>de</strong> même déchiffrab<strong>le</strong> :<br />

"Salvación, New Mexico. Established in 1896. "You'd sooner be in…""<br />

1


Chapitre 9 : Salvación<br />

"Tu ne veux toujours pas me dire ton prénom?<br />

-Non…<br />

-Pourquoi?<br />

-Parce que… je ne veux pas.<br />

-Je t'ai dit <strong>le</strong> mien. Ce n'est pas très gentil <strong>de</strong> ne pas en faire <strong>de</strong> même.<br />

-Qui me dit que tu t'appel<strong>le</strong>s vraiment "Sam" d'abord?<br />

-Rien… Mais tu peux me faire confiance, je te dis la vérité.<br />

-…<br />

-…<br />

-D'accord, je veux bien te croire… Sam. Mais je ne te dirai pas mon nom.<br />

Nils Duquette m'a dit que si je donnais mon nom à un inconnu, il<br />

m'arriverait <strong>de</strong> mauvaises choses.<br />

-Qui est Nils Duquette?<br />

-Un copain à l'éco<strong>le</strong>. Il est super grand et c'est un dur! L'autre jour il a<br />

frappé un élève <strong>de</strong> cinquième.<br />

-Ah? Pourquoi?<br />

-Tu es curieux toi…<br />

-J'aime <strong>le</strong>s histoires <strong>de</strong> combat!<br />

-Oh… Ben… <strong>le</strong> cinquième voulait vo<strong>le</strong>r la casquette que m'a offerte mon<br />

grand-père pour mon annif'.<br />

-Ton grand-père… celui qui s'est b<strong>le</strong>ssé en faisant du rol<strong>le</strong>r?<br />

-Oui! Et Nils Duquette est passé par là. Il a tout vu, il a menacé <strong>le</strong> grand,<br />

puis il l'a tabassé pour qu'il me ren<strong>de</strong> la casquette! Le grand est parti en<br />

p<strong>le</strong>urant.<br />

-Sympa ce Nils. C'est ton ami?<br />

-Un peu.<br />

-Comment ça "un peu"?<br />

-Ben… Il est drô<strong>le</strong> Nils. Quand <strong>le</strong>s autres à l'éco<strong>le</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt si on est<br />

copains, il dit que non et répond que je suis son frangin et… Oui maman,<br />

je discute avec Sam, je bouge pas d'ici! …Et il répond que je suis son<br />

frangin et que si quelqu'un me tape, il <strong>le</strong> tapera puissance mil<strong>le</strong>!<br />

-Tu t'appel<strong>le</strong>s Arthur!!<br />

-…COMMENT TU AS DEVINE??<br />

-Je lis dans <strong>le</strong>s esprits…<br />

-Sérieux??<br />

-Non, ta mère vient <strong>de</strong> t'appe<strong>le</strong>r par ton prénom, sous mon nez.<br />

-Ah… je suis bête.<br />

-Mais non. Enfin… peut-être!<br />

-Tu es méchant avec moi. Arrête <strong>de</strong> rire!<br />

-Je plaisante, excuse-moi… Quoi qu'il en soit, Nils a peut-être raison. Ne<br />

dis rien qui te concerne à <strong>de</strong>s inconnus.<br />

-Alors pourquoi je te par<strong>le</strong> à toi? En plus t'es un vieux, c'est encore pire!<br />

-Ohé, je n'ai même pas vingt ans! Je suis encore un gamin! Et puis je ne<br />

suis plus un inconnu! On par<strong>le</strong> ensemb<strong>le</strong> <strong>de</strong>puis une heure et je viens <strong>de</strong><br />

discuter avec ta maman, en plus.<br />

-Ah… oui, c'est vrai. El<strong>le</strong> t'a dit <strong>de</strong>s choses sur moi maman?<br />

1


-El<strong>le</strong> m'a juste dit que tu avais du mal à jouer avec <strong>le</strong>s autres enfants.<br />

Rien d'autre.<br />

-Je suis timi<strong>de</strong>, c'est tout.<br />

-Bizarre. Malgré ta timidité, tu es train <strong>de</strong> me par<strong>le</strong>r alors que je ne suis<br />

qu'un "vieil inconnu".<br />

-Et toi tu me par<strong>le</strong>s <strong>de</strong>puis une heure alors que je ne suis qu'un garçon<br />

peut-être un peu bête. Egalité.<br />

-…<br />

-Non?<br />

-Il faut croire que si.<br />

-Bon. Sinon… tu m'as toujours pas dit ce que tu fais à l'hôpital.<br />

-Je suis venu accompagner ma mère.<br />

-Qu… Qu'est-ce qu'el<strong>le</strong> a? Tu… tu as l'air triste d'un coup.<br />

-Je… on ne sait pas trop. El<strong>le</strong> a… perdu son âme. <strong>Les</strong> mé<strong>de</strong>cins n'ont<br />

jamais vraiment su ce qui lui était arrivé, mais el<strong>le</strong> n'est plus el<strong>le</strong>-même.<br />

-Je suis désolé pour el<strong>le</strong>. Ton père est venu aussi?<br />

-Non, il est… il n'est pas là.<br />

-Et tes frères et sœurs?<br />

-Je n'en ai pas.<br />

-Fils unique? Comme moi!?<br />

-Tout à fait.<br />

-Wow…<br />

-Nous sommes <strong>de</strong> plus en plus rares, tu ne trouves pas?<br />

-Ouais, je connais pas beaucoup d'enfants uniques à l'éco<strong>le</strong>. Nils en est<br />

un, mais il a une grosse famil<strong>le</strong> et p<strong>le</strong>in <strong>de</strong> cousins, alors c'est pas pareil.<br />

-Même avec beaucoup <strong>de</strong> cousins, on se sent parfois seul lorsqu'on est<br />

enfant unique. J'en sais quelque chose.<br />

-Des fois moi aussi je m'ennuie, mais j'aime bien m'occuper tout seul dans<br />

ma chambre, lire <strong>de</strong>s livres et faire d'autres choses…<br />

-Ca te convient? De ne pas avoir <strong>de</strong> frère ou <strong>de</strong> sœur?<br />

-Ben… On m'a dit qu'avoir <strong>de</strong> bons copains, c'est comme avoir une famil<strong>le</strong>.<br />

Sauf que la vraie famil<strong>le</strong>, on la choisit pas.<br />

-Je ne comprends pas.<br />

-Si on choisit un copain et qu'on en fait un membre <strong>de</strong> sa famil<strong>le</strong>, c'est<br />

qu'il est très bien et qu'on pourra être encore plus proche <strong>de</strong> lui qu'un<br />

frère. Et là, même si on se voit pas souvent, même si on est loin l'un <strong>de</strong><br />

l'autre, on se sentira jamais plus seul! Comme on est plus proches que<br />

<strong>de</strong>s frères, c'est surpuissant! Vu que Nils veut être mon frère, ça ira pour<br />

moi. Je me sentirai jamais vraiment seul.<br />

-…<br />

-Tu réfléchis à ce que j'ai dit? Je sais que j'explique mal et que ça a l'air<br />

stupi<strong>de</strong>, mais Nils avait l'air vachement sérieux quand il a dit ça. Des fois<br />

il par<strong>le</strong> comme un adulte ; ptêt à cause <strong>de</strong> ses cours <strong>de</strong> théâtre.<br />

-Ton ami Nils a l'air très intelligent, bien qu'un peu brute. Je ne pense pas<br />

que cette idée soit stupi<strong>de</strong>, au contraire.<br />

-Ha!<br />

-Encore faut-il trouver <strong>de</strong> bons amis pour se constituer une famil<strong>le</strong>…<br />

-Tu n'en as pas?<br />

1


-Pas vraiment. Enfin, j'ai une personne à laquel<strong>le</strong> je tiens beaucoup, mais<br />

ce n'est pas vraiment ce que l'on pourrait qualifier d'ami.<br />

-Pourtant tu as l'air sympa.<br />

-Je ne suis pas très doué pour me faire <strong>de</strong>s amis malgré tout. En général,<br />

il y a beaucoup <strong>de</strong> mon<strong>de</strong> autour <strong>de</strong> moi, mais ce sont plus <strong>de</strong>s "copains"<br />

que <strong>de</strong>s vrais amis. Il faut l'avouer.<br />

-…<br />

-S'il arrive quelque chose à ma mère, je n'aurai pas <strong>de</strong> famil<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

remplacement… Quelqu'un comme ton ami Nils, je n'ai pas ça sous la<br />

main pour l'instant…"<br />

Arthur cessa son <strong>de</strong>ssin et regarda Samuel, en si<strong>le</strong>nce. Ayant posé<br />

son stylo, il fit subitement <strong>le</strong> tour <strong>de</strong> la tab<strong>le</strong> et étreignit Samuel, <strong>de</strong> ses<br />

bras trop courts.<br />

"Qu'est-ce que tu fais Arthur?<br />

-Je <strong>de</strong>viens ton ami.<br />

-Ah?<br />

-Comme ça, si tu perds ta maman, je veux bien m'occuper <strong>de</strong> toi <strong>de</strong><br />

temps en temps, quand j'aurai fini <strong>de</strong> soigner grand-père.<br />

-C'est gentil, mais… tu sais, on ne se reverra sans doute plus jamais après<br />

être sortis <strong>de</strong> cet hôpital.<br />

-Ptêt, mais au moins tu te sentiras jamais seul, même si on ne se revoit<br />

pas! Et si on se revoit un jour, par hasard, je te présenterai Nils et je suis<br />

sûr qu'il voudra bien que je sois ton frangin aussi!<br />

-…<br />

-Ca te dérange d'être ami avec un petit?<br />

-Non, j'en suis honoré… Merci Arthur."<br />

Il lui ébouriffa <strong>le</strong>s cheveux, en signe <strong>de</strong> reconnaissance.<br />

"Soyons donc "frangins", même <strong>de</strong> loin. Toi, tu penseras à moi pour que<br />

je ne me sente pas seul si ma mère me laisse. Moi… je penserai à toi en<br />

espérant que tu gar<strong>de</strong>s toujours cette générosité exemplaire…"<br />

***<br />

"Compte à rebours lancé, indiqua Andreas. Quoi qu'il arrive, nous <strong>de</strong>vons<br />

tous être <strong>de</strong> retour dans environ 1h50. Autrement, <strong>le</strong> passage se<br />

refermera.<br />

-Et nous serons condamnés à attendre un ou <strong>de</strong>ux jours dans cette<br />

cambrousse, <strong>le</strong> temps qu'Elliott puisse rouvrir un passage et venir nous<br />

récupérer, supposa Ana Rosa."<br />

Andreas venait <strong>de</strong> déc<strong>le</strong>ncher <strong>le</strong> chronomètre <strong>de</strong> sa montre. Par<br />

mesure <strong>de</strong> précaution, Arthur en fit <strong>de</strong> même et se cala sur <strong>le</strong> créneau<br />

qu'on lui avait indiqué. Ils pourraient bien être séparés au cours <strong>de</strong> la<br />

mission après tout.<br />

1


"Qu'est-ce que tu fais? <strong>de</strong>manda-t-il à Ibtissam, voyant que celui-ci était<br />

assis en tail<strong>le</strong>ur sur un gros rocher, yeux fermés et paumes <strong>de</strong>s mains<br />

jointes.<br />

-J'essaie <strong>de</strong> localiser Altaïr, répondit Ibtissam, en un souff<strong>le</strong>.<br />

-Tu peux faire ça?"<br />

Ibtissam ouvrit un œil.<br />

"Ca ne <strong>de</strong>vrait pas te surprendre Arty. Lorsque tu as involontairement pris<br />

possession du Sceau Cosmique il y a quelques mois, n'as-tu pas bénéficié<br />

<strong>de</strong> ce don pendant quelques temps? L'aptitu<strong>de</strong> à l'appréhension<br />

géographique globa<strong>le</strong> d'un lieu : une sorte <strong>de</strong> troisième œil qui permet <strong>de</strong><br />

ne jamais se perdre et <strong>de</strong> situer certaines choses et personnes dans un<br />

espace donné?<br />

-Et bien… si, il me semb<strong>le</strong>, se rappela Arthur.<br />

-J'ose penser que tu n'as, à l'époque, perçu qu'un infime partie <strong>de</strong> ce<br />

don."<br />

Souriant, il se remit en instance <strong>de</strong> méditation, tel un bonze plongé<br />

dans une torpeur cé<strong>le</strong>ste, tandis que ses trois compagnons formaient un<br />

cerc<strong>le</strong> attentif autour <strong>de</strong> lui. Arthur se détacha provisoirement <strong>de</strong> ce<br />

spectac<strong>le</strong> atypique pour observer <strong>le</strong> paysage. Bien qu'ils fussent arrivés<br />

sur place <strong>de</strong>puis une dizaine <strong>de</strong> minutes, pas un seul véhicu<strong>le</strong> n'avait<br />

sillonné la route bordant <strong>le</strong> désert dans <strong>le</strong>quel ils avaient atterri. A croire<br />

que la région était isolée du reste du mon<strong>de</strong>. L'on pouvait en venir à<br />

penser que <strong>le</strong> nom "Salvación" était particulièrement adapté, <strong>le</strong> voyageur<br />

parvenu là <strong>de</strong>vant s'attendre à rencontrer enfin une forme <strong>de</strong> civilisation<br />

non reptilienne, après <strong>de</strong>s heures d'errance.<br />

Selon la vieil<strong>le</strong> pancarte trouvée par Arthur, la bourga<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

Salvación se trouvait à trois kilomètres <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur point <strong>de</strong> chute, en<br />

contrebas d'un paysage rocail<strong>le</strong>ux suré<strong>le</strong>vé. La question était désormais<br />

<strong>de</strong> savoir si Altaïr se trouvait bien dans <strong>le</strong>s environs, conformément aux<br />

indications <strong>de</strong> GLOW.<br />

"Ho…"<br />

Ibtissam venait d'émettre une onomatopée satisfaite. Intrigué,<br />

Arthur se focalisa <strong>de</strong> nouveau sur lui pour observer son manège. Soudain,<br />

une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> filaments dorés, aussi fins que <strong>de</strong>s fils <strong>de</strong> coton, naquit<br />

<strong>de</strong> l'apposition <strong>de</strong>s mains d'Ibtissam. Ils se déployèrent jusqu'à former<br />

une grosse pelote lumineuse. Alors, Ibtissam désolidarisa ses mains et<br />

une bague en or, sertie d'émerau<strong>de</strong>, apparut à son annulaire droit.<br />

"Nous sommes sur la bonne voie, se réjouit-il en ouvrant brusquement <strong>le</strong>s<br />

yeux. Je ressens une présence spirituel<strong>le</strong> singulière au Sud-Sud-Est d'ici,<br />

au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> Salvación. Si nous avançons à un bon rythme, nous <strong>de</strong>vrions<br />

être sur place en moins d'une heure.<br />

1


-Parfait. Il ne nous reste plus qu'à nous mettre en route, dit Ana Rosa. Le<br />

temps est sec mais la température n'est pas particulièrement é<strong>le</strong>vée. Nos<br />

réserves d'eau <strong>de</strong>vraient amp<strong>le</strong>ment suffire pour une tel<strong>le</strong> marche."<br />

Andreas approuva en si<strong>le</strong>nce. Lui portait un sac à dos différent <strong>de</strong>s<br />

autres, plus gros et carré, comme celui d'un randonneur. Ayant vu Sally<br />

s'emparer du même type d'équipement, Arthur en avait déduit qu'il avait<br />

un lien avec <strong>le</strong> processus <strong>de</strong> rapatriement <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux créatures sacrées.<br />

Cependant, Enzo Wallace n'avait pas été prolixe à ce sujet lors <strong>de</strong> la brève<br />

réunion du matin. Le dirigeant s'était juste entretenu rapi<strong>de</strong>ment avec<br />

chacun <strong>de</strong>s porteurs et avait expliqué aux autres qu'il était primordial<br />

d'assurer la protection <strong>de</strong> ceux-ci, pour <strong>le</strong> succès <strong>de</strong> la mission.<br />

"Ne <strong>de</strong>vrait-on pas faire quelque chose pour dissimu<strong>le</strong>r l'entrée du<br />

Passage? suggéra Arthur. Si quelqu'un passe par ici et voit cette brèche,<br />

je crains que <strong>le</strong>s reporters du pays ne soient tous là dans l'heure qui suit.<br />

-Je doute que ce soit un problème, dit Ibtissam. D'après ce que je viens<br />

<strong>de</strong> constater, Salvación est quasiment vi<strong>de</strong>.<br />

-Pardon?"<br />

Ibtissam fronça <strong>le</strong>s sourcils.<br />

"Je n'ai ressenti la présence que d'une poignée d'individus dans la vil<strong>le</strong>,<br />

précisa-t-il. Il se pourrait que la venue d'Altaïr ait déc<strong>le</strong>nché <strong>de</strong>s<br />

évènements anormaux et que la vil<strong>le</strong> se soit vidée d'une partie essentiel<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong> sa population, par suite.<br />

-<strong>Les</strong> personnes que tu as localisées sont donc <strong>le</strong>s habitants qui n'ont pas<br />

quitté <strong>le</strong>s lieux, supposa Arthur.<br />

-Ou <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> la Confrérie, fit Ana Rosa. Il ne faut pas écarter cette<br />

possibilité."<br />

Arthur comprenait tout <strong>le</strong> poids <strong>de</strong> cette hypothèse. Il se tut un instant.<br />

"Qu'ils viennent s'ils l'osent, déclara-t-il avec détermination. Nous <strong>le</strong>ur<br />

ferons un accueil digne <strong>de</strong> ce nom.<br />

-Je confirme, exulta Ibtissam, visib<strong>le</strong>ment ravi <strong>de</strong> la résolution d'Arthur.<br />

-Ne perdons pas <strong>de</strong> temps, dans l'éventualité où il s'agirait d'eux, conseilla<br />

Andreas. Ana Rosa, nous <strong>de</strong>vrions dissimu<strong>le</strong>r <strong>le</strong> Passage comme l'a<br />

suggéré Arthur. Tu as quelque chose qui peut faire ça dans ton cahier?<br />

-Bien sûr! J'ai passé une partie <strong>de</strong> la nuit à préparer mes carnets en vue<br />

<strong>de</strong> la mission. Même ça, je l'avais prévu!"<br />

El<strong>le</strong> prit un petit bloc-notes dans une poche latéra<strong>le</strong> <strong>de</strong> son pantalon<br />

et <strong>le</strong> feuil<strong>le</strong>ta, yeux plissés. Son regard s'éclaira lorsqu'el<strong>le</strong> trouva l'objet<br />

<strong>de</strong> sa recherche. Aussitôt el<strong>le</strong> arracha la page qui l'intéressait, la roula en<br />

bou<strong>le</strong>, puis la lança vers l'entrée du Passage à la manière d'un joueur <strong>de</strong><br />

cricket.<br />

1


"Mon imagination ne connaît aucune limite!"<br />

La bou<strong>le</strong>tte s'embrasa après avoir touché <strong>le</strong> sol, puis disparut<br />

<strong>de</strong>rrière un écran <strong>de</strong> fumée. Une gran<strong>de</strong> pancarte publicitaire se dévoila<br />

alors, vantant <strong>le</strong>s mérites d'une pâte <strong>de</strong>ntifrice factice qui, à défaut <strong>de</strong><br />

pouvoir réel<strong>le</strong>ment blanchir <strong>le</strong>s <strong>de</strong>nts, dissimulait avec efficacité l'entrée<br />

du Passage.<br />

"J'avais d'abord pensé à une pub pour <strong>de</strong> la lingerie, mais cela risquait <strong>de</strong><br />

déc<strong>le</strong>ncher <strong>de</strong>s carambolages, avoua Ana Rosa. Ibtissam, tu ouvres <strong>le</strong><br />

chemin?<br />

-Avec joie! Je crois qu'il serait sage <strong>de</strong> se contenter <strong>de</strong> suivre la route<br />

d'assez loin. Nous éviterons ainsi <strong>le</strong>s mauvaises rencontres et <strong>le</strong>s<br />

questions embarrassantes."<br />

Approuvant vivement cette idée, Arthur retira sa veste pour avoir<br />

moins chaud, la coinça dans <strong>le</strong>s lanières <strong>de</strong> son sac à dos, et prit la tête<br />

du groupe avec Ibtissam. D'un pas mesuré mais énergique, ils avancèrent<br />

tous <strong>le</strong>s quatre vers <strong>le</strong> Sud. Ils progressaient entre <strong>le</strong>s broussail<strong>le</strong>s qui<br />

ponctuaient un sol couvert d'une fine couche <strong>de</strong> sab<strong>le</strong> rougeâtre et <strong>de</strong><br />

rocail<strong>le</strong>s. Un sol qui ne laissait pas <strong>de</strong> place à la végétation et n'offrait que<br />

<strong>de</strong>s abris précaires à <strong>de</strong> petits animaux.<br />

Parfois, <strong>de</strong>s cris <strong>de</strong> vautours attiraient <strong>le</strong> regard vers <strong>le</strong> ciel. <strong>Les</strong><br />

rapaces suivaient <strong>le</strong>s élus avec avidité, guettant une opportunité<br />

hypothétique <strong>de</strong> se repaître. "Ils ne s'attaquent qu'aux animaux morts",<br />

pensa Arthur pour se rassurer.<br />

"Ils ne s'attaqueront pas à toi, promit Andreas, comme s'il avait lu dans<br />

ses pensées."<br />

Comme l'avait affirmé Ana Rosa un peu plus tôt, l'atmosphère était<br />

chau<strong>de</strong>, mais tolérab<strong>le</strong>, grâce un vent bénéfique qui avait toutefois <strong>le</strong><br />

désavantage <strong>de</strong> sou<strong>le</strong>ver <strong>de</strong>s nuages <strong>de</strong> sab<strong>le</strong>, par intermittence. De ce<br />

fait, Arthur marchait <strong>le</strong> plus souvent avec la main <strong>de</strong>vant ses yeux ou son<br />

nez pour <strong>le</strong>s préserver <strong>de</strong> grains intrusifs. Il n'osait pas même par<strong>le</strong>r, <strong>de</strong><br />

peur d'ava<strong>le</strong>r encore une fois l'équiva<strong>le</strong>nt d'une tasse <strong>de</strong> sab<strong>le</strong>. Toutefois,<br />

face à la volonté d'Ibtissam <strong>de</strong> discuter, il n'eut pas <strong>le</strong> choix.<br />

"Puis-je faire une remarque Arthur?<br />

-Euh… oui, bien sûr.<br />

-Anaïs m'a un peu raconté ton histoire, en évoquant Samuel et Nils par la<br />

même occasion."<br />

La démarche d'Arthur se raidit. Encore une conversation qu'il aurait<br />

préféré éviter.<br />

"Oui, fit-il.<br />

1


-J'ai été marqué par la manière dont <strong>le</strong> <strong>de</strong>stin t'a frappé, continua<br />

Ibtissam. Il est évi<strong>de</strong>nt que tu as surmonté <strong>de</strong>s obstac<strong>le</strong>s moraux très<br />

ardus et que tu es parvenu à te remettre, ce qui est honorab<strong>le</strong>. Toutefois,<br />

ce qui m'a <strong>le</strong> plus surpris est… Comment dire?... <strong>Les</strong> élus sont éparpillés à<br />

travers <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> ; c'est <strong>le</strong> fruit d'un aléa immuab<strong>le</strong>. Or, il se trouve<br />

qu'Anaïs et Nils, qui sont tous <strong>de</strong>ux français et qui sont amis <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s<br />

années, ont été désignés élus. Ce ne sont pas seu<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>s amis, ce<br />

sont tes amis.<br />

-Effectivement, reconnut Arthur qui s'était déjà fait la remarque <strong>de</strong>s<br />

dizaines <strong>de</strong> fois dans <strong>le</strong>s semaines qui avaient précédé cette discussion.<br />

-Ajoute à cela <strong>le</strong> fait que tu soies, par hasard, <strong>de</strong>venu l'ami d'un autre élu,<br />

ce fameux Samuel. Ega<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> fait que tu te soies trouvé<br />

acci<strong>de</strong>ntel<strong>le</strong>ment sur <strong>le</strong> chemin du Sceau cosmique l'an <strong>de</strong>rnier, ce qui a<br />

permis ta rencontre avec nous."<br />

Arthur garda <strong>le</strong>s lèvres scellées. Il sentait sur lui <strong>le</strong>s regards d'Ana<br />

Rosa et d'Andreas, marchant <strong>de</strong>rrière lui. Se posaient-ils eux aussi <strong>de</strong>s<br />

questions à son sujet? Ibtissam ne faisait sans doute qu'affirmer tout haut<br />

ce que <strong>le</strong>s autres pensaient tout bas.<br />

"Si l'on cumu<strong>le</strong> ces éléments et bien d'autres, on ne peut arriver qu'à une<br />

seu<strong>le</strong> conclusion, dit Ibtissam.<br />

-Laquel<strong>le</strong>?"<br />

En guise <strong>de</strong> réponse, Ibtissam lui tendit un carré <strong>de</strong> tissu blanc qu'il<br />

lui mit sous <strong>le</strong> nez. Arthur s'arrêta, surpris.<br />

"Je n'en ai pas la moindre idée en fait, déclara Ibtissam avec un sourire<br />

princier.<br />

-Ha!?<br />

-Cependant, je suis sûr d'être agréab<strong>le</strong>ment surpris quand je saurai <strong>le</strong> fin<br />

mot <strong>de</strong> l'histoire. La seu<strong>le</strong> chose dont je sois certain pour l'instant est que<br />

tu as quelque chose d'exceptionnel, un atout que nous autres ne<br />

possédons sans doute pas et sur <strong>le</strong>quel il faudra compter en temps voulu.<br />

En attendant <strong>de</strong> découvrir ce ta<strong>le</strong>nt caché je te fais ce ca<strong>de</strong>au, en tant que<br />

compagnon d'armes, référent et ami. Tu remarqueras qu'Anaïs, Aïshani et<br />

moi-même arborons cette large pièce <strong>de</strong> tissu d'un blanc immaculé autour<br />

<strong>de</strong> la tail<strong>le</strong>. J'aimerais te voir en faire <strong>de</strong> même.<br />

-C'est… un ca<strong>de</strong>au?"<br />

Arthur prit <strong>le</strong> carré <strong>de</strong> tissu et <strong>le</strong> déplia, étonné <strong>de</strong> l'issue <strong>de</strong> cette<br />

conversation. Il s'agissait d'un pagne tout juste assez long pour couvrir<br />

une partie <strong>de</strong>s cuisses. Le tissu était brodé et un terme arabe était cousu<br />

en noir, dans l'un <strong>de</strong>s coins inférieurs.<br />

"Il s'agit <strong>de</strong> ton prénom! Tout ce travail a été accompli par <strong>le</strong>s mains<br />

habi<strong>le</strong>s <strong>de</strong> ma chère mère qui estime que <strong>le</strong> blanc est symbo<strong>le</strong> <strong>de</strong> pureté<br />

et <strong>de</strong> chance. J'espère que cela te plaira.<br />

1


-B… Bien évi<strong>de</strong>mment que ça me plaît! Ce ca<strong>de</strong>au me touche! Je ne sais<br />

comment te remercier Ibtissam, bafouilla Arthur, gêné.<br />

-En m'appelant Tissam et en <strong>le</strong> portant à chaque fois que tu seras en<br />

mission, répondit l'autre d'un air miséricordieux."<br />

Alors qu'Arthur s'exécutait avec enthousiasme, Ana Rosa asséna une<br />

claque sur la nuque d'Ibtissam.<br />

"Et nous alors? C'est un tissu réservé aux élites? Le petit peup<strong>le</strong> n'a pas<br />

droit à ce privilège ploutocrate qui…"<br />

Ibtissam <strong>le</strong>ur tendit <strong>de</strong>ux pièces <strong>de</strong> tissu i<strong>de</strong>ntiques à cel<strong>le</strong> d'Arthur.<br />

Ana Rosa se tut alors, rouge <strong>de</strong> honte.<br />

"Je ne vous ferais jamais un tel affront, rassura Ibtissam. J'en ai fait<br />

confectionner pour tous nos compagnons, mais vous êtes <strong>le</strong>s premiers à<br />

<strong>le</strong>s recevoir.<br />

-Tissam, murmura Ana Rosa, tu es trop…<br />

-…classe, finit Arthur."<br />

Andreas et Ana Rosa remercièrent <strong>le</strong>ur bienfaiteur, avant que <strong>le</strong><br />

quatuor ne se remette rapi<strong>de</strong>ment en route pour rattraper <strong>le</strong>s précieuses<br />

minutes perdues. Etrangement, ce ca<strong>de</strong>au inattendu paraissait immuniser<br />

Arthur <strong>de</strong> la cha<strong>le</strong>ur et <strong>de</strong> la fatigue naissante. Son nouvel accoutrement<br />

lui donnait si fière allure qu'il se sentait capab<strong>le</strong> d'escala<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s<br />

montagnes et <strong>de</strong> franchir <strong>de</strong>s océans à la nage. "Plutôt <strong>de</strong>s lacs", se<br />

ravisa-t-il.<br />

Tandis que <strong>le</strong>ur randonnée (<strong>le</strong> long d'une route toujours aussi<br />

inoccupée) <strong>le</strong>s rapprochait <strong>de</strong> Salvación, il médita tout <strong>de</strong> même <strong>le</strong>s<br />

paro<strong>le</strong>s d'Ibtissam. Ce <strong>de</strong>rnier avait raison en un sens. Trop <strong>de</strong> choses,<br />

vite attribuées à la coïnci<strong>de</strong>nce, s'étaient produites au cours <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rniers<br />

mois. Choses au centre <strong>de</strong>squel<strong>le</strong>s il se trouvait systématiquement. Il<br />

soupçonnait d'ail<strong>le</strong>urs Kaznaël d'en savoir plus qu'il ne laissait entendre. A<br />

chaque fois qu'Arthur tentait <strong>de</strong> discuter avec lui <strong>de</strong> ses incertitu<strong>de</strong>s à ce<br />

sujet, <strong>le</strong> Protecteur éludait la question en répondant inexorab<strong>le</strong>ment : "Ne<br />

te tourmente pas avec <strong>de</strong>s pensées parasites. Tu as d'autres priorités pour<br />

l'instant!".<br />

Dès qu'il rentrerait à Paris, Arthur était déterminé à lui tirer <strong>le</strong>s vers<br />

du nez pour obtenir <strong>de</strong>s réponses. Si, comme l'affirmait Ibtissam (et<br />

Samuel), il était détenteur d'un atout exceptionnel, il tenait à <strong>le</strong> connaître.<br />

Alors qu'il venait <strong>de</strong> passer un monticu<strong>le</strong> rocheux assez péril<strong>le</strong>ux à<br />

escala<strong>de</strong>r, la vision d'une habitation <strong>le</strong> tira <strong>de</strong> ses pensées. En fait<br />

d'habitation, il s'agissait une vieil<strong>le</strong> petite bicoque en bois se profilant à<br />

l'horizon, à une vingtaine <strong>de</strong> pas <strong>de</strong> la route. El<strong>le</strong> était surmontée d'un<br />

panneau blanc à l'apparence désolée arborant <strong>le</strong> nom "Salvación". Au<strong>de</strong>là,<br />

avec un dénivelé non négligeab<strong>le</strong>, on apercevait un amas <strong>de</strong> toits et<br />

1


<strong>de</strong> routes goudronnées. La vil<strong>le</strong> se trouvait là, au centre d'un grand vallon<br />

du Nouveau Mexique.<br />

"Je crois que nous sommes à proximité du point qu'a indiqué Tissam, dit<br />

Arthur. Salvación.<br />

-Brrr… Je n'aimerais pas habiter par ici, souffla Ana Rosa. C'est trop<br />

austère à mon goût.<br />

-I<strong>de</strong>m, admit Arthur. Je préfère encore la pollution parisienne."<br />

Andreas s'approcha pour observer la vil<strong>le</strong>.<br />

"Combien <strong>de</strong> temps nous reste-t-il? lui <strong>de</strong>manda Ana Rosa.<br />

-Environ 1h30. Ca me semb<strong>le</strong> raisonnab<strong>le</strong> si nous ne sommes pas<br />

retardés et si nous trouvons rapi<strong>de</strong>ment Altaïr.<br />

-Sud-Sud-Est, répéta Arthur. Tissam, par où d…"<br />

Un frisson glacé lui parcourut <strong>le</strong> corps lorsqu'il se tourna vers<br />

Ibtissam. Un volati<strong>le</strong> à l'apparence familière était perché sur l'épau<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

celui-ci, se faisant caresser <strong>le</strong> bec par l'élu.<br />

"Cette bête n'est pas farouche du tout, s'extasiait Ibtissam. Je ne pensais<br />

pas qu'on trouvait <strong>de</strong>s oiseaux <strong>de</strong> ce type dans cette région."<br />

Andreas et Ana Rosa s'étaient figés à <strong>le</strong>ur tour. Le volati<strong>le</strong>, une<br />

corneil<strong>le</strong> au plumage ébène, <strong>le</strong>s jaugeait <strong>de</strong> ses yeux b<strong>le</strong>us en secouant<br />

<strong>le</strong>ntement la tête et en s'ébrouant. L'anneau en or entourant sa patte<br />

droite confirma <strong>le</strong>s craintes d'Arthur.<br />

"Tissam…, fit Ana Rosa.<br />

-Oui?<br />

-Ne bouge pas."<br />

El<strong>le</strong> avait saisi un bâton au sol et s'approchait <strong>le</strong>ntement <strong>de</strong> l'élu par<br />

<strong>de</strong>rrière, prête à brutaliser l'animal pour <strong>le</strong> faire partir <strong>de</strong> son perchoir.<br />

C'est alors que la corneil<strong>le</strong> émit un croassement stri<strong>de</strong>nt et battit <strong>de</strong>s<br />

ai<strong>le</strong>s, <strong>de</strong> manière frénétique. El<strong>le</strong> s'envola in extremis pour esquiver<br />

l'assaut (qui ne trouva que l'épau<strong>le</strong> d'Ibtissam, <strong>le</strong>quel poussa un<br />

mugissement <strong>de</strong> dou<strong>le</strong>ur) et prit <strong>de</strong> la hauteur.<br />

"Mer<strong>de</strong>, jura Ana Rosa.<br />

-Pourquoi me vio<strong>le</strong>nter ainsi? s'indigna Ibtissam. Je t'ai fait ton ca<strong>de</strong>au<br />

pourtant!<br />

-Tissam, cet oiseau est à la Confrérie, expliqua Andreas.<br />

-Cette chose?"<br />

Arthur avait <strong>le</strong>s yeux fixés sur la corneil<strong>le</strong>. Cel<strong>le</strong>-ci effectuait <strong>de</strong><br />

larges cerc<strong>le</strong>s au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs têtes, hors <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur portée. Il n'y avait<br />

pas <strong>le</strong> moindre doute, Arthur reconnaissait la créature qui l'avait si<br />

1


souvent apeuré. Soudain, <strong>le</strong> gron<strong>de</strong>ment du tonnerre retentit et <strong>le</strong> volati<strong>le</strong><br />

s'illumina, auréolé d'une lumière blanche.<br />

"En retrait, avertit Ana Rosa."<br />

<strong>Les</strong> élus firent tous un bond en arrière, au moment où une longue<br />

lance noire tombée du ciel s'enfonçait dans <strong>le</strong> sol, là où ils se trouvaient<br />

encore une secon<strong>de</strong> plus tôt. Un éclair blanc phénoménal s'abattit au<br />

même endroit, occasionnant une puissante on<strong>de</strong> <strong>de</strong> choc. Arthur dut<br />

ancrer ses pieds dans <strong>le</strong> sab<strong>le</strong> pour ne pas tomber. Son regard se voila.<br />

Encore une fois, la Confrérie faisait son apparition <strong>de</strong>vant lui, tel un<br />

nuisib<strong>le</strong> impossib<strong>le</strong> à éradiquer <strong>de</strong> manière définitive.<br />

"Ce n'était pas très gentil <strong>de</strong> tenter <strong>de</strong> m'attaquer en traître avec un<br />

bâton, Ana, professa une voix douce."<br />

Un long bras blanc à la main gantée <strong>de</strong> cuir noir émergea <strong>le</strong>ntement<br />

du nuage <strong>de</strong> fumée créé par l'atterrissage et se saisit <strong>de</strong> la lance. L'arme<br />

noire était interminab<strong>le</strong>, presque <strong>de</strong>ux mètres <strong>de</strong> longueur, et sa surface,<br />

brillante, s'ornait <strong>de</strong> multitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> torsa<strong>de</strong>s en or. Sa pointe enfoncée<br />

dans <strong>le</strong> sol paraissait suffisamment effilée pour se frayer sans peine un<br />

chemin à travers <strong>le</strong>s matières <strong>le</strong>s plus résistantes ou pour mettre la chair<br />

à vif.<br />

La silhouette longiligne <strong>de</strong> Munin se découpa du paysage encore<br />

embrumé. Vêtue <strong>de</strong> son étroite robe noire à fentes, el<strong>le</strong> se tenait là,<br />

l'expression aussi plaisante que ce que l'on avait décrit à Arthur. Ses<br />

sourcils fins soulignaient <strong>de</strong> grands yeux marqués à la fois par la curiosité<br />

et la satisfaction. Progressivement, son teint s'humanisait, passant du<br />

blanc <strong>le</strong> plus laiteux à un grain <strong>de</strong> peau plus hâlé. Arthur déglutit.<br />

"Et bien et bien… Vous n'êtes donc que quatre, constata-t-el<strong>le</strong> en retirant<br />

la lance du sol. Je suis surprise."<br />

Aucun <strong>de</strong>s élus ne daigna répondre. Tous observaient attentivement<br />

<strong>le</strong> visage doucereux <strong>de</strong> la femme, en partie caché par une longue<br />

chevelure noire flottant au vent.<br />

"Sans gran<strong>de</strong> surprise, vous êtes venue chercher Altaïr, supposa Ana<br />

Rosa. Il aurait été étonnant que la Confrérie rate une occasion <strong>de</strong> saboter<br />

notre mission.<br />

-Pourquoi tant <strong>de</strong> verve Ana? répondit Munin, calant ses cheveux <strong>de</strong>rrière<br />

ses oreil<strong>le</strong>s. Je ne cherche pas <strong>le</strong> conflit.<br />

-Mon nom est Ana Rosa.<br />

-Toutes mes excuses, dit Munin avec déférence. J'imagine que tu réserves<br />

<strong>le</strong>s diminutifs affectueux à tes amis."<br />

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Son regard se posa sur Arthur. Malgré l'air avenant qu'el<strong>le</strong> affichait,<br />

il ne put s'empêcher <strong>de</strong> se sentir foudroyé, comme si el<strong>le</strong> lui perçait l'âme.<br />

Ces yeux… <strong>le</strong>ur émotion était toute artificiel<strong>le</strong>. Ils n'avaient rien d'humain.<br />

"Arthur Gall. Je suis ravie <strong>de</strong> te voir sur pied. Tu étais plutôt mal en point<br />

la <strong>de</strong>rnière fois.<br />

-Grâce à vous et vos confrères, répliqua Arthur, d'une voix fiel<strong>le</strong>use.<br />

-Certes, mes confrères y ont contribué…"<br />

Andreas regardait nerveusement sa montre. L'horloge tournait.<br />

"…A propos <strong>de</strong> confrères, Nils vous réclame beaucoup, Anaïs et toi,<br />

déclara Munin. Je suis soulagée <strong>de</strong> pouvoir lui affirmer que tu vas bien, en<br />

attendant que vous soyez <strong>de</strong> nouveau amenés à vous par<strong>le</strong>r."<br />

Une rage indicib<strong>le</strong> prit possession d'Arthur à l'évocation du nom <strong>de</strong><br />

Nils. Il se retint <strong>de</strong> se ruer sur Munin pour lui extraire <strong>de</strong>s informations <strong>de</strong><br />

force.<br />

"Nils est ici? <strong>de</strong>manda-t-il d'un ton aussi posé que possib<strong>le</strong>.<br />

-Non, désolée. Je suis accompagnée, mais pas par lui. Ceci étant dit… Je<br />

vais vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>mi-tour.<br />

-Pardon? ricana Ibtissam. Faire <strong>de</strong>mi-tour? Madame, ce n'est envisageab<strong>le</strong><br />

que s'il s'avère qu'Altaïr n'est plus là."<br />

Munin fit agi<strong>le</strong>ment vril<strong>le</strong>r sa lance entre ses doigts, puis la pointa<br />

vers eux, sans dire mot.<br />

"Vous ne vou<strong>le</strong>z pas que l'on ail<strong>le</strong> plus loin. Ca signifie que vous n'avez<br />

pas encore récupéré Altaïr, n'est-ce pas? <strong>de</strong>vina Arthur.<br />

-Chou blanc, ajouta Ana Rosa. Et vous avez l'audace <strong>de</strong> penser que nous<br />

allons vous laisser la voie libre?<br />

-Bien sûr que non, ce serait trop faci<strong>le</strong>, répondit Munin. Toutefois, <strong>le</strong>s<br />

directives <strong>de</strong> notre chef vous ont été clairement communiquées. Si vous<br />

vous interposez, nous nous réservons <strong>le</strong> droit d'avoir recours à la force.<br />

-Que <strong>de</strong> bel<strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s, ironisa Arthur. Il est vrai que nos <strong>de</strong>rnières<br />

rencontres ont été purement amica<strong>le</strong>s. Pas une goutte <strong>de</strong> sang versée."<br />

Munin sourit.<br />

"Diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> vous duper, n'est-ce pas? Enfin… Peu importe votre<br />

interprétation <strong>de</strong>s faits. Je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> prendre une décision<br />

maintenant, en toute connaissance <strong>de</strong> cause. Je ne tiens pas vraiment à<br />

vous faire <strong>de</strong> mal, ajouta-t-el<strong>le</strong>.<br />

-On ne peut pas se permettre <strong>de</strong> perdre trop <strong>de</strong> temps ici, souffla Andreas<br />

à ses compagnons. Si Altaïr est toujours en liberté, il nous reste un peu<br />

plus d'une heure pour <strong>le</strong> retrouver avant la Confrérie et repartir.<br />

1


-Oui, notre choix est restreint, reconnut Ibtissam. Qu'en pensez-vous,<br />

chers amis?"<br />

En guise <strong>de</strong> réponse, Ana Rosa retira sa veste. Une étrange<br />

ceinture, large d'une dizaine <strong>de</strong> centimètres, parcourait son abdomen par<strong>de</strong>ssus<br />

son T-shirt. Des dizaines d'encoches avaient été pratiquées dans <strong>le</strong><br />

cuir, pour y glisser <strong>de</strong> nombreux carrés <strong>de</strong> papier. En outre, <strong>le</strong>s bras <strong>de</strong><br />

l'élue étaient recouverts d'épaisses ban<strong>de</strong><strong>le</strong>ttes blanches et ses doigts se<br />

refermaient sur <strong>de</strong>ux carnets noirs.<br />

"Dois-je comprendre que vous choisissez l'affrontement? fit Munin."<br />

Arthur tendit ses <strong>de</strong>ux bras joints vers <strong>le</strong> sol, paupières baissées.<br />

Drydock se matérialisa alors, dans un tourbillon glacial qui fit claquer ses<br />

vêtements et vo<strong>le</strong>r ses cheveux. Cette fois-ci, la sensation qui s'empara<br />

<strong>de</strong> son âme n'avait rien à voir avec ce qu'il avait connu jusque là. Son don<br />

n'avait plus rien d'incertain, d'incontrôlab<strong>le</strong>. Au contraire, il avait <strong>le</strong><br />

sentiment <strong>de</strong> mieux l'appréhen<strong>de</strong>r.<br />

Il ne savait pas si cette intensité résultait <strong>de</strong> la colère qui<br />

l'envahissait ou si son don s'était amélioré, mais il avait eu, pendant<br />

l'invocation, l'impression d'être dans l'œil d'un cyclone. Le sol s'était<br />

tapissé <strong>de</strong> neige sur une large surface, à ses pieds.<br />

"On choisit l'affrontement, répondit-il enfin à Munin. Je vais tail<strong>le</strong>r cette<br />

lance en pièces et t'obliger à me révé<strong>le</strong>r comment récupérer Nils, puis<br />

nous irons chercher Altaïr. J'ai hâte <strong>de</strong> voir si mon entraînement a porté<br />

ses fruits.<br />

-Sus au piaf, lança Ana Rosa."<br />

Arthur se mit en gar<strong>de</strong> et une longue traînée <strong>de</strong> glace se forma,<br />

courant jusqu'aux pieds <strong>de</strong> Munin.<br />

"Très bien, dit-el<strong>le</strong> avec une nuance <strong>de</strong> regret.<br />

-Andreas, reste en retrait s'il te plaît, souffla Ibtissam.<br />

-Vous laisser vous en occuper… en somme?<br />

-Tu es responsab<strong>le</strong> du contenu <strong>de</strong> ce sac et <strong>le</strong> dirigeant nous a fait jurer<br />

d'assurer ta sécurité avant tout. De ce fait, tu ne peux pas prendre <strong>le</strong><br />

moindre risque mon ami.<br />

-D'accord. Ca me semb<strong>le</strong> fondé.<br />

-Notre seul but est <strong>de</strong> l'écarter <strong>de</strong> notre chemin et <strong>de</strong> partir vers <strong>le</strong> Sud,<br />

rappela Ibtissam. Si une seu<strong>le</strong> opportunité <strong>de</strong> passer s'offre à vous,<br />

n'hésitez pas à courir. Je la retiendrai."<br />

Bien qu'il sache qu'il ne se résoudrait jamais à laisser ses amis<br />

<strong>de</strong>rrière lui, Arthur hocha la tête, sans quitter Munin <strong>de</strong>s yeux. A cet<br />

instant, sans <strong>le</strong> moindre effet d'annonce, cette <strong>de</strong>rnière se mit à courir<br />

vers eux, progressant habi<strong>le</strong>ment sur la glace. El<strong>le</strong> se servit <strong>de</strong> sa lance<br />

comme une perche, s'é<strong>le</strong>va dans <strong>le</strong>s airs, puis atterrit au milieu du groupe<br />

1


en frappant vio<strong>le</strong>mment <strong>le</strong> sol <strong>de</strong> sa pointe. L'impact occasionna un bruit<br />

<strong>de</strong> détonation.<br />

"Wow, laissa échapper Ibtissam, surpris."<br />

Munin fit tournoyer sa lance en pivotant sur el<strong>le</strong>-même comme un<br />

<strong>de</strong>rviche, puis el<strong>le</strong> entreprit d'attaquer col<strong>le</strong>ctivement <strong>le</strong>s élus en formant<br />

<strong>de</strong> grands cerc<strong>le</strong>s avec la pointe <strong>de</strong> son arme. Ses mouvements rapi<strong>de</strong>s<br />

mais concis émettaient <strong>de</strong>s chuintements perçants qui faisaient siff<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s<br />

oreil<strong>le</strong>s d'Arthur. Il fut contraint <strong>de</strong> baisser la tête plusieurs fois pour<br />

esquiver <strong>le</strong>s assauts, avant <strong>de</strong> pouvoir enfin répliquer.<br />

"Je m'en occupe, cria-t-il aux autres."<br />

Il partit à l'assaut, appliquant <strong>de</strong>s coups vio<strong>le</strong>nts à la lance <strong>de</strong> Munin<br />

pour la déstabiliser. Bien qu'el<strong>le</strong> s'évertuât à parer ses offensives rapi<strong>de</strong>s,<br />

il réalisa rapi<strong>de</strong>ment qu'il avait progressé au cours <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rniers mois.<br />

Même si son don lui fournissait <strong>de</strong>s ta<strong>le</strong>nts innés d'épéiste, ses efforts<br />

acharnés n'étaient pas étrangers à son niveau. Il tenait tête à Munin,<br />

malgré <strong>le</strong> rythme effréné qu'el<strong>le</strong> lui imposait.<br />

Le contact <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs armes respectives faisait crisser <strong>le</strong>urs lames et<br />

jaillir <strong>de</strong>s étincel<strong>le</strong>s. Pris par la fougue du combat, Arthur en avait presque<br />

oublié la présence <strong>de</strong> ses compagnons. Le passage d'une bou<strong>le</strong>tte <strong>de</strong><br />

papier enflammée près <strong>de</strong> sa tête <strong>le</strong>s rappela à son bon souvenir. Ce<br />

projecti<strong>le</strong> se transforma en une nuée <strong>de</strong> cor<strong>de</strong>s qui tentèrent <strong>de</strong> ligoter<br />

Munin.<br />

"Ha, rit cette <strong>de</strong>rnière."<br />

El<strong>le</strong> trancha <strong>le</strong>s cor<strong>de</strong>s sans difficulté, mais ne vit pas Ibtissam<br />

s'approcher d'el<strong>le</strong> dans son dos, la main droite irradiant d'une mystérieuse<br />

lumière ambrée. Arthur se figea, pensant qu'il allait la surprendre.<br />

L'attaque d'Ana Rose n'avait été qu'une diversion.<br />

Or, à la <strong>de</strong>rnière secon<strong>de</strong>, Munin fit un pas <strong>de</strong> côté, fit trébucher<br />

Ibtissam d'une balayette et tenta <strong>de</strong> <strong>le</strong> frapper avec sa lance, alors qu'il se<br />

trouvait à terre. Arthur s'interposa, parant l'assaut avec Drydock. De sa<br />

main libre, il frôla la surface <strong>de</strong> la lance, gelant instantanément cel<strong>le</strong>-ci.<br />

"Hé, protesta Munin en battant en retraite."<br />

El<strong>le</strong> agita sa lance pour la dé<strong>le</strong>ster <strong>de</strong> la couche <strong>de</strong> glace tandis<br />

qu'Ibtissam se remettait sur pied, d'un rétablissement acrobatique.<br />

"Merci Arty, souffla Ibtissam. J'ai sous-estimé cette <strong>de</strong>moisel<strong>le</strong> corneil<strong>le</strong>."<br />

Un mystérieux ref<strong>le</strong>t traversa <strong>le</strong> regard <strong>de</strong> Munin. El<strong>le</strong> avait<br />

soudainement perdu son sourire. Sans crier gare, el<strong>le</strong> se rua <strong>de</strong> nouveau<br />

vers eux, traînant cette fois la pointe <strong>de</strong> sa lance sur <strong>le</strong> sol. Arthur se<br />

1


emit en position <strong>de</strong> défense, intrigué. El<strong>le</strong> tenait son arme par<br />

l'extrémité, comme s'il s'agissait d'un vulgaire balai. Que <strong>le</strong>ur préparaitel<strong>le</strong>?<br />

"Huginn ok Muninn fliúga hverian dag<br />

örmungrund yfir;<br />

óomk ek of Huginn, at hann aptr ne komit,<br />

þó siámk meirr um Muninn"<br />

Cet étrange discours que l'Etemenanki d'Arthur n'avait pas traduit<br />

sembla la fortifier. Avec une rapidité accrue, el<strong>le</strong> <strong>le</strong>s attaqua en faisant<br />

virevolter sa lance comme une fron<strong>de</strong>. El<strong>le</strong> ne tenait désormais cel<strong>le</strong>-ci<br />

que par son extrémité, avec une fermeté moindre, dans <strong>le</strong> but manifeste<br />

<strong>de</strong> s'accor<strong>de</strong>r plus <strong>de</strong> soup<strong>le</strong>sse et d'imprévisibilité. Par suite <strong>de</strong> cette<br />

allonge développée, Arthur et ses compagnons furent tous attaqués en<br />

même temps, avec une facilité déconcertante. Ana Rosa et Ibtissam, qui<br />

n'étaient pas armés <strong>de</strong>vaient se contenter d'éviter <strong>le</strong>s assauts, sans<br />

pouvoir répondre.<br />

C'est alors qu'Arthur remarqua quelque chose d'étrange. A mesure<br />

que Munin effectuait son manège, <strong>de</strong>s points <strong>de</strong> lumière blanche se<br />

mettaient à luire au sol, <strong>le</strong>s uns après <strong>le</strong>s autres. Ils se répandaient<br />

aléatoirement autour <strong>de</strong>s élus.<br />

"<strong>Les</strong> gars…, lança Andreas d'une voix peu rassurée."<br />

<strong>Les</strong> points lumineux se faisaient <strong>de</strong> plus en plus nombreux et,<br />

parallè<strong>le</strong>ment, l'angoisse d'Arthur grimpait en flèche. Munin <strong>le</strong>ur préparait<br />

une mauvaise surprise. Son regard allègre l'en persuadait.<br />

"Ecartez-vous <strong>de</strong> là, cria Andreas en <strong>le</strong>s rejoignant au pas <strong>de</strong> course."<br />

Il saisit vio<strong>le</strong>mment Arthur par <strong>le</strong> cou et <strong>le</strong> ramena à lui.<br />

"Emergence! chanta Munin."<br />

Ana Rosa et Ibtissam s'écartèrent à <strong>le</strong>ur tour, juste au moment<br />

opportun. <strong>Les</strong> repères lumineux se lièrent <strong>le</strong>s uns aux autres en une<br />

fraction <strong>de</strong> secon<strong>de</strong>, puis déc<strong>le</strong>nchèrent une vio<strong>le</strong>nte explosion qui sou<strong>le</strong>va<br />

<strong>de</strong>s pans entiers <strong>de</strong> sol, en blocs compacts. Arthur écarquilla <strong>le</strong>s yeux,<br />

sidéré. Si Munin avait placé <strong>de</strong>s multitu<strong>de</strong>s d'explosifs en sous-sol, <strong>le</strong><br />

résultat n'aurait pas été bien différent. Le ciel était obscurci par l'élévation<br />

<strong>de</strong>s gravats, puis par <strong>le</strong>ur chute massive.<br />

"FAITES ATTENTION, Arthur, Andreas, hurla Ana Rosa."<br />

Arthur <strong>le</strong>va <strong>le</strong>s yeux et vit un immense amas rocheux tomber vers<br />

lui et Andreas. Il n'avait même pas <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> se mettre à l'abri ou <strong>de</strong><br />

brandir Drydock pour se protéger. Instinctivement, il ferma <strong>le</strong>s yeux.<br />

1


*BOUM*<br />

Le bruit d'un impact avait résonné, mais Arthur était toujours en un<br />

seul morceau. Le cœur battant la chama<strong>de</strong>, il ouvrit <strong>le</strong>ntement <strong>le</strong>s yeux.<br />

Ibtissam se tenait <strong>de</strong>vant lui et Andreas, bras droit tendu vers <strong>le</strong> ciel. Son<br />

in<strong>de</strong>x, affublé d'une bague sertie d'azur, était entré en contact avec <strong>le</strong><br />

bloc <strong>de</strong> roche toujours suspendu dans <strong>le</strong>s airs, et paraissait l'y maintenir.<br />

"Tissam? souffla Arthur, stupéfait.<br />

-Eclat <strong>de</strong> la quintessence. Artifice!"<br />

Le bloc fut soudain réduit à l'état <strong>de</strong> poussière par une puissante<br />

gerbe <strong>de</strong> lumière b<strong>le</strong>ue issue <strong>de</strong> son in<strong>de</strong>x. Ibtissam se tourna alors vers<br />

Arthur et <strong>le</strong>s résidus <strong>de</strong> roche se déversèrent autour <strong>de</strong> lui avec la <strong>le</strong>nteur<br />

<strong>de</strong> flocons <strong>de</strong> neige jaunis. A ses doigts brillaient cinq bagues quasi<br />

similaires qui donnaient un éclat doré à sa main droite.<br />

"Il est hors <strong>de</strong> question que je laisse mes compagnons d'armes se faire<br />

écraser par un vulgaire rocher, déclara-t-il en esquissant un sourire.<br />

-Ton don, souffla Arthur. Extra…<br />

-A mon tour, dit Ibtissam après un clin d'œil."<br />

Il fit face à Munin, laquel<strong>le</strong> se tenait quelques mètres plus loin.<br />

"Je n'aime pas l'idée <strong>de</strong> m'en prendre à une femme, mais je crains<br />

davantage la corruption <strong>de</strong> notre mon<strong>de</strong> par <strong>de</strong>s individus <strong>de</strong> son espèce."<br />

Il serra <strong>le</strong> poing et la lumière dorée gagna en intensité.<br />

"Eclat <strong>de</strong> la quintessence. Concor…"<br />

Ibtissam s'interrompit, fixant la dizaine <strong>de</strong> bou<strong>le</strong>ttes <strong>de</strong> papier qui<br />

venait <strong>de</strong> rou<strong>le</strong>r aux pieds <strong>de</strong> Munin. Cette <strong>de</strong>rnière baissa éga<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s<br />

yeux.<br />

"Mon imagination ne connaît aucune limite!"<br />

Le papier brûla et <strong>de</strong>s multitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> chaînes en métal se<br />

déployèrent, fondant sur Munin dans <strong>le</strong> but <strong>de</strong> l'entraver. Toujours aussi<br />

vive, el<strong>le</strong> trancha <strong>le</strong>s premières avec sa lance, puis se lança dans une<br />

course acrobatique afin d'éviter d'être capturée par <strong>le</strong>s autres.<br />

"Tu m'avais oubliée, grognasse, jubila Ana Rosa, <strong>le</strong>s mains p<strong>le</strong>ines <strong>de</strong><br />

papier. Je vais me faire un plaisir <strong>de</strong> te mettre en cage. Prends ça! Et ça!"<br />

El<strong>le</strong> lança ses projecti<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s uns après <strong>le</strong>s autres vers Munin,<br />

augmentant progressivement <strong>le</strong> nombre <strong>de</strong> chaînes qui la poursuivaient.<br />

1


Cel<strong>le</strong>s-ci se mouvaient comme <strong>de</strong>s serpents, rampant sur <strong>le</strong> sol pour<br />

tenter <strong>de</strong> lui saisir <strong>le</strong>s jambes, la tail<strong>le</strong> ou <strong>le</strong>s bras. Tout avait été calculé<br />

pour immobiliser efficacement une personne. Victime du nombre, Munin<br />

cessa sa fuite et entreprit <strong>de</strong> découper tous <strong>le</strong>s maillons métalliques qui lui<br />

passaient sous <strong>le</strong> nez.<br />

"Ne la lâche pas Ana, tu vas l'avoir, encouragea Arthur.<br />

-J'avais gardé ça en réserve pour Altaïr, mais cette teigne est persistante,<br />

rugit Ana Rosa en défaisant la ban<strong>de</strong><strong>le</strong>tte qui recouvrait son bras gauche."<br />

La fine couche <strong>de</strong> tissu se déroula comme du ruban et fut lancée<br />

dans <strong>le</strong>s airs. El<strong>le</strong> y flotta, défiant <strong>le</strong>s lois <strong>de</strong> la pesanteur.<br />

"Technique flamboyante d'Ana Rosa Costa : euh… Etape numéro 1 : Enfer<br />

<strong>de</strong>s lianes!"<br />

Munin <strong>de</strong>vint livi<strong>de</strong>. Le sol s'était mis à tremb<strong>le</strong>r au point qu'Arthur<br />

lui-même se mit à craindre ce qu'il allait advenir d'eux. Soudain, <strong>de</strong>s<br />

centaines <strong>de</strong> lianes jaillirent <strong>de</strong> terre et convergèrent vers Munin, à une<br />

vitesse fulgurante. Leur cib<strong>le</strong> ancra ses pieds dans <strong>le</strong> sol, <strong>le</strong> souff<strong>le</strong> court,<br />

puis el<strong>le</strong> se mit <strong>de</strong> nouveau à faire tourner sa lance autour d'el<strong>le</strong> pour se<br />

protéger. Las, <strong>le</strong> nombre impressionnant <strong>de</strong> lianes finit par avoir raison<br />

d'el<strong>le</strong>, après une lutte perdue d'avance. Sa lance, puis ses membres furent<br />

tous étroitement entravés, ne lui accordant pas la moindre liberté <strong>de</strong><br />

mouvement. Plus el<strong>le</strong> se débattait pour bouger, plus <strong>le</strong>ur étreinte se<br />

faisait forte. El<strong>le</strong> poussa un cri <strong>de</strong> dépit.<br />

"Ha ha ha! Ca t'en bouche en coin, exulta Ana Rosa. Crois-moi, je n'en ai<br />

pas fini avec toi!<br />

-Euh… Ana? tenta Arthur. Tu ne crois pas qu'il vaudrait mieux…<br />

-Etape numéro 2 : Sphère flamboyante d'Ana!!"<br />

La ban<strong>de</strong><strong>le</strong>tte <strong>de</strong> tissu qui, jusque là, avait flotté au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> sa<br />

tête comme une ban<strong>de</strong>ro<strong>le</strong>, s'irisa soudain. Puis el<strong>le</strong> fut engouffrée par<br />

une bou<strong>le</strong> <strong>de</strong> flammes massive dont la circonférence augmentait <strong>de</strong><br />

secon<strong>de</strong> en secon<strong>de</strong>, au point d'atteindre <strong>le</strong> volume d'une montgolfière.<br />

Ana Rosa tendit <strong>le</strong> bras droit vers la bou<strong>le</strong> pour en prendre possession et<br />

émit un rire à glacer <strong>le</strong> sang.<br />

"A… Ana, gémit Arthur, terrorisé.<br />

-Etape numéro 3 : Crève!"<br />

El<strong>le</strong> balança <strong>le</strong> bras en arrière, puis projeta vio<strong>le</strong>mment la bou<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

feu géante vers Munin. <strong>Les</strong> yeux exorbités, Ibtissam se mit à réciter <strong>de</strong>s<br />

prières pour <strong>le</strong> membre <strong>de</strong> la Confrérie. Toutefois, il semblait plus affecté<br />

par son sort qu'el<strong>le</strong> ne <strong>le</strong> paraissait el<strong>le</strong>-même. Bien loin <strong>de</strong> paniquer,<br />

Munin affichait un regard neutre et serein, alors qu'un enfer <strong>de</strong> flammes<br />

déboulait vers el<strong>le</strong>.<br />

1


Alors qu'Arthur croyait l'affaire conclue, <strong>le</strong> paysage fut noyé dans<br />

une épaisse brume qui sembla spolia <strong>le</strong> décor <strong>de</strong> toute cou<strong>le</strong>ur.<br />

L'atmosphère était <strong>de</strong>venue humi<strong>de</strong>, lour<strong>de</strong> et oppressante, comme si un<br />

voi<strong>le</strong> s'était soudain abattu sur eux. Arthur se figea. Il était perdu dans<br />

une vase b<strong>le</strong>uâtre qui <strong>le</strong> rendait incapab<strong>le</strong> <strong>de</strong> discerner quoi que ce soit,<br />

excepté la bou<strong>le</strong> <strong>de</strong> feu dont l'avancée semblait avoir été ra<strong>le</strong>ntie. Il avala<br />

sa salive, pris d'un frisson.<br />

"Qu'est-ce qui se…"<br />

Sa phrase se perdit, à peine sortie <strong>de</strong> sa bouche. Une silhouette<br />

venait <strong>de</strong> passer près <strong>de</strong> lui sans s'arrêter, marchant <strong>le</strong>ntement en<br />

direction <strong>de</strong> la bou<strong>le</strong> <strong>de</strong> feu. Il <strong>le</strong> distinguait à peine, mais sans même voir<br />

son visage, il n'avait pas <strong>le</strong> moindre doute sur son i<strong>de</strong>ntité. Cette manne<br />

<strong>de</strong> cheveux noirs désordonnés, cet effluve <strong>de</strong> tabac laissé dans son<br />

sillage…<br />

"Sa…"<br />

L'individu s'éloignait toujours aussi calmement d'Arthur, une<br />

somptueuse rapière azurée à la main. Sans se retourner, il dirigea sa main<br />

libre vers la bou<strong>le</strong> <strong>de</strong> flammes et, avec une simplicité enfantine, la dévia<br />

<strong>de</strong> sa trajectoire grâce à une rafa<strong>le</strong> <strong>de</strong> vent. La sphère se dirigea vers <strong>le</strong>s<br />

cieux, où el<strong>le</strong> finit par se désintégrer dans un gron<strong>de</strong>ment.<br />

"Sam…"<br />

La brume se dissipait. Arthur réalisa qu'il avait avancé <strong>de</strong> manière<br />

inconsciente et qu'il tenait fermement la poignée <strong>de</strong> Drydock. Sa mâchoire<br />

était serrée et un flot <strong>de</strong> souvenirs <strong>le</strong> submergeait. Samuel se tenait<br />

<strong>de</strong>vant Munin, bras croisés, rapière ceinte à la tail<strong>le</strong> et vêtu comme il<br />

l'aurait fait habituel<strong>le</strong>ment : un vieux jeans et une chemise blanche<br />

froissée et débraillée. Munin avait été libérée <strong>de</strong> ses liens, <strong>le</strong>squels<br />

gisaient inertes au sol.<br />

"Samuel…"<br />

Samuel <strong>le</strong> contempla, sourcils froncés. Son visage paraissait vieilli,<br />

faute à une barbe omniprésente qui lui grignotait <strong>le</strong>s joues. Ils<br />

échangèrent un long regard, avant que Samuel ne fasse fina<strong>le</strong>ment volteface.<br />

Il lança quelques mots à Munin :<br />

"Je vais chercher Altaïr. Empêche <strong>le</strong>s élus <strong>de</strong> me suivre.<br />

-Tous? <strong>de</strong>manda Munin avec un sourire."<br />

Samuel s'arrêta et se tourna pour jeter un œil vers Arthur. Son<br />

regard était impénétrab<strong>le</strong>.<br />

1


"Tu peux <strong>le</strong> laisser passer. Si c'est la mort qu'il cherche, qu'il me suive.<br />

-Entendu Sammy."<br />

Il retroussa ses manches et fonça en direction <strong>de</strong> Salvación, au pas<br />

<strong>de</strong> course. Arthur ouvrit la bouche, tenté <strong>de</strong> hur<strong>le</strong>r, mais il se contint. Son<br />

regard rencontra celui d'Ibtissam, puis d'Andreas et Ana Rosa.<br />

"Va, lui dit Andreas. C'est à toi <strong>de</strong> rég<strong>le</strong>r ça. Empêche <strong>le</strong> <strong>de</strong> prendre Altaïr<br />

par la même occasion, on te rejoindra."<br />

<strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux autres opinèrent <strong>de</strong> la tête. Reconnaissant, Arthur <strong>le</strong>ur<br />

accorda alors un regard p<strong>le</strong>in <strong>de</strong> gratitu<strong>de</strong>, avant <strong>de</strong> s'élancer à la<br />

poursuite <strong>de</strong> Samuel. Il dépassa Munin sans qu'el<strong>le</strong> ne bouge d'un<br />

centimètre, puis dévala la pente qui menait à Salvación.<br />

"Toi, tu penseras à moi pour que je ne me sente pas seul… Moi… je<br />

penserai à toi en espérant que tu gar<strong>de</strong>s toujours cette générosité<br />

exemplaire…"<br />

1


Chapitre 10 : Silhouette<br />

Anaïs fit instinctivement un pas en arrière, échaudée. Qu'el<strong>le</strong> se<br />

souvienne, on n'avait jamais pointé d'arme sur el<strong>le</strong>, pas même un pisto<strong>le</strong>t<br />

en plastique dans une cour <strong>de</strong> récréation. Jusque là, el<strong>le</strong> avait mené une<br />

vie somme toute assez sereine. L'exemp<strong>le</strong> type du long f<strong>le</strong>uve tranquil<strong>le</strong>,<br />

si l'on exceptait <strong>le</strong> traumatisme consécutif à la mort <strong>de</strong> Nils et <strong>le</strong>s<br />

évènements qui avaient suivi.<br />

Cette fois-ci, ça n'avait rien d'un jeu. El<strong>le</strong> était brusquement plongée<br />

dans l'obscure réalité d'une vie d'élue.<br />

"Pas un pas <strong>de</strong> plus <strong>le</strong>s enfants."<br />

Anthony <strong>le</strong>va d'abord <strong>le</strong>s mains en l'air, avant <strong>de</strong> pousser un<br />

grognement protestataire. Sally, Aïshani et Jamie s'arrêtèrent en même<br />

temps, déboussolés. A peine sortis du Passage, tous avaient été cueillis<br />

par un inconnu armé d'un long pisto<strong>le</strong>t blanc, couvert <strong>de</strong> fines arabesques<br />

en or. Il s'agissait d'un pisto<strong>le</strong>t semblab<strong>le</strong> à ceux que l'on pouvait voir<br />

dans certains films <strong>de</strong> cape et d'épée, bien loin <strong>de</strong>s prototypes d'armes à<br />

feu <strong>de</strong>s films d'action contemporains.<br />

Son porteur correspondait au profil <strong>de</strong> l'individu "banal". Une sorte<br />

d'adu<strong>le</strong>scent du même âge que <strong>le</strong>s élus, malgré <strong>de</strong>s traits impubères.<br />

Anaïs <strong>de</strong>vina à sa silhouette qu'il était maigre mais tout en musc<strong>le</strong>s,<br />

surtout au niveau <strong>de</strong>s bras et <strong>de</strong>s épau<strong>le</strong>s. C'était bien là son seul atout<br />

physique. En <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> cela, son front était assez large pour y écrire un<br />

a<strong>le</strong>xandrin et ses oreil<strong>le</strong>s assez déployées pour <strong>le</strong> ra<strong>le</strong>ntir dans un cent<br />

mètres. Il avait une courte chevelure auburn en brosse et <strong>de</strong>s yeux d'un<br />

b<strong>le</strong>u perçant qui rendaient son apparence globa<strong>le</strong> assez peu cohérente. Le<br />

tout donnait l'image d'un Monsieur Patate mal assemblé.<br />

"Qui est-ce? souffla Anaïs à Sally.<br />

-Je ne <strong>le</strong> connais pas, mais c'est sans aucun doute un membre <strong>de</strong> la<br />

Confrérie, chuchota Sally sans se retourner."<br />

Le membre supposé <strong>de</strong> la Confrérie <strong>le</strong>s tenait en joue <strong>de</strong>puis un gros<br />

rocher sur <strong>le</strong>quel il s'était posté, au milieu d'une forêt luxuriante dont<br />

l'épaisse végétation filtrait <strong>le</strong>s rayons du so<strong>le</strong>il. Cel<strong>le</strong>-ci formait <strong>de</strong>s<br />

faisceaux disparates, seu<strong>le</strong>s sources <strong>de</strong> lumière <strong>de</strong> cet environnement<br />

vierge. L'air était doux, agréab<strong>le</strong>, bien qu'Anaïs ne puisse pas réel<strong>le</strong>ment<br />

en profiter.<br />

"Et vous êtes? <strong>de</strong>manda Anthony."<br />

L'autre continua à <strong>le</strong>s regar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> loin, sans bouger d'un pouce. Il<br />

était habillé d'une chemisette blanche, d'une longue tunique verte sans<br />

manches, d'un pantalon <strong>de</strong> coton blanc, et était chaussé d'épaisses bottes<br />

dont la tige parvenait aux genoux. Une large ceinture noire fermée par<br />

1


une grosse bouc<strong>le</strong> dorée reposait lâchement sur sa tail<strong>le</strong>, retenant une<br />

besace en cuir p<strong>le</strong>ine.<br />

"Qui je suis? fit <strong>le</strong> jeune homme."<br />

Seuls <strong>le</strong> bruissement <strong>de</strong>s feuil<strong>le</strong>s et <strong>le</strong> clapotis d'un cours d'eau, sans<br />

doute situé à proximité, emplissaient l'air avant qu'il ne se décidât enfin à<br />

répondre.<br />

"Victorio Benedict, répondit-t-il comme si nul n'aurait pu être plus fier qu'il<br />

ne l'était à ce moment. Je fais partie <strong>de</strong> la Ligue.<br />

-Oh… la plaie <strong>de</strong> la Confrérie, répliqua Sally. Vous n'avez vraiment rien<br />

d'autre à faire que <strong>de</strong> nous attendre partout où nous avons <strong>le</strong> malheur<br />

d'al<strong>le</strong>r?"<br />

Jamie eut un petit rire, ignoré par Victorio. Ce <strong>de</strong>rnier s'intéressait<br />

maintenant au Passage situé juste <strong>de</strong>rrière <strong>le</strong>s élus, celui même qu'ils<br />

avaient emprunté pour venir <strong>de</strong> Londres jusqu'à Silhouette. Son regard <strong>le</strong><br />

scruta longuement, comme s'il étudiait <strong>le</strong>s opportunités que cette voie lui<br />

offrait. Anaïs profita <strong>de</strong> ce moment d'inattention pour déc<strong>le</strong>ncher<br />

discrètement <strong>le</strong> compte à rebours <strong>de</strong> sa montre. Ils n'avaient qu'un peu<br />

moins <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux heures.<br />

"Je n'ai pas passé mon temps à vous attendre, ban<strong>de</strong> <strong>de</strong> blaireaux,<br />

déclara soudain Victorio, radieux.<br />

-Charmant, murmura Aïshani."<br />

De sa main libre, Victorio brandit alors une mystérieuse bou<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

cristal b<strong>le</strong>ue, aussi grosse qu'une pomme. Un matériau liqui<strong>de</strong> flamboyant<br />

s'y mouvait <strong>le</strong>ntement, comme si l'objet était animé par un mécanisme<br />

occulte.<br />

"J'ai déjà récupéré Fenrir, expliqua Victorio d'un air victorieux.<br />

-Quoi? croassa Anthony."<br />

Anaïs et <strong>le</strong>s autres eurent un hoquet et <strong>le</strong>urs regards convergèrent<br />

vers la main <strong>de</strong> Victorio. Cette sphère contenait l'objet <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur mission?<br />

Impossib<strong>le</strong>, pensa Anaïs. Comment la Confrérie aurait-el<strong>le</strong> pu avoir<br />

suffisamment d'avance sur eux pour s'emparer <strong>de</strong> Fenrir aussi faci<strong>le</strong>ment,<br />

bien avant <strong>le</strong>ur arrivée? L'expression conquérante <strong>de</strong> Victorio ne laissait<br />

pourtant pas <strong>de</strong> place au doute. D'ail<strong>le</strong>urs, la réaction <strong>de</strong>s élus parut <strong>le</strong><br />

ravir au plus haut point et déc<strong>le</strong>ncha chez lui un rire narquois.<br />

"Désolé <strong>de</strong> vous décevoir, je sais que vous avez fait un long chemin pour<br />

venir jusqu'ici, railla-t-il.<br />

-Arrête <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong> grands airs Dumbo, riposta Anthony, piqué au vif.<br />

On ne compte pas repartir sans cette bête! Je peux te dire que tu as fait<br />

une erreur fata<strong>le</strong> en ne disparaissant pas avec.<br />

1


-Il me semb<strong>le</strong> que c'est pourtant moi qui suis en position avantageuse, dit<br />

Victorio en jetant un rapi<strong>de</strong> regard à son arme. Stella est pointée sur<br />

vous.<br />

-Stella? Pfff… Tu as donné un nom à ton jouet? ricana Anthony. Je n'ose<br />

pas imaginer ce que ça donne si tu nommes ainsi tous tes engins<br />

personnels."<br />

Victorio <strong>de</strong>vint écarlate, sans qu'Anaïs ne comprenne tout <strong>de</strong> suite<br />

pourquoi. Toujours était-il qu'Anthony était lancé et que rien ne pourrait<br />

l'arrêter, tant qu'il n'aurait pas poussé son interlocuteur à bout. Il en<br />

fournit la preuve, en continuant à apostropher Victorio <strong>de</strong> manière assez<br />

viru<strong>le</strong>nte et impudique. <strong>Les</strong> élus <strong>de</strong>meurèrent cois.<br />

"Je ne suis resté que pour une seu<strong>le</strong> raison : vous donner une <strong>le</strong>çon,<br />

aboya Victorio, sourcils froncés. J'aurais très bien pu me contenter <strong>de</strong><br />

capturer Fenrir et repartir, mais je tenais à vous voir en chair et en os<br />

auparavant. <strong>Les</strong> fameux élus qui ont causé tant <strong>de</strong> troub<strong>le</strong>s…<br />

-Satisfait? <strong>de</strong>manda Anthony.<br />

-Hein?<br />

-Est-ce que tu es satisfait? Est-ce qu'on est à ton goût? précisa Anthony<br />

d'un air provocateur. Diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> se palucher sans connaître l'objet <strong>de</strong> son<br />

fantasme, n'est-ce pas mon gars?"<br />

Cette fois-ci, Victorio pointa Stella directement sur l'instructeur, ivre<br />

<strong>de</strong> rage. La colère faisait battre ses tempes. Si Anthony avait cherché à<br />

attiser sa colère, il n'aurait pas pu mieux faire.<br />

"N'en dis pas plus, chuchota-t-el<strong>le</strong> très nerveusement."<br />

El<strong>le</strong> ne comprenait pas <strong>le</strong> comportement irrationnel d'Anthony, tout<br />

comme el<strong>le</strong> ignorait pourquoi Victorio avait tant voulu rester sur l'î<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

Silhouette au lieu <strong>de</strong> repartir immédiatement après la capture <strong>de</strong> Fenrir. Il<br />

avait déclaré avoir pris ce risque, simp<strong>le</strong>ment pour rencontrer <strong>le</strong>s élus.<br />

N'était-il pas dans l'intérêt <strong>de</strong> la Confrérie d'assurer, avant tout, la capture<br />

<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux créatures sacrées et d'éviter tout obstac<strong>le</strong>?<br />

C'est alors qu'el<strong>le</strong> remarqua que <strong>le</strong>s autres élus avaient entamé un<br />

étrange cirque. Jamie avait ses mains dans <strong>le</strong> dos et enfilait <strong>le</strong>ntement <strong>de</strong>s<br />

gants en cuir noir, tout en chantonnant innocemment. Sally, quant à el<strong>le</strong>,<br />

avait ouvert la paume <strong>de</strong> sa main droite pour y accueillir une mystérieuse<br />

étincel<strong>le</strong> rose. Sous <strong>le</strong> regard stupéfait d'Anaïs, l'éclat lumineux se<br />

transforma en une minuscu<strong>le</strong> jeune fil<strong>le</strong> aux longs cheveux blancs. Une<br />

créature si petite qu'el<strong>le</strong> aurait aisément tenu dans une poche. El<strong>le</strong> se<br />

posa doucement sur la main <strong>de</strong> Sally, se tourna vers Anaïs, puis lui fit un<br />

signe <strong>de</strong> main enthousiaste. Anaïs cligna <strong>de</strong>s yeux en guise <strong>de</strong> réponse.<br />

El<strong>le</strong> comprit alors l'évi<strong>de</strong>nce même. La provocation d'Anthony avait<br />

pour seul but <strong>de</strong> distraire Victorio, afin que <strong>le</strong>s élus puissent attaquer et<br />

récupérer Fenrir. S'ils laissaient <strong>le</strong> membre <strong>de</strong> la Confrérie disparaître, ils<br />

n'auraient sans doute plus la moindre chance.<br />

1


"C'est contraire à mes directives, mais je pourrai dire que je n'ai appuyé<br />

sur la gâchette que pour me défendre, conclut Victorio après la diatribe<br />

d'Anthony."<br />

La mâchoire serrée, il sauta <strong>de</strong> son rocher et atterrit sur une terre<br />

meub<strong>le</strong>, recouverte <strong>de</strong> brindil<strong>le</strong>s qui craquaient sous ses pieds. D'un pas<br />

rapi<strong>de</strong>, il se dirigea alors vers Anthony qui perdit immédiatement <strong>de</strong> sa<br />

verve, à court d'insultes. Ce <strong>de</strong>rnier fit un signe frénétique <strong>de</strong> la main,<br />

dans son dos, pour inciter <strong>le</strong>s élus à agir rapi<strong>de</strong>ment. Anaïs se tint prête.<br />

Près d'el<strong>le</strong>, Aïshani faisait papillonner ses doigts.<br />

"Du calme, je ne faisais que te taquiner, se ravisa Anthony alors que <strong>le</strong><br />

canon <strong>de</strong> Stella était plaqué sur son front. Tu t'imagines bien que<br />

j'exagérais quand je disais que tu avais un engin <strong>de</strong> la tail<strong>le</strong> d'une éping<strong>le</strong>!<br />

Je ne peux pas <strong>le</strong> savoir d'ail<strong>le</strong>urs, on vient à peine <strong>de</strong> se rencontrer! Et<br />

puis franchement, je ne suis même pas un élu! A quoi bon t'en prendre à<br />

moi?"<br />

Anthony transpirait à grosses gouttes, voyant que l'in<strong>de</strong>x <strong>de</strong> Victorio<br />

s'apprêtait à déc<strong>le</strong>ncher <strong>le</strong> mécanisme qui éparpil<strong>le</strong>rait son cerveau à<br />

travers la jung<strong>le</strong>. Au moins, <strong>le</strong> membre <strong>de</strong> la Confrérie était tombé dans <strong>le</strong><br />

panneau, réduisant <strong>de</strong> beaucoup la distance qui <strong>le</strong> séparait <strong>de</strong>s élus. Son<br />

ego semblait particulièrement démesuré, à l'inverse <strong>de</strong> son sang-froid.<br />

"Grand bien lui en fasse" pensa Anaïs, son cœur battant la chama<strong>de</strong>. Le<br />

moment était venu <strong>de</strong> <strong>le</strong> neutraliser, et el<strong>le</strong> connaissait son rô<strong>le</strong> : dresser<br />

immédiatement une protection <strong>de</strong>vant ses alliés pour <strong>le</strong>s protéger et<br />

absorber toute attaque. <strong>Les</strong> autres se chargeraient <strong>de</strong> maîtriser Victorio et<br />

<strong>de</strong> lui reprendre Fenrir.<br />

"Yeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeha!"<br />

Le rythme cardiaque d'Anaïs fit un bond. Un cri stri<strong>de</strong>nt et col<strong>le</strong>ctif<br />

venait <strong>de</strong> parvenir à ses oreil<strong>le</strong>s, <strong>de</strong>puis <strong>le</strong>s profon<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> la forêt.<br />

Victorio scruta l'entrelacs <strong>de</strong> végétation avec agitation. Il semblait aussi<br />

surpris qu'eux et pointait <strong>le</strong> canon <strong>de</strong> son pisto<strong>le</strong>t vers <strong>de</strong>s cib<strong>le</strong>s<br />

imaginaires.<br />

"Qu'est-ce que c'était? <strong>de</strong>manda Jamie, peu rassuré."<br />

Anaïs se tourna vers l'endroit d'où avaient semblé venir <strong>le</strong>s cris. Rien<br />

n'était discernab<strong>le</strong>, hormis d'épais feuillages qui obstruaient <strong>le</strong> champ <strong>de</strong><br />

vision. Anthony fit un pas en arrière, pâlissant à vue d'œil.<br />

"On dirait qu'il y a du mouvement vers ici, murmura Aïshani, doigts posés<br />

sur <strong>le</strong>s branches <strong>de</strong> ses lunettes.<br />

-Des autochtones? s'écria Sally.<br />

1


-Silhouette est une petite î<strong>le</strong> touristique, pas une î<strong>le</strong> peuplée <strong>de</strong> pygmées.<br />

On ne risque rien norma<strong>le</strong>ment, dit Aïshani."<br />

A peine avait-el<strong>le</strong> achevé sa phrase que <strong>le</strong> bruit <strong>de</strong> nombreux pas<br />

foulant <strong>le</strong> sol se fit entendre. C'était à croire qu'une troupe armée courait<br />

vers <strong>le</strong>s élus en formation rangée. La mystérieuse fée <strong>de</strong> Sally vola<br />

jusqu'à l'épau<strong>le</strong> <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>rnière et se réfugia <strong>de</strong>rrière, faisant <strong>de</strong> gros<br />

yeux.<br />

"J'ai peur…, laissa échapper Anaïs en se dissimulant à son tour <strong>de</strong>rrière<br />

Aïshani.<br />

-Yeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeha!"<br />

Anaïs, Sally, Jamie et Anthony poussèrent un cri consécutif,<br />

angoissés par ce hur<strong>le</strong>ment venu <strong>de</strong> nul<strong>le</strong> part. Soudain, et contre toute<br />

attente, ils virent un groupe compact <strong>de</strong> femmes jaillir <strong>de</strong>s fourrés et <strong>le</strong>ur<br />

fondre <strong>de</strong>ssus, tel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s guerrières amazones.<br />

"Oh m…, commença Jamie."<br />

Il y avait bien là une vingtaine d'assaillantes <strong>de</strong> sexe féminin,<br />

caucasiennes et <strong>de</strong> tous âges, vêtues <strong>de</strong> tenues estiva<strong>le</strong>s plus ou moins<br />

avilissantes. Toutes déferlaient vers <strong>le</strong>s élus en poussant <strong>de</strong>s cris aigus et<br />

en agitant <strong>le</strong>s bras. Leurs yeux étaient injectés <strong>de</strong> sang et <strong>le</strong>urs cheveux<br />

en désordre, ce qui laissait douter <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur santé d'esprit.<br />

Stupéfaite, Anaïs mit longtemps à comprendre ce qui lui arrivait et<br />

ne dût son salut qu'à Aïshani qui la poussa sans ménagement sur <strong>le</strong> côté.<br />

<strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux jeunes femmes chutèrent lour<strong>de</strong>ment mais évitèrent ainsi d'être<br />

renversées par l'avancée bruta<strong>le</strong> <strong>de</strong>s furies.<br />

"Quel est ce délire? cria Anthony avant d'être emporté par <strong>le</strong> flot."<br />

Sally s'enfuit avec un hur<strong>le</strong>ment criard et s'accrocha à une liane,<br />

abandonnant lâchement Jamie à son sort. A l'instar d'Anthony, ce <strong>de</strong>rnier<br />

fut pris dans l'assaut et, pour une raison inconnue, capturé par quatre<br />

femmes à la stature <strong>de</strong> vigi<strong>le</strong>s. Deux se saisirent <strong>de</strong> ses pieds tandis que<br />

<strong>le</strong>s autres lui prenaient <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s.<br />

"A l'aiiiiiiii<strong>de</strong>, implora-t-il vainement.<br />

-Défends-toi idiot, l'apostropha Sally <strong>de</strong>puis sa liane.<br />

-Je ne vais pas frapper <strong>de</strong>s touriiiiiiiiiiiiistes, protesta-t-il alors qu'il était<br />

emporté à travers la forêt."<br />

Loin d'être fait prisonnier, Victorio ne sembla pas emporter<br />

l'adhésion et fut bousculé dans un fossé avant même d'avoir pu envisager<br />

<strong>de</strong> se défendre. La troupe féminine continua sa course effrénée en<br />

martelant vio<strong>le</strong>mment <strong>le</strong> sol et en chantant <strong>de</strong>s mélodies <strong>de</strong> clubs <strong>de</strong><br />

1


vacances, puis disparut au loin avec ses <strong>de</strong>ux prisonniers. <strong>Les</strong> cris <strong>de</strong><br />

Jamie et d'Anthony étaient encore perceptib<strong>le</strong>s, bien que distants.<br />

<strong>Les</strong> trois rescapées n'osèrent pas bouger <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs retraites<br />

respectives, encore sous <strong>le</strong> choc. Anaïs s'accrochait fermement à quelques<br />

brindil<strong>le</strong>s d'herbe, bouche ouverte. Le si<strong>le</strong>nce retomba progressivement<br />

sur la zone et <strong>le</strong> trio se remit d'aplomb. Sally se laissa alors tomber <strong>de</strong> sa<br />

liane en soupirant, tandis qu'Aïshani et Anaïs se re<strong>le</strong>vaient.<br />

"Je n'ai rien compris à ce qui vient <strong>de</strong> se passer, déclara Anaïs en<br />

époussetant ses vêtements. Qui étaient ces furies?<br />

-Aucune idée, s'exclama Sally, épau<strong>le</strong>s haussées. Vu <strong>le</strong>urs apparences, il<br />

doit s'agir <strong>de</strong> touristes <strong>de</strong> l'î<strong>le</strong>. Tu as bien dit qu'il y avait un comp<strong>le</strong>xe<br />

vacancier à proximité Aï.<br />

-Oui, el<strong>le</strong>s doivent venir <strong>de</strong> là.<br />

-El<strong>le</strong>s ont pris notre instructeur et Jamie, fit remarquer Anaïs en se<br />

plaquant <strong>le</strong>s mains sur <strong>le</strong> front. Pourquoi?<br />

-Télé réalité, suggéra Sally avec un rire artificiel.<br />

-…<br />

-Non, c'est l'influence <strong>de</strong> Fenrir!"<br />

Anaïs tressaillit. La fil<strong>le</strong> lilliputienne apparue quelques minutes plus<br />

tôt dans la main <strong>de</strong> Sally venait <strong>de</strong> vo<strong>le</strong>ter jusqu'à son nez en agitant<br />

énergiquement <strong>le</strong>s bras. El<strong>le</strong> fut si surprise <strong>de</strong> cette intervention<br />

impromptue qu'el<strong>le</strong> manqua d'en tomber.<br />

"Ha ha, tu es comme Arthur, ricana l'espèce <strong>de</strong> fée. Je suis Minilly, <strong>le</strong> djinn<br />

<strong>de</strong> Sally.<br />

-Ah… euh, ravie, ma<strong>de</strong>moisel<strong>le</strong> djinn…<br />

-Minilly! corrigea l'autre en lui assénant une tape indolore sur <strong>le</strong> nez.<br />

-Qu'as-tu dit sur Fenrir? l'interrogea Sally."<br />

Minilly pivota sur el<strong>le</strong>-même pour s'adresser à sa maîtresse.<br />

"Ces personnes sont, <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce, sous l'influence néfaste <strong>de</strong> Fenrir.<br />

Son aura a dû se répandre sur l'î<strong>le</strong> et affecter <strong>le</strong> comportement <strong>de</strong>s gens<br />

qui s'y trouvaient, ce qui expliquerait <strong>le</strong> comportement irrationnel <strong>de</strong>s<br />

femmes qui viennent <strong>de</strong> nous attaquer.<br />

-Fenrir représente <strong>le</strong> mal, n'est-ce pas? <strong>de</strong>manda Anaïs.<br />

-C'est quelque peu manichéen, mais oui, confirma Minilly. De votre point<br />

<strong>de</strong> vue, il pourrait s'apparenter à l'incarnation <strong>de</strong> ce que vous appe<strong>le</strong>z<br />

pêchés ou vices. Vio<strong>le</strong>nce, haine, excès…<br />

-…luxure, conclut Aïshani.<br />

-Exact!<br />

-Oh… Vu l'air déluré <strong>de</strong> ces femmes et <strong>le</strong>ur regard lubrique, je crois<br />

qu'el<strong>le</strong>s en veu<strong>le</strong>nt aux corps <strong>de</strong> Jamie et Ant, supposa Anaïs."<br />

A cet instant, el<strong>le</strong> crut que la tête <strong>de</strong> Sally allait faire un tour à 360°,<br />

digne <strong>de</strong> l'Exorciste.<br />

1


"Ces <strong>de</strong>ux idiots auraient franchement pu se défendre, râla-t-el<strong>le</strong>, crispée.<br />

Nous allons être obligés d'al<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s sauver maintenant.<br />

-Il faut croire que oui, approuva Anaïs, gênée."<br />

Aïshani se tenait <strong>de</strong> dos, si<strong>le</strong>ncieuse. Curieuse, Anaïs s'approcha et<br />

se mit face à el<strong>le</strong>. La jeune femme avait <strong>le</strong>s yeux plissés et l'in<strong>de</strong>x sur <strong>le</strong>s<br />

lèvres, ce qui était généra<strong>le</strong>ment signe <strong>de</strong> réf<strong>le</strong>xion.<br />

"Aï?<br />

-Hum…<br />

-A quoi pense-tu?<br />

-Et bien… Je trouvais étrange que Fenrir puisse encore agir sur <strong>le</strong> mental<br />

<strong>de</strong>s occupants <strong>de</strong> cette î<strong>le</strong>, alors même qu'il a été capturé par la Confrérie<br />

et pris la forme d'une bou<strong>le</strong> <strong>de</strong> cristal.<br />

-Et?<br />

-J'en suis arrivé à me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r comment ce Victorio Benedict avait<br />

trouvé Fenrir et réussi à lui faire prendre cette forme.<br />

-Tu as pensé à tout ça pendant <strong>le</strong>s trente <strong>de</strong>rnières secon<strong>de</strong>s? soupira<br />

Anaïs, incrédu<strong>le</strong>.<br />

-Oui, et j'en suis arrivée à me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r ce qu'il était advenu <strong>de</strong> la bou<strong>le</strong><br />

que tenait Victorio Benedict au moment où <strong>le</strong>s furies ont attaqué."<br />

Ce faisant, Aïshani fit un signe <strong>de</strong> tête en direction du sol. Anaïs<br />

observa l'endroit indiqué.<br />

"Oh…"<br />

La bou<strong>le</strong> <strong>de</strong> cristal contenant Fenrir se trouvait juste sous <strong>le</strong>ur nez,<br />

semblab<strong>le</strong> à un œuf tombé d'un nid. Sally se rua <strong>de</strong>ssus avec ravissement,<br />

puis la brandit au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> sa tête.<br />

"L'idiot <strong>de</strong> Benedict a dû la faire tomber lors <strong>de</strong> l'assaut, exulta-t-el<strong>le</strong> en<br />

sautant sur place. Fina<strong>le</strong>ment, l'arrivée surprise <strong>de</strong> ces dingues était une<br />

véritab<strong>le</strong> aubaine!<br />

-Formidab<strong>le</strong>, ça facilite notre travail, ajouta Anaïs. Il ne nous reste plus<br />

qu'à retrouver <strong>le</strong>s garçons et repartir au plus vite par <strong>le</strong> Passage."<br />

Aïshani ne faisait pas preuve d'un grand enthousiasme.<br />

"C'est bien beau tout ça, mais vous n'oubliez pas quelque chose? dit-el<strong>le</strong>.<br />

-…Bah, commença Anaïs. Je ne vois pas c…<br />

-METTEZ VOUS A COUVERT, brailla soudain Minilly.<br />

-…<br />

-Tir n°2 : Explosif, lança la voix <strong>de</strong> Victorio."<br />

Des pétara<strong>de</strong>s retentirent alors, accompagnées d'une suite <strong>de</strong><br />

déflagrations qui firent vibrer <strong>le</strong> sol et frissonner la végétation. L'impact<br />

1


avait eu lieu à à peine quelques mètres <strong>de</strong>s élues, <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s vacillèrent à<br />

cause du souff<strong>le</strong> cumulé <strong>de</strong>s explosions. Une épaisse fumée envahit<br />

immédiatement la forêt, en même que <strong>le</strong>s cris effrayés <strong>de</strong> multitu<strong>de</strong>s<br />

d'oiseaux s'envolant par nuées.<br />

Anaïs se mit à tousser, au bord <strong>de</strong> la suffocation. La poussière lui<br />

chatouillait <strong>le</strong>s narines et la gorge. Ses oreil<strong>le</strong>s vibraient, victimes d'un<br />

siff<strong>le</strong>ment lancinant. Tout en <strong>le</strong>s couvrant <strong>de</strong> ses mains, el<strong>le</strong> rouvrit <strong>le</strong>s<br />

yeux. Sally et Aïshani se tenaient in<strong>de</strong>mnes à ses côtés, regards rivés sur<br />

Victorio.<br />

"Espèce <strong>de</strong> salaud, souffla Sally."<br />

Leur ennemi s'était <strong>de</strong> nouveau perché sur <strong>le</strong> gros rocher duquel il<br />

<strong>le</strong>s avait menacées plus tôt. Ses vêtements s'étaient encrassés par suite<br />

<strong>de</strong> sa chute dans <strong>le</strong> fossé, son visage était rubicond, mais malgré cela, il<br />

arborait un sourire <strong>de</strong> vainqueur. A sa main droite, <strong>le</strong> canon du pisto<strong>le</strong>t<br />

Stella fumait encore.<br />

"Un trio <strong>de</strong> jolies jeunes fil<strong>le</strong>s rien que pour moi. Quel<strong>le</strong> aubaine, rit-il avec<br />

satisfaction! Dites-moi maintenant : comment vou<strong>le</strong>z-vous disparaître?"<br />

Anaïs avait complètement occulté l'existence <strong>de</strong> Victorio après<br />

l'assaut <strong>de</strong>s furies. El<strong>le</strong> <strong>le</strong> soupçonnait d'ail<strong>le</strong>urs d'être vexé <strong>de</strong> ne pas<br />

avoir été capturé lui aussi, ce qui expliquait sans doute son retour<br />

explosif.<br />

"Ren<strong>de</strong>z-moi Fenrir et je vous laisserai partir in<strong>de</strong>mnes.<br />

-Ce n'est pas négociab<strong>le</strong>, trancha rapi<strong>de</strong>ment Sally."<br />

El<strong>le</strong> rangea hâtivement la bou<strong>le</strong> <strong>de</strong> cristal dans son sac à dos.<br />

"Je ne comprends pas pourquoi vous êtes prêtes à mourir pour cette<br />

stupi<strong>de</strong> bête, dit Victorio en fouillant <strong>le</strong>ntement dans sa besace. Lorsque je<br />

l'ai localisée dans la forêt et que je suis allée à sa rencontre, el<strong>le</strong> n'a<br />

même pas mis <strong>de</strong>ux minutes à accepter <strong>de</strong> me suivre. Son comportement<br />

laissait même penser qu'el<strong>le</strong> était satisfaite d'avoir été retrouvée par<br />

nous. Fenrir est bien plus doci<strong>le</strong> que je ne l'imaginais…"<br />

Il sortit <strong>de</strong> son sac une bil<strong>le</strong> en verre qu'il introduisit dans <strong>le</strong> canon<br />

du pisto<strong>le</strong>t. Presque aussitôt l'arme se mit à vibrer et un courant<br />

é<strong>le</strong>ctrique crépitant enveloppa toute sa surface.<br />

"Ou bien il est assez intelligent pour comprendre où rési<strong>de</strong> son intérêt!<br />

J'espère que cet idiot <strong>de</strong> Samuel et Munin auront autant <strong>de</strong> facilité que<br />

moi à rapatrier Altaïr."<br />

Anaïs fut prise d'un frémissement. Samuel. La Confrérie l'avait<br />

envoyé chercher Altaïr. Cela signifiait que lui et Arthur allaient<br />

1


nécessairement se rencontrer, voire pire. Rien que d'imaginer ce qu'il<br />

pourrait se passer, el<strong>le</strong> se sentit désemparée. "Pourvu qu'ils ne<br />

s'affrontent pas", pria-t-el<strong>le</strong> en repensant aux paro<strong>le</strong>s froi<strong>de</strong>s d'Arthur,<br />

proférées la veil<strong>le</strong>.<br />

"Minilly…, murmura Sally.<br />

-Oui, j'ai compris, répondit l'intéressée."<br />

El<strong>le</strong> claqua <strong>de</strong>s doigts et un long bâton en frêne apparut <strong>de</strong>vant<br />

Sally. L'élue s'en saisit d'une main et son djinn disparut aussitôt, repartant<br />

d'où el<strong>le</strong> venait.<br />

"Je vous déteste, dit soudain Anaïs à Victorio.<br />

-…<br />

-De toute ma vie, je n'ai jamais ressenti un tel mépris envers qui que ce<br />

soit, continua Anaïs. Vous, tous <strong>le</strong>s autres membres <strong>de</strong> la Confrérie.<br />

Toutes ces ordures. Je vous hais pour ce que vous faites endurer aux élus,<br />

pour ce que vous avez fait subir à Samuel et Nils, pour cette vision<br />

tronquée que vous avez du mon<strong>de</strong>."<br />

El<strong>le</strong> croisa <strong>le</strong> regard impénétrab<strong>le</strong> d'Aïshani.<br />

"Vous forcez <strong>de</strong>s gens qui s'aiment à s'entre-détruire. Je vous déteste!<br />

cria Anaïs, envahie par la colère."<br />

Le visage <strong>de</strong> Victorio ne montra pas <strong>le</strong> moindre signe <strong>de</strong> troub<strong>le</strong>. Il<br />

braqua Stella vers <strong>le</strong> ciel et <strong>le</strong>s éclairs prirent en intensité.<br />

"Moi ça me convient, dit-il avec un sourire. Je n'ai rien à faire <strong>de</strong> tes<br />

jérémia<strong>de</strong>s."<br />

Anaïs retroussa sa manche droite pour dégager son poignet, auquel<br />

était accrochée la Larme <strong>de</strong> Nace. Victorio allait passer à l'attaque.<br />

"Tir n°21 : Paratonnerre, fit Sally. Recu<strong>le</strong>z!<br />

-Tir n°21 : Paratonnerre, cria Victorio."<br />

Des éclairs fulgurants émanèrent alors <strong>de</strong> Stella et foudroyèrent<br />

aléatoirement <strong>le</strong> sol, autour <strong>de</strong> Victorio. La forêt paraissait être <strong>le</strong> théâtre<br />

d'un feu d'artifice grondant. Aïshani et Sally s'écartèrent <strong>de</strong> la trajectoire<br />

<strong>de</strong>s éclairs et entreprirent <strong>de</strong> <strong>le</strong>s éviter, tandis qu'Anaïs tendait <strong>le</strong> bras<br />

droit <strong>de</strong>vant el<strong>le</strong>. Une bul<strong>le</strong> se forma alors, anéantissant <strong>le</strong>s attaques <strong>de</strong><br />

Victorio.<br />

"Essaie <strong>de</strong> détourner son attention, lui lança Aïshani."<br />

Victorio ne bougeait pas d'un pouce, continuant à déployer son<br />

assaut é<strong>le</strong>ctrique autour <strong>de</strong> lui. La foudre parcourait massivement <strong>le</strong> sol<br />

1


sur un vaste espace, <strong>de</strong> manière tout à fait imprévisib<strong>le</strong>. Pourtant, Sally<br />

esquivait <strong>le</strong>s éclairs avec une apparente facilité, comme si el<strong>le</strong> pouvait<br />

prévoir à quel endroit ils allaient frapper. Au contraire, Aïshani paraissait<br />

avoir plus <strong>de</strong> difficulté. El<strong>le</strong> s'était suspendue à la branche d'un arbre, afin<br />

<strong>de</strong> mieux éviter l'attaque.<br />

"Détourner son attention, plus faci<strong>le</strong> à dire qu'à faire, rouspéta Anaïs."<br />

El<strong>le</strong> balança vio<strong>le</strong>mment son bras droit d'arrière en avant, renvoyant<br />

toute l'é<strong>le</strong>ctricité emmagasinée par son don. Cette riposte prit la forme<br />

d'une fulguration massive, déferlant vers Victorio. Pris au dépourvu, il fut<br />

contraint d'interrompre son tir continu pour ne pas être foudroyé par sa<br />

propre attaque et sauta du rocher.<br />

A cet instant précis, il réalisa, trop tard, que Sally s'était postée à<br />

son point <strong>de</strong> chute. D'un mouvement agi<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> <strong>le</strong> désarma avec son<br />

bâton, puis s'en servit comme perche pour s'é<strong>le</strong>ver dans <strong>le</strong>s airs et<br />

retomber vio<strong>le</strong>mment sur son adversaire, genou en avant. Il fut presque<br />

assommé par <strong>le</strong> coup asséné sur <strong>le</strong> front et tituba.<br />

"Stella, cria-t-il."<br />

Le pisto<strong>le</strong>t était tombé à un bon mètre <strong>de</strong> lui. Toutefois, mue par<br />

une vie insoupçonnée jusque là, l'arme s'é<strong>le</strong>va dans <strong>le</strong>s airs et revint dans<br />

la main droite <strong>de</strong> sa propriétaire. Il s'en saisit fermement et la pointa vers<br />

Sally.<br />

"Espèce <strong>de</strong>…"<br />

Anaïs envoya un nouvel éclair dans sa direction, bien qu'el<strong>le</strong> réalisât<br />

après coup que Sally se serait bien mieux débrouillée sans son<br />

intervention. En effet, cette <strong>de</strong>rnière avait déjà effectué un mouvement<br />

pour neutraliser <strong>de</strong> nouveau Victorio, mais l'irruption <strong>de</strong> l'éclair l'obligea à<br />

battre en retraite. Victorio fit éga<strong>le</strong>ment un pas <strong>de</strong> recul et se mit à courir<br />

en direction d'un arbre.<br />

"Tir n°19 : Grappin!"<br />

Il tira vers <strong>le</strong> sommet et fut tracté vers <strong>le</strong> haut par un long filin relié<br />

à une attache en métal. Il ne cessa son ascension qu'une fois hors <strong>de</strong><br />

portée <strong>de</strong>s élues. Là, il se posta sur une branche suffisamment épaisse<br />

pour qu'il puisse y tenir. De son refuge, il interpella Sally et Anaïs, tout en<br />

rechargeant Stella :<br />

"Essayez <strong>de</strong> venir me chercher maintenant ban<strong>de</strong> <strong>de</strong> pestes! Ha ha!"<br />

Soudain, un gron<strong>de</strong>ment terrifiant fit écho à sa provocation. Anaïs<br />

se tourna vers Aïshani, disparue <strong>de</strong> son champ <strong>de</strong> vision <strong>de</strong>puis un<br />

moment déjà. Un sceau rond, formé <strong>de</strong> dizaines <strong>de</strong> symbo<strong>le</strong>s tracés en<br />

1


caractères <strong>de</strong> feu, était apparu à ses pieds. Aïshani avait joint <strong>le</strong>s paumes<br />

à l'horizonta<strong>le</strong>, d'une manière presque bouddhique. Une lueur<br />

incan<strong>de</strong>scente animait son regard, <strong>de</strong>rrière <strong>le</strong>s verres <strong>de</strong> ses lunettes. Sa<br />

bouc<strong>le</strong> d'oreil<strong>le</strong> était aussi rouge qu'un charbon ar<strong>de</strong>nt.<br />

"On ne peut pas se permettre <strong>de</strong> perdre du temps avec cet individu<br />

corrompu, déclara-t-el<strong>le</strong>.<br />

-Qu'est-ce que tu comptes faire? Me lancer <strong>de</strong>s flammes? la railla<br />

Victorio."<br />

El<strong>le</strong> <strong>le</strong>va <strong>le</strong>ntement <strong>le</strong>s yeux, d'un air presque dédaigneux. Ses<br />

sourcils n'avaient même pas frémi.<br />

"Je ne pense pas que tu soies l'un <strong>de</strong>s membres <strong>le</strong>s plus dangereux <strong>de</strong> la<br />

Confrérie, Ligue ou pas, fit-el<strong>le</strong>. Inuti<strong>le</strong> que j'use <strong>de</strong> toutes mes ressources<br />

contre toi."<br />

Ses yeux se fermèrent et <strong>le</strong> symbo<strong>le</strong> circulaire s'embrasa. Soudain,<br />

une mer <strong>de</strong> flammes en émana pour former rapi<strong>de</strong>ment une vague<br />

gigantesque, haute <strong>de</strong> plusieurs mètres. Anaïs écarquilla <strong>le</strong>s yeux,<br />

impressionnée. El<strong>le</strong> n'avait jamais vu Aïshani faire usage <strong>de</strong> son don en<br />

situation réel<strong>le</strong>, autrement que pour l'ai<strong>de</strong>r à maîtriser <strong>le</strong> sien. Cette foisci,<br />

el<strong>le</strong> comprenait p<strong>le</strong>inement <strong>le</strong> sens du mot élite. Sous <strong>le</strong> regard atterré<br />

<strong>de</strong> Victorio, l'immense tsunami avança vers lui en passant à travers <strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux autres élues sans <strong>le</strong>ur faire <strong>le</strong> moindre mal.<br />

Il n'y avait pas d'échappatoire, l'attaque était bien trop imposante.<br />

Tenter d'y échapper reviendrait à vouloir se défaire d'une catastrophe<br />

naturel<strong>le</strong>.<br />

"NOOOON, hurla-t-il."<br />

Le ciel s'embrasa, altéré par la fournaise qu'avait occasionnée<br />

Aïshani. Autour d'Anaïs, tout n'était que flammes. Des flammes<br />

purificatrices qui n'avaient <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> consumer que <strong>le</strong>urs cib<strong>le</strong>s, rien<br />

d'autre. C'est ce qu'Aïshani lui avait expliqué la première fois qu'el<strong>le</strong>s<br />

avaient parlé <strong>de</strong>s dons. Il n'était pas question <strong>de</strong> b<strong>le</strong>sser acci<strong>de</strong>ntel<strong>le</strong>ment<br />

<strong>de</strong>s innocents ou <strong>de</strong> détruire l'écosystème.<br />

Le brasier tourbillonnant ne commença à perdre en puissance qu'au<br />

bout <strong>de</strong> longues secon<strong>de</strong>s. Nul doute pour Anaïs que Victorio n'en avait<br />

pas réchappé. El<strong>le</strong> se surprit à regretter sa mort.<br />

"Viens là!"<br />

Anaïs avait senti la main d'Aïshani saisir la sienne et l'entraîner au<br />

pas <strong>de</strong> course loin <strong>de</strong>s flammes, vers une direction inconnue. Après un<br />

moment d'avancée aveug<strong>le</strong> au cœur du feu, el<strong>le</strong> revit enfin la lumière du<br />

jour et sentit l'air se rafraîchir. Le champ <strong>de</strong> flammes était loin <strong>de</strong>rrière.<br />

Sally et Aïshani couraient à côté d'el<strong>le</strong>.<br />

1


"Toujours aussi radica<strong>le</strong> Aïshani, ha<strong>le</strong>ta Sally.<br />

-Sans doute pas assez, répondit-el<strong>le</strong> sans cesser <strong>de</strong> courir. Je ne l'ai pas<br />

eu.<br />

-Tu plaisantes? s'écria Anaïs. Personne n'aurait pu survivre à ça!<br />

-Si <strong>le</strong>s flammes l'avaient consumé, je l'aurais senti. Mais d'une part, je<br />

n'ai pas cherché à <strong>le</strong> tuer, d'autre part, je crois qu'il a trouvé un nouveau<br />

stratagème pour se protéger. C'est pour cela que nous <strong>de</strong>vons nous<br />

éloigner <strong>de</strong> lui avant qu'il ne soit <strong>de</strong> nouveau libre <strong>de</strong> ses mouvements. Je<br />

crois que <strong>le</strong>s furies sont parties dans cette direction."<br />

Toutes <strong>le</strong>s trois détalaient à travers la forêt, parfois entravées par<br />

une végétation trop abondante ou par <strong>de</strong>s racines sorties du sol. Le<br />

feuillage <strong>de</strong>s arbres était toutefois beaucoup moins omniprésent<br />

qu'auparavant, laissant passer une lumière vive. Anaïs réalisa qu'el<strong>le</strong> était<br />

en sueur comme jamais el<strong>le</strong> ne l'avait été.<br />

"Bon sang, que se passe-t-il sur cette î<strong>le</strong>? ragea Sally. Je n'ose pas<br />

imaginer ce que ces femmes vont tenter <strong>de</strong> faire à Jamie et Anthony si<br />

el<strong>le</strong>s sont victimes <strong>de</strong> l'influence <strong>de</strong> Fenrir.<br />

-Je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> surtout ce qu'el<strong>le</strong>s ont fait <strong>de</strong>s hommes du comp<strong>le</strong>xe<br />

touristique, dit Aïshani.<br />

-Au moins nous avons récupéré Fenrir. Il ne <strong>de</strong>vrait plus pouvoir faire <strong>de</strong><br />

mal une fois que nous l'aurons ramené au QG. Enfin… j'espère.<br />

Accélérons!"<br />

El<strong>le</strong> et Aïshani doublèrent <strong>de</strong> vitesse, au grand dam d'Anaïs qui se<br />

mit à lutter contre ses musc<strong>le</strong>s pour tenir <strong>le</strong> rythme. Comment ces <strong>de</strong>ux-là<br />

faisaient-el<strong>le</strong>s pour avancer si vite alors qu'el<strong>le</strong> était déjà épuisée? Il ne<br />

pouvait s'agir que d'expérience, se dit-el<strong>le</strong>. <strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux élues étaient bien<br />

plus aguerries.<br />

"Je ne suis qu'un poids mort à côté", songea Anaïs en serrant <strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong>nts. "Je n'ai même pas réussi à ai<strong>de</strong>r correctement Sally tout à l'heure<br />

alors que c'est moi qui suis sensée être l'élite. Arthur n'a pas eu <strong>le</strong> temps<br />

<strong>de</strong> se préparer à son rô<strong>le</strong> d'élu, moi si. J'ai réel<strong>le</strong>ment besoin <strong>de</strong> plus<br />

d'entraînement."<br />

A ce moment, son pied cala contre une pierre et el<strong>le</strong> tomba<br />

vio<strong>le</strong>mment en avant, ce qui serait plus tard décrit (par Anaïs el<strong>le</strong>-même)<br />

comme la "chute <strong>de</strong> la gourdasse". Aïshani et Sally s'arrêtèrent<br />

bruta<strong>le</strong>ment et cette <strong>de</strong>rnière vint l'ai<strong>de</strong>r à se re<strong>le</strong>ver.<br />

"Tu ne t'es rien cassé? <strong>de</strong>manda-t-el<strong>le</strong>, inquiète."<br />

Anaïs <strong>le</strong>va la tête, fixant <strong>le</strong> regard empathique mais assuré <strong>de</strong> Sally.<br />

El<strong>le</strong> se jura qu'el<strong>le</strong> <strong>de</strong>viendrait aussi forte qu'el<strong>le</strong> un jour ou l'autre. Cette<br />

confiance en soi lui semblait déjà plus accessib<strong>le</strong> que l'intelligence<br />

surnaturel<strong>le</strong> d'Aïshani.<br />

1


"Al<strong>le</strong>z, <strong>de</strong>bout, fit Sally en lui prenant la main. On a <strong>de</strong>s hommes faib<strong>le</strong>s à<br />

sauver!"<br />

Soudain, alors qu'Anaïs allait se re<strong>le</strong>ver, une nouvel<strong>le</strong> détonation<br />

retentit et Sally sursauta. Un craquement sinistre se fit entendre. Anaïs se<br />

retourna et vit un tronc d'arbre qui se fendait en <strong>de</strong>ux plus loin.<br />

"Je <strong>le</strong> savais, fit Aïshani entre ses <strong>de</strong>nts. C'est encore lui qui essaie <strong>de</strong><br />

nous rattraper.<br />

-Il ne nous laissera pas <strong>de</strong> répit tant que nous aurons Fenrir, ajouta Sally.<br />

Vite Anaïs, <strong>de</strong>bout!<br />

-Al<strong>le</strong>z chercher <strong>le</strong>s garçons, je reste ici, fit Anaïs en se re<strong>le</strong>vant<br />

diffici<strong>le</strong>ment."<br />

El<strong>le</strong> l'avait dit sans vraiment y penser. <strong>Les</strong> regards d'Aïshani et Sally<br />

étaient teintés d'incompréhension.<br />

"Grâce à mon don je peux <strong>le</strong> retenir longtemps sans prendre <strong>le</strong> risque<br />

d'être b<strong>le</strong>ssée, expliqua-t-il. Si je <strong>le</strong> retiens ici, vous aurez <strong>le</strong> temps <strong>de</strong><br />

sauver <strong>le</strong>s autres et <strong>de</strong> revenir!<br />

-C'est inconscient, répliqua Sally, <strong>le</strong>s yeux écarquillés. <strong>Les</strong> élus doivent<br />

toujours travail<strong>le</strong>r en équipe!"<br />

Le sol se mit <strong>de</strong> nouveau à tremb<strong>le</strong>r. <strong>Les</strong> explosions se faisaient <strong>de</strong><br />

plus en plus proches.<br />

"Je ne prendrai pas <strong>de</strong> risque inuti<strong>le</strong>, assura Anaïs. Mon seul but sera <strong>de</strong><br />

vous faire gagner du temps!<br />

-El<strong>le</strong> a raison Sally, intervint Aïshani, à la gran<strong>de</strong> stupeur d'Anaïs. Il serait<br />

encore plus dangereux <strong>de</strong> continuer à courir à travers la forêt poursuivies<br />

par ce psychopathe.<br />

-Où est-ce que vous êtes <strong>le</strong>s trois garces? hurlait la voix <strong>de</strong> Victorio. Je<br />

suis encore vivant vous savez?<br />

-Tu es d'accord pour la laisser seu<strong>le</strong> <strong>de</strong>rrière? s'indigna Sally.<br />

-Qui par<strong>le</strong> <strong>de</strong> la laisser seu<strong>le</strong>? fit Aïshani avec un semblant <strong>de</strong> sourire."<br />

Sa bouc<strong>le</strong> d'oreil<strong>le</strong> se mit à bril<strong>le</strong>r et l'imposant Khan se matérialisa<br />

<strong>de</strong>vant el<strong>le</strong>, dans un jet <strong>de</strong> flammes. <strong>Les</strong> yeux jaunes du fauve semblaient<br />

bril<strong>le</strong>r <strong>de</strong> satisfaction.<br />

"J'ai bien cru que tu ne me laisserais jamais intervenir, déclara-t-il d'un air<br />

indigné.<br />

-Je veux juste que tu assures la protection d'Anaïs, dit Aïshani.<br />

-Bien évi<strong>de</strong>mment, répondit <strong>le</strong> félin en agitant une <strong>de</strong>s pattes avant<br />

comme s'il s'agissait d'une promena<strong>de</strong> <strong>de</strong> santé. Je ne compte pas laisser<br />

ma partenaire <strong>de</strong> Scrabb<strong>le</strong> subir <strong>le</strong> moindre mal. Grimpe Anaïs!<br />

-Euh… tu es sûr?"<br />

1


Le souff<strong>le</strong> d'une explosion <strong>le</strong>ur parvint, faisant vo<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s cheveux <strong>de</strong>s<br />

élues et frissonner <strong>le</strong> pelage <strong>de</strong> Khan. Sans opposer la moindre résistance,<br />

Anaïs monta à cheval sur la masse formidab<strong>le</strong> que représentait <strong>le</strong> gardien<br />

d'Aïshani et plongea ses mains dans <strong>le</strong>s poils <strong>de</strong> son cou pour s'y<br />

accrocher. <strong>Les</strong> musc<strong>le</strong>s <strong>de</strong> l'animal saillaient et donnaient l'image d'une<br />

créature invulnérab<strong>le</strong>. Anaïs était si haut qu'el<strong>le</strong> n'avait pas l'impression<br />

d'être en position assise.<br />

"Fi<strong>le</strong>z maintenant, dit-el<strong>le</strong> aux autres. J'ai un communicateur dans la<br />

poche. Vous n'aurez qu'à me faire signe lorsque Jamie et Ant seront hors<br />

<strong>de</strong> danger.<br />

-Sois pru<strong>de</strong>nte, l'implora Sally, avant <strong>de</strong> partir à la suite d'Aïshani.<br />

-Nous ferons en sorte d'être rapi<strong>de</strong>s, lança Aïshani dans son dos."<br />

Alors qu'el<strong>le</strong>s s'éloignaient, Khan fléchit ses pattes arrière et<br />

effectua un grand bond en direction <strong>de</strong> Victorio. Celui-ci arrivait<br />

justement, arme à la main. Son apparence n'était pas glorieuse. Vêtement<br />

à moitié carbonisés, cheveux ébouriffés et fumants, visage presque<br />

entièrement noir. Il avait tout d'un ramoneur sorti d'une cheminée.<br />

"Il n'y a que toi? fit-il en voyant Anaïs. On dirait que tu t'es trouvé un gros<br />

chat ridicu<strong>le</strong>."<br />

<strong>Les</strong> musc<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Khan se crispèrent sous Anaïs. Il était <strong>de</strong> notoriété<br />

publique que <strong>le</strong> gardien d'Aïshani se vexait faci<strong>le</strong>ment.<br />

"Comment t'es tu sorti <strong>de</strong>s flammes? <strong>de</strong>manda Anaïs, intriguée.<br />

-Stella est p<strong>le</strong>ine <strong>de</strong> ressources, répondit vaguement Victorio. Il m'a suffi<br />

d'utiliser un projecti<strong>le</strong> qui me protégeait du feu, même si ça n'a fait<br />

qu'atténuer l'attaque <strong>de</strong> ta copine indienne."<br />

Il pointa Stella vers Anaïs et Khan.<br />

"Maintenant, dis-moi où sont parties tes amies. Je dois récupérer Fenrir.<br />

-C'est un truc <strong>de</strong> méchant?<br />

-De quoi tu par<strong>le</strong>s? maugréa Victorio.<br />

-Vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>z à votre adversaire <strong>de</strong> se rendre en croyant vraiment qu'il<br />

va <strong>le</strong> faire? Je pensais que ça ne se faisait qu'à la télé… C'est d'un<br />

ridicu<strong>le</strong>."<br />

<strong>Les</strong> sourcils <strong>de</strong> Victorio se froncèrent. Il allait probab<strong>le</strong>ment passer<br />

<strong>de</strong> nouveau à l'attaque.<br />

"Il va falloir y al<strong>le</strong>r Khan, chuchota Anaïs.<br />

-Bahaaaaa…<br />

-Comment ça "bahaaaaa"?<br />

-…"<br />

1


Khan tourna sa tête vers Anaïs, tremblant <strong>de</strong> tous ses membres.<br />

"O… On ne m'avait pas dit que mon adversaire serait un sournois doté<br />

d'u.. d'une arme à feu, bégaya-t-il.<br />

-Ne me dis pas que tu as peur d'une arme? s'indigna Anaïs.<br />

-Pas toi?<br />

-Si, bien sûr, cria Anaïs en <strong>le</strong> frappant sur <strong>le</strong> crâne. Khan, je croyais que<br />

tu étais brave!<br />

-Bon… Protège-moi et je m'occupe du reste, fit Khan en reprenant son<br />

sérieux. A nous <strong>de</strong>ux, il doit être possib<strong>le</strong> <strong>de</strong> lui tenir tête.<br />

-Tir n°9 : Ricochet!"<br />

Un champ <strong>de</strong> lumière b<strong>le</strong>utée émana du pisto<strong>le</strong>t, au moment où<br />

Victorio <strong>le</strong> braquait vers <strong>le</strong> sol. Soudain un mystérieux rayon étincelant <strong>de</strong><br />

même cou<strong>le</strong>ur jaillit du canon et se mit à rebondir sur tout obstac<strong>le</strong> qu'il<br />

rencontrait, qu'il s'agisse du sol ou <strong>de</strong>s troncs d'arbres. Khan émit un<br />

gémissement plaintif, juste avant <strong>de</strong> bondir en arrière pour esquiver<br />

l'étrange laser.<br />

"Trop rapi<strong>de</strong>, souffla Anaïs, voyant que <strong>le</strong> rayon se répandait partout<br />

autour d'eux."<br />

El<strong>le</strong> dressa une nouvel<strong>le</strong> barrière pour <strong>le</strong>s protéger. Cependant, el<strong>le</strong><br />

sentit que quelque chose n'allait pas au moment où <strong>le</strong> faisceau b<strong>le</strong>u frappa<br />

l'enceinte <strong>de</strong> son don.<br />

"Je n'ai pas absorbé son attaque, s'écria-t-el<strong>le</strong>.<br />

-Pourquoi? <strong>de</strong>manda Khan.<br />

-Je n'en sais rien! On dirait que son attaque n'a pas tenté <strong>de</strong> forcer la<br />

barrière.<br />

-Tsss… Accroche toi!"<br />

Khan se mit à cava<strong>le</strong>r autour <strong>de</strong> Victorio en formant un large cerc<strong>le</strong>,<br />

tout en passant entre <strong>le</strong>s ricochets mortels que celui-ci avait déc<strong>le</strong>nchés.<br />

La tâche s'avérait ardue, même si Anaïs l'appuyait en déviant <strong>le</strong>s<br />

projecti<strong>le</strong>s inattendus.<br />

"Tir n°15 : Rafa<strong>le</strong>!"<br />

Plusieurs fusées fondirent en direction du duo improvisé. Khan se<br />

cabra alors, ce qui manqua <strong>de</strong> désarçonner Anaïs. Ses pattes avant<br />

frappèrent durement <strong>le</strong> sol et ses griffes grattèrent la terre. Il ouvrit grand<br />

la gueu<strong>le</strong>, puis cracha une bou<strong>le</strong> <strong>de</strong> feu qui partit détruire <strong>le</strong>s fusées. Une<br />

explosion imposante résulta <strong>de</strong> l'impact.<br />

"Tir n°9 : Ricochet!<br />

-Encore? s'écria Anaïs.<br />

-Il a décidé d'en finir avec nous, ha<strong>le</strong>ta Khan."<br />

1


L'effet doublé du ricochet multiplia <strong>le</strong> nombre <strong>de</strong> faisceaux qui<br />

parcouraient la forêt, obligeant Khan à partir se réfugier <strong>de</strong>rrière un arbre.<br />

Lui et Anaïs reprirent <strong>le</strong>ur souff<strong>le</strong>. Le décor ressemblait désormais à un<br />

système <strong>de</strong> protection <strong>de</strong> musée par lasers. S'approcher <strong>de</strong> Victorio<br />

équivalait à du suici<strong>de</strong>.<br />

"Explosif!"<br />

Anaïs vit un arbre être réduit en miettes, à quelques mètres d'eux.<br />

Victorio cherchait à <strong>le</strong>s débusquer <strong>de</strong> manière élaborée.<br />

"Pourquoi ne peux-tu pas assimi<strong>le</strong>r son attaque? chuchota Khan.<br />

-J'imagine que <strong>le</strong> fait qu'el<strong>le</strong> rebondisse y est pour quelque chose, supposa<br />

Anaïs. Peut-être que je ne peux absorber que ce qui me vise directement!<br />

-Quel est l'intérêt <strong>de</strong> ce ricochet si cet individu sait qu'il ne peut pas te<br />

faire du mal, bien que tu ne puisses pas l'absorber?<br />

-Je ne sais pas… Nous épuiser, pour mieux nous attaquer… Il doit se<br />

douter que je ne pourrai pas me protéger éternel<strong>le</strong>ment. Il faut que<br />

nous… AAAAAAH!"<br />

El<strong>le</strong> venait d'être vio<strong>le</strong>mment sou<strong>le</strong>vée du sol par l'explosion <strong>de</strong><br />

l'arbre <strong>de</strong>rrière <strong>le</strong>quel ils s'étaient cachés. El<strong>le</strong> s'é<strong>le</strong>va dans <strong>le</strong>s airs, à<br />

plusieurs mètres <strong>de</strong> hauteur, puis chuta vers <strong>le</strong> sol.<br />

"Nooon, cria-t-el<strong>le</strong> en dirigeant son bras vers <strong>le</strong> sol."<br />

Son don se déc<strong>le</strong>ncha, amortissant in extremis sa chute. El<strong>le</strong> dissipa<br />

alors la barrière et se mit à scruter <strong>le</strong>s a<strong>le</strong>ntours, en recherche <strong>de</strong> Khan. Il<br />

finit par réapparaître dans son champ <strong>de</strong> vision.<br />

"Khan!"<br />

L'animal galopait vers el<strong>le</strong>, visib<strong>le</strong>ment in<strong>de</strong>mne. Soudain, un fi<strong>le</strong>t<br />

venu <strong>de</strong> nul<strong>le</strong> part lui tomba <strong>de</strong>ssus, l'entravant complètement. Il<br />

s'effondra, surpris. Ses pattes étaient coincées dans <strong>le</strong>s mail<strong>le</strong>s, et chaque<br />

mouvement qu'il effectuait <strong>le</strong> restreignait davantage. Il poussa un<br />

rugissement terrib<strong>le</strong><br />

"Non, Khan, s'exclama Anaïs en courant vers lui.<br />

-Tir n°6 : Fi<strong>le</strong>t. Cela fait <strong>de</strong>s mois que je cherchais une occasion <strong>de</strong><br />

l'utiliser, lança Victorio."<br />

Anaïs <strong>le</strong> fixa du regard. El<strong>le</strong> s'était agenouillée auprès <strong>de</strong> Khan pour<br />

tenter <strong>de</strong> <strong>le</strong> libérer, mais <strong>le</strong> membre <strong>de</strong> la Confrérie l'avait presque déjà<br />

rejoint. Il était à moins <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mètres d'el<strong>le</strong>. Derrière, il y avait une<br />

pente assez abrupte.<br />

1


"Alors ma<strong>de</strong>moisel<strong>le</strong>, vous avez l'air épuisé, constat Victorio. Combien <strong>de</strong><br />

fois avez-vous bloqué mes attaques en l'espace <strong>de</strong> dix minutes. Une<br />

vingtaine <strong>de</strong> fois?<br />

-…<br />

-C'est un don vraiment extraordinaire que tu as là, admit Victorio.<br />

Toutefois, je ne crois pas qu'il soit <strong>de</strong>stiné à être utilisé <strong>de</strong> manière si<br />

acharnée. Quel dommage que tu ne puisses pas attaquer…"<br />

Face à cette remarque, Anaïs ne put s'empêcher d'avoir un léger<br />

sourire. Cette inso<strong>le</strong>nce ne parut pas plaire à Victorio qui la mit <strong>de</strong><br />

nouveau en joue, et tira, sans <strong>le</strong> moindre coup <strong>de</strong> semonce.<br />

"Tu me saou<strong>le</strong>s…"<br />

La Larme <strong>de</strong> Nace créa automatiquement une barrière qui arrêta <strong>le</strong><br />

projecti<strong>le</strong>. Cependant, Anaïs n'avait quasiment plus <strong>de</strong> force et <strong>le</strong> coup<br />

avait été tiré à bout portant. La collision la repoussa au loin et el<strong>le</strong> dévala<br />

une longue pente, roulant sur el<strong>le</strong>-même comme un rondin <strong>de</strong> bois. A<br />

mesure qu'el<strong>le</strong> chutait, el<strong>le</strong> sentait <strong>de</strong>s éraflures se créer sur ses bras et<br />

son visage, mais el<strong>le</strong> n'arrivait pas à se concentrer suffisamment pour<br />

déc<strong>le</strong>ncher son don. Tout son corps était douloureux.<br />

Après une chute interminab<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> finit par atterrir dans un cours<br />

d'eau au débit peu important. L'eau était glacée. El<strong>le</strong> ne bougea pas<br />

malgré cela, complètement épuisée. Lui rou<strong>le</strong>r <strong>de</strong>ssus n'aurait pas été<br />

plus douloureux.<br />

"Haa.., gémit-el<strong>le</strong>, rompue."<br />

Soudain, <strong>de</strong>ux gran<strong>de</strong>s mains se saisirent d'el<strong>le</strong> assez bruta<strong>le</strong>ment<br />

et la portèrent. El<strong>le</strong> se mit à paniquer et à se débattre, croyant que<br />

Victorio était venu l'achever. Son agresseur l'avait jetée sur son épau<strong>le</strong><br />

droite et courait maintenant à gran<strong>de</strong>s enjambées vers un lieu inconnu.<br />

"Lâchez-moi, sa<strong>le</strong>té, hurla-t-el<strong>le</strong> en donnant <strong>de</strong>s coups."<br />

El<strong>le</strong> ne voyait que <strong>le</strong> dos et <strong>le</strong>s jambes <strong>de</strong> son porteur. Un pantalon<br />

blanc et <strong>de</strong>s bottes. Il avançait rapi<strong>de</strong>ment, sans dire un mot ni réagir à<br />

ses protestations. Déterminée à se libérer, el<strong>le</strong> ouvrit la mâchoire et se<br />

tordit en <strong>de</strong>ux pour mordre l'épau<strong>le</strong> gauche <strong>de</strong> l'individu. Un cri <strong>de</strong> dou<strong>le</strong>ur<br />

répondit alors à l'agression et Anaïs tomba vio<strong>le</strong>mment, pour la énième<br />

fois <strong>de</strong> la journée. Devant el<strong>le</strong>, <strong>le</strong> jeune homme qui l'avait capturée se<br />

tordait <strong>de</strong> dou<strong>le</strong>ur, roulant excessivement sur <strong>le</strong> sol en signe <strong>de</strong> détresse.<br />

"Aaaaaah, criait-il en se massant vigoureusement l'épau<strong>le</strong>."<br />

Anaïs crut alors qu'el<strong>le</strong> allait perdre pied. Ca ne pouvait pas être lui.<br />

Pas à un tel endroit.<br />

1


"Tu m'as fait mal! Quel<strong>le</strong> mâchoire <strong>de</strong> fauve!<br />

-…<br />

-Ah… je te jure. Tu aurais faci<strong>le</strong>ment pu enfoncer tes <strong>de</strong>nts dans ma chair<br />

si je ne t'avais pas lâchée! Je ne sais pas si je pourrai bouger <strong>de</strong> nouveau<br />

<strong>le</strong> bras après ce traumatisme."<br />

L'individu se mit à quatre pattes, puis rampa tête baissée vers el<strong>le</strong>,<br />

ne montrant d'abord qu'une très courte chevelure châtain. Sans savoir<br />

pourquoi, Anaïs recula, incrédu<strong>le</strong>. <strong>Les</strong> larmes lui vinrent aux yeux lorsqu'il<br />

<strong>le</strong>va la tête.<br />

"Désolé <strong>de</strong> t'avoir fait peur Anaïs. Je voulais juste t'éloigner rapi<strong>de</strong>ment <strong>de</strong><br />

Victorio sans qu'il ne me voie."<br />

Nils lui fit un sourire gêné.<br />

1


Chapitre 11 : Art et Sam<br />

Un lundi après-midi <strong>de</strong> novembre 2002 :<br />

La porte s'ouvrit dans un tintement <strong>de</strong> cloche et Arthur s'introduisit<br />

pour la première fois dans la boutique d'antiquités, lieu dont il n'avait<br />

jamais franchi <strong>le</strong> seuil jusque là. La première idée qui lui traversa l'esprit<br />

fut une confirmation d'une impression passée : l'endroit n'était pas très<br />

attrayant. Eclairage assez faib<strong>le</strong>, murs ternes, et rangées d'objets et <strong>de</strong><br />

bibelots à l'apparence peu ragoûtante ou trop abstraite. Le regard d'Arthur<br />

s'attarda sur une gran<strong>de</strong> épée rouillée accrochée au mur d'en face, avant<br />

<strong>de</strong> se fixer sur <strong>le</strong> petit bureau qui se trouvait <strong>de</strong>ssous et sur son occupant.<br />

Arthur foula <strong>le</strong> parquet grinçant.<br />

"Bonjour."<br />

Monsieur Caris <strong>le</strong> fixait avec attention, visage en partie dissimulé par<br />

un gros ouvrage à la couverture grise comme la poussière. Arthur n'avait<br />

jamais vu cet homme autrement que <strong>de</strong> loin. A vrai dire, il l'avait toujours<br />

un peu fui. Non pas qu'il soit particulièrement effrayant. Au contraire, on<br />

pouvait aisément l'imaginer comme <strong>le</strong> genre d'individu qui pouvait obtenir<br />

<strong>le</strong>s faveurs <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s femmes, <strong>de</strong> quinze à quarante cinq ans. Ses<br />

courts cheveux noirs, sa barbe <strong>de</strong> trois jours, sa chemise froissée et ses<br />

yeux clairs lui donnaient un air agaçant <strong>de</strong> jeune Indiana Jones à la<br />

manque. Non, ce qui rebutait surtout Arthur, c'était plutôt la boutique qu'il<br />

occupait.<br />

"Le petit-fils Gall? Arthur je crois…<br />

-Oui, répondit Arthur, surpris que l'antiquaire connaisse son nom."<br />

Ce <strong>de</strong>rnier fronça légèrement <strong>le</strong>s sourcils.<br />

"Que puis-je faire pour toi?<br />

-Mon grand-père m'envoie vous rembourser.<br />

-Me rembourser?"<br />

Arthur se mit à fouil<strong>le</strong>r dans sa poche <strong>de</strong> jean et en sortit <strong>de</strong>ux<br />

euros. Il avança alors vers <strong>le</strong> bureau, croisant au passage son ref<strong>le</strong>t dans<br />

un vieux miroir sur pied. Ses yeux étaient rouges et cernés. Sans gran<strong>de</strong><br />

surprise. <strong>Les</strong> temps n'étaient pas joyeux.<br />

"Apparemment vous l'avez dépanné au café il y a quelques jours, alors<br />

qu'il avait oublié son portefeuil<strong>le</strong>, expliqua Arthur.<br />

-Oh, fit Monsieur Caris, comme si un lointain souvenir émergeait<br />

subitement. Il n'aurait pas dû se donner cette peine pour si peu."<br />

1


Arthur posa <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux euros sur <strong>le</strong> bureau, puis recula en faisant<br />

mine d'observer <strong>le</strong>s lieux. Il ne voulait pas que celui-ci puisse lui scruter <strong>le</strong><br />

visage et déce<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s traces <strong>de</strong> ses nuits blanches.<br />

"L'enterrement <strong>de</strong> ton ami a déjà eu lieu? <strong>de</strong>manda Monsieur Caris sans<br />

ménagement.<br />

-Oui…"<br />

Il se rappela alors l'avoir croisé avec Anaïs <strong>le</strong> <strong>le</strong>n<strong>de</strong>main du décès <strong>de</strong><br />

Nils, <strong>de</strong>vant la boutique. A cet instant, l'homme <strong>le</strong>ur avait brièvement<br />

parlé pour exprimer ses regrets.<br />

Nul doute que <strong>le</strong>s yeux d'Arthur l'avaient trahi. Monsieur Caris<br />

affichait désormais une mine accablée et compatissante.<br />

"Je vais y al<strong>le</strong>r, déclara Arthur. Mon grand-père vous remercie encore.<br />

-Tu ferais mieux attendre un peu, conseilla Monsieur Caris en pointant du<br />

doigt l'entrée <strong>de</strong> la boutique."<br />

Arthur se retourna. Une pluie battante s'abattait sur la ruel<strong>le</strong> et<br />

ruisselait sur <strong>le</strong>s vitrines. Le quartier avait tout d'une vieil<strong>le</strong> carte posta<strong>le</strong><br />

détrempée. Seuls quelques mètres <strong>de</strong> bitume <strong>le</strong> séparaient <strong>de</strong> son<br />

immeub<strong>le</strong> mais Arthur n'avait pas enfilé <strong>de</strong> veste, pensant qu'il serait <strong>de</strong><br />

retour chez lui en quelques minutes.<br />

"Ca se calmera vite, prophétisa Monsieur Caris en replongeant <strong>le</strong>s yeux<br />

dans son livre. Mieux vaut que tu atten<strong>de</strong>s au sec. Prends du café."<br />

Une tasse <strong>de</strong> breuvage fumant s'était retrouvée sur <strong>le</strong> bureau, juste<br />

en face d'Arthur, sans qu'il ne sache comment ni quand l'antiquaire l'avait<br />

servie. Il se résigna à la prendre et fit <strong>le</strong> tour <strong>de</strong> la boutique, afin d'éviter<br />

d'avoir à faire la conversation à son hôte.<br />

Après une courte errance sans but réel, il se trouva face à une<br />

peinture assez sobre représentant un enfant rachitique, affublé d'une<br />

couronne rouge. L'œuvre se résumait à quelques coups <strong>de</strong> pinceaux noirs<br />

sur un fond blanc. Arthur s'en approcha sans conviction. La toi<strong>le</strong> n'était<br />

pas encadrée. Il n'y avait pas <strong>de</strong> signature.<br />

"L'enfant roi tyrannique, dit la voix <strong>de</strong> Monsieur Caris."<br />

Celui-ci s'était approché en si<strong>le</strong>nce, observant lui aussi l'œuvre<br />

<strong>de</strong>rrière Arthur.<br />

"Un personnage mégalomane qui n'hésite pas à tuer tous <strong>le</strong>s opposants <strong>de</strong><br />

son royaume, y compris ses proches. Sa folie atteint <strong>de</strong>s sommets<br />

inégalés et il finit par se retrouver seul, avec une autorité tota<strong>le</strong>ment<br />

dénuée <strong>de</strong> sens. Même <strong>le</strong> bourreau est contraint <strong>de</strong> se tuer, pour expier<br />

ses pêchés. Cette image représente <strong>le</strong> roi sans ses sujets, plongé dans<br />

une solitu<strong>de</strong> extrême."<br />

1


Le jeune roi se tenait assis dans <strong>le</strong> vi<strong>de</strong>, <strong>de</strong>ux points faisant office<br />

d'yeux inexpressifs. Arthur s'imagina que la cou<strong>le</strong>ur rouge <strong>de</strong> sa couronne<br />

n'était pas innocente. El<strong>le</strong> symbolisait sans doute son pouvoir sanglant.<br />

"Combien ven<strong>de</strong>z-vous ce genre <strong>de</strong> toi<strong>le</strong>? <strong>de</strong>manda Arthur.<br />

-El<strong>le</strong> n'est pas à vendre. C'est moi qui l'ai faite quand j'étais plus jeune.<br />

-Oh…<br />

-Je ne pense pas être suffisamment artiste pour accor<strong>de</strong>r une va<strong>le</strong>ur autre<br />

que sentimenta<strong>le</strong> à cette chose, dit Monsieur Caris avec un semblant <strong>de</strong><br />

sourire."<br />

Arthur décrocha son regard <strong>de</strong> la toi<strong>le</strong>. Il p<strong>le</strong>uvait toujours autant<br />

<strong>de</strong>hors. Il décida toutefois <strong>de</strong> prendre congé. Cet endroit <strong>le</strong> mettait mal à<br />

l'aise et il n'aimait pas s'attar<strong>de</strong>r <strong>de</strong>hors ces <strong>de</strong>rniers temps. Il vida sa<br />

tasse <strong>de</strong> café.<br />

"Je vais y al<strong>le</strong>r Monsieur Caris. Je ne veux pas abuser <strong>de</strong> votre hospitalité,<br />

dit-il en lui tendant la tasse.<br />

-Il p<strong>le</strong>ut encore <strong>de</strong>s cor<strong>de</strong>s.<br />

-Je courrai."<br />

Monsieur Caris émit un soupir las. Il se dirigea d'un pas rapi<strong>de</strong> vers<br />

une petite pièce obscure située au fond <strong>de</strong> la boutique et revint au pas <strong>de</strong><br />

course, un parapluie noir à la main. Il <strong>le</strong> tendit à Arthur. Celui-ci n'osa pas<br />

refuser, ayant compris que cela n'aboutirait qu'à perdre davantage <strong>de</strong><br />

temps.<br />

"Merci Monsieur. Je vous <strong>le</strong> rendrai aussi vite que possib<strong>le</strong>.<br />

-Prends ton temps. Il s'agit d'un <strong>de</strong>s nombreux parapluies que mes clients<br />

oublient ici et ne viennent jamais récupérer. Je pourrais diversifier mes<br />

activités grâce à ce stock.<br />

-Ah… Merci Monsieur.<br />

-Samuel Caris… "Samuel" suffira à l'avenir."<br />

Arthur opina <strong>de</strong> la tête et se dirigea vers la sortie, non sans jeter au<br />

passage un <strong>de</strong>rnier coup d'œil à la toi<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'enfant roi.<br />

Un mercredi matin <strong>de</strong> novembre 2002:<br />

"Bonjour monsieur."<br />

Samuel Caris <strong>le</strong>va <strong>le</strong>s yeux d'un journal plié en quatre, posé sur son<br />

bureau. Il avait sur <strong>le</strong> nez <strong>de</strong>s lunettes carrées qui juraient avec son<br />

apparence.<br />

"Bonjour Arthur Gall. Je <strong>de</strong>vine que tu viens me rendre mon dû."<br />

1


Arthur avait effectivement <strong>le</strong> parapluie à la main. Il enjamba<br />

plusieurs cartons qui entravaient son chemin et s'approcha du bureau.<br />

Des livraisons sans doute, songea-t-il.<br />

"Tu as <strong>le</strong> regard moins éprouvé, fit remarquer Samuel dont <strong>le</strong>s yeux<br />

l'analysaient <strong>de</strong>rrière d'épais verres.<br />

-Ah… Bah… Si vous <strong>le</strong> dites."<br />

L'o<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> café était omniprésente dans la boutique, au point<br />

qu'Arthur se <strong>de</strong>mandât si cette boisson ne constituait pas l'unique forme<br />

d'alimentation <strong>de</strong> Samuel. Il lui rendit son parapluie en <strong>le</strong> remerciant et<br />

jeta un œil sur <strong>le</strong> morceau <strong>de</strong> journal sur <strong>le</strong>quel il était penché. <strong>Les</strong> mots<br />

croisés du journal Le Mon<strong>de</strong>.<br />

"Vous n'avez presque rien rempli, fit remarquer Arthur."<br />

Il regretta aussitôt cette remarque en croisant <strong>le</strong> regard vexé <strong>de</strong> son<br />

interlocuteur. Avait-il dépassé <strong>le</strong>s bornes?<br />

"Je n'aime pas l'admettre, mais je suis complètement big<strong>le</strong>ux, déclara<br />

Samuel. J'ai vainement tenté <strong>de</strong> faire <strong>le</strong>s mots croisés sans porter ces<br />

lunettes et je viens <strong>de</strong> déclarer forfait, après avoir lutté contre ma<br />

défaillance visuel<strong>le</strong>.<br />

-Ca facilite <strong>le</strong>s choses?<br />

-Pas vraiment…"<br />

Arthur hésita un instant, puis se pencha sur <strong>le</strong> journal.<br />

"Je peux peut-être vous ai<strong>de</strong>r, ne serait-ce que pour vous remercier pour<br />

<strong>le</strong> parapluie.<br />

-Ne <strong>le</strong> prends pas mal jeunôt, mais il s'agit <strong>de</strong>s mots croisés du Mon<strong>de</strong>.<br />

-J'ai été é<strong>le</strong>vé par un <strong>le</strong>cteur du Mon<strong>de</strong>. Lorsque <strong>le</strong>s gens à la fac sont<br />

bloqués dans <strong>le</strong>s jeux <strong>de</strong>s quotidiens gratuits, ils n'atten<strong>de</strong>nt pas la<br />

solution dans l'édition du <strong>le</strong>n<strong>de</strong>main, ils viennent me voir.<br />

-…<br />

-En toute mo<strong>de</strong>stie, ajouta Arthur, se sentant soudain prétentieux."<br />

Samuel lui fit alors passer un tabouret sous <strong>le</strong> bureau.<br />

"Prends donc place Arthur, roi <strong>de</strong>s mots croisés."<br />

Arthur s'exécuta et entama son labeur. Labeur qu'il avait<br />

visib<strong>le</strong>ment sous-estimé. Après un quart d'heure <strong>de</strong> réf<strong>le</strong>xion intense,<br />

aucun <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux n'était parvenu à avancer d'une <strong>le</strong>ttre. Ils furent d'accord<br />

pour considérer <strong>le</strong> cruciverbiste du journal Le Mon<strong>de</strong> comme un "enfoiré<br />

<strong>de</strong> première". Résignés, ils trichèrent sans vergogne et finirent pas avoir<br />

1


ecours au dictionnaire, bib<strong>le</strong> sacrée qui <strong>le</strong>ur permit <strong>de</strong> passer <strong>de</strong>ux<br />

heures à avancer lamentab<strong>le</strong>ment dans <strong>le</strong>ur ouvrage.<br />

"Aux grands mots <strong>le</strong>s grands moyens, s'était justifié Samuel en ramenant<br />

<strong>le</strong> Larousse."<br />

Leur travail <strong>de</strong> remplissage <strong>de</strong> cases donna lieu à plusieurs<br />

propositions <strong>de</strong> néologismes, tels que "ersatzs" ("Le pluriel d'ersatz") ou<br />

"statue quo". Ces suggestions étaient immédiatement suivies <strong>de</strong> fous rires<br />

et <strong>de</strong> recherches inuti<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong> dictionnaire. Arthur se détendit.<br />

"Excuse-moi un moment, je dois travail<strong>le</strong>r, fit Samuel en voyant un client<br />

entrer dans la boutique.<br />

-Désolé, je n'avais pas réalisé que j'étais ici <strong>de</strong>puis si longtemps, fit<br />

Arthur."<br />

Samuel se <strong>le</strong>va après avoir posé ses lunettes.<br />

"J'y pense. Il me semb<strong>le</strong> que tu es étudiant. Tu ne <strong>de</strong>vrais pas être en<br />

cours un mercredi matin?<br />

-N… En fait… je ne vais plus en cours ces temps-ci.<br />

-Ah bon?"<br />

Arthur se sentit envahi par la honte. Heureusement pour lui, Samuel<br />

n'eut pas <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> s'attar<strong>de</strong>r, pris par son client.<br />

Un samedi après-midi <strong>de</strong> décembre 2002 :<br />

"Samueeeeel! J'ai <strong>le</strong> déjeuner, cria Arthur en tambourinant sur la porte <strong>de</strong><br />

la boutique. Ouvre moi!"<br />

<strong>Les</strong> gants d'Arthur <strong>le</strong> protégeaient à peine du froid hivernal qui<br />

recouvrait la capita<strong>le</strong> en ce week-end. Il sautilla sur place, espérant se<br />

réchauffer et empêcher ses membres <strong>de</strong> tomber.<br />

"Samuel! Dépêche-toi!"<br />

La pancarte accrochée à la porte rappelait que la boutique n'ouvrait<br />

pas avant quinze heures <strong>le</strong> samedi après-midi, mais Arthur savait bien<br />

que Samuel se trouvait dans <strong>le</strong>s parages. Il habitait juste au-<strong>de</strong>ssus, dans<br />

un petit studio rempli <strong>de</strong> films et <strong>de</strong> livres, qui communiquait avec son<br />

mo<strong>de</strong>ste commerce.<br />

Des bruits <strong>de</strong> pas étouffés résonnèrent à l'intérieur et Arthur vit la<br />

silhouette <strong>de</strong> Samuel approcher <strong>le</strong>ntement. Ce <strong>de</strong>rnier avait <strong>le</strong>s cheveux<br />

ébouriffés et était encore vêtu <strong>de</strong> son pyjama <strong>de</strong> fortune. Il ouvrit la porte<br />

en tâtonnant sur sa surface pour trouver la serrure, puis bailla, en guise<br />

<strong>de</strong> bonjour.<br />

1


"Jolies pantouf<strong>le</strong>s, railla Arthur. Ne me dis pas que tu dormais. Il est déjà<br />

treize heures."<br />

Samuel cligna <strong>de</strong>s yeux et battit en retraite, laissant la porte<br />

ouverte <strong>de</strong>rrière lui. Ses pieds traînaient au sol dans son sillage. "Un vrai<br />

loir", pensa Arthur en <strong>le</strong> suivant.<br />

Quelques instants plus tard, tous <strong>de</strong>ux étaient assis en tail<strong>le</strong>ur à<br />

même <strong>le</strong> sol <strong>de</strong>vant <strong>le</strong> bureau. <strong>Les</strong> ri<strong>de</strong>aux <strong>de</strong> la boutique étaient à moitié<br />

baissés, ne laissant filtrer qu'une faib<strong>le</strong> lumière et protégeant <strong>le</strong>s<br />

occupants <strong>de</strong> l'indiscrétion <strong>de</strong>s passants. Arthur avait déployé une nappe<br />

sur laquel<strong>le</strong> étaient disposés plusieurs sandwiches suédois et une tarte<br />

aux pommes. Le tout était l'œuvre <strong>de</strong>s mains expertes d'Eric Gall. Samuel<br />

s'en fit un festin, alternant entre mâchonnement si<strong>le</strong>ncieux et goulées <strong>de</strong><br />

jus d'orange. Sa vitesse d'ingurgitation était tout bonnement sidérante.<br />

Arthur l'observait en si<strong>le</strong>nce.<br />

"Pardon, s'excusa soudain Samuel en croisant <strong>le</strong> regard d'Arthur. Pour une<br />

raison inexplicab<strong>le</strong>, j'ai toujours un appétit d'ogre au réveil. Je n'arrive<br />

jamais vraiment à me sortir <strong>de</strong> ma léthargie si je ne mange pas<br />

correctement.<br />

-Je t'en prie. Mon grand-père sera ravi.<br />

-Je <strong>le</strong> remercierai à notre prochaine rencontre.<br />

-Cela arrivera bien vite. Il sillonne tous <strong>le</strong>s jours <strong>le</strong> quartier à la recherche<br />

d'ingrédients pour ses nouvel<strong>le</strong>s recettes. Récemment il s'est mis en tête<br />

<strong>de</strong> créer <strong>de</strong>s ma<strong>de</strong><strong>le</strong>ines "diviiiiines".<br />

-…"<br />

Samuel éclata <strong>de</strong> rire.<br />

"Dis-moi, tu ne vas toujours pas à la fac? dit-il soudain.<br />

-Samuel…<br />

-En tant qu'adulte responsab<strong>le</strong>, je me dois <strong>de</strong> te poser ce genre <strong>de</strong><br />

questions entre <strong>de</strong>ux cuites.<br />

-Et bien… Non."<br />

Arthur baissa <strong>le</strong>s yeux, prompt à éviter <strong>le</strong> regard accusateur <strong>de</strong> son<br />

camara<strong>de</strong>. Samuel soupira longuement.<br />

"Faire ton <strong>de</strong>uil est une chose. Rater ton année d'étu<strong>de</strong> en est une autre.<br />

Tu as déjà raté beaucoup <strong>de</strong> jours <strong>de</strong> cours et <strong>le</strong>s examens vont arriver<br />

juste après <strong>le</strong>s vacances.<br />

-Je sais.<br />

-Tu auras du mal à justifier ton absence si el<strong>le</strong> dure davantage.<br />

-Je sais, mais je ne me sens pas encore d'attaque. <strong>Les</strong> gens là-bas sont<br />

au courant <strong>de</strong> ce qui s'est passé (je ne sais comment d'ail<strong>le</strong>urs) et ils vont<br />

tous se sentir obligés <strong>de</strong> jouer <strong>le</strong>s bons bougres avec moi.<br />

-Tu exagères, non?<br />

1


-J'ai l'impression que <strong>le</strong>s gens <strong>de</strong> mon âge sont à 80% superficiels et<br />

hypocrites, surtout en fac <strong>de</strong> droit. Je ne suis pas d'humeur à <strong>le</strong>s côtoyer<br />

en ce moment.<br />

-Tous? <strong>de</strong>manda Samuel en haussant un sourcil.<br />

-Nils n'était pas comme ça bien sûr. Anaïs non plus d'ail<strong>le</strong>urs.<br />

-Qui est Anaïs?<br />

-Une amie d'enfance."<br />

Et Arthur lui parla d'Anaïs pendant plusieurs minutes, lui expliquant<br />

comment lui et Nils l'avaient rencontrée au collège pendant un cours<br />

d'EPS durant <strong>le</strong>quel Nils avait ma<strong>le</strong>ncontreusement smashé au vol<strong>le</strong>y sur<br />

la tête <strong>de</strong> la jeune fil<strong>le</strong>. Le nez cassé, Anaïs avait maudit et méprisé <strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux compères pendant <strong>de</strong>s jours, avant <strong>de</strong> consentir à accepter <strong>le</strong>s<br />

excuses <strong>de</strong> Nils et <strong>de</strong>venir <strong>le</strong>ur amie. Depuis, ils avaient été inséparab<strong>le</strong>s.<br />

"Intéressant, conclut Samuel à la fin du récit.<br />

-C'est une manière <strong>de</strong> voir <strong>le</strong>s choses, oui.<br />

-Tu sors avec el<strong>le</strong>?"<br />

Arthur recracha l'équiva<strong>le</strong>nt d'un <strong>de</strong>mi verre <strong>de</strong> coca sur <strong>le</strong> parquet.<br />

"Quel<strong>le</strong> question stupi<strong>de</strong>! Bien sûr que non, nous sommes juste amis! De<br />

tel<strong>le</strong>s choses ne se produisent pas entre <strong>de</strong> véritab<strong>le</strong>s amis!<br />

-Il n'y a donc jamais eu d'ambiguïtés? insista Samuel avec un sourire.<br />

-JAMAIS! mentit Arthur.<br />

-Tu en es certain?<br />

-J'en suis plus que certain!<br />

-Soit."<br />

Arthur fut momentanément soulagé.<br />

"Tu as bien une petite amie quand même? reprit Samuel.<br />

-Tu n'abandonnes donc jamais? s'écria Arthur. Non, je n'en ai pas.<br />

-Mais tu en as eu?<br />

-Evi<strong>de</strong>mment… Même si je <strong>le</strong>s compte sur <strong>le</strong>s doigts d'une main <strong>de</strong><br />

Simpson.<br />

-N'aie pas honte <strong>de</strong> détails aussi insignifiants que <strong>le</strong> nombre, ricana<br />

Samuel."<br />

Le déjeuner fit mine <strong>de</strong> reprendre.<br />

"Tu as couché avec tes ex?"<br />

Arthur fit ce que l'on appel<strong>le</strong> médica<strong>le</strong>ment une "fausse route" et<br />

s'étouffa avec un bout <strong>de</strong> pain suédois. <strong>Les</strong> questions <strong>de</strong> Samuel se<br />

faisaient <strong>de</strong> plus en plus embarrassantes. Toutefois, il parvint à répondre,<br />

sans être aussi effarouché qu'il aurait pu l'être d'habitu<strong>de</strong>.<br />

1


"Oui, et je ne souhaite pas en par<strong>le</strong>r plus en détail, répondit Arthur,<br />

écarlate.<br />

-Au moins je suis rassuré. J'avais l'étrange impression que tu étais encore<br />

puceau.<br />

-Va en enfer, fulmina Arthur. Au lieu <strong>de</strong> me foudroyer <strong>de</strong> questions <strong>de</strong> ce<br />

type, tu <strong>de</strong>vrais te préoccuper <strong>de</strong> ta propre situation. Un grand bellâtre <strong>de</strong><br />

vingt neuf ans sans fiancée à l'horizon, c'est presque malsain! Je vais finir<br />

par penser que tu n'aimes pas <strong>le</strong>s femmes."<br />

Samuel prit un air pensif qui créa <strong>le</strong> doute chez Arthur.<br />

"Non, je suis juste… diffici<strong>le</strong>, répondit calmement Samuel, regard dans <strong>le</strong><br />

vague. La <strong>de</strong>rnière a mis la barre très haut.<br />

-Oh… Je vois.<br />

-Tu sais quoi Arthur?<br />

-Oui?"<br />

Samuel s'adressa à lui avec tout <strong>le</strong> sérieux du mon<strong>de</strong>, du moins<br />

c'est l'impression qu'il donna :<br />

"On <strong>de</strong>vrait al<strong>le</strong>r faire la tournée <strong>de</strong>s maisons closes <strong>de</strong> Paris…<br />

-…"<br />

Un dimanche <strong>de</strong> janvier 2003, à l'heure du crime :<br />

"Arthur!? Que se passe-t-il?<br />

-D… Désolé <strong>de</strong> te déranger. Je ne savais pas… qui al<strong>le</strong>r voir…"<br />

Arthur perçut <strong>le</strong> troub<strong>le</strong> dans l'expression <strong>de</strong> Samuel, à travers ses<br />

larmes. Il en vint à regretter d'être venu présenter à son ami cette image<br />

dégradante <strong>de</strong> lui-même.<br />

"Quelque chose est arrivé? <strong>le</strong> questionna Samuel, cigarette au bec."<br />

En guise <strong>de</strong> réponse, Arthur essuya ses larmes du revers <strong>de</strong> la main<br />

et baissa <strong>le</strong>s yeux. Il se <strong>de</strong>mandait pourquoi il était venu ici au milieu <strong>de</strong><br />

la nuit, au lieu <strong>de</strong> se contenter <strong>de</strong> ronger son frein jusqu'au <strong>le</strong>n<strong>de</strong>main.<br />

"D…Désolé, j'ai l'air d'un gamin, bégaya-t-il."<br />

Samuel lui posa la main sur l'épau<strong>le</strong> et <strong>le</strong> fit rentrer à l'intérieur avec<br />

poigne, marmonnant <strong>de</strong>s "<strong>le</strong>s gamins <strong>de</strong> nos jours" et <strong>de</strong>s "je t'en ficherai<br />

<strong>de</strong>s "Désolé" espèce d'idiot". Arthur se sentit bringuebalé à travers la<br />

boutique obscure et la remise étroite, traîné dans <strong>le</strong>s escaliers et posé <strong>de</strong><br />

force sur un fauteuil. Après avoir repris <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> <strong>de</strong> ses sens, il reconnut<br />

<strong>le</strong> salon <strong>de</strong> Samuel, plongé dans une pénombre b<strong>le</strong>utée. Le poste <strong>de</strong> télé<br />

était allumé, branché sur un vieux film <strong>de</strong> moines shaolin au grain<br />

1


défraîchi. <strong>Les</strong> bruitages bas <strong>de</strong> gamme parvenaient aux oreil<strong>le</strong>s d'Arthur<br />

par bribes.<br />

"Je reviens, dit Samuel en contournant la tab<strong>le</strong> basse pour se diriger vers<br />

la cuisine."<br />

La lumière <strong>de</strong> l'autre pièce s'alluma au moment où il s'y introduisit,<br />

jetant une faib<strong>le</strong> lumière sur <strong>le</strong> salon. Arthur n'était jamais entré dans<br />

l'appartement <strong>de</strong> Samuel, mais sa tristesse du moment ne lui permit pas<br />

<strong>de</strong> se concentrer sur la décoration. De cet endroit, il ne gar<strong>de</strong>rait que <strong>le</strong><br />

souvenir d'une longue rangée <strong>de</strong> DVDs, d'un film shaolin, et d'une<br />

discussion jusqu'à l'aube.<br />

"Raconte-moi ce qui se passe mon grand, intima Samuel en revenant."<br />

Il poussa la tab<strong>le</strong> basse sur <strong>le</strong> côté, y posa plusieurs bouteil<strong>le</strong>s <strong>de</strong><br />

bière et s'assit en tail<strong>le</strong>ur sur la moquette, dévisageant Arthur avec un<br />

mélange d'appréhension et <strong>de</strong> compassion.<br />

"Désolé <strong>de</strong> t'avoir dérangé si tard Samuel.<br />

-Sam pour <strong>le</strong>s amis, répliqua l'autre en lui tendant une bière. Par<strong>le</strong>,<br />

j'écouterai aussi longtemps que nécessaire."<br />

Arthur se saisit <strong>de</strong> la bouteil<strong>le</strong> et en avala une gorgée amère, avant<br />

<strong>de</strong> se lancer. Tant qu'à faire, il ne voulait pas avoir importuné Samuel<br />

sans raison valab<strong>le</strong>. Une horloge à cristaux liqui<strong>de</strong>s au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> la<br />

télévision indiquait 01h30. Le propriétaire <strong>de</strong>s lieux ne se couchait pas tôt,<br />

visib<strong>le</strong>ment.<br />

"C'est stupi<strong>de</strong>, je me suis juste disputé avec Anaïs, expliqua Arthur.<br />

-Une dispute qui en valait la peine?<br />

-Pas vraiment, je voulais juste lui faire comprendre que <strong>le</strong> type avec qui<br />

el<strong>le</strong> sort en ce moment est un imbéci<strong>le</strong> fini. Et… <strong>le</strong> ton est monté, et… mes<br />

paro<strong>le</strong>s ont dépassé ma pensée… Je l'ai traitée d'imbéci<strong>le</strong> et el<strong>le</strong> m'a giflé.<br />

Puis el<strong>le</strong> est partie comme une furie.<br />

-C'est cette dispute qui te met dans cet état? soupira Samuel.<br />

-S'il n'y avait que ça…<br />

-Ha?<br />

-Quand <strong>le</strong>s choses allaient mal, mon premier réf<strong>le</strong>xe a toujours été <strong>de</strong> me<br />

tourner vers Nils. Ca a été comme ça pendant une décennie, sans la<br />

moindre variation. Nils accourait au trip<strong>le</strong> galop ou j'allais me planquer<br />

chez lui, selon la situation.<br />

-…<br />

-Après ma dispute avec Anaïs, sans savoir pourquoi, j'ai machina<strong>le</strong>ment<br />

composé <strong>le</strong> numéro <strong>de</strong> la maison <strong>de</strong> Nils.<br />

-Ouch…<br />

-Comme tu dis. Le temps que je réalise ce que je faisais, sa mère a<br />

répondu et j'ai dû faire comme si j'appelais pour prendre <strong>de</strong>s nouvel<strong>le</strong>s <strong>de</strong><br />

1


la famil<strong>le</strong>. On a discuté un assez long moment, on a reparlé <strong>de</strong> Nils. El<strong>le</strong> a<br />

p<strong>le</strong>uré… et… j'ai essayé <strong>de</strong> la soutenir autant que je <strong>le</strong> pouvais. Mais<br />

fina<strong>le</strong>ment…"<br />

Arthur but une gorgée.<br />

"Ca a fait effet boomerang et ta morosité est remontée à la surface d'un<br />

coup, <strong>de</strong>vina Samuel.<br />

-Exactement."<br />

Samuel se <strong>le</strong>va, lui serra amica<strong>le</strong>ment l'épau<strong>le</strong> <strong>de</strong> la main droite,<br />

puis retourna vers la cuisine, sous <strong>le</strong> regard perp<strong>le</strong>xe d'Arthur.<br />

"Je sens que l'on va avoir besoin <strong>de</strong> café <strong>de</strong>main matin, s'expliqua<br />

Samuel. Je lance la cafetière avant qu'aucun <strong>de</strong> nous n'ait <strong>le</strong>s idées assez<br />

claires pour trouver l'interrupteur."<br />

Il se tourna vers Arthur et esquissa un sourire:<br />

"Bon sang Arthur, pourquoi n'y a-t-il que l'alcool qui te permette<br />

d'exprimer <strong>le</strong> fond <strong>de</strong> ta pensée?"<br />

Arthur ne conserva qu'un souvenir flou <strong>de</strong> l'interminab<strong>le</strong> discussion<br />

qui s'ensuivit, la faute à une excessive consommation d'alcool et aux<br />

interférences sporadiques <strong>de</strong>s bruitages d'arts martiaux. Il sut juste que<br />

Samuel n'était pas allé se coucher avant que lui-même ne se soit effondré<br />

dans son fauteuil.<br />

Il se réveilla au petit matin dans <strong>le</strong> même siège, couvert d'une<br />

couette que Samuel lui avait sans doute jeté <strong>de</strong>ssus avant d'al<strong>le</strong>r errer<br />

jusqu'à son lit. "13h15", lut Arthur entre ses paupières entrouvertes. Il<br />

redressa son corps courbaturé, s'étira (ce qui lui arracha <strong>de</strong>s<br />

gémissements <strong>de</strong> dou<strong>le</strong>ur) et ouvrit <strong>le</strong>s yeux avec davantage <strong>de</strong><br />

conviction. Samuel était assis à quelques mètres en face <strong>de</strong> lui, sur un<br />

canapé en tissu vert, en train <strong>de</strong> maudire tous <strong>le</strong>s saints pour sa migraine.<br />

"Hey, marmonna-t-il à Arthur en guise <strong>de</strong> bonjour.<br />

-B'jour, fit Arthur, la tête dans un étau."<br />

Ils s'observèrent, puis éclatèrent <strong>de</strong> rire avant d'être simultanément<br />

pris <strong>de</strong> dou<strong>le</strong>urs à la tête.<br />

"Ca va mieux Art? <strong>de</strong>manda Samuel.<br />

-Plus ou moins. Je ne sais plus ce que tu m'as dit, mais ça a dû me<br />

remonter <strong>le</strong> moral.<br />

-J'aurais dû <strong>le</strong> noter sur <strong>le</strong> coup, fit remarquer Samuel. Je ne m'en<br />

souviens pas du tout."<br />

1


Arthur sourit.<br />

"Sam, je ne sais toujours pas si tu es un ami, un grand frère ou un père,<br />

mais je ne serais plus bon à rien sans ton soutien, avoua Arthur.<br />

-Un père? s'exclama Samuel, presque outré. Que fais-tu <strong>de</strong> tes parents?<br />

-Que font-ils <strong>de</strong> moi, eux…"<br />

Un mardi après-midi <strong>de</strong> janvier 2003 :<br />

"Sam, je dois te présenter quelqu'un!<br />

-Qui donc? s'étonna Samuel en sortant <strong>de</strong> la remise."<br />

Anaïs entra dans la boutique, à la suite d'Arthur. En voyant Samuel,<br />

el<strong>le</strong> lui fit un petit signe <strong>de</strong> main.<br />

"La fameuse Anaïs, <strong>de</strong>vina Samuel, radieux.<br />

-Sam! J'ai tel<strong>le</strong>ment entendu par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> vous que j'ai l'impression que nous<br />

sommes déjà amis, s'exclama-t-el<strong>le</strong>."<br />

Ils se serrèrent énergiquement la main.<br />

Un dimanche soir <strong>de</strong> novembre 2003 :<br />

Arthur et Sally arrivèrent <strong>de</strong>vant la bouche du métro.<br />

"Alors, c'est quoi ton don? l'implora-t-il.<br />

-Tu es bien trop curieux, ricana Sally.<br />

-Al<strong>le</strong>z!<br />

-Tu <strong>le</strong> sauras si tu survis à mon entraînement. A <strong>de</strong>main Arthur!"<br />

El<strong>le</strong> lui fit un signe <strong>de</strong> main et continua à pied tandis qu'il prenait <strong>le</strong><br />

métro. Pendant son trajet, Arthur somnola quelque peu, ressassant tout<br />

ce qui s'était passé au cours <strong>de</strong> la soirée. C'était un week-end qu'il n'était<br />

pas près d'oublier.<br />

Une <strong>de</strong>mi-heure plus tard, alors qu'il était sorti <strong>de</strong> la station Saint<br />

Sulpice et qu'il s'apprêtait à al<strong>le</strong>r vers son immeub<strong>le</strong>, il vit qu'il y avait<br />

encore <strong>de</strong> la lumière dans <strong>le</strong> magasin d'antiquités du quartier. Il sourit,<br />

pensant au propriétaire <strong>de</strong>s lieux qui n'avait cesse <strong>de</strong> montrer ses<br />

nouvel<strong>le</strong>s acquisitions à Anaïs et lui <strong>de</strong>puis quelques temps. Il traversa<br />

rapi<strong>de</strong>ment la route, se disant qu'il avait promis <strong>de</strong> passer <strong>le</strong> voir.<br />

"Ohé! Ouvre la porte, je sais que tu es là, lança-t-il en tambourinant sur la<br />

porte. C'est moi Arthur."<br />

Du mouvement se fit entendre à l'intérieur <strong>de</strong> la boutique et un<br />

individu brun d'une trentaine d'années aux yeux vairons lui ouvrit la porte,<br />

<strong>le</strong> regard inquisiteur.<br />

1


"Art, qu'est-ce que je t'ai dit déjà?<br />

-Oups… Désolé Samuel, je ne frapperai plus sur ta porte comme un<br />

dératé.<br />

-"Sam" tout court! Entre, un ami m'a ramené une superbe arme <strong>de</strong><br />

Malaisie.<br />

-Un ami? Tu as d'autres amis que nous toi?<br />

-La ferme et entre!"<br />

Un samedi <strong>de</strong> février 2004 :<br />

Arthur ouvrit <strong>le</strong>s yeux et tourna la tête vers son réveil. Il était une<br />

heure et <strong>de</strong>mi du matin. Lentement, il sortit <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssous sa couette et mit<br />

<strong>le</strong>s pieds à terre, soucieux <strong>de</strong> ne pas réveil<strong>le</strong>r Kaznaël. A sa gran<strong>de</strong><br />

surprise, il constata que celui-ci n'était pas sur son lit <strong>de</strong> camp, ni sous <strong>le</strong><br />

bureau. Peut-être était-il sorti, pensa Arthur. Cela lui faciliterait <strong>le</strong>s<br />

choses. Il n'aurait pas d'explications à fournir. Sans allumer la lumière, il<br />

s'habilla à la hâte, enfila <strong>le</strong>s premières chaussures qui lui tombèrent sous<br />

la main, puis quitta la chambre, à pas <strong>de</strong> loups, après avoir jeté un œil<br />

par la fenêtre. <strong>Les</strong> fêtards du samedi soir étaient encore <strong>de</strong>hors, en train<br />

<strong>de</strong> transiter bruyamment entre <strong>de</strong>ux bars ou <strong>de</strong>ux soirées.<br />

Dans <strong>le</strong> couloir il s'évertua à ne pas faire craquer <strong>le</strong> sol, cherchant<br />

un équilibre précaire à l'ai<strong>de</strong> du mur. Il finit par atteindre <strong>le</strong> salon. Là, il<br />

fut a<strong>le</strong>rté par la lumière provenant <strong>de</strong> la cuisine. <strong>Les</strong> Gall n'étaient pas du<br />

genre à oublier d'éteindre quoi que ce soit avant d'al<strong>le</strong>r dormir. Quelqu'un<br />

s'y trouvait.<br />

"Je vais forcément être vu si je passe <strong>de</strong>vant, songea-t-il. Tant pis, il<br />

suffira <strong>de</strong> dire que je sors voir <strong>de</strong>s amis."<br />

Il s'avança d'un pas ferme, afin d'éclipser toute apparence <strong>de</strong><br />

furtivité dans sa démarche. Sa surprise fut gran<strong>de</strong> lorsqu'il croisa <strong>le</strong><br />

regard <strong>de</strong> Kaznaël, en train d'effectuer un larcin alimentaire dans <strong>le</strong><br />

réfrigérateur. Le légendaire Protecteur avait encore dans <strong>le</strong>s mains une<br />

bouteil<strong>le</strong> <strong>de</strong> lait et une part <strong>de</strong> gâteau au chocolat, rescapée du repas.<br />

"Quoi? souffla Kaznaël, sûr <strong>de</strong> son bon droit.<br />

-Non, rien. Bon appétit."<br />

Arthur reprit sa marche.<br />

"Où vas-tu? <strong>de</strong>manda soudain Kaznaël avec un regard <strong>de</strong> limier."<br />

Arthur s'arrêta encore une fois.<br />

"Quelque part.<br />

-Dois-je te suivre <strong>de</strong> nouveau?<br />

1


-Je te l'interdis formel<strong>le</strong>ment, répliqua Arthur. Je préfère te savoir auprès<br />

<strong>de</strong> mes grands-parents, au cas où."<br />

Après que Kaznaël ait hoché la tête en signe d'assentiment, Arthur<br />

se dirigea vers la porte d'entrée. Au moment où il allait la déverrouil<strong>le</strong>r, il<br />

fut pris d'un doute. Etait-ce vraiment la chose à faire?<br />

"Dis Kaz.<br />

-Oui?"<br />

***<br />

L'air était étrangement doux pour une nuit <strong>de</strong> fin d'hiver. Il n'y avait<br />

pas une brise et <strong>le</strong> ciel était dégagé. <strong>Les</strong> astres <strong>de</strong> la nuit avaient pris <strong>le</strong><br />

relais <strong>de</strong>s lumières <strong>de</strong> la vil<strong>le</strong>. Arthur avançait mains dans <strong>le</strong>s poches,<br />

conscient <strong>de</strong> sa chance. Sans possibilité <strong>de</strong> prendre <strong>le</strong> métro en cette<br />

heure avancée, sa promena<strong>de</strong> nocturne aurait été bien déplaisante si <strong>le</strong><br />

mauvais temps s'était maintenu.<br />

"2h15, lut-il sur sa montre."<br />

Le palais <strong>de</strong> justice et la Conciergerie s'affichaient majestueusement<br />

au loin, au-<strong>de</strong>là du Pont St-Michel. Arthur marqua un arrêt. Sa vocation<br />

professionnel<strong>le</strong> lui semblait surréaliste en cette nuit <strong>de</strong> doute. Il ne savait<br />

même pas s'il vivrait assez longtemps pour finir ses étu<strong>de</strong>s. Elu. "Une<br />

cib<strong>le</strong> vivante", comme l'avait affirmé Ella Jones la première fois qu'il s'était<br />

rendu au QG <strong>de</strong> GLOW. Ce statut était loin d'être associé à la pérennité.<br />

Le passage d'un coup<strong>le</strong> près <strong>de</strong> lui <strong>le</strong> ramena à la réalité. Il<br />

s'engagea sur <strong>le</strong> pont, puis <strong>de</strong>scendit sur <strong>le</strong>s quais <strong>de</strong> Seine, sans croiser<br />

qui que ce soit à part quelques clochards éméchés. La surface du f<strong>le</strong>uve<br />

était noire et sereine, presque attirante, <strong>de</strong> par l'image <strong>de</strong> gouffre sans<br />

fond qu'el<strong>le</strong> donnait. L'inspecteur Javert s'y serait jeté sans hésitation<br />

dans un tel contexte, pensa Arthur. Il continua sa route, passa sous <strong>le</strong><br />

Pont Neuf et se mit soudain à ra<strong>le</strong>ntir.<br />

"Having second thoughts? lui aurait dit Jamie en <strong>le</strong> voyant hésiter, comme<br />

toujours."<br />

Il serra <strong>le</strong>s poings et avança, longeant <strong>le</strong> square du Vert Galant.<br />

Personne dans <strong>le</strong>s a<strong>le</strong>ntours, hormis quelques hères qui ne seraient pas à<br />

même <strong>de</strong> discerner quoi que ce soit en cette heure avancée. La pointe <strong>de</strong><br />

l'î<strong>le</strong> <strong>de</strong> la Cité était <strong>de</strong>vant Arthur. Il avança.<br />

Une silhouette familière était assise sur <strong>le</strong> rebord <strong>de</strong> la pointe,<br />

jambes suspendues au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> l'eau. Bien qu'el<strong>le</strong> fut <strong>de</strong> dos, Arthur ne<br />

douta pas une secon<strong>de</strong>. Qui d'autre se trouverait à cet endroit en cette<br />

date?<br />

"Drydock…"<br />

1


L'arme apparut dans sa main droite et il continua d'avancer, jusqu'à<br />

ce qu'il puisse la pointer contre <strong>le</strong> dos <strong>de</strong> Samuel. Ce <strong>de</strong>rnier ne broncha<br />

pas.<br />

"Bonsoir Art."<br />

Arthur respirait diffici<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong>s tempes vibrantes <strong>de</strong> colère. Il mit<br />

bien une minute à se convaincre <strong>de</strong> retirer la lame <strong>de</strong> son épée du dos <strong>de</strong><br />

Samuel. Celui-ci se <strong>le</strong>va alors et se retourna, offrant un visage qui n'était<br />

plus que l'ombre <strong>de</strong> ce qu'avait connu Arthur. Il avait beaucoup maigri et<br />

ses yeux paraissaient sans vie, rentrés dans <strong>le</strong>urs orbites. Pendant un<br />

instant, Arthur se <strong>de</strong>manda s'il ne s'était pas trompé <strong>de</strong> personne.<br />

"Je doutais franchement <strong>de</strong> ta venue, déclara Samuel."<br />

Arthur sortit <strong>de</strong> sa poche une feuil<strong>le</strong> <strong>de</strong> papier pliée en quatre. Une<br />

page arrachée <strong>de</strong>s <strong>Chroniques</strong> <strong>de</strong> Sorgentel. Au dos du message que<br />

Samuel lui avait laissé pour affirmer sa loyauté, une référence discrète<br />

avait été faite à ce lieu <strong>de</strong> ren<strong>de</strong>z-vous. Il la brandit à Samuel.<br />

"Tu t'es souvenu, fit Samuel d'un souff<strong>le</strong>.<br />

-La petite voiture rouge à l'heure du crime, répondit Arthur. C'est ici que<br />

tu as fait tomber ta voiture quand ta mère t'a emmené jouer dans <strong>le</strong><br />

square, étant petit…<br />

-Exact.<br />

-Tu aurais pu préciser une date. J'aurais pu venir sans trouver personne.<br />

-Je suis là tous <strong>le</strong>s soirs <strong>de</strong>puis que j'ai mis <strong>le</strong> livre dans ta boîte aux<br />

<strong>le</strong>ttres.<br />

-Ha."<br />

Pas une once <strong>de</strong> remords n'affecta Arthur. Il considérait déjà avoir<br />

été très indulgent jusque là. Lorsqu'il avait compris <strong>le</strong> ren<strong>de</strong>z-vous fixé par<br />

Samuel, il avait longuement hésité à communiquer l'information à Sonia.<br />

Puis il avait préféré jouer l'éclaireur d'abord, <strong>de</strong> peur d'entraîner ses<br />

compagnons dans un piège. Sans compter qu'il souhaitait jauger Samuel<br />

<strong>de</strong> ses propres yeux. La poignée <strong>de</strong> Drydock chauffait dans sa main.<br />

"Quel<strong>le</strong> raison ai-je <strong>de</strong> ne pas te tuer maintenant, pendant que j'en ai<br />

l'occasion? <strong>de</strong>manda-t-il. Tu m'as planté une rapière dans <strong>le</strong> ventre il n'y a<br />

pas si longtemps."<br />

Samuel avait <strong>le</strong> regard vi<strong>de</strong>, comme c'était souvent <strong>le</strong> cas lorsqu'il<br />

était absent d'une conversation. Soudain, il plia la jambe droite et se mit à<br />

genoux, pour <strong>le</strong> plus grand saisissement d'Arthur. Ses mains eff<strong>le</strong>uraient<br />

<strong>le</strong> sol sa<strong>le</strong> du quai.<br />

"Sam?"<br />

1


Il ne voyait plus <strong>le</strong> visage <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier, caché par une chevelure<br />

<strong>de</strong>venue trop longue et désordonné. Son ami passé avait l'air d'un forçat<br />

sur <strong>le</strong> point <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>le</strong> pardon.<br />

"Je n'ai que quatre richesses dans cette maudite existence, murmura<br />

Samuel, au bord <strong>de</strong>s larmes."<br />

Il retira son vieil Etemenanki <strong>de</strong> son cou et <strong>le</strong> posa aux pieds<br />

d'Arthur. Puis il se mit à fouil<strong>le</strong>r dans sa poche <strong>de</strong> pantalon et en retira<br />

l'alliance qu'il avait volée à Sonia à Sorgentel. Enfin, il tendit <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux bras<br />

en avant. La somptueuse rapière Casca<strong>de</strong> apparut alors, posée sur ses<br />

paumes ouvertes et brillant dans <strong>le</strong> noir. Il <strong>le</strong>va <strong>le</strong>s mains pour la<br />

présenter à Arthur.<br />

"Cet Etemenanki est mon seul lien matériel avec mon objectif réel, et mon<br />

passé. Cette alliance…<br />

-…<br />

-Cette alliance, c'est la femme que je ne cesserai jamais d'aimer. Ma<br />

<strong>de</strong>uxième richesse. La troisième, c'est cette arme."<br />

<strong>Les</strong> larmes <strong>de</strong> Samuel tombaient désormais sur <strong>le</strong> pavé. Arthur ne<br />

savait plus comment réagir, face à ce désarroi soudain.<br />

"Ma quatrième richesse, c'est l'amitié précieuse que vous m'avez porté, toi<br />

et Anaïs pendant cette <strong>de</strong>rnière année. Sans cette amitié, je n'aurais… je<br />

ne serais… jamais parvenu à gar<strong>de</strong>r mon humanité."<br />

Il tremblait, secoué par <strong>de</strong>s sanglots.<br />

"Si vous ne me faites pas confiance, si vous… si tu en arrives à me haïr au<br />

point <strong>de</strong> vouloir ma mort, je ne peux que te l'offrir."<br />

Ses mains sou<strong>le</strong>vèrent davantage Casca<strong>de</strong> vers Arthur.<br />

"Arthur, je ne peux rien t'offrir d'autre que ma paro<strong>le</strong> pour te prouver ma<br />

loyauté. Tu as ma vie entre <strong>le</strong>s mains. J'en arrive à ne plus savoir ce<br />

qu'el<strong>le</strong> vaut. Si tu estimes qu'el<strong>le</strong> est néfaste, je… je… t'autorise à la<br />

prendre… immédiatement."<br />

La gorge d'Arthur se serra, alors qu'il voyait son ami s'effondrer<br />

ainsi, lui offrir l'arme qui pourrait potentiel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> mener à sa fin. Cel<strong>le</strong><br />

même qu'il avait utilisée pour l'attaquer quelques semaines plus tôt.<br />

La comédie avait ses limites. Le mensonge avait ses limites.<br />

Personne ne pouvait fausser <strong>le</strong>s apparences à ce point là. Du moins, il<br />

doutait <strong>de</strong> plus en plus <strong>de</strong> la capacité <strong>de</strong> Samuel à <strong>le</strong> faire.<br />

1


Inconsciemment, il fit disparaître Drydock puis dirigea ses mains<br />

vers cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Samuel. Il referma ces <strong>de</strong>rnières sur la rapière et la<br />

repoussa doucement.<br />

"Je ne t… t'offrirai pas cette satisfaction Sam, bégaya Arthur. Tu as<br />

toujours cherché l'auto<strong>de</strong>struction. Ce n'est pas moi qui t'ai<strong>de</strong>rai en ce<br />

sens."<br />

Il força Samuel à se remettre <strong>de</strong>bout, <strong>le</strong> saisissant par <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s.<br />

Le visage <strong>de</strong> l'homme était littéra<strong>le</strong>ment noyé. Jamais il ne l'avait vu dans<br />

un tel état.<br />

"Je ne comprends rien à ton comportement Sam, avoua Arthur. Je ne sais<br />

pas si tu es coupab<strong>le</strong> <strong>de</strong> ce dont on t'accuse, si on t'a piégé ou si tu tentes<br />

juste <strong>de</strong> réparer tes erreurs. Je ne sais pas si tu t'en es pris à nous pour<br />

sauver <strong>le</strong>s apparences, comme tu me l'as dit dans ton message… Ce que<br />

je sais, c'est que <strong>le</strong> Samuel que je connais ne ferait pas <strong>de</strong> tel<strong>le</strong>s choses<br />

sans raison valab<strong>le</strong>. Il n'oeuvrerait pas pour la remise en cause <strong>de</strong> la<br />

société établie, même s'il porte un œil très critique <strong>de</strong>ssus."<br />

Arthur lui asséna un coup <strong>de</strong> poing amical.<br />

"A bien y réfléchir, <strong>le</strong> Samuel que je connais prendrait <strong>le</strong> risque <strong>de</strong> me<br />

poignar<strong>de</strong>r s'il était persuadé qu'il y avait quelqu'un à proximité pour me<br />

soigner, juste pour sauver <strong>le</strong>s apparences."<br />

Samuel afficha un bref semblant <strong>de</strong> sourire. La rapière Casca<strong>de</strong> se<br />

dématérialisa.<br />

"Putain Samuel, qu'est-ce que tu complotes tout seul!? Pourquoi tu ne<br />

m'as pas expliqué la situation plus tôt, avant que <strong>le</strong>s choses ne<br />

s'enveniment? On pourrait al<strong>le</strong>r voir GLOW ensemb<strong>le</strong>…<br />

-Tu t'es senti trahi pendant quelques semaines, coupa Samuel. Sonia, Ella<br />

Jones et <strong>le</strong>s autres m'ont considéré comme un traître pendant… une<br />

décennie. Ils ne seraient pas aussi faci<strong>le</strong>s à convaincre que toi.<br />

-Il faut se rendre à l'évi<strong>de</strong>nce, admit Arthur. Au moins explique moi <strong>de</strong><br />

quoi il retourne."<br />

Le regard mouillé <strong>de</strong> Samuel se tourna vers <strong>le</strong>s quais. Il était aisé <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>viner qu'il vérifiait ne pas être suivi. Son message dans <strong>le</strong> livre avait été<br />

clair à ce sujet.<br />

"Sous étroite surveillance, murmura Arthur, soudain aux aguets.<br />

-Je m'assure toujours <strong>de</strong> ne pas être filé, mais on ne peut jamais être<br />

assez sûr. Je ne peux pas prendre <strong>le</strong> risque <strong>de</strong> m'attar<strong>de</strong>r ici assez<br />

longtemps pour t'expliquer tout ce qu'il y a à savoir. Je voulais avant tout<br />

vérifier… que je pouvais toujours te considérer comme un ami.<br />

1


-Oui… évi<strong>de</strong>mment, vu <strong>le</strong>s circonstances. Je t'accor<strong>de</strong> <strong>le</strong> bénéfice du<br />

doute.<br />

-Me ferais-tu assez confiance pour prendre ceci? <strong>de</strong>manda Samuel en lui<br />

tendant une petite fio<strong>le</strong> rouge faite d'un verre cristallin.<br />

-De quoi s'agit-il? l'interrogea Arthur, soudain méfiant.<br />

-Je l'ai volé à Marshal. Il s'agit d'un traitement un peu similaire à celui qui<br />

était utilisé pour affecter la mémoire <strong>de</strong> Xenia et lui faire oublier ce qu'el<strong>le</strong><br />

savait <strong>de</strong> nous.<br />

-Pourquoi <strong>de</strong>vrais-je boire cette horreur?<br />

-Pour oublier que tu m'as rencontré ce soir.<br />

-Je ne comprends pas, fit Arthur, sourcils froncés.<br />

-Malgré toutes <strong>le</strong>urs bonnes intentions, <strong>le</strong>s gens <strong>de</strong> GLOW gar<strong>de</strong>nt à<br />

l'esprit <strong>le</strong> fait que nous sommes amis. Ils finiront bien par se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r<br />

quel<strong>le</strong>s sont tes convictions à mon égard. Cela pourrait éventuel<strong>le</strong>ment<br />

occasionner <strong>le</strong>ur méfiance.<br />

-D'accord, mais je sais gar<strong>de</strong>r un secret!<br />

-Il ne s'agit pas <strong>de</strong> ça. Certaines personnes au sein <strong>de</strong> GLOW possè<strong>de</strong>nt<br />

<strong>de</strong>s pouvoirs proches du surnaturel."<br />

Samuel semblait <strong>de</strong> plus en plus stressé, hâtif.<br />

"Ces personnes pourraient vouloir son<strong>de</strong>r ton esprit pour vérifier que tu<br />

n'est pas entré en contact avec moi. Si tu oublies notre rencontre <strong>de</strong> ce<br />

soir, non seu<strong>le</strong>ment ils ne trouveront rien, mais en plus tu écartes <strong>le</strong><br />

risque <strong>de</strong> te trahir.<br />

-Ha…<br />

-Le contrecoup, c'est que je ne pourrai pas t'approcher sans prendre <strong>le</strong><br />

risque <strong>de</strong> me faire attaquer par ton ami Drydock.<br />

-Où veux-tu en venir? Je ne suis pas si vio<strong>le</strong>nt!<br />

-Avant d'arriver ici et <strong>de</strong> me par<strong>le</strong>r, tu n'avais presque pas <strong>de</strong> doute sur<br />

ma culpabilité, malgré mon message, n'est-ce pas?"<br />

Arthur hésita à répondre. C'était assez proche <strong>de</strong> la vérité. Il n'avait<br />

pas hésité à <strong>le</strong> menacer <strong>de</strong> son arme.<br />

"Raison <strong>de</strong> plus pour ne pas m'effacer la mémoire. J'oublierai tout <strong>de</strong> ce<br />

qui s'est passé ce soir et je ne t'accor<strong>de</strong>rai plus la moindre confiance.<br />

-Temporairement, corrigea Samuel.<br />

-…<br />

-Nos chemins seront amenés à se recroiser très rapi<strong>de</strong>ment, affirma<br />

Samuel. Dès que je serai certain que tu seras dans <strong>le</strong>s petits papiers <strong>de</strong><br />

GLOW, je te rendrai la mémoire.<br />

-Et que se passera-t-il alors?<br />

-Nous détruirons la Confrérie. Moi <strong>de</strong> l'intérieur, toi avec l'appui <strong>de</strong>s élus."<br />

Arthur observait la fio<strong>le</strong> avec appréhension. "Fais moi confiance,<br />

insista Samuel d'un air presque suppliant". Presque convaincu, Arthur finit<br />

par l'accepter et la mit dans une poche <strong>de</strong> son manteau.<br />

1


"N'ava<strong>le</strong> son contenu qu'une fois rentré chez toi, juste avant <strong>de</strong> dormir.<br />

Autrement, tu ne comprendras pas la raison <strong>de</strong> ta présence <strong>de</strong>hors.<br />

-Je n'oublierai que notre rencontre?<br />

-Oui, rien du reste. Quand nous nous reverrons, je te restituerai ta<br />

mémoire.<br />

-Si nous nous revoyons…<br />

-C'est une promesse. Je ne peux rien t'expliquer ce soir, mais je me<br />

rattraperai autant que faire se peut la prochaine fois."<br />

Il serra longuement la main à Arthur.<br />

"Merci d'être venu à moi ce soir. Je reprends espoir désormais.<br />

-Fais bien attention à toi et commence à préparer ton explication…<br />

-Je ferai <strong>de</strong> mon mieux. Repars vite. Je te laisse un quart d'heure<br />

d'avance avant <strong>de</strong> m'en al<strong>le</strong>r."<br />

Arthur <strong>le</strong> dévisagea un instant, espérant que ce ne serait pas la<br />

<strong>de</strong>rnière fois qu'ils se voyaient.<br />

"Juste <strong>de</strong>ux questions avant <strong>de</strong> partir.<br />

-Vas-y.<br />

-Nils va bien?<br />

-Il va bien. Je m'assure que cela perdure et je cherche un moyen <strong>de</strong> lui<br />

rendre la raison. Deuxième question?"<br />

Soulagé, Arthur posa l'autre question qui lui brûlait <strong>le</strong>s lèvres.<br />

"De l'abnégation naît <strong>le</strong> renouveau. Je t'ai entendu <strong>le</strong> dire quand tu m'as…<br />

enfin, à la fin <strong>de</strong> notre combat. Qu'est-ce que cela signifie?<br />

-Ce serait trop long à expliquer. Pour résumer, l'abnégation représente <strong>le</strong><br />

passé. Le renouveau est <strong>le</strong> futur. Tu comprendras en temps venu mais…<br />

lorsque je t'ai planté Casca<strong>de</strong> dans <strong>le</strong> corps, ce n'était pas uniquement<br />

pour sauver <strong>le</strong>s apparences.<br />

-Quoi?<br />

-Pars Arthur."<br />

Il s'exécuta à contrecoeur, frustré et assailli par <strong>de</strong>s questions sans<br />

réponse. A mesure qu'il s'éloignait, la silhouette <strong>de</strong> Samuel rapetissait et<br />

se fondait avec <strong>le</strong>s ténèbres <strong>de</strong> la Seine. Il ne <strong>le</strong> voyait plus du tout<br />

lorsqu'il quitta <strong>le</strong>s quais et revint sur <strong>le</strong> Pont Saint-Michel.<br />

"Qu'en pense-tu? <strong>de</strong>manda la voix <strong>de</strong> Kaznaël"<br />

Ce <strong>de</strong>rnier venait <strong>de</strong> quitter un banc pour <strong>le</strong> rejoindre.<br />

"Tu as tout entendu? lui <strong>de</strong>manda Arthur.<br />

1


-J'ai l'ouïe suffisamment fine pour entendre à une distance <strong>de</strong> dix mètres,<br />

assura Kaznaël. Je t'ai suivi à distance, comme tu me l'as <strong>de</strong>mandé. Que<br />

penses-tu <strong>de</strong> ce qu'il a dit?<br />

-Ne <strong>le</strong> prends pas mal, mais j'ai bien envie <strong>de</strong> <strong>le</strong> croire, malgré ce qu'il a<br />

pu te faire par <strong>le</strong> passé.<br />

-Hum…<br />

-Et toi?<br />

-Je me suis contenté <strong>de</strong> venir parce que tu me l'as <strong>de</strong>mandé."<br />

Arthur avait prié Kaznaël <strong>de</strong> <strong>le</strong> suivre <strong>de</strong> loin, à la <strong>de</strong>rnière minute.<br />

Ainsi, si <strong>le</strong> ren<strong>de</strong>z-vous fixé par Samuel s'était avéré être un piège, <strong>le</strong><br />

protecteur serait rapi<strong>de</strong>ment parti a<strong>le</strong>rter <strong>le</strong>s membres <strong>de</strong> GLOW, à défaut<br />

<strong>de</strong> pouvoir s'en prendre directement à Samuel.<br />

"Pour une fois, j'aimerais que tu me donnes une véritab<strong>le</strong> opinion Kaz,<br />

insista Arthur en se remettant à marcher."<br />

Kaznaël <strong>le</strong> suivit en si<strong>le</strong>nce. Il ne s'exprima <strong>de</strong> nouveau que<br />

lorsqu'ils furent arrivés du côté du quartier Cluny.<br />

"Je n'aime pas cet homme et je <strong>le</strong> mépriserai toujours pour ce qu'il m'a<br />

fait subir. Toutefois, si tu lui fais confiance, je suis disposé à faire<br />

abstraction <strong>de</strong>s "apparences" qu'il m'a infligées, au nom <strong>de</strong> l'intérêt<br />

supérieur.<br />

-C'est louab<strong>le</strong> <strong>de</strong> ta part, dit Arthur, conscient <strong>de</strong> ce que cela impliquait<br />

pour Kaznaël.<br />

-…<br />

-Bon, il ne me reste plus qu'à rentrer boire cette chose et me mettre au<br />

lit.<br />

-Tu es prêt à oublier <strong>le</strong>s évènements <strong>de</strong> cette nuit?<br />

-Je prends <strong>le</strong> risque. Si la fio<strong>le</strong> contient du poison, je serai mort bêtement<br />

et tu iras expliquer la situation à Sonia.<br />

-…<br />

-J'ai quelque chose à te <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r, en échange. Deux choses en fait.<br />

-Par<strong>le</strong>.<br />

-Tout d'abord, je voudrais quelque peu modifier notre serment. Il ne s'agit<br />

plus seu<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> venger Nils. Je veux <strong>le</strong> sauver, sauver Samuel et<br />

démante<strong>le</strong>r la Confrérie.<br />

-Ca… me convient je crois, fit Kaznaël après un moment. Quoi d'autre?<br />

-Lorsque j'aurai oublié cette soirée, fais comme si nous étions toujours<br />

"anti-Samuel". Encourage moi à <strong>le</strong> détester, à croire en sa culpabilité.<br />

Ai<strong>de</strong>-moi à m'entraîner, dans <strong>le</strong> but ultime <strong>de</strong> lui tenir tête en combat<br />

singulier. Je suis si influençab<strong>le</strong> que je me mettrai dans cet état d'esprit et<br />

que je n'aurai plus <strong>de</strong> doute sur sa trahison. Ainsi, personne ne pourra<br />

douter <strong>de</strong> moi ou me soupçonner d'avoir été en contact avec lui. <strong>Les</strong> gens<br />

croiront que je suis <strong>le</strong> premier à vouloir sa mort.<br />

-Je pense pouvoir faire ça.<br />

-Merci…"<br />

1


Arthur sortit la fio<strong>le</strong> <strong>de</strong> sa poche et la fit tourner entre ses doigts.<br />

"Demain matin, je re<strong>de</strong>viendrai <strong>le</strong> naïf petit Arthur, aveuglé par <strong>le</strong>s<br />

apparences. Cela pourra durer trois jours comme trois mois. Ne me déçois<br />

pas, Samuel…"<br />

Aujourd'hui, à Salvación :<br />

Une brume surnaturel<strong>le</strong> avait envahi la vil<strong>le</strong> <strong>de</strong> Salvación, rendant<br />

son décor impossib<strong>le</strong> à discerner. Arthur courait en aveug<strong>le</strong>, ne se fiant<br />

qu'à son instinct et à sa chance pour rattraper Samuel.<br />

"L'enfoiré. Utiliser son don pour me paumer ici, ragea Arthur."<br />

"BING"<br />

Le genou d'Arthur venait <strong>de</strong> heurter vio<strong>le</strong>mment une borne<br />

d'incendie plantée sur son passage. Il laissa échapper juron, se massa<br />

vigoureusement la jambe, puis repartit à la poursuite du scélérat qui<br />

s'évertuait à <strong>le</strong> faire tourner en bourrique. Ce faisant, Arthur s'étonna <strong>de</strong><br />

l'absence <strong>de</strong> population dans Salvación. Même si la brume était<br />

omniprésente, il <strong>de</strong>vrait croiser autre chose que <strong>de</strong>s panneaux<br />

publicitaires, <strong>de</strong>s vitrines <strong>de</strong> magasins, ou <strong>de</strong>s bâtiments vi<strong>de</strong>s. Ibtissam<br />

avait fait remarquer qu'il ne sentait la présence que <strong>de</strong> quelques<br />

personnes dans <strong>le</strong>s environs. Où étaient <strong>le</strong>s autres? Où étaient <strong>le</strong>s<br />

quelques personnes restantes? Retranchées chez el<strong>le</strong>s pour une raison<br />

inexpliquée?<br />

"Aïe!"<br />

Il venait <strong>de</strong> se cogner contre une voiture garée près d'un trottoir. On<br />

ne voyait pas à un mètre <strong>de</strong>vant soi. S'il continuait ainsi, il finirait par se<br />

b<strong>le</strong>sser sérieusement ou faire une mauvaise chute. Alors qu'il se remettait<br />

<strong>de</strong> l'impact, il sentit une main se poser sur son épau<strong>le</strong>.<br />

"Hello, murmura Samuel, dont <strong>le</strong> visage venait d'apparaître.<br />

-Connard…"<br />

Arthur fit volte-face pour lui asséner un coup d'épée, faci<strong>le</strong>ment<br />

bloqué par la lame <strong>de</strong> Casca<strong>de</strong>. Samuel souriait effrontément. D'un coup<br />

<strong>de</strong> cou<strong>de</strong>, il repoussa Arthur. Ce <strong>de</strong>rnier trébucha, juste avant <strong>de</strong> se<br />

rétablir sur <strong>le</strong>s mains et <strong>de</strong> <strong>de</strong>meurer en équilibre, tête en bas. Il tourna<br />

sur lui-même et tenta <strong>de</strong> frapper d'un coup <strong>de</strong> pied latéral qui fut<br />

éga<strong>le</strong>ment bloqué, avec un peu plus <strong>de</strong> difficulté cependant. Samuel<br />

profita d'un moment <strong>de</strong> battement pour attraper la jambe d'Arthur et <strong>le</strong><br />

projeter par-<strong>de</strong>ssus son épau<strong>le</strong>.<br />

1


"Raté, dit-il en souriant <strong>de</strong> nouveau. Mais tu es <strong>de</strong>venu un bon équilibriste<br />

Art."<br />

Arthur roula sur lui-même pour amortir sa chute et redressa la tête,<br />

prêt à répliquer. Il fut surpris <strong>de</strong> voir la main <strong>de</strong> Samuel arriver <strong>de</strong> nul<strong>le</strong><br />

part et se plaquer sur son visage. Son adversaire <strong>le</strong> mit au sol avec facilité<br />

et l'y bloqua en mettant <strong>le</strong> genou sur son torse.<br />

"Désolé pour ça, murmura Samuel.<br />

-Qu'est-ce que tu… ARG!"<br />

Samuel venait <strong>de</strong> lui donner un coup <strong>de</strong> poing phénoménal dans <strong>le</strong><br />

ventre. Il profita <strong>de</strong> la bouche ouverte d'Arthur pour y forcer un liqui<strong>de</strong><br />

glacé, contenu dans une fio<strong>le</strong>. Ce <strong>de</strong>rnier se mit à tousser, alors que la<br />

substance s'insinuait dans sa gorge. Il avait l'impression d'avoir avalé <strong>de</strong><br />

l'essence congelée. Du poison?<br />

"Que m'as-tu fait? hoqueta-t-il entre <strong>de</strong>ux quintes <strong>de</strong> toux."<br />

Samuel l'avait libéré et s'était remis <strong>de</strong>bout, <strong>le</strong> contemplant <strong>de</strong> loin<br />

d'un air satisfait. Soudain, il sentit son esprit bouillir. Des souvenirs<br />

insoupçonnés lui revenaient en mémoire, par bribes. Au fur et à mesure<br />

qu'il se remémorait <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>rnière discussion avec Samuel, il se <strong>de</strong>manda<br />

comment il avait pu l'oublier. Plus que ça, c'étaient tous ses bons<br />

souvenirs <strong>de</strong> Samuel qui se reconstituaient, progressivement, après avoir<br />

été voilés pendant <strong>de</strong>s semaines.<br />

Eprouvé, il mit un moment à se remettre d'aplomb et comprendre<br />

où il se trouvait. Lorsque sa vue re<strong>de</strong>vint claire, Samuel était toujours face<br />

à lui.<br />

"Sam…<br />

-Tu as <strong>le</strong>s idées claires maintenant?<br />

-Oui… Je crois. Je me souviens.<br />

-Le poison <strong>de</strong> Marshal semb<strong>le</strong> avoir eu quelques effets imprévus, mais<br />

l'essentiel est que tu te souviennes."<br />

Il tendit la main à Arthur.<br />

"Relève toi mon ami, nous avons à par<strong>le</strong>r."<br />

1


Chapitre 12 : Question <strong>de</strong> confiance<br />

Arthur fut énergiquement remis <strong>de</strong>bout par Samuel, <strong>le</strong>quel <strong>le</strong> tracta<br />

après l'avoir saisi par <strong>le</strong> cou<strong>de</strong>. Le sourire qu'il affichait n'avait rien à voir<br />

avec <strong>le</strong> regard froid qu'il avait offert à Arthur quelques minutes plus tôt,<br />

aux abords du vallon.<br />

"Tu as frappé comme une brute, lui reprocha Arthur.<br />

-J'aurais pu te pincer <strong>le</strong> nez pour te faire ouvrir la bouche, mais <strong>le</strong> coup <strong>de</strong><br />

poing me semblait plus adapté. Désolé. Le feu <strong>de</strong> l'action…"<br />

Ce faisant, son regard se perdit brièvement dans la brume qu'il avait<br />

lui-même créée. Il fallut qu'Arthur attire son attention d'un signe <strong>de</strong> main<br />

pour qu'il tourne <strong>de</strong> nouveau <strong>le</strong>s yeux vers lui.<br />

"Suis moi Art, nous n'avons pas beaucoup <strong>de</strong> temps.<br />

-Mes amis sont aux prises avec cette Munin, protesta Arthur. Je ne peux<br />

pas <strong>le</strong>s…<br />

-Ils ne risquent rien avec Munin. El<strong>le</strong> ne fera que <strong>le</strong>s occuper <strong>le</strong> temps<br />

nécessaire. Aucune chance qu'el<strong>le</strong> <strong>le</strong>s b<strong>le</strong>sse sérieusement."<br />

Devant l'air intrigué d'Arthur, Samuel apporta une précision :<br />

"Je fais confiance à Munin pour respecter ma volonté. Je ne suis plus<br />

n'importe quel membre <strong>de</strong> la Confrérie. Par ail<strong>le</strong>urs… Viens Arthur, je ne<br />

souhaite pas rester à découvert trop longtemps. Certains regards sont<br />

capab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> voir loin, même à travers cette brume épaisse."<br />

Sans laisser <strong>le</strong> temps à son ami d'émettre la moindre objection, il <strong>le</strong><br />

prit par l'épau<strong>le</strong> et l'entraîna à travers <strong>le</strong> décor vaporeux qui remplaçait<br />

désormais <strong>le</strong>s rues <strong>de</strong> Salvación. Contrairement à Arthur, il paraissait<br />

n'avoir aucun mal à s'y repérer et avançait avec rapidité.<br />

"Pourquoi tu n'annu<strong>le</strong>s pas ton don? s'écria Arthur.<br />

-Tu ne voudrais pas que <strong>le</strong>s autres élus te voient en train <strong>de</strong> discuter avec<br />

moi, fit Samuel sans cesser sa course."<br />

Il pensait vraiment à tout, songea Arthur. Le fait <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir faire<br />

office d'agent doub<strong>le</strong> pendant <strong>de</strong>s années y était sans doute pour quelque<br />

chose. Il n'avait pas <strong>le</strong> droit à la moindre erreur, au risque <strong>de</strong> se trahir.<br />

"Voila, lança Samuel en freinant soudain."<br />

Arthur lui rentra <strong>de</strong>dans tête la première, surpris par ce brusque<br />

arrêt. Samuel s'était stationné <strong>de</strong>vant l'entrée d'un mo<strong>de</strong>ste bâtiment à la<br />

faça<strong>de</strong> blanc sa<strong>le</strong>. Un "City Hall" en gran<strong>de</strong>s <strong>le</strong>ttres métalliques annonçait<br />

la nature du lieu.<br />

1


"La mairie <strong>de</strong> Salvación? fit Arthur.<br />

-Je te rassure, il n'y a personne. J'ai déjà vérifié. On pourra discuter ici."<br />

Pas rassuré, Arthur vit Samuel s'introduire dans la mairie et <strong>le</strong> suivit<br />

doci<strong>le</strong>ment, se <strong>de</strong>mandant s'il n'était pas victime d'un nouveau piège. Il<br />

avait sciemment conservé Drydock avec lui, afin <strong>de</strong> parer à toute<br />

éventualité. Bien qu'il eût encore à l'esprit la discussion <strong>de</strong> la pointe du<br />

Vert Galant, il restait une infime probabilité que Samuel n'ait pas été<br />

tota<strong>le</strong>ment honnête.<br />

Tous <strong>de</strong>ux venaient d'arriver dans un petit vestibu<strong>le</strong> aux murs<br />

couverts <strong>de</strong> photos <strong>de</strong> divers individus – sans doute <strong>de</strong>s personnalités ou<br />

<strong>de</strong>s officiels <strong>de</strong> la vil<strong>le</strong> – et <strong>de</strong> cartes détaillées <strong>de</strong> la région. En <strong>de</strong>hors <strong>de</strong><br />

cela, il n'y avait qu'un comptoir d'accueil et un grand présentoir<br />

probab<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>stiné aux visiteurs. Plusieurs portes étaient fermées. Une<br />

ambiance froi<strong>de</strong> émanait <strong>de</strong> l'endroit, comme si celui-ci n'avait pas été<br />

occupé <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s mois. <strong>Les</strong> pas d'Arthur foulaient une fine couche <strong>de</strong><br />

poussière.<br />

"Que se passe-t-il dans cette vil<strong>le</strong>? s'interrogea Arthur, observant <strong>le</strong>s<br />

brochures disposées sur <strong>le</strong> présentoir. Salvación <strong>de</strong>vrait être une vil<strong>le</strong><br />

assez vivante d'après ce que je vois."<br />

Samuel s'était dirigé vers la machine à café, toujours allumée.<br />

"Ils ont succombé à un excès <strong>de</strong> perfection, répondit-il.<br />

-Succombé? Tu veux dire qu'ils sont…<br />

-Non, j'ai commis en abus <strong>de</strong> langage, corrigea Samuel."<br />

Il revint vers Arthur, <strong>de</strong>ux tasses à la main. Son visage était<br />

beaucoup moins émacié qu'à l'occasion <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur <strong>de</strong>rnière rencontre, bien<br />

que sa toison facia<strong>le</strong> soit davantage développée, tout comme sa<br />

chevelure. Seuls ses yeux encore vifs attestaient <strong>de</strong> sa réel<strong>le</strong> jeunesse.<br />

"De ce que je sais, une partie <strong>de</strong> la population a subi l'influence positive<br />

d'Altaïr.<br />

-En quoi cela pose-t-il problème?<br />

-L'équilibre! Ca résume tout. Un excès <strong>de</strong> perfection a transformé cet<br />

endroit en régime totalitaire où la moindre erreur <strong>de</strong>vait être sévèrement<br />

sanctionnée. J'imagine que traverser en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong>s clous ou insulter son<br />

voisin est <strong>de</strong>venu l'équiva<strong>le</strong>nt d'un meurtre. De ce fait, <strong>le</strong>s habitants ont<br />

dû être amenés à fuir… pour une raison ou une autre.<br />

-J'aurais pensé que la présence d'Altaïr aurait créé une sorte d'Utopia.<br />

-L'utopie n'existe pas, contrairement à ce que croient Primo et la plupart<br />

<strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> la Confrérie. On ne peut avoir <strong>de</strong> bien sans mal, et<br />

inversement."<br />

Il tendit l'une <strong>de</strong>s tasses à Arthur.<br />

1


"<strong>Les</strong> habitants reviendront une fois l'influence d'Altaïr évaporée… Je ne<br />

m'inquiète pas pour eux. Ta mémoire est in<strong>de</strong>mne?<br />

-Oui, je me souviens <strong>de</strong> tout, même <strong>de</strong> choses que je ne <strong>de</strong>vrais pas…<br />

-Que veux-tu dire?"<br />

Arthur s'appuya sur <strong>le</strong> comptoir, à côté <strong>de</strong> Samuel.<br />

"Je crois qu'Enzo Wallace a essayé <strong>de</strong> son<strong>de</strong>r mon esprit, comme tu l'avais<br />

prévu, expliqua-t-il.<br />

-Enzo Wallace, <strong>le</strong> dirigeant actuel <strong>de</strong> GLOW?<br />

-J'ai eu un petit entretien avec lui hier après-midi et, pour une raison<br />

inexplicab<strong>le</strong>, je n'avais qu'un vague souvenir <strong>de</strong> notre échange. Il m'avait<br />

semblé que c'était juste à cause du surmenage mais… Je me rappel<strong>le</strong><br />

maintenant. Il m'a posé <strong>de</strong>s questions sur toi, Anaïs et Nils.<br />

-Comment as-tu pu l'oublier? Il aurait eu la capacité d'effacer une partie<br />

<strong>de</strong> ta mémoire?<br />

-Probab<strong>le</strong> que oui. Il est affilié à Osman-Wallace qui, d'après ce que j'ai<br />

compris, était un chamane à Sorgentel. <strong>Les</strong> chamanes doivent avoir ce<br />

genre <strong>de</strong> pouvoir, non?<br />

-Quel type <strong>de</strong> questions t'a-t-il posées?"<br />

Arthur mobilisa sa mémoire. Il avait l'impression que ses pensées<br />

s'évaporaient dès qu'il parvenait à s'en saisir. Tout était parcellaire.<br />

"Ca ne me revient que par bribes, mais grosso modo il a voulu savoir quel<br />

était notre lien avec toi. Je pense qu'il m'a aussi <strong>de</strong>mandé si nous avions<br />

tenté <strong>de</strong> rentrer en contact après mon retour <strong>de</strong> Sorgentel.<br />

-D'accord, je m'attendais à ce genre <strong>de</strong>… Minute, pourquoi a-t-il posé <strong>de</strong>s<br />

questions sur Anaïs?"<br />

Arthur fit <strong>de</strong> gros yeux, <strong>le</strong> souff<strong>le</strong> court. Bien sûr, Samuel ne pouvait<br />

pas être au courant.<br />

"Sam, je ne l'ai appris qu'hier mais… Anaïs est une élue! Une élite, qui<br />

plus est!"<br />

Samuel se figea un long moment après cette révélation. Même ses<br />

pupil<strong>le</strong>s ne bougeaient plus. Il donnait l'impression d'être en état <strong>de</strong> choc,<br />

au point qu'Arthur lui prit sa tasse <strong>de</strong> café <strong>de</strong>s mains. Suite à <strong>de</strong>ux<br />

longues minutes <strong>de</strong> si<strong>le</strong>nce (Arthur avait vérifié sur l'horloge), sa main<br />

droite finit par tomber à plat sur <strong>le</strong> bois du comptoir. Alors, à la gran<strong>de</strong><br />

stupéfaction d'Arthur, il eut un sourire radieux.<br />

"Tu n'es pas un peu… choqué?<br />

-Tu ne l'es pas? répliqua Samuel.<br />

-Evi<strong>de</strong>mment, mais je ne comprends pas cette mine réjouie.<br />

-Nils, Anaïs, toi… Il y a anguil<strong>le</strong> sous roche, et je compte bien la<br />

débusquer!<br />

1


-A quoi pense-tu?<br />

-Nous repar<strong>le</strong>rons <strong>de</strong> ça plus tard. Je ne sais pas combien <strong>de</strong> temps je<br />

vais pouvoir te consacrer.<br />

-i<strong>de</strong>m! J'ai un délai à respecter pour retrouver Altaïr et <strong>le</strong> ramener aux<br />

autres. Ce délai est presque écoulé d'ail<strong>le</strong>urs, constata Arthur."<br />

Sa montre indiquait qu'il lui restait cinquante-huit minutes.<br />

"Ce ne sera pas un problème, affirma Samuel. Accor<strong>de</strong> moi une secon<strong>de</strong>."<br />

Il escalada <strong>le</strong> comptoir et disparut <strong>de</strong>rrière, se mettant à fouil<strong>le</strong>r<br />

frénétiquement dans un coin placé hors du champ <strong>de</strong> vision d'Arthur. Puis,<br />

il réapparut tel un diab<strong>le</strong> en boîte, tendant à Arthur une sphère en cristal<br />

rouge qui rappelait étrangement <strong>le</strong> Sceau Cosmique.<br />

"Je te la confie, déclara-t-il.<br />

-C'est… c'est ce que je pense?<br />

-Vous avez <strong>de</strong> la chance que je me sois personnel<strong>le</strong>ment chargé <strong>de</strong> la<br />

recherche d'Altaïr.<br />

-Comment as-tu fait?<br />

-Altaïr n'est pas du genre farouche. A vrai dire, il est même plutôt<br />

conciliant. Je l'ai trouvé dans une grotte à quelques kilomètres d'ici, en<br />

train d'attendre mon arrivée. Dès qu'il m'a vu, il m'a dit savoir qui j'étais<br />

et m'a prié <strong>de</strong> faire en sorte qu'il retourne à Sorgentel, pour <strong>le</strong> bien <strong>de</strong><br />

tous.<br />

-Hé beh…<br />

-Je lui ai assuré que je me chargerais <strong>de</strong> son retour et il a pris cette<br />

apparence plus… faci<strong>le</strong> à transporter. Je peux te dire que ça m'arrangeait.<br />

La tête <strong>de</strong> cette bête était aussi haute que la faça<strong>de</strong> <strong>de</strong> ma vieil<strong>le</strong><br />

boutique."<br />

Arthur examina la bou<strong>le</strong> que lui offrait Samuel, puis la prit. El<strong>le</strong> était<br />

assez légère, malgré sa tail<strong>le</strong>. Un flui<strong>de</strong> rouge semblait la remplir.<br />

"Si ça, ce n'est pas un gage <strong>de</strong> loyauté, fit Samuel d'un air ironique."<br />

Honteux d'avoir gardé <strong>de</strong>s doutes à son sujet, Arthur révoqua<br />

Drydock et sourit à Samuel, p<strong>le</strong>in <strong>de</strong> gratitu<strong>de</strong>. A ce moment, l'homme lui<br />

passa un petit sac en velours, fermé par une cor<strong>de</strong><strong>le</strong>tte en cuir.<br />

"J'en profite pour te passer ceci. Ne t'en sépare jamais.<br />

-De quoi s'agit-il?<br />

-Tu n'as pas besoin <strong>de</strong> <strong>le</strong> savoir. Contente toi juste <strong>de</strong> ne jamais t'en<br />

séparer, que ce soit dans notre mon<strong>de</strong> ou à Sorgentel. Ne l'ouvre pas,<br />

jusqu'à nouvel ordre.<br />

-Je n'ai même pas <strong>le</strong> droit <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r ce qui est à l'intérieur.<br />

-Je te l'interdis formel<strong>le</strong>ment. Ta vie pourrait en dépendre!"<br />

1


Samuel avait pris un air dramatique qui effraya Arthur.<br />

"Tu as bien compris? insista Samuel. Tu ne l'ouvres pas, tu ne cherches<br />

pas à savoir ce qu'il contient, tu <strong>le</strong> gar<strong>de</strong>s toujours sur toi, quoi qu'il<br />

arrive, jusqu'à ce que je te fasse signe!<br />

-Toi et tes mystères!<br />

-J'ai mes raisons."<br />

Arthur bougonna mais fourra bruta<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> sac dans sa poche, irrité.<br />

"Comment vas-tu t'expliquer à la Confrérie quand tu retourneras là-bas<br />

sans Altaïr? Ce n'est pas comme si tu pouvais <strong>le</strong>ur faire croire que je te l'ai<br />

repris <strong>de</strong> force, n'est-ce pas?<br />

-Je saurai <strong>le</strong>s convaincre, ne te préoccupe pas <strong>de</strong> ça. L'essentiel est que la<br />

Confrérie ne réussisse pas à mettre la main sur <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux créatures.<br />

D'ail<strong>le</strong>urs… Anaïs n'est pas venue avec toi d'après ce que j'ai vu.<br />

-Non, el<strong>le</strong> est partie à Silhouette avec d'autres compagnons pour<br />

récupérer Fenrir.<br />

-Mince…, fit Samuel, subitement soucieux.<br />

-Dois-je comprendre à ta réaction que la Confrérie est sur place?<br />

-Pas simp<strong>le</strong>ment la Confrérie. La Ligue. Ces gens là sont <strong>le</strong>s plus<br />

dangereux d'entre nous. Même à moi ils pourraient poser <strong>de</strong> sérieux<br />

problèmes. Anaïs sera en danger si el<strong>le</strong> <strong>le</strong>s rencontre."<br />

En entendant cela, Arthur eut un nœud au ventre. Il tenta <strong>de</strong> se<br />

rassurer en gardant à l'esprit qu'Anaïs était bien accompagnée.<br />

"Jamie et Sally sont avec el<strong>le</strong>. Je suis certain qu'il ne lui arrivera rien.<br />

-Ces <strong>de</strong>ux là? Je me rappel<strong>le</strong> d'eux. Ils m'ont l'air assez casse-cou…<br />

-Je <strong>le</strong>ur fais une p<strong>le</strong>ine et entière confiance! Sans eux, je ne serais pas là<br />

où je me tiens actuel<strong>le</strong>ment.<br />

-J'imagine que c'est normal… pour <strong>de</strong>s élus dignes <strong>de</strong> ce nom."<br />

Samuel se laissa glisser <strong>le</strong> long du comptoir pour s'asseoir à terre.<br />

On pouvait entendre <strong>le</strong> mouvement régulier <strong>de</strong> la trotteuse dans une<br />

horloge placée sur un mur du vestibu<strong>le</strong>.<br />

"Arthur, j'ai été piégé <strong>de</strong>puis <strong>le</strong> début, murmura-t-il. Tout ce que j'ai vécu<br />

pendant <strong>le</strong>s dix <strong>de</strong>rnières années n'était que <strong>le</strong> fruit d'un guet-apens au<br />

mécanisme bien huilé.<br />

-Explique-toi…<br />

-Je ne connais pas encore tous <strong>le</strong>s détails, mais <strong>le</strong> fait d'être au sein <strong>de</strong> la<br />

Confrérie me permet <strong>de</strong> reconstituer progressivement <strong>le</strong>s pièces du<br />

puzz<strong>le</strong>. Primo m'accor<strong>de</strong> <strong>de</strong> plus en plus sa confiance et se laisse al<strong>le</strong>r à<br />

<strong>de</strong>s confi<strong>de</strong>nces, même si je suis certain qu'il gar<strong>de</strong> pour lui <strong>le</strong>s éléments<br />

essentiels <strong>de</strong> son plan."<br />

Arthur s'assit en face, prêt à assimi<strong>le</strong>r ce que Samuel lui expliquerait.<br />

1


"Primo et la Confrérie m'ont approché peu <strong>de</strong> temps après que mon don<br />

d'élu se soit manifesté. Là ils m'ont engrainé en me servant <strong>le</strong>ur vision <strong>de</strong>s<br />

choses : la Concrétisation, l'origine <strong>de</strong>s dons, etc. A <strong>le</strong>s écouter, tout <strong>le</strong><br />

processus qui servait l'accomplissement <strong>de</strong> la Concrétisation était dominé<br />

par quelque sombre complot <strong>de</strong>s Sorgenteli et par l'inconscience <strong>de</strong><br />

GLOW. En somme, ils condamnaient l'idée même d'équilibre et<br />

considéraient qu'il ne fallait pas laisser <strong>le</strong>s humains à <strong>le</strong>ur libre-arbitre.<br />

-Ils prônent une forme d'utopie, supposa Arthur, se rappelant d'une vieil<strong>le</strong><br />

conversation avec Sonia.<br />

-Oui, mais une utopie assez biaisée si j'ose dire. Enfin… ce qui importe<br />

dans tout ça, c'est que Primo voyait en moi une occasion inespérée <strong>de</strong><br />

saboter <strong>le</strong>s élus <strong>de</strong> l'intérieur et d'accomplir ses <strong>de</strong>sseins.<br />

-Pourquoi toi en particulier?"<br />

En guise <strong>de</strong> réponse, Samuel lui montra Casca<strong>de</strong>.<br />

"Arthur, je ne suis pas un simp<strong>le</strong> élu.<br />

-…<br />

-Primo a découvert quelque chose sur moi, alors même que je me<br />

familiarisais avec mon statut d'élu.<br />

-Quoi?<br />

-Quelque chose qui semb<strong>le</strong> te concerner aussi."<br />

Soudain, Arthur fut pris d'un frisson. Sa main droite venait <strong>de</strong><br />

bouger toute seu<strong>le</strong>. Indépendamment <strong>de</strong> sa volonté, son bras se <strong>le</strong>va et<br />

ses doigts se refermèrent sur la poignée <strong>de</strong> Casca<strong>de</strong>.<br />

"Précisément, constata Samuel. C'est pour cette raison qu'avec <strong>le</strong> recul, je<br />

suis content d'avoir dû laisser la rapière au temp<strong>le</strong> <strong>de</strong> glace l'an <strong>de</strong>rnier.<br />

J'ai pu ainsi voir comment tu entrais en contact avec el<strong>le</strong>. Le résultat a été<br />

concluant.<br />

-Arrête <strong>de</strong> tourner autour du pot, paniquait Arthur, incapab<strong>le</strong> <strong>de</strong> se<br />

détacher <strong>de</strong> l'épée.<br />

-Pour une raison que j'ignore toujours, nous possédons un pouvoir<br />

complètement indépendant <strong>de</strong> notre statut d'élu. Et nous semblons être<br />

<strong>le</strong>s seuls concernés."<br />

Arthur ne respirait plus. A ce moment, Samuel lui retira la main <strong>de</strong><br />

Casca<strong>de</strong> avec une facilité déconcertante, comme l'avait fait Kaznaël<br />

quelques mois plus tôt dans <strong>de</strong>s circonstances similaires.<br />

"Ce pouvoir explique <strong>le</strong> fait que <strong>le</strong> Sceau Cosmique soit venu se greffer<br />

dans ta tête. Il explique <strong>le</strong> fait que nous soyons liés à Casca<strong>de</strong>, que nous<br />

ayons <strong>de</strong>s visions, que Kaznaël ne puisse pas s'en prendre à nous, que<br />

parfois nous perdions <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> <strong>de</strong> nos sens…<br />

-Que nous utilisions notre don sans <strong>le</strong> vouloir? souffla Arthur.<br />

2


-Oui… C'est ce qui a tué mes camara<strong>de</strong>s il y a dix ans, fit Samuel d'un air<br />

mélancolique.<br />

-…<br />

-Je reconnais mes erreurs dans tous ces évènements, j'ai été<br />

suffisamment stupi<strong>de</strong> pour croire ce que me disait Primo. A force <strong>de</strong><br />

brandir mon caractère exceptionnel et d'évoquer perpétuel<strong>le</strong>ment la<br />

naïveté <strong>de</strong>s élus, il est parvenu à me faire croire que nous étions dans<br />

l'erreur et que je pouvais arranger <strong>le</strong>s choses, dans l'intérêt <strong>de</strong> tous. Ha…<br />

tu par<strong>le</strong>s d'un arrangement! Tout ce que j'avais à faire selon lui, c'était <strong>de</strong><br />

laisser <strong>le</strong>s élus organiser la Concrétisation, puis <strong>de</strong> m'assurer que j'aurais<br />

Casca<strong>de</strong> en ma possession lorsque <strong>le</strong> temps serait venu <strong>de</strong> ramener <strong>le</strong>s<br />

éléments-clés sur Terre. Mes camara<strong>de</strong>s ne <strong>de</strong>vaient pas être inquiétés.<br />

Sauf que…<br />

-Il t'a dupé.<br />

-En beauté. Il nous attendait tous dans <strong>le</strong> Passage, au moment <strong>de</strong> notre<br />

retour. A l'époque, nous n'avions pas d'instructeur, comme c'est <strong>le</strong> cas<br />

pour vous. Primo a débarqué et dévoilé mon rô<strong>le</strong> aux autres, pour<br />

accélérer <strong>le</strong>s choses ou me pousser dans mes <strong>de</strong>rniers retranchements, je<br />

ne l'ai jamais su…"<br />

Le regard <strong>de</strong> Samuel était <strong>de</strong>venu féroce.<br />

"Un autre élu, Danny, a voulu me reprendre Casca<strong>de</strong> <strong>de</strong> force ; mais<br />

comme toi, je n'ai pas pu m'en décol<strong>le</strong>r. L'arme était irrémédiab<strong>le</strong>ment<br />

fixée à ma main et, sans que je sache pourquoi, mon bras s'est défendu.<br />

-Et tu as acci<strong>de</strong>ntel<strong>le</strong>ment tué Danny, <strong>de</strong>vina Arthur.<br />

-Moui… Comme tu peux t'en douter, je suis entré dans une rage<br />

incommensurab<strong>le</strong> en réalisant ce que j'avais fait. J'ai perdu <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

mon don, comme… si j'avais été possédé. Ce pouvoir s'est déchaîné sans<br />

que <strong>le</strong>s autres n'aient <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> voir venir, et ils ont été tués sur <strong>le</strong><br />

coup.<br />

-Sam…<br />

-Seu<strong>le</strong>s Sonia et Maria en ont réchappé, grâce à la protection du Miroir<br />

Millénaire. Primo n'avait pas prévu cette donnée. Non seu<strong>le</strong>ment el<strong>le</strong>s ont<br />

survécu, mais en plus el<strong>le</strong>s l'ont empêché <strong>de</strong> mettre la main sur tous <strong>le</strong>s<br />

éléments clés. Le miroir a déc<strong>le</strong>nché un pouvoir terrifiant pour protéger<br />

Sonia <strong>de</strong> ma démence et cela a déc<strong>le</strong>nché la dispersion <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s<br />

éléments, sauf Casca<strong>de</strong> qui est <strong>de</strong>meuré mienne <strong>de</strong>puis."<br />

Toute cette explication tenait la route. Arthur avait subi <strong>le</strong>s mêmes<br />

phénomènes, sans issue aussi dramatique. Il ne comptait plus <strong>le</strong>s fois où<br />

son corps avait échappé à son contrô<strong>le</strong>, tout comme son don. Anaïs avait<br />

d'ail<strong>le</strong>urs failli en faire <strong>le</strong>s frais la veil<strong>le</strong>. Samuel, lui, n'avait pas bénéficié<br />

<strong>de</strong> sa chance. Désormais, il était considéré comme un traître, un<br />

meurtrier.<br />

"Dis moi…, hésita Arthur. Ne va pas croire que j'ai encore <strong>de</strong>s réticences à<br />

douter <strong>de</strong> ton honnêteté mais je voudrais savoir si tu es responsab<strong>le</strong> <strong>de</strong> la<br />

2


mort <strong>de</strong> Maya, la gardienne du Palais <strong>de</strong> Glace… Pendant qu'on peut en<br />

discuter, j'aimerais aussi que tu me dises…<br />

-…pourquoi j'ai trouvé nécessaire <strong>de</strong> te planter Casca<strong>de</strong> dans <strong>le</strong> corps?<br />

-Oui."<br />

Samuel soupira longuement.<br />

"Je n'ai pas tué Maya. J'aurais voulu l'empêcher, mais je n'ai pas été assez<br />

pru<strong>de</strong>nt.<br />

-Que s'est-il passé?<br />

-Dès qu'il a connu ton potentiel, bien avant toi et <strong>le</strong>s membres <strong>de</strong> GLOW,<br />

Primo a décidé qu'il voulait te diriger sur la même voie que moi. Votre<br />

excursion au Palais <strong>de</strong> Glace était donc l'occasion rêvée pour te mettre en<br />

contact avec Kaznaël et Casca<strong>de</strong> : <strong>de</strong>ux éléments propres à te pousser à<br />

révé<strong>le</strong>r tes capacités et accélérer ton départ vers Sorgentel."<br />

Arthur tombait <strong>de</strong>s nues. <strong>Les</strong> révélations <strong>de</strong> Samuel, loin <strong>de</strong> <strong>le</strong><br />

soulager, l'angoissaient <strong>de</strong> minute en minute.<br />

"Il m'a donc intimé <strong>de</strong> libérer Kaznaël dans <strong>le</strong> Palais <strong>de</strong> glace et d'y laisser<br />

Casca<strong>de</strong>, afin <strong>de</strong> s'assurer <strong>de</strong> ton potentiel. Je l'ai fait sans broncher, ne<br />

sachant pas encore à ce moment que tu étais avec <strong>le</strong>s élus. Il l'a su bien<br />

avant moi mais ne me l'a jamais dit, comme s'il souhaitait que je<br />

l'apprenne par moi-même. Bref… Je me perds dans mes explications…<br />

-…<br />

-Je savais que Maya serait sur place et j'ai pensé al<strong>le</strong>r à sa rencontre<br />

avant votre venue. Apparemment il s'agissait d'une créature à l'apparence<br />

presque humaine et à l'intelligence très développée. Je la voyais comme<br />

ma seu<strong>le</strong> chance d'en savoir plus sur ce qui se tramait, et peut-être en<br />

apprendre plus sur mon lien avec Sorgentel. Malheureusement, Primo<br />

avait pris <strong>le</strong>s <strong>de</strong>vants et ordonné à Zahran d'al<strong>le</strong>r la tuer, bien avant que<br />

j'arrive sur place.<br />

-Qui est ce Zahran Sun? <strong>de</strong>manda Arthur, soulagé d'apprendre l'innocence<br />

<strong>de</strong> Samuel.<br />

-Un membre <strong>de</strong> la Ligue. Il souffre d'un excès <strong>de</strong> loyauté et obéit<br />

froi<strong>de</strong>ment aux ordres venus d'en haut, bien que je <strong>le</strong> considère comme<br />

quelqu'un d'intelligent. Zahran a obéi et joué <strong>le</strong> bourreau, comme il sait si<br />

bien <strong>le</strong> faire. Je n'ai trouvé que <strong>le</strong> cadavre <strong>de</strong> Maya lorsque je me suis<br />

rendu sur place… A mon retour, même <strong>le</strong>s autres membres <strong>de</strong> la Confrérie<br />

pensaient que j'étais responsab<strong>le</strong> <strong>de</strong> sa mort.<br />

-Je vois…<br />

-Voila ma réponse à cette question Art. Concernant <strong>le</strong> coup d'épée…"<br />

Samuel fronça légèrement <strong>le</strong>s sourcils.<br />

"J'ai juste poussé mon rô<strong>le</strong> un peu trop loin. Je sais, j'ai été cruel.<br />

2


-Cruel? répliqua Arthur en lui assénant un coup <strong>de</strong> poing sur l'épau<strong>le</strong>.<br />

C'est un euphémisme. Tu aurais été cruel si tu m'avais assommé! Là tu<br />

m'as embroché <strong>de</strong> part en part, et ça fait bigrement mal!"<br />

Semblant <strong>de</strong> rire <strong>de</strong> Samuel.<br />

"Plus sérieusement, je ne suis pas la personne la plus à même <strong>de</strong><br />

t'expliquer cela.<br />

-Tu plaisantes?<br />

-Cette fois-ci, cela a un lien avec l'origine <strong>de</strong> ton don… enfin, <strong>le</strong> don <strong>de</strong><br />

Nils tel qu'il te l'a transmis. Il semb<strong>le</strong>rait que son potentiel soit lié à<br />

l'aguerrissement <strong>de</strong> son porteur. Plus il aura approché <strong>le</strong>s portes <strong>de</strong> la<br />

mort, plus il sera renforcé…<br />

-Dois-je comprendre que je dois morf<strong>le</strong>r pour m'améliorer? s'indigna<br />

Arthur en pensant au tatouage qui apparaissait ponctuel<strong>le</strong>ment sur son<br />

dos.<br />

-Plus ou moins. Si tu veux avoir plus <strong>de</strong> détails à ce sujet, farfouil<strong>le</strong> un<br />

peu dans <strong>le</strong>s <strong>Chroniques</strong> <strong>de</strong> Sorgentel.<br />

-Ce gros livre que tu as laissé dans ma boîte aux <strong>le</strong>ttres?<br />

-Oui, je l'ai emprunté dans la Sal<strong>le</strong> <strong>de</strong>s Archives du Cénac<strong>le</strong>, pendant que<br />

c'était <strong>le</strong> chaos au Havre. Il s'agit d'un ouvrage que j'avais déjà repéré il y<br />

a dix ans, quand j'étais venu pour la première fois. Sa <strong>le</strong>cture m'a appris<br />

beaucoup <strong>de</strong> choses intéressantes que je n'ai pas <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> te résumer.<br />

Je compte sur toi pour en prendre connaissance par tes propres moyens.<br />

-D'accord, j'ai <strong>de</strong> quoi occuper mes mornes soirées <strong>de</strong> célibataire.<br />

-Dur d'être seul et puceau, fit Samuel en réprimant un sourire."<br />

Une courte agression à mains nues s'ensuivit, avant qu'Arthur ne se<br />

déci<strong>de</strong> à oublier cet pique injustifiée. Samuel n'avait pas perdu <strong>de</strong> son<br />

cynisme.<br />

"Pardon, j'ai besoin <strong>de</strong> rire un peu avec mon vieux frère, s'excusa Samuel.<br />

-Faux frère, ouais… Oh, à ce sujet!<br />

-A propos <strong>de</strong> Nils, je sais."<br />

Samuel saisit Arthur par <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux épau<strong>le</strong>s, comme à son habitu<strong>de</strong>.<br />

"J'ai bon espoir à son sujet…<br />

-C'est vrai?<br />

-J'ai toujours cru que Marshal s'était contenté <strong>de</strong> ramener Nils d'outretombe<br />

après l'avoir tué, grâce à la nécromancie. Mais ce n'est pas <strong>le</strong> cas!<br />

-Nils n'a jamais vraiment été mort alors…<br />

-Non. Je ne connais pas <strong>le</strong>s circonstances exactes <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur confrontation,<br />

mais il s'avère que Marshal s'est tout simp<strong>le</strong>ment contenté <strong>de</strong> scel<strong>le</strong>r<br />

l'âme <strong>de</strong> Nils.<br />

-Scel<strong>le</strong>r… s… son âme, bégaya Arthur, pris d'un frisson. Pourquoi faire ça<br />

si <strong>le</strong> but <strong>de</strong> la Confrérie était <strong>de</strong> faire entrer Nils dans ses rangs?<br />

2


-Justement pour qu'il per<strong>de</strong> tout volonté et <strong>de</strong>vienne faci<strong>le</strong> à manipu<strong>le</strong>r.<br />

Nils a fait office <strong>de</strong> cobaye pour cette nouvel<strong>le</strong> technique élaborée par<br />

Marshal, et ce psychopathe ambitionne bien <strong>de</strong> rééditer l'expérience.<br />

Hélas pour lui, c'était sans compter sur la détermination <strong>de</strong> Nils. Par un<br />

procédé inexpliqué, ton ami a préféré se défaire <strong>de</strong> son don plutôt que <strong>de</strong><br />

<strong>le</strong> laisser à la disposition <strong>de</strong> la Confrérie. C'est ainsi que tu en as hérité,<br />

juste avant qu'il ne per<strong>de</strong> provisoirement la raison.<br />

-Ha! Sacré Nils, se félicita Arthur, fier <strong>de</strong> son ami. C'est bien son genre<br />

<strong>de</strong>…"<br />

Il s'interrompit subitement, réalisant que quelque chose lui avait échappé.<br />

"Tu as bien dit "provisoirement", n'est-ce pas?"<br />

Samuel opina <strong>de</strong> la tête.<br />

"Depuis <strong>le</strong> jour où Nils t'a vu à Sorgentel, sa raison lui est revenu par<br />

phases assez courtes dans un premier temps, puis <strong>de</strong> plus en plus<br />

longues. J'ose penser qu'il reprend progressivement raison.<br />

-Mais… c'est…"<br />

Arthur eut <strong>le</strong> souff<strong>le</strong> coupé.<br />

"C'est la meil<strong>le</strong>ure nouvel<strong>le</strong> que j'ai eue <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s mois, dit-il d'un<br />

murmure. Nils pourrait re<strong>de</strong>venir normal?<br />

-Oui. Il faut croire que l'on ne peut pas indéfiniment scel<strong>le</strong>r l'âme <strong>de</strong><br />

quelqu'un, surtout d'un élu. Tu te rends compte Arthur, cela signifie que je<br />

dispose désormais d'un allié au sein <strong>de</strong> la Confrérie. Un allié qui n'attire<br />

pas <strong>le</strong>s soupçons, qui peut écouter la moindre conversation sans faire<br />

l'objet <strong>de</strong> méfiance.<br />

-Je dois avouer que je préfèrerais <strong>le</strong> savoir en sécurité avec nous, nuança<br />

Arthur. Je comprends que tu ne puisses pas rester à nos côtés, mais Nils<br />

est considéré comme une victime, contrairement à toi. Il serait bien<br />

accueilli par <strong>le</strong>s autres.<br />

-Ce serait déraisonnab<strong>le</strong> à ce sta<strong>de</strong>. D'une part, il perd encore assez<br />

souvent <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> <strong>de</strong> ses sens. A ces moments, il ne ferait pas <strong>de</strong> mal<br />

aux gens qui lui sont proches, mais il tuerait sans hésitation un inconnu.<br />

-Ah…<br />

-Comme ont dû te <strong>le</strong> dire tes amis, Nils a acquis une force terrib<strong>le</strong> et<br />

incontrôlab<strong>le</strong> à cause <strong>de</strong>s manipulations <strong>de</strong> Marshal. Lorsqu'il perd la<br />

raison, il est pris <strong>de</strong> pulsions dangereuses pour quiconque se frotte <strong>de</strong><br />

trop près à lui. Or, il est impossib<strong>le</strong> <strong>de</strong> prédire à quel moment Nils… pète<br />

<strong>le</strong>s plombs, pour être clair.<br />

-Donc, il n'est pas envisageab<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>le</strong> laisser circu<strong>le</strong>r dans la nature, c'est<br />

ce que je dois comprendre, fit Arthur avec frustration.<br />

-Nils lui-même ne <strong>le</strong> souhaite pas."<br />

Arthur serra <strong>le</strong>s poings <strong>de</strong> frustration.<br />

2


"Il re<strong>de</strong>viendra complètement normal un jour, promit Samuel. Je m'y<br />

emploierai. Sache en tout cas qu'il pense toujours à vous et que vous lui<br />

manquez.<br />

-Tu lui diras que c'est réciproque.<br />

-Je crois qui ni lui, ni moi n'avons <strong>de</strong> raison <strong>de</strong> nous inquiéter pour toi,<br />

répliqua Samuel. Tu as l'air bien entouré en ce moment. Il y a ce Jamie là,<br />

et puis la fol<strong>le</strong> furieuse <strong>de</strong> Salimata avec son bâton! Sans compter la<br />

poignée d'élus qui a voulu me tomber <strong>de</strong>ssus quand ils ont cru que je<br />

t'avais tué.<br />

-Je reconnais avoir rencontré <strong>de</strong>s gens bien. Jamie et Sally sont<br />

extraordinaires, ils m'ont beaucoup soutenu dans <strong>le</strong>s moments diffici<strong>le</strong>s.<br />

Puis il y a aussi Rick, Ana, Rachel malgré son sa<strong>le</strong> caractère et… Enfin, tu<br />

vois ce que je veux dire. Pour autant, je n'oublie pas <strong>le</strong>s autres, ceux <strong>de</strong> la<br />

première heure.<br />

-Je suis content <strong>de</strong> savoir que tu socialises un peu plus qu'avant. Fais<br />

juste attention à ne pas faire la même erreur que moi. Primo pourrait<br />

essayer <strong>de</strong> tirer parti <strong>de</strong> toi, d'une manière ou d'une autre. Ne succombe<br />

pas à tes faib<strong>le</strong>sses, ou bien tu risques <strong>de</strong> b<strong>le</strong>sser ces personnes<br />

auxquel<strong>le</strong>s tu tiens tant.<br />

-Oui… Pas <strong>de</strong> souci <strong>de</strong> ce côté-là, assura Arthur."<br />

Samuel vida sa tasse <strong>de</strong> café, manifestement anxieux. Des mèches<br />

noires lui tombaient opportunément <strong>de</strong>vant <strong>le</strong>s yeux, comme pour<br />

empêcher ces <strong>de</strong>rniers <strong>de</strong> trahir son doute, son inquiétu<strong>de</strong> pour Arthur. Le<br />

jeune homme remarqua d'ail<strong>le</strong>urs que sa tignasse indomptée était<br />

parsemée <strong>de</strong> rares cheveux blancs, sans doute occasionnés par un excès<br />

<strong>de</strong> stress.<br />

Tendu, Arthur regarda sa montre. Bien qu'il eût Altaïr en sa<br />

possession, il ne lui restait plus beaucoup <strong>de</strong> temps. Très vite il <strong>de</strong>vrait<br />

rejoindre <strong>le</strong>s autres élus et repartir à Londres. Laisser Samuel retourner<br />

mettre sa vie en danger au sein <strong>de</strong> la Confrérie, se séparer d'un ami pour<br />

une durée indéterminée ; qui plus est, une personne qui représentait son<br />

seul lien avec un autre ami cher.<br />

"Samuel. Qui est vraiment ce Primo? Quel est cet attribut exceptionnel<br />

que toi et moi sommes censés avoir?<br />

-Deux questions auxquel<strong>le</strong>s je suis incapab<strong>le</strong> <strong>de</strong> répondre, soupira Samuel<br />

après une longue pause. Je suis aussi perdu que toi. Malgré <strong>de</strong>s années à<br />

mes côtés, Primo ne laisse rien transparaître <strong>de</strong> ses origines. Je <strong>le</strong><br />

soupçonne d'utiliser Marshal pour effacer <strong>de</strong> ma mémoire toutes <strong>le</strong>s<br />

choses gênantes que je pourrais apprendre à son sujet.<br />

-A ce point?<br />

-Un membre <strong>de</strong> la Confrérie ne pourrait même pas te décrire la véritab<strong>le</strong><br />

apparence <strong>de</strong> Primo ou te situer géographiquement sa localisation. Il<br />

mourrait aussitôt sinon. Primo n'hésite pas placer <strong>de</strong>s entraves<br />

surnaturel<strong>le</strong>s très puissantes sur nos âmes.<br />

2


-Ce type a l'air excessivement dangereux, s'emporta Arthur. Si je l'avais<br />

sous la main, il passerait un sa<strong>le</strong> quart d'heure.<br />

-C'est sans doute toi qui passerait un sa<strong>le</strong> quart d'heure Arthur, déclara<br />

une voix étrangère."<br />

Arthur et Samuel se <strong>le</strong>vèrent simultanément, interdits. Un homme<br />

se tenait sur <strong>le</strong> seuil du vestibu<strong>le</strong>, simp<strong>le</strong> silhouette se découpant dans la<br />

lumière extérieure du jour. Samuel avait déjà saisi Casca<strong>de</strong> quand Arthur<br />

i<strong>de</strong>ntifia l'arrivant : un grand individu maigre au visage juvéni<strong>le</strong> et aux<br />

yeux écarlates. Kaznaël avait <strong>le</strong>s bras croisés, contemplant <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

compères d'un air neutre.<br />

"Kaz? s'écria Arthur."<br />

Samuel se raidit. Le Protecteur était bel et bien là, vêtu <strong>de</strong> sa tenue<br />

d'apparat.<br />

"Q…Qu'est-ce que tu fais là? Comment es-tu venu ici? bégaya Arthur.<br />

-Je m'inquiétais pour toi. Je voulais vérifier que tout allait bien, répondit<br />

sobrement Kaznaël. Visib<strong>le</strong>ment, tout va bien.<br />

-Comment m'as-tu localisé?"<br />

Kaznaël <strong>le</strong> foudroya du regard, comme si cette question constituait<br />

une offense condamnab<strong>le</strong>.<br />

"Nous sommes liés par un serment. Je saurai toujours où te trouver.<br />

-Ah… Mais, comment es-tu venu aux Etats-Unis?<br />

-Par <strong>le</strong> Passage, simp<strong>le</strong> d'esprit.<br />

-Ah…<br />

-Ca tombe bien, il est temps pour toi d'y al<strong>le</strong>r <strong>de</strong> toute façon, fit Samuel,<br />

toisant Kaznaël du regard. Je suis sûr que Munin <strong>le</strong>s a laissés passer à<br />

l'heure qu'il est ; ils doivent être à ta recherche.<br />

-Ibtissam ne mettra pas longtemps à me situer vu son don, réalisa Arthur.<br />

D'ail<strong>le</strong>urs, il risque <strong>de</strong> savoir que j'étais avec une autre personne!<br />

-Il va sans doute imaginer que nous nous sommes un peu affrontés, dit<br />

Samuel. Pour rendre <strong>le</strong> tout crédib<strong>le</strong>, il faut employer <strong>le</strong>s grands moyens.<br />

-Que veux-tu dire?"<br />

Samuel vint se planter <strong>de</strong>vant Arthur et se tapota la tempe droite <strong>de</strong><br />

la main. Kaznaël observait <strong>de</strong> loin, immobi<strong>le</strong>.<br />

"Frappe moi.<br />

-Hein?<br />

-De toutes tes forces bien sûr.<br />

-Hors <strong>de</strong> question, grand mala<strong>de</strong>, protesta Arthur.<br />

-Si je n'ai pas <strong>le</strong> moindre hématome, personne ne croira que je me suis<br />

battu contre toi. Ni GLOW, ni la Confrérie.<br />

-Mais…<br />

2


-Je veux bien <strong>le</strong> frapper, intervint Kaznaël. Du moins, je m'y adonnerais<br />

avec joie si je <strong>le</strong> pouvais."<br />

Arthur <strong>le</strong> fusilla du regard.<br />

"Bon, si tu te dégonf<strong>le</strong>s, je peux me débrouil<strong>le</strong>r seul, conclut Samuel,<br />

prenant Casca<strong>de</strong> au sol."<br />

Il fit mine <strong>de</strong> la pointer vers son ventre, à la gran<strong>de</strong> terreur d'Arthur.<br />

"Que crois-tu faire avec ça?<br />

-M'entail<strong>le</strong>r un peu <strong>le</strong> ventre. Enfin, me faire hara-kiri si tu préfères,<br />

répondit Samuel comme s'il avait saisi une simp<strong>le</strong> brosse à <strong>de</strong>nts. Je dirais<br />

que tu m'as attaqué avec ton épée.<br />

-A la bonne heure, murmura Kaznaël.<br />

-Pose ça espèce <strong>de</strong> fêlé! C'est bon, je vais te frapper, se résigna Arthur.<br />

Tu es vraiment dingue…<br />

-Je sais, reconnut Samuel après avoir posé Casca<strong>de</strong> sur <strong>le</strong> comptoir. Al<strong>le</strong>z,<br />

serre <strong>le</strong> poing et donne moi un ou <strong>de</strong>ux coups."<br />

Arthur se plaça face à lui, tentant <strong>de</strong> mesurer l'amp<strong>le</strong>ur <strong>de</strong> sa folie.<br />

Il fallait vraiment avoir un sens <strong>de</strong> l'abnégation exacerbé pour en arriver<br />

là. L'Abnégation… Samuel était l'abnégation. Lui, Arthur, était <strong>le</strong><br />

Renouveau. Il en vint à se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r pourquoi <strong>le</strong> motif tatoué dans son<br />

dos représentait l'Abnégation alors que Samuel déclarait l'incarner.<br />

"Prépare-toi, avertit Arthur.<br />

-J'ai connu pire…"<br />

Serrant <strong>le</strong> poing droit, Arthur prit appui sur une jambe, puis frappa.<br />

Du moins, il donna l'illusion <strong>de</strong> frapper. La mol<strong>le</strong>sse <strong>de</strong> son coup fut<br />

traduite par <strong>le</strong> regard perp<strong>le</strong>xe <strong>de</strong> Samuel. Il n'avait pas bronché.<br />

"C'est tout? <strong>de</strong>manda-t-il, alors que <strong>le</strong> poing d'Arthur était encore sur sa<br />

joue.<br />

-Bah… J'ai frappé <strong>de</strong> toutes mes forces je crois.<br />

-La grand-mère Gall aurait fait plus <strong>de</strong> dégâts, fit remarquer Kaznaël avec<br />

irritation. Défonce lui <strong>le</strong> crâne."<br />

Samuel et Arthur se tournèrent en même temps vers Kaznaël, outrés.<br />

"Je pense que tu manques juste <strong>de</strong> motivation, fit remarquer Samuel.<br />

-Comment veux-tu que j'y remédie?"<br />

Samuel ferma <strong>le</strong>s yeux et prit une gran<strong>de</strong> inspiration :<br />

2


"Arthur, tu es un con doublé d'un imbéci<strong>le</strong>. Tu n'as pas <strong>le</strong> moindre ta<strong>le</strong>nt,<br />

pas <strong>le</strong> moindre charisme, et je doute que tu réussisses quoi que ce soit<br />

dans la vie…<br />

-Ca ne marche pas…<br />

-Qui plus est, tu n'as aucun succès avec <strong>le</strong>s fil<strong>le</strong>s, faute <strong>de</strong> volontarisme et<br />

<strong>de</strong> virilité.<br />

-Toujours… pas…, soufflait Arthur.<br />

-A moins que tes performances au lit soient la raison <strong>de</strong> tes échecs<br />

passés, bien évi<strong>de</strong>mment, continua Samuel. Tiens, j'y pense! Il se pourrait<br />

que tu aies une toute petite…"<br />

Arthur effectua un vio<strong>le</strong>nt crochet du droit. Cette fois-ci, la tête <strong>de</strong><br />

Samuel tourna et sa joue se mit à rougir.<br />

"Ca confirme ce que j'allais dire. Tu frappes comme une fil<strong>le</strong>, continua<br />

Samuel en <strong>le</strong> fixant droit dans <strong>le</strong>s yeux."<br />

Arthur respirait avec la persistance d'un buff<strong>le</strong>.<br />

"Cela expliquerait pourquoi tu n'as pas assez <strong>de</strong> couil<strong>le</strong>s pour montrer tes<br />

sentiments à la fil<strong>le</strong> que tu aimes. Enfin… qui tu aimes déjà? Xenia? Anaïs?<br />

Sally peut-être? On ne sait jamais avec toi."<br />

Le poing d'Arthur repartit à la rencontre <strong>de</strong> la tête <strong>de</strong> Samuel. Cette<br />

fois-ci, celui-ci fut projeté par la force du coup et percuta <strong>le</strong> comptoir,<br />

avant <strong>de</strong> s'y effondrer. Arthur fut pris d'effroi. Le revers <strong>de</strong> sa main s'était<br />

couvert <strong>de</strong> glace en une fraction <strong>de</strong> secon<strong>de</strong>, puis avait repris son<br />

apparence norma<strong>le</strong>. Même Kaznaël parut stupéfait (mais satisfait) lorsque<br />

<strong>le</strong>urs regards se croisèrent.<br />

"Mer<strong>de</strong> Sam, s'écria Arthur en se ruant vers lui. Désolé, je…"<br />

Il aida Samuel à se re<strong>le</strong>ver. Son visage était contusionné sur tout <strong>le</strong><br />

côté droit, mais il souriait malgré tout. Dès qu'il fut <strong>de</strong>bout, il rassura<br />

Arthur :<br />

"Je ne pense rien <strong>de</strong> tout ce que je viens <strong>de</strong> dire. Enfin… presque rien.<br />

-Ca va al<strong>le</strong>r?<br />

-Mieux que jamais, répondit Samuel en essuyant un peu <strong>de</strong> sang à la<br />

commissure <strong>de</strong> ses lèvres. Sacré punch que tu as eu là. Je vais<br />

probab<strong>le</strong>ment avoir un œil au beurre noir. Un coup <strong>de</strong> main <strong>de</strong> ton don<br />

j'imagine.<br />

-Je ne sais pas trop. Peut-être…"<br />

A cet instant, <strong>de</strong>s cris retentirent à l'extérieur.<br />

"Arthur!! Ohé, Arthur!<br />

-Où es-tu Arthur? Montre toi, on ne voit rien là-<strong>de</strong>dans!"<br />

2


Arthur reconnut <strong>le</strong>s voix d'Ibtissam et Ana Rosa.<br />

"Ce sont tes amis, tu <strong>de</strong>vrais vite y al<strong>le</strong>r, conseilla Samuel.<br />

-Et toi?<br />

-Je vais rester à l'intérieur jusqu'à votre départ. Ils n'auront pas <strong>de</strong> raison<br />

<strong>de</strong> venir par ici si tu <strong>le</strong>s rejoins avec Altaïr comme trophée. Tu trouveras<br />

bien une explication.<br />

-Oui, je me débrouil<strong>le</strong>rai…"<br />

Affecté par cette séparation imminente, Arthur avança vers son ami<br />

et l'étreignit comme <strong>le</strong> frère qu'il comptait bien revoir un jour, sain et<br />

sauf. Samuel lui tapota <strong>le</strong> dos avec un rire forcé.<br />

"Un jour on se bat, <strong>le</strong> cœur rempli <strong>de</strong> haine. Le <strong>le</strong>n<strong>de</strong>main, c'est une<br />

amitié sans bornes qui nous lie et nous rend dépendants l'un <strong>de</strong> l'autre.<br />

Nous sommes vraiment bizarres Arthur, déclara-t-il.<br />

-A qui <strong>le</strong> dis-tu…"<br />

Arthur recula avec un semblant <strong>de</strong> sourire, puis se tourna vers<br />

Kaznaël, l'interrogeant du regard.<br />

"Je vais repartir à Paris dès que tu te seras éloigné <strong>de</strong> cet endroit, dit<br />

Kaznaël. Ne te fais pas <strong>de</strong> soucis pour tes grands-parents, ils se portent<br />

bien.<br />

-Ok Kaz. Merci <strong>de</strong> t'être inquiété pour moi. Je reviens très bientôt.<br />

-Oui…<br />

-ARTHUR, hurlait la voix d'Ana Rosa, <strong>de</strong> plus en plus proche."<br />

Arthur récupéra Drydock et la sphère d'Altaïr sur <strong>le</strong> comptoir, puis<br />

s'assura que <strong>le</strong> sac que lui avait donné Samuel était bien dans sa poche.<br />

"N'oublie rien <strong>de</strong> ce que je t'ai dit, rappela Samuel.<br />

-Ne pas ouvrir, ne pas <strong>le</strong> quitter <strong>de</strong>s yeux, ne pas chercher à savoir.<br />

-Très bien. Oh… une <strong>de</strong>rnière chose.<br />

-Oui?<br />

-C… Comment va Sonia?"<br />

Samuel avait momentanément l'apparence d'un ado<strong>le</strong>scent<br />

maladroit, craignant <strong>de</strong> se ridiculiser.<br />

"El<strong>le</strong> dégouline <strong>de</strong> morve en ce moment, mais el<strong>le</strong> va bien. Toujours aussi<br />

bel<strong>le</strong>… et rancunière."<br />

Il fit un clin d'œil à Samuel, puis courut vers la sortie en assénant<br />

une tape sur l'épau<strong>le</strong> <strong>de</strong> Kaznaël au passage.<br />

2


Chapitre 13 : Zahran Sun<br />

Anaïs passa ses doigts sur <strong>le</strong> visage <strong>de</strong> Nils pour se persua<strong>de</strong>r <strong>de</strong> sa<br />

présence. Bien qu'ils eussent été assis l'un en face <strong>de</strong> l'autre <strong>de</strong>puis déjà<br />

quelques minutes, el<strong>le</strong> n'arrivait pas à se persua<strong>de</strong>r <strong>de</strong> la réalité <strong>de</strong> cette<br />

rencontre. Nils la laissa faire, sans protester, bien qu'animé du sourire<br />

ironique qui <strong>le</strong> caractérisait généra<strong>le</strong>ment.<br />

"Heureusement que je suis tombé sur toi et non sur Arthur, fit-il<br />

remarquer alors qu'el<strong>le</strong> lui tirait maintenant <strong>le</strong>s oreil<strong>le</strong>s. S'il m'avait fait ça,<br />

j'aurais été très gêné d'être si émoustillé.<br />

-Ne dis pas <strong>de</strong> bêtises Nils, je suis juste sidérée, lui dit-el<strong>le</strong> tout en<br />

continuant à tester la résistance <strong>de</strong> ses oreil<strong>le</strong>s.<br />

-Je suis si beau que ça?<br />

-Non, tu es juste toi…<br />

-Oh, tant pis, fit-il avec une déception feinte."<br />

El<strong>le</strong> consentit à cesser son manège.<br />

"C'est juste que je ne t'ai pas vu <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s mois, Nils. On t'a cru mort, on<br />

a assisté à tes funérail<strong>le</strong>s… On t'a beaucoup p<strong>le</strong>uré, longtemps,<br />

indéfiniment. J'ai cru qu'Arthur et tes parents ne se relèveraient jamais.<br />

Ca m'a obligé à jouer <strong>le</strong>s dures.<br />

-Désolé…<br />

-Non, c'est juste que c'est… agréab<strong>le</strong>ment bizarre <strong>de</strong> te revoir si p<strong>le</strong>in <strong>de</strong><br />

vie après avoir pensé que l'on n'entendrait plus <strong>le</strong> son <strong>de</strong> ta voix stupi<strong>de</strong>."<br />

Il fronça brièvement <strong>le</strong>s sourcils et se remit <strong>de</strong>bout, arborant une<br />

tenue verte et blanche en tout point similaire à cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Victorio. <strong>Les</strong><br />

membres <strong>de</strong> la Confrérie <strong>de</strong>vaient tous être vêtus <strong>de</strong> la même manière.<br />

"J'ai toujours su qu'on me considérait comme <strong>le</strong> plus bête <strong>de</strong> notre sainte<br />

trinité, plaisanta-t-il. J'en ai presque fait mon fer <strong>de</strong> lance.<br />

-On ne te considère pas comme un garçon bête. Tu ES bête, répliqua<br />

Anaïs. Comment as-tu pu retrouver ta santé d'esprit et ne pas revenir<br />

immédiatement vers nous? Le fait que tu sois là, sous mes yeux, indique<br />

que tu aurais pu t'échapper plus tôt. N'est-ce pas?<br />

-J'aurais pu, mais ça aurait été beaucoup trop dangereux pour vous."<br />

Il s'approcha d'el<strong>le</strong> pour l'ai<strong>de</strong>r à se re<strong>le</strong>ver. Une brûlure presque<br />

insupportab<strong>le</strong> saisit alors l'épau<strong>le</strong> d'Anaïs, là où Nils avait mis sa main.<br />

El<strong>le</strong> contint un cri. Sa peau était presque à vif, conséquence <strong>de</strong> sa chute<br />

bruta<strong>le</strong> quelques minutes plus tôt.<br />

"Pardon, s'excusa Nils en retirant vivement sa main. Tu es sérieusement<br />

amochée.<br />

-Ca ira, ça ira. Je suis sûre que Sonia pourra rég<strong>le</strong>r ce problème dès je<br />

serai <strong>de</strong> retour.<br />

2


-Ce connard <strong>de</strong> Victorio…, maugréa Nils. Je lui mettrais bien mon poing<br />

dans la gueu<strong>le</strong> si ça ne risquait pas <strong>de</strong> me compromettre ma position."<br />

Anaïs se <strong>le</strong>va <strong>le</strong>ntement pour éviter <strong>de</strong> se cogner la tête. El<strong>le</strong> et Nils<br />

avaient trouvé refuge dans un petit renfoncement naturel creusé dans une<br />

paroi rocheuse, à proximité du cours d'eau où el<strong>le</strong> était tombée. Là, ils<br />

étaient à l'abri <strong>de</strong>s regards, pour un moment du moins. A l'extérieur,<br />

l'enso<strong>le</strong>il<strong>le</strong>ment paraissait vif. Victorio ne manquerait pas <strong>de</strong> finir par <strong>le</strong>s<br />

retrouver.<br />

"Mon frangin n'est pas dans <strong>le</strong>s parages? <strong>de</strong>manda Nils.<br />

-Non, il est parti dans une autre équipe.<br />

-Oh…"<br />

Le visage <strong>de</strong> Nils trahissait l'amertume. Evi<strong>de</strong>mment, il aurait adoré<br />

voir son ami d'enfance après tout ce temps perdu.<br />

"Il doit me détester, fit-il. Je lui ai mené la vie dure. D'abord je passe pour<br />

mort, ensuite je suis membre dans la Confrérie et…<br />

-Non! Tout ce que nous avons fait jusqu'à présent, c'était pour te sauver.<br />

On ne te déteste pas, bien au contraire!<br />

-Vous voyez toujours mes parents? Ma famil<strong>le</strong>?<br />

-De temps en temps oui. On essaie <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs nouvel<strong>le</strong>s.<br />

-Ce serait stupi<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r s'ils ont… hem, mal vécu ma fausse mort?<br />

-Ce serait déplacé, oui…"<br />

Nils se détourna d'el<strong>le</strong>, grattant nerveusement sa nuque.<br />

"Evi<strong>de</strong>mment, ils ont dû souffrir atrocement…, souffla-t-il.<br />

El<strong>le</strong> l'entendit renif<strong>le</strong>r mais ne lui fit pas l'offense d'approcher.<br />

Lorsqu'il se fut visib<strong>le</strong>ment calmé, il revint vers el<strong>le</strong>, avec un sourire forcé.<br />

"Ton onc<strong>le</strong> Léonard a tout découvert à ton sujet, expliqua Anaïs.<br />

-Tu déconnes? s'écria Nils, stupéfait.<br />

-Il s'est même retrouvé à Sorgentel avec Arthur et <strong>le</strong>s autres. Il sait tout!<br />

Maintenant il fait partie <strong>de</strong> l'organisation qui encadre <strong>le</strong>s élus, mais il a<br />

juré <strong>de</strong> ne pas par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> tout ça à ta famil<strong>le</strong> avant qu'on ne puisse te<br />

rapatrier."<br />

Nils émit un rire nerveux.<br />

"Sacré tonton Léo, souffla-t-il. Je ne suis même pas surpris…<br />

-Une tête <strong>de</strong> mu<strong>le</strong>, selon Art, confirma Anaïs.<br />

-La <strong>de</strong>scription correspond tout à fait à l'individu, approuva Nils, souriant."<br />

Il contempla Anaïs d'une manière qui la mit mal à l'aise.<br />

2


"Tu as vraiment changé, constata-t-il après un court moment. Tu as l'air<br />

plus… brave, si j'ose dire.<br />

-C'est juste parce que je porte cette tenue pseudo militaire et que je suis<br />

éraflée <strong>de</strong> partout. Oh, j'ai peut-être coupé mes cheveux aussi. Ca volait<br />

dans tous <strong>le</strong>s sens quand je m'entraînais avec <strong>le</strong>s autres élus… HEY! Tu<br />

n'es même surpris d'apprendre que je suis une élue?<br />

-Non, je <strong>le</strong> savais déjà, reconnut Nils d'un air neutre.<br />

-Comment as-tu pu <strong>le</strong> savoir alors que je ne l'ai appris que récemment?"<br />

En réponse, il lui confia un amas <strong>de</strong> feuil<strong>le</strong>s froissées sur <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s il<br />

avait griffonné <strong>de</strong>s notes, <strong>de</strong> son écriture maladroite.<br />

"J'explique tout ça là-<strong>de</strong>dans, du moins ce que je sais. Crois moi, ce n'est<br />

pas faci<strong>le</strong> <strong>de</strong> trouver du papier et <strong>de</strong>s crayons dans <strong>le</strong> QG <strong>de</strong> la Confrérie<br />

tout en se faisant passer pour Bébé Nils.<br />

-Pourquoi tu ne me racontes pas ce que tu sais <strong>de</strong> vive voix? s'étonna<br />

Anaïs en prenant la pi<strong>le</strong> <strong>de</strong> feuil<strong>le</strong>s.<br />

-Je ne peux pas me permettre <strong>de</strong> rester plus longtemps, même si ça me<br />

brise <strong>le</strong> cœur <strong>de</strong> te laisser si vite. Je ne <strong>de</strong>vrais même pas être là. Si ma<br />

petite sortie est remarquée, j'aurai <strong>de</strong>s problèmes, Samuel aura <strong>de</strong>s<br />

problèmes, et nous aurons tous <strong>de</strong>s problèmes.<br />

-SAMUEL EST CONCERNE??<br />

-Bien sûr qu'il est concerné… Enfin, il ne sait pas que je suis là, sinon il<br />

m'aurait asséné <strong>de</strong>s "Idiot! C'est trop dangereux! Tu vas te faire repérer!<br />

Tu n'es pas encore stab<strong>le</strong>! Bla! Bla! Bla! J'ai guetté la première occasion<br />

pour sortir!"<br />

Nils agitait <strong>le</strong>s bras et fronçait <strong>le</strong>s sourcils d'un air excessivement<br />

Samue<strong>le</strong>sque, à la gran<strong>de</strong> surprise d'Anaïs. Apparemment, ces <strong>de</strong>ux-là<br />

s'étaient côtoyé assez longtemps pour que Nils en arrive à cerner <strong>le</strong><br />

caractère <strong>de</strong> son comparse <strong>de</strong> la Confrérie.<br />

"Samuel est <strong>de</strong> notre côté, ajouta Nils. N'en doute pas une secon<strong>de</strong>. C'est<br />

un chic type.<br />

-Je… je n'en ai jamais douté, mentit Anaïs, avec soulagement. Il a<br />

forcément ses raisons. Le Samuel que je connais ne…"<br />

Tous <strong>de</strong>ux sursautèrent, a<strong>le</strong>rtés par un bruit près d'eux. Ils se<br />

rassérénèrent aussitôt, réalisant qu'il ne s'agissait que d'un insecte,<br />

rampant sur la paroi friab<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur cachette.<br />

"Viens Nils, on va retrouver <strong>le</strong>s autres et repartir ensemb<strong>le</strong>! <strong>Les</strong> fil<strong>le</strong>s ont<br />

Fenrir avec el<strong>le</strong>s, il ne reste plus qu'à retourner au QG! Arthur va être fou<br />

<strong>de</strong> joie en te voyant."<br />

Alors qu'el<strong>le</strong> <strong>le</strong> tirait par <strong>le</strong> bras, il ne bougea pas d'un pouce, regard<br />

baissé. Son expression ne laissait pas <strong>de</strong> doute sur ses intentions. L'air<br />

2


contrit d'une personne qui craint <strong>de</strong> décevoir son interlocuteur. Anaïs<br />

comprit vite qu'il n'était pas venu jusque là pour repartir avec el<strong>le</strong>.<br />

"Nils… tu ne peux pas rester avec la Confrérie, <strong>le</strong> supplia-t-el<strong>le</strong>.<br />

-Je n'ai pas <strong>le</strong> choix pour l'instant ma bel<strong>le</strong>…<br />

-Nils, insista Anaïs.<br />

-Je suis encore dangereux, expliqua-t-il avec détresse. Même si j'ai <strong>de</strong><br />

plus en plus d'instants <strong>de</strong> lucidité, impossib<strong>le</strong> <strong>de</strong> déterminer avec certitu<strong>de</strong><br />

quand est-ce que je risque <strong>de</strong>… Anaïs, je n'ai pris <strong>le</strong> risque <strong>de</strong> venir que<br />

parce que je sais que je ne te ferais pas <strong>de</strong> mal, même dans mon état <strong>de</strong><br />

zombie. I<strong>de</strong>m pour Arthur. Pour une raison obscure, vous êtes <strong>le</strong>s seu<strong>le</strong>s<br />

personnes, hormis la Confrérie, que je sois toujours capab<strong>le</strong> d'i<strong>de</strong>ntifier<br />

quand je suis dans cet état second. Si je rentre avec vous, je pourrais<br />

faire du mal à ma famil<strong>le</strong> ou aux élus, sans même <strong>le</strong> vouloir.<br />

-On trouvera bien une solution pour…<br />

-Je trouverai la solution <strong>de</strong> mon côté, avec Samuel. Tout ce dont on a<br />

besoin pour l'instant, c'est que vous vous concentriez sur votre mission.<br />

-Notre mission…<br />

-Si vous empêchez la Confrérie <strong>de</strong> prendre ne serait-ce qu'une <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

créatures, vous perturberez considérab<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>urs plans. C'est pour cela<br />

que Samuel est parti à la recherche <strong>de</strong> l'autre sphère. Il croisera sans<br />

doute Arthur et pourra s'expliquer avec lui. Moi je ne peux que rester dans<br />

la Confrérie et jouer mon rô<strong>le</strong> jusqu'au moment propice."<br />

Il saisit énergiquement <strong>le</strong>s mains d'Anaïs.<br />

"On va <strong>le</strong>s détruire <strong>de</strong> l'intérieur, assura-t-il. Ayez confiance en moi.<br />

-Mais…<br />

-A nous quatre, on va <strong>le</strong>s détruire!<br />

-…"<br />

Anaïs soupira, résignée.<br />

"D'accord…<br />

-Surtout, n'en par<strong>le</strong> qu'à Arthur pour l'instant. Montre lui ma prose si tu<br />

veux, ça lui est aussi <strong>de</strong>stiné, mais sois discrète."<br />

Ce faisant, il l'entraîna précipitamment <strong>de</strong>hors, à découvert. Anaïs<br />

se retrouva <strong>de</strong> nouveau <strong>le</strong>s pieds dans l'eau, au milieu d'une petite gorge.<br />

Il n'y avait pas <strong>de</strong> trace <strong>de</strong> Victorio à l'horizon.<br />

"Dernière recommandations, fit Nils avec précipitation. Tu trouveras un<br />

passage un peu moins abrupt par là-bas, pour sortir <strong>de</strong> ce coin perdu. Je<br />

sais que tes amis sont <strong>de</strong> ce côté, tout droit vers <strong>le</strong> nord. Tu as une<br />

bousso<strong>le</strong> quelque part.<br />

-Non, je ne saurais même pas l'utiliser, gémit Anaïs."<br />

2


Tel un officier <strong>de</strong> la circulation, Nils tendit vivement <strong>le</strong> bras vers une<br />

forêt d'arbres située plus loin. Il insista pour qu'Anaïs fixe la direction qu'il<br />

lui indiquait.<br />

"Par là! D'accord?<br />

-Okay!<br />

-Par là! D'accord?<br />

-OUI!!<br />

-Par là! D'acc… Okay, j'arrête. Dépêche toi d'y al<strong>le</strong>r avant que ce benêt <strong>de</strong><br />

Victorio ne revienne par ici. Et surtout, surtout… Je dis ça avec un sérieux<br />

que tu ne me connais pas.<br />

-Oui…<br />

-Si tu rencontres un type <strong>de</strong> la Confrérie nommé Zahran Sun, cours. Fuis<br />

<strong>le</strong> plus loin possib<strong>le</strong>! Qu'aucun <strong>de</strong> vous n'essaie d'affronter cet homme. Il<br />

est au moins aussi fort que Samuel. Promis?"<br />

Nils semblait véritab<strong>le</strong>ment préoccupé.<br />

"Promis, mais fais attention à toi.<br />

-Je vous jure so<strong>le</strong>nnel<strong>le</strong>ment que je vous reviendrai vivant, dit-il d'un air<br />

théâtral.<br />

-Te perdre <strong>de</strong>ux fois serait intolérab<strong>le</strong>…<br />

-Ne t'en fais pas. Fi<strong>le</strong>! Et embrasse Art pour moi!"<br />

Après quelques secon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> flottement, Anaïs se jeta dans <strong>le</strong>s bras<br />

<strong>de</strong> Nils, puis fila au pas <strong>de</strong> course dans la direction indiquée, tentant <strong>de</strong> se<br />

persua<strong>de</strong>r <strong>de</strong> ne pas se retourner. Ne pas se retourner pour ne pas être<br />

prise <strong>de</strong> remords. La seu<strong>le</strong> pensée qui lui traversait l'esprit était la crainte<br />

qu'Arthur lui en veuil<strong>le</strong> <strong>de</strong> ne pas avoir ramené <strong>le</strong>ur ami.<br />

El<strong>le</strong> escalada un gros tronc d'arbre qui lui barrait <strong>le</strong> chemin, s'arrêta<br />

là, puis se retourna, incapab<strong>le</strong> <strong>de</strong> s'en empêcher. Nils n'était déjà plus<br />

dans <strong>le</strong>s environs, disparu tel un mirage.<br />

"Allons-y, murmura Anaïs pour el<strong>le</strong>-même."<br />

***<br />

Le chemin qu'avait indiqué Nils à Anaïs pour rallier la partie haute <strong>de</strong><br />

l'î<strong>le</strong> était effectivement beaucoup plus praticab<strong>le</strong>, bien qu'impliquant un<br />

important détour. El<strong>le</strong> mit une dizaine <strong>de</strong> minutes à quitter la gorge et à<br />

se frayer <strong>de</strong> nouveau un passage, peu escarpé, vers la forêt. Son épau<strong>le</strong><br />

droite la lançait toujours mais el<strong>le</strong> tentait d'en faire abstraction, davantage<br />

inquiétée par <strong>le</strong> sort <strong>de</strong> ses compagnons. Khan avait-il réussi à quitter <strong>le</strong><br />

fi<strong>le</strong>t dans <strong>le</strong>quel l'avait enfermé Victorio?<br />

El<strong>le</strong> l'imaginait mal se laisser capturer si faci<strong>le</strong>ment, d'autant plus<br />

qu'il disposait <strong>de</strong> la capacité <strong>de</strong> se dématérialiser pour rejoindre sa<br />

protégée, Aïshani. Nul doute qu'il était retourné auprès d'el<strong>le</strong> dès qu'Anaïs<br />

avait disparu.<br />

2


"Tout droit, tout droit, répétait Anaïs à voix basse."<br />

Malgré la voie sinueuse qu'el<strong>le</strong> <strong>de</strong>vait emprunter, el<strong>le</strong> s'efforçait<br />

d'avancer en ligne droite, se référant visuel<strong>le</strong>ment aux hauteurs <strong>de</strong> l'î<strong>le</strong> et<br />

à la cime <strong>de</strong>s arbres pour ne pas dévier. "Sally et Aïshani ont sans doute<br />

déjà sauvé <strong>le</strong>s garçons à l'heure qu'il est" songea-t-el<strong>le</strong>.<br />

Alors qu'el<strong>le</strong> avançait à bonne vitesse (se surprenant el<strong>le</strong>-même),<br />

el<strong>le</strong> se figea soudain et se plaqua contre un arbre. Des bruits <strong>de</strong> pas et<br />

<strong>de</strong>s bribes <strong>de</strong> conversation avaient attiré son attention, à proximité. Si el<strong>le</strong><br />

avait réagi une secon<strong>de</strong> plus tard, el<strong>le</strong> se serait retrouvée directement<br />

dans <strong>le</strong>ur champ <strong>de</strong> vision<br />

"Je ne comprends pas que son communicateur ne répon<strong>de</strong> pas…, disait<br />

l'une <strong>de</strong>s voix. J'ai beau insister mais…<br />

-Espérons qu'il ne lui est rien arrivé. Nous n'aurions sans doute pas dû la<br />

laisser seu<strong>le</strong> lors <strong>de</strong> sa toute première mission.<br />

-Ouais… Je me sens vraiment coupab<strong>le</strong> <strong>de</strong> m'être laissée convaincre.."<br />

Ces voix familières… Anaïs fut soudain prise d'entrain et sortit <strong>de</strong> sa<br />

cachette en criant, pour faire signe aux <strong>de</strong>ux personnes qui s'aventuraient<br />

près d'el<strong>le</strong>. Sally fut tel<strong>le</strong>ment surprise qu'el<strong>le</strong> brandit son bâton et<br />

manqua <strong>de</strong> l'assommer.<br />

"Wooooh, s'exclama Anaïs, se baissant pour éviter l'assaut.<br />

-Bon sang, tu es vivante Anaïs! s'écria Sally avec <strong>de</strong> gros yeux."<br />

Aïshani laissa échapper un soupir apaisé.<br />

"Dans quel état es-tu, remarqua cette <strong>de</strong>rnière. On dirait que tu sors tout<br />

droit <strong>de</strong> l'enfer.<br />

-Quelques égratignures, rien <strong>de</strong> plus, assura Anaïs.<br />

-Quelques égratignures? Tu plaisantes, n'est-ce pas? siffla Aïshani en<br />

examinant son bras.<br />

-On a été fol<strong>le</strong>s d'inquiétu<strong>de</strong> lorsque Khan est revenu sans toi, ajouta<br />

Sally. Il nous a expliqué ce qui s'était passé avec Victorio et culpabilisait<br />

<strong>de</strong> ne pas avoir pu t'ai<strong>de</strong>r. Comme il ne peut se dématérialiser que pour<br />

retourner dans la bouc<strong>le</strong> d'oreil<strong>le</strong> d'Aïshani, il n'avait pas d'autre choix. Du<br />

coup, on a rebroussé chemin pour venir te chercher."<br />

El<strong>le</strong> conclut en <strong>le</strong>vant <strong>le</strong>s yeux au ciel.<br />

"P…Pardon <strong>de</strong> vous avoir inquiétées, bafouilla Anaïs. J'ai du faire tomber<br />

mon communicateur quand je suis tombée. Je ne pouvais pas vous<br />

prévenir du coup.<br />

-Je comprends, mais Arthur me tuerait si je ne te ramenais pas entière,<br />

dit Sally. Ne me fais plus ce genre <strong>de</strong> coup.<br />

-J'essaierai.<br />

2


-Quoi qu'il en soit, tu peux être fière <strong>de</strong> toi.<br />

-Pourquoi donc?<br />

-Tu as tenu tête à un membre <strong>de</strong> la Confrérie alors que tu étais livrée à<br />

toi-même, intervint Aïshani. Pour un baptême du feu, c'est assez<br />

impressionnant. Comment as-tu fait pour lui échapper?"<br />

Il était hors <strong>de</strong> question d'évoquer Nils, mais Anaïs n'avait pas <strong>le</strong><br />

temps d'élaborer un mensonge élaboré.<br />

"Je l'ai juste semé, répondit-el<strong>le</strong> évasivement."<br />

Réalisant qu'el<strong>le</strong> avait encore <strong>le</strong>s notes <strong>de</strong> son ami à la main, el<strong>le</strong> <strong>le</strong>s<br />

rangea hâtivement dans sa poche. Sally parut n'avoir rien remarqué mais<br />

<strong>le</strong> regard vif d'Aïshani fit un très rapi<strong>de</strong> al<strong>le</strong>r-retour, <strong>de</strong>s yeux d'Anaïs à sa<br />

poche. Mentir à ce fin limier tenait <strong>de</strong> l'exploit. El<strong>le</strong> décelait faci<strong>le</strong>ment <strong>le</strong><br />

mensonge.<br />

"Et <strong>le</strong>s garçons? s'écria Anaïs pour changer <strong>de</strong> sujet.<br />

-Nous savons où <strong>le</strong>s trouver, mais te récupérer était la priorité, indiqua<br />

Sally. A vrai dire, ce n'est pas trop loin d'ici.<br />

-Vous <strong>le</strong>s avez vus?<br />

-Non, mais nous avons aperçu un campement dans une clairière, dit<br />

Aïshani. Il y avait beaucoup <strong>de</strong> mouvement, mais pas <strong>de</strong> guillotine ou<br />

d'autre moyen d'exécution.<br />

-Rassurant…<br />

-Nous en avons déduit que Jamie et Ant survivraient bien un quart d'heure<br />

<strong>de</strong> plus sans nous.<br />

-Allons-y, c'est à <strong>de</strong>ux pas, fit Sally."<br />

El<strong>le</strong> invita ses <strong>de</strong>ux compagnes à la suivre et s'enfonça <strong>de</strong> nouveau<br />

dans la végétation. Cette fois-ci, <strong>le</strong>ur marche fut beaucoup plus courte<br />

que la précé<strong>de</strong>nte, au grand soulagement d'Anaïs qui était déjà bien<br />

éprouvée. Alors qu'el<strong>le</strong>s approchaient <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur objectif, selon un trajet<br />

conforme aux indications <strong>de</strong> Nils, Anaïs perçut <strong>de</strong>s éclats <strong>de</strong> voix et <strong>de</strong>s<br />

bruits faisant penser à <strong>de</strong>s ustensi<strong>le</strong>s entrechoqués. En <strong>le</strong>vant <strong>le</strong>s yeux,<br />

el<strong>le</strong> put éga<strong>le</strong>ment voir, entre la cime <strong>de</strong>s arbres, une fine colonne <strong>de</strong><br />

fumée blanche s'é<strong>le</strong>vant dans <strong>le</strong> ciel.<br />

Terrifiée, el<strong>le</strong> en arriva à se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si <strong>le</strong>s furies qui avaient<br />

kidnappé Jamie et Anthony n'avaient pas dans l'idée <strong>de</strong> <strong>le</strong>s faire rôtir à<br />

point pour <strong>le</strong>s manger. De toute évi<strong>de</strong>nce, el<strong>le</strong> ne fut pas la seu<strong>le</strong> à<br />

envisager cette hypothèse. Sally avait soudain accéléré et serrait son<br />

bâton avec une force qui ne présageait rien <strong>de</strong> bon.<br />

"On y est, rumina cel<strong>le</strong>-ci en marquant subitement un arrêt."<br />

<strong>Les</strong> trois jeunes femmes se dissimulèrent <strong>de</strong>rrière un buisson et<br />

<strong>de</strong>meurèrent en position d'observation, têtes en partie découvertes.<br />

Devant el<strong>le</strong>s s'étalait un campement <strong>de</strong> fortune constitué <strong>de</strong> plusieurs<br />

2


gran<strong>de</strong>s tentes en toi<strong>le</strong>. Il y en avait trois ou quatre tout au plus,<br />

installées autour d'un petit feu <strong>de</strong> camp sur <strong>le</strong>quel était posée une<br />

marmite fumante. "La source <strong>de</strong> la fumée, c'était ça", se rassura Anaïs.<br />

"Où sont-ils? murmura Aïshani en rehaussant ses lunettes."<br />

Plusieurs femmes en tenue légère traversèrent <strong>le</strong> camp sous <strong>le</strong><br />

regard éberlué <strong>de</strong>s élues, tenant dans <strong>le</strong>s bras <strong>de</strong>s kyriel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> fruits<br />

juteux. Visib<strong>le</strong>ment réjouies, el<strong>le</strong>s avançaient d'une démarche lascive, tout<br />

en chantant tel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s amazones. El<strong>le</strong>s se rendirent vers <strong>le</strong> côté opposé <strong>de</strong><br />

la clairière et se mirent toutes à genoux entre <strong>de</strong>ux arbres, auxquels était<br />

suspendu un hamac blanc. Anaïs déglutit. Anthony était couché à<br />

l'intérieur dudit hamac, torse nu, se faisant éventer par <strong>de</strong>ux grands<br />

éventails. Un harem <strong>de</strong> femmes se tenait autour <strong>de</strong> lui, <strong>le</strong> nourrissant <strong>de</strong><br />

raisins noirs et <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur conversation, tandis qu'il riait à gorge déployée.<br />

"Oh mon Dieu, je n'arrive pas à y croire, souffla Sally."<br />

De toute évi<strong>de</strong>nce, Anthony raconta une anecdote particulièrement<br />

humoristique. Toutes <strong>le</strong>s femmes se mirent à jacasser et rirent à en<br />

perdre ha<strong>le</strong>ine, à la gran<strong>de</strong> joie <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur conteur qui réclama un quartier<br />

d'orange. Anaïs était indignée. Dire qu'el<strong>le</strong> s'était inquiétée pour lui alors<br />

qu'il jouait <strong>le</strong> sultan au milieu <strong>de</strong> la jung<strong>le</strong>.<br />

"Où… où… où est Jamie? fulmina Sally, proche <strong>de</strong> l'implosion."<br />

Un cri terrifiant émana d'une <strong>de</strong>s tentes à cet instant précis, au<br />

grand effarement <strong>de</strong>s fil<strong>le</strong>s. Il s'agissait <strong>de</strong> la voix <strong>de</strong> Jamie.<br />

"Laissez-moi tranquil<strong>le</strong>, hurlait celui-ci.<br />

-Mon dieu, Jamie, s'inquiéta Sally en sortant subitement du buisson.<br />

-Attends ici, paniquèrent Anaïs et Aïshani."<br />

Soudain, la tente d'où était sorti <strong>le</strong> cri se déchira en <strong>de</strong>ux et Jamie<br />

en jaillit, <strong>le</strong>s larmes aux yeux. Anaïs faillit hur<strong>le</strong>r <strong>de</strong> surprise. Il n'était<br />

vêtu que <strong>de</strong> son Etemenanki et d'un ca<strong>le</strong>çon rouge qu'il empêchait <strong>de</strong><br />

tomber <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>ux mains, alors que plusieurs bras féminins sortis <strong>de</strong> la<br />

tente essayaient <strong>de</strong> s'y accrocher.<br />

"Laissez moi mesdames, ce sera considéré comme du viol sinon, gémit<br />

Jamie en tirant vio<strong>le</strong>mment sur son ca<strong>le</strong>çon."<br />

Il parvint à se libérer <strong>de</strong> l'emprise <strong>de</strong> ses geôlières, trébucha dans la<br />

toi<strong>le</strong> <strong>de</strong> la tente déchirée, et roula misérab<strong>le</strong>ment jusqu'aux pieds <strong>de</strong><br />

Sally. Cel<strong>le</strong>-ci s'était immobilisée, stoïque. Il <strong>le</strong>va <strong>le</strong>ntement <strong>le</strong>s yeux vers<br />

el<strong>le</strong>, couvrant ses bras nus <strong>de</strong> ses mains.<br />

"Sally… Tu es venue me sauver? s'exclama-t-il.<br />

2


-…<br />

-C'est si gentil <strong>de</strong> ta part. Ces femmes ont voulu abuser <strong>de</strong> moi contre ma<br />

volonté.<br />

-…<br />

-Tu pourrais m'ai<strong>de</strong>r à retrouver mes vêtements s'il te plaît? El<strong>le</strong>s m'ont<br />

tout retiré <strong>de</strong> force."<br />

Anaïs aurait juré que <strong>le</strong>s cheveux <strong>de</strong> Sally volaient au vent, portés<br />

par la colère maléfique qui semblait émaner d'el<strong>le</strong>. A son air soudain<br />

livi<strong>de</strong>, Jamie dût <strong>le</strong> remarquer aussi. Il tenta vainement <strong>de</strong> l'apaiser :<br />

"Je n'ai jamais aimé qui que ce soit d'autre que toi, Sally, souffla-t-il,<br />

effrayé. D'ail<strong>le</strong>urs, je n'ai jamais offert mon corps à qui que ce soit d'autre<br />

que toi.<br />

-L'imbéci<strong>le</strong>, il aggrave son cas, soupira Aïshani"<br />

A cet instant, Sally se baissa légèrement, pour être au niveau <strong>de</strong> Jamie.<br />

"Tes vêtements sont juste <strong>de</strong>rrière, au pied <strong>de</strong> la tente, murmura-t-el<strong>le</strong>.<br />

-S… Sally…<br />

-C'est moi qui t'ai offert ce ca<strong>le</strong>çon moche? Je suis surprise que tu l'aies<br />

encore."<br />

El<strong>le</strong> se redressa <strong>le</strong>ntement et lui tapota <strong>le</strong> crâne <strong>de</strong> la main gauche.<br />

"C'est bien que tu soies in<strong>de</strong>mne. En tant que <strong>le</strong>a<strong>de</strong>r, je ne peux me<br />

permettre <strong>de</strong> laisser un simp<strong>le</strong> membre <strong>de</strong> mon équipe se faire tuer."<br />

Sally contourna <strong>le</strong>ntement un Jamie offusqué et avança vers <strong>le</strong><br />

milieu du campement sans dire mot. Plus loin, Anthony recracha<br />

vio<strong>le</strong>mment une bouillie <strong>de</strong> raisin et se laissa tomber du hamac.<br />

"Dieu merci Sally, cria-t-il, tu es là pour n…<br />

-Si<strong>le</strong>nce, coupa Sally.<br />

-Hein?"<br />

El<strong>le</strong> enfonça son bâton dans <strong>le</strong> sol avec une force inouïe puis<br />

s'adressa vio<strong>le</strong>mment à toutes <strong>le</strong>s femmes du campement, d'une voix<br />

hystérique :<br />

"BANDE DE &@%µ$, JE VAIS TOUTES VOUS BUTER A MAINS NUES!<br />

SALES *#¤ù§! RAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH!"<br />

Dans <strong>le</strong>s minutes qui suivirent, Sally, armée <strong>de</strong> ses seuls poings,<br />

retourna littéra<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> campement, renversant tout <strong>le</strong> matériel et<br />

assommant toute femme qui avait <strong>le</strong> malheur <strong>de</strong> se mettre sur son<br />

chemin. Anaïs fut tel<strong>le</strong>ment choquée par la vio<strong>le</strong>nce du spectac<strong>le</strong> qu'el<strong>le</strong><br />

fut contrainte <strong>de</strong> détourner <strong>le</strong> regard, à plusieurs reprises. Cela ne pouvait<br />

2


pas être la Sally qu'on lui avait présentée la veil<strong>le</strong>. Cel<strong>le</strong>-ci ne ressemblait<br />

à rien d'autre qu'une déesse démoniaque courroucée. Même Anthony eut<br />

droit à un vio<strong>le</strong>nt coup <strong>de</strong> pied (incontestab<strong>le</strong>ment volontaire) dans la<br />

zone la plus sensib<strong>le</strong> <strong>de</strong> son anatomie, ce qui <strong>le</strong> mit KO.<br />

Lorsque <strong>le</strong> carnage prit fin, il n'y avait plus une personne consciente<br />

dans <strong>le</strong> campement, hormis Sally et Jamie. Ce <strong>de</strong>rnier était recroquevillé<br />

contre un arbre, en état <strong>de</strong> choc, tandis que Sally reprenait son souff<strong>le</strong> au<br />

milieu du chaos.<br />

"Habil<strong>le</strong>-toi j'ai dit espèce <strong>de</strong> @&%µ$, grogna-t-el<strong>le</strong> en se tournant<br />

subitement vers lui. Personne ne tient à te voir à poil!<br />

-Ouiiiiiiiiiiiii, s'écria Jamie, bondissant comme un lièvre apeuré."<br />

Anaïs et Aïshani se décidèrent à sortir <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur planque pour rejoindre<br />

<strong>le</strong>urs camara<strong>de</strong>s. El<strong>le</strong>s conservèrent tout <strong>de</strong> même une distance <strong>de</strong><br />

sécurité, d'autant plus que Sally venait <strong>de</strong> déterrer son bâton du sol. Il<br />

avait été enfoncé d'une bonne dizaine <strong>de</strong> centimètres.<br />

"Ca va al<strong>le</strong>r? lui <strong>de</strong>manda Aïshani.<br />

-C'est à la femme <strong>de</strong> cent cinquante kilos qu'el<strong>le</strong> vient <strong>de</strong> faire vo<strong>le</strong>r vers<br />

une branche qu'il faut poser la question, pensa Anaïs.<br />

-On a Fenrir, on a <strong>le</strong>s garçons, ça va parfaitement, dit Sally d'une voix<br />

doucereuse, tandis que Jamie finissait d'enfi<strong>le</strong>r son pantalon.<br />

-Vous avez récupéré Fenrir? Félicitations, lança Jamie.<br />

-Dispense nous <strong>de</strong> tes remarques, ce n'est pas grâce à toi, l'invectiva<br />

Sally."<br />

Jamie se mit à feindre <strong>le</strong>s larmes, marmonnant que seul Arthur <strong>le</strong><br />

comprenait et qu'il voulait qu'on lui ren<strong>de</strong> son lad pour qu'il puisse al<strong>le</strong>r se<br />

plaindre auprès <strong>de</strong> lui.<br />

"Va plutôt ramasser Anthony, je crois qu'il n'est pas en état <strong>de</strong> marcher<br />

seul, dit Aïshani. Sally, tu as toujours la sphère <strong>de</strong> Fenrir?<br />

-Oui, pourquoi?<br />

-Montre la moi s'il te plaît. J'ai un mauvais pressentiment <strong>de</strong>puis tout à<br />

l'heure."<br />

Sally s'exécuta et partit ouvrir son sac à dos. A ce moment, el<strong>le</strong> se<br />

figea, yeux écarquillés. Un juron lui échappa.<br />

"Quoi? s'inquiéta Jamie."<br />

Sally <strong>le</strong>ur brandit une simp<strong>le</strong> pierre ron<strong>de</strong> qu'el<strong>le</strong> laissa tomber sur<br />

<strong>le</strong> sol. L'objet n'avait rien à voir avec la sphère lumineuse qu'el<strong>le</strong> avait<br />

volé à Victorio plus tôt.<br />

"Qu'est-ce que ça signifie? dit Anaïs. Quelqu'un aurait subtilisé Fenrir et<br />

mis cette pierre à la place?<br />

2


-Impossib<strong>le</strong>, je n'ai pas quitté mon sac une seu<strong>le</strong> secon<strong>de</strong>, s'indigna Sally,<br />

dégoûtée. La seu<strong>le</strong> explication….<br />

-…c'est que la sphère que nous a laissé vo<strong>le</strong>r Victorio ait été fausse, dès <strong>le</strong><br />

début.<br />

-Bonne déduction, déclara une voix."<br />

Anaïs et <strong>le</strong>s autres se retournèrent. Un individu se tenait à la limite<br />

<strong>de</strong> la clairière, traînant un Victorio récalcitrant par <strong>le</strong> col.<br />

"Lâche moi ordure! criait Victorio."<br />

L'individu, un homme noir <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> tail<strong>le</strong> coiffée <strong>de</strong> longs<br />

dreadlocks, contemplait <strong>le</strong> petit groupe d'un air intrigué. Ses yeux marron<br />

clair balayaient <strong>le</strong>ntement la scène, sans vraiment s'attar<strong>de</strong>r sur qui que<br />

ce soit. Il était jeune, du moins il en donnait l'air. Sans doute quelques<br />

années <strong>de</strong> plus que Victorio. Sa tenue était similaire à cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier,<br />

à quelques détails près.<br />

"Encore un membre <strong>de</strong> la Confrérie, dit Aïshani.<br />

-Vous nous avez donné une fausse sphère? lança Sally.<br />

-Donné? C'est vous qui l'avez volée, rectifia <strong>le</strong> nouveau venu. Vous ne<br />

pouvez vous en prendre qu'à vous-même.<br />

-Tout ça pour ça, pensa Anaïs.<br />

-Je ne serais pas assez stupi<strong>de</strong> pour laisser cet imbéci<strong>le</strong> <strong>de</strong> Victorio al<strong>le</strong>r<br />

se pavaner <strong>de</strong>vant vous et vous provoquer avec <strong>le</strong> vrai Fenrir, continua<br />

l'autre.<br />

-QUOI? Tu m'as filé la fausse espèce <strong>de</strong>…<br />

-Chut, tu par<strong>le</strong>s fort."<br />

L'homme l'assomma d'un coup <strong>de</strong> cou<strong>de</strong> dans la nuque, sans même<br />

lui accor<strong>de</strong>r un regard, puis il soupira.<br />

"Enfin la paix, dit-il. Je m'en vais. Adieu vous autres!<br />

-Comment ça "adieu"? fit Sally, alors qu'il tournait <strong>le</strong>s talons. Tu penses<br />

sérieusement que nous allons te laisser partir avec Fenrir? A l'attaque tout<br />

<strong>le</strong> mon<strong>de</strong>!"<br />

Aïshani entama la création d'un cerc<strong>le</strong> <strong>de</strong> flammes autour d'el<strong>le</strong>.<br />

"Reste ici, cria Jamie en se ruant vers <strong>le</strong> membre <strong>de</strong> la Confrérie."<br />

Le grand homme noir était déjà <strong>de</strong> dos, en train <strong>de</strong> traîner <strong>le</strong> corps<br />

<strong>de</strong> son comparse Victorio vers l'autre côté. A ce moment, Sally poussa un<br />

cri subit et se précipita vers Jamie. Aïshani n'avait pas eu <strong>le</strong> temps <strong>de</strong><br />

déc<strong>le</strong>ncher son don.<br />

"ANAÏS, PROTECTION, VITE!!!! rugit Sally sans se retourner."<br />

2


El<strong>le</strong> attrapa Jamie par la tail<strong>le</strong>, au moment où <strong>le</strong> membre <strong>de</strong> la<br />

Confrérie se tournait soudain vers eux et traçait une ligne horizonta<strong>le</strong><br />

dorée, <strong>de</strong> l'in<strong>de</strong>x. Anaïs tendit <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux bras <strong>de</strong>vant el<strong>le</strong> et déploya son<br />

don au maximum. Ses yeux se fermèrent, alors qu'el<strong>le</strong> se sentait vidée du<br />

peu d'énergie qui lui restait.<br />

Lorsqu'el<strong>le</strong> rouvrit <strong>le</strong>s yeux, quelques secon<strong>de</strong>s plus tard, un<br />

spectac<strong>le</strong> effarant s'offrit à el<strong>le</strong>. Sa barrière avait encaissé <strong>le</strong> choc mais<br />

tous <strong>le</strong>s arbres, dans un périmètre <strong>de</strong> plusieurs mètres avaient été<br />

littéra<strong>le</strong>ment tranchés en <strong>de</strong>ux. Leurs troncs tombaient <strong>le</strong>s uns après <strong>le</strong>s<br />

autres autour du campement, dans un bruit assourdissant.<br />

"Anaïs…, murmura Aïshani, encore tremblante."<br />

La manche droite d'Anaïs s'était complètement désintégrée, sous<br />

l'effet disproportionné <strong>de</strong> son don. La barrière créée par la larme <strong>de</strong> Nace<br />

s'était étendue sur toute la clairière, bien heureusement pour <strong>le</strong>s<br />

personnes qui s'y trouvaient.<br />

Quelques mètres <strong>de</strong>vant, Sally et Jamie se re<strong>le</strong>vaient <strong>le</strong>ntement,<br />

in<strong>de</strong>mnes. Ils n'avaient pas bénéficié <strong>de</strong> l'effet <strong>de</strong> protection d'Anaïs mais<br />

avaient échappé à l'attaque en se plaquant au sol.<br />

"Je n'ai…, commença Anaïs."<br />

El<strong>le</strong> se laissa tomber à genoux, éreintée. La barrière se dissipa aussitôt.<br />

"Je n'ai pas pu renvoyer son attaque, dit-el<strong>le</strong> dans un fi<strong>le</strong>t <strong>de</strong> voix, juste<br />

avant <strong>de</strong> se laisser tomber au sol."<br />

Le membre <strong>de</strong> la Confrérie qui <strong>le</strong>s avait attaqués <strong>de</strong> manière<br />

démesurée <strong>le</strong>s contemplait <strong>de</strong> loin, un sabre <strong>de</strong> forme courbe à la main.<br />

La lame <strong>de</strong> son arme était entièrement en or, avec une gar<strong>de</strong> et une<br />

poignée <strong>de</strong> même teinte.<br />

"Il est normal que tu n'aies pas pu renvoyer l'attaque, je doute que ton<br />

don puisse parer celui d'un autre élu…"<br />

Le sabre se réduisit en un nuage <strong>de</strong> poussière dorée qui s'envola<br />

vers <strong>le</strong> ciel et son propriétaire commença à recu<strong>le</strong>r.<br />

"Mon nom est Zahran Sun. Comme, je vous <strong>le</strong> disais : adieu."<br />

Une brèche triangulaire s'ouvrit <strong>de</strong>rrière lui et il s'y introduisit, traînant<br />

Victorio dans son sillage.<br />

2


Chapitre 14 : D'un ami à l'autre<br />

"Je vois…"<br />

Enzo Wallace gratta doucement <strong>le</strong> sommet <strong>de</strong> sa chevelure blanche.<br />

"Une sur <strong>de</strong>ux, c'est toujours mieux que rien, ajouta-t-il, <strong>le</strong>s yeux rivés<br />

sur la sphère en cristal rouge."<br />

Le jeune dirigeant <strong>de</strong> GLOW était assis en tail<strong>le</strong>ur à même <strong>le</strong> sol,<br />

penché sur la forme scellée d'Altaïr. La bou<strong>le</strong>, posée sur un coussinet<br />

beige, donnait l'impression d'être un gros œuf transluci<strong>de</strong> sur son nid. Il<br />

était diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> croire qu'il s'agissait bien <strong>de</strong> l'une <strong>de</strong>s créatures sacrées<br />

enfuies <strong>de</strong> Springan.<br />

Autour d'Enzo Wallace étaient groupés <strong>le</strong>s élus, <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

instructeurs, Jennifer Mallory et Bennett Stumpton. Tous s'étaient<br />

rassemblés dans un petit salon du quartier général pour une réunion<br />

informel<strong>le</strong>, dès <strong>le</strong> retour <strong>de</strong> mission. Ceux dont l'état <strong>le</strong> nécessitait avaient<br />

préalab<strong>le</strong>ment été soignés. Sonia s'était particulièrement attardée sur<br />

Anaïs et Ibtissam, affectés par <strong>le</strong>urs rencontres avec <strong>le</strong>s membres <strong>de</strong> la<br />

Confrérie.<br />

"Veuil<strong>le</strong>z tous recu<strong>le</strong>r un peu s'il vous plaît, dit Enzo sans <strong>le</strong>ver <strong>le</strong>s yeux.<br />

Nous <strong>de</strong>vons vérifier qu'il ne s'agit pas d'un faux, comme celui que<br />

l'équipe <strong>de</strong> Silhouette a obtenu."<br />

Arthur vit Sally baisser <strong>le</strong>s yeux à l'évocation <strong>de</strong> cet échec. La jeune<br />

femme était <strong>de</strong> ceux qui ne toléraient pas <strong>le</strong>ur propre échec. A son retour,<br />

el<strong>le</strong> n'avait pas hésité à se déclarer entièrement et exclusivement<br />

responsab<strong>le</strong>, malgré <strong>le</strong>s protestations <strong>de</strong> ses compagnons et d'Anthony.<br />

"Je ne vous reproche rien, précisa Enzo en <strong>le</strong>vant brièvement <strong>le</strong>s yeux<br />

vers el<strong>le</strong>. Vous avez fait <strong>de</strong> votre mieux. Il n'est plus temps <strong>de</strong> ressasser<br />

<strong>le</strong>s évènements <strong>de</strong> cet après-midi.<br />

-Hum…, fit vaguement Sally sans <strong>le</strong> regar<strong>de</strong>r.<br />

-Comment al<strong>le</strong>z-vous vérifier qu'il ne s'agit pas d'un faux? s'interrogea<br />

Sonia. Vous ne comptez tout <strong>de</strong> même pas faire émerger Altaïr <strong>de</strong> cette<br />

bou<strong>le</strong>?<br />

-Si je <strong>le</strong> faisais, ce bâtiment serait détruit <strong>de</strong> l'intérieur. Inès, ferme <strong>le</strong>s<br />

ri<strong>de</strong>aux s'il te plaît."<br />

La jeune assistante brune d'Enzo Wallace, toujours aussi peu<br />

volubi<strong>le</strong>, se <strong>le</strong>va du siège en cuir dans <strong>le</strong>quel el<strong>le</strong> était assise, traversa la<br />

petite pièce en sinuant entre ses occupants, puis se posta <strong>de</strong>vant la<br />

fenêtre. Le résidu <strong>de</strong> rayon <strong>de</strong> so<strong>le</strong>il qui avait filtré jusque là fut banni par<br />

d'épais ri<strong>de</strong>aux marrons et la pièce fut plongée dans la pénombre.<br />

2


"Arthur Gall a pu s'emparer <strong>de</strong> cette sphère aux dépens <strong>de</strong> la Confrérie,<br />

mais il pourrait, une fois <strong>de</strong> plus, s'agir d'un piège pour nous laisser<br />

penser que nous avons réussi, continua Enzo Wallace. Si Altaïr est<br />

effectivement parmi nous, il réagira au peu <strong>de</strong> pouvoir que je tire <strong>de</strong> mon<br />

affiliation avec Osman Wallace."<br />

Le regard perçant <strong>de</strong> Sonia se fixa sur Arthur, malgré l'obscurité. Il<br />

l'évita aussitôt. El<strong>le</strong> avait certainement du mal à croire qu'il eût pu<br />

soustraire la sphère à Samuel, vu la défaite monumenta<strong>le</strong> que celui-ci lui<br />

avait fait subir l'année passée. Logiquement, toute nouvel<strong>le</strong> rencontre<br />

aurait dû se conclure <strong>de</strong> manière presque similaire. Par acquis <strong>de</strong><br />

conscience ou par excès <strong>de</strong> pru<strong>de</strong>nce, Arthur enfonça davantage dans sa<br />

poche <strong>le</strong> petit sac que lui avait confié Samuel à Salvación.<br />

"Nob<strong>le</strong> Altaïr, moi, Enzo Wallace, héritier unique du chamane Gaetan<br />

Léopold Osman Wallace, sollicite humb<strong>le</strong>ment que tu manifestes ton<br />

existence, murmura Enzo, d'une voix très basse."<br />

Il attendit, contemplant patiemment la sphère. Toutefois, rien ne se<br />

passa. Anaïs et Arthur, assis l'un à côté <strong>de</strong> l'autre, échangèrent un regard<br />

perp<strong>le</strong>xe. Après environ trente secon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> si<strong>le</strong>nce, <strong>le</strong> dirigeant réitéra sa<br />

requête, un peu plus fort cette fois-ci :<br />

"Nob<strong>le</strong> Altaïr, moi, Enzo Wallace, héritier unique du chamane Gaetan<br />

Léopold Osman Wallace, sollicite humb<strong>le</strong>ment que tu manifestes ton<br />

existence."<br />

La réaction ne se fit pas attendre. Arthur sentit une légère vibration<br />

lui traverser <strong>le</strong> corps, alors que la température du salon augmentait<br />

drastiquement, l'espace d'un instant. La sphère d'Altaïr n'avait rien <strong>de</strong><br />

changé, mais une atmosphère oppressante envahissait Arthur. Il se<br />

sentait observé, paralysé, sans doute comme ses camara<strong>de</strong>s. Au plafond<br />

était apparue une imposante couronne lumineuse qui jetait un éclat<br />

rougeoyant sur <strong>le</strong>s élus.<br />

Le phénomène ne dura qu'une minute, pendant laquel<strong>le</strong> tous<br />

observèrent la mystérieuse auréo<strong>le</strong> <strong>de</strong> feu. Puis cel<strong>le</strong>-ci se dissipa et <strong>le</strong><br />

salon re<strong>de</strong>vint obscur, pour <strong>le</strong> plus grand plaisir d'Arthur dont <strong>le</strong> corps lui<br />

avait paru s'embraser. Inès rouvrit <strong>le</strong>s ri<strong>de</strong>aux et illumina <strong>le</strong> salon, sans<br />

qu'Enzo Wallace n'ait à lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r.<br />

"Joli phénomène vaudou, s'exclama Bennett en retirant son béret pour<br />

s'éponger <strong>le</strong> front. On ne voit pas <strong>de</strong>s choses comme ça tous <strong>le</strong>s jours."<br />

Jennifer et Anthony étaient chacun accrochés à un <strong>de</strong> ses bras, <strong>le</strong>s<br />

visages cadavériques. Le dirigeant, lui, paraissait satisfait. Il <strong>le</strong>s<br />

apostropha <strong>de</strong> son premier vrai sourire <strong>de</strong>puis… jamais, réalisa Arthur.<br />

2


"Parfait, <strong>le</strong> test a été concluant, dit Enzo, avec une expression digne d'un<br />

enfant. Malgré la perte <strong>de</strong> Fenrir, nous pouvons nous réjouir <strong>de</strong> cette<br />

petite victoire. La Confrérie ne pourra probab<strong>le</strong>ment pas nuire avec une<br />

seu<strong>le</strong> créature en sa possession.<br />

-Quel<strong>le</strong> est la suite <strong>de</strong>s évènements? <strong>de</strong>manda Anthony.<br />

-Je dois aviser Ella Jones <strong>de</strong> ce qui s'est passé et nous allons réfléchir<br />

ensemb<strong>le</strong> au comportement à adopter. Quoi qu'il en soit, <strong>le</strong>s élus<br />

retourneront à Sorgentel pour remettre Altaïr au Cénac<strong>le</strong>. C'est aux<br />

membres <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier qu'il revient d'agir sur <strong>le</strong>ur territoire ; nous ne<br />

pouvons pas faire davantage <strong>de</strong> notre côté."<br />

Il contempla <strong>le</strong>s élus.<br />

"Vous partirez <strong>de</strong> Paris… tous ensemb<strong>le</strong>. Anaïs Guérin, Ibtissam Bensaïdi<br />

et Aïshani Ghansali seront <strong>de</strong> la partie, si j'ose dire."<br />

<strong>Les</strong> trois intéressés opinèrent <strong>de</strong> la tête, manifestement ravis.<br />

Arthur, à l'inverse, ne fut pas réjoui par la perspective d'emmener Anaïs à<br />

Sorgentel, surtout après avoir vu l'état dans <strong>le</strong>quel el<strong>le</strong> était revenue <strong>de</strong><br />

sa mission.<br />

"Vous pouvez tous disposer, conclut Enzo. Prenez du repos pendant <strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux jours qu'il vous reste avant <strong>de</strong> repartir à Londres. Vous serez tenus<br />

au courant <strong>de</strong> nos projets dès qu'ils seront connus."<br />

<strong>Les</strong> élus bredouillèrent un "Merci, au revoir" approximatif et sortirent<br />

du minuscu<strong>le</strong> salon qu'ils avaient rempli par <strong>le</strong>ur nombre. Sonia et <strong>le</strong>s<br />

piliers <strong>de</strong> bar <strong>de</strong>meurèrent sur place, Enzo ayant requis <strong>le</strong>ur présence<br />

pour une discussion en huis clos. Toutefois, Sonia s'excusa auprès du<br />

dirigeant, <strong>de</strong>mandant à s'absenter une minute.<br />

"Toutes ces réunions, ça ne te donne pas l'impression d'être <strong>de</strong>venu une<br />

sorte d'agent secret? souffla Anaïs à Arthur.<br />

-Plus ou moins…"<br />

El<strong>le</strong> lui agrippa soudain <strong>le</strong> bras et l'attira à distance du groupe, au<br />

moment où Jamie semblait vouloir entamer une conversation avec lui.<br />

"Que se passe-t-il? grommela Arthur.<br />

-Je dois te par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> quelque chose, mais tu ne peux pas…"<br />

Anaïs s'interrompit mystérieusement. Sonia avait rejoint <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

amis à l'ang<strong>le</strong> du couloir où ils s'étaient retirés, l'œil vif et <strong>le</strong> nez toujours<br />

aussi rouge.<br />

"Excuse-moi Anaïs, je t'emprunte Arthur trente secon<strong>de</strong>s, fit-el<strong>le</strong> avec un<br />

clin d'œil."<br />

2


Sans attendre son assentiment ni celui d'Arthur, el<strong>le</strong> s'approcha <strong>de</strong><br />

lui et l'emmena manu militari à un autre ang<strong>le</strong> <strong>de</strong> couloir. L'angoisse prit<br />

aussitôt possession d'Arthur. L'objet <strong>de</strong> ce rapt ne faisait pas <strong>de</strong> doute.<br />

"De quoi s'agit-il? souffla Arthur d'une voix innocente.<br />

-Rien <strong>de</strong> grave, je te rassure. Je suis juste agréab<strong>le</strong>ment surprise.<br />

-Ah bon?<br />

-Que tu aies réussi à prendre Altaïr à la barbe <strong>de</strong> Samuel alors qu'il t'a<br />

faci<strong>le</strong>ment embroché l'an <strong>de</strong>rnier, c'est admirab<strong>le</strong>. Peux-tu me répéter ce<br />

qu'il s'est passé après que tu aies quitté tes compagnons pour partir à sa<br />

poursuite?"<br />

Arthur fit <strong>de</strong> gros yeux, puis se décida à répéter <strong>le</strong> mensonge qui lui<br />

avait servi d'alibi, lorsqu'il avait triompha<strong>le</strong>ment ramené la sphère d'Altaïr<br />

à GLOW :<br />

"Samuel n'est pas si fort que ça si l'on connaît un peu sa manière <strong>de</strong><br />

penser et ses capacités. Juste une version boostée <strong>de</strong> Xenia, n'est-ce pas?<br />

Grâce à Ibtissam, je savais à peu près où se trouvait Altaïr, à l'inverse <strong>de</strong><br />

Samuel.<br />

-Arthur…"<br />

Il déglutit. El<strong>le</strong> ne serait pas aussi faci<strong>le</strong> à duper que <strong>le</strong>s autres.<br />

Contrairement à eux, el<strong>le</strong> connaissait à la fois Samuel et Arthur. Bien<br />

heureusement, l'éventualité qu'el<strong>le</strong> <strong>de</strong>meure sceptique lui avait déjà<br />

traversé l'esprit. Il décida d'avoir recours à ses <strong>de</strong>rnières munitions :<br />

"Je vais te dire la vérité, mais n'en par<strong>le</strong> pas à qui que ce soit, par pitié."<br />

Sonia haussa <strong>le</strong>s sourcils, surprise. Malgré tout el<strong>le</strong> cligna <strong>de</strong>s yeux<br />

<strong>de</strong> manière approbatrice.<br />

"Kaznaël m'a aidé, souffla Arthur.<br />

-Kaznaël? Comment est-il venu jusqu'à toi? Enfin, comment pouvait-il<br />

faire quoi que ce soit contre Samuel <strong>de</strong> toute façon?<br />

-Il ne pouvait pas faire quoi que ce soit contre Samuel, évi<strong>de</strong>mment,<br />

confirma Arthur. Toutefois, il pouvait faire en sorte <strong>de</strong> localiser Altaïr<br />

avant lui et <strong>de</strong> la récupérer pour me la donner.<br />

-Quoi? Tu veux dire que…"<br />

Arthur prit un air aussi embarrassé que possib<strong>le</strong>, pour donner du<br />

réalisme à ce mensonge éhonté.<br />

"Je ne l'ai dit avec personne, mais je m'étais accordé avec Kaznaël avant<br />

mon départ <strong>de</strong> Paris pour qu'il me rejoigne dès que je partirais en mission.<br />

Bien sûr, personne ne <strong>de</strong>vait savoir, étant donné que <strong>le</strong>s dirigeants <strong>de</strong><br />

GLOW ne soupçonnent pas sa présence chez moi.<br />

-Oh…<br />

2


-Le fait que je me sois détaché d'Ana, Ibtissam et Andreas durant la<br />

mission…<br />

-Ce n'était pas seu<strong>le</strong>ment pour suivre Samuel. Tu rejoignais Kaznaël par la<br />

même occasion?<br />

-Exact! A cause du serment que nous avons conclu, il peut me rejoindre<br />

où que je sois. Seu<strong>le</strong>ment, il ne pouvait pas être vu par <strong>le</strong>s autres élus,<br />

sinon Ella Jones et Enzo Wallace auraient eu vent <strong>de</strong> son intervention."<br />

Arthur s'interrompit. Il ne <strong>de</strong>vait pas pousser son mensonge trop<br />

loin, au risque <strong>de</strong> se décrédibiliser. Retourner la situation à son avantage<br />

était l'étape suivante pour s'en sortir.<br />

"Je… Je suis désolé <strong>de</strong> vous avoir caché ça, bégaya-t-il. Toi je peux t'en<br />

par<strong>le</strong>r parce que tu connais la situation avec Kaznaël, mais <strong>le</strong>s dirigeants…<br />

-Inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> t'excuser, coupa Sonia, presque gênée. Tu as toujours été<br />

honnête, je n'ai aucune raison <strong>de</strong> douter <strong>de</strong> toi. Pardon <strong>de</strong> t'avoir accosté<br />

ainsi."<br />

Bennett apparut au bout du couloir et siffla Sonia. El<strong>le</strong> prit<br />

immédiatement congé d'Arthur :<br />

"Réunion au sommet, fit-el<strong>le</strong>, juste avant d'éternuer. A plus tard!<br />

-Oui, à plus tard Sonia, dit-il, surpris <strong>de</strong> l'avoie eue si faci<strong>le</strong>ment."<br />

El<strong>le</strong> s'éloigna au pas <strong>de</strong> course, tandis qu'Arthur était <strong>de</strong> nouveau<br />

capturé par Anaïs. Jamie avait encore essayé d'approcher, en vain. Le<br />

britannique repartit vers la machine à café, pour discuter avec Andreas et<br />

Ibtissam.<br />

"Tu viens me par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> la chute <strong>de</strong> la gourdasse? lui <strong>de</strong>manda Arthur,<br />

goguenard.<br />

-J'avais fait jurer à Sally et Aïshani <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r cette blague pour el<strong>le</strong>s,<br />

s'offusqua Anaïs. Peu importe!"<br />

El<strong>le</strong> se rapprocha dangereusement d'Arthur, l'enivrant <strong>de</strong> son<br />

parfum <strong>de</strong> shampooing.<br />

"J'ai vu Nils, dit-el<strong>le</strong> du bout <strong>de</strong>s lèvres.<br />

-Quoi? hurla Arthur."<br />

El<strong>le</strong> <strong>le</strong> rappela en l'ordre en lui plaquant vio<strong>le</strong>mment la main sur <strong>le</strong> front.<br />

"Tu ne tiens pas à ce que tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> sache ça, chuchota-t-el<strong>le</strong>.<br />

-Comment va-t-il? Il est normal? Il t'a reconnu?<br />

-Ca va, mais j'ai beaucoup <strong>de</strong> choses à te dire. Plus tard, quand nous<br />

serons tranquil<strong>le</strong>s.<br />

-D'accord…, souffla Arthur, surexcité.<br />

-Dis moi honnêtement… as-tu vu Samuel?<br />

2


-Hein?<br />

-C'est grâce à lui que tu as ramené Altaïr. Inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> me mentir, Nils m'a<br />

parlé."<br />

Anaïs en savait trop pour ne pas être mise dans la confi<strong>de</strong>nce.<br />

"Oui, et j'ai moi aussi <strong>de</strong>s choses à te dire, reconnut Arthur.<br />

-Il va être diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> discuter tranquil<strong>le</strong>ment avant notre retour à Paris, fit<br />

remarquer Anaïs. Il y a perpétuel<strong>le</strong>ment du mon<strong>de</strong> dans <strong>le</strong>s a<strong>le</strong>ntours. On<br />

ne peut pas prendre <strong>le</strong> risque <strong>de</strong> se compromettre."<br />

Comme pour confirmer cette constatation, Rachel passa près d'eux à<br />

ce moment et asséna une tape dans <strong>le</strong> dos d'Arthur :<br />

"Bien joué Art! Succès incontestab<strong>le</strong>!<br />

-Merci, bredouilla Arthur alors qu'el<strong>le</strong> s'éloignait.<br />

-Tu vois? fit Anaïs avec un soupir.<br />

-On retourne à Paris dans <strong>de</strong>ux jours. Il n'y a rien d'urgent, alors<br />

attendons.<br />

-Oui, bouche cousue.<br />

-Dans <strong>de</strong>ux jours? Qu'al<strong>le</strong>z vous faire dans <strong>de</strong>ux jours? intervinrent<br />

Ibtissam et Ana Rosa d'un air lubrique."<br />

Anaïs et Arthur rougirent, puis partirent chacun <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur côté, ce<br />

<strong>de</strong>rnier ignorant <strong>le</strong>s appels vains <strong>de</strong> Jamie.<br />

***<br />

Une fois <strong>de</strong> plus, Arthur se réveilla dans son lit d'emprunt, au cœur<br />

du Manoir Corbell. <strong>Les</strong> élus y avaient été rapatriés la veil<strong>le</strong> en voiture,<br />

avec Sally en invitée bonus. Seuls Ibtissam, Aïshani et Anaïs étaient<br />

absents, restés à <strong>le</strong>urs logements respectifs pour préparer <strong>le</strong>urs bagages<br />

en vue du voyage à Paris.<br />

Bien plus en forme que la veil<strong>le</strong>, Arthur se <strong>le</strong>va presque<br />

naturel<strong>le</strong>ment, éveillé par un infime rai <strong>de</strong> lumière qui lui réchauffait <strong>le</strong><br />

visage. Il ouvrit <strong>le</strong>s yeux et vit Jamie, posté <strong>de</strong>vant la gran<strong>de</strong> fenêtre <strong>de</strong><br />

<strong>le</strong>ur chambre commune. Il était déjà vêtu et son lit était fait.<br />

"Oh, salut l'ami, dit-il, a<strong>le</strong>rté par <strong>le</strong> grincement du lit d'Arthur. J'espère ne<br />

pas être la cause <strong>de</strong> ton réveil, j'ai fait en sorte <strong>de</strong> ne pas ouvrir<br />

complètement <strong>le</strong>s ri<strong>de</strong>aux.<br />

-Non, bailla Arthur. Quel<strong>le</strong> heure est-il?<br />

-Onze heures d'un nouveau jour, répondit Jamie. Un jour chargé <strong>de</strong><br />

nuages gris, hélas."<br />

Il tourna son regard vers l'extérieur, main posée sur la vitre.<br />

2


"Ca va? l'interrogea Arthur sans sortir <strong>de</strong> ses couettes. Tu as l'air<br />

concentré.<br />

-Oui, ça va, assura Jamie avec un sourire.<br />

-Ok…<br />

-Dis, pendant que je t'ai sous la main…"<br />

Arthur fit mine d'éveil<strong>le</strong>r son visage encore assoupi.<br />

"Pense-tu que je sois du genre à réussir <strong>le</strong>s choses que j'entreprends?<br />

<strong>de</strong>manda Jamie, yeux rivés sur l'extérieur.<br />

-Bah… Je dirais que oui, répondit Arthur avec une nuance <strong>de</strong> surprise. Oui,<br />

tu as tout pour réussir Jam'."<br />

Le sourire <strong>de</strong> Jamie s'élargit.<br />

"Merci Arty! Je vais <strong>de</strong>scendre maintenant. Va prendre ton petit déjeuner<br />

quand tu te sentiras d'attaque.<br />

-Oui, à tout à l'heure."<br />

Dès que la porte se fut claquée <strong>de</strong>rrière Jamie, Arthur prit son<br />

oreil<strong>le</strong>r et <strong>le</strong> posa sur son visage, tourné vers <strong>le</strong> plafond. Ses réf<strong>le</strong>xions <strong>de</strong><br />

la nuit passée surgirent <strong>de</strong> nouveau. Il se <strong>de</strong>mandait ce que faisaient Nils<br />

et Samuel à cet instant précis. Vivaient-ils dans <strong>de</strong>s situations<br />

convenab<strong>le</strong>s, au sein <strong>de</strong> la Confrérie? Samuel avait-il réussi à convaincre<br />

ses pairs <strong>de</strong> son échec?<br />

"Dommage qu'Anaïs ne puisse pas me dire ce qu'el<strong>le</strong> sait, songea-t-il en<br />

se redressant."<br />

Il bouillait d'impatience. Sans quitter son lit, il tendit la main vers<br />

son sac à dos, la plongea au fond, puis en retira <strong>le</strong> sac en velours noir<br />

pour mieux l'observer. "Ne pas l'ouvrir surtout", se répétait-il pour ne pas<br />

franchir la limite invisib<strong>le</strong> posée par Samuel.<br />

Si au moins il pouvait <strong>de</strong>viner ce qu'il renfermait. Même en <strong>le</strong><br />

soupesant, il n'arrivait pas à <strong>de</strong>viner son contenu. Il y avait quelque chose<br />

<strong>de</strong> dur mais informe à l'intérieur. Quant à la cor<strong>de</strong><strong>le</strong>tte, el<strong>le</strong> était<br />

soli<strong>de</strong>ment nouée, comme pour <strong>le</strong> dissua<strong>de</strong>r <strong>de</strong> la défaire.<br />

Arthur regretta alors <strong>de</strong> ne pas avoir emmené <strong>le</strong>s <strong>Chroniques</strong> <strong>de</strong><br />

Sorgentel avec lui à Londres. Il aurait au moins pu assouvir sa soif<br />

d'informations en lisant <strong>le</strong> recueil, comme <strong>le</strong> lui avait conseillé Samuel.<br />

"Wouaf"<br />

Puffer, <strong>le</strong> chien <strong>de</strong> Jamie, bondit sur son matelas pour réclamer <strong>de</strong>s<br />

caresses. Il n'avait même pas remarqué sa présence dans la chambre.<br />

Après l'avoir gratifié d'un bref passage <strong>de</strong> main entre <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux oreil<strong>le</strong>s,<br />

Arthur se <strong>le</strong>va fina<strong>le</strong>ment pour s'habil<strong>le</strong>r, non sans tirer <strong>le</strong>s ri<strong>de</strong>aux <strong>de</strong> la<br />

2


fenêtre auparavant. Jamie avait raison. Le ciel était couvert <strong>de</strong> nuages<br />

obscurs. Il allait sans doute bientôt p<strong>le</strong>uvoir.<br />

Après un passage éclair dans la sal<strong>le</strong> <strong>de</strong> bains, Arthur quitta la<br />

chambre et <strong>de</strong>scendit au rez-<strong>de</strong>-chaussée <strong>de</strong> l'imposant manoir Corbell.<br />

Arrivé en bas <strong>de</strong> l'escalier, il perdit ses repères un instant, incapab<strong>le</strong> <strong>de</strong> se<br />

souvenir dans quel<strong>le</strong> direction al<strong>le</strong>r. Le manoir était anorma<strong>le</strong>ment calme.<br />

Ce ne fut que grâce à la voix d'Ana Rosa qu'il put se diriger vers la sal<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong> séjour, passage obligé pour se rendre dans la sal<strong>le</strong> à manger.<br />

"Bonjour, lança-t-il en entrant."<br />

Ana Rosa et Diane Corbell, la mère <strong>de</strong> Jamie, se retournèrent en<br />

même temps, radieuses. Toutes <strong>de</strong>ux étaient penchées sur plusieurs<br />

feuil<strong>le</strong>s <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssin, disposées pê<strong>le</strong>-mê<strong>le</strong> sur la tab<strong>le</strong> basse.<br />

"Bien dormi Arthur? lui <strong>de</strong>manda Diane Corbell, en écartant ses longs<br />

cheveux blonds <strong>de</strong> son visage.<br />

Très bien, merci Madame… euh, Diane."<br />

El<strong>le</strong> semblait en état d'extase. Andreas était <strong>le</strong> seul autre occupant<br />

<strong>de</strong> la sal<strong>le</strong> <strong>de</strong> séjour, lisant un épais ouvrage d'informatique dans un<br />

confortab<strong>le</strong> fauteuil rouge. Il salua Arthur d'un signe <strong>de</strong> tête.<br />

"Qu'est-ce que vous faites? <strong>de</strong>manda Arthur en approchant <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

femmes.<br />

-Un échange <strong>de</strong> bons procédés, expliqua Ana Rosa. Je fais à Mme Corb… à<br />

Diane une démonstration <strong>de</strong> mon don, et en échange el<strong>le</strong> me donne <strong>de</strong>s<br />

conseils pour donner plus <strong>de</strong> vie à mes <strong>de</strong>ssins.<br />

-Je ne m'y connais pas en don, mais Ana Rosa m'a expliqué que ses<br />

<strong>de</strong>ssins avaient une durée <strong>de</strong> vie proportionnel<strong>le</strong> à <strong>le</strong>ur <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> réalisme,<br />

ajouta Mme Corbell. Qui sait quel<strong>le</strong> amp<strong>le</strong>ur pourrait prendre son don si<br />

el<strong>le</strong> apprenait quelques rudiments <strong>de</strong> plus, en la matière."<br />

Ana Rosa finissait <strong>de</strong> peaufiner un croquis d'un papillon assez<br />

basique, en noir et blanc. A peine eut-el<strong>le</strong> <strong>le</strong>vé la mine du crayon qu'el<strong>le</strong><br />

réduisit <strong>le</strong> papier en bou<strong>le</strong>tte. Il disparut dans un nuage <strong>de</strong> fumée dont<br />

s'échappa un papillon plus vrai que nature. L'insecte se mit à virevolter<br />

dans la pièce, pour <strong>le</strong> plus grand émerveil<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> Mme Corbell, avant<br />

<strong>de</strong> disparaître.<br />

"Dessin fait en <strong>de</strong>ux minutes! Durée <strong>de</strong> vie <strong>de</strong> vingt secon<strong>de</strong>s,<br />

visib<strong>le</strong>ment, déclara Ana Rosa.<br />

-Magnifique, exultait Mme Corbell. Fais-tu toujours tes <strong>de</strong>ssins en noir et<br />

blanc?<br />

-Oui… j'avoue ne jamais avoir eu l'idée <strong>de</strong> <strong>le</strong>s faire en cou<strong>le</strong>ur.<br />

-Tu <strong>de</strong>vrais essayer. Le réalisme que cela <strong>le</strong>ur octroiera te permettra peutêtre<br />

<strong>de</strong> <strong>le</strong>s rendre plus pérennes."<br />

2


Ana Rosa fit <strong>de</strong> gros yeux.<br />

"Je ne suis pas très bonne pour la cou<strong>le</strong>ur, mais je <strong>de</strong>vrais effectivement<br />

essayer à l'occasion.<br />

-Des crayons <strong>de</strong> cou<strong>le</strong>ur suffiront, inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> t'embarrasser <strong>de</strong> matériel<br />

plus élaboré. Je te donnerai certaines choses avant que tu ne repartes.<br />

-Merci beaucoup, fit Ana Rosa, p<strong>le</strong>ine <strong>de</strong> gratitu<strong>de</strong>.<br />

-Ce n'est rien, vous êtes <strong>le</strong>s amis <strong>de</strong> mon fils après tout. Je vais te<br />

préparer ton petit déjeuner Arthur. Tu pourras al<strong>le</strong>r t'attab<strong>le</strong>r dans<br />

quelques minutes.<br />

-Merci Diane."<br />

Mme Corbell s'absenta, tandis qu'Ana Rosa se penchait <strong>de</strong> nouveau<br />

sur ses propres <strong>de</strong>ssins, <strong>le</strong>ur adressant un regard critique, comme si el<strong>le</strong><br />

<strong>le</strong>s redécouvrait.<br />

"Où sont <strong>le</strong>s autres? <strong>de</strong>manda Arthur en faisant mine <strong>de</strong> s'intéresser aux<br />

<strong>de</strong>ssins.<br />

-Rachel et Elliott ne sont pas réveillés... J'espère qu'ils ne se sont pas<br />

rejoints dans une chambre pour un fricotage matinal. Quant à Sally, je<br />

crois qu'el<strong>le</strong> est <strong>de</strong>hors, à faire <strong>le</strong> tour du propriétaire.<br />

-Et Jamie? Avec son frère Wilson?<br />

-Pas du tout, Wilson a son cours <strong>de</strong> piano dans une autre pièce d'après<br />

Mme Corbell. Jamie est <strong>de</strong>hors avec Sally. Il est passé vite fait ici pour<br />

nous prévenir qu'il sortait.<br />

-Dehors avec Sally?<br />

-Monsieur était excité comme une puce. Du moins, plus que d'habitu<strong>de</strong>. Je<br />

ne sais pas ce qui lui arrive en ce moment, soupira Ana Rosa."<br />

Arthur eut soudain un mauvais pressentiment.<br />

"Il est dans <strong>le</strong> domaine avec Sally? re<strong>de</strong>manda-t-il à Ana Rosa.<br />

-Oui, il semblait vouloir lui par<strong>le</strong>r. Pourquoi donc?<br />

-ZUT, s'écria Arthur paniqué.<br />

-…<br />

-Je n'ai rien vu venir!<br />

-Quoi donc?"<br />

Andreas <strong>le</strong>va <strong>le</strong>s yeux <strong>de</strong> son livre.<br />

"Je pensais à vous en par<strong>le</strong>r <strong>de</strong>puis notre arrivée à Londres mais j'ai<br />

complètement oublié…<br />

-Quoi?<br />

-Jamie… il comptait <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r Sally en mariage."<br />

Le visage d'Ana Rosa se démonta. Le livre d'Andreas chuta<br />

bruta<strong>le</strong>ment sur ses genoux. Tous <strong>de</strong>ux étaient manifestement choqués.<br />

2


"Il va faire quoi? répéta Ana Rosa, ahurie.<br />

-Il m'en a parlé dès notre arrivée ici.<br />

-Comment as-tu pu gar<strong>de</strong>r ça pour toi? Arthur, tu te rends compte <strong>de</strong> ce<br />

que ça implique? s'irrita Ana Rosa. A l'heure qu'il est, Jamie est<br />

probab<strong>le</strong>ment sur <strong>le</strong> point <strong>de</strong> lui faire sa <strong>de</strong>man<strong>de</strong>.<br />

-Désolé, ça m'est complètement sorti <strong>de</strong> la tête. Je pensais à la mission,<br />

la Confrérie et…<br />

-Et tu n'as pas trouvé une minute <strong>de</strong> ton temps à consacrer à celui qui te<br />

considère comme son meil<strong>le</strong>ur ami, intervint Andreas."<br />

Arthur lui lança un regard interloqué.<br />

"Jamie a passé la journée d'hier à essayer <strong>de</strong> te par<strong>le</strong>r, déclara Andreas,<br />

sourcils froncés. Ca se voyait comme <strong>le</strong> nez au milieu du visage. Si je l'ai<br />

remarqué, tu aurais dû <strong>le</strong> remarquer…<br />

-Mais je…<br />

-Jam' avait certainement <strong>de</strong>s doutes sur son projet <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, supposa<br />

Andreas.<br />

-Oh… non, se désola Arthur."<br />

Il réalisait maintenant que Jamie avait effectivement tenté <strong>de</strong><br />

discuter avec lui à plusieurs reprises. Mais lui avait été trop préoccupé,<br />

par <strong>le</strong> sac, par Altaïr, par Samuel et Nils, par <strong>le</strong>s cheveux d'Anaïs, pour<br />

s'en préoccuper. Il avait tota<strong>le</strong>ment occulté l'affaire <strong>de</strong> la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> en<br />

mariage. Sa culpabilité atteignit son summum.<br />

"Art, nous sommes <strong>de</strong>s êtres humains avant d'être <strong>de</strong>s élus, lui signala<br />

Ana Rosa d'un air outré. Malgré notre mission, nous ne <strong>de</strong>vons pas oublier<br />

qu'il existe d'autres choses importantes. Jamie ne t'aurait jamais laissé en<br />

plan dans une tel<strong>le</strong> situation!<br />

-Oui, c'est vrai, admit Arthur, honteux.<br />

-Ce n'est peut-être pas trop tard ; on peut l'arrêter, ajouta-t-el<strong>le</strong>. Jamie<br />

est du genre à formu<strong>le</strong>r sa requête pendant une <strong>de</strong>mi-heure avant que<br />

Sally ne finisse par comprendre ce qu'il veut réel<strong>le</strong>ment.<br />

-Sally est partie se promener dans la partie du domaine qui se situe<br />

<strong>de</strong>vant <strong>le</strong> manoir, dit Andreas."<br />

Ils tombèrent d'accord et se dirigèrent d'un même mouvement vers<br />

la sortie <strong>de</strong> la sal<strong>le</strong> <strong>de</strong> séjour, au moment où Mme Corbell revenait dans la<br />

pièce.<br />

"Mais… où al<strong>le</strong>z-vous? Le petit déj…<br />

-Nous revenons tout <strong>de</strong> suite, assura Ana Rosa, alors qu'Arthur s'élançait<br />

déjà dans <strong>le</strong> hall."<br />

2


Mark, <strong>le</strong> majordome, errait dans l'entrée à la recherche d'une tâche<br />

à effectuer. Voyant que <strong>le</strong>s trois jeunes maîtres s'apprêtaient à sortir, il<br />

<strong>le</strong>ur tendit <strong>de</strong>ux parapluies.<br />

"Le temps s'est rapi<strong>de</strong>ment gâté, se justifia-t-il. Il commence déjà à<br />

p<strong>le</strong>uvoir, bien que ce soit <strong>de</strong> manière légère."<br />

Arthur prit un parapluie tandis qu'Ana Rosa et Andreas partageaient<br />

<strong>le</strong> <strong>de</strong>uxième. Ils se ruèrent à l'extérieur et foulèrent <strong>le</strong> sol déjà détrempé.<br />

Comme l'avait annoncé <strong>le</strong> majordome, <strong>le</strong> ciel était obscurci par <strong>de</strong>s<br />

nuages chargés. Il p<strong>le</strong>uvait à verses. Un <strong>de</strong> ces déluges glacials qui<br />

trempent jusqu'à l'os en quelques secon<strong>de</strong>s. Malgré la vision brouillée qu'il<br />

avait du domaine, Arthur ne mit qu'un instant à repérer Jamie et Sally,<br />

au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la fontaine qui ornait la cour.<br />

"Là-bas! cria-t-il en accélérant <strong>le</strong> rythme."<br />

Jamie et Sally étaient l'un en face <strong>de</strong> l'autre, au milieu d'une allée<br />

délimitée par <strong>de</strong>ux gran<strong>de</strong>s haies. Il pourrait <strong>le</strong>s rejoindre en une dizaine<br />

<strong>de</strong> secon<strong>de</strong>s à son allure, mais déjà, il avait conscience d'arriver trop tard.<br />

A mesure qu'il approchait, l'expression confondue <strong>de</strong> Sally se faisait<br />

<strong>de</strong> plus en plus nette <strong>de</strong>vant l'agenouil<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> Jamie. Inconsciemment,<br />

Arthur ra<strong>le</strong>ntit à quelques mètres d'eux. Il était suffisamment près pour<br />

<strong>le</strong>s entendre.<br />

Son ami avait un genou à terre, dans une attitu<strong>de</strong> qui inspirait<br />

davantage la supplication que la simp<strong>le</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>. Ses vêtements étaient<br />

détrempés et sa chevelure se collait à ses tempes et sa nuque. L'alliance<br />

qu'il avait montrée à Arthur trois jours plus tôt était tendue vers Sally,<br />

faib<strong>le</strong> éclat doré face au déversement grisâtre provenant du ciel. Arthur<br />

pouvait clairement entendre Sally.<br />

"Désolée…, murmurait-t-el<strong>le</strong>, laissant tomber son parapluie au sol.<br />

Désolée… James…"<br />

Le parapluie atterrit dans une flaque d'eau et se replia <strong>de</strong> lui-même,<br />

tandis que <strong>le</strong> visage <strong>de</strong> Sally s'inondait <strong>de</strong> pluie et <strong>de</strong> larmes. El<strong>le</strong> effectua<br />

un pas en arrière, réitérant ses excuses.<br />

"Je ne peux pas accepter, fit-el<strong>le</strong> en se triturant <strong>le</strong>s doigts."<br />

Arthur ne percevait pas l'expression <strong>de</strong> Jamie, mais celui-ci avait<br />

baissé <strong>le</strong> bras droit et ma<strong>le</strong>ncontreusement laissé tomber l'alliance dans <strong>le</strong><br />

sol gorgé d'eau. Il sembla faire un geste pour la récupérer, puis se ravisa,<br />

tête baissée.<br />

"Ce n'est pas grave, ce n'est pas grave Sally, dit-il d'une voix faussement<br />

agréab<strong>le</strong>."<br />

2


Il se tourna vers <strong>le</strong>s arrivants, animé d'un sourire peu crédib<strong>le</strong>, puis<br />

baissa <strong>de</strong> nouveau la tête. La gorge d'Arthur se serra. Andreas et Ana<br />

Rosa se tenaient à ses côtés, interdits.<br />

"Ce n'est pas grave, répéta Jamie sans bouger.<br />

-Pardon, fit une <strong>de</strong>rnière fois Sally."<br />

El<strong>le</strong> se mit soudain à tremb<strong>le</strong>r compulsivement, puis s'enfuit en<br />

direction du manoir, main <strong>de</strong>vant <strong>le</strong>s yeux, bousculant Andreas au<br />

passage. Ce <strong>de</strong>rnier lui emboîta <strong>le</strong> pas, dans une vaine tentative pour la<br />

ramener.<br />

"Pauvre Jamie, dit Ana Rosa à voix basse."<br />

Arthur se retourna juste à temps pour voir Jamie se <strong>le</strong>ver et<br />

marcher d'un pas <strong>le</strong>nt vers la forêt qui bordait <strong>le</strong> domaine. La bague était<br />

restée fichée dans <strong>le</strong> sol, où el<strong>le</strong> commençait à être submergée. Arthur<br />

<strong>de</strong>meura <strong>de</strong> marbre, observant la bague.<br />

"Qu'est-ce que tu attends pour al<strong>le</strong>r t'occuper <strong>de</strong> lui? aboya soudain Ana<br />

Rosa en récupérant <strong>le</strong> bijou dans <strong>le</strong> sol.<br />

-Je ne crois… je ne pense pas qu'il ait envie qu…<br />

-C'est justement <strong>le</strong> moment pour ne pas <strong>le</strong> laisser seul, répliqua Ana Rosa.<br />

Jamie est assez dingue et excessif pour al<strong>le</strong>r se perdre dans la forêt et s'y<br />

laisser mourir!"<br />

Figé <strong>de</strong>puis un moment qui lui avait paru interminab<strong>le</strong>, Arthur<br />

contemplait Jamie s'éloigner <strong>de</strong> plus en plus du manoir et s'aventurer vers<br />

l'orée <strong>de</strong> la forêt. Il lui semblait voir Nils, <strong>de</strong> dos.<br />

"Arthur! répéta Ana Rosa.<br />

-Nils n'est pas Jamie, Jamie n'est pas Nils…, fit Arthur du bout <strong>de</strong>s lèvres.<br />

-…<br />

-Pourquoi…<br />

-Arthur, que t'arrive-t-il bon sang?"<br />

Arthur détala à travers <strong>le</strong> domaine. Toujours plus vite, il courut pour<br />

rattraper Jamie avant qu'il ne disparaisse. L'autre ne faisait qu'avancer<br />

<strong>le</strong>ntement, comme un hère.<br />

"JAMIE!!"<br />

Jamie ne se retourna pas, ni ne s'arrêta. Il avait la main posée sur <strong>le</strong><br />

tronc du premier arbre <strong>de</strong> la forêt, prêt à s'y aventurer pour y faire on ne<br />

savait pas quoi. Arthur pressa <strong>le</strong> pas et finit par parvenir à son niveau. Il<br />

<strong>le</strong> saisit par l'épau<strong>le</strong>.<br />

"Attends moi Jam'."<br />

2


Jamie s'arrêta. Avant qu'Arthur n'ait pu comprendre ce qui lui<br />

arrivait, son ami <strong>le</strong> repoussa <strong>de</strong> la paume <strong>de</strong> la main, avec une force<br />

incommensurab<strong>le</strong>. Le souff<strong>le</strong> coupé, il fut sou<strong>le</strong>vé du sol et atterrit<br />

vio<strong>le</strong>mment contre l'écorce d'un arbre situé à un pas <strong>de</strong> là. Le choc fut si<br />

terrib<strong>le</strong> qu'il <strong>de</strong>meura étourdi sur <strong>le</strong>s racines, dos contre <strong>le</strong> tronc. L'endroit<br />

où Jamie l'avait frappé était douloureux, comme si un marteau s'y était<br />

enfoncé.<br />

"A…Attends, gémit Arthur en <strong>le</strong>vant <strong>le</strong>s yeux vers Jamie."<br />

Ce <strong>de</strong>rnier s'était arrêté, regard fixé sur Arthur. Il p<strong>le</strong>urait comme<br />

jamais Arthur ne l'avait vu faire. Son expression n'était que tristesse et<br />

déception.<br />

"Tu ne m'avais pas dit que je souffrirais tant, lui reprocha Jamie.<br />

-…<br />

-Tu… TU AURAIS DÛ ME PREVENIR ARTHUR, s'égosilla Jamie. Me dire que<br />

Sally… me briserait <strong>le</strong> cœur!<br />

-Désolé…"<br />

Jamie s'essuya <strong>le</strong>s yeux du revers <strong>de</strong> la manche et eut une<br />

expression intransigeante qui ne lui ressemblait pas.<br />

"Je suis sincèrement désolé aussi. Désolé <strong>de</strong> ne pas avoir autant <strong>de</strong> va<strong>le</strong>ur<br />

que Nils ou Anaïs. Au moins, tu n'as plus à te soucier d'être mon témoin,<br />

lad."<br />

Il continua son chemin, abandonnant Arthur là où il se trouvait, au<br />

milieu d'une terre qui n'était rien d'autre que <strong>de</strong> la boue. La pluie se faisait<br />

plus forte que jamais, accentuant la dou<strong>le</strong>ur physique et menta<strong>le</strong> d'Arthur.<br />

Il resta une éternité au pied <strong>de</strong> l'arbre, à moitié conscient. Une minute,<br />

dix, une heure. Il aurait été incapab<strong>le</strong> <strong>de</strong> dire combien <strong>de</strong> temps s'était<br />

écoulé <strong>de</strong>puis que Jamie l'avait frappé.<br />

Lorsqu'il finit par <strong>le</strong>ver <strong>de</strong> nouveau la tête, ce fut pour voir la<br />

silhouette longiligne <strong>de</strong> Rachel se profi<strong>le</strong>r <strong>de</strong>vant lui. La pluie avait stoppé<br />

mais la jeune femme tenait tout <strong>de</strong> même un parapluie à la main.<br />

"Rachel…, fit Arthur d'un air vaseux.<br />

-Lève toi pauvre idiot.<br />

-…"<br />

2


Chapitre 15 : Le Jamie Nouveau<br />

"Lève toi ai-je dit, répéta Rachel d'une voix impérieuse."<br />

Arthur sentit son corps se mouvoir contre sa volonté et s'é<strong>le</strong>ver au<strong>de</strong>ssus<br />

<strong>de</strong> la flaque dans laquel<strong>le</strong> il avait pataugé jusque là. La dou<strong>le</strong>ur<br />

consécutive au coup <strong>de</strong> Jamie se raviva alors.<br />

"Ne m'oblige pas à te transporter ainsi jusqu'au manoir."<br />

Contraint et forcé, Arthur posa <strong>le</strong>s pieds au sol, se mettant ainsi en<br />

position <strong>de</strong>bout. Il sentit alors l'emprise du don <strong>de</strong> Rachel disparaître et<br />

son corps s'alourdir, effet conjugué <strong>de</strong> l'humidité <strong>de</strong> ses vêtements et <strong>de</strong><br />

sa fatigue.<br />

"Qu'est-ce que tu veux Rachel?<br />

-Dis moi que tu plaisantes."<br />

Sourcils froncés, Rachel <strong>le</strong> contempla un instant, visib<strong>le</strong>ment<br />

partagée entre perp<strong>le</strong>xité et colère. El<strong>le</strong> prit un mouchoir en tissu blanc<br />

dans sa poche arrière <strong>de</strong> pantalon et entreprit <strong>de</strong> lui essuyer assez<br />

bruta<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> visage, au point <strong>de</strong> l'asphyxier.<br />

"Tu es en partie responsab<strong>le</strong> <strong>de</strong> tout ça, dit-el<strong>le</strong> lorsqu'il lui échappa enfin.<br />

C'est à toi d'arranger <strong>le</strong>s choses avec Jamie.<br />

-Jamie me déteste maintenant, bougonna Arthur. Il n'acceptera jamais <strong>de</strong><br />

me repar<strong>le</strong>r. Même si c'était <strong>le</strong> cas, il est allé se paumer dans la forêt.<br />

-Non, il est revenu au manoir <strong>de</strong>puis un moment. N'oublions pas que nous<br />

parlons <strong>de</strong> Jamie. Même ivre <strong>de</strong> rage, il aurait bien trop peur <strong>de</strong> se perdre<br />

pour s'avancer seul dans cette forêt obscure.<br />

-Ah…, souffla Arthur, soulagé malgré lui.<br />

-Quant à Sally… el<strong>le</strong> n'a pas arrêté <strong>de</strong> p<strong>le</strong>urer <strong>de</strong>puis la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> en<br />

mariage, ajouta Rachel d'un air embarrassé. Je ne l'ai jamais vue comme<br />

ça, et je la côtoie <strong>de</strong>puis longtemps.<br />

-Ca n'arrange pas <strong>le</strong>s choses, déplora Arthur. El<strong>le</strong> aussi va m'en vouloir<br />

d'avoir laissé Jamie commettre une tel<strong>le</strong> aberration."<br />

La honte qu'avait dissolue une heure d'averse glacia<strong>le</strong> revint à<br />

l'assaut, plus viru<strong>le</strong>nte qu'auparavant.<br />

"Je ne sais pas pour Sally, mais je suis certaine que Jamie ne t'en veut<br />

pas autant que tu peux <strong>le</strong> croire, répliqua Rachel.<br />

-Il m'a pourtant frappé…<br />

-Tu tiens encore <strong>de</strong>bout, non? Preuve qu'il a toujours <strong>de</strong> la considération<br />

pour toi! D'ail<strong>le</strong>urs, il s'en veut probab<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> t'avoir attaqué. Comme<br />

s'il n'avait pas déjà assez <strong>de</strong> raisons <strong>de</strong> culpabiliser… Tu es vraiment<br />

incorrigib<strong>le</strong> Arthur! A cause <strong>de</strong> toi, il a maintenant <strong>de</strong>ux raisons <strong>de</strong> s'en<br />

vouloir.<br />

2


-…<br />

-Euh…, je voulais dire qu'il doit s'en vouloir d'autant plus qu'il t'a frappé,<br />

rectifia hâtivement Rachel. Vous êtes bons amis, non? D'excel<strong>le</strong>nts amis<br />

même! Jamie a trouvé en toi <strong>le</strong> camara<strong>de</strong> qu'il n'a jamais eu ; je ne <strong>le</strong><br />

vois pas te renier si faci<strong>le</strong>ment, même si tu as fait une grosse erreur <strong>de</strong><br />

jugement.<br />

-Une erreur <strong>de</strong> jugement dramatique, précisa Arthur.<br />

-Hem! Je… je crois que je <strong>de</strong>vrais cesser <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r, avant d'aggraver la<br />

situation."<br />

Un rire sans joie émana d'Arthur.<br />

"Je pense aussi, reconnut-il, mais bizarrement, je vois où tu veux en<br />

venir.<br />

-Tu vas donc cesser <strong>de</strong> patauger dans la boue comme un porc et tenter <strong>de</strong><br />

réparer <strong>le</strong>s choses?<br />

-Je n'aurais pas formulé <strong>le</strong>s choses ainsi, mais oui… C'est <strong>le</strong> moins que je<br />

puisse faire pour lui. Si tu pouvais… juste t'assurer que je ne tombe pas<br />

dans <strong>le</strong>s pommes avant d'arriver au manoir. J'ai l'impression que ma<br />

colonne vertébra<strong>le</strong> va se briser au moindre coup <strong>de</strong> vent.<br />

-Sonia a prévu <strong>de</strong> passer nous voir cet après-midi ; tu tiendras bien<br />

jusque là, bou<strong>le</strong>t! Au pire, tu pourras toujours t'effondrer une fois que tu<br />

auras réparé tes fautes.<br />

-Bel<strong>le</strong> perspective."<br />

Le ciel s'était dégagé, bien qu'il fût encore terne. De la récente<br />

averse, il ne subsistait que <strong>de</strong> larges flaques dans <strong>le</strong>s allées du domaine,<br />

ainsi que <strong>de</strong>s goutte<strong>le</strong>ttes sur <strong>le</strong>s feuil<strong>le</strong>s <strong>de</strong> la végétation. Arthur mit<br />

douloureusement un pied <strong>de</strong>vant l'autre et repartit vers la <strong>de</strong>meure <strong>de</strong>s<br />

Corbell, escorté par Rachel. Il réalisa au fil <strong>de</strong> ses pas qu'il avait<br />

gran<strong>de</strong>ment exagéré son état. Le coup <strong>de</strong> Jamie avait, tout au plus,<br />

occasionné quelques contusions. Rachel <strong>le</strong> lui fit d'ail<strong>le</strong>urs remarquer :<br />

"Tu marches mieux que je ne l'aurais espéré.<br />

-Tu es plus gentil<strong>le</strong> que tu ne <strong>le</strong> laisses paraître, riposta Arthur.<br />

-Oh, j'ai peut-être un bon fond après tout, fit Rachel avec un sourire<br />

faussement sournois."<br />

Tous <strong>de</strong>ux parvinrent au niveau du porche et Rachel ouvrit la porte<br />

du manoir à Arthur. Il hésita un moment à entrer, réalisant qu'il n'était<br />

pas vraiment digne <strong>de</strong> pénétrer dans la <strong>de</strong>meure. Son état laissait<br />

vraiment à désirer, même si la courte marche à travers <strong>le</strong> domaine lui<br />

avait permis d'essorer en partie ses vêtements. Il essuya énergiquement<br />

ses pieds sur <strong>le</strong> paillasson avant d'entrer fina<strong>le</strong>ment.<br />

"Voila enfin Arthur!"<br />

2


Ana Rosa, Elliott et Wilson, <strong>le</strong> frère <strong>de</strong> Jamie, étaient assis <strong>de</strong><br />

manière éparse sur <strong>le</strong> grand escalier du hall d'entrée, en p<strong>le</strong>ine discussion.<br />

En <strong>le</strong> voyant s'introduire dans <strong>le</strong> manoir, Wilson se <strong>le</strong>va subitement et se<br />

rua vers Arthur, au point que ce <strong>de</strong>rnier crut qu'il comptait venger son<br />

frère aîné.<br />

Or, à son grand étonnement, <strong>le</strong> garçon se planta <strong>de</strong>vant lui et <strong>le</strong><br />

dévisagea avec insistance, d'un air implorant. Arthur avait sous ses yeux<br />

une véritab<strong>le</strong> photocopie <strong>de</strong> Jamie, en tail<strong>le</strong> réduite.<br />

"Ja… Jamie est parti prendre un bain, bégaya Wilson en tirant sur la<br />

manche d'Arthur.<br />

-Ah. Tant mieux… je suppose, bafouilla Arthur.<br />

-Non, non, Jamie ne prend jamais <strong>de</strong> bains, répliqua Wilson d'un air<br />

paniqué. Il dit que ça détruit la Terre. La <strong>de</strong>rnière fois qu'il a pris un bain,<br />

c'est quand lui et Sally ont rompu! On avait mis trois heures à l'en sortir<br />

et l'eau était glacée.<br />

-Oups…<br />

-Il compte peut-être tester l'endurance <strong>de</strong> ses poumons sous l'eau cette<br />

fois, suggéra Elliott. On n'est pas prêts <strong>de</strong> déjeuner du coup! Pas drô<strong>le</strong> <strong>le</strong><br />

Jamie"<br />

Arthur lui jeta un regard assassin.<br />

"En toute amitié et sur un ton <strong>de</strong> plaisanterie, bien sûr, précisa Elliott en<br />

baissant son bob jusqu'au nez.<br />

-Il va falloir attendre qu'il sorte <strong>de</strong> la sal<strong>le</strong> <strong>de</strong> bains, voila tout, dit Arthur<br />

en haussant <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s.<br />

-Personne ne va attendre, rugit Ana Rosa en jaillissant du sol comme un<br />

diab<strong>le</strong> en boîte. On va défoncer la porte et <strong>le</strong> déloger maintenant! Il est<br />

midi passé et personne n'a pu manger à cause <strong>de</strong> cette histoire."<br />

El<strong>le</strong> bondit <strong>de</strong>s marches <strong>de</strong> l'escalier et atterrit <strong>de</strong>vant Arthur.<br />

"Et toi, tu vas être notre sauveur, assura-t-el<strong>le</strong> en <strong>le</strong> saisissant par <strong>le</strong> col.<br />

-On ne va tout <strong>de</strong> même pas défoncer la porte <strong>de</strong> la…. AAAAAAH!"<br />

Ana Rosa l'entraîna vigoureusement vers <strong>le</strong> premier étage, ignorant<br />

ses gémissements <strong>de</strong> dou<strong>le</strong>ur et ses protestations. En moins <strong>de</strong> temps<br />

qu'il en fallait à Andreas pour terrasser qui que ce soit à n'importe quel<br />

jeu vidéo, ils se retrouvèrent <strong>de</strong>vant l'entrée <strong>de</strong> la sal<strong>le</strong> <strong>de</strong> bain,<br />

évi<strong>de</strong>mment close.<br />

Reprenant son souff<strong>le</strong>, Arthur tenta <strong>de</strong> se tranquilliser. L'eau du bain<br />

<strong>de</strong> Jamie ne filtrait pas sous la porte. Il s'était déjà imaginé <strong>le</strong> jeune<br />

homme laisser cou<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s robinets jusqu'à inon<strong>de</strong>r <strong>le</strong>s lieux.<br />

"Frappe à la porte, chuchota Ana Rosa.<br />

-Oui, oui, fit Arthur avant <strong>de</strong> s'exécuter."<br />

2


Après qu'il eut fermement martelé du poing sur la porte, la voix <strong>de</strong><br />

Jamie se fit entendre, étrangement calme vu <strong>le</strong> contexte.<br />

"Oui?<br />

-Euh… Jam'. C'est Arthur et Ana. Tout va bien?"<br />

Un long si<strong>le</strong>nce s'ensuivit. Arthur se mit à craindre que Jamie ne se<br />

soit refermé comme une huître à la simp<strong>le</strong> i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> sa voix.<br />

"Vous pouvez entrer, fit Jamie<br />

-Comment ça "vous pouvez entrer"? chuchota Arthur à Ana Rosa.<br />

-Moi ça ne me dérange pas, dit-el<strong>le</strong> en haussant <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s.<br />

-Tu es une femme, tu ne vas pas sérieusement… Même moi je ne tiens<br />

pas à… Misère…"<br />

Il se colla à la porte.<br />

"Jamie, ne sors pas <strong>de</strong> ton bain surtout!<br />

-D'accord, répondit doci<strong>le</strong>ment Jamie <strong>de</strong> l'autre côté. La porte n'est pas<br />

verrouillée… Enfin, je crois que je n'ai pas pensé à la verrouil<strong>le</strong>r.<br />

-Ooooookay…"<br />

Arthur tourna la poignée <strong>de</strong> la porte, sans rencontrer <strong>de</strong> résistance,<br />

puis entra à pas <strong>de</strong> loup. Par mesure <strong>de</strong> sûreté, il mit sa main gauche sur<br />

son visage, Jamie n'étant pas particulièrement réputé pour sa pu<strong>de</strong>ur. Il<br />

ne se découvrit <strong>le</strong>s yeux qu'après avoir perçu <strong>le</strong> clapotement rassurant <strong>de</strong><br />

l'eau d'un bain. Au même moment, Ana Rosa étouffa un cri.<br />

"Oh mon…, s'exclama Arthur en retrouvant l'usage <strong>de</strong> sa vue."<br />

Jamie était immergé jusqu'aux épau<strong>le</strong>s dans un bain moussant,<br />

souriant malgré un regard désolé. Ce qui choqua Arthur fut la vision <strong>de</strong> sa<br />

chevelure tailladée, semblab<strong>le</strong> à un champ <strong>de</strong> mauvaises herbes qu'un<br />

jardinier aurait tenté d'égaliser à la machette. De longues mèches <strong>de</strong><br />

cheveux blonds clairsemaient <strong>le</strong> sol trempé <strong>de</strong> la sal<strong>le</strong> <strong>de</strong> bain, tandis<br />

qu'une paire <strong>de</strong> ciseaux coupab<strong>le</strong> était posée sur <strong>le</strong> rebord du lavabo.<br />

Cette image fut si troublante qu'Arthur crut qu'il allait se mettre à<br />

p<strong>le</strong>urer. Derrière lui, Ana Rosa ne pipait mot, toute aussi émue.<br />

"Jamie…, murmura Arthur d'une voix tremblante.<br />

-Tu tiens <strong>de</strong>bout Arthur… C'est cool, dit Jamie d'un air accablé."<br />

Ana Rosa enjamba <strong>le</strong>s vêtements épars <strong>de</strong> Jamie et se dirigea vers<br />

<strong>le</strong> lavabo pour y récupérer <strong>le</strong>s ciseaux. Si<strong>le</strong>ncieusement el<strong>le</strong> en observa <strong>le</strong>s<br />

lames, comme si el<strong>le</strong> avait besoin <strong>de</strong> se convaincre <strong>de</strong> ce qui s'était passé.<br />

"Imbéci<strong>le</strong>, souffla-t-el<strong>le</strong> <strong>de</strong> manière presque inaudib<strong>le</strong>.<br />

-Jamie, qu'est-ce que tu as…<br />

2


-N'en par<strong>le</strong>z pas s'il vous plaît, dit Jamie. Je ne suis manifestement pas<br />

doué pour la coiffure…"<br />

Arthur n'insista pas, tentant <strong>de</strong> détourner son regard <strong>de</strong> la chevelure<br />

saccagée <strong>de</strong> Jamie. Tandis qu'Ana Rosa restait en retrait, il traversa la<br />

sal<strong>le</strong> <strong>de</strong> bains et vint s'asseoir à côté <strong>de</strong> la baignoire, à même <strong>le</strong> sol.<br />

Trempé qu'il était, il ne voyait pas pourquoi il aurait <strong>de</strong>s scrupu<strong>le</strong>s à<br />

s'instal<strong>le</strong>r dans une nouvel<strong>le</strong> flaque.<br />

"Pardon Jamie, dit-il à <strong>de</strong>mi voix."<br />

L'autre acquiesça, d'un hochement <strong>de</strong> tête.<br />

"Mes plus sincères excuses, répondit Jamie, après coup.<br />

-…<br />

-Si je pouvais te conférer ma force physique, ne serait-ce qu'une minute,<br />

pour que tu puisses me rendre <strong>le</strong> coup <strong>de</strong> tout à l'heure, je <strong>le</strong> ferais sans<br />

hésiter.<br />

-Je n'ai pas été à la hauteur <strong>de</strong>puis mon arrivée à Londres. Ce n'était pas<br />

<strong>le</strong> meil<strong>le</strong>ur moment pour t'abandonner à ton sort…<br />

-J'ai été bien trop naïf. De plus, je savais que tu considérais cette initiative<br />

comme mauvaise.<br />

-J'aurais dû te surveil<strong>le</strong>r. Tu es pire qu'un gamin après tout…<br />

-Je t'en voulais <strong>de</strong> ne penser qu'à Nils et Anaïs. C'était injuste <strong>de</strong> ma part<br />

<strong>de</strong> <strong>le</strong>s brandir comme…<br />

-Tu es aussi important qu'eux, j'aurais pu…<br />

-STOP! intervint Ana Rosa d'une voix énergique. On a compris que vous<br />

vous sentiez tous <strong>de</strong>ux coupab<strong>le</strong>s! Abrégez et donnez vous l'accola<strong>de</strong><br />

comme toutes <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux semaines, bon sang! Quoique… pas maintenant,<br />

alors que Jamie est nu comme un ver dans son bain moussant.<br />

-En effet, firent <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux compères."<br />

Arthur se tourna vers Jamie et lui tendit son poing fermé. Ce <strong>de</strong>rnier<br />

fit <strong>de</strong> même.<br />

"On va tenter d'être virils, pour une fois, déclara Arthur en tapant <strong>le</strong> poing<br />

<strong>de</strong> Jamie.<br />

-Essayer, acquiesça tristement Jamie.<br />

-Ca va al<strong>le</strong>r mon vieux?<br />

-Je finirai par me re<strong>le</strong>ver Arty. Qu'importe <strong>le</strong> temps que cela prendra, je<br />

passerai outre. A propos… savez-vous ce qu'il est advenu… <strong>de</strong> la bague?<br />

-Je l'ai récupérée tout à l'heure, el<strong>le</strong> est dans ma poche, dit Ana Rosa.<br />

Arrange un peu la mousse <strong>de</strong> ton bain que je puisse approcher sans<br />

risque."<br />

Prenant gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> ne pas glisser sur <strong>le</strong> sol mouillé, el<strong>le</strong> <strong>le</strong>s rejoignit<br />

et lui tendit l'arme du crime. Jamie prit la bague avec fébrilité.<br />

2


"Ne compte pas sur moi pour t'ai<strong>de</strong>r si tu la fais tomber dans l'eau,<br />

l'avertit Ana Rosa avec une esquisse <strong>de</strong> sourire.<br />

-Moui, marmonna Jamie."<br />

El<strong>le</strong> observa <strong>le</strong>s cheveux <strong>de</strong> Jamie avec répulsion.<br />

"Pendant que j'y suis, je pourrais tenter <strong>de</strong> rattraper ta bour<strong>de</strong> capillaire.<br />

Je ne sais pas ce que tu as tenté <strong>de</strong> faire, mais tu as raté ton coup, <strong>de</strong><br />

toute évi<strong>de</strong>nce.<br />

-Tu pourrais vraiment? fit Jamie avec espoir.<br />

-Tu auras <strong>le</strong>s cheveux bien plus courts qu'avant, mais ça ressemb<strong>le</strong>ra à<br />

quelque chose, au moins. N'oublie pas que tu te tiens face au prodige qui<br />

a réussi à rendre la coiffure <strong>de</strong> Kaznaël (presque) conforme aux standards<br />

humains!<br />

-Merci bien Ana. Je te serai éternel<strong>le</strong>ment reconnaissant.<br />

-Rappel<strong>le</strong> toi-en lorsque tu seras à la tête <strong>de</strong> la fortune monumenta<strong>le</strong> du<br />

clan Corbell, lui susurra-t-el<strong>le</strong> avec malice."<br />

Ana Rosa se tourna vers Arthur, au moment où il se <strong>de</strong>mandait<br />

comment formu<strong>le</strong>r sa propre requête.<br />

"Laisse moi <strong>de</strong>viner…, dit-el<strong>le</strong>. Rien qu'à ton regard…<br />

-Tu ferais d'une pierre <strong>de</strong>ux coups, fit-il remarquer. J'ai vécu une longue<br />

et douloureuse journée moi aussi… Et puis, Jamie se sentirait moins seul.<br />

-Vos ardoises se remplissent vite, s'exclama-t-el<strong>le</strong> en attrapant un<br />

peignoir pour <strong>le</strong> lancer à Jamie. Je commence par <strong>le</strong> maître <strong>de</strong>s lieux puis<br />

je m'occuperai <strong>de</strong> ton cas (il est vrai que tu commences à avoir une<br />

chevelure trop développée). Profite en pour al<strong>le</strong>r rassurer <strong>le</strong>s autres,<br />

surtout la pauvre Mme Corbell qui est en train <strong>de</strong> se faire un sang d'encre<br />

dans son atelier.<br />

-Non, ne t'occupe pas <strong>de</strong> ma mère Arty, je <strong>le</strong> ferai, assura Jamie en<br />

revêtant <strong>le</strong> peignoir tandis qu'Ana Rosa détournait <strong>le</strong> regard. J'ai été un<br />

peu ru<strong>de</strong> avec el<strong>le</strong> tout à l'heure, lorsqu'el<strong>le</strong> a voulu s'occuper <strong>de</strong> moi. Je<br />

dois lui formu<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s excuses. Par contre, tu pourrais me rendre un grand<br />

service.<br />

-Tout ce que tu veux.<br />

-J'aimerais que tu ail<strong>le</strong>s voir comment… comment va Sally, continua Jamie<br />

après un moment d"hésitation. A l'heure qu'il est, je ne suis pas <strong>le</strong> mieux<br />

placé pour lui par<strong>le</strong>r, mais je sais qu'el<strong>le</strong> t'apprécie. Bien évi<strong>de</strong>mment, si<br />

tu vois un inconvénient à…<br />

-J'y vais.<br />

-El<strong>le</strong> est dans sa chambre, indiqua Ana Rosa, ciseaux à la main. Cel<strong>le</strong><br />

qu'avait occupée Bennett <strong>le</strong> premier soir, à <strong>de</strong>ux portes d'ici."<br />

Jamie fit un sourire reconnaissant à Arthur, avant que ce <strong>de</strong>rnier ne<br />

quitte la sal<strong>le</strong> <strong>de</strong> bain, en direction <strong>de</strong> la chambre <strong>de</strong> Sally. Il avait accepté<br />

pour soulager son ami, mais en vérité, il appréhendait gran<strong>de</strong>ment une<br />

2


confrontation avec la jeune femme, craignant qu'el<strong>le</strong> ne soit dans un état<br />

encore plus préoccupant. Il ignora la dou<strong>le</strong>ur dans sa poitrine et avança.<br />

De manière surprenante, la porte <strong>de</strong> la chambre était gran<strong>de</strong><br />

ouverte et la pièce paraissait plongée dans l'obscurité. Arthur se plaça<br />

dans <strong>le</strong> cadre <strong>de</strong> la porte avec <strong>le</strong> plus <strong>de</strong> discrétion possib<strong>le</strong> et scruta<br />

l'intérieur.<br />

"Salut Art, chuchota une voix qui n'était pas cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Sally."<br />

Arthur entra dans la chambre, intrigué par la présence d'Andreas.<br />

En approchant, il constata que celui-ci était assis sur <strong>le</strong> lit, <strong>le</strong> considérant<br />

<strong>de</strong> loin. Sally était là, endormie tête sur <strong>le</strong>s genoux <strong>de</strong> son ami, presque<br />

recroquevillée. Un amoncel<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> mouchoirs s'était formé au pied du<br />

lit.<br />

"El<strong>le</strong> dort? <strong>de</strong>manda Arthur en approchant."<br />

Andreas confirma d'un signe <strong>de</strong> tête. Sally avait <strong>le</strong>s jambes dans <strong>le</strong><br />

vi<strong>de</strong> et respirait <strong>le</strong>ntement, plongée dans <strong>le</strong> sommeil. Sous ses yeux<br />

s'étaient asséchés <strong>de</strong>s sillons blancs, là où avaient probab<strong>le</strong>ment coulé ses<br />

larmes.<br />

"Tu peux t'asseoir, dit Andreas. Rien ne la réveil<strong>le</strong>rait dans son état."<br />

Arthur se contenta <strong>de</strong> s'accroupir <strong>de</strong>vant <strong>le</strong> lit, afin <strong>de</strong> se retrouver<br />

face à el<strong>le</strong>. Il la regarda un moment, avant <strong>de</strong> lui souff<strong>le</strong>r "Pardon". Il<br />

avait conscience d'avoir manqué une opportunité d'éviter <strong>le</strong>s évènements<br />

<strong>de</strong> la matinée.<br />

"Dis Andreas.<br />

-Hum?<br />

-A ton avis, pourquoi a-t-el<strong>le</strong> refusé d'épouser Jamie?"<br />

Andreas haussa légèrement <strong>le</strong>s sourcils.<br />

"Je ne connais pas bien <strong>le</strong>ur passif amoureux, mais j'ai toutes mes raisons<br />

<strong>de</strong> croire que ces <strong>de</strong>ux là éprouvent <strong>de</strong>s sentiments profonds l'un pour<br />

l'autre, ajouta Arthur. Jamie est un type bien. Pourquoi refuserait-el<strong>le</strong><br />

d'épouser ce brave gars qui l'aime tant?<br />

-Je ne comprends pas non plus, avoua Andreas à mi-voix.<br />

-Toi aussi…<br />

-Sally est comp<strong>le</strong>xe, diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> savoir ce qu'el<strong>le</strong> pense à un moment<br />

donné."<br />

Il dirigea sa main vers <strong>le</strong> front <strong>de</strong> la jeune femme et s'arrêta à<br />

quelques centimètres <strong>de</strong> sa peau.<br />

2


"Je pourrais être fixé tout <strong>de</strong> suite, son<strong>de</strong>r son âme pour savoir ce qu'el<strong>le</strong><br />

a ressenti lorsque Jamie lui a fait sa <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ; mais ce n'est pas quelque<br />

chose qu'un ami <strong>de</strong>vrait faire. Vio<strong>le</strong>r l'intimité <strong>de</strong> quelqu'un est une chose<br />

que je me refuse à faire.<br />

-Tu as raison, approuva Arthur.<br />

-Ne sois pas trop inquiet, ajouta Andreas en plissant <strong>le</strong>s yeux. El<strong>le</strong> a une<br />

étrange faculté <strong>de</strong> récupération. Dès qu'el<strong>le</strong> sera réveillée, el<strong>le</strong> ira un peu<br />

mieux. El<strong>le</strong> n'en tiendra pas rigueur à Jamie, <strong>le</strong>ur histoire est compliquée."<br />

Arthur secoua affirmativement la tête.<br />

"Je dois ajouter… <strong>de</strong>s excuses à tout ça, déclara Andreas.<br />

-Pourquoi donc?<br />

-J'ai été un peu dur avec toi quand tu nous a parlé <strong>de</strong> la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> en<br />

mariage, plus tôt.<br />

-Oh, inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> te préoccuper pour ça.<br />

-Je regrette tout <strong>de</strong> même, ce n'est pas dans mes habitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />

m'emporter ainsi. Si cela peut excuser mon comportement, <strong>le</strong>s temps sont<br />

durs pour chacun d'entre nous."<br />

Andreas n'était pas vraiment du genre à se confier aux autres,<br />

songea Arthur. Sa discrétion laissait souvent penser à ses camara<strong>de</strong>s que<br />

tout allait bien pour lui, quand, en fait, il se contentait d'encaisser sans<br />

jamais broncher.<br />

"Andreas, qu'on <strong>le</strong> veuil<strong>le</strong> ou non, on est <strong>de</strong>s élus, déclara Arthur. Cela<br />

signifie qu'on dort peu, qu'on mène une doub<strong>le</strong> vie, qu'on est toujours en<br />

retard dans notre travail universitaire et qu'on n'a presque pas <strong>de</strong> temps<br />

libre. Qui plus est, on risque nos vies en permanence. Je crois que ce n'est<br />

qu'en restant soudés et attentifs <strong>le</strong>s uns aux autres que l'on peut espérer<br />

s'en sortir et mener une vie norma<strong>le</strong>… du moins, c'est ce que je crois avoir<br />

compris aujourd'hui."<br />

Andreas resta coi, yeux écarquillés.<br />

"Ne gar<strong>de</strong> pas tout pour toi à l'avenir, continua Arthur en lui agrippant<br />

l'épau<strong>le</strong>. Tu es souvent celui qui nous sort <strong>de</strong>s situations <strong>le</strong>s plus ardues<br />

durant <strong>le</strong>s missions. Ca me ferait <strong>de</strong> la peine <strong>de</strong> réitérer l'erreur<br />

d'aujourd'hui avec toi. Et j'ajoute que tu as <strong>le</strong> droit d'être <strong>de</strong> mauvaise<br />

humeur <strong>de</strong> temps en temps. Ok?<br />

-Oui, répondit Andreas après un instant <strong>de</strong> flottement. Merci <strong>de</strong> ta<br />

considération.<br />

-Je préfère mettre <strong>le</strong>s choses au clair pendant que tu es dans une phase<br />

<strong>de</strong> prolixité. Al<strong>le</strong>z, je te laisse."<br />

Alors qu'Arthur s'éloignait, Andreas l'interpella à voix basse, <strong>de</strong><br />

manière à ne pas éveil<strong>le</strong>r Sally.<br />

2


"Oui? dit Arthur en faisant volte-face.<br />

-Je crois que je suis coincé ici, et nous n'avons pas pu déjeuner… Si tu<br />

pouvais me ramener quelque chose à manger, lorsque tu auras un<br />

moment…<br />

-Tu vois que ce n'est pas diffici<strong>le</strong>, acquiesça Arthur. Tu prends déjà <strong>de</strong><br />

bonnes habitu<strong>de</strong>s."<br />

***<br />

"J'amène <strong>de</strong> quoi manger, lança Arthur en entrant dans la chambre <strong>de</strong><br />

Jamie. J'ai pensé que tu n'aurais pas envie <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre déjeuner avec<br />

<strong>le</strong>s autres."<br />

Etendu sur son lit, Jamie se laissa rou<strong>le</strong>r jusqu'au rebord <strong>de</strong> celui-ci<br />

et atterrit à genoux sur <strong>le</strong> sol, yeux écarquillés. Il fixa longuement Arthur,<br />

l'air dubitatif :<br />

"Tu as l'air bien plus jeune et innocent avec cette tignasse en moins,<br />

constata-t-il. On dirait <strong>le</strong> Arthur <strong>de</strong>s premiers temps.<br />

-Tu as l'air plus vieux et sérieux… un peu moins bourgeois aussi, répliqua<br />

Arthur avec une ironie non voilée. Tout ceci confirme qu'il ne faut pas se<br />

fier aux apparences."<br />

Il posa un plateau rempli <strong>de</strong> vivres sur <strong>le</strong> sol et s'assit en face <strong>de</strong><br />

Jamie pour participer à la dégustation <strong>de</strong>s quelques sandwiches préparés<br />

par <strong>le</strong> majordome, à <strong>le</strong>ur intention. De toute évi<strong>de</strong>nce, Jamie n'avait pas<br />

perdu l'appétit malgré ses déboires <strong>de</strong> la journée.<br />

"Comment vont <strong>le</strong>s autres? <strong>de</strong>manda Jamie en passant sa main sur ses<br />

cheveux raccourcis. J'espère ne pas avoir complètement gâché <strong>le</strong>ur<br />

journée."<br />

L'action d'Ana Rosa sur la coiffure <strong>de</strong> Jamie avait été radica<strong>le</strong>. Alors<br />

qu'el<strong>le</strong> s'était contentée <strong>de</strong> rafraîchir la coupe d'Arthur pour la rendre<br />

moins sauvage, el<strong>le</strong> avait été contrainte <strong>de</strong> tail<strong>le</strong>r sec chez Jamie, au point<br />

qu'il ne <strong>de</strong>vait lui rester que <strong>de</strong>ux centimètres <strong>de</strong> cheveux. Sa<br />

physionomie en paraissait complètement changée, mais c'était <strong>le</strong> prix à<br />

payer pour <strong>de</strong>meurer présentab<strong>le</strong>.<br />

"Pas <strong>de</strong> souci, ils sont en train d'être gavés comme <strong>de</strong>s oies. Je ne sais<br />

pas dans quel état va <strong>le</strong>s trouver Sonia en arrivant.<br />

-Et…<br />

-El<strong>le</strong> dort toujours. J'ai d'ail<strong>le</strong>urs dû al<strong>le</strong>r nourrir <strong>le</strong> pauvre Andreas qui ne<br />

peut pas bouger. Il veil<strong>le</strong> sur el<strong>le</strong> <strong>de</strong>puis tout à l'heure.<br />

-Tant mieux, soupira Jamie."<br />

Il apostropha Arthur d'un sourire mystérieux.<br />

2


"Tu te <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s sans doute pour quel<strong>le</strong> raison ma tête était dans cet état<br />

quand vous m'avez trouvé. Tu n'arrêtes pas d'observer mon crâne.<br />

-Je n'ai pas insisté sur <strong>le</strong> coup, mais j'avoue être curieux <strong>de</strong> comprendre<br />

ce qui t'est passé par la tête.<br />

-Et bien, il s'agissait simp<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> lancer mon projet <strong>de</strong> renouveau.<br />

-Ton projet <strong>de</strong> renouveau? répéta Arthur, perp<strong>le</strong>xe."<br />

Jamie sirota <strong>le</strong>ntement son thé et <strong>le</strong>va un in<strong>de</strong>x catégorique, avant<br />

<strong>de</strong> continuer.<br />

"Après que je t'aie frappé (encore une fois, pardonne-moi), la seu<strong>le</strong> chose<br />

qui m'occupait l'esprit était <strong>le</strong> refus <strong>de</strong> Sally. J'ai vainement essayé <strong>de</strong><br />

comprendre ses motivations.<br />

-Tout à fait normal.<br />

-J'en suis arrivé à me remémorer ma relation passée avec el<strong>le</strong> et plus<br />

particulièrement <strong>le</strong>s reproches mineurs qu'el<strong>le</strong> avait pu me faire. L'un<br />

d'entre eux concernait ma coupe <strong>de</strong> cheveux."<br />

Arthur s'arrêta <strong>de</strong> mâcher, perdu.<br />

"Ta coupe <strong>de</strong> cheveux?<br />

-Lorsque l'on a rompu, Sally a justifié sa décision par une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

causes. L'une d'entre el<strong>le</strong>s touchait au fait que j'aurais, selon el<strong>le</strong>, une<br />

apparence beaucoup trop bourgeoise et que cela lui rappelait notre<br />

différence <strong>de</strong> classe socia<strong>le</strong>.<br />

-Jam'… Il t'est déjà venu à l'esprit qu'il ne s'agissait que d'une excuse<br />

pour dissimu<strong>le</strong>r un plus gros problème?<br />

-Non, pas vraiment.<br />

-On ne se fait pas jeter parce qu'on a la raie du mauvais côté, se lamenta<br />

Arthur. Bon sang Jamie, on va avoir du boulot.<br />

-"On"? Dois-je comprendre que tu comptes...<br />

-…je compte essayer <strong>de</strong> comprendre ce qui ne va pas chez vous <strong>de</strong>ux, oui.<br />

Je peux bien consacrer quelques minutes <strong>de</strong> mes journées à cette<br />

réf<strong>le</strong>xion.<br />

-C'est très généreux <strong>de</strong> ta part, s'exclama Jamie en <strong>le</strong> frappant<br />

douloureusement sur <strong>le</strong> crâne. Tu sais, malgré cet échec, je ne compte<br />

pas renoncer <strong>de</strong> sitôt à el<strong>le</strong>. J'ai mes raisons <strong>de</strong> l'aimer.<br />

-Je m'en doute. Je m'en doute…"<br />

Arthur prit son courage à <strong>de</strong>ux mains. Ce qu'il s'apprêtait à faire, il<br />

l'avait médité pendant la <strong>de</strong>rnière <strong>de</strong>mi-heure, indécis. Cette révélation<br />

risquait <strong>de</strong> changer beaucoup <strong>de</strong> choses.<br />

"Avant <strong>de</strong> revenir à tout ceci, je dois <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> quelque chose<br />

d'important, dit Arthur. Quelque chose <strong>de</strong> très important, qui n'a aucun<br />

rapport avec ce qui s'est passé ce matin."<br />

2


Il se crispa, sous <strong>le</strong> regard interdit <strong>de</strong> Jamie. L'ambiance venait <strong>de</strong><br />

changer, subitement. Ce <strong>de</strong>rnier semblait l'avoir senti.<br />

"Je te <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rai <strong>de</strong> m'écouter sans rien dire, <strong>de</strong> ne pas m'interrompre<br />

une seu<strong>le</strong> fois. J'ai <strong>de</strong>s scrupu<strong>le</strong>s à t'en par<strong>le</strong>r, mais j'estime que tu fais<br />

partie <strong>de</strong> mon cerc<strong>le</strong> <strong>de</strong> confiance.<br />

-Arthur, <strong>de</strong> quoi…<br />

-Si tu réagis mal, je serai peut-être contraint <strong>de</strong> te tuer. Si tu réagis bien,<br />

cela pourrait te causer <strong>de</strong>s problèmes. Je peux aussi m'abstenir <strong>de</strong> t'en<br />

par<strong>le</strong>r, si tu ne souhaites pas savoir <strong>de</strong> quoi il s'agit. J'entends par là que<br />

tu pourrais regretter d'avoir cette information en ta possession.<br />

-Périr ou frémir, en somme, résuma Jamie. Deux choses que j'ai déjà<br />

vécues mon ami.<br />

-Oui, mais là c'est particulier.<br />

-Par<strong>le</strong>, je suis à l'écoute. Je crois que <strong>le</strong> jour est idéal pour ce genre <strong>de</strong><br />

choses.<br />

-Bien…"<br />

Arthur se jeta à l'eau, pour dissiper toute velléité <strong>de</strong> retour en<br />

arrière. D'un seul coup, d'une seu<strong>le</strong> traite, il exposa à Jamie tout ce qu'il<br />

savait <strong>de</strong> la situation <strong>de</strong> Samuel et <strong>de</strong> Nils au sein <strong>de</strong> la Confrérie. De<br />

manière exhaustive, il évoqua ses prises <strong>de</strong> contact avec Samuel, son<br />

expérience d'amnésie partiel<strong>le</strong>, l'ai<strong>de</strong> qui lui avait été apportée et tout ce<br />

qui y était lié. <strong>Les</strong> chroniques <strong>de</strong> Sorgentel, <strong>le</strong> mystérieux sac qu'il avait<br />

interdiction formel<strong>le</strong> d'ouvrir, Casca<strong>de</strong>. Il lui avoua éga<strong>le</strong>ment qu'Anaïs<br />

avait rencontré Nils à Silhouette et qu'il attendait <strong>de</strong> nouvel<strong>le</strong>s<br />

informations <strong>de</strong> sa part, dès que <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux amis auraient l'occasion <strong>de</strong> se<br />

par<strong>le</strong>r en tout discrétion.<br />

A mesure qu'il parlait, Arthur voyait <strong>le</strong> visage <strong>de</strong> son camara<strong>de</strong> se<br />

décomposer ou <strong>de</strong>venir rouge <strong>de</strong> stupeur, mais pas une fois il fut<br />

interrompu. Lorsqu'il conclut son récit, après une dizaine <strong>de</strong> minutes<br />

d'explications, Jamie était blême, à la limite <strong>de</strong> l'amorphisme.<br />

"Voila, fit Arthur, préoccupé <strong>de</strong> sa réaction à venir."<br />

Jamie avala sa boisson avec un f<strong>le</strong>gme tout britannique, puis émit<br />

un bruit nasal qui ne paraissait pas exprimer quelque position que ce soit.<br />

Il fit patienter Arthur une bonne poignée <strong>de</strong> secon<strong>de</strong>s avant <strong>de</strong> reprendre<br />

la paro<strong>le</strong> :<br />

"En temps normal, j'aurais sauté sur place, victime d'hystérie aigue.<br />

Aujourd'hui, je suis disposé à entendre ce type d'annonce avec une<br />

surprise contenue.<br />

-Désolé d'avoir caché cette histoire. Tu peux imaginer mes raisons, vu <strong>le</strong><br />

statut <strong>de</strong> Samuel auprès <strong>de</strong> GLOW. Je pourrais…<br />

-Mon pauvre Arty, cesse <strong>de</strong> t'excuser, s'exclama Jamie en <strong>le</strong> saisissant<br />

vivement par <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux épau<strong>le</strong>s.<br />

-Tu…Tu me fais mal."<br />

2


Jamie était fina<strong>le</strong>ment entré en état d'hystérie aigue.<br />

"Pauvre lad, obligé <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r tout ça pour toi et <strong>de</strong> jouer sur <strong>de</strong>ux plans<br />

en permanence, continua Jamie d'un air empathique. Quand je pense que<br />

pendant TOUT CE TEMPS tu as subi cette épreuve SEUL, sans pouvoir te<br />

confier à qui que ce soit.<br />

-Ce n'est plus une surprise contenue là! Par pitié, calme toi; quelqu'un va<br />

t'entendre.<br />

-Et dire que tu me fais suffisamment confiance pour me confier cette<br />

immense secret qui pourrait te compromettre et te faire expulser <strong>de</strong><br />

GLOW, voire PIRE!"<br />

Il s'agenouilla <strong>de</strong> nouveau, <strong>de</strong>vant un Arthur blafard.<br />

"Désolé, je suis trop excité.<br />

-Dois-je comprendre que tu prends cette révélation…<br />

-JE SERAI VOTRE ALLIE!<br />

-CESSE DE M'INTERROMPRE TOUT LE TEMPS ET CALME TOI, rugit Arthur<br />

avec fureur."<br />

Jamie s'agenouilla <strong>de</strong> nouveau, avec discipline.<br />

"Ce que je voulais dire avec cette frénésie incontrôlab<strong>le</strong>, c'est que je<br />

m'associe à ton entreprise.<br />

-Si… faci<strong>le</strong>ment? Tu sais, j'ai moi-même douté pendant <strong>de</strong>s semaines<br />

avant <strong>de</strong> prendre définitivement parti. Sans compter que tu as assisté à<br />

une partie <strong>de</strong>s méfaits du principal intéressé.<br />

-C'est bien pour cela que j'espère que tu as raison au sujet <strong>de</strong> Samuel. Je<br />

ne voudrais pas te suivre jusqu'aux portes <strong>de</strong> l'enfer pour rien lad.<br />

-Je savais que je pouvais t'en faire part sans risque, dit Arthur, <strong>le</strong> cœur<br />

plus léger.<br />

-Ma foi, j'en veux férocement à Samuel pour ses métho<strong>de</strong>s extrêmes,<br />

mais j'ai confiance en ton instinct. Sans compter qu'il y a trop<br />

d'incohérences et <strong>de</strong> zones d'ombre dans cette affaire, comme tu l'as si<br />

bien souligné."<br />

Il ingurgita un club sandwich d'une bouchée et parla la bouc<strong>le</strong> p<strong>le</strong>ine.<br />

"Tu peux compter sur ma discrétion pour l'instant Arty. Toutefois, si j'ai la<br />

moindre raison <strong>de</strong> penser que Samuel n'est qu'un sous-fifre <strong>de</strong> la<br />

Confrérie qui essaie <strong>de</strong> nous mener en bateau, il vaudrait mieux qu'il ne<br />

se retrouve pas sur mon chemin.<br />

-Je comprends. J'ai la même position à ce sujet, même si je doute<br />

fortement <strong>de</strong> sa mauvaise foi.<br />

-Concernant Nils, je suis toujours aussi déterminé à t'ai<strong>de</strong>r à <strong>le</strong> faire sortir<br />

<strong>de</strong> la Confrérie, par tous <strong>le</strong>s moyens envisgeab<strong>le</strong>s. Le meil<strong>le</strong>ur ami <strong>de</strong> mon<br />

meil<strong>le</strong>ur ami est mon meil<strong>le</strong>ur ami, n'est-ce pas?<br />

2


-C'est… un peu simpliste, mais je reconnais que vous vous entendriez<br />

plutôt bien tous <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux.<br />

-Je n'en doute pas!"<br />

Ils continuèrent à manger en si<strong>le</strong>nce, avant que Jamie ne relance la<br />

conversation :<br />

"Tu ne tiens vraiment pas à en par<strong>le</strong>r à nos camara<strong>de</strong>s? Au moins Sally et<br />

ceux <strong>de</strong> Paris.<br />

-Trop risqué. Même si Sally ne <strong>le</strong> prenait pas mal, el<strong>le</strong> se sentirait obligée<br />

d'en par<strong>le</strong>r à Sonia, qui en par<strong>le</strong>rait forcément aux dirigeants vu son<br />

ressentiment. Quant aux autres, je ne veux pas <strong>le</strong>s troub<strong>le</strong>r inuti<strong>le</strong>ment,<br />

même si je <strong>le</strong>ur fais généra<strong>le</strong>ment confiance. Trois élus dans <strong>le</strong> secret,<br />

c'est déjà beaucoup.<br />

-Très bien, je gar<strong>de</strong>rai bouche cousue."<br />

Arthur opina <strong>de</strong> la tête en signe <strong>de</strong> remerciement.<br />

"Un après-midi calme à occuper, jusqu'à l'arrivée <strong>de</strong> Sonia, fit remarquer<br />

Jamie en caressant son ventre repus. Il serait quand même sympathique<br />

<strong>de</strong> nous diriger vers un sujet <strong>de</strong> discussion qui n'implique pas ma<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> en mariage ratée ou notre statut d'agents doub<strong>le</strong>s.<br />

-Comme tu veux. De toute façon, je suis à <strong>de</strong>ux doigts d'al<strong>le</strong>r faire une<br />

sieste. Tu n'as qu'à raconter ce qui te passe par la tête, comme<br />

d'habitu<strong>de</strong>. Ca me fera probab<strong>le</strong>ment dormir.<br />

-Oh non, s'offusqua Jamie. J'ai besoin <strong>de</strong> me changer <strong>le</strong>s idées en<br />

discutant! Pour cela, je dispose d'une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> petits récits<br />

passionnants avec <strong>le</strong>squels je m'assure ton attention.<br />

-De quel genre?<br />

-Ce que j'ai réussi à extirper <strong>de</strong> nos camara<strong>de</strong>s élus sur l'époque où ils ont<br />

découvert <strong>le</strong>ur don, répliqua Jamie avec un rire victorieux."<br />

1999, Dakar, SENEGAL – Lycée Privé Français Saint-Exupéry<br />

Sally, 16 ans<br />

"Sally, tu as été génia<strong>le</strong>!<br />

-Digne <strong>de</strong> notre déléguée <strong>de</strong> classe! Tu <strong>le</strong>s as détruites en moins <strong>de</strong> temps<br />

qu'il n'en faut pour dire "ouf"<br />

-Ce n'était rien, j'étais juste entraînée… Merci <strong>de</strong> m'avoir encouragée<br />

pendant la course en tout cas"<br />

Sally se dirigea vers la sortie du vestiaire, enfin vêtue <strong>de</strong> son<br />

uniforme scolaire. Une lour<strong>de</strong> médail<strong>le</strong> en or se balançait <strong>le</strong>ntement à son<br />

cou.<br />

"Fais gaffe en sortant, tous <strong>le</strong>s garçons vont se focaliser sur toi après cet<br />

exploit.<br />

2


-Pour ce que ça change <strong>de</strong> d'habitu<strong>de</strong>, soupira Sally en récupérant son sac<br />

à dos. Bon, je rentre! A <strong>de</strong>main <strong>le</strong>s fil<strong>le</strong>s."<br />

Fourbue mais ravie, Sally quitta la pièce, s'engageant dans <strong>le</strong><br />

couloir. C'était globa<strong>le</strong>ment une bonne journée. Première au cross,<br />

dispensée d'interrogation ora<strong>le</strong> grâce à un mal <strong>de</strong> ventre feint, félicitations<br />

<strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s camara<strong>de</strong>s <strong>de</strong> classe. Rien ne pourrait entacher cet après-midi<br />

<strong>de</strong> béatitu<strong>de</strong>.<br />

"COUCOU!"<br />

Sally hurla et se plaqua contre <strong>le</strong> mur <strong>le</strong> plus proche, surprise par<br />

une subite apparition rose et blanche.<br />

"Encore toi!? vociféra Sally, tremblante.<br />

-Je t'avais dit que je reviendrais, répondit la minuscu<strong>le</strong> fée volante.<br />

-Va<strong>de</strong> retro!!! Tu n'existes pas! répliqua Sally en la pointant du doigt.<br />

-Je fais partie <strong>de</strong> toi maintenant, inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> fuir. Tu ferais mieux <strong>de</strong> me<br />

laisser t'expliquer…"<br />

Sally se prit la tête entre <strong>le</strong>s mains et détala vers la sortie en criant<br />

pour exorciser ce démon.<br />

"TU N'EXISTES PAS! TU N'EXISTES PAS! TU N'EXISTES PAS! TU N'ES QUE<br />

LE FRUIT DE MON MANQUE DE SOMMEIL! AAAAAAAAAAAAAAAH!"<br />

La petite fée la regarda partir en haussant <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s. El<strong>le</strong> finirait<br />

bien par lui faire entendre raison.<br />

A suivre…<br />

2


Chapitre 16 : Leur éveil<br />

2000, Medway / Seven Oaks, ROYAUME UNI – Manoir Corbell<br />

Jamie, 17 ans<br />

"Très bien James, <strong>le</strong> cours est fini pour aujourd'hui.<br />

-Enfin! J'ai cru que la séance ne s'achèverait jamais, souffla Jamie,<br />

menta<strong>le</strong>ment épuisé."<br />

Son professeur particulier commença à débarrasser <strong>le</strong> bureau et<br />

rangea ses affaires dans sa mal<strong>le</strong>tte, avec un sourire ironique.<br />

"Tu n'aimes vraiment pas étudier, n'est-ce pas? fit remarquer la dame<br />

d'un air compréhensif.<br />

-Ce n'est pas ça, Ma<strong>de</strong>moisel<strong>le</strong> Pickins. Je trouve juste que <strong>le</strong>s cours<br />

seraient beaucoup plus tolérab<strong>le</strong>s si je n'étais pas seul face à vous, même<br />

si j'apprécie votre métho<strong>de</strong> d'enseignement.<br />

-Tu pourrais <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à tes parents <strong>de</strong> te mettre au lycée, dit Mel<strong>le</strong><br />

Pickins en se <strong>le</strong>vant."<br />

Tous <strong>de</strong>ux se dirigèrent vers la porte du bureau dans <strong>le</strong>quel Jamie<br />

suivait ses cours particuliers.<br />

"Nous sommes trop loin <strong>de</strong>s éco<strong>le</strong>s. Cela <strong>le</strong>s obligerait à m'envoyer en<br />

internat, expliqua Jamie. Ma mère est beaucoup trop attachée à moi pour<br />

l'envisager.<br />

-Il va donc falloir prendre ton mal en patience jusqu'à l'université.<br />

-L'université… je ne me vois pas al<strong>le</strong>r si loin. Je vous ouvre la porte<br />

Ma<strong>de</strong>moisel<strong>le</strong> Pickins…"<br />

Le professeur se figea. La poignée <strong>de</strong> la porte, ainsi que la porte<br />

el<strong>le</strong>-même, étaient <strong>de</strong>meurés dans la main droite <strong>de</strong> Jamie. Stupéfait par<br />

son propre fait, celui-ci laissa tomber <strong>le</strong> tout à ses pieds.<br />

"Tu <strong>de</strong>vrais te mettre au rugby, suggéra Mel<strong>le</strong> Pickins.<br />

2001, Dres<strong>de</strong>, Al<strong>le</strong>magne – Maison <strong>de</strong> la famil<strong>le</strong> Wolf<br />

Andreas, 17 ans<br />

On frappa à la porte <strong>de</strong> la chambre d'Andreas.<br />

"Mon chéri, c'est moi, fit la voix tremblante <strong>de</strong> Mme Wolf"<br />

2


Andreas <strong>le</strong>va <strong>le</strong>s yeux <strong>de</strong> son clavier, intrigué. Généra<strong>le</strong>ment sa<br />

mère se contentait d'ouvrir la porte pour <strong>le</strong> forcer à se déloger <strong>de</strong> son<br />

ordinateur. Frapper à la porte était inhabituel pour el<strong>le</strong>.<br />

"Oui maman."<br />

Sa mère ouvrit <strong>le</strong>ntement la porte et passa sa tête dans<br />

l'entrebâil<strong>le</strong>ment, pâ<strong>le</strong> comme la mort.<br />

"Andreas… Je ne sais pas ce que tu as fait, mais il y a <strong>de</strong>s gens qui<br />

souhaiteraient te voir."<br />

A cet instant, la porte s'ouvrit complètement et trois hommes en<br />

costume cravate firent irruption dans la chambre, en ordre rangé. L'un<br />

d'entre eux brandit une carte d'i<strong>de</strong>ntification.<br />

"Monsieur Wolf. Interpol."<br />

Andreas remit ses lunettes sur son nez, en état <strong>de</strong> choc. Sa mère<br />

semblait sur <strong>le</strong> point <strong>de</strong> défaillir.<br />

"Nous allons <strong>de</strong>voir saisir tout votre équipement. Veuil<strong>le</strong>z éloigner vos<br />

mains <strong>de</strong> ce clavier, dit <strong>le</strong> <strong>de</strong>uxième homme en se dirigeant vers l'arrière<br />

du bureau.<br />

-Vous al<strong>le</strong>z éga<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>voir nous suivre.<br />

-Que reprochez vous à mon fils? protesta Mme Wolf, au bord <strong>de</strong> la crise<br />

<strong>de</strong> nerfs. C'est un garçon calme, il n'a jamais rien fait <strong>de</strong> mal. Vous ne<br />

pouvez pas l'amener!!<br />

-Votre fils a réduit à néant toutes <strong>le</strong>s protections du réseau informatique<br />

d'Interpol, Madame Wolf. C'est un hacker, voire pire.<br />

-Je <strong>le</strong> répète, vous faites forcément erreur. Mon fils est un garçon<br />

discipliné!<br />

-Et sans doute surdoué, mais ça ne change rien à la situation."<br />

L'agent saisit Andreas par l'épau<strong>le</strong> et <strong>le</strong> fit se <strong>le</strong>ver, tandis que ses<br />

collègues entreprenaient <strong>de</strong> débrancher l'ordinateur et tous ses<br />

périphériques.<br />

1999, Malaga, Espagne – Un cimetière<br />

Rick, 19 ans<br />

"J'espère que vous ne m'en tiendrez pas rigueur, déclara Rick à la pierre<br />

tomba<strong>le</strong>. Je suis sûr que si vous étiez toujours parmi nous, vous<br />

comprendriez."<br />

Il soupira longuement.<br />

2


"Il va être temps pour moi d'y al<strong>le</strong>r. Je vous promets que je reviendrai."<br />

La nuit commençait à tomber .Rick était <strong>de</strong>meuré assis <strong>de</strong>vant la<br />

tombe <strong>de</strong> ses parents et <strong>de</strong> son frère ca<strong>de</strong>t pendant une bonne heure. Le<br />

cœur lourd, il se remit <strong>de</strong>bout et se saisit <strong>de</strong> son étui <strong>de</strong> guitare. Six ans<br />

après <strong>le</strong> terrib<strong>le</strong> incendie qui l'avait rendu orphelin, il ne parvenait<br />

toujours pas à passer <strong>le</strong> cap. Son frère ca<strong>de</strong>t lui manquait<br />

particulièrement. Il aurait eu douze ans cette année.<br />

Alors qu'il s'apprêtait à quitter <strong>le</strong>s lieux, son attention fut attirée par<br />

un étrange phénomène, au sol. L'impitoyab<strong>le</strong> cha<strong>le</strong>ur <strong>de</strong> l'été avait<br />

entamé l'herbe du cimetière, l'asséchant complètement. Pourtant, là où il<br />

s'étais assis, La pelouse semblait avoir repris sa cou<strong>le</strong>ur verdâtre, sur une<br />

surface limitée.<br />

"Bizarre…"<br />

Sans se poser plus <strong>de</strong> questions, Rick quitta <strong>le</strong>s lieux. Il n'était pas<br />

d'humeur à s'interroger sur ce type <strong>de</strong> phénomènes inexpliqués.<br />

2002, Bombay, INDE – Bibliothèque <strong>de</strong> Monsieur Ghansali<br />

Aïshani, 16 ans<br />

Aïshani était assise en tail<strong>le</strong>ur sur la petite chaise du bureau <strong>de</strong> son<br />

père, tentant <strong>de</strong> se concentrer sur l'encyclopédie qu'el<strong>le</strong> consultait. A<br />

l'extérieur <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> pièce chargée <strong>de</strong> livres, <strong>le</strong> chaos. L'une <strong>de</strong> ses<br />

sœurs aînées préparait son mariage à grands coups <strong>de</strong> crises nerveuses.<br />

Cet endroit était <strong>le</strong> seul havre <strong>de</strong> paix <strong>de</strong> la maison Ghansali.<br />

"Puis-je venir?"<br />

La voix paraissait émaner <strong>de</strong> toute la bibliothèque, imposante mais<br />

soumise. Aïshani se <strong>le</strong>va pour verrouil<strong>le</strong>r la porte <strong>de</strong> la pièce, puis<br />

retourna s'asseoir.<br />

"Si tu veux. Au moins, tu as <strong>de</strong>mandé poliment cette fois-ci."<br />

Un félin massif à la carrure entièrement blanche se matérialisa<br />

<strong>de</strong>vant el<strong>le</strong>, dans un éclat ar<strong>de</strong>nt. Il fit un mouvement <strong>de</strong> mâchoire qui<br />

ressemblait à un sourire.<br />

"Khan, c'est bien ça?<br />

-Oui, répondit-il. Tu as retenu mon nom.<br />

-C'est un nom assez parlant dans notre culture.<br />

-Je vois… Tu semb<strong>le</strong>s avisée.<br />

-Pas vraiment."<br />

2


Aïshani défit la natte qui bridait sa longue chevelure noire.<br />

"Qu'as-tu découvert d'intéressant aujourd'hui? J'ai l'impression que tu<br />

passes beaucoup <strong>de</strong> temps dans cet endroit <strong>de</strong> culture.<br />

-Je m'informe sur <strong>le</strong> mouvement réaliste chez <strong>le</strong>s auteurs français.<br />

Voudrais-tu que je t'en par<strong>le</strong>?"<br />

Khan se coucha, posant sa grosse tête sur ses pattes avant.<br />

"Avec joie."<br />

2002, Osaka, JAPON – Chambre d'Asuka Maekawa<br />

Asuka, 21 ans<br />

"Asu-chaaaaaaaaaaaaaan!"<br />

Asuka posa son manga et se colla contre <strong>le</strong> mur, juste au moment<br />

où sa petite sœur, Hazuki, défonçait la porte pour lui sauter <strong>de</strong>ssus.<br />

Malgré sa fine silhouette d'ado<strong>le</strong>scente, el<strong>le</strong> dégageait une énergie<br />

impressionnante.<br />

"Ho… tu marches sur mon gashapon Hazuki. Qu'est-ce que tu veux<br />

encore? Papa te tuerait s'il t'entendait hur<strong>le</strong>r ainsi dans la maison.<br />

-Justement, papa n'est pas là. C'est une occasion inespérée!<br />

-De quoi tu par<strong>le</strong>s, gothic-lolita-stalker-chan?<br />

-Je t'ai dit d'arrêter <strong>de</strong> m'appe<strong>le</strong>r ainsi! C'est juste un sty<strong>le</strong> vestimentaire.<br />

-Viens en au fait, que je puisse continuer ma <strong>le</strong>cture et vivre sereinement<br />

ma peine. Il s'agit du moment émouvant où <strong>le</strong>s chevaliers d'or se<br />

sacrifient…"<br />

Hazuki ignora se détresse et joignit <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux mains, en signe <strong>de</strong><br />

supplication.<br />

"Je voudrais voyager comme la <strong>de</strong>rnière fois, Asu-chan.<br />

-Hors <strong>de</strong> question."<br />

Asuka se replongea dans son manga. <strong>Les</strong> chevaliers d'or étaient morts.<br />

"Al<strong>le</strong>z.<br />

-Non.<br />

-S'il te plaît.<br />

-Non.<br />

-Pitié.<br />

-Non.<br />

-Je t'achèterai un coffret."<br />

2


Le sourcil droit d'Asuka se <strong>le</strong>va. Il fit mine d'hésiter, mais ne put<br />

résister longtemps au regard <strong>de</strong> sa sœur. Son manga tomba <strong>de</strong> ses mains.<br />

"Ok, mais je ne sais pas si j'y arriverai encore.<br />

-Je te fais confiance."<br />

El<strong>le</strong> lui donna la main et Asuka ferma <strong>le</strong>s yeux, se concentrant sur<br />

son objectif. Après une longue minute <strong>de</strong> méditation, il sentit que quelque<br />

chose se passait en lui. Son corps lui paraissait <strong>de</strong>venir léger comme une<br />

plume. Il rouvrit alors <strong>le</strong>s yeux et contempla son exploit. Lui et sa sœur<br />

étaient au sommet <strong>de</strong> la tour <strong>de</strong> Tokyo, point <strong>de</strong> vue imprenab<strong>le</strong> sur la<br />

capita<strong>le</strong>, <strong>de</strong> nuit.<br />

"Yes! Ca a marché, Asu-chan, jubila Hazuki."<br />

2001, Pékin, CHINE – Gymnase <strong>de</strong> l'Eco<strong>le</strong> Militaire Liu<br />

Shui-Khan, 12 ans<br />

"Aaaaaaaaaah!"<br />

Pris <strong>de</strong> convulsions, l'ado<strong>le</strong>scent tomba au sol, sous <strong>le</strong>s regards<br />

apeurés <strong>de</strong> ses camara<strong>de</strong>s. Shui-Khan <strong>le</strong> contempla avec ahurissement. Il<br />

n'avait rien fait d'autre que <strong>le</strong> frapper avec <strong>le</strong> bâton <strong>de</strong> combat, comme<br />

d'habitu<strong>de</strong>. L'instructeur intervint.<br />

"Hé, lève-toi Wang, fit-il en approchant <strong>de</strong> l'adversaire <strong>de</strong> Shui-Khan.<br />

Qu'est-ce que tu as? Tu es b<strong>le</strong>ssé quelque part?<br />

-Je n'ai rien fait d'inhabituel, lança Shui-Khan, sur la défensive."<br />

L'autre semblait <strong>le</strong>ntement reprendre ses esprits. Ses pupil<strong>le</strong>s<br />

re<strong>de</strong>vinrent fixes et sa respiration stab<strong>le</strong>.<br />

"Wang, ça va? répéta l'instructeur. Tu me fais peur.<br />

-O… Oui, professeur, bégaya Wang, encore étourdi."<br />

Il se redressa avec l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'instructeur, puis dévisagea Shui-Khan.<br />

Son regard exprimait un mélange <strong>de</strong> terreur et d'incompréhension.<br />

"Tu m'as é<strong>le</strong>ctrocuté, Liu.<br />

-Sottises, répliqua Shui-Khan. Je n'ai rien fait <strong>de</strong> tel.<br />

-Liu n'a rien fait d'autre que <strong>de</strong> t'attaquer avec l'arme, conformément à<br />

l'entraînement, confirma l'instructeur. Tu dois être surmené Wang. Plus<br />

d'entraînement pour toi.<br />

-Je vous jure que j'ai ressenti une vio<strong>le</strong>nte décharge quand Liu m'a<br />

frappé, professeur. J'ai cru que j'allais mourir."<br />

2


<strong>Les</strong> autres élèves ricanèrent.<br />

"Liu, accompagne ton camara<strong>de</strong> à l'infirmerie, intima l'instructeur. Il doit<br />

perdre raison.<br />

Shui-Khan avait <strong>le</strong> regard fixé sur <strong>le</strong> revers <strong>de</strong> sa main. Un<br />

idéogramme s'y était inscrit à son insu, comme marqué à l'encre noire.<br />

"La tour", en chinois.<br />

"Qu'il y ail<strong>le</strong> tout seul, je n'ai que faire <strong>de</strong>s dingues comme lui, répondit-il<br />

avec inso<strong>le</strong>nce.<br />

-OH! cria l'instructeur. Ce n'est parce que tu es <strong>le</strong> fils du Général que…<br />

REVIENS ICI LIU!"<br />

Shui-Khan quitta <strong>le</strong> gymnase et s'éloigna d'un pas déterminé,<br />

malgré la pluie battante.<br />

2001, Rabat, MAROC – Anniversaire d'Ibtissam, Villa Bensaïdi<br />

Ibtissam, 18 ans<br />

"Cel<strong>le</strong>-ci?<br />

-Bof…, fit Ibtissam.<br />

-Dinah?<br />

-Trop superficiel<strong>le</strong> mon ami.<br />

-Oh, qui est cette fil<strong>le</strong> qui arrive chargée <strong>de</strong> ca<strong>de</strong>aux?<br />

-Inintéressante. El<strong>le</strong> cherche à m'acheter."<br />

Ibtissam appuya son dos contre la roche polie <strong>de</strong> la petite fontaine<br />

intérieure. L'ambiance battait son p<strong>le</strong>in et <strong>le</strong>s invités, camara<strong>de</strong>s<br />

d'Ibtissam ou invités indésirab<strong>le</strong>s, étaient <strong>de</strong> plus en plus nombreux à<br />

fourmil<strong>le</strong>r dans <strong>le</strong> patio.<br />

"Tu n'es pas à la fête Tissam, lui fit remarquer son ami. C'est pourtant ton<br />

anniversaire. Tu es bien vêtu, entouré <strong>de</strong> ta famil<strong>le</strong> et <strong>de</strong> tes amis! Qu'estil<br />

arrivé à ta joie <strong>de</strong> vivre habituel<strong>le</strong>?<br />

-Je ne saurais <strong>le</strong> dire. Pour une raison inexplicab<strong>le</strong>, mon esprit n'est pas à<br />

la fête aujourd'hui. C'est comme… si quelque chose manquait à mon âme.<br />

-A quoi bon porter cette somptueuse tenue <strong>de</strong> fêtte si tu restes retranché<br />

avec moi près <strong>de</strong> la fontaine? Tu pourrais al<strong>le</strong>r charmer n'importe laquel<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong> tes invitées.<br />

-Non…<br />

-Au moins va ouvrir un <strong>de</strong> tes ca<strong>de</strong>aux ou ava<strong>le</strong>r quelque chose au buffet.<br />

Le "petit prince Tissam" a une réputation à tenir!<br />

-Le prince est en congé aujourd'hui…"<br />

2


Son ami soupira, juste avant <strong>de</strong> baisser <strong>le</strong>s yeux et <strong>de</strong> <strong>le</strong>s écarquil<strong>le</strong>r.<br />

"Regar<strong>de</strong> Tissam."<br />

Ibtissam baissa <strong>le</strong>s yeux. Cinq bagues en or, serties <strong>de</strong> pierres aux<br />

teintes chatoyantes, avaient été posées à ses pieds, à son insu. Personne<br />

n'avait pourtant fait mine <strong>de</strong> s'approcher d'eux.<br />

"Qui t'a offert ceci? Je n'ai vu personne déposer ces bagues <strong>de</strong>vant toi.<br />

-Je ne sais pas, mais el<strong>le</strong>s sont très bel<strong>le</strong>s, dit Ibtissam en <strong>le</strong>s prenant.<br />

Leur seu<strong>le</strong> vue me rend guil<strong>le</strong>ret."<br />

2002, Saint Petersbourg, RUSSIE – Jardin <strong>de</strong> la Famil<strong>le</strong> Ve<strong>le</strong>itov<br />

Xenia, 19 ans<br />

"Xeniaaaaaaaaaa…"<br />

A<strong>le</strong>xei se précipita vers sa gran<strong>de</strong> sœur, un avion en papier à la<br />

main. El<strong>le</strong> <strong>le</strong>va <strong>le</strong>s yeux <strong>de</strong> son roman.<br />

"Que se passe-t-il A<strong>le</strong>xei?<br />

-Il ne vo<strong>le</strong> pas.<br />

-C'est normal, il n'y a pas <strong>le</strong> moindre vent aujourd'hui. Tu réessaieras<br />

<strong>de</strong>main."<br />

Le petit garçon la darda d'un regard terrib<strong>le</strong>ment culpabilisant, au<br />

point qu'el<strong>le</strong> se saisit <strong>de</strong> l'avion pour tenter <strong>de</strong> lui donner meil<strong>le</strong>ure<br />

apparence. Pendant que Xenia mettait du cœur à l'ouvrage, el<strong>le</strong> perçut<br />

une quinte <strong>de</strong> toux provenant <strong>de</strong>s hauteurs <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur immeub<strong>le</strong>. Sa mère<br />

s'était appuyée à la fenêtre <strong>de</strong> sa chambre du premier étage, observant<br />

<strong>le</strong>s enfants jouer sur l'esplana<strong>de</strong>. El<strong>le</strong> apostropha Xenia d'un faib<strong>le</strong> sourire,<br />

qui lui fut aussitôt rendu.<br />

"Voila A<strong>le</strong>xei, ça <strong>de</strong>vrait mieux marcher ainsi, dit la jeune femme en lui<br />

rendant son avion.<br />

-Fais <strong>le</strong> vo<strong>le</strong>r toi. J'ai peur <strong>de</strong> l'abîmer.<br />

-…D'accord."<br />

El<strong>le</strong> n'aurait pas la paix tant que l'avion ne vo<strong>le</strong>rait pas. El<strong>le</strong> posa<br />

son livre sur <strong>le</strong> bloc <strong>de</strong> boîtes aux <strong>le</strong>ttres, se <strong>le</strong>va, puis mit sa main droite<br />

en hauteur.<br />

"Vo<strong>le</strong> loin, très loin, dit-el<strong>le</strong> à voix haute, comme une formu<strong>le</strong> magique<br />

pour amadouer A<strong>le</strong>xei. Que la brise te porte vers <strong>le</strong>s cieux."<br />

2


Xenia lança l'avion <strong>de</strong> toutes ses forces, alors qu'une bourrasque se<br />

déc<strong>le</strong>nchait soudainement. Surprise, el<strong>le</strong> ferma <strong>le</strong>s yeux et plaqua ses<br />

mains sur ses cheveux pour <strong>le</strong>s empêcher <strong>de</strong> vo<strong>le</strong>r dans tous <strong>le</strong>s sens.<br />

A<strong>le</strong>xei s'accrocha à sa jambe droite, effrayé.<br />

"Quel coup <strong>de</strong> vent, fit-el<strong>le</strong> avec un rire, lorsque l'atmosphère se fut<br />

apaisée.<br />

-WOW! Regar<strong>de</strong> Xenia! Il vo<strong>le</strong> super bien!"<br />

El<strong>le</strong> <strong>le</strong>va <strong>le</strong>s yeux, stupéfaite par l'essor impressionnant <strong>de</strong> sa<br />

création. L'avion en papier frôlait <strong>le</strong>s toits <strong>de</strong>s immeub<strong>le</strong>s a<strong>le</strong>ntours, avec<br />

la même aisance que <strong>le</strong>s quelques oiseaux qui vo<strong>le</strong>taient dans <strong>le</strong>s<br />

parages.<br />

2000, Sao Paulo, BRESIL – Ruel<strong>le</strong><br />

Ana Rosa, 20 ans<br />

"On se sépare! Va par là!<br />

-Okay! Fais gaffe <strong>de</strong> ne pas te faire chopper.<br />

-T'inquiète, on se retrouve chez Deniso."<br />

Ana Rosa s'introduisit hâtivement dans une ruel<strong>le</strong> qui avoisinait<br />

l'avenue Borla, lança la ban<strong>de</strong>ro<strong>le</strong> <strong>de</strong> manifestation dans un amas<br />

d'ordures, puis se jeta <strong>de</strong>rrière une grosse benne à ordures pour s'y<br />

camouf<strong>le</strong>r. A peine s'était-el<strong>le</strong> postée là qu'une troupe <strong>de</strong> policiers<br />

dégoulinants <strong>de</strong> tomate écrasée passa dans la ruel<strong>le</strong> au pas <strong>de</strong> course.<br />

L'un d'entre eux proférait <strong>de</strong>s jurons.<br />

"Sa<strong>le</strong>té d'anarchistes! Il faudrait tous <strong>le</strong>s mettre en prison!<br />

-Bah…, fit une autre. Ce ne sont que <strong>de</strong>s gamins mal lunés."<br />

Ana Rosa retint un fou rire, jusqu'à ce que <strong>le</strong>s policiers se soient<br />

éloignés, bredouil<strong>le</strong>s. Connaissant toutefois <strong>le</strong>ur façon d'opérer, el<strong>le</strong> se<br />

garda bien <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong> sa cachette. Laisser passer une bonne <strong>de</strong>mi-heure,<br />

<strong>le</strong> temps qu'ils soient lassés et se résignent à rentrer, la queue entre <strong>le</strong>s<br />

jambes. C'est ainsi qu'el<strong>le</strong> agissait après chaque manifestation.<br />

"Je vais m'ennuyer ici, déplora-t-el<strong>le</strong>. Ca pue <strong>le</strong>s déchets…"<br />

Le bloc notes que lui avait confié un <strong>de</strong> ses camara<strong>de</strong>s avant la<br />

manifestation gonflait sa poche <strong>de</strong> veste. El<strong>le</strong> l'en sortit et <strong>le</strong> feuil<strong>le</strong>ta<br />

rapi<strong>de</strong>ment. Il y avait là <strong>le</strong>s détails <strong>de</strong> la manifestation, quelques <strong>de</strong>ssins<br />

incohérents sans doute faits en état d'ébriété, et d'autres griffonnages<br />

inintéressants. "De quoi s'occuper un peu." El<strong>le</strong> se saisit du crayon logé<br />

entre <strong>le</strong>s spira<strong>le</strong>s du bloc notes et se mit à <strong>de</strong>ssiner la première chose qui<br />

lui passait par la tête. Un chien. Ana Rosa ne se connaissait aucun ta<strong>le</strong>nt<br />

pour <strong>le</strong> <strong>de</strong>ssin, mais el<strong>le</strong> ne cherchait qu'à s'occuper.<br />

2


"Eh beh… je ne suis pas si mauvaise que ça, s'étonna-t-el<strong>le</strong> après<br />

quelques minutes <strong>de</strong> production."<br />

Ana Rosa n'était pas peu fière, ayant réalisé un bou<strong>le</strong>dogue plus vrai<br />

que nature. El<strong>le</strong> en vint à penser qu'une carrière dans l'art était<br />

envisageab<strong>le</strong>, avec un tel ta<strong>le</strong>nt.<br />

"Bon… j'en ai marre d'attendre. <strong>Les</strong> flics doivent être loin maintenant…"<br />

El<strong>le</strong> se <strong>le</strong>va, arracha <strong>le</strong> <strong>de</strong>ssin du bloc et <strong>le</strong> roula en bou<strong>le</strong> pour <strong>le</strong><br />

jeter <strong>de</strong>rrière el<strong>le</strong>, dans <strong>le</strong> tas d'ordures. A peine avait-el<strong>le</strong> fait un pas<br />

pour sortir <strong>de</strong> la ruel<strong>le</strong> qu'une petite détonation la fit sursauter.<br />

"Hein? fit-el<strong>le</strong> en tournant la tête.<br />

-BOW! BOW!"<br />

Ana Rosa détala en hurlant, poursuivie par <strong>le</strong> molosse qu'el<strong>le</strong> venait<br />

<strong>de</strong> créer. Il la chassa pendant une dizaine <strong>de</strong> minutes.<br />

2000, New York, ETATS-UNIS – Fraternité Gamma Delta Phi<br />

Rachel, 19 ans<br />

"Par pitié, tombe sur la tête <strong>de</strong> cette garce, pensa Rachel en forçant un<br />

sourire idyllique."<br />

Amber croisa <strong>le</strong>s jambes et continua à raconter ses mésaventures à<br />

ses consoeurs, rassemblées dans la sal<strong>le</strong> commune <strong>de</strong> la fraternité :<br />

"Et c'est là que cet abruti <strong>de</strong> Nathanael vient m'abor<strong>de</strong>r dans la<br />

bibliothèque, comme si je n'avais que ça à faire. Il commence à bégayer,<br />

à tremb<strong>le</strong>r, puis me par<strong>le</strong> <strong>de</strong> sa voix prépubère : "Euuuh, Amber… Tu<br />

pourrais bla bla bla bla…"<br />

<strong>Les</strong> autres fil<strong>le</strong>s éclatèrent <strong>de</strong> rire, suivies par une Rachel réfractaire.<br />

Sérieusement, el<strong>le</strong> ne supportait plus Amber et ses habitu<strong>de</strong>s<br />

superficiel<strong>le</strong>s. D'ail<strong>le</strong>urs, el<strong>le</strong> ne supportait plus cette fraternité remplie <strong>de</strong><br />

seaux percés. Si ce n'avait été sa mère, el<strong>le</strong> n'y serait jamais allée.<br />

"Heureusement qu'Andrew est arrivé à ce moment là, ajouta Amber. Et<br />

j'étais genre : OH, MERCI MON DIEU! Il est venu me sauver!"<br />

Cris hystériques <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> la fraternité. Presque toutes<br />

agitaient <strong>le</strong>s mains comme <strong>de</strong>s pou<strong>le</strong>s en furie. Rachel agonisait. Si<br />

seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> verre <strong>de</strong> jus qui trônait sur la cheminée, juste au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong><br />

la tête d'Amber, pouvait se déverser sur son crâne <strong>de</strong> piaf.<br />

2


"Que lui a dit Andrew? <strong>de</strong>manda une consoeur.<br />

-Comme vous pouvez <strong>le</strong> <strong>de</strong>viner, il m'en a débarrassé. Le pauvre<br />

Nathanael s'est retrouvé en ca<strong>le</strong>çon sur <strong>le</strong> campus."<br />

Explosion <strong>de</strong> rire généralisée. Rachel ne suivit pas <strong>le</strong> mouvement<br />

cette fois-ci. Certes, el<strong>le</strong> ne parlait pas aux "geeks" (el<strong>le</strong> <strong>le</strong>s méprisait et<br />

n'osait monter dans un même ascenseur qu'eux) mais el<strong>le</strong> ne préconisait<br />

pas pour autant une tel<strong>le</strong> humiliation. Son attention se fixa sur <strong>le</strong> verre.<br />

"Tombe. Tombe petit verre, pensait-el<strong>le</strong>. Je rédigerai une o<strong>de</strong> pour tous<br />

<strong>le</strong>s verres en plastique <strong>de</strong> ton genre!"<br />

<strong>Les</strong> verres en plastique <strong>de</strong>vaient avoir une âme – ou Rachel avoir un<br />

ange gardien – car <strong>le</strong> verre, mû par une énergie mystique, chuta <strong>de</strong> luimême,<br />

déversant son contenu sur la chevelure permanentée d'Amber.<br />

Rachel fut la seu<strong>le</strong> à rire.<br />

Sally – Chambre <strong>de</strong> Sally<br />

"Tu me promets que tu ne me veux pas <strong>de</strong> mal?<br />

-Oui, oui! Je ne te veux que du bien!<br />

-Tu es donc ce que l'on appel<strong>le</strong> un "djinn"?<br />

-Tout à fait, même si cela n'emporte sans doute pas la même signification<br />

qu'ici.<br />

-Ici?<br />

-Comment dire… Je ne peux pas te donner plus <strong>de</strong> détails à ce sujet pour<br />

<strong>le</strong> moment. Désolée."<br />

Sally était assise au bord <strong>de</strong> son lit, mâchonnant négligemment un<br />

crayon à papier. En face d'el<strong>le</strong> se tenait <strong>le</strong> minuscu<strong>le</strong> démon qui n'avait<br />

cessé <strong>de</strong> la tourmenter pendant <strong>de</strong>s semaines. A bien y réfléchir, el<strong>le</strong><br />

trouvait que la créature n'avait rien <strong>de</strong> bien effrayant.<br />

"Tu as l'air <strong>de</strong> connaître mon nom. Comment tu t'appel<strong>le</strong>s toi?<br />

-Oh, fit la <strong>de</strong>moisel<strong>le</strong> djinn en écarquillant <strong>le</strong>s yeux. J'avais un nom<br />

auparavant, mais je l'ai perdu en même temps que mon ancienne<br />

propriétaire. Il faudrait que tu m'en accor<strong>de</strong>s un nouveau!<br />

-Propriétaire? Tu n'as pas déjà un nom?<br />

-J'ai… oublié mon nom d'origine. Cela fait si longtemps. OOOOOH!"<br />

Sally eut un geste <strong>de</strong> recul. La créature était soudain <strong>de</strong>venue très<br />

enthousiaste et volait à travers la chambre, bondissant du bureau à<br />

l'armoire, et <strong>de</strong> l'armoire au lit.<br />

"Qu'est-ce qu'il t'arrive? Tu me fais peur!<br />

-Quelqu'un que je connais approche d'ici, s'extasia la créature.<br />

2


-Ah?"<br />

El<strong>le</strong> vola vers la fenêtre et s'y plaqua, aussitôt suivie par Sally.<br />

Dehors, une femme blon<strong>de</strong> affublée <strong>de</strong> lunettes <strong>de</strong> so<strong>le</strong>il ouvrait <strong>le</strong> portail<br />

<strong>de</strong> la maison.<br />

"Qui est-ce? se <strong>de</strong>manda Sally. On ne voit pas souvent d'européennes<br />

franchir cette porte, à part mes camara<strong>de</strong>s du lycée français… RAAH!<br />

Quelqu'un du lycée!? J'ai été grillée!? Je n'aurais jamais dû sécher ce<br />

cours!<br />

-C'est Sonia! Je la reconnais! C'est Sonia!<br />

-Sonia?"<br />

La femme blon<strong>de</strong> <strong>le</strong>va <strong>le</strong>s yeux comme si el<strong>le</strong> avait entendu la voix<br />

<strong>de</strong> la petite créature et retira ses lunettes. El<strong>le</strong> <strong>le</strong>ur fit un signe <strong>de</strong> main,<br />

l'air béat.<br />

Jamie – Chambre <strong>de</strong> Jamie<br />

"TOC TOC TOC"<br />

"N'entrez pas, répliqua Jamie d'une voix désemparée."<br />

Il était couché au milieu <strong>de</strong> sa chambre, replié sur lui-même. Sa<br />

chambre, du moins ce qui l'avait été jusque là, ressemblait à une scène <strong>de</strong><br />

pillage. <strong>Les</strong> meub<strong>le</strong>s étaient saccagés, réduits à l'état <strong>de</strong> brindil<strong>le</strong>s<br />

éparses. Le sol était troué, <strong>le</strong>s vitres brisées. Tout ce qu'il avait touché au<br />

cours <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rniers jours n'avait pas résisté à cette maudite force<br />

herculéenne dont il avait récemment hérité, sans explication rationnel<strong>le</strong>.<br />

"Je m'appel<strong>le</strong> Bennett Stumpton, dit une voix inconnue <strong>de</strong>rrière la porte.<br />

Je sais que tu n'as pas envie <strong>de</strong> me par<strong>le</strong>r, mais j'aimerais sincèrement<br />

que tu m'accor<strong>de</strong>s quelques instants."<br />

Jamie n'était pas sorti <strong>de</strong> sa chambre <strong>de</strong>puis la veil<strong>le</strong>, pas même<br />

pour manger. Il avait verrouillé la porte pendant <strong>le</strong> court instant durant<br />

<strong>le</strong>quel sa force avait semblé re<strong>de</strong>venir norma<strong>le</strong>. Il craignait trop <strong>de</strong> b<strong>le</strong>sser<br />

<strong>le</strong>s membres <strong>de</strong> sa famil<strong>le</strong> s'il sortait.<br />

"Laissez-moi s'il vous plaît, je n'ai pas besoin d'un psychologue, répondit<br />

Jamie, entre <strong>de</strong>ux sanglots.<br />

-Jamie, ce n'est pas un psychologue, cria la voix <strong>de</strong> Mme Corbell. Ce<br />

monsieur dit qu'il a une explication pour ce qui t'arrive <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s<br />

semaines. Par pitié, ouvre lui.<br />

-Ouvre Jamie, ajouta la voix <strong>de</strong> son père. On trouvera une solution pour<br />

t'ai<strong>de</strong>r, je te <strong>le</strong> jure.<br />

-Papa…"<br />

2


M. Corbell était souvent absent. Hors, il n'était pas parti travail<strong>le</strong>r ce<br />

jour là, malgré ses obligations professionnel<strong>le</strong>s. "C'est dire s'il est<br />

préoccupé."<br />

"Ce qui t'arrive n'est pas une malédiction, reprit la voix <strong>de</strong> l'inconnu. C'est<br />

un don, un don du ciel. Enfin, pas exactement du ciel… Ce que tu dois<br />

comprendre, c'est qu'il ne tient qu'à toi d'en faire bon usage.<br />

-Je ne <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> pas. Tout ce que je touche se détruit, répliqua Jamie. Si<br />

ça se trouve… je ne pourrai plus jamais approcher qui que ce soit. Mes<br />

parents, mon frère.<br />

-Tes amis?<br />

-Je n'ai pas d'ami…, murmura Jamie."<br />

Il entendit soudain <strong>de</strong>s bruits étouffés <strong>de</strong>rrière la porte. De vio<strong>le</strong>nts<br />

coups, répétés contre sa surface.<br />

"N'entrez pas ai-je dit, hurla Jamie."<br />

La porte sortit bruta<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> ses gonds et un homme s'immisça<br />

dans la chambre en trébuchant. Son béret tomba au sol, juste avant lui.<br />

Jamie se redressa et essuya ses larmes.<br />

"Bennett Stumpton? <strong>de</strong>manda-t-il, ahuri."<br />

L'homme métis s'était retrouvé à genoux, l'air groggy. Il tendit la<br />

main à Jamie après avoir repris ses esprits.<br />

"Lad, si tu m'écoutes un instant, on pourrait <strong>de</strong>venir amis."<br />

Andreas – Pièce inconnue<br />

Andreas était assis à cette tab<strong>le</strong> <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s heures. Il ne savait pas<br />

où il se trouvait, il ne savait pas si ses parents étaient à proximité. <strong>Les</strong><br />

rares questions qu'il avait posées aux agents d'Interpol n'avaient pas eu<br />

<strong>de</strong> réponse. Eux, par contre, n'avaient eu cesse <strong>de</strong> l'interroger sur ses soidisant<br />

métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> hacker.<br />

Il avait eu beau se défendre, ses interlocuteurs l'avaient regardé<br />

d'un œil impassib<strong>le</strong>, l'air <strong>de</strong> dire "nous ne sommes pas dupes". Ils<br />

l'avaient même interrogé sur d'éventuel<strong>le</strong>s affiliations avec <strong>de</strong>s<br />

mouvements terroristes.<br />

"Merci, messieurs. Ne nous dérangez pas s'il vous plaît."<br />

Andreas était à moitié couché sur la tab<strong>le</strong> lorsqu'il entendit cette<br />

voix féminine rompre <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce glacé <strong>de</strong> cette sal<strong>le</strong> d'interrogatoire. Il se<br />

redressa et remit ses lunettes. Une dame noire, d'un certain âge, venait<br />

<strong>de</strong> s'introduire dans la pièce. Très propre sur el<strong>le</strong>, élégante, un chignon<br />

2


impeccab<strong>le</strong>. Une personne haut placée d'Interpol peut-être? El<strong>le</strong> s'assit en<br />

face d'Andreas tandis qu'il se préparait à une nouvel<strong>le</strong> rafa<strong>le</strong> <strong>de</strong> questions.<br />

"Bonjour Monsieur Wolf, je me nomme Ella Jones.<br />

-Bonjour, répondit-il, aussi poliment que possib<strong>le</strong>."<br />

El<strong>le</strong> lui fit un sourire avenant, contrastant tota<strong>le</strong>ment avec <strong>le</strong>s mines<br />

patibulaires <strong>de</strong>s hommes qui venaient <strong>de</strong> quitter la pièce.<br />

"Je viens te donner un petit coup <strong>de</strong> main, dit-el<strong>le</strong>.<br />

-Vous… êtes avocate?<br />

-Pas vraiment, mais j'ai à cœur <strong>de</strong> défendre tes intérêts.<br />

-…<br />

-Ils disent que tu t'es infiltré dans <strong>le</strong> réseau d'Interpol et que tu as réduit<br />

ses barrières à néant."<br />

Il s'apprêta à répondre, une fois <strong>de</strong> plus. Ella Jones lui coupa l'herbe<br />

sous <strong>le</strong> pied :<br />

"Inuti<strong>le</strong>, je sais que tu n'as pas procédé comme ils <strong>le</strong> pensent. Il y a<br />

même <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s chances que tu aies agi acci<strong>de</strong>ntel<strong>le</strong>ment."<br />

Andreas haussa <strong>le</strong>s sourcils.<br />

"Que s'est-il passé? <strong>de</strong>manda-t-el<strong>le</strong>. N'hésite pas à m'expliquer, je te<br />

croirai, quoi que tu dises.<br />

-…<br />

-Al<strong>le</strong>z, par<strong>le</strong> donc.<br />

-Je voulais faire un exposé sur Interpol pour l'éco<strong>le</strong>, tout simp<strong>le</strong>ment. J'ai<br />

commencé à faire <strong>de</strong>s recherches sur Internet. Sans que je ne comprenne<br />

pourquoi, mon ordinateur s'est mis à agir tout seul.<br />

-Laisse-moi <strong>de</strong>viner : tu as obtenu plus d'informations que tu n'en<br />

espérais?<br />

-Plus que je n'en espérais, comme vous <strong>le</strong> dites."<br />

Mme Jones sourit, visib<strong>le</strong>ment satisfaite. Il s'en étonna.<br />

"Si vous n'êtes pas une avocate, qui êtes-vous?"<br />

El<strong>le</strong> lui tendit la main.<br />

"Pose-toi cette question en me serrant la main. Cela nous fera gagner un<br />

temps précieux."<br />

Rick – Une tab<strong>le</strong> du Bar Perth<br />

"Euh… excuse-moi."<br />

2


Rick interrompit la conversation qu'il avait avec ses amis et se<br />

retourna. Une ravissante jeune femme brune se dandinait <strong>de</strong>vant lui, une<br />

feuil<strong>le</strong> <strong>de</strong> papier à la main.<br />

"J'ai beaucoup aimé ton concert Enrique, je viens souvent t'écouter ici.<br />

Pourrais-je avoir un autographe s'il te plaît?<br />

-Je ne suis pas vraiment une star, vous savez… Enfin, si ça peut vous faire<br />

plaisir.<br />

-Merci beaucoup, dit-el<strong>le</strong> alors qu'il griffonnait nerveusement son nom.<br />

Pendant que j'y suis…, verrais-tu un inconvénient à ce que l'on ail<strong>le</strong><br />

prendre un verre un <strong>de</strong> ces jours?"<br />

Le malaise habituel emplit Rick. Mieux valait trancher dans <strong>le</strong> vif.<br />

"Désolé ma<strong>de</strong>moisel<strong>le</strong>. Vous êtes charmante, mais je ne suis pas<br />

intéressé, répondit-il en lui rendant son autographe."<br />

La femme <strong>de</strong>vint rouge <strong>de</strong> honte.<br />

"Ce n'est pas grave. Merci quand même, dit-el<strong>le</strong> s'empressant <strong>de</strong> partir."<br />

A peine eut-el<strong>le</strong> tourné <strong>le</strong>s talons et quitté <strong>le</strong>s environs que <strong>de</strong>ux<br />

amis <strong>de</strong> Rick se mirent à <strong>le</strong> rosser en bonne et due forme.<br />

"Sa<strong>le</strong>té! Je te déteste! Ca fait dix minutes que je matais cette fil<strong>le</strong>!<br />

-Si je ne recevais que la moitié <strong>de</strong>s propositions que tu as en une soirée,<br />

je pourrais mourir heureux <strong>de</strong>main.<br />

-Inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> me frapper… Vous savez que je n'y suis pour rien."<br />

Une autre amie attablée avec eux éclata <strong>de</strong> rire, provoquant <strong>le</strong><br />

courroux <strong>de</strong>s compères <strong>de</strong> Rick.<br />

"Je vous plains sérieusement <strong>le</strong>s gars! Si Rick achève <strong>de</strong> rejeter toutes<br />

cel<strong>le</strong>s qui se jettent vainement à ses pieds, il ne vous restera que <strong>de</strong>s<br />

femmes déprimées sur Terre.<br />

-On peut voir ça sous un autre ang<strong>le</strong>, corrigea Rick. Considérez moi<br />

comme un rival dangereux en moins.<br />

-Ce serait plus efficace si tu te promenais avec une pancarte "N'essayez<br />

même pas". Sans ça, comment veux-tu que <strong>le</strong>s fil<strong>le</strong>s nous remarquent<br />

avec toi dans <strong>le</strong>s parages?"<br />

Rick se mit à rire et retourna au bar pour repasser comman<strong>de</strong>, se<br />

plaçant à côté d'une femme blon<strong>de</strong> qui sirotait un cocktail.<br />

"Deux mojitos s'il vous plaît, <strong>de</strong>manda Rick.<br />

-Tout <strong>de</strong> suite Rick, répondit <strong>le</strong> barman."<br />

2


Alors que <strong>le</strong> barman s'affairait <strong>de</strong>rrière son comptoir, la femme<br />

blon<strong>de</strong> tendit subitement son poignet à Rick.<br />

"Euh… oui? fit-il, déstabilisé.<br />

-Excuse-moi, mais je me suis coupée ce matin. Ca a fait une vilaine<br />

cicatrice. Tu ne voudrais pas me soigner?"<br />

Choqué, Rick plaqua sa main sur la bouche <strong>de</strong> la femme pour<br />

l'empêcher <strong>de</strong> continuer à par<strong>le</strong>r si fort. El<strong>le</strong> ne pouvait pas savoir.<br />

Personne ne savait.<br />

"Je ne suis pas mé<strong>de</strong>cin, répliqua-t-il.<br />

-Pourquoi cette réaction disproportionnée alors?"<br />

Aïshani – Bibliothèque <strong>de</strong> Monsieur Ghansali<br />

"Bonjour!"<br />

Aïshani tressaillit. El<strong>le</strong> n'avait même pas entendu la porte <strong>de</strong> la<br />

bibliothèque s'ouvrir. La dame blon<strong>de</strong> qui venait d'entrer était déjà<br />

penchée par-<strong>de</strong>ssus son épau<strong>le</strong>.<br />

"Wow, tu as <strong>de</strong>s cheveux magnifiques, s'extasia-t-el<strong>le</strong>.<br />

-Qui… qui êtes vous? <strong>de</strong>manda Aïshani, effarouchée.<br />

-Excuse-moi, je suis malpolie, dit la femme en reculant. Je m'appel<strong>le</strong><br />

Sonia Donetti. Ta gran<strong>de</strong> sœur m'a dit que je te trouverais ici."<br />

Aïshani referma son atlas.<br />

"Enchantée, je suis Aïshani Ghansali. A quel sujet êtes vous venue me<br />

voir?<br />

-Au sujet <strong>de</strong> Khan. Tu dois déjà l'avoir rencontré à l'heure qu'il est."<br />

Aïshani sourcilla à peine. Khan l'avait prévenue. Tôt ou tard, ce jour<br />

viendrait. Toutefois, cela avait été plus rapi<strong>de</strong> qu'el<strong>le</strong> ne l'avait espéré.<br />

"Khan, tu peux venir s'il te plaît? dit Aïshani après avoir verrouillé l'entrée<br />

<strong>de</strong> la bibliothèque."<br />

La bouc<strong>le</strong> d'oreil<strong>le</strong> qu'el<strong>le</strong> avait posée sur son bureau se mit à<br />

irradier, sous <strong>le</strong> regard visib<strong>le</strong>ment satisfait <strong>de</strong> Sonia Donetti. Comme à<br />

son habitu<strong>de</strong>, Khan apparut aussitôt, échine courbée.<br />

"Ooooh, Sonia! Je ne pensais pas que ce serait toi, s'exclama-t-il. Je suis<br />

ravi <strong>de</strong> te revoir après tant d'années.<br />

-C'est réciproque Khan, dit Sonia en lui caressant la tête.<br />

-Nous n'avons pas eu l'occasion <strong>de</strong> nous dire au revoir.<br />

2


-<strong>Les</strong> évènements ne nous en ont pas donné l'occasion, regretta Sonia,<br />

d'une voix amère.<br />

-Je suis sûr qu'Aïssa repose en paix, assura Khan, surtout maintenant que<br />

j'ai rencontré ma nouvel<strong>le</strong> protégée."<br />

Une fois <strong>de</strong> plus, il se coucha, tête posée sur ses pattes, et observa<br />

Aïshani. Cette <strong>de</strong>rnière s'adressa alors à Sonia :<br />

"J'imagine qu'il est temps pour moi d'assumer mon statut d'élue.<br />

-Ah… Je vois que tu as déjà beaucoup discuté avec Khan, fit Sonia d'un air<br />

abasourdi.<br />

-En effet. Nous n'attendions plus que vous.<br />

-Dois-je comprendre que…<br />

-Vous n'aurez pas besoin <strong>de</strong> me convaincre, je suis déjà prête à accomplir<br />

ce pourquoi j'ai été choisie. C'est pour moi un grand honneur."<br />

El<strong>le</strong> se dirigea vers son bureau et montra une pi<strong>le</strong> <strong>de</strong> livres à Sonia.<br />

"J'ai commencé à apprendre <strong>le</strong> français et je par<strong>le</strong> déjà convenab<strong>le</strong>ment<br />

anglais, même si j'ai cru comprendre que l'Etemenanki que vous me<br />

donnerez me permettra <strong>de</strong> communiquer sans difficulté avec <strong>le</strong>s autres<br />

élus. J'ai aussi fait en sorte d'assimi<strong>le</strong>r toutes <strong>le</strong>s données dont disposait<br />

Khan sur la Concrétisation et sur Sorgentel. J'espère ne pas vous<br />

décevoir.<br />

-Si j'osais, je dirais que tu es pressée <strong>de</strong> quitter <strong>le</strong>s lieux, dit Sonia.<br />

-Vous pouvez. Je m'ennuie ici.<br />

-Tes parents ne verront pas d'inconvénient à ton départ? Tu n'as que dixsept<br />

ans, ce qui fait que je suis obligée <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur en par<strong>le</strong>r.<br />

-J'ai toujours ambitionné d'al<strong>le</strong>r étudier en Europe. Ils ne s'étonneront pas<br />

<strong>de</strong> ma volonté <strong>de</strong> partir. Cependant, il <strong>le</strong>ur faudra une démonstration <strong>de</strong><br />

mes capacités pour <strong>le</strong>s convaincre.<br />

-Hum… Tu as bien médité tout ça à ce que vois."<br />

Asuka – Château d'Osaka<br />

Asuka quitta l'accueil, outré. Qui donc osait se disputer avec tant<br />

d'éclat dans ce vénérab<strong>le</strong> lieu à l'heure où il était <strong>de</strong> service? Son père lui<br />

avait confié l'accueil pendant l'heure du déjeuner et il ne tenait pas à ce<br />

qu'il trouve une occasion <strong>de</strong> lui reprocher son incompétence à son retour.<br />

"Asukaaaaa, es-tu incapab<strong>le</strong> <strong>de</strong> te voir confier une simp<strong>le</strong> mission d'une<br />

heure? Que va penser <strong>le</strong> conservateur?" dirait-il.<br />

Asuka approcha <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux touristes occi<strong>de</strong>ntaux qui se disputaient<br />

énergiquement près <strong>de</strong> son poste <strong>de</strong> travail et <strong>le</strong>s aborda, s'apprêtant à<br />

baragouiner quelques phrases d'anglais pour tenter <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong><br />

cesser <strong>de</strong> perturber <strong>le</strong>s autres visiteurs. A sa gran<strong>de</strong> surprise, il réalisa<br />

que <strong>le</strong> coup<strong>le</strong>, un homme aux cheveux châtains et une femme blon<strong>de</strong><br />

juchée sur <strong>de</strong>s talons hauts, se querellait en japonais.<br />

2


"Jen, tu es une idiote! Comment peux-tu avoir oublié <strong>le</strong> nom du garçon?<br />

-Ne t'en prends pas à moi, tu n'es pas mieux loti, répliqua la femme d'un<br />

air courroucé. Est-ce que tu t'en rappel<strong>le</strong>s toi?<br />

-… Un truc qui ressemb<strong>le</strong> à un nom <strong>de</strong> yakuza, je ne sais quoi Bakawa. Ou<br />

bien Vekawa.<br />

-Non Anthony, c'était un nom plus élaboré. Doekawa."<br />

<strong>Les</strong> autres visiteurs observaient la scène avec dépit.<br />

"Nous n'irons pas très loin si nous n'avons que <strong>le</strong> prénom du gamin, dit<br />

l'homme. Asuka Daekawa?<br />

-Asuka Morekara? tenta la femme en fouillant désespérément dans son<br />

sac à main.<br />

-MAEKAWA ASUKA! Je suis MAEKAWA ASUKA, intervint l'intéressé, un brin<br />

irrité."<br />

Le coup<strong>le</strong> se retourna.<br />

"Que me vou<strong>le</strong>z vous? <strong>de</strong>manda Asuka, regrettant immédiatement <strong>de</strong><br />

s'être i<strong>de</strong>ntifié.<br />

-Ouf, on va économiser sur <strong>le</strong> trajet du retour, se réjouit l'homme tandis<br />

que la dénommée "Jen" se mettait à sourire."<br />

Shui-Khan – Bureau du Général Liu<br />

Shui-Khan frappa à la porte du bureau <strong>de</strong> l'infâme directeur <strong>de</strong><br />

l'éco<strong>le</strong> militaire, son père. Nul doute qu'un professeur était encore allé se<br />

plaindre <strong>de</strong> lui. Il allait encore avoir droit à un semblant <strong>de</strong> blâme, puis<br />

sortirait du bureau, la tête haute.<br />

"Entrez, dit la voix du Général."<br />

Le garçon ouvrit la porte, entra, puis se mit au gar<strong>de</strong> à vous après<br />

l'avoir refermée <strong>de</strong>rrière lui.<br />

"Elève Liu mon Général. Que…"<br />

Shui-Khan s'interrompit, surpris. Son père n'était pas seul dans la<br />

pièce. En face <strong>de</strong> lui était assise une femme occi<strong>de</strong>nta<strong>le</strong> aux longs<br />

cheveux blonds, vêtue d'un tail<strong>le</strong>ur noir. Shui-Khan resta figé. Il n'avait<br />

jamais rencontré <strong>de</strong> personne occi<strong>de</strong>nta<strong>le</strong> jusqu'à présent.<br />

"Liu. Cette dame a fait <strong>le</strong> trajet <strong>de</strong>puis la France pour toi, déclara son<br />

père.<br />

-Pour moi général?"<br />

2


Son père se <strong>le</strong>va et se mit à arpenter <strong>le</strong> bureau, engoncé dans son<br />

uniforme militaire kaki, bardé <strong>de</strong> médail<strong>le</strong>s honorifiques. La dame fit un<br />

signe <strong>de</strong> tête à Shui-Khan.<br />

"Cette femme se nomme Sonia Donetti. El<strong>le</strong> m'a expliqué <strong>de</strong> nombreuses<br />

choses intéressantes à ton sujet, <strong>de</strong>s choses qui pourraient justifier ton<br />

comportement aberrant <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers mois.<br />

-…<br />

-Dans un premier temps, j'ai eu du mal à être convaincu, continua <strong>le</strong><br />

général. Cependant, je ne peux me permettre <strong>de</strong> me voi<strong>le</strong>r la face<br />

inconsidérément. Il est évi<strong>de</strong>nt que tu n'es pas n'importe qui, Liu."<br />

Il s'approcha <strong>de</strong> Shui-Khan et lui saisit la main droite, sans<br />

délicatesse. Sur <strong>le</strong>s ordres <strong>de</strong> son père, il avait mis un bandage <strong>de</strong>ssus,<br />

feignant <strong>de</strong> s'être b<strong>le</strong>ssé pour dissimu<strong>le</strong>r l'idéogramme noir qui<br />

apparaissait par intermittence.<br />

"J'espère que tu feras ma fierté, déclara <strong>le</strong> général en retirant <strong>le</strong> bandage.<br />

-Je ne comprends pas, général, fit Shui-Khan, <strong>de</strong> plus en plus perdu."<br />

Son père jeta <strong>le</strong> bandage dans une corbeil<strong>le</strong> et se dirigea vers la<br />

porte, sans lui accor<strong>de</strong>r un regard.<br />

"Cette femme va s'entretenir avec toi pour t'expliquer la situation. Je vais<br />

prendre <strong>le</strong>s dispositions nécessaires pour que tu puisses quitter <strong>le</strong> pays<br />

dès la semaine prochaine."<br />

Ibtissam – Devant la villa Bensaïdi<br />

"J'en ai la certitu<strong>de</strong>. Aujourd'hui est un jour particulier."<br />

Ibtissam était resté <strong>de</strong>vant sa maison <strong>de</strong>puis la fin <strong>de</strong> la matinée,<br />

assis sur un petit tabouret, à l'affût <strong>de</strong> l'évènement qui – il <strong>le</strong> savait –<br />

rendrait cette journée extraordinaire. Il l'avait pressenti, cette intuition<br />

l'habitait <strong>de</strong>puis la veil<strong>le</strong>. Armé d'une bouteil<strong>le</strong> d'eau et du Gambri,<br />

l'instrument <strong>de</strong> musique préféré <strong>de</strong> son grand-père, il s'était préparé à<br />

une longue attente.<br />

"Bonjour Tissam! Que fais-tu donc posté <strong>de</strong>vant ta maison? lui <strong>de</strong>manda<br />

une voisine.<br />

-J'attends l'évènement qui fera <strong>de</strong> cette journée une bonne journée<br />

madame Saad, répondit-il avec enthousiasme."<br />

La voisine répondit d'un sourire et continua son chemin.<br />

L'exubérance d'Ibtissam était connue dans tout <strong>le</strong> quartier. C'est ce qui<br />

faisait <strong>de</strong> lui une personne appréciée par tous.<br />

2


"Tissam, tu viens prendre <strong>le</strong> thé avec nous? proposèrent <strong>de</strong>ux amis qui<br />

passèrent <strong>de</strong>vant sa maison <strong>de</strong>ux heures plus tard.<br />

-Un autre jour mes frères, aujourd'hui j'attends.<br />

-Et bien attends et ne te <strong>de</strong>ssèche pas surtout, répondirent-ils en<br />

ricanant."<br />

L'évènement survint fina<strong>le</strong>ment au crépuscu<strong>le</strong>, tandis qu'Ibtissam<br />

jouait <strong>le</strong>ntement du Gambri, sans se décourager. Des bruits <strong>de</strong> pas lui<br />

firent cesser sa mélodie. Il redressa la tête, <strong>le</strong> sourire aux lèvres. Deux<br />

femmes se tenaient <strong>de</strong>vant lui. Une adulte blon<strong>de</strong> et une ado<strong>le</strong>scente<br />

noire, dont il qualifia la beauté <strong>de</strong> "radieuse".<br />

"Bonjour, dit la première. Es-tu…"<br />

Sans la laisser finir, Ibtissam posa son instrument et mit un genou à<br />

terre. D'une main tendue, il offrit à l'ado<strong>le</strong>scente la f<strong>le</strong>ur qu'il avait<br />

conservée sur lui toute la journée.<br />

"Bienvenue, évènement <strong>de</strong> ma journée particulière. Je suis Ibtissam<br />

Bensaïdi. Comment t'appel<strong>le</strong>s-tu?<br />

-S… Sally."<br />

Xenia – Cuisine <strong>de</strong> la famil<strong>le</strong> Ve<strong>le</strong>itov<br />

"Ma<strong>de</strong>moisel<strong>le</strong> Donetti, ce que vous me dites… est stupéfiant, dit Xenia,<br />

<strong>le</strong>s mains tremblantes."<br />

El<strong>le</strong> apporta tant bien que mal <strong>le</strong> café à Sonia, assise à la tab<strong>le</strong> <strong>de</strong> la<br />

mo<strong>de</strong>ste cuisine familia<strong>le</strong>. Cette <strong>de</strong>rnière posa la tasse brûlante sur la<br />

nappe à carreaux et y mit <strong>de</strong>ux sucres.<br />

"Tu ne peux que me croire, n'est-ce pas? fit remarquer Sonia.<br />

-Oui, j'ai pris conscience <strong>de</strong> ce dont je suis capab<strong>le</strong>, répondit Xenia en<br />

s'asseyant. Je suis seu<strong>le</strong>ment étonnée d'apprendre qu'il existe d'autres<br />

personnes comme moi. Jusqu'à présent, je me suis considérée comme un<br />

phénomène <strong>de</strong> foire. Jamais je n'ai osé me confier à qui que ce soit.<br />

-Je suis passée par là.<br />

-Y a-t-il quelqu'un d'autre qui, comme moi, peut influencer l'atmosphère?"<br />

Sonia parut gênée par la question.<br />

"Non, répondit-el<strong>le</strong> aussitôt. <strong>Les</strong> autres possè<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s dons différents."<br />

Xenia appuya son menton sur ses mains jointes, éprouvée par <strong>le</strong> flot<br />

d'informations qu'el<strong>le</strong> venait d'assimi<strong>le</strong>r. El<strong>le</strong>, Xenia, une élue? Ca<br />

dépassait l'enten<strong>de</strong>ment. Pourquoi el<strong>le</strong>, <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s jeunes femmes du<br />

pays?<br />

2


"Vous savez, je ne suis qu'une fil<strong>le</strong> simp<strong>le</strong>, expliqua-t-el<strong>le</strong> à Sonia. Nous<br />

sommes une famil<strong>le</strong> mo<strong>de</strong>ste. Ma mère ne peut plus travail<strong>le</strong>r à cause <strong>de</strong><br />

sa santé fragi<strong>le</strong>. C'est grâce à l'ai<strong>de</strong> financière d'un <strong>de</strong> mes onc<strong>le</strong>s que<br />

nous pouvons vivre à peu près correctement. Je suis obligée <strong>de</strong> travail<strong>le</strong>r<br />

à mi-temps, parallè<strong>le</strong>ment à mes étu<strong>de</strong>s, pour faciliter <strong>le</strong>s choses.<br />

-J'en ai conscience. Tu as un petit frère <strong>de</strong> huit ans, A<strong>le</strong>xei.<br />

-Oui.<br />

-Je dois t'avouer que ton profil est admirab<strong>le</strong>, dit Sonia. T'occuper ainsi <strong>de</strong><br />

lui et <strong>de</strong> ta mère alors que tu es si jeune…<br />

-Vous comprenez donc <strong>le</strong> problème. Malgré cette capacité étrange dont je<br />

dispose et cette mission que vous voudriez que j'accomplisse, j'ai <strong>de</strong><br />

nombreuses responsabilités à assumer."<br />

Sonia hocha la tête.<br />

"Nous pourrions te faciliter gran<strong>de</strong>ment <strong>le</strong>s choses, dit-el<strong>le</strong>.<br />

-Comment donc?<br />

-Ne considère pas ceci comme une tentative pour t'acheter, mais<br />

l'organisation que je représente offre une compensation financière<br />

importante aux élus, en plus d'une rente mensuel<strong>le</strong>. Si tu <strong>le</strong> souhaites, je<br />

pourrais faire en sorte qu'une partie <strong>de</strong> la compensation financière qui<br />

t'est <strong>de</strong>stinée soit immédiatement débloquée et reversée à ta mère. Cela<br />

lui permettrait <strong>de</strong> vivre confortab<strong>le</strong>ment avec ton frère pendant quelques<br />

années, sans même qu'el<strong>le</strong> doive travail<strong>le</strong>r.<br />

-Vous… vous êtes sérieuse? bégaya Xenia.<br />

-Par ail<strong>le</strong>urs, si tu acceptes ma proposition, tu pourras continuer tes<br />

étu<strong>de</strong>s en France et même apprendre la langue. Rien ne t'empêchera <strong>de</strong><br />

venir voir ta famil<strong>le</strong> lorsque tu <strong>le</strong> voudras.<br />

-Cela semb<strong>le</strong> trop beau…<br />

-Nous prenons soin <strong>de</strong> nos protégés, ajouta Sonia avec un sourire<br />

rassurant."<br />

El<strong>le</strong> se <strong>le</strong>va.<br />

"Je te laisse y réfléchir tranquil<strong>le</strong>ment pendant que je vais discuter avec ta<br />

mère.<br />

-D'accord… Merci."<br />

Ana Rosa – Un jardin public <strong>de</strong> Sao Paulo<br />

"Pourquoi as-tu l'air si déprimé?"<br />

La femme blon<strong>de</strong> s'assit sur <strong>le</strong> banc à côté d'Ana Rosa. Cette<br />

<strong>de</strong>rnière ne tourna même pas la tête pour lui répondre, se contentant <strong>de</strong><br />

la regar<strong>de</strong>r du coin <strong>de</strong> l'œil. Cette personne n'était pas brésilienne, <strong>de</strong><br />

2


toute évi<strong>de</strong>nce. Une américaine peut-être. Cependant, el<strong>le</strong> parlait bien<br />

portugais.<br />

"Vous avez pour habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> vous préoccuper du bien-être <strong>de</strong>s inconnus<br />

dans <strong>le</strong>s parcs? <strong>de</strong>manda Ana Rosa.<br />

-Généra<strong>le</strong>ment non, mais ta mine fait peur à voir.<br />

-Merci.<br />

-Je m'appel<strong>le</strong> Sonia, continua la femme blon<strong>de</strong>. Alors, qu'est-ce qui ne va<br />

pas?"<br />

Le temps était radieux, peut-être un peu trop. Cette Sonia avait<br />

probab<strong>le</strong>ment été victime d'un coup <strong>de</strong> cha<strong>le</strong>ur. Ana Rosa décida <strong>de</strong><br />

répondre, espérant qu'el<strong>le</strong> pourrait en finir rapi<strong>de</strong>ment avec el<strong>le</strong>.<br />

"J'ai <strong>de</strong>ssiné quelque chose <strong>de</strong> mauvais.<br />

-Comment peut-on <strong>de</strong>ssiner quelque chose <strong>de</strong> "mauvais"?"<br />

Ana Rosa ne pouvait pas lui dire la vérité. Cela ne tiendrait pas la route.<br />

"Vous avez entendu par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> ce policier qui a été acci<strong>de</strong>ntel<strong>le</strong>ment tué<br />

l'autre jour? <strong>de</strong>manda Ana Rosa.<br />

-Celui qui a chuté d'un toit? Oui, j'ai lu cette histoire dans la presse. On dit<br />

qu'il a été agressé par un molosse et qu'il est tombé, en tentant <strong>de</strong> lui<br />

échapper. Pourquoi?<br />

-Qu'est-ce que vous pensez du propriétaire <strong>de</strong> ce molosse?<br />

-Je ne comprends pas…<br />

-Imaginons que vous rencontrez <strong>le</strong> propriétaire du chien. Il vous explique<br />

qu'il était poursuivi par <strong>le</strong> policier et qu'il n'a lâché sa bête que pour <strong>le</strong><br />

distraire. Malheureusement… <strong>le</strong> chien a été plus agressif que prévu et <strong>le</strong><br />

policier a chuté du toit. Est-ce que vous considéreriez que celui qui a lancé<br />

<strong>le</strong> chien est responsab<strong>le</strong>?<br />

-Oui, répondit Sonia, <strong>de</strong> but en blanc.<br />

-Je m'en doutais…<br />

-Cela ne signifie pas pour autant que <strong>le</strong> propriétaire est une mauvaise<br />

personne. Il a juste été inconscient.<br />

-L'inconscience est un crime, n'est-ce pas?<br />

-Parfois oui, mais <strong>le</strong> propriétaire peut s'amen<strong>de</strong>r et prendre <strong>de</strong> bonnes<br />

résolutions. Par exemp<strong>le</strong>, décréter qu'il n'aura plus jamais <strong>de</strong> chien, ou<br />

qu'il n'utilisera jamais plus un chien dans ce type <strong>de</strong> circonstances.<br />

-Mouais… Plus faci<strong>le</strong> à dire qu'à faire."<br />

Rachel – Parking d'un centre commercial<br />

"Laissez tomber Monsieur, je ne veux rien savoir."<br />

2


Chargée <strong>de</strong> ses sacs <strong>de</strong> course, Rachel trotta vers sa New Beet<strong>le</strong><br />

Cabrio<strong>le</strong>t, en ouvrit <strong>le</strong> coffre pour y jeter ses achats, puis partit s'asseoir<br />

sur <strong>le</strong> siège conducteur.<br />

"On dirait que tu es vraiment bornée, lança Anthony en la rattrapant."<br />

El<strong>le</strong> ferma la portière et baissa la vitre pour lui répondre.<br />

"Vous vous appe<strong>le</strong>z Anthony Nichols, c'est bien ça?<br />

-Tout à fait!<br />

-Monsieur Nichols, je suis très bien ici. Je débute mes étu<strong>de</strong>s, j'ai une<br />

voiture, un compte épargne et la perspective <strong>de</strong> trouver un copain sympa!<br />

Qui plus est, ma famil<strong>le</strong> est aisée! Pourquoi voudrais-je gâcher tout ceci<br />

pour al<strong>le</strong>r parcourir <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> et risquer ma vie je ne sais où?<br />

-Tu ne souhaites pas rendre ton don uti<strong>le</strong>? <strong>de</strong>manda Anthony en<br />

s'adossant contre la portière."<br />

El<strong>le</strong> utilisa son don pour l'écarter <strong>de</strong> sa voiture.<br />

"Je l'ai déjà rendu uti<strong>le</strong>. Il est très pratique pour ranger ma chambre ou<br />

récupérer à manger dans la cuisine!<br />

-Toi alors…<br />

-C'est gentil d'être venu, mais je ne suis vraiment pas intéressée. J'espère<br />

tout <strong>de</strong> même que ceux qui ont accepté s'en sortiront."<br />

El<strong>le</strong> démarra la voiture.<br />

"C'est tout? fit Anthony en s'approchant <strong>de</strong> nouveau.<br />

-C'est tout Monsieur Nichols. Je suis une fil<strong>le</strong> à papa, pas une héroïne.<br />

-Dommage pour <strong>le</strong> chèque, soupira Anthony."<br />

Rachel haussa dédaigneusement <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s et commença à sortir<br />

sa voiture <strong>de</strong> la place <strong>de</strong> parking, obligeant Anthony à s'éloigner <strong>de</strong><br />

nouveau. El<strong>le</strong> appuya sur l'accélérateur et roula vers la sortie. "Sauver <strong>le</strong><br />

mon<strong>de</strong>". El<strong>le</strong> n'avait pas que ça à faire. Rachel Vivian Mitchells n'était pas<br />

faite pour sauver <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>. Il y avait forcément <strong>de</strong>s gens plus aptes à<br />

cette tâche.<br />

"Pfff.."<br />

Sauver <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>.<br />

"Et mer<strong>de</strong>, fit-el<strong>le</strong> en freinant brusquement."<br />

El<strong>le</strong> s'était arrêtée à la sortie du parking, sans savoir pourquoi.<br />

Quelque chose la perturbait. El<strong>le</strong> n'était plus aussi certaine <strong>de</strong> sa<br />

détermination.<br />

2


"Je <strong>de</strong>vrais au moins prendre sa carte <strong>de</strong> visite, ne serait-ce que pour lui<br />

faire un procès s'il continue <strong>de</strong> me harce<strong>le</strong>r."<br />

Rachel fit <strong>de</strong>mi-tour et stationna sa voiture <strong>de</strong>vant Anthony, <strong>le</strong>quel<br />

n'avait pas bougé d'un pouce.<br />

"Ce chèque… il y a combien <strong>de</strong> zéros <strong>de</strong>ssus? <strong>de</strong>manda-t-el<strong>le</strong>."<br />

Elliott – Section Londonienne <strong>de</strong> GLOW<br />

Un vortex s'ouvrit dans la cour, sous <strong>le</strong>s regards stupéfaits <strong>de</strong><br />

Rachel, Andreas, Xenia et Sally. Le sandwich que mangeait Sally lui tomba<br />

<strong>de</strong> la main.<br />

"C'est quoi ce truc? fit-el<strong>le</strong>, yeux écarquillés.<br />

-Une brèche spatia<strong>le</strong>, dit calmement Andreas.<br />

-Ne réponds pas comme si tu en voyais tous <strong>le</strong>s jours, s'écria Rachel.<br />

-On <strong>de</strong>vrait peut-être s'inquiéter <strong>de</strong> voir une brèche spatia<strong>le</strong> s'ouvrir sous<br />

notre nez, dit Sally.<br />

-Oui, nous <strong>de</strong>vrions, confirma Xenia."<br />

Un jeune homme à l'allure atypique surgit soudain <strong>de</strong> la "brèche<br />

spatia<strong>le</strong>". Cheveux blonds mi-longs, pantalon baggy, chemise débraillée et<br />

sanda<strong>le</strong>s. Il fit quelques pas et s'arrêta à quelques mètres <strong>de</strong>s élus. Le<br />

vortex se referma alors.<br />

"Je n'aime pas ça, souffla Sally."<br />

Le quidam observa <strong>le</strong>s environs d'un air peu éveillé, puis contempla<br />

<strong>le</strong>s quatre élus qui pique-niquaient dans la cour. Il <strong>le</strong>s salua d'un signe <strong>de</strong><br />

main.<br />

"Bonjour! Je suis Elliott Corr.<br />

-…<br />

-C'est bien ici que sont <strong>le</strong>s élus?"<br />

2


<strong>Prologue</strong> partie <strong>IV</strong> : Un convive inattendu<br />

Un bruit retentissant. La rencontre sour<strong>de</strong> d'une main ou d'un<br />

instrument quelconque avec une percussion. Sally ouvrit <strong>le</strong>s yeux, <strong>le</strong> cœur<br />

battant la chama<strong>de</strong>.<br />

"POUM"<br />

El<strong>le</strong> était noyée dans <strong>le</strong>s ténèbres et son corps lui paraissait être<br />

<strong>de</strong>venu léger comme une plume. Le bruit <strong>de</strong>s percussions accélérait.<br />

"POUM! POUM!"<br />

Sally se re<strong>le</strong>va après avoir tâté <strong>le</strong> sol du bout <strong>de</strong>s doigts et chercha<br />

en vain une source <strong>de</strong> lumière. Autour d'el<strong>le</strong>, tout n'était que néant. El<strong>le</strong><br />

ne voyait rien d'autre que son propre corps, ses mains tremblantes, la<br />

tenue d'apparat qu'el<strong>le</strong> avait portée à Sorgentel quelques mois plus tôt.<br />

"Où suis-je?" pensa-t-el<strong>le</strong>, médusée. L'endroit ressemblait étrangement<br />

au Passage, en plus impénétrab<strong>le</strong>.<br />

"BAM, BAM, BAM, BAM!"<br />

<strong>Les</strong> coups étaient <strong>de</strong>venus frénétiques, presque agressifs. Au même<br />

moment, Sally perçut un claquement <strong>le</strong>nt mais régulier s'approcher d'el<strong>le</strong>.<br />

Des bruits <strong>de</strong> pas foulaient <strong>le</strong> sol. El<strong>le</strong> se mit sur ses gar<strong>de</strong>s, prête à se<br />

défendre, qui que soit l'arrivant.<br />

"BAM, BAM, BAM!"<br />

Plusieurs mèches <strong>de</strong> cheveux flamboyants lui frôlèrent <strong>le</strong> visage<br />

sans la toucher. El<strong>le</strong> n'avait même pas vu l'individu s'approcher qu'il<br />

l'avait déjà dépassée. Lui? Que faisait-il là? Etait-il responsab<strong>le</strong> <strong>de</strong> cette<br />

situation? Stupéfaite, Sally s'élança vers lui.<br />

"Kaznaël? cria-t-el<strong>le</strong>. Que se passe-t…"<br />

Sa main venait <strong>de</strong> passer à travers son dos, comme si sa silhouette<br />

n'avait été qu'une illusion. Sally se figea et recula aussitôt. El<strong>le</strong> n'avait pas<br />

senti la moindre résistance. Etait-el<strong>le</strong> donc en train <strong>de</strong> divaguer? Son<br />

<strong>de</strong>rnier souvenir était une brève discussion avec Andreas, juste après la<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> en mariage <strong>de</strong> Jamie. Que s'était-il passé ensuite? "Je dois<br />

dormir", se persuada-t-el<strong>le</strong>, tout en tentant <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong> ce qu'el<strong>le</strong> croyait<br />

être un rêve.<br />

L'effort fut infructueux. El<strong>le</strong> ne parvenait pas à se réveil<strong>le</strong>r et il<br />

faisait toujours aussi noir. Kaznaël s'éloignait d'un pas <strong>le</strong>nt, sans se<br />

retourner pour constater sa présence.<br />

"BAM, BAM, BAM, BAM!"<br />

2


Il était sa seu<strong>le</strong> source <strong>de</strong> lumière, bien qu'il ne puisse visib<strong>le</strong>ment<br />

pas <strong>le</strong> réaliser. El<strong>le</strong> n'avait pas <strong>le</strong> choix. Résignée, el<strong>le</strong> partit à sa suite et<br />

fit en sorte d'arriver à sa hauteur, dans l'espoir d'attirer son attention.<br />

"Kaznaël? Tu m'entends? tenta-t-el<strong>le</strong>."<br />

Le Protecteur ne paraissait pas la voir ni l'entendre, bien qu'el<strong>le</strong><br />

agitât frénétiquement sa main <strong>de</strong>vant son nez. Son visage était fermé et<br />

ses yeux écarlates résolument tournés vers un objectif inconnu. Rien ne<br />

<strong>de</strong>vait pouvoir <strong>le</strong> détourner <strong>de</strong> celui-ci. El<strong>le</strong> remarqua alors qu'il avait <strong>le</strong>s<br />

cheveux plus longs que dans son souvenir. Ana Rosa <strong>le</strong>s avait pourtant<br />

coupés récemment.<br />

"BAM!"<br />

Le <strong>de</strong>rnier coup <strong>de</strong> tambour avait paru magistral. Soudain, Sally se<br />

retrouva en p<strong>le</strong>ine lumière, une lumière si intense qu'el<strong>le</strong> dut se voi<strong>le</strong>r <strong>le</strong><br />

regard un instant. Des applaudissements fournis retentirent alors,<br />

emplissant <strong>le</strong>s lieux.<br />

Sally dégagea sa main et ouvrit alors <strong>le</strong>s yeux, pour découvrir un<br />

décor hors du commun. Le souff<strong>le</strong> lui manqua. El<strong>le</strong> se trouvait en p<strong>le</strong>in<br />

centre d'une arène colossa<strong>le</strong> aux gradins grouillant <strong>de</strong> public. Le lieu, en<br />

tout point semblab<strong>le</strong> à un cirque romain, résonnait <strong>de</strong>s cris d'une fou<strong>le</strong><br />

hystérique, présente en masse sur <strong>de</strong>s dizaines <strong>de</strong> rangées. Au sommet<br />

<strong>de</strong>s gradins, plusieurs individus massifs vêtus comme <strong>de</strong>s gladiateurs et<br />

armés <strong>de</strong> masses, frappaient allègrement sur d'immenses tambours. Sally<br />

reconnut <strong>le</strong> bruit <strong>de</strong> percussions qu'el<strong>le</strong> avait entendu plus tôt.<br />

Un so<strong>le</strong>il <strong>de</strong> plomb dénuait l'arène <strong>de</strong> la moindre zone d'ombre et<br />

s'abattait sans merci sur <strong>le</strong>s chevelures blanches <strong>de</strong>s spectateurs, au point<br />

que certains s'étaient munis d'ombrel<strong>le</strong>s jaunes pour se protéger. Sally<br />

<strong>de</strong>meura interdite un long moment, avant <strong>de</strong> réaliser qu'el<strong>le</strong> n'était pas<br />

<strong>le</strong>ur centre d'attention. Une partie <strong>de</strong>s regards était tournée vers Kaznaël,<br />

<strong>le</strong>quel venait d'entrer dans l'arène via un tunnel béant aménagé dans <strong>le</strong><br />

sol.<br />

Le Protecteur, fidè<strong>le</strong> à ses mœurs, ne s'émut pas <strong>de</strong> l'accueil du<br />

public. Il se posta à <strong>de</strong>ux mètres <strong>de</strong> Sally, puis <strong>de</strong>meura immobi<strong>le</strong>. El<strong>le</strong><br />

comprit que <strong>le</strong>s spectateurs ne pouvaient pas la voir non plus. La situation<br />

était <strong>de</strong> plus en plus incompréhensib<strong>le</strong>. A moins qu'el<strong>le</strong> ne soit <strong>de</strong>venue un<br />

fantôme, comment pouvait-el<strong>le</strong> passer inaperçue aux yeux <strong>de</strong> tant <strong>de</strong><br />

personnes? Tandis qu'el<strong>le</strong> s'interrogeait sur cet évènement inexplicab<strong>le</strong>,<br />

une voix qu'el<strong>le</strong> ne connaissait que trop bien s'é<strong>le</strong>va, au milieu du tumulte<br />

<strong>de</strong> la masse populaire.<br />

"On ne s'attendait pas à te revoir ici, Kaz."<br />

2


Sally n'était décidément pas au bout <strong>de</strong> ses surprises. Ana Rosa se<br />

tenait à l'autre extrémité du cerc<strong>le</strong> que formait <strong>le</strong> centre <strong>de</strong> l'arène, bras<br />

croisés.<br />

"Enfin… pas si vite, précisa-t-el<strong>le</strong>."<br />

Ana Rosa était, el<strong>le</strong> aussi, légèrement différente. Au lieu <strong>de</strong> son<br />

habituel uniforme d'élue, el<strong>le</strong> était affublée d'une longue mante beige<br />

ornée d'un liseré rouge et chaussée d'épaisses bottes noires. Outre ce<br />

changement vestimentaire, sa chevelure s'était développée <strong>de</strong> plusieurs<br />

centimètres, était ornée <strong>de</strong> quelques mèches blon<strong>de</strong>s et se terminait par<br />

une queue <strong>de</strong> cheval.<br />

Sally crut suffoquer en voyant Andreas et Ibtissam se détacher <strong>de</strong> la<br />

paroi <strong>de</strong> l'arène et rejoindre Ana Rosa, vêtus <strong>de</strong> même façon qu'el<strong>le</strong>.<br />

Andreas n'avait rien <strong>de</strong> changé, exception faite <strong>de</strong> l'absence notab<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

ses lunettes (Sally se souvint qu'el<strong>le</strong>s lui étaient inuti<strong>le</strong>s à Sorgentel).<br />

Quand à Ibtissam, seul un long pansement au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> son arca<strong>de</strong><br />

sourcilière gauche dénaturait son élégance princière. <strong>Les</strong> trois élus<br />

contemplaient Kaznaël en souriant, bien que l'expression d'Andreas parût<br />

légèrement voilée.<br />

"Ca valait la peine que je tail<strong>le</strong> ta tignasse, fit remarquer Ana Rosa en<br />

haussant <strong>le</strong>s sourcils. Tes cheveux ont déjà repris <strong>le</strong>ur longueur d'avant."<br />

Kaznaël se garda <strong>de</strong> répondre, malgré l'expression avenante d'Ana<br />

Rosa. Sur <strong>le</strong>s gradins, <strong>le</strong> public exultait toujours. Sally remarqua plusieurs<br />

loges luxueuses <strong>de</strong>puis <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s personnages richement habillés<br />

observaient la scène d'un œil avi<strong>de</strong>.<br />

"Sérieusement, pourquoi être venu jusqu'ici alors qu'on se débrouil<strong>le</strong> si<br />

bien? continua Ana Rosa avec une nuance d'ironie.<br />

-Je ne fais que me conformer aux souhaits d'Arthur, répondit enfin<br />

Kaznaël, d'une voix posée.<br />

-Nous connaissons suffisamment bien Arthur pour savoir qu'il ne t'aurait<br />

jamais <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> nous affronter, dit Ana Rosa. Est-il même au courant<br />

<strong>de</strong> ta présence?"<br />

Nouveau si<strong>le</strong>nce <strong>de</strong> Kaznaël, comblé par la reprise <strong>de</strong>s percussions.<br />

"Ne te trompe pas sur notre compte, intervint Ibtissam. Nous sommes et<br />

<strong>de</strong>meurerons <strong>de</strong>s élus, fidè<strong>le</strong>s à nos compagnons et à notre <strong>de</strong>voir.<br />

Cependant, nous ne pouvons nous conformer aux exigences d'Enzo<br />

Wallace."<br />

Il soupira tristement.<br />

2


"La conception <strong>de</strong> Wallace ne correspond pas à la nôtre, ajouta-t-il. Arthur<br />

et <strong>le</strong>s autres <strong>le</strong> comprennent sans doute. Ils ont connu <strong>le</strong> même <strong>de</strong>uil que<br />

nous.<br />

-Un <strong>de</strong>uil? répéta Sally à voix haute. Le <strong>de</strong>uil <strong>de</strong>… Bon sang!<br />

-Arthur cherche avant tout à vous protéger, dit Kaznaël. C'est l'unique<br />

raison pour laquel<strong>le</strong> j'ai pris l'initiative <strong>de</strong>…<br />

-On <strong>le</strong> sait bien ; mais malgré ce qu'on a découvert et <strong>le</strong>s évènements<br />

récents, on préfère agir ainsi, fit Ana Rosa. Kaz, fais <strong>de</strong>mi-tour et rejoins<br />

<strong>le</strong>s autres s'il te plaît. Tu as mieux à faire. On s'occupe du reste.<br />

-C'est <strong>de</strong> l'inconscience, répliqua Kaznaël d'une voix cinglante."<br />

De quoi parlaient-ils? Pourquoi Ana Rosa, Ibtissam et Andreas<br />

avaient-ils ce comportement étrange à l'égard <strong>de</strong> Kaznaël, <strong>de</strong>s autres<br />

élus, et <strong>de</strong> GLOW? S'était-il passé quelque chose <strong>de</strong> grave? Sally était<br />

perdue. Si seu<strong>le</strong>ment el<strong>le</strong> pouvait communiquer avec eux.<br />

"Il n'est pas dans votre intérêt d'al<strong>le</strong>r plus loin seuls, professa Kaznaël.<br />

Vous vous êtes déjà aventurés dans la partie la plus sinistre <strong>de</strong> Sorgentel.<br />

Nul ne sait ce qu'Hermès et ses acolytes préparent.<br />

-Tu crois sérieusement qu'on est du genre à abandonner au moment<br />

précis où l'on approche du but? coupa Ana Rosa, d'une voix exaspérée. On<br />

n'a pas perdu espoir d'arranger <strong>le</strong>s choses. Hors <strong>de</strong> question <strong>de</strong> faire<br />

<strong>de</strong>mi-tour. Hors <strong>de</strong> question, même si pour cela on doit défier l'ennemi à<br />

trois. Que <strong>le</strong>s autres s'occupent du reste avec <strong>le</strong> Cénac<strong>le</strong>! Il y a<br />

suffisamment <strong>de</strong> choses à remettre en ordre à Sorgentel."<br />

Kaznaël observa longuement Andreas, <strong>le</strong>quel lui rendit son regard<br />

avec une assurance que Sally ne lui connaissait pas.<br />

"Très bien. Je vais <strong>de</strong>voir satisfaire cette assemblée d'arriérés, conclut<br />

Kaznaël. Dussé-je recourir à la force, je vous dissua<strong>de</strong>rai d'al<strong>le</strong>r plus loin.<br />

-Ah bon? fit Ana Rosa d'un air <strong>de</strong> défi."<br />

El<strong>le</strong> rit brièvement. <strong>Les</strong> spectateurs paraissaient s'impatienter et<br />

lançaient maintenant <strong>de</strong>s quolibets aux quatre individus.<br />

"Tu sais Kaz, je peux te rég<strong>le</strong>r ton compte toute seu<strong>le</strong>, assura-t-el<strong>le</strong> avec<br />

un sourire inquiétant.<br />

-Tu n'es qu'une élue. Pas même une élite."<br />

Andreas prit enfin la paro<strong>le</strong> :<br />

"L'élitisme n'est qu'un privilège acquis, un avantage qui a été offert à<br />

quatre d'entre nous pour faciliter <strong>le</strong>ur entrée dans la vie d'élu et <strong>le</strong>urs<br />

premières confrontations. L'élitisme n'est qu'un ensemb<strong>le</strong> d'atouts innés<br />

que <strong>le</strong>s autres ne pourront eff<strong>le</strong>urer que par un travail acharné. Eff<strong>le</strong>urer,<br />

et rien d'autre. Toutefois, tu <strong>de</strong>vrais savoir qu'un simp<strong>le</strong> élu doté<br />

d'imagination peut <strong>de</strong>venir aussi redoutab<strong>le</strong> qu'une élite.<br />

2


-Et je ne manque pas d'imagination, confirma Ana Rosa. Mon imagination<br />

ne connaît aucune limite."<br />

El<strong>le</strong> tendit sa main droite <strong>de</strong>vant el<strong>le</strong>, paume ouverte vers <strong>le</strong> sol.<br />

"Alzévir!"<br />

Sally écarquilla <strong>le</strong>s yeux, interdite. Une per<strong>le</strong> rouge accrochée à<br />

l'Etemenanki d'Ana Rosa venait <strong>de</strong> bril<strong>le</strong>r, l'espace d'une secon<strong>de</strong>. A ce<br />

moment, un livre noir, épais comme un dictionnaire et large comme un<br />

atlas apparut sous sa main. Kaznaël sembla perdre <strong>de</strong> sa sérénité.<br />

"Comment as-tu acquis cette capacité? Il ne s'agit pas là d'un aspect <strong>de</strong><br />

ton don.<br />

-Comme on te l'a dit plus tôt, un peu d'imagination et un coup <strong>de</strong> main <strong>de</strong><br />

quelques camara<strong>de</strong>s Sorgenteli permettent <strong>de</strong> rendre un simp<strong>le</strong> don<br />

redoutab<strong>le</strong>… Page 56!"<br />

Le manuel s'ouvrit aussitôt et <strong>le</strong>s pages se mirent à défi<strong>le</strong>r sous la<br />

main d'Ana Rosa, mues par une volonté inconnue. Sally savait que<br />

Kaznaël avait raison à son sujet. Même en améliorant son don, Ana Rosa<br />

ne pouvait probab<strong>le</strong>ment pas disposer d'une tel<strong>le</strong> capacité. A moins que<br />

<strong>le</strong>s dons <strong>de</strong>s élus n'aient pas été réel<strong>le</strong>ment exploités jusque là? Non,<br />

Sonia aurait évoqué une tel<strong>le</strong> possibilité.<br />

C'est alors que Sally comprit quelque chose qui, jusqu'à l'arrivée <strong>de</strong>s<br />

trois élus, lui avait échappé. Cette scène, dont el<strong>le</strong> était visib<strong>le</strong>ment<br />

exclue, se déroulait dans <strong>le</strong> futur.<br />

"Je pense savoir à qui tu t'es adressé pour obtenir ceci, dit Kaznaël."<br />

Le tournoiement <strong>de</strong>s pages cessa et <strong>le</strong> livre d'Ana Rosa se mit à<br />

bril<strong>le</strong>r d'un éclat rougeâtre.<br />

"Contente pour toi. Tu refuses toujours <strong>de</strong> partir?<br />

-…<br />

-Si<strong>le</strong>nce éloquent, constata Ana Rosa. Je considère ceci comme un "non".<br />

Mon imagination n'a aucune limite!"<br />

El<strong>le</strong> plaqua subitement sa main sur la page ouverte, déc<strong>le</strong>nchant un<br />

jet <strong>de</strong> flammes qui s'é<strong>le</strong>va tel un geyser. Un nuage <strong>de</strong> fumée se créa alors<br />

autour d'Ana Rosa.<br />

"Cinquième Technique Flamboyante d'Ana Rosa…"<br />

Sally ne vit pas la suite. A ce moment précis, un homme en armure,<br />

ou quelque chose qui y ressemblait, se jeta sur el<strong>le</strong>, hache brandie au<strong>de</strong>ssus<br />

<strong>de</strong> la tête. Il poussa un cri rauque.<br />

2


"Mer<strong>de</strong>, s'écria Sally, médusée."<br />

El<strong>le</strong> ne l'avait même pas vu venir, en dépit <strong>de</strong> son don. Malgré tout,<br />

son instinct lui commanda <strong>de</strong> se laisser tomber en arrière pour éviter<br />

l'assaut. Non, el<strong>le</strong> n'avait pas <strong>le</strong> temps, rien pour se défendre. Il était déjà<br />

face à el<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s yeux injectés <strong>de</strong> sang, la mâchoire gran<strong>de</strong> ouverte.<br />

Davantage une bête qu'un homme.<br />

Soudain, Sally vit une lame b<strong>le</strong>ue lui traverser <strong>le</strong> corps sans qu'el<strong>le</strong><br />

ne ressente la moindre dou<strong>le</strong>ur, comme si el<strong>le</strong> venait d'émerger <strong>de</strong> son<br />

ventre. L'arme passa à travers el<strong>le</strong> et se logea dans <strong>le</strong> torse <strong>de</strong> son<br />

assaillant comme dans du beurre, figeant ce <strong>de</strong>rnier.<br />

Le guerrier en armure émit un râ<strong>le</strong> <strong>de</strong> dou<strong>le</strong>ur, puis son corps se mit<br />

à ge<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s pieds à la tête, avant <strong>de</strong> se réduire en miettes. Il ne restait <strong>de</strong><br />

lui que <strong>de</strong>s morceaux <strong>de</strong> glace épars. Sally garda la bouche ouverte,<br />

interloquée. Son dépit s'accrut lorsque Arthur passa à travers el<strong>le</strong>, tel un<br />

revenant. C'était lui qui venait d'achever ainsi <strong>le</strong> guerrier, avec Drydock.<br />

"Arthur…"<br />

Le combat ne concernait pas Sally. Arthur était celui qui était<br />

agressé, en p<strong>le</strong>ine nuit, au milieu d'une gran<strong>de</strong> étendue <strong>de</strong> verdure<br />

occupée par une dizaine d'autres soldats à la mine patibulaire.<br />

Le jeune homme se planta fermement au sol à l'endroit où il venait<br />

<strong>de</strong> défaire son ennemi, puis il se mit à ha<strong>le</strong>ter, manifestement à bout <strong>de</strong><br />

forces. Il avait <strong>le</strong>s cheveux en batail<strong>le</strong> et <strong>le</strong> visage noir <strong>de</strong> sa<strong>le</strong>té, ce qui<br />

accentuait davantage la teinte grisâtre <strong>de</strong> son regard. Ses yeux faisaient<br />

<strong>de</strong>s mouvements rapi<strong>de</strong>s, jaugeant sans doute <strong>le</strong>s différents personnages<br />

qui se rapprochaient dangereusement <strong>de</strong> lui.<br />

"Rends-toi, lui intima un d'entre eux.<br />

-Bah tiens, répondit Arthur d'un souff<strong>le</strong>."<br />

Sa chemise blanche était, par endroits, couverte d'un sang qui ne<br />

semblait pas être <strong>le</strong> sien. La tenue d'apparat du Cénac<strong>le</strong> était dans un sa<strong>le</strong><br />

état. Nul doute que ce n'était pas là <strong>le</strong> premier combat d'Arthur.<br />

"Rends-toi à l'évi<strong>de</strong>nce, votre cause est perdue, reprit l'autre.<br />

-C'est mal nous connaître."<br />

Arthur fit agi<strong>le</strong>ment tournoyer Drydock en signe <strong>de</strong> menace puis se<br />

mit en gar<strong>de</strong>. Sally fut impressionnée par sa posture et son attitu<strong>de</strong>. Par<br />

son simp<strong>le</strong> regard, il semblait dissua<strong>de</strong>r qui que ce soit <strong>de</strong> prendre <strong>le</strong><br />

risque d'approcher. Son maintien était simp<strong>le</strong>ment parfait. Il n'y avait pas<br />

la moindre ouverture. Physiquement et menta<strong>le</strong>ment, il paraissait changé.<br />

"ATTAQUEZ SANS MERCI, hurla l'un <strong>de</strong>s soldats."<br />

2


Tous se ruèrent aussitôt vers Arthur, armés jusqu'aux <strong>de</strong>nts et<br />

déterminés à l'anéantir. Ce <strong>de</strong>rnier fronça <strong>le</strong>s sourcils et serra <strong>le</strong> poing<br />

gauche. La surface <strong>de</strong> Drydock se mit à irradier, tandis qu'un halo azuré<br />

se formait autour <strong>de</strong> sa main gauche.<br />

"Nazul, Fulmina Ceruli."<br />

Des multitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> faisceaux givrés s'élancèrent <strong>de</strong> son poing vers <strong>le</strong><br />

ciel nocturne puis retombèrent dru sur <strong>le</strong>s agresseurs d'Arthur,<br />

déc<strong>le</strong>nchant une série d'explosions qui firent vo<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s gerbes <strong>de</strong> glace.<br />

Des cris retentirent. L'attaque avait été fata<strong>le</strong> à plusieurs soldats, étalés<br />

au sol. Ceux qui s'en étaient sortis enjambèrent <strong>le</strong>s corps <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs<br />

compagnons sans ménagement et coururent vers Arthur. Ce <strong>de</strong>rnier ne<br />

tenait presque plus <strong>de</strong>bout.<br />

"Fais attention Arthur, cria Sally, bien que consciente <strong>de</strong> ne pas être<br />

entendue."<br />

Arthur avait déjà dû mener plusieurs combats avant celui-ci. Malgré<br />

tout, il ne ploya pas.<br />

"Pour <strong>le</strong>s élus d'hier et d'aujourd'hui, car il n'y en aura pas <strong>de</strong>main,<br />

murmura-t-il."<br />

Arthur se lança à l'assaut, entamant une lutte acharnée contre <strong>le</strong>s<br />

cinq soldats restants. Deux d'entre eux étaient armés <strong>de</strong> cimeterres, <strong>le</strong>s<br />

autres <strong>de</strong> haches, toutes <strong>de</strong> cou<strong>le</strong>ur or. La supériorité numérique était<br />

incontestab<strong>le</strong>, mais Arthur tenait bon, usant à la fois <strong>de</strong> son arme et <strong>de</strong> sa<br />

main gauche pour attaquer. Cette <strong>de</strong>rnière paraissait aisément glacer tout<br />

ce qu'el<strong>le</strong> touchait, représentant un danger incommensurab<strong>le</strong> pour <strong>le</strong>s cinq<br />

combattants. Arthur faisait rapi<strong>de</strong>ment tourner Drydock au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> sa<br />

tête et parait chacun <strong>de</strong>s assauts adverses, avant <strong>de</strong> tenter d'atteindre <strong>le</strong>s<br />

ennemis. Deux d'entre eux tombèrent rapi<strong>de</strong>ment, ayant fait l'erreur<br />

dramatique <strong>de</strong> se rapprocher <strong>de</strong> lui. Arthur se mit alors en équilibre sur<br />

une main, comme <strong>le</strong> lui avait patiemment appris Sally et repoussa un<br />

troisième adversaire d'un vio<strong>le</strong>nt coup <strong>de</strong> pied latéral.<br />

"Nazul, Aquilona Vigoresti! cria Arthur avant même d'avoir repris son<br />

équilibre."<br />

A la gran<strong>de</strong> stupéfaction <strong>de</strong> Sally, <strong>le</strong> troisième adversaire fut frappé<br />

<strong>de</strong> p<strong>le</strong>in fouet par un tourbillon glacé émanant <strong>de</strong> Drydock et s'effondra.<br />

Arthur se rétablit aussitôt. Il fut alors surpris par une attaque <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

opposants restants. L'un d'entre eux chargea littéra<strong>le</strong>ment, fonçant tête la<br />

première dans son ventre. Drydock quitta la main d'Arthur et se planta<br />

dans <strong>le</strong> sol, alors qu'il tombait à genoux, <strong>le</strong> souff<strong>le</strong> coupé.<br />

"Nooon! cria Sally."<br />

2


El<strong>le</strong> courut vers <strong>le</strong>s adversaires d'Arthur et tenta vainement <strong>de</strong> <strong>le</strong>s<br />

frapper ; mais sans gran<strong>de</strong> surprise, ses coups ne firent que brasser l'air.<br />

Arthur fut saisi sans ménagement par <strong>le</strong>s cheveux et sou<strong>le</strong>vé, ce qui lui<br />

arracha un grognement <strong>de</strong> dou<strong>le</strong>ur.<br />

"Enflure, tu as failli tous nous décimer, dit l'un <strong>de</strong>s soldats en lui crachant<br />

au visage. Le régent nous récompensera comme il se doit si nous te<br />

ramenons à lui."<br />

<strong>Les</strong> yeux d'Arthur reprirent <strong>le</strong>ur cou<strong>le</strong>ur habituel<strong>le</strong>. Il toussait<br />

vio<strong>le</strong>mment, conséquence du coup <strong>de</strong> bélier fulgurant qu'il venait <strong>de</strong><br />

recevoir.<br />

"Vaut mieux l'tuer maintenant pendant qu'on peut, paniqua l'autre<br />

combattant. Ces élus sont trop dangereux pour qu'on rate une chance<br />

comme ça!<br />

-Non, nous allons <strong>le</strong> ramener vivant. Ce sont <strong>le</strong>s ordres! De plus…"<br />

Arthur reçut du soldat une baffe magistra<strong>le</strong>, laquel<strong>le</strong> n'occasionna<br />

pas la moindre réaction <strong>de</strong> sa part. Sally comprit qu'il n'avait plus la force<br />

<strong>de</strong> bouger ne serait-ce que <strong>le</strong> petit doigt. <strong>Les</strong> procédés qu'il venait<br />

d'utiliser l'avaient exténué. Vu son état, <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux hommes pouvaient <strong>le</strong><br />

capturer sans rencontrer la moindre résistance.<br />

"…ce type a l'air d'avoir <strong>de</strong> l'importance. Suffisamment pour qu'on ne <strong>le</strong><br />

tue pas tout <strong>de</strong> suite.<br />

-Ce type n'a pas d'importance. Ce n'est qu'un bou<strong>le</strong>t…"<br />

Sally et <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux soldats tressaillirent <strong>de</strong> concert. A <strong>le</strong>ur insu, un<br />

ado<strong>le</strong>scent asiatique venait <strong>de</strong> se jucher sur <strong>le</strong>urs épau<strong>le</strong>s. Entièrement<br />

vêtu d'un costume en lin blanc, il observait lui aussi <strong>le</strong> visage harassé<br />

d'Arthur, l'air passab<strong>le</strong>ment contrarié.<br />

"Il a une tête d'idiot en plus.<br />

-Qui…, commença <strong>le</strong> soldat, paniqué.<br />

-Inuti<strong>le</strong>. Vous êtes déjà mort."<br />

Un déclic se fit entendre et un éclair s'abattit aussitôt sur <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

soldats, avec une fulgurance qui donna l'illusion <strong>de</strong> la lumière du jour.<br />

Sally se jeta instinctivement sur <strong>le</strong> côté, <strong>de</strong> peur d'être foudroyée. El<strong>le</strong> ne<br />

se redressa que lorsque la colline fut <strong>de</strong> nouveau plongée dans <strong>le</strong>s<br />

ténèbres, puis contempla la scène, mains sur la tête : <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux soldats,<br />

<strong>de</strong>venus noirs comme la suie, se tenaient encore <strong>de</strong>bout au point<br />

d'impact, immobi<strong>le</strong>s et cois. Leurs yeux étaient grands ouverts, presque<br />

exorbités. L'attaque avait été proprement éclatante. Ils s'écroulèrent en<br />

même temps, libérant par la même occasion Arthur <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur compagnie. Ce<br />

<strong>de</strong>rnier tomba à genoux.<br />

2


"Shui…, dit-il à voix basse.<br />

-Pour toi, c'est Shui-Khan."<br />

L'ado<strong>le</strong>scent rangeait déjà son épée jian dans son fourreau, sans<br />

même accor<strong>de</strong>r un regard à Arthur. Il lui tournait même <strong>le</strong> dos.<br />

"Merci… pour <strong>le</strong> coup <strong>de</strong> main, fit Arthur, comme si prononcer ces mots lui<br />

comprimait <strong>le</strong> cœur."<br />

Il se re<strong>le</strong>va <strong>le</strong>ntement, serrant la mâchoire. Puis il partit récupérer<br />

Drydock, dont une lame s'était enfoncée dans la terre.<br />

"Quel<strong>le</strong> barbe. Il a fallu que je me retrouve coincé avec toi, râla Shui-<br />

Khan, bras croisés. Dix soldats et tu n'as même pas été capab<strong>le</strong> <strong>de</strong> finir <strong>le</strong><br />

travail tout seul. Je suis cerné par <strong>le</strong>s incompétents."<br />

Arthur grogna passivement en guise <strong>de</strong> réponse.<br />

"Et on par<strong>le</strong> d'élite… Pfff, heureusement que je t'ai retrouvé.<br />

-J'ai compris…<br />

-On n'a vraiment pas <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> surveil<strong>le</strong>r tes arrières, bon à rien.<br />

-Tu as fini?<br />

-J'aurai fini quand tu seras mort et enterré. S'il te plaît, va mourir, que je<br />

puisse combattre en paix.<br />

-Je ne te ferai pas ce plaisir."<br />

Shui-Khan haussa <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s, secouant dédaigneusement la tête. Il<br />

avança vers <strong>le</strong> sommet <strong>de</strong> la colline, suivi <strong>de</strong> près par Sally. El<strong>le</strong> tenait<br />

absolument à savoir ce qui se tramait à Sorgentel, pour qu'un élu soit<br />

attaqué en p<strong>le</strong>ine nuit. Etait-ce encore une manœuvre <strong>de</strong> la Confrérie? Il<br />

n'avait été fait référence qu'à un individu nommé Hermès. Ce nom lui<br />

disait vaguement quelque chose, mais el<strong>le</strong> ne se rappelait plus dans quel<br />

contexte el<strong>le</strong> avait pu l'entendre.<br />

"Où vas-tu Shui? lança Arthur au loin.<br />

-Mê<strong>le</strong> toi <strong>de</strong> tes affaires, répliqua Shui-Khan en continuant son ascension."<br />

Il s'arrêta fina<strong>le</strong>ment avoir parcouru une dizaine <strong>de</strong> mètres. Sally en<br />

fit <strong>de</strong> même et baissa <strong>le</strong>s yeux, pour observer l'autre versant <strong>de</strong><br />

l'immense colline. La vision qui s'offrit alors à el<strong>le</strong> la glaça d'effroi. En<br />

contrebas, <strong>de</strong>s centaines <strong>de</strong> tentes jaunes éclairées par <strong>de</strong>s rangées <strong>de</strong><br />

torches étaient alignées, formant un campement extraordinaire. On<br />

pouvait, malgré la distance, voir circu<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s soldats accoutrés <strong>de</strong> même<br />

manière que ceux que venaient <strong>de</strong> battre Arthur et Shui-Khan.<br />

"Qu'est-ce que c'est que ça? souffla Sally."<br />

2


Shui-Khan fronçait <strong>le</strong>s sourcils.<br />

"Ces rats ont été bien plus rapi<strong>de</strong>s que prévu, dit-il pour lui-même.<br />

-Inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> traîner ici Shui, dit Arthur en <strong>le</strong> rejoignant aussi vite que <strong>le</strong> lui<br />

permettait son état. On ne peut rien faire <strong>de</strong> plus pour l'instant.<br />

-Je <strong>le</strong> sais très bien, ne me donne pas d'ordres, protesta Shui-Khan."<br />

Arthur esquissa un sourire las, puis se tourna subitement vers Sally,<br />

la regardant droit dans <strong>le</strong>s yeux.<br />

"Est-ce que ces visions t'ont plu?<br />

-…"<br />

La jeune femme mit un instant à comprendre qu'Arthur s'adressait<br />

directement à el<strong>le</strong> cette fois-ci. Presque immédiatement, el<strong>le</strong> se retrouva<br />

assise dans un fauteuil en bois, au milieu d'une pièce entièrement<br />

blanche, dénuée <strong>de</strong> la moindre décoration. Face à el<strong>le</strong> se tenait Arthur, du<br />

moins, ce qui paraissait être Arthur. En effet, il avait troqué sa tenue<br />

précé<strong>de</strong>nte pour une amp<strong>le</strong> toge faite d'un léger tissu b<strong>le</strong>u, surmontant un<br />

pantalon noir.<br />

"Arthur, fit Sally. Tu me vois?<br />

-Désolé, je ne suis pas Arthur, mais je te vois clairement."<br />

Celui qui n'était pas Arthur était assis <strong>de</strong>vant Sally, regard plongé<br />

dans <strong>le</strong> sien. Il avait l'air curieusement amusé.<br />

"Tu n'es pas… Arthur? répéta Sally.<br />

-Non.<br />

-Tu lui ressemb<strong>le</strong>s étrangement pourtant. Cette blague ne me fait pas<br />

rire…"<br />

L'autre se <strong>le</strong>va soudain, avança d'un pas et se pencha vers el<strong>le</strong>.<br />

"Est-ce qu'Arthur ferait ceci?"<br />

Sans crier gare, il l'embrassa sur <strong>le</strong>s lèvres, main droite posée sur<br />

ses genoux. Sally fut si surprise par cet acte qu'el<strong>le</strong> ne réagit qu'après une<br />

poignée <strong>de</strong> secon<strong>de</strong>s qui lui parurent être une éternité. El<strong>le</strong> <strong>le</strong> repoussa<br />

bruta<strong>le</strong>ment d'une main.<br />

"Qui… qui êtes vous? hurla-t-el<strong>le</strong>.<br />

-Arthur ne ferait pas ça, mais il l'a sûrement déjà imaginé, ricana son<br />

sosie, d'un air béat.<br />

-Qui êtes-vous? répéta Sally en se <strong>le</strong>vant pour <strong>le</strong> secouer comme un<br />

prunier. Arthur ne se permettrait jamais <strong>de</strong> me…"<br />

El<strong>le</strong> <strong>le</strong> gifla, espérant qu'el<strong>le</strong> n'aurait pas à <strong>le</strong> regretter.<br />

2


"C'est légitime, je suppose, dit <strong>le</strong> sosie d'Arthur après s'être frotté la joue.<br />

-Et pas qu'un peu… Où sommes nous? Qui êtes-vous?<br />

-Disons… que je suis un bon ami d'Arthur. Quand à l'endroit, il serait<br />

diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>le</strong> désigner par <strong>de</strong>s mots à l'heure actuel<strong>le</strong>.<br />

-Cette réponse ne me suffit pas.<br />

-Dans ce cas, appel<strong>le</strong> moi "Tutur", pour <strong>le</strong> moment.<br />

-…"<br />

Sally se renfrogna. Le véritab<strong>le</strong> Arthur aurait tout avoué, sous la<br />

pression. Celui-ci était plus tenace.<br />

"Tu n'as pas répondu à ma question, fit remarquer <strong>le</strong> faux Arthur.<br />

-Laquel<strong>le</strong>?<br />

-As-tu apprécié ces visions?<br />

-C'est donc vous qui êtes responsab<strong>le</strong>?<br />

-Au risque <strong>de</strong> me faire frapper <strong>de</strong> nouveau, oui.<br />

-Pourquoi m'avoir fait subir ça? Est-ce que c'était <strong>le</strong> futur? Notre futur?<br />

-Ca pourrait l'être.<br />

-Comment ça…"<br />

Le doub<strong>le</strong> se mit à arpenter la sal<strong>le</strong>, mains jointes dans <strong>le</strong> dos. Sally<br />

remarqua qu'il marchait pieds nus.<br />

"Tu sais Salimata, ce n'est par hasard que tu as été choisie par mon<br />

humb<strong>le</strong> personne pour vivre ces visions.<br />

-…<br />

-Parmi <strong>le</strong>s élus, tu es la seu<strong>le</strong> personne suffisamment accessib<strong>le</strong>, au vu <strong>de</strong><br />

ton don et du contexte actuel. Tout ce que j'ai eu à faire, c'est accroître<br />

momentanément ton appréhension temporel<strong>le</strong> pour te permettre <strong>de</strong> voir<br />

ces choses. Bien évi<strong>de</strong>mment, ce n'est pas la seu<strong>le</strong> donnée que j'ai prise<br />

en compte. Le fait que tu soies la meneuse officieuse <strong>de</strong>s élus <strong>de</strong> la<br />

<strong>de</strong>uxième génération a éga<strong>le</strong>ment pesé dans mon jugement.<br />

-Tout cela pour dire que…<br />

-Ces visions sont un avertissement Salimata.<br />

-El<strong>le</strong>s étaient loin d'être précises pourtant, fit remarquer Sally.<br />

-Ce n'était pas <strong>le</strong> but, je souhaitais juste t'éveil<strong>le</strong>r à quelque chose<br />

d'important, dit-il en s'affalant <strong>de</strong> nouveau sur son siège, tel un pacha."<br />

Il détournait sciemment ses réponses.<br />

"C'est-à-dire?<br />

-Je te confie une mission.<br />

-Euh… vous plaisantez?<br />

-Pas du tout! Je te rassure, el<strong>le</strong> sera simp<strong>le</strong>!<br />

-Je n'ai pas vraiment envie d'accepter <strong>de</strong> mission d'un sosie dégénéré qui<br />

me capture pour me faire voyager dans <strong>le</strong> temps, puis m'embrasse sans<br />

me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r mon avis, dans une pièce qui ressemb<strong>le</strong> à un asi<strong>le</strong>…<br />

2


-J'embrasse donc si mal que ça? Je peux recommencer si tu veux!<br />

-Là n'est pas <strong>le</strong> problème… Tutur. D'ail<strong>le</strong>urs, je vous frapperai là où il faut<br />

avec un pied <strong>de</strong> cette chaise si vous faites mine d'approcher.<br />

-Diab<strong>le</strong>, je m'abstiendrai donc. Pour en revenir à cette mission, je<br />

souhaiterais simp<strong>le</strong>ment que tu ne quittes plus Arthur <strong>de</strong>s yeux, sans lui<br />

faire part <strong>de</strong> ton rô<strong>le</strong>.<br />

-Que je reste tout <strong>le</strong> temps avec lui?<br />

-Exactement! Il ne s'agit évi<strong>de</strong>mment pas d'al<strong>le</strong>r jusqu'à partager son lit<br />

ou d'autres choses fallacieuses. Fais juste en sorte d'être à ses côtés lors<br />

<strong>de</strong>s moments importants <strong>de</strong> sa vie d'élu, dans <strong>le</strong>s semaines à venir.<br />

-Pourquoi <strong>de</strong>vrais-je lui col<strong>le</strong>r aux basques? Non, plus important…<br />

pourquoi Arthur?"<br />

El<strong>le</strong> se <strong>le</strong>va, déterminée à obtenir <strong>de</strong>s réponses.<br />

"J'ai toujours soupçonné Arthur d'être mêlé à quelque chose qu'il ne<br />

soupçonne même pas. Si vous savez <strong>de</strong> quoi il s'agit, vous <strong>de</strong>vez me <strong>le</strong><br />

dire, avant <strong>de</strong> me confier quelque mission que ce soit.<br />

-Nan!<br />

-Comment ça "nan"?"<br />

Sally fulminait. El<strong>le</strong> avait soudainement l'impression d'avoir affaire à<br />

un gamin manipulateur.<br />

"Si vous ne me dites rien, j'irai lui par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> tout ce qu'il s'est passé<br />

aujourd'hui! menaça-t-el<strong>le</strong>.<br />

-Du chantage?<br />

-Ouais!<br />

-J'adore ça… mais c'est inuti<strong>le</strong>!<br />

-Ah? Pourquoi donc?"<br />

"Tutur" sourit <strong>de</strong> toutes ses <strong>de</strong>nts.<br />

"Ce baiser a scellé notre secret. Il m'assure que tu ne révé<strong>le</strong>ras rien <strong>de</strong> ce<br />

que tu as vu à qui que ce soit, qu'il s'agisse du contenu <strong>de</strong>s visions ou <strong>de</strong><br />

notre discussion.<br />

-QUOI? croassa Sally.<br />

-Tu te souviendras <strong>de</strong> tout mais tu ne pourras en par<strong>le</strong>r à personne.<br />

-Hors <strong>de</strong> question! Je n'ai pas signé pour ça!<br />

-J'ai <strong>de</strong> grands pouvoirs! Tu peux toujours essayer d'en par<strong>le</strong>r à<br />

quelqu'un, mais à ce moment, <strong>le</strong>s seuls mots que percevront tes<br />

interlocuteurs seront… "J'aime Jamie".<br />

-…"<br />

Sally crut que la terre allait s'ouvrir sous ses pieds. "Tutur", lui, riait<br />

à gorge déployée, tel un démon déguisé en ange.<br />

"Je <strong>le</strong> révé<strong>le</strong>rai par écrit!<br />

2


-Ta main écrira "J'aime Jamie".<br />

-Je communiquerai par signe.<br />

-Tu formeras un gros cœur avec ta main, près <strong>de</strong> la photo <strong>de</strong> Jamie.<br />

-…<br />

-Jamie! Jamie! Jamie! chantonnait son tourmenteur."<br />

El<strong>le</strong> était vaincue, qui plus est, par ce qui semblait être la version<br />

schizophrène d'Arthur. Cette perspective la déprima.<br />

"A quoi bon avoir eu ces visions si je ne peux pas avertir <strong>le</strong>s gens pour<br />

empêcher qu'el<strong>le</strong>s se produisent?<br />

-Tu es la meneuse <strong>de</strong>s élus, n'est-ce pas? A ce titre, tu <strong>de</strong>vrais pouvoir<br />

influer sur <strong>le</strong>ur <strong>de</strong>stin pour empêcher que <strong>le</strong>ur vie ne prenne un tournant<br />

tragique.<br />

-Influer sur <strong>le</strong>ur vie? répéta Sally.<br />

-Oui. Toutefois, si certaines lignes <strong>de</strong> vie sont susceptib<strong>le</strong>s d'emprunter<br />

divers embranchements, d'autres ne connaissent qu'une voie. Pour ces<br />

<strong>de</strong>rnières…<br />

-Inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> tourner autour du pot, trancha Sally. Nous n'en sortirons pas<br />

tous vivants, n'est-ce pas?<br />

-Hum, fit l'autre en hochant la tête.<br />

-Qui sait, je suis peut-être cel<strong>le</strong> dont <strong>le</strong>s autres parlaient dans l'arène. La<br />

personne dont ils faisaient <strong>le</strong> <strong>de</strong>uil. Après tout, je ne me suis pas vue dans<br />

<strong>le</strong>s visions.<br />

-Comme beaucoup d'autres, mais ce n'est pas une conclusion en soi.<br />

-Dans ce cas, dites-moi qui est en danger parmi nous. Même si je ne peux<br />

rien lui dire, je ferai en sorte <strong>de</strong> <strong>le</strong> protéger."<br />

Le faux Arthur secoua la tête, <strong>de</strong> manière prévisib<strong>le</strong>. Sally s'était<br />

attendue à ce refus. Soit. El<strong>le</strong> protégerait tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>, seu<strong>le</strong> si<br />

nécessaire.<br />

"Je comprends ta déception Salimata, mais te révé<strong>le</strong>r ce genre<br />

d'informations pourrait aggraver la situation. Tu as déjà bénéficié d'un<br />

privilège non négligeab<strong>le</strong> avec ces <strong>de</strong>ux visions. Le moindre détail que tu<br />

as pu voir ou entendre prendra tout son sens, en temps voulu.<br />

-Pourrai-je un jour développer suffisamment mon don pour avoir <strong>de</strong><br />

nouveau ce type <strong>de</strong> visions? Arthur, Ana et Shui ont l'air tel<strong>le</strong>ment plus<br />

forts dans <strong>le</strong> futur.<br />

-Ton don est amené à s'affûter, mais pas dans ce sens. La divination n'est<br />

pas ton fort.<br />

-Ce n'est pas plus mal Tutur, ce n'est pas plus mal… "<br />

El<strong>le</strong> se rassit, sous <strong>le</strong> regard bienveillant du jeune homme.<br />

"Je ne peux même pas savoir pourquoi je dois surveil<strong>le</strong>r Arthur?<br />

-Non, pas dans l'immédiat. Accepte-tu malgré tout la mission que je te<br />

confie?<br />

2


-J'accepterai, à condition que vous me révéliez votre nom.<br />

-Mon nom est-il si important?<br />

-Vous empruntez l'apparence d'Arthur pour dissimu<strong>le</strong>r votre véritab<strong>le</strong><br />

physique, n'est-ce pas? Un nom n'est pas une grosse concession comparé<br />

à ça, surtout si je ne peux pas <strong>le</strong> répéter à qui que ce soit."<br />

Il sourit.<br />

"Je ne suis pas si différent d'Arthur que tu peux <strong>le</strong> penser, autrement je<br />

n'aurais pas emprunté son apparence pour discuter avec toi.<br />

-Vous reconnaîtrez que c'est quand même troublant.<br />

-Ca l'aurait été davantage si j'avais pris <strong>le</strong>s traits <strong>de</strong> Jamie.<br />

-Si<strong>le</strong>nce…<br />

-Soit, je ne révé<strong>le</strong>rai mon nom qu'à <strong>de</strong>ux conditions.<br />

-<strong>Les</strong>quel<strong>le</strong>s? fit Sally, méfiante.<br />

-Un : que tu accomplisses la mission que je te confie. Deux : que tu<br />

n'oublies jamais notre extraordinaire embrassa<strong>de</strong>…<br />

-…<br />

-…car lorsque <strong>le</strong> ciel s'assombrira, seul ce souvenir pourra raviver ton<br />

moral déchu.<br />

-Par pitié… arrêtez avec ça.<br />

-Crois moi, un baiser peut lier ce qui a été délié, en somme, raviver<br />

d'intenses souvenirs.<br />

-Stop!"<br />

Il s'interrompit, l'air résigné, puis reprit sa place sur <strong>le</strong> siège placé<br />

en face <strong>de</strong> Sally.<br />

"Très bien, j'accepte <strong>de</strong> te révé<strong>le</strong>r mon nom avant <strong>de</strong> te laisser repartir.<br />

J'espère que tu n'auras pas à regretter <strong>de</strong> me l'avoir <strong>de</strong>mandé, car tu ne<br />

l'oublieras jamais. Je me nomme…"<br />

<strong>PARTIE</strong> <strong>IV</strong> : …Leryan!<br />

2


Chapitre 17 : Un convive inattendu<br />

Effarouchée par ce qu'el<strong>le</strong> venait <strong>de</strong> voir et d'entendre, Sally<br />

s'éveilla brusquement, <strong>le</strong> front en sueur. Sa tête se re<strong>le</strong>va si vite qu'el<strong>le</strong><br />

manqua <strong>de</strong> percuter <strong>le</strong> menton d'Andreas.<br />

"Hoooo, fit-t-il doucement, comme pour la rassurer."<br />

El<strong>le</strong> mit un instant à resituer son environnement : la chambre<br />

plongée dans l'obscurité ; la présence d'Andreas (ou plutôt sa présence<br />

sur <strong>le</strong>s genoux d'Andreas) ; <strong>le</strong>s mouchoirs humi<strong>de</strong>s éparpillés sur <strong>le</strong> tapis,<br />

conséquence <strong>de</strong> ses larmes abondantes, beaucoup plus tôt. El<strong>le</strong> était<br />

revenue dans l'une <strong>de</strong>s chambres d'ami du manoir Corbell.<br />

Leryan, si c'était bien là son nom, avait disparu aussi vite qu'il était<br />

apparu. El<strong>le</strong> se <strong>de</strong>manda si ce qu'el<strong>le</strong> venait <strong>de</strong> vivre n'était pas <strong>le</strong> fruit <strong>de</strong><br />

son imagination, un simp<strong>le</strong> rêve en somme. La discussion lui avait<br />

pourtant paru bien réel<strong>le</strong>.<br />

"Andreas?<br />

-Oui?"<br />

Penau<strong>de</strong>, Sally se redressa et s'assit à côté <strong>de</strong> lui en si<strong>le</strong>nce.<br />

Andreas regardait <strong>le</strong> sol d'un air inexpressif, comme s'il voulait lui éviter la<br />

sensation <strong>de</strong> gêne qui aurait été occasionnée par <strong>le</strong> croisement <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs<br />

regards.<br />

"Est-ce qu'Arthur était ici… pendant que je dormais? <strong>de</strong>manda-t-el<strong>le</strong><br />

fina<strong>le</strong>ment."<br />

Il dirigea son regard vers el<strong>le</strong>.<br />

"Oui.<br />

-D'accord. Est-ce qu'il m'a… touchée la tête, ou l'épau<strong>le</strong>, même par<br />

inadvertance?"<br />

Andreas haussa <strong>le</strong>s sourcils.<br />

"Désolé, je ne m'en souviens pas. Il est resté quelques instants pour<br />

s'assurer que tu allais bien.<br />

-Ah… C'est tout?<br />

-Oui. Je ne t'ai pas quitté un instant."<br />

El<strong>le</strong> serra <strong>le</strong>s poings sur ses genoux, troublée. Il n'y avait aucune<br />

explication rationnel<strong>le</strong> à ce qui venait <strong>de</strong> se passer : voir <strong>le</strong> futur, discuter<br />

avec <strong>le</strong> mystérieux sosie d'Arthur. Dès qu'el<strong>le</strong> s'était réveillée, el<strong>le</strong> avait<br />

tenté d'élaborer un semblant <strong>de</strong> théorie. La seu<strong>le</strong> réponse qui lui était<br />

venue à l'esprit re<strong>le</strong>vait <strong>de</strong> la pure coïnci<strong>de</strong>nce : Arthur l'avait<br />

physiquement approchée alors qu'el<strong>le</strong> était el<strong>le</strong>-même en contact avec<br />

2


Andreas. Cela avait pu déc<strong>le</strong>ncher une forme <strong>de</strong> connexion entre son don<br />

<strong>de</strong> précognition et celui d'Andreas, d'où l'étrange phénomène qui venait<br />

d'avoir lieu.<br />

"Hum… Sally?"<br />

Sally sursauta. Sa méditation lui avait presque fait oublier la<br />

présence d'Andreas. Il l'observait avec une pointe d'inquiétu<strong>de</strong>, fait rare<br />

chez <strong>le</strong> jeune homme qui ne manifestait que rarement ses émotions. Sally<br />

réalisa alors que c'était lui qui s'était occupée d'el<strong>le</strong>, pendant <strong>le</strong> moment<br />

<strong>de</strong> détresse qui avait précédé sa vision.<br />

"Désolée que tu m'aies vue dans cet état Andreas…, s'excusa-t-el<strong>le</strong>.<br />

-Ce n'est pas grave.<br />

-Quel<strong>le</strong> heure est-il?<br />

-Je ne sais pas exactement, j'ai oublié ma montre en bas lorsque nous<br />

sommes partis à ta poursuite. Il est sans doute trois ou quatre heures <strong>de</strong><br />

l'après-midi.<br />

-Si tard déjà…"<br />

El<strong>le</strong> se <strong>le</strong>va et se dirigea vers la fenêtre pour ouvrir <strong>le</strong>s ri<strong>de</strong>aux. Un<br />

so<strong>le</strong>il resp<strong>le</strong>ndissant l'aveugla alors. Le ciel s'était rapi<strong>de</strong>ment découvert, il<br />

n'y avait plus la moindre trace <strong>de</strong>s nuages gris qui avaient occasionné <strong>le</strong>s<br />

averses <strong>de</strong> la matinée. Lorsqu'el<strong>le</strong> se retourna, el<strong>le</strong> vit avec stupeur<br />

qu'Andreas avait entrepris <strong>de</strong> ramasser <strong>le</strong>s mouchoirs.<br />

"Mais non, mais non, fit-el<strong>le</strong> en escaladant <strong>le</strong> lit pour <strong>le</strong> rejoindre <strong>de</strong><br />

l'autre côté <strong>de</strong> la chambre. Ne touche pas à ça, je vais m'en occuper.<br />

-D'accord, dit-il sans protester.<br />

-Mets toi un peu <strong>de</strong> plomb dans la tête Andreas. Tu n'as pas à être si<br />

serviab<strong>le</strong> avec moi. Je te suis déjà reconnaissante, tu sais.<br />

-Ca ne me dérange pas d'être ton assistant, dit-il d'une voix neutre.<br />

-Voyons Andreas, tu n'es pas mon assistant dans ce genre <strong>de</strong> situations,<br />

dit-el<strong>le</strong> avec un rire feint.<br />

-…<br />

-Je vais ramasser tout ça moi-même… et me rendre présentab<strong>le</strong> peutêtre.<br />

-Tu es prête à re<strong>de</strong>scendre?"<br />

El<strong>le</strong> acquiesça.<br />

"Je suis <strong>le</strong> <strong>le</strong>a<strong>de</strong>r. Je ne peux pas me permettre <strong>de</strong> rester faib<strong>le</strong> face à<br />

l'adversité."<br />

El<strong>le</strong> scrutait Andreas du regard, <strong>le</strong> comparant avec sa version future,<br />

tel<strong>le</strong> qu'el<strong>le</strong> l'avait vue dans sa vision. Le regard <strong>de</strong> son ami n'était pas du<br />

tout <strong>le</strong> même. Cette innocence semblait vouée à disparaître, pour une<br />

raison qu'el<strong>le</strong> ignorait encore. Comment pouvait-el<strong>le</strong> agir pour empêcher<br />

2


cela, alors même que Leryan ne lui avait pas donné la moindre<br />

information?<br />

Pouvait-el<strong>le</strong> même l'empêcher? Empêcher quoi? Andreas était l'un<br />

<strong>de</strong>s élus <strong>le</strong>s plus sensés. Il n'était pas du genre à choisir <strong>de</strong> faire cavalier<br />

seul avec Ana Rosa et Ibtissam. Eux aussi, el<strong>le</strong> <strong>de</strong>vrait <strong>le</strong>s surveil<strong>le</strong>r,<br />

appréhen<strong>de</strong>r ce qui allait dissocier <strong>le</strong>urs objectifs <strong>de</strong> ceux <strong>de</strong> GLOW. Ana<br />

Rosa avait un caractère bien trempé, mais pas au point d'abandonner ses<br />

amis. Ibtissam était l'honneur incarné, un brave garçon à qui il était<br />

diffici<strong>le</strong> d'ôter sa bonne humeur. Sally refusait <strong>de</strong> <strong>le</strong>s imaginer s'éloigner<br />

d'el<strong>le</strong>. De gré ou <strong>de</strong> force, el<strong>le</strong> <strong>le</strong>s gar<strong>de</strong>rait à ses côtés.<br />

Soudain, une pensée terrib<strong>le</strong> lui traversa l'esprit. Et si, lui aussi,<br />

finissait par changer. S'il changeait, à cause d'el<strong>le</strong>, à cause <strong>de</strong> son refus.<br />

El<strong>le</strong> ne l'avait pas vu dans ses visions, ce n'était pas pour la rassurer.<br />

"J'aurais peut-être dû lui expliquer clairement mes raisons…" pensa-t-el<strong>le</strong><br />

aussitôt.<br />

Sa tâche allait être ardue. Assumer son rô<strong>le</strong> <strong>de</strong> meneuse, gar<strong>de</strong>r ses<br />

compagnons dans son champ <strong>de</strong> vision, faire en sorte que <strong>le</strong> sort ne <strong>le</strong>s<br />

frappe pas <strong>de</strong> manière dramatique, ne plus se séparer d'Arthur lors <strong>de</strong>s<br />

missions… tout en tentant <strong>de</strong> comprendre qui était vraiment cet étrange<br />

ami.<br />

"Dis Andreas, je peux faire un test avec toi?"<br />

Andreas avait entrepris <strong>de</strong> ramasser <strong>le</strong>s mouchoirs, malgré <strong>le</strong> refus<br />

<strong>de</strong> Sally.<br />

"Bien sûr, dit-il sans s'arrêter.<br />

-Si tu répètes quoi que ce soit <strong>de</strong> ce que tu vas entendre, je serai<br />

contrainte <strong>de</strong> te tuer.<br />

-Comme d'habitu<strong>de</strong>."<br />

El<strong>le</strong> se dandina sur place une longue minute, avant <strong>de</strong> se lancer.<br />

"J'aime Jamie."<br />

Andreas se figea, laissant tomber <strong>le</strong> tas <strong>de</strong> mouchoirs qu'il avait<br />

accumulé dans ses <strong>de</strong>ux mains.<br />

"Tu disais? fit-il, yeux écarquillés.<br />

-Rien! RIEN! Sors, je dois me changer! Attends moi <strong>de</strong>vant la porte!<br />

SORS!"<br />

Sally se hâta <strong>de</strong> lui faire quitter la chambre et claqua la porte<br />

<strong>de</strong>rrière lui, sans se préoccuper <strong>de</strong>s déchets sur <strong>le</strong>squels el<strong>le</strong> avait marché<br />

en <strong>le</strong> poussant vers la sortie.<br />

"Saloperie, il ne plaisantait pas! jura-t-el<strong>le</strong> en serrant <strong>le</strong>s poings. Leryan,<br />

Tutur, quel que soit ton nom… JE TE MAUDIS!"<br />

2


***<br />

"Tu as vraiment saccagé cette chambre?<br />

-Foi <strong>de</strong> Corbell, il a fallu plusieurs semaines <strong>de</strong> travaux pour tout remettre<br />

en place."<br />

Jamie était hilare, sans doute peu affecté par <strong>le</strong>s frais importants<br />

qu'avaient dû entraîner cette rénovation. Il avait visib<strong>le</strong>ment retrouvé <strong>de</strong><br />

son entrain, au point qu'il chutât du lit sur <strong>le</strong>quel il s'esclaffait.<br />

"Aïe! gémit-il, plié en <strong>de</strong>ux.<br />

-Reste un peu tranquil<strong>le</strong> Jam', tu vas te briser la nuque."<br />

Arthur prit la bouteil<strong>le</strong> <strong>de</strong> jus d'orange posée sur <strong>le</strong> sol et but ce qu'il<br />

en restait. Sur <strong>le</strong>ur plateau repas, <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux amis n'avaient pas laissé<br />

subsister la moindre trace <strong>de</strong> nourriture ou <strong>de</strong> boisson.<br />

"Je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> comment ça s'est passé pour Sonia et Samuel…<br />

-C'est-à-dire? La découverte <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs dons?"<br />

Arthur s'étonna d'avoir osé évoquer aussi librement Samuel. Bien<br />

que Jamie fût désormais dans la confi<strong>de</strong>nce, Arthur avait du mal à cerner<br />

la position <strong>de</strong> son camara<strong>de</strong> sur <strong>le</strong> sujet.<br />

"Je ne suis pas en mesure <strong>de</strong> te par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> Sonia, avoua Jamie. El<strong>le</strong> n'est<br />

pas aussi prolixe que <strong>le</strong>s autres.<br />

-El<strong>le</strong> n'est pas prolixe sur grand' chose. Diffici<strong>le</strong> d'obtenir la moindre<br />

information sur son passé.<br />

-Effectivement. Il ne faut pas oublier que notre chère instructrice n'a pas<br />

hésité à <strong>de</strong>meurer lèvres scellées sur l'affaire Samuel.<br />

-Si el<strong>le</strong> avait été franche dès <strong>le</strong> début, je n'aurais pas mis plusieurs<br />

semaines à réaliser que son pire ennemi – qui était en plus son amour <strong>de</strong><br />

jeunesse – s'avérait être l'un <strong>de</strong> mes plus proches amis, rumina Arthur."<br />

Jamie eut un sourire compatissant.<br />

"Tu tiens vraiment à Samuel, n'est-ce pas?<br />

-C'est <strong>le</strong> grand frère que j'ai toujours voulu avoir, répondit Arthur, du tac<br />

au tac. Bien sûr que je tiens à lui!<br />

-Désolé, question stupi<strong>de</strong>."<br />

Des coups se firent soudain entendre à la porte. Arthur bondit du<br />

sol, bien qu'il n'eût pas parlé assez fort pour craindre d'avoir été entendu.<br />

"C'est moi, Sonia!<br />

-Quand on par<strong>le</strong> du loup, fit Jamie. Entre!"<br />

2


Sonia s'introduisit dans la chambre d'un air perp<strong>le</strong>xe. Ses cheveux<br />

blonds étaient tressés en une longue natte qui se balançait au gré <strong>de</strong> ses<br />

mouvements. El<strong>le</strong> était vêtue d'un simp<strong>le</strong> jean et d'un T-shirt noir, à<br />

l'effigie <strong>de</strong> Jimi Hendrix.<br />

"Bonjour vous <strong>de</strong>ux. J'ai l'impression qu'il se passe <strong>de</strong>s choses bizarres<br />

dans cette maison.<br />

-Ah bon? ironisèrent Jamie et Arthur.<br />

-Personne n'a rien voulu me dire mais <strong>le</strong>s autres font grise mine, ajouta-tel<strong>le</strong><br />

d'un air soupçonneux. Vous vous êtes disputés?<br />

-Et bien…, hésita Arthur, tout en échangeant un regard avec James."<br />

Sonia plissa <strong>le</strong>s yeux d'un air qui ne laissait pas <strong>de</strong> place à l'hésitation.<br />

"Oui, on s'est un peu battus ce matin, admit Arthur, mais je ne crois pas<br />

qu'on <strong>de</strong>vrait revenir là-<strong>de</strong>ssus pour l'instant.<br />

-Nous sommes disposés à t'expliquer tout ceci plus tard, quand <strong>le</strong>s esprits<br />

seront apaisés, précisa Jamie.<br />

-C'est si grave que ça? Vous me faites peur…<br />

-Non, il n'y a pas <strong>de</strong> quoi t'inquiéter, assura Arthur. On a arrangé <strong>le</strong>s<br />

choses. C'est du passé.<br />

-Toutefois, tu pourrais rendre un grand service à Arthur en <strong>le</strong> rafistolant<br />

un peu, intervint Jamie, malgré <strong>le</strong>s signes frénétiques <strong>de</strong> son ami. Je l'ai…<br />

-…fait tomber par acci<strong>de</strong>nt, coupa Arthur."<br />

Sonia ouvrit la bouche. L'air affligé <strong>de</strong> Jamie ne pouvait tromper<br />

personne, surtout pas el<strong>le</strong>. Toutefois, el<strong>le</strong> n'insista pas.<br />

"Tant que c'est réglé, je suppose que cela ne me concerne pas, dit-el<strong>le</strong>. Je<br />

ne veux même pas savoir. Debout Arthur!<br />

-Hein?<br />

-Il faut bien que je te soigne, non?"<br />

Alors qu'il se pliait à ses ordres, el<strong>le</strong> s'approcha <strong>de</strong> lui et apposa la<br />

main sur son front. Ce faisant, el<strong>le</strong> s'adressa à Jamie :<br />

"Utiliser ta force pour percher Shui-Khan dans un arbre quand il est<br />

inso<strong>le</strong>nt est une chose. L'utiliser pour faire du mal à un <strong>de</strong> tes<br />

compagnons en est une autre."<br />

El<strong>le</strong> se tourna vers Arthur.<br />

"Cela vaut pour toi aussi. Je n'ai pas oublié ton petit cirque <strong>de</strong> l'autre jour<br />

avec Anaïs. Il est hors <strong>de</strong> question que <strong>le</strong>s élus utilisent <strong>le</strong>urs dons <strong>le</strong>s uns<br />

contre <strong>le</strong>s autres."<br />

Son visage s'approcha <strong>de</strong> celui d'Arthur, menaçant.<br />

2


"Je n'hésiterai pas à utiliser <strong>le</strong> Tabou contre vous si je vous vois refaire<br />

une tel<strong>le</strong> chose, compris?"<br />

Arthur fut presque certain d'entendre Jamie déglutir. <strong>Les</strong> menaces<br />

<strong>de</strong> Sonia avaient toujours un effet prodigieux sur <strong>le</strong>urs cib<strong>le</strong>s. Arthur luimême<br />

ne parvenait plus à détacher son regard <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> son<br />

instructrice.<br />

"Oui madame…, dit-il à mi-voix, yeux fixés sur Jimi Hendrix.<br />

-Très bien. Tu es déjà soigné."<br />

Arthur écarquilla <strong>le</strong>s yeux, surpris. Il avait été si terrifié par la<br />

menace qu'il n'avait même pas vu <strong>le</strong> grand cerc<strong>le</strong> vert apparaître sous ses<br />

pieds. Déjà, son corps lui paraissait beaucoup moins lourd et ses membres<br />

ne <strong>le</strong> lançaient plus. Au contraire, il se sentait en p<strong>le</strong>ine forme, comme s'il<br />

venait <strong>de</strong> sortir d'une sieste réparatrice. Le don <strong>de</strong> Sonia était assurément<br />

bien plus développé et rapi<strong>de</strong> que celui <strong>de</strong> Rick.<br />

"J'aime bien vos nouvel<strong>le</strong>s têtes, déclara Sonia en reculant. Je <strong>de</strong>vrais<br />

peut-être <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à Ana Rosa <strong>de</strong> faire quelque chose pour moi aussi!<br />

-Sonia… Ton aptitu<strong>de</strong> à changer d'humeur est aussi prodigieuse que ton<br />

don, pensa Arthur, sidéré. D'ail<strong>le</strong>urs, je me <strong>de</strong>mandais comment tu as<br />

découvert l'existence <strong>de</strong> ton don. Jamie m'a parlé <strong>de</strong>s autres mais je ne<br />

sais pas ce qu'il en est pour toi."<br />

Sonia ricana.<br />

"C'est trop honteux, je n'en par<strong>le</strong>rai jamais.<br />

-A ce point?<br />

-Un secret <strong>de</strong> polichinel<strong>le</strong>. Inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> reposer la question, à moins <strong>de</strong><br />

m'avoir droguée auparavant, assura-t-el<strong>le</strong>. Plutôt que d'élucubrer sur <strong>de</strong>s<br />

choses inintéressantes, sortez un peu <strong>de</strong> cette tanière. La maman <strong>de</strong><br />

Jamie nous a préparé <strong>de</strong> quoi nous restaurer. Tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> vous attend<br />

en bas.<br />

-Sally… y est aussi? <strong>de</strong>manda Jamie.<br />

-Non, Andreas manque éga<strong>le</strong>ment à l'appel. Nous allons <strong>le</strong>s chercher <strong>de</strong><br />

ce pas. Jamie, ne laisse pas ce plateau <strong>de</strong> nourriture ici, espèce <strong>de</strong><br />

souillon!"<br />

Arthur fit signe à Jamie qu'il était inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> se tourmenter et tous<br />

<strong>de</strong>ux la suivirent vers la sortie <strong>de</strong> la chambre. Sally et Jamie n'allaient pas<br />

passer <strong>le</strong>ur vie à s'éviter après tout.<br />

"Ah, vous tombez bien vous <strong>de</strong>ux, s'exclama soudain Sonia."<br />

El<strong>le</strong> n'avait même pas eu <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> faire quelques pas dans <strong>le</strong><br />

couloir du premier étage qu'el<strong>le</strong> était tombée nez à nez avec Sally et<br />

2


Andreas. Ceux-ci s'étaient visib<strong>le</strong>ment apprêtés à frapper à la porte. Prise<br />

au dépourvu, Sally ouvrit la bouche sans rien dire.<br />

"Euh… Jam', lâcha-t-el<strong>le</strong> après quelques secon<strong>de</strong>s. Je…<br />

-Tu es enfin réveillée, lança Jamie avec enthousiasme. Ma paro<strong>le</strong>, tu as<br />

dormi comme un loir.<br />

-Et bien… Euh…"<br />

Andreas avait fui Sonia du regard, rouge comme une tomate.<br />

"Tu as bien dormi Sally? <strong>de</strong>manda Jamie, avec un sourire qu'Arthur savait<br />

artificiel."<br />

Sally se mit à sourire à son tour, l'air gêné.<br />

"Oui, ça m'a fait du bien, dit-el<strong>le</strong>.<br />

-C'est… cool.<br />

-Oui, ça fait du bien, répéta Sally avec un rire nerveux.<br />

-Bien! Cool!<br />

-Ca te va bien… <strong>le</strong>s cheveux courts. Toi aussi Arthur, se hâta d'ajouter<br />

Sally.<br />

-Bien, cool, relax, moqua Sonia, stupéfaite par la situation. Nous sommes<br />

attendus en bas, jeunes gens. Peut-on avancer?<br />

-Oui, répondirent <strong>le</strong>s quatre élus d'une même voix."<br />

Arthur referma la porte <strong>de</strong>rrière lui et <strong>le</strong> petit groupe prit <strong>le</strong> chemin<br />

du rez-<strong>de</strong>-chaussée, sous l'étroite surveillance <strong>de</strong> Sonia. Andreas était<br />

dangereusement écarlate, sans doute perturbé par sa présence. Quant à<br />

Jamie et Sally, ils marchaient l'un à côté <strong>de</strong> l'autre, en entente cordia<strong>le</strong>. "A<br />

quel point sont-ils capab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> feindre l'indifférence?" songea Arthur,<br />

certain que cette faça<strong>de</strong> ne ferait pas long feu. Ils <strong>de</strong>vraient bien<br />

confronter <strong>le</strong>urs vues sur cette affaire <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> en mariage, un jour ou<br />

l'autre.<br />

A ce moment précis, Sally se retourna pour lui faire un sourire qu'il<br />

trouva extrêmement inquiétant. Craignant qu'el<strong>le</strong> n'ait trouvé un moyen<br />

<strong>de</strong> lire ses pensées, il se focalisa, bien malgré lui, sur l'image d'Anaïs.<br />

"L'organisation est assez perturbée par l'apparition d'un nouvel élu du<br />

côté <strong>de</strong> la Confrérie, déclara Sonia, comme si <strong>de</strong> rien n'était. On ne sait<br />

rien <strong>de</strong> ce Zahran Sun. Ce garçon n'est répertorié nul<strong>le</strong> part, comme s'il<br />

n'avait jamais existé. C'est à se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r s'il s'agit là <strong>de</strong> son vrai nom.<br />

-Il utilise peut-être un pseudonyme pour éviter d'être i<strong>de</strong>ntifié, comme sur<br />

internet, suggéra Andreas. En admettant qu'il ait <strong>de</strong>s proches, une famil<strong>le</strong>,<br />

il ne souhaite pas que l'on puisse passer par eux pour <strong>le</strong> retrouver.<br />

-Nous avons envisagé la possibilité qu'il soit originaire d'une région dans<br />

laquel<strong>le</strong> l'état civil est embryonnaire voire inexistant, dit Sonia. Si c'est <strong>le</strong><br />

cas, nous ne pourrons pas faire grand' chose pour déterminer son i<strong>de</strong>ntité.<br />

2


-Désolée! J'ai dit tout ce que je savais <strong>de</strong> lui, ce qui résume à une simp<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong>scription physique, dit Sally en faisant glisser son in<strong>de</strong>x droit sur la<br />

main-courante <strong>de</strong> l'escalier.<br />

-Son portrait robot sera étudié. On verra bien ce que ça donne, mais je<br />

suis pessimiste, conclut Sonia."<br />

El<strong>le</strong> émit un long soupir.<br />

"Trois élus dans la Confrérie, fit-el<strong>le</strong> d'une voix lasse. Chaque jour apporte<br />

son lot <strong>de</strong> mauvaises surprises…<br />

-Est-il possib<strong>le</strong> que ce Zahran ait été victime <strong>de</strong> la Confrérie comme Nils?<br />

<strong>de</strong>manda Arthur. Je veux dire… qu'il ait été forcé.<br />

-Possib<strong>le</strong>, mais diffici<strong>le</strong> à déterminer. Ce qui est certain, c'est que la<br />

Confrérie nous a encore coupé l'herbe sous <strong>le</strong> pied, comme pour Nils. Il<br />

suffit à ces gens méprisab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> nous faire passer pour <strong>le</strong>s méchants et <strong>le</strong><br />

tour est joué.<br />

-Une autre chose certaine, c'est que ce gars était bien trop fort pour un<br />

élu ne disposant pas <strong>de</strong>s capacités d'une élite, marmonna Sally. Il a<br />

tronçonné une dizaine d'arbres avec son don. Sans Anaïs, on y passait<br />

tous.<br />

-Il n'y a que quatre élites, c'est indéniab<strong>le</strong>, confirma Sonia. De plus, je n'ai<br />

pas connaissance <strong>de</strong> l'existence d'un don <strong>de</strong> ce genre. Par conséquent,<br />

<strong>de</strong>ux explications peuvent être envisagées : soit cet élu a particulièrement<br />

développé son don par un entraînement poussé, soit…<br />

-…la Confrérie dispose d'un moyen d'accroître ses capacités."<br />

Sonia opina <strong>de</strong> la tête.<br />

"Je ne sais pas si vous l'avez remarqué au cours <strong>de</strong> vos missions, mais<br />

presque tous <strong>le</strong>s membres <strong>de</strong> la Confrérie utilisent <strong>de</strong>s accessoires en or.<br />

<strong>Les</strong> arbalètes <strong>de</strong> Maggie, la hache <strong>de</strong> Mach,…<br />

-Il y avait <strong>de</strong>s rainures dorées sur <strong>le</strong> revolver <strong>de</strong> cet imbéci<strong>le</strong> <strong>de</strong> Victorio<br />

Benedict, fit remarquer Jamie.<br />

-J'ai ma petite théorie à ce sujet, dit Sonia, une théorie dont je n'ai pas<br />

encore fait part à GLOW. El<strong>le</strong> nécessite confirmation en fait.<br />

-Quel<strong>le</strong> est ton idée? <strong>de</strong>manda Sally.<br />

-Le fait que ce mystérieux élu ait lui aussi utilisé une arme dorée me fait<br />

penser qu'il pourrait peut-être s'agir d'autre chose qu'une simp<strong>le</strong> marque<br />

d'affiliation à la Confrérie. Je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> si ces objets n'ont pas la<br />

faculté d'accroître la force <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur porteur.<br />

-Cela expliquerait <strong>le</strong> don surboosté <strong>de</strong> Zahran Sun, dit Sally."<br />

Arthur se réjouit <strong>de</strong> penser que ni Samuel, ni Nils n'avaient été vus<br />

avec quelque objet doré que ce soit.<br />

"Je pourrais attendre d'être à Sorgentel pour tenter d'obtenir <strong>de</strong>s<br />

informations à ce sujet, mais il vaudrait mieux que GLOW en sache <strong>le</strong> plus<br />

possib<strong>le</strong> avant notre départ, continua Sonia. Art, tu <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ras à Kaz…<br />

2


non, tu diras à Kaz <strong>de</strong> m'accor<strong>de</strong>r un moment. J'imagine qu'il pourrait être<br />

documenté sur la question.<br />

-Je lui en par<strong>le</strong>rai.<br />

-Bien!"<br />

Ils arrivèrent dans la sal<strong>le</strong> à manger du manoir, où <strong>le</strong>s attendait un<br />

spectac<strong>le</strong> assez perturbant. Alors que <strong>le</strong>s autres élus étaient attablés<br />

autour d'une kyriel<strong>le</strong> <strong>de</strong> gâteaux et <strong>de</strong> boissons, en compagnie <strong>de</strong><br />

Bennett, Anthony et Jennifer, Wilson poursuivait un minuscu<strong>le</strong> dragon<br />

rouge qui vo<strong>le</strong>tait gaiement à travers la sal<strong>le</strong> à manger, en crachant <strong>de</strong>s<br />

gerbes <strong>de</strong> flammes. Ana Rosa et Diane Corbell observaient la scène avec<br />

une émotion particulière.<br />

"Trop cool, s'extasiait Wilson en tentant <strong>de</strong> se saisir du dragon."<br />

Mark, <strong>le</strong> majordome <strong>de</strong>s Corbell, ne semblait pas partager cet avis.<br />

La présence d'un dragon, aussi petit qu'il puisse être, paraissait fortement<br />

perturber son office. Sans doute effrayé, il osait à peine entrer dans la<br />

pièce pour amener un plateau <strong>de</strong> macarons.<br />

"Que se passe-t-il ici? cria Sally, épouvantée. C'est quoi cette bête?<br />

-Oh, vous vous êtes enfin décidés à nous rejoindre, lança Rachel <strong>de</strong>puis la<br />

tab<strong>le</strong>."<br />

<strong>Les</strong> piliers <strong>de</strong> bar saluèrent <strong>le</strong>s arrivants d'un signe <strong>de</strong> tête. Ils ne se<br />

risquèrent pas à ouvrir la bouche, craignant peut-être d'attirer l'attention<br />

du dragon. Bennett avait même retiré son béret, par pru<strong>de</strong>nce.<br />

"Ana Rosa fait <strong>de</strong>s tests sur son don, expliqua Elliott.<br />

-Ca fait plus d'un quart d'heure que ce dragon sème la panique dans la<br />

pièce alors que je l'ai gribouillé en quelques minutes, jubila Ana Rosa. <strong>Les</strong><br />

conseils <strong>de</strong> Mme Corbell sont vraiment enrichissants!"<br />

La mère <strong>de</strong> Jamie et Wilson n'aurait pu être plus comblée qu'en cet<br />

instant où une créature légendaire menaçait <strong>de</strong> carboniser <strong>le</strong>s murs <strong>de</strong> sa<br />

<strong>de</strong>meure. Sa joie fut gâchée par la vision <strong>de</strong> la nouvel<strong>le</strong> coupe <strong>de</strong> Jamie.<br />

"Par tous <strong>le</strong>s saints!!"<br />

El<strong>le</strong> se précipita vers son fils tandis que <strong>le</strong>s autres prenaient place à<br />

tab<strong>le</strong>. Wilson ne s'était toujours pas lassé <strong>de</strong> sa course poursuite, au<br />

grand dam du dragon.<br />

"Djangoninho, vo<strong>le</strong> vers <strong>le</strong> plafond voyons. Tu auras la paix, lança Ana<br />

Rosa."<br />

2


La créature s'exécuta et partit effectuer <strong>de</strong>s cerc<strong>le</strong>s autour du lustre,<br />

à la gran<strong>de</strong> déception <strong>de</strong> Wilson. Il se résigna à retourner s'asseoir avec<br />

<strong>le</strong>s autres.<br />

"Tu lui as donné un nom? s'esclaffa Arthur.<br />

-Oh que oui, répondit Ana Rosa. A mon avis, je l'utiliserai souvent alors<br />

autant <strong>le</strong> nommer!<br />

-Djangoninho… Je n'ose pas imaginer la carrure <strong>de</strong> Django-pas-ninho,<br />

frissonna Anthony."<br />

Ana Rosa eut un rire qui ne présageait rien <strong>de</strong> bon.<br />

"On s'est dit qu'on allait passer vous dire au revoir, déclara Jennifer en se<br />

servant une grosse part <strong>de</strong> charlotte aux fraises. Comme vous repartez<br />

<strong>de</strong>main, vous n'aurez pas <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> repasser au QG.<br />

-Vous ne venez pas à Paris avec nous? s'étonna Sally.<br />

-Pas tout <strong>de</strong> suite, répondit Anthony. On a <strong>de</strong>s milliards <strong>de</strong> rapports à<br />

vali<strong>de</strong>r à cause <strong>de</strong> cette mission. Ce chieur <strong>de</strong> secrétaire général <strong>de</strong>s<br />

Nations Unies n'a rien d'autre à faire que <strong>de</strong> nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s comptes<br />

sur nos initiatives et sur <strong>le</strong>s troub<strong>le</strong>s qui ont lieu un peu partout. Quel<strong>le</strong><br />

plaie!"<br />

Mme Corbell jeta un regard réprobateur à Anthony, outrée par son<br />

langage. A côté <strong>de</strong> lui, Bennett se courbait <strong>de</strong> honte.<br />

"Nous viendrons à Paris dans quelques jours, une fois qu'on aura survécu,<br />

dit ce <strong>de</strong>rnier.<br />

-Si on survit, râla Anthony.<br />

-Ce n'est que <strong>de</strong> la paperasse Ant, lui fit remarquer Bennett. De toute<br />

façon, tu ne peux pas al<strong>le</strong>r à Sorgentel, que tu <strong>le</strong> veuil<strong>le</strong>s ou non. Ca ne<br />

change rien!<br />

-Réservé aux élus, point barre, ajouta Jennifer.<br />

-Vous êtes… méchants."<br />

Anthony se mit à ronchonner.<br />

"Anthony n'a jamais pu ava<strong>le</strong>r <strong>le</strong> fait d'être instructeur mais <strong>de</strong> ne pas<br />

pouvoir mettre <strong>le</strong>s pieds à Sorgentel, railla Sonia. Pauvre bout <strong>de</strong> chou…<br />

Dis toi qu'au moins tu pourras visiter Paris et guetter notre retour<br />

triomphal.<br />

-Goinfre toi et fiche moi la paix, sorcière, répliqua Anthony.<br />

-Je suis une sorcière avec don au moins! Une sorcière qui ira à Sorgentel!<br />

Et toc!<br />

-Vipère!<br />

-Jaloux!<br />

-Thon!<br />

-Dumbo!<br />

2


-Bref, vous serez déjà partis à Sorgentel quand nous arriverons à Paris,<br />

indiqua Bennett d'un air anéanti.<br />

-On vous verra à notre retour dans ce cas, dit Sally.<br />

-Pour sûr! Diane, votre mari n'est pas dans <strong>le</strong>s environs aujourd'hui?<br />

-Non, mais il sera à la maison ce soir, assura-t-el<strong>le</strong>. <strong>Les</strong> circonstances<br />

n'ont pas été favorab<strong>le</strong>s jusqu'à présent, mais il tient à voir son fils avant<br />

<strong>le</strong> départ.<br />

-Fort bien, se réjouit Jamie. Nous n'avons pas arrêté <strong>de</strong> nous rater <strong>de</strong>puis<br />

que je suis ici.<br />

-Un mari travail<strong>le</strong>ur et un fils occupé. Quel di<strong>le</strong>mme familial classique,<br />

ironisa Mme Corbell."<br />

Arthur sourit <strong>de</strong> cette remarque et entreprit <strong>de</strong> se servir lui aussi<br />

une part <strong>de</strong> gâteau. A cet instant, il entendit un bruit étrange.<br />

"…riv…"<br />

Il s'interrompit et fit <strong>le</strong> tour <strong>de</strong> la tab<strong>le</strong>, du regard. Personne n'avait<br />

semblé lui avoir parlé. Il fit <strong>de</strong> nouveau un geste vers la charlotte aux<br />

fraises.<br />

"…ka arrive…<br />

-Hein? fit Arthur"<br />

Jamie <strong>le</strong> regarda avec étonnement.<br />

"Ce gâteau te déplaît à ce point? Tu peux en prendre un autre si tu veux,<br />

nous ne nous vexerons pas.<br />

-Non, ce n'est pas ça… J'entends une voix bizarre."<br />

En face d'Arthur, Rachel et Sally dévisageaient Arthur.<br />

"…arrive…"<br />

"Je l'entends encore, s'écria Arthur. Vous n'avez rien entendu?<br />

-Je n'entends rien d'anormal, et j'en suis soulagée, répondit Rachel.<br />

-Ne par<strong>le</strong> pas comme si j'étais fou, je te dis qu'il y a voix!"<br />

"…thur… rrive… entends?"<br />

Djangoninho tournait maintenant autour <strong>de</strong> la tête <strong>de</strong> Sonia, au<br />

grand déplaisir <strong>de</strong> cel<strong>le</strong>-ci. El<strong>le</strong> essayait <strong>de</strong> s'en débarrasser en agitant la<br />

main comme s'il s'agissait d'un vulgaire insecte nuisib<strong>le</strong>.<br />

"Ana, tu peux faire quelque chose à propos <strong>de</strong> ton ersatz <strong>de</strong> dragon s'il te<br />

plaît? Ses flammèches font monter la température!<br />

-J'avoue qu'il commence à faire horrib<strong>le</strong>ment chaud ici, remarqua Jennifer<br />

en secouant <strong>le</strong> tissu <strong>de</strong> son débar<strong>de</strong>ur.<br />

2


-Je doute que ce petit dragon soit responsab<strong>le</strong> <strong>de</strong> la cha<strong>le</strong>ur,<br />

mes<strong>de</strong>moisel<strong>le</strong>s, fit Bennett avec une grimace."<br />

Il avait <strong>le</strong> regard dirigé vers <strong>le</strong> plafond. Interpellés, Arthur et <strong>le</strong>s<br />

autres en firent <strong>de</strong> même et poussèrent aussitôt <strong>de</strong>s cris <strong>de</strong> stupeur : un<br />

énorme phoenix enflammé flottait au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs têtes, déployant <strong>de</strong><br />

gran<strong>de</strong>s ai<strong>le</strong>s incan<strong>de</strong>scentes. La créature avait <strong>le</strong> bec ouvert et observait<br />

la pièce <strong>de</strong> ses petits yeux rouges, semblab<strong>le</strong>s à <strong>de</strong>ux rubis. Sa venue<br />

n'avait été remarquée <strong>de</strong> personne, bien que la température fusse<br />

désormais plus élévée que lors <strong>de</strong> l'invocation d'Altaïr par Enzo Wallace.<br />

"Cet oiseau, fit Sonia, ce ne serait pas…"<br />

Soudain, un cri à glacer <strong>le</strong> sang <strong>le</strong>ur perça <strong>le</strong>s oreil<strong>le</strong>s. Un individu<br />

encapé <strong>de</strong> noir apparut juste sous l'oiseau et chuta droit vers la gran<strong>de</strong><br />

tab<strong>le</strong>, battant énergiquement <strong>de</strong>s bras. Tous <strong>le</strong>s convives reculèrent<br />

instinctivement <strong>le</strong>urs chaises, affolés.<br />

"<strong>Les</strong> gâteaux! hurla Jamie avec effroi."<br />

Rachel fit un infime mouvement <strong>de</strong> l'in<strong>de</strong>x, sans se départir <strong>de</strong> sa<br />

tasse <strong>de</strong> café. La chute <strong>de</strong> l'inconnu fut alors stoppée net et il <strong>de</strong>meura<br />

suspendu quelques centimètres au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s précieuses pâtisseries, <strong>le</strong><br />

corps en croix, dans une pose qui rappelait étrangement un célèbre film<br />

d'espionnage.<br />

"Imbéci<strong>le</strong> d'Asuka, rouspéta Rachel. Tu n'aurais pas pu mieux rater ton<br />

entrée.<br />

-As… Asuka!? fit Sonia. Que fais-tu ici?"<br />

Tous étaient livi<strong>de</strong>s, sous <strong>le</strong> choc <strong>de</strong> cette arrivée subite. Asuka,<br />

toujours à l'horizonta<strong>le</strong>, tourna <strong>le</strong>ntement la tête vers Arthur et <strong>le</strong><br />

considéra d'un air tourmenté.<br />

"Tu n'as pas reçu <strong>le</strong> message <strong>de</strong> Rick? <strong>de</strong>manda-t-il.<br />

-C… C'était l'Echo que j'entendais? réalisa Arthur en jetant un œil au<br />

brace<strong>le</strong>t qui se trouvait à son poignet. Désolé Asuka, je ne comprenais ce<br />

qu'il me disait."<br />

Asuka ferma <strong>le</strong>s yeux.<br />

"Il voulait vous prévenir que j'arrivais…"<br />

Le majordome s'évanouit – victime d'un flot ininterrompu<br />

d'émotions vio<strong>le</strong>ntes – tandis que Rachel faisait vo<strong>le</strong>r Asuka vers une zone<br />

qui assurerait la pérennité <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur collation. A peine ses pieds eurent-ils<br />

touché <strong>le</strong> sol qu'il se mit à tituber comme un ivrogne. Il émit un bruit<br />

2


étrange ("Togé") puis tourna <strong>de</strong> l'œil à son tour, sous <strong>le</strong>s regards<br />

dubitatifs <strong>de</strong> ses amis.<br />

"ASUKA!!"<br />

Elliott entreprit <strong>de</strong> redresser Asuka, tout en lui donnant <strong>de</strong> légères<br />

claques. Son compagnon ne réagit pas.<br />

"Il n'y a que lui pour tomber dans <strong>le</strong>s pommes <strong>de</strong> manière si ridicu<strong>le</strong>,<br />

re<strong>le</strong>va Rachel en finissant son café. "Toge"… ça ne veut vraiment rien<br />

dire."<br />

***<br />

Asuka avait repris connaissance quelques minutes plus tard, après<br />

que Sonia lui ait stratégiquement fait respirer une part <strong>de</strong> tarte qu'il avait<br />

aussitôt entrepris d'ingurgiter. Ses camara<strong>de</strong>s se tenaient tous autour <strong>de</strong><br />

lui dans <strong>le</strong> salon, excepté Jamie, parti accompagner son majordome dans<br />

sa chambre et lui administrer une dose considérab<strong>le</strong> <strong>de</strong> brandy.<br />

"Quel<strong>le</strong> vitesse! On dirait que tu n'as pas mangé <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s jours, fit<br />

remarquer Ana Rosa.<br />

-Ch'ai manché juste avant <strong>de</strong> venir ichi, corrigea Asuka, la bouche p<strong>le</strong>ine."<br />

Le jeune japonais était assis en tail<strong>le</strong>ur sur un fauteuil, drapé dans<br />

sa cape. Son front était dissimulé par un ban<strong>de</strong>au noir en gros tissu,<br />

semblab<strong>le</strong> à celui d'un ninja cliché.<br />

"Tu t'es un peu empâté, fit remarquer Sonia pour rompre <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce.<br />

-Oui, tu as <strong>de</strong> bonnes grosses joues, ajouta Sally.<br />

-Et sans doute un peu plus <strong>de</strong> ventre qu'avant, conclut Rachel."<br />

Asuka tiqua sur ces remarques et décida <strong>de</strong> suspendre sa<br />

dégustation. Il posa son assiette à moitié vi<strong>de</strong> sur la tab<strong>le</strong> basse et croisa<br />

<strong>le</strong>s bras.<br />

"La nourriture est riche à Sorgentel, se justifia-t-il. Ce n'est pas <strong>de</strong> ma<br />

faute si on me gave <strong>de</strong> bonnes choses.<br />

-Tes cheveux ont poussé aussi, constata Sally. Et que fait cette barbe<br />

ignob<strong>le</strong> sur ton menton? Décidément, <strong>le</strong> look barou<strong>de</strong>ur est à la mo<strong>de</strong> ces<br />

temps-ci."<br />

El<strong>le</strong> ponctua sa remarque d'un regard narquois à Arthur.<br />

"A côté <strong>de</strong> Rick, j'ai l'air d'un ado<strong>le</strong>scent prépubère, protesta Asuka. On a<br />

découvert que nos cheveux poussaient plus rapi<strong>de</strong>ment que la moyenne<br />

<strong>de</strong>puis qu'on est à Sorgentel. Presque trois fois plus vite!<br />

2


-Ca doit être un effet secondaire, supposa Arthur. <strong>Les</strong> humains ne sont<br />

pas censés vivre à Sorgentel.<br />

-Il n'y a que Shui-Khan qui s'évertue à lutter contre ce phénomène pour<br />

gar<strong>de</strong>r ses cheveux courts. Rick et moi avons abandonné <strong>le</strong> rasage<br />

quotidien au bout <strong>de</strong> quelques semaines.<br />

-Ils vont bien? <strong>de</strong>manda Jennifer.<br />

-Ouais, Rick est aussi zen que d'habitu<strong>de</strong>. Quant à Shui… Et bien… Voila<br />

quoi! Il fait son Shui! Quoique… En ce moment il a tendance à…"<br />

Asuka s'interrompit, perp<strong>le</strong>xe.<br />

"A quoi? <strong>de</strong>manda Ana Rosa.<br />

-Non, rien d'important. En tout cas je suis content <strong>de</strong> vous revoir! On n'a<br />

pas été habitués à être séparés si longtemps.<br />

-C'est réciproque, dit Sonia en prenant place en face <strong>de</strong> lui, mais j'imagine<br />

que tu ne nous fais pas une visite <strong>de</strong> courtoisie. Il se passe quelque chose<br />

à Sorgentel? Tu n'aurais pas fait tout ce chemin autrement."<br />

Asuka hocha la tête.<br />

"Surtout que venir n'a pas été faci<strong>le</strong>. Plus la distance est é<strong>le</strong>vée, plus j'ai<br />

du mal à me téléporter. Alors imaginez voyager entre <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s<br />

parallè<strong>le</strong>s. J'ai dû canaliser mon don comme je ne l'avais jamais fait<br />

auparavant. La preuve, ça m'a tel<strong>le</strong>ment épuisé que je suis tombé dans<br />

<strong>le</strong>s pommes en arrivant."<br />

Jamie revint dans la pièce à ce moment et se joignit au groupe.<br />

Mme Corbell et Wilson avaient quitté <strong>le</strong>s lieux pour laisser aux membres<br />

<strong>de</strong> GLOW la possibilité <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r librement.<br />

"Vous n'êtes pas parvenus à remettre la main sur l'Orbe du Cénac<strong>le</strong>, c'est<br />

bien ça? <strong>de</strong>manda Sonia en fronçant <strong>le</strong>s sourcils.<br />

-Ouais. Joli fiasco d'ail<strong>le</strong>urs, mais ce n'est pas vraiment <strong>de</strong> ça que je<br />

venais vous par<strong>le</strong>r.<br />

-De quoi s'agit-il?"<br />

Asuka grattait négligemment <strong>le</strong> bout <strong>de</strong> ses bottes.<br />

"Vous arrivez bientôt, n'est-ce pas? Je veux dire… vous avez récupéré<br />

Altaïr et Fenrir?<br />

-Nous n'avons qu'Altaïr, dit Sally. La Confrérie nous a soufflé Fenrir en<br />

beauté. Malgré tout, <strong>le</strong> dirigeant <strong>de</strong> GLOW souhaite que nous allions à<br />

Sorgentel dans <strong>le</strong>s prochains jours.<br />

-Donc… vous arrivez bientôt, fit Asuka."<br />

Arthur eut l'étrange impression qu'Asuka cherchait un ton adapté<br />

pour ce qu'il s'apprêtait à dire.<br />

2


"Je suis venu vous avertir : lorsque vous irez à Sorgentel, ne faites<br />

surtout pas la même erreur qu'Arthur et Kaznaël. N'atterrissez pas ail<strong>le</strong>urs<br />

qu'au Havre.<br />

-Pourquoi donc? fit Arthur, <strong>de</strong> moins en moins rassuré.<br />

-Parce qu'il y a plusieurs types à Sorgentel qui aimeraient bien nous<br />

embrocher."<br />

Un murmure <strong>de</strong> stupeur emplit aussitôt <strong>le</strong> salon.<br />

"Nous embrocher? répéta Rachel, incrédu<strong>le</strong>. Où veux-tu en venir?<br />

Sommes nous <strong>de</strong>venus indésirab<strong>le</strong>s à Sorgentel?<br />

-Pas exactement. En fait, je ne peux pas trop m'attar<strong>de</strong>r vu que je dois<br />

retourner à Sorgentel pour une petite mission, mais vous avez bien droit à<br />

un rapi<strong>de</strong> résumé.<br />

-Nous sommes toute ouïe.<br />

-L'échec <strong>de</strong> la Concrétisation n'a pas seu<strong>le</strong>ment bou<strong>le</strong>versé l'équilibre <strong>de</strong><br />

Springan ou, j'imagine, perturbé <strong>le</strong> comportement <strong>de</strong>s humains. Ca a<br />

aussi affecté l'équilibre <strong>de</strong>s forces à Sorgentel. En fait, comme me l'a<br />

expliqué Priam, <strong>le</strong> Cénac<strong>le</strong> tire surtout sa légitimité politique <strong>de</strong> la<br />

présence <strong>de</strong> l'Orbe dans son enceinte. Le souci, c'est que la rumeur <strong>de</strong> la<br />

disparition <strong>de</strong> l'Orbe et du fiasco <strong>de</strong> la Concrétisation s'est répandue très<br />

rapi<strong>de</strong>ment, ce qui a affaibli <strong>le</strong> Cénac<strong>le</strong>.<br />

-Une minute. J'avais cru comprendre que <strong>le</strong>s membres du Cénac<strong>le</strong> – <strong>le</strong>s<br />

Anciens – étaient <strong>le</strong>s grands manitous <strong>de</strong> Sorgentel, intervint Anthony.<br />

-C'est vrai, confirma Asuka. D'un autre côté, il existe plusieurs contrepouvoirs<br />

à Sorgentel. Des clans ou <strong>de</strong>s régions qui ne protestaient pas<br />

trop jusque là mais qui ont trouvé une superbe opportunité d'émettre <strong>de</strong>s<br />

revendications. Un peu comme dans <strong>le</strong>s Final Fantasy en fait."<br />

Andreas hocha gravement la tête.<br />

"Final quoi…? chuchota Rachel à Sally."<br />

Sally haussa <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s.<br />

"Du coup, l'influence du Cénac<strong>le</strong> sur <strong>le</strong> territoire a baissé. Sans compter<br />

que <strong>le</strong>s Anciens qui ont été tués par Marshal étaient <strong>de</strong>s représentants <strong>de</strong>s<br />

différents groupes. Ces personnes faisaient office d'intermédiaires et<br />

permettaient au Cénac<strong>le</strong> <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r un œil sur tout.<br />

-Ne me dis pas que c'est <strong>de</strong>venu l'anarchie? s'inquiéta Sonia.<br />

-Non, il ne faut pas exagérer. C'est surtout un problème <strong>de</strong> méfiances<br />

réciproques. Le fait qu'ils aient du mal à communiquer ne facilite pas <strong>le</strong>s<br />

choses mais dans l'ensemb<strong>le</strong>, Sorgentel reste paisib<strong>le</strong>. Le vrai problème,<br />

c'est <strong>le</strong> régent Hermès.<br />

-Hermès? répéta Sally, manifestement interpellée par ce nom. Qui est-ce?<br />

-L'homme qui est à la tête <strong>de</strong> la Cité <strong>de</strong> Ca<strong>de</strong>ro, au sud <strong>de</strong> Sorgentel. Un<br />

type abject qui donnerait tout pour <strong>le</strong> pouvoir. On dit que <strong>le</strong>s gens évitent<br />

<strong>de</strong> lui serrer la main, <strong>de</strong> peur qu'il en profite pour <strong>le</strong>s poignar<strong>de</strong>r.<br />

3


-Bel<strong>le</strong> réputation, remarqua Elliott.<br />

-Comme on pouvait s'y attendre, Hermès a profité <strong>de</strong> la situation<br />

chaotique au Cénac<strong>le</strong> pour tenter <strong>de</strong> <strong>le</strong> déstabiliser. Sachant que son but<br />

est <strong>de</strong> ne plus rendre <strong>de</strong> comptes au Havre et <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> Ca<strong>de</strong>ro un<br />

territoire autonome, <strong>le</strong>s circonstances sont idéa<strong>le</strong>s pour lui.<br />

-Cet homme est-il si dangereux que tu <strong>le</strong> dis? <strong>de</strong>manda Jamie. D'après ce<br />

que tu dis, il s'agit seu<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> petites querel<strong>le</strong>s politiques."<br />

Asuka secoua la tête.<br />

"Ca<strong>de</strong>ro est une cité <strong>de</strong> non droit, à l'image <strong>de</strong> son tyran. Il élabore <strong>de</strong>s<br />

règ<strong>le</strong>s qu'il impose à ses citoyens et qu'il vio<strong>le</strong> aussitôt. Le Cénac<strong>le</strong> n'a<br />

jamais rien pu prouver mais <strong>le</strong>s Anciens sont sûrs que Hermès joue <strong>le</strong> roi<br />

du mal. On dit même qu'il aurait bâti une gigantesque arène, en p<strong>le</strong>in<br />

cœur <strong>de</strong> Ca<strong>de</strong>ro, pour organiser <strong>de</strong>s combats entre ses hommes <strong>de</strong> main<br />

et <strong>le</strong>s opposants à son régime. Chaque fois qu'il est interrogé sur <strong>le</strong> sujet,<br />

Hermès répond qu'il ne s'agit que d'un tournoi auquel n'importe qui peut<br />

s'inscrire. Tu par<strong>le</strong>s d'un tournoi! Enfin… je me perds un peu dans <strong>le</strong>s<br />

détails. Ce qui est important, c'est qu'on soupçonne Hermès d'avoir <strong>de</strong>s<br />

liens avec la Confrérie.<br />

-Avec la Confrérie? Tu plaisantes? s'écria Sally.<br />

-J'aimerais, mais on a toutes <strong>le</strong>s raisons <strong>de</strong> <strong>le</strong> croire. Priam, Meo, Omar et<br />

Aylin sont presque sûrs que l'Orbe s'est dirigé vers Ca<strong>de</strong>ro après avoir été<br />

volé. On a tenté d'organiser un guet-apens pour <strong>le</strong> récupérer, mais ça a<br />

été un échec. Apparemment, <strong>le</strong> but était <strong>de</strong> nous éloigner <strong>de</strong>s vrais<br />

porteurs <strong>de</strong> l'Orbe.<br />

-Mince, fit Sonia. <strong>Les</strong> choses s'enveniment…<br />

-Ce n'est pas tout malheureusement, continua Asuka. Bien qu'on n'ait<br />

aucun moyen <strong>de</strong> <strong>le</strong> prouver, Hermès s'est payé <strong>le</strong>s services du clan<br />

d'Azulnot.<br />

-Le clan d'Azulnot? Ce nom me dit quelque chose, dit Andreas.<br />

-C'est normal Andreas, Omar nous en avait parlé quand nous étions au<br />

Cénac<strong>le</strong>. Il s'agit d'un clan <strong>de</strong> mercenaires très célèbre à Sorgentel. Ces<br />

gens sont redoutab<strong>le</strong>s et possè<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s capacités hors du commun.<br />

-Redoutab<strong>le</strong>s à quel point? <strong>de</strong>manda Jamie.<br />

-Assez pour que l'un d'entre eux ait tenu tête à Shui et G<strong>le</strong>nda la Barrée.<br />

Bref, je m'égare…<br />

-Tu n'arrêtes pas <strong>de</strong> t'égarer <strong>de</strong>puis tout à l'heure, soupira Rachel. Cesse<br />

<strong>de</strong> tourner autour du pot et viens en au fait.<br />

-Je suis un <strong>le</strong>cteur, pas un conteur, protesta Asuka."<br />

Il croisa <strong>de</strong> nouveau <strong>le</strong>s bras, vexé.<br />

"Ce que je voulais vous dire, c'est qu'il se pourrait que Hermès ait<br />

<strong>de</strong>mandé au Clan d'Azulnot <strong>de</strong> lui ramener nos têtes. Dès que vous<br />

mettrez <strong>le</strong>s pieds à Sorgentel, vous serez en situation <strong>de</strong> péril permanent.<br />

-Il "se pourrait"? bégaya Jamie, <strong>le</strong> visage blême."<br />

3


Arthur se dit que Mme Corbell avait bien fait <strong>de</strong> quitter la pièce.<br />

"En fait ce n'est pas une possibilité, corrigea Asuka. Je voulais éviter <strong>de</strong><br />

vous terroriser mais… <strong>de</strong>s envoyés du Cénac<strong>le</strong> nous ont affirmé que nos<br />

têtes sont mises à prix à Ca<strong>de</strong>ro. Anonymement bien sûr, pour que l'on ne<br />

puisse pas attribuer ces actes à Hermès.<br />

-En gros, tu es en train <strong>de</strong> nous dire que ces types d'Azlanot vont<br />

chercher à nous capturer, souffla Rachel.<br />

-Nous capturer, non. Nous tuer, oui!<br />

-Formidab<strong>le</strong>! Des chasseurs <strong>de</strong> primes, ironisa Rachel."<br />

Arthur sentit une bou<strong>le</strong> se former dans sa gorge. Leur expédition à<br />

Sorgentel n'allait manifestement pas être <strong>de</strong> tout repos.<br />

3


Chapitre 18 : Le frère du clan<br />

Son exposé achevé, Asuka ne se pria pas pour raf<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s quelques<br />

parts <strong>de</strong> gâteau qu'il avait empilées sur son assiette, tandis qu'une on<strong>de</strong><br />

d'appréhension traversait la sal<strong>le</strong> à manger. Il ne paraissait pas<br />

réel<strong>le</strong>ment conscient du troub<strong>le</strong> qu'il avait semé chez ses compagnons en<br />

évoquant l'accueil qui pourrait <strong>le</strong>ur être réservé à Sorgentel. Bien au<br />

contraire, il se repaissait avec <strong>le</strong> ta<strong>le</strong>nt et la verve d'un sumotori, au point<br />

que <strong>de</strong>s miettes s'amoncelaient <strong>de</strong>vant lui sur la nappe en <strong>de</strong>ntel<strong>le</strong><br />

blanche. Arthur <strong>le</strong> regarda se remplir <strong>le</strong> ventre sans toucher à sa part <strong>de</strong><br />

tarte, à moitié entamée. Il avait abandonné son assiette sur la tab<strong>le</strong>. La<br />

perspective d'une mauvaise rencontre avec <strong>de</strong>s mercenaires expérimentés<br />

lui avait coupé l'appétit.<br />

Une fois alimenté, Asuka <strong>le</strong>s informa <strong>de</strong> son départ imminent. Selon<br />

ses dires, Rick et Shui-Khan attendaient son retour pour partir à la<br />

rencontre d'un obscur groupement établi sur <strong>le</strong>s rives du f<strong>le</strong>uve Ka<strong>de</strong>ïsi,<br />

afin <strong>de</strong> s'assurer <strong>de</strong> sa loyauté envers <strong>le</strong> Cénac<strong>le</strong>. Ce clan noma<strong>de</strong><br />

composé <strong>de</strong> quelques dizaines d'âmes n'établissait son campement sur<br />

place que <strong>le</strong> temps nécessaire à l'écou<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> ses stocks <strong>de</strong> bijoux en<br />

naces roses, avant <strong>de</strong> repartir vers <strong>le</strong>s î<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Nace pour prospecter <strong>de</strong><br />

nouveau. <strong>Les</strong> opportunités <strong>de</strong> rencontre étaient donc peu nombreuses et<br />

Meo, l'Ancien qui était éga<strong>le</strong>ment Maesprine <strong>de</strong> l'archipel <strong>de</strong> Nace, avait<br />

dû faire <strong>de</strong>s pieds et <strong>de</strong>s mains pour arranger une entrevue entre <strong>le</strong>s trois<br />

émissaires du Cénac<strong>le</strong> et <strong>le</strong> chef du clan. Ce <strong>de</strong>rnier n'avait accepté <strong>de</strong><br />

retar<strong>de</strong>r <strong>le</strong> départ <strong>de</strong>s siens qu'à la condition que <strong>le</strong> Maesprine lui accor<strong>de</strong><br />

un rabais considérab<strong>le</strong> sur <strong>le</strong>s naces brutes. Meo avait accepté avec un<br />

sourire feint mais était parti vomir son repas une minute plus tard.<br />

"Il est près <strong>de</strong> ses sous… ou <strong>de</strong> ses naces, si vous préférez, expliqua<br />

Asuka. C'est pour cette raison que je ne dois pas rendre son sacrifice vain<br />

en ratant <strong>le</strong> ren<strong>de</strong>z-vous. Le chef du clan Miscal est susceptib<strong>le</strong> à<br />

l'extrême et ne tolérera pas <strong>le</strong> moindre retard.<br />

-Ne t'attar<strong>de</strong> pas ici dans ce cas, conseilla Sonia. Le message est passé.<br />

Nous ferons en sorte d'être pru<strong>de</strong>nts lors <strong>de</strong> notre venue.<br />

-Parfait! Rick et Shu seront contents d'apprendre que vous arrivez bientôt!<br />

Oh… j'y pense, j'aurais besoin que tu me soignes Sonia.<br />

-Que je te soigne? Tu n'as pas l'air b<strong>le</strong>ssé, je me trompe?<br />

-Physiquement non, mais ma téléportation a littéra<strong>le</strong>ment vidé ma réserve<br />

<strong>de</strong> chakra. Je ne pourrai pas retourner à Sorgentel si je ne suis pas au<br />

maximum <strong>de</strong> mes capacités. D'ail<strong>le</strong>urs, Rick m'a averti : "Si tu oublies, tu<br />

te téléporteras acci<strong>de</strong>ntel<strong>le</strong>ment dans une fail<strong>le</strong> spatiotemporel<strong>le</strong>… ou un<br />

truc <strong>de</strong> ce genre dont tu ne reviendras jamais!!"<br />

-On fonctionne au chakra maintenant? <strong>de</strong>manda Arthur à Jamie."<br />

Jamie haussa <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s.<br />

"Ca va <strong>de</strong> soi. Rick est parfois plus sensé que moi, conclut Sonia avant <strong>de</strong><br />

procé<strong>de</strong>r à son œuvre régénératrice."<br />

3


Une fois requinqué, Asuka effectua une courbette généra<strong>le</strong> pour<br />

saluer ses camara<strong>de</strong>s et tendit <strong>le</strong> bras vers <strong>le</strong> ciel, sans plus <strong>de</strong><br />

cérémonie. Le phoenix incan<strong>de</strong>scent (dont on apprit plus tard qu'Asuka<br />

l'avait nommé "Seya-chan") refit son apparition, plus flamboyant que<br />

jamais. Bien heureusement, <strong>le</strong> majordome était toujours en repos dans sa<br />

chambre, sous l'emprise du brandy.<br />

"Tiens, je viens <strong>de</strong> remarquer que Xenia n'est pas là, dit soudain Asuka.<br />

Où est-el<strong>le</strong>? Remise <strong>de</strong> sa mauvaise expérience j'espère.<br />

-Xenia est restée en Russie, répondit Sally. El<strong>le</strong> va mieux mais c'est la<br />

santé <strong>de</strong> sa mère qui s'est dégradée. Je <strong>de</strong>vrais prendre <strong>de</strong>s nouvel<strong>le</strong>s dès<br />

que je serai <strong>de</strong> retour à Paris.<br />

-Transmettez lui mes amitiés alors. J'espère qu'el<strong>le</strong> pourra venir à<br />

Sorgentel pour la <strong>de</strong>rnière ligne droite."<br />

Il tourna un regard p<strong>le</strong>in d'espoir vers Rachel.<br />

"Un baiser pour me souhaiter bonne route?<br />

-Plutôt mourir, répondit Rachel en croisant <strong>le</strong>s jambes."<br />

El<strong>le</strong> n'avait même pas quitté son siège. Touchée par <strong>le</strong> désarroi<br />

affiché d'Asuka, Sonia partit lui poser une bise sonore sur <strong>le</strong> front. Il<br />

<strong>de</strong>vint alors aussi rouge que <strong>le</strong>s joues <strong>de</strong> Jamie.<br />

"Cela me convient amp<strong>le</strong>ment, s'exclama-t-il. Je vous laisse.<br />

-On vous rejoint très bientôt, lança Ana Rosa.<br />

-Ne prenez pas <strong>de</strong> risques inconsidérés d'ici notre arrivée, ajouta Sally.<br />

-Bien sûr! Que la force soit avec vous!"<br />

Asuka <strong>le</strong>s salua une <strong>de</strong>rnière fois avec un mystérieux signe <strong>de</strong> main<br />

mimant un "V" puis il s'effaça du décor, sans même un bruit, comme s'il<br />

avait été aspiré par <strong>le</strong> vi<strong>de</strong>.<br />

"Espérons qu'il arrivera entier, dit Bennett. Cette histoire <strong>de</strong> fail<strong>le</strong> spatiotemporel<strong>le</strong><br />

n'est pas rassurante.<br />

-Il a réussi à venir, il réussira à repartir, dit Sally d'une voix vague."<br />

Arthur ne manqua pas <strong>de</strong> remarquer qu'el<strong>le</strong> avait l'air confus, sans<br />

doute beaucoup plus que lui. Son in<strong>de</strong>x grattait fébri<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> bout <strong>de</strong> son<br />

nez. La suite logique <strong>de</strong>s propos d'Asuka, supposa-t-il.<br />

"Vous <strong>de</strong>vriez peut-être envisager <strong>de</strong> commencer à faire vos bagages,<br />

suggéra Sonia, changeant habi<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> sujet. Mine <strong>de</strong> rien, nous<br />

repartons tous <strong>de</strong>main.<br />

-Ce n'est pas une mauvaise idée, dit Rachel. Il faut que je trouve un<br />

moyen <strong>de</strong> faire entrer ces nouvel<strong>le</strong>s bottes dans l'une <strong>de</strong> mes valises.<br />

3


Autrement, je serai contrainte <strong>de</strong> voyager avec et <strong>de</strong> me meurtrir <strong>le</strong>s<br />

pieds.<br />

-Qui creuse sa tombe y meurt, philosopha Ana Rosa.<br />

-Je ne te <strong>de</strong>mandais pas ton avis."<br />

Sally sortit <strong>de</strong> sa torpeur.<br />

"Oui, allons faire nos bagages. On passera la soirée tranquil<strong>le</strong>s comme ça.<br />

<strong>Les</strong> pil… euh, Sonia et <strong>le</strong>s autres, vous restez ici?<br />

-Tu déconnes? Je vais squatter ce palais aussi longtemps que possib<strong>le</strong>,<br />

triompha Anthony, au grand dam <strong>de</strong> ses camara<strong>de</strong>s. On ne repartira<br />

qu'après avoir dîné comme <strong>de</strong>s rois."<br />

Jennifer plongea <strong>le</strong> visage dans ses mains, dépitée.<br />

"Ma mère s'occupe déjà <strong>de</strong> mes bagages, indiqua Jamie. De toute<br />

manière, je suis incapab<strong>le</strong> <strong>de</strong> plier <strong>de</strong>s vêtements correctement. Arthur, je<br />

vais passer un peu <strong>de</strong> temps <strong>de</strong>hors avec Will. Veux-tu te joindre à nous?<br />

Il me semb<strong>le</strong> que tu as déjà fait une partie <strong>de</strong> tes bagages hier.<br />

-C'est gentil, mais je vais plutôt profiter <strong>de</strong> ce moment pour… réviser un<br />

peu.<br />

-Réviser? répétèrent <strong>le</strong>s autres avec horreur.<br />

-Ici? s'offusqua Rachel.<br />

-Je ne tiens pas à retaper mon année. Si j'attends mon retour à Paris pour<br />

<strong>le</strong> faire, je peux dire adieu à mon semestre.<br />

-Qui aurait cru que cet hypocrite d'Arthur aurait amené ses cours ici à<br />

notre barbe, murmura Ana Rosa avec une nuance <strong>de</strong> dégoût.<br />

-Arrêtez <strong>de</strong> l'enquiquiner, s'interposa Sonia. Il a tout a fait <strong>le</strong> droit<br />

d'accor<strong>de</strong>r <strong>de</strong> l'importance à ses étu<strong>de</strong>s. Gar<strong>de</strong>z à l'esprit qu'il y a une vie<br />

après la Concrétisation. Art, va réviser si tu <strong>le</strong> souhaites. Il reste bien trois<br />

ou quatre heures avant que l'on ne dîne."<br />

Rachel et Ana Rosa pouffèrent discrètement.<br />

"Merci <strong>de</strong> ta compréhension Sonia, dit Arthur en se <strong>le</strong>vant.<br />

-Je pourrai t'ai<strong>de</strong>r si tu as besoin d'un répétiteur, lui confia Andreas alors<br />

que tous quittaient <strong>le</strong>urs sièges.<br />

-C'est vrai?<br />

-Andreas est très bon pour t'ai<strong>de</strong>r à faire rentrer <strong>de</strong>s cours dans la<br />

cervel<strong>le</strong>, confirma Sally."<br />

Tous, hormis <strong>le</strong>s piliers <strong>de</strong> bar, sortaient du salon, vers <strong>le</strong>urs<br />

<strong>de</strong>stinations respectives. Arthur fut pris d'une illumination, aussitôt<br />

obscurcie par Sally.<br />

"… sans avoir recours à son don, bien évi<strong>de</strong>mment, précisa-t-el<strong>le</strong>. Je suis<br />

une incapab<strong>le</strong> scolaire mais j'ai <strong>de</strong> l'éthique! Fais en <strong>de</strong> même.<br />

-Je ne pensais pas du tout à <strong>de</strong> tels procédés, mentit Arthur.<br />

3


-Mouais…"<br />

Sally et Andreas montèrent <strong>le</strong>s marches quatre par quatre pour se<br />

rendre dans <strong>le</strong>urs chambres. En bas <strong>de</strong> l'escalier, Ana Rosa et Rachel<br />

cancanaient toujours sur la volonté irrationnel<strong>le</strong> d'Arthur <strong>de</strong> vouloir<br />

réviser. Il feignit <strong>de</strong> <strong>le</strong>s ignorer. El<strong>le</strong>s n'étaient jamais aussi agaçantes que<br />

lorsqu'el<strong>le</strong>s étaient d'accord pour se moquer <strong>de</strong> quelqu'un.<br />

"Tu arrives à gérer toutes ces casquettes vieux?"<br />

L'irruption soudaine d'Elliott à ses côtés surprit Arthur, au point qu'il<br />

suspendit son ascension. Son interlocuteur indésirab<strong>le</strong> <strong>le</strong> toisait avec<br />

insistance, malgré <strong>le</strong>s longues mèches blon<strong>de</strong>s qui lui voilaient<br />

partiel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> regard.<br />

"Que veux-tu dire? <strong>de</strong>manda Arthur.<br />

-Eh bien… Être élu et mener d'autres activités, ce n'est pas évi<strong>de</strong>nt, n'estce<br />

pas? Tout ceci ne doit pas être très bon pour ton sommeil."<br />

Arthur ne tenait pas à évoquer ses phases <strong>de</strong> sommeil avec <strong>le</strong><br />

surfeur océanien, bien qu'il culpabilisât (brièvement) <strong>de</strong> ne pas parvenir à<br />

l'apprécier malgré ses efforts. Il éluda la question.<br />

"Et toi, tu t'en sors… Elliott?"<br />

Elliott ouvrit <strong>de</strong> grands yeux. Du moins, Arthur supposa qu'il ouvrait<br />

grand <strong>le</strong>s yeux, ses paupières étant beaucoup moins tombantes qu'à<br />

l'accoutumée.<br />

"C'est sympa <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r vieux, mais je n'ai pas ce genre <strong>de</strong> souci,<br />

répondit Elliott avec son sourire <strong>de</strong>ntifrice."<br />

Arthur bouillait. Elliott Corr ne ressentait-il pas la fatigue? Cet<br />

individu au bronzage permanent et au physique <strong>de</strong> bellâtre était bien trop<br />

décalé. Il fallait saisir cette occasion inespérée d'en savoir plus, <strong>de</strong> mieux<br />

cerner l'ennemi.<br />

"Tu dois bien avoir <strong>de</strong>s activités, à côté <strong>de</strong> tes missions d'élu… (Je<br />

suppose que tu surfes, pensa Arthur avec mépris.) Qu'est-ce que tu faisais<br />

en Australie avant <strong>de</strong> venir à Paris?<br />

-Homme à tout faire à Hen<strong>le</strong>y Beach.<br />

-Hen<strong>le</strong>y Beach?<br />

-Oui! C'est à A<strong>de</strong>laï<strong>de</strong>.<br />

-Oh… tu travaillais sur la plage… (Donc tu surfais bien, fourbe…)<br />

-Ouaip, acquiesça Elliott en caressant sa barbe <strong>de</strong> trois jours. Si tu veux<br />

on en repar<strong>le</strong>ra plus tard, je vais faire mes bagages. Repose-toi bien!"<br />

3


Ils étaient arrivés au premier étage et déjà, Elliott marchait vers sa<br />

chambre, <strong>le</strong>s mains enfoncées dans <strong>le</strong>s poches <strong>de</strong> son short rouge. Il avait<br />

la démarche désinvolte du larron fier <strong>de</strong> son œuvre.<br />

"Je ne vais pas me reposer, je vais réviser, chuchota Arthur avec<br />

irritation."<br />

Il partit dans la direction opposée, main <strong>de</strong>vant la bouche pour<br />

étouffer un bâil<strong>le</strong>ment.<br />

"Tout serait tel<strong>le</strong>ment plus simp<strong>le</strong> si tu étais un membre <strong>de</strong> la Confrérie.<br />

Un coup <strong>de</strong> Drydock et pouf, Elliott esquimau!"<br />

***<br />

Arthur entrouvrit <strong>le</strong>s yeux. Il fut immédiatement victime <strong>de</strong><br />

répulsion envers sa propre personne. Encore une fois, il s'était endormi<br />

sans <strong>le</strong> vouloir, alors même qu'il avait entamé la <strong>le</strong>cture <strong>de</strong> ses notes <strong>de</strong><br />

cours.<br />

"C'est incroyab<strong>le</strong>, j'ai fait plus <strong>de</strong> siestes en quatre jours que pendant<br />

toute mon enfance, songea-t-il, encore assoupi."<br />

Arthur <strong>de</strong>meura couché sur <strong>le</strong> ventre. Sa tête reposait sur un fatras<br />

<strong>de</strong> feuil<strong>le</strong>s auxquel<strong>le</strong>s il n'avait même pas eu <strong>le</strong> temps d'accor<strong>de</strong>r une<br />

<strong>le</strong>cture. L'endormissement avait été immédiat, favorisé par <strong>le</strong> confort <strong>de</strong><br />

son lit et par la pénombre dans laquel<strong>le</strong> était plongée la chambre. Arthur<br />

ne se rappelait pas avoir éteint la lumière. Il ne l'avait peut-être même<br />

pas allumée, après tout. Avec un soupir, il se tourna <strong>le</strong>ntement pour faire<br />

face au plafond et glissa sa main sous son T-shirt pour se gratter <strong>le</strong><br />

ventre. "Quitte à dormir à <strong>de</strong>s heures indues, autant me réveil<strong>le</strong>r à mon<br />

rythme, pensa-t-il."<br />

"Arty, tu es réveillé?"<br />

Arthur jaillit littéra<strong>le</strong>ment du matelas, frappé par cette voix<br />

enthousiaste. <strong>Les</strong> feuil<strong>le</strong>s volèrent. Il n'avait pas remarqué la présence <strong>de</strong><br />

Jamie dans la pièce, ni cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'autre personne. La honte gagna Arthur.<br />

Un homme d'âge mur à la carrure athlétique se tenait près <strong>de</strong> son lit,<br />

l'examinant avec ce qui semblait être <strong>de</strong> l'amusement.<br />

Monsieur Corbell – car ce ne pouvait être que lui – avait <strong>le</strong>s traits <strong>de</strong><br />

Timothy Dalton à la gran<strong>de</strong> époque <strong>de</strong> "Permis <strong>de</strong> Tuer", à quelques<br />

détails près. Il avait un visage d'un ova<strong>le</strong> parfait, à la mine encore fraîche,<br />

et <strong>de</strong>s cheveux noirs, très <strong>de</strong>nses, visib<strong>le</strong>ment récalcitrants au coiffage.<br />

D'épais sourcils noirs, surmontant <strong>de</strong>s yeux b<strong>le</strong>us perçants, s'arquèrent,<br />

alors qu'il souriait à Arthur. Ses fossettes se creusèrent.<br />

3


"Arthur Gall. Je suis honoré <strong>de</strong> te rencontrer… éveillé, affirma-t-il d'une<br />

voix cha<strong>le</strong>ureuse. Je suis F<strong>le</strong>tcher Corbell, <strong>le</strong> père <strong>de</strong> Jamie."<br />

F<strong>le</strong>tcher Corbell tendit promptement la main à Arthur et broya la<br />

sienne, avec une vigueur comparab<strong>le</strong> à cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> son fils. Lui aussi avait un<br />

Etemenanki autour du cou.<br />

"J… Je suis enchanté, bredouilla Arthur, confus. Veuil<strong>le</strong>z m'excuser d'être…<br />

-Ne te formalise pas, l'interrompit F<strong>le</strong>tcher avec un simulacre <strong>de</strong> soupir. Je<br />

ne suis pas beaucoup plus présentab<strong>le</strong> que toi."<br />

Il était effectivement vêtu d'une épaisse robe <strong>de</strong> chambre rouge<br />

bor<strong>de</strong>aux et chaussé <strong>de</strong> pantouf<strong>le</strong>s à la cou<strong>le</strong>ur jaune douteuse. Malgré<br />

cet accoutrement, Arthur ne put s'empêcher d'être embarrassé. Il avait<br />

toujours imaginé <strong>le</strong> père <strong>de</strong> Jamie comme un homme respectab<strong>le</strong> et<br />

respecté, un dandy habitué aux convenances. Être surpris par cette<br />

sommité en flagrant délit <strong>de</strong> sommeil lui paraissait impardonnab<strong>le</strong>.<br />

Plus loin, Jamie était planté <strong>de</strong>vant sa pen<strong>de</strong>rie, manifestement en<br />

recherche d'une tenue à porter. Il y avait là un nombre considérab<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

chemises, <strong>de</strong> vestes et <strong>de</strong> pantalons accrochés <strong>le</strong>s uns à côté <strong>de</strong>s autres,<br />

juste au <strong>de</strong>ssus d'une étagère <strong>de</strong>stinée aux sous-vêtements du jeune<br />

homme.<br />

"Tu peux ouvrir <strong>le</strong>s ri<strong>de</strong>aux, assura Arthur en se <strong>le</strong>vant précipitamment. Je<br />

suis réveillé maintenant.<br />

-Arty, <strong>le</strong>s ri<strong>de</strong>aux sont ouverts, déclara Jamie. C'est qu'il fait déjà nuit.<br />

-Quoi? crôassa Arthur. Mais quel<strong>le</strong> heure est-il? Combien <strong>de</strong> temps ai-je<br />

dormi.<br />

-Il est précisément 21h32, répondit F<strong>le</strong>tcher après avoir consulté sa<br />

montre."<br />

Arthur crut qu'il allait mourir, accablé par la honte. Il avait dormi<br />

toute l'après-midi, jusqu'aux premières heures <strong>de</strong> la soirée. Cela re<strong>le</strong>vait<br />

du surnaturel.<br />

"En fait, à part toi et moi, tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> a déjà dîné, précisa F<strong>le</strong>tcher. Je<br />

suis arrivé il y a <strong>de</strong>ux heures et <strong>le</strong> repas a été servi un peu avant.<br />

Visib<strong>le</strong>ment, tu dormais si bien que Jamie n'a pas eu <strong>le</strong> cœur <strong>de</strong> te<br />

réveil<strong>le</strong>r.<br />

-Je suis encore plus confus, souffla Arthur, pensant à la réaction<br />

qu'avaient dû avoir Diane Corbell et <strong>le</strong>s autres en apprenant cette<br />

nouvel<strong>le</strong>.<br />

-Arty a <strong>de</strong>s raisons <strong>de</strong> ne pas bien dormir la nuit, justifia Jamie."<br />

Il décrocha une chemise blanche, l'étudia sous toutes <strong>le</strong>s coutures,<br />

puis entreprit <strong>de</strong> l'enfi<strong>le</strong>r, alors que <strong>de</strong>s éclats <strong>de</strong> voix passionnés<br />

parvenaient aux oreil<strong>le</strong>s d'Arthur, <strong>de</strong>puis <strong>le</strong> rez-<strong>de</strong>-chaussée.<br />

3


"Ha ha, je crois que Rachel continue d'exterminer ses adversaires au<br />

Monopoly, déduisit Jamie.<br />

-<strong>Les</strong> piliers sont encore là? l'interrogea Arthur, pour essayer <strong>de</strong> se<br />

soustraire au regard <strong>de</strong> F<strong>le</strong>tcher.<br />

-Oui. Ils n'ont pas pu résister à l'attrait <strong>de</strong> la nourriture et du jeu. En ce<br />

qui me concerne, la défaite a été rapi<strong>de</strong>. Rachel, Andy et Ben sont pareils<br />

à <strong>de</strong>s fauves pendant une partie <strong>de</strong> Monopoly. Ils se liguent en vue <strong>de</strong><br />

dépouil<strong>le</strong>r tous <strong>le</strong>s autres, avant <strong>de</strong> s'entretuer pour <strong>le</strong> butin. J'ai<br />

tel<strong>le</strong>ment sué que je ne pouvais pas gar<strong>de</strong>r cette chemise sur moi."<br />

Convenab<strong>le</strong>ment vêtu, il repoussa <strong>le</strong>s battants <strong>de</strong> la pen<strong>de</strong>rie.<br />

"Papa doit dîner aussi, tu <strong>de</strong>vrais te joindre à lui.<br />

-Je serais ravi d'avoir <strong>de</strong> la compagnie plutôt que <strong>de</strong> souper seul comme<br />

un parvenu, confirma F<strong>le</strong>tcher.<br />

-Avec plaisir, merci, répondit Arthur, réalisant qu'il avait l'estomac dans<br />

<strong>le</strong>s talons.<br />

-A ma suite, dans ce cas!<br />

-Je retourne observer <strong>le</strong> Monopoly, <strong>le</strong>ur annonça Jamie."<br />

F<strong>le</strong>tcher <strong>le</strong>s précéda hors <strong>de</strong> la chambre, d'un pas soup<strong>le</strong>. Il y avait<br />

un grand "C" blanc cousu dans <strong>le</strong> dos <strong>de</strong> sa robe <strong>de</strong> chambre. Tous trois<br />

<strong>de</strong>scendirent rapi<strong>de</strong>ment <strong>le</strong>s escaliers puis se séparèrent dans <strong>le</strong> hall<br />

toujours lumineux du manoir Corbell.<br />

"A tout à l'heure, fit Jamie, retournant dans <strong>le</strong> salon résonnant <strong>de</strong> cris <strong>de</strong><br />

rage."<br />

D'un signe <strong>de</strong> tête engageant, F<strong>le</strong>tcher invita Arthur à <strong>le</strong> suivre. Au<br />

lieu <strong>de</strong> rallier la sal<strong>le</strong> à manger, ils se dirigèrent vers <strong>le</strong> côté opposé et<br />

pénétrèrent dans la cuisine du manoir, lieu dans <strong>le</strong>quel Arthur n'avait<br />

jamais mis <strong>le</strong>s pieds jusque là. La main <strong>de</strong> F<strong>le</strong>tcher tâtonna un instant sur<br />

<strong>le</strong> mur avant <strong>de</strong> trouver l'interrupteur.<br />

"Ah voila!"<br />

Cette cuisine était trois fois plus gran<strong>de</strong> que cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s Gall,<br />

entièrement carrelée, avec plusieurs vastes surfaces en bois <strong>de</strong> hêtre ou<br />

en métal, <strong>de</strong>s rangées <strong>de</strong> placards suré<strong>le</strong>vés, et tous <strong>le</strong>s éléments<br />

d'é<strong>le</strong>ctroménagers inventés à ce jour (<strong>le</strong> congélateur était aussi haut et<br />

large qu'un bureau prési<strong>de</strong>ntiel). Il y avait un grand plan <strong>de</strong> travail au<br />

milieu, au-<strong>de</strong>ssus duquel étaient suspendus plusieurs ustensi<strong>le</strong>s <strong>de</strong> cuisine<br />

clinquants : cassero<strong>le</strong>s, poë<strong>le</strong>s, marmites et outils divers qu'Arthur n'était<br />

pas forcément capab<strong>le</strong> <strong>de</strong> nommer. Deux larges éviers étaient encastrés<br />

dans la surface boisée <strong>de</strong> l'îlot central, juste à côté d'une <strong>de</strong>mi-douzaine<br />

<strong>de</strong> plaques en vitrocéramique chapeautées par une hotte aspirante. Il n'y<br />

3


avait pas <strong>de</strong> fenêtre, l'ensemb<strong>le</strong> étant éclairé par <strong>de</strong>ux séries <strong>de</strong> spots<br />

alignés au plafond.<br />

F<strong>le</strong>tcher se frotta <strong>le</strong>s mains et se posta au milieu <strong>de</strong> la cuisine. Son<br />

regard se hasarda un moment sur <strong>le</strong>s différents recoins <strong>de</strong> la pièce, avant<br />

<strong>de</strong> se poser définitivement sur <strong>le</strong> frigo.<br />

"J'ai beau être <strong>le</strong> co-propriétaire <strong>de</strong> cette cuisine, je suis incapab<strong>le</strong> d'y<br />

retrouver quoi que ce soit, reconnut-il. J'y mets <strong>le</strong>s pieds dix fois par an,<br />

tout au plus. Prends place.<br />

-Je peux vous ai<strong>de</strong>r?<br />

-Inuti<strong>le</strong> mon garçon! Va t'asseoir, je sais ce que je recherche. Malgré ma<br />

méconnaissance officiel<strong>le</strong> <strong>de</strong> ce lieu, j'y rô<strong>de</strong> parfois la nuit pour me<br />

procurer un en-cas."<br />

Il se retourna un moment, in<strong>de</strong>x posé sur la fossette <strong>de</strong> son menton.<br />

"…Ce qui contredit mon affirmation sur mes dix visites, en définitive. Tu<br />

ne <strong>le</strong> répéteras pas, hein? Je n'ai que cette excuse pour échapper aux<br />

corvées."<br />

Arthur esquissa un sourire et s'assit, comme <strong>le</strong> lui avait intimé<br />

F<strong>le</strong>tcher. Ce <strong>de</strong>rnier avait déjà à moitié disparu <strong>de</strong>rrière la porte du frigo,<br />

en quête <strong>de</strong> repas. Il y avait sur la faça<strong>de</strong> blanche une photo <strong>de</strong> Jamie et<br />

Wilson, jouant dans l'herbe avec <strong>le</strong> chien Puffer, probab<strong>le</strong>ment une dizaine<br />

d'années plus tôt. Wilson s'accrochait à la jambe <strong>de</strong> son frère aîné, bien<br />

que ce <strong>de</strong>rnier fût en train <strong>de</strong> courir. Leurs cheveux étaient encore plus<br />

blonds, faisant passer <strong>le</strong>s scandinaves pour <strong>de</strong>s usurpateurs.<br />

"Voila <strong>de</strong> quoi faire, déclara F<strong>le</strong>tcher en refermant la porte du frigo d'un<br />

coup d'épau<strong>le</strong>."<br />

Il avait empilé trois tupperwares sur sa main droite et tenait une<br />

bouteil<strong>le</strong> <strong>de</strong> vin rouge déjà débouchée dans la gauche. Le tout fut<br />

hâtivement posé sur la tab<strong>le</strong> et Arthur entreprit d'ouvrir <strong>le</strong>s récipients en<br />

plastique tandis que son hôte fouillait <strong>le</strong>s placards à la recherche<br />

d'assiettes et <strong>de</strong> verres. Il découvrit <strong>de</strong>s manchons <strong>de</strong> pou<strong>le</strong>t, <strong>de</strong>s légumes<br />

sautés ainsi que du riz au parfum appétissant. Qui avait dit que <strong>le</strong>s anglais<br />

ne savaient pas cuisiner?<br />

"Désolé pour tout ce temps perdu, s'excusa F<strong>le</strong>tcher une fois qu'il eut<br />

trouvé <strong>le</strong>s couverts. Je me contente généra<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> grignoter avec <strong>le</strong>s<br />

doigts, <strong>de</strong> peur <strong>de</strong> réveil<strong>le</strong>r toute la maisonnée. De ce fait, trouver<br />

quelque chose ici relève <strong>de</strong> l'exploit.<br />

-Vous n'avez pas souvent l'occasion d'utiliser cette cuisine j'imagine, dit<br />

Arthur.<br />

-Pas vraiment. Je reconnais l'aspect cliché <strong>de</strong> cette révélation, mais c'est<br />

la pure vérité."<br />

3


Ils prirent place sur <strong>de</strong>s tabourets, <strong>de</strong> part et d'autre du plan <strong>de</strong><br />

travail, et entamèrent <strong>le</strong>ur repas <strong>de</strong> fortune.<br />

"Vois-tu un inconvénient à ce que je fume ici? <strong>de</strong>manda F<strong>le</strong>tcher en<br />

sortant un étui à cigarettes.<br />

-Non, je vous en prie. J'ai <strong>de</strong>s parents fumeurs."<br />

F<strong>le</strong>tcher déc<strong>le</strong>ncha tout <strong>de</strong> même la hotte aspirante avant d'allumer<br />

sa cigarette, puis se servit du riz. Arthur avait déjà commencé à manger,<br />

en si<strong>le</strong>nce. Il n'osait pas soutenir <strong>le</strong> regard <strong>de</strong> son interlocuteur, sentant<br />

que celui-ci l'observait. Tous <strong>de</strong>ux se sondaient mutuel<strong>le</strong>ment, par regards<br />

intermittents, comme on <strong>le</strong> ferait face à une personne dont l'on a<br />

beaucoup entendu par<strong>le</strong>r mais que l'on ne rencontre qu'après une longue<br />

pério<strong>de</strong>.<br />

"C'est Jamie qui m'a ramené ceci, fit F<strong>le</strong>tcher en brandissant la bouteil<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux à moitié vi<strong>de</strong>. Il ne revient jamais à la maison sans un petit<br />

ca<strong>de</strong>au pour tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>. Même <strong>le</strong>s membres du personnel ont droit à<br />

quelque chose.<br />

-Je ne suis pas surpris, Jam' est… du genre à faire <strong>de</strong>s ca<strong>de</strong>aux, répondit<br />

Arthur qui regretta aussitôt sa réponse d'une banalité flagrante."<br />

F<strong>le</strong>tcher sembla s'amuser <strong>de</strong> sa réaction. Des plis se formèrent aux<br />

coins <strong>de</strong> ses lèvres, comme à chaque fois qu'il souriait.<br />

"Je te sers? Non, tu es peut-être encore trop jeune pour aimer ce genre<br />

<strong>de</strong> choses, dit-il, visib<strong>le</strong>ment plus détendu. Ce n'est pas grave! Il y a du<br />

jus <strong>de</strong> fruit ou <strong>de</strong>s sodas dans <strong>le</strong> frigo si tu veux. Va donc voir."<br />

Arthur s'exécuta, voyant que <strong>le</strong> père <strong>de</strong> Jamie faisait <strong>de</strong> son mieux<br />

pour <strong>le</strong> mettre rapi<strong>de</strong>ment à l'aise. Il s'avérait beaucoup moins intimidant<br />

qu'il ne l'avait imaginé. Le fait <strong>de</strong> l'avoir vu se perdre dans sa propre<br />

cuisine <strong>le</strong> rassurait, d'une certaine manière.<br />

"Diane m'a parlé <strong>de</strong> ce qu'il s'est passé ce matin, révéla F<strong>le</strong>tcher au<br />

moment où Arthur sortait une bouteil<strong>le</strong> d'eau gazeuse du frigo.<br />

-Ah… Vous vou<strong>le</strong>z dire… à propos <strong>de</strong>…<br />

-La <strong>de</strong>man<strong>de</strong> en mariage, oui, confirma F<strong>le</strong>tcher, un manchon <strong>de</strong> pou<strong>le</strong>t à<br />

la main."<br />

Il parut soudain plus soucieux.<br />

"Je n'ai pas connaissance <strong>de</strong>s détails, mais je peux aisément imaginer la<br />

réaction <strong>de</strong> Jamie à ce refus. Sa nouvel<strong>le</strong> coupe <strong>de</strong> cheveux n'y est pas<br />

étrangère, je me trompe?<br />

-Non, reconnut Arthur. Il a très mal réagi.<br />

-Je m'en doutais. On récolte ce que l'on sème."<br />

3


Cette réponse intrigua Arthur. Il mit un instant à comprendre que<br />

F<strong>le</strong>tcher ne parlait pas <strong>de</strong> Jamie mais <strong>de</strong> lui-même. Sa main faisait<br />

négligemment oscil<strong>le</strong>r la surface <strong>de</strong> son vin rouge, dans son verre.<br />

"Tu sais, il y a <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s chances que je sois responsab<strong>le</strong> <strong>de</strong> ce qui est<br />

arrivé ce matin, continua F<strong>le</strong>tcher, cigarette aux lèvres.<br />

-Vous n'avez pas poussé Jamie à faire cette <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pourtant, dit Arthur.<br />

-Non, bien sûr. Toutefois, j'ai semé <strong>le</strong> troub<strong>le</strong> dans ce qui était limpi<strong>de</strong>. Si<br />

je m'étais abstenu, nous n'en serions probab<strong>le</strong>ment pas arrivés là."<br />

Arthur revint à son siège. Il avait l'impression que F<strong>le</strong>tcher était pris<br />

d'une envie irrépressib<strong>le</strong> <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r, quitte à ce que son interlocuteur ait la<br />

moitié <strong>de</strong> son âge et ne <strong>le</strong> connaisse que <strong>de</strong>puis une dizaine <strong>de</strong> minutes.<br />

F<strong>le</strong>tcher était comme son fils, il ne connaissait pas <strong>le</strong>s barrières qui<br />

bloquaient habituel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s gens.<br />

"Je n'en ai même pas parlé à Diane, reprit-il en écrasant sa cigarette dans<br />

un cendrier. El<strong>le</strong> me tuerait si el<strong>le</strong> savait, surtout à la lumière <strong>de</strong>s<br />

évènements récents. Tout ceci date d'un ou <strong>de</strong>ux ans, je ne sais plus<br />

trop…"<br />

Arthur <strong>de</strong>meura coi, <strong>de</strong> peur <strong>de</strong> <strong>le</strong> couper dans son élan. Il sentait<br />

qu'il allait enfin savoir ce qu'il s'était passé entre Jamie et Sally.<br />

"Jamie avait découvert son statut particulier <strong>de</strong>puis quelques mois déjà et<br />

il avait dû quitter la maison, bien trop tôt à mon goût. Je n'avais rien dit,<br />

on ne s'oppose pas à une tel<strong>le</strong> <strong>de</strong>stinée. De plus, ces gens <strong>de</strong> GLOW<br />

avaient l'air convenab<strong>le</strong>, disposés à bien s'occuper <strong>de</strong> lui. L'essentiel pour<br />

moi était que Jamie fasse ce qui lui tenait à cœur et qu'il revienne sain et<br />

sauf. Je l'ai donc laissé al<strong>le</strong>r s'instal<strong>le</strong>r à Paris, sous <strong>le</strong>ur responsabilité et<br />

ai fait en sorte <strong>de</strong> ne pas trop m'inquiéter pour lui.<br />

Jamie ne m'a pas vraiment donné l'opportunité <strong>de</strong> m'angoisser. Il est<br />

revenu assez rapi<strong>de</strong>ment pour <strong>de</strong>s vacances, au bout <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ou trois<br />

mois, accompagné <strong>de</strong> quelques uns <strong>de</strong> ses compagnons. J'étais heureux<br />

pour lui, nous l'étions tous. Il paraissait épanoui, un peu plus mature. Il<br />

s'était fait <strong>de</strong>s amis. C'était plus que nous n'avions osé espérer. Toutefois,<br />

nous avons très vite remarqué que ce n'étaient pas <strong>de</strong>s liens d'amitié qui<br />

<strong>le</strong> liaient à cette jeune femme…<br />

-Sally?<br />

-Oui, Sally. Une personne polie, aimab<strong>le</strong> et énergique, bien qu'un peu<br />

maladroite. Je l'ai immédiatement appréciée. Cependant, Diane m'a un<br />

jour signalé que Sally et Jamie étaient amoureux, <strong>de</strong>puis un long moment.<br />

Du moins, c'est l'impression qu'el<strong>le</strong> avait en <strong>le</strong>s observant. Effectivement<br />

j'ai constaté qu'ils passaient beaucoup <strong>de</strong> temps ensemb<strong>le</strong>. Ils se tenaient<br />

par la main lorsqu'ils se croyaient seuls, échangeaient <strong>de</strong>s regards furtifs,<br />

faisaient <strong>de</strong>s plaisanteries que personne d'autre ne comprenait. Jamie<br />

n'était plus <strong>le</strong> même et j'ai dû me rendre à l'évi<strong>de</strong>nce. Il l'aimait, comme il<br />

3


n'avait jamais aimé qui que ce soit auparavant… comme il n'avait jamais<br />

aimé tout court. C'est là que j'ai été pris d'une angoisse irrationnel<strong>le</strong>.<br />

-Une angoisse…?<br />

-Au début, je me suis <strong>de</strong>mandé si je n'étais pas raciste, si ce n'était pas<br />

l'origine <strong>de</strong> cette jeune femme qui me perturbait. Etais-je prêt à accepter<br />

qu'ils soient amis et rien <strong>de</strong> plus? Non, ce n'était pas là <strong>le</strong> problème. Ce<br />

que je redoutais, c'était <strong>le</strong>s excès <strong>de</strong> Jamie… Il est forgé dans <strong>le</strong> même<br />

mou<strong>le</strong> que sa mère : quand il aime, il ne fait pas dans la <strong>de</strong>mi-mesure. Il<br />

brû<strong>le</strong> <strong>le</strong>s étapes, comme en amitié. Je craignais qu'il n'agisse sans<br />

réfléchir, qu'il fasse une chose inconsidérée, tel<strong>le</strong> que…<br />

-…la <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r en mariage, <strong>de</strong>vina Arthur.<br />

-Je vois que l'as bien cerné, <strong>le</strong> félicita F<strong>le</strong>tcher.<br />

-On par<strong>le</strong> beaucoup."<br />

F<strong>le</strong>tcher hocha la tête en signe d'assentiment.<br />

"Jamie est beaucoup trop cheva<strong>le</strong>resque. Il a été bercé par <strong>le</strong>s contes<br />

qu'illustrait sa mère et par <strong>le</strong>s légen<strong>de</strong>s du clan Corbell, tel<strong>le</strong>s que je <strong>le</strong>s<br />

lui ai inculquées. "Lorsque l'on aime une femme, on fait en sorte <strong>de</strong> la<br />

gar<strong>de</strong>r près <strong>de</strong> soi jusqu'à la fin <strong>de</strong>s temps" : voici sa manière <strong>de</strong> penser.<br />

Simpliste au possib<strong>le</strong>. Je sentais qu'il ne tar<strong>de</strong>rait pas à passer à l'acte,<br />

faisant ainsi une erreur qu'il regretterait sans doute après coup.<br />

-Vous avez essayé <strong>de</strong> l'en dissua<strong>de</strong>r?<br />

-Non… mon but n'était pas <strong>de</strong> <strong>le</strong>s éloigner l'un <strong>de</strong> l'autre. Je voulais qu'ils<br />

se laissent du temps, qu'ils aient un peu plus <strong>de</strong> recul. Or, Jamie n'est pas<br />

l'interlocuteur idéal pour ce genre <strong>de</strong> conversation."<br />

Arthur <strong>de</strong>vina ce qui s'était passé, avant même que F<strong>le</strong>tcher ne<br />

reprenne la paro<strong>le</strong>. Devant lui, son plat refroidissait. Il était dit qu'il ne<br />

finirait pas une assiette en ce jour.<br />

"La veil<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur départ, j'ai fait en sorte <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r à Sally et lui ai exposé<br />

mon point <strong>de</strong> vue, pensant qu'el<strong>le</strong> était plus à même <strong>de</strong> comprendre ce<br />

que je redoutais. El<strong>le</strong> m'a écouté avec attention et m'a promis que je<br />

n'avais pas <strong>de</strong> raison <strong>de</strong> m'inquiéter. El<strong>le</strong> m'a même souri à la fin <strong>de</strong> notre<br />

conversation. Je me suis donc dit que nous étions sur la même longueur<br />

d'on<strong>de</strong> et que tout allait bien. Ils sont repartis <strong>le</strong> <strong>le</strong>n<strong>de</strong>main matin, sans<br />

anicroche.<br />

-Et…<br />

-Jamie est revenu une semaine plus tard, sans crier gare. Il était au bord<br />

<strong>de</strong> la dépression. Sally avait mis un terme à <strong>le</strong>ur relation, sans signe<br />

avant-coureur, sans explication valab<strong>le</strong>. Même pour <strong>de</strong>s jeunes gens <strong>de</strong><br />

cet âge, cela paraissait trop brusque. Sally n'était pas <strong>de</strong> ces fil<strong>le</strong>s frivo<strong>le</strong>s<br />

qui jouent avec <strong>le</strong> cœur <strong>de</strong>s hommes."<br />

F<strong>le</strong>tcher fronça <strong>le</strong>s sourcils. Son regard s'était éteint.<br />

3


"Avec <strong>le</strong> recul, j'ai immédiatement compris que j'étais directement<br />

responsab<strong>le</strong> <strong>de</strong> cette rupture. Je n'avais pas été pas clair avec Sally. El<strong>le</strong><br />

avait dû s'imaginer que j'étais opposée à sa relation avec Jamie, pour <strong>de</strong>s<br />

raisons plus obscures. Tout ceci était <strong>le</strong> résultat d'une maladresse <strong>de</strong> ma<br />

part. Pourtant, je n'ai pas osé en par<strong>le</strong>r à Jamie ou à Diane.<br />

-Pourquoi ne pas l'avoir fait? l'interrogea Arthur, tentant <strong>de</strong> contenir sa<br />

colère croissante.<br />

-Par honte, tout simp<strong>le</strong>ment. J'avais raté une occasion <strong>de</strong> me taire et je<br />

ne voulais pas l'admettre. Jamie m'aurait détesté. De plus, j'espérais<br />

secrètement que ces <strong>de</strong>ux-là se remettent ensemb<strong>le</strong>.<br />

-Mais ce n'est pas arrivé…<br />

-Hélas."<br />

Arthur ne pouvait s'empêcher d'être révolté par l'attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

F<strong>le</strong>tcher. Non seu<strong>le</strong>ment il s'était mêlé <strong>de</strong> ce qui ne <strong>le</strong> regardait pas, mais<br />

en plus il avait involontairement mis un terme à la relation <strong>de</strong> Sally et<br />

Jamie. Sally avait probab<strong>le</strong>ment pensé qu'el<strong>le</strong> n'aurait jamais sa place<br />

dans <strong>le</strong> clan Corbell, que F<strong>le</strong>tcher avait trouvé un moyen poli <strong>de</strong> la<br />

repousser. Pour cette raison el<strong>le</strong> avait répondu négativement à la<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> Jamie <strong>de</strong>s mois plus tard, malgré el<strong>le</strong>. Pourtant, Arthur<br />

n'était pas dupe. Aucun <strong>de</strong>s élus n'était dupe. Sally éprouvait toujours <strong>de</strong>s<br />

sentiments pour Jamie et lui n'avait jamais renoncé à el<strong>le</strong>.<br />

Arthur et F<strong>le</strong>tcher ne dirent plus un mot, ne laissant subsister que <strong>le</strong><br />

souff<strong>le</strong> <strong>de</strong> la hotte aspirante.<br />

"Ca partait d'un bon sentiment, reprit enfin Arthur, soucieux <strong>de</strong> ne pas<br />

accab<strong>le</strong>r davantage <strong>le</strong> père <strong>de</strong> Jamie. Vous ne pensiez pas à mal, n'est-ce<br />

pas?<br />

-Bien sûr que non. Si je pouvais réparer <strong>le</strong>s choses, je <strong>le</strong> ferais.<br />

-Vous <strong>le</strong> pouvez encore, lui assura Arthur. Peut-être pas dans l'immédiat…<br />

C'est encore trop récent et ils ont chacun <strong>le</strong>ur fierté, mais une fois que <strong>le</strong>s<br />

choses se seront apaisées il sera peut-être temps pour vous <strong>de</strong> mettre <strong>le</strong>s<br />

choses au clair avec Sally."<br />

F<strong>le</strong>tcher <strong>le</strong> fixa du regard.<br />

"Tu penses réel<strong>le</strong>ment que je <strong>de</strong>vrais m'en mê<strong>le</strong>r <strong>de</strong> nouveau? J'en ai<br />

peut-être déjà trop fait, sans compter que Sally et Jamie sont <strong>de</strong>s adultes<br />

aujourd'hui.<br />

-Justement, ils seront plus faci<strong>le</strong>s à raisonner qu'avant. Je suis bien placé<br />

pour savoir que pendant toute notre ado<strong>le</strong>scence, nos têtes ne sont rien<br />

<strong>de</strong> plus que <strong>de</strong>s sceaux percés."<br />

L'image <strong>de</strong> Shui-Khan lui traversa l'esprit.<br />

"Cela mérite effectivement réf<strong>le</strong>xion, reconnut F<strong>le</strong>tcher en <strong>le</strong>vant son<br />

verre.<br />

3


-Prenez votre temps Monsieur Corbell. De toute façon, je pense que vous<br />

avez <strong>le</strong> temps avant que Jamie et Sally ne puissent se soucier à nouveau<br />

<strong>de</strong> cette affaire. Il y a Sorgentel…<br />

-Bien sûr, soupira F<strong>le</strong>tcher."<br />

Il reprit son repas, revigoré. Bien que ses légumes soient tiè<strong>de</strong>s,<br />

Arthur en fit <strong>de</strong> même.<br />

"Je comprends que Jamie se soit rapi<strong>de</strong>ment attaché à toi, tu es <strong>de</strong> bon<br />

conseil pour ton jeune âge.<br />

-Hum, fit sobrement Arthur.<br />

-Je ne sais pas si cela peut justifier mon comportement passé, mais tu<br />

dois savoir que <strong>le</strong>s parents ont <strong>le</strong> <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> s'inquiéter pour <strong>le</strong>urs enfants,<br />

surtout lorsqu'ils sont aussi insouciants que Jamie."<br />

F<strong>le</strong>tcher avait dit ceci avec une once <strong>de</strong> fierté.<br />

"Quel que soit son âge, il sera toujours mon petit garçon, ajouta-t-il avec<br />

un rire. Je suppose que tes parents sont aussi embarrassants que moi."<br />

Cette <strong>de</strong>rnière phrase avait été formulée avec une intonation<br />

affirmative, mais il était évi<strong>de</strong>nt que F<strong>le</strong>tcher guettait une réponse. De<br />

toute évi<strong>de</strong>nce, il s'intéressait à l'ami <strong>de</strong> son fils. Arthur réfléchit un<br />

moment avant <strong>de</strong> répondre.<br />

"Mes parents et moi… n'avons pas vraiment ce genre <strong>de</strong> relations."<br />

Il ne savait pas comment <strong>le</strong> formu<strong>le</strong>r autrement, cela résumait<br />

parfaitement la situation.<br />

"Qu'entends-tu par là? s'étonna F<strong>le</strong>tcher. Oh… je m'excuse. Je n'ai que<br />

rarement l'occasion <strong>de</strong> discuter <strong>de</strong> ce genre <strong>de</strong> choses alors je suis un peu<br />

indiscret.<br />

-Ca ne me dérange pas. Vous m'avez parlé librement, je ne vois pas<br />

pourquoi je n'en ferais pas <strong>de</strong> même."<br />

Arthur avait surtout moins <strong>de</strong> scrupu<strong>le</strong>s à par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> ce genre <strong>de</strong><br />

choses à un quasi-inconnu qu'à ses propres amis. Il ne <strong>le</strong> reverrait pas <strong>de</strong><br />

sitôt, contrairement à eux.<br />

"<strong>Les</strong> gens <strong>de</strong> ma famil<strong>le</strong> ne sont pas… interdépendants, expliqua Arthur<br />

d'une voix neutre. Ils coexistent. Je par<strong>le</strong> surtout <strong>de</strong> mes parents. Rien à<br />

voir avec mes grands-parents.<br />

-…<br />

-Non pas que mes parents ne se préoccupent pas <strong>de</strong> moi, précisa Arthur.<br />

Je n'ai jamais manqué <strong>de</strong> rien. J'ai toujours eu <strong>de</strong>s ca<strong>de</strong>aux, <strong>de</strong>s voyages,<br />

<strong>de</strong>s bala<strong>de</strong>s, etc. Mais mes relations avec mes parents nous feraient<br />

passer pour <strong>de</strong>s extra-terrestres à vos yeux."<br />

3


Il cessa <strong>de</strong> manger.<br />

"On dit rarement <strong>de</strong>s choses tel<strong>le</strong>s que "je t'aime", on ne s'insinue pas<br />

plus que nécessaire. Du coup, il existe une sorte <strong>de</strong> gêne réciproque entre<br />

nous. Je crois que ça a influé sur mon comportement. Dès que j'éprouve<br />

<strong>de</strong>s émotions fortes, qu'el<strong>le</strong>s soient positives ou négatives, je préfère al<strong>le</strong>r<br />

<strong>le</strong>s partager avec mes amis plutôt qu'avec mes parents.<br />

-Ce n'est pas nécessairement une tare, dit F<strong>le</strong>tcher qui avait visib<strong>le</strong>ment<br />

du mal à dissimu<strong>le</strong>r son troub<strong>le</strong>. En ce qui me concerne, je dis toujours à<br />

mes enfants que je <strong>le</strong>s aime. Certaines personnes pourraient considérer<br />

que j'agis <strong>de</strong> manière excessive – surtout lorsque l'on voit <strong>le</strong>s<br />

conséquences que cela a sur mon fils aîné. Tes parents n'en pensent sans<br />

doute pas moins, même s'ils ne <strong>le</strong> formu<strong>le</strong>nt pas explicitement.<br />

-Oh, je n'en doute pas, marmonna Arthur. Je n'en doute pas."<br />

Jamie fit son entrée dans la cuisine à ce moment précis, un verre <strong>de</strong><br />

soda à la main. Il exultait :<br />

"Il ne reste plus qu'Andy, Rachel et Ben sur <strong>le</strong> terrain! Le plateau est<br />

couvert d'hôtels. Il faut que vous nous rejoigniez au plus vite.<br />

-Je finis mon assiette et j'arrive, promit Arthur.<br />

-Pareil<strong>le</strong>ment fiston.<br />

-A tout <strong>de</strong> suite alors, s'exclama Jamie."<br />

Il repartit au pas <strong>de</strong> course, comme si la fina<strong>le</strong> d'une compétition<br />

mondia<strong>le</strong> l'attendait <strong>de</strong> l'autre côté du manoir. Dès qu'il eût disparu,<br />

Arthur entreprit <strong>de</strong> vi<strong>de</strong>r son assiette. C'est alors que son voisin <strong>de</strong> tab<strong>le</strong><br />

reprit la paro<strong>le</strong> :<br />

"Je te confie mon fils, Arthur Gall."<br />

La fourchette <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier resta bloqué dans sa bouche. Il <strong>le</strong>va <strong>le</strong>s<br />

yeux pour observer F<strong>le</strong>tcher Corbell. L'expression qui <strong>le</strong> caractérisait à ce<br />

moment accentuait sa ressemblance physique avec son fils. Jamie avait ce<br />

visage à la fois déterminé et intransigeant, lorsqu'il avait une idée en tête.<br />

"Vous me…<br />

-Je sais que je t'impose une lour<strong>de</strong> responsabilité, mais c'est une chose<br />

que je ne peux <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à personne d'autre… Mes ancêtres ont connu la<br />

guerre, ils étaient sur <strong>le</strong>s fronts. Si j'ai pu retenir quelque chose <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs<br />

récits, c'est que la vie d'un individu ne dépend pas <strong>de</strong>s décisions <strong>de</strong> ses<br />

supérieurs. El<strong>le</strong> dépend <strong>de</strong> la loyauté <strong>de</strong> ses compagnons d'armes. Ce sont<br />

ces personnes qui, sur <strong>le</strong> terrain, sont à même <strong>de</strong> prendre <strong>le</strong>s décisions<br />

qui pourront sauver la vie <strong>de</strong>s hommes qui marchent à <strong>le</strong>urs côtés."<br />

La discussion venait <strong>de</strong> prendre un tout autre tournant, <strong>de</strong> manière<br />

inattendue.<br />

3


"Je… Je comprends mais…<br />

-Jamie est mon héritier. C'est lui qui aura un jour la responsabilité <strong>de</strong> cet<br />

endroit, <strong>de</strong> la majeure partie <strong>de</strong>s biens qui y sont attachés. Il entre dans<br />

sa vie d'adulte alors que Wilson, lui, est encore un enfant. J'entends donc<br />

l'initier aux exigences <strong>de</strong> notre mon<strong>de</strong> dès qu'il en aura fini avec sa<br />

mission actuel<strong>le</strong>."<br />

F<strong>le</strong>tcher avait fini son repas. Il se <strong>le</strong>va et servit ce qu'il restait <strong>de</strong> vin<br />

rouge à Arthur.<br />

"Concluons un pacte informel mon garçon. Fais tout ce qui est en tout<br />

pouvoir pour gar<strong>de</strong>r mon fils en vie. En échange, je te garantis qu'il en<br />

fera <strong>de</strong> même pour toi. Je connais Jamie, il a hérité <strong>de</strong> mes qualités et <strong>de</strong><br />

cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> sa mère."<br />

Arthur écarquilla <strong>le</strong>s yeux, tout en prenant <strong>le</strong> verre qui lui était tendu.<br />

"Un Corbell n'abandonne jamais ses frères à <strong>le</strong>ur sort. Il n'oublie jamais ce<br />

qu'ils ont pu faire pour lui et <strong>le</strong>s rembourse au centup<strong>le</strong>, quel que soit <strong>le</strong><br />

temps que cela doit lui prendre : <strong>de</strong>s jours, <strong>de</strong>s mois, <strong>de</strong>s décennies…<br />

Tant que Jamie et toi <strong>de</strong>meurerez ensemb<strong>le</strong>, il est certain que vous<br />

reviendrez in<strong>de</strong>mnes."<br />

Devant l'expression perp<strong>le</strong>xe d'Arthur, il brandit un in<strong>de</strong>x Jamie-esque.<br />

"Notre conversation m'a prouvé ta va<strong>le</strong>ur, tu connais presque aussi bien<br />

Jamie que moi. Par suite, tu es dès maintenant considéré comme un frère<br />

<strong>de</strong>s Corbell. Ce n'est pas rien."<br />

***<br />

"Al<strong>le</strong>z, un peu <strong>de</strong> nerf <strong>le</strong>s jeunes, je n'ai pas que ça à faire, aboya Anthony<br />

<strong>de</strong>puis <strong>le</strong> siège conducteur du minibus."<br />

Le séjour <strong>de</strong>s élus en Ang<strong>le</strong>terre touchait à sa fin et <strong>le</strong>ur petit groupe<br />

était rassemblé <strong>de</strong>vant l'entrée du manoir, prêt à repartir à Paris. Cette<br />

fois, Anthony n'était pas parvenu à trouver d'excuse pour se délier <strong>de</strong> son<br />

obligation, à la gran<strong>de</strong> satisfaction <strong>de</strong> Sally.<br />

"Où sont Jamie et sa famil<strong>le</strong>? <strong>de</strong>manda Ana Rosa en lançant son sac à<br />

l'arrière du véhicu<strong>le</strong>.<br />

-Ils se disent au revoir je suppose, répondit Arthur. Ils ne vont pas tar<strong>de</strong>r<br />

à sortir. Hé, Rachel, tes valises ne vont pas monter toutes seu<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong><br />

minibus, tu sais?"<br />

Rachel ignora cette observation, trop accaparée par l'observation du<br />

postérieur d'Elliott pour se préoccuper <strong>de</strong> corvées aussi ingrates. Arthur et<br />

3


Andreas échangèrent un regard, puis se résolurent à charger eux-mêmes<br />

<strong>le</strong>s bagages. <strong>Les</strong> Corbell et <strong>le</strong>urs employés <strong>de</strong> maison sortirent à ce<br />

moment, Jamie en tête.<br />

"Je suis prêt à partir <strong>le</strong>s amis!<br />

-Pas trop tôt, ronchonna Anthony. On doit faire un détour par <strong>le</strong> QG pour<br />

récupérer Anaïs, Tissam et Aïshani.<br />

-Inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> perdre ton sang-froid Ant, nous allons pouvoir y al<strong>le</strong>r dès que<br />

<strong>le</strong>s adieux seront faits."<br />

<strong>Les</strong> parents <strong>de</strong> Jamie saluèrent <strong>le</strong>urs invités <strong>le</strong>s uns après <strong>le</strong>s autres,<br />

<strong>le</strong>ur serrant la main ou <strong>le</strong>s étreignant. En arrivant <strong>de</strong>vant Ana Rosa, Diane<br />

Corbell lui remit un paquet qu'el<strong>le</strong> avait dissimulé dans son dos.<br />

"Ce n'est rien, juste un peu <strong>de</strong> matériel, dit-el<strong>le</strong> après avoir balayé <strong>le</strong>s<br />

excuses d'Ana Rosa d'un geste <strong>de</strong> la main. Ces choses sont assez diffici<strong>le</strong>s<br />

à trouver dans <strong>le</strong> commerce, donc n'hésite pas à me contacter si tu viens<br />

à manquer <strong>de</strong> fournitures.<br />

-J'en prendrai grand soin Diane, promit la jeune femme en lui prenant <strong>le</strong>s<br />

mains. Merci pour tout ce que vous m'avez appris."<br />

F<strong>le</strong>tcher Corbell serra la main à Arthur avec un clin d'œil entendu,<br />

puis se tourna vers Sally à qui il accorda une révérence.<br />

"Tu es <strong>de</strong>venue encore plus charmante, la complimenta-t-il."<br />

Sally parut agréab<strong>le</strong>ment surprise <strong>de</strong> ces égards. Yeux écarquillés,<br />

el<strong>le</strong> rendit son sourire à celui dont Arthur espérait qu'el<strong>le</strong> <strong>de</strong>viendrait un<br />

jour la bel<strong>le</strong>-fil<strong>le</strong>.<br />

"N'hésitez pas à revenir nous rendre visite lorsque <strong>le</strong>s circonstances vous<br />

<strong>le</strong> permettront, même sans Jamie, déclara F<strong>le</strong>tcher à la petite assemblée.<br />

Notre maison sera la vôtre!"<br />

Wilson récupéra <strong>de</strong>s mains d'Andreas une cartouche <strong>de</strong> jeu vidéo<br />

(Arthur jura que son compagnon avait hésité à lâcher l'objet, à la <strong>de</strong>rnière<br />

secon<strong>de</strong>) puis salua Arthur.<br />

"Tu reviendras, dis?<br />

-Oui, promis."<br />

Le garçon lui fit signe <strong>de</strong> s'accroupir pour qu'il puisse lui souff<strong>le</strong>r<br />

quelque chose à l'oreil<strong>le</strong>.<br />

"Papa m'a dit que tu es <strong>de</strong>venu un frère du clan maintenant. C'est un<br />

grand honneur, tu sais.<br />

-C'est vrai, mais il ne faut pas <strong>le</strong> dire à Jamie. D'accord?<br />

-Ce sera notre secret, assura Wilson, ravi d'être dans la confi<strong>de</strong>nce."<br />

3


Arthur lui ébouriffa <strong>le</strong>s cheveux et se dirigea vers <strong>le</strong> minibus pour s'y<br />

instal<strong>le</strong>r, avant <strong>de</strong> jeter un <strong>de</strong>rnier regard au manoir Corbell. Son séjour<br />

dans cet endroit fastueux lui avait semblé être un rêve étrange. Un mirage<br />

ponctué <strong>de</strong> réunions à la section londonienne <strong>de</strong> GLOW avec <strong>le</strong>s piliers <strong>de</strong><br />

bar, <strong>de</strong> rencontres avec la Confrérie, avec Asuka, avec Samuel. Un mirage<br />

ponctué <strong>de</strong> bonnes nouvel<strong>le</strong>s et <strong>de</strong> mauvaises. Une fois à Paris il aurait<br />

très peu <strong>de</strong> temps pour en tirer <strong>le</strong> bilan, avant son voyage à Sorgentel.<br />

"Dépêche-toi Ana, on doit partir, lança Anthony.<br />

-Une secon<strong>de</strong>!!"<br />

El<strong>le</strong> était la seu<strong>le</strong> à ne pas être grimpée dans <strong>le</strong> véhicu<strong>le</strong>. Un<br />

appareil photo numérique à la main, el<strong>le</strong> plaçait stratégiquement <strong>le</strong>s<br />

Corbell <strong>de</strong>vant l'entrée <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur maison pour <strong>le</strong>s immortaliser. Mark <strong>le</strong><br />

majordome n'eut pas <strong>le</strong> bon sens <strong>de</strong> fuir assez vite pour lui échapper.<br />

"Dites cheese, <strong>le</strong>ur intima Ana Rosa en allumant l'écran <strong>de</strong> son appareil."<br />

Diane Corbell dit "Cheese" tout en faisant discrètement <strong>de</strong>s oreil<strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong> lapin à son époux et <strong>le</strong> flash éblouit <strong>le</strong>s occupants du domaine.<br />

Une minute plus tard, <strong>le</strong> minibus <strong>de</strong>s élus quittait son point <strong>de</strong><br />

stationnement, en direction <strong>de</strong> la forêt du domaine Corbell. Le temps était<br />

doux et Arthur était confortab<strong>le</strong>ment assis dans son siège, entre Andreas<br />

et Jamie. Cependant, il se résolut à ne pas s'endormir cette fois-ci. Le<br />

sommeil n'aurait pas raison <strong>de</strong> sa volonté.<br />

"Pas trop triste <strong>de</strong> quitter ta famil<strong>le</strong>? <strong>de</strong>manda Ana Rosa en jaillissant <strong>de</strong><br />

son siège pour se pencher par-<strong>de</strong>ssus l'épau<strong>le</strong> <strong>de</strong> Jamie.<br />

-Ca va! Comme on dit en France, je serai <strong>de</strong> retour en moins <strong>de</strong> temps<br />

qu'il n'en faut pour dire… Euh…<br />

-"Ouf", indiqua Sally. En moins <strong>de</strong> temps qu'il n'en faut pour dire "ouf"."<br />

El<strong>le</strong> eut un sourire narquois.<br />

"Révises tes proverbes Jam', conseilla-t-el<strong>le</strong>.<br />

-Je n'y manquerai pas. Tu m'ai<strong>de</strong>ras Arty, n'est-ce pas?<br />

-Je suppose que oui… lorsque j'aurai fini <strong>de</strong> réviser mes cours."<br />

Le périp<strong>le</strong> britannique <strong>de</strong>s élus se termina sans accroche, bien que<br />

tous aient à l'esprit <strong>le</strong>s avertissements d'Asuka sur <strong>le</strong> climat tendu qui<br />

régnait à Sorgentel.<br />

Quelques jours plus tard, ils seraient <strong>de</strong> nouveau séparés. Certains<br />

d'entre eux se retrouveraient bien vite, d'autres mettraient davantage <strong>de</strong><br />

temps à se revoir. Bien qu'ils eussent toujours envisagé <strong>le</strong> pire, ils étaient<br />

loin d'imaginer que certains d'entre eux ne se reverraient pas.<br />

3


Chapitre 19 : <strong>Les</strong> soupçons <strong>de</strong> Rachel Vivian Mitchells<br />

"C'est comme si je venais <strong>de</strong> m'éveil<strong>le</strong>r, après un sommeil qui aurait duré<br />

<strong>de</strong>s jours… ou <strong>de</strong>s semaines. Je ne sais pas trop en fait. <strong>Les</strong> ca<strong>le</strong>ndriers ne<br />

sont pas légion ici et quelque chose me dit qu'il ne serait pas dans mon<br />

intérêt d'interroger <strong>le</strong>s gens qui m'entourent.<br />

Ils sont tous assez indifférents à ma présence, à part trois personnes,<br />

voire quatre.<br />

Il y a tout d'abord ce vieux type assez petit (1m65 à tout casser) qui<br />

s'adresse à moi avec une froi<strong>de</strong> affection, comme on par<strong>le</strong>rait à un enfant<br />

dont on est forcé <strong>de</strong> s'occuper. J'ai vite réalisé qu'il était <strong>le</strong> chef mais je ne<br />

parviens pas à intégrer son nom dans l'immédiat. Il faut dire que ceux qui<br />

l'entourent ne l'ont jamais interpellé <strong>de</strong>vant moi. C'est toujours lui qui<br />

ouvre <strong>le</strong>s conversations. Je ne sais rien <strong>de</strong> lui, rien…<br />

Il y a Munin qui est assez gentil<strong>le</strong>, d'apparence douce et élégante.<br />

Toutefois, je n'arrive pas à jauger cette femme. Ange ou démon déguisé?<br />

Toujours est-il qu'el<strong>le</strong> s'occupe <strong>de</strong> moi, s'assurant que mes repas soient<br />

servis en temps et en heure. Une vraie nurse. El<strong>le</strong> me fait un peu la<br />

conversation, bien qu'el<strong>le</strong> ne semb<strong>le</strong> jamais attendre <strong>de</strong> réaction <strong>de</strong> ma<br />

part. Je ne déçois pas ses attentes <strong>de</strong> ce côté…<br />

Ensuite, il y a <strong>le</strong> diab<strong>le</strong> en personne. Oui, ce type ne peut être que <strong>le</strong><br />

diab<strong>le</strong>, ou l'un <strong>de</strong> ses serviteurs. Je crois n'avoir jamais rencontré<br />

d'homme qui soit à la fois aussi propre sur lui et aussi glauque,<br />

malveillant. Je ne par<strong>le</strong> pas <strong>de</strong> son attitu<strong>de</strong>. Oh non, la politesse ne lui fait<br />

pas défaut! C'est plutôt cette lueur sinistre dans son regard, cette aura<br />

qu'il semb<strong>le</strong> laisser dans son sillage, comme un parfum aigre. Il y a cette<br />

pièce systématiquement close dans laquel<strong>le</strong> il passe la majeure partie <strong>de</strong><br />

son temps… Je n'ai jamais pu voir ce qu'il s'y passait mais j'ai l'impression<br />

d'y être déjà allé (Une tâche d'encre rend la phrase suivante illisib<strong>le</strong>)<br />

Enfin, il y a Samuel. Je crois qu'il est <strong>le</strong> seul à avoir compris quelque<br />

chose à mon sujet. J'ai "ouvert <strong>le</strong>s yeux" il y a <strong>de</strong>ux jours et il était sur <strong>le</strong><br />

seuil <strong>de</strong> ma chambre, en train <strong>de</strong> m'amener un plateau. Il m'a regardé<br />

bizarrement, au moment où je lui ai <strong>de</strong>mandé qui il était. Il a ouvert <strong>de</strong><br />

grands yeux, a fait une esquisse <strong>de</strong> sourire puis m'a imploré <strong>de</strong> rester<br />

si<strong>le</strong>ncieux, quoi qu'il arrive, quoi qu'on me dise. "Je n'ai pas <strong>le</strong> temps<br />

maintenant Nils. Je dois m'absenter mais je serai rapi<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> retour.<br />

D'ici là ne dis rien, ne pose pas <strong>de</strong> questions. Ne réponds que par "oui" ou<br />

"non". Compris?"<br />

Il a conclu en disant qu'il était un ami d'Art et Anaïs puis est parti aussitôt.<br />

Je ne l'ai pas revu <strong>de</strong>puis trois jours…"<br />

***<br />

"J'ai suivi <strong>le</strong>s directives <strong>de</strong> Samuel jusqu'à son retour, sans gran<strong>de</strong><br />

difficulté, d'autant plus que j'ai l'impression d'avoir connu quelques phases<br />

d'absence. Par exemp<strong>le</strong>, être à tab<strong>le</strong> à midi avec <strong>le</strong>s gens <strong>de</strong> la Confrérie<br />

puis me retrouver subitement dans mon lit la nuit tombée, sans transition<br />

(je n'ai pas <strong>de</strong> fenêtre mais la lumière qui filtre sous la porte <strong>de</strong> ma<br />

3


chambre me donne une idée <strong>de</strong> l'heure qu'il est). J'en déduis<br />

généra<strong>le</strong>ment que j'ai été victime <strong>de</strong> ce que Samuel qualifie <strong>de</strong><br />

"régression".<br />

Oui, Samuel est revenu, comme promis, quatre jours après son passage<br />

éclair. Il s'est assuré que Munin ne risquait pas <strong>de</strong> passer dans ma<br />

chambre pour déposer mon repas et m'a mis au parfum, avec beaucoup<br />

<strong>de</strong> patience. Comme j'avais commencé à <strong>le</strong> soupçonner peu <strong>de</strong> temps<br />

avant, ma situation est liée à l'offre que m'avait faite la Confrérie il y a<br />

longtemps, cel<strong>le</strong> que j'ai refusée.<br />

Pas étonnant dans ces circonstances que je n'aie pas <strong>de</strong> souvenir plus<br />

récent que celui <strong>de</strong> ma rencontre avec cet homme en costume croisé, sur<br />

la route <strong>de</strong> mon retour <strong>de</strong> pique-nique avec <strong>le</strong>s amis. Marshal, bien<br />

évi<strong>de</strong>mment. Qui d'autre que <strong>le</strong> bras droit du diab<strong>le</strong>? Visib<strong>le</strong>ment, je ne<br />

me suis pas laissé faire <strong>le</strong> jour en question. Sa main à la peau boursouflée<br />

en est la preuve."Ton don est lié à la glace mais il a eu un effet étrange<br />

sur la main <strong>de</strong> Marshal". C'est ce que m'a dit Samuel, avec une lueur<br />

d'étonnement. En tout cas, je ne me rappel<strong>le</strong> pas m'être défendu.<br />

Uniquement l'avoir vu se poster sur la route, apparaissant en p<strong>le</strong>in milieu<br />

<strong>de</strong> la voie pour m'obliger à effectuer un dérapage. Boum, tonneau et dans<br />

<strong>le</strong> fossé! Peut-être que la voiture a pris feu. Ensuite il a dû me sortir <strong>de</strong> là<br />

et faire son tour <strong>de</strong> passe-passe afin que tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> me croie mort (je<br />

crois que la brûlure vient plutôt <strong>de</strong> là).<br />

De ce que me dit Samuel, Marshal a recours à la nécromancie, un <strong>de</strong>s arts<br />

magiques <strong>le</strong>s plus obscurs qui soit. Grâce à cela, il n'a pas <strong>de</strong> difficulté à<br />

donner à un cadavre l'apparence qu'il souhaite. Des cadavres, il en à<br />

disposition selon Samuel. J'imagine que la Confrérie lui fournit faci<strong>le</strong>ment<br />

ce genre d'ingrédients…"<br />

***<br />

"Je viens <strong>de</strong> comprendre ce qui m'a (en partie) rendu ma santé menta<strong>le</strong>,<br />

par simp<strong>le</strong> déduction. Marshal avait besoin <strong>de</strong> quelque chose pour scel<strong>le</strong>r<br />

mon âme. Quelque chose que j'aurais en permanence sur moi. Quoi <strong>de</strong><br />

mieux que cette chaîne, mon seul lien avec Art? Ca cou<strong>le</strong> <strong>de</strong> source :<br />

j'étais complètement lobotomisé jusqu'à ma brève rencontre avec Arthur à<br />

Sorgentel (je n'en gar<strong>de</strong> pas <strong>le</strong> moindre souvenir mais Samuel m'a tout<br />

relaté).<br />

Instinctivement, je lui remets la chaîne qui lui appartenait à la base et<br />

bam, je reprends progressivement l'usage <strong>de</strong> mon petit cerveau!<br />

J'en ai parlé à Samuel hier et il m'a dit que ça tenait la route. Le maléfice<br />

était contenu dans la chaîne. Marshal savait pertinemment que même<br />

complètement à l'ouest, je la gar<strong>de</strong>rais toujours sur moi. Bien<br />

évi<strong>de</strong>mment, il n'avait pas prévu que je la rendrais à son propriétaire.<br />

Lorsque j'ai compris la manière dont Marshal avait pris <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> <strong>de</strong> mon<br />

âme, je me suis aussitôt inquiété pour Arthur, mais Samuel m'a rassuré.<br />

Si <strong>le</strong> maléfice avait été <strong>de</strong>stiné à m'abrutir, il n'aurait aucun effet sur<br />

Arthur. Ce genre <strong>de</strong> sort est personnalisé, en quelque sorte."<br />

3


***<br />

"Comment ai-je transmis mon don à Arthur? Je n'en ai pas la moindre<br />

idée, c'est sans doute inconscient. Il n'y a qu'une chose dont j'ai l'intime<br />

conviction : mon <strong>de</strong>stin est <strong>de</strong> protéger Arthur <strong>de</strong> quelque chose, ou <strong>de</strong><br />

l'ai<strong>de</strong>r à arriver quelque part. El<strong>le</strong> me l'a bien fait comprendre, il y a<br />

plusieurs années, à l'époque où nous sommes <strong>de</strong>venus amis.<br />

Je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> comment vont mes parents… <strong>Les</strong> pauvres me croient<br />

mort."<br />

***<br />

"J'ai découvert que Zahran Sun était un élu, au détour d'une conversation<br />

qu'il a eue avec Maggie. Cette sorcière ne semb<strong>le</strong> pas apprécier <strong>le</strong>s gens<br />

<strong>de</strong> notre espèce (si el<strong>le</strong> aime qui que ce soit). El<strong>le</strong> lui a balancé un<br />

"misérab<strong>le</strong> élu" à la tronche. Par<strong>le</strong> moi d'une insulte…<br />

Comme d'habitu<strong>de</strong>, Bob Mar<strong>le</strong>y Junior (je l'ai surnommé comme ça à<br />

cause <strong>de</strong> ses dreadlocks) n'a même pas bronché. Je n'ai jamais vu un type<br />

aussi zen. C'en est presque effrayant…<br />

Je suis frustré <strong>de</strong> ne pas pouvoir me trahir. Autrement, je pourrais lui<br />

mettre mon poing dans la gueu<strong>le</strong> et lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r pourquoi il a renié son<br />

véritab<strong>le</strong> <strong>de</strong>voir pour rejoindre la Confrérie. Il est peut-être trop stupi<strong>de</strong><br />

pour comprendre ce que fait cette organisation."<br />

***<br />

"Qui aurait cru que Samuel était une brute épaisse aux jeux vidéo?<br />

Apparemment c'est lui qui m'avait installé ce matériel à l'époque où j'étais<br />

encore complètement dingue. Arthur l'a initié quand ils sont <strong>de</strong>venus amis<br />

et a dû lui dire que j'aimais ce genre <strong>de</strong> loisirs. Du coup il m'a trouvé une<br />

conso<strong>le</strong>, pour que je m'occupe.<br />

Hé! Même fou, je suis capab<strong>le</strong> <strong>de</strong> finir un jeu <strong>le</strong>s yeux fermés."<br />

***<br />

"Samuel m'a expliqué la raison pour laquel<strong>le</strong> je n'arrive jamais à me<br />

rappe<strong>le</strong>r du nom du chef lorsque je veux l'écrire.<br />

D'une part, ce <strong>de</strong>rnier a posé une restriction menta<strong>le</strong> très puissante sur<br />

tous <strong>le</strong>s membres <strong>de</strong> la Confrérie. Ils ne peuvent pas <strong>le</strong> décrire<br />

physiquement, ne peuvent pas indiquer sa localisation, ne peuvent<br />

quasiment rien dire du peu qu'ils savent <strong>de</strong> lui. Si nécessaire, <strong>le</strong> sort peut<br />

même nous rendre incapab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> prononcer ou écrire son nom. Dur… Un<br />

sort intelligent!<br />

D'autre part, <strong>le</strong> chef a pris <strong>de</strong>s précautions pour pouvoir se promener en<br />

vil<strong>le</strong> comme il veut (quel<strong>le</strong> vil<strong>le</strong>? je ne sais pas… J'espère que nous<br />

sommes toujours à Paris). Et c'est là que je suis contraint <strong>de</strong> reconnaître<br />

<strong>le</strong>s ta<strong>le</strong>nts du serviteur du diab<strong>le</strong>. Ce Marshal a octroyé au moins <strong>de</strong>ux<br />

apparences alternatives au chef. En soi, il ne change pas vraiment <strong>de</strong><br />

3


physique. Il peut "juste" faire en sorte que <strong>le</strong>s personnes qu'il rencontre<br />

voient autre chose que son vrai visage. Ce sort agit comme une illusion.<br />

Vous croyez voir <strong>le</strong> "chaf" mais en fait c'est <strong>le</strong> "chef".<br />

Ainsi, il peut danser la lambada <strong>de</strong>vant <strong>le</strong>s élus et <strong>le</strong>s narguer à outrance<br />

sans qu'ils ne mouftent. Comme si cela ne suffisait pas (ce type est d'une<br />

prévoyance rare), il a fait ensorce<strong>le</strong>r son nom. SON NOM! Comment peuton<br />

faire ça? Samuel m'a dit texto :<br />

"J'imagine que Marshal est forcé <strong>de</strong> faire d'importants sacrifices<br />

(humains?) pour obtenir <strong>de</strong> tels résultats. Toujours est-il que son nom<br />

crée une sorte d'amnésie sé<strong>le</strong>ctive : même si <strong>le</strong>s gens extérieurs à la<br />

Confrérie étaient amenés à en prendre connaissance, ils ne pourraient rien<br />

en tirer".<br />

Là je lui ai répondu que ça ne tenait pas la route et que ce type n'était pas<br />

Vol<strong>de</strong>mort, mais Samuel m'a affirmé que quelqu'un qui connaîtrait <strong>le</strong> nom<br />

du chef serait incapab<strong>le</strong> <strong>de</strong> faire <strong>le</strong> lien avec <strong>le</strong> "chaf" qu'il aurait croisé dix<br />

minutes plus tôt. Résultat <strong>de</strong> l'illusion! Comment peut-on donner à un<br />

simp<strong>le</strong> nom un effet si puissant, capab<strong>le</strong> d'atteindre tous ceux qui sont<br />

amenés à l'entendre?<br />

Samuel a fini par m'avouer que lui est capab<strong>le</strong> <strong>de</strong> prononcer ce nom (et il<br />

me l'a prouvé), mais c'est au prix d'immenses efforts et d'un<br />

entraînement psychologique étalé sur <strong>de</strong>s années. La première fois qu'il y<br />

est parvenu, il est tombé inanimé et ne s'est re<strong>le</strong>vé que cinq jours plus<br />

tard.<br />

Sam a ensuite essayé <strong>de</strong> me dire autre chose mais il n'y est pas arrivé, à<br />

cause <strong>de</strong> la restriction. Tout ce qu'il a pu faire, c'est un signe du doigt vers<br />

<strong>le</strong> jeu. J'ai tout <strong>de</strong> suite <strong>de</strong>viné : il y avait un lien avec Arthur. Le chef… il<br />

l'aurait déjà approché, sans que Samuel ne puisse <strong>le</strong>…<br />

Ma main a vio<strong>le</strong>mment tremblé pendant dix minutes, je n'ai pas pu finir<br />

ma phrase précé<strong>de</strong>nte… La restriction est terrib<strong>le</strong>, même à l'écrit.<br />

Que je <strong>le</strong> veuil<strong>le</strong> ou non, je suis un membre <strong>de</strong> la Confrérie."<br />

***<br />

"Quel<strong>le</strong> misère <strong>de</strong> trouver du papier ici. Je suis obligé d'arracher<br />

discrètement <strong>le</strong>s pages blanches <strong>de</strong>s livres du chef pour avoir <strong>de</strong> quoi<br />

écrire. Sam fait un bon confi<strong>de</strong>nt, un bon ami, mais j'ai besoin <strong>de</strong> poser<br />

mes idées sur <strong>le</strong> papier, ne serait-ce que pour gar<strong>de</strong>r une trace <strong>de</strong>s<br />

choses importantes… Qui sait ce que je suis capab<strong>le</strong> d'oublier après mes<br />

phases <strong>de</strong> régression?<br />

Tiens, idée volati<strong>le</strong> : je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> si Anaïs et Arthur sortent enfin<br />

ensemb<strong>le</strong>. (ce qui précè<strong>de</strong> est vio<strong>le</strong>mment raturé par une encre différente<br />

et presque illisib<strong>le</strong>)<br />

***<br />

"Je viens d'avoir une vision. Ce n'est pas la première, mais jusqu'à<br />

présent je ne voyais que <strong>de</strong>s bribes <strong>de</strong> la vie d'Arthur. Enfin, quand je dis<br />

que je "voyais", j'exagère. Il m'arrivait plutôt <strong>de</strong> capter sa voix, comme<br />

3


s'il était mis sur écoute et que je pouvais entendre <strong>de</strong>s bouts <strong>de</strong> ses<br />

conversations. (Al<strong>le</strong>z savoir pourquoi, on doit être <strong>le</strong>s meil<strong>le</strong>urs amis du<br />

mon<strong>de</strong> pour être capab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> percevoir nos paro<strong>le</strong>s à distance, ha ha).<br />

Bon, je sais, ce n'est pas une vision! On va plutôt par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> perception.<br />

Bref, cette fois-ci, j'ai capté la voix d'Arthur ET d'Anaïs… Le peu que j'en ai<br />

eu m'a laissé comprendre qu'el<strong>le</strong> est une élue…<br />

A l'écrit, je ne peux paraître que serein, mais en fait, je suis<br />

complètement bou<strong>le</strong>versé (cri d'excitation à la Chewbacca). Autant que<br />

l'était Arthur dans cette bribe <strong>de</strong> conversation.<br />

S'il n'y avait que ça… La Confrérie part en guerre contre <strong>le</strong>s élus. Cela<br />

signifie que mes amis seront peut-être tués, pendant que je reste ici. Si<br />

au moins <strong>le</strong> chef avait décidé <strong>de</strong> m'envoyer sur <strong>le</strong> terrain… Même pas!<br />

Samuel a été formel. Le chef ne veut pas me voir intervenir dans<br />

l'immédiat. MERDE!<br />

Samuel a promis qu'il protègerait Arthur coûte que coûte mais il ne sait<br />

pas qu'Anaïs est el<strong>le</strong> aussi une élue. Je ne l'ai pas revu <strong>de</strong>puis la vision et<br />

il est probab<strong>le</strong>ment déjà parti… avec d'autres membres <strong>de</strong> la Confrérie,<br />

moins conciliants que lui. Malgré sa bonne volonté, est-ce qu'il pourra<br />

vraiment <strong>le</strong>s protéger, eux et <strong>le</strong>s autres élus, sans gril<strong>le</strong>r sa couverture?<br />

Samuel a beau dire, ce n'est qu'un être humain. Il ne peut pas tout faire<br />

seul.<br />

Il faut que j'y ail<strong>le</strong>, d'une manière ou d'une autre, que je profite <strong>de</strong><br />

l'absence <strong>de</strong> Zahran. Je vais essayer <strong>de</strong> négocier avec Hugin, faire en<br />

sorte qu'il ne soupçonne rien… Il est moins malin que sa sœur."<br />

***<br />

Plus frustré qu'autre chose, Arthur replia <strong>le</strong>s feuil<strong>le</strong>s en un origami<br />

compact. Lui qui s'était tant réjoui à la perspective <strong>de</strong> lire <strong>le</strong>s notes <strong>de</strong><br />

Nils, il se sentait désormais gagné par l'amertume et même l'anxiété.<br />

Certes, il connaissait enfin la situation <strong>de</strong> son ami – et par extension, cel<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong> Samuel – mais il apprenait éga<strong>le</strong>ment que la Confrérie était beaucoup<br />

plus macabre qu'il ne l'avait imaginé. Qui plus est, il avait affaire à une<br />

organisation impossib<strong>le</strong> à localiser et dont <strong>le</strong> chef pouvait tout à fait être<br />

<strong>le</strong> contrô<strong>le</strong>ur qui poinçonnait passivement <strong>le</strong>s tickets <strong>de</strong>s voyageurs, à<br />

l'autre bout <strong>de</strong> la voiture.<br />

Quant à "el<strong>le</strong>" il n'était pas plus avancé. Qui était cette "el<strong>le</strong>"? Le<br />

légat <strong>de</strong> Nils était-il en fait une légate? Il comptait bien tirer <strong>le</strong>s choses au<br />

clair avec <strong>le</strong> Docteur Martin dès qu'il en aurait l'occasion, même si ce<br />

n'était pas là sa priorité.<br />

Alors qu'il se tournait vers Anaïs, assise à côté <strong>de</strong> lui, pour lui rendre<br />

<strong>le</strong>s notes froissées, il fut surpris <strong>de</strong> constater qu'el<strong>le</strong> s'était endormie sur<br />

son épau<strong>le</strong>, sans même qu'il ne l'eût réalisé. Le magazine qu'el<strong>le</strong> lisait<br />

gisait ouvert sur ses genoux et el<strong>le</strong> ronflait très légèrement, <strong>le</strong> visage<br />

partiel<strong>le</strong>ment voilé par plusieurs mèches <strong>de</strong> cheveux bouclés. Cette<br />

situation qui aurait paru norma<strong>le</strong> à Arthur quelques mois plus tôt prenait<br />

une allure autrement embarrassante, au point qu'il envisageât d'essayer<br />

3


<strong>de</strong> se dégager l'épau<strong>le</strong> et <strong>de</strong> remettre son amie sur <strong>le</strong> dossier <strong>de</strong> son<br />

siège. Toutefois, <strong>le</strong>s regards respectivement narquois et inquisiteur<br />

d'Ibtissam et Aïshani, assis <strong>de</strong> l'autre côté <strong>de</strong> l'allée, l'incitèrent à faire<br />

comme si <strong>de</strong> rien n'était. Il se tourna vers la fenêtre après avoir rangé <strong>le</strong>s<br />

notes dans son sac à dos et fit mine <strong>de</strong> scruter <strong>le</strong> paysage brouillé par la<br />

vitesse du train. Ils arriveraient à Paris <strong>de</strong>ux heures plus tard.<br />

<strong>Les</strong> évènements qui s'ensuivirent parurent assez flous à Arthur,<br />

d'autant plus que, comme souvent, ils s'enchaînèrent à une vitesse qui<br />

défiait <strong>le</strong>s lois <strong>de</strong> la nature. Toutefois, il avait, malgré lui, commencé à<br />

s'habituer à voir son rythme <strong>de</strong> vie ainsi chamboulé; tout comme il avait<br />

compris que certaines questions ne trouvaient <strong>de</strong> réponses que lorsqu'on<br />

ne <strong>le</strong>s posait pas. C'est pour cette raison qu'il n'interrogea pas <strong>le</strong> Dr Martin<br />

au sujet <strong>de</strong> l'affaire du légat lorsque celui-ci vint récupérer <strong>le</strong>s élus à la<br />

Gare du Nord, accompagné <strong>de</strong> l'assistante Norah. Ce n'était ni <strong>le</strong> moment<br />

ni l'endroit et Arthur soupçonnait <strong>le</strong> Docteur d'être une entité dont la<br />

volubilité était aussi fréquente que la p<strong>le</strong>ine lune. Il valait donc mieux<br />

guetter une opportunité et s'infiltrer dans la brèche ainsi ouverte, si<br />

possib<strong>le</strong> avant <strong>le</strong> départ pour Sorgentel.<br />

"Où est <strong>le</strong> minibus? s'étonna Sonia lorsque <strong>le</strong> groupe sortit <strong>de</strong> la gare.<br />

-Je l'ai plus ou moins embouti, fit <strong>le</strong> Dr Martin avec un rire nerveux. Il va<br />

falloir nous répartir dans <strong>de</strong>s taxis.<br />

-Tu as embouti <strong>le</strong> minibus? souffla Sonia d'un air hébété. Mais comm…"<br />

Norah ricana comme si <strong>le</strong> fait d'avoir détruit l'un <strong>de</strong>s biens <strong>de</strong> GLOW<br />

représentait un exploit digne <strong>de</strong> l'érection d'une statue à l'effigie <strong>de</strong><br />

l'honorab<strong>le</strong> mé<strong>de</strong>cin.<br />

Sans autre choix à <strong>le</strong>ur disposition, Arthur, Jamie et Anaïs qui<br />

n'habitaient pas très loin <strong>le</strong>s uns <strong>de</strong>s autres prirent congé <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs<br />

camara<strong>de</strong>s et partagèrent un véhicu<strong>le</strong>. Bien qu'un manteau grisâtre<br />

couvrît <strong>le</strong> ciel <strong>de</strong> Mars, <strong>le</strong> climat était déjà plus agréab<strong>le</strong> qu'à Londres.<br />

"Que comptes-tu faire pour ton anniversaire Arty? <strong>de</strong>manda Jamie dans <strong>le</strong><br />

taxi.<br />

-Ah oui, c'est dans trois jours, confirma Anaïs. Le 19 mars.<br />

-Je ne l'avais même pas réalisé, mentit Arthur. Je pense que je ne ferai<br />

rien <strong>de</strong> spécial. Ce n'est pas <strong>le</strong> moment idéal.<br />

-Comment ça "pas <strong>le</strong> moment idéal"? s'offusqua Anaïs. Au contraire, <strong>le</strong>s<br />

circonstances requièrent un instant <strong>de</strong> détente.<br />

-Je te rappel<strong>le</strong> ce que Sonia nous disait dans <strong>le</strong> train. Il est à 99% sûr que<br />

nous partirons dans trois jours. Et nous sommes <strong>le</strong> 16 mars…<br />

-Oh…, fit Jamie. Cette date tombera donc… <strong>le</strong> jour <strong>de</strong> ton anniversaire.<br />

-Oui mais ne vous inquiétez pas. On pourra toujours organiser un petit<br />

dîner à notre retour. De plus, mes grands-parents me prépareront<br />

probab<strong>le</strong>ment un petit gâteau la veil<strong>le</strong> vu qu'ils savent que je ne serai pas<br />

là. Vous pourrez passer à la maison si vous vou<strong>le</strong>z.<br />

3


-Qu'as-tu trouvé comme excuse pour justifier ton nouveau départ?<br />

s'enquit Anaïs, baissant la voix pour que <strong>le</strong> chauffeur ne perçoive pas <strong>le</strong>ur<br />

conversation.<br />

-Pour eux, je ne fais que repasser à Paris quelques jours avant <strong>de</strong><br />

retourner à mon stage… J'ai même réussi à négocier avec Norah pour<br />

qu'el<strong>le</strong> me créé un document estampillé "ONU". Malgré tout, il <strong>de</strong>vient <strong>de</strong><br />

plus en plus diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> mentir. Mon séjour chez <strong>le</strong>s Corbell me laisse<br />

penser que je ferais mieux <strong>de</strong> dire la vérité."<br />

Anaïs haussa <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s <strong>de</strong> manière sceptique.<br />

"A ta place, je ne prendrais pas <strong>le</strong> risque <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur occasionner un infarctus.<br />

Ils ne sont plus très jeunes après tout…"<br />

***<br />

Arthur fut <strong>de</strong> retour chez lui aux a<strong>le</strong>ntours <strong>de</strong> dix-huit heures, juste<br />

à temps pour trouver sa grand-mère et Kaznaël en train <strong>de</strong> s'affairer dans<br />

l'appartement. Il se figea dans l'entrée en voyant <strong>le</strong> Protecteur traverser<br />

<strong>le</strong> couloir en direction <strong>de</strong> la cuisine, affublé d'un tablier.<br />

"Oh, tu es enfin arrivé Arthur, s'exclama Louise Gall en venant l'accueillir.<br />

Je me disais bien que j'avais entendu la porte claquer. Comment se passe<br />

ton stage? Tu as fait un bon voyage?<br />

-Tout va très bien, merci grand-mère."<br />

Il l'embrassa, posa hâtivement ses bagages et se dirigea vers la<br />

cuisine pour vérifier qu'il n'avait pas la berlue. A sa gran<strong>de</strong> stupéfaction, il<br />

vit que Kaznaël portait effectivement un tablier presque aussi rouge que<br />

ses cheveux et s'acharnait à faire monter <strong>de</strong>s blancs d'œuf en neige.<br />

"Bonjour Arthur, dit simp<strong>le</strong>ment Kaznaël en <strong>le</strong>vant <strong>le</strong>s yeux."<br />

Arthur dut lutter pour ne pas exploser <strong>de</strong> rire et se contenta d'un<br />

signe <strong>de</strong> main tremblant. Cette vision était particulièrement risib<strong>le</strong>.<br />

"Kaz est un assistant parfait, l'informa Louise. Depuis ton départ il n'a pas<br />

hésité à nous ai<strong>de</strong>r dans <strong>le</strong>s tâches ménagères, bien plus que toi<br />

d'ail<strong>le</strong>urs…<br />

-Je ne <strong>le</strong> connaissais pas si doci<strong>le</strong>, pensa Arthur en réprimant un nouveau<br />

rire. Content <strong>de</strong> l'apprendre, ça me fera moins <strong>de</strong> travail! Où est grandpère?<br />

<strong>de</strong>manda-t-il.<br />

-Oh… lui! Ce cher Eric est parti au champ <strong>de</strong> courses sacrifier la moitié <strong>de</strong><br />

notre rente mensuel<strong>le</strong>… sur la tête <strong>de</strong> canassons dopés aux stéroï<strong>de</strong>s et à<br />

on ne sait quoi d'autre."<br />

El<strong>le</strong> prit un air affligé.<br />

3


"Il me semb<strong>le</strong> qu'il doit faire une partie d'échecs avec Monsieur Primo<br />

après coup. Il ne sera pas là avant l'heure du dîner.<br />

-D'accord…"<br />

Louise Gall entreprit <strong>de</strong> <strong>le</strong> bombar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> questions au sujet du<br />

stage, d'Anaïs, <strong>de</strong> la famil<strong>le</strong> <strong>de</strong> Jamie et <strong>de</strong> l'Ang<strong>le</strong>terre ; questions<br />

auxquel<strong>le</strong>s Arthur répondit <strong>le</strong> plus évasivement possib<strong>le</strong> avant <strong>de</strong> déclarer<br />

qu'il <strong>de</strong>vait al<strong>le</strong>r ranger ses bagages dans sa chambre.<br />

"Je crois que c'est inuti<strong>le</strong> mon garçon, lui fit remarquer Louise. Quelqu'un<br />

s'en est chargé."<br />

<strong>Les</strong> bagages en question avaient disparu <strong>de</strong> l'entrée au moment où<br />

Arthur se pencha pour <strong>le</strong>s récupérer. A l'autre bout du couloir, Kaznaël<br />

entrait déjà dans la chambre d'Arthur, sacs à la main.<br />

"Un très bon assistant comme je te <strong>le</strong> disais, professa Louise en observant<br />

ses œufs montés en neige."<br />

Arthur émit un soupir amusé. C'était la seu<strong>le</strong> façon qu'avait Kaznaël<br />

<strong>de</strong> lui montrer qu'il était <strong>le</strong> bienvenu.<br />

***<br />

"Oups… Pardon. Je ne pensais pas trouver qui que ce soit ici, s'excusa<br />

Arthur."<br />

Sa main resta collée à la poignée <strong>de</strong> la porte. Il avait espéré trouver<br />

dans la sal<strong>le</strong> <strong>de</strong> réunion du QG <strong>de</strong> GLOW un havre <strong>de</strong> paix propice à ses<br />

révisions, loin <strong>de</strong>s tentatives <strong>de</strong> Jamie <strong>de</strong> <strong>le</strong> mener au pub, loin <strong>de</strong> la<br />

simp<strong>le</strong> présence d'Anaïs et loin <strong>de</strong>s velléités <strong>de</strong> Sally <strong>de</strong> l'entraîner à<br />

marcher sur <strong>le</strong>s mains pendant une heure. Hélas pour lui, <strong>de</strong>ux personnes<br />

occupaient déjà <strong>le</strong>s lieux, ou plutôt une personne et une créature.<br />

"Salut Arthur, dit Aïshani, <strong>de</strong>s pièces <strong>de</strong> Scrabb<strong>le</strong> à la main."<br />

Le terrifiant Khan, fauve <strong>de</strong> son état, était paresseusement allongé<br />

sur la longue tab<strong>le</strong> ova<strong>le</strong> <strong>de</strong> la sal<strong>le</strong> <strong>de</strong> réunion, plaçant <strong>de</strong>s <strong>le</strong>ttres sur <strong>le</strong><br />

plateau <strong>de</strong> jeu du bout <strong>de</strong> ses griffes aiguisées. L'arrivée d'Arthur sembla<br />

donner à ses grands yeux jaunes un éclat meurtrier.<br />

"Que pouvons-nous faire pour toi? <strong>de</strong>manda-t-il à Arthur avec ce qui<br />

ressemblait à un sourire."<br />

Arthur fut incapab<strong>le</strong> <strong>de</strong> s'empêcher <strong>de</strong> tremb<strong>le</strong>r.<br />

3


"Ne fais pas attention à lui, <strong>le</strong> rassura Aïshani en serrant fortement une<br />

touffe <strong>de</strong>s poils <strong>de</strong> Khan (Il émit un couinement plaintif). La frustration <strong>de</strong><br />

la défaite <strong>le</strong> rend irritab<strong>le</strong>.<br />

-Ah…, fit Arthur, soucieux <strong>de</strong> ne pas offenser Khan par la moindre<br />

remarque.<br />

-Cherches-tu un endroit tranquil<strong>le</strong> où travail<strong>le</strong>r tes cours? Je vois <strong>de</strong>s<br />

manuels dans ta main gauche.<br />

-A vrai dire oui. Ma grand-mère reçoit ses amies à la maison, la<br />

bibliothèque est fermée et il ne fait pas très beau <strong>de</strong>hors… J'espérais…<br />

-Nous aspirons aussi à la tranquillité, l'interrompit Aïshani avec un<br />

hochement <strong>de</strong> tête. Sois <strong>le</strong> bienvenu.<br />

-Tu es sûre? hésita Arthur, braquant son regard sur <strong>le</strong>s griffes <strong>de</strong> Khan,<br />

<strong>le</strong>quel ronronnait avec la puissance d'une centrifugeuse."<br />

En guise <strong>de</strong> réponse, Aïshani brandit un roman épais comme un<br />

dictionnaire, qu'el<strong>le</strong> s'apprêtait visib<strong>le</strong>ment à lire. Arthur la remercia et<br />

s'assit à l'autre bout <strong>de</strong> la tab<strong>le</strong> pour entamer sa séance <strong>de</strong> révision,<br />

tandis que Khan semblait se plonger dans un <strong>de</strong>mi-sommeil ponctué par<br />

<strong>de</strong> légers mouvements <strong>de</strong> la queue.<br />

Après s'être consacré corps et âme à l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s institutions<br />

par<strong>le</strong>mentaires britanniques pendant une bonne heure, Arthur se mit à<br />

bail<strong>le</strong>r et observa Aïshani du coin <strong>de</strong> l'œil. La jeune femme était plongée<br />

dans son livre, indifférente à son environnement. Il remarqua qu'el<strong>le</strong> avait<br />

exceptionnel<strong>le</strong>ment dénoué ses longs cheveux noirs, <strong>le</strong>squels tombaient<br />

gracieusement jusqu'au bas <strong>de</strong> son dos (du moins c'est ce qu'il s'imagina<br />

étant donné que la tab<strong>le</strong> et son livre masquaient son corps).<br />

"Et encore, j'ai envisagé <strong>de</strong> <strong>le</strong>s couper, dit-el<strong>le</strong> soudainement."<br />

Arthur tressaillit, alors qu'el<strong>le</strong> refermait son livre et l'observait à<br />

travers ses lunettes.<br />

"Comment sais-tu que…<br />

-C'est la partie <strong>de</strong> ma physionomie que remarquent <strong>le</strong> plus souvent <strong>le</strong>s<br />

gens, se justifia-t-el<strong>le</strong>. Je te rassure, mon don ne me permet pas <strong>de</strong> lire<br />

dans l'esprit <strong>de</strong> mes interlocuteurs, comme <strong>le</strong> Sceau Cosmique."<br />

El<strong>le</strong> étira <strong>le</strong>s bras.<br />

"En <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> cela, moi aussi je t'observais du coin <strong>de</strong> l'œil, précisa-t-el<strong>le</strong>.<br />

Il n'est donc pas étonnant que j'aie capté ton regard.<br />

-Pas étonnant, en effet, rit nerveusement Arthur. Excuse-moi, je ne<br />

voulais pas paraître malpoli.<br />

-Tu ne me semb<strong>le</strong>s pas l'être."<br />

Aïshani retira ses lunettes et <strong>le</strong>s posa à côté <strong>de</strong> la tête <strong>de</strong> Khan,<br />

toujours endormi. El<strong>le</strong> parut aussitôt beaucoup plus jeune à Arthur. Il était<br />

vrai qu'el<strong>le</strong> n'avait que dix-huit ans.<br />

3


"Arthur… Je me <strong>de</strong>mandais… Est-ce que quelqu'un t'a enseigné la<br />

différence entre un élu "normal" (el<strong>le</strong> s'attarda sur ce terme) et une élite?<br />

-Hum… Grosso modo, nous avons beaucoup plus <strong>de</strong> facilité à assimi<strong>le</strong>r<br />

notre don. Cela explique pourquoi j'ai su manier mon arme aussi<br />

rapi<strong>de</strong>ment.<br />

-Exactement, confirma Aïshani avec un sourire. Outre <strong>le</strong>ur don, on peut<br />

dire que <strong>le</strong>s élites disposent d'un instinct plus développé. Ton instinct<br />

serait lié à <strong>de</strong>s compétences d'épéiste, tout comme <strong>le</strong> mien se rattache à<br />

mon lien avec Khan. Une élite maîtrise cet instinct avant même <strong>de</strong> savoir<br />

exploiter <strong>le</strong>s autres aspects <strong>de</strong> son don.<br />

-Pardonne-moi mais je suis un peu perdu…<br />

-Pour résumer, ton instinct c'est la maîtrise <strong>de</strong> Drydock, et <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s<br />

armes blanches a priori. Ton don, lui, touche à l'exploitation <strong>de</strong> la glace<br />

sous toutes ses formes, qu'il s'agisse <strong>de</strong> l'extraire <strong>de</strong> ton arme ou <strong>de</strong> la<br />

créer ex nihilo.<br />

-Oh, je vois. Donc, en ce qui te concerne…<br />

-Mon instinct c'est Khan, la capacité que j'ai <strong>de</strong> converser avec lui et <strong>de</strong><br />

l'appe<strong>le</strong>r lorsque cela s'avère nécessaire. Cet aspect est venu tout seul.<br />

Mon don, lui, touche à la création et à…<br />

-…l'exploitation du feu?<br />

-Parfaitement. Toi et moi somme titulaires d'éléments opposés, <strong>le</strong> feu et la<br />

glace, mais nous fonctionnons <strong>de</strong> la même façon. Drydock est à Arthur ce<br />

que Khan est à Aïshani.<br />

-C'est ce système comp<strong>le</strong>xe qui fait <strong>de</strong> nous <strong>de</strong>s élites, supposa Arthur.<br />

-Pas exclusivement. C'est d'ail<strong>le</strong>urs à cette fin que je t'ai interrogé sur tes<br />

connaissances."<br />

Arthur haussa <strong>le</strong>s sourcils.<br />

"Sais-tu ce qu'est <strong>le</strong> Lumine?<br />

-Lumine? Non, ça ne me dit rien.<br />

-Cela se prononce "Lou-mi-né", précisa Aïshani."<br />

El<strong>le</strong> plissa <strong>le</strong>s yeux et réfléchit en si<strong>le</strong>nce.<br />

"Sonia a dû estimer que tu n'étais pas encore prêt à en entendre par<strong>le</strong>r…<br />

ou bien el<strong>le</strong> espérait secrètement que Tissam, Anaïs ou moi t'en<br />

informeraient.<br />

-De quoi s'agit-il?<br />

-C'est un terme qui englobe quatre attributs d'une élite, <strong>de</strong>s attributs que<br />

<strong>le</strong>s autres élus ne possè<strong>de</strong>nt pas. C'est ce qui nous distingue."<br />

El<strong>le</strong> se mit à <strong>le</strong>s décompter avec ses doigts :<br />

"Un : <strong>le</strong> fameux instinct dont je t'ai parlé, celui qui te permet d'avoir<br />

recours à <strong>de</strong>s capacités innées. Pour toi, il s'agit <strong>de</strong> savoir manier une<br />

épée.<br />

3


-Hum hum, approuva Arthur.<br />

-Deux : <strong>le</strong> défi <strong>de</strong>s limites physiques.<br />

-Le défi d…<br />

-Tout bonnement une meil<strong>le</strong>ure endurance ainsi qu'une force et une<br />

résistance physique plus développées.<br />

-Je n'ai jamais rien remarqué <strong>de</strong> tel pourtant.<br />

-Cela met un peu plus <strong>de</strong> temps à se manifester mais on ne s'en rend<br />

compte qu'avec <strong>le</strong> recul, à cause <strong>de</strong>s progrès étalés. C'est ce qui a permis<br />

à Anaïs <strong>de</strong> déva<strong>le</strong>r cette pente <strong>de</strong> Silhouette en étant simp<strong>le</strong>ment sonnée,<br />

là où une autre personne aurait été complètement assommée.<br />

-Donc, nous sommes <strong>de</strong>s sortes d'athlètes?<br />

-Si l'occasion se présente à toi, saute par-<strong>de</strong>ssus un ravin large d'une<br />

dizaine <strong>de</strong> mètres. Tu verras bien."<br />

Le rire qu'émit alors Arthur fut abrégé par <strong>le</strong> regard réfléchi<br />

d'Aïshani. El<strong>le</strong> n'avait pas dit cela pour plaisanter.<br />

"Trois : <strong>le</strong> sixième sens. Je dirais que cet attribut est plus diffici<strong>le</strong> à<br />

caractériser étant donné qu'il varie selon l'individu.<br />

-Ca ne se rapprocherait pas <strong>de</strong> ce que tu qualifies d'instinct?<br />

-Oui et non… quand je par<strong>le</strong> <strong>de</strong> sixième sens, je pense plutôt à un instinct<br />

<strong>de</strong> survie ou à la volonté <strong>de</strong> protéger, différents <strong>de</strong> la forme d'instinct dont<br />

je te parlais un peu plus tôt. A titre d'exemp<strong>le</strong>, il m'arrive <strong>de</strong> capter <strong>le</strong>s<br />

émotions d'Anaïs ou d'Ibtissam lorsqu'el<strong>le</strong>s sont particulièrement fortes,<br />

bien qu'il ne s'agisse généra<strong>le</strong>ment que d'impressions et non pas<br />

d'informations détaillées."<br />

"Comme Nils, pensa Arthur à ce moment. Se pourrait-il qu'il ait gardé<br />

certaines <strong>de</strong> ses capacités d'élite alors qu'il m'a transmis son don?"<br />

"Ce sixième sens est primordial pour assurer la cohésion <strong>de</strong>s élites,<br />

précisa Aïshani. Il se rapproche presque <strong>de</strong> la télépathie. J'ose imaginer<br />

qu'avec un peu <strong>de</strong> pratique, nous serions capab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> <strong>le</strong> développer.<br />

-Si nous disposons du temps nécessaire…"<br />

Aïshani ignora cette remarque sceptique.<br />

"Le <strong>de</strong>rnier attribut est <strong>de</strong> loin <strong>le</strong> plus intéressant dans la situation<br />

actuel<strong>le</strong>, bien qu'il soit éga<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> plus diffici<strong>le</strong> à manier. Je l'appel<strong>le</strong><br />

"assimilation", tout simp<strong>le</strong>ment parce qu'il permet à l'élite d'avoir recours<br />

à son don alors même qu'il est séparé <strong>de</strong> l'objet qui y est rattaché.<br />

-Ainsi, même si je perdais Drydock, je pourrais utiliser son pouvoir?<br />

-Une infime fraction <strong>de</strong> son pouvoir. Ma maîtrise du feu est infiniment plus<br />

développée lorsque Khan est à proximité. Encore une fois, l'expérience<br />

pourrait nous permettre d'améliorer ceci. As-tu déjà essayé?<br />

-Ca ne m'est même pas venu à l'esprit…"<br />

3


Il se ravisa intérieurement. Lorsqu'il avait discuté avec Samuel à<br />

Salvacion et que ce <strong>de</strong>rnier l'avait provoqué pour l'inciter à <strong>le</strong> frapper, son<br />

poing s'était recouvert <strong>de</strong> glace, à son insu. Une manifestation <strong>de</strong> cette<br />

assimilation? Bien évi<strong>de</strong>mment, il ne pouvait pas en par<strong>le</strong>r à Aïshani.<br />

"Si cela peut te rassurer, Ibtissam et Anaïs n'y arrivent pas non plus,<br />

déclara Aïshani.<br />

-J'ai tout <strong>de</strong> même du retard à ce que je vois…<br />

-Tu as disposé <strong>de</strong> moins <strong>de</strong> temps, c'est tout. Quant à Anaïs, el<strong>le</strong> est à<br />

peu près au même sta<strong>de</strong> que toi.<br />

-Dans ce cas, je suis un peu plus rassuré."<br />

Aïshani sourit.<br />

"Je pense avoir bien fait <strong>de</strong> te par<strong>le</strong>r du Lumine, ne serait-ce que pour que<br />

tu comprennes quel est ton statut. Une fois que tu maîtriseras ses quatre<br />

attributs ainsi que ton don, la Confrérie ne fera pas long feu."<br />

El<strong>le</strong> se <strong>le</strong>va et prit son livre.<br />

"Je ferai <strong>de</strong> mon mieux, assura Arthur, conscient <strong>de</strong> la tâche qui<br />

l'attendait.<br />

-Nous ferons <strong>de</strong> notre mieux, corrigea Aïshani. N'oublie pas que nous<br />

sommes à tes côtés, Arthur.<br />

-Merci. Ca fait du bien <strong>de</strong> ne plus être… <strong>le</strong> type spécial parmi <strong>le</strong>s gens un<br />

peu moins spéciaux."<br />

Arthur n'avait jamais pu s'empêcher <strong>de</strong> se considérer comme<br />

l'atypique parmi <strong>le</strong>s élus. Ses capacités étaient étranges, diffici<strong>le</strong>ment<br />

catégorisab<strong>le</strong>s, même pour <strong>le</strong> personnel <strong>de</strong> GLOW. D'ail<strong>le</strong>urs, bien que<br />

Sally s'évertuât à l'entraîner, il <strong>de</strong>vinait bien qu'el<strong>le</strong> ne pouvait l'ai<strong>de</strong>r que<br />

dans <strong>le</strong> domaine physique, sans pouvoir vraiment <strong>le</strong> conseil<strong>le</strong>r sur l'usage<br />

<strong>de</strong> son don. Avec Anaïs, Ibtissam et Aïshani à Paris, Arthur sentait qu'il<br />

pourrait mieux appréhen<strong>de</strong>r son évolution.<br />

Alors que cette petite victoire du jour berçait son âme, la porte<br />

s'ouvrit à la volée et Rachel s'introduisit dans la sal<strong>le</strong> <strong>de</strong> réunion avec<br />

l'énergie d'une furie qu'un explorateur aurait ma<strong>le</strong>ncontreusement<br />

réveillée en lui marchant sur <strong>le</strong> pied. A sa gran<strong>de</strong> terreur, Arthur la vit<br />

littéra<strong>le</strong>ment fondre sur lui et <strong>le</strong> saisir par <strong>le</strong> col.<br />

"Arthur, s'écria-t-el<strong>le</strong>."<br />

Khan avait bondi <strong>de</strong> la tab<strong>le</strong>, surpris par cette irruption.<br />

"Rachel!? Qu'est-ce que tu me veux? paniqua Arthur, <strong>le</strong> souff<strong>le</strong> court.<br />

-De l'ai<strong>de</strong>!<br />

-Mais… pour faire quoi? Je… je travail<strong>le</strong> moi! Comment m'as-tu trouvé<br />

d'abord.<br />

3


-J'ai payé Ibtissam en louanges pour qu'il te localise grâce à son don."<br />

Aïshani secoua la tête d'un air ennuyé.<br />

"L'inconscient. Je lui avais pourtant défendu d'utiliser ses capacités pour<br />

<strong>de</strong> tel<strong>le</strong>s choses. Il en abusait pour savoir où se cachait Sally…<br />

-Tu vas al<strong>le</strong>r <strong>le</strong> corriger? jubila Khan.<br />

-Je vais al<strong>le</strong>r lui dire <strong>de</strong>ux mots, oui.<br />

-Formidab<strong>le</strong>! Je vais l'attaquer par surprise pendant que tu lui par<strong>le</strong>ras et<br />

lui planter <strong>le</strong>s griffes dans <strong>le</strong>s…"<br />

La voix <strong>de</strong> Khan s'évanouit tandis qu'Aïshani et lui s'éloignaient <strong>de</strong> la<br />

sal<strong>le</strong> <strong>de</strong> réunion, laissant Rachel seu<strong>le</strong> avec sa proie. Ladite proie, effrayée<br />

par l'emprise <strong>de</strong> la jeune femme américaine sur son col, ne tenta même<br />

pas <strong>de</strong> s'échapper. Lorsque Rachel voulait quelque chose, el<strong>le</strong> l'obtenait.<br />

Du moins, jusqu'à récemment :<br />

"Qu'est-ce qu'il y a? <strong>de</strong>manda <strong>de</strong> nouveau Arthur, <strong>le</strong>s yeux presque<br />

exorbités. Aïshani me parlait <strong>de</strong>s capacités <strong>de</strong>s élus au moment où tu…<br />

-IL Y A PLUS IMPORTANT, <strong>le</strong> coupa Rachel.<br />

-Vraiment? Tu commences à m'inquiéter…"<br />

Rachel était même décoiffée. C'était dire si la situation était grave.<br />

"Nous <strong>de</strong>vons fi<strong>le</strong>r Elliott.<br />

-Quoi?<br />

-Il est sur <strong>le</strong> point <strong>de</strong> quitter GLOW pour al<strong>le</strong>r faire un tour. C'est<br />

l'occasion rêvée!<br />

-M… Mais, pourquoi veux-tu <strong>le</strong> suivre?<br />

-Je <strong>le</strong> soupçonne d'être un traître, répondit Rachel en <strong>le</strong> secouant sans<br />

ménagement."<br />

Arthur aurait adoré qu'il en soit réel<strong>le</strong>ment ainsi, mais il doutait<br />

sérieusement <strong>de</strong>s raisons qu'avait Rachel <strong>de</strong> soupçonner <strong>le</strong>ur camara<strong>de</strong>. Il<br />

<strong>de</strong>vait tempérer son comportement.<br />

"Explique-toi…<br />

-Je ne sais pas trop, hésita Rachel, soudain mal à l'aise. C'est un<br />

pressentiment. Ce garçon ne peut pas être normal…<br />

-Mais encore…? Il a fait quelque chose <strong>de</strong> louche?"<br />

Rachel relâcha son emprise sur lui et recula d'un pas, rouge comme<br />

une tomate.<br />

"Il a refusé mes avances, avoua-t-el<strong>le</strong> enfin. A plusieurs reprises.<br />

-…<br />

-Personne n'a jamais refusé <strong>le</strong>s avances <strong>de</strong> Rachel Vivian Mitchells, à part<br />

Rick, pour <strong>de</strong>s raisons évi<strong>de</strong>ntes!<br />

3


-Tu ne m'as jamais fait d'avances.<br />

-Je ne veux pas <strong>de</strong> toi!<br />

-Noté…<br />

-Elliott n'est pas normal, c'est ce que j'en conclus. Me repousser avec un<br />

tel f<strong>le</strong>gme, un tel détachement... Il ne peut s'agir que d'un traître... ou<br />

d'un gay, encore!"<br />

Arthur ricana intérieurement.<br />

"Vas-tu donc m'ai<strong>de</strong>r à <strong>le</strong> suivre avant qu'il ne disparaisse <strong>de</strong>s a<strong>le</strong>ntours?<br />

s'irrita Rachel.<br />

-Euh… laisse moi considérer ma réponse… Non!<br />

-Mais…<br />

-Bien que je regrette <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir prendre sa défense, ce n'est pas parce<br />

qu'il ne veut pas <strong>de</strong> toi que cela fait <strong>de</strong> lui un traître! (D'ail<strong>le</strong>urs, si tu me<br />

harcelais ainsi, je n'hésiterais pas à me faire passer pour gay, pensa-t-il).<br />

Et d'abord, pourquoi t'adresses-tu à moi au lieu <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong> l'ai<strong>de</strong> à<br />

quelqu'un d'autre?<br />

-A part Elliott lui-même, tu es <strong>le</strong> seul individu manipulab<strong>le</strong> <strong>de</strong> ce groupe.<br />

Elliott étant la cib<strong>le</strong> <strong>de</strong> ma filature, mon choix est restreint...<br />

-J'ai <strong>de</strong> plus en plus envie <strong>de</strong> t'ai<strong>de</strong>r…"<br />

Rachel se saisit d'un manuel d'Arthur doté <strong>de</strong> cinq cent soixante dixhuit<br />

pages et se mit à <strong>le</strong> frapper avec sur la tête. Il se défendit tant bien<br />

que mal, avec ses seu<strong>le</strong>s mains.<br />

"En <strong>de</strong>hors du fait qu'il me refuse, son comportement est vraiment<br />

étrange, continua-t-el<strong>le</strong> sans cesser <strong>de</strong> <strong>le</strong> frapper. Aveuglée par mon<br />

amour pour lui je ne l'avais pas réalisé jusqu'à maintenant, mais mon<br />

dépit et ma rancœur m'ont ouvert <strong>le</strong>s yeux.<br />

-ARRÊTE DE ME FRAPPER!<br />

-Sans compter qu'il a <strong>de</strong>mandé à Anaïs <strong>de</strong> <strong>le</strong> suivre quelque part et qu'el<strong>le</strong><br />

a accepté comme une sotte, tempêta Rachel."<br />

Arthur bloqua fermement <strong>le</strong> livre, immobilisant ainsi Rachel.<br />

"Il est parti avec qui…? marmonna-t-il, <strong>le</strong> cerveau en ébullition.<br />

-La tenante du record <strong>de</strong> la chute <strong>de</strong> la gourdasse! Oui, el<strong>le</strong>! Je ne<br />

comprends pas ce qu'il lui veut."<br />

Elliott avait dépassé <strong>le</strong>s limites <strong>de</strong> ce qui était humainement<br />

acceptab<strong>le</strong>. C'en était trop. Arthur avait tenté d'être gentil avec lui, mais il<br />

ne pouvait tolérer ce <strong>de</strong>rnier affront. Il réprima son envie <strong>de</strong> se mettre à<br />

p<strong>le</strong>urer comme un enfant et choisit d'opter pour la colère et <strong>le</strong> dépit.<br />

"Allons-y, intima-t-il à Rachel. Il vaudrait mieux pour lui qu'il soit traître<br />

ou gay.<br />

3


-Ils ont quitté <strong>le</strong> QG il y a une minute, l'informa Rachel d'un air satisfait.<br />

En nous dépêchant, nous pourrons <strong>le</strong>s rattraper avant qu'ils ne quittent<br />

l'avenue Auguste Blanqui."<br />

Arthur produisit un grognement sourd en guise d'assentiment et la<br />

précéda hors <strong>de</strong> la sal<strong>le</strong> <strong>de</strong> réunion.<br />

***<br />

En fait <strong>de</strong> filature, <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux limiers n'eurent même pas à quitter <strong>le</strong><br />

quartier général <strong>de</strong> GLOW. Lorsqu'ils arrivèrent dans <strong>le</strong> vestibu<strong>le</strong>, Norah<br />

était au milieu d'une conversation animée avec Ana Rosa et <strong>de</strong>ux<br />

membres féminins du personnel <strong>de</strong> l'organisation, Viola Con<strong>de</strong>rena et Iris<br />

Palott, réputées pour être <strong>de</strong>s commères patentées. Dès que <strong>le</strong> petit<br />

groupe prit conscience <strong>de</strong> la présence d'Arthur, la conversation<br />

s'interrompit et Norah se rua vers son ordinateur pour y taper<br />

frénétiquement un courrier factice. <strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux autres femmes prétextèrent<br />

qu'il était l'heure <strong>de</strong> la rediffusion <strong>de</strong> Cœurs enflammés et qu'el<strong>le</strong>s allaient<br />

s'infiltrer en douce dans <strong>le</strong> bureau <strong>de</strong> Mme Jones (que Jamie occupait sans<br />

doute déjà en l'absence <strong>de</strong> la dirigeante) pour la regar<strong>de</strong>r.<br />

"Tiens, salut vous, fit Ana Rosa avec une once d'affo<strong>le</strong>ment. Qu'est-ce que<br />

vous faites <strong>de</strong> beau?<br />

-On va chercher Elliott et Anaïs, répondit Arthur. Ils sont sortis.<br />

-Vous n'êtes pas à jour! Ils sont déjà revenus.<br />

-Ah? C'est vrai? s'écria Arthur, optimiste.<br />

-Oui, mais ils sont montés directement au dojo dès <strong>le</strong>ur retour.<br />

-Il n'y a personne d'autre au dojo? <strong>de</strong>manda Rachel.<br />

-Sally et Andreas y étaient tout à l'heure mais ils sont partis prendre un<br />

café avec Sonia, à la brasserie du coin."<br />

Elliott et Anaïs étaient au dojo. Arthur s'imagina tous <strong>le</strong>s scénarios<br />

possib<strong>le</strong>s. Chacun d'entre eux s'achevait par la vision <strong>de</strong> sa propre<br />

personne en train <strong>de</strong> décapiter Elliott avec Drydock, avant d'offrir son<br />

corps en pâture à Khan.<br />

"Alors Art, tu ne trouves pas ça étrange? <strong>le</strong> nargua Ana Rosa en lui<br />

assénant <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> cou<strong>de</strong> dans <strong>le</strong>s côtes. Qui sait ce qu'il peut se<br />

passer dans <strong>le</strong>s vestiaires là haut, hé hé."<br />

Hors <strong>de</strong> lui, Arthur se précipita hors du vestibu<strong>le</strong> et grimpa <strong>le</strong>s<br />

marches <strong>de</strong> l'escalier quatre par quatre, suivi <strong>de</strong> près par une Rachel<br />

hystérique. Il s'en voulait, au moins tout autant qu'à Elliott. S'il avait<br />

révélé ses véritab<strong>le</strong>s sentiments à Anaïs plus tôt au lieu <strong>de</strong> jouer <strong>le</strong>s<br />

mijaurées, <strong>le</strong> crétin océanien ne se serait pas immiscé entre eux.<br />

"Attends moi Arthur, criait Rachel, essoufflée."<br />

3


Loin <strong>de</strong> l'attendre, Arthur ouvrit bruta<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s portes du <strong>de</strong>uxième<br />

étage et entra dans l'antichambre du dojo. Trois portes lui faisaient face :<br />

<strong>de</strong>ux menaient aux vestiaires <strong>de</strong>s hommes et <strong>de</strong>s femmes tandis que cel<strong>le</strong><br />

du centre permettait d'accé<strong>de</strong>r directement au gymnase.<br />

"Va voir dans <strong>le</strong> vestiaire <strong>de</strong>s garçons, je vérifie l'autre, suggéra Rachel."<br />

Il s'exécuta sans répondre et entra dans <strong>le</strong> vestiaire qui lui était<br />

maintenant familier, à la recherche d'Anaïs et d'Elliott. Dans un<br />

mouvement proche <strong>de</strong> la paranoïa, chaque casier fut ouvert, <strong>le</strong> <strong>de</strong>ssous<br />

<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux bancs fut examiné, <strong>le</strong>s douches furent scrutées, en vain. Il n'y<br />

avait personne. Arthur retourna dans l'antichambre et y retrouva Rachel,<br />

dont la recherche avait apparemment été aussi infructueuse.<br />

"Il ne reste que <strong>le</strong> dojo alors, fit Rachel.<br />

-Ouais…"<br />

Arthur se prépara à appe<strong>le</strong>r Drydock, à tout hasard. <strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux élus<br />

avancèrent <strong>le</strong>ntement vers la porte centra<strong>le</strong>, <strong>le</strong> nœud au ventre, puis,<br />

après pris une longue inspiration, ouvrirent <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux battants.<br />

A peine furent-ils entrés dans <strong>le</strong> petit gymnase tapissé <strong>de</strong> vert que<br />

Rachel étouffa un cri. Arthur se crispa, interdit.<br />

"Mais…, souffla Rachel."<br />

Une distorsion béante était matérialisée au milieu du gymnase. Le<br />

type <strong>de</strong> brèche qui ne <strong>le</strong>ur était pas inconnu. Il s'agissait d'un accès au<br />

Passage, la voie qui permettait aux élus d'accé<strong>de</strong>r aux différents<br />

sanctuaires et à Sorgentel. Seuls Kaznaël, Elliott et certains membres <strong>de</strong><br />

la Confrérie étaient capab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> <strong>le</strong>s ouvrir, avec plus ou moins <strong>de</strong> facilité.<br />

Toutefois ce n'était pas tant la présence <strong>de</strong> cet accès que la<br />

disparition d'Anaïs à l'intérieur qui avait alarmé Arthur. Au moment précis<br />

où Rachel et lui avaient ouvert la porte, il avait vu la chevelure <strong>de</strong> son<br />

amie disparaître dans <strong>le</strong> Passage.<br />

"Arthur, fit Rachel, stupéfaite. Pourquoi Elliott et Anaïs viennent-ils<br />

d'emprunter <strong>le</strong> Passage?<br />

-Je…<br />

-Arthur! répéta-t-el<strong>le</strong>, d'une voix tout aussi paniquée.<br />

-Je n'en sais rien, répliqua-t-il.<br />

-On <strong>de</strong>vrait peut-être al<strong>le</strong>r avertir quelqu'un. C'est trop… bizarre."<br />

Il se tourna subitement vers el<strong>le</strong>.<br />

"On doit <strong>le</strong>s suivre.<br />

-Hein? Tu plaisantes?<br />

-Le Passage est encore ouvert. Le temps que nous allions chercher<br />

quelqu'un d'autre, il se sera peut-être refermé.<br />

3


-Je sais que je suis habituel<strong>le</strong>ment déraisonnab<strong>le</strong> Arthur, mais là c'est toi<br />

qui dérail<strong>le</strong>s. Imagine que…<br />

-J'irai tout seul alors, décida Arthur en gagnant la brèche. Anaïs pourrait<br />

être en danger.<br />

-Ok, ok, je viens avec toi, se résigna Rachel en s'accrochant à lui par sa<br />

capuche. Bon sang, j'espère pour toi qu'ils ne sont pas juste allés faire un<br />

tour à Acapulco."<br />

Sans la moindre hésitation, Arthur mit un pied dans la brèche et s'y<br />

engouffra, comme il l'aurait fait dans un trou creusé au milieu d'un mur<br />

invisib<strong>le</strong>. Il atterrit alors dans <strong>le</strong> Passage, l'espace dématérialisé qui faisait<br />

<strong>le</strong> lien entre <strong>le</strong>s différents mon<strong>de</strong>s, un simulacre d'espace intersidéral, aux<br />

teintes tantôt écarlates, tantôt opalines. On pouvait y marcher sans<br />

difficulté, bien qu'aucune forme <strong>de</strong> sol ne soit visib<strong>le</strong>, mais il était risqué<br />

<strong>de</strong> s'y aventurer sans gui<strong>de</strong>. En effet, <strong>le</strong>s voies étaient si nombreuses<br />

qu'en l'absence <strong>de</strong> balises visib<strong>le</strong>s, on ne pouvait compter que sur son<br />

instinct pour se diriger. Vouloir se diriger au milieu <strong>de</strong> l'océan sans<br />

instrument <strong>de</strong> navigation revenait au même.<br />

Heureusement pour Rachel et Arthur, <strong>le</strong>s personnes qu'ils suivaient<br />

étaient toujours en vue. Arthur s'étonna tout <strong>de</strong> même <strong>de</strong> constater à quel<br />

point ils s'étaient éloignés.<br />

"La brèche vient <strong>de</strong> se refermer, annonça Rachel. On ne peut plus faire<br />

<strong>de</strong>mi-tour.<br />

-Bon timing. C'est presque comme si Elliott avait voulu nous laisser une<br />

chance <strong>de</strong> <strong>le</strong>s suivre.<br />

-Moui… Dépêchons-nous avant <strong>de</strong> <strong>le</strong>s perdre <strong>de</strong> vue. Je n'ai pas envie<br />

d'être perdue à tout jamais dans <strong>le</strong> Passage."<br />

La chevelure hirsute d'Elliott n'était plus qu'un point jaunâtre, se<br />

fondant dans la brume étoilée du Passage. A côté <strong>de</strong> lui, Anaïs marchait<br />

au même rythme, sans la moindre contrainte apparente. Son départ était<br />

inexplicab<strong>le</strong>. Pourquoi n'avait-el<strong>le</strong> pas prévenu pas Arthur? Vers où se<br />

dirigeaient-ils? Sorgentel?<br />

Arthur et Rachel, conscients <strong>de</strong> la distance qui <strong>le</strong>s séparait <strong>de</strong>s<br />

autres, se mirent à trotter dans <strong>le</strong>ur direction afin <strong>de</strong> <strong>le</strong>s rattraper. Leur<br />

course dura quelques minutes et chaque pas qu'ils effectuaient <strong>le</strong>s<br />

rapprochait <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs cib<strong>le</strong>s, sans même que ces <strong>de</strong>rnières ne semb<strong>le</strong>nt<br />

remarquer <strong>le</strong>ur présence.<br />

"Ils ont ouvert une nouvel<strong>le</strong> brèche!? lança Rachel au bout d'un moment."<br />

Arthur fronça <strong>le</strong>s sourcils. Effectivement, Anaïs et Elliott s'étaient<br />

arrêtés <strong>de</strong>vant une large émanation <strong>de</strong> lumière blanche. Leur objectif.<br />

Presque aussitôt, tous <strong>de</strong>ux disparurent <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur champ <strong>de</strong> vision. Ils<br />

avaient quitté <strong>le</strong> Passage.<br />

"Accélère, paniqua Arthur. Si la brèche se referme, on est foutus.<br />

3


-Je <strong>le</strong> sais bien, ha<strong>le</strong>ta Rachel."<br />

Tous <strong>de</strong>ux avaient la chance <strong>de</strong> ne pas être trop éloignés <strong>de</strong> la<br />

brèche que venait <strong>de</strong> créer Elliott. Ils coururent vers cel<strong>le</strong>-ci à un rythme<br />

effréné et, sans même chercher à savoir où ils allaient atterrir, bondirent à<br />

travers. Une lumière aveuglante <strong>le</strong>s éblouit et Arthur sentit son corps<br />

entrer en contact avec une surface terreuse froi<strong>de</strong> et mol<strong>le</strong>, couverte<br />

d'herbe humi<strong>de</strong>. Il <strong>le</strong>va un peu <strong>le</strong>s yeux et ne vit que <strong>de</strong> la verdure et <strong>le</strong>s<br />

bottes <strong>de</strong> Rachel, dans un premier temps.<br />

"Arthur, réalise-tu où nous sommes? lui fit cette <strong>de</strong>rnière, d'une voix haut<br />

perchée."<br />

Il se remit <strong>de</strong>bout pour observer <strong>le</strong>s a<strong>le</strong>ntours. Le premier détail qui<br />

lui sauta aux yeux fut la ligne d'arbres puissants qui se déroulait <strong>de</strong>vant<br />

lui, tel<strong>le</strong> une barrière naturel<strong>le</strong> infranchissab<strong>le</strong>. Des chênes dont Louise<br />

Gall aurait dit qu'ils étaient "dopés aux stéroï<strong>de</strong>s", <strong>de</strong> par <strong>le</strong>ur hauteur<br />

excessive. Puis Arthur tourna sur lui-même et vit <strong>le</strong> vi<strong>de</strong>, du moins ce qu'il<br />

prit pour <strong>le</strong> vi<strong>de</strong>, avant <strong>de</strong> comprendre qu'il s'agissait là d'un ciel matinal,<br />

sans nuages. Le sol qu'ils foulaient – et qui disparaissait bruta<strong>le</strong>ment<br />

quelques mètres plus loin – n'était qu'une partie d'un vaste îlot situé dans<br />

<strong>le</strong>s cieux, invisib<strong>le</strong> au commun <strong>de</strong>s mortels.<br />

"Le sanctuaire émerau<strong>de</strong>…, murmura Arthur d'une voix abasourdie."<br />

Ils étaient revenus au Sanctuaire Emerau<strong>de</strong>, lieu sacré où il avait<br />

vécu ses premières aventures avec <strong>le</strong>s élus quelques mois plus tôt, dans<br />

<strong>le</strong> but <strong>de</strong> retrouver <strong>le</strong> Miroir Millénaire. Le repaire <strong>de</strong> la terrifiante créature<br />

schizophrène : l'amphisbène nommée Lethmore.<br />

Rachel s'était d'ores et déjà approché <strong>de</strong>s limites <strong>de</strong> "l'î<strong>le</strong>" pour<br />

observer la Bolivie vue du ciel, comme l'avait fait Arthur lorsqu'il était<br />

venu la première fois. Il se rappela à quel point cette vision l'avait choqué.<br />

"Que sont-ils venus faire ici? s'exclama Arthur en cherchant vainement<br />

Anaïs du regard. Je ne comprends plus rien.<br />

-Es-tu sûr d'être à la page au sujet d'Anaïs? lui <strong>de</strong>manda Rachel d'un air<br />

soupçonneux.<br />

-Bien sûr. El<strong>le</strong> n'a rien à se reprocher, répliqua Arthur avec agacement.<br />

C'est Elliott qui l'a attirée ici."<br />

Rachel s'approcha <strong>de</strong> lui, bras croisés. El<strong>le</strong> s'adressa à lui d'un air grave :<br />

"Très bien, je suis <strong>de</strong> nature méfiante mais pas au point <strong>de</strong> penser que<br />

<strong>de</strong>ux <strong>de</strong> tes amis aient pu te trahir. Par contre, <strong>le</strong> comportement d'Elliott<br />

est douteux. Sois prêt à te battre si nécessaire.<br />

-Ouais, je sais…<br />

-Te rappel<strong>le</strong>s-tu du chemin qui mène au repaire du Lethmore?<br />

3


-Ca remonte loin, mais je me rappel<strong>le</strong> <strong>de</strong> la direction approximative,<br />

indiqua Arthur en observant la ligne d'arbres. Si l'on marche tout droit,<br />

j'arriverai à nous gui<strong>de</strong>r.<br />

-Alors en route. Nous allons chercher ta copine et son ravisseur."<br />

3


Chapitre 20 : Retour au Sanctuaire Emerau<strong>de</strong><br />

C'est fina<strong>le</strong>ment sans gran<strong>de</strong> difficulté qu'Arthur et Rachel<br />

progressèrent vers <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> émerau<strong>de</strong>, gran<strong>de</strong> construction cubique à la<br />

surface verte éclatante où reposait habituel<strong>le</strong>ment Lethmore. Arthur<br />

s'était contenté <strong>de</strong> se reposer sur <strong>le</strong> souvenir, fina<strong>le</strong>ment indélébi<strong>le</strong>, qu'il<br />

gardait <strong>de</strong> son <strong>de</strong>rnier passage dans <strong>le</strong> sanctuaire pour gui<strong>de</strong>r Rachel<br />

jusqu'au temp<strong>le</strong>, à travers une forêt dont la végétation surdimensionnée<br />

rendait la traversée péril<strong>le</strong>use. Si l'on ne prenait pas la peine d'observer<br />

régulièrement <strong>le</strong> sol foulé, il était hautement probab<strong>le</strong> que l'on trébuchât à<br />

<strong>de</strong> multip<strong>le</strong>s reprises sur <strong>le</strong>s racines retorses qui émergeaient du sol.<br />

Heureusement, <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux jeunes gens étaient désormais assez habi<strong>le</strong>s et<br />

aguerris pour ne pas être surpris par <strong>de</strong> tels obstac<strong>le</strong>s.<br />

Lorsque <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> fut en vue, ils se dissimulèrent chacun <strong>de</strong>rrière un<br />

arbre, dos collé à son écorce épaisse. Arthur pencha discrètement la tête,<br />

se dévoilant à peine et observa cette bâtisse brillante, sorte <strong>de</strong> Rubik's<br />

Cube géant aux facettes <strong>de</strong> marbre vert, située dans une cuvette non<br />

boisée. Anaïs venait d'entrer dans <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> après une hésitation quasi<br />

imperceptib<strong>le</strong> et n'était plus visib<strong>le</strong>. Elliott, lui se tenait quelques pas<br />

<strong>de</strong>rrière el<strong>le</strong>, face à l'issue en forme d'arca<strong>de</strong> qui faisait office d'entrée. Il<br />

examinait <strong>le</strong> sommet du temp<strong>le</strong> mains sur <strong>le</strong>s hanches, tel un touriste<br />

admirant un monument pittoresque. Puis il s'introduisit à son tour dans <strong>le</strong><br />

repaire du Lethmore. Arthur fut pris d'un soubresaut et se dissimula<br />

complètement <strong>de</strong>rrière l'arbre. L'espace d'un instant, il aurait juré<br />

qu'Elliott avait regardé dans sa direction, d'un air amusé. Etait-il possib<strong>le</strong><br />

qu'il ait remarqué sa présence? Il douta aussitôt <strong>de</strong> ce soupçon. Elliott<br />

avait continué son chemin sans broncher. Rachel, qui jusque là n'avait pas<br />

pipé mot, se manifesta enfin.<br />

"Elliott envisage peut-être <strong>de</strong> livrer Anaïs à l'amphisbène, suggéra-t-el<strong>le</strong><br />

en transpirant à grosses gouttes.<br />

Le trajet jusqu'au temp<strong>le</strong> lui avait donné chaud. Sa chemise était<br />

nouée autour <strong>de</strong> sa tail<strong>le</strong> et el<strong>le</strong> n'avait conservé qu'un débar<strong>de</strong>ur. Malgré<br />

l'altitu<strong>de</strong>, la température dans <strong>le</strong> sanctuaire dépassait amp<strong>le</strong>ment la<br />

vingtaine <strong>de</strong> <strong>de</strong>grés.<br />

"Ridicu<strong>le</strong>, répliqua Arthur sans gran<strong>de</strong> conviction. El<strong>le</strong> est entrée d'el<strong>le</strong>même.<br />

Je ne sais pas ce qu'Elliott lui veut, mais nous serons vite fixés.<br />

-Tu commences à douter <strong>de</strong> sa trahison? s'offusqua Rachel. J'ai du mal à<br />

<strong>le</strong> croire. Il y a dix minutes tu étais prêt à <strong>le</strong> traiter comme un membre <strong>de</strong><br />

la Confrérie."<br />

El<strong>le</strong> chuchotait encore, comme si <strong>le</strong>s occupants du temp<strong>le</strong> risquaient<br />

<strong>de</strong> <strong>le</strong>s entendre.<br />

"Je sais bien Rachel, mais <strong>le</strong> fait qu'Anaïs se déplace librement m'intrigue.<br />

N'oublie pas qu'il s'agit d'une élite. Si el<strong>le</strong> s'était sentie en danger, je<br />

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pense qu'el<strong>le</strong> aurait fait en sorte <strong>de</strong> se débarrasser <strong>de</strong> lui. Hors el<strong>le</strong> ne l'a<br />

pas fait. Plus j'y réfléchis, plus je me dis qu'il a dû lui raconter quelque<br />

chose pour la faire venir ici."<br />

Sans compter qu'Arthur voyait Anaïs comme une personne assez<br />

crédu<strong>le</strong> et innocente, donc faci<strong>le</strong> à duper. Par ail<strong>le</strong>urs, el<strong>le</strong> ne connaissait<br />

pas suffisamment <strong>le</strong>s élus pour pouvoir <strong>le</strong>s cerner.<br />

"Et si Elliott était possédé par la Confrérie, comme Xenia l'an <strong>de</strong>rnier? ditil<br />

subitement."<br />

Rachel eut un rictus <strong>de</strong> scepticisme. El<strong>le</strong> avait maintenant autant<br />

d'intérêt pour Elliott que pour sa gar<strong>de</strong>-robe <strong>de</strong> la saison précé<strong>de</strong>nte.<br />

"Certes. La Confrérie serait tombée bien bas pour choisir Elliott, avec tous<br />

<strong>le</strong>s génies que compte GLOW.<br />

-Cela fait déjà <strong>de</strong>ux bonnes minutes qu'ils sont à l'intérieur, fit remarquer<br />

Rachel. Au lieu d'échanger <strong>de</strong>s théories, nous ferions mieux d'agir,<br />

pendant qu'il est encore temps.<br />

-Tu as raison.<br />

-Je passe la première, suis-moi."<br />

Rachel fronça <strong>le</strong>s sourcils. El<strong>le</strong> sortit <strong>de</strong> sa cachette et se dirigea à<br />

pas <strong>de</strong> loups vers <strong>le</strong> temp<strong>le</strong>, s'engageant sur <strong>le</strong> chemin dénivelé qui l'en<br />

séparait. Arthur la suivit <strong>de</strong> près. La terre était jonchée <strong>de</strong> feuil<strong>le</strong>s mortes<br />

rougeâtres qui produisaient un craquement sinistre à chacun <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur pas.<br />

Heureusement pour eux, <strong>le</strong> bruissement du feuillage <strong>de</strong>s arbres a<strong>le</strong>ntours<br />

fournissait <strong>le</strong> camouflage sonore nécessaire à <strong>le</strong>ur avancée. Ils parvinrent<br />

au niveau du temp<strong>le</strong> après une progression aussi furtive que possib<strong>le</strong> et se<br />

plaquèrent contre sa surface latéra<strong>le</strong>. Le contact du marbre était glacé.<br />

Arthur plaqua son in<strong>de</strong>x contre ses lèvres pour faire signe à Rachel<br />

<strong>de</strong> s'immobiliser et il tendit l'oreil<strong>le</strong>. Aucun bruit, hormis celui du vent<br />

s'infiltrant sous l'épais tapis <strong>de</strong> feuil<strong>le</strong>s mortes pour <strong>le</strong>s sou<strong>le</strong>ver. Leur<br />

avancée n'avait pas dû être remarquée.<br />

"Il faudrait que l'on se rapproche pour entendre ce qu'il se passe à<br />

l'intérieur, souffla Rachel."<br />

Arthur opina <strong>de</strong> la tête et longea la paroi du temp<strong>le</strong> en direction <strong>de</strong><br />

l'entrée, se figeant à chaque fois qu'une feuil<strong>le</strong> morte craquelait sous ses<br />

pieds. <strong>Les</strong> quelques mètres qui <strong>le</strong> séparaient <strong>de</strong> l'arca<strong>de</strong> furent parcourus<br />

en un peu plus d'une minute. A mesure qu'ils s'approchaient, <strong>de</strong>s bribes<br />

<strong>de</strong> conversation <strong>le</strong>ur parvenaient. Anaïs échangeait <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s avec<br />

quelqu'un qui n'était pas Elliott. Son interlocuteur avait une voix à la fois<br />

rauque et imposante, un timbre presque carnassier :<br />

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"Je n'y crois pas! Franchement, je n'y crois pas! Par mirac<strong>le</strong>, nous<br />

recevons encore <strong>de</strong> la visite d'en bas alors que nous ne nous attendions<br />

pas à voir qui que ce soit pendant une décennie!<br />

-Et il faut cette visite ne soit comestib<strong>le</strong>, se lamenta une autre voix, toute<br />

aussi grandiloquente."<br />

Deux grognements plaintifs s'ensuivirent. Leth et More. Arthur n'eut<br />

pas <strong>le</strong> moindre doute. Pour une raison inexpliquée, Anaïs discutait avec<br />

l'amphisbène.<br />

"Crois moi More, <strong>le</strong>s dieux sont <strong>de</strong>s scélérats pour nous imposer une tel<strong>le</strong><br />

torture!<br />

-Que oui Leth! Que oui! Si au moins nous pouvions nous rabattre sur <strong>le</strong><br />

garçon humain qui l'accompagne. Toutefois sa tenue chatoyante me<br />

rebute. Je n'ose même pas envisager l'indigestion que je subirai si je<br />

l'ava<strong>le</strong>. Je te laisse si tu veux!<br />

-Ha ha, tu m'as pris pour un idiot More? Si je <strong>le</strong> mange, c'est moi qui<br />

subirai l'indigestion et tu profiteras <strong>de</strong> ce mal pour déci<strong>de</strong>r <strong>de</strong> manger la<br />

fil<strong>le</strong>. Ne me rends pas plus bête que je ne <strong>le</strong> suis déjà… Enfin, je veux<br />

dire…<br />

-…<br />

-Pourquoi pense-tu que je suis bête More??<br />

-Je n'ai rien dit… D'un autre côté c'est si tentant.<br />

-Tu cherches <strong>le</strong> combat?<br />

-Je vais encore te décoiffer la crinière!<br />

-Accroche toi à tes <strong>de</strong>nts si tu y tiens."<br />

Des bruits <strong>de</strong> lutte découlèrent <strong>de</strong> cette dispute, ponctués <strong>de</strong><br />

rugissements aigus et <strong>de</strong> "Pas ma crinière sa<strong>le</strong> vicieux! Pas ma crinière!".<br />

Comme à <strong>le</strong>ur habitu<strong>de</strong>, Leth et More se querellaient. Arthur et Rachel<br />

profitèrent <strong>de</strong> ce raffut inespéré pour se rapprocher <strong>de</strong> l'entrée.<br />

"S'il vous plaît, arrêtez <strong>de</strong> vous battre, criait Anaïs avec détresse."<br />

Arthur était à un centimètre <strong>de</strong> l'ouverture béante qui donnait sur<br />

l'intérieur du temp<strong>le</strong>. Lentement, il avança la tête, juste assez pour<br />

pouvoir observer la scène. Le temp<strong>le</strong> était obscur, dépourvu <strong>de</strong> toute<br />

forme d'éclairage. Une grotte aurait paru moins hosti<strong>le</strong>. Toutefois, la<br />

surface miroitante <strong>de</strong>s murs réfléchissait suffisamment la lumière<br />

extérieure pour rendre <strong>le</strong>s différents protagonistes distinguab<strong>le</strong>s, même<br />

s'ils n'étaient que <strong>de</strong>s silhouettes reconnaissab<strong>le</strong>s à <strong>le</strong>ur carrure.<br />

"Ha ha ha, tu ne peux plus bouger Leth, ricanait More."<br />

La tête principa<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'amphisbène, reconnaissab<strong>le</strong> par ses cornes en<br />

forme <strong>de</strong> spira<strong>le</strong>s, affichait une expression jubilatoire, tandis que ses<br />

pattes plaquaient fermement la tête <strong>de</strong> Leth sur <strong>le</strong> sol et lui ébouriffaient<br />

la crinière. Deux espèces <strong>de</strong> dragons partageant un même corps<br />

3


cylindrique et allongé se battaient comme <strong>de</strong>s chiffonniers. Devant eux,<br />

Anaïs agitait frénétiquement <strong>le</strong>s mains en signe <strong>de</strong> panique, tandis<br />

qu'Elliott observait sans rien dire.<br />

"Bon, bon, tu as gagné More, gémit Leth dont la grosse gueu<strong>le</strong> était<br />

presque aplatie contre <strong>le</strong> sol. Libère moi!<br />

-Tu reconnais ta défaite?<br />

-O… Oui, cracha Leth."<br />

More relâcha son emprise, permettant enfin à la tête <strong>de</strong> son siamois<br />

<strong>de</strong> se décol<strong>le</strong>r du sol. Il <strong>le</strong> pointa <strong>de</strong> sa patte droite griffue :<br />

"Cent vingt-huit victoire à cent neuf! Je <strong>de</strong>meure <strong>le</strong> maître incontesté <strong>de</strong><br />

ce temp<strong>le</strong>.<br />

-Comme tu veux, rumina Leth en tentant vainement <strong>de</strong> recoiffer sa<br />

crinière malmenée. Sans gran<strong>de</strong> surprise, tu as utilisé <strong>de</strong> cette technique<br />

lâche pour me déstabiliser. Tu sais bien que mon œil gauche voit moins<br />

bien.<br />

-La vieil<strong>le</strong> excuse <strong>de</strong> l'ang<strong>le</strong> mort, soupira More en haussant <strong>le</strong>s pattes <strong>de</strong><br />

manière pédante. Cela fait <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s que tu l'utilises pour te justifier."<br />

Ils accordèrent <strong>de</strong> nouveau <strong>le</strong>ur attention à Anaïs, laquel<strong>le</strong> tremblait<br />

comme une feuil<strong>le</strong> sur <strong>le</strong> point d'être piétinée par un amphisbène. Arthur<br />

ne voyait que son dos mais il n'avait pas <strong>de</strong> mal à imaginer la terreur que<br />

pouvait lui inspirer une première rencontre avec l'amphisbène.<br />

"Rappel<strong>le</strong>-nous pourquoi tu es ici, fit Leth, encore troublé par sa défaite.<br />

-J… Je… je voudrais q… que vous m'accordiez une… euh, discussion,<br />

bégaya Anaïs.<br />

-Une discussion?"<br />

Le corps <strong>de</strong> l'amphisbène se mit à ondu<strong>le</strong>r et Leth et More<br />

s'approchèrent d'Anaïs. Leurs têtes étaient presque aussi hautes que la<br />

frê<strong>le</strong> jeune femme.<br />

"Je ne comprends pas Leth. J'ai l'impression <strong>de</strong> ne pas vouloir lui faire <strong>de</strong><br />

mal, bien qu'el<strong>le</strong> soit très ragoûtante, dit More.<br />

-Pareil<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> mon côté. Cette humaine m'intrigue.<br />

-Oui oui, très intrigante. Si tu nous expliquais pourquoi tu nous fais cet<br />

effet?"<br />

Le cœur d'Arthur ne fit qu'un bond. <strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux têtes <strong>de</strong> l'amphisbène<br />

étaient toutes proches d'Anaïs, dévisageant l'élue avec perp<strong>le</strong>xité.<br />

L'instabilité <strong>de</strong> ces créatures était notoire. Or, Elliott ne bougeait pas d'un<br />

pouce.<br />

"Rachel, j'y vais! Reste ici, lança soudain Arthur."<br />

3


Arthur se rua à l'intérieur sans laisser à la jeune femme <strong>le</strong> temps <strong>de</strong><br />

réagir. Il courut vers Anaïs, à la gran<strong>de</strong> stupéfaction <strong>de</strong> l'amphisbène et<br />

s'interposa entre el<strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux, armé <strong>de</strong> Drydock. Anaïs émit un cri <strong>de</strong><br />

surprise.<br />

"A… ART! QU'EST-CE QUE TU FICHES ICI? s'égosilla-t-el<strong>le</strong>."<br />

Il ignora cette question, pointant l'une <strong>de</strong>s lames <strong>de</strong> Drydock vers la<br />

tête <strong>de</strong> More. Un tremb<strong>le</strong>ment incontrôlab<strong>le</strong> agitait ses membres. De loin,<br />

l'amphisbène avait semblé beaucoup moins terrifiant.<br />

"T… Toi! Enfin, vous…! N'approchez pas ou je vous… je vous c… cogne,<br />

menaça Arthur."<br />

Leth et More firent <strong>de</strong> gros yeux ahuris. Au même moment, Rachel<br />

se décida à <strong>le</strong>s rejoindre, au pas <strong>de</strong> course. El<strong>le</strong> s'arrêta face à Elliott et<br />

tendit l'in<strong>de</strong>x droit vers sa tête.<br />

"Ho, Rachel! fit-il. Tu es….<br />

-Pas <strong>de</strong> Ho Rachel qui tienne, l'interrompit-el<strong>le</strong>. Si je perçois <strong>le</strong> moindre<br />

mouvement dans tes mèches blon<strong>de</strong>s, je te fais vo<strong>le</strong>r jusqu'au mur <strong>le</strong> plus<br />

proche."<br />

Elliott haussa <strong>le</strong>s sourcils et ouvrit la bouche, mimant une<br />

expression <strong>de</strong> surprise. Puis, <strong>de</strong> manière inattendue, un sourire anima son<br />

visage. Arthur, qui s'était momentanément focalisé sur lui, se <strong>de</strong>manda si<br />

ce garçon avait toute sa tête.<br />

"Je me <strong>de</strong>mandais quand vous vous déci<strong>de</strong>riez à nous rejoindre, <strong>le</strong>ur<br />

avoua Elliott en croisant <strong>le</strong>s bras. Ca fait un moment que vous nous<br />

suivez.<br />

-Qu… Tu savais que nous étions <strong>de</strong>rrière vous? s'exclama Rachel."<br />

Anaïs dévisageait Arthur avec une nuance <strong>de</strong> reproche qu'il ne<br />

connaissait que trop. El<strong>le</strong> finit par émettre un très long soupir, synonyme<br />

<strong>de</strong> lassitu<strong>de</strong> et <strong>de</strong> déception.<br />

"Ooooooooh, firent soudain Leth et More en écarquillant <strong>le</strong>s yeux. C'est<br />

lui!"<br />

Arthur avait presque oublié <strong>le</strong>ur présence.<br />

"On te reconnaît, lança Leth. Tu es <strong>le</strong> fou qui nous a frappés avec un<br />

bâton la <strong>de</strong>rnière fois.<br />

-Oui, l'espèce <strong>de</strong> sociopathe qui par<strong>le</strong> tout seul et qui a souillé notre<br />

<strong>de</strong>meure en y vomissant, ajouta More.<br />

-Tu nous a dupés avec ce poème, grâce à ton ami aux yeux bridés,<br />

reprocha Leth."<br />

3


Arthur ne se souvenait que trop bien <strong>de</strong> la manière dont il avait<br />

semé la zizanie parmi <strong>le</strong>s cerveaux <strong>de</strong> ce monstre schizophrène, pour<br />

sauver Asuka. Nul doute que l'amphisbène avait ruminé cette tromperie<br />

pendant <strong>le</strong>s mois qui avaient suivi. Il se sentit soudain très en danger et<br />

serra davantage la poignée <strong>de</strong> Drydock.<br />

"Anaïs, pourquoi es-tu venue discuter avec ce… Pourquoi es-tu venue ici?<br />

<strong>de</strong>manda Arthur en essayant <strong>de</strong> contenir sa peur et sa colère."<br />

El<strong>le</strong> <strong>de</strong>meura si<strong>le</strong>ncieuse, manifestement outrée par l'irruption<br />

soudaine <strong>de</strong> son ami dans sa conversation avec Leth et More. Arthur ne se<br />

démonta pas, tout aussi énervé. C'est <strong>le</strong> moment que choisit Elliott pour<br />

intervenir, contournant Rachel afin <strong>de</strong> venir s'expliquer.<br />

"Tu sais mon vieux…"<br />

Arthur se tourna brusquement vers lui. La fureur lui était subitement<br />

montée aux tempes. Sans crier gare, il laissa tomber Drydock. L'arme<br />

entra en contact avec <strong>le</strong> sol en cliquetant et il se jeta sur Elliott.<br />

"NOOOON, cria Anaïs."<br />

Il n'écoutait plus, la rage au ventre. Il mit vio<strong>le</strong>mment Elliott à terre<br />

et tenta <strong>de</strong> <strong>le</strong> bloquer là, pesant <strong>de</strong> tout son poids sur lui. Ses mains<br />

maintenaient fermement <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s <strong>de</strong> sa tête <strong>de</strong> Turc pour <strong>le</strong> dissua<strong>de</strong>r<br />

<strong>de</strong> bouger. Elliott <strong>le</strong> fixait d'un air neutre.<br />

"Tu te sens mieux maintenant? murmura celui-ci."<br />

Arthur frémissait <strong>de</strong> colère, incapab<strong>le</strong> <strong>de</strong> comprendre pourquoi il<br />

avait ainsi agressé son camara<strong>de</strong>. Sa réaction avait été quasi-instantanée,<br />

c'était la seu<strong>le</strong> qui lui avait paru adéquate au vu <strong>de</strong>s circonstances.<br />

Quelque part, il avait eu envie <strong>de</strong> prouver à tous qu'il était furieux, d'agir<br />

<strong>de</strong> manière irrationnel<strong>le</strong> pour se donner une contenance et obtenir<br />

quelque chose en réponse. Une prise <strong>de</strong> conscience d'Anaïs par exemp<strong>le</strong>.<br />

Elliott apporta sa réponse à la frustration d'Arthur, <strong>de</strong> manière toute<br />

aussi vio<strong>le</strong>nte. Il parvint à se défaire <strong>de</strong> son agresseur en lui assénant un<br />

coup <strong>de</strong> poing à couper <strong>le</strong> souff<strong>le</strong>, puis roula sur lui-même pour <strong>le</strong><br />

projeter. Arthur fut propulsé par <strong>le</strong> pied droit d'Elliott et manqua d'atterrir<br />

la tête la première sur <strong>le</strong> sol du temp<strong>le</strong>. Il ne dut son salut qu'à un réf<strong>le</strong>xe<br />

naturel qui lui permet <strong>de</strong> placer ses mains en avant et d'effectuer une<br />

roula<strong>de</strong>. Sa chute fut amortie et il se remit <strong>de</strong>bout presque aussitôt.<br />

L'espace d'un instant, il capta l'expression indignée d'Anaïs.<br />

"Oui, al<strong>le</strong>z-y! Battez-vous! Crochet du droit, encourageait Leth en<br />

effectuant <strong>de</strong>s mimiques <strong>de</strong> coups <strong>de</strong> poing.<br />

3


-Comme ça vous vous entretuerez et nous pourrons vous manger tous <strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux, acquiesça More."<br />

Arthur fit <strong>de</strong> nouveau face à Elliott, prêt à en découdre. Maintenant<br />

qu'il avait commencé, il se <strong>de</strong>vait d'al<strong>le</strong>r jusqu'au bout, d'en<strong>le</strong>ver à son<br />

rival ce sourire empathique.<br />

"Tu es ridicu<strong>le</strong> Arthur! Arrête ça!"<br />

Cette pensée vint parasiter son esprit, juste avant qu'Anaïs ne<br />

l'énonce à voix haute. Il secoua la tête pour chasser cette interférence et<br />

se rua <strong>de</strong> nouveau vers Elliott, <strong>le</strong>s poings serrés.<br />

"Ca suffit maintenant…, intervint Rachel."<br />

Arthur poussa un cri d'indignation. Son corps s'était soudain é<strong>le</strong>vé<br />

dans <strong>le</strong>s airs et il flottait à trois bons mètres du sol, s'agitant<br />

convulsivement comme un poisson sorti <strong>de</strong> l'eau par un pêcheur. Face à<br />

lui, Elliott n'était pas mieux loti, semblant suspendu au plafond du temp<strong>le</strong><br />

par un crochet invisib<strong>le</strong>. Toutefois, à l'inverse d'Arthur, <strong>le</strong> jeune homme<br />

restait relativement calme et se contentait d'observer Rachel, postée en<br />

<strong>de</strong>ssous d'eux. El<strong>le</strong> avait <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux bras <strong>le</strong>vés.<br />

"Ce déluge <strong>de</strong> testostérone aurait plus d'intérêt s'il visait à ma conquête.<br />

Autrement, je ne peux pas vous laisser vous battre comme <strong>de</strong>s brutes<br />

épaisses."<br />

Leth et More avaient <strong>le</strong>s yeux exorbités par la surprise. La figure<br />

grimaçante d'Anaïs exprimait la même perp<strong>le</strong>xité.<br />

"C'est une expérience intéressante, avoua Elliott.<br />

-Ca ne l'est pas, protesta Arthur après <strong>de</strong> vaines tentatives pour rejoindre<br />

<strong>le</strong> sol. Rachel, relâche-moi!<br />

-Hors <strong>de</strong> question si c'est pour que tu attaques Elliott sans motif valab<strong>le</strong>,<br />

répliqua Rachel. Bien que te voir te battre m'amuse au plus haut point,<br />

nous ne sommes pas venus ici pour rég<strong>le</strong>r <strong>de</strong> vieux conflits amoureux…<br />

-Qu'est-ce que tu racontes? cria Arthur d'une voix suraiguë. Tu es mal<br />

placée pour par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> rancœur!"<br />

Il sentit ses joues rougir. Heureusement, Anaïs paraissait avoir mal<br />

interprété <strong>le</strong>s propos <strong>de</strong> Rachel.<br />

"Je vous laisserai fou<strong>le</strong>r <strong>de</strong> nouveau <strong>le</strong> sol si vous me promettez <strong>de</strong> ne pas<br />

reprendre <strong>le</strong> combat!<br />

-Ca me va, dit aussitôt Elliott avec un rire. De toute façon, je ne tiens pas<br />

à ce combat…<br />

-MOI JE VEUX LE FRAPP…. HAAAAAAAAAAAA!!!"<br />

3


Arthur avait émis un cri <strong>de</strong> consternation. Contrôlées par <strong>le</strong> don <strong>de</strong><br />

Rachel, ses mains s'étaient rejointes <strong>de</strong>rrière son dos. Presque aussitôt,<br />

ses bras se plaquèrent l'un contre l'autre, liées par une force contre<br />

laquel<strong>le</strong> toute lutte était vaine. Rachel affichait un sourire vipérin.<br />

"D'accord Rachel, d'accord, gémit Arthur, en se tordant <strong>de</strong> dou<strong>le</strong>ur.<br />

-Tu reprends raison. C'est très bien."<br />

La force constrictrice abandonna enfin <strong>le</strong>s bras d'Arthur et il<br />

re<strong>de</strong>scendit <strong>le</strong>ntement vers <strong>le</strong> sol, en même temps qu'Elliott. Anaïs<br />

accourut immédiatement vers lui. Il s'imaginât que c'était pour <strong>le</strong><br />

réconforter.<br />

"Anaïs…<br />

-Pauvre con!"<br />

El<strong>le</strong> lui arracha un nouveau cri <strong>de</strong> dou<strong>le</strong>ur en lui tirant <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

oreil<strong>le</strong>s en même temps. C'était là sa technique <strong>de</strong> torture favorite,<br />

longtemps étrennée par Nils et lui. Au collège, cette sauvagerie avait valu<br />

à Anaïs <strong>le</strong> surnom <strong>de</strong> "Décol<strong>le</strong>use <strong>de</strong> Feuil<strong>le</strong>".<br />

"Ton dossier n'est pas assez épais Arthur Alfred Gall? M'avoir menti<br />

pendant <strong>de</strong>s semaines puis attaqué avec ton don ne t'a pas suffi? Non<br />

seu<strong>le</strong>ment tu me suis comme si je n'étais qu'une gamine effarouchée,<br />

mais en plus tu attaques Elliott par surprise alors qu'il m'a rendu service!<br />

Sa<strong>le</strong> malpropre!<br />

-Arrête! Tu vas m'arracher <strong>le</strong>s…<br />

-Crois-moi Arthur, ce n'est pas <strong>le</strong>s seu<strong>le</strong>s choses que je suis tentée <strong>de</strong><br />

t'arracher en ce moment! rugit-el<strong>le</strong>. Je ne sais pas ce qui me retient."<br />

Anaïs lâcha ses oreil<strong>le</strong>s meurtries et il plaqua d'emblée ses mains<br />

<strong>de</strong>ssus, afin <strong>de</strong> prévenir toute nouvel<strong>le</strong> attaque. La vision <strong>de</strong> Samuel en<br />

train <strong>de</strong> se moquer <strong>de</strong> lui traversa aussitôt son esprit. "Mon pauvre Art, tu<br />

te fais malmener par <strong>de</strong>ux fil<strong>le</strong>s en l'espace <strong>de</strong> quelques instants" aurait<br />

dit ce <strong>de</strong>rnier, d'un air narquois.<br />

"P… Pardon, s'excusa Arthur, réalisant qu'il était à blâmer… en partie. Mais<br />

si tu ne me dis pas…<br />

-Si je ne te dis pas quoi? Si je ne te dis pas ce que je fais ici avec Elliott,<br />

hein?"<br />

El<strong>le</strong> était hors <strong>de</strong> ses gonds. Même l'amphisbène préféra rester en retrait.<br />

"Arthur, tu n'es pas mon père. J'en ai déjà un qui ne me piste comme un<br />

chien limier!<br />

-Je m'inquiétais pour toi, c'est tout, dit-il avec la voix d'un enfant<br />

semoncé.<br />

-Il te suffisait <strong>de</strong> me <strong>le</strong> dire!"<br />

3


Anaïs semblait se calmer. Néanmoins, el<strong>le</strong> passa la main dans sa<br />

chevelure bouclée pour gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> l'aplomb.<br />

"C'est à cause <strong>de</strong> moi qu'Elliott est ici, expliqua-t-el<strong>le</strong> d'une voix apaisée.<br />

Je lui ai <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> m'ouvrir l'accès au Passage, afin que je puisse venir<br />

m'entretenir avec <strong>le</strong> Lethmore.<br />

-C'est Leth et More, corrigèrent <strong>le</strong>s intéressés.<br />

-Mais… <strong>de</strong> quoi voulais-tu <strong>le</strong>ur par<strong>le</strong>r? s'enquit Arthur. Tu n'es même<br />

jamais venue ici.<br />

-Oui mais j'ai entendu par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> son… pardon, <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur existence par <strong>le</strong>s<br />

autres élus. Il fallait que je vienne <strong>le</strong>ur par<strong>le</strong>r avant <strong>de</strong> partir pour<br />

Sorgentel."<br />

Loin <strong>de</strong> comprendre la situation, Arthur était <strong>de</strong> plus en perdu.<br />

Rachel était évi<strong>de</strong>mment toute aussi perp<strong>le</strong>xe. Ses yeux allaient<br />

rapi<strong>de</strong>ment d'Anaïs à Elliott et d'Elliott à Anaïs.<br />

"Avant que je continue mon explication, j'aimerais que tu t'excuses auprès<br />

d'Elliott, reprit Anaïs, avec un ton dans <strong>le</strong>quel l'ordre dominait <strong>le</strong> simp<strong>le</strong><br />

souhait. A ce que je vois, tu l'as pris pour un vulgaire traître alors qu'il a<br />

gentiment accepté <strong>de</strong> me rendre service."<br />

Arthur dévisagea Elliott et eut la chair <strong>de</strong> pou<strong>le</strong>. Bien sûr, il s'avérait<br />

que celui-ci n'avait ni essayé <strong>de</strong> capturer Anaïs, ni tenté la charmer d'une<br />

manière ou d'une autre. Il était éga<strong>le</strong>ment douteux qu'il fasse partie <strong>de</strong> la<br />

Confrérie. Toutefois, s'excuser revenait à admettre qu'il n'avait plus rien à<br />

lui reprocher. Ce n'était pas <strong>le</strong> cas. Sa simp<strong>le</strong> présence continuait à<br />

l'indisposer, à <strong>le</strong> rendre irritab<strong>le</strong>. L'acte d'agression ayant eu lieu plus tôt<br />

en était la preuve.<br />

"Oh, inuti<strong>le</strong> Anaïs, tempéra Elliott. Je ne lui en veux pas, il a dû imaginer<br />

que je voulais du mal. Et puis, c'était plus marrant qu'autre chose."<br />

Arthur se résigna. Il fallait savoir reconnaître ses torts. Ce n'était<br />

pas parce que <strong>le</strong> courant ne passait pas avec Elliott qu'il <strong>de</strong>vait agir <strong>de</strong><br />

manière si aberrante.<br />

"Si, el<strong>le</strong> a raison, reconnut-il en se tournant vers Elliott. J'ai été stupi<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

m'en prendre à toi avant <strong>de</strong> savoir ce qui se passait. Excuse-moi. C'est<br />

sincère, ajouta-t-il, victime d'un afflux <strong>de</strong> culpabilité."<br />

En signe <strong>de</strong> bonne volonté, il partit serrer la main à Elliott. Ce<br />

<strong>de</strong>rnier en parut réjoui et il lui rendit énergiquement son geste.<br />

"Tout va bien mon vieux. C'est cool!J'accepte tes excuses avec joie!<br />

-Merci, marmonna Arthur en retirant prestement sa main.<br />

3


-Est-ce que ces humains sont complètement <strong>de</strong>meurés… ou s'agit-il juste<br />

d'une impression? intervint More d'un air désabusé."<br />

<strong>Les</strong> élus se focalisèrent d'un même mouvement sur l'amphisbène.<br />

"Al<strong>le</strong>z vous finir par nous dire <strong>le</strong> but <strong>de</strong> votre présence ici? <strong>le</strong>s implora<br />

Leth. Nous avons bien compris que nous n'arriverons jamais à vous<br />

manger. Vos esprits sont tel<strong>le</strong>ment comp<strong>le</strong>xes que même si nous<br />

essayions, il est probab<strong>le</strong> que nous en mourrions aussitôt!<br />

-Oh, la sa<strong>le</strong> indigestion, confirma Leth.<br />

-D… Désolée <strong>de</strong> vous causer tant <strong>de</strong> soucis, s'excusa Anaïs d'une voix<br />

aussi polie que possib<strong>le</strong>.<br />

-Au moins tu n'es pas aussi effrontée que <strong>le</strong>s autres, dirent Leth et More<br />

en chœur. Par<strong>le</strong>, nous t'écoutons."<br />

Anaïs prit son courage à <strong>de</strong>main et s'avança d'un pas vers eux.<br />

"Je souhaiterais me rendre dans <strong>le</strong> Ref<strong>le</strong>t du Mon<strong>de</strong> pour obtenir quelques<br />

informations… avec votre autorisation bien sûr."<br />

Arthur haussa <strong>le</strong>s sourcils.<br />

"Ref<strong>le</strong>t du Mon<strong>de</strong>? répéta More d'un air incrédu<strong>le</strong>. De quoi par<strong>le</strong>-tu? Ce<br />

nom ne nous dit rien.<br />

-Oh, pardon, se ravisa Anaïs. C'est <strong>le</strong>s élus <strong>de</strong> la génération précé<strong>de</strong>nte<br />

qui ont surnommé cet endroit ainsi. Je fais allusion à la pièce qui abritait<br />

<strong>le</strong> Miroir Millénaire, cel<strong>le</strong> avec <strong>le</strong>s images animées.<br />

-Oooooh, cet endroit là, comprit Leth. Celui où l'humain ahuri a rendu son<br />

repas la <strong>de</strong>rnière fois, ajouta-t-il en jetant à Arthur un regard assassin."<br />

Arthur détourna <strong>le</strong> regard. A l'époque, son cerveau était habité par<br />

<strong>le</strong> Sceau Cosmique et, pour une raison qu'il ignorait, l'afflux d'images <strong>de</strong><br />

cette gran<strong>de</strong> sal<strong>le</strong> en forme <strong>de</strong> globe l'avait rendu complètement mala<strong>de</strong>.<br />

"En substance, cela ne nous dérangerait pas vraiment, continua Leth,<br />

mais je ne vois pas quel en serait l'intérêt.<br />

-J'imagine que tu cherches à voir <strong>de</strong>s images du passé, ajouta More.<br />

Hélas, <strong>de</strong>puis que tes amis inso<strong>le</strong>nts sont venus récupérer <strong>le</strong> Miroir<br />

Millénaire sans nous faire <strong>le</strong>s égards dus à notre rang, <strong>le</strong>s images<br />

n'apparaissent plus du tout.<br />

-C'est vrai, se rappela Arthur. Lorsque Asuka et moi avons sorti <strong>le</strong> Miroir<br />

Millénaire <strong>de</strong> son étau, toutes <strong>le</strong>s images ont disparu d'un coup, comme si<br />

on avait éteint <strong>de</strong>s dizaines <strong>de</strong>s postes <strong>de</strong> télévision.<br />

-Oh…, fit Anaïs avec dépit.<br />

-Par ail<strong>le</strong>urs, même si vous rameniez <strong>le</strong> Miroir Millénaire pour faire<br />

réapparaître <strong>le</strong>s images – nous espérons que c'est dans vos projets – vous<br />

ne pourriez pas choisir quel<strong>le</strong>s phases du passé consulter, dit More. Nous<br />

3


avons vécu ici assez longtemps pour savoir que ce que vous appe<strong>le</strong>z<br />

Ref<strong>le</strong>t du Mon<strong>de</strong> agit <strong>de</strong> manière tota<strong>le</strong>ment aléatoire.<br />

-Nous regardions ces images lorsque nous nous ennuyions,<br />

s'enthousiasma Leth. El<strong>le</strong>s nous permettaient <strong>de</strong> voir votre sty<strong>le</strong> <strong>de</strong> vie.<br />

Ho j'y pense, pourrez-vous nous ramener ce Superman qui a l'air si<br />

puissant? Nous aimerions savoir s'il court si vite que ça.<br />

-Oh oui, un bel adversaire, jubila More. Nous ne savions pas qu'il existait<br />

un humain aussi fort en <strong>de</strong>hors du groupe <strong>de</strong>s élus!"<br />

Aucun <strong>de</strong>s élus ne crut bon d'annoncer à l'amphisbène qu'il ne<br />

s'agissait là que d'un personnage <strong>de</strong> fiction.<br />

"Vous savez, mon don est lié au Miroir Millénaire, déclara Anaïs en se<br />

frottant <strong>le</strong> menton. C'est pour cela que j'ai ressenti <strong>le</strong> besoin <strong>de</strong> venir ici.<br />

D'ail<strong>le</strong>urs, je comptais t'en par<strong>le</strong>r Arthur, précisa-t-el<strong>le</strong>. Aux autres aussi.<br />

Je préférais tout <strong>de</strong> même attendre mon retour pour ne pas vous donner<br />

<strong>de</strong> faux espoirs.<br />

-Oui… bien sûr…, fit-il en opinant <strong>de</strong> la tête.<br />

-J'ai la larme <strong>de</strong> Nace sur moi. Sa capacité décou<strong>le</strong> <strong>de</strong>s pouvoirs du Miroir<br />

Millénaire, n'est-ce pas?"<br />

El<strong>le</strong> tendit <strong>le</strong> poignet droit pour montrer à l'amphisbène la per<strong>le</strong><br />

blanche en forme <strong>de</strong> larme qui y était suspendue.<br />

"Si j'essayais d'al<strong>le</strong>r dans la sal<strong>le</strong>? Il y a peut-être <strong>de</strong>s chances que <strong>le</strong>s<br />

images s'activent <strong>de</strong> nouveau grâce à la larme <strong>de</strong> Nace."<br />

Leth et More haussèrent <strong>le</strong>s pattes.<br />

"Tu peux toujours essayer si ça te chante, dit More. Nous avons peu<br />

d'occasion <strong>de</strong> nous moquer <strong>de</strong>s gens.<br />

-En tout cas nous comprenons maintenant pourquoi tu nous coupes<br />

l'appétit. Si ton pouvoir dépend du Miroir Millénaire, nous sommes<br />

presque autant tes protecteurs que <strong>le</strong> sien!<br />

-Leth, ne dis pas ça, même pour plaisanter, s'indigna More. C'est<br />

terrifiant!<br />

-Pardon, j'ai dit une aberration, réalisa Leth."<br />

Ils examinèrent Anaïs.<br />

"Très bien, nous t'autorisons à y al<strong>le</strong>r, concéda More. Toutefois, tu seras<br />

la seu<strong>le</strong> à pouvoir entrer!<br />

-QUOI? se révoltèrent Arthur et Rachel.<br />

-C'est tout naturel, répliqua More. El<strong>le</strong> est rattachée au Miroir, pas vous!<br />

-N'ayez crainte, nous l'escorterons, assura Leth.<br />

-Raison <strong>de</strong> plus pour que je ne la laisse pas y al<strong>le</strong>r seu<strong>le</strong>, fit Arthur. Je<br />

viens!<br />

-Hors <strong>de</strong> question, protestèrent Leth et More.<br />

3


-Arthur, je peux me débrouil<strong>le</strong>r toute seu<strong>le</strong>, siffla Anaïs. Tu n'as qu'à<br />

m'attendre ici.<br />

-Ca ne passe pas! Cette fois-ci j'irai, que vous <strong>le</strong> vouliez ou non."<br />

Il récupéra Drydock, restée au sol <strong>de</strong>puis son semblant <strong>de</strong> combat<br />

contre Elliott, puis la fit disparaître d'une simp<strong>le</strong> pensée.<br />

"Je suis une élite et mon don décou<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'épée Casca<strong>de</strong>, déclara-t-il à<br />

Leth et More. Vous savez ce que cela implique. <strong>Les</strong> quatre éléments clés<br />

sont indubitab<strong>le</strong>ment liés <strong>le</strong>s uns aux autres. Si Anaïs y va, j'ai tout autant<br />

<strong>le</strong> droit qu'el<strong>le</strong> d'y al<strong>le</strong>r aussi!<br />

-Maiiiiiis…, fit More.<br />

-Ma foi, il n'a pas entièrement tort, reconnut Leth après avoir caressé ses<br />

cornes en forme <strong>de</strong> cônes.<br />

-Je te l'ai déjà dit Leth : même pour plaisanter, ne dis rien d'aussi<br />

effrayant!<br />

-Chuuut! Tu vois bien que nous n'avons pas <strong>le</strong> choix! Il a une épée b<strong>le</strong>ue<br />

qui a l'air trèèèèès tranchante et je tiens à ma crinière. Qui plus est, je<br />

préfère encore tolérer cet humain plutôt que la fol<strong>le</strong> qui fait vo<strong>le</strong>r ses<br />

ennemis vers <strong>le</strong>s cieux.<br />

-Qui est la fol<strong>le</strong>? vociféra Rachel."<br />

Leth et More ouvrirent la gueu<strong>le</strong>, l'air effrayé. Leurs crinières se<br />

hérissèrent et ils fuirent Rachel du regard.<br />

"Bon, bon, vous pouvez tous <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux venir, accepta More. <strong>Les</strong> autres<br />

n'auront qu'à attendre ici.<br />

-Merci beaucoup, lança Anaïs.<br />

-Nous vous attendrons là-bas, dit Leth. Deux fois à gauche, <strong>de</strong>ux fois à<br />

droite puis une fois à gauche."<br />

L'amphisbène s'enfonça dans <strong>le</strong> sol comme s'il ne s'agissait que<br />

d'une simp<strong>le</strong> surface aqueuse et disparut <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur champ <strong>de</strong> vision. Arthur<br />

s'adressa à Rachel et Elliott.<br />

"L'amphisbène ne nous laisse pas <strong>le</strong> choix, vous al<strong>le</strong>z <strong>de</strong>voir nous attendre<br />

ici. On essaiera <strong>de</strong> faire vite.<br />

-S'il <strong>le</strong> faut, soupira Rachel avec une nuance <strong>de</strong> déception. Faites tout <strong>de</strong><br />

même attention à ne jamais tourner <strong>le</strong> dos trop longtemps à cette<br />

créature. Et racontez nous ce que vous aurez vu… en détail!<br />

-Bien sûr, promit Anaïs."<br />

Elliott s'assit en tail<strong>le</strong>ur et <strong>le</strong>ur fit un signe <strong>de</strong> main, avant qu'ils<br />

n'avancent vers l'étroit couloir situé au fond <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> enceinte obscure<br />

dans laquel<strong>le</strong> ils se trouvaient. Un large rai <strong>de</strong> lumière traversait l'endroit<br />

en biais, causé par un trou béant dans l'un <strong>de</strong>s murs du temp<strong>le</strong>. Arthur se<br />

remémora avec émotion la manière dont Shui-Khan avait fait passer Mach<br />

3


à travers ce mur au cours <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur duel. L'ado<strong>le</strong>scent s'était battu avec une<br />

frénésie incontrôlab<strong>le</strong>.<br />

"Deux fois gauche, <strong>de</strong>ux fois droite, une fois gauche, répétait Anaïs à voix<br />

haute."<br />

A l'instar <strong>de</strong>s autres espaces du temp<strong>le</strong>, <strong>le</strong> couloir menant au Ref<strong>le</strong>t<br />

du Mon<strong>de</strong> n'était pas délimité par une véritab<strong>le</strong> porte. Il n'y avait qu'une<br />

arche taillée dans <strong>le</strong> mur, une arche par laquel<strong>le</strong> l'amphisbène ne pourrait<br />

que diffici<strong>le</strong>ment faire passer l'intégralité <strong>de</strong> son corps. Arthur en vint à se<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r qui avait fondé <strong>le</strong>s différents sanctuaires, surtout celui-ci qui<br />

n'était pas manifestement pas adapté au mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie d'un amphisbène.<br />

"Tu n'es pas obligé <strong>de</strong> te préoccuper <strong>de</strong> mon sort à un tel <strong>de</strong>gré, fit<br />

remarquer Anaïs alors qu'ils marchaient dans la pénombre <strong>de</strong>s corridors.<br />

Deux fois gauche, <strong>de</strong>ux fois droite, une fois gauche…"<br />

El<strong>le</strong> <strong>le</strong> précédait, la main droite glissant sur <strong>le</strong>s murs pour se gui<strong>de</strong>r.<br />

La larme <strong>de</strong> Nace émettait une petite lumière, suffisante pour qu'ils<br />

puissent voir au moins un mètre <strong>de</strong>vant eux.<br />

"Nils aurait fait la même chose dans ma situation.<br />

-Sans doute, mais avec Nils ce n'est pas la même chose."<br />

Anaïs s'arrêta soudain, sans se retourner. Il fut forcé <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> même.<br />

"Tu sais Art, cela fait longtemps que l'Anaïs crédu<strong>le</strong> <strong>de</strong> notre ado<strong>le</strong>scence<br />

a disparu. Je ne suis plus aussi naïve…<br />

-Je n'en doute pas.<br />

-Si, tu en doutes. J'ai vu ton air soulagé quand Rachel a fait cette<br />

remarque à propos <strong>de</strong> conflit amoureux tout à l'heure. Cette espèce <strong>de</strong><br />

satisfaction dans ton regard. Cette lueur qui disait : "C'est bon, Anaïs n'a<br />

pas compris."<br />

Arthur avala sa salive. Un nœud venait <strong>de</strong> se former au niveau <strong>de</strong><br />

son estomac. Il ne voyait que la nuque d'Anaïs.<br />

"Non Arthur, je ne suis pas dupe. Même Nils qui n'est pas à nos côtés l'a<br />

compris <strong>de</strong>puis un moment déjà.<br />

-De quoi tu…<br />

-Je connais tes sentiments à ton égard, murmura Anaïs.<br />

-…<br />

-<strong>Les</strong> garçons sont une version évoluée <strong>de</strong>s mammifères <strong>de</strong> la jung<strong>le</strong>. Il<br />

suffit <strong>de</strong> <strong>le</strong>s regar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> près, d'observer <strong>le</strong>ur démarche et <strong>le</strong>urs<br />

expressions pour savoir ce qui <strong>le</strong>ur passe par la tête. Comme tout à<br />

l'heure avec Elliott, quand tu as voulu marquer ton territoire."<br />

3


Anaïs parlait sans la moindre colère, aussi calmement qu'el<strong>le</strong> <strong>le</strong><br />

faisait lorsqu'el<strong>le</strong> était sereine.<br />

"Anaïs, je crois que tu te trompes sur mon compte, mentit Arthur,<br />

concluant son affirmation par un rire.<br />

-Vraiment?<br />

-Et bien… oui. On est juste amis.<br />

-Nous sommes autant amis que Tissam est mo<strong>de</strong>ste et discipliné…"<br />

El<strong>le</strong> refusait toujours obstinément <strong>de</strong> <strong>le</strong> regar<strong>de</strong>r.<br />

"Je connais tes sentiments à mon égard Art, mais il faut que tu saches…<br />

que je ne suis pas capab<strong>le</strong> d'y répondre favorab<strong>le</strong>ment.<br />

-…<br />

-Je veux que <strong>le</strong>s choses restent tel<strong>le</strong>s quel<strong>le</strong>s, que nous soyons amis rien<br />

d'autre, reprit-el<strong>le</strong>. Si tu te préoccupes <strong>de</strong> mon sort à chaque fois que je<br />

m'éloigne <strong>de</strong> toi, uniquement parce que tu as ces sentiments, tu peux<br />

arrêter dès maintenant.<br />

-…<br />

-Je tenais à te <strong>le</strong> dire avant que nous ne partions à Sorgentel. C'est peutêtre<br />

la <strong>de</strong>rnière occasion que nous avons <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r en tête à tête d'ici là.<br />

-…<br />

-Al<strong>le</strong>z, on se dépêche mon gros, Leth et More vont s'impatienter, lança-tel<strong>le</strong><br />

d'une voix énergique, juste avant <strong>de</strong> reprendre sa marche.<br />

-…"<br />

Arthur Gall avait toujours été un piètre étudiant dans <strong>le</strong>s matières<br />

scientifiques. Il n'avait même pas la prétention <strong>de</strong> donner <strong>de</strong>s cours <strong>de</strong><br />

mathématiques au fils <strong>de</strong> la concierge <strong>de</strong> son immeub<strong>le</strong>, âgé <strong>de</strong> sept ans.<br />

Cependant, à cet instant précis, il comprit ce qu'était un trou noir. Ce<br />

phénomène abyssal engouffra son cœur et <strong>le</strong> réduisit à néant avant <strong>de</strong> lui<br />

rendre un ersatz d'organe cardiaque. Son âme et son ego furent aspirés<br />

par la même occasion, pour une pério<strong>de</strong> indéterminée. Il resta figé un<br />

moment, accablé par une dou<strong>le</strong>ur dans <strong>le</strong> torse. Sa seu<strong>le</strong> satisfaction fut<br />

d'être seul dans ce pan <strong>de</strong> couloir ténébreux, là où personne ne pouvait<br />

voir ses traits démontés.<br />

Il fallut qu'il pense très fort à Samuel et Nils pour reprendre son<br />

chemin. Ce n'était pas <strong>le</strong> moment <strong>de</strong> se démonter. "Sauver <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>"<br />

était dix <strong>de</strong>grés au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> "Réparer un cœur brisé" dans son échel<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

priorités. Il serra <strong>le</strong>s poings et partir rattraper Anaïs avant qu'el<strong>le</strong> ne soit<br />

hors <strong>de</strong> vue. Arrivée <strong>de</strong>rrière el<strong>le</strong> :<br />

"Tu te fais <strong>de</strong>s idées sur mes intentions Anaïs, mais c'est bien que <strong>le</strong>s<br />

choses soient mises au clair.<br />

-Histoire qu'il n'y ait pas <strong>de</strong> ma<strong>le</strong>ntendu!"<br />

Il remarqua à peine <strong>le</strong> "Estábamos aquí! Sonia. Danny. Maria." ,<br />

trace indélébi<strong>le</strong> du passage <strong>de</strong>s élus <strong>de</strong> la première génération, une<br />

3


dizaine d'années plus tôt. Ne pas rebrousser chemin lui était déjà pénib<strong>le</strong>.<br />

Il se concentra sur une perspective heureuse : être capab<strong>le</strong> <strong>de</strong> prendre un<br />

jour un verre avec Arthur, Nils et Jamie, autour d'une tab<strong>le</strong> couverte <strong>de</strong><br />

victuail<strong>le</strong>s… sans Anaïs pour gâcher la fête. S'il voulait faire cela un jour, il<br />

<strong>de</strong>vait avancer.<br />

El<strong>le</strong> tourna une <strong>de</strong>rnière fois à gauche et tous <strong>de</strong>ux atterrirent dans<br />

<strong>le</strong> Ref<strong>le</strong>t du Mon<strong>de</strong>.<br />

"Ce n'est pas trop tôt, rouspétèrent Leth et More.<br />

-Désolés, nous nous sommes perdus, se justifia Anaïs."<br />

L'endroit ressemblait à l'intérieur d'une bou<strong>le</strong> à facettes haute <strong>de</strong><br />

trois mètres, l'éclat opalin en moins. La mosaïque d'images était<br />

désactivée, sans surprise. Il n'y avait plus qu'une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> grands<br />

carreaux ternes, alignés sur <strong>le</strong>s parois et <strong>le</strong> sol. Lors <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière visite<br />

d'Arthur, la sal<strong>le</strong> était baignée d'une lumière presque aveuglante.<br />

"Et maintenant? fit More. Ta présence ici n'a pas l'air <strong>de</strong> changer <strong>le</strong>s<br />

choses jeune fil<strong>le</strong>.<br />

-C'est peut-être parce que <strong>le</strong> garçon fait une tête <strong>de</strong> six pieds <strong>de</strong> long,<br />

suggéra Leth. Il doit lui polluer <strong>le</strong> karma."<br />

Arthur plongea <strong>le</strong>s mains dans <strong>le</strong>s poches <strong>de</strong> manière désinvolte.<br />

"Je vais essayer, dit Anaïs."<br />

Toujours sans regar<strong>de</strong>r Arthur, el<strong>le</strong> tendit <strong>le</strong> bras droit <strong>de</strong>vant el<strong>le</strong> et<br />

fit irradier la larme <strong>de</strong> Nace. Il <strong>le</strong>va <strong>le</strong>s yeux, dans l'expectative. Au début,<br />

<strong>le</strong> don ne parut pas avoir <strong>le</strong> moindre effet, bien qu'Anaïs s'évertuât à <strong>le</strong>ver<br />

<strong>le</strong> bras <strong>de</strong> plus en plus haut pour augmenter ses chances. Puis soudain,<br />

l'une <strong>de</strong>s facettes s'alluma, tel<strong>le</strong> une lampe carrée.<br />

"Hooooo, fit l'amphisbène, émerveillé."<br />

Toutes <strong>le</strong>s facettes s'allumèrent <strong>le</strong>s unes après <strong>le</strong>s autres, par un<br />

effet <strong>de</strong> domino, du haut vers <strong>le</strong> bas. Au grand soulagement d'Anaïs, <strong>le</strong><br />

Ref<strong>le</strong>t du mon<strong>de</strong> retrouva <strong>de</strong> son pouvoir et <strong>de</strong> son éclat laiteux. Arthur<br />

esquissa un sourire, sans bien savoir pourquoi.<br />

"Fantastique! Fantastique, s'exclamaient Leth et More en faisant<br />

joyeusement ondu<strong>le</strong>r <strong>le</strong>ur corps.<br />

-Oui… bien joué Anaïs, dit Arthur, en forçant sa voix à prendre une nuance<br />

<strong>de</strong> satisfaction.<br />

-Merci vous <strong>de</strong>ux… trois! fit-el<strong>le</strong>."<br />

El<strong>le</strong> se tourna brièvement – enfin – vers Arthur et il vit qu'el<strong>le</strong> avait<br />

<strong>le</strong>s yeux inondés <strong>de</strong> larmes, malgré un large sourire. Il ne sut jamais s'il<br />

s'agissait <strong>de</strong> la fierté consécutive à sa réussite ou si el<strong>le</strong> avait commencé à<br />

3


p<strong>le</strong>urer avant d'entrer dans <strong>le</strong> Ref<strong>le</strong>t du Mon<strong>de</strong>. Etrangement, cette vision<br />

lui remit un peu <strong>de</strong> baume au cœur.<br />

"Tiens, c'est étrange. Toutes <strong>le</strong>s facettes montrent la même scène,<br />

s'étonna More.<br />

-Oui, c'est vrai, confirma Leth dont la tête était à l'autre bout <strong>de</strong> la pièce."<br />

Arthur et Anaïs se rejoignirent <strong>de</strong>vant l'une <strong>de</strong>s facettes qui se<br />

trouvait sur <strong>le</strong> sol et s'accroupirent pour observer l'image en mouvement.<br />

De manière inattendue, ils percevaient éga<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> son provenant <strong>de</strong> la<br />

scène.<br />

"Je crois… que ça se passe à Sorgentel, dit Arthur."<br />

Un enfant apparaissait sur l'image, assis au milieu d'un grand pont<br />

en bois s'é<strong>le</strong>vant au-<strong>de</strong>ssus d'une eau cristalline. Le détail <strong>le</strong> plus flagrant<br />

se trouvait au niveau <strong>de</strong> sa chevelure, blanche comme <strong>le</strong> coton. Un<br />

Sorgenteli, sans <strong>le</strong> moindre doute. Son visage puéril, à la mine épanouie,<br />

ne disait rien à Arthur. Ce n'était manifestement pas quelqu'un qu'il avait<br />

croisé auparavant. Il avait la peau presque aussi lisse que cel<strong>le</strong> d'une<br />

poupée <strong>de</strong> cire, <strong>de</strong>s joues rebondies et <strong>de</strong>s yeux d'un gris pénétrant, qui<br />

dardaient malicieusement <strong>le</strong>s pages du livre qui était posé sur ses genoux.<br />

Ses cheveux, drus, tombaient jusqu'à sa nuque et lui couvraient en<br />

gran<strong>de</strong> partie <strong>le</strong> front. Il ne <strong>de</strong>vait à peine avoir dix ans.<br />

"Qui est ce petit? <strong>de</strong>manda Anaïs.<br />

-Pas la moindre idée, répondit Arthur."<br />

Le garçon fit un bref mouvement <strong>de</strong> l'in<strong>de</strong>x et <strong>de</strong>ux pages <strong>de</strong> son<br />

livre se tournèrent d'el<strong>le</strong>s-mêmes, sans qu'il ne <strong>le</strong>s eût même eff<strong>le</strong>urées.<br />

A ce moment, <strong>de</strong>s bruits <strong>de</strong> pas se firent entendre, martelant <strong>le</strong> bois du<br />

pont sur <strong>le</strong>quel il était assis.<br />

"Alzévir, ferme-toi! dit <strong>le</strong> garçon."<br />

Le livre se ferma et disparut dans un "pouf", comme par magie. Le<br />

garçon <strong>le</strong>va alors <strong>le</strong>s yeux et accueillit <strong>le</strong>s arrivants d'un doux sourire. Il<br />

s'agissait <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux hommes massifs à la chevelure grise hirsute et au<br />

ventre bedonnant. Des jumeaux, bâtis comme <strong>de</strong>s buff<strong>le</strong>s, dont la<br />

moustache <strong>le</strong>ur donnait l'air d'éléphants <strong>de</strong> mer. Ils se courbèrent d'un<br />

même mouvement.<br />

"Bonjour. Leth. More, dit <strong>le</strong> garçon."<br />

"Leth et More? répéta Arthur d'une voix hébétée."<br />

3


A proximité, <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux têtes <strong>de</strong> l'amphisbène échangèrent un regard<br />

stupéfait. Leth et More semblaient aussi surpris que ne l'étaient Anaïs et<br />

Arthur.<br />

"Maître Leryan, dirent <strong>le</strong>s Leth et More humains. Nous voulions nous<br />

assurer que vous étiez content <strong>de</strong> notre ca<strong>de</strong>au!<br />

-Je l'adore, répondit Leryan avec entrain. D'où avez-vous dit qu'il venait?<br />

-Des î<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Nace, répondit l'un <strong>de</strong>s jumeaux. Je savais que ce livre vous<br />

plairait.<br />

-Comment ça "Tu savais"? intervint l'autre frère. C'était mon idée!<br />

-Non, j'ai vu <strong>le</strong> livre et dit que Maître Leryan l'apprécierait. Tu as juste dit<br />

oui!<br />

-More, tu mens! Tu hésitais à prendre <strong>le</strong> livre. C'est moi qui t'ai convaincu<br />

alors que tu allais opter pour ces sanda<strong>le</strong>s ignob<strong>le</strong>s.<br />

-Affabulateur!<br />

-Mythomane."<br />

<strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux frères s'étaient mis en position <strong>de</strong> combat, prêts à en découdre.<br />

"Ne vous battez pas, intervint Leryan en s'interposant entre <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux. Ce<br />

ca<strong>de</strong>au me fait très plaisir et je suis sûr que vous y avez chacun mis<br />

beaucoup <strong>de</strong> cœur.<br />

-Oh que oui, maître Leryan, répondirent <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux frères d'une voix<br />

apaisée."<br />

L'amphisbène était soudain <strong>de</strong>venu très agité :<br />

"J'avais oublié, s'écriait Leth.<br />

-C'est nous, c'est nous, hurlait More en désignant la scène <strong>de</strong> sa patte<br />

droite.<br />

-Vous étiez… Sorgenteli avant? s'enquit Arthur.<br />

-Oui, mais nous l'avions oublié, répondirent-ils en chœur. Nous l'avions<br />

oublié.<br />

-Qui est ce garçon? s'agita More. Ce Leryan. Je ne me souviens pas <strong>de</strong> lui!<br />

-Nous ne nous souvenons pas <strong>de</strong> grand' chose, fit remarquer Leth avec<br />

émotion. Chut, écoutons la suite!"<br />

<strong>Les</strong> jumeaux étaient au milieu d'une conversation assez anodine<br />

avec Leryan, relative à la cha<strong>le</strong>ur excessive <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rniers jours et à la fuite<br />

d'un troupeau <strong>de</strong> palton. <strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux hommes, bien qu'âgés, s'exprimaient<br />

avec une gran<strong>de</strong> déférence, ce qui laissait penser que Leryan était un<br />

personnage éminent. Ils finirent par prendre congé du garçon.<br />

"Nous reviendrons vous voir <strong>de</strong>main à propos <strong>de</strong> la comman<strong>de</strong>.<br />

Transmettez nos amitiés à Berbala, Maître Leryan.<br />

-Je n'y manquerai pas. Au revoir."<br />

3


Ils repartirent et presque aussitôt, un nouveau personnage fit son<br />

apparition. Un individu presque aussi jeune que Leryan qui escalada <strong>le</strong><br />

rebord du pont pour <strong>le</strong> rejoindre. Arthur manqua <strong>de</strong> suffoquer. L'enfant<br />

avait <strong>de</strong>s cheveux mi-longs, <strong>de</strong> cou<strong>le</strong>ur écarlate.<br />

"Kaz?<br />

-Le… Le Kaznaël dont tu parlais? fit Anaïs. C'est lui?<br />

-Je… je crois que oui."<br />

Il s'agissait indubitab<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> Kaznaël, bien qu'il parût plus jeune<br />

que celui que côtoyait Arthur. Le Protecteur donnait l'image d'un enfant <strong>de</strong><br />

douze ans. Il se mit <strong>de</strong>bout <strong>de</strong>vant Leryan, rai<strong>de</strong> comme un piquet. Arthur<br />

remarqua que ses yeux étaient alors noirs, et non pas rouges.<br />

"Leryan, on y va? <strong>de</strong>manda-t-il avec une intonation qu'Arthur ne lui<br />

connaissait pas.<br />

-Déjà?<br />

-Je sais que ça ne t'amuse pas, mais il a dit que tu <strong>de</strong>vais assumer cette<br />

responsabilité, se justifia Kaznaël en grattant sa chevelure hirsute."<br />

Arthur crut halluciner. Kaznaël avait l'air <strong>de</strong> bonne humeur, voire<br />

même radieux. Depuis qu'il <strong>le</strong> connaissait, il avait dû <strong>le</strong> voir sourire trois<br />

fois, tout au plus.<br />

"Il a ajouté que si tu ne venais pas, il nous jetterait tous <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux dans <strong>le</strong><br />

lac Diamase, toi <strong>le</strong> premier, ajouta Kaznaël.<br />

-Vu <strong>le</strong>s circonstances, je me dois <strong>de</strong> venir, soupira Leryan.<br />

-Il serait temps."<br />

Leryan tendit sa main droite vers <strong>le</strong> jeune Kaznaël.<br />

"Que veux-tu? lui <strong>de</strong>manda Kaznaël d'un air surpris.<br />

-Je n'ai pas très envie <strong>de</strong> marcher aujourd'hui. Il faut chaud. Porte moi sur<br />

ton dos.<br />

-…<br />

-Alors?<br />

-Tu m'as pris pour ton domestique, n'est-ce pas? Sa<strong>le</strong> enfant gâté, rugit<br />

Kaznaël en lui assénant <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> poing sur <strong>le</strong> sommet du crâne.<br />

Prends ça! Effronté va!<br />

-Cesse <strong>de</strong> me frapper, je plaisantais, ricana Leryan. Tu es mon protecteur,<br />

non?<br />

-Oui, mais te porter ne fait pas partie <strong>de</strong> mes attributions, répliqua<br />

Kaznaël, rouge d'indignation.<br />

-Ce n'est pas faux…<br />

-Sans compter que je ne suis pas n'importe qui, conclut Kaznaël avec un<br />

clin d'œil. Fais en sorte <strong>de</strong> ne pas l'oublier. Al<strong>le</strong>z, en route."<br />

3


Leryan acquiesça d'un signe <strong>de</strong> tête et se <strong>le</strong>va, presque à<br />

contrecœur. <strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux garçons bondirent agi<strong>le</strong>ment du pont pour atterrir<br />

sur l'eau argentée <strong>de</strong> la Baie <strong>de</strong> Springan. Ils marchèrent <strong>le</strong> plus<br />

naturel<strong>le</strong>ment du mon<strong>de</strong> sur sa surface et se dirigèrent vers <strong>le</strong> grand<br />

monolithe blanc, à la base duquel une gran<strong>de</strong> porte argentée à doub<strong>le</strong><br />

battant. Ils entrèrent tous <strong>de</strong>ux et l'issue se referma. La surface <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />

battants était recouverte <strong>de</strong> centaines <strong>de</strong> minuscu<strong>le</strong>s symbo<strong>le</strong>s qui y<br />

fourmillaient aléatoirement, en ligne droite, en arc <strong>de</strong> cerc<strong>le</strong> ou même en<br />

zigzag, tandis que l'Elégie <strong>de</strong> Leryan filtrait <strong>de</strong> l'intérieur du monolithe.<br />

"On peut entrer… dans Springan? souffla Arthur."<br />

La scène prit brusquement fin et toutes <strong>le</strong>s facettes du Ref<strong>le</strong>t du<br />

Mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>vinrent blanches. La sal<strong>le</strong> fut replongée dans <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce. Même<br />

l'immense amphisbène était coi.<br />

"Je crois que… je n'ai pas compris grand' chose, finit par avouer Arthur.<br />

-I<strong>de</strong>m, fit Anaïs. Leth, More, vous avez été humains? Je veux dire…<br />

Sorgenteli?<br />

-Oui, apparemment oui, dirent-ils comme s'il s'agissait <strong>de</strong> la meil<strong>le</strong>ure<br />

nouvel<strong>le</strong> qu'ils n'eussent jamais entendu.<br />

-Alors pourquoi semb<strong>le</strong>z-vous n'avoir aucun souvenir <strong>de</strong> cette pério<strong>de</strong>? A<br />

vous voir, vous venez juste <strong>de</strong> <strong>le</strong> réaliser."<br />

A bien <strong>le</strong>s regar<strong>de</strong>r, <strong>le</strong>ur crinière fournie n'était pas si différente <strong>de</strong><br />

<strong>le</strong>ur chevelure d'antan. Ils avaient conservé certaines caractéristiques <strong>de</strong><br />

cette vie à Sorgentel.<br />

"Depuis quand êtes-vous ici? <strong>le</strong>ur <strong>de</strong>manda Arthur."<br />

Ils ouvrirent tous <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux la bouche, prêts à répondre, avant <strong>de</strong> se<br />

toiser du regard. Visib<strong>le</strong>ment, ils n'en avaient pas la moindre idée.<br />

"Nous avons l'impression d'avoir toujours vécu ici, dit Leth.<br />

-Oui, l'impression d'avoir toujours protégé ce temp<strong>le</strong>, dit More.<br />

-Nous ne saurions pas dire quand nous sommes arrivés ici.<br />

-A croire qu'on a effacé <strong>le</strong>ur mémoire, supposa Anaïs.<br />

-Pourquoi donc? Pourquoi <strong>le</strong>s aurait-on transformés en… ça? Est-ce que<br />

<strong>le</strong>s protecteurs <strong>de</strong>s autres temp<strong>le</strong>s étaient éga<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>s Sorgenteli?<br />

Cette Maya, qui a été tuée par la Confrérie… Et qui est ce gamin? Vous<br />

vous souvenez <strong>de</strong> lui?<br />

-Il nous semb<strong>le</strong> familier, maintenant que nous l'avons vu, répondit Leth,<br />

mais nous serions incapab<strong>le</strong>s d'en dire plus. Tout est flou!<br />

-Ce qui est sûr, c'est que nous été victimes <strong>de</strong> sensations bizarres lorsque<br />

l'on vous a rencontrés, tous <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux, déclara More.<br />

-Nous?<br />

-Oui, une impression étrange, <strong>de</strong> déjà vu!"<br />

3


Arthur s'approcha d'Anaïs. Il avait <strong>le</strong> cerveau en ébullition.<br />

"Samuel m'a dit que <strong>le</strong> fait que nous soyons <strong>de</strong>s élus n'est pas une<br />

coïnci<strong>de</strong>nce, chuchota-t-il.<br />

-Tu par<strong>le</strong>s <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s élus?<br />

-Non. Toi, moi, Samuel et Nils. Nous sommes tous <strong>le</strong>s quatre <strong>de</strong>s élus et<br />

nous vivions tous <strong>le</strong>s quatre dans <strong>le</strong> même environnement. Casca<strong>de</strong> réagit<br />

bizarrement à ma présence et à cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Sam. Tu es venue ici et tu as<br />

réussi à réactiver cette sal<strong>le</strong> grâce à ton don! Tout ceci ne relève pas du<br />

hasard!<br />

-Je <strong>le</strong> sais déjà, reconnut-el<strong>le</strong>. Je me suis posé <strong>le</strong>s mêmes questions que<br />

toi. C'est pour cette raison que j'ai voulu venir ici.<br />

-De quoi marmonnez-vous? <strong>de</strong>mandèrent Leth et More."<br />

Anaïs et Arthur s'éloignèrent l'un <strong>de</strong> l'autre, comme si <strong>de</strong> rien<br />

n'était. Ce qui troublait <strong>le</strong> plus ce <strong>de</strong>rnier, c'était d'avoir vu <strong>le</strong> visage <strong>de</strong><br />

Kaznaël apparaître sur <strong>le</strong>s facettes.<br />

"Ce gamin, Leryan, ça avait l'air d'être quelqu'un d'important à Sorgentel,<br />

dit Arthur. Ils l'appelaient Maître et s'exprimaient avec une gran<strong>de</strong><br />

politesse. Typiquement <strong>le</strong> personnage qui est très entouré.<br />

-Où veux-tu venir Arthur?"<br />

L'amphisbène écoutait avec attention.<br />

"Je crois comprendre enfin pourquoi on surnomme Kaznaël Le Protecteur.<br />

D'après ce que l'on vient <strong>de</strong> voir, il s'occupait <strong>de</strong> ce Leryan. Peut-être une<br />

sorte <strong>de</strong> gar<strong>de</strong> du corps… <strong>de</strong> gardien si vous préférez. Or, Leth et More<br />

ont vécu à la même époque. Cela signifie qu'ils ont côtoyé Leryan,<br />

Kaznaël, et tous <strong>le</strong>s gens qui gravitaient autour…<br />

-Arthur, je commence à <strong>de</strong>viner ta pensée et ça me fait peur, tremblait<br />

Anaïs.<br />

-Admettons que Leryan ait pu être entouré <strong>de</strong> gens qui ne sont<br />

aujourd'hui plus <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong>, mais dont <strong>le</strong> pouvoir a subsisté jusqu'à<br />

maintenant, continua Arthur. Vous ne pensez pas que…<br />

-…que nous ayons pu avoir <strong>de</strong>s sortes d'alter ego, à Sorgentel, à cette<br />

époque?<br />

-Pas forcément, peut-être que cela touche juste aux dons que l'on<br />

possè<strong>de</strong>. Mais ce que m'a dit S… <strong>Mortimer</strong> et l'impression <strong>de</strong> déjà vu que<br />

manifeste Leth et More me laisse penser qu'on existait déjà, d'une<br />

manière ou d'une autre."<br />

Anaïs fit <strong>de</strong> gros yeux. Il en arriva à se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si ses hypothèses<br />

n'étaient pas trop audacieuses.<br />

"Tu penses à une sorte <strong>de</strong> réincarnation?<br />

-Il faut l'envisager, marmonna Arthur. Je ne vois pas d'autre explication.<br />

Ce qui est sûr… c'est que Kaznaël me dira ce qu'il sait. Cette fois-ci, je ne<br />

3


<strong>le</strong> laisserai pas s'en tirer. S'il a vécu à cette époque – quel<strong>le</strong> qu'el<strong>le</strong> soit –<br />

il a forcément connu <strong>le</strong>s personnes qui étaient titulaires <strong>de</strong> nos dons."<br />

La manière dont Anaïs lui avait brisé <strong>le</strong> cœur était oubliée. Tout ce<br />

qui obnubilait Arthur, c'était l'i<strong>de</strong>ntité du jeune garçon <strong>de</strong> Sorgentel.<br />

Qu'avait-il pu <strong>de</strong>venir? Il <strong>de</strong>vrait en par<strong>le</strong>r avec Priam. Lui ou ses pairs<br />

seraient peut-être en mesure <strong>de</strong> lui en dire plus.<br />

"Tu sais Anaïs, à mon avis, <strong>le</strong> fait que cette scène nous ait été montrée<br />

n'est pas acci<strong>de</strong>ntel. Quelque chose ou quelqu'un voulait qu'on la voie,<br />

qu'on essaie d'en savoir plus.<br />

-Peut-être que ce que nous avons vu peut changer la donne, par rapport à<br />

la Concrétisation, dit Anaïs. Nous donner un atout face à la Confrérie?<br />

-Il faut l'espérer. En attendant, nous ferions mieux <strong>de</strong> rejoindre Rachel et<br />

Elliott avant qu'ils ne s'inquiètent.<br />

-Est-ce que nous <strong>de</strong>vrons <strong>le</strong>ur dire tout ce que nous avons vu?<br />

-Cela concerne indirectement Samuel mais je doute que ça nous<br />

compromette. On pourra <strong>le</strong>ur en par<strong>le</strong>r, en faisant quelques ellipses sur<br />

nos théories.<br />

-ATTENDEZ, rugirent Leth et More, alors que <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux élus s'apprêtaient à<br />

quitter <strong>le</strong> Ref<strong>le</strong>t du Mon<strong>de</strong>."<br />

Arthur tourna <strong>le</strong>s talons. Il avait presque oublié l'amphisbène.<br />

"C'est assez embarrassant, mais nous aurions un petit… service à vous<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r, dit Leth.<br />

-Oui, un tout petit, affirma More. Après tout, nous avons aidés!<br />

-Nous ne l'avons pas oublié, <strong>le</strong>s rassura Anaïs."<br />

Ils parurent soulagés.<br />

"Nous avons cru comprendre que vous alliez vous rendre là-bas, à<br />

Sorgentel, reprit More. Etant donné que vous comptez rechercher <strong>de</strong>s<br />

informations sur ce Leryan, est-ce que vous pensez que…<br />

-…par la même occasion…, hésita Leth."<br />

Arthur sourit. Il n'avait pas <strong>de</strong> mal à <strong>de</strong>viner <strong>le</strong>ur requête.<br />

"Ne vous inquiétez pas. Si nous apprenons quoi que ce soit sur vous, nous<br />

reviendrons vous en faire part dès notre retour. Après tout, vous avez <strong>le</strong><br />

droit <strong>de</strong> connaître votre véritab<strong>le</strong> passé…"<br />

Arthur ne pouvait s'empêcher d'avoir <strong>de</strong> la peine pour Leth et More,<br />

malgré <strong>le</strong>s cauchemars qu'ils lui avaient causés. Ils avaient été <strong>de</strong>s<br />

hommes auparavant. Désormais ils étaient une créature terrifiante,<br />

condamnée à protéger ce temp<strong>le</strong> sans savoir comment ni pourquoi. La<br />

moindre <strong>de</strong>s choses était <strong>de</strong> <strong>le</strong>s ai<strong>de</strong>r à comprendre <strong>le</strong>ur situation.<br />

3


"C'est sympa, fit More. Et si vous connaissez <strong>de</strong>s gens désagréab<strong>le</strong>s et<br />

dodus, n'hésitez pas à nous <strong>le</strong>s amener! Nous nous ferons un plaisir <strong>de</strong> <strong>le</strong>s<br />

manger pour vous remercier!<br />

-Euuuuuh…, fit Anaïs, mal à l'aise.<br />

-HO, MORE! <strong>Les</strong> facettes sont re<strong>de</strong>venues norma<strong>le</strong>s, s'écria Leth. Vite,<br />

cherchons quelque chose à regar<strong>de</strong>r! Qui sait combien <strong>de</strong> temps ça<br />

marchera!<br />

-Oh que oui!"<br />

L'amphisbène se désintéressa <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux élus et <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux têtes se<br />

mirent en quête d'un spectac<strong>le</strong> attrayant, parmi <strong>le</strong>s nombreuses facettes<br />

du Ref<strong>le</strong>t du Mon<strong>de</strong>. Arthur et Anaïs repartirent sans <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>le</strong>ur reste,<br />

pour rejoindre <strong>le</strong>urs compagnons et <strong>le</strong>s informer <strong>de</strong> ce qu'ils avaient vu.<br />

***<br />

"Euh… Elliott?<br />

-Ouaip?<br />

-Encore une fois, désolé pour tout à l'heure."<br />

Arthur et lui marchaient côte à côte à travers la forêt, quelques pas<br />

<strong>de</strong>rrière <strong>le</strong>s fil<strong>le</strong>s. Rachel semblait être en train <strong>de</strong> sermonner Anaïs <strong>de</strong><br />

manière assez viru<strong>le</strong>nte, tout en extrayant <strong>de</strong>s informations sur <strong>le</strong> Ref<strong>le</strong>t<br />

du Mon<strong>de</strong>.<br />

"Tu l'as sans doute remarqué, mais je n'ai pas toujours été très sympa<br />

avec toi, reconnut Arthur."<br />

Elliott continua à marcher sans dire à mot, escaladant <strong>le</strong>s racines<br />

après <strong>le</strong>s autres. <strong>Les</strong> excuses d'Arthur ne paraissent pas vraiment<br />

l'affecter, son sourire perdurait.<br />

"Je vais essayer <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s efforts, ajouta Arthur.<br />

-Tu sais vieux, moi je t'aime bien, mais tu n'es pas obligé <strong>de</strong> m'apprécier<br />

en retour, dit simp<strong>le</strong>ment Elliott.<br />

-J'ai du mal à comprendre comment tu peux m'apprécier malgré tout,<br />

répliqua Arthur avec surprise. Nos relations n'ont jamais été très…<br />

développées.<br />

-Question d'aura peut-être!"<br />

Elliott dévala une racine en chantonnant une musique qui avait été<br />

diffusée sur la radio <strong>de</strong> Norah, l'après-midi même.<br />

"Dis… ça va te semb<strong>le</strong> très stupi<strong>de</strong>, hésita Arthur.<br />

-Moui? fit Elliott en ouvrant <strong>de</strong> grands yeux.<br />

-Est-ce que tu es vraiment… un élu? Je veux dire… un élu, comme nous<br />

autres?"<br />

3


<strong>Les</strong> sanda<strong>le</strong>s d'Elliott claquèrent alors qu'il ra<strong>le</strong>ntissait la ca<strong>de</strong>nce.<br />

Après être resté si<strong>le</strong>ncieux, il éclata <strong>de</strong> rire. Sa main gauche frappa<br />

vio<strong>le</strong>mment l'épau<strong>le</strong> d'Arthur à plusieurs reprises.<br />

"Je <strong>le</strong> savais que je dirais une bêtise, soupira Arthur en massant son<br />

épau<strong>le</strong>."<br />

Elliott s'approcha <strong>de</strong> lui comme si <strong>de</strong> rien n'était.<br />

"Je vais te dire un secret… Je suis, plus ou moins, un élu!<br />

-Plus ou moins?<br />

-Chuuut, pas trop fort, siffla Elliott d'un air puéril.<br />

-Attends, tu es un élu ou pas? souffla Arthur, stupéfait."<br />

Elliott <strong>le</strong> dévisagea d'un air innocent, sans cesser d'avancer. Rachel<br />

et Anaïs étaient trop loin pour <strong>le</strong>s entendre.<br />

"J'ai un petit secret et je suis sûr que tu as <strong>le</strong>s tiens, Arthur... Peut-être<br />

que je t'en dirai davantage plus tard. Sache juste que tu n'as rien à<br />

craindre <strong>de</strong> moi, je ne suis pas un traître."<br />

Arthur dut se satisfaire <strong>de</strong> cette réponse évasive. Bizarrement, cel<strong>le</strong>ci<br />

n'attisa pas sa curiosité. Elliott n'était plus si agaçant que ça.<br />

"J'ai envie <strong>de</strong> dormir, pensa Arthur en baillant outrageusement."<br />

***<br />

Une fois rentré chez lui, après un passage éclair par GLOW, Arthur<br />

se dirigea vers sa chambre, espérant y trouver Kaznaël. Ayant chargé<br />

Anaïs et Rachel <strong>de</strong> relater <strong>le</strong>ur visite au Sanctuaire Emerau<strong>de</strong>, il avait<br />

toute latitu<strong>de</strong> pour poser <strong>le</strong>s questions qui s'imposaient. De manière<br />

prévisib<strong>le</strong>, il trouva ce <strong>de</strong>rnier assis sur <strong>le</strong> rebord <strong>de</strong> la fenêtre ouverte,<br />

jambes suspendues dans <strong>le</strong> vi<strong>de</strong>. Cela faisait bel<strong>le</strong> lurette qu'Arthur avait<br />

cessé <strong>de</strong> tenter <strong>de</strong> <strong>le</strong> convaincre d'abandonner cette pratique, tout comme<br />

il avait cessé <strong>de</strong> chercher à savoir ce que Kaznaël faisait <strong>de</strong> ses journées.<br />

"Salut Kaz, dit-il naturel<strong>le</strong>ment.<br />

-Bonjour Arthur."<br />

Kaznaël avait à peine bougé. Arthur fit mine <strong>de</strong> s'instal<strong>le</strong>r à son<br />

bureau et alluma son ordinateur portab<strong>le</strong> pour consulter son courrier, <strong>le</strong><br />

temps <strong>de</strong> trouver <strong>le</strong> meil<strong>le</strong>ur moyen <strong>de</strong> coincer son camara<strong>de</strong> Protecteur.<br />

"Tiens, Andreas m'a envoyé un mail, remarqua-t-il."<br />

Il n'eut pas <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> cliquer pour en lire <strong>le</strong> contenu. Kaznaël était<br />

subitement <strong>de</strong>scendu <strong>de</strong> son perchoir.<br />

3


"Je vais faire un tour, dit-il.<br />

-Ne bouge pas d'ici, s'écria Arthur en faisant rapi<strong>de</strong>ment pivoter sa chaise.<br />

J'ai <strong>de</strong>s choses à te dire."<br />

Kaznaël s'immobilisa et darda Arthur du regard.<br />

"Je m'en doutais, dit-il simp<strong>le</strong>ment."<br />

Il s'assit sur <strong>le</strong> lit, en face d'Arthur, sans broncher. Arthur<br />

soupçonna quelque chose.<br />

"Comment pouvais-tu t'en douter? l'interrogea-t-il.<br />

-Je sais ce que tu as fait <strong>de</strong> ton après-midi. Je t'ai suivi, bien évi<strong>de</strong>mment.<br />

-QUOI? ENCORE? s'indigna Arthur. Je t'avais dit d'arrêter ça.<br />

-Et alors, répliqua Kaznaël avec défiance. Cela fait partie <strong>de</strong>s termes <strong>de</strong><br />

notre accord.<br />

-Tssss, je savais que ce serment me reviendrait dans la face un jour…<br />

Jusqu'où m'as-tu suivi?<br />

-Jusqu'au Temp<strong>le</strong>!<br />

-…"<br />

Le seul fait <strong>de</strong> savoir que Kaznaël était parvenu à <strong>le</strong> pister si loin<br />

embrasa la détermination d'Arthur. Kaznaël ne sortirait pas <strong>de</strong><br />

l'appartement tant qu'il n'obtiendrait pas confirmation <strong>de</strong> ses soupçons.<br />

"Tu sais ce qui s'y est passé?<br />

-Je ne pouvais pas entrer dans <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> sans me faire remarquer mais<br />

j'ai l'ouïe assez fine pour avoir entendu votre conversation à la sortie.<br />

-C'est parfait Kaz! On va gagner du temps comme ça!"<br />

Kaznaël <strong>le</strong> défia du regard.<br />

"Qui était Leryan? <strong>de</strong>manda Arthur.<br />

-Pourquoi emploie-tu <strong>le</strong> passé en parlant <strong>de</strong> lui."<br />

Arthur se démonta. Il avait répondu au tac au tac.<br />

"Tu… tu veux dire que Leryan, serait encore vivant? Impossib<strong>le</strong>, tu as <strong>de</strong>s<br />

centaines d'années… Enfin, je veux dire. Ca remonte à loin, non.<br />

-Sur ce point, je n'en sais pas plus que toi. Ce que tu as vu au temp<strong>le</strong><br />

soulève <strong>le</strong> doute. Après tout, Leryan n'est pas n'importe qui!<br />

-Justement, qui est-il?"<br />

Kaznaël détourna <strong>le</strong>s yeux. Il fallut qu'Arthur maintienne la pression<br />

du regard pour qu'il daigne enfin répondre.<br />

3


"Selon <strong>le</strong>s standards humains, Leryan serait à mi-chemin entre <strong>le</strong> gui<strong>de</strong><br />

spirituel, <strong>le</strong> sage et <strong>le</strong> gouvernant.<br />

-…<br />

-Selon <strong>le</strong>s standards <strong>de</strong> Sorgentel, il est un <strong>de</strong>mi Dieu.<br />

-Un… un… un d… <strong>de</strong>mi…?<br />

-Pas dans <strong>le</strong> sens que tu peux t'imaginer. Compare <strong>le</strong> plutôt à un… dalaïlama<br />

si tu préfères."<br />

Kaznaël avait regardé un documentaire sur <strong>le</strong> Tibet la veil<strong>le</strong>,<br />

autrement il n'aurait même pas soupçonné l'existence du Dalaï-Lama.<br />

"D'accord, si tu <strong>le</strong> dis… En somme, Leryan était… est une sorte divinité à<br />

Sorgentel.<br />

-Une divinité mortel<strong>le</strong>. Comme je te <strong>le</strong> disais, il se rapprocherait<br />

davantage d'un saint que d'un Dieu en tant que tel. Gar<strong>de</strong> à l'esprit qu'il<br />

ne s'agit que <strong>de</strong> comparaisons.<br />

-Et tu dis, qu'il pourrait être vivant?<br />

-Il nous faudra faire <strong>de</strong>s recherches à Sorgentel pour <strong>le</strong> déterminer<br />

mais…"<br />

Il esquissa un sourire et baissa <strong>le</strong>s yeux.<br />

"…j'ai <strong>le</strong> sentiment que mon ami est vivant, d'une manière ou d'une autre.<br />

-En admettant qu'il soit vivant, est-ce que…<br />

-Si Leryan est bel et bien vivant et que nous retrouvons sa trace, cela<br />

changera tout, même dans l'éventualité où nous n'arriverions pas à<br />

mettre <strong>de</strong> nouveau la main sur Fenrir. Leryan pourra nous indiquer la<br />

marche à suivre pour réparer <strong>le</strong>s dégâts occasionnés par l'échec <strong>de</strong> la<br />

Concrétisation.<br />

-C'est une bonne nouvel<strong>le</strong>, se réjouit Arthur. Raison <strong>de</strong> plus pour tenter <strong>de</strong><br />

<strong>le</strong> retrouver.<br />

-Oui…"<br />

Arthur s'assit en tail<strong>le</strong>ur sur son siège, troublé.<br />

"Autre chose Kaz… J'en suis arrivé à me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si je n'étais pas, en<br />

quelque sorte, un Protecteur, comme toi…<br />

-Un Protecteur?<br />

-Je pense que cela pourrait être <strong>le</strong> cas <strong>de</strong> Nils et Anaïs. Peut-être même<br />

que je ne <strong>de</strong>vais pas être un Protecteur à la base mais que j'ai volé la<br />

place <strong>de</strong> Nils lorsqu'il m'a transmis son don."<br />

Kaznaël plissa <strong>le</strong>s yeux et répondit d'une voix posée.<br />

"Je doute que tu aies volé la place <strong>de</strong> qui que ce soit.<br />

-Vraiment?<br />

-Oui Arthur. Tes doutes sont fondés. Pour moi, tu as toujours eu un rô<strong>le</strong> à<br />

jouer dans cette aventure, élu ou pas."<br />

3


Kaznaël joignit <strong>le</strong>s mains.<br />

"Arthur, je crois que tu es une sorte <strong>de</strong> dépositaire. Ton statut doit te<br />

paraître encore bien troub<strong>le</strong>, mais notre voyage à Sorgentel <strong>de</strong>vrait<br />

faciliter ta compréhension <strong>de</strong>s choses.<br />

-…<br />

-Dans cette optique, oui, tu peux te considérer comme un Protecteur…"<br />

L'art <strong>de</strong> répondre sans vraiment répondre. La spécialité <strong>de</strong> Kaznaël.<br />

Toujours était-il qu'Arthur était sur la bonne voie, il ne s'était pas contenté<br />

d'élucubrer <strong>de</strong>s théories sans queue ni tête. Alors qu'il s'apprêtait à<br />

répondre, un bip émanant <strong>de</strong> son ordinateur lui rappela qu'il avait encore<br />

<strong>le</strong> mail d'Andreas à lire.<br />

"Une secon<strong>de</strong> Kaz…"<br />

Il ouvrit <strong>le</strong> message envoyé par Andreas, quelques heures plus tôt.<br />

Sa <strong>le</strong>cture fit chuter son moral.<br />

"Il ne peut pas… nous faire ça, souffla-t-il. Pas lui aussi…"<br />

Chers amis,<br />

Je ne viendrai pas avec vous à Sorgentel, pour <strong>de</strong>s raisons indépendantes<br />

<strong>de</strong> ma volonté. Je ne peux pas vous expliquer pour <strong>le</strong> moment…<br />

Désolé, je pense à vous.<br />

Andreas Wolf.<br />

3


Chapitre 21 : Le rapatriement d'Altaïr<br />

Arthur était entré dans <strong>le</strong> petit bureau <strong>de</strong> Sonia sans même frapper.<br />

<strong>Les</strong> étagères à CD qui couraient <strong>le</strong> long <strong>de</strong> trois <strong>de</strong>s murs <strong>de</strong> la pièce<br />

tremblèrent lorsqu'il eut claqué la porte <strong>de</strong>rrière lui et Sonia <strong>le</strong>va <strong>le</strong>s yeux,<br />

passab<strong>le</strong>ment agacée. Il ne se démonta pas pour autant.<br />

"Tu ne sais pas frapper Art? C'est très malpoli d'entrer ainsi dans mon<br />

bureau.<br />

-Pardon, je suis venu au trip<strong>le</strong> galop après avoir lu… Andreas, il ne vient<br />

pas avec nous à Sorgentel! J'ai reçu un courrier.<br />

-On est déjà au courant, dit Sally, assise sur une chaise dans un coin <strong>de</strong> la<br />

pièce, juste en <strong>de</strong>ssous d'une plante suspendue."<br />

Arthur tourna rapi<strong>de</strong>ment la tête vers el<strong>le</strong>, il n'avait même pas<br />

remarqué qu'el<strong>le</strong> était dans la pièce. Sally donnait l'impression <strong>de</strong> vouloir<br />

se faire toute petite.<br />

"A l'heure qu'il est, tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> doit être au courant, ajouta-t-el<strong>le</strong>.<br />

-Pourquoi ne peut-il plus venir? Il a un souci? Son courrier n'expliquait<br />

rien!"<br />

Sonia faisait mine <strong>de</strong> feuil<strong>le</strong>ter <strong>le</strong>s pages d'un rapport à la<br />

couverture vert olive, posé sur <strong>le</strong> clavier <strong>de</strong> son ordinateur portab<strong>le</strong>. Son<br />

regard était impénétrab<strong>le</strong>.<br />

"Nous n'en savons pas plus que toi, Andreas n'est plus ici.<br />

-Il a quitté sa chambre? s'exclama Arthur, interloqué."<br />

Il se tourna <strong>de</strong> nouveau vers Sally. La jeune femme avait <strong>le</strong>s jambes<br />

ramenées contre el<strong>le</strong>. Son regard était fuyant.<br />

"Andreas a quitté sa chambre tôt ce matin, sans prévenir qui que ce soit.<br />

Il n'est pas revenu <strong>de</strong>puis. Le mail que tu as lu n'a donc pas été envoyé<br />

du QG. A cette heure-ci, il est probab<strong>le</strong>ment déjà en Al<strong>le</strong>magne, voire<br />

même chez lui. Ce qui est sûr, c'est qu'il ne viendra pas.<br />

-Mais… pourquoi? Est-ce qu'il est mala<strong>de</strong>? Un problème familial? Vous<br />

avez cherché à savoir au moins?"<br />

L'apparente passivité <strong>de</strong> Sonia et Sally stupéfiait Arthur. En temps<br />

normal, el<strong>le</strong>s auraient été <strong>le</strong>s premières à retourner ciel et terre pour<br />

comprendre <strong>le</strong>s raisons du départ d'Andreas.<br />

"GLOW n'a pas pour politique <strong>de</strong> forcer la main aux élus, reprit Sally. Si<br />

l'un d'entre nous décidait <strong>de</strong> ne pas participer à une mission donnée,<br />

l'organisation se gar<strong>de</strong>rait bien <strong>de</strong> s'opposer à notre volonté.<br />

-Tu par<strong>le</strong>s comme si… Andreas avait décidé <strong>de</strong> ne plus être <strong>de</strong>s nôtres."<br />

3


Sonia s'évertuait à ne pas quitter son rapport <strong>de</strong>s yeux, comme une<br />

personne craignant d'être trahie par son expression. El<strong>le</strong> savait quelque<br />

chose au sujet du départ d'Andreas.<br />

"Ce n'est pas que je voulais dire, rectifia Sally. Tout ce que l'on sait, c'est<br />

qu'Andreas ne partira à Sorgentel avec nous <strong>de</strong>main. Il a ses raisons, il<br />

nous <strong>le</strong>s expliquera en temps voulu. D'ail<strong>le</strong>urs…<br />

-D'ail<strong>le</strong>urs?"<br />

Sally serra <strong>le</strong>s <strong>de</strong>nts, regrettant manifestement ce mot <strong>de</strong> trop.<br />

"Ce n'est peut-être pas plus mal. Il se mettrait inuti<strong>le</strong>ment en danger vu<br />

la nature passive <strong>de</strong> son don. Avec <strong>le</strong> Clan d'Azulnot à nos trousses, il<br />

vaut mieux qu'Andreas reste ici, en sécurité.<br />

-Tu… Tu plaisantes?"<br />

Sonia referma son rapport et baissa la tête en soupirant.<br />

***<br />

"C'est n'importe quoi? s'offusqua Ana Rosa quelques minutes plus tard,<br />

alors qu'el<strong>le</strong> discutait avec Jamie et Arthur dans la cour du QG. Comment<br />

a-t-el<strong>le</strong> pu se réjouir <strong>de</strong> l'absence d'Andreas? Même s'il n'a pas <strong>de</strong> don<br />

offensif ou défensif, il est tout aussi indispensab<strong>le</strong> que n'importe quel<br />

autre élu.<br />

-Je n'irai pas jusqu'à dire que Sally s'est réjouie, maugréa Arthur. On<br />

dirait plutôt qu'el<strong>le</strong> essayait <strong>de</strong> minimiser ce qu'il s'est passé."<br />

Jamie referma son blouson jusqu'au cou et s'assit sur <strong>le</strong> rebord <strong>de</strong> la<br />

fontaine, une petite bouteil<strong>le</strong> <strong>de</strong> soda à la main. Il faisait déjà nuit noire et<br />

<strong>le</strong>s néons <strong>de</strong> la cour avaient été allumés.<br />

"Ce comportement ne ressemb<strong>le</strong> pas à Sally, déclara Jamie avec dépit.<br />

Tout comme ce départ soudain ne ressemb<strong>le</strong> pas à Andy. Je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

si…"<br />

Il marqua une pause.<br />

"…s'il compte nous abandonner.<br />

-Il ne ferait jamais ça, répliqua férocement Ana Rosa. Il est dix fois plus<br />

crédib<strong>le</strong> d'imaginer que toi ou moi quittions GLOW! Andreas est quelqu'un<br />

<strong>de</strong> loyal."<br />

Arthur s'accroupit pour désengourdir ses jambes. Sonia avait tout<br />

juste déclaré qu'Andreas avait <strong>de</strong>s choses importantes à rég<strong>le</strong>r en<br />

Al<strong>le</strong>magne, avant <strong>de</strong> chasser Arthur <strong>de</strong> son bureau. Cela laissait supposer<br />

qu'Andreas s'était au moins confié à el<strong>le</strong>, avant <strong>de</strong> partir.<br />

3


"Est-ce qu'il y aurait <strong>de</strong>s problèmes dans sa famil<strong>le</strong>? <strong>de</strong>manda-t-il. Il vous<br />

a parlé <strong>de</strong> quelque chose dans ce genre?<br />

-Andreas? Par<strong>le</strong>r? Tu en <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s trop, s'esclaffa Ana Rosa.<br />

-C'est bien là <strong>le</strong> problème, dit Jamie. Nous ne lui en <strong>de</strong>mandons pas<br />

assez. Si nous avions été plus attentifs, nous n'en serions peut-être pas<br />

là."<br />

Ana Rosa émit un soupir <strong>de</strong> lassitu<strong>de</strong>.<br />

"Pas <strong>de</strong> Xenia, pas d'Andreas… Notre petit groupe s'effrite<br />

dangereusement. Sans Anaïs, Ibtissam et Aïshani, on ne serait pas<br />

nombreux du tout.<br />

-On n'aura même pas eu l'occasion <strong>de</strong> lui par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> ce qu'on a appris au<br />

Sanctuaire Emerau<strong>de</strong>, ajouta Arthur."<br />

C'est sur cette pensée lugubre qu'Arthur prit congé et se dirigea<br />

vers <strong>le</strong> métro afin <strong>de</strong> rentrer chez lui. Le <strong>le</strong>n<strong>de</strong>main, à la même heure, lui<br />

et ses amis seraient à Sorgentel. Comment Andreas avait-il pu se désister<br />

à la <strong>de</strong>rnière minute, sans même <strong>le</strong>ur fournir d'explication? Il était sans<br />

doute <strong>le</strong> plus rigoureux du groupe, cela ne lui ressemblait pas. Seul un<br />

empêchement majeur pouvait justifier cette attitu<strong>de</strong>.<br />

Debout au milieu du quai, Arthur attendit la rame <strong>de</strong> métro pendant<br />

une poignée <strong>de</strong> minutes, indifférent aux rares personnes qui passaient<br />

près <strong>de</strong> lui. Pour se détourner <strong>de</strong> ses interrogations sur Andreas, il tenta<br />

<strong>de</strong> se remémorer ce qu'il <strong>de</strong>vrait absolument mettre dans son sac à dos <strong>le</strong><br />

<strong>le</strong>n<strong>de</strong>main. Conformément au souhait <strong>de</strong> Samuel, il emporterait <strong>le</strong>s<br />

<strong>Chroniques</strong> <strong>de</strong> Sorgentel, ainsi que <strong>le</strong> petit sac en velours dont il ne se<br />

séparait plus. Celui-ci était d'ail<strong>le</strong>urs attaché à sa ceinture par la fine<br />

cor<strong>de</strong><strong>le</strong>tte qui <strong>le</strong> refermait. Arthur ne savait toujours pas ce qu'il<br />

contenait. A vrai dire, il avait renoncé à <strong>le</strong> <strong>de</strong>viner, trop accaparé par<br />

d'autres préoccupations. Au mieux, c'était un simp<strong>le</strong> gri-gri. Au pire,<br />

Samuel avait macabrement rédigé son testament et <strong>le</strong> lui avait confié<br />

après l'avoir mis dans un contenant non i<strong>de</strong>ntifié.<br />

Le métro arriva dans un gron<strong>de</strong>ment assourdissant et Arthur entra<br />

dans une rame complètement vi<strong>de</strong>, puis s'assit. Un an plus tôt, il aurait<br />

évité <strong>de</strong> se hasar<strong>de</strong>r dans une situation si péril<strong>le</strong>use après neuf heures du<br />

soir, mais désormais, <strong>le</strong>s petites frappes parisiennes représentaient un<br />

danger risib<strong>le</strong> face à un Adrame<strong>le</strong>ch invulnérab<strong>le</strong>. Il n'y avait rien <strong>de</strong><br />

mieux qu'un voyage à Sorgentel pour être prêt à affronter tous <strong>le</strong>s<br />

dangers <strong>de</strong> la vie urbaine.<br />

Le signal sonore se déc<strong>le</strong>ncha et <strong>le</strong> métro quitta la station Corvisart.<br />

Arthur ouvrit ses anna<strong>le</strong>s <strong>de</strong> cours.<br />

"Pssst."<br />

Il n'avait même pas lu une ligne que ce petit siff<strong>le</strong>ment lui fit <strong>le</strong>ver<br />

<strong>le</strong>s yeux. Un frisson glacé lui parcourut l'échine. Le wagon était<br />

complètement vi<strong>de</strong>, ce dont il s'assura en se retournant.<br />

3


"Il n'y a personne…, murmura-t-il pour se rassurer."<br />

Bien qu'il fut un peu effrayé – il avait une peur b<strong>le</strong>ue <strong>de</strong>s histoires<br />

<strong>de</strong> fantômes et <strong>de</strong> tout ce qui s'en rapprochait – Arthur se dit qu'il avait<br />

été induit en erreur par <strong>le</strong> crissement <strong>de</strong>s roues du métro et se remit à<br />

lire.<br />

"Pssst."<br />

Cette fois-ci, il reçut un coup infime sur <strong>le</strong> front et laissa échapper<br />

un cri <strong>de</strong> surprise. Quelque chose ou quelqu'un lui avait asséné une<br />

pichenette.<br />

"Tseng, si tu n'arrives pas à percevoir ce que tes yeux ne voient pas, tu<br />

ne seras jamais un Shaolin digne <strong>de</strong> ce nom, déclara une voix familière,<br />

avec un accent asiatique pitoyab<strong>le</strong>."<br />

Aussitôt soulagé d'entendre ce timbre <strong>de</strong> voix, Arthur fronça <strong>le</strong>s<br />

sourcils et répondit, du tac au tac :<br />

"Mais maître, ce que vous me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>z est inconcevab<strong>le</strong>!<br />

-Seul l'inconcevab<strong>le</strong> est réel<strong>le</strong>ment inconcevab<strong>le</strong>, Tseng. Prends en <strong>de</strong> la<br />

graine et persévère!"<br />

Samuel apparut sur <strong>le</strong> siège situé face à Arthur, faisant mine <strong>de</strong><br />

caresser une barbe <strong>de</strong> maître chinois. Il eut un semblant <strong>de</strong> sourire et<br />

tendit la main à Arthur.<br />

"Heureusement qu'il n'y a personne d'autre que moi dans cette rame, dit<br />

Arthur après lui avoir joyeusement serré la main. Je suis content <strong>de</strong> te<br />

voir Sam!<br />

-Moi aussi, d'autant plus que ton souvenir <strong>de</strong> mes films <strong>de</strong> série B est<br />

intact.<br />

-Depuis combien <strong>de</strong> temps me suivais-tu? J'ai failli faire une attaque<br />

cardiaque quand ces bruits bizarres ont commencé à se manifester.<br />

-Quelques minutes seu<strong>le</strong>ment. Je t'attendais près du métro, sachant que<br />

tu ne tar<strong>de</strong>rais sans doute pas à passer par là pour al<strong>le</strong>r chez toi.<br />

Heureusement que tu n'es pas rentré avec Jamie ou un autre <strong>de</strong> tes amis.<br />

Je ne peux pas vraiment me permettre <strong>de</strong> te passer un coup <strong>de</strong> fil sans<br />

prendre <strong>le</strong> risque d'être repéré par Interpol."<br />

Samuel paraissait <strong>de</strong> bonne humeur, à moins qu'il n'eût décidé <strong>de</strong><br />

donner <strong>le</strong> change, grâce à ses ta<strong>le</strong>nts <strong>de</strong> comédien. Arthur s'en inquiéta :<br />

"Est-ce que tout va bien Sam? Tu viens m'avertir <strong>de</strong> quelque chose? Je<br />

pars à Sorgentel <strong>de</strong>main, tu sais."<br />

3


Samuel haussa <strong>le</strong>s sourcils, d'un air surpris.<br />

"Pardi, et ton anniversaire? s'exclama-t-il.<br />

-Tu… tu y as pensé? Ce n'est que <strong>de</strong>main.<br />

-Bien sûr que j'y ai pensé, répliqua Samuel avec un soupir. Le fait que je<br />

n'aie plus pignon sur rue ne me dispense pas <strong>de</strong> me préoccuper <strong>de</strong> ces<br />

détails triviaux. Je me <strong>de</strong>vais <strong>de</strong> venir te voir à cette occasion. C'est<br />

naturel, n'est-ce pas?<br />

-Pardon, s'excusa Arthur, sentant que Samuel était un brin vexé.<br />

-Il n'y a pas <strong>de</strong> quoi t'excuser voyons. Dis moi plutôt, tes amis n'ont rien<br />

organisé pour toi ce soir?<br />

-Non, l'humeur n'était plus vraiment à la fête alors je <strong>le</strong>s ai dissuadés <strong>de</strong><br />

me faire sortir. C'est une longue histoire… Ecoute Sam, j'apprécie <strong>le</strong> fait<br />

que tu sois là mais tu prends <strong>de</strong>s risques en te faisant voir ainsi."<br />

Le métro venait <strong>de</strong> s'arrêter en station. Une poignée <strong>de</strong> personnes<br />

vint prendre place à l'intérieur du wagon, sans vraiment prêter attention à<br />

Arthur et Samuel.<br />

"Ni la Confrérie, ni GLOW ne vont m'empêcher <strong>de</strong> passer un moment avec<br />

mon ami, surtout à l'occasion <strong>de</strong> son anniversaire, assura Samuel d'un air<br />

so<strong>le</strong>nnel. Il est presque vingt-<strong>de</strong>ux heures, ma photo n'est pas en<br />

première page <strong>de</strong>s quotidiens nationaux et tes compagnons seront trop<br />

occupés à préparer <strong>le</strong>ur départ pour que je risque d'être découvert.<br />

-Si tu <strong>le</strong> dis, fit Arthur, partagé entre l'anxiété et <strong>le</strong> plaisir <strong>de</strong> <strong>le</strong> revoir<br />

in<strong>de</strong>mne.<br />

-Ca te dit un barbecue coréen? Je t'invite bien sûr. Je meurs <strong>de</strong> faim."<br />

Samuel laissait rarement place à la négociation pour ce genre <strong>de</strong><br />

choses. Bon gré mal gré, Arthur accepta. Ils restèrent dans <strong>le</strong> métro<br />

jusqu'à la station Edgar Quinet et y <strong>de</strong>scendirent afin <strong>de</strong> rallier <strong>le</strong> quartier<br />

Montparnasse. Le petit coréen vers <strong>le</strong>quel ils se dirigèrent se trouvait dans<br />

une artère peu fréquentée du coin, hormis par <strong>le</strong>s riverains. En voyant la<br />

faça<strong>de</strong> du restaurant, Arthur se souvint y avoir déjà été environ un an<br />

plus tôt avec Anaïs et Samuel, sur <strong>le</strong>s conseils <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier.<br />

Une serveuse <strong>le</strong>s accueillit avec une froi<strong>de</strong> politesse et <strong>le</strong>s fit asseoir<br />

à une tab<strong>le</strong> située vers <strong>le</strong> fond du restaurant ("Loin <strong>de</strong>s regards", se<br />

rassura Arthur, toujours aussi angoissé). Il restait peu <strong>de</strong> clients, la<br />

plupart en fin <strong>de</strong> repas. Il y avait là trois jeunes cadres éreintés qui<br />

parlaient bruyamment <strong>de</strong> la maudite restructuration du pô<strong>le</strong> HTC <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur<br />

entreprise, un coup<strong>le</strong> <strong>de</strong> quinquagénaires, et une vieil<strong>le</strong> dame seu<strong>le</strong>.<br />

Samuel fit signe à la serveuse et, grand seigneur, commanda <strong>le</strong>s plats <strong>le</strong>s<br />

plus copieux pour Arthur et lui. Le mini barbecue incrusté dans <strong>le</strong>ur tab<strong>le</strong><br />

fut aussitôt allumé par <strong>le</strong> personnel, à grand renfort <strong>de</strong> gaz.<br />

"Ma question va sans doute paraître stupi<strong>de</strong> Sam, mais tu as toujours <strong>de</strong><br />

l'argent malgré… ta situation?<br />

-Bien sûr que oui."<br />

3


Samuel croisa <strong>le</strong>s bras et s'expliqua, <strong>le</strong> regard vague.<br />

"Malgré <strong>le</strong>s apparences, je suis plutôt discipliné en matière d'argent. Ma<br />

mère m'a appris qu'il fallait régulièrement mettre <strong>de</strong> côté et fuir <strong>le</strong>s<br />

banques comme la peste. Du coup, j'ai toujours fait en sorte <strong>de</strong> conserver<br />

la majeure partie <strong>de</strong> mon capital en espèces. Je hais <strong>le</strong>s banques, ce sont<br />

<strong>le</strong>s filia<strong>le</strong>s du vol organisé.<br />

-Espèce <strong>de</strong> parano…<br />

-Ma paranoïa a payé, sans mauvais jeu <strong>de</strong> mot. Lorsque j'ai perdu toute<br />

perspective <strong>de</strong> vie socia<strong>le</strong> il y a quelques mois, j'étais bien content d'avoir<br />

autant d'argent en espèces et plus aucun compte à rendre au Fisc."<br />

Samuel avait <strong>le</strong> don pour plaisanter sur <strong>le</strong>s sujets <strong>le</strong>s moins propices<br />

au rire. Toutefois, Arthur ne put s'empêcher <strong>de</strong> rire en l'imaginant fouil<strong>le</strong>r<br />

<strong>le</strong> <strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> son lit pour en sortir <strong>de</strong>s liasses <strong>de</strong> bil<strong>le</strong>ts, juste avant <strong>de</strong><br />

quitter sa boutique d'antiquités.<br />

"Quand je pense que ma rente d'élu est à 80% inaccessib<strong>le</strong> jusqu'à mes<br />

vingt-cinq ans…, ironisa Arthur. Toi tu es en cava<strong>le</strong>, mais tu as plus <strong>de</strong><br />

thunes que moi. C'est injuste!<br />

-J'espère que ceci atténuera ta peine, dit Samuel."<br />

Tout sourire, il lui tendit un petit sac en plastique noir qu'Arthur<br />

n'avait pas remarqué jusque là.<br />

"Désolé, je n'ai pas vraiment eu l'opportunité <strong>de</strong> l'embal<strong>le</strong>r. Bon<br />

anniversaire, quelques heures en avance!<br />

-Il ne fallait p…"<br />

Arthur s'interrompit. Il avait sorti du sac un boîtier DVD : Le 38 ème<br />

Sanctuaire Shaolin. Le film culte <strong>de</strong> Samuel. Il explosa <strong>de</strong> rire et fut<br />

incapab<strong>le</strong> <strong>de</strong> se calmer avant d'avoir <strong>le</strong>s abdominaux en feu.<br />

"J'aurais dû te voir venir lorsque tu m'as sorti cette réplique du film tout à<br />

l'heure, fit Arthur après avoir réussi à reprendre son souff<strong>le</strong>."<br />

Samuel eut un petit rire. La serveuse <strong>le</strong>s regardait d'un œil torve,<br />

sans doute interpellée par la crise d'Arthur. Il rangea <strong>le</strong> DVD dans son sac<br />

à dos afin <strong>de</strong> se donner une contenance.<br />

"C'est l'un <strong>de</strong>s rares films que j'ai emmené avec moi lorsque j'ai quitté<br />

mon appartement. Comme je n'ai pas <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> <strong>le</strong> regar<strong>de</strong>r à nouveau,<br />

je <strong>le</strong> gardais <strong>de</strong> côté jusqu'à ton anniversaire.<br />

-Merci Sam, ça me fait vraiment plaisir.<br />

-Tant mieux, surtout que ça ne m'a rien coûté, dit Samuel avec un sourire<br />

cynique. Bien évi<strong>de</strong>mment, considère Nils comme étant <strong>le</strong> co-auteur <strong>de</strong> ce<br />

ca<strong>de</strong>au. Il te transmet ses amitiés.<br />

3


-Comment va-t-il?<br />

-Comme un Nils. Plutôt positif! De plus en plus stab<strong>le</strong> je crois."<br />

La serveuse <strong>le</strong>ur apporta un assortiment <strong>de</strong> vapeurs, <strong>de</strong>ux gros bols<br />

<strong>de</strong> soupe et une gran<strong>de</strong> assiette <strong>de</strong> vian<strong>de</strong> crue en lamel<strong>le</strong>s. Samuel<br />

piocha allégrement <strong>de</strong>dans avec ses baguettes et disposa ses morceaux<br />

sur la gril<strong>le</strong> du barbecue. Une bonne o<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> bœuf cuit commença à<br />

émaner <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur tab<strong>le</strong>.<br />

"Avant toute chose, tu as gardé <strong>le</strong> sac que je t'avais confié?<br />

-Bien sûr que oui. Je <strong>le</strong> gar<strong>de</strong> sur moi en permanence, comme promis."<br />

Il lui montra <strong>le</strong> sac accroché à sa ceinture.<br />

"Tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> croit que je me promène avec un porte-bonheur. J'espère<br />

que tu vas enfin me dire <strong>de</strong> quoi il s'agit, fit Arthur, p<strong>le</strong>in d'espoir.<br />

-Non.<br />

-Non? répéta Arthur avec dépit. Non?? Pourquoi m'en par<strong>le</strong>r dans ce cas?<br />

Juste pour me faire bisquer?<br />

-Je voulais vérifier que tu étais fiab<strong>le</strong>, répondit Samuel. Si je te dis ce que<br />

ce sac contient, autant <strong>le</strong> récupérer maintenant car il n'aura plus <strong>le</strong><br />

moindre intérêt."<br />

Il lui fit un sourire qui signifiait "N'en parlons plus pour <strong>le</strong> moment"<br />

et vida d'un trait <strong>le</strong> quart <strong>de</strong> sa bouteil<strong>le</strong> <strong>de</strong> bière chinoise.<br />

"Aucun rapport, mais Anaïs m'a rejeté!"<br />

Samuel dut faire d'immenses efforts pour ne pas recracher sa<br />

boisson sur <strong>le</strong> barbecue.<br />

"De quoi par<strong>le</strong>s-tu? s'écria Samuel, <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux mains sur la tab<strong>le</strong>.<br />

-Tu as très bien entendu, maugréa Arthur. El<strong>le</strong> m'a rejeté.<br />

-Tu lui as fait ta déclaration? J'avais raison! Tu avais bien <strong>le</strong> béguin pour<br />

el<strong>le</strong> <strong>de</strong>puis <strong>le</strong> début mais tu n'avais pas assez <strong>de</strong> cran pour lui en par<strong>le</strong>r.<br />

Quel dommage tout <strong>de</strong> même que ce ne soit pas réciproque, el<strong>le</strong> m'a<br />

toujours donné l'impression d'être amoureuse <strong>de</strong> toi."<br />

Arthur plissa <strong>le</strong>s yeux, contrarié.<br />

"Je ne lui ai rien dit. El<strong>le</strong> a anéanti mes perspectives avant même que je<br />

n'aie envisagé <strong>de</strong> lui dire quoi que ce soit. A croire que je n'ai pas été<br />

assez subtil pour passer inaperçu.<br />

-Tu es certain d'avoir bien compris ses intentions? s'enquit Samuel, en<br />

sortant son paquet <strong>de</strong> cigarettes.<br />

-J'ai très bien compris <strong>le</strong> "incapab<strong>le</strong> d'y répondre favorab<strong>le</strong>ment". Après<br />

tout, j'ai déjà reçu <strong>de</strong>s <strong>le</strong>ttres <strong>de</strong> refus pour <strong>de</strong>s jobs et sa réponse y<br />

3


essemblait beaucoup. Juste après m'avoir sorti ça, el<strong>le</strong> s'est comportée<br />

comme si <strong>de</strong> rien n'était et m'a appelé "mon gros"."<br />

Soucieux <strong>de</strong> ne pas l'offenser, Samuel contint un rire et se saisit<br />

d'une cigarette, qu'il remit aussitôt dans son paquet après avoir croisé <strong>le</strong><br />

regard "Non fumeur" d'un serveur moustachu.<br />

"<strong>Les</strong> femmes sont comp<strong>le</strong>xes, fit remarquer Samuel avec la frustration<br />

d'un fumeur privé <strong>de</strong> sa nicotine. Lorsqu'el<strong>le</strong>s disent "oui", el<strong>le</strong>s pensent<br />

"oui mais". Lorsqu'el<strong>le</strong>s disent "non", el<strong>le</strong>s pensent "non, à moins que" ou<br />

pire : "non, pour que tu insistes avant que je ne dise oui". En somme, tu<br />

peux avoir autant <strong>de</strong> foi en "oui" et "non" qu'un agriculteur aveyronnais<br />

n'en a pour son gouvernement. Bien qu'Anaïs soit une per<strong>le</strong>, je doute<br />

qu'el<strong>le</strong> échappe à ces règ<strong>le</strong>s élémentaires."<br />

Il avala un morceau <strong>de</strong> vian<strong>de</strong> cuite après l'avoir trempé dans une<br />

sauce blanchâtre.<br />

"Il est éga<strong>le</strong>ment possib<strong>le</strong> qu'Anaïs t'ait rejeté tout simp<strong>le</strong>ment parce<br />

qu'el<strong>le</strong> me préfère. Après tout, qui es-tu, si ce n'est moi en moins mature<br />

et moins baraqué.<br />

-Va au diab<strong>le</strong>…<br />

-Laisse moi finir ce barbecue d'abord. Ca m'habituera aux flammes <strong>de</strong><br />

l'enfer, répliqua Samuel avec un sourire."<br />

Il avait réponse à tout. Arthur se réfugia dans <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce et dans la<br />

bière qu'il venait <strong>de</strong> subrepticement vo<strong>le</strong>r à Samuel.<br />

"Ne t'en fais pas mon grand, je ne te vois pas finir esseulé, reconnut<br />

Samuel. Tu es un type bien. Si ce n'est pas Anaïs, ce sera une autre. De<br />

toute façon, tu t'étais entiché d'une autre fil<strong>le</strong> il n'y a même pas six mois.<br />

-Là c'est différent. J'avais juste <strong>le</strong> béguin pour Xenia.<br />

-Mmm, acquiesça vaguement Samuel."<br />

Il récupéra sa bière d'un geste presque furtif et en commanda une<br />

pour Arthur.<br />

"Ne fais pas la même erreur que moi Art. Contrairement à ce que laissent<br />

penser tous ces immon<strong>de</strong>s conteurs et romanciers d'une époque révolue,<br />

te languir d'une femme que tu n'auras jamais pendant <strong>de</strong>s lustres ne fera<br />

qu'affecter ton foie."<br />

Il désigna la bouteil<strong>le</strong> en guise d'éclaircissement.<br />

"Tu as sans doute raison, admit Arthur sans vraiment y croire, car la<br />

sagesse <strong>de</strong> Samuel trouvait rarement confirmation dans ce domaine. De<br />

toute façon, j'ai d'autres soucis en ce moment.<br />

-De ceux que seul un élu peut connaître?<br />

3


-Oui. Ca concerne en partie Anaïs, justement…<br />

-Dis m'en plus, je pourrai peut-être éclairer ta lanterne."<br />

Arthur lui relata son excursion improvisée au Sanctuaire Emerau<strong>de</strong>,<br />

encore toute fraîche dans son esprit. Il expliqua en détail la scène<br />

observée dans <strong>le</strong> Ref<strong>le</strong>t du Mon<strong>de</strong> et exposa son intuition à son sujet, en<br />

partie corrélée par <strong>le</strong>s maigres révélations <strong>de</strong> Kaznaël sur Leryan. Samuel<br />

l'écouta attentivement, sans l'interrompre.<br />

"Leryan, hein, conclut-il lorsque Arthur parvint à la fin <strong>de</strong> son récit. Ce<br />

nom ne m'est pas inconnu. Une élégie a été créée en son honneur à<br />

Sorgentel. C'est cel<strong>le</strong> que l'on entend dans tous <strong>le</strong>s lieux <strong>de</strong> culte et dans<br />

<strong>le</strong>s sanctuaires où reposent <strong>le</strong>s éléments-clés.<br />

-On ne l'entendait pas cette fois-ci, fit remarquer Arthur, mais tu as raison<br />

au sujet <strong>de</strong> l'élégie.<br />

-L'idée du dépositaire et <strong>de</strong>s protecteurs est assez sensée. Si <strong>de</strong>s légats<br />

ont obtenu sagesse et omniscience, pourquoi certains élus ne seraient-ils<br />

pas liés à <strong>de</strong>s personnes qui protégeaient Leryan, comme Kaznaël?"<br />

Il fit gril<strong>le</strong>r la <strong>de</strong>rnière tranche <strong>de</strong> vian<strong>de</strong>.<br />

"Tu aurais évi<strong>de</strong>mment un rô<strong>le</strong> dans tout ça, dit Arthur. C'est toi qui m'a<br />

suggéré <strong>le</strong>s liens qui pouvaient exister entre nous <strong>de</strong>ux, Anaïs et Nils.<br />

Sans oublier la résonance qui existe entre nos dons et <strong>le</strong>s éléments-clés."<br />

Samuel réfléchissait en si<strong>le</strong>nce. Il coupa la vian<strong>de</strong> en <strong>de</strong>ux et en<br />

passa une moitié à Arthur. Le restaurant s'était un peu vidé. Il ne restait<br />

plus qu'eux, <strong>le</strong>s trois cadres et <strong>de</strong>ux membres du personnel <strong>de</strong> sal<strong>le</strong>, en<br />

train <strong>de</strong> discuter <strong>de</strong>rrière la caisse, en chinois. "Paradoxal pour un<br />

restaurant coréen" pensa Arthur.<br />

"Il y a encore trop <strong>de</strong> zones d'ombre, ajouta-t-il pour comb<strong>le</strong>r <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce.<br />

J'espérais que tu aurais une idée, même si je ne pensais pas te revoir<br />

aussi tôt pour en discuter.<br />

-Je n'en sais pas beaucoup plus que toi. Comme je te <strong>le</strong> disais il y a<br />

quelques jours, Primo ne laisse filtrer que ce qu'il estime suffisant pour<br />

nous dissua<strong>de</strong>r <strong>de</strong> poser davantage <strong>de</strong> questions. Il tente <strong>de</strong> me faire<br />

penser qu'il a une p<strong>le</strong>ine et entière confiance en moi en me fournissant<br />

<strong>de</strong>s informations, au compte-goutte. Or, <strong>le</strong>s informations pertinentes dont<br />

je dispose sont cel<strong>le</strong>s que j'ai obtenues moi-même… ou <strong>de</strong> simp<strong>le</strong>s<br />

déductions comme toi."<br />

Samuel vida sa bouteil<strong>le</strong>.<br />

"Je te promets que j'en saurai plus Art. Moi aussi je dois me rendre à<br />

Sorgentel <strong>de</strong>main.<br />

-Avec la Confrérie? Tu peux m'en dire plus?<br />

3


-Une fois n'est pas coutume, Primo va faire une petite visite sur place.<br />

Nous <strong>de</strong>vons l'accompagner à une rencontre au sommet avec Hermès et<br />

ses acolytes du Clan d'Azulnot.<br />

-Hermès… Le fameux Régent <strong>de</strong> Ca<strong>de</strong>ro, si je me souviens bien.<br />

-Exact. C'est Hermès qui a la gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'Orbe <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an, conformément à<br />

l'accord qui a été conclu entre lui et la Confrérie. Primo veut s'assurer <strong>de</strong><br />

sa loyauté. Il est certain <strong>de</strong> pouvoir <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong>r mais n'a pas assez foi en<br />

lui pour <strong>le</strong> laisser gérer <strong>le</strong>s choses seul.<br />

-Est-ce que Nils se rendra là-bas avec vous?<br />

-Ne compte pas trop là-<strong>de</strong>ssus. Primo refuse d'envoyer ses pièces<br />

maîtresses au même endroit, pour éviter <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s perdre d'un coup."<br />

Il appuya son menton sur ses mains jointes. Le ref<strong>le</strong>t <strong>de</strong>s petites<br />

flammes du barbecue créait une lumière b<strong>le</strong>uâtre dans son regard.<br />

"Nous sommes peut-être dans la <strong>de</strong>rnière ligne droite, Arthur… Selon la<br />

tournure que prendront <strong>le</strong>s évènements une fois que <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux camps<br />

seront réunis à Sorgentel, ma situation pourrait changer.<br />

-Tu veux dire que… tu comptes…<br />

-J'en ai assez <strong>de</strong> jouer doub<strong>le</strong> jeu. Je vais mettre toutes <strong>le</strong>s chances <strong>de</strong><br />

votre côté afin que l'on en finisse rapi<strong>de</strong>ment. Dis moi, c'est bien un Echo<br />

que je vois à ton poignet?<br />

-Oui, confirma Arthur en jetant un œil à son fin brace<strong>le</strong>t noir.<br />

-Ca tombe bien, je pourrai donc essayer <strong>de</strong> mettre la main sur un autre<br />

exemplaire et te tenir informé <strong>de</strong> ce que j'apprendrai. Ne t'inquiète pas si<br />

ça me prend un peu <strong>de</strong> temps, il est diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> trouver ce genre<br />

d'accessoires.<br />

-Très bien. Je ferai en sorte <strong>de</strong> répondre rapi<strong>de</strong>ment, si je suis seul. A part<br />

Anaïs et Jamie, <strong>le</strong>s autres élus te considèrent comme un membre du camp<br />

adverse.<br />

-Mmm, je m'en doute. En tout cas, je ferai en sorte que la Confrérie ne<br />

vous mette pas <strong>de</strong> bâtons dans <strong>le</strong>s roues pendant votre recherche <strong>de</strong><br />

Leryan. Pendant ce temps…"<br />

Samuel prit une longue inspiration, comme si ce qu'il allait dire lui<br />

coûtait énormément.<br />

"…pendant ce temps, il faudra que je récupère Fenrir pour te <strong>le</strong> remettre."<br />

Arthur ressentit tout <strong>le</strong> poids <strong>de</strong> la détermination <strong>de</strong> son ami.<br />

"Sans te faire tuer, si possib<strong>le</strong>…<br />

-Si quelqu'un qui doit mourir, ce ne sera pas moi mais Primo, rétorqua<br />

Samuel. Je ne quitterai pas la Confrérie sans avoir anéanti son centre <strong>de</strong><br />

gravité. Primo est dangereux, détraqué. S'il disparaît et que la<br />

Concrétisation se réalise norma<strong>le</strong>ment, vous n'aurez plus rien à craindre.<br />

-Et après, tu seras innocenté et tu pourras reprendre ta boutique et tu<br />

pourras être considéré comme un héros!"<br />

3


Sourire compatissant <strong>de</strong> Samuel.<br />

"Art, tu mûris à vue d'œil, mais tu <strong>de</strong>viens toujours aussi débi<strong>le</strong> dès que<br />

tu bois une goutte d'alcool…<br />

-C'est probab<strong>le</strong>, répondit vaguement Arthur qui venait tout juste <strong>de</strong><br />

remarquer à quel point la <strong>de</strong>rnière gorgée lui avait donné chaud. Bah, peu<br />

importe, c'est mon anniversaire après tout. Enfin, dans quelques dizaines<br />

<strong>de</strong> minutes.<br />

-J'ai toujours su que je représentais une mauvaise influence pour toi,<br />

soupira Samuel. Autant continuer sur ma lancée!"<br />

Il sortit son portefeuil<strong>le</strong> et en scruta vaguement <strong>le</strong> contenu.<br />

"Si on allait poursuivre notre joyeuse conversation dans un bar? Il n'est<br />

même pas minuit et il me reste encore <strong>de</strong>s espèces que je ne pourrai<br />

probab<strong>le</strong>ment pas convertir en naces.<br />

-C'est que… je suis censé me <strong>le</strong>ver à l'aube <strong>de</strong>main, hésita Arthur, surtout<br />

que Jamie va débarquer à la maison frais comme un gardon et surexcité<br />

par <strong>le</strong> ca<strong>de</strong>au qu'il m'aura amené. Je <strong>de</strong>vrai faire semblant d'être réveillé<br />

et ouvrir <strong>le</strong> paquet sous ses yeux, sous peine <strong>de</strong> ne pas avoir <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce. Si<br />

ça se trouve, il m'aura amené un poney ou une moto très chère. En bref,<br />

ce n'est pas vraiment raisonnab<strong>le</strong>.<br />

-Je comprends.<br />

-D'un autre côté, la défection d'Andreas et <strong>le</strong> stress du départ vont<br />

m'empêcher <strong>de</strong> dormir. Si c'est pour scruter <strong>le</strong> plafond toute la nuit,<br />

autant sortir.<br />

-Très bien, dit Samuel avec une nuance d'indifférence."<br />

***<br />

Arthur et Samuel sortirent <strong>de</strong> la "Taverne Parnasse" aux a<strong>le</strong>ntours<br />

<strong>de</strong> trois heures du matin, alors que l'emprise <strong>de</strong> la nuit sur Paris était<br />

tota<strong>le</strong>. Seuls <strong>le</strong>s lampadaires situés dans une avenue, au bout <strong>de</strong> la rue,<br />

éclairaient <strong>le</strong>s a<strong>le</strong>ntours d'une lumière miel<strong>le</strong>use. Ils firent signe <strong>de</strong> main<br />

au barman qui <strong>le</strong>s avait servis pendant la soirée et quittèrent <strong>le</strong> bar<br />

bruyant, unique lieu <strong>de</strong> socialisation encore ouvert en cette heure<br />

avancée.<br />

"Il va falloir rentrer à pied, dit Samuel."<br />

Sa démarche n'était pas aussi régulière que l'exigeaient <strong>le</strong>s<br />

standards mais son regard était luci<strong>de</strong>. Arthur, lui, était resté relativement<br />

raisonnab<strong>le</strong> dans la perspective <strong>de</strong> son voyage du <strong>le</strong>n<strong>de</strong>main.<br />

"Je crois que tu as abusé du Jack Daniel's, fit remarquer Arthur en laissant<br />

échapper un rire.<br />

3


-Ne sous-estime pas ton aîné, répliqua Samuel d'un air assuré, juste<br />

avant d'entreprendre <strong>de</strong> lui savonner la tête."<br />

Arthur grogna <strong>de</strong> dou<strong>le</strong>ur mais ne réussit à se débarrasser du<br />

coriace Samuel qu'après <strong>de</strong> trop longues secon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> torture.<br />

"Tu n'as plus vraiment l'âge <strong>de</strong> chahuter, s'exclama-t-il malgré la<br />

sensation lancinante sur <strong>le</strong> sommet <strong>de</strong> son crâne. Au lieu <strong>de</strong> me<br />

martyriser, pourquoi tu ne retournes pas entamer la conversation avec<br />

ces <strong>de</strong>ux femmes qui te dévoraient du regard pendant tout <strong>le</strong> temps où<br />

l'on était là-bas? (J'ai l'impression <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir invisib<strong>le</strong> quand je suis à côté<br />

<strong>de</strong> toi…)<br />

-Ces femmes ne m'intéressent pas, répondit vaguement Samuel, après<br />

avoir fraternel<strong>le</strong>ment encadré <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s d'Arthur, du bras droit.<br />

-Ooooh, fit Arthur, je comprends ce que ça veut dire!<br />

-Ah? Donne moi ton interprétation <strong>de</strong> la vie!"<br />

Ils commencèrent à avancer vers l'avenue la plus proche.<br />

"Tu t'accroches désespérément à un souvenir, en la personne <strong>de</strong> Sonia! La<br />

bel<strong>le</strong>, blon<strong>de</strong> et gentil<strong>le</strong> Sonia! Tu l'as mise sur un pié<strong>de</strong>stal! Son image<br />

est si parfaite dans ton esprit qu'aucuuuuuune autre femme ne te semb<strong>le</strong><br />

acceptab<strong>le</strong>."<br />

Arthur plaqua maladroitement la main sur sa bouche, réalisant qu'il<br />

avait trop parlé. Il émit un petit rire nerveux et observa Samuel. Ce<br />

<strong>de</strong>rnier avait encore une fois <strong>le</strong> regard dans <strong>le</strong> vague, mais un sourire<br />

illuminait son visage.<br />

"Oui, je vis dans <strong>le</strong> passé, admit Samuel. Le passé a tel<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> mérite<br />

que je n'ai que peu d'intérêt pour <strong>le</strong> présent."<br />

Ils venaient d'arriver au croisement entre la rue et une gran<strong>de</strong><br />

avenue commerçante sillonnée par quelques rares voitures. La lumière<br />

vive d'un éclairage urbain éblouit Arthur, dont <strong>le</strong>s yeux étaient fatigués.<br />

"C'est bizarre mais je me reconnais en toi, révéla soudain Samuel. A ton<br />

âge, j'avais à peu près <strong>le</strong> même tempérament. A croire que l'on a été<br />

créés dans <strong>le</strong> même mou<strong>le</strong> et que j'ai mal tourné.<br />

-Mal tourné? répéta Arthur.<br />

-J'en arrive à penser qu'en m'accrochant à toi ainsi, je m'accroche au<br />

Samuel passé, tout comme j'essaie <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r intact <strong>le</strong> souvenir <strong>de</strong> la<br />

jeune Sonia qui m'aimait. Je ne sais pas si tu vois ce que je veux dire…<br />

Enfin… Ca paraît égoïste, n'est-ce pas?<br />

-Euh… Oui… Me considérer comme un délinquant en <strong>de</strong>venir, ce n'est pas<br />

très sympa, plaisanta Arthur bien que <strong>le</strong> cœur n'y soit pas."<br />

Samuel émit un semblant <strong>de</strong> rire.<br />

3


"Merci pour <strong>le</strong> ca<strong>de</strong>au! dit Arthur. J'essaierai <strong>de</strong> te rendre la pareil<strong>le</strong> en<br />

temps voulu.<br />

-Tu as <strong>de</strong> la marge mon grand! Prends bien soin du film et du sac que je<br />

t'ai confié. Je répète : tu ne l'ouvres pas sans directives <strong>de</strong> ma part.<br />

-Je vais avoir du mal à tenir…<br />

-Seul l'inconcevab<strong>le</strong> est inconcevab<strong>le</strong>, Tseng! Tu ne l'ouvriras pas. Au pire,<br />

lis <strong>le</strong>s <strong>Chroniques</strong> à chaque fois que tu seras tenté. Tu y découvriras <strong>de</strong>s<br />

choses intéressantes sur Sorgentel. D'ail<strong>le</strong>urs il me semb<strong>le</strong> que Leryan y<br />

est évoqué mais je n'ai pas eu <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> tout lire.<br />

-Je t'en ferai un résumé quand on se reverra!<br />

-Ca marche."<br />

Ils se serrèrent vigoureusement la main.<br />

"Je pars <strong>de</strong> ce côté, indiqua Samuel. Fais attention à toi et à tes amis une<br />

fois à Sorgentel. Je ne voudrais pas que <strong>le</strong> Clan d'Azulnot vous décime…<br />

Dans la mesure du possib<strong>le</strong>, j'essaierai <strong>de</strong> <strong>le</strong>s empêcher <strong>de</strong> s'en prendre à<br />

vous.<br />

-Fais attention aussi! N'oublie pas <strong>de</strong> me tenir informé dès que tu auras<br />

trouvé un Echo."<br />

Samuel acquiesça d'un sourire, tourna <strong>le</strong>s talons et s'éloigna<br />

d'Arthur pour repartir vers un lieu indéterminé. Arthur l'observa un<br />

moment, un long moment. Peut-être pour s'assurer qu'il rentrerait sans<br />

encombre, peut-être parce qu'il hésitait à <strong>le</strong> suivre jusqu'au repaire <strong>de</strong> la<br />

Confrérie, là où se trouveraient Nils… et Primo.<br />

Le vrombissement d'un boli<strong>de</strong> rouge passé près <strong>de</strong> lui coupa court à<br />

sa réf<strong>le</strong>xion. Samuel était déjà une trentaine <strong>de</strong> pas plus loin, au milieu du<br />

zébrures jaunes et noires occasionnées par <strong>le</strong>s lumières <strong>de</strong>s lampadaires.<br />

Il ne se retourna pas.<br />

Arthur vérifia qu'il avait bien son sac à dos, que son Echo et <strong>le</strong><br />

mystérieux sac en velours étaient toujours sur lui, puis il partit <strong>de</strong> son<br />

côté.<br />

***<br />

"J… je… C'est stupi<strong>de</strong>… ça ne sert à rien… Pourquoi dois-je perdre mon<br />

temps?"<br />

Shui-Khan tomba à quatre pattes sur la surface cristalline <strong>de</strong> la Baie<br />

<strong>de</strong> Springan, provoquant <strong>de</strong>s remous dans <strong>le</strong> flot circulaire <strong>de</strong>s particu<strong>le</strong>s<br />

lumineuses qui hantaient <strong>le</strong>s lieux. Il ha<strong>le</strong>tait et son front était perlé <strong>de</strong><br />

gouttes <strong>de</strong> sueur, suite à son effort prolongé. Sur son dos, la lame<br />

blanche <strong>de</strong> son épée– retenue par une simp<strong>le</strong> sang<strong>le</strong> – était parcourue <strong>de</strong><br />

minuscu<strong>le</strong>s étincel<strong>le</strong>s qui accentuaient son supplice.<br />

3


"Perdre ton temps? Mon pauvre enfant… Si tu considères ceci comme une<br />

perte <strong>de</strong> temps <strong>de</strong> temps, tu n'es rien d'autre qu'un bou<strong>le</strong>t, professa Omar<br />

en s'approchant <strong>de</strong> lui."<br />

L'Ancien à la carrure démesurée et à la peau mat foula l'eau <strong>de</strong> ses<br />

pieds pour <strong>le</strong> contemp<strong>le</strong>r. La moindre <strong>de</strong>s cicatrices <strong>de</strong> son visage semblait<br />

prendre <strong>de</strong> l'amp<strong>le</strong>ur, à mesure que son expression se crispait.<br />

"Tu perds un temps immense à chaque fois que tu es forcé d'invoquer ton<br />

arme. Tu dois faire en sorte <strong>de</strong> la maintenir en l'état <strong>le</strong> plus longtemps<br />

possib<strong>le</strong>.<br />

-J'ai l'impression que tout mon corps… s'alourdit, vitupéra Shui-Khan,<br />

juste avant <strong>de</strong> proférer un flot d'insultes.<br />

-Simp<strong>le</strong> question d'habitu<strong>de</strong>. A force d'entraînement, tu pourras conserver<br />

ton arme <strong>de</strong>s jours durant, donc t'entraîner <strong>de</strong>s jours durant sans avoir à<br />

la renvoyer d'où el<strong>le</strong> vient."<br />

Ronan sentit <strong>le</strong> sang lui monter aux tempes. Même un élu n'avait<br />

pas <strong>le</strong> droit <strong>de</strong> manquer <strong>de</strong> respect à un Ancien, surtout un homme aussi<br />

prestigieux qu'Omar, chef incontesté <strong>de</strong> la Milice <strong>de</strong> Juval. Son supérieur<br />

idéal et idéalisé. Pour atténuer sa fureur, il mordit sanguinairement dans<br />

un morceau <strong>de</strong> vian<strong>de</strong> qu'il venait <strong>de</strong> vo<strong>le</strong>r en cuisine et continua à faire<br />

al<strong>le</strong>r et venir ses pieds nus dans l'eau <strong>de</strong> la baie.<br />

"Je mérite plus que lui <strong>de</strong> marcher sur cette eau…, marmonna-t-il. Au lieu<br />

<strong>de</strong> ça, je suis obligé <strong>de</strong> rester assis sur <strong>le</strong> rebord pendant que ce vantard<br />

souil<strong>le</strong> la baie sacrée <strong>de</strong> sa présence. Pffff, il n'arrive pas à la chevil<strong>le</strong><br />

d'Arthur."<br />

Shui-Khan perçut <strong>le</strong> nom d'Arthur, eut un rictus et sou<strong>le</strong>va<br />

laborieusement toute la masse <strong>de</strong> son corps pour finir à moitié courbé.<br />

"Tu es aussi rouge que <strong>le</strong> sang <strong>de</strong> prétentieux qui cou<strong>le</strong> dans tes veines,<br />

lança Ronan avec provocation."<br />

Shui-Khan se garda bien <strong>de</strong> répondre, pour <strong>le</strong> plus grand plaisir <strong>de</strong><br />

Ronan. Ce <strong>de</strong>rnier savait bien pourquoi il était désormais intouchab<strong>le</strong>. Cet<br />

effronté n'oserait jamais lui manquer <strong>de</strong> respect, sauf à vouloir prendre <strong>le</strong><br />

risque <strong>de</strong>…<br />

"Ce n'est pas très sympa <strong>de</strong> <strong>le</strong> décourager ainsi, intervint Rick."<br />

L'élu venait d'émerger du hall du Cénac<strong>le</strong> et se tenait à côté <strong>de</strong><br />

Ronan, vêtu <strong>de</strong> sa tenue d'apparat. Encore une fois, il avait coupé ses<br />

cheveux pour lutter contre la pousse frénétique dont ils étaient victimes à<br />

Sorgentel. A l'inverse, sa barbe avait pris l'ascendant et <strong>de</strong>meurait<br />

invaincue, bien que raccourcie.<br />

3


"Merci <strong>de</strong> prendre ma défense, Rick, s'enthousiasma Shui-Khan.<br />

-Je ne prends pas ta défense, gamin malpoli, répliqua Rick. Si jamais je te<br />

revois insulter qui que ce soit ainsi, je te plonge la tête dans la baie<br />

jusqu'à ce que tu per<strong>de</strong>s connaissance.<br />

-Oh oui, jubila Ronan."<br />

Shui-Khan déglutit et se remit face à Omar, <strong>le</strong>quel riait maintenant à<br />

gorge déployée, comme si l'ado<strong>le</strong>scent ne l'avait jamais traité <strong>de</strong> "vieux<br />

crevard dégénéré".<br />

*POUF*<br />

Shui-Khan poussa un cri <strong>de</strong> dépit. Son épée venait encore une fois<br />

<strong>de</strong> disparaître, contre sa volonté. Irrité, il se mit à tourner en rond autour<br />

d'Omar, vomissant <strong>de</strong>s geignements frustrés.<br />

"Du calme, du calme, tempéra Omar.<br />

-ARTHUR, ARTHUR, ARTHUR, chanta Ronan pour l'exaspérer davantage,<br />

dans <strong>le</strong> but non voilé d'obtenir sa mort par crise cardiaque.<br />

-Arthur n'est qu'un bon à rien qui a eu plus <strong>de</strong> chance que <strong>le</strong>s autres,<br />

rétorqua vio<strong>le</strong>mment Shui-Khan. Un trip<strong>le</strong> bou<strong>le</strong>t qui se prend au sérieux<br />

juste parce qu'il est une élite. Si je l'avais en face <strong>de</strong> moi, je n'en ferais<br />

qu'une…"<br />

Soudain, toutes <strong>le</strong>s particu<strong>le</strong>s <strong>de</strong> lumière s'éloignèrent <strong>de</strong> Shui-<br />

Khan, tel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s lucio<strong>le</strong>s effrayées. Une distorsion déforma l'espace situé<br />

<strong>de</strong>rrière lui et une fail<strong>le</strong> béante donnant sur <strong>le</strong> Passage s'ouvrit, troublant<br />

<strong>le</strong> décor.<br />

"Tu me ferais quoi?"<br />

Arthur, Sonia, Sally et Jamie émergèrent du Passage <strong>le</strong>s premiers,<br />

sous <strong>le</strong> regard émerveillé <strong>de</strong> Ronan. Puis <strong>le</strong>s autres suivirent, chargés <strong>de</strong><br />

gros sacs à dos : Ibtissam, Aïshani et Anaïs que Ronan ne connaissait pas<br />

encore, Rachel – dont la chevelure avait mystérieusement perdu la moitié<br />

<strong>de</strong> sa longueur – Ana Rosa puis Elliott. Rick fit un sourire énorme qui ne<br />

lui ressemblait guère.<br />

"La cava<strong>le</strong>rie arrive, déclara Sonia avec un salut <strong>de</strong> la main. Bonjour tout<br />

<strong>le</strong> mon<strong>de</strong>!<br />

-Vous voila <strong>de</strong> retour jeunes gens, s'exclama Omar. Ce n'est pas trop tôt."<br />

Ronan exulta et partit se jeter vio<strong>le</strong>mment sur Arthur pour<br />

l'accueillir, avant d'accor<strong>de</strong>r sa considération aux autres. Au même<br />

moment, Asuka, qui venait d'avoir vent <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur arrivée par un moyen<br />

inexpliqué, jaillit du hall du Cénac<strong>le</strong> et se précipita vers <strong>le</strong> groupe. <strong>Les</strong><br />

minutes qui suivirent furent dédiées à un concert <strong>de</strong> cris enthousiastes, <strong>de</strong><br />

présentations, d'embrassa<strong>de</strong>s et <strong>de</strong> bonds hystériques ponctués <strong>de</strong> larmes<br />

3


gênées (Asuka), dissimulées (Sally se frottait nerveusement <strong>le</strong>s yeux dans<br />

<strong>le</strong>s plis <strong>de</strong> sa chemise) ou excessivement abondantes (Jamie finit par<br />

noyer l'épau<strong>le</strong> d'Arthur, submergé par l'émotion).<br />

"Shui, tu ne nous dis pas bonjour? <strong>le</strong> taquina Sonia.<br />

-Bonjour…, souffla Shui-Khan en tournant <strong>le</strong> dos."<br />

Ronan fut certain <strong>de</strong> percevoir un sourire vainement contenu.<br />

"Mais… il manque quelqu'un, réalisa soudain Rick après s'être libéré <strong>de</strong><br />

l'étreinte <strong>de</strong> Sonia. Où sont Xenia… et Andreas? Ne me dites pas qu'ils ne<br />

sont pas venus…"<br />

La joie s'effrita aussi rapi<strong>de</strong>ment qu'el<strong>le</strong> s'était manifestée et <strong>le</strong>s<br />

arrivants échangèrent <strong>de</strong>s regards gênés. Le visage d'Asuka se déforma.<br />

"Que se passe-t-il? <strong>de</strong>manda-t-il avec une nuance <strong>de</strong> panique. Il <strong>le</strong>ur est<br />

arrivé…<br />

-Non, non, ils sont sains et saufs, répondit Sonia d'une voix aussi<br />

rassurante que possib<strong>le</strong>, mais… nous allons <strong>de</strong>voir faire sans eux.<br />

-Ah… mais…"<br />

Asuka ouvrit la bouche sans émettre <strong>le</strong> moindre son, dévisagea Rick<br />

en recherche <strong>de</strong> soutien, puis se ravisa, peut-être découragé par<br />

l'expression <strong>de</strong> ses amis. Omar crut bon d'intervenir à ce moment.<br />

"L'essentiel est que vous soyez là, dit-il d'un air bourru. Allons vite<br />

prévenir Priam et <strong>le</strong>s autres. Ils seront transportés <strong>de</strong> vous savoir parmi<br />

nous. Al<strong>le</strong>z, entrez tous dans <strong>le</strong> Cénac<strong>le</strong>."<br />

3


Chapitre 22 : Tobias<br />

"Mmm… Vieillard, on <strong>de</strong>vrait commencer à par<strong>le</strong>menter, tu sais. Je veux<br />

dire que je n'ai pas la moindre idée <strong>de</strong> ce que font mes gars. Ca fait un<br />

moment qu'ils sont sortis.<br />

-Je ne suis point pressé, répondit calmement Primo. Patienter quelques<br />

minutes <strong>de</strong> plus…<br />

-Ouais mais tu vois, je n'ai pas envie qu'on dise <strong>de</strong> moi… "Ho, <strong>le</strong> jeune<br />

Toby est malpoli et fait patienter <strong>de</strong>s croulants qui ont déjà un pied dans<br />

la tombe". Ca me ferait une sa<strong>le</strong> réputation, tu sais."<br />

Eviter d'interrompre son interlocuteur serait déjà un bon point,<br />

songea Samuel, bras croisés. Cet individu n'avait aucun sens <strong>de</strong>s<br />

convenances, contrairement à Primo. Pourtant, ce <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong>meurait <strong>de</strong><br />

marbre, ne sourcillait même pas, confortab<strong>le</strong>ment calé dans un siège<br />

recouvert <strong>de</strong> tissu rouge.<br />

Derrière lui, Samuel perçut <strong>le</strong> rac<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> gorge <strong>de</strong> Maggie.<br />

Coincée entre Zahran et Victorio, el<strong>le</strong> ne semblait pas oser exprimer son<br />

mécontentement <strong>de</strong> manière plus ostensib<strong>le</strong>. Samuel lui jeta un regard<br />

carnassier, par simp<strong>le</strong> provocation, puis reporta <strong>de</strong> nouveau son attention<br />

sur la scène. Primo paraissait infiniment petit en position assise. Peut-être<br />

était-ce <strong>le</strong> cas – Samuel l'avait toujours vu petit – peut-être était-ce dû à<br />

la lumière agonisante <strong>de</strong>s quelques lampes installées dans <strong>le</strong> salon.<br />

"Samuel, tu n'es pas obligé <strong>de</strong> <strong>de</strong>meurer ainsi à mes côtés, fit remarquer<br />

Primo sans <strong>le</strong> regar<strong>de</strong>r. Tu pourrais prendre un siège, ou rejoindre <strong>le</strong>s<br />

autres <strong>de</strong>rrière moi. Tout dépend <strong>de</strong> la place que tu t'accor<strong>de</strong>s…"<br />

Samuel se tenait <strong>de</strong>bout juste à gauche du fauteuil <strong>de</strong> Primo.<br />

Casca<strong>de</strong> était ceinte à sa tail<strong>le</strong>, dans un fourreau usé qu'il avait<br />

récemment récupéré quelques dizaines <strong>de</strong> mètres plus loin, dans une<br />

armurerie <strong>de</strong> Port Sullivan.<br />

"Ca me convient parfaitement, merci, assura-t-il.<br />

-Soit. J'espère que tu es satisfait, j'ai accepté ta suggestion concernant <strong>le</strong>s<br />

Echo. Tous <strong>le</strong>s membres <strong>de</strong> la Confrérie, toi compris, en disposeront dès<br />

que nous aurons reçu cette comman<strong>de</strong>. Considère ceci comme un gage <strong>de</strong><br />

confiance.<br />

-Je vous en remercie Primo (J'en ferai bon usage…).<br />

-C'est moi qui te remercie."<br />

Primo ne quittait pas Tobias du regard, bien que celui-ci s'obstinât à<br />

observer <strong>le</strong> sol. Cet homme à l'attitu<strong>de</strong> négligée était affalé sur un long<br />

canapé rapiécé, semblab<strong>le</strong> à un patchwork. Jambes écartées, <strong>le</strong>s bras <strong>le</strong><br />

long du dossier <strong>de</strong> son siège, il donnait l'image d'un ado<strong>le</strong>scent effronté<br />

auquel on n'aurait pas appris <strong>le</strong>s bonnes manières.<br />

Tobias, la vingtaine bien entamée, était svelte et haut <strong>de</strong> tail<strong>le</strong>. Il<br />

avait un visage juvéni<strong>le</strong> encadré par <strong>de</strong>s favoris fournis, <strong>de</strong>s sourcils<br />

3


arqués et <strong>de</strong>s yeux gris éteints. Sa chevelure revêche était gran<strong>de</strong>ment<br />

masquée par un bonnet b<strong>le</strong>u enfoncé sur son crâne.<br />

C'était lui qui s'était arrangé pour réserver cette maison inhabitée <strong>de</strong><br />

Port Sullivan, afin que la conversation ait lieu à l'abri <strong>de</strong>s regards. <strong>Les</strong><br />

propriétaires n'avaient laissé <strong>de</strong>rrière eux que <strong>le</strong>s sièges occupés par<br />

Tobias et Primo et <strong>de</strong>s lampes à hui<strong>le</strong> poussiéreuses, fixées aux murs <strong>de</strong><br />

pierre. Le salon était vétuste et ténébreux, mais cela suffisait amp<strong>le</strong>ment.<br />

"Non mais sérieusement… Je crois qu'on va commencer, fit Tobias."<br />

Il tripotait machina<strong>le</strong>ment un sac <strong>de</strong> naces accroché à sa tail<strong>le</strong>. Ses<br />

ong<strong>le</strong>s étaient rongés jusqu'au sang. Sur <strong>le</strong> revers <strong>de</strong> sa main, l'emblème<br />

du Clan d'Azulnot : une sorte <strong>de</strong> f<strong>le</strong>ur à quatre péta<strong>le</strong>s, auréolée d'une<br />

cerc<strong>le</strong>. Nul doute que Tobias était l'actuel meneur du Clan. Même sa<br />

tenue, un simulacre d'uniforme militaire composé d'un chemisier blanc à<br />

col Mao, d'un long manteau b<strong>le</strong>u <strong>de</strong> type capote et d'un pantalon grisâtre,<br />

montrait son appartenance au groupe <strong>de</strong> mercenaires. Des gante<strong>le</strong>ts noirs<br />

et <strong>de</strong> grosses bottes en cuir <strong>de</strong> même cou<strong>le</strong>ur abondaient en ce sens.<br />

Cependant, Tobias n'avait pas la carrure d'un homme formé au combat. Il<br />

n'y avait pas même d'épée à proximité, uniquement un grand arc posé à<br />

côté <strong>de</strong> lui, sans carquois. A l'instar <strong>de</strong> nombreux membres <strong>de</strong> l'Azulnot, il<br />

ne se reposait probab<strong>le</strong>ment que sur la magie, pensa Samuel.<br />

"Très bien, commençons, acquiesça Primo, paupières baissées <strong>de</strong>rrière ses<br />

lunettes teintées <strong>de</strong> rouge. <strong>Les</strong> principa<strong>le</strong>s parties sont réunies, c'est<br />

l'essentiel."<br />

Il déboutonna sa redingote et se mit un peu plus à l'aise, jambes<br />

croisées, tel un membre <strong>de</strong> Country Club venu fumer son cigare quotidien.<br />

Un bâil<strong>le</strong>ment presque inaudib<strong>le</strong> se manifesta alors. La représentante <strong>de</strong><br />

la troisième partie souhaitait rappe<strong>le</strong>r sa présence, ou faire mine d'avoir<br />

été indisposée par ce léger retard. Jusque là, el<strong>le</strong> s'était révélée très<br />

discrète, assise sur <strong>le</strong> rebord <strong>de</strong> l'unique fenêtre du petit salon – fenêtre<br />

qui donnait d'ail<strong>le</strong>urs sur un couloir sombre, et non pas sur l'extérieur.<br />

Tobias lui jeta un regard furtif puis baissa <strong>de</strong> nouveau <strong>le</strong>s yeux, vers <strong>le</strong> sac<br />

<strong>de</strong> naces qui lui servait <strong>de</strong> jouet.<br />

"Ma chère Irène, vous avez fait un long chemin pour nous rejoindre,<br />

déclara Primo avec une once d'empathie. Nous vous en sommes<br />

reconnaissants.<br />

-Je suis disposée à franchir <strong>de</strong>s montagnes pour vous revoir Primo,<br />

répondit Irène en opinant <strong>de</strong> la tête. Vous êtes toujours aussi p<strong>le</strong>in <strong>de</strong><br />

vie."<br />

Irène était à la fois intrigante, discrète, hautaine et élégante. Très<br />

élégante. El<strong>le</strong> avait la froi<strong>de</strong> distinction d'une Milady <strong>de</strong> Winter et la<br />

beauté intemporel<strong>le</strong> d'une actrice hollywoodienne <strong>de</strong>s années cinquante.<br />

3


De plus, el<strong>le</strong> était élancée, dotée d'un galbe parfait et d'une peau satinée<br />

comme cel<strong>le</strong> d'une poupée <strong>de</strong> porcelaine.<br />

Balançant régulièrement ses longues jambes dans <strong>le</strong> vi<strong>de</strong>, el<strong>le</strong><br />

dévisagea Samuel, sans semb<strong>le</strong>r lui porter <strong>de</strong> réel intérêt. Ses yeux<br />

cou<strong>le</strong>ur charbon s'attardèrent sur lui un court instant, puis el<strong>le</strong> fit<br />

ostensib<strong>le</strong>ment battre ses longs cils pour observer <strong>le</strong>s membres <strong>de</strong> la<br />

Confrérie. Sa longue chevelure blanche, coupée au carré, suivit<br />

légèrement ses mouvements <strong>de</strong> tête sans semb<strong>le</strong>r pouvoir jamais perdre<br />

<strong>de</strong> sa perfection. Même sa frange avait été impeccab<strong>le</strong>ment coupée, <strong>de</strong><br />

manière à ne pas lui voi<strong>le</strong>r <strong>le</strong> regard.<br />

"Victorio Benedict… Dis-moi, où as-tu trouvé ce nom d'emprunt?<br />

<strong>de</strong>manda-t-el<strong>le</strong> d'une voix douce. Il est fort recherché."<br />

Victorio se garda bien <strong>de</strong> répondre, si l'on omettait <strong>le</strong> regard rempli<br />

d'aversion qu'il lui jetait. El<strong>le</strong> ne se démonta pas et lui sourit.<br />

"Je transmettrai tes sentiments au Régent, promit-el<strong>le</strong>.<br />

-Laisse moi en paix, finit par dire Victorio avant <strong>de</strong> lui tourner <strong>le</strong> dos.<br />

-Moi, je suis intéressé par <strong>le</strong> procédé que ces <strong>de</strong>ux-là utilisent pour al<strong>le</strong>r<br />

sur Terre sans être victime <strong>de</strong> vieillissement accéléré, intervint Tobias en<br />

désignant grossièrement Victorio et Maggie du doigt. La chevelure, c'est<br />

une autre histoire! <strong>Les</strong> gens <strong>de</strong> Nace sont rôdés. Par contre, contourner la<br />

malédiction, j'aimerais bien savoir faire, histoire <strong>de</strong> pouvoir al<strong>le</strong>r me<br />

promener chez <strong>le</strong>s humains un <strong>de</strong> ces quatre. Ils sont bien Sorgenteli c'est<br />

<strong>de</strong>ux là, hein?<br />

-Naturel<strong>le</strong>ment, confirma Primo.<br />

-Comment ça marche? <strong>de</strong>manda Tobias.<br />

-Si je <strong>le</strong> disais, ce ne serait plus un secret."<br />

Primo époussetait son épau<strong>le</strong> droite pour en chasser une poussière<br />

indésirab<strong>le</strong>. Il ajouta un élément – évasif – à sa réponse.<br />

"Même si je vous <strong>le</strong> disais, vous ne pourriez pas mettre ce procédé en<br />

pratique… Sans compter que je compte bien me réserver l'accès au mon<strong>de</strong><br />

humain. Autrement, ce cher Hermès ne verrait plus en moi <strong>le</strong> moindre<br />

intérêt.<br />

-Mmm…, fit Tobias d'un air résigné.<br />

-Le Régent vous a en estime et apprécie ce que vous lui relatez au sujet<br />

du mon<strong>de</strong> humain, assura Irène avec un sourire. Je crois qu'il s'en<br />

satisfait amp<strong>le</strong>ment et qu'un déplacement sur Terre ne l'intéresse point.<br />

-J'ai mes doutes à ce sujet, mais je vous remercie <strong>de</strong> cette réponse si bien<br />

tournée, dit Primo."<br />

Irène avait effectivement <strong>le</strong> don pour répondre aux attentes <strong>de</strong> ses<br />

interlocuteurs, <strong>le</strong>ur faire entendre ce qu'ils espéraient d'el<strong>le</strong>. Digne du bras<br />

droit d'un dirigeant comme Hermès, imbu <strong>de</strong> sa personne, pensa Samuel<br />

en contenant un sourire.<br />

3


"J'ose me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r… où en est la construction <strong>de</strong> cette fameuse arène<br />

qui fait tant vibrer <strong>le</strong>s salons <strong>de</strong> Sorgentel par <strong>le</strong>s polémiques qu'el<strong>le</strong><br />

engendre? l'interrogea Primo. Qu'en est-il, ma chère Irène?<br />

-Je m'étonne que l'on puisse débattre <strong>de</strong> la mise en œuvre d'une structure<br />

dédiée au divertissement du peup<strong>le</strong> <strong>de</strong> Ca<strong>de</strong>ro et <strong>de</strong> Sorgentel en général.<br />

<strong>Les</strong> amateurs <strong>de</strong> spectac<strong>le</strong> comprendront rapi<strong>de</strong>ment qu'il n'y a pas lieu<br />

<strong>de</strong> prêter à cette entreprise tous <strong>le</strong>s torts avancés par <strong>le</strong>s autorités du<br />

Havre.<br />

-En effet.<br />

-<strong>Les</strong> travaux avancent à un rythme soutenu. Nous espérons pouvoir vous<br />

faire visiter ce lieu grandiose d'ici quelques jours, bien que nous<br />

n'envisagions point d'y commencer la moindre activité avant quelques<br />

temps.<br />

-J'ai hâte <strong>de</strong> voir tout ceci. Le Régent Hermès me fera bien l'honneur<br />

d'une place <strong>de</strong> choix dans <strong>le</strong>s gradins?<br />

-Cela va <strong>de</strong> soi."<br />

Tobias s'était complètement détaché <strong>de</strong> la conversation, intéressé<br />

qu'il était désormais par <strong>le</strong>s mèches <strong>de</strong> cheveux qui dépassaient <strong>de</strong> sous<br />

son bonnet.<br />

"J'ai cru comprendre que <strong>le</strong> subterfuge <strong>de</strong>stiné à duper la Milice <strong>de</strong> Juval<br />

s'est passé sans encombres, dit Primo, enfin décidé à entrer dans <strong>le</strong> vif du<br />

sujet.<br />

-Parfaitement, répondit Irène. Grâce à l'appui du Clan d'Azulnot (el<strong>le</strong><br />

accorda un regard à Tobias), l'attention <strong>de</strong>s soldats et <strong>de</strong>s trois élus qui<br />

<strong>le</strong>s accompagnaient a été détournée tandis que nous transportions l'Orbe<br />

vers Ca<strong>de</strong>ro, en toute quiétu<strong>de</strong>.<br />

-Dommage que Downin ait perdu la vie dans cette opération, fit<br />

remarquer Tobias.<br />

-Je crois comprendre qu'il a choisi <strong>de</strong> mettre fin à ses jours pour accomplir<br />

son <strong>de</strong>voir, fit Irène en haussant ses sourcils fins. Un acte nob<strong>le</strong> qui n'a<br />

pas été ignoré par <strong>le</strong> Régent Hermès.<br />

-Mmm…<br />

-Toujours est-il que l'Orbe est désormais sous notre protection,<br />

conformément à vos directives, Primo. Il est actuel<strong>le</strong>ment en transit à<br />

proximité <strong>de</strong> l'Avant Poste <strong>de</strong> Ka<strong>de</strong>ïsi et effectuera sa <strong>de</strong>rnière étape d'ici<br />

quelques jours, afin d'être amené au cœur <strong>de</strong> la Rési<strong>de</strong>nce et conservé sur<br />

place.<br />

-Je suis ravi <strong>de</strong> l'entendre. Toutefois, l'arrivée imminente <strong>de</strong>s élus<br />

m'oblige à émettre <strong>de</strong>s réserves sur <strong>le</strong> <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> sécurité que vos hommes<br />

et ceux du Clan pourront assurer.<br />

-<strong>Les</strong> élus seraient déjà à Sorgentel?<br />

-Wow, fit Tobias.<br />

-S'ils ne <strong>le</strong> sont pas déjà, ils arriveront avant que <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il ne se couche,<br />

confirma Primo."<br />

3


Comme l'avait supposé Samuel, Primo continuait à gar<strong>de</strong>r l'œil sur<br />

Arthur afin d'anticiper <strong>le</strong>s déplacements importants <strong>de</strong> GLOW. Il lui avait<br />

probab<strong>le</strong>ment suffi <strong>de</strong> voir <strong>le</strong> jeune homme quitter ses grands-parents<br />

avec un sac à dos ou une valise épaisse pour comprendre que l'heure du<br />

départ était arrivée. Samuel pesta intérieurement. Il n'avait aucun moyen<br />

<strong>de</strong> prévenir Arthur <strong>de</strong> cette surveillance dont il était victime, sans briser<br />

l'entrave qui scellait ses paro<strong>le</strong>s. Lui en par<strong>le</strong>r revenait à révé<strong>le</strong>r la<br />

localisation <strong>de</strong> Samuel.<br />

"Qu'est-ce que tu suggères vieillard? <strong>de</strong>manda Tobias, subitement<br />

intéressé. Je crois que tu <strong>le</strong>s connais mieux que nous.<br />

-Il convient <strong>de</strong> <strong>le</strong>s stopper, bien évi<strong>de</strong>mment. Leur objectif sera <strong>de</strong><br />

récupérer l'Orbe <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an, du moins d'essayer. C'est <strong>le</strong>ur seu<strong>le</strong><br />

alternative étant donné qu'ils ne sont pas parvenus à prendre possession<br />

<strong>de</strong> Fenrir.<br />

-Or, il est dans notre intérêt <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r au moins Fenrir ou l'Orbe <strong>de</strong><br />

Ky<strong>le</strong>an <strong>de</strong> notre côté jusqu'à ce que <strong>le</strong> cours <strong>de</strong>s évènements nous soit<br />

favorab<strong>le</strong> et que <strong>le</strong> <strong>de</strong>stin qu'ils ont imposé à Sorgentel trouve son issue,<br />

n'est-ce pas? fit Irène.<br />

-Vous comprenez parfaitement, ma chère Irène."<br />

"Leur seu<strong>le</strong> alternative… Si tu savais…" songea Samuel, repensant à<br />

ce qui lui avait révélé Arthur à propos <strong>de</strong> Leryan. Avec un peu <strong>de</strong> chance,<br />

récupérer l'orbe ou Fenrir ne serait pas <strong>le</strong> seul moyen pour <strong>le</strong>s élus <strong>de</strong><br />

remettre la Concrétisation sur <strong>le</strong>s rails.<br />

"Vous, la Confrérie, vous avez un moyen <strong>de</strong> localiser <strong>le</strong>s élus? <strong>de</strong>manda<br />

Tobias.<br />

-Malheureusement non. Nous sommes dans l'incapacité <strong>de</strong> <strong>le</strong>s situer<br />

lorsqu'ils sont à Sorgentel, déplora Primo d'un air faussement affecté.<br />

-Dans ce cas, il faut <strong>le</strong>s pister. Je veux dire, estimer <strong>le</strong>ur point d'arrivée et<br />

ne plus <strong>le</strong>s lâcher une fois qu'on <strong>le</strong>s aura trouvés, suggéra Tobias.<br />

-Cette option est sans doute trop aléatoire, intervint Samuel."<br />

Irène et Tobias <strong>le</strong> scrutèrent en même temps, visib<strong>le</strong>ment surpris<br />

qu'il s'exprime. Tobias ne soutint pas son regard plus <strong>de</strong> quelques<br />

secon<strong>de</strong>s. Il semblait avoir du mal à regar<strong>de</strong>r <strong>le</strong>s gens dans <strong>le</strong>s yeux.<br />

"Samuel, mon bras droit, <strong>le</strong> présenta Primo d'un air affab<strong>le</strong>.<br />

-D'après ce que j'ai compris, trois <strong>de</strong>s élus ont participé à la tentative<br />

menée par la Milice pour récupérer l'Orbe il y a quelques jours, continua<br />

Samuel. Dans ce contexte, ils vont probab<strong>le</strong>ment coopérer avec la Milice<br />

pour partir à la recherche <strong>de</strong>s hommes qui escortent cet orbe vers Ca<strong>de</strong>ro.<br />

Il serait sensé <strong>de</strong> focaliser notre attention sur <strong>le</strong> parcours qui sépare Juval<br />

<strong>de</strong> Ca<strong>de</strong>ro. Je suis presque sûr qu'ils débarqueront directement aux<br />

quartiers généraux <strong>de</strong> la Milice."<br />

3


Samuel voulait, autant que possib<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s dissua<strong>de</strong>r <strong>de</strong> surveil<strong>le</strong>r<br />

Havre, cité dans laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s élus arriveraient.<br />

"Bof, c'est assez naïf, répliqua Tobias.<br />

-Je pense avoir mal entendu. "<br />

Tobias plaqua sa main droite sur son bonnet pour <strong>le</strong> réajuster, se<br />

redressa et saisit son arc, dont Samuel remarqua qu'il était démuni <strong>de</strong><br />

cor<strong>de</strong>. Instinctivement, ce <strong>de</strong>rnier mit sa main sur la gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> Casca<strong>de</strong>.<br />

"Juste une secon<strong>de</strong>, ne bougez pas, fit Tobias avec un petit rictus."<br />

Primo et Irène se plièrent à cette <strong>de</strong>man<strong>de</strong>. Sans se <strong>le</strong>ver <strong>de</strong> son<br />

siège, Tobias se tourna vers <strong>le</strong> mur situé à sa gauche et tira sur une cor<strong>de</strong><br />

imaginaire, dans une démarche conforme à cel<strong>le</strong> d'un archer. Il visait un<br />

point indéterminé, juste au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> l'âtre rougeoyant.<br />

"Asteria"<br />

Une flèche <strong>de</strong> glace mortel<strong>le</strong>ment effilée se forma aussitôt, dans un<br />

nimbe blanchâtre. <strong>Les</strong> doigts <strong>de</strong> sa main droite se refermèrent brièvement<br />

sur son empennage, puis il laissa partir <strong>le</strong> projecti<strong>le</strong>. Samuel vit la flèche<br />

traverser <strong>le</strong> mur <strong>de</strong> pierre sans <strong>le</strong> moindre bruit et disparaître.<br />

"Voila, fit simp<strong>le</strong>ment Tobias en reposant son arc."<br />

La conversation reprit comme si <strong>de</strong> rien n'était. Seul Samuel et <strong>le</strong>s<br />

trois autres membres <strong>de</strong> la Confrérie semblaient s'inquiéter <strong>de</strong> ce qui<br />

s'était passé. Maggie était particulièrement bou<strong>le</strong>versée, <strong>le</strong>s arcs et<br />

arbalètes étant ses armes <strong>de</strong> prédi<strong>le</strong>ction.<br />

"Donc, je disais que surveil<strong>le</strong>r ce parcours ne suffit pas vraiment. Il vaut<br />

mieux se concentrer sur Althiès.<br />

-Althiès? répéta Samuel d'un air incrédu<strong>le</strong>.<br />

-On ne peut rien faire au Havre, tu sais. Trop <strong>de</strong> soldats du Cénac<strong>le</strong> pour<br />

que l'on passe inaperçus. Je suis sûr que <strong>le</strong>s Anciens ont prévu <strong>de</strong>s gens<br />

pour surveil<strong>le</strong>r tous ceux qui surveil<strong>le</strong>raient <strong>le</strong>s élus <strong>de</strong> trop près. Des<br />

surveillants <strong>de</strong> surveillants si tu préfères… Du coup, Althiès est moins<br />

risqué. Priam, <strong>le</strong> chef <strong>de</strong>s Anciens, est originaire <strong>de</strong> ce patelin. Comme ce<br />

type est <strong>le</strong> principal allié <strong>de</strong>s élus, il y a <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s chances qu'ils passent<br />

par Althiès, quel<strong>le</strong> que soit <strong>le</strong>ur <strong>de</strong>stination. Soit pour s'y reposer, soit<br />

pour une autre raison.<br />

En plus, Althiès est un passage quasi obligatoire pour tout parcours vers<br />

l'Ouest ou <strong>le</strong> Sud, en admettant que l'on parte du Havre. Ce n'est pas <strong>le</strong><br />

cas si l'on part vers <strong>le</strong> Sud-Est ou l'Est, mais <strong>de</strong> toute façon, <strong>le</strong>s seuls lieux<br />

intéressants dans cette région sont Juval et Ca<strong>de</strong>ro, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la forêt<br />

De<strong>le</strong>st. Du coup, on placera aussi <strong>de</strong>s gens efficaces à Ka<strong>de</strong>ïsi pour ai<strong>de</strong>r<br />

3


<strong>le</strong>s hommes d'Hermès, au cas où <strong>le</strong>s élus voudraient <strong>le</strong>s rattraper pour<br />

stopper <strong>le</strong> convoi <strong>de</strong> l'Orbe. Tu vois?<br />

-Ah… En effet, fut contraint d'admettre Samuel.<br />

-Je suis sûr que <strong>le</strong>s élus savent que l'on est après eux. Ils ne<br />

commenceront pas par Juval. Ils débarqueront au Havre! C'est <strong>le</strong> lieu <strong>le</strong><br />

plus sûr pour <strong>le</strong>ur groupe."<br />

Samuel pouvait sentir <strong>le</strong> sourire victorieux <strong>de</strong> Maggie dans son dos,<br />

ravie <strong>de</strong> <strong>le</strong> voir se faire ridiculiser <strong>de</strong>vant Primo. De toute évi<strong>de</strong>nce il avait<br />

sous-estimé Tobias. Ce jeune homme désinvolte n'était pas <strong>le</strong> chef du<br />

Clan d'Azulnot pour rien. Il était presque aussi rusé que <strong>le</strong> <strong>le</strong>a<strong>de</strong>r <strong>de</strong> la<br />

Confrérie.<br />

"Si je puis me permettre d'interférer, j'ai une petite modification à<br />

suggérer, dit justement celui-ci.<br />

-Ah bon? s'étonna Tobias.<br />

-Il serait plus sage <strong>de</strong> laisser la Confrérie se charger du soutien aux<br />

hommes d'Hermès à Ka<strong>de</strong>ïsi. Victorio et Zahran se feront une joie <strong>de</strong> se<br />

joindre au convoi pour écarter <strong>le</strong>s élus trop curieux qui viendraient à<br />

approcher."<br />

Victorio et Zahran opinèrent <strong>de</strong> la tête sans dire mot, après qu'il ait<br />

tourné la tête vers eux pour d'obtenir <strong>le</strong>ur assentiment.<br />

"Ces <strong>de</strong>ux jeunes gens et <strong>le</strong>s hommes d'Hermès suffiront amp<strong>le</strong>ment à la<br />

<strong>de</strong>rnière étape séparant Ka<strong>de</strong>ïsi <strong>de</strong> Ca<strong>de</strong>ro. Qu'en pensez-vous ma chère<br />

Irène?<br />

-J'en prends note. M'est avis que <strong>le</strong> Régent se réjouira <strong>de</strong> cette<br />

organisation bien structurée, affirma Irène."<br />

Primo s'adressa <strong>de</strong> nouveau à Tobias.<br />

"De sorte que vous pourrez mettre vos meil<strong>le</strong>urs éléments sur la piste <strong>de</strong>s<br />

élus… à Althiès, comme vous l'avez si sagement suggéré.<br />

-Il y a une limite?<br />

-Il n'y en a aucune. Si <strong>de</strong>s individus aux cheveux colorés daignent entrer à<br />

Althiès ou en frô<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s limites, ils <strong>de</strong>vront être arrêtés à <strong>le</strong>ur sortie, aussi<br />

discrètement que possib<strong>le</strong> bien sûr. Atten<strong>de</strong>z qu'ils aient fait quelques<br />

kilomètres, par mesure <strong>de</strong> sûreté."<br />

Il ne fallait pas que l'on puisse trop faci<strong>le</strong>ment faire <strong>le</strong> lien entre un<br />

mauvais acci<strong>de</strong>nt dont seraient victimes <strong>le</strong>s élus, et <strong>le</strong> Clan d'Azulnot.<br />

Après tout, <strong>le</strong>s élus avaient la faveur du peup<strong>le</strong> <strong>de</strong> Sorgentel. Jusqu'à<br />

présent, tout n'était que rumeur et suspicion. Cependant, si l'on prouvait<br />

que <strong>de</strong>s mercenaires s'en étaient pris à eux, <strong>le</strong>s fon<strong>de</strong>ments du plan <strong>de</strong><br />

cette alliance tripartite s'écrou<strong>le</strong>raient.<br />

"Bon… Mes hommes n'ont aucune limite, considéra Tobias."<br />

3


A cet instant, l'unique porte <strong>de</strong> ce salon <strong>de</strong> fortune s'ouvrit en<br />

grinçant, <strong>de</strong>rrière <strong>le</strong> siège <strong>de</strong> Tobias. Trois Sorgenteli vêtus du même<br />

accoutrement que <strong>le</strong> chef du Clan d'Azulnot firent <strong>le</strong>ur entrée, considérant<br />

rapi<strong>de</strong>ment du regard <strong>le</strong>s occupants <strong>de</strong> la pièce. Il y avait là une femme<br />

d'une vingtaine d'années, aux cheveux hirsutes et à la constitution frê<strong>le</strong>.<br />

Puis un homme mince mais bien constitué, avec <strong>de</strong> longs cheveux noués<br />

en catogan et une longue épée dans <strong>le</strong> dos. Le <strong>de</strong>rnier était aussi un<br />

homme, haut d'au moins <strong>de</strong>ux mètres et bâti comme une armoire à glace.<br />

Il était chauve et se caractérisait par un visage géométrique dont <strong>le</strong> point<br />

d'orgue était une moustache fournie. Du sang encore frais maculait <strong>le</strong><br />

haut <strong>de</strong> son manteau.<br />

"Ce n'est pas trop tôt, râla un peu Tobias. Daria, Gertt, Horatio! Je me<br />

<strong>de</strong>mandais où vous étiez <strong>le</strong>s gars. J'ai une mission à vous confier.<br />

-Chef, vous avez tué <strong>le</strong> type avec votre Asteria au moment où j'allais<br />

l'éliminer, répliqua l'armoire à glace.<br />

-Désolé Gertt. C'était un espion, hein?<br />

-Je crois que oui… Sans doute quelqu'un envoyé par <strong>le</strong> Cénac<strong>le</strong>. Votre<br />

Asteria a transpercé sa gorge juste après que nous l'ayons découvert en<br />

train d'épier sur <strong>le</strong> toit. Il a sauté et nous l'avons poursuivi mais vous êtes<br />

intervenu."<br />

La femme, qui ne <strong>de</strong>vait pas faire plus d'un mètre soixante, fut prise<br />

d'un haut <strong>le</strong> cœur.<br />

"Daria n'a pas aimé voir sa caroti<strong>de</strong> gic<strong>le</strong>r, précisa Gertt. El<strong>le</strong> a manqué <strong>de</strong><br />

défaillir sur <strong>le</strong> coup.<br />

-Ce n'est pas comme si <strong>le</strong> sang l'avait tâché el<strong>le</strong> et pas toi, dit <strong>le</strong><br />

troisième, Horatio.<br />

-Pour sûr. En tout cas j'ai récupéré son collier comme trophée, se réjouit<br />

Gertt. Joli bijou en roche topa!<br />

-Je ne me ferai jamais à cette habitu<strong>de</strong> morbi<strong>de</strong> que tu as <strong>de</strong> récupérer<br />

<strong>le</strong>s possessions <strong>de</strong> tes victimes, soupira Daria, dont <strong>le</strong> teint était b<strong>le</strong>uâtre.<br />

Tu aurais au moins pu prendre un objet non imbibé <strong>de</strong> son sang.<br />

-Je voulais son in<strong>de</strong>x droit mais tu as hurlé pour m'en empêcher, Daria.<br />

-Avec raison, protesta-t-el<strong>le</strong>.<br />

-Quoi qu'il en soit, cet espion n'aura rien à raconter à ses supérieurs, dit<br />

Horatio d'une voix posée. Nous nous sommes rapi<strong>de</strong>ment débarrassés <strong>de</strong><br />

son corps.<br />

-Beau travail, <strong>le</strong>s félicita Primo d'un air ravi. Tobias, comment avez-vous…<br />

-Mon ouïe, coupa Tobias. Ce sens a toujours été très développé chez moi,<br />

tu sais. Je peux percevoir <strong>le</strong> battement d'un cœur à cinq mètres à la<br />

ron<strong>de</strong>, même à travers <strong>de</strong>s parois. Cela compense mon absence <strong>de</strong> ta<strong>le</strong>nt<br />

pour <strong>le</strong> combat."<br />

Il jeta un regard furtif à Samuel, avant <strong>de</strong> se concentrer <strong>de</strong> nouveau<br />

sur <strong>le</strong> sol.<br />

3


"Grâce à ça, je peux distinguer <strong>le</strong>s pulsations frénétiques chez <strong>le</strong>s<br />

individus, donc la peur, <strong>le</strong> mensonge ou <strong>le</strong> stress… D'ail<strong>le</strong>urs, tu dois être<br />

très stressé, Samuel. Ton cœur bat à une vitesse phénoména<strong>le</strong>.<br />

-Moi?<br />

-Oui, toi mon grand!"<br />

Tobias <strong>le</strong> fixait intensément du regard. Samuel fit en sorte <strong>de</strong> se<br />

calmer, malgré <strong>le</strong> malaise qui s'emparait <strong>de</strong> lui. Habituel<strong>le</strong>ment, il<br />

n'éprouvait pas la moindre difficulté à mentir. En une dizaine d'années,<br />

c'était presque <strong>de</strong>venu une secon<strong>de</strong> nature au sein <strong>de</strong> la Confrérie. Il n'y<br />

avait qu'avec ses rares amis qu'il ne parvenait pas à camouf<strong>le</strong>r ses<br />

sentiments. Qui était cet homme?<br />

"C'est un peu comme ce gars <strong>de</strong>rrière avec <strong>le</strong> revolver blanc et or, ou bien<br />

cette femme aux cheveux flamboyants, ajouta Tobias."<br />

Samuel vit Maggie et Victorio faire <strong>de</strong> gros yeux. Ce <strong>de</strong>rnier semblait<br />

prêt à user <strong>de</strong> son arme pour châtier l'individu qui osait ainsi son<strong>de</strong>r son<br />

âme.<br />

"Oui, ils ont tous <strong>le</strong> cœur qui bat très vite, conclut Tobias.<br />

-Ils sont très excités par ce qui se passe, déduisit Primo.<br />

-Ouais… Normal, conclut Tobias."<br />

Samuel sentit <strong>le</strong> besoin urgent <strong>de</strong> s'éloigner <strong>de</strong> cet individu. Cette<br />

fois-ci, il s'en était tiré à bon compte, grâce à une coïnci<strong>de</strong>nce. S'il était<br />

amené à mentir trop souvent en sa présence, il serait rapi<strong>de</strong>ment<br />

découvert.<br />

"Enfin… Je veux que vous alliez camper du côté d'Althiès, ordonna Tobias<br />

à ses hommes. Surveil<strong>le</strong>z <strong>le</strong>s allées et venues. Si <strong>le</strong>s élus passent par là,<br />

guettez <strong>le</strong>ur sortie et mettez un frein à <strong>le</strong>urs ambitions, vous voyez?<br />

-Nous voyons parfaitement chef, répondit Horatio."<br />

Irène eut un petit rire satisfait.<br />

3


Chapitre 23 : Discor<strong>de</strong> à Sorgentel<br />

La mèche rebel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Priam pointait alternativement vers la gauche<br />

puis la droite, parcourant son front plissé avec <strong>le</strong> balancement<br />

caractéristique d'un essuie-glace. Penché sur la sphère, <strong>le</strong>s mains<br />

plaquées sur <strong>le</strong> rebord <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> tab<strong>le</strong> <strong>de</strong> la sal<strong>le</strong> à manger, il avançait<br />

et reculait énergiquement la tête, fronçant parfois <strong>le</strong>s sourcils avec<br />

perp<strong>le</strong>xité. Son visage amaigri, à l'expression inquisitrice, trahissait sa<br />

volonté <strong>de</strong> s'assurer qu'il s'agissait bien là d'Altaïr, disparu <strong>de</strong>puis <strong>de</strong><br />

longues semaines. Pour autant, la sphère se gardait bien <strong>de</strong> manifester la<br />

moindre preuve <strong>de</strong> son authenticité, se contentant <strong>de</strong> rester inerte sur <strong>le</strong><br />

petit présentoir noir qui lui avait été réservé.<br />

Priam avait la mine fatiguée d'un homme ayant désespérément<br />

guetté une lumière d'espoir, sans jamais en percevoir la moindre parcel<strong>le</strong>.<br />

Seul l'éclat <strong>de</strong> ses yeux b<strong>le</strong>us donnait vie à son visage, accentué par <strong>le</strong>s<br />

rayons <strong>de</strong> so<strong>le</strong>il s'étant glissés par une fenêtre <strong>de</strong> la pièce, et peut-être<br />

aussi par la vision <strong>de</strong> ce trésor retrouvé.<br />

A sa gauche, l'immense Omar restait à une distance respectueuse<br />

<strong>de</strong> la sphère, à l'instar <strong>de</strong> la croulante Aylin dont on se <strong>de</strong>mandait même<br />

si el<strong>le</strong> était suffisamment consciente pour réaliser que la pièce était<br />

remplie d'élus. Sa main sque<strong>le</strong>ttique, fermement agrippée au cou<strong>de</strong><br />

d'Omar, fournissait toutefois une preuve concrète <strong>de</strong> sa détermination à<br />

vivre. Arthur n'aimait pas trop se trouver dans la même pièce que la<br />

vieil<strong>le</strong> dame, craignant toujours qu'el<strong>le</strong> tombe rai<strong>de</strong> morte s'il avait <strong>le</strong><br />

malheur d'éternuer.<br />

"Hmmm, fit longuement Meo, examinant la sphère à travers ses épaisses<br />

lunettes à monture rouge."<br />

Le Maesprine <strong>de</strong>s Î<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Nace, habitué qu'il était à scruter <strong>de</strong>s<br />

objets <strong>de</strong> va<strong>le</strong>ur tels que la Nace opaline qui était accrochée à son cou,<br />

arborait une mine à la fois disciplinée et perp<strong>le</strong>xe. Ses cheveux jaunes<br />

(car <strong>le</strong> terme "blonds" n'aurait pas décrit cette cou<strong>le</strong>ur avec fidélité)<br />

étaient collés à son front par la sueur qui lui faisait bril<strong>le</strong>r <strong>le</strong> visage.<br />

"Hmmm, répéta Meo en plissant <strong>le</strong>s yeux comme une taupe."<br />

Sonia dût réaliser que <strong>le</strong>s quatre Anciens n'arrivaient pas à se<br />

décol<strong>le</strong>r <strong>de</strong> la sphère d'Altaïr, puisqu'el<strong>le</strong> prit la paro<strong>le</strong> pour couper court à<br />

cette séance d'examen :<br />

"Enzo Wallace a confirmé qu'il s'agissait là d'Altaïr, il n'y a aucun doute là<strong>de</strong>ssus.<br />

En tant qu'incarnation du chamane Osman-Wallace, il a<br />

légitimement pu authentifier cet objet grâce aux pouvoirs dont il a<br />

hérités."<br />

3


Priam se redressa, presque aussitôt suivi par Meo. Le jeune<br />

Maesprine s'épongea <strong>le</strong> front du revers <strong>de</strong> la manche et sourit <strong>de</strong><br />

satisfaction.<br />

"Nous sommes p<strong>le</strong>inement satisfaits, surtout si vous disposez <strong>de</strong> l'appui<br />

spirituel d'un chamane, assura Priam d'un air détendu. Bien qu'Asuka<br />

nous ait affirmé que vous aviez pris possession <strong>de</strong> la sphère, nous ne<br />

pouvions décemment pas dormir sur nos <strong>de</strong>ux oreil<strong>le</strong>s tant que vous<br />

n'aviez pas rallié Havre.<br />

-Nous craignions par-<strong>de</strong>ssus tout <strong>de</strong> nous réjouir trop vite <strong>de</strong> cette semi<br />

victoire, précisa Meo. Certes, il est regrettab<strong>le</strong> <strong>de</strong> n'avoir… qu'une créature<br />

sur <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux…"<br />

Meo marqua une pause.<br />

"…Toujours est-il que la Confrérie n'est sans doute pas en mesure <strong>de</strong><br />

poursuivre immédiatement ses plans. Loin <strong>de</strong> moi l'idée <strong>de</strong> me satisfaire<br />

<strong>de</strong> ce maigre obstac<strong>le</strong> qui lui barre la route, mais nous <strong>de</strong>vons saisir cette<br />

opportunité pour la frapper et récupérer l'Orbe <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an. Cet échec doit<br />

l'avoir affaibli, d'une manière ou d'une autre. Ses membres ont<br />

nécessairement besoin d'un peu <strong>de</strong> temps pour rectifier <strong>le</strong> tir, déterminer<br />

comment agir sans Altaïr. C'est <strong>de</strong> cette marge réduite que nous <strong>de</strong>vons<br />

profiter!<br />

-Mon pauvre Meo, tu es bien un homme <strong>de</strong> science, fit remarquer Omar.<br />

-Excuse-moi? répliqua Meo d'un air pincé.<br />

-C'est bien toi d'élaborer <strong>de</strong>s stratégies sorties tout droit <strong>de</strong> ton<br />

imagination ferti<strong>le</strong> <strong>de</strong> rat <strong>de</strong> bibliothèque. Tout ne se résume pas à <strong>de</strong>s<br />

opportunités, <strong>de</strong>s probabilités ou <strong>de</strong>s marges <strong>de</strong> manœuvre. Cette lutte<br />

n'est pas une équation. D'accord, admettons que <strong>le</strong> retour d'Altaïr dans<br />

notre camp soit un atout… Qui te dit que la Confrérie n'avait pas anticipé<br />

cette perte? Ils disposent peut-être d'un moyen <strong>de</strong> poursuivre <strong>le</strong>urs<br />

actions sans Altaïr. Je te rappel<strong>le</strong> qu'ils ont l'Orbe <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an et Fenrir à<br />

<strong>le</strong>ur disposition. Deux objets primordiaux sur trois!<br />

-C'est bien pour cela que je préconise une action à l'encontre <strong>de</strong> la<br />

Confrérie et <strong>de</strong> ses alliés, au niveau <strong>de</strong> l'Avant Poste!<br />

-Nous avons bien compris, soupira Omar en secouant la tête. Ecoute, ne<br />

<strong>le</strong> prends pas mal, mais il vaut mieux laisser ce genre <strong>de</strong> réf<strong>le</strong>xions aux<br />

soldats aguerris.<br />

-J'espère que tu ne fais pas référence à toi, grand dadais, lança<br />

fiel<strong>le</strong>usement Meo."<br />

Si Omar n'avait pas été un homme posé et insensib<strong>le</strong> à la<br />

provocation, il ne lui aurait pas fallu fournir <strong>de</strong> grand effort pour saisir Meo<br />

par la tête et <strong>le</strong> faire glisser jusqu'à l'autre bout <strong>de</strong> la tab<strong>le</strong>, là où étaient<br />

regroupés Sonia et <strong>le</strong>s élus. Bien heureusement pour Meo, Aylin occupait<br />

déjà l'un <strong>de</strong>s bras <strong>de</strong> son pair.<br />

3


"Du calme, du calme, s'interposa Priam, avant <strong>de</strong> poser la main sur<br />

l'épau<strong>le</strong> <strong>de</strong> Meo. Ce n'est nul<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> moment <strong>de</strong> se querel<strong>le</strong>r. Quel<strong>le</strong><br />

image <strong>de</strong> nous êtes-vous en train <strong>de</strong> donner?<br />

-Priam a raison. Se querel<strong>le</strong>r <strong>de</strong>vant nos invités alors qu'ils viennent à<br />

peine d'arriver est très déplacé, confirma Meo, comme s'il n'avait pas été<br />

visé par cette remarque."<br />

Une jeune domestique passait entre <strong>le</strong>s élus pour <strong>le</strong>ur servir <strong>de</strong> quoi<br />

se rafraîchir. Il y avait sur son plateau <strong>de</strong> grosses choppes faites <strong>de</strong> verre<br />

ambré, contenant une sorte <strong>de</strong> lait épais au parfum très sucré, proche <strong>de</strong><br />

celui <strong>de</strong> la cannel<strong>le</strong>.<br />

"Je peux boire ça sans risque? <strong>de</strong>manda Anaïs à Arthur, d'un souff<strong>le</strong>.<br />

-Ce que j'ai mangé à Sorgentel ne m'a jamais rendu mala<strong>de</strong>, souligna<br />

Arthur en buvant <strong>le</strong> breuvage.<br />

-Oh… dans ce cas."<br />

Sans égards, Omar saisit Anaïs par <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s au moment précis où<br />

el<strong>le</strong> trempait <strong>le</strong>s lèvres dans la boisson sucrée. El<strong>le</strong> disparut du champ <strong>de</strong><br />

vision d'Arthur avec un hoquet <strong>de</strong> surprise. <strong>Les</strong> Anciens souhaitaient faire<br />

plus amp<strong>le</strong> connaissance avec <strong>le</strong>s trois élites qu'ils n'avaient jamais eu<br />

l'occasion <strong>de</strong> rencontrer. Ils <strong>le</strong>s prirent à part pour s'entretenir un peu.<br />

"J'aime beaucoup cette boisson que l'on vient <strong>de</strong> nous servir, s'extasia<br />

Jamie après s'être subti<strong>le</strong>ment rapproché d'Arthur. Son goût m'est<br />

étrangement familier mais je suis presque certain <strong>de</strong> ne pas en avoir<br />

goûté lors <strong>de</strong> notre <strong>de</strong>rnier passage.<br />

-C'est étrangement sucré mais pas désagréab<strong>le</strong>.<br />

-Méfiez-vous en comme la peste, avertit Asuka. Ce parfum que vous<br />

sentez est celui du mandì, une <strong>le</strong>vure <strong>de</strong> bière qu'on ne trouve qu'ici.<br />

Ingurgitez plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux verres et vous dormirez comme <strong>de</strong>s loirs.<br />

-Je peux donc en réclamer un <strong>de</strong>uxième, se réjouit Jamie, avant <strong>de</strong><br />

harponner la domestique."<br />

Quelques pas plus loin, Rick échangeait <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s presque<br />

inaudib<strong>le</strong>s avec Sonia et Sally. Tout du moins, il <strong>le</strong>s interrogeait et el<strong>le</strong>s se<br />

contentaient <strong>de</strong> lui répondre par <strong>de</strong>s monosyllabes fuyantes, laissant<br />

entendre qu'el<strong>le</strong>s souhaitaient écourter la conversation. Rick fronça <strong>le</strong>s<br />

sourcils avec insistance, puis sembla prendre acte <strong>de</strong> l'absence <strong>de</strong> Xenia<br />

et Andreas (car c'était bien <strong>de</strong> cela qu'il s'agissait). Il é<strong>le</strong>va un peu plus la<br />

voix, <strong>de</strong> sorte qu'Arthur put mieux entendre ce qu'il disait :<br />

"Dommage qu'ils ne soient pas là. Vraiment dommage. Je suis heureux <strong>de</strong><br />

voir Aïshani et <strong>le</strong>s autres, mais ce n'est pas la même chose. Enfin… Au<br />

moins nous rencontrons cette fameuse petite nouvel<strong>le</strong>."<br />

Rick adressa un sourire p<strong>le</strong>in <strong>de</strong> sous-entendus à Arthur, l'air <strong>de</strong> dire<br />

: "Voila donc cette Anaïs dont nous avons tant entendu par<strong>le</strong>r! Pas mal,<br />

3


pas mal du tout Arthur!". Son sourire, bien que quasi imperceptib<strong>le</strong>, était<br />

significatif.<br />

"Toujours est-il que nous <strong>de</strong>vons prendre <strong>de</strong>s mesures contre la Confrérie,<br />

souligna Meo, peu disposé à lâcher du <strong>le</strong>st."<br />

Omar lui décocha un regard oppressant. Ils délaissèrent <strong>le</strong>ur court<br />

entretien avec <strong>le</strong>s trois élites et la dispute, bruyante et agaçante, reprit <strong>de</strong><br />

plus bel<strong>le</strong>, au grand dam du pauvre Priam. Khan était assis près <strong>de</strong> la<br />

tab<strong>le</strong>, pareil à un Sphinx et clignait <strong>le</strong>ntement <strong>de</strong>s yeux pour manifester sa<br />

lassitu<strong>de</strong>.<br />

C'est à ce moment qu'un gar<strong>de</strong> du Cénac<strong>le</strong> vêtu <strong>de</strong> blanc et d'argent<br />

introduisit Kaznaël dans la pièce, sans que son arrivée ne fût remarquée<br />

par <strong>le</strong>s Anciens. Le gar<strong>de</strong> se retira aussitôt, manifestement soulagé <strong>de</strong><br />

s'éloigner du Protecteur. Peu <strong>de</strong> personnes à Sorgentel parvenaient à se<br />

tenir à proximité <strong>de</strong> lui sans ressentir un malaise, voire même une<br />

certaine forme d'angoisse. Etait-ce dû à son apparence hors du commun,<br />

sa chevelure et ses pupil<strong>le</strong>s écarlates ou bien à son expression<br />

intransigeante? Arthur n'arrivait toujours pas à déterminer quel<strong>le</strong> était<br />

cette part <strong>de</strong> Kaznaël qui <strong>le</strong> nimbait d'une aura aussi négative du point <strong>de</strong><br />

vue Sorgenteli. Il ne voyait en lui qu'un homme soupe au lait à l'éternel<strong>le</strong><br />

apparence ado<strong>le</strong>scente, prompt à se refermer comme une huître dès que<br />

l'on avait <strong>le</strong> malheur <strong>de</strong> <strong>le</strong> questionner sur son passé. C'était malgré tout<br />

un ami fiab<strong>le</strong>, dont la loyauté et <strong>le</strong> sens <strong>de</strong> l'honneur étaient inaltérab<strong>le</strong>s.<br />

Le Protecteur fila droit vers Arthur sans s'adresser à qui que ce soit<br />

d'autre. Il était encore habillé à la mo<strong>de</strong> humaine, d'un jean trop grand<br />

que maintenait en place une vieil<strong>le</strong> ceinture d'Eric Gall et d'une chemise<br />

blanche aux manches retroussées.<br />

"Bah alors, où étais-tu? l'interrogea Arthur.<br />

-Tu m'as <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> vous rejoindre après votre départ, afin que la<br />

femme Jones ne me voie pas.<br />

-Oui mais je pensais que tu nous retrouverais dans <strong>le</strong> Passage, ou alors<br />

que tu serais déjà à Sorgentel à notre arrivée.<br />

-Je vous ai rejoints aussi vite que possib<strong>le</strong>. Avec Elliott, vous n'aviez pas<br />

besoin <strong>de</strong> moi.<br />

-Nous nous sommes séparés il y a une bonne heure Kaz, fit remarquer<br />

Arthur d'un air dubitatif. Je sais bien qu'il te faut beaucoup moins <strong>de</strong><br />

temps pour ouvrir un accès vers <strong>le</strong> Passage, <strong>le</strong> traverser et rallier<br />

Sorgentel."<br />

La querel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Meo et Omar prenait l'amp<strong>le</strong>ur d'une joute<br />

d'aboiement opposant un chihuahua à un Saint-Bernard. Kaznaël se<br />

détourna très brièvement d'Arthur pour regar<strong>de</strong>r cette scène <strong>de</strong> chicane.<br />

"J'ai effectivement été occupé quelque part, reconnut-il sans une once <strong>de</strong><br />

culpabilité. Toutefois, j'apprécierais que tu ne m'en <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s pas<br />

davantage. Si tu <strong>le</strong> faisais, mon serment m'obligerait à te répondre<br />

3


honnêtement alors que tu n'as nul<strong>le</strong>ment besoin <strong>de</strong> voir ton esprit parasité<br />

par ce genre d'informations."<br />

Un étau symptomatique <strong>de</strong> la migraine à venir se forma autour du<br />

crâne d'Arthur. La barbe soit <strong>de</strong> tous ces gens qui voulaient lui épargner la<br />

vérité jusqu'à un moment plus propice. C'était là l'un <strong>de</strong>s rares points<br />

communs <strong>de</strong> Kaznaël et Samuel<br />

"Fais comme bon te semb<strong>le</strong>. Je ne cherche pas à te pister, dit Arthur avec<br />

une pointe d'agacement."<br />

Kaznaël lui concéda un remerciement à voix basse puis son<br />

attention se porta <strong>de</strong> nouveau vers <strong>le</strong>s Anciens. Parcourue <strong>de</strong> part et<br />

d'autre par <strong>le</strong>s cris <strong>de</strong>s trois hommes, la pièce paraissait vibrer au point<br />

que la frê<strong>le</strong> Aylin menaçait <strong>de</strong> chuter d'un moment à l'autre.<br />

"A ce que je vois, trois <strong>de</strong>s quatre Anciens ayant survécu à l'attaque du<br />

Havre étaient parmi <strong>le</strong>s plus inconsidérés, déclara Kaznaël à voix haute."<br />

Meo était à <strong>de</strong>ux doigts <strong>de</strong> se jeter à la gorge d'Omar, contré en cela<br />

par une tentative désespérée <strong>de</strong> Priam visant à lui entraver <strong>le</strong>s bras. Leur<br />

entreprise fut interrompue par cette remarque cinglante. Sally esquissa un<br />

sourire triomphant.<br />

"Kaznaël! s'exclama Meo, dont <strong>le</strong>s lunettes menaçaient <strong>de</strong> tomber du bout<br />

<strong>de</strong> son nez.<br />

-Le Protecteur fait enfin son retour, ha<strong>le</strong>ta Priam, complètement décoiffé."<br />

Le poing ganté d'Omar, aussi gros qu'une <strong>de</strong>mie bou<strong>le</strong> <strong>de</strong> bowling,<br />

était crispé au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> la tête <strong>de</strong> Meo comme l'épée <strong>de</strong> Damoclès<br />

menaçant <strong>de</strong> frapper mortel<strong>le</strong>ment sa cib<strong>le</strong>. Il profita <strong>de</strong> cette arrivée<br />

impromptue pour retirer sa main et la mettre dans son dos avec un<br />

sourire embarrassé.<br />

"Le moment n'est pas approprié pour ce genre <strong>de</strong> politesses, déclara<br />

Kaznaël. La Confrérie est déjà à pied d'œuvre.<br />

-C'est précisément ce que…, commença Meo.<br />

-Vous n'en donniez pas l'impression, répliqua Kaznaël sans lui laisser <strong>le</strong><br />

temps <strong>de</strong> finir. Pendant que vous per<strong>de</strong>z votre temps en dissensions,<br />

l'ennemi fait front et n'hésite pas à conclure <strong>de</strong>s alliances avec <strong>le</strong> Régent<br />

Hermès, avec <strong>le</strong> Clan d'Azulnot. Il y a urgence. Vous <strong>de</strong>vez prendre une<br />

décision maintenant et gui<strong>de</strong>r <strong>le</strong>s élus."<br />

Arthur fut surpris par cette prise <strong>de</strong> position inattendue, surtout <strong>de</strong><br />

la part d'un a<strong>de</strong>pte <strong>de</strong> la neutralité. Kaznaël avait-il décidé d'ai<strong>de</strong>r <strong>le</strong><br />

Cénac<strong>le</strong> et <strong>le</strong>s élus, en plus d'Arthur? Jusqu'à présent, il s'était contenté<br />

<strong>de</strong> faire ce qui était nécessaire à la protection <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier.<br />

3


"Un instant Kaz, intervint Ana Rosa. Tu ne peux pas reprocher aux<br />

Anciens d'avoir du mal à se positionner. On n'est là que <strong>de</strong>puis quelques<br />

dizaines <strong>de</strong> minutes et ils viennent à peine <strong>de</strong> constater <strong>le</strong> retour d'Altaïr<br />

(el<strong>le</strong> désigna la sphère posée sur la tab<strong>le</strong>). On ne peut pas toujours agir<br />

dans l'urgence!<br />

-Qui plus est, nous pouvons comprendre qu'il soit diffici<strong>le</strong> pour <strong>de</strong>s<br />

personnes en nombre pair <strong>de</strong> statuer si rapi<strong>de</strong>ment sur une tel<strong>le</strong> question<br />

sans risquer <strong>de</strong> tomber dans une impasse, ajouta Aïshani d'une voix<br />

calme. Si encore <strong>le</strong>s Anciens étaient au comp<strong>le</strong>t…"<br />

El<strong>le</strong> tenait son verre entre <strong>le</strong>s mains mais n'en avait pas bu une<br />

goutte. Son point <strong>de</strong> vue était judicieux. Le Cénac<strong>le</strong> était passé d'une<br />

chambre <strong>de</strong> quinze membres à quatre individus, dont une femme qui ne<br />

vivrait sans doute plus très longtemps. Il y avait dans <strong>le</strong> lot un politicien à<br />

l'influence indéniab<strong>le</strong>, un militaire respecté, et un gestionnaire plus<br />

habitué aux comptes qu'aux situations <strong>de</strong> crise.<br />

"Avez-vous envisagé <strong>de</strong> reconstituer <strong>le</strong> Cénac<strong>le</strong> <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an? <strong>de</strong>manda<br />

Sonia, qui n'avait probab<strong>le</strong>ment pas oublié qu'el<strong>le</strong> occupait un poste<br />

purement honorifique au sein <strong>de</strong> la Chambre.<br />

-Bien entendu, mais cela s'avère impossib<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> contexte actuel<br />

répondit Priam. Non seu<strong>le</strong>ment nous manquons du temps nécessaire à<br />

une tel<strong>le</strong> organisation, mais <strong>de</strong> plus, rares sont <strong>le</strong>s clans et cités disposés<br />

à envoyer un <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs représentants au Havre pour assumer un tel<br />

mandat. Ils craignent naturel<strong>le</strong>ment que la Confrérie ne <strong>le</strong>ur réserve <strong>le</strong><br />

même sort que nos regrettés compagnons. Ils vont même jusqu'à<br />

remettre en cause notre capacité à assurer la sécurité <strong>de</strong> tous et<br />

souhaiteraient que la Milice <strong>de</strong> Juval soit plus présente sur <strong>le</strong>s terres. (Il<br />

secoua la tête). De ce fait, nous sommes contraints d'endosser à quatre<br />

<strong>le</strong>s responsabilités <strong>de</strong> quinze personnes.<br />

-Et encore, si nous n'avions pas l'appui <strong>de</strong> nos adjoints, <strong>le</strong> Cénac<strong>le</strong> serait<br />

condamné à une <strong>le</strong>nte désagrégation, précisa Meo.<br />

-Comme toujours tu fais preuve d'excès, soupira Omar."<br />

Aylin émit un rac<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> gorge affirmatif et se rafraîchit <strong>de</strong><br />

quelques mouvements d'éventail. Dehors <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il était radieux, ce qui<br />

rendait l'atmosphère chau<strong>de</strong> et sèche. Heureusement, ses boissons<br />

contenues dans <strong>le</strong>s choppes étaient désaltérantes.<br />

"Je vois…, fit Sonia en se tenant <strong>le</strong> menton. Asuka n'avait pas exagéré <strong>le</strong>s<br />

faits. La situation s'est détériorée <strong>de</strong>puis l'échec <strong>de</strong> la Concrétisation. Le<br />

Cénac<strong>le</strong> est sacrément fragilisé."<br />

El<strong>le</strong> ne réalisa que trop tard à quel point cette conclusion avait<br />

b<strong>le</strong>ssé <strong>le</strong>s Anciens présents dans la pièce. En voyant Priam baisser <strong>le</strong>s<br />

yeux, el<strong>le</strong> <strong>de</strong>vint rouge <strong>de</strong> honte.<br />

3


"Vous avez fait ce qui était en votre pouvoir pour maintenir la paix, mais il<br />

faut maintenant envisager <strong>de</strong>s ressorts autres que politiques."<br />

Etonnamment, cette remarque émanait <strong>de</strong> Kaznaël. Il échangea un<br />

regard avec Sonia, puis s'adressa <strong>de</strong> nouveau aux Anciens, plus<br />

particulièrement à Priam.<br />

"Nous avons besoin <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s informations dont vous disposez sur<br />

Leryan, continua-t-il."<br />

Le si<strong>le</strong>nce s'abattit sur la pièce et Khan ouvrit un œil, intéressé par<br />

la tournure que prenait cette conversation. Arthur ne put s'empêcher <strong>de</strong><br />

consulter Anaïs du regard, décontenancé par cette requête soudaine <strong>de</strong><br />

Kaznaël. Le regard <strong>de</strong> la jeune femme lui indiqua qu'el<strong>le</strong> était tout aussi<br />

étonnée que lui.<br />

"Leryan? Le Leryan? répéta Priam d'un air déconcerté. Pourquoi cette<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>? Je ne vois pas <strong>le</strong> rapport avec ce qui nous préoccupe. Eclaire<br />

ma lanterne.<br />

-<strong>Les</strong> élus ici présents vous confirmeront que <strong>le</strong> Sanctuaire Emerau<strong>de</strong> nous<br />

a mis sur cette piste. La sagesse infinie du Miroir Millénaire <strong>le</strong>ur a indiqué<br />

que la clé <strong>de</strong> l'énigme résidait en Leryan.<br />

-C'est vrai, Anaïs et moi avons été témoins d'une scène <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong><br />

Leryan, dit Arthur. Cette vision était loin d'être claire mais nous avons la<br />

certitu<strong>de</strong> que Leryan nous permettra <strong>de</strong> renverser la tendance, en notre<br />

faveur.<br />

-Mais… Leryan n'est plus, souffla Aylin en entrouvrant <strong>le</strong>s paupières.<br />

-La question n'est pas <strong>de</strong> savoir si Leryan est en vie ou non, dit Kaznaël<br />

dont la voix tremblait légèrement. Nous n'avons qu'une certitu<strong>de</strong> : pour<br />

contrecarrer <strong>le</strong>s plans <strong>de</strong> la Confrérie, nous <strong>de</strong>vons nous diriger vers lui."<br />

Se diriger vers lui? Arthur répéta menta<strong>le</strong>ment ces paro<strong>le</strong>s.<br />

Comment allaient-ils se rapprocher d'une personne disparue, vivante ou<br />

pas? Une "personne". Etait-ce là un terme adapté? On parlait plutôt d'une<br />

entité abstraite, dont la seu<strong>le</strong> image était cel<strong>le</strong> d'un enfant enjoué assis<br />

sur <strong>le</strong> petit pont <strong>de</strong> la Baie <strong>de</strong> Springan.<br />

"J'avoue ne pas comprendre, reprit Priam, l'air hébété."<br />

Il posa instinctivement sa main sur la sphère d'Altaïr.<br />

"Admettons que <strong>le</strong> pouvoir du Miroir Millénaire ou celui du Sanctuaire<br />

Emerau<strong>de</strong> nous fasse une tel<strong>le</strong> recommandation. Se pourrait-il qu'une<br />

tel<strong>le</strong> quête nous permette <strong>de</strong> lutter contre la crise actuel<strong>le</strong>?<br />

-Al<strong>le</strong>z savoir, dit Sonia en haussant <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s. Tout ce qui touche à la<br />

Concrétisation n'est jamais aussi clair que… (el<strong>le</strong> hésita) <strong>de</strong> l'eau <strong>de</strong> roche.<br />

-Je suis tout <strong>de</strong> même intrigué <strong>de</strong> te voir me questionner sur Leryan, sur<br />

une époque que je n'ai même pas connue alors que tu es <strong>le</strong> mieux placé<br />

3


pour répondre à ces interrogations, fit Priam en dévisageant Kaznaël.<br />

Vous étiez proches.<br />

-Ils étaient même amis, pensa Arthur en se remémorant la courte<br />

conversation entre Leryan et Kaznaël enfants.<br />

-Je n'étais pas moi-même à l'époque <strong>de</strong> sa disparition, répondit Kaznaël<br />

avec une nuance <strong>de</strong> troub<strong>le</strong> qui ne lui était pas habituel<strong>le</strong>. Ce qui s'est<br />

ensuivi m'est en partie inconnu. A l'inverse, en tant que <strong>de</strong>scendant <strong>de</strong><br />

Leryan, j'espérais que vous sauriez ce qui était advenu <strong>de</strong> ses<br />

possessions. De tel<strong>le</strong>s choses pourraient éclairer <strong>le</strong>s élus."<br />

<strong>Les</strong> épau<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Priam s'affaissèrent.<br />

"J'aimerais vous être uti<strong>le</strong>. Malheureusement la disparition <strong>de</strong> Leryan<br />

remonte à très longtemps et <strong>de</strong>meure extrêmement troub<strong>le</strong>. Ces choses<br />

ont été oubliées. Ma famil<strong>le</strong> n'a rien conservé <strong>de</strong> lui, hormis son lien<br />

d'ascendance. Quant à ses biens, ils ont probab<strong>le</strong>ment été dispersés. Je<br />

ne saurais même pas vous dire où repose son corps, s'il y en a jamais eu…<br />

-Je vois.<br />

-Nous n'avons que <strong>de</strong>s faits, conclut Priam. Ces évènements sont trop<br />

anciens."<br />

La déception <strong>de</strong> Kaznaël était perceptib<strong>le</strong>, bien qu'il <strong>de</strong>meurât<br />

si<strong>le</strong>ncieux. Sally réfléchissait intensément, adossée à un mur près <strong>de</strong><br />

l'entrée <strong>de</strong> la pièce.<br />

"En somme, vous ne savez rien sur Leryan, si l'on excepte <strong>le</strong>s éléments <strong>de</strong><br />

sa vie qui sont déjà <strong>de</strong> notoriété publique, dit Rachel, avec un air <strong>de</strong><br />

reproche.<br />

-Je crains que oui, répondit Priam. Nous pouvons toujours nous pencher<br />

sur son histoire mais il n'y a pas la moindre garantie que nous trouvions<br />

quoi que ce soit <strong>de</strong> nouveau. En tout cas, je suis incapab<strong>le</strong> <strong>de</strong> me<br />

remémorer quelque chose qui puisse avoir un lien avec <strong>le</strong>s ennuis<br />

auxquels nous faisons face.<br />

-Si Andreas était ici, il pourrait nous ai<strong>de</strong>r, souligna Jamie. Il lui suffirait<br />

<strong>de</strong> toucher un objet que Leryan a frôlé, ou même un sol qu'il a foulé. Un<br />

monument comme Springan suffirait! Je suppose que <strong>le</strong> monolithe existait<br />

déjà <strong>de</strong> son vivant.<br />

-Mais Andreas n'est pas ici, rappela sèchement Sally.<br />

-Oui...<br />

-Je crois qu'il est <strong>de</strong> mon <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> tous vous ramener à la réalité, déclara<br />

Meo après avoir essuyé ses lunettes avec un chiffon noir. Leryan est<br />

manifestement – pardonnez moi ces propos audacieux – une piste vierge,<br />

malgré <strong>le</strong>s indications du Miroir Millénaire et du Sanctuaire Emerau<strong>de</strong>.<br />

-Tu oserais remettre en cause <strong>de</strong>s informations si précieuses? s'indigna<br />

Omar, sans toutefois hausser <strong>le</strong> ton.<br />

-Non, je ne me hasar<strong>de</strong>rais jamais sous <strong>de</strong> tel<strong>le</strong>s latitu<strong>de</strong>s. J'entends juste<br />

vous faire comprendre qu'en l'absence d'éléments propres à nous gui<strong>de</strong>r<br />

3


vers Leryan ou ses possessions, il nous faut revenir à la recherche <strong>de</strong><br />

l'Orbe <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an. C'est un moyen sûr <strong>de</strong> relancer la Concrétisation."<br />

Priam prit place sur un siège, éreinté par cette discussion. Il se<br />

massait vigoureusement <strong>le</strong> front.<br />

"Ana Rosa a souligné une chose importante tout à l'heure, continua Meo.<br />

Le Cénac<strong>le</strong> est actuel<strong>le</strong>ment perçu comme faib<strong>le</strong>, incapab<strong>le</strong> <strong>de</strong> prendre la<br />

moindre décision alors que <strong>le</strong>s différents peup<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Sorgentel atten<strong>de</strong>nt<br />

<strong>de</strong> nous <strong>de</strong>s initiatives rapi<strong>de</strong>s. Or, il est évi<strong>de</strong>nt que notre chambre sera<br />

conspuée voire même traînée dans la boue si l'on apprend que nous<br />

chassons <strong>de</strong>s chimères.<br />

-Je comprends ton propos, admit Priam. Courir après Leryan dans l'espoir<br />

fragi<strong>le</strong> que son héritage puisse nous sauver est un pari risqué. Un tel<br />

choix ne sera jamais toléré, surtout s'il aboutit à un échec. Cela ne ferait<br />

que renforcer ceux qui oeuvrent pour une autonomie renforcée <strong>de</strong>s<br />

territoires <strong>de</strong> Sorgentel.<br />

-Le Régent <strong>de</strong> Ca<strong>de</strong>ro. Hermès, murmura Rick.<br />

-Exactement, approuva Meo, satisfait <strong>de</strong> voir Priam adopter son<br />

raisonnement."<br />

Arthur se retint <strong>de</strong> protester. Samuel aurait protesté, mais lui ne<br />

pouvait pas. Tous <strong>de</strong>ux étaient tombés d'accord sur l'utilité d'une tel<strong>le</strong><br />

quête. Il y a avait forcément un lien. Nils, Arthur, Samuel et Anaïs étaient<br />

rattachés <strong>le</strong>s uns aux autres par <strong>de</strong>s liens inexplicab<strong>le</strong>s, <strong>de</strong>s liens<br />

convergeant indubitab<strong>le</strong>ment vers Leryan. Kaznaël avait qualifié Arthur <strong>de</strong><br />

dépositaire, peut-être même <strong>de</strong> protecteur. Cette piste méritait d'être<br />

creusée mais Arthur ne pouvait pas se compromettre <strong>de</strong>vant tout <strong>le</strong><br />

mon<strong>de</strong>. Cela soulèverait trop <strong>de</strong> questions, notamment cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Samuel.<br />

"Du calme Arthur…, chuchota la voix d'Anaïs."<br />

El<strong>le</strong> lui attrapa doucement <strong>le</strong> poignet et plongea son regard dans <strong>le</strong><br />

sien. Avec Jamie, el<strong>le</strong> était la seu<strong>le</strong> dans cette pièce à savoir.<br />

"Du calme, répéta-t-el<strong>le</strong> d'une voix apaisante. On y arrivera autrement."<br />

La respiration d'Arthur se mit à ra<strong>le</strong>ntir et toute velléité <strong>de</strong> rébellion<br />

se dissipa aussitôt, remplacée par <strong>de</strong>s sensations <strong>de</strong> bien-être et<br />

d'euphorie qui lui donnaient la chair <strong>de</strong> pou<strong>le</strong>. Sans qu'il ne sache<br />

comment ni pourquoi, la main d'Anaïs quitta son poignet et ses doigts<br />

s'insinuèrent doucement entre <strong>le</strong>s siens, jusqu'à ce que <strong>le</strong>urs mains soient<br />

soli<strong>de</strong>ment nouées l'une à l'autre. Il chercha à rencontrer son regard mais<br />

el<strong>le</strong> avait déjà <strong>le</strong>s yeux tournés vers Priam. Une secon<strong>de</strong> plus tard, <strong>le</strong>urs<br />

mains s'étaient subitement séparées et <strong>le</strong> rêve éveillé d'Arthur prit fin.<br />

"Quel blanc-bec insupportab<strong>le</strong>! Une non-piste? Laissez moi rigo<strong>le</strong>r! HA!"<br />

3


Toutes <strong>le</strong>s têtes se tournèrent en même temps vers l'entrée que<br />

venait <strong>de</strong> franchir une mystérieuse femme aux cheveux verts et à<br />

l'accoutrement dépareillé. Arthur ne la connaissait pas, mais il se<br />

souvenait <strong>de</strong> l'avoir brièvement aperçue quelques mois plus tôt dans <strong>le</strong><br />

Cénac<strong>le</strong>, avant <strong>de</strong> quitter Sorgentel.<br />

"G<strong>le</strong>nda!? s'exclamèrent Meo et Priam.<br />

-En personne!<br />

-Est-ce donc moi que tu traites <strong>de</strong> blanc-bec? s'offusqua Meo, la main sur<br />

<strong>le</strong> torse. Je ne saurais tolérer un tel qualificatif."<br />

La dénommée G<strong>le</strong>nda traversa <strong>le</strong> groupe <strong>de</strong>s élus non sans avoir<br />

asséné une gran<strong>de</strong> tape dans <strong>le</strong> dos <strong>de</strong> Rick au passage et se planta<br />

<strong>de</strong>vant <strong>le</strong>s Anciens. El<strong>le</strong> examina Sonia d'un air presque arrogant<br />

(l'instructrice fit <strong>de</strong> gros yeux) puis s'exprima d'une voix chantante :<br />

"Mon pauvre Meo, j'ai assisté à la fin <strong>de</strong> votre conversation et je dois te<br />

dire que tu es complètement dans l'erreur! Pfff, fit-el<strong>le</strong> en chassant<br />

d'improbab<strong>le</strong>s mouches. Le cousin Priam est trop cadavérique pour te<br />

remettre à ta place.<br />

-Cousin Priam? répéta Asuka d'un air incrédu<strong>le</strong>."<br />

Priam plissa <strong>le</strong>s yeux. Toute cou<strong>le</strong>ur avait quitté son visage.<br />

"Vas-tu cesser <strong>de</strong> nous importuner? riposta Meo en s'avançant vers el<strong>le</strong>.<br />

Nous évoquons <strong>de</strong>s choses très importantes et tu n'as pas été conviée,<br />

que je sache."<br />

G<strong>le</strong>nda rit et lui subtilisa habi<strong>le</strong>ment ses lunettes, déc<strong>le</strong>nchant un<br />

tonnerre <strong>de</strong> protestations et <strong>de</strong> jurons <strong>de</strong> la part du Maesprine. Malgré ses<br />

efforts pour <strong>le</strong>s récupérer, el<strong>le</strong> esquivait <strong>le</strong>s assauts avec aisance et<br />

maintenait <strong>le</strong>s verres au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> sa tête, hors <strong>de</strong> portée du jeune<br />

homme. Arthur avait la sensation d'assister à une scène <strong>de</strong> cour <strong>de</strong><br />

récréation.<br />

"Cesse <strong>de</strong> jouer l'enfant, G<strong>le</strong>nda, professa Priam.<br />

-Laisse moi dire ce que j'allais dire avant que tu ne m'interrompes, petit<br />

Meo, ricana G<strong>le</strong>nda avant <strong>de</strong> consentir à lui rendre ses lunettes. Ce n'est<br />

parce que tu es trop jeune pour en savoir assez sur Leryan que c'est <strong>le</strong><br />

cas <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s habitants <strong>de</strong> Sorgentel!<br />

-Où veux-tu en venir? rouspéta Meo."<br />

Il replaça prestement ses lunettes sur son nez et partit se réfugier<br />

<strong>de</strong>rrière Omar, son ennemi d'antan.<br />

"Vous avez la mémoire courte au point d'oublier que Sorgentel n'est pas<br />

peuplé uniquement par <strong>de</strong>s entités conformes aux standards? s'étonna<br />

G<strong>le</strong>nda. Il reste encore <strong>de</strong>s individus ayant vécu à l'époque <strong>de</strong> Leryan."<br />

3


Priam sembla réaliser quelque chose. Son visage s'était subitement<br />

éclairé et il ouvrit grand la bouche. Kaznaël opina discrètement <strong>de</strong> la tête.<br />

"De quoi par<strong>le</strong>-t-el<strong>le</strong>? <strong>de</strong>manda Sonia, interrogeant tous <strong>le</strong>s Anciens du<br />

regard. Il existe <strong>de</strong>s êtres suffisamment âgés pour…"<br />

G<strong>le</strong>nda joignit <strong>le</strong>s mains, <strong>le</strong>s frotta l'une contre l'autre, puis eut un<br />

sourire qui ne pouvait être inspiré que par une certaine forme <strong>de</strong><br />

démence.<br />

"Evi<strong>de</strong>mment! <strong>Les</strong> vieil<strong>le</strong>s sorcières du Sud ont la peau dure. El<strong>le</strong>s<br />

pourront vous fournir quelques informations sur Leryan."<br />

Soudain, une étincel<strong>le</strong> rose jaillit du front <strong>de</strong> Sally, à la gran<strong>de</strong><br />

stupéfaction <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>rnière. L'éclat lumineux fila rapi<strong>de</strong>ment jusqu'à<br />

G<strong>le</strong>nda.<br />

"Mes consoeurs ne sont pas <strong>de</strong>s sorcières, hurla Minilly en apparaissant<br />

juste sous <strong>le</strong> nez <strong>de</strong> G<strong>le</strong>nda. Nous ne sommes pas <strong>de</strong>s VIEILLES<br />

SORCIERES, MECHANTE TÊTE D'HERBE!<br />

-Méchante tête d'herbe as-tu dit?"<br />

G<strong>le</strong>nda haussa <strong>le</strong>s sourcils et emprisonna Minilly dans sa main<br />

droite. La créature se mit à pousser <strong>de</strong>s cris hystériques et à la mordre,<br />

en vain.<br />

"Voila pourquoi je hais <strong>le</strong>s djinns, soupira G<strong>le</strong>nda. Bien qu'el<strong>le</strong>s soient<br />

aussi menues qu'un in<strong>de</strong>x, el<strong>le</strong>s crient fort, sont opportunistes et aiment<br />

accumu<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s richesses. De vraies sorcières, oui…"<br />

***<br />

Une vingtaine <strong>de</strong> minutes plus tôt, dans une cave sinistre <strong>de</strong> Dres<strong>de</strong>.<br />

"Tu penses t'en sortir? <strong>de</strong>manda Kaznaël. C'est un pari très risqué…"<br />

Kaznaël apparaissait flou à travers <strong>le</strong>s verres embrumés d'Andreas.<br />

Il ne pouvait que distinguer la silhouette du Protecteur, <strong>de</strong>vant une porte<br />

dont <strong>le</strong>s contours étaient soulignés par la lumière extérieure. L'élu<br />

surmonta l'extrême fatigue qui lui étreignait <strong>le</strong> corps et articula quelques<br />

mots :<br />

"Oui. Rejoins-<strong>le</strong>s…"<br />

Sa tête lui parut lour<strong>de</strong> et sa gorge s'enflamma aussitôt. Il fut<br />

contraint <strong>de</strong> fermer <strong>le</strong>s yeux et <strong>de</strong> serrer <strong>le</strong>s <strong>de</strong>nts pour ne pas crier <strong>de</strong><br />

4


dou<strong>le</strong>ur. Son cerveau avait atteint ses limites et <strong>le</strong> moindre <strong>de</strong> ses<br />

neurones criait pour implorer <strong>le</strong> répit.<br />

"Dis merci à Sonia et Sally… pour m'avoir couvert, ajouta-t-il d'un<br />

souff<strong>le</strong>."<br />

Il n'y eut pas <strong>de</strong> réponse, à moins qu'Andreas fût trop étourdi pour<br />

l'entendre. Il trouva la force <strong>de</strong> rouvrir <strong>le</strong>s yeux une minute plus tard,<br />

quelque peu apaisé. Kaznaël n'était déjà plus là. Le jeune homme se<br />

retrouvait <strong>de</strong> nouveau seul dans ce sous-sol lugubre, si<strong>le</strong>ncieux et<br />

bouillant, allongé sur <strong>le</strong> sol en pierre au milieu d'une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> livres<br />

ouverts. Un courant d'air rafraîchissant parcourut <strong>le</strong> sol et fit tourner <strong>le</strong>s<br />

pages abîmées d'un épais traité posé <strong>de</strong>vant lui. Il posa <strong>le</strong>s doigts <strong>de</strong>ssus,<br />

avec écoeurement.<br />

"C'est reparti, murmura-t-il pour se redonner du courage."<br />

Il se redressa et s'assit en tail<strong>le</strong>ur, aussi rapi<strong>de</strong>ment que <strong>le</strong> lui<br />

permettaient ses membres meurtris. Une goutte <strong>de</strong> sang tomba alors sur<br />

la page ouverte, dans un "plic" amplifié par l'écho.<br />

"Encore…"<br />

Il essuya du revers <strong>de</strong> la main la petite coulée <strong>de</strong> sang chaud qui<br />

s'était formé sous son nez, l'essuya sur son jeans sa<strong>le</strong>, puis fit craquer <strong>le</strong>s<br />

articulations <strong>de</strong> ses mains, avant <strong>de</strong> <strong>le</strong>s poser sur <strong>le</strong> livre.<br />

Le cri déchirant qui se répercuta dans la cuisine fit sursauter Xenia<br />

au point qu'el<strong>le</strong> laissa tomber l'assiette qu'el<strong>le</strong> venait d'essuyer. Son cœur<br />

battit la chama<strong>de</strong>.<br />

"Andreas, s'écria-t-el<strong>le</strong>.<br />

-Ne bouge pas d'ici…"<br />

Anthony et Bennett n'avaient pas quitté la tab<strong>le</strong>, malgré <strong>le</strong> cri.<br />

L'instructeur creusait nerveusement <strong>de</strong>s sillons dans <strong>le</strong> bois <strong>de</strong> la tab<strong>le</strong><br />

avec <strong>le</strong>s <strong>de</strong>nts d'une fourchette tandis que Bennett finissait une tasse <strong>de</strong><br />

café. La cuisine carrée baignait dans une lumière miel<strong>le</strong>use, fournie en<br />

abondance par la porte vitrée donnant sur <strong>le</strong> jardin.<br />

"Et s'il en mourait? fit Xenia d'une voix tremblante. S'il faisait tout ceci<br />

pour rien, en définitive?"<br />

Bennett se <strong>le</strong>va pour se saisir d'une balayette accrochée à la porte<br />

menant au sous-sol. Il marqua un moment d'arrêt <strong>de</strong>vant cel<strong>le</strong>-ci, puis<br />

rejoignit Xenia pour ramasser <strong>le</strong>s bris <strong>de</strong> porcelaine gisant à ses pieds.<br />

4


"Cheveux rouges a dit qu'il était encore vivant et qu'il ne comptait pas<br />

prendre <strong>de</strong> risques inuti<strong>le</strong>s, assura Anthony en continuant son étrange jeu<br />

avec la fourchette. Je comprends pourquoi Sonia ne voulait pas en par<strong>le</strong>r<br />

aux élus. S'ils étaient aussi préoccupés que toi…"<br />

Xenia s'appuya sur <strong>le</strong> rebord <strong>de</strong> l'évier et entortilla <strong>le</strong>s pans du<br />

torchon. El<strong>le</strong> était terrifiée.<br />

"De toute façon, je ne suis pas assez stupi<strong>de</strong> pour laisser un gamin d'à<br />

peine dix-neuf ans se mettre en danger pour rien, déclara Anthony. Si ça<br />

va trop loin, je <strong>le</strong> sors <strong>de</strong> là-<strong>de</strong>ssous, illico!"<br />

Bennett avait jeté <strong>le</strong>s débris <strong>de</strong> l'assiette dans la poubel<strong>le</strong> et il vint<br />

se saisir <strong>de</strong>s mains <strong>de</strong> Xenia pour <strong>le</strong>s empêcher <strong>de</strong> tremb<strong>le</strong>r. Son regard à<br />

la fois clair et rassurant croisa celui <strong>de</strong> la jeune femme russe.<br />

"Ca ira…, dit-il avec un sourire."<br />

4


Chapitre 24 : G<strong>le</strong>nda La Barrée<br />

"En effet, nous savons <strong>de</strong>s choses à ce sujet. Je sais <strong>de</strong>s choses à ce<br />

sujet! <strong>Les</strong> djinns ont une espérance <strong>de</strong> vie très longue et ont été <strong>le</strong>s<br />

témoins <strong>de</strong> nombreux évènements importants <strong>de</strong> Sorgentel. Toutefois, <strong>le</strong>s<br />

principes <strong>de</strong> mon clan m'empêchent <strong>de</strong> vous en par<strong>le</strong>r.<br />

-Al<strong>le</strong>z Minilly, tu ne vas pas me faire croire que tu ne peux rien me dire<br />

après tout ce que nous avons traversé ensemb<strong>le</strong>? s'indigna Sally. Après<br />

tout ce que nous avons traversé ensemb<strong>le</strong>…, répéta-t-el<strong>le</strong>."<br />

La djinn secoua la tête, à peine impressionnée par l'attroupement<br />

d'élus et d'Anciens autour <strong>de</strong> la tab<strong>le</strong> sur laquel<strong>le</strong> el<strong>le</strong> s'était assise. Seul<br />

Omar était absent, parti dans <strong>le</strong>s dépendances du Havre pour transmettre<br />

aux adjoints la nouvel<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'arrivée <strong>de</strong>s élus.<br />

"Ne <strong>le</strong> prends pas comme une marque <strong>de</strong> déloyauté Sally, je ne peux<br />

vraiment rien te dire. Du moins, pas sans l'autorisation expresse <strong>de</strong> Miliès.<br />

-Qui est Miliès déjà? <strong>de</strong>manda Rachel.<br />

-Le chef du clan <strong>de</strong>s djinns, expliqua Rick. Il paraît que dans <strong>le</strong> genre<br />

borné, on fait diffici<strong>le</strong>ment pire."<br />

Minilly <strong>le</strong> foudroya du regard mais continua tout <strong>de</strong> même son explication.<br />

"Je <strong>le</strong> concè<strong>de</strong>, Miliès a un caractère bien trempé et il est diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

négocier avec el<strong>le</strong>. Toutefois, c'est sa fermeté qui a permis au clan <strong>de</strong><br />

s'affirmer sur <strong>le</strong> territoire et <strong>de</strong> ne pas être réduit au statut d'association<br />

<strong>de</strong> naines.<br />

-<strong>Les</strong> djinns sont <strong>de</strong>s personnes très intelligentes, confirma Priam. Qui plus<br />

est, <strong>le</strong>ur pouvoir <strong>de</strong> précognition est puissant. Cependant, el<strong>le</strong>s sont assez<br />

sensées pour ne pas partager <strong>le</strong>urs secrets avec n'importe qui, ce qui <strong>le</strong>ur<br />

assure une place <strong>de</strong> choix dans la communauté Sorgenteli.<br />

-Ca ne <strong>le</strong>s empêche pas d'aimer vivre recluses, intervint G<strong>le</strong>nda. El<strong>le</strong>s ne<br />

sortent <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur repaire que pour commercer. Et encore, el<strong>le</strong>s ne <strong>le</strong> font<br />

que dans la mesure nécessaire à <strong>le</strong>ur enrichissement! Ces créatures<br />

peuvent très bien s'en sortir sans compter sur qui que ce soit d'autre!<br />

-Ce sont el<strong>le</strong>s qui fournissent tout <strong>le</strong> territoire en mandì, précisa Rick.<br />

-Oh… <strong>de</strong>s tavernières? dit Jamie en faisant <strong>de</strong> gros yeux. El<strong>le</strong>s sont donc<br />

bien véna<strong>le</strong>s!<br />

-Nous ne sommes pas <strong>de</strong>s créatures et nous ne sommes pas véna<strong>le</strong>s,<br />

protesta Minilly. Nous ne consommons que très rarement du mandì. <strong>Les</strong><br />

Sorgenteli et <strong>le</strong>s assoiffés comme toi sont <strong>le</strong>s principaux consommateurs<br />

<strong>de</strong> cet alcool! Nous profitons <strong>de</strong> cette ressource pour améliorer notre<br />

niveau <strong>de</strong> vie, c'est tout.<br />

-Où vivent ces charmantes créatures? <strong>de</strong>manda Rachel.<br />

-A Corboïlum : p<strong>le</strong>in sud, au-<strong>de</strong>là du massif du Kard, répondit Priam. C'est<br />

à l'autre bout du territoire alors il faut plusieurs jours <strong>de</strong> marche pour s'y<br />

rendre, d'autant plus que la traversée du Kard est bien longue sans<br />

gui<strong>de</strong>."<br />

4


Rick et Sally échangèrent <strong>de</strong>s regards p<strong>le</strong>ins d'appréhension à<br />

l'évocation <strong>de</strong> ces montagnes.<br />

"D… Des montagnes…, bégaya Ibtissam. Cela signifie… <strong>de</strong> la neige?<br />

-En quantité, affirma Priam.<br />

-Moi qui pensais que <strong>le</strong> climat était doux dans tout Sorgentel…"<br />

Désormais <strong>de</strong>bout sur la tab<strong>le</strong>, juste à côté <strong>de</strong> la sphère d'Altaïr qui<br />

était à peine plus petite qu'el<strong>le</strong>, Minilly lissait ses longs cheveux argentés<br />

en réfléchissant intensément.<br />

"Je ne sais pas si Miliès serait prête à vous ai<strong>de</strong>r. A vrai dire, il y a<br />

longtemps que je ne suis pas revenue chez <strong>le</strong>s miens, ce qui fait que je ne<br />

suis pas au fait d'éventuels changements à Corboïlum! Ma seu<strong>le</strong> certitu<strong>de</strong><br />

est qu'el<strong>le</strong> n'acceptera pas d'ai<strong>de</strong>r qui que ce soit gratuitement.<br />

-Sérieusement? s'écria Ana Rosa. Malgré la galère dans laquel<strong>le</strong> on se<br />

trouve cette femme nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rait une contrepartie?<br />

-Bien sûr! Même <strong>le</strong>s ca<strong>de</strong>aux qu'offrent <strong>le</strong>s djinns sont rarement<br />

désintéressés! A titre d'exemp<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s dons <strong>de</strong> Sally et Ibtissam viennent<br />

<strong>de</strong>s djinns et… Enfin… <strong>le</strong> don d'Ibtissam est un prêt et je suis <strong>le</strong> bonus<br />

chargé <strong>de</strong> <strong>le</strong> surveil<strong>le</strong>r.<br />

-Pardon? fit Ibtissam, yeux écarquillés."<br />

Sally avait <strong>le</strong>s mains apposées sur la tab<strong>le</strong>, comme si el<strong>le</strong> s'apprêtait<br />

à écraser Minilly en fonction <strong>de</strong> la réponse que cel<strong>le</strong>-ci apporterait.<br />

"Explique toi, murmura-t-el<strong>le</strong>.<br />

-C'est simp<strong>le</strong>! Comme la plupart <strong>de</strong>s clans <strong>de</strong> Sorgentel, <strong>le</strong>s djinns ont<br />

contribué aux pouvoirs <strong>de</strong>s élus en faisant un présent! C'est d'ail<strong>le</strong>urs pour<br />

cela que l'on appel<strong>le</strong> vos pouvoirs <strong>de</strong>s "dons", mais passons. <strong>Les</strong> djinns<br />

étaient bien forcées d'apporter <strong>le</strong>ur part, autrement el<strong>le</strong> seraient passées<br />

pour égoïstes et véna<strong>le</strong>s.<br />

-Sans blague, laissa échapper Arthur.<br />

-Evi<strong>de</strong>mment, <strong>le</strong>s djinns aiment <strong>le</strong>urs richesses et s'en séparer <strong>le</strong>ur fait<br />

mal, très mal. Plutôt que d'offrir une <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs possessions au chamane<br />

chargé <strong>de</strong> rassemb<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s pouvoirs <strong>de</strong>stinés aux élus, el<strong>le</strong>s ont créé <strong>le</strong>s<br />

cinq anneaux que porte Ibtissam, en se disant qu'el<strong>le</strong>s souffriraient moins<br />

<strong>de</strong> cette perte. Cependant, Verès, la djinn qui a confectionné ces anneaux,<br />

était tel<strong>le</strong>ment fière <strong>de</strong> son travail une fois celui-ci achevé qu'el<strong>le</strong> n'a<br />

jamais pu se faire à l'idée <strong>de</strong> ne plus jamais revoir ses précieux anneaux.<br />

-Ses précieux anneaux? Que voulait-el<strong>le</strong> s'en faire? Des ceintures? ricana<br />

Rachel."<br />

Minilly ignora cette remarque.<br />

"Vérès alla implorer Miliès <strong>de</strong> ne pas donner <strong>le</strong>s anneaux aux élus, car el<strong>le</strong><br />

<strong>le</strong>s aimait trop. "Pour qui allons nous passer?", lui a répondu Miliès, bien<br />

4


embarrassée. El<strong>le</strong> aussi trouvait <strong>le</strong>s anneaux magnifiques et aurait préféré<br />

<strong>le</strong>s gar<strong>de</strong>r, mais nous avions déjà donné notre engagement. Nous avons<br />

donc trouvé une solution : un prêt avec garantie!<br />

-Un prêt avec garantie? répéta Sally, <strong>de</strong> plus en plus choquée."<br />

Sonia baissa <strong>le</strong>ntement la tête avec un rire nerveux. Il était évi<strong>de</strong>nt<br />

qu'el<strong>le</strong> connaissait déjà la suite <strong>de</strong> l'histoire.<br />

"Nous avons fait jurer au chamane qu'une fois que <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong>s anneaux<br />

ne serait plus nécessaire, nous <strong>le</strong>s récupérerions! Au vu <strong>de</strong> notre longue<br />

espérance <strong>de</strong> vie, nous avions bon espoir (Minilly souriait <strong>de</strong> toutes ses<br />

<strong>de</strong>nts) mais notre confiance était limitée. C'est pour cela que notre bien<br />

aimée Miliès a décidé <strong>de</strong> m'envoyer surveil<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s anneaux.<br />

-QUOI? hurla Sally."<br />

<strong>Les</strong> autres élus marquèrent un pas en arrière.<br />

"Oui, à la base, ma mission était <strong>de</strong> surveil<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s anneaux et <strong>le</strong>ur porteur<br />

<strong>de</strong> manière discrète, dit Minilly d'un air peu rassuré. Evi<strong>de</strong>mment, nous<br />

craignions que <strong>le</strong>s autres clans et <strong>le</strong> chamane Osman Wallace soient<br />

offensés <strong>de</strong> cet acte. Du fait, Miliès a dit "Tu n'auras qu'à faire office <strong>de</strong><br />

don pour un autre élu! Ainsi, nous aurons l'air <strong>de</strong>ux fois plus généreuses<br />

alors qu'il ne s'agira en fait que d'une garantie du retour <strong>de</strong> notre bien! Ha<br />

ha ha ha!" Et c'est ainsi que je suis <strong>de</strong>venue <strong>le</strong> don <strong>de</strong> Rita, puis <strong>de</strong> Sally."<br />

Sally grimaça, puis se prostra dans un si<strong>le</strong>nce inquiétant.<br />

"En somme… mon don n'est qu'un prétexte pour surveil<strong>le</strong>r Ibtissam?<br />

bougonna-t-el<strong>le</strong> après un moment.<br />

-Pas du tout, il ne faut pas interpréter <strong>le</strong>s choses ainsi, fit Sonia en tentant<br />

<strong>de</strong> l'apaiser. <strong>Les</strong> circonstances <strong>de</strong> l'époque n'ont rien à voir avec l'usage<br />

avisé que tu fais <strong>de</strong> ton don, n'est-ce pas MINILLY?<br />

-Euh…. oui, oui, bien sûr! Je suis toute dévouée à Sally et j'avais même<br />

occulté ma mission <strong>de</strong> surveillance, jusqu'à aujourd'hui… D'ail<strong>le</strong>urs, ça me<br />

rappel<strong>le</strong> <strong>le</strong> pouvoir que l'on m'a fourni pour assurer <strong>le</strong> respect <strong>de</strong><br />

l'engagement du chamane.<br />

-Du genre? fit Sally.<br />

-Si Ibtissam était tenté d'essayer <strong>de</strong> fi<strong>le</strong>r avec <strong>le</strong>s anneaux pour son<br />

propre intérêt, je peux <strong>le</strong>s faire exploser, par la simp<strong>le</strong> pensée!"<br />

Ibtissam ouvrit grand la bouche et presque aussitôt, Khan bondit sur<br />

la tab<strong>le</strong> pour s'éloigner autant que possib<strong>le</strong> <strong>de</strong> lui.<br />

"Khan, il ne va pas exploser maintenant, dit Aïshani d'un air taciturne.<br />

-On n'est jamais assez pru<strong>de</strong>nt!<br />

-Hum, d'accord… En tout cas, je suis ravie <strong>de</strong> voir que tu fuirais sans te<br />

préoccuper <strong>de</strong> moi en cas d'explosion.<br />

-Aïshani, pardonne moi!!! gémit Khan, déboussolé."<br />

4


El<strong>le</strong> haussa <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s et se tourna vers Ibtissam qui semblait<br />

fina<strong>le</strong>ment bien prendre cette nouvel<strong>le</strong>. Il avait même fait apparaître <strong>le</strong>s<br />

anneaux dans <strong>le</strong> creux <strong>de</strong> sa main droite pour <strong>le</strong>s observer, sans doute<br />

sous un jour différent. Arthur se <strong>de</strong>manda s'il considérait cette menace<br />

permanente comme un nouvel élément tendant à <strong>le</strong> rapprocher <strong>de</strong> Sally,<br />

la seu<strong>le</strong> femme capab<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>le</strong> tuer d'un seul mot.<br />

"Venons en au fait, dit Kaznaël, coupant court à cette discussion<br />

improductive. Asuka, pourrais-tu nous transporter directement à<br />

Corboïlum?"<br />

Asuka parut stupéfait <strong>de</strong> constater que Kaznaël connaissait son prénom.<br />

"Non, ça ne marche pas si je ne connais pas l'endroit en question ou une<br />

personne s'y trouvant. Si Andreas avait été là, nous aurions pu tenter la<br />

même technique que la <strong>de</strong>rnière fois en récupérant <strong>le</strong>s pensées <strong>de</strong> Minilly.<br />

Sans lui ce n'est même pas envisageab<strong>le</strong>… Il va falloir voyager comme<br />

n'importe qui.<br />

-Un instant! Vous comptez vous rendre à Corboïlum? s'emporta Meo. Ne<br />

me dites pas que vous al<strong>le</strong>z tous partir à la recherche du fantôme <strong>de</strong><br />

Leryan? J'étais prêt à vous soutenir tant qu'il s'agissait juste d'interroger<br />

cette djinn, mais partir à… Priam, prends position je t'en prie!"<br />

Priam poussa un soupir las. Il était manifestement trop troublé pour<br />

prendre une décision.<br />

"Ho, fiche la paix à Priam, rouspéta G<strong>le</strong>nda en pointant Meo du doigt. Si<br />

<strong>le</strong>s élus veu<strong>le</strong>nt al<strong>le</strong>r à Corboïlum pour rechercher <strong>de</strong>s traces <strong>de</strong> Leryan,<br />

c'est <strong>le</strong>ur choix! On n'a pas à <strong>le</strong>ur dicter <strong>le</strong>ur comportement.<br />

-Je trouve cette intervention bien déplacée <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> cel<strong>le</strong> qui s'est fait<br />

duper par la Confrérie et a mené ses membres jusqu'au Havre, répliqua<br />

Meo. Connaissez-vous l'étendue <strong>de</strong>s pertes humaines ayant découlé <strong>de</strong><br />

cette attaque, G<strong>le</strong>nda <strong>de</strong> l'Etoi<strong>le</strong> d'Alaxand?<br />

-C'était une erreur et je la paie en étant obligée <strong>de</strong> te supporter, oiseau <strong>de</strong><br />

malheur! De toute façon, ce n'est pas <strong>le</strong> sujet! Tout ce que je dis, c'est<br />

que <strong>le</strong>s élus ont <strong>le</strong>ur mot à dire!<br />

-J… Je n'insinuais pas <strong>le</strong> contraire, trembla Meo, mal à l'aise."<br />

<strong>Les</strong> yeux d'Ana Rosa brillaient d'admiration pour l'impu<strong>de</strong>nce<br />

inégalab<strong>le</strong> <strong>de</strong> G<strong>le</strong>nda la Barrée. Heureusement pour Meo, Omar fit une<br />

entrée sonore dans la sal<strong>le</strong>, martelant <strong>le</strong> sol <strong>de</strong> ses gran<strong>de</strong>s bottes aux<br />

talons métallisés. Il était rouge comme s'il avait traversé tout Havre au<br />

pas <strong>de</strong> course.<br />

"L'espion a été tué! cria-t-il.<br />

Priam, Meo et Aylin se glacèrent d'effroi.<br />

4


"Tué? répéta Meo d'une voix criar<strong>de</strong>. Comment est-ce possib<strong>le</strong>? Tu avais<br />

dit que c'était l'un <strong>de</strong>s meil<strong>le</strong>urs éléments <strong>de</strong> la Milice!<br />

-C'est <strong>de</strong> ma faute, j'ai sous-estimé <strong>le</strong> Clan d'Azulnot, dit Omar.<br />

-L'Azulnot est donc responsab<strong>le</strong>?<br />

-La nature <strong>de</strong>s b<strong>le</strong>ssures <strong>le</strong> laisse penser. Notre espion a été tué par un<br />

projecti<strong>le</strong>, probab<strong>le</strong>ment une flèche, mais il n'y avait pas <strong>le</strong> moindre résidu<br />

<strong>de</strong> bois! C'est la signature du Clan d'Azulnot : pas <strong>de</strong> trace!<br />

-De quoi s'agit-il? <strong>le</strong>s interrogea Sonia. Vous avez envoyé quelqu'un<br />

espionner <strong>le</strong>s membres du Clan d'Azulnot?<br />

-Nous espérions prouver <strong>le</strong>ur lien avec <strong>le</strong> Régent Hermès. J'ai donc<br />

ordonné à un <strong>de</strong> mes hommes <strong>de</strong> pister <strong>le</strong>s membres du Clan jusqu'à ce<br />

qu'il soit en mesure <strong>de</strong> m'assurer que <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux camps étaient bien en<br />

contact. La <strong>de</strong>rnière fois qu'il m'a donné <strong>de</strong> ses nouvel<strong>le</strong>s il se trouvait à<br />

Port Sullivan. Je n'ai rien d'autre. Nous sommes revenus au point <strong>de</strong><br />

départ.<br />

-Ha, c'était prévisib<strong>le</strong>, professa G<strong>le</strong>nda en fronçant <strong>le</strong>s sourcils. A Port<br />

Sullivan, nous sommes capab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> repérer ces idiots d'envoyés du<br />

Cénac<strong>le</strong> avant même qu'ils ne nous aient localisés.<br />

-Surveil<strong>le</strong> tes paro<strong>le</strong>s, G<strong>le</strong>nda, menaça Priam.<br />

-Surveil<strong>le</strong> <strong>le</strong>s tiennes! D'ail<strong>le</strong>urs tais toi un peu car j'ai <strong>de</strong>s éléments uti<strong>le</strong>s<br />

à vous fournir."<br />

Priam ferma <strong>le</strong>s yeux un court instant pour reprendre son calme.<br />

"Par<strong>le</strong> donc.<br />

-La Rose, un <strong>de</strong> mes gars, a <strong>de</strong>s relations dans <strong>le</strong> Clan.<br />

-Est-ce vrai?<br />

-Je n'ai pas fini! En remplissant <strong>le</strong> gosier <strong>de</strong> cet homme d'alcool, il a réussi<br />

à apprendre que l'Orbe était censé al<strong>le</strong>r tout droit à Ca<strong>de</strong>ro, comme vous<br />

<strong>le</strong> soupçonniez. Seu<strong>le</strong>ment, pour une raison inconnue, <strong>le</strong>s équipes<br />

chargées <strong>de</strong> l'amener là-bas sont toujours bloquées à quelques lieues <strong>de</strong><br />

l'Avant Poste <strong>de</strong> Ka<strong>de</strong>ïsi.<br />

-Juste sous notre nez? s'exclama Omar.<br />

-Quel meil<strong>le</strong>ur moyen <strong>de</strong> vous duper…, soupira G<strong>le</strong>nda.<br />

-Priam, nous <strong>de</strong>vons par<strong>le</strong>r, maintenant et en huis clos, intima Omar<br />

d'une voix tonnante.<br />

-Oui. Je suis d'accord."<br />

Il considéra <strong>le</strong>s élus du regard.<br />

"Jeunes gens, je vais vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong> nous accor<strong>de</strong>r un moment, nous<br />

avons besoin <strong>de</strong> nous concerter. Sonia, restez s'il vous plaît. Kaznaël<br />

aussi.<br />

-Euh… oui, entendu, fit Sonia. Vous autres…<br />

-Ca va, on a compris, râla Rachel. On s'en va."<br />

4


<strong>Les</strong> élus quittèrent <strong>le</strong>s lieux <strong>le</strong>s uns après <strong>le</strong>s autres, non sans un<br />

certain ressentiment. Ils se retrouvèrent dans un large couloir blanc<br />

jouxtant la pièce, alignés <strong>le</strong> long <strong>de</strong>s murs comme <strong>de</strong>s écoliers punis. Meo<br />

avait fermé la porte pour s'assurer qu'aucune paro<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur conversation<br />

ne filtrerait.<br />

"Pas croyab<strong>le</strong>, s'offusqua aussitôt Ana Rosa."<br />

Arthur s'assit, aussitôt suivi par <strong>le</strong>s autres. Il y avait un petit courant<br />

d'air assez désagréab<strong>le</strong> qui circulait au niveau du sol.<br />

"Oui, je trouve ceci très déplacé, ajouta Rachel. Nous éjecter ainsi <strong>de</strong> la<br />

conversation alors que nous sommes <strong>le</strong>s principaux concernés.<br />

-G<strong>le</strong>nda avait raison, dit Ana Rosa, nous ne sommes pas à la botte du<br />

Cénac<strong>le</strong>! D'ail<strong>le</strong>urs, pourquoi el<strong>le</strong> a pu rester, el<strong>le</strong>?<br />

-Parce qu'el<strong>le</strong> dispose d'informations bien sûr, dit Shui-Khan.<br />

-Du calme, du calme, tempéra Sally. Personne n'a jamais dit que nous<br />

étions à la botte du Cénac<strong>le</strong>. Ils essaient juste <strong>de</strong> trouver une solution<br />

adéquate.<br />

-Comme d'habitu<strong>de</strong>, G<strong>le</strong>nda aime bien semer la zizanie, indiqua Rick. Ne<br />

tombez pas dans <strong>le</strong> piège. Même si el<strong>le</strong> ne fait ça que pour s'amuser, ça<br />

fonctionne souvent.<br />

-Il ne s'agit pas <strong>de</strong> G<strong>le</strong>nda mais plutôt <strong>de</strong> la douce indifférence <strong>de</strong>s<br />

Anciens à notre égard, reprit Ana Rosa. Ils font mine d'avoir <strong>de</strong> l'intérêt<br />

pour notre opinion mais nous écartent gentiment dès que l'occasion se<br />

présente. Ils agissent comme si on n'était que <strong>de</strong>s enfants alors qu'on<br />

s'est décarcassés à <strong>le</strong>ur ramener Altaïr."<br />

Shui-Khan croisa <strong>le</strong>s bras et arbora un sourire sardonique.<br />

"Parce que tu crois que nous sommes autre chose que <strong>de</strong>s soldats? Nous<br />

avons beau être respectés et encensés, nous restons <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong><br />

terrain, comme <strong>le</strong>s soldats <strong>de</strong> la Milice. Tout ce que nous avons <strong>de</strong> plus,<br />

c'est quelques privilèges.<br />

-Sa<strong>le</strong> mentalité que tu as là Shui, reprocha Arthur.<br />

-Je suis d'accord, c'est ce genre <strong>de</strong> réaction qui fera <strong>de</strong> nous <strong>de</strong>s enfants<br />

dont on ignore l'opinion, affirma Aïshani. (Arthur réalisa que Khan était<br />

resté dans la pièce). Faisons preuve <strong>de</strong> sang-froid et notre avis sera<br />

considéré."<br />

Rick opina <strong>de</strong> la tête.<br />

"En somme, tu es un gosse immature, Shui, conclut Elliott.<br />

-Va mourir bou<strong>le</strong>t, répliqua Shui-Khan sans même <strong>le</strong> regar<strong>de</strong>r.<br />

-Si <strong>le</strong>s bou<strong>le</strong>ts sont <strong>le</strong>s premiers à périr, tu me précé<strong>de</strong>ras mon vieux…"<br />

Arthur sentit un regain d'estime pour Elliott en voyant <strong>le</strong> visage <strong>de</strong><br />

Shui-Khan <strong>de</strong>venir cramoisi. Il n'eut pas <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> riposter car la porte<br />

4


s'ouvrit. Tous crurent un instant qu'ils allaient pouvoir réintégrer la<br />

discussion.<br />

"Rick, Sally, rejoignez-nous, lança Sonia en passant juste la tête par<br />

l'entrebâil<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> la porte."<br />

<strong>Les</strong> intéressés accoururent et claquèrent la porte <strong>de</strong>rrière eux, sous<br />

<strong>le</strong>s regards dépités <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs compagnons. Cette fois-ci, Arthur ressentit un<br />

peu <strong>de</strong> frustration.<br />

"Là ça fait un peu cerc<strong>le</strong> fermé, dit Anaïs en enfonçant son béret sur la<br />

tête. J'espère qu'on finira par savoir ce qui s'est passé… à moins que…"<br />

El<strong>le</strong> se <strong>le</strong>va et partit col<strong>le</strong>r son oreil<strong>le</strong> à la porte, une mauvaise<br />

habitu<strong>de</strong> qu'el<strong>le</strong> avait développée <strong>de</strong>puis sa tendre enfance.<br />

"Anaïs, arrête ça! souffla Arthur. Au pire, Kaz me racontera!<br />

-Tu entends quelque chose? lui <strong>de</strong>manda Ana Rosa, surexcitée."<br />

Anaïs s'évertuait à écraser <strong>le</strong> côté droit <strong>de</strong> sa tête contre la surface<br />

<strong>de</strong> la porte, en vain. El<strong>le</strong> abandonna rapi<strong>de</strong>ment son entreprise<br />

d'espionnage.<br />

"C'est trop épais, on n'entend que <strong>de</strong>s bourdonnements, déplora-t-el<strong>le</strong>.<br />

-Zut alors… Traîtres <strong>de</strong> Sally et Rick! Ils <strong>de</strong>vraient savoir que l'on va<br />

essayer d'épier! S'ils étaient sympas ils augmenteraient <strong>le</strong> volume pour<br />

qu'on puisse entendre!"<br />

Anaïs revient s'asseoir à côté d'Arthur, vaincue par un bois trop soli<strong>de</strong>.<br />

"Tiens, j'aimerais beaucoup savoir qui est femme à la cou<strong>le</strong>ur <strong>de</strong> cheveux<br />

si verte, intervint Ibtissam.<br />

-Une barrée, répondit Shui-Khan en fermant <strong>le</strong>s yeux.<br />

-Ah… ce n'est pas très poli.<br />

-C'est son appellation : G<strong>le</strong>nda la Barrée, précisa Asuka. El<strong>le</strong> dirige l'Etoi<strong>le</strong><br />

d'Alaxand, une guil<strong>de</strong> <strong>de</strong>… comment dire? Ce sont <strong>de</strong>s illuminés<br />

rassemblés en une guil<strong>de</strong> qui dirige tous <strong>le</strong>s commerces <strong>de</strong> Port Sullivan.<br />

-D'où l'étoi<strong>le</strong> argentée au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> sa poitrine, dit Arthur.<br />

-Tu as bien regardé…, constata Anaïs d'une voix ironique.<br />

-Comment veux-tu ne pas voir ça? riposta Arthur.<br />

-Qu'est-ce que c'est, Alaxand? <strong>de</strong>manda Rachel.<br />

-C'est <strong>le</strong> nom d'une petite î<strong>le</strong> située au large <strong>de</strong> Port Sullivan, mais va<br />

comprendre <strong>le</strong> lien avec <strong>le</strong>ur guil<strong>de</strong>, répondit Asuka en haussant <strong>le</strong>s<br />

épau<strong>le</strong>s. En tout cas, l'Etoi<strong>le</strong> d'Alaxand a un contrô<strong>le</strong> presque exclusif sur<br />

<strong>le</strong>s voies maritimes <strong>de</strong> Sorgentel et personne ne <strong>le</strong> conteste, pas même <strong>le</strong><br />

Cénac<strong>le</strong>. Je suppose que dans notre mon<strong>de</strong>, on <strong>le</strong>s qualifierait <strong>de</strong> pirates,<br />

sans l'aspect "je vous pil<strong>le</strong>, égorge et cou<strong>le</strong>", vous voyez?<br />

-Sympa…, fit Anaïs.<br />

4


-Cette dame a un tempérament inhabituel mais je ne pense pas qu'el<strong>le</strong> ait<br />

un mauvais fond, déclara Ibtissam avec un sourire. Autrement, el<strong>le</strong> ne<br />

nous aurait pas fourni ces informations, même si el<strong>le</strong> a une <strong>de</strong>tte envers<br />

<strong>le</strong> Cénac<strong>le</strong>.<br />

-A propos, vous savez qu'el<strong>le</strong> est <strong>de</strong> la même famil<strong>le</strong> que Priam? fit Asuka.<br />

-Sérieux? s'écria Ana Rosa. Alors, quand G<strong>le</strong>nda l'a appelé "cousin"…<br />

-Ils sont vraiment cousins mais se querel<strong>le</strong>nt très souvent, pour <strong>de</strong>s<br />

raisons évi<strong>de</strong>ntes! G<strong>le</strong>nda a beau être issue d'une gran<strong>de</strong> lignée, el<strong>le</strong> a<br />

pris une voix contestab<strong>le</strong> selon <strong>le</strong>s standards <strong>de</strong> sa famil<strong>le</strong>.<br />

-Mince, qui aurait cru que <strong>le</strong> brave Priam et l'excentrique G<strong>le</strong>nda étaient<br />

<strong>de</strong> la même famil<strong>le</strong>, fit Jamie d'un air amusé. Je n'ose pas imaginer <strong>le</strong>s<br />

réunions <strong>de</strong> famil<strong>le</strong>… G<strong>le</strong>nda doit mettre une sacrée ambiance.<br />

-Je l'imagine bien monter sur la tab<strong>le</strong> complètement bourrée et raconter<br />

<strong>de</strong>s histoires déjantées à Ronan et Roxana pour <strong>le</strong>s distraire, ajouta Asuka<br />

en mimant la scène."<br />

Arthur se rappela que Ronan avait une gran<strong>de</strong> admiration pour <strong>le</strong>s<br />

membres <strong>de</strong> l'Etoi<strong>le</strong> d'Alaxand. Son père avait sans doute été soulagé <strong>de</strong><br />

<strong>le</strong> voir fina<strong>le</strong>ment choisir la voie plus conventionnel<strong>le</strong> <strong>de</strong> la Milice.<br />

"Pssst, Arthur, souffla Anaïs tandis que <strong>le</strong>s autres continuaient à<br />

plaisanter. Des nouvel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Sam?"<br />

Jamie se pencha discrètement vers eux et Arthur repoussa sa<br />

manche droite pour découvrir son Echo. Evi<strong>de</strong>mment, il savait que cela ne<br />

changerait rien. Samuel ne l'avait pas contacté.<br />

"Pas <strong>de</strong> nouvel<strong>le</strong>s, bonnes nouvel<strong>le</strong>s? suggéra Jamie pour <strong>le</strong> rassurer.<br />

-Moui… Je vous tiens au courant s'il me transmet quelque chose, chuchota<br />

Arthur. Promis!"<br />

Anaïs hocha la tête au moment où la porte se rouvrait <strong>de</strong> nouveau.<br />

C'était encore une fois Sonia. <strong>Les</strong> élus la dardèrent du regard, attendant<br />

<strong>de</strong>s nouvel<strong>le</strong>s.<br />

"Désolée, s'excusa-t-el<strong>le</strong>. Vous pouvez nous rejoindre.<br />

-Pas trop tôt, bougonna Shui-Khan."<br />

Arthur se <strong>le</strong>va d'un bond et <strong>le</strong> petit groupe réintégra la pièce pour<br />

savoir enfin <strong>de</strong> quoi il retournait. Rick et Sally avaient un petit sourire<br />

plaqué sur <strong>le</strong> visage. A l'inverse, l'expression <strong>de</strong> Kaznaël était<br />

indéchiffrab<strong>le</strong>, tout comme cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s Anciens.<br />

"Alors? fit Rachel. Du nouveau?<br />

-Nous avons réussi à trouver un compromis, annonça Sonia. La solution<br />

était si évi<strong>de</strong>nte que je ne sais pas comment nous avons pu perdre tout ce<br />

temps en discussion."<br />

4


El<strong>le</strong> se racla la gorge après avoir, d'un regard, <strong>de</strong>mandé<br />

l'assentiment <strong>de</strong>s Anciens.<br />

"Nous allons nous scin<strong>de</strong>r en <strong>de</strong>ux groupes, conformément aux pratiques<br />

habituel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> GLOW. Le premier, dirigé par Sally, se rendra à Corboïlum<br />

après avoir été déposé à Althiès par Asuka. Kaznaël accompagnera ce<br />

groupe. Le <strong>de</strong>uxième, dirigé par Rick, rejoindra la Milice à Juval. Enfin,<br />

certains d'entre nous resteront ici, pour assurer la protection d'Altaïr et<br />

servir <strong>de</strong> soutien <strong>de</strong> <strong>de</strong>rnière minute, au cas où."<br />

Personne ne daigna ouvrir la bouche. Arthur frémissait d'impatience,<br />

même s'il savait déjà dans quel groupe il allait se retrouver.<br />

"Le premier groupe aura la mission la moins péril<strong>le</strong>use. Il s'agit<br />

uniquement d'al<strong>le</strong>r à la rencontre <strong>de</strong>s djinns pour obtenir <strong>de</strong>s informations<br />

sur Leryan, ce qui explique pourquoi il faut que Sally mène cette<br />

expédition. Toutefois, on ne sait jamais quel<strong>le</strong>s actions pourraient prendre<br />

nos ennemis… Rachel est très polyva<strong>le</strong>nte et <strong>de</strong> bons réf<strong>le</strong>xes. Elliott vous<br />

permettra <strong>de</strong> vous réfugier dans <strong>le</strong> Passage en cas <strong>de</strong> danger. Arthur et<br />

Kaznaël sont intelligents et représentent une force <strong>de</strong> frappe non<br />

négligeab<strong>le</strong>. Ces personnes seront dans l'équipe Sally."<br />

Arthur hocha la tête, tentant <strong>de</strong> réprimer sa déception. Encore une<br />

fois, il était séparé d'Anaïs et Jamie, au profit d'Elliott et Rachel. Au moins<br />

il y avait Sally. Comme pour <strong>le</strong> rassurer, Anaïs lui fit un clin d'œil. "Tout<br />

ira bien" semblait-el<strong>le</strong> dire.<br />

"La mission du <strong>de</strong>uxième groupe sera sans doute plus dangereuse :<br />

fournir un soutien aux forces <strong>de</strong> la Milice pour récupérer l'Orbe à l'Avant<br />

Poste <strong>de</strong> Ka<strong>de</strong>isi. Encore une fois, Asuka déposera ce groupe à Juval. Rick<br />

dirigera car il a une meil<strong>le</strong>ure connaissance <strong>de</strong> Sorgentel et du contexte<br />

actuel, sans compter sa capacité d'analyse et son don. Toutefois, mieux<br />

vaut <strong>de</strong>ux soigneurs qu'un seul… J'irai donc avec eux! (El<strong>le</strong> sourit). Par<br />

ail<strong>le</strong>urs, ce dont nous aurons besoin sur place, c'est d'une gran<strong>de</strong> force <strong>de</strong><br />

frappe : Jamie et Shui-Khan pourront soutenir <strong>le</strong>s soldats sans prendre <strong>de</strong><br />

trop grands risques, grâce à la protection d'Anaïs (<strong>le</strong> souff<strong>le</strong> d'Arthur<br />

s'accéléra). Ajoutons à cela la polyva<strong>le</strong>nce et l'ingéniosité d'Ibtissam qui<br />

sera collé aux basques d'Anaïs pendant qu'el<strong>le</strong>-même protègera <strong>le</strong>s<br />

autres, ou soutiendra ses compagnons selon la situation...<br />

Le troisième et <strong>de</strong>rnier groupe <strong>de</strong>meurera ici auprès <strong>de</strong>s Anciens. Asuka<br />

pourra faire <strong>le</strong> lien entre <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux groupes grâce à son déplacement<br />

instantané. Avec lui, Ana et Aïshani gar<strong>de</strong>ront l'oeil sur la cité. Attention, il<br />

ne s'agit pas <strong>de</strong> rester ici à ne rien faire, précisa Sonia en voyant Ana<br />

Rosa ouvrir la bouche. Priam aura un petit travail à vous confier et je<br />

pense que vos ressources lui seront uti<strong>le</strong>s... Ai-je oublié quelqu'un?...<br />

Non, je crois que tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> sait ce qu'il lui reste à faire.<br />

-J'ai une question, fit Aïshani en <strong>le</strong>vant la main.<br />

-Vas-y.<br />

4


-Sans vouloir sous-estimer <strong>le</strong>s capacités d'Arthur, est-il raisonnab<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

n'envoyer qu'une seu<strong>le</strong> élite à Corboïlum? Rester ici ne me dérange pas<br />

mais je m'interroge tout <strong>de</strong> même."<br />

Sonia acquiesça d'un clignement d'yeux.<br />

"Je préfère qu'au moins une élite reste ici, au cas où un événement<br />

inattendu surviendrait. De préférence une élite expérimentée comme toi.<br />

Anaïs sera plus uti<strong>le</strong> sur <strong>le</strong> terrain vu ses capacités. Quant à l'équipe <strong>de</strong><br />

Sally, sache que Kaznaël est aussi redoutab<strong>le</strong> qu'un élu d'élite, voire plus.<br />

-Merci, je comprends."<br />

Personne d'autre ne broncha. Arthur accepta ce choix mieux qu'il ne<br />

l'aurait fait quelques jours plus tôt.<br />

"Et bien, on entre dans <strong>le</strong> vif du sujet, déclara Sonia en joignant <strong>le</strong>s mains<br />

<strong>de</strong>rrière <strong>le</strong> dos. Peut-être que nous allons enfin pouvoir souff<strong>le</strong>r<br />

maintenant que nous avons mis un terme à ce conflit stéri<strong>le</strong>."<br />

***<br />

La nuit était tombée et Arthur se tenait au milieu <strong>de</strong> la Baie <strong>de</strong><br />

Springan, éclairée uniquement par <strong>le</strong>s milliers <strong>de</strong> particu<strong>le</strong>s lumineuses<br />

qui gravitaient autour du monolithe, pareils aux étoi<strong>le</strong>s d'une constellation<br />

comp<strong>le</strong>xe. Le jeune homme venait <strong>de</strong> sortir du dîner et ressentait <strong>le</strong><br />

besoin <strong>de</strong> s'iso<strong>le</strong>r un peu, afin <strong>de</strong> se préparer menta<strong>le</strong>ment au départ du<br />

<strong>le</strong>n<strong>de</strong>main. La nuit était tombée et <strong>le</strong> ciel constellé d'étoi<strong>le</strong>s semblait être<br />

<strong>le</strong> prolongement <strong>de</strong> la baie.<br />

Comme Arthur s'y attendait, Jamie ne mit pas plus <strong>de</strong> quelques<br />

minutes à <strong>le</strong> rejoindre.<br />

"Arty, qu'est-ce que tu fais là tout seul au lieu <strong>de</strong> faire la fête avec moi?<br />

s'écria Jamie, quelque peu éméché.<br />

-La <strong>de</strong>rnière fois que j'ai trop bu, je me suis ridiculisé <strong>de</strong>vant Xenia,<br />

répondit Arthur alors que son ami <strong>le</strong> rejoignait sur l'eau.<br />

-Oh... pas faux! Dis, tu penses qu'on <strong>le</strong> droit <strong>de</strong> se baigner dans cette<br />

eau? Certes je n'ai pas <strong>de</strong> maillot <strong>de</strong> bain, mais ce n'est pas vraiment un<br />

problème."<br />

Jamie effectua <strong>de</strong>ux bonds sur l'eau pour rallier <strong>le</strong> centre <strong>de</strong> la baie<br />

et posa <strong>le</strong> menton sur l'épau<strong>le</strong> d'Arthur après lui avoir asséné une claque<br />

vio<strong>le</strong>nte dans <strong>le</strong> dos.<br />

"Wooow, l'ébriété te rend plus affectueux... que d'habitu<strong>de</strong>, plaisanta<br />

Arthur.<br />

-Je veux dormiiiiir...<br />

-Pas sur mon épau<strong>le</strong> s'il te plaît.<br />

-Trop tard!<br />

4


-...<br />

-...<br />

-Dis, avant <strong>de</strong> tomber dans <strong>le</strong>s vapes, tu pourrais me rendre un service<br />

Jam'?<br />

-Inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r, je sais déjà ce que j'ai à faire...<br />

-Ok. Je sais que je peux compter sur toi.<br />

-Ha! Et si moi je te <strong>de</strong>man<strong>de</strong> un service?<br />

-Inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r, je sais aussi ce que j'ai à faire, assura Arthur.<br />

-Fort bien! Tant qu'à faire, j'aimerais beaucoup que tu fasses attention à<br />

toi.<br />

-Même chose <strong>de</strong> ton côté."<br />

Arthur laissa échapper un soupir.<br />

"Mince, j'ai l'impression d'entrer au lycée <strong>de</strong>main, fit remarquer Arthur. Je<br />

ne vais sans doute pas dormir <strong>de</strong> la nuit avec tout ça.<br />

-Ne dors pas alors... Le petit dîner va bon train et Shui est allé se<br />

coucher! Il ne t'importunera pas.<br />

-Je sais, mais... je ne sais pas ce que je dois lui dire.<br />

-Ne la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pas en mariage en tout cas. Comme tu as pu <strong>le</strong> voir, ça<br />

ne réussit pas à tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>.<br />

-Ouais, aucun risque...<br />

-Dis lui juste <strong>de</strong> ne pas prendre <strong>de</strong> risque inconsidéré. Cela facilitera ma<br />

tâche.<br />

-Ce serait un bon début! Bon… J'arrive, donne moi <strong>de</strong>ux minutes.<br />

-Très bien! A tout <strong>de</strong> suite."<br />

Jamie lui tapota <strong>le</strong> sommet du crâne et repartit vers <strong>le</strong> hall du<br />

Cénac<strong>le</strong>. De nouveau seul, Arthur ferma <strong>le</strong>s yeux et vida son esprit afin <strong>de</strong><br />

s'apaiser. Plus que la recherche <strong>de</strong> Leryan, il réalisait qu'il partait à la<br />

recherche <strong>de</strong> lui-même, en quête <strong>de</strong>s sources du don qui lui avait été<br />

offert. Comme Samuel <strong>le</strong> lui avait dit, il n'y avait vraisemblab<strong>le</strong>ment pas<br />

<strong>de</strong> coïnci<strong>de</strong>nce.<br />

***<br />

"Roxana, où va-tu?<br />

-Juste me promener avec Pal-Pal!"<br />

La jeune fil<strong>le</strong> quitta Althiès à pied, marchant côte à côte avec <strong>le</strong><br />

palton <strong>de</strong> son frère aîné. L'animal avançait au pas, secouant son museau<br />

pour chasser un insecte qui s'évertuait à l'agacer. Ses yeux virèrent au<br />

rouge et il expira vio<strong>le</strong>mment <strong>de</strong>s naseaux.<br />

"Pal-Pal, arrête <strong>de</strong> t'exciter..."<br />

<strong>Les</strong> yeux du palton re<strong>de</strong>vinrent b<strong>le</strong>u clair et il donna un petit coup <strong>de</strong><br />

tête à Roxana. El<strong>le</strong> poussa un cri indigné et fit quelques pas pour lui<br />

4


échapper. L'herbe sous ses pieds était fraîche, agréab<strong>le</strong>. Selon Roxana, il<br />

n'y avait pas <strong>de</strong> plus grand plaisir sur terre que <strong>de</strong> marcher pieds nus.<br />

"Dis Pal-Pal, est-ce que je suis stupi<strong>de</strong>?"<br />

Après s'être éloignée <strong>de</strong> la bourga<strong>de</strong>, el<strong>le</strong> s'assit en prenant gar<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> ne pas froisser la robe verte plissée que lui avait confectionné sa mère<br />

quelques jours plus tôt.<br />

"Je sais que tu ne peux pas me répondre, c'est une question pour la<br />

forme, continua-t-el<strong>le</strong> en lui caressant la tête. Hum… Ronan dit que je suis<br />

idiote d'être tombée amoureuse. Il a peut-être raison. Après tout je suis<br />

jeune… Maman dit que <strong>le</strong>s fil<strong>le</strong>s sont crédu<strong>le</strong>s, bien qu'el<strong>le</strong>s <strong>de</strong>viennent<br />

plus sensées que <strong>le</strong>s hommes avec l'âge."<br />

Un léger vent se <strong>le</strong>va et fit vo<strong>le</strong>r ses longs cheveux blancs. El<strong>le</strong> prit<br />

un ruban dans sa sacoche et <strong>le</strong>s noua.<br />

"Il a dit qu'il viendrait bientôt me voir, je <strong>de</strong>vrais peut-être lui en par<strong>le</strong>r…<br />

Tout serait plus clair ainsi. Pour l'instant je ne fais que ruminer… oh, sans<br />

vouloir t'offenser bien sûr!"<br />

Le palton s'ébroua.<br />

"Shui… Je ne te comprends pas du tout, soupira-t-el<strong>le</strong>.<br />

Une rafa<strong>le</strong> <strong>de</strong> vent la força à se cacher <strong>le</strong>s yeux avec la main et <strong>le</strong><br />

nœud <strong>de</strong> son ruban se défit. Il faisait <strong>de</strong> plus en plus chaud.<br />

"Qu'est-ce… ce vent… il va y avoir une tempête? gémit-el<strong>le</strong> en<br />

s'accrochant à Pal-Pal."<br />

La créature était aussi apeurée qu'el<strong>le</strong>, d'autant plus qu'un tourbillon<br />

incan<strong>de</strong>scent émettant un gron<strong>de</strong>ment terrifiant venait <strong>de</strong> faire son<br />

apparition <strong>de</strong>vant eux, carbonisant l'herbe à son pied et teintant <strong>le</strong> ciel<br />

d'une cou<strong>le</strong>ur écarlate. Quelques habitants qui se trouvaient à proximité<br />

accoururent pour voir ce qui se passait, dont Paul, <strong>le</strong> guérisseur d'Althiès.<br />

"Roxana!<br />

-Que se passe-t-il? s'écria-t-el<strong>le</strong>, terrifiée.<br />

-Inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> t'inquiéter voyons, assura <strong>le</strong> guérisseur. C'est juste eux!"<br />

Le phénomène enflammé prit <strong>de</strong> l'amp<strong>le</strong>ur, puis se dissipa soudain,<br />

laissant apparaître un groupe d'individus au-<strong>de</strong>ssus duquel planait un<br />

grand phoenix. Alors qu'une traînée <strong>de</strong> poussière rougeâtre montait vers<br />

<strong>le</strong> ciel, Roxana reconnut d'abord son frère, arme à la ceinture, vêtu <strong>de</strong> son<br />

uniforme militaire. Derrière lui, un groupe d'élus en tenues d'apparat<br />

noires et blanches observaient l'endroit dans <strong>le</strong>quel ils venaient<br />

4


d'apparaître. Il y avait parmi un grand jeune homme aux cheveux<br />

écarlates et à la mine renfrognée.<br />

"Salut Roxana! lança Arthur en lui faisant un signe <strong>de</strong> main.<br />

-A… Arthur? Kaznaël?"<br />

4


Chapitre 25 : <strong>Les</strong> <strong>Chroniques</strong><br />

Risabel accueillit <strong>le</strong>s élus et Kaznaël à la hâte pour ne pas laisser aux<br />

althiésiens <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> réaliser ce qu'il se passait, puis <strong>le</strong>ur fit signe <strong>de</strong> la<br />

suivre à l'intérieur <strong>de</strong> la bourga<strong>de</strong>.<br />

"Nous allons directement à la maison, déclara la mère <strong>de</strong> famil<strong>le</strong> dont <strong>le</strong><br />

ventre rond indiquait une grossesse presque à terme."<br />

El<strong>le</strong> prit ses enfants par la main comme s'ils étaient encore en bas<br />

âge et quitta l'entrée d'Althiès. <strong>Les</strong> autres la suivirent, amusés par<br />

l'embarras <strong>de</strong> Ronan.<br />

"Maman, je suis un soldat maintenant, protestait-il sans pour autant<br />

lâcher la main <strong>de</strong> sa mère. Je ne suis plus un enfant!<br />

-Tu m'en diras tant."<br />

La traversée d'Althiès fut brève et se passa sans inci<strong>de</strong>nt, ce qui ne<br />

manqua pas d'intriguer Arthur. Son premier passage par la route séparant<br />

<strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux rangées <strong>de</strong> maisons blanches, <strong>de</strong> petits commerces et d'ateliers,<br />

avait déc<strong>le</strong>nché une petite émeute parmi <strong>le</strong>s habitants, <strong>de</strong> quoi faire pâlir<br />

un chef d'Etat. Là au contraire, ces <strong>de</strong>rniers gardaient une réserve<br />

surprenante, malgré <strong>de</strong>s regards brillants <strong>de</strong> curiosité et quelques signes<br />

<strong>de</strong> main <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s enfants déjà réveillés à cette heure matina<strong>le</strong>.<br />

Arthur attribua cette distance respectueuse à l'expression menaçante<br />

qu'affichait Risabel. La prestance toute récente <strong>de</strong> Roxana n'était pas non<br />

plus étrangère à l'attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s habitants d'Althiès. La jeune fil<strong>le</strong> paraissait<br />

s'être épanouie en quelques mois, faisant désormais preuve d'assurance<br />

et même d'une certaine audace dans <strong>le</strong> ton.<br />

"Toi aussi tu as grandi Arthur, lui répondit-el<strong>le</strong> après qu'il lui ait fait la<br />

remarque."<br />

El<strong>le</strong> rit et continua d'avancer aux côtés <strong>de</strong> sa mère, insensib<strong>le</strong> à la<br />

petite brise qui donnait <strong>de</strong>s frissons à Arthur. Le petit groupe arriva<br />

<strong>de</strong>vant la palissa<strong>de</strong> blanche qui précédait <strong>le</strong> potager <strong>de</strong> Risabel et entra<br />

dans la maison. A peine <strong>le</strong> seuil passé, Elliott trébucha sur un tas <strong>de</strong><br />

planches posées à même <strong>le</strong> sol. Risabel se confondit alors en excuses :<br />

"Priam a entamé <strong>de</strong>s travaux! Il veut agrandir la maison pour l'arrivée du<br />

bébé mais je ne l'ai pas vu toucher à son ouvrage <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s jours. Avec<br />

tout ça, il n'a plus <strong>le</strong> temps et Ronan ne peut prendre <strong>le</strong> relais."<br />

La nuance accusatrice <strong>de</strong> cette remarque n'échappa pas à Ronan.<br />

L'ado<strong>le</strong>scent fit mine <strong>de</strong> ne pas y avoir prêté attention et invita <strong>le</strong>s autres<br />

à s'asseoir autour <strong>de</strong> la tab<strong>le</strong> <strong>de</strong> la sal<strong>le</strong> à manger. Arthur posa son lourd<br />

paquetage sur <strong>le</strong> parquet avant <strong>de</strong> prendre place.<br />

4


"Ainsi donc vous ne faites que passer? s'enquit Risabel en s'asseyant<br />

<strong>le</strong>ntement. Où al<strong>le</strong>z vous avec toutes ces affaires? Priam ne me tient plus<br />

informée <strong>de</strong> ce qu'il se passe et je vous vois arriver chargés comme <strong>de</strong>s<br />

paltons!<br />

-Nous <strong>de</strong>vons traverser <strong>le</strong> Massif du Kard pour nous rendre à Corboïlum et<br />

rencontrer Miliès, expliqua Sally. Nous partons aujourd'hui même.<br />

-Priam et <strong>le</strong>s autres Anciens nous ont fourni <strong>de</strong>s manteaux et <strong>de</strong> la<br />

nourriture en prévision du voyage, ajouta Arthur.<br />

-Quoi? Vous êtes arrivés hier et vous partez déjà à l'aventure? s'indigna<br />

Risabel. Je suis sûre qu'ils ne vous pas donné assez <strong>de</strong> vivres, <strong>le</strong>s<br />

inconscients! Montrez moi <strong>le</strong> contenu <strong>de</strong> vos sacs!"<br />

El<strong>le</strong> saisit <strong>le</strong> sac <strong>de</strong> Rachel, plus proche d'el<strong>le</strong>, et en regarda <strong>le</strong><br />

contenu d'un air outré. Asuka et Ronan étaient <strong>de</strong>meurés sur <strong>le</strong> pas <strong>de</strong> la<br />

porte, prêts à repartir.<br />

"Ca ne suffira pas, dit fina<strong>le</strong>ment Risabel. Heureusement que je suis<br />

passée chez Erno tout à l'heure. Roxana!<br />

-Oui maman.<br />

-Sois gentil<strong>le</strong> <strong>de</strong> rendre visite au guérisseur avant <strong>le</strong> départ <strong>de</strong> ces jeunes<br />

gens. Ils auront besoin d'onguents! Ronan, Asuka, que faites-vous au fond<br />

<strong>de</strong> la pièce?<br />

-En fait nous <strong>de</strong>vons repartir immédiatement, dit Ronan, soucieux <strong>de</strong> fuir<br />

<strong>le</strong>s lieux. Papa nous attend au Havre, nous avons beaucoup à faire!"<br />

Quelques minutes plus tôt, <strong>le</strong> garçon avait avoué à Arthur que<br />

Risabel <strong>de</strong>venait "presque fol<strong>le</strong> ces <strong>de</strong>rniers temps" et qu'il avait hâte que<br />

son frère ou sa soeur "sorte <strong>de</strong> là" au lieu <strong>de</strong> semer <strong>le</strong> troub<strong>le</strong> dans l'esprit<br />

déjà autoritaire <strong>de</strong> sa mère. En attendant, il faisait tout ce qui était en son<br />

pouvoir pour la côtoyer <strong>le</strong> moins possib<strong>le</strong>.<br />

"J'aurais préféré partir chez <strong>le</strong>s djinns avec Arthur et <strong>le</strong>s autres mais papa<br />

a formel<strong>le</strong>ment refusé...<br />

-Ce n'est même pas négociab<strong>le</strong>, dit Asuka en se grattant nerveusement la<br />

tempe. Priam m'a bien fait comprendre qu'il me ferait passer un sa<strong>le</strong> quart<br />

d'heure si je ne ramenais pas son fils au Havre.<br />

-Il a bien raison, approuva Roxana avec un petit sourire narquois. Est-ce<br />

que Shui-Khan est parti à Juval?<br />

-Oui, répondit sobrement Ronan, sourcils froncés.<br />

-Très bien."<br />

Un si<strong>le</strong>nce inexplicab<strong>le</strong> s'ensuivit, avant que Kaznaël ne rappel<strong>le</strong> tout <strong>le</strong><br />

mon<strong>de</strong> à l'ordre :<br />

"Vous <strong>de</strong>vriez repartir... nous aussi.<br />

-On y va, acquiesça Ronan malgré une once <strong>de</strong> déception. Maman, papa<br />

veut savoir si tout va bien!<br />

4


-Réponds lui que j'irai mieux lorsque je serai enfin libérée <strong>de</strong> mon<br />

far<strong>de</strong>au. A moins qu'il ne soit disposé à porter <strong>le</strong> bébé à ma place, qu'il<br />

s'abstienne <strong>de</strong> poser <strong>de</strong>s questions stupi<strong>de</strong>s! Par la même occasion,<br />

abstiens toi <strong>de</strong> transmettre <strong>de</strong> tel<strong>le</strong>s requêtes.<br />

-On doit vraiment y al<strong>le</strong>r, paniqua Ronan avant d'al<strong>le</strong>r serrer la main à<br />

Arthur, Elliott, Rachel, Sally puis Kaznaël (qui ne <strong>le</strong> regarda même pas).<br />

Faites attention à vous. Que votre route soit sereine!<br />

-Je passerai vous voir <strong>de</strong> temps en temps pour m'assurer que tout va<br />

bien, promit Asuka. Où que vous soyez, je saurai vous retrouver!<br />

-Fais-en <strong>de</strong> même avec <strong>le</strong>s autres, je m'inquiète plus pour eux que pour<br />

nous, dit Sally.<br />

-Et prends soin <strong>de</strong> toi, ajouta Rachel."<br />

Devant l'air stupéfait <strong>de</strong> ses amis, el<strong>le</strong> se justifia :<br />

"Quoi? N'ai-je pas <strong>le</strong> droit <strong>de</strong> me préoccuper du sort <strong>de</strong>s autres <strong>de</strong> temps<br />

en temps!?<br />

-Bien sur que si, fit Asuka, <strong>le</strong>s joues écarlates. Mes amitiés aux djinns et<br />

gare aux engelures!"<br />

Il resserra son ban<strong>de</strong>au <strong>de</strong> ninja et quitta la maison, précédant<br />

Ronan et Roxana qui partait récupérer <strong>de</strong>s onguents chez Paul <strong>le</strong><br />

guérisseur. Risabel se <strong>le</strong>va <strong>de</strong> son siège en caressant son ventre et ouvrit<br />

<strong>le</strong> tiroir d'une grosse armoire en bois verni.<br />

"Risabel, vous ne <strong>de</strong>vriez pas vous déplacer dans votre état, professa<br />

Sally. Peut-on vous ai<strong>de</strong>r?<br />

-Non voyons, j'ai déjà trouvé ce que je cherchais, souffla Risabel après<br />

avoir retourné l'intérieur du tiroir. Voila! Je suis certaine que c'est pour<br />

ceci que Priam vous a <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> passer par chez nous."<br />

El<strong>le</strong> défroissa une gran<strong>de</strong> carte ternie par <strong>le</strong>s années et la déposa<br />

sur la tab<strong>le</strong>. Sally plaça <strong>de</strong>s bougeoirs aux coins du carré <strong>de</strong> papier pour<br />

<strong>le</strong>s faire tenir. Il s'agissait d'une carte détaillée <strong>de</strong> Sorgentel. L'objectif <strong>de</strong>s<br />

élus se trouvait au sud d'Althiès et à l'Est du lac Diamase.<br />

"Je vais vous fournir cette carte. C'est cel<strong>le</strong> que je prêtais à mes enfants<br />

lorsqu'ils partaient en excursion.<br />

-Ce massif a l'air... large, souligna Rachel en faisant <strong>de</strong> gros yeux. Est-ce<br />

que nous arriverons à <strong>le</strong> traverser sans équipement, même avec une<br />

carte? Il serait peut-être plus raisonnab<strong>le</strong> <strong>de</strong> contourner ces montagnes!<br />

-Jeune fil<strong>le</strong>, il ne s'agit pas <strong>de</strong> perdre <strong>de</strong>s jours <strong>de</strong> marche, souligna<br />

Risabel. Par ail<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong> massif n'est dangereux que si l'on ne sait pas ce<br />

que l'on fait.<br />

-Il y a un passage plus sûr? <strong>de</strong>vina Arthur.<br />

-Oui, un passage qui n'est généra<strong>le</strong>ment emprunté que par <strong>le</strong>s<br />

commerçants. Il s'agit du col <strong>de</strong> Fordone."<br />

4


Ce faisant, Risabel indiqua sur la carte un très étroit passage sinuant<br />

entre <strong>le</strong>s montagnes du Kard. <strong>Les</strong> élus se penchèrent pour mieux observer<br />

la ligne ondulante, presque infime à moins <strong>de</strong> suffisamment s'attar<strong>de</strong>r sur<br />

<strong>le</strong> papier granu<strong>le</strong>ux.<br />

"J'ai emprunté ce passage il y a un bon nombre d'années lorsque j'étais<br />

encore commerçante, expliqua Risabel avec un vague sourire. Si je n'étais<br />

pas enceinte jusqu'au cou, je vous aurais bien guidés là-bas... A vrai dire,<br />

même si on a vent <strong>de</strong> l'existence du passage menant au col, il est assez<br />

diffici<strong>le</strong> d'en trouver l'entrée.<br />

-Pourquoi <strong>le</strong>s commerçants sont-ils <strong>le</strong>s seuls à passer par <strong>le</strong> col <strong>de</strong><br />

Fordone? l'interrogea Rachel. Visib<strong>le</strong>ment c'est un gain <strong>de</strong> temps non<br />

négligeab<strong>le</strong>.<br />

-Tout simp<strong>le</strong>ment parce que <strong>le</strong>s commerçants qui connaissent cette voie<br />

gar<strong>de</strong>nt l'information pour eux. Le temps c'est <strong>de</strong> l'argent : pouvoir<br />

traverser <strong>le</strong> massif plutôt que <strong>de</strong> <strong>le</strong> contourner permet <strong>de</strong> gagner une ou<br />

<strong>de</strong>ux bonnes journées <strong>de</strong> marche. J'ai eu la chance d'obtenir cette carte<br />

<strong>de</strong> mes compagnons lorsque je sillonnais encore <strong>le</strong>s routes."<br />

Arthur avait du mal à imaginer Risabel partir en randonnée dans <strong>le</strong>s<br />

montagnes avec ses sacs <strong>de</strong> marchandises sous <strong>le</strong>s bras. Un sourire<br />

contenu <strong>de</strong> Sally montra qu'il n'était pas <strong>le</strong> seul à trouver cette idée<br />

risib<strong>le</strong>.<br />

"Je suis <strong>de</strong> retour, dit Roxana en refermant la porte <strong>de</strong> la maison <strong>de</strong>rrière<br />

el<strong>le</strong>. Paul m'a donné tout ce qu'il avait en réserve et espère que votre<br />

route sera sereine.<br />

-Mets tout ceci sur la tab<strong>le</strong>, dit sa mère en désignant <strong>le</strong> gros sac <strong>de</strong> toi<strong>le</strong><br />

que tenait la jeune fil<strong>le</strong>. Je ferai un tri afin <strong>de</strong> ne pas trop <strong>le</strong>s surcharger."<br />

Risabel se remit à réfléchir tandis que Roxana s'exécutait. El<strong>le</strong> semblait<br />

perp<strong>le</strong>xe.<br />

"Kaznaël, connais tu cette partie <strong>de</strong> Sorgentel?<br />

-Non.<br />

-J'ai peur que vous ne vous perdiez... Une fois <strong>le</strong> passage trouvé, tout va<br />

bien, mais encore faut-il <strong>le</strong> repérer. Il est dissimulé par la végétation et la<br />

roche. Je ne peux même pas <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à quelqu'un <strong>de</strong> vous accompagner<br />

car Priam et moi sommes <strong>le</strong>s seuls à connaître la route.<br />

-On se débrouil<strong>le</strong>ra bien avec la carte, rassura Sally.<br />

-J'ai une idée, intervint Roxana d'un air enthousiaste. Pal-Pal pourrait <strong>le</strong>s<br />

accompagner!<br />

-Pal-quoi? fit Rachel."<br />

Le regard <strong>de</strong> Risabel s'illumina.<br />

"Mais bien sûr! Il a déjà fait <strong>le</strong> trajet avec mon mari et moi! Il retrouvera<br />

aisément <strong>le</strong> chemin!<br />

4


-<strong>Les</strong> paltons n'oublient jamais un trajet qu'ils ont effectué plusieurs fois,<br />

expliqua Roxana. Etant donné que Pal-Pal a déjà accompagné mes parents<br />

jusqu'au Massif du Kard, il <strong>de</strong>vrait au moins pouvoir vous gui<strong>de</strong>r jusqu'au<br />

col.<br />

-Formidab<strong>le</strong>! Pourra-t-il avancer dans <strong>le</strong> col? <strong>de</strong>manda Arthur en se<br />

tournant vers Risabel.<br />

-Non, c'est un peu abrupt pour un palton. Il vous ra<strong>le</strong>ntirait.<br />

-Tant qu'il peut nous gui<strong>de</strong>r jusqu'au col, se réjouit Sally. Une fois qu'il<br />

nous aura menés à bon port je suppose qu'il pourra revenir jusqu'ici.<br />

-Bien sûr que oui, dit Roxana.<br />

-Combien <strong>de</strong> temps nous faudra-t-il pour al<strong>le</strong>r à Corboïlum si on emprunte<br />

<strong>le</strong> raccourci que vous nous avez indiqué? <strong>de</strong>manda Elliott.<br />

-Hum..., hésita Risabel en se penchant sur la carte. Si vous partez<br />

immédiatement et que vous marchez d'un pas assuré, vous <strong>de</strong>vriez arriver<br />

au pied du Massif avant la tombée <strong>de</strong> la nuit. Il ne vous faudra pas plus<br />

d'une journée et <strong>de</strong>mie pour traverser <strong>le</strong> col... non, disons plutôt <strong>de</strong>ux<br />

journées car vous <strong>de</strong>vrez épargner votre souff<strong>le</strong>. L'air est rare là-bas, il<br />

faut prévoir plusieurs pauses. Une fois <strong>le</strong> Massif traversé sans encombres,<br />

comptez un ou <strong>de</strong>ux jours pour parvenir à Corboïlum, selon votre état <strong>de</strong><br />

fatigue.<br />

-Au mieux nous serons au Corboïlum dans quatre ou cinq jours, calcula<br />

Rachel.<br />

-Quatre ou cinq jours si nous ne sommes pas retardés, corrigea Kaznaël.<br />

-Et si nous ne nous perdons pas, conclut Arthur.<br />

-Le col ne vous laissera pas l'opportunité <strong>de</strong> vous perdre, dit Risabel. La<br />

route est sinueuse mais simp<strong>le</strong>. En revanche il faudra prendre gar<strong>de</strong> sur <strong>le</strong><br />

chemin <strong>de</strong> Corboïlum. Le paysage est très rocail<strong>le</strong>ux et il est diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> se<br />

repérer si l'on a <strong>le</strong> malheur <strong>de</strong> dévier une seu<strong>le</strong> fois <strong>de</strong> son trajet.<br />

-Pour ça pas d'inquiétu<strong>de</strong>! Minilly nous gui<strong>de</strong>ra jusqu'à la cité <strong>de</strong>s djinns,<br />

assura Sally. La partie la plus diffici<strong>le</strong> sera donc la traversée du massif.<br />

Rien que d'y penser, je meurs déjà <strong>de</strong> froid...<br />

-Le climat n'est pas si ru<strong>de</strong> que vous pouvez l'imaginer, surtout si vous<br />

êtes pourvus <strong>de</strong> bons manteaux, dit Risabel. Oh, j'y pense : la nourriture!<br />

Je vais à la cuisine chercher <strong>de</strong> quoi remplir davantage vos sacs.<br />

-Avez-vous <strong>de</strong>s couchages? <strong>de</strong>manda Roxana alors que sa mère se<br />

dirigeait d'un pas lourd vers la cuisine.<br />

-Des manteaux, <strong>de</strong>s couchages et même <strong>de</strong>s naces en quantité suffisante<br />

pour pallier à d'éventuels problèmes, dit Arthur.<br />

-Meo m'a confié un petit sac <strong>de</strong> Naces mais il ne m'a pas appris à <strong>le</strong>s<br />

compter, fit remarquer Rachel. Pour moi, toutes ces per<strong>le</strong>s sont pareil<strong>le</strong>s!<br />

Nous risquons <strong>de</strong> nous faire escroquer à la première occasion.<br />

-Je vais réparer ceci, suggéra Roxana avec un sourire. Montrez moi <strong>le</strong><br />

sac."<br />

El<strong>le</strong> entreprit d'enseigner à Rachel comment utiliser <strong>le</strong>s naces en lui<br />

indiquant la va<strong>le</strong>ur <strong>de</strong> chacune, déterminée par <strong>le</strong>ur tail<strong>le</strong> et <strong>le</strong>ur teinte.<br />

Cel<strong>le</strong>s dont la va<strong>le</strong>ur était la plus é<strong>le</strong>vée avec une cou<strong>le</strong>ur à mi-chemin<br />

entre l'opa<strong>le</strong> et l'argent. A en croire Roxana, une nace comme cel<strong>le</strong>s-ci<br />

4


permettait d'acheter un palton, <strong>de</strong>s vivres pour une dizaine <strong>de</strong> jours ou<br />

même une robe <strong>de</strong> bal.<br />

"Me revoilà, lança Risabel en revenant avec un nouveau sac <strong>de</strong> toi<strong>le</strong> dont<br />

la forme bombée laissait <strong>de</strong>viner un contenu important. Je vous ai mis <strong>de</strong>s<br />

biscuits secs, quelques fruits susceptib<strong>le</strong>s <strong>de</strong> bien supporter <strong>le</strong> voyage, du<br />

poisson séché et <strong>de</strong>s herbes à infusion (buvez en beaucoup). Cela<br />

complétera avantageusement ce que l'on vous a donné au Cénac<strong>le</strong>! Oh,<br />

j'ai aussi mis une quantité suffisante d'allumettes! Vous aurez besoin d'un<br />

bon feu pour dormir avec quiétu<strong>de</strong>, n'est-ce pas?<br />

-C'est très gentil <strong>de</strong> votre part, la remercia Arthur juste avant qu'il ne<br />

réalise avec horreur qu'el<strong>le</strong> enfonçait allègrement l'équiva<strong>le</strong>nt <strong>de</strong> cinq<br />

jours <strong>de</strong> <strong>de</strong>nrées alimentaires dans son sac déjà bien lourd.<br />

-Toi, je te confie <strong>le</strong>s onguents, fit Risabel en poussant <strong>le</strong>s petits pots en<br />

terre cuite vers Elliott. Mets <strong>le</strong>s dans ton sac et fais en sorte qu'ils ne se<br />

brisent pas!<br />

-A quoi servent-ils? <strong>de</strong>manda Elliott.<br />

-Engelures, éraflures et maux divers, répondit vaguement Risabel. Paul<br />

marque toujours <strong>le</strong>urs propriétés sur <strong>le</strong>s pots, vous n'aurez donc pas <strong>de</strong><br />

mal à trouver l'onguent approprié."<br />

Elliott rangea <strong>le</strong> tout dans son sac et <strong>le</strong>s autres vérifièrent qu'ils<br />

étaient prêts à repartir. Kaznaël enroula soigneusement la carte <strong>de</strong><br />

Sorgentel offerte par Risabel et la glissa sous sa chemise. L'heure du<br />

départ était arrivée.<br />

Dans un coin <strong>de</strong> la pièce, Arthur jeta <strong>de</strong> nouveau un oeil à son Echo<br />

sans vraiment y croire. Il n'avait toujours pas <strong>de</strong> nouvel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Samuel, ce<br />

qui n'était pas rassurant. Par automatisme, il palpa <strong>le</strong> sac en velours que<br />

ce <strong>de</strong>rnier lui avait confié à une époque semblant désormais lointaine.<br />

"Merci pour votre ai<strong>de</strong>, dit Sally en prenant <strong>le</strong>s mains <strong>de</strong> Risabel. Monsieur<br />

Priam savait ce qu'il faisait en nous dirigeant vers vous.<br />

-Surtout soyez pru<strong>de</strong>nts. J'aimerais pouvoir en faire davantage pour vous<br />

ai<strong>de</strong>r mais ma contribution trouve ici ses limites. Ne prenez pas <strong>de</strong> risque<br />

inuti<strong>le</strong>, entendu?<br />

-Oui, on fera <strong>de</strong> notre mieux."<br />

Rachel récupéra <strong>le</strong> sac <strong>de</strong> naces <strong>de</strong>s mains <strong>de</strong> Roxana et la remercia <strong>de</strong><br />

son rapi<strong>de</strong> enseignement.<br />

"Il est temps <strong>de</strong> partir. Je ne veux surtout pas que vous voyagiez <strong>de</strong> nuit,<br />

dit Risabel. Prenez vos sacs et n'oubliez rien! Nous allons vous<br />

accompagner jusqu'aux limites d'Althiès. Venez!"<br />

Arthur crut qu'il allait défaillir lorsqu'il mit son sac sur ses épau<strong>le</strong>s.<br />

Son poids avait doublé. Malgré tout il se mit en route et tous sortirent <strong>de</strong><br />

la maison dans laquel<strong>le</strong> ils n'avaient pas dû passer plus d'un quart<br />

d'heure, précédés par Roxana et Risabel. Dehors <strong>le</strong> ciel était encore pâ<strong>le</strong><br />

4


et <strong>de</strong>s gouttes <strong>de</strong> rosée pesaient <strong>de</strong> tout <strong>le</strong>ur poids sur <strong>le</strong>s feuil<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s<br />

plantes du jardin. Bizarrement, il n'y avait quasiment personne à<br />

proximité <strong>de</strong> la maison. Bien qu'il fût relativement tôt, Arthur trouvait ce<br />

calme singulier.<br />

"Lorsque je suis allée chez Paul j'ai fait courir une rumeur selon laquel<strong>le</strong><br />

Erno offrait un rabais fantastique sur tout <strong>le</strong> contenu <strong>de</strong> sa boutique aux<br />

vingt premiers clients qui se présenteraient, avoua Roxana. Vous pourrez<br />

partir en paix comme ça!<br />

-Brave fil<strong>le</strong>, tu tiens bien <strong>de</strong> ta mère, la félicita Risabel."<br />

Le petit groupe s'engagea sur la voie centra<strong>le</strong>, déserte. Plus loin, on<br />

pouvait apercevoir un attroupement hétéroclite <strong>de</strong>vant la boutique d'Erno.<br />

Le commerçant proférait <strong>de</strong>s insultes à l'encontre <strong>de</strong> certains clients qui<br />

tentaient <strong>de</strong> forcer l'entrée <strong>de</strong>s lieux pour profiter d'improbab<strong>le</strong>s<br />

promotions.<br />

"Je m'excuserai tout à l'heure, il comprendra, souffla Roxana à Arthur.<br />

-Tu n'auras qu'à lui dire que tout était <strong>de</strong> notre faute, suggéra-t-il avec<br />

amusement."<br />

Il observa la boutique un bref instant, se remémorant sa première<br />

rencontre avec Marshal alors que celui-ci grimé en marionnettiste. La<br />

chanson du membre <strong>de</strong> la Confrérie résonnait encore à ses oreil<strong>le</strong>s,<br />

interprétée d'une voix à la fois douce et sinistre. Il n'en avait jamais oublié<br />

<strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s, gravées dans son esprit par un phénomène inexplicab<strong>le</strong>.<br />

Danse mon frère, rejoins ma gigue,<br />

Unis par ce lien nous serons désormais;<br />

Danse mon frère, toi qui soutiens la voûte,<br />

Car lorsque <strong>le</strong> ciel s'assombrira et que <strong>le</strong> temps ra<strong>le</strong>ntira,<br />

Seul prévaudra <strong>le</strong> souvenir <strong>de</strong> notre déréliction commune.<br />

Lorsque l'heure sera secon<strong>de</strong> et lorsque la secon<strong>de</strong> sera éternité ;<br />

Lorsque <strong>le</strong>s spectres du passé auront <strong>de</strong> nouveau siégé<br />

Sur <strong>le</strong> trône qui est <strong>le</strong>ur et chassé l'imposteur inopportun;<br />

Lorsque <strong>le</strong>s mon<strong>de</strong>s auront cessé <strong>de</strong> n'être qu'un,<br />

Alors… notre <strong>de</strong>stin n'aura plus d'emprise sur nous.<br />

"Qu'est-ce que tu fais Arthur? Viens, on ne compte pas t'attendre toute la<br />

matinée, cria Rachel au loin."<br />

Il s'était arrêté sans <strong>le</strong> réaliser. Confus, il marmonna quelques<br />

excuses et <strong>le</strong>s rejoignit au pas <strong>de</strong> course. Roxana avait sorti Pal-Pal <strong>de</strong> son<br />

enclos, situé à quelques mètres <strong>de</strong> la maison, et lui soufflait <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s<br />

en caressant doucement son pelage. Lorsqu'el<strong>le</strong> eut fini son manège, el<strong>le</strong><br />

désigna Arthur du doigt et <strong>le</strong> palton se mit à l'examiner <strong>de</strong> ses yeux b<strong>le</strong>us<br />

cristallins. Le jeune homme ne posa pas <strong>de</strong> question et continua à avancer<br />

vers la sortie d'Althiès.<br />

4


"C'est ici que je vous abandonne jeunes élus, déclara Risabel alors qu'ils<br />

atteignaient <strong>le</strong> début d'une gran<strong>de</strong> étendue <strong>de</strong> plaines courant vers<br />

l'horizon. J'ose penser que nous nous reverrons très vite. Que votre route<br />

soit sereine."<br />

Roxana se dirigea vers Arthur en tenant Pal-Pal par une bri<strong>de</strong>. El<strong>le</strong><br />

continuait à lui caresser l'encolure, comme pour <strong>le</strong> rassurer.<br />

"Je lui ai bien expliqué ce qu'il <strong>de</strong>vait faire. <strong>Les</strong> paltons sont très<br />

intelligents mais <strong>le</strong> nôtre l'est encore plus. Il vous gui<strong>de</strong>ra jusqu'au Col <strong>de</strong><br />

Fordone puis il reviendra une fois sa mission accomplie. Nous serons<br />

rassurées <strong>de</strong> <strong>le</strong> voir car cela signifiera que vous avez atteint <strong>le</strong> Massif. En<br />

attendant je te <strong>le</strong> confie Arthur. Tu es <strong>le</strong> seul du groupe qu'il connaisse.<br />

Par<strong>le</strong> lui comme tu <strong>le</strong> ferais avec n'importe qui d'autre et il comprendra,<br />

mais ne fais pas <strong>de</strong> phrases trop élaborées sinon il risque <strong>de</strong> mal<br />

interpréter tes propos.<br />

-Très bien, je prendrai soin <strong>de</strong> lui. C'est promis!<br />

-Tu n'auras pas grand chose à faire, il saura trouver <strong>le</strong>s herbes<br />

nécessaires à son alimentation alors ne vous inquiétez pas s'il vous laisse<br />

un moment pour partir se nourrir. Oh, j'y pense... il n'aime pas trop l'eau<br />

froi<strong>de</strong> mais il traversera tout <strong>de</strong> même <strong>le</strong>s cours peu profonds avec un peu<br />

<strong>de</strong> bonne volonté! Hum, je crois que je n'ai rien oublié. Que votre route<br />

soit sereine!"<br />

Risabel fit ses <strong>de</strong>rnières recommandations aux élus, arracha à<br />

Kaznaël la promesse qu'il ne laisserait rien <strong>le</strong>ur arriver, puis <strong>le</strong>s regarda<br />

partir d'un regard bienveillant, aux côtés <strong>de</strong> Roxana. Cette <strong>de</strong>rnière faisait<br />

<strong>de</strong> grands signes d'adieu à Arthur et rassurait Pal-Pal du regard. L'animal<br />

tournait régulièrement la tête vers el<strong>le</strong> tout en avançant.<br />

"Cette bête comprend réel<strong>le</strong>ment tout ce qu'on lui dit? J'ai du mal à y<br />

croire, railla Rachel."<br />

<strong>Les</strong> yeux <strong>de</strong> Pal-Pal virèrent au rouge, indiquant qu'il avait bel et<br />

bien compris cette remarque et que Rachel faisait désormais partie <strong>de</strong> ses<br />

ennemis.<br />

Lentement, <strong>le</strong> groupe s'éloigna d'Althiès et <strong>de</strong> ses habitants pour<br />

s'aventurer sur <strong>le</strong>s vastes plaines du Yérim. Beaucoup plus loin, on<br />

apercevait <strong>le</strong>s sommets <strong>de</strong>s montagnes du Kard, troublés par un brouillard<br />

laiteux. Elliott <strong>le</strong>s désigna du doigt.<br />

"Au moins nous n'aurons pas <strong>de</strong> mal à savoir vers où nous diriger. Notre<br />

objectif est droit <strong>de</strong>vant!"<br />

Sally et Kaznaël ouvraient la marche, si<strong>le</strong>ncieux et rapi<strong>de</strong>s, tandis<br />

que <strong>le</strong>s autres, lour<strong>de</strong>ment chargés, <strong>le</strong>s suivaient doci<strong>le</strong>ment avec <strong>le</strong><br />

palton. Arthur maudissait déjà son sac. Bien qu'il n'ait pas reçu beaucoup<br />

4


plus <strong>de</strong> matériel que <strong>le</strong>s autres, il <strong>de</strong>vait supporter <strong>le</strong> poids non<br />

négligeab<strong>le</strong> <strong>de</strong>s <strong>Chroniques</strong> <strong>de</strong> Sorgentel, livre au combien épais qu'il<br />

avait glissé dans son paquetage juste avant <strong>le</strong> départ du Havre. Cumulé<br />

aux vivres ajoutées par Risabel, l'ouvrage représentait une charge<br />

diffici<strong>le</strong>ment tolérab<strong>le</strong>.<br />

"Si tu veux je prendrai une partie <strong>de</strong> la nourriture lorsque nous ferons une<br />

pause, proposa Elliott. <strong>Les</strong> onguents que m'a donnés Risabel ne pèsent<br />

rien du tout.<br />

-Ce n'est pas si lourd que ça, répliqua Arthur, honteux d'avoir été percé à<br />

jour.<br />

-Tant pis pour toi mon vieux!<br />

-Non, attends, se ravisa Arthur. Je veux bien qu'on se répartisse <strong>le</strong><br />

contenu <strong>de</strong> mon sac à la prochaine pause... s'il te plaît.<br />

-C'est cool!<br />

-Vil opportuniste, souffla Rachel, <strong>le</strong> nez dans ses naces."<br />

Sans s'arrêter, Arthur observa sa camara<strong>de</strong> recompter ses naces avec<br />

force concentration.<br />

"Tu ambitionnes d'être riche dans toutes <strong>le</strong>s dimensions? lui <strong>de</strong>manda-t-il.<br />

-Pourquoi pas... Je ne suis pas ravie <strong>de</strong> me retrouver dans cette équipe <strong>de</strong><br />

randonnée, alors je m'occupe comme je peux...<br />

-Pourquoi te plaindre? C'est sans doute la mission la plus faci<strong>le</strong>! maugréat-il<br />

en pensant à Anaïs.<br />

-La plus ennuyeuse, marmonna Rachel, toujours penchée sur sa richesse."<br />

Sally tourna brièvement la tête vers Rachel mais ne dit rien. Ils<br />

avaient quitté Althiès <strong>de</strong>puis quelques minutes et <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il était déjà un<br />

peu plus haut dans <strong>le</strong> ciel, augmentant progressivement la température<br />

ambiante. Contrairement au mon<strong>de</strong> qu'ils avaient quitté la veil<strong>le</strong>, l'air à<br />

Sorgentel paraissait pur, uniquement chargé <strong>de</strong> doux effluves végétaux. Il<br />

n'y avait pas <strong>le</strong> moindre bruit, pas <strong>le</strong> moindre signe <strong>de</strong> vie humaine<br />

excepté <strong>le</strong>s colonnes <strong>de</strong> fumée blanche qui montaient <strong>de</strong>puis Althiès, loin<br />

<strong>de</strong>rrière.<br />

Soudain, alors qu'Arthur s'extasiait <strong>de</strong>vant ce paysage paisib<strong>le</strong>, la<br />

voix <strong>de</strong> Samuel résonna dans sa tête, aussi clairement que si son ami<br />

s'était trouvé à côté <strong>de</strong> lui.<br />

"Arthur, Anaïs. C'est votre ami commun."<br />

Arthur sursauta malgré <strong>le</strong> poids <strong>de</strong> son sac, oubliant un court instant<br />

qu'il était <strong>le</strong> seul à entendre cette voix. Pal-Pal <strong>le</strong> dévisagea, puis se<br />

désintéressa rapi<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> lui pour rattraper Sally et Kaznaël.<br />

"Je n'ai pas beaucoup <strong>de</strong> temps et je ne sais pas trop comment fonctionne<br />

cette chose... On dirait une simp<strong>le</strong> boîte voca<strong>le</strong>... Allons droit au but : ne<br />

vous approchez pas d'Althiès. Vous risquez d'y être attendus. Empruntez<br />

4


<strong>de</strong>s détours si nécessaire mais n'approchez pas <strong>de</strong> ce coin. Je vous<br />

donnerai <strong>de</strong> mes nouvel<strong>le</strong>s plus tard. N'essayez pas <strong>de</strong> me recontacter<br />

pour plus <strong>de</strong> sécurité."<br />

Arthur attendit la suite mais <strong>le</strong> message <strong>de</strong> Samuel s'arrêta là. Il<br />

avait sans doute eu du mal à s'iso<strong>le</strong>r assez longtemps pour utiliser son<br />

Echo. Le jeune homme resta neutre que possib<strong>le</strong> pour que personne ne<br />

remarque qu'il venait <strong>de</strong> recevoir un message. "Ne pas approcher Althiès?<br />

La bonne blague" pensa-t-il. Samuel était bien gentil <strong>de</strong> l'avertir alors<br />

qu'ils venaient <strong>de</strong> quitter la bourga<strong>de</strong> sans encombre.<br />

"Personne ne nous attendait là-bas à part Roxana et Risabel, se dit-il.<br />

Peut-être que Samuel a mal compris <strong>le</strong>s intentions <strong>de</strong> la Confrérie... Ou<br />

alors ils n'ont pas eu <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> nous intercepter. Nous sommes passés<br />

en coup <strong>de</strong> vent."<br />

Pal-Pal donnait <strong>de</strong>s petits coups <strong>de</strong> museau sur la main <strong>de</strong> Sally, par<br />

pure taquinerie visib<strong>le</strong>ment. El<strong>le</strong> s'en amusa et lui gratta <strong>le</strong> front.<br />

"Dis Kaz, combien <strong>de</strong> temps nous faut-il pour arriver au Kard déjà?<br />

<strong>de</strong>manda Arthur, peu rassuré par l'avertissement <strong>de</strong> Samuel.<br />

-Une journée si nous marchons plus vite. Tu n'as qu'à cesser <strong>de</strong><br />

traînasser."<br />

Arthur accéléra <strong>le</strong> rythme et <strong>le</strong>s rejoignit aussitôt. Etrangement, la<br />

<strong>le</strong>nteur <strong>de</strong> Rachel et Elliott lui semblait maintenant intolérab<strong>le</strong>. Il avait<br />

hâte <strong>de</strong> mettre <strong>de</strong> la distance entre lui et Althiès, <strong>de</strong> s'éloigner <strong>de</strong> ce lieu a<br />

priori dangereux.<br />

Toutefois, soucieux <strong>de</strong> ne pas être pris d'angoisse, il oublia <strong>le</strong> message <strong>de</strong><br />

Samuel et se concentra sur <strong>le</strong>s montagnes à distance.<br />

Une dizaine <strong>de</strong> minutes plus tard, <strong>le</strong>ur progression <strong>le</strong>s avait mené<br />

dans un large espace situé entre <strong>de</strong>ux monticu<strong>le</strong>s. La zone formait une<br />

sorte <strong>de</strong> cuvette ceinte par <strong>de</strong>s amas <strong>de</strong> broussail<strong>le</strong>s et quelques arbres<br />

touffus. Kaznaël ferma soudain <strong>le</strong>s yeux, comme s'il cherchait à s'abreuver<br />

<strong>de</strong> l'air ambiant. Arthur l'observa, surpris <strong>de</strong> cette attitu<strong>de</strong>.<br />

"Nous sommes observés <strong>de</strong>puis quelques instants... Faites comme si <strong>de</strong><br />

rien n'était."<br />

Arthur manqua <strong>de</strong> ra<strong>le</strong>ntir, interloqué. Heureusement, Sally l'avait<br />

saisi par <strong>le</strong> bras droit avec un grand sourire et éclatait maintenant d'un<br />

rire sonore, sans doute pour donner <strong>le</strong> change. Derrière eux, Elliott et<br />

Rachel marchaient comme si <strong>de</strong> rien n'était. Arthur en fit <strong>de</strong> même,<br />

luttant contre une irrépressib<strong>le</strong> envie <strong>de</strong> tourner la tête.<br />

"Je pensais que je me faisais <strong>de</strong>s idées, souffla Sally en fixant ses pieds.<br />

Ca fait bien cinq minutes que je ressens une présence.<br />

4


-Une embusca<strong>de</strong>? murmura Rachel.<br />

-Le lieu est parfait. Ces espèces <strong>de</strong> collines offrent un point <strong>de</strong> vue idéal,<br />

expliqua Sally en se grattant l'oreil<strong>le</strong> gauche."<br />

Kaznaël avait <strong>le</strong> visage fermé.<br />

"Préparez-vous à vous défendre, reprit Sally en augmentant la ca<strong>de</strong>nce.<br />

-Mer<strong>de</strong>! Ils n'ont pas perdu <strong>de</strong> temps, souffla Arthur."<br />

Fina<strong>le</strong>ment Samuel n'était pas loin <strong>de</strong> la vérité. Ceux qui étaient en<br />

train <strong>de</strong> <strong>le</strong>s pister avaient probab<strong>le</strong>ment attendu que <strong>le</strong>s élus s'éloignent<br />

d'Althiès pour agir. Dire que Rachel avait eu l'audace <strong>de</strong> dire que cette<br />

mission était ennuyeuse.<br />

"Peut-être que nous nous faisons <strong>de</strong>s idées, suggéra Elliott d'un air<br />

goguenard. Si ça se trouve, <strong>de</strong>s commerçants font <strong>le</strong> même trajet que<br />

nous."<br />

A peine avait-il fini sa phrase qu'un froid glacial paralysa Arthur et<br />

ses compagnons. Tous s'arrêtèrent, aux aguets. Il n'y avait pourtant<br />

personne dans <strong>le</strong>s a<strong>le</strong>ntours. Du moins, personne n'était visib<strong>le</strong>.<br />

"Tu as <strong>de</strong>s amis dans <strong>le</strong> coin Arthur? ironisa Sally."<br />

Il comprit où el<strong>le</strong> voulait en venir. La température avait<br />

dramatiquement chuté, comme s'il avait eu recours à son don. Toutefois,<br />

il ne s'agissait pas seu<strong>le</strong>ment du froid. Une pression effrayante semblait<br />

s'être abattue sur ses épau<strong>le</strong>s et cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> ses compagnons.<br />

"Quelqu'un tenterait <strong>de</strong> nous conge<strong>le</strong>r que ça ne ferait pas une gran<strong>de</strong><br />

différence, rumina Sally. Inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> continuer à jouer la comédie... QUI VA<br />

LÀ?"<br />

Tout à coup, un tintement <strong>de</strong> clochette venu <strong>de</strong> nul<strong>le</strong> part se fit<br />

entendre, suivi d'un gron<strong>de</strong>ment terrifiant qui se rapprochait rapi<strong>de</strong>ment<br />

d'eux. Avant que Sally n'ait eu <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> dire quoi que ce soit, une<br />

immense barrière <strong>de</strong> glace jaillit du sol, courant sur <strong>le</strong> sol à une vitesse<br />

terrifiante. Haute comme <strong>de</strong>ux hommes, el<strong>le</strong> fondit sur eux avec vio<strong>le</strong>nce.<br />

"Mer<strong>de</strong>, s'écria Arthur."<br />

Rachel s'écarta du passage au moment où <strong>le</strong> mur <strong>de</strong> glace traversait<br />

<strong>le</strong> groupe. Elliott et el<strong>le</strong> se retrouvèrent brusquement séparés <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs<br />

compagnons. La barrière scintillante était suffisamment épaisse pour qu'il<br />

soit impossib<strong>le</strong> <strong>de</strong> voir à travers.<br />

"Pal-Pal, reviens! s'écria Sally en voyant l'animal terrifié s'enfuir au trot.<br />

4


-Laisse-<strong>le</strong>, c'est <strong>le</strong> ca<strong>de</strong>t <strong>de</strong> nos soucis pour <strong>le</strong> moment, dit Kaznaël. Nous<br />

<strong>le</strong> retrouverons plus tard!"<br />

Arthur s'apprêtait à invoquer Drydock mais soudain, une ombre<br />

imposante s'abattit sur eux, masquant la lumière du so<strong>le</strong>il. Il <strong>le</strong>va <strong>le</strong>s yeux<br />

et vit un homme au physique comparab<strong>le</strong> à celui d'Omar chuter vers eux,<br />

comme s'il était arrivé du ciel. Lui et Kaznaël échappèrent à l'écrasement<br />

grâce à l'intervention salvatrice <strong>de</strong> Sally.<br />

"Est-ce que ça va? hurla Rachel <strong>de</strong>puis l'autre côté du mur <strong>de</strong> glace."<br />

Entraîné par Sally, Arthur avait roulé sur <strong>le</strong> côté et s'était presque<br />

immédiatement remis <strong>de</strong>bout pour voir la personne qui avait tenté <strong>de</strong> <strong>le</strong>s<br />

écraser sous son poids. Sa carrure n'était pas sans rappe<strong>le</strong>r cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Mach,<br />

en plus large. L'individu était d'âge mur, chauve, moustachu et vêtu d'une<br />

espèce <strong>de</strong> tenue militaire blanche, b<strong>le</strong>ue et grise. Il ressemblait à un<br />

soldat.<br />

"Qui…, commença Sally.<br />

-Mon nom est Gertt, répondit-il d'un air enjoué. Masea!"<br />

L'armoire à glace tendit <strong>le</strong>s bras sur <strong>le</strong>s côtés et <strong>de</strong>ux masses<br />

entièrement faites <strong>de</strong> glaces apparurent dans ses mains. Il mania l'une<br />

d'el<strong>le</strong>s comme si el<strong>le</strong> était aussi légère qu'une plume et, d'un mouvement<br />

<strong>le</strong>nt, frappa <strong>le</strong> mur <strong>de</strong> glace. Celui-ci se fissura, avant <strong>de</strong> se briser. Rachel<br />

et Elliott furent <strong>de</strong> nouveau dans <strong>le</strong> champ <strong>de</strong> vision d'Arthur.<br />

"Jolie démonstration <strong>de</strong> force, Gertt, lança une voix <strong>de</strong> femme située au<br />

loin."<br />

Cel<strong>le</strong> qui venait <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r ainsi se trouvait au sommet d'un monticu<strong>le</strong><br />

: c'était une jeune femme <strong>de</strong> tail<strong>le</strong> très mo<strong>de</strong>ste habillée comme "Gertt"<br />

mais coiffée au pétard.<br />

"Qui êtes-vous? <strong>le</strong>ur lança Rachel. Le clan d'Azulnot?<br />

-Bien vu, répondit la femme. Mon nom est Daria.<br />

-Nous ne sommes pas là pour discuter, dit son acolyte en la rejoignant.<br />

-Hm, fit Daria. Il est vrai que nous n'avons pas <strong>de</strong> temps à perdre. Il n'y a<br />

rien <strong>de</strong> personnel."<br />

Après avoir froncé <strong>le</strong>s sourcils, el<strong>le</strong> apposa sa main gauche sur son<br />

épau<strong>le</strong> droite et tendit sa main libre vers l'arrière.<br />

"Fulmina Ceruli"<br />

Sous <strong>le</strong> regard sidéré d'Arthur, un halo b<strong>le</strong>uâtre enveloppa sa main<br />

et <strong>de</strong>s multitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> faisceaux glacés jaillirent <strong>de</strong> cel<strong>le</strong>-ci en direction du<br />

ciel, juste avant <strong>de</strong> retomber vers <strong>le</strong>s élus en sifflant. De manière<br />

4


inattendue, Rachel bondit <strong>de</strong>vant ses amis et mit sa main droite <strong>de</strong>vant<br />

el<strong>le</strong>. L'attaque stoppa net <strong>de</strong>vant el<strong>le</strong>, avant <strong>de</strong> rebrousser chemin.<br />

"Quoi? cria Daria."<br />

Gertt et el<strong>le</strong> parurent stupéfaits par ce retour <strong>de</strong> bâton et n'esquivèrent<br />

<strong>le</strong>s faisceaux que <strong>de</strong> peu.<br />

"Tricheuse, gémit Daria alors que <strong>de</strong>s explosions se déc<strong>le</strong>nchaient en série<br />

autour d'el<strong>le</strong>.<br />

-Nous n'avons pas <strong>de</strong> temps à perdre non plus, riposta Rachel."<br />

A cet instant, un troisième individu fit son apparition auprès <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux assaillants. Malgré sa silhouette plus conventionnel<strong>le</strong>, son expression<br />

neutre et son regard transperçant donnèrent la chair <strong>de</strong> pou<strong>le</strong> à Arthur. Il<br />

serra machina<strong>le</strong>ment la cor<strong>de</strong><strong>le</strong>tte qui enserrait son catogan puis posa la<br />

main sur l'épau<strong>le</strong> <strong>de</strong> Daria. El<strong>le</strong> acquiesça à cet ordre si<strong>le</strong>ncieux.<br />

"Fulmina Ceruli!"<br />

Encore une fois <strong>le</strong>s traits <strong>de</strong> glace fondirent vers <strong>le</strong>s élus, plus<br />

nombreux cette fois-ci. Rachel <strong>le</strong>s bloqua encore une fois et <strong>le</strong>s dévia vers<br />

<strong>de</strong>s broussail<strong>le</strong>s qui se gelèrent aussitôt. L'homme au catogan parut<br />

satisfait. Du moins, c'est l'impression qu'eut Arthur. Gertt éclata alors d'un<br />

rire tonitruant.<br />

"Cessez <strong>de</strong> jouer avec nous, murmura Sally, furieuse. Est-ce que vous<br />

êtes en train <strong>de</strong> nous tester? <strong>Les</strong> gars, bougez vous! lança-t-el<strong>le</strong> à Arthur<br />

et Kaznaël.<br />

-On dirait qu'ils se moquent <strong>de</strong> nous, ajouta Rachel.<br />

-Minilly!<br />

-Drydock!"<br />

Une étincel<strong>le</strong> rose fusa <strong>de</strong>vant Sally, faisant apparaître son bâton.<br />

L'arme vrilla sur el<strong>le</strong>-même avant que l'élue ne s'en saisisse. Au même<br />

moment, <strong>le</strong> sol se couvrait <strong>de</strong> glace aux pieds d'Arthur. Parcouru par une<br />

décharge comme il n'en avait jamais ressenti jusque là, il prit la poignée<br />

<strong>de</strong> Drydock d'une main et se mit en position d'attaque, à l'instar <strong>de</strong> Sally.<br />

A côté d'eux, Kaznaël était déjà armé <strong>de</strong> son kriss et <strong>de</strong> son chakram.<br />

"Rachel! Elliott! Couvrez nos arrières, déclara Arthur en ignorant <strong>le</strong> regard<br />

intéressé que lui accordaient désormais <strong>le</strong>s trois membres <strong>de</strong> l'Azulnot."<br />

4


Chapitre 26 : De glace et <strong>de</strong> sang<br />

"Je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>… Arthur…"<br />

Anaïs avait ajusté <strong>le</strong>s sang<strong>le</strong>s <strong>de</strong> son sac à dos et s'était assise sur la<br />

grosse commo<strong>de</strong> <strong>de</strong> la chambre qu'Arthur partageait avec Jamie, Elliott et<br />

Ibtissam.<br />

"Oui?<br />

-Serais-tu capab<strong>le</strong> <strong>de</strong> tuer quelqu'un si l'opportunité se présentait à toi?"<br />

La main d'Arthur s'était crispée sur son verre d'eau et il avait jeté un<br />

rapi<strong>de</strong> coup d'œil par la fenêtre, vers <strong>le</strong> paysage matinal du Havre. Une<br />

tel<strong>le</strong> question ne l'aurait pas autant décontenancé si el<strong>le</strong> avait été<br />

formulée par quelqu'un comme Samuel, Kaznaël, Sonia ou même Sally.<br />

Anaïs, c'était différent. La seu<strong>le</strong> perspective <strong>de</strong> la voir sur un champ <strong>de</strong><br />

batail<strong>le</strong> lui semblait aberrante.<br />

"Je ne sais pas trop, j'imagine que je n'aurais pas vraiment <strong>le</strong> temps d'y<br />

réfléchir dans <strong>le</strong> feu <strong>de</strong> l'action."<br />

Il <strong>de</strong>meura songeur un court instant, sentant <strong>le</strong> regard inquisiteur<br />

d'Anaïs posé sur lui.<br />

"Je n'ai tué qu'une seu<strong>le</strong> fois et il s'agissait d'un Adrame<strong>le</strong>ch. Cette<br />

créature n'avait rien d'humain. Ce n'est pas comme Samuel… J'ai eu <strong>de</strong>s<br />

intentions meurtrières à son égard mais je ne pense que je serais allé<br />

jusqu'au bout. Ce n'était pas un simp<strong>le</strong> inconnu…<br />

-Tu pourrais donc tuer un inconnu?<br />

-S'il s'en prenait à moi ou à l'un d'entre vous, je tenterais avant tout <strong>de</strong> <strong>le</strong><br />

neutraliser. Je n'aime pas l'idée d'ôter la vie à qui que ce soit, avait admis<br />

Arthur en prenant son sac à dos sur son lit. Ce serait différent si la<br />

personne… ou la chose en face <strong>de</strong> moi ne me laissait pas <strong>le</strong> choix. Du<br />

genre "lui ou moi"."<br />

Arthur avait un nœud au ventre.<br />

"Oui, je pourrais être amené à tuer quelqu'un. Ca ne fait pas <strong>de</strong> moi une<br />

brute il me semb<strong>le</strong>."<br />

Anaïs s'était subrepticement approché <strong>de</strong> lui pour arranger son col.<br />

Bien évi<strong>de</strong>mment, il n'avait pas bronché.<br />

"Je pars donc l'esprit tranquil<strong>le</strong>.<br />

-Ah bon?<br />

-Si c'est toi ou lui, je veux que ton choix soit clair. Je pense un peu<br />

comme toi. Je ne ferai <strong>de</strong> mal à personne si cela ne s'avère pas<br />

absolument nécessaire. De toute façon, mon don est avant tout défensif<br />

4


mais… Nous ne sommes pas à Paris. Nous ne sommes pas <strong>le</strong>s Arthur et<br />

Anaïs qui se font <strong>de</strong>s soirées DVD et défen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s va<strong>le</strong>urs pacifistes<br />

lorsqu'ils regar<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s reportages à la télévision sur la guerre au Moyen-<br />

Orient. Même si cela risque <strong>de</strong> nous hanter un jour, nous <strong>de</strong>vons laisser<br />

nos principes <strong>de</strong>rrière nous, à Paris."<br />

Anaïs avait achevé son œuvre <strong>de</strong> finition du col d'Arthur et lui avait<br />

tapoté <strong>le</strong> torse avec un sourire. Sans vraiment savoir pourquoi, il <strong>le</strong> lui<br />

avait rendu.<br />

"Parce que nous sommes presque <strong>de</strong>s héros dans ce mon<strong>de</strong> et <strong>le</strong>s héros<br />

ont forcément une part d'obscurité! N'importe quel film te <strong>le</strong> confirmera.<br />

-Encore cette vieil<strong>le</strong> allusion au fait que nous soyons <strong>de</strong>s sortes <strong>de</strong> X-Men?<br />

s'indigna Arthur.<br />

-Non. Je veux juste que tu saches que tu as ma bénédiction. Jamais je ne<br />

poserai <strong>de</strong> regard moralisateur sur toi car nous aurons porté <strong>le</strong> même<br />

far<strong>de</strong>au."<br />

Sourcils froncés, el<strong>le</strong> avait fina<strong>le</strong>ment mis sa main sur la joue droite<br />

d'Arthur.<br />

"Sois un homme, Arthur Alfred Gall!"<br />

"Comment ce type peut-il sauter aussi haut avec ses <strong>de</strong>ux masses dans<br />

<strong>le</strong>s mains? s'écria Sally.<br />

-Comment peut-il sauter si haut tout court? rumina Arthur. Il est bien à<br />

quatre mètres <strong>de</strong> hauteur."<br />

Gertt avait fait un autre bond défiant <strong>le</strong>s lois <strong>de</strong> l'apesanteur pour<br />

assaillir <strong>le</strong>s élus. Il chutait maintenant allègrement vers eux.<br />

"Je m'occupe du troisième individu, déclara Kaznaël à la <strong>de</strong>rnière secon<strong>de</strong>.<br />

-Quoi??"<br />

Sally et Arthur durent chacun parer l'une <strong>de</strong>s masses <strong>de</strong> Gertt alors<br />

que Kaznaël se contentait d'un bond sur <strong>le</strong> côté pour esquiver. Sous <strong>le</strong><br />

poids <strong>de</strong> l'attaque, <strong>le</strong>s pieds d'Arthur s'étaient enfoncés dans <strong>le</strong> sol. Il ne<br />

savait pas par quel mirac<strong>le</strong> la lame <strong>de</strong> Drydock avait résisté à ce poids<br />

soudain.<br />

"Qu'est-ce que tu fous Kaz? hurla Sally, el<strong>le</strong> aussi écrasée par l'impact.<br />

-Celui-là n'a pas l'air dangereux. Je vous <strong>le</strong> laisse. Le troisième me<br />

préoccupe davantage."<br />

Sally se dégagea <strong>de</strong> sa position inconfortab<strong>le</strong> et Arthur en fit <strong>de</strong><br />

même, avant que Gertt ne puisse anéantir <strong>le</strong>urs armes. Le mercenaire du<br />

clan d'Azulnot affichait un sourire satisfait.<br />

4


"Mouais…, fit Sally, <strong>le</strong>s yeux plissés.<br />

-Tu comptes al<strong>le</strong>r affronter Horatio tout seul? lança Gertt en se tournant<br />

vers Kaznaël. Quel genre d'énergumène est aussi prétentieux?<br />

-Préoccupe toi <strong>de</strong> ton propre sort, lui répondit sèchement Kaznaël."<br />

Arthur et Sally profitèrent du moment d'inattention <strong>de</strong> Gertt pour<br />

s'élancer vers lui et l'attaquer <strong>de</strong> front. Jamais jusque là Arthur n'avait<br />

combattu aux côtés <strong>de</strong> Sally. Pourtant, du fait <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs mois<br />

d'entraînement ensemb<strong>le</strong>, il sentait qu'il était désormais habité par <strong>le</strong><br />

même sty<strong>le</strong> <strong>de</strong> combat qu'el<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s mêmes réf<strong>le</strong>xes et <strong>le</strong> même instinct.<br />

Presque simultanément ils plantèrent <strong>le</strong>ur cou<strong>de</strong> dans <strong>le</strong> ventre <strong>de</strong><br />

l'ennemi.<br />

"…"<br />

Le mercenaire s'était contenté <strong>de</strong> recu<strong>le</strong>r mais n'avait pas davantage<br />

bronché, à la gran<strong>de</strong> stupéfaction d'Arthur. Au contraire il était même tout<br />

sourire. Ils auraient tout aussi bien pu frapper dans un mur en béton<br />

armé.<br />

"C'est tout? <strong>de</strong>manda-t-il."<br />

Sally s'appuya soudain sur l'épau<strong>le</strong> d'Arthur pour s'élancer dans <strong>le</strong>s<br />

airs et retomber genoux <strong>le</strong>s premiers sur <strong>le</strong> crâne <strong>de</strong> Gertt. Cette fois-ci, il<br />

émit un grognement bourru et chancela, sans toutefois tomber.<br />

"Ce n'est que du musc<strong>le</strong> Arthur, professa Sally en revenant près <strong>de</strong> lui. Il<br />

suffit juste <strong>de</strong> passer à une autre tactique!<br />

-La technique anti-Mach?<br />

-Parfaitement!"<br />

Arthur fit tourner la poignée <strong>de</strong> Drydock entre ses doigts avant <strong>de</strong> la<br />

tenir dans son dos. Kaznaël était déjà loin, se dirigeant à toute vitesse<br />

vers <strong>le</strong> dénommé Horatio.<br />

***<br />

Rachel et Elliott se jetèrent <strong>de</strong>rrière un gros rocher, idéa<strong>le</strong>ment<br />

placé sur <strong>le</strong>ur terrain <strong>de</strong> combat, pour se protéger <strong>de</strong>s salves <strong>de</strong> Fulmina<br />

Ceruli qui s'abattaient sur eux. Ils sentirent <strong>le</strong> sol tremb<strong>le</strong>r et <strong>le</strong> rocher<br />

vibrer furieusement.<br />

"On ne tiendra pas plus <strong>de</strong> quelques secon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> plus si on se contente <strong>de</strong><br />

se cacher, fit judicieusement remarquer Elliott. Sans compter qu'on est<br />

censés distraire cette fil<strong>le</strong> pour laisser un peu <strong>de</strong> répit aux autres.<br />

4


-Je sais, répliqua Rachel. J'ai bien une idée pour nous débarrasser <strong>de</strong> cette<br />

garce mais il me faudrait une diversion pour que cela fonctionne. Un court<br />

instant me suffirait.<br />

-Un court instant?<br />

-Oui!"<br />

Elliott lui fit un clin d'œil et se mit soudain à découvert, pour <strong>le</strong> plus<br />

grand ébahissement <strong>de</strong> Rachel.<br />

"Pas ce genre <strong>de</strong> diversion, imbéci<strong>le</strong>, s'égosilla-t-el<strong>le</strong> en essayant<br />

vainement <strong>de</strong> <strong>le</strong> ramener à el<strong>le</strong>.<br />

-Hé! Toi! Je trouve que tu vises plutôt mal, cria Elliott à l'intention <strong>de</strong><br />

Daria. Si tu me ciblais un peu au lieu <strong>de</strong> redécorer <strong>le</strong> paysage?"<br />

Rachel entendit Daria profaner l'honneur <strong>de</strong> la mère d'Elliott et crier<br />

une succession <strong>de</strong> "Fulmina Ceruli". El<strong>le</strong> crut alors que <strong>le</strong>ur heure était<br />

arrivée, d'autant plus que <strong>de</strong>s siff<strong>le</strong>ments terrifiants emplissaient<br />

maintenant <strong>le</strong>s lieux.<br />

"Zut Elliott, mon estime pour toi baisse <strong>de</strong> jour en jour, p<strong>le</strong>ura Rachel.<br />

-Parfait! se réjouit Elliott en ignorant cette remarque."<br />

Il se posta rapi<strong>de</strong>ment au sommet du rocher et joignit <strong>le</strong>s paumes<br />

<strong>de</strong> ses mains, pour une raison inexpliquée.<br />

"Grimpe maintenant, lança-t-il à Rachel. C'est <strong>le</strong> moment où jamais!<br />

-Es-tu donc <strong>de</strong>venu complètement fou!?<br />

-Viens donc!"<br />

Rachel rouspéta puis finit par se <strong>le</strong>ver à son tour. El<strong>le</strong> comprit enfin<br />

ce qui s'était passé. Face à Elliott, une brèche béante venait d'être créée<br />

dans l'espace, <strong>de</strong>stinée à réceptionner <strong>le</strong>s dizaines <strong>de</strong> faisceaux que <strong>le</strong>ur<br />

envoyait Daria. Au grand dam <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>rnière, toutes ses attaques<br />

disparaissaient <strong>le</strong>s unes après <strong>le</strong>s autres dans <strong>le</strong> Passage.<br />

"Bien joué, pensa Rachel. Elliott est plus malin que nous ne <strong>le</strong> pensions."<br />

Daria cessa son incantation pour <strong>le</strong>s dévisager. El<strong>le</strong> s'adressa à eux<br />

à voix haute :<br />

"Je ne sais pas comment tu fais ceci, mais tu ne comptes tout <strong>de</strong> même<br />

pas te contenter <strong>de</strong> faire disparaître mes attaques jusqu'à épuisement?<br />

-Non ma vieil<strong>le</strong>, répondit Elliott avec son fameux sourire <strong>de</strong>ntifrice."<br />

Il décolla ses <strong>de</strong>ux mains et la brèche vers <strong>le</strong> Passage se ferma<br />

soudain. Qu'était-il en train <strong>de</strong> manigancer? Daria avait raison : ils ne<br />

pouvaient pas se contenter <strong>de</strong> fuir en espérant trouver une échappatoire.<br />

4


"Euh… Elliott? fit Rachel."<br />

Le jeune homme recolla brusquement <strong>le</strong>s paumes <strong>de</strong> ses mains et<br />

Rachel saisit enfin son manège. Une nouvel<strong>le</strong> brèche venait d'apparaître<br />

dans <strong>le</strong> ciel, juste au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> Daria. La femme <strong>le</strong>va <strong>le</strong>s yeux, a<strong>le</strong>rtée par<br />

une série <strong>de</strong> siff<strong>le</strong>ments.<br />

"NOOOON!! hurla-t-el<strong>le</strong> en voyant tous <strong>le</strong>s faisceaux glacés tomber du<br />

Passage, droit sur el<strong>le</strong>."<br />

El<strong>le</strong> se mit à courir à en perdre ha<strong>le</strong>ine pour échapper à la pluie <strong>de</strong><br />

gerbes blanches qui s'abattait sur <strong>le</strong> sol, explosant à son contact. Un<br />

étrange amas <strong>de</strong> glace se formait à mesure que <strong>le</strong> Passage déversait ses<br />

propres attaques sur el<strong>le</strong>.<br />

"Bien pensé, reconnut Rachel en donnant un petit coup <strong>de</strong> poing sur<br />

l'épau<strong>le</strong> d'Elliott. El<strong>le</strong> comprendra sa dou<strong>le</strong>ur.<br />

-Tu n'avais pas un plan? lui rappela Elliott. Je ne suis pas sûr que ça ait<br />

suffi à la calmer.<br />

-Oh oui! J'avais presque oublié."<br />

El<strong>le</strong> se débarrassa <strong>de</strong> son sac à dos, plongea la main dans une<br />

poche <strong>de</strong> sa tunique et en retira plusieurs feuil<strong>le</strong>ts.<br />

"Savais-tu que j'avais moi aussi eu une pério<strong>de</strong> surf? fit-el<strong>le</strong>. Plusieurs<br />

semaines <strong>de</strong> vacances en Californie une fois par an m'ont rendu assez<br />

bonne!<br />

-Ah oui?"<br />

El<strong>le</strong> réduisit <strong>le</strong> premier feuil<strong>le</strong>t en bou<strong>le</strong> et <strong>le</strong> lança vers <strong>le</strong> ciel :<br />

"Technique sensationnel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Rachel Mitchells!..."<br />

Une explosion <strong>de</strong> fumée se produisit et une courte planche blanche<br />

en bois verni, plus proche du skateboard que <strong>de</strong> la planche <strong>de</strong> surf, tomba<br />

du ciel. Rachel stoppa la chute <strong>de</strong> l'objet par la pensée, juste <strong>de</strong>vant el<strong>le</strong>.<br />

"Glisse sur <strong>le</strong> v… QUOI????"<br />

Outrée, Rachel rapprocha la planche <strong>de</strong> son visage, la scruta avec<br />

horreur, puis la jeta vio<strong>le</strong>mment sur <strong>le</strong> sol :<br />

"Idiote d'Ana Rosa! Je lui avais dit que je voulais une planche <strong>de</strong> surf! Pas<br />

cette espèce <strong>de</strong> "hoverboard" ridicu<strong>le</strong> à la Marty Mcfly! De quoi ma<br />

technique "Glisse sur <strong>le</strong> vent" aura-t-el<strong>le</strong> l'air?<br />

-Il y a quand même ton prénom écrit <strong>de</strong>ssus, souligna Elliott.<br />

-Peu m'importe! grogna Rachel."<br />

4


Ce faisant, el<strong>le</strong> remarqua que la pluie d'attaques sur Daria avait<br />

cessé et que cel<strong>le</strong>-ci était accroupie, tentant <strong>de</strong> reprendre son souff<strong>le</strong><br />

après avoir détalé pendant un long moment.<br />

"Zut, je vais <strong>de</strong>voir faire avec, se résigna Rachel en é<strong>le</strong>vant la planche<br />

quelques centimètres au <strong>de</strong>ssus du sol."<br />

El<strong>le</strong> sauta sur <strong>le</strong> "hoverboard" et chercha son équilibre, précaire<br />

d'abord, puis beaucoup plus pérenne après quelques instants. De petites<br />

ai<strong>le</strong>s (tota<strong>le</strong>ment accessoires et qu'el<strong>le</strong> n'avait pas non plus commandées<br />

à Ana Rosa) se matérialisèrent à l'arrière <strong>de</strong> l'engin.<br />

"Cool, tu glisses sur l'air, s'extasia Elliott.<br />

-Un peu que je glisse sur l'air! en faisant mine <strong>de</strong> ne pas avoir vu <strong>le</strong>s<br />

ai<strong>le</strong>ttes."<br />

Se concentrer à la fois sur son équilibre et sur la lévitation <strong>de</strong> la<br />

planche lui parut très diffici<strong>le</strong> au début. Toutefois, ses aptitu<strong>de</strong>s passées<br />

revinrent très rapi<strong>de</strong>ment, au point qu'el<strong>le</strong> fut capab<strong>le</strong> d'adopter une<br />

position confortab<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s jambes légèrement fléchies. Une fois cette phase<br />

accomplie, il ne lui restait plus qu'à se concentrer sur <strong>le</strong>s mouvements <strong>de</strong><br />

la planche grâce à son don.<br />

"Je n'ai pas vraiment eu <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> m'entraîner mais ça attendra."<br />

El<strong>le</strong> fit s'é<strong>le</strong>ver la planche un mètre au-<strong>de</strong>ssus du sol, tourna autour<br />

d'Elliott pendant quelques instants, puis se tourna vers l'endroit où se<br />

trouvait Daria.<br />

"Je vais faire en sorte qu'el<strong>le</strong> nous laisse en paix, déclara Rachel. Reste ici<br />

et n'interviens que si je <strong>le</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>. Ok?<br />

-Ok. Surtout ne tombe pas!<br />

-Aucun risque que Rachel Mitchells tombe d'une planche, même dans <strong>le</strong><br />

ciel! J'ai gagné une compétition lorsque j'avais quinze ans."<br />

Rachel prit une gran<strong>de</strong> inspiration et s'élança aussitôt, fendant l'air<br />

avec vitesse. Diriger un objet se trouvant sous ses pieds grâce à son don<br />

lui était inhabituel, d'autant plus qu'el<strong>le</strong> ne pouvait pas se permettre <strong>de</strong> <strong>le</strong><br />

regar<strong>de</strong>r pour mieux l'appréhen<strong>de</strong>r. Toutefois el<strong>le</strong> s'en sentait capab<strong>le</strong>,<br />

el<strong>le</strong> retrouvait là <strong>de</strong>s sensations connues. Le vent fouettait son visage,<br />

faisait vo<strong>le</strong>r ses cheveux – cheveux qu'el<strong>le</strong> se félicitait d'ail<strong>le</strong>urs d'avoir<br />

coupés – mais el<strong>le</strong> était dans son élément.<br />

La voyant vo<strong>le</strong>r ainsi, Daria fit <strong>de</strong> gros yeux puis l'interpella<br />

outrancièrement, d'une voix stupéfaite :<br />

"Poufiasse! Combien <strong>de</strong> dons possè<strong>de</strong>s-tu donc?<br />

-Je ne pensais pas que l'on utilisait <strong>de</strong> tels qualificatifs à Sorgentel,<br />

déplora Rachel avec une once <strong>de</strong> sarcasme. Surveil<strong>le</strong> ton langage."<br />

4


Alors qu'el<strong>le</strong> s'approchait rapi<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> Daria, el<strong>le</strong> entr'aperçut<br />

Sally et Arthur en p<strong>le</strong>in combat avec Gertt, une dizaine <strong>de</strong> mètres plus à<br />

l'Est. "Ils ont l'air <strong>de</strong> s'en sortir" songea-t-el<strong>le</strong> en voyant Arthur être saisi<br />

par <strong>le</strong> pied et expédié au loin.<br />

"Desunia Runi!"<br />

Rachel étouffa un cri. Sept ou huit pics glacés, affûtés comme <strong>de</strong>s<br />

rasoirs venaient <strong>de</strong> sortir du sol pour fuser vers el<strong>le</strong>. Détourner son regard<br />

<strong>de</strong> Daria une seu<strong>le</strong> secon<strong>de</strong> avait été une grosse erreur. El<strong>le</strong> s'arrêta<br />

subitement, se déporta hors <strong>de</strong> la trajectoire <strong>de</strong>s projecti<strong>le</strong>s puis effectua<br />

<strong>de</strong> rapi<strong>de</strong>s mouvements pour échapper à <strong>le</strong>ur chute.<br />

"Zut…"<br />

El<strong>le</strong> prit menta<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux d'entre eux et <strong>le</strong>s projeta<br />

vers Daria, mais cel<strong>le</strong>-ci avait visib<strong>le</strong>ment prévu cette initiative.<br />

"Tu as fait une erreur fata<strong>le</strong> en t'approchant si près, cria-t-el<strong>le</strong> en faisant<br />

un pas <strong>de</strong> côté."<br />

<strong>Les</strong> pics <strong>de</strong> glace se plantèrent dans <strong>le</strong> sol et fondirent presque<br />

aussitôt. Daria tendit alors la main droite vers Rachel, paume gran<strong>de</strong><br />

ouverte :<br />

"Aquilona Vigoresti!"<br />

Rachel comprit que <strong>le</strong>s pics n'avaient servi qu'à la distraire et cette<br />

nouvel<strong>le</strong> attaque était trop rapi<strong>de</strong> pour lui laisser <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> fuir. Un<br />

tourbillon colossal, chargé <strong>de</strong> neige, avait jailli <strong>de</strong> la main <strong>de</strong> Daria.<br />

Sans savoir pourquoi (sans doute une panique irrationnel<strong>le</strong>), Rachel<br />

sauta <strong>de</strong> la planche et chuta.<br />

"Qu… Quel<strong>le</strong> idiote! pensa-t-el<strong>le</strong> aussitôt. Je vais mourir! Je vais mourir!<br />

Pourquoi ai-je sauté? Elliott, fais quelque chose! hurla-t-el<strong>le</strong>."<br />

Alors qu'el<strong>le</strong> tombait, el<strong>le</strong> vit la planche être frappée par <strong>le</strong> tourbillon<br />

et se briser en plusieurs morceaux. Dans quelques secon<strong>de</strong>s el<strong>le</strong><br />

toucherait <strong>le</strong> sol. La distance qui l'en séparait était bien trop longue pour<br />

qu'el<strong>le</strong> en réchappe.<br />

"Je ne peux rien contrô<strong>le</strong>r pour me rattraper… Mon don ne marche pas sur<br />

moi-même, j'ai déjà essayé! Zut, mourir ainsi, bêtement, sans avoir rien<br />

fait! Je ne peux pas laisser passer ça!"<br />

Le sol était maintenant tout proche.<br />

4


"Mais!?"<br />

El<strong>le</strong> eut une illumination. Son attention se fixa sur ses pieds et la<br />

chute cessa aussitôt.<br />

"Ah…, laissa-t-el<strong>le</strong> échapper, stupéfaite."<br />

Son corps se stabilisa après un bref instant <strong>de</strong> déséquilibre et el<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong>meura ainsi, en position débout, juste sous <strong>le</strong> nez <strong>de</strong> Daria qui la<br />

dévisageait avec hébétu<strong>de</strong>. Rachel avait el<strong>le</strong>-même du mal à y croire. El<strong>le</strong><br />

se tenait quelques centimètres au-<strong>de</strong>ssus du sol, face à son adversaire,<br />

comme si el<strong>le</strong> était campée sur un podium invisib<strong>le</strong>. Son corps lui semblait<br />

beaucoup plus lourd que la norma<strong>le</strong> mais el<strong>le</strong> flottait bien dans <strong>le</strong>s airs<br />

malgré tout.<br />

"C… Comment? Qui es-tu? bégaya Daria, figée par la surprise.<br />

-…"<br />

Rachel pivota sur el<strong>le</strong>-même et lui envoya son pied dans la tête,<br />

puis atterrit agi<strong>le</strong>ment sur <strong>le</strong> sol. Après un gémissement <strong>de</strong> dou<strong>le</strong>ur, Daria<br />

tomba, complètement sonnée.<br />

"Je suis la "poufiasse" la plus dangereuse que tu aies jamais rencontrée,<br />

répondit Rachel après s'être assurée que l'autre ne se relèverait pas."<br />

El<strong>le</strong> <strong>le</strong>va <strong>le</strong> bras en signe <strong>de</strong> victoire. Déjà, Elliott accourait dans sa<br />

direction, yeux écarquillés.<br />

"Je n'y crois pas… Je l'aie eue, murmura Rachel avec contentement. Wow,<br />

j'ai vraiment un cerveau!"<br />

Après l'avoir fina<strong>le</strong>ment rejointe, Elliott l'examina <strong>de</strong>s pieds à la tête<br />

et regarda Daria. Puis il émit un siff<strong>le</strong>ment que l'ego <strong>de</strong> Rachel associa<br />

très vite à <strong>de</strong> l'admiration.<br />

"Comment as-tu fait?<br />

-Et bien… je me suis concentrée… sur mes chaussures.<br />

-Ha?<br />

-J'ai fait léviter mes chaussures, précisa Rachel.<br />

-Tu peux faire ça?<br />

-Ce n'est pas une partie <strong>de</strong> mon corps, donc oui. Je ne m'amuserai pas à<br />

refaire quelque chose d'aussi ridicu<strong>le</strong> mais je suis bien contente d'être en<br />

vie.<br />

-Hé hé. Être un élu nécessite un minimum <strong>de</strong> cerveau, n'est-ce pas?<br />

-Tout à fait, jubila Rachel."<br />

4


D'anciennes paro<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Sonia revinrent à l'esprit <strong>de</strong> Rachel. Ana<br />

Rosa n'était pas la seu<strong>le</strong> élue dont l'efficacité dépendait <strong>de</strong> son <strong>de</strong>gré<br />

d'inventivité.<br />

"Mon imagination peut me rendre meil<strong>le</strong>ure, songea Rachel.<br />

-On s'est pas mal éloignés <strong>de</strong> nos copains, fit remarquer Elliott en<br />

observant <strong>le</strong>s a<strong>le</strong>ntours. Il faut peut-être retourner <strong>le</strong>s ai<strong>de</strong>r avant qu'ils<br />

se fassent tuer.<br />

-Nous sommes sortis <strong>de</strong> ce grand creux en affrontant la femme, réalisa<br />

Rachel. Je ne vois même plus <strong>le</strong>s autres. Allons-y!"<br />

Ils laissèrent Daria là où el<strong>le</strong> était et se précipitèrent vers l'étrange<br />

cuvette dans laquel<strong>le</strong> ils avaient été embusqués un peu plus tôt.<br />

***<br />

La main <strong>de</strong> Gertt brisa net <strong>le</strong> bâton <strong>de</strong> Sally et frappa son ventre <strong>de</strong><br />

p<strong>le</strong>in fouet, lui arrachant un cri <strong>de</strong> dou<strong>le</strong>ur. Ses pieds décollèrent du sol<br />

sous l'impact et el<strong>le</strong> atterrit un bon mètre plus loin.<br />

"Sally! cria Arthur."<br />

A moitié allongée, el<strong>le</strong> se tenait <strong>le</strong> ventre en regardant <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

extrémités rompues <strong>de</strong> son arme. Il avait fallu une force impressionnante<br />

pour la détruire ainsi. Comment Sally avait-el<strong>le</strong> pu ne pas voir cette<br />

attaque arriver? Son don aurait dû lui permettre <strong>de</strong> l'anticiper. A moins<br />

que…<br />

"Tu as <strong>de</strong> la chance que je ne tue jamais <strong>le</strong>s femmes, dit Gertt en tendant<br />

<strong>le</strong> bras droit pour réceptionner la massue qu'il avait lancée en l'air<br />

quelques secon<strong>de</strong>s plus tôt. Pour ton propre bien, reste là-bas! Toi par<br />

contre…"<br />

Avec un regard meurtrier, il chargea vers Arthur, effectuant <strong>de</strong><br />

larges mouvements pour l'atteindre avec ses masses. Vu sa force brute, il<br />

était beaucoup trop risqué <strong>de</strong> se contenter <strong>de</strong> parer. Au mieux, Drydock<br />

subirait <strong>le</strong> même sort que <strong>le</strong> bâton <strong>de</strong> Sally. Au pire, Arthur ne<br />

parviendrait pas à résister à la pression imposée par son ennemi et se<br />

ferait rapi<strong>de</strong>ment tuer. Par conséquent, il évitait <strong>le</strong>s assauts <strong>le</strong>s uns après<br />

<strong>le</strong>s autres en attendant une ouverture pour contre-attaquer.<br />

"Sally, est-ce que ça va? lança Arthur en continuant <strong>de</strong> lutter.<br />

-Laisse moi une minute et je reviens dégommer ce macho qui ne tue pas<br />

<strong>le</strong>s femmes, répliqua-t-el<strong>le</strong>."<br />

"Une ouverture!" Arthur abattit Drydock vers <strong>le</strong> sol, juste sous <strong>le</strong>s<br />

pieds <strong>de</strong> Gertt. Une explosion <strong>de</strong> fumée blanche se déc<strong>le</strong>ncha alors, créant<br />

une éruption glacia<strong>le</strong> qui déséquilibra <strong>le</strong> mercenaire. Arthur s'élança alors,<br />

4


main gauche gran<strong>de</strong> ouverte, puis plaqua cette <strong>de</strong>rnière sur <strong>le</strong> bras <strong>de</strong><br />

Gertt.<br />

"AAAAAAARGH!"<br />

L'épau<strong>le</strong> gauche <strong>de</strong> Gertt avait commencé à ge<strong>le</strong>r et il lâcha la<br />

masse sous l'effet <strong>de</strong> la dou<strong>le</strong>ur. Il n'avait plus qu'une arme en main,<br />

arme qu'il utilisa aussitôt pour attaquer furieusement Arthur.<br />

"Saltimbanque! Tu oses utiliser nos propres capacités contre nous!<br />

-Il faut croire que vous me <strong>le</strong>s avez offertes!"<br />

Arthur bloqua un coup <strong>de</strong> masse en tenant Drydock à la vertica<strong>le</strong>,<br />

<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux mains. A moitié désarmé, Gertt était beaucoup moins<br />

impressionnant mais il fallait tout <strong>de</strong> même rester sur ses gar<strong>de</strong>s. Si,<br />

comme <strong>le</strong> supposait maintenant Arthur, son don était issu du Clan<br />

d'Azulnot, il serait diffici<strong>le</strong> d'avoir un <strong>de</strong> ses membres par surprise.<br />

Un tintement <strong>de</strong> clochette se fit encore une fois entendre et Arthur<br />

recula instinctivement. <strong>Les</strong> yeux <strong>de</strong> Gertt venaient <strong>de</strong> passer à un gris<br />

opalin.<br />

"Prends ça!"<br />

Le mur <strong>de</strong> glace qui avait surpris <strong>le</strong>s élus un peu plus tôt refit son<br />

apparition, avançant à toute allure vers Arthur. Loin <strong>de</strong> se décomposer,<br />

l'élu ancra fermement ses jambes dans <strong>le</strong> sol, tint Drydock à <strong>de</strong>ux mains<br />

puis attendit <strong>le</strong> moment opportun.<br />

"…A contrario, je ne peux pas non plus me faire avoir par surprise,<br />

songea-t-il."<br />

D'un mouvement circulaire il fendit <strong>le</strong> mur en <strong>de</strong>ux, à l'horizonta<strong>le</strong>.<br />

<strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux pans <strong>de</strong> glace cessèrent d'avancer puis se désagrégèrent, sous<br />

<strong>le</strong> regard furieux <strong>de</strong> Gertt. Il semblait partagé entre consternation et rage.<br />

Arthur ne put s'empêcher <strong>de</strong> lui asséner un sourire victorieux. Ce<br />

retournement <strong>de</strong> situation l'avait ragaillardi.<br />

"Quel est ton nom gamin? lui <strong>de</strong>manda Gertt.<br />

-Arthur Gall.<br />

-C'est donc Arthur Gall l'élu qui a hérité <strong>de</strong>s pouvoirs du Clan d'Azulnot…<br />

Notre ennemi naturel! Je <strong>le</strong> retiendrai."<br />

Gertt n'avait pas l'intention d'en rester là. Encore une fois il passa à<br />

l'attaque, ce qui agaça Arthur au plus haut point. Le Clan n'abandonnerait<br />

donc pas tant que ses cib<strong>le</strong>s ne seraient pas passées outre tombe.<br />

"Et moi? Tu te fiches <strong>de</strong> mon nom!? hurla Sally, arrivant <strong>de</strong> nul<strong>le</strong> part tel<br />

un démon tapi."<br />

4


El<strong>le</strong> administra un terrib<strong>le</strong> coup <strong>de</strong> pied aérien à Gertt avant <strong>de</strong> se<br />

mettre en position <strong>de</strong> combat, juste <strong>de</strong>vant lui.<br />

"Arthur, prête <strong>le</strong> moi dix secon<strong>de</strong>s, déclara-t-el<strong>le</strong>.<br />

-Euh… Ok…<br />

-MINILLY, ENCHAÎNEMENT NUMERO TROIS!<br />

-Roger, répondit Minilly en apparaissent juste <strong>de</strong>vant el<strong>le</strong>."<br />

El<strong>le</strong> claqua <strong>de</strong>s doigts et Sally se retrouva aussitôt armée d'un<br />

nouveau bâton – noir cette fois-ci – avec <strong>le</strong>quel el<strong>le</strong> asséna une rapi<strong>de</strong><br />

succession <strong>de</strong> coups à Gertt. Toute tentative <strong>de</strong> contre-offensive était<br />

presque irrémédiab<strong>le</strong>ment vouée à l'échec.<br />

"La suite! cria Sally."<br />

Le bâton disparut dans un éclat d'étincel<strong>le</strong>s roses et fut remplacé<br />

par <strong>de</strong>ux épées courtes que Sally utilisa pour couper <strong>le</strong> manche <strong>de</strong> la<br />

masse en <strong>de</strong>ux. Puis el<strong>le</strong> <strong>le</strong>s planta dans <strong>le</strong> sol juste <strong>de</strong>vant el<strong>le</strong>, prit appui<br />

sur <strong>le</strong>urs poignées et effectua un salto avant qui projeta ses <strong>de</strong>ux pieds<br />

dans <strong>le</strong> front <strong>de</strong> Gertt. L'homme n'était plus capab<strong>le</strong> d'opposer la moindre<br />

résistance, sonné par cette série <strong>de</strong> coups rapi<strong>de</strong>s.<br />

"Arthur, finissons-en, lui intima Sally.<br />

-J'arrive!"<br />

Tandis que <strong>le</strong>s épées s'évaporaient et que la main <strong>de</strong> Sally se parait<br />

comme par magie d'un épais gante<strong>le</strong>t recouvrant tout son avant-bras,<br />

Arthur enfonça Drydock dans <strong>le</strong> sol et serra <strong>le</strong> poing droit, y<br />

emmagasinant toute l'intensité <strong>de</strong> son don.<br />

"Sally, n'abîme pas ce gante<strong>le</strong>t, geignait Minilly. C'est mon seul trésor<br />

personnel."<br />

Le poing droit d'Arthur était maintenant revêtu d'une fine couche <strong>de</strong><br />

glace. Il lui paraissait plus pesant mais cette sensation n'était pas<br />

vraiment désagréab<strong>le</strong>. Après avoir échangé un regard avec Sally, il courut<br />

vers Gertt et, avec une synchronisation parfaite, <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux élus frappèrent<br />

l'ennemi <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>urs forces dans <strong>le</strong> ventre. Arthur sentit<br />

immédiatement son bras se décharger du poids qui s'y était accumulé au<br />

moment où un bruit <strong>de</strong> tonnerre se produisait. Gertt décolla littéra<strong>le</strong>ment,<br />

traversa <strong>le</strong> paysage sur plusieurs mètres puis s'effondra après avoir roulé<br />

sur lui-même.<br />

Arthur attendit un moment avant <strong>de</strong> se réjouir, craignant que ce tas<br />

<strong>de</strong> musc<strong>le</strong>s ne se relève encore. Heureusement, ce ne fut pas <strong>le</strong> cas.<br />

"Pfiou…, soupira-t-il en se remettant droit."<br />

4


Sally se redressa à son tour.<br />

"Je suggère que nous dénommions cette attaque <strong>le</strong> "Sally et Arthur<br />

Doub<strong>le</strong> Punch", s'exclama-t-el<strong>le</strong> en lui frappant amica<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> poing.<br />

-Si tu veux. Dis moi… d'où est-ce que tu sors ce gant à la force<br />

monstrueuse?<br />

-C'est à Minilly, un trésor qu'el<strong>le</strong> gar<strong>de</strong> pour el<strong>le</strong> <strong>de</strong>puis un bail. Satanés<br />

djinns cupi<strong>de</strong>s… (Minilly lui lança un regard noir) El<strong>le</strong> accepte <strong>de</strong> me <strong>le</strong><br />

prêter <strong>de</strong> temps en temps mais ça ne m'est pas vraiment uti<strong>le</strong>. Avec ça je<br />

doub<strong>le</strong> la force d'un coup <strong>de</strong> poing… loin <strong>de</strong> ce que pourrait faire un<br />

Jamie."<br />

Arthur avait reçu assez <strong>de</strong> coups <strong>de</strong> Sally pour savoir ce que<br />

signifiait "force doublée". Il n'était pas étonnant que Gertt ait succombé à<br />

cette <strong>de</strong>rnière attaque. L'étrange gant <strong>de</strong> Sally disparut, en même temps<br />

que Minilly.<br />

"Désolé que tu aies été touchée tout à l'heure, s'excusa Arthur.<br />

-Pourquoi tu t'excuses? C'est moi qui ai manqué <strong>de</strong> concentration.<br />

Norma<strong>le</strong>ment mon don <strong>de</strong>vrait m'empêcher d'être atteinte.<br />

-Je sais très bien que tu as tout fait pour éviter que je sois b<strong>le</strong>ssé. C'est<br />

pour ça que tu n'étais pas sur tes gar<strong>de</strong>s."<br />

Sally fronça <strong>le</strong>s sourcils mais ne dit rien, signe qu'el<strong>le</strong> avait été<br />

découverte.<br />

"Je n'ai plus besoin d'être protégé, tu sais! Le Arthur d'aujourd'hui n'a rien<br />

à voir avec celui qui vous avait accompagné la première fois au Sanctuaire<br />

Emerau<strong>de</strong>.<br />

-J'ai vu ça, admit Sally. Excuse-moi <strong>de</strong> t'avoir sous-estimé, tu es<br />

(presque) aussi bon que moi maintenant. La prochaine fois je te ferai<br />

entièrement confiance."<br />

El<strong>le</strong> fut subitement prise <strong>de</strong> spasmes et se plia en <strong>de</strong>ux.<br />

"Sally?<br />

-Ce n'est rien… Le coup qu'il m'a donné tout à l'heure était vraiment<br />

vio<strong>le</strong>nt… Je survivrai.<br />

-T… Tu es sûre? fit-il. Elliott a <strong>le</strong>s onguents et…<br />

-Je ne suis pas aussi douil<strong>le</strong>tte que toi, répliqua-t-el<strong>le</strong> après s'être remise<br />

<strong>de</strong>bout. Ne m'assi…"<br />

Sally se figea, comme souvent lorsque son don <strong>de</strong> précognition se<br />

manifestait.<br />

"Arthur, bouge <strong>de</strong>…"<br />

4


Un réf<strong>le</strong>xe salvateur incita à Arthur à rappe<strong>le</strong>r Drydock et à parer<br />

l'assaut qui lui arrivait dans <strong>le</strong> dos. Il sentit sa lame crisser contre une<br />

autre et tenta <strong>de</strong> se retourner pour faire face à son adversaire. Cependant<br />

on lui décocha un vio<strong>le</strong>nt coup <strong>de</strong> poing dans la mâchoire et il tomba au<br />

sol, à moitié assommé.<br />

Lorsqu'il rouvrit <strong>le</strong>s yeux, il vit Horatio se tenir face à lui, une longue<br />

épée blanche à la main. L'homme au catogan <strong>le</strong> regardait avec dédain,<br />

comme si Arthur n'était qu'un insecte prêt à être écrasé.<br />

"Où est Kaznaël? s'écria Arthur, réalisant qu'il n'avait pas revu <strong>le</strong><br />

Protecteur <strong>de</strong>puis que celui-ci était parti affronter Horatio.<br />

-Hors d'état <strong>de</strong> nuire.<br />

-Arrêtez <strong>de</strong> mentir… Kaz ne perdait pas contre un type comme vous!"<br />

Bien que sa mâchoire lui fît assez mal, Arthur effectua un<br />

rétablissement acrobatique et assaillit Horatio avec fougue. Il ne lui fallut<br />

guère plus <strong>de</strong> quelques échanges <strong>de</strong> lames pour comprendre pourquoi<br />

Kaznaël avait choisi <strong>de</strong> s'occuper <strong>de</strong> lui en priorité. Cet homme là<br />

maîtrisait presque aussi bien l'épée que Samuel. Hors, Arthur avait bien<br />

conscience du travail qu'il lui restait à effectuer avant <strong>de</strong> pouvoir tenir tête<br />

à quelqu'un du niveau <strong>de</strong> son ami, même avec <strong>le</strong> soutien <strong>de</strong> son don.<br />

"C'est bien ce que racontent <strong>le</strong>s récits <strong>de</strong> notre Clan, dit Horatio après que<br />

<strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux combattants se soient momentanément écartés l'un <strong>de</strong> l'autre.<br />

En plus <strong>de</strong> nos pouvoirs, tu as hérité d'un grand ta<strong>le</strong>nt d'épéiste."<br />

Arthur ne répondit pas, ha<strong>le</strong>tant. Il était capab<strong>le</strong> <strong>de</strong> résister mais<br />

avait beaucoup plus <strong>de</strong> mal à prendre <strong>de</strong>s initiatives. Le sty<strong>le</strong> <strong>de</strong> combat<br />

d'Horatio était bien trop différent <strong>de</strong> ceux auxquels il était habitué.<br />

"Nina Azulnot ne s'est visib<strong>le</strong>ment pas moquée <strong>de</strong>s chamanes abnégateurs<br />

lorsqu'el<strong>le</strong> a décidé d'apporter sa contribution aux dons <strong>de</strong>s élus.<br />

-Nina Azulnot? <strong>Les</strong> ch… Quoi?<br />

-Nina Azulnot, répéta Horatio. L'ancien <strong>le</strong>a<strong>de</strong>r du Clan… la sœur aînée <strong>de</strong><br />

notre <strong>le</strong>a<strong>de</strong>r actuel, Tobias."<br />

Le souff<strong>le</strong> d'Arthur se fit court.<br />

"Tu ne connais même pas <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> cel<strong>le</strong> qui a sacrifié sa vie pour te faire<br />

don <strong>de</strong> son pouvoir?"<br />

Horatio bondit vers Arthur mais ce <strong>de</strong>rnier repoussa vio<strong>le</strong>mment la<br />

lame <strong>de</strong> son épée avec cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Drydock. L'assaillant fit un pas en arrière,<br />

interloqué.<br />

"Non, je ne <strong>le</strong> connaissais pas, reconnut Arthur, mais je suis disposé à en<br />

apprendre plus sur el<strong>le</strong>.<br />

-Je ne suis pas là pour t'enseigner.<br />

4


-Arthur, fais attention, l'avertit Sally."<br />

Encore une fois Horatio s'en prit à lui. Arthur répondit avec autant<br />

<strong>de</strong> vigueur. Il commençait à mieux appréhen<strong>de</strong>r la mécanique <strong>de</strong> combat<br />

<strong>de</strong> son adversaire mais il restait troublé par ce qu'il venait d'apprendre.<br />

Cette Nina Azulnot avait payé <strong>de</strong> sa vie pour qu'il obtienne son don.<br />

Osman-Wallace, <strong>le</strong>s Anciens, el<strong>le</strong>, peut-être même Kaznaël si Horatio avait<br />

dit la vérité… il y avait trop <strong>de</strong> morts dues au cyc<strong>le</strong> <strong>de</strong> la Concrétisation.<br />

"Samuel a raison… nos dons sont empreints d'obscurité" songea Arthur<br />

alors que <strong>de</strong>s gerbes <strong>de</strong> glace jaillissaient au contact <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux armes.<br />

Soudain, Horatio lui plaqua la main contre <strong>le</strong> torse et Arthur vit <strong>le</strong>s<br />

yeux <strong>de</strong> son opposant virer au gris. Un froid horrib<strong>le</strong> s'empara <strong>de</strong> sa<br />

poitrine et <strong>le</strong> fit suffoquer, au point qu'il fut contraint <strong>de</strong> lâcher Drydock.<br />

"Arrêtez ça!!"<br />

L'épée d'Horatio s'envola brusquement et Arthur perçut la voix <strong>de</strong><br />

Rachel à proximité. C'était probab<strong>le</strong>ment el<strong>le</strong> qui avait désarmé Horatio.<br />

Ce <strong>de</strong>rnier retira sa main et s'écarta, tandis qu'Arthur tombait à genoux<br />

en toussant. La sensation <strong>de</strong> froid avait disparu aussi vite qu'el<strong>le</strong> était<br />

apparue.<br />

"Vous vous êtes débarrassés <strong>de</strong> Daria? s'étonna Horatio."<br />

Elliott soutenait Sally. Quant à Rachel, el<strong>le</strong> tenait Horatio en respect<br />

en <strong>le</strong> pointant du doigt. El<strong>le</strong> acquiesça pour répondre à la question.<br />

Presque aussitôt, Horatio fit une roue pour se rapprocher <strong>de</strong> son épée,<br />

s'en saisit, et partit attaquer Rachel.<br />

"N'approchez pas, cria cel<strong>le</strong>-ci en tendant son bras plus en avant."<br />

Horatio tomba en arrière mais il se re<strong>le</strong>va aussitôt pour se ruer vers<br />

Rachel. El<strong>le</strong> parut terrorisée.<br />

"Je suis trop épuisée pour utiliser mon don correctement, lança-t-el<strong>le</strong> aux<br />

autres d'un air paniqué."<br />

Arthur ramassa Drydock et se mit <strong>de</strong>vant el<strong>le</strong>, prêt à la protéger<br />

d'Horatio. Tout dans son expression indiquait qu'il n'abandonnerait pas<br />

avant d'avoir exterminé <strong>le</strong>s élus. "C'est une machine à tuer, comme <strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux autres. Tant qu'il tiendra <strong>de</strong>bout il essaiera <strong>de</strong> nous éliminer. Je dois<br />

<strong>le</strong> mettre hors d'état <strong>de</strong> nuire", pensa Arthur avec dégoût.<br />

Il n'eut même pas <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> se mettre en position <strong>de</strong> combat.<br />

Soudain, Kaznaël arriva sur <strong>le</strong> côté, s'interposa entre Arthur et Horatio en<br />

une fraction <strong>de</strong> secon<strong>de</strong> et lacéra <strong>le</strong> ventre du mercenaire avec son kriss.<br />

Horatio serra la mâchoire et mit un genou à terre.<br />

4


"Kaz!? Ca va? lui <strong>de</strong>manda Arthur. Je croyais que…"<br />

Kaznaël se retourna brièvement pour lui montrer d'un hochement <strong>de</strong><br />

tête qu'il allait bien. Ceci malgré une b<strong>le</strong>ssure assez profon<strong>de</strong> dans <strong>le</strong> bas<br />

du ventre. Il n'y avait que lui pour <strong>de</strong>meurer impassib<strong>le</strong> avec un tel<br />

handicap.<br />

"Tu as voulu t'occuper <strong>de</strong>s élus d'abord et revenir m'achever ensuite? fit<br />

Kaznaël à Horatio. Tu avais mal évalué l'importance <strong>de</strong> mes b<strong>le</strong>ssures.<br />

-…"<br />

Soudain, Kaznaël arma son poing gauche <strong>de</strong> son chakram et frappa<br />

vio<strong>le</strong>mment Horatio, ce qui produisit un bruit assourdissant. Une lumière<br />

blanche aveugla Arthur à ce moment. Lorsqu'il reprit l'usage <strong>de</strong> ses sens,<br />

Horatio était à terre au milieu d'une sorte <strong>de</strong> cratère. Il était encore<br />

conscient mais sa<strong>le</strong>ment amoché. Kaznaël, lui, tremblait <strong>de</strong> fureur. Un<br />

vent tournoyant faisait gonf<strong>le</strong>r sa tunique et Arthur put apercevoir un bref<br />

instant <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux pyrami<strong>de</strong>s opposab<strong>le</strong>s qui étaient tatouées sur <strong>le</strong> bas <strong>de</strong><br />

son dos. El<strong>le</strong>s s'étaient scindées en <strong>de</strong>ux, <strong>le</strong>urs morceaux formant ainsi<br />

une sorte <strong>de</strong> croix noire et blanche.<br />

"Ne nous poursuivez plus. Ne vous mê<strong>le</strong>z pas <strong>de</strong> nos affaires, rugit<br />

Kaznaël avec une colère vibrante. Si vous en vous prenez encore une fois<br />

à Arthur Gall ou à ses compagnons, je vous détruirai tous!"<br />

Arthur était stupéfait. Il avait rarement vu Kaznaël ainsi et était<br />

incapab<strong>le</strong> <strong>de</strong> prédire ce qu'il était capab<strong>le</strong> <strong>de</strong> faire dans cet état. Il<br />

consulta Sally du regard mais la jeune femme était aussi hébétée que lui.<br />

Le Protecteur resta <strong>de</strong> dos un moment, fit disparaître ses armes puis<br />

re<strong>de</strong>vint droit comme un piquet, <strong>de</strong>vant un Horatio incapab<strong>le</strong> d'effectuer <strong>le</strong><br />

moindre mouvement.<br />

Il tourna alors <strong>le</strong>s talons et se dirigea vers Arthur avec une<br />

expression aussi neutre qu'à l'accoutumée. On décelait cependant une<br />

infime lueur <strong>de</strong> colère dans son regard. Il se posta face à Arthur.<br />

"Vous êtes en état <strong>de</strong> marcher? <strong>de</strong>manda Kaznaël en lui posant la main<br />

sur l'épau<strong>le</strong>.<br />

-Ca <strong>de</strong>vrait al<strong>le</strong>r pour <strong>le</strong> moment, dit Sally.<br />

-Oui, confirma Arthur en essayant <strong>de</strong> dissimu<strong>le</strong>r son troub<strong>le</strong>.<br />

-Partons, dit Kaznaël. Ils ne nous suivront pas <strong>de</strong> sitôt. Nous nous<br />

soignerons lorsque nous aurons retrouvé <strong>le</strong> palton. Il faut continuer notre<br />

chemin."<br />

Horatio avait <strong>le</strong>s yeux grands ouverts mais son état ne lui permettait<br />

manifestement même pas <strong>de</strong> tourner la tête pour <strong>le</strong>s observer. Un peu<br />

plus loin, Gertt ne montrait pas <strong>le</strong> moindre signe <strong>de</strong> conscience. <strong>Les</strong> élus<br />

récupèrent <strong>le</strong>urs sacs là où ils <strong>le</strong>s avaient laissés et s'apprêtèrent à partir.<br />

4


"Hé!"<br />

Horatio venait <strong>de</strong> <strong>le</strong>s interpel<strong>le</strong>r. Ils se figèrent.<br />

"Je suis du genre à guérir rapi<strong>de</strong>ment alors… ne surestimez pas l'amp<strong>le</strong>ur<br />

<strong>de</strong> mes b<strong>le</strong>ssures, déclara-t-il d'une voix faib<strong>le</strong>. Nous reviendrons à<br />

l'assaut et cette fois-ci je vous aurai. Vous <strong>de</strong>ux <strong>le</strong>s premiers…, fit-il en<br />

<strong>le</strong>vant <strong>le</strong>ntement <strong>le</strong> doigt vers Arthur et Kaznaël."<br />

Il émit un petit rire sinistre. Kaznaël ne répondit rien et se mit en<br />

route. Arthur, lui, <strong>de</strong>meura sur place. Cet homme ne lui inspirait que du<br />

mépris. Il aurait pu profiter <strong>de</strong> sa faib<strong>le</strong>sse pour l'interroger sur <strong>le</strong>s<br />

origines <strong>de</strong> son don mais il savait bien qu'il n'obtiendrait rien <strong>de</strong> lui. Pas<br />

aujourd'hui. Toutefois, il était certain que <strong>le</strong>urs chemins se croiseraient <strong>de</strong><br />

nouveau un jour ou l'autre.<br />

"Je t'attendrai <strong>de</strong> pied ferme Horatio, répondit Arthur en partant à la suite<br />

<strong>de</strong> Kaznaël."<br />

4


Chapitre 27 : La milice <strong>de</strong> Juval<br />

<strong>Les</strong> résidus lumineux s'étaient effacés, la surface miroitante <strong>de</strong> la<br />

Baie n'était plus, la silhouette <strong>de</strong> Priam… Tout s'était fondu dans un<br />

panachage <strong>de</strong> cou<strong>le</strong>urs pâ<strong>le</strong>s dont <strong>le</strong> mouvement rapi<strong>de</strong> avait donné <strong>le</strong><br />

tournis à Anaïs. C'était la première fois qu'el<strong>le</strong> était téléportée. Bien<br />

heureusement pour el<strong>le</strong>, cela n'avait duré qu'une secon<strong>de</strong>. A peine avaitel<strong>le</strong><br />

quitté <strong>le</strong> Cénac<strong>le</strong> qu'el<strong>le</strong> se retrouvait face à une sculpture grandiose,<br />

à l'effigie d'un <strong>de</strong>mi géant ressemblant étrangement à Omar, en plus<br />

hirsute. La vision <strong>de</strong> la grosse épée qu'il brandissait la fit sursauter,<br />

tel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> réalisme <strong>de</strong> cette représentation <strong>de</strong> pierre était saisissant.<br />

"Ho! Un mètre plus loin et nous atterrissions droit sur mon aïeul, fit<br />

remarquer Omar avec un rire terrib<strong>le</strong>.<br />

-Je sais ce que je fais, dit Asuka."<br />

Anaïs relâcha <strong>le</strong> bras d'Ibtissam et découvrit l'endroit dans <strong>le</strong>quel<br />

el<strong>le</strong> venait d'arriver avec Sonia, Omar et une partie <strong>de</strong>s élus. Le premier<br />

mot qui lui serait venu à la bouche si el<strong>le</strong> s'était permise <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r aurait<br />

été…<br />

"Gigantesque! s'extasia Sonia sans savoir qu'el<strong>le</strong> venait d'établir <strong>le</strong> même<br />

constat qu'Anaïs.<br />

-Bienvenue dans Falgarnost! répliqua Omar avec fierté."<br />

Le petit groupe se trouvait au centre d'une vaste cour ("Plusieurs<br />

hectares" précisa Jamie) délimitée par <strong>de</strong> hauts remparts faits d'un<br />

matériau rougeâtre. De part et d'autre <strong>de</strong> la statue située au centre <strong>de</strong><br />

Falgarnost se trouvaient plusieurs grands bâtiments <strong>de</strong> même<br />

constitution, certains construits <strong>le</strong> long <strong>de</strong>s murs, <strong>le</strong>s autres placés<br />

indépendamment dans divers espaces que délimitaient <strong>de</strong>s palissa<strong>de</strong>s ou<br />

<strong>de</strong>s rigo<strong>le</strong>s. Tout près, à quelques pas <strong>de</strong> l'endroit où ils étaient arrivés,<br />

Anaïs vit éga<strong>le</strong>ment une tour assez basse mais très large, apparemment<br />

divisée en trois étages. Son sommet percé <strong>de</strong> plusieurs fenêtres était<br />

suffisamment é<strong>le</strong>vé pour offrir à ses occupants une vue d'ensemb<strong>le</strong> sur <strong>le</strong><br />

camp <strong>de</strong> la Milice. En revanche, la hauteur <strong>de</strong>s remparts ne laissait pas<br />

entrevoir ce qui pouvait se trouver à l'extérieur <strong>de</strong> Falgarnost, en <strong>de</strong>hors<br />

d'un ciel omniprésent. Cela expliquait sans aucun doute la présence d'une<br />

vigie sur l'une <strong>de</strong>s faça<strong>de</strong>s du camp (Anaïs ayant vu une tourel<strong>le</strong> sur l'un<br />

<strong>de</strong>s remparts, el<strong>le</strong> avait considéré qu'il ne pouvait s'agir que d'une vigie,<br />

bien qu'el<strong>le</strong> n'en eut jamais vu auparavant).<br />

"Falgornost? répéta Jamie.<br />

-Falgarnost, rectifia Omar. Du nom <strong>de</strong> mon ascendant, Falgar <strong>le</strong> Lourd qui<br />

a créé la Milice <strong>de</strong> Juval et établi ces quartiers.<br />

-Falgar <strong>le</strong> Lourd? répéta Anaïs avec conviction."<br />

4


L'individu immortalisé juste <strong>de</strong>vant el<strong>le</strong> ressemblait comme <strong>de</strong>ux<br />

gouttes d'eau à Omar, si ce <strong>de</strong>rnier avait eu <strong>le</strong> cran d'arborer lui aussi<br />

<strong>de</strong>ux longues nattes flottant au vent. Anaïs réprima un rire, consciente du<br />

courroux que cela aurait pu occasionner chez <strong>le</strong> chef <strong>de</strong> la Milice.<br />

"Bon, je vous laisse, lança Asuka après s'être rapi<strong>de</strong>ment entretenu avec<br />

Rick et Shui-Khan. Il faut que je retourne au Havre voir si l'on a encore<br />

besoin <strong>de</strong> moi!<br />

-Que ta route soit sereine Asuka, fit Omar.<br />

-Tâche <strong>de</strong> calmer un peu Ana, ajouta Sonia. El<strong>le</strong> n'apprécie vraiment pas<br />

<strong>le</strong> fait <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir rester au Havre, je l'ai bien senti dans la façon dont el<strong>le</strong><br />

m'a dit au revoir. Si ça continue comme ça, el<strong>le</strong> va créer une ambiance<br />

monstrueuse.<br />

-Aïshani saura bien la dompter, dit Rick avec un sourire en coin.<br />

-Aïshani dompterait Shui-Khan, fit remarquer Jamie."<br />

Shui-Khan lui asséna un vio<strong>le</strong>nt coup <strong>de</strong> poing <strong>de</strong>rrière <strong>le</strong> genou en<br />

signe <strong>de</strong> mécontentement. Jamie se retrouva plié au sol, en train <strong>de</strong> gémir<br />

avec excès.<br />

"Shui-Khan est vraiment un sauvage, dit Anaïs en tentant <strong>de</strong> réconforter<br />

son compagnon britannique."<br />

Asuka acquiesça, promit qu'il repasserait dès qu'il aurait un<br />

moment, puis s'en alla aussi vite qu'il <strong>le</strong>s avait amenés. A peine Anaïs eutel<strong>le</strong><br />

fini <strong>de</strong> lui faire un signe <strong>de</strong> main qu'el<strong>le</strong> perçut un mouvement rapi<strong>de</strong><br />

et massif dans sa direction. El<strong>le</strong> tourna la tête.<br />

"C'est <strong>le</strong>s autres élus!"<br />

Un groupement <strong>de</strong> soldats à la chevelure blanche se rua vers Anaïs<br />

et Sonia avec un enthousiasme non contenu. La jeune femme prit peur<br />

lorsqu'ils commencèrent à se saisir <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs mains et à <strong>le</strong>s dévisager avec<br />

curiosité.<br />

"Wow! C'était donc vrai! Il y a <strong>de</strong> bel<strong>le</strong>s femmes parmi <strong>le</strong>s élus!<br />

-El<strong>le</strong>s ont <strong>de</strong>s cheveux magnifiques! Ces teintes font penser aux<br />

colorations qu'affichent <strong>le</strong>s femmes <strong>de</strong>s î<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Nace! C'est donc naturel<br />

chez vous?<br />

-Asuka n'avait pas menti. Ce veinard fait route avec <strong>de</strong>s créatures<br />

ravissantes!"<br />

Sonia émit un rire bref et détourna <strong>le</strong> regard, gênée. Anaïs n'était<br />

pas moins embarrassée, d'autant plus que cette hor<strong>de</strong> <strong>de</strong> jeunes hommes,<br />

pas plus âgés qu'el<strong>le</strong>, se bousculait pour se présenter à el<strong>le</strong> et lui serrer la<br />

main. El<strong>le</strong> n'était pas habituée à <strong>de</strong> tels égards dans son mon<strong>de</strong>. Peut-être<br />

était-ce <strong>le</strong> fait d'être étrangère qui la rendait subitement si intéressante<br />

aux yeux <strong>de</strong> ces individus à la chevelure incolore.<br />

4


"Vous <strong>de</strong>vez être Jamie, s'exclama un autre soldat en remarquant<br />

l'intéressé. Rick nous a dit que vous aviez suffisamment <strong>de</strong> force pour<br />

sou<strong>le</strong>ver une montagne du Kard!"<br />

Tous <strong>le</strong>s soupirants d'Anaïs et Sonia poussèrent <strong>de</strong>s cris exclamatifs<br />

("Woooooooooooooo") et se désintéressèrent soudain d'el<strong>le</strong>s pour se ruer<br />

vers Jamie. Ibtissam en profita pour faire l'éloge <strong>de</strong> son camara<strong>de</strong> et<br />

exagérer sa réputation, allant jusqu'à attester <strong>de</strong> sa capacité à sou<strong>le</strong>ver<br />

une montagne d'un seul doigt. Jamie, en réponse, jura qu'Ibtissam<br />

pouvait réduire une montagne en poussière d'un seul regard. <strong>Les</strong> soldats<br />

ne savaient plus où donner <strong>de</strong> la tête, en présence d'autant <strong>de</strong> prodiges.<br />

"Nous sommes déjà passées <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>, soupira Sonia.<br />

-Oui, déplora Anaïs. Je <strong>de</strong>vrais peut-être <strong>le</strong>ur par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> mon don pour <strong>le</strong>s<br />

faire revenir.<br />

-Ca suffit, rugit soudain Omar. Vous me faites honte!"<br />

<strong>Les</strong> quelques soldats présents tressaillirent et s'alignèrent<br />

rapi<strong>de</strong>ment <strong>de</strong>vant <strong>le</strong>ur supérieur hiérarchique, au gar<strong>de</strong> à vous. Ils<br />

n'étaient pas fiers.<br />

"Maestor, toutes nos excuses, implora l'un d'entre eux. Nous n'avions pas<br />

remarqué votre présence. Euh… je veux dire."<br />

Il s'agissait probab<strong>le</strong>ment d'un mensonge éhonté <strong>de</strong>s soldats au vu<br />

<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux mètres d'Omar. <strong>Les</strong> soldats tremblaient dans <strong>le</strong>urs uniformes.<br />

Sur <strong>le</strong>ur longue veste argentée s'affichait ce qui <strong>de</strong>vait être <strong>le</strong> symbo<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

<strong>le</strong>ur corps militaire. Une représentation simpliste du monolithe <strong>de</strong><br />

Springan <strong>de</strong>vant laquel<strong>le</strong> se croisaient <strong>de</strong>ux lances.<br />

"Ils l'ont appelé Maestor? <strong>de</strong>manda discrètement Anaïs à Rick.<br />

-Oui, c'est son rang. Le poste suprême <strong>de</strong> la Milice <strong>de</strong> Juval. Je crois que<br />

ça signifie tout simp<strong>le</strong>ment "chef militaire".<br />

-Pourquoi mon Etemenanki ne l'a pas traduit?<br />

-Ca arrive pour certains termes! Généra<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>s noms propres, même<br />

s'ils ont une traduction potentiel<strong>le</strong> dans nos langages respectifs.<br />

-Oh, je vois. Merci."<br />

Rick hocha la tête avec bienveillance. Il semblait être une personne<br />

assez patiente et calme. Arthur avait conseillé à Anaïs <strong>de</strong> s'adresser à lui<br />

si jamais el<strong>le</strong> avait <strong>de</strong>s interrogations sur Sorgentel et ses mœurs. "Il<br />

comprend <strong>le</strong>s choses assez rapi<strong>de</strong>ment et n'hésitera pas à t'expliquer! Si<br />

jamais tu as <strong>de</strong>s questions, va vers lui!" avait dit Arthur.<br />

"Gui<strong>de</strong>z ces <strong>de</strong>ux jeunes hommes vers <strong>le</strong>s quartiers Huit et faites en sorte<br />

qu'ils y soient convenab<strong>le</strong>ment installés, ordonna Omar. Dites éga<strong>le</strong>ment<br />

à la permanente Kisridge <strong>de</strong> venir dans mes quartiers au plus vite.<br />

4


-A vos ordres, Maestor, répondirent en chœur <strong>le</strong>s soldats."<br />

Deux d'entre eux se saisirent <strong>de</strong>s sacs à dos d'Ibtissam et Jamie,<br />

posés au sol, et <strong>le</strong>s invitèrent à <strong>le</strong>s suivre vers une <strong>de</strong>stination inconnue.<br />

Devant <strong>le</strong> regard intrigué <strong>de</strong> Jamie, Rick fit une rapi<strong>de</strong> explication :<br />

"Lorsqu'on vient à Falgarnost on dort dans l'une <strong>de</strong>s dix chambrées. La<br />

Huit est la plus spacieuse, c'est cel<strong>le</strong> qu'on occupe habituel<strong>le</strong>ment avec<br />

d'autres soldats. Viens Shui, on va <strong>le</strong>s accompagner pour <strong>le</strong>ur faire visiter.<br />

-Ouais…, répondit Shui-Khan sans enthousiasme."<br />

<strong>Les</strong> garçons suivirent <strong>le</strong>urs gui<strong>de</strong>s et s'en allèrent vers l'autre bout<br />

du camp en faisant <strong>de</strong> grands signes <strong>de</strong> main à Sonia et Anaïs. Cette<br />

<strong>de</strong>rnière ne put s'empêcher <strong>de</strong> ressentir une certaine appréhension en se<br />

retrouvant seu<strong>le</strong> avec Omar et Sonia, qu'el<strong>le</strong> connaissait à peine. Il ne<br />

s'agissait certes pas d'une colonie <strong>de</strong> vacances mais el<strong>le</strong> sentait qu'el<strong>le</strong><br />

aurait du mal à gar<strong>de</strong>r sa sérénité sans un minimum <strong>de</strong> repères.<br />

"Et nous? <strong>de</strong>manda Sonia.<br />

-N'ayez pas d'inquiétu<strong>de</strong>, Maître Sonia, fit Omar. J'ai envoyé chercher la<br />

personne qui vous gui<strong>de</strong>ra vers vos quartiers. Suivez moi en attendant, je<br />

vais vous faire asseoir là-haut."<br />

Il désigna la tour ron<strong>de</strong> et basse qu'avait remarquée Anaïs quelques<br />

minutes plus tôt.<br />

"Ce sont mes quartiers, au <strong>de</strong>rnier niveau. Je crains que d'autres soldats<br />

viennent vous importuner si je vous laisse patienter ici.<br />

-Oh vous savez, ce n'est pas si désagréab<strong>le</strong> que ça, fit remarquer Anaïs."<br />

Omar laissa échapper un rire qui fit vibrer <strong>le</strong>s tempes d'Anaïs puis il<br />

<strong>le</strong>s précéda sur un petit chemin herbeux menant à la tour. L'élue<br />

dissimula sa déception. El<strong>le</strong> aurait bien voulu explorer Falgarnost, voir ce<br />

que cachaient <strong>le</strong>s autres bâtiments et rencontrer <strong>le</strong>s autres soldats (qui<br />

pour une raison inconnue n'étaient pas visib<strong>le</strong>s à l'extérieur) mais ce<br />

n'était visib<strong>le</strong>ment pas <strong>le</strong> moment.<br />

"Ca va? l'interrogea Sonia.<br />

-Ca va! répondit-el<strong>le</strong> simp<strong>le</strong>ment."<br />

L'instructrice sourit.<br />

"C'est ici, lança Omar en maintenant ouverte une porte haute <strong>de</strong> trois<br />

mètres. C'est habituel<strong>le</strong>ment gardé mais tous <strong>le</strong>s soldats <strong>de</strong> gar<strong>de</strong> sont<br />

aux cantines ou aux ondalies à ce moment <strong>de</strong> la journée. Entrez je vous<br />

prie."<br />

4


Anaïs ne s'étonna même pas <strong>de</strong>s dimensions <strong>de</strong> la porte. Tout <strong>de</strong>vait<br />

être proportionnel à la tail<strong>le</strong> du Maestor dans cette tour. Ils entrèrent tous<br />

trois dans la tour et un hall rond sans fenêtres se révéla à Anaïs, éclairé<br />

par <strong>de</strong>s orbes blancs suspendus au plafond. Il n'y avait là que quelques<br />

grosses commo<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>s bibliothèques poussiéreuses et <strong>de</strong>s cartes clouées<br />

aux murs. Cet ensemb<strong>le</strong> négligé laissait penser que <strong>le</strong> rez-<strong>de</strong>-chaussée<br />

n'était probab<strong>le</strong>ment pas utilisé.<br />

"Nous sommes en train d'aménager ce niveau, indiqua Omar comme pour<br />

s'excuser."<br />

Ils montèrent immédiatement <strong>le</strong>s hautes marches d'un escalier en<br />

colimaçon et parvinrent au premier étage, bien plus accueillant. Un salon<br />

confortab<strong>le</strong> occupait tout <strong>le</strong> niveau, égayé par <strong>de</strong>s tapisseries à l'effigie <strong>de</strong><br />

Falgar <strong>le</strong> Lourd, une gran<strong>de</strong> tab<strong>le</strong> en bois noir, quelques sièges recouverts<br />

d'un épais tissu rouge et <strong>de</strong>s sortes d'armoires faites du même bois noir<br />

que la tab<strong>le</strong>. Il y avait <strong>de</strong>s fenêtres mais la position désavantageuse <strong>de</strong> la<br />

tour amenuisait la quantité <strong>de</strong> lumière qui parvenait dans la pièce, <strong>de</strong><br />

sorte qu'encore une fois, <strong>de</strong>s orbes blancs complétaient l'éclairage.<br />

"Asseyez vous, al<strong>le</strong>z-y, vous êtes mes invitées, dit Omar. C'est<br />

confortab<strong>le</strong>! Posez vos paquetages dans un coin, ça ne gêne pas!"<br />

Anaïs se hissa dans un fauteuil si grand que seul <strong>le</strong> bout <strong>de</strong> ses<br />

pieds touchait <strong>le</strong> sol. El<strong>le</strong> eut <strong>le</strong> sentiment d'être Bouc<strong>le</strong> d'Or squattant <strong>le</strong><br />

siège <strong>de</strong> Papa Ours.<br />

"Je dois vous laisser, expliqua Omar en prenant quelques papiers qui<br />

traînaient sur l'une <strong>de</strong>s armoires. Le <strong>de</strong>voir m'attend, mais la permanente<br />

Kisridge va arriver d'un instant à l'autre. Je vais la croiser en bas et lui<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong> s'occuper <strong>de</strong> vous.<br />

-Il y a donc <strong>de</strong>s femmes dans la Milice? s'étonna Sonia.<br />

-Bien sûr, fit Omar en haussant <strong>le</strong>s sourcils. El<strong>le</strong>s ne sont pas nombreuses<br />

mais el<strong>le</strong>s sont présentes!"<br />

Il rassembla maladroitement ses papiers sous <strong>le</strong> bras droit après <strong>le</strong>s avoir<br />

enroulés.<br />

"Je dois tenir mes subordonnés informés <strong>de</strong> ce que nous avons appris<br />

<strong>de</strong>puis hier matin. Cela vous laissera <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> vous instal<strong>le</strong>r!<br />

-Pas d'inquiétu<strong>de</strong>, faites ce que vous avez à faire, dit Sonia.<br />

-Je tiens à vous avoir tous à ma tab<strong>le</strong> tout à l'heure. Nous par<strong>le</strong>rons plus<br />

longuement."<br />

Il se courba respectueusement <strong>de</strong>vant <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux jeunes femmes et<br />

s'en alla en fermant la porte <strong>de</strong>rrière lui. Sonia croisa alors ses longues<br />

jambes, accorda à Anaïs un sourire souligné d'un "Hum" et observa la<br />

pièce. Anaïs en fit <strong>de</strong> même, ne sachant pas trop quoi lui dire. El<strong>le</strong>s<br />

4


avaient pourtant <strong>de</strong>s choses en commun : toutes <strong>de</strong>ux étaient <strong>de</strong>s élues,<br />

étaient liées à Samuel, étaient <strong>de</strong>s femmes accessoirement.<br />

"Quel<strong>le</strong> gourdasse je suis, pensa aussitôt Anaïs. Sous prétexte que nous<br />

sommes <strong>de</strong>s femmes la discussion <strong>de</strong>vrait être plus faci<strong>le</strong>!?<br />

-Pourquoi te frappes-tu <strong>le</strong> front ainsi? <strong>de</strong>manda Sonia, <strong>le</strong>s yeux<br />

écarquillés.<br />

-…Euh… Je crois qu'une mouche était sur mon front! (Tsss… bonne à rien!<br />

Je ne suis même pas sûre qu'il y ait <strong>de</strong>s mouches dans ce mon<strong>de</strong>!).<br />

-Heureusement que tu l'as ratée dans ce cas. A mon avis tu n'aurais pas<br />

aimé te retrouver avec un insecte écrasé sur <strong>le</strong> visage. Il y a quelques<br />

mois, Sally a cru m'ai<strong>de</strong>r en tuant ce genre <strong>de</strong> bestio<strong>le</strong> alors qu'el<strong>le</strong> était<br />

en stand-by sur ma joue.<br />

-Mon Dieu… quel<strong>le</strong> horreur! fit Anaïs d'un air dégoûté.<br />

-Tu l'as dit! Il a fallu que je me douche <strong>de</strong>ux fois avant <strong>de</strong> me sentir<br />

mieux. Sally n'était pas mieux lotie, el<strong>le</strong> a fait tremper sa main dans <strong>de</strong><br />

l'eau savonneuse pendant un quart d'heure.<br />

-Je crois que j'aurais fait pire. D'un autre côté je suis si maladroite que je<br />

t'aurais probab<strong>le</strong>ment fait mal sans même toucher la bête!<br />

-La chute <strong>de</strong> la gourdasse n'est donc pas une légen<strong>de</strong>? Tu es si gauche<br />

que ça?<br />

-Mééééééééé! Pourquoi tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> est au courant <strong>de</strong> ça? s'indigna<br />

Anaïs.<br />

-Sally a dû me <strong>le</strong> sortir par acci<strong>de</strong>nt. De toute façon je savais bien qu'il<br />

t'était arrivé quelque chose quand je t'ai vu revenir avec <strong>le</strong> front<br />

égratigné.<br />

-Je suis complètement fichée.<br />

-Désolée."<br />

Anaïs se détendit. Malgré <strong>le</strong>ur différence d'âge, la femme qui se<br />

tenait près d'el<strong>le</strong> était plutôt accessib<strong>le</strong>. Sonia était bel<strong>le</strong>, avait du<br />

caractère, du répondant mais aussi <strong>le</strong> sens <strong>de</strong> l'humour. Il n'était pas<br />

diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> comprendre pourquoi el<strong>le</strong> avait plu à Samuel. C'était sans<br />

doute <strong>le</strong> seul genre <strong>de</strong> femme avec qui il aurait pu se voir passer <strong>le</strong> reste<br />

<strong>de</strong> sa vie. Pour lui, pas <strong>de</strong> femme trop doci<strong>le</strong>, trop coincée ou trop<br />

superficiel<strong>le</strong>.<br />

"Je commence à avoir un peu faim, dit Sonia pour changer <strong>de</strong> sujet. Il n'y<br />

a pas <strong>de</strong> montre par ici mais j'imagine qu'il doit être proche <strong>de</strong> midi.<br />

-Espérons qu'on pourra manger quelque chose dans pas trop longtemps.<br />

J'ai un petit creux moi aussi. La boisson <strong>de</strong> tout à l'heure ne remplit pas<br />

vraiment l'estomac."<br />

On frappa à la porte à ce moment et une femme soldat entra avant<br />

que Sonia ou Anaïs n'eussent pu réagir.<br />

"Maître Sonia. Honorab<strong>le</strong> Anaïs. Bonjour, je suis la permanente Kisridge."<br />

4


Kisridge – car c'est ainsi qu'el<strong>le</strong> s'appelait – se mit au gar<strong>de</strong> à vous.<br />

La soldate aurait été asiatique dans <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> d'Anaïs, malgré sa courte<br />

chevelure blanche. El<strong>le</strong> avait d'étroits yeux bridés à la teinte marron clair,<br />

la peau satinée et <strong>de</strong>s sourcils brillants. Ses joues rebondies indiquaient<br />

qu'el<strong>le</strong> ne manquait pas d'appétit.<br />

"Bonjour, ma<strong>de</strong>moisel<strong>le</strong> Kisridge, fit Sonia en se <strong>le</strong>vant.<br />

-Kisridge suffira, Maître Sonia."<br />

El<strong>le</strong> paraissait un peu stressée, comme si el<strong>le</strong> réalisait l'amp<strong>le</strong>ur <strong>de</strong><br />

sa mission et la responsabilité que cela entraînait. Ses traits étaient<br />

crispés.<br />

"L'honorab<strong>le</strong> Ancien et Maestor Omar m'a désigné comme gui<strong>de</strong> durant<br />

votre présence ici. N'hésitez pas à vous adresser à moi si vous avez la<br />

moindre requête, je serai à votre disposition, tout comme <strong>le</strong>s membres <strong>de</strong><br />

mon régiment.<br />

-Relax Kisridge, fit Sonia d'un air amusé. Vous pouvez vous mettre au<br />

repos."<br />

Kisridge rougit légèrement, réalisant sans doute qu'el<strong>le</strong> laissait<br />

transparaître son anxiété. Il était déconcertant pour Anaïs <strong>de</strong> voir une<br />

femme sans doute plus mûre qu'el<strong>le</strong> se décomposer ainsi.<br />

"Mes excuses, maître Sonia et Honorab<strong>le</strong> Anaïs, bafouilla-t-el<strong>le</strong>. Je suis si<br />

honorée d'avoir une tel<strong>le</strong> mission. Je n'ai jamais eu l'occasion <strong>de</strong> cotôyer<br />

<strong>le</strong>s trois élus qui sont restés à Sorgentel ces <strong>de</strong>rniers temps… Hum."<br />

El<strong>le</strong> se raidit davantage. Anaïs crut qu'el<strong>le</strong> finirait par se briser.<br />

"Vous êtes en charge d'un régiment ma<strong>de</strong>moisel<strong>le</strong> Kisridge? lui <strong>de</strong>mandat-el<strong>le</strong><br />

pour essayer <strong>de</strong> la détendre.<br />

-En effet, je suis permanente. Si vous êtes intéressée par <strong>le</strong><br />

fonctionnement <strong>de</strong> la Milice <strong>de</strong> Juval et <strong>de</strong> Falgarnost, je serai honorée <strong>de</strong><br />

vous l'expliquer pendant que nous nous dirigerons vers <strong>le</strong>s quartiers dans<br />

<strong>le</strong>squels vous <strong>de</strong>meurerez. Si vous vou<strong>le</strong>z bien me suivre…"<br />

Kisridge se hâta <strong>de</strong> prendre <strong>le</strong>s sacs <strong>de</strong> Sonia et Anaïs puis <strong>le</strong>s<br />

interrogea du regard afin <strong>de</strong> savoir si el<strong>le</strong>s étaient disposées à la suivre.<br />

"Allons-y Kisridge, dit Sonia. Nous vous suivons."<br />

<strong>Les</strong> bottes <strong>de</strong> Kisridge claquèrent sur <strong>le</strong> sol. El<strong>le</strong> ajusta <strong>le</strong>s sacs sur<br />

ses épau<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s trois femmes entreprirent <strong>de</strong> quitter <strong>le</strong> salon, puis la<br />

tour pour se retrouver dans la partie extérieure <strong>de</strong> Falgarnost. Comme<br />

l'avait suggéré Sonia un peu plus tôt, il <strong>de</strong>vait être midi étant donné la<br />

position é<strong>le</strong>vée du so<strong>le</strong>il dans <strong>le</strong> ciel. Anaïs réalisa qu'il faisait un peu<br />

chaud dans <strong>le</strong> camp, d'autant plus que <strong>le</strong>s remparts <strong>de</strong> Falgarnost ne<br />

4


laissaient pas passer <strong>le</strong> vent. C'était à se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si ce lieu ne <strong>de</strong>venait<br />

pas une fournaise lorsque <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il atteignait son zénith.<br />

"La Milice compte trois cent cinquante et un soldats, dont quarante six<br />

femmes, commença à expliquer Kisridge tout en <strong>le</strong>s guidant vers un large<br />

bâtiment rectangulaire située à une cinquantaine <strong>de</strong> pas <strong>de</strong> la tour<br />

d'Omar. <strong>Les</strong> effectifs étaient beaucoup plus importants à une époque,<br />

mais la paix du territoire a contribué à atténuer <strong>le</strong> recrutement <strong>de</strong><br />

nouveaux soldats ainsi que <strong>le</strong>s moyens <strong>de</strong> la Milice.<br />

De fait, <strong>le</strong>s miliciens sont répartis dans vingt régiments à effectifs réduits :<br />

vingt soldats tout au plus! Celui que je dirige n'atteint pas <strong>le</strong>s vingt<br />

membres.<br />

-J'imagine qu'il est inuti<strong>le</strong> d'avoir un millier <strong>de</strong> miliciens juste pour<br />

effectuer un travail <strong>de</strong> veil<strong>le</strong>, dit Sonia.<br />

-En effet Maître Sonia, d'où ces effectifs réduits."<br />

El<strong>le</strong>s avaient quitté l'étendue <strong>de</strong> pelouse qui cernait la tour centra<strong>le</strong><br />

pour fou<strong>le</strong>r un sol dallé, régulier et bien entretenu. Kisridge avançait sans<br />

se retourner.<br />

"Chaque régiment est plus ou moins dirigé par celui <strong>de</strong> ses membres étant<br />

considéré comme <strong>le</strong> plus avisé et <strong>le</strong> plus expérimenté."<br />

El<strong>le</strong> marqua une pause infime dans son discours. El<strong>le</strong> avait sans<br />

doute eu l'impression <strong>de</strong> se montrer sous un jour prétentieux.<br />

"J'ai été nommée l'an <strong>de</strong>rnier mais mon travail consiste plus à coordonner<br />

<strong>le</strong>s activités <strong>de</strong> mes camara<strong>de</strong>s <strong>de</strong> régiment qu'à <strong>le</strong>ur donner <strong>de</strong>s ordres.<br />

<strong>Les</strong> ordres à proprement par<strong>le</strong>r <strong>de</strong>scen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s Titulaires, cinq miliciens<br />

qui sont sous <strong>le</strong> comman<strong>de</strong>ment direct du Maestor et qui l'assistent dans<br />

ses attributions.<br />

-Ca a l'air compliqué tout ça, fit Anaïs.<br />

-En théorie oui, mais une fois mis en pratique c'est très flui<strong>de</strong>, assura<br />

Kisridge. Vous n'êtes pas obligée <strong>de</strong> tout retenir Honorab<strong>le</strong> Anaïs.<br />

-Anaïs suffira."<br />

Kisridge se garda bien <strong>de</strong> prononcer <strong>le</strong> prénom d'Anaïs sans l'acco<strong>le</strong>r<br />

à "honorab<strong>le</strong>". El<strong>le</strong> désigna <strong>le</strong> bâtiment en forme <strong>de</strong> "L" qui se trouvait au<br />

bout <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur chemin.<br />

"C'est là que se trouvent <strong>le</strong>s chambrées et <strong>le</strong>s ondalies! Il y a dix quartiers<br />

pouvant héberger chacun trente miliciens, indépendamment <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur<br />

régiment! Cependant, <strong>le</strong>s femmes se partagent <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>s chambrées <strong>de</strong><br />

manière exclusive. Vous logerez dans l'une <strong>de</strong> ces chambrées, en espérant<br />

que cela ne vous paraîtra pas trop austère.<br />

-Qu'est-ce que c'est… cette vapeur blanche qui s'élève <strong>de</strong> l'ang<strong>le</strong> là-bas?<br />

<strong>de</strong>manda Anaïs."<br />

4


Pi<strong>le</strong> au coin du "L", la paroi rouge <strong>de</strong>s chambrées étaient remplacée<br />

par <strong>de</strong> hausses palissa<strong>de</strong>s en bois brillant et, effectivement, une épaisse<br />

fumée blanche surplombait cette partie du campement. Kisridge cessa son<br />

avancée et se retourna.<br />

"Ce sont <strong>le</strong>s ondalies! Avez-vous ce genre <strong>de</strong> choses dans votre mon<strong>de</strong>?<br />

Oh… désolée, je ne <strong>de</strong>vrais pas poser une tel<strong>le</strong> question.<br />

-Ca ne me dit rien, fit Sonia.<br />

-Il s'agit <strong>de</strong> grands bains chauffés par un système <strong>de</strong> tuyaux assez<br />

comp<strong>le</strong>xes et par une gran<strong>de</strong> quantité <strong>de</strong> braises incan<strong>de</strong>scentes situées<br />

juste en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> Falgarnost! L'ondalie nous permet d'avoir en quasi<br />

permanence <strong>de</strong> l'eau chau<strong>de</strong> pour notre toi<strong>le</strong>tte. <strong>Les</strong> ondalies sont très<br />

confortab<strong>le</strong>s, vous verrez! Rares sont <strong>le</strong>s endroits bénéficiant d'une tel<strong>le</strong><br />

installation à Sorgentel!<br />

-Tant que j'ai <strong>de</strong> l'eau chau<strong>de</strong>, dit Anaïs avec ravissement.<br />

-Je suis contente <strong>de</strong> voir que cela peut contribuer à votre confort honor…<br />

Hum."<br />

El<strong>le</strong> se remit en marche.<br />

"Est-ce que <strong>le</strong>s choses ont changé dans la Milice <strong>de</strong>puis que la Confrérie et<br />

<strong>le</strong>s autorités <strong>de</strong> Ca<strong>de</strong>ro font <strong>de</strong>s siennes? l'interrogea Sonia. J'imagine tout<br />

<strong>de</strong> même que tous ces évènements ont un impact sur votre quotidien.<br />

-Indéniab<strong>le</strong>ment Maître Sonia. Comme vous <strong>le</strong> disiez tout à l'heure, nous<br />

n'avions qu'une mission <strong>de</strong> veil<strong>le</strong> jusqu'à présent. Cependant, <strong>de</strong>puis<br />

l'échec <strong>de</strong> la Concrétisation et la mort <strong>de</strong> onze <strong>de</strong>s Anciens, tout ceci a été<br />

bou<strong>le</strong>versé. Le Maestor craint qu'une guerre ne nous remette<br />

brusquement en activité, sans que nous n'ayons eu l'opportunité <strong>de</strong><br />

suffisamment nous préparer. Or, notre mission est <strong>de</strong> faire office <strong>de</strong> force<br />

d'interposition entre toutes <strong>le</strong>s factions <strong>de</strong> Sorgentel qui seraient amenés<br />

à vouloir lutter. Nous protégeons aussi <strong>le</strong>s intérêts du Cénac<strong>le</strong>. Si certains<br />

groupes déci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> renverser Havre, nous <strong>de</strong>vrons recourir aux armes.<br />

C'est pourquoi nous avons repris <strong>de</strong>s entraînements intensifs <strong>de</strong>puis<br />

plusieurs semaines, qu'il s'agisse du maniement <strong>de</strong>s armes, <strong>de</strong> la magie<br />

ou du simp<strong>le</strong> établissement <strong>de</strong> stratégies belligérantes. Après tout, nous<br />

pouvons nous retrouver face à <strong>de</strong>s guerriers très puissants, rompus à<br />

l'usage <strong>de</strong> la magie, tels que <strong>le</strong>s membres d'Azulnot par exemp<strong>le</strong>. Nous<br />

craignons aussi l'usage <strong>de</strong> la nécromancie contre nos forces. Il paraît<br />

qu'el<strong>le</strong> est n'est pas bannie à Ca<strong>de</strong>ro.<br />

-Bien utilisée, ne pourrait-el<strong>le</strong> pas être un atout pour vous? suggéra<br />

Sonia.<br />

-Sauf votre respect, nous ne l'envisageons même pas Maître Sonia. Cet<br />

art est profondément corrompu."<br />

Sonia hocha la tête en si<strong>le</strong>nce.<br />

"Le camp d'entraînement à l'opposé <strong>de</strong>s chambrées. Je me ferai un plaisir<br />

vous montrer <strong>le</strong>s capacités <strong>de</strong> nos effectifs un peu plus tard. Il f…<br />

4


-Fantastique!!! jubila Jamie en jaillissant soudain <strong>de</strong>vant eux."<br />

Passée la surprise initia<strong>le</strong>, Kisridge se mit au gar<strong>de</strong> à vous <strong>de</strong>vant un<br />

Jamie qui n'en avait cure. Il était porté par une excitation sans limites.<br />

"La chambrée est génia<strong>le</strong>! Similaire à un internat! Il y a beaucoup <strong>de</strong><br />

mon<strong>de</strong> et ils sont tous si enthousiastes! Une ambiance au combien viri<strong>le</strong>!<br />

Quel dommage qu'Arty ne soit pas là! Bonjour vous, fit-il rapi<strong>de</strong>ment en<br />

serrant la main à Kisridge. Je repars mes<strong>de</strong>moisel<strong>le</strong>s! Yahooooo!"<br />

Jamie repartit aussi sec, sous <strong>le</strong>s cris réprobateurs <strong>de</strong> Sonia.<br />

"Quel décérébré celui-là, rouspéta-t-el<strong>le</strong> après qu'il se soit introduit dans<br />

<strong>le</strong> bâtiment abritant <strong>le</strong>s chambrées. Il n'a même pas encore bu pourtant.<br />

-Peut-être que <strong>le</strong> mandì d'hier fait encore effet, plaisanta Anaïs."<br />

Kisridge esquissa un sourire probab<strong>le</strong>ment involontaire et prit la<br />

même route que Jamie, suivie par ses <strong>de</strong>ux protégées.<br />

"En fait, chaque partie <strong>de</strong> ce bâtiment contient cinq chambrées qui<br />

occupent el<strong>le</strong>s-mêmes un étage entier. <strong>Les</strong> ondalies séparent <strong>le</strong> premier<br />

set <strong>de</strong> chambrées du <strong>de</strong>uxième mais je vous rassure, il n'y a pas la<br />

moindre fenêtre qui donne sur <strong>le</strong>s bains.<br />

-La porte que vient d'emprunter Jamie, nous passons pas là aussi? <strong>Les</strong><br />

cinq chambrées qui sont dans la partie gauche?<br />

-Vous comprenez vite honor… Cela sera plus simp<strong>le</strong>, vous serez <strong>de</strong>ux<br />

étages au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> vos compagnons."<br />

Kisridge <strong>le</strong>s fit entrer par une doub<strong>le</strong> porte en métal, sur <strong>le</strong> seuil <strong>de</strong><br />

laquel<strong>le</strong> ils croisèrent plusieurs soldats, hommes et femmes, qui ne<br />

manquèrent pas <strong>de</strong> <strong>le</strong>s saluer et <strong>de</strong> dévisager <strong>le</strong>s élues avec saisissement.<br />

A l'intérieur se trouvait un très long couloir avec un escalier à son<br />

extrémité et une unique porte sur <strong>le</strong> côté.<br />

"Il est tout à fait possib<strong>le</strong> <strong>de</strong> monter jusqu'à votre étage sans croiser <strong>le</strong>s<br />

gens <strong>de</strong>s autres chambrées grâce à ce couloir.<br />

-La chambrée <strong>de</strong> cet étage est donc <strong>de</strong>rrière cette porte, supposa Sonia.<br />

-Oui Maître Sonia. Suivez moi, nous nous rendons au troisième étage."<br />

Le parquet en bois craquait sous <strong>le</strong>urs pieds à mesure qu'el<strong>le</strong>s<br />

s'engageaient dans <strong>le</strong> long couloir, uniquement éclairé par la lumière<br />

extérieure dont l'abreuvaient <strong>de</strong> hautes mais étroites ouvertures dans la<br />

paroi. El<strong>le</strong>s montèrent au premier étage où el<strong>le</strong>s trouvèrent Shui-Khan en<br />

train <strong>de</strong> bou<strong>de</strong>r au milieu du couloir ("Ces imbéci<strong>le</strong>s crient trop, c'est<br />

insupportab<strong>le</strong>…"), au <strong>de</strong>uxième puis au troisième, pour <strong>le</strong> plus grand<br />

soulagement d'Anaïs qui trouvait ces marches bien hautes. Kisridge<br />

introduisit alors dans la chambrée.<br />

4


"Me revoilà, dit-el<strong>le</strong> à voix haute."<br />

Un concert <strong>de</strong> hoquets surpris et <strong>de</strong> "Oooh!" <strong>le</strong>s accueillit dans cette<br />

vaste pièce toute en longueur, où s'alignaient <strong>de</strong>ux dizaines <strong>de</strong> lits et <strong>de</strong>s<br />

tab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> chevet. Intimidée, Anaïs <strong>de</strong>meura sur <strong>le</strong> seuil <strong>de</strong> la chambrée.<br />

"Voici Maître Sonia et l'honorab<strong>le</strong> Anaïs. Toutes <strong>de</strong>ux sont <strong>de</strong>s élues et<br />

Maître Sonia a <strong>le</strong> titre d'Ancienne honoraire, indiqua Kisridge à la dizaine<br />

<strong>de</strong> femmes qui se trouvait là.<br />

-Bonjour, fit Sonia en opinant <strong>de</strong> la tête.<br />

-B… bonjour à vous, dit Anaïs."<br />

Certaines <strong>de</strong>s femmes répondirent avec une politesse réservée et<br />

une rai<strong>de</strong>ur toute militaire, mais la majorité se dirigea spontanément vers<br />

<strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux arrivantes afin <strong>de</strong> <strong>le</strong>s assaillir <strong>de</strong> questions ou se réjouir <strong>de</strong> <strong>le</strong>s<br />

rencontrer. Des femmes <strong>de</strong> tout âge, <strong>de</strong> toute corpu<strong>le</strong>nce, souvent très<br />

différentes <strong>le</strong>s unes <strong>de</strong>s autres mais animées par la satisfaction <strong>de</strong><br />

rencontrer cel<strong>le</strong>s dont el<strong>le</strong>s n'avaient qu'entendu par<strong>le</strong>r jusque là.<br />

"Nous sommes tel<strong>le</strong>ment ravies qu'il y ait <strong>de</strong>s femmes parmi <strong>le</strong>s élus!<br />

-Vous <strong>de</strong>vez être si fortes! Quel<strong>le</strong>s sont vos capacités?<br />

-Cessez <strong>de</strong> <strong>le</strong>s importuner voyons, el<strong>le</strong>s arrivent <strong>de</strong> loin, bougonna<br />

Kisridge en posant <strong>le</strong>s sacs à dos au sol.<br />

-Ha! Tu étais la plus excitée <strong>de</strong> tous lorsque l'on est venu te dire que tu<br />

allais être <strong>le</strong>ur gui<strong>de</strong>, siffla une ado<strong>le</strong>scente qui <strong>de</strong>vait avoir dix-huit ou<br />

dix-neuf ans."<br />

Kisridge <strong>de</strong>vient écarlate et toutes ses compagnes éclatèrent <strong>de</strong> rire,<br />

avant <strong>de</strong> se battre pour savoir qui aurait l'honneur <strong>de</strong> porter <strong>le</strong>s sacs à dos<br />

<strong>de</strong>s invitées <strong>de</strong> marque jusqu'à <strong>le</strong>urs lits respectifs.<br />

Anaïs se surprit à être mise très rapi<strong>de</strong>ment à l'aise avec la majeure<br />

partie <strong>de</strong>s occupantes <strong>de</strong> la chambrée. El<strong>le</strong> et Sonia passèrent la journée<br />

ensemb<strong>le</strong> à s'instruire sur <strong>le</strong> fonctionnement <strong>de</strong> la Milice, faire<br />

connaissance avec <strong>le</strong>s miliciennes qui allaient partager <strong>le</strong>ur quotidien<br />

pendant quelques jours et visiter Falgarnost sous la bienveillante mais<br />

distante protection <strong>de</strong> Kisridge.<br />

Une dizaine d'heures plus tard, Anaïs était couchée sur un lit pas<br />

trop inconfortab<strong>le</strong>, entre ceux <strong>de</strong> Sonia et <strong>de</strong> Kisridge. Une douce cha<strong>le</strong>ur<br />

habitait la chambrée et el<strong>le</strong> s'était endormie rapi<strong>de</strong>ment, la tête p<strong>le</strong>ine <strong>de</strong>s<br />

souvenirs <strong>de</strong> la journée. Malheureusement ou heureusement pour el<strong>le</strong>,<br />

<strong>de</strong>s éclats <strong>de</strong> voix et <strong>de</strong>s rires la tirèrent <strong>de</strong> son sommeil. El<strong>le</strong> se redressa<br />

d'un coup et scruta la pièce obscure. Il lui fallut un moment pour discerner<br />

plusieurs femmes accoudées aux fenêtres, en train d'observer quelque<br />

chose en gloussant. Sonia faisait partie du groupe, <strong>le</strong>s cheveux nattés.<br />

"Que se passe-t-il? bailla Anaïs en sortant maladroitement (el<strong>le</strong> chuta) <strong>de</strong><br />

son lit. C'est quoi tout ce boucan?<br />

4


-Il n'y avait aucune chance que tu restes endormie avec un tel bruit, fit<br />

Sonia, engoncée dans une robe <strong>de</strong> chambre. Viens voir ce que font <strong>le</strong>s<br />

garçons <strong>de</strong>hors!"<br />

Anaïs prit sa couette, s'enroula <strong>de</strong>dans comme si el<strong>le</strong> était <strong>le</strong><br />

contenu d'un kebab et se dirigea d'un pas lourd vers la fenêtre la plus<br />

proche. Kisridge qui s'y trouvait lui laissa la place sans rien dire.<br />

"Non j'y crois pas…, fit Anaïs, partagée entre stupeur et amusement."<br />

<strong>Les</strong> occupants d'au moins <strong>de</strong>ux chambrées étaient rassemblés dans<br />

la cour <strong>de</strong> Falgarnost, autour <strong>de</strong>s flammes dansantes d'un brasier <strong>de</strong><br />

fortune. Equipé d'une guitare <strong>de</strong> fabrication douteuse, Rick jouait avec<br />

autant <strong>de</strong> ta<strong>le</strong>nt que possib<strong>le</strong> <strong>le</strong>s notes d'une célèbre chanson <strong>de</strong> rock<br />

tandis que Jamie et Ibtissam, bras <strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>ssous, massacraient <strong>le</strong>s<br />

paro<strong>le</strong>s à tue-tête. <strong>Les</strong> miliciens <strong>le</strong>s suivaient, achevant <strong>le</strong>s coup<strong>le</strong>ts qui<br />

avaient eu l'audace <strong>de</strong> survivre aux voix terrib<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux élus.<br />

"Ils font un barbecue nocturne, ricana Anaïs.<br />

-Barbe quoi? fit Kisridge.<br />

-Quel est ce chant qu'ils entonnent Maître Sonia? Il m'est inconnu.<br />

-"Satisfaction" <strong>de</strong>s Rolling Stones d'après l'air…<br />

-Qui?..."<br />

Anaïs éclata <strong>de</strong> rire en voyant Rick se lancer dans un solo <strong>de</strong> guitare<br />

sous <strong>le</strong>s encouragements <strong>de</strong> ses camara<strong>de</strong>s.<br />

"C'est pas bientôt fini ban<strong>de</strong> <strong>de</strong> dingues? hurla la voix <strong>de</strong> Shui-Khan. Il y<br />

en a qui voudraient dormir!"<br />

Une chaussure vola et frappa Ibtissam en p<strong>le</strong>in visage.<br />

"Aïe!!!<br />

-Arrêtez ce boucan!"<br />

Anaïs se pencha un peu plus avant. L'ado<strong>le</strong>scent était à une fenêtre,<br />

<strong>de</strong>ux niveaux plus bas. Furieux, il vociférait <strong>de</strong>s insultes qui obligèrent<br />

Rick à cesser <strong>de</strong> jouer. Il mit son instrument sur son épau<strong>le</strong> droite et<br />

observa <strong>le</strong> garçon d'un air taciturne.<br />

"Sanction sur Shui, déclara-t-il d'une voix posée."<br />

Le nez en sang, Ibtissam désigna Shui-Khan du doigt :<br />

"Capturez ce sombre individu, mettez <strong>le</strong> à poil et jetez <strong>le</strong> dans l'eau froi<strong>de</strong>!<br />

-Shui à poil! cria Jamie.<br />

-OUAIIIIIIIIIIIS!!!<br />

-Dénu<strong>de</strong>z l'effronté et jetez <strong>le</strong> plutôt dans <strong>le</strong>s chambrées <strong>de</strong>s femmes!!<br />

4


-Ah non, protesta Kisridge."<br />

Un éclair blanc frappa <strong>le</strong> brasier <strong>de</strong>s musiciens et <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur cour. Shui-<br />

Khan était toujours à la fenêtre mais il pointait une courte épée blanche<br />

vers ses assaillants potentiels.<br />

"Si l'un <strong>de</strong> vous approche, je <strong>le</strong> foudroie…<br />

-Sus à Shui-Khan, lança Ibtissam avec la verve d'un chef <strong>de</strong> guerre.<br />

-A mooort!"<br />

Sonia et Anaïs échangèrent <strong>de</strong>s regards dépités.<br />

"C'est parti pour un tour, soupira l'instructrice.<br />

-<strong>Les</strong> hommes sont <strong>de</strong>s gamins… Il n'y en a pas un pour rattraper l'autre,<br />

quel que soit l'âge.<br />

-J'attendrai <strong>de</strong>main pour brimer Shui. Il est suffisamment dans la m…<br />

-AAAAAAAAAAAAH!<br />

-Il en a foudroyé <strong>de</strong>ux, constata Anaïs."<br />

***<br />

"C'est dégueulasse! souffla Ana Rosa."<br />

Aïshani répondit d'un haussement d'épau<strong>le</strong>s, l'air <strong>de</strong> dire "Prends ton<br />

mal en patience". <strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux jeunes femmes étaient assises sur <strong>le</strong> seuil du<br />

hall du Cénac<strong>le</strong>, profitant d'une vue d'ensemb<strong>le</strong> sur la baie en attendant<br />

que Priam ne <strong>le</strong>s informe <strong>de</strong> la "petite mission" qu'il entendait <strong>le</strong>ur confier.<br />

"Sérieusement, ils ont suffisamment d'adjoints dans tout <strong>le</strong> Cénac<strong>le</strong> pour<br />

faire <strong>le</strong> type <strong>de</strong> boulot que Priam peut attendre <strong>de</strong> nous.<br />

-Peut-être qu'il s'agit d'un travail que nous sommes plus à même<br />

d'effectuer avec succès, répondit Aïshani. <strong>Les</strong> Anciens doivent savoir ce<br />

qu'ils font. De plus il n'aurait pas été bon <strong>de</strong> tous nous envoyer en<br />

expédition sans gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s renforts au Havre.<br />

-Je ne sais pas si envoyer Rachel à ma place était très judicieux! Cette fil<strong>le</strong><br />

est une véritab<strong>le</strong> cervel<strong>le</strong> <strong>de</strong> moineau, el<strong>le</strong> n'a aucun sens du risque!<br />

-Tu t'inquiètes pour el<strong>le</strong>?<br />

-Non, pas vraiment… Je ne voudrais pas que cette peste américaine<br />

meure sans que l'on ait réglé nos comptes, c'est tout.<br />

-Khan, arrête <strong>de</strong> perturber ces choses! fit brusquement Aïshani en se<br />

tournant vers la Baie."<br />

Khan cessa <strong>de</strong> bondir (vainement) après <strong>le</strong>s particu<strong>le</strong>s lumineuses.<br />

Ses moustaches vibraient <strong>de</strong> frustration.<br />

"Ce sont <strong>le</strong>s luisances qui m'importunent, répliqua-t-il en <strong>le</strong>s accablant du<br />

regard. Leur présence me donne <strong>de</strong>s frissons, j'en ai <strong>le</strong> poil tout hérissé.<br />

4


-Tu ne comptes tout <strong>de</strong> même pas <strong>le</strong>s capturer <strong>le</strong>s unes après <strong>le</strong>s autres.<br />

A vue d'œil, il doit y en avoir <strong>de</strong>s milliers.<br />

-Si je pouvais au moins en attraper une et la faire souffrir pour toutes <strong>le</strong>s<br />

autres, rumina Khan avec une pointe <strong>de</strong> sadisme.<br />

-Des luisances? répéta Ana Rosa. C'est comme ça qu'on <strong>le</strong>s appel<strong>le</strong>?<br />

-Bien sûr! Vous ne <strong>le</strong> saviez pas? s'étonna Khan.<br />

-Non… je ne me suis jamais posé la question plus <strong>de</strong> trente secon<strong>de</strong>s,<br />

réalisa Ana Rosa en jetant un regard neuf sur <strong>le</strong>s étranges occupants <strong>de</strong> la<br />

Baie.<br />

-<strong>Les</strong> luisances sont simp<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>s résidus du pouvoir <strong>de</strong> Springan,<br />

expliqua <strong>le</strong> fauve. Si la Concrétisation s'effectuait <strong>de</strong> manière définitive,<br />

el<strong>le</strong>s disparaîtraient pour <strong>de</strong> bon.<br />

-Pour retourner à l'intérieur? suggéra Aïshani.<br />

-A l'intérieur du monolithe? fit Ana Rosa.<br />

-Anaïs et Arthur nous ont bien laissé entendre qu'on pouvait entrer dans<br />

Springan. Ils l'ont appris lorsqu'ils sont partis au Sanctuaire Emerau<strong>de</strong>.<br />

-Ah oui, c'est vrai. Le problème c'est qu'il n'y a pas moyen d'entrer là<strong>de</strong>dans.<br />

On sait qu'il existait une porte à la base mais el<strong>le</strong> a été scellée.<br />

-Par qui?<br />

-Va savoir! Leryan, Ky<strong>le</strong>an, la Confrérie, George Bush… C'est compliqué<br />

cette histoire."<br />

Aïshani coinça machina<strong>le</strong>ment une mèche <strong>de</strong> cheveux <strong>de</strong>rrière<br />

l'oreil<strong>le</strong>. El<strong>le</strong> avait gardé ses lunettes, bien qu'el<strong>le</strong>s ne lui fussent<br />

norma<strong>le</strong>ment plus nécessaires.<br />

"Tu sais, quand Andreas est venu il voyait parfaitement bien sans ses<br />

verres, dit Ana Rosa.<br />

-Ah bon?<br />

-Oui, pas toi?"<br />

Aïshani retira ses lunettes, plissa longuement <strong>le</strong>s yeux puis <strong>le</strong>s remit<br />

après avoir secoué la tête.<br />

"Bizarre, il pensait que c'était dû au fait d'être à Sorgentel! Une sorte<br />

d'effet secondaire, comme pour <strong>le</strong>s cheveux qui poussent plus vite ou la<br />

possibilité <strong>de</strong> communiquer sans Etemenanki.<br />

-Crois moi, j'aurais été ravie <strong>de</strong> me passer <strong>de</strong> mes lunettes pendant<br />

quelques temps.<br />

-Andreas a dû utiliser tous <strong>le</strong>s bonus… AH! Une nouvel<strong>le</strong> question piège à<br />

ma liste!!!"<br />

Ana Rosa avait jailli du sol avec enthousiasme pour griffonner <strong>de</strong>s<br />

notes sur une feuil<strong>le</strong> <strong>de</strong> papier. Devant <strong>le</strong> regard interloqué d'Aïshani et<br />

Khan, el<strong>le</strong> expliqua son entreprise.<br />

"Je m'emmerdais tel<strong>le</strong>ment ce matin que j'ai fait ça."<br />

4


El<strong>le</strong> montra la feuil<strong>le</strong> <strong>de</strong> papier à Aïshani. Le gardien <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>rnière<br />

s'approcha pour pouvoir lire, lui aussi :<br />

LES QUESTIONS NON RESOLUES DE GLOW<br />

1. Est-ce que <strong>le</strong>s poils <strong>de</strong>s Sorgenteli sont éga<strong>le</strong>ment blancs? Vérifié!!<br />

Réponse positive ^__^<br />

2. Est-ce que Sally aime toujours Jamie? Vérifié!! Réponse évi<strong>de</strong>nte.<br />

3. Quel élu est potentiel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> plus fort dans une arène col<strong>le</strong>ctive genre<br />

Batt<strong>le</strong> Roya<strong>le</strong> (élites exclues)?<br />

4. Quel est <strong>le</strong> secret d'Arthur?<br />

5. Arthur est-il toujours puceau?<br />

6. Arthur <strong>le</strong> fera-t-il avec Anaïs avant la prochaine décennie? (Ha!)<br />

7. Qui dépensera ses primes d'élu <strong>le</strong> plus rapi<strong>de</strong>ment? Vérifié!! Rachel.<br />

8. Combien <strong>de</strong> temps peut durer un bon <strong>de</strong>ssin en appliquant <strong>le</strong>s conseils<br />

<strong>de</strong> la mère <strong>de</strong> Jamie? Vérifié!! Environ une heure.<br />

9. Combien <strong>de</strong> types Sally peut-el<strong>le</strong> affronter simultanément au corps à<br />

corps? (Je tab<strong>le</strong> sur cinq… si el<strong>le</strong> n'utilise pas son don <strong>de</strong> précog.)<br />

10. Va-t-on encore découvrir qu'une personne morte ne l'est pas? Genre<br />

cliché stupi<strong>de</strong>?<br />

11. Pourquoi Maria refuse <strong>de</strong> nous ai<strong>de</strong>r?<br />

12. Combien <strong>de</strong> dollars avait Rachel sur son compte en banque avant <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>venir élue?<br />

13. Pourquoi un type beau comme un dieu et mal rasé (Samuel) est-il<br />

chez <strong>le</strong>s méchants? Vérifié!! Syndrome du mauvais garçon. Il faut <strong>le</strong> tuer!<br />

14. Pourquoi Elliott est-il beau mais apparemment stupi<strong>de</strong>? Vérifié!! On ne<br />

peut pas toujours avoir cerveau et physique!<br />

15. Ils veu<strong>le</strong>nt quoi en fait la Confrérie?<br />

16. Aurais-je battu Munin sans l'intervention <strong>de</strong> Samuel? Vérifié!!<br />

Evi<strong>de</strong>mment!<br />

.<br />

.<br />

.<br />

37. Pour une semaine donnée, combien <strong>de</strong> mots peut prononcer Andreas<br />

si :<br />

- on ne lui pose pas <strong>de</strong> question<br />

- nous ne sommes pas en situation <strong>de</strong> combat<br />

"Je ne pensais pas que ton ennui atteignait un tel <strong>de</strong>gré, dit Aïshani après<br />

avoir rapi<strong>de</strong>ment parcouru <strong>le</strong>s notes.<br />

-Il faut bien s'occuper! Oh, ça te dirait pas un petit entraînement pour<br />

empêcher nos dons <strong>de</strong> rouil<strong>le</strong>r?<br />

-Euh… C'est que…<br />

-Toi et Khan contre Djangoninho et moi! Djangoninho en version non<br />

réduite bien sûr, sinon vous seriez désavantagés.<br />

-Hoooo, un combat d'invocations? s'exclama Asuka en apparaissant<br />

soudain <strong>de</strong>vant <strong>le</strong>s élues (Ana Rosa bondit <strong>de</strong> stupeur). Je peux en être?<br />

Seya-chan va dérouil<strong>le</strong>r vos créatures avec ses statistiques!<br />

4


-Tu as cette mauvaise habitu<strong>de</strong> d'arriver sans crier gare Asuka, râla Ana<br />

Rosa après avoir repris son calme. <strong>Les</strong> autres sont arrivés à bon port?<br />

-Oui, mission accomplie! J'ai…"<br />

Khan bondit soudain vers lui en rugissant, griffes en avant.<br />

Cependant, Asuka se téléporta juste à temps pour permettre à son<br />

agresseur <strong>de</strong> percuter la baie vitrée du Cénac<strong>le</strong>.<br />

"Méchante bête, railla Asuka. Tu croyais que je n'allais pas te voir venir?<br />

Que cela te serve <strong>de</strong> <strong>le</strong>çon!<br />

-Je m'excuse pour lui, dit Aïshani, ignorant <strong>le</strong>s geignements <strong>de</strong> Khan. Dès<br />

qu'un homme est trop près…<br />

-Un homme averti en vaut <strong>de</strong>ux. Je disais donc que <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux équipes ont<br />

été déposées à <strong>le</strong>urs lieux <strong>de</strong> missions respectifs.<br />

-Cool, y'en a qui vont s'amuser au moins, maugréa Ana Rosa.<br />

-Ne <strong>le</strong> prends pas mal Ana! Havre est gigantesque, on aura forcément <strong>de</strong><br />

quoi faire! Sans compter que c'est ici que se prennent toutes <strong>le</strong>s gran<strong>de</strong>s<br />

décisions! J'ai passé suffisamment <strong>de</strong> temps dans <strong>le</strong> coin pour pouvoir<br />

vous servir <strong>de</strong> gui<strong>de</strong> (sans compter que j'ai secondé mon père au musée<br />

pendant un moment, j'ai <strong>de</strong> l'expérience).<br />

-Il y a <strong>de</strong>s passages secrets ou <strong>de</strong>s mécanismes <strong>de</strong> ce genre? fit Ana Rosa<br />

d'un air subitement intéressé.<br />

-Je ne peux pas l'affirmer mais…<br />

-Et si nous allions voir Monsieur Priam pour voir si nous pouvons nous<br />

rendre uti<strong>le</strong>s? proposa Aïshani. Cela éviterait l'ennui.<br />

-Hm. Ouais, ça peut <strong>le</strong> faire.<br />

-Il <strong>de</strong>vrait être dans son cabinet. Je vous gui<strong>de</strong> mes<strong>de</strong>moisel<strong>le</strong>s?<br />

-Juste une secon<strong>de</strong>, dit Ana Rosa."<br />

El<strong>le</strong> lança une bou<strong>le</strong>tte <strong>de</strong> papier dans <strong>le</strong>s airs et <strong>le</strong> dragon<br />

Djangoninho se matérialisa, au format poche. Visib<strong>le</strong>ment ravi d'être<br />

présent, il déploya ses ai<strong>le</strong>s membraneuses et effectua trois tours autour<br />

<strong>de</strong> la tête d'Ana Rosa.<br />

"On va essayer <strong>de</strong> te faire tenir dix minutes <strong>de</strong> plus cette fois-ci!"<br />

Djangoninho répondit par une sorte <strong>de</strong> vagissement approbatif et se<br />

posa sur l'épau<strong>le</strong> d'Ana Rosa, accroché au tissu <strong>de</strong> son vêtement par <strong>le</strong>s<br />

griffes avant. Asuka prit alors ses <strong>de</strong>ux camara<strong>de</strong>s par <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s, sous <strong>le</strong><br />

regard accusateur <strong>de</strong> Khan.<br />

"On ne va pas marcher, n'est-ce pas? dit-il comme si c'était une évi<strong>de</strong>nce.<br />

-Khan, retire-toi, ordonna Aïshani."<br />

Celui-ci gronda légèrement puis disparut conformément à ce qui lui<br />

avait été intimé, juste avant qu'Asuka ne téléporte <strong>le</strong> petit groupe <strong>de</strong>vant<br />

la porte du cabinet <strong>de</strong> Priam. El<strong>le</strong> se trouvait au bout d'un petit couloir,<br />

encadrée par <strong>de</strong>ux plantes en pot accrochées au plafond.<br />

4


"Priam! C'est Asuka, dit <strong>le</strong> jeune homme en frappant <strong>de</strong>ux fois sur la<br />

porte. Je suis avec Aïshani et Ana, peut-on entrer?"<br />

La porte s'ouvrit après un court instant. Toutefois ce n'était pas <strong>le</strong><br />

propriétaire supposé <strong>de</strong>s lieux qui apparut sur <strong>le</strong> seuil. Des yeux b<strong>le</strong>us<br />

agrandis par d'épais verres à monture rouge observaient <strong>le</strong>s élus avec<br />

curiosité.<br />

"Meo? fit Asuka.<br />

-C'est vous? Entrez, entrez! J'observe une chose très intéressante,<br />

répondit <strong>le</strong> Maesprine en <strong>le</strong>s entraînant presque <strong>de</strong> force à l'intérieur <strong>de</strong> la<br />

pièce.<br />

-Mais…"<br />

La porte s'était refermée <strong>de</strong>rrière eux avant qu'ils n'aient eu <strong>le</strong><br />

temps <strong>de</strong> comprendre ce qui <strong>le</strong>ur arrivait. Ana Rosa découvrit alors <strong>le</strong>s<br />

lieux. Le petit bureau était en fait assez simpliste. Une pièce blanche<br />

parcourue d'étagères avec un petit bureau en bois verni en son centre.<br />

Une seu<strong>le</strong> fenêtre donnant sur <strong>de</strong> hautes haies fournissait <strong>le</strong> cabinet en<br />

lumière. De toute évi<strong>de</strong>nce Priam n'y venait que pour travail<strong>le</strong>r au calme.<br />

"C'est une merveil<strong>le</strong> <strong>de</strong> magie, s'exclama Meo en feuil<strong>le</strong>tant un gros livre à<br />

la couverture noire brillante. Si je <strong>le</strong> pouvais, je <strong>le</strong> conserverais pour moi!"<br />

Il passa la main gauche sur la reliure avec fébrilité.<br />

"Dire que nous l'avions ici, continua-t-il.<br />

-Qu'est-ce que c'est? <strong>de</strong>manda Ana Rosa.<br />

-Alzévir, un ouvrage magique venu <strong>de</strong>s Î<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Nace. Il appartenait<br />

justement à Leryan."<br />

Ana Rosa eut un regain d'intérêt pour cet objet a priori inintéressant.<br />

"A Leryan dites-vous?<br />

-Exactement. Le Cénac<strong>le</strong> l'a conservé ici pendant <strong>de</strong>s années et <strong>de</strong>s<br />

années mais il s'agit d'une possession <strong>de</strong>s Î<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Nace, offerte au jeune<br />

Leryan.<br />

-Quelque chose qui peut nous ai<strong>de</strong>r? suggéra Asuka.<br />

-Plus vraiment. Priam était allé <strong>le</strong> chercher dans <strong>le</strong>s archives du Cénac<strong>le</strong><br />

avec l'espoir qu'il nous fournisse <strong>de</strong>s indices. En vain. De ce fait, nous en<br />

profitons pour <strong>le</strong> renvoyer à Nace, sa terre d'origine. Priam m'a <strong>de</strong>mandé<br />

<strong>de</strong> venir <strong>le</strong> récupérer dans son cabinet pour <strong>le</strong> remettre à un envoyé qui<br />

doit venir aujourd'hui même."<br />

Ana Rosa s'approcha <strong>de</strong> Meo pour observer l'Alzévir. Hormis sa bel<strong>le</strong><br />

couverture, il s'agissait d'un livre banal. Aucune écriture ne remplissait ses<br />

4


larges pages d'un blanc sa<strong>le</strong>. El<strong>le</strong> ne voyait pas quel intérêt, hormis<br />

symbolique, il pouvait représenter. Meo sembla <strong>le</strong> réaliser.<br />

"Alzévir n'a d'intérêt que si quelqu'un formalise sa propriété à son égard,<br />

expliqua-t-il. Une fois que <strong>le</strong> possesseur marque son nom sur la première<br />

page du livre, <strong>le</strong>s capacités <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier s'éveil<strong>le</strong>nt.<br />

-De quel genre <strong>de</strong> capacités s'agit-il? <strong>de</strong>manda Aïshani.<br />

-Il y en a plusieurs. En premier lieu, il est possib<strong>le</strong> <strong>de</strong> matérialiser ses<br />

pensées dans l'Alzévir d'un simp<strong>le</strong> contact avec une page. Je ne peux vous<br />

faire une démonstration mais si j'étais <strong>le</strong> propriétaire d'Alzévir il me<br />

suffirait <strong>de</strong> penser un texte tout en posant ma main sur l'une <strong>de</strong> ses pages<br />

pour que <strong>le</strong>dit texte apparaisse en quelques instants, comme si je l'avais<br />

écrit moi-même. Un atout formidab<strong>le</strong> pour <strong>le</strong>s érudits qui veu<strong>le</strong>nt<br />

économiser du temps et <strong>de</strong> l'énergie.<br />

En second lieu, <strong>le</strong> possesseur d'Alzévir aura la possibilité <strong>de</strong> retenir la<br />

pagination précise <strong>de</strong> ses écrits. Un moyen formidab<strong>le</strong> <strong>de</strong> retrouver<br />

rapi<strong>de</strong>ment son travail, d'autant plus que l'on peut tourner <strong>le</strong>s feuil<strong>le</strong>s <strong>de</strong><br />

l'ouvrage par la pensée.<br />

-Wow… Un livre magique, s'exclama Asuka.<br />

-Tout à fait! Vous comprenez mon intérêt pour ce livre. Cependant il fait<br />

partie du patrimoine <strong>de</strong> l'archipel <strong>de</strong> Nace et <strong>le</strong> Cénac<strong>le</strong> se doit <strong>de</strong> <strong>le</strong><br />

rendre maintenant."<br />

Ana Rosa prit <strong>le</strong> livre que lui tendait Meo et haussa <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s,<br />

moins stimulée que l'Ancien par cette découverte peu passionnante. "Un<br />

gadget à intello". Voilà ce qu'était l'Alzévir à ses yeux. Ce n'était pas avec<br />

ceci que l'on sauverait <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>. Djangoninho manifesta son accord par<br />

un renif<strong>le</strong>ment dédaigneux.<br />

"Pourquoi ne <strong>le</strong> gar<strong>de</strong>z-vous pas puisque vous êtes <strong>le</strong> Maesprine?<br />

<strong>de</strong>manda-t-el<strong>le</strong>.<br />

-En tant que dirigeant je ne peux me laisser tenter, répondit Meo après<br />

avoir semblé envisager cette possibilité. L'Alzévir appartient à la<br />

communauté.<br />

-Vos principes vous font honneur Maesprine."<br />

Cette voix doucereuse et teintée <strong>de</strong> sarcasme fit frissonner Ana<br />

Rosa, au point qu'el<strong>le</strong> mit <strong>de</strong> longues secon<strong>de</strong>s à se retourner pour<br />

i<strong>de</strong>ntifier la personne qui avait fait cette remarque. Seu<strong>le</strong> une femme<br />

infiniment mauvaise avait pu s'exprimer ainsi.<br />

"Vous? Que faites-vous ici? croassa Meo."<br />

Une dame ravissante et parée <strong>de</strong> ses plus beaux atours se tenait sur<br />

<strong>le</strong> pas <strong>de</strong> la porte du cabinet, vêtue d'un semblant <strong>de</strong> robe b<strong>le</strong>ue dont <strong>le</strong><br />

tissu ne cachait que ce qu'il fallait mais suggérait ce qui était nécessaire,<br />

ce qui était déjà bien trop au goût d'Ana Rosa. La chevelure blanche <strong>de</strong><br />

4


cette "femme fata<strong>le</strong>" était re<strong>le</strong>vée par <strong>de</strong> longues baguettes argentées, ce<br />

qui permettait d'observer à loisir son long cou blanc et ses épau<strong>le</strong>s lisses.<br />

"Je viens en visite, répondit l'inconnue en <strong>le</strong>s dardant d'un regard<br />

empathique. Oh, est-ce <strong>le</strong> fameux Alzévir que je vois entre <strong>le</strong>s mains <strong>de</strong><br />

ce jeune homme? J'en ai tel<strong>le</strong>ment entendu par<strong>le</strong>r, puis-je l'observer?"<br />

Ana Rosa sentit une colère indicib<strong>le</strong> monter en el<strong>le</strong>, alors que<br />

l'arrivante se dirigeait vers el<strong>le</strong> pour lui prendre <strong>le</strong> livre <strong>de</strong>s mains. "Jeune<br />

homme?" songea-t-el<strong>le</strong>, prête à la frapper avec l'Alzévir. On ne lui avait<br />

jamais fait un tel affront malgré ses cheveux courts.<br />

"Irène! fit Meo d'un air décomposé. Quel<strong>le</strong>s sont <strong>le</strong>s raisons <strong>de</strong> votre<br />

présence au Cénac<strong>le</strong>? Vous n'avez pas été annoncée. Qui plus est, cette<br />

honorab<strong>le</strong> élue une femme.<br />

-Ah? s'étonna la femme en marquant un mouvement <strong>de</strong> recul."<br />

La dénommée Irène observa brièvement la poitrine d'Ana Rosa, l'air<br />

dubitatif, puis revint à Meo sans formu<strong>le</strong>r la moindre excuse. Asuka dût<br />

retenir l'élue pour qu'el<strong>le</strong> ne se jette pas sur cette femme hautaine.<br />

"Je viens simp<strong>le</strong>ment apporter la paro<strong>le</strong> du Régent, déclara poliment<br />

Irène. J'espérais trouver l'honorab<strong>le</strong> Priam pour la lui transmettre.<br />

-La paro<strong>le</strong> du Régent…?"<br />

***<br />

"Ces ondalies sont vraiment très agréab<strong>le</strong>s!<br />

-Je trouve aussi! On y prendrait goût."<br />

Sonia frictionna ses longs cheveux blonds avec une serviette. El<strong>le</strong><br />

venait <strong>de</strong> franchir la porte <strong>de</strong>s bains pour rejoindre Anaïs à l'extérieur.<br />

Eveillées et rafraîchies, el<strong>le</strong>s se tinrent un long moment à l'ang<strong>le</strong> du<br />

bâtiment <strong>de</strong>s chambrées, laissant <strong>le</strong>s premiers rayons du so<strong>le</strong>il <strong>le</strong>s sécher<br />

doucement.<br />

"Bonjour honorab<strong>le</strong>s élues!<br />

-Vous avez apprécié <strong>le</strong>s ondalies?<br />

-Venez à notre tab<strong>le</strong> pour <strong>le</strong> déjeuner s'il vous plaît!"<br />

<strong>Les</strong> soldats, hommes ou femmes, qui passaient <strong>de</strong>vant el<strong>le</strong>s en ce<br />

matin agréab<strong>le</strong> <strong>le</strong>s apostrophaient tous <strong>de</strong> salutations, <strong>de</strong> regards curieux,<br />

d'invitations à discuter ou <strong>de</strong> simp<strong>le</strong>s compliments. Anaïs trouvait ceci très<br />

agréab<strong>le</strong>. <strong>Les</strong> Sorgenteli étaient très visib<strong>le</strong>ment très courtois, même au<br />

sein <strong>de</strong> la Milice. <strong>Les</strong> mentalités n'étaient pas du tout <strong>le</strong>s mêmes dans ce<br />

mon<strong>de</strong> étrange.<br />

"Qu'est-ce qui nous attend aujourd'hui? <strong>de</strong>manda-t-el<strong>le</strong>."<br />

4


Sonia s'évertuait à lisser ses cheveux mouillés en passant ses doigts<br />

<strong>de</strong>dans. El<strong>le</strong> observa une silhouette qui s'approchait d'el<strong>le</strong> au pas <strong>de</strong><br />

course.<br />

"Kisridge va sans doute nous éclairer. El<strong>le</strong> vient à notre rencontre."<br />

Effectivement, la permanente Kisridge accourait, slalomant entre <strong>le</strong>s<br />

compagnons d'armes qui se trouvaient sur son chemin.<br />

"Bonjour Kisridge! Nous pensions al<strong>le</strong>r prendre <strong>le</strong> petit déjeuner, tu viens<br />

avec nous? proposa Sonia."<br />

<strong>Les</strong> yeux <strong>de</strong> Kisridge étaient gonflés par la fatigue. Le concert<br />

improvisé <strong>de</strong> la veil<strong>le</strong> l'avait empêchée <strong>de</strong> dormir mais el<strong>le</strong> ne s'était pas<br />

plainte, sans doute pour ne pas indisposer <strong>le</strong>s élus.<br />

"Je suis désolée maître Sonia mais il va falloir que vous retardiez quelque<br />

peu votre repas, répondit-el<strong>le</strong> en se mettant au gar<strong>de</strong> à vous. Le Maestor<br />

souhaite vous montrer quelque chose. A toutes <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux, précisa-t-el<strong>le</strong> en<br />

regardant Anaïs.<br />

-Oh.<br />

-Très bien. Le repas peut attendre un peu, dit Sonia. Gui<strong>de</strong> nous vers lui.<br />

-Il se trouve à la vigie avec vos compagnons.<br />

-Cette tour à l'autre bout <strong>de</strong> Falgarnost? <strong>de</strong>manda Anaïs.<br />

-Oui honor…"<br />

Kisridge s'interrompit et <strong>le</strong>s invita encore une fois à la suivre, ce<br />

qu'el<strong>le</strong>s firent doci<strong>le</strong>ment. Anaïs l'aurait bien interrogée sur <strong>le</strong>s raisons <strong>de</strong><br />

<strong>le</strong>ur départ pour la vigie mais el<strong>le</strong> craignait un peu <strong>de</strong> gêner Kisridge,<br />

manifestement très mal à l'aise à son égard.<br />

"Prenez gar<strong>de</strong> en avançant, <strong>le</strong>s avertit la permanente. Certains <strong>de</strong> mes<br />

camara<strong>de</strong>s sont en train <strong>de</strong> s'entraîner à la magie dans <strong>le</strong> camp. Ils sont<br />

contraints <strong>de</strong> <strong>le</strong> faire en p<strong>le</strong>in air.<br />

-De la magie? fit Sonia. Tous <strong>le</strong>s miliciens la pratiquent?<br />

-Non, rares sont ceux qui sont capab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> maîtriser la Parestina, la magie<br />

<strong>de</strong> combat. Je n'en fais pas partie."<br />

El<strong>le</strong>s passèrent justement <strong>de</strong>vant un groupe <strong>de</strong> soldats qui se<br />

tenaient en ligne droite, mains jointes par <strong>le</strong> bout <strong>de</strong>s doigts. Absorbés<br />

par une sorte <strong>de</strong> transe, ils avaient <strong>le</strong>s paupières fermement closes et ne<br />

bougeaient pas d'un centimètre.<br />

"Ooouh, fit Anaïs après <strong>le</strong>s avoir tous dévisagés. Ils ont l'air bien sérieux.<br />

-La Parestina nécessite beaucoup <strong>de</strong> concentration, <strong>de</strong> manière à<br />

minimiser <strong>de</strong>s erreurs qui pourraient être fata<strong>le</strong>s à l'utilisateur ou à son<br />

entourage.<br />

4


-Je vois ça…<br />

-C'est un art très diffici<strong>le</strong>, continua Kisridge. Ceux qui <strong>le</strong> maîtrisent sont<br />

<strong>de</strong>stinés à combattre en secon<strong>de</strong> ligne, protégés par <strong>le</strong>urs compagnons.<br />

C'est <strong>le</strong> seul moyen viab<strong>le</strong> que nous ayons <strong>de</strong> lutter contre la nécromancie<br />

av…<br />

-PRENEZ GARDE!!!!!!!"<br />

Anaïs sursauta et cria en même temps, surprise par cet appel<br />

désemparé. El<strong>le</strong> vit Sonia et Kisridge stopper <strong>le</strong>ur avancée, se tourner<br />

vers el<strong>le</strong> et blêmir presque en même temps. La permanente avait <strong>le</strong>s yeux<br />

presque exorbités.<br />

"Que s'est-il passé? dit Anaïs en se retournant el<strong>le</strong> aussi."<br />

<strong>Les</strong> miliciens qui pratiquaient la Parestina quelques secon<strong>de</strong>s plus<br />

tôt se ruèrent vers el<strong>le</strong>, affichant <strong>de</strong>s expressions stupéfaites. L'un d'entre<br />

eux bafouilla <strong>de</strong>s excuses.<br />

"Ca m'a échappé, je suis confus… Mais… comment avez-vous?<br />

-De quoi par<strong>le</strong>z-vous? s'étonna Anaïs qui ne comprenait rien à la situation.<br />

-La sphère enflammée a disparu au moment <strong>de</strong> frapper l'honorab<strong>le</strong> élue,<br />

chuchota l'un <strong>de</strong>s miliciens à un <strong>de</strong> ses comparses.<br />

-A-t-el<strong>le</strong> absorbé l'attaque? répondit l'autre, <strong>le</strong>s yeux écarquillés.<br />

-Possib<strong>le</strong>… Je ne vois pas d'autre explication!"<br />

Réalisant que l'attention <strong>de</strong> tous était focalisée sur son poignet droit,<br />

Anaïs crut bon d'en faire <strong>de</strong> même. El<strong>le</strong> constata avec stupeur qu'une<br />

grosse bou<strong>le</strong> <strong>de</strong> feu auréolée d'une aura blanche lévitait en face <strong>de</strong> la<br />

paume <strong>de</strong> sa main.<br />

"HA! s'écria-t-el<strong>le</strong>, produisant un brusque mouvement qui fit recu<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s<br />

autres.<br />

-Honorab<strong>le</strong> Anaïs? dit Kisridge, sidérée. Est-ce là votre pouvoir?<br />

-Euh… oui, répondit Anaïs en comprenant soudain ce qui venait <strong>de</strong> se<br />

passer."<br />

La larme <strong>de</strong> Nace brillait à son poignet. De toute évi<strong>de</strong>nce el<strong>le</strong> avait,<br />

sans <strong>le</strong> savoir, utilisé son don contre la magie qui avait menacé <strong>de</strong> la<br />

frapper acci<strong>de</strong>ntel<strong>le</strong>ment.<br />

"Désolée, ça arrive parfois, s'excusa-t-el<strong>le</strong>. Je ne contrô<strong>le</strong> pas encore très<br />

bien mon don.<br />

-Débarrasse nous <strong>de</strong> ça, siffla Sonia, peu rassurée par son contrô<strong>le</strong><br />

approximatif <strong>de</strong> la bou<strong>le</strong> <strong>de</strong> feu.<br />

-Bonne idée!"<br />

Anaïs <strong>le</strong>va <strong>le</strong> bras pour mettre cette magie indésirab<strong>le</strong> au niveau <strong>de</strong><br />

son regard, observa <strong>le</strong>s environs en recherche d'un moyen <strong>de</strong> s'en libérer<br />

4


sans créer <strong>de</strong> dégâts, puis finit par la lancer vers <strong>le</strong> ciel. La bou<strong>le</strong> <strong>de</strong> feu<br />

monta à hauteur <strong>de</strong>s appartements d'Omar et disparut dans une<br />

déflagration orangée. La température augmenta très brièvement.<br />

"Excusez-moi encore, dit Anaïs en entraînant hâtivement Kisridge et Sonia<br />

vers la vigie.<br />

-Ne t'excuse pas! Sans ton don tu serais sans doute morte, protesta<br />

Sonia.<br />

-Oui mais même."<br />

El<strong>le</strong> ne ra<strong>le</strong>ntit que lorsqu'une distance convenab<strong>le</strong> <strong>le</strong>s eut séparé du<br />

groupe <strong>de</strong> magiciens. Leurs regards insistants l'avaient mis mal à l'aise.<br />

Passer pour un phénomène <strong>de</strong> foire n'était pas dans ses projets.<br />

"Mes compagnons sont admiratifs, justifia Kisridge au moment où el<strong>le</strong>s<br />

arrivaient au bas d'un escalier qui longeait l'une <strong>de</strong>s faça<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />

Falgarnost. Il ne faut pas mal interpréter <strong>le</strong>ur considération pour vous.<br />

Vous ne réalisez sans doute pas l'espoir que vous représentez pour eux…<br />

pour nous, ajouta-t-el<strong>le</strong> après une pause."<br />

Anaïs hocha la tête, afin <strong>de</strong> montrer qu'el<strong>le</strong> comprenait. Ce qui<br />

l'avait amusée jusque là prenait désormais une tournure un peu<br />

effrayante. Le prestige était en fait assorti <strong>de</strong> responsabilités non<br />

négligeab<strong>le</strong>s.<br />

"La montée est rapi<strong>de</strong> mais <strong>le</strong>s marches sont irrégulières, prévint Kisridge.<br />

Le Maestor vous attend là haut. Je ne peux vous accompagner.<br />

-Ah? Et bien merci Kisridge. Nous rejoignons Omar, dit Sonia.<br />

-Je vous attendrai ici, assura la permanente."<br />

Sonia et Anaïs entamèrent l'ascension <strong>de</strong> l'escalier creusé dans <strong>le</strong>s<br />

remparts rouges <strong>de</strong> Falgarnost. <strong>Les</strong> règ<strong>le</strong>s élémentaires <strong>de</strong> sécurité<br />

avaient probab<strong>le</strong>ment été ignorées lors <strong>de</strong> sa construction, ce qui incita<br />

Anaïs à la pru<strong>de</strong>nce. El<strong>le</strong> prit bien gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> laisser sa main sur <strong>le</strong> mur<br />

situé à sa droite, afin d'utiliser <strong>le</strong>s aspérités comme soutien. Après tout, il<br />

n'y avait pas <strong>de</strong> main courante ou <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>-corps pour l'empêcher <strong>de</strong><br />

tomber. Sa maladresse légendaire pourrait lui être mortel<strong>le</strong> dans un tel<br />

contexte.<br />

"Bien dormi? <strong>le</strong>ur lança Omar lorsqu'el<strong>le</strong>s furent parvenues au sommet."<br />

L'Ancien était posté au milieu d'un chemin étroit qui parcourait <strong>le</strong>s<br />

remparts <strong>de</strong> Falgarnost, une longue vue à la main. <strong>Les</strong> élus étaient déjà<br />

présents sur place, ainsi qu'un milicien dont c'était sans doute <strong>le</strong> poste<br />

habituel.<br />

"Vous avez mis du temps, râla Shui-Khan, d'une humeur massacrante."<br />

4


Omar aida Sonia et Anaïs à rejoindre <strong>le</strong> passage étroit qui faisait <strong>le</strong><br />

tour <strong>de</strong>s sommets <strong>de</strong>s Falgarnost. De là, la vue était étourdissante.<br />

L'intérieur du camp ressemblait à un château fort miniature et <strong>le</strong>s<br />

miliciens qui s'y entraînaient n'étaient que <strong>de</strong> petites masses argentées et<br />

informes.<br />

"Il ne faut pas avoir <strong>le</strong> vertige, dit Rick.<br />

-Dommage… c'est un peu mon cas, indiqua Anaïs.<br />

-Donne moi la main Anaïs. Ca te rassurera, proposa Ibtissam avec<br />

galanterie."<br />

Anaïs lui broya <strong>le</strong>s mains mais il ne broncha pas.<br />

"Tu peux me donner la main si tu veux Shui, proposa Jamie en riant.<br />

-Va mourir bou<strong>le</strong>t…<br />

-Omar, que sommes nous venus voir? l'interrogea Sonia. J'imagine qu'il<br />

ne s'agit pas du so<strong>le</strong>il <strong>le</strong>vant et <strong>de</strong> ces magnifiques espaces verts, bien<br />

que la vue soit magnifique.<br />

-Hélas non chère amie, répondit Omar en lui tendant une longue vue.<br />

Veuil<strong>le</strong>z regar<strong>de</strong>r dans cette direction. Oui, vers <strong>le</strong> Sud, au niveau <strong>de</strong> ce<br />

cours d'eau, <strong>le</strong> Ka<strong>de</strong>ïsi."<br />

Sonia porta la longue vue à son œil droit tandis qu'Anaïs observait<br />

rapi<strong>de</strong>ment <strong>le</strong> paysage vallonné qui entourait Falgarnost. Seul <strong>le</strong> cours<br />

d'eau que regardait Sonia, fine ligne opaline au milieu d'un désert vert,<br />

rompait la monotonie du décor. A l'opposé, beaucoup plus loin, on voyait<br />

<strong>le</strong> sommet <strong>de</strong> Springan. Plus vers l'Est, <strong>le</strong> sommet enneigé <strong>de</strong> ce qui<br />

<strong>de</strong>vait être <strong>le</strong> massif du Kard. "Est-ce que Arthur s'en sort?" se <strong>de</strong>mandat-el<strong>le</strong>.<br />

"Que dois-je regar<strong>de</strong>r? <strong>de</strong>manda Sonia sans quitter la longue vue. Je vois<br />

un petit bâtiment rond duquel sortent <strong>de</strong>s miliciens, à côté du cours d'eau.<br />

-C'est l'Avant Poste <strong>de</strong> Ka<strong>de</strong>ïsi, expliqua Omar. Nous y étions il y a<br />

quelques jours. Regar<strong>de</strong>z un peu au-<strong>de</strong>là.<br />

-Tiens Anaïs, fit Rick en lui tendant une autre longue vue. Moi j'ai déjà<br />

regardé."<br />

Anaïs <strong>le</strong> remercia et prit l'objet pour observer <strong>le</strong> même point que<br />

Sonia. Au début el<strong>le</strong> se perdit un peu dans <strong>le</strong> paysage, ne voyant que <strong>de</strong>s<br />

étendues d'herbe. Puis el<strong>le</strong> finit par repérer <strong>le</strong> cours du Ka<strong>de</strong>ïsi qu'el<strong>le</strong><br />

suivit jusqu'à l'Avant Poste <strong>de</strong> la Milice. Jusque là, rien ne paraissait<br />

anormal. Toutefois, el<strong>le</strong> fit comme Sonia et projeta son regard plus loin,<br />

vers un grand espace rocail<strong>le</strong>ux sur <strong>le</strong>quel était installé une tente grise.<br />

Un bivouac?<br />

"Continuez à regar<strong>de</strong>r, incita Omar."<br />

4


A sa gran<strong>de</strong> surprise, Anaïs vit une <strong>de</strong>uxième tente, puis une<br />

troisième, puis toute une rangée. Non, il y avait en fait plusieurs rangées<br />

<strong>de</strong> tentes. Au moins cinq rangées composées <strong>de</strong> sept ou huit tentes<br />

grises. Il y avait <strong>de</strong>ux hommes en armure qui circulaient <strong>de</strong> l'une à l'autre,<br />

semblant passer un message à <strong>le</strong>urs occupants. C'était étrange.<br />

"Qui est cette dame près <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> tente? <strong>de</strong>manda Sonia. La bel<strong>le</strong><br />

femme habillée en b<strong>le</strong>u?"<br />

Anaïs chercha du regard jusqu'à voir une gran<strong>de</strong> tente rouge <strong>de</strong>vant<br />

laquel<strong>le</strong> était effectivement assise une très bel<strong>le</strong> femme. El<strong>le</strong> était installée<br />

sur un petit tabouret en bois, <strong>le</strong>s jambes croisées. Deux hommes qui se<br />

tenaient <strong>de</strong> dos la cachaient en partie.<br />

"Il s'agit d'Irène, <strong>le</strong> bras droit du Régent Hermès. Une vi<strong>le</strong> sorcière au<br />

sourire enchanteur et aux pratiques condamnab<strong>le</strong>s. Ne vous fiez pas à son<br />

apparence, sa simp<strong>le</strong> présence est <strong>de</strong> mauvais augure. M'est avis qu'el<strong>le</strong><br />

vient vérifier que l'Orbe <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an se dirige bel et bien vers Ca<strong>de</strong>ro.<br />

-Ce campement… Il s'agit donc <strong>de</strong>s hommes qui sont chargés <strong>de</strong> ramener<br />

l'Orbe, comprit Sonia.<br />

-Ceux-là même que nous <strong>de</strong>vons empêcher d'arriver à Ca<strong>de</strong>ro, précisa<br />

Rick. On a raté notre coup à l'auberge la <strong>de</strong>rnière fois mais <strong>le</strong> fait que<br />

cette femme soit là montre qu'il se passe quelque chose.<br />

-A moins que ce ne soit encore un <strong>le</strong>urre, dit Shui-Khan."<br />

Irène discutait avec <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux hommes qui se tenaient <strong>de</strong> dos, aussi<br />

souriante qu'une femme bourgeoise prise dans une conversation<br />

mondaine du plus haut intérêt. La voir dans ce bivouac, au milieu <strong>de</strong><br />

soldats, était déconcertant.<br />

"Peut-être un nouveau <strong>le</strong>urre, oui, reconnut Omar. Toutefois nous ne<br />

pouvons pas prendre <strong>de</strong> risques. Si ces hommes entrent dans la Forêt<br />

De<strong>le</strong>st, nous pourrons nous considérer comme faits! Ce sont <strong>le</strong>s terres du<br />

Régent.<br />

-Quel<strong>le</strong> est la mission? <strong>de</strong>manda Jamie en faisant craquer <strong>le</strong>s articulations<br />

<strong>de</strong> ses mains.<br />

-Nous allons mettre au point une tentative d'infiltration dans ce<br />

campement pour <strong>de</strong>main à la nuit tombée. Notre seu<strong>le</strong> mission sera <strong>de</strong><br />

récupérer l'Orbe si el<strong>le</strong> s'y trouve, puis <strong>de</strong> battre en retraite. <strong>Les</strong> effectifs<br />

seront donc très limités."<br />

Anaïs continuait à observer la scène à la longue vue, intriguée par<br />

cette femme envoûtante. Que n'aurait-el<strong>le</strong> pas donné pour pouvoir lire sur<br />

ses lèvres.<br />

"Atten<strong>de</strong>z…"<br />

4


Un léger troub<strong>le</strong> s'empara d'Anaïs alors que son attention se portait<br />

sur <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux hommes <strong>de</strong> dos, ceux avec <strong>le</strong>squels Irène s'entretenait. Ils<br />

portaient tous <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>s tuniques vertes, sans rapport avec <strong>le</strong>s armures<br />

<strong>de</strong>s autres soldats. Bizarrement, <strong>le</strong>ur silhouette était familière.<br />

"Qu'est-ce qu'il y a Anaïs? <strong>de</strong>manda Ibtissam."<br />

Anaïs continua <strong>de</strong> scruter <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux hommes, jusqu'au moment où<br />

Irène se <strong>le</strong>va fina<strong>le</strong>ment et fit mine <strong>de</strong> vouloir rentrer dans la tente. <strong>Les</strong><br />

<strong>de</strong>ux individus tournèrent alors <strong>le</strong>s talons et Anaïs vit clairement <strong>le</strong>urs<br />

visages. El<strong>le</strong> se tétanisa.<br />

"Pas eux!<br />

-Anaïs"<br />

Sous <strong>le</strong> choc, el<strong>le</strong> laissa tomber la longue-vue. El<strong>le</strong> n'avait pas<br />

imaginé <strong>le</strong>s recroiser si tôt. El<strong>le</strong> n'avait surtout pas réalisé la peur qu'ils lui<br />

inspiraient, surtout lui.<br />

"Qu'est-ce que tu as vu Anaïs? lui <strong>de</strong>manda Sonia en s'approchant. Tu es<br />

pâ<strong>le</strong> comme un linge.<br />

-C'est… Victorio Benedict et Z… Zahran Sun, bégaya-t-el<strong>le</strong>. Ils sont là-bas,<br />

<strong>le</strong>s membres <strong>de</strong> la Confrérie que l'on a rencontrés sur l'Î<strong>le</strong> <strong>de</strong> Silhouette."<br />

4


Chapitre 28 : <strong>Les</strong> chroniques du Déséquilibre<br />

"Vous pensez qu'il est raisonnab<strong>le</strong> <strong>de</strong> s'arrêter ici? s'inquiéta Sally. On n'a<br />

peut-être pas mis suffisamment <strong>de</strong> distance entre <strong>le</strong>s Azulnot et nous."<br />

Arthur observa l'arc d'abres auprès duquel ils avaient décidé <strong>de</strong><br />

passer la nuit. Hormis cette rare végétation, <strong>le</strong> paysage était assez<br />

dégagé, ce qui lui permettait en principe <strong>de</strong> voir au loin. Cependant, la<br />

nuit était impénétrab<strong>le</strong> et il était diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> distinguer <strong>le</strong>s terres du ciel,<br />

sauf à s'ai<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s nombreuses étoi<strong>le</strong>s qui perlaient ce <strong>de</strong>rnier.<br />

"Il faut bien que l'on dorme, répondit-il fina<strong>le</strong>ment. Cette mauvaise<br />

rencontre et la longue marche qui a suivi nous ont épuisés."<br />

Elliott qui entretenait négligemment <strong>le</strong> feu à l'ai<strong>de</strong> d'un<br />

branchage hocha la tête en signe d'acquiescement. Néanmoins, Sally ne<br />

montra pas <strong>le</strong> moindre signe <strong>de</strong> satisfaction. Malgré ses membres<br />

éprouvés, el<strong>le</strong> refusait d'al<strong>le</strong>r sous sa couverture, au grand dam <strong>de</strong><br />

Rachel.<br />

"Calme toi donc Sally! rouspéta-t-el<strong>le</strong>. Tu n'es pas en état <strong>de</strong> nous jouer la<br />

mélodie du <strong>le</strong>a<strong>de</strong>r alors essaie <strong>de</strong> dormir. Arthur et Elliott vont assurer <strong>le</strong><br />

premier tour <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>.<br />

-Dis toi que <strong>le</strong>s gens d'Azulnot sont trop amochés pour pouvoir nous<br />

suivre, ajouta Arthur. Du moins pas avant un moment. Même si <strong>le</strong> Clan<br />

envoie d'autres personnes à nos trousses, j'imagine qu'il <strong>le</strong>ur faudra un<br />

peu <strong>de</strong> temps pour s'organiser.<br />

-Hmm, fit Sally d'un air dubitatif."<br />

La fatigue se lisait sur son visage. Leur combat avec Gertt l'avait<br />

laissée en piteux état, malgré <strong>le</strong>ur victoire.<br />

"Et <strong>de</strong> toute façon, où veux-tu donc que l'on ail<strong>le</strong> tant que Kaz ne sera pas<br />

revenu avec Pal-Pal? S'il ne <strong>le</strong> retrouve pas, nous aurons du mal à al<strong>le</strong>r<br />

vers <strong>le</strong> Col <strong>de</strong> Fordone.<br />

-Il a plutôt intérêt à ne pas revenir sans lui, dit Rachel avec une nuance<br />

d'appréhension. Je ne tiens pas à me perdre dans ces montagnes, même<br />

si je n'affectionne pas particulièrement ce mouton mutant.<br />

-Il <strong>le</strong> retrouvera, asssura Arthur. En attendant il faut rester ici.<br />

-Bon, bon... Je suis convaincue, admit Sally. Je vais me reposer. Cette<br />

journée était vraiment... et ce combat... Ca ne valait pas l'Adrame<strong>le</strong>ch <strong>de</strong><br />

l'an <strong>de</strong>rnier (Rachel ricana) mais c'était intense."<br />

Après avoir consenti à se coucher sur une toi<strong>le</strong> épaisse et à se<br />

glisser sous une fine couverture <strong>de</strong> laine, el<strong>le</strong> se tourna vers Arthur, <strong>le</strong>quel<br />

fouillait son sac à la recherche <strong>de</strong>s <strong>Chroniques</strong> <strong>de</strong> Sorgentel. Il<br />

s'interrompit.<br />

4


"Tout <strong>de</strong> même, je n'aime pas <strong>le</strong> fait qu'ils nous aient localisés aussi<br />

faci<strong>le</strong>ment alors que personne n'était au courant <strong>de</strong> notre expédition,<br />

déclara-t-el<strong>le</strong>. On <strong>de</strong>vrait rester sur nos gar<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>s fois que d'autres<br />

mercenaires essaient <strong>de</strong> nous barrer <strong>le</strong> passage. On <strong>de</strong>vrait aussi prévenir<br />

Sonia et <strong>le</strong>s autres, je m'inquiète pour eux.<br />

-Il n'y pas à s'inquiéter, répondit Arthur qui n'en pensait pas moins. Ils<br />

sont bien encadrés et beaucoup moins isolés. Et puis il y a Maître Omar<br />

avec eux.<br />

-C'est vrai..."<br />

Sally fronça <strong>le</strong>s sourcils. <strong>Les</strong> flammes <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur campement <strong>de</strong><br />

fortune, quelque peu agités par la petite brise qui régnait sur <strong>le</strong>s Plaines<br />

du Yérim, se reflétaient en un rougeoiement fugace dans son regard.<br />

"Je dois reconnaître que tu es <strong>de</strong>venu très fort Arthur. Tu m'as<br />

impressionné aujourd'hui.<br />

-Vraiment? Je <strong>le</strong> dois en gran<strong>de</strong> partie à ton entraînement sévère, dit-il<br />

avec gêne.<br />

-Non, tu as aussi progressé par tes propres moyens. J'en suis contente.<br />

-Il n'a aucun mérite, c'est une élite, intervint Rachel en se glissant à son<br />

tour sous sa couverture.<br />

-Toi alors, soupira Arthur."<br />

Rachel émit un petit rire, peut-être pour montrer qu'el<strong>le</strong> n'avait pas<br />

voulu faire preuve <strong>de</strong> méchanceté. Sans doute s'agissait-il simp<strong>le</strong>ment<br />

d'une jalousie mal contenue.<br />

"En revanche, je ne comprends par comment tu as réussi à être touchée<br />

par ce gros lard, continua Rachel en nouant ses cheveux à l'ai<strong>de</strong> d'un<br />

élastique. Même <strong>le</strong> fameux Adrame<strong>le</strong>ch <strong>de</strong> l'an <strong>de</strong>rnier arrivait à peine à te<br />

frô<strong>le</strong>r.<br />

-Oh, ça va, râla Sally.<br />

-Avec ta précognition tu <strong>de</strong>vrais pouvoir valser entre <strong>le</strong>s coups, dit Rachel,<br />

surtout contre quelqu'un d'aussi malhabi<strong>le</strong> que ce type. Que s'est-il<br />

passé?"<br />

Arthur s'était lui aussi posé la question, même s'il pensait déjà en<br />

connaître la réponse. Soudain, Rachel esquissa un sourire digne d'Ana<br />

Rosa, comme si el<strong>le</strong> venait d'avoir une illumination.<br />

"Hooooo, je vois, s'exclama-t-el<strong>le</strong> en se tournant vers Arthur.<br />

-Quoi?<br />

-Il s'agit d'accords réciproques!<br />

-Vas-tu te taire et dormir? fit Sally, <strong>de</strong> plus en plus mal à l'aise. Personne<br />

ne comprend <strong>de</strong> quoi tu par<strong>le</strong>s.<br />

-Si si si, répliqua Rachel avant <strong>de</strong> se redresser vivement. C'est clair<br />

comme <strong>de</strong> l'eau <strong>de</strong> roche. Toi (el<strong>le</strong> désigna Arthur), tu protèges la petite<br />

amie <strong>de</strong> ton ami qui protège ta petite amie en <strong>de</strong>venir, et toi (el<strong>le</strong> désigna<br />

4


Sally) en contrepartie tu protèges <strong>le</strong> nouveau meil<strong>le</strong>ur ami <strong>de</strong> ton petit<br />

ami.<br />

-C'est ridicu<strong>le</strong>, s'égosilla Sally tandis qu'Arthur tentait <strong>de</strong> visualiser ce<br />

schéma comp<strong>le</strong>xe à grand renfort d'images et <strong>de</strong> flèches fictives.<br />

-Dans ce cas pourquoi es-tu si gênée?<br />

-Jamie n'est plus mon petit ami! Je veux dire que... en plus Arthur est<br />

éga<strong>le</strong>ment mon ami! Je n'ai pas besoin <strong>de</strong> raison pour <strong>le</strong> protéger!<br />

-HA HA, tu l'as donc bien protégé!<br />

-Fiche lui donc la paix, intervint Arthur. Et je n'ai pas <strong>de</strong> petite amie en<br />

<strong>de</strong>v... mais <strong>de</strong> quoi tu te mê<strong>le</strong>s Ana Rachel! Euh...je veux dire, Rachel!<br />

Bon sang, je comprends pourquoi vous traînez toujours ensemb<strong>le</strong>. Et ne<br />

me protège pas Sally, je suis un grand garçon, fit-il en se tournant vers<br />

l'intéressée.<br />

-PARFAITEMENT, acquiesça Sally, avant <strong>de</strong> réaliser que sa réaction n'avait<br />

aucun sens."<br />

El<strong>le</strong> se retourna dans son couchage en grommelant un "Je suis KO,<br />

bonne nuit!" et ne se manifesta plus.<br />

"Ha ha, j'adore ce genre <strong>de</strong> situations, fit Rachel avant <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur tourner <strong>le</strong><br />

dos à son tour. Bonne nuit <strong>le</strong>s garçons.<br />

-Bonne nuit, marmonna Arthur.<br />

-Dormez bien, ajouta Elliott avec l'air détaché <strong>de</strong> quelqu'un qui n'avait pas<br />

suivi cette conversation."<br />

Arthur n'aimait pas du tout ce genre <strong>de</strong> situation, lui. Une fois<br />

assuré qu'Elliott avait <strong>le</strong> regard plongé dans ses flammes (avec un peu <strong>de</strong><br />

chance, il y plongerait tout court), il sortit <strong>le</strong>s <strong>Chroniques</strong> <strong>de</strong> Sorgentel <strong>de</strong><br />

son sac à dos, s'installa <strong>le</strong> plus confortab<strong>le</strong>ment possib<strong>le</strong> dans son<br />

couchage rugueux et espéra que Kaznaël reviendrait rapi<strong>de</strong>ment. Il avait<br />

voulu jouer <strong>le</strong> brave <strong>de</strong>vant ses compagnons en assurant qu'il attendrait <strong>le</strong><br />

Protecteur pour manger, mais cela faisait déjà un bon moment que l'autre<br />

était parti, peut-être bien une heure, et l'estomac d'Arthur commençait à<br />

crier famine. Heureusement, la <strong>le</strong>cture <strong>de</strong>s <strong>Chroniques</strong> allait lui permettre<br />

<strong>de</strong> penser à autre chose.<br />

Le livre à la reliure verte était lourd, malgré sa tail<strong>le</strong>. Il n'était pas<br />

beaucoup plus large qu'un livre <strong>de</strong> poche mais ses pages étaient fines et<br />

nombreuses, comme cel<strong>le</strong>s d'un dictionnaire.<br />

"Il me semb<strong>le</strong> que ce que je voulais lire se trouvait à la page cinquantesix,<br />

songea-t-il en feuil<strong>le</strong>tant rapi<strong>de</strong>ment <strong>le</strong>s pages <strong>de</strong> l'ouvrage."<br />

Soudain, alors qu'il était parvenu à la page désirée, <strong>le</strong> livre, animé<br />

par une volonté inconnue, se referma <strong>de</strong> son propre chef et se réouvrit à<br />

un tout autre chapitre. Arthur mit un moment à réagir, se <strong>de</strong>mandant si<br />

l'infâme Tom Jédusor n'allait pas subitement en jaillir.<br />

"Bon... Plus rien ne m'étonne à Sorgentel, soupira-t-il."<br />

4


Sans attirer l'attention d'Elliott, il tenta inlassab<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> forcer <strong>le</strong><br />

livre pour revenir à la page cinquante-six, en vain. <strong>Les</strong> <strong>Chroniques</strong> <strong>le</strong><br />

renvoyaient systématiquement au chapitre nommé "Le Déséquilibre", <strong>de</strong><br />

nombreuses pages plus loin. Au bout d'un moment, <strong>le</strong> livre alla même<br />

jusqu'à se bloquer entièrement, l'empêchant d'en tourner <strong>le</strong>s feuil<strong>le</strong>s.<br />

Samuel l'avait-il ensorcelé pour qu'Arthur ne puisse lire que ce passage?<br />

"La barbe soit <strong>de</strong>s bouquins magiques, souffla Arthur après s'être<br />

fina<strong>le</strong>ment résigné. Tu as gagné! Tu veux que je lise ça? Je vais lire ça!<br />

-Tu m'as parlé, Arthur? <strong>de</strong>manda Elliott.<br />

-Euh... non, désolé. Je lisais juste à voix haute."<br />

Il entreprit sa <strong>le</strong>cture du chapitre. <strong>Les</strong> caractères d'imprimerie<br />

étaient presque aussi soignés que ceux que l'on pouvait trouver dans <strong>le</strong>s<br />

livres du mon<strong>de</strong> contemporain.<br />

Le Déséquilibre<br />

"Laissons <strong>le</strong>s humains prendre <strong>le</strong>ur part <strong>de</strong> responsabilité pour une fois. Contrairement à<br />

Ky<strong>le</strong>an, nous ne <strong>de</strong>vrions pas <strong>le</strong>s infantiliser."<br />

Lorsque l'Equilibre fut rompu, Kaznaël <strong>le</strong> Protecteur, ayant senti que l'ordre naturel <strong>de</strong>s<br />

choses n'était plus, sortit <strong>de</strong> sa longue retraite et rallia Sorgentel. Le temps n'était sans doute<br />

plus à l'expiation <strong>de</strong> ce qu'il considérait comme un pêché.<br />

Il nous rejoignit immédiatement au Havre, juste à temps pour assister au conseil du Cénac<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an, récemment institué pour veil<strong>le</strong>r sur Springan et – en dépit <strong>de</strong> tout – sur l'Equilibre.<br />

L'arrivée du Protecteur déc<strong>le</strong>ncha une vague <strong>de</strong> surprise. Priam, <strong>de</strong>scendant direct <strong>de</strong><br />

Ky<strong>le</strong>an, souligna toutefois à quel point il était légitime pour Kaznaël <strong>de</strong> se trouver parmi<br />

nous. Ce à quoi <strong>le</strong> Protecteur répondit qu'il avait pour seu<strong>le</strong> intention <strong>de</strong> constater l'étendue<br />

<strong>de</strong>s dégâts. Je remarquai que ses paro<strong>le</strong>s étaient laborieuses, hésitantes. La solitu<strong>de</strong> lui avait<br />

fait perdre l'habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> converser.<br />

Il nous fut évi<strong>de</strong>mment impossib<strong>le</strong> <strong>de</strong> lui expliquer en détail <strong>le</strong>s raisons du Déséquilibre, étant<br />

nous même dans l'obscurité la plus tota<strong>le</strong>. Une seu<strong>le</strong> chose <strong>de</strong>meurait certaine : la curiosité<br />

malsaine, l'insatiab<strong>le</strong> soif <strong>de</strong> connaissance <strong>de</strong> Primo avait plongé <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s dans <strong>le</strong><br />

tourment. La responsabilité <strong>de</strong> cet homme nous paraissait confirmée par sa disparition lors<br />

<strong>de</strong> l'explosion.<br />

Notre opinion était unanime : Primo n'avait pas survécu à son impru<strong>de</strong>nce.<br />

Naturel<strong>le</strong>ment, personne n'osa remettre en cause la probité <strong>de</strong> Priam ou <strong>le</strong> lier <strong>de</strong> quelque<br />

manière que ce soit à ces évènements. Sa sagesse était <strong>de</strong> notoriété publique et nous savions<br />

pertinemment qu'il avait toujours fait en sorte <strong>de</strong> jugu<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s dérives <strong>de</strong> Primo. Tout au plus<br />

aurions nous pu lui reprocher d'avoir manqué <strong>de</strong> rigueur envers son frère ca<strong>de</strong>t.<br />

4


Arthur fut contraint d'interrompre sa <strong>le</strong>cture pour assimi<strong>le</strong>r correctement cette<br />

information terrifiante. Priam et Primo, <strong>le</strong> chef <strong>de</strong> la Confrérie, étaient FRERES? Ils étaient<br />

liés par <strong>le</strong> sang? Cela signifiait que Primo était l'onc<strong>le</strong> <strong>de</strong> Ronan et Roxana? Le beau-frère <strong>de</strong><br />

Risabel? Cela confirmait aussi que Primo était Sorgenteli?<br />

Il fallut du temps à Arthur pour se remettre <strong>de</strong> ce qu'il venait d'apprendre. Plusieurs<br />

bonnes minutes durant <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s il darda <strong>le</strong> vi<strong>de</strong> du regard, horrifié. Comment quelqu'un <strong>de</strong> la<br />

famil<strong>le</strong> <strong>de</strong> Priam aurait-il pu commettre <strong>de</strong> tels actes? Créer la Confrérie? Pire encore, être à<br />

l'origine du Déséquilibre, que ce soit <strong>de</strong> manière acci<strong>de</strong>ntel<strong>le</strong> ou volontaire? Qui plus est, il<br />

passait pour mort à Sorgentel. Priam ne savait donc pas que son frère vivait quelque part, sans<br />

doute dans <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> humain, et tirait <strong>le</strong>s ficel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> la Confrérie.<br />

"Je n'aurais jamais envisagé que Nils était encore vivant après tout..."<br />

Comment Primo pouvait-il se rendre sur Terre – s'il s'y trouvait effectivement – et<br />

<strong>de</strong>meurer en vie malgré la malédiction qui avait mis fin aux jours du chamane Gaetan? Mme<br />

Jones avait bien expliqué aux élus que si un Sorgenteli se rendait dans <strong>le</strong>ur mon<strong>de</strong>, il verrait<br />

son métabolisme évoluer dix fois plus vite que la moyenne, au mieux.<br />

"Horrib<strong>le</strong>..."<br />

<strong>Les</strong> pensées d'Arthur se mélangeaient complètement, tandis qu'il tirait <strong>le</strong>s<br />

conséquences <strong>de</strong> cette nouvel<strong>le</strong>. Il faudrait qu'il trouve un moyen d'avertir Priam <strong>le</strong> plus<br />

rapi<strong>de</strong>ment possib<strong>le</strong>.<br />

"Priam" et "Primo". Pourquoi personne n'y avait pensé?<br />

Priam nous fit cependant part <strong>de</strong> son amertume. Il avait prédit que <strong>le</strong> comportement<br />

inconsidéré <strong>de</strong> son frère <strong>le</strong> mènerait à sa perte mais jamais il n'avait envisagé que <strong>de</strong>s<br />

milliards d'âmes soient entrainées dans sa chute. Priam jura que sa famil<strong>le</strong> ne vivrait que<br />

pour réparer l'erreur <strong>de</strong> son frère.<br />

Une fois ces aspects évoqués, la véritab<strong>le</strong> question refit surface : que faire face à la perte<br />

progressive <strong>de</strong> pouvoir du monolithe sacré. Suite à la nouvel<strong>le</strong> déflagration déc<strong>le</strong>nchée par<br />

Primo au sein <strong>de</strong> Springan, la population humaine n'allait pas tar<strong>de</strong>r à subir <strong>le</strong>s<br />

répercussions du Déséquilibre. La population Sorgenteli suivrait irrémédiab<strong>le</strong>ment. Il fallait<br />

ajouter à cela la dispersion <strong>de</strong>s quatre éléments clés ici-bas, consécutive à l'explosion.<br />

Imprégnés du pouvoir du Springan, l'Epée Casca<strong>de</strong>, <strong>le</strong> Sceau Cosmique, <strong>le</strong> Miroir Millénaire<br />

et <strong>le</strong> Brace<strong>le</strong>t d'Ambre n'avaient laissé <strong>de</strong>rrière eux que <strong>de</strong>s résidus, à peine suffisants pour<br />

octroyer au monolithe <strong>de</strong>ux ou trois ans d'une précaire stabilité. Il n'y avait donc aucune<br />

alternative : nous <strong>de</strong>vions nous rendre ici-bas pour reprendre <strong>le</strong>s éléments clés et reconstituer<br />

<strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> Springan. Nous déc<strong>le</strong>ncherions ainsi un processus que l'Honorab<strong>le</strong> Aylin<br />

qualifia <strong>de</strong> Concrétisation. Il était fort probab<strong>le</strong> que cette Concrétisation ait pour seul effet <strong>de</strong><br />

prolonger l'Equilibre <strong>de</strong> quelques années mais nous étions prêts à nous contenter <strong>de</strong> cela, en<br />

attendant une solution plus durab<strong>le</strong>.<br />

C'est au moment où nous prenions cette résolution que Kaznaël laissa entrevoir <strong>le</strong>s véritab<strong>le</strong>s<br />

raisons <strong>de</strong> sa présence. Il avait, semb<strong>le</strong>-t-il, anticipé notre décision et déclara qu'il barrerait<br />

la route à tout groupe <strong>de</strong> Sorgenteli ayant dans l'idée <strong>de</strong> traverser <strong>le</strong> Passage pour se rendre<br />

ici-bas. Devant notre stupeur, il justifia son comportement par <strong>le</strong> serment qui <strong>le</strong> liait à<br />

Ky<strong>le</strong>an.<br />

Oui, nous avions conscience du risque que nous prenions en nous opposant à Kaznaël et<br />

indirectement à la volonté <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an. Néanmoins, <strong>le</strong>s circonstances étaient propres à<br />

s'écarter <strong>de</strong>s règ<strong>le</strong>s qui régissaient Sorgentel... quitte à s'exposer à la malédiction qui<br />

s'abattrait sur nous.<br />

4


Kaznaël réitéra son avertissement : il s'opposerait à une tel<strong>le</strong> entreprise, par la force si<br />

nécessaire. Il était hors <strong>de</strong> question <strong>de</strong> nous laisser sillonner <strong>le</strong>s territoires humains pendant<br />

une pério<strong>de</strong> que nul ne pouvait estimer.<br />

Le chamane Gaetan Leopold Osman Wallace, à l'érudition aussi insondab<strong>le</strong> que l'origine <strong>de</strong><br />

ses nombreux noms, prit alors la paro<strong>le</strong>, s'adressant plus spécifiquement au Protecteur. Il<br />

faut préciser qu'il était présent sur notre invitation, afin <strong>de</strong> nous faire bénéficier <strong>de</strong> ses<br />

lumières.<br />

Gaetan (faisons oeuvre <strong>de</strong> brièveté) proposa un compromis : "Laissons <strong>le</strong>s humains prendre<br />

<strong>le</strong>ur part <strong>de</strong> responsabilité pour une fois. Contrairement à Ky<strong>le</strong>an, nous ne <strong>de</strong>vrions pas <strong>le</strong>s<br />

infantiliser."<br />

Nul ne comprit tout <strong>de</strong> suite <strong>le</strong> sens <strong>de</strong> ces paro<strong>le</strong>s énigmatiques et <strong>le</strong> chamane précisa <strong>le</strong> fond<br />

<strong>de</strong> sa pensée. Il s'agissait tout simp<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> laisser <strong>le</strong>s humains retrouver eux-mêmes <strong>le</strong>s<br />

éléments clés afin <strong>de</strong> nous <strong>le</strong>s rendre, pour <strong>le</strong> plus grand bien <strong>de</strong> tous.<br />

Cette idée nous fit évi<strong>de</strong>mment beaucoup rire, malgré la situation. En <strong>de</strong>hors du risque que<br />

cela entraînait – <strong>le</strong>s humains pourraient faire un mauvais usage <strong>de</strong>s éléments clés – il était<br />

inconcevab<strong>le</strong> qu'ils aient <strong>le</strong>s capacités nécessaires pour percer à jour <strong>le</strong>s lieux où reposaient<br />

<strong>le</strong>s objets sacrés. Peut-être disposaient-ils <strong>de</strong> sciences plus avancées que <strong>le</strong>s nôtres? Cela ne<br />

suffirait pourtant pas à contourner <strong>le</strong>s obstac<strong>le</strong>s dont s'étaient entourés <strong>le</strong>s quatre éléments.<br />

Gaetan ne se démonta pas. Il avait déjà médité. Pour lui la solution était simp<strong>le</strong> : choisir un<br />

certain nombre d'humains et <strong>le</strong>ur faire don <strong>de</strong> capacités à même <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur permettre en premier<br />

lieu <strong>de</strong> rassemb<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s éléments clés, en second lieu <strong>de</strong> <strong>le</strong>s ramener à Sorgentel. Ce projet<br />

m'apparut assez excentrique mais il attisa ma curiosité. Mes pairs furent éga<strong>le</strong>ment intrigués.<br />

S'agissait-il là d'un projet viab<strong>le</strong>? Priam <strong>le</strong> pensait. Tel n'était pas <strong>le</strong> cas <strong>de</strong> Kaznaël. A ses<br />

yeux, faire venir <strong>de</strong>s humains à Sorgentel n'était pas plus valab<strong>le</strong> que notre première idée. En<br />

outre, son serment s'appliquait à toute traversée du Passage, quel qu'en soit <strong>le</strong> sens.<br />

"Ton serment n'aura plus lieu d'être si tu nous ne laisses pas une certaine amplitu<strong>de</strong>". Voilà<br />

ce que lui répliqua calmement Gaetan. A quoi bon protéger une route à laquel<strong>le</strong> personne n'a<br />

accès, une fois <strong>le</strong>s humains et <strong>le</strong>s Sorgenteli tombés? Un serment dénué <strong>de</strong> sens, voilà ce que<br />

<strong>de</strong>viendrait l'engagement <strong>de</strong> Kaznaël envers Ky<strong>le</strong>an. Une tel<strong>le</strong> obstination n'était valab<strong>le</strong> que<br />

si el<strong>le</strong> était mue par un objectif digne <strong>de</strong> ce nom.<br />

Je ne fais que résumer <strong>le</strong> long discours du chamane à Kaznaël <strong>le</strong> Protecteur mais son effet fut<br />

immédiat. Kaznaël se tut et acquiesça d'un signe <strong>de</strong> tête. Gaetan lui assura que <strong>le</strong>s humains<br />

choisis pour accomplir cette mission n'accè<strong>de</strong>raient à Sorgentel que <strong>le</strong> temps nécessaire,<br />

qu'ils n'y <strong>de</strong>meureraient pas. Par ail<strong>le</strong>urs, Gaetan se porta volontaire pour se rendre ici-bas,<br />

seul. Il avertirait <strong>le</strong>s humains concernés <strong>de</strong> la mission qui <strong>le</strong>ur était confiée. Il comptait<br />

utiliser <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong>s chamanes pour choisir <strong>de</strong>s jeunes individus au caractère bien trempé,<br />

formant un groupe dont la cohésion serait assurée par quatre d'entre eux. Ce quatuor se<br />

verrait offrir <strong>de</strong>s capacités extraordinaires, dans l'éventualité où <strong>de</strong>s forces mal intentionnées<br />

– humaines ou Sorgenteli – tenteraient <strong>de</strong> profiter <strong>de</strong> la situation. Il envisageait ainsi<br />

l'émergence d'ennemis du Havre...<br />

Aylin ne comprit pas pourquoi il fallait doter quatre d'entre eux <strong>de</strong> capacités supérieures à<br />

cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s autres, Lacroy non plus. Pourquoi ne pas tous <strong>le</strong>ur donner <strong>de</strong>s pouvoirs égaux? Le<br />

chamane expliqua qu'il entendait lier spirituel<strong>le</strong>ment ces quatre individus aux éléments clés<br />

4


afin qu'ils puissent servir <strong>de</strong> relais au groupe. Nous ne comprimes pas vraiment ce qu'il<br />

entendait par là mais personne n'osa poser davantage <strong>de</strong> questions. Nous étions déjà<br />

interpellés par <strong>le</strong>s ambitions <strong>de</strong> Gaetan. Possédait-il vraiment <strong>de</strong> tels pouvoirs? Allait-il faire<br />

appel aux pouvoirs <strong>de</strong> ses pairs? Il avait beau être <strong>le</strong> chamane <strong>le</strong> plus puissant <strong>de</strong> tout<br />

Sorgentel, tout ceci paraissait invraisemblab<strong>le</strong>.<br />

Tandis que nous nous posions ces questions, Kaznaël nous fit signe qu'il allait se retirer, non<br />

sans rappe<strong>le</strong>r qu'il n'accor<strong>de</strong>rait <strong>de</strong> droit <strong>de</strong> passage qu'à ces humains et au chamane<br />

Gaetan.<br />

Notre séance n'était pas close pour autant. Il nous restait à abor<strong>de</strong>r la question <strong>de</strong>s capacités<br />

à offrir à ces individus humains. Notre plus gran<strong>de</strong> crainte résidait dans <strong>le</strong> mauvais usage<br />

qu'ils pourraient faire <strong>de</strong> si grands pouvoirs . Le Cénac<strong>le</strong> <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an n'aurait pas valu mieux<br />

que Primo si par son intervention il déc<strong>le</strong>nchait <strong>de</strong> nouveaux motifs <strong>de</strong> conflit ici-bas.<br />

Heureusement, Gaetan avait, comme toujours, déjà réfléchi à la question. Si <strong>le</strong> fameux<br />

quatuor avait pour mission d'assurer la cohésion du groupe et <strong>de</strong> protéger la Concrétisation<br />

contre d'éventuels ennemis, <strong>de</strong>s légataires seraient éga<strong>le</strong>ment désignés. Au nombre <strong>de</strong> quatre,<br />

ils seraient investis d'une mission d'encadrement du quatuor et <strong>de</strong> l'ensemb<strong>le</strong> du groupe,<br />

mission qu'ils effectueraient grâce à la sagesse qui <strong>le</strong>ur serait transmise par <strong>le</strong>s chamanes.<br />

La sagesse <strong>de</strong> Gaetan Leopold Osman Wallace ne connaissait-el<strong>le</strong> donc aucune limite? Je me<br />

posai intérieurement cette question et <strong>le</strong> chamane se tourna soudain vers moi avec un grand<br />

sourire pour me répondre "Non".<br />

Il se <strong>le</strong>va fina<strong>le</strong>ment, prêt à prendre congé du Cénac<strong>le</strong>, et déclara ceci : "Je ferai en sorte <strong>de</strong><br />

désigner quatre légataires aptes à protéger et gui<strong>de</strong>r <strong>le</strong>s "élus". Cependant, rien <strong>de</strong> ce que je<br />

ferai ne pourra s'opposer à la volonté immortel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an et Leryan."<br />

Encore une fois, nul ne comprit ses propos mais <strong>le</strong> chamane refusa d'en dire plus.<br />

Ky<strong>le</strong>an et Leryan. "Encore ces <strong>de</strong>ux là", songea Arthur, pressé <strong>de</strong><br />

continuer sa <strong>le</strong>cture. Le peu <strong>de</strong> clarté que lui fournissait <strong>le</strong> feu <strong>de</strong> camp<br />

usait ses yeux mais il ne pouvait pas s'arrêter là. Samuel lui avait expédié<br />

<strong>le</strong>s <strong>Chroniques</strong> pour qu'il apprenne quelque chose d'essentiel. C'était déjà<br />

<strong>le</strong> cas concernant Primo mais il <strong>de</strong>vait, non, il voulait continuer.<br />

"Ton livre est intéressant? <strong>de</strong>manda Elliott.<br />

-Moui, très instructif, répondit Arthur sans même <strong>le</strong> regar<strong>de</strong>r.<br />

-Je suis désolé vieux mais tu vas <strong>de</strong>voir t'arrêter pour <strong>le</strong> moment. Kaznaël<br />

est en train <strong>de</strong> revenir."<br />

Arthur ferma machina<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> livre pour <strong>le</strong>ver <strong>le</strong>s yeux. On pouvait<br />

effectivement distinguer malgré la pénombre la silhouette <strong>de</strong> Kaznaël<br />

approcher <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur campement <strong>de</strong> fortune, <strong>de</strong>rrière la ligne d'arbres. De<br />

prime abord, Arthur se réjouit <strong>de</strong> voir qu'il était suivi d'une créature à<br />

quatre pattes qui était indéniab<strong>le</strong>ment Pal-Pal. Puis, après que son regard<br />

se fût accoutumé à l'obscurité, il fut surpris <strong>de</strong> constater qu'une personne<br />

4


était montée sur <strong>le</strong> palton. Rachel et Sally – qui avaient feint <strong>de</strong> dormir<br />

jusque là – se redressèrent à cet instant.<br />

"Mais... c'est Roxana, s'exclama Rachel. Que fait-el<strong>le</strong> ici?"<br />

Tout aussi surpris qu'el<strong>le</strong>, Arthur ne lui fournit pas <strong>de</strong> réponse,<br />

attendant que <strong>le</strong> Protecteur s'en charge. Roxana était effectivement<br />

l'accompagnatrice <strong>de</strong> Kaznaël, emmitoufflée dans un épais manteau blanc<br />

à capuche. A vrai dire, c'était surtout sa longue chevelure blanche qui<br />

avait permis aux élus <strong>de</strong> l'i<strong>de</strong>ntifier.<br />

"Roxana? Kaz? Que faites-vous ensemb<strong>le</strong>? <strong>de</strong>manda Arthur lorsque <strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux arrivants furent enfin à portée <strong>de</strong> voix."<br />

Roxana <strong>de</strong>scendit du palton d'un bond, lui caressa l'encolure, puis se<br />

posta à côté <strong>de</strong> Kaznaël, visib<strong>le</strong>ment gênée. Comme ce <strong>de</strong>rnier ne<br />

paraissait pas disposé à expliquer la situation, el<strong>le</strong> prit la paro<strong>le</strong> d'une voix<br />

presque effarouchée :<br />

"Pal-Pal est revenu tout seul à Althiès un peu avant la tombée <strong>de</strong> la nuit et<br />

j'ai craint pour vos vies. C'est pour cela que je lui ai <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> me<br />

ramener à l'endroit où vous vous étiez séparés <strong>de</strong> lui. Nous avons fini par<br />

rencontrer Kaznaël qui était à sa recherche et je l'ai prié <strong>de</strong> bien vouloir<br />

m'autoriser à venir vous voir.<br />

-J'ai accepté, dit Kaznaël <strong>le</strong> plus naturel<strong>le</strong>ment du mon<strong>de</strong>."<br />

Cette explication ne satisfit pas vraiment Arthur mais il ne dit rien,<br />

pensant <strong>de</strong>viner <strong>le</strong>s projets <strong>de</strong> Roxana. Le regard fuyant <strong>de</strong> la jeune fil<strong>le</strong><br />

était presque aussi lisib<strong>le</strong> que <strong>le</strong>s pages <strong>de</strong>s <strong>Chroniques</strong> <strong>de</strong> Sorgentel.<br />

"Merci <strong>de</strong> t'être inquiétée pour nous Roxana mais tu ne <strong>de</strong>vrais pas être<br />

là, dit doucement Sally. C'est très dangereux et je suis presque certaine<br />

que ta mère ne sait pas que tu nous as rejoints. Nous allons utiliser un<br />

Echo pour <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à Asuka <strong>de</strong> te ramener."<br />

Ce faisant, el<strong>le</strong> jeta un regard accusateur à Kaznaël, l'air <strong>de</strong> dire<br />

"Qu'est-ce qui t'est passé par la tête?".<br />

"Non Sally, j'aimerais rester avec vous un peu plus longtemps."<br />

Un long si<strong>le</strong>nce empreint <strong>de</strong> surprise saisit aussitôt <strong>le</strong>s élus. Etait-ce<br />

bien Roxana qui venait <strong>de</strong> refuser tout net <strong>de</strong> repartir? De mémoire <strong>de</strong><br />

vivant, on n'avait sans doute jamais entendu Roxana refuser quelque<br />

chose à qui que ce soit.<br />

"Euh..., j... je voulais dire s'il vous plaît, bégaya-t-el<strong>le</strong>.<br />

-Si j'ai bien compris... tu veux rester avec nous? fit Sally d'un air<br />

stupéfait.<br />

4


-Oui, j'aimerais me rendre uti<strong>le</strong>! Le fait que Pal-Pal soit revenu vers moi et<br />

que je vous ai retrouvés est un signe, d'autant plus que j'espérais faire<br />

route avec vous <strong>de</strong>puis <strong>le</strong> début! Regar<strong>de</strong>z, je me suis même équipée (el<strong>le</strong><br />

montra son gros manteau et ses épaisses bottes).<br />

-Hum, tu réalises qu'il ne s'agit pas d'une promena<strong>de</strong>? intervint Rachel,<br />

avec autant <strong>de</strong> diplomatie que possib<strong>le</strong> compte tenu <strong>de</strong> son caractère.<br />

Demain nous allons nous rapprocher du Massif <strong>de</strong> Kard et <strong>le</strong> traverser.<br />

-Sans compter que nous risquons d'être attaqués... encore, ajouta Arthur.<br />

Ce n'est vraiment pas raisonnab<strong>le</strong>."<br />

Kaznaël partit s'asseoir en tail<strong>le</strong>ur auprès du feu, sans piper mot.<br />

"Je ne compte pas vous entraver, juste faire un peu <strong>de</strong> chemin avec vous,<br />

dit Roxana d'une voix presque implorante. Ce territoire vous est<br />

complètement inconnu alors que je l'ai souvent exploré avec Ronan –<br />

même si je reconnais ne jamais être allée plus loin que <strong>le</strong> pied <strong>de</strong>s<br />

montagnes – alors ma présence pourrait vous ai<strong>de</strong>r à avancer plus vite!<br />

-Mais..., commença Sally.<br />

-Si vous refusez <strong>de</strong> m'amener, je... je... JE DIRAI A PAL-PAL D'ETRE<br />

MECHANT AVEC VOUS!"<br />

Arthur se figea, n'ayant jamais entendu <strong>le</strong> véritab<strong>le</strong> timbre <strong>de</strong> voix<br />

<strong>de</strong> Roxana jusque là.<br />

"Oh... pardon pardon! Je ne voulais pas vous menacer mais... je ne savais<br />

pas comment vous convaincre, bafouilla Roxana, rouge comme un<br />

pivoine. Pardon, pardon!<br />

-Hm. De fi<strong>le</strong>t d'eau el<strong>le</strong> est passée à torrent, souligna Elliott avec un<br />

sourire."<br />

Sally contint diffici<strong>le</strong>ment un rire et consulta ses camara<strong>de</strong>s du<br />

regard afin d'avoir <strong>le</strong>ur avis, tandis que Roxana plongeait dramatiquement<br />

<strong>le</strong> visage dans ses mains, terrifiée d'avoir osé haussé <strong>le</strong> ton <strong>de</strong>vant <strong>le</strong>s<br />

élus. Il était diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> dire non à une enfant si gentil<strong>le</strong>, surtout après un<br />

tel spectac<strong>le</strong>.<br />

"Si <strong>le</strong>s élus n'émettent pas d'objection, tu peux faire route avec nous un<br />

moment, déclara calmement Kaznaël. Toutefois tu n'iras pas plus loin que<br />

<strong>le</strong> Col <strong>de</strong> Fordone. Ton palton ne pourra pas al<strong>le</strong>r au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> toute façon<br />

et je doute que tu puisses suivre notre rythme à pied."<br />

Il se tourna vers Arthur.<br />

"Il est peu probab<strong>le</strong> que nous soyons attaqués <strong>de</strong> nouveau d'ici là, n'estce<br />

pas?<br />

-Je ne pense pas qu'ils reviennent si vite mais je ne suis pas vraiment un<br />

pro <strong>de</strong> la stratégie, répondit Arthur, surpris d'être ainsi consulté.<br />

4


-On arrivera aux montagnes <strong>de</strong>main dans l'après-midi, fit remarquer<br />

Elliott. La petite aura au moins passé quelques heures avec nous.<br />

-Vous.. vous êtes d'accord? s'exclama Roxana."<br />

Rachel haussa <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s.<br />

"Ma foi, si el<strong>le</strong> ne va plus loin que <strong>le</strong> Kard, pourquoi pas? dit Sally.<br />

-Et toi Arthur? <strong>de</strong>manda Roxana.<br />

-Bah... On ne va pas te renvoyer en p<strong>le</strong>ine nuit alors que tu as fait tout ce<br />

chemin. Sans compter que... tu n'as sans doute pas eu l'accord <strong>de</strong> ta<br />

mère (il lui fit un sourire cynique). Il serait dommage <strong>de</strong> te faire<br />

sermonner pour rien.<br />

-Ah, fit Roxana en re<strong>de</strong>venant écarlate. Je lui ai laissé un mot mais el<strong>le</strong><br />

me suspendra à la cor<strong>de</strong> à linge quand el<strong>le</strong> remettra la main sur moi. J'ai<br />

honte... mais merci à tous. Je ne sais comment vous exprimer ma gratit...<br />

Aaaaaah, Sally, TU SAIGNES DU NEZ!!<br />

-Ce n'est rien, ce n'est rien. Ca m'arrive quand je suis très fatiguée!<br />

-Je regrette déjà d'avoir accepté, marmonna Rachel alors que Roxana<br />

commençait à paniquer et se ruait sur Sally, mouchoir à la main."<br />

Arthur imagina bien ce qu'aurait dit Nils dans une tel<strong>le</strong> situation :<br />

"Une incarta<strong>de</strong> par jour pour entretenir <strong>le</strong> corps, pas moins". <strong>Les</strong> parents<br />

<strong>de</strong> Roxana lui en voudraient sans doute mais refuser cette petite faveur à<br />

Roxana lui aurait fait <strong>de</strong> la peine. Il se dirigea vers Kaznaël.<br />

"C'est sympa <strong>de</strong> ta part. Je ne savais pas que tu étais du genre à avoir <strong>de</strong><br />

la considération pour <strong>le</strong>s sentiments <strong>de</strong>s enfants.<br />

-Détrompe toi, je voulais juste éviter une crise <strong>de</strong> larmes qui vous aurait<br />

rapi<strong>de</strong>ment fait culpabiliser.<br />

-C'est ce que tu aimerais me faire croire, Kaz...<br />

-Va dormir. Je prends <strong>le</strong> relais."<br />

***<br />

<strong>Les</strong> élus avaient décidé <strong>de</strong> reprendre la route un peu avant l'aube<br />

afin <strong>de</strong> limiter <strong>le</strong>s risques <strong>de</strong> filature. Leur rencontre avec <strong>le</strong>s membres <strong>de</strong><br />

l'Azulnot <strong>le</strong>s avait échaudés et ils ne souhaitaient pas renouve<strong>le</strong>r une tel<strong>le</strong><br />

expérience, d'autant plus que Roxana faisait désormais route avec eux<br />

pour quelques heures.<br />

"Haaaaaah! Je me sens beaucoup mieux qu'hier, lança Sally en s'étirant.<br />

Rien ne vaut quelques heures <strong>de</strong> sommeil et <strong>le</strong>s onguents <strong>de</strong> ta maman<br />

Roxana."<br />

Arthur finissait <strong>de</strong> se débarbouil<strong>le</strong>r avec l'eau glacée d'un cours<br />

d'eau situé à quelques dizaines <strong>de</strong> pas <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur campement. D'après <strong>le</strong>ur<br />

carte <strong>de</strong> Sorgentel il s'agissait du Gardone, un f<strong>le</strong>uve qui prenait sa source<br />

dans <strong>le</strong> Massif et traversait <strong>le</strong>s plaines du Yérim en direction du lac<br />

4


Diamase, qu'il connaissait déjà. Le contact <strong>de</strong> l'eau froi<strong>de</strong> lui parut ru<strong>de</strong><br />

mais vivifant.<br />

"Que <strong>le</strong> Clan d'Azulnot revienne s'il l'ose, je lui accor<strong>de</strong>rai un accueil digne<br />

<strong>de</strong> ce nom, lança Rachel, el<strong>le</strong> aussi revigorée par sa nuit <strong>de</strong> sommeil.<br />

-Epargne nous ce genre <strong>de</strong> souhaits, déclara Kaznaël. Il serait préférab<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong> ne pas tomber nez à nez avec eux.<br />

-Tu n'es qu'un rabat-joie Kaznaël. Vu la raclée que tu as mis à cet Horatio<br />

tu <strong>de</strong>vrais apprécier une tel<strong>le</strong> perspective.<br />

-C'est ce genre <strong>de</strong> comportement qui peut mener une personne à sa<br />

perte."<br />

El<strong>le</strong> lui fit un clin d'oeil.<br />

"Mon don s'est développé <strong>de</strong> manière assez inattendue ces <strong>de</strong>rniers<br />

temps, assura-t-el<strong>le</strong>. Si j'arrive à maîtriser ce nouvel aspect <strong>de</strong> mes<br />

capacités, <strong>le</strong> Clan d'Azulnot ne sera plus qu'une formalité.<br />

Kaznaël ne répondit pas et entreprit d'al<strong>le</strong>r verser <strong>de</strong> l'eau froi<strong>de</strong> sur<br />

<strong>le</strong>s cendres <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur feu tandis qu'Elliott et Roxana rangeaient <strong>le</strong>urs<br />

couchages dans <strong>le</strong>s sacs.<br />

"Tu dis que ton don s'est développé? fit Arthur en s'essuyant <strong>le</strong> visage<br />

avec un pan <strong>de</strong> sa chemise.<br />

-Oui, mais je ne t'en dirai pas plus! C'est une surprise!<br />

-Si tu par<strong>le</strong>s <strong>de</strong> ton hoverboard à ai<strong>le</strong>ttes, je suis déjà au courant, railla<br />

Arthur.<br />

-Ce n'est PAS un hoverboard, vociféra Rachel. Ana Rosa m'a escroquée<br />

mais el<strong>le</strong> <strong>le</strong> paiera <strong>de</strong> sa vie!<br />

-Tant que ça vo<strong>le</strong>..."<br />

El<strong>le</strong> mima un gron<strong>de</strong>ment et partit enfi<strong>le</strong>r un long manteau,<br />

semblab<strong>le</strong> à celui <strong>de</strong> Roxana. <strong>Les</strong> autres en firent <strong>de</strong> même, sauf Arthur.<br />

"Vous al<strong>le</strong>z vraiment <strong>le</strong>s mettre maintenant? s'étonna-t-il. Nous ne<br />

sommes même pas au pied <strong>de</strong>s montagnes.<br />

-T'es fou ou quoi? répliqua Sally. Ce n'est pas parce qu'il fait encore bon<br />

que ça va durer! Apparemment Sorgentel est la spécialiste <strong>de</strong>s microclimats!<br />

Rick m'a expliqué que la température allait baisser d'une<br />

vingtaine <strong>de</strong> <strong>de</strong>grés à l'approche <strong>de</strong>s montagnes. Quasiment D'UN COUP!<br />

-Tu es sérieuse?<br />

-Je ne tiens pas à prendre <strong>le</strong> risque. Tu sais à quel point je hais <strong>le</strong> froid."<br />

Arthur se tourna vers <strong>le</strong> Massif du Kard. Ils n'étaient plus tel<strong>le</strong>ment<br />

loin <strong>de</strong> cet ensemb<strong>le</strong> montagneux essentiel<strong>le</strong>ment composé <strong>de</strong> trois ou<br />

quatre grands pics – dont Arthur constata que l'un d'entre eux avait <strong>le</strong><br />

sommet étrangement aplati. Tandis qu'il admirait ce paysage, <strong>le</strong>s<br />

révélations <strong>de</strong>s <strong>Chroniques</strong> lui revinrent à l'esprit. Etait-ce <strong>le</strong> moment<br />

4


adéquat pour par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> Primo à ses compagnons? Il aurait du mal à<br />

expliquer la source <strong>de</strong> ses informations, sauf à mentir sur la provenance<br />

du livre.<br />

"Arthur, l'interpella Sally.<br />

-Oui?<br />

-Tu as l'air pensif. Toi aussi tu as du mal à croire que l'on va s'aventurer<br />

là-<strong>de</strong>dans?<br />

-Je n'ai même jamais mis <strong>le</strong>s pieds au ski... Ces montagnes ont l'air<br />

immense.<br />

-Je trouve aussi. D'ail<strong>le</strong>urs c'est bizarre à dire mais Sorgentel a quelque<br />

chose <strong>de</strong> dérangeant.<br />

-Dans quel sens?"<br />

El<strong>le</strong> haussa <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s.<br />

"On passe en quelques pas <strong>de</strong>s forêts aux plaines et <strong>de</strong>s plaines à la<br />

montagne. Il ne p<strong>le</strong>ut quasiment jamais et il n'y a pas <strong>de</strong> nuages, mais<br />

quand il p<strong>le</strong>ut la pluie doit bien provenir <strong>de</strong> quelque part (Arthur ne<br />

comprit pas ce <strong>de</strong>rnier pan <strong>de</strong> phrase). <strong>Les</strong> nuages apparaissent comme si<br />

<strong>de</strong> rien n'était. On voit <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il, la lune et <strong>le</strong>s étoi<strong>le</strong>s... Il y a <strong>de</strong> l'eau<br />

autour <strong>de</strong>s terres mais personne ne sait ce qu'il y a au-<strong>de</strong>là. C'est comme<br />

si Sorgentel était un concentré mal imbriqué <strong>de</strong> notre mon<strong>de</strong>. Une<br />

espèce... d'ersatz, ou <strong>de</strong> saccharine.<br />

-Oh... Euh... Je crois que je comprends ce que tu veux dire (malgré ton<br />

discours bizarre). On ne l'avait pas vraiment réalisé la <strong>de</strong>rnière fois mais<br />

c'est différent aujourd'hui, vu que l'on explore davantage <strong>le</strong> territoire.<br />

-Oui...<br />

-Sally, Arthur! On doit y al<strong>le</strong>r, lança Elliott <strong>de</strong>puis la branche d'un arbre.<br />

-On arrive, dit Sally en renouant ses cheveux. Ce n'est plus <strong>le</strong> moment <strong>de</strong><br />

méditer sur tout ça, Arthur! En route!<br />

-En route."<br />

***<br />

"Dis moi Roxana, pourquoi as-tu tant insisté pour venir avec nous?<br />

Comme tu l'as dit, Pal-Pal est un animal très intelligent alors tu aurais pu<br />

te contenter <strong>de</strong> lui ordonner <strong>de</strong> repartir."<br />

Roxana approuva d'un signe <strong>de</strong> tête. Montée sur <strong>le</strong> palton, el<strong>le</strong><br />

avançait à côté d'Arthur. Sous <strong>le</strong>urs pieds l'herbe avait laissé place à une<br />

terre humi<strong>de</strong> dans laquel<strong>le</strong> s'enfonçaient <strong>le</strong>urs pieds. Il faisait déjà<br />

beaucoup plus froid qu'une heure plus tôt, au point qu'Arthur avait<br />

refermé son épais manteau jusqu'au cou et plongé <strong>le</strong>s mains dans ses<br />

poches. En regardant Roxana, il avait du mal à se faire à l'idée que cette<br />

fil<strong>le</strong> adorab<strong>le</strong> puisse être liée à Primo.<br />

"Je crois que je suis comme Shui-Khan, d'une certaine manière, dit-el<strong>le</strong>.<br />

4


-Pardon? On par<strong>le</strong> du même gamin?<br />

-Je n'aime pas cette idée : rester sur place et regar<strong>de</strong>r <strong>le</strong>s gens que j'aime<br />

partir sans savoir si nous serons amenés à nous revoir. Cela m'angoisse<br />

au plus haut point. Shui m'a confié qu'il était un peu comme ça.<br />

-Ah.. ah bon? Hm, je veux dire que je ne savais pas que tu avais<br />

sympathisé avec lui.<br />

-Oui, un peu, dit Roxana en baissant brièvement <strong>le</strong>s yeux."<br />

El<strong>le</strong> ne dit rien pendant une bonne minute, regardant vaguement <strong>le</strong>s<br />

montagnes qui se faisaient <strong>de</strong> plus en proches et imposantes. Derrière<br />

eux, Sally, Elliott et Rachel suivaient en discutant <strong>de</strong> choses et d'autres.<br />

Kaznaël menait <strong>le</strong> groupe sans rien dire, comme à l'accoutumée. De dos,<br />

son manteau blanc <strong>le</strong> faisait ressemb<strong>le</strong>r à une sorte d'esquimau roux.<br />

"Je crois que c'est la maturité récente <strong>de</strong> mon frère qui m'a poussée à agir<br />

ainsi, reprit Roxana. Oui, il a beaucoup mûri grâce à toi Arthur.<br />

-Ca n'a rien à voir avec moi.<br />

-Je pense que si. C'est l'admiration qu'il a pour toi qui l'a poussé à<br />

s'impliquer. Sais-tu qu'il veut apprendre la Parestina? C'est la magie que<br />

pratiquent <strong>le</strong>s membres <strong>de</strong> la Milice <strong>de</strong> Juval. El<strong>le</strong> est très diffici<strong>le</strong> à<br />

assimi<strong>le</strong>r et Ronan travail<strong>le</strong> jour et nuit pour atteindre un niveau décent,<br />

bien qu'il sache qu'il est trop jeune pour intégrer l'un <strong>de</strong>s régiments.<br />

-C'est vrai? fit Arthur, soudain pris <strong>de</strong> culpabilité. Je ne pensais pas l'avoir<br />

influencé <strong>de</strong> cette manière. Je ne lui ai jamais dit quelque chose allant<br />

dans ce sens en tout cas.<br />

-Surtout ne vois pas <strong>de</strong> mal en cela Arthur. Au contraire, nous sommes<br />

tous très fiers <strong>de</strong> lui, moi la première. C'est pour cela que j'ai envie <strong>de</strong><br />

trouver éga<strong>le</strong>ment ma voie. En attendant, je cherche à m'impliquer...<br />

juste un peu. Je ne souhaite pas <strong>de</strong>venir une <strong>de</strong> ces femmes qui vivent<br />

dans une paisib<strong>le</strong> ignorance.<br />

-...Tu es très intelligente pour ton âge, Roxana, dit Arthur en souriant.<br />

-Un peu comme Shui-Khan, n'est-ce pas?<br />

-Non. Evite ce gamin comme la peste."<br />

Roxana éclata d'un rire cristallin, sans qu'Arthur ne comprenne bien<br />

pourquoi. A cet instant précis, il sentit quelque chose craquer sous son<br />

pied droit, comme s'il avait marché sur une ampou<strong>le</strong>. Il y eut éga<strong>le</strong>ment<br />

un petit "pfuiiiiiit". Arthur stoppa net et <strong>le</strong>va <strong>le</strong> pied.<br />

"Oh, fit Roxana en <strong>de</strong>scendant <strong>de</strong> monture. Un Azulnot glaçant."<br />

Arthur avait en fait marché sur une étrange f<strong>le</strong>ur b<strong>le</strong>ue dont <strong>le</strong>s<br />

quatre péta<strong>le</strong>s, semblab<strong>le</strong>s aux feuil<strong>le</strong>s d'un trèf<strong>le</strong>, étaient liées par une<br />

auréo<strong>le</strong> dorée. La tige était verte mais recouverte d'un fine et fragi<strong>le</strong><br />

couche <strong>de</strong> glace, d'une blancheur comparab<strong>le</strong> à la neige au milieu <strong>de</strong><br />

laquel<strong>le</strong> el<strong>le</strong> se trouvait.<br />

4


"C'est <strong>le</strong> symbo<strong>le</strong> qu'il y a sur la lame <strong>de</strong> Drydock, réalisa Arthur en se<br />

saisissant <strong>de</strong> la f<strong>le</strong>ur dont émanait une mystérieuse vapeur glacée.<br />

-Le Clan d'Azulnot tire son nom et son pouvoir <strong>de</strong> cette f<strong>le</strong>ur, expliqua<br />

Kaznaël qui venait <strong>de</strong> rebrousser chemin pour <strong>le</strong>s rejoindre. Comme tu<br />

peux <strong>le</strong> voir, el<strong>le</strong> dégage une aura glacia<strong>le</strong> qui est libérée lorsque l'on brise<br />

son pistil.<br />

-Je n'ai jamais vu ce genre <strong>de</strong> chose, fit Arthur (Il lâcha brusquement la<br />

f<strong>le</strong>ur qui commençait à lui donner la sensation désagréab<strong>le</strong> <strong>de</strong> tenir un<br />

glaçon).<br />

-Ton don doit venir <strong>de</strong> cette chose, dit Rachel en approchant à son tour.<br />

Regar<strong>de</strong>z, on dirait qu'il y en a d'autres ici! Là-bas aussi.<br />

-Ces f<strong>le</strong>urs sont omniprésentes dans <strong>le</strong> Massif du Kard. Le Clan d'Azulnot<br />

ne serait pas ce qu'il est actuel<strong>le</strong>ment sans el<strong>le</strong>s. Il a appris à extraire <strong>le</strong>ur<br />

pouvoir et à se l'approprier. D'autres utilisent <strong>le</strong>s f<strong>le</strong>urs d'Azulnot pour<br />

conserver <strong>le</strong>s aliments grâce au froid."<br />

Arthur s'approcha d'un autre Azulnot pour mieux observer cette<br />

mystérieuse f<strong>le</strong>ur, battue par <strong>le</strong>s vents. Il y en avait <strong>de</strong>s dizaines d'autres<br />

à proximité, espacées <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ou trois mètres tout au plus.<br />

"Horatio a parlé d'une Nina Azulnot qui aurait été à la tête du Clan,<br />

murmura-t-il pour lui-même. Est-ce qu'el<strong>le</strong> a pris <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> cette f<strong>le</strong>ur ou<br />

est-ce qu'on lui a donné ce nom?<br />

-Je crois que c'est <strong>le</strong> clan qui a pris <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> la f<strong>le</strong>ur, dit Roxana, el<strong>le</strong><br />

aussi penchée sur <strong>le</strong>s Azulnot.<br />

-Oh, je vois. Logique vu qu'ils ont utilisé son pouvoir. Mon épée aurait<br />

donc été faite grâce à ces f<strong>le</strong>urs?<br />

-Peut-être bien, dit Roxana.<br />

-Arthur, Roxana, je meurs <strong>de</strong> froid, cria Sally d'une voix presque<br />

hystérique. Revenez par ici qu'on ail<strong>le</strong> grimper ces montagnes et qu'on en<br />

finisse."<br />

Arthur et Roxana se retournèrent d'un coup, interpellés par la voix<br />

<strong>de</strong> Sally. Le climat était manifestement en train <strong>de</strong> la rendre fol<strong>le</strong>, au point<br />

qu'el<strong>le</strong> marmonnait dans sa capuche comme une femme séni<strong>le</strong>.<br />

"Ne nous refais pas <strong>le</strong> coup du Sanctuaire <strong>de</strong> glace Sally, intima Rachel.<br />

-Ce n'est pas <strong>le</strong> moment <strong>de</strong> me chercher toi! Je suis à <strong>de</strong>ux doigts <strong>de</strong> faire<br />

<strong>de</strong>mi-tour et <strong>de</strong> vous laisser partir seuls!<br />

-Oulà... Du calme Sally, ce n'est pas ton genre <strong>de</strong> perdre ainsi ton sang<br />

froid."<br />

Sally continua à se frotter vigoureusement <strong>le</strong>s mains. Il était vrai<br />

que <strong>le</strong> manteau neigeux se faisait <strong>de</strong> plus en plus présent et que <strong>le</strong>s<br />

plaines verdoyantes n'étaient qu'un vague souvenir. Sans s'en rendre<br />

compte ils avaient déjà atteint <strong>le</strong> pied <strong>de</strong>s montagnes : un mur quasi<br />

infranchissab<strong>le</strong> avec un dénivelé qui excluait toute grimpée sans<br />

équipement. Arthur réalisa que, tout au plus, ils pourraient avancer<br />

4


encore <strong>de</strong>ux ou trois centaines <strong>de</strong> mètres avant que <strong>le</strong>ur progression ne<br />

<strong>de</strong>vienne trop péril<strong>le</strong>use.<br />

"Je <strong>de</strong>vrais rentrer et laisser Rick me remplacer ici!!<br />

-Sally, je vais finir par te donner <strong>de</strong>s baffes si tu continues à t'agiter,<br />

menaça Rachel, attirant <strong>de</strong> nouveau l'attention d'Arthur. C'est indigne <strong>de</strong><br />

toi!<br />

-Oulà, pas <strong>de</strong> baffes! s'écria Arthur.<br />

-Nous <strong>de</strong>vrions <strong>le</strong>s séparer, suggéra Roxana. Le froid est en train <strong>de</strong> venir<br />

à bout <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur patience.<br />

-Moi je suis tout à fait calme, protesta Rachel qui secouait déjà Sally dans<br />

tous <strong>le</strong>s sens. C'est cette petite nature qui... AAAAH!"<br />

Rachel s'était figée et regardait désormais Arthur et Roxana avec effroi.<br />

"Quoi? <strong>de</strong>manda Arthur."<br />

Elliott et Sally affichèrent à <strong>le</strong>ur tour <strong>de</strong>s expressions troublées,<br />

voire terrifiées, après avoir tourné <strong>le</strong> regard vers <strong>le</strong> jeune homme.<br />

"Arthur, attention <strong>de</strong>rrière vous, dit Kaznaël avec un calme déroutant.<br />

-Derrière n..., commença Arthur avant <strong>de</strong> pivoter sur lui-même."<br />

Tout d'abord il ne vit rien, toute lumière étant cachée par une sorte<br />

<strong>de</strong> mur qui s'était dressé là. Puis il réalisa que la chose qui était apparue<br />

<strong>de</strong>rrière lui sans faire <strong>le</strong> moindre bruit n'était en fait pas un mur mais une<br />

créature dotée <strong>de</strong> gros yeux vio<strong>le</strong>ts sans expression qui <strong>le</strong> dévisageaient.<br />

Il déglutit et se mit à tremb<strong>le</strong>r, <strong>de</strong> froid et surtout <strong>de</strong> peur. Près <strong>de</strong> lui,<br />

Roxana s'était éga<strong>le</strong>ment retournée et n'en menait pas large.<br />

"M... L'Honorab<strong>le</strong> C... Celmark? bégaya-t-el<strong>le</strong>.<br />

-C... C... Celmark? répéta Arthur. Comme...?"<br />

Soudain, l'immense créature humanoï<strong>de</strong> <strong>le</strong> prit d'une main et <strong>le</strong> jeta<br />

sur son épau<strong>le</strong> avec une facilité déconcertante. Le temps qu'Arthur ne fut<br />

en mesure <strong>de</strong> comprendre ce qui lui arrivait et <strong>de</strong> se mettre à crier,<br />

Roxana émit une plainte stri<strong>de</strong>nte. La chose l'avait saisie el<strong>le</strong> aussi et<br />

jetée sur son autre épau<strong>le</strong>.<br />

"Au secours! hurla-t-el<strong>le</strong> en agitant vainement <strong>le</strong>s bras, compte tenu <strong>de</strong> la<br />

hauteur à laquel<strong>le</strong> el<strong>le</strong> se trouvait désormais."<br />

Bringuebalé dans tous <strong>le</strong>s sens, Arthur croisa une fraction <strong>de</strong><br />

secon<strong>de</strong> <strong>le</strong>s regards déconcertés <strong>de</strong> ses compagnons, avant que la chose<br />

n'effectue un bond immense qui <strong>le</strong>s éloigna du groupe. "El<strong>le</strong>" était en train<br />

<strong>de</strong> bondir vers <strong>le</strong>s hauteurs, <strong>de</strong> rocher en rocher et d'arbre en arbre.<br />

Roxana cria à en perdre la voix.<br />

4


"K... Kidnapping!!", hurla Rachel alors qu'Arthur s'é<strong>le</strong>vait malgré lui dans<br />

<strong>le</strong>s montagnes, porté par une bête inconnue qui allait sans doute <strong>le</strong> tuer<br />

avec Roxana.<br />

4


Chapitre 29 : Celmark<br />

"Hmmm…"<br />

Complètement frigorifié, Arthur reprit connaissance, saisi par une<br />

désagréab<strong>le</strong> sensation d'humidité sur toute la surface du corps. Il se<br />

redressa <strong>le</strong>ntement et regarda ses jambes. Ses vêtements étaient<br />

recouverts <strong>de</strong> neige presque fondue. C'était sans doute <strong>le</strong> froid et<br />

l'humidité qui l'avaient fait défaillir, il avait d'ail<strong>le</strong>urs l'impression que <strong>le</strong>s<br />

extrémités <strong>de</strong> son corps avaient perdu toute sensibilité.<br />

"Où suis-je…?"<br />

L'étrange individu qui <strong>le</strong>s avait capturés, Roxana et lui, n'était pas<br />

présent. En revanche, la fil<strong>le</strong>tte était couchée à côté <strong>de</strong> lui, <strong>le</strong>s yeux<br />

fermés. El<strong>le</strong> semblait dormir paisib<strong>le</strong>ment malgré l'humidité <strong>de</strong> ses<br />

vêtements et <strong>de</strong> sa chevelure. Arthur <strong>le</strong>va la tête. Ils se trouvaient dans<br />

une étrange tanière qui, contrairement à ce qu'il aurait pu penser, était<br />

beaucoup moins effrayante que cel<strong>le</strong> d'un ours. Deux sortes <strong>de</strong> lampes à<br />

hui<strong>le</strong> suspendues au plafond jetaient une lumière pâ<strong>le</strong> sur un immense lit<br />

placé près d'une paroi friab<strong>le</strong>, au ras du sol. Il y avait éga<strong>le</strong>ment quelques<br />

vêtements en tissu grossier soigneusement pliés sur <strong>le</strong> sommet d'une<br />

commo<strong>de</strong> en bois peu travaillé et un tapis en épaisse fourrure blanche<br />

(Arthur se <strong>de</strong>manda avec horreur ce qu'il était advenu <strong>de</strong> Pal-Pal).<br />

Il chercha la sortie du regard. Deux issues opposées étaient visib<strong>le</strong>s.<br />

L'une consistait en un passage étroit s'enfonçant dans l'obscurité, l'autre<br />

était voilée par un ri<strong>de</strong>au <strong>de</strong> toi<strong>le</strong> rouge maintenu par un cordon. L'une <strong>de</strong><br />

ces issues menait probab<strong>le</strong>ment vers la sortie, l'autre… vers davantage <strong>de</strong><br />

soucis? Arthur se décida à réveil<strong>le</strong>r Roxana.<br />

"Roxana, souffla-t-il en lui remuant doucement l'épau<strong>le</strong>. Il faut que l'on<br />

sorte d'ici! Roxana!"<br />

El<strong>le</strong> grogna un peu mais ouvrit <strong>le</strong>s yeux.<br />

"Arthur? dit-el<strong>le</strong> dans un fi<strong>le</strong>t <strong>de</strong> voix. Que…<br />

-Réveil<strong>le</strong>-toi sans rien dire, nous <strong>de</strong>vons partir d'ici avant qu'il revienne."<br />

Roxana eut un hoquet, signe qu'el<strong>le</strong> allait éternuer. Heureusement,<br />

Arthur lui pinça <strong>le</strong> nez avant qu'el<strong>le</strong> n'en eût la possibilité. El<strong>le</strong> fut alors<br />

prise <strong>de</strong> légères convulsions. Il y avait bien un feu rougeoyant dans un<br />

renfoncement <strong>de</strong> la tanière qui faisait office <strong>de</strong> cheminée mais l'humidité<br />

<strong>de</strong> <strong>le</strong>urs tenues <strong>le</strong>s empêchait <strong>de</strong> se réchauffer.<br />

"Je croyais que <strong>le</strong> Celmark était pacifique, dit-el<strong>le</strong> en regardant dans tous<br />

<strong>le</strong>s sens.<br />

-Il a du changer d'humeur! Lève toi et partons. Je ne tiens pas à me<br />

retrouver face à lui.<br />

4


-Mais ma mère m…"<br />

Des bruits <strong>de</strong> pas la firent taire. Arthur tressaillit. Le mouvement<br />

venait <strong>de</strong> la ga<strong>le</strong>rie située sur <strong>le</strong>ur droite.<br />

"Trop tard, pesta Arthur."<br />

Il saisit Roxana par <strong>le</strong> bras et la mit <strong>de</strong>rrière lui tandis qu'il s'armait<br />

<strong>de</strong> Drydock. <strong>Les</strong> pas se faisaient <strong>de</strong> plus en plus proches.<br />

"Arthur, tu ne vas pas l'affronter? trembla Roxana.<br />

-Je n'ai pas vraiment <strong>le</strong> choix, répondit-il en essayant <strong>de</strong> masquer sa<br />

terreur. On ne va pas fuir <strong>de</strong> l'autre côté sans savoir où l'on va atterrir!"<br />

Le martè<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>s pas se faisait encore plus proche. Arthur réalisa<br />

que sa main tremblait sur la poignée <strong>de</strong> Drydock. Si <strong>le</strong> Celmark était bien<br />

celui qui avait offert son pouvoir à Jamie comme il l'imaginait, ce <strong>de</strong>vait<br />

être un ennemi redoutab<strong>le</strong>.<br />

"Arthur…, souffla Roxana en s'agrippant à son épau<strong>le</strong>."<br />

Arthur fronça subitement <strong>le</strong>s sourcils. La silhouette qui s'approchait<br />

d'eux n'avait rien <strong>de</strong> démesuré. El<strong>le</strong> était même plutôt menue. A mesure<br />

que l'arrivant s'approchait <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur tanière, il se surprit à reconnaître <strong>le</strong>s<br />

traits caractéristiques d'un certain Protecteur.<br />

"Kaznaël! Dieu merci, on est sauvés, s'écria Arthur en se précipitant vers<br />

lui."<br />

Kaznaël esquiva d'un pas <strong>de</strong> côté et débarrassa ses épau<strong>le</strong>s et sa<br />

chevelure rouge <strong>de</strong> la neige qui <strong>le</strong>s recouvrait. Roxana eut un immense<br />

soupir <strong>de</strong> soulagement.<br />

"J'ai fait du chemin pour vous retrouver, déclara Kaz.<br />

-Comment as-tu fait? Où sommes nous exactement?<br />

-Dans une grotte nichée à quelques centaines <strong>de</strong> mètres <strong>de</strong> hauteur.<br />

-Tu as escaladé tout ça?"<br />

Kaznaël eut un regard dédaigneux, comme s'il avait été froissé.<br />

"Je te rappel<strong>le</strong> que je montais et <strong>de</strong>scendais régulièrement la faça<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

ton immeub<strong>le</strong>. Je n'ai pas <strong>de</strong> difficulté à effectuer <strong>de</strong> tel<strong>le</strong>s ascensions,<br />

même dans <strong>le</strong> Kard. Seu<strong>le</strong> votre présence m'oblige à faire un détour.<br />

-Okay, okay, je m'excuse, baisse d'un ton, fit hâtivement Arthur! On peut<br />

fi<strong>le</strong>r d'ici rapi<strong>de</strong>ment s'il te plaît? Où as-tu laissé <strong>le</strong>s autres?"<br />

4


A ce moment précis, <strong>de</strong>s cris émis par <strong>de</strong>s voix familières se firent<br />

entendre <strong>de</strong>puis l'issue qu'avait empruntée Kaznaël pour entrer. <strong>Les</strong><br />

autres arrivants étaient en train <strong>de</strong> se disputer.<br />

"Ra<strong>le</strong>ntis, ra<strong>le</strong>ntis!!<br />

-Je fais ce que je peux! Pourquoi fait-il sombre ici?<br />

-Je tuerai Kaz! Il ne nous a même pas attendus! ATTENTION RACHEL!"<br />

Perchés <strong>de</strong> manière précaire sur une version plus longue du<br />

hoverboard <strong>de</strong> Rachel, <strong>le</strong>s trois membres restants <strong>de</strong> la "Team Sally"<br />

firent une entrée fracassante dans la tanière. Elliott chuta <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur perchoir<br />

commun et roula plusieurs fois sur <strong>le</strong> sol jusqu'à atterrir aux pieds<br />

d'Arthur tandis que Rachel et Sally essayaient <strong>de</strong> se maintenir sur l'engin<br />

ailé.<br />

"Ca va vieux? fit Elliott à Arthur. On s'inquiétait pour vous…<br />

-Zut, <strong>le</strong> temps est écoulé je crois, râla Rachel"<br />

Le hoverboard disparut dans une explosion <strong>de</strong> fumée et Sally se<br />

retrouva à son tour par terre, contrairement à Rachel qui avait eu <strong>le</strong><br />

réf<strong>le</strong>xe <strong>de</strong> se maintenir en lévitation. El<strong>le</strong> souffla puis re<strong>de</strong>scendit vers <strong>le</strong><br />

sol en fermant <strong>le</strong>s yeux.<br />

"Plus jamais ça, rouspéta Sally en se re<strong>le</strong>vant. Arthur, Roxana! Vous êtes<br />

in<strong>de</strong>mnes?"<br />

El<strong>le</strong> aida Elliott à se remettre <strong>de</strong>bout et se dirigea vers Arthur.<br />

"Tu ferais mieux d'être en danger <strong>de</strong> mort Arthur Gall, dit Rachel. Cette<br />

version <strong>de</strong> "Glisse sur <strong>le</strong> Vent" (Sally pouffa) était <strong>de</strong>stinée à nous faire<br />

fuir <strong>de</strong> façon groupée en cas <strong>de</strong> menace grave! Ana ne m'en a pas donné<br />

d'autre.<br />

-Désolé d'avoir été capturé… et <strong>de</strong> ne pas encore être en danger <strong>de</strong> mort,<br />

râla Arthur.<br />

-Quant à toi Kaz, je te retiens, continua Rachel. Tu es parti à <strong>le</strong>ur<br />

poursuite sans nous consulter, tu as bondi <strong>de</strong> montagne en montagne et<br />

tout ce que tu as trouvé à nous crier quand on t'a interpellé c'est "Suivezmoi!"<br />

Tu nous prends pour <strong>de</strong>s bouquetins?<br />

-Non, répondit Kaznaël.<br />

-Arrête <strong>de</strong> crier Rachel, tu vas attirer l'attention du…<br />

-Je suis heureux!"<br />

Arthur bondit littéra<strong>le</strong>ment et Roxana poussa un cri. Vêtu <strong>de</strong> sa<br />

tenue blanche à capuche, <strong>le</strong> Celmark venait <strong>de</strong> passer <strong>le</strong> petit ri<strong>de</strong>au<br />

rouge qui <strong>le</strong>s séparait d'une autre partie <strong>de</strong> la grotte et <strong>le</strong>s regardait <strong>de</strong><br />

ses gros yeux vio<strong>le</strong>ts, la bouche ouverte. Du haut <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>ux mètres<br />

cinquante, il dominait toute l'assistance et imposait <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce. Rachel<br />

plaqua ses mains sur sa bouche.<br />

4


"Ah…, fit Sally, <strong>le</strong>s yeux écarquillés."<br />

Le Celmark avait une physionomie particulière, composée d'un<br />

immense tronc au ventre bedonnant et <strong>de</strong> jambes très courtes. Ses bras<br />

étaient particulièrement musclés et striés <strong>de</strong> lignes rouges. Quant à sa<br />

peau, el<strong>le</strong> était <strong>de</strong> cou<strong>le</strong>ur sab<strong>le</strong>, <strong>de</strong>s pieds à la tête. Tête qui était<br />

d'ail<strong>le</strong>urs dépourvue <strong>de</strong> chevelure et parfaitement ron<strong>de</strong> si l'on exceptait<br />

<strong>le</strong>s oreil<strong>le</strong>s paraboliques qui en émergeaient (cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Ronan retrouvaient<br />

toute crédibilité comparées à <strong>de</strong> tels conduits auditifs). Ses yeux<br />

ressemblaient à <strong>de</strong>ux améthystes que l'on aurait posées sans soin sur son<br />

visage lisse. Il avait <strong>le</strong> nez épaté, une bouche immense sans lèvres et <strong>de</strong><br />

gran<strong>de</strong>s <strong>de</strong>nts blanches.<br />

"Je suis heureux, répéta-t-il <strong>le</strong>ntement en hochant la tête. J'allais <strong>de</strong>voir<br />

re<strong>de</strong>scendre pour vous récupérer <strong>le</strong>s uns après <strong>le</strong>s autres mais vous nous<br />

avez rejoints."<br />

<strong>Les</strong> élus se terrèrent dans un si<strong>le</strong>nce apeuré. Une épaisse fumée<br />

blanche émergeait <strong>de</strong> <strong>de</strong>rrière <strong>le</strong> ri<strong>de</strong>au qu'il venait <strong>de</strong> passer. Arthur<br />

s'imagina un fourneau géant en train <strong>de</strong> tourner à p<strong>le</strong>in régime pour <strong>le</strong>s<br />

accueillir.<br />

"Le bain est prêt, dit-il d'une voix douce. Ca vous réchauffera.<br />

-L… Le bain? répéta Arthur."<br />

Kaznaël traversa soudain la pièce et vint tapoter <strong>le</strong> cou<strong>de</strong> gauche du<br />

Celmark, seu<strong>le</strong> partie <strong>de</strong> son corps qu'il pouvait atteindre sans se mettre<br />

sur la pointe <strong>de</strong>s pieds.<br />

"Merci Marky."<br />

"Marky"? Sans plus d'explication, Kaznaël passa <strong>le</strong> ri<strong>de</strong>au et disparut<br />

dans un nuage <strong>de</strong> fumée blanche. Le Celmark hocha <strong>de</strong> nouveau la tête et<br />

<strong>le</strong> suivit.<br />

"Euh…, fit Sally.<br />

-Vous avez compris quelque chose? <strong>de</strong>manda Arthur.<br />

-Apparemment il ne vous voulait pas <strong>de</strong> mal, dit Elliott. Kaznaël a l'air <strong>de</strong><br />

<strong>le</strong> connaître.<br />

-Ouais… Il l'a appelé Marky…"<br />

Après s'être tous consultés du regard, <strong>le</strong>s élus et Roxana<br />

entreprirent <strong>de</strong> passer <strong>le</strong> ri<strong>de</strong>au pour rejoindre Kaznaël et <strong>le</strong> Celmark. Il<br />

n'y avait visib<strong>le</strong>ment pas <strong>de</strong> crainte à avoir à l'égard <strong>de</strong> la créature qui <strong>le</strong>s<br />

accueillait dans son repaire.<br />

4


"Waaaaah, s'exclama Arthur, soudain immergé dans une agréab<strong>le</strong> vapeur<br />

parfumée."<br />

Après avoir traversé une sorte d'antichambre creusée dans la<br />

montagne, ils venaient <strong>de</strong> s'introduire dans une autre partie <strong>de</strong> la grotte,<br />

un peu plus gran<strong>de</strong> que la précé<strong>de</strong>nte mais baignée <strong>de</strong> cha<strong>le</strong>ur. Kaznaël<br />

se tenait au bord d'un grand bassin naturel à l'eau bouillante. La vapeur<br />

était si épaisse qu'on <strong>le</strong> distinguait à peine.<br />

"Un spa! cria Rachel.<br />

-Incroyab<strong>le</strong>! Il y a <strong>de</strong> l'eau chau<strong>de</strong> ici, fit Sally."<br />

Arthur se précipita vers <strong>le</strong> bord <strong>de</strong> l'eau et y plongea <strong>le</strong> doigt. El<strong>le</strong><br />

était chau<strong>de</strong> mais agréab<strong>le</strong>.<br />

"Je ne savais pas qu'il y avait <strong>de</strong>s sources chau<strong>de</strong>s dans <strong>le</strong> Kard, dit<br />

Roxana.<br />

-C'est la seu<strong>le</strong> ici, dit <strong>le</strong> Celmark en hochant la tête. Profitez-en, el<strong>le</strong> est<br />

agréab<strong>le</strong>.<br />

-C'est pour nous?"<br />

Le Celmark acquiesça, à la gran<strong>de</strong> surprise <strong>de</strong> Roxana.<br />

"YAHOO!"<br />

Arthur vit une tignasse blon<strong>de</strong> passer à toute vitesse à côté <strong>de</strong> lui.<br />

Elliott effectua un plongeon monumental, projetant <strong>de</strong>s gerbes d'eau<br />

chau<strong>de</strong> dans tous <strong>le</strong>s sens, y compris sur Arthur. Rachel éclata <strong>de</strong> rire.<br />

"Tu plaisantes!? cria Arthur avec irritation. Tu te mets en ca<strong>le</strong>bute et<br />

sautes dans l'eau sans même te poser <strong>de</strong> questions? Attends au moins<br />

qu'on fasse <strong>le</strong> point!"<br />

Elliott ignora Arthur, trop occupé à faire <strong>le</strong> crawl dans l'eau chau<strong>de</strong>.<br />

"Ca pourrait être un piège, ajouta Arthur à voix basse.<br />

-Je doute que ce soit <strong>le</strong> cas, intervint Sally avec un léger sourire. Le type<br />

qui a offert son don à Jamie ne peut pas être méchant. Regar<strong>de</strong> <strong>le</strong>."<br />

Le Celmark regardait Elliott nager <strong>de</strong> loin, <strong>de</strong> ses yeux inexpressifs.<br />

Evi<strong>de</strong>mment, il n'avait pas une once d'agressivité dans <strong>le</strong> regard. Arthur<br />

réalisa alors qu'il avait plus été refroidi par son kidnapping que par la<br />

brutalité <strong>de</strong> la créature.<br />

"Monsieur <strong>le</strong> Celmark, dit poliment Sally. Nous vous remercions <strong>de</strong> votre<br />

hospitalité mais nous ne pouvons pas accepter <strong>de</strong> rester. Une longue<br />

route nous attend encore.<br />

4


-Quoi? On ne peut même pas prendre un bain? s'offusqua Rachel, en train<br />

<strong>de</strong> scruter Elliott avec ravissement. Aie pitié Sally, c'est peut-être notre<br />

<strong>de</strong>rnière opportunité d'être propres avant un moment! La <strong>de</strong>rnière!<br />

-Ce ne serait pas raisonnab<strong>le</strong> Rachel! On doit avancer!<br />

-Je suis inquiet pour vous, intervint <strong>le</strong> Celmark. Vous ne pouvez pas<br />

avancer. Il y a une forte tempête qui débute en ce moment même et el<strong>le</strong><br />

ne s'arrêtera pas avant <strong>de</strong>main matin. Restez et profitez <strong>de</strong> mon<br />

hospitalité.<br />

-Une tempête? répéta Sally. C'est pour ça qu'il y avait tant <strong>de</strong> neige<br />

<strong>de</strong>hors?"<br />

Le Celmark acquiesça.<br />

"Où est Pal-Pal? s'inquiéta Roxana.<br />

-Ne t'inquiète pas, on lui a <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> repartir pour Althiès avant <strong>de</strong><br />

venir ici, dit Elliott <strong>de</strong>puis son bain. Je pense qu'il a compris.<br />

-Oh… Ca va alors, fit Roxana d'un air soulagé.<br />

-Bon ben… si la tempête frappe vraiment <strong>le</strong> massif jusqu'à <strong>de</strong>main… Qu'en<br />

penses-tu Kaz? fit Sally en se grattant la tempe droite.<br />

-Le Celmark a raison. Inuti<strong>le</strong> d'essayer d'avancer. Nous courrons à notre<br />

perte autrement.<br />

-Tu vois Sally, triompha Rachel. Prenons un bain!<br />

-Si nous n'avons pas <strong>le</strong> choix… Merci <strong>de</strong> votre accueil… Monsieur.<br />

-Je suis content <strong>de</strong> vous recevoir, dit <strong>le</strong> Celmark d'un air qui rappelait<br />

étrangement Jamie."<br />

Sally ne manqua pas <strong>de</strong> remarquer cette similitu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

comportement et parut troublée.<br />

"Il faudra quand même que l'on trouve un moyen <strong>de</strong> te renvoyer chez toi<br />

Roxana, rappela Arthur. Tu n'étais pas censée t'aventurer si loin.<br />

-Ma mère me tuera <strong>de</strong> toute façon, dit Roxana avec <strong>le</strong> sourire appréhensif<br />

d'une enfant condamnée.<br />

-On trouvera une solution, assura Sally. En attendant virez <strong>de</strong> là <strong>le</strong>s gars!<br />

<strong>Les</strong> fil<strong>le</strong>s entrent en premier!<br />

-Quoi? Il y a <strong>de</strong>ux minutes tu ne voulais même pas rester, protesta<br />

Arthur.<br />

-J'ai changé d'avis! On vous appel<strong>le</strong>ra quand on sera dans l'eau, répliquat-el<strong>le</strong><br />

en <strong>le</strong> poussant vio<strong>le</strong>mment vers la sortie. Elliott, sors <strong>de</strong> là toi aussi!<br />

-Oh…, fit Elliott d'un air presque déçu."<br />

El<strong>le</strong> garda Roxana avec el<strong>le</strong> et chassa <strong>de</strong>s lieux tout ce qui<br />

s'apparentait à un homme. Arthur se retrouva ainsi <strong>de</strong> nouveau dans la<br />

tanière du Celmark, entre un Elliott ruisselant d'eau chau<strong>de</strong> et Kaznaël. Le<br />

Celmark était assis <strong>de</strong> toute sa masse <strong>de</strong>vant l'âtre, rassemblant <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>nrées qu'il venait <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong> son unique commo<strong>de</strong>. Il <strong>le</strong>ur préparait<br />

manifestement <strong>de</strong> quoi manger en chantonnant un air connu <strong>de</strong> lui seul,<br />

comme l'aurait fait Jamie par ail<strong>le</strong>urs.<br />

4


En observant <strong>de</strong> nouveau la pièce, Arthur remarqua que son sac à<br />

dos et ceux <strong>de</strong> ses compagnons étaient alignés près du lit.<br />

"Tu <strong>de</strong>vrais al<strong>le</strong>r lui par<strong>le</strong>r, suggéra Kaznaël à voix basse.<br />

-Lui par<strong>le</strong>r? Pourquoi moi?<br />

-Cela lui fera plaisir. Vu ton lien avec Jamie, vous vous entendrez<br />

forcément.<br />

-Tu as l'air <strong>de</strong> bien connaître ce "Marky", Kaz…<br />

-Va lui par<strong>le</strong>r, intima <strong>le</strong> Protecteur.<br />

-Bon…"<br />

Malgré ses réticences, Arthur laissa Kaznaël et Elliott pour al<strong>le</strong>r faire<br />

connaissance avec <strong>le</strong>ur hôte. Bien que celui-ci fût assis, il <strong>de</strong>meurait aussi<br />

haut qu'Arthur.<br />

"Hem…, fit ce <strong>de</strong>rnier pour signa<strong>le</strong>r sa présence."<br />

Le Celmark posa la grosse marmite noire qu'il avait dans <strong>le</strong>s mains<br />

et tourna <strong>le</strong>ntement la tête vers Arthur. Tous ses gestes étaient mesurés,<br />

comme s'il craignait <strong>de</strong> faire du mal à quelqu'un avec sa force<br />

surhumaine.<br />

"Tu es <strong>le</strong> porteur du don offert par l'Azulnot, dit-il d'une voix dénuée<br />

d'intonation.<br />

-Oui… Enfin, je crois."<br />

Arthur s'assit en tail<strong>le</strong>ur comme son interlocuteur. Ce <strong>de</strong>rnier<br />

l'observait <strong>de</strong>s pieds à la tête, sans qu'il fut néanmoins possib<strong>le</strong> <strong>de</strong> savoir<br />

ce qui lui passait par la tête. L'absence <strong>de</strong> sourcils sur son visage ne<br />

facilitait pas <strong>le</strong>s choses.<br />

"Je l'ai senti, dit <strong>le</strong> Celmark en hochant la tête. Je connaissais bien <strong>le</strong>s<br />

Azulnot à une époque, surtout Nina.<br />

-Nina… Azulnot? fit Arthur, se rappelant <strong>le</strong>s propos <strong>de</strong> Horatio lorsqu'il<br />

l'avait affronté la veil<strong>le</strong>.<br />

-C'est Nina Azulnot qui a participé à l'Abnégation pour t'offrir ton don. El<strong>le</strong><br />

a ainsi consumé sa vie, comme <strong>le</strong>s autres."<br />

Un frisson glacé parcourut l'échine d'Arthur.<br />

"Ils… Des gens se sont donc bien sacrifiés pour nous offrir <strong>le</strong>urs pouvoirs,<br />

dit-il d'une voix tremblante.<br />

-Oui. Ils ont été très braves.<br />

-Mais… pourquoi n'êtes vous pas mort dans ce cas? <strong>de</strong>manda Arthur avec<br />

embarras.<br />

-Je suis quasi immortel, répondit <strong>le</strong> Celmark <strong>le</strong> plus simp<strong>le</strong>ment du<br />

mon<strong>de</strong>.<br />

-Quasi?<br />

4


-Lors <strong>de</strong>s abnégations je suis <strong>le</strong> seul à être resté <strong>de</strong>bout, alors que je<br />

pensais tomber comme <strong>le</strong>s autres."<br />

"Ils sont tous morts… pour nous", songea Arthur avec horreur. Cela<br />

raviva sa sympathie à l'égard du Celmark qui, malgré sa survie, avait<br />

couru <strong>le</strong> risque <strong>de</strong> mettre fin à ses jours pour offrir ses capacités à <strong>de</strong>s<br />

inconnus. "Jamie sera content <strong>de</strong> l'apprendre…"<br />

"Seuls <strong>le</strong>s djinns et moi n'avons pas perdu la vie, dit <strong>le</strong> Celmark. <strong>Les</strong><br />

djinns ont sacrifié <strong>le</strong>ur richesse mais c'est pire que <strong>le</strong>ur propre vie à <strong>le</strong>urs<br />

yeux.<br />

-Oui, il paraît qu'el<strong>le</strong>s sont très cupi<strong>de</strong>s."<br />

Elliott et Kaznaël suivaient la conversation <strong>de</strong> loin, en attendant <strong>de</strong><br />

pouvoir retourner dans <strong>le</strong> bain.<br />

"Dites moi…, commença Arthur.<br />

-On a fini, fit soudain la voix <strong>de</strong> Rachel."<br />

Arthur écarquilla <strong>le</strong>s yeux. La voix <strong>de</strong> Rachel n'était pas venue <strong>de</strong> la<br />

grotte d'à côté. Il l'avait perçue dans sa tête. Instinctivement il fit tourner<br />

son in<strong>de</strong>x dans son oreil<strong>le</strong> droite pour vérifier que ses tympans<br />

fonctionnaient bien.<br />

"Ha ha ha, je suis certaine que tu es perturbée, reprit la voix <strong>de</strong> Rachel,<br />

toujours dans sa tête.<br />

-C… Comment tu fais ça Rachel? bégaya Arthur, sous <strong>le</strong>s regards<br />

interrogateurs <strong>de</strong>s trois autres occupants <strong>de</strong> la pièce. C'est un Echo?<br />

-La la la laaaa, chanta la voix <strong>de</strong> Rachel.<br />

-C'est une blague? Tu es télépathe maintenant?<br />

-Tu par<strong>le</strong>s à qui? lui <strong>de</strong>manda Elliott."<br />

Arthur l'ignora, entendant Rachel ricaner dans sa tête. Puis il ne<br />

perçut plus rien. Cette sensation avait été très étrange, proche <strong>de</strong> cel<strong>le</strong><br />

qu'il ressentait lorsqu'il utilisait un Echo. Comment lui avait-el<strong>le</strong> fait cette<br />

farce?<br />

"Euh… <strong>le</strong>s fil<strong>le</strong>s sont dans l'eau je crois, dit-il aux autres. On peut y al<strong>le</strong>r.<br />

-Comment <strong>le</strong> sais-tu? fit Kaznaël.<br />

-Je <strong>le</strong> sais, c'est tout, répondit Arthur d'un air troublé."<br />

Persuadé <strong>de</strong> son aliénation imminente, il laissa <strong>le</strong> Celmark reprendre<br />

sa cuisine et se dirigea vers <strong>le</strong>s bains, suivi par <strong>le</strong>s autres. Rachel, Sally et<br />

Roxana étaient déjà enfoncées dans l'eau chau<strong>de</strong> jusqu'au cou.<br />

"Surtout ne mettez pas la tête sous l'eau si vous tenez à vos vies, menaça<br />

Sally. On n'a pas <strong>de</strong> maillots <strong>de</strong> bain alors on est en sous-vêtements là<strong>de</strong>ssous.<br />

4


-Bien, fit Arthur, encore plus troublé."<br />

Il lança un regard interrogateur à Rachel et cel<strong>le</strong>-ci se mit aussitôt à rire.<br />

"Al<strong>le</strong>z Arthur Gall, mets toi à poil au lieu <strong>de</strong> te poser <strong>de</strong>s questions! Je<br />

t'expliquerai plus tard!<br />

-Y'a plutôt intérêt…"<br />

Elliott avait déjà replongé dans l'eau et Kaznaël ne s'embarrassait<br />

pas <strong>de</strong> détails tels que la pu<strong>de</strong>ur. Non, sans gêne Arthur profita du chahut<br />

occasionné pour al<strong>le</strong>r dans un coin obscur <strong>de</strong> la grotte et retirer ses<br />

vêtements.<br />

"On commence à être nombreux à t'avoir vu en ca<strong>le</strong>çon, railla Sally en<br />

barbotant. Inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> te cacher!<br />

-Fiche moi la paix, marmonna Arthur, honteux.<br />

-Ho, si on créait une association? continua-t-el<strong>le</strong>. "J'ai vu Arthur en<br />

ca<strong>le</strong>çon et je <strong>le</strong> vis très bien!"<br />

-Ah non, je me refuse à faire partie <strong>de</strong> ce club, même payée, protesta<br />

Rachel."<br />

Tous sauf Kaznaël et Roxana éclatèrent <strong>de</strong> rire, ce qui faillit<br />

dissua<strong>de</strong>r Arthur <strong>de</strong> <strong>le</strong>s rejoindre. Une fois déshabillé, il s'infiltra dans l'eau<br />

aussi vite que possib<strong>le</strong> afin <strong>de</strong> ne pas <strong>le</strong>ur laisser <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> voir <strong>le</strong>s<br />

motifs <strong>de</strong> ses sous-vêtements.<br />

"L'eau est vraiment agréab<strong>le</strong>, réalisa-t-il une fois immergé.<br />

-N'est-ce pas? fit Rachel. Je doute que <strong>le</strong>s autres aient une tel<strong>le</strong> chance<br />

dans <strong>le</strong>ur forteresse <strong>de</strong> la Milice.<br />

-Ca fait du bien aux musc<strong>le</strong>s, dit Elliott.<br />

-N'est-ce pas? fit Rachel en scrutant <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s <strong>de</strong> l'intéressé."<br />

Roxana restait dans son coin du bain, sans doute gênée d'être ainsi<br />

peu vêtue <strong>de</strong>vant tant <strong>de</strong> personnes.<br />

"Rachel, comment as-tu fait pour me par<strong>le</strong>r à distance? <strong>de</strong>manda Arthur<br />

en se prélassant dans l'eau.<br />

-Tu as fait quoi? s'exclama Sally en se tournant vers Rachel.<br />

-Je vous l'avais dit que mon don avait évolué <strong>de</strong> façon inattendue! L'autre<br />

jour je discutais avec Ana Rosa et cette sotte me disait à quel point j'étais<br />

bornée, etc, etc… comme à l'accoutumée. Sur <strong>le</strong> coup je me suis contenue<br />

mais… j'ai pensé quelque chose si fort qu'el<strong>le</strong> l'a "entendu". Cependant ce<br />

n'est pas ma véritab<strong>le</strong> voix qu'el<strong>le</strong> a perçu, uniquement ma pensée!<br />

-Tu as parlé sans ouvrir la bouche? s'étonna Sally.<br />

-Oui, el<strong>le</strong> l'a clairement entendu. Depuis je n'ai pas eu <strong>le</strong> temps <strong>de</strong><br />

m'interroger sur cette capacité mais l'occasion était trop bel<strong>le</strong> (el<strong>le</strong> se<br />

tourna vers Arthur avec un sourire vicieux).<br />

-Tu captes aussi <strong>le</strong>s pensées? fit Arthur avec effroi."<br />

4


Sally eut un mouvement <strong>de</strong> recul.<br />

"Non, je vous rassure. Je pense être uniquement capab<strong>le</strong> <strong>de</strong> projeter ma<br />

pensée. Méfiez vous tout <strong>de</strong> même, ça pourrait encore évoluer. Ha ha ha!<br />

-Je ne vois pas vraiment <strong>le</strong> rapport entre une <strong>de</strong>mi-télépathie et la<br />

télékinésie, dit Arthur en interrogeant Kaznaël du regard."<br />

Seuls <strong>le</strong> nez et <strong>le</strong>s yeux du Protecteur dépassaient <strong>de</strong> l'eau. Ce<br />

n'était pas <strong>le</strong> moment d'essayer <strong>de</strong> lui extorquer <strong>de</strong>s informations.<br />

"Moi non plus, admit Rachel. Quoique, dans <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux cas je fais appel à<br />

ma pensée! Ce n'est pas si incohérent.<br />

-Tiens, <strong>le</strong> Celmark revient, fit remarquer Sally."<br />

Leur hôte était effectivement <strong>de</strong> retour parmi eux. Il hocha la tête et<br />

s'assit en tail<strong>le</strong>ur près du bord. Il ne paraissait nul<strong>le</strong>ment indisposé par la<br />

présence <strong>de</strong> tant d'individus à moitié nus dans son bain.<br />

"C'est très agréab<strong>le</strong>, dit Rachel. Nous vous sommes reconnaissants <strong>de</strong><br />

vous occuper ainsi <strong>de</strong> nous. C'est inattendu <strong>de</strong> la part d'un ogre.<br />

-Racheeeel! protestèrent Arthur et Sally.<br />

-Je suis content d'avoir <strong>de</strong> la visite, répondit <strong>le</strong> Celmark, nul<strong>le</strong>ment<br />

offensé. Si je peux vous ai<strong>de</strong>r, tant mieux. C'est pour ça que je suis allé à<br />

votre rencontre tout à l'heure. Je craignais que vous soyez pris dans la<br />

tempête. (Il s'adressa à Roxana) Tu es bien la fil<strong>le</strong> <strong>de</strong> Risabel?<br />

-Oui, c'est ma mère! Vous la connaissez donc?<br />

-Je la croisais il y a quelques années alors qu'el<strong>le</strong> était encore<br />

commerçante itinérante. Ce n'est plus <strong>le</strong> cas maintenant. Je rencontre <strong>de</strong><br />

moins en moins <strong>de</strong> mon<strong>de</strong>.<br />

-V… Vous <strong>de</strong>vez vous sentir un peu seul ici, n'est-ce pas? dit Arthur.<br />

-Non, ça va, je suis habitué à la solitu<strong>de</strong>. Cependant je ne rechigne pas à<br />

une bonne discussion près du bain <strong>de</strong> temps en temps."<br />

Comprenant qu'il avait voulu faire <strong>de</strong> l'humour, Arthur et <strong>le</strong>s autres<br />

se mirent à rire exagérément.<br />

"Si cela peut vous faire relativiser, nous ne faisons que <strong>de</strong>s mauvaises<br />

rencontres en ce moment, dit Sally. Le Clan d'Azulnot est à nos trousses<br />

et on <strong>le</strong>ur a échappé <strong>de</strong> peu hier. Ils n'ont pas hésité à nous attaquer.<br />

-Je suis désolé <strong>de</strong> l'apprendre. Le Clan a perdu sa fierté en même temps<br />

qu'il a perdu Nina, expliqua <strong>le</strong> Celmark. Avant ils vivaient dans <strong>le</strong>s<br />

montagnes, comme moi. Puis ils se sont dispersés lorsqu'el<strong>le</strong> est morte.<br />

Ils ont perdu <strong>le</strong>ur fierté. Nina, el<strong>le</strong>, était une femme très fière.<br />

Suffisamment fière pour préférer sacrifier sa vie plutôt que <strong>de</strong> n'avoir rien<br />

à offrir.<br />

-Mon épée a été créée par son sacrifice? <strong>de</strong>manda Arthur.<br />

4


-Non, l'épée existait avant. Nina l'avait créée à partir <strong>de</strong>s f<strong>le</strong>urs d'Azulnot.<br />

Que je me souvienne, seuls <strong>le</strong> motif <strong>de</strong> l'Abnégation que tu dois avoir dans<br />

<strong>le</strong> dos ainsi que <strong>le</strong>s pouvoirs octroyés à l'épée sont <strong>le</strong> fruit <strong>de</strong> son sacrifice.<br />

A la base, l'épée n'avait quasiment pas <strong>de</strong> pouvoirs."<br />

Sally observait Arthur. El<strong>le</strong> pensait sans doute la même chose que<br />

lui au sujet <strong>de</strong>s Abnégations.<br />

"Mon visage ne laisse malheureusement pas transparaître mes émotions<br />

mais repenser à Nina me rend triste. C'était une brave femme. A part<br />

Leryan et el<strong>le</strong> je n'ai pas eu <strong>de</strong> véritab<strong>le</strong>s amis et tous <strong>de</strong>ux ont disparu…<br />

-L… Leryan? répéta Arthur."<br />

Kaznaël ne sourcilla pas malgré la stupeur généra<strong>le</strong>.<br />

"Vous étiez déjà là du vivant <strong>de</strong> Leryan? Vous l'avez connu? s'écria Arthur,<br />

créant ainsi <strong>de</strong>s remous dans l'eau.<br />

-Oui.<br />

-Génial, on cherche justement à rassemb<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s…<br />

-En par<strong>le</strong>r me rend triste. Pardon, je ne souhaite pas en par<strong>le</strong>r, dit <strong>le</strong><br />

Celmark en se <strong>le</strong>vant subitement.<br />

-Mais…, fit Sally.<br />

-Vous al<strong>le</strong>z bientôt pouvoir manger, dit <strong>le</strong> Celmark en joignant <strong>le</strong>s mains<br />

<strong>de</strong>vant son gros vente. Profitez du bain en attendant."<br />

Ceci dit, il tourna <strong>le</strong>s talons et repartit dans sa tanière, <strong>le</strong>s<br />

abandonnant dans une incompréhension tota<strong>le</strong>.<br />

"Zut, notre seu<strong>le</strong> source d'information refuse <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r, pesta Rachel. Ce<br />

Celmark est aussi sensib<strong>le</strong> que ce satané Jamie. A croire que <strong>le</strong>s élus<br />

prennent beaucoup <strong>de</strong> ceux qui <strong>le</strong>ur ont offert <strong>le</strong>urs dons.<br />

-Je ne suis pas quelqu'un <strong>de</strong> fier, fit remarquer Arthur.<br />

-Que tu dis…<br />

-J'aimerais bien entendre par<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s psychopathes télépathes qui t'ont<br />

donné ton don Rachel.<br />

-…<br />

-Je crois que nous l'avons rendu très triste, intervint Roxana avec<br />

culpabilité. Le Celmark a vécu si longtemps qu'il doit avoir accumulé<br />

beaucoup <strong>de</strong> souvenirs tristes. Nous avons peut-être manqué <strong>de</strong> tact en<br />

l'interrogeant ainsi."<br />

El<strong>le</strong> avait raison. Arthur regarda Kaznaël du coin <strong>de</strong> l'œil. Est-ce que<br />

comme lui <strong>le</strong> Celmark refusait d'évoquer certains détails <strong>de</strong> son passé<br />

pour ne pas raviver <strong>de</strong>s souvenirs douloureux? Le Protecteur avait<br />

toujours ce regard mélancolique lorsque la discussion touchait à Leryan.<br />

Le même que celui qu'il affichait à ce moment précis.<br />

"Je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> s'il y a d'autres Celmarks à Sorgentel, dit Sally.<br />

4


-Non, c'est <strong>le</strong> seul, assura Kaznaël.<br />

-C'est triste! Il n'a absolument pas <strong>de</strong> congénères?<br />

-Non."<br />

Jamie n'avait pas eu <strong>le</strong> moindre ami étant plus jeune. Il avait été<br />

éduqué chez lui par un professeur particulier. Pourtant il affectionnait la<br />

compagnie <strong>de</strong>s gens, comme <strong>le</strong> Celmark. <strong>Les</strong> points <strong>de</strong> similitu<strong>de</strong><br />

s'accumulaient.<br />

"Dites <strong>le</strong>s gars, je vais vous laisser un peu, déclara Arthur en sortant<br />

subitement <strong>de</strong> l'eau.<br />

-Où vas-tu? lui <strong>de</strong>manda Elliott.<br />

-Je vais rester un peu avec <strong>le</strong> Celmark."<br />

Il secoua la tête pour se débarrasser <strong>de</strong> l'eau qui lui coulait sur <strong>le</strong><br />

visage et retourna dans la tanière du Celmark. Le propriétaire <strong>de</strong>s lieux<br />

était <strong>de</strong> retour <strong>de</strong>vant <strong>le</strong> feu sur <strong>le</strong>quel était posée une marmite brûlante.<br />

Une o<strong>de</strong>ur ragoûtante en émanait, ce qui était bon signe pour <strong>le</strong> repas.<br />

"Je peux venir? <strong>de</strong>manda Arthur."<br />

Le Celmark hocha la tête sans se retourner. Arthur partit alors<br />

s'asseoir sur un pan <strong>de</strong> tapis. Il n'avait même pas pensé à se rhabil<strong>le</strong>r ou<br />

à se sécher. De ce fait, la fourrure du tapis se mouilla très rapi<strong>de</strong>ment<br />

lorsqu'il s'installa.<br />

"Désolé, s'excusa-t-il.<br />

-Ca séchera, ce n'est pas grave. Il ne faut juste pas attraper froid.<br />

-J'irai m'habil<strong>le</strong>r une fois sec. Je peux vous ai<strong>de</strong>r à préparer <strong>le</strong> repas en<br />

attendant? Ca me ferait plaisir."<br />

Le Celmark acquiesça d'un signe <strong>de</strong> tête, lui tendit une spatu<strong>le</strong> en<br />

bois et se remit à chantonner. Arthur se sentait minuscu<strong>le</strong> à côté <strong>de</strong> lui.<br />

***<br />

"Je viens simp<strong>le</strong>ment apporter la paro<strong>le</strong> du Régent, déclara poliment<br />

Irène. J'espérais trouver l'honorab<strong>le</strong> Priam pour la lui transmettre.<br />

-La paro<strong>le</strong> du Régent…? répéta Meo d'un air incrédu<strong>le</strong>."<br />

Cette femme inspirait <strong>le</strong> mépris <strong>le</strong> plus profond à Ana Rosa. Même si<br />

l'on occultait <strong>le</strong> fait qu'el<strong>le</strong> l'avait prise pour un garçon, il y avait quelque<br />

chose <strong>de</strong> très insidieux dans son regard, malgré sa gran<strong>de</strong> beauté. Ana<br />

Rosa serra bien l'Alzévir dans ses bras pour <strong>le</strong> soustraire à la portée <strong>de</strong><br />

cette émissaire malvenue. Asuka et Aïshani n'étaient pas beaucoup plus<br />

amènes.<br />

4


"L'Honorab<strong>le</strong> Priam est actuel<strong>le</strong>ment très occupé, répondit Meo d'une voix<br />

pincée. Cependant, en tant qu'Ancien et Maesprine <strong>de</strong>s Î<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Nace, je<br />

suis tout à fait habilité à entendre et rapporter votre message!<br />

-Fort bien, je n'en ai jamais douté, dit Irène."<br />

<strong>Les</strong> mains <strong>le</strong> long du corps, el<strong>le</strong> passa au milieu du petit groupe et<br />

s'assit gracieusement sur <strong>le</strong> rebord <strong>de</strong> la tab<strong>le</strong>, puis croisa ses longues<br />

jambes, candidates parfaites pour une campagne <strong>de</strong> promotion d'une<br />

crème dépilatoire.<br />

"Le Régent Hermès a <strong>le</strong> plaisir <strong>de</strong> tous vous convier à l'inauguration<br />

prochaine <strong>de</strong> l'Arène Maximus, nichée en p<strong>le</strong>in cœur <strong>de</strong> la rayonnante cité<br />

<strong>de</strong> Ca<strong>de</strong>ro. Cet édifice magnifique pourra contenir <strong>de</strong>s milliers <strong>de</strong> visiteurs<br />

et accueil<strong>le</strong>ra <strong>de</strong> nombreux divertissements, pour <strong>le</strong> plus grand plaisir <strong>de</strong><br />

tous : spectac<strong>le</strong>s <strong>de</strong> chants et <strong>de</strong> danse, épreuves physiques et bien<br />

d'autres activités. Nous espérons donc que <strong>le</strong>s notab<strong>le</strong>s que vous êtes<br />

(el<strong>le</strong> daigna enfin regar<strong>de</strong>r Meo) feront au Régent l'immense honneur <strong>de</strong><br />

<strong>le</strong>ur présence une fois l'ouvrage achevé."<br />

<strong>Les</strong> baguettes qui maintenaient sa chevelure en place luirent alors<br />

qu'el<strong>le</strong> baissait <strong>le</strong>s yeux. Son visage était animé d'un sourire délicat.<br />

"Nous pourrons bien évi<strong>de</strong>mment profiter <strong>de</strong> cette rencontre pour discuter<br />

ensemb<strong>le</strong> <strong>de</strong> la nouvel<strong>le</strong> donne.<br />

-La nouvel<strong>le</strong> donne? répéta Ana Rosa sans comprendre.<br />

-Qu'enten<strong>de</strong>z vous par là, Irène? <strong>de</strong>manda Meo.<br />

-Notre invitée fait sans doute référence au nécessaire rééquilibrage <strong>de</strong>s<br />

forces politiques au sein <strong>de</strong> Sorgentel, dit Aïshani avec un sourire éteint.<br />

Je crois comprendre que <strong>le</strong> Régent Hermès, si c'est bien là son nom,<br />

souhaiterait que <strong>le</strong> Cénac<strong>le</strong> abandonne une partie <strong>de</strong> ses prérogatives au<br />

profit <strong>de</strong>s cités, notamment <strong>de</strong> Ca<strong>de</strong>ro. Ai-je bien saisi la teneur <strong>de</strong> la<br />

nouvel<strong>le</strong> donne, madame?<br />

-Vous êtes fort avisée, c'est bien digne d'une élue, dit Irène d'un air<br />

agréab<strong>le</strong>ment surpris. Evi<strong>de</strong>mment nous ne voyons pas <strong>le</strong>s choses <strong>de</strong><br />

manière si abrupte mais il est certain que l'échec <strong>de</strong> la Concrétisation<br />

soulève la question <strong>de</strong> la légitimité du Havre. Pour cette raison, <strong>le</strong> Régent<br />

– que je représente – estime qu'il faut réunir tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> à la tab<strong>le</strong> <strong>de</strong>s<br />

négociations. Quel moyen plus agréab<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>le</strong> faire qu'à l'occasion <strong>de</strong>s<br />

festivités <strong>de</strong> l'Arène Maximus?<br />

-Il n'y a pas <strong>de</strong> nouvel<strong>le</strong> donne et cette arène maxima<strong>le</strong> n'est qu'une<br />

mascara<strong>de</strong>, tonna Meo, rouge comme un pivoine. Oui, une mascara<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>stinée à asseoir <strong>le</strong> prestige <strong>de</strong> ce régent dictateur dont <strong>le</strong> pouvoir n'est,<br />

lui, pas légitime!<br />

-Du calme, souffla Asuka au Maesprine, sentant que la situation<br />

s'envenimait.<br />

-Le Régent n'a pas <strong>de</strong> <strong>le</strong>çons à nous donner ni <strong>de</strong> principes à édicter,<br />

continua Meo. S'il souhaite discuter autour d'une tab<strong>le</strong>, il n'a qu'à déplacer<br />

son <strong>de</strong>rrière régentissime jusqu'au Cénac<strong>le</strong> comme c'est là la coutume et<br />

4


discuter avec <strong>le</strong>s Anciens… Du moins, ceux qui n'ont pas été assassinés<br />

par…<br />

-Honorab<strong>le</strong> Meo, je crois que Priam voulait nous confier une petite<br />

mission, l'interrompit Aïshani. Nous <strong>de</strong>vrions peut-être en par<strong>le</strong>r!"<br />

Meo soufflait comme un taureau sur <strong>le</strong> point <strong>de</strong> charger. Il comprit<br />

néanmoins qu'il allait dépasser <strong>le</strong>s limites et se tut.<br />

"J'ai été charmée <strong>de</strong> faire votre connaissance mais je dois prendre congé,<br />

déclara Irène sans se départir <strong>de</strong> son amabilité. Veuil<strong>le</strong>z avoir l'obligeance<br />

<strong>de</strong> transmettre notre message à vos pairs, Honorab<strong>le</strong> Meo.<br />

-Oh croyez moi, ce sera fait dans <strong>le</strong> détail."<br />

Le sourire d'Irène s'élargit. El<strong>le</strong> inclina légèrement <strong>le</strong> front pour<br />

saluer tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> puis s'en alla aussi vite qu'el<strong>le</strong> était arrivée, après<br />

avoir convenab<strong>le</strong>ment refermé la porte <strong>de</strong>rrière el<strong>le</strong>. Meo laissa alors<br />

échapper un gron<strong>de</strong>ment terrib<strong>le</strong>.<br />

"Mince, ça c'est du passage retentissant, fit Asuka.<br />

-On aurait dit qu'el<strong>le</strong> avait appris son discours par cœur cette guenon<br />

L'Oréal, siffla Ana Rosa. Comment peut-el<strong>le</strong> me prendre pour un mec?<br />

-Si tu te laissais pousser <strong>le</strong>s cheveux…, murmura Asuka.<br />

-…<br />

-Merci <strong>de</strong> m'avoir calmé, dit Meo à Aïshani. Je lui aurais bien fait rava<strong>le</strong>r<br />

ses paro<strong>le</strong>s hypocrites mais si j'avais entraîné mes pairs dans un scanda<strong>le</strong><br />

diplomatique par mes paro<strong>le</strong>s, ça aurait été très fâcheux.<br />

-Il ne s'agissait que d'une manœuvre d'intimidation… ou plutôt <strong>de</strong><br />

provocation, expliqua Aïshani en croisant <strong>le</strong>s bras. Par sa venue, el<strong>le</strong><br />

souhaitait juste vous rappe<strong>le</strong>r son existence, un peu comme pour dire<br />

"N'oubliez pas que nous sommes là, que nous avons <strong>de</strong>s intérêts et que<br />

nous <strong>le</strong>s mènerons à bien dès que vous montrerez <strong>le</strong> moindre signe <strong>de</strong><br />

faib<strong>le</strong>sse". Il ne faut pas se laisser entraîner dans ce genre <strong>de</strong><br />

manipulation.<br />

-Et puis c'est quoi cette histoire d'arène gigantesque? ajouta Ana Rosa. On<br />

dirait ces anciens dictateurs sud-américains qui encensaient <strong>le</strong>ur propre<br />

régime en édifiant <strong>de</strong> superbes babio<strong>le</strong>s architectura<strong>le</strong>s <strong>de</strong>stinées à une<br />

supposée gloire nationa<strong>le</strong> et qui, en contrepartie, faisaient <strong>de</strong> la répression<br />

dans l'ombre en brimant et extorquant.<br />

-Tu t'enflammes Ana Rosa, tempéra Asuka.<br />

-El<strong>le</strong> n'a pas tort, reconnut Aïshani. Je trouve d'ail<strong>le</strong>urs étrange qu'une<br />

tel<strong>le</strong> arène soit créée à Sorgentel. Plutôt qu'une arène, sa <strong>de</strong>scription<br />

correspond à cel<strong>le</strong> d'un cirque romain… et pas n'importe <strong>le</strong>quel.<br />

-Je ne comprends pas. Est-ce quelque chose <strong>de</strong> typique dans votre<br />

mon<strong>de</strong>? l'interrogea Meo.<br />

-Ca l'a été à une époque révolue. Ce genre <strong>de</strong> création était<br />

caractéristique <strong>de</strong> ce que l'on appelait l'Empire romain et la <strong>de</strong>scription<br />

qu'el<strong>le</strong> a faite <strong>de</strong> cette arène correspondait exactement aux spectac<strong>le</strong>s que<br />

<strong>le</strong>s cirques abritaient. D'ail<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong> simp<strong>le</strong> fait que <strong>le</strong> Régent ait appelé<br />

4


cette arène Maximus n'est sans doute pas un hasard. Le Circus Maximus<br />

était l'un <strong>de</strong>s plus grands cirques ayant jamais existé à Rome.<br />

-C'est vraiment une tête cette fil<strong>le</strong>, pensa Ana Rosa avec admiration. Dire<br />

qu'el<strong>le</strong> a à peine dix-huit ans…<br />

-Eeeh? Mais comment un Sorgenteli pourrait-il avoir eu vent <strong>de</strong> ce genre<br />

<strong>de</strong> détails historiques? s'exclama Asuka.<br />

-Justement, un Sorgenteli n'ayant jamais mis <strong>le</strong>s pieds dans notre mon<strong>de</strong><br />

ne <strong>de</strong>vrait pas avoir <strong>de</strong> tel<strong>le</strong> idée, à moins d'avoir été inspiré. En<br />

conclusion…<br />

-Le Régent fréquente effectivement <strong>de</strong>s personnes humaines ou<br />

connaissant <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> humain, <strong>de</strong>vina Ana Rosa.<br />

-Exactement Ana. Nul doute qu'ils travail<strong>le</strong>nt même en étroite<br />

coopération. Avec cette histoire d'arène, <strong>le</strong>s liens pouvant exister entre<br />

Ca<strong>de</strong>ro et la Confrérie sont avérés.<br />

-Un instant, fit Meo. Une tel<strong>le</strong> construction nécessite un temps<br />

considérab<strong>le</strong>! Or <strong>le</strong>s rumeurs concernant cette arène circu<strong>le</strong>nt <strong>de</strong>puis plus<br />

d'un an!<br />

-Dans ce cas, nous avons d'autant plus <strong>de</strong> raisons <strong>de</strong> nous inquiéter car<br />

cela signifie que <strong>le</strong> Régent était en contact avec la Confrérie bien avant la<br />

première visite <strong>de</strong> notre groupe à Sorgentel. En un an (au mieux), la<br />

Confrérie et <strong>le</strong> Régent ont eu suffisamment <strong>de</strong> temps pour peaufiner <strong>le</strong>ur<br />

stratégie pendant que nous nous évertuions à rassemb<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s élémentsclés<br />

puis <strong>le</strong>s créatures sacrées. Si l'on résume bien la situation, nous ne<br />

sommes que <strong>de</strong>s enfants luttant contre <strong>de</strong>s politiciens et <strong>de</strong>s tacticiens<br />

extrêmement bien organisés. La partie est loin d'être gagnée"<br />

5


Chapitre 30 : Mon baptême du feu<br />

Journal Journal <strong>de</strong> <strong>de</strong> bord bord d'Anaïs d'Anaïs Guérin Guérin Guérin à Falgarnost<br />

Falgarnost<br />

Jour Jour 11,<br />

1 , <strong>le</strong> matin.<br />

[Petit <strong>de</strong>ssin d'une Anaïs souriante avec <strong>le</strong> pouce <strong>le</strong>vé]<br />

Je n'indique évi<strong>de</strong>mment pas <strong>le</strong>s jours vu que notre<br />

ca<strong>le</strong>ndrier ne s'applique pas à Sorgentel. Bref, allons droit au but.<br />

Quand j'ai vu Zahran et Victorio dans la longue vue tout à<br />

l'heure j'ai été morte <strong>de</strong> peur! Sérieux, ces types c'est comme <strong>le</strong>s<br />

sous-boss finaux d'un <strong>de</strong> ces RPG auxquels jouait Nils quand on<br />

était ados (Dragon Quest Fantasy je sais pas quoi…). Oui, <strong>le</strong><br />

genre… bad guy qui te terrasse rien qu'en agitant sa tignasse <strong>de</strong><br />

cheveux. D'ail<strong>le</strong>urs je me sens toujours assez mal. J'aurais préféré<br />

qu'ils ne soient pas dans <strong>le</strong> coin, surtout que je ne peux pas faire<br />

rebondir <strong>le</strong>s attaques <strong>de</strong> Zahran vu que c'est lui aussi un élu.<br />

Sonia et Rick m'ont dit pas <strong>de</strong> ne pas m'inquiéter mais ça n'a pas<br />

marché alors Tissam a sorti ceci :<br />

Tissam : N'aie aucune crainte ma chère Anaïs. Si ta vie <strong>de</strong>vait être<br />

mise en danger, n'hésite pas à me brandir comme bouclier<br />

humain. Il serait honteux <strong>de</strong> ne pas être prêt à mourir pour<br />

sauver une charmante femme comme toi!<br />

Anaïs (j'ai soupiré): Tissam, pourquoi tous <strong>le</strong>s hommes <strong>de</strong> notre<br />

âge ne sont pas comme toi?<br />

Tissam : Dieu a brisé <strong>le</strong> mou<strong>le</strong>. Il me trouvait trop parfait pour<br />

créer un doub<strong>le</strong>... Je ne vois pas d'autre explication.<br />

Oui, il n'est pas mo<strong>de</strong>ste <strong>le</strong> petit Ibtissam. C'est bien là son<br />

plus grand défaut.<br />

Bref.<br />

Après cette séance d'observation, Monsieur Omar a déc<strong>le</strong>nché<br />

un cyc<strong>le</strong> <strong>de</strong> réunions stratégiques avec tous <strong>le</strong>s Titulaires <strong>de</strong> la<br />

Milice. Seu<strong>le</strong> Sonia y participe pour <strong>le</strong> moment, pas <strong>le</strong>s élus. Nous<br />

serons fixés sur notre sort plus tard. Du coup, je suis allée observer<br />

<strong>le</strong>s entraînements <strong>de</strong> Parestina avec Kisridge, Tissam et Jamie.<br />

C'est impressionnant cette magie! Mais Tissam et Jamie n'étaient<br />

pas vraiment concentrés là-<strong>de</strong>ssus. Ils n'arrêtaient pas <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r<br />

5


<strong>de</strong> Sally en rigolant. La pauvre… Je n'ai jamais vu <strong>de</strong>ux rivaux<br />

aussi compères, même la permanente Kisridge était choquée (je<br />

crois qu'el<strong>le</strong> est maintenant assez détendue pour paraître<br />

choquée).<br />

Jour Jour 1, 1, 1, un un peu peu plus plus tard tard dans dans la la journée<br />

journée<br />

Il fait chaud à Falgarnost! Très chaud! Sans doute à cause<br />

<strong>de</strong>s murail<strong>le</strong>s rouges (je sais, aucun rapport…)! <strong>Les</strong> miliciens sont<br />

gentils, ils m'apportent <strong>de</strong>s verres d'eau et me font la conversation.<br />

Le souci c'est qu'ils m'apportent TOUS un verre d'eau et que je me<br />

sens obligée <strong>de</strong> <strong>le</strong>s boire pour ne pas <strong>le</strong>s vexer. Heureusement<br />

Kisridge a débarqué au bout d'un moment (el<strong>le</strong> avait rejoint<br />

momentanément <strong>le</strong> cyc<strong>le</strong> <strong>de</strong> réunions) et <strong>le</strong>s a chassés avec un<br />

balai. C'était hi-la-rant : <strong>de</strong>s types en train <strong>de</strong> fuir avec <strong>de</strong>s verres<br />

d'eau à la main.<br />

Kisridge : Anaïs, vous ne <strong>de</strong>vez pas être aussi gentil<strong>le</strong> avec ces<br />

vermines!! >__<<br />

[Dessin <strong>de</strong> Kisridge énervée avec un balai]<br />

Kisridge a beau faire sa méchante, je crois qu'el<strong>le</strong> est en fait<br />

trèèèès gentil<strong>le</strong>! El<strong>le</strong> m'a confirmé que nous allons lancer une<br />

action contre <strong>le</strong> campement ennemi <strong>de</strong>main à la nuit tombée.<br />

Comme el<strong>le</strong> m'a vu <strong>de</strong>venir blême, el<strong>le</strong> m'a <strong>de</strong>mandé si j'avais<br />

besoin d'un verre d'eau.<br />

Jour Jour 1, 1, dans dans dans la la soirée<br />

soirée<br />

On a fina<strong>le</strong>ment tous rejoint Omar en comité réduit autour<br />

d'une tab<strong>le</strong> <strong>de</strong> repas : il y avait <strong>de</strong> la volail<strong>le</strong>, du mandì, moi,<br />

Sonia, Rick, Shui-Khan, Jamie et Ibtissam + Kisridge <strong>de</strong> manière<br />

surprenante. Omar nous a déroulé un plan <strong>de</strong> la zone et montré<br />

où se trouvait l'Avant Poste <strong>de</strong> Ka<strong>de</strong>ïsi, puis <strong>le</strong> campement ennemi<br />

("l'association <strong>de</strong>s malfaiteurs Ca<strong>de</strong>ro – Confrérie" comme l'a<br />

souligné Jamie). <strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux sont juste à côté, ce qui ne peut être<br />

qu'une provocation! Cependant il paraît qu'on n'a pas <strong>le</strong> choix.<br />

Faire sty<strong>le</strong> qu'on a compris <strong>le</strong> piège et qu'on ne compte pas tomber<br />

<strong>de</strong>dans est mal vu (ces militaires…).<br />

5


Donc, pour revenir au plan que nous a expliqué Omar, il<br />

s'agit d'infiltrer <strong>le</strong> campement pour vérifier si <strong>le</strong> fameux Orbe <strong>de</strong><br />

Ky<strong>le</strong>an s'y trouve! Discrètement bien sûr! L'objectif est la gran<strong>de</strong><br />

tente rouge. Il faut neutraliser tous <strong>le</strong>s gar<strong>de</strong>s en poste sans <strong>le</strong>s<br />

tuer. Si on ne trouve rien, on se replie! Trop cool en un sens, on<br />

dirait Alias!<br />

Comme c'est une infiltration, <strong>le</strong>s effectifs seront très réduits!<br />

Je recopie ce que j'ai retenu du schéma<br />

CAMPEMENT ENNEMI<br />

Rick – Kisridge – Deux Miliciens<br />

ZONE ENTRE LE CAMPEMENT ENNEMI ET L'AVANT POSTE<br />

Shui-Khan – Jamie – Deux Miliciens<br />

AVANT POSTE<br />

Moi – Ibtissam – Sonia – Omar et p<strong>le</strong>in <strong>de</strong> Miliciens<br />

J'ai cru comprendre que Kisridge était une professionnel<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

l'infiltration discrète! Sydney Bristow quoi! Par contre Shui-Khan<br />

n'a pas apprécié <strong>de</strong> n'être que du back-up! Il voulait partir avec<br />

Rick et frapper du méchant mais Sonia lui a dit que c'était pour<br />

cette raison précise qu'il resterait dans la zone intermédiaire!<br />

Shui-Khan : C'est trop injuste! [<strong>de</strong>ssin <strong>de</strong> Shui-Khan furax]<br />

Puis il est allé bou<strong>de</strong>r dans la paltonerie. Apparemment il<br />

fait ça lorsqu'il est vexé. Rick dit qu'il doit apprécier la compagnie<br />

<strong>de</strong>s bêtes plus que cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s hommes.<br />

Bref.<br />

Je suis en arrière gar<strong>de</strong>. Je ne sais pas comment je dois <strong>le</strong><br />

prendre. En un sens ça réduit <strong>le</strong>s risques que je me retrouve face à<br />

Zahran et Victorio, mais je ne suis pas certaine <strong>de</strong> servir. Sonia dit<br />

que <strong>de</strong> toute façon, <strong>le</strong> but <strong>de</strong> cette mission est d'éviter <strong>le</strong> conflit<br />

ouvert et que si tout se passe bien, seul <strong>le</strong> premier groupe (celui qui<br />

infiltre) aura à intervenir. <strong>Les</strong> intermédiaires et l'arrière gar<strong>de</strong><br />

5


n'agiront que si nécessaire. Et là el<strong>le</strong> me dit d'arrêter d'écrire et<br />

d'al<strong>le</strong>r dormir. Donc j'obéis, surtout que la nuit sera courte si<br />

Jamie et Tissam lancent encore un concert nocturne.<br />

Jour Jour Jour 2, 2, <strong>le</strong> <strong>le</strong> matin<br />

matin<br />

J'ai refait <strong>le</strong> coup <strong>de</strong> la bou<strong>le</strong> <strong>de</strong> feu tout à l'heure… sans <strong>le</strong><br />

vouloir et sans que personne ne m'en ait balancé une dans <strong>le</strong> dos.<br />

Est-ce que ça signifie que…<br />

Jour Jour 2, 2, la la la nuit, nuit, récit récit <strong>de</strong> <strong>de</strong> la la mission<br />

mission<br />

Ce fut… un fiasco total? Je ne sais pas quoi en penser…<br />

repartons du début pour mieux comprendre ce qui s'est passé.<br />

…<br />

Anaïs posa la main sur <strong>le</strong> mur <strong>de</strong> l'Avant Poste. Sa surface était lisse<br />

et blanche. Froi<strong>de</strong> comme <strong>le</strong> vent vicieux qui lui fouettait <strong>le</strong> visage. La nuit<br />

avait pris ses quartiers et seu<strong>le</strong>s <strong>de</strong> rares étoi<strong>le</strong>s étaient visib<strong>le</strong>s. A<br />

proximité, Omar scrutait <strong>le</strong> ciel avec une expression empreinte <strong>de</strong> doute.<br />

"Hé bien! On en voit rarement <strong>de</strong>s cieux aussi voilés, dit-il.<br />

-Est-ce un mauvais présage? <strong>de</strong>manda Ibtissam dont <strong>le</strong>s yeux verts<br />

brillaient dans l'obscurité.<br />

-Ce n'en est pas un bon… Gageons que ce ciel abattra sa malchance sur<br />

l'autre camp."<br />

Il porta une longue vue à son œil droit et Sonia en fit <strong>de</strong> même.<br />

Derrière eux, un groupe composé d'une vingtaine <strong>de</strong> miliciens armés<br />

d'épées et d'arcs se tenait en masse compacte, près <strong>de</strong> l'entrée <strong>de</strong> l'Avant<br />

Poste. Tous étaient si<strong>le</strong>ncieux, affûtant <strong>le</strong>urs lames et <strong>le</strong>s pointes <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs<br />

flèches. Aucune torche n'était allumée et toutes <strong>le</strong>s lumières <strong>de</strong> l'intérieur<br />

du petit bâtiment rond avaient été éteintes malgré <strong>le</strong>s ténèbres. Un<br />

si<strong>le</strong>nce pesant régnait sur <strong>le</strong> groupe.<br />

"Je ne <strong>le</strong>s vois pas, dit Sonia sans décol<strong>le</strong>r son œil <strong>de</strong> la longue-vue.<br />

-C'est bon signe. Cela signifie qu'ils sont suffisamment discrets, répondit<br />

Omar. En tout cas, il ne semb<strong>le</strong> pas y avoir d'autre mouvement dans <strong>le</strong><br />

camp que celui <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux hommes qui effectuent <strong>le</strong>ur tour <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>."<br />

Anaïs plissa <strong>le</strong>s yeux pour essayer <strong>de</strong> distinguer ce qu'il se passait<br />

dans <strong>le</strong> campement <strong>de</strong>s hommes du Régent. Au mieux el<strong>le</strong> arrivait à<br />

5


discerner <strong>le</strong>s lignes irrégulières formées par <strong>le</strong>s rangées <strong>de</strong> tentes et<br />

pouvait i<strong>de</strong>ntifier la gran<strong>de</strong> tente rouge située au milieu du campement.<br />

<strong>Les</strong> torches qui s'y trouvaient n'éclairaient que très peu <strong>le</strong> bivouac.<br />

"Ohé, là-haut! Qu'est-ce qui se passe? Rick et <strong>le</strong>s autres sont déjà sur<br />

place?"<br />

El<strong>le</strong> baissa <strong>le</strong>s yeux. Plusieurs mètres plus bas, au pied <strong>de</strong> l'élévation<br />

<strong>de</strong> terrain sur laquel<strong>le</strong> était perché l'Avant Poste étaient stationnés Shui-<br />

Khan, Jamie et <strong>de</strong>ux jeunes miliciens. Le dénivelé était si important<br />

qu'une échel<strong>le</strong> avait été placée là pour <strong>le</strong>ur permettre <strong>de</strong> monter et<br />

<strong>de</strong>scendre à loisir.<br />

"Du calme Shui, on n'en sait pas plus que vous pour <strong>le</strong> moment, répondit<br />

Sonia. Fais toi discret!"<br />

Eux aussi étaient plongés dans l'obscurité mais l'épée <strong>de</strong> Shui-Khan,<br />

rangée dans son dos, émettait une douce lumière blanche. Cela suffisait à<br />

mettre évi<strong>de</strong>nce la frustration latente du garçon.<br />

"On compte sur vous pour nous tenir informés, chuchota Jamie. Nous ne<br />

voyons absolument rien d'ici!<br />

-Soyez en assurés, répondit Omar."<br />

Sonia s'approcha <strong>de</strong> lui.<br />

"Vous êtes certain qu'ils ne risquent rien?<br />

-Kisridge a beaucoup d'expérience en ce domaine. On lui a souvent confié<br />

<strong>de</strong>s missions d'infiltration au sein même <strong>de</strong> Ca<strong>de</strong>ro, cité ô combien close.<br />

Quant à Rick, c'est un garçon doté d'un grand sang froid. Il est très<br />

intelligent, s'adapte rapi<strong>de</strong>ment et sait se défendre. C'est pour cela que je<br />

<strong>le</strong>s ai envoyés tous <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux. Enfin, Anty et Patt, <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux miliciens qui <strong>le</strong>s<br />

accompagnent, sont <strong>de</strong> fines lames et savent se faire aussi discrets que<br />

<strong>de</strong>s ombres.<br />

-Il est vrai que j'aurais moi-même choisi Rick pour ce genre d'entreprise.<br />

C'est indéniab<strong>le</strong>ment un bon choix.<br />

-J'ai vite appris à <strong>le</strong> cerner au cours <strong>de</strong> son séjour ici."<br />

Anaïs laissa échapper un éternuement. El<strong>le</strong> était si habituée au port<br />

<strong>de</strong> son béret que <strong>le</strong> moindre coup <strong>de</strong> vent la rendait mala<strong>de</strong> dès qu'el<strong>le</strong><br />

oubliait <strong>de</strong> <strong>le</strong> mettre.<br />

"Tenez Honorab<strong>le</strong> Anaïs, dit un milicien en lui proposant un sorte <strong>de</strong> plaid.<br />

Jetez ceci sur vos épau<strong>le</strong>s! <strong>Les</strong> nuits sont froi<strong>de</strong>s dans cette partie <strong>de</strong><br />

Sorgentel.<br />

-Merci bien!"<br />

5


Ce ca<strong>de</strong>au était <strong>le</strong> bienvenu. Ils faisaient <strong>le</strong> pied <strong>de</strong> grue <strong>de</strong>puis déjà<br />

un bon moment, probab<strong>le</strong>ment une <strong>de</strong>mie heure, sans <strong>le</strong> moindre rempart<br />

contre <strong>le</strong> vent. Cependant il était inenvisageab<strong>le</strong> d'allumer un feu pour se<br />

réchauffer, <strong>le</strong> but <strong>de</strong> l'opération étant <strong>de</strong> laisser penser à l'ennemi que<br />

l'Avant Poste n'était pas plus en activité cette nuit qu'en temps normal. De<br />

plus, toute émission <strong>de</strong> lumière aurait contribué à révé<strong>le</strong>r la progression<br />

<strong>de</strong> <strong>le</strong>urs compagnons.<br />

"Je crois que je viens <strong>de</strong> voir quelque chose, dit soudain Omar en réglant<br />

sa longue vue.<br />

-I<strong>de</strong>m, fit Sonia. Il doit s'agir d'Anty et Patt vu <strong>le</strong>urs silhouettes. Ils<br />

viennent d'entrer dans <strong>le</strong> camp par <strong>le</strong> côté Est!"<br />

Le cœur d'Anaïs se mit à battre à tout rompre. En contrebas, Shui-<br />

Khan montra lui aussi <strong>de</strong>s signes d'agitation. Il avait entendu.<br />

"Où sont Rick et Kisridge? <strong>de</strong>manda avi<strong>de</strong>ment Ibtissam.<br />

-Je ne <strong>le</strong>s vois pas pour <strong>le</strong> moment mais Anty et Patt sont en train <strong>de</strong><br />

progresser vers l'un <strong>de</strong>s gar<strong>de</strong>s, indiqua Omar. Ils sont accroupis près<br />

d'une tente et… je crois qu'ils la contournent pour surprendre <strong>le</strong> gar<strong>de</strong> par<br />

<strong>de</strong>rrière. Ils se débrouil<strong>le</strong>nt bien ces <strong>de</strong>ux-là.<br />

-Je vois Rick, dit soudain Sonia."<br />

Tous <strong>le</strong>s miliciens s'approchèrent d'Omar et Sonia pour mieux<br />

entendre <strong>le</strong>s <strong>de</strong>scriptions <strong>de</strong> ce qu'ils ne pouvaient voir. La tension était à<br />

son comb<strong>le</strong>.<br />

"Ha ha! Il vient <strong>de</strong> neutraliser <strong>le</strong> gar<strong>de</strong>, ricana Sonia avec une nuance <strong>de</strong><br />

fierté.<br />

-Il l'a assommé? <strong>de</strong>manda Anaïs.<br />

-Non, il existe ici une substance qui produit <strong>le</strong> même effet que du<br />

chloroforme. Il suffit d'en placer sur <strong>le</strong> creux <strong>de</strong> sa main et <strong>de</strong> la plaquer<br />

sur <strong>le</strong> nez d'une personne pour qu'el<strong>le</strong> s'endorme aussitôt.<br />

-C'est <strong>le</strong> fruit du travail <strong>de</strong> nos maîtres en Parestina, précisa Omar. Ils<br />

l'ont nommée "Nellow"."<br />

Omar et Sonia continuèrent à observer <strong>le</strong> dérou<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> la mission<br />

en si<strong>le</strong>nce pendant une dizaine <strong>de</strong> secon<strong>de</strong>s qui parurent durer une<br />

éternité. On pouvait percevoir la voix <strong>de</strong> Shui-Khan en train <strong>de</strong> s'irriter et<br />

cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Jamie tentant vainement <strong>de</strong> <strong>le</strong> calmer.<br />

"Anty et Patt ont neutralisé <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux gar<strong>de</strong>s ainsi qu'un soldat qui sortait<br />

par hasard <strong>de</strong> sa tente pour al<strong>le</strong>r se soulager la vessie, reprit Omar. Je<br />

crois qu'il s'est fait <strong>de</strong>ssus, par suite!<br />

-Ewwww, fit Sonia. OH, je vois Kisridge! El<strong>le</strong> est en train d'avancer à<br />

quatre pattes vers la tente rouge, une dague entre <strong>le</strong>s <strong>de</strong>nts."<br />

Omar laissa échapper un rire tonitruant qui fit tremb<strong>le</strong>r Anaïs.<br />

5


"Je la reconnais bien là, fit-il. D'ail<strong>le</strong>urs, savez-vous que Kisridge n'est pas<br />

son véritab<strong>le</strong> nom?<br />

-Ah? s'étonna Anaïs.<br />

-El<strong>le</strong> s'appel<strong>le</strong> en fait Laurétcha mais el<strong>le</strong> n'a jamais supporté <strong>de</strong> porter ce<br />

nom. Kisridge a été inventé <strong>de</strong> toutes pièces dès qu'el<strong>le</strong> a intégré nos<br />

troupes. Enfin, passons…"<br />

Il se tut <strong>de</strong> nouveau pour observer, au grand dam d'Anaïs. A l'œil<br />

nu, on ne voyait vraiment rien <strong>de</strong> l'action en cours.<br />

"<strong>Les</strong> autres ont rejoint Kisridge près <strong>de</strong> la tente rouge et il n'y plus aucun<br />

gar<strong>de</strong> encore conscient à l'extérieur, décrivit Sonia. Hum… ils ont l'air <strong>de</strong><br />

faire <strong>le</strong> tour, comme prévu!<br />

-S'ils suivent bien mes directives, <strong>de</strong>ux d'entre eux vont passer par<br />

l'entrée <strong>de</strong> la tente tandis que <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux autres agiront par l'arrière, fit<br />

Omar. D'après nos observations, Irène est la seu<strong>le</strong> à occuper cette tente.<br />

El<strong>le</strong> ne représente pas <strong>de</strong> danger. Ils n'auront qu'à la neutraliser à son<br />

tour et fouil<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s lieux avant <strong>de</strong> battre en retraite.<br />

-<strong>Les</strong> choses ne se passent jamais si faci<strong>le</strong>ment, professa Ibtissam. Cette<br />

femme, Irène… vous ne l'avez pas décrite comme une personne stupi<strong>de</strong><br />

Maître Omar.<br />

-Effectivement…<br />

-Ne nous porte pas la poisse Tissam, répliqua Sonia sans quitter <strong>le</strong><br />

campement <strong>de</strong>s yeux. Regar<strong>de</strong>, ils sont à l'intérieur <strong>de</strong>puis quelques<br />

secon<strong>de</strong>s et je ne vois pas la moindre agitation.<br />

-De toute façon, Patt a un Echo sur lui. Il nous tiendrait informés en cas<br />

<strong>de</strong> problème.<br />

-C'est bon à savoir, conclut Ibtissam.<br />

-Néanmoins, je ne voudrais pas qu'ils s'attar<strong>de</strong>nt trop là-<strong>de</strong>dans…<br />

-Ah… un instant, je crois que je reçois justement un message <strong>de</strong> Patt, se<br />

réjouit Omar. Il doit vouloir me confirmer que…"<br />

<strong>Les</strong> traits du Maestor se déformèrent soudain.<br />

***<br />

"Mer<strong>de</strong>!"<br />

Rick jaillit <strong>de</strong> la tente en même temps que Kisridge. Le souff<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

l'explosion <strong>le</strong> plaqua contre <strong>le</strong> sol et <strong>le</strong> contraignit à lâcher <strong>le</strong> corps<br />

inanimé d'Anty.<br />

"Rick, est-ce que ça va!? Rick!? cria la voix <strong>de</strong> Kisridge.<br />

-Je crois… que je suis entier…"<br />

5


Une douceur lancinante lui faisait vibrer <strong>le</strong>s oreil<strong>le</strong>s. Ses tympans<br />

n'étaient peut-être pas in<strong>de</strong>mnes. De plus sa vision était teintée <strong>de</strong> rouge.<br />

Il avait sans doute été b<strong>le</strong>ssé à la tête, il ne savait pas.<br />

"Où est… Patt? souffla-t-il, désorienté."<br />

Kisridge s'approcha <strong>de</strong> lui pour l'ai<strong>de</strong>r à se maintenir <strong>de</strong>bout mais ne<br />

répondit pas. De ce qu'il pouvait voir el<strong>le</strong> était saine et sauve.<br />

"Il faut…"<br />

Rassemblant ses forces, il tituba jusqu'à l'endroit où il avait<br />

abandonné Anty et <strong>le</strong> re<strong>le</strong>va. Heureusement, <strong>le</strong> milicien respirait encore,<br />

bien que ce fut presque imperceptib<strong>le</strong>.<br />

"La tente était piégée!! ragea Kisridge alors que <strong>de</strong>s soldats du Régent<br />

émergeaient <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs tentes comme <strong>de</strong>s fourmis paniquées."<br />

Rick secoua la tête pour se remettre <strong>le</strong>s idées en place.<br />

"Allo? Allo? Qui est l'appareil? Cet Echo marche ou quoi? Allo? Hé hé…, fit<br />

une voix masculine."<br />

Interpellé par cette voix inconnue, Rick s'essuya <strong>le</strong>s yeux et tourna<br />

<strong>le</strong> regard vers la tente rouge, du moins ce qu'il en restait. Un étrange<br />

individu aux cheveux auburn tenait <strong>le</strong> cadavre à moitié carbonisé <strong>de</strong> Patt<br />

par <strong>le</strong> poignet droit, s'amusant à par<strong>le</strong>r dans l'Echo qui y était accroché.<br />

"Personne ne répond… L'Echo a du mourir en même temps que son<br />

porteur, ricana celui que Rick i<strong>de</strong>ntifia comme étant Victorio Benedict.<br />

-LAISSEZ LE EN PAIX, vociféra Kisridge.<br />

-C'était ton pote? Désolé, il n'avait qu'à pas déc<strong>le</strong>ncher <strong>le</strong> mécanisme!<br />

-Sa<strong>le</strong>…<br />

-En un sens, il vous a sauvés en agissant à votre place…"<br />

Victorio mit <strong>le</strong>s mains sur ses hanches d'un air amusé en voyant<br />

Kisridge sortir son épée. La situation était critique. Sans même avoir à<br />

regar<strong>de</strong>r autour <strong>de</strong> lui, Rick réalisait qu'ils étaient cernés par un grand<br />

nombre <strong>de</strong> soldats. Il n'était pas question d'affronter tous ces individus en<br />

même temps, même pour un élu. Au mieux il tiendrait quelques secon<strong>de</strong>s.<br />

Tout ce qu'il y avait à espérer, c'était que <strong>le</strong>s miliciens interviendraient<br />

suffisamment vite.<br />

"Victorio, aie du respect pour <strong>le</strong>s morts, déclara un autre homme."<br />

Le fameux élu passé dans <strong>le</strong> camp <strong>de</strong> la Confrérie écarta <strong>le</strong>s soldats<br />

qui se trouvaient sur son chemin. C'était Zahran Sun, un grand individu<br />

noir d'une vingtaine d'années habillé <strong>de</strong> vert lui aussi. Evi<strong>de</strong>mment, il<br />

5


aurait été trop beau d'échapper à cette explosion et en plus <strong>de</strong> ne pas <strong>le</strong>s<br />

éveil<strong>le</strong>r.<br />

"C'est donc toi Zahran? <strong>de</strong>manda Rick pour gagner du temps. Qu'est-ce<br />

qui t'a pris <strong>de</strong> rejoindre la Confrérie au lieu <strong>de</strong> te rallier à nous?<br />

-Je n'ai pas à te répondre…<br />

-Dis, on <strong>le</strong>s tue au lieu <strong>de</strong> discuter avec eux? suggéra Victorio. Je suis sûr<br />

que <strong>le</strong>urs potes ne sont pas loin…<br />

-Quels potes? On est venus seuls! mentit Rick.<br />

-Vraiment? s'étonna Zahran. Vous n'êtes pas pourtant du genre à agir en<br />

solo si l'on se base sur vos missions passées."<br />

Et <strong>le</strong>s membres <strong>de</strong> la Confrérie n'étaient pas du genre à être dupés<br />

aussi faci<strong>le</strong>ment. Gagner du temps n'était plus au programme. Rick<br />

s'assura <strong>de</strong> bien tenir Anty sous son cou<strong>de</strong>, ferma <strong>le</strong> poing droit et tendit<br />

l'in<strong>de</strong>x. Une lumière écarlate en émana.<br />

"Bon… Ca <strong>de</strong>vient tendu, n'est-ce pas? constata-t-il avec un rire nerveux."<br />

Il <strong>le</strong>va l'in<strong>de</strong>x vers sa tempe droite, sous <strong>le</strong> regard stupéfait <strong>de</strong> Victorio.<br />

"Hé, tu nous prends pour <strong>de</strong>s quiches!? Ton pouvoir te sert uniquement à<br />

soigner ou tuer quelqu'un. Ce n'est pas avec un truc aussi inuti<strong>le</strong> que tu<br />

pourras t'en sortir!<br />

-Qui par<strong>le</strong> <strong>de</strong> tuer quelqu'un?<br />

-Huh?"<br />

C'était un pari risqué. Quel qu'en soit <strong>le</strong> résultat, cela ne lui ferait<br />

gagner qu'une ou <strong>de</strong>ux précieuses minutes, tout au plus.<br />

"KISRIDGE, SUIS MOI!!"<br />

Rick pointa <strong>le</strong> doigt vers <strong>le</strong> sol situé juste <strong>de</strong>vant lui et relâcha son<br />

don. Le faisceau écarlate frappa alors <strong>de</strong> p<strong>le</strong>in fouet, déc<strong>le</strong>nchant une<br />

petite déflagration qui sou<strong>le</strong>va <strong>de</strong>s gerbes <strong>de</strong> terre. <strong>Les</strong> cris ahuris <strong>de</strong>s<br />

soldats résonnèrent, mais Rick et Kisridge étaient déjà en train <strong>de</strong> fuir<br />

lorsqu'ils parvinrent à <strong>le</strong>urs oreil<strong>le</strong>s.<br />

"Bien joué Rick, ha<strong>le</strong>ta Kisridge en détalant à ses côtés."<br />

Il ne répondit pas, concentré à soigner Anty avec son don en même<br />

temps qu'il courait. S'ils ne parvenaient pas à sortir du campement avant<br />

d'être rattrapés, ils étaient condamnés. Il fallait à tout prix se rapprocher<br />

<strong>de</strong> <strong>le</strong>urs compagnons.<br />

"Piégés <strong>de</strong>ux fois… Deux fois! Cette fois-ci quelqu'un est mort et Irène<br />

n'était même pas dans la tente. A quoi joue-t-on? pensa-t-il."<br />

5


Il courut plus vite, aussi vite que <strong>le</strong> lui permettait son corps éprouvé.<br />

"Rattrapez <strong>le</strong>s! hurla Victorio."<br />

***<br />

"A L'ASSAUT, TOUS AUTANT QUE VOUS ÊTES, tonna Omar. DEPÊCHEZ<br />

VOUS!<br />

-Shui, attends!!! cria Sonia en voyant <strong>le</strong> garçon se ruer vers <strong>le</strong><br />

campement."<br />

C'était trop tard, il était déjà loin, épée à la main. Tandis que tous<br />

<strong>le</strong>s miliciens présents dans l'Avant Poste dévalaient la pente pour al<strong>le</strong>r au<br />

secours <strong>de</strong> Rick et <strong>de</strong> ses compagnons, Anaïs avait <strong>le</strong>s yeux rivés sur <strong>le</strong><br />

nuage <strong>de</strong> fumée rougeâtre qui s'é<strong>le</strong>vait du milieu du campement. Ils<br />

tombés dans la gueu<strong>le</strong> du loup.<br />

"Je <strong>le</strong> savais, c'était trop simp<strong>le</strong>, ragea Sonia.<br />

-Ca ira! Mes hommes vont vite <strong>le</strong>s rejoindre.<br />

-Pas assez vite! Je <strong>de</strong>vrais peut-être y al<strong>le</strong>r…<br />

-Ne bouge pas d'ici pour <strong>le</strong> moment Sonia, lança Jamie <strong>de</strong>puis <strong>le</strong> pied du<br />

monticu<strong>le</strong>. Si Rick ou Shui-Khan ont besoin d'être soignés…"<br />

Sonia serra <strong>le</strong>s <strong>de</strong>nts. Sa frustration était perceptib<strong>le</strong>, mais el<strong>le</strong> était<br />

consciente <strong>de</strong> son importance.<br />

"Tissam…, murmura Anaïs.<br />

-Oui? répondit <strong>le</strong> jeune homme alors que <strong>le</strong>s doigts <strong>de</strong> sa main droite<br />

s'ornaient <strong>de</strong> bagues en or.<br />

-Tu vas y al<strong>le</strong>r?<br />

-C'est mon <strong>de</strong>voir. Nos amis sont là-bas…!"<br />

Alors qu'il montrait <strong>de</strong>s signes <strong>de</strong> départ, el<strong>le</strong> <strong>le</strong> retint subitement<br />

par la manche. Surpris, Ibtissam la dévisagea du regard.<br />

"Je ne veux pas être protégée. J'ai très peur <strong>de</strong> ce qui se passe ici mais…<br />

j'ai dit à Arthur que je laisserais mes va<strong>le</strong>urs pacifistes à Paris. Ici je suis<br />

presque une X-Men. Tu te rends compte l'image que je donnerais <strong>de</strong>s élus<br />

si je restais à rien faire?<br />

-Ha… Anaïs? De quoi par<strong>le</strong>s-tu?<br />

-Kisridge s'est occupée <strong>de</strong> moi <strong>de</strong>puis que je suis arrivée ici… Rick a<br />

éga<strong>le</strong>ment été très gentil avec moi et m'a expliqué tout ce que je ne<br />

comprenais pas… Je ne peux pas voir ça sans rien dire…<br />

-Tu ne comptes pas vr…"<br />

Anaïs se tourna brusquement vers Sonia. Cel<strong>le</strong>-ci avait déjà capté<br />

son regard et affichait un air satisfait. Un croisement <strong>de</strong> regards suffit à la<br />

jeune élue pour comprendre qu'el<strong>le</strong> avait son approbation.<br />

5


"Anaïs!? s'exclama Ibtissam."<br />

El<strong>le</strong> s'était déjà laissée tomber <strong>de</strong> l'élévation <strong>de</strong> terre et atterrit juste<br />

à côté <strong>de</strong> Jamie, <strong>le</strong>quel était en train d'enfi<strong>le</strong>r ses gants pour partir à son<br />

tour. Il laissa échapper un cri <strong>de</strong> surprise. L'atterrissage <strong>de</strong> l'élue avait<br />

fissuré <strong>le</strong> sol à ses pieds.<br />

"Anaïs? Comment as-tu…<br />

-Désolée Jamie, pas <strong>le</strong> temps."<br />

Son don avait amorti sa chute sans qu'el<strong>le</strong> n'ait vraiment eu besoin<br />

d'y penser. Le mouvement avait été instinctif, signe que ses efforts<br />

étaient récompensés. Le Dr Martin avait eu raison <strong>de</strong> l'encourager à<br />

travail<strong>le</strong>r ses capacités au moins une heure par jour.<br />

Soudain, el<strong>le</strong> prit appui sur un rocher situé juste <strong>de</strong>rrière el<strong>le</strong>, puis<br />

partit dans une course effrénée en direction du campement ennemi. El<strong>le</strong><br />

avançait si rapi<strong>de</strong>ment que la distance qui la séparait <strong>de</strong>s premiers<br />

miliciens partis en renfort se réduisait <strong>de</strong> secon<strong>de</strong> en secon<strong>de</strong>.<br />

"C'est moi qui cours ainsi? pensa-t-el<strong>le</strong>, voyant <strong>le</strong> décor défi<strong>le</strong>r plus vite<br />

qu'à l'accoutumée."<br />

***<br />

"Tu te rappel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s quatre attributs du Lumine? avait <strong>de</strong>mandé Aïshani<br />

alors qu'el<strong>le</strong>s se trouvaient toutes <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux au milieu d'un gymnase<br />

appartenant à GLOW.<br />

-Euh…"<br />

Anaïs s'était gratté la tête, dans l'espoir <strong>de</strong> retrouver la mémoire.<br />

"Je ne sais plus trop.<br />

-…<br />

-Désolée!<br />

-L'instinct qui te permet d'utiliser ton don et <strong>de</strong> progresser sans<br />

apprentissage! Le défi <strong>de</strong>s limites physiques! Le sixième sens qui te<br />

permet <strong>de</strong> ressentir <strong>le</strong>s émotions <strong>de</strong>s autres élites! L'assimilation qui te<br />

permet d'avoir recours à tes capacités sans passer systématiquement par<br />

ton instrument.<br />

-Ah oui, c'est vrai!"<br />

Aïshani avait retiré ses lunettes pour <strong>le</strong>s placer sur un banc, à côté d'el<strong>le</strong>.<br />

"Maintenant, on court…<br />

-Naaaaaaaaaaaaaaaaan!"<br />

***<br />

5


Anaïs filait tel <strong>le</strong> vent. El<strong>le</strong> avait dépassé tous <strong>le</strong>s miliciens et <strong>le</strong>s<br />

tentes n'étaient plus très loin d'el<strong>le</strong>, quelques dizaines <strong>de</strong> pas tout au plus.<br />

Avec cette vitesse, el<strong>le</strong> avait l'impression d'être capab<strong>le</strong> <strong>de</strong> tenir tête aux<br />

plus grands athlètes du mon<strong>de</strong>.<br />

"Pardon Shui!"<br />

Le garçon se retourna en p<strong>le</strong>ine course, stupéfait. Sans crier gare,<br />

el<strong>le</strong> bondit sur son épau<strong>le</strong> et s'élança en avant pour gagner davantage <strong>de</strong><br />

vitesse. <strong>Les</strong> tentes étaient là. El<strong>le</strong> avait enfin atteint <strong>le</strong> campement où<br />

régnait une situation chaotique. Des cris et <strong>de</strong> la fumée envahissaient la<br />

zone.<br />

"Une attaque! Une attaque! s'exclama un soldat ennemi qui venait <strong>de</strong><br />

remarquer sa présence!<br />

-Attention, c'est une élue! Attrapez cette gamine!"<br />

Loin <strong>de</strong> s'arrêter, Anaïs <strong>le</strong>ur fonça droit <strong>de</strong>dans, <strong>le</strong>s bras <strong>de</strong>vant <strong>le</strong> visage.<br />

"LE DEFI DES LIMITES PHYSIIIIIIQUES!!!!!!!! YAY!"<br />

El<strong>le</strong> percuta l'un d'entre eux <strong>de</strong> p<strong>le</strong>in fouet, l'envoyant valser vers<br />

<strong>le</strong>s décombres d'une tente, puis se retourna au moment où <strong>le</strong> <strong>de</strong>uxième<br />

soldat essayait <strong>de</strong> la frapper avec un bâton. Soudain, el<strong>le</strong> se retrouva<br />

<strong>de</strong>ux mètres dans <strong>le</strong>s airs. El<strong>le</strong> avait sauté.<br />

"Waaaaah! Je suis… trop forte, s'exclama-t-el<strong>le</strong> sous <strong>le</strong> regard déconfit <strong>de</strong><br />

l'ennemi."<br />

El<strong>le</strong> atterrit en <strong>le</strong> frappant d'un coup <strong>de</strong> talon et rejoignit <strong>le</strong> sol en<br />

position accroupie. L'homme s'écroula, assommé.<br />

"Anaïs!?<br />

-Honorab<strong>le</strong> Anaïs!!"<br />

Rick et Kisridge couraient dans sa direction poursuivis par <strong>de</strong>s<br />

hor<strong>de</strong>s <strong>de</strong> soldats armés jusqu'aux <strong>de</strong>nts. Ils transportaient <strong>le</strong> milicien<br />

Anty tant bien que mal.<br />

"Vous êtes sains et saufs!? se réjouit Anaïs.<br />

-Cours Anaïs! C'est pas <strong>le</strong> moment <strong>de</strong> rester ici, lança Rick sans s'arrêter.<br />

-Att…, commença Anaïs.<br />

El<strong>le</strong> vit qu'une flèche était sur <strong>le</strong> point d'atteindre Rick dans <strong>le</strong> dos.<br />

Sa larme <strong>de</strong> Nace irradia alors et <strong>le</strong> projecti<strong>le</strong> s'écrasa sur une barrière<br />

transparente.<br />

5


***<br />

"Le Dr Martin dit que mon don ne me permet pas uniquement <strong>de</strong> stopper<br />

une attaque ou <strong>de</strong> la réfléchir.<br />

-Ah bon? s'était étonnée Aïshani.<br />

-Oui, avait répondu Anaïs, ha<strong>le</strong>tante après <strong>le</strong>urs nombreux tours <strong>de</strong><br />

gymnase. Tu sais quoi? Et bien la Larme <strong>de</strong> Nace serait la création<br />

d'utilisateurs <strong>de</strong> magie!<br />

-De la Parestina?<br />

-Euh… Si tu <strong>le</strong> dis! Du coup, mon don me permettrait <strong>de</strong> réutiliser une<br />

seu<strong>le</strong> fois une attaque magique que j'aurais subie quelques temps plus<br />

tôt, sous réserve que j'aie un minimum d'entraînement.<br />

-Ce n'est pas un pouvoir négligeab<strong>le</strong> Anaïs! Tu pourrais être très efficace<br />

sur <strong>le</strong> long terme… Le souci étant que ce pouvoir ne te servira pas à<br />

grand' chose tant que tu n'auras pas été attaquée un certain nombre <strong>de</strong><br />

fois… donc il faudra que tu aies connu <strong>de</strong>s situations <strong>de</strong> combat réel où<br />

l'ennemi aura eu recours à la magie contre toi."<br />

Une lueur terrifiante avait traversé <strong>le</strong> regard d'Aïshani.<br />

***<br />

"Rick! Kisridge! A terre!"<br />

Anaïs tendit <strong>le</strong>s bras <strong>de</strong>vant el<strong>le</strong>. Une petite bul<strong>le</strong> se forma alors<br />

<strong>de</strong>vant ses mains.<br />

"Aïshani Ghansali!"<br />

Rick se jeta à terre et entraîna Kisridge dans sa chute. A cet instant<br />

précis, un pentagramme incan<strong>de</strong>scent se traça aux pieds d'Anaïs et une<br />

terrib<strong>le</strong> vague <strong>de</strong> flammes émergea <strong>de</strong> la bul<strong>le</strong> pour se déverser sur <strong>le</strong>s<br />

soldats. L'attaque ne <strong>le</strong>s consuma pas mais déc<strong>le</strong>ncha une série<br />

d'explosions qui <strong>le</strong>s dispersa aux quatre coins du campement. Anaïs<br />

referma alors sa main droite sur la bul<strong>le</strong> qui éclata.<br />

"C'est mon baptême du feu! s'exclama-t-el<strong>le</strong>, envahie par l'excitation. La<br />

suite!"<br />

5


Chapitre 31 : Lutte à l'Avant Poste<br />

Une exaltation déconcertante s'était emparée d'Anaïs alors qu'el<strong>le</strong><br />

admirait <strong>le</strong>s effets <strong>de</strong> ses pouvoirs. El<strong>le</strong> se sentait transcendée par une<br />

force incommensurab<strong>le</strong>, vibrante, se manifestant du bout <strong>de</strong> ses orteils<br />

jusqu'à la racine <strong>de</strong> ses cheveux. Son corps lui semblait léger au point<br />

qu'el<strong>le</strong> ressentait à peine <strong>le</strong>s foulées <strong>de</strong> ses pieds sur <strong>le</strong> sol. C'était donc<br />

ça <strong>le</strong> véritab<strong>le</strong> sens <strong>de</strong> son don?<br />

"Honorab<strong>le</strong> Anaïs?"<br />

La voix <strong>de</strong> Kisridge mit un moment à lui parvenir aux oreil<strong>le</strong>s,<br />

semblab<strong>le</strong> à un souff<strong>le</strong> lointain.<br />

"Anaïs?"<br />

El<strong>le</strong> émergea subitement <strong>de</strong> sa transe. Des nuées <strong>de</strong> soldats gisaient<br />

pê<strong>le</strong>-mê<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> campement, au milieu d'amas <strong>de</strong> tentes carbonisées et<br />

<strong>de</strong> mottes <strong>de</strong> terre brûlée. Tous gémissaient <strong>de</strong> dou<strong>le</strong>ur, poussaient <strong>de</strong><br />

longs râ<strong>le</strong>s attestant <strong>de</strong> l'amp<strong>le</strong>ur <strong>de</strong> l'attaque qu'ils venaient <strong>de</strong> subir.<br />

Certains étaient immobi<strong>le</strong>s, peut-être inconscients ou sur <strong>le</strong> point <strong>de</strong><br />

passer <strong>de</strong> vie à trépas. Cette vision soudaine frappa Anaïs comme une<br />

claque. La jubilation du moment passé se transforma soudain en<br />

sentiment d'horreur et <strong>de</strong> dégoût. Un goût amer lui emplit la bouche,<br />

symptomatique <strong>de</strong> sa culpabilité à venir.<br />

"Anaïs, ne restez pas là! D'autres soldats arrivent, avertit Kisridge en lui<br />

agrippant l'épau<strong>le</strong>. Nous <strong>de</strong>vons battre en retraite.<br />

-Kisridge! Je crois que certains d'entre eux sont morts! Je <strong>de</strong>vrais<br />

m'assurer <strong>de</strong> ne pas <strong>le</strong>s avoir...<br />

-Il s'agit d'ennemis. <strong>Les</strong> ennemis du Havre et <strong>de</strong>s élus! Vous n'avez pas à<br />

vous soucier <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur sort, eux n'auraient pas eu <strong>de</strong> scrupu<strong>le</strong>s à s'en<br />

prendre à vous si vous <strong>le</strong>ur en aviez laissé l'occasion. Venez, nous <strong>de</strong>vons<br />

retourner à l'Avant Poste."<br />

Anaïs croisa <strong>le</strong> regard <strong>de</strong> Rick, <strong>le</strong>quel rougeoyait avec la même<br />

intensité que <strong>le</strong>s flammes qu'il reflétait. Quelque chose dans son<br />

expression laissait penser qu'il voulait lui montrer son empathie mais que<br />

<strong>le</strong> moment n'était pas <strong>de</strong>s plus propices. Il avait placé <strong>le</strong> corps du milicien<br />

b<strong>le</strong>ssé sur son épau<strong>le</strong> pour se déplacer plus faci<strong>le</strong>ment et <strong>le</strong> léger<br />

tremb<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> ses jambes trahissait son état. <strong>Les</strong> b<strong>le</strong>ssures dont il était<br />

victime l'avaient clairement affecté et seu<strong>le</strong> sa volonté lui permettait <strong>de</strong><br />

tenir encore <strong>de</strong>bout.<br />

Anaïs se rappela alors <strong>de</strong> ses paro<strong>le</strong>s assénées à Arthur <strong>de</strong>ux ou<br />

trois jours plus tôt, au Havre, avant <strong>le</strong>ur séparation. C'était pourtant bien<br />

el<strong>le</strong> qui lui avait ordonné <strong>de</strong> laisser ses récriminations mora<strong>le</strong>s <strong>de</strong>rrière lui.<br />

Hors, el<strong>le</strong> se voyait maintenant l'objet <strong>de</strong> ces mêmes récriminations,<br />

troublée par <strong>le</strong>s dommages qu'el<strong>le</strong> avait causés à tous ces hommes. Son<br />

5


âme lui semblait souillée. La Anaïs Guérin qu'el<strong>le</strong> avait façonnée au cours<br />

<strong>de</strong>s vingt <strong>de</strong>rnières années ne pouvait pas tuer qui que ce soit, du moins<br />

pas sans y être contrainte.<br />

"Je vais <strong>le</strong>s retenir Honorab<strong>le</strong> Anaïs! Partez avec Rick, je m'occupe <strong>de</strong> ces<br />

scélérats!"<br />

Anaïs vit Kisridge brandir une longue épée à la fine gar<strong>de</strong> dorée et à<br />

la lame nimbée d'une aura nacrée. De nouveaux ennemis venaient <strong>le</strong>s<br />

assaillir, si nombreux qu'on pouvait se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si une fourmilière située<br />

sous <strong>le</strong> campement ne <strong>le</strong>s avait pas tous abrités en vue <strong>de</strong> cette nuit. Il<br />

était impossib<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>le</strong>s compter précisément mais Anaïs estima qu'ils<br />

étaient bien <strong>de</strong>ux douzaines.<br />

"Je suis en meil<strong>le</strong>ure état que Rick! Contenir ces insectes <strong>le</strong> temps<br />

nécessaire à votre départ ne sera qu'une formalité.<br />

-Kisridge, nous pouvons partir ensemb<strong>le</strong> si nous y allons maintenant,<br />

protesta Rick. Ne soyez pas butée.<br />

-Ils finiront pas nous rattraper avant que nous ne soyons en sécurité.<br />

Partez! Vos vies sont irremplaçab<strong>le</strong>s."<br />

"Cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Kisridge ne l'est-el<strong>le</strong> pas éga<strong>le</strong>ment?" songea Anaïs dont <strong>le</strong>s<br />

narines étaient irritées par <strong>le</strong>s fumées provenant du champ <strong>de</strong> batail<strong>le</strong>.<br />

Pourquoi la milicienne <strong>de</strong>vrait-el<strong>le</strong> se sacrifier? Aussi aguerrie qu'el<strong>le</strong><br />

pouvait être, jamais el<strong>le</strong> ne parviendrait à bout <strong>de</strong> tous ces soldats.<br />

"Je reste, décida soudain Anaïs."<br />

Des ri<strong>de</strong>s se creusèrent entre <strong>le</strong>s sourcils <strong>de</strong> Kisridge et ses lèvres se<br />

crispèrent.<br />

"Vous n'êtes pas apte à vous battre. Je vous suis reconnaissante <strong>de</strong> nous<br />

avoir secourus mais votre hésitation vous sera fata<strong>le</strong>."<br />

La réponse <strong>de</strong> la permanente Kisridge avait été froi<strong>de</strong> et cinglante.<br />

El<strong>le</strong> dut s'en rendre compte car el<strong>le</strong> détourna aussitôt <strong>le</strong> regard, au profit<br />

<strong>de</strong>s ennemis approchant.<br />

Plus vexée que b<strong>le</strong>ssée par cette remarque, Anaïs saisit la chaîne à<br />

laquel<strong>le</strong> était accrochée la larme <strong>de</strong> Nace et chassa <strong>de</strong> son esprit <strong>le</strong>s<br />

pensées qui l'avaient paralysée. El<strong>le</strong> pouvait se battre el<strong>le</strong> aussi. <strong>Les</strong><br />

capacités d'Aïshani ne correspondaient pas à la façon dont el<strong>le</strong> envisageait<br />

<strong>de</strong> lutter, il s'agissait <strong>de</strong> pouvoirs trop <strong>de</strong>structeurs, diffici<strong>le</strong>s à canaliser.<br />

Cependant, el<strong>le</strong> avait suffisamment <strong>de</strong> pouvoirs propres pour agir. C'était<br />

un pari risqué mais si el<strong>le</strong> y parvenait, el<strong>le</strong> serait alors capab<strong>le</strong> <strong>de</strong> tracer<br />

sa propre voie.<br />

"Tu ne te débarrasseras pas <strong>de</strong> moi, Kisridge!<br />

5


-Soit, dit la milicienne d'un air résigné. J'espère ne pas avoir à être<br />

accablée par votre disparition, Honorab<strong>le</strong> Anaïs.<br />

-Anaïs tout court."<br />

Sans laisser à Rick <strong>le</strong> temps d'émettre la moindre protestation,<br />

toutes <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux s'élancèrent vers <strong>le</strong> groupe compact <strong>de</strong> soldats, Kisridge<br />

en tête. Avec une aisance presque surnaturel<strong>le</strong>, la milicienne s'insinua au<br />

milieu du groupe et se retrouva au ras du sol, <strong>le</strong>s genoux fléchis. D'un<br />

mouvement <strong>de</strong> lame, el<strong>le</strong> entailla <strong>le</strong>s cuisses ou <strong>le</strong>s genoux <strong>de</strong>s ennemis<br />

et renversa plusieurs d'entre eux. Puis son épée passa d'une main à<br />

l'autre et s'enfonça dans <strong>le</strong> sol. Kisridge se retrouva la tête en bas, en<br />

appui sur <strong>le</strong> pommeau <strong>de</strong> son arme. A la gran<strong>de</strong> stupéfaction d'Anaïs, el<strong>le</strong><br />

tourna sur el<strong>le</strong>-même avec soup<strong>le</strong>sse, frappant <strong>de</strong> ses jambes alignées<br />

tous ceux qui se trouvaient à proximité.<br />

Au même moment, Anaïs fit irruption sur <strong>le</strong> champ <strong>de</strong> batail<strong>le</strong>, la<br />

larme <strong>de</strong> Nace à la main. El<strong>le</strong> avait dans l'idée <strong>de</strong> neutraliser tous <strong>le</strong>s<br />

soldats du Régent sans <strong>le</strong>ur faire trop <strong>de</strong> mal pendant que Rick allait se<br />

mettre à l'abri.<br />

"Al<strong>le</strong>z! cria-t-el<strong>le</strong> pour se donner du courage."<br />

Deux bul<strong>le</strong>s transluci<strong>de</strong>s prirent naissance sur <strong>le</strong>s paumes <strong>de</strong> ses<br />

mains et prirent rapi<strong>de</strong>ment en tail<strong>le</strong>, à mesure qu'el<strong>le</strong> amplifiait l'intensité<br />

<strong>de</strong> son don. Bien rapi<strong>de</strong>ment, <strong>le</strong>s bul<strong>le</strong>s avaient complètement enveloppé<br />

ses <strong>de</strong>ux mains et pris l'amp<strong>le</strong>ur <strong>de</strong> ballons <strong>de</strong> football.<br />

"Espèce <strong>de</strong> traînée, je vais t'apprendre à attaquer mes compagnons,<br />

vociféra un soldat é<strong>de</strong>nté."<br />

Lance à la main, il se rua sur el<strong>le</strong> <strong>de</strong> son corps imposant et<br />

s'approcha d'el<strong>le</strong> au point qu'el<strong>le</strong> perçut l'espace d'un instant une o<strong>de</strong>ur <strong>de</strong><br />

sueur repoussante. Toutefois, son intuition d'élue lui permit d'anticiper<br />

l'attaque, d'effectuer un pas <strong>de</strong> côté pour éviter d'être embrochée par la<br />

lance ennemie puis <strong>de</strong> frapper <strong>le</strong> soldat <strong>de</strong>rrière la nuque à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> son<br />

cou<strong>de</strong> droit. A sa gran<strong>de</strong> stupéfaction, il s'effondra, preuve que <strong>le</strong>s élites<br />

voyaient effectivement <strong>le</strong>urs forces physiques décuplées.<br />

Ragaillardie par cette pensée, el<strong>le</strong> partit à la suite <strong>de</strong> Kisridge,<br />

assommant faci<strong>le</strong>ment du cou<strong>de</strong> ou <strong>de</strong>s jambes <strong>le</strong>s quelques soldats que<br />

la permanente n'avait pas déjà éliminés. Bondissant sur <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s<br />

distances plutôt que courant, el<strong>le</strong> avait <strong>le</strong> sentiment <strong>de</strong> ne presque pas<br />

toucher <strong>le</strong> sol. Pendant ce temps, <strong>le</strong>s bul<strong>le</strong>s étaient <strong>de</strong>venues <strong>de</strong>s sphères<br />

b<strong>le</strong>u clair au diamètre colossal. Toutefois ce n'était pas encore suffisant. Il<br />

fallait qu'el<strong>le</strong> tienne quelques instants <strong>de</strong> plus sans être déstabilisée, sans<br />

que sa concentration ne soit réduite à néant. Heureusement pour el<strong>le</strong>,<br />

Kisridge semblait avoir compris que l'élue avait besoin d'être protégée.<br />

Fine lame, el<strong>le</strong> taillait stratégiquement <strong>le</strong>s membres <strong>de</strong> ses opposants, <strong>de</strong><br />

manière à <strong>le</strong>s rendre inaptes au combat. El<strong>le</strong> prenait un malin plaisir à<br />

5


frapper au niveau <strong>de</strong>s chevil<strong>le</strong>s ou <strong>de</strong>rrière <strong>le</strong>s genoux, avec un succès<br />

indéniab<strong>le</strong>.<br />

Soudain, alors que la milicienne s'apprêtait à affronter un trio <strong>de</strong><br />

soldats, un gron<strong>de</strong>ment fulgurant se fit entendre et un éclair blanc<br />

s'abattit sur <strong>le</strong>s trois hommes. L'impact fut si retentissant qu'une vive<br />

lumière créa l'illusion du jour sur <strong>le</strong> campement. Même Anaïs qui se<br />

trouvait à distance cligna <strong>de</strong>s yeux pendant un long moment, à moitié<br />

aveuglée par cette manifestation é<strong>le</strong>ctrique inattendue. Lorsqu'el<strong>le</strong> reprit<br />

l'usage <strong>de</strong> sa vue, Shui-Khan se trouvait juste <strong>de</strong>vant el<strong>le</strong>, son épée<br />

accrochée dans <strong>le</strong> dos. <strong>Les</strong> trois victimes <strong>de</strong> son assaut étaient au sol,<br />

encore fumantes.<br />

"Quoi que tu sois en train <strong>de</strong> préparer, dépêche toi d'en finir, intima Shui-<br />

Khan sans accor<strong>de</strong>r un regard à Anaïs. Tu vois bien que Kisridge ne pourra<br />

pas te couvrir pendant <strong>de</strong>s heures.<br />

-Shui-Khan...?<br />

-Ce n'est pas <strong>le</strong> moment <strong>de</strong> jouer ton poisson rouge... Tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> fait<br />

son travail."<br />

Il se mit en position <strong>de</strong> combat, la lame <strong>de</strong> son épée alignée en face<br />

<strong>de</strong> son regard. Cel<strong>le</strong>-ci fut alors parcourue d'une multitu<strong>de</strong> d'éclairs.<br />

"YAHOOOOOOOO!"<br />

Interpellée par ce cri stri<strong>de</strong>nt, Anaïs <strong>le</strong>va <strong>le</strong>s yeux vers <strong>le</strong> ciel. Une<br />

étrange masse blanche et blon<strong>de</strong> était momentanément suspendue dans<br />

<strong>le</strong>s airs, au milieu du ciel <strong>de</strong> nuit et <strong>de</strong>s volutes <strong>de</strong> fumée. Une vision<br />

inattendue et presque comique dans ce contexte.<br />

"J'arrive Anaïs! hurla Jamie.<br />

-Jamie? Tu sautes aussi... aussi haut que CA...?"<br />

Tel un météore, il entama la partie <strong>de</strong>scendante <strong>de</strong> son bond<br />

phénoménal à une vitesse étourdissante. Anaïs <strong>le</strong> vit se rapprocher du sol,<br />

tel un bou<strong>le</strong>t <strong>de</strong> canon, et atterrir au milieu d'un groupe <strong>de</strong> soldats, <strong>le</strong><br />

poing <strong>le</strong> premier. Un bruit pareil à celui d'une détonation ébranla alors <strong>le</strong><br />

campement tandis que la terre se mettait à tremb<strong>le</strong>r. Jamie avait<br />

déc<strong>le</strong>nché un petit séisme qui entama sérieusement l'organisation du<br />

campement et fit s'écrou<strong>le</strong>r ce qu'il restait <strong>de</strong> tentes. Un mouvement <strong>de</strong><br />

panique traversa par suite <strong>le</strong> champ <strong>de</strong> batail<strong>le</strong>, d'autant plus que Shui-<br />

Khan avaient rejoint Kisridge dans la zone <strong>de</strong> combat.<br />

"Anaïs, tu vas bien?"<br />

Ibtissam arriva à ses cotés sans même qu'el<strong>le</strong> n'eût eu conscience<br />

<strong>de</strong> son approche. Toutefois il maintint une distance <strong>de</strong> sécurité entre eux<br />

<strong>de</strong>ux afin <strong>de</strong> ne pas être en contact avec <strong>le</strong>s sphères <strong>de</strong> magie qu'el<strong>le</strong><br />

avait créées.<br />

5


"Tissam! <strong>Les</strong> garçons et toi m'avez rapi<strong>de</strong>ment rejointe.<br />

-Shui-Khan était déjà en route, Jamie saute très haut et je cours bien plus<br />

vite que toi ma chère. Cela explique notre présence.<br />

-Où sont Maître Omar et <strong>le</strong>s autres miliciens?<br />

-Sur nos talons. Pardonne <strong>le</strong>ur car ils ne peuvent décemment pas se<br />

déplacer aussi vite que... Oh! Veuil<strong>le</strong> bien m'excuser."<br />

Ibtissam se retourna subitement pour faire face à un nouvel<br />

assaillant arrivé <strong>de</strong>rrière lui. A la gran<strong>de</strong> stupeur du soldat, il bloqua la<br />

pointe <strong>de</strong> son épée avec son simp<strong>le</strong> in<strong>de</strong>x. Sur chacun <strong>de</strong> ses doigts<br />

brillait un anneau doré.<br />

"M... Monstre! ha<strong>le</strong>ta <strong>le</strong> soldat, terrorisé.<br />

-Ce n'est pas très aimab<strong>le</strong>, murmura Ibtissam sans se départir <strong>de</strong> son<br />

expression avenante."<br />

La lame <strong>de</strong> l'épée se désintégra littéra<strong>le</strong>ment et une pluie <strong>de</strong><br />

poussière tomba sur <strong>le</strong>s chaussures du soldat. Décontenancé, ce <strong>de</strong>rnier<br />

se terra dans <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce quelques secon<strong>de</strong>s avant <strong>de</strong> soudain s'en prendre<br />

à Ibtissam, sans doute plus par instinct <strong>de</strong> survie que par sens du <strong>de</strong>voir.<br />

L'élu esquiva malgré tout la série <strong>de</strong> coups <strong>de</strong> poing qui s'ensuivit sans<br />

même <strong>le</strong>ver <strong>le</strong> petit doigt. Subitement, il se saisit du bras gauche <strong>de</strong> son<br />

assaillant, ferma <strong>le</strong> poing droit et frappa vio<strong>le</strong>mment son torse.<br />

"Éclat <strong>de</strong> la quintessence : Artifice!"<br />

Une on<strong>de</strong> dorée émana <strong>de</strong> sa main alors qu'il heurtait <strong>le</strong> corps du<br />

soldat. Ce <strong>de</strong>rnier eut alors un rictus grotesque et vola sur plusieurs<br />

mètres, emporté par un éclat lumineux chatoyant.<br />

"Désolé <strong>de</strong> ce contretemps, s'excusa Ibtissam avec l'expression d'une<br />

personne venant <strong>de</strong> se débarrasser d'un insecte nuisib<strong>le</strong>. Dis moi, que<br />

comptes-tu faire <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux choses?<br />

-Je... ne sais pas encore, admit Anaïs. Je tente juste ma chance!<br />

-Il serait temps d'en trouver un usage ma chère Anaïs. La compagnie <strong>de</strong><br />

ces individus se fait <strong>de</strong> plus en plus gênante."<br />

Il désigna du doigt un contingent <strong>de</strong> soldats du Régent<br />

précé<strong>de</strong>mment mis à terre par Kisridge. Ceux d'entre eux qui étaient<br />

encore en mesure <strong>de</strong> tenir <strong>de</strong>bout reprenaient <strong>le</strong>ur offensive.<br />

Etrangement, Anaïs se sentit presque soulagée <strong>de</strong> constater que la<br />

milicienne n'avait pas estropié tous ses ennemis.<br />

"Je m'occupe d'eux, annonça Ibtissam en faisant papillonner <strong>le</strong>s doigts <strong>de</strong><br />

sa main droite dans un craquement sinistre.<br />

-Ce n'est pas la peine Tissam."<br />

5


El<strong>le</strong> était <strong>de</strong> toute façon incapab<strong>le</strong> <strong>de</strong> contenir davantage <strong>le</strong> flux<br />

qu'el<strong>le</strong> avait accumulé dans ses <strong>de</strong>ux mains. Bien qu'el<strong>le</strong> put encore se<br />

mouvoir à loisir, <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux bul<strong>le</strong>s commençaient à lui peser comme <strong>de</strong>s<br />

bou<strong>le</strong>ts, signe qu'el<strong>le</strong> ne <strong>de</strong>vait pas al<strong>le</strong>r plus loin.<br />

D'un mouvement mesuré, proche <strong>de</strong> celui d'un joueur <strong>de</strong> bowling<br />

professionnel, el<strong>le</strong> balança son bras droit d'arrière en avant, puis relâcha<br />

subitement l'étreinte menta<strong>le</strong> qu'el<strong>le</strong> avait jusque là imposée à la<br />

première bul<strong>le</strong>. Cel<strong>le</strong>-ci se dégagea alors <strong>de</strong> sa main et s'é<strong>le</strong>va dans <strong>le</strong>s<br />

airs, au grand soulagement <strong>de</strong> la lanceuse qui se sentit alors libérée <strong>de</strong> la<br />

moitié <strong>de</strong> son far<strong>de</strong>au.<br />

"Aaah, laissa-t-el<strong>le</strong> échapper en manquant <strong>de</strong> perdre l'équilibre."<br />

Le projecti<strong>le</strong> flotta sur quelques mètres puis amorça un atterrissage.<br />

Bien évi<strong>de</strong>mment, <strong>le</strong>s soldats se jetèrent sur <strong>le</strong> côté pour éviter d'être<br />

frappés <strong>de</strong> p<strong>le</strong>in fouet par cette attaque inattendue. Ils avaient subi<br />

suffisamment <strong>de</strong> pertes pour ne plus se permettre <strong>de</strong> prendre la jeune<br />

femme à la légère. C'est donc sans doute avec stupéfaction qu'ils virent la<br />

bul<strong>le</strong> s'enfoncer mol<strong>le</strong>ment dans la terre à côté <strong>de</strong> débris <strong>de</strong> bois fumants<br />

et ne plus bouger.<br />

Le doute envahit alors l'esprit d'Anaïs. Avait-el<strong>le</strong> échoué? Après tout<br />

el<strong>le</strong> n'avait jamais tenté cette manœuvre lors <strong>de</strong> ses entraînements.<br />

"Ca ne marche pas Tissam, paniqua-t-el<strong>le</strong>. Ca ne marche pas du tout!<br />

J'espérais que ça ferait quelque chose.<br />

-Quelque chose? répéta Ibtissam avec incrédulité.<br />

-Genre <strong>le</strong>s enfermer dans une barrière.<br />

-C'est nous qu'il va falloir mettre sous barrière pour nous protéger."<br />

<strong>Les</strong> hommes du campement s'étaient re<strong>le</strong>vés dès qu'ils avaient<br />

réalisé que la bul<strong>le</strong> ne représentait pas <strong>le</strong> moindre danger, avaient<br />

récupéré <strong>le</strong>urs lances, épées et lames diverses, puis repris <strong>le</strong>ur charge<br />

contre <strong>le</strong>s élus, à la gran<strong>de</strong> terreur d'Anaïs. El<strong>le</strong> n'avait nul<strong>le</strong>ment<br />

envisagé la possibilité que sa tentative échoue. Par dépit – et surtout pour<br />

se débarrasser <strong>de</strong> la <strong>de</strong>uxième sphère considérée comme inuti<strong>le</strong> – el<strong>le</strong><br />

effectua un <strong>de</strong>uxième lancer qui eut, au moins, <strong>le</strong> mérite <strong>de</strong> ra<strong>le</strong>ntir la<br />

course <strong>de</strong>s soldats. Néanmoins la bul<strong>le</strong> atterrit misérab<strong>le</strong>ment sur une<br />

tente gris anthracite qui s'affaissa sous son poids.<br />

"Ce n'est pas grave Anaïs! Comme je te <strong>le</strong> disais tout à l'heure, je<br />

m'occupe d'eux."<br />

La main d'Ibtissam irradia littéra<strong>le</strong>ment d'or et il engagea <strong>de</strong> front<br />

<strong>le</strong>s premiers ennemis à se présenter <strong>de</strong>vant lui, à mains nues. Toute la<br />

prestance princière qui <strong>le</strong> caractérisait se manifesta alors dans son sty<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong> combat. Jamais il ne recula ni ne montra <strong>le</strong> moindre <strong>de</strong> signe <strong>de</strong><br />

crispation. Ses mouvements semblaient accompagner ceux <strong>de</strong> ses<br />

adversaires, <strong>le</strong>squels étaient irrémédiab<strong>le</strong>ment balayés par moult effets <strong>de</strong><br />

5


lumière après avoir à peine tenté <strong>de</strong>ux ou trois assauts. Même <strong>le</strong> regard<br />

perçant d'Anaïs avait du mal à suivre ses actions tant el<strong>le</strong>s étaient<br />

subti<strong>le</strong>s.<br />

Ne pas avoir d'arme était loin d'être un handicap pour Ibtissam. Au<br />

contraire, il avait transformé ce dénuement en atout fatal, atout qui<br />

prenait indéniab<strong>le</strong>ment ses ennemis au dépourvu. La preuve : sous <strong>le</strong><br />

regard admiratif d'Anaïs il effectua un très rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong>mi-tour sur lui-même,<br />

laissant dans <strong>le</strong> sillage <strong>de</strong> sa main droite une sorte <strong>de</strong> constellation<br />

ambrée qui donna lieu à la chute fulgurante <strong>de</strong> trois soldats. Ils ne se<br />

re<strong>le</strong>vèrent pas. Cette aisance au combat était proprement stupéfiante,<br />

même du point <strong>de</strong> vue d'une élite. C'était comme si Ibtissam était né avec<br />

<strong>le</strong> ta<strong>le</strong>nt d'un guerrier.<br />

"J'ai encore du travail" songea Anaïs. "Il a plus d'expérience que moi bien<br />

sûr mais cela ne suffit pas à justifier mes lacunes! Je dois apprendre à<br />

maîtriser mon don aussi bien que lui!"<br />

Coupant court à ces réf<strong>le</strong>xions, un bruit saisissant émana soudain <strong>de</strong><br />

la première sphère qu'avait lancée Anaïs, une <strong>de</strong>mi-minute plus tôt. Plutôt<br />

qu'un bruit, el<strong>le</strong> eut l'impression qu'une résonance lui emplissait <strong>le</strong>s<br />

oreil<strong>le</strong>s, <strong>de</strong> cel<strong>le</strong>s que l'on ne perçoit qu'après un choc sourd entre <strong>de</strong>ux<br />

objets métalliques. Tous se tournèrent vers <strong>le</strong> projecti<strong>le</strong> inerte, y compris<br />

Ibtissam qui suspendit sa distribution <strong>de</strong> coups.<br />

"Anaïs? fit-il d'un voix interrogatrice?<br />

-Ce n'est pas moi! se récria-t-el<strong>le</strong>."<br />

L'intensité <strong>de</strong> la réverbération atteignait <strong>le</strong>ntement mais sûrement<br />

<strong>le</strong>s limites <strong>de</strong> la tolérance auditive. Le troub<strong>le</strong> <strong>de</strong>s protagonistes était<br />

d'ail<strong>le</strong>urs perceptib<strong>le</strong>, aucun d'entre eux ne semblait prêt à reprendre <strong>le</strong><br />

cours du combat.<br />

"Punaise, qu'est-ce que j'ai encore fait? murmura Anaïs pour el<strong>le</strong>-même."<br />

Soudain, un chatoiement parcourut la bul<strong>le</strong>, un éclat propre à<br />

rappe<strong>le</strong>r celui d'une goutte d'eau qu'infiltrerait un rayon <strong>de</strong> so<strong>le</strong>il. Anaïs<br />

n'eut pas <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> saisir immédiatement <strong>le</strong> cours <strong>de</strong>s évènements. En<br />

moins d'une secon<strong>de</strong>, tous <strong>le</strong>s soldats... et Ibtissam furent éjectés <strong>de</strong> la<br />

scène, aussi faci<strong>le</strong>ment que <strong>de</strong>s fétus <strong>de</strong> pail<strong>le</strong>. Anaïs, el<strong>le</strong>, ne ressentit<br />

qu'une légère brise, assez agréab<strong>le</strong>.<br />

"M..."<br />

Une <strong>de</strong>uxième réverbération se manifesta presque aussitôt mais<br />

cette fois-ci Anaïs eut l'occasion <strong>de</strong> comprendre ce qui se passait, bien que<br />

<strong>le</strong> phénomène fût extrêmement bref. La <strong>de</strong>uxième bul<strong>le</strong> s'était mise à<br />

étince<strong>le</strong>r el<strong>le</strong> aussi. Puis, en une fraction <strong>de</strong> secon<strong>de</strong> el<strong>le</strong> avait vu sa tail<strong>le</strong><br />

décup<strong>le</strong>r, balayant au passage tout ce qui daignait dépasser du ras du sol.<br />

5


Encore une fois Anaïs ne ressentit pas la moindre gêne, si l'on ne pouvait<br />

qualifier <strong>de</strong> gêne <strong>le</strong> fait <strong>de</strong> voir vo<strong>le</strong>r sous son nez pièces d'armures,<br />

bougies, boucliers, chiffons et autres.<br />

Le premier effet <strong>de</strong> surprise passé el<strong>le</strong> <strong>le</strong>va <strong>le</strong>s yeux et observa avec<br />

ahurissement et émerveil<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> grand dôme transparent sous <strong>le</strong>quel<br />

el<strong>le</strong> était maintenant abritée. A vrai dire, il s'agissait plutôt <strong>de</strong> la réunion<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux immenses boursouflures transluci<strong>de</strong>s dont <strong>le</strong>s parois s'étaient<br />

agglutinées l'une à l'autre. Cela lui fit penser à ces bul<strong>le</strong>s <strong>de</strong> savon qu'el<strong>le</strong><br />

avait parfois la manie d'essayer <strong>de</strong> fusionner dans son bain, <strong>le</strong> plus<br />

souvent en vain. Il s'agissait là du même "prodige" (el<strong>le</strong> murmura<br />

"Prodigieux!"), à gran<strong>de</strong> échel<strong>le</strong>.<br />

"Un effet à retar<strong>de</strong>ment? J'ai peut-être créé une bombe bul<strong>le</strong>? Non, ce que<br />

j'ai lancé... ça <strong>de</strong>vait être une barrière miniature qui a gonflé d'un coup?<br />

<strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux ont mis du temps à grossir! C'est moi qui <strong>le</strong>s ai déc<strong>le</strong>nchés? Ou<br />

alors je ne maîtrise pas encore... En tout cas ça a propulsé tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong><br />

avec..."<br />

El<strong>le</strong> écarquilla <strong>le</strong>s yeux, réalisant enfin.<br />

"TISSAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAM!"<br />

Un bruit sourd retentit au loin. Au même moment, <strong>de</strong> nombreux<br />

gron<strong>de</strong>ments ponctués d'éclats lumineux parcoururent <strong>le</strong> campement.<br />

Shui-Khan et Jamie étaient sans doute en train <strong>de</strong> venti<strong>le</strong>r et disperser <strong>le</strong>s<br />

troupes <strong>de</strong> Ca<strong>de</strong>ro. Même hors <strong>de</strong> son champ <strong>de</strong> vision, Anaïs pouvaient<br />

<strong>de</strong>viner <strong>le</strong>ur présence distante. A l'inverse, el<strong>le</strong> ne voyait pas Ibtissam.<br />

D'ail<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong>s proches a<strong>le</strong>ntours étaient désormais d'un calme alarmant,<br />

conséquence déconcertante <strong>de</strong> son don. Le paysage n'était plus qu'amas<br />

<strong>de</strong> tentes, <strong>de</strong> meub<strong>le</strong>s détruits et feux résiduels.<br />

"Tissaaaaaaam!" cria-t-el<strong>le</strong> encore en faisant quelques pas à gauche puis<br />

à droite.<br />

El<strong>le</strong> n'osait s'aventurer trop loin, <strong>de</strong> peur d'éveil<strong>le</strong>r l'un <strong>de</strong>s<br />

nombreux soldats étalés au sol. Il était impossib<strong>le</strong> qu'Ibtissam ait été tué<br />

par l'attaque. Au pire il était b<strong>le</strong>ssé ou assommé. A quel<strong>le</strong> distance avaitel<strong>le</strong><br />

pu l'envoyer? Le pauvre n'avait sans doute rien vu venir malgré son<br />

instinct aiguisé.<br />

Anaïs cessa bruta<strong>le</strong>ment ses recherches. El<strong>le</strong> s'immobilisa, la nuque<br />

parcourue <strong>de</strong> sueurs froi<strong>de</strong>s. A une dizaine <strong>de</strong> mètres d'el<strong>le</strong> se trouvait un<br />

individu inconnu qui ne portait pas l'équipement <strong>de</strong> l'armée du Régent.<br />

L'homme était à moitié voilé par un mur <strong>de</strong> flammes dansantes mais<br />

on distinguait clairement ses pupil<strong>le</strong>s vertes, envoûtantes, mystiques. Une<br />

fine moustache se <strong>de</strong>ssinait sous son nez effilé et une mèche <strong>de</strong> cheveux<br />

noire scindait son front en <strong>de</strong>ux, <strong>de</strong>puis <strong>le</strong>s rebords du capuchon qui<br />

coiffait sa tête. L'individu était entièrement vêtu <strong>de</strong> noir, drapé dans une<br />

cape à la texture brillante.<br />

5


Le voyant ainsi impassib<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> hésita à <strong>le</strong> hé<strong>le</strong>r. Avec sa tenue il<br />

était impossib<strong>le</strong> <strong>de</strong> savoir à quel camp il pouvait appartenir. Cependant,<br />

pour une raison qu'Anaïs ignorait, tout son être lui criait <strong>de</strong> battre en<br />

retraite, <strong>de</strong> s'éloigner <strong>de</strong> lui à toute vitesse pour se mettre à l'abri. Il y<br />

avait quelque chose d'insidieux dans sa présence, dans <strong>le</strong> léger sourire<br />

qu'il arborait. Son expression avait <strong>le</strong> côté miel<strong>le</strong>ux du marchand<br />

opportuniste et vicié du fin manipulateur.<br />

"Anaïs! cria la voix d'Ibtissam."<br />

El<strong>le</strong> se retourna, soulagée d'entendre ce timbre <strong>de</strong> voix familier.<br />

Ibtissam accourrait vers el<strong>le</strong>, talonné par Omar et une dizaine <strong>de</strong><br />

miliciens. Il semblait in<strong>de</strong>mne.<br />

"Anaïs, que s'est-il passé? J'ai été frappé <strong>de</strong> p<strong>le</strong>in fouet par une force<br />

invisib<strong>le</strong> qui m'a expédié en <strong>de</strong>hors du campement! Heureusement Maître<br />

Omar m'a vu tomber du ciel alors qu'il venait à notre secours et m'a<br />

attrapé.<br />

-J'ai d'abord pensé qu'il s'agissait d'un ennemi dont j'espérais me saisir<br />

pour l'interroger. J'ai été bien inspiré <strong>de</strong> ne pas <strong>le</strong> réceptionner avec mon<br />

poing comme j'entendais <strong>le</strong> faire au début.<br />

-Je suis sincèrement désolée Ibtissam, mon don m'a échappé. Dites, il y a<br />

cet..."<br />

Anaïs tressaillit. L'individu qu'el<strong>le</strong> observait quelques instants plus<br />

tôt avait complètement disparu <strong>de</strong> la surface du campement. El<strong>le</strong> en<br />

arriva à se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si el<strong>le</strong> n'avait pas imaginé cette figure fantomatique.<br />

"Rick emmène en ce moment <strong>le</strong> milicien Anty vers l'Avant Poste, indiqua<br />

Omar. Je <strong>le</strong>s ai fait escorter par <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> mes hommes, dans l'éventualité<br />

où il faiblirait en route. Vous avez l'air d'avoir <strong>le</strong>s choses en main ici. Pas<br />

<strong>de</strong> trace <strong>de</strong> l'Orbe?<br />

-Nous ne savons pas encore! Cet endroit grouil<strong>le</strong> <strong>de</strong> soldats et c'est à<br />

peine si nous arrivons à approcher la tente <strong>de</strong> la Dame Irène, expliqua<br />

Ibtissam.<br />

-Il est certain que nous avons sous-estimé ce contingent, médita Omar.<br />

<strong>Les</strong> effectifs étaient bien plus importants que nous l'avions escompté. Ce<br />

que je ne comprends pas, c'est comment ils ont pu nous cacher la<br />

présence <strong>de</strong>...<br />

-Maestor, est-il possib<strong>le</strong> que <strong>le</strong> Régent ait eu recours à une forme <strong>de</strong><br />

sorcel<strong>le</strong>rie pour nous duper? intervint l'un <strong>de</strong>s miliciens qui<br />

l'accompagnaient. Irène est réputée être une intrigante particulièrement<br />

sournoise. Peut-être dispose-t-el<strong>le</strong> d'un tel pouvoir! Après tout, <strong>le</strong>s<br />

hommes du Régent semblaient sortir <strong>de</strong> nul<strong>le</strong> part.<br />

-Admettons que ce soit <strong>le</strong> cas et qu'ils aient effectivement caché une<br />

partie <strong>de</strong>s soldats en troublant notre vision par quelque forme <strong>de</strong> magie.<br />

Quel serait l'intérêt d'une tel<strong>le</strong> entreprise? Enc<strong>le</strong>ncher une tel<strong>le</strong> machine<br />

5


<strong>de</strong> guerre juste pour nous prendre encore en embusca<strong>de</strong> serait farfelu! Il<br />

me semb<strong>le</strong>rait plus logique <strong>de</strong> réel<strong>le</strong>ment vouloir protéger l'Orbe <strong>de</strong>..."<br />

Omar fronça <strong>le</strong>s sourcils et entrouvrit la bouche d'un air épouvanté.<br />

<strong>Les</strong> multip<strong>le</strong>s cicatrices <strong>de</strong> son visage parurent s'allonger, en<br />

conséquence.<br />

"Ma stupidité nous a encore pris <strong>de</strong> revers, tonna-t-il. L'Orbe est bien là! Il<br />

n'a juste pas été caché dans cette immense tente rouge qui nous<br />

interpellait par son évi<strong>de</strong>nce.<br />

-L'Orbe serait donc quelque part dans <strong>le</strong> campement? s'écria un milicien<br />

qui commença à scruter <strong>le</strong>s débris du regard.<br />

-Probab<strong>le</strong>ment dans l'une <strong>de</strong> ces tentes, insignifiantes à nos yeux."<br />

Anaïs eut soudain une illumination. Comment avait-el<strong>le</strong> pu ne pas<br />

réaliser ce détail plus tôt?<br />

"Je viens d'apercevoir un homme bizarre et moustachu habillé d'une cape<br />

noire! Il n'avait pas l'air d'appartenir à l'armée mais il était juste là, à me<br />

regar<strong>de</strong>r d'un air malsain, avec <strong>de</strong> grands yeux verts! Puis il a disparu! Je<br />

n'ai même pas eu <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> lui par<strong>le</strong>r! Et puis... je viens juste <strong>de</strong> <strong>le</strong><br />

réaliser mais... sa mèche <strong>de</strong> cheveux était noire el<strong>le</strong> aussi! Ce n'est pas un<br />

Sorgenteli, n'est-ce pas?<br />

-Cette <strong>de</strong>scription... Marshal Shaet! Qu'il soit damné! vociféra Omar. Si ça<br />

se trouve il était en possession <strong>de</strong> l'Orbe.<br />

-Marshal!? répéta Ibtissam. Ce n'est pas un membre <strong>de</strong> la...?"<br />

Omar se tourna vers ses hommes.<br />

"Retournez moi ce campement et trouvez cet homme! Il a <strong>le</strong>s cheveux<br />

noirs d'un humain, une moustache fine et un regard <strong>de</strong> démon! Son corps<br />

malingre est toujours caché d'une amp<strong>le</strong> tenue noire! Si vous tombez sur<br />

lui, sonnez du cor et j'accourrai.<br />

-A vos ordres! répondirent <strong>le</strong>s miliciens d'une même voix.<br />

-Je pars à sa recherche avec eux, fit Omar à Anaïs et Ibtissam. Cet<br />

homme est extrêmement dangereux, impossib<strong>le</strong> à appréhen<strong>de</strong>r pour un<br />

simp<strong>le</strong> soldat.<br />

-Je viens avec..., commença Ibtissam.<br />

-Non, al<strong>le</strong>z plutôt rejoindre vos camara<strong>de</strong>s pour <strong>le</strong> moment! Ils sont aux<br />

prises avec <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux comparses d'Irène et votre ai<strong>de</strong> <strong>le</strong>ur sera précieuse.<br />

Je vous ferai signe si j'ai besoin <strong>de</strong> vous!"<br />

Dès qu'ils eurent opiné <strong>de</strong> la tête il s'éloigna au pas <strong>de</strong> course,<br />

martelant <strong>le</strong> sol avec la puissance d'un mammouth irrité.<br />

"Allons-y Anaïs! Je n'aime pas savoir nos amis en si mauvaise compagnie,<br />

dit Ibtissam, <strong>le</strong> visage fermé.<br />

-Je te suis!"<br />

5


Ils partirent au pas <strong>de</strong> course vers ce qu'il restait <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> tente<br />

rouge : une épaisse colonne <strong>de</strong> fumée blanche dont la source était encore<br />

cachée par une sorte <strong>de</strong> petit chapiteau qui avait dû servir à stocker du<br />

matériel et <strong>de</strong>s armes. Deux miliciens en sortaient justement, à la<br />

recherche <strong>de</strong> Marshal Shaet ou <strong>de</strong> l'Orbe.<br />

"A propos Anaïs, ce que tu as fait tout à l'heure était…<br />

-Bizarre en effet, conclut Anaïs en <strong>le</strong> fuyant du regard."<br />

Tous <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux couraient à la même vitesse.<br />

"Ce n'est pas <strong>le</strong> mot que j'aurais employé, dit Ibtissam avec un sourire<br />

jusqu'aux oreil<strong>le</strong>s."<br />

Anaïs s'empourpra. Ibtissam avait <strong>le</strong> don pour lui rendre confiance<br />

en el<strong>le</strong>. A l'instar d'Aïshani, il était plus un mentor qu'un ami. El<strong>le</strong> était<br />

bien contente <strong>de</strong> l'avoir à ses côtés à ce moment.<br />

"AAAAAAAAAAAAAAAAAAAH!"<br />

Tous <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux s'arrêtèrent, surpris par la vision qui s'offrait à eux.<br />

Kisridge était littéra<strong>le</strong>ment repoussée par un immense arc <strong>de</strong> lumière<br />

dorée, dans un gron<strong>de</strong>ment sourd. El<strong>le</strong> avait beau bloquer cette attaque<br />

mystérieuse avec la lame <strong>de</strong> son épée, ses pieds continuaient <strong>de</strong> creuser<br />

<strong>le</strong> sol vers l'arrière, comme s'ils étaient mus par une volonté antagoniste.<br />

Ce n'est qu'après avoir creusé <strong>de</strong>ux sillons parallè<strong>le</strong>s sur plusieurs mètres<br />

<strong>de</strong> distance que l'arc se dissipa enfin et qu'el<strong>le</strong> s'arrêta <strong>de</strong> recu<strong>le</strong>r.<br />

"KISRIDGE! s'écria Anaïs."<br />

La milicienne avait <strong>le</strong> souff<strong>le</strong> rauque et <strong>le</strong>s yeux grands ouverts,<br />

sous l'effet <strong>de</strong> choc. C'est alors que la lame <strong>de</strong> son épée se fissura, avant<br />

<strong>de</strong> se briser net. Kisridge se crispa.<br />

"Mieux valait perdre ton arme que <strong>de</strong> te faire couper en <strong>de</strong>ux par Zahran,<br />

professa Victorio Benedict. Tu t'en sors à bon compte, milicienne."<br />

Victorio avait son pisto<strong>le</strong>t Stella à la main. Le canon <strong>de</strong> celui-ci<br />

fumait encore. Juste à côté <strong>de</strong> lui se tenait l'individu dont Anaïs avait<br />

redouté <strong>le</strong> retour : Zahran Sun.<br />

"Ah, encore toi? fit simp<strong>le</strong>ment Victorio en reconnaissant Anaïs. Je pensais<br />

que tu n'oserais même pas te représenter <strong>de</strong>vant nous après la <strong>le</strong>çon que<br />

je t'ai infligée la <strong>de</strong>rnière fois.<br />

-Désolée <strong>de</strong> te décevoir, fit Anaïs d'une voix aussi neutre que possib<strong>le</strong>.<br />

-Ne t'excuse pas! C'est tout à ton honneur."<br />

5


Zahran ne disait rien, impassib<strong>le</strong>. Il ne paraissait pas<br />

particulièrement choqué <strong>de</strong> constater que Kisridge avait survécu à son<br />

assaut. Son grand sabre en or était ceint à sa tail<strong>le</strong>, brillant <strong>de</strong> mil<strong>le</strong> feux.<br />

Anaïs n'avait pas oublié comment, avec cette arme, il <strong>le</strong>s avait tous mis en<br />

échec et rasé cent mètres carré <strong>de</strong> jung<strong>le</strong>.<br />

"C'est donc eux, Victorio Benedict et Zahran Sun, déclara Ibtissam. Je<br />

crois comprendre pourquoi ils vous ont causé autant <strong>de</strong> souci (puis<br />

orientant <strong>le</strong> regard vers la gauche) Jamie, Shui-Khan… j'espère que vous<br />

êtes in<strong>de</strong>mnes."<br />

Anaïs se tourna à son tour. Jamie avait un genou à terre et <strong>le</strong>s<br />

vêtements en partie noircis. Sa chevelure et son visage avaient l'air<br />

d'avoir été astiqués avec <strong>de</strong> la suie. Il frappa un grand coup au sol et<br />

sourit, malgré ses sourcils froncés.<br />

"Pas <strong>de</strong> souci <strong>de</strong> mon côté! Je suis prêt à reprendre <strong>le</strong> combat."<br />

Il essuya <strong>le</strong> sang <strong>de</strong> sa lèvre inférieure et s'ébroua. Shui-Khan, quant à<br />

lui, n'était pas visib<strong>le</strong>.<br />

"Vous <strong>de</strong>vriez repartir, l'Orbe n'est sans doute déjà plus là, dit enfin<br />

Zahran. Nous vous avons suffisamment distrait pour permettre à nos<br />

compagnons <strong>de</strong> l'emmener en lieu sûr alors il est inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> continuer ce<br />

combat.<br />

-Il ne s'agit pas seu<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> l'Orbe, répliqua Jamie en se remettant<br />

<strong>de</strong>bout. Nous avons <strong>de</strong>s comptes à rég<strong>le</strong>r avec vous."<br />

Jamie prit une posture <strong>de</strong> boxeur, <strong>le</strong>s poings fermés. Ses pieds<br />

s'ancrèrent fermement dans <strong>le</strong> sol. Il y avait désormais quelque chose<br />

d'impitoyab<strong>le</strong> dans son regard habituel<strong>le</strong>ment doux et amical.<br />

"Ces gens sont trop dangereux alors ne vous battez pas en vain, protesta<br />

Kisridge après avoir jeté au loin son arme brisée.<br />

-Ne m'en vou<strong>le</strong>z pas Kisridge mais je ne peux pas m'empêcher <strong>de</strong> vouloir<br />

châtier ces <strong>de</strong>ux sa<strong>le</strong>s types qui ont osé s'en prendre à l'amour <strong>de</strong> ma vie<br />

et à mes amis.<br />

-Oulaaaa, intervint Ibtissam d'un air bou<strong>le</strong>versé. Attends, s'ils s'en sont<br />

pris à Sally, c'est à moi <strong>de</strong> <strong>le</strong>s châtier!<br />

-Je ne peux que te contredire mon très cher Ibtissam! C'est à moi <strong>de</strong><br />

venger son honneur, j'étais là <strong>le</strong> premier!<br />

-Malgré l'amour fraternel que je te voue, je te botterai <strong>le</strong> <strong>de</strong>rrière si tu<br />

t'évertues à m'empêcher d'assouvir ma vengeance!<br />

-Sois aussi courtois que tu l'es habituel<strong>le</strong>ment et reste auprès d'Anaïs et<br />

Kisridge pendant que je <strong>le</strong>s atomise.<br />

-Non, toi reste auprès d'el<strong>le</strong>s et observe! Gar<strong>de</strong> ta force légendaire pour<br />

un autre ennemi.<br />

-Sérieux, vous croyez que c'est <strong>le</strong> moment? se récria Anaïs."<br />

5


Zahran et Victorio observaient la scène d'un air contrit. Ce <strong>de</strong>rnier<br />

cibla même <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux querel<strong>le</strong>urs <strong>de</strong> son arme, envisageant peut-être <strong>de</strong><br />

mettre un terme à cette lutte intestine.<br />

"Euh, <strong>le</strong>s garçons…, insista Anaïs.<br />

-Fort bien! Nous n'arriverons pas à nous mettre d'accord et je ne peux me<br />

résoudre à me battre contre toi pour nous départager, conclut Jamie.<br />

-De même, approuva Ibtissam. Nous savons gar<strong>de</strong>r raison."<br />

Une lueur <strong>de</strong> mépris traversa <strong>le</strong> regard <strong>de</strong> Kisridge alors que <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux élus<br />

se serraient cordia<strong>le</strong>ment la main, puis se tournaient vers <strong>le</strong>s membres <strong>de</strong><br />

la Confrérie.<br />

"Nous allons vous capturer en équipe, annonça Jamie.<br />

-Nous capturer? Vous vous foutez <strong>de</strong> nos gueu<strong>le</strong>s espèces <strong>de</strong> <strong>de</strong>meurés?<br />

riposta Victorio Benedict, rouge d'agacement. Rien que pour cette scène<br />

débi<strong>le</strong> que vous nous avez infligés je vous retire <strong>le</strong> droit <strong>de</strong> fuir! Je vais<br />

vous cramer!<br />

-Victorio, tempéra Zahran.<br />

-Pour une fois ne me saou<strong>le</strong> pas toi, cria <strong>le</strong> jeune homme en fouillant dans<br />

sa sacoche à munitions."<br />

Il rechargea son pisto<strong>le</strong>t.<br />

"Tir numéro…"<br />

Shui-Khan surgit soudain <strong>de</strong>rrière lui et Zahran, la main droite<br />

gran<strong>de</strong> ouverte. Un foisonnement d'éclairs blancs y prit alors naissance et<br />

<strong>le</strong> garçon poussa un cri terrib<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s traits déformés par la rage. Zahran<br />

saisit son compagnon par <strong>le</strong> bras in extremis et l'entraîna sur <strong>le</strong> côté, au<br />

moment où il allait être foudroyé par la terrib<strong>le</strong> déflagration blanchâtre qui<br />

s'ensuivit. Pendant une dizaine <strong>de</strong> secon<strong>de</strong>s, un nombre considérab<strong>le</strong><br />

d'éclairs zébra <strong>le</strong>s a<strong>le</strong>ntours.<br />

"Encore une fois, Shui-Khan n'a pas <strong>le</strong> sens <strong>de</strong> la mesure, fit remarquer<br />

Ibtissam malgré une fierté apparente. Cependant, il sait nous fournir <strong>de</strong>s<br />

opportunités d'attaque…"<br />

Victorio roula plusieurs fois sur <strong>le</strong> sol suite à son échappée<br />

miracu<strong>le</strong>use. Cependant, il se retrouva séparé <strong>de</strong> Zahran, à la gran<strong>de</strong><br />

satisfaction <strong>de</strong> Shui-Khan qui se rua vers lui pour continuer l'assaut.<br />

"Sa<strong>le</strong> gosse, rugit Victorio en lui tirant <strong>de</strong>ssus."<br />

Shui-Khan esquivait, non sans difficulté, <strong>le</strong>s explosions successives<br />

qui se déc<strong>le</strong>nchaient au point d'impact <strong>de</strong>s projecti<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Victorio, tentant<br />

toujours <strong>de</strong> se rapprocher <strong>de</strong> sa cib<strong>le</strong>. Dès qu'il en avait l'occasion – quand<br />

5


Victorio était contraint <strong>de</strong> recharger – il répliquait avec <strong>de</strong>s salves<br />

d'attaques foudroyantes. Le campement <strong>de</strong>vint rapi<strong>de</strong>ment un terrain<br />

miné dans <strong>le</strong>quel chaque centimètre carré <strong>de</strong> terre était susceptib<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

sauter d'un instant à l'autre.<br />

"Il ne tiendra pas longtemps ainsi, je vais l'ai<strong>de</strong>r, déclara soudain<br />

Ibtissam. Chargez vous <strong>de</strong>…<br />

-Ne t'inquiète pas, je sais à quoi m'attendre désormais, assura Anaïs."<br />

Ibtissam s'élança. Presque aussitôt, Zahran fit un mouvement brutal<br />

à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> son sabre et un nouveau faisceau doré fondit dans la direction<br />

<strong>de</strong> l'élu, labourant <strong>le</strong> sol sur son chemin. Cependant cette initiative n'avait<br />

pas échappé à Anaïs. El<strong>le</strong> projeta immédiatement une barrière qui<br />

anéantit l'attaque. Zahran eut l'air décontenancé.<br />

"Je ne te laisserai pas te mettre en travers <strong>de</strong> son chemin, dit Anaïs. Aie la<br />

politesse <strong>de</strong> ne pas ignorer mon existence.<br />

-Ce n'était pas là mon intention. Je m'excuse si tu l'as pensé."<br />

El<strong>le</strong> avait pris soin <strong>de</strong> renforcer sa barrière étant donné que Zahran<br />

avait manqué <strong>de</strong> la briser lors <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur rencontre sur l'î<strong>le</strong> <strong>de</strong> Silhouette.<br />

Cette fois, el<strong>le</strong> ne serait pas prise au dépourvu.<br />

"Anaïs, j'ai peut-être un plan si tu es prête à tenter quelque chose<br />

d'original, annonça Jamie à voix basse. Il n'y a qu'avec toi que cela puisse<br />

fonctionner.<br />

-Ah? Vu <strong>le</strong>s circonstances je suis prête à écouter, fit-el<strong>le</strong> d'un air surpris.<br />

-Puis-je me joindre à vous? dit Kisridge en <strong>le</strong>s rejoignant. Je ne suis certes<br />

pas une élue et mon épée a failli mais je pense pouvoir vous être uti<strong>le</strong>."<br />

Une détermination infaillib<strong>le</strong> se lisait sur son visage. L'état <strong>de</strong> choc<br />

qui la caractérisait un peu plus tôt n'était plus, el<strong>le</strong> était prête à reprendre<br />

son rô<strong>le</strong>, un peu comme l'avait fait Anaïs.<br />

"Je compte sur toi Kisridge."<br />

***<br />

Ibtissam mit un moment à rejoindre Shui-Khan sans être pris par <strong>le</strong><br />

feu du combat. En effet, Victorio était plus déchaîné que jamais et<br />

mitraillait littéra<strong>le</strong>ment la zone <strong>de</strong> projecti<strong>le</strong>s explosifs, réduisant<br />

gran<strong>de</strong>ment <strong>le</strong>s perspectives agrico<strong>le</strong>s <strong>de</strong> ces terres.<br />

"Cet inconscient ne se soucie même pas du risque qu'il fait courir à ses<br />

propres hommes, déplora Ibtissam en enjambant <strong>le</strong> cadavre d'un soldat<br />

<strong>de</strong> Ca<strong>de</strong>ro."<br />

5


<strong>Les</strong> miliciens ne s'étaient bien heureusement pas aventurés dans<br />

cette partie du paysage qui, <strong>de</strong> toute façon, se trouvait en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong>s<br />

limites du campement. Il y avait là plusieurs gros rochers moussus<br />

ressemblant à <strong>de</strong>s menhirs ainsi que quelques arbres décharnés dont <strong>le</strong>s<br />

troncs blancs roussissaient à mesure que <strong>le</strong> combat avançait.<br />

D'un bond, Ibtissam évita un faisceau glacial lancé par Victorio<br />

<strong>de</strong>puis <strong>le</strong> sommet d'un <strong>de</strong> ces arbres et rallia <strong>le</strong> rocher <strong>de</strong>rrière <strong>le</strong>quel<br />

s'était caché Shui-Khan.<br />

"Qu'est-ce que tu fiches là? rouspéta Shui-Khan en <strong>le</strong> menaçant <strong>de</strong> son<br />

épée.<br />

-Agréab<strong>le</strong> accueil! Je viens te sauver!<br />

-Je me débrouil<strong>le</strong> très bien sans toi! Casse-toi!"<br />

Il s'était manifestement brûlé la main droite au vu du teint écarlate<br />

qu'avait adopté sa peau à cet endroit. De fait, ses doigts tremblaient sur<br />

la poignée <strong>de</strong> son arme. Contenir sa dou<strong>le</strong>ur était bien là son genre.<br />

"Ne t'inquiète pas, je vais en finir rapi<strong>de</strong>ment, promit Ibtissam.<br />

-Je ne t'ai rien <strong>de</strong>mandé, répliqua Shui-Khan avec <strong>de</strong>ux octaves <strong>de</strong> plus.<br />

Ce n'est pas parce que tu es une élite que tu te débrouil<strong>le</strong>s mieux que moi<br />

Ibtissam.<br />

-En es-tu sûr?"<br />

Ibtissam saisit soudain <strong>le</strong> garçon par <strong>le</strong> col et l'écarta <strong>de</strong> force du<br />

rocher, au profit d'un arbre situé un peu plus loin.<br />

"LÂCHE MOI, TU ES DEVENU FOU! hurla Shui-Khan."<br />

Il cessa ses cris lorsqu'il entendit <strong>le</strong> rocher exploser <strong>de</strong>rrière lui. Ses<br />

yeux s'écarquillèrent alors et il dévisagea Ibtissam avec incompréhension.<br />

Un flot <strong>de</strong> gravats se déversait sur eux. Là où ils se trouvaient une<br />

secon<strong>de</strong> plus tôt ne <strong>de</strong>meurait qu'un gros cratère noir.<br />

"Est-ce que ça va? <strong>de</strong>manda Ibtissam sans <strong>le</strong> lâcher.<br />

-Ibtissam, comment as-tu…"<br />

<strong>Les</strong> défenses <strong>de</strong> Shui-Khan s'étaient subitement effondrées.<br />

L'espace d'un instant, l'élu au tempérament <strong>de</strong> feu semblait reprendre son<br />

statut d'ado<strong>le</strong>scent dépassé par ce qui lui arrivait. Bien évi<strong>de</strong>mment il<br />

restait un enfant malgré ses responsabilités, songea Ibtissam en lui<br />

lâchant <strong>le</strong> col. On ne pouvait pas lui en vouloir d'être toujours irrité alors<br />

qu'il subissait à un si jeune âge un <strong>de</strong>stin qu'il n'avait pas choisi. C'était<br />

peut-être la seu<strong>le</strong> manière qu'il avait <strong>de</strong> se protéger : une carapace<br />

d'apparence inébranlab<strong>le</strong>, renforcée par un comportement impétueux qui<br />

ne visait qu'à lui donner plus <strong>de</strong> consistance.<br />

5


"Je m'occupe <strong>de</strong> lui, dit Ibtissam en lui ébouriffant <strong>le</strong>s cheveux. Ca ne<br />

signifie pas que tu n'as pas bien travaillé, d'accord?"<br />

Shui-Khan ne répondit pas, <strong>le</strong>s yeux baissés.<br />

"D'accord? répéta Ibtissam.<br />

-D'accord, répondit Shui-Khan d'une voix presque humb<strong>le</strong>."<br />

Ibtissam acquiesça, puis partit d'un coup, fonçant à toute vitesse<br />

vers l'arbre sur <strong>le</strong>quel s'était posté Victorio. Il courait à en perdre<br />

l'équilibre, sprintant entre <strong>le</strong>s obstac<strong>le</strong>s qui se dressaient sur son chemin.<br />

Un projecti<strong>le</strong> lui frôla l'épau<strong>le</strong> et créa un mur <strong>de</strong> flammes <strong>de</strong>rrière lui. Il ne<br />

s'arrêta pas pour autant.<br />

"Ce n'est pas parce que <strong>le</strong>s élus sont prêts à donner <strong>le</strong>ur vie pour une<br />

nob<strong>le</strong> cause que tu dois <strong>le</strong>s prendre au mot, Victorio Benedict! Un individu<br />

comme toi qui n'hésite pas à s'en prendre aux femmes et aux enfants ne<br />

peut pas attirer ma sympathie!<br />

-Epargne moi tes conneries! Tir n° 21 : Paratonnerre!"<br />

L'un <strong>de</strong>s anneaux d'Ibtissam s'irisa, tout comme sa colère. Il esquiva<br />

<strong>le</strong>s frappes <strong>de</strong>s éclairs <strong>le</strong>s unes après <strong>le</strong>s autres, sachant pertinemment où<br />

ils allaient s'abattre. L'arbre était tout près.<br />

"Et mer<strong>de</strong>! cria Victorio. Tir n°9 : Ricochet!"<br />

Ibtissam avait fléchi <strong>le</strong>s genoux et bondi vers la branche, défiant <strong>le</strong>s<br />

limites <strong>de</strong> l'apesanteur. De son seul in<strong>de</strong>x il dévia la trajectoire du jet<br />

b<strong>le</strong>uté et se retrouva nez à nez avec Victorio. Ce <strong>de</strong>rnier était sidéré. Sa<br />

main tremblait sur la gâchette du pisto<strong>le</strong>t qui lui servait d'arme.<br />

"Comment as-tu évité toutes mes attaques si rapi<strong>de</strong>ment? souffla-t-il."<br />

Le poing d'Ibtissam se ferma et se para d'un éclat doré. Il frappa<br />

Victorio dans <strong>le</strong> ventre, sans toutefois utiliser toutes ses forces.<br />

"Eclat <strong>de</strong> la quintessence : CONCORDANCE!"<br />

Au moment où il frappait, <strong>le</strong> temps sembla se suspendre comme<br />

pour donner à Victorio <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> prendre toute la mesure <strong>de</strong> ce qui lui<br />

arrivait. L'éclat <strong>de</strong>s anneaux gagna en intensité et <strong>le</strong> corps d'Ibtissam<br />

vibra littéra<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> l'intérieur. C'était la première fois qu'il utilisait cette<br />

attaque en situation réel<strong>le</strong> et même lui ne savait pas trop ce qui allait en<br />

résulter.<br />

"Sal…, commença à gémir Victorio."<br />

5


Ses pieds se sou<strong>le</strong>vèrent. Soudain, il fut projeté au loin par un<br />

tourbillon doré, tournoyant sur lui-même comme une fusée <strong>de</strong>venue<br />

incontrôlab<strong>le</strong> tandis qu'Ibtissam ressentait une décharge engourdissante<br />

dans <strong>le</strong> bras. Au bout d'une dizaine <strong>de</strong> mètres <strong>de</strong> vol plané, <strong>le</strong><br />

tournoiement cessa bruta<strong>le</strong>ment et Victorio tomba d'un coup, dans l'eau<br />

glacée du f<strong>le</strong>uve Ka<strong>de</strong>ïsi.<br />

Ibtissam ne réagit qu'après un moment <strong>de</strong> latence, médusé par<br />

l'effet <strong>de</strong> sa propre attaque. Il sauta au bas <strong>de</strong> l'arbre et courut vers <strong>le</strong><br />

f<strong>le</strong>uve, suivi du regard par Shui-Khan. L'air était sec et glacé. Du moins<br />

c'est l'impression qu'avait Ibtissam, impression amplifiée par l'immense<br />

fatigue qu'il commençait à ressentir. Il avait beaucoup puisé dans son don<br />

en peu <strong>de</strong> temps. Or il avait conscience du fait que, contrairement aux<br />

autres élites, il manquait cruel<strong>le</strong>ment d'endurance à cause <strong>de</strong> l'amp<strong>le</strong>ur <strong>de</strong><br />

ses capacités. <strong>Les</strong> anneaux étaient ainsi. Ils réclamaient une contribution<br />

<strong>de</strong> <strong>le</strong>ur porteur en échange <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur pouvoir.<br />

Lorsqu'il arriva sur <strong>le</strong>s berges du f<strong>le</strong>uve, ha<strong>le</strong>tant, il vit que Victorio<br />

avait fina<strong>le</strong>ment réussi à se sortir seul <strong>de</strong> l'eau. Toutefois il n'était pas allé<br />

bien loin. Etendu sur <strong>le</strong> dos, <strong>le</strong>s yeux mi-clos, il inspirait <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s<br />

goulées d'air et grattait bizarrement la terre humi<strong>de</strong> à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> ses ong<strong>le</strong>s.<br />

L'eau ruisselait sur son visage et il tremblait.<br />

"Qu'est-ce que tu m'as fait? fit-il d'un souff<strong>le</strong>. J'ai <strong>le</strong> cerveau<br />

complètement retourné… C'est à peine si… je me souviens <strong>de</strong> mon nom…"<br />

Ibtissam l'observa, <strong>le</strong> regard troublé par <strong>le</strong>s gouttes <strong>de</strong> sueur qui<br />

roulaient <strong>de</strong> son front vers ses paupières. Réalisant que Victorio était<br />

frigorifié suite à sa chute dans l'eau, il retira sa veste et la posa sur lui,<br />

presque à contrecoeur.<br />

"Si je pouvais encore bouger, je retirerais ton manteau pourri, râla<br />

Victorio en clignant bizarrement <strong>de</strong>s yeux. Reprends <strong>le</strong>, je n'en veux pas.<br />

-Je n'ai pas l'intention <strong>de</strong> te faire mourir. Mon seul but était <strong>de</strong> te donner<br />

une <strong>le</strong>çon et <strong>de</strong> venger l'honneur <strong>de</strong> mes amis. Si tu reviens à la charge je<br />

frapperai <strong>de</strong> toutes mes forces et tu n'en réchapperas pas."<br />

Victorio secoua vio<strong>le</strong>mment la tête. Il était complètement désorienté<br />

et avait <strong>le</strong> regard fou. Un lutteur victime d'un trop grand nombre <strong>de</strong> coups<br />

sur un ring n'aurait pas agi différemment.<br />

"Et pour répondre à ta question...<br />

Il montra ses cinq anneaux à Victorio, <strong>le</strong>quel <strong>le</strong>s observa vaguement.<br />

"…Je <strong>le</strong>ur ai donné <strong>le</strong> nom <strong>de</strong>s cinq enfants <strong>de</strong> ma fratrie : Zora, Ilies,<br />

Amaria, Bilal et Ibtissam. Zora me permet <strong>de</strong> localiser <strong>le</strong>s individus dans<br />

l'espace ; Ilies renforce ma défense et tire <strong>de</strong>s gerbes <strong>de</strong> lumière ; Amaria<br />

lit <strong>le</strong>s pensées hosti<strong>le</strong>s… ce qui comprend <strong>le</strong>s tiennes.<br />

-Putain…<br />

5


-…Je refuse <strong>de</strong> te révé<strong>le</strong>r l'effet <strong>de</strong> Bilal, du nom <strong>de</strong> mon plus jeune frère!<br />

C'est mon arme secrète. Par contre, Ibtissam est assez magnifique, bien<br />

qu'inuti<strong>le</strong>."<br />

Ibtissam s'assit par terre, <strong>le</strong>ssivé, puis <strong>le</strong>va <strong>le</strong> pouce. L'anneau brilla<br />

et une pluie <strong>de</strong> péta<strong>le</strong>s <strong>de</strong> f<strong>le</strong>urs blanches se mit à tomber du ciel. Victorio<br />

n'était déjà plus en état <strong>de</strong> suivre <strong>le</strong>s explications <strong>de</strong> l'élu.<br />

"Inuti<strong>le</strong> en effet mais magnifique! Si un jour je me marie avec Sally, je<br />

jure qu'il tombera autant <strong>de</strong> f<strong>le</strong>urs sur sa douce chevelure <strong>de</strong> princesse."<br />

Il soupira puis se re<strong>le</strong>va lorsqu'il eut <strong>le</strong> sentiment d'être un peu<br />

revigoré. Sa fatigue était brève mais intense.<br />

"Il a subi <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong>s cinq anneaux à la fois, <strong>de</strong>vina Shui-Khan, arrivé<br />

<strong>de</strong>puis peu près d'Ibtissam.<br />

-Oui, l'éclat <strong>de</strong> la quintessence! Le pouvoir combiné <strong>de</strong> la fratrie Bensaïdi.<br />

La concordance. Un pouvoir terrifiant mais qui n'est rien comparé à la<br />

menace <strong>de</strong>s djinns <strong>de</strong> faire exploser ces anneaux si jamais je tentais <strong>de</strong><br />

<strong>le</strong>s vo<strong>le</strong>r."<br />

Il laissa échapper un rire puis tituba un peu. Curieusement, Shui-<br />

Khan lui attrapa <strong>le</strong> bras gauche et <strong>le</strong> soutint sans rien dire. Ibtissam fut<br />

alors contraint <strong>de</strong> se courber, l'ado<strong>le</strong>scent étant trop petit pour qu'il puisse<br />

se maintenir <strong>de</strong>bout.<br />

"Désolé Shui, je crois que j'ai trop fait d'efforts en peu <strong>de</strong> temps. Sans<br />

compter qu'Anaïs ne m'a pas raté non plus, même si je n'ai rien laissé<br />

transparaître.<br />

-Inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> me raconter ta vie…<br />

-Oh, c'est vrai que tu n'aimes pas discuter, se rappela Ibtissam.<br />

Rejoignons <strong>le</strong>s autres, veux-tu? Victorio survivra."<br />

Shui-Khan approuva et se mit en route, sans daigner <strong>le</strong> regar<strong>de</strong>r.<br />

Ibtissam eut <strong>le</strong> sentiment qu'à un moment donné il <strong>le</strong> remercia<br />

furtivement <strong>de</strong> l'avoir sauvé, mais jamais il n'en eut confirmation.<br />

***<br />

"Je crois que ça <strong>de</strong>vrait al<strong>le</strong>r, dit enfin Anaïs à Jamie.<br />

-C'est parfait Anaïs!"<br />

Des crissements d'épée <strong>le</strong>s interpellèrent. <strong>Les</strong> échanges <strong>de</strong> lames<br />

entre Zahran et la permanente Kisridge se faisaient <strong>de</strong> plus en plus<br />

viru<strong>le</strong>nts, créant <strong>de</strong>s étincel<strong>le</strong>s à chaque fois que <strong>le</strong> sabre du guerrier<br />

entrait en contact avec l'épée courte qu'el<strong>le</strong> avait récupérée sur <strong>le</strong> corps<br />

du soldat Patt. Tant que Zahran n'avait pas recours à son don, Kisridge<br />

5


semblait capab<strong>le</strong> <strong>de</strong> lui tenir tête, voire même <strong>de</strong> prendre l'ascendant. En<br />

effet, son expérience d'épéiste était vraisemblab<strong>le</strong>ment plus conséquente.<br />

"Je prends <strong>le</strong> relais Kisridge, écartez-vous! lança Jamie avant <strong>de</strong> bondir<br />

vers Zahran."<br />

Ce <strong>de</strong>rnier venait d'effectuer un saut par-<strong>de</strong>ssus Kisridge afin<br />

d'éviter une estoque extrêmement vive qu'il lui était impossib<strong>le</strong> <strong>de</strong> parer.<br />

Or, à peine eut-il touché <strong>le</strong> sol, genoux fléchis, que Jamie s'attaqua à lui,<br />

enchaînant une série <strong>de</strong> rapi<strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> poings. Pris <strong>de</strong> surprise, Zahran<br />

n'y échappa qu'au prix <strong>de</strong> mouvements d'esquive extrêmement élaborés.<br />

Etant donnée la force herculéenne <strong>de</strong> Jamie, nul doute que la moindre<br />

erreur <strong>le</strong> condamnerait à rester étalé au sol.<br />

"Al<strong>le</strong>z Jamie, l'encouragea Anaïs."<br />

Ce faisant, el<strong>le</strong> murmura "Victorio Benedict". Une forme étrange se<br />

matérialisa alors dans <strong>le</strong> creux <strong>de</strong> sa main, prenant progressivement<br />

l'apparence du pisto<strong>le</strong>t blanc et or <strong>de</strong> Victorio. Il lui ressemblait en tout<br />

point. Anaïs s'en saisit et <strong>le</strong> garda contre sa jambe. Si jamais Jamie faisait<br />

mine d'être en danger, el<strong>le</strong> n'hésiterait pas à intervenir. Pour <strong>le</strong> moment,<br />

tout allait à peu près bien.<br />

"Zahran Sun va tenter <strong>de</strong> mettre <strong>de</strong> la distance entre lui et son assaillant,<br />

dit Kisridge, <strong>le</strong>s yeux rivés sur <strong>le</strong> combat. Bien qu'il soit rapi<strong>de</strong> et agi<strong>le</strong>, il<br />

n'est pas avantagé contre un adversaire dont <strong>le</strong> moindre coup peut<br />

occasionner sa mort. Même parer n'est plus une option."<br />

Zahran fit effectivement un vio<strong>le</strong>nt mouvement circulaire qui obligea<br />

Jamie à battre en retraite, d'un saut. Loin <strong>de</strong> lui laisser <strong>le</strong> temps <strong>de</strong><br />

revenir à l'assaut, Zahran utilisa son don pour lui envoyer une volée <strong>de</strong><br />

traits lumineux, tranchants comme <strong>de</strong>s lames <strong>de</strong> rasoir. Anaïs s'agrippa<br />

furieusement à la manche <strong>de</strong> Kisridge.<br />

A l'inverse, Jamie ne broncha pas. Il fit glisser son pied droit vers<br />

l'arrière, serra <strong>le</strong>s <strong>de</strong>nts, puis dans un cri rauque, frappa tous <strong>le</strong>s<br />

faisceaux d'un coup <strong>de</strong> poing. Une on<strong>de</strong> <strong>de</strong> choc colossa<strong>le</strong> se fit ressentir.<br />

"Il réussit à contenir cette magie? s'exclama Kisridge.<br />

-Pendant que tu occupais Zahran j'ai créé <strong>de</strong>s barrières autour <strong>de</strong> ses<br />

<strong>de</strong>ux poings, expliqua Anaïs. C'est lui qui en a eu l'idée."<br />

Zahran montra enfin <strong>de</strong>s signes <strong>de</strong> surprise. Son attaque ne<br />

parvenait pas à faire recu<strong>le</strong>r Jamie comme cela avait été <strong>le</strong> cas avec<br />

Kisridge quelques minutes plus tôt. La barrière d'Anaïs, cumulée à la force<br />

<strong>de</strong> Jamie, était parfaitement <strong>de</strong> tail<strong>le</strong> à lui tenir tête. Anaïs ne put contenir<br />

un sourire, bien qu'el<strong>le</strong> commençât à ressentir el<strong>le</strong> aussi <strong>de</strong> la fatigue.<br />

5


"ET VOILA! s'écria Jamie après avoir réduit <strong>le</strong>s attaques <strong>de</strong> Zahran à<br />

néant."<br />

<strong>Les</strong> traits lumineux avaient été réduits à l'état <strong>de</strong> fins résidus par <strong>le</strong><br />

punch <strong>de</strong> Jamie. Ceux-ci chutaient <strong>le</strong>ntement sur lui, tels une ondée<br />

d'ambre pur.<br />

"Une barrière pour renforcer la défense contre mes capacités… Vous avez<br />

très bien pensé, reconnut Zahran Sun avec un signe <strong>de</strong> tête sans doute<br />

constitutif d'un assentiment. Cette stratégie est à la hauteur <strong>de</strong> votre<br />

réputation.<br />

-J'aurais apprécié <strong>de</strong> tels compliments si tu avais été <strong>de</strong> notre côté,<br />

Zahran, répliqua Jamie. Tu <strong>de</strong>vrais savoir que notre cause est juste! Ceux<br />

pour qui tu agis utilisent ton don d'élu dans <strong>le</strong>ur seul intérêt. Essaie <strong>de</strong> te<br />

rendre à l'évi<strong>de</strong>nce, <strong>le</strong>s élus ne sont pas faits pour s'affronter <strong>le</strong>s uns <strong>le</strong>s<br />

autres.<br />

-Le fait d'être <strong>de</strong>s élus ne signifie pas que nous <strong>de</strong>vons adhérer aux<br />

mêmes causes. J'ai fait mon choix en connaissance <strong>de</strong> cause et la<br />

Confrérie m'a donné <strong>le</strong> moyen <strong>de</strong> transcen<strong>de</strong>r mon don. Grâce à cette<br />

arme (il brandit son sabre), ma capacité à trancher est décuplée.<br />

-Décuplée? répéta Anaïs. Cette chose amplifie ton don?<br />

-Oui, autrement je ne saurais tenir tête à une élite. Je ne m'en cache pas.<br />

Cette arme est fait dans <strong>le</strong> même matériau que <strong>le</strong>s armes <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s<br />

membres <strong>de</strong> la Confrérie."<br />

Il ferma brièvement <strong>le</strong>s yeux.<br />

"Je ne peux vous en dire plus. Considérez qu'il s'agissait d'une information<br />

visant à récompenser votre ta<strong>le</strong>nt.<br />

-Ne <strong>le</strong> prends pas mal Zahran mais tu me semb<strong>le</strong>s sacrément borné. En<br />

dépit <strong>de</strong> ce que tu sais, tu t'évertues à rester dans la Confrérie. Oui, sois<br />

tu es borné, soit ils t'ont nettoyé <strong>le</strong> cerveau. Dans <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux cas, je compte<br />

bien te faire changer d'avis, par la force si nécessaire."<br />

Alors qu'il parlait, Anaïs vit avec ahurissement ses yeux passer du<br />

marron au vio<strong>le</strong>t. <strong>Les</strong> gants en cuir noir qu'il portait se déchirèrent d'eux<br />

même, laissant apparaître <strong>de</strong> mystérieux motifs rouges qui venaient <strong>de</strong> se<br />

<strong>de</strong>ssiner sur ses mains et ses avant-bras. Jamie était transfiguré.<br />

"Qu'est-ce que…, commença-t-el<strong>le</strong>, appréhensive.<br />

-Ne t'inquiète pas Anaïs, c'est juste mon secret, rassura-t-il. Je ne savais<br />

pas bien <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong>r avant mais… ça va mieux! Je me suis entraîné à<br />

gar<strong>de</strong>r mon calme.<br />

-D… D'accord Jam'."<br />

El<strong>le</strong> réprima un tremb<strong>le</strong>ment. Kisridge était toute aussi tétanisée. La<br />

transformation <strong>de</strong> Jamie créait une atmosphère angoissante.<br />

5


"<strong>Les</strong> choses se compliquent, constata Zahran en <strong>le</strong> dévisageant<br />

longuement. Entre toi et <strong>le</strong> reste <strong>de</strong> la Milice qui va bientôt arriver, je<br />

ferais mieux d'en finir… (il tourna la tête vers un point indéterminé)<br />

surtout que je doute que Victorio vienne à bout <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux autres."<br />

Anaïs étouffa un cri d'horreur. Zahran venait <strong>de</strong> faire apparaître un<br />

<strong>de</strong>uxième sabre. Déjà qu'il avait été diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> lui tenir tête.<br />

"Je n'ai rien contre vous, j'obéis seu<strong>le</strong>ment à ce que me dicte ma<br />

conscience, dit-il d'une voix calme.<br />

-Quel<strong>le</strong> conscience tordue, soupira Jamie."<br />

Zahran croisa <strong>le</strong>s lames <strong>de</strong> ses sabres, puis fit défer<strong>le</strong>r sur Jamie<br />

une multitu<strong>de</strong> d'attaque.<br />

"JAMIIIIIIIE! hurla Anaïs, aveuglée par l'intense lumière qui émanait du<br />

don <strong>de</strong> Zahran."<br />

***<br />

Jamie a bien lutté, du peu que j'ai réussi à suivre (ils étaient<br />

extrêmement rapi<strong>de</strong>s). Il a tenu tête à Zahran et a même brisé l'une <strong>de</strong>s<br />

lames, à mains nues. Le Poing du Celmark est à la fois effrayant et<br />

impressionnant…<br />

Malheureusement Zahran a gagné <strong>le</strong> duel, bien que son bras droit<br />

ait souffert du combat. Il a fait l'erreur <strong>de</strong> parer une attaque <strong>de</strong> Jamie et<br />

on a alors entendu un craquement sinistre. Je pense que tous ses os ont<br />

morflé sur <strong>le</strong> coup. Ca ne l'a pas empêché <strong>de</strong> réussir à toucher Jamie à<br />

plusieurs reprises. Au final, Jamie commençait à perdre du sang et une<br />

b<strong>le</strong>ssure à l'épau<strong>le</strong> a handicapé <strong>le</strong>s mouvements <strong>de</strong> son bras droit, même<br />

s'il semblait ne pas faire attention à la dou<strong>le</strong>ur (j'avais la main qui<br />

tremblait sur <strong>le</strong> pisto<strong>le</strong>t… j'ai hésité à l'utiliser). Il est tombé après<br />

quelques minutes <strong>de</strong> combat, épuisé. C'est alors qu'il a dit quelque chose<br />

<strong>de</strong> très beau, avec <strong>le</strong> sourire aux lèvres :<br />

"Bien que je sois très fort, je ne peux pas combattre un type comme toi!<br />

Envoyer un boxeur inexpérimenté affronter un escrimeur équivaut à du<br />

suici<strong>de</strong>. Par contre, je connais <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> celui qui te mettra à terre! C'est<br />

mon ami, frère <strong>de</strong> clan et futur témoin.<br />

-… <strong>le</strong> fameux Arthur Gall je suppose?<br />

-Oui… Arthur Gall! Prie pour ne jamais rencontrer la <strong>de</strong>rnière recrue du<br />

Clan Corbell car il te mettra à genoux! Arty… Arty te dégommera!"<br />

<strong>Les</strong> paro<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Jamie étaient si p<strong>le</strong>ines <strong>de</strong> conviction que j'ai voulu <strong>le</strong><br />

croire. Oui, Arthur dégommera ce type la prochaine fois!<br />

A ceci, Zahran a répondu quelque chose comme "Quelqu'un m'a dit du<br />

bien <strong>de</strong> lui…" (je pense qu'il parlait d'un certain fumeur) puis il est parti,<br />

5


emporté par la foudre d'une corneil<strong>le</strong>. Je sais, hors contexte c'est bizarre<br />

comme phrase mais c'est bien ce qui s'est passé! >_<<br />

Ibtissam est revenu avec Shui-Khan. Maître Omar est arrivé ensuite,<br />

fou <strong>de</strong> rage. <strong>Les</strong> miliciens n'avaient pas réussi à mettre la main sur <strong>le</strong><br />

fameux Marshal et <strong>le</strong> camp était complètement vi<strong>de</strong>. Aucune trace <strong>de</strong><br />

l'Orbe. Tout ce que la Milice a pu faire, c'est arrêter <strong>le</strong>s soldats du Régent<br />

Hermès dans l'espoir d'en tirer <strong>de</strong>s informations… Cependant Kisridge est<br />

sceptique. El<strong>le</strong> m'a confié que ces hommes sont entraînés à ne rien<br />

révé<strong>le</strong>r, même sous la torture.<br />

Nous avons pris nos b<strong>le</strong>ssés et nous sommes repartis pour l'Avant<br />

Poste. Sonia nous y attendait, morte d'inquiétu<strong>de</strong>. El<strong>le</strong> a presque p<strong>le</strong>uré<br />

en voyant l'état <strong>de</strong> Jamie. Heureusement, Rick était déjà remis sur pied et<br />

il a soigné tout ça avec l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> Sonia. Moi je n'ai rien eu à part quelques<br />

égratignures. Je ne vais pas me plaindre <strong>de</strong> si peu avec <strong>le</strong>s pertes qu'a<br />

subi la Milice. <strong>Les</strong> soldats ont été nombreux à p<strong>le</strong>urer <strong>le</strong> soldat Patt et ils<br />

ont noyé <strong>le</strong>ur tristesse dans l'alcool pendant une bonne partie <strong>de</strong> la nuit.<br />

Moi je suis restée au chevet <strong>de</strong> Jamie pendant qu'il était encore<br />

inconscient. Il m'a pris la main dans son sommeil en marmonnant <strong>de</strong>s<br />

choses au sujet <strong>de</strong> Sally. C'était étrange, j'avais l'impression <strong>de</strong> vio<strong>le</strong>r son<br />

intimité. Heureusement que Rick m'a rejoint et m'a tenu compagnie.<br />

Oui, c'était un fiasco… La Confrérie a gagné la batail<strong>le</strong>… mais peutêtre<br />

pas la guerre? Que va-t-on faire maintenant? Rentrer?<br />

Anaïs referma son journal <strong>de</strong> bord et <strong>le</strong>va <strong>le</strong>s yeux vers l'horizon. Un<br />

vent doux et chaud, <strong>de</strong>scendu du ciel limpi<strong>de</strong>, créait un effet <strong>de</strong> vague sur<br />

<strong>le</strong>s vastes plaines qui entouraient Falgarnost. Une dizaine <strong>de</strong> paltons<br />

appartenant à la Milice broutaient paisib<strong>le</strong>ment, sous la surveillance du<br />

soldat chargé <strong>de</strong> s'occuper d'eux pendant <strong>le</strong>ur sortie. A <strong>le</strong>s voir, il était<br />

diffici<strong>le</strong> d'imaginer qu'ils puissent un jour finir sur un champ <strong>de</strong> batail<strong>le</strong>.<br />

Anaïs trouvait cette idée saugrenue. Pourtant el<strong>le</strong> savait que ce serait <strong>le</strong><br />

cas. Un peu comme el<strong>le</strong>, ils se retrouveraient probab<strong>le</strong>ment mêlés à une<br />

guerre qui <strong>le</strong>s dépassait, qu'ils ne comprendraient pas. La seu<strong>le</strong> différence<br />

était <strong>le</strong> choix qui lui était offert. Eux n'avaient pas <strong>le</strong> choix, vulgaires<br />

montures qu'ils étaient. C'est la seu<strong>le</strong> chose qui lui permettait <strong>de</strong> ne pas<br />

s'assimi<strong>le</strong>r davantage à un palton.<br />

El<strong>le</strong> baissa <strong>le</strong>s yeux pour regar<strong>de</strong>r <strong>le</strong> visage juvéni<strong>le</strong> <strong>de</strong> Shui-Khan,<br />

endormi sur ses genoux malgré lui. Etonnamment, lui et Anaïs s'étaient<br />

retrouvés par hasard aux abords du fort alors que <strong>le</strong>s premiers rayons du<br />

so<strong>le</strong>il baignaient à peine <strong>le</strong> paysage <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur lumière. Il n'avait pas tenu à<br />

discuter mais lui avait tout <strong>de</strong> même tenu compagnie un moment, sans<br />

rien dire. Puis il avait déclaré ceci :<br />

"Je pense que je comprends mieux maintenant pourquoi… tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong><br />

apprécie Arthur. Il a <strong>de</strong>s qualités que je n'aurai jamais, sauf si j'essaie <strong>de</strong><br />

changer…"<br />

5


Anaïs n'avait pas bien compris mais il s'était endormi sans crier<br />

gare. Sans doute un effet <strong>de</strong> la fatigue accumulée au cours <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rniers<br />

jours. De ce fait, el<strong>le</strong> n'avait plus osé bouger. El<strong>le</strong> attendrait qu'il se<br />

réveil<strong>le</strong> <strong>de</strong> lui-même. De toute façon el<strong>le</strong> n'était pas pressée <strong>de</strong> rejoindre<br />

Falgarnost. L'ambiance y était encore trop pesante après la défaite <strong>de</strong> la<br />

veil<strong>le</strong>.<br />

"Arthur, je ne sais pas si tu m'entends grâce à cette histoire <strong>de</strong> sixième<br />

sens d'élite mais… Je voulais juste te dire que j'ai fait <strong>de</strong> mon mieux… Je<br />

me suis battue jusqu'au bout et j'espère que je n'ai pas été une entrave<br />

pour <strong>le</strong>s autres. Cependant, je crois que je ne peux rien faire <strong>de</strong> plus pour<br />

<strong>le</strong> moment. Tout repose sur ce que toi et <strong>le</strong>s autres parviendrez à faire.<br />

Quoi qu'il en soit, je t'interdis <strong>de</strong>… Je t'interdis d'échouer. Reviens moi<br />

vite."<br />

"Anaïs, vous par<strong>le</strong>z toute seu<strong>le</strong>?"<br />

Kisridge se tenait timi<strong>de</strong>ment <strong>de</strong>rrière el<strong>le</strong>, gênée par ce qu'el<strong>le</strong><br />

pensait être une crise <strong>de</strong> déraison. Anaïs hocha la tête.<br />

"Ca m'arrive parfois.<br />

-Je ne souhaitais pas vous importuner dans vos réf<strong>le</strong>xions. Je m'inquiétais<br />

juste <strong>de</strong> ne pas vous avoir vue ce matin.<br />

-Je n'ai prévenu personne à part <strong>le</strong>s gar<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la porte, c'est vrai. Y a-t-il<br />

un problème? Je comptais revenir dès que Shui…<br />

-Prenez votre temps, l'interrompit Kisridge en écarquillant ses yeux<br />

bridés. Vous avez tout fait <strong>le</strong> droit <strong>de</strong> prendre un peu <strong>de</strong> temps pour<br />

méditer! Je vais vous laisser.<br />

-Vous… Tu peux rester si tu veux! Ca ne me dérange pas du tout! Assieds<br />

toi.<br />

-Je vous remercie."<br />

El<strong>le</strong> prit place à côté d'Anaïs et regarda el<strong>le</strong> aussi <strong>le</strong> paysage. Ses<br />

cheveux courts se sou<strong>le</strong>vaient légèrement à chaque fois que la brise<br />

s'aventurait près d'el<strong>le</strong>.<br />

"Anaïs, est-ce que la batail<strong>le</strong> d'hier vous pèse? Je vous ai sentie très<br />

distante hier nuit. Vous avez peu parlé, sauf lorsque Rick est allé vous voir<br />

dans la chambre où se reposait Jamie.<br />

-Ca m'a un peu travaillé, je l'avoue. Il y a eu beaucoup <strong>de</strong> morts en très<br />

peu <strong>de</strong> temps, certains par ma faute. Rick m'a bien expliqué que je n'avais<br />

pas à changer mes convictions si je ne <strong>le</strong> souhaitais pas mais… je ne sais<br />

pas si je saurai tenir <strong>le</strong> coup. Ce serait "génial" si j'avais la force <strong>de</strong><br />

protéger tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>, sans avoir à faire du mal à <strong>de</strong>s gens qui ne savent<br />

peut-être pas pour quoi ou pour qui ils se battent. Le problème, c'est que<br />

mon don est encore instab<strong>le</strong>. J'ai l'impression d'en découvrir une nouvel<strong>le</strong><br />

5


facette chaque matin. Enfin… excuse-moi, je ne <strong>de</strong>vrais pas t'embêter<br />

avec ça. Ce n'est pas très cohérent.<br />

-A vrai dire, j'avais une proposition à vous faire au vu <strong>de</strong> vos prouesses<br />

d'hier. Cela apaisera peut-être votre troub<strong>le</strong>.<br />

-Quel genre <strong>de</strong> proposition?<br />

-J'aimerais tenter – encore une fois – <strong>de</strong> m'initier à la Parestina. Ma<br />

défaite contre cet homme m'a beaucoup pesé et je crains qu'il ne fail<strong>le</strong><br />

procé<strong>de</strong>r à quelques ajustements pour que ce genre <strong>de</strong> situation<br />

n'advienne plus.<br />

-Oh…, fit Anaïs, sans trop savoir quoi en penser.<br />

-Je pense que vous disposez éga<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>s capacités nécessaires à<br />

l'assimilation <strong>de</strong> cet art. Je voulais donc vous proposer <strong>de</strong> vous joindre à<br />

moi.<br />

-Quoi? Mais…<br />

-Anaïs, votre don décou<strong>le</strong> clairement <strong>de</strong> la Parestina, dit Kisridge avec<br />

enthousiasme. Vous êtes faite pour la pratique <strong>de</strong> la magie. Si vous<br />

souhaitez réel<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>venir plus forte, et je sais maintenant que c'est <strong>le</strong><br />

cas, c'est <strong>le</strong> moyen idéal. Ici vous pourrez apprendre toutes <strong>le</strong>s ficel<strong>le</strong>s <strong>de</strong><br />

l'art magique et nous pourrons nous soutenir dans notre formation."<br />

Anaïs en perdit l'usage <strong>de</strong> la voix. Son regard s'orienta vers Shui-<br />

Khan, comme si <strong>le</strong> garçon endormi allait lui souff<strong>le</strong>r une réponse entre<br />

<strong>de</strong>ux expirations. Se former à la Parestina pour <strong>de</strong>venir plus forte? Cela<br />

signifiait éga<strong>le</strong>ment entrer un peu plus dans l'univers belligérant, entraver<br />

une porte <strong>de</strong> sortie.<br />

N'y était-el<strong>le</strong> pas déjà plongée jusqu'au cou? Ne <strong>de</strong>vait-el<strong>le</strong> pas se<br />

faire vio<strong>le</strong>nce, el<strong>le</strong> aussi, pour <strong>le</strong> plus grand bien <strong>de</strong> tous? Ne venait-el<strong>le</strong><br />

pas <strong>de</strong> murmurer à Arthur qu'el<strong>le</strong> avait fait tout ce qui était en son<br />

pouvoir? Refuser la proposition <strong>de</strong> Kisridge transformerait indéniab<strong>le</strong>ment<br />

cette affirmation en mensonge.<br />

"Je vais prendre un moment pour y réfléchir si ça ne te dérange pas…"<br />

Kisridge acquiesça, déjà ravie qu'Anaïs soit prête à considérer l'idée.<br />

Leur discussion coupa court et el<strong>le</strong>s continuèrent <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r<br />

paresseusement <strong>le</strong> manège <strong>de</strong>s paltons.<br />

5


"Tu as bien compris ta mission? Répète moi ce que je t'ai <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur<br />

dire.<br />

-C'est inuti<strong>le</strong> voyons! Tu sais bien que j'ai une excel<strong>le</strong>nte mémoire, je<br />

n'oublierai pas <strong>le</strong> moindre virgu<strong>le</strong>! Ton message <strong>le</strong>ur sera communiqué <strong>de</strong><br />

façon conforme et je m'assurerai qu'ils fassent ce que tu as <strong>de</strong>mandé.<br />

-Très bien, je te fais confiance.<br />

-Tu me fais confiance? C'est bien la première fois que je t'entends faire ce<br />

genre <strong>de</strong> déclarations. Serais-tu en train <strong>de</strong> retrouver une part<br />

d'humanité?<br />

-Je n'en ai jamais été dépourvu… et je m'excuse si tu as pu être offensée<br />

par mes propos au cours <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rnières années. Je ne t'ai peut-être pas<br />

exprimé toute ma gratitu<strong>de</strong>.<br />

-Je ne m'offusque pas pour si peu, hi hi hi hi.<br />

-Hm…<br />

-Ca y est? Tu pars donc?<br />

-Oui…"<br />

Samuel émergea <strong>de</strong> <strong>de</strong>rrière un vieux paravent jaunâtre aux motifs<br />

rendus invisib<strong>le</strong>s par <strong>le</strong> temps. Il avait troqué sa tenue <strong>de</strong> la Confrérie<br />

contre un simp<strong>le</strong> jean et une chemise blanche débraillée dont il avait<br />

retroussé <strong>le</strong>s manches. Il avait accrochée sa vieil<strong>le</strong> rapière à une grosse<br />

ceinture <strong>de</strong> cuir lui serrant la tail<strong>le</strong>, rangé Casca<strong>de</strong> dans un fourreau <strong>de</strong><br />

même matière situé dans son dos et jeté un sac noir sur son épau<strong>le</strong>.<br />

"Je ne reviendrai pas."<br />

Il fit tourner rapi<strong>de</strong>ment une dague entre ses doigts, l'air satisfait,<br />

puis la glissa dans sa botte droite avant <strong>de</strong> jeter un regard nerveux à la<br />

fenêtre <strong>de</strong> la chambre d'auberge. Le choc quasi permanent <strong>de</strong>s branches<br />

d'arbre contre la vitre indiquait que <strong>le</strong> temps était à l'orage, chose<br />

extrêmement rare à Sorgentel, du moins jusqu'à l'échec <strong>de</strong> la<br />

Concrétisation.<br />

5


"Considère qu'au jour d'aujourd'hui, Samuel Caris re<strong>de</strong>vient Samuel<br />

<strong>Mortimer</strong>. Il s'agissait <strong>de</strong> notre <strong>de</strong>rnière discussion en tant que<br />

compagnons <strong>de</strong> la Confrérie. Je retourne chez <strong>le</strong>s miens, ajouta-t-il, <strong>le</strong><br />

regard perdu dans <strong>le</strong> vague."<br />

Il vérifia que son Echo se trouvait toujours à son poignet et se posta<br />

<strong>de</strong>vant Munin, avec un sourire contrit. Ne sachant pas trop quoi faire, il lui<br />

apposa un baiser sur la joue.<br />

"C'est un au revoir? <strong>de</strong>manda-t-el<strong>le</strong> en souriant.<br />

-C'est un adieu. Nous n'aurons pas l'opportunité <strong>de</strong> nous recroiser si tout<br />

se passe bien.<br />

-Très bien. C'est tout <strong>le</strong> mal que je peux te souhaiter! Hâte toi! Une fois <strong>le</strong><br />

jour <strong>le</strong>vé il sera impossib<strong>le</strong> <strong>de</strong> dissimu<strong>le</strong>r ton départ."<br />

Samuel sourit.<br />

"Tu n'auras pas à cacher quoi que ce soit. Si j'ai bien anticipé <strong>le</strong>s choses,<br />

Primo réalisera mon absence beaucoup trop tard. J'ai presque <strong>de</strong> la peine<br />

pour lui (il émit un rire sarcastique).<br />

-Tout est réglé concernant Nils?<br />

-Oui, répondit sobrement Samuel.<br />

-Dans ce cas, je n'ai plus qu'à te souhaiter bonne chance Sammy. Comme<br />

<strong>le</strong> disent <strong>le</strong>s gens ici : "Que ta route soit sereine".<br />

Il approuva d'un signe du menton, partit vers la porte <strong>de</strong> la chambre<br />

et l'ouvrit, faisant grincer ses gonds. Marquant un moment d'hésitation, il<br />

gratta nerveusement sa barbe naissante puis s'en alla fina<strong>le</strong>ment.<br />

***<br />

Xenia avait tressailli en voyant la porte <strong>de</strong> la cave s'ouvrir<br />

subitement, alors qu'el<strong>le</strong> lisait un magazine dans la cuisine. Andreas se<br />

tenait là <strong>de</strong>vant el<strong>le</strong>, tel un pauvre hère qu'on aurait privé d'alimentation<br />

pendant une semaine. Il avait <strong>le</strong>s traits tirés, <strong>le</strong> teint cireux et <strong>le</strong>s lèvres<br />

gercées. D'immenses cernes lui soulignaient <strong>le</strong>s yeux et ses vêtements<br />

étaient presque dignes d'être qualifiés <strong>de</strong> haillons.<br />

"Andreas?"<br />

Il regardait étrangement <strong>le</strong> sol, perdu dans <strong>de</strong>s pensées inconnues.<br />

Le fait d'entendre son nom <strong>le</strong> fit sortir <strong>de</strong> sa transe et son regard se<br />

tourna enfin vers Xenia.<br />

"Oui?"<br />

5


Des mèches <strong>de</strong> cheveux rebel<strong>le</strong>s lui tombaient sur <strong>le</strong>s yeux mais<br />

Xenia fut certaine d'avoir vu un éclat écarlate traverser son œil gauche,<br />

très furtivement. Dissimu<strong>le</strong>r son angoisse lui fut pénib<strong>le</strong>.<br />

"Qu'as-tu donc fait, Andreas? <strong>de</strong>manda-t-el<strong>le</strong> avec appréhension. Jusqu'où<br />

es-tu donc allé?"<br />

Il secoua la tête.<br />

"Je ne peux pas en par<strong>le</strong>r pour <strong>le</strong> moment. Nous avons d'autres soucis.<br />

-La Concrétisation? Nos amis?<br />

-Non, la guerre…<br />

-L… La guerre?"<br />

***<br />

"Qu… Qu… Qu'est-ce tu regar<strong>de</strong>s, sa<strong>le</strong> pervers?"<br />

Sally jura. El<strong>le</strong> était partagée entre la rage <strong>de</strong> se retrouver face à<br />

Leryan et la satisfaction d'avoir encore une fois la possibilité <strong>de</strong> lui poser<br />

<strong>de</strong>s questions, même si el<strong>le</strong> ne comprenait pas par quel phénomène celuici<br />

l'invoquait à loisir pour lui par<strong>le</strong>r. Cette fois-ci, il était assis à<br />

califourchon sur son siège blanc, examinant la danse lascive d'une femme<br />

à l'intérieur d'un miroir. Il ne lui prêtait pas la moindre attention,<br />

concentré sur ce mystérieux spectac<strong>le</strong>.<br />

"Hé, tu me vois ou pas? l'interpella Sally, s'interposant entre <strong>le</strong> grand<br />

miroir ova<strong>le</strong> et lui."<br />

El<strong>le</strong> se figea. Il riait bêtement en la regardant. Sa tignasse <strong>de</strong><br />

cheveux blancs lui donnait d'ail<strong>le</strong>urs l'apparence d'un junkie mal coiffé. Le<br />

fait qu'il ait <strong>le</strong>s traits d'Arthur était toujours aussi troublant.<br />

"Qu'y a-t-il <strong>de</strong> si drô<strong>le</strong>?<br />

-Tu es vachement bien en petite tenue…<br />

-Quoi? Mais <strong>de</strong> quoi…"<br />

Soudain, el<strong>le</strong> réalisa et se tourna vers <strong>le</strong> miroir sur pied pour<br />

observer l'étrange scène qui s'y déroulait. Une femme aux formes<br />

avantageuses se déhanchait <strong>le</strong>ntement à la manière d'une danseuse<br />

orienta<strong>le</strong>, sur une scène décorée <strong>de</strong> nombreux voi<strong>le</strong>s <strong>de</strong> cou<strong>le</strong>urs pourpre<br />

et ocre. A moitié cachée par ces filtres <strong>de</strong> tissu, el<strong>le</strong> semblait taquiner <strong>le</strong><br />

public <strong>de</strong> ses mouvements tantôt timi<strong>de</strong>s, tantôt plus audacieux. Un grand<br />

martè<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> tambour accompagnait son manège.<br />

Soudain, <strong>le</strong> doute <strong>de</strong> Sally se confirma et el<strong>le</strong> laissa échapper un cri<br />

d'horreur, au moment où la danseuse émergeait <strong>de</strong> <strong>de</strong>rrière un voi<strong>le</strong>, <strong>le</strong><br />

ventre à l'air, <strong>le</strong>s jambes nues et satinées par <strong>de</strong>s pail<strong>le</strong>ttes dorées. Il y<br />

5


avait tout au plus un mètre carré <strong>de</strong> tissu sur toute la surface <strong>de</strong> son<br />

corps. Des siff<strong>le</strong>ments admiratifs émanèrent du public.<br />

"N… N… N… N… Non! bégaya Sally."<br />

El<strong>le</strong> agrippa furieusement la chevelure <strong>de</strong> Leryan en voyant sa<br />

propre personne se mettre à danser en ondulant du corps et en agitant<br />

<strong>de</strong>s voi<strong>le</strong>s multicolores. Son doub<strong>le</strong> dansait comme el<strong>le</strong>-même n'avait<br />

jamais (n'aurait jamais) dansé. Malgré la chevelure blanche <strong>de</strong> son ref<strong>le</strong>t,<br />

malgré <strong>le</strong> carré <strong>de</strong> soie qui lui cachait <strong>le</strong> visage du menton jusqu'aux nez,<br />

el<strong>le</strong> se reconnaissait parfaitement.<br />

"Qui est ce sosie <strong>de</strong> moi? Réponds!<br />

-Lâche moi <strong>le</strong>s cheveux! Tu vas me <strong>le</strong>s arracher, gémit Leryan en se<br />

débattant.<br />

-Qui est-ce? Réponds ou je te scalpe, rugit Sally, <strong>de</strong> plus en plus choquée<br />

par ce que l'autre Sally faisait dans <strong>le</strong> miroir.<br />

-C'est bien toi sur scène… Dans un futur assez proche.<br />

-QUOIIII?"<br />

Au grand soulagement du jeune homme el<strong>le</strong> <strong>le</strong> libéra et recula,<br />

effarouchée.<br />

"Je sais ce que tu vas dire, ajouta-t-il d'un air malicieux. Non, ce n'est pas<br />

moi! Je ne ferais jamais ça et je n'ai pas <strong>le</strong>s cheveux blancs comme une<br />

Sorgenteli."<br />

Il lui avait en<strong>le</strong>vé <strong>le</strong>s mots <strong>de</strong> la bouche. La Sally du miroir tournait sur<br />

el<strong>le</strong>-même.<br />

"Tu as trafiqué ce miroir pour me mater, avoue…<br />

-Non, c'est bien là <strong>le</strong> ref<strong>le</strong>t <strong>de</strong> ton futur Sally. La cou<strong>le</strong>ur <strong>de</strong> tes cheveux<br />

dans cette vision te semb<strong>le</strong> peut-être contradictoire mais el<strong>le</strong> peut<br />

s'expliquer <strong>de</strong> manière assez simp<strong>le</strong>.<br />

-T… Teinture?<br />

-Qui sait…"<br />

Il rit un peu.<br />

"Je vois à ton regard que tu ne me crois toujours pas, n'est-ce pas? La<br />

suite <strong>de</strong>vrait te plaire…<br />

-Ca me suffit amp<strong>le</strong>ment! Arrête ceci, je suis très embarrassée, s'écria<br />

Sally en cachant vainement ses yeux.<br />

-Mais siiiiiiiiiiiiii, chanta-t-il en tentant <strong>de</strong> lui retirer <strong>le</strong>s mains du visage.<br />

-Lâche-moi! Sa<strong>le</strong> dégénéré <strong>de</strong> Leryan! Fiche moi la paix et réponds plutôt<br />

à mes qu…"<br />

5


Il lui avait fina<strong>le</strong>ment retiré <strong>le</strong>s mains <strong>de</strong>s yeux. Contrainte et forcé,<br />

el<strong>le</strong> se retrouva nez à nez avec <strong>le</strong> miroir. Cette nouvel<strong>le</strong> vision la fit encore<br />

une fois s'immobiliser, pour d'autres raisons cette fois-ci. Malgré el<strong>le</strong>, el<strong>le</strong><br />

laissa échapper un rire, puis quelques larmes <strong>de</strong> soulagement.<br />

"Il… Il sera vivant, souffla-t-el<strong>le</strong> en s'essuyant <strong>le</strong>s yeux."<br />

Un grand poids lui avait été retiré <strong>de</strong>s épau<strong>le</strong>s et el<strong>le</strong> continua<br />

d'observer la scène, intriguée malgré el<strong>le</strong> par l'image <strong>de</strong> Jamie en train <strong>de</strong><br />

s'amuser à jouer <strong>de</strong>s percussions pour accompagner sa danse, <strong>de</strong>puis <strong>le</strong><br />

côté <strong>de</strong> la scène. Il paraissait y prendre un plaisir manifeste, bien qu'il<br />

ratât par conséquence la plupart <strong>de</strong> ces manœuvres. Ses cheveux étaient<br />

éga<strong>le</strong>ment blancs comme neige et <strong>de</strong>ux fois plus longs.<br />

"Ca te tourmentait, n'est-ce pas? dit Leryan avec un sourire bienveillant.<br />

-O… Oui…"<br />

El<strong>le</strong> éclata <strong>de</strong> rire, remarquant à ce moment précis qu'un turban<br />

ridicu<strong>le</strong> ornait <strong>le</strong> crâne <strong>de</strong> Jamie. C'était à la fois pathétique et formidab<strong>le</strong>,<br />

<strong>de</strong> son point <strong>de</strong> vue. Oui, Jamie ne ressemblait à rien ainsi. Sa tenue <strong>le</strong><br />

faisait ressemb<strong>le</strong>r à un clown touareg. Et pourtant, el<strong>le</strong> appréciait cette<br />

scène plus que tout.<br />

"Attends voir, fit-el<strong>le</strong>."<br />

Sous <strong>le</strong>s applaudissements d'un public apparemment fourni, une<br />

autre jeune femme, bien plus douée pour la danse, fit son apparition sur<br />

la scène et rejoignit Sally dans sa chorégraphie. El<strong>le</strong> était habillée <strong>de</strong><br />

même façon et arborait une très longue chevelure blanche coiffée en<br />

natte. Aïshani. Ainsi parée, el<strong>le</strong> était tout simp<strong>le</strong>ment magnifique et<br />

gracieuse.<br />

"Ca tourne à la mascara<strong>de</strong> cette histoire, dit Sally en se tournant vers<br />

Leryan qui se tenait à sa gauche.<br />

-…<br />

-Arrête <strong>de</strong> nous regar<strong>de</strong>r avec cet air lubrique, protesta-t-el<strong>le</strong> en lui<br />

assénant une salve <strong>de</strong> claques sur <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s. Tu baves, c'est ignob<strong>le</strong>.<br />

-Mais nooon, se ravisa-t-il en rigolant. Regar<strong>de</strong>, quelqu'un d'autre arrive!<br />

-Qui ça?"<br />

El<strong>le</strong> fixa <strong>de</strong> nouveau <strong>le</strong> miroir. Passant furtivement à travers <strong>le</strong>s<br />

tab<strong>le</strong>s qu'occupaient <strong>de</strong> nombreux hommes avinés, un individu que Sally<br />

connaissait bien. Il se dirigea vers <strong>le</strong> côté <strong>de</strong> la scène, tête baissée, la<br />

contourna puis s'assit sur un épais pouf juste à côté <strong>de</strong> Jamie. Comme lui<br />

il était vêtu <strong>de</strong> façon bariolée, avec une amp<strong>le</strong> tunique sans manches dont<br />

<strong>le</strong> col s'ouvrait presque jusqu'au nombril. Il posa son cou<strong>de</strong> sur l'épau<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

Jamie et se mit à lui par<strong>le</strong>r à voix basse.<br />

5


"C'est Arthur, reconnut Sally.<br />

-Ah bon? dit Leryan et feignant l'étonnement.<br />

-Oui! Mais je n'entends pas ce qu'il dit! Tu ne peux pas augmenter <strong>le</strong><br />

son!?"<br />

Jamie ne s'était pas arrêté <strong>de</strong> jouer mais échangea un regard<br />

complice avec Arthur, probab<strong>le</strong>ment pour lui montrer qu'il acquiesçait à ce<br />

qui venait <strong>de</strong> lui être dit. Arthur hocha alors la tête et jeta un œil sur la<br />

scène. Sally et Aïshani continuaient à danser à un rythme soutenu mais<br />

cette <strong>de</strong>rnière fit un clin d'œil furtif à ses compagnons. De toute évi<strong>de</strong>nce,<br />

ils fomentaient quelque chose.<br />

"On dirait que nous jouons la comédie, dit Sally en se grattant <strong>le</strong> menton.<br />

Il faudrait que je sache où se passe tout ceci, et quand exactement! Ce<br />

qui est sûr, c'est que nous sommes à Sorgentel.<br />

-STOP!"<br />

El<strong>le</strong> sursauta. Le miroir, seul ornement <strong>de</strong> cette immense pièce<br />

blanche, avait subitement disparu. Il ne restait plus que l'infâme Leryan,<br />

<strong>le</strong>quel l'observait d'un air grave.<br />

"Je n'avais pas fini, se récria Sally.<br />

-Moi si! Tu dois maintenant partir, dit Leryan d'un air résolu.<br />

-Tu viens à peine <strong>de</strong> me faire venir!<br />

-Et j'en ai fini avec toi! Voici mon <strong>de</strong>rnier ordre.<br />

-Ordre? Tu me prends pour… Dernier? Attends, non! Je dois savoir qui je<br />

dois sauver <strong>de</strong> la mort (el<strong>le</strong> se remit à paniquer). Réponds-moi et…"<br />

Il l'interrompit, plaquant bruta<strong>le</strong>ment ses lèvres contre <strong>le</strong>s siennes,<br />

la main sur sa nuque. Encore! Cette fois-ci, <strong>le</strong> sang <strong>de</strong> Sally ne fit qu'un<br />

tour. El<strong>le</strong> n'était pas du genre à se laisser embrasser par <strong>le</strong> premier<br />

Sorgenteli venu, même légendaire. El<strong>le</strong> serra <strong>le</strong> poing et <strong>le</strong> frappa<br />

vio<strong>le</strong>mment dans <strong>le</strong> ventre.<br />

"Goujat, siffla-t-el<strong>le</strong> en <strong>le</strong> voyant s'écrou<strong>le</strong>r."<br />

Le souff<strong>le</strong> coupé, Leryan tomba à genoux en hoquetant. El<strong>le</strong> en<br />

profita pour s'essuyer <strong>le</strong>s lèvres, ravie que sa peau noire ne lui permette<br />

pas <strong>de</strong> rougir.<br />

"Sacrée force, gémit Leryan en se tenant <strong>le</strong> ventre."<br />

Il toussa encore puis re<strong>le</strong>va la tête. Au grand étonnement <strong>de</strong> Sally, il<br />

arborait un sourire mélancolique, presque nostalgique. Cette réaction la<br />

prit <strong>de</strong> court et el<strong>le</strong> ne lutta pas lorsqu'il lui prit la main.<br />

"J'aurais aimé te connaître Sally.<br />

-Que veux-tu dire par là? On se… connaît maintenant, non?<br />

5


-Sally.<br />

-Oui?<br />

-Tout se jouera au Tombeau <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an… S'il te plaît, lorsque tu jugeras <strong>le</strong><br />

moment opportun… fais ce qui te semb<strong>le</strong>ra <strong>le</strong> plus avisé, même si <strong>le</strong><br />

mon<strong>de</strong> s'écrou<strong>le</strong> autour <strong>de</strong> toi. Si <strong>le</strong>s émotions te submergent, fais ce que<br />

j'aurais fait…"<br />

Il se re<strong>le</strong>va soudain et l'enlaça d'une manière qui n'avait plus rien <strong>de</strong><br />

lubrique. Cette fois il n'y avait pas d'ambiguïté. Il semblait uniquement<br />

rechercher un contact amical, humain.<br />

"Leryan? fit-el<strong>le</strong> d'une voix effarouchée.<br />

-…<br />

-Leryan?<br />

-N'oublie pas, n'oublie pas, reprit-il en resserrant son étreinte. Quand tu<br />

seras à cet endroit, n'oublie pas…<br />

-Cet endroit? Le…"<br />

Partie VI : …Le Tombeau <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an<br />

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Chapitre 32 : Direction Corboïlum<br />

Arthur ouvrit un oeil, puis l'autre. Attestant <strong>de</strong> l'intensité du feu<br />

allumé dans l'âtre, <strong>de</strong>s ref<strong>le</strong>ts rougeâtres ondulaient sur la voûte<br />

irrégulière <strong>de</strong> la tanière, tels <strong>de</strong>s spectres <strong>de</strong> flamme animés d'une<br />

existence volati<strong>le</strong>. L'o<strong>de</strong>ur du bois brûlé parvenait aux narines d'Arthur,<br />

entamant son désir <strong>de</strong> dormir. Il avait particulièrement chaud sous son<br />

épaisse couverture et la fourrure blanche sur laquel<strong>le</strong> il était étendu lui<br />

grattait <strong>le</strong> dos. Il se retourna pour se coucher sur <strong>le</strong> ventre.<br />

Elliott ronflait bruyamment à ses pieds, au point que la grotte toute<br />

entière semblait vibrer. Comment <strong>le</strong>s autres faisaient-ils pour <strong>de</strong>meurer<br />

endormis alors qu'ils étaient tout près <strong>de</strong> ce bruit nauséabond?<br />

"Crétin océanien..., marmonna Arthur dans sa barbe."<br />

Alignées <strong>le</strong>s unes à côté <strong>de</strong>s autres sur <strong>le</strong> large lit du Celmark,<br />

Rachel, Sally et Roxana dormaient à poings fermés, noyées dans un<br />

brouhaha <strong>de</strong> longues inspirations et expirations. Le propriétaire du lit avait<br />

disparu. Peut-être avait-il élu domici<strong>le</strong> dans la partie <strong>de</strong> son repaire<br />

occupée par <strong>le</strong>s bains. Quant à Kaznaël...<br />

"Tu ne dors pas? murmura-t-il <strong>de</strong>puis l'autre côté du lit <strong>de</strong>s fil<strong>le</strong>s."<br />

<strong>Les</strong> capacités <strong>de</strong> perception <strong>de</strong> Kaznaël n'avaient cesse<br />

d'époustouf<strong>le</strong>r Arthur. "Comment fait-il pour savoir que je suis éveillé<br />

alors que nous sommes séparés par <strong>de</strong>ux mètres <strong>de</strong> sol et un lit?" <strong>Les</strong><br />

ronf<strong>le</strong>ments sonores d'Elliott rendaient la performance d'autant plus<br />

admirab<strong>le</strong>.<br />

"Non, souffla Arthur. Toi non plus?"<br />

Kaznaël ne répondit pas. Evi<strong>de</strong>mment, la question posée était<br />

purement rhétorique. Le Protecteur dormait <strong>de</strong> manière effective une à<br />

<strong>de</strong>ux nuits par semaine, pas davantage, sauf lorsqu'il avait accumulé une<br />

importante dose <strong>de</strong> fatigue. Dans ce cas il était capab<strong>le</strong> <strong>de</strong> jouer la<br />

marmotte pendant <strong>de</strong>s pério<strong>de</strong>s allant jusqu'à douze ou treize heures.<br />

Certain que Kaznaël n'entamerait pas une conversation nocturne<br />

avec lui, Arthur se contorsionna pour glisser sa main dans l'ouverture <strong>de</strong><br />

son sac à dos – son oreil<strong>le</strong>r <strong>de</strong> fortune – et en retira <strong>le</strong>s <strong>Chroniques</strong> <strong>de</strong><br />

Sorgentel. Il posa la tranche du livre sur sa poitrine, <strong>le</strong>s yeux plissés.<br />

L'endroit était certes assez sombre mais <strong>le</strong>s flammes <strong>de</strong> la cheminée<br />

seraient suffisantes pour déchiffrer quelques pages, <strong>le</strong> temps <strong>de</strong><br />

s'endormir. Plus jeune, il avait passé <strong>de</strong> nombreuses nuits caché sous sa<br />

couette à lire <strong>de</strong>s ban<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ssinées, en violation du couvre-feu imposé par<br />

ses parents. Bouquiner dans <strong>le</strong> noir était donc <strong>de</strong>venu l'une <strong>de</strong> ses<br />

disciplines <strong>de</strong> prédi<strong>le</strong>ction.<br />

D'une manière qui ne surprit pas Arthur autant qu'il aurait pu <strong>le</strong><br />

croire, <strong>le</strong> livre prit l'initiative <strong>de</strong> s'ouvrir à nouveau, puis <strong>de</strong>vint aussi dur<br />

5


qu'un roc, comme pour dissua<strong>de</strong>r quiconque d'en tourner <strong>le</strong>s pages.<br />

L'ouvrage <strong>de</strong>meura en équilibre pendant <strong>de</strong>ux secon<strong>de</strong>s, puis tomba sur <strong>le</strong><br />

nez d'Arthur. Il étouffa un grognement.<br />

"A la guerre comme à la guerre... j'aurais du m'attendre à un tel coup <strong>de</strong><br />

la part <strong>de</strong> cet objet satanique."<br />

Il se plongea dans la <strong>le</strong>cture tout en espérant ne pas y découvrir que<br />

Primo, en plus d'être affilié à Priam, était <strong>le</strong> cousin éloigné d'Omar. (A ce<br />

moment, il réalisa avec horreur que G<strong>le</strong>nda, cousine <strong>de</strong> Priam, était<br />

éga<strong>le</strong>ment par extension cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Primo. "Quel<strong>le</strong> famil<strong>le</strong>...").<br />

Le Celmark<br />

<strong>Les</strong> origines <strong>de</strong> cette rencontre sont aussi troub<strong>le</strong>s que la<br />

personnalité du personnage l'ayant involontairement initiée. Il faut<br />

cependant fournir à notre aimab<strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur <strong>le</strong>s explications nécessaires à<br />

une meil<strong>le</strong>ure compréhension <strong>de</strong>s faits, à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s éléments étant<br />

à notre disposition.<br />

Hinjis, <strong>le</strong> plus jeune <strong>de</strong>s apprentis <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an, avait comme souvent<br />

décidé d'importuner l'enfant Leryan en remettant sa bravoure en question.<br />

Je souhaite rappe<strong>le</strong>r à notre aimab<strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur que <strong>de</strong>s trois discip<strong>le</strong>s <strong>de</strong><br />

Ky<strong>le</strong>an, Hinjis était <strong>le</strong> plus prompt à taquiner ses pairs tout comme ses<br />

aînés. Il était passé maître dans l'art <strong>de</strong> troub<strong>le</strong>r l'âme, au point d'avoir<br />

acquis la capacité <strong>de</strong> faire douter <strong>le</strong>s intel<strong>le</strong>ctuels <strong>le</strong>s plus aguerris. Sa<br />

maîtrise <strong>de</strong> la sournoiserie était naturel<strong>le</strong>ment à la hauteur <strong>de</strong> son<br />

affabilité et <strong>de</strong> ses dons. Toujours est-il que cette énième provocation<br />

donna lieu à une intense conversation qui ne manqua pas d'ébran<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s<br />

a<strong>le</strong>ntours <strong>de</strong> la baie <strong>de</strong> Springan.<br />

Je vais faire en sorte <strong>de</strong> vous restituer la teneur du propos <strong>de</strong> Hinjis,<br />

avec toute l'approximation inhérente à mon oeuvre <strong>de</strong> recherche : "Un<br />

garçon <strong>de</strong> ton âge <strong>de</strong>vrait passer son temps à explorer nos vastes terres!<br />

Courir dans <strong>le</strong>s plaines, patauger pieds nus dans l'eau froi<strong>de</strong>, pêcher,<br />

escala<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s rochers, sou<strong>le</strong>ver <strong>le</strong>s robes <strong>de</strong>s fil<strong>le</strong>s et suivre la marche <strong>de</strong>s<br />

insectes. Or, je ne te vois jamais te lancer dans <strong>de</strong> tel<strong>le</strong>s activités. Je peux<br />

en attester! Comment se fait-il que tu <strong>de</strong>meures dans l'enceinte du Havre<br />

à travail<strong>le</strong>r et suivre <strong>le</strong>s préceptes <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an alors que <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> s'ouvre à<br />

toi? A moins que tu ne sois un... dégonflé?"<br />

Ces insinuations eurent raison <strong>de</strong> l'ego du jeune Ky<strong>le</strong>an, d'autant<br />

plus qu'el<strong>le</strong>s lui paraissaient fondées. Il fut profondément outré. Sans<br />

prendre <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> la réf<strong>le</strong>xion, il se saisit <strong>de</strong> son Alzévir et entraîna<br />

Kaznaël avec lui malgré <strong>le</strong>s invectives <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier. Sa décision était<br />

prise, il allait affronter <strong>le</strong> Massif du Kard afin <strong>de</strong> prouver à Hinjis et à tout<br />

Sorgentel qu'il n'était pas un p<strong>le</strong>utre. C'est ainsi que ces enfants qui<br />

avaient à peine vingt ans à eux <strong>de</strong>ux quittèrent <strong>le</strong> Havre en p<strong>le</strong>ine<br />

journée, au vu et au su <strong>de</strong> tous. Ky<strong>le</strong>an eut vent <strong>de</strong> cette histoire à<br />

l'instant même mais il interdit à quiconque <strong>de</strong> <strong>le</strong>s suivre, certain qu'ils<br />

5


eviendraient dès que <strong>le</strong>ur estomac crierait famine. Il sanctionna d'ail<strong>le</strong>urs<br />

Hinjis en l'affectant aux cuisines pour la journée.<br />

Ky<strong>le</strong>an n'espérait pas <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux garçons qu'ils accomplissent <strong>le</strong>ur<br />

projet jusqu'à son terme. Une tel<strong>le</strong> entreprise était inconcevab<strong>le</strong>. Hélas<br />

pour lui, la foi <strong>de</strong> Leryan en son intelligence et en l'audace <strong>de</strong> son<br />

Protecteur l'avait poussé à la témérité. Il ne rebroussa jamais chemin en<br />

dépit <strong>de</strong> la fatigue et parvint en p<strong>le</strong>in coeur <strong>de</strong>s montagnes du Kard.<br />

Inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> vous décrire la fierté qui fut la sienne après un tel périp<strong>le</strong>. Lui,<br />

<strong>le</strong> "dégonflé", reviendrait conquérant au Havre et prouverait au discip<strong>le</strong><br />

Hinjis qu'il était capab<strong>le</strong> <strong>de</strong> vivre <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s aventures, à l'instar <strong>de</strong>s<br />

autres petits garçons <strong>de</strong> Sorgentel.<br />

Immanquab<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong> récit d'un tel périp<strong>le</strong> ne parviendrait jamais<br />

aux oreil<strong>le</strong>s <strong>de</strong> quiconque si Leryan et Kaznaël étaient dévorés par un<br />

Sinekar. Oui, alors qu'ils s'apprêtaient à déva<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s pentes pour retourner<br />

enfin chez eux, <strong>le</strong>s enfants se trouvèrent nez à nez avec l'une <strong>de</strong> ces<br />

créatures massives, réputées pour <strong>le</strong>ur mâchoire puissante, <strong>le</strong>urs griffes<br />

<strong>de</strong>structrices, <strong>le</strong>ur capacité à se mettre <strong>de</strong>bout sur <strong>le</strong>urs pattes arrière afin<br />

d'impressionner <strong>le</strong>urs opposants, ainsi que <strong>le</strong>ur magnifique fourrure<br />

blanche.<br />

La fuite était inuti<strong>le</strong> face à un tel monstre. Notre aimab<strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur<br />

n'est pas sans savoir qu'un Sinekar peut, malgré son poids, atteindre <strong>de</strong>s<br />

pointes <strong>de</strong> vitesse rivalisant aisément avec cel<strong>le</strong>s d'un palton <strong>de</strong> combat,<br />

surtout sur son terrain <strong>de</strong> prédi<strong>le</strong>ction, la neige. Leryan et Kaznaël<br />

n'avaient donc que <strong>de</strong>ux échappatoires : la ruse et <strong>le</strong> combat.<br />

Leryan choisit la ruse et joua <strong>le</strong> mort, afin <strong>de</strong> dissua<strong>de</strong>r <strong>le</strong> Sinekar <strong>de</strong><br />

s'en prendre à lui. Paradoxa<strong>le</strong>ment, cette manoeuvre attisa l'intérêt et<br />

l'appétit du Sinekar, ce qui obligea Kaznaël à livrer combat avec une<br />

simp<strong>le</strong> dague. D'aucuns disent que Leryan serait <strong>de</strong>meuré sur <strong>le</strong> côté,<br />

continuant à feindre la mort, mais nous ne saurions adhérer à une tel<strong>le</strong><br />

hypothèse... Revenons en à ce combat. J'imagine bien que malgré son<br />

imaginaire débordant et une glorification du personnage <strong>de</strong> Kaznaël<br />

entretenue par <strong>de</strong>s décennies d'histoire, notre aimab<strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur a du mal à<br />

concevoir qu'il ait pu tenir tête à un Sinekar. Certes, il lutta vaillamment<br />

pour protéger son ami et parvint même à éborgner <strong>le</strong> monstre, mais il<br />

était impossib<strong>le</strong> d'imaginer qu'il puisse venir à bout d'une tel<strong>le</strong> masse <strong>de</strong><br />

musc<strong>le</strong>s. C'est à cet instant dramatique qu'intervint <strong>le</strong> Celmark. Arrivée <strong>de</strong><br />

nul<strong>le</strong> part grâce à un bond spectaculaire, cette force <strong>de</strong> la nature<br />

s'interposa entre <strong>le</strong> Sinekar et ses proies. Puis il mit un terme au<br />

combat...<br />

Oui, il mit un terme au combat d'un coup. D'un seul coup, asséné<br />

sur <strong>le</strong> sommet du crâne du Sinekar. Et ce <strong>de</strong>rnier passa <strong>de</strong> vie à trépas.<br />

Toutefois soyez aise... Le Sinekar remplit un nouvel office en tant que<br />

tapis du Celmark. Ce fut d'ail<strong>le</strong>urs <strong>le</strong> début d'une campagne d'exploitation<br />

<strong>de</strong> la fourrure <strong>de</strong>s Sinekar, très rapi<strong>de</strong>ment condamnée par <strong>le</strong> Cénac<strong>le</strong> et<br />

par la Guil<strong>de</strong> <strong>de</strong>s Amis <strong>de</strong>s Créatures du Kard (Arthur accorda un regard<br />

nouveau au tapis en épaisse fourrure blanche sur <strong>le</strong>quel il était couché).<br />

La gratitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> Leryan envers ce sauveur inespéré fut indicib<strong>le</strong>. Il<br />

avait eu la chance <strong>de</strong> rencontrer une créature peu connue <strong>de</strong>s Sorgenteli<br />

5


mais dont la force physique égalait sa bonté d'âme. D'ail<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong> Celmark<br />

manifesta une gran<strong>de</strong> allégresse à l'idée d'avoir pu se rendre uti<strong>le</strong> – bien<br />

qu'il regretta <strong>de</strong> ne pas avoir su contrô<strong>le</strong>r sa force à l'encontre du Sinekar.<br />

Dès lors, Leryan résolut <strong>de</strong> s'aventurer plus souvent dans <strong>le</strong> Kard,<br />

naturel<strong>le</strong>ment accompagné <strong>de</strong> son fidè<strong>le</strong> Kaznaël. Ce fut <strong>le</strong> début d'une<br />

longue amitié.<br />

De l'autre côté <strong>de</strong> la grotte, près du lit sur <strong>le</strong>quel dormaient <strong>le</strong>s<br />

fil<strong>le</strong>s, Kaznaël subissait malgré lui <strong>le</strong>s réminiscences associées à chacune<br />

<strong>de</strong>s phrases que lisait Arthur. Chaque mot qui noircissait <strong>le</strong>s pages <strong>de</strong>s<br />

<strong>Chroniques</strong> résonnait à ses oreil<strong>le</strong>s comme la transcription d'un souvenir<br />

auquel il était toujours vulnérab<strong>le</strong>. Il avait lu ce livre un nombre<br />

incalculab<strong>le</strong> <strong>de</strong> fois <strong>de</strong>puis que Samuel l'avait confié à Arthur, profitant du<br />

si<strong>le</strong>nce <strong>de</strong> la nuit ou <strong>de</strong> l'absence <strong>de</strong> la maisonnée Gall. A force<br />

d'investissement, <strong>le</strong> pouvoir étrange <strong>de</strong>s <strong>Chroniques</strong> semblait l'avoir<br />

marqué au fer rouge, au point que toute <strong>le</strong>cture qu'en faisait Arthur<br />

s'insinuait dans son esprit.<br />

Il se rappela <strong>de</strong> paro<strong>le</strong>s qu'avait prononcées Leryan alors qu'ils<br />

quittaient la tanière du Celmark, quelques années après cette rencontre<br />

provi<strong>de</strong>ntiel<strong>le</strong>. Peu <strong>de</strong> temps avant que ses yeux ne virent<br />

irrémédiab<strong>le</strong>ment au rouge sang…<br />

"Tu ne trouves pas que Marky était un peu glauque aujourd'hui? Je me<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> s'il nous en veut <strong>de</strong> ne pas être venus <strong>de</strong>puis longtemps. Ce<br />

n'est pas faute d'avoir voulu échapper à mes obligations barbantes pour<br />

passer un peu <strong>de</strong> temps avec lui mais mon statut ne me <strong>le</strong> permet que<br />

diffici<strong>le</strong>ment, d'autant plus que je suis presque un adulte. On me<br />

pardonne moins ce genre d'escapa<strong>de</strong>s. Hm... On pourrait proposer à<br />

Marky <strong>de</strong> venir au Havre la prochaine fois!<br />

-Je ne pense pas qu'il apprécie ce climat, avait répondu Kaznaël. Non, ce<br />

n'est pas une bonne idée. N'oublie pas qu'il est très réservé et qu'affronter<br />

<strong>le</strong> regard <strong>de</strong> la populace du Havre serait éprouvant pour lui.<br />

-Je sais que tu <strong>le</strong> protégerais aussi bien que tu <strong>le</strong> fais pour moi Kaz. Tu<br />

comprendrais ce qu'il ressent et tu anticiperais ses difficultés. Après tout<br />

tu as subi d'innombrab<strong>le</strong>s brima<strong>de</strong>s après ton arrivée miracu<strong>le</strong>use à<br />

Springan. Ton apparence a été un obstac<strong>le</strong> que tu as vaillamment franchi<br />

(il avait regardé la chevelure écarlate <strong>de</strong> Kaznaël).<br />

-Tu me l'as fait franchir, avait rappelé Kaznaël avec reconnaissance. Si je<br />

n'étais pas l'ami <strong>de</strong> Leryan, <strong>le</strong>s choses seraient peut-être différentes.<br />

-Ce n'est pas en tant qu'ami <strong>de</strong> Leryan que tu attires <strong>le</strong>s regards <strong>de</strong> toutes<br />

ces fraîches <strong>de</strong>moisel<strong>le</strong>s en âge d'être courtisées. Sur ce point tu as bien<br />

plus <strong>de</strong> succès que moi. Ma célébrité ne fait pas <strong>le</strong> poids face à ton<br />

physique d'athlète. Je crains que...<br />

-Que...?<br />

-Je crains que... (Leryan avait paru très ennuyé) tu ne sois <strong>le</strong> premier <strong>de</strong><br />

nous <strong>de</strong>ux à connaître <strong>le</strong>s plaisirs charnels avec une fil<strong>le</strong>."<br />

Kaznaël avait éclaté <strong>de</strong> rire, voyant son ami si déconfit.<br />

5


…L'annonce <strong>de</strong> la mort <strong>de</strong> Leryan et du départ <strong>de</strong> Kaznaël dévasta <strong>le</strong><br />

Celmark... Ivre <strong>de</strong> rage, il perça <strong>le</strong> ciel <strong>de</strong> ses cris et laissa libre cours à sa<br />

force <strong>de</strong>structrice, au point <strong>de</strong> briser <strong>le</strong> sommet <strong>de</strong> l'une <strong>de</strong>s plus hautes<br />

montagnes du Kard. Sa colère dura cinq jours et cinq nuits au cours<br />

<strong>de</strong>squels <strong>le</strong>s habitants <strong>de</strong> Sorgentel crurent que <strong>le</strong> Kard était victime du<br />

chaos. C'était là la facette la plus alarmante du Celmark. Dès lors qu'il ne<br />

bridait plus ses capacités physiques, il perdait une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> son<br />

discernement et détruisait tout ce qui se dressait sur son chemin. Bien<br />

heureusement, sa nature paisib<strong>le</strong> reprit <strong>le</strong> <strong>de</strong>ssus et <strong>le</strong> Celmark s'isola <strong>de</strong><br />

nouveau dans sa tanière du Kard.<br />

De très nombreuses années plus tard, lorsque <strong>le</strong> Cénac<strong>le</strong> décida <strong>de</strong><br />

doter <strong>le</strong>s élus <strong>de</strong> dons surnaturels sous l'égi<strong>de</strong> du chamane Gaetan, c'est<br />

accompagné <strong>de</strong> Nina Azulnot que <strong>le</strong> Celmark se présenta au Havre, prêt à<br />

participer au processus d'abnégation. Il expliqua que <strong>le</strong> souvenir <strong>de</strong> son<br />

amitié avec Leryan l'obligeait à apporter sa contribution, même si cela<br />

impliquait <strong>de</strong> mettre un terme à son existence. "Leryan apprécierait mon<br />

dévouement et je ne veux pas laisser Nina partir seu<strong>le</strong>" dit-il simp<strong>le</strong>ment<br />

aux abnégateurs pour justifier sa présence.<br />

Ceux-ci doutèrent <strong>de</strong> ses motivations mais ne pouvaient décemment<br />

pas s'opposer à son choix. C'est ainsi que <strong>le</strong> Celmark, à l'instar <strong>de</strong>s autres<br />

héros <strong>de</strong> l'é<strong>le</strong>ction, entra dans <strong>le</strong> Cerc<strong>le</strong>.<br />

Il fut <strong>le</strong> seul à ne pas périr et assista, impuissant, à la chute <strong>de</strong> tous<br />

<strong>le</strong>s autres sacrifiés, y compris son amie Nina Azulnot.<br />

Au terme <strong>de</strong> sa <strong>le</strong>cture, Arthur réalisa que son visage était inondé <strong>de</strong><br />

larmes et que sa vue se troublait. Il ferma <strong>le</strong>s <strong>Chroniques</strong>, couvrit ses<br />

yeux à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> ses bras et se fit aussi si<strong>le</strong>ncieux que possib<strong>le</strong>.<br />

Lorsqu'il se réveilla, Rachel était la seu<strong>le</strong> encore présente dans la<br />

"pièce principa<strong>le</strong>" <strong>de</strong> la tanière du Celmark. Le feu <strong>de</strong> la cheminée s'était<br />

dissipé, ne laissant <strong>de</strong>rrière lui que <strong>de</strong>s cendres encore fumantes. A vrai<br />

dire, il était impossib<strong>le</strong> <strong>de</strong> déterminer si <strong>le</strong> jour était effectivement <strong>le</strong>vé<br />

mais <strong>le</strong> simp<strong>le</strong> fait qu'il se soit réveillé laissait penser à Arthur que c'était<br />

<strong>le</strong> cas. Il se <strong>le</strong>va en fixant Rachel.<br />

"Salut…"<br />

El<strong>le</strong> se peignait consciencieusement <strong>le</strong>s cheveux à l'ai<strong>de</strong> d'un petit<br />

peigne et d'un miroir rond qu'el<strong>le</strong> avait ramené dans ses bagages. D'un<br />

signe <strong>de</strong> tête el<strong>le</strong> répondit à Arthur et continua à se coiffer, assise en<br />

tail<strong>le</strong>ur au milieu du lit.<br />

"Où sont <strong>le</strong>s autres?<br />

-Dehors, en train <strong>de</strong> faire <strong>le</strong> point. Le temps s'est calmé cette nuit alors<br />

nous <strong>de</strong>vrions partir. D'après <strong>le</strong> Celmark, Corboïlum n'est plus très loin. Si<br />

5


j'étais toi je me dépêcherais <strong>de</strong> prendre un bain et <strong>de</strong> manger quelque<br />

chose. Tu es livi<strong>de</strong>."<br />

Arthur ne re<strong>le</strong>va pas cette énième remarque rachélienne et<br />

rassembla ses affaires, l'esprit encore marqué par <strong>le</strong> récit <strong>de</strong> la rencontre<br />

entre Leryan, Kaznaël et <strong>le</strong> Celmark. Plus il en apprenait sur <strong>le</strong> passé,<br />

moins il souhaitait en savoir. Demeurer dans l'ignorance était peut-être<br />

préférab<strong>le</strong>.<br />

Non. La vérité était un far<strong>de</strong>au diffici<strong>le</strong> à supporter mais éga<strong>le</strong>ment<br />

un atout dans la lutte qui <strong>le</strong>s attendait. C'était ce que lui avait enseigné<br />

une discussion avec Léonard Duquette quelques mois plus tôt, dans une<br />

pièce du Cénac<strong>le</strong>. D'ail<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong>s personnes avisées ne professaient-el<strong>le</strong>s<br />

pas régulièrement que sans connaissance du passé, nul ne pouvait<br />

maîtriser son avenir? Oui, c'était ce qui se disait. C'était sans doute ce que<br />

pensait aussi Samuel. Instinctivement, Arthur regarda son Echo dans<br />

l'espoir irrationnel que son ami lui transmettrait un conseil ou une bonne<br />

paro<strong>le</strong> à ce moment précis.<br />

"Es-tu encore plongé dans l'une <strong>de</strong> ces réf<strong>le</strong>xions méditatives dont tu es si<br />

friand, Arthur Gall? <strong>de</strong>manda soudain Rachel."<br />

C'était plus une constatation agacée qu'une interrogation. La goutte<br />

d'eau qui faisait débor<strong>de</strong>r <strong>le</strong> vase.<br />

"Pourquoi es-tu ainsi? lança Arthur d'une voix plus sèche qu'il ne l'aurait<br />

souhaité.<br />

-Comme quoi? répliqua-t-el<strong>le</strong>."<br />

El<strong>le</strong> avait cessé d'arranger sa chevelure et <strong>le</strong> regardait d'un air<br />

interrogateur. Il pensa "Méchante" mais se garda bien <strong>de</strong> répondre <strong>de</strong><br />

façon si manichéenne.<br />

"Dure! Intransigeante! Pourquoi as-tu tant <strong>de</strong> mépris pour <strong>le</strong>s gens qui<br />

éprouvent <strong>le</strong> besoin <strong>de</strong> réfléchir avant d'agir? Pourquoi est-ce… que tu me<br />

fais chier?<br />

-Je n'ai pas <strong>de</strong> mépris pour toi bouffon d'Arthur alors ne me fais pas une<br />

crise nerveuse, répondit Rachel avec un calme déconcertant."<br />

Cette réponse déstabilisa Arthur. Il l'avait agressée sans <strong>le</strong> vouloir et<br />

avait craint qu'el<strong>le</strong> ne se jette sur lui, toutes griffes <strong>de</strong>hors, en guise <strong>de</strong><br />

représail<strong>le</strong>s. Au lieu <strong>de</strong> ça la terrib<strong>le</strong> Rachel Vivian Mitchells réagissait avec<br />

autant d'irritation qu'un Rick sous Lexomil.<br />

"Ce n'est pas du mépris, répéta-t-el<strong>le</strong>.<br />

-Qu'est-ce que c'est dans ce cas?"<br />

El<strong>le</strong> hésita avant <strong>de</strong> répondre.<br />

5


"J'ai toujours eu du mal avec toi pour la simp<strong>le</strong> raison que tu me fais<br />

penser à mon frère.<br />

-Noel? s'étonna-t-il, en repensant à la photo qu'il avait trouvée par terre<br />

l'an passé."<br />

Rachel soupira.<br />

"Comme toi c'était un idéaliste, persuadé <strong>de</strong> pouvoir sauver <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> par<br />

la bonne paro<strong>le</strong> et la réf<strong>le</strong>xion. Il est même allé jusqu'à s'engager dans<br />

l'armée et se faire catapulter en Irak. Vois où ça l'a mené.<br />

-Pourquoi est-il entré dans l'armée s'il… était fait <strong>de</strong> ce bois là?<br />

-Noel pensait qu'il pouvait changer <strong>le</strong>s choses, représenter l'image<br />

rayonnante <strong>de</strong> l'armée. Avoir une bonne influence sur <strong>le</strong>s autres et<br />

apporter la paix et la démocratie là-bas. Il y avait beaucoup réfléchi (el<strong>le</strong><br />

baissa <strong>le</strong>s yeux, agacée), c'était un <strong>de</strong> ses intel<strong>le</strong>ctuels qui discutent<br />

pendant <strong>de</strong>s heures lors <strong>de</strong> débats dans <strong>de</strong>s cafés philosophiques. Noel…<br />

c'était un illuminé. Mes parents n'ont jamais vraiment su ce qui allait<br />

advenir <strong>de</strong> lui. Il changeait d'orientation tous <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux mois…<br />

Le résultat <strong>de</strong> ses conneries, c'est qu'il est parti en Irak pour prêcher la<br />

bonne paro<strong>le</strong> et s'assurer que <strong>le</strong>s soldats respecteraient <strong>le</strong>s droits <strong>de</strong>s<br />

locaux. Il s'imaginait avec la f<strong>le</strong>ur dans <strong>le</strong> canon du fusil. Il… Arthur,<br />

parfois il vaut mieux ne pas se poser <strong>de</strong> questions et vivre <strong>le</strong> moment<br />

présent. Ne t'implique pas outre mesure! Nous sommes <strong>de</strong>s élus et nous<br />

ne pouvons pas changer ça. Cela ne signifie pas pour autant qu'il faut<br />

considérer cette quête comme autre chose qu'un <strong>de</strong>voir. Il n'y a pas <strong>de</strong><br />

croix à porter.<br />

-On sauve <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> puis on oublie tout <strong>le</strong> reste? déduisit Arthur avec<br />

amertume.<br />

-Cela vaut peut-être mieux. Nous ne sommes pas <strong>de</strong>venus <strong>de</strong>s élus par<br />

choix ou par conviction. Au pis, nous avons fait <strong>le</strong> choix d'assumer ce qui<br />

nous était imposé, sans plus.<br />

-Rachel, tu…<br />

-Tu sais, si Noel était parti pour protéger <strong>le</strong>s intérêts <strong>de</strong> sa nation ou pour<br />

avoir un métier, j'aurais mieux accepté sa… (Sa voix se perdit.) Par<br />

contre, mourir par idéalisme est intolérab<strong>le</strong>. L'idéalisme ne nourrit pas son<br />

homme, il ne remplit pas un compte en banque ou un CV. On ne met pas<br />

la mention "Idéalisme" sur une tombe. On fait quelque chose parce qu'on<br />

doit <strong>le</strong> faire, c'est tout.<br />

-Tu crois vraiment ce que tu dis Rachel? <strong>Les</strong> gens <strong>de</strong> conviction meurent<br />

en vain?<br />

-Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire, se défendit Rachel."<br />

Arthur était partagé entre indignation et empathie. Rachel ne<br />

réalisait pas la portée <strong>de</strong> ses propos.<br />

"Je pense que ton frère est… était un type bien. N'entache pas sa mémoire<br />

sous prétexte que ses idéaux ne correspon<strong>de</strong>nt pas aux tiens. En ce qui<br />

5


me concerne, je pense que je vais continuer à réfléchir à la portée <strong>de</strong> mes<br />

actes, conclut Arthur."<br />

Rachel fronça d'abord <strong>le</strong>s sourcils, <strong>le</strong>s doigts crispés sur son miroir.<br />

Puis, progressivement, ses traits se détendirent. Sa bouche <strong>de</strong>ssina un<br />

triste sourire.<br />

"Dans ce cas j'espère que tu feras partie <strong>de</strong> ces rares illuminés qui<br />

réussissent à sauver <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> sans sauter à pieds joints dans un caveau.<br />

-Rachel, tu vas trop loin, s'écria Arthur.<br />

-Je ne faisais pas preuve <strong>de</strong> cynisme pour une fois… J'espère sincèrement<br />

que tu sortiras in<strong>de</strong>mne <strong>de</strong> cette aventure, que tu gar<strong>de</strong>ras ton innocence.<br />

Moi je me considère déjà comme une écorchée vive, mais savoir qu'il<br />

existe <strong>de</strong>s gens comme toi ou Ana Rosa, <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong> conviction, ça me<br />

redonne un peu foi en l'Humanité. A vous <strong>de</strong> me prouver que j'ai tort<br />

d'être tel<strong>le</strong> que je <strong>le</strong> suis."<br />

Arthur haussa <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s, prit ses cliques et ses claques puis quitta<br />

<strong>le</strong>s lieux avant que ne lui vienne l'envie <strong>de</strong> répliquer.<br />

***<br />

"Je vais vous accompagner jusqu'en bas, annonça <strong>le</strong> Celmark à Arthur."<br />

Le colosse était assis en tail<strong>le</strong>ur au bord du bassin d'eau chau<strong>de</strong>. Il<br />

avait, semb<strong>le</strong>-t-il, pressenti l'arrivée du jeune homme.<br />

"Nous apprécions ton ai<strong>de</strong>. Vraiment! affirma ce <strong>de</strong>rnier."<br />

Le Celmark acquiesça en hochant rapi<strong>de</strong>ment la tête tandis<br />

qu'Arthur se laissait cou<strong>le</strong>r dans l'eau. Ses musc<strong>le</strong>s se décontractèrent.<br />

Après sa discussion hou<strong>le</strong>use avec Rachel, la présence avenante du<br />

Celmark était <strong>le</strong> bienvenu.<br />

"<strong>Les</strong> montagnes sont dangereuses même s'il n'y a plus <strong>de</strong> Sinekars à<br />

cause <strong>de</strong> la chasse. Vous pourriez <strong>de</strong>scendre seuls mais vous perdriez<br />

beaucoup <strong>de</strong> temps avant <strong>de</strong> retrouver <strong>le</strong> col <strong>de</strong> Fordone."<br />

Arthur se rappela que <strong>le</strong> fameux col <strong>de</strong>vait <strong>le</strong>ur permettre <strong>de</strong><br />

traverser rapi<strong>de</strong>ment et sans risque <strong>le</strong> Massif du Kard. Son kidnapping<br />

inopiné <strong>le</strong>s avait éloignés <strong>de</strong> cette piste et menés dans <strong>le</strong>s sommets<br />

enneigés.<br />

"Je peux faci<strong>le</strong>ment porter <strong>de</strong>ux ou trois d'entre vous jusqu'au pied <strong>de</strong><br />

cette montagne. Je <strong>de</strong>scends trois personnes, je remonte pour récupérer<br />

<strong>de</strong>ux personnes et ce sera fini."<br />

Il agita la main pour attester <strong>de</strong> la facilité d'une tel<strong>le</strong> manœuvre.<br />

5


"Kaznaël pourra <strong>de</strong>scendre par ses propres moyens.<br />

-Je n'en doute pas, fit Arthur en se remémorant une nuit où il avait surpris<br />

<strong>le</strong> Protecteur en train d'escala<strong>de</strong>r la faça<strong>de</strong> <strong>de</strong> son immeub<strong>le</strong>."<br />

Le Celmark entortilla ses doigts, tel un enfant <strong>de</strong> tail<strong>le</strong> démesurée<br />

cherchant <strong>le</strong> meil<strong>le</strong>ur moyen d'annoncer à ses parents qu'il avait eu <strong>de</strong><br />

mauvais résultats à l'éco<strong>le</strong>. Il ne se lança qu'au bout d'un long moment.<br />

"Je ne sais rien qui puisse vous ai<strong>de</strong>r au sujet <strong>de</strong> Leryan. Kaznaël m'a dit<br />

que <strong>le</strong> Déséquilibre menaçait <strong>de</strong> frapper encore nos mon<strong>de</strong>s respectifs<br />

mais je ne sais pas quoi vous dire. Je veux bien repar<strong>le</strong>r <strong>de</strong> lui même si<br />

c'est dur, mais ça…<br />

-Ne t'inquiète pas Celmark. Tu as probab<strong>le</strong>ment bien réfléchi à tout ceci.<br />

Si tu penses que tes souvenirs ne peuvent pas contribuer à faire avancer<br />

nos recherches, c'est que c'est <strong>le</strong> cas. Ne te replonge pas <strong>de</strong>dans en vain.<br />

-Je suis heureux que tu me dises ceci bien que je regrette <strong>de</strong> ne rien faire<br />

<strong>de</strong> plus."<br />

<strong>Les</strong> grands yeux émerau<strong>de</strong> du Celmark luisaient <strong>de</strong> culpabilité.<br />

"Je voudrais te poser une <strong>de</strong>rnière question si tu me <strong>le</strong> permets.<br />

-Bien sûr, fit <strong>le</strong> Celmark.<br />

-Kaznaël a dit <strong>de</strong> Leryan qu'il s'agissait d'une divinité mortel<strong>le</strong> et qu'à ce<br />

titre, il est possib<strong>le</strong> qu'il ait survécu… d'une façon ou d'une autre. Est-ce<br />

que tu penses toi aussi que c'est… envisageab<strong>le</strong>?<br />

-J'aimerais <strong>le</strong> penser mais ces choses là me dépassent. Je ne suis pas<br />

mortel. Je ne sais pas comment opère la mort, encore moins sur ce que tu<br />

appel<strong>le</strong>s une divinité mortel<strong>le</strong>.<br />

-Oui, c'est normal.<br />

-Je serais heureux d'apprendre qu'il subsiste quelque part, même si je ne<br />

peux pas lui par<strong>le</strong>r. S'il ne souffre pas, c'est bien. En tout cas pour<br />

répondre à ta question, je n'ai pas à ma disposition <strong>le</strong> moindre élément<br />

qui prouve qu'il est vivant."<br />

Arthur aurait voulu lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si <strong>le</strong> corps <strong>de</strong> Leryan avait été<br />

enterré à un endroit en particulier mais il n'osait évoquer une question si<br />

douloureuse. Le Celmark était bien trop sensib<strong>le</strong>. Tant pis. <strong>Les</strong> djinns <strong>de</strong><br />

Corboïlum répondraient à ses questions.<br />

"Comment s'appel<strong>le</strong> l'élu qui a hérité <strong>de</strong> mes pouvoirs? <strong>de</strong>manda<br />

subitement <strong>le</strong> Celmark.<br />

-Jamie. Enfin, James Stephen Corbell.<br />

-Quel nom compliqué… Est-ce que James Stephen Corbell est quelqu'un<br />

<strong>de</strong> bien? Est-ce qu'il fait bon usage <strong>de</strong> ses capacités? Je m'excuse <strong>de</strong> <strong>le</strong><br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r mais c'est une question qui me tarau<strong>de</strong> <strong>de</strong>puis longtemps."<br />

5


Arthur ne put s'empêcher <strong>de</strong> sourire. Il entama une brasse, créant<br />

<strong>de</strong>s remous à la surface <strong>de</strong> l'eau.<br />

"C'est l'individu <strong>le</strong> plus gentil que <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> ait engendré, sois-en assuré."<br />

Le Celmark joignit alors <strong>le</strong>s mains.<br />

"Cela me rend très heureux."<br />

Le groupe se retrouva à l'extérieur environ une heure plus tard, au<br />

niveau du renfoncement rocheux dans <strong>le</strong>quel était nichée la tanière du<br />

Celmark. Tous étaient emmitouflés dans <strong>le</strong>urs manteaux, portaient <strong>le</strong>urs<br />

sacs à dos et exhalaient d'épais nuages blancs, caractéristiques du froid<br />

sec qui <strong>le</strong>s enveloppait. D'abord aveuglé par <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il, Arthur se réhabitua<br />

progressivement à la lumière. Il découvrit alors un panorama magnifique.<br />

Cette vision était dominée par <strong>de</strong> majestueuses éminences rocheuses dont<br />

<strong>le</strong>s pointes d'un blanc pur dardaient <strong>le</strong> ciel. De son point <strong>de</strong> vue, Arthur<br />

avait l'impression <strong>de</strong> surplomber tout Sorgentel. Il apercevait même <strong>le</strong><br />

monolithe <strong>de</strong> Springan, Havre, ainsi qu'une tâche blanche ova<strong>le</strong> qui ne<br />

pouvait être qu'Althiès. Au loin, l'immensité du grand large rappelait que<br />

Sorgentel n'était a priori qu'une î<strong>le</strong> perdue au milieu d'un océan aux<br />

limites inconnues.<br />

Toute la partie nord <strong>de</strong> Sorgentel était visib<strong>le</strong> <strong>de</strong>puis cette faça<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

la chaîne montagneuse. Arthur constata que <strong>le</strong> Kard formait un îlot <strong>de</strong><br />

roche et <strong>de</strong> neige au milieu d'une vaste étendue <strong>de</strong> vertes contrées. "Une<br />

incohérence climatique", comme l'avait souligné Sally. Ce paysage n'en<br />

<strong>de</strong>meurait pas moins magnifique, et surtout vertigineux.<br />

"C'est extrêmement rai<strong>de</strong>, pas <strong>le</strong> genre <strong>de</strong> montagne dont on peut<br />

<strong>de</strong>scendre sans un minimum d'équipement, nota Elliott.<br />

-Il ne nous reste plus d'exemplaires <strong>de</strong> Glisse sur <strong>le</strong> vent, n'est-ce pas?<br />

<strong>de</strong>manda Sally.<br />

-J'ai utilisé <strong>le</strong> <strong>de</strong>rnier hier, rappela Rachel."<br />

La chevelure <strong>de</strong> Sally lui battait <strong>le</strong>s tempes. El<strong>le</strong> était transie par <strong>le</strong><br />

froid et ses mains étaient plongées dans ses poches.<br />

"Dans ce cas, on peut se réjouir <strong>de</strong> l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> Monsieur <strong>le</strong> Celmark. Je<br />

n'aime pas trop l'idée <strong>de</strong> faire <strong>le</strong> grand saut mais bon…<br />

-N'ayez crainte, vous ne risquez rien, dit <strong>le</strong> Celmark.<br />

-Je vous fais confiance.<br />

- Comment va-t-on procé<strong>de</strong>r? <strong>de</strong>manda Arthur.<br />

-Celmark va s'occuper <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>scendre <strong>le</strong>s fil<strong>le</strong>s et je porterai Elliott,<br />

expliqua Kaznaël.<br />

-Très bien, j'attendrai donc mon...<br />

-Quant à toi, tu <strong>de</strong>scends tout seul.<br />

-Pardon?"<br />

5


Sally et Roxana haussèrent <strong>le</strong>s sourcils, confirmant à Arthur qu'ils<br />

avaient bien entendu la même chose.<br />

"Notre présence ici est une occasion inespérée <strong>de</strong> pratiquer ton don et<br />

d'augmenter ta maîtrise <strong>de</strong> celui-ci. Tu vas utiliser <strong>le</strong> même procédé que<br />

<strong>le</strong>s membres du Clan d'Azulnot pour te rendre jusqu'au Col.<br />

-C'est-à-dire se rompre <strong>le</strong> cou? suggéra Rachel.<br />

-Comment font-ils? <strong>de</strong>manda Arthur, étrangement intéressé par cette idée<br />

saugrenue.<br />

-Je n'y avais pas pensé mais c'est vrai que <strong>le</strong>s Azulnot évoluent au sein du<br />

Massif d'une manière presque similaire à la mienne, intervint <strong>le</strong> Celmark.<br />

-Ils sautent? s'écria Arthur, <strong>le</strong> regard rivé sur <strong>le</strong> dénivelé terrifiant <strong>de</strong> la<br />

montagne.<br />

-Non, ils se propulsent."<br />

Le regard <strong>de</strong> Sally s'éclaira subitement.<br />

"Se pourrait-il qu'ils utilisent la neige pour se déplacer?<br />

-Exactement, acquiesça Kaznaël.<br />

-Je ne pense pas maîtriser suffisamment mon don pour faire une tel<strong>le</strong><br />

chose! En quoi l'utilisation <strong>de</strong>... Je ne vais pas sauter voyons! Si je rate<br />

mon coup, je vais finir désarticulé.<br />

-Si tu rates ton coup, je te rattraperai peut-être...<br />

-Kaz!?"<br />

Le Protecteur l'empoigna soudain par l'avant-bras et l'entraîna<br />

vio<strong>le</strong>mment dans <strong>le</strong> vi<strong>de</strong>. Arthur n'avait pas eu l'opportunité <strong>de</strong> réagir.<br />

Comme pour ajouter au grotesque <strong>de</strong> cette situation, il vit <strong>le</strong> Celmark<br />

mimer ce qui ressemblait à un sourire, alors qu'il s'éloignait <strong>de</strong> lui, victime<br />

<strong>de</strong> la gravité. Arthur émit un cri <strong>de</strong> détresse. Un vent glacial s'engouffrait<br />

dans ses vêtements, symptomatique <strong>de</strong> l'atterrissage mortel qui<br />

l'attendait.<br />

"Du calme, tu ne vas pas t'écraser, cria Kaznaël, la voix couverte par un<br />

bruit <strong>de</strong> souff<strong>le</strong>rie. Fais comme d'habitu<strong>de</strong>!<br />

-COMMENT CA COMME D'HABITUDE? hurla Arthur."<br />

Sa rencontre avec un monticu<strong>le</strong> neigeux particulièrement affûté était<br />

<strong>de</strong> plus en plus inévitab<strong>le</strong>. Il fut envahi par la terreur. Au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> lui,<br />

Kaznaël se laissait tomber sans gran<strong>de</strong> inquiétu<strong>de</strong>, avec une posture digne<br />

d'un écureuil volant.<br />

"Ai<strong>de</strong> moi Kaz! Qu'est-ce que je dois faire!?<br />

-Comme moi au Sanctuaire <strong>de</strong> glace!<br />

-HEIN?<br />

-Contrô<strong>le</strong> la neige!"<br />

5


Arthur continuait <strong>de</strong> chuter <strong>le</strong> long <strong>de</strong> la paroi rocheuse, face vers <strong>le</strong><br />

ciel et vers <strong>le</strong> regard étonnamment encourageant <strong>de</strong> Kaznaël. Contrô<strong>le</strong>r la<br />

neige environnante? Etait-ce si simp<strong>le</strong> que ça?<br />

"Dry..."<br />

Non, il était inuti<strong>le</strong> d'appe<strong>le</strong>r Drydock. Contrô<strong>le</strong>r la neige et la glace<br />

re<strong>le</strong>vait du même procédé que <strong>de</strong> matérialiser <strong>de</strong> la glace pour <strong>le</strong> poing<br />

Iceberg. En fait, c'était peut-être même plus faci<strong>le</strong>.<br />

"Dépêche-toi! Tu vas t'écraser stupi<strong>de</strong> Arthur, hurla Kaznaël en<br />

s'agrippant négligemment à la paroi <strong>de</strong> la montagne (d'une seu<strong>le</strong> main)."<br />

Arthur rentra à l'intérieur <strong>de</strong> lui-même et se concentra sur <strong>le</strong> flux<br />

glacial qui traversait généra<strong>le</strong>ment ses membres lorsqu'il utilisait son<br />

pouvoir. Le temps parut ra<strong>le</strong>ntir, tout comme sa chute. "Non, mauvaise<br />

démarche", se corrigea-t-il, comprenant soudain ce qu'il fallait faire. Il ne<br />

<strong>de</strong>vait en appe<strong>le</strong>r à ce flux intérieur que lorsqu'il souhaitait matérialiser<br />

l'élément constitutif <strong>de</strong> son don. Là, ce qu'il <strong>de</strong>vait appréhen<strong>de</strong>r c'était...<br />

"Que quelqu'un fasse quelque chose, il va mourir! Je ne <strong>le</strong> vois plus,<br />

s'égosilla Roxana.<br />

-Hum, pas sûr, fit Sally en se penchant au-<strong>de</strong>ssus du vi<strong>de</strong>.<br />

-Comment ça "pas sûr". Est-ce que Roxana et moi sommes <strong>le</strong>s seu<strong>le</strong>s à<br />

avoir vu Arthur tomber comme une pierre? s'écria Rachel en se penchant<br />

à son tour. Je vais utiliser mon…"<br />

"YAHOOOOOOOOOOOOOOOOOO!"<br />

Rachel fit <strong>de</strong> gros yeux en percevant ce cri. El<strong>le</strong> dut s'écarter<br />

subitement afin d'éviter <strong>le</strong> projecti<strong>le</strong> humain qui surgissait du vi<strong>de</strong>,<br />

littéra<strong>le</strong>ment propulsé par une épaisse colonne <strong>de</strong> neige. Arthur avait jailli<br />

du vi<strong>de</strong> comme un diab<strong>le</strong> sorti d'une boîte.<br />

"Trop cool..., s'extasia-t-il, suspendu momentanément dans <strong>le</strong>s airs."<br />

Il croisa <strong>le</strong>s regards émerveillés <strong>de</strong> ses amis, avant <strong>de</strong> retomber.<br />

C'était si simp<strong>le</strong>. Le flux qui circulait en lui n'avait rien <strong>de</strong> différent <strong>de</strong> celui<br />

qui parcourait la neige du Kard. Cela n'avait rien d'étonnant. Son pouvoir<br />

était issu du Clan d'Azulnot. S'ils avaient trouvé un moyen efficace <strong>de</strong> se<br />

déplacer <strong>de</strong> montagne en montagne, il était naturel que <strong>le</strong>ur <strong>le</strong>a<strong>de</strong>r, Nina,<br />

l'ait éga<strong>le</strong>ment transmis à l'élu. Tout ce qu'il avait à faire, c'était<br />

comman<strong>de</strong>r à la masse <strong>de</strong> neige environnante. "Je suis en terrain conquis<br />

dans ces montagnes!"<br />

"Vers où va-t-on? cria-t-il d'une voix à la fois éraillée et enthousiaste."<br />

Toujours accroché à sa paroi, Kaznaël lui fit un sourire.<br />

5


"L'autre faça<strong>de</strong> <strong>de</strong> cette montagne! Nous allons quitter <strong>le</strong> Massif!<br />

-OKAY, jubila Arthur."<br />

Par défi, il se laissa <strong>de</strong> nouveau tomber vers <strong>le</strong> monticu<strong>le</strong> qui l'avait<br />

tant effrayé quelques secon<strong>de</strong>s plus tôt puis, à la <strong>de</strong>rnière secon<strong>de</strong>, il fit<br />

<strong>de</strong> nouveau appel au flux neigeux qui l'entourait, visualisant son<br />

mouvement dans son esprit, mo<strong>de</strong>lant ses courbes. Une vague blanche se<br />

décolla alors <strong>de</strong> la montagne pour <strong>le</strong> réceptionner et <strong>le</strong> renvoyer vers <strong>le</strong>s<br />

cieux.<br />

"Woooooooooooooooooh!"<br />

Il comprenait désormais ce que ressentaient <strong>le</strong>s gens qui faisaient<br />

du saut à l'élastique. Tout en expérimentant la sensation du vi<strong>de</strong>, il avait<br />

l'impression jubilatoire <strong>de</strong> courir sur l'air. Il bondissait d'un point du vi<strong>de</strong> à<br />

un autre, sans jamais retoucher <strong>le</strong> sol. Dès que sa poussée était ra<strong>le</strong>ntie<br />

par la résistance du vent et que la gravité faisait <strong>de</strong> nouveau son oeuvre,<br />

il ramenait à lui une couche <strong>de</strong> neige compacte qui soutenait son poids et<br />

l'envoyait vo<strong>le</strong>r <strong>de</strong> plus bel<strong>le</strong>.<br />

"Heeeeeeeey, Arthur! Tu t'amuses? lança la voix <strong>de</strong> Sally."<br />

Il se retourna en p<strong>le</strong>in bond. Derrière lui, <strong>le</strong> Celmark sautait d'un<br />

rocher à un autre, Sally sur son dos, Roxana et Rachel sous <strong>le</strong>s bras. Ses<br />

déplacements étaient fulgurants, tota<strong>le</strong>ment inattendus au vu <strong>de</strong> son<br />

poids.<br />

"Arthur, c'est géniaaaaaaal, cria Roxana d'une voix suraiguë.<br />

-Ouais! répondit-il avec un salut <strong>de</strong> la main."<br />

Cet appel lui rappela qu'il fallait tout <strong>de</strong> même avancer, malgré<br />

l'amusement qui était <strong>le</strong> sien à ce moment précis. Kaznaël était parti<br />

récupérer Elliott au sommet <strong>de</strong> la montagne.<br />

"Contourner <strong>le</strong> montagne pour se rendre sur l'autre faça<strong>de</strong> du Massif, se<br />

rappela-t-il."<br />

Alors qu'il avait pris la direction d'un sommet situé face à celui qui<br />

abritait la <strong>de</strong>meure du Celmark, Arthur y aménagea un manteau <strong>de</strong> neige<br />

suffisamment épais pour amortir son arrivée. Il effectua une pirouette<br />

aérienne afin <strong>de</strong> se repositionner, atterrit sur la faça<strong>de</strong> <strong>de</strong> la montagne <strong>le</strong>s<br />

pieds <strong>le</strong>s premiers, puis se propulsa <strong>de</strong> nouveau. Ce mouvement était<br />

étourdissant mais éga<strong>le</strong>ment très péril<strong>le</strong>ux. En effet, il avait pris une tel<strong>le</strong><br />

vitesse que <strong>le</strong> vent lui fouettait <strong>le</strong> visage et faisait p<strong>le</strong>urer ses yeux. Sa<br />

bouche était extrêmement sèche.<br />

Arthur évolua en ligne courbe, longeant <strong>le</strong> relief <strong>de</strong> la montagne. Sa<br />

"course" <strong>le</strong> mena directement au milieu d'un half-pipe naturel. Le Col <strong>de</strong><br />

5


Fordone. Un étroit couloir encadré par <strong>de</strong>ux rangées <strong>de</strong> falaises<br />

infranchissab<strong>le</strong>s. Au milieu coulait un cours d'eau cristalline au lit peu<br />

profond. Il s'agissait d'un affluent du f<strong>le</strong>uve Gardone d'après <strong>le</strong>s souvenirs<br />

qu'Arthur avait <strong>de</strong> la carte <strong>de</strong> Sorgentel. Il s'arrêta sur <strong>le</strong> sommet d'une<br />

falaise où il fut rejoint par <strong>le</strong> Celmark.<br />

"C'est par là que vous al<strong>le</strong>z pouvoir continuer votre chemin, annonça ce<br />

<strong>de</strong>rnier."<br />

Arthur plongea son regard vers l'horizon. Effectivement, à l'issue du<br />

col il apercevait à nouveau <strong>le</strong>s terres herbeuses caractéristiques <strong>de</strong><br />

Sorgentel, par <strong>de</strong>là <strong>le</strong> f<strong>le</strong>uve Gardone.<br />

"Cette partie du Massif du Kard est peu enneigée, tu ne pourras pas<br />

utiliser ton don pour al<strong>le</strong>r si bas, fit Kaznaël, arrivé à son tour avec Elliott.<br />

-C'est ce que je vois, reconnut Arthur. Je peux continuer mon chemin en<br />

restant à bonne hauteur mais il va me manquer <strong>de</strong> quoi <strong>de</strong>scendre<br />

jusqu'au niveau du cours d'eau. Si je tente <strong>le</strong> coup, je risque <strong>de</strong> m'écraser<br />

au sol.<br />

-Continue à nous suivre <strong>de</strong>puis <strong>le</strong>s falaises. Dès que nos compagnons<br />

seront arrivés à la bouche du col, Celmark ou moi viendrons te récupérer.<br />

-C'est noté! Attention à ne pas laisser tomber Elliott, fit Arthur avec<br />

cynisme."<br />

Rachel <strong>le</strong> foudroya <strong>de</strong> regard juste avant d'être emportée par <strong>le</strong><br />

Celmark. Arthur reprit alors sa progression acrobatique, avec plus <strong>de</strong><br />

précaution cette fois-ci. Ce faisant, il songea à quel point il aurait aimé<br />

que Nils, Anaïs ou Jamie puissent <strong>le</strong> voir ainsi. Ses amis en auraient pris<br />

p<strong>le</strong>in <strong>le</strong>s yeux. Samuel par contre était déjà un être hors norme. Il ne<br />

serait pas impressionné par une simp<strong>le</strong> prestation <strong>de</strong> funambu<strong>le</strong>.<br />

"Qu'est-ce que tu fiches Samuel? Je n'ai toujours pas <strong>de</strong> nouvel<strong>le</strong>s..."<br />

Il sauta par <strong>de</strong>ssus un à pic, se réceptionna sur un tourbillon <strong>de</strong><br />

givre, puis relâcha la pression menta<strong>le</strong> qu'il exerçait sur cel<strong>le</strong>-ci. La nuée<br />

<strong>de</strong> moineaux rougeâtres qu'il traversa lors <strong>de</strong> son vol plané se dispersa en<br />

piaillant <strong>de</strong> rage.<br />

"J'espère qu'il n'a pas été compromis en me contactant la <strong>de</strong>rnière fois.<br />

pensa-t-il avec angoisse"<br />

Par réf<strong>le</strong>xe il vérifia que <strong>le</strong> sac en velours était bien dans sa poche, à<br />

l'abri <strong>de</strong>s regards ou d'une chute acci<strong>de</strong>ntel<strong>le</strong>. Cet écart <strong>de</strong> pensée faillit<br />

avoir une issue dramatique. Il passa au travers <strong>de</strong> la neige qu'il avait<br />

canalisée et tomba, emporté par <strong>le</strong> poids <strong>de</strong> son sac. Bien heureusement il<br />

eut suffisamment <strong>de</strong> temps pour réparer son erreur avant <strong>de</strong> percuter un<br />

rocher. Laisser son esprit divaguer était un luxe qu'il ne pouvait pas se<br />

permettre. Il était d'ail<strong>le</strong>urs temps <strong>de</strong> s'arrêter.<br />

5


"Quasiment plus <strong>de</strong> neige par ici, déplora-t-il une fois qu'il eut trouvé un<br />

lieu stab<strong>le</strong> où se tenir <strong>de</strong>bout. Mes acrobaties s'arrêtent ici."<br />

Il avait rapi<strong>de</strong>ment rallié la faça<strong>de</strong> sud du Massif et, déjà, il sentait<br />

la température <strong>de</strong>venir plus clémente. D'ail<strong>le</strong>urs, quelques f<strong>le</strong>urs d'Azulnot<br />

émergeaient miracu<strong>le</strong>usement du sol, dans <strong>le</strong>s rares fail<strong>le</strong>s que lui offrait<br />

la roche montagneuse. Toujours intrigué par cette flore mystérieuse, il se<br />

baissa et retira délicatement l'une <strong>de</strong>s f<strong>le</strong>urs du sol. Un souff<strong>le</strong> d'air froid<br />

émana <strong>de</strong> son pistil, sans occasionner la moindre sensation désagréab<strong>le</strong>.<br />

Au contraire, une démangeaison familière se manifesta sur son dos. Le<br />

motif <strong>de</strong> l'Abnégation entrait en résonance avec la f<strong>le</strong>ur d'Azulnot, la<br />

source <strong>de</strong> son don.<br />

"Je suis là, dit <strong>le</strong> Celmark en tombant lour<strong>de</strong>ment <strong>de</strong>vant lui."<br />

Arthur tressaillit, laissant choir la f<strong>le</strong>ur d'Azulnot sur <strong>le</strong> sol. El<strong>le</strong> se flétrit.<br />

"Déjà?<br />

-J'ai déposé tes amis. Nos chemins vont se séparer quand je vous aurai<br />

amenés en lieu sûr.<br />

-Tu ne souhaites pas nous accompagner à Corboïlum?<br />

-Je suis heureux que tu me <strong>le</strong> proposes mais je ne peux pas quitter <strong>le</strong>s<br />

montagnes. Je m'adapte mal au climat extérieur.<br />

-Pourtant tu es allé au Havre pour faire don <strong>de</strong> ton pouvoir."<br />

Il regretta aussitôt cette remarque. Le Celmark ne parut pourtant<br />

pas s'en formaliser et lui tendit la main pour l'inviter à grimper sur son<br />

dos.<br />

"C'est vrai mais c'était une situation très grave. Accroche toi bien à mon<br />

cou. Nous y allons?<br />

-Oui, bien sûr."<br />

Il s'exécuta, noua ses bras autour du large cou du Celmark, puis se<br />

laissa emporter dans une nouvel<strong>le</strong> série <strong>de</strong> sauts, moins sensationnels que<br />

<strong>le</strong>s siens mais tout aussi efficaces.<br />

C'est à cet instant précis qu'Arthur réalisa qu'Elliott aurait pu <strong>le</strong>ur<br />

épargner tout ce troub<strong>le</strong> et <strong>le</strong>s faire <strong>de</strong>scendre quasi instantanément,<br />

grâce à son don. Pourquoi ce crétin d'australien n'y avait-il pas pensé?<br />

***<br />

"Je vous souhaite <strong>de</strong> faire bonne route et surtout <strong>de</strong> trouver <strong>de</strong>s réponses<br />

à vos questions. Ce qui vous attend a l'air diffici<strong>le</strong> mais vous avez ce qu'il<br />

faut pas vous en tirer. Si vous <strong>de</strong>vez repasser par ici à votre retour, je<br />

serai heureux <strong>de</strong> vous offrir mon hospitalité. <strong>Les</strong> fruits que je vous ai<br />

donnés suffiront en plus <strong>de</strong>s vivres que vous avez déjà"<br />

5


Il entreprit <strong>de</strong> serrer la main à chacun d'entre eux.<br />

"Vos bains sont extraordinaires Celmark! Merci beaucoup <strong>de</strong> nous avoir<br />

aidés. Portez vous bien, dit Rachel.<br />

-Oui, votre ai<strong>de</strong> nous a été précieuse, ajouta Sally. Nous sommes prêts à<br />

affronter <strong>le</strong>s défis qui nous atten<strong>de</strong>nt.<br />

-Ouiiii, s'exclama Roxana en brandissant un poing affirmé."<br />

Ce n'est que là que <strong>le</strong>s élus prirent acte <strong>de</strong> la présence <strong>de</strong> Roxana.<br />

Dans la précipitation, ils avaient tota<strong>le</strong>ment oublié <strong>de</strong> déci<strong>de</strong>r <strong>de</strong> son sort.<br />

Le mal était fait. Le sermon <strong>de</strong> Risabel serait retentissant.<br />

"Tu t'es bien gardée <strong>de</strong> nous rappe<strong>le</strong>r qu'on <strong>de</strong>vait te renvoyer chez toi<br />

petite rusée, dit Sally en lui tapotant la tête. Maintenant il va falloir qu'on<br />

te confie au Celmark pour qu'il...<br />

-...me laisse au pied <strong>de</strong>s montagnes pour que je rentre jusqu'à Althiès<br />

toute seu<strong>le</strong>? dit la fil<strong>le</strong>tte d'un air innocent.<br />

-..."<br />

Roxana se mit à rire, consciente <strong>de</strong> sa victoire.<br />

"Je suis heureux <strong>de</strong> savoir que tu es sorti <strong>de</strong> ta cachette Kaz, lui dit <strong>le</strong><br />

Celmark d'une voix qu'Arthur fut <strong>le</strong> seul à entendre (Rachel et Sally<br />

grondaient Roxana avec peu <strong>de</strong> conviction).<br />

-Je ne tar<strong>de</strong>rai pas y retourner. Dès que j'aurai fini…<br />

-Tu as encore <strong>de</strong>s comptes à rég<strong>le</strong>r? Ne te laisse pas aveug<strong>le</strong>r par tes<br />

envies <strong>de</strong> vengeance.<br />

-N'aie pas l'air si inquiet (Arthur considéra ceci comme <strong>de</strong> l'ironie étant<br />

donné l'absence d'expression du Celmark), tu sais bien que je suis neutre.<br />

-Tu mens."<br />

Kaznaël eut l'air déconcerté.<br />

"Peut-être bien, Marky. Dis plutôt au revoir à Arthur, nous <strong>de</strong>vons nous<br />

diriger vers Corboïlum.<br />

-D'ici vous serez arrivés avant que <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il ne soit à son zénith, affirma <strong>le</strong><br />

Celmark en se tournant vers Arthur. Cherchez <strong>le</strong>s gran<strong>de</strong>s f<strong>le</strong>urs si vous<br />

vou<strong>le</strong>z rencontrer <strong>le</strong>s djinns.<br />

-<strong>Les</strong> gran<strong>de</strong>s f<strong>le</strong>urs?<br />

-Vous comprendrez une fois que vous <strong>le</strong>s verrez. El<strong>le</strong>s sont impossib<strong>le</strong>s à<br />

rater."<br />

Il prit l'avant bras d'Arthur dans sa grosse main. Ce <strong>de</strong>rnier comprit<br />

qu'il avait tenté d'effectuer une poignée <strong>de</strong> main.<br />

"Si tu trouves quelque chose à propos <strong>de</strong> qui-tu-sais, j'aimerais beaucoup<br />

que tu viennes me <strong>le</strong> dire lorsque tu auras <strong>le</strong> temps.<br />

5


-C'est promis! Je te dois bien ça.<br />

-Transmets mes amitiés à James Stephen Corbell. Dis lui <strong>de</strong> faire<br />

attention lorsque qu'il s'énerve. Tu as vu ce qui est arrivé à cette pauvre<br />

montagne. C'est pour ça que j'essaie <strong>de</strong> toujours être calme.<br />

-Je lui dirai. Surtout prends soin <strong>de</strong> toi."<br />

Arthur <strong>le</strong> vit s'éloigner d'eux non sans une certaine tristesse. Le<br />

Celmark fit quelques pas dans <strong>le</strong> cours d'eau, puis il prit la direction <strong>de</strong>s<br />

hauteurs. En quelques sauts il se retrouva sur l'à pic qu'Arthur avait<br />

traversé plus tôt. De là, il <strong>le</strong>ur fit <strong>de</strong> grands signes <strong>de</strong> main. Un concert <strong>de</strong><br />

"au revoir" lui fit écho.<br />

"On se reverra, cria Arthur."<br />

Il ne croyait pas si bien dire…<br />

"Direction p<strong>le</strong>in sud, annonça Sally pour <strong>le</strong>s sortir <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur transe. Minilly,<br />

viens par ici qu'on sache à quoi s'en tenir.<br />

-Je suis là, dit <strong>le</strong> djinn en apparaissant (El<strong>le</strong> se posa sur l'épau<strong>le</strong> <strong>de</strong> Sally).<br />

-C'est quoi ces f<strong>le</strong>urs auxquel<strong>le</strong>s il faisait référence?<br />

-Il parlait sans doute du champ <strong>de</strong> Venils. Ce sont d'immenses f<strong>le</strong>urs<br />

jaunes qui ressemb<strong>le</strong>nt à <strong>de</strong>s tournesols. <strong>Les</strong> Venils abritent Corboïlum.<br />

-Corboïlum est dissimulée dans un champ <strong>de</strong> tournesols? s'étonna Rachel.<br />

Il ne manque plus que Dorothy, <strong>le</strong> lion peureux et l'homme <strong>de</strong> fer...<br />

-Cela fait très longtemps que je ne suis pas revenue dans la cité <strong>de</strong>s<br />

djinns mais je me souviens parfaitement du chemin. D'ail<strong>le</strong>urs, nous<br />

sommes plus proches qu'il y parait. En marchant à un bon rythme, nous<br />

rencontrerons la gardienne <strong>de</strong> l'entrée <strong>de</strong> la cité dans moins d'une heure.<br />

C'est par là-bas, ajouta-t-el<strong>le</strong> en désignant du doigt un point distant. Vous<br />

vou<strong>le</strong>z que je mène <strong>le</strong> groupe?"<br />

Minilly n'attendit pas <strong>de</strong> réponse et se mit à vo<strong>le</strong>r dans la direction<br />

indiquée.<br />

"On dirait que notre <strong>de</strong>stination fina<strong>le</strong> nous attend <strong>de</strong>rrière ces quelques<br />

collines, déclara Elliott.<br />

-Le trajet a été court mais semé d'embûches, dit Sally en grignotant un<br />

biscuit sec. Je ne suis pas mécontente d'arriver enfin chez <strong>le</strong>s djinns.<br />

-Dis toi que nous allons sans doute y faire <strong>de</strong>s rencontres très<br />

intéressantes.<br />

-Et c'est bien <strong>le</strong> but <strong>de</strong> notre venue! Miliès a intérêt à nous fournir <strong>le</strong>s<br />

informations que nous recherchons, d'autant plus que <strong>le</strong>s autres ne nous<br />

ont pas encore donné <strong>de</strong> nouvel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur mission à Juval.<br />

-Si vous vou<strong>le</strong>z rencontrer qui que ce soit, commencez par vous mettre en<br />

route, professa Kaznaël, déjà loin.<br />

-Oui oui, firent Elliott et Sally sans vraiment y prêter attention."<br />

L'autorité <strong>de</strong> Kaznaël n'était plus ce qu'el<strong>le</strong> avait été autrefois.<br />

5


***<br />

Samuel continua <strong>de</strong> progresser aussi rapi<strong>de</strong>ment que lui permettait<br />

sa situation. Immergé jusqu'aux genoux dans une eau tiè<strong>de</strong> aux remous<br />

argentés, il considérait ce décor mystique avec une crainte mêlée<br />

d'admiration. Jamais il n'avait vu un lieu à la fois aussi majestueux et<br />

aussi troublant, que ce soit <strong>de</strong> ses propres yeux ou dans <strong>le</strong>s livres<br />

d'histoire qu'il avait tant affectionné. Même son imagination n'aurait pas<br />

pu appréhen<strong>de</strong>r une tel<strong>le</strong> vision. La perfection <strong>de</strong> l'endroit était tel<strong>le</strong><br />

qu'une main humaine ne pouvait en être la conceptrice. Au <strong>de</strong>meurant,<br />

cette architecture n'avait rien d'humain. Tout ici manifestait une aura<br />

surnaturel<strong>le</strong>.<br />

Poussé par la curiosité et par une réminiscence inexplicab<strong>le</strong>, il<br />

continua à avancer, sa rapière posée sur l'épau<strong>le</strong> afin <strong>de</strong> la protéger <strong>de</strong><br />

l'eau. Ses pas <strong>le</strong> menaient irrémédiab<strong>le</strong>ment vers un grand escalier aux<br />

marches <strong>de</strong> marbre blanc. Au sommet, <strong>le</strong> lieu qu'il avait cherché <strong>de</strong>puis si<br />

longtemps, sans réel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> savoir.<br />

"Qu'est-ce que c'est que cet endroit?"<br />

Alourdi par ses vêtements mouillés, il entama la montée <strong>de</strong><br />

l'escalier. La réponse à toutes ses questions se trouvait ici, il en était<br />

conscient.<br />

***<br />

"Surtout ne me per<strong>de</strong>z pas <strong>de</strong> vue, autrement vous risquez <strong>de</strong> déc<strong>le</strong>ncher<br />

<strong>le</strong>s pièges mis en place par mes consoeurs, avertit Minilly.<br />

-Chi tu 'ous a'endais au boins, râla Arthur, la bouche p<strong>le</strong>ine <strong>de</strong> miettes <strong>de</strong><br />

biscuits.<br />

-C'est quoi cette histoire <strong>de</strong> pièges? Personne n'avait parlé <strong>de</strong> pièges,<br />

protesta Rachel."<br />

<strong>Les</strong> élus, Roxana et Kaznaël – enfin débarrassés <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs épais<br />

manteaux – avançaient en fi<strong>le</strong> indienne au milieu du fameux champ <strong>de</strong><br />

Venils. Le temps était <strong>de</strong> nouveau radieux, à la limite <strong>de</strong> l'étouffement. Ce<br />

so<strong>le</strong>il oppressant semblait cependant correspondre aux besoins <strong>de</strong>s Venils<br />

dont <strong>le</strong>s pistils étaient tous dirigés vers <strong>le</strong> haut. Comme l'avait annoncé<br />

Minilly, ces f<strong>le</strong>urs hautes d'un bon mètre quatre vingt ressemblaient trait<br />

pour trait à <strong>de</strong>s tournesols et formaient à el<strong>le</strong>s toutes un domaine<br />

compact, <strong>de</strong> forme ova<strong>le</strong>. La disposition <strong>de</strong> champ <strong>de</strong> Venils était<br />

assurément loin d'être naturel<strong>le</strong>, ce qui était loin d'intriguer <strong>le</strong>s nombreux<br />

papillons rouges, verts et or qui flirtaient avec <strong>le</strong>urs péta<strong>le</strong>s.<br />

"Reste près <strong>de</strong> moi Roxana, intima Sally en posant ses mains sur ses<br />

épau<strong>le</strong>s.<br />

5


-Du calme Sally, je plaisantais pour <strong>le</strong>s pièges! Il n'y a pas besoin <strong>de</strong> tel<strong>le</strong>s<br />

choses avec notre gardienne, Makya. C'est el<strong>le</strong> qui se charge <strong>de</strong> filtrer <strong>le</strong>s<br />

entrées <strong>de</strong>s Sorgenteli chez nous. <strong>Les</strong> seuls êtres que <strong>le</strong>s djinns craignent<br />

vraiment… ce sont <strong>le</strong>s volati<strong>le</strong>s.<br />

-Ah? s'étonna Sally. Des soucis avec <strong>le</strong>s oiseaux?<br />

-Notre tail<strong>le</strong> réduite fait <strong>de</strong> nous <strong>de</strong>s cib<strong>le</strong>s faci<strong>le</strong>s pour <strong>le</strong>s oiseaux qui<br />

survo<strong>le</strong>nt parfois <strong>le</strong> champ <strong>de</strong> Venils. Notre chef Miliès a donc fait ériger<br />

un voi<strong>le</strong> magique invisib<strong>le</strong>, <strong>de</strong>stiné à <strong>le</strong>s repousser. Cette décision a été<br />

prise après qu'un djinn nommé Vestjisé la Hardie a été capturé par une<br />

hiron<strong>de</strong>l<strong>le</strong> et transportée sur une distance équivalant à cinquante<br />

kilomètres avant d'être secourue par ses consoeurs.<br />

-La pauvre, fit Roxana avec horreur."<br />

Roxana se mit à scruter <strong>le</strong> ciel à la recherche <strong>de</strong>s ces oiseaux sournois.<br />

"Vestjisé a surmonté ce traumatisme si cela peut te rassurer."<br />

Minilly fut tout <strong>de</strong> même parcourue d'un frisson, perceptib<strong>le</strong> en dépit <strong>de</strong> sa<br />

petite tail<strong>le</strong>.<br />

"Où est-el<strong>le</strong> déjà cette Makya? El<strong>le</strong> aurait dû se présenter d'el<strong>le</strong> même dès<br />

que nous nous sommes approchés du champ.<br />

-La gardienne <strong>de</strong> l'entrée n'a pas l'air <strong>de</strong> faire son travail avec diligence,<br />

souligna Arthur."<br />

Minilly flottait <strong>de</strong> Venil en Venil, à la recherche <strong>de</strong> la fameuse Makya.<br />

"Je suppose qu'el<strong>le</strong> se repose beaucoup trop sur l'escoua<strong>de</strong> <strong>de</strong> passids.<br />

-Des quoi?<br />

-L'équiva<strong>le</strong>nt <strong>de</strong> vos moineaux, expliqua Minilly en continuant sa<br />

recherche. <strong>Les</strong> passids sont <strong>de</strong>s petits oiseaux rouges, inoffensifs. Nous<br />

<strong>le</strong>s avons dressés après l'inci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> Vestjisé la Hardie pour surveil<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s<br />

a<strong>le</strong>ntours du champ <strong>de</strong> Venils et servir <strong>de</strong> moyens <strong>de</strong> transport<br />

occasionnels. Ils sont <strong>le</strong>s seuls à pouvoir passer <strong>le</strong> voi<strong>le</strong> magique qui nous<br />

protège <strong>de</strong>s volati<strong>le</strong>s. <strong>Les</strong> djinns <strong>le</strong>s expédient parfois survo<strong>le</strong>r <strong>le</strong> Kard,<br />

afin <strong>de</strong> voir venir nos clients. C'est gr... AH, LA VOILA!"<br />

Arthur vit Minilly disparaître <strong>de</strong>rrière plusieurs Venils. Aussitôt, Sally<br />

et lui se précipitèrent, repoussant <strong>le</strong>s f<strong>le</strong>urs qui <strong>le</strong>ur fouettaient <strong>le</strong> visage.<br />

Le parfum qui embaumait <strong>le</strong>s lieux était écoeurant.<br />

"Réveil<strong>le</strong> toi Makya! Tu n'as pas honte <strong>de</strong> dormir en p<strong>le</strong>in service!?"<br />

Ils finirent par rejoindre Minilly. Le djinn était à la limite <strong>de</strong><br />

l'hystérie, en train <strong>de</strong> répriman<strong>de</strong>r une <strong>de</strong> ses semblab<strong>le</strong>s. Makya était un<br />

djinn vêtu en tout point comme el<strong>le</strong>, avec <strong>de</strong> longs cheveux roux bouclés.<br />

En s'approchant l'on pouvait constater que son visage était moins puéril.<br />

5


El<strong>le</strong> <strong>de</strong>vait être plus âgée que Minilly dont <strong>le</strong>s traits correspondaient à<br />

ceux d'une enfant <strong>de</strong> onze ou douze ans.<br />

"Je ne dormais pas, mentit Makya en se frottant vigoureusement <strong>le</strong>s yeux.<br />

Mon dos me faisait mal et je me suis donc étendue, en fermant <strong>le</strong>s yeux<br />

pour que <strong>le</strong>s rayons du so<strong>le</strong>il ne m'aveug<strong>le</strong>nt pas.<br />

-Mensonge éhonté! Si Miliès savait...<br />

-Miliès n'a pas besoin <strong>de</strong> <strong>le</strong> savoir!<br />

-Tu reconnais donc que tu étais en tort…<br />

-Tsss… Tout <strong>de</strong> même, j'ai du mal à y croire! Je me fais enguirlan<strong>de</strong>r par<br />

Vestjisé la Hardie, partie <strong>de</strong> chez nous <strong>de</strong>puis plus <strong>de</strong> cinq ans. Tu es mal<br />

placée pour me faire la mora<strong>le</strong>.<br />

-Chuuuuuuuuuut, paniqua Minilly.<br />

-Vestjisé? C'est toi Vestjisé la Hardie? dit Sally en étouffant un rire. C'est<br />

donc ton vrai nom?"<br />

Makya remarqua alors la présence <strong>de</strong>s élus et se raidit.<br />

"Je comprends maintenant pourquoi tu refusais <strong>de</strong> me dire ton vrai nom,<br />

continua Sally. Tu craignais que cette histoire ne parvienne à mes oreil<strong>le</strong>s<br />

<strong>le</strong> jour où je viendrais à Sorgentel.<br />

-Inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> revenir là-<strong>de</strong>ssus, bougonna Minilly. De toute façon je n'aime<br />

pas ce nom."<br />

Arthur imagina la scène <strong>de</strong> capture et rit intérieurement. Une tel<strong>le</strong><br />

vengeance suffisait à compenser tous <strong>le</strong>s camouf<strong>le</strong>ts que Minilly lui avait<br />

infligés <strong>de</strong>puis <strong>le</strong>ur rencontre.<br />

"Je savais que vous étiez en route vers ici mais je n'imaginais pas que<br />

vous arriveriez aussi vite, déclara Makya d'une voix chantante.<br />

-Comment étais tu au courant? Nous n'avons pas annoncé notre venue<br />

pourtant.<br />

-Tu oublies <strong>le</strong>s passids ma chère Vestjisé. Apparemment <strong>le</strong>ur vol a été<br />

perturbé par un dingue sautant <strong>de</strong> montagne en montagne. Ils étaient<br />

encore sous <strong>le</strong> choc lorsqu'ils sont revenus me faire <strong>le</strong>ur rapport.<br />

-Ce <strong>de</strong>vait être moi, intervint Arthur sans re<strong>le</strong>ver <strong>le</strong> terme "dingue".<br />

-Vu <strong>le</strong>ur <strong>de</strong>scription, il ne pouvait s'agir que d'humains venus d'en bas,<br />

donc <strong>de</strong>s élus... Puis-je connaître l'objet <strong>de</strong> votre visite? Avec <strong>le</strong>s<br />

perturbations récentes, cela n'a probab<strong>le</strong>ment rien à voir avec la simp<strong>le</strong><br />

courtoisie.<br />

-Nous sommes envoyés par <strong>le</strong> Cénac<strong>le</strong> pour rencontrer votre dirigeante,<br />

Miliès, l'informa Sally. Nous souhaiterions obtenir un entretien avec el<strong>le</strong>.<br />

-Je vois, fit Makya en se grattant <strong>le</strong> ventre."<br />

El<strong>le</strong> se mit en équilibre sur un péta<strong>le</strong> <strong>de</strong> Venil et <strong>le</strong>ur tourna <strong>le</strong> dos,<br />

plongé dans une intense réf<strong>le</strong>xion. A son expression agacée, Arthur <strong>de</strong>vina<br />

que Kaznaël n'affectionnait pas <strong>le</strong>s membres <strong>de</strong> ce peup<strong>le</strong>. Il pouvait<br />

5


comprendre cette inimité. <strong>Les</strong> djinns donnaient l'image <strong>de</strong> gens<br />

excentriques et diffici<strong>le</strong>s à cerner.<br />

"Très bien, je vous laisse entrer sur présentation d'un acte <strong>de</strong> naissance,<br />

sur prestation d'un chant ou contre <strong>de</strong>ux naces!<br />

-El<strong>le</strong> déconne? marmonna Rachel en se tournant vers ses compagnons.<br />

-Ne sois pas ridicu<strong>le</strong>, siffla Minilly! La présentation <strong>de</strong> l'acte <strong>de</strong> naissance<br />

et <strong>le</strong> chant sont réservés aux djinns! Tu sais très bien que je suis partie<br />

sans mon acte et que je suis la plus mauvaise chanteuse <strong>de</strong> la<br />

communauté!<br />

-Deux naces dans ce cas?<br />

-Tu vas nous faire payer alors que <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> est au bord du chaos?<br />

Véna<strong>le</strong>!<br />

-C'est la règ<strong>le</strong>! Tout se monnaie! Et Véna<strong>le</strong> est <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> mon aînée, ne<br />

nous confonds pas! Ce n'est parce que tu as vécu <strong>de</strong>s années dans <strong>le</strong><br />

mon<strong>de</strong> d'en bas que tu dois l'oublier!"<br />

Minilly sembla se résigner. El<strong>le</strong> se tourna vers Rachel, rouge <strong>de</strong> colère.<br />

"Donne lui <strong>de</strong>ux naces que l'on aie <strong>le</strong> droit d'entrer s'il te plaît.<br />

-Quoi? Je dois vraiment ponctionner notre budget à cause d'un djinn<br />

fasciste? Deux naces c'est trop.<br />

-Tu ne sais même pas ce que va<strong>le</strong>nt <strong>de</strong>ux naces, chuchota Arthur. Donne<br />

lui qu'on en finisse.<br />

-Une nace c'est déjà très bien pour toi, affirma Rachel en se plaçant juste<br />

en face <strong>de</strong> Makya. Prends la et raconte à tes copines que tu as rencontré<br />

<strong>le</strong>s célèbres élus. Ca vaut bien dix naces une tel<strong>le</strong> rencontre!<br />

-Deux naces ou va-t-en, lai<strong>de</strong>ron!<br />

-La garce! ragea Rachel."<br />

Il fallut <strong>le</strong>s forces cumulées d'Arthur et Elliott pour l'empêcher <strong>de</strong> se<br />

jeter sur la créature lilliputienne. Rachel se débattait comme une lionne.<br />

"Ce n'est pas bien <strong>de</strong> s'en prendre à plus petit que toi, soupira Sally en<br />

plongeant sa main dans <strong>le</strong> sac <strong>de</strong> Rachel. Voila!"<br />

El<strong>le</strong> ouvrit la bourse qui contenait <strong>le</strong> budget <strong>de</strong>s élus –<br />

gracieusement octroyé par Priam – et tendit la somme requise à Makya.<br />

Le djinn accepta en dévorant <strong>le</strong>s naces <strong>de</strong>s yeux.<br />

"Si j'avais su que vous aviez autant <strong>de</strong> naces sur vous, j'aurais réclamé <strong>le</strong><br />

doub<strong>le</strong>, avoua-t-el<strong>le</strong>.<br />

-Ca suffit oui? fit Sally avec une pointe d'agacement.<br />

-Je suis <strong>de</strong> bonne foi! Grâce à ses <strong>de</strong>ux naces vous obtenez <strong>le</strong> droit<br />

d'entrer dans la cité djinn. D'ail<strong>le</strong>urs j'ai déjà averti Miliès <strong>de</strong> votre<br />

requête. El<strong>le</strong> accepte <strong>de</strong> vous recevoir aujourd'hui même, estimez vous<br />

heureux."<br />

5


Chapitre 33 : La cité du bou<strong>le</strong>versement<br />

"Où se trouve l'entrée <strong>de</strong> Corboïlum? <strong>de</strong>manda Sally<br />

-Juste sous votre nez voyons, rétorqua Makya d'une voix endormie.<br />

Veuil<strong>le</strong>z vous donner la peine."<br />

El<strong>le</strong> invita <strong>le</strong>s élus à s'approcher d'el<strong>le</strong>, d'un mouvement <strong>de</strong> main<br />

évasif. <strong>Les</strong> uns après <strong>le</strong>s autres ils se penchèrent, à la recherche d'une<br />

minuscu<strong>le</strong> porte ou d'un tunnel. <strong>Les</strong> djinns occupaient nécessairement un<br />

habitat édifié à l'échel<strong>le</strong> d'une fourmilière ou d'un trou <strong>de</strong> taupe.<br />

"Hop!"<br />

Makya claqua <strong>de</strong>s doigts. Une grosse veine boisée épaisse comme<br />

un bras prit alors racine au pied <strong>de</strong>s Venils, sortie d'un sol craquelé par la<br />

sécheresse. El<strong>le</strong> ondula sur el<strong>le</strong>-même avec la soup<strong>le</strong>sse d'un python, prit<br />

<strong>de</strong> la hauteur et dépassa <strong>le</strong>s f<strong>le</strong>urs en tail<strong>le</strong>. Continuant à progresser vers<br />

<strong>le</strong> ciel, el<strong>le</strong> effectua une courbe soudaine, évolua en ligne horizonta<strong>le</strong> puis<br />

retomba, toujours plus <strong>de</strong>nse. <strong>Les</strong> élus reculèrent dans l'expectative.<br />

"Il n'y a pas <strong>de</strong> crainte à avoir. C'est tout bonnement l'arche qui nous<br />

offrira l'accès à Corboïlum, rassura Minilly en se tournant vers eux."<br />

La racine formait effectivement une gran<strong>de</strong> arche naturel<strong>le</strong>, haute<br />

<strong>de</strong> plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mètres et dont <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux extrémités étaient profondément<br />

enfouies sous terre. Roxana fit alors remarquer à ses compagnons qu'il<br />

était commun <strong>de</strong> rencontrer <strong>de</strong>s entrées en forme d'arches dans <strong>le</strong>s<br />

diverses cités <strong>de</strong> Sorgentel.<br />

"L'arche est un emblème <strong>de</strong> souveraineté, el<strong>le</strong> atteste du pouvoir que<br />

possè<strong>de</strong> un peup<strong>le</strong> sur son territoire. C'est éga<strong>le</strong>ment un signe <strong>de</strong><br />

bienvenue.<br />

-Vous êtes d'ail<strong>le</strong>urs <strong>le</strong>s bienvenus à Corboïlum, annonça Makya. Surtout<br />

n'hésitez pas à faire <strong>de</strong>s achats dans <strong>le</strong>s cinquante commerces <strong>de</strong> la cité<br />

ou dans nos tavernes aux plats savoureux. Vous ne serez pas déçus! Al<strong>le</strong>z<br />

éga<strong>le</strong>ment faire un tour dans <strong>le</strong> Musée <strong>de</strong>s Richesses djinns ou dans...<br />

-Oui, bon, on n'a pas que ça à faire, la coupa Minilly, ignorant <strong>le</strong> regard<br />

vipérin que lui asséna Makya. Vous autres, traversez l'arche et vous vous<br />

retrouverez immédiatement dans Corboïlum.<br />

-On ne voit pourtant rien à travers hormis <strong>le</strong>s tournes... <strong>le</strong>s Venils,<br />

souligna Arthur.<br />

-Tu <strong>de</strong>vrais cesser <strong>de</strong> tout remettre en question! Sorgentel n'a rien à voir<br />

avec votre mon<strong>de</strong>. C'est une terre dominée par la magie."<br />

Minilly ponctua cette phrase d'un petit clin d'oeil, puis el<strong>le</strong> disparut<br />

dans l'arche, comme si el<strong>le</strong> avait traversé un mur invisib<strong>le</strong>. Sidéré, Arthur<br />

scruta <strong>le</strong> paysage du regard. Il n'y avait plus aucune trace d'el<strong>le</strong>. A son<br />

tour, Rachel octroya un regard p<strong>le</strong>in <strong>de</strong> sens à Arthur.<br />

5


"La fin <strong>de</strong> notre voyage, murmura Sally juste avant d'emboîter <strong>le</strong> pas à<br />

ses camara<strong>de</strong>s."<br />

Makya ressemblait à une représentante <strong>de</strong> tour-opérateur. El<strong>le</strong> <strong>le</strong>s<br />

apostrophait d'un sourire bienveillant à chaque fois que l'un d'entre eux<br />

entrait dans l'arche. Seul Kaznaël n'eut pas droit à cette expression<br />

amène, pour une raison qui n'échappa pas à Arthur.<br />

"Je ne me suis jamais aventurée aussi loin <strong>de</strong> chez moi, déclara Roxana<br />

avant d'entrer dans l'arche."<br />

El<strong>le</strong> dévisagea Arthur, affichant une expression qui ne laissait pas<br />

transparaître la moindre angoisse. Bien au contraire, el<strong>le</strong> paraissait ravie<br />

d'avoir trouvé une opportunité <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong>s jupes <strong>de</strong> sa mère pour<br />

voyager au-<strong>de</strong>là d'Althiès ou du lac Diamase.<br />

"Merci <strong>de</strong> ne pas m'avoir renvoyée chez moi.<br />

-Pas <strong>de</strong> quoi, fit Arthur avec un sourire."<br />

Kaznaël <strong>le</strong>s avait précédés dans l'arche. Ils furent <strong>le</strong>s <strong>de</strong>rniers à passer.<br />

"Et accor<strong>de</strong>z <strong>le</strong> respect qui lui est dû à Miliès si vous tenez à vos vies,<br />

lança Makya."<br />

Arthur opina <strong>de</strong> la tête et entra dans Corboïlum, résolu à en revenir<br />

avec sa vie en poche. Au moment où il passa à travers l'arche, une<br />

résistance infime se fit ressentir. La porte <strong>de</strong> la cité lui donna la sensation<br />

d'un voi<strong>le</strong> transparent, glissant sur lui à mesure qu'il avançait dans un<br />

décor aussi brumeux que <strong>le</strong>s paysages éthérés décrits par Edgar Allan<br />

Poe. S'agissait-il d'une voie semblab<strong>le</strong> à cel<strong>le</strong> qui séparait <strong>le</strong> mon<strong>de</strong><br />

humain <strong>de</strong> Sorgentel? Le fameux Passage. <strong>Les</strong> djinns avaient dû employer<br />

<strong>de</strong>s moyens très puissants pour se protéger du mon<strong>de</strong> extérieur.<br />

Il n'eut pas besoin <strong>de</strong> faire plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux pas qu'il se retrouva auprès<br />

<strong>de</strong> ses camara<strong>de</strong>s, dans un décor <strong>de</strong>s plus déconcertants, embaumant la<br />

rose et d'autres parfums floraux <strong>de</strong>s plus agréab<strong>le</strong>s.<br />

"C'est... c'est... délirant!"<br />

Roxana étouffa un cri mêlé d'admiration et <strong>de</strong> crainte. Corboïlum<br />

était un ravissement pour la vue et l'odorat, une cité baignée <strong>de</strong> so<strong>le</strong>il et<br />

fourmillant <strong>de</strong> bruits <strong>de</strong> clapotis d'eau, <strong>de</strong> bruissements <strong>de</strong> feuil<strong>le</strong>s et <strong>de</strong><br />

crissements divers, produits par <strong>le</strong>s insectes locaux. Arthur et ses<br />

compagnons se tenaient au milieu d'une vaste avenue au dallage beige<br />

irrégulier, une voie encadrée par <strong>de</strong>ux rangées <strong>de</strong> Venils géants au pied<br />

<strong>de</strong>squels s'affichaient <strong>de</strong> mystérieuses constructions <strong>de</strong> forme ron<strong>de</strong>s ou<br />

ova<strong>le</strong>s, aux faça<strong>de</strong>s recouvertes <strong>de</strong> chaux blanche. <strong>Les</strong> Venils, du sommet<br />

<strong>de</strong> <strong>le</strong>urs nombreux mètres <strong>de</strong> hauteur, déversaient dru une poussière rose<br />

5


singulièrement similaire aux luisances qui hantaient la Baie <strong>de</strong> Springan.<br />

Ces grains voltigeaient <strong>de</strong> manière aléatoire, flattaient <strong>le</strong>s tiges <strong>de</strong>s f<strong>le</strong>urs,<br />

ondulaient par-<strong>de</strong>ssus <strong>le</strong>s toits puis disparaissaient au contact du sol. Un<br />

bal<strong>le</strong>t étrange dont semblaient se désintéresser <strong>le</strong>s djinns qui<br />

papillonnaient à travers Corboïlum en volant ou effectuaient <strong>le</strong>urs<br />

commissions à pied, avec <strong>de</strong> gros sacs en toi<strong>le</strong> à la main. Cheveux blancs,<br />

bruns, roux, toutes <strong>le</strong>s cou<strong>le</strong>urs étaient représentées dans <strong>le</strong>s chevelures<br />

<strong>de</strong> ce peup<strong>le</strong> exclusivement féminin.<br />

"Waaaaaaaaaaah, on fait enfin la même tail<strong>le</strong>."<br />

C'est avec saisissement que Sally vit Minilly lui sauter <strong>de</strong>ssus pour la<br />

cerner <strong>de</strong> ses bras. Une Minilly à tail<strong>le</strong> humaine… à moins que <strong>le</strong>s élus<br />

n'eussent été rétrécis.<br />

"C'est trop… bizarre <strong>de</strong> te voir comme ça, s'écria Sally en repoussant la<br />

petite fil<strong>le</strong> pour mieux l'examiner. Tu es… Wow, je n'aurais jamais cru te<br />

voir ainsi. Tu es trop mignonne!"<br />

Minilly tourna sur el<strong>le</strong>-même, faisant ainsi voltiger <strong>le</strong>s longs cheveux<br />

blancs qui lui arrivaient presque aux chevil<strong>le</strong>s. Son visage rond à la mine<br />

réjouie était celui d'une enfant d'une douzaine d'années. D'ail<strong>le</strong>urs el<strong>le</strong><br />

avait à peu près la même carrure que Roxana.<br />

"Tu n'imagines pas à quel point je jubi<strong>le</strong> <strong>de</strong> fréquenter enfin <strong>de</strong>s gens qui<br />

font la même tail<strong>le</strong> que moi, même si ce n'est que pour une pério<strong>de</strong><br />

limitée."<br />

Ses yeux vifs étincelèrent alors qu'el<strong>le</strong> découvrait <strong>le</strong> reste du groupe<br />

d'un point <strong>de</strong> vue nouveau. El<strong>le</strong> se planta <strong>de</strong>vant Elliott.<br />

"Dis dis, il y a quelque chose que je rêvais <strong>de</strong> te <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong>puis un<br />

moment. Est-ce que je peux te <strong>le</strong> chuchoter?<br />

-Raconte moi donc ça, répondit Elliott d'un air amusé."<br />

Il se pencha pour lui permettre <strong>de</strong> lui souff<strong>le</strong>r quelque chose à<br />

l'oreil<strong>le</strong>. Lorsqu'el<strong>le</strong> eut parlé, <strong>le</strong> teint <strong>de</strong> Minilly avait viré au rubicond.<br />

"Pas <strong>de</strong> souci, fit Elliott avec un clin d'œil."<br />

Il retira son bob puis embrassa la fil<strong>le</strong>tte sur <strong>le</strong> front après avoir<br />

écarté quelques mèches <strong>de</strong> sa frange. Sally rigola. Rachel fut bou<strong>le</strong>versée.<br />

Minilly, naturel<strong>le</strong>ment, manifesta une satisfaction bruyante. Cependant, un<br />

rac<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> gorge <strong>de</strong> Kaznaël lui rappela son <strong>de</strong>voir.<br />

"Oh, mon aînée me dit qu'el<strong>le</strong> arrive et nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'attendre ici,<br />

dit-el<strong>le</strong> soudain, yeux grands ouverts.<br />

-Ton aînée? El<strong>le</strong> te dit que…?<br />

5


-<strong>Les</strong> djinns disposent tous <strong>de</strong> capacités télépathiques limitées à une<br />

centaine <strong>de</strong> mètres. Cela reste toutefois suffisant pour communiquer avec<br />

nos sœurs <strong>de</strong> Corboïlum! C'est comme ça que Makya a prévenu Miliès –<br />

notre chef <strong>de</strong> clan – <strong>de</strong> notre arrivée. Mon aînée s'appel<strong>le</strong> Cérès, c'est la<br />

sœur jumel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Miliès. El<strong>le</strong> est responsab<strong>le</strong> <strong>de</strong> la gestion <strong>de</strong> l'Office <strong>de</strong>s<br />

changes et <strong>de</strong>s trocs.<br />

-J'ai du mal à suivre… Miliès est la sœur jumel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Cérès. Cela fait <strong>de</strong> toi<br />

la sœur du chef <strong>de</strong> clan, non? l'interrogea Arthur.<br />

-Pas du tout, répliqua Minilly en secouant la tête. Nous ne connaissons pas<br />

<strong>de</strong> liens familiaux semblab<strong>le</strong>s à ceux qui vous gouvernent! Lorsque j'utilise<br />

<strong>le</strong> terme d'aînée, je fais plutôt référence à une relation <strong>de</strong> dépendance<br />

entre un djinn expérimenté et un autre dont il a fait l'éducation. C'est un<br />

peu compliqué pour <strong>de</strong>s humains, je vous expliquerai plus tard lorsque<br />

Cérès nous aura rejoints."<br />

Sally et Arthur échangèrent <strong>de</strong>s regards dubitatifs. Il s'était attendu<br />

à ce que la jeune femme soit au fait <strong>de</strong> tous ces éléments comp<strong>le</strong>xes <strong>de</strong> la<br />

vie <strong>de</strong>s djinns mais visib<strong>le</strong>ment el<strong>le</strong> était tout aussi novice que <strong>le</strong> reste du<br />

groupe. Reste du groupe qui était d'ail<strong>le</strong>urs victime <strong>de</strong> scission. Rachel et<br />

Roxana avaient rallié une petite boutique spécialisée dans la vente <strong>de</strong><br />

tuniques amp<strong>le</strong>s et colorées, propres au sty<strong>le</strong> <strong>de</strong>s djinns.<br />

"Ces tenues vous iraient à ravir mes <strong>de</strong>moisel<strong>le</strong>s, <strong>de</strong> plus je vous garantis<br />

qu'el<strong>le</strong>s resteront à votre tail<strong>le</strong> lorsque vous quitterez Corboïlum,<br />

déclamait la ven<strong>de</strong>use d'une voix expérimentée."<br />

Arthur continua à observer <strong>le</strong>s a<strong>le</strong>ntours. Aucun <strong>de</strong>s djinns ne<br />

semblait se préoccuper <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur présence, malgré <strong>le</strong>ur apparence atypique<br />

d'humains. Peut-être que ces créatures étaient bien au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> tout<br />

cela, ou trop occupés par <strong>le</strong>urs tâches quotidiennes pour jouer <strong>le</strong>s<br />

badauds. D'ail<strong>le</strong>urs Corboïlum avait tout d'une gran<strong>de</strong> artère commercia<strong>le</strong>,<br />

avec ses allées et venues, ses terrasses et ses magasins <strong>de</strong> tail<strong>le</strong> diverse,<br />

<strong>de</strong> la plus petite échoppe au tail<strong>le</strong>ur établi dans un bazar extérieur. Arthur<br />

en arriva à se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r s'il y avait tout <strong>de</strong> même <strong>de</strong>s habitations en ce<br />

lieu.<br />

C'est alors qu'il remarqua <strong>de</strong> drô<strong>le</strong>s <strong>de</strong> maisons ron<strong>de</strong>s collées aux<br />

tiges <strong>de</strong>s Venils, tel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s excroissances blanches jouant l'alternance avec<br />

<strong>le</strong>s feuil<strong>le</strong>s imposantes <strong>de</strong> ces f<strong>le</strong>urs. Des habitations? El<strong>le</strong>s se trouvaient<br />

tout <strong>de</strong> même hors <strong>de</strong> portée vu <strong>le</strong>ur élévation. Comment <strong>le</strong>s djinns<br />

pouvaient-ils s'y rendre à moins <strong>de</strong>… Bien évi<strong>de</strong>mment, ils vo<strong>le</strong>nt, réalisa<br />

Arthur.<br />

"Avons-nous été rapetissés par cette arche? <strong>de</strong>manda Kaznaël.<br />

-Tout à fait!"<br />

Minilly se plaça près <strong>de</strong> l'arche boisée qui se trouvait encore <strong>de</strong>rrière eux.<br />

5


"Il s'agit d'une création origina<strong>le</strong> <strong>de</strong> notre reine bien-aimée, Miliès. El<strong>le</strong> a<br />

pour intérêt principal <strong>de</strong> permettre aux étrangers <strong>de</strong> venir nous rendre<br />

visite pour commercer. Il s'agit là d'une évolution importante étant donné<br />

que nous vivions recluses jusqu'à il y a peu <strong>de</strong> temps. Miliès a usé du<br />

pouvoir <strong>de</strong> la magie pour incarner une version réduite du Passage dans<br />

une simp<strong>le</strong> racine.<br />

-Corboïlum se trouve donc dans une autre dimension si je comprends<br />

bien, suggéra Arthur.<br />

-Je comprends que tu raisonnes ainsi vu tes expériences passées mais ce<br />

n'est pas du tout ça! Le Passage sert juste à créer un pont entre l'arche<br />

que gar<strong>de</strong> Makya et l'endroit du champ <strong>de</strong> Venils dans <strong>le</strong>quel se trouve<br />

Corboïlum."<br />

El<strong>le</strong> montra <strong>le</strong> ciel b<strong>le</strong>u <strong>de</strong> son in<strong>de</strong>x.<br />

"Corboïlum se trouve tout bonnement dans une clairière du champ <strong>de</strong><br />

Venils! Cependant cette clairière représente une surface dérisoire<br />

comparée à cel<strong>le</strong> du champ! De plus, Corboïlum est cachée par <strong>le</strong> fameux<br />

voi<strong>le</strong> dont je vous ai parlé (son but n'est pas seu<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> virer ces vilains<br />

oiseaux). Du coup, si l'on veut permettre aux gens d'accé<strong>de</strong>r à notre cité<br />

sans <strong>le</strong>ur donner la localisation exacte <strong>de</strong> cel<strong>le</strong>-ci, il faut avoir recours à ce<br />

genre <strong>de</strong> mécanisme. C'est un peu comme pour <strong>le</strong>s sanctuaires qui se<br />

trouvent sur Terre mais sont inaccessib<strong>le</strong>s aux humains dénués <strong>de</strong><br />

capacités tel<strong>le</strong>s que <strong>le</strong>s vôtres.<br />

-Est-ce qu'on ne risque pas <strong>de</strong> marcher acci<strong>de</strong>ntel<strong>le</strong>ment sur Corboïlum si<br />

l'on se promène dans <strong>le</strong> champ <strong>de</strong> Venils sans même être à la recherche<br />

<strong>de</strong> la Cité? s'enquit Roxana, revenue <strong>de</strong> sa pause lèche-vitrine.<br />

-C'est un risque hautement probab<strong>le</strong>, c'est pour cela que la magie du voi<strong>le</strong><br />

influe sur l'inconscient <strong>de</strong>s passants afin <strong>de</strong> <strong>le</strong>s inciter à emprunter un<br />

chemin différent. Dans l'éventualité réduite où cela ne fonctionnerait pas,<br />

on peut toujours compter sur Makya pour <strong>le</strong>s obliger à faire <strong>de</strong>mi-tour."<br />

Un petit rire aigu interpella <strong>le</strong> groupe.<br />

"Je vois que tu n'as pas oublié ce que je t'ai appris sur notre peup<strong>le</strong><br />

Vestjisé!"<br />

Une femme fluette aux cheveux noirs, courts et bouclés, arriva vers<br />

eux en planant doucement, enroulée dans une toge rouge maintenue par<br />

plusieurs bouc<strong>le</strong>s en or. El<strong>le</strong> portait <strong>de</strong>s sanda<strong>le</strong>s et était bras nus. Minilly<br />

se rua vers el<strong>le</strong> avec un cri et toutes <strong>de</strong>ux s'étreignirent longuement.<br />

"Ca va, ça va! Je réalise à présent que <strong>le</strong> temps a été beaucoup plus long<br />

pour toi petite Vestjisé! J'espérais que tu viennes me voir mais <strong>le</strong>s échos<br />

<strong>de</strong> tes aventures m'ont laissé entendre que tu serais en mission pour<br />

beaucoup plus <strong>de</strong> temps que prévu.<br />

-Pardonne moi aînée.<br />

5


-Tu n'as pas à t'excuser. Tu as été plus que fidè<strong>le</strong> à ta mission et j'en suis<br />

fière. Présente moi plutôt tes compagnons."<br />

Minilly s'exécuta avec une déférence foudroyante, s'attardant<br />

longuement sur la présentation <strong>de</strong> sa maîtresse, Sally. Cérès parut<br />

enchantée et soulagée <strong>de</strong> la rencontrer, ce qu'el<strong>le</strong> ne manqua pas <strong>de</strong> lui<br />

affirmer à plusieurs reprises. L'aînée <strong>de</strong> Minilly avait une expression<br />

amène malgré son visage angu<strong>le</strong>ux et marqué <strong>de</strong> ri<strong>de</strong>s. À l'échel<strong>le</strong><br />

humaine, el<strong>le</strong> <strong>de</strong>vait atteindre la soixantaine d'années. Toutefois, son<br />

regard d'un b<strong>le</strong>u profond lui donnait une mine fraîche qui paraissait la<br />

rajeunir. Arthur ne put s'empêcher d'associer cette figure à sa grandmère,<br />

Louise Gall.<br />

"Je vais vous emmener vous restaurer un peu avant que nous n'allions<br />

nous entretenir avec Miliès. Vous êtes épuisés, cela se lit sur vos visages,<br />

dit-el<strong>le</strong> alors que Rachel revenait vers <strong>le</strong> groupe avec un sac <strong>de</strong> courses.<br />

-Ah! Qui est cette dame? J'ai raté quelque chose? s'étonna cel<strong>le</strong>-ci.<br />

-Laisse tomber, soupira Sally."<br />

Cérès mena <strong>le</strong>s élus dans ce qui semblait être un salon <strong>de</strong> thé <strong>de</strong><br />

grand standing, avec <strong>de</strong>s tab<strong>le</strong>s aux nappes <strong>de</strong> <strong>de</strong>ntel<strong>le</strong> rose, <strong>de</strong>s sièges<br />

en osier recouverts <strong>de</strong> coussins en soie rouge et <strong>de</strong>s murs couverts <strong>de</strong><br />

frises ondulées. Arthur ne se serait pas senti plus ridicu<strong>le</strong> s'il avait joué à<br />

la dînette avec ses petites cousines dans une maison <strong>de</strong> poupée géante.<br />

Cérès discuta à mi-voix avec la propriétaire <strong>de</strong>s lieux, puis invita<br />

tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> à prendre place autour d'une gran<strong>de</strong> tab<strong>le</strong> ron<strong>de</strong> sur<br />

laquel<strong>le</strong> étaient déjà disposés <strong>de</strong>s napperons et <strong>de</strong>s petits pics en métal.<br />

L'endroit était vi<strong>de</strong> <strong>de</strong> clients, malgré une agréab<strong>le</strong> exposition au so<strong>le</strong>il. Le<br />

salon <strong>de</strong> thé n'avait pas <strong>de</strong> toit.<br />

"C'est charmant, affirma Rachel, tout à fait dans son élément."<br />

Cérès sourit, assise entre Minilly et Sally. Une serveuse trapue<br />

traversa la sal<strong>le</strong> et <strong>le</strong>ur apporta un plateau couvert <strong>de</strong> tasses fumantes.<br />

"C'est la spécialité <strong>de</strong> cet endroit, une collation généra<strong>le</strong>ment très<br />

appréciée <strong>de</strong> nos visiteurs, expliqua Cérès."<br />

La tasse posée <strong>de</strong>vant Arthur contenait une substance épaisse <strong>de</strong><br />

cou<strong>le</strong>ur ambrée. Du miel chaud, lui sembla-t-il alors qu'il <strong>le</strong> remuait<br />

<strong>le</strong>ntement avec la petite cuillère mise à sa disposition.<br />

"De l'essence <strong>de</strong> Venil caramélisée, expliqua <strong>de</strong> nouveau Cérès. Nous<br />

utilisons <strong>le</strong> pol<strong>le</strong>n qui tombe régulièrement <strong>de</strong>s f<strong>le</strong>urs pour <strong>le</strong> produire.<br />

-Un atout majeur dans notre exportation, assura Minilly."<br />

5


Ce faisant, el<strong>le</strong> prit une aman<strong>de</strong> dans un bol situé au centre <strong>de</strong> la<br />

tab<strong>le</strong>, l'embrocha à l'ai<strong>de</strong> d'un pic puis trempa <strong>le</strong> tout dans sa tasse,<br />

comme si el<strong>le</strong> dégustait une fondue.<br />

"C'est savoureux, je n'avais jamais eu l'occasion d'en goûter, dit Roxana.<br />

Je <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rai à mon père d'en ramener à la maison lorsqu'il en aura<br />

l'occasion."<br />

Arthur acquiesça. C'était délicieux. À la fois sucré, doux et<br />

croustillant. Il s'empressa d'enfi<strong>le</strong>r plusieurs aman<strong>de</strong>s sur <strong>le</strong> pic en métal<br />

pour continuer sa dégustation. C'est alors que <strong>le</strong>s regards avi<strong>de</strong>s d'Elliott<br />

et Kaznaël s'adressèrent à lui. Ils avaient opté pour la même technique,<br />

vidant dangereusement <strong>le</strong> bol… La batail<strong>le</strong> pour <strong>le</strong>s aman<strong>de</strong>s ne laisserait<br />

pas <strong>de</strong> place à la pitié.<br />

"Mais vous n'al<strong>le</strong>z pas tout bouffer!? s'écria Rachel.<br />

-Laissez, laissez. Ils pourront en re<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si nécessaire, tempéra<br />

Cérès.<br />

-Tu es bien trop bonne aînée, dit Minilly avec une moue dubitative."<br />

Arthur manqua <strong>de</strong> recracher <strong>le</strong>s cinq aman<strong>de</strong>s enduites <strong>de</strong> miel qu'il<br />

avait voulu ingurgiter. Son empressement lui était fatal.<br />

"Corboïlum est une vil<strong>le</strong> très agréab<strong>le</strong>, déclara Rachel à Cérès. Est-ce qu'il<br />

y a toujours autant d'activité ici?<br />

-Ne vous y trompez pas, Corboïlum est minuscu<strong>le</strong>, dans tous <strong>le</strong>s sens du<br />

terme. A l'heure actuel<strong>le</strong> la cité est peuplée <strong>de</strong> seu<strong>le</strong>ment cent vingt-sept<br />

djinns. Or il y a cinquante commerces. Ce qui signifie qu'en moyenne, il y<br />

a un commerce en activité pour <strong>de</strong>ux djinns. Cela atteste <strong>de</strong> la frénésie<br />

marchan<strong>de</strong> qui habite notre peup<strong>le</strong> : nous passons nos journées à vendre<br />

et à acheter afin <strong>de</strong> faire du bénéfice. Ce mouvement s'est amplifié<br />

lorsque nous nous sommes ouvertes au commerce extérieur, sous<br />

l'impulsion <strong>de</strong> Miliès. Voilà pourquoi vous avez l'impression que Corboïlum<br />

est une cité si active.<br />

-Mon aînée a beaucoup <strong>de</strong> recul sur <strong>le</strong>s activités <strong>de</strong> Corboïlum, el<strong>le</strong> est<br />

responsab<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'office <strong>de</strong>s changes et <strong>de</strong>s trocs, attesta Minilly. Son<br />

travail est <strong>de</strong> régu<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s échanges et <strong>de</strong> fournir <strong>de</strong>s lignes <strong>de</strong> conduite à<br />

nos commerçants afin d'assurer la pérennité financière <strong>de</strong> notre peup<strong>le</strong>.<br />

C'est aussi grâce à el<strong>le</strong> que la concurrence n'est pas faussée.<br />

-Mince, vous appliquez <strong>de</strong>s principes économiques vraiment proches <strong>de</strong>s<br />

nôtres, souffla Arthur avec surprise.<br />

-Ah bon? fit Cérès avec intérêt. J'aimerais tel<strong>le</strong>ment en savoir plus mais<br />

j'imagine que vous êtes tributaire d'un <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> si<strong>le</strong>nce à ce sujet."<br />

<strong>Les</strong> joues d'Arthur s'empourprèrent. Il avait gaffé.<br />

"Notre peup<strong>le</strong> a <strong>de</strong>s tendances à l'impulsivité lorsqu'il s'agit <strong>de</strong><br />

commercer, continua-t-el<strong>le</strong>. Sans notre office, nous courrions à notre<br />

5


perte. Il convient d'instaurer un équilibre permanent entre nos<br />

importations et nos exportations. Enfin… je me perds dans ces broutil<strong>le</strong>s<br />

alors que je <strong>de</strong>vrais vous par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> choses plus importantes."<br />

El<strong>le</strong> prit une aman<strong>de</strong> du bout <strong>de</strong>s doigts et la trempa dans sa tasse avant<br />

<strong>de</strong> la croquer.<br />

"Vous n'êtes pas en sécurité ici, dit-el<strong>le</strong> d'une voix <strong>de</strong>s plus posées. Votre<br />

rencontre avec <strong>le</strong> Clan d'Azulnot dans <strong>le</strong>s plaines du Yérim ne restera pas<br />

sans conséquence.<br />

-Comment êtes-vous au courant? <strong>de</strong>manda Sally, sourcils froncés.<br />

-Vestjisé est en train <strong>de</strong> me faire part <strong>de</strong> vos mésaventures par la voie<br />

télépathique. Ainsi nous évitons <strong>de</strong> perdre plus <strong>de</strong> temps que nécessaire."<br />

Arthur cessa <strong>de</strong> grignoter. Entendre par<strong>le</strong>r du Clan était <strong>de</strong> mauvais<br />

augure.<br />

"Tobias Azulnot offre une récompense à quiconque lui fournira <strong>de</strong>s<br />

informations sur votre localisation ou votre <strong>de</strong>stination.<br />

-QUOI? cria Sally, manquant <strong>de</strong> renverser sa tasse.<br />

-Tobias Azulnot, <strong>le</strong> <strong>le</strong>a<strong>de</strong>r actuel du clan, fit Kaznaël sans se départir <strong>de</strong><br />

son attitu<strong>de</strong> neutre.<br />

-C'est exact. L'information m'est parvenue très récemment par<br />

l'intermédiaire d'une assistante à laquel<strong>le</strong> j'accor<strong>de</strong> toute ma confiance,<br />

Mejandra. El<strong>le</strong> a aperçu l'offre dans une taverne <strong>de</strong> Port Sullivan alors<br />

qu'el<strong>le</strong> revenait <strong>de</strong> mission."<br />

Arthur déglutit. Le Clan d'Azulnot avait atteint un tel <strong>de</strong>gré <strong>de</strong><br />

détermination? L'embusca<strong>de</strong> et maintenant un avis <strong>de</strong> recherche avec<br />

récompense à l'appui.<br />

"Et vous dites que nous ne sommes pas en sécurité ici? <strong>de</strong>manda Rachel.<br />

-Pour l'instant vous l'êtes. Je pense être la seu<strong>le</strong>, avec Miliès, à avoir eu<br />

connaissance <strong>de</strong> cette offre. Toutefois je crains que l'avidité <strong>de</strong> mon<br />

peup<strong>le</strong> ne pousse un djinn à révé<strong>le</strong>r votre présence si la requête du Clan<br />

parvient jusqu'ici. C'est pour cette raison que je vous incite à ne pas vous<br />

attar<strong>de</strong>r plus que nécessaire.<br />

-Mais… nous <strong>de</strong>vons rencontrer votre…<br />

-Miliès a tout fait conscience <strong>de</strong> ce risque, c'est bien pour cela qu'el<strong>le</strong><br />

accepte <strong>de</strong> vous rencontrer aujourd'hui en dépit <strong>de</strong> ses nombreuses<br />

charges."<br />

Un bruit <strong>de</strong> vaissel<strong>le</strong> entrechoquée dans <strong>le</strong> fond du salon <strong>de</strong> thé fit<br />

<strong>le</strong>ver <strong>le</strong> nez d'Arthur. Il tressaillit, juste avant <strong>de</strong> réaliser que la serveuse<br />

lavait tout bonnement <strong>de</strong>s tasses sa<strong>le</strong>s. Si près du but, ils ne pouvaient<br />

pas faiblir. Leur source d'informations était si proche.<br />

5


"Je ne peux que vous conseil<strong>le</strong>r <strong>de</strong> repartir vers Havre <strong>de</strong>main à la<br />

première heure, pour votre propre sécurité, conclut Cérès. Même si l'un<br />

<strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> notre communauté informe <strong>le</strong> Clan <strong>de</strong> votre passage,<br />

vous serez déjà loin.<br />

-C'est un conseil avisé, nous allons en tenir compte, intervint Kaznaël."<br />

<strong>Les</strong> élus acquiescèrent. Roxana et Minilly, el<strong>le</strong>s, étaient troublées.<br />

"Pouvez-vous nous offrir votre hospitalité pour cette nuit? <strong>de</strong>manda<br />

Kaznaël.<br />

-Naturel<strong>le</strong>ment. C'était prévu. Nous prendrons nos dispositions après<br />

votre entretien avec Miliès (Cérès s'essuya <strong>le</strong>s coins <strong>de</strong> la bouche avec<br />

une serviette). Sachez que, jusqu'à preuve du contraire, <strong>le</strong>s intérêts <strong>de</strong><br />

Corboïlum coïnci<strong>de</strong>nt avec ceux du Cénac<strong>le</strong> malgré <strong>le</strong>s inf<strong>le</strong>xions récentes<br />

d'autres clans. Miliès entend donc assurer votre protection… si tant est<br />

que cela ne met pas notre communauté en danger.<br />

-Est-ce qu'on ne <strong>de</strong>vrait pas repartir ce soir même? Si <strong>le</strong> Clan apprend que<br />

nous nous trouvons ici, <strong>le</strong>s djinns pourraient être impliqués dans<br />

d'éventuels combats, fit remarquer Arthur.<br />

-J'aurais opté pour ce choix en temps normal mais nous resterons ici cette<br />

nuit pour <strong>de</strong>ux raisons, dit Kaznaël. D'une part nous ne sommes pas en<br />

état <strong>de</strong> retourner sur nos pas sans un peu <strong>de</strong> repos, encore moins <strong>de</strong><br />

combattre. D'autre part, l'iso<strong>le</strong>ment marqué <strong>de</strong> Corboïlum nous garantit<br />

temporairement l'invisibilité.<br />

-<strong>Les</strong> djinns ne circu<strong>le</strong>nt pas librement, précisa Cérès. Il y a un régime<br />

d'autorisations très strict. Miliès peut donc empêcher toute entrée ou<br />

sortie pour une pério<strong>de</strong> d'une journée sans avoir à se justifier. Au-<strong>de</strong>là par<br />

contre, une tel<strong>le</strong> mesure soulèverait <strong>de</strong>s doutes et <strong>le</strong>s djinns n'hésiteraient<br />

pas à faire <strong>le</strong> lien entre ces restrictions et votre présence ici. Demeurez<br />

dans notre cité cette nuit et dormez. Corboïlum voi<strong>le</strong>ra votre présence au<br />

reste <strong>de</strong> Sorgentel pour ce court laps <strong>de</strong> temps.<br />

-Très bien, dit Sally avec autant d'assurance que possib<strong>le</strong>."<br />

***<br />

En attendant que Miliès fusse prête à <strong>le</strong>s recevoir, Cérès avait<br />

conseillé aux élus <strong>de</strong> flâner un peu dans la cité afin <strong>de</strong> se changer <strong>le</strong>s<br />

idées et, surtout, <strong>de</strong> donner <strong>le</strong> change. Ainsi <strong>le</strong>s djinns ne verraient dans<br />

<strong>le</strong>ur passage qu'une simp<strong>le</strong> visite. Arthur se promenait donc dans l'unique<br />

artère <strong>de</strong> Corboïlum, mains plongées dans <strong>le</strong>s poches. Il regardait<br />

négligemment <strong>le</strong>s enseignes, sans vraiment voir ce qu'el<strong>le</strong>s contenaient.<br />

Evi<strong>de</strong>mment, son esprit était exclusivement occupé par <strong>le</strong>s manœuvres<br />

qu'employait <strong>le</strong> Clan d'Azulnot afin <strong>de</strong> mettre la main sur <strong>le</strong>s élus.<br />

La Confrérie s'était offert <strong>le</strong>s services d'un groupe au bras long, tapi<br />

dans l'ombre et disposant <strong>de</strong>s moyens <strong>de</strong> corrompre <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> <strong>le</strong> plus<br />

vorace <strong>de</strong> Sorgentel. Malgré <strong>le</strong> soutien du Cénac<strong>le</strong>, Arthur n'arrivait pas à<br />

chasser l'idée que <strong>le</strong>s élus étaient bien seuls dans <strong>le</strong>ur lutte. Il n'arrivait<br />

5


même plus à déterminer à partir <strong>de</strong> quand G.L.O.W. était passé du statut<br />

<strong>de</strong> chasseur <strong>de</strong> trésor à celui <strong>de</strong> cib<strong>le</strong>.<br />

"Tu marches un peu vite Arthur…"<br />

Il s'arrêta, confus. Roxana était obligée <strong>de</strong> trottiner <strong>de</strong>rrière lui pour<br />

gar<strong>de</strong>r <strong>le</strong> rythme. Ses joues étaient rosies par l'effort.<br />

"Excuse-moi Roxana, j'étais dans la lune.<br />

-Je comprends. <strong>Les</strong> nouvel<strong>le</strong>s que vous a apportées Cérès ne sont pas<br />

bonnes, dit-el<strong>le</strong> d'une voix contrite"<br />

Il se contenta <strong>de</strong> sourire. Pourquoi importuner une gamine <strong>de</strong> douze<br />

ans avec <strong>de</strong> tels enjeux? El<strong>le</strong> ne méritait pas cela, el<strong>le</strong> était déjà bien trop<br />

impliquée dans cette course poursuite. Arthur se pencha pour lui par<strong>le</strong>r.<br />

"Tu sais Roxana, Sally et moi avons discuté avec Cérès. On a décidé que<br />

tu resterais à Corboïlum <strong>le</strong> temps que nous soyons assez loin."<br />

Roxana écarquilla <strong>le</strong>s yeux, l'air désemparé. La culpabilité gagna<br />

immédiatement Arthur bien qu'il sût que c'était là la chose à faire.<br />

"Nous partirons <strong>de</strong>main matin en te confiant à Cérès. Si Asuka en a la<br />

possibilité, il viendra te récupérer dans la journée pour te ramener chez<br />

toi. Autrement, Cérès et son assistante acceptent <strong>de</strong> t'accompagner<br />

jusqu'aux environs du Lac Diamase. De là tu seras proche d'Althiès. Crois<br />

moi, on ne veut pas t'abandonner mais… si tu restes avec nous j'ai peur<br />

qu'on te fasse du mal. Imagine si tu avais été là lorsque <strong>le</strong> Clan nous a<br />

attaqués…<br />

-C'est probab<strong>le</strong>ment mieux ainsi. Je ne veux pas vous ra<strong>le</strong>ntir ou vous<br />

causer plus <strong>de</strong> tracas que nécessaire, admit Roxana en baissant<br />

tristement la tête.<br />

-Roxana, tu ne nous causes pas <strong>de</strong> tracas voyons. Au contraire tu nous a<br />

beaucoup aidés. N'oublie pas que tu nous as ramené Pal-Pal alors qu'il<br />

s'était enfui alors ne fais pas cette tête… Si ça ne dépendait que <strong>de</strong> moi tu<br />

continuerais à faire route avec nous. C'est juste que je veux te protéger!<br />

On veut tous te protéger parce que tu es une gentil<strong>le</strong> fil<strong>le</strong>. Sans compter<br />

que tu as une mère terrifiante qui nous étendra tous comme du linge<br />

essoré si on touche au moindre <strong>de</strong> tes cheveux."<br />

El<strong>le</strong> rit malgré el<strong>le</strong> et acquiesça. De toute évi<strong>de</strong>nce el<strong>le</strong> avait compris<br />

la situation. Arthur se détendit.<br />

"Bonjour honorab<strong>le</strong>s visiteurs! lança un djinn en volant vers eux, panier à<br />

la main. Je vois que vous n'êtes pas d'ici. Souhaitez vous acquérir l'un <strong>de</strong><br />

nos succu<strong>le</strong>nts pots d'essence <strong>de</strong> Venil caramélisée pour ramener un<br />

souvenir <strong>de</strong> Corboïlum à vos proches? Le sachet d'aman<strong>de</strong>s est offert<br />

avec!<br />

5


-Euh… (Arthur fouilla dans ses poches) Rachel a, dans sa gran<strong>de</strong> bonté,<br />

accepté <strong>de</strong> me donner un peu <strong>de</strong> ses naces."<br />

Il tendit <strong>de</strong>ux per<strong>le</strong>s nacrées à la ven<strong>de</strong>use ambulante en lui<br />

<strong>de</strong>mandant si cela suffisait. El<strong>le</strong> acquiesça.<br />

"Pour ce prix là vous pouvez même en avoir trois, honorab<strong>le</strong> visiteur,<br />

s'exclama-t-el<strong>le</strong> en fourrant <strong>le</strong>s pots en verre dans un sac en papier.<br />

-Oh, puis-je vous poser une question? fit Roxana. Est-ce que tous <strong>le</strong>s<br />

djinns sont capab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> vo<strong>le</strong>r comme vous <strong>le</strong> faites?<br />

-Bien sûr mon enfant, cependant nous ne pouvons <strong>le</strong> faire que pour un<br />

temps limité. <strong>Les</strong> djinns qui viennent <strong>de</strong> naître flottent à peine <strong>le</strong> temps<br />

d'émettre un bâil<strong>le</strong>ment tandis que <strong>le</strong>s plus matures pourraient traverser<br />

Sorgentel du nord au sud sans prendre <strong>de</strong> pause. La pratique est<br />

éga<strong>le</strong>ment un facteur à prendre en compte! Une chose est sûre : un djinn<br />

ne sachant pas vo<strong>le</strong>r aurait bien du mal à trouver une maison ici. À part la<br />

maison <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> Miliès, <strong>le</strong>s habitations <strong>de</strong> Corboïlum sont tota<strong>le</strong>ment<br />

inaccessib<strong>le</strong>s à pied.<br />

-La maison <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> Miliès?"<br />

La ven<strong>de</strong>use ambulante s'écarta pour <strong>le</strong>ur montrer l'extrémité <strong>de</strong><br />

Corboïlum située à l'opposé <strong>de</strong> l'arche qui <strong>le</strong>ur avait permis d'entrer. Une<br />

gran<strong>de</strong> construction cou<strong>le</strong>ur crème et i<strong>de</strong>ntique à la tour d'une pièce<br />

d'échec s'y dressait, en partie cachée par <strong>de</strong>s tiges <strong>de</strong> Venils.<br />

"En fait <strong>le</strong> rez-<strong>de</strong>-chaussée abrite <strong>le</strong> Musée <strong>de</strong>s Richesses djinns. C'est là<br />

que nous exposons <strong>le</strong>s possessions qui nous tiennent à cœur, cel<strong>le</strong>s qui<br />

font la fierté <strong>de</strong> notre communauté. Notre reine bien-aimée loge aux<br />

étages supérieurs. Vous voyez? Ceux qui sont percés <strong>de</strong> hautes et étroites<br />

fenêtres! N'hésitez pas à visiter <strong>le</strong> musée, l'entrée coûte trois naces si je<br />

me souviens bien.<br />

-Merci."<br />

El<strong>le</strong> sourit <strong>de</strong> toutes ses <strong>de</strong>nts puis s'éloigna pour proposer sa<br />

marchandises à d'autres clients. Arthur se tourna alors vers Roxana pour<br />

lui offrir ses achats.<br />

"Tu as dit tout à l'heure que tu aimais bien ça. Considère qu'il s'agit là<br />

d'une compensation, d'accord?<br />

-Tu es trop gentil Arthur! Oh, merci, merci!"<br />

Roxana <strong>le</strong> serra dans ses bras, p<strong>le</strong>ine <strong>de</strong> gratitu<strong>de</strong>. Ils continuèrent<br />

à vagabon<strong>de</strong>r un peu <strong>de</strong> magasin en magasin, profitant <strong>de</strong> la brise douce<br />

et chau<strong>de</strong> qui caressait agréab<strong>le</strong>ment la peau <strong>de</strong>s passants, faisait vibrer<br />

<strong>le</strong>s tiges <strong>de</strong>s Venils et danser <strong>le</strong> pol<strong>le</strong>n rose déversé en pluie fine sur la<br />

cité. Arthur se surprenait à s'ébrouer toutes <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux minutes pour<br />

chasser <strong>de</strong> sa chevelure ces entités phosphorescentes qui donnaient à<br />

5


Corboïlum une allure si fantasmagorique et nimbait <strong>le</strong> sol d'une aura<br />

écarlate.<br />

<strong>Les</strong> djinns vendaient <strong>de</strong> tout : alimentation, ustensi<strong>le</strong>s <strong>de</strong> cuisine,<br />

vêtements, outillages propres à différents corps <strong>de</strong> métier, et même <strong>de</strong>s<br />

armes. Arthur s'arrêta malgré lui <strong>de</strong>vant une armurerie pour observer <strong>de</strong>s<br />

épées et <strong>de</strong>s bâtons. La ven<strong>de</strong>use lui assura que ces équipements<br />

possédaient <strong>de</strong>s propriétés magiques tel<strong>le</strong>s que <strong>le</strong> doub<strong>le</strong>ment du<br />

charisme <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur utilisateur ou une protection inébranlab<strong>le</strong> contre <strong>le</strong>s<br />

volati<strong>le</strong>s.<br />

"Vous connaissez <strong>le</strong> Gant <strong>de</strong> Puissance? <strong>de</strong>manda Arthur d'un air aussi<br />

détaché que possib<strong>le</strong>.<br />

-Oui, c'est un très bel outil, répondit <strong>le</strong> djinn en se caressant <strong>le</strong> menton.<br />

J'ai eu l'occasion <strong>de</strong> <strong>le</strong> voir au Musée <strong>de</strong>s Richesses il y a <strong>de</strong>s lustres. On<br />

dit qu'à la base ce gante<strong>le</strong>t a été créé pour un charpentier qui voulait<br />

sou<strong>le</strong>ver <strong>de</strong>s charges en bois. Il a appartenu à différentes personnes avant<br />

que Vestjisé la Hardie ne mette la main <strong>de</strong>ssus et ne <strong>le</strong> ramène chez nous.<br />

Son vrai nom est Styrka si je me souviens bien.<br />

-Styrka… Ce nom est beaucoup moins intimidant que Gant <strong>de</strong> Puissance, à<br />

mon humb<strong>le</strong> avis."<br />

Arthur n'eut pas <strong>le</strong> loisir <strong>de</strong> prolonger cette conversation. Elliott<br />

accourait vers eux la main tendue vers <strong>le</strong> haut, sans se soucier d'attirer<br />

l'attention <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s djinns situés dans <strong>le</strong> périmètre.<br />

"Arthur! Roxana! Je vous cherchais!<br />

-Oui Elliott? fit Arthur en sifflant la <strong>de</strong>rnière syllabe <strong>de</strong> ce prénom.<br />

-Miliès va nous recevoir maintenant dans ses appartements, on m'a<br />

<strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> venir vous chercher.<br />

-Déjà? Je croyais que ça prendrait plus <strong>de</strong> temps.<br />

-Apparemment non mon vieux. <strong>Les</strong> autres sont déjà partis vers cette tour<br />

là-bas, on doit <strong>le</strong>s rejoindre aussi vite que possib<strong>le</strong>.<br />

-Ma foi, vous n'êtes pas n'importe qui? souffla la dame <strong>de</strong> l'armurerie.<br />

D'habitu<strong>de</strong> Miliès met trois jours à accor<strong>de</strong>r une audience aux notab<strong>le</strong>s <strong>de</strong><br />

Sorgentel. Il faut dire qu'on ne voit pas souvent <strong>de</strong>s humains par ici.<br />

-Ah, fit Arthur en mimant la surprise. Bon bah… allons-y Elliott.<br />

-Au pas <strong>de</strong> course, apparemment on est en retard.<br />

-Et c'est maintenant que tu me <strong>le</strong> dis? Roxana, viens! lança-t-il en<br />

l'attrapant par <strong>le</strong> poignet."<br />

Ils remontèrent Corboïlum au pas <strong>de</strong> course, sprintant entre <strong>de</strong>s<br />

djinns amusés par la présence <strong>de</strong> ces visiteurs si hâtifs. Heureusement, la<br />

fameuse tour ne se trouvait qu'à quelques pas.<br />

"Mais dépêche-toi Elliott, s'escrima Arthur en réalisant que ce <strong>de</strong>rnier ne<br />

<strong>le</strong>s suivait que d'un pas mollasson."<br />

5


Arthur et Roxana parvinrent sur <strong>le</strong> seuil <strong>de</strong> la tour, étonnamment<br />

dépourvue <strong>de</strong> porte. On apercevait à l'intérieur une longue ga<strong>le</strong>rie<br />

obscure, balisée par <strong>de</strong>ux séries <strong>de</strong> pié<strong>de</strong>staux qu'illuminaient <strong>de</strong>s orbes<br />

blancs suspendus au plafond. Il n'y avait pas <strong>de</strong> trace <strong>de</strong>s autres et Elliott<br />

prenait son temps pour arriver, ce qui agaça Arthur au plus haut point.<br />

"C'est toi qui as dit que nous étions en retard, dit-il d'une voix exaspérée.<br />

-J'ai blagué, on est tout à fait dans <strong>le</strong>s temps.<br />

-Tu…<br />

-Je voulais juste te revoir paniquer un peu histoire <strong>de</strong> rigo<strong>le</strong>r."<br />

Elliott sourit, lui tapota l'épau<strong>le</strong> et s'introduisit dans la tour comme si<br />

<strong>de</strong> rien n'était, laissant un Arthur fulminant <strong>de</strong>rrière lui.<br />

"Si nous n'étions pas dans la même galère, je crois que je te tuerais,<br />

Elliott Corr…<br />

-Il ne fait que plaisanter Arthur, dit Roxana."<br />

Le jeune homme secoua furieusement la tête et entra à son tour<br />

dans l'édifice où il eut la surprise <strong>de</strong> trouver Minilly, tout près <strong>de</strong> l'entrée,<br />

aux côtés d'Elliott. Il <strong>le</strong>s rejoignit en marmonnant.<br />

"Pourquoi fais-tu cette tête Arthur? Tu n'as donc pas aimé visiter<br />

Corboïlum? s'enquit Minilly. Peu importe, nous allons monter à l'étage<br />

pour rencontrer Miliès. Mon aînée, Sally et Rachel sont déjà là-haut avec<br />

Kaznaël.<br />

-C'est donc ici <strong>le</strong> Musée <strong>de</strong>s Richesses?<br />

-Tout à fait! Comme vous pouvez <strong>le</strong> voir c'est ici que l'on expose toutes<br />

<strong>le</strong>s possessions qui occupent une place importante dans la symbolique<br />

djinn. Par exemp<strong>le</strong>… (El<strong>le</strong> sautilla jusqu'au troisième pié<strong>de</strong>stal situé sur la<br />

rangée <strong>de</strong> droite) C'est sur cet emplacement que se trouve norma<strong>le</strong>ment<br />

<strong>le</strong> Gant <strong>de</strong> Puissance que j'ai emprunté lors <strong>de</strong> mon départ."<br />

Arthur s'approcha. Il y avait effectivement une pancarte appliquée<br />

sur <strong>le</strong> pié<strong>de</strong>stal vi<strong>de</strong> et poussiéreux : Styrka. <strong>Les</strong> autres emplacements<br />

étaient occupés par <strong>de</strong>s objets aussi étonnants qu'anecdotiques : livres<br />

anciens, griffes d'animaux (Roxana frissonna), parures <strong>de</strong> bijoux, poteries,<br />

épées, boucliers, et même une créature empaillée qui avait tout d'un chat<br />

<strong>de</strong> forme ova<strong>le</strong>. Le petit groupe avançait au pas, décryptant <strong>le</strong>s pancartes<br />

au fur et à mesure.<br />

"Anneaux <strong>de</strong> la quintessence, nota soudain Arthur face à un pié<strong>de</strong>stal vi<strong>de</strong><br />

dont la structure en pierre semblait plus fastueuse que <strong>le</strong>s autres."<br />

Il y avait même une cor<strong>de</strong> <strong>de</strong> protection faisant <strong>le</strong> tour <strong>de</strong> la colonne <strong>de</strong><br />

pierre.<br />

5


"Oui, c'est bien la place réservée aux anneaux que nous avons prêtés à<br />

Ibtissam et que je suis chargée <strong>de</strong> ramener lorsque la mission <strong>de</strong>s élus<br />

aura pris fin. <strong>Les</strong> djinns donnent rarement <strong>le</strong>urs biens. Ils <strong>le</strong>s ven<strong>de</strong>nt ou<br />

<strong>le</strong>s mettent à disposition pour une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> temps limitée."<br />

Arthur remarqua que <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s pié<strong>de</strong>staux vi<strong>de</strong>s, celui-ci était <strong>le</strong><br />

seul à ne pas être poussiéreux. <strong>Les</strong> djinns voulaient sans doute marquer<br />

ainsi <strong>le</strong>ur volonté <strong>de</strong> récupérer <strong>le</strong>ur bien un jour ou l'autre. Au bout <strong>de</strong> la<br />

ga<strong>le</strong>rie, Minilly s'entretenait avec une <strong>de</strong> ses sœurs djinns, en poste<br />

<strong>de</strong>vant une doub<strong>le</strong> porte en métal dont l'ouverture se faisait grâce à <strong>de</strong>ux<br />

lourds anneaux. El<strong>le</strong>s discutèrent très brièvement, <strong>de</strong> façon inaudib<strong>le</strong>, puis<br />

Minilly s'écarta tandis que l'autre libérait l'accès. <strong>Les</strong> portes grincèrent<br />

lorsqu'el<strong>le</strong> tira <strong>de</strong>ssus.<br />

"Arthur, Elliott, al<strong>le</strong>z-y. Je vais rester ici avec Roxana pour lui faire visiter<br />

notre ga<strong>le</strong>rie.<br />

-Tu ne viens pas avec nous?<br />

-Notre reine Miliès bien-aimée préfère me par<strong>le</strong>r à part lorsque vous aurez<br />

fini avec el<strong>le</strong>. De toute façon je compte sur Sally pour me transmettre<br />

toute information importante qui pourra vous être communiquée (el<strong>le</strong> se<br />

tourna vers Roxana) Tu vas voir, on va s'amuser ensemb<strong>le</strong>!"<br />

Roxana acquiesça d'un air réjoui et lança un "À tout à l'heure"<br />

sonore à Arthur et Elliott. <strong>Les</strong> élus passèrent alors la porte pour rejoindre<br />

<strong>le</strong>urs compagnons dans <strong>le</strong>s appartements <strong>de</strong> Miliès. Le djinn qui gardait la<br />

porte <strong>le</strong>s salua d'un vif signe <strong>de</strong> tête.<br />

Une volée d'escaliers en colimaçon <strong>le</strong>s attendait dans un vestibu<strong>le</strong><br />

étroit et relativement peu éclairé. Arthur se rendit alors compte que la<br />

capacité <strong>de</strong> lévitation <strong>de</strong>s djinns était fort pratique au quotidien. Derrière<br />

lui, <strong>le</strong>s portes en métal se refermèrent. Il entama alors sa montée,<br />

talonné par Elliott.<br />

"Je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> si Miliès pourra répondre à nos questions. D'après ce que<br />

nous a dit Priam, <strong>le</strong>s djinns sont assez diffici<strong>le</strong>s à cerner, dit Elliott.<br />

-Il y a toujours la <strong>le</strong>ttre qu'il a confié à Sally si Miliès ne tient pas à nous<br />

répondre. Espérons que ce qu'il a écrit a suffi à la convaincre."<br />

Le sommet <strong>de</strong>s escaliers fut rapi<strong>de</strong>ment en vue grâce à la grimpée<br />

énergique <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux garçons. Arthur attendit qu'Elliott <strong>le</strong> rejoigne avant <strong>de</strong><br />

frapper timi<strong>de</strong>ment sur l'unique porte qui <strong>le</strong>s séparait <strong>de</strong> la reine <strong>de</strong>s<br />

djinns.<br />

"Ce n'est pas trop tôt, souffla Sally en ouvrant subitement la porte.<br />

-J'ai mis du temps à <strong>le</strong> retrouver, s'excusa Elliott. "<br />

El<strong>le</strong> <strong>le</strong>s invita à entrer, d'un mouvement du menton, ce qu'ils firent<br />

immédiatement. Une brise parfumée chatouilla alors <strong>le</strong>s narines d'Arthur.<br />

Ils étaient sur une vaste terrasse au sol carrelé <strong>de</strong> vermillon, dont la<br />

5


surface était moucheté par <strong>de</strong>s rayons <strong>de</strong> so<strong>le</strong>il perçant <strong>le</strong> feuillage <strong>de</strong><br />

grands arbres en pot. Rachel et Kaznaël se tenaient au fond <strong>de</strong> la<br />

terrasse, adossés à un gar<strong>de</strong> fou en pierre blanche, <strong>de</strong> part et d'autre<br />

d'une femme dont la silhouette lointaine rappelait indéniab<strong>le</strong>ment cel<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

Cérès. Derrière eux, <strong>le</strong>s Venils formaient un paysage monocor<strong>de</strong>, laissant<br />

peu <strong>de</strong> place à l'horizon. Arthur avança.<br />

Miliès était une reine imbue d'el<strong>le</strong>-même. El<strong>le</strong> en avait conscience.<br />

El<strong>le</strong> aimait sa silhouette fine, sa peau d'un blanc laiteux, ses pupil<strong>le</strong>s d'un<br />

vert cristallin et sa voix digne <strong>de</strong>s chants <strong>le</strong>s plus divins <strong>de</strong> ces idiots <strong>de</strong><br />

piafs. Même <strong>le</strong> temps n'était pas parvenu à porter atteinte à son visage<br />

aux traits parfaits. Jamais el<strong>le</strong> n'avait douté <strong>de</strong> son charisme, <strong>de</strong> sa<br />

beauté, <strong>de</strong> sa capacité à diriger <strong>le</strong>s djinns, à assurer <strong>le</strong>ur intérêt au sein<br />

<strong>de</strong> la population <strong>de</strong> Sorgentel. Jamais el<strong>le</strong> n'avait courbé l'échine <strong>de</strong>vant<br />

<strong>le</strong>s chefs d'autres clans, <strong>de</strong>vant <strong>le</strong>s pontes du Cénac<strong>le</strong>, <strong>de</strong>vant <strong>le</strong>s<br />

commerçants rivaux irrités par ce qu'ils qualifiaient <strong>de</strong> "concurrence<br />

déloya<strong>le</strong>". À aucun d'entre eux el<strong>le</strong> ne donnait <strong>le</strong> loisir <strong>de</strong> se sentir<br />

supérieur. Peu lui importait qu'ils fassent dix fois sa tail<strong>le</strong>. El<strong>le</strong> avait créé<br />

un mécanisme propre à <strong>le</strong>ur faire comprendre qu'à Corboïlum, c'était el<strong>le</strong><br />

la reine. Tout ceci faisait que Miliès accueillait toujours ses visiteurs d'un<br />

air crâne, affichant une attitu<strong>de</strong> fière et même hautaine.<br />

Et là, pour la <strong>de</strong>uxième fois <strong>de</strong> sa vie, Miliès crut qu'el<strong>le</strong> allait<br />

défaillir. <strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux hommes qui venaient d'entrer sur la terrasse avaient<br />

semé la confusion dans son esprit, perturbé ses capacités. Cela n'avait<br />

rien à voir avec <strong>le</strong> fait qu'il s'agissait d'élus, encore moins <strong>le</strong> fait qu'ils<br />

fussent arrivés <strong>de</strong> l'autre mon<strong>de</strong>. Non, c'était autre chose. Miliès était<br />

d'autant plus abasourdie par cette rencontre que l'homme aux cheveux<br />

blonds la dardait du regard, avec un large sourire, mélange <strong>de</strong> bonté et <strong>de</strong><br />

domination. Etait-il possib<strong>le</strong> que…<br />

Miliès manqua <strong>de</strong> défaillir. Son appréhension ne pouvait la tromper.<br />

En dépit <strong>de</strong>s apparences il s'agissait bel et bien <strong>de</strong>… El<strong>le</strong> s'apprêta à<br />

prononcer son nom mais il lui intima <strong>de</strong> se taire, d'un regard, d'un seul.<br />

Pas <strong>de</strong> menace dans ses yeux clairs, pas <strong>le</strong> moindre rictus. Uniquement un<br />

sourire qui avait suffi à la dissua<strong>de</strong>r <strong>de</strong> se taire.<br />

El<strong>le</strong> <strong>de</strong>vait reprendre <strong>de</strong> sa contenance. Ne rien laisser transparaître.<br />

Heureusement, Vestjisé n'avait pas assisté à cette courte scène. El<strong>le</strong>, l'un<br />

<strong>de</strong>s djinns <strong>le</strong>s plus prometteurs <strong>de</strong> sa génération, aurait perçu l'agitation<br />

intérieure <strong>de</strong> Miliès, malgré son inaptitu<strong>de</strong> à la concentration.<br />

"Reine Miliès, je vous présente Arthur et Elliott, <strong>le</strong>s compagnons qu'il nous<br />

restait à vous présenter, annonça Sally alors qu'ils se courbaient avec<br />

gaucherie."<br />

Miliès acquiesça et répondit au regard d'Arthur d'un hochement <strong>de</strong><br />

tête. Puis à celui d'Elliott dont el<strong>le</strong> se détacha presque aussitôt.<br />

A ce moment précis, son don <strong>de</strong> précognition se déc<strong>le</strong>ncha. El<strong>le</strong><br />

laissa défi<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s images, <strong>le</strong>s assimila mais conserva une expression<br />

5


neutre, comme el<strong>le</strong> avait appris à <strong>le</strong> faire pour cacher à ses interlocuteurs<br />

qu'el<strong>le</strong> voyait <strong>le</strong>ur futur. Le défi<strong>le</strong>ment prit fin.<br />

"Il semb<strong>le</strong>rait que vous ayez <strong>de</strong>s questions à me poser, dit-el<strong>le</strong> enfin d'une<br />

voix aussi enjouée que possib<strong>le</strong>. Soyez honorés car je suis disposée à y<br />

répondre, au nom <strong>de</strong>s liens qui lie <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> <strong>de</strong> Corboïlum au Cénac<strong>le</strong>.<br />

Prenez place autour <strong>de</strong> cette tab<strong>le</strong>, je vais vous faire apporter <strong>de</strong> quoi<br />

vous rafraîchir.<br />

-Merci <strong>de</strong> votre obligeance, dit Sally avec déférence."<br />

Miliès appela menta<strong>le</strong>ment ses ai<strong>de</strong>s puis s'assit, dissimulant ses<br />

émotions. <strong>Les</strong> heures qui allaient suivre bou<strong>le</strong>verseraient <strong>le</strong> <strong>de</strong>stin <strong>de</strong><br />

Sorgentel et du mon<strong>de</strong> humain. Le petit groupe d'élus qui s'attablait près<br />

d'el<strong>le</strong> serait au centre <strong>de</strong> ce bou<strong>le</strong>versement. Or, el<strong>le</strong> ne pouvait ni ne<br />

<strong>de</strong>vait <strong>le</strong>ur dire.<br />

5


Chapitre 34 : L'Autre<br />

Avec toute l'hospitalité qui était propre aux djinns, Miliès fit servir<br />

<strong>de</strong>s jus <strong>de</strong> fruits à ses invités dans <strong>de</strong> bel<strong>le</strong>s coupes en cristal finement<br />

ciselé. <strong>Les</strong> jambes croisées, el<strong>le</strong> noyait son regard dans <strong>le</strong> liqui<strong>de</strong> rouge<br />

bor<strong>de</strong>aux contenu dans la carafe posée au milieu <strong>de</strong> la tab<strong>le</strong>, tout en<br />

agitant doucement son propre verre. Son expression était impénétrab<strong>le</strong>.<br />

<strong>Les</strong> élus et Kaznaël attendirent en si<strong>le</strong>nce que la servante <strong>de</strong> Miliès ait fini<br />

<strong>de</strong> remplir chacun <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur verre.<br />

"Lorsque vous êtes arrivés je m'apprêtais à répondre à Sally au sujet <strong>de</strong><br />

notre peup<strong>le</strong>, dit Miliès en regardant ostensib<strong>le</strong>ment Arthur.<br />

-Vous n'avez pas à répondre Votre Altesse, dit Sally en se tassant sur sa<br />

chaise d'un air gêné. À vrai dire je me posais la question à voix haute,<br />

sans savoir que vous étiez juste <strong>de</strong>rrière nous."<br />

Miliès fit tourner ses bouc<strong>le</strong>s noires autour <strong>de</strong> son in<strong>de</strong>x. Sa<br />

ressemblance avec Cérès était frappante. El<strong>le</strong>s avaient tout <strong>de</strong> jumel<strong>le</strong>s.<br />

Seu<strong>le</strong>s <strong>le</strong>urs tenues et <strong>le</strong>urs expressions <strong>le</strong>s différenciaient. Là où Cérès<br />

avait paru à la fois cha<strong>le</strong>ureuse et avisée, Miliès affichait un sourire<br />

impéria<strong>le</strong>ment distingué, comme pour rappe<strong>le</strong>r son rang supérieur.<br />

Néanmoins, Arthur était presque certain <strong>de</strong> l'avoir vu se décomposer, un<br />

quart <strong>de</strong> secon<strong>de</strong>, lorsqu'il était entré sur la terrasse en compagnie<br />

d'Elliott. Le charme du crétin avait-il encore opéré?<br />

"Ta curiosité est naturel<strong>le</strong> et mon <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> reine est <strong>de</strong> l'assouvir. Nous<br />

avons bien quelques minutes à perdre en culture djinn avant d'entrer dans<br />

<strong>le</strong> vif du sujet, n'est-ce pas?"<br />

Tout dans <strong>le</strong> regard <strong>de</strong> Kaznaël criait "Non" mais Miliès n'en eut cure.<br />

"Il n'y a effectivement aucun mâ<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> djinn. Il n'y en a jamais<br />

eu. Je conçois que cela puisse troub<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s humains dont la conception est<br />

due à un processus <strong>de</strong> procréation nécessitant la présence d'un mâ<strong>le</strong> et<br />

d'une femel<strong>le</strong>, mais nous assimi<strong>le</strong>r à vous est bien la première erreur à ne<br />

pas faire si vous souhaitez comprendre nos origines.<br />

<strong>Les</strong> djinns sont <strong>de</strong>s entités… Comment formu<strong>le</strong>r ceci <strong>de</strong> manière simp<strong>le</strong>?<br />

(El<strong>le</strong> reprit son jeu d'entortillage <strong>de</strong> mèches) <strong>Les</strong> djinns naissent sans<br />

intermédiaire ni gestation."<br />

Rachel plissa immédiatement <strong>le</strong>s yeux. Des ri<strong>de</strong>s <strong>de</strong> perp<strong>le</strong>xité se<br />

formèrent entre ses sourcils.<br />

"Connaissez vous <strong>le</strong>s luisances?<br />

-Je crois qu'il s'agit <strong>de</strong> ces particu<strong>le</strong>s <strong>de</strong> lumière qui flottent au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong><br />

la Baie <strong>de</strong> Springan, répondit Rachel.<br />

5


-Oui, <strong>le</strong>s luisances sont <strong>de</strong>s résidus spirituels. Peu <strong>de</strong> Sorgenteli <strong>le</strong> savent<br />

mais lorsqu'un individu <strong>de</strong> cette terre est emporté par la mort, une infime<br />

partie <strong>de</strong> son âme <strong>de</strong>meure dans la Baie <strong>de</strong> Springan.<br />

-Veuil<strong>le</strong>z me pardonner, fit Rachel. Êtes vous en train <strong>de</strong> dire que ces<br />

lumières sont en fait <strong>le</strong>s âmes <strong>de</strong> personnes mortes?"<br />

Arthur eut un frisson d'horreur en repensant au nombre <strong>de</strong> fois<br />

auquel il avait joué avec ces lumières d'apparence inoffensive. Des morts?<br />

"Et oui, il s'agit <strong>de</strong> revenants! C'est d'ail<strong>le</strong>urs pour cela que la cité qui<br />

abrite Springan se nomme Havre : il s'agit d'un havre <strong>de</strong> paix pour ces<br />

âmes tourmentées."<br />

Sally couina légèrement, ce qui fit rire Miliès.<br />

"Ne prenez pas tous mes propos au sérieux, j'essayais juste <strong>de</strong> vous<br />

effrayer un peu, reconnut la reine. Il est vrai que <strong>le</strong>s luisances ont un lien<br />

avec <strong>le</strong> flux mortel <strong>de</strong>s Sorgenteli et que <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> la cité est la<br />

conséquence <strong>de</strong> la fonction <strong>de</strong> la baie. Cependant, la seu<strong>le</strong> partie <strong>de</strong> l'âme<br />

<strong>de</strong> ces morts qui <strong>de</strong>meure autour <strong>de</strong> Springan est appelée Velléité. Il<br />

s'agit d'une essence spirituel<strong>le</strong> <strong>de</strong> dimension négligeab<strong>le</strong> qui rassemb<strong>le</strong><br />

toutes <strong>le</strong>s velléités inaccomplies <strong>de</strong>s morts : amour, richesse, gloire,<br />

bonheur, amitié… Dès lors qu'un Sorgenteli disparaît et quel<strong>le</strong> que soit la<br />

cause <strong>de</strong> sa mort, il abandonne <strong>de</strong>rrière lui cette Velléité, laquel<strong>le</strong> est<br />

amenée à errer pour un nombre d'années indéterminé dans la Baie,<br />

autour du monolithe <strong>de</strong> Springan.<br />

-Votre altesse, est-ce pour cela que nous ressentons une certaine forme<br />

d'euphorie lorsque l'on marche parmi <strong>le</strong>s luisances? <strong>de</strong>manda Arthur.<br />

-C'est bien pour cela que vous ressentez cette euphorie, confirma Miliès<br />

avec un hochement <strong>de</strong> tête satisfait. Vous êtes d'ail<strong>le</strong>urs <strong>de</strong>s privilégiés. À<br />

part vous et <strong>le</strong>s Anciens, toute personne qui tenterait <strong>de</strong> fou<strong>le</strong>r l'eau <strong>de</strong> la<br />

baie serait…<br />

-…noyé, finit Kaznaël, comme s'il espérait que cela accélérerait la<br />

conversation.<br />

-<strong>Les</strong> luisances transmettent <strong>le</strong>urs émotions – <strong>le</strong>urs velléités – aux<br />

individus qui <strong>le</strong>s approchent. Néanmoins el<strong>le</strong>s ne <strong>le</strong> font pas par la voie du<br />

regret, <strong>de</strong> la hostilité ou <strong>de</strong> la frustration. Ce que vous ressentez<br />

correspond tout simp<strong>le</strong>ment à l'émotion idéa<strong>le</strong> que ces âmes auraient<br />

souhaité atteindre <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur vivant. (El<strong>le</strong> vida son verre d'un trait)<br />

Pour en revenir aux djinns, vous serez sans doute surpris d'apprendre que<br />

Corboïlum est construite au-<strong>de</strong>ssus d'une source souterraine reliée<br />

directement à <strong>de</strong>ux points d'eau légendaires <strong>de</strong> Sorgentel."<br />

Pour la première fois <strong>de</strong>puis <strong>le</strong> début <strong>de</strong>s explications <strong>de</strong> Miliès,<br />

Kaznaël manifesta un intérêt marqué pour ce qu'el<strong>le</strong> allait dire.<br />

"La Baie et <strong>le</strong> lac Diamase? fit-il d'une voix troublée. Corboïlum est reliée<br />

à ces <strong>de</strong>ux endroits?<br />

5


-Il semb<strong>le</strong>rait que tu ne saches pas tout, Kaznaël <strong>le</strong> Protecteur,<br />

s'enorgueillit Miliès. Il existe un territoire souterrain sur <strong>le</strong>s terres<br />

Sorgenteli, un territoire dominé par <strong>le</strong>s eaux. Or, une partie <strong>de</strong> cette eau<br />

arrive à la surface, dans un endroit situé à quelques pas d'ici et que nous<br />

appelons <strong>le</strong> Berceau. C'est là que nous naissons. En effet, <strong>le</strong> flux régulier<br />

<strong>de</strong> Velléités donne parfois lieu à un trop p<strong>le</strong>in qui est inexplicab<strong>le</strong>ment<br />

absorbé par l'eau. Certaines d'entre el<strong>le</strong>s circu<strong>le</strong>nt alors par la voie<br />

souterraine jusqu'à parvenir dans <strong>le</strong> Berceau.<br />

-Donc, <strong>le</strong>s luisances <strong>de</strong> la baie… enfin, ce que vous appe<strong>le</strong>z <strong>le</strong>s Velléités…<br />

el<strong>le</strong>s entrent dans l'eau lorsqu'el<strong>le</strong>s <strong>de</strong>viennent trop nombreuses et<br />

traversent tout Sorgentel jusqu'au fameux Berceau.<br />

-C'est un phénomène que nous sommes encore incapab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> rationaliser.<br />

Ce dont nous sommes sûrs, c'est qu'une importante accumulation <strong>de</strong><br />

Velléités donne lieu à la naissance d'un djinn."<br />

Arthur visualisa Minilly surgissant d'une fontaine.<br />

"<strong>Les</strong> djinns naissent à <strong>de</strong>s interval<strong>le</strong>s très irréguliers. Lorsque cela arrive,<br />

tous <strong>le</strong>s membres <strong>de</strong> notre communauté <strong>le</strong> ressentent et se rassemb<strong>le</strong>nt<br />

autour du Berceau pour accueillir la nouvel<strong>le</strong> venue. Cel<strong>le</strong>-ci émerge<br />

<strong>le</strong>ntement <strong>de</strong> l'eau sous l'apparence d'une étincel<strong>le</strong>, juste avant <strong>de</strong><br />

prendre l'apparence que vous connaissez."<br />

Rachel et Sally étaient suspendues à ses lèvres, en ha<strong>le</strong>ine. Elliott et<br />

Kaznaël se contentaient d'écouter avec attention. Pour Arthur, entendre<br />

un conte <strong>de</strong> fées n'aurait pas été très différent. "Sauf que cette fois, je<br />

dois y croire".<br />

"Nos attributs constituent la preuve <strong>de</strong>s engrenages que je vous ai<br />

expliqués. <strong>Les</strong> djinns sont <strong>de</strong>s enveloppes corporel<strong>le</strong>s réduites qui, bien<br />

que dotées <strong>de</strong> personnalités propres, attestent aussi <strong>de</strong>s nombreuses<br />

velléités qui ont donné lieu à <strong>le</strong>ur naissance."<br />

El<strong>le</strong> resservit el<strong>le</strong>-même tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>, d'un mouvement gracieux.<br />

"Je crois que vous connaissez notre réputation d'impitoyab<strong>le</strong>s<br />

commerçantes, désireuses d'obtenir richesse, succès, gloire…<br />

-<strong>Les</strong> Velléités, réalisa soudain Arthur.<br />

-El<strong>le</strong>s forgent la personnalité <strong>de</strong>s djinns. <strong>Les</strong> djinns sont la somme <strong>de</strong>s<br />

désirs <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s Sorgenteli trépassés. C'est pour cette raison que nous<br />

attachons un tel intérêt au succès <strong>de</strong> nos ambitions. Nous considérons<br />

qu'il s'agit d'un <strong>de</strong>voir envers ceux qui ont permis notre naissance.<br />

-De quoi donner une perspective très différente sur votre peup<strong>le</strong>, conclut<br />

Rachel. Est-ce que vos pouvoirs viennent aussi <strong>de</strong>s Velléités?<br />

-Indubitab<strong>le</strong>ment. <strong>Les</strong> djinns ont un pouvoir <strong>de</strong> précognition. Il <strong>le</strong>ur<br />

permet d'anticiper <strong>le</strong>s évènements avec une marge pouvant al<strong>le</strong>r d'une<br />

secon<strong>de</strong> à plusieurs jours, voire davantage selon <strong>le</strong> <strong>de</strong>gré d'expérience. Il<br />

semb<strong>le</strong>rait que cela soit dû à notre connexion avec <strong>le</strong>s morts qui sont,<br />

5


selon <strong>le</strong> symbolisme Sorgenteli, <strong>le</strong>s observateurs passifs du futur. (El<strong>le</strong> se<br />

tourna vers Sally) Il est ironique que <strong>le</strong> lien qu'entretient votre don avec la<br />

mort ait pu vous en éloigner autant <strong>de</strong> fois, ne pense-tu pas?<br />

-Cl… Clairement, bégaya Sally.<br />

-Nous t'avons confié l'un <strong>de</strong>s éléments <strong>le</strong>s plus prometteurs <strong>de</strong> notre<br />

communauté, je ne sais pas si tu en as conscience.<br />

-Ah bon? Pourtant… el<strong>le</strong> paraît si jeune! Et <strong>le</strong>s autres djinns se moquaient<br />

d'el<strong>le</strong> en lui rappelant cette stupi<strong>de</strong> histoire d'oiseau. <strong>Les</strong> gens n'ont pas<br />

l'air <strong>de</strong> beaucoup l'estimer.<br />

-C'est pour ne pas lui rappe<strong>le</strong>r chaque jour <strong>le</strong> potentiel énorme dont el<strong>le</strong><br />

dispose. Tu seras intéressée d'apprendre que Vestjisé, ou Minilly comme<br />

tu l'appel<strong>le</strong>s, semb<strong>le</strong> avoir <strong>de</strong>s capacités dormantes, malgré son jeune<br />

âge. Dès sa naissance, nous avons senti qu'el<strong>le</strong> avait hérité <strong>de</strong>s Velléités<br />

d'individus particulièrement puissants. El<strong>le</strong> pourrait <strong>de</strong>venir gran<strong>de</strong><br />

prêtresse du culte djinn un jour."<br />

Miliès posa <strong>le</strong>s cou<strong>de</strong>s sur la tab<strong>le</strong> et posa son menton dans <strong>le</strong> creux<br />

<strong>de</strong> ses mains, <strong>le</strong>s dardant d'un regard mystérieux.<br />

"J'ai oublié <strong>de</strong> vous préciser que <strong>le</strong>s djinns n'héritent pas nécessairement<br />

<strong>de</strong>s Velléités <strong>le</strong>s plus récentes. Le processus est complètement aléatoire.<br />

En d'autres termes, un djinn venant <strong>de</strong> naître peut être lié à <strong>de</strong>s âmes<br />

centenaires, voire beaucoup… beaucoup plus vieil<strong>le</strong>s. J'ai <strong>de</strong>s raisons <strong>de</strong><br />

penser que Minilly a hérité <strong>de</strong> très anciennes velléités.<br />

-Vous ne vouliez pas en par<strong>le</strong>r <strong>de</strong>vant el<strong>le</strong>. C'est pour ça que vous lui avez<br />

<strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> rester <strong>de</strong>hors? fit Sally, intriguée.<br />

-Je <strong>le</strong> lui dirai bien un jour mais j'attends <strong>de</strong> voir mes soupçons confirmés<br />

quant à l'origine <strong>de</strong> ses Velléités. Enfin… Tout ceci est très intéressant<br />

mais vous n'avez pas fait ce long voyage pour profiter <strong>de</strong> mes<br />

connaissances sur la culture djinn me semb<strong>le</strong>-t-il. La <strong>le</strong>ttre que vous<br />

m'avez transmise faisait référence à une personne dont je n'avais pas<br />

entendu <strong>le</strong> nom <strong>de</strong>puis très longtemps. Leryan, hein?"<br />

Kaznaël acquiesça. El<strong>le</strong> croisa alors ses longs bras blancs.<br />

"Pourquoi vous intéressez-vous à lui? N'avez-vous pas d'autres<br />

préoccupations en ce moment? Selon <strong>le</strong>s rares rumeurs qui me sont<br />

parvenues ces <strong>de</strong>rniers jours, <strong>le</strong> Cénac<strong>le</strong> est loin <strong>de</strong> pouvoir remettre la<br />

main sur l'Orbe <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an et vous n'avez retrouvé qu'une seu<strong>le</strong> créature<br />

sur <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux qui ont quitté Springan. Si ce n'est pas ce que l'on appel<strong>le</strong> <strong>le</strong><br />

début <strong>de</strong> la fin…<br />

-Nous sommes justement là pour trouver une alternative, dit soudain<br />

Kaznaël. Une partie <strong>de</strong>s élus s'est associée à la Milice <strong>de</strong> Juval pour<br />

effectuer une offensive contre <strong>le</strong>s forces associées <strong>de</strong> la Confrérie et du<br />

Régent Hermès. Cependant, <strong>le</strong> Cénac<strong>le</strong> a envisagé l'hypothèse <strong>de</strong> l'échec.<br />

-Et même si nos camara<strong>de</strong>s récupèrent l'Orbe, Fenrir est toujours dans la<br />

nature, ajouta Arthur. La seu<strong>le</strong> piste que nous avons, c'est cel<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

Leryan. Lorsque nous étions encore dans notre mon<strong>de</strong>, nous avons reçu<br />

5


<strong>de</strong>s… euh, <strong>de</strong>s signes qui semblaient nous diriger vers lui. Apparemment il<br />

serait une solution à nos problèmes.<br />

-Un mort serait la solution à vos problèmes? fit Miliès d'une voix ironique.<br />

L'Autre serait la solution à vos problèmes?<br />

-Ne l'appe<strong>le</strong>z pas ainsi… votre altesse, intima Kaznaël.<br />

-Ne considère pas ceci comme une offense envers l'un <strong>de</strong> tes maîtres<br />

Kaznaël, j'ai juste été prise <strong>de</strong> surprise, s'excusa Miliès. Sérieusement, j'ai<br />

du mal à concevoir que vous vous repliiez sur son assistance. Son frère<br />

aîné l'a tué, aussi divin qu'il ait pu être."<br />

<strong>Les</strong> élus s'interrogèrent du regard.<br />

"Son frère… Leryan a été tué par son frère? s'exclama Arthur.<br />

-Vous ne connaissez donc pas l'histoire?"<br />

Kaznaël parut rentrer en lui-même.<br />

"El<strong>le</strong> est fort longue mais je peux vous la résumer dans <strong>le</strong>s gran<strong>de</strong>s lignes,<br />

continua Miliès. Ky<strong>le</strong>an était <strong>le</strong> souverain <strong>de</strong> Sorgentel, un souverain<br />

comme jamais nous n'en avons eu par la suite, pour la simp<strong>le</strong> et bonne<br />

raison qu'il a été <strong>le</strong> premier et <strong>le</strong> <strong>de</strong>rnier. Depuis sa prime jeunesse il était<br />

assisté par son frère ca<strong>de</strong>t, Leryan. De ce que je sais, Leryan a été sa<br />

seu<strong>le</strong> famil<strong>le</strong> pendant longtemps, même si… (el<strong>le</strong> regarda Kaznaël du coin<br />

<strong>de</strong> l'œil) une personne présente à cette tab<strong>le</strong> a été adoptée et considérée<br />

par Ky<strong>le</strong>an comme étant un membre <strong>de</strong> sa famil<strong>le</strong>. À eux trois ils ont<br />

engendré la prospérité dans Sorgentel, une pério<strong>de</strong> douce et agréab<strong>le</strong>,<br />

harmonieuse politiquement. À cette époque, aucun <strong>de</strong>s clans <strong>de</strong> Sorgentel<br />

n'aurait même envisagé <strong>de</strong> remettre en cause son pouvoir.<br />

Cependant, Ky<strong>le</strong>an a été victime d'une crise <strong>de</strong> folie alors qu'il était âgé<br />

d'une trentaine d'années. Personne ne sait vraiment pourquoi, même si…<br />

l'on pense que c'est dû à la mort en couche d'Alicia, la femme qu'il venait<br />

à peine d'épouser.<br />

-Mon dieu, s'écria Rachel, <strong>le</strong>s yeux écarquillés.<br />

-Seul un évènement aussi dramatique a pu avoir raison <strong>de</strong> lui. Ky<strong>le</strong>an, <strong>le</strong><br />

dieu vivant, a perdu progressivement la raison et en est venu à envisager<br />

<strong>de</strong> se détruire, en emportant Sorgentel avec lui.<br />

-Il… il avait un tel pouvoir?<br />

-Je vais vous attendre <strong>de</strong>hors, déclara soudain Kaznaël qui se <strong>le</strong>va en<br />

faisant crisser <strong>le</strong>s pieds <strong>de</strong> sa chaise. Je n'ai pas besoin <strong>de</strong>…"<br />

Soudain, il serra <strong>le</strong>s poings et partit au pas <strong>de</strong> course vers la<br />

balustra<strong>de</strong>, à la gran<strong>de</strong> stupéfaction d'Arthur.<br />

"Kaz! cria Arthur. KAZ!!<br />

-Kaznaël!!"<br />

5


Arthur et Sally ne parvinrent pas à se saisir <strong>de</strong> lui. En l'espace d'un<br />

instant, il avait sauté <strong>de</strong> la terrasse et disparu. Arthur se rua vers la<br />

balustra<strong>de</strong>, troublé.<br />

Plus personne en bas <strong>de</strong> la tour. Kaznaël avait… disparu. Arthur<br />

resta sur place un moment, choqué. Il avait rarement vu <strong>le</strong> Protecteur<br />

dans un tel état.<br />

"Qu'est-ce qui lui arrive? fit Rachel avec humeur.<br />

-Je n'en sais rien, répondit Arthur en revenant vers la tab<strong>le</strong>. Peut-être<br />

que… je ne sais pas! Dès qu'on par<strong>le</strong> du passé… Je <strong>de</strong>vrais al<strong>le</strong>r…<br />

-Laisse, il ne doit pas être bien loin, fit Elliott avec un sourire. De toute<br />

façon il ne s'éloignera pas assez <strong>de</strong> nous pour qu'on ait <strong>de</strong>s raisons <strong>de</strong><br />

s'inquiéter. Laisse-<strong>le</strong> en paix, il se calmera."<br />

Elliott avait étrangement raison. Kaznaël entrait dans <strong>de</strong>s phases <strong>de</strong><br />

psychose dès lors que l'on parlait <strong>de</strong> Leryan en sa présence. "De là à<br />

piquer un sprint <strong>de</strong>vant la reine alors qu'on a fait tout ce chemin pour lui<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r – justement – <strong>de</strong>s informations sur Leryan?"<br />

"Croyez bien que je n'avais pas l'intention <strong>de</strong> <strong>le</strong> bou<strong>le</strong>verser, indiqua Miliès<br />

en haussant <strong>le</strong>s sourcils. Je ne faisais que répondre à vos interrogations.<br />

-Veuil<strong>le</strong>z nous excuser <strong>de</strong> ce qui vient <strong>de</strong> se passer, dit Sally.<br />

-En même temps, ce type est si imprévisib<strong>le</strong> qu'on aurait dû s'attendre à<br />

ce qu'il nous humilie <strong>de</strong>vant vous, siffla Rachel (El<strong>le</strong> ignora <strong>le</strong> regard<br />

réprobateur d'Arthur).<br />

-Comme beaucoup <strong>de</strong> Sorgenteli il a du mal à accepter l'idée que Ky<strong>le</strong>an<br />

ait pu tuer son frère. D'ail<strong>le</strong>urs, avez-vous déjà croisé <strong>le</strong> chemin <strong>de</strong> l'Etoi<strong>le</strong><br />

d'Alaxand?<br />

-Le groupe mené par G<strong>le</strong>nda la Barrée? Oui, acquiesça Sally. El<strong>le</strong> nous a<br />

d'ail<strong>le</strong>urs conseillé <strong>de</strong> venir vous consulter.<br />

-El<strong>le</strong> l'a fait? Intéressant… Je pense que ce n'était pas innocent sachant<br />

qu'il existe une très vieil<strong>le</strong> opposition <strong>de</strong> vues entre l'Etoi<strong>le</strong> d'Alaxand et <strong>le</strong><br />

Cénac<strong>le</strong>.<br />

-Que vou<strong>le</strong>z-vous dire Votre Altesse?<br />

-Alaxand est <strong>le</strong> nom que certaines personnes ont donné à Ky<strong>le</strong>an après sa<br />

mort. Il signifie "Révolution" en vieux dia<strong>le</strong>cte Nacien. Cette dénomination<br />

s'explique par l'interprétation qu'ont fait certains extrémistes <strong>de</strong> l'acte <strong>de</strong><br />

Ky<strong>le</strong>an. Selon eux, Ky<strong>le</strong>an a mis fin à ses jours et tué son frère par<br />

abnégation, afin d'ouvrir une nouvel<strong>le</strong> voie <strong>de</strong> développement à Sorgentel.<br />

<strong>Les</strong> membres <strong>de</strong> l'Etoi<strong>le</strong> d'Alaxand considèrent qu'il s'agissait là d'un acte<br />

désintéressé par <strong>le</strong>quel Ky<strong>le</strong>an s'est détrôné et a réduit à néant toute<br />

possibilité d'avoir un successeur. Une royauté tuée dans l'œuf.<br />

A l'inverse, la majorité <strong>de</strong>s Sorgenteli considère qu'il ne s'agissait que d'un<br />

simp<strong>le</strong> mais dramatique acci<strong>de</strong>nt dû au malheur qui a accablé Ky<strong>le</strong>an<br />

lorsqu'il a perdu son enfant à naître. Il a été submergé par la tristesse et<br />

la colère, laissant ainsi échapper l'immense quantité <strong>de</strong> pouvoir magique<br />

dont il disposait. Leryan a malheureusement été tué par la même<br />

occasion.<br />

5


-Atten<strong>de</strong>z Votre Altesse! Est-ce que tout ceci ne fait pas <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an un<br />

assassin? chuchota Arthur, craignant <strong>de</strong> commettre un blasphème.<br />

-J'allais <strong>le</strong> suggérer, dit Rachel.<br />

-Si nous parlions d'un individu normal, <strong>le</strong> terme d'assassinat aurait bel et<br />

bien été utilisé, d'autant plus que Ky<strong>le</strong>an aurait pu entraîner Sorgentel<br />

dans sa chute. Cependant, Ky<strong>le</strong>an était un homme apprécié <strong>de</strong> tous,<br />

réputé pour sa bonté et sa sagesse. Le peup<strong>le</strong> Sorgenteli préfère donc<br />

attribuer cet acte à la folie et <strong>le</strong> qualifier <strong>de</strong> martyr, tout comme Leryan.<br />

<strong>Les</strong> Sorgenteli qui seraient prêts à remettre ceci en question se comptent<br />

sur <strong>le</strong>s doigts d'une main ou vivent dans l'ombre.<br />

Pour revenir à Leryan, <strong>le</strong>s écrits disent qu'il disposait d'un pouvoir<br />

extraordinaire sinon comparab<strong>le</strong> à celui <strong>de</strong> son frère aîné, bien qu'il n'ait<br />

jamais eu besoin d'y avoir recours. Il aurait probab<strong>le</strong>ment pris la suite <strong>de</strong><br />

son frère si l'explosion déc<strong>le</strong>nchée par Ky<strong>le</strong>an ne l'avait pas tué."<br />

Arthur se sentit mal à l'aise. Rachel, Sally et lui étaient-ils <strong>le</strong>s seuls<br />

à trouver tout ceci extrêmement choquant?<br />

"Ce qui répond à votre question, conclut Miliès. À ma connaissance,<br />

Leryan est bel et bien mort. Malgré <strong>le</strong>ur potentiel et <strong>le</strong>ur statut, Ky<strong>le</strong>an et<br />

Leryan avaient <strong>le</strong>s enveloppes corporel<strong>le</strong>s d'êtres normaux. Le souverain a<br />

déc<strong>le</strong>nché dans Springan une explosion qui <strong>le</strong>s a tous <strong>de</strong>ux tués. Une<br />

seu<strong>le</strong> personne en a réchappé.<br />

-K… Kaznaël? <strong>de</strong>vina Arthur."<br />

Miliès acquiesça.<br />

"Il ne t'avait rien dit <strong>de</strong> tout ceci Arthur? s'étonna Sally. Avec <strong>le</strong> temps<br />

qu'il passe chez toi?<br />

-Il est très secret, tu <strong>le</strong> sais bien.<br />

-Ce n'est pas plus mal vu ses réactions lorsque l'on discute <strong>de</strong> tout ceci,<br />

dit Rachel d'un ton rogue. Votre Altesse, s'il vous plaît, dites-nous que<br />

Leryan a pu laisser <strong>de</strong>rrière lui quelque chose qui pourrait nous ai<strong>de</strong>r. Je<br />

ne sais pas ce que ça vaut mais <strong>le</strong>s rares pistes que nous avons trouvées<br />

nous dirigeaient vers lui."<br />

La reine s'entortilla <strong>le</strong>s cheveux plus nerveusement que jamais,<br />

jetant <strong>de</strong>s regards furtifs aux différents élus assis près d'el<strong>le</strong>, tous sauf<br />

un…<br />

"Mes connaissances ne sont pas illimitées. Je sais qu'il possédait quelques<br />

objets potentiel<strong>le</strong>ment uti<strong>le</strong>s tels que l'Alzévir ou la Styrka dont on dit qu'il<br />

avait créé <strong>le</strong> premier exemplaire pour un <strong>de</strong> ses charpentiers mais il<br />

faudrait que j'y réfléchisse davantage. Si <strong>le</strong>s signes convergent vers lui,<br />

c'est qu'il doit être la clé. Quant à savoir <strong>de</strong> quoi, cela me dépasse…"<br />

El<strong>le</strong> soupira.<br />

5


"Laissez moi une nuit pour rassemb<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s informations. Il commence à se<br />

faire tard. Je vous convoquerai <strong>de</strong>main à l'aube pour que nous en<br />

reparlions avant votre départ."<br />

Arthur se sentit abattu malgré cette promesse. <strong>Les</strong> espoirs qu'il<br />

avait fondés en Leryan s'effondraient <strong>de</strong> minute en minute. Même la reine<br />

<strong>de</strong>s djinns était incapab<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur fournir une ai<strong>de</strong> viab<strong>le</strong>, bien qu'el<strong>le</strong> <strong>le</strong>ur<br />

donnât un espoir – infime – afin <strong>de</strong> ne pas <strong>le</strong>s décevoir.<br />

"C'est gentil à vous… Votre Altesse, murmura Sally.<br />

-Ne per<strong>de</strong>z pas espoir, jeunes élus. Même sans Leryan, rien ne dit que <strong>le</strong><br />

Cénac<strong>le</strong> ne remettra pas la main sur l'Orbe et sur Fenrir (El<strong>le</strong> tapa <strong>de</strong>s<br />

mains et sa servante accourut). Je vous offre l'hospitalité pour cette nuit.<br />

Il y a <strong>de</strong>ux pièces inutilisées à l'étage."<br />

Miliès chuchota quelques ordres puis se <strong>le</strong>va hâtivement.<br />

"Je dois al<strong>le</strong>r accomplir <strong>le</strong>s tâches qui incombent à ma fonction. Ma<br />

<strong>de</strong>meure est la vôtre. N'hésitez pas à vous adresser à mes ai<strong>de</strong>s si<br />

nécessaire.<br />

<strong>Les</strong> élus marmonnèrent "Merci Votre Altesse" <strong>de</strong> façon monocor<strong>de</strong> et<br />

se <strong>le</strong>vèrent à <strong>le</strong>ur tour. Quant à Miliès, el<strong>le</strong> était <strong>de</strong>venue livi<strong>de</strong> <strong>de</strong>puis<br />

quelques instants, comme si el<strong>le</strong> avait été subitement atteinte d'un mal<br />

inconnu. El<strong>le</strong> ne s'attarda pas plus longtemps.<br />

Le si<strong>le</strong>nce qui suivit ne fut pas interrompu. <strong>Les</strong> élus quittèrent la<br />

terrasse avec dépit. Arthur ne fut même pas réceptif à l'appel que lui fit<br />

son Echo, couvert par un juron frustré <strong>de</strong> Rachel.<br />

***<br />

On frappa à la porte <strong>de</strong> la petite chambre qui avait été attribuée à<br />

Arthur. Assis en tail<strong>le</strong>ur sur son lit, il sortit <strong>de</strong> sa léthargie pour répondre<br />

"Entrez". Sally s'introduisit alors dans la pièce semi obscure en faisant<br />

grincer la porte. El<strong>le</strong> était vêtue d'une robe <strong>de</strong> chambre blanche prêtée<br />

par <strong>le</strong>s djinns. Pour une fois el<strong>le</strong> avait <strong>le</strong>s cheveux détachés, <strong>le</strong>squels<br />

tombaient dru sur ses épau<strong>le</strong>s.<br />

"Tu ne dormais pas? fit-el<strong>le</strong>.<br />

-Je n'ai même pas envie d'essayer. Je suis encore en train <strong>de</strong> cogiter sur<br />

notre rapi<strong>de</strong> discussion avec Miliès. J'ai beau retourner ceci dans tous <strong>le</strong>s<br />

sens, aucune idée ne traverse mon esprit."<br />

Toujours sur <strong>le</strong> seuil <strong>de</strong> la pièce, Sally acquiesça tristement. El<strong>le</strong><br />

observa vaguement <strong>le</strong>s murs cou<strong>le</strong>ur pêche <strong>de</strong> la chambre. Cel<strong>le</strong>-ci était<br />

assez sobre : un lit, une tab<strong>le</strong> <strong>de</strong> chevet et un sol en parquet usé, quoique<br />

agrémenté d'un petit tapis rond <strong>de</strong> cou<strong>le</strong>ur mauve.<br />

5


"C'est pareil <strong>de</strong> notre côté, Roxana dort mais Rachel, Minilly et moi<br />

discutons <strong>de</strong>puis une heure. J'ai aperçu Elliott en train <strong>de</strong> mater <strong>le</strong> ciel<br />

<strong>de</strong>puis la terrasse. L'insomnie nous frappe tous.<br />

-Et Kaznaël, tu l'as croisé?<br />

-Non, il n'est pas revenu."<br />

Arthur regarda <strong>le</strong> ciel <strong>de</strong> nuit par la fenêtre. Le Protecteur n'avait<br />

pas daigné reparaître <strong>de</strong>puis sa fuite. Ses bou<strong>de</strong>ries n'avaient rien<br />

d'inhabituel mais cette fois <strong>le</strong> mal était plus profond.<br />

"Tu penses que ce type est vraiment inuti<strong>le</strong>? Qu'il est mort?<br />

-De qui par<strong>le</strong>-tu? <strong>de</strong>manda Arthur.<br />

-Tu sais bien, fit Sally en s'appuyant contre <strong>le</strong> mur. Le petit frère du dieu<br />

vivant.<br />

-Tu as <strong>le</strong> droit <strong>de</strong> dire son nom tu sais? (Il soupira) Honnêtement j'étais<br />

prêt à croire <strong>le</strong> contraire jusqu'à très récemment. Evi<strong>de</strong>mment il ne peut<br />

être que mort, mais il aurait pu nous avoir laissé quelque chose, un<br />

élément décisif. Miliès a plus ou moins sabordé cet espoir…<br />

-Je pense que je vais contacter Sonia pour lui faire part <strong>de</strong> tout ça. Nous<br />

avions promis <strong>de</strong> la tenir au courant grâce aux Echos. Avec un peu <strong>de</strong><br />

chance, la mission <strong>de</strong> nos copains s'est mieux passée. Peut-être même<br />

qu'el<strong>le</strong> aura <strong>de</strong> bonnes nouvel<strong>le</strong>s à m'annoncer histoire <strong>de</strong> me remonter<br />

un peu <strong>le</strong> moral. Toi tu <strong>de</strong>vrais… rechercher ton gar<strong>de</strong> du corps.<br />

-Tu crois? fit Arthur d'un ton surpris.<br />

-Il a beau jouer <strong>le</strong>s durs, il reste quelqu'un <strong>de</strong> fragi<strong>le</strong>. La scène <strong>de</strong> cet<br />

après-midi nous l'a prouvé. Tu sais, si la situation est aussi galère que je<br />

<strong>le</strong> crois, on ne peut pas se permettre <strong>de</strong> <strong>le</strong> perdre maintenant."<br />

El<strong>le</strong> prit congé après avoir prononcé ces paro<strong>le</strong>s. Arthur resta alors<br />

sur son lit quelques minutes à méditer là-<strong>de</strong>ssus. <strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux bou<strong>le</strong>s<br />

lumineuses suspendues au plafond <strong>de</strong> sa chambre projetaient <strong>de</strong>ux<br />

ombres <strong>de</strong> lui-même sur <strong>le</strong> sol, à la fois difformes et effilées. À ce<br />

moment, ces pensées allaient vers Nils, Anaïs et Samuel.<br />

"Al<strong>le</strong>z, je vais chercher cette tête <strong>de</strong> mu<strong>le</strong> <strong>de</strong> Kaz, murmura-t-il en se<br />

claquant <strong>le</strong>s joues pour se dynamiser."<br />

Il bondit <strong>de</strong> son lit, marcha sur la pointe <strong>de</strong>s pieds afin <strong>de</strong> réduire <strong>le</strong>s<br />

craquements sinistres émanant du parquet et quitta <strong>le</strong>s lieux. <strong>Les</strong> couloirs<br />

<strong>de</strong> l'étage, en pierre du sol au plafond, étaient si<strong>le</strong>ncieux. Il estima qu'il<br />

<strong>de</strong>vait être dix heures passées. Si <strong>le</strong>s djinns étaient aussi couche-tôt que<br />

Minilly, il ne risquait pas <strong>de</strong> croiser qui que ce soit. Il détala donc d'un pas<br />

rapi<strong>de</strong>, <strong>de</strong>scendit <strong>le</strong>s escaliers, traversa <strong>le</strong> Musée <strong>de</strong>s Richesses djinns (<strong>le</strong>s<br />

éclairages illuminant <strong>le</strong>s objets étaient toujours allumés) et sortit <strong>de</strong> la<br />

tour <strong>de</strong> Miliès.<br />

Corboïlum était littéra<strong>le</strong>ment mort. Il n'y avait pas un chat dans<br />

l'avenue. <strong>Les</strong> lumières <strong>de</strong>s maisons accrochées aux tiges <strong>de</strong>s Venils<br />

montraient toutefois que toute la communauté n'était pas blottie dans son<br />

5


lit. Un couvre-feu peut-être? Arthur imaginait bien qu'une tel<strong>le</strong> mesure fut<br />

<strong>le</strong> seul moyen <strong>de</strong> dissua<strong>de</strong>r <strong>le</strong>s djinns <strong>de</strong> commercer. Soulagé <strong>de</strong> savoir<br />

qu'il ne croiserait personne et qu'aucun ven<strong>de</strong>ur n'essaierait encore une<br />

fois <strong>de</strong> lui refourguer sa camelote <strong>de</strong> base, il ferma son col pour se<br />

protéger du vent frais qui parcourait la cité et avança au hasard sur la<br />

voie qui s'offrait à lui.<br />

A vrai dire il ne savait pas tel<strong>le</strong>ment où chercher Kaznaël. Sa seu<strong>le</strong><br />

conviction était que <strong>le</strong> Protecteur se serait réfugié dans un endroit où il ne<br />

risquait pas d'être importuné par qui que ce soit, un endroit où il pourrait<br />

exercer paisib<strong>le</strong>ment son asociabilité. Un tel lieu pouvait-il se trouver dans<br />

Corboïlum? "Si ça se trouve il est sorti <strong>de</strong> la cité… je vais en faire <strong>de</strong><br />

même! Peut-être que Makya l'aura vu passer." Arthur continua son<br />

chemin.<br />

Corboïlum prenait une toute autre dimension la nuit. El<strong>le</strong> semblait<br />

plus gran<strong>de</strong>, moins oppressante en l'absence <strong>de</strong> ses clients potentiels. <strong>Les</strong><br />

<strong>de</strong>vantures étaient cachées, repliées ou plongées dans <strong>le</strong> noir. Le pol<strong>le</strong>n<br />

<strong>de</strong>s Venils qui continuait à p<strong>le</strong>uvoir sur <strong>le</strong>s dal<strong>le</strong>s prenait une allure plus<br />

fantomatique et faisait penser aux luisances <strong>de</strong> Springan… <strong>le</strong>s parcel<strong>le</strong>s<br />

d'âmes <strong>de</strong>s Sorgenteli, se rappela Arthur avec embarras. Il aurait du mal<br />

à retourner dans la baie sans y repenser. Se promener dans un cimetière<br />

n'était pas tel<strong>le</strong>ment différent.<br />

Un bruit <strong>de</strong> froissement à vous glacer <strong>le</strong> sang interrompit l'avancée<br />

d'Arthur. Tous <strong>le</strong>s sens en éveil, il sortit <strong>le</strong>s mains <strong>de</strong>s poches et observa<br />

<strong>le</strong>s a<strong>le</strong>ntours. On ne voyait pas grand' chose, il n'y avait pas la moindre<br />

forme d'éclairage, même primaire, à l'extérieur. <strong>Les</strong> fenêtres <strong>de</strong>s maisons<br />

jetaient <strong>de</strong> rares oasis <strong>de</strong> lumière dans l'avenue. Il se dit qu'il s'agissait<br />

juste <strong>de</strong> son imagination et s'apprêta à repartir.<br />

C'est alors qu'un nouveau bruit lui titilla l'oreil<strong>le</strong>. Le froissement lui<br />

parvenait <strong>de</strong> loin, <strong>de</strong> manière répétée. Cette fois cependant, il pensait<br />

savoir d'où était venu <strong>le</strong> son. Il fit un quart <strong>de</strong> tour sur lui-même. À sa<br />

gauche se trouvait une petite artère très obscure, située entre une<br />

boulangerie et un tail<strong>le</strong>ur. Il hésita. Le passage n'était pas tel<strong>le</strong>ment<br />

glauque. C'était surtout <strong>le</strong>s ténèbres qui y régnaient qui <strong>le</strong> dissuadaient <strong>de</strong><br />

s'y rendre, ainsi que l'instinct <strong>de</strong> survie que lui avait inculqué Eric Gall.<br />

"Fiston, si ça a l'air sombre et dangereux, c'est que ça l'est! Fais <strong>de</strong>mitour<br />

et tu seras certain <strong>de</strong> rentrer avec ta montre et ton portefeuil<strong>le</strong>".<br />

Le grand-père Gall était aussi froussard qu'un oisillon tombé du nid.<br />

Au mieux, Arthur tomberait sur Kaznaël qui était probab<strong>le</strong>ment la source<br />

<strong>de</strong> ces sons étranges. Au pire, il <strong>de</strong>vrait affronter <strong>le</strong>s oiseaux radars <strong>de</strong>s<br />

djinns ou sa propre ombre. Il s'engagea donc dans la voie.<br />

L'artère était plutôt étroite. Trois individus n'auraient pas pu y<br />

marcher côtes à côtes. D'ail<strong>le</strong>urs, rien ne s'y trouvait, ni commerce, ni<br />

habitation, ce qui était remarquab<strong>le</strong> vu l'urbanisme développé à<br />

Corboïlum. <strong>Les</strong> pas d'Arthur résonnaient, amplifiés par <strong>le</strong>s murs épais <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux commerces, au point qu'il craignit d'attirer l'attention <strong>de</strong>s djinns.<br />

Heureusement, il lui fallut à peine quelques secon<strong>de</strong>s pour sortir.<br />

5


Il fut alors surpris <strong>de</strong> tomber sur <strong>de</strong>s tiges <strong>de</strong> Venils, espacées et<br />

aussi épaisses que <strong>de</strong>s troncs d'arbres, à la surface entièrement<br />

recouverte d'un fin duvet blanc. Il <strong>de</strong>vait être sorti <strong>de</strong> la partie citadine <strong>de</strong><br />

Corboïlum, ce qui faillit l'inciter à faire <strong>de</strong>mi-tour. Pourtant il ne <strong>le</strong> fit pas,<br />

déterminé à retrouver Kaznaël et à lui dire <strong>de</strong>ux mots. Quel<strong>le</strong> idée aussi<br />

<strong>de</strong> décamper en p<strong>le</strong>in milieu d'une discussion aussi importante?<br />

Le froissement se fit entendre une <strong>de</strong>rnière fois, <strong>de</strong> façon plus<br />

marquée, puis ce fut <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce. Arthur aurait été plongé dans <strong>le</strong> noir <strong>le</strong><br />

plus total si une lueur singulière n'avait pas attiré son attention, <strong>de</strong>rrière<br />

<strong>le</strong>s tiges <strong>de</strong> Venils auxquels il faisait face. Une lumière grisâtre qui<br />

semblait se diffuser un ou <strong>de</strong>ux mètres au-<strong>de</strong>ssus du sol, <strong>de</strong> façon<br />

presque nuageuse. Intrigué, il ne put s'empêcher d'avancer d'un pas<br />

mesuré, passant entre <strong>le</strong>s Venils géants. Aucune forme <strong>de</strong> peur ne <strong>le</strong><br />

tançait, la curiosité prédominait.<br />

Il lui fallut bien marcher une minute avant <strong>de</strong> parvenir à son<br />

objectif. Là, une barrière naturel<strong>le</strong> constituée par cinq tiges <strong>de</strong> Venils<br />

semblait gar<strong>de</strong>r la route, ne laissant qu'un espace réduit entre chacune<br />

d'el<strong>le</strong>s. Juste assez pour qu'un individu aussi mince que lui puisse passer<br />

sans trop se forcer. Arthur s'arrêta. Son cœur battait la chama<strong>de</strong> car il<br />

pensait <strong>de</strong>viner quel lieu était dissimulé par ces tiges. Il n'avait sans doute<br />

pas <strong>le</strong> droit <strong>de</strong> s'y rendre mais la pulsion du moment était plus forte que la<br />

raison. Convaincu qu'il ne serait pas sanctionné si on <strong>le</strong> prenait la main<br />

dans la sac, il glissa d'abord la jambe là où <strong>le</strong>s Venils semblaient <strong>le</strong>s moins<br />

resserrées puis <strong>le</strong> reste du corps.<br />

Arthur foulait <strong>le</strong> sol sab<strong>le</strong>ux d'une étrange clairière formée par <strong>de</strong>s<br />

Venils si hauts que seul un disque <strong>de</strong> ciel était visib<strong>le</strong>. Un vif éclat aux<br />

allures d'un nuage <strong>de</strong> poussière scintillant nimbait <strong>le</strong>s lieux d'une aura<br />

mystique. Cette étrange lumière était produite par une petite étendue<br />

d'eau d'apparence profon<strong>de</strong>, située exactement au centre <strong>de</strong> la clairière.<br />

El<strong>le</strong> faisait penser à ces trous d'eau utilisés pour s'entraîner à l'immersion.<br />

Sa surface était limpi<strong>de</strong>, protégée <strong>de</strong> la moindre brise <strong>de</strong> vent par<br />

l'immense barrière végéta<strong>le</strong> qui l'entourait. El<strong>le</strong> avait la même texture que<br />

l'eau <strong>de</strong> la Baie <strong>de</strong> Springan. Le Berceau.<br />

Un nouveau froissement… non, un battement d'ai<strong>le</strong>s obligea Arthur à<br />

se détacher <strong>de</strong> cette vision. Il émit un cri et sursauta lorsqu'un éclair<br />

foudroya <strong>le</strong> sol, tout près <strong>de</strong> l'eau et donna vie au lieu. Sa vue ne revint<br />

qu'au bout <strong>de</strong> quelques secon<strong>de</strong>s.<br />

Trois personnes se tenaient <strong>de</strong>vant lui lorsqu'il ouvrit <strong>le</strong>s yeux. En<br />

<strong>le</strong>s i<strong>de</strong>ntifiant il fut partagé entre surprise et horreur. Au premier plan,<br />

<strong>de</strong>ux camara<strong>de</strong>s qu'il n'avait pas revu <strong>de</strong>puis ce qui lui semblait être une<br />

éternité, <strong>de</strong>s personnes qui n'étaient pas censées se trouver à Sorgentel.<br />

Juste <strong>de</strong>rrière eux, l'une <strong>de</strong> ses pires ennemies, émergeant d'un<br />

nuage <strong>de</strong> fumée. Il gardait <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur <strong>de</strong>rnière rencontre un souvenir amer,<br />

marqué par <strong>le</strong>urs échanges <strong>de</strong> lames.<br />

"Mais…, bafouilla Arthur."<br />

5


Xenia et Andreas toisèrent Arthur d'un regard surpris. Ils<br />

paraissaient désorientés.<br />

"Ma foi, <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> est petit, constata Munin en étirant ses bras pour<br />

s'adapter à son apparence humaine.<br />

-Xenia? Andreas? Qu'est-ce que… Que faites-vous avec el<strong>le</strong>?"<br />

Andreas secoua la tête.<br />

"On t'expliquera plus tard Arthur. Va chercher <strong>le</strong>s autres.<br />

-Quoi? Pourquoi?<br />

-On doit <strong>de</strong>scendre là-<strong>de</strong>dans, dit calmement Andreas en désignant <strong>le</strong><br />

Berceau."<br />

5


Chapitre 35 : Le Tombeau <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an<br />

La seu<strong>le</strong> évocation <strong>de</strong> ce prénom avait suffi à <strong>le</strong> convaincre <strong>de</strong> <strong>le</strong>s<br />

suivre. Comment en étaient-ils arrivés là, comment étaient-ils au fait <strong>de</strong><br />

ses contacts avec lui? Il chercherait à <strong>le</strong> savoir plus tard. Apparemment il<br />

n'y avait pas <strong>de</strong> temps à perdre.<br />

Arthur était reparti au trip<strong>le</strong> galop vers la tour <strong>de</strong> Miliès, toujours<br />

sans croiser âme qui vive. L'ambiance avait pourtant quelque chose <strong>de</strong><br />

différent alors qu'il effectuait son trajet <strong>de</strong> retour. La nuit prenait <strong>de</strong>s<br />

allures plus oppressantes, l'air se faisait plus sec et lui irritait la gorge. Il<br />

courait la bouche ouverte, oubliant presque <strong>de</strong> respirer. Et Kaznaël qui<br />

n'avait toujours pas reparu.<br />

"Samuel…"<br />

Arthur se sentait hors <strong>de</strong> son corps. Tout ce qui suivit sa rencontre<br />

avec Munin, Xenia et Andreas se déroula en accéléré, sans qu'il ne sût<br />

comment ni pourquoi. En à peine quelques minutes, il tira Sally et Rachel<br />

<strong>de</strong> <strong>le</strong>urs lits, <strong>de</strong>manda à Minilly <strong>de</strong> confier la surveillance <strong>de</strong> Roxana à<br />

Cérès et intercepta Elliott alors que celui-ci revenait vers sa chambre.<br />

"Bon sang, qu'est-ce qui se passe Arthur? avait crié Sally, à moitié<br />

endormie. Tu es complètement ahuri!"<br />

Il avait bafouillé <strong>de</strong>s phrases incohérentes au sujet du Berceau, <strong>de</strong> la<br />

disparition <strong>de</strong> Kaznaël, d'une <strong>de</strong>scente sous <strong>le</strong> champ <strong>de</strong> Venils, <strong>de</strong><br />

l'arrivée inattendue <strong>de</strong> Xenia et Andreas… En entendant ces noms, Sally et<br />

Rachel furent enfin convaincues et partirent s'habil<strong>le</strong>r à la hâte, tandis<br />

qu'Elliott allait récupérer <strong>le</strong>s affaires qu'ils souhaitaient emmener. Arthur<br />

en profita pour repasser dans sa chambre, manquant <strong>de</strong> trébucher à<br />

plusieurs reprises dans sa hâte. "Je dois au moins prendre ça avec moi"<br />

pensa-t-il, l'esprit embrumé. Il finit par <strong>le</strong> trouver dans son sac à dos et <strong>le</strong><br />

glissa dans sa poche. Il se précipita ensuite <strong>de</strong>hors pour retrouver ses<br />

compagnons.<br />

Une seu<strong>le</strong> pensée rationnel<strong>le</strong> avait surnagé dans <strong>le</strong> flot bouillant et<br />

incontrôlab<strong>le</strong> d'explications qu'il avait fournies à ses amis : "Ne pas par<strong>le</strong>r<br />

<strong>de</strong> Sam tout <strong>de</strong> suite…"<br />

Une fois prêts, tous <strong>le</strong>s quatre repartirent vers <strong>le</strong> Berceau au pas <strong>de</strong><br />

course, sans par<strong>le</strong>r. Sally avait eu beau poser toutes <strong>le</strong>s questions du<br />

mon<strong>de</strong>, Arthur lui avait toujours répondu par "Tout à l'heure…".<br />

Lorsqu'ils eurent traversé <strong>le</strong> champ <strong>de</strong> Venils et passé la barrière <strong>de</strong><br />

f<strong>le</strong>urs protégeant <strong>le</strong> Berceau, Arthur constata avec horreur que Munin était<br />

la seu<strong>le</strong> présente sur <strong>le</strong>s lieux, sa peau teintée par la lueur grisâtre qui<br />

émanait <strong>de</strong> la source. <strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux autres élus n'étaient plus là.<br />

"Munin… Comme on se retrouve, fit Elliott d'un air surpris."<br />

5


Munin ne se décomposa pas. Sally non plus. Bâton à la main, el<strong>le</strong><br />

avança d'un pas déterminé vers <strong>le</strong> membre <strong>de</strong> la Confrérie qui <strong>le</strong>ur faisait<br />

face <strong>le</strong> sourire aux lèvres.<br />

"Qu'est-ce que tu as fait <strong>de</strong> nos amis? Comment <strong>le</strong>s as-tu piégés,<br />

pétasse?<br />

-Piégés? Tu utilises <strong>de</strong> bien grands mots pour une si jeune fil<strong>le</strong>, dit Munin<br />

d'un ton miel<strong>le</strong>ux."<br />

El<strong>le</strong> brandit sa lance, la fit tourner au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> sa tête, puis<br />

trancha <strong>le</strong> vi<strong>de</strong> dans un siff<strong>le</strong>ment stri<strong>de</strong>nt. La pointe <strong>de</strong> l'arme,<br />

prolongement naturel du bras <strong>de</strong> la lancière vêtue <strong>de</strong> noire, menaça <strong>le</strong><br />

front <strong>de</strong> Sally. Cette <strong>de</strong>rnière s'arrêta.<br />

Soudain Munin haussa <strong>le</strong>s sourcils et vit son bras se replier <strong>de</strong> luimême,<br />

comme s'il avait été victime <strong>de</strong>s fils d'un marionnettiste. L'un<br />

après l'autre, ses doigts crispés relâchèrent <strong>le</strong>ur emprise sur la lance,<br />

laquel<strong>le</strong> finit par tomber avec un bruit sourd. Son bras continua son <strong>le</strong>nt<br />

mouvement vers l'arrière et se plia douloureusement dans son dos. Une<br />

lueur d'admiration traversa toutefois son regard, dirigé vers Rachel.<br />

"Sally t'a <strong>de</strong>mandé ce que tu as fait <strong>de</strong> nos amis, déclara l'élue, sourcils<br />

froncés. Réponds.<br />

-Rien qui ne puisse <strong>le</strong>ur porter préjudice…<br />

-Mais encore?<br />

-Haaaaa, soupira Munin d'un air amusé. Vous êtes si manichéens que c'en<br />

est presque naïf. Croyez-vous réel<strong>le</strong>ment que tout ce qui n'est pas blanc<br />

est inexorab<strong>le</strong>ment noir?"<br />

Arthur mourait d'envie d'invoquer Drydock pour la faire par<strong>le</strong>r mais<br />

Rachel lui paraissait en assez bonne position pour <strong>le</strong> faire mieux que lui.<br />

C'est alors que <strong>le</strong> sol se mit à vibrer doucement, provoquant par la même<br />

occasion une sorte <strong>de</strong> ronf<strong>le</strong>ment souterrain. Tous, y compris Munin,<br />

furent déstabilisés par ce mouvement inattendu. La surface du Berceau<br />

était parcourue <strong>de</strong> tressautements. L'eau se mit rapi<strong>de</strong>ment à bouillonner.<br />

Puis, par un phénomène inexpliqué, l'eau se retira progressivement <strong>de</strong><br />

l'étroite cuvette, comme si l'on avait en<strong>le</strong>vé une bon<strong>de</strong> au fond d'une<br />

baignoire.<br />

"Qu'est-ce qui se passe? Un tremb<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> terre? s'exclama Rachel en<br />

s'accrochant à Arthur pour ne pas tomber.<br />

-Je n'en sais rien!"<br />

Minilly arriva sur la scène en volant et atterrit auprès <strong>de</strong>s élus. Sally<br />

lui avait <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> <strong>le</strong>s rejoindre dès qu'el<strong>le</strong> aurait informé Cérès <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur<br />

départ. El<strong>le</strong> fut horrifiée, d'autant plus que <strong>le</strong>s tiges <strong>de</strong>s Venils se<br />

balançaient <strong>de</strong> gauche à droite avec une régularité troublante.<br />

"Qu'avez-vous donc fait au Berceau? C'est quoi ça?<br />

5


-On n'y est pour rien voyons!"<br />

L'emprise <strong>de</strong> Rachel sur Munin diminuait à mesure que l'étrange<br />

phénomène sismique gagnait en puissance.<br />

"Mer<strong>de</strong>, jura Rachel, déséquilibrée. Je n'arrive plus à me concentrer.<br />

-Sayonara, lança Munin en <strong>le</strong>ur faisant un signe <strong>de</strong> main."<br />

El<strong>le</strong> récupéra sa lance en la faisant s'é<strong>le</strong>ver du bout du pied puis<br />

disparut dans un éclair, avant que quiconque n'ait eu l'opportunité <strong>de</strong> l'en<br />

empêcher. Arthur poussa un cri <strong>de</strong> rage. El<strong>le</strong> <strong>le</strong>ur filait entre <strong>le</strong>s doigts<br />

sans <strong>le</strong>ur avoir donné la moindre explication. Presque au même moment,<br />

<strong>le</strong> tremb<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> terre cessa, aussi abruptement qu'il avait débuté.<br />

<strong>Les</strong> élus se regardèrent <strong>le</strong>s uns <strong>le</strong>s autres, dans l'expectative. La<br />

terre ne semblait pas sur <strong>le</strong> point <strong>de</strong> se remettre à tremb<strong>le</strong>r. Cette<br />

certitu<strong>de</strong> acquise, Sally se remit <strong>de</strong>bout (el<strong>le</strong> était tombée à genoux) et<br />

s'approcha du Berceau qui, mystérieusement vidé <strong>de</strong> son eau, ressemblait<br />

désormais à un orbite dépourvu <strong>de</strong> son œil.<br />

"Ah… Sally! fit Andreas en sortant soudain du trou. Désolé, on ne voulait<br />

pas vous faire peur."<br />

La jeune femme hurla d'abord <strong>de</strong> peur, puis <strong>de</strong> joie en reconnaissant<br />

Andreas et Xenia qui émergeait à son tour du Berceau. <strong>Les</strong> retrouvail<strong>le</strong>s<br />

entre <strong>le</strong>s amis furent brèves mais intenses. En retrait, Arthur était captivé<br />

par l'apparence globa<strong>le</strong> d'Andreas. Ses cheveux étaient encore plus en<br />

pétard qu'à l'accoutumée et il y avait <strong>de</strong> nombreuses micro égratignures<br />

sur ses avant-bras et son visage. Xenia quant à el<strong>le</strong>, était tout à fait<br />

norma<strong>le</strong>. Anorma<strong>le</strong>ment norma<strong>le</strong>, pensa-t-il. Tous <strong>de</strong>ux étaient en tenues<br />

civi<strong>le</strong>s.<br />

"D'où vous sortez? fit Rachel.<br />

-Nous étions allés jeter un œil à l'intérieur en attendant qu'Arthur ne<br />

revienne avec vous, expliqua Xenia. Il y a <strong>de</strong>s escaliers."<br />

Arthur partit vérifier, interloqué. En effet, l'eau du Berceau s'était<br />

évaporée. Le début d'un escalier aux marches blanches immaculées,<br />

s'enfonçant sous terre, était apparu à sa place. Une drô<strong>le</strong> <strong>de</strong> lumière<br />

filtrait du passage.<br />

"Se pourrait-il qu'il s'agisse du fameux trajet souterrain utilisé par <strong>le</strong>s<br />

Velléités pour aboutir dans <strong>le</strong> Berceau? souffla Minilly, émerveillée. Si <strong>le</strong>s<br />

autres voyaient ce que je vois…<br />

-Que faisiez-vous ici avec Munin? interrogea Sally. El<strong>le</strong> vous a capturés?"<br />

Andreas fit "Non" <strong>de</strong> la tête.<br />

"El<strong>le</strong> nous a aidés à venir à Sorgentel, expliqua Xenia d'un air troublé.<br />

5


-Quoi??<br />

-On lui a apparemment ordonné <strong>de</strong> venir nous chercher là où nous étions,<br />

à Dres<strong>de</strong>, <strong>de</strong> nous convaincre <strong>de</strong> la suivre et <strong>de</strong> nous mener jusqu'ici, sur<br />

<strong>le</strong> seuil du Berceau. El<strong>le</strong> savait que vous seriez là.<br />

-Comment savait-el<strong>le</strong> que…<br />

-Samuel <strong>le</strong> lui a dit, n'est-ce pas Arthur?"<br />

<strong>Les</strong> paro<strong>le</strong>s d'Andreas, bien que dénuées d'agressivité, frappèrent<br />

Arthur <strong>de</strong> p<strong>le</strong>in fouet. Le regard du jeune homme montrait qu'il était bel et<br />

bien au courant. Ce n'était pas plus mal fina<strong>le</strong>ment. Il était temps <strong>de</strong><br />

révé<strong>le</strong>r son secret, comme il l'avait fait avec Jamie.<br />

"De quoi par<strong>le</strong>-t-il Art? fit Sally d'un air perp<strong>le</strong>xe. Samuel?<br />

-Samuel… (Arthur prit une longue inspiration.)<br />

-Oui?<br />

-Samuel… C'est vrai, j'ai… gardé contact avec lui <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s mois. Il est<br />

<strong>de</strong>s nô…<br />

-Tu as gardé contact avec…"<br />

Le poing <strong>de</strong> Sally <strong>le</strong> frappa bien plus fort que <strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s d'Andreas.<br />

<strong>Les</strong> pieds d'Arthur décollèrent et il se retrouva au sol, sonné, la mâchoire<br />

douloureuse. Face à lui, Sally <strong>le</strong> poinçonnait <strong>de</strong> ses yeux enragés.<br />

"Tu as gardé contact avec Samuel!? Ce TRAÎTRE qui a tué tous nos<br />

aînés!? Tu te fiches <strong>de</strong> moi?"<br />

Si Andreas et Xenia ne l'avaient pas retenue, el<strong>le</strong> se serait ruée sur lui.<br />

"Tu as gardé contact avec lui? répéta Sally. Où sont passées tes bel<strong>le</strong>s<br />

paro<strong>le</strong>s sur l'amitié et la vengeance Arthur? Tu étais <strong>le</strong> premier à dire que<br />

tu lui ferais la peau si jamais tu <strong>le</strong> recroisais! LÂCHEZ-MOI VOUS AUTRES!<br />

-Tu ne comprends pas Sally, tenta <strong>de</strong> se justifier Arthur.<br />

-Dans ce cas explique nous pourquoi Samuel sait que nous sommes à<br />

Corboïlum et pourquoi il nous a envoyé Munin, intervint Rachel, tout aussi<br />

furieuse. C'est peut-être à cause <strong>de</strong> toi que <strong>le</strong> clan d'Azulnot nous a pistés<br />

si rapi<strong>de</strong>ment."<br />

Sally continuait à se débattre pour se libérer <strong>de</strong> l'étreinte <strong>de</strong> Xenia<br />

et Andreas. En arrière-plan, Elliott et Minilly ne disaient rien, se<br />

contentant <strong>de</strong> l'observer d'un air partagé. Arthur <strong>le</strong>ur fut reconnaissant <strong>de</strong><br />

ne pas en rajouter. Cependant, une sensation d'injustice commençait à<br />

brû<strong>le</strong>r en lui.<br />

"Arthur! hurla Sally, hors d'el<strong>le</strong>.<br />

-SAMUEL N'EST PAS UN TRAÎTRE! s'égosilla-t-il."<br />

5


Sally s'était libérée en repoussant vio<strong>le</strong>mment Xenia, puis Andreas<br />

sur <strong>le</strong> côté. El<strong>le</strong> se saisit alors d'Arthur par <strong>le</strong> col, <strong>le</strong> remit <strong>de</strong>bout et <strong>le</strong><br />

repoussa jusqu'à la tige d'un Venil contre laquel<strong>le</strong> el<strong>le</strong> <strong>le</strong> plaqua.<br />

"Comment peux-tu penser que ce n'est pas un traître? Tu es stupi<strong>de</strong> ou<br />

naïf? Tu réalises ce que ce type nous a fait? Ce qu'il a fait à Sonia!? À<br />

Mme Jones? Je croyais que tu avais coupé tous tes liens avec lui!<br />

-Calme toi! Je ne suis pas stupi<strong>de</strong>… je ne suis pas non plus un traître,<br />

murmura Arthur en saisissant fermement <strong>le</strong> poignet <strong>de</strong> Sally."<br />

Cette fois c'est lui qui la repoussa, à sa gran<strong>de</strong> stupeur.<br />

"Samuel a été piégé par Primo <strong>de</strong>puis <strong>le</strong> début. Il a fait <strong>de</strong>s erreurs mais<br />

ce n'est pas un traître… Du moins il ne l'est plus! Il me l'a prouvé.<br />

-Tu racontes <strong>de</strong>s conneries!<br />

-C'est toi qui ne comprends pas! Tu <strong>de</strong>vrais être aussi ouverte que Jamie!<br />

Il m'a cru sans douter une secon<strong>de</strong> lui!"<br />

Sally écarquilla <strong>le</strong>s yeux, choquée.<br />

"Lui aussi il…<br />

-Ca suffit Sally, cria soudain Xenia."<br />

L'intervention bruta<strong>le</strong> <strong>de</strong> Xenia, si différente <strong>de</strong> son attitu<strong>de</strong><br />

généra<strong>le</strong>ment douce, interpella tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>. El<strong>le</strong> avait <strong>le</strong>s poings serrés.<br />

"J'ai eu du mal à <strong>le</strong> croire moi aussi mais ce que dit Arthur est vrai. Munin<br />

nous a expliqué… Cela fait dix ans que Samuel essaie <strong>de</strong> détruire la<br />

Confrérie <strong>de</strong> l'intérieur. Il a été dupé par Primo lorsqu'il était jeune et a<br />

fait <strong>de</strong>s choses répréhensib<strong>le</strong>s mais… il n'est pas responsab<strong>le</strong> <strong>de</strong> la mort<br />

<strong>de</strong> la génération précé<strong>de</strong>nte. Tout ceci n'était qu'un acci<strong>de</strong>nt.<br />

-C'est vrai, il est sous la surveillance étroite <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> la Confrérie<br />

mais il joue doub<strong>le</strong> jeu, c'est Munin el<strong>le</strong>-même qui l'a affirmé, ajouta<br />

Andreas en baissant <strong>le</strong>s yeux.<br />

-Vous êtes tous dingues, s'écria Rachel. Comment pouvez-vous croire ce<br />

que dit cette femme!? Il s'agit d'un piège <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce! Je ne peux<br />

pas croire qu'Arthur soit un traître (Arthur <strong>le</strong>va <strong>le</strong>s yeux vers el<strong>le</strong>, sidéré)<br />

mais il est évi<strong>de</strong>nt qu'il a été manipulé et que vous aussi!"<br />

Malgré <strong>le</strong> scepticisme aigu <strong>de</strong> Rachel, Arthur apprécia <strong>le</strong> fait qu'el<strong>le</strong><br />

ne remette pas en cause son intégrité, là où Sally l'avait immédiatement<br />

accusé <strong>de</strong> félonie.<br />

"Je ne suis pas manipulé, dit-il calmement. Anaïs me croit, Jamie aussi.<br />

Même Kaznaël…"<br />

Cet argument eut manifestement peu d'effet sur Sally et Rachel.<br />

5


"Explique-toi dans ce cas, dit Elliott d'une voix neutre. Nous t'offrons<br />

l'opportunité <strong>de</strong> te justifier. Est-ce que ce n'est pas ton amitié avec<br />

Samuel qui te pousse à croire ce qu'il dit?<br />

-Non, ça n'a rien à voir, répondit Arthur, surpris <strong>de</strong> cette réf<strong>le</strong>xion posée.<br />

Moi aussi j'ai voulu la peau <strong>de</strong> Samuel jusqu'à très récemment. Ce que je<br />

t'ai dit sur la vengeance, je <strong>le</strong> pensais Sally! Cependant Samuel m'a<br />

expliqué tout ce qui s'est passé et ça tient la route!"<br />

Bien que <strong>le</strong> temps fut en train <strong>de</strong> s'écou<strong>le</strong>r dangereusement, Arthur<br />

se lança dans une long résumé <strong>de</strong>s révélations que lui avait fait Samuel<br />

au sujet <strong>de</strong> lui-même, <strong>de</strong> la première génération et <strong>de</strong> la Confrérie. Il<br />

savait que c'était un passage obligé, autrement ses amis ne <strong>le</strong> suivraient<br />

pas. Ils refuseraient <strong>de</strong> se rendre dans <strong>le</strong> Berceau avec lui pour retrouver<br />

Samuel.<br />

Arthur expliqua tout ce qu'il savait, tout ce qui était susceptib<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

prouver la bonne foi <strong>de</strong> Samuel. L'emprise menta<strong>le</strong> qu'avait Primo sur <strong>le</strong>s<br />

membres <strong>de</strong> la Confrérie et qui <strong>le</strong>s empêchait <strong>de</strong> révé<strong>le</strong>r quoi que ce soit à<br />

son sujet, la rencontre d'Anaïs avec Nils, <strong>le</strong>quel avait affirmé sa confiance<br />

tota<strong>le</strong> en Samuel, <strong>le</strong>urs rencontres à Paris et à Salvacion, <strong>le</strong> simp<strong>le</strong> fait<br />

qu'il ne l'ait pas tué lorsqu'ils s'étaient affrontés dans la Sal<strong>le</strong> <strong>de</strong>s archives<br />

du Cénac<strong>le</strong>.<br />

"Et Maya, la gardienne du Sanctuaire <strong>de</strong> glace? <strong>de</strong>manda sèchement Sally<br />

bien qu'el<strong>le</strong> fut <strong>de</strong> plus en plus gagnée par <strong>le</strong> doute.<br />

-Il a voulu la prévenir mais il est arrivé trop tard, Zahran ou un autre<br />

membre <strong>de</strong> la Confrérie l'avait déjà tuée.<br />

-Dans ce cas pourquoi a-t-il laissé Casca<strong>de</strong> sur place?<br />

-Cela faisait partie <strong>de</strong>s ordres <strong>de</strong> Primo, mais c'était aussi dans notre<br />

intérêt! Le contact que j'ai eu avec Casca<strong>de</strong> a contribué à réveil<strong>le</strong>r mon<br />

don! Bon sang Sally, rappel<strong>le</strong> toi que tu as combattu <strong>le</strong>s Adrame<strong>le</strong>ch grâce<br />

à Casca<strong>de</strong>! Samuel nous l'a probab<strong>le</strong>ment laissée exprès en sachant que<br />

l'on pourrait se défendre avec! Il aurait pu la récupérer beaucoup plus tôt!<br />

-Il t'a empalé avec juste après, répliqua Rachel. Je n'étais pas là mais…<br />

-Il ne m'a pas tué! Il a juste renforcé <strong>le</strong>s apparences, s'irrita Arthur.<br />

Croyez-moi!"<br />

Soudain, l'évi<strong>de</strong>nce lui sauta aux yeux.<br />

"C'est lui qui m'a remis Altaïr lors <strong>de</strong> la mission!"<br />

Cette fois, la tête <strong>de</strong> Sally et Rachel marquèrent simultanément un<br />

mouvement <strong>de</strong> recul.<br />

"Il l'avait retrouvé avant et a dupé Primo, en lui faisant croire que je lui ai<br />

pris <strong>de</strong> force alors qu'en fait non! Sans Samuel nous n'aurions même pas<br />

une créature! Pourquoi ferait-il ça, même pour jouer avec <strong>le</strong>s<br />

apparences!? Pourquoi un membre fidè<strong>le</strong> <strong>de</strong> la Confrérie nous donnerait<br />

volontairement l'une <strong>de</strong>s créatures plutôt que d'obtenir <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux et d'en<br />

5


finir avec nous? Vous êtes <strong>de</strong>s gens rationnels alors réfléchissez-y!<br />

Croyez-moi bon sang!"<br />

Son regard alla consécutivement vers chacune <strong>de</strong>s personnes<br />

présentes. Andreas et Xenia n'avaient plus besoin d'être convaincus,<br />

Elliott non plus visib<strong>le</strong>ment. Minilly et Rachel étaient sur <strong>le</strong> point <strong>de</strong> faire<br />

pencher la balance mais Sally était encore bien trop indécise. D'ail<strong>le</strong>urs<br />

el<strong>le</strong> refusait <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r Arthur dans <strong>le</strong>s yeux. Sa méfiance naturel<strong>le</strong> et<br />

son statut <strong>de</strong> <strong>le</strong>a<strong>de</strong>r l'incitaient à continuer à nier ces affirmations. C'était<br />

à se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si el<strong>le</strong> était butée ou trop zélée.<br />

"Moi je veux bien t'accor<strong>de</strong>r <strong>le</strong> bénéfice du doute…"<br />

Arthur eut du mal à <strong>le</strong> croire. Entendre cette voix ici était inopiné<br />

mais sa présence ne faisait aucun doute. Sonia, <strong>le</strong>ur instructrice, se tenait<br />

là, comme si <strong>de</strong> rien n'était. A croire que <strong>le</strong>s élus débarquaient <strong>le</strong>s uns<br />

après <strong>le</strong>s autres, appelés par une force surnaturel<strong>le</strong>. Ce n'est qu'en voyant<br />

Asuka à côté d'el<strong>le</strong> qui comprit ce qui s'était passé.<br />

"Sonia? Que fais-tu ici… toi aussi? Tu <strong>de</strong>vrais être à… A… ASUKA!? bégaya<br />

Rachel, dépassée par toutes ces surprises.<br />

-J'ai reçu la communication <strong>de</strong> Sally tout à l'heure et j'ai décidé <strong>de</strong> venir<br />

pour vous soutenir un peu, étant donné que <strong>le</strong>s actions <strong>de</strong> Falgarnost sont<br />

en suspens, expliqua Sonia, <strong>le</strong>s yeux dans <strong>le</strong> vi<strong>de</strong>. Je n'avais pas prévenu<br />

Sally <strong>de</strong> ma venue mais <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce j'aurais dû. Je ne pensais pas<br />

tomber au milieu d'une tel<strong>le</strong> conversation. Vous êtes si énervés que vous<br />

n'avez même pas remarqué notre arrivée. Ce n'est pas digne <strong>de</strong> vous."<br />

Asuka se cachait <strong>de</strong>rrière el<strong>le</strong>, un peu gêné par la situation. Tous<br />

<strong>de</strong>ux portaient <strong>le</strong>s tenues blanches et argentées <strong>de</strong> la Milice, sans <strong>le</strong>s<br />

pièces d'armure.<br />

"Je n'avais qu'à me focaliser sur l'un d'entre vous pour venir ici, même si<br />

je n'étais jamais venu à Corboïlum, souffla Asuka comme s'il ne voulait<br />

pas être mêlé à la dispute. Salut Andy et Xenia!<br />

-Asuka, répondit Andreas en hochant la tête."<br />

Arthur observa Sonia <strong>de</strong>s pieds à la tête, se <strong>de</strong>mandant s'il avait<br />

bien entendu ce qu'el<strong>le</strong> avait déclaré au moment où <strong>le</strong>s élus avaient noté<br />

sa présence.<br />

"Tu m… me crois Sonia? dit-il d'une voix qui dénotait à la fois incrédulité<br />

et espoir.<br />

-J'ai toujours su que quelque chose… était trop carré dans cette histoire,<br />

dit-el<strong>le</strong> après un moment d'hésitation. Clair comme <strong>de</strong> l'eau roche, non.<br />

Anguil<strong>le</strong> sous roche, oui, ajouta-t-el<strong>le</strong> mystérieusement, sans que<br />

personne autour ne comprenne ce à quoi el<strong>le</strong> faisait allusion. Si je n'avais<br />

pas entendu <strong>le</strong>s explications d'Arthur je serais comme toi Sally. Toutefois…<br />

6


tout ceci confirme <strong>le</strong>s doutes que j'ai eu après l'échec <strong>de</strong> la Concrétisation<br />

et je tiens à entendre la vérité <strong>de</strong> Samuel lui-même. Oui, pour répondre à<br />

ta question (el<strong>le</strong> se tourna vers Arthur) je crois en la confiance que tu lui<br />

accor<strong>de</strong>s. Quant à lui, je ne lui accor<strong>de</strong> que <strong>le</strong> bénéfice du doute."<br />

Une immense gratitu<strong>de</strong> envahit Arthur. Jamais il n'aurait pensé que<br />

Sonia aurait la sérénité d'esprit nécessaire à un tel acte. Il s'était toujours<br />

imaginé qu'el<strong>le</strong> serait la plus diffici<strong>le</strong> à convaincre. Le bénéfice du doute,<br />

c'était déjà un début.<br />

"Si tu te trompes, je <strong>le</strong> tuerai sur <strong>le</strong> coup, conclut Sonia d'un air grave, en<br />

pointant du doigt l'arbalète suspendue à sa ceinture.<br />

-Si je me trompe, je <strong>le</strong> ferai moi-même, sois-en certaine."<br />

El<strong>le</strong> acquiesça. Arthur avait acquis sa confiance.<br />

"Samuel est en bas? <strong>de</strong>manda Sonia à Andreas.<br />

-Oui. D'après ce que nous a dit Munin, nous <strong>de</strong>vons <strong>le</strong> rejoindre dans <strong>le</strong><br />

Tombeau <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an. Cela correspond aux informations que j'avais<br />

obtenues avant notre départ.<br />

-Le Tombeau <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an? répéta Arthur."<br />

Sally eut une drô<strong>le</strong> d'expression, comme si un souvenir vague lui<br />

revenait à l'esprit.<br />

"Si on <strong>de</strong>scendait voir ce qu'il se passe en bas? suggéra Sonia.<br />

-On va vraiment <strong>de</strong>scendre? s'écria Rachel, pas rassurée. Et si c'est un<br />

piège?<br />

-Asuka nous fera tous sortir ou ira chercher du renfort.<br />

-Ce n'est pas un piège, répliqua Arthur. Si Samuel nous a <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> <strong>le</strong><br />

rejoindre, c'est qu'il a peut-être trouvé une issue!"<br />

Rachel semblait en douter, conséquence probab<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur<br />

conversation avec la reine Miliès. Même Arthur se <strong>de</strong>mandait quel<strong>le</strong> issue<br />

favorab<strong>le</strong> pouvait bien <strong>le</strong>ur proposer Samuel au vu <strong>de</strong>s circonstances.<br />

"On ne <strong>de</strong>vrait pas <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à Asuka <strong>de</strong> ramener du mon<strong>de</strong>? fit Xenia.<br />

-Je ne veux pas que nous nous jetions tous ensemb<strong>le</strong> dans la gueu<strong>le</strong> du<br />

loup. Tu sais bien qu'on n'envoie jamais tous <strong>le</strong>s élus au même endroit,<br />

pour <strong>de</strong>s raisons <strong>de</strong> sécurité.<br />

-Tu as raison Sonia, on va al<strong>le</strong>r voir ce qui se passe, approuva Sally. Au<br />

pire, nous savons nous défendre."<br />

Arthur vit dans son regard féroce qu'el<strong>le</strong> était loin <strong>de</strong> lui pardonner.<br />

Après tout, il lui avait menti pendant <strong>de</strong>s semaines et, pire… il s'était<br />

confié à Jamie sans rien lui révé<strong>le</strong>r, el<strong>le</strong>, co-<strong>le</strong>a<strong>de</strong>r proclamé <strong>de</strong>s élus. Son<br />

comportement était légitime.<br />

6


Il n'essaya pas <strong>de</strong> la convaincre, ce n'était pas <strong>le</strong> moment idéal. Il<br />

serait toujours temps <strong>de</strong> s'excuser plus tard.<br />

"Andreas, tu as <strong>de</strong>s choses à nous expliquer toi aussi, râla Rachel.<br />

-Ah… oui…"<br />

Sonia ouvrit la marche, <strong>le</strong> pas résolu. Une fois arrivée <strong>de</strong>vant <strong>le</strong><br />

trou, el<strong>le</strong> scruta <strong>le</strong> fond du Berceau dans l'espoir d'y apercevoir quelque<br />

chose. En vain. L'air résigné, el<strong>le</strong> entama la <strong>de</strong>scente <strong>de</strong>s marches qui <strong>le</strong>s<br />

mèneraient vers <strong>le</strong> Tombeau <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an… et vers Samuel.<br />

"A propos… où est Kaz? fit soudain Sonia."<br />

El<strong>le</strong> s'arrêta en p<strong>le</strong>ine <strong>de</strong>scente.<br />

"Je ne l'ai pas trouvé, répondit Arthur en réalisant soudain qu'il l'avait<br />

complètement oublié. Il a disparu <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s heures.<br />

-Tu m'expliqueras ceci en cours <strong>de</strong> route, on ne peut pas se permettre <strong>de</strong><br />

l'attendre. Avec un peu <strong>de</strong> chance il flairera notre piste, sinon je<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>rai à Asuka <strong>de</strong> <strong>le</strong> trouver.<br />

-D'accord."<br />

Sonia reprit sa <strong>de</strong>scente, suivie <strong>de</strong> près par <strong>le</strong>s élus marchant en fi<strong>le</strong><br />

indienne. Arthur s'était en mis en fin <strong>de</strong> cortège, afin d'éviter Sally.<br />

"Heeeee? Il fait sombre là-<strong>de</strong>dans, gémit Asuka. Vous ne vou<strong>le</strong>z vraiment<br />

pas qu'on ail<strong>le</strong> au moins chercher Rick et <strong>le</strong>s autres?"<br />

Personne ne répondit. Mesurant chacun <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur pas dans l'obscurité<br />

grandissante, <strong>le</strong>s élus furent bientôt tous à l'intérieur du Berceau. Il était<br />

impossib<strong>le</strong> <strong>de</strong> voir plus loin que son nez, <strong>le</strong>s ténèbres étaient totaux.<br />

Sonia <strong>le</strong>ur conseilla <strong>de</strong> se tenir à l'épau<strong>le</strong> <strong>de</strong> la personne située <strong>de</strong>vant eux<br />

pour éviter <strong>de</strong> déva<strong>le</strong>r vio<strong>le</strong>mment <strong>le</strong>s escaliers. Arthur s'exécuta, posant<br />

la main sur l'épau<strong>le</strong> <strong>de</strong> Xenia. Derrière lui, la surface s'éloignait. Une<br />

o<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> littoral presque écoeurante saturait l'air.<br />

"Tu vas mieux Xenia? <strong>de</strong>manda Arthur en repensant à ce qu'el<strong>le</strong> avait subi<br />

quelques mois plus tôt."<br />

Il ne pouvait la voir mais il sentit à son mouvement d'épau<strong>le</strong> qu'el<strong>le</strong><br />

s'était retournée.<br />

"Oui, merci Arthur.<br />

-Tant mieux. Je suis content que tu sois <strong>de</strong> retour parmi nous.<br />

-C'est gentil <strong>de</strong> ta part mais tu as été éprouvé aussi ces <strong>de</strong>rniers temps,<br />

n'est-ce pas?"<br />

Euphémisme.<br />

6


"Ca ira…<br />

-Dites, vous trouvez pas que l'atmosphère est <strong>de</strong>venue assez lour<strong>de</strong> d'un<br />

coup, lança Rachel, quelques rangs plus loin.<br />

-Si, c'est un peu bizarre! C'est comme si la température avait augmenté,<br />

fit Asuka."<br />

Arthur n'avait rien senti. Xenia et Andreas non plus. Ils n'avaient<br />

peut-être pas suffisamment avancé pour constater la différence comme<br />

ceux qui se trouvaient au <strong>de</strong>vant <strong>de</strong> la fi<strong>le</strong>.<br />

Soudain, Arthur constata la différence d'atmosphère lui aussi et il<br />

s'arrêta. Il y avait quelque chose <strong>de</strong> différent, même s'il était incapab<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

se <strong>le</strong> décrire autrement que par… une différence <strong>de</strong> pression.<br />

"Le pouvoir <strong>de</strong> Corboïlum se dissipe, cria Minilly. Vous al<strong>le</strong>z reprendre vos<br />

tail<strong>le</strong>s nor…"<br />

Un bruit <strong>de</strong> froissement emplit l'atmosphère et stoppa l'avancée du<br />

groupe. Quelque chose se passait autour d'eux, quelque chose <strong>de</strong><br />

démesuré. Cela n'avait rien à voir avec la présence d'une personne.<br />

C'était plutôt <strong>le</strong>ur environnement qui se manifestait.<br />

Arthur <strong>le</strong>va <strong>le</strong>s yeux et vit <strong>le</strong>s ténèbres se dissiper, être aspirés par<br />

une vive lumière blanche. En même temps, la température oscillait<br />

irrégulièrement, du chaud au froid et inversement. De secon<strong>de</strong> en<br />

secon<strong>de</strong>, un éclat éblouissant faisait réapparaître ses camara<strong>de</strong>s ainsi que<br />

<strong>le</strong>s marches <strong>de</strong> l'escalier. Arthur se cacha <strong>le</strong>s yeux.<br />

"WOUAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH!"<br />

Le cri exclamatif d'Asuka obligea Arthur à ouvrir <strong>le</strong>s yeux. Ce qu'il vit<br />

alors lui donna envie <strong>de</strong> s'exclamer lui aussi mais sa voix resta coincée<br />

dans sa gorge. Ca n'avait aucune commune mesure avec Corboïlum.<br />

"C'est…, commença Sonia mais el<strong>le</strong> ne parvint pas à finir."<br />

Minilly était re<strong>de</strong>venue petite (ou plutôt <strong>le</strong>s élus avaient repris <strong>le</strong>ur<br />

tail<strong>le</strong> norma<strong>le</strong>) mais el<strong>le</strong> aussi était ébahie par cette nouvel<strong>le</strong> découverte.<br />

L'escalier au sommet duquel ils se trouvaient <strong>de</strong>scendait jusqu'à un vaste<br />

océan argenté, sans limite visib<strong>le</strong>. Une eau en tout point i<strong>de</strong>ntique à cel<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong> la Baie et du Berceau, survolée par <strong>de</strong>s milliers et <strong>de</strong>s milliers <strong>de</strong><br />

luisances qui rasaient sa surface ou entamaient une ascension vers un ciel<br />

d'un blanc total, sans nuage ni so<strong>le</strong>il.<br />

En bas <strong>de</strong> l'escalier, un très long pont <strong>de</strong> dal<strong>le</strong>s blanches traversait<br />

l'étrange mer sur <strong>de</strong>s dizaines <strong>de</strong> mètres, avant <strong>de</strong> donner accès à une<br />

structure atypique. Il s'agissait d'une î<strong>le</strong> parfaitement ron<strong>de</strong> sur laquel<strong>le</strong><br />

se dressait un sanctuaire grandiose surmonté d'une coupo<strong>le</strong> étincelante.<br />

Un temp<strong>le</strong>? Autour, <strong>de</strong> somptueux jardins étaient aménagés en <strong>de</strong><br />

6


nombreuses allées parfaitement symétriques, mélange <strong>de</strong> haies vertes et<br />

<strong>de</strong> tâches rouge qui laissaient présager la présence <strong>de</strong> nombreuses f<strong>le</strong>urs.<br />

"C… C'est vraiment extraordinaire, fit Rachel. Sorgentel n'en finira jamais<br />

<strong>de</strong> m'étonner. Quel est cet endroit Minilly?<br />

-Je n'en sais fichtre rien…<br />

-Je pense qu'il s'agit du Tombeau <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an, déclara Andreas en scrutant<br />

<strong>le</strong> paysage."<br />

Une petite silhouette évoluait au milieu <strong>de</strong> la longue passerel<strong>le</strong>, en<br />

direction <strong>de</strong> l'escalier. La personne avait beau se trouver loin d'eux, Arthur<br />

n'eut pas <strong>le</strong> moindre doute. C'était Samuel qui venait à <strong>le</strong>ur rencontre.<br />

6


Chapitre 36 : <strong>Les</strong> Gardiens du Mausolée<br />

"Puis-je faire une remarque?<br />

-Vas-y…"<br />

Arthur s'était raclé la gorge afin d'exprimer sa gêne.<br />

"On est ici <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux heures et je n'ai pas vu la surface <strong>de</strong> cette eau se<br />

troub<strong>le</strong>r une seu<strong>le</strong> fois. Je crois qu'il n'y a pas <strong>le</strong> moindre poisson ici.<br />

-C'est une possibilité."<br />

Samuel scrutait la surface du lac à travers ses culs <strong>de</strong> bouteil<strong>le</strong>.<br />

Dans ses mains, la canne à pêche flambant neuve qu'il avait acquise <strong>de</strong>ux<br />

jours plus tôt n'avait pas donné <strong>le</strong> moindre signe <strong>de</strong> vie.<br />

"Est-ce que tu sais pêcher au moins?<br />

-Non… et toi?<br />

-Comment ça "non"? Sam?<br />

-Je m'étais dit que ça aurait pu être marrant d'essayer. Je n'ai jamais eu<br />

l'occasion."<br />

Samuel avait ajusté ses lunettes sur l'arête <strong>de</strong> son nez. Il <strong>de</strong>venait<br />

méconnaissab<strong>le</strong> lorsqu'il <strong>le</strong>s portait, ce qui lui permettait sans doute, à ce<br />

moment précis, <strong>de</strong> dissimu<strong>le</strong>r son embarras.<br />

"En somme, tu as loué une voiture et tu m'as traîné dans <strong>le</strong> fin fond <strong>de</strong> la<br />

cambrousse francilienne pour une après-midi pêche au bord d'un lac dont<br />

tu ne sais même pas s'il contient <strong>le</strong> moindre poisson (je ne sais même pas<br />

si on peut pêcher dans un lac…) et tu m'avoues maintenant que tu n'as<br />

jamais pêché <strong>de</strong> toute ta vie…<br />

-Il semb<strong>le</strong>rait, avait admis Samuel en s'empourprant."<br />

De dépit, Arthur avait laissé choir la canne à pêche qu'il avait<br />

emprunté à Eric Gall. Il soupçonnait son grand-père d'avoir toujours su<br />

qu'il reviendrait <strong>le</strong>s mains vi<strong>de</strong>s. Cela expliquait son fou rire au moment<br />

du départ.<br />

"De toute évi<strong>de</strong>nce, c'est un échec cuisant, avait conclu Samuel.<br />

-Que fait-on, on rentre? Il n'est pas trop tard pour rattraper cette journée.<br />

-Hors <strong>de</strong> question. Il n'est que <strong>de</strong>ux heures <strong>de</strong> l'après-midi.<br />

-(Que… <strong>de</strong>ux heures.)"<br />

Samuel s'était contorsionné pour récupérer la glacière <strong>de</strong>rrière eux.<br />

Une fois ouverte, il en avait montré <strong>le</strong> contenu.<br />

"Sam, il y a assez <strong>de</strong> bières là-<strong>de</strong>dans pour faire une fiesta à six ou sept<br />

personnes.<br />

6


-Tu trouves? Mince… Je suppose qu'il nous faudra une journée pour en<br />

venir à bout.<br />

-Tu dois nous ramener en voiture!!<br />

-On prendra <strong>le</strong>s transports en commun. Je reviendrai chercher la bagno<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong>main.<br />

-Je comprends maintenant tes véritab<strong>le</strong>s intentions Samuel Fre<strong>de</strong>rick. Tu<br />

es diabolique."<br />

***<br />

Après une longue <strong>de</strong>scente <strong>de</strong> l'escalier qui avait mené son groupe<br />

sous Sorgentel, Arthur traversa la moitié <strong>de</strong> la passerel<strong>le</strong> d'un pas rapi<strong>de</strong>,<br />

malgré l'étroitesse <strong>de</strong> la voie. C'était bien Samuel, quelques pas plus loin.<br />

Un peu plus barbu qu'à <strong>le</strong>ur <strong>de</strong>rnière rencontre, plus maigre aussi, mais<br />

très souriant. Arthur alla à sa rencontre et ils se serrèrent vigoureusement<br />

la main, heureux <strong>de</strong> se retrouver.<br />

"On n'arrête pas <strong>de</strong> se croiser dans <strong>le</strong>s endroits <strong>le</strong>s plus inattendus<br />

Monsieur Gall. Ca change un peu du métro et du restaurant, tu ne trouves<br />

pas?<br />

-Arrête <strong>de</strong> dire <strong>de</strong>s bêtises! Est-ce que tu vas bien? J'attendais <strong>de</strong> tes<br />

nouvel<strong>le</strong>s!<br />

-Je sais, je t'expliquerai, dit Samuel en <strong>le</strong>vant <strong>le</strong>s yeux."<br />

Arthur se retourna pour voir ce que Samuel fixait ainsi <strong>de</strong>rrière lui.<br />

Ils étaient tous seuls au milieu <strong>de</strong> la passerel<strong>le</strong>. <strong>Les</strong> autres élus, Sonia en<br />

tête, <strong>de</strong>meuraient au pied <strong>de</strong> l'interminab<strong>le</strong> escalier qui <strong>le</strong>s avait menés<br />

dans ce lieu. Ils <strong>le</strong>s observaient, méfiants. Sonia dévisageait Samuel avec<br />

une expression impossib<strong>le</strong> à interpréter, teintée <strong>de</strong> surprise, <strong>de</strong> colère et<br />

d'une foultitu<strong>de</strong> d'autres sentiments. Arthur aurait juré n'avoir jamais vu<br />

une même personne manifester autant d'émotions contradictoires en<br />

même temps.<br />

De son côté, Samuel souriait, sans que cela ne fut caractéristique<br />

d'une quelconque joie. C'était un sourire <strong>de</strong> faça<strong>de</strong>, <strong>de</strong> ceux que l'on offre<br />

à quelqu'un pour lui prouver sa bonne foi et l'inciter à nous faire<br />

confiance. Samuel ne savait plus jouer. A cet instant précis, il avait perdu<br />

tout son ta<strong>le</strong>nt <strong>de</strong> comédien. Arthur ne put s'empêcher <strong>de</strong> penser qu'il se<br />

tenait près <strong>de</strong> celui qu'il avait toujours considéré comme <strong>le</strong> vrai Samuel.<br />

Pas Samuel Caris mais Samuel <strong>Mortimer</strong>. D'instigateur il passait au statut<br />

<strong>de</strong> victime.<br />

"Je savais que ce ne serait pas faci<strong>le</strong>, souffla Samuel sans regar<strong>de</strong>r<br />

Arthur.<br />

-Que quoi ne serait pas faci<strong>le</strong>?<br />

-Ils ne me font pas encore confiance…<br />

-Non, ce n'est pas ça mais…"<br />

6


Arthur ne finit pas sa phrase, sachant qu'el<strong>le</strong> ne pouvait se conclure<br />

que par un mensonge. C'est alors que l'inattendu arriva, Andreas et Xenia<br />

se détachèrent du groupe, doucement, puis rejoignirent Arthur et Samuel,<br />

sous <strong>le</strong> regard interrogateur <strong>de</strong> Sally. Arrivés <strong>de</strong>vant Samuel, ils<br />

l'observèrent un petit moment, détaillant <strong>le</strong> moindre <strong>de</strong> ses traits. Arthur<br />

réalisa alors que son ami ne se présentait pas sous son meil<strong>le</strong>ur jour.<br />

"Je suis Andreas Wolf. Enchanté <strong>de</strong> vous rencontrer."<br />

Il serra la main à Samuel avec un semblant <strong>de</strong> sourire. Puis ce fut<br />

au tour <strong>de</strong> Xenia <strong>de</strong> se présenter. Arthur ne comprit pas trop l'opportunité<br />

<strong>de</strong> ces salama<strong>le</strong>cs. Ils se connaissaient déjà, s'étaient croisés dans<br />

d'autres circonstances, certes plus belliqueuses.<br />

"Enchanté, fit Samuel d'une voix troublée."<br />

Andreas eut un mystérieux sourire. Puis Arthur vit Elliott traverser à<br />

son tour pour saluer Samuel. De l'autre côté, Rachel, Sonia et Sally ne<br />

bougeaient toujours pas.<br />

"Je suis Elliott Corr! Salut!<br />

-Salut Elliott. Je suis Sam."<br />

Ils <strong>de</strong>vaient presque se tenir l'un <strong>de</strong>rrière l'autre pour ne pas risquer<br />

<strong>de</strong> tomber dans l'eau. La passerel<strong>le</strong> dallée mesurait tout au plus un mètre<br />

<strong>de</strong> large. Cependant, ce qui chiffonnait vraiment Arthur, c'est qu'Andreas<br />

continuait à afficher un rictus satisfait. Le jeune élu se tourna d'ail<strong>le</strong>urs<br />

vers Sonia et <strong>le</strong>va <strong>le</strong> pouce. El<strong>le</strong> se mit alors (enfin) en mouvement, suivie<br />

par <strong>de</strong>s Sally et Rachel assez récalcitrantes.<br />

Toutes <strong>le</strong>s trois avançaient avec une <strong>le</strong>nteur presque agaçante,<br />

comme pour attiser l'irritation d'Arthur. Il <strong>le</strong>ur fallut <strong>de</strong>ux bonnes minutes<br />

pour arriver. Là, el<strong>le</strong>s s'arrêtèrent, à une distance raisonnab<strong>le</strong>. Minilly était<br />

assise en tail<strong>le</strong>ur sur l'épau<strong>le</strong> <strong>de</strong> Sally, si<strong>le</strong>ncieuse et attentive au moindre<br />

mouvement. Son regard allait <strong>de</strong> Samuel à Sonia, puis <strong>de</strong> Sonia à Samuel.<br />

El<strong>le</strong> était la seu<strong>le</strong> à <strong>le</strong>s avoir connus plus jeunes.<br />

"Alors…? fit soudain Sonia en se tournant vers Andreas."<br />

Le jeune homme acquiesça.<br />

"Il est c<strong>le</strong>an. J'ai testé son esprit sous tous <strong>le</strong>s ang<strong>le</strong>s possib<strong>le</strong>s, ça<br />

correspond à…."<br />

Tout à coup, Sonia se rua en poussant un cri à en percer <strong>le</strong>s<br />

tympans, écartant vio<strong>le</strong>mment tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> sur son passage. Arthur prit<br />

peur. Samuel aussi. Il eut un mouvement <strong>de</strong> recul.<br />

"HEEEEEEEEY!? s'indigna Rachel."<br />

6


Arthur réalisa trop tard que Sonia allait s'attaquer à Samuel. Il<br />

n'était pas en mesure <strong>de</strong> l'arrêter car el<strong>le</strong> l'avait déjà dépassé. Il tendit <strong>le</strong><br />

bras en vain, réussissant juste à frô<strong>le</strong>r sa chevelure blon<strong>de</strong>. "Nooon!"<br />

Le cri d'Arthur s'éteignit comme une flamme frappée <strong>de</strong> p<strong>le</strong>in fouet<br />

par <strong>le</strong> vent. En fait d'attaque, Sonia avait chargé Samuel, <strong>le</strong>s bras en<br />

avant et s'était jetée à son coup. Ce mouvement vio<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>s fit tomber<br />

tous <strong>de</strong>ux dans l'eau. Xenia et Arthur furent éclaboussés.<br />

"Mon Dieu, fit Xenia, <strong>le</strong>s yeux écarquillés."<br />

Arthur était sans voix. Au bout d'une poignée <strong>de</strong> secon<strong>de</strong>s, Samuel<br />

et Sonia émergèrent à la surface, dégoulinant d'eau. Cette <strong>de</strong>rnière<br />

p<strong>le</strong>urait, même s'il était diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> la réaliser autrement que par ses<br />

geignements.<br />

"Sonia…, murmura Sally, choquée <strong>de</strong> la voir ainsi."<br />

Sonia n'avait plus rien <strong>de</strong> la femme forte qu'el<strong>le</strong> était<br />

habituel<strong>le</strong>ment. El<strong>le</strong> se frottait <strong>le</strong>s yeux pour essuyer un flot <strong>de</strong> larmes<br />

pourtant noyé par l'eau qui coulait sur son front. En face d'el<strong>le</strong>, Samuel<br />

émit un petit rire, très bizarre. Il lui saisit <strong>le</strong> visage entre <strong>le</strong>s paumes <strong>de</strong><br />

main, la contempla un court moment, puis l'embrassa.<br />

Ce fut d'abord timi<strong>de</strong>. Puis cela dura… Encore… et encore… et<br />

encore… Sonia avait fini par plaquer Samuel contre <strong>le</strong> rebord <strong>de</strong> la<br />

passerel<strong>le</strong>, sous <strong>le</strong>s regards horrifiés <strong>de</strong>s élus. Xenia finit par détourner <strong>le</strong><br />

regard, rouge comme une tomate. Arthur, quant à lui, gardait la bouche<br />

gran<strong>de</strong> ouverte, incapab<strong>le</strong> <strong>de</strong> faire autre chose.<br />

"C'est… presque… in… in… indécent…, bégaya Sally en s'agitant<br />

nerveusement.<br />

-Tu es faci<strong>le</strong>ment choquée, railla Rachel d'un air satisfait."<br />

Samuel et Sonia finirent par se décol<strong>le</strong>r l'un <strong>de</strong> l'autre, essoufflés.<br />

Leurs regards étaient plongés l'un dans l'autre. El<strong>le</strong> lui passait <strong>le</strong>ntement<br />

la main dans <strong>le</strong>s cheveux, en p<strong>le</strong>ine béatitu<strong>de</strong>. Arthur sentit Minilly se<br />

poser sur son épau<strong>le</strong> pour mieux regar<strong>de</strong>r cette scène. El<strong>le</strong> retenait<br />

diffici<strong>le</strong>ment ses larmes. Arthur eut alors une pensée fugitive pour<br />

Andreas qui avait toujours eu <strong>le</strong> béguin pour Sonia, mais il fut rassuré en<br />

voyant que celui-ci souriait toujours. Arthur et lui échangèrent un bref<br />

regard. Andreas était content pour el<strong>le</strong>, cela faisait son bonheur.<br />

"Ce qui est encore plus indécent, c'est <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir admettre que j'ai eu tort<br />

sur toute la ligne, même si je t'en veux toujours <strong>de</strong> ne pas m'avoir mis<br />

dans la confi<strong>de</strong>nce beaucoup plus tôt, dit Sally à Arthur afin <strong>de</strong> ne pas<br />

<strong>de</strong>voir regar<strong>de</strong>r cette scène trop intime.<br />

-Désolé…<br />

-Ah… Que veux-tu…, fit-el<strong>le</strong> en haussant <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s."<br />

6


Sally se dirigea vers <strong>le</strong> rebord et se pencha afin <strong>de</strong> se retrouver<br />

juste au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> Samuel. Ce <strong>de</strong>rnier redressa la tête.<br />

"Je m'excuse d'interrompre ce moment <strong>de</strong> tendresse monsieur mais est-ce<br />

que vous vou<strong>le</strong>z bien lâcher notre instructrice maintenant? Nous sommes<br />

un peu traumatisés <strong>de</strong> la voir dans une tel<strong>le</strong> posture, ajouta-t-el<strong>le</strong> d'une<br />

voix amusée."<br />

Sonia et Samuel se mirent à rire. Ce <strong>de</strong>rnier était <strong>de</strong>venu écarlate<br />

<strong>de</strong>puis un bon moment déjà et Arthur se réjouissait d'être <strong>le</strong> seul à<br />

vraiment comprendre <strong>le</strong>s sentiments <strong>de</strong> son ami à ce moment précis,<br />

même s'il réalisait par la même occasion qu'il ne l'avait jamais vu afficher<br />

un tel sourire.<br />

"A propos… je crois qu'on s'est déjà rencontrés mais je suis Sally!"<br />

El<strong>le</strong> tendit la main à Samuel, lui proposant ainsi <strong>de</strong> l'ai<strong>de</strong>r à sortir <strong>de</strong><br />

l'eau. Radieux comme jamais, il répondit <strong>de</strong> bonne grâce à sa <strong>de</strong>man<strong>de</strong>.<br />

"Je suis Samuel. Tu peux m'appe<strong>le</strong>r Sam!"<br />

***<br />

Arthur et Samuel marchaient côte à côte, menant la marche en<br />

direction <strong>de</strong> la petite î<strong>le</strong> située <strong>de</strong>vant eux. Le reste du groupe n'était que<br />

quelques pas <strong>de</strong>rrière. Il avait paru essentiel aux élus <strong>de</strong> séparer Sonia et<br />

Samuel au moins quelques instants, afin <strong>de</strong> pouvoir calmer <strong>le</strong>ur fougue et<br />

permettre à tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> d'avancer.<br />

"Je m'excuserais bien <strong>de</strong> vous avoir embarrassés mais je ne <strong>le</strong> penserais<br />

pas une seu<strong>le</strong> secon<strong>de</strong>, avoua Samuel en saisissant fraternel<strong>le</strong>ment Arthur<br />

par l'épau<strong>le</strong>. Après ces retrouvail<strong>le</strong>s, je pourrais mourir serein.<br />

-Il n'est pas question <strong>de</strong> mourir, idiot.<br />

-Je sais. Je compte bien vivre encore quelques décennies, en bonne<br />

compagnie <strong>de</strong> préférence."<br />

Arthur sourit. Des projets d'avenir? Samuel parlait rarement au<br />

futur, comme si cette dimension temporel<strong>le</strong> lui était étrangère,<br />

inaccessib<strong>le</strong>. Un simp<strong>le</strong> baiser pouvait-il changer un homme à ce point?<br />

Un peu plus loin, Rachel parlait à voix basse avec Sonia, d'un ton<br />

assez taquin. Des commérages bien sûr. Au moins, la question <strong>de</strong> la<br />

traîtrise <strong>de</strong> Samuel n'était plus sur <strong>le</strong> tapis. Une petite victoire qui rendait<br />

sa foi à Arthur, qui lui laissait espérer que Nils serait <strong>le</strong> prochain à être<br />

sauvé.<br />

"Je ne pourrai jamais assez te remercier Arthur. Sans toi…<br />

-Tseng a dit : L'amitié est abnégation en cela…<br />

6


-…qu'el<strong>le</strong> fait <strong>de</strong> soi-même un bouclier <strong>de</strong>stiné à protéger l'être aimé.<br />

-Il faudrait que l'on mette ces citations par écrit un jour."<br />

Samuel sourit à son tour et resserra son étreinte sur Arthur tout en<br />

continuant à avancer. Il ne voulait littéra<strong>le</strong>ment plus <strong>le</strong> lâcher.<br />

Quelques instants plus tard, tous avaient rejoint <strong>le</strong> rivage artificiel<br />

qui précédait ce qui semblait être <strong>le</strong> Tombeau <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an. La construction<br />

qui se dressait <strong>de</strong>vant eux, par <strong>de</strong>là un jardin aux allées verdoyantes,<br />

était très large mais n'était visib<strong>le</strong>ment constituée que d'un seul niveau.<br />

Sa faça<strong>de</strong> était blanche et dépourvue <strong>de</strong> fenêtres. On apercevait<br />

éga<strong>le</strong>ment une sorte <strong>de</strong> patio faisant office d'introduction à ce sanctuaire<br />

d'une sp<strong>le</strong>n<strong>de</strong>ur presque vaticane. La coupo<strong>le</strong> argentée qui chapeautait<br />

l'ensemb<strong>le</strong> brillait <strong>de</strong> mil<strong>le</strong> feux, bien qu'il n'y eut pas <strong>de</strong> so<strong>le</strong>il pour la<br />

mettre ainsi en va<strong>le</strong>ur. "On n'a pas pu construire cet endroit avec <strong>de</strong>s<br />

moyens humains" songea Arthur en détaillant cette structure parfaite.<br />

Près <strong>de</strong> lui, Samuel se passait énergiquement la main dans <strong>le</strong>s<br />

cheveux puis l'agitait d'un mouvement sec afin <strong>de</strong> se débarrasser <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>rnières gouttes d'eau qui s'y étaient logées. Tout comme Sonia il était<br />

trempé et ses vêtements lui collaient à la peau. D'ail<strong>le</strong>urs cette <strong>de</strong>rnière<br />

avait préféré dénouer sa longue tignasse afin qu'el<strong>le</strong> sèche plus vite.<br />

"Il serait temps <strong>de</strong> nous donner quelques explications, déclara cette<br />

<strong>de</strong>rnière, reprenant ainsi son rô<strong>le</strong> d'instructrice <strong>de</strong> GLOW. Pourquoi nous<br />

as-tu fait venir ici, dans ce tombeau? Pourquoi avoir envoyé Munin<br />

chercher Andreas et Xenia?"<br />

Asuka s'approchait <strong>de</strong>s allées pour examiner <strong>le</strong>s haies qui <strong>le</strong>s<br />

délimitaient. Des roses rouges perlées <strong>de</strong> rosée <strong>le</strong>s ornaient. Tout ceci<br />

était trop bien entretenu pour être naturel. Pourtant aucune présence<br />

n'était perceptib<strong>le</strong>.<br />

"Le Tombeau <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an est relié à Springan, tout comme <strong>le</strong> Berceau <strong>de</strong><br />

Corboïlum, commença Samuel. Je suis entré par <strong>le</strong> lac Diamase et j'ai<br />

trouvé <strong>le</strong> mécanisme permettant <strong>de</strong> vous y donner accès. Je vous <strong>le</strong><br />

montrerai tout à l'heure, il est un peu plus loin.<br />

-La reine Miliès nous a parlé <strong>de</strong> ce réseau souterrain mais el<strong>le</strong> n'avait pas<br />

évoqué <strong>de</strong> tel mécanisme... ni <strong>le</strong> Tombeau, souligna Sally.<br />

-Il n'est pas certain qu'el<strong>le</strong> <strong>le</strong> sache el<strong>le</strong>-même, à moins qu'el<strong>le</strong> n'ait pas<br />

souhaité en par<strong>le</strong>r à quiconque, suggéra Minilly.<br />

-El<strong>le</strong> doit <strong>le</strong> savoir à mon avis mais gardons <strong>le</strong>s détails pour plus tard. Je<br />

ne sais pas <strong>de</strong> combien <strong>de</strong> temps nous disposons avant que ma disparition<br />

soit remarquée. Munin ne pourra pas me couvrir éternel<strong>le</strong>ment.<br />

Bref… C'est ici que Ky<strong>le</strong>an aurait choisi <strong>de</strong> venir mourir après avoir<br />

acci<strong>de</strong>ntel<strong>le</strong>ment tué son frère Leryan. C'est aussi là que rési<strong>de</strong> tout son<br />

pouvoir.<br />

-Ky<strong>le</strong>an est donc bien ici? Enterré? Est-ce que <strong>le</strong> corps <strong>de</strong>… son frère se<br />

trouve éga<strong>le</strong>ment ici? interrogea Sally"<br />

6


Sonia, Asuka, Xenia et Andreas semblaient avoir du mal à suivre la<br />

conversation, n'ayant pas bénéficié <strong>de</strong>s explications <strong>de</strong> la reine Miliès à<br />

Corboïlum.<br />

"C'est ce que laissent penser <strong>le</strong>s informations que j'ai découvertes au sein<br />

<strong>de</strong> la Confrérie, dans <strong>le</strong>s archives <strong>de</strong> Primo, ainsi que cel<strong>le</strong>s que j'ai volées<br />

au Cénac<strong>le</strong> l'an <strong>de</strong>rnier, juste avant mon duel funeste avec Arthur."<br />

C'était donc bien lui qui avait retourné la Sal<strong>le</strong> <strong>de</strong>s Archives du<br />

Cénac<strong>le</strong>, pensa Arthur en se rappelant d'une petite bibliothèque dont <strong>le</strong>s<br />

ouvrages avaient été peu précautionneusement déplacés.<br />

"Ce qu'il y a <strong>de</strong> plus important, c'est que cet endroit est à la base du<br />

pouvoir régulateur <strong>de</strong> Springan. Il est donc lié à la Concrétisation. Ky<strong>le</strong>an<br />

avait beau avoir un grain à la fin <strong>de</strong> sa vie, il n'a pas laissé l'Equilibre<br />

disparaître en même temps que lui. Sans doute un remords <strong>de</strong> <strong>de</strong>rnière<br />

minute dû à… Ses <strong>de</strong>ux frères ont une histoire compliquée. Ce qui nous<br />

amène ici, c'est Fenrir et Altaïr. Regar<strong>de</strong>z!"<br />

Il <strong>le</strong>ur montra du doigt <strong>de</strong>ux îlots situés <strong>de</strong> part et d'autre du<br />

Tombeau. Ils y étaient reliés par <strong>de</strong>s voies dallées qui s'aventuraient<br />

encore une fois dans <strong>le</strong>s eaux calmes <strong>de</strong> cet étrange mon<strong>de</strong> souterrain.<br />

Arthur crut y apercevoir <strong>de</strong> petites constructions. Des sépulcres peut-être.<br />

"Je ne vois pas, fit Rachel.<br />

-À <strong>de</strong>ux heures et dix heures, indiqua Sonia. Sam (el<strong>le</strong> marqua<br />

involontairement une pause, surprise <strong>de</strong> prononcer si faci<strong>le</strong>ment son<br />

prénom), ces <strong>de</strong>ux endroits correspon<strong>de</strong>nt à Fenrir et Altaïr?<br />

-C'est bien là que <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux créatures reposaient avant l'échec <strong>de</strong> la<br />

Concrétisation, sous forme d'orbes, continua Samuel. Du peu que j'ai vu<br />

<strong>de</strong> cet endroit, il se caractérise par une symétrie parfaite. Ca correspond<br />

tout à fond à la fonction qui lui a été attribuée.<br />

-Le maintien <strong>de</strong> l'Equilibre, <strong>de</strong>vina Arthur.<br />

-Oh! En fait ce n'est pas vraiment <strong>le</strong> monolithe <strong>de</strong> Springan qui contient <strong>le</strong><br />

pouvoir <strong>de</strong> la Concrétisation mais plutôt cet endroit… qui y est relié<br />

d'ail<strong>le</strong>urs? réalisa Asuka.<br />

-Exactement. Cela signifie que ce qui s'est produit l'an <strong>de</strong>rnier a affecté<br />

cet endroit. C'est <strong>de</strong> là que sont enfuies <strong>le</strong>s créatures sacrées… ou plutôt<br />

qu'el<strong>le</strong>s ont été libérées, conséquence <strong>de</strong> l'intervention <strong>de</strong> Marshal dans <strong>le</strong><br />

processus <strong>de</strong> Concrétisation. Vo<strong>le</strong>r l'Orbe <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an et <strong>le</strong> pervertir suffisait<br />

à rompre <strong>le</strong> lien existant entre <strong>le</strong> Tombeau et Springan.<br />

-…et à fausser la donne, dit Sonia en secouant la tête. Je vois que tu as<br />

fait beaucoup <strong>de</strong> recherches.<br />

-N'oublie pas que j'ai un profil d'historien à la base, dit-il en souriant."<br />

Sonia ne lui rendit pas son sourire, affectée par une culpabilité<br />

qu'el<strong>le</strong> ne pouvait dissimu<strong>le</strong>r. Au fil <strong>de</strong> la conversation, el<strong>le</strong> comprenait<br />

que Samuel avait fait cavalier seul au sein <strong>de</strong> la Confrérie.<br />

6


"Mais… en quoi cet endroit peut-il nous ai<strong>de</strong>r? <strong>de</strong>manda encore Arthur.<br />

Bien que l'on comprenne maintenant quel<strong>le</strong> place occupaient <strong>le</strong>s créatures<br />

sacrées, on n'a qu'Altaïr…<br />

-D'ail<strong>le</strong>urs Altaïr est au Cénac<strong>le</strong>, précisa Asuka. Je pourrais al<strong>le</strong>r <strong>le</strong><br />

chercher mais ça ne sert à rien sans Fenrir."<br />

Samuel ferma <strong>le</strong>s yeux et plongea la main dans son sac. Bien<br />

naturel<strong>le</strong>ment, tous <strong>le</strong>s élus avaient <strong>de</strong>viné ce qu'il allait en sortir et, déjà,<br />

Arthur retenait son souff<strong>le</strong>. Avait-il vraiment réussi?<br />

"Vous croyez que je vous aurais tous fait venir ici juste pour théoriser?<br />

dit-il <strong>de</strong> l'air du juste, tout en en <strong>le</strong>ur tendant une petite sphère d'un b<strong>le</strong>u<br />

opaque."<br />

Un mouvement jubilatoire traversa <strong>le</strong> groupe et tous se précipitèrent<br />

vers Samuel pour s'assurer que <strong>le</strong>urs yeux ne <strong>le</strong>s trompaient pas. Lui<br />

affichait une mine victorieuse. Fenrir!<br />

"Comment as-tu fait pour <strong>le</strong> récupérer?<br />

-C'est vraiment Fenrir?<br />

-Mais la Confrérie l'avait volé, non?<br />

-Il suffisait <strong>de</strong> la vo<strong>le</strong>r <strong>de</strong> nouveau en profitant <strong>de</strong> la confiance que Primo<br />

m’accor<strong>de</strong> <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s années, dit Samuel d'un air sombre. Cependant,<br />

cela impliquait éga<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> quitter la Confrérie à la secon<strong>de</strong> qui suivait.<br />

-Tu es génial Sam! s'écria Arthur.<br />

-Avec ça nous sommes forcées <strong>de</strong> nous excuser <strong>de</strong> vous avoir traité <strong>de</strong><br />

tous <strong>le</strong>s noms, reconnut Rachel en faisant rou<strong>le</strong>r l'orbe <strong>de</strong> Fenrir sur la<br />

paume <strong>de</strong> sa main.<br />

-Tu as pris <strong>de</strong>s risques inconsidérés Sam, dit Sonia, partagée entre<br />

allégresse et inquiétu<strong>de</strong>. Si tu avais été pris la main dans <strong>le</strong> sac, Primo<br />

t'aurait sans doute mis à mort.<br />

-Depuis dix ans je ne vis que pour faire tomber la Confrérie. Je n'allais pas<br />

craindre pour ma vie alors que j'avais trouvé <strong>le</strong> moyen idéal <strong>de</strong> ruiner <strong>le</strong>s<br />

plans <strong>de</strong> Primo. (Il ricana) J'imagine sa tête lorsqu'il réalisera sa<br />

disparition."<br />

Sonia lui prit la main, rayonnante.<br />

"N'est-ce pas trop faci<strong>le</strong>? intervint Andreas d'un air troublé. Primo n'avaitil<br />

pas protégé Fenrir dans l'éventualité où l'on trouverait un moyen <strong>de</strong><br />

s'infiltrer dans son repaire? Ou même pour prévenir toute trahison d'un<br />

<strong>de</strong>s confrères?<br />

-La chambre dans laquel<strong>le</strong> se trouvait Fenrir était effectivement protégée<br />

par un système <strong>de</strong> sécurité mis en place par Marshal mais, bien<br />

heureusement pour moi, Munin savait y faire. El<strong>le</strong> a pris beaucoup <strong>de</strong><br />

risques pour moi.<br />

6


-Ce n'est peut-être pas <strong>le</strong> moment <strong>de</strong> poser une tel<strong>le</strong> question mais<br />

pourquoi Munin a-t-el<strong>le</strong> trahi Primo? s'interrogea Sally."<br />

Samuel <strong>de</strong>vint pensif.<br />

"Je ne l'ai jamais vraiment su, el<strong>le</strong> a toujours refusé <strong>de</strong> répondre à cette<br />

question <strong>de</strong> manière claire. Il faut dire qu'el<strong>le</strong> n'est pas a<strong>de</strong>pte du premier<br />

<strong>de</strong>gré. Je crois qu'el<strong>le</strong> a en fait beaucoup d'empathie et qu'el<strong>le</strong> a compris<br />

assez vite <strong>le</strong>s sentiments qui m'animaient, malgré mes faux-semblants.<br />

C'est un esprit fin.<br />

-Une autre façon <strong>de</strong> dire qu'el<strong>le</strong> est un peu fol<strong>le</strong>, pensa très fort Arthur.<br />

-Toujours est-il qu'el<strong>le</strong> a émis <strong>le</strong> souhait <strong>de</strong> m'ai<strong>de</strong>r. Je ne crois pas<br />

prendre <strong>de</strong> risques en affirmant qu'el<strong>le</strong> n'adhère pas à tous <strong>le</strong>s projets <strong>de</strong>s<br />

confrères, du moins en ce qui concerne la chute <strong>de</strong> l'Equilibre.<br />

Accessoirement, peut-être qu'el<strong>le</strong> est tout simp<strong>le</strong>ment amoureuse <strong>de</strong><br />

moi…"<br />

Un court si<strong>le</strong>nce s'ensuivit. Sonia était <strong>de</strong> marbre.<br />

"Que se passera-t-il si on remet Fenrir et Altaïr à <strong>le</strong>ur place? <strong>de</strong>manda<br />

Asuka avec un grand sourire. On peut arranger la situation même sans<br />

l'Orbe <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an?<br />

-D'après <strong>le</strong>s explications <strong>de</strong>s Anciens, l'Orbe <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an est une sorte <strong>de</strong><br />

catalyseur placé à Springan pour surveil<strong>le</strong>r l'Equilibre, rappela Sonia. Sans<br />

lui nous allons au <strong>de</strong>vant <strong>de</strong> graves problèmes.<br />

-Pas nécessairement, dit Samuel. Tout du moins nous pourrons stabiliser<br />

<strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> Springan assez longtemps pour nous donner une marge <strong>de</strong><br />

manœuvre. Je n'étais pas en mesure <strong>de</strong> remettre la main sur l'Orbe <strong>de</strong><br />

Ky<strong>le</strong>an car el<strong>le</strong> est sous étroite surveillance à Ca<strong>de</strong>ro (Ah, fit Sonia d'un<br />

air dépité) mais je crois que vous… que nous avons repris l'avantage!<br />

-Ca vaut <strong>le</strong> coup d'essayer! considéra Sally. Quel est <strong>le</strong> plan? On envoie<br />

Asuka récupérer Altaïr au Cénac<strong>le</strong> pour que nous remettions <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

créatures à <strong>le</strong>ur place?<br />

-C'est inuti<strong>le</strong>, dit Samuel.<br />

-Ha?<br />

-Altaïr n'est jamais <strong>de</strong>meuré au Cénac<strong>le</strong>. Du moins il n'a pas dû y rester<br />

longtemps.<br />

-Pourtant nous l'y avons laissé après…, commença Sonia, soudainement<br />

angoissée.<br />

-GLOW n'a jamais possédé Altaïr. Je l'ai laissé entre <strong>le</strong>s mains <strong>de</strong> mon<br />

homme <strong>de</strong> confiance."<br />

Arthur vit Samuel <strong>le</strong> dar<strong>de</strong>r d'un regard énigmatique. Il ne comprit<br />

pas. Oui, Samuel lui avait confié Altaïr à Salvacion, mais Arthur l'avait bel<br />

et bien ramené à GLOW. Puis <strong>le</strong>s élus l'avaient confié aux Anciens.<br />

"Sam, je ne capte pas…<br />

6


-Tu es un garçon assez obéissant. Je suis sûr que tu as respecté <strong>le</strong> seul<br />

ordre que je t'ai donné."<br />

Un éclat <strong>de</strong> clairvoyance illumina <strong>le</strong> cerveau d'Arthur, au point qu'il<br />

en eut la chair <strong>de</strong> pou<strong>le</strong>. Il tapota sa poche droite et en sortit l'infâme petit<br />

sac que Samuel lui avait donné, <strong>de</strong>s jours et <strong>de</strong>s jours plus tôt, en lui<br />

interdisant formel<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> l'ouvrir jusqu'à nouvel ordre.<br />

"Oui, tu peux, acquiesça Samuel après qu'Arthur l'eut interrogé du<br />

regard."<br />

Arthur se sentit stupi<strong>de</strong>. La forme ron<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'objet contenu dans <strong>le</strong><br />

sac l'avait toujours perturbé mais jamais, ô grand jamais, il n'aurait<br />

imaginé que Samuel l'avait dupé à ce point. Il dénoua diffici<strong>le</strong>ment la<br />

cor<strong>de</strong><strong>le</strong>tte qui fermait <strong>le</strong> sac <strong>de</strong> velours puis en fit sortir l'orbe d'Altaïr.<br />

"Woh…, fit Asuka en manquant <strong>de</strong> s'exorbiter <strong>le</strong>s yeux.<br />

-Pourquoi Arthur a…, fit Elliott d'un air décontenancé. L'autre orbe…<br />

-L'autre était un faux que j'ai donné à Arthur sans lui dire ce qu'il en était,<br />

expliqua Samuel, ravi <strong>de</strong> son effet. J'ai toujours craint que la Confrérie ne<br />

remette la main sur Altaïr. J'ai voulu anticiper <strong>le</strong> pire : un traître au sein<br />

du Cénac<strong>le</strong> par exemp<strong>le</strong>! Altaïr vous aurait été dérobé juste après que<br />

vous l'ayez récupéré. Autre justification : <strong>de</strong>puis l'échec d'une partie <strong>de</strong><br />

votre mission (sur l'î<strong>le</strong> <strong>de</strong> Silhouette) mon but a toujours été <strong>de</strong> vous<br />

amener ici afin que nous puissions remettre <strong>le</strong>s créatures à <strong>le</strong>ur place.<br />

Pour cette raison, je voulais m'assurer qu'Arthur ait Altaïr sur lui en tout<br />

temps. Ainsi, il n'y avait pas besoin d'al<strong>le</strong>r fournir <strong>de</strong> longues explications<br />

au Cénac<strong>le</strong>. Vous vous imaginez bien que <strong>le</strong>s Anciens n'accepteraient pas<br />

<strong>de</strong> remettre Altaïr à un membre <strong>de</strong> la Confrérie tel que moi, même avec<br />

l'appui <strong>de</strong>s élus.<br />

-Mais… mais…, fit Rachel à bout <strong>de</strong> souff<strong>le</strong>. Et <strong>le</strong> test? Enzo Wallace a<br />

testé <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> la sphère lorsqu'el<strong>le</strong> a été ramenée au QG <strong>de</strong> Londres!<br />

Le test a marché! Le dirigeant a dit qu'Altaïr était présent!<br />

-Il a surtout dit qu'Altaïr était bien parmi nous, corrigea Sonia avec<br />

l’expression <strong>de</strong> cel<strong>le</strong> qui comprend enfin la plus gran<strong>de</strong> duperie du sièc<strong>le</strong>.<br />

Si Samuel avait ordonné à Arthur <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r l'orbe sur lui en tout temps…<br />

GLOW a toujours associé <strong>le</strong>s élus à ce genre <strong>de</strong> petite cérémonie. Il y<br />

avait peu <strong>de</strong> risques qu'Enzo ne teste pas <strong>le</strong> pouvoir d'Altaïr en <strong>le</strong>ur<br />

présence!"<br />

Arthur sentit que son ego s'affaissait <strong>de</strong> secon<strong>de</strong> en secon<strong>de</strong>. Il avait<br />

été l'outil <strong>de</strong> Samuel… pour la bonne cause, certes, mais il avait tout <strong>de</strong><br />

même été manipulé.<br />

"C'était <strong>le</strong> facteur X, précisa Samuel. Ces faux ont beau être créés par<br />

Marshal, ils ne peuvent passer un tel test avec succès. (Oui, Marshal avait<br />

créé plusieurs faux pour préparer <strong>de</strong>s coups fourrés contre vous). Je ne<br />

pouvais qu'espérer que… mon Art serait suffisamment proche lors du test<br />

6


pour que <strong>le</strong> subterfuge fonctionne, conclut-il se grattant <strong>le</strong> crâne d'un air<br />

gêné. Excuse-moi <strong>de</strong> t'avoir utilisé Arthur. Si je te l'avais dit, je t'aurais<br />

obligé à mentir. On ne peut mentir sur ce que l'on ignore.<br />

-Ne t'excuse pas, dit Arthur, reconnaissant à son ami d'avoir eu <strong>le</strong> bon<br />

goût d'être embarrassé. Surtout que maintenant…"<br />

Asuka brandit <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux orbes.<br />

"On a récupéré <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux créatures! Mission accomplie!"<br />

Minilly jubila à son tour, tournoyant autour d'Asuka comme un<br />

moustique déchaîné. Enfin une victoire.<br />

"Samuel, tu es un véritab<strong>le</strong> stratège, <strong>le</strong> complimenta Sally. Dire que pour<br />

moi tu n'étais encore qu'une cib<strong>le</strong> à abattre il y a <strong>de</strong>ux heures.<br />

-Pour ta défense, j'ai fait défer<strong>le</strong>r une tempête sur toi il n'y a pas si<br />

longtemps.<br />

-Ah… J'avais oublié ça, marmonna Sally, <strong>de</strong> nouveau assaillie par la<br />

rancune. On en rediscutera plus tard. Désormais je crois que l'on peut te<br />

considérer comme…<br />

-Vous avez fait un travail admirab<strong>le</strong> vous tous. Je suis heureux d'avoir été<br />

aux premières loges."<br />

Elliott s'était éloigné du reste du groupe et se tenait dans l'allée la<br />

plus proche, <strong>le</strong> dos tourné.<br />

"Pourquoi tu dis "vous"? lui <strong>de</strong>manda Sonia d'un air amusé. Tu fais partie<br />

<strong>de</strong> l'équipe Elliott. Tu as autant contribué que chacun d'entre nous.<br />

-Je fais partie <strong>de</strong> l'équipe…, dit Elliott comme s'il <strong>le</strong> réalisait à peine. Oui,<br />

c'est vrai."<br />

Il se retourna et retira son bob. Quelque chose avait changé dans<br />

son expression. Il paraissait transfiguré, comme si une soudaine sagesse<br />

l'avait transcendé.<br />

"J'ai vraiment apprécié <strong>le</strong> temps que j'ai passé avec vous <strong>le</strong>s gars.<br />

Découvrir votre mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie et vous côtoyer a été une expérience <strong>de</strong><br />

chaque instant. A l'heure qu'il est, si je pouvais émettre un souhait un peu<br />

égoïste, ce serait <strong>de</strong> pouvoir continuer avec vous. Toutefois, maintenant<br />

que vous êtes réunis j'ai <strong>le</strong> <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> reprendre ma fonction.<br />

-De quoi tu par<strong>le</strong>s?"<br />

Elliott ferma <strong>le</strong>s yeux et une ombre passa sur son visage.<br />

"Je m'excuse d'avoir dû vous mentir. Je ne suis pas un élu..."<br />

Ses mèches blon<strong>de</strong>s se décolorèrent graduel<strong>le</strong>ment jusqu'à <strong>de</strong>venir<br />

complètement blanches. Arthur eut un hoquet <strong>de</strong> stupeur. L'apparence<br />

6


d'Elliott changeait <strong>de</strong> secon<strong>de</strong> en secon<strong>de</strong>. Sa peau perdait <strong>de</strong> son hâ<strong>le</strong><br />

habituel, ses cheveux se disciplinaient et sa tenue d'élue était remplacée<br />

par un long manteau en lin blanc avec d'amp<strong>le</strong>s manches au liseré<br />

argenté. Une grosse bouc<strong>le</strong> en métal retenait <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux pans <strong>de</strong> ses<br />

vêtements au niveau <strong>de</strong> sa poitrine et <strong>de</strong>s sanda<strong>le</strong>s aux lanières <strong>de</strong> cuir<br />

s'étaient substituées à ses bottes. Cette transformation soudaine laissa<br />

tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> coi.<br />

"Mon véritab<strong>le</strong> nom est Hinjis."<br />

Elliott rouvrit <strong>le</strong>s yeux, révélant un regard aussi vague qu'à<br />

l'accoutumée, bien qu'aiguisé par <strong>de</strong>s pupil<strong>le</strong>s <strong>de</strong> cou<strong>le</strong>ur grise.<br />

"El... Elliott? suffoqua Rachel."<br />

Samuel dégaina son épée. Elliott, ou plutôt Hinjis, n'eut pas la<br />

moindre réaction <strong>de</strong> hostilité face à cela. Au contraire, il paraissait passer<br />

un moment agréab<strong>le</strong>. Arthur ne sut quel<strong>le</strong> attitu<strong>de</strong> adopter, bien trop<br />

choqué. Il se souvenait clairement d'avoir lu ce nom dans <strong>le</strong>s <strong>Chroniques</strong><br />

<strong>de</strong> Sorgentel.<br />

"Hinjis... l'un... <strong>de</strong>s discip<strong>le</strong>s <strong>de</strong> K... Ky<strong>le</strong>an?<br />

-Tu as bien <strong>de</strong>viné, Arthur, se réjouit Elliott.<br />

-Atten<strong>de</strong>z, ce type n'est pas Elliott! Où est <strong>le</strong> nôtre? paniqua Sonia.<br />

-Le Elliott auquel vous faites référence n'a jamais existé en tant que tel,<br />

répondit simp<strong>le</strong>ment l'autre, mais je vous propose <strong>de</strong> continuer à<br />

m'appe<strong>le</strong>r ainsi, pour plus <strong>de</strong> facilité."<br />

Personne ne réagit. Tous à part Elliott étaient tétanisés.<br />

"Tu n'es pas..., souffla Sonia.<br />

-Où est <strong>le</strong> véritab<strong>le</strong> Elliott? l'interrogea Rachel, sous <strong>le</strong> choc.<br />

-Je vous l'ai dit. Je n'ai d'Elliott que <strong>le</strong> patronyme."<br />

Samuel se mit en gar<strong>de</strong>, prêt à combattre si nécessaire.<br />

"J'ai à vous par<strong>le</strong>r, déclara Elliott d'une voix neutre."<br />

Arthur fit un pas en arrière, terrorisé pour une raison qu'il ignorait.<br />

Elliott regardait longuement Samuel.<br />

"Maître Ky<strong>le</strong>an."<br />

Elliott baissa <strong>le</strong>s yeux puis dirigea son regard vers Arthur.<br />

"Maître Leryan."<br />

6


Le temps sembla s'arrêter. La scène <strong>de</strong>vint monochrome. Le<br />

moindre bruit, la moindre respiration fut absorbée par <strong>le</strong> vi<strong>de</strong>. Devant <strong>le</strong><br />

Mausolée, <strong>de</strong>ux hommes vêtus <strong>de</strong> même façon qu'Elliott patientaient, <strong>le</strong>s<br />

mains jointes <strong>de</strong>rrière <strong>le</strong> dos. Kaznaël était <strong>de</strong>bout dans l'une <strong>de</strong>s allées<br />

du jardin, <strong>le</strong> regard vi<strong>de</strong>.<br />

Arthur se sentit hors <strong>de</strong> son corps.<br />

"Veuil<strong>le</strong>z me suivre…"<br />

6


Chapitre 37 : La Renaissance <strong>de</strong>s Frères<br />

"Je te dis que tu ne <strong>le</strong> tueras pas. Si tu l'approches, je te renverrai <strong>de</strong> là<br />

d'où tu viens!"<br />

"J'espère qu'à ce moment là tu te souviendras <strong>de</strong> ce que tu sais <strong>de</strong> moi."<br />

"Arthur, je te rallierai à ma cause, que tu <strong>le</strong> veuil<strong>le</strong>s ou non."<br />

"Si ta question est : Avais-tu prémédité ce qui s'est passé? Ma réponse est<br />

non. Si ta question est : As-tu volontairement tué Danny, Malick, E<strong>le</strong>onore<br />

et <strong>le</strong>s autres? Ma réponse... ma réponse est non. Si ta question est : As-tu<br />

œuvré en faveur <strong>de</strong> la Confrérie pendant la <strong>de</strong>rnière décennie? Ma<br />

réponse est aussi claire que <strong>de</strong> l'eau <strong>de</strong> roche."<br />

"Drydock… contre Casca<strong>de</strong>. Le pouvoir <strong>de</strong> l'une est dérivé <strong>de</strong> l'autre."<br />

"L'enfant roi tyrannique. Un personnage mégalomane qui n'hésite pas à<br />

tuer tous <strong>le</strong>s opposants <strong>de</strong> son royaume, y compris ses proches. Sa folie<br />

atteint <strong>de</strong>s sommets inégalés et il finit par se retrouver seul, avec une<br />

autorité tota<strong>le</strong>ment dénuée <strong>de</strong> sens. Même <strong>le</strong> bourreau est contraint <strong>de</strong> se<br />

tuer, pour expier ses pêchés. Cette image représente <strong>le</strong> roi sans ses<br />

sujets, plongé dans une solitu<strong>de</strong> extrême."<br />

"Un jour on se bat, <strong>le</strong> cœur rempli <strong>de</strong> haine. Le <strong>le</strong>n<strong>de</strong>main, c'est une<br />

amitié sans bornes qui nous lie et nous rend dépendants l'un <strong>de</strong> l'autre.<br />

Nous sommes vraiment bizarres Arthur"<br />

"Sam, je ne sais toujours pas si tu es un ami, un grand frère ou un père,<br />

mais je ne serais plus bon à rien sans ton soutien."<br />

"J'avais bien précisé que celui qui s'en prendrait à lui aurait à faire à moi.<br />

J'interdis à quiconque <strong>de</strong> lui faire du mal."<br />

"Un ami? Tu as d'autres amis que nous toi?"<br />

"Arthur, je ne peux rien t'offrir d'autre que ma paro<strong>le</strong> pour te prouver ma<br />

loyauté. Tu as ma vie entre <strong>le</strong>s mains. J'en arrive à ne plus savoir ce<br />

qu'el<strong>le</strong> vaut. Si tu estimes qu'el<strong>le</strong> est néfaste, je t'autorise à la prendre…<br />

immédiatement."<br />

"Je ne t'offrirai pas cette satisfaction Sam. Tu as toujours cherché<br />

l'auto<strong>de</strong>struction. Ce n'est pas moi qui t'ai<strong>de</strong>rai en ce sens."<br />

"Nous détruirons la Confrérie. Moi <strong>de</strong> l'intérieur, toi avec l'appui <strong>de</strong>s élus."<br />

"Soyons donc "frangins", même <strong>de</strong> loin. Toi, tu penseras à moi pour que<br />

je ne me sente pas seul si ma mère me laisse. Moi… je penserai à toi en<br />

espérant que tu gar<strong>de</strong>s toujours cette générosité exemplaire…"<br />

"Nils, Anaïs, toi… Il y a anguil<strong>le</strong> sous roche, et je compte bien la<br />

débusquer!"<br />

"Primo a découvert quelque chose sur moi, alors même que je me<br />

familiarisais avec mon statut d'élu. Quelque chose qui semb<strong>le</strong> te concerner<br />

aussi… Pour une raison que j'ignore toujours, nous possédons un pouvoir<br />

complètement indépendant <strong>de</strong> notre statut d'élu. Et nous semblons être<br />

<strong>le</strong>s seuls concernés. Ce pouvoir explique <strong>le</strong> fait que <strong>le</strong> Sceau Cosmique<br />

soit venu se greffer dans ta tête. Il explique <strong>le</strong> fait que nous soyons liés à<br />

Casca<strong>de</strong>, que nous ayons <strong>de</strong>s visions, que Kaznaël ne puisse pas s'en<br />

prendre à nous, que parfois nous perdions <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> <strong>de</strong> nos sens…"<br />

…<br />

6


…<br />

…<br />

***<br />

"Ce n'est pas vraiment à nous qu'il par<strong>le</strong>, hein? Il a du faire une erreur…<br />

Admettons que cet homme ne soit pas Elliott mais bien Hinjis, il est<br />

possib<strong>le</strong> qu'il se soit trompé sur notre compte…"<br />

Arthur recula d'un pas, pris <strong>de</strong> sueurs froi<strong>de</strong>s.<br />

"Dans ce cas pourquoi cela a-t-il l'air aussi naturel? Pourquoi est-ce que<br />

Kaznaël ne bouge pas? Si j'étais Leryan, il me l'aurait dit, n'est-ce pas? Il<br />

ne m'a rien dit <strong>de</strong> tel. Moi je ne suis qu'Arthur. Arthur Alfred Gall. J'ai <strong>de</strong>s<br />

papiers pour <strong>le</strong> prouver. Je ressemb<strong>le</strong> physiquement à mes parents. Je<br />

n'ai pas été adopté, je <strong>le</strong> sais bien. Le nom <strong>de</strong> ma mère apparaît sur mon<br />

acte <strong>de</strong> naissance, daté du 19 mars 1982. J'ai <strong>le</strong> même nez que mon père.<br />

Même mon grand-père me ressemb<strong>le</strong> un peu à ce qu'on dit. Non, je suis<br />

bien moi. Leryan c'est cet autre type que j'ai vu l'autre fois au sanctuaire.<br />

On ne se ressemb<strong>le</strong> même pas! D'ail<strong>le</strong>urs je n'avais jamais mis <strong>le</strong>s pieds à<br />

Sorgentel avant l'an <strong>de</strong>rnier. Il se trompe."<br />

Il chercha Samuel du regard et finit par <strong>le</strong> trouver, à sa droite. C'est<br />

alors qu'il comprit qu'il n'avait pas parlé à voix haute. Tout ce qu'il venait<br />

d'énoncer, il l'avait fait menta<strong>le</strong>ment.<br />

"Sam? fit Arthur d'une voix tremblante."<br />

Samuel ne <strong>le</strong> regardait pas. Toute son attention était portée sur<br />

Elliott… ou Hinjis, <strong>le</strong>quel repartait vers <strong>le</strong> bâtiment afin d'y rejoindre ses<br />

<strong>de</strong>ux comparses inconnus. Kaznaël était immobi<strong>le</strong>. Presque <strong>de</strong>venu timi<strong>de</strong>,<br />

il fuyait Arthur du regard. Impossib<strong>le</strong> <strong>de</strong> lui arracher la moindre<br />

infirmation au sujet <strong>de</strong> Leryan, même si<strong>le</strong>ncieuse.<br />

Arthur ne s'était pas senti aussi mal <strong>de</strong>puis que l'on lui avait<br />

annoncé la mort <strong>de</strong> Nils. A l'époque, la même sensation <strong>de</strong> déni l'avait<br />

poussé à contester ce qu'on lui affirmait pourtant sans la moindre nuance.<br />

Pourtant… la mort <strong>de</strong> Nils avait été une erreur. Il en était forcément <strong>de</strong><br />

même ici. "Je ne suis pas Leryan. Ce serait stupi<strong>de</strong>! C'est <strong>le</strong> type dont je<br />

cherche la trace <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s semaines. On m'a affirmé qu'il était mort." Il<br />

se tourna <strong>de</strong> nouveau vers Samuel, n'osant pas faire face aux autres élus.<br />

Imaginer qu'il pût être Ky<strong>le</strong>an était tout aussi déraisonnab<strong>le</strong>. Cela ferait <strong>de</strong><br />

son bon vieux Sam… un roi, un quasi-dieu.<br />

Tout contrariait <strong>le</strong>s dénominations dont l'avait apostrophé Hinjis.<br />

Maître. Leryan. Sans compter que Kaznaël et <strong>le</strong> Celmark avaient connu<br />

Leryan. Si lui, simp<strong>le</strong> mortel, avait été Leryan, ces <strong>de</strong>ux personnes<br />

6


l'auraient nécessairement reconnu, non? "Je ne suis pas un mort, bon<br />

sang…"<br />

C'est là que Samuel lui saisit <strong>le</strong> poignet. De manière ferme mais<br />

sans vio<strong>le</strong>nce ni contrainte.<br />

"Viens avec moi, dit-il simp<strong>le</strong>ment, sans <strong>le</strong> regar<strong>de</strong>r.<br />

-Non."<br />

Un refus net mais sans conviction. Arthur se braqua. Il y avait bien<br />

quelqu'un qui abon<strong>de</strong>rait dans son sens. Sally? Sonia? Andreas? Arthur <strong>le</strong>s<br />

chercha <strong>de</strong>rrière lui. Ses compagnons étaient immobi<strong>le</strong>s, <strong>le</strong> regard fixé sur<br />

<strong>le</strong> temp<strong>le</strong>. Arthur ressentit un malaise en <strong>le</strong>s voyant ainsi. Ils ne <strong>le</strong><br />

regardaient pas du tout, <strong>le</strong>urs yeux étaient étrangement vi<strong>de</strong>s d'émotion.<br />

Ils ne bougeaient littéra<strong>le</strong>ment pas.<br />

"Samuel, quelque chose ne va pas!"<br />

Samuel se retourna à son tour, sans lâcher prise. Il fronça alors <strong>le</strong>s<br />

sourcils, scrutant <strong>le</strong> groupe avec perp<strong>le</strong>xité. Aucun d'entre eux ne donnait<br />

<strong>le</strong> moindre signe <strong>de</strong> vie. Sonia, Sally, Rachel, Andreas, Xenia, Asuka,<br />

Minilly. Le bras <strong>de</strong> Sonia s'était bloqué dans <strong>le</strong> vi<strong>de</strong> et sa bouche était<br />

gran<strong>de</strong> ouverte, comme si el<strong>le</strong> s'était apprêtée à hé<strong>le</strong>r quelqu'un. Des<br />

statues humaines.<br />

"Ne vous inquiétez pas pour eux, ils ne risquent absolument rien…"<br />

L'un <strong>de</strong>s acolytes <strong>de</strong> Hinjis était assis sur la balustra<strong>de</strong> du patio,<br />

jambes suspendues dans <strong>le</strong> vi<strong>de</strong>. C'était lui qui venait <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r.<br />

D'apparence plus mûre que Hinjis, il ressemblait à s'en méprendre à Jean-<br />

Clau<strong>de</strong> Van Damme. Arthur ne parvint même pas à s'amuser <strong>de</strong> cette<br />

assimilation saugrenue.<br />

"J'ai figé vos amis <strong>le</strong> temps que nous ayons cette rapi<strong>de</strong> conversation,<br />

maîtres. C'est <strong>le</strong> seul moyen <strong>de</strong> nous assurer qu'ils ne nous importunent<br />

pas. Ils ne subiront évi<strong>de</strong>mment pas <strong>le</strong>s moindres séquel<strong>le</strong>s."<br />

Arthur fut alarmé par cette révélation.<br />

"Libérez-<strong>le</strong>s, dit Samuel d'une voix anorma<strong>le</strong>ment posée.<br />

-Je ne suis pas en mesure <strong>de</strong> répondre favorab<strong>le</strong>ment à votre <strong>de</strong>man<strong>de</strong>,<br />

maître Ky<strong>le</strong>an, dit l'individu en secouant la tête."<br />

Hinjis avait rejoint <strong>le</strong> patio. Il semblait presque s'amuser <strong>de</strong> la<br />

situation, du moins c'est ainsi qu'Arthur interpréta l'expression narquoise<br />

qui s'était <strong>de</strong>ssinée sur son visage.<br />

"Je n'y peux rien, finit-il par admettre. Heakt ne changera pas d'avis,<br />

discip<strong>le</strong> ou pas. Plus vite vous accepterez la réalité, plus vite il <strong>le</strong>ur<br />

6


edonnera <strong>le</strong>ur liberté <strong>de</strong> mouvement. Je ne vous ai jamais fait <strong>de</strong> mal,<br />

n'est-ce pas? ajouta-t-il comme pour mettre Arthur en confiance.<br />

-Tu as caché ton i<strong>de</strong>ntité jusqu'à présent? Pourquoi <strong>de</strong>vrais-je te croire?<br />

-Nous n'avons pas vraiment <strong>le</strong> choix, Art, dit Samuel."<br />

Ce <strong>de</strong>rnier se trouvait face à Sonia, la main posée sur son épau<strong>le</strong><br />

gauche. Une légère brise fit vo<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s cheveux blonds <strong>de</strong> la femme. El<strong>le</strong><br />

n'était pas vraiment statufiée. Juste plongée dans une forme <strong>de</strong> catatonie.<br />

"Sam? fit Arthur<br />

-Hum?<br />

-Pourquoi tu <strong>le</strong>s laisses faire? Pourquoi tu es si calme!?<br />

-Je ne suis pas calme, je me contiens."<br />

C'était exactement ce que craignait Arthur :<br />

"Tu crois que ce qu'ils disent est vrai?"<br />

Samuel s'écarte <strong>le</strong>ntement <strong>de</strong> Sonia. Sa réponse était prévisib<strong>le</strong>.<br />

"Oui, je <strong>le</strong>s crois… Et toi?<br />

-…Je ne sais pas."<br />

Ce faisant, Arthur réalisa qu'il se laissait déjà gagner par <strong>le</strong> doute là<br />

où, une minute plus tôt, il avait complètement nié la vérité. Oui, il y avait<br />

toujours eu quelque chose, un petit rien au fond <strong>de</strong> lui, taraudant<br />

régulièrement ses pensées. Il était conscient <strong>de</strong> son anormalité, même eu<br />

égard à son statut d'élu. Samuel lui avait signalé maintes fois qu'il y avait<br />

anguil<strong>le</strong> sous roche. Mais <strong>de</strong> là à imaginer qu'il fut étroitement lié à<br />

Leryan… qu'il fut Leryan.<br />

"J'aime penser qu'on est <strong>de</strong>s frères spirituels, <strong>de</strong>puis notre toute première<br />

rencontre. On a tel<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> choses en commun… Est-ce si étonnant?<br />

Enfin… bien sûr que ça l'est mais… si ces gars disent que nous sommes<br />

frères, je veux bien <strong>le</strong> croire."<br />

Pourquoi Samuel réduisait-il <strong>le</strong> problème a un simp<strong>le</strong> lien fraternel?<br />

Réalisait-il que si Hinjis disait vrai, cela ferait d'eux <strong>de</strong>ux <strong>le</strong>s maîtres<br />

intemporels <strong>de</strong> Sorgentel?<br />

"Discuter avec eux ne coûte rien, tu ne penses pas? conclut Samuel en lui<br />

tapotant la joue. Viens, on va affronter ça ensemb<strong>le</strong>.<br />

-D'accord, fit Arthur, la mort dans l'âme.<br />

-Sois tout <strong>de</strong> même prêt à dégainer Drydock, murmura Samuel, regardant<br />

Hinjis <strong>de</strong> travers."<br />

Arthur approuva, soulagé <strong>de</strong> constater que Samuel faisait preuve<br />

d'un minimum <strong>de</strong> méfiance. Ensemb<strong>le</strong>, ils s'engagèrent dans l'allée<br />

6


centra<strong>le</strong> du jardin, empruntée un instant plus tôt par Hinjis. Il n'y avait<br />

que quelques pas à effectuer mais ce laps <strong>de</strong> temps réduit suffit à Arthur<br />

pour être victime <strong>de</strong> multip<strong>le</strong>s interrogations. Lorsqu'il dépassa Kaznaël et<br />

que celui-ci ne fit pas mine <strong>de</strong> réagir, il en arriva à se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si ce<br />

<strong>de</strong>rnier ne venait pas lui aussi d'entendre ces révélations. "Non, je ne suis<br />

pas Leryan" songea Arthur pour se convaincre.<br />

"Je vous suis gré d'avoir fait <strong>le</strong> premier pas, Maîtres, déclara Hinjis lorsque<br />

Arthur et Samuel se retrouvèrent <strong>de</strong>vant lui, crispés et <strong>le</strong>s sens en a<strong>le</strong>rte.<br />

-Ne nous appel<strong>le</strong> pas ainsi, répliquèrent <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux en chœur.<br />

-Comme vous <strong>le</strong> désirez, concéda Hinjis avec un petit rire."<br />

Il était encore plus insupportab<strong>le</strong> qu'Elliott. À sa gauche se trouvait<br />

celui qui <strong>de</strong>vait être <strong>le</strong> troisième discip<strong>le</strong>. Ses traits étaient très similaires<br />

à ceux <strong>de</strong> Hinjis mais il paraissait plus âgé et taciturne. Ils auraient tout à<br />

fait pu être <strong>de</strong>s frères ou <strong>de</strong>s cousins.<br />

"Sois plus diplomate Hinjis. La <strong>de</strong>rnière fois que tu as ainsi provoqué <strong>le</strong>s<br />

maîtres, Leryan a failli séparer ta tête du reste <strong>de</strong> ton corps, professa<br />

celui-ci. (Il observa tour à tour Samuel, puis Arthur, avant <strong>de</strong> poser un<br />

genou à terre). Je suis Haltan. Vous n'imaginez pas la joie que j'éprouve<br />

en me retrouvant <strong>de</strong> nouveau face à vous. Nous avons longtemps œuvré<br />

pour ces retrouvail<strong>le</strong>s."<br />

<strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux autres discip<strong>le</strong>s mimèrent son salut, au grand désarroi d'Arthur.<br />

"Hinjis, Haltan et Heakt…, fit Samuel.<br />

-Ce sont là nos noms.<br />

-C'est… assez moche."<br />

Un frisson d'aigreur traversa <strong>le</strong> trio suite à cette remarque inattendue.<br />

"C'est exactement ce que vous nous avez dit lorsque vous nous avez pris<br />

sous votre ai<strong>le</strong>, Maître Ky<strong>le</strong>an, dit Hinjis en forçant un sourire. Nous n'en<br />

prenons plus offense. Vou<strong>le</strong>z-vous bien prendre place s'il vous plaît?"<br />

Deux sièges en joli bois noir étaient apparus comme par magie<br />

<strong>de</strong>vant Arthur et Samuel. Ils ne firent pas <strong>le</strong> moindre mouvement.<br />

"Ce ne sont que <strong>de</strong>s sièges, il n'y a pas là <strong>le</strong> moindre piège, assura Heakt<br />

d'une voix bourrue.<br />

-Hé hé! Ils sont aussi farouches que <strong>le</strong>s originaux, s'amusa Hinjis."<br />

Arthur consulta Samuel du regard. D'un accord commun, ils prirent<br />

place. Leurs amis étaient immobilisés un peu plus loin. Autant se plier aux<br />

<strong>de</strong>si<strong>de</strong>rata <strong>de</strong> ces étranges discip<strong>le</strong>s. Arthur plaça ses mains sur ses<br />

cuisses et agrippa nerveusement <strong>le</strong> tissu <strong>de</strong> son pantalon. En face <strong>de</strong> lui,<br />

<strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s avaient l'attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> bonzes en attente d'une conversation<br />

6


avec Bouddha. "Qu'est-ce que je ne donnerais pas pour être à la<br />

bibliothèque en train <strong>de</strong> me torturer <strong>le</strong> cerveau?"<br />

"Ainsi donc, tu n'es pas vraiment Elliott? <strong>de</strong>manda-t-il en voyant que<br />

personne d'autre n'était prêt à prendre la paro<strong>le</strong>.<br />

-Et non! Du moins je ne <strong>le</strong> suis plus.<br />

-Elliott existe vraiment ou tu l'as inventé <strong>de</strong> toutes pièces?<br />

-Elliott Corr a réel<strong>le</strong>ment existé et il aurait dû <strong>de</strong>venir un élu. Hélas, <strong>le</strong>s<br />

aléas <strong>de</strong> la vie en ont décidé autrement. Il est mort noyé il y a quelques<br />

années, sans avoir pu découvrir sa véritab<strong>le</strong> <strong>de</strong>stinée.<br />

-Oh…, fit Arthur avec contrition.<br />

-Ce qui fut une bénédiction pour moi, dit Hinjis avec un grand sourire.<br />

Grâce à sa passion irrationnel<strong>le</strong> pour <strong>le</strong> surf il a fini dans <strong>le</strong>s fonds marins,<br />

me laissant ainsi l'opportunité <strong>de</strong> prendre sa place. Je n'ai eu qu'à<br />

humaniser mon apparence et endosser sa personnalité.<br />

-Tout ceci pourquoi? l'interrogea Samuel.<br />

-Pour gar<strong>de</strong>r un œil sur la réincarnation du maître Leryan, bien<br />

évi<strong>de</strong>mment.<br />

-Réincarnation…?"<br />

Arthur pensa à Enzo Wallace, <strong>le</strong> dirigeant <strong>de</strong> GLOW, présenté<br />

comme la réincarnation du chamane Gaetan Léopold Osman Wallace.<br />

Samuel et Arthur seraient <strong>de</strong>s réincarnations, au même titre qu'Enzo?<br />

Cette histoire <strong>de</strong>venait <strong>de</strong> plus en plus absur<strong>de</strong>.<br />

"Haltan, Heakt, me permettez-vous d'être celui qui va <strong>le</strong>s éclairer sur <strong>le</strong>ur<br />

véritab<strong>le</strong> nature? <strong>de</strong>manda Hinjis à ses comparses.<br />

-C'est donc toujours toi qui finit sur <strong>le</strong> <strong>de</strong>vant <strong>de</strong> la scène, rouspéta Heakt.<br />

Tu as eu la chance <strong>de</strong> cotôyer <strong>le</strong>s maîtres pendant <strong>de</strong>s mois.<br />

-C'est bien pour cela qu'il est naturel que je finisse mon travail. D'ail<strong>le</strong>urs<br />

ne va pas penser que ce fut une tâche <strong>de</strong> tout repos. Le Maître Lery…<br />

Arthur a attenté à ma vie plus d'une fois. Qui plus est, passer pour stupi<strong>de</strong><br />

fut assez éprouvant.<br />

-Je n'ose pas dire que tu n'as pas eu à fournir <strong>de</strong> grands efforts pour<br />

assumer ce rô<strong>le</strong>, dit Haltan en scrutant l'horizon.<br />

-Tu viens <strong>de</strong> <strong>le</strong> dire, s'écria Hinjis.<br />

-Ah… peut-être bien.<br />

-Si vous pouviez nous…, fit Arthur.<br />

-Veuil<strong>le</strong>z nous excuser pour cette indélicatesse, Maître, s'excusa Haltan.<br />

Hinjis va vous expliquer ce qu'il en est."<br />

Hinjis, qui n'avait vraiment plus rien d'Elliott, acquiesça d'un air<br />

mauvais, s'assit en tail<strong>le</strong>ur <strong>de</strong>vant <strong>le</strong>s "Maîtres", plissa <strong>le</strong> fin tissu <strong>de</strong> sa<br />

tenue et ferma <strong>le</strong>s paupières.<br />

"Je m'étonne qu'une question ne vous vienne pas immédiatement à<br />

l'esprit, fit-il remarquer en ouvrant subitement un œil.<br />

6


-Si vous êtes <strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an, comment pouvez-vous encore être<br />

vivants?<br />

-Vous êtes aussi perspicace que dans mon souvenir, Samuel. Maître<br />

Ky<strong>le</strong>an – donc vous – est mort il y a <strong>de</strong>s dizaines et <strong>de</strong>s dizaines d'années.<br />

Or nous étions à peine plus jeunes que lui à l'époque.<br />

-Kaznaël est tout aussi vivant, souligna Arthur sans chercher l'intéressé du<br />

regard.<br />

-Précisément. Cela pour une bonne raison. Kaznaël est au Maître Leryan<br />

ce que nous sommes au Maître Ky<strong>le</strong>an. Un discip<strong>le</strong>… voire même, un<br />

Protecteur.<br />

-Kaznaël <strong>le</strong> Protecteur, répéta Arthur en pesant <strong>le</strong> sens nouveau que<br />

prenaient ces mots.<br />

-Le protecteur, <strong>le</strong> discip<strong>le</strong>, <strong>le</strong> larbin, peu importe la dénomination! Ho,<br />

Kaznaël! Kaznaël! (Hinjis agita la main vers lui) Pourquoi ne rejoins-tu pas<br />

cette conversation? Tu n'as pas envie <strong>de</strong> saluer ton maître toi aussi? Cette<br />

découverte a dû te choquer mais tu ne dois pas te sentir aussi mal! Nous<br />

ne t'avons pas fait entrer dans <strong>le</strong> Tombeau pour que tu médites sur ton<br />

malheur. Ne reste pas seul avec ces élus statufiés Kaznaeeeeeel!<br />

-Hinjis! vitupérèrent Haltan et Heakt.<br />

-Je vais tuer ce type, pensa Arthur avec agacement.<br />

-Je disais donc… Ah oui! La mission première d'un discip<strong>le</strong> était <strong>de</strong><br />

recevoir l'enseignement <strong>de</strong> son Maître afin <strong>de</strong> suivre sa voie mais surtout<br />

<strong>de</strong> retransmettre cet enseignement au plus grand nombre en<br />

accomplissant la volonté dudit Maître. Nous avons été sé<strong>le</strong>ctionnés par<br />

vous (il observa Samuel) parmi <strong>de</strong>s centaines d'aspirants, ce qui fut un<br />

immense honneur. Le choix <strong>de</strong> Kaznaël pour <strong>de</strong>venir <strong>le</strong> discip<strong>le</strong> <strong>de</strong> Maître<br />

Leryan fut plus… drô<strong>le</strong> si j'ose dire. Mais c'est une autre histoire."<br />

Hinjis parut re<strong>de</strong>venir sérieux. Ses yeux s'éteignirent.<br />

"C'est pour accomplir la volonté <strong>de</strong> Maître Ky<strong>le</strong>an par <strong>de</strong>là la mort que<br />

nous sommes encore <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong>. Tout comme Kaznaël, nous n'avons<br />

plus vieilli <strong>de</strong>puis la mort <strong>de</strong>s Maîtres."<br />

Arthur s'accrocha au rebord <strong>de</strong> son siège. La vérité arrivait enfin… et<br />

ses amis ne pouvaient même pas l'entendre.<br />

"Connaissez vous <strong>le</strong>s circonstances <strong>de</strong> la mort <strong>de</strong>s Maîtres? <strong>de</strong>manda<br />

Hinjis.<br />

-Ky<strong>le</strong>an a tué Leryan, répondit Arthur qui eut aussitôt <strong>de</strong>s réminiscences<br />

du moment où Samuel l'avait poignardé avec Casca<strong>de</strong>."<br />

Samuel l'observa un très court instant.<br />

"Ce que vous savez à ce sujet est malheureusement vrai. Maître Ky<strong>le</strong>an a<br />

perdu pied à la mort <strong>de</strong> sa tendre femme. Inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> revenir sur ce que la<br />

reine Miliès a déjà expliqué. Il y a eu une altercation entre <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux frères<br />

6


et Ky<strong>le</strong>an a acci<strong>de</strong>ntel<strong>le</strong>ment tué Leryan, ce qui l'a rendu fou <strong>de</strong> chagrin,<br />

plus qu'il ne l'était déjà."<br />

Hinjis soupira tristement.<br />

"Ce jour fut tristement célèbre comme celui où <strong>le</strong> souverain <strong>de</strong> Sorgentel<br />

quitta <strong>le</strong> Havre et traversa tout Sorgentel avec dans ses bras la dépouil<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong> son frère, ceci jusqu'au lac Diamase. Le Maître Ky<strong>le</strong>an ne pouvait se<br />

résoudre à la fatalité qui l'avait frappé. Après avoir donné ses ultimes<br />

recommandations à Kaznaël, il se mit en route, nous trois sur ses talons.<br />

(Il observa Samuel) Nous n'arrivions pas à déterminer si <strong>le</strong> Maître était<br />

dans un moment <strong>de</strong> lucidité ou s'il avait définitivement perdu la raison.<br />

Une chose était certaine. Il était décidé à mettre fin à ses jours, dans <strong>le</strong><br />

seul but <strong>de</strong> s'amen<strong>de</strong>r.<br />

-En quoi se suici<strong>de</strong>r pouvait-il bien arranger la situation? fit Samuel.<br />

-Vous avez la réponse sous <strong>le</strong>s yeux. Maître Ky<strong>le</strong>an a consumé son<br />

existence pour accomplir plusieurs tâches : tout d'abord instaurer<br />

l'Equilibre <strong>de</strong> façon durab<strong>le</strong>. Ensuite, nous accor<strong>de</strong>r à tous <strong>le</strong>s quatre la vie<br />

éternel<strong>le</strong>. Enfin…"<br />

Il <strong>le</strong>s désigna tous <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux du doigt.<br />

"Accor<strong>de</strong>r à son frère et à lui-même la perspective d'une renaissance.<br />

-…"<br />

Arthur respirait avec peine.<br />

"Oui, c'est bien là l'étendue du pouvoir <strong>de</strong> Maître Ky<strong>le</strong>an. Comme je vous<br />

l'ai dit, il ne pouvait se résoudre à l'idée d'avoir gâché son existence et<br />

cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> son frère adoré par pur caprice. Ne disposant pas <strong>de</strong> la capacité<br />

<strong>de</strong> ressusciter <strong>le</strong>s morts, il a envisagé la seu<strong>le</strong> possibilité à portée <strong>de</strong> son<br />

pouvoir. Un processus <strong>de</strong> réincarnation.<br />

Voyez-vous <strong>le</strong> flux <strong>de</strong>s Velléités? Il repose sur <strong>le</strong> même procédé. La reine<br />

Miliès a expliqué que lorsqu'un Sorgenteli mourait, une parcel<strong>le</strong> <strong>de</strong> son<br />

âme <strong>de</strong>meurait quelques temps au Havre, près <strong>de</strong> Springan, avant <strong>de</strong><br />

contribuer à la naissance d'un djinn, investi <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s souhaits qu'il avait<br />

émis <strong>de</strong> son vivant. Maître Ky<strong>le</strong>an a utilisé ses capacités pour accroître<br />

l'amp<strong>le</strong>ur <strong>de</strong> ce processus inexplicab<strong>le</strong> et l'appliquer à sa propre volonté.<br />

Cette volonté étant…<br />

-…<strong>de</strong> pouvoir renaître un jour, dans un mon<strong>de</strong> ou dans l'autre, afin <strong>de</strong><br />

retrouver son frère, murmura Haltan en fermant douloureusement <strong>le</strong>s<br />

yeux.<br />

-Vous pourriez appe<strong>le</strong>r ceci la Velléité Ultime, continua Hinjis. Ma <strong>de</strong>rnière<br />

volonté est <strong>de</strong> renaître un jour pour réparer ce que j'ai fait et pouvoir<br />

mieux prendre soin <strong>de</strong> mon frère. Il ne souhaitait pas reprendre <strong>le</strong> pouvoir<br />

à Sorgentel ou retrouver un rang égal, juste retrouver son frère.<br />

-Cette Velléité a pris la forme d'un objet que vous recherchez<br />

actuel<strong>le</strong>ment. L'Orbe <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an.<br />

6


-L'Orbe <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an… est la Velléité <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an? s'exclama Arthur.<br />

-Précieusement protégé par <strong>le</strong> Cénac<strong>le</strong> <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s déca<strong>de</strong>s. L'Orbe<br />

renferme la Velléité <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an, ou plutôt ses Velléités."<br />

Hinjis se <strong>le</strong>va et s'avança vers Arthur et Samuel.<br />

"Vous êtes <strong>le</strong> résultat <strong>de</strong> ce processus. Nos Maîtres revivent à travers vous<br />

l'existence qu'ils n'ont pas pu mener à <strong>le</strong>ur terme."<br />

Il posa la main sur la tête d'Arthur. Ce <strong>de</strong>rnier n'avait plus la volonté<br />

<strong>de</strong> nier ou <strong>de</strong> se défendre. La vérité s'insinuait dans sa conscience,<br />

<strong>le</strong>ntement mais sûrement.<br />

"Tu es bien Arthur Gall. Ta vie dans <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> humain est tout ce qu'il y a<br />

<strong>de</strong> plus réel. Tu ne dois rien changer à cela. Au contraire, Maître Ky<strong>le</strong>an<br />

voulait que tu vives sereinement et c'est ce que tu <strong>de</strong>vras faire une fois ta<br />

mission d'élu accomplie."<br />

Il retira sa main puis s'agenouilla <strong>de</strong>vant Samuel, avec un léger sourire.<br />

"Maître Samuel…"<br />

Samuel acquiesça <strong>le</strong>ntement, prenant enfin conscience <strong>de</strong> ce qui lui<br />

avait échappé <strong>de</strong>puis dix ans. Il semblait apaisé.<br />

"Vous pouvez mener une vie sereine vous aussi. <strong>Les</strong> évènements<br />

survenus lors <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière Concrétisation il y a dix ans ne doivent pas<br />

vous mener à réitérer <strong>le</strong>s erreurs <strong>de</strong> Maître Ky<strong>le</strong>an. Tout ceci est fort<br />

dramatique mais ce n'était qu'un acci<strong>de</strong>nt dû aux émotions qui vont ont<br />

bou<strong>le</strong>versé à ce moment. Il est encore temps <strong>de</strong> réparer pièce par pièce<br />

cette œuvre brisée. Vous et Arthur, vous êtes beaucoup plus forts que<br />

nous n'aurions pu l'espérer."<br />

Hinjis s'éloigna d'un pas.<br />

"Notre mission était <strong>de</strong> nous assurer que vous seriez au fait <strong>de</strong> vos<br />

origines lorsque ce moment arriverait, lorsque tous <strong>de</strong>ux finiriez par être<br />

aussi proches que <strong>le</strong>s frères qui vous ont précédé. Nous ne pouvions pas<br />

interférer outre mesure et c'est pour cette raison que je suis <strong>le</strong> seul à être<br />

venu dans votre mon<strong>de</strong>. En tant qu'élu, j'étais plus à même <strong>de</strong> recroiser<br />

Samuel pour observer son évolution. Une chose, une SEULE chose, n'avait<br />

pas été prévue.<br />

-Quoi donc? <strong>de</strong>manda Arthur.<br />

-Que vous accédiez tous <strong>de</strong>ux au statut d'élu. Autant <strong>le</strong> fait que la<br />

réincarnation <strong>de</strong> Maître Ky<strong>le</strong>an en <strong>de</strong>vienne un n'était pas surprenant,<br />

autant l'immixtion d'Arthur dans ce mon<strong>de</strong> était tout à fait inattendue.<br />

-Un petit caprice <strong>de</strong> Nils, en effet, dit Arthur, amusé malgré lui.<br />

6


-Bah! Nous avons été victimes d'un excès <strong>de</strong> zè<strong>le</strong>, soupira Heakt.<br />

Connaissant <strong>le</strong>s ascendants d'Anaïs et Nils, il n'était pas surprenant que…<br />

-Tu par<strong>le</strong>s trop, l'arrêta Haltan.<br />

-Oups…<br />

-Quoi Anaïs et Nils? Leurs ascendants? s'exclama Arthur."<br />

Heakt <strong>de</strong>vint rouge cramoisi. Apparemment il n'avait pas prévu d'en<br />

dire autant. En attestait l'expression réprobatrice <strong>de</strong> Haltan.<br />

"Hinjis, <strong>de</strong> quoi s'agit-il? insista Arthur.<br />

-Le moment est mal choisi. De plus <strong>le</strong>s intéressés nous ont fait jurer <strong>de</strong> ne<br />

jamais en par<strong>le</strong>r, hé hé! (Son rire sonnait faux).<br />

-Quels intéressés? Anaïs et Nils?<br />

-Non, pas eux.<br />

-Hinjis! Qui alors?<br />

-Je ne par<strong>le</strong>rai pas, même sous la torture, couina Hinjis. Maître Ky<strong>le</strong>an, si<br />

vous <strong>de</strong>vez me sanctionner faites-<strong>le</strong> mais je ne par<strong>le</strong>rai pas!"<br />

Samuel haussa <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s afin <strong>de</strong> montrer son désengagement.<br />

"Tu es insupportab<strong>le</strong> Hinjis, enragea Arthur. J'en arrive presque à<br />

regretter Elliott.<br />

-Vous m'avez toujours détesté, c'est tout naturel, approuva l'autre. Bon,<br />

bon, occupons-nous d'abord <strong>de</strong> ces orbes et je vous révé<strong>le</strong>rai tout au sujet<br />

d'Anaïs et Nils.<br />

-Êtes-vous en train <strong>de</strong> proposer <strong>de</strong> nous ai<strong>de</strong>r? Je croyais que vous ne<br />

<strong>de</strong>viez pas interférer outre mesure, s'étonna Samuel.<br />

-Et bien… nous n'avons guère plus <strong>de</strong> pouvoir et il ne s'agit pas à<br />

proprement par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> notre mission. Cependant, je pense que nous<br />

pouvons nous accor<strong>de</strong>r sur <strong>le</strong> fait qu'une petite explication ne va pas à<br />

l'encontre <strong>de</strong> nos recommandations.<br />

-Je ne comprends pas trop.<br />

-Vous avez remarqué <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux petits îlots rattachés à ce sanctuaire par<br />

<strong>de</strong>s passerel<strong>le</strong>s secondaires? Il s'agit <strong>de</strong>s emplacements respectifs <strong>de</strong><br />

Fenrir et Altaïr, isolés au milieu <strong>de</strong>s flots. Si vous <strong>le</strong>s remettez à <strong>le</strong>ur<br />

place, l'Equilibre sera purement et simp<strong>le</strong>ment restauré, que vous ayez<br />

l'Orbe <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an ou non.<br />

-L'Orbe <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an est la Velléité <strong>de</strong> notre Maître. Qui mieux que vous <strong>de</strong>ux<br />

peut se substituer au pouvoir <strong>de</strong> cet Orbe? expliqua Haltan. Votre<br />

présence dans <strong>le</strong> Tombeau suffit à remplacer l'Orbe disparu.<br />

-Vraiment? fit Arthur.<br />

-Vous possé<strong>de</strong>z au plus profond <strong>de</strong> vous <strong>le</strong>s velléités <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux Maîtres.<br />

<strong>Les</strong> évènements passés ont dû vous <strong>le</strong> démontrer.<br />

-Formidab<strong>le</strong>, se réjouit Samuel après un instant <strong>de</strong> si<strong>le</strong>nce. Je savais que<br />

l'on pourrait contourner ce problème. Ravi <strong>de</strong> voir cette théorie<br />

confirmée!"<br />

6


Hinjis afficha une expression <strong>de</strong> sérénité. Arthur et Samuel, eux, se<br />

serrèrent spontanément et vigoureusement la main.<br />

"Alors… on est frères, en quelque sorte? dit Arthur comme s'il venait <strong>de</strong> <strong>le</strong><br />

réaliser.<br />

-On a tous <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux <strong>le</strong>s cheveux noirs en tout cas. Cela expliquerait<br />

pourquoi tu essaies tant <strong>de</strong> me ressemb<strong>le</strong>r.<br />

-…Cela expliquerait surtout pourquoi tu te mê<strong>le</strong>s tant <strong>de</strong> ma vie<br />

sentimenta<strong>le</strong>.<br />

-…Et la raison pour laquel<strong>le</strong> nous sommes enfants uniques. A quoi bon<br />

avoir un frère <strong>de</strong> sang? C'est tel<strong>le</strong>ment plus distingué d'avoir un frère <strong>de</strong><br />

réincarnation.<br />

-Tu m'étonnes! Qui peut se vanter <strong>de</strong> ça <strong>de</strong> nos jours?"<br />

Ils se sourirent. Arthur tentait <strong>de</strong> dissimu<strong>le</strong>r son troub<strong>le</strong> par l'humour.<br />

"Ca ne va rien changer entre nous, assura Samuel. La seu<strong>le</strong> différence,<br />

c'est qu'on saura…<br />

-Oui, comme tu dis!"<br />

Il y eut un instant <strong>de</strong> malaise, pendant <strong>le</strong>quel aucun d'entre eux ne<br />

sut que dire. Ce n'est pas tous <strong>le</strong>s jours que l'on découvre qu'un <strong>de</strong> ses<br />

amis est en réalité son frère spirituel.<br />

"Vous ne <strong>de</strong>vriez pas faire attendre vos amis plus longtemps, indiqua<br />

Heakt en désignant <strong>le</strong>s autres élus <strong>de</strong> la main. Ils vont finir par se lasser."<br />

Arthur réalisa avec surprise que ses compagnons étaient tous<br />

massés <strong>de</strong>rrière eux, en train <strong>de</strong> <strong>le</strong>s attendre dans <strong>le</strong> plus grand <strong>de</strong>s<br />

si<strong>le</strong>nces. Sonia dévisageait Samuel. <strong>Les</strong> autres fixaient Arthur avec une<br />

gêne vainement contenue.<br />

"Oh… Il va falloir <strong>le</strong>ur expliquer à eux aussi, déplora Arthur.<br />

-Cela ne sera pas nécessaire, dit Heakt en souriant. Je <strong>le</strong>s ai libérés <strong>de</strong><br />

mon sortilège à peine quelques instants après <strong>le</strong> début <strong>de</strong> notre<br />

discussion. Ils ont écouté discrètement mais attentivement.<br />

-Mais…"<br />

Sally hocha dramatiquement la tête pour approuver. El<strong>le</strong> était<br />

manifestement sous <strong>le</strong> choc.<br />

"Pourquoi avoir fait ça? s'exclama Arthur. Je croyais que…<br />

-Nous n'avions pas besoin <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur cacher quoi que ce soit. Nous voulions<br />

être certains que votre attention ne serait pas détournée par <strong>le</strong>s réactions<br />

<strong>de</strong> vos compagnons. Quel meil<strong>le</strong>ur moyen pour cela que <strong>de</strong> vous faire<br />

croire qu'ils n'entendaient rien?<br />

-Ha ha ha, lâcha Hinjis."<br />

6


Sonia fut la première à s'approcher d'Arthur et Samuel, avec la<br />

démarche maladroite d'une personne réalisant qu'el<strong>le</strong> a cotôyé un roi<br />

pendant <strong>de</strong>s années.<br />

"Je crois que j'ai toujours su que tu n'étais pas n'importe qui, Arthur, ditel<strong>le</strong><br />

simp<strong>le</strong>ment. Je n'imaginais pas à quel point… (El<strong>le</strong> s'avança vers<br />

Samuel). Toi par contre… il me semb<strong>le</strong> que j'ai été aveuglée par mes<br />

sentiments, qu'ils aient été inspirés par la haine ou par…<br />

-Sonia…"<br />

El<strong>le</strong> lui plaqua un doigt sur <strong>le</strong>s lèvres.<br />

"Non. Nous avons déjà perdu trop <strong>de</strong> temps. Sache juste que… cela ne<br />

change rien.<br />

-Vraiment? C'est si faci<strong>le</strong> que ça?<br />

-Je ne dis pas que je ne suis pas troublée. Tu es quand même la…<br />

réincarnation (el<strong>le</strong> fit une grimace en prononçant ce mot) <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an. Je ne<br />

sais pas si une femme comme moi peut…<br />

-Je suis juste Sam, coupa-t-il. Ne me vois pas autrement!"<br />

"Et mer<strong>de</strong> alors, t'es vraiment un type compliqué, lança Rachel en<br />

assénant un coup <strong>de</strong> la paume <strong>de</strong> la main sur <strong>le</strong> front d'Arthur. Un non élu<br />

qui <strong>de</strong>vient un élu et qui est en fait une élite avec <strong>le</strong>s pouvoirs d'Azulnot,<br />

pour s'avérer être en fait <strong>le</strong> type que l'on cherche <strong>de</strong>puis cinq jours. Peuxtu<br />

rendre notre tâche plus ardue?<br />

-Pardon, s'excusa Arthur, sans trop savoir pourquoi.<br />

-Je me fiche <strong>de</strong> ton pardon, répliqua Rachel. Ce n'est pas parce que tu es<br />

un prince ou je ne sais quoi que je vais me prosterner à tes pieds! Enfin…<br />

tout ça pour dire que… (ses épau<strong>le</strong>s s'affaissèrent) je crois comprendre<br />

maintenant pourquoi tu es si torturé. Avec ton passif, tu as bien <strong>le</strong> droit<br />

d'être en état <strong>de</strong> doute permanent.<br />

-Est-ce que c'est ta façon <strong>de</strong> dire que tu comprends?<br />

-Non, que je tolère! To-lè-re!<br />

-Toi, cesse d'importuner Arthur."<br />

Kaznaël s'était interposé.<br />

"Arthur n'est pas n'importe qui. Je ne te permets pas <strong>de</strong> lui par<strong>le</strong>r ainsi.<br />

-Tu es bien malvenu d'ouvrir ta bouche, toi, <strong>le</strong> plus grand <strong>de</strong>s menteurs.<br />

-Je n'ai jamais menti.<br />

-Peu m'importe. Tu ne vas pas commencer à jouer <strong>le</strong>s gol<strong>de</strong>n retriever<br />

juste parce que tu as découvert qu'Arthur est un monarque. Si je <strong>le</strong><br />

souhaite, je lui mets une fessée maintenant, sous ton nez.<br />

-Ne m'oblige pas à te punir…"<br />

Arthur envisagea bien d'intervenir mais la tension qui régnait entre<br />

ces <strong>de</strong>ux-là l'en dissuada. Après tout, ils n'avaient pas l'air bien sérieux.<br />

6


"Sacrée journée pour nous tous, n'est-ce pas? dit fina<strong>le</strong>ment Sally. Arthur,<br />

tu n'as pas trop mal… à la tête?<br />

-La migraine commence à poindre mais je pense que je survivrai.<br />

-Tu as survécu à une première mort, tu survivras bien à un mal <strong>de</strong> tête,<br />

Maître Leryan, dit Asuka avec enthousiasme.<br />

-Asuka, arrête ça, intima Xenia.<br />

-Mais quoi? Quand on découvre que Rick est gay on a <strong>le</strong> droit <strong>de</strong> lui faire<br />

<strong>de</strong>s blagues foireuses pendant trois semaines mais quand on découvre<br />

qu'Arthur est un <strong>de</strong>mi-dieu on doit se taire?<br />

-Fais <strong>le</strong>s blagues que tu veux. Au point où j'en suis, ça ne m'affectera<br />

même pas, assura Arthur.<br />

-Vous voyez? Autorisation du dieu acquise!<br />

-Je trouve que vous <strong>le</strong> prenez étonnamment bien… comparé à moi."<br />

<strong>Les</strong> élus se regardèrent d'un air embarrassé. Sally reprit la paro<strong>le</strong>.<br />

"Ne <strong>le</strong> prends pas mal mais on t'a tous soupçonné d'avoir <strong>de</strong>s sque<strong>le</strong>ttes<br />

dans <strong>le</strong> placard, même si on ne savait pas réel<strong>le</strong>ment ce que tu cachais.<br />

Naturel<strong>le</strong>ment on ne s'attendait pas à ça, mais on pensait bien découvrir<br />

quelque chose un jour.<br />

-À t'entendre, on croirait que tu savais déjà que j'étais la réincarnation <strong>de</strong><br />

Leryan.<br />

-Peut-être bien, répondit-el<strong>le</strong> en clignant <strong>de</strong>s yeux.<br />

-Le plus dur pour toi va sans doute être <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir l'annoncer aux autres,<br />

souligna Xenia.<br />

-Ca ne pourrait pas rester notre petit secret? supplia Arthur après avoir<br />

imaginé <strong>le</strong>s réactions survoltées <strong>de</strong> Jamie et Anaïs.<br />

-Ce ne serait pas correct <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur cacher ça, professa Sally. On ne doit pas<br />

commencer… ou plutôt recommencer à se faire <strong>de</strong>s cachotteries."<br />

La nuance <strong>de</strong> reproche était clairement perceptib<strong>le</strong>.<br />

"Suffit! Suffit! lança Hinjis d'un air théâtral. Ayez l'obligeance <strong>de</strong> finir ce<br />

pour quoi vous êtes venus puis <strong>de</strong> quitter notre <strong>de</strong>meure éternel<strong>le</strong>.<br />

-Cet individu est exaspérant, siffla Rachel en détournant son attention <strong>de</strong><br />

Kaznaël. Je suis navrée <strong>de</strong> l'avoir apprécié en tant qu'Elliott.<br />

-Ne sois pas si amère Rachel, répliqua Hinjis. Si cela peut te rassurer, il<br />

m'a fallu une gran<strong>de</strong> dose <strong>de</strong> sagesse pour résister à tes avances et faire<br />

comme si tu ne m'intéressais pas.<br />

-Je n'ai pas envie d'entendre ce genre <strong>de</strong> choses maintenant, répliqua<br />

Rachel, écarlate."<br />

Haltan décida <strong>de</strong> prendre <strong>le</strong>s choses en main. D'un pas militaire il<br />

quitta <strong>le</strong> patio pour rallier <strong>le</strong> groupe. Bien que svelte, il avait la stature<br />

d'un homme ayant combattu pendant <strong>de</strong> nombreuses années.<br />

"Je vais vous gui<strong>de</strong>r. Il est temps d'al<strong>le</strong>r replacer <strong>le</strong>s créatures. (Son<br />

regard balaya <strong>le</strong>s élus) Seuls <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux Maîtres et Kaznaël doivent venir.<br />

6


-Il n'a pas l'air commo<strong>de</strong> celui-là. Autant ne pas <strong>le</strong> contrarier, chuchota<br />

Sally."<br />

Asuka confia <strong>le</strong>s sphères à Arthur et Samuel.<br />

"Nous n'en avons pas pour longtemps, promit Samuel. Restez ici en<br />

attendant.<br />

-Ne t'inquiète pas, nous ne bougerons pas, dit Sonia. D'ail<strong>le</strong>urs ça tombe<br />

bien, j'ai quelques comptes à rég<strong>le</strong>r avec Hinjis-Elliott.<br />

-Ho ho ho, rit Hinjis avec une nuance d'inquiétu<strong>de</strong>."<br />

Haltan fit apparaître <strong>de</strong>s chaises pour <strong>le</strong>s élus puis fit signe à ses<br />

<strong>de</strong>ux maîtres qu'il était temps d'y al<strong>le</strong>r.<br />

"Nous allons d'abord replacer Fenrir. Son abri se trouve dans la petite î<strong>le</strong><br />

située à l'Est d'ici. Nous n'en aurons que pour quelques instants."<br />

Arthur salua <strong>le</strong>s autres d'un signe <strong>de</strong> tête puis suivit Haltan, Samuel<br />

et Kaznaël à travers un déda<strong>le</strong> <strong>de</strong> petites allées bordées <strong>de</strong> haies vivaces.<br />

Des o<strong>de</strong>urs végéta<strong>le</strong>s aux arômes <strong>de</strong> pinè<strong>de</strong> se mêlaient à <strong>de</strong>s effluves<br />

marines, propres à enivrer l'esprit et apaiser <strong>le</strong> corps. <strong>Les</strong> trois discip<strong>le</strong>s<br />

avaient peut-être, en dépit <strong>de</strong> cette nature chatoyante, eu du mal à vivre<br />

reclus dans ce havre <strong>de</strong> paix pendant si longtemps. Hinjis était sorti<br />

quelques temps mais qu'en était-il <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux autres?<br />

Devant Arthur, Kaznaël marcha sur un branchage qui craqua sur son<br />

passage et <strong>le</strong> feuillage <strong>de</strong>s haies, comme pour réagir à cet évènement, fut<br />

agité par une légère brise.<br />

"Je ne <strong>le</strong> savais pas, dit Kaznaël. J'avais <strong>de</strong>s interrogations à ton sujet<br />

mais pas la moindre certitu<strong>de</strong>. T'en par<strong>le</strong>r n'aurait contribué qu'à te<br />

troub<strong>le</strong>r."<br />

Samuel et Haltan n'avaient rien entendu, ou alors ils avaient <strong>le</strong> bon<br />

sens <strong>de</strong> faire mine <strong>de</strong> ne pas entendre.<br />

"Je te dois <strong>de</strong>s excuses.<br />

-Je ne t'en veux pas vraiment."<br />

Kaznaël continua <strong>de</strong> marcher en si<strong>le</strong>nce. Comme souvent, il ne<br />

regardait pas Arthur dans <strong>le</strong>s yeux lorsqu'il lui parlait.<br />

"J'ai ressenti la présence <strong>de</strong>s discip<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an lorsque nous étions en<br />

train <strong>de</strong> converser avec Miliès. C'est pour cette raison que je suis parti si<br />

brusquement, en prétextant mon malaise face à ce qu'expliquait la reine."<br />

Arthur fut à la fois surpris et rassuré. Ce départ précipité ne<br />

ressemblait tel<strong>le</strong>ment pas au Kaznaël auquel il était habitué.<br />

6


"C'est là qu'ils t'ont tout expliqué?<br />

-Oui. J'ai attendu la suite <strong>de</strong>s évènements ici. Te faire face à Corboïlum<br />

m'aurait été diffici<strong>le</strong> après cette révélation. Maintenant que tu es au<br />

courant, c'est différent."<br />

Ils quittèrent <strong>le</strong>s jardins pour s'engager sur une nouvel<strong>le</strong> passerel<strong>le</strong><br />

sillonnant à travers <strong>le</strong>s eaux. Beaucoup moins longue que cel<strong>le</strong> que <strong>le</strong><br />

groupe <strong>de</strong>s élus avait empruntée pour entrer dans <strong>le</strong> Tombeau, el<strong>le</strong><br />

donnait sur un petit kiosque en pierre blanche entourée d'une rambar<strong>de</strong><br />

en métal cuivré.<br />

"C'est ici, indiqua Haltan en se tournant brièvement vers eux."<br />

Il <strong>le</strong>ur fallut un peu moins d'une minute pour y parvenir. Le kiosque<br />

était haut comme <strong>de</strong>ux hommes et faisait un diamètre <strong>de</strong> quatre ou cinq<br />

mètres. Il n'était guère fait pour abriter du mon<strong>de</strong>. Haltan se posta<br />

<strong>de</strong>vant, laissant à Samuel et Arthur <strong>le</strong> loisir d'y entrer <strong>le</strong>s premiers.<br />

Là, un simp<strong>le</strong> autel <strong>de</strong> pierre se trouvait au centre <strong>de</strong> la structure,<br />

creusé d'un trou grossier sur <strong>le</strong> <strong>de</strong>ssus. Aucun ornement n'était visib<strong>le</strong>.<br />

"Que doit-on faire? <strong>de</strong>manda Samuel.<br />

-Placez la sphère dans <strong>le</strong> creux, Maître, dit simp<strong>le</strong>ment Haltan en gardant<br />

une distance respectueuse."<br />

Samuel consulta Arthur du regard puis scruta la surface <strong>de</strong> la sphère<br />

<strong>de</strong> Fenrir, irradiant d'une vive lumière b<strong>le</strong>utée. La créature semblait s'être<br />

animée en son sein, comme si el<strong>le</strong> avait réalisé qu'el<strong>le</strong> allait bientôt<br />

réintégrer sa fonction légitime.<br />

Sans s'embarrasser d'un moindre cérémonial, il mit la sphère dans<br />

<strong>le</strong> creux, s'assura qu'el<strong>le</strong> ne risquait pas <strong>de</strong> tomber, puis retira sa main.<br />

Arthur se pencha pour vérifier que tout allait bien. Cela semblait être <strong>le</strong><br />

cas. La sphère brillait toujours aussi intensément.<br />

"Parfait, confirma Haltan. Nous allons faire exactement la même chose <strong>de</strong><br />

l'autre côté.<br />

-C'est aussi simp<strong>le</strong> que cela? s'enquit Arthur.<br />

-Aussi simp<strong>le</strong> que cela."<br />

Haltan <strong>le</strong>s précéda sur la passerel<strong>le</strong> et ils se remirent en marche.<br />

Cette fois-ci, Arthur et Kaznaël <strong>de</strong>meurèrent si<strong>le</strong>ncieux et c'est Samuel qui<br />

engagea la conversation avec <strong>le</strong> discip<strong>le</strong>.<br />

"Qu'al<strong>le</strong>z vous <strong>de</strong>venir une fois l'Equilibre rétabli?<br />

-C'est une question que nous nous sommes posé à maintes occasions. Le<br />

Maître ne nous a pas donné la moindre recommandation à ce sujet. Etant<br />

donné notre immortalité, il serait plus naturel que nous <strong>de</strong>meurions hors<br />

<strong>de</strong> la société Sorgenteli.<br />

6


-Pour rien au mon<strong>de</strong> je ne souhaiterais vous imposer une tel<strong>le</strong> obligation.<br />

Je sais trop bien ce que ressent une personne mise au ban <strong>de</strong> la société.<br />

-N'ayez pas <strong>de</strong> peine pour nous je vous prie. Accomplir ce <strong>de</strong>voir a été<br />

notre honneur et nous avons eu l'opportunité <strong>de</strong> nous aventurer à<br />

l'extérieur lorsque la solitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>venait intolérab<strong>le</strong>. La reine Miliès vous <strong>le</strong><br />

confirmera. Bien qu'el<strong>le</strong> ait feint <strong>de</strong> ne rien savoir, el<strong>le</strong> avait tout à fait<br />

conscience <strong>de</strong> notre présence et <strong>de</strong> nos passages réguliers près <strong>de</strong> sa<br />

cité."<br />

Samuel acquiesça.<br />

"Je vous rends votre libre-arbitre. Dès que vous <strong>le</strong> souhaiterez, quittez ce<br />

lieu pour mener vos existences comme bon vous semb<strong>le</strong>. Je lève l'ordre<br />

<strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an… si cela est en mon pouvoir."<br />

Haltan suspendit son avancée.<br />

"J'en prends note, Maître."<br />

Peut-être s'agissait-il du fruit <strong>de</strong> son imagination, mais Arthur crut<br />

déce<strong>le</strong>r un imperceptib<strong>le</strong> sourire dans son expression impassib<strong>le</strong>.<br />

"Déjà? s'étonna Sonia en <strong>le</strong>s voyant revenir <strong>de</strong>vant <strong>le</strong> patio."<br />

<strong>Les</strong> élus et <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux discip<strong>le</strong>s <strong>le</strong>vèrent <strong>le</strong>s yeux. Andreas nettoyait<br />

consciencieusement ses verres <strong>de</strong> lunette – <strong>de</strong>venus inuti<strong>le</strong>s – avec <strong>le</strong> bas<br />

<strong>de</strong> son T-shirt.<br />

"On ne fait que passer, indiqua Samuel.<br />

-Dépêchez-vous <strong>de</strong> revenir, j'ai <strong>de</strong>s informations intéressantes à vous<br />

communiquer sur Anaïs et Nils, dit Sonia avec un sourire.<br />

-Bravo pour avoir réussi à lui extorquer ces infos, la félicita Arthur en<br />

stationnant momentanément <strong>de</strong>vant el<strong>le</strong>.<br />

-Il me <strong>de</strong>vait bien ça après avoir manipulé l'instructrice pendant <strong>de</strong>s mois.<br />

-Moi qui croyais que cette histoire <strong>de</strong> stage au KGB était une légen<strong>de</strong>, dit<br />

Xenia. Sonia est douée pour obtenir ce qu'el<strong>le</strong> veut."<br />

Sonia <strong>le</strong>va mystérieusement <strong>le</strong> pouce, en signe <strong>de</strong> confirmation, ce<br />

qui fit rire tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>. Tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>, sauf <strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s.<br />

"Quelque chose ne va pas..., souffla soudain Hinjis en fronçant <strong>le</strong>s<br />

sourcils.<br />

-Un problème? s'enquit Sonia."<br />

Hinjis ne répondit pas, l'air déconcerté. Heakt et Haltan affichaient<br />

<strong>de</strong>s mines troublées, eux aussi.<br />

6


"Qu'y a-t-il? insista Samuel. Avons-nous commis une erreur avec <strong>le</strong>s<br />

créatures?"<br />

Toujours pas <strong>de</strong> réponse. <strong>Les</strong> discip<strong>le</strong>s étaient livi<strong>de</strong>s, ce qui acheva<br />

d'inquiéter Arthur. Soudain, Hinjis se <strong>le</strong>va et quitta <strong>le</strong> patio. La bonne<br />

humeur du moment s'était évaporée en une poignée <strong>de</strong> secon<strong>de</strong>s.<br />

"Nous avons manqué <strong>de</strong> concentration, déclara sombrement Heakt. Notre<br />

enthousiasme a voilé notre jugement.<br />

-Bon sang, <strong>de</strong> quoi par<strong>le</strong>z-vous?"<br />

Andreas tressaillit. Un ref<strong>le</strong>t rouge traversa ses pupil<strong>le</strong>s.<br />

"Ils sont là! cria-t-il.<br />

-Désolé, nous ne pouvons pas interférer davantage, déplora Haltan.<br />

Surtout protégez <strong>le</strong>s créatures…<br />

-Cette fois-ci je ne lutterai pas à vos côtés, ajouta Hinjis en baissant <strong>le</strong>s<br />

yeux."<br />

<strong>Les</strong> trois discip<strong>le</strong>s disparurent en un clin d'oeil, sans la moindre<br />

explication.<br />

"H..."<br />

Andreas serra la mâchoire. Il faisait désormais un froid glacial et<br />

tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> se tenait coi. Arthur ressentait la même sensation que<br />

lorsqu'il invoquait Drydock… mais il n'en était pas à l'origine cette fois-ci.<br />

"Bon sang, marmonna Samuel. Qu'est-ce qu'il se p...<br />

-ECARTEZ-VOUS, hurla Minilly."<br />

Trois flèches se plantèrent aux pieds <strong>de</strong> Sally et sur la balustra<strong>de</strong>.<br />

Des flèches <strong>de</strong> glace. La suite échappa tota<strong>le</strong>ment à Arthur. Il y eut <strong>de</strong><br />

nombreux bruits sourds, ressemblant à <strong>de</strong>s déflagrations. Presque<br />

aussitôt, Arthur fut aveuglé par un épais nuage <strong>de</strong> fumée. Un choc vio<strong>le</strong>nt<br />

sur <strong>le</strong> côté droit <strong>de</strong> son visage <strong>le</strong> fit rou<strong>le</strong>r sur <strong>le</strong> sol.<br />

"ARTHUR! cria la voix <strong>de</strong> Samuel."<br />

Arthur perçut <strong>de</strong>s cris étouffés. On se battait près <strong>de</strong> lui. Quelqu'un<br />

<strong>le</strong>s avait attaqués. Non, plusieurs personnes. C'était <strong>le</strong> chaos. Toujours au<br />

sol, il essaya <strong>de</strong> se remettre <strong>de</strong>bout.<br />

"AAARGH!"<br />

Une dou<strong>le</strong>ur terrib<strong>le</strong> s'empara <strong>de</strong> sa main gauche. Quelqu'un venait<br />

<strong>de</strong> lui piétiner <strong>le</strong>s doigts.<br />

6


"Reste tranquil<strong>le</strong> gamin, lui intima une voix masculine."<br />

L'individu appuya son genou sur sa nuque pour l'empêcher <strong>de</strong><br />

bouger et lui coinça douloureusement <strong>le</strong>s bras dans <strong>le</strong> dos. Arthur était<br />

impuissant, <strong>le</strong> visage écrasé contre <strong>le</strong> sol par un agresseur inconnu.<br />

"Tobias?<br />

-Je suis ici, répondit celui qui bloquait Arthur au sol.<br />

-Nous avons <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> <strong>de</strong> la situation."<br />

Arthur se tordit la tête autant que <strong>le</strong> lui permettait sa position<br />

inconfortab<strong>le</strong>, juste pour voir ce qu'il se passait. La fumée se dissipait<br />

progressivement.<br />

"Ne faites pas un mouvement <strong>de</strong> plus, sinon...<br />

-Lâchez-<strong>le</strong>s.<br />

-Tu n'es pas en position <strong>de</strong> négocier!"<br />

Arthur sentit <strong>le</strong> sang lui monter aux tempes. Sonia, Asuka et Rachel<br />

étaient entravés par <strong>de</strong>s ennemis familiers. <strong>Les</strong> trois membres du Clan<br />

d'Azulnot que <strong>le</strong>s élus avaient affrontés dans <strong>le</strong>s Plaines du Yérim :<br />

Horatio, Gertt et Daria. Quatre autres guerriers inconnus encerclaient<br />

Sally, laquel<strong>le</strong> avait encore son bâton dans <strong>le</strong>s mains. Des mercenaires<br />

d'Azulnot, vu <strong>le</strong>ur accoutrement. Andreas était lui aussi à terre. Un grand<br />

personnage noir qu'Arthur i<strong>de</strong>ntifia comme Zahran Sun <strong>le</strong> plaquait au sol à<br />

l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> son pied.<br />

"Je pourrais si faci<strong>le</strong>ment lui broyer la tête, s'exclama l'immense Gertt en<br />

saisissant Sonia sous <strong>le</strong> menton.<br />

-Relâche-la, tonna Samuel."<br />

Il s'était armé <strong>de</strong> Casca<strong>de</strong>. Deux mercenaires étaient tout aussi<br />

équipés en face <strong>de</strong> lui et Kaznaël, s'assurant qu'ils n'opposeraient pas <strong>de</strong><br />

résistance. Xenia était libre mais avait <strong>le</strong> front marqué d'une longue<br />

éraflure rouge.<br />

"Il serait temps <strong>de</strong> lâcher prise, fit remarquer Tobias en exerçant une<br />

pression sur <strong>le</strong> bras d'Arthur."<br />

Arthur ne put retenir un grognement <strong>de</strong> dou<strong>le</strong>ur.<br />

"Comment avez-vous su que nous étions là? rugit Samuel."<br />

Sonia ha<strong>le</strong>tait. La pression <strong>de</strong> la main <strong>de</strong> Gertt sur sa gorge se<br />

faisait <strong>de</strong> plus en plus forte. C'est à ce moment qu'une voix doucereuse se<br />

manifesta, <strong>de</strong> cel<strong>le</strong>s qui s'insinuent dans l'esprit et bercent <strong>le</strong>s esprits<br />

faib<strong>le</strong>s. Une voix à la fois âpre et repoussante.<br />

6


"Commencez par neutraliser celui-ci, ordonna Marshal avec un sourire."<br />

Il désigna Asuka du menton. Aussitôt, Horatio abattit son cou<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>rrière la tête du jeune homme.<br />

"Noooon! hurla Sonia, d'une voix étouffée par la pression que lui imposait<br />

Gertt.<br />

-Asuka!"<br />

Asuka tourna <strong>de</strong> l'œil et perdit connaissance. Horatio <strong>le</strong> retint<br />

vaguement sous <strong>le</strong>s aissel<strong>le</strong>s.<br />

"Son don est assez nuisib<strong>le</strong> dans une tel<strong>le</strong> situation, se justifia Marshal en<br />

se tournant vers Samuel. Alors, al<strong>le</strong>z-vous vous déci<strong>de</strong>r à baisser vos<br />

armes ou <strong>de</strong>vons nous commencer <strong>le</strong>s hostilités? Disons avec… cel<strong>le</strong>-ci?"<br />

Daria plaça la lame d'un couteau sur <strong>le</strong> ventre <strong>de</strong> Rachel et la fit<br />

danser sur <strong>le</strong> tissu, <strong>de</strong> façon menaçante. La captive ne broncha pas. De<br />

<strong>le</strong>ur côté, Sally, Xenia et Kaznaël regardaient tour à tour <strong>le</strong>urs<br />

compagnons, se <strong>de</strong>mandant que faire. Ils étaient désavantagés, cela ne<br />

faisait pas <strong>de</strong> doute.<br />

"C'est bon…, fit Samuel à contrecoeur."<br />

Arthur voyait que Sonia était blanche comme un linge. Lui-même ne<br />

<strong>de</strong>vait pas être beau à voir. Tobias, si c'était bien là son nom, tirait<br />

tel<strong>le</strong>ment fort sur son bras droit qu'il risquait <strong>de</strong> rompre. Il n'y avait pas<br />

d'échappatoire et il se méprisait d'être aussi inuti<strong>le</strong> à ce moment critique.<br />

Et <strong>le</strong>s trois discip<strong>le</strong>s qui avaient décidé <strong>de</strong> s'en laver <strong>le</strong>s mains, comme <strong>de</strong>s<br />

lâches.<br />

Samuel finit par baisser <strong>le</strong>s armes. Il laissa tomber Casca<strong>de</strong> au sol.<br />

<strong>Les</strong> autres firent <strong>de</strong> même, désemparés.<br />

"Zahran, va chercher Fenrir sous ce kiosque s'il te plaît, dit Marshal en<br />

lissant doucement sa moustache.<br />

-Oui, fit l'élu en laissant Andreas là où il se trouvait."<br />

Tandis que <strong>le</strong> jeune homme exécutait ses ordres, Marshal s'avança<br />

vers Samuel, drapé dans sa longue cape noire aux ref<strong>le</strong>ts verdâtres. Il <strong>le</strong><br />

dévisagea <strong>de</strong>s pieds à la tête, comme s'il <strong>le</strong> découvrait sous un nouveau<br />

jour. Soudain, il tendit la main vers lui.<br />

"Donne moi ce que tu sais.<br />

-…"<br />

Marshal n'eut pas besoin d'insister pour faire comprendre à Samuel<br />

ce qui se passerait s'il ne lui remettait pas Altaïr. Résigné, il lui donna la<br />

sphère, aussi vio<strong>le</strong>mment qu'il <strong>le</strong> pouvait.<br />

6


"Merci <strong>de</strong> ta coopération Samuel. Après toutes <strong>le</strong>s déceptions <strong>de</strong> cette<br />

journée, je suis soulagé <strong>de</strong> ne pas avoir à te couper une main pour<br />

reprendre notre dû.<br />

-Que vas-tu faire maintenant?"<br />

Marshal sourit.<br />

"En attendant <strong>le</strong> retour <strong>de</strong> Zahran, nous allons tous faire un petit tour<br />

dans ce joli tombeau. (Il s'adressa à Tobias) Est-ce que cela te convient<br />

jeune homme?<br />

-Pas <strong>de</strong> souci pour moi."<br />

Le nécromancien <strong>de</strong> la Confrérie claqua <strong>de</strong>s doigts, satisfait.<br />

"Amenez-<strong>le</strong>s à l'intérieur. Je n'ai pas l'impression que <strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s ont<br />

l'intention <strong>de</strong> se mê<strong>le</strong>r <strong>de</strong> nos affaires, ce qui est fort bienvenu <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur<br />

part. Ho, je déconseil<strong>le</strong> à mes jeunes amis libres <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs mouvements <strong>de</strong><br />

tenter quoi que ce soit (il do<strong>de</strong>lina <strong>de</strong> la tête) ou vos compagnons en<br />

pâtiront."<br />

Tobias se pencha sur Arthur :<br />

"Ton cœur bât très vite on dirait… C'est pour toi ou pour eux que tu as<br />

peur?<br />

-Va mourir, bou<strong>le</strong>t, répliqua Arthur, toujours sans <strong>le</strong> voir."<br />

Il fut remis sur ses pieds sans ménagement. Ses bras et ses musc<strong>le</strong>s<br />

eurent enfin du répit mais sa dignité était égratignée. Le fait <strong>de</strong> découvrir<br />

que Tobias n'était qu'un gamin comme lui <strong>le</strong> fit enrager.<br />

"En route, dit Marshal en poussant <strong>le</strong>s portes du Mausolée."<br />

6


Chapitre 38 : La Stratégie <strong>de</strong> la Tria<strong>de</strong><br />

L'atmosphère était d'un froid so<strong>le</strong>nnel à l'intérieur du Mausolée. Le<br />

si<strong>le</strong>nce pesant qui occupait <strong>le</strong>s lieux ne laissait place qu'à l'écho <strong>de</strong>s<br />

souff<strong>le</strong>s hagards <strong>de</strong>s élus et au résonnement <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs pas sur <strong>le</strong> marbre<br />

blanc. Arthur n'eut qu'un très bref aperçu du décor, inexistant. De larges<br />

et hauts murs blancs dont la surface se confondait avec cel<strong>le</strong>s du plafond<br />

et du sol. Il y avait aussi <strong>de</strong>ux ou trois portes, encadrées par <strong>de</strong> grands<br />

arbres prenant <strong>le</strong>urs racines dans <strong>de</strong> gros pots en verre blanc. Arthur<br />

massa son épau<strong>le</strong> endolorie.<br />

"Avance, intima Tobias en <strong>le</strong> poussant entre <strong>le</strong>s omoplates."<br />

Il faillit trébucher mais s'exécuta <strong>de</strong> mauvaise grâce. Ses<br />

compagnons n'opposaient pas non plus <strong>de</strong> résistance, <strong>de</strong> peur que la<br />

Confrérie ne s'en prenne à Sonia ou à Asuka qui était toujours inconscient.<br />

"Quel poids mort, grogna un mercenaire au teint hâlé, jetant bruta<strong>le</strong>ment<br />

Asuka au sol."<br />

Sally eut un mouvement <strong>de</strong> protestation mais el<strong>le</strong> fut dissuadée <strong>de</strong><br />

bouger. Rachel et Sonia étaient toujours sous la menace <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong><br />

Tobias. C'étaient <strong>de</strong>s mercenaires. Ils n'hésiteraient pas à sacrifier une ou<br />

<strong>de</strong>ux personnes si cela pouvait faciliter <strong>le</strong>ur mission.<br />

Marshal jeta un œil <strong>de</strong>hors, peut-être pour guetter <strong>le</strong> retour <strong>de</strong><br />

Zahran. Puis il referma <strong>le</strong>s portes qui donnaient sur l'extérieur. Il affichait<br />

une expression sereine, il était conscient du succès <strong>de</strong> sa mission. <strong>Les</strong> élus<br />

étaient impuissants, <strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an n'interviendraient pas.<br />

Comment <strong>le</strong>s choses avaient-el<strong>le</strong>s pu si mal tourner? Marshal traversa la<br />

pièce en faisant claquer <strong>le</strong>s semel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> ses chaussures et en ondulant<br />

littéra<strong>le</strong>ment entre <strong>le</strong>s différents protagonistes, comme <strong>le</strong> ferait un repti<strong>le</strong>.<br />

Il s'intéressa plus longuement à Arthur et Samuel.<br />

"Ky<strong>le</strong>an et Leryan… Quel<strong>le</strong> surprise si je puis me permettre. J'ai perçu une<br />

partie <strong>de</strong> la conversation mais je ne pense pas encore maîtriser tous <strong>le</strong>s<br />

tenants et <strong>le</strong>s aboutissants <strong>de</strong> cette révélation."<br />

Il continua à faire rou<strong>le</strong>r négligemment la sphère d'Altaïr sur la<br />

paume <strong>de</strong> sa main droite. Samuel n'aurait pas pu mieux exprimer son<br />

mépris que par <strong>le</strong> regard qu'il lui infligeait à ce moment là.<br />

"Heureusement que Primo ne t'a jamais quitté <strong>de</strong>s yeux. Lorsqu'il a<br />

compris que tu allais te saisir <strong>de</strong> nos possessions toutes nouvel<strong>le</strong>ment<br />

acquises, il a préféré te faire suivre discrètement plutôt que <strong>de</strong> te capturer<br />

sur <strong>le</strong> moment. Le moyen était fort bien choisi pour faire d'une pierre <strong>de</strong>ux<br />

coups : se saisir du traître, <strong>de</strong>s élus et <strong>de</strong> la créature manquante par la<br />

même occasion.<br />

6


-Je suis ravi que l'intelligence <strong>de</strong> Primo ait porté ses fruits. Il faut bien un<br />

cerveau dans cette organisation <strong>de</strong> <strong>de</strong>meurés, dit Samuel d'un ton amer."<br />

Marshal sourit. Soudain, son genou s'enfonça vio<strong>le</strong>mment dans <strong>le</strong>s<br />

côtes <strong>de</strong> Samuel.<br />

"Arrêtez! rugit Arthur en tentant vainement <strong>de</strong> se libérer <strong>de</strong> l'entrave <strong>de</strong><br />

Tobias."<br />

Sonia avait fermé <strong>le</strong>s yeux et étouffé un cri. Samuel hoqueta un<br />

moment, <strong>le</strong> souff<strong>le</strong> coupé. Toutefois, il reprit rapi<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> son<br />

assurance. Il avait <strong>le</strong> regard noir <strong>de</strong> haine.<br />

"Evite <strong>de</strong> trop t'exciter. Conseil d'ami, souffla Tobias à Arthur.<br />

-J'aimerais tel<strong>le</strong>ment que la situation soit inversée pour pouvoir t'infliger<br />

la même chose, répondit audacieusement Arthur.<br />

-Oh… Tu es bien plus téméraire que ce que m'avaient décrit mes<br />

subordonnés. Il se pourrait bien que ma sœur ait fait <strong>le</strong> bon choix en te<br />

donnant Nazul, fina<strong>le</strong>ment.<br />

-Nina Azulnot…, pensa Arthur en se rappelant sa brève conversation avec<br />

Horatio."<br />

L'entail<strong>le</strong> du front <strong>de</strong> Xenia était <strong>de</strong>venue écarlate et <strong>le</strong> sang suintait<br />

désormais <strong>le</strong> long <strong>de</strong> l'arête <strong>de</strong> son nez. Samuel reprit la paro<strong>le</strong>.<br />

"Tuer <strong>le</strong>s élus n'a jamais été l'objectif <strong>de</strong> la Confrérie. Vous avez ce que<br />

vous êtes venus chercher alors laissez nous partir.<br />

-Vous laisser partir? s'enquit Marshal. Ne dis pas <strong>de</strong> bêtises. Laisser partir<br />

un traître est inconcevab<strong>le</strong>. Tu as joué doub<strong>le</strong> jeu pendant une décennie.<br />

Tu es bien plus dangereux dans la nature que sous notre surveillance.<br />

-Dans ce cas… libérez <strong>le</strong>s autres.<br />

-Samuel, arrête <strong>de</strong> dire <strong>de</strong>s conneries, cria Arthur."<br />

Il ignora cette intervention.<br />

"Ce ne sont que <strong>de</strong>s gamins. Ils n'ont fait qu'obéir aux ordres <strong>de</strong> GLOW!<br />

Ils ne méritent pas d'être sacrifiés. Libérez-<strong>le</strong>s au moins… Revenons aux<br />

bases <strong>de</strong> la Confrérie : ne prendre <strong>de</strong> tel<strong>le</strong>s mesures que si l'ennemi<br />

s'interpose.<br />

-Samuel, nous ne sommes pas…, commença Sally.<br />

-Ce ne sont que <strong>de</strong>s gamins bon sang. Laissez-<strong>le</strong>s partir!"<br />

Samuel s'était départi <strong>de</strong> toute inso<strong>le</strong>nce. Cette fois il avait parlé<br />

d'un ton humb<strong>le</strong>, presque implorant. Même Marshal était surpris par ce<br />

brusque changement <strong>de</strong> ton. <strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux hommes n'avaient visib<strong>le</strong>ment<br />

jamais été cordiaux, même avant que Samuel n'eût retourné sa veste. À<br />

sa gran<strong>de</strong> stupeur, Arthur réalisa alors qu'il priait pour que Marshal<br />

accepte cette proposition. C'était la seu<strong>le</strong> issue possib<strong>le</strong>, autrement ils<br />

6


seraient tous condamnés. Samuel <strong>de</strong>vait en être conscient. S'il se livrait,<br />

Primo et la Confrérie laisseraient peut-être <strong>le</strong>s autres se retirer sains et<br />

saufs. Arthur se mit à tremb<strong>le</strong>r. Et Samuel? Qu'adviendrait-il <strong>de</strong> lui?<br />

Dès que la Confrérie aurait <strong>le</strong> dos tourné, Arthur pourrait toujours se<br />

jeter sur eux pour <strong>le</strong> sauver. "Advienne que pourra?"<br />

"Mon cœur noirci par <strong>de</strong>s années <strong>de</strong> dur labeur au sein <strong>de</strong> la Confrérie est<br />

touché par ton abnégation…"<br />

Le mot vibra comme une fréquence radio mal captée dans <strong>le</strong>s<br />

tympans d'Arthur.<br />

"… et crois-moi, je suis tout à fait enclin à répondre favorab<strong>le</strong>ment à ta<br />

requête. Après tout, je n'ai rien contre ces jeunes gens ou même contre<br />

cette femme ravissante que tu semb<strong>le</strong>s affectionner. Depuis <strong>de</strong>s années je<br />

prends un grand plaisir à <strong>le</strong>s voir évoluer et se dépêtrer <strong>de</strong>s pièges que<br />

nous <strong>le</strong>ur tendons. Néanmoins… (Il haussa <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s et soupira avec<br />

affliction) Notre supérieur ne souhaite pas prendre <strong>le</strong> risque <strong>de</strong> vous voir<br />

vous mettre encore en travers <strong>de</strong> notre chemin.<br />

En dépit <strong>de</strong> sa gran<strong>de</strong> tolérance, il a formel<strong>le</strong>ment insisté pour que nous<br />

éradiquions votre existence, juste après cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Fenrir et d'Altaïr."<br />

<strong>Les</strong> portes du Mausolée claquèrent, comme pour formaliser <strong>le</strong> sort<br />

<strong>de</strong>s élus. Zahran était <strong>de</strong> retour, en possession <strong>de</strong> Fenrir. Ses yeux firent<br />

<strong>le</strong> tour <strong>de</strong> la pièce, puis il offrit la sphère à Marshal. Ils comptaient donc<br />

<strong>le</strong>s détruire?<br />

"Ce n'est pas plus mal…, annonça soudain Rachel."<br />

Marshal se tourna vers el<strong>le</strong>, interloqué.<br />

"Je préfère encore mourir ici que <strong>de</strong> continuer à vivre grâce à la pitié <strong>de</strong><br />

Primo ou d'une raclure comme vous. Si vous nous offriez une tel<strong>le</strong> porte<br />

<strong>de</strong> sortie, j'en aurais la nausée jusqu'à la fin <strong>de</strong> mes jours.<br />

-Ha ha ha ha, rit Marshal, amusé. Tu as du cran d'affirmer ceci avec<br />

autant <strong>de</strong> velléité jeune fil<strong>le</strong>. C'est une qualité appréciab<strong>le</strong>!"<br />

"Ce n'est pas ce qui nous sortira <strong>de</strong> ce merdier", songea Arthur, bien<br />

qu'il admirât cette pugnacité chez Rachel.<br />

Marshal remercia poliment Zahran <strong>de</strong> lui avoir apporté Fenrir,<br />

jaugea <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux sphères du regard. Évi<strong>de</strong>mment il n'y avait aucun doute<br />

sur <strong>le</strong>ur authenticité cette fois-ci. "Sa<strong>le</strong>té <strong>de</strong> gardiens, montrez vous!" cria<br />

Arthur <strong>de</strong> sa voix intérieure comme pour prier un dieu qui ne viendrait<br />

jamais <strong>le</strong> sauver.<br />

"Tiens moi ceci veux-tu, fit-il à Zahran en lui tendant <strong>de</strong> sa main gauche<br />

boursouflée la sphère d'Altaïr. Je dois procé<strong>de</strong>r par étapes.<br />

-Oui."<br />

6


Kaznaël s'agita vivement.<br />

"Vous ne pouvez pas faire ça! <strong>Les</strong> conséquences seraient terrib<strong>le</strong>s, pour<br />

<strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s! Même la Confrérie n'est pas inconsciente à ce point!"<br />

Marshal s'entailla <strong>le</strong> dos <strong>de</strong> la main gauche avec une dague<br />

minuscu<strong>le</strong> et fit per<strong>le</strong>r quelques gouttes <strong>de</strong> son sang sur <strong>le</strong> sol tout en<br />

récitant <strong>de</strong>s psaumes inaudib<strong>le</strong>s. Ses pupil<strong>le</strong>s <strong>de</strong>vinrent rouges, alors que<br />

<strong>le</strong> sang qu'il avait versé ruisselait autour <strong>de</strong> lui, irrigué par une source<br />

invisib<strong>le</strong>, jusqu'à former un pentac<strong>le</strong> caractérisé par plusieurs symbo<strong>le</strong>s<br />

Sorgenteli. Marshal continua sa litanie.<br />

"Ne faites pas ça!! Je vous l'interdis! Ne..."<br />

Il s'arrêta, horrifié. Une flèche <strong>de</strong> glace à la pointe acérée était<br />

apparue sous <strong>le</strong> nez d'Arthur. A l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> son in<strong>de</strong>x, Tobias faisant<br />

<strong>le</strong>ntement oscil<strong>le</strong>r <strong>le</strong> projecti<strong>le</strong> <strong>de</strong> haut en bas. Arthur retenait son souff<strong>le</strong>.<br />

"Tu es à la hauteur <strong>de</strong> ta réputation Kaznaël <strong>le</strong> Protecteur. Tu tiens plus à<br />

ton maître qu'en l'équilibre du mon<strong>de</strong>, souligna Tobias."<br />

Kaznaël serra <strong>le</strong>s poings. Il avait <strong>le</strong>s yeux injectés <strong>de</strong> sang. Le<br />

pentac<strong>le</strong> <strong>de</strong> Marshal prenait vie au même moment.<br />

"Je jure que je vous tuerai tous si l'occasion m'en est offerte. Toi <strong>le</strong><br />

premier, pour avoir porté la main sur lui.<br />

-Crois-moi Kaz, je me chargerai <strong>de</strong> son cas <strong>le</strong> premier, jura Arthur."<br />

<strong>Les</strong> regards <strong>de</strong>s élus convergèrent vers <strong>le</strong> terrifiant phénomène qui<br />

se profilait. Même <strong>le</strong>s quelques mercenaires d'Azulnot emmenés par<br />

Tobias semblaient appréhen<strong>de</strong>r l'évènement à venir. En effet, un cerc<strong>le</strong><br />

blanc à la forme irrégulière émergeait du pentac<strong>le</strong>, <strong>de</strong>ntelé comme une<br />

scie.<br />

"Arthur, tu m'entends? Si tu m'entends, fais-moi un signe discret!"<br />

Rachel. El<strong>le</strong> utilisait son don pour faire parvenir ses pensées à<br />

Arthur. Il avait complètement oublié cette faculté qu'el<strong>le</strong> avait récemment<br />

développée. Interpellé, il cligna <strong>de</strong>s yeux pour lui signifier qu'il entendait<br />

bien. El<strong>le</strong> fit <strong>de</strong> même. Sous l'étroite surveillance <strong>de</strong> Daria, el<strong>le</strong> ne pouvait<br />

pas se manifester autrement.<br />

Tout à coup, un gron<strong>de</strong>ment bestial émana du pentac<strong>le</strong>. Arthur se<br />

tourna <strong>de</strong> nouveau vers Marshal, <strong>le</strong>quel avait posé la sphère <strong>de</strong> Fenrir au<br />

centre du cerc<strong>le</strong> blanc. Arthur comprit alors, avec horreur.<br />

"Concentre toi Arthur! Nous n'avons pas <strong>de</strong> temps à perdre!"<br />

6


Il cligna hâtivement <strong>de</strong>s yeux, au bord du désespoir. Le cerc<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong>ntelé était précisément un cerc<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>nts... une mâchoire énorme<br />

venue d'un autre mon<strong>de</strong> pour engloutir la sphère <strong>de</strong> Fenrir.<br />

"Arthur, concentre-toi! On va passer à l'attaque! Andreas a réussi à me<br />

faire signe. Il a un plan pour <strong>le</strong>s distraire. Si tu comprends, cligne <strong>de</strong>s<br />

yeux une fois, sinon <strong>de</strong>ux fois."<br />

Un clignement d'yeux. Arthur était prêt à tout. La mâchoire blanche<br />

s'était brusquement refermée sur la sphère et entamait maintenant une<br />

effrayante mastication qui striait <strong>le</strong> décor d'éclairs b<strong>le</strong>us. La manifestation<br />

<strong>de</strong> la résistance qu'opposait Fenrir… Arthur eut l'impression qu'une partie<br />

<strong>de</strong> son âme était en train <strong>de</strong> s'effondrer. Samuel était affecté aussi, cela<br />

se voyait à son visage livi<strong>de</strong>. Fenrir était en train d'être détruit.<br />

Désemparé, Arthur écouta attentivement la suite <strong>de</strong>s explications <strong>de</strong><br />

Rachel et acquiesça. Puis il chercha ses autres compagnons <strong>de</strong>s yeux. Ils<br />

avaient l'air prêts. Lui avait été <strong>le</strong> <strong>de</strong>rnier à recevoir <strong>le</strong>s explications.<br />

"C'est presque fini..., déclara Marshal avec satisfaction, alors que <strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> la créature finissaient <strong>de</strong> mastiquer la sphère."<br />

Un bruit <strong>de</strong> verre brisé se fit fina<strong>le</strong>ment entendre et Samuel tomba à<br />

genoux, <strong>le</strong>s yeux voilés par sa manne <strong>de</strong> cheveux noirs. Arthur parvint à<br />

se maintenir <strong>de</strong>bout. Son lien spirituel avec <strong>le</strong>s créatures était moindre<br />

comparé à celui <strong>de</strong> Samuel.<br />

"Je vous tuerai tous..., p<strong>le</strong>urait Kaznaël en serrant <strong>le</strong>s poings."<br />

Tout à coup, Andreas tomba à terre sans crier gare. <strong>Les</strong> mercenaires<br />

s'entre observèrent, surpris.<br />

"Vince?<br />

-Je ne lui ai rien fait Tobias, je <strong>le</strong> jure sur mes aïeux, répondit <strong>le</strong><br />

mercenaire qui surveillait Andreas.<br />

-Relève-<strong>le</strong>! Il fait semblant."<br />

Zahran Sun observa indifféremment la scène. Il s'acquittait <strong>de</strong> sa<br />

mission avec calme, prêt à rendre Altaïr au nécromancien dès que celui-ci<br />

<strong>le</strong> lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rait. Derrière lui, Marshal continuait son cérémonial.<br />

"Lève-toi sa<strong>le</strong> gamin, vociféra <strong>le</strong> mercenaire dénommé Vince."<br />

Il martela Andreas <strong>de</strong> coups <strong>de</strong> pied mais ce <strong>de</strong>rnier ne réagit pas.<br />

Le garçon était inerte.<br />

"Hé, arrête ça espèce d'enfoiré, s'écria Sally.<br />

-LEVE-TOI! JE N'AI PAS QUE CA À FAIRE, s'emporta Vince en recouvrant<br />

son poing <strong>de</strong> glace.<br />

6


-Non!!"<br />

Andreas roula sur <strong>le</strong> côté au moment où <strong>le</strong> poing du mercenaire<br />

s'abattait sur <strong>le</strong> sol, fracassant plusieurs dal<strong>le</strong>s par la même occasion.<br />

Vince <strong>le</strong> dévisagea.<br />

"Désolé, s'excusa Andreas."<br />

Il secoua la tête, mit la main dans sa poche <strong>de</strong> chemise – sous <strong>le</strong><br />

regard perp<strong>le</strong>xe <strong>de</strong> Vince – et en retira ses lunettes, qu'il enfila tout <strong>de</strong><br />

suite. Puis il se redressa et <strong>de</strong>meura en position assise. Tout ceci, comme<br />

si <strong>de</strong> rien n'était. Courroucé, Vince <strong>le</strong> saisit vio<strong>le</strong>mment par <strong>le</strong> col et <strong>le</strong><br />

remit <strong>de</strong>bout. C'est là qu'Andreas posa sa main sur l'avant-bras <strong>de</strong> celuici.<br />

"Inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> s'énerver. Nous ne sommes pas vraiment ennemis… n'est-ce<br />

pas? murmura Andreas."<br />

Vince se mit à <strong>le</strong> regar<strong>de</strong>r d'un air évasif, comme s'il se souvenait<br />

soudain d'un détail. Puis il <strong>le</strong> considéra un moment, sous un nouveau jour<br />

d'après l'expression affab<strong>le</strong> qu'il affichait.<br />

"Vince, arrête <strong>de</strong> perdre du temps avec ce binoclard, rouspéta Tobias. Fais<br />

<strong>le</strong> tenir tranquil<strong>le</strong> si tu en es capab<strong>le</strong>.<br />

-Nous ne sommes pas vraiment ennemis, pas vrai? répéta Vince d'une<br />

voix béate.<br />

-Hein? fit Tobias.<br />

-Pauvre Vince, tu t'es cogné la tête on dirait, soupira Daria."<br />

Vince reposa Andreas et réajusta la chemise <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier avec<br />

embarras. Il lui épousseta même <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s et alla jusqu'à remettre une<br />

<strong>de</strong> ses mèches <strong>de</strong> cheveux en place, ce qui ne pouvait que re<strong>le</strong>ver <strong>de</strong> la<br />

folie pure étant donnée la structure capillaire <strong>de</strong> l'élu.<br />

"V… Vince? bégaya Daria en oubliant momentanément Rachel.<br />

-Je vais me faire pardonner, déclara-t-il."<br />

Andreas acquiesça.<br />

Une secon<strong>de</strong> plus tard, Vince avait tranché la gorge d'un <strong>de</strong> ses<br />

camara<strong>de</strong>s. Un fi<strong>le</strong>t <strong>de</strong> sang souilla <strong>le</strong> sol et l'individu tomba rai<strong>de</strong> mort<br />

aux pieds <strong>de</strong> Xenia, dans une flaque rouge dont la surface s'étendait<br />

<strong>le</strong>ntement.<br />

"V… Il est manipulé! NEUTRALISEZ-L…"<br />

6


Daria fut contrainte <strong>de</strong> s'écarter d'un bond afin d'éviter un projecti<strong>le</strong><br />

glacé lancé par Vince. Cette opportunité permit à Rachel d'être libérée à<br />

son tour.<br />

"Contre-attaque! cria-t-el<strong>le</strong> en tendant <strong>le</strong> bras <strong>de</strong>rrière el<strong>le</strong>."<br />

D'un amp<strong>le</strong> mouvement el<strong>le</strong> balaya toutes <strong>le</strong>s personnes présentes,<br />

alliés comme ennemis. Mu par la télékinésie <strong>de</strong> l'élue, Arthur tomba <strong>de</strong><br />

tout son poids sur Tobias. C'était tout ce dont il avait besoin : un effet <strong>de</strong><br />

surprise. Une chance inespérée. Il reprit du poil <strong>de</strong> la bête. Sans laisser au<br />

<strong>le</strong>a<strong>de</strong>r d'Azulnot <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> réagir, il lui enfonça son cou<strong>de</strong> dans <strong>le</strong><br />

visage.<br />

Plus loin, Vince se ruait vers Marshal pour lui ôter la vie,<br />

l'apostrophant d'un rugissement enthousiaste. Toutefois, il ne vit pas<br />

Zahran Sun se jeter sur lui. Sans une once d'hésitation, l'élu <strong>le</strong> frappa<br />

mortel<strong>le</strong>ment au torse.<br />

"Ca c'est pour m'avoir menacé avec une flèche, gronda Arthur en frappant<br />

<strong>de</strong> nouveau Tobias, suffisamment fort pour lui casser <strong>le</strong> nez."<br />

Autour <strong>de</strong> lui, c'était la lutte ouverte. <strong>Les</strong> élus avaient profité <strong>de</strong> la<br />

diversion pour se retourner contre <strong>le</strong>urs assaillants. Andreas s'était<br />

précipité vers Asuka pour <strong>le</strong> protéger. Il sou<strong>le</strong>va laborieusement son<br />

camara<strong>de</strong> et <strong>le</strong> soutint en coinçant <strong>le</strong> bras droit <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong>rrière ses<br />

épau<strong>le</strong>s.<br />

"Sonia! s'écria Arthur"<br />

El<strong>le</strong> n'était pas <strong>de</strong> tail<strong>le</strong> à tenir tête au gigantesque Gertt, sauf à<br />

utiliser son don pour l'envoyer ad patres. Cependant, c'était une solution<br />

trop extrême au vu <strong>de</strong>s conséquences néfastes qu'emportait l'usage du<br />

Tabou. Heureusement, Samuel avait été rapi<strong>de</strong> comme l'éclair. Il prit<br />

d'assaut <strong>le</strong> géant.<br />

"Zahran! Protége la sphère, lui ordonna Marshal en dissipant <strong>le</strong> pentac<strong>le</strong><br />

magique. Ils ne doivent pas la reprendre!"<br />

L'élu <strong>de</strong> la Confrérie n'était pas en mesure <strong>de</strong> répondre<br />

favorab<strong>le</strong>ment à cette requête. Profitant <strong>de</strong> ce que Rachel ventilait et<br />

dispersait <strong>le</strong>s troupes ennemies avec Samuel, Xenia invoqua une terrib<strong>le</strong><br />

rafa<strong>le</strong> <strong>de</strong> vent pour <strong>le</strong> mettre à terre. Il se rétablit prestement mais Sally<br />

était déjà sur ses talons.<br />

"Rends-moi ça! cria-t-el<strong>le</strong>"<br />

El<strong>le</strong> esquiva habi<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> trait doré qui fondait sur el<strong>le</strong> et lui fonça<br />

<strong>de</strong>ssus tête la première avec la vio<strong>le</strong>nce d'un bélier enragé. Le coup <strong>de</strong><br />

semonce coupa <strong>le</strong> souff<strong>le</strong> à Zahran.<br />

6


"FULMINA CERULI!"<br />

Arthur détala <strong>le</strong> long du mur du Mausolée pour échapper au sort <strong>de</strong><br />

Daria. <strong>Les</strong> explosions <strong>de</strong> glace projetaient <strong>de</strong>s gerbes blanches dans<br />

toutes <strong>le</strong>s directions et lui hérissaient <strong>le</strong> poil.<br />

"Arthur, je m'occupe d'el<strong>le</strong>! Dégomme moi ce nécromancien <strong>de</strong> mes <strong>de</strong>ux,<br />

lança Rachel après avoir dévié plusieurs salves blanches <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur<br />

trajectoire."<br />

Il était inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> lui dire <strong>de</strong>ux fois. Armé <strong>de</strong> Drydock, Arthur partit à<br />

l'assaut <strong>de</strong> Marshal, ralliant Kaznaël en chemin.<br />

"Traître! vociféra Sally en administrant un crochet du droit à Zahran."<br />

El<strong>le</strong> s'était assise sur lui pour lui offrir <strong>le</strong> coup <strong>de</strong> final et reprendre<br />

la possession d'Altaïr. Le plan inattendu d'Andreas et Rachel avait au<br />

moins permis <strong>de</strong> protéger cette sphère <strong>de</strong> la <strong>de</strong>struction. Pour Fenrir il<br />

était déjà trop tard.<br />

"Méfie toi <strong>de</strong> cet individu, recommanda Kaznaël à Arthur. Il a plus d'un<br />

tour dans son sac.<br />

-Ouais…"<br />

Marshal se tenait immobi<strong>le</strong> parmi <strong>le</strong>s éclats <strong>de</strong> voix, <strong>le</strong>s crissements<br />

d'épée et <strong>le</strong>s échanges <strong>de</strong> coups. Le mouvement rapi<strong>de</strong> d'Arthur et<br />

Kaznaël dans sa direction ne représentait visib<strong>le</strong>ment pas la moindre<br />

menace pour lui. Il <strong>le</strong>s regardait approcher sans manifester la moindre<br />

appréhension ni, inversement, la moindre hostilité.<br />

"Def<strong>le</strong>via."<br />

Un mur invisib<strong>le</strong> repoussa bruta<strong>le</strong>ment Kaznaël et Arthur. Ce <strong>de</strong>rnier<br />

eut l'impression que son corps avait été é<strong>le</strong>ctrisé par ce contact vio<strong>le</strong>nt<br />

avec la barrière <strong>de</strong> Marshal. En dépit <strong>de</strong> ce choc, il n'était pas prêt à<br />

abandonner. Il s'ébroua pour s'éclaircir l'esprit, puis s'apprêta à frapper <strong>de</strong><br />

nouveau.<br />

"Je ne suis pas <strong>de</strong> ceux qui affectionnent <strong>le</strong> combat direct, déclara<br />

Marshal. Certains pourraient considérer ceci comme <strong>de</strong> la lâcheté..."<br />

Protégé par son dôme invisib<strong>le</strong>, il concentra une bou<strong>le</strong> d'énergie<br />

noire dans <strong>le</strong> creux <strong>de</strong> ses mains jointes. Kaznaël sortit son chakram.<br />

"Ils auraient raison <strong>de</strong> <strong>le</strong> penser, admit Marshal."<br />

6


Des dizaines <strong>de</strong> ronces noires jaillirent <strong>de</strong> la bou<strong>le</strong>, proliférant au<strong>de</strong>ssus<br />

<strong>de</strong> lui tel<strong>le</strong>s la chevelure reptilienne <strong>de</strong> Méduse. El<strong>le</strong>s traversèrent<br />

sans peine <strong>le</strong> bouclier pour converger vers Arthur et Kaznaël, ceci à une<br />

vitesse ahurissante.<br />

"Je crois que ceci nous est <strong>de</strong>stiné, maugréa Arthur."<br />

Kaznaël utilisa <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> son chakram pour envoyer un trait <strong>de</strong><br />

lumière sur Marshal et son bouclier, sans résultat. Le sort du<br />

nécromancien était à peine ébranlé et <strong>le</strong>s ronces repoussaient juste après<br />

avoir été détruites. El<strong>le</strong>s avaient <strong>le</strong> mouvement ondulant d'une hor<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

serpents déchaînés.<br />

"Ca ne marche pas, fit Kaznaël avec dépit.<br />

-Tu es très perspicace aujourd'hui, dit Arthur."<br />

Tous <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux firent danser <strong>le</strong>urs lames autour d'eux pour trancher<br />

<strong>le</strong>s ronces à mesure qu'el<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s assaillaient. Cette fois, Arthur n'avait pas<br />

<strong>le</strong> loisir <strong>de</strong> se préoccuper du sort <strong>de</strong> ses amis. <strong>Les</strong> épines qui lui frôlaient<br />

<strong>le</strong> corps étaient affûtées comme <strong>de</strong>s lames <strong>de</strong> rasoir et la moindre erreur<br />

risquait <strong>de</strong> lui occasionner davantage que quelques coupures. Il<br />

manoeuvrait sans répit, élaguant avec opiniâtreté.<br />

Toutefois, en dépit <strong>de</strong> ses efforts, il ne voyait pas <strong>le</strong> bout <strong>de</strong> cette<br />

lutte acharnée. <strong>Les</strong> ronces se faisaient <strong>de</strong> plus en plus insistantes, au<br />

point qu'el<strong>le</strong>s formaient autour <strong>de</strong> lui un cocon sinistre, rétrécissant <strong>de</strong><br />

secon<strong>de</strong> en secon<strong>de</strong>. Arthur se mit bien vite à ha<strong>le</strong>ter, mis en difficulté par<br />

ce rythme effréné auquel aucun <strong>de</strong> ses combats ne l'avait habitué.<br />

"C'est pas vrai!!"<br />

A cours <strong>de</strong> ressources, il augmenta d'un seul coup l'intensité du<br />

pouvoir <strong>de</strong> Drydock. Ceci eut pour résultat <strong>de</strong> ge<strong>le</strong>r la prison <strong>de</strong> ronces qui<br />

menaçait <strong>de</strong> l'engouffrer.<br />

"Ah…, souffla-t-il, soulagé"<br />

Il n'eut qu'un court instant <strong>de</strong> répit. Très vite, <strong>le</strong>s ronces gelées se<br />

mirent à vibrer. Puis <strong>de</strong> nouvel<strong>le</strong>s s'abattirent sur lui après avoir brisé la<br />

glace. Arthur <strong>le</strong>s esquiva <strong>de</strong> peu, toutes sauf une qui lui érafla l'épau<strong>le</strong><br />

gauche. <strong>Les</strong> autres s'enfoncèrent dans <strong>le</strong> sol pour mieux rejaillir quelques<br />

secon<strong>de</strong>s plus tard. C'était à en <strong>de</strong>venir fou.<br />

"ARTHUR!!"<br />

Soudain, il sentit une bouffée d'air frais lui caresser <strong>le</strong> visage. La<br />

pression <strong>de</strong>s ronces cessa. En quelques secon<strong>de</strong>s, toutes furent balayées<br />

ou réduites à néant par un phénomène climatique inexplicab<strong>le</strong> en un tel<br />

lieu. Arthur observa, sidéré. Alors que lui était au milieu d'une zone <strong>de</strong><br />

6


calme total, une torna<strong>de</strong> monstrueuse anéantissait tout autour <strong>de</strong> lui, du<br />

sol au plafond. Rapi<strong>de</strong>ment fissurée par la pression, une partie <strong>de</strong> la voûte<br />

finit par cé<strong>de</strong>r et joindre <strong>le</strong> flot tumultueux <strong>de</strong> vent et <strong>de</strong> résidus qui<br />

encerclait Arthur. Il se boucha <strong>le</strong>s oreil<strong>le</strong>s, affecté par <strong>le</strong> gron<strong>de</strong>ment<br />

omniprésent qu'avait suscité ce cataclysme.<br />

Tout à coup, une chose encore plus déconcertante arriva. Arthur vit<br />

Samuel traverser <strong>le</strong> tourbillon pour se diriger vers lui. Il l'attrapa au vol<br />

sans dire un mot, puis l'emporta en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong>s trombes <strong>de</strong> vent. A son<br />

grand saisissement, Arthur ne ressentit absolument rien lorsqu'il passa au<br />

travers <strong>de</strong> la paroi tournoyante. Tout au plus une petite brise. <strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux<br />

hommes roulèrent sur <strong>le</strong> sol craquelé du mausolée puis Samuel se remit<br />

d'aplomb, tendant aussitôt la main à Arthur pour l'ai<strong>de</strong>r à se rétablir.<br />

"Est-ce que ça va? s'enquit Kaznaël, <strong>le</strong> visage et <strong>le</strong>s mains couverts <strong>de</strong><br />

coupures.<br />

-C'est à toi que je <strong>de</strong>vrais poser la question! Tu pisses <strong>le</strong> sang, s'écria<br />

Arthur d'une voix paniquée.<br />

-Ce n'était rien d'autre qu'une végétation un peu hosti<strong>le</strong>. Je lui ai fait son<br />

compte."<br />

Tous <strong>le</strong>s trois se trouvaient face à Marshal, <strong>le</strong>quel était toujours<br />

dissimulé <strong>de</strong>rrière son bouclier. Sa bou<strong>le</strong> d'énergie noire avait disparu, il<br />

croisait désormais <strong>le</strong>s bras, <strong>de</strong> l'air <strong>de</strong> celui qui attend que l'on lui donne la<br />

paro<strong>le</strong>.<br />

"Si tu retouches encore une fois à mon frère, je détruis ce fichu mur et je<br />

TE FAIS LA PEAU! vociféra Samuel en pointant Casca<strong>de</strong> vers lui.<br />

-Je n'en doute pas..."<br />

Arthur eut un regain d'affection pour Samuel.<br />

"J'ai Altaïr, lança Sally en <strong>le</strong>s rejoignant au pas <strong>de</strong> courses. Zahran est<br />

dans <strong>le</strong>s vapes mais il risque <strong>de</strong> reprendre connaissance. Je ne peux pas<br />

me résoudre à l'idée <strong>de</strong> tuer un élu comme nous."<br />

El<strong>le</strong> était talonnée par une Sonia in<strong>de</strong>mne. L'instructrice aidait<br />

autant que possib<strong>le</strong> Andreas à porter Asuka.<br />

"Il est complètement HS, indiqua Sonia, la téléportation n'est pas<br />

envisageab<strong>le</strong>! Même s'il reprenait connaissance tout <strong>de</strong> suite il lui faudrait<br />

un moment avant d'avoir <strong>le</strong>s idées claires.<br />

-Si Elliott acceptait au moins <strong>de</strong> nous ai<strong>de</strong>r, enragea Sally. Lui et ses <strong>de</strong>ux<br />

potes ont complètement disparu."<br />

Un cri <strong>le</strong>s interpella. L'un <strong>de</strong>s mercenaires d'Azulnot avait réussi à<br />

agresser Rachel alors qu'el<strong>le</strong> lui tournait <strong>le</strong> dos. Il l'avait plaquée au sol et<br />

essayait maintenant <strong>de</strong> l'étrang<strong>le</strong>r, <strong>le</strong>s mains en étau sur sa gorge.<br />

Kaznaël s'élança pour la sauver. El<strong>le</strong> commençait à suffoquer. Pourtant,<br />

6


plutôt que d'essayer <strong>de</strong> <strong>le</strong> repousser, el<strong>le</strong> se contorsionnait <strong>de</strong> façon très<br />

étrange, cherchant à atteindre sa jambe droite avec sa main. Au prix <strong>de</strong><br />

nombreux efforts, el<strong>le</strong> finit par retirer un couteau <strong>de</strong> sa botte et <strong>le</strong> planta<br />

dans <strong>le</strong>s veines saillantes du cou <strong>de</strong> son agresseur. Un râ<strong>le</strong> quitta ses<br />

lèvres et il s'effondra, mort.<br />

Rachel laissa choir sa tête sur <strong>le</strong> sol et respira à gran<strong>de</strong>s goulées<br />

pour reprendre son souff<strong>le</strong>. El<strong>le</strong> ne prit même pas la peine <strong>de</strong> repousser <strong>le</strong><br />

cadavre <strong>de</strong> l'homme étendu sur el<strong>le</strong>.<br />

"Ca va? lui <strong>de</strong>manda Kaznaël."<br />

Il la débarrassa du corps inerte, <strong>le</strong> jeta sur <strong>le</strong> côté et la mit sur ses<br />

pieds. Son teint était livi<strong>de</strong>. Une grosse traînée rouge tâchait <strong>le</strong> haut <strong>de</strong> sa<br />

chemise.<br />

"Respirez. Ce n'est pas mon sang, dit-el<strong>le</strong> enfin après avoir perçu<br />

l'angoisse <strong>de</strong>s autres."<br />

<strong>Les</strong> membres <strong>de</strong> l'Azulnot n'étaient pas encore hors d'état <strong>de</strong> nuire.<br />

Plusieurs d'entre eux, y compris Horatio, Daria et Gertt, continuaient à<br />

oppresser Xenia par <strong>le</strong>urs attaques <strong>de</strong> glace. El<strong>le</strong> dut sou<strong>le</strong>ver un immense<br />

mur <strong>de</strong> vent pour se protéger.<br />

"Je ne peux pas tenir longtemps!"<br />

"WHUUUSH"<br />

Arthur se retourna, troublé par ce bruit d'aspiration venu <strong>de</strong> nul<strong>le</strong><br />

part. Plus <strong>de</strong> trace <strong>de</strong> Marshal. Il avait tout bonnement disparu.<br />

"Il ne s'est pas vraiment barré? fit Arthur.<br />

-C'est pourtant bien son genre, expliqua Samuel. Il a préféré nous fausser<br />

compagnie, la situation n'étant pas en sa faveur. C'est plus inquiétant<br />

qu'autre chose si vous vou<strong>le</strong>z mon avis, ajouta-t-il après un moment."<br />

Xenia battit en retraite, profitant du répit que lui offrait son mur <strong>de</strong><br />

vent. El<strong>le</strong> rallia l'autre côté du mausolée, en même temps que Rachel et<br />

Kaznaël. Tous étaient sur <strong>le</strong>urs <strong>de</strong>ux pieds mais <strong>le</strong>urs corps avaient été<br />

mis à ru<strong>de</strong> épreuve par <strong>le</strong>s combats. Sonia se fit un <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> soigner<br />

rapi<strong>de</strong>ment <strong>le</strong>s b<strong>le</strong>ssures <strong>le</strong>s plus handicapantes. Dans <strong>le</strong> camp adverse,<br />

près <strong>de</strong> l'entrée, <strong>le</strong>s mercenaires surentraînés reprenaient peu à peu <strong>le</strong>urs<br />

forces. Arthur ne parvenait pas clairement à <strong>le</strong>s i<strong>de</strong>ntifier, la faça<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

vent étant aussi troub<strong>le</strong> que l'eau écumeuse d'une casca<strong>de</strong>.<br />

"On applique <strong>le</strong> principe <strong>de</strong> la Tria<strong>de</strong> jusqu'au bout, n'est-ce pas? fit<br />

Rachel."<br />

6


Arthur chercha Zahran et Tobias du regard. Plusieurs silhouettes<br />

étaient allongées sur <strong>le</strong> sol. <strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux hommes semblaient en faire partie<br />

mais il n'aurait pu <strong>le</strong> jurer.<br />

"Je n'aime pas cette stratégie, même si je vous l'ai enseignée, reconnut<br />

Sonia."<br />

Des éclats <strong>de</strong> voix étaient perceptib<strong>le</strong>s <strong>de</strong>rrière <strong>le</strong> mur <strong>de</strong> vent.<br />

L'Azulnot était en train <strong>de</strong> se réorganiser, en vue d'un prochain assaut.<br />

Certains bandaient <strong>le</strong>urs b<strong>le</strong>ssures, d'autres juraient, piqués au vif. Arthur<br />

<strong>de</strong>vina avec horreur la silhouette <strong>de</strong> Tobias en train <strong>de</strong> reprendre pied. Il y<br />

eut alors <strong>de</strong>s éclats <strong>de</strong> lumière blanche ça et là. De toute évi<strong>de</strong>nce, <strong>le</strong>s<br />

mercenaires tentaient <strong>de</strong> détruire l'obstac<strong>le</strong> engendré par <strong>le</strong> don <strong>de</strong> Xenia.<br />

"Le mur va finir par cé<strong>de</strong>r, gémit Xenia, pâ<strong>le</strong> comme un linge. Je ne<br />

tiendrai pas plus longtemps.<br />

-Sonia! Asuka et la sphère avant tout, la pressa Rachel. On ne peut pas se<br />

permettre <strong>de</strong>...<br />

-Je sais!!"<br />

Arthur baissa <strong>le</strong>s yeux, sensib<strong>le</strong> au troub<strong>le</strong> <strong>de</strong> Sonia. Il consulta<br />

Kaznaël du regard. L'expression <strong>de</strong> celui-ci ne laissait pas <strong>de</strong> place au<br />

doute.<br />

"Trois minutes, pas plus, souffla Sonia. Vous connaissez la règ<strong>le</strong>.<br />

-Évi<strong>de</strong>mment que ça ne durera pas plus d'une minute, intervint Sally. On<br />

a été bien formés!<br />

-Cela n'a rien d'un entraînement, rappela Sonia.<br />

-Déci<strong>de</strong>z-vous, paniqua Xenia.<br />

-Tu peux relâcher la pression! Vas-y!"<br />

Xenia relâcha son pouvoir dans un long soupir d'éreintement et <strong>le</strong><br />

mur <strong>de</strong> vent disparut, à la gran<strong>de</strong> satisfaction <strong>de</strong> l'ennemi. Rachel roula<br />

alors en bou<strong>le</strong> une feuil<strong>le</strong> <strong>de</strong> papier.<br />

"Mon imagination ne connaît aucune limite!"<br />

Une grosse bou<strong>le</strong> enflammée se matérialisa dans <strong>le</strong>s airs, dégageant<br />

presque autant <strong>de</strong> cha<strong>le</strong>ur que s'il s'agissait <strong>de</strong> l'étoi<strong>le</strong> solaire el<strong>le</strong>-même.<br />

La feuil<strong>le</strong> <strong>de</strong> papier se consuma dans la main <strong>de</strong> Rachel et el<strong>le</strong> pointa son<br />

in<strong>de</strong>x vers l'astre qui illuminait la pièce.<br />

"Qu'ils essaient d'éteindre ça avec <strong>le</strong>ur glace s'ils <strong>le</strong> souhaitent… Ana Rosa<br />

l'a élaboré spécia<strong>le</strong>ment pour eux.<br />

-Couvre mes arrières, <strong>de</strong>manda Kaznaël.<br />

-Ce sera plutôt l'inverse.<br />

-Rachel, ne fais rien d'inconsidéré, la sermonna Sonia.<br />

-Vous al<strong>le</strong>z partir oui!?<br />

6


-Rachel, insista Sonia, promets moi que tu ne feras…"<br />

Le Clan d'Azulnot qui, jusque là, s'était tenu immobi<strong>le</strong> en raison <strong>de</strong><br />

la présence <strong>de</strong> la bou<strong>le</strong> <strong>de</strong> flammes, décida enfin <strong>de</strong> passer à l'attaque.<br />

"PARTEZ, rugit Rachel."<br />

Sonia ravala son ressentiment et acquiesça. D'un même<br />

mouvement, tous à part Rachel et Kaznaël se mirent à courir vers <strong>le</strong> fond<br />

du Mausolée, laissant à <strong>le</strong>urs compagnons <strong>le</strong> soin <strong>de</strong> retenir l'ennemi. Ils<br />

parcoururent quelques mètres ensemb<strong>le</strong>, puis soudain ils bifurquèrent.<br />

Arthur, Samuel, Sonia et Sally foncèrent vers la porte <strong>de</strong> gauche tandis<br />

que Xenia et Andreas portaient Asuka vers cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> gauche.<br />

"Ne te retourne pas, lança à Sally à Arthur.<br />

-Je sais!"<br />

Il continua d'avancer aux côtés <strong>de</strong> ses amis, ignorant <strong>le</strong>s éclats<br />

lumineux et <strong>le</strong>s défer<strong>le</strong>ments <strong>de</strong> magie qui semblaient s'abattre sur Rachel<br />

et Kaznaël. Même s'il se détestait <strong>de</strong> ne pas pouvoir rester, il savait que la<br />

stratégie <strong>de</strong> la Tria<strong>de</strong> ne pouvait, en aucun cas, être transgressée.<br />

***<br />

Quelques mois plus tôt, à GLOW Paris :<br />

"C'est quoi au juste cette stratégie? avait <strong>de</strong>mandé Arthur."<br />

Vêtue <strong>de</strong> son jogging, Sonia avait arpenté l'étendue du dojo, <strong>le</strong>s<br />

mains dans <strong>le</strong> dos, préparant son explication. Il faisait une cha<strong>le</strong>ur<br />

étouffante, mêlée d'o<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> sueur et d'orange (<strong>le</strong> Docteur Martin avait<br />

laissé un panier d'oranges à l'attention <strong>de</strong>s élus). <strong>Les</strong> dix séries <strong>de</strong><br />

pompes avaient été fata<strong>le</strong>s à tout <strong>le</strong> groupe et <strong>le</strong> tissu du T-shirt d'Arthur<br />

lui collait désagréab<strong>le</strong>ment à la peau. Il regrettait déjà d'avoir posé la<br />

question qui retar<strong>de</strong>rait son départ pour une douche salvatrice. Soudain,<br />

<strong>le</strong> visage <strong>de</strong> Sonia s'était éclairé.<br />

"Shui! Rick! Venez vous mettre ici.<br />

-Eeh? Pourquoi moi? avait protesté Shui-Khan.<br />

-Contente-toi d'obéir, avait dit Rick.<br />

-D'accord…"<br />

Rick et Shui-Khan s'étaient placés <strong>de</strong>vant Sonia, face au reste du<br />

groupe. Ils s'étaient armés <strong>de</strong> bâtons <strong>de</strong> combat similaires à celui<br />

qu'utilisait habituel<strong>le</strong>ment Sally. Quant à l'instructrice, el<strong>le</strong> avait <strong>de</strong>mandé<br />

à Andreas <strong>de</strong> lui ramener <strong>le</strong> grand tab<strong>le</strong>au blanc ainsi qu'un feutre. Il avait<br />

rapi<strong>de</strong>ment obtempéré, <strong>le</strong> teint rougeaud et brillant <strong>de</strong> transpiration.<br />

6


"La Stratégie <strong>de</strong> la Tria<strong>de</strong> a été développée lors <strong>de</strong> la guerre qui a opposé<br />

plusieurs clans <strong>de</strong> Sorgentel il y a… 70… 100 ans? Euh… (El<strong>le</strong> réfléchit).<br />

Détail! Cette stratégie <strong>le</strong>ur servait à mener à bien <strong>de</strong>s missions<br />

d'infiltration ou <strong>de</strong> vol d'objets divers."<br />

Sonia avait <strong>de</strong>ssiné une figure simpliste à trois branches, sous <strong>le</strong><br />

regard attentif d'Arthur et <strong>de</strong>s autres élus.<br />

"L'idée est assez simp<strong>le</strong> : la Tria<strong>de</strong> correspond à trois axes d'action dont <strong>le</strong><br />

but ultime est soit <strong>de</strong> récupérer un objet <strong>de</strong> va<strong>le</strong>ur, soit d'assurer la<br />

protection d'une personne importante, face à un ennemi plus fort ou à une<br />

troupe en surnombre. On va ici imaginer que <strong>le</strong> groupe ennemi est<br />

constitué <strong>de</strong> Shui et Rick.<br />

-Ce n'est pas crédib<strong>le</strong>, avait ri Ana Rosa.<br />

-Chut toi! Je disais donc qu'ils sont <strong>le</strong>s ennemis. Vous <strong>de</strong>vez protéger un<br />

objet <strong>de</strong> la menace qu'ils représentent mais vous doutez <strong>de</strong> votre capacité<br />

à <strong>le</strong>s affronter sans perdre l'objet."<br />

Sonia retira son chronomètre <strong>de</strong> son cou et <strong>le</strong> lança à Sally.<br />

"Comment protégeriez vous l'objet en combattant simultanément?<br />

-Je <strong>le</strong> mettrais dans ma poche ou…<br />

-Erreur Sally. Imagine <strong>le</strong> Miroir Millénaire, relativement encombrant. Tu te<br />

vois <strong>le</strong> mettre dans ta poche? Non! Tu combattrais à une seu<strong>le</strong> main,<br />

l'autre étant occupée par <strong>le</strong> Miroir. Sans compter que tu serais <strong>le</strong> centre<br />

<strong>de</strong> l'attention <strong>de</strong> l'ennemi. Rick et Shui essaieraient <strong>de</strong> t'attaquer en<br />

priorité, <strong>de</strong> préférence en surnombre. Tu pourrais t'en sortir à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> tes<br />

compagnons mais <strong>le</strong> risque n'est pas négligeab<strong>le</strong>, surtout que tu<br />

combattrais avec <strong>de</strong>s capacités diminuées.<br />

-Et si on a <strong>de</strong>s sacs à dos? fit Ana Rosa.<br />

-Chut ai-je dit! Pour résumer, non seu<strong>le</strong>ment tu pourrais te faire tuer,<br />

mais en plus l'objet serait récupéré par l'ennemi.<br />

-Je dois l'admettre, avait marmonné Sally."<br />

Sourire <strong>de</strong> Sonia.<br />

"En revanche, vous pouvez toujours tirer parti <strong>de</strong> votre nombre et <strong>de</strong> vos<br />

capacités particulières pour protéger l'objet TOUT en assurant votre<br />

propre protection. C'est d'ail<strong>le</strong>urs pour appliquer cette stratégie que <strong>le</strong>s<br />

élus sont toujours envoyés en groupes. L'application <strong>de</strong> la stratégie <strong>de</strong> la<br />

Tria<strong>de</strong> est simp<strong>le</strong> ici. Cas <strong>de</strong> figure <strong>de</strong> base: Asuka!<br />

-Oui, avait dit l'intéressé en se <strong>le</strong>vant d'un air blasé.<br />

-Dans <strong>le</strong> meil<strong>le</strong>ur <strong>de</strong>s cas tu es présent dans <strong>le</strong> groupe. Il te suffit <strong>de</strong><br />

téléporter tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> dans un lieu sûr et la mission est un succès. Mais<br />

imaginons que tu ne sois pas là… ou que tu sois dans l'incapacité <strong>de</strong> te<br />

téléporter comme c'est souvent <strong>le</strong> cas quand ton caractère lunatique est<br />

au plus bas."<br />

6


Asuka avait dégluti.<br />

"Fais <strong>le</strong> mort!"<br />

Asuka s'était laissé chuter et feignait l'inconscience, exercice<br />

fortement perturbé par Jamie qui s'était approché pour lui donner <strong>de</strong>s<br />

coups d'in<strong>de</strong>x dans <strong>le</strong> nombril.<br />

"Tu fais fort mal <strong>le</strong> mort. Arrête <strong>de</strong> rire, avait dit Jamie."<br />

Il s'était pris <strong>le</strong> feutre dans <strong>le</strong> front.<br />

"Je disais donc… Asuka est indisponib<strong>le</strong>. C'est là que la Stratégie <strong>de</strong> la<br />

Tria<strong>de</strong> entre en jeu. Xenia! Rachel!<br />

-Oui!<br />

-Vous êtes la Branche Défensive <strong>de</strong> la Tria<strong>de</strong>.<br />

-Pourtant nos dons sont <strong>de</strong> nature offensive, avait protesté Rachel.<br />

-Oui mais vos capacités ont l'avantage <strong>de</strong> tenir l'ennemi à distance. Pour<br />

faire simp<strong>le</strong>, vous êtes capab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> vous battre contre un ou plusieurs<br />

ennemis sans prendre <strong>de</strong> grand risque. Votre importance est<br />

fondamenta<strong>le</strong> dans la Tria<strong>de</strong>. C'est vous qui al<strong>le</strong>z retenir l'ennemi <strong>le</strong> temps<br />

que <strong>le</strong>s autres s'éloignent."<br />

Xenia avait blêmi.<br />

"Attends Sonia… Ne s'agit-il pas d'un sacrifice? s'était exclamé Ana Rosa.<br />

-On pourrait <strong>le</strong> penser mais Xenia et Rachel, grâce à <strong>le</strong>urs dons, peuvent<br />

se tenir à l'abri <strong>de</strong>s ennemis tout en <strong>le</strong>s attaquant. El<strong>le</strong>s peuvent même<br />

rendre <strong>le</strong>urs assauts inefficaces. Aussi bien l'une que l'autre peuvent<br />

dévier <strong>de</strong>s projecti<strong>le</strong>s, <strong>de</strong>s sorts utilisés à Sorgentel ou repousser <strong>de</strong>s<br />

ennemis. C'est pour cela que je <strong>le</strong>s qualifie <strong>de</strong> Branche Défensive. Il y a<br />

70% <strong>de</strong> chances qu'el<strong>le</strong>s puissent retenir <strong>le</strong>s ennemis sans être mises en<br />

danger… si tant est que <strong>le</strong>ur situation ne dure pas plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ou trois<br />

minutes.<br />

-Ah?<br />

-<strong>Les</strong> différentes simulations ont prouvé qu'au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ce laps <strong>de</strong> temps,<br />

l'ennemi va tenter <strong>de</strong> trouver un moyen détourné d'attaquer la Branche<br />

Défensive, afin <strong>de</strong> passer à travers. Qui plus est, <strong>le</strong>s membres <strong>de</strong> la<br />

Branche Défensive vont rapi<strong>de</strong>ment se fatiguer à force <strong>de</strong> parer <strong>le</strong>s<br />

assauts ennemis. Dès lors, <strong>le</strong>s chances <strong>de</strong> survie vont diminuer <strong>de</strong> 10% à<br />

chaque minute écoulée.<br />

-En somme…, avait déduit Arthur, au bout <strong>de</strong> cinq ou six minutes, la<br />

Branche Défensive a une chance sur <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>…<br />

-Mourir, oui. Et cela augmente à mesure que <strong>le</strong> temps passe. D'où<br />

l'importance <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux autres branches. Tout d'abord, la Branche <strong>de</strong><br />

Protection, idéa<strong>le</strong>ment constituée <strong>de</strong> gens comme Sally, Rick, Shui ou<br />

Arthur. Eux sont chargés d'éloigner l'objet ou la personne protégée et <strong>de</strong><br />

rallier un point sûr. Ils assument la responsabilité du succès <strong>de</strong> la mission.<br />

6


C'est pour <strong>le</strong>s défendre que la Branche que nous venons <strong>de</strong> présenter<br />

retient l'ennemi.<br />

-Pourquoi eux et pas plutôt Rachel et Xenia? s'était interrogée Ana Rosa.<br />

-On choisit <strong>de</strong>s personnes très endurantes et aptes au corps à corps. <strong>Les</strong><br />

ennemis qui réussiront à passer à travers la Branche Défensive arriveront<br />

probab<strong>le</strong>ment en nombre réduit. Toutefois, seuls <strong>de</strong>s ennemis considérés<br />

comme étant <strong>de</strong> haut niveau y parviennent. Il est donc important que<br />

ceux qui protègent l'objet ou la personne soient <strong>de</strong> bons combattants. Ils<br />

représentent en quelque sorte <strong>le</strong> <strong>de</strong>rnier rempart. Vous n'êtes pas sans<br />

savoir que l'on place rarement ses forces <strong>le</strong>s plus puissantes en première<br />

ligne.<br />

Nous en arrivons à la <strong>de</strong>rnière branche. La Branche dite polyva<strong>le</strong>nte ou<br />

stratégique. Chacun d'entre vous est à même d'en faire partie mais j'y<br />

placerais naturel<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>s gens tels qu'Ana Rosa, Andreas, Elliott ou<br />

Jamie. Leur mission varie selon <strong>le</strong>s circonstances, même si un objectif<br />

<strong>de</strong>meure : perturber l'ennemi.<br />

-J'imagine qu'ils doivent s'enfuir en même temps que la Branche <strong>de</strong><br />

Protection et faire en sorte que l'ennemi ne sache pas qui <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux<br />

branches a l'objet ou la personne sauvée slash capturée.<br />

-Tout à fait Ana. Cependant ce n'est pas tout! Cette branche doit soit al<strong>le</strong>r<br />

chercher <strong>de</strong>s renforts pour soutenir rapi<strong>de</strong>ment la Branche Défensive, soit<br />

contourner <strong>le</strong> terrain <strong>de</strong>s opérations pour prendre l'ennemi à revers."<br />

El<strong>le</strong> avait <strong>de</strong>ssiné une flèche partant <strong>de</strong> la pointe <strong>de</strong> la Branche<br />

Défensive. Cel<strong>le</strong>-ci faisait <strong>le</strong> tour <strong>de</strong> la figure et arrivait <strong>de</strong>rrière la ligne<br />

ennemie.<br />

"Bien évi<strong>de</strong>mment, tout ne se passe jamais comme dans <strong>le</strong> manuel et il<br />

faut parfois faire preuve <strong>de</strong> f<strong>le</strong>xibilité, s'adapter au contexte, à<br />

l'environnement, à la composition <strong>de</strong> l'équipe et à…<br />

-Quel serait mon rô<strong>le</strong>?"<br />

Sonia avait sursauté. El<strong>le</strong> ne s'était pas attendue à cette<br />

intervention. Kaznaël était sur <strong>le</strong> côté, assis sur un banc. Il avait observé<br />

l'entraînement en si<strong>le</strong>nce.<br />

"Ton rô<strong>le</strong>? avait répété Sonia d'un air éberlué.<br />

-Je suis à vos côtés pour un certain moment. Bien que je ne sois pas très<br />

favorab<strong>le</strong> à ce genre <strong>de</strong> stratégie <strong>de</strong> groupe, je ne voudrais pas être celui<br />

qui perturbera tous vos plans. D'où ma question. Où me placeriez-vous?<br />

-Sacrément gonflé ce Kaz, avait chuchoté Jamie à Arthur.<br />

-Plus rien ne m'étonne avec lui.<br />

-Et bien… C'est quelque chose que je n'avais pas envisagé Kaznaël, fit<br />

Sonia."<br />

<strong>Les</strong> élus étaient cois. Kaznaël ne venait jamais assister à <strong>le</strong>ur<br />

entraînement, pour la simp<strong>le</strong> et bonne raison qu'il ne pouvait pas mettre<br />

<strong>le</strong>s pieds à GLOW en présence d'Ella Jones et d'autres membres <strong>de</strong><br />

6


l'Organisation. Le QG était exceptionnel<strong>le</strong>ment vi<strong>de</strong> ce jour-là, ce qui lui<br />

avait permis <strong>de</strong> venir.<br />

"Ma foi, j'hésite entre la Branche Défensive et la Branche <strong>de</strong> Protection.<br />

Pour une raison étrange, je te verrais plutôt dans la première, en<br />

remplacement <strong>de</strong> Xenia ou Rachel.<br />

-Quel<strong>le</strong> idée! avait rouspété Shui-Khan.<br />

-Ne te méprends pas Shui. C'est juste que la Branche Défensive est la<br />

plus risquée <strong>de</strong>s trois. Je préfère y voir une personne à laquel<strong>le</strong> je ne tiens<br />

pas trop…"<br />

***<br />

Sally poussa la porte et entra, talonnée par Samuel, Sonia puis<br />

Arthur. Ce <strong>de</strong>rnier hésita à verrouil<strong>le</strong>r la porte grâce au loquet qui s'y<br />

trouvait mais il se ravisa rapi<strong>de</strong>ment. Lorsque Kaznaël et Rachel<br />

déci<strong>de</strong>raient <strong>de</strong> fuir à <strong>le</strong>ur tour, ils n'auraient pas besoin d'être ra<strong>le</strong>ntis par<br />

une porte bloquée. Il se contenta <strong>de</strong> la laisser entrebâillée. De l'autre<br />

côté, <strong>le</strong>s éclats du combat étaient à la fois terrib<strong>le</strong>s et rassurants. Si<br />

jamais l'on n'entendait plus rien, ce serait mauvais signe pour la Branche<br />

défensive.<br />

"On <strong>de</strong>vrait utiliser nos Echos pour appe<strong>le</strong>r <strong>le</strong> Havre, suggéra Arthur d'un<br />

air paniqué.<br />

-Je m'en occupe mais nous ne <strong>de</strong>vrions pas nous faire trop d'illusions, fit<br />

Sonia. Ils n'arriveront jamais à temps pour nous ai<strong>de</strong>r! Au mieux ils<br />

pourront peut-être contacter Corboïlum."<br />

El<strong>le</strong> ne put s'empêcher <strong>de</strong> jurer à plusieurs reprises, frappant <strong>le</strong> mur<br />

par la même occasion. Ils avaient atterri dans une pièce minuscu<strong>le</strong> et<br />

carrée, remplie <strong>de</strong> bibliothèques hautes et étroites. Une tab<strong>le</strong> trônait au<br />

milieu, entourée <strong>de</strong> quatre chaises. Cela ressemblait à un salon pour <strong>le</strong>s<br />

discip<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an.<br />

"Pas <strong>de</strong> temps à perdre, on ne sait pas combien <strong>de</strong> temps ils pourront <strong>le</strong>s<br />

retenir, rappela Samuel. En plus Marshal a disparu. Il est peut-être allé<br />

chercher <strong>de</strong> l'ai<strong>de</strong> à la Confrérie.<br />

-Je <strong>de</strong>vrais retourner en arrière, lança soudain Arthur. Je suis une élite<br />

et…<br />

-Non, tu sais comment ça marche, <strong>le</strong> sermonna Sally. On reste auprès<br />

d'Altaïr pour <strong>le</strong> protéger. C'est la priorité absolue!"<br />

Sonia confirma d'un signe <strong>de</strong> tête morose.<br />

"Fait chier, gronda Arthur. J'espère pour vous qu'ils ne se feront pas tuer.<br />

-On l'espère tous mais plus on traînera ici, plus on augmentera <strong>le</strong>s risques<br />

qu'ils y passent. Avançons!"<br />

6


Ils traversèrent la pièce sans s'y attar<strong>de</strong>r davantage et se dirigèrent<br />

vers la seu<strong>le</strong> autre porte qui s'y trouvait. Des livres se mirent à tomber<br />

<strong>de</strong>s rayonnages, victimes <strong>de</strong>s tremb<strong>le</strong>ments <strong>de</strong>s murs. Le combat faisait<br />

rage.<br />

"Asuka, réveil<strong>le</strong>-toi vite s'il te plaît, souffla Sonia. On va tous y passer!"<br />

***<br />

"Est-ce que ça va al<strong>le</strong>r?<br />

-Asuka a pris du poids ces <strong>de</strong>rniers temps…<br />

-Il n'a pas l'air <strong>de</strong> reprendre connaissance."<br />

Andreas avait beau dire, il semblait porter Asuka avec une relative<br />

facilité. L'élu inconscient était sur son dos, coincé au niveau <strong>de</strong>s jambes<br />

par <strong>le</strong>s bras d'Andreas. Le jeune homme courait à travers la pièce blanche<br />

sans accor<strong>de</strong>r un regard aux nombreux portraits qui en ornaient <strong>le</strong>s murs<br />

blancs. S'il l'avait fait, il aurait aperçu <strong>le</strong> portrait d'un ado<strong>le</strong>scent<br />

Sorgenteli qui ressemblait étrangement à Arthur. Son visage était animé<br />

d'un sourire <strong>de</strong>s plus optimistes. Leryan, tel que <strong>le</strong> peintre l'avait<br />

représenté, resp<strong>le</strong>ndissait d'insouciance et <strong>de</strong> joie <strong>de</strong> vivre. Xenia ne put<br />

s'empêcher <strong>de</strong> ra<strong>le</strong>ntir en voyant cette image qui lui redonnait une foi<br />

mystérieuse en <strong>le</strong>ur quête. Ils s'en sortiraient vivants. Ils sauveraient <strong>le</strong><br />

mon<strong>de</strong>. Et pour une raison qui lui échappait encore, el<strong>le</strong> était persuadée<br />

qu'Arthur était la clé, bien plus que Samuel. <strong>Les</strong> élus n'avaient pas croisé<br />

son chemin pour rien.<br />

"Ne faites pas un pas <strong>de</strong> plus!"<br />

Une vive lumière <strong>le</strong>s aveugla et ils freinèrent face à cette invective.<br />

Trois <strong>de</strong>s mercenaires d'Azulnot venaient d'apparaître dans la gran<strong>de</strong><br />

pièce rectangulaire grâce à l'éclair qui avait frappé <strong>le</strong> sol. Xenia se rappela<br />

qu'ils étaient dénommés Horatio, Daria et Gertt. Comment pouvaient-ils<br />

se retrouver face à eux alors qu'ils étaient censés être retenus par <strong>le</strong>s<br />

autres? La Confrérie avait fait appel à ses corbeaux infernaux pour <strong>le</strong>s<br />

transporter là, il n'y avait pas <strong>de</strong> doute.<br />

"Qu'avez-vous fait <strong>de</strong> nos amis? <strong>de</strong>manda Andreas d'une voix tremblante.<br />

-Nous ne savons pas ce qu'il advient d'eux. Ils étaient toujours en train <strong>de</strong><br />

combattre quand nous avons été emmenés ici.<br />

-Tout va bien dans ce cas. Ils ont moins d'ennemis à affronter…"<br />

Le cœur <strong>de</strong> Xenia battait à tout rompre, au point qu'el<strong>le</strong> craignit qu'il<br />

ne finisse par sortir <strong>de</strong> sa poitrine. El<strong>le</strong> fit tournoyer un souff<strong>le</strong> véhément<br />

dans <strong>le</strong> creux <strong>de</strong> sa main mais Andreas secoua la tête pour la dissua<strong>de</strong>r<br />

d'attaquer. Le mercenaire géant et chauve, armé <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux masses, <strong>le</strong>s<br />

apostropha alors :<br />

6


"Donnez-nous Altaïr et nous envisagerons peut-être <strong>de</strong> vous laisser en<br />

vie.<br />

-Qui vous dit que nous l'avons sur nous? répliqua Xenia.<br />

-Ces gamins ne l'ont pas, ça se voit, fit Horatio en dégainant son épée. Ils<br />

ont appliqué la Tria<strong>de</strong>. Ils ne sont que trois et <strong>le</strong> <strong>de</strong>rnier est inconscient.<br />

Branche polyva<strong>le</strong>nte. Il y avait une chance sur <strong>de</strong>ux. Partons!<br />

-Sans <strong>le</strong>s éliminer? s'écria Daria.<br />

-Nous n'avons pas <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> <strong>le</strong>s affronter, il faut rattraper l'autre<br />

groupe."<br />

Alors qu'ils s'apprêtaient à fi<strong>le</strong>r par l'issue située à l'autre bout <strong>de</strong> la<br />

ga<strong>le</strong>rie <strong>de</strong> portraits, Andreas prit la paro<strong>le</strong>.<br />

"Atten<strong>de</strong>z!"<br />

<strong>Les</strong> trois mercenaires s'arrêtèrent.<br />

"Qui a laissé entendre que je vous laisserais vous en prendre à mes amis?<br />

-Ne nous fais pas perdre <strong>de</strong> temps binoclard."<br />

Xenia se tourna vers Andreas pour l'observer. Dès qu'el<strong>le</strong> vit son<br />

regard, el<strong>le</strong> sut que <strong>le</strong>s mercenaires l'avaient sous-estimé. Il était empli<br />

d'une détermination qui n'était même pas perceptib<strong>le</strong> quelques semaines<br />

auparavant, lorsqu'il avait décidé <strong>de</strong> changer.<br />

"Occupe-toi d'Asu une minute s'il te plaît, <strong>de</strong>manda-t-il."<br />

***<br />

"Par où cette fois-ci?"<br />

Samuel regarda frénétiquement <strong>le</strong>s murs du vestibu<strong>le</strong>, d'apparence<br />

singulière. Ce n'était pas à proprement par<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s murs mais <strong>de</strong>s baies<br />

vitrées à la surface sibylline. Quant à savoir comment el<strong>le</strong>s pouvaient<br />

soutenir la voûte du Mausolée, cela re<strong>le</strong>vait encore une fois du surnaturel.<br />

Chacune d'el<strong>le</strong> était percée d'une porte blanche <strong>de</strong> forme ova<strong>le</strong>. Cela<br />

obligeait donc <strong>le</strong>s élus à choisir entre trois issues.<br />

"Quoi qu'il arrive on doit rester ensemb<strong>le</strong>, rappela Sonia."<br />

Sally fixa brièvement la sphère d'Altaïr avec une tristesse teintée <strong>de</strong><br />

mépris, l'air <strong>de</strong> dire "C'est à cause <strong>de</strong> toi que nous sommes dans cette<br />

situation". El<strong>le</strong> la mit tant bien que mal dans sa poche.<br />

"Arthur, va voir sur quoi donne l'issue <strong>de</strong> gauche, dit Sonia. Sally, va en<br />

face! Je…<br />

-Toi tu restes ici, je vais voir ce que donne cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> droite, intima Samuel.<br />

-Non, c'est moi qui comman<strong>de</strong>!<br />

6


-Tu n'est pas mon instructrice, répliqua Samuel avec sarcasme."<br />

Sonia se tut, vexée. Il lui avait coupé <strong>le</strong> siff<strong>le</strong>t. Conscient <strong>de</strong> la<br />

teneur <strong>de</strong> ses paro<strong>le</strong>s, il s'excusa à la hâte avant <strong>de</strong> partir ouvrir sa porte.<br />

"Je ne veux pas qu'il t'arrive quelque chose…"<br />

Sally et Arthur en profitèrent pour al<strong>le</strong>r vérifier <strong>le</strong> contenu <strong>de</strong>s autres<br />

pièces. Arthur tourna la poignée ron<strong>de</strong> <strong>de</strong> la porte qui lui était attribuée,<br />

prit une gran<strong>de</strong> inspiration, puis ouvrit. Il fut étonné <strong>de</strong> ressentir <strong>le</strong> souff<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong> l'air frais sur son visage.<br />

"Oh…"<br />

L'issue donnait sur une passerel<strong>le</strong> située à l'extérieur, environ un<br />

mètre au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> l'eau. En regardant à gauche et à droite il vit <strong>le</strong>s<br />

parois blanches <strong>de</strong> la faça<strong>de</strong> latéra<strong>le</strong> du Mausolée. Une sortie? Pourtant on<br />

ne voyait pas <strong>le</strong>s jardins du Tombeau. Peut-être ne se trouvaient-ils qu'au<br />

niveau <strong>de</strong> l'entrée principa<strong>le</strong>.<br />

Arthur plissa <strong>le</strong>s yeux pour mieux voir au loin. La passerel<strong>le</strong> donnait<br />

sur une plateforme ron<strong>de</strong>, puis continuait vers une <strong>de</strong>stination inconnue.<br />

Le paysage n'était pas i<strong>de</strong>ntifiab<strong>le</strong> au-<strong>de</strong>là. En tout cas, il n'y avait<br />

personne. Arthur rebroussa chemin pour avertir <strong>le</strong>s autres.<br />

"Sonia, on peut peut-être sortir par ici, indiqua-t-il. Cette porte donne sur<br />

l'extérieur.<br />

-Vraiment? C'est une bonne chose mais attendons <strong>de</strong> voir ce que nous<br />

disent Sam et Sally avant d'al<strong>le</strong>r plus loin."<br />

Le claquement vio<strong>le</strong>nt d'une porte <strong>le</strong>s fit tressaillir. Sally s'était<br />

enfermée dans la pièce qu'el<strong>le</strong> était partie visiter.<br />

"Sally? Sally? fit Sonia en tambourinant la porte. Qu'est-ce que tu fais?"<br />

Sally ne donna pas <strong>de</strong> réponse. La porte était bloquée <strong>de</strong> l'intérieur.<br />

"Sally, sors <strong>de</strong> là-<strong>de</strong>dans, tu nous fais peur, cria Arthur."<br />

Soudain, un hur<strong>le</strong>ment stri<strong>de</strong>nt provoqua la panique chez Arthur et<br />

Sonia. C'était la voix <strong>de</strong> Sally. Apeuré, Arthur se mit à foncer sur la porte<br />

<strong>de</strong> toutes ses forces pour la sortir <strong>de</strong> ses gonds. Il donna <strong>de</strong> grands coups<br />

d'épau<strong>le</strong>, eut recours à ses pieds, ses poings, vainement. Ses efforts ne<br />

faisaient pas vacil<strong>le</strong>r la porte, el<strong>le</strong> refusait obstinément <strong>de</strong> s'ouvrir. Et<br />

Sally était coincée <strong>de</strong>dans, avec quelqu'un ou quelque chose qui s'en<br />

prenait à el<strong>le</strong>.<br />

"Pousse-toi, je vais m'en occuper, fit Sonia alors que son in<strong>de</strong>x s'auréolait<br />

d'un éclat écarlate."<br />

6


C'est à ce moment là qu'une détonation extraordinaire fit vibrer<br />

toutes <strong>le</strong>s parois du vestibu<strong>le</strong>. Cel<strong>le</strong> qui <strong>le</strong>s séparait <strong>de</strong> Sally se mit à se<br />

fissurer sur toute sa surface, au grand dam d'Arthur. Puis il y eut une<br />

secon<strong>de</strong> détonation. Sally traversa bruta<strong>le</strong>ment la vitre, propulsée par un<br />

choc inconnu. De la fumée blanche émanait <strong>de</strong> ses vêtements. El<strong>le</strong> avait<br />

<strong>de</strong> nombreuses égratignures et <strong>le</strong>s cheveux déliés.<br />

"SALLY!"<br />

El<strong>le</strong> roula sur <strong>le</strong> sol recouvert <strong>de</strong> tessons, réussit à se remettre en<br />

position accroupie et resserra son emprise sur son bâton, malgré sa main<br />

ensanglantée. Arthur s'était instinctivement accrochée à Sonia pour la<br />

protéger du souff<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'explosion et <strong>de</strong>s morceaux <strong>de</strong> verre. Il se détacha<br />

d'el<strong>le</strong>, ahuri.<br />

"C'est encore la corneil<strong>le</strong> <strong>de</strong> service, vociféra Sally. Cette fois-ci je vais lui<br />

faire la peau!<br />

-Munin!?"<br />

Arthur se retourna pour vérifier. L'intérieur <strong>de</strong> la sal<strong>le</strong> était<br />

désormais visib<strong>le</strong>, la paroi <strong>de</strong> verre ayant été détruite par l'explosion.<br />

Seu<strong>le</strong> la porte avait survécu, sans doute maintenue en place par un<br />

sortilège <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an ou <strong>de</strong>s gardiens.<br />

Sally avait dit vrai. Munin était au centre d'un nuage <strong>de</strong> poussière,<br />

sa lance noire et or à la main. El<strong>le</strong> triomphait littéra<strong>le</strong>ment.<br />

"J'ai toujours su qu'on ne pouvait pas lui faire confiance! C'est el<strong>le</strong> qui a<br />

donné Samuel à la Confrérie, j'en suis certaine!<br />

-Et Samuel? Où est-il? s'exclama Sonia en réalisant soudain son absence.<br />

-Je suis là… et je crois que je vais avoir besoin d'un coup <strong>de</strong> main,<br />

répondit sa voix lointaine."<br />

Sonia et Arthur se ruèrent sur <strong>le</strong> pas <strong>de</strong> la porte.<br />

"Il ne manquait plus que ça…"<br />

Samuel avait ses <strong>de</strong>ux rapières à la main. Il était posté sur <strong>le</strong> seuil<br />

d'un caveau dont <strong>le</strong> sol d'un noir <strong>de</strong> jais était recouvert d'un nombre<br />

considérab<strong>le</strong> d'étoi<strong>le</strong>s b<strong>le</strong>ues. Il y avait <strong>de</strong>ux alcôves <strong>de</strong> part et d'autre <strong>de</strong><br />

ses ennemis. Deux ennemis qui n'auraient pas dû pouvoir se trouver là.<br />

"La sortie la plus sûre se trouve par ici. Si vous vou<strong>le</strong>z l'emprunter il va<br />

falloir nous passer sur <strong>le</strong> corps… Si vous fuyez nous vous chasserons<br />

comme du gibier, tant que nous n'aurons pas remis la main sur Altaïr."<br />

Tobias et Zahran Sun.<br />

6


"Ils sont passés… C… Comment ont-ils fait? bredouilla Sonia.<br />

-Remercie Munin, dit sombrement Samuel. Cette vipère s'est bien jouée<br />

<strong>de</strong> moi. Ca fait un moment que j'y pense… El<strong>le</strong> est la seu<strong>le</strong> à pouvoir<br />

expliquer la présence <strong>de</strong> la Confrérie. J'ai manqué <strong>de</strong> discernement…"<br />

Il se tourna vers Sonia et lui fit un clin d'œil discret, sans sourire.<br />

"Il s'agit <strong>de</strong> la sortie principa<strong>le</strong> apparemment. Reste en retrait et gar<strong>de</strong> la<br />

sphère au chaud pendant qu'Arthur et moi-même disposons <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>uxlà.<br />

-La sphère? Mais je…"<br />

El<strong>le</strong> se tut, comprenant soudain <strong>le</strong> stratagème <strong>de</strong> Samuel. C'était<br />

simpliste mais efficace. D'ail<strong>le</strong>urs on pouvait lire l'intérêt subit <strong>de</strong> Zahran<br />

et Tobias dans <strong>le</strong>urs yeux.<br />

Arthur avança d'un pas résolu vers Samuel, prêt à combattre à ses<br />

côtés. Il n'y avait pas d'autre alternative. Avec un peu <strong>de</strong> chance, Sally<br />

s'en sortirait et réussirait à quitter <strong>le</strong>s lieux avec Altaïr. Au pire, ils<br />

auraient fait <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur mieux.<br />

"SALLY, NE PERDS PAS CONTRE ELLE! cria Arthur, suffisamment fort pour<br />

qu'el<strong>le</strong> puisse l'entendre <strong>de</strong>puis <strong>le</strong> vestibu<strong>le</strong>."<br />

Sally en fit <strong>de</strong> même.<br />

"SI L'UN D'ENTRE NOUS REVIENT SANS L'AUTRE, JAMIE LUI EN VOUDRA<br />

À MORT! NE L'OUBLIE PAS!"<br />

***<br />

Xenia ouvrit la seu<strong>le</strong> porte à <strong>le</strong>ur disposition, laissa passer Andreas<br />

et Asuka, puis s'attarda sur <strong>le</strong> seuil pour détail<strong>le</strong>r <strong>le</strong> champ <strong>de</strong> batail<strong>le</strong><br />

qu'ils laissaient <strong>de</strong>rrière eux. Le sol était calciné, une o<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> brûlé<br />

emplissait la pièce et <strong>de</strong>s marques noires tâchaient irrégulièrement <strong>le</strong>s<br />

murs et <strong>le</strong>s portraits. <strong>Les</strong> trois mercenaires étaient à terre, hors d'état <strong>de</strong><br />

combattre mais toujours vivants. Du moins c'est ce qu'avait dit Andreas à<br />

Xenia. Le combat avait duré en tout et pour tout une vingtaine <strong>de</strong><br />

secon<strong>de</strong>s.<br />

Xenia referma la porte, prise d'un frisson familier. Le vertige qui<br />

l'assaillait n'avait rien à voir avec la prestation d'Andreas. C'était plutôt la<br />

présence obscure <strong>de</strong> Marshal dans la pièce suivante qui la terrorisait. El<strong>le</strong><br />

était la plus à même <strong>de</strong> la ressentir, ayant été la victime <strong>de</strong> son pouvoir<br />

quelques mois auparavant. Un pouvoir répugnant qui lui avait laissé <strong>de</strong>s<br />

séquel<strong>le</strong>s, même après avoir été effacé par <strong>le</strong>s soins <strong>de</strong> GLOW. Il lui avait<br />

fallu <strong>de</strong>s semaines et <strong>de</strong>s semaines <strong>de</strong> repos avant que <strong>le</strong>s cauchemars ne<br />

s'arrêtent, que l'appétit ne revienne, que <strong>le</strong>s crises <strong>de</strong> larmes ne<br />

s'espacent ; avant qu'el<strong>le</strong> ne soit enfin capab<strong>le</strong> <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong> chez el<strong>le</strong> sans<br />

craindre pour sa vie. El<strong>le</strong> avait surmonté ces terrib<strong>le</strong>s obstac<strong>le</strong>s mais<br />

6


aujourd'hui el<strong>le</strong> n'avait pas <strong>de</strong> mal à s'en souvenir en ressentant l'aura<br />

malsaine du nécromancien.<br />

Andreas posa Asuka contre <strong>le</strong> mur et resta accroupi face à lui un<br />

moment, plongé dans <strong>de</strong>s pensées que lui seul connaissait. Il retira ses<br />

lunettes, en replia délicatement <strong>le</strong>s branches puis <strong>le</strong>s plaça dans la main<br />

d'Asuka.<br />

"Tu me <strong>le</strong>s gar<strong>de</strong>s s'il te plaît? Si jamais je ne peux pas <strong>le</strong>s récupérer,<br />

j'aimerais que tu <strong>le</strong>s déposes où tu sais…"<br />

<strong>Les</strong> doigts d'Asuka tremblèrent quelque peu au contact du métal<br />

froid mais il ne donna pas d'autre signe <strong>de</strong> conscience. Andreas se re<strong>le</strong>va<br />

alors.<br />

"Xenia… J'aimerais te dire que…<br />

-Oui, je sais, répondit-el<strong>le</strong> en forçant un sourire. Inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r comme<br />

si nous allions mourir.<br />

-Hm."<br />

Marshal était assis sur <strong>le</strong> pié<strong>de</strong>stal d'une reproduction du défunt<br />

Fenrir, dans toute sa sp<strong>le</strong>n<strong>de</strong>ur. La statue <strong>de</strong> pierre frôlait <strong>le</strong> plafond et<br />

jetait une ombre sinistre sur l'homme que <strong>le</strong>s élus allaient sans doute<br />

<strong>de</strong>voir affronter.<br />

"Beau travail que tu as fait avec ces mercenaires, déclara-t-il en<br />

l'applaudissant sincèrement. Je n'ai que <strong>de</strong>ux questions à te poser :<br />

comment et pourquoi? Je suis homme à s'intriguer <strong>de</strong> tels détails, même<br />

aux moments <strong>le</strong>s plus inadéquats."<br />

Xenia réprima un soubresaut. Comment un homme aussi mauvais<br />

pouvait-il n'être que <strong>le</strong> second <strong>de</strong> la Confrérie? Primo était-il encore plus<br />

abject?<br />

"Comment : j'ai rassemblé tous <strong>le</strong>s traités que j'ai pu trouver à Sorgentel,<br />

juste avant mon départ, puis je <strong>le</strong>s ai assimilés.<br />

-"Assimilés" dis-tu?<br />

-…<br />

-Oh, c'est vrai. Tu as <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> maîtriser l'information. Tu peux tout<br />

savoir d'un objet ou d'une personne rien qu'en la touchant, n'est-ce pas?<br />

Si je ne fais pas d'erreur, tu peux éga<strong>le</strong>ment modifier cette information à<br />

ta guise, comme tu l'as fait avec cet homme tout à l'heure, implantant <strong>de</strong>s<br />

données erronées dans son esprit, lui donnant l'intime conviction qu'il<br />

était votre allié."<br />

Marshal hocha la tête, manifestement impressionné.<br />

"Cela n'explique pas comment tu as pu assimi<strong>le</strong>r tout ceci.<br />

6


-Je ne vais pas vous expliquer ma technique pour que vous puissiez la<br />

réutiliser ou déce<strong>le</strong>r mon point faib<strong>le</strong>. J'ai lu pas <strong>de</strong> mal <strong>de</strong> BD, ajouta-t-il<br />

comme si c'était une évi<strong>de</strong>nce.<br />

-Sage décision, répondit Marshal, mais je crois savoir ce que tu as fait.<br />

C'est une évi<strong>de</strong>nce lorsque l'on connaît la source <strong>de</strong> ton don.<br />

-…<br />

-Tu as forcé <strong>le</strong>s connaissances <strong>de</strong> ces ouvrages dans ta propre entité, tu<br />

as modifié tes propres… données, au lieu d'altérer cel<strong>le</strong>s d'autres<br />

personnes. C'est un acte d'une vio<strong>le</strong>nce inimaginab<strong>le</strong> quand on y pense.<br />

Réorganiser sa pensée pour la contraindre à avoir la maîtrise d'une chose<br />

qu'el<strong>le</strong> ne <strong>de</strong>vrait pas pouvoir maîtriser. Que tu as dû souffrir… Faire <strong>de</strong> toi<br />

la victime <strong>de</strong> ton propre don."<br />

Andreas ferma <strong>le</strong>s yeux.<br />

"On <strong>le</strong>s appelait <strong>le</strong>s Appropriateurs, dit Marshal en se souvenant<br />

visib<strong>le</strong>ment d'un détail <strong>de</strong> l'Histoire. Ils ont beaucoup œuvré pendant la<br />

guerre <strong>de</strong> Sorgentel. Ils servaient <strong>de</strong> messagers pour <strong>le</strong>s différents clans<br />

puis forçaient <strong>le</strong>ur propre esprit à oublier l'objet <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur mission. Cela<br />

évitait <strong>le</strong>s trahisons, <strong>le</strong>s fuites ou <strong>le</strong>s tortures.<br />

Certains ont été historiens. Ils utilisaient cette capacité innée pour<br />

absorber <strong>le</strong>s faits qui se déroulaient <strong>de</strong>vant <strong>le</strong>urs yeux et <strong>le</strong>s restituer au<br />

détail près dans <strong>le</strong>s livres.<br />

D'autres enfin ont servi <strong>de</strong>s causes plus obscures. Ils <strong>de</strong>venaient <strong>de</strong>s<br />

bourreaux chargés <strong>de</strong> punir <strong>le</strong>s criminels par la voie d'une sanction plus<br />

horrib<strong>le</strong> que la mort : l'éternel oubli. Pas <strong>de</strong> conscience, pas <strong>de</strong> souvenir,<br />

pas <strong>de</strong> réf<strong>le</strong>xion. La victime <strong>de</strong>venait une enveloppe vi<strong>de</strong>, dotée <strong>de</strong><br />

facultés proches <strong>de</strong> cel<strong>le</strong>s d'un vieillard séni<strong>le</strong>.<br />

Ceux qui parmi <strong>le</strong>s Appropriateurs ont développé ce type <strong>de</strong> fonctions ont<br />

vite évolué vers un art nouveau qui nécessitait d'ingérer une quantité <strong>de</strong><br />

connaissances incommensurab<strong>le</strong>, bien supérieure à cel<strong>le</strong>s exigées par la<br />

simp<strong>le</strong> Parestina."<br />

Le blanc <strong>de</strong> ses yeux <strong>de</strong>vint aussi noir que ses pupil<strong>le</strong>s.<br />

"La Nécromancie."<br />

Andreas ne dit rien.<br />

"Tu n'as pas répondu à ma <strong>de</strong>uxième question.<br />

-Ah… "Pourquoi?" Tout simp<strong>le</strong>ment pour vous punir <strong>de</strong> ce que vous avez<br />

infligé à Xenia et aux Anciens.<br />

-Je comprends, dit Marshal en dardant Xenia du regard. J'espère toutefois<br />

que tu sais dans quel milieu malsain tu t'aventures.<br />

-Andreas, nous perdons trop <strong>de</strong> temps, siffla Xenia avec angoisse. Il nous<br />

retar<strong>de</strong> sciemment!<br />

-Oui.<br />

6


-Vous voyez clair dans mon jeu semb<strong>le</strong>rait-il. Je reconnais être <strong>de</strong> ceux<br />

qui évitent systématiquement la confrontation directe, d'autant plus que la<br />

nature ne m'a pas doté d'une soli<strong>de</strong> constitution. Je vous fais donc une<br />

proposition que je ne vous permets pas <strong>de</strong> refuser. Si vous passez<br />

l'épreuve que je vais vous imposer, je ne chercherai pas à vous nuire<br />

davantage… pour cette fois.<br />

-Vous mentez!<br />

-Non jeune fil<strong>le</strong>, je n'ai qu'une seu<strong>le</strong> paro<strong>le</strong>. Si vous réussissez, j'agirai<br />

comme si je ne vous avais pas croisés. Evi<strong>de</strong>mment cela n'affecte pas <strong>le</strong>s<br />

actions <strong>de</strong>s autres membres <strong>de</strong> la Confrérie et <strong>de</strong> l'Azulnot.<br />

-Et si nous échouons? l'interrogea Andreas.<br />

-Si vous échouez, vous n'aurez plus <strong>de</strong> questions à vous poser…"<br />

Andreas déploya trois grands pentac<strong>le</strong>s rouges. Un à ses pieds, un<br />

autre au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> sa tête et <strong>le</strong> <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong>rrière lui.<br />

"Avons-nous vraiment <strong>le</strong> choix Xenia, murmura-t-il.<br />

-Non…"<br />

Xenia se prépara à affronter tout ce qui se dresserait <strong>de</strong>vant el<strong>le</strong>.<br />

***<br />

"Je ne compte pas écouter ce que tu as à me dire Samuel. Malgré l'estime<br />

que j'ai pu avoir pour toi, tu nous as trahi et c'est tout ce qui compte à ce<br />

moment précis. Je t'abattrai comme si tu n'étais qu'un vulgaire ennemi.<br />

-Tant pis pour toi, je ne perdrai pas mon temps à essayer <strong>de</strong> te<br />

convaincre si tu tiens à rester dans <strong>le</strong> noir.<br />

-Sam, laisse-moi m'occuper <strong>de</strong> Tobias, <strong>de</strong>manda Arthur à voix basse.<br />

-Hein? Pourquoi donc?<br />

-Je lui ai cassé <strong>le</strong> nez tout à l'heure, il est légitime que je finisse <strong>le</strong> travail.<br />

-Ah… Si tu vois <strong>le</strong>s choses ainsi…"<br />

Tobias ne montrait pas <strong>le</strong> moindre intérêt pour ces messes basses. Il<br />

était plutôt captivé par <strong>le</strong> décor qui allait <strong>le</strong>ur servir <strong>de</strong> champ <strong>de</strong> batail<strong>le</strong>.<br />

Faisant <strong>de</strong> même, Arthur réalisa que <strong>le</strong>s étoi<strong>le</strong>s gravées au sol formaient<br />

un grand œil une fois reliées. En revanche, il détacha rapi<strong>de</strong>ment son<br />

attention <strong>de</strong>s alcôves, ne sachant que trop bien ce qu'el<strong>le</strong>s contenaient, ou<br />

plutôt qui el<strong>le</strong>s contenaient.<br />

"Samuel… Arthur…, fit Sonia.<br />

-Pas <strong>de</strong> panique Sonia! Si on a une égratignure tu nous remettras<br />

d'aplomb, lança Samuel. Gar<strong>de</strong> plutôt un œil sur Sally histoire qu'el<strong>le</strong> ne<br />

soit pas seu<strong>le</strong> face à la corneil<strong>le</strong>.<br />

-D… D'accord. Soyez pru<strong>de</strong>nts!"<br />

El<strong>le</strong> se mit à courir, puis s'arrêta soudain.<br />

6


"Faites attention à ce Zahran. Il a mis Jamie en sa<strong>le</strong> état…"<br />

Arthur s'élança vers Zahran à une vitesse effroyab<strong>le</strong> et abattit la<br />

lame <strong>de</strong> Drydock sur lui. L'assaut fut paré par <strong>le</strong> sabre <strong>de</strong> son adversaire<br />

mais il sentit ce <strong>de</strong>rnier ployer sous <strong>le</strong> poids <strong>de</strong> l'épée doub<strong>le</strong>.<br />

"Arthur, je croyais que c'était à moi d'affronter Zahran, protesta Samuel."<br />

Arthur augmenta la pression qu'il imposait à Zahran, allant jusqu'à<br />

peser <strong>de</strong> tout son poids sur lui.<br />

"Qu'est-ce… que… tu… as… fait… à… Jamie…? rugit-il entre ses <strong>de</strong>nts.<br />

-Je ne l'ai pas tué. Il a été juste été coupé assez <strong>de</strong> fois pour ne pas<br />

pouvoir bouger pendant quelques jours."<br />

La lame dorée du sabre <strong>de</strong> Zahran commença à ge<strong>le</strong>r, sous son<br />

regard stupéfait. Il se jeta sur <strong>le</strong> côté in extremis, évitant ainsi l'explosion<br />

<strong>de</strong> glace qu'avait provoquée Drydock.<br />

"Sam, j'ai changé d'avis! Je veux celui-là, dit Arthur avec rage."<br />

Samuel haussa <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s et se mit face à Tobias.<br />

"Désolé. Tu as entendu mon petit frère.<br />

-Il est d'humeur changeante on dirait.<br />

-Oui. La bonne nouvel<strong>le</strong>, c'est que je t'éliminerai beaucoup plus vite que<br />

lui."<br />

Il fit disparaître Casca<strong>de</strong> et prit son autre rapière à <strong>de</strong>ux mains.<br />

"Pourquoi t'es-tu débarrassé <strong>de</strong> cette arme? s'étonna Tobias.<br />

-Je ne m'en suis pas débarrassé. J'en fais juste un meil<strong>le</strong>ur usage…"<br />

***<br />

"Emergens!"<br />

Sally bondit en arrière, esquivant la série d'explosions. Encore une<br />

fois <strong>le</strong> sol se sou<strong>le</strong>va par pans entiers et <strong>de</strong>s gerbes <strong>de</strong> poussière se<br />

répandirent à travers la pièce, rendant sa vision et sa respiration plus<br />

diffici<strong>le</strong>s. Il n'y avait rien à faire. Munin avait conscience <strong>de</strong> son don <strong>de</strong><br />

précognition et <strong>le</strong> retournait contre el<strong>le</strong> en contrant toutes ses<br />

anticipations. C'était une sinécure pour une guerrière aguerrie comme<br />

Munin. Même Arthur pourrait la prendre en défaut avec plus<br />

d'entraînement. Il suffisait d'essouff<strong>le</strong>r Sally afin qu'el<strong>le</strong> ne puisse plus<br />

échapper aux assauts, même si el<strong>le</strong> <strong>le</strong>s voyait venir. Mieux encore : il<br />

suffisait <strong>de</strong> <strong>de</strong>viner comment el<strong>le</strong> avait éviter l'assaut pour mieux préparer<br />

6


<strong>le</strong> suivant. A quoi bon avoir un tel don si el<strong>le</strong> ne pouvait même pas<br />

s'approcher <strong>de</strong> l'ennemi pour répliquer?<br />

"Depuis combien <strong>de</strong> temps mens-tu à Samuel? <strong>de</strong>manda-t-el<strong>le</strong> pour<br />

gagner du temps."<br />

El<strong>le</strong> vit la lance s'allonger subitement dans sa direction et se pencha<br />

juste à temps pour en éviter la pointe.<br />

"Depuis toujours!"<br />

Munin tourna sur el<strong>le</strong>-même en chantant et en faisant virevolter son<br />

arme par la même occasion. Sally entendit la lame crisser <strong>le</strong> long <strong>de</strong>s<br />

vitres. El<strong>le</strong> se rapprochait dangereusement d'el<strong>le</strong>. El<strong>le</strong> prit appui sur un<br />

pan <strong>de</strong> sol, s'é<strong>le</strong>va dans <strong>le</strong>s airs et attaqua.<br />

"Si tu savais…"<br />

La lance rétrécit d'un coup et Munin riposta. Le bâton <strong>de</strong> Sally se brisa en<br />

<strong>de</strong>ux.<br />

"…À quel point mentir est pénib<strong>le</strong>, surtout lorsque l'on apprécie<br />

sincèrement la personne.<br />

-Et mer<strong>de</strong>, s'exclama Sally, complètement désarmée."<br />

El<strong>le</strong> jeta <strong>le</strong>s morceaux <strong>de</strong> son bâton et battit en retraite <strong>le</strong> temps <strong>de</strong><br />

trouver une para<strong>de</strong>, mais Munin était sur ses talons.<br />

"Samuel aurait dû comprendre que ma fidélité envers Primo ne pourrait<br />

jamais plier face à cel<strong>le</strong> que je lui affirmais au quotidien. Le <strong>de</strong>voir passe<br />

avant tout. Je suis liée à la Confrérie!"<br />

Sally perçut <strong>le</strong> bruit <strong>de</strong> la lance qui sifflait près <strong>de</strong> ses oreil<strong>le</strong>s. Munin<br />

la tançait <strong>de</strong> bien trop près. Et encore, el<strong>le</strong> ne faisait que s'amuser.<br />

"Minilly, <strong>le</strong>s épées courtes!"<br />

Deux lames scintillantes apparurent dans <strong>le</strong>s mains <strong>de</strong> Sally. El<strong>le</strong><br />

accéléra sa course, fonçant vers <strong>le</strong> mur qui se trouvait face à el<strong>le</strong>, bondit<br />

sur la paroi et se retrouva <strong>de</strong>rrière Munin. <strong>Les</strong> lames grincèrent au contact<br />

<strong>de</strong> la lance. Munin avait paré, <strong>de</strong> dos.<br />

"Joli! dit-el<strong>le</strong>."<br />

La contre-attaque fut si rapi<strong>de</strong> que Sally fut contrainte <strong>de</strong> se mettre<br />

hors <strong>de</strong> portée en effectuant une série <strong>de</strong> figures acrobatiques. El<strong>le</strong> avait<br />

<strong>de</strong> l'endurance à revendre mais el<strong>le</strong> s'épuiserait bientôt si el<strong>le</strong> ne trouvait<br />

pas rapi<strong>de</strong>ment un moyen d'en finir.<br />

6


Tout à coup, el<strong>le</strong> perçut une présence mystérieuse tout près d'el<strong>le</strong>.<br />

Quelque chose approchait très vite avec Sally comme cib<strong>le</strong>. Un élément<br />

étranger qui n'avait rien à voir avec Munin. Il fallut un moment à Sally<br />

pour comprendre ce dont il s'agissait. Lorsqu'el<strong>le</strong> <strong>le</strong> sut, el<strong>le</strong> s'étonna<br />

d'abord, puis sourit.<br />

"Minilly, tu peux sortir!"<br />

Le djinn s'exécuta aussitôt, assez perturbé par cette <strong>de</strong>man<strong>de</strong>.<br />

"Mais tu vas mourir si je fais ça!<br />

-Non, au contraire j'aurai moins <strong>de</strong> mal à la surprendre."<br />

Sally n'eut besoin que d'un rapi<strong>de</strong> échange <strong>de</strong> pensées pour faire<br />

comprendre à Minilly <strong>de</strong> quoi il retournait. Le djinn acquiesça, non sans<br />

surprise.<br />

"Tu restes immobi<strong>le</strong>? Que t'arrive-t-il? s'exclama Munin."<br />

El<strong>le</strong> attaqua <strong>de</strong> nouveau Sally à distance.<br />

"J'accepte <strong>le</strong> prêt, Samuel! cria Sally.<br />

-Hm? s'enquit Munin."<br />

Soudain, un tourbillon b<strong>le</strong>uté se créa <strong>de</strong>vant Sally, ce qui eut pour<br />

effet <strong>de</strong> stopper net l'avancée <strong>de</strong> la lance.<br />

"Gant <strong>de</strong> Puissance!"<br />

La main droite <strong>de</strong> Sally se para du gant Styrka alors même qu'el<strong>le</strong><br />

saisissait <strong>le</strong> tourbillon à p<strong>le</strong>ine main. El<strong>le</strong> s'empara ainsi d'une longue<br />

rapière b<strong>le</strong>ue qu'el<strong>le</strong> avait déjà maniée dans un précé<strong>de</strong>nt combat.<br />

"Casca<strong>de</strong>? fit Munin avec ébahissement."<br />

Sally observa la lame azurée <strong>de</strong> Casca<strong>de</strong> et fit jouer <strong>le</strong>s ref<strong>le</strong>ts <strong>de</strong><br />

cel<strong>le</strong>-ci sur son visage.<br />

"Munin… Je prédis ta défaite tota<strong>le</strong> dans moins <strong>de</strong> trois minutes."<br />

***<br />

Sonia hésita à quitter <strong>le</strong> caveau. Si l'un d'entre eux était b<strong>le</strong>ssé<br />

pendant qu'el<strong>le</strong> s'absentait, el<strong>le</strong> risquait <strong>de</strong> ne pas revenir suffisamment<br />

tôt pour <strong>le</strong>s soigner. En même temps, Sally était toute seu<strong>le</strong> contre une<br />

ennemie redoutab<strong>le</strong>. C'était sans doute el<strong>le</strong> qui risquait <strong>le</strong> plus. Mais que<br />

dire <strong>de</strong> Rachel, Andreas, Xenia, Asuka ou Kaznaël? El<strong>le</strong> aurait tel<strong>le</strong>ment<br />

voulu retourner tous <strong>le</strong>s chercher. Cependant el<strong>le</strong> était consciente <strong>de</strong> son<br />

6


<strong>de</strong>voir, el<strong>le</strong> savait éga<strong>le</strong>ment qu'el<strong>le</strong> <strong>le</strong>s avait suffisamment bien formés<br />

pour qu'ils réalisent l'enjeu <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur mission. C'était l'avenir <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur mon<strong>de</strong><br />

et <strong>de</strong> Sorgentel qui était en jeu.<br />

Se laisser dominer par <strong>le</strong>s émotions… El<strong>le</strong> l'avait déjà trop fait,<br />

souvent à tort. C'est ainsi qu'el<strong>le</strong> s'était braquée contre Samuel. "Non,<br />

plus jamais ça!". Déterminée, el<strong>le</strong> quitta <strong>le</strong> caveau au pas <strong>de</strong> course. El<strong>le</strong><br />

pourrait peut-être se rendre uti<strong>le</strong>, quitte à utiliser <strong>le</strong> Tabou pour éliminer<br />

Munin ou toute autre personne qui viendrait s'en prendre à ses élus.<br />

"Je t'ai!"<br />

Sonia <strong>le</strong>va <strong>le</strong>s yeux et aperçut <strong>le</strong>s yeux rouges d'une femme<br />

suspendue au plafond. Un éclat d'or l'éblouit puis el<strong>le</strong> fut victime d'une<br />

cha<strong>le</strong>ur intense, suivie d'une dou<strong>le</strong>ur lancinante.<br />

6


Chapitre 39 : Le cataclysme<br />

"Asuka... Asuka...<br />

-...<br />

-Asuka, reprends conscience. Asuka..."<br />

La voix féminine se faisait doucement insistante, au grand<br />

étonnement d'Asuka. Il mit un moment à rassemb<strong>le</strong>r ses esprits et à<br />

trouver la force <strong>de</strong> répondre.<br />

"Qui... êtes-vous?<br />

-Tu me reconnais très bien, Asuka."<br />

L'élu était perdu dans <strong>de</strong>s limbes d'une noirceur impénétrab<strong>le</strong>,<br />

maintenu dans une douloureuse transe par <strong>le</strong> bourdonnement<br />

ininterrompu <strong>de</strong> son cerveau. La voix qui s'adressait à lui tout doucement<br />

lui conférait inexplicab<strong>le</strong>ment cha<strong>le</strong>ur et réconfort, malgré la distance qui<br />

semblait l'en séparer.<br />

"Asuka, écoute mes paro<strong>le</strong>s."<br />

Le faib<strong>le</strong> éclat doré d'une étoi<strong>le</strong> éloignée perça <strong>le</strong>s ténèbres pour<br />

attirer son attention. Malgré la dou<strong>le</strong>ur, il se focalisa sur cette ancre<br />

lumineuse.<br />

"Tes amis ont besoin <strong>de</strong> toi Asuka. Tu dois te re<strong>le</strong>ver et combattre.<br />

-Qui êtes-vous?<br />

-…<br />

-N... Non! Serait-il possib<strong>le</strong> que vous soyez...<br />

-Je sais que tu as enduré <strong>de</strong> nombreuses souffrances et que ton corps et<br />

ton coeur ont été meurtris par <strong>le</strong>s batail<strong>le</strong>s. Cependant Asuka, ton <strong>de</strong>stin<br />

est <strong>de</strong> te remettre et <strong>de</strong> détruire <strong>le</strong>s obstac<strong>le</strong>s qui se dressent <strong>de</strong>vant toi.<br />

Tu dois rétablir la justice et prêter main forte à tes compagnons.<br />

-Mais... je ne suis pas capab<strong>le</strong> <strong>de</strong>...<br />

-De te battre?<br />

-Oui, répondit Asuka avec honte."<br />

La lumière s'intensifia subitement et Asuka ressentit un regain<br />

d'optimisme emplir son âme. Ses pensées noires et sa souffrance <strong>le</strong><br />

quittaient progressivement, comme balayées par une volonté bienfaisante.<br />

"Asuka, tu n'as rien à <strong>le</strong>ur envier. Ton cosmos atteindra son paroxysme si<br />

tu fais preuve <strong>de</strong> détermination et <strong>de</strong> bravoure. Tu n'as pas été choisi en<br />

vain.<br />

-Saori-san...<br />

-J'ai confiance en toi Asuka. Tu es un guerrier va<strong>le</strong>ureux et ton potentiel<br />

n'est plus à démontrer. Émerge <strong>de</strong>s ténèbres et bats toi Asuka! Fais<br />

6


triompher la paix et la justice. Montre à tes ennemis la puissance d'un<br />

chevalier d'Athéna.<br />

-Je ne suis pas un... C'est <strong>de</strong> la fiction! Comment pourrais-je m'assimi<strong>le</strong>r à<br />

<strong>de</strong>s héros que...<br />

-Tu as la stature d'un chevalier <strong>de</strong> bronze, Asuka Maekawa. Ceux que tu<br />

as admirés sont beaucoup plus proches <strong>de</strong> toi que tu ne semb<strong>le</strong>s <strong>le</strong><br />

penser. Élève toi à <strong>le</strong>ur niveau. Surpasse <strong>le</strong>s! Accomplis un mirac<strong>le</strong>!"<br />

Ces paro<strong>le</strong>s impétueuses <strong>le</strong> frappèrent comme une évi<strong>de</strong>nce. Ses<br />

héros... qu'avait-il à <strong>le</strong>ur envier? N'avait-il pas lui aussi fait ses preuves,<br />

combattu <strong>de</strong>s ennemis plus puissants que lui, survécu à <strong>de</strong>s situations<br />

aussi péril<strong>le</strong>uses que cel<strong>le</strong>s qu'avaient affronté une poignée d'individus<br />

dans <strong>le</strong>s douze maisons du Sanctuaire? N'était-il pas lui aussi digne <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>venir un jour <strong>le</strong> héros <strong>de</strong> la justice?<br />

"O... Oui, Saori-san! Même frappé mil<strong>le</strong> fois je me relèverai! Même privé<br />

<strong>de</strong> mes membres et <strong>de</strong> mes cinq sens je continuerai à lutter... car mes<br />

amis sont précieux et je ne veux pas <strong>le</strong>s perdre. C'est... C'EST MA VOIE<br />

DU...!<br />

-Va Asuka! Le temps presse. Et surtout n'oublie pas que je serai toujours<br />

à tes côtés. Tu n'es pas seul.<br />

-Oui!<br />

-Une <strong>de</strong>rnière chose Asuka : N'oublie tout <strong>de</strong> même pas que je suis <strong>le</strong> fruit<br />

<strong>de</strong> ton imagination ferti<strong>le</strong>. Ne prends pas <strong>le</strong> risque <strong>de</strong> te laisser frapper<br />

mortel<strong>le</strong>ment en espérant que je vienne te sauver.<br />

-Oui!"<br />

<strong>Les</strong> doigts d'Asuka se refermèrent sur <strong>le</strong> verre <strong>de</strong>s lunettes<br />

d'Andreas et il entrouvrit <strong>le</strong>s yeux, luttant contre <strong>le</strong> sommeil pesant qui<br />

s'était emparé <strong>de</strong> lui.<br />

Pendant ce temps, Andreas tentait <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r son sang-froid alors<br />

qu'une vision <strong>de</strong> cauchemar se dressait <strong>le</strong>ntement <strong>de</strong>vant lui et couvrait<br />

<strong>de</strong> son ombre la statue colossa<strong>le</strong> <strong>de</strong> Fenrir. Xenia se mit à recu<strong>le</strong>r d'un<br />

pas, puis <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux, afin <strong>de</strong> mettre <strong>de</strong> la distance entre el<strong>le</strong> et <strong>le</strong> monstre<br />

au corps luisant.<br />

"Je vous présente <strong>le</strong> Serk, l'une <strong>de</strong>s premières entités que j'ai<br />

apprivoisées. J'espère qu'il sera à la hauteur <strong>de</strong> vos attentes."<br />

L'énorme scorpion noir frappa soudain la statue grâce à son<br />

aiguillon. La tête <strong>de</strong> Fenrir vola alors en éclats et <strong>le</strong> Serk utilisa ses pinces<br />

pour labourer <strong>le</strong> sol, comme galvanisé par cette <strong>de</strong>struction. Pendant cet<br />

étrange rituel, ses yeux rouges et ronds comme <strong>de</strong>s bil<strong>le</strong>s se<br />

désintéressèrent tota<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>s élus.<br />

"Bien évi<strong>de</strong>mment il n'en fait parfois qu'à sa tête mais...<br />

-Gran Vurfuoneria!"<br />

6


Marshal se tut. Un jet <strong>de</strong> flammes noires avait frappé <strong>le</strong> Serk <strong>de</strong><br />

p<strong>le</strong>in fouet, plongeant son corps massif dans un tourment <strong>de</strong> feu. Il se<br />

cabra <strong>de</strong> façon grotesque en réaction à l'attaque.<br />

"J'ai pu constater que tu n'étais pas très bavard mais plie toi au moins aux<br />

règ<strong>le</strong>s <strong>de</strong> la bienséance, professa Marshal. Tu pourrais me laisser <strong>le</strong> loisir<br />

d'achever ma présentation."<br />

Andreas avait refermé la paume <strong>de</strong> sa main droite. Il foudroyait<br />

Marshal d'un regard glacial, mélange hétérogène d'indignation, <strong>de</strong> vindicte<br />

et d'impatience.<br />

"Nous n'avons pas <strong>de</strong> temps à perdre ici! Nos amis nous atten<strong>de</strong>nt alors<br />

trouvez d'autres personnes pour vous distraire."<br />

Alors que <strong>le</strong> Serk entreprenait <strong>de</strong> l'assaillir, Andreas fit appel aux<br />

trois sceaux qui <strong>le</strong> soutenaient <strong>de</strong>puis que Marshal avait décidé <strong>de</strong><br />

confronter <strong>le</strong>s élus.<br />

"Gran Vurfuonerie! Trip<strong>le</strong>x!"<br />

Le sort <strong>de</strong> nécromancie s'abattit sur <strong>le</strong> Serk sous la forme <strong>de</strong> trois<br />

bou<strong>le</strong>s d'énergie noire grosses comme <strong>de</strong>s melons. Cette fois <strong>le</strong> scorpion<br />

géant subit l'assaut colérique d'une mer enflammée aux vagues obscures.<br />

Xenia se cacha <strong>le</strong> visage pour se protéger <strong>de</strong> la cha<strong>le</strong>ur diffici<strong>le</strong>ment<br />

supportab<strong>le</strong> que dégageait cette fournaise noire. Désormais la sensation<br />

qu'el<strong>le</strong> éprouvait n'était pas très éloignée <strong>de</strong> cel<strong>le</strong> d'un gigot sur <strong>le</strong> point<br />

d'être enfourné. Ce n'était sans doute rien à côté du supplice du Serk. Ses<br />

piail<strong>le</strong>ments stri<strong>de</strong>nts s'amplifiaient <strong>de</strong> secon<strong>de</strong> en secon<strong>de</strong>. Hystérique, il<br />

se mit agiter vio<strong>le</strong>mment sa queue, achevant dans <strong>de</strong>s bruits <strong>de</strong> roche<br />

brisée ce qu'il restait <strong>de</strong> la statue <strong>de</strong> Fenrir. Dans un réf<strong>le</strong>xe défensif, il<br />

lança son aiguillon vers Andreas.<br />

"Def<strong>le</strong>via!!"<br />

Le bouclier invisib<strong>le</strong> d'Andreas bloqua l'aiguillon in extremis. Le<br />

garçon était livi<strong>de</strong>. L'engin mortel dégoulinant <strong>de</strong> venin avait frappé <strong>le</strong><br />

vi<strong>de</strong> à à peine quelques dizaines <strong>de</strong> centimètres <strong>de</strong> sa tête.<br />

"Pas mal, pas mal du tout, applaudit Marshal <strong>de</strong>puis l'autre extrémité <strong>de</strong><br />

la pièce."<br />

<strong>Les</strong> flammes noires perdirent subitement vie, comme s'y attendait<br />

Andreas. Ses connaissances étaient bien trop superficiel<strong>le</strong>s pour être<br />

p<strong>le</strong>inement efficaces. Il était conscient d'avoir triché.<br />

"Reste concentré Andreas, cria Xenia.<br />

-O... Oui!"<br />

6


Le Serk était libéré <strong>de</strong>s flammes. Enragé par <strong>le</strong>s attaques d'Andreas,<br />

il se rua soudain sur Xenia, ses pinces prêtes à frapper. La jeune femme<br />

mit un moment à comprendre qu'el<strong>le</strong> était sa cib<strong>le</strong> mais Andreas n'eut pas<br />

<strong>le</strong> loisir d'intervenir pour l'ai<strong>de</strong>r. En un clin d'oeil el<strong>le</strong> disparut <strong>de</strong> son<br />

champ <strong>de</strong> vision et <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> son assaillant. Le scorpion dérapa sur <strong>le</strong> sol<br />

<strong>de</strong> ses nombreuses pattes, visib<strong>le</strong>ment sidéré par ce phénomène.<br />

"Prends ça!"<br />

Tout à coup, un tourbillon venteux partit du sol pour frapper <strong>le</strong> Serk<br />

sous son flanc. L'impact vio<strong>le</strong>nt sou<strong>le</strong>va la créature. El<strong>le</strong> bascula en arrière<br />

puis se retrouva couchée sur sa carapace, <strong>le</strong>s pattes et <strong>le</strong>s pinces s'agitant<br />

misérab<strong>le</strong>ment dans <strong>le</strong>s airs. "Bien joué Xenia" pensa aussitôt Andreas. Le<br />

Serk avait beau se démener et frapper <strong>le</strong> sol <strong>de</strong> son aiguillon, il était<br />

incapab<strong>le</strong> <strong>de</strong> se remettre dans une position norma<strong>le</strong>.<br />

"Sten Mergentia."<br />

Déjà bien entamé par <strong>le</strong> Serk, <strong>le</strong> sol gris se fissura comme sur une<br />

vaste surface, comme du verre que l'on brise. Andreas fut satisfait <strong>de</strong> voir<br />

que ce sort qu'il n'avait jamais testé semblait fonctionner. Un gros pan <strong>de</strong><br />

ciment granu<strong>le</strong>ux mêlé <strong>de</strong> roche se détacha du sol tout en se<br />

décomposant en un nombre incalculab<strong>le</strong> <strong>de</strong> morceaux. Il s'é<strong>le</strong>va<br />

<strong>le</strong>ntement <strong>de</strong>vant Andreas et se mit à croître, puis à ondu<strong>le</strong>r tel un repti<strong>le</strong><br />

qui sortirait <strong>de</strong> son panier après avoir été soumis à la mélodie d'un<br />

charmeur <strong>de</strong> serpent.<br />

"Al<strong>le</strong>z! hurla Andreas en abattant son poing droit sur une couche <strong>de</strong> vi<strong>de</strong>."<br />

<strong>Les</strong> pattes du Serk s'agitèrent <strong>de</strong> plus bel<strong>le</strong> alors qu'il émettait un cri<br />

effroyab<strong>le</strong>. L'amas <strong>de</strong> roche s'était abattu sur sa queue avec la force d'un<br />

couperet, écrasant son aiguillon par la même occasion. Au moins il ne<br />

pourrait plus l'utiliser pour attaquer, se réjouit Xenia qui venait <strong>de</strong> se<br />

rendre <strong>de</strong> nouveau visib<strong>le</strong>.<br />

"Nous avons vaincu ce monstre! lança Andreas à Marshal. Est-ce que nous<br />

avons passé <strong>le</strong> test? Est-ce que vous al<strong>le</strong>z cesser <strong>de</strong> nous barrer la route?"<br />

L'élu respirait avec effort. Ses membres menaçaient <strong>de</strong> se<br />

désolidariser <strong>de</strong> lui d'un moment à l'autre. Déjà il ne tenait <strong>de</strong>bout que<br />

grâce à la rai<strong>de</strong>ur douloureuse <strong>de</strong> ses jambes. Il avait utilisé trop <strong>de</strong> sorts<br />

en peu <strong>de</strong> temps, c'était extrêmement risqué pour un débutant comme lui.<br />

D'ail<strong>le</strong>urs il craignait que la contrepartie ne lui soit réclamée trop tôt. Pour<br />

<strong>le</strong> moment, <strong>le</strong>s sceaux tenaient bon.<br />

"Le test? répéta Marshal."<br />

6


Il avait lui aussi fait appel à la protection du Def<strong>le</strong>via pour se<br />

protéger <strong>de</strong>s effets collatéraux <strong>de</strong>s différents sorts d'Andreas. Là, il<br />

observait <strong>le</strong> Serk se débattre avec une étrange expression <strong>de</strong> dépit, l'air<br />

<strong>de</strong> dire au scorpion "Je t'avais bien prévenu".<br />

"Votre travail d'équipe est admirab<strong>le</strong> et tu as défait <strong>le</strong> Serk avec brio,<br />

jeune Andreas. Je ne suis pas sûr que j'aurais eu suffisamment <strong>de</strong><br />

pugnacité à ton âge pour m'enfoncer dans <strong>le</strong> puits ténébreux <strong>de</strong> la<br />

nécromancie comme tu l'as fait. Trois sceaux en même temps...? Qu'estce<br />

que tu vas souffrir… Je te plains d'avance."<br />

Andreas resta <strong>de</strong> marbre. Il savait trop bien ce qui l'attendait et ne<br />

souhaitait pas y penser. Encore moins croiser <strong>le</strong> regard <strong>de</strong> Xenia qu'il<br />

imaginait posé sur lui à ce moment précis.<br />

"Désolé. Je ne suis pas satisfait. Le Serk est encore vivant donc <strong>le</strong> défi<br />

reste inachevé. (Il se frotta <strong>le</strong> menton). Verriez-vous un inconvénient à ce<br />

que j'utilise ma magie pour régénérer son corps? Evi<strong>de</strong>mment cette<br />

question est purement rhétorique.<br />

-Vous aviez dit que..., commença Xenia, choquée."<br />

El<strong>le</strong> serra la mâchoire.<br />

"Nous sommes stupi<strong>de</strong>s d'avoir pu croire...<br />

-...que nous pourrions conclure un marché? Oui, effectivement dit-il avec<br />

un franc sourire. Apprenez que vos adversaires ne sont jamais dignes <strong>de</strong><br />

confiance. La main tendue d'un ennemi ne sert qu'à mieux détourner<br />

votre regard <strong>de</strong> cel<strong>le</strong> qui tient <strong>le</strong> poignard dans son dos. N'est-ce pas là<br />

l'histoire <strong>de</strong> l'Humanité? Vous, <strong>le</strong>s Hommes, vous êtes façonnés ainsi.<br />

Vous offrez une merveil<strong>le</strong>use source d'inspiration pour <strong>de</strong>s Sorgenteli tels<br />

que moi. C'est pour cela qu'en un sens, je vous suis reconnaissant<br />

d'exister."<br />

Il effectua une <strong>le</strong>nte révérence puis fit apparaître <strong>le</strong> sceau qui allait<br />

lui permettre <strong>de</strong> régénérer <strong>le</strong> Serk. Comme par un effet <strong>de</strong> transvasement<br />

malvenu, Andreas vit ses trois sceaux disparaître d'un coup. "Déjà!?"<br />

"Oh... déjà? renchérit Marshal d'un air faussement compatissant. Tu<br />

brû<strong>le</strong>s comme un feu <strong>de</strong> pail<strong>le</strong> mon garçon. J'espère que <strong>le</strong> seul don <strong>de</strong><br />

Xenia suffira à affronter un Serk en p<strong>le</strong>ine f...<br />

-TU VAS TE TAIRE OUI!?"<br />

Asuka s'était matérialisé <strong>de</strong>vant lui sans crier gare. Il s'était remis<br />

d'aplomb. Son poing frappa <strong>le</strong> nécromancien avec vigueur, l'étalant au sol.<br />

"Asuka! s'écrièrent Andreas et Xenia."<br />

6


Asuka <strong>le</strong>ur tournait <strong>le</strong> dos, son poing droit était encore fermé. Il se<br />

mit à fouil<strong>le</strong>r dans ses poches en marmonnant à voix haute :<br />

"Y'en a marre <strong>de</strong> ces types qui racontent <strong>le</strong>ur vie et nous assènent la<br />

petite phrase cinglante au moment où ils s'apprêtent à nous donner <strong>le</strong><br />

coup final. Quoi? Tu n'as plus <strong>de</strong> magie? Quel dommage, je vais pouvoir te<br />

tuer, ha ha ha! Demeuré va, tu aurais mérité que je te frappe entre <strong>le</strong>s<br />

jambes. C'est tel<strong>le</strong>ment cliché comme comportement. Imagine si tu faisais<br />

ça dans un combat réel. Tsss..."<br />

Il déploya un long ban<strong>de</strong>au blanc, l'enroula autour <strong>de</strong> sa tête, puis<br />

effectua un noeud serré. A terre, Marshal essuyait <strong>le</strong> sang qui coulait <strong>de</strong><br />

son nez avec <strong>le</strong> revers <strong>de</strong> sa main boursouflée. Sa joue gauche – là où il<br />

avait été frappé – était écarlate.<br />

"Je sais que je n'ai pas un don offensif et je pense ne pas avoir assez <strong>de</strong><br />

mana pour tous nous téléporter hors d'ici. Je <strong>le</strong> sens, cet endroit ne tolère<br />

ni intrusion ni sortie par la voie surnaturel<strong>le</strong>. C'est comme la barrière<br />

magique <strong>de</strong> Poudlard. Il était donc inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> m'assommer."<br />

Marshal fronça <strong>le</strong>s sourcils. En réaction <strong>de</strong> quoi, Asuka opina du chef.<br />

"Même si je ne peux pas faire fuir mes amis, je peux au moins utiliser la<br />

manifestation physique <strong>de</strong> mon don pour...<br />

-Idiot, tu fais exactement ce que tu reproches à ton adversaire, vociféra<br />

Andreas."<br />

Asuka tourna la tête, tout sourire. Une ligne rouge incan<strong>de</strong>scente<br />

était visib<strong>le</strong> en <strong>de</strong>ssous du tissu blanc <strong>de</strong> son ban<strong>de</strong>au.<br />

"Andy... Tu me prends pour qui? J'avais juste besoin <strong>de</strong> quelques<br />

secon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> plus pour faire brû<strong>le</strong>r mon cosmos à son paroxysme.<br />

-Hein?"<br />

Soudain, <strong>le</strong>s murs <strong>de</strong> la sal<strong>le</strong> se teintèrent d'un chatoiement grenat<br />

et un ramage mélodieux inonda <strong>le</strong>s lieux. Andreas <strong>le</strong>va <strong>le</strong>s yeux vers la<br />

voûte embrasée par la silhouette majestueuse d'un phénix aux ai<strong>le</strong>s et à<br />

la queue enveloppées <strong>de</strong> flammes. Tout comme cela avait été <strong>le</strong> cas<br />

quelques semaines plutôt dans <strong>le</strong> manoir Corbell, il n'avait pas noté sa<br />

présence avant qu'il ne déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> se manifester.<br />

"Technique ultime et toute récente d'Asuka Maekawa : Déluge Cé<strong>le</strong>ste du<br />

Phénix Ecarlate!"<br />

Le phénix replia ses ai<strong>le</strong>s puis effectua une chute en piqué, tête la<br />

première. Andreas ne mit pas longtemps à comprendre l'objectif d'Asuka.<br />

"Def<strong>le</strong>via!"<br />

6


Le phénix fondit sur <strong>le</strong> Serk avec la force et la célérité d'un météore.<br />

Une explosion terrib<strong>le</strong> s'ensuivit. Des jets <strong>de</strong> flamme et <strong>de</strong>s roches<br />

calcinées volèrent dans tous <strong>le</strong>s sens, transformant la sal<strong>le</strong> en scène <strong>de</strong><br />

tumulte infernal. Andreas se félicita d'avoir érigé <strong>le</strong> bouclier pour <strong>le</strong>s<br />

protéger, Xenia et lui, du comportement inconsidéré <strong>de</strong> son ami.<br />

"Hé hé hé, rit Asuka plus loin."<br />

Il se tenait <strong>de</strong>vant la ligne ar<strong>de</strong>nte dans laquel<strong>le</strong> cuisait littéra<strong>le</strong>ment<br />

<strong>le</strong> Serk. Sans surprise, la créature maléfique invoquée par Marshal ne lui<br />

inspirait pas la moindre pitié.<br />

"Asuka, j'ai déjà essayé! <strong>Les</strong> flammes ne suffiront pas à..."<br />

Asuka se téléporta sans écouter l'avertissement. Andreas finit par <strong>le</strong><br />

localiser dans <strong>le</strong>s airs, quelques mètres au-<strong>de</strong>ssus du Serk. Il tenait une<br />

longue ban<strong>de</strong> <strong>de</strong> papier entre <strong>le</strong>s mains.<br />

"Mon imagination ne connaît aucune limite! Zange***!"<br />

Andreas tomba <strong>de</strong>s nues. Armé d'un sabre nodachi noir, Asuka se<br />

laissa tomber sur <strong>le</strong> Serk, la lame dirigée vers <strong>le</strong> bas, prêt à frapper <strong>de</strong><br />

toutes ses forces.<br />

"Technique ultime II d'Asuka Maekawa! Lame Ténébreuse..."<br />

Il atteignit <strong>le</strong> Serk trop rapi<strong>de</strong>ment pour achever d'énoncer <strong>le</strong> nom<br />

<strong>de</strong> sa technique. Le sabre s'enfonça net dans la tête du scorpion, seu<strong>le</strong><br />

partie <strong>de</strong> son corps qui émergeait <strong>de</strong> la fournaise. Le monstre émit un cri<br />

rauque.<br />

"...du Paroxysme! conclut Asuka en enfonçant davantage la lame dans la<br />

tête du Serk."<br />

Asuka utilisa la force <strong>de</strong> ses jambes pour tirer sur <strong>le</strong> manche du<br />

sabre et extraire la lame. Puis il se téléporta auprès <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>ux<br />

compagnons. A ce moment précis, <strong>le</strong> Serk se volatilisa en une nuée <strong>de</strong><br />

poussière noire, défait.<br />

"Le Phénix renaît toujours <strong>de</strong> ses cendres. Tu aurais dû y penser avant<br />

d'essayer <strong>de</strong> me mettre hors <strong>de</strong> combat, Marshal, déclara Asuka alors que<br />

son phénix reprenait forme et que <strong>le</strong> brasier se dissipait progressivement<br />

sous <strong>le</strong>s regards ahuris d'Andreas et Xenia."<br />

Marshal re<strong>de</strong>vint visib<strong>le</strong> <strong>de</strong>rrière <strong>le</strong>s volutes <strong>de</strong> fumée engendrées<br />

par <strong>le</strong> combat avec <strong>le</strong> Serk. L'endroit re<strong>le</strong>vait du champ <strong>de</strong> ruines : <strong>le</strong> sol<br />

était calciné, labouré <strong>de</strong> part et d'autre, même percé <strong>de</strong> cratères à<br />

6


certains endroits. Andreas avait du mal à croire qu'il avaient tous <strong>le</strong>s trois<br />

pu être mêlés à cet événement et en sortir quasi in<strong>de</strong>mnes. Rien ne <strong>le</strong>s<br />

avait préparés à ça.<br />

"Tu as été stupi<strong>de</strong> Asuka... mais absolument génial, souffla Xenia.<br />

-Je sais, acquiesça Asuka sans quitter Marshal <strong>de</strong>s yeux."<br />

Le phénix reprit sa place en <strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> la voûte, puis se consuma<br />

jusqu'à laisser place au vi<strong>de</strong>. La pièce perdit alors ses ref<strong>le</strong>ts rougeoyants<br />

et <strong>le</strong> nécromancien sembla <strong>de</strong> nouveau emplir l'atmosphère par son<br />

omniprésence malsaine. Tout à coup, Andreas se plia en <strong>de</strong>ux. Une<br />

nausée étourdissante se saisit <strong>de</strong> lui et il sentit ses forces <strong>le</strong> quitter.<br />

Pendant un court instant il crut que Marshal s'en était pris à lui, mais très<br />

rapi<strong>de</strong>ment il réalisa qu'il s'agissait <strong>de</strong> la contrepartie exigée par la<br />

nécromancie. La requête d'un usurier obscur venant se rappe<strong>le</strong>r à son bon<br />

souvenir.<br />

Un goût amer lui envahit la bouche. Son propre sang. Cependant, il<br />

estimait s'en sortir à bon compte. Lorsqu'il s'était entraîné dans la cave <strong>de</strong><br />

sa maison inoccupée en Al<strong>le</strong>magne, ses premiers usages <strong>de</strong> la<br />

nécromancie lui avaient lacéré <strong>le</strong>s avant-bras. Même si ça n'avait été que<br />

<strong>de</strong> façon superficiel<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s b<strong>le</strong>ssures s'étaient avérées très douloureuses<br />

pendant <strong>le</strong>s jours suivants.<br />

"Le défi est invalidé, déclara Marshal.<br />

-Je vous mets au défi <strong>de</strong> vous dresser encore une fois sur notre chemin."<br />

Cette fois c'est Xenia qui s'était exprimée.<br />

"Vous en avez fait assez pour aujourd'hui! Acceptez votre défaite si vous<br />

avez un tant soit peu d'honneur. Nous sommes trois contre un, la<br />

situation est clairement en votre défaveur. <strong>Les</strong> élus détruiront tous <strong>le</strong>s<br />

Adrame<strong>le</strong>ch, Serks et autres créatures servi<strong>le</strong>s que vous dresserez contre<br />

eux alors ASSEZ!"<br />

Marshal resta coi. Son expression était à la fois sombre et<br />

impénétrab<strong>le</strong>. Le sabre d'Asuka se pointa dans sa direction <strong>de</strong> façon<br />

menaçante.<br />

"Donne moi <strong>le</strong> plaisir <strong>de</strong> t'enfoncer ceci dans <strong>le</strong> coeur, Marshal. Je n'aime<br />

pas l'idée <strong>de</strong> tuer quelque chose qui se rapproche d'un être humain mais<br />

pour toi je ferai une exception. L'univers se portera mieux sans une<br />

ordure <strong>de</strong> ton genre."<br />

Andreas manqua <strong>de</strong> tomber. Il s'agrippa à l'épau<strong>le</strong> d'Asuka afin <strong>de</strong><br />

donner <strong>le</strong> change mais il se doutait bien que Marshal n'était pas dupe.<br />

D'ail<strong>le</strong>urs ce <strong>de</strong>rnier avait <strong>le</strong> regard fixé sur lui.<br />

6


"J'aime votre audace, déclara fina<strong>le</strong>ment Marshal. J'avoue éga<strong>le</strong>ment<br />

éprouver un certain plaisir à nos luttes incessantes. Il serait bien<br />

dommage <strong>de</strong> vous faire quitter la scène aussi tôt, d'autant plus que...<br />

vous ne représentez pas une réel<strong>le</strong> menace pour la Confrérie."<br />

Son regard se tourna négligemment vers l'arrière, comme s'il<br />

prenait conscience <strong>de</strong> la survenance d'un fait extérieur. Il sourit<br />

légèrement et joignit <strong>le</strong>s mains <strong>de</strong>rrière <strong>le</strong> dos.<br />

"Nous nous reverrons très bientôt je suppose (Ses paupières<br />

s'abaissèrent). Je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> quel impact aura la suite <strong>de</strong>s événements<br />

sur vous."<br />

Sur cette phrase énigmatique il s'évapora fina<strong>le</strong>ment, laissant un<br />

si<strong>le</strong>nce magistral <strong>de</strong>rrière lui. Xenia soupira. Asuka en fit <strong>de</strong> même. Ils<br />

n'auraient pas supporté une nouvel<strong>le</strong> confrontation avec lui malgré <strong>le</strong>urs<br />

paro<strong>le</strong>s p<strong>le</strong>ines <strong>de</strong> détermination.<br />

"Tu peux vomir ou cracher ce que tu as dans la bouche maintenant,<br />

suggéra ce <strong>de</strong>rnier après un moment."<br />

Andreas s'exécuta avec soulagement, vidant sa bouche du sang qui<br />

s'était accumulé dans sa bouche. Il prit bien soin <strong>de</strong> s'éloigner pour<br />

épargner cette vision peu ragoûtante aux autres. Une fois libéré <strong>de</strong> ce<br />

far<strong>de</strong>au il consentit à revenir vers eux. Asuka l'attendait avec ses lunettes<br />

qu'il lui tendit.<br />

"Je te rends ça.<br />

-Merci…"<br />

Il <strong>le</strong>s remit sur l'arête <strong>de</strong> son nez. Xenia lui donna un mouchoir afin<br />

qu'il s'essuie la bouche. El<strong>le</strong> se garda <strong>de</strong> commentaire mais l'origine <strong>de</strong><br />

son rictus était claire. Il détourna <strong>le</strong> regard.<br />

"Asuka, il va falloir que tu m'ai<strong>de</strong>s à avancer. Je ne tiens plus très droit.<br />

-Pas <strong>de</strong> souci, je te dois bien ça. Après tout tu as fait pareil pour moi. En<br />

tout cas… je ne peux plus me téléporter.<br />

-Tu viens pourtant <strong>de</strong> <strong>le</strong> faire, souligna Xenia.<br />

-Je ne peux pas au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> cette pièce. Ce tombeau bloque mon pouvoir.<br />

-Mais pourtant la Confrérie…<br />

-Je ne me l'explique pas non plus Xenia. De toute façon j'ai utilisé tout<br />

mon chakra contre <strong>le</strong> scorpion géant.<br />

-Il faut y al<strong>le</strong>r, intervint Andreas.<br />

-O… Oui. Tu as raison!"<br />

Andreas laissa Asuka lui saisir <strong>le</strong> bras et <strong>le</strong> soutenir. Dès que sa<br />

prise fut sûre, ils se mirent tous <strong>le</strong>s trois en route, aussi rapi<strong>de</strong>ment que<br />

<strong>le</strong>ur permettaient <strong>le</strong>urs membres endoloris.<br />

6


"C'est la victoire <strong>de</strong>s seconds rô<strong>le</strong>s, fit remarquer Asuka. Pas besoin d'être<br />

<strong>de</strong>s élites pour tenir tête à la Confrérie, n'est-ce pas?<br />

-Tu l'as dit mon… pote, répondit vaguement Andreas. Par contre il faudra<br />

revoir <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> tes techniques. J'objecte aussi aux violations <strong>de</strong><br />

copyright.<br />

-J'ai l'assentiment <strong>de</strong>s héros…"<br />

Andreas rit intérieurement, bien malgré lui. A ce moment il sentit <strong>le</strong><br />

contact <strong>de</strong> la main <strong>de</strong> Xenia sur la sienne. Un léger picotement – qui<br />

n'avait rien à voir avec la fatigue – lui irrita <strong>le</strong>s joues.<br />

"<strong>Les</strong> autres sont <strong>de</strong>vant nous, n'est-ce pas? <strong>de</strong>manda subitement Asuka.<br />

Et Rachel?<br />

-…"<br />

***<br />

Sally avait enc<strong>le</strong>nché une série d'estoques oppressantes afin <strong>de</strong><br />

déstabiliser Munin et la prendre à revers. Casca<strong>de</strong> fendait l'air avec une<br />

grâce doublée d'une rapidité déconcertante, comme si el<strong>le</strong> était <strong>de</strong>venue<br />

<strong>le</strong> prolongement naturel du bras <strong>de</strong> sa porteuse. Une rapière à la fois<br />

magnifique et sanguinaire, clairement conçue pour b<strong>le</strong>sser mortel<strong>le</strong>ment<br />

l'adversaire. Il n'était pas diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> s'imaginer sa lame b<strong>le</strong>ue affûtée<br />

pénétrer dans la chair <strong>de</strong> l'ennemi comme dans du beurre. Cependant,<br />

Sally n'avait pas dans l'idée d'embrocher Munin, même si l'idée était fort<br />

plaisante.<br />

"Ce n'est pas parce que Samuel t'a prêté son épée que tu représentes un<br />

réel danger pour moi, se gaussa Munin sans une once d'essouff<strong>le</strong>ment."<br />

Sally pivota sur el<strong>le</strong>-même après que Casca<strong>de</strong> et la lance <strong>de</strong> Munin<br />

se soient entrechoquées. El<strong>le</strong> tenta <strong>de</strong> frapper avec la Styrka mais rata<br />

son ennemie <strong>de</strong> quelques centimètres. Cette <strong>de</strong>rnière gardait ses<br />

distances. El<strong>le</strong> avait compris son but. "Je suis trop prévisib<strong>le</strong> pour el<strong>le</strong>, ça<br />

ne marchera pas comme ça! Minilly, je t'ai dit d'arrêter la précognition!"<br />

El<strong>le</strong> sentit que Minilly s'insurgeait.<br />

Comme Sally était victime <strong>de</strong> ce conflit interne avec <strong>le</strong> djinn, Munin<br />

en profita pour l'attraper par la chemise et la jeter au loin avec une force<br />

sans commune mesure. Evi<strong>de</strong>mment, el<strong>le</strong> ne pouvait pas se concentrer<br />

sur <strong>le</strong> combat et lutter contre Minilly en même temps. Heureusement, en<br />

roulant sur el<strong>le</strong>-même el<strong>le</strong> parvint à reprendre pied avant <strong>de</strong> se cogner<br />

contre <strong>le</strong> mur.<br />

"Okay Minilly, faisons un <strong>de</strong>al dans ce cas, ragea intérieurement Sally."<br />

6


A quelques mètres d'el<strong>le</strong>, Munin affichait une expression contrite,<br />

l'air <strong>de</strong> dire "Aurais-tu perdu la tête par hasard?". Sa lance s'allongea<br />

comme une manche té<strong>le</strong>scopique.<br />

"Enfin nous trouvons un terrain d'entente, songea Sally. On va opter pour<br />

un sty<strong>le</strong> <strong>de</strong> combat acrobatique."<br />

Alors que la pointe <strong>de</strong> la lance ratait son objectif et s'encastrait dans<br />

<strong>le</strong> mur, Sally se mit à sprinter avec tout <strong>le</strong> ta<strong>le</strong>nt que ses années<br />

d'athlétisme lui avaient offert. Le manche <strong>de</strong> la lance se rétractait trop<br />

<strong>le</strong>ntement, c'était une opportunité à ne pas manquer. Casca<strong>de</strong> passa<br />

brusquement d'une main à l'autre et Sally effectua un amp<strong>le</strong> mouvement<br />

<strong>de</strong> fente à l'endroit <strong>de</strong> Munin. Cette <strong>de</strong>rnière se laissa tomber en arrière,<br />

déséquilibrée par l'offensive, mais ce mouvement maladroit lui permit<br />

d'éviter d'être touchée. La lame <strong>de</strong> Casca<strong>de</strong> dérapa sur <strong>le</strong> sol en y<br />

creusant un fin sillon, conséquence du renforcement <strong>de</strong> la Styrka.<br />

Sally changea <strong>de</strong> nouveau la rapière <strong>de</strong> main, s'appuya au sol à<br />

l'ai<strong>de</strong> du gant puis se catapulta dans <strong>le</strong>s airs. El<strong>le</strong> craignit un moment <strong>de</strong><br />

faire une rencontre fortuite avec <strong>le</strong> plafond mais, bien heureusement, el<strong>le</strong><br />

ne fit que l'approcher. Ra<strong>le</strong>ntie par la gravité, el<strong>le</strong> changea <strong>de</strong> nouveau <strong>de</strong><br />

main puis se mit à retomber droit sur Munin. "Evite moi ça" lança-t-el<strong>le</strong><br />

menta<strong>le</strong>ment. L'âme damnée <strong>de</strong> Primo <strong>de</strong>vait commencer à comprendre la<br />

dangerosité <strong>de</strong> la situation. El<strong>le</strong> fit un bond sur <strong>le</strong> côté afin d'éviter cette<br />

version amplifiée du fameux Coup Stellaire <strong>de</strong> Sally. Néanmoins, l'impact<br />

<strong>de</strong> Casca<strong>de</strong> sur <strong>le</strong> sol fut si vio<strong>le</strong>nt que <strong>de</strong>s gravats volèrent, charriant par<br />

la même occasion <strong>de</strong>s nuées <strong>de</strong> poussière. Sally dégagea Casca<strong>de</strong> du sol.<br />

C'était ce qu'el<strong>le</strong> avait espéré.<br />

Profitant <strong>de</strong> l'opacité <strong>de</strong> l'environnement, el<strong>le</strong> se mit à courir avec<br />

une trajectoire en courbe afin que Munin ne puisse pas prédire son<br />

arrivée. El<strong>le</strong> effectua une ronda<strong>de</strong> à une seu<strong>le</strong> main pour prendre <strong>de</strong><br />

l'essor puis attaqua la silhouette ennemie tel<strong>le</strong> qu'el<strong>le</strong> se <strong>de</strong>ssinait au<br />

milieu du nuage <strong>de</strong> poussière. Le visage <strong>de</strong> Munin se décomposa. Ni une<br />

ni <strong>de</strong>ux, el<strong>le</strong> disparut dans un éclair blanc.<br />

"La salooooooope! jura Sally après avoir inefficacement tranché <strong>le</strong> nuage<br />

<strong>de</strong> poussière en <strong>de</strong>ux. C'est <strong>de</strong> la triche! Tu n'as pas <strong>le</strong> droit <strong>de</strong> disparaître<br />

en p<strong>le</strong>in combat!"<br />

Indignée, el<strong>le</strong> scruta <strong>le</strong>s a<strong>le</strong>ntours. Bien sûr il n'y avait plus<br />

personne. Munin avait fui. Juste quand el<strong>le</strong> commençait enfin à prendre<br />

l'ascendant sur cette corneil<strong>le</strong> <strong>de</strong> pacotil<strong>le</strong>. A moins que…<br />

"Minilly, tu peux…"<br />

Trop tard. Le tonnerre gronda <strong>de</strong>rrière el<strong>le</strong>. Une attaque sournoise.<br />

Sally eut un déclic et Casca<strong>de</strong> scintilla. Alors que Munin était réapparue<br />

pour la frapper dans <strong>le</strong> dos, la rapière engendra une vague d'eau furieuse<br />

qui la désarçonna et la mit à terre.<br />

6


Sally fut prise <strong>de</strong> soubresaut. Casca<strong>de</strong> était re<strong>de</strong>venue norma<strong>le</strong> en<br />

un instant. El<strong>le</strong> avait agi <strong>de</strong> son propre chef ou peut-être par la volonté <strong>de</strong><br />

Samuel. Pourtant l'arme ne s'était pas manifestée lorsque Sally l'avait<br />

utilisé contre <strong>le</strong>s Adrame<strong>le</strong>ch.<br />

"Sa<strong>le</strong>té! N'utilise pas ton pouvoir alors que je ne t'ai rien <strong>de</strong>mandé! Arthur<br />

va se retrouver dans la mouise si je <strong>le</strong> prive <strong>de</strong> son don!"<br />

Munin se re<strong>le</strong>va après avoir pataugé dans une gran<strong>de</strong> flaque d'eau.<br />

Sa robe fendue et ses cheveux étaient détrempés. De longues mèches<br />

noires se collaient à son front, ses joues et ses épau<strong>le</strong>s. Il n'y avait plus <strong>le</strong><br />

moindre jeu dans ses yeux noirs. Désormais el<strong>le</strong> montrait son vrai visage,<br />

celui d'une femme impitoyab<strong>le</strong> prête à tout pour poursuivre <strong>le</strong>s objectifs<br />

<strong>de</strong> son <strong>le</strong>a<strong>de</strong>r, ce qui incluait <strong>de</strong> tuer <strong>le</strong>s élus. Sally se remit en gar<strong>de</strong> et<br />

serra <strong>le</strong> poing gauche jusqu'à enfoncer ses ong<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong> cuir <strong>de</strong> la<br />

Styrka. "Minilly. Tu sais."<br />

Munin fit vril<strong>le</strong>r sa lance entre ses doigts puis se lança à l'assaut,<br />

sans paro<strong>le</strong> <strong>de</strong> semonce cette fois-ci. Sally en fit <strong>de</strong> même. El<strong>le</strong> n'aurait<br />

cesse d'attaquer tant que Munin ne serait pas hors jeu. De toute façon, ça<br />

ne pouvait pas rater. El<strong>le</strong> ne l'envisageait même pas. <strong>Les</strong> <strong>de</strong>nts serrées, la<br />

bou<strong>le</strong> au ventre, el<strong>le</strong> courut <strong>de</strong> plus bel<strong>le</strong>. Le contact avec Munin était<br />

imminent. El<strong>le</strong>s n'étaient plus qu'à quelques mètres l'une <strong>de</strong> l'autre.<br />

"Maintenant! cria Sally."<br />

Minilly apparut dans une gerbe d'étincel<strong>le</strong>s roses, une dague aussi<br />

gran<strong>de</strong> qu'el<strong>le</strong> entre <strong>le</strong>s mains. El<strong>le</strong> se plia laborieusement en <strong>de</strong>ux<br />

("Huuuuuuumpf!"), puis la lança <strong>de</strong> toutes ses forces sur Munin. Interdite,<br />

cel<strong>le</strong>-ci freina subitement et <strong>le</strong>va sa lance pour arrêter la dague.<br />

Au même moment, Sally mit toute son ar<strong>de</strong>ur dans une attaque à<br />

l'épée. Munin <strong>le</strong>va encore une fois la lance <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux mains, parant<br />

l'assaut.<br />

"Gagné!" pensa spontanément Sally. El<strong>le</strong> se <strong>de</strong>ssaisit <strong>de</strong> Casca<strong>de</strong> et<br />

fléchit <strong>le</strong>s genoux. Munin était <strong>de</strong>venue livi<strong>de</strong>, el<strong>le</strong> réalisait son erreur. Si<br />

el<strong>le</strong> avait gardé son sang-froid jusqu'au bout el<strong>le</strong> aurait conservé ses<br />

distances. Le corps à corps ne pouvait donner lieu qu'à sa défaite. Sally la<br />

frappa du poing gauche.<br />

Le coup occasionna un bruit sourd. <strong>Les</strong> yeux <strong>de</strong> Munin s'étaient<br />

élargis <strong>de</strong> façon grotesque et un rictus abject s'était <strong>de</strong>ssiné sur ses<br />

lèvres. La lance cliqueta sur <strong>le</strong> sol.<br />

"Tu n'aurais pas dû oublier que nous étions <strong>de</strong>ux contre une, dit Sally.<br />

Désolée, tu ne m'as pas laissé <strong>le</strong> choix."<br />

Munin glissa <strong>le</strong>ntement vers <strong>le</strong> sol, comme <strong>le</strong> ferait une poupée<br />

perdant <strong>le</strong> peu <strong>de</strong> vie qui lui a été concédé. Sa peau <strong>de</strong>vint<br />

progressivement d'un blanc laiteux et ses membres se raidirent<br />

6


<strong>le</strong>ntement. Soudain, el<strong>le</strong> se transforma en corneil<strong>le</strong>. Le volati<strong>le</strong> inanimé<br />

gisait au sol, bec entrouvert. Sally recula, surprise par cette vision<br />

morbi<strong>de</strong>. Juste à côté d'el<strong>le</strong> la lance noir et or s'était dissipée.<br />

"Je pense que c'en est fini d'el<strong>le</strong>, dit Minilly."<br />

Sally acquiesça sans fierté. Un éclair blanc foudroya la corneil<strong>le</strong> et<br />

el<strong>le</strong> disparut pour <strong>de</strong> bon.<br />

Un calme accablant s'abattit sur <strong>le</strong> champ <strong>de</strong> batail<strong>le</strong>. Sally réalisa<br />

alors qu'el<strong>le</strong> avait mal partout et que son genou gauche saignait. La<br />

dou<strong>le</strong>ur avait eu <strong>le</strong> bon sens <strong>de</strong> ne pas se manifester plus tôt mais el<strong>le</strong><br />

récidivait maintenant avec une intensité accrue.<br />

Sally secoua la tête pour ne pas sombrer face à la migraine aigue<br />

qui s'emparait d'el<strong>le</strong>. Sa chevelure ternie par la poussière tomba dru<br />

<strong>de</strong>vant ses yeux, voilant son champ <strong>de</strong> vision. El<strong>le</strong> <strong>de</strong>meura immobi<strong>le</strong> un<br />

court instant, <strong>le</strong>s yeux fermés pour reprendre ses esprits mais aussi par<br />

respect pour cel<strong>le</strong> qu'el<strong>le</strong> venait d'affronter. Munin n'était plus.<br />

"J'ai survécu. J'ai vaincu. Regar<strong>de</strong>z-moi, élus qui nous ont précédé.<br />

Regar<strong>de</strong>z-moi d'où que vous soyez. Je ne laisserai pas ma famil<strong>le</strong> et mes<br />

amis subir la dou<strong>le</strong>ur qu'ont connue <strong>le</strong>s vôtres lorsque vous avez disparu.<br />

Continuez à me regar<strong>de</strong>r et à veil<strong>le</strong>r sur moi jusqu'à ce que j'aie rétabli<br />

l'honneur <strong>de</strong> chacun d'entre vous."<br />

El<strong>le</strong> tourna <strong>le</strong>s talons.<br />

***<br />

Rachel courait à en perdre ha<strong>le</strong>ine. Pire, el<strong>le</strong> détalait, s'accrochant<br />

au peu d'énergie qui lui restait. Kaznaël lui avait ordonné <strong>de</strong> partir. De<br />

toute façon el<strong>le</strong> était <strong>de</strong>venue inuti<strong>le</strong>, son don ne fonctionnait plus, ses<br />

réserves étaient épuisées. "Je vais en finir avec ceux qui restent et je vous<br />

rejoins! Pars maintenant" lui avait intimé Kaznaël.<br />

El<strong>le</strong> avait fait mine d'insister mais au fond d'el<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> savait qu'il<br />

valait mieux partir. Le combat avait été titanesque. Kaznaël et el<strong>le</strong> étaient<br />

parvenus à clairsemer <strong>le</strong>s rangs ennemis mais d'aucuns résistaient et<br />

risquaient d'atteindre fina<strong>le</strong>ment Rachel. Sans son don el<strong>le</strong> était sans<br />

défense. Tout au plus aurait-el<strong>le</strong> pu se défendre au corps à corps contre<br />

un individu normal, mais ces mercenaires… c'était autre chose! El<strong>le</strong> avait<br />

donc obéi et fui, espérant que Kaznaël réussirait à vaincre <strong>le</strong>s trois ou<br />

quatre hommes qui lui faisaient face. El<strong>le</strong> n'en doutait pas. Malgré son<br />

apparence juvéni<strong>le</strong>, c'était un monstre <strong>de</strong> témérité et <strong>de</strong> force.<br />

Rachel réprima un hoquet. "Que s'est-il passé ici?" La pièce était<br />

calcinée. Trois personnages inconscients gisaient au sol. <strong>Les</strong> mercenaires<br />

qui avaient disparu en p<strong>le</strong>in combat un peu plus tôt. Apparemment ils<br />

avaient réussi à passer l'ai<strong>le</strong> défensive <strong>de</strong> la Tria<strong>de</strong>. Qui avait pu <strong>le</strong>s<br />

6


mettre dans cet état? Rachel ne voyait pas <strong>le</strong>quel <strong>de</strong> ses camara<strong>de</strong>s aurait<br />

pu désintégrer ainsi la pièce. Sur <strong>le</strong> mur, <strong>le</strong> portrait d'une bel<strong>le</strong> femme aux<br />

longs cheveux rai<strong>de</strong>s était à moitié brûlé. On ne voyait plus que la partie<br />

supérieure <strong>de</strong> son visage. Ses yeux verts étaient magnifiques. El<strong>le</strong> <strong>de</strong>vait<br />

avoir un lien avec Ky<strong>le</strong>an ou Leryan.<br />

Rachel enjamba <strong>le</strong>s corps en espérant que <strong>le</strong> trio ne reprenne pas<br />

connaissance puis s'introduisit dans la pièce suivante. Là encore, une<br />

vision terrifiante, une scène <strong>de</strong> chaos, se présenta à el<strong>le</strong>. Un typhon<br />

n'aurait pas fait autant <strong>de</strong> dégâts. Perturbée, el<strong>le</strong> s'attarda un instant,<br />

sans savoir qu'Andreas, Xenia et Asuka venaient à peine <strong>de</strong> passer la<br />

porte située juste en face d'el<strong>le</strong>.<br />

"Mince… j'espère qu'ils s'en sortis in<strong>de</strong>mnes, marmonna-t-el<strong>le</strong>, inquiète."<br />

Alors qu'el<strong>le</strong> allait continuer tout droit, el<strong>le</strong> aperçut une porte<br />

dérobée sur sa droite. L'issue était partiel<strong>le</strong>ment cachée par une colonne<br />

en pierre. El<strong>le</strong> réfléchit rapi<strong>de</strong>ment. Instinctivement ses amis seraient<br />

allés tout droit mais peut-être y avait-il une autre sortie. D'ail<strong>le</strong>urs, au vu<br />

<strong>de</strong> la structure du Tombeau, la porte <strong>de</strong> droite donnait forcément sur<br />

l'extérieur.<br />

Son sang ne fit qu'un tour. Si el<strong>le</strong> s'était trompée (ce qui était peu<br />

probab<strong>le</strong>) el<strong>le</strong> n'aurait qu'à rebrousser chemin. El<strong>le</strong> se dirigea vers la porte<br />

dérobée et tourna la poignée ron<strong>de</strong>.<br />

"Oooh" fit-el<strong>le</strong> lorsqu'el<strong>le</strong> l'eut ouverte. L'issue donnait effectivement<br />

sur l'extérieur. El<strong>le</strong> se réjouit, son instinct ne l'avait pas trompée. Une<br />

passerel<strong>le</strong> s'avançait au milieu <strong>de</strong>s eaux et permettait d'accé<strong>de</strong>r à une<br />

plateforme ova<strong>le</strong> située un peu plus loin. Rachel referma la porte <strong>de</strong>rrière<br />

el<strong>le</strong> en espérant que personne ne la suivait puis el<strong>le</strong> avança au pas <strong>de</strong><br />

course sur l'étroite passerel<strong>le</strong>. L'air frais lui faisait du bien, el<strong>le</strong> respirait<br />

enfin après avoir suffoqué pendant l'intense combat qui avait opposé <strong>le</strong>s<br />

élus au clan d'Azulnot. Bientôt el<strong>le</strong> retrouverait <strong>le</strong>s autres et ils pourraient<br />

quitter <strong>le</strong>s lieux dès qu'Asuka aurait repris connaissance, à grand renfort<br />

<strong>de</strong> claques qu'el<strong>le</strong> serait enchantée <strong>de</strong> lui administrer.<br />

Arrivée sur la plateforme el<strong>le</strong> stoppa net. Quelqu'un s'y trouvait<br />

déjà. Rachel fulmina intérieurement. El<strong>le</strong> n'avait rien vu auparavant sinon<br />

el<strong>le</strong> ne se serait pas aventurée là. Cependant el<strong>le</strong> se ravisa. L'individu<br />

n'avait rien à voir avec <strong>le</strong> Clan d'Azulnot. A vrai dire c'était un drô<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

vieillard assez petit, engoncé dans un costume trois pièces <strong>de</strong> haute<br />

qualité, orné <strong>de</strong> gros boutons en or. Il ne semblait pas l'avoir vue. De<br />

profil, il braquait son regard sur l'horizon infini. Rachel hésita quant à la<br />

démarche à adopter. Devait-el<strong>le</strong> faire <strong>de</strong>mi-tour et profiter <strong>de</strong> son<br />

inattention? Pourtant el<strong>le</strong> ne bougea pas.<br />

Quelque chose n'allait pas.<br />

El<strong>le</strong> avait déjà vu ce visage quelque part.<br />

6


"Oh, te voila enfin, dit soudain <strong>le</strong> vieil homme en se tournant vers el<strong>le</strong>. Je<br />

t'attendais, ajouta-t-il avec un bref sourire."<br />

L'homme l'avait donc remarquée <strong>de</strong>puis <strong>le</strong> début. Il ouvrit <strong>le</strong>s bras<br />

en signe d'accueil. Malgré sa démarche paternel<strong>le</strong>, son expression<br />

avenante avait quelque chose <strong>de</strong> sinistre. Rachel en eut <strong>le</strong> souff<strong>le</strong> court.<br />

Son rythme cardiaque s'accéléra subitement.<br />

"Je suis enchanté <strong>de</strong> te rencontrer enfin, déclara-t-il.<br />

-…<br />

-J'espérais bien que tu emprunterais cette route."<br />

Rachel déglutit. El<strong>le</strong> se sentait dangereusement seu<strong>le</strong>.<br />

"Qui êtes-vous? <strong>de</strong>manda-t-el<strong>le</strong> enfin."<br />

La réponse se fit attendre. Pas assez au goût <strong>de</strong> Rachel. El<strong>le</strong> aurait<br />

préféré ne pas savoir. El<strong>le</strong> aurait voulu avoir <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> retourner <strong>de</strong>ux<br />

minutes dans <strong>le</strong> passé afin <strong>de</strong> ne jamais passer cette porte. Son instinct<br />

l'avait trompée. Pourtant, il lui disait maintenant quelque chose qu'el<strong>le</strong> ne<br />

remettait pas en doute, car el<strong>le</strong> savait qu'il lui disait la vérité. El<strong>le</strong> ne<br />

rejoindrait pas ses amis à la sortie du Tombeau. Ses mains se mirent à<br />

tremb<strong>le</strong>r.<br />

"Je me présente. Primo."<br />

***<br />

"Sonia prend son temps, songea Samuel en roulant sur <strong>le</strong> sol pour éviter<br />

<strong>de</strong>ux flèches. El<strong>le</strong> doit être restée aux côtés <strong>de</strong> Sally. Espérons que ça<br />

ira!"<br />

Il n'eut pas <strong>le</strong> loisir d'y penser beaucoup plus longtemps. Tobias<br />

faisait défer<strong>le</strong>r sur lui <strong>de</strong>s salves <strong>de</strong> flèches <strong>de</strong> glace avec la ca<strong>de</strong>nce d'une<br />

mitrail<strong>le</strong>use incontrôlab<strong>le</strong>. S'il s'arrêtait <strong>de</strong> courir ne fusse-ce qu'un<br />

moment, il était fait. Comme on aurait pu s'y attendre, la tête pensante<br />

du Clan d'Azulnot ne lui laissait pas <strong>de</strong> répit. De toute évi<strong>de</strong>nce il tentait<br />

<strong>de</strong> l'épuiser. Il atteindrait rapi<strong>de</strong>ment son objectif à ce rythme.<br />

Samuel décida <strong>de</strong> tourner la situation à son visage. Il cessa<br />

subitement <strong>de</strong> fuir puis bloqua toutes <strong>le</strong>s flèches suivantes à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> son<br />

don. Le souff<strong>le</strong> qu'il était capab<strong>le</strong> <strong>de</strong> produire était suffisant pour <strong>le</strong>s<br />

stopper net. Bien vite, <strong>le</strong>s assauts <strong>de</strong> Tobias étaient <strong>de</strong>venus vains et un<br />

amoncel<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> flèches s'érigea aux pieds <strong>de</strong> Samuel. Celui-ci s'amusa<br />

<strong>de</strong> la situation.<br />

6


"C'est donc ça <strong>le</strong> Clan d'Azulnot? Je crois bien que tu n'es pas digne <strong>de</strong><br />

porter la réputation <strong>de</strong> ce groupe <strong>de</strong> mercenaires sur tes frê<strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s.<br />

Rebrousse chemin pendant qu'il en est encore temps."<br />

Tobias enfonça son bonnet sur son crâne avec un sourire blasé. Il<br />

joignit <strong>le</strong>s paumes <strong>de</strong> ses mains, tournées vers <strong>le</strong> ciel.<br />

"Titan <strong>de</strong> Glace."<br />

Un gros iceberg jaillit alors du sol entre <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux combattants. Haut<br />

<strong>de</strong> plusieurs mètres, la pointe frôlant <strong>le</strong> plafond du caveau, il s'érigeait là<br />

<strong>de</strong> façon intrusive, tel un obélisque mo<strong>de</strong>lé dans la glace. Samuel se<br />

<strong>de</strong>manda alors s'il n'allait pas regretter d'avoir confié Casca<strong>de</strong> à Sally.<br />

Soudain la sculpture se brisa, libérant <strong>de</strong> sa gangue une silhouette<br />

humanoï<strong>de</strong> au corps cristallin, un monstre <strong>de</strong> glace à la tête cornue et aux<br />

doigts griffus manifestement manipulé par Tobias. Samuel <strong>de</strong>vina qu'il ne<br />

s'agissait d'une simp<strong>le</strong> statue <strong>de</strong> glace contrôlée par celui qui venait <strong>de</strong> la<br />

créer, tel<strong>le</strong> une marionnette. Tobias se hissa d'ail<strong>le</strong>urs sur <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s du<br />

titan et s'assit à califourchon sur ses épau<strong>le</strong>s, comme un enfant <strong>le</strong> ferait<br />

avec son père.<br />

"On dirait que tu ne veux pas me laisser une chance <strong>de</strong> t'éliminer sans<br />

utiliser mon don, soupira Samuel. Je n'aime pas <strong>le</strong>s gamins bornés."<br />

Le pied d'Arthur dérapa sur un pan <strong>de</strong> sol rendu humi<strong>de</strong> par la fonte<br />

d'un tapis <strong>de</strong> glace. Il se réceptionna <strong>de</strong> sa main libre, reprit son équilibre<br />

et assaillit <strong>de</strong> nouveau Zahran, avec moins d'ar<strong>de</strong>ur toutefois. Son esprit<br />

s'apaisait, calmé par une évi<strong>de</strong>nce frappante. Il luttait <strong>de</strong>puis à peine <strong>de</strong>ux<br />

ou trois minutes et pourtant el<strong>le</strong> s'imposait déjà à lui. Comme il y pensait<br />

tout en oppressant Zahran <strong>de</strong> ses coups, une autre idée, plus terre à<br />

terre, lui traversa l'esprit. Cette situation était tout bonnement<br />

abracadabrantesque. Lui, Arthur Alfred Gall, était <strong>de</strong>venu un élu et se<br />

battait à l'épée dans un mon<strong>de</strong> digne <strong>de</strong> l'imaginaire d'un quelconque<br />

auteur <strong>de</strong> roman d'aventure.<br />

Le pire dans tout cela, c'est que cette situation grotesque ne lui<br />

aurait pas déplu si <strong>le</strong>s vies <strong>de</strong> ses compagnons et l'existence <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />

mon<strong>de</strong>s n'avaient pas été mises en jeu, si son adversaire n'avait pas été<br />

un élu comme lui, un homme du même âge, dupé par la Confrérie. Quoi<br />

qu'il put en dire et malgré ses réticences il se sentait exalté par ce<br />

combat… et cela l'inquiétait un peu. Du fait, inconsciemment, il attaquait<br />

Zahran avec moins <strong>de</strong> vio<strong>le</strong>nce afin <strong>de</strong> se rassurer.<br />

Tout ceci <strong>le</strong> ramenait à l'évi<strong>de</strong>nce primaire qui s'était imposée à lui.<br />

Bien qu'il eut décidé <strong>de</strong> se battre avec moins d'ar<strong>de</strong>ur il restait en mesure<br />

<strong>de</strong> suivre la ca<strong>de</strong>nce, d'anticiper <strong>le</strong>s mouvements <strong>de</strong> Zahran, <strong>de</strong><br />

déterminer comment réagir en conséquence, en somme <strong>de</strong> lui tenir tête.<br />

Zahran était plus <strong>le</strong>nt que lui. Il était moins fort. Ses mouvements<br />

étaient approximatifs. Arthur l'avait très vite réalisé car il portait sur son<br />

6


adversaire <strong>le</strong> même regard qu'avaient porté Samuel et Sally sur lui<br />

lorsqu'ils lui avaient appris à manier l'épée et <strong>le</strong> bâton. Zahran avait l'air<br />

d'avoir été formé trop rapi<strong>de</strong>ment, sa technique était superficiel<strong>le</strong> et son<br />

don ne semblait pas lui conférer <strong>le</strong>s capacités innées d'un épéiste, comme<br />

c'était <strong>le</strong> cas pour Arthur. "Le Jamie que je connais n'a pas pu perdre<br />

contre lui. Il y a une seu<strong>le</strong> raison qui pourrait expliquer son échec : il a eu<br />

<strong>de</strong>s scrupu<strong>le</strong>s à lutter sérieusement contre un autre élu…"<br />

Il comprenait cela. Comment une personne bienveillante comme<br />

Jamie aurait pu se résoudre à s'en prendre à celui qui aurait pu être un<br />

frère d'armes alors que même Arthur hésitait? Soudain, il recula. Zahran<br />

<strong>le</strong> regarda, déconcerté. La fatigue se lisait sur ses traits. Cette halte était<br />

bienvenue.<br />

"Zahran, il est encore temps <strong>de</strong> changer d'avis, déclara Arthur en baissant<br />

Drydock. Laisse nous te convaincre. La Confrérie t'a manipulé <strong>de</strong>puis <strong>le</strong><br />

début pour te dresser contre nous. Ne me fais pas croire que tu nous<br />

prends pour <strong>de</strong>s ennemis."<br />

Zahran reprenait diffici<strong>le</strong>ment son souff<strong>le</strong>. Il n'y avait pas <strong>le</strong> moindre<br />

signe <strong>de</strong> réaction ou même <strong>de</strong> réf<strong>le</strong>xion dans son regard.<br />

"Tu ne peux pas me battre <strong>de</strong> toute façon, ajouta Arthur. Arrêtons <strong>de</strong> n…<br />

-Primo considère que…<br />

-Primo n'est qu'un monstre, cria Arthur. Ne sois pas…"<br />

Deux faisceaux d'or fondirent sur lui. Zahran n'était pas disposé à<br />

l'écouter. Arthur se jeta sur <strong>le</strong> côté pour éviter <strong>le</strong>s traits lumineux<br />

tranchants comme <strong>de</strong>s lames. Ce faisant, il se rapprocha dangereusement<br />

<strong>de</strong> la zone <strong>de</strong> combat <strong>de</strong> Samuel. Il comprit vite qu'il n'aurait pas du<br />

s'aventurer par là. En voyant <strong>le</strong> monstre qu'affrontait son aîné, Arthur<br />

déglutit.<br />

"Arthur, reste dans ton coin <strong>de</strong> la pièce!! tonna Samuel en se ruant vers <strong>le</strong><br />

titan. "<br />

Arthur approuva gravement et battit en retraite. Ce combat là<br />

n'était pas <strong>de</strong> son niveau, il avait suffisamment à faire avec <strong>le</strong> Zahran<br />

déchaîné qui lui fonçait maintenant <strong>de</strong>ssus. "Je ne m'inquiète pas pour<br />

Samuel, il se débrouil<strong>le</strong>ra."<br />

Zahran ne lui laissa pas <strong>de</strong> répit et lança <strong>de</strong>ux nouveaux traits<br />

lumineux avec son sabre. Cette fois-ci, Arthur prit <strong>le</strong> parti <strong>de</strong> <strong>le</strong>s parer à<br />

l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> Drydock. Toutefois il ferma <strong>le</strong>s yeux par réf<strong>le</strong>xe. Lorsqu'il <strong>le</strong>s<br />

rouvrit, il fut soulagé <strong>de</strong> voir que sa tentative avait été couronnée <strong>de</strong><br />

succès. Drydock avait bloqué <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux faisceaux, réduits à l'état <strong>de</strong><br />

poussière <strong>de</strong> glace. Pendant un instant, Arthur avait craint que la lumière<br />

ne passe à travers son arme et ne <strong>le</strong> coupe en <strong>de</strong>ux. "Je <strong>de</strong>viens trop<br />

audacieux."<br />

6


L'ennemi se dirigeait vers lui, prêt à répliquer. Arthur balança<br />

Drydock d'avant en arrière en espérant qu'un peu plus d'audace ne lui<br />

ferait pas mal, puis il projeta l'épée doub<strong>le</strong> en la faisant tourner sur el<strong>le</strong>même.<br />

L'arme vola alors vers Zahran en vrillant avec une vitesse<br />

redoutab<strong>le</strong>. Arthur avait bien estimé sa force. L'essor <strong>de</strong> Drydock obligea<br />

Zahran à s'accroupir.<br />

"Victoire!" <strong>Les</strong> mains d'Arthur se plaquèrent sur <strong>le</strong> sol qu'il entreprit<br />

<strong>de</strong> ge<strong>le</strong>r, en direction <strong>de</strong> Zahran. Une traînée vitreuse se mit à sillonner<br />

vivement vers lui. Encore une fois, Zahran réagit comme espéré,<br />

bondissant hors <strong>de</strong> portée <strong>de</strong> la glace. Arthur était déjà prêt pour l'étape<br />

suivante. Il fallait procé<strong>de</strong>r comme dans <strong>le</strong>s montagnes du Kard. Le<br />

souvenir <strong>de</strong> cette expérience était encore assez limpi<strong>de</strong> pour qu'il y<br />

parvienne.<br />

"Poing Iceberg!"<br />

La couche <strong>de</strong> glace s'était sou<strong>le</strong>vée bruta<strong>le</strong>ment sous <strong>le</strong>s pieds<br />

d'Arthur pour <strong>le</strong> bombar<strong>de</strong>r vers Zahran. Son poing droit fermé était prêt<br />

à frapper. Avec un peu <strong>de</strong> chance l'effet <strong>de</strong> surprise ferait la différence,<br />

d'autant plus que Zahran était encore dans son mouvement d'esquive.<br />

Hélas, avec un réf<strong>le</strong>xe inespéré, il bloqua la charge du plat <strong>de</strong> son sabre.<br />

Tout <strong>le</strong> corps d'Arthur fut parcouru par une douloureuse vibration,<br />

conséquence <strong>de</strong> l'impact. C'était un raté.<br />

Soudain, alors que tous <strong>de</strong>ux retombaient vers <strong>le</strong> sol, l'un en face <strong>de</strong><br />

l'autre, l'épée <strong>de</strong> Zahran se mit à bril<strong>le</strong>r intensément. Un éclat doré<br />

parcourut l'entièreté <strong>de</strong> sa lame courbée. Arthur eut <strong>le</strong> sentiment que son<br />

cœur allait s'arrêter. A bout portant?<br />

"DRYDOCK! hurla-t-il, horrifié."<br />

Son arme se matérialisa <strong>de</strong>vant lui in extremis. Malgré tout, <strong>le</strong><br />

faisceau doré l'emporta au loin avec une vio<strong>le</strong>nce inouïe. Il effectua un<br />

long vol plané qui prit fin lorsqu'il son dos entra en contact avec l'un <strong>de</strong>s<br />

murs du caveau.<br />

"Aïe…"<br />

Arthur se laissa glisser <strong>le</strong> long du mur et atterrit en position<br />

accroupie. Son dos était en bouillie. Il était étonné <strong>de</strong> ne pas être plus<br />

sonné que ça. En face, Zahran se préparait déjà à la suite <strong>de</strong>s hostilités. Il<br />

ne se laisserait pas vaincre faci<strong>le</strong>ment malgré son infériorité. Piqué au vif,<br />

Arthur se redressa en ravalant un grognement. La poignée <strong>de</strong> Drydock<br />

était glissante à cause <strong>de</strong> la sueur <strong>de</strong> ses doigts. Il assura sa prise à <strong>de</strong>ux<br />

mains.<br />

"Tant pis pour toi Zahran, je ne suis pas Jamie."<br />

6


D'un coup <strong>de</strong> rapière Samuel trancha net la jambe droite du titan,<br />

<strong>le</strong>quel perdit immédiatement <strong>de</strong> sa superbe. Son équilibre <strong>de</strong>vint précaire<br />

et il menaça <strong>de</strong> tomber, aux dépens <strong>de</strong> Tobias. Le mercenaire dut se<br />

rattraper au cou <strong>de</strong> sa marionnette <strong>de</strong> façon presque bur<strong>le</strong>sque. Lorsqu'il<br />

eut repris sa position initia<strong>le</strong>, il joignit <strong>de</strong> nouveau <strong>le</strong>s paumes <strong>de</strong>s mains.<br />

Immédiatement, la jambe du titan commença à se reconstituer.<br />

"Ce balourd ne représente pas <strong>de</strong> danger pour moi, pensa Samuel en<br />

brandissant sa rapière <strong>de</strong>vant lui. Ses mouvements sont trop <strong>le</strong>nts. Quant<br />

à Tobias il ne peut pas <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong>r et utiliser ses flèches en même temps.<br />

Il est obligé <strong>de</strong> se consacrer exclusivement à ce titan."<br />

Samuel concentra l'essence <strong>de</strong> son don autour <strong>de</strong> la lame <strong>de</strong> sa<br />

rapière. Il venait <strong>de</strong> réaliser qu'il avait joué avec <strong>le</strong> feu. L'affrontement<br />

s'éternisait et <strong>le</strong>s autres élus ne <strong>le</strong>s avaient toujours pas rejoints. C'était<br />

inquiétant. "Sonia… qu'est-ce qui se passe?"<br />

Le titan reconstitué abattit son gros poing droit sur <strong>le</strong> sol, là où<br />

s'était trouvé Samuel une <strong>de</strong>mi secon<strong>de</strong> plus tôt. Il n'avait pas eu <strong>de</strong> mal<br />

à voir <strong>le</strong> coup venir.<br />

"Tant pis, je vais retourner <strong>le</strong>s chercher, se dit Samuel. Je vais<br />

débarrasser Arthur <strong>de</strong> Zahran et on récupère <strong>le</strong>s autres."<br />

Samuel se rendit invisib<strong>le</strong> <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> déconcerter Tobias, se rua<br />

vers <strong>le</strong> titan, puis plongea sa lame <strong>de</strong> toutes ses forces dans <strong>le</strong> tronc du<br />

monstre. Le contrô<strong>le</strong> qu'il avait exercé sur son don fut aussitôt relâché et<br />

<strong>le</strong> titan vola en éclats, broyé <strong>de</strong> l'intérieur par un souff<strong>le</strong> furieux.<br />

"Aaaaah, cria Tobias."<br />

Le <strong>le</strong>a<strong>de</strong>r <strong>de</strong> l'Azulnot se cogna contre l'une <strong>de</strong>s colonnes du caveau<br />

et s'effondra, assommé. C'en était fini <strong>de</strong> lui.<br />

Satisfait, Samuel fit disparaître <strong>le</strong> souff<strong>le</strong> tourbillonnant qui<br />

enveloppait son arme et se rendit <strong>de</strong> nouveau visib<strong>le</strong>. Du revers <strong>de</strong> sa<br />

manche il s'essuya <strong>le</strong> front. Courir sans cesse pour éviter <strong>le</strong>s flèches puis<br />

<strong>le</strong>s coups du titan l'avait mis en nage. Après s'être assuré que Tobias<br />

n'allait pas se re<strong>le</strong>ver <strong>de</strong> sitôt, il se tourna vers Arthur et Zahran, <strong>le</strong>squels<br />

étaient en p<strong>le</strong>in combat. Arthur avait l'air <strong>de</strong> bien se débrouil<strong>le</strong>r, il<br />

maîtrisait parfaitement la situation. Pourtant Samuel comptait intervenir<br />

pour écourter la confrontation. Il avait un très mauvais pressentiment au<br />

sujet <strong>de</strong>s autres.<br />

Alors qu'il se dirigeait vers Arthur et Zahran il stoppa soudain son<br />

mouvement, pris d'un étrange saisissement dans <strong>le</strong> bas ventre. Puis cette<br />

sensation étrange se transforma en dou<strong>le</strong>ur cuisante. Il comprit qu'il avait<br />

été attaqué par <strong>de</strong>rrière. "Qui a pu…".<br />

Etourdi, il baissa <strong>le</strong>s yeux. La pointe dorée d'un carreau d'arbalète<br />

sortait <strong>de</strong> son ventre, trempé <strong>de</strong> son propre sang.<br />

6


"M… Maggie? marmonna Samuel."<br />

A ce moment, il entendit <strong>de</strong>rrière lui <strong>le</strong> claquement sinistre <strong>de</strong> talons<br />

sur <strong>le</strong> sol. Son dos <strong>le</strong> brûlait, là où était entré <strong>le</strong> projecti<strong>le</strong>. Sans s'en<br />

rendre compte il laissa tomber sa rapière.<br />

"Toi aussi je t'ai eu!"<br />

Arthur s'immobilisa, <strong>le</strong>s yeux rivés sur Zahran. Il y était arrivé. A<br />

force d'efforts il était parvenu à briser <strong>le</strong> sabre <strong>de</strong> Zahran, <strong>le</strong> laissant ainsi<br />

sans défense. Cependant il avait souffert dans <strong>le</strong> processus, tout son corps<br />

n'était que tourment. Zahran était parvenu à lui lacérer <strong>le</strong> torse, son dos<br />

et sa nuque lui faisaient terrib<strong>le</strong>ment mal, ses doigts laissaient une<br />

empreinte rouge sur la poignée <strong>de</strong> Drydock mais au moins Zahran n'avait<br />

plus d'arme. Il ne pourrait plus utiliser ces maudits traits lumineux.<br />

"Ton ami avait raison… Tu es beaucoup trop fort pour moi, admit Zahran,<br />

lui-même en piteux état. Néanmoins je me battrai jusqu'au bout pour nos<br />

idéaux. Une fois dépositaires du pouvoir régulateur <strong>de</strong> Springan nous<br />

pourrons instaurer cette société idéa<strong>le</strong> à laquel<strong>le</strong> chacun aspire en secret.<br />

-Foutaises! Et <strong>le</strong> libre-arbitre?<br />

-Le libre arbitre… Le libre arbitre? Guerres? Dictatures? Capitalisme et<br />

enrichissement <strong>de</strong>s uns aux dépens <strong>de</strong> ceux qui baignent dans la misère?<br />

Crimes impunis!? Voilà <strong>le</strong> résultat <strong>de</strong> ce fantastique libre-arbitre. Tu<br />

trouves qu'une tel<strong>le</strong> dégénérescence est enviab<strong>le</strong>? C'est toi qui dis <strong>de</strong>s<br />

foutaises! Avec l'Orbe en notre possession <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> rou<strong>le</strong>ra droit, conclut<br />

calmement Zahran. Si tu te <strong>de</strong>mandais encore pourquoi j'ai adhéré aux<br />

idéaux <strong>de</strong> la Confrérie, tu as ta réponse.<br />

-Dans ce cas tu n'as absolument rien compris! J'ai vu ce que donnait un<br />

mon<strong>de</strong> parfait que tu souhaites tel<strong>le</strong>ment obtenir Zahran. Salvacion a été<br />

vidée <strong>de</strong> sa population après avoir subi l'influence exclusive d'Altaïr. Même<br />

pour atteindre la perfection <strong>le</strong>s gens en arrivent à se faire du mal! Bon<br />

sang, tu en es la preuve vivante! Tu es prêt à tuer pour atteindre cet idéal<br />

si parfait!<br />

-Uniquement ceux qui se mettent en travers <strong>de</strong> notre chemin.<br />

-Dans ce cas essaie <strong>de</strong> m'écarter, rugit Arthur."<br />

Tout à coup Drydock disparut d'entre ses mains. Arthur écarquilla<br />

<strong>le</strong>s yeux. El<strong>le</strong> s'était simp<strong>le</strong>ment volatilisée. D'ail<strong>le</strong>urs, Arthur sentit que<br />

son don était aspiré par <strong>le</strong> néant. Un moment il était un élu, <strong>le</strong> moment<br />

d'après il n'en était plus un. Un manque terrib<strong>le</strong> se fit ressentir en lui. Que<br />

se passait-il? Avait-il été privé <strong>de</strong> son don? Zahran se dirigeait vers lui,<br />

prêt à en découdre à mains nues.<br />

Alors qu'Arthur commençait à angoisser, il eut <strong>de</strong> nouveau un déclic.<br />

Le vi<strong>de</strong> qui s'était créé en lui venait <strong>de</strong> se comb<strong>le</strong>r, l'essence <strong>de</strong> son don<br />

se manifestait <strong>de</strong> nouveau. Drydock lui était re<strong>de</strong>venue accessib<strong>le</strong>, bien<br />

6


que l'arme n'ait pas réapparu dans sa main. Il n'eut pas à réfléchir bien<br />

longtemps pour comprendre ce qui s'était passé. Sally avait du utiliser <strong>le</strong><br />

pouvoir <strong>de</strong> Casca<strong>de</strong>, probab<strong>le</strong>ment par acci<strong>de</strong>nt vu qu'el<strong>le</strong> connaissait <strong>le</strong>s<br />

conséquences d'un tel usage. Arthur se rasséréna. Toutefois il décida <strong>de</strong><br />

ne pas refaire appel à Drydock. Ce n'était pas plus mal. Sa mora<strong>le</strong> lui<br />

intimait <strong>de</strong> ne pas utiliser son épée contre un homme désarmé.<br />

"J'ai un souci avec mon épée, dit-il à Zahran. On dirait que nous allons<br />

<strong>de</strong>voir nous battre à armes éga<strong>le</strong>s."<br />

"Le <strong>de</strong>rnier attribut est <strong>de</strong> loin <strong>le</strong> plus intéressant dans la situation<br />

actuel<strong>le</strong>, bien qu'il soit éga<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> plus diffici<strong>le</strong> à manier, avait expliqué<br />

Aïshani. Je l'appel<strong>le</strong> "assimilation", tout simp<strong>le</strong>ment parce qu'il permet à<br />

l'élite d'avoir recours à son don alors même qu'il est séparé <strong>de</strong> l'objet qui<br />

y est rattaché.<br />

-Ainsi, même si je perdais Drydock je pourrais utiliser son pouvoir?<br />

-Une infime fraction <strong>de</strong> son pouvoir. Ma maîtrise du feu est infiniment plus<br />

développée lorsque Khan est à proximité. Encore une fois l'expérience<br />

pourrait nous permettre d'améliorer ceci. As-tu déjà essayé?<br />

-Ca ne m'est même pas venu à l'esprit…"<br />

Zahran accéléra soudain. Arthur serra alors <strong>le</strong>s poings et se mit en<br />

position <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>. Si <strong>le</strong>s membres <strong>de</strong> l'Azulnot pouvaient utiliser ce type<br />

<strong>de</strong> magie, il en avait forcément hérité. Il <strong>de</strong>vait juste reconstituer <strong>le</strong><br />

mécanisme qui permettrait d'atteindre ce résultat. Quelque chose à michemin<br />

entre la création <strong>de</strong> glace et son exploitation.<br />

Zahran était déjà sur lui et essaya <strong>de</strong> la frapper du tranchant <strong>de</strong> la<br />

main. Une mèche <strong>de</strong> cheveux d'Arthur fut sacrifiée. L'élu <strong>de</strong> la Confrérie<br />

avait donc <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> couper ce qu'il voulait à mains nues. Au corps à<br />

corps cette capacité anecdotique <strong>de</strong>venait très dangereuse. Imprimée<br />

dans un sabre, el<strong>le</strong> était mortel<strong>le</strong>. Arthur s'évertua à éviter tous <strong>le</strong>s coups<br />

tout en jouant menta<strong>le</strong>ment avec l'essence <strong>de</strong> son don. C'était un vrai<br />

casse-tête. "Créer. Mo<strong>de</strong><strong>le</strong>r. Contenir. Relâcher. Non… ça donne <strong>le</strong> poing<br />

iceberg ça! Relâcher en contenant. Déployer… Et…" <strong>Les</strong> doigts <strong>de</strong> Zahran<br />

éraflèrent sa joue. "Mo<strong>de</strong><strong>le</strong>r… Zut…"<br />

Il s'éloigna d'un saut péril<strong>le</strong>ux pour se donner du temps mais Zahran<br />

ne <strong>le</strong> lâchait pas. "Créer. Mo<strong>de</strong><strong>le</strong>r. Contenir." Arthur serra <strong>le</strong>s <strong>de</strong>nts et<br />

frappa Zahran d'un coup <strong>de</strong> pied pour <strong>le</strong> repousser encore. "Relâcher en<br />

contenant. Diriger. Déployer." Arthur prit une gran<strong>de</strong> inspiration. "Ca doit<br />

être ça! Il y a intérêt à ce que ce soit ça. D'une main ça <strong>de</strong>vrait al<strong>le</strong>r,<br />

comme pour <strong>le</strong> poing iceberg."<br />

Sans gran<strong>de</strong> surprise son adversaire revint à la charge.<br />

Heureusement pour Arthur, il faiblissait et <strong>de</strong>venait donc prévisib<strong>le</strong>.<br />

"Créer. Mo<strong>de</strong><strong>le</strong>r. Contenir." Une douce lumière b<strong>le</strong>ue se mit à auréo<strong>le</strong>r <strong>le</strong><br />

6


poing droit d'Arthur. Il repoussa <strong>de</strong> nouveau Zahran d'un coup <strong>de</strong> cou<strong>de</strong>.<br />

"Contenir encore." Il recula, tandis que l'aura s'amplifiait. Zahran<br />

n'abandonnait toujours pas. Cette fois il réussit à entail<strong>le</strong>r l'épau<strong>le</strong> gauche<br />

d'Arthur. "Je vais peut-être arrêter <strong>de</strong> contenir si je ne veux pas finir en<br />

charpie! Relâcher en contenant! Diriger."<br />

Arthur s'exécuta. A sa gran<strong>de</strong> déception, un seul faisceau givré jaillit<br />

<strong>de</strong> sa main alors qu'il avait vu <strong>le</strong>s mercenaires en projeter une dizaine,<br />

voire plus. Tant pis, il <strong>de</strong>vait rester concentré, Zahran reprenait ses<br />

esprits.<br />

"C'est comme pour la manipulation <strong>de</strong> la neige dans <strong>le</strong> Kard, se dit<br />

Arthur."<br />

Menta<strong>le</strong>ment il dirigea la glace vers Zahran en lui faisant faire un<br />

mouvement <strong>de</strong> courbe ascendante. "Déployer!" Arthur <strong>de</strong>sserra<br />

instinctivement <strong>le</strong>s doigts.<br />

C'était bon…<br />

Zahran avait vu <strong>le</strong> projecti<strong>le</strong> lui tomber <strong>de</strong>ssus et avait tenté <strong>de</strong> lui<br />

échapper, mais il ne s'était pas attendu à l'explosion blanche qui avait<br />

suivi. Des gerbes <strong>de</strong> neige jaillirent et l'engouffrèrent en <strong>le</strong>ur sein après<br />

s'être répandues. Arthur fut sidéré par l'amp<strong>le</strong>ur <strong>de</strong> l'attaque, presque<br />

effrayé par son propre acte.<br />

"Fulmina Ceruli…, murmura-t-il."<br />

Arthur se laissa tomber sur ses genoux. Un seul projecti<strong>le</strong> suffisait à<br />

faire autant <strong>de</strong> mal? "J'ai raté mon coup et je l'ai pourtant eu…?" Il baissa<br />

<strong>le</strong>s yeux, las. Il n'avait pas voulu <strong>le</strong> tuer, juste <strong>le</strong> neutraliser. Avec une<br />

tel<strong>le</strong> explosion…<br />

*TZIIIIIIIIING!*<br />

Arthur re<strong>le</strong>va <strong>le</strong>s yeux et tressaillit. Zahran était presque nez à nez<br />

avec lui, en excel<strong>le</strong>nte position pour <strong>le</strong> frapper. La moitié droite <strong>de</strong> son<br />

tronc était gelée et il avait la main gauche dirigée vers <strong>le</strong> front d'Arthur.<br />

Pourtant il ne bougeait pas. Ses pupil<strong>le</strong>s s'étaient dilatées et une<br />

expression d'incompréhension défigurait son visage. Soudain il ferma <strong>le</strong>s<br />

yeux et s'effondra, mort.<br />

Arthur se mit à tremb<strong>le</strong>r. C'est en entendant <strong>de</strong>s bruits <strong>de</strong> pas à<br />

distance qu'il consentit à détacher enfin son regard du cadavre <strong>de</strong> Zahran.<br />

Ce qu'il vit était tout aussi effrayant.<br />

"Sonia!?"<br />

6


El<strong>le</strong> titubait vers lui, l'in<strong>de</strong>x droit entouré d'un halo écarlate. Arthur<br />

réprima un cri <strong>de</strong> panique. Ses vêtements étaient en partie calcinés, ses<br />

avant-bras paraissaient avoir été brûlés. Sa longue chevelure blon<strong>de</strong>,<br />

habituel<strong>le</strong>ment resp<strong>le</strong>ndissante avait une teinte roussie. El<strong>le</strong> semblait<br />

avoir échappé à un incendie. Malgré son expression hagar<strong>de</strong>, el<strong>le</strong> sourit à<br />

Arthur, comme pour <strong>le</strong> rassurer.<br />

"Je t'avais dit que je tuerais quiconque utiliserait son don pour faire du<br />

mal, hein… Arthur?<br />

-SONIAAAAA!"<br />

Le hur<strong>le</strong>ment d'Arthur s'éteignit. Il venait <strong>de</strong> remarquer Samuel…<br />

"S… Sam? fit-il d'une voix angoissée."<br />

Samuel tourna <strong>le</strong> visage vers lui après avoir dévisagé celui <strong>de</strong> Sonia.<br />

Un carreau était fiché dans son ventre, au milieu d'une large tache rouge.<br />

Il affichait l'expression qu'il avait généra<strong>le</strong>ment lorsque Arthur allait <strong>le</strong> voir<br />

dans sa boutique au petit matin et qu'il venait à peine <strong>de</strong> se réveil<strong>le</strong>r.<br />

"Je croyais t'avoir réglé ton compte à toi!"<br />

Maggie arriva <strong>de</strong> nul<strong>le</strong> part après avoir gémi <strong>de</strong> dépit et asséna une<br />

claque monumenta<strong>le</strong> à Sonia. L'instructrice tomba à genoux, sonnée.<br />

"Salut gamin, dit fina<strong>le</strong>ment Maggie à Arthur en fronçant <strong>le</strong>s sourcils. Tu<br />

as eu <strong>de</strong> la chance qu'el<strong>le</strong> ait tué Zahran. Il allait t'avoir au moment où tu<br />

avais baissé ta gar<strong>de</strong>."<br />

Arthur n'entendit sa voix que <strong>de</strong> très loin. Ses yeux allaient <strong>de</strong><br />

Samuel à Sonia, puis <strong>de</strong> Sonia à Samuel. Ses <strong>de</strong>ux pygmalions,<br />

complètement éteints, lâchement attaqués, incapab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> se défendre.<br />

Samuel observait Sonia d'un air vague, comme s'il était incapab<strong>le</strong><br />

d'appréhen<strong>de</strong>r ce qui lui arrivait.<br />

"D…"<br />

"D…"<br />

Arthur foudroya Maggie du regard. Une rage incommensurab<strong>le</strong><br />

s'empara <strong>de</strong> lui et il laissa échappa un cri rauque :<br />

"DRYDOOOOCK!"<br />

L'épée doub<strong>le</strong> étincela.<br />

"Ne <strong>le</strong>s touche pas! Ne <strong>le</strong>s touche pas! Ne <strong>le</strong>s TOUCHE PAS! rugit Arthur.<br />

6


-Epargne moi tes cris gamin, tu es <strong>le</strong> prochain sur ma liste <strong>de</strong> toute<br />

façon."<br />

Maggie porta son regard sur Sonia. A cet instant, Sally entra dans la<br />

pièce comme une furie et se rua sur el<strong>le</strong>, armée <strong>de</strong> Casca<strong>de</strong>. Maggie fit<br />

apparaître une longue flèche dorée, se percha <strong>de</strong>ssus et s'é<strong>le</strong>va dans <strong>le</strong>s<br />

airs, hors <strong>de</strong> sa portée.<br />

"Je t'interdis <strong>de</strong> la toucher, vociféra Sally."<br />

Maggie plissa <strong>le</strong>s yeux, agacée.<br />

"Tsss. Peu importe…"<br />

El<strong>le</strong> sortit un petit objet rond <strong>de</strong> sa bourse et <strong>le</strong> laissa tomber sur <strong>le</strong> sol.<br />

"Vous al<strong>le</strong>z mourir ensemb<strong>le</strong> <strong>de</strong> toute façon."<br />

Arthur fut projeté en arrière par un souff<strong>le</strong> brûlant. Une déflagration.<br />

Il fut bringuebalé à travers <strong>le</strong> caveau comme un pantin désarticulé. Puis<br />

ce fut <strong>le</strong> trou noir.<br />

Il ne sut pas combien <strong>de</strong> temps il avait perdu connaissance. Cela lui<br />

avait semblé durer <strong>de</strong>s heures mais en fait, une minute s'était à peine<br />

écoulée. Ce furent <strong>le</strong>s cris hystériques et <strong>le</strong>s larmes <strong>de</strong> Sally qui <strong>le</strong><br />

ramenèrent à la vie. Il ne <strong>le</strong>s entendait que d'une oreil<strong>le</strong>, son tympan<br />

gauche avait probab<strong>le</strong>ment été percé, mais la voix <strong>de</strong> Sally lui parvenait<br />

en dépit <strong>de</strong> ce handicap. Lentement il se re<strong>le</strong>va, meurtri.<br />

"ARTHUR, A L'AIIIIIDE! criait Sally d'une voix mêlée <strong>de</strong> larmes."<br />

Sa chevil<strong>le</strong> droite craqua lorsqu'il fut <strong>de</strong>bout mais il ravala son cri<br />

pour retrouver Sally. La sal<strong>le</strong> avait bien résisté à l'explosion, cependant un<br />

pan entier <strong>de</strong> mur avait été victime d'un ébou<strong>le</strong>ment près <strong>de</strong> l'entrée. Là<br />

se trouvait Sally, implorant Arthur <strong>de</strong> venir à son ai<strong>de</strong>. Arthur voyait flou.<br />

"Sally…, dit-il d'un souff<strong>le</strong>."<br />

Il l'entendit encore crier et se dirigea vers el<strong>le</strong> aussi vite que <strong>le</strong> lui<br />

permettaient ses b<strong>le</strong>ssures. Il contourna <strong>le</strong>s roches éboulées d'un pas<br />

oscillant, escalada <strong>le</strong>s éléments <strong>de</strong> plafond tombés, plus grâce à son<br />

instinct que grâce à ses sens. Où était Samuel? Arthur continua d'avancer,<br />

luttant contre la tentation qu'avaient ses yeux <strong>de</strong> se fermer.<br />

"Arthur, p<strong>le</strong>urait Sally."<br />

Il finit par arriver auprès d'el<strong>le</strong> et sentit son estomac se nouer. Des<br />

larmes lui montèrent aux yeux. Le visage <strong>de</strong> Sally était déjà inondé.<br />

6


"Arthur… Je n'y arrive pas, même avec <strong>le</strong> gant, fit-el<strong>le</strong> effondrée. Je ne<br />

sais pas quoi… faire."<br />

El<strong>le</strong> éclata en sanglots, agenouillée tout près <strong>de</strong> Sonia. Cette<br />

<strong>de</strong>rnière souriait doucement en tenant la main <strong>de</strong> Sally.<br />

"Ce n'est pas grave Sally… Ce n'est pas grave, dit Sonia d'un fi<strong>le</strong>t <strong>de</strong><br />

voix."<br />

Arthur eut un hoquet et se mit à p<strong>le</strong>urer à son tour, conséquence <strong>de</strong><br />

son épuisement et <strong>de</strong> sa détresse. Sonia ne s'en sortirait pas, il <strong>le</strong> savait<br />

rien qu'en la voyant. Un gros pan <strong>de</strong> mur s'était effondré sur la partie<br />

inférieure <strong>de</strong> son corps. Qu'el<strong>le</strong> soit encore consciente re<strong>le</strong>vait du mirac<strong>le</strong>.<br />

Ironiquement, la seu<strong>le</strong> personne qui aurait pu la sauver était el<strong>le</strong>-même.<br />

"J'ai essayé avec <strong>le</strong> gant mais ça ne bouge pas! Ca ne bouge pas du tout!<br />

Arthur, il faut que… Jamie, il faut que Jamie vienne! Ou Rick! Il faut qu'ils<br />

sauvent Sonia, il faut que…"<br />

El<strong>le</strong> s'effondra et posa doucement sa tête sur la poitrine <strong>de</strong> Sonia.<br />

Cette <strong>de</strong>rnière lui caressa doucement la nuque. Arthur se sentait<br />

impuissant. Rien <strong>de</strong> ce qu'il ne connaissait ne semblait pouvoir sortir Sonia<br />

<strong>de</strong> là, rien. Le morceau <strong>de</strong> mur pesait <strong>de</strong>s tonnes. Même avec Drydock il<br />

ne pourrait jamais fendre quelque chose d'aussi épais.<br />

"Fuyez pendant qu'il est encore temps, dit Sonia. Vous ne pouvez rien<br />

faire pour moi. Fuyez…<br />

-Noooon, cria Sally d'une voix démente."<br />

Minilly se tenait <strong>de</strong>bout à côté <strong>de</strong> la tête <strong>de</strong> Sonia et p<strong>le</strong>urait el<strong>le</strong><br />

aussi à chau<strong>de</strong>s larmes.<br />

"Sonia?"<br />

Arthur sentit une ombre sur lui et se retourna aussitôt. Samuel se<br />

tenait <strong>de</strong>rrière lui, <strong>le</strong> visage décomposé. Il tremblait <strong>de</strong> tout son corps.<br />

"NOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOON!"<br />

Un souff<strong>le</strong> terrib<strong>le</strong> se créa autour <strong>de</strong> lui, repoussant bruta<strong>le</strong>ment<br />

Arthur, Sally et Minilly. Un cataclysme semblait être sur <strong>le</strong> point <strong>de</strong> naître.<br />

Maggie observait la scène <strong>de</strong> loin, réjouie. A ce moment, une brèche<br />

donnant accès au Passage s'ouvrit juste à côté d'el<strong>le</strong>. Un homme pâ<strong>le</strong>,<br />

entièrement vêtu <strong>de</strong> noir tendit <strong>le</strong> bras pour se saisir <strong>de</strong> Maggie et<br />

l'entraîner vers l'intérieur.<br />

6


"Toi? Qu'est-ce qui t'arrive? protesta Maggie. Que fais-tu ici?<br />

-Tu dois rentrer au quartier général, répondit l'autre d'une voix juvéni<strong>le</strong>.<br />

-Pourquoi tant d'urgence? Je savoure la mort à venir <strong>de</strong>s élus!<br />

-Nous avons un problème au QG.<br />

-Un problème? Par<strong>le</strong>.<br />

-Tu verras sur place. En attendant notre chef exige que tu rentres. Zahran<br />

et ma sœur sont déjà tombés. Nous ne pouvons pas subir plus <strong>de</strong> pertes<br />

pour <strong>le</strong> moment. Qui plus est… Ky<strong>le</strong>an va se déchaîner une nouvel<strong>le</strong> fois.<br />

Il vaudrait mieux que tu ne sois pas là lorsque cet endroit sera détruit.<br />

-Pfff… Comme tu voudras Hugin mais lâche-moi! Je peux marcher seu<strong>le</strong>."<br />

Il lui lâcha l'épau<strong>le</strong> et s'enfonça dans <strong>le</strong> Passage. Maggie s'apprêta à<br />

y entrer mais el<strong>le</strong> regarda d'abord Samuel être submergé par son pouvoir,<br />

regrettant <strong>de</strong> ne pas pouvoir assister à la suite <strong>de</strong>s évènements.<br />

"Que c'est drô<strong>le</strong> en un sens, ils vont mourir dans <strong>le</strong> caveau abritant <strong>le</strong>s<br />

corps <strong>de</strong> ceux qui se sont incarnés en eux. Voilà ce que l'on appel<strong>le</strong> un<br />

processus raté."<br />

El<strong>le</strong> sourit vicieusement.<br />

"Al<strong>le</strong>z Samuel, ne me déçois pas. Fais comme Ky<strong>le</strong>an dont la folie a fait<br />

sauter la cervel<strong>le</strong> <strong>de</strong> son frère. Tue encore <strong>de</strong>s élus comme il y a dix ans<br />

quand la perte <strong>de</strong> ton ami Danny t'a rendu ivre <strong>de</strong> rage. Balaie-moi tous<br />

ceux qui se trouvent dans ce Tombeau puis mets fin à tes jours, rongé par<br />

la culpabilité."<br />

El<strong>le</strong> s'introduisit dans <strong>le</strong> Passage et la brèche se referma.<br />

"Ne me déçois pas!"<br />

6


Chapitre 40 : Bye<br />

Tobias avait été éveillé par <strong>le</strong> souff<strong>le</strong> démentiel qui parcourait<br />

désormais <strong>le</strong> caveau <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an et Leryan. Sa nuque lui faisait<br />

extrêmement mal, il avait du se cogner la tête après l'attaque <strong>de</strong> Samuel.<br />

Ce satané élu. Dire qu'il s'agissait <strong>de</strong> la réincarnation <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an. Cela<br />

expliquait pourquoi il n'était pas parvenu à son<strong>de</strong>r son âme pour en<br />

décrypter <strong>le</strong>s émotions… à moins qu'il n'ait appris à fermer son esprit suite<br />

à <strong>le</strong>ur première rencontre.<br />

La pièce commençait à tremb<strong>le</strong>r, affectée par <strong>le</strong> cataclysme qui était<br />

en train <strong>de</strong> naître. Un début d'ébou<strong>le</strong>ment menaçait. Tobias <strong>de</strong>vait sortir,<br />

retrouver Horatio, Gertt, Daria et <strong>le</strong>s autres. Ils étaient peut-être mal en<br />

point, voire morts. Il tourna son regard gris vers l'œil du cyclone. Samuel<br />

était à genoux, <strong>le</strong>s mains collées au sol, en train <strong>de</strong> hur<strong>le</strong>r <strong>de</strong> façon<br />

irrationnel<strong>le</strong>. Exactement ce qui était arrivé à Ky<strong>le</strong>an lorsqu'il avait fait<br />

exploser l'intérieur <strong>de</strong> Springan, tuant par la même occasion Leryan.<br />

"Si je ne sors pas rapi<strong>de</strong>ment d'ici je vais y passer."<br />

Alors qu'il faisait un pas pour s'éloigner son pied buta sur quelque<br />

chose <strong>de</strong> lourd. Il baissa <strong>le</strong>s yeux et découvrit avec surprise qu'il s'agissait<br />

d'une épée doub<strong>le</strong> aux lames d'un b<strong>le</strong>u <strong>de</strong>s plus purs. "Nazul…" Quel<strong>le</strong><br />

ironie que <strong>de</strong> tomber nez à nez avec l'incarnation du sacrifice <strong>de</strong> sa sœur,<br />

Nina. Nazul à laquel<strong>le</strong> l'ancien <strong>le</strong>a<strong>de</strong>r du Clan avait transmis son âme, son<br />

pouvoir, aux dépens <strong>de</strong> sa propre existence. Et c'était maintenant l'une<br />

<strong>de</strong>s cib<strong>le</strong>s du clan qui était en sa possession. Ironique en effet.<br />

Malgré <strong>le</strong> danger imminent Tobias se pencha pour la toucher. Juste<br />

une secon<strong>de</strong>, pour être en contact avec la <strong>de</strong>rnière chose qu'avait<br />

manipulée sa sœur au moment <strong>de</strong> mourir, l'arme sur laquel<strong>le</strong> el<strong>le</strong> avait<br />

laissé une empreinte indélébi<strong>le</strong>.<br />

Là, Nazul s'éloigna <strong>de</strong> lui en glissant sur <strong>le</strong> sol comme si el<strong>le</strong> avait<br />

été tirée par un fil invisib<strong>le</strong>. Tobias eut un mouvement <strong>de</strong> recul. L'arme<br />

s'était rapprochée <strong>de</strong> son propriétaire actuel, même si ce <strong>de</strong>rnier n'en<br />

avait pas conscience.<br />

"Tu as choisi ton camp Nina? murmura Tobias. Est-ce que tu m'as renié?"<br />

Nazul se garda bien <strong>de</strong> lui répondre, aussi insensib<strong>le</strong> aux paro<strong>le</strong>s <strong>de</strong><br />

Tobias qu'au vent qui envahissait <strong>le</strong> caveau. Tobias recula, <strong>le</strong> regard rivé<br />

sur el<strong>le</strong>. Il plaqua sa main sur <strong>le</strong> mur <strong>de</strong>rrière lui.<br />

"Freìs."<br />

La surface du mur se givra sur une grosse étendue ron<strong>de</strong> puis<br />

explosa. Tobias se faufila <strong>de</strong>hors.<br />

"Il faut l'arrêter, dit Sonia d'une voix presque inaudib<strong>le</strong>. C'est comme… il y<br />

a dix ans. Tous ceux qui sont dans <strong>le</strong> Tombeau vont mourir."<br />

6


Arthur observait Samuel se recroquevil<strong>le</strong>r sur lui-même avec une<br />

horreur indicib<strong>le</strong>. Alors qu'il restait presque immobi<strong>le</strong> au centre <strong>de</strong> la<br />

pièce, <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> se déchaînait autour <strong>de</strong> lui, <strong>de</strong>s nuées <strong>de</strong> poussière et <strong>de</strong><br />

débris parcouraient rapi<strong>de</strong>ment tout <strong>le</strong> caveau, portées par un flux<br />

infatigab<strong>le</strong>.<br />

"Je ne peux pas <strong>le</strong> laisser faire, dit Arthur en serrant <strong>le</strong>s poings."<br />

Sonia était en train <strong>de</strong> mourir, el<strong>le</strong> était condamnée, mais il ne<br />

pouvait pas laisser Samuel tout détruire, recommencer. La folie <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an<br />

avait toujours pour élément déc<strong>le</strong>ncheur la perte <strong>le</strong>s gens qu'il aimait.<br />

Comme Samuel il ne pouvait se résoudre à <strong>le</strong>s quitter, il préférait sombrer<br />

dans son propre chaos plutôt que d'assister à <strong>le</strong>ur disparition. Ce cyc<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong>vait être brisé.<br />

"SAMUEL! ARRÊTE!"<br />

Il se mit à courir pour l'arrêter sans trop savoir comment il y<br />

parviendrait. Il se jeta sur lui. Le vent redoubla soudain d'intensité et <strong>le</strong><br />

rejeta. Arthur glissa sur <strong>le</strong> sol.<br />

"Tu peux faire mieux que ça, Samuel..., dit-il. "<br />

Sally protégeait Sonia autant qu'el<strong>le</strong> <strong>le</strong> pouvait en se penchant sur<br />

el<strong>le</strong>. Minilly s'était mise à l'abri dans une <strong>de</strong> ses poches.<br />

"SAMUEL! ARRÊTE-TOI!!!"<br />

Arthur repartit <strong>de</strong> nouveau à la charge, ancrant davantage ses pieds<br />

au sol. De nouveau il fut repoussé par une force plus puissante que lors <strong>de</strong><br />

sa tentative précé<strong>de</strong>nte. Le don <strong>de</strong> Samuel semblait réagir à chaque fois<br />

qu'Arthur tentait <strong>de</strong> l'approcher.<br />

"C'est moi qui vais finir par m'énerver, souffla Arthur. Moi aussi je suis<br />

complètement brisé.<br />

-N'abandonne pas…"<br />

Sonia lui parlait. Le regard rivé sur lui, el<strong>le</strong> l'encourageait.<br />

"S'il te plaît, sauve-<strong>le</strong> Arthur… N'abandonne pas. Je ne vous ai pas appris<br />

à abandonner."<br />

Arthur acquiesça tristement. Il réalisa qu'el<strong>le</strong> ne vivait plus que pour<br />

ça. El<strong>le</strong> voulait s'assurer que Samuel et <strong>le</strong>s élus s'en sortiraient. On<br />

<strong>de</strong>vinait dans son regard sa volonté <strong>de</strong> vivre encore un peu, <strong>de</strong><br />

s'accrocher <strong>le</strong> temps nécessaire.<br />

6


Arthur déc<strong>le</strong>ncha son Poing Iceberg et fit <strong>de</strong> nouveau face à Samuel.<br />

Son ami était en position fœta<strong>le</strong>, peut-être inconscient du mal qu'il faisait.<br />

Tout menaçait <strong>de</strong> s'effondrer mais <strong>le</strong> cataclysme annoncé ne se déchaînait<br />

pas tota<strong>le</strong>ment, là où, dix ans plus tôt, <strong>le</strong>s élus avaient été balayés en<br />

quelques secon<strong>de</strong>s. Arthur avait compris queSamuel luttait pour se<br />

contenir. Il essayait <strong>de</strong> réprimer sa colère. C'était pour cela qu'ils étaient<br />

encore vivants.<br />

"Je crois que… je suis revenu pour empêcher ceci <strong>de</strong> se reproduire, dit<br />

Arthur en pensant à Leryan. Il voulait te sauver <strong>de</strong> toi-même."<br />

Il dirigea la paume <strong>de</strong> sa main gauche vers <strong>le</strong> sol. Vu l'intensité<br />

grandissante du souff<strong>le</strong>, ce serait sans doute sa <strong>de</strong>rnière chance avant que<br />

<strong>le</strong> vent ne <strong>de</strong>vienne incontrôlab<strong>le</strong>.<br />

"Fulmina Ceruli."<br />

Arthur avait déc<strong>le</strong>nché <strong>le</strong> sort à bout portant. L'éruption glacée <strong>le</strong> fit<br />

décol<strong>le</strong>r et planer vers Samuel, en dépit <strong>de</strong> la tempête. Il avait eu<br />

suffisamment d'impulsion pour contrer <strong>le</strong> vent qui s'opposait à lui.<br />

Tombant droit sur Samuel puis se plantant face à lui, il <strong>le</strong> frappa aussi fort<br />

qu'il <strong>le</strong> pouvait sans prendre <strong>le</strong> risque <strong>de</strong> <strong>le</strong> tuer.<br />

"SAM!!"<br />

Samuel se départit enfin du sol après que sa joue eut été atteinte<br />

par <strong>le</strong> poing d'Arthur. Ses convulsions stoppèrent. Presque aussitôt <strong>le</strong> vent<br />

cessa <strong>de</strong> sévir et <strong>le</strong> caveau retrouva un calme relatif. Le pire était évité, la<br />

colère <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an était retombée. Sally re<strong>le</strong>va la tête.<br />

"Enfin…"<br />

Soulagé, Arthur libéra son poing <strong>de</strong> sa prison <strong>de</strong> glace et se pencha<br />

sur Samuel en espérant ne pas l'avoir tué. Il était toujours recroquevillé,<br />

immobi<strong>le</strong>.<br />

Tout à coup sa main droite se <strong>le</strong>va. El<strong>le</strong> tâtonna un peu <strong>le</strong> long du<br />

sol puis se posa <strong>le</strong>ntement sur l'épau<strong>le</strong> d'Arthur.<br />

"Tu frappes comme une fil<strong>le</strong>, Arthur…<br />

-Je sais."<br />

Samuel se redressa <strong>le</strong>ntement. Ses pupil<strong>le</strong>s étaient toutes <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

<strong>de</strong>venues vertes. L'une d'entre el<strong>le</strong>s reprit progressivement son habituel<strong>le</strong><br />

cou<strong>le</strong>ur b<strong>le</strong>ue. Il observa Arthur d'un regard neutre puis s'appuya sur lui<br />

pour se remettre <strong>de</strong>bout. Sa b<strong>le</strong>ssure dût <strong>le</strong> lancer car il émit un<br />

grognement rauque.<br />

6


"Merci Arthur…, soupira-t-il."<br />

Arthur acquiesça en si<strong>le</strong>nce. Le carreau d'arbalète était toujours<br />

planté dans <strong>le</strong> ventre <strong>de</strong> Samuel. Ignorant la présence du projecti<strong>le</strong> ce<br />

<strong>de</strong>rnier se détacha d'Arthur et rejoignit <strong>le</strong>ntement Sonia, un pas après<br />

l'autre, en reniflant à interval<strong>le</strong>s réguliers. Sally s'écarta spontanément en<br />

<strong>le</strong> voyant approcher. <strong>Les</strong> yeux <strong>de</strong> l'élue étaient <strong>de</strong>venus rouges, el<strong>le</strong><br />

n'avait plus <strong>de</strong> larmes pour p<strong>le</strong>urer sur <strong>le</strong> sort <strong>de</strong> Sonia.<br />

"Sam, tu t'es arrêté? dit Sonia d'une voix soulagée."<br />

Il s'agenouilla en si<strong>le</strong>nce près d'el<strong>le</strong> et pencha son visage sur <strong>le</strong> sien.<br />

Autour d'eux, <strong>le</strong>s murs porteurs du Tombeau montraient <strong>de</strong>s signes <strong>de</strong><br />

rupture imminente. Ils n'avaient pas résisté aux différents combats et<br />

catastrophes qu'ils avaient subi. Samuel posa son front sur celui <strong>de</strong> Sonia<br />

et se mit à p<strong>le</strong>urer doucement.<br />

"C'est injuste, dit simp<strong>le</strong>ment Sally. Pourquoi… après tous <strong>le</strong>s sacrifices<br />

que nous avons déjà acceptés…"<br />

Comme pour accroître <strong>le</strong>ur dou<strong>le</strong>ur, <strong>le</strong>s trois discip<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an<br />

choisirent ce moment pour apparaître <strong>de</strong>vant eux. Arthur <strong>le</strong>ur jeta un<br />

regard haineux, eux, ces lâches qui avaient fui au moment <strong>le</strong> plus critique<br />

et n'étaient pas intervenus alors qu'ils auraient pu changer la donne. Il lui<br />

fallut fournir un grand effort pour ne pas <strong>le</strong>s attaquer. Ce n'était pas <strong>le</strong><br />

moment.<br />

"Vous! cria Sally. Enfin vous vous déci<strong>de</strong>z à sortir <strong>de</strong> votre planque,<br />

enfoirés! Pourquoi ne vous avez nous pas aidés lorsque nous en avions<br />

besoin? Elliott, comme as-tu pu nous faire ça?"<br />

Hinjis baissa tristement <strong>le</strong>s yeux.<br />

"Nous nous <strong>le</strong> sommes formel<strong>le</strong>ment interdit. Ce n'est pas <strong>de</strong> gaieté <strong>de</strong><br />

cœur que nous nous sommes retirés mais nous ne pouvons al<strong>le</strong>r au-<strong>de</strong>là<br />

<strong>de</strong> la tâche qui nous a été assignée. D'ail<strong>le</strong>urs ce qui vient <strong>de</strong> se passer<br />

prouve que <strong>le</strong> moment est venu."<br />

Il fit un pas en avant.<br />

"A moins que tu ne puisses sauver Sonia n'approche pas <strong>de</strong> nous, fit<br />

Arthur en <strong>le</strong> repoussant vio<strong>le</strong>mment.<br />

-Ne crois pas que <strong>le</strong> malheur qui vous frappe me laisse insensib<strong>le</strong>. J'ai moi<br />

aussi <strong>de</strong> l'affection pour Sonia mais… <strong>le</strong> peu <strong>de</strong> pouvoir que nous<br />

conservons ne doit servir qu'à cette chose pour laquel<strong>le</strong> nous avons<br />

attendu pendant <strong>de</strong>s années et <strong>de</strong>s années.<br />

-Arthur, ne t'en prends pas à Hinjis, intervint Heakt. C'est grâce à lui que<br />

vos amis sont désormais en sécurité.<br />

6


-Pardon? s'exclama Arthur avec défiance.<br />

-Il nous a convaincus d'utiliser une partie <strong>de</strong> nos facultés pour <strong>le</strong>s projeter<br />

à la sortie du Tombeau, lieu que vous al<strong>le</strong>z rejoindre tous <strong>de</strong>ux, Sally et<br />

toi. Ils sont survécu à <strong>le</strong>urs combats respectifs, soyez-en soulagés.<br />

Toutefois nous n'avons pas <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> sauver <strong>de</strong> Sonia. Même si nous<br />

l'avions nous ne l'utiliserions pas."<br />

Samuel n'écoutait pas, parlant <strong>de</strong> façon inaudib<strong>le</strong> à Sonia.<br />

"Sonia est condamnée, déplora Hinjis. Quiconque tenterait <strong>de</strong> la déplacer<br />

accélérerait sa fin. Vous <strong>de</strong>vez lui faire vos adieux et partir. Le tombeau<br />

va s'écrou<strong>le</strong>r sous peu."<br />

Sally se remit à p<strong>le</strong>urer et s'assit à côté <strong>de</strong> Samuel, impuissante.<br />

"Partez, dit calmement Hinjis."<br />

Il disait ceci comme si c'était une évi<strong>de</strong>nce. Arthur ne pouvait pas se<br />

résoudre à partir en laissant Sonia <strong>de</strong>rrière eux mais malgré tout <strong>le</strong><br />

mépris qu'il lui inspirait, Hinjis avait raison. S'ils restaient ici ils allaient<br />

tous mourir.<br />

"Arthur, approche toi aussi, dit Sonia."<br />

Il s'exécuta <strong>le</strong>ntement, rejoignant <strong>le</strong>s autres. Sonia avait <strong>le</strong>s yeux<br />

mi-clos, presque éteints. Quant à Samuel il prenait sur lui pour ne pas<br />

cé<strong>de</strong>r encore à la folie.<br />

"Vous n'avez pas <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> me p<strong>le</strong>urer ici, n'est-ce pas? dit doucement<br />

Sonia. Cet endroit va bientôt s'effondrer. (El<strong>le</strong> sourit) Je dois peut-être me<br />

sentir honorée <strong>de</strong> reposer ici.<br />

-Sonia, ne…, commença Sally."<br />

Arthur réprima ses larmes en fermant <strong>le</strong>s yeux.<br />

"La guerre ne fait que commencer, vous <strong>de</strong>vez rester soudés. N'essayez<br />

pas <strong>de</strong> me venger, la priorité c'est <strong>de</strong>…"<br />

El<strong>le</strong> se mit à tousser.<br />

"Sally, Rick et toi vous <strong>de</strong>vez gui<strong>de</strong>r <strong>le</strong> groupe. Empêchez <strong>le</strong>s <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s<br />

erreurs. Shui est encore jeune… Attention à Ana Rosa, il faut l'encadrer.<br />

Rachel aussi…"<br />

El<strong>le</strong> détacha <strong>le</strong> ruban rouge qui retenait sa natte et <strong>le</strong> tendit d'une<br />

main tremblante à Sally. La jeune femme l'accepta en si<strong>le</strong>nce.<br />

6


"Je n'ai pas grand' chose à vous dire, vous savez que je vous aime tous,<br />

dit-el<strong>le</strong> <strong>le</strong> regard brillant. Tout ce que vous avez appris vous saurez <strong>le</strong><br />

mettre en application.<br />

-Oui…, répondit Sally d'un souff<strong>le</strong>."<br />

Arthur hocha la tête.<br />

"Excusez-moi auprès d'Ella… du docteur… Dites à Norah qu'el<strong>le</strong> doit<br />

déclarer ses sentiments. Cet abruti <strong>de</strong>… Anthony."<br />

Hinjis se racla discrètement la gorge. Arthur fut déconcerté <strong>de</strong> <strong>le</strong><br />

voir p<strong>le</strong>urer lui aussi.<br />

"Vous <strong>de</strong>vez… partir, dit-il d'un air insistant.<br />

-Il a raison, approuva Sonia."<br />

Son regard se posa sur Samuel.<br />

"Sam, on te laisse un moment, dit Arthur."<br />

Sonia étreignit brièvement <strong>le</strong>s mains d'Arthur et Sally en signe<br />

d'adieu puis <strong>le</strong>s relâcha. Sally mit un moment à accepter <strong>de</strong> retirer la<br />

sienne.<br />

"Samuel ne part pas avec vous, dit soudain Haltan. Il reste.<br />

-Comment ça "il reste"? s'écria Arthur.<br />

-Il est à un moment charnière <strong>de</strong> sa vie. De son attitu<strong>de</strong> dépend la suite<br />

<strong>de</strong>s évènements. Il ne peut pas retourner là-haut avec vous.<br />

-C'est… c'est <strong>de</strong> la folie, répliqua Arthur, décidé à ne pas laisser une autre<br />

personne <strong>de</strong>rrière lui. C'est… c'est… c'est… Non, il vient!<br />

-Je reste, dit Samuel d'une voix neutre.<br />

-Ne sois pas stupi<strong>de</strong>! fit Sonia d'une voix soudain plus énergique. Tu ne<br />

vas pas mourir ici avec moi. Tu dois vivre…"<br />

Il sourit.<br />

"Je ne te ferai pas l'affront <strong>de</strong> mourir. Un jour je te rejoindrai sans doute<br />

mais… j'ai encore à faire. (Il regarda <strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s du coin <strong>de</strong> l'œil). Vous<br />

autres, je ne sais pas ce que vous atten<strong>de</strong>z <strong>de</strong> moi mais… je suis prêt à<br />

tenter ma chance. Je n'ai plus rien à perdre.<br />

-Sam! protesta Arthur. Tu dois remonter avec nous. On a besoin <strong>de</strong> toi!<br />

-C'est parce que vous avez besoin <strong>de</strong> moi que je vais rester avec eux…<br />

-Mais…<br />

-Sally? fit Samuel."<br />

El<strong>le</strong> <strong>le</strong>va <strong>le</strong>s yeux.<br />

6


"Dommage que tu sois déjà liée à quelqu'un, tu aurais fait une petite amie<br />

parfaite pour mon petit Arthur.<br />

-…<br />

-Emmène-<strong>le</strong> avec toi et ne <strong>le</strong> laisse pas faire <strong>de</strong>mi-tour.<br />

-Sam! cria <strong>de</strong> nouveau Arthur.<br />

-Il y a beaucoup <strong>de</strong> choses qui se révè<strong>le</strong>nt à moi au moment même où je<br />

te par<strong>le</strong>. Sally, je sais que tu as eu une certaine conversation avec<br />

quelqu'un. N'oublie pas ce qu'il t'a <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> faire lorsque <strong>le</strong> moment<br />

serait venu."<br />

Arthur n'y comprenait plus rien. C'était à en <strong>de</strong>venir dingue. Pour<br />

une raison inexplicab<strong>le</strong>, <strong>le</strong> visage <strong>de</strong> Sally s'était illuminé. El<strong>le</strong> resta coite<br />

un long moment. Au-<strong>de</strong>ssus d'eux, <strong>le</strong> plafond menaçait <strong>de</strong> s'écrou<strong>le</strong>r à<br />

n'importe quel moment.<br />

"Arthur, on doit y al<strong>le</strong>r, dit-el<strong>le</strong> soudain.<br />

-Toi aussi tu t'y mets!? Vous êtes tous <strong>de</strong>venus fous?<br />

-Je dois te gar<strong>de</strong>r en vie, tu es important pour nous tous et pas seu<strong>le</strong>ment<br />

en tant qu'élu."<br />

El<strong>le</strong> tendit la main vers lui.<br />

"Viens."<br />

Il recula.<br />

"Laissez-moi…"<br />

"Laissez-moi…"<br />

Il ne voulait plus <strong>le</strong>s entendre par<strong>le</strong>r, plus <strong>le</strong>s voir bouger. Sa colère<br />

culminait.<br />

"LAISSEZ MOIIIII!!!"<br />

Soudain sa vue se troubla, <strong>le</strong> décor et ses protagonistes perdirent<br />

toute cou<strong>le</strong>ur. Son environnement était <strong>de</strong>venu monochrome. Tous étaient<br />

figés. Sally, <strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s, Sonia, <strong>le</strong> tombeau sur <strong>le</strong> point <strong>de</strong> s'écrou<strong>le</strong>r. Une<br />

seu<strong>le</strong> personne avait échappé à cet étrange phénomène. Samuel. Il <strong>le</strong><br />

regardait avec indifférence, comme s'il s'y était attendu.<br />

"Sam. Qu'ai-je fait…? fit Arthur en tremblant.<br />

-Tu as gelé tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>…<br />

-Gelé?<br />

-Tu es comme moi. Ta colère influe sur ton don… à moins que ce ne soit <strong>le</strong><br />

pouvoir <strong>de</strong> Leryan. Oui, c'es plus logique."<br />

6


La fureur d'Arthur s'apaisa comme si <strong>le</strong> fait d'avoir arrêté <strong>le</strong> temps<br />

lui avait permis <strong>de</strong> se défou<strong>le</strong>r. Samuel s'approcha <strong>de</strong> lui, s'assit par terre<br />

et l'invita à en faire <strong>de</strong> même. Arthur obtempéra. Ils étaient seuls au<br />

milieu d'un mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> si<strong>le</strong>nce. Le carreau d'arbalète était toujours à sa<br />

place.<br />

"Excuse-moi, je ne suis qu'un gamin <strong>de</strong> m'emporter ainsi. C'est juste que<br />

je suis à bout.<br />

-Hm, je sais. Ecoute, je veux te par<strong>le</strong>r un moment. Ce que tu viens <strong>de</strong><br />

faire… je ne sais pas combien <strong>de</strong> temps ça peut durer alors profitons-en.<br />

-Oui…"<br />

Arthur regarda Sonia, se <strong>de</strong>mandant si <strong>le</strong> temps pouvait se figer<br />

assez longtemps pour <strong>le</strong>ur permettre d'al<strong>le</strong>r chercher du secours. Une<br />

petite voix au fond <strong>de</strong> lui disait que non.<br />

"Je ne compte pas mourir.<br />

-Tu en es certain? Te connaissant tu en serais bien capab<strong>le</strong>, songea Arthur<br />

in petto."<br />

Samuel opina tristement du chef.<br />

"La femme que j'aime… je ne peux pas admettre qu'el<strong>le</strong> se soit sacrifiée<br />

pour rien (Il se mit à tremb<strong>le</strong>r mais réussit vite à reprendre son calme). Je<br />

dois faire quelque chose.<br />

-Quoi?<br />

-Je ne sais pas encore… Nous n'avons pas l'Orbe, Fenrir est détruit. Tout<br />

ce qu'il reste c'est Altaïr et il est en votre possession. La Confrérie a<br />

gagné. Du moins c'est la conclusion qu'il faudra tirer si moi, Ky<strong>le</strong>an, je ne<br />

fais rien. <strong>Les</strong> trois discip<strong>le</strong>s ont une idée en tête et je <strong>le</strong>ur fais confiance<br />

en dépit <strong>de</strong> tout.<br />

-Ils nous ont abandonnés.<br />

-Pas sans raison… Je <strong>le</strong>s déteste pour <strong>le</strong>ur neutralité mais je <strong>le</strong>ur fais<br />

confiance malgré tout. Ky<strong>le</strong>an <strong>le</strong>ur a confié une mission pour moi.<br />

-Que tu ne peux pas accomplir à nos côtés…<br />

-Ce serait tel<strong>le</strong>ment… mieux d'être à vos côtés et en même temps…"<br />

Il ferma douloureusement <strong>le</strong>s yeux.<br />

"Je sais que je ne serai pas moi-même une fois que j'aurai perdu Sonia<br />

pour <strong>de</strong> bon. Je sombrerai Arthur. Je sombrerai. Si je me plie à <strong>le</strong>urs<br />

exigences mon esprit pourra se focaliser sur autre chose."<br />

Il prit <strong>le</strong>s mains d'Arthur et, à nouveau, <strong>le</strong>s larmes affluèrent.<br />

"Tu crois que je ne préfèrerais pas remonter avec toi? Reprendre ma<br />

boutique? Vivre une vie à peu près norma<strong>le</strong>? Al<strong>le</strong>r au café, au bar pour<br />

<strong>de</strong>scendre <strong>de</strong>s pintes avec Anaïs, Nils et toi? Manger… du barbecue coréen<br />

7


<strong>de</strong>vant <strong>de</strong> vieux films <strong>de</strong> moines shaolin… Essayer <strong>de</strong> pêcher sans rien<br />

attraper… Faire <strong>le</strong>s mots croisés du Mon<strong>de</strong> en inventant <strong>de</strong> nouveaux<br />

mots… Ne pas vivre dans l'ombre, me marier… ptêt même avoir <strong>de</strong>s<br />

enfants!<br />

-Je sais… Je sais…<br />

-Ce genre <strong>de</strong> vie m'est inaccessib<strong>le</strong> pour <strong>le</strong> moment mais je ne perds pas<br />

espoir qu'un jour, un jour peut-être, je pourrai en approcher.<br />

-Et on essaiera d'attraper <strong>de</strong>s poissons…<br />

-…ou <strong>de</strong> finir la glacière <strong>de</strong> bières. Ah… ce que je donnerais pour <strong>de</strong><br />

l'alcool et <strong>de</strong>s cigarettes, maintenant."<br />

Arthur ne put se résoudre à rire. Il avait <strong>le</strong> cœur trop lourd car la<br />

séparation était imminente.<br />

"J'ai vu Anaïs il y a quelques jours, avoua Samuel.<br />

-Je ne <strong>le</strong> savais pas.<br />

-Juste avant que vous ne veniez à Sorgentel, <strong>le</strong> soir du barbecue coréen.<br />

On s'est séparés après avoir dragué ces fil<strong>le</strong>s au bar et vidé <strong>le</strong> stock <strong>de</strong><br />

Jack Daniels…<br />

-Tu <strong>le</strong>s as dragués pour moi…<br />

-…et je suis allé chez Anaïs, j'ai escaladé et j'ai frappé à sa fenêtre. El<strong>le</strong><br />

était heureuse <strong>de</strong> me voir. On a discuté un peu dans sa chambre, une<br />

heure ou <strong>de</strong>ux en p<strong>le</strong>in milieu <strong>de</strong> la nuit, en espérant que ses parents ne<br />

se réveil<strong>le</strong>raient pas. J'étais un peu déphasé… je ne sais plus trop ce qu'on<br />

a dit mais je lui ai déclaré ta flamme. Désolé…<br />

-C'est pas grave, ça importe peu maintenant. Je ne t'en veux pas."<br />

Samuel se frotta <strong>le</strong>s yeux d'un air éreinté. Il prit <strong>le</strong> visage d'Arthur<br />

entre ses mains et <strong>le</strong> considéra longuement.<br />

"Je ne réalisais pas à quel point tu me ressemblais… mon p'tit frère<br />

adoré… Pourtant tu es bien meil<strong>le</strong>ur homme que je ne pourrai jamais<br />

espérer l'être. Je t'admire…"<br />

Il colla son front à celui d'Arthur. Ce <strong>de</strong>rnier était incapab<strong>le</strong> <strong>de</strong> dire<br />

quoi que ce soit alors qu'il sentait au fin fond <strong>de</strong> lui-même que <strong>le</strong> temps<br />

allait bientôt reprendre son cours.<br />

"Tu m'as sauvé plus d'une fois et je te remercie. Tu es… l'une <strong>de</strong>s<br />

meil<strong>le</strong>ures choses qui me soient arrivées. C'est pour ça que la prochaine<br />

fois ce sera à moi <strong>de</strong> te sauver. On se retrouvera Arthur, je te <strong>le</strong> promets.<br />

On se retrouvera et on luttera côte à côte.<br />

-Oui, fit Arthur entre <strong>de</strong>ux renif<strong>le</strong>ments.<br />

-Ce n'est pas un adieu. C'est un "au revoir". Attends moi…"<br />

Samuel l'étreignit puis se détacha bruta<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> lui, comme pour<br />

éviter d'être pris <strong>de</strong> remords. Ils <strong>de</strong>vaient se séparer.<br />

7


C'est alors que <strong>le</strong> temps reprit son cours. <strong>Les</strong> discip<strong>le</strong>s et Sally<br />

affichèrent un air décontenancé mais ils ne posèrent pas <strong>de</strong> question.<br />

Sally insistait du regard et tendait une main pressante à Arthur. Il fallait<br />

partir.<br />

"Courez tout droit, toujours tout droit, indiqua Hinjis. Vous finirez par<br />

atteindre la sortie et retrouver vos compagnons. Cependant je me dois <strong>de</strong><br />

vous prévenir… nous n'avons pas retrouvé Rachel.<br />

-Quoi? hurla Sally."<br />

Sonia secoua <strong>le</strong>ntement la tête, d'un air désolé.<br />

"Je ne pense pas qu'el<strong>le</strong> soit morte mais el<strong>le</strong> n'est plus dans <strong>le</strong> Tombeau.<br />

Il est possib<strong>le</strong> qu'el<strong>le</strong> soit parvenue à sortir. Vous <strong>de</strong>vrez découvrir ce qu'il<br />

est advenu d'el<strong>le</strong> par vos propres moyens.<br />

-Je suis sûre qu'el<strong>le</strong> va bien, Asuka la retrouvera, fit Sally, paniquée par la<br />

chute d'un gros bloc <strong>de</strong> roche à proximité. Partons."<br />

Arthur acquiesça à contrecoeur. Il n'eut pas <strong>le</strong> courage <strong>de</strong> dire une<br />

nouvel<strong>le</strong> fois au revoir à Sonia, <strong>de</strong> peur <strong>de</strong> réaliser qu'el<strong>le</strong> n'était déjà plus<br />

<strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong>.<br />

"Bonne chance Samuel. J'espère qu'on se reverra, dit Sally.<br />

-Merci Sally.<br />

-Sam…, fit Arthur.<br />

-Bye, répondit simp<strong>le</strong>ment son ami, <strong>de</strong>bout au milieu <strong>de</strong> la pièce.<br />

-…Bye."<br />

Arthur s'imagina laissant Samuel sur <strong>le</strong> seuil <strong>de</strong> sa boutique après<br />

une sympathique discussion, dans l'attente du <strong>le</strong>n<strong>de</strong>main. Puis il partit, au<br />

pas <strong>de</strong> course.<br />

"Vous savez…, dit Samuel sans s'adresser à quiconque en particulier. Il<br />

est diffici<strong>le</strong> pour un homme <strong>de</strong> dire à un autre qu'il l'aime. Il existe une<br />

espèce <strong>de</strong> pu<strong>de</strong>ur viri<strong>le</strong> qui fait qu'un fils et son père, <strong>de</strong>ux frères, ou <strong>de</strong>ux<br />

amis auront du mal à s'avouer ce genre d'affection…"<br />

Sally et Arthur étaient déjà loin. Samuel tourna <strong>le</strong>s talons pour<br />

retrouver Sonia. Ses discip<strong>le</strong>s attendaient respectueusement.<br />

"Je n'ai pas honte <strong>de</strong> dire que je t'aime Arthur."<br />

7


Chapitre 41 : Sonia <strong>IV</strong><br />

"Pouvez vous m'accor<strong>de</strong>r encore quelques instants? <strong>de</strong>manda Samuel."<br />

<strong>Les</strong> discip<strong>le</strong>s se consultèrent très rapi<strong>de</strong>ment du regard.<br />

"Nous allons vous laisser un moment, aussi longtemps que votre vie ne<br />

sera pas mise en danger par l'effondrement <strong>de</strong> la voûte, dit Heakt.<br />

Appe<strong>le</strong>z-nous lorsque vous serez prêt.<br />

-Merci."<br />

Alors qu'ils disparaissaient, Samuel entreprit <strong>de</strong> retirer <strong>le</strong> projecti<strong>le</strong><br />

planté dans son bas ventre. Cela <strong>le</strong> fit atrocement souffrir mais ce n'était<br />

rien à côté <strong>de</strong> ce qui l'attendait. Débarrassé <strong>de</strong> l'arme <strong>de</strong> Maggie, il<br />

s'étendit auprès <strong>de</strong> Sonia, couché sur <strong>le</strong> dos, <strong>de</strong> façon à ce que <strong>le</strong>urs <strong>de</strong>ux<br />

visages soient l'un en face <strong>de</strong> l'autre. El<strong>le</strong> <strong>le</strong> regardait avec ce qui<br />

ressemblait à un sourire.<br />

"Je suis contente… que tu sois là, dit-el<strong>le</strong> en lui prenant la main.<br />

-Moi aussi.<br />

-Tu sais, je ne peux pas m'empêcher… <strong>de</strong> penser qu'il est normal que je<br />

m'en ail<strong>le</strong>. J'ai toujours… je me suis toujours <strong>de</strong>mandé pourquoi je n'étais<br />

pas morte avec <strong>le</strong>s autres.<br />

-Ton <strong>de</strong>stin n'était pas <strong>de</strong> mourir.<br />

-Oui, je sais… mais je pars l'esprit serein. Je suis satisfaite <strong>de</strong> la vie que<br />

j'ai vécue. Mes élus… je sais qu'ils y arriveront. Toi aussi tu y parviendras.<br />

J'ai confiance en toi désormais.<br />

-Je… jure <strong>de</strong> ne pas te décevoir Sonia."<br />

Il s'approcha d'el<strong>le</strong> pour l'embrasser sur <strong>le</strong> front puis il posa sa tête<br />

sur sa poitrine. Le cœur <strong>de</strong> Sonia battait <strong>le</strong>ntement.<br />

"Maria et toi êtes <strong>le</strong>s seuls rescapés <strong>de</strong> notre équipe… Je sais qu'el<strong>le</strong> ne<br />

veut plus être mêlée à tout ça… mais… j'aurais tel<strong>le</strong>ment aimé qu'el<strong>le</strong> ai<strong>de</strong><br />

GLOW, juste une fois <strong>de</strong> plus.<br />

-On ne peut pas lui en vouloir.<br />

-Je ne lui en veux pas, j'aurais pu faire pareil… Sam… Sam… (Sa voix<br />

n'était plus qu'un souff<strong>le</strong>). J'ai <strong>de</strong>ux ca<strong>de</strong>aux à te faire Sam… Je n'ai plus<br />

beaucoup <strong>de</strong> temps. Tu <strong>de</strong>vras en prendre bien soin, s'il te plaît.<br />

-Je ferai ce que tu veux, murmura Samuel."<br />

Sonia esquissa un semblant <strong>de</strong> sourire.<br />

…<br />

<strong>Les</strong> discip<strong>le</strong>s revinrent. Ils trouvèrent Samuel recroquevillé sur <strong>le</strong><br />

corps sans vie <strong>de</strong> Sonia. <strong>Les</strong> yeux <strong>de</strong> sa bien-aimée s'étaient fina<strong>le</strong>ment<br />

refermés.<br />

7


"Maître Kyl… Samuel, fit Heakt. Nous avons fait en sorte <strong>de</strong> ra<strong>le</strong>ntir la<br />

chute du tombeau mais nous ne pouvons pas en faire plus."<br />

Samuel ne répondit pas.<br />

"Veuil<strong>le</strong>z accepter nos condoléances, maître. Nous ne pouvons qu'imaginer<br />

votre dou<strong>le</strong>ur."<br />

Samuel retira la main <strong>de</strong> Sonia <strong>de</strong> la sienne et la posa délicatement<br />

sur son ventre. Il en<strong>le</strong>va sa chemise puis la recouvrit jusqu'aux épau<strong>le</strong>s.<br />

Sonia arborait une expression étrangement tranquil<strong>le</strong>. Il aurait pu semb<strong>le</strong>r<br />

qu'el<strong>le</strong> venait juste <strong>de</strong> s'endormir, pour une courte sieste.<br />

"Je suis prêt, dit-il d'une voix déterminée."<br />

Il plaqua sa main sur sa b<strong>le</strong>ssure désormais à vif. El<strong>le</strong> saignait<br />

abondamment. Ses yeux étaient à peine visib<strong>le</strong>s, cachés par une manne<br />

<strong>de</strong> cheveux noirs mais <strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s n'avaient pas <strong>de</strong> mal à imaginer ce<br />

qu'ils reflétaient à ce moment même.<br />

Samuel rejoignit <strong>le</strong>s trois hommes aussi rapi<strong>de</strong>ment que lui <strong>le</strong><br />

permettait sa condition et patienta, dans l'expectative.<br />

"Nous partons, dit Haltan. Accrochez-vous à moi."<br />

Il posa la main sur l'épau<strong>le</strong> <strong>de</strong> Samuel et tous <strong>de</strong>ux s'évaporèrent.<br />

Puis ce fut au tour <strong>de</strong> Heakt <strong>de</strong> quitter <strong>le</strong>s lieux. Hinjis était <strong>le</strong> seul encore<br />

sur place. Pénib<strong>le</strong>ment, il jeta un regard vers Sonia.<br />

"Merci d'avoir pris soin <strong>de</strong> moi Sonia. Tout ce que je peux faire pour te<br />

remercier, c'est te garantir que nous veil<strong>le</strong>rons à ce que Samuel<br />

réussisse."<br />

Hinjis tendit la main vers el<strong>le</strong> et claqua <strong>de</strong>s doigts. Un dôme<br />

transparent à la surface épaisse se dressa alors au-<strong>de</strong>ssus d'el<strong>le</strong>.<br />

"Je ne pourrai souffrir que ton beau visage soit altéré par la <strong>de</strong>struction <strong>de</strong><br />

ce lieu. Je te promets qu'en temps voulu je viendrai t'offrir une sépulture<br />

digne <strong>de</strong> ce nom. Tu connaîtras <strong>le</strong>s honneurs dignes <strong>de</strong>s occupants<br />

originels <strong>de</strong> ces lieux."<br />

Il plissa <strong>le</strong>s yeux puis disparut à son tour.<br />

***<br />

Arthur et Sally ont couru aussi vite qu'il était humainement possib<strong>le</strong>,<br />

sans jamais se retourner, sans croiser qui que ce soit, sans prendre <strong>le</strong><br />

risque <strong>de</strong> se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r s'ils trouveraient Rachel à la sortie <strong>de</strong> ce calvaire.<br />

7


<strong>Les</strong> eaux du tombeau étaient déchaînées comme un jour <strong>de</strong> tempête, <strong>le</strong><br />

ciel souterrain s'était assombri, mais l'acharnement <strong>de</strong>s éléments ne <strong>le</strong>s a<br />

pas empêchés <strong>de</strong> continuer à avancer jusqu'à ce qu'ils finissent par<br />

atteindre une volée <strong>de</strong> marches menant vers <strong>le</strong>s cieux. En dépit <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur<br />

souffrance ils ont grimpé pendant un temps qui <strong>le</strong>ur a paru interminab<strong>le</strong>,<br />

marche après marche. Sally avait mon ruban dans une main et Casca<strong>de</strong><br />

dans l'autre. Là où se rend Sam il n'aura pas besoin d'une tel<strong>le</strong> arme.<br />

Arthur tenait fermement la sphère d'Altaïr.<br />

Quelque chose a changé entre ces <strong>de</strong>ux là. Ils ne sont plus<br />

simp<strong>le</strong>ment amis. Ils sont partenaires <strong>de</strong> combat… et <strong>de</strong> souffrance.<br />

Quelque chose qui n'a rien à voir avec l'amour, que l'on soit clairs.<br />

Désormais ils surveil<strong>le</strong>ront <strong>le</strong>s arrières l'un <strong>de</strong> l'autre car ils seront <strong>le</strong>s plus<br />

à même <strong>de</strong> savoir qu'un compagnon peut faci<strong>le</strong>ment tomber sur <strong>le</strong> champ<br />

<strong>de</strong> batail<strong>le</strong> si on ne <strong>le</strong> défend pas. Je dirais même que Sally s'est octroyée<br />

une responsabilité à l'égard d'Arthur… ou plutôt <strong>de</strong> Leryan. El<strong>le</strong> est<br />

consciente <strong>de</strong>s limites <strong>de</strong> ses propres capacités tandis qu'Arthur, lui, est<br />

peut-être à même <strong>de</strong> changer <strong>le</strong> cours <strong>de</strong>s évènements. El<strong>le</strong> fera tout<br />

pour qu'il y parvienne.<br />

Lorsqu'ils sont arrivés au sommet <strong>de</strong>s marches <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux battants<br />

d'une grosse porte se sont ouverts <strong>de</strong>vant eux et l'éclat du so<strong>le</strong>il a caressé<br />

<strong>le</strong>urs visages épuisés. Un doux effluve <strong>le</strong>ur a vite fait comprendre qu'ils<br />

étaient près <strong>de</strong> la mer. La Baie <strong>de</strong> Springan, c'est là qu'ils ont atterri au<br />

petit matin en sortant du monolithe. Avec <strong>le</strong> recul il était normal que <strong>le</strong>s<br />

portes du monolithe mènent directement au Tombeau <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an.<br />

Andreas était là avec Asuka, Xenia, Asuka et Kaznaël, avachis sur<br />

l'eau, incapab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> fournir <strong>le</strong> moindre effort supplémentaire. <strong>Les</strong> autres<br />

élus et <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>s Anciens – Omar et Meo – sont arrivés, à la fois paniqués<br />

et soulagés. Personne n'avait pas eu <strong>de</strong> nouvel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> notre petite équipe<br />

<strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s jours. Le temps ne s'était pas écoulé <strong>de</strong> la même façon dans <strong>le</strong><br />

Tombeau. Pour ceux qui nous avaient attendu à l'extérieur, nous avions<br />

quitté Corboïlum <strong>de</strong>puis trois jours, sans laisser <strong>de</strong> trace… Ils avaient<br />

imaginé <strong>le</strong> pire sans vraiment y croire mais <strong>le</strong>s recherches avaient été<br />

vaines. La pauvre Roxana n'avait pas compris pourquoi el<strong>le</strong> s'était<br />

retrouvée seu<strong>le</strong> à Corboïlum au milieu <strong>de</strong> la nuit.<br />

C'est à ce moment que Rick et Ana Rosa ont posé la question qui<br />

était à craindre. Pourquoi Rachel et moi étions-nous absentes?<br />

Rick a <strong>de</strong>viné tout <strong>de</strong> suite que quelque chose n'allait pas. Son<br />

visage s'est décomposé. Devant l'absence <strong>de</strong> réponse <strong>de</strong> Sally et Arthur,<br />

Minilly s'est dévouée et a raconté ce qui s'était passé.<br />

El<strong>le</strong> n'a pas pu finir son histoire. Plus personne n'était en état<br />

d'écouter. Priam et Aylin, lorsqu'ils sont arrivés à <strong>le</strong>ur tour, n'ont pas<br />

compris pourquoi presque tous mes élus étaient en train <strong>de</strong> p<strong>le</strong>urer. Shui-<br />

Khan s'est enfoui dans <strong>le</strong>s bras <strong>de</strong> Rick et a p<strong>le</strong>uré toutes <strong>le</strong>s larmes <strong>de</strong><br />

son corps. Je lui ai mené la vie dure mais je crois qu'il m'a toujours<br />

estimée.<br />

7


J'ai introduit cette histoire mais je ne participerai pas à sa<br />

conclusion. Ca tombe bien, je ne suis pas une excel<strong>le</strong>nte conteuse. Il est<br />

temps <strong>de</strong> passer <strong>le</strong> relais et <strong>de</strong> prendre du repos, j'observerai la suite <strong>de</strong>s<br />

évènements <strong>de</strong> là où je me retrouverai. C'est enfin l'occasion <strong>de</strong> vérifier<br />

que ce satané paradis qu'on nous agite sous <strong>le</strong> nez à chaque fois que l'on<br />

veut nous faire culpabiliser pour <strong>le</strong> moindre écart <strong>de</strong> conduite existe bien.<br />

Si je finis simp<strong>le</strong> ectoplasme je hanterai <strong>le</strong>s prêtres jusqu'à la fin du<br />

temps, histoire <strong>de</strong> me venger <strong>de</strong> ne pas pouvoir rencontrer Jimi Hendrix,<br />

Ella Fitzgerald et mes anciens compagnons <strong>de</strong> galère.<br />

Tiens, je me souviens maintenant… J'avais envisagé l'hypothèse <strong>de</strong><br />

ma mort il y a quelques temps et j'ai confié une mission à Rick, une chose<br />

qu'il <strong>de</strong>vrait faire si jamais il m'arrivait malheur. Je compte sur lui pour<br />

respecter ma volonté.<br />

Ah…? Je vais probab<strong>le</strong>ment renaître en djinn un jour vu que je suis<br />

morte à Sorgentel. C'est bon à savoir!<br />

7


Chapitre 42 : La menace <strong>de</strong> Rick<br />

"Tu vas te réveil<strong>le</strong>r Arthur? Espèce <strong>de</strong> gros paresseux va, il est l'heure <strong>de</strong><br />

s'échauffer!"<br />

Sonia se mit à rire alors qu'Arthur s'enroulait dans sa couverture. Il<br />

émit un son irascib<strong>le</strong>, signe qu'il ne souhaitait pas sacrifier sa précieuse<br />

grasse matinée.<br />

"Tu sais bien qu'Art n'aime pas être réveillé avant midi s'il n'a rien <strong>de</strong><br />

"valab<strong>le</strong>" à faire, ajouta Samuel d'un ton sarcastique. J'ose penser qu'il<br />

tient ça <strong>de</strong> moi.<br />

-Quel bel exemp<strong>le</strong> tu lui as donné.<br />

-C'est un grand garçon, il est libre <strong>de</strong> faire <strong>le</strong>s choix qui correspon<strong>de</strong>nt à<br />

sa vision du mon<strong>de</strong>. Qu'il dorme!<br />

-Il ne doit pas dormir! Il est temps pour lui <strong>de</strong> prendre <strong>le</strong>s choses en<br />

main, tu es bien placé pour <strong>le</strong> savoir.<br />

-C'est justement pour cela qu'il doit se reposer."<br />

Agacé par cette discussion à laquel<strong>le</strong> il ne comptait pas prendre<br />

part, Arthur se coucha sur <strong>le</strong> ventre et, d'un mouvement brusque, plongea<br />

sa tête sous son oreil<strong>le</strong>r. Soudain, <strong>le</strong> coussin glissa <strong>de</strong> lui-même et lui<br />

découvrit la nuque.<br />

"Arthur, tu n'es vraiment qu'un incapab<strong>le</strong>, siffla Rachel. Si ma vie est<br />

entre <strong>le</strong>s mains <strong>de</strong> tels incompétents, je ne suis pas prête <strong>de</strong> revoir <strong>le</strong><br />

jour!"<br />

Arthur s'éveilla fina<strong>le</strong>ment, tourmenté par <strong>le</strong> rêve étrange qu'il<br />

venait <strong>de</strong> faire. Ses yeux se perdirent un moment sur <strong>le</strong> plafond parsemé<br />

<strong>de</strong> tâches jaunes dues aux quelques rayons <strong>de</strong> so<strong>le</strong>il qui avaient filtré<br />

entre <strong>le</strong>s ri<strong>de</strong>aux. Il était allongé dans un lit assez grand pour y loger trois<br />

personnes, dans une pièce qui n'était pas la chambre qu'il partageait<br />

habituel<strong>le</strong>ment avec <strong>le</strong>s élus lorsqu'il résidait au Cénac<strong>le</strong>. Il s'agissait<br />

pourtant bien <strong>de</strong>s appartements du Cénac<strong>le</strong>, comme l'indiquaient la<br />

décoration épurée <strong>de</strong>s lieux et l'o<strong>de</strong>ur ambiante qui n'était pas sans<br />

rappe<strong>le</strong>r <strong>le</strong> grand large.<br />

Arthur pensa à Samuel, puis à Sonia. Le souvenir <strong>de</strong> Rachel acheva<br />

d'assombrir ses pensées. Ils avaient tous <strong>le</strong>s trois disparu, à <strong>le</strong>ur manière.<br />

Un mal-être amer lui étreignit <strong>le</strong> cœur. Si tout ceci avait pu n'être qu'un<br />

simp<strong>le</strong> cauchemar…<br />

Une porte s'ouvrit, entre <strong>de</strong>ux pots <strong>de</strong> f<strong>le</strong>urs portés par d'étroites<br />

colonnes blanches. Arthur mit un moment à distinguer <strong>le</strong> visage <strong>de</strong> celui<br />

qui venait d'entrer. C'était Rick.<br />

"Désolé… Je ne voulais pas te réveil<strong>le</strong>r, dit-il à voix basse."<br />

7


Arthur dut se rac<strong>le</strong>r la gorge pour retrouver l'usage <strong>de</strong> la paro<strong>le</strong>.<br />

Lorsqu'il parla, sa voix lui parvint grêlée d'un érail<strong>le</strong>ment presque<br />

intimidant :<br />

"J'étais réveillé."<br />

Rick s'approcha <strong>de</strong> quelques pas. Il portait un bermuda rouge à<br />

grosses poches et un T-shirt blanc tel<strong>le</strong>ment citadins qu'Arthur se<br />

<strong>de</strong>manda s'il n'était pas en fait dans <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> humain. Une barbe invasive<br />

<strong>le</strong> rendait plus âgé qu'il ne l'était.<br />

"Tu as dormi presque un jour et <strong>de</strong>mi bien que j'aie soigné toutes tes<br />

b<strong>le</strong>ssures, indiqua Rick en restant <strong>de</strong>bout près du lit. Ce que vous avez<br />

vécu là-<strong>de</strong>ssous a vraiment dû être… terrib<strong>le</strong>ment exténuant.<br />

Il avait prononcé ses paro<strong>le</strong>s avec l'hésitation d'un individu<br />

marchant au milieu d'un champ <strong>de</strong> mines mais qui doit impérativement se<br />

rendre <strong>de</strong> l'autre côté, comme s'il craignait que la seu<strong>le</strong> évocation <strong>de</strong> ces<br />

évènements ne replonge Arthur dans <strong>le</strong> tourment.<br />

"Merci <strong>de</strong> t'être occupé <strong>de</strong> moi, je n'ai plus mal, dit Arthur. Je n'ai plus<br />

mal…<br />

-J'aimerais pouvoir tout soigner. Je sais qu'il y a <strong>de</strong>ux endroits dont la<br />

souffrance m'échappe, que mon don ne peut pas atteindre."<br />

Rick posa l'in<strong>de</strong>x sur son propre front puis sur son cœur d'un air<br />

résigné. Arthur remarqua alors que ses yeux étaient rouges. Ses<br />

paupières épuisées étaient mi-closes mais <strong>le</strong> regard éteint <strong>de</strong> Rick n'aurait<br />

trompé personne. Il n'avait pas dormi. Sans doute avait-il aussi p<strong>le</strong>uré.<br />

Aucun d'entre eux n'avait été épargné.<br />

"Comment va Sally? <strong>de</strong>manda Arthur.<br />

-El<strong>le</strong> est déjà <strong>de</strong>bout, ce qui ne <strong>de</strong>vrait pas te surprendre. El<strong>le</strong> ne mange<br />

pas mais au moins el<strong>le</strong> par<strong>le</strong>. Enfin, par<strong>le</strong>r est un grand mot. El<strong>le</strong> répond.<br />

-Des informations sur Rachel?"<br />

Rick secoua négativement la tête.<br />

"La Milice toute entière est <strong>de</strong>ssus.<br />

-Ok…, répondit simp<strong>le</strong>ment Arthur."<br />

Il n'avait pas vraiment espéré d'autre réponse. Rick sembla <strong>le</strong><br />

<strong>de</strong>viner vu son expression.<br />

"Tu peux dormir encore un peu, conclut Rick. Il doit être à peine six<br />

heures du matin vu la cou<strong>le</strong>ur du ciel. (Il se tut) Priam nous a proposé <strong>de</strong><br />

faire une petite cérémonie pour Sonia et… Samuel.<br />

7


-Sam n'est pas mort, coupa Arthur d'une voix ferme mais posée.<br />

-Pardon.<br />

-Il n'est pas mort, il n'a pas besoin <strong>de</strong> cérémonie funèbre. Il doit juste<br />

essayer d'arranger <strong>le</strong>s choses à sa façon, ail<strong>le</strong>urs…<br />

-Pardon, répéta Rick d'un air accablé. Je vais faire en sorte que… Je vais<br />

corriger ça."<br />

Il soupira.<br />

"On va juste dire quelques mots, rien <strong>de</strong> très faramineux. Sonia n'aurait<br />

pas aimé ça <strong>de</strong> toute façon mais on pourra lui rendre hommage en<br />

attendant <strong>de</strong> rentrer à la maison.<br />

-D'accord…<br />

-Cet après-midi. Tu peux continuer à dormir en attendant."<br />

Rick fit mine <strong>de</strong> partir. Il se ravisa.<br />

"Je sais ce que ça fait <strong>de</strong> perdre quelqu'un. Ce n'est pas la première fois<br />

que ça arrive et ce ne sera probab<strong>le</strong>ment pas la <strong>de</strong>rnière. Si jamais tu<br />

ressens <strong>le</strong> besoin d'en par<strong>le</strong>r n'hésite pas. Je suis là pour ça."<br />

Arthur contenait son envie d'en par<strong>le</strong>r. De toute façon il aurait été<br />

incapab<strong>le</strong> <strong>de</strong> mettre <strong>de</strong>s mots sur ce qu'il ressentait à ce moment précis,<br />

rien d'autre que :<br />

"Je me sens seul tout à coup…"<br />

Rick <strong>le</strong> dévisagea un moment. De façon inexpliquée, il esquissa un<br />

petit sourire. La souffrance d'Arthur avait-el<strong>le</strong> quelque chose d'amusant?<br />

"L'imbéci<strong>le</strong> baisse <strong>le</strong>s yeux et réalise qu'il n'est pas seul, déclara Rick,<br />

juste avant <strong>de</strong> quitter la pièce aussi vite qu'il y était entré."<br />

Il referma doucement la porte en laissant une aura <strong>de</strong> mystère<br />

<strong>de</strong>rrière lui. Arthur soupira. Ce n'était pas la première fois que Rick<br />

s'exprimait par énigme. Malgré tout Arthur se redressa et scruta la pièce.<br />

Le spectac<strong>le</strong> qui s'offrait à lui ne manqua pas <strong>de</strong> lui mettre du<br />

baume au cœur et d'effacer une partie <strong>de</strong> sa peine. Anaïs était assise à<br />

même <strong>le</strong> sol juste à côté du lit, engoncée dans une grosse couverture<br />

qu'el<strong>le</strong> partageait avec Roxana. Ses cheveux bouclés avaient encore perdu<br />

quelques centimètres <strong>de</strong> longueur. El<strong>le</strong> <strong>le</strong>s avait coupés.<br />

Toutes <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux dormaient à poings fermés. Ronan se trouvait en<br />

face d'el<strong>le</strong>s, roulé en bou<strong>le</strong> sur un petit fauteuil placé juste en <strong>de</strong>ssous <strong>de</strong><br />

la seu<strong>le</strong> fenêtre. Il ronflait bruyamment. Touché, Arthur se mit en tête <strong>de</strong><br />

sortir du lit pour mieux <strong>le</strong>s observer. En voulant se mettre <strong>de</strong>bout il faillit<br />

piétiner Jamie.<br />

"Hey, fit ce <strong>de</strong>rnier qui avait <strong>le</strong>s yeux grands ouverts.<br />

7


-Hey Jam'…"<br />

Jamie était étendu sur <strong>le</strong> dos, <strong>le</strong>s jambes croisées et <strong>le</strong>s mains<br />

ramenées <strong>de</strong>rrière la nuque. Rick avait été obligé <strong>de</strong> l'enjamber pour venir<br />

jusqu'au lit mais Arthur n'avait rien remarqué.<br />

"Merci d'avoir ramené Sally vivante mon vieux Arty. Tu as tenu ta<br />

promesse.<br />

-Toi aussi tu as tenu la tienne, souligna Arthur.<br />

-Le Clan Corbell… N'est-ce pas?"<br />

Jamie ferma <strong>le</strong>s yeux et se rendormit aussitôt, comme si <strong>de</strong> rien n'était.<br />

***<br />

Tout <strong>le</strong> contenu du bureau <strong>de</strong> Meo avait été plaqué contre <strong>le</strong>s murs<br />

afin <strong>de</strong> faire place nette. Bureau, chaises, tapis et tab<strong>le</strong>s avaient été<br />

dégagées <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs places respectives, à l'instar <strong>de</strong> l'occupant <strong>de</strong> l'office<br />

appuyé contre la porte dans <strong>le</strong> but d'empêcher toute intrusion<br />

intempestive. Ancien et Maesprine <strong>de</strong> son état, il avait immédiatement<br />

proposé <strong>de</strong> rendre son bureau disponib<strong>le</strong> lorsque <strong>le</strong>s élus avaient<br />

quémandé une pièce pour méditer tranquil<strong>le</strong>ment. Le Cénac<strong>le</strong> n'avait pas<br />

connu <strong>de</strong> tel<strong>le</strong> ébullition <strong>de</strong>puis la mort <strong>de</strong> onze <strong>de</strong>s quinze Anciens et la<br />

situation était <strong>de</strong>venue trop dramatique pour se préoccuper d'un désordre<br />

aussi futi<strong>le</strong>.<br />

"Que font-ils exactement? <strong>de</strong>manda la femme qui se tenait tout près <strong>de</strong><br />

lui, contre <strong>le</strong> mur."<br />

Affublée <strong>de</strong> lunettes tout comme lui et d'une chevelure invasive à la<br />

cou<strong>le</strong>ur jaune canari, sa sœur et protectrice, Cassandre, essayait<br />

manifestement <strong>de</strong> décrypter la situation.<br />

"Chut, fit-il nerveusement. Ils essaient <strong>de</strong> percevoir la présence <strong>de</strong> Rachel<br />

à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs pouvoirs alors ne <strong>le</strong>s déconcentre pas s'il te plaît."<br />

Andreas et Ibtissam étaient assis en tail<strong>le</strong>ur l'un en face <strong>de</strong> l'autre,<br />

concentrés. Le premier se tenait à l'affût, surveillant l'évolution <strong>de</strong> la<br />

recherche du second. <strong>Les</strong> mains d'Ibtissam était collées l'une à l'autre,<br />

encerclées par une sphère <strong>de</strong> filaments <strong>de</strong> cou<strong>le</strong>ur or. Son don créait <strong>de</strong>s<br />

vagues dorées sur <strong>le</strong>s murs, comme si <strong>le</strong>s rayons du so<strong>le</strong>il avaient été<br />

propagés par plusieurs miroirs mouvants.<br />

Soudain il fronça <strong>le</strong>s sourcils.<br />

"Maintenant, ordonna-t-il à Andreas."<br />

7


Andreas plongea la main dans l'ensemb<strong>le</strong> filamenteux avec autant<br />

<strong>de</strong> facilité que s'il s'agissait d'une toi<strong>le</strong> d'araignée. Il saisit fermement <strong>de</strong><br />

son seul poing <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux mains d'Ibtissam.<br />

"Amp<strong>le</strong>ceam!"<br />

La sphère tripla <strong>de</strong> volume et se mit à tourner <strong>le</strong>ntement sur el<strong>le</strong>même,<br />

occasionnant une crispation sur <strong>le</strong> visage d'Ibtissam. Le processus<br />

lui était visib<strong>le</strong>ment pénib<strong>le</strong>. Près <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux élus, Asuka se tenait prêt à<br />

partir dès que l'occasion se présenterait. A titre <strong>de</strong> précaution il s'était<br />

équipé <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux sabres, un bâton et plusieurs bombes fumigènes, <strong>le</strong> tout<br />

accroché dans son dos. Il dévorait littéra<strong>le</strong>ment la sphère <strong>de</strong>s yeux.<br />

"NON! ARRÊTE! cria soudain Ibtissam en repoussant Andreas."<br />

Andreas bascula en arrière et son pouvoir se dissipa, à la gran<strong>de</strong><br />

déception d'Asuka.<br />

"Quoi? Que se passe-t-il? <strong>de</strong>manda-t-il à Ibtissam dont <strong>le</strong> front s'était<br />

perlé <strong>de</strong> gouttes <strong>de</strong> sueur.<br />

-Ma tête a manqué d'exploser! Je ne peux pas gérer l'amplification qu'a<br />

tentée Andreas, c'est beaucoup trop dangereux. Pendant une secon<strong>de</strong> j'ai<br />

ressenti la présence <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s individus présents sur une superficie <strong>de</strong><br />

plusieurs dizaines <strong>de</strong> kilomètres. Si je n'avais pas arrêté…<br />

-Désolé, je ne pensais pas que ce serait si dangereux, s'excusa Andreas.<br />

-Cela partait d'une bonne intention, excuse-moi <strong>de</strong> t'avoir repoussé si<br />

vio<strong>le</strong>mment. Amplifier mon pouvoir <strong>de</strong> localisation pour essayer <strong>de</strong> trouver<br />

Rachel me semblait être une idée judicieuse mais je n'avais pas anticipé<br />

<strong>de</strong> tels effets."<br />

Il cessa <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r pour reprendre son souff<strong>le</strong>. Meo et Cassandre<br />

n'osèrent pas prendre part à la conversation.<br />

"Quel<strong>le</strong> déception, dit Asuka d'un air dépité. Rien ne marche. Je n'arrive<br />

pas à me téléporter auprès d'el<strong>le</strong> et Tissam ne peut pas la localiser. C'est<br />

peine perdue. La Confrérie a trouvé un moyen <strong>de</strong> la rendre inaccessib<strong>le</strong>.<br />

-J'imagine que Marshal n'est pas étranger à ce problème, dit Andreas.<br />

-Ne soyez pas pessimistes, intervint fina<strong>le</strong>ment Meo. Cela signifie<br />

seu<strong>le</strong>ment qu'il faudra recourir à <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s plus traditionnel<strong>le</strong>s pour la<br />

retrouver. Le Cénac<strong>le</strong> et <strong>le</strong>s troupes <strong>de</strong> Falgarnost vous prêteront <strong>le</strong>ur<br />

appui."<br />

Cassandre approuva en repoussant la mèche <strong>de</strong> cheveux qui lui<br />

cachait l'œil droit. Ibtissam <strong>le</strong>s dévisagea longuement comme s'il avait du<br />

mal à croire en <strong>de</strong> tel<strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s.<br />

"Au moins nous avons la certitu<strong>de</strong> qu'el<strong>le</strong> est vivante, dit Andreas en<br />

sortant <strong>de</strong> sa poche une minuscu<strong>le</strong> bouc<strong>le</strong> d'oreil<strong>le</strong> argentée appartenant à<br />

7


Rachel. Lorsque j'ai analysé ceci nous avons bien pu constater qu'el<strong>le</strong> était<br />

tombée nez à nez avec Primo et qu'il lui a fait perdre connaissance par je<br />

ne sais quel procédé. Mais el<strong>le</strong> a perdu connaissance, c'est tout…<br />

-Une chance que Kaznaël ait retrouvé ce bijou sur <strong>le</strong> sol avant <strong>de</strong> quitter<br />

<strong>le</strong> Tombeau, cependant ne trouvez-vous pas étrange que Primo (Meo eut<br />

une expression d'incrédulité) ait laissé un tel objet <strong>de</strong>rrière lui avant <strong>de</strong><br />

partir alors que cela nous permettait <strong>de</strong> connaître <strong>le</strong>s circonstances <strong>de</strong> la<br />

disparition <strong>de</strong> Rachel?<br />

-Il l'a précisément laissé <strong>de</strong>rrière lui, dit Andreas en se re<strong>le</strong>vant.<br />

-Pardon?<br />

-La bouc<strong>le</strong> d'oreil<strong>le</strong> n'est pas tombée, el<strong>le</strong> a été déposée, annonça<br />

Andreas. Primo souhaitait que l'on sache qu'il avait pris Rachel et qu'el<strong>le</strong><br />

était vivante.<br />

-S'agit-il d'une provocation ou d'un moyen <strong>de</strong> vous attirer? s'enquit Meo.<br />

-<strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux à la fois à mon humb<strong>le</strong> avis, dit Ibtissam. La Confrérie a<br />

officialisé sa lutte contre nous lorsque Primo a envoyé cette vidé… cette<br />

communication dans laquel<strong>le</strong> il nous exhortait à ne plus lui barrer la route<br />

sous la menace d'attaques directes contre nous. Il pense nous faire du<br />

mal et nous montrer qu'il met effectivement ses menaces à exécution<br />

étant donné que nous ne sommes pas pliés à ses <strong>de</strong>si<strong>de</strong>rata.<br />

-Il a bien réussi, rugit Asuka avec colère. Il a pris l'une <strong>de</strong>s nôtres et fait<br />

tuer Sonia! Tous <strong>le</strong>s membres <strong>de</strong> la Confrérie… si jamais je croise <strong>le</strong>ur<br />

route je…"<br />

Il ne put pas mener ces menaces à <strong>le</strong>ur terme, submergé par la colère.<br />

"Sonia ne nous a pas formés en vain, dit Andreas en fermant <strong>le</strong>s yeux.<br />

Nous utiliserons tout ce qu'el<strong>le</strong> nous a appris pour la venger."<br />

Ibtissam acquiesça en si<strong>le</strong>nce et un malaise terrib<strong>le</strong> s'empara <strong>de</strong><br />

Meo. Bien qu'il ait lui aussi connu <strong>le</strong> malheur du <strong>de</strong>uil, il avait été<br />

incapab<strong>le</strong> <strong>de</strong> fournir <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s <strong>de</strong> réconfort aux élus <strong>de</strong>puis que l'équipe<br />

<strong>de</strong> Sally était revenue et avait annoncé la tragique nouvel<strong>le</strong>. Toutes <strong>le</strong>s<br />

phrases qui lui venaient à l'esprit semblaient artificiel<strong>le</strong>s, inuti<strong>le</strong>s, dénuées<br />

<strong>de</strong> réel<strong>le</strong> portée. Malgré toute sa diplomatie, ce genre <strong>de</strong> situations lui<br />

échappait. Il manquait <strong>de</strong> l'empathie d'un homme tel que Priam. C'était<br />

pour cela qu'il avait laissé ce <strong>de</strong>rnier se mettre en avant et préférait<br />

s'occuper <strong>de</strong> tâches moins sensib<strong>le</strong>s, plus administratives. La requête <strong>de</strong>s<br />

élus à l'égard <strong>de</strong> son bureau avait été sa planche <strong>de</strong> salut face à une<br />

culpabilité grandissante.<br />

"Tiens, l'Alzévir n'est plus sur mon bureau, dit-il à voix haute pour<br />

changer <strong>de</strong> sujet. Nous <strong>de</strong>vions l'expédier aux î<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Nace mais avec tout<br />

ceci l'envoi a bien évi<strong>de</strong>mment été retardé.<br />

-Je m'en suis chargée, dit Cassandre, daignant enfin sortir <strong>de</strong> son long<br />

si<strong>le</strong>nce. Tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> était bien occupé alors j'ai pensé te décharger <strong>de</strong><br />

cette tâche.<br />

-Ah bon? Très bien, merci…<br />

7


-C'est tout à fait normal. Je vais me retirer maintenant. Meo, fais-moi<br />

signe si tu as besoin <strong>de</strong> moi."<br />

El<strong>le</strong> sourit, repoussa <strong>de</strong> nouveau sa mèche <strong>de</strong> cheveux et quitta la<br />

pièce après avoir salué <strong>le</strong>s élus. Sortie <strong>de</strong> là, el<strong>le</strong> marcha d'un pas rapi<strong>de</strong> à<br />

travers <strong>le</strong>s couloirs du Cénac<strong>le</strong>, répondit d'un signe <strong>de</strong> tête aux "Bonjour"<br />

que lui lançaient <strong>le</strong>s gens puis se dirigea vers une porte dérobée donnant<br />

sur la réserve. El<strong>le</strong> frappa cinq fois à la porte, attendit quelques secon<strong>de</strong>s,<br />

puis entra hâtivement.<br />

"Tout s'est bien passé? <strong>de</strong>manda Ana Rosa sans se retourner.<br />

-Oui."<br />

Assise à califourchon sur une chaise haute au milieu <strong>de</strong> la réserve<br />

mal éclairée, Ana Rosa regardait attentivement quatre pinceaux se<br />

mouvoir d'eux-mêmes sur une gran<strong>de</strong> toi<strong>le</strong> blanche, former <strong>le</strong>s lignes et<br />

courbes colorées d'une silhouette féminine. <strong>Les</strong> pinceaux travaillaient<br />

rapi<strong>de</strong>ment et faisaient <strong>de</strong>s al<strong>le</strong>rs-retours entre la toi<strong>le</strong>, une grosse boite<br />

en bois contenant différentes teintes <strong>de</strong> peinture en poudre et plusieurs<br />

vasques d'eau colorée. Cette danse pittoresque qui en temps normal<br />

aurait amusé Ana Rosa la laissait désormais froi<strong>de</strong>.<br />

Sans changer <strong>de</strong> position el<strong>le</strong> tendit la main droite <strong>de</strong>vant el<strong>le</strong>, la<br />

paume vers <strong>le</strong> gros livre noir posé sur <strong>le</strong> sol. Celui-ci se sou<strong>le</strong>va et se mit<br />

à flotter dans <strong>le</strong>s airs.<br />

"Page 2."<br />

L'Alzévir s'ouvrit à la page indiquée – vierge – et Ana Rosa posa la<br />

main <strong>de</strong>ssus, satisfaite.<br />

"Merci… Je ne pense pas avoir à te réutiliser un jour."<br />

Cassandre opina <strong>de</strong> la tête et disparut dans un nuage <strong>de</strong> fumée. El<strong>le</strong><br />

réapparut aussitôt sur la page 2 sous la forme d'un <strong>de</strong>ssin très détaillé<br />

agrémenté <strong>de</strong> quelques phrases brèves : "Pose <strong>de</strong>s questions <strong>de</strong> temps en<br />

temps pour comprendre ce qui se passe.", "Remet sa mèche <strong>de</strong> cheveux<br />

en place", "Explique qu'el<strong>le</strong> s'est chargée d'Alzévir si la question est<br />

sou<strong>le</strong>vée", etc.<br />

"Nous avons bien fait <strong>de</strong> nous poser <strong>de</strong>s questions, dit soudain Ibtissam<br />

en entrant dans la réserve avec Andreas."<br />

Ana Rosa ne tressaillit même pas, continuant à observer <strong>le</strong> manège<br />

rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong>s pinceaux sur la toi<strong>le</strong>. La toute première page d'Alzévir était<br />

vierge.<br />

"Comment avez-vous su? <strong>de</strong>manda-t-el<strong>le</strong>.<br />

7


-Nous ne savions pas, dit Ibtissam. Je n'arrivais pas à lire <strong>le</strong>s pensées <strong>de</strong><br />

cette femme et Andreas n'a rien ressenti lorsqu'il lui a serré la main. Nous<br />

avons décidé <strong>de</strong> la suivre.<br />

-Vous contrô<strong>le</strong>z tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> maintenant?<br />

-Il est normal d'être méfiants dans <strong>le</strong> climat actuel.<br />

-Vous al<strong>le</strong>z me dénoncer?"<br />

Ana Rosa posait <strong>le</strong>s questions <strong>de</strong> façon automatique, sans la<br />

moindre nuance dans la voix. Ibtissam et Andreas firent "non" <strong>de</strong> la tête.<br />

"Si tu as quelque chose à te reprocher tu iras <strong>le</strong> faire toute seu<strong>le</strong>, dit<br />

Andreas.<br />

-Avez-vous retrouvé Rachel?<br />

-Non…<br />

-Dans ce cas je n'aurai pas à al<strong>le</strong>r me dénoncer, conclut Ana Rosa."<br />

<strong>Les</strong> garçons gardèrent une distance respectueuse. Ana Rosa se <strong>le</strong>va<br />

et s'approcha <strong>de</strong> la toi<strong>le</strong> sans pour autant gêner l'œuvre <strong>de</strong>s quatre<br />

pinceaux. El<strong>le</strong> tendit <strong>le</strong> bras vers la toi<strong>le</strong> et, après une légère hésitation,<br />

posa <strong>le</strong>s doigts sur <strong>le</strong> rebord supérieur <strong>de</strong> cel<strong>le</strong>-ci.<br />

"Vous croyez que je serais capab<strong>le</strong> <strong>de</strong> déci<strong>de</strong>r <strong>de</strong> donner vie à ce <strong>de</strong>ssin<br />

aussi? Là? Maintenant? (El<strong>le</strong> tapota la toi<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'in<strong>de</strong>x). Il me suffirait juste<br />

<strong>de</strong> prononcer ma formu<strong>le</strong> magique : "Mon imagination…"<br />

-Même Ana Rosa Costa ne serait pas assez inconsciente pour faire ça, dit<br />

Andreas d'une voix teintée <strong>de</strong> sévérité. Je suis bien placé pour savoir<br />

quels risques tu encourrais si tu jouais avec <strong>le</strong>s morts."<br />

Ana Rosa retira <strong>le</strong>s doigts. Il y avait <strong>de</strong> la peinture jaune <strong>de</strong>ssus.<br />

"C'est vrai…"<br />

El<strong>le</strong> recula et s'assit sur son siège. L'Alzévir se referma et tomba au sol.<br />

"En une seu<strong>le</strong> journée j'ai perdu <strong>de</strong>ux sœurs. Pour l'une d'el<strong>le</strong>s je ne peux<br />

plus rien faire à part peut-être honorer son souvenir. Je ne laisserai pas<br />

l'autre y passer aussi. Si je veux la sauver j'ai besoin <strong>de</strong> ce bouquin. J'ai<br />

surtout besoin d'apprendre à mieux l'utiliser. Dénoncez moi si vous vou<strong>le</strong>z<br />

mais je ne <strong>le</strong> rendrai pas… puis je vous tuerai tous <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux. Je l'ai déjà<br />

fait, même si c'était par acci<strong>de</strong>nt.<br />

-Tu n'en penses pas un mot, dit Ibtissam."<br />

El<strong>le</strong> soupira longuement.<br />

"Je pense tout ce qui ne concerne pas <strong>le</strong> fait <strong>de</strong> vous tuer… Un prince<br />

arabe et une grosse tête peuvent encore servir."<br />

7


<strong>Les</strong> pinceaux s'arrêtèrent et se rassemblèrent en rangée ordonnée<br />

sous ses yeux. L'œuvre était achevée.<br />

"Magnifique, admira Ibtissam."<br />

***<br />

Trois rangées <strong>de</strong> chaises avaient été installées dans l'un <strong>de</strong>s petits<br />

jardins du Cénac<strong>le</strong> cachés à la vue du public, à proximité <strong>de</strong> la Sal<strong>le</strong> <strong>de</strong>s<br />

Archives. Le temps était exceptionnel<strong>le</strong>ment sublime après quelques jours<br />

<strong>de</strong> grisail<strong>le</strong> et un sau<strong>le</strong> p<strong>le</strong>ureur aux feuil<strong>le</strong>s rougeâtres protégeait <strong>de</strong>s<br />

rayons du so<strong>le</strong>il la petite estra<strong>de</strong> installée là pour l'occasion. Un grand<br />

portrait <strong>de</strong> Sonia avait été installé sur un promontoire et avait été<br />

couronné <strong>de</strong> f<strong>le</strong>urs rouges et blanches, cou<strong>le</strong>urs associées au <strong>de</strong>uil à<br />

Sorgentel. Par ail<strong>le</strong>urs plusieurs voi<strong>le</strong>s argentés étaient suspendus aux<br />

murs du jardin intérieur, donnant ainsi une aura opaline à l'assemblée.<br />

<strong>Les</strong> élus et Kaznaël étaient au premier rang, stoïques. Ils avaient<br />

suffisamment p<strong>le</strong>uré et, comme par un accord tacite, aucun d'entre eux<br />

n'avait laissé filtrer la moindre larme. Derrière eux siégeaient <strong>le</strong>s Anciens,<br />

quelques représentants <strong>de</strong> clans ayant émis la volonté <strong>de</strong> montrer <strong>le</strong>ur<br />

soutien aux élus et différentes personnes qui avaient côtoyé Sonia lors <strong>de</strong><br />

sa venue à Sorgentel. Il y avait notamment plusieurs soldats gradés <strong>de</strong> la<br />

Milice qu'el<strong>le</strong> avait eu l'occasion <strong>de</strong> rencontrer lors <strong>de</strong> la mission à l'Avant<br />

Poste <strong>de</strong> Ka<strong>de</strong>ïsi ainsi que la permanente Kisridge et <strong>le</strong> milicien Anty, tous<br />

en uniforme d'apparat.<br />

Ronan venait d'arriver sur <strong>le</strong>s lieux avec sa sœur Roxana dont il<br />

craignait qu'el<strong>le</strong> ne s'effondre s'il lui lâchait la main. La famil<strong>le</strong> <strong>de</strong> Priam<br />

avait été très affectée par la mort <strong>de</strong> Sonia et la disparition <strong>de</strong> Rachel<br />

mais Roxana, <strong>de</strong> par sa gran<strong>de</strong> empathie et son jeune âge, était cel<strong>le</strong> qui<br />

l'avait <strong>le</strong> plus mal vécu. Dès qu'il repéra sa mère à la troisième rangée<br />

Ronan fit asseoir sa sœur à côté d'el<strong>le</strong> et la lui confia. Il souhaitait al<strong>le</strong>r<br />

formu<strong>le</strong>r ses condoléances aux élus.<br />

C'est alors qu'il aperçut son père Priam, assis dans un recoin isolé<br />

du jardin, la tête prise en étau entre ses <strong>de</strong>ux mains. Avait-il du mal à<br />

préparer son discours? Ronan se ravisa, <strong>le</strong>s condoléances attendraient. Sa<br />

loyauté allait avant tout vers son père.<br />

"Est-ce que ça va al<strong>le</strong>r? lui <strong>de</strong>manda-t-il après s'être approché."<br />

Lorsque Priam se tourna vers lui il eut l'impression qu'il avait vieilli<br />

<strong>de</strong> plusieurs années en l'espace <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux jours. Priam essaya <strong>de</strong> sourire<br />

pour <strong>le</strong> rassurer mais n'y parvint pas.<br />

"C'est à cause <strong>de</strong> Primo? <strong>de</strong>vina Ronan."<br />

Père et fils avaient rarement parlé <strong>de</strong> choses sérieuses jusqu'à<br />

récemment. Ce n'était que <strong>de</strong>puis que Ronan avait fait son entrée dans la<br />

7


formation milicienne que Priam avait commencé à considérer son fils<br />

comme un être plus proche <strong>de</strong> l'âge adulte que <strong>de</strong> l'enfance.<br />

"Qui aurait cru qu'il était encore vivant… qu'il s'était caché chez <strong>le</strong>s<br />

humains et était à l'origine <strong>de</strong> la Confrérie. Primo, mon propre frère,<br />

responsab<strong>le</strong> <strong>de</strong> tous ces maux? Est-ce vraiment possib<strong>le</strong>? S'est-il<br />

corrompu au point <strong>de</strong> souhaiter notre perte à tous? Comment un<br />

<strong>de</strong>scendant direct <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an peut-il vouloir plonger Sorgentel, son propre<br />

héritage, dans un tel tourment? Comment a-t-il pu al<strong>le</strong>r jusqu'à manipu<strong>le</strong>r<br />

la réincarnation <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an dans son propre intérêt?<br />

-Je ne sais pas…<br />

-Dire que j'ai regretté sa mort, que je me suis senti coupab<strong>le</strong> <strong>de</strong> ne pas<br />

l'avoir remis sur <strong>le</strong> droit chemin. Je suis l'aîné après tout. Depuis <strong>le</strong>s<br />

révélations <strong>de</strong>s élus j'en arrive à penser qu'il aurait été préférab<strong>le</strong> qu'il<br />

soit mis hors d'état <strong>de</strong> nuire lorsque c'était encore possib<strong>le</strong>.<br />

-Vous ne pouviez pas savoir que ses dérives <strong>le</strong> mèneraient aussi loin, qu'il<br />

essaierait <strong>de</strong> décrypter Springan au point <strong>de</strong> déc<strong>le</strong>ncher acci<strong>de</strong>ntel<strong>le</strong>ment<br />

<strong>le</strong> Déséquilibre.<br />

-Peut-être mais comment dois-je aujourd'hui faire face aux Sorgenteli,<br />

aux élus, alors qu'un membre <strong>de</strong> ma lignée est responsab<strong>le</strong> du chaos qui<br />

règne aujourd'hui, qu'il a semé la mort parmi <strong>le</strong>urs proches?<br />

-Deux membres <strong>de</strong> ta lignée te rendront ton honneur papa (Ronan<br />

désigna Arthur du doigt). Même si nous ne <strong>de</strong>vons pas <strong>le</strong> révé<strong>le</strong>r aux<br />

Sorgenteli, Arthur est la réincarnation <strong>de</strong> Leryan. Quant à moi, je ferai<br />

partie <strong>de</strong> ceux qui s'opposeront à la Confrérie. Nous te permettrons <strong>de</strong><br />

faire face aux Sorgenteli."<br />

Priam lui prit <strong>le</strong>s mains et <strong>le</strong>s étreignit.<br />

"Je n'aime toujours pas l'idée que tu sois mêlé à ces combats, dit-il<br />

pénib<strong>le</strong>ment. Réalise-tu que Primo pourrait t'utiliser pour m'atteindre,<br />

pour me faire du mal? Tu vas bientôt avoir un frère ou une sœur, Roxana<br />

est jeune et encore fragi<strong>le</strong>. Est-ce bien raisonnab<strong>le</strong>?<br />

-Je ne suis plus un enfant, déclara Ronan en posant un genou à terre<br />

<strong>de</strong>vant son père. Même si je reconnais avoir été turbu<strong>le</strong>nt ces <strong>de</strong>rnières<br />

années, j'ai toujours voulu <strong>de</strong>venir quelqu'un dont tu serais fier. Dès<br />

aujourd'hui j'ai décidé <strong>de</strong> mettre mes maigres forces au service <strong>de</strong>s élus<br />

et du Cénac<strong>le</strong>, si tu m'y autorises.<br />

-Oh… (Priam soupira) Quand as-tu autant mûri, mon fils? Je ne peux<br />

décemment pas m'opposer à tes projets car je sais qu'ils sont motivés par<br />

<strong>de</strong>s aspirations nob<strong>le</strong>s mais… Hum… Fais seu<strong>le</strong>ment en sorte que tes<br />

parents n'aient jamais à te mettre en terre, c'est <strong>le</strong> plus grand malheur<br />

qui pourrait <strong>le</strong>s frapper.<br />

-Je ferai <strong>de</strong> mon mieux.<br />

-Que ta route soit sereine."<br />

Il ébouriffa <strong>le</strong>s cheveux <strong>de</strong> Ronan malgré ses protestations<br />

viru<strong>le</strong>ntes. C'est alors qu'un murmure dans l'assistance attira son<br />

7


attention et coupa court à l'échange. <strong>Les</strong> gens se retournaient pour<br />

constater l'arrivée d'une femme élégante à la silhouette élancée, vêtue<br />

d'une longue robe blanche dont la traîne glissait sur l'herbe. Irène, l'âme<br />

damnée du Régent Hermès, aussi bel<strong>le</strong> que sournoise. Comment osait-el<strong>le</strong><br />

se présenter ici alors que la coopération <strong>de</strong> Ca<strong>de</strong>ro avec la Confrérie ne<br />

faisait presque plus <strong>de</strong> doute à ce jour? Plusieurs <strong>de</strong>s élus se <strong>le</strong>vèrent,<br />

indignés. Des membres <strong>de</strong> la Milice firent <strong>de</strong> même. A l'inverse, Irène prit<br />

place à la <strong>de</strong>rnière rangée comme si el<strong>le</strong> n'avait rien remarqué.<br />

"C'est outrancier <strong>de</strong> la part du Régent d'envoyer un représentant à cette<br />

cérémonie, dit Priam à son fils. Toutefois je ne peux pas la chasser, je<br />

prendrais <strong>le</strong> risque <strong>de</strong> créer un énième conflit avec <strong>le</strong> Régent et <strong>de</strong><br />

confirmer ses affirmations selon <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s il serait stigmatisé par <strong>le</strong><br />

Cénac<strong>le</strong>.<br />

-Je veux bien la chasser à ta place si tu veux.<br />

-Laisse, je vais prendre la paro<strong>le</strong> avant que <strong>le</strong>s choses ne s'enveniment.<br />

Avec un peu <strong>de</strong> chance el<strong>le</strong> ne fera pas d'esclandre et partira aussi vite<br />

qu'el<strong>le</strong> est venue."<br />

Priam fit route vers l'estra<strong>de</strong>, prêt à se placer sous <strong>le</strong> portrait qu'Ana<br />

Rosa avait achevé quelques heures plus tôt. Son mouvement dissuada <strong>le</strong>s<br />

nombreuses personnes qui s'étaient <strong>le</strong>vées <strong>de</strong> réagir et el<strong>le</strong>s reprirent<br />

calmement place. Toutes sauf Rick… Il se dirigea vers Priam et lui parla à<br />

voix basse :<br />

"J'ai une faveur à vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r : me permettriez-vous <strong>de</strong> m'exprimer<br />

avant que vous ne preniez la paro<strong>le</strong>? Je n'ai que quelques mots à dire.<br />

-Es-tu certain <strong>de</strong> vouloir faire une tel<strong>le</strong> chose? fit Priam dont la voix<br />

trahissait son troub<strong>le</strong>.<br />

-Je n'agirai pas <strong>de</strong> façon inconsidérée, je vous <strong>le</strong> promets.<br />

-Je me dois <strong>de</strong> te faire confiance dans ce cas. J'attendrai que tu aies fini."<br />

A la surprise <strong>de</strong> tous Priam vint prendre <strong>le</strong> siège <strong>de</strong> Rick à la<br />

première rangée, au milieu <strong>de</strong>s élus, tandis que <strong>le</strong> jeune homme allait se<br />

placer à côté du promontoire. Irène croisa <strong>le</strong>s jambes, peut-être<br />

désarçonnée par ce changement <strong>de</strong> programme.<br />

Rick considéra l'assistance avant <strong>de</strong> prendre la paro<strong>le</strong>. Il dévisagea<br />

un par un ses compagnons, tous vêtus <strong>de</strong> lin blanc, éreintés par <strong>le</strong>urs<br />

combats et par <strong>le</strong>ur dou<strong>le</strong>ur. Rachel et Elliott manquaient à l'appel. Sonia<br />

aussi, naturel<strong>le</strong>ment. Samuel aurait éga<strong>le</strong>ment dû faire partie <strong>de</strong> ce front.<br />

"Mes amis…"<br />

Rick voyait Jamie poser sa main sur <strong>le</strong> genou <strong>de</strong> Sally pour<br />

l'empêcher <strong>de</strong> tremb<strong>le</strong>r, il voyait Anaïs jeter <strong>de</strong>s regards à Arthur pour<br />

s'assurer qu'il tenait <strong>le</strong> coup. Aïshani et Ibtissam était dignes, car ils<br />

étaient <strong>de</strong>s élites et <strong>de</strong>vaient donner <strong>le</strong> change. Il voyait Xenia renif<strong>le</strong>r à<br />

7


interval<strong>le</strong>s réguliers mais se retenir <strong>de</strong> p<strong>le</strong>urer pour respecter la promesse<br />

faite à ses camara<strong>de</strong>s. Il voyait Asuka et Shui-Khan, ses <strong>de</strong>ux<br />

compagnons inséparab<strong>le</strong>s, <strong>le</strong> soutenir du regard ou plutôt <strong>le</strong> dissua<strong>de</strong>r<br />

d'échouer. Andreas avait mis ses lunettes qui norma<strong>le</strong>ment lui étaient<br />

inuti<strong>le</strong>s, sans doute pour cacher ses yeux éprouvés par la tristesse.<br />

L'expression d'Ana Rosa montrait qu'el<strong>le</strong> se projetait déjà dans l'avenir,<br />

qu'el<strong>le</strong> avait fini <strong>de</strong> faire son <strong>de</strong>uil.<br />

"Nous n'avons pas perdu, dit-il soudain à l'assemblée."<br />

<strong>Les</strong> regards convergèrent vers lui, attentifs.<br />

"Nous n'avons pas perdu. La batail<strong>le</strong> n'est pas finie, el<strong>le</strong> ne fait que<br />

commencer. Que nos ennemis l'enten<strong>de</strong>nt clairement car je sais qu'ils<br />

sont aujourd'hui présents et espèrent nous voir accablés par <strong>le</strong> chagrin.<br />

Nous ne <strong>le</strong>ur offrirons pas une tel<strong>le</strong> satisfaction."<br />

Sally lui sourit <strong>de</strong> façon mélancolique. Dans ses cheveux détachés se<br />

distinguait une natte enrubannée <strong>de</strong> rouge.<br />

"Rachel… J'aimerais vous par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> Rachel Vivian Mitchells, juste un<br />

moment car el<strong>le</strong> constitue un phénomène inexplicab<strong>le</strong>. Vous trouverez ce<br />

choix étrange car ce n'est pas el<strong>le</strong> que nous honorons aujourd'hui mais<br />

j'espère que vous comprendrez pourquoi il me faut l'évoquer.<br />

A une époque… Rachel était une fil<strong>le</strong> à papa, une fil<strong>le</strong> exécrab<strong>le</strong> qui<br />

ne pensait qu'à son propre intérêt. Ses seuls loisirs étaient <strong>de</strong> dépenser<br />

son argent et d'en <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r davantage. Tout ce qu'el<strong>le</strong> exigeait el<strong>le</strong><br />

l'obtenait. Tout ce qu'el<strong>le</strong> donnait était corrélé à l'existence d'une<br />

contrepartie. Je ne dis pas que c'était une méchante fil<strong>le</strong>, juste qu'el<strong>le</strong><br />

était égocentrique et a priori indigne <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir une élue. Dans ces<br />

circonstances, il aurait été légitime <strong>de</strong> se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r pourquoi <strong>le</strong> <strong>de</strong>stin<br />

avait décidé <strong>de</strong> lui confier une tel<strong>le</strong> responsabilité. D'ail<strong>le</strong>urs je dois<br />

souligner qu'il a fallu lui promettre une importante somme d'argent pour<br />

la convaincre <strong>de</strong> rejoindre nos rangs. (Arthur sourit)<br />

Lorsque Rachel est arrivée à Paris, plus intéressée par <strong>le</strong>s<br />

perspectives d'achats <strong>de</strong> tenues que par ses obligations à venir, Sonia a<br />

dû trouver <strong>le</strong> moyen <strong>de</strong> faire d'el<strong>le</strong> une élue digne <strong>de</strong> ce nom. Mais<br />

comment transformer cette jeune femme qui ne s'aventurait même pas<br />

<strong>de</strong>hors lorsqu'il p<strong>le</strong>uvait trop, en gardienne <strong>de</strong> l'Equilibre?<br />

Sonia a procédé comme el<strong>le</strong> l'a fait avec chacun d'entre nous. El<strong>le</strong><br />

n'a pas essayé <strong>de</strong> la changer, loin <strong>de</strong> là. El<strong>le</strong> a appris à la cerner et à<br />

transformer ses défauts en qualités. En effet, Rachel est arrivée à GLOW<br />

en manifestant une forte intolérance à la défaite et surtout une<br />

indifférence tota<strong>le</strong> face à l'évolution du mon<strong>de</strong>. D'ail<strong>le</strong>urs son frère Noel a<br />

été tué à la guerre pour <strong>de</strong>s motifs qu'el<strong>le</strong> considérait comme stupi<strong>de</strong>s.<br />

"Faire la guerre pour changer <strong>le</strong>s mentalités? Pour faire <strong>de</strong> cet endroit un<br />

mon<strong>de</strong> meil<strong>le</strong>ur? A quoi bon? On fait la guerre pour protéger <strong>le</strong>s siens ou<br />

ses intérêts, point barre." Voila ce qu'el<strong>le</strong> disait.<br />

7


Confrontée à une tel<strong>le</strong> attitu<strong>de</strong> Sonia n'a eu qu'une solution : faire<br />

<strong>de</strong> Rachel une battante dont <strong>le</strong> seul objectif serait <strong>de</strong> se surpasser et<br />

d'atteindre ses objectifs. Tout d'abord réussir à courir pendant vingt<br />

minutes sans abandonner car ce serait une disgrâce que <strong>de</strong> laisser<br />

tomber. Puis réussir à courir une heure parce qu'il serait honteux pour el<strong>le</strong><br />

d'être la seu<strong>le</strong> élue à ne pas y parvenir et que ça lui permettrait <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r<br />

une ligne parfaite. (Ana Rosa ricana malgré el<strong>le</strong>). Accepter d'apprendre<br />

<strong>de</strong>s rudiments <strong>de</strong> combat pour au moins pouvoir se défendre en cas<br />

d'agression dans la rue ; apprendre à utiliser son don ne serait-ce que<br />

pour pouvoir récupérer un vêtement éloigné sans bouger, puis pour<br />

ranger sa chambre sans <strong>le</strong>ver <strong>le</strong> petit doigt puis pour faire en sorte que<br />

d'éventuels agresseurs ne puissent pas l'approcher… Ainsi <strong>de</strong> suite."<br />

Rick se surprit à sourire. Il constata que certains <strong>de</strong> ses amis en<br />

faisaient <strong>de</strong> même. <strong>Les</strong> paro<strong>le</strong>s venaient plus aisément qu'il ne l'aurait<br />

pensé.<br />

"A force d'efforts et <strong>de</strong> compromis, Sonia a fait passer Rachel d'une jeune<br />

bourgeoise inuti<strong>le</strong> à une véritab<strong>le</strong> élue, soucieuse avant tout <strong>de</strong> gagner et<br />

<strong>de</strong> ne pas être humiliée, mais éga<strong>le</strong>ment soucieuse <strong>de</strong> protéger <strong>le</strong>s amis<br />

qu'el<strong>le</strong> s'était fait au fil <strong>de</strong>s années. Peut-être <strong>le</strong> faisait-el<strong>le</strong> par<br />

égocentrisme, qui sait? Il pouvait être assez b<strong>le</strong>ssant pour Rachel<br />

d'échouer dans la mission qu'el<strong>le</strong> s'était donnée, dans la réalisation <strong>de</strong> sa<br />

propre vision <strong>de</strong> la justice. Vision discutab<strong>le</strong>, certes, mais qui avait au<br />

moins <strong>le</strong> mérite <strong>de</strong> lui donner <strong>de</strong>s ai<strong>le</strong>s.<br />

Oui… Pour Rachel, être une élue n'est pas un moyen <strong>de</strong> mettre en<br />

œuvre <strong>de</strong> grands idéaux, c'est avant tout un moyen <strong>de</strong> ne pas voir sa vie<br />

quotidienne et cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> ses proches altérée <strong>de</strong> façon néfaste. Et c'est cela<br />

qui la rend forte!<br />

Critiquez cette façon <strong>de</strong> penser, condamnez-la, considérez que ses<br />

motivations ne sont pas suffisamment altruistes, faites ce que vous vou<strong>le</strong>z<br />

<strong>de</strong> l'image que vous avez <strong>de</strong> Rachel, mais en aucun cas ne remettez en<br />

question sa légitimité en tant qu'élue. El<strong>le</strong> ne se bat pas pour<br />

révolutionner pour <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>, juste pour que ceux qu'el<strong>le</strong> aime survivent<br />

et mènent une existence à peu près sereine, ce qui me suffit amp<strong>le</strong>ment."<br />

Rick prit son Etemenanki entre <strong>le</strong> pouce et l'in<strong>de</strong>x et <strong>le</strong> sou<strong>le</strong>va pour<br />

<strong>le</strong> montrer à ceux qui l'écoutaient.<br />

"Tel était <strong>le</strong> ta<strong>le</strong>nt <strong>de</strong> Sonia : faire <strong>de</strong> nos défauts <strong>de</strong>s qualités, nous<br />

connaître suffisamment pour nous apprendre à déployer notre propre cape<br />

<strong>de</strong> héros. Jamais el<strong>le</strong> n'a voulu nous faire entrer dans un mou<strong>le</strong>, jamais<br />

el<strong>le</strong> n'a employé <strong>le</strong>s mêmes métho<strong>de</strong>s avec l'un et l'autre. El<strong>le</strong> a toujours<br />

sacralisé notre individualité et nous a exhorté à en faire <strong>de</strong> même.<br />

Sonia… nous manquera indéniab<strong>le</strong>ment, el<strong>le</strong> laissera une empreinte<br />

indélébi<strong>le</strong> dans nos cœurs et nous mettrons un moment à nous remettre<br />

<strong>de</strong> sa disparition. Nous l'avons considéré tour à tour comme une mère,<br />

7


comme une gran<strong>de</strong> sœur, comme un gui<strong>de</strong> et comme une amie.<br />

Cependant, el<strong>le</strong> ne nous laisse pas orphelins.<br />

Regar<strong>de</strong>z! Cet Etemenanki que je porte autour du cou n'est pas<br />

qu'un moyen <strong>de</strong> communiquer avec <strong>le</strong>s autres élus, il est aussi un<br />

symbo<strong>le</strong> <strong>de</strong> mon appartenance à ce groupe (il embrassa <strong>le</strong>s élus d'un<br />

mouvement du bras) à cette famil<strong>le</strong> qui a remplacé cel<strong>le</strong> que j'ai perdue il<br />

y a <strong>de</strong>s années <strong>de</strong> cela. Oui, Sonia a fait <strong>de</strong> nous tous une famil<strong>le</strong> soudée<br />

que je vous invite à rejoindre aujourd'hui.<br />

Ensemb<strong>le</strong> nous allons sauver cette amie que Sonia nous a confiée,<br />

l'arracher <strong>de</strong>s mains <strong>de</strong> nos ennemis et <strong>le</strong>s mettre hors d'état <strong>de</strong> nuire.<br />

Rachel, sois patiente car nous allons te ramener!"<br />

<strong>Les</strong> élus retirèrent chacun <strong>le</strong>urs Etemenanki et <strong>le</strong>s brandirent pour<br />

approuver <strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Rick. Solidairement, <strong>le</strong>s Miliciens présents<br />

<strong>le</strong>vèrent <strong>le</strong>urs épées. Progressivement, toute l'assistance se mit <strong>de</strong>bout<br />

afin <strong>de</strong> signifier son adhésion aux paro<strong>le</strong>s qu'il avait prononcées. Tous sauf<br />

Irène, désormais hors du champ <strong>de</strong> vision <strong>de</strong> Rick. Il s'en satisfit. El<strong>le</strong><br />

avait au moins eu la décence <strong>de</strong> ne pas jouer son rô<strong>le</strong> hypocrite jusqu'au<br />

bout.<br />

"Nous partons pour mieux revenir. Il ne s'agit pas d'une fuite mais <strong>de</strong><br />

reprendre <strong>de</strong>s forces et d'organiser nos actions! Dans <strong>le</strong> temps qui nous<br />

est imparti, j'en fais appel à vous tous, amis <strong>de</strong>s élus et du Cénac<strong>le</strong>.<br />

Rassemb<strong>le</strong>z vos forces et vos alliés. Montrez à nos ennemis et à ceux qui<br />

<strong>le</strong>s soutiennent que Sorgentel n'est pas prêt à entrer dans une ère <strong>de</strong><br />

vio<strong>le</strong>nce. Montrez <strong>le</strong>ur… (il hésita) que Ca<strong>de</strong>ro sera isolée et <strong>de</strong>vra en<br />

assumer <strong>le</strong>s conséquences si el<strong>le</strong> déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> continuer à abriter la<br />

Confrérie."<br />

Irène se <strong>le</strong>va dignement et quitta <strong>le</strong> jardin sans sourcil<strong>le</strong>r. Rick<br />

craignit que Priam lui en tienne rigueur mais <strong>le</strong> regard que lui adressa<br />

l'Ancien montra que ce n'était pas <strong>le</strong> cas. Il apparaissait presque fier.<br />

Encensé, Rick se tourna vers <strong>le</strong> portrait <strong>de</strong> Sonia, <strong>le</strong>quel apparaissait<br />

aussi souriant que l'avait été cel<strong>le</strong> qu'il représentait. Ana Rosa avait fait un<br />

travail magistral. Rick se courba <strong>de</strong>vant Sonia.<br />

"Sonia, nous resterons soudés. Nous te jurons so<strong>le</strong>nnel<strong>le</strong>ment que nous<br />

ramènerons Rachel saine et sauve."<br />

"À SONIA!<br />

-À SONIA!"<br />

7


Chapitre 43 : <strong>Les</strong> cinq composantes du <strong>de</strong>uil<br />

Selon l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la psychologue américaine Elisabeth Küb<strong>le</strong>r-Ross, <strong>le</strong><br />

processus <strong>de</strong> <strong>de</strong>uil est composé <strong>de</strong> cinq phases. Le déni (<strong>de</strong>nial), la colère<br />

(anger), <strong>le</strong> marchandage (bargaining), la dépression (<strong>de</strong>pression) et<br />

l'acceptation (acceptation).<br />

Ses analyses prouvent que tous <strong>le</strong>s individus traversent au moins<br />

l'une <strong>de</strong> ces étapes, voire plusieurs, dans un ordre qui n'est pas<br />

nécessairement fixe…<br />

Au retour <strong>de</strong>s élus dans la marronneraie qui servait habituel<strong>le</strong>ment<br />

<strong>de</strong> point <strong>de</strong> liaison entre la société humaine et Sorgentel, un seul regard<br />

<strong>le</strong>ur suffit pour comprendre qu'Ella Jones, <strong>le</strong> Dr Martin, Norah et Léonard<br />

Duquette savaient déjà ce qui s'était passé. Qu'il s'agisse <strong>de</strong> la mort <strong>de</strong><br />

Sonia ou <strong>de</strong> la disparition <strong>de</strong> Rachel, l'information avait visib<strong>le</strong>ment été<br />

transmise à GLOW. Peut-être était-ce <strong>le</strong> statut <strong>de</strong> légats <strong>de</strong> Mme Jones et<br />

du Dr Martin qui <strong>le</strong>ur avait permis <strong>de</strong> <strong>le</strong> savoir. Peut-être que Kaznaël était<br />

venu sans prévenir <strong>le</strong>s élus pour <strong>le</strong>ur annoncer la mauvaise nouvel<strong>le</strong>.<br />

Peut-être que <strong>le</strong>s pouvoirs surnaturels d'Enzo Wallace, <strong>le</strong> dirigeant <strong>de</strong><br />

GLOW, lui permettait d'être au fait <strong>de</strong> ce genre <strong>de</strong> choses. Aucun <strong>de</strong>s élus<br />

ne <strong>le</strong> savait et fina<strong>le</strong>ment, peu <strong>le</strong>ur importait. Cela ôtait au moins <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs<br />

épau<strong>le</strong>s la sa<strong>le</strong> besogne qu'était cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> porter la tragique nouvel<strong>le</strong>.<br />

Malgré <strong>le</strong>s tentatives <strong>de</strong> sourire du Dr Martin, <strong>le</strong> retour vers Paris se<br />

fit dans <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce <strong>le</strong> plus comp<strong>le</strong>t, aussi bien dans <strong>le</strong> premier minibus que<br />

dans <strong>le</strong> <strong>de</strong>uxième. <strong>Les</strong> élus revenaient aussi nombreux qu'ils étaient partis<br />

mais Rick, Asuka et Shui-Khan avaient pris <strong>le</strong>s places <strong>de</strong> Sonia, Rachel et<br />

Elliott. <strong>Les</strong> choses ne seraient plus jamais pareil<strong>le</strong>s.<br />

Personne ne s'attarda dans <strong>le</strong>s locaux <strong>de</strong> GLOW, avenue Auguste<br />

Blanqui. Mme Jones <strong>le</strong>ur donna tous congé et <strong>le</strong>ur recommanda <strong>de</strong><br />

prendre du repos en attendant <strong>de</strong> nouvel<strong>le</strong>s instructions. Sans doute<br />

n'était-el<strong>le</strong> pas encore en mesure <strong>de</strong> prendre une décision exempte d'un<br />

trop p<strong>le</strong>in d'émotion.<br />

***<br />

Sally traversa son salon en frictionnant ses cheveux avec une<br />

serviette. Il était cinq heures du matin et la nuit parisienne n'était<br />

troublée que par la lumière tamisée émanant <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux lampes <strong>de</strong> la pièce.<br />

Personne dans <strong>le</strong>s immeub<strong>le</strong>s environnants n'était assez dingue pour se<br />

<strong>le</strong>ver (ou rester éveillé) à une tel<strong>le</strong> heure. El<strong>le</strong> alluma la radio du comptoir<br />

<strong>de</strong> sa cuisine américaine et prit un yaourt dans <strong>le</strong> frigo. La musique emplit<br />

timi<strong>de</strong>ment <strong>le</strong> petit appartement sans outrepasser <strong>le</strong>s limites <strong>de</strong> la<br />

bienséance.<br />

Sally se laissa tomber sur son fauteuil et posa <strong>le</strong>s pieds sur la tab<strong>le</strong><br />

basse. Loin <strong>de</strong> l'apaiser, la douche qu'el<strong>le</strong> venait <strong>de</strong> prendre avait achevé<br />

<strong>de</strong> l'éveil<strong>le</strong>r. Le sommeil n'était plus une option. El<strong>le</strong> avait donc enfilé un<br />

short et un débar<strong>de</strong>ur, histoire d'être au moins à l'aise jusqu'à ce que <strong>le</strong><br />

7


so<strong>le</strong>il se lève et qu'el<strong>le</strong> puisse enfin trouver <strong>de</strong> quoi s'occuper. La radio lui<br />

tiendrait compagnie.<br />

"Oui FM! Pour <strong>le</strong>s insomniaques ou <strong>le</strong>s lève-tôt qui ont la chance d'être,<br />

comme moi, <strong>de</strong>bout à cette heure <strong>de</strong> privilégiés, voici une petite per<strong>le</strong> trop<br />

bien connue <strong>de</strong>s auditeurs et qui ne va sûrement pas vous ai<strong>de</strong>r à mieux<br />

dormir."<br />

"Tout ce dont j'avais besoin", songea Sally en incorporant <strong>de</strong>s corn<br />

flakes à son yaourt nature. Des notes <strong>de</strong> basse donnèrent <strong>le</strong> ton alors<br />

qu'el<strong>le</strong> effectuait un mélange peu orthodoxe à l'ai<strong>de</strong> d'une gran<strong>de</strong> cuillère<br />

et versait <strong>le</strong> tout dans un bol à l'effigie <strong>de</strong> Vil Coyote.<br />

[L'auteur vous recomman<strong>de</strong> d'écouter Smells Like Teen Spirit <strong>de</strong> Nirvana<br />

en lisant ce passage]<br />

Load up on guns<br />

Bring your friends<br />

It's fun to lose<br />

And to pretend<br />

She's overboard<br />

Myself assured<br />

I know I know<br />

A dirty word<br />

<strong>Les</strong> pieds <strong>de</strong> Sally chaussés <strong>de</strong> pantouf<strong>le</strong>s roses tapaient en rythme<br />

sur <strong>le</strong> tapis malgré el<strong>le</strong> alors que cette musique familière s'insinuait dans<br />

son esprit. El<strong>le</strong> avala une bouchée <strong>de</strong> sa décoction en opinant<br />

régulièrement <strong>de</strong> la tête.<br />

Hello, Hello, Hello, Hello<br />

Hello, Hello, Hello, Hello<br />

Hello, Hello, Hello, Hello<br />

Hello, Hello, Hello, Hello<br />

Ses épau<strong>le</strong>s se balancèrent furieusement <strong>de</strong> gauche à droite,<br />

marquant la ca<strong>de</strong>nce. El<strong>le</strong> posa son bol en se <strong>de</strong>mandant si el<strong>le</strong> était fol<strong>le</strong><br />

et dénoua ses cheveux. Oui, ça allait mieux comme ça. Soudain el<strong>le</strong><br />

bondit sur la tab<strong>le</strong> et se mit à agiter <strong>le</strong>s bras comme un <strong>de</strong> ces<br />

hystériques chevelus que l'on voit dans certains concerts rock.<br />

With the lights out it's <strong>le</strong>ss dangerous<br />

Here we are now<br />

Entertain us<br />

I feel stupid and contagious<br />

Here we are now<br />

Entertain us<br />

A mulatto<br />

7


An albino<br />

A mosquito<br />

My libido<br />

Yeah!<br />

Sally dansait à en perdre ha<strong>le</strong>ine, reprenant <strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Kurt<br />

Cobain en chœur. El<strong>le</strong> martelait dangereusement <strong>le</strong> bois <strong>de</strong> la tab<strong>le</strong> avec<br />

ses chaussons, au risque <strong>de</strong> la briser ou <strong>de</strong> glisser. D'ail<strong>le</strong>urs el<strong>le</strong> ne voyait<br />

plus rien, complètement décoiffée par ses mouvements frénétiques. Peu<br />

lui importait. C'était son défouloir. Personne ne la voyait, personne ne<br />

l'entendait. El<strong>le</strong> pouvait se libérer <strong>de</strong> sa frustration.<br />

And I forget<br />

Just what it takes<br />

And yet I guess it makes me smi<strong>le</strong><br />

I found it hard<br />

It's hard to find<br />

Oh well, whatever, nevermind<br />

Chantant à tue-tête el<strong>le</strong> se mit à parcourir son appartement en<br />

effectuant <strong>de</strong>s manoeuvres dignes d'une danseuse refusée au casting <strong>de</strong><br />

Fame. Une statuette en bois trouvée dans sa chambre lui servit <strong>de</strong> micro<br />

improvisé. El<strong>le</strong> sauta sur son lit défait et se mit à bondir <strong>de</strong>ssus en<br />

continuant à chanter avec l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> la radio.<br />

Hello, Hello, Hello, Hello<br />

Hello, Hello, Hello, Hello<br />

Hello, Hello, Hello, Hello<br />

Hello, Hello, Hello, Hello<br />

Sally alluma la lumière <strong>de</strong> la pièce, se saisit d'un cintre et joua<br />

furieusement d'une basse imaginaire tout en se balançant avec fougue.<br />

With the lights out it's <strong>le</strong>ss dangerous<br />

Here we are now<br />

Entertain us<br />

I feel stupid and contagious<br />

Here we are now<br />

Entertain us<br />

A mulatto<br />

An albino<br />

A mosquito<br />

My libido<br />

El<strong>le</strong> se laissa tomber à plat sur son lit et entendit plusieurs lattes <strong>de</strong><br />

son sommier se briser sous son poids.<br />

"Wooooouh! Ca décoiffe, annonça <strong>le</strong> DJ alors que la chanson finissait."<br />

7


Sally sourit en se passant la main dans <strong>le</strong>s cheveux. Il ne croyait pas<br />

si bien dire. Le miroir fixé au mur lui montra une drô<strong>le</strong> <strong>de</strong> version africaine<br />

<strong>de</strong> la Sadako <strong>de</strong> "Ring". Un peu mieux dans sa peau el<strong>le</strong> tenta <strong>de</strong><br />

reprendre son souff<strong>le</strong>, afin <strong>de</strong> reprendre son yaourt-flake là où el<strong>le</strong> l'avait<br />

laissé.<br />

***<br />

Arthur était étendu sur son lit en p<strong>le</strong>in milieu <strong>de</strong> l'après-midi. A<br />

moitié endormi il se laissait bercer par <strong>le</strong> roucou<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> pigeons sur <strong>le</strong><br />

rebord <strong>de</strong> sa fenêtre ainsi que par <strong>le</strong> ronronnement distant <strong>de</strong> la télé du<br />

salon. On était lundi. Théoriquement il avait cours à cette heure-là.<br />

Concrètement, il avait tiré un trait sur ses cours… pour <strong>le</strong> moment. Finir<br />

son année dans ces conditions n'était pas envisageab<strong>le</strong>. Trop <strong>de</strong> cours<br />

ratés, d'absences injustifiées… injustifiab<strong>le</strong>s! Il tenterait sa chance à la<br />

rentrée prochaine… s'il y avait une année prochaine.<br />

"Arthur, puis-je entrer? <strong>de</strong>manda Louise Gall en frappant sur sa porte."<br />

Il se redressa et ouvrit un bouquin pour donner <strong>le</strong> change. Hors <strong>de</strong><br />

question <strong>de</strong> révé<strong>le</strong>r à ses grands-parents qu'il mettait ses étu<strong>de</strong>s entre<br />

parenthèses.<br />

"Oui!"<br />

El<strong>le</strong> entra armée d'un tablier et d'une spatu<strong>le</strong>. L'espace d'un instant<br />

il crut qu'el<strong>le</strong> venait <strong>le</strong> menacer <strong>de</strong> punition comme el<strong>le</strong> avait pu <strong>le</strong> faire<br />

lorsqu'il était encore un enfant.<br />

"Est-ce que tu comptes dîner ce soir? Je préfère savoir avant <strong>de</strong> m'y<br />

mettre vu que tu nous snobes <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux jours.<br />

-Oh… Euh, je ne sais pas trop. Ne t'embête pas, j'irai m'acheter un kebab<br />

ou du Mcdo quand j'aurai faim.<br />

-Je préfèrerais que tu n'enrichisses pas ces ven<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> fast-food et tes<br />

artères par la même occasion. Qu'est-ce qui t'arrive?<br />

-Rien <strong>de</strong> grave, je suis encore un peu décalé avec <strong>le</strong> voyage. Je n'arrive<br />

pas à manger aux horaires habituels.<br />

-Tu es sûr que ce n'est pas un moyen <strong>de</strong> nous fuir? Tu n'as rien raconté<br />

<strong>de</strong> ton séjour et tu passes <strong>le</strong> moins <strong>de</strong> temps possib<strong>le</strong> avec nous. Même<br />

Kaz est plus loquace que toi en ce moment.<br />

-Je ne vous fuis pas, assura Arthur. Je vais faire un effort et manger avec<br />

vous, ok? ajouta-t-il pour donner <strong>le</strong> change.<br />

-Mirac<strong>le</strong>! se réjouit Louise. Peut-être en profiteras-tu pour nous expliquer<br />

pourquoi tu es rentré avec plusieurs jours <strong>de</strong> retard. Nous nous sommes<br />

fait un sang d'encre ton grand-père et moi. Il a même fallu te couvrir<br />

quand tes parents ont appelé pour avoir <strong>de</strong>s nouvel<strong>le</strong>s.<br />

-Désolé <strong>de</strong> vous avoir inquiétés. Sincèrement.<br />

7


-Tu es un grand garçon, tempéra Louise.<br />

-Désolé. Je n'avais vraiment aucun moyen <strong>de</strong> vous prévenir, sinon je<br />

l'aurais fait. Je suis resté là-bas pour <strong>de</strong>s raisons indépendantes <strong>de</strong> ma<br />

volonté."<br />

Louise plissa tristement <strong>le</strong>s yeux et joignit <strong>le</strong>s mains. El<strong>le</strong> s'assit sur<br />

<strong>le</strong> siège <strong>de</strong> bureau d'Arthur, comme si el<strong>le</strong> s'apprêtait à dire quelque<br />

chose. Ses mains étaient crispées sur la spatu<strong>le</strong>.<br />

"Ton nouveau stage s'est mal passé, c'est ça? <strong>de</strong>manda-t-el<strong>le</strong> en<br />

changeant soudain d'expression.<br />

-On peut dire ça, oui.<br />

-Ne sois pas abattu mon cœur, tu rebondiras certainement. La vie ne se<br />

passe pas toujours comme on <strong>le</strong> voudrait mais <strong>le</strong>s obstac<strong>le</strong>s ne servent<br />

qu'à nous rendre plus forts.<br />

-Oui…<br />

-Prends ton temps, dit-el<strong>le</strong> en venant lui tapoter <strong>le</strong> genou. Vois <strong>de</strong>s amis,<br />

ça te fera du bien."<br />

El<strong>le</strong> quitta discrètement la pièce. Arthur entendit sa voix s'entretenir<br />

avec cel<strong>le</strong> d'Eric Gall. Son grand-père voulait savoir si el<strong>le</strong> avait réussi à<br />

lui extorquer <strong>de</strong>s informations. Le coup<strong>le</strong> parla <strong>de</strong> façon inaudib<strong>le</strong> pendant<br />

une ou <strong>de</strong>ux minutes puis <strong>le</strong> bruit d'ustensi<strong>le</strong>s entrechoqués indiqua à<br />

Arthur que Louise s'était mise à cuisiner.<br />

C'est alors que son portab<strong>le</strong> vibra. Un sms <strong>de</strong> Jamie.<br />

"How are you lad? J'espère que tu ruminasses moins."<br />

Arthur entreprit <strong>de</strong> répondre.<br />

"Ca va et ça vient. Des nouvel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s autres? Asuka et Rick veu<strong>le</strong>nt prendre un verre avec<br />

nous <strong>de</strong>main. On dit "rumine"."<br />

La réponse arriva <strong>de</strong>ux minutes plus tard.<br />

"Ok pour <strong>de</strong>main, avec la plaisir! Ca te dit une pizza à l'extérieur ce soir? Nous pouvons<br />

inviter <strong>le</strong>s autres."<br />

"Sorry, j'ai promis à ma grand-mère <strong>de</strong> dîner à la maison. Tu veux venir?"<br />

"Sp<strong>le</strong>ndid! J'amène wine + <strong>de</strong>ssert!"<br />

Jamie s'en tirait mieux qu'Arthur ne l'avait imaginé. Le temps avait<br />

dû faire son œuvre. Arthur partit prévenir ses grands-parents (comme<br />

toujours Eric s'enthousiasma <strong>de</strong> la venue <strong>de</strong> celui qu'il appelait désormais<br />

son "petit-fils british") et alla frapper à la porte <strong>de</strong> la chambre <strong>de</strong> Kaznaël.<br />

Personne ne répondit. Arthur ouvrit et constata que la pièce était vi<strong>de</strong>. Le<br />

Protecteur était <strong>de</strong> sortie. Rien d'étonnant, il aimait al<strong>le</strong>r à se bala<strong>de</strong>r tout<br />

7


seul dans Paris et rô<strong>de</strong>r sur <strong>le</strong>s toits. Cela avait <strong>le</strong> bénéfice <strong>de</strong> faire croire<br />

aux Gall qu'il menait une vie étudiante. Il reviendrait à l'heure du dîner…<br />

ou pas.<br />

Jamie débarqua chez <strong>le</strong>s Gall sur <strong>le</strong>s coups <strong>de</strong> sept heures, aussi<br />

énergique et transporté qu'à l'accoutumée. Il embrassa Arthur sur <strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux joues, serra vigoureusement la main à Eric et fit à Louise <strong>le</strong>s<br />

honneurs du baisemain. Kaznaël n'étant pas revenu, c'est à quatre qu'ils<br />

dînèrent dans une ambiance cha<strong>le</strong>ureuse, entretenue par <strong>de</strong>s débats sur<br />

la politique, <strong>le</strong>s <strong>de</strong>rnières performances sportives <strong>de</strong>s tennismen français<br />

(Eric fut plié <strong>de</strong> rire pendant l'intégralité <strong>de</strong> cet échange), <strong>le</strong>s origines<br />

moyenâgeuses <strong>de</strong> Jamie et <strong>le</strong> quotidien à Paris. <strong>Les</strong> grands-parents<br />

évitèrent soigneusement <strong>le</strong> sujet du voyage d'Arthur, ce dont il <strong>le</strong>ur fut<br />

gré. Louise avait manifestement fait son office pour que ce ne soit pas mis<br />

sur <strong>le</strong> tapis.<br />

Le dîner prit fin dans <strong>le</strong> salon avec <strong>le</strong>s macarons <strong>de</strong> la franchise<br />

"Gargufreü" qu'avait ramené Jamie et à neuf heures trente <strong>le</strong>s Gall<br />

annoncèrent <strong>le</strong>ur intention d'al<strong>le</strong>r se coucher. <strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux amis restèrent<br />

donc seuls dans <strong>le</strong> séjour, chacun avachi dans son siège. Jamie caressait<br />

Magellan entre <strong>le</strong>s oreil<strong>le</strong>s, gagnant ainsi la sympathie toute hypocrite du<br />

félin.<br />

"El<strong>le</strong> avait raison.<br />

-Qui ça? s'interrogea Jamie.<br />

-Ma grand-mère, el<strong>le</strong> m'a incité à sortir un peu <strong>de</strong> ma chambre et voir <strong>de</strong>s<br />

amis. El<strong>le</strong> avait raison, je me sens déjà mieux."<br />

Jamie sourit. Il était assis en tail<strong>le</strong>ur sur son siège et Magellan<br />

regardait avec convoitise <strong>le</strong> bout <strong>de</strong> ses chaussettes, se <strong>de</strong>mandant <strong>de</strong><br />

quel<strong>le</strong> manière il pourrait <strong>le</strong>s griffer sans s'attirer d'ennuis.<br />

"J'aimerais savoir comment tu as fait pour tenir <strong>le</strong> coup, dit Arthur. Depuis<br />

que nous sommes rentrés tu es <strong>le</strong> seul d'entre nous à avoir réussi à<br />

gar<strong>de</strong>r <strong>le</strong> sourire. Je te trouve très brave, à moins que ce ne soit <strong>de</strong><br />

l'optimisme?"<br />

-Ni bravoure ni optimisme Arty.<br />

-Hum?"<br />

Jamie se <strong>le</strong>va subitement et prit sa veste.<br />

"Il est l'heure <strong>de</strong> rentrer chez ma maison! Il est tard et je suis pressé <strong>de</strong><br />

dormir!<br />

-Pardon?<br />

-Merci beaucoup pour <strong>le</strong> dîner Arty, s'exclama Jamie avec jovialité.<br />

J'espère qu'on se verra <strong>de</strong>main! Nighty Night!"<br />

7


Il se rua vers la sortie. Arthur dut se propulser hors <strong>de</strong> son fauteuil<br />

pour avoir <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> <strong>le</strong> rattraper au moment où il sortait <strong>de</strong><br />

l'appartement.<br />

"Wooooh! Ne fais pas un pas <strong>de</strong> plus Jamie Corbell."<br />

Jamie se figea dans <strong>le</strong>s escaliers <strong>de</strong> l'immeub<strong>le</strong>.<br />

"Retourne-toi, dit Arthur <strong>de</strong>puis <strong>le</strong> pas <strong>de</strong> la porte.<br />

-No…<br />

-Retourne-toi.<br />

-No…<br />

-Au nom du Clan Corbell retourne-toi."<br />

Jamie obtempéra fina<strong>le</strong>ment. Comme s'en doutait Arthur, il avait <strong>le</strong>s<br />

larmes aux yeux. Le mythe Jamie n'était fina<strong>le</strong>ment pas remis en<br />

question.<br />

"Je <strong>le</strong> savais, tu ne tiens pas du tout <strong>le</strong> coup, dit Arthur. Tu as voulu te<br />

montrer brave et gar<strong>de</strong>r <strong>le</strong> sourire pour encourager <strong>le</strong>s autres mais tu ne<br />

vas pas bien du tout, n'est-ce pas? Dès que tu as senti que ça n'allait plus<br />

tu as voulu fuir pour que je ne te voie pas dans cet état."<br />

Son ami baissa la tête, confus. Arthur se gratta alors <strong>le</strong> cuir chevelu<br />

avec embarras.<br />

"Putain, je m'excuse Jam'. Encore une fois tu m'as appelé à l'ai<strong>de</strong> et je<br />

n'ai rien vu. Je suis égoïste quand je m'y mets alors tu <strong>de</strong>vrais me dire<br />

clairement que tu ne vas pas bien au lieu <strong>de</strong> sourire bêtement!<br />

-Je ne voulais pas te perturber, toi aussi tu as perdu quelqu'un.<br />

-Ce n'est pas une raison! s'écria Arthur. Ecoute… J'ai bien envie <strong>de</strong> sortir.<br />

Ca te dirait d'al<strong>le</strong>r au pub avec moi? Je prends juste mon manteau et on y<br />

court. Et <strong>de</strong>main matin si tu veux on peut al<strong>le</strong>r jouer au tennis ou faire du<br />

jogging! Mon grand-père a un créneau inutilisé au Jardin du Luxembourg.<br />

<strong>Les</strong> fil<strong>le</strong>s nous regar<strong>de</strong>ront comme ça! On se mettra en shorts!"<br />

Il s'avança et abattit <strong>le</strong>s mains sur <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Jamie.<br />

"Encore mieux : Ca te dit d'habiter quelques temps chez nous? <strong>Les</strong><br />

travaux dans la chambre d'ami sont finis et Kaz a pu l'intégrer du coup tu<br />

peux squatter l'espace sous mon bureau ou <strong>le</strong> lit pliab<strong>le</strong>. Je sais que tu<br />

n'aimes pas rester seul quand tu as <strong>le</strong> moral au plus bas.<br />

-Mais…<br />

-Ce sera génial, en plus je ne vais pas en cours en ce moment! On pourra<br />

jouer à la conso<strong>le</strong> même si tu es nul. Ca ne dérangera pas mes grandsparents,<br />

tu sais bien qu'ils t'adorent. En fait on va faire simp<strong>le</strong> : on va<br />

<strong>de</strong>scendre <strong>de</strong>s pintes au bar, on essaie <strong>de</strong> retrouver <strong>le</strong> chemin jusqu'à<br />

chez toi (au pire on prend un taxi), on prend tes bagages et on revient ici<br />

7


pour manger toutes <strong>le</strong>s ma<strong>de</strong><strong>le</strong>ines <strong>de</strong> Kaz! On verra si ça <strong>le</strong> rend<br />

vraiment fou <strong>de</strong> rage.<br />

-O… Ok, dit Jamie avec précipitation. Mais tu sais, tu n'as pas l'air très<br />

bien toi non plus.<br />

-Je ne vais pas bien mais j'ai décidé <strong>de</strong> l'assumer. Al<strong>le</strong>z, viens là mon<br />

grand!"<br />

Il étreignit Jamie et <strong>le</strong> laissa p<strong>le</strong>urer tout son saoul. "We'll survive<br />

this" lui promit-il en anglais. "I swear!"<br />

"Désolé mais el<strong>le</strong> me manque… tel<strong>le</strong>ment, marmonnait Jamie. Sonia, el<strong>le</strong>…<br />

-Moi aussi mais on s'en sortira. Je <strong>le</strong> te promets. Je ne laisserai personne<br />

vous faire du mal."<br />

Il resserra son étreinte sur Jamie.<br />

"Personne d'autre ne disparaîtra."<br />

***<br />

Après être monté au <strong>de</strong>uxième étage <strong>de</strong> l'immeub<strong>le</strong> où vivait Ana<br />

Rosa, Rick frappa à la porte. Il patienta une vingtaine <strong>de</strong> secon<strong>de</strong>s. Pas <strong>de</strong><br />

réponse. Toutefois, <strong>le</strong> jazz manouche vibrant <strong>de</strong> Django Reinhardt <strong>de</strong>rrière<br />

la cloison prouvait que la propriétaire <strong>de</strong>s lieux était bien là. Rick regarda<br />

sa montre. Il était vingt et une heures. Etait-el<strong>le</strong> sortie en oubliant la<br />

musique <strong>de</strong>rrière? Rick frappa <strong>de</strong> nouveau.<br />

"C'est qui? répondit fina<strong>le</strong>ment Ana Rosa d'une voix distante.<br />

-Rick."<br />

Pas <strong>de</strong> réponse.<br />

"Je ne fais que passer!<br />

-D'accord. Entre, c'est ouvert."<br />

Il ouvrit et la mélodie s'amplifia. Ana Rosa était dans son couloir,<br />

assise à même <strong>le</strong> sol. El<strong>le</strong> fumait. L'abat-jour <strong>de</strong> sa lampe suspendue<br />

créait un éclat vermillon dans <strong>le</strong>s lieux.<br />

"Ce n'est pas du tabac que je sens, fit remarquer Rick.<br />

-Comment peux-tu <strong>le</strong> savoir?<br />

-J'ai été au lycée, on sentait beaucoup ce genre <strong>de</strong> parfum à l'époque. Je<br />

suis musicos, accessoirement."<br />

Il retira ses chaussures, vint s'asseoir à côté d'el<strong>le</strong> et posa son étui à<br />

guitare à ses pieds.<br />

7


"Je n'y avais pas touché <strong>de</strong>puis trois ou quatre ans mais là c'est la<br />

première et <strong>de</strong>rnière fois, assura Ana Rosa. C'est un peu comme… la<br />

<strong>de</strong>rnière cigarette du condamné.<br />

-Tu es une adulte et je n'ai jamais été suffisamment irréprochab<strong>le</strong> pour te<br />

donner <strong>de</strong>s <strong>le</strong>çons."<br />

Une expression sarcastique s'imprima sur <strong>le</strong> visage d'Ana Rosa.<br />

"Tu as eu <strong>de</strong>s vices toi?<br />

-J'en ai eu, j'en ai encore. Nul n'est parfait."<br />

Ana Rosa rit légèrement.<br />

"J'ai beaucoup aimé ton discours l'autre jour. C'était vraiment digne d'un<br />

<strong>le</strong>a<strong>de</strong>r.<br />

-Merci.<br />

-Je <strong>le</strong> pense. Enfin… dis-moi plutôt ce qui t'amène chez moi.<br />

-Sois tranquil<strong>le</strong>, je ne viens pas t'annoncer ta condamnation à mort. Je<br />

passais dans <strong>le</strong> coin par hasard alors je me suis dit que j'allais voir si ça<br />

allait. Par ail<strong>le</strong>urs je voulais vérifier que tu venais bien à GLOW <strong>de</strong>main.<br />

-Bien sûr que je viendrai, répondit Ana Rosa en recrachant une bouffée <strong>de</strong><br />

fumée.<br />

-Tu n'as pas répondu à ma première question."<br />

El<strong>le</strong> posa sa main sur son épau<strong>le</strong> <strong>de</strong> façon presque compatissante.<br />

"Crois-moi, j'ai eu une vie très compliquée. On apprend vite à se remettre<br />

quand on est habitué à être dans la mer<strong>de</strong>.<br />

-Ne dis pas ça.<br />

-Hm, je dis ce que je veux…"<br />

Ana Rosa se re<strong>le</strong>va.<br />

"Je vais jeter cette sa<strong>le</strong>té avant que <strong>le</strong>s huit chats <strong>de</strong> la fol<strong>le</strong> d'en face ne<br />

sentent l'o<strong>de</strong>ur et ne lui suggèrent d'appe<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s flics. Tu veux manger un<br />

bout avant <strong>de</strong> partir? Si tu es d'accord pour cuisiner je veux bien que tu<br />

me prépares une tortilla avec ce que j'ai dans mon frigo.<br />

-Ce serait donc à moi <strong>de</strong> cuisiner?<br />

-Tu peux aussi repartir et ava<strong>le</strong>r <strong>de</strong> la cuisine en boîte dans ton<br />

appartement sombre. Je sais bien que ton frigo est vi<strong>de</strong> et que tu n'as pas<br />

<strong>de</strong> copain. Ton chat sait faire la bouffe?<br />

-Ca va, ça va, fi<strong>le</strong> moi un tablier…"<br />

***<br />

"QUOI? TU DECONNES? TU CROIS VRAIMENT QU'ON VA OBEIR À CA!?<br />

vociféra Ana Rosa après s'être subitement <strong>le</strong>vé <strong>de</strong> son siège pour taper du<br />

point sur la tab<strong>le</strong> <strong>de</strong> la sal<strong>le</strong> <strong>de</strong> réunion.<br />

7


-Du calme, Ana! lança Mme Jones.<br />

-Ana, assieds-toi, dit Sally en essayant <strong>de</strong> la forcer à se rasseoir.<br />

-Je ne vais pas <strong>le</strong> laisser dire toutes ces conneries! Remplacer Sonia par<br />

Anthony? Faire du sauvetage <strong>de</strong> Rachel une mission annexe? Ce gamin est<br />

dingue!?<br />

-Ana, assise, répéta Mme Jones.<br />

-Que quelqu'un dise quelque chose bon sang, s'indigna Ana Rosa. Mme<br />

Jones!"<br />

Ella Jones se garda bien <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r. A sa droite, Enzo Wallace, <strong>le</strong><br />

jeune dirigeant <strong>de</strong> GLOW conservait une attitu<strong>de</strong> neutre, comme si<br />

personne n'avait é<strong>le</strong>vé la voix. Pourtant tous <strong>le</strong>s élus avaient exprimé une<br />

surprise indignée en entendant ses paro<strong>le</strong>s. Arthur lui-même se serait bien<br />

<strong>le</strong>vé si Aïshani ne l'en avait pas dissuadé du regard.<br />

"Enzo, vous ne trouvez pas que c'est exagéré? intervint Sally en tentant<br />

<strong>de</strong> rester calme.<br />

-Je n'ai pas utilisé <strong>le</strong> qualificatif d'annexe mais sans doute ai-je mal<br />

expliqué mes intentions, reprit Enzo. Rappelons la situation : Sonia<br />

Donetti a été assassinée, Samuel <strong>Mortimer</strong> est porté disparu tout comme<br />

Rachel Mitchells. Elliott Corr ne fait plus partie <strong>de</strong> nos rangs, Nils Duquette<br />

reste introuvab<strong>le</strong> et… élément final, Arthur Gall est la réincarnation <strong>de</strong><br />

Leryan."<br />

Le regard d'Enzo transperça celui d'Arthur. Ce <strong>de</strong>rnier réprima alors<br />

toute pensée, <strong>de</strong> peur que l'enfant ne soit en train d'essayer <strong>de</strong> <strong>le</strong>s lire.<br />

<strong>Les</strong> autres personnes présentes dans la pièce l'observaient aussi :<br />

Anthony Nichols et Bennett Stumpton qui étaient arrivés tout récemment<br />

<strong>de</strong> Londres, en catastrophe. Mme Jones, <strong>le</strong> Dr Martin faisaient éga<strong>le</strong>ment<br />

acte <strong>de</strong> présence.<br />

"Le plus gros problème reste celui <strong>de</strong> la Concrétisation, inenvisageab<strong>le</strong><br />

maintenant que l'Orbe est dans <strong>le</strong> camp ennemi et que Fenrir a été détruit<br />

par la Confrérie. L'Equilibre ne tient plus qu'à un fil, fil qui menace déjà <strong>de</strong><br />

rompre comme vous <strong>le</strong> montreront <strong>le</strong>s comportements irrationnels qui<br />

commencent à se répandre sur <strong>le</strong> globe. A ce rythme, notre société sera<br />

tota<strong>le</strong>ment affectée d'ici quelques mois et <strong>de</strong>s dommages irréversib<strong>le</strong>s lui<br />

seront causés. Dans ce contexte nous ne pouvons pas nous permettre <strong>de</strong><br />

faire du sauvetage <strong>de</strong> Rachel Mitchells et <strong>de</strong> Nils Duquette une priorité.<br />

-Voila donc où vous vouliez en venir, dit Ibtissam d'une voix sombre.<br />

-On ne peut pas laisser nos amis dans une tel<strong>le</strong> situation, dit Anaïs.<br />

-Un peu qu'on ne peut pas, ajouta Ana Rosa avec viru<strong>le</strong>nce. Ca ferait <strong>de</strong><br />

nous rien <strong>de</strong> mieux que <strong>de</strong>s lâches! Qui sait ce que la pauvre Rachel vit à<br />

l'heure où nous parlons?"<br />

<strong>Les</strong> yeux d'Andreas étaient cachés par <strong>le</strong> ref<strong>le</strong>t <strong>de</strong> ses lunettes mais<br />

il avait <strong>le</strong>s lèvres crispées. Arthur serra <strong>le</strong>s poings pour ne pas jeter à<br />

Enzo ses quatre vérités.<br />

7


"S'il s'avère que l'Orbe se trouve au même endroit que ces personnes<br />

nous pouvons bien évi<strong>de</strong>mment envisager <strong>de</strong> <strong>le</strong>s sauver par la même<br />

occasion mais dans <strong>le</strong> cas contraire il serait stupi<strong>de</strong> d'envoyer toutes nos<br />

forces à <strong>le</strong>ur rescousse, tandis que la Confrérie profiterait <strong>de</strong> ce gain <strong>de</strong><br />

temps pour achever ses plans. La solution la plus sage est, selon moi, <strong>de</strong><br />

confier à la Milice <strong>de</strong> Juval la tâche <strong>de</strong> sauver Rachel tandis que vous vous<br />

chargez <strong>de</strong> mettre la main sur l'Orbe. Ils ne souhaitent pas la mort <strong>de</strong><br />

Rachel Mitchells sinon ils ne l'auraient pas kidnappée.<br />

Vous ne me contredirez pas si je vous rappel<strong>le</strong> que l'Equilibre <strong>de</strong><br />

l'Humanité prime sur la vie d'une ou <strong>de</strong>ux personnes. El<strong>le</strong> serait sans<br />

doute la première à vous <strong>le</strong> dire.<br />

-On a promis à Sonia que l'on sauverait Rachel, que l'on resterait soudés,<br />

souligna Sally, <strong>le</strong>s sourcils froncés. On lui a juré. Ce serait trahir sa<br />

mémoire que <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r ainsi.<br />

-Sally…, fit Mme Jones.<br />

-Tiens, vous avez repris l'usage <strong>de</strong> votre voix, tonna Ana Rosa. Mme<br />

Jones, pourquoi vous restez si<strong>le</strong>ncieuse alors que ce gosse nous ordonne<br />

<strong>de</strong> sauver <strong>le</strong>s nôtres seu<strong>le</strong>ment si on en a <strong>le</strong> temps? Vous aussi vous avez<br />

votre mot à dire! Je ne reconnais pas l'autorité <strong>de</strong> ce gosse.<br />

-Ana, un peu <strong>de</strong> respect enfin, s'exaspéra <strong>le</strong> Dr Martin qui avait perdu <strong>de</strong><br />

son calme légendaire. Gar<strong>de</strong> à l'esprit que tu ne par<strong>le</strong>s pas à n'importe qui<br />

alors cesse <strong>de</strong> faire l'enfant! Tu exagères!"<br />

Ana Rosa et <strong>le</strong>s autres furent scotchés par cette répriman<strong>de</strong>. El<strong>le</strong> se<br />

rassit en fulminant et se mit à griffonner sur un porte-documents posé<br />

<strong>de</strong>vant el<strong>le</strong>.<br />

"Le cas <strong>de</strong> Leryan aussi pose problème, continua Enzo.<br />

-Mon… nom… est… Arthur."<br />

Enzo ferma <strong>le</strong>s yeux.<br />

"Soit. Arthur Gall. Après ce qui est arrivé à Samuel <strong>Mortimer</strong> il serait<br />

dangereux <strong>de</strong> trop l'exposer aux forces ennemies, bien qu'il soit un élu<br />

d'élite.<br />

-Qu'est-ce que vous vou<strong>le</strong>z faire <strong>de</strong> moi? Me gar<strong>de</strong>r à la maison?<br />

-C'est une option."<br />

Ana Rosa jeta un regard entendu à Arthur, l'air <strong>de</strong> dire "Tu vois? Cet<br />

enfant n'est pas normal?" Il commençait à être d'accord avec el<strong>le</strong>.<br />

"Je refuse. Je veux être là pour sauver Rachel, Nils, Sam et soutenir mes<br />

compagnons.<br />

-Je ne vous posais pas une question."<br />

Arthur se <strong>le</strong>va <strong>le</strong>ntement, pris d'une velléité conflictuel<strong>le</strong>.<br />

7


"Comme <strong>le</strong> disait tout à l'heure <strong>le</strong> docteur, n'oubliez pas à qui vous avez<br />

affaire… Si je suis effectivement Leryan, je suis libre <strong>de</strong> prendre mes<br />

propres initiatives car je réponds à l'autorité d'une seu<strong>le</strong> personne : cel<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong> mon frère."<br />

<strong>Les</strong> pontes <strong>de</strong> GLOW dévisagèrent Arthur avec une expression<br />

indéchiffrab<strong>le</strong>, mélange d'incrédulité et d'exaspération. Cependant, Arthur<br />

sentit qu'il avait l'approbation <strong>de</strong> ses camara<strong>de</strong>s élus.<br />

"S'agit-il d'une rébellion Monsieur Gall? <strong>de</strong>manda Enzo.<br />

-Non, sans GLOW je serais sans doute mort à l'heure qu'il est. Je<br />

continuerai d'obéir tant que vous ne nous donnerez pas <strong>de</strong>s consignes<br />

stupi<strong>de</strong>s."<br />

Il crut déce<strong>le</strong>r un semblant <strong>de</strong> sourire chez Anthony et Bennett.<br />

C'est alors qu'Ana Rosa se <strong>le</strong>va <strong>de</strong> nouveau pour prendre la paro<strong>le</strong>. El<strong>le</strong><br />

semblait calmée.<br />

"J'apprécie cette prise <strong>de</strong> position Arthur mais je ne vais pas pouvoir m'en<br />

satisfaire. Puisque <strong>le</strong>s dirigeants <strong>de</strong> GLOW ont décidé <strong>de</strong> se tenir à cette<br />

ligne <strong>de</strong> conduite, je ne peux pas continuer ainsi.<br />

-Ana, ne me dis pas que…, fit Sally, <strong>le</strong> visage décomposé.<br />

-Comme je suis une enfant et que je dois courber l'échine <strong>de</strong>vant un<br />

enfant <strong>de</strong> dix ans, je préfère prendre <strong>le</strong> large. Je déclare officiel<strong>le</strong>ment ne<br />

plus répondre aux ordres <strong>de</strong> GLOW."<br />

Un si<strong>le</strong>nce glacial traversa l'assistance. L'annonce était tombée<br />

comme un pavé dans la mare. "Ne plus répondre aux ordres <strong>de</strong> GLOW?"<br />

"Quoi? Mais?..., bégaya Mme Jones.<br />

-Ana, tu ne <strong>le</strong> penses pas sérieusement?<br />

-C'est <strong>de</strong> la folie!<br />

-On ne peut pas…<br />

-Réfléchis à ce que tu dis!"<br />

<strong>Les</strong> réactions fusaient. Arthur fit partie <strong>de</strong> ceux qui étaient<br />

incapab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> prononcer la moindre paro<strong>le</strong>. C'était complètement<br />

inattendu. El<strong>le</strong> comptait sérieusement quitter GLOW, du jour au<br />

<strong>le</strong>n<strong>de</strong>main? Arthur n'avait pas réalisé que la conversation avait si mal<br />

tourné. Pour lui ce n'était qu'une incompatibilité d'opinions qui pouvait<br />

encore être résolue. Ana Rosa ne <strong>le</strong>ur laissa pas <strong>le</strong> loisir <strong>de</strong> se remettre <strong>de</strong><br />

cette annonce.<br />

"Je vais vi<strong>de</strong>r mon casier en sortant <strong>de</strong> cette pièce. (El<strong>le</strong> se tourna vers <strong>le</strong>s<br />

élus) Ne m'en vou<strong>le</strong>z pas, vous savez bien que je suis comme ça. Je<br />

refuse d'obéir à ces gens qui n'ont pas conscience <strong>de</strong> ce que nous vivons<br />

sur <strong>le</strong> terrain. Ils ne peuvent pas nous imposer <strong>le</strong>urs décisions <strong>de</strong>puis <strong>le</strong>urs<br />

bureaux respectifs et s'attendre à ce qu'on ne dise rien."<br />

7


Des bruits <strong>de</strong> chaises tirées se firent entendre. Arthur tomba <strong>de</strong>s<br />

nues. Ibtissam et Andreas s'étaient <strong>le</strong>vés à <strong>le</strong>ur tour. Eux? Xenia<br />

dévisagea Andreas comme s'il était <strong>de</strong>venu complètement fou.<br />

"Tissam, toi aussi? s'exclama Aïshani.<br />

-Andreas?<br />

-Je vais suivre Ana Rosa, déclara Andreas. Après ce que nous avons vécu<br />

dans <strong>le</strong> Tombeau je ne peux pas accepter <strong>de</strong> perdre encore quelqu'un.<br />

-Pareil<strong>le</strong>ment, dit Ibtissam avec un étrange sourire. Il faut parfois savoir<br />

s'écarter du droit chemin pour faire <strong>le</strong>s choses qui nous semb<strong>le</strong>nt justes,<br />

même si (il regarda très brièvement Sally) cela nous fend parfois <strong>le</strong> cœur.<br />

-J… Je peux comprendre qu'Ana Rosa se rebel<strong>le</strong>, fit Sally, mais vous<br />

<strong>de</strong>ux… Andreas. Ibtissam.<br />

-Vous aviez déjà pris votre décision avant <strong>de</strong> venir à cette réunion, n'estce<br />

pas? dit <strong>le</strong> Dr Martin."<br />

Ana Rosa sourit, surprise.<br />

"Tous <strong>le</strong>s trois, vous vous étiez déjà consultés, je <strong>le</strong> sens. Si la réunion ne<br />

se passait comme vous <strong>le</strong> souhaitiez vous étiez résolus à vous détacher <strong>de</strong><br />

GLOW. Et <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce vos camara<strong>de</strong>s n'étaient pas au courant."<br />

Il en<strong>le</strong>va ses lunettes.<br />

"Quel<strong>le</strong>s sont vos véritab<strong>le</strong>s raisons? J'ai l'impression que vous essayez <strong>de</strong><br />

nous manipu<strong>le</strong>r pour <strong>de</strong>s raisons autres que cel<strong>le</strong>s que vous sou<strong>le</strong>vez.<br />

C'est comme si… cette querel<strong>le</strong> vous offrait une occasion parfaite.<br />

D'ail<strong>le</strong>urs vos réactions sont exagérées. Je réalise seu<strong>le</strong>ment maintenant<br />

que ce n'est pas votre genre d'être aussi butés, même toi Ana."<br />

<strong>Les</strong> regards convergèrent vers Ana Rosa, laquel<strong>le</strong> esquissa un<br />

sourire <strong>de</strong> défi. Au vu <strong>de</strong> sa réaction, <strong>le</strong>s accusations du Dr Martin<br />

n'étaient pas complètement infondées.<br />

"Manipu<strong>le</strong>r? Nous? Ce n'est pas vraiment notre genre…<br />

-Ana Rosa, qu'est-ce que tu trames? s'inquiéta Rick."<br />

El<strong>le</strong> soupira, l'air amusé.<br />

"Mer<strong>de</strong>, on est si mauvais acteurs que ça…? Al<strong>le</strong>z Andy, il est temps. Fais<br />

nous sortir d'ici."<br />

Il approuva et prononça <strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s suivantes :<br />

"Gran Vista."<br />

7


Tout à coup, la pièce se colora <strong>de</strong> vert. Un pentac<strong>le</strong> teinté <strong>de</strong>s<br />

cou<strong>le</strong>urs <strong>de</strong> l'arc-en-ciel venait d'apparaître sur <strong>le</strong> plafond <strong>de</strong> la pièce et<br />

tournait <strong>le</strong>ntement sur lui-même comme un viny<strong>le</strong> géant. Arthur vit avec<br />

stupeur Ana Rosa, Andreas et Ibtissam être sou<strong>le</strong>vés du sol et flotter<br />

<strong>le</strong>ntement vers <strong>le</strong> pentac<strong>le</strong>.<br />

"Que se passe-t-il? rugit Bennett.<br />

Tous <strong>le</strong>s autres jaillirent <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs sièges, abasourdis. Le mouvement<br />

ascendant <strong>de</strong>s trois comparses se suspendit lorsqu'ils furent hors <strong>de</strong><br />

portée <strong>de</strong>s protagonistes <strong>de</strong> la réunion. Un souff<strong>le</strong> important se déc<strong>le</strong>ncha<br />

alors, faisant vo<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s papiers dans tous <strong>le</strong>s sens et agitant <strong>le</strong> feuillage<br />

<strong>de</strong>s plantes.<br />

"FUCK, s'écria Anthony.<br />

-ANA! C'EST QUOI CE DELIRE? cria Sally.<br />

-Tissam, re<strong>de</strong>scends, s'écria Anaïs en plaquant ses cheveux contre son<br />

crâne. Arthur, fais quelque chose!<br />

-Quoi? Tu veux que je <strong>le</strong>ur lance Drydock <strong>de</strong>ssus? répondit Arthur, tout<br />

aussi dépassé."<br />

Ana Rosa fit un semblant <strong>de</strong> salut militaire <strong>de</strong>puis <strong>le</strong> plafond.<br />

"Sayonara! Nous allons récupérer quelques affaires et direction Sorgentel<br />

pour sauver Rachel. Désolée <strong>de</strong> vous laisser comme ça mais je crois que<br />

c'est <strong>le</strong> mieux à faire.<br />

-Ce n'est pas <strong>le</strong> mieux à faire, répliqua Sally. Ne partez pas seuls, c'est<br />

trop dangereux! Vous risquez <strong>de</strong> vous faire tuer! On peut tous…<br />

-Non, on ne peut pas, répondit Ana Rosa en riant. Laissez-nous nous<br />

charger <strong>de</strong> cette mission, ça vaut mieux. Et <strong>de</strong> toute façon…"<br />

El<strong>le</strong> marqua une pause méditative.<br />

"…On se retrouvera là-bas tôt ou tard, je <strong>le</strong> sais."<br />

Ana Rosa tourna la tête vers <strong>le</strong> groupe <strong>de</strong>s dirigeants et personnels<br />

<strong>de</strong> GLOW.<br />

"A la revoyure <strong>le</strong>s vieux, je vous aime bien quand même! Toi par contre<br />

(el<strong>le</strong> tira la langue à Enzo), je te mettrais bien une fessée!"<br />

Et el<strong>le</strong> disparut dans un flash.<br />

"Haaaa, ma douce princesse, que je suis peiné <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir t'abandonner à<br />

mon tour, fit Ibtissam d'une voix chantonnante. Il faut croire que je me<br />

fais à l'idée que notre amour est impossib<strong>le</strong>.<br />

-Tissam…, murmura Sally.<br />

7


-Mon rival prendra bien soin <strong>de</strong> toi, j'en suis certain. (Il fit une révérence)<br />

Camara<strong>de</strong>s élus, je vous salue amica<strong>le</strong>ment."<br />

Ce fut à son tour <strong>de</strong> disparaître.<br />

"Andreas, non! cria Xenia. Ne pars pas ou alors emm…<br />

-Tu sais bien que je ne <strong>le</strong> ferai pas, répondit Andreas."<br />

Xenia se laissa tomber sur sa chaise, <strong>le</strong>s bras ballants.<br />

"C'est parce que je t'aime que je ne t'emmènerai pas avec moi… mais ce<br />

n'est que pour mieux te retrouver, d'accord?<br />

-…D… D'accord, dit Xenia, <strong>le</strong>s yeux embués.<br />

-Pardon <strong>de</strong> ne rien t'avoir dit. Quant à toi Asuka, n'essaie même pas <strong>de</strong> te<br />

téléporter auprès <strong>de</strong> moi. J'ai déjà pris <strong>de</strong>s dispositions pour que tu ne<br />

puisses pas me suivre.<br />

-S… Sa<strong>le</strong>té, s'exclama Asuka. Tu avais vraiment prévu ton départ et tu ne<br />

m'as rien dit?<br />

-Désolé, ne prends pas ceci comme une trahison. Sally…<br />

-Andreas, il est encore temps <strong>de</strong> changer d'avis! Si vous partez je sais que<br />

<strong>le</strong>s choses tourneront mal et…<br />

-Je <strong>le</strong>s protègerai, n'oublie pas que je suis ton assistant, coupa-t-il.<br />

Laisse-moi me préoccuper d'eux et fais ce que tu as à faire. (Il <strong>le</strong>ur fit un<br />

signe <strong>de</strong> main). Au revoir tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>."<br />

Un nouveau flash lumineux <strong>le</strong> fit disparaître, en même temps que <strong>le</strong><br />

pentac<strong>le</strong> du plafond. Arthur avait gardé la bouche ouverte, abasourdi par<br />

l'enchaînement rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong>s évènements.<br />

"Ils… ils sont partis, souffla Jamie. Ils sont vraiment… partis!<br />

-Ils comptent al<strong>le</strong>r sauver Rachel, seuls, ajouta Bennett. C'est trop<br />

dangereux. <strong>Les</strong> forces ennemies sont bien trop organisées."<br />

Mme Jones paraissait abattue.<br />

"<strong>Les</strong> inconscients. Ils ne réalisent pas…<br />

-Ils réalisent très bien, dit Rick."<br />

El<strong>le</strong> fit <strong>de</strong> gros yeux.<br />

"Comment?<br />

-Contrairement à ce qu'on pourrait penser ils n'ont pas agi par caprice ou<br />

par esprit <strong>de</strong> rébellion, même s'ils essaient <strong>de</strong> nous <strong>le</strong> faire croire. Ces<br />

trois personnes sont très intelligentes, el<strong>le</strong>s ont bien compris que sauver<br />

Rachel en priorité équivaudrait à mettre notre objectif principal en péril."<br />

Ses mains s'étaient crispées sur la tab<strong>le</strong>.<br />

7


"Ils ont <strong>de</strong>viné que vous ne nous laisseriez pas al<strong>le</strong>r la secourir tous<br />

ensemb<strong>le</strong>, ils savaient que ça allait arriver.<br />

-C'était… une mise en scène? dit Arthur qui commençait à comprendre.<br />

-"Chargez vous du reste", voila <strong>le</strong> message que nous a laissé cette idiote<br />

d'Ana, continua Rick. En somme, sauvez <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> pendant que nous<br />

allons sauver notre amie. Pour qui nous prennent-ils? Ils croyaient<br />

vraiment qu'on allait être dupes?"<br />

Ceux qui avaient été dupés détournèrent <strong>le</strong> regard, embarrassés.<br />

"Ils se sacrifient, c'est une mission suici<strong>de</strong>, expliqua <strong>le</strong> Dr Martin. Si j'ai<br />

bien compris <strong>le</strong>ur intention ils veu<strong>le</strong>nt réussir à localiser Rachel et<br />

procé<strong>de</strong>r aux premières étapes <strong>de</strong> son extraction pendant que vous vous<br />

préparez à défaire la Confrérie et <strong>le</strong> Régent. Le message est subtil : On<br />

prend <strong>de</strong> l'avance, profitez-en.<br />

-Fais ce que tu as à faire, répéta Sally d'un air contrit. On se retrouvera<br />

là-bas. C'est ce que m'ont dit Andreas et Ana."<br />

Aïshani appuya son front sur <strong>le</strong> revers <strong>de</strong> sa main d'un air las.<br />

"Je comprends mieux la décision d'Ibtissam maintenant. Il n'est pas du<br />

genre à renier l'autorité et à partir sur un coup <strong>de</strong> tête. Connaissant son<br />

esprit cheva<strong>le</strong>resque, il n'y a qu'une seu<strong>le</strong> raison qui a pu <strong>le</strong> pousser à <strong>le</strong>s<br />

accompagner : <strong>le</strong>s protéger. En tant qu'élite il a dû penser qu'il avait<br />

l'obligation <strong>de</strong> prendre part à <strong>le</strong>ur expédition.<br />

-L'imbéci<strong>le</strong>, ragea Sally.<br />

-Andreas n'a pas menti, je ne peux pas me téléporter auprès d'eux,<br />

déclara Asuka avec frustration. C'est la même sensation que lors <strong>de</strong> mes<br />

tentatives pour rejoindre Rachel. Andreas a dû utiliser ses nouvel<strong>le</strong>s<br />

capacités pour me bloquer l'accès."<br />

Aïshani posa la main sur l'épau<strong>le</strong> <strong>de</strong> Xenia pour lui apporter un peu<br />

<strong>de</strong> réconfort. El<strong>le</strong> apparaissait éprouvée.<br />

"Comment comptent-ils se rendre à Sorgentel sans Asuka ni Elliott? fit<br />

Arthur. Ils n'ont tout <strong>de</strong> même pas l'intention <strong>de</strong> faire appel à Kaznaël.<br />

-<strong>Les</strong> pouvoirs d'Andreas lui suffiront, rappela tristement Xenia.<br />

-Pourquoi nous ont-ils caché <strong>le</strong>urs intentions? fit Sally d'un air désolé.<br />

J'avais promis… j'avais promis à Sonia que nous resterions ensemb<strong>le</strong><br />

jusqu'au bout.<br />

-Tu n'y es pour rien Sally, tu ne pouvais pas <strong>de</strong>viner, dit Jamie.<br />

-Si, je <strong>le</strong> pouvais, dit-el<strong>le</strong> mystérieusement. Je <strong>le</strong> pouvais mais je n'ai rien<br />

vu venir. Je pensais que <strong>le</strong>s circonstances avaient changé…"<br />

Mme Jones plongea <strong>le</strong> visage dans ses mains au point que <strong>le</strong> Dr<br />

Martin s'approcha d'el<strong>le</strong> pour vérifier qu'el<strong>le</strong> n'allait pas soudainement<br />

défaillir. Enzo se racla la gorge pour indiquer qu'il allait <strong>de</strong> nouveau<br />

s'exprimer après s'être abstenu pendant tout ce temps.<br />

7


"Le contexte vient <strong>de</strong> changer subitement…<br />

-Dites <strong>le</strong>s gars, si on allait faire notre propre réunion dans <strong>le</strong> couloir,<br />

proposa soudain Sally. On reviendra ensuite dire à ce jeune homme ce<br />

dont nous avons décidé."<br />

El<strong>le</strong> sortit prestement sous <strong>le</strong>s regards effarés <strong>de</strong> ses camara<strong>de</strong>s.<br />

Cahin-caha ils consentirent à la suivre, après avoir pour la plupart formulé<br />

<strong>de</strong>s excuses à Mme Jones et aux autres.<br />

"Sacrés gamins, dit <strong>le</strong> Dr Martin avec une nuance <strong>de</strong> fierté."<br />

<strong>Les</strong> élus se réunirent en conciliabu<strong>le</strong> express à l'extérieur <strong>de</strong> la sal<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong> réunion, en p<strong>le</strong>in milieu du hall d'entrée. Ils se mirent en cerc<strong>le</strong>.<br />

"Merci <strong>de</strong> m'avoir suivi, dit Sally. Enzo commençait à me taper sur <strong>le</strong><br />

système. Je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> dans quel<strong>le</strong> mesure il a hérité <strong>de</strong> la personnalité<br />

du sieur Gaetan.<br />

-Pas besoin <strong>de</strong> discuter <strong>de</strong>s heures, ajouta Rick, il faut qu'on se déci<strong>de</strong><br />

maintenant. Que fait-on?<br />

-Impossib<strong>le</strong> <strong>de</strong> rattraper <strong>le</strong>s trois autres maintenant qu'ils sont partis,<br />

souligna Arthur. Même en faisant appel à Kaznaël on ne saura pas<br />

exactement où ils auront atterri.<br />

-Il t'a fallu combien d'années <strong>de</strong> réf<strong>le</strong>xion pour trouver ça, bou<strong>le</strong>t, dit<br />

Shui-Khan.<br />

-Et ils n'auront pas été assez inconscients pour repasser chez eux en<br />

sachant qu'Asuka pourrait <strong>le</strong>s retrouver là-bas, dit Aïshani. Andreas est<br />

trop intelligent, il aura tout envisagé. Anaïs, tu es avec nous?<br />

-Euh… oui, pardon, fit Anaïs en sortant <strong>de</strong> ses pensées. Je cogitais. Que<br />

fait-on?"<br />

…<br />

Sally revint dans la sal<strong>le</strong> <strong>de</strong> réunion une dizaine <strong>de</strong> minutes plus<br />

tard, interrompant ses occupants en p<strong>le</strong>ine conversation. Ils se turent en<br />

la voyant arriver.<br />

"Vous revenez seu<strong>le</strong>? s'étonna Enzo. De quoi avez-vous discuté?<br />

-Nous voulons tout, annonça Sally."<br />

Ils haussèrent <strong>le</strong>s sourcils.<br />

"Tout?<br />

-Oui, nous voulons tout. Nous ne ferons pas <strong>de</strong> sacrifices. Ana, Tissam et<br />

Andreas nous ont donné <strong>de</strong> l'avance? Très bien, nous n'allons pas la<br />

refuser. Nous <strong>le</strong>ur accordons trois semaines pour faire <strong>le</strong>urs recherches,<br />

c'est-à-dire une dizaine <strong>de</strong> jours à l'échel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Sorgentel. Une fois prêts,<br />

nous ferons tout : sauver Sorgentel, sauver notre société, sauver Rachel,<br />

7


Nils et Samuel. Il n'y a pas besoin <strong>de</strong> disposer d'une gran<strong>de</strong> intelligence<br />

pour savoir que la Confrérie est alliée à Hermès. C'est pour cela que dans<br />

trois semaines nous partirons à Sorgentel et prendrons la direction <strong>de</strong><br />

Ca<strong>de</strong>ro.<br />

Pendant <strong>le</strong>s trois semaines à venir vous ne nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rez pas <strong>de</strong><br />

comptes, vous ne poserez que <strong>le</strong>s questions auxquel<strong>le</strong>s nous aurons<br />

consenties et vous ne vous opposerez à aucune <strong>de</strong> nos décisions car c'est<br />

NOUS <strong>le</strong>s élus.<br />

J'ajoute que dans cinq jours nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rons à Kaznaël d'emmener<br />

Anaïs dans <strong>le</strong>s Î<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Nace afin qu'el<strong>le</strong> apprenne <strong>le</strong> plus <strong>de</strong> rudiments <strong>de</strong><br />

Parestina possib<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> temps imparti. Quant aux autres, ils prendront<br />

<strong>le</strong>urs dispositions <strong>de</strong> la manière qui <strong>le</strong>ur semb<strong>le</strong>ra la plus appropriée."<br />

El<strong>le</strong> reprit son souff<strong>le</strong>.<br />

"Est-ce que cela vous convient? Si vous n'êtes pas d'accord, nous<br />

n'hésiterons pas à agir sans votre autorisation mais tout serait plus faci<strong>le</strong><br />

si vous nous aidiez."<br />

Enzo s'apprêta à répondre mais Ella Jones l'en empêcha d'un bref<br />

mouvement <strong>de</strong> main.<br />

"C'est d'accord. Je m'excuse <strong>de</strong> ma faib<strong>le</strong>sse <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers jours et <strong>de</strong><br />

mon si<strong>le</strong>nce, je n'ai pas <strong>le</strong> droit <strong>de</strong> rester coite alors que vous avez encore<br />

besoin <strong>de</strong> moi. En tant que dirigeante j'ai une responsabilité envers <strong>le</strong>s<br />

élus.<br />

Faites comme bon vous semb<strong>le</strong>ra. Le QG <strong>de</strong> Paris vous apportera tout <strong>le</strong><br />

soutien logistique et humain nécessaires, jusqu'à votre départ. C'est <strong>le</strong><br />

moins que nous puissions faire… C'est <strong>le</strong> moins que nous puissions faire<br />

pour honorer la mémoire <strong>de</strong> Sonia et <strong>de</strong> la première génération. (El<strong>le</strong> se<br />

tourna vers Enzo). Je suis prête à entendre une opinion contraire mais je<br />

m'y opposerai avec force."<br />

Enzo secoua la tête.<br />

"Je ne comptais pas objecter. Même si je ne partage pas ce point <strong>de</strong> vue<br />

je sais reconnaître ma défaite. Qui plus est… je ne suis personne pour<br />

m'opposer à la volonté <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an, Leryan et <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs nombreux gardiens.<br />

Qu'ils fassent comme ils l'enten<strong>de</strong>nt."<br />

Sally sourit, soulagée. A ce moment, Anthony se <strong>le</strong>va et s'approcha d'el<strong>le</strong>.<br />

"Vous n'avez pas besoin <strong>de</strong> moi comme instructeur, je reconnais en vous<br />

<strong>le</strong> cran qu'avait mon frère en tant qu'élu."<br />

Il saisit la natte <strong>de</strong> Sally.<br />

7


"Tu as la gran<strong>de</strong> gueu<strong>le</strong> <strong>de</strong> Sonia, cela <strong>de</strong>vrait suffire à mener <strong>le</strong> groupe<br />

vers la victoire.<br />

-Oh que oui, confirma Mme Jones. Nous avons là un très bon successeur<br />

pour Sonia, paix à son âme. Je suis sûre que ce ruban t'ira aussi bien qu'à<br />

el<strong>le</strong>.<br />

-M… Merci <strong>de</strong> votre confiance mais je ne souhaite pas que <strong>le</strong>s autres me<br />

considèrent comme <strong>le</strong>ur instructrice. Anthony, même si tu ne peux pas<br />

venir avec nous j'aimerais que tu sois instructeur jusqu'à ce que l'on<br />

parte.<br />

-Ok! Je mettrai mes faib<strong>le</strong>s moyens à votre disposition.<br />

-Vous pouvez compter sur tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>, ajouta <strong>le</strong> Dr Martin. En aucun<br />

cas vous ne <strong>de</strong>vez considérer <strong>le</strong>s membres <strong>de</strong> GLOW comme <strong>de</strong>s ennemis.<br />

-Dans ce cas…, hésita Sally en sautillant d'un pied sur l'autre, pourrait-on<br />

profiter <strong>de</strong> cette confiance renouvelée pour négocier <strong>de</strong>s bil<strong>le</strong>ts <strong>de</strong> train?<br />

-Si je puis me permettre cette seu<strong>le</strong> question, où s'agit-il d'al<strong>le</strong>r?<br />

<strong>de</strong>manda Enzo.<br />

-Ce sont <strong>de</strong>ux voyages distincts. Pour <strong>le</strong> premier je ne peux encore rien<br />

vous révé<strong>le</strong>r car nous <strong>de</strong>vons attendre une confirmation. Le <strong>de</strong>uxième ce<br />

serait pour…"<br />

…<br />

"Sally revient, annonça Xenia. El<strong>le</strong> a l'air satisfaite!<br />

-Ils ont dû accepter notre marché, se réjouit Anaïs."<br />

<strong>Les</strong> élus patientaient près du bureau <strong>de</strong> Norah en compagnie <strong>de</strong><br />

cette <strong>de</strong>rnière. Dès qu'ils virent Sally <strong>le</strong>ver <strong>le</strong> pouce ils se réjouirent.<br />

C'était gagné.<br />

"Formidab<strong>le</strong>, je craignais que ce gosse étrange ne refuse vos conditions<br />

mais ça a marché, dit Norah. Sonia… Sonia serait contente! El<strong>le</strong> serait<br />

fière <strong>de</strong> vous, j'en suis certaine! Comme el<strong>le</strong> vous avez campé sur vos<br />

positions.<br />

-Et ils n'ont pas osé dire non, dit Sally rayonnante. Chacun d'entre nous<br />

va maintenant déci<strong>de</strong>r <strong>de</strong> la manière dont il va occuper ces trois<br />

semaines. Quoique… pour Anaïs c'est déjà tout trouvé.<br />

-Tu comptes vraiment partir dans cinq jours? <strong>de</strong>manda Arthur. Seu<strong>le</strong>?<br />

-J'ai promis à Kisridge <strong>de</strong> me former avec el<strong>le</strong>. Plus tôt je partirai, mieux<br />

ça sera! Mais rassurez-vous on se retrouvera tous là-bas!<br />

-Tu feras bien attention à toi, recommanda Aïshani en lui enfonçant <strong>le</strong><br />

béret sur la tête.<br />

-Bien sûr!<br />

-Surtout ne…, commença Arthur avant <strong>de</strong> rava<strong>le</strong>r ses paro<strong>le</strong>s. Non, je te<br />

fais confiance."<br />

Anaïs lui sourit en opinant du chef.<br />

7


"Je suis contente qu'on ait passé ce cap, dit Sally. On va pouvoir se<br />

préparer à la suite <strong>de</strong>s évènements. Au risque <strong>de</strong> vous surprendre je vais<br />

faire preuve d'un peu d'égoïsme et m'absenter trois ou quatre jours.<br />

-Tu vas au Sénégal? lui <strong>de</strong>manda Asuka.<br />

-Pas cette fois. Je pars à Londres… (El<strong>le</strong> se tourna vers Jamie) si toutefois<br />

tu <strong>le</strong> veux bien.<br />

-Oh? Pourquoi aurais-tu besoin <strong>de</strong> mon autorisation?<br />

-Parce que je n'ai pas d'intérêt à y al<strong>le</strong>r sans toi."<br />

Sally s'approcha <strong>de</strong> Jamie et mit un genou à terre. <strong>Les</strong> élus émirent<br />

<strong>de</strong>s cris <strong>de</strong> stupeur. Le visage <strong>de</strong> Jamie se teinta <strong>de</strong> rouge.<br />

"Si la fin du mon<strong>de</strong> est proche, si nous risquons <strong>de</strong> ne pas revenir vivants,<br />

je ne veux pas disparaître avec <strong>de</strong>s regrets, comme Sonia. (El<strong>le</strong> prit la<br />

main <strong>de</strong> Jamie) Même si je l'ai toujours nié tu sais… tu sais bien… que<br />

pour moi tu as toujours été <strong>le</strong> seul…"<br />

Arthur se surprit à sourire <strong>de</strong> toutes ses <strong>de</strong>nts. Anaïs et <strong>le</strong>s autres<br />

étaient transportés.<br />

"Qu'il me reste dix jours, dix ans ou un sièc<strong>le</strong> à vivre, je compte passer <strong>le</strong><br />

reste <strong>de</strong> ma vie avec toi, si l'occasion m'en est donnée et… et… (el<strong>le</strong> se<br />

mit à p<strong>le</strong>urer à chau<strong>de</strong>s larmes et il <strong>de</strong>vint plus diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> déchiffrer ses<br />

paro<strong>le</strong>s) ve juis déjolée <strong>de</strong> d'aboir fait souffrir (sniiiiiiiiiiiiiiiiif) alors que…<br />

que… ch'aurais bu <strong>de</strong> rébondre blus dôt!"<br />

Jamie rit, touché, en la voyant s'essuyer <strong>le</strong> visage avec la manche.<br />

"Jamie Stephen Corbell, est-ce que je peux accepter ta <strong>de</strong>man<strong>de</strong> en<br />

mariage… s'il te plaît?"<br />

Jamie sourit jusqu'aux oreil<strong>le</strong>s.<br />

"Bien sûr… Je veux dire, oui! Oui!"<br />

Arthur poussa un cri d'allégresse et Sally se jeta sur Jamie pour<br />

l'embrasser fougueusement, encouragés en cela par tout <strong>le</strong> petit groupe,<br />

excepté Shui-Khan qui se mit à hur<strong>le</strong>r "Prenez une chambre! Prenez une<br />

chambre" en se cachant <strong>le</strong>s yeux. Interpellés par <strong>le</strong>s proclamations<br />

stri<strong>de</strong>nts, <strong>le</strong>s agents <strong>de</strong> GLOW sortirent <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs bureaux <strong>le</strong>s uns après <strong>le</strong>s<br />

autres.<br />

"Nous sommes fiancés, explosa Jamie en faisant signe à tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> et<br />

en faisant tourner son Etemenanki dans <strong>le</strong>s airs. Woooooh, mass hug<br />

everyone!"<br />

Tous se ruèrent sur <strong>le</strong> nouveau coup<strong>le</strong> pour <strong>le</strong>s congratu<strong>le</strong>r. Sally<br />

p<strong>le</strong>urait encore, réfugiée dans <strong>le</strong>s bras <strong>de</strong> son fiancé. Le QG <strong>de</strong> GLOW<br />

7


n'avait pas eu droit à <strong>de</strong>s rires et à <strong>de</strong>s réactions joyeuses <strong>de</strong>puis bien<br />

longtemps. Alors que tous s'étreignaient, la main d'Anaïs se retrouva<br />

acci<strong>de</strong>ntel<strong>le</strong>ment sous cel<strong>le</strong> d'Arthur. Ils s'en rendirent compte et<br />

rougirent.<br />

"Que ça ne te donne pas d'idées Arthur Gall, chuchota-t-el<strong>le</strong>.<br />

-Bien sûr que non!"<br />

Ils se détournèrent l'un <strong>de</strong> l'autre.<br />

***<br />

"Non, bien sûr que nous n'allons pas nous marier là maintenant, assura<br />

Jamie. Il s'agit juste d'une engagement <strong>de</strong> nous lier par <strong>le</strong>s liens du<br />

fiançail<strong>le</strong> lorsque nous serons revenus <strong>de</strong> Sorgentel. Et naturel<strong>le</strong>ment, il<br />

est hors question d'organiser quoi ce soit sans que tous nos amis ne sont<br />

réunis! Pour l'instant Sally veut revoir ma famil<strong>le</strong> pour mieux <strong>le</strong>s<br />

connaître!"<br />

Arthur approuva, alors qu'ils montaient <strong>le</strong>s escaliers qui menaient <strong>de</strong><br />

la boutique <strong>de</strong> Samuel vers son studio situé au premier étage. Ayant<br />

réalisé assez tard qu'il savait où Samuel cachait son doub<strong>le</strong> <strong>de</strong> clés<br />

(trip<strong>le</strong>ment scotché <strong>de</strong>rrière une canalisation <strong>de</strong> la cour) il s'était mis en<br />

tête d'y passer, ne serait-ce que pour passer un coup <strong>de</strong> chiffon en<br />

attendant <strong>le</strong> jour où son propriétaire regagnerait <strong>le</strong>s lieux. Evi<strong>de</strong>mment<br />

Jamie l'avait suivi.<br />

"Il va falloir que je me trouve un costume une fois que j'aurai sauvé <strong>le</strong><br />

mon<strong>de</strong>, plaisanta Arthur. Sache en tout cas que je suis ravi pour toi.<br />

-Merci, tu es un frère!"<br />

Jamie se mit à chanter "We're going to get ma-rried! We're going to<br />

get ma-rried!" alors qu'Arthur déverrouillait la porte et entrait. Il fut<br />

décontenancé par ce qui semblait être une o<strong>de</strong>ur intense <strong>de</strong> saucisse<br />

cuite.<br />

"Ewww! Samuel a laissé la senteur <strong>de</strong> son brunch envahir <strong>le</strong>s ri<strong>de</strong>aux,<br />

geignit Jamie."<br />

Arthur ne répondit pas. L'o<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> cuisine était récente et surtout il<br />

était certain d'avoir entendu quelqu'un siff<strong>le</strong>r jusqu'au moment où il avait<br />

fait un pas dans <strong>le</strong> studio. Quelqu'un était présent dans <strong>le</strong>s lieux. Samuel?<br />

Non, impossib<strong>le</strong>.<br />

"Jam', prépare-toi. Il y a quelqu'un là-<strong>de</strong>dans…, souffla Arthur en<br />

matérialisant Drydock.<br />

-Oh… Fine, I'll be your backup, répondit Jamie."<br />

7


<strong>Les</strong> ri<strong>de</strong>aux étaient fermés, seul un fin rayon <strong>de</strong> so<strong>le</strong>il transperçait la<br />

pénombre <strong>de</strong> la pièce. Après l'entrée, la cuisine se trouvait juste à droite,<br />

dans un ang<strong>le</strong> mort. L'intrus n'était pas dans <strong>le</strong> salon, c'était sûr, sinon<br />

el<strong>le</strong> aurait été visib<strong>le</strong> dès que la porte avait été ouverte. Un membre <strong>de</strong> la<br />

Confrérie? Quelqu'un <strong>de</strong> GLOW? Samuel avait pourtant été innocenté.<br />

Arthur et Jamie avancèrent à pas <strong>de</strong> loup, faisant en sorte que <strong>le</strong><br />

plancher ne craque pas sous <strong>le</strong>urs pieds. S'ils étaient attaqués, ils seraient<br />

en supériorité numérique.<br />

"Attention, j'ai une poë<strong>le</strong> brûlante et je n'ai pas peur <strong>de</strong> l'utiliser!"<br />

Arthur se figea et laissa tomber Drydock. Il mit quelques secon<strong>de</strong>s à<br />

se remettre du choc.<br />

"Arty? s'enquit Jamie.<br />

-NIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIILS!"<br />

Arthur se précipita soudain vers l'intérieur, esquiva la poë<strong>le</strong> fumante<br />

qui menaçait <strong>de</strong> l'atteindre en p<strong>le</strong>ine tête et se planta <strong>de</strong>vant son ami. Un<br />

Nils barbu et vêtu d'un peignoir <strong>le</strong> dévisagea avec saisissement.<br />

"A… Arthur!? ARTHUR!"<br />

Ils explosèrent <strong>de</strong> rire, s'entre observèrent comme si la poë<strong>le</strong> venait<br />

<strong>de</strong> <strong>le</strong>s frapper tous <strong>de</strong>ux puis s'étreignirent en criant, fous <strong>de</strong> joie.<br />

"Je te cherche <strong>de</strong>puis DES MOIS! s'exclama Arthur.<br />

-Et tu m'as retrouvé!"<br />

Ils crièrent <strong>de</strong> nouveau et bondirent dans tous <strong>le</strong>s sens sans se<br />

lâcher. L'euphorie était trop gran<strong>de</strong>, <strong>le</strong> soulagement incommensurab<strong>le</strong>.<br />

Nils et Arthur s'étaient retrouvés.<br />

"Jam'! Jam'! Viens, j'ai retrouvé Nils, s'exclama Arthur en <strong>le</strong> voyant bloqué<br />

dans l'entrée.<br />

-Jam', Jam', je te connais pas mais j'ai retrouvé mon frangin, lança Nils,<br />

tout sourire.<br />

-Cool! On a retrouvé Nils, réalisa Jamie en <strong>le</strong>vant <strong>le</strong>s bras tel un supporter<br />

<strong>de</strong> match <strong>de</strong> football."<br />

Et ils se remirent à bondir tous <strong>le</strong>s trois, débordant <strong>de</strong> gaieté.<br />

"Co… Comment as-tu fait? s'étonna soudain Arthur.<br />

-Sam m'a libéré il y a <strong>de</strong>s jours et m'a <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> l'attendre ici et <strong>de</strong> ne<br />

pas mettre <strong>le</strong>s pieds <strong>de</strong>hors tant que je n'aurais pas <strong>de</strong> nouvel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> lui<br />

mais… C'est compliqué mais… Ca fait <strong>de</strong>s jours! Où est-il?"<br />

Jamie blêmit.<br />

7


"C'est une longue histoire Nils mais… j'ai tel<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> choses à te<br />

raconter.<br />

-Moi aussi! C'est génial, je n'arrive pas à croire qu'on soit <strong>de</strong> nouveau<br />

réunis."<br />

Nils brandit la main <strong>de</strong> façon théâtra<strong>le</strong>.<br />

"Désormais, je serai à vos côtés! Nils Duquette est <strong>de</strong> nouveau en jeu."<br />

Arthur sentit <strong>le</strong>s larmes lui monter aux yeux mais cette fois ce<br />

n'était pas la tristesse qui l'assaillit, contrairement aux jours passés.<br />

"Sam, tu as assuré. Tu avais promis <strong>de</strong> nous ramener Nils et tu l'as<br />

fait juste avant <strong>de</strong> quitter la Confrérie" songea-t-il. Il se promit <strong>de</strong> lui<br />

rendre la pareil<strong>le</strong> au centup<strong>le</strong> lorsqu'il <strong>le</strong> retrouverait car, oui, s'il avait<br />

retrouvé Nils, il <strong>le</strong> retrouverait aussi. Et tous seraient enfin réunis.<br />

7


Chapitre 44 : Des Astres et <strong>de</strong>s Artifices<br />

Une étoi<strong>le</strong> filante traversa la voûte cé<strong>le</strong>ste et se refléta sur la surface<br />

du lac Diamase, miroir parfait du ciel étoilé <strong>de</strong> cette nuit fraîche. <strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux<br />

hommes <strong>le</strong>vèrent la tête en même temps pour observer ce phénomène<br />

rare.<br />

"Oooh! Une étoi<strong>le</strong> filante.<br />

-C'est vraiment magnifique!<br />

-Ça l'est encore plus <strong>de</strong> mon point <strong>de</strong> vue.<br />

-Ce gage <strong>de</strong> bonne fortune m'est sans doute <strong>de</strong>stiné."<br />

…<br />

"Tu penses sérieusement que <strong>le</strong>s étoi<strong>le</strong>s se sont mises en mouvement<br />

pour ton unique profit?<br />

-Et pourquoi ne serait-ce pas <strong>le</strong> cas? Même un homme <strong>de</strong> peu<br />

d'importance tel que moi peut bénéficier <strong>de</strong> la protection <strong>de</strong>s astres.<br />

-Nous <strong>de</strong>vrions al<strong>le</strong>r <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à une tierce personne <strong>de</strong> te prouver que tu<br />

affabu<strong>le</strong>s. D'ail<strong>le</strong>urs je vais <strong>le</strong> faire <strong>de</strong> ce pas.<br />

-Non, j'irai en premier! Pourquoi est-ce toujours toi?<br />

-Moi qui quoi?<br />

-Qui cherche à avoir la primeur… du ciel étoilé.<br />

-…Je vais <strong>le</strong>ur en par<strong>le</strong>r. Reste ici à divaguer.<br />

-Je divague moi? Tu veux te battre?"<br />

Soudain, alors que ces <strong>de</strong>ux hommes s'apprêtaient à en venir aux<br />

mains, la surface lisse du lac Diamase fut troublée par la chute d'un objet<br />

dans l'eau. Ils cessèrent <strong>de</strong> lutter, effrayés. Une étoi<strong>le</strong> était-el<strong>le</strong> tombée<br />

<strong>de</strong>s cieux pour <strong>le</strong>s punir <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur arrogance? Ils observèrent <strong>le</strong>s astres avec<br />

la peur au ventre.<br />

"Je suis désolé, je ne voulais pas m'attribuer votre protection!<br />

-Non, c'est moi qui suis désolé! Cet idiot m'a entraîné dans cette<br />

entreprise audacieuse. Nous ne voulions pas vous embarrasser, astres!<br />

-Tu admets donc <strong>le</strong>s avoir embarrassés.<br />

-Non, j'admets avoir été faib<strong>le</strong> <strong>de</strong>vant ton insistance à vouloir bénéficier<br />

<strong>de</strong> l'aura <strong>de</strong>s étoi<strong>le</strong>s. À cause <strong>de</strong> toi l'une d'el<strong>le</strong>s a décidé <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre<br />

pour nous signifier <strong>le</strong>ur courroux à toutes."<br />

Ils regardèrent ensemb<strong>le</strong> <strong>le</strong>s vagues occasionnées par cette chute<br />

impromptue venir mourir sur <strong>le</strong>s rives du lac. Il avait fallu que l'astre soit<br />

d'une tail<strong>le</strong> considérab<strong>le</strong> et que sa <strong>de</strong>scente soit fulgurante pour qu'il<br />

parvienne à affecter ainsi tout <strong>le</strong> point d'eau.<br />

"REGARDE! L'étoi<strong>le</strong> semb<strong>le</strong> remonter à la surface!<br />

-En effet, je vois une masse disgracieuse qui flotte non loin <strong>de</strong> nous.<br />

-El<strong>le</strong> va venir nous châtieeeeeer, gémirent-ils en chœur.<br />

7


-A… Attends. Pourquoi l'étoi<strong>le</strong> a-t-el<strong>le</strong> une forme si…<br />

-Quelque chose ne tourne effectivement pas rond."<br />

Ils s'entre observèrent rapi<strong>de</strong>ment et, comme un même homme, se<br />

précipitèrent vers <strong>le</strong> lac pour al<strong>le</strong>r récupérer l'objet qui y avait atterri. De<br />

<strong>le</strong>ur démarche patau<strong>de</strong> ils s'avancèrent à grands pas dans la partie peu<br />

profon<strong>de</strong> du lac puis pratiquèrent une brasse laborieuse vers l'étoi<strong>le</strong> tout<br />

en se <strong>de</strong>mandant s'ils n'allaient pas <strong>le</strong> regretter.<br />

"Que Ky<strong>le</strong>an nous protège, l'étoi<strong>le</strong> ressemb<strong>le</strong> à un homme!<br />

-Ramenons <strong>le</strong> sur la terre ferme, il a l'air inconscient.<br />

-Ne vaut-il mieux pas <strong>le</strong> laisser se noyer et profiter <strong>de</strong> cette aubaine pour<br />

fuir?"<br />

Ils réfléchirent et <strong>le</strong>vèrent <strong>de</strong> nouveau la tête vers <strong>le</strong>s astres.<br />

"Ses congénères nous observent, ils ne nous pardonneraient pas un<br />

nouvel affront, réalisèrent-ils d'une même voix."<br />

Et c'est avec hâte et terreur qu'ils sortirent l'homme <strong>de</strong> l'eau,<br />

combinant <strong>le</strong>urs forces pour <strong>le</strong> pousser <strong>de</strong>vant eux. Chacun <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

individus aurait eu suffisamment <strong>de</strong> force pour <strong>le</strong> faire seul, mais en aucun<br />

cas l'un n'aurait voulu laisser l'autre être celui qui aurait sauvé l'envoyé<br />

<strong>de</strong>s étoi<strong>le</strong>s.<br />

"Il ressemb<strong>le</strong> à un homme normal.<br />

-Pendant un très court instant j'ai eu l'impression qu'il avait <strong>le</strong>s cheveux<br />

noirs mais j'ai dû être victime d'une illusion.<br />

-Moi aussi. Peut-être que <strong>le</strong>s étoi<strong>le</strong>s ont entendu nous donner une <strong>le</strong>çon. Il<br />

a bel et bien <strong>le</strong>s cheveux blancs comme nous.<br />

-Pourquoi est-il inconscient?<br />

-Il respire encore, c'est l'essentiel.<br />

-<strong>Les</strong> étoi<strong>le</strong>s ne s'embarrassent pas <strong>de</strong> détails. Il ne porte que cet étrange<br />

pantalon rugueux qui a la cou<strong>le</strong>ur du ciel <strong>de</strong> jour. Rien d'autre.<br />

-Qu'avons-nous fait?"<br />

"Leth! More! Qu'est-ce que vous fichez?"<br />

<strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux frères sursautèrent <strong>de</strong> panique en entendant cette<br />

invective. Ils étaient pris sur <strong>le</strong> fait. C'en était fini d'eux.<br />

"Toutes mes excuses, Maître Kaznaël!<br />

-Toutes MES excuses, Maître Kaznaël!"<br />

Le Protecteur <strong>de</strong>scendit la colline et courut vers eux d'un air<br />

passab<strong>le</strong>ment irrité. Plus il approchait, plus <strong>le</strong>s jumeaux envisageaient <strong>le</strong>s<br />

différentes métho<strong>de</strong>s qu'il serait susceptib<strong>le</strong> d'adopter pour <strong>le</strong>s humilier.<br />

7


"Même trouver du bois est trop diffici<strong>le</strong> pour vous? soupira Kaznaël en<br />

affichant un sourire las. Je savais que j'aurais mieux fait <strong>de</strong>… Oh… Qu'estce<br />

que vous avez là?<br />

-Un… L'envoyé <strong>de</strong>s étoi<strong>le</strong>s.<br />

-Leth <strong>le</strong>s a courroucées.<br />

-C'EST FAUX, couina Leth d'un air affolé."<br />

Kaznaël gloussa lorsque <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux frères eurent raconté <strong>le</strong>urs méfaits.<br />

"Vous êtes tous <strong>de</strong>ux complètement stupi<strong>de</strong>s."<br />

Il écarta <strong>le</strong>s mèches <strong>de</strong> cheveux rouges qui lui tombaient <strong>de</strong>vant <strong>le</strong>s<br />

yeux et se pencha sur l'homme, <strong>le</strong>s sourcils froncés. Il remarqua une<br />

profon<strong>de</strong> entail<strong>le</strong> dans son bas ventre.<br />

"Cet homme a besoin d'être aidé. Il a du être agressé, à moins qu'il ne<br />

soit <strong>le</strong> rescapé d'un combat qui a mal tourné. Je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> quel clan<br />

revêt ce type <strong>de</strong> tenue, il n'a rien sur <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s et n'est même pas<br />

chaussé. Leth. More. Ramenez <strong>le</strong>s paltons ici.<br />

-Vous comptez <strong>le</strong> sauver?<br />

-Je ne vais pas <strong>le</strong> laisser mourir sans savoir <strong>de</strong> qui il s'agit. Jeter un<br />

homme proche <strong>de</strong> la mort dans <strong>le</strong>s eaux du lac est abject.<br />

-Mais il est tombé du…<br />

-Suffit. Al<strong>le</strong>z chercher <strong>le</strong>s paltons. Nous <strong>le</strong> ramenons au Havre.<br />

-OUI!"<br />

Ils détalèrent. Kaznaël resta sur place pour veil<strong>le</strong>r sur l'homme. Il<br />

était pris d'une étrange sensation et ne parvenait pas à se l'expliquer. Une<br />

sensation <strong>de</strong> déjà vu?<br />

"Pourquoi ai-je l'impression que tu m'es familier? s'interrogea-t-il. Se<br />

pourrait-il que je t'aie rencontré par <strong>le</strong> passé.<br />

-KAZ! Pourquoi <strong>le</strong>s jumeaux se sont-ils enfuis en courant? Qu'est-ce que<br />

tu <strong>le</strong>ur as encore fait?"<br />

Leryan se tenait au sommet d'une colline, faisant <strong>de</strong> grands signes<br />

<strong>de</strong> bras. Grâce à sa vue perçante Kaznaël <strong>le</strong> voyait comme s'il avait été à<br />

<strong>de</strong>ux mètres <strong>de</strong> lui. Soudain son protégé afficha une expression horrifiée.<br />

Il avait vu <strong>le</strong> corps.<br />

"AAAAAAAAAH! KAZNAËL!<br />

-C'est reparti…<br />

-Aaaaaaaaaaaaaah! Tu as tué quelqu'un! Tu as tué quelqu'un! Un<br />

cadavre! Un cadavre! Tu veux que <strong>le</strong>s jumeaux te couvrent! Tu veux que<br />

JE te couvre en profitant <strong>de</strong> mon statut, moi, Leryan! Aaaaaaaaaaaaaah!"<br />

Kaznaël baissa la tête, las.<br />

7


Lac Diamase, Sorgentel<br />

Ère du Règne <strong>de</strong> Leryan<br />

***<br />

Ca<strong>de</strong>ro, Sorgentel<br />

De nos jours<br />

"Vous considérez donc que <strong>le</strong>s choses se passent comme prévu, Primo?<br />

-Oui cher Régent. Bien que certaines pertes au sein <strong>de</strong> mon camp n'aient<br />

pas été prévues notre objectif me semb<strong>le</strong> être à portée <strong>de</strong> main."<br />

Sans cesser d'ingurgiter <strong>le</strong>s raisins placés sur un plateau auprès <strong>de</strong><br />

lui, <strong>le</strong> Régent Hermès scruta Primo d'un œil inquisiteur <strong>de</strong>puis son trône<br />

suré<strong>le</strong>vé. Engoncé dans une toge jaune dont <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>ttes donnaient<br />

l'illusion d'une stature imposante, il croisait <strong>le</strong>s jambes <strong>de</strong> façon<br />

dédaigneuse malgré la présence <strong>de</strong> son visiteur. Cet artifice vestimentaire<br />

cachait diffici<strong>le</strong>ment sa silhouette efflanquée.<br />

C'était un homme dont <strong>le</strong> visage quarantenaire et pourtant lisse<br />

inspirait la défiance. Sa peau était satinée par <strong>le</strong>s nombreux procédés<br />

auxquels il avait recours chaque matin pour paraître plus jeune et<br />

dépourvu <strong>de</strong> défauts. Ses sourcils étaient <strong>de</strong>ssinés <strong>de</strong> façon à tromper<br />

l'interlocuteur, lui cacher toute émotion <strong>de</strong> surprise, <strong>de</strong> tristesse ou <strong>de</strong><br />

colère. Hermès avait un menton saillant terminé par une petite barbiche<br />

et <strong>de</strong>s joues charnues, légèrement rosies par <strong>le</strong> maquillage. En somme, il<br />

ressemblait à une sorte <strong>de</strong> Cupidon adulte qui aurait fait en sorte <strong>de</strong><br />

gar<strong>de</strong>r ses attributs <strong>de</strong> beauté malgré <strong>le</strong>s effets <strong>de</strong> l'âge.<br />

"Je suis satisfait d'apprendre que plusieurs <strong>de</strong> ces maudits élus ont<br />

souffert. Ce n'est que justice face à l'humiliation qu'ils ont infligé à mon<br />

armée l'autre fois, n'est-ce pas Irène?"<br />

Irène était assise dans un haut fauteuil en velours, <strong>le</strong>s jambes<br />

croisées. El<strong>le</strong> assistait à la conversation sans rien dire, se contentant <strong>de</strong><br />

sourire dès que Hermès se tournait vers el<strong>le</strong> pour vérifier qu'el<strong>le</strong> accordait<br />

toute son attention à l'entretien. Naturel<strong>le</strong>ment el<strong>le</strong> s'était abstenue <strong>de</strong> lui<br />

rapporter la provocation dont el<strong>le</strong> avait été témoin lors <strong>de</strong>s funérail<strong>le</strong>s <strong>de</strong><br />

Sonia Donetti. Hermès n'en aurait été que plus irrité.<br />

C'est à ce moment que <strong>de</strong>s cris <strong>de</strong> rage troublèrent <strong>le</strong> calme <strong>de</strong> la<br />

fastueuse sal<strong>le</strong> d'audience du Régent Hermès. <strong>Les</strong> quatre gar<strong>de</strong>s présents<br />

se tournèrent vers <strong>le</strong> Régent, dans l'attente d'instructions.<br />

"Cette femme est inferna<strong>le</strong>, dit Hermès d'une voix pincée. El<strong>le</strong> ne cesse <strong>de</strong><br />

hur<strong>le</strong>r <strong>de</strong>puis qu'el<strong>le</strong> a repris connaissance. On l'entend d'ici malgré<br />

l'amp<strong>le</strong>ur <strong>de</strong> la Cita<strong>de</strong>l<strong>le</strong>!<br />

-Peut-être souhaitez vous qu'el<strong>le</strong> soit emmenée aux geô<strong>le</strong>s souterraines?<br />

suggéra Irène. <strong>Les</strong> appartements que vous lui avez octroyés sont bien<br />

trop beaux pour une prisonnière <strong>de</strong> guerre.<br />

7


Des coups sourds résonnèrent, amplifiés par la hauteur <strong>de</strong> la<br />

chambre où se tenait ce conciliabu<strong>le</strong>. <strong>Les</strong> gar<strong>de</strong>s étaient perp<strong>le</strong>xes.<br />

"El<strong>le</strong> peut toujours s'acharner sur cette porte, el<strong>le</strong> n'en viendra pas à bout,<br />

dit Hermès. Au pire el<strong>le</strong> se fera du mal, ce qui serait tout à fait<br />

regrettab<strong>le</strong>.<br />

-Votre bonté vous honore Régent mais j'insiste sur <strong>le</strong> fait qu'el<strong>le</strong> aurait<br />

davantage sa place dans <strong>le</strong>s geô<strong>le</strong>s.<br />

-Qu'en pensez-vous Primo?<br />

-Je vous laisse <strong>le</strong> soin d'en déci<strong>de</strong>r. Toutefois j'aimerais, si vous <strong>le</strong><br />

permettez, que vous la laissiez sortir quelques instants afin que je lui<br />

transmette une information.<br />

-La laisser sortir? Je n'aime pas trop cette idée, que se passera-t-il<br />

ensuite? s'enquit Hermès."<br />

Irène haussa un sourcil, curieuse d'en savoir plus.<br />

"Ensuite disposez d'el<strong>le</strong> comme vous <strong>le</strong> voudrez, répondit Primo. Je<br />

précise qu'il est important que vous ne lui fassiez pas <strong>le</strong> moindre mal… <strong>de</strong><br />

quelque façon que ce soit.<br />

-Vous me prêtez <strong>de</strong>s intentions très basses, dit Hermès avec un petit rire.<br />

J'ai dans ma cour <strong>de</strong> nombreuses femmes toutes aussi bel<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s unes que<br />

<strong>le</strong>s autres. Pourquoi m'embarrasser d'une prisonnière même si… (Hermès<br />

se caressa <strong>le</strong> menton) j'aimerais m'afficher avec une femme <strong>de</strong> l'autre<br />

mon<strong>de</strong> lors <strong>de</strong>s représentations publiques. Mon peup<strong>le</strong> serait tout acquis à<br />

ma cause s'il avait la conviction que son dirigeant était lié à une élue. Quel<br />

spectac<strong>le</strong> magnifique!<br />

-Je dois admettre que cette idée est intéressante, reconnut Primo. El<strong>le</strong><br />

aurait <strong>le</strong> mérite <strong>de</strong> montrer à tous que cette femme se trouve<br />

effectivement à Ca<strong>de</strong>ro. Votre intelligence vous honore.<br />

-Dire que cette idée vient à peine <strong>de</strong> jaillir <strong>de</strong> mon esprit ferti<strong>le</strong> alors que<br />

je n'étais même pas dans un processus <strong>de</strong> réf<strong>le</strong>xion, se gaussa Hermès,<br />

enchanté. (Il frappa dans ses mains) Faites sortir cette furie comme <strong>le</strong><br />

requiert mon ami Primo."<br />

Alors qu'un gar<strong>de</strong> se chargeait d'al<strong>le</strong>r transmettre l'ordre, Primo fit<br />

une nouvel<strong>le</strong> suggestion au régentissime Hermès :<br />

"Je vous conseil<strong>le</strong> <strong>de</strong> rester discret lorsqu'el<strong>le</strong> apparaîtra. Vous n'avez pas<br />

besoin <strong>de</strong> vous embarrasser d'une intervention à son égard, je me charge<br />

<strong>de</strong> lui par<strong>le</strong>r.<br />

-Ho. J'en conviens, dit Hermès d'un œil averti."<br />

Tout à coup, un bruit <strong>de</strong> fracas et <strong>de</strong>s cris étouffés se firent <strong>de</strong><br />

nouveau entendre, d'une nature quelque peu différente cette fois. El<strong>le</strong><br />

était sortie.<br />

7


"HORS DE MON CHEMIN!"<br />

Hermès et Irène affichèrent <strong>de</strong>s expressions inquiètes mais Primo<br />

<strong>de</strong>meura serein alors que Rachel Vivian Mitchells détruisait la porte<br />

menant à la sal<strong>le</strong> d'audience et s'introduisait brusquement dans <strong>le</strong>s lieux<br />

en propulsant <strong>de</strong>ux gar<strong>de</strong>s dans <strong>le</strong>s airs d'un simp<strong>le</strong> mouvement du bras.<br />

"El<strong>le</strong> semb<strong>le</strong> avoir retrouvé toute sa vigueur, constata Primo avec<br />

amusement.<br />

-A… Arrêtez-la vous autres, paniqua Irène."<br />

<strong>Les</strong> trois gar<strong>de</strong>s restés auprès du Régent se ruèrent sur el<strong>le</strong>, en<br />

vain. D'un regard enragé el<strong>le</strong> <strong>le</strong>s projeta contre un mur comme s'ils<br />

n'avaient été que <strong>de</strong> simp<strong>le</strong>s fétus <strong>de</strong> pail<strong>le</strong>. Puis, sans crier gare, el<strong>le</strong> se<br />

dirigea vers Irène au pas <strong>de</strong> course. La conseillère du Régent eut un<br />

mouvement <strong>de</strong> recul. Rachel avait utilisé son don pour ramener à el<strong>le</strong><br />

l'épée d'un <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux gar<strong>de</strong>s.<br />

"Laissez-moi partir d'ici, cria Rachel."<br />

El<strong>le</strong> saisit vio<strong>le</strong>mment Irène par <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s et l'utilisa comme<br />

bouclier humain après avoir pressé la lame <strong>de</strong> l'épée contre sa gorge.<br />

Irène était <strong>de</strong>venue aussi blanche que sa somptueuse chevelure.<br />

"Du calme, du calme, dit Primo d'une voix compatissante. Inuti<strong>le</strong> d'en<br />

arriver à <strong>de</strong> tel<strong>le</strong>s extrémités.<br />

-Libérez-moi ou je la tue!"<br />

Hermès apparut choqué mais il se garda <strong>de</strong> tout commentaire,<br />

comme <strong>le</strong> lui avait prescrit Primo. Rachel était fol<strong>le</strong> <strong>de</strong> rage, presque<br />

sauvage, conséquence prévisib<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'enfermement qu'el<strong>le</strong> avait subi.<br />

"N'y a-t-il pas eu assez <strong>de</strong> victimes dans <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux camps ces <strong>de</strong>rniers<br />

jours? dit Primo avec considération.<br />

-Taisez-vous!<br />

-Ne préfère-tu pas profiter du calme qui t'est offert dans ces superbes<br />

appartements pour p<strong>le</strong>urer la mort <strong>de</strong> tes camara<strong>de</strong>s?<br />

-Libé…"<br />

Rachel s'interrompit, frappée <strong>de</strong> stupeur.<br />

"Mes camara<strong>de</strong>s…?<br />

-Ah, on ne t'a pas dit? fit Primo d'une voix douce. Je ne pensais pas être<br />

celui qui allait te l'annoncer."<br />

<strong>Les</strong> yeux <strong>de</strong> l'élue s'écarquillèrent.<br />

7


"Ton instructrice n'a pas survécu aux évènements du Tombeau <strong>de</strong> Ky<strong>le</strong>an.<br />

Sonia, était-ce bien son nom? Je suis désolé…<br />

-Non, vous mentez.<br />

-Pourquoi mentirais-je? Je n'ai pas besoin <strong>de</strong> te duper. La femme que tu<br />

tiens en ce moment même sous la menace d'une lame est allée rendre ses<br />

hommages à ton instructrice au Cénac<strong>le</strong>.<br />

-C'est vrai, murmura Irène en tentant <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r sa contenance.<br />

-N… Non!"<br />

L'étreinte <strong>de</strong> Rachel se relâcha légèrement. La lame avait laissé une<br />

fine marque rouge sur la gorge d'Irène.<br />

"Tu ne peux que me croire. J'ai moi-même perdu <strong>de</strong>ux membres <strong>de</strong> la<br />

Confrérie alors je ne mentirais pas à une personne susceptib<strong>le</strong> <strong>de</strong> ressentir<br />

la même tristesse que toi. Sonia est bel et bien morte."<br />

Le visage <strong>de</strong> Rachel fut défiguré par l'horreur <strong>de</strong> cette nouvel<strong>le</strong>. El<strong>le</strong><br />

laissa tomber l'arme et commença à s'éloigner d'Irène en reculant. Cette<br />

<strong>de</strong>rnière tomba à genoux, soulagée.<br />

"Non…"<br />

Après être passée entre <strong>de</strong>ux colonnes Rachel se colla à un mur <strong>de</strong><br />

marbre dont la surface était froi<strong>de</strong> comme la glace. El<strong>le</strong> y <strong>de</strong>meura un<br />

moment immobi<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s yeux grands ouverts, puis se laissa glisser jusqu'au<br />

sol où el<strong>le</strong> se recroquevilla. El<strong>le</strong> avait perdu toute volonté <strong>de</strong> résister.<br />

"Je suis désolé, répéta Primo. Dire qu'el<strong>le</strong> est morte en essayant <strong>de</strong> vous<br />

protéger, <strong>de</strong> TE protéger. El<strong>le</strong> est intervenue au moment où j'allais te faire<br />

quitter <strong>le</strong> Tombeau et Maggie a été contrainte <strong>de</strong> la tuer pour me protéger<br />

<strong>de</strong> son pouvoir mortel. Cependant, tu ne dois pas te sentir coupab<strong>le</strong> <strong>de</strong> sa<br />

disparition, tu n'y es pour rien."<br />

Rachel se mit à p<strong>le</strong>urer, repliée en position fœta<strong>le</strong> et prise <strong>de</strong><br />

soubresauts. Sonia était morte à cause d'el<strong>le</strong>? En essayant <strong>de</strong> la sauver?<br />

"Je suis responsab<strong>le</strong> <strong>de</strong> sa mort. J'ai encore agi <strong>de</strong> façon inconsidérée et<br />

cette fois-ci j'ai causé du tort aux autres…" Entre <strong>de</strong>ux crises <strong>de</strong> larmes<br />

Rachel parvint à rassemb<strong>le</strong>r ses forces pour s'adresser à Primo :<br />

"Ils vont venir… <strong>Les</strong> autres vont venir. Ils vont me sortir d'ici malgré tout.<br />

J'en suis sûre. Ils viendront."<br />

Primo se dirigea vers el<strong>le</strong> et s'accroupit tout près pour lui caresser<br />

<strong>le</strong>s cheveux. Le malheur qui accablait l'élue fit qu'el<strong>le</strong> n'essaya même pas<br />

<strong>de</strong> l'écarter.<br />

"Bien sûr qu'ils viendront ma douce. C'est ce que nous espérons tous. Ils<br />

vont traverser terre et mer pour te sauver, ils essaieront <strong>de</strong> s'introduire<br />

7


dans Ca<strong>de</strong>ro. Ne t'inquiète pas Rachel, ils viendront. Autrement, comment<br />

pourrais-je <strong>le</strong>s exterminer l'un après l'autre?"<br />

Rachel <strong>le</strong> regarda d'un œil alarmé alors qu'il s'éloignait pour<br />

rejoindre Hermès.<br />

"Voilà, el<strong>le</strong> est calmée pour un moment, lança Primo au Régent. Vous<br />

pouvez la ramener à l'intérieur sans prendre <strong>le</strong> moindre risque, el<strong>le</strong> ne se<br />

rebel<strong>le</strong>ra pas.<br />

-Vous avez entendu? Ramenez-la ban<strong>de</strong> <strong>de</strong> bons à rien, croassa Hermès à<br />

ses gar<strong>de</strong>s. Irène, mon enfant, ça va al<strong>le</strong>r?<br />

-Plus <strong>de</strong> peur que <strong>de</strong> mal, régent. Merci <strong>de</strong> vous en soucier."<br />

Deux <strong>de</strong>s gar<strong>de</strong>s s'exécutèrent après avoir repris <strong>le</strong>urs esprits. Sans<br />

égard pour la jeune femme ils l'attrapèrent par <strong>le</strong>s bras et l'escortèrent<br />

vers ses appartements, sous <strong>le</strong>s regards satisfaits du Régent et <strong>de</strong> ses<br />

acolytes.<br />

"Tu n'es qu'une garce, lui souffla l'un <strong>de</strong>s soldats dès qu'ils furent dans <strong>le</strong><br />

couloir, hors du champ <strong>de</strong> vision du Régent. Je te conseil<strong>le</strong> <strong>de</strong> ne dormir<br />

que sur une oreil<strong>le</strong> la nuit. Autrement…<br />

-Ne la provoque pas, lança l'autre gar<strong>de</strong>. Tu as oublié ce qu'el<strong>le</strong> a fait <strong>de</strong><br />

nous en l'espace <strong>de</strong> quelques secon<strong>de</strong>s?<br />

-Si el<strong>le</strong> n'avait pas ce don ce serait différent!"<br />

Rachel ne réagissait même pas, toujours sous l'effet <strong>de</strong> l'annonce <strong>de</strong><br />

la mort <strong>de</strong> Sonia. C'était à peine si el<strong>le</strong> marchait, laissant aux <strong>de</strong>ux<br />

hommes <strong>le</strong> loisir <strong>de</strong> la traîner comme un poids mort. Soudain ils<br />

s'arrêtèrent. Quelqu'un venait à <strong>le</strong>ur rencontre.<br />

"Je vais me charger <strong>de</strong> l'élue.<br />

-Mais… Nous avons…<br />

-Vous êtes sourds ou quoi? Je vais me charger d'el<strong>le</strong>. Gar<strong>de</strong>z votre sang<br />

froid, je ne vais pas la libérer!<br />

-Bien… sûr."<br />

Rachel avait <strong>le</strong>s yeux rivés au sol. El<strong>le</strong> sentit qu'el<strong>le</strong> n'avait plus<br />

l'appui physique <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux gar<strong>de</strong>s et se força à ne pas fléchir <strong>le</strong>s jambes<br />

pour rester <strong>de</strong>bout. Alors, une main lui saisit vigoureusement l'épau<strong>le</strong>. Et<br />

ils repartirent.<br />

A peine avaient-ils fait quelques pas que l'individu qui la tenait<br />

s'adressa à el<strong>le</strong>, à voix basse.<br />

"Ne crois rien <strong>de</strong> ce qu'ils pourront te dire. A part la mort <strong>de</strong> ton<br />

instructrice, tout sera mensonge. Ce n'est pas à cause <strong>de</strong> toi que la<br />

femme est morte, el<strong>le</strong> n'a même pas croisé <strong>le</strong> chemin <strong>de</strong> Primo."<br />

L'attention <strong>de</strong> Rachel s'aiguisa.<br />

7


"Primo ne fera que mentir. Tout ce qu'il dira visera à te rendre faib<strong>le</strong> et<br />

manipulab<strong>le</strong>, ok? Alors ne fais pas ta conne et n'assimi<strong>le</strong> jamais ce qu'il<br />

pourra te dire. Pareil pour mon père, ils sont tous <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux spécialisés<br />

dans la manipulation. Si tu veux, fais semblant <strong>de</strong> perdre <strong>le</strong>s péda<strong>le</strong>s mais<br />

gar<strong>de</strong> à l'esprit qu'ils vont mentir, mentir et encore mentir. "<br />

Rachel se tourna vers son interlocuteur et <strong>le</strong> dévisagea.<br />

"Qui êtes-vous? lui <strong>de</strong>manda-t-el<strong>le</strong>.<br />

-Tiens-toi tranquil<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s gar<strong>de</strong>s nous observent encore.<br />

-…<br />

-J'essaierai <strong>de</strong> te faciliter la vie en attendant que l'attention <strong>de</strong> mon père<br />

se relâche. Dès que j'en aurai <strong>le</strong>s moyens je ferai en sorte <strong>de</strong> te faire<br />

quitter cet endroit mais il va falloir être patiente, ok?<br />

-Votre père? Qui?"<br />

Victorio Benedict ouvrit la porte <strong>de</strong> la cage dorée <strong>de</strong> Rachel.<br />

"Le Régent, murmura-t-il. Maintenant joue-la discrète et évite <strong>de</strong> me<br />

compromettre, je suis déjà assez mal vu par ici."<br />

Il s'apprêta à refermer mais el<strong>le</strong> courut vers lui.<br />

"Pourquoi m'ai<strong>de</strong>riez-vous? Votre tenue… vous êtes <strong>de</strong> la Confrérie, non?<br />

Votre tête? Victorio Benedict? Le Régent est votre père?"<br />

Victorio bloqua la porte et pointa <strong>le</strong> doigt sur un cheveu blanc qui<br />

faisait tâche au milieu <strong>de</strong> sa chevelure auburn.<br />

"De la teinture. Je suis aussi Sorgenteli que tu es américaine."<br />

Il referma la porte et la verrouilla <strong>de</strong> l'extérieur.<br />

"J'en ai assez <strong>de</strong> me faire tabasser par <strong>le</strong>s élus sans y gagner quoi que ce<br />

soit, dit-il à travers la porte. Si t'ai<strong>de</strong>r peut être <strong>le</strong> moyen <strong>de</strong> rendre la<br />

monnaie <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur pièce à Primo et à cet empaffé <strong>de</strong> géniteur, je <strong>le</strong> ferai."<br />

Et Rachel se retrouva seu<strong>le</strong> dans sa confortab<strong>le</strong> chambre, quelque<br />

part au centre <strong>de</strong> la cité dissi<strong>de</strong>nte <strong>de</strong> Ca<strong>de</strong>ro. Ses pensées allaient vers<br />

Sonia.<br />

7


Epilogue<br />

Rick se mit à arpenter la plage en recherche <strong>de</strong> l'endroit que lui<br />

avaient indiqué Bennett. Il venait <strong>de</strong> passer quelques heures en avion, en<br />

train puis en bus pour arriver jusque là et il déplorait sincèrement <strong>le</strong> fait<br />

qu'Asuka n'ait pas pu l'y emmener directement. Lieu inconnu, aucune<br />

personne <strong>de</strong> connue, donc impossib<strong>le</strong> pour l'élu <strong>de</strong> s'y téléporter.<br />

Toutefois la vision agréab<strong>le</strong> qui s'offrait à lui compensait <strong>le</strong> long<br />

voyage qu'il venait <strong>de</strong> s'imposer (aux frais <strong>de</strong> GLOW). Une mer cristalline,<br />

une plage <strong>de</strong> sab<strong>le</strong> blanc sans <strong>le</strong> moindre touriste et surtout un so<strong>le</strong>il<br />

radieux qui tranchait radica<strong>le</strong>ment avec <strong>le</strong> climat détestab<strong>le</strong> qu'il venait <strong>de</strong><br />

laisser à Paris. Rick retira ses baskets et se mit à marcher pieds nus en<br />

scrutant <strong>le</strong>s environs.<br />

L'endroit était idéal, situé en contrebas d'une surélévation rocheuse<br />

cachant la plage à la vue <strong>de</strong>s citadins et <strong>de</strong>s touristes qui n'en<br />

soupçonnaient pas l'existence. Quiconque s'aventurait ici avait forcément<br />

été informé sur la présence <strong>de</strong> ce lieu reculé. On entendait à peine <strong>le</strong>s<br />

bruits <strong>de</strong> la vil<strong>le</strong>, filtrés par cette barrière naturel<strong>le</strong>. Réjoui par cette<br />

perspective, Rick continua d'avancer tranquil<strong>le</strong>ment en s'imprégnant <strong>de</strong><br />

l'air marin.<br />

Un aboiement attira son attention. Un énorme labrador trottait vers<br />

lui, venu d'une grosse bicoque blanche située au loin.<br />

"Oh, comment tu t'appel<strong>le</strong>s cabot? lui <strong>de</strong>manda Rick en espagnol alors que<br />

l'animal venait <strong>le</strong> saluer."<br />

Il lui caressa la tête et <strong>le</strong> labrador se jeta bruta<strong>le</strong>ment sur lui pour<br />

lui lécher <strong>le</strong> visage. Rick se retrouva à terre, mort <strong>de</strong> rire.<br />

"Ayyyyy! Estupido! se plaignit une voix féminine."<br />

La propriétaire du chien arriva <strong>de</strong> nul<strong>le</strong> part, accrocha une laisse à<br />

son collier et <strong>le</strong> ramena vers el<strong>le</strong> en s'excusant mil<strong>le</strong> fois.<br />

"Je suis désolée, fit la femme en espagnol. Il joue mais ne réalise pas sa<br />

force. (El<strong>le</strong> aida Rick à se re<strong>le</strong>ver) Vous ne vous êtes pas fait mal?<br />

-Tout va bien, je vous rassure.<br />

-Si j'avais pensé que <strong>de</strong>s gens étaient encore susceptib<strong>le</strong>s <strong>de</strong> se promener<br />

ici je ne l'aurais pas laissé s'ébattre sans laisse. Vous êtes perdu? On ne<br />

voit jamais personne dans ce coin.<br />

-Non, je ne suis pas perdu! Je me rendais vers cette maison là-bas."<br />

<strong>Les</strong> yeux <strong>de</strong> la femme s'écarquillèrent.<br />

"C'est chez moi. Vous êtes une connaissance <strong>de</strong> Daniel?<br />

-Daniel? Euh… non…"<br />

7


Il réalisa alors qu'il avait affaire à la personne qu'il était venu<br />

rencontrer. La trentaine à peine entamée, gran<strong>de</strong> et maigre avec <strong>de</strong> longs<br />

cheveux noirs volant au vent, <strong>le</strong> teint mat et d'immenses yeux marron.<br />

El<strong>le</strong> n'était pas si différente <strong>de</strong> la photo qu'il avait déjà vue à GLOW.<br />

"Je cherche Maria Hernan<strong>de</strong>z, dit-il sans détour. J'imagine que c'est vous."<br />

L'expression <strong>de</strong> Maria vira <strong>de</strong> la curiosité au dépit <strong>le</strong> plus profond.<br />

El<strong>le</strong> détourna légèrement la tête et regarda la Méditerranée. Rick réalisa<br />

alors que son Etemenanki était visib<strong>le</strong> et qu'el<strong>le</strong> venait sans doute <strong>de</strong><br />

l'apercevoir.<br />

"Je ne suis plus Maria Hernan<strong>de</strong>z. Mon nom d'épouse est Jara.<br />

-Maria Jara donc… Excusez-moi.<br />

-Je savais que ce jour viendrait. Je m'y suis toujours attendu mais cette<br />

sensation s'est accentuée lorsque j'ai réalisé que j'étais la <strong>de</strong>rnière.<br />

-Pardon?<br />

-Sonia est morte, n'est-ce pas? Et il est arrivé quelque chose à Samuel<br />

aussi.<br />

-Oui, comment <strong>le</strong> savez-vous?<br />

-Je l'ai ressenti, une sorte <strong>de</strong> sixième sens peut-être. Il y a quelques jours<br />

j'ai eu <strong>le</strong> sentiment subit d'avoir perdu ma famil<strong>le</strong> et…"<br />

El<strong>le</strong> se ravisa.<br />

"Que vou<strong>le</strong>z-vous? Vu votre âge vous êtes un élu, n'est-ce pas?<br />

-Mon nom est Enrique Vasquez Montero mais tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> m'appel<strong>le</strong><br />

Rick. J'ai hérité du même don que Sonia."<br />

Maria acquiesça.<br />

"Espagnol et titulaire du même don que Sonia, je ne suis pas surpris que<br />

GLOW vous ait envoyé…"<br />

El<strong>le</strong> se passa nerveusement la main dans <strong>le</strong>s cheveux.<br />

"Écoutez, ne <strong>le</strong> prenez pas mal mais je vais vous dire la même chose qu'à<br />

Sonia, à Mme Jones et aux autres il y a dix ans : je refuse <strong>de</strong> retourner à<br />

GLOW. Ce temps est révolu. Aujourd'hui je suis mariée, j'ai <strong>de</strong>ux enfants<br />

et un travail qui me plaît. Non pas que je sois indifférente à la marche du<br />

mon<strong>de</strong> mais j'estime avoir suffisamment donné <strong>de</strong> ma personne.<br />

-Vous vous méprenez sur mon compte, je n'ai pas été envoyé par Mme<br />

Jones.<br />

-Ah? fit-el<strong>le</strong> surprise. Vous venez <strong>de</strong> votre propre initiative?<br />

-Oui et mon but n'est pas <strong>de</strong> vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong> revenir."<br />

Le labrador aboya, impatient <strong>de</strong> reprendre sa bala<strong>de</strong> littora<strong>le</strong>.<br />

7


"Je ne comprends pas votre venue dans ce cas, à moins que vous n'ayez<br />

simp<strong>le</strong>ment voulu m'annoncer la mort <strong>de</strong> Sonia. Si c'est ça il aurait suffi<br />

<strong>de</strong>…<br />

-Je voudrais uniquement que vous rendiez service à un ami en lui<br />

accordant un peu <strong>de</strong> votre temps, quelques jours tout au plus."<br />

Il lui tendit un dossier beige qu'el<strong>le</strong> n'accepta d'ouvrir qu'après qu'il<br />

ait lour<strong>de</strong>ment insisté du regard.<br />

"Son nom est Arthur Gall."<br />

Maria parcourut rapi<strong>de</strong>ment <strong>le</strong> dossier. Son expression changea et<br />

ses yeux s'écarquillèrent à mesure qu'el<strong>le</strong> lisait. C'était la réaction qu'avait<br />

espérée Rick.<br />

"Nous sommes dans la <strong>de</strong>rnière ligne droite et il faut que <strong>le</strong>s capacités <strong>de</strong><br />

chacun d'entre nous soient exploitées à <strong>le</strong>ur maximum. Vous êtes la seu<strong>le</strong><br />

à pouvoir l'ai<strong>de</strong>r à manipu<strong>le</strong>r parfaitement son don. Si vous acceptez il est<br />

prêt à venir ici pour vous causer <strong>le</strong> moins <strong>de</strong> dérangement possib<strong>le</strong>."<br />

El<strong>le</strong> referma <strong>le</strong> dossier et lui rendit sans rien dire. Son expression<br />

était <strong>de</strong>venue indéchiffrab<strong>le</strong>, Rick n'était même pas certain qu'el<strong>le</strong> l'avait<br />

écouté.<br />

"Mon dieu…, fit-el<strong>le</strong> d'une voix calme. Cela remonte si loin. C'est comme si<br />

l'on évoquait une vie antérieure. Rien que d'en par<strong>le</strong>r je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> si…"<br />

Maria <strong>le</strong>va doucement <strong>le</strong> bras droit. Tout à coup un souff<strong>le</strong> glacial<br />

envahit la plage et donna la chair <strong>de</strong> pou<strong>le</strong> à Rick. Il n'aurait pas été plus<br />

frigorifié s'il s'était jeté <strong>de</strong> p<strong>le</strong>in pied dans une chambre froi<strong>de</strong> tournant à<br />

p<strong>le</strong>in régime. Il faisait pourtant vingt-cinq <strong>de</strong>grés à l'ombre.<br />

"Dire que je n'ai pas fait ça <strong>de</strong>puis dix ans…"<br />

La copie conforme <strong>de</strong> Drydock flottait au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> la main ouverte<br />

<strong>de</strong> Maria. Rick ne fut pas surpris. <strong>Les</strong> survivants <strong>de</strong> la première génération<br />

étaient censés avoir gardé la maîtrise <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur don au vu <strong>de</strong>s circonstances.<br />

Maria referma la main sur la poignée <strong>de</strong> Drydock et ses yeux virèrent au<br />

gris. La température re<strong>de</strong>vint norma<strong>le</strong>.<br />

"Nazul, tu es donc toujours là, soupira Maria."<br />

Son chien s'était enfui vers la maison, terrorisé. Maria baissa <strong>le</strong>s<br />

bras et fit disparaître l'épée.<br />

"Parlons, dit-el<strong>le</strong> à Rick."<br />

7


FIN DU TOME 2<br />

LE CLAN D'AZULNOT<br />

7

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