programme de salle - Florent Siaud

P r o g r a m m e d e s a l l e
Le CNSMDP,
le CRR d’Aubervilliers - La Courneuve,
l’ÉNS Lyon présentent
LA CAPRICCIOSA
CORRETTA
Opéra composé par les étudiants de Fabien Waksman
CNSMDP | Salle Fleuret | 23 mars 2011 | 19h

Remerciements
Conservatoire National Supérieur et de Musique de danse de Paris
(CNSMDP)
Bruno Mantovani, directeur du CNSMDP
Marie Linden et le département des disciplines théoriques
Jean-Marc Demeuré et le département des disciplines vocales
Georges Bloch et le département Formation supérieure des métiers du son
Pierre Brouchoud, Guy Boutteville et le service apprentissage de la scène
Jean-Pierre le Gallic et la régie des salles publiques
Alexandre Pansard-Ricordeau, Bruno de Saint Maurice et le service de la
communication
Catherine de Boishéraud et le service de l’audiovisuel
Conservatoire à Rayonnement Régional d’Aubervilliers –
La Courneuve
Jean Roudon, directeur du CRR
Catherine Navarro, chargée de production
Christophe Maurin et Cédric Cadeau, régisseurs
École Normale Supérieure de Lyon
Olivier Faron, directeur général de l’ÉNS de Lyon
Éric Bordas et le Pôle Études
Jean-Loup Rivière, Yves Balmer et le département des Arts
Monique Guelorget et le service des Études et de la Scolarité
Toute l’équipe de la reprographie
Mairie du XIXe arrondissement de Paris
Roger Madec
Marco Avallone
Delphine Vieira
Remerciements très chaleureux, également
à Philippe Model (http://www.philippemodel.com)
Stéphane Degout, Marie Gueden, Georgiy Dubko, Lucile Moury,
Thomas Le Colleter, Le Théâtre National de Bordeaux
Crédits photographiques
© Julie de Waroquier (juliedewaroquier.com)
2

SOMMAIRE
Sommaire.................................................................................... 3
Équipes ....................................................................................... 5
L’origine d’un projet.................................................................... 7
La dramaturgie appliquée à l’ÉNS ............................................... 9
Synopsis.................................................................................... 11
Les personnages ........................................................................ 15
Approches transversales ............................................................ 21
Textes croisés............................................................................ 25
Livret bilingue ........................................................................... 33
Rencontre avec Stéphane Degout.............................................. 55
Programme rédigé par les étudiants de l’École Normale
Supérieure de Lyon, sous la direction de Florent Siaud
3

Responsables
pédagogiques du
projet
CNSMDP : Fabien
Waksman
CRR Aubervilliers – La
Courneuve : Guillaume
Connesson
ENS Lyon : Florent
Siaud
Distribution
Cirpigna : Julia Knecht
Isabella : Cécile Achille
Cilia : Jeanne
Crousaud
Bonario : Yoonsung
Choi
Fiuta : Benjamin
Mayenobe
Lelio : Enguerrand de
Salle de Hys
Don Giglio : Romain
Dayez
Equipe artistique
Direction musicale :
Victorien Vanoosten
Mise en scène : Florent
Siaud
Assistance : Melisa
Yener
Costumes et accessoires :
Philippe Model ;
ÉQUIPES
Théâtre National de
Bordeaux
Lumières :
Ludovic Heime
Chefs de chant : Yoan
Hereau, Benjamin
Laurent, Georgiy
Dubko
Régie générale :
Jean-Pierre Le Gallic
Compositeurs
Fabien Waksman
Laurent Courbier
Nicolas Crivelli
Aurélien Guelfucci
Ami Hoyano
Éloïse Kohn
Céline Lamarre
Benjamin Locher
Lucile Moury
Vérouchka Nikitine,
Thomas Ospital
Romain Pangaud
Nicolas Parisot
Chloë Pfeiffer
Constantin Rouits
Luiza Wróbel
Orchestrateurs
Jay Allan Miller
Thomas Beaune
Vincent Wavelet
Per Arne Glorvingen
Josquin Gauthier
Arnaud Meier
Martin Loridan
Jean-pascal Jellal
Maximillian
Weinbach
Sébastien Le Goff
Fabrice Richaud
François Eymet
Arthur Simonini
Gaëtan Tessé
Jeanne Lefèvre
Constantin Rouits
Jeanne Lefèvre
Il Woong Seo
Elisabeth Angot
Instrumentistes (CRR,
CNSMDP, Pôle
Sup’93)
Violons 1
Milie Floutier
Dali Feng
Jonathan Sebban
Mao Wei
Mathieu Coulon
Jueying Xiao
Jérémy Pagliarin
Fanny Goubault
Violons 2
Reina Kitada
Rosane Bex
Clément Raverdel
Yifan Wang
Mélanie Arulnadin
Ahmed Barnat
Altos
Cécile Boyer Borie

Claire Hélène Rignol
Evan Mut
Violoncelles
Lola Malique
Eunjin Lee
Anne-Elisabeth Leroy
Jing Jing YE
Contrebasses
Kentaro Suzuki
Samuel F'hima
Louis Siracusa
Flûtes
Michaël Kontogom
Anaïs Leborgne
Clarinettes
Miho Morita
Nina Zeyen
Hautbois
Umbaya Nes
Majstorovic
Xiaobin Tang
Bassons
Julien Abbes
Louise Lapierre
Cors
Maximilien Sohet
Nicolas Josa
Trompettes
Hongbo Ren
Juan Carlos
Dominguez Rocha
timbales
Julien Chevillard
Elèves de l’École
Normale Supérieure
de Lyon
6
Claire Besuelle
Carole Boulanger
Claire Chassagne
Jessica Dandy
Kathrin Esser
Aurélie de Foresta
Ludovic Heime
Nina Hugot
Ana Rimenez
Icazbalceta
Véra Leon
Elodie Muselle
Claire Emmanuelle
Nardone
Cecilia Roumi
Pierre-Damien
Traverso
Naomi Truan
Florence Verney
Julie de Waroquier

L’ORIGINE D’UN PROJET
Après trois années d’enseignement de l’harmonie au
CNSMDP, j’ai ressenti le besoin de renouveler mon approche de cette
discipline en la rendant plus concrète. Les étudiants en écriture ont
trop peu l’occasion de travailler avec des interprètes, ce qui pourtant
formera un élément essentiel de leur future vie musicale. Il m’a dès
lors semblé intéressant de tenter l’expérience d’une création musicale
qui prendrait vie par la grâce de chanteurs et d’instrumentistes.
L’idée d’un opéra à la manière de Mozart s’est imposée très
vite. D’une part, parce que le langage de Mozart reste abordable pour
de jeunes étudiants de 1 ère année au CNSMDP. D’autre part, parce que
j’adore l’opéra, et que réaliser un opéra entier et le monter était un
projet inédit au sein des classes d’écriture. Mieux, un véritable défi !
La forme de l’opéra mozartien avait en outre cette particularité de se
prêter particulièrement bien à l’exercice : le découpage clair entre les
différents airs, récits, ensembles, permettait de définir clairement le
rôle de chacun de mes 15 compositeurs en herbe.
La première tâche fut de trouver un livret intéressant. Je
cherchais un texte qui rappelle les Noces de Figaro. C’est pour cette
raison que j’ai rapidement choisi la Capricciosa Corretta, du même
librettiste, Lorenzo Da Ponte. Après quelques retouches et coupures,
j’ai attribué une partie à chaque étudiant en fonction de sa rapidité
d’écriture et de sa personnalité : la musique a alors commencé à
prendre forme. Le travail fut difficile et long, mais riche en
enseignements ! Une fois la musique achevée, ce sont les problèmes
de prosodie italienne, soulignés par nos chanteurs, qui ont occupé le
devant de la scène. Est alors arrivée la récompense : l’interprétation de
l’oeuvre en version de concert avec piano l’an dernier salle Fleuret.
Devant le succès rencontré par l’entreprise, nous ne pouvions
pas en rester là : cette œuvre à part entière méritait d’être orchestrée et
mise en scène. L’orchestration de l’œuvre fut confiée à Guillaume
Connesson et sa classe au CRR d’Aubervilliers, et c’est avec brio que
les orchestrateurs ont mené à bien cette tâche titanesque. Quant à la
mise en scène, c’est Florent Siaud qui a mis son talent, son expérience
et son dynamisme au service de La Capricieuse corrigée, afin
qu’aujourd’hui cette œuvre puisse enfin être représentée.
Fabien Waksman (Professeur d’harmonie au CNSMDP)

Variation autour de Ciprigna,
L’épouse de Bonario.
8

LA DRAMATURGIE APPLIQUEE A L’ÉNS
Loin de ne travailler que pour Mozart, Lorenzo Da Ponte
(1749 – 1838) écrit des livrets d’opéra pour les plus grands
compositeurs de son temps. Parmi ceux-ci : Martin y Soler, le « Mozart
valencien », avec qui il inaugure une collaboration suivie à partir de
1785. Lorsque l’empereur Joseph II décède en 1790, Da Ponte tombe
en disgrâce. Il quitte alors cette Vienne dont il aura été une figure
emblématique pour se fixer momentanément à Londres. Rapidement
recruté par le théâtre de Haymarket, il rédige à son intention plusieurs
livrets, dont celui de notre Capricieuse corrigée. Créé en 1795, l’opéra
connaît un franc succès et voyage rapidement à travers toute l’Europe.
Plus de deux siècles plus tard, la musique de Martin y Soler reste
relativement peu connue 1 . Le livret, lui, n’en a pas moins gardé toute
sa fraîcheur.
Dans le droit fil de l’esprit des Noces de Figaro ou de Cosi fan
tutte, les valets y conspirent pour le bien des maîtres, dans une
jubilation irrésistible qui méritait bien une seconde mise en musique.
Le défi fut relevé par Fabien Waksman et sa classe avec une ténacité et
une énergie admirables. Que l’œuvre piano – chant qui en découla en
2010 fasse ensuite l’objet d’un travail d’orchestration puis de
dramaturgie et de mise en scène : c’était là une nouvelle gageure, dont
le premier mérite aura été d’impliquer près d’une centaine d’élèves
répartis dans les établissements du CNSMDP, du CRR d’Aubervilliers –
La Courneuve et de l’ÉNS de Lyon.
Cette Capricieuse a suscité un bel enthousiasme auprès des
élèves de l’ÉNS qui, dans un atelier intitulé « dramaturgie appliquée et
monde du spectacle lyrique », n’ont pas ménagé leurs efforts pour se
familiariser avec le monde si singulier de l’opéra. Au terme de trois
mois de travail, ils auront suivi un cours d’introduction sur les opéras
de Mozart, effectué des recherches d’images pour les costumes requis
par la mise en scène, préparé un dossier dramaturgique sur chaque
personnage à l’intention de chaque chanteur, rédigé le présent
programme et assisté aux derniers réglages à Paris de ce spectacle
insolite. Ils auront également noué un dialogue privilégié avec le grand
1 À cet égard, il faut saluer l’enregistrement qu’en a proposé
Christophe Rousset.

aryton français Stéphane Degout, venu expressément les rencontrer à
Lyon le 7 février, afin d’évoquer avec eux son expérience scénique des
rôles mozartiens.
Je ne remercierais jamais assez toutes les personnes qui, au
CNSMDP, au CRR ou à l’ÉNS, ont rendu ce vaste partenariat possible.
Leur bienveillance aura été le plus sûr des guides. Modeste, fragile
mais – nous l’espérons – touchante, cette Capricieuse porte déjà en
elle la mémoire d’une belle histoire artistique mais aussi d’une
audacieuse aventure institutionnelle et pédagogique.
Florent Siaud (chargé de cours à l’ÉNS Lyon)
Variation autour de Bonario,
Époux de Ciprigna,
Père d’Isabella
10

ACTE I
SYNOPSIS
Scène 1 : Exaspérés par le despotisme de Ciprigna, la femme que
Bonario a épousée en secondes noces, Isabella, Fiuta et Cilia sont prêts
à plier bagages. Les trois personnages exhortent le maître de maison à
reprendre le pouvoir. Reste à trouver une ruse pour faire revenir la
paix au logis : Fiuta est l’homme de la situation.
Quatuor « Con tal donna io non vo’ star » et Notturnino (Isabella, Fiuta,
Cilia, Bonario). Composé par Laurent Courbier.
Scène 2 : Restée seule avec Isabella, Cilia dresse un portrait caustique
de la jeune marâtre.
Air « Ha un certo cervello » (Cilia). Composé par Luiza Wróbel.
Scène 3 : Ciprigna entre, suivie de son soupirant Don Giglio. Ce
pique-assiette de grande famille la courtise sous les yeux même de
Bonario. L’époux légitime essaie gauchement de réprimander sa
femme, mais celle-ci, piquée au vif, est saisie d’un terrible accès de
fureur.
Air « Quante sono le fila d’oro » (Don Giglio), récitatif et sextuor
« Togliti a gl’occhi miei » (tous sauf Lelio). Composé par Verouchka
Nikitine.
Scène 4 : Restée seule en scène, Isabella retrouve son amant : aidé de
Fiuta, le jeune comte Lelio espère bientôt obtenir sa main. Mais pour
cela, il faudrait parvenir à convaincre Bonario de marier sa fille sans le
consentement de Ciprigna.
Air « Qui vive e respira » (Lelio). Composé par Nicolas Crivelli.
Scène 5 : La capricieuse ressurgit. Afin de rien laisser percer du
complot qui se trame, Fiuta fait passer Lelio pour le maître à danser.
Charmée par ce nouveau visage, Ciprigna l’entraîne à sa suite,
provoquant la fureur d’Isabella.
Air de fureur « Ah quest’e troppo ! » (Isabella). Composé par Thomas
Ospital.
Scène 6 : Devant la peine causée par Ciprigna à sa propre fille,
Bonario se demande : comment enfin réussir à corriger la capricieuse ?
Fiuta lui propose d’user de la force et lui apprend à manier les armes.
Ils se retirent.
Air de la leçon « Figuriamo che in questo momento… » (Fiuta, Bonario).
Composé par Thomas Ospital.

Scène 7 : Ciprigna revient accompagnée de Lelio. Elle cherche à le
séduire. En vain : celui-ci repousse ses avances.
Scène 8 : Blessée par l’indifférence du jeune homme, Ciprigna
demande à Cilia de la rendre encore plus belle. Elle sort.
Air « Guarda mi un poco » (Ciprigna). Composé par Ami Hoyano.
Scène 9 : De retour, Fiuta invite Lelio à faire semblant de répondre à
l’amour de Ciprigna : ne serait-ce pas le meilleur moyen de l’abuser ?
Lelio acquiesce.
Scènes 10 à 12 : Devant une chaise, Bonario s’exerce à mettre en
application les préceptes de Fiuta, sous les yeux médusés d’Isabella,
Fiuta et Cilia, qui l’observent cachés. Arrive Ciprigna, qui feint dans un
premier temps de faire amende honorable. Puis, profitant d’une
seconde d’inattention de Bonario, elle se saisit de ses armes. Dans
l’affrontement, un coup de feu éclate. Alerté par le vacarme, chacun
sort de sa cachette, tandis que Bonario se croit mort. Ciprigna
triomphe une nouvelle fois : le père de famille a encore manqué son
coup.
Air de la chaise « Son già stanco, odonna indegna » et Finale « Questo
caso insepetto » (Bonario puis tous). Romain Pangaud
ACTE II
Scène 1 : Les jeunes amants sont au désespoir : que faire si le plan de
Fiuta échoue ? Lelio propose à Isabella de fuir, mais celle-ci s’offusque
à l’idée d’enfreindre les règles élémentaires de la bienséance : elle
préfère sacrifier sa joie à son honneur. Lelio lui rappelle la force de
son amour. Ils sortent.
Air « Sono oppressa e sventurata » (Isabella) ; récitatif et air « Senzo il
caro mio tesoro » (Lelio). Composé par Aurélien Guelfucci.
Scène 2 : Bonario annonce à Ciprigna qu’il la quitte ; elle menace de
se venger.
Scène de ménage « Che trista mercede » (Ciprigna, Bonario). Composé par
Nicolas Parisot.
Scène 3 : Une fois les maîtres sortis, Fiuta et Cilia s’avancent : ils
s’épouseront dès que la paix sera revenue dans la maison de Bonario.
Air des tambours « Allegramente Cilietta cara » (Fiuta, Cilia). Composé
par Lucile Moury.
Scène 4 : Mais la capricieuse reparaît, poursuivie par Don Giglio.
Ayant une nouvelle proie en vue, Ciprigna le rejette. Conformément
au plan de Fiuta, Lelio lui avoue une flamme qu’il feint. Visiblement
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satisfaite et le croyant toujours maître à danser, elle propose de
l’anoblir en lui offrant un comté qui appartient à la famille de Bonario.
Lelio fait mine de s’étonner qu’une femme puisse être si généreuse.
Ciprigna défend la gent féminine dans un air, puis sort.
Récitatif et air « La donna ha bello il core » (Ciprigna). Composé par
Constantin Rouits.
Scène 5 : Médusé par le comportement de Ciprigna, Lelio restitue à
Bonario le comté offert par Ciprigna. Reconnaissant, Bonario lui offre
la main de sa fille.
Scène 6 : Fiuta propose à tous de passer à la dernière étape de son
plan : travesti en oriental, il compte duper Ciprigna par un ultime
moyen. Lorsque celle-ci revient, il se présente à elle sous les traits d’un
ambassadeur venu d’une île lointaine. Il lui propose de devenir la
reine de ce pays où la jeunesse est éternelle. Elle accepte : ils partiront
à la nuit tombée.
Air « Dov’e ? » (Fiuta) et duetto « Vedete che allegria » (Fiuta,
Ciprigna). Composé par Chloë Pfeiffer.
Finale : Dans la pénombre du jardin, Cilia, Fiuta, Lelio, Bonario et
Isabella se tiennent en embuscade. Lelio devra tirer un coup de feu en
l’air pour effaroucher la capricieuse. Celle-ci ne tarde pas à arriver,
prête à partir pour cette île imaginaire dont elle pense déjà être la
reine. Toujours affublé d’un costume oriental, Fiuta la rejoint. Quand
éclate le coup de feu, tiré, comme convenu, par Lelio, il s’éclipse en
faisant mine d’aller voir ce qui se passe. Une tempête s’abat sur le
jardin. Abandonnée à elle-même et terrorisée, Ciprigna vient frapper à
la porte du foyer pour trouver refuge. Elle se heurte d’abord au refus de
la maisonnée. Puis tous sortent déguisés, lui faisant clairement
comprendre le piège dans lequel elle est tombée. Honteuse, elle
demande pardon à Bonario, qui se réconcilie avec cette marâtre
soudainement métamorphosée en épouse aimante et attentionnée. La
paix et la tranquillité reviennent enfin dans la famille à nouveau
réunie.
Scène de la tempête « Ed or la gran tepesta… » (tous). Composé par
Benjamin Locher.
Duo d’amour « A me vieni, o gioga bella »(Bonario, Ciprigna). Composé
par Céline Lamarre.
Marche turque, air du pardon « Al piede vostro » et Finale « Se ogni
moglie fosse tale »(tous). Composé par Éloïse Kohn.
13

Variation autour d’Isabella,
Fille de Bonario,
Fiancée de Lelio.
14

Ciprigna | Julia Knecht
LES PERSONNAGES
« La femme est un être qui toujours varie et change ». Qui
mieux que Ciprigna incarne cet aphorisme tiré de l’Enéide de Virgile ?
Imprévisible et lunatique, elle fait trembler la maisonnée sous les vents
contraires de ses caprices. « Démente », « serpent », « diable en
jupon » : les sobriquets fusent pour caractériser celle dont « on
chercherait en vain une autre semblable ».
Elle n’hésite pas à se mettre elle-même à l’écart des autres en
maudissant ainsi Bonario : « Sur toi, sur tes enfants, sur les
domestiques tes complices, sur ta descendance enfin, je saurai donner
libre cours à ma fureur.» Ses éclats de colère rappellent le furor des
héroïnes de Sénèque – cet état de démence qui selon l’universitaire
Florence Dupont, désigne « tout homme qui ne se conduit plus de
façon humaine».
Son extravagance sépare pourtant son destin de celui de
Médée, Didon, ou Phèdre. Du reste, on lui trouverait sans peine des
parentes plus distrayantes parmi les coquettes de comédie, les
marâtres de contes de fées et les épouses de farce. Sa démesure lui
confère une singularité piquante, joignant l’élégance à la grossièreté,
le langage le plus châtié aux jurons les mieux sentis. A trop vouloir
remplacer le maître du logis, cette virago excentrique mais plantureuse
s’expose aux corrections que les valets de comédie réservent
d’habitude aux barbons. Lesage prévenait : « Le public aime à rire aux
dépens de ceux qui le font pleurer. » Da Ponte ne l’a pas oublié.
Bonario | Yoonsung Choi
« Brutto macacco ! » (« Vilain macaque !»). C’est par ces mots
que Ciprigna interpelle son mari Bonario dans la scène 3 de l’Acte I.
Elle raille ainsi la naïveté bienveillante mais grotesque de cet homme
un peu gauche dont elle a usurpé le pouvoir. Bonario a décidément
fort à faire avec cette femme épousée en secondes noces.
En endossant bien malgré lui le rôle du mari cocu, Bonario
transporte l’imagination du spectateur dans l’univers de la commedia
dell’arte : c’est un « bouffon », un « polichinelle » – le mot est de

Ciprigna –, dont l’absence de malice et de fermeté en font le
malheureux pantin d’une comédie domestique.
Aussi débonnaire que l’oiseleur Papageno, mais décidément
moins gracieux, réplique burlesque du Comte Almaviva dont il a le
statut marital mais guère la prestance, cousin éloigné du Commandeur
dont il possède la fibre paternelle mais pas le sens de l’honneur et
encore moins le courage, Bonario aurait fait bonne figure chez
Feydeau, Labiche ou Guitry.
Fiuta | Benjamin Mayenobe
Comment corriger la capricieuse ? Par l’entremise de Fiuta, le
valet rusé qui n’a d’yeux que pour Cilia ! En italien, fiutare veut dire
« renifler », « fouiner », et c’est bien grâce à son redoutable flair qu’il
parvient à transformer la marâtre Ciprigna en épouse aimante et en
mère dévouée. Héritier de la figure traditionnelle du valet de la
commedia dell’arte, Fiuta n’est pas sans rappeler l’astucieux Brighella,
qui se différencie du paresseux et crédule Arlequin par une malice
plus affûtée. Ne reculant devant aucun tour, il passe son temps à duper
ses maîtres et à se vanter de ses fourberies. Dans l’univers des
domestiques imaginés par Da Ponte, Fiuta est l’antithèse de Leporello
et le cousin de Figaro. Du valet de Don Giovanni, il n’a ni la passivité
ni la couardise. Du valet du Comte Almaviva, il tient en revanche cet
art de faire converger ses propres intérêts avec le bien commun en
tirant les ficelles d’une intrigue dont il est le principal ordonnateur. Il
n’hésite pas à s’attifer d’un costume oriental pour parachever ses
manigances : il ne déparerait pas dans le paysage de L’Enlèvement au
Sérail et de Cosi fan tutte.
Cilia | Jeanne Crousaud
Fiancée de Fiuta, la soubrette Cilia est l’un des maillons
essentiels de la conspiration qui se trame pour faire revenir l’ordre
dans la maison. Variation fin de siècle sur les Lisette de Marivaux, elle
est aussi fine mouche que Suzanne chez Beaumarchais, Susanna ou
Despina chez Mozart : astucieuse et caustique, elle n’en est pas moins
aimante. Et aimée : ne bénéficie-t-elle pas des confidences d’Isabella
et de Ciprigna ?
16

Première à faire entendre le bon sens et le bon droit, elle
soutient la fille, sermonne le père et alerte le fiancé. En jouant
l’intermédiaire des désirs de chacun, elle gagne l’attention et la
confiance de tous. Semblable à la Dorine du Tartuffe de Molière
(1664), l’estime que lui porte la maisonnée ajoute autant de crédit à
ses paroles. Dans le portrait qu’elle tire de Ciprigna on reconnaît audelà
de la plainte – « je ne puis jamais la contenter » – l’acuité de celle
qui observe, écoute et se tient à l’affût.
Isabella | Cécile Achille
« Je veux me retirer du monde, ou bien devenir servante » :
Isabella est trop exaspérée par le despotisme de sa nouvelle belle-mère
pour rester dans la maison paternelle. Timide et douce, elle ne voit son
salut que dans un mariage avec Lelio. Ce jeune comte lui apporterait
le bonheur escompté mais aussi une respectabilité susceptible
d’asseoir sa position dans la bonne société de son temps. Las ! Pour
parvenir à cette fin, il faudrait encore obtenir le consentement d’un
père dont l’autorité n’est pas le point fort. Ce projet est-il seulement
réaliste ?
Isabella est d’abord tentée par la résignation. C’est qu’elle
n’est pas de celles qui sacrifient leur honneur à la satisfaction de leur
passion : plutôt que de s’enfuir avec son amant, elle emprunterait
presque la voie tragique du renoncement. Mais si, à l’instar
d’Iphigénie, Bérénice ou Elvire, elle danse à l’occasion sur la crête de
la démence et du sacrifice consenti, elle reste avant tout l’héritière des
amoureuses de la commedia dell’arte. Contrastant par sa profondeur
avec le tempérament involontairement bouffon de son père, le
personnage créé par Da Ponte est une amoureuse de la vie qui touche
par son humilité. Victime innocente et rivale involontaire de Ciprigna,
elle aime autant la morale que le monde.
Lelio | Enguerrand de Salle de Hys
Noble et probe, le jeune comte Lelio porte à « son cher
trésor » Isabella un amour que Ciprigna vient contrarier en jetant son
dévolu sur lui. Ayant tout du « gendre idéal », il est l’incarnation
même du jeune premier. Son prénom comme son caractère
correspondent à l’emploi sérieux de l’amoureux transi dans la
17

commedia dell’arte. Songeur et contemplatif, il ne cesse de s’étonner
devant les surprises de l’amour. A l’image du Tamino de La Flûte
enchantée, il se découvre lui-même dans l’expérience du sentiment.
Ce n’est que par l’entremise de Fiuta qu’il parvient à obtenir la main
d’Isabella. Avant de se voir déguiser en oriental, il se laisse ainsi
transformer en maître à danser et accepte de feindre des sentiments à
l’endroit de la marâtre de la maison. Ce n’est certes pas sans réticence.
S’il s’y résigne, c’est pour vivre sa passion en tout bien tout honneur.
Après tout, qu’importe le moyen, si la fin est louable ?
Sa sagesse apparente ne doit pourtant pas occulter l’ardeur de
la flamme qui le consume. Dans un élan un peu trop spontané, il va
jusqu’à proposer à Isabella de fuir en sa compagnie au début de l’acte
II. Au risque de contredire les règles élémentaires de la bienséance, il
serait presque prêt à rejouer les amours de Pyrame et Thisbé ou,
mieux, à endosser le même rôle que Belmonte, celui-là même qui,
dans L’Enlèvement au sérail, ne rêve que d’arracher Constance au
pacha Selim. Mais au-delà de cette fougue intériorisée, c’est sa loyauté
et son zèle qui, in fine, lui valent de devenir l’époux d’Isabella. En
présentant à Bonario le brevet d’anoblissement proposé à Ciprigna, il
fait d’une pierre deux coups : il prouve l’inconstance de la
« capricieuse » et démontre sa loyauté.
Don Giglio | Romain Dayez
Chevalier servant de Ciprigna, Don Giglio est le type même
du sigisbée : soupirant officiel des épouses de haut rang. Ne s’emploiet-il
pas, selon un rituel en vogue dans l’Italie du XVIII e siècle, à
satisfaire tous les caprices de sa Dame ? Le paon semble pourtant
parader en vain : ses flatteries ne l’empêchent pas de se voir préférer
Lelio, le jeune prétendant d’Isabella.…
Aime-t-il sincèrement ou par intérêt ? Plusieurs indices
aiguillent le soupçon vers la seconde option. L’admiration qu’il voue à
Ciprigna est probablement factice, car sa position lui procure de
nombreux avantages, dont celui de profiter à loisir de l’hospitalité de
Bonario. C’est donc un pique-assiette : flatteur vivant aux « dépens de
ceux qui l’écoutent », il rappelle immanquablement Ferdinando dans
la Trilogie de la villégiature de Goldoni.
Da Ponte l’aime-t-il ? On peut en douter, comme le laisse
supposer l’ironie qui affleure dans son onomastique. Signifiant en
18

italien « lys », la fleur qui symbolise la pureté, son nom est en
contradiction avec tous ses actes. S’il porte un titre aristocratique, sa
noblesse n’a plus aucun lustre : ce parasite arbore un blason qu’il
cherche désespérément à redorer. Plus intéressé à ravir la fleur d’autrui
qu’à la préserver, Don Giglio entretient un rapport ambigu aux idéaux
de chasteté qu’il ne cesse d’exposer dans ses propos galants. Troisième
piste : et si le lys était une malicieuse référence aux fleurs de
rhétorique qui ornent son langage ? « Autant qu’il est de fils d’or / qui
vous ceignent le front…» : les premiers vers de son air à rallonge
ouvrent une interminable litanie de métaphores qui achèvent de
croquer le portrait de Giglio en flagorneur aussi pédant que précieux.
19

Variation autour de Lelio,
Fiancé d’Isabella.
20

« Le diable en jupons »
APPROCHES TRANSVERSALES
21
« Mobile comme une feuille,
Légère, capricieuse,
Elle ne fait que changer
De sentiments, de décisions.
Sous le nom de femme
C’est un diable en jupons »
(Air de Cilia, acte I)
Jugé insupportable par toute la maisonnée, le comportement
autoritaire de Ciprigna est l'élément déclencheur de l'intrigue : Isabella et
les serviteurs menacent d’abandonner Bonario à la « furie » qui lui tient lieu
de femme. Mais le fidèle Fiuta est là, qui veille. Il prescrit à Bonario un
remède qui, selon lui, transformera le « serpent » — éternel symbole de la
femme pécheresse — en « agnelle » : « Appliquez-lui d’un coup quelque
petit soufflet ! » Cependant, rien n’y fait : l’indocile épouse va jusqu’à tirer
sur son propre mari quand celui-ci s’aventure à lui tenir tête.
Ciprigna serait-elle donc l’incarnation du mal ? Des nuances
s’imposent. Il lui manque la perversité, la froideur et le caractère retors qui
feront le danger d’une Marquise de Merteuil dans Les Liaisons Dangereuses
ou, plus tard, la perversité de Hauteclaire Stassin dans les Diaboliques de
Barbey d’Aurevilly.
Peut-être que cette ravissante diablesse embarrasse moins par ses
excentricités que par sa remise en cause de la hiérarchie des sexes. En
usurpant le pouvoir du maître de maison, elle sème le trouble dans une
société patriarcale où seules quelques femmes jouissent alors d’une autorité
respectée : les veuves, heureuses dépositaires du pouvoir de leur défunt
mari.
Quand sonne l’heure de l’humiliation, Ciprigna change certes du
tout au tout. Face à la magnanimité de Bonario, la femme volage rentre dans
le rang et se replace sous la coupe du mari : « Si toute épouse était pareille,
dans les familles régneraient la concorde la bonne humeur… », veulent bien
croire les protagonistes du finale. Le revirement est toutefois bien rapide
pour être vraisemblable. Pirouette d’une plume qui cherche à dénouer un
peu vite la crise qu’elle s’est ingéniée à mettre en scène deux heures durant ?
Sans doute. Façon, aussi, de ne pas poser trop profondément le débat du
rapport entre les sexes : Da Ponte n’est pas Beaumarchais et semble n’avoir

qu’un goût mesuré pour la polémique. D’où, par la même occasion, une
façon de jouer avec les clichés qui n’est qu’une variation sur ce qu’on dit
déjà des femmes chez Virgile ou La Bruyère : inconstantes, légères, frivoles –
on connaît le refrain. D’où, aussi, un dénouement qui rejoue presque La
Colonie, pièce écrite par Marivaux en… 1729 : après s’être emparées du
pouvoir, des femmes se résignent à rentrer au foyer. Bien conventionnel
retour à un ordre qui n’est que celui des hommes.
Quand un valet vaut bien un maître…
« Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus » : chez
Beaumarchais, la pique que Figaro adresse au comte Almaviva (1778) ouvre
la voie à l’épée par laquelle le Ruy Blas de Victor Hugo transpercera
« l’infâme » Don Salluste. Tandis que le premier a su se faire l’égal de son
maître, le second en fera « un de (ses) gens ». C’est dire si, au moment où
Da Ponte écrit le livret de la Capricieuse corrigée, les valets sont en train de
conquérir de haute lutte leurs galons de maîtres. Les idéaux des Lumières,
l’ascension de la bourgeoisie et l’instabilité politique qui conduiront à 1789,
sont autant de jalons dans cette quête de reconnaissance. Cependant, du
succès des zannis de la commedia dell’arte au laquais sublime de Hugo, du
début du XVIII e à celui du XIX e , le chemin est long.
Qu’ils soient fourbes ou balourds, ingénieux ou naïfs, les valets sont
les artisans indispensables des intrigues comiques. Contrairement aux
confidents – leurs doubles tragiques – le rapport qui les lie à ceux qu’ils
servent dépasse le simple faire-valoir. Le couple maître et valet prime
à l’occasion sur celui des jeunes amants : les plaintes de Sganarelle
n’émeuvent-elles pas autant que les soupirs d’Elvire ?
Polie sous les plumes de Molière, Marivaux et Goldoni, la figure du
valet s’affine : en tombant le masque, il dévoile un visage plus humain.
Hérités de la comédie latine, la cupidité, l’appétit, l’indolence et ses autres
traits les plus grossiers s’effacent peu à peu. Ainsi le personnage de Fiuta n’at-il
d’autre souci que d’agir, comme le revendiquait déjà le Scapin des
Fourberies, en « ouvrier de ressorts et d’intrigues ». Notre valet se trouve
obligé de se comporter en maître, et de remédier aux hésitations de Bonario
en lui dictant sa conduite. Par un amusant jeu de reflet inversé, la sottise de
l’un souligne la ruse de l’autre et c’est paradoxalement par sa fidélité et ses
loyaux services que Fiuta prouve qu’un valet vaut bien un maître.
22

Orient, turquerie & travestissement…
Loin des yeux, près de l’imagination, l’Orient des Lumières se
décline en une multitude de traits prêtés sans grande distinction à la Perse, la
Turquie, la Chine ou l’Arabie : pachas, sultanes, couleurs chatoyantes et
soleil brûlant modèlent un ailleurs moins appréhendé par l’enquête
scientifique que la projection fantasmatique.
Entre le Bajazet (1672) de Racine et le Bain turc (1862) d’Ingres, Les
Pélerins de la Mecque de Gluck et L’Enlèvement au sérail (1782) de Mozart
peignent cette civilisation sous un jour tout à la fois inquiétant, burlesque ou
lascif. Mais s’il est un cadre, l’Orient est aussi un ressort. Depuis la
munificence ridicule du Mamamouchi du Bourgeois Gentilhomme de
Molière (1670), il légitime sur scène les jeux de travestissement et les
costumes exubérants. A l’image de Cosi fan tutte, La Capriciosa Corretta ne
déroge pas à la règle : tout comme Ferrando et Guglielmo se déguisent pour
mettre à l’épreuve leurs promises, Fiuta devient ambassadeur d’Almérine
afin d’empiéger la volage Ciprigna.
Prétexte à divertir, l’exotisme n’en constitue pas moins un moyen de
mieux réfléchir sur soi. Ainsi, Montesquieu emprunte-t-il dans Les Lettres
persanes les manières, les habits et les yeux du voyageur persan Usbek, pour
croquer le Paris de son temps avec un regard savamment distancié. Le
travestissement exotique ne relève donc pas seulement de l’intermède : bien
souvent, il forme d’ailleurs le nœud de l’intrigue, quand il n’en permet pas,
comme dans La Capricciosa Corretta, le dénouement. Fiuta y endosse le
costume d’Irco Berlico, nom d’un ambassadeur aux consonances toutes
comiques. Les mirages – jeunesse éternelle, règne sans partage – par lesquels
il envoûte Ciprigna ne s’évanouissent que pour mieux faire apparaître la
vanité de la capricieuse : c’est bien la preuve que le jeu du travestissement
dévoile autant qu’il dissimule. Devant la mise au jour de ses mensonges,
Ciprigna tombe alors le masque de la capricieuse, pour revêtir le costume de
l’épouse aimante. Ultime travestissement ?
23

Variation autour de Cilia,
Femme de chambre de Ciprigna et Isabella,
Fiancée de Fiuta.
24

TEXTES CROISÉS
Composée dans le style de Mozart, La Capricieuse corrigée fait
immanquablement songer à ses opéras de la maturité. Du Belmonte de
L’Enlèvement au sérail à Pamina, Tamino et la Reine de la Nuit de La Flûte
enchantée, en passant par le travestissement oriental de Guglielmo et
Ferrando dans Cosi fan tutte ou les couples maître-valet des Noces de Figaro
et de Don Giovanni, les résonances se situent sur le plan des personnages
mais aussi sur celui des thèmes abordés. Nous proposons ici d’élargir la
perspective en voyant comment le livret de Da Ponte (1795) s’inscrit dans
une histoire au long cours de la représentation des rapports entre hommes et
femmes.
Aristophane, Lysistrata, v. 447 à 454 (411 av. J.-C.)
Afin de mettre un terme à la guerre qui oppose Sparte à Athènes, Lysistrata
invite les femmes à entamer une grève du sexe et à occuper l’Acropole.
S’ensuit un affrontement cocasse entre soldats et mégères, proche de celui
qui oppose Ciprigna à Bonario.
LYSISTRATA (à un archer qui s’approche d’une femme) : Dis donc, toi, par
Artémis la Tauropole, si tu l’approches, j’arrache tes cheveux, que tu
pleures déjà !
COMMISSAIRE : Aïe aïe aïe malheureux ! Mon archer est perdu !
Mais jamais nous ne devrons céder aux femmes.
Contre elles, marchons, ô Scythes, en ligne de combat.
LYSISTRATA : Par les deux déesses, nous vous ferons bien voir que
de notre côté aussi, nous avons quatre bataillons à l’intérieur, des
femmes belliqueuses et armées de pied en cap !
Ménandre, fragment de comédie (fin du IV siècle av. J.-C.)
Bonario n’est pas le premier à regretter son mariage lorsqu’il s’exclame à
l’acte I : « Maudit soit l’instant où je pris une seconde femme ! ». Dans la
comédie grecque, déjà, le mariage n’apparaissait pas comme le plus doux
lien de la vie.
… Ah, qu'il périsse, le premier qui s'engagea
Dans les liens du mariage, et le deuxième,
Et le troisième, et puis aussi le quatrième,
Et ses successeurs, jusqu'au bout…
25

Anonyme, De la male dame ou la Dame escoillee (XII ème -
XIII ème siècle)
Sous ses apparences cocasses, le fabliau médiéval est un lieu de légitimation
de la domination masculine. Les mégères y sont nombreuses, apprivoisées
parfois, mais rarement aussi radicalement que dans La Dame escoillee (« la
femme castrée »).
Vous qui avez des femmes et qui les laissez devenir maîtresses et
prendre trop d’empire, écoutez l’histoire que je vais vous raconter. Elle
vous apprendra à réprimer de bonne heure leurs caprices, et à les
corriger quand elles sortiront du respect et de la soumission qu’elles
vous doivent. Écoutez moi surtout, vous qui déshonorez votre sexe en
vous laissant maîtriser par elles.
Shakespeare, la Mégère apprivoisée, Acte IV, scène 2 (1623)
Après l’Antiquité et le Moyen-Âge, c’est Shakespeare qui s’empare du lieu
commun de « la mégère apprivoisée » en croquant le portrait de
l’insupportable Catharina. Jeune fille à marier de Padoue, elle est aussi
« diablesse » que Ciprigna. Seul Petruchio, jeune homme décidé à l’épouser
pour sa dot, parviendra à l’apprivoiser, grâce à une malice digne de Fiuta.
TRANIO : D’honneur, il est allé à l’école où l’on apprend à
apprivoiser.
BIANCA : Comment ! il y a une école comme celle-là !
TRANIO : Oui, madame, et c’est Petruchio qui en est le maître ; il
enseigne je ne sais combien de tours pour apprivoiser une mégère et
pour exorciser une bavarde.
Molière, Georges Dandin, Acte III, scène 6 (1668)
Bourgeois d’âge mûr, Georges Dandin a surpris sa jeune femme en
compagnie d’un amant dans le jardin. Il vient de verrouiller sa porte pour
empêcher sa volage épouse d'entrer. Il entend ainsi la confondre. À l’image
de Ciprigna, celle-ci se reconnaît coupable et se repent, promet d’être une
épouse aimante…
ANGÉLIQUE : Oui, je confesse que j'ai tort, et que vous avez sujet
de vous plaindre. Mais je vous demande par grâce de ne m'exposer
point maintenant à la mauvaise humeur de mes parents, et de me faire
promptement ouvrir.
GEORGE DANDIN : Je vous baise les mains.
26

ANGÉLIQUE : Eh! mon pauvre petit mari, je vous en conjure.
GEORGE DANDIN : Ah! mon pauvre petit mari? Je suis votre petit
mari maintenant, parce que vous vous sentez prise. Je suis bien aise de
cela, et vous ne vous étiez jamais avisée de me dire ces douceurs.
ANGÉLIQUE : Tenez, je vous promets de ne vous plus donner
aucun sujet de déplaisir, et de me... […] Oui, je vous donne ma parole
que vous m'allez voir désormais la meilleure femme du monde, et que
je vous témoignerai tant d'amitié, tant d'amitié, que vous en serez
satisfait.
GEORGE DANDIN : Ah! crocodile, qui flatte les gens pour les
étrangler.
ANGÉLIQUE : Accordez-moi cette faveur.
Molière, Les femmes savantes, Acte II, scène 9 (1672)
Chez Molière toujours, Bonario a un autre frère jumeau : Chrysale. Bon
bourgeois, débonnaire, mais faible, celui-ci est cerné par des « femmes
savantes » au caractère implacable. Préfigurant Fiuta, son frère Ariste exhorte
le père de famille qu’il est à reconquérir son empire sur sa femme.
CHRYSALE : […] Elle me fait trembler dès qu'elle prend son ton ;
Je ne sais où me mettre, et c'est un vrai dragon ;
Et cependant, avec toute sa diablerie,
Il faut que je l'appelle et "mon cœur" et "ma mie" .
ARISTE : Allez, c'est se moquer. Votre femme, entre nous,
Est par vos lâchetés souveraine sur vous.
Son pouvoir n'est fondé que sur votre faiblesse,
C'est de vous qu'elle prend le titre de maîtresse ;
Vous-même à ses hauteurs vous vous abandonnez,
Et vous faites mener en bête par le nez.
Quoi ? vous ne pouvez pas, voyant comme on vous nomme,
Vous résoudre une fois à vouloir être un homme ?
À faire condescendre une femme à vos vœux,
Et prendre assez de cœur pour dire un: "Je le veux" ?
[…] Allez, encore un coup, c'est une moquerie,
Et votre lâcheté mérite qu'on en rie.
CHRYSALE : Oui, vous avez raison, et je vois que j'ai tort.
Allons, il faut enfin montrer un cœur plus fort,
Mon frère.
ARISTE : C'est bien dit.
CHRYSALE : C'est une chose infâme
Que d'être si soumis au pouvoir d'une femme.
ARISTE : Fort bien.
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Goldoni, La manie de la Villégiature, Acte I, scène 5 (1761)
Imaginé par le dramaturge vénitien Goldoni et double du Don Giglio de Da
Ponte, Ferdinando incarne, dans La Trilogie de la Villégiature, le rôle du
« pique-assiette », prêt à tout pour assurer sa subsistance.
LEONARDO : Serez-vous des nôtres à Montenero, cher ami ?
FERDINANDO : Oui, je viendrai chez vous. Je me suis libéré de ce
raseur de comte Anselmo, qui voulait, à toute force, m’avoir chez lui.
VITTORIA : Il n’est pas agréable de villégiaturer chez le comte
Anselmo ?
FERDINANDO : Si, il reçoit bien, la table est bonne ; mais chez lui,
on mène une vie trop méthodique. On soupe à quatre heures et on se
couche à cinq.
VITTORIA : Oh, moi, je ne voudrais pas mener une telle vie pour
tout l’or du monde. Si je me couche avant l’aube, je suis incapable de
fermer l’œil.
LEONARDO : Chez nous, vous savez comment c’est. On joue, on
danse ; on ne soupe jamais avant huit heures et puis, avec notre cher
petit pharaon, la plupart du temps on voit se lever le soleil !
VITTORIA : Voilà qui s’appelle vivre !
FERDINANDO : Et c’est pour cela que nous avons choisi de
villégiaturer chez vous au lieu d’aller chez le comte Anselmo. Et puis
son antiquité de femme est quelque chose d’insupportable.
VITTORIA : Oui, oui, elle veut encore jouer les jouvencelles !
FERDINANDO : L’an dernier, au début, c’est moi qui étais son
cavalier servant, et puis est arrivé un freluquet de vingt-deux ans, et
elle m’a planté là pour m’attacher à lui.
VITTORIA : Oh ! je lui souhaite bien du bonheur ! Un freluquet de
vingt-deux ans ?
FERDINANDO: Oui et je tiens à le dire car c’est la vérité : c’était un
blondinet bien frisé, frais et rose comme une fleur.
LEONARDO : Ce qui m’étonne, c’est qu’un garçon aussi jeune ait pu
supporter une aussi vieille dame.
FERDINANDO : Vous savez comment c’est ? C’est un de ces jeunes
gens qui n’ont pas de relations et qui se cramponnent là où ils peuvent.
Alors, ils se lient avec une de ces dames un peu âgées, qui leur paient la
poste et qui leur donnent aussi quelques sequins pour jouer.
Beaumarchais, Le barbier de Séville, acte I, scène 2 (1775)
Dans le finale de la Capricieuse corrigé, Fiuta se dit « vieux serviteur».
À l’instar de Figaro, il semble avoir vécu de nombreuses expériences avant
28

de devenir valet. La parenté entre les deux valets est d’ailleurs évidente :
dévoués, aventureux, il sont fidèles à leurs maîtres, malgré tous leurs défauts.
FIGARO : C’est mon bon ange, Excellence, puisque je suis assez
heureux pour retrouver mon ancien maître. Voyant à Madrid que la
république des lettres était celle des loups, toujours armés les uns
contre les autres, et que, livrés au mépris où ce risible acharnement les
conduit, tous les insectes, les moustiques, les cousins, les critiques, les
maringouins, les envieux, les feuillistes, les libraires, les censeurs, et
tout ce qui s’attache à la peau des malheureux gens de lettres, achevait
de déchiqueter et sucer le peu de substance qui leur restait ; fatigué
d’écrire, ennuyé de moi, dégoûté des autres, abîmé de dettes et léger
d’argent ; à la fin convaincu que l’utile revenu du rasoir est préférable
aux vains honneurs de la plume, j’ai quitté Madrid ; et, mon bagage en
sautoir, parcourant philosophiquement les deux Castilles, la Manche,
l’Estramadure, la Sierra-Morena, l’Andalousie, accueilli dans une ville,
emprisonné dans l’autre, et partout supérieur aux événements : loué
par ceux-ci, blâmé par ceux-là ; aidant au bon temps, supportant le
mauvais ; me moquant des sots, bravant les méchants ; riant de ma
misère, et faisant la barbe à tout le monde, vous me voyez enfin établi
dans Séville, et prêt à servir de nouveau Votre Excellence en tout ce
qu’il lui plaira de m’ordonner.
Sade, Juliette ou les prospérités du vice (1801)
La liberté de mœurs qui règne dans l’Italie du XVIII e siècle ne pouvait
qu’exciter la curiosité d’un écrivain comme Sade. Cependant, loin d’admirer
le rôle du sigisbée – cette sorte de chevalier servant qui accompagnait une
dame mariée dans les manifestations mondaines, ici tenu par Don Giglio –,
il en moque toute la fadeur.
Presque toutes les femmes de qualité, à Florence, sont dans l’habitude
de se prostituer dans des bordels ; leur misère et leur tempérament les
y portent. Il n’y a point de ville en Europe où la Constitution de l’Etat
mette les femmes plus mal à leur aise ; et il y en a peu où leur
libertinage soit plus étendu. Le sigisbéat n’est qu’un voile ; rarement le
sigisbée a des droits sur la femme qu’il sert ; placé là comme l’ami de
l’époux, il accompagne cette femme quand elle le veut, et la quitte
quand elle l’ordonne. Ceux qui croient que le sigisbée est un amant,
sont dans une grande erreur ; il est l’ami commode de la femme ;
quelquefois l’espion du mari, mais il ne couche point, et c’est sans
doute, de tous les rôles, le plus plat à jouer en Italie. Si un étranger
riche paraît dans le monde, et le mari et le sigisbée, tout se retire, tout
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cède la place à celui sur la bourse duquel on se fonde, et j’ai vu souvent
le complaisant époux sortir de la maison pour quelques sequins, quand
l’étranger témoigne le plus petit désir d’entretenir madame seule.
Les Frères Grimm, Blanche neige (1812)
Ciprigna a été épousée en secondes noces. C’est ce qui explique qu’elle
partage plusieurs traits de caractère avec les marâtres des contes de fée.
Suffisante, orgueilleuse et violente, elle est la rivale de sa belle-fille à
laquelle, comme dans Blanche neige, elle essaie de nuire par tous les
moyens.
Au bout d'un an, le roi prit une autre femme qui était très belle, mais si
fière et si orgueilleuse de sa beauté qu'elle ne pouvait supporter qu'une
autre la surpassât. Elle possédait un miroir magique avec lequel elle
parlait quand elle allait s'y contempler :
Miroir, gentil miroir, dis-moi, dans le royaume
Qui est la femme la plus belle ?
Et le miroir lui répondait :
Vous êtes la plus belle du pays, Madame.
Alors la reine était contente, car elle savait que le miroir disait la vérité.
Blanche-Neige cependant grandissait peu à peu et devenait toujours
plus belle ; et quand elle eut sept ans, elle était belle comme le jour et
bien plus belle que la reine elle même. Et quand la reine, un jour,
questionna son miroir :
Miroir, gentil miroir, dis-moi, dans le royaume
Quelle est de toutes la plus belle ?
Le miroir répondit:
Dame la reine, ici vous êtes la plus belle,
mais Blanche-Neige l'est mille fois plus que vous.
La reine sursauta et devint jaune, puis verte de jalousie ; à partir de
cette heure-là, elle ne pouvait plus voir Blanche-Neige sans que le
coeur lui chavirât dans la poitrine tant elle la haïssait. L'orgueil poussa
dans son coeur, avec la jalousie, comme pousse la mauvaise herbe, ne
lui laissant aucun repos ni de jour, ni de nuit.
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Flaubert, Dictionnaire des Idées Reçues (écrit entre 1850 et
1880)
Commencé par Flaubert en 1850, Le Dictionnaire des idées
reçues ou Catalogue des opinions chics regroupe sous la forme d’un
dictionnaire des définitions caustiques et savoureuses. Parmi elles, on trouve
une citation qui justifierait à elle seule bien des pièces de Feydeau ou
Labiche :
COCU : Toute femme doit faire son mari cocu.
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Variation autour de Fiuta,
Valet de Bonario,
Fiancé de Cilia.
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LIVRET BILINGUE
livret de Lorenzo da Ponte, adapté pour le spectacle
ATTO I ACTE I
- Scena I - Scène 1
ISABELLA ISABELLE
Vo' dal mondo ritirarmi, Je veux me retirer du monde,
0 a servir voglio oggi andar. ou bien devenir servante.
CILIA CILIA
Faccia grazia di pagarmi. Ayez la bonté de me donner mes gages.
FIUTA FIUTA
Con tale donna io non vo’star Je ne veux pas rester avec une femme
comme celle-ci
BONARIO BONARIO
A rifleti Isabella Réfléchis, Isabella !
ISABELLA ISABELLE
A servir, o in un ritiro. Je me fais domestique ou nonne.
BONARIO BONARIO
Ma tu Cilia, ma tu Fiuta... Mais, toi, Cilia! et toi, Fiuta...
CILIA e FIUTA CILIA et FIUTA
Non si muta, non si muta. Nous ne changerons pas d'avis.
BONARIO BONARIO
Tutti dunque detto, fatto, Tous ainsi, d'un seul coup,
Mi potete abbandonar; vous pouvez m'abandonner !
Mi volete veder matto, Vous voulez que je devienne fou ?
Mi volete far crepar ? Vous voulez me voir mourir ?
ISABELLA, CILIA, FIUTA ISABELLA et CILIA et FIUTA
Ma chi mai di sì gran furia... Mais qui pourrait supporter
... sopportar potria l'umore ? ... l'humeur d'une telle furie ?
Batte, brontola, ed ingiuria. Elle bat, gronde, injurie ;
Grida, ciarla, e fa rumore. elle crie, médit, fait du tapage.
Notte, e dì per lei nel cerebro Nuit et jour, j'ai l'impression
Un tamburo aver mi par d'avoir un tambour dans le cerveau.
BONARIO BONARIO
Maledetto sia il momento, Maudit soit l'instant
Che pigliai seconda moglie ! où je pris une seconde femme !
Più non ebbi un dì contento, Je n'eus plus un jour de paix,
Ma ripien d'affanni, e doglie, rien que peines et que tracas.

E non vedo il mio tormento Et je ne vois pas comment
Come debba terminar. mon tourment pourra finir.
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[D IALOGUES PARLES] PARLES
NOTTURNINO OTTURNINO NOTTURNINO OTTURNINO
ISABELLA ISABELLE
Se figli vi siamo... Si nous sommes vos enfants…
CILIA e FIUTA CILIA et FIUTA
Se figli vi sono Si ce sont vos enfants...
Se han cuore sì buono, S'ils ont le cœur si bon,
Mostratevi padre... montrez-vous donc père,
E chi non è madre et que celle qui n'est point leur mère
Non rendaci li miseri ne fasse pas notre/leur malheur,
Per troppa bontà. du fait de votre excessive bonté.
BONARIO BONARIO
Mi cava le lagrime Pareille vérité
Sì gran verità. me tire des larmes.
(Parte) Bonario sort…
[D IALOGUES PARLES] PARLES
Fiuta sort
- Scena II - Scène 2
Cilia e Isabella Cilia et Isabella.
A RIA A RIA
Ha un certo cervello Elle a une cervelle
Ch'è raro nel mondo, qu'on ne trouve nulle part :
Invano il secondo on en chercherait en vain
Si spera trovar. une autre semblable.
Volubil qual foglia, Mobile comme feuille,
Legger capriccioso, légère, capricieuse,
D'affetto di voglia, elle ne fait que changer
Non fa che cangiar. de sentiments, de décisions.
Per questo strapazza C'est ainsi qu'elle maltraite
I figli, lo sposo, son époux et ses enfants,
Che poi dalla pazza qui se trouvent sous la coupe
Si fan governar. de cette démente.
È un diavolo in gonna Sous le nom de femme,
Col nome di donna: c'est un diable en jupons

Per me non la posso pour moi, je ne puis jamais
Giammai contentar. la contenter
(Parte) Elles sortent
- Scena III - Scène 3
Ciprigna, poi Don Giglio, indi Bonario,
Isabella,
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Ciprigna, puis Don Giglio, Bonario,
Fiuta, Cilia et Isabella
[D IALOGUES PARLES] PARLES
ARIA RIA ARIA RIA
Quante son le fila d'oro Autant qu'il est de fils d'or
Che vi cingono la fronte, qui vous ceignent le front,
Quante perle apron tesoro autant qu'il est de perles, de trésors,
Nel bocchin trionfator: dans votre petite bouche triomphante,
Quanti cor per voi languiscono, autant que de cœurs pour vous
languissent,
Quante gocce ha quel liquor; autant qu'il est de gouttes dans cette
liqueur,
Tante in voi delizie versino autant le ciel, les astres, la nature et
l'amour
GI'astri, il Ciel, natura, amor. versent en vous les délices.
Ed in premio de' miei voti Et pour prix de mes voeux,
Bramo sol da quell'occhietto Je désire seulement de ces deux yeux
Uno sguardo vezzosetto, Un petit regard gracieux
Che consoli questo cor. qui console mon cœur.
CIPRIGNA CIPRIGNA
Bravissimo davvero; ora proviamo En vérité ! Tâtons à présent
Bravo,
Un fiasco di Canarie. De ce vin des Canaries...
Bonario s'avanza in aria imperiosa, Bonario s'avance d'un air impérieux.
Ciprigna lo vede voltandosi, Ciprigna, se retournant, l'aperçoit,
ed ei cangia subito aspetto. et change d'air aussitôt
Ehi: cosa sono queste pulcinellate ? Hé ! mais que sont ces pantalonnades ?
Bestia, gonzo, ignorante da ceffate. Animal, imbécile, tu mérites des
soufflets !
DON GIGLIO DON GIGLIO
(Che crusca ! Che eleganza !) (Quel vocabulaire ! Quelle élégance !)
FIUTA FIUTA
(lo saprei ben domar tanta baldanza.) (Moi, je saurais mater tant

(lo saprei ben domar tanta baldanza.) (Moi, je saurais mater tant
d'impudence.)
BONARIO BONARIO
Scusate... ma credea... Excusez... Je croyais...
CIPRIGNA CIPRIGNA
Che puoi tu credere ? Et que croyais-tu ?
BONARIO BONARIO
Fiuta e gli altri lo istigano coi motti, Fiuta et les autres lui font des signes
ed ei legge tremando lo scritto, d'encouragement ; lui lit en tremblant
che ha nel cappello. le billet qu'il avait dans son chapeau.
Che qui son padron io, Qu'ici je suis le maître,
che son già stanco... Et que je suis las...
CIPRIGNA CIPRIGNA
Di che ? brutto macacco ! De quoi, vilain macaque ?
BONARIO BONARIO
Eh nulla nulla, equivocai, scusate. De rien, de rien, je me trompais,
pardon.
CIPRIGNA CIPRIGNA
lo ti darò l'equivoco sul capo. Je vais t'apprendre à te tromper !
(Ciprigna con un colpo getta a terra il (D'un coup elle jette à terre le chapeau
cappello a de Bonario,
Bonario, e vede lo scritto, e lo aperçoit le billet et s'en empare)
prende.)
Che scritto è questo ? Quel est donc ce billet ?
BONARIO BONARIO
Oh poveretto me ! Ah, pauvre de moi !
CIPRIGNA CIPRIGNA
"Madama tutti san che in questa casa "Madame, tout le monde sait qu'ici
Il Padrone son io; sono ornai stanco Je suis le maître. Je suis las désormais
Delle vostre pazzie; da questo istante De vos folies.
Vo' che tutto si cangi." Je veux que tout change
Eterni Dei ! À l'instant même." Grands dieux !
Con me questo linguaggio ? Un pareil langage avec moi ?
A Ciprigna, a Ciprigna un tanto Un pareil outrage envers Ciprigna ?
oltraggio ?
SEXTETTO EXTETTO SEXTETTE EXTETTE
Togliti agl'occhi miei Retire-toi de ma vue,
Sciocco, villano, indegno, sot, indigne maraud !
Vedrai chi son, chi sei Tu vas voir qui je suis, qui tu es,
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Se nol vedesti ancor. si tu ne le sais pas encore.
Saprò su te, sui figli, Sur toi, sur tes enfants,
Sui complici famigli, sur les domestiques tes complices,
Saprò per fin sui posteri sur ta descendance enfin, je saurai
Sfogar il mio furor. donner libre cours à ma fureur !
BONARIO ET GIGLIO BONARIO ET GIGLIO
Calmate, oh Dio, la collera... Calmez, ô dieux, cette colère !
DON GIGLIO DON GIGLIO
Credete a chi v'adora. Croyez à qui vous adore !
Vedete che la porpora Voyez comment se décolore
Del labbro si scolora, La pourpre de vos lèvres
E de' begli occhi offuscasi Et de vos beaux yeux s'offusque
L'amabile splendor. l'aimable splendeur.
BONARIO BONARIO
Mia cara... Ma chère !
DON GIGLIO DON GIGLIO
Tacete ! Taisez-vous !
CIPRIGNA CIPRIGNA
S'apri bocca ti cavo il cor. Si tu ouvres la bouche, je t'arrache le
coeur !
ISABELLA e FIUTA ISABELLA ET FIUTA
Mostrate a quella misera Montrez à cette misérable
e a colui chi siete.. Et à cet homme qui vous êtes
BONARIO B BONARIO
Adunque... Donc…
CIPRIGNA CIPRIGNA
Sia scacciato quel baccellon malnato. Qu'on chasse cet insolent nigaud !
DON GIGLIO DON GIGLIO
(Partite pria che Tacciasi il turbine (Partez avant que n'éclate le cyclone !)
maggior.)
BONARIO BONARIO
E de' begli occhi offuscasi Et de vos beaux yeux s'offusque
L'amabile splendor. l'aimable splendeur.
ISABELLA ISABELLA
Restate ! Restez.
FIUTA FIUTA
0 noi partiamo ancor. Ou nous partons aussi.
BONARIO BONARIO
(Misero me, che faccio ? (Malheureux ! que dois-je faire ?
37

Non so se parlo, o taccio. Je ne sais si je dois parler ou bien me
taire.
È mal se vado, o resto; Que je parte ou que je reste, tout va
mal ;
Imbroglio come questo Je n'ai jamais connu
Non ho provato ancor.) Un pareil embarras.)
A 6 A 6
Ah ! Che da mille furie Ah, je sens mon âme agitée
L'alma agitar mi sento ! par mille furies !
Son come foglia al vento, Je suis comme feuille au vent,
Son come nave in mar. comme nef en mer.
- Scena IV - Scène 5 Scène 4
Lelio, indi Isabella, poi Bonario e Fiuta Lelio, Isabella, puis Bonario et Fiuta.
LELIO LELIO
ARIA RIA ARIA RIA
Qui vive, e respira Ici demeure, ici respire
La bella che adoro, La belle que j'adore ;
Qui il guardo ella gira c'est ici qu'elle pose ses yeux
Che chiaro fa il dì. qui font briller le jour.
Ah ! Come il bel ciglio Ah, comme ses regards
Rallegra ogni oggetto, réjouissent les choses,
I cor nel mio petto que, de même, en mon sein,
Rallegri così. ils réjouissent mon coeur.
38
[D IALOGUES IALOGUES
PARLES] PARLES
MENUETTO ENUETTO MENUET ENUET
- Scena V - Scène 5
Ciprigna e detti Ciprigna et les précédents (Isabella,
Lelio, Fiuta, Bonario)
DIALOGUE PARLE
ARIA RIA ARIA RIA
ISABELLA ISABELLA
Ah quest'è troppo ! È giunta ad un tal Ah, c'en est trop ! Elle en est arrivée
segno ?
Partirò per nascondere il mio sdegno.
Parte
là ?
Je pars pour cacher ma colère.
(elle sort)

- Scena VI - Scène 6
Bonario e Fiuta Bonario et Fiuta.
[D IALOGUES PARLES] PARLES
FIUTA FIUTA
A RIA A RIA
Figuriamo che in questo momento Imaginons que Madame soit là,
Furibonda Madama sia lì. furibonde, en cet instant.
Voi guardandola, e pien d'ardimento Vous la regardez, et, plein de hardiesse,
All'altera parlate così. vous lui parlez d'un ton altier :
Fino a quando briccona pretendi "Jusqu'à quand, friponne, prétendras-tu
Che la gente mi creda buffon ? Que les gens me prennent pour un
bouffon ?
Quai licenza in mia casa ti prendi ? Quelles sont ces libertés que tu
prends ?
Quando fia ch'io ritorni padron ? Quand donc vais-je redevenir le
maître ?"
Questo a me ! "Tu me parles ainsi !"
(vi dirà il basilisco) (vous dira ce serpent)
Questo a te !, replicate. "En effet", lui répliquez-vous.
BONARIO BONARIO
Capisco. Je te suis.
FIUTA FIUTA
Con tal fronte si fa il Rodomonte. "Tu as le front de faire le Rodomont ?
Prendi impara a parlar con quel tuon. Apprends donc à parler sur ce ton !"
Voi la spada allor cavate, Alors vous tirez votre épée,
0 montate la pistola, ou vous armez vos pistolets,
E di porli minacciate et vous menacez de lui mettre la pointe
Punta, o palla in petto, in gola. dans la gorge ou une balle dans la tête.
Per la mano indi afferratela, Puis vous la saisissez par la main,
0 scuotetela, o giratela, vous la secouez, la faites tourner,
E guardandole un pochetto, en lui dérangeant un peu
I riccetti il cimieretto, ses boucles, sa coiffure,
Ed all'ultimo ridotto et pour finir, s'il le faut,
Affibbiatele di botto, Appliquez-lui d'un coup
Qualche dolce pizzicotto. quelque petit soufflet.
E vedrete Madamina vous verrez alors Madame
Diventar un'agnellina, devenir une agnelle
39

(Partono) (ils sortent)
- Scena VII - Scène 7
Ciprigna e Lelio Ciprigna et Lelio.
[D IALOGUES PARLES] PARLES
- Scena VIII - Scène 8
Ciprigna e Cilia Ciprigna, puis Cilia
ARIA RIA ARIA RIA
Guardami un poco Regarde-moi un peu
Da capo ai piedi, de la tête au pied :
Dimmi se vedi dis-moi si tu vois en moi
Difetto in me. le moindre défaut.
Se un idoletto Dis-moi
Così perfetto Si la main de l'Amour
Per man d'amore, a jamais produit
Giammai si te'. un objet si parfait.
E un crudo cor nel mundo v'ha Et il y a au monde un coeur assez cruel
che nega amor a tal belta. pour refuser l'amour à une telle beauté.
Ve' come adatto il riso Vois avec quel charme j'adapte
Leggiadramente al viso, Mon sourire à mon visage,
Come, formando accenti, comme en formant les mots
Scopro il candor dei denti, je découvre la blancheur de mes dents,
Come ho il bocchin vezzoso, comme j'ai la bouche mignonne,
Il guardo affetuoso, le regard plein de sentiment,
E con qual grazia muovo avec quelle grâce je remue
E braccia, e testa, e piè. la tête, le bras, le pied.
In terra, in ciel non trovo Je ne vois sur terre ou dans le ciel
Cosa che mi somigli. Quoi que ce soit qui me ressemble.
Bello è un vasel di rose, Un bouquet de roses est beau,
Vago un giardin di gigli, comme l'est un parterre de lis,
L'iride, il sol, le stelle, l'arc-en-ciel, le soleil, les étoiles,
La primavera, i fior: les fleurs ou le printemps ;
Ma più di questi, e quelle mais je suis plus belle,
lo son più bella ancor. Plus belle que tout cela.
(Parte) (Elle sort)
- Scena IX - Scène 9
Lelio, Fiuta, indi Cilia Lelio, Fiuta, Isabella
40
[D IALOGUES PARLES]
PARLES

- Scena X - Scène 10
Bonario con fucile, indi Isabella, Fiuta Bonario entre avec son fusil
disparte à l'écart.
BONARIO (parla ad una sedia) BONARIO (parlant à une chaise)
A RIA A RIA
(come parlasse a Ciprigna) (Comme s’il s’adressait à Ciprigna)
Son già stanco, o donna indegna, Je suis las, ô femme indigne,
Di veder quel che tu fai. de voir ton comportement.
Ho per te sofferto assai, Tu m'as fait suffisamment souffrir,
E non voglio più soffrir. et je me refuse à souffrir davantage.
Comandar io sol pretendo, Je veux être seul à commander;
Son padrone, e ciò ti basti; Je suis le maître, et que cela suffise !
E il baston, che m'involasti, Le bâton que tu m'as volé,
Or mi dei restituir. Je veux à présent que tu me le rendes.
ISABELLA, CILIA e FIUTA ISABELLA, CILIA e FIUTA
(Il papà/padron con chi favella ?) Avec qui parle mon père (mon maître) ?
BONARIO BONARIO
M'hai creduto un pulcinella: Tu m'as pris pour un polichinelle,
Ma con sciabola, e con pistola mais, avec ce sabre et ces pistolets,
Chi son io dovrai capir. tu devras admettre qui je suis.
FIUTA FIUTA
(Or intendo la commedia; (Je comprends à présent la comédie ;
Sta provando colla sedia.) il répète avec une chaise !)
Ciprigna entre
ISABELLA ISABELLA
(La Signora a tempo torna.) (Madame rentre à point.)
CILIA CILIA
(Or vedrem se ha pari ardir.) (Nous allons voir s'il a le même
courage.)
CIPRIGNA CIPRIGNA
Cilia, Fiuta ? CILIA ? Fiuta ?
BONARIO BONARIO
Oh ciel, la moglie ! 0 ciel, ma femme !
CIPRIGNA CIPRIGNA
Il cervello, e chi ti toglie ! Mais tu as perdu la tête ?
A me innante in quel sembiante Comment oses-tu paraître
Come ardisci comparir ? devant moi dans cet accoutrement ?
BONARIO BONARIO
41

Son già stanco, o donna indegna Je suis las, ô femme indigne,
Di veder quello che a tu fai, de voir ton comportement.
Ho per te sofferto assai, Tu m'as fait suffisamment souffrir,
E non voglio più soffrir. et je me refuse à souffrir davantage.
CIPRIGNA CIPRIGNA
(A memoria il badalone (Ce balourd a appris
Imparata ha la lezione; par cœur sa leçon.
Ma discepolo, e maestro Mais je m'en vais mieux instruire
Meglio assai saprò instruir.) le maître et l'élève.)
Un linguaggio sì tremendo, Ah, jamais tu n'employas
Ah ! tu mai non adoprasti ! un langage si terrible !
BONARIO BONARIO
Comandar io solo intendo, Je veux être seul à commander ;
Son padrone, e ciò ti basti, Je suis le maître, et que cela suffise !
E il baston, che m'involasti Le bâton que tu m'as volé,
Or mi dei restituir. Je veux à présent que tu me le rendes.
(Gli occhi abbassa e non fa motto) (Elle baisse les yeux, ne dit plus un
mot)
Ora sì l'ho messa sotto en vérité, je l'ai vaincue,
Or l'ho fatta tramortir. j'ai réussi à l'effrayer.
ISABELLA, CILIA, FIUTA ISABELLA, CILIA, FIUTA
(Ei minaccia, ed ella teme... (Il menace, et elle a peur...
... ora sì che ho molta speme... Je commence à espérer...
... che tutto abbia a riuscir.) ...que tout puisse réussir.)
BONARIO BONARIO
(Non mi guarda, ed è avvilita, (Elle détourne les yeux, elle est
humiliée ;
Presto inver sarà punita, elle sera bientôt punie :
Or l'ho fatta tramortir.) j'ai réussi à l'effrayer.)
CIPRIGNA CIPRIGNA
(Fiuta il birbo in sentinella ? (Ce filou de Fiuta en sentinelle ?
Ora sì la scena è bella, Ah, la comédie va devenir belle ;
Or mi voglio divertir.) je veux me divertir.)
BONARIO BONARIO
Che pensa Madamina ? Qu'en pense donc Madame ?
CIPRIGNA CIPRIGNA
La mia risposta è questa. Ma réponse, la voici.
(Ciprigna cava una pistola a Bonario) (Elle arrache un pistolet à Bonario)
Una per te ne resta. Il t'en reste un :
42

Spara nella mia testa, tire-moi dans la tête,
Ch'io in quella sparerò. et moi je tire dans la tienne.
(Spara) (Elle tire)
BONARIO BONARIO
Oh Ciel ! Misericordia, misericordia. Ah, mon Dieu ! Pitié, pitié !
(Cade) (Il s’écroule)
- Scena XI - Scène 11
Isabella, Cilia, Fiuta e detti , Isabella, Cilia, Fiuta et les précédents.
ISABELLA, CILIA, FIUTA ISABELLA, CILIA, FIUTA
Che scompiglio, che fracasso ! Quelle confusion ! quel vacarme !
ISABELLA ISABELLA
Padre ! Père !
CILIA e FIUTA CILIA et FIUTA
Signor ! Monsieur !
- Scena XII - Scène 12
Cilia, Fiuta e Don Giglio Cilia, Fiuta et Don Giglio,
DON GIGLIO DON GIGLIO
Signore cosa è stato ? Monsieur, que se passe-t-il ?
Un sparo si senti, On vient d'entendre un coup de feu
E tutto il vicinato et tout le voisinage
Già nella strada uscì. est déjà dans la rue.
BONARIO BONARIO
Son morto ! Je suis mort !
CIPRIGNA CIPRIGNA
Parti bestia, e taci là ! Va-t'en, imbécile, et tais-toi.
BONARIO BONARIO
Ma che ho fatto, eterni Dei, Mais qu'ai-je fait, dieux éternels,
Che nemmen ne' fatti miei pour qu'il me soit même impossible
Deggio aver curiosità ! de me mêler de mes affaires ?
a7 A 7
Questo caso inaspettato Ce coup inopiné
Il cervel m’ha sconcertato M’a bouleversé la tête…
...Non si sa se male, o bene la qui sait comment va finir toute cette
faccenda finirà. ... affaire ?
ATTO II ACTE II
- Scena I - Scène 1
Isabella e Lelio Isabella et Lelio.
43
[D IALOGUES IALOGUES
PARLES]
PARLES

ARIA RIA ARIA RIA
Sono oppressa e sventurata Je suis accablée, infortunée
Viverò meschina in pianto je vivrai, pauvrette, dans les pleurs ;
Ma serbar mi voglio il vanto mais je veux garder la gloire
D'una candida onestà. d'une pure honnêteté.
Io fuggir ? mi meraviglio Moi, m'enfuir ? Je suis surprise
D'un si stolido consiglio, D'un conseil si stupide :
A donzella costumata à demoiselle bien éduquée,
Tal proposta non si fa. on ne fait pas proposition pareille.
(Parte (Elle sort)
LELIO LELIO
RECITATIVO ECITATIVO ACCOMPAGNATO
ACCOMPAGNATO
RECITATIF ACCOMPAGNE
Isabella mio ben, anima mia, Isabella, mon aimée, mon âme,
Perdona se t'offesi. pardonne-moi si je t'ai blessée.
II tuo bel core ammiro J'admire ton beau coeur,
E sol del mio destin piango e sospiro. je ne pleure et ne souffre que de mon
destin.
Nel tuo poter confido, je me fie en ton pouvoir ;
Termina le mie pene Mets fin à mes peines
E m'unisci per sempre al caro bene. et unis-moi toujours à ma bien-aimée.
ARIA RIA ARIA RIA
Senza il caro mio tesoro Sans mon cher trésor,
Non avrà mai pace il core. mon coeur ne connaîtra jamais la paix.
Sarà eterno il mio dolore Eternelle sera ma douleur,
Se l'avrò d'abbandonar. si je dois l'abandonner.
Ma un bel raggio di speranza Mais un rayon d'espérance
Mi consola in tal momento me console en cet instant
E nel petto già mi sento et je sens déjà en moi
Tutta l'alma giubilar. jubiler toute mon âme.
- Scena II - Scène 2
Bonario, indi Ciprigna Bonario puis Ciprigna.
44
[D IALOGUES PARLES] PARLES
D UETTO D UO
Mirate lo sposo crudele, Voyez l'époux cruel :
A cor si fedele à ce cœur si fidèle,

La morte vuoi dar. il veut donner la mort.
BONARIO BONARIO
Vedete la tenera sposa, Voyez la tendre épouse
Indarno amorosa qui cherche vainement
Si cerca mostrar. à se montrer amoureuse.
CIPRIGNA CIPRIGNA
È pazzo chi placido Bien fou qui sans broncher
Tal torto riceve. recevrait tel affront.
BONARIO BONARIO
Affronto si horribile Un si terrible affront
Soffrir non si deve. ne se doit souffrir.
CIPRIGNA CIPRIGNA
Vendetta terribile Je dois tirer ici
Bisogna qui farr une terrible vengeance !
0 poveri gli uomini. Ah, pauvres hommes !...
BONARIO BONARIO
0 sciocche le femmine. Ah, stupides femmes !...
a2 à2
Che trista mercede ... de quel triste salaire
Ci dan questi barbari/queste barbare nous payent ces barbares !
Che giova la fede Mais à quoi sert la foi ?
Che serve l'amor ? Mais à quoi sert l'amour ?
Parte (ils sortent)
- Scena III - Scène 3
Cilia e Fiuta Cilia et Fiuta.
45
[D IALOGUES PARLES] PARLES
ARIA RIA ARIA RIA
Allegramente Cilietta cara Pour notre joie, Cilia chérie,
Sarà invidiata la coppia rara tous les galants de la ville
Dagli Zerbini della Città. seront jaloux de ce couple sans pareil.
E balleremo tarataralalà Et nous danserons, tra la la tra la la...
Con questo passo si andrà girando De ce pas-ci nous tournerons,
Con questo occhietto ti andrò de cet oeil-là je te regarderai,
mirando.
Tutta la gente ci guarderà tous les gens nous admirerons.
Voglio tamburi, cornetti e trombe. Je veux tambours, cornets et trompes,
Tarataralalà tra la la tra la la,

V'o che si sparino cannoni e bombe Je veux que retentissent bombes et
canons
- Scena IV - Scène 4
Ciprigna, Lelio, Giglio Ciprigna, Lelio, Giglio
ARIA RIA ARIA RIA
DON GIGLIO DON GIGLIO
Quante son le fila d'oro Autant qu'il est de fils d'or
Che vi cingono la fronte, qui vous ceignent le front,
Quante perle apron tesoro autant qu'il est de perles, de trésors,
Nel bocchin trionfator: dans votre petite bouche triomphante,
Quanti cor per voi languiscono, autant que de coeurs pour vous
languissent,
Quante gocce ha quel liquor; autant qu'il est de gouttes dans cette
liqueur,
Tante in voi delizie versino autant le ciel, les astres, la nature et
l'amour
GI'astri, il Ciel, natura, amor. versent en vous les délices.
Ed in premio de' miei voti Et pour prix de mes voeux,
Bramo sol da quell'occhietto je désire seulement de ces deux yeux
Uno sguardo vezzosetto, Un petit regard gracieux
Che consoli questo cor. qui console mon coeur.
46
[D IALOGUES PARLES] PARLES
ACCOMPAGNATO ACCOMPAGNATO
Povere donne ! Ecco quai è Io stile, Malheureuses femmes ! Voici l'opinion,
Ecco come si pensa voici le sentiment des hommes
Dagl'uomini di noi ! Vantan col à propos des femmes ! Des lèvres
labbro
Tenerezza ed amore, ils proclament amour et tendresse,
A RIA - POLACCA A RIA – POLACCA
La donna ha bello il core Le cœur de la femme est aussi beau
Come ha leggiadro il viso, qu'est charmant son visage ;
Col labbro invita il riso, ses lèvres appellent le sourire,
Cogl'occhi inspira amor. ses yeux inspirent l'amour.
Felice chi l'adora, Heureux qui l'adore,
Felice chi le crede, Heureux qui croit en elle,
Pietà, costanza, e fede pitié, constance et foi

In lei si trova ognor. se trouvent toujours en elle.
E quando finge ancora Et quand elle feint parfois
Un piccolo dispetto, un léger dépit,
È per provar l'affetto c'est pour éprouver le cœur
D'un tenero amator. d'un tendre admirateur.
(Ciprigna parte, e s'incontra con (En sortant elle tombe sur Bonario,
Bonario, Isabella, Isabella.
Valerio, e Lelio; bruscamente li separa, D'un geste brusque, elle se fraie un
e passa nel chemin).
- Scena V - Scène 5
Bonario, Isabella, Cilia e Lelio. Bonario, Isabella, Cilia et Lelio
[D IALOGUES PARLES] PARLES
- Scena VI - Scène 6
Fiuta, ricchissimamente vestito Fiuta apparaît, richement vêtu à
all'orientale con Fiuta, l'orientale, suivi d'esclaves
seguito di schiavi, che portano qui portent des présents, et Ciprigna.
presenti, e detta,
FIUTA FIUTA
ARIA RIA ARIA RIA
Dov'è ? dov'è ? dov'è Où est-elle ? Où est-elle ? Où est donc
L'Elena dell'Italia, l'Hélène de l'Italie,
La Venere di Napoli la Vénus de Naples,
Del secol la Fenice ? le Phénix de ce siècle ?
Veggiam, se il ver si dice; Voyons si la rumeur dit vrai,
Dov'è ? dov'è ? dov'è ? Où est-elle ? où ? où est-elle ?
47
[DIALOGUES [DIALOGUES
PARLES] PARLES
D UETTO D UO
Vedrete che allegria, Imaginez quelle allégresse,
Che bella compagnia, Quelle belle compagnie,
Che suoni, balli e canti, Quelle musique, quels chants, quels
bals,
Che incanti, che beltà ! Que de beautés, d'enchantements !
Un Elisetto in piccolo Ce royaume vous semblera
Quel regno a voi parrà. L'Eden en réduction.
CIPRIGNA CIPRIGNA
Berlico mio, tacete, Mon cher Berlico, il suffit ;

Nell'alma mi mettete vous me mettez dans l'âme
Un moto, un Poco, un estro Un feu, une vigueur, une fantaisie
Che brulicar mi fa. qui me font bouillonner.
Berlico amabilissimo, Très aimable Berlico,
Tacete per pietà. taisez-vous, par pitié !
FIUTA FIUTA
E giunta in Almerina Parvenue sur l'île d'Almérine,
Sarete voi regina. vous serez la reine.
CIPRIGNA CIPRIGNA
Mio caro Generale Mon cher général,
Tacete, o mi vien male ! taisez-vous ou je me trouve mal.
CIPRIGNA CIPRIGNA
Tacete, ho inteso assai. Taisez-vous, j'ai bien compris.
FIUTA FIUTA
E in man lo scettro avrete Et vous tiendrez le sceptre
Per una lunga età. durant une éternité.
CIPRIGNA CIPRIGNA
Verrò, verrò, tacete, Je viens, je viens, mais taisez-vous,
Tacete per pietà. Taisez-vous, par pitié.
- Finale - Finale
Bonario, Fiuta, Isabella, Lelio, Cilia,
Ciprigna
[D IALOGUES PARLES] PARLES
Bonario, Fiuta, Isabella, Lelio, Cilia,
Ciprigna
[D IALOGUES PARLES] PARLES
FINALE INALE FINALE INALE
a7 a7
CIPRIGNA e BONARIO CIPRIGNA et BONARIO
lo mi sento inorridir. Je me sens pâlir d'horreur.
CILIA e ISABELLA CILIA et ISABELLA
Non vi state a sbigottir. Ne soyez pas effrayés.
FIUTA FIUTA
Voi qui state, io vado intanto Restez ici. Moi, pendant ce temps,
Qualche cosa a discoprir. je vais découvrir les choses.
CIPRIGNA CIPRIGNA
Qualche cosa di funesto Je commence à pressentir
lo comincio a presagir Un événement funeste
FIUTA FIUTA
48

Siete qui ? Êtes-vous là ?
CILIA CILIA
Qui siam. Nous y sommes.
FIUTA FIUTA
Entriamo. Entrons.
a3 à3
Dietro noi l'uscio chiudiamo, Puis dedans fermons la porte,
E pian pian si muova il passo, et marchons tout doucement ;
Che non possaci sentirr qu'on ne puisse nous entendre.
Tutti partono e resta solo Ciprigna: Tous s'en vont, à l'exception de
Ciprigna.
viene pioggia. La pluie se met à tomber.
CIPRIGNA CIPRIGNA
Gente più qui non sento: Je n'entends plus personne ici
Che turbine... che venta ! Quel tourbillon... Quel vent !
Ehm... ehm... zi, zi, zi, zi. Hum, hum... tss, tss, tss, tss...
Chi sa dov'ei s'asconde: Qui sait où il se cache ?
Ehm... ehm... nessun risponde. Hum, hum... Nul ne répond.
Ehi signor Irco. Oh Cielo ! Hé, Seigneur Berlico !... Ô ciel,
Pavento qualche intrico; Je redoute quelque intrigue ;
Sento una man di gelo... Je sens une main glacée !
Stelle: Signor Berlico... Dieux ! Seigneur Berlico,
Sola a quest'ora... in strada... Seule à cette heure.. en chemin...
Non so dove io men vada: Je ne sais où je vais ;
Trovassi almen la porta. Si du moins je trouvais la porte !
Bonario, aiuto, ahimé son morta ! Bonario, à l'aide, je suis morte !
BONARIO BONARIO
Non posso più resistere... Je ne puis plus résister.
ISABELLA e CILIA ISABELLA et CILIA
Tacete per pietà. Taisez-vous, par pitié !
CIPRIGNA CIPRIGNA
Ecco la porta è questa. Ah, voici la porte.
(Batte) (Elle frappe)
BONARIO BONARIO
Or batte. Elle frappe.
FIUTA (piano a Bonario) FIUTA (à Bonario)
Rispondete: « Chi è là » ? Répondez: « Qui est là ? »
BONARIO BONARIO
Chi è là ? Qui est là ?
49

CIPRIGNA CIPRIGNA
Tua moglie. Ta femme.
FIUTA FIUTA
Moglie io non ho, va via. "Je n'ai pas de femme, allez-vous-en !"
BONARIO BONARIO
Moglie non ho, va via. Je n'ai pas de femme, allez-vous-en !
CIPRIGNA CIPRIGNA
Bonario, anima mia, Bonario, mon doux ami,
Aprimi, per carità ! Ouvre-moi, par pitié !
a6 à6
Regina in Almerina Madame sera bientôt
Madama già sarà, la reine d'Almérine,
E il Generai Berlico et le général Berlico
Or l'incoronerà va la couronner.
CIPRIGNA CIPRIGNA
Oh qual funesto velo Oh, quel funeste voile
Cade dagli occhi miei: me tombe des yeux !
Vedo ch'io son tradita, Je me vois trahie,
Vedo ch'io son punita, je me vois punie;
Né merito pietà. je ne mérite aucune pitié.
Ecco a'tuoi piè una misera, Vois à tes pieds une misérable
Che compassione implora, qui implore ta compassion;
Se vuoi ch'io mora, lascia si tu veux que je meure, laisse-moi
Che nel tuo seno io mora. mourir au moins dans tes bras.
BONARIO BONARIO
Apritele, cospetto, Ouvrez-lui, par Dieu,
Oh ch'io mi getto là. Ou bien je me jette là !
Isabella, Cilia e Valerio Isabella, Cilia et Valerio
Apritele, su apritele. Ouvrez-lui, ouvrez-lui.
LELIO LELIO
Madama siamo qua. Madame, nous sommes ici.
FIUTA FIUTA
La stanza è illuminata. La pièce est éclairée,
La marcia è preparata. la marche est préparée...
a6 à6
Ed or la gran tempesta in festa finirà. Et la tempête va s'achever en fête.
CIPRIGNA CIPRIGNA
L'affanno, ed il rossore... L'accablement, la honte...
Lelio e Isabella / Ciprigna, Lelio et Isabella / Ciprigna
50

... mancare oh Dio mi/la fa. ... me font (la font) défaillir.
DUO UO DUO UO
BONARIO BONARIO
A me vieni, o gioia bella. Viens vers ma moi, ma belle joie !
CIPRIGNA CIPRIGNA
A per te non son più quella. Ah, je ne suis plus cela pour toi !
BONARIO BONARIO
Non mi far la smorfiosetta. Ne fais pas la minaudière.
CIPRIGNA CIPRIGNA
Vengo si,... ma senti... aspetta... Je viens, oui.. mais, écoute.. attends...
BONARIO BONARIO
Alza gl'occhi un sol momento. Lève un instant les yeux.
CIPRIGNA CIPRIGNA
Chi può dir quello ch'io sento ? Qui peut dire ce que je sens ?
BONARIO BONARIO
lo Io so, tu senti adesso... Moi, je le sais : tu ressens...
CIPRIGNA CIPRIGNA
... tutto quel che v'è in te stesso. Tout ce que tu sens toi-même.
a2 à2
Sento un foco, un moto strano, Je sens un feu, un étrange élan,
Che dagl'occhi, al cor mi va. qui des yeux me court jusqu'au coeur.
Ah mio ben dammi la mano, Ah, mon trésor, donne-moi la main
E partiamo un podi qua ! Et quittons ces lieux !
M ARCIA M ARCHE
CIPRIGNA CIPRIGNA
Ciel, che vedo ! Ciel ! que vois-je ?
FIUTA FIUTA
Al piede vostro À vos pieds
Or mi prostro, e scusa imploro: Je me prosterne et j'implore votre
pardon.
V'ingannai, ma fu per loro. Je vous ai jouée, mais ce fut pour eux.
Fu per voi, cui deggio affetto Ce fut pour vous, à qui je dois
Riverenza, amor, rispetto; respect, amour et affection.
D'un antico, e fido servo D'un vieux serviteur fidèle,
Perdonate al vivo amor. Pardonnez le dévouement.
a8 à8
Di piacer, di tenerezza consolar De tendresse et de plaisir,
51

mi sento il cor. je sens mon cœur tout consolé.
CIPRIGNA CIPRIGNA
Quanto mai vi deggio, o figli ! Combien je vous dois, mes enfants !
Quanto a Fiuta, e quanto a voi ! A Fiuta et à vous tous !
BONARIO BONARIO
A cenare andiamo intanto, Allons donc dîner à présent,
Parlerem di ciò tra noi. Nous bavarderons entre nous.
DON GIGLIO DON GIGLIO
Dunque a lor mi raccomando. C'est donc à eux que je me
recommande.
a6 à6
Vada pur, di cor la mando. Allez, de tout coeur nous vous
chassons !
CIPRIGNA CIPRIGNA
Vada, e dica a tutti quanti Allez, et dites à tout le monde
Ch'io detesto li birbanti, que je déteste les vauriens,
Che l'impero io rendo al sposo que je rends son empire à mon mari,
Che coll'aurea obbedienza que par la belle obéissance,
Con rispetto affettuoso par l'affectueux respect
E la mutua confidenza et la confiance mutuelle,
Vo emendar gli andati error. je veux amender mes erreurs passées.
TUTTI TOUS
Se ogni moglie fosse tale, Si toute épouse était pareille,
Molti furbi starian male bien des fourbes s'en trouveraient mal ;
Nelle case vi savia dans les familles régneraient
La concordia, e il buon umor. la concorde, la bonne humeur,
E le liti dei mariti et les querelles des maris
Darian loco all'allegria Laisseraient place à l'allégresse
E alla pace, che auguriamo et à la paix, que nous souhaitons
A si umani spettator. à nos aimables spectateurs !
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Variation autour de Don Giglio,
Sigisbée de Ciprigna,
Pique-assiette.

RENCONTRE AVEC STÉPHANE DEGOUT
Le 7 février 2011, l’atelier « dramaturgie appliquée et monde de la musique
lyrique » a prolongé son travail autour de la Capricciosa corretta en
organisant une rencontre avec le baryton Stéphane Degout à l’ÉNS de Lyon.
Évoquant son expérience scénique des opéras de Mozart ayant inspiré les
étudiants de Fabien Waksman, cet habitué du Metropolitan Opera de New
York, du Theater an der Wien, de la Monnaie de Bruxelles, de l’Opéra
National de Paris ou encore du Covent Garden de Londres revient sur son
répertoire et son travail auprès d’artistes comme Bob Wilson, Klaus Michaël
Grüber, Krzysztof Warlikowski ou Patrice Chéreau.
Florent Siaud : Tu n’as chanté le rôle-titre de Don Giovanni qu’une seule
fois. Tu ne l’aimes pas ?
S.D. : Non. Ce personnage est poursuivi par l’image du méditerranéen aux
cheveux gominés et à la chaîne en or : c’est assez loin de moi. Par ailleurs,
ce rôle a l’air d’être facile à chanter. Il comporte peu d’airs, beaucoup plus
de récitatifs que d’ensembles. C’est davantage l’acteur que le chanteur qui
est convoqué. Quand je l’ai fait, j’étais novice, et ce n’était pas évident. J’ai
accepté le rôle seulement parce que Klaus Michaël Grüber était le metteur
en scène. Au lycée, on travaillait beaucoup sur les vidéos de ses spectacles.
Sur des vidéos de Stein ou Chéreau aussi.
Florent Siaud : Comment caractériser le travail de répétitions avec
Grüber ? Certains commentateurs remarquent qu’en sa présence, « l’acteur
se voit confronté à la difficulté de convertir scéniquement une métaphore
dont la puissance émotive réhausse également son art et son être 2 . »
D’autres, comme l’actrice allemande Jutta Lampe, ne se souviennent pas
d’un metteur « chez qui le travail ressemble si peu à du travail 3 . »
S.D. : C’est vrai, c’est exactement ça. Avec Chéreau, on répète tout de suite,
sans perdre de temps. Tandis qu’avec Grüber la première répétition dure une
demi-heure, la deuxième dure deux heures. Pour ce Don Giovanni, on n’a
jamais fait aucune répétition de quatre heures et demie ! On s’arrêtait
toujours à trois. La seule fois où l’on s’est arrêté au bout de quatre heures,
2 Georges Banu et Mark Blezinger, « Essai de groupe », in Georges Banu et Mark
Blezinger (dir.) Klaus Michael Grüber…. Il faut que le théâtre passe à travers les
larmes…, Paris, Editions du Regard, Académie Expérimentale des Théâtres. Festival
d’Automne, Paris 1993, p. 9.
3 Jutta Lampe, « Il a un Lien quelque part », in Georges Banu et Mark Blezinger (dir.)
Idem., p. 83.
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c’est qu’on avait fait un filage ! Effectivement, Grüber dit peu de choses,
mais il les dit au bon moment et elles résonnent pour être là, trois jours après
sans qu’on y pense. À un moment, le pauvre Don Ottavio, qui est éconduit
par toutes les femmes, a un très bel air dans le deuxième acte, « il mio
tesoro », où la musique est très planante, très calme. En répétitions, le ténor,
Toby Spence, commence à chanter… et Grüber vient le chercher, le tient
par le bras et lui fait faire le tour du plateau. Tout à coup, cet air n’était plus
anodin. Le fait que ce vieil homme se lève pour prendre par le bras un jeune
ténor, c’était incroyable. Tous les assistants ont posé leurs crayons. J’ai vu
tout le monde s’arrêter et regarder. Et c’est resté le moment magique du
spectacle. Il y a quelque chose de très beau avec lui : dès le premier jour, on
répète sur le plateau, en costume, avec les décors. Cela apporte vraiment
autre chose au travail.
Florent Siaud : Y a-t-il tant de différences entre le personnage de Don
Giovanni, que tu as abordé sous sa direction, et celui du Comte Almaviva,
que tu as incarné à de multiples reprises ? On retrouve souvent les mêmes
chanteurs dans ces deux rôles…
S.D. : Oui, c’est le même type de voix. Le Comte a ce côté comique que n’a
pas Don Juan et qui est bien utile quand on n’arrive pas à mettre en valeur
ses autres facettes !
Florent Siaud : Dans les Noces de Figaro, tu interprètes le Comte et pas
Figaro. Est-ce simplement une question de tessiture ? Ou bien y a-t-il une
raison dramaturgique à cela?
S.D. : C'est d'abord une raison de tessiture. Musicalement il y a presque un
paradoxe chez Figaro : ses airs sont relativement aigus, alors que dans les
ensembles – et il y en a beaucoup dans les Noces – il est davantage dans le
grave. Le Comte est davantage dans le medium, voire l’aigu. C'est plus
confortable pour moi. Mais c’est surtout que le rôle du Comte me paraît
beaucoup plus intéressant que celui de Figaro. Il n'a aucun succès dans cet
opéra, il va d'échec en échec. Un personnage qui réussit tout ce qu'il fait est
ennuyeux. Les rôles de perdants sont plus amusants à jouer. Incarner
quelqu’un de détestable, c’est plus facile et surtout plus jouissif.
Florent Siaud : Pourtant, les rôles de Papageno dans La Flûte enchantée et
Guglielmo dans Cosi fan tutte figurent également à ton répertoire…
S.D. : Effectivement. Et ils sont très différents. J'aime beaucoup Papageno car
il est simple et franc. C’est un bouffon qui échoue aussi dans tout ce qu'il
entreprend mais d’une manière sympathique. Quant à Guglielmo, je l'ai un
peu trop chanté je crois : j'en suis lassé. Il me semble taillé d'un seul bloc :
c'est un jaloux, un sanguin. Le Comte offre bien davantage de possibilités de
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jeu. Et puis – beaucoup de mes prédécesseurs l'ont dit –, c’est un rôle que
l'on peut jouer à n'importe quel âge au cours d’une carrière, ce qui n’est pas
le cas du jeune Guglielmo.
Florent Siaud : Tu as interprété le Comte dans plusieurs productions, dont
celle de Christoph Marthaler. Comment t’es-tu approprié son esthétique ?
S.D. : La première fois que j’ai chanté le Comte, c'était à Montpellier dans
une esthétique très fidèle au XVIII e siècle ; nous avions alors travaillé en
profondeur les rapports de classe entre maîtres et valets. Il est évident que
cette dimension disparaît quand on déplace l’intrigue au XX e siècle : chez
Marthalar, cette relation devenait une relation employé/patron. Ce qui a des
limites, les règles étant différentes. Dans des cas comme celui-ci, on se dit
qu'il va falloir s'adapter, oublier certaines choses. Il avait placé l'action dans
un magasin de robes de mariée tenu par le Comte et la Comtesse. Un
personnage muet accompagnait certains récitatifs en soufflant dans des
bouteilles d’eau. Marthaler lui avait même rajouté une chanson. La personne
engagée pour faire cela le faisait très bien. Mais cela rallongeait
excessivement le spectacle. Plus d’une fois, j’ai eu l’impression que la
dramaturgie allait dans le mur.
Florent Siaud : Tu n’as intégré cette production qu’à l’occasion d’une
reprise à Paris. Comment avez-vous travaillé ?
S.D. : Généralement, les reprises reposent sur une espèce de remise en place
assez globale. Dans ce cas de figure, seuls un ou deux chanteurs avaient
participé à la création, notamment Christiane Oelze, qui avait incarné
Suzanne et chantait cette fois la Comtesse. Devant le peu de temps de la
reprise, on a modifié peu de choses. Une des deux assistantes, qui n'avait
pas participé à la création, voulait que l'on se conforme exactement à ce
qu’elle avait noté en visionnant le DVD. Mais je savais que Peter Mattei, qui
interprétait le Comte à Salzbourg, ne fait jamais la même chose d'une
représentation à l'autre – il peut entrer à droite quand il faut entrer à gauche
ou changer de costume quand il ne le faut pas. On avait filmé ce qu'il avait
fait pendant une représentation et j’étais persuadé qu'il avait dû faire
l'inverse pendant d’autres représentations. C’est pourquoi je n’ai pas voulu
refaire exactement la même chose que sur la captation.
Florent Siaud : Dans un tel contexte, quel est le référent ? La trace
vidéographique, la mémoire de l’équipe de mise en scène, l'apport des
nouveaux chanteurs ?
S.D. : C'est un peu tout cela. Il faut respecter les grandes lignes, le dessin
principal et, pour le reste, s'adapter.
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Florent Siaud : Comment, dès lors, une reprise peut-elle avoir une âme ?
S.D : Chaque nouveau chanteur fait naître de nouvelles choses. Soit le
metteur en scène accepte, soit il préfère laisser les choses telles quelles. Je
ne me suis jamais vraiment heurté à des refus de la part des metteurs en
scène. Mais il est vrai que quand j’ai travaillé sur La Flûte enchanté avec Bob
Wilson, je n’avais pas d’autres choix que de me mettre dans les lignes de sa
mise en scène chorégraphiée. Cela étant, il voulait quelque chose pour les
dialogues parlés que je n’ai pas accepté de faire. Il souhaitait que Papageno
parle toujours avec une voix de fausset : à ma posture d’oiseau, il voulait
ajouter une voix d'oiseau dans les dialogues. J’ai refusé car c’était trop
fatiguant. Mais cela s'est très bien passé quand même. Dans ces cas-là, il
faut avoir beaucoup d’abnégation, savoir se considérer comme un des
éléments du spectacle et ne pas penser que le spectacle se fait autour de
nous.
Elodie Muselle : Puisque vous parlez de votre expérience auprès de Bob
Wilson, comment décririez-vous sa méthode de travail ?
S.D. : Quand il crée une pièce ou un opéra, je n’ai pas l’impression que ce
que ça raconte lui importe beaucoup. Il s’imprègne de la musique en
écoutant le disque. Il crée ses spectacles un voire deux ans, avant de les
mettre en scène. Il travaille avec une ribambelle d’assistants qui filment son
travail dans des workshops. Quand on arrive pour répéter le spectacle, celuici
est déjà créé depuis longtemps. C’est en quelque sorte une reprise avant la
création ! Pour La Flûte, on a eu quatre semaines de répétition. Pendant la
première, nous n’avons pas chanté, juste appris des déplacements, des
postures etc… C’est ensuite que nous avons ajouté la musique à cette base.
Il est arrivé la dernière semaine, davantage pour s’occuper de l’éclairage –
qu’il crée lui-même – que de nous. Il était tout de même là, il nous a parlé
de son travail, de sa façon de voir les choses. Je le connais très peu mais je
crois que c’était un enfant presque autiste. Il a dû apprendre à communiquer
avec des moyens qui n’étaient pas communs. C’est peut-être ainsi qu’il a
élaboré un langage bien à lui, avec ces images extrêmement colorées.
Florent Siaud : Pourrais-tu comparer cette production de La Flûte
enchantée avec celle de la Fura del Baus, à laquelle tu as également
participé ?
S.D. : La production de la Fura était visuellement très impressionnante. Créé
en 2003 dans une usine désaffectée de la Ruhr, le spectacle reposait sur un
décor composé d'une douzaine d'immenses matelas gonflables qui étaient
manipulés par une vingtaine d'acteurs. Les quelques indications qu’on nous
donnait consistaient en des déplacements se faisant en fonction de ces
volumes. L'esthétique des Espagnols faisait également des chanteurs des
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objets. Mais autant nous n’avions aucune liberté avec Bob Wilson, autant on
en avait énormément avec la Fura. C'est bien d'avoir beaucoup de liberté
mais ça peut aussi être dangereux.
Florent Siaud : Cette liberté ne permet-elle pas au chanteur de donner libre
cours à son imagination corporelle ?
S.D. : Il faut faire la différence entre les acteurs et les chanteurs. Ce n'est pas
du tout la même manière de procéder. Les acteurs sont toujours dans une
recherche personnelle et arrivent souvent en répétition sans connaître le
texte par cœur ou sans l'avoir travaillé techniquement tandis qu'à l'opéra
c'est l'inverse. Nous avons une préparation beaucoup plus solide d'un point
de vue technique, sans avoir mené en amont un véritable travail sur le
personnage et l'histoire. Les répétitions devant aller vite, les metteurs en
scène se concentrent sur l'aspect technique du travail. Et ça n’est pas
différent avec Chéreau. Pour Cosi fan tutte, on avait cinq semaines de
répétition ; il avait extrêmement bien préparé son travail en amont.
Florent Siaud : Pendant les répétitions – il le dit lui-même –, Patrice
Chéreau « ne dirige pas les comédiens depuis le vingt-cinquième rang
comme les metteurs en scène qui ne bougent pas de leur place lorsqu'ils
s'adressent aux acteurs. » Ce qu’il aime, c’est se « trouver parmi eux 4 . »
S.D. : Oui, c'est assez troublant d'ailleurs. On est sur scène et on a ce
bonhomme qui vient nous regarder, qui essaie de nous toucher tout en
voulant se faire oublier ! Il y a des photos de répétitions, où il est dans la
salle et où il reproduit ce qu'on fait sur le plateau. Tout ce qui passe dans le
spectacle passe par lui, je crois que c'est celui qui transpirait le plus. Il dirige
de deux façons différentes et parallèles. L'une, très physique : il a un plan et
une image de la place des gens sur scène qui est extrêmement précise et on
répète presque de façon mécanique ce genre de chose. L'autre, en parallèle
consiste en des indications sur le personnage, sur la façon de l'interpréter,
sur la situation dans laquelle il se trouve. Sans vraiment y revenir, il donne
une indication, une fois comme ça. On reprend la scène trois jours après et
tout marche, comme s'il avait donné quelque chose à notre inconscient
plutôt qu'à notre intellect. Et ça fonctionne. Grüber était comme ça aussi,
avec plus de flegme et de détachement. Il arrêtait parfois une répétition de
quatre heures au bout de deux, souvent on ne faisait les scènes qu'une seule
fois, mais quand on les reprenait en fin de semaine, tout était là. C'était
4 Patrice Chéreau, « J’y arriverai un jour », dialogue avec Georges Banu, in Patrice
Chéreau. J’y arriverai un jour, ouvrage réalisé par Georges Banu et Clément Hervieu-
Léger, Arles, Actes Sud, 2009,p. 37 - 38.
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incroyable. Ce n'est peut-être pas un hasard si Chéreau et Grüber ont été les
assistants de Strehler dans leur jeunesse !
Florent Siaud : Chéreau disait que ce qu'il admirait chez Strehler, c'était sa
capacité à allier la gravité et la légèreté. Or, c’est étrange, on a reproché à
Patrice Chéreau d’avoir mis trop de tragédie dans sa mise en scène d’une
œuvre aussi lumineuse que Cosi…
S.D. : Pour ma part, je suis arrivé à Aix en me disant : « Bon, c'est très bien
de travailler avec Chéreau mais pourquoi est-ce qu'il monte Cosi ? Il y a des
opéras plus intéressants que celui là ! » Cosi fan tutte est un « dramma
giocoso », un drame joyeux : or on oublie souvent le côté « drame ». Sous
prétexte qu'il est question d'amour et de séduction, on le monte comme
quelque chose de drôle. Chéreau a vraiment voulu revaloriser les sentiments
humains. C'est ce qui est mal passé : on a eu l'impression que c'était un
spectacle sérieux. Cependant, il n'a pas du tout évacué le comique de
certaines situations, de certains personnages : les spectateurs riaient
beaucoup pendant le spectacle. Mais il faut dire que nos détracteurs étaient
seulement composés de critiques français alors que la critique internationale
était dithyrambique.
Florent Siaud : Pour Chéreau, « les chanteurs savent qu'ils ont une voix
mais ils oublient qu'ils ont aussi un corps 5 . »
S.D. : C’est vrai. C’est pourquoi j’ai bien aimé le travail avec Bob Wilson,
très physique, que je rapprocherai du travail que j’ai fait avec Trisha Brown
sur l’Orfeo de Monteverdi. Elle aussi, elle était davantage dans la recherche
du mouvement que dans la quête de signification. Je suis arrivé en
répétitions en sachant qu’on n’allait pas parler du personnage, de l’histoire.
Pendant deux mois, je me suis considéré comme un danseur. Trisha et Bob
privilégient l’aspect physique à l’approche psychologique. Entre 2002 et
2007, j’ai rencontré ces deux figures. Et dans la foulée, je me suis mis au
yoga. Je me suis rendu compte qu’il existait de nombreuses connexions
possibles entre le chant, une posture et un mouvement. Si beaucoup de mes
collègues n’arrivaient pas à mettre en lien l’aspect chorégraphié et la
psychologie du personnage, moi, j’ai complètement laissé de côté les
interprétations intellectuelles : j’ai joué le jeu et j’ai fait beaucoup de
connexions à partir du souffle, base du chant mais base tout aussi importante
5 Propos recueillis par Edouard Brane, « Les chanteurs savent qu’ils ont une voix mais
ils oublient qu’ils ont aussi un corps », Forum Opéra [En ligne], consulté le 05/02/11,
URL : http://agon.ens-lyon.fr/index.php?id=1267.
http://www.forumopera.com/index.php?mact=News,cntnt01,detail,0&cntnt01articlei
d=2260&cntnt01returnid=29.
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pour les danseurs. Notre centre de gravité à nous, chanteurs, est bas, tandis
que celui d’un danseur est plus haut. Dans le corps, on a trois paliers
horizontaux : le voile du palet, le diaphragme et le plancher pelvien, qui
fonctionnent en parallèle tout le temps. En travaillant avec Trisha Brown, j’ai
découvert que nous en avions un quatrième : le sol. Qui fait encore mieux
marcher les trois autres paliers quand on en prend conscience ! Ce qui est
étonnant, c’est que ce n’est pas un professeur de chant qui nous ait appris
ça. Travailler sur cet Orfeo m’a permis de revenir sur des points qui sont
venus naturellement, comme malgré moi.
Carole Boulanger : Vous dites que, chez les chanteurs, le travail sur la
psychologie du rôle est moins profond, vous avez pourtant l’air d’y trouver
votre compte, non ?
S.D. : Cela dépend des metteurs en scène. Chez Bob Wilson par exemple, il
n’y a pas du tout ce travail mais c’est quand même satisfaisant car on
travaille sur le corps. Avec Chéreau ou Grüber au contraire c’est plus
« intellectuel ». De production en production, il faut trouver un équilibre.
Parfois, on ne le trouve pas et on a l’impression de faire ça pour payer ses
impôts ! Je ne peux pas vraiment répondre, ce sont des réflexions que j’ai
rarement eues…
Vera Leon : Vous parlez du travail physique et du travail intellectuel du
chanteur. Comment fait-il communiquer ces deux plans, ces deux
imaginaires ?
S.D. : J’aime les deux aspects de façon égale. C’est très difficile de dire
comment on construit un personnage. Je crois qu’il se construit lui-même et
qu’on est un peu des filtres à travers lesquels passent des indications, la
musique etc. Je ne suis pas du tout quelqu’un qui veut imposer un point de
vue sur son personnage. J’aime faire des choses différentes et j’ai une grande
capacité d’adaptation.
Nina Hugot : Est-ce que vous vous en remettez entièrement au metteur en
scène ou est-ce que vous effectuez des recherches personnelles, avant les
répétitions ?
S.D. : En préparant un rôle, j’aime bien me renseigner sur le contexte ; je me
documente, je connais les dates de composition et d’autres détails
importants mais ensuite, j’aime bien me laisser conduire. Pour Les Noces de
Figaro, on ne peut pas marcher ni se comporter de la même façon dans un
contexte Berlin-est des années soixante-dix que dans un contexte XVIII e
siècle. Dans Hippolyte et Aricie de Rameau, dans lequel j’ai chanté au
Capitole de Toulouse, le metteur en scène Ivan Alexandre voulait une
esthétique très proche de celle de la création de l’opéra, avec une gestuelle
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aroque, des postures précises et peu de déplacements. Je ne l’avais jamais
fait.
Claire-Emmanuelle Nardone : Avez-vous parfois l’impression que certains
metteurs en scène cherchent délibérément à mettre les chanteurs à
l’épreuve, à leur lancer des défis ?
S.D : Oui, Warlikowski par exemple. Il nous met dans l’inconfort pour créer
des situations qui, sinon, n’existeraient pas. Dans Iphigénie en Tauride de
Gluck, je devais traverser tout le plateau les pieds et les poings liés en
sautillant : une posture très contraignante pour un chanteur. Je suis arrivé
trop vite au bord du plateau. Ayant les mains attachées dans le dos, je n’ai
pas pu me rattraper. Je suis tombé sur le côté et les lunettes de soleil que je
portais m’ont ouvert l’arcade. Les gens ne pouvaient pas remarquer que je
saignais parce que nos costumes étaient déjà maculés de sang. J’ai dû rester
comme ça sur scène pendant une demi-heure. Franck Ferarri, qui jouait
Pylade, m’a ensuite dit en coulisse : «Tu joues bien ce soir, t’es à fond ! »
Florent Siaud : L’opéra te satisfait-il, toi, artiste scénique, sur le plan du
jeu ?
S.D. : Je trouve mon compte dans le fait d’être sur scène, d’avoir des
partenaires, d’avoir une interaction avec d’autres chanteurs. Il y a quelque
chose qui se crée au moment des représentations, quand on va entrer sur
scène et qu’on sait qu’il y a mille personnes dans la salle, on s’abandonne.
Pierre-Damien Traverso : Quel est votre rapport au théâtre ?
S.D. : J’ai d’abord été attiré par le théâtre, en fait. Adolescent, j’ai suivi par
hasard quelques stages de théâtre, avant de suivre l’option théâtre au lycée
Saint-Exupéry de Lyon. Les professeurs de théâtre nous ont conseillé d’aller à
la chorale pour travailler notre voix. L’enseignant qui dirigeait la chorale m’a
« repéré ». J’ai alors suivi des cours avec un autre professeur de musique qui
m’a poussé à faire le conservatoire de Lyon. Tout ça s’est fait très
naturellement en direction du chant mais je n’ai jamais été frustré car, sur
scène, à l’opéra, je fais aussi un travail d’acteur. Mais aujourd’hui, si je
devais être acteur, je crois qu’il me manquerait quelque chose : il y a une
structure dans la musique que les acteurs n’ont pas : ils se créent leur propre
rythme et leur propre musicalité. Ça nous enlève une sacrée responsabilité !
Florent Siaud : Le système de l’opéra repose sur deux chefs : le chef
d’orchestre et le metteur en scène. Comment le chanteur arrive-t-il à gérer
ces deux directivités ? As-tu déjà été le témoin d’un conflit ?
S.D. : Cela arrive rarement… Je n’ai jamais vraiment vécu ce genre de
situation. En général, ils travaillent ensemble en amont. Dans le travail, on a
vraiment deux chefs, oui, mais c’est toujours la musique qui décide. Un
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metteur en scène ne nous fera jamais faire quelque chose qui nous empêche
de chanter, ou de voir le chef. En général, les metteurs en scène se retirent
un peu et laissent vraiment le chef d’orchestre prendre des décisions qui sont
importantes.
Florent Siaud : Lorsqu’on regarde le parcours d’un chanteur, on prend
conscience du nombre de chefs et de metteurs en scène différents avec
lesquels il a interprété un même personnage d’opéra. Comment arriver à
jongler avec toutes ces lectures ?
S.D. : Elles interagissent. Au fur et à mesure des répétitions de Cosi fan tutte,
Chéreau m'a montré des aspects intéressants que j’ai repris dans d'autres
spectacles. Je garde simplement la mémoire de l'éclairage de Chéreau.
Chaque nouvelle production permet de peaufiner un rôle, d’en voir d'autres
facettes. Il est impossible de le saisir entièrement dès la première fois. Les
trois metteurs en scène avec qui j’ai travaillé Oreste dans l’Iphigénie en
Tauride de Gluck, par exemple, avaient des points de vue extrêmement
différents. Les deux premiers voyaient en lui un personnage fou, malade,
tandis que le troisième, Torsten Fischer, le voyait simplement comme un
fatigué de la vie. Dès le premier jour de répétitions, je me suis dit : « Ah!
Tiens… il va se passer quelque chose, pendant ces quelques semaines ! » Et
effectivement, il s'est passé quelque chose. Les deux interprétations semblent
se rejoindre, mais elles sont assez éloignées. Dans le fond, la folie est plus
facile à jouer que la conscience : quand on est fou, on peut faire n'importe
quoi !
Florent Siaud : Toi, en tant que chanteur, tu fais voyager ton personnage à
travers différentes mises en scène… Est-ce que tu as l’impression que ce
voyage dans les esthétiques et dans le temps lui donne plus d’épaisseur qu’il
n’en a peut-être dans la lettre du livret ?
S.D : Cela dépend du personnage. Je trouve que le Compte supporte moins
bien la transposition dans le temps. Je n’ai pas été convaincu par ce qu’on a
fait à Paris. Au final, c’était un peu plaqué. Alors que dans un contexte très
précis, comme celui de la pièce, ça marche car on se donne alors toutes les
clés. En revanche, il y a aussi des personnages un peu intemporels, comme
ceux de la mythologie. La personnalité d’Oreste, par exemple, reste la
même, qu’on le mette en jeans / baskets ou en toge. C’est la même chose
avec Pelléas et Mélisande : il en ressortira toujours quelque chose, même si
le texte comporte de détails précis qui (l’épée de Golaud) qui peuvent faire
sourire dans une transposition moderne…
Propos recueillis le 7 février 2011, à Lyon.
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