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Santé des mères<br />
et des enfants<br />
Reportages<br />
en RD Congo<br />
Interviews<br />
FICHE<br />
THÉMATIQUE<br />
<strong>La</strong> <strong>faim</strong> dans<br />
un monde de<br />
surabondance<br />
N° 2 / 2011 • BIMESTRIEL AVRIL-MAI 2011 • P308613 • BUREAU DE DÉPÔT BRUXELLES X<br />
LE JOURNAL DE LA COOPÉRATION BELGE<br />
dimension
sommaire<br />
AVRIL-MAI 2011<br />
4/5 ><br />
Une nuit dans<br />
la maternité<br />
6-9 Petite santé, pays<br />
immense, vaste<br />
question : Reportage<br />
en RD Congo<br />
10-11 "Qui peut le plus peut le<br />
moins !" Interview avec<br />
Marleen Temmerman<br />
12-13 Inondations au Pakistan :<br />
une catastrophe<br />
humanitaire largement<br />
canalisée<br />
22/23 ><br />
Punir enfin,<br />
pour prévenir<br />
les violences sexuelles<br />
DOUBLE PAGE CENTRALE ><br />
FICHE THÉMATIQUE<br />
<strong>La</strong> <strong>faim</strong> dans un monde<br />
de surabondance<br />
14-19 Centre Songhai :<br />
Danse avec la nature<br />
20-21 <strong>La</strong> clinique<br />
des renaissances<br />
24-25 Gand - Mangaung,<br />
villes soeurs<br />
28-29 Makala ya sasa -<br />
un fi lm documentaire<br />
30-31 Petite <strong>Dimension</strong><br />
Renouvellement des abonnements à l’étranger !<br />
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2 AVRIL-MAI 2011 I dimension 3<br />
26/27 ><br />
Noam Chomsky,<br />
un intellectuel engagé<br />
Il y a assez de tout<br />
dans le monde<br />
pour satisfaire aux<br />
besoins de l'homme,<br />
mais pas assez pour<br />
assouvir son avidité.<br />
MAHATMA GANDHI<br />
Abonnement gratuit sur :<br />
www.dimension-3.be<br />
ou par mail à :<br />
info.dgd@diplobel.fed.be
Réfugiés de Rohingya du Myanmar au<br />
Bangladesh. Une femme regarde vers<br />
l’extérieur de sa maison détruite, serrant son<br />
enfant nouveau-né dans ses bras.<br />
© UNHCR / G.M.B. Akash<br />
Périodique bimestriel de<br />
la Direction Générale de la<br />
Coopération au Développement<br />
(DGD)<br />
Rédaction :<br />
DGD - DIRECTION PROGRAMMES<br />
DE SENSIBILISATION<br />
Rue des Petits Carmes 15<br />
B-1000 Bruxelles<br />
Tél. +32 (0)2 501 48 81<br />
Fax +32 (0)2 501 45 44<br />
E-mail : info.dgd@diplobel.fed.be<br />
www.diplomatie.be • www.dg-d.be<br />
Secrétariat de rédaction :<br />
Elise Pirsoul, Jean-Michel Corhay,<br />
Chris Simoens, Thomas Hiergens<br />
Création et production :<br />
www.mwp.be<br />
Les articles publiés ne représentent<br />
pas nécessairement le point de vue<br />
offi ciel de la DGD ou du gouvernement<br />
belge. <strong>La</strong> reproduction des articles est<br />
autorisée pour autant que la source<br />
soit mentionnée et qu'une copie de la<br />
publication soit envoyée à la rédaction.<br />
<strong>Dimension</strong> 3 paraît 5 fois par an tous les<br />
2 mois sauf en été.<br />
Abonnement :<br />
gratuit en Belgique et à l'étranger.<br />
Imprimé sur papier 100 % recyclé.<br />
Interdépendance dans<br />
un monde qui change<br />
3<br />
dimension<br />
L’actualité mondiale de ces derniers mois semble avoir pris un coup<br />
d’accélérateur. Elle montre à quel point les différentes parties du<br />
monde sont interdépendantes, et comment un phénomène peut en<br />
entraîner un autre. Dans son dernier numéro, <strong>Dimension</strong> 3 se penchait sur le<br />
cas des migrants. Aujourd’hui, un nombre accru d’entre eux frappe à notre<br />
porte. Plusieurs raisons en amont : le chômage, des prix alimentaires élevés, la<br />
mauvaise gouvernance, une population excédée… Qui aurait cru alors que le<br />
Maghreb et le Moyen Orient s’embraseraient aussi rapidement, avec une issue<br />
pleine d’espoir pour les uns, incertaine pour les autres ? Les questions de la<br />
sécurité alimentaire à laquelle nous consacrons une fi che thématique et de la<br />
répartition plus juste de l’alimentation manifestent toute leur importance.<br />
Le monde entier a également assisté impuissant à la dévastation du Japon, qui<br />
se transforme depuis en catastrophe nucléaire, démontrant que les pays les<br />
plus technologiquement avancés ne sont pas à l’abri des caprices de la nature.<br />
Devant toutes ces catastrophes, nous aurons beau fermer les yeux et nous<br />
enfermer dans nos frontières, nous ne serons pas à l’abri des conséquences<br />
indirectes : élévation des prix du pétrole et du coût des appareils électroniques,<br />
immigration, répercussions écologiques…<br />
Loin des tsunamis ou des soulèvements populaires spectaculaires, se trame<br />
chaque jour un drame poignant : à chaque minute, une femme meurt en donnant<br />
la vie, un enfant sur huit disparaît avant son 5e anniversaire… Drame d’autant plus<br />
inacceptable qu’il pourrait être évité, comme le souligne Marleen Temmerman<br />
que nous avons interviewée à ce sujet. Si les décès en couche, les fi stules<br />
obstétricales, les morts des enfants de moins de 5 ans étaient encore monnaie<br />
courante en Europe il y a deux siècles, ils sont devenus rares grâce à l’assistance<br />
médicale, aux accouchements, et au suivi pédiatrique. Ce n’est pas le cas dans<br />
le Sud. Les femmes représentent plus de la moitié de la population humaine et<br />
les enfants sont les adultes de demain ; si l’on ne peut assurer la protection de la<br />
majorité de la population pour les actes les plus fondamentaux de la vie - naître et<br />
donner la vie -, comment prétendre développer l’être humain ?<br />
Nous sommes partis sur les routes cahoteuses de la RD Congo pour rencontrer<br />
ceux qui agissent en première ligne -, patients, médecins, organismes d’aide et<br />
mêmes particuliers - pour constater que la santé des mères et des enfants était<br />
plus qu’une simple histoire de santé. Elle est aussi liée à la pauvreté des patients<br />
et du système national, des formations des médecins, de l’état des routes,<br />
de l’éducation et du statut des femmes. Nous sommes entrés aussi dans les<br />
salles d’audiences où les procès des militaires accusés de viols se multiplient.<br />
Une bonne nouvelle pour l’Est du Congo où le corps des femmes est parfois<br />
utilisé comme arme de guerre pour détruire la société et asseoir des guerres<br />
abominables. C’est l’aboutissement d’un long travail de l’Etat congolais avec<br />
les partenaires pour rétablir la justice. Aujourd’hui, tous les crimes ne sont plus<br />
permis, les espoirs sont admis…<br />
LA RÉDACTION<br />
dimension 3 I AVRIL-MAI 2011 3<br />
édito
SANTÉ MATERNELLE<br />
Une nuit,<br />
dans la<br />
maternité<br />
Il est 20 h.,<br />
C’est une soirée tranquille pour Maman<br />
Françoise, infi rmière chef de l’hôpital<br />
Saint-Joseph de Kinshasa. Dans la salle<br />
de travail, quelques femmes sont proches<br />
de l’accouchement, d’autres gardées en<br />
observation, faute de place ailleurs. <strong>La</strong> plupart<br />
d’entre elles ont eu une crise de malaria<br />
alors qu’elles n’étaient enceintes que<br />
de quelques mois. <strong>La</strong> malaria, fréquente<br />
sous ces latitudes est l’une des premières<br />
causes des naissances prématurées.<br />
De la salle d’accouchement, parviennent<br />
des gémissements qui se transforment parfois<br />
en complaintes en lingala. “Le travail se<br />
déroule normalement, elle devrait accoucher<br />
dans peu de temps”, me confi e Maman Françoise.<br />
Un peu à l’écart, une jeune femme est<br />
couchée en boule, le regard perdu : “Elle<br />
vient d’accoucher d’un bébé mort-né. Elle a<br />
pris trop de temps pour arriver ici car elle<br />
a d’abord été envoyée dans un autre hôpital.<br />
L’enfant était déjà mort d’asphyxie à son<br />
arrivée. A son arrivée, on a détecté la préclampsie<br />
et fait une césarienne…, trop tard.”<br />
Autre cause bien connue du dénouement<br />
fatal des accouchements, le phénomène dit<br />
des “3 retards” : retard de décision de se<br />
rendre à l’hôpital, retard occasionné par la<br />
recherche du transport, retard dans la prise<br />
en charge…<br />
21 h.,<br />
Une jeune fi lle entre, accompagnée d’un<br />
infirmier. Son ventre est encore rond<br />
de l’enfant auquel elle a donné vie il y<br />
a deux jours. Elle pleure convulsivement<br />
et bafouille de façon désespérée, prise<br />
de panique. L’infirmière m’explique :<br />
son bébé est né prématurément et dans<br />
de mauvaises conditions à la suite d’une<br />
crise de malaria. Il vient de décéder au<br />
service néonatal. Comme elle ne peut<br />
pas payer la facture, on la retient et on lui<br />
demande de dormir à la maternité, à côté<br />
des femmes en travail. Un cauchemar…<br />
4 AVRIL-MAI 2011 I dimension 3<br />
L'UNICEF<br />
estime qu’un<br />
enfant sur huit<br />
n’atteindra<br />
pas son<br />
5 e anniversaire.<br />
22 h.,<br />
Notre parturiante a fi ni par expulser un<br />
beau bébé de presque 3 kilos qui est aussitôt<br />
examiné par les infi rmières et rendu<br />
à sa mère. Elle quittera probablement<br />
l’hôpital demain matin pour reprendre le<br />
travail, son bébé sur le dos. En attendant,<br />
elle passera la nuit dans une salle bondée<br />
de la maternité où elle partagera peutêtre<br />
son lit avec d’autres accouchées.<br />
“Mais il est rare qu’une mère meure à<br />
l’hôpital ; bien souvent, elle n’arrive pas<br />
jusqu’ici.”En effet, peu de femmes ont accès<br />
aux soins médicaux. Ici, en RD Congo, la<br />
santé de la mère et de l’enfant est alarmante:<br />
une enquête démographique de<br />
2007 dénombre 549 morts maternelles<br />
pour 100.000 naissances vivantes. Soit, avec<br />
une moyenne de 6,3 enfants par femme, un<br />
décès des suites d’une grossesse toutes les<br />
demi-heures. Les causes sont bien connues<br />
et les décès évitables : infections, hémorragies,<br />
complications, disproportion entre le<br />
bassin et la tête du bébé chez les femmes<br />
trop jeunes, sans oublier des causes indirectes<br />
comme le VIH/sida, le paludisme et
la malnutrition qui touche plus de 53 % des<br />
femmes en âge de procréer. Par ailleurs, la<br />
contraception n’est utilisée que par 6 % des<br />
femmes. Quant à la mortalité des enfants<br />
de 0 à 5 ans, qui est intimement liée à la<br />
pauvreté et la condition des femmes, elle<br />
atteint le chiffre tragique de 142 pour 1.000<br />
naissances…<br />
Dans le monde…<br />
Parmi les Objectifs du Millénaire, les<br />
Objectifs 4 et 5 (réduire de deux tiers<br />
la mortalité infantile et maternelle) sont<br />
ceux qui progressent le moins. Même<br />
s’il y a des avancées, Unicef estime<br />
qu’un enfant sur huit n’atteindra pas<br />
son 5 e anniversaire et que par an, 251<br />
femmes sur 100.000 ne survivront pas à<br />
leur grossesse (50 % de ces décès ayant<br />
lieu en Inde, Nigeria, Pakistan, Afghanistan,<br />
Ethiopie et RD Congo)... Estimant<br />
que la santé de la mère et de l’enfant est<br />
fondamentale pour le développement<br />
harmonieux des sociétés en général et<br />
l’atteinte des Objectifs du Millénaire, les<br />
agences des Nations unies ont décidé<br />
© CTB / Dieter Telemans<br />
de réunir leurs forces dans une Stratégie<br />
globale pour la santé des femmes et des<br />
enfants, aidée d’un fonds de 40 milliards<br />
de dollars.<br />
ELISE PIRSOUL<br />
ONLINE<br />
www.who.int/pmnch/topics/maternal/<br />
dimension 3 I AVRIL-MAI 2011 5
© DGD / E. Pirsoul<br />
Petite santé,<br />
pays immense,<br />
VASTE<br />
QUESTION<br />
Dans un pays aussi vaste que la République Démocratique<br />
du Congo, où presque tout est à reconstruire, la santé des<br />
mères et des jeunes enfants reste un domaine complexe<br />
qui dépasse la seule question de la santé et touche tous les<br />
domaines du développement.<br />
Le petit centre de santé<br />
de Maman Nzuzi<br />
De Kinshasa, il faut d’abord rouler une<br />
heure, à travers les incontournables<br />
embouteillages, sur ce qu’on a du mal<br />
à qualifi er de “route” tant la terre est<br />
cabossée. Ensuite la “route” s’arrête et<br />
c’est à pied qu’il faut descendre la colline<br />
et en remonter une autre par un petit<br />
chemin de terre rendu particulièrement<br />
boueux par cette journée pluvieuse. On<br />
arrive devant une petite maison dont on<br />
distingue à peine l’intérieur. “Voilà une<br />
semaine que nous n’avons plus d’électricité”,<br />
soupire sa patronne, “Maman<br />
Nzuzi”. Maman, elle ne l’est pas que par<br />
le nom tant elle s’est battue pour sa communauté.<br />
“Je voulais faire quelques chose<br />
pour mon quartier, je voyais les gens<br />
(10 % de la population active m’affirmera-t-elle)<br />
mourir de paludisme, d’anémie<br />
ou de choléra, sans qu’il y ait de prise<br />
en charge locale. Il n’y avait même pas de<br />
6 AVRIL-MAI 2011 I dimension 3<br />
lieu où accoucher.” Elle décide d’ouvrir<br />
en ‘92 un dispensaire pour sa communauté<br />
si démunie. Déterminée, elle obtint<br />
très vite de la coopération belge un fi nancement<br />
de 500.000 FB pour transformer<br />
le petit dispensaire en véritable centre<br />
de santé. Depuis, elle a créé son ONG,<br />
Action Bolingo, dont le but est d’améliorer<br />
le bien-être de la communauté. Car<br />
le bien-être, c’est la santé.<br />
Remarquant que la malnutrition était<br />
l’une des causes principales des maladies<br />
d’enfants et des grossesses à<br />
risques, “J’ai commencé à préparer à<br />
manger pour les démunis du quartier,<br />
mais on a constaté que ce n’était pas<br />
suffisant car lorsque mes patients rentraient<br />
à la maison en bonne condition, ils<br />
réapparaissaient mal nourris peu après.”<br />
Alors, avec l’aide du programme belge<br />
PAIDECO (voir encadré) et des habitants,<br />
elle défriche un marais pour le transformer<br />
en terre cultivable. Depuis lors, les<br />
habitants peuvent cultiver et consommer<br />
leurs propres légumes et les problèmes<br />
de nutrition ont diminué. De même,<br />
constatant que l’eau était impropre à la<br />
consommation et cause de diarrhées,<br />
elle obtint de l’UNICEF la construction<br />
d’un puits et des médicaments.<br />
Aujourd’hui, c’est jour de consultation<br />
prénatale (CPN) et une dizaine<br />
de femmes se présentent. Ici, on peut<br />
détecter une grossesse à risque qui sera<br />
signalée à un hôpital, un bassin trop petit,<br />
une séropositivité dont on peut prévenir<br />
la transmission à l’enfant à l’aide d’antirétroviraux,<br />
ou vacciner contre le tétanos<br />
néonatal… Malheureusement, les CPN<br />
ne sont pas suivies par toutes et il arrive<br />
souvent qu’une femme se présente au<br />
centre de santé en état de complication<br />
d’accouchement sans n’avoir jamais<br />
consulté un médecin…<br />
Dans la petite pièce sombre qui sert de<br />
maternité sont couchées une dizaine de<br />
jeunes accouchées. Chez l’une d’elles,<br />
le bébé présente une anomalie, il devra<br />
bientôt être référé à l’hôpital.<br />
Si un problème dépassant les compétences<br />
du centre se présente, le malade<br />
est amené à pied, ou en civière, sur des<br />
chemins escarpés au premier hôpital qui<br />
se trouve à 5 km. Et ce n’est pas le seul
AU BURUNDI,<br />
SOINS GRATUITS<br />
POUR LA MÈRE<br />
ET L’ENFANT<br />
epuis 2006, la santé de la mère et<br />
Dde l’enfant est gratuite au Burundi :<br />
accouchement, césarienne, test et soins<br />
sida, paludisme, médicaments – y compris<br />
contraceptifs -, fi stules et autres opérations<br />
sont entièrement subventionnés :<br />
une révolution ! <strong>La</strong> gratuité des tests VIH et<br />
des médicaments ARV permet d’accroître<br />
maintenant le nombre de femmes testées<br />
et d’envisager une meilleure prévention de<br />
la transmission mère-enfant. <strong>La</strong> planifi cation<br />
familiale est un volet important dans ce<br />
pays rongé par la pression démographique<br />
sur les terres et où la moyenne est encore<br />
de 6,8 enfants/femme. De fait, l’utilisation<br />
de médicaments contraceptifs (gratuits !),<br />
qui est encore entravée par la religion et la<br />
tradition est passé de 2,7 à 18,9 % en 2010.<br />
Le fi nancement de départ vient en partie<br />
d’un fonds de remise de dette (Pays Pauvres<br />
Très Endettés), dont 20 % ont été affectés<br />
à la santé et s’ajoute à l’appui des partenaires.<br />
Le défi principal de la gratuité des<br />
soins est le manque de personnel qualifi é,<br />
selon le directeur du Programme de santé<br />
reproductive du Burundi. EP<br />
problème : le personnel du centre (5 personnes<br />
en alternance) est entièrement<br />
payé par la rétribution des soins, ce qui<br />
équivaut à environ 20 euros par mois…<br />
Pharmacie “Apocalypse”<br />
Sur la route de Kisenso vers l’hôpital Saint-<br />
Ambroise, le regard croise la pharmacie<br />
“Apocalypse”, qui propose une vingtaine<br />
de médicaments importés d’Asie. C’est<br />
SANTÉ MATERNELLE<br />
L’hôpital général de<br />
Walungu, à 40 km de<br />
Bukavu, doit fonctionner<br />
avec de faibles moyens.<br />
l’une des nombreuses pharmacies aux<br />
noms fantaisistes qui, tout comme les<br />
centres médicaux privés, fl eurissent en RD<br />
Congo depuis des années. Un bien pour<br />
la population…? Pas forcément. Si, avant<br />
les années ‘90, on déplorait le manque de<br />
personnel médical, la dégradation du secteur<br />
public donna lieu à l’ouverture d’une<br />
myriade d’institutions professionnelles de<br />
qualité douteuse.<br />
© DGD / E. Pirsoul<br />
dimension 3 I AVRIL-MAI 2011 7
République<br />
Démocratique<br />
du Congo<br />
<strong>La</strong> quantité prit rapidement le pas<br />
sur la qualité. Il n’est d’ailleurs pas rare de<br />
voir ces centres médicaux peuplés de<br />
personnel désœuvré attendant le client…<br />
Ce personnel mal formé et mal payé peut<br />
être à l’origine d’un mauvais diagnostic,<br />
d’un retard de prise en charge, voire<br />
d’une opération ratée. De même, on s’improvise<br />
pharmacien comme on pourrait<br />
être épicier, là encore au détriment de la<br />
qualité. Dans la course au meilleur marché,<br />
ce sont les médicaments génériques<br />
asiatiques, souvent moins effi caces que<br />
leurs originaux, voire carrément inutiles,<br />
qui gagnent la mise. Le médicament<br />
– contraceptif y compris – est parfois<br />
vendu à la pièce…<br />
8 AVRIL-MAI 2011 I dimension 3<br />
De l’hôpital local<br />
à l’hôpital national<br />
Dans le centre de Maman Nzuzi<br />
comme dans tout dispensaire local, on<br />
fait les consultations prénatales, les accouchements<br />
normaux, les prescriptions de<br />
médicaments, les petites opérations de<br />
kystes…, mais il n’existe pas de bloc opératoire<br />
et une simple césarienne, ou un cas<br />
de maladie grave demande un transfert<br />
vers l’hôpital de référence.<br />
Saint-Ambroise est ce qu’on nomme<br />
un “centre hospitalier de première<br />
référence” pour 17 aires de santé, qui<br />
couvrent environ 200.000 habitants. Il a<br />
bénéfi cié d’un fi nancement de 300.000<br />
euros de la coopération belge en appui<br />
aux ONG locales qui a permis d’acquérir<br />
un bloc opératoire, une maternité et du<br />
matériel. Ce centre hospitalier dépend du<br />
Bureau diocésain des Oeuvres Médicales,<br />
vaste réseau médical catholique converti<br />
en ONG de santé, qui bénéfi cie épisodiquement<br />
d’un appui de la coopération<br />
belge et permet vaille que vaille de garantir<br />
des soins de qualité à des coûts relativement<br />
abordables.<br />
Ici, on traite les césariennes mais aussi des<br />
hernies et des cas aigus de maladie ou de<br />
malnutrition. Mais, dans la salle d’attente,<br />
les femmes et les enfants constituent la<br />
grande majorité de la clientèle. “Nous<br />
pratiquons environ 90 accouchements par<br />
mois, dont 4 ou 5 césariennes. Ici, on reçoit<br />
tous les cas mais beaucoup sont incapables<br />
de payer les 13 dollars demandés pour<br />
l’accouchement, et on monte à 30 dollars<br />
© DGD / E. Pirsoul<br />
pour une césarienne, une fortune pour<br />
un Congolais moyen… En cas de défaut<br />
de paiement, les patients sont retenus à<br />
l’hôpital.” Une salle est remplie de ces<br />
‘impayés’… Parmi eux, une jeune fi lle de<br />
17 ans qui accompagne son petit garçon<br />
de 1 an et demi, atteint d’une malaria qui<br />
s’est compliquée en anémie grave. Elle<br />
n’est pas mariée et vit chez ses parents<br />
qui sont pauvres. Une autre femme se tient<br />
à l’écart : “Elle a le sida et est agonisante. Sa<br />
famille l’a abandonnée, personne ne vient<br />
lui donner à manger et elle dépend de la<br />
générosité des autres patients. Son moral<br />
est au plus bas.” (NDLR : l’hôpital ne fournit<br />
pas les repas, cette tâche revient au gardemalade,<br />
qui est un membre de la famille la<br />
plupart du temps).<br />
Saint-Joseph est l’un des grands hôpitaux<br />
nationaux, celui où se trouvent les spécialistes<br />
pour les cas les plus compliqués.<br />
Pour y parvenir, il faut faire du rodéo à<br />
travers les routes, zigzaguer et plonger<br />
régulièrement dans d’immenses fl aques.<br />
Sur la bande centrale, des Chinois refont<br />
la route ; peut-être ce tronçon sera-t-il le<br />
prochain ? Ici on pratique entre 300 et 400<br />
accouchements par mois. Ce n’est pas<br />
l’état qui fi nance l’hôpital mais un petit<br />
fonds social constitué par des mécènes,<br />
l’Eglise et d’autres organismes, sans que<br />
cela suffi se pour rentrer dans les frais.<br />
“Des malades arrivent ici, refusés ailleurs<br />
parce qu’ils ne peuvent pas payer, on nous<br />
envoie même des cadavres”, déclare le<br />
médecin chef. <strong>La</strong> mutualité existe mais elle<br />
n’est accessible qu’aux moins pauvres…<br />
L’HÔPITAL<br />
ROI BAUDOUIN<br />
’Hôpital Roi Baudouin un l’un de ces hauts<br />
L lieux de l’histoire intime qu’ont partagé nos<br />
deux pays, comme il en existe encore tant au<br />
Congo. Il doit son nom au Roi Baudouin, qui,<br />
ayant visité le “Zaïre” pour ses 25 ans d’indépendance<br />
(en ‘85), avait décidé d’offrir un hôpital<br />
à un quartier fortement peuplé et démuni<br />
de Kinshasa : Masina. <strong>La</strong> mise en œuvre du<br />
chantier avait alors été confi ée à la coopération<br />
belge. Trois ans plus tard, l’hôpital terminé était<br />
remis au gouvernement congolais. Dès 2001,<br />
Malta Belgium et la Fondation Roi Baudouin,<br />
constatant que les locaux s’étaient fortement<br />
dégradés, entreprenaient la réhabilitation de<br />
la salle d’opérations, de l’imagerie médicale,<br />
des sanitaires et de la morgue. En 2010, les<br />
besoins de la maternité demeuraient criants :<br />
les femmes accouchées dormaient parfois à<br />
deux ou trois sur le même lit. L’été dernier, à<br />
l’occasion du 50e anniversaire, c’est le Roi<br />
Albert qui venait à son tour au Congo et faisait<br />
un don de 50.000 euros pour l’extension de la<br />
maternité. EP
© DGD / E. Pirsoul<br />
Un problème multisectoriel<br />
Du centre de Maman Nzuzi au grand hôpital,<br />
la question de la santé de la mère et de<br />
l’enfant apparait dans toute sa complexité.<br />
Bien sûr, le système des soins de santé<br />
souffre d’un manque de qualité et d’effi -<br />
cacité, mais il est dépendant d’une série<br />
de facteurs : le manque de fi nancement du<br />
gouvernement, la pauvreté des patients<br />
incapables de payer les soins, un personnel<br />
médical trop nombreux, souvent mal<br />
formé et mal payé, des médicaments de<br />
Maman Nzuzi se bat pour sa communauté de la périphérie de<br />
Kinshasa. Elle a ouvert un petit centre de santé. Elle a bénéfi cié<br />
d’aide la coopération belge et notamment du programme PAIDECO.<br />
mauvaise qualité, la prévalence du VIH et<br />
du paludisme dans les risques de complication<br />
de grossesses et le mauvais état<br />
des routes qui rend l’accès à l’hôpital diffi<br />
cile. Mais encore, le manque d’éducation<br />
des femmes et d’autres aspects ‘genre’<br />
comme les mariages précoces et la planifi<br />
cation familiale ont un rôle important dans<br />
la prévention des risques liés à la grossesse<br />
et les maladies infantiles. C’est pourquoi<br />
la coopération belge préconise une<br />
approche intégrée de la santé maternelle.<br />
SANTÉ MATERNELLE<br />
Une stratégie nationale<br />
pour un défi immense<br />
Remettons les choses dans leur contexte :<br />
la RD Congo (68 millions d’habitants) a un<br />
budget équivalent à celui d’une grande<br />
ville belge, et seulement 3,62 % des<br />
dépenses publiques sont consacrées à la<br />
santé dont 80 % sert à rémunérer modestement<br />
le personnel. Il ne reste pratiquement<br />
rien pour les infrastructures et les<br />
médicaments. D’où l’appel du gouvernement<br />
aux bailleurs pour l’aider dans<br />
ces fi nancements. Le Ministère public a<br />
élaboré un plan national (stratégie de renforcement<br />
du système de santé) qui réorganise<br />
le système de santé pour le rendre<br />
plus performant. Un plan bien conçu mais<br />
qui souffre d’un manque de gouvernance<br />
et de coordination des partenaires. De<br />
grands bailleurs comme l’UNICEF, le<br />
FNUAP, l’OMS, le PNUD, la Banque mondiale<br />
et l’UE appuient le gouvernement<br />
congolais dans ses efforts mais sans<br />
grande harmonie.<br />
<strong>La</strong> coopération belge s’aligne également<br />
sur cette politique nationale. <strong>La</strong> CTB offre<br />
un appui institutionnel, aide à la coordination<br />
provinciale et appuie des zones<br />
de santé. Suite aux conventions internationales<br />
visant à améliorer l’effi cacité<br />
de l’aide, la RD Congo et la Belgique<br />
concentrent la coopération bilatérale sur<br />
trois secteurs prioritaires : l’agriculture,<br />
le développement rural et la formation<br />
technique et professionnelle. <strong>La</strong> santé<br />
bénéfi ciant de l’appui d’un grand nombre<br />
de bailleurs, n’est désormais plus un secteur<br />
prioritaire. Cependant, l’expertise et<br />
l’assise sociétale historique belge dans la<br />
santé au Congo est encore mise à profi t<br />
par des ONGs et institutions belges telles<br />
que l’Institut de Médecine Tropicale d’Anvers<br />
et les Ecoles de santé publique. <strong>La</strong><br />
CTB soutient la coordination des soins de<br />
santé au niveau provincial et dans les zones<br />
de santé.<br />
LE PROGRAMME PAIDECO<br />
ELISE PIRSOUL<br />
a coopération belge et le fonds belge pour la sécurité alimentaire fi nancent à hauteur de<br />
L 36 millions d’euros le Programme d’Appui aux Initiatives de Développement Communautaire<br />
(PAIDECO), sur tout le territoire national. Exécuté par la CTB et entamé dans les Communes de<br />
Kinshasa (Kisenso et Kimbanseke), les Provinces du Bas Congo, du Bandundu et du Katanga, le<br />
programme se décline en huit projets distincts.<br />
Ces différents projets contribuent à la reconstruction institutionnelle, économique et sociale<br />
des villes, communes et entités décentralisées afi n d’améliorer durablement les conditions de<br />
vie des populations à travers la promotion de la bonne gouvernance locale et l’amélioration<br />
des services aux citoyens. <strong>La</strong> logique d’urgence ayant prévalu dans nombre de projets fi nancés<br />
par l’aide extérieure, la stratégie de PAIDECO vise la consolidation de la société à long<br />
terme via la préparation de plans locaux ou urbains de développement, l’amélioration des<br />
infrastructures, le renforcement des capacités, et l’appui aux fi lières de production alimentaire.<br />
dimension 3 I AVRIL-MAI 2011 9
© DGD / Thomas Hiergens<br />
“Qui peut le plus<br />
10 AVRIL-MAI 2011 I dimension 3<br />
Son nom est une référence dans le monde des soins de santé,<br />
des droits des femmes et de la coopération au développement.<br />
Ses travaux de recherche sont destinés à améliorer la qualité<br />
de vie des femmes et de leur famille. Femme orchestre, Marleen<br />
Temmerman – gynécologue de renommée internationale,<br />
chef de son propre centre de recherche à l’université de Gand,<br />
philanthrope de cœur et d’esprit, politicienne à ses heures perdues<br />
– répète inlassablement son message: la mortalité maternelle<br />
est une injustice qui peut être combattue, mais le monde<br />
ne veut pas encore l’entendre.<br />
<strong>La</strong> première<br />
jeune fi lle morte<br />
dans mes bras<br />
n’avait même pas<br />
seize ans.<br />
Madame Temmerman, qu’est-ce qui<br />
vous a amenée à devenir gynécologue ?<br />
Adolescente déjà, je rêvais d’apprendre<br />
un métier qui me permettrait d’œuvrer<br />
pour le Sud. <strong>La</strong> médecine donnant accès<br />
au monde entier, je n’ai pas hésité.<br />
Durant mon stage, la gynécologie m’a<br />
directement intéressée, surtout parce<br />
que c’est une spécialité qui offre beaucoup<br />
de variété ; vous suivez la femme<br />
tout au long de sa vie : de sa naissance<br />
à sa puberté, puis à la grossesse, à la<br />
ménopause et plus tard.<br />
Le gène de la gynécologie n’était pas<br />
dans la famille.<br />
En effet. Mon père n’a pas pu faire d’études,<br />
à cause de la guerre. Ma mère quant à elle<br />
était femme au foyer. En tant qu’aînée, j’ai<br />
été la première à entreprendre des études<br />
supérieures. Ce qui à l’époque n’était pas<br />
du ‘tout cuit’ pour les femmes, mais mes<br />
parents ont fi ni par accepter mon choix<br />
pour la médecine. “Qui peut le plus peut<br />
le moins !”, me disait ma mère.<br />
Au cours de mes études, j’ai entrepris un<br />
stage au Rwanda, de mon propre chef.<br />
Vous ne pouvez pas imaginer ce que les<br />
femmes y enduraient ! Leur misère m’a<br />
profondément marquée, et a très certainement<br />
conforté mon désir de devenir<br />
gynécologue. J’ai ensuite étudié la médecine<br />
tropicale et travaillé comme généraliste.<br />
À l’époque, ce n’était pas évident de<br />
se spécialiser en gynécologie. Le professeur<br />
m’a dit tout net que ce n’était pas un<br />
métier de femme. <strong>La</strong> formation était bien<br />
trop diffi cile à ses yeux, et ne pouvait se<br />
combiner avec une vie de famille.
peut le moins !”<br />
En 1986, Peter Piot m’a confi é la direction<br />
d’un projet de recherche sur le VIH/<br />
sida au Kenya. Nous y effectuions 80 à<br />
100 accouchements par jour, avec de<br />
nombreux décès, là, sous nos yeux. <strong>La</strong><br />
première jeune fi lle morte dans mes<br />
bras n’avait même pas seize ans. Un cauchemar<br />
! D’autant plus que cette mort<br />
était parfaitement évitable. Il est tout<br />
simplement inacceptable qu’à chaque<br />
minute une femme meure en tentant de<br />
donner la vie.<br />
L’interdiction d’exercer imposée aux<br />
sages-femmes traditionnelles a été<br />
récemment levée au Malawi, et la profession<br />
semble reprendre. Est-ce là<br />
une bonne évolution ?<br />
Les sages-femmes traditionnelles se<br />
transmettent le métier de mère en fi lle.<br />
Elles sont là pour faciliter la mise en route<br />
de l’accouchement. Elles ont une expertise<br />
de terrain, mais pas de formation. <strong>La</strong><br />
plupart des accouchements se passent<br />
bien, sauf quand il y a un problème.<br />
<strong>La</strong> plus grande diffi culté est due au fait<br />
qu’elles attendent trop longtemps avant<br />
de ‘se décharger’ de la parturiente et<br />
de demander une assistance médicale,<br />
et qu’elles n’ont pas la formation nécessaire<br />
pour faire face à des complications<br />
médicales.<br />
Consciente de cette situation, l’Organisation<br />
mondiale de la Santé (OMS) a décidé<br />
il y a quinze ans de se passer totalement<br />
des sages-femmes traditionnelles. <strong>La</strong> clef<br />
d’un accouchement en toute sécurité,<br />
pensait-on, résidait dans la formation<br />
des sages-femmes. J’adhère entièrement<br />
à cette optique, mais déplore l’approche<br />
catégorique : le siège central à Genève<br />
a montré par là qu’il ne connaissait pas<br />
la situation sur le terrain. Dans les zones<br />
rurales, les familles font souvent appel<br />
aux sages-femmes traditionnelles. Elles<br />
sont de la région, ont de bons contacts<br />
avec les habitants, elles sont respectées<br />
et considérées, elles utilisent des produits<br />
naturels comme des plantes par<br />
exemple. C’est pour cela qu’elles continuent<br />
à être sollicitées.<br />
Il faut leur laisser jouer leur rôle. Pour<br />
peu qu’elles soient bien formées, elles<br />
peuvent être très utiles. C’est ce que l’on<br />
tente de faire au Malawi. 80 % des accouchements<br />
y sont réalisés par des sagesfemmes<br />
traditionnelles.<br />
Qu’est-ce qui, selon vous, a le plus<br />
d’effet sur la réduction du nombre des<br />
décès en couches ?<br />
Bonne question. Sachez qu’il n’y a presque<br />
pas de progrès en la matière. J’y vois trois<br />
raisons. Premièrement, il y a ces nombreuses<br />
femmes qui n’auraient jamais dû<br />
tomber enceintes. <strong>La</strong> politique du “Dites<br />
non” ne suffi t pas. Nous devons éduquer<br />
et sensibiliser la population. Cette première<br />
cause concerne donc surtout les<br />
droits des femmes, leur autonomisation et<br />
le genre.<br />
Il est tout<br />
simplement inacceptable<br />
qu’à chaque minute<br />
une femme meure en<br />
tentant de donner la vie.<br />
Deuxièmement, tous ceux qui le souhaitent<br />
doivent pouvoir disposer de<br />
moyens contraceptifs. Cela permettrait<br />
de réduire considérablement le nombre<br />
de grossesses et partant le nombre de<br />
décès en couches. L’accès aux moyens<br />
de contraception qui est aujourd’hui fort<br />
limité, est essentiel. Le discours généraliste<br />
sur la santé et les droits reproductifs<br />
– couvrant l’ensemble des aspects de la<br />
problématique – a quelque peu occulté<br />
ces questions primordiales, qui doivent<br />
être remises en avant.<br />
Troisièmement, il faut optimiser les soins<br />
prénataux et périnataux.<br />
Lors du Sommet du Millénaire à New<br />
York en septembre 2010, la communauté<br />
internationale a promis des<br />
moyens supplémentaires afi n de lutter<br />
contre la mortalité infantile et maternelle.<br />
Vous-même étiez présente. Que<br />
peut-on en attendre ?<br />
<strong>La</strong> volonté politique est cruciale, New<br />
York en est la preuve. C’est déjà quelque<br />
chose. Ces belles paroles doivent néanmoins<br />
être concrétisées. <strong>La</strong> Commission<br />
SANTÉ MATERNELLE<br />
européenne a promis quelque 800 millions<br />
d’euros, mais il reste de nombreuses<br />
questions. Qui va débourser<br />
cette somme ? Et où ? L’aide parviendra-telle<br />
sous forme d’appui budgétaire, d’un<br />
programme distinct ou via le Fonds Mondial<br />
de lutte contre le SIDA, la tuberculose<br />
et le paludisme ? Via les ONG ? L’OMS ?<br />
En collaboration avec les ministères<br />
locaux ? Seront-ils capables de gérer des<br />
sommes d'argent si importantes ?<br />
Sur quoi devons-nous nous concentrer ?<br />
Les moyens étant limités, il conviendrait<br />
selon moi de se concentrer sur deux<br />
objectifs : la distribution de moyens<br />
contraceptifs et la prise en charge du<br />
problème des hémorragies, qui sont la<br />
première cause des décès en couches.<br />
Une mauvaise alimentation associée<br />
à des maladies entraîne des carences<br />
en fer chez beaucoup de femmes. En<br />
Afrique, la femme mange souvent après<br />
tous les autres membres de la famille,<br />
et n’a donc pas toujours sa ration. Elle<br />
n’accumule dès lors pas de grandes<br />
réserves. En l’absence de moyens permettant<br />
d’endiguer l’hémorragie, elle<br />
perdra très vite tout son sang. Si environ<br />
80 % des femmes en Afrique se rendent<br />
à la consultation prénatale, à peine 15 %<br />
accouchent à l’hôpital. Les soins prénataux<br />
doivent donc servir à ce que les<br />
femmes entament leur grossesse en<br />
étant plus fortes, grâce à une bonne alimentation<br />
et à des apports en fer.<br />
<strong>La</strong> Belgique se retire du secteur des<br />
soins de santé en RD Congo…<br />
Autrefois, la Belgique y était le principal<br />
acteur en soins de santé. Elle décide<br />
pourtant aujourd’hui de mettre fi n à ses<br />
programmes de santé en RD Congo. Je<br />
ne m’explique pas cette politique, car<br />
notre pays y avait gagné une grande<br />
respectabilité. Si la Belgique se retire,<br />
il faudra bien que quelqu’un prenne la<br />
relève… Après de belles paroles sur la<br />
coordination des donateurs, qui va nous<br />
relayer en RD Congo ? Je ne vois toujours<br />
personne.<br />
THOMAS HIERGENS<br />
dimension 3 I AVRIL-MAI 2011 11
UNE CATASTROPHE<br />
HUMANITAIRE<br />
LARGEMENT CANALISÉE<br />
Au mois d’août 2010, une crise humanitaire majeure touchait le Pakistan. Des inondations<br />
sans précédent frappaient un territoire d’une taille comparable à la Grande-Bretagne.<br />
Vingt millions de personnes étaient touchées par ce “tsunami lent”, pour reprendre<br />
les termes du Secrétaire Général de l’ONU Ban Ki-moon. Face à ce défi humanitaire<br />
inouï, la communauté internationale s’est fortement mobilisée. Aujourd’hui encore, les<br />
séquelles de cette catastrophe restent bien présentes, surtout dans le Sind, la province<br />
la plus fortement touchée. Visite des projets fi nancés par la coopération belge…<br />
Des inondations recouvrant à<br />
perte de vue cette vaste vallée<br />
bordée par le fl euve Indus,<br />
il ne subsiste que de vastes<br />
poches d’eau résiduelles. Les visions cauchemardesques<br />
d’il y a quelques mois se<br />
sont évaporées. Comme nous l’explique<br />
un médecin pakistanais travaillant pour<br />
l’UNICEF, témoin aux premières heures<br />
de la catastrophe, “au mois d’août, les<br />
eaux venant du nord du pays ont gagné<br />
progressivement la province du Sind, laissant<br />
peu de temps aux populations<br />
locales pour fuir. Peu de<br />
pertes en vies humaines ont été<br />
à déplorer. Mais il a parfois fallu<br />
utiliser des hélicoptères pour<br />
évacuer certaines personnes.<br />
Dans le district du Dadu en particulier,<br />
ils ont été des milliers à se<br />
retrouver encerclés par les fl ots<br />
de l’Indus et ceux du lac Manchar.<br />
En quelques jours tout était<br />
noyé jusqu’à hauteur d’homme.<br />
Les dégâts ont été forcément<br />
immenses. Une grande partie<br />
du bétail n’a pu être sauvée,<br />
12 AVRIL-MAI 2011 I dimension 3<br />
© AE / Stéphane Mund<br />
beaucoup de terres ont été rendues incultivables<br />
pour des mois encore et la majorité<br />
des habitations ont été endommagées<br />
ou détruites.”<br />
Un défi humanitaire d’une<br />
ampleur sans précédent<br />
Des millions de personnes ont donc dû<br />
être déplacées. Certaines ont pu trouver<br />
refuge pour quelques mois dans leur<br />
famille ou auprès d’amis vivant dans les<br />
villes avoisinantes épargnées. Mais pour<br />
Camp de personnes déplacées dans le Dadu, Sind<br />
beaucoup, la vie dans un camp, avec le<br />
soutien de la communauté internationale,<br />
s’est avérée la seule issue.<br />
Fort heureusement, nombreux ont été<br />
ceux à pouvoir regagner leur village dès<br />
les premiers reculs des fl ots constatés à<br />
la mi-décembre. Encouragés par des<br />
incitants fi nanciers octroyés (pas toujours<br />
équitablement) par les autorités pakistanaises,<br />
et surtout soutenus par les agences<br />
humanitaires et des ONGs locales ou<br />
internationales, ils reconstruisent leur<br />
habitat constitué le plus souvent<br />
de branchages et de terre<br />
séchée. Ceux qui choisissent de<br />
rester aujourd’hui encore dans<br />
un camp – plus de 100.000 personnes<br />
à la fi n février 2011 – le<br />
font le plus souvent pour obtenir<br />
de la part des acteurs humanitaires<br />
des moyens de subsistance<br />
plus élevés qu’en retournant<br />
au village.<br />
Il a d’ailleurs été établi qu’avant<br />
même la catastrophe, la situation<br />
prévalant pour la majeure partie<br />
de la population du Sind pouvait
déjà être qualifi ée de très préoccupante<br />
d’un point de vue humanitaire, avec<br />
notamment un taux de malnutrition élevé,<br />
particulièrement chez les jeunes enfants.<br />
Province la moins développée du Pakistan,<br />
le Sind semble en effet figé dix<br />
siècles en arrière. <strong>La</strong> majeure partie des<br />
gens vit de la terre, travaillant au service<br />
de maîtres perpétuant une forme de<br />
servage, la population se trouvant prisonnière<br />
de sa caste de générations en<br />
générations.<br />
Une aide belge de six millions<br />
d’euros focalisée sur les<br />
populations les plus vulnérables<br />
Dès les données sur l’ampleur du désastre<br />
connues et évaluées, une première enveloppe<br />
de deux millions d’euros a été<br />
octroyée au Programme Alimentaire<br />
Mondial (PAM) pour assurer les besoins<br />
immédiats en nourriture. Dans la foulée,<br />
un C-130 de la Défense a acheminé<br />
pour l’UNICEF du matériel de première<br />
urgence. Puis en septembre, la décision<br />
d’attribuer quatre millions d’euros supplémentaires<br />
s’en est suivie.<br />
<strong>La</strong> moitié de cette enveloppe est actuellement<br />
utilisée par trois ONGs belges<br />
afi n de développer des projets dans la<br />
province du Sind. <strong>La</strong> Rode Kruis Vlaanderen<br />
(aile fl amande de la Croix-Rouge)<br />
travaille dans le district du Dadu en partenariat<br />
avec la Croix-Rouge allemande.<br />
Une Unité d’assistance médicale y est installée<br />
afi n d’y dispenser des soins médicaux<br />
de base, plus particulièrement à des<br />
mères et leurs enfants de moins de cinq<br />
ans. Dans trois autres districts du Sind,<br />
Oxfam Solidarité propose des actions<br />
développées avec de petites ONGs<br />
locales afi n de réhabiliter et développer<br />
des systèmes hydriques, sanitaires,<br />
ainsi que des réseaux d’irrigations pour<br />
l’agriculture. Caritas International s’attèle<br />
de son côté à garantir la sécurité alimentaire<br />
de personnes particulièrement vulnérables<br />
vivant dans les districts du nord.<br />
Séance de sensibilisation<br />
à l'hygiène par l'Unicef.<br />
Deux millions d’euros ont enfin été<br />
octroyés à l’UNICEF afi n de développer<br />
des actions dans le secteur dit “WaSH”<br />
(eau potable, installations sanitaires et<br />
hygiène). “Au lendemain d’une catastrophe<br />
naturelle d’une telle ampleur, il<br />
est primordial de prévenir les épidémies.<br />
Pour aider l’ensemble des victimes, il est<br />
prioritaire et urgent d’intensifi er ce travail<br />
pour l’accès à l’eau et à l’assainissement”,<br />
explique le médecin pakistanais<br />
de l’UNICEF.<br />
Dans les villages que nous visitons, des<br />
pompes à eau et des latrines sont installées,<br />
des kits d’hygiène distribués. Outre<br />
l’apport matériel, c’est surtout l’éducation<br />
aux comportements hygiéniques<br />
de base qui s’avère indispensable. Les<br />
séances d’information sur les bonnes<br />
pratiques en matière d’hygiène se multiplient<br />
à l’intention des adultes, et bien<br />
entendu des enfants. Pour ces derniers,<br />
une approche didactique et ludique<br />
est privilégiée. Des “Espaces Amis des<br />
Enfants” se développent dans de nombreux<br />
villages afi n d’offrir aux plus petits<br />
HUMANITAIRE<br />
la possibilité de jouer, d’apprendre et de<br />
recevoir un soutien psycho-social dans<br />
des endroits protégés.<br />
Des écoles sont aussi mises sur pied<br />
dans des localités qui en étaient dépourvues<br />
avant les inondations. De multiples<br />
projets voient donc le jour en prenant soin<br />
d’y associer les communautés locales.<br />
Si tous les Pakistanais n’ont pu être assistés,<br />
l’aide apportée par la communauté<br />
internationale a en général porté ses<br />
fruits, permettant dans certains cas une<br />
amélioration de la vie quotidienne des<br />
habitants du Sind. Les craintes d’une<br />
mortalité accrue au sein de ces populations<br />
fragilisées à l’extrême semblent<br />
en tout cas contenues. Et si, pour les<br />
humanitaires, le contexte sécuritaire<br />
reste préoccupant, avec des escortes<br />
armées indispensables pour effectuer<br />
les visites sur le terrain, il est compensé<br />
par l'accueil des populations affectées,<br />
empli d’enthousiasme, de gentillesse et,<br />
surtout, de reconnaissance.<br />
© AE / Stéphane Mund<br />
JOEL TABURY<br />
dimension 3 I AVRIL-MAI 2011 13<br />
© AE / Stéphane Mund
ANSE AVEC<br />
LA NATURE<br />
L’institut d’agriculture biologique au Bénin :<br />
une source d’espoir pour les jeunes paysans<br />
25 ans : c’est le temps qu’il aura fallu pour qu’une<br />
décharge béninoise se transforme en véritable<br />
jardin d’Eden : le Centre Songhai. Sans recourir<br />
à des produits chimiques, ce jardin offre des<br />
rendements comparables à ceux de l’agriculture<br />
traditionnelle. Un modèle à essaimer à travers<br />
l’Afrique, et pourquoi pas, dans le monde entier.<br />
Le Centre Songhai est l’oeuvre<br />
du père nigérian Godfrey Nzamujo.<br />
Après des études de biologie,<br />
de théologie et d’ingénieur<br />
en Californie, il rentre en Afrique,<br />
bouleversé par la terrible famine qui<br />
frappe l’Ethiopie au milieu des années<br />
1970. Après de nombreux détours sur<br />
le continent, il atterrit en 1985 au Bénin.<br />
Les autorités lui donnent un hectare de<br />
terres, une ancienne décharge. Un institut<br />
d’agriculture biologique avant-gardiste<br />
y voit le jour.<br />
14 AVRIL-MAI 2011 I dimension 3<br />
Cet institut compte aujourd’hui 4 sections,<br />
qui couvrent au total près de 600 ha. 15<br />
pays africains ont déjà manifesté leur<br />
intérêt pour le concept. Au cours d’une<br />
visite en 2010, Ban Ki-moon, le Secrétaire<br />
général des Nations unies a déclaré avec<br />
enthousiasme : “Voici LA manière de parvenir<br />
au développement durable !”<br />
Rien ne se perd<br />
Pourquoi ce succès ? “Nous dansons<br />
avec la nature, et la nature répond. Les<br />
insectes, les bactéries travaillent pour<br />
Le Centre Songhai pratique l’agriculture à<br />
3 niveaux : culture, transformation et vente.<br />
nous”, explique Nzamujo. “Au début, les<br />
mouches blanches ont été une calamité.<br />
L’emploi des pesticides habituels ne fait<br />
que les renforcer. Notre approche biologique<br />
nous en a débarrassés.”<br />
Le principe central est le suivant : ‘rien ne<br />
se perd’, tout est réutilisé. En fait, il n’y a<br />
aucun déchet. Les jacinthes d’eau servent<br />
à l’épuration des eaux usées, par exemple.<br />
<strong>La</strong> fermentation de ces plantes et du fumier<br />
donne du biogaz. L’eau résiduelle est<br />
pleine de larves de moustiques, qui nourrissent<br />
les poissons d’élevage.<br />
suite en p.19<br />
© DGD / Chris Simoens
<strong>La</strong> <strong>faim</strong><br />
dans un monde<br />
de surabondance<br />
Malgré nos avancées technologiques et notre expérience<br />
séculaire, nous ne parvenons pas à nourrir tout le monde.<br />
Les prix des denrées alimentaires ne cessant de fl amber,<br />
leur rôle dans le déclenchement des soulèvements<br />
populaires dans les pays arabes n’est sans doute pas à sousestimer.<br />
Or, il y a suffi samment à manger pour tous. Pourquoi,<br />
dès lors, est-il si diffi cile d'éradiquer la <strong>faim</strong> dans le monde ?<br />
Pour répondre à cette question, il faut en poser une autre : qui sont ce milliard de personnes<br />
qui souffrent et meurent toujours de <strong>faim</strong> aujourd'hui ? Assez étonnamment, plus de 70 %<br />
d'entre eux sont des agriculteurs, des ouvriers agricoles sans terre et des bergers habitant les<br />
zones rurales des pays en développement. Les autres vivent dans des bidonvilles, où ils ont atterri,<br />
la campagne ne leur offrant plus d’avenir dans l’agriculture.<br />
Plus de 500 millions de fermiers disposent tout au plus d'un sarcloir pour travailler la terre. C'est<br />
le cas de 80 % des agriculteurs africains et de 40 à 60 % de leurs homologues d’Asie et d’Amérique<br />
latine. Ils n'ont pas de bête de somme, encore moins de tracteur. Ils manquent d'argent pour<br />
acheter des pesticides, engrais ou meilleures semences. Ils cultivent des aliments pour leur propre<br />
consommation et ne vendent que l'excédent, quand excédent il y a. Le moindre revers – un fl éau,<br />
des conditions météorologiques exceptionnelles – leur est fatal.<br />
UNE RECETTE CONTRE LA FAIM<br />
INÉGALITÉ<br />
L'évolution inégale entre le Nord et le Sud est<br />
à la base du problème. Au début du XX e siècle,<br />
la plupart des fermiers produisaient 1 tonne de<br />
céréales par ouvrier. Les fermiers les plus avancés<br />
– avec les premières machines, encore tractées<br />
par des bêtes de somme – portaient ce chiffre<br />
à 10 tonnes. Depuis, le moteur de l'agriculture<br />
industrielle s'est mis en marche. Aux États-Unis<br />
d'abord, puis en Europe après la Seconde guerre<br />
mondiale. Ses ingrédients : la mécanisation, les<br />
engrais chimiques, les pesticides, la spécialisation,<br />
les variétés améliorées, les économies<br />
d’échelle, etc. Aujourd'hui, l’agriculture industrielle<br />
produit 500 à 2.000 tonnes par ouvrier, tandis que<br />
les fermiers pauvres du Sud travaillent toujours à<br />
la main, soit une proportion de 1/2.000.<br />
Avec l'avènement des transports modernes,<br />
l’acheminement des denrées alimentaires se fi t<br />
de plus en plus vite et en grandes quantités aux<br />
quatre coins du monde. Ce phénomène, associé<br />
à la libéralisation du commerce international,<br />
a créé un marché mondial pour les denrées<br />
alimentaires. Leurs prix allaient désormais être<br />
déterminés au niveau mondial, sous l'infl uence,<br />
surtout, des produits céréaliers. Comme l'agriculture<br />
industrielle du Nord proposait des quantités<br />
massives de céréales, les prix des produits<br />
alimentaires se sont effondrés. Résultat : le petit<br />
agriculteur africain, avec son sarcloir, n'a plus<br />
obtenu qu'un maigre prix pour sa récolte.<br />
Pour l'Europe, la politique agricole instaurée<br />
après la Seconde guerre mondiale a été un succès.<br />
<strong>La</strong> toute nouvelle Communauté européenne<br />
voulait en effet éviter les famines. Elle y est parvenue,<br />
mais en proposant à ses agriculteurs<br />
des prix supérieurs à ceux du marché mondial.<br />
Simultanément, la transition vers une production<br />
à grande échelle s'est mise en place progressivement.<br />
Les petits agriculteurs qui avaient renoncé<br />
à l'agriculture ont trouvé du travail dans les secteurs<br />
de l'industrie et des services, ou ont obtenu<br />
des allocations de chômage dans l'attente d’un<br />
nouvel emploi.<br />
PRODUCTION<br />
CÉRÉALIÈRE<br />
RAPPORT<br />
1/2.000<br />
FICHE THÉMATIQUE<br />
LA FAIM<br />
1 À 10 TONNES/AN/OUVRIER<br />
500 À 2.000 TONNES/AN/OUVRIER<br />
SUD NORD<br />
dimension 3 I AVRIL-MAI 2011 I<br />
© Scott Butner
FICHE THÉMATIQUE<br />
LA FAIM<br />
450<br />
400<br />
350<br />
300<br />
250<br />
200<br />
150<br />
100<br />
50<br />
0<br />
SPIRALE DESCENDANTE<br />
Le petit fermier du Sud, lui, n'a pas eu de solution<br />
de rechange. <strong>La</strong> confrontation avec l'agriculture<br />
industrielle fut beaucoup plus brutale et<br />
les pouvoirs publics ne se sont pas préoccupés<br />
du bien-être des agriculteurs. Une lutte désespérée<br />
s'est alors engagée.<br />
<strong>La</strong> commercialisation de produits alimentaires ne<br />
rapportant plus grand-chose, l’agriculteur s’est,<br />
partiellement ou entièrement, reconverti dans<br />
les cultures tropicales, réservant ses cultures<br />
vivrières pour sa propre consommation. Ce<br />
faisant, les agriculteurs ont induit des pénuries<br />
nationales forçant les pays en développement à<br />
importer des denrées alimentaires pour nourrir<br />
leur population urbaine croissante.<br />
Quant aux cultures tropicales, le choix devint de<br />
plus pl plus us een<br />
plus limité. <strong>La</strong> betterave sucrière offre<br />
une un une alternative a à la canne à sucre, tandis que le<br />
Indice FAO des prix des produits alimentaires<br />
SUCRE<br />
HUILES<br />
MATIÈRES<br />
GRASSES<br />
CÉRÉALES<br />
PRODUITS<br />
LAITIERS<br />
VIANDE<br />
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011<br />
En 2008, les prix alimentaires<br />
ont atteint un pic, causant des<br />
émeutes dans beaucoup de<br />
pays. Les prix actuels élevés ne<br />
semblent pas prêts de diminuer.<br />
II AVRIL-MAI 2011 I dimension 3<br />
INDICE FAO<br />
DES FERMIERS À L'ABRI DE LA FAIM<br />
DES PRIX PLUS ÉLEVÉS POUR LES<br />
PRODUITS ALIMENTAIRES<br />
Pour aider effectivement à éradiquer la <strong>faim</strong> dans<br />
le monde, les fermiers pauvres du Sud doivent<br />
se voir offrir des opportunités. Des prix suffi samment<br />
élevés pour leur récolte constituent un élément-clé.<br />
Mais pourquoi les prix élevés des denrées<br />
alimentaires en 2008, et aujourd'hui encore,<br />
provoquent-ils tellement de remous ?<br />
Nous distinguons ici deux groupes. D'une part,<br />
il y a les habitants des bidonvilles urbains.<br />
Il s’agit de paysans ou d’ouvriers agricoles<br />
découragés ayant fui la campagne ou des descendants<br />
d'une première vague de migrants<br />
d’origine rurale. Ils survivent le plus souvent<br />
grâce à de petits boulots : vente de toutes<br />
sortes de choses (cigarettes, batteries, noix,<br />
© FAO<br />
caoutchouc peut être remplacé par des substances<br />
synthétiques et que le coton peut être<br />
cultivé, par exemple, dans le sud des États-Unis.<br />
Il ne restait donc plus que : le café, le cacao, le thé,<br />
l'ananas, la banane, des cultures qui ne résistèrent<br />
pas longtemps aux grandes plantations mécanisées,<br />
souvent entre les mains de sociétés étrangères.<br />
Par ailleurs, tant de petits fermiers se sont<br />
jetés sur ces cultures tropicales que leurs prix ont<br />
trop baissé pour rester viables.<br />
Une dernière issue fut l'approvisionnement<br />
des villes : les bidonvilles ont absorbé un grand<br />
nombre de fermiers ayant fui les zones rurales.<br />
Or, ces derniers doivent se nourrir. <strong>La</strong> ville est<br />
donc un débouché pour les produits frais qui se<br />
prêtent moins bien aux exportations : légumes,<br />
fruits, lait, œufs. Malheureusement, les citadins<br />
n'ont guère d'argent, à défaut de perspectives<br />
d'emploi, et l'expansion de la ville rogne sur les<br />
terres agricoles. Les fermiers doivent donc s'établir<br />
plus loin. Peu à peu, les frais de transport<br />
deviennent trop élevés pour pouvoir vendre les<br />
denrées alimentaires avec bénéfi ce.<br />
Pour garder la tête hors de l'eau, le fermier,<br />
par exemple, négocie sa terre ou limite considérablement<br />
sa consommation. Mais certaines<br />
dépenses restent inévitables : le sel, les<br />
chaussures, les médicaments, les fournitures<br />
scolaires, etc. Pour tout de même conserver<br />
un certain revenu, le fermier vend plus de sa<br />
maigre récolte et n'en garde que trop peu pour<br />
lui. Lorsque ses réserves sont épuisées, il se<br />
voit lui-même contraint d'acheter des denrées<br />
alimentaires. Parfois, il est tellement appauvri<br />
qu'il ne peut même plus obtenir de prêt. Le<br />
résultat fi nal de cette spirale descendante est<br />
la <strong>faim</strong> ou l'exode vers les villes. Certains se<br />
hasardent encore à des cultures telles que celles<br />
du chanvre, du pavot ou de la coca.<br />
friandises, etc.), cirage de chaussures, gardiennage<br />
de voitures, prostitution, etc. 50 à 80 %<br />
de leur budget étant consacré à l'alimentation,<br />
ils ne peuvent faire face aux prix élevés des<br />
denrées alimentaires. Pour les jeunes nés dans<br />
la misère, l'absence de perspectives devient<br />
peu à peu intolérable. Le mécontentement et<br />
la frustration sont tels que la moindre étincelle<br />
suffi t à mettre le feu aux poudres.<br />
Le deuxième groupe se compose de petits<br />
agriculteurs. Ils ont effectivement besoin de prix<br />
équitables plus élevés, mais pas de hausses de<br />
prix brutales, telles que nous les connaissons<br />
aujourd'hui. Par ailleurs, fermiers ignorants, ils<br />
sont la proie facile d'acheteurs rusés qui paient<br />
un prix trop faible. Les maigres bénéfi ces retirés<br />
de leur récolte ne leur suffi sent pas pour investir
<strong>La</strong> culture de café également n’offre aucune garantie<br />
d’un revenu décent, en raison de la concurrence des<br />
grandes plantations.<br />
dans une meilleure productivité. Les prix des<br />
denrées alimentaires sont en effet liés aux prix<br />
du pétrole. Ces derniers gonfl ent les prix des<br />
engrais et du transport.<br />
Le mieux est d'augmenter progressivement les<br />
prix des denrées alimentaires. Cela donnera aux<br />
agriculteurs la possibilité d'accroître leur productivité<br />
petit à petit. Les habitants des bidonvilles<br />
ont besoin d'un fi let de sécurité social. Les<br />
pouvoirs publics devraient, par exemple, affecter<br />
des budgets pour leur donner des bons de<br />
ravitaillement au lieu d'importer des aliments bon<br />
marché. De cette manière, ils pourraient acheter<br />
eux-mêmes des aliments sur le marché intérieur.<br />
PRIX STABLES DES DENRÉES<br />
ALIMENTAIRES<br />
<strong>La</strong> stabilité des prix est tout aussi essentielle. Si<br />
les prix enregistrent de fortes fl uctuations, l'agriculteur<br />
ne sait en effet plus comment il est préférable<br />
d’investir. D'ici au moment de la récolte,<br />
ses produits ne vaudront peut-être plus rien.<br />
Or, pour s'en protéger, les petits agriculteurs ne<br />
peuvent contracter d'assurances. Cependant,<br />
dans le système actuel, les fl uctuations sont diffi<br />
ciles à éviter, les prix des denrées alimentaires<br />
suivant de plus en plus les prix pétroliers. D'une<br />
part, les transports et les engrais chimiques<br />
coûtent plus cher. D'autre part, les prix pétroliers<br />
plus élevés augmentent la demande en biocarburants,<br />
dont la culture devient dès lors plus<br />
rentable, au détriment des cultures vivrières.<br />
<strong>La</strong> spéculation fi nancière sur les matières<br />
premières renforce les fl uctuations des prix.<br />
Après la crise fi nancière de 2008, l’immobilier<br />
et les produits fi nanciers ont cessé d’être des<br />
options intéressantes pour les spéculateurs.<br />
Ils se sont tourné vers le marché des matières<br />
premières, notamment celui des céréales et<br />
de la terre. Les spéculateurs ne sont pas intéressés<br />
par la marchandise qu'ils négocient. Ils<br />
n'agissent que dans la perspective d'un profi t.<br />
Ils peuvent ainsi racheter de grandes quantités<br />
de froment en attendant une hausse des prix<br />
- virtuellement, sans disposer d'espaces de<br />
© Nestlé<br />
stockage. Ils peuvent même délibérément créer<br />
une pénurie sur le marché dans le but de faire<br />
augmenter les prix. Lorsque les prix sont suffi -<br />
samment élevés, ils vendent avec une marge<br />
bénéfi ciaire élevée.<br />
<strong>La</strong> spéculation perturbe donc le fonctionnement<br />
normal du marché régulé par l'offre et la<br />
demande. L'équilibre entre les deux fi xe normalement<br />
le prix. Lorsque l'offre est faible, les prix<br />
augmentent. Tout comme les marchés fi nanciers<br />
depuis la crise de 2008, le marché des matières<br />
premières doit également être contrôlé, afin<br />
de savoir qui achète et vend quoi et d'éviter<br />
des transactions virtuelles insensées. D'autres<br />
exemples de mesures à prendre : constituer des<br />
réserves alimentaires plus importantes, créer<br />
une taxe sur la spéculation sur les produits agricoles<br />
ou encore protéger le marché interne d'un<br />
pays ou d'une région contre l'importation à des<br />
prix de dumping.<br />
APPROCHE AGRO-ÉCOLOGIQUE<br />
Quel type d'agriculture aide le mieux le petit<br />
paysan ? Les engrais chimiques et les pesticides<br />
étant coûteux et nocifs pour l'environnement,<br />
de plus en plus de voix s'élèvent en faveur<br />
d'une approche agro-écologique bon marché.<br />
Une telle approche aspire autant que possible<br />
à un équilibre naturel afi n d'éviter les maladies<br />
et fl éaux. Par ailleurs, elle réutilise tout afi n de<br />
nécessiter peu d'apport externe. L'agriculture<br />
strictement écologique évite même tout produit<br />
chimique. L'alimentation écologique est, par<br />
conséquent, plus saine et tant les fermiers que<br />
le sol y trouvent leur compte.<br />
Deux femmes se rendent en ville pour vendre le surplus<br />
de leur production, seul moyen d’avoir des revenus<br />
supplémentaires.<br />
© Nick Cordell<br />
FICHE THÉMATIQUE<br />
LA FAIM<br />
Les spéculateurs<br />
ne sont pas<br />
intéressés par<br />
la marchandise<br />
qu'ils négocient.<br />
Ils n'agissent que<br />
dans la perspective<br />
d'un profi t.<br />
dimension 3 I AVRIL-MAI 2011 III
FICHE THÉMATIQUE<br />
LA FAIM<br />
CONDITIONS ACCESSOIRES<br />
Un prix équitable et une approche écologique<br />
guident l'agriculteur sur la bonne voie. Mais<br />
cela reste insuffi sant pour éradiquer la pauvreté<br />
et la <strong>faim</strong>.<br />
Il faudrait pour l'agriculteur des droits de propriété<br />
offi ciellement reconnus sur la terre qu'il travaille<br />
(une répartition plus équitable des terres),<br />
des droits égaux pour les femmes (beaucoup<br />
de fermiers sont en effet des fermières !), une<br />
formation, des routes et marchés pour apporter<br />
LE DÉFI DES 9 MILLIARDS<br />
En 2050, la terre comptera quelque 9 milliards<br />
d'habitants. Selon l'Organisation des Nations Unies<br />
pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), la production<br />
alimentaire devrait augmenter de 70 % pour<br />
pouvoir les nourrir. Pouvons-nous y parvenir en<br />
aidant simplement les petits fermiers à s'en sortir ?<br />
Les prix alimentaires élevés fi gurent parmi les causes des manifestations en Tunisie en janvier dernier.<br />
L'étincelle a été le geste désespéré d'un jeune homme, Mohamed Bouazizi, qui s'était immolé par<br />
le feu. Il s'était fait confi squer les fruits qu'il vendait dans la rue pour nourrir sa famille.<br />
IV AVRIL-MAI 2011 I dimension 3<br />
L'approche écologique à petite échelle attaque<br />
en tout cas le problème de la <strong>faim</strong> à la base. Le<br />
rendement par hectare est même plus élevé que<br />
celui de l'agriculture industrielle ! Cela s'explique<br />
notamment par un plus grand éventail de cultures.<br />
En 5 à 10 ans, l'agriculture écologique peut doubler<br />
la production alimentaire dans les pays en<br />
développement.<br />
Les pertes après récolte doivent être évitées. A<br />
défaut d'espaces de stockage et de possibilités de<br />
transformation, au moins 12 % des récoltes sont<br />
perdus dans le Sud ; ce taux atteignant même 50 %<br />
pour les fruits et légumes. En Belgique, le gaspillage<br />
annuel des aliments représente 660.000 tonnes,<br />
soit 7,4 % de la consommation.<br />
© Nasser Nouri<br />
la marchandise aux clients, des possibilités de<br />
transformation alimentaire et l'accès au crédit,<br />
une mécanisation simple, des engrais et une<br />
semence de qualité. Rassemblés en coopératives,<br />
les fermiers acquièrent une position de<br />
négociation plus forte à l'égard des acheteurs<br />
et peuvent, par exemple, acheter ensemble des<br />
machines et des semences. Enfi n, pour permettre<br />
tout cela, l'autorité doit fi nalement favoriser<br />
l'agriculture dans sa politique.<br />
Les défi s restent donc énormes. Ainsi, le changement<br />
climatique - déjà perceptible aujourd'hui -<br />
entraînera-t-il de plus en plus de risques de<br />
grandes sécheresses, d'inondations, de tempêtes,<br />
etc. Celles-ci peuvent détruire les cultures<br />
et dégrader les terres agricoles. Il faudra aussi<br />
beaucoup d'eau pour irriguer les terres. Une<br />
demande croissante en biocarburants accaparera<br />
de plus en plus de terres agricoles. Sans parler<br />
des pays souffrant de pénuries vivrières, comme<br />
l'Arabie Saoudite, qui recherchent d’énormes parcelles<br />
de terre dans les pays en développement.<br />
Rien qu'en 2009, ils se sont accaparés 45 millions<br />
d'hectares de terres, pratiquement la superfi cie de<br />
la France. De surcroît, une classe moyenne croissante<br />
dans les économies émergentes - comme<br />
c'est déjà le cas en Chine et en Inde - mange plus<br />
de viande et de produits laitiers. Or, la production<br />
de viande nécessite beaucoup de terres. Ainsi,<br />
une prairie qui produit 330 kg de viande, peut par<br />
ailleurs produire 40.000 kg de pommes de terre.<br />
L'agriculture écologique est d'ores et déjà respectueuse<br />
de l'environnement et du climat. Par<br />
sa préoccupation d'un sol riche en humus et l'utilisation<br />
d'arbres, elle économise l'eau et accumule<br />
le CO2. Mais l'agriculture industrielle a également<br />
un rôle à jouer à condition de ne pas faire une<br />
concurrence déloyale aux petits agriculteurs du<br />
Sud et de rester respectueuse de l'environnement.<br />
Les recherches agricoles modernes, avec<br />
leurs variétés adaptées et des techniques d'irrigation<br />
plus effi caces sont impératives, avec les<br />
connaissances traditionnelles, pour soulager le<br />
problème de la <strong>faim</strong> d’ici 2050.<br />
Nous ne pouvons donc résoudre le problème de la<br />
<strong>faim</strong> sans nous préoccuper du petit agriculteur.<br />
Aujourd'hui, nous pouvons cultiver suffi samment<br />
de nourriture pour tous. Vous et moi pouvons y<br />
travailler. Ne pas jeter d'aliments, manger moins de<br />
viande, mener une vie plus respectueuse des ressources<br />
énergétiques, adopter des pratiques de<br />
jardinage écologiques, soutenir les organisations<br />
qui sensibilisent les fermiers, etc. Tout cela compte.<br />
CHRIS SIMOENS
Sans subsides,<br />
l’agriculture européenne éenne<br />
ne serait pas rentable. able.<br />
Un constat qui ne<br />
s’applique pas à<br />
nous.<br />
MR. NZAMUJO<br />
suite de la p.14<br />
© André Zaleski<br />
Et cela ne s’arrête pas là : chaque<br />
petit déchet de métal intervient dans la<br />
fabrication d’appareils simples, vendus<br />
par le centre à un prix abordable.<br />
Les étudiants gagnent en entreprenariat et créativité.<br />
Tout se transforme<br />
Le Centre Songhai fait pousser à peu<br />
près tout : des légumes, des céréales,<br />
des champignons, et élève toutes sortes<br />
d’animaux : escargots géants, canards,<br />
poules, jusqu’au gros bétail. Au moyen<br />
de techniques simples, ces produits sont<br />
transformés en savon, huile de palme, jus<br />
de fruits, sirops, biscuits, yaourts, charcuteries,<br />
etc. Le marketing est un pilier<br />
essentiel du fonctionnement du centre.<br />
Des machines simples à utiliser,<br />
made in Centre Songhai.<br />
© DGD / Chris Simoens<br />
Le Les produits sont commerciali-<br />
ssés<br />
bien au-delà du magasin<br />
du centre, on les trouve partout<br />
au Bénin. Même dans<br />
la chaîne hôtelière Novotel.<br />
“Le manque d’opportunités<br />
pour les produits transformés<br />
eest<br />
l’un des problèmes cru-<br />
cia ciaux en Afrique”, affi rme Nzamujo.<br />
“D’importantes quantités<br />
de nourriture se perdent parce que les<br />
paysans ne savent pas vendre leurs produits<br />
directement aux consommateurs.<br />
Nous leur montrons comment la transformation<br />
peut se réaliser aisément.”<br />
Simplicité<br />
Simplicité : un maîtremot<br />
au Centre Songhai.<br />
Chacune des sections<br />
compte à tout moment<br />
300 étudiants, et 120<br />
sortent du centre chaque<br />
année. Dans la toute<br />
grande majorité, des<br />
fi lles et des fi ls de paysans<br />
aux moyens limités.<br />
Toutes les techniques<br />
sont donc maintenues au<br />
stade le plus simple possible.<br />
Cela n’empêche<br />
cependant pas les équipements<br />
de rester trop<br />
onéreux pour l’individu<br />
isolé. Ils doivent être<br />
achetés par une famille<br />
ou un groupe. “Il s’agit<br />
d’économie communautaire, pas de collectivisme.<br />
Chacun(e) garde son autonomie”,<br />
tient à préciser Nzamujo.<br />
© DGD / Chris Simoens<br />
Pieds nus<br />
L’objectif premier du Centre Songhai<br />
est d’offrir de l’espoir à l’Afrique. Nzamujo<br />
: “Nombre de jeunes migrent vers<br />
la ville car ils ne réussissent pas à trouver<br />
du travail dans les campagnes. C’est une<br />
tendance que nous devons inverser. Chez<br />
ONLINE<br />
www.songhai.org<br />
AGRICULTURE<br />
Les jacinthes d’eaux purifi ent les eaux usées.<br />
nous, ils peuvent apprendre que ça vaut<br />
le coup d’être paysan. Nous les incitons<br />
à se montrer créatifs. Ne pas se limiter à<br />
copier ce qu’ils ont appris, mais adapter<br />
les techniques apprises aux circonstances<br />
qu’ils rencontrent. Entrepreneurs aux<br />
pieds nus : voilà comment je les appelle.<br />
L’Afrique doit avoir de l’ambition. Ne pas<br />
se complaire dans le misérabilisme. On<br />
peut le faire !”<br />
Et les résultats sont là. “Nous parvenons<br />
à produire davantage avec moins<br />
de moyens. Sans subsides, l’agriculture<br />
européenne ne serait pas rentable. Un<br />
constat qui ne s’applique pas à nous. Le<br />
rendement pour le riz est de 3 à 6 tonnes<br />
l’hectare, trois fois par an. Nous sommes<br />
dans la norme ! Ces résultats, nous les<br />
atteignons malgré un faible input externe.<br />
Et nos prix sont compétitifs, pour une qualité<br />
bien supérieure. Et de plus, nous ne<br />
faisons pas trinquer l’environnement.”<br />
L’AGRICULTURE ÉCOLOGIQUE<br />
PEUT ÉRADIQUER LA FAIM<br />
CHRIS SIMOENS<br />
Grâce à l’approche écologique, la production alimentaire des petits paysans pourrait doubler en 10 ans,<br />
estime notre compatriote Olivier De Schutter, Rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation,<br />
dans un rapport du 8 mars 2011. Par son faible coût – peu d’output externe – l’agriculture écologique<br />
est un instrument très effi cace pour sortir les paysans de la pauvreté. Sans oublier ses autres atouts :<br />
elle est respectueuse de l’environnement et du climat et met à disposition une offre alimentaire élargie.<br />
Le rendement de l’agriculture écologique à l’hectare est supérieur à celui de sa variante industrielle.<br />
Selon Olivier De Schutter, le Centre Songhai en est une belle illustration. <strong>La</strong> candidature de notre compatriote<br />
au poste de Rapporteur spécial de l’ONU avait été présentée en 2008 par les autorités belges.<br />
<strong>Dimension</strong> 3 l’avait interviewé dès le début de son mandat (n° 3/2008). www.srfood.org<br />
dimension 3 I AVRIL-MAI 2011 19<br />
© DGD / Chris Simoens<br />
© www.iisd.ca
© DGD / E. Pirsoul<br />
<strong>La</strong> clinique<br />
des renaissances<br />
Le pavillon Ludwine<br />
Il y règne une ambiance conviviale, une<br />
solidarité féminine hors du commun, c’est<br />
le pavillon des fi stuleuses. Elles partagent<br />
souvent la même histoire, le même calvaire<br />
: un accouchement qui n’en fi nit pas,<br />
le bébé mort, la déchirure, de longues<br />
années de rejet social et une opération,<br />
parfois plusieurs, et un retour à une vie<br />
normale… Couchée sur le lit, elles attendant<br />
l’opération, ou passent leur convalescence.<br />
Souvent elles viennent de loin et ne<br />
peuvent pas rentrer chez elles entre deux<br />
soins.<br />
NDONA<br />
Ndona, “la vieille maman”, fait partie des<br />
ombres de la clinique. A 18 ans, son bassin<br />
était trop petit pour enfanter. Après trois<br />
jours des souffrances de l’accouchement<br />
dans un centre de santé, elle est envoyée<br />
à l’hôpital, ce qui prendra aussi du temps<br />
avant qu’une césarienne soit opérée… trop<br />
tard : l’enfant était mort et la vessie déchirée.<br />
Elle vivra ainsi plus de vingt ans, empestant<br />
l’urine. Son mari cède à la belle-famille qui<br />
la rejette et elle ne peut plus travailler. Elle<br />
vit seule dans son village du Bas-Congo<br />
lorsqu’elle entend parler de “cette clinique<br />
où on opère les fi stules”. Il lui faudra plus<br />
d’une journée pour parvenir jusqu’à l’hôpital,<br />
tal, se faire opérer une première fois,<br />
puis une seconde avec réussite.<br />
Cela fait fait 3 ans ans qu’elle vit à l’hôpital,<br />
aidant les autres fi stuleuses,<br />
servant de garde malade. Car à<br />
48 ans, elle n’a plus personne,<br />
elle elle ne sait où aller.<br />
20 AVRIL-MAI AV A RI RIL- L- L MA MAI I 2011 20 2011 11 I dim dimension im imen en e si s on o 3<br />
Madeleine avait 12 ans quand elle a été<br />
mariée par ses parents à un homme<br />
plus âgé qu’elle. Peu après, elle tombe<br />
enceinte. Son bassin de jeune fi lle est trop<br />
petit pour faire passer la tête d’un bébé<br />
qui comprime les tissus intérieurs. Au<br />
bout de quatre jours de travail, sans aide<br />
médicale adéquate, le fœtus est mort et<br />
les tissus entre son vagin et sa vessie se<br />
sont nécrosés et déchirés. Incontinente<br />
à 14 ans, nauséabonde, soupçonnée de<br />
mauvais sort, son mari l’abandonne. Elle<br />
vit isolée dans une case à la limite du village.<br />
Une jeune femme sans mari et qui ne<br />
peut plus enfanter n’existe plus : c’est une<br />
morte vivante. Pour Nelsy, 22 ans, même<br />
chose : 3 jours d’accouchement, 4 ans de<br />
réclusion sociale, arrêt de l’école, des<br />
jeux avec les camarades, plusieurs opérations…<br />
Pourtant ses yeux brillent d’espoir :<br />
“J’ai 22 ans et l’âge avance. Comme femme,<br />
je veux des responsabilités et mon plus<br />
grand regret est d’avoir dû arrêter l’école.<br />
Dès que je suis réparée, je reprends des<br />
études. J’aimerai être médecin.” Bemba,<br />
sa voisine de lit, elle a fait une semaine de<br />
route de Matadi pour venir jusqu’ici…<br />
Une chirurgie diffi cile<br />
“Le soleil ne doit jamais se coucher deux<br />
fois sur une femme en travail”, explique le<br />
Dr De De Backer. <strong>La</strong> fi stule a disparu<br />
il y a 100<br />
ans du monde occidental<br />
avec les<br />
accouchements assistés. <strong>La</strong><br />
plupart<br />
du temps, la cause est un ac accouche-<br />
ment trop long ou une cé césarienne<br />
mal faite, et dans 3 % des cas, les<br />
violences sexuelles (c’es (c’est surtout<br />
le cas dans l’Est du Congo, Cong où les<br />
viols font rage et où se trouve t un<br />
autre centre de réparation répara des<br />
fi stules, à la clinique de d Panzi-<br />
Bukavu). <strong>La</strong> L fistule<br />
n’est pas pa mor-<br />
telle mais m ses<br />
conséquences<br />
conséq<br />
sociales social sont<br />
désastreuses.<br />
désas<br />
On estime à 100.000 le nombre de fi stuleuses<br />
en RD Congo.<br />
Ici, plus d’une centaine de femmes sont<br />
opérées par an. “Auparavant, c’était<br />
une chirurgie de l’échec, car elle est très<br />
diffi cile”, explique le médecin chef. Il<br />
faut encore attendre les missions des<br />
médecins belges qui contribuent à<br />
l’ONG Médecins sans vacances, environ<br />
trois fois pas an pour les opérations<br />
complexes. Mais une interne de l’hôpital,<br />
le Docteur Dolores Nembunzu, a<br />
été formée et peut maintenant opérer<br />
les fi stules simples. Et les formations<br />
continuent. Un autre problème est le<br />
coût : une telle opération reviendrait à<br />
500 dollars, souvent les patientes sont<br />
abandonnées des leurs et n’ont personne<br />
pour les nourrir ; il arrive même<br />
qu’on doive remonter l’état général<br />
avant de pouvoir opérer.<br />
<strong>La</strong> fi stule, ce n’est pas<br />
comme la cardiologie,<br />
c’est un type de chirurgie<br />
qu’on peut faire avec<br />
relativement peu de<br />
matériel.<br />
Le combat d’un belge<br />
L’ONG Médecins sans vacances propose<br />
à des médecins occidentaux de partager<br />
bénévolement leur savoir-faire et<br />
leur connaissance en matière de soins<br />
de santé en Afrique. Depuis 2003, l’ONG<br />
envoie des médecins en Afrique pendant<br />
leurs vacances ou leurs temps libres<br />
pour contribuer à la prévention et au<br />
traitement des fi stules obstétricales, en<br />
collaboration notamment avec l’hôpital<br />
Saint-Joseph de Kinshasa.
ONLINE<br />
www.fi stul-aid.org<br />
SANTÉ MATERNELLE<br />
<strong>La</strong> fi stule. C’est l’une des conséquences désastreuses des complications d’accouchement.<br />
Une déchirure obstétricale désastreuse socialement car elle rend la femme incontinente, à<br />
vie bien souvent, tant les opérations sont diffi ciles, rares et onéreuses. Un urologue belge,<br />
le docteur De Backer est confronté pour la première fois à ces fi stuleuses en RD Congo par<br />
l’entremise de l’ONG Médecins sans vacances. Il s’émeut de leur cas et, depuis, il se bat<br />
pour elles. A Kinshasa, il a fondé la “Fistula clinic” où les femmes sont prises en charge gratuitement.<br />
Une fois guéries, elles renaissent…<br />
© DGD / E. Pirsoul<br />
Joséphine est l'infi rmière qui s'occupe des fi stuleuses à l'Hôpital Sant-Joseph.<br />
Quand le docteur De Backer, chirurgien<br />
urologue émérite, a effectué sa première<br />
mission pour Médecins sans vacances dans<br />
les hôpitaux congolais, il a été touché par<br />
le nombre et la détresse des fi stuleuses.<br />
De retour en Belgique, il crée une asbl,<br />
“Fistul-aid”, et obtient via la coopération<br />
belge un fi nancement pour la construction<br />
d’une “Fistula clinic” au sein de l’hôpital<br />
Saint-Joseph de Kinshasa. “<strong>La</strong> fistule, ce<br />
n’est pas comme la cardiologie, c’est un type<br />
de chirurgie qu’on peut faire avec relativement<br />
peu de matériel”. <strong>La</strong> clinique, matériel<br />
compris, aura coûté 85.000 euros. Elle permet<br />
d’opérer dans des bonnes conditions.<br />
Une gynécologue congolaise formée par<br />
Médecins sans vacances est à même d’effectuer<br />
50 % des opérations, tandis que des<br />
chirurgiens belges viennent régulièrement<br />
partager leur savoir-faire.<br />
Le docteur De Backer continue son combat<br />
pour que les femmes, qui sont souvent<br />
démunies, puissent bénéfi cier d’un traitement<br />
gratuit. Il aimerait à l’avenir aussi disposer<br />
d’un espace complémentaire où les<br />
patientes venues de loin peuvent attendre<br />
à long terme leur opération. Pour ce faire,<br />
il multiplie les récoltes de dons, de fonds<br />
institutionnels et particuliers. Au cours de<br />
ce mois d’avril, il a organisé une pièce<br />
théâtrale jouée par des cardiologues au<br />
bénéfi ce de l’asbl.<br />
Quant à Madeleine, comme 500 autres<br />
fi stuleuses qui ont été “réparées” à la<br />
“Fistula clinic”, elle a retrouvé le sourire.<br />
On ne s’éloigne plus d’elle avec dégoût,<br />
elle pourra retrouver une place dans la<br />
société, avoir des enfants. Une nouvelle<br />
vie s’ouvre à elle.<br />
ELISE PIRSOUL<br />
dimension 3 I AVRIL-MAI 2011 21
SANTÉ REPRODUCTIVE<br />
Punir enfi n,<br />
POUR PRÉVENIR LES VIOLENCES SEXUELLES.<br />
Dans l’Est du Congo, avec les guerres de ces deux<br />
dernières décennies et l’insécurité persistante est apparu un<br />
phénomène nouveau et inhumain : les violences sexuelles<br />
pratiquées en masse par des militaires sur les civils.<br />
L’impunité qui a longtemps prévalu a contribué à l’ampleur<br />
stupéfi ante du phénomène dans les 2 Kivu. Mais aujourd’hui,<br />
les procès pour viols se multiplient. Encore insuffi sants et<br />
comptant de nombreuses failles, ils marquent la fi n d’une<br />
ère d’impunité. Partis d’un système judiciaire inexistant, les<br />
résultats, même symboliques n’auraient pu avoir lieu sans un<br />
effort à long terme de l’État congolais et ses partenaires.<br />
Des récits insupportables<br />
F. n’a que 20 ans mais son regard est<br />
éteint. Elle raconte, sans émotions :<br />
“C’était il y a 4 ans. Nous étions dans la<br />
maison familiale de Kaniola quand des<br />
soldats interahamwe (rebelles rwandais)<br />
ont fait irruption. Ils ont tué mon père et ma<br />
mère et nous ont emmenées, mes sœurs<br />
et moi, avant de nous séparer. J’ai du les<br />
suivre dans leurs différents camps dans la<br />
forêt pendant 4 ans, servant d’esclave pour<br />
les soldats. Trois fausses couches s’en sont<br />
suivies. J’étais enceinte une 4 e fois quand je<br />
me suis enfuie. Il m’a fallu deux semaines<br />
de marche, enceinte de 8 mois pour parvenir<br />
jusqu’ici, à Walungu. Je mendiais ma<br />
nourriture.” Le représentant local, Herman<br />
Bahara de l’ONG CAMPS continue : “C’est<br />
le chef du village voisin qui l’a menée<br />
chez nous Elle est arrivée en état de choc<br />
total, elle divaguait, ne se nourrissait plus.”<br />
CAMPS est une des ONG locales sur lesquelles<br />
s’appuie le programme STAREC.<br />
Les victimes peuvent y être emmenés en<br />
première instance et y être suivis psychologiquement.<br />
“Elle était atteinte d’une<br />
grave infection génitale mais elle a été soignée<br />
et a accouché à l’hôpital de Walungu<br />
qui prend en charge les femmes violées.<br />
Mais son avenir reste incertain, ses parents<br />
sont morts, ses sœurs disparues, la maison<br />
de sa famille a été récupérée par d’autres,<br />
elle ne sait où aller.”<br />
Pour madame M, les faits se sont déroulés<br />
dans sa maison, sous les yeux de son mari,<br />
un couteau planté dans le ventre pour<br />
l’empêcher de bouger. Son mari l’a abandonné<br />
avec ses 3 enfants. Le coupable,<br />
En mars 2011, le procès des militaires accusés de pillages et viols collectifs à Kalehe.<br />
22 AVRIL-MAI 2011 I dimension 3<br />
© DGD / E. Pirsoul<br />
Madame M.<br />
un militaire de l’armée régulière a été<br />
condamné mais elle attend toujours des<br />
indemnités qui pourraient l’aider à lancer<br />
une petite affaire pour survivre.<br />
Ces cas sont malheureusement loin d’être<br />
isolés. Dans le territoire de Walungu (qui<br />
compte 600.000 habitants), en province<br />
du Sud-Kivu, l’ONG CAMPS a dénombré<br />
102 violences sexuelles pour le seul<br />
mois de janvier. L’ONU Femmes estime<br />
que plus de 200.000 femmes ont été violées<br />
en RD Congo depuis 1998. Il s’agit,<br />
dans la plupart des cas, de violences<br />
exercées par des rebelles rwandais ou<br />
par les forces armées congolaises. Longtemps,<br />
l’impunité totale a prévalu.<br />
Les autorités congolaises et la communauté<br />
internationale ont pris la mesure<br />
du problème et ont résolu de l’attaquer à<br />
plusieurs niveaux : prévention, judiciaire<br />
et sécuritaire et médico-social. Un vaste<br />
programme s’est mis en place.<br />
Les procès se multiplient<br />
Kalehe, 40 k m de Bukavu, le 9 mars 2011.<br />
<strong>La</strong> salle d’audience, est pleine à craquer<br />
<strong>La</strong> cour militaire rend son jugement après<br />
une semaine d’auditions : 11 militaires des<br />
Forces armées régulières écopent de<br />
15 ans de peines de la servitude pénale<br />
à la perpétuité en plus du paiement d’indemnités<br />
aux victimes. Ils sont jugés coupables<br />
de pillages, viols collectifs d’une<br />
vingtaine de femmes et d’enlèvement d’un<br />
bébé dans le village de Katasomwa en<br />
septembre 2009. Malheureusement, 8 des<br />
11 militaires sont en fuite…<br />
© DGD / E. Pirsoul
Les manifestations du 8 mars pour la Journée de la femme à Bukavu ont vu la société civile<br />
revendiquer plus d’effort pour la lutte contre les violences sexuelles.<br />
Déjà, fin février 2011, la communauté<br />
internationale applaudissait la nouvelle<br />
du “Procès de Fizi” : plusieurs offi ciers<br />
supérieurs de l’armée régulière ainsi<br />
que des soldats étaient condamnés à 20<br />
et 15 ans de prison pour avoir commis<br />
plus de 50 viols sur la population civile.<br />
Ce jugement se distinguait par le fait qu’il<br />
condamnait des chefs, et qu’il avait été<br />
organisé en un temps record : le procès<br />
démarrait le 10 février pour des faits du<br />
1 er janvier 2011. <strong>La</strong> population attendait<br />
un geste fort après la tristement célèbre<br />
affaire de Walikale (Nord-Kivu), en août<br />
dernier, qui avait défrayé la chronique<br />
avec 266 viols. Au-delà du geste fort,<br />
c’est aussi le symbole d’un système<br />
judiciaire qui se reconstitue et prend en<br />
charge les violences sexuelles comme<br />
crimes contre l’humanité.<br />
Un long processus<br />
“Avant la guerre, les viols étaient rares<br />
dans la société congolaise, ce qui<br />
explique que la prise de conscience a<br />
été lente. Quand j’ai commencé à les<br />
dénoncer, après 1994, il n’existait même<br />
pas un mot dans la langue pour les désigner”,<br />
remarque Chouchou Namegabe,<br />
journaliste à Bukavu qui sera l’une des<br />
premières à sonner l’alarme. Suite aux<br />
dénonciations et aux pressions des<br />
ONG, une vaste enquête nationale est<br />
menée qui révèle un phénomène d’une<br />
ampleur surprenante. Dès 2005, L’initiative<br />
conjointe pour la prévention et la lutte<br />
contre les violences sexuelles en RDC, un<br />
vaste programme de coordination entre<br />
différents partenaires en vue d’apporter<br />
une réponse coordonnée aux droits et<br />
besoins des victimes, est lancé. Le gouvernement<br />
congolais, UNFPA et d’autres<br />
agences onusiennes, la Belgique et le<br />
Canada sont impliqués.<br />
Josiane Mutombo du bureau ONU pour les<br />
Droits de l’homme (BCNCDH), chargée<br />
de la lutte contre l’impunité des violences<br />
sexuelles pour le STAREC, témoigne<br />
du long chemin parcouru par l’initiative<br />
conjointe : “À l’époque, on n’était nulle<br />
part, il n’y avait même pas de loi congolaise<br />
pour condamner le viol. On a proposé un<br />
arsenal de lois, réuni les partenaires, créé<br />
des sous-commissions judicaires.” L’Etat<br />
congolais fi nit par s’impliquer et s’approprier<br />
le problème. Il édicte en juin 2006<br />
une loi contre les violences sexuelles et<br />
élabore ensuite “une stratégie nationale<br />
de lutte contre les violences basées sur<br />
le genre”. C’est sur cette nouvelle stratégie<br />
que les bailleurs et l’unité ‘violences<br />
sexuelles’ du STAREC, qui prend suite de<br />
l'initiative conjointe, se sont greffés.<br />
Adopté en 2009, le Programme de stabilisation<br />
et de reconstruction des zones<br />
sortant des confl its armés (STAREC) a<br />
pour objectif de stabiliser l’Est de la RD<br />
Congo. Il comprend un important volet<br />
‘violences sexuelles’, auquel la Belgique<br />
contribue, qui entend traiter le problème<br />
sous ses différentes facettes : collecte<br />
des données (UNFPA), suivi psychomédical<br />
des victimes (UNICEF), réforme<br />
du secteur de sécurité (MONUSCO),<br />
prévention et protection (HCR), et<br />
lutte contre l’impunité (BCNCDH/<br />
MONUSCO). C’est grâce à la coordination<br />
de ces différentes instances auprès<br />
des autorités congolaises que le procès<br />
de Kalehe a pu être rendu : les plaintes<br />
des nouvelles victimes enregistrées<br />
par une ONG locale ont été relayées à<br />
UNFPA, les victimes ont été prises en<br />
charges par les relais de l’UNICEF et<br />
assistées judiciairement par une ONG<br />
d’avocats locale, elle-même assistée<br />
par Avocats sans frontières - Belgique.<br />
<strong>La</strong> confi ance est rétablie<br />
Les efforts pour rétablir un système judiciaire<br />
en matière violences sexuelles<br />
sont loin d’être conclus : beaucoup de<br />
coupables sont en fuite, les rebelles<br />
restent diffi ciles à capturer, les indemnités<br />
aux victimes sont insuffi santes ou<br />
impayées, les prisons congolaises sont<br />
“poreuses”… Cependant, pour Antoine<br />
Banza (UNFPA), des pas importants ont<br />
été franchis : “Il y a dix ans, des procès<br />
comme ceux de Fizi ou Kalehe n’auraient<br />
pas été possibles car le système<br />
judiciaire était inexistant et les victimes<br />
n’avaient aucun intérêt à dénoncer les<br />
fait dans la honte et la peur des représailles.<br />
Maintenant, le silence est brisé,<br />
et la confi ance de la population dans le<br />
système judiciaire se rétablit peu à peu.”<br />
Les criminels potentiels savent maintenant<br />
qu’ils peuvent être jugés…<br />
ELISE PIRSOUL<br />
dimension 3 I AVRIL-MAI 2011 23<br />
© DGD / E. Pirsoul
GAND<br />
MANGAUNG<br />
<strong>La</strong> ville de Gand a une grande sœur dans un pays lointain : Mangaung, au cœur de l’Afrique<br />
du Sud. Les deux villes sœurs peuvent beaucoup apprendre l’une de l’autre, mais pour cela,<br />
il faut qu’elles se connaissent bien. C’est pourquoi deux jeunes photographes ont mis en<br />
images les relations qu’entretiennent Gand et Mangaung depuis leur jumelage en 2004. Un<br />
photographe gantois livre son regard sur Mangaung et un photographe de Mangaung tend<br />
un miroir à la ville de Gand. Le résultat est à l’image de la collaboration : honnête et sans<br />
fi oritures, souvent joli et poétique, parfois dur.<br />
Le jumelage entre Gand et<br />
Mangaung vise à renforcer<br />
les deux administrations<br />
locales – une lacune dans la<br />
coopération au développement tant offi -<br />
cielle que non gouvernementale. Gand<br />
et Mangaung s’attèlent à cet objectif en<br />
mettant leurs expériences en commun<br />
et en lançant conjointement des projets<br />
en matière de politique de la jeunesse,<br />
d’éducation à l’environnement<br />
et de participation. <strong>La</strong> confrontation des<br />
expériences des deux villes assure une<br />
24 AVRIL-MAI 2011 I dimension 3<br />
approche novatrice de problèmes très<br />
anciens. Les projets relatifs à la politique<br />
de la jeunesse à Mangaung sont<br />
subsidiés par la coopération belge au<br />
développement. Les services de la<br />
jeunesse de Mangaung et de Gand ont<br />
lancé conjointement trois centres de jeunesse<br />
dans des quartiers défavorisés.<br />
Les jeunes y ont l’occasion de jouer, de<br />
découvrir des possibilités de formations<br />
et de lancer des projets. A partir<br />
de ces centres de jeunesse, des ateliers<br />
protégés ont démarré où les jeunes<br />
© Oliver Dowdle / Stad Gent<br />
issus de milieux défavorisés acquièrent<br />
des capacités professionnelles. Leurs<br />
chances d’effectuer un travail décent se<br />
voient ainsi multipliées.<br />
Le service gantois de la jeunesse n’intervient<br />
pas comme instructeur des collègues<br />
sud-africains, mais bien comme<br />
caisse de résonance et source d’inspiration.<br />
Cette inspiration que les responsables<br />
de la politique gantoise de<br />
la jeunesse peuvent de même trouver à<br />
Mangaung et qui concourt à la réalisation<br />
d’une ville jeune, ouverte et solidaire.
© Jonas Posman / Stad Gent & Narafi<br />
© Jonas Posman / Stad Gent & Narafi<br />
COOPÉRATION DE PROXIMITÉ<br />
LES PHOTOS DES DEUX PHOTOGRAPHES<br />
ONT ÉTÉ INTÉGRÉES DANS UN BEL ALBUM<br />
PHOTO DISPONIBLE AU PRIX DE 7 EUROS VIA<br />
NOORD.ZUID@GENT.BE<br />
© Jonas Posman / Stad Gent & Narafi<br />
DU 17 AU<br />
21 OCTOBRE 2011,<br />
Gand accueillera une conférence internationale de<br />
clôture consacrée à la Coopération communale<br />
internationale. Plus de 40 partenariats entre des<br />
administrations locales belges et du Sud vont<br />
réfl échir ensemble sur l’avenir de cette nouvelle<br />
forme de solidarité internationale.<br />
© Jonas Posman / Stad Gent & Narafi<br />
© Oliver Dowdle / Stad Gent<br />
Plus d’infos sur :<br />
www.vvsg.be/internationaal<br />
dimension 3 I AVRIL-MAI 2011 25<br />
© Jonas Posman / Stad Gent & Narafi<br />
© Oliver Dowdle / Stad Gent
<strong>La</strong> clé du développement<br />
et du progrès économique<br />
Il est de tous les combats depuis près d’un demi-siècle. Cet éminent professeur<br />
de linguistique au Massachusetts Institute of Technology, est en effet mieux<br />
connu encore pour ses célèbres essais politiques, qui se comptent par<br />
dizaines. Dans ceux-ci, le “dissident numéro un de l’Amérique” - c’est ainsi<br />
que l’on qualifi e parfois Noam Chomsky - décrypte de manière rigoureuse les<br />
mécanismes idéologiques des sociétés occidentales, les relations d’intérêt<br />
et de domination installées par le Nord envers le Sud, les motivations<br />
sous-jacentes des discours altruistes, le système médiatique…<br />
De la guerre du Vietnam à celles d'Afghanistan et d'Irak, en passant par<br />
la guerre du Kosovo, rien à ce jour de ces confl its majeurs n’a échappé<br />
à ses dissections. À 82 ans, Chomsky poursuit méthodiquement sa<br />
mise à nu du pouvoir, répliquant aux critiques avec fl egme.<br />
DÉMOCRATIE<br />
NOAM CHOMSKY,<br />
un intellectuel engagé<br />
extrait<br />
“(…) Abordons maintenant le contraste offert<br />
par l’élection de décembre 2005 dans le pays<br />
le plus pauvre d’Amérique du Sud, la Bolivie.<br />
Les électeurs étaient bien au fait des enjeux,<br />
dont certains étaient d’une importance cruciale<br />
: maîtrise des ressources naturelles,<br />
droits culturels de la majorité autochtone,<br />
problèmes liés à la justice dans une société<br />
multiethnique complexe, etc. Les électeurs<br />
ont opté pour un candidat issu de leurs rangs,<br />
et non pour un représentant de la minorité<br />
des privilégiés. Grâce à des années de lutte<br />
et d’organisation, le taux de participation s’est<br />
accru. Le jour du scrutin ne s’est pas résumé<br />
à un simple intermède où l’on fait une croix<br />
sur un bulletin avant de se retrancher dans la<br />
passivité et la vie privée, mais a il constitué<br />
une étape décisive d’un processus continu<br />
de participation au fonctionnement de la<br />
société.”<br />
26 AVRIL-MAI 2011 I dimension 3<br />
“Espoirs et perspectives”<br />
Mieux connaître le passé pour savoir où<br />
l’on va, nous dit l’adage. Dans son dernier<br />
ouvrage, “Hopes and Prospects” (“Futurs<br />
proches”, LUX éd.), présenté à l’occasion<br />
de deux conférences qu’il a données à<br />
Bruxelles les 26 et 27 mars derniers,<br />
Noam Chomsky confronte les concepts<br />
de liberté, d’impérialisme et de souveraineté<br />
des états. Ce faisant, il s’applique<br />
à décoder la première décennie de ce<br />
siècle pour tenter d’expliquer la direction<br />
probable de l’humanité dans les<br />
années à venir et défi nir les défi s à relever<br />
pour assurer un monde équitable.<br />
Forgé à partir d’articles écrits ces dernières<br />
années (2006-2009) et divisé<br />
en deux parties – L’Amérique latine et<br />
L’Amérique du Nord -, ce recueil s’ouvre<br />
par la description de plus de 500 ans<br />
de conquêtes occidentales de par le<br />
monde. Il en étudie minutieusement les<br />
mécanismes – “À l’étranger, imposition<br />
du libéralisme économique, par la force<br />
s’il le faut” – ainsi qu’il relate les effets,<br />
sur les peuples envahis, d’une doctrine<br />
politico-économique globale “qui<br />
se manifeste aujourd’hui sous le nom de<br />
mondialisation”. Le constat premier est<br />
malheureusement sans surprise : depuis<br />
plus de trente ans, les disparités entre<br />
le Nord et le Sud sont grandissantes, et<br />
aucunes réelles mesures de correction<br />
ne sont prises pour le moment par les<br />
grandes puissances.<br />
Aujourd’hui, avec cet ouvrage, le scepticisme<br />
éclairé qui caractérise ses analyses<br />
fait cependant place à un optimisme<br />
mesuré. Selon Chomsky, la clé du développement<br />
et du progrès économique
© instantworld.com<br />
extrait<br />
INTÉGRATION RÉGIONALE<br />
“(…) L’intégration régionale qui prend forme est une condition essentielle<br />
à l’indépendance, car elle complique toute tentative de s’en<br />
prendre à chaque pays un par un. (…) L’intégration a aussi une dimension<br />
mondiale : l’instauration de rapport Sud-Sud et la diversifi cation<br />
des marchés et des investissements. (…) <strong>La</strong> troisième dimension de<br />
l’intégration, sans doute la plus indispensable, est interne. L’Amérique<br />
latine est encore tristement célèbre pour son extrême concentration<br />
de la richesse et du pouvoir entre les mains d’élites privilégiées et<br />
dénuées de tout sens des responsabilités en ce qui à trait au bien-être<br />
de leurs nations.”<br />
Banco del Sur et ALBA<br />
“Les initiatives du Venezuela ont eu d’importantes retombées dans tout le<br />
sous-continent : désignées aujourd’hui sous le nom de ‘marée rose’, elle<br />
déferle partout, comme en fait foi l’élection récente de Fernando Lugo au<br />
Paraguay, et à l’échelle régionale, où des institutions communes sont en<br />
voie de formation. Parmi celles-ci se trouvent la Banco del Sur (Banque du<br />
résiderait dans l’indépendance et la<br />
souveraineté des États. Ainsi, prenant<br />
pour exemple le Japon, “seul pays du Sud<br />
à s’être développé et industrialisé par luimême”,<br />
il tire la conclusion selon laquelle<br />
“la souveraineté, qui implique la capacité<br />
d’un pays de maîtriser son économie nationale<br />
et de participer aux marchés internationaux<br />
à ses propres conditions, est essentielle<br />
au progrès économique.”<br />
<strong>La</strong> situation de l’Amérique latine<br />
Toute la première partie de l’ouvrage<br />
énumère les succès obtenus ces dernières<br />
années en Amérique latine, stimulée<br />
depuis l’élection au Venezuela<br />
en 1998 d’un président qui entend faire<br />
profi ter les couches les plus pauvres de<br />
la population des abondantes ressources<br />
de son pays, et qui promeut l’intégration<br />
régionale indispensable à l’indépendance,<br />
à la démocratie et à un développement<br />
digne de ce nom.<br />
Chomsky estime en effet que les ex-colonies,<br />
en particulier celles d’Amérique<br />
latine, sont plus que jamais “à même<br />
de surmonter des siècles de soumission,<br />
de violence, de répression et d’intervention<br />
étrangère”, et note que, malgré des<br />
revers, “(…) c’est dans ces parties du<br />
monde que déferle la vague démocratique<br />
contemporaine.”<br />
Le livre délivre dès lors une note d’espoir,<br />
apportée principalement par plusieurs<br />
de ces pays d’Amérique latine qui tentent<br />
en effet de bâtir et de renforcer des<br />
États démocratiques, tout en se défendant<br />
encore contre des tentatives de coups<br />
d’état, souvent téléguidées depuis l’étranger.<br />
Ils s’engagent également dans des<br />
TENDANCES<br />
RUBRIQUE<br />
Sud) - projet avalisé en 2007 par Joseph Stiglitz,<br />
prix Nobel d’économie -, ainsi que l’Alliance<br />
bolivarienne des peuples de notre<br />
Amérique (ALBA), qui marquera l’aube d’une<br />
nouvelle ère si les espoirs qu’elle suscite se<br />
concrétisent.”<br />
UNASUR<br />
“Une autre organisation régionale prend<br />
forme encore : l’Union des Nations sudaméricaines<br />
(UNASUR), initiée en 2006 par<br />
l’importante Déclaration de Cochabamba<br />
des dirigeants sud-américains, appelant à l’intégration du sous-continent<br />
sur le modèle européen, et dont un premier sommet consacré à la crise<br />
fi nancière s’est tenu à Santiago en septembre 2008. (…) S’inspirant de<br />
l’Union européenne, ce bloc souhaite instituer un parlement sud-américain<br />
à Cochabamba en Bolivie, lieu tout désigné pour un tel projet.”<br />
politiques originales, “marquées par leur<br />
opposition au néolibéralisme”, et davantage<br />
basée sur les échanges locaux, et la<br />
solidarité entre les États…<br />
“Futurs proches” en appelle finalement<br />
à une conversion de l’économie afi n de<br />
mettre résolument celle-ci au service de<br />
l’environnement. Conversion qui, selon<br />
Chomsky, semble tout à fait possible avec<br />
les moyens dont l’homme dispose et qui a<br />
des précédents dans l’histoire. Il rappelle<br />
ainsi que durant la deuxième guerre mondiale,<br />
on est passé d’une économie industrielle<br />
à une économie de guerre. Une<br />
conversion réussie suivie, après la guerre,<br />
de politiques ambitieuses de grands travaux<br />
ayant permis aux États de se sortir<br />
de la Grande Dépression et d’entamer une<br />
période de croissance sans précédent.<br />
JEAN-MICHEL CORHAY<br />
dimension 3 I AVRIL-MAI 2011 27
© Dominique Thibaut<br />
Makala<br />
ya sasa<br />
28 AVRIL-MAI 2011 I dimension 3
Août 2010. Fin d’après-midi sur<br />
le lac Edouard au Nord Kivu.<br />
J’accompagne une patrouille<br />
de gardes du Parc national<br />
des Virunga dans leur contrôle des zones<br />
de pêche interdite. Les gardes sont aux<br />
aguets car, quelques jours plus tôt, une de<br />
leur pirogue à moteur a été la cible de tirs<br />
de bandes armées qui exploitent illégalement<br />
les ressources du lac. Une pirogue<br />
est repérée dans une frayère. Les gardes<br />
arment leurs mitrailleuses et leur bateau<br />
à moteur ralentit son allure. Les pêcheurs<br />
sont arraisonnés et<br />
interrogés. Mes deux<br />
caméramans sont au<br />
plus près de l’action.<br />
En exploitant illégalement<br />
les frayères du lac<br />
Edouard, ces groupes<br />
armés mettent en péril<br />
les ressources en protéines<br />
de près de trois<br />
millions de personnes.<br />
Les documentaires que<br />
je réalise s’intéressent<br />
aux problématiques de développement.<br />
Mon objectif est à chaque fois de montrer<br />
quels sont les mécanismes qui maintiennent<br />
des populations<br />
dans la pauvreté et de<br />
Qui ?<br />
Dominique Domin Thibaut,<br />
réalisateur réalisa de fi lms<br />
document documentaires au sein<br />
de Yèlèma<br />
Production.<br />
Quoi ?<br />
Un fi lm qui montre mo que des<br />
projets de développement<br />
dé<br />
peuvent prendre p appui<br />
sur la protection pro de la<br />
biodiversité.<br />
Pourquoi Po ?<br />
Faire Fa connaître<br />
des de actions de<br />
développement<br />
dé<br />
exemplaires.<br />
UN FILM DOCUMENTAIRE<br />
QUI MONTRE LA CONCILIATION<br />
ENTRE DÉVELOPPEMENT<br />
ET CONSERVATION<br />
DE LA BIODIVERSITÉ<br />
Ce charbon de bois<br />
qu'on appelle ici<br />
makala est carbonisé<br />
clandestinement au<br />
coeur même des<br />
forêts.<br />
quelle manière les projets<br />
de développement menés<br />
par des ONGs locales<br />
permettent d’y faire face.<br />
Un fi lm que j’avais réalisé<br />
en 2009 montrait comment<br />
la protection de l’environnement<br />
peut être une prise<br />
d’appui pour le développement<br />
des populations<br />
parmi les plus pauvres<br />
de la planète. L’action de<br />
développement dont il<br />
faisait l’objet était toutefois<br />
circonscrite à un village<br />
flottant au Cambodge et<br />
fonctionnait un peu comme<br />
un micro laboratoire de<br />
développement durable.<br />
SENSIBILISATION<br />
J’ai donc voulu réaliser un film qui<br />
puisse illustrer à une échelle beaucoup<br />
large la manière dont les pays du sud<br />
peuvent concilier développement et<br />
environnement.<br />
Le Parc national des Virunga qui abrite<br />
une des dernières populations de<br />
gorilles de montagne est au cœur de ces<br />
tensions entre la protection de la biodiversité<br />
et le développement de populations<br />
en prise avec leur subsistance quotidienne.<br />
L’épuisement des ressources<br />
halieutiques du lac Edouard ne constitue<br />
qu’une des menaces<br />
qui pèsent sur le parc.<br />
Le problème essentiel<br />
du parc est celui<br />
de sa déforestation<br />
pour la production de<br />
charbon de bois. Ce<br />
charbon de bois qu'on<br />
appelle ici makala est<br />
carbonisé clandestinement<br />
au coeur même<br />
des forêts. Chaque<br />
année ce sont des milliers<br />
d’hectares de forêts qui partent en<br />
fumée pour approvisionner la seule ville<br />
de Goma.<br />
Afi n d’enrayer cette déforestation alarmante,<br />
le WWF a développé un programme<br />
de production de makala alternatif,<br />
l’Ecomakala. Produit à partir de<br />
plantations d’arbres à croissance rapide<br />
en dehors du parc, ce makala écologique<br />
devrait progressivement constituer<br />
une source d’approvisionnement<br />
alternative pour la population.<br />
Ce projet Ecomakala, soutenu par le<br />
WWF Belgique au Nord Kivu, démontre<br />
qu’à partir d’un produit d’utilisation quotidienne,<br />
le charbon de bois, on peut à la<br />
fois agir sur la conservation de la biodiversité<br />
de toute une région tout en luttant<br />
contre la pauvreté.<br />
Tourné au Nord Kivu en août 2010 avec<br />
le soutien de la DGD, le fi lm immerge<br />
le spectateur dans l’action quotidienne<br />
du WWF et des gardes du Parc National<br />
des Virunga.<br />
dimension 3 I AVRIL-MAI 2011 29
Petite <strong>Dimension</strong><br />
Semaine<br />
du commerce<br />
équitable 2011 :<br />
Participez au<br />
concours de projets !<br />
À l’occasion de la 10e édition<br />
de la Semaine du<br />
commerce équitable, qui aura<br />
lieu du 5 au 15 octobre 2011,<br />
le Trade for Development<br />
Centre de la coopération<br />
belge organise un concours<br />
de projets. L’opportunité est<br />
ainsi offerte aux asbl, aux<br />
mouvements de jeunesse,<br />
aux entreprises ou encore<br />
aux communes, de participer<br />
activement à la promotion<br />
du commerce équitable en<br />
Belgique.<br />
Apportez votre pierre<br />
à l’édifi ce !<br />
Qu’il s’agisse d’une projection<br />
de fi lm, d’une activité scolaire,<br />
d’un spectacle ou<br />
de toute autre<br />
activité originale,<br />
toutes les idées<br />
seront les bienvenues<br />
afin de<br />
faire de cette<br />
Semaine du<br />
commerce équitable<br />
un événement<br />
incontournable. À l’issue<br />
du concours, les projets sélectionnés<br />
bénéficieront d’un<br />
soutien fi nancier de la part du<br />
Trade for Development Centre<br />
de maximum 4.000 euros chacun.<br />
Ils seront ensuite intégrés<br />
au programme de la Semaine<br />
du commerce équitable<br />
2 011. Le concours de projets<br />
est ouvert jusqu’au vendredi<br />
13 mai 2011 à 12h, date limite<br />
de dépôt des candidatures.<br />
Intéressés ?<br />
Rendez-vous sur le site<br />
du Trade for Development<br />
Centre (www.befair.be)<br />
30 AVRIL-MAI 2011 I dimension 3<br />
<strong>La</strong> Belgique renforce le<br />
centre de connaissances de<br />
la Banque mondiale grâce à<br />
une approche novatrice<br />
<strong>La</strong> Belgique va investir 1,7 million d’euros dans l’Institut de la<br />
Banque mondiale (WBI), le centre de connaissances de la banque.<br />
Cet investissement permettra au WBI de poursuivre son rôle de<br />
plaque tournante mondiale permettant d’établir des liens entre la<br />
connaissance, l’apprentissage et les innovations en matière de<br />
développement, et son rôle sur le terrain, de catalyseur de changements<br />
axés sur les résultats.<br />
De plus, au moyen de sa méthode de<br />
fi nancement novatrice, la Belgique<br />
donne d’emblée un signal allant<br />
dans le sens de plus d’effi cacité et de plus<br />
de responsabilité.<br />
Partager ce qui fonctionne<br />
Le WBI veille à ce que les pays en développement<br />
puissent partager les expériences et les<br />
solutions intéressantes.<br />
Ainsi, pour<br />
ses réformes dans<br />
l’administration de<br />
la sécurité sociale,<br />
le Vietnam s’est<br />
inspiré des expériences<br />
de la Lituanie,<br />
de la Bulgarie et<br />
de la Turquie. Qant<br />
à la Bolivie, elle a pu<br />
apprendre de l’expérience<br />
du Brésil<br />
(le programme de<br />
la Bolsa Familial), du<br />
Mexique, de l’Indonésie<br />
et du Vietnam<br />
dans le domaine de<br />
l’aide directe aux<br />
revenus accordée à des familles pauvres sur la<br />
base d’une série de conditions. En Afrique, il y<br />
a eu par exemple des échanges intensifs entre<br />
le Burkina Faso, le Mali, le Niger et le Nigeria<br />
sur le développement de programmes privés<br />
d’irrigation pour cultures de haute valeur.<br />
Une méthode de fi nancement<br />
novatrice pour plus d’effi cacité,<br />
et plus de responsabilités belges<br />
Le soutien de la Belgique au WBI s’accompagne<br />
d’une nouvelle approche dictée par la<br />
prise en compte du fait que la Banque mondiale,<br />
avec plus de 1.000 fonds spécifi ques,<br />
Jan Matthyssen, Ambassadeur de Belgique à<br />
Washington et Sanjay Pradhan, vice-président de<br />
l’Institut de la Banque mondiale (WBI) ont célébré le<br />
17 mars 2011 la contribution novatrice belge au WBI<br />
d’un montant de 1,7 million d’euros.<br />
complique la recherche d’une plus grande<br />
effi cacité de l’aide. <strong>La</strong> contribution belge<br />
se singularise dès lors parce qu’elle n’est<br />
octroyée qu’à un seul fonds, à savoir le fonds<br />
destiné à l’exécution de l’ensemble de la<br />
stratégie du WBI. Ce type de contribution<br />
permet d’éviter l’éparpillement des moyens<br />
sur les différentes activités de cette stratégie,<br />
contrairement à la contribution d’autres<br />
pays donateurs<br />
dont le versement<br />
s’effectue, selon<br />
leurs propres préférences,<br />
au bénéfi ce<br />
d’un secteur, d’un<br />
pays ou d’une combinaison<br />
des deux.<br />
L’accord avec le WBI<br />
est tellement novateur<br />
qu’il n’a provisoirement<br />
qu’un<br />
statut de projet<br />
pilote. Son succès<br />
définitif dépendra<br />
de la mesure dans<br />
laquelle d’autres<br />
pays donateurs<br />
adhèreront au fonds<br />
et de la mesure dans laquelle la Banque<br />
mondiale pourra adapter ses procédures<br />
internes à une aide plus stratégique.<br />
Avec cet accord, la Belgique a néanmoins<br />
déjà accompli un pas important vers un soutien<br />
plus général à une institution internationale,<br />
ce qui lui permet d’obtenir en retour<br />
plus de responsabilités dans l’approche stratégique<br />
au sein du WBI.<br />
PETER VAN ACKER
LA BELGIQUE<br />
se hausse au 6 e rang des pays donateurs<br />
L’OCDE, l’organisation des pays riches industrialisés, vient de<br />
publier son rapport annuel sur les dépenses d’aide publique au<br />
développement (APD) des membres du Comité d'Aide au Développement<br />
(CAD).<br />
Le document présente des résultats<br />
remarquables, à savoir une APD globale<br />
de 128,7 milliards de dollars<br />
US, ce qui représente une augmentation de<br />
6,5 % par rapport à 2009. Ce niveau record<br />
concerne également l’APD belge qui s’élève<br />
en 2010 à environ 2,3 milliards d’euros (*),<br />
soit 0,64 % du PIB. Il s’agit d’une croissance de<br />
plus de 19 %, ce qui est largement supérieur à<br />
la moyenne de 6,7 % des 15 Etats membres de<br />
l’Union européenne participants. Ce résultat<br />
permet à la Belgique de se classer au 6 e rang<br />
des pays donateurs membres de l’OCDE.<br />
Ceci dit, la Belgique n’atteint pas encore<br />
le cap qu’elle s’était fi xé en 2005, à savoir,<br />
consacrer 0,7 % de son PIB à l’APD. Dans<br />
ce but, et malgré la situation économique et<br />
politique diffi cile de notre pays (en “affaires<br />
courantes”), les engagements de la Coopération<br />
belge envers ses partenaires continueront<br />
d’être maintenus en 2011.<br />
Plus d’informations :<br />
http://webnet.oecd.org/oda2010/<br />
* Ce montant est une première estimation, certaines données des<br />
différentes entités belges participantes n’ayant pas encore été<br />
référencées par l’OCDE pour l’année 2010.<br />
Norway<br />
Luxembourg<br />
Sweden<br />
Denmark<br />
Netherlands<br />
Belgium<br />
United Kingdom<br />
France<br />
Spain<br />
Germany<br />
Canada<br />
BELGIQUE<br />
Australia<br />
United States<br />
2,3 milliards<br />
d'euros en 2010<br />
0 0,2 0,4 0,6 0,8 1 1,2<br />
Aide publique au développement des pays donateurs de l'OCDE (chiffres relatifs au PIB).<br />
Erratum<br />
Deux D erreurs se sont glissées dans les pages du dernier <strong>Dimension</strong> 3 :<br />
• À la page 13, la photo en illustration n’est pas l'installation en hommages aux victimes<br />
du d génocide dans le patio central du Mémorial de l'Holocauste à Kigali, mais le monument<br />
m en hommage aux 10 para-commandos belges assassinés par les Interahamwe et<br />
troupes t rwandaises le 7 avril 1994.<br />
• À la page 21, la carte représente erronément l’Autriche comme l’un des “nouveaux<br />
membres”, alors qu’elle a rejoint l’UE en 1995. Malte est présentée comme un<br />
“ancien membre”, alors qu’elle a rejoint l’UE avec les 9 autres états en 2004.<br />
L’économie<br />
verte<br />
dans le combat mondial<br />
contre la pauvreté<br />
Un investissement annuel de 2 % des<br />
revenus mondiaux – 1,3 trillion de dollars<br />
US – dans dix secteurs-clefs suffi -<br />
rait à engager notre planète sur la voie<br />
de l’Economie verte à faible émission<br />
de carbone, véritablement durable. Il<br />
constituerait également un catalyseur<br />
dans la lutte contre la pauvreté dans les<br />
pays en développement. <strong>La</strong> croissance<br />
mondiale pourrait même s’y retrouver<br />
à la hausse par rapport à l’“économie<br />
brune” qui affecte l’environnement et<br />
épuise les matières premières. Tel est<br />
le message du Green Economy Report<br />
du Programme des Nations unies pour<br />
l’environnement (PNUE). Le Rapport<br />
fait suite à la Conférence des Nations<br />
unies pour le développement durable<br />
de 2012, 20 ans après Rio.<br />
Les dix secteurs proposés sont :<br />
l’agriculture, la construction, l’approvisionnement<br />
énergétique, la pêche,<br />
l’industrie y compris l’efficience<br />
énergétique, le tourisme, le transport,<br />
la gestion des déchets et l’eau. Les<br />
mesures reposent sur des données<br />
chiffrées précises pour chaque secteur.<br />
Elles concernent entre autres<br />
l’utilisation plus durable de l’eau,<br />
une meilleure gestion des sols, la<br />
protection des forêts et des réserves<br />
marines, la disparition du gaspillage<br />
alimentaire, l’amélioration du recyclage,<br />
l’augmentation des transports<br />
publics, un secteur de la construction<br />
économe en énergie, etc. Avec neuf<br />
milliards de personnes à l’horizon de<br />
2050, la conclusion saute aux yeux :<br />
une Economie verte est possible et<br />
indispensable !<br />
Towards a Green Economy : Pathways<br />
to Sustainable Development and<br />
Poverty Eradication – www.unep.org<br />
dimension 3 I AVRIL-MAI 2011 31
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