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La faim - Dimension 3

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peut le moins !”<br />

En 1986, Peter Piot m’a confi é la direction<br />

d’un projet de recherche sur le VIH/<br />

sida au Kenya. Nous y effectuions 80 à<br />

100 accouchements par jour, avec de<br />

nombreux décès, là, sous nos yeux. <strong>La</strong><br />

première jeune fi lle morte dans mes<br />

bras n’avait même pas seize ans. Un cauchemar<br />

! D’autant plus que cette mort<br />

était parfaitement évitable. Il est tout<br />

simplement inacceptable qu’à chaque<br />

minute une femme meure en tentant de<br />

donner la vie.<br />

L’interdiction d’exercer imposée aux<br />

sages-femmes traditionnelles a été<br />

récemment levée au Malawi, et la profession<br />

semble reprendre. Est-ce là<br />

une bonne évolution ?<br />

Les sages-femmes traditionnelles se<br />

transmettent le métier de mère en fi lle.<br />

Elles sont là pour faciliter la mise en route<br />

de l’accouchement. Elles ont une expertise<br />

de terrain, mais pas de formation. <strong>La</strong><br />

plupart des accouchements se passent<br />

bien, sauf quand il y a un problème.<br />

<strong>La</strong> plus grande diffi culté est due au fait<br />

qu’elles attendent trop longtemps avant<br />

de ‘se décharger’ de la parturiente et<br />

de demander une assistance médicale,<br />

et qu’elles n’ont pas la formation nécessaire<br />

pour faire face à des complications<br />

médicales.<br />

Consciente de cette situation, l’Organisation<br />

mondiale de la Santé (OMS) a décidé<br />

il y a quinze ans de se passer totalement<br />

des sages-femmes traditionnelles. <strong>La</strong> clef<br />

d’un accouchement en toute sécurité,<br />

pensait-on, résidait dans la formation<br />

des sages-femmes. J’adhère entièrement<br />

à cette optique, mais déplore l’approche<br />

catégorique : le siège central à Genève<br />

a montré par là qu’il ne connaissait pas<br />

la situation sur le terrain. Dans les zones<br />

rurales, les familles font souvent appel<br />

aux sages-femmes traditionnelles. Elles<br />

sont de la région, ont de bons contacts<br />

avec les habitants, elles sont respectées<br />

et considérées, elles utilisent des produits<br />

naturels comme des plantes par<br />

exemple. C’est pour cela qu’elles continuent<br />

à être sollicitées.<br />

Il faut leur laisser jouer leur rôle. Pour<br />

peu qu’elles soient bien formées, elles<br />

peuvent être très utiles. C’est ce que l’on<br />

tente de faire au Malawi. 80 % des accouchements<br />

y sont réalisés par des sagesfemmes<br />

traditionnelles.<br />

Qu’est-ce qui, selon vous, a le plus<br />

d’effet sur la réduction du nombre des<br />

décès en couches ?<br />

Bonne question. Sachez qu’il n’y a presque<br />

pas de progrès en la matière. J’y vois trois<br />

raisons. Premièrement, il y a ces nombreuses<br />

femmes qui n’auraient jamais dû<br />

tomber enceintes. <strong>La</strong> politique du “Dites<br />

non” ne suffi t pas. Nous devons éduquer<br />

et sensibiliser la population. Cette première<br />

cause concerne donc surtout les<br />

droits des femmes, leur autonomisation et<br />

le genre.<br />

Il est tout<br />

simplement inacceptable<br />

qu’à chaque minute<br />

une femme meure en<br />

tentant de donner la vie.<br />

Deuxièmement, tous ceux qui le souhaitent<br />

doivent pouvoir disposer de<br />

moyens contraceptifs. Cela permettrait<br />

de réduire considérablement le nombre<br />

de grossesses et partant le nombre de<br />

décès en couches. L’accès aux moyens<br />

de contraception qui est aujourd’hui fort<br />

limité, est essentiel. Le discours généraliste<br />

sur la santé et les droits reproductifs<br />

– couvrant l’ensemble des aspects de la<br />

problématique – a quelque peu occulté<br />

ces questions primordiales, qui doivent<br />

être remises en avant.<br />

Troisièmement, il faut optimiser les soins<br />

prénataux et périnataux.<br />

Lors du Sommet du Millénaire à New<br />

York en septembre 2010, la communauté<br />

internationale a promis des<br />

moyens supplémentaires afi n de lutter<br />

contre la mortalité infantile et maternelle.<br />

Vous-même étiez présente. Que<br />

peut-on en attendre ?<br />

<strong>La</strong> volonté politique est cruciale, New<br />

York en est la preuve. C’est déjà quelque<br />

chose. Ces belles paroles doivent néanmoins<br />

être concrétisées. <strong>La</strong> Commission<br />

SANTÉ MATERNELLE<br />

européenne a promis quelque 800 millions<br />

d’euros, mais il reste de nombreuses<br />

questions. Qui va débourser<br />

cette somme ? Et où ? L’aide parviendra-telle<br />

sous forme d’appui budgétaire, d’un<br />

programme distinct ou via le Fonds Mondial<br />

de lutte contre le SIDA, la tuberculose<br />

et le paludisme ? Via les ONG ? L’OMS ?<br />

En collaboration avec les ministères<br />

locaux ? Seront-ils capables de gérer des<br />

sommes d'argent si importantes ?<br />

Sur quoi devons-nous nous concentrer ?<br />

Les moyens étant limités, il conviendrait<br />

selon moi de se concentrer sur deux<br />

objectifs : la distribution de moyens<br />

contraceptifs et la prise en charge du<br />

problème des hémorragies, qui sont la<br />

première cause des décès en couches.<br />

Une mauvaise alimentation associée<br />

à des maladies entraîne des carences<br />

en fer chez beaucoup de femmes. En<br />

Afrique, la femme mange souvent après<br />

tous les autres membres de la famille,<br />

et n’a donc pas toujours sa ration. Elle<br />

n’accumule dès lors pas de grandes<br />

réserves. En l’absence de moyens permettant<br />

d’endiguer l’hémorragie, elle<br />

perdra très vite tout son sang. Si environ<br />

80 % des femmes en Afrique se rendent<br />

à la consultation prénatale, à peine 15 %<br />

accouchent à l’hôpital. Les soins prénataux<br />

doivent donc servir à ce que les<br />

femmes entament leur grossesse en<br />

étant plus fortes, grâce à une bonne alimentation<br />

et à des apports en fer.<br />

<strong>La</strong> Belgique se retire du secteur des<br />

soins de santé en RD Congo…<br />

Autrefois, la Belgique y était le principal<br />

acteur en soins de santé. Elle décide<br />

pourtant aujourd’hui de mettre fi n à ses<br />

programmes de santé en RD Congo. Je<br />

ne m’explique pas cette politique, car<br />

notre pays y avait gagné une grande<br />

respectabilité. Si la Belgique se retire,<br />

il faudra bien que quelqu’un prenne la<br />

relève… Après de belles paroles sur la<br />

coordination des donateurs, qui va nous<br />

relayer en RD Congo ? Je ne vois toujours<br />

personne.<br />

THOMAS HIERGENS<br />

dimension 3 I AVRIL-MAI 2011 11

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