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A Frédéric Dard.<br />

Je crois en Dieu mais je ne crois pas à ceux qui croient en Dieu.<br />

2<br />

Nicolas Hossein.


NOTE DE L’AUTEUR<br />

Les événements relatés dans ce <strong>roman</strong> ne sont que pure<br />

fiction. Certains lieux décrits existent, mais <strong>le</strong>ur description<br />

pour quelques-uns d’entre eux, ainsi que <strong>le</strong>s procédures<br />

policières ou juridiques sont purement <strong>le</strong> fruit de mon<br />

imagination. Les protagonistes présents dans cette histoire<br />

ne font <strong>au</strong>cunement référence à des personnes existantes ou<br />

ayant existé. Toutes similitudes avec des personnes ou faits<br />

réels ne seraient que fortuites et involontaires de ma part.<br />

La seu<strong>le</strong> référence à la réalité se trouve dans l’explication<br />

de la datation <strong>au</strong> carbone 14, qui m’a été donnée par<br />

monsieur Jacques Evin, ingénieur de recherche <strong>au</strong> CNRS,<br />

directeur du centre de datation par <strong>le</strong> radiocarbone de<br />

l’université de Lyon. Je tiens à <strong>le</strong> remercier <strong>au</strong> passage de<br />

sa précieuse collaboration.<br />

3


PROLOGUE<br />

Un mélange de sang et de sueur coulait <strong>le</strong>ntement <strong>le</strong> long<br />

de son front. Les b<strong>le</strong>ssures infligées par <strong>le</strong>s épines qui<br />

pénétraient insidieusement dans la pe<strong>au</strong> de son crâne<br />

devenaient de plus en plus insupportab<strong>le</strong>s, comme des<br />

milliers d’aiguil<strong>le</strong>s qui cherchaient à transpercer sa tête<br />

pour al<strong>le</strong>r perforer son cerve<strong>au</strong>.<br />

Au début, la dou<strong>le</strong>ur provoquée par la couronne d’épines<br />

se faisait be<strong>au</strong>coup moins sentir que cel<strong>le</strong> des clous<br />

déchirant peu à peu <strong>le</strong>s chairs de ses mains et de ses pieds.<br />

Son corps s’affaissait un peu moins <strong>le</strong> long de la croix et à<br />

présent, c’était surtout ses bras écartelés qui étaient<br />

douloureux, provoquant cette sensation d’étouffement qui<br />

l’empêchait peu à peu de respirer, et cette couronne<br />

d’épines. De plus en plus lourde sur sa tête retombant sur<br />

son ép<strong>au</strong><strong>le</strong>.<br />

Il attendait avec une sorte de sereine impatience de<br />

devenir inconscient pour ne plus sentir la dou<strong>le</strong>ur. Il<br />

souffrait pour tous ceux qui avaient pêché, et il sentait<br />

physiquement <strong>le</strong> poids de cette souffrance qui lui écrasait la<br />

tête.<br />

Cette couronne, symbo<strong>le</strong> ironique de sa roy<strong>au</strong>té.<br />

4


Roi des juifs, Roi des hommes, Roi du monde qui l’avait<br />

tué. Etrange trône que <strong>le</strong> sien. Fils de Dieu, envoyé sur terre<br />

pour porter son message d’amour et de paix. Il fallait<br />

vraiment avoir la Foi. Avoir la Foi en Dieu, et surtout la Foi<br />

en <strong>le</strong>s hommes.<br />

Cela n’avait-il pas été une bêtise que de croire que tous<br />

<strong>le</strong>s hommes puissent être bons, s’entendre et être unis ?<br />

L’être qui avait été créé par Dieu n’était-il pas en fait <strong>le</strong><br />

fruit pourri d’un savant fou ? Non, la Foi <strong>le</strong> prouvait et s’il<br />

n’y en avait qu’un seul de bon, cela prouvait la vérité et<br />

cela valait la peine d’essayer. L’homme était peut-être<br />

encore un fruit trop vert pour être bon.<br />

Peut-être fallait-il encore attendre…<br />

- Père, pardonne <strong>le</strong>ur, car ils ne savent pas ce qu’ils font.<br />

Oui, peut-être fallait-il pardonner comme on pardonne à<br />

un jeune enfant qui fait une bêtise, car lui non plus ne sait<br />

pas ce qu’il fait. Il n’a pas encore cette sensibilité qui lui<br />

permet de savoir où est <strong>le</strong> mal et où est <strong>le</strong> bien, mais plus<br />

tard, il grandira, et il s<strong>au</strong>ra. La vérité.<br />

En attendant, il respirait de moins en moins bien et sa<br />

vue commençait à s’embrumer. Sa b<strong>le</strong>ssure <strong>au</strong> flanc avait<br />

cessé de saigner, il ne sentait plus la dou<strong>le</strong>ur. Juste cette<br />

impression d’étouffement, d’être très lourd, il lui semblait<br />

que son poids avait été multiplié par dix et il n’arrivait plus<br />

à se supporter.<br />

Lentement, ses yeux se refermèrent, et la nuit tomba<br />

définitivement.<br />

* * *<br />

5


CHAPITRE I<br />

Les lumières multicolores de Broadway illuminaient la<br />

nuit new-yorkaise comme si toutes <strong>le</strong>s étoi<strong>le</strong>s de la voie<br />

lactée s’étaient données rendez-vous <strong>au</strong>-dessus de la<br />

« Grosse Pomme ». Il ne restait que quelques centaines de<br />

minutes avant <strong>le</strong> fatidique passage à l’an 2000.<br />

Une fou<strong>le</strong> psychédélique envahissait déjà <strong>le</strong>s rues en<br />

chantant la fin d’un sièc<strong>le</strong> dont on ne savait si <strong>le</strong> bilan<br />

pouvait être positif ou négatif. Cent années venaient de<br />

passer à une vitesse proche de cel<strong>le</strong> de la lumière, qui<br />

avaient mené l’humanité mil<strong>le</strong> fois plus loin que ce qu’el<strong>le</strong><br />

n’avait été depuis que l’homme s’était mis à penser.<br />

Jérémie Cohen venait de quitter son hôtel et avait décidé<br />

de fêter dignement l’évènement en cherchant à se joindre à<br />

l’explosion de joie qui ravageait <strong>le</strong>s grandes artères newyorkaises.<br />

Toutes <strong>le</strong>s rues, avenues, places, <strong>le</strong>s clubs, <strong>le</strong>s<br />

rest<strong>au</strong>rants et <strong>le</strong>s bars n’étaient plus qu’un immense champ<br />

de foire où <strong>le</strong>s gens buvaient, criaient sans pouvoir arriver à<br />

couvrir la musique à tue-tête qui recouvrait New York d’un<br />

voi<strong>le</strong> bourdonnant, en ce 31 décembre 1999, à 21h30.<br />

* * *<br />

6


Il pencha doucement la tête pour tenter de regarder ce<br />

qu’il se passait en bas mais ne vit rien. Si ce n’est qu’Il<br />

percevait un peu mieux <strong>le</strong> brouhaha indiquant qu’il y avait<br />

une certaine animation <strong>au</strong>x étages inférieurs.<br />

Il regarda <strong>le</strong>s gens en face de Lui, ils étaient calmes et<br />

sereins comme ils se devaient d’être en ce « conseil<br />

d’administration » peu commun.<br />

- Quelqu’un pourrait-il me dire ce qu’il se passe en<br />

dessous ? Il me semb<strong>le</strong> qu’il y a un vacarme peu inhabituel<br />

en bas, ce soir.<br />

- C’est l’an 2000 ce soir, Monseigneur.<br />

- Ah oui, c’est vrai, je l’avais oublié.<br />

* * *<br />

Un immense écran géant placé sur un building égrenait<br />

<strong>le</strong>s minutes et <strong>le</strong>s secondes qui séparaient <strong>le</strong>s hommes de<br />

l’an 2000. Plus qu’une heure, treize minutes et quarantesept<br />

secondes avant <strong>le</strong> douzième coup de minuit. Une<br />

bonne partie du monde était déjà à l’année prochaine et<br />

fêtait l’évènement dans une liesse inégalée, regroupant<br />

pour un soir indistinctement, toutes <strong>le</strong>s couches socia<strong>le</strong>s,<br />

toutes <strong>le</strong>s races, religions et idéologies. Ce soir, tout <strong>le</strong><br />

monde fêtait unanimement <strong>le</strong> nouvel an tant attendu.<br />

Unanimement. Pour un soir.<br />

Jérémie Cohen se demandait à quoi tout cela pouvait<br />

bien servir, qu’est-ce que ça allait changer. Demain matin,<br />

1 er janvier 2000, la moitié de la planète <strong>au</strong>rait encore faim<br />

et l’<strong>au</strong>tre moitié continuerait à se battre pour <strong>le</strong> pouvoir,<br />

pour l’argent, pour une place de parking, ou même pour<br />

rien. Mais l’occasion qui se présentait de s’amuser ne<br />

pouvait pas être loupée. Le monde entier avait quelque<br />

chose à oublier.<br />

7


Depuis longtemps, seul avec lui-même, il n’avait plus<br />

l’occasion de fêter quelque événement que ce soit. Sa vie<br />

n’était plus que pensée et réf<strong>le</strong>xion, sur lui, sur tout, sur la<br />

raison de l’existence de l’humanité, et surtout pourquoi el<strong>le</strong><br />

existait encore. Comment ne s’était-el<strong>le</strong> pas suicidée, ou<br />

pourquoi n’avait-el<strong>le</strong> pas encore été supprimée. Les<br />

dinos<strong>au</strong>res avaient existé et avaient disparu, partant du<br />

principe simp<strong>le</strong> que rien n’est immortel, l’humanité devait<br />

donc un jour disparaître. Alors quel<strong>le</strong> avait été l’utilité des<br />

dinos<strong>au</strong>res, et quel<strong>le</strong> est <strong>au</strong>jourd’hui l’utilité de l’homme ?<br />

Jérémie avait de plus en plus de difficultés à se déplacer<br />

sur <strong>le</strong>s trottoirs envahis de monde, <strong>le</strong>s gens étaient serrés<br />

comme dans une espèce d’orgie d’où se dégageaient toutes<br />

<strong>le</strong>s effluves. Ici un parfum capiteux, là, une forte odeur de<br />

rance. Il <strong>au</strong>rait pu se frayer un chemin <strong>le</strong>s yeux fermés en<br />

reconnaissant faci<strong>le</strong>ment la classe socia<strong>le</strong> des personnes qui<br />

l’entouraient, comme si l’odeur définissait la position de<br />

chaque homme sur l’échel<strong>le</strong> socia<strong>le</strong>. Le prix d’un parfum<br />

ou la densité d’une odeur pouvait-il être un critère humain<br />

de réussite ? Il semb<strong>le</strong> que oui, mais quand la nuit serait<br />

finie, tout <strong>le</strong> monde sentirait cette même odeur acide de<br />

sueur, qui caractérise l’être humain par rapport <strong>au</strong>x <strong>au</strong>tres<br />

espèces terrestres.<br />

A la fin de la nuit, tout <strong>le</strong> monde serait égal à tout <strong>le</strong><br />

monde.<br />

Il croisait des regards qui, malgré la diversité des gens<br />

évoluant <strong>au</strong>tour de lui, avaient tous un point commun, la<br />

joie certes, d’être présent pour ce moment unique, mais<br />

<strong>au</strong>ssi une certaine peur sous-jacente du <strong>le</strong>ndemain face à ce<br />

second changement de millénaire depuis que l’homme <strong>le</strong>s<br />

comptait. Comme si tout ce qui s’était passé <strong>au</strong>paravant<br />

n’avait pas d’importance.<br />

Déjà <strong>le</strong> passage à l’an mil avait engendré de multip<strong>le</strong>s<br />

angoisses col<strong>le</strong>ctives, menaces de catastrophes,<br />

d’épidémies, de fin du monde et de jugement dernier. Mais<br />

la fin du monde n’avait-el<strong>le</strong> pas commencé à la seconde<br />

8


même ou celui-ci avait démarré ? La naissance est <strong>le</strong><br />

premier pas vers la mort, inéluctab<strong>le</strong> pour tout être vivant,<br />

<strong>le</strong> monde étant fait d’être vivants, la mort prochaine du<br />

monde était donc irréversib<strong>le</strong>, voire indispensab<strong>le</strong> de la<br />

même manière que la mort d’un être humain, d’un végétal<br />

ou d’un animal est nécessaire pour assurer l’équilibre<br />

fondamental imposé par la vie sur terre. L’éternité n’est<br />

bonne que pour <strong>le</strong>s pierres.<br />

Ce nouve<strong>au</strong> passage effrayait donc, selon la logique du<br />

raisonnement humain, mais d’une façon plus cachée, moins<br />

expansive qu’il y a mil<strong>le</strong> ans. Notre prise de conscience<br />

col<strong>le</strong>ctive, l’apparition de nouvel<strong>le</strong>s croyances plus<br />

scientifiques et <strong>le</strong> rabaissement de la foi à quelque chose de<br />

plus traditionnel cachant <strong>le</strong> fond de notre pensée. Mais la<br />

peur est bien là, C’est peut-être ce qui justifie que l’on fête<br />

à chaque fois ce mini évènement qu’est <strong>le</strong> passage d’une<br />

année à l’<strong>au</strong>tre, pour faire face plus faci<strong>le</strong>ment à un avenir<br />

inconnu.<br />

Jérémie Cohen ressentait lui <strong>au</strong>ssi cette espèce<br />

d’angoisse <strong>au</strong> fond de lui, mais il en était conscient et<br />

l’acceptait, c’est pourquoi il se retrouvait ce soir <strong>au</strong> milieu<br />

de cette fou<strong>le</strong>. L’homme a moins peur lorsqu’il est en<br />

groupe. Il se sent plus fort. Il rentra diffici<strong>le</strong>ment dans cette<br />

nouvel<strong>le</strong> boite de nuit à la mode de Broadway, <strong>le</strong> Century,<br />

sorte de temp<strong>le</strong> dédié à la fête, à la musique et <strong>au</strong> millénaire<br />

qui vient de passer, ainsi qu’à celui qui va commencer. La<br />

décoration reprenait, comme dans une cathédra<strong>le</strong>, tous <strong>le</strong>s<br />

moments importants des vingt sièc<strong>le</strong>s qui venaient de<br />

s’écou<strong>le</strong>r, de la naissance du Christ jusqu’à une<br />

représentation psychédélique de cette ultime soirée de<br />

1999, considérée el<strong>le</strong> <strong>au</strong>ssi comme un évènement majeur<br />

puisque c’était la plus grande fête jamais réalisée depuis <strong>le</strong>s<br />

1999 dernières années.<br />

Tout y était représenté depuis 2000 ans, <strong>le</strong>s plus grands<br />

évènements de l’humanité comme <strong>le</strong>s pires. La mise en<br />

scène était terrifiante. Chaque fait majeur était constitué<br />

9


d’un tab<strong>le</strong><strong>au</strong> vivant, où chacun des figurants jouait son rô<strong>le</strong><br />

à la perfection. Celui de l’homme. Ce n’était pas de la<br />

comédie. Le dernier tab<strong>le</strong><strong>au</strong> surtout, reflétait cette<br />

immensité : Une mosaïque faite de centaines d’écrans<br />

représentait des endroits différents du monde où l’on fêtait<br />

partout la même chose, mais chacun à sa manière, que ce<br />

soit dans <strong>le</strong>s grandes vil<strong>le</strong>s du monde ou dans <strong>le</strong>s endroits<br />

<strong>le</strong>s plus reculés. Un point commun cependant à tous ces<br />

écrans, l’homme avait une fois de plus prouvé ses capacités<br />

à innover pour des choses qui ne mènent à rien.<br />

Grâce à des relais, un rayon laser faisait <strong>le</strong> tour de la<br />

planète et changeait de cou<strong>le</strong>ur, virant du vert <strong>au</strong> rose <strong>au</strong> fur<br />

et à mesure que la terre rentrait dans l’an 2000. A présent <strong>le</strong><br />

rayon était rose jusqu’à quelques kilomètres de New York.<br />

Le point de référence de l’an 2000 avait été choisi de<br />

manière symbolique. Lorsque <strong>le</strong> rayon laser éclairerait<br />

d’une lumière rose <strong>le</strong>s yeux de la statue de la Liberté, New<br />

York serait en 2000. Cette entrée de sièc<strong>le</strong> se voulait être<br />

une accession à la liberté pour l’homme, de la même façon<br />

que <strong>le</strong>s émigrants arrivant à New York dans <strong>le</strong>s années<br />

vingt ne voyait là que <strong>le</strong> réel commencement de <strong>le</strong>ur<br />

liberté.<br />

Jérémie Cohen se disait qu’il était dommage que<br />

l’homme soit capab<strong>le</strong> d’imaginer <strong>le</strong>s plus bel<strong>le</strong>s choses,<br />

mais qu’il mettait une sorte de point d’honneur à réaliser<br />

<strong>le</strong>s pires. Il fut vivement entraîné par un groupe formant<br />

une farando<strong>le</strong> géante. Sa tête se mit à tourner, ivre de<br />

lumière, de musique, de tous ces gens qui évoluaient <strong>au</strong>tour<br />

de lui.<br />

Il voulut s’arrêter, se sortir de là, mais l’effet produit sur<br />

son esprit agissait comme une drogue, comme si chaque<br />

être présent dans <strong>le</strong> night-club lui transmettait un fluide qui<br />

l’obligeait à rester.<br />

La lumière rose était maintenant visib<strong>le</strong> par tous et<br />

l’écran géant installé à Time Square (choisi pour son<br />

nom ?) n’égrenait plus que des secondes, dix, neuf, huit,<br />

10


sept, six, cinq, quatre, trois, deux, un, la fou<strong>le</strong> amassée sur<br />

<strong>le</strong> grand espace aménagé <strong>au</strong> pied de l’écran était devenue<br />

étrangement si<strong>le</strong>ncieuse, attendant quelque chose<br />

d’inconnu, des millions de personnes à New York<br />

retenaient <strong>le</strong>ur souff<strong>le</strong>, comme si ça allait être <strong>le</strong> dernier.<br />

Les yeux grands ouverts, immobilisés sur <strong>le</strong> « un » qui<br />

s’affichait à l’écran, attendant avec une impatience<br />

angoissée que <strong>le</strong> nombre « 2000 » illumine New York.<br />

* * *<br />

Toutes <strong>le</strong>s lumières s’éteignirent d’un coup; toutes <strong>le</strong>s<br />

musiques cessèrent et un si<strong>le</strong>nce effrayant écrasa<br />

brusquement la vil<strong>le</strong> soudainement plongée dans <strong>le</strong> noir.<br />

Un vrombissement extraordinaire se fit entendre <strong>au</strong> loin,<br />

<strong>au</strong>-dessus de l’Atlantique, et s’approchant peu à peu de la<br />

mégalopo<strong>le</strong>. Il fut très vite <strong>au</strong>-dessus de New York et un<br />

énorme coup de tonnerre doublé d’un immense et unique<br />

éclair fit surs<strong>au</strong>ter toute la population de la vil<strong>le</strong>. Le si<strong>le</strong>nce<br />

revint <strong>au</strong>ssitôt. Un <strong>au</strong>tre grondement, de stupeur cette foisci,<br />

se déplaçait dans la fou<strong>le</strong> qui encombrait <strong>le</strong>s rues. Les<br />

gens se regardaient, ne sachant que faire, s’ils devaient<br />

avoir peur ou pester contre <strong>le</strong>s services d’alimentation en<br />

é<strong>le</strong>ctricité de la vil<strong>le</strong>, qui <strong>le</strong>s avaient frustrés de <strong>le</strong>ur<br />

fatidique seconde à c<strong>au</strong>se d’un coup de tonnerre qui <strong>au</strong>rait<br />

fait s<strong>au</strong>ter tous <strong>le</strong>s trans<strong>format</strong>eurs de la grande cité.<br />

Quand l’é<strong>le</strong>ctricité revint, l’écran géant indiquait 1 er<br />

janvier 2000, minuit, zéro minute, sept secondes.<br />

La frayeur avait fait place à une immense déception<br />

qu’on pouvait lire sur tous <strong>le</strong>s visages. Pourtant, pour un<br />

souvenir, c’était un souvenir. Le fameux « bug » de l’an<br />

2000 n’avait pas tardé à faire par<strong>le</strong>r de lui se dit Jérémie,<br />

quel<strong>le</strong> somptueuse farce de la part de la technologie créée<br />

11


par l’homme, c’était un juste retour des choses, l’homme<br />

jouet de ses propres créations. Peut-être était-ce un signe.<br />

Mais Jérémie avait tout de même un doute, la panne de<br />

courant était faci<strong>le</strong>ment explicab<strong>le</strong>, justement à c<strong>au</strong>se du<br />

célèbre « bug », toute l’alimentation é<strong>le</strong>ctrique de la vil<strong>le</strong><br />

était gérée par des ordinateurs, et ceux-ci, revenus en 1900<br />

à c<strong>au</strong>se du maléfique insecte avaient supprimé l’é<strong>le</strong>ctricité<br />

pendant quelques secondes tout simp<strong>le</strong>ment parce qu’en<br />

1900, New York n’avait pas l’é<strong>le</strong>ctricité, jusqu’à ce qu’un<br />

ingénieur réinitialise <strong>le</strong>s systèmes, mais cela n’expliquait ni<br />

<strong>le</strong> tonnerre, ni <strong>le</strong>s éclairs. Malgré <strong>le</strong> froid de l’hiver, il<br />

faisait be<strong>au</strong>, ce soir.<br />

Jérémie se retrouva devant <strong>le</strong> Century en se demandant<br />

ce qu’il allait faire maintenant. Il se retrouvait seul <strong>au</strong><br />

milieu de la fou<strong>le</strong>, c’était d’ail<strong>le</strong>urs assez représentatif de sa<br />

vie. Il avait toujours été seul. Français d’origine juive, il<br />

n’avait jamais connu ses parents. Sa mère l’avait<br />

abandonné quelques mois après sa naissance, et il était la<br />

seu<strong>le</strong> trace de son père. Il n’en faisait cependant pas un<br />

drame. Grâce à un Père Jésuite, il avait pu éviter<br />

l’assistance publique et ses vingt premières années s’étaient<br />

relativement bien passées dans <strong>le</strong> collège Jésuite où il avait<br />

eu sa carte de pensionnaire à vie. Il avait bien sûr reçu une<br />

éducation stricte, dans tous <strong>le</strong>s sens du terme, <strong>au</strong>ssi bien<br />

dans l’hygiène de vie quotidienne, physique ou spirituel<strong>le</strong>,<br />

mais <strong>au</strong>ssi dans sa manière d’aborder la vie. Les pères<br />

l’avaient bien entendu é<strong>le</strong>vé dans <strong>le</strong> plus pur respect de la<br />

religion, mais lui avaient <strong>au</strong>ssi appris à avoir la plus grande<br />

considération pour l’être humain en tant que personne<br />

individuel<strong>le</strong>, ce qui lui avait permis d’acquérir une certaine<br />

philosophie basée sur l’analyse et la réf<strong>le</strong>xion, mais d’une<br />

façon objective.<br />

Sa personnalité avait fait <strong>le</strong> reste et, pendant quelques<br />

mois, il avait hésité à embrasser une carrière religieuse qui<br />

semblait être une voie toute tracée pour lui. Mais une<br />

avidité de connaissance du monde et des hommes l’avait<br />

12


amené à penser qu’il ne pourrait répondre à son besoin de<br />

savoir en restant cloîtré dans une bibliothèque religieuse.<br />

Il ressentait en lui une nécessité presque physique de se<br />

« gaver d’extérieur ». Il avait donc gardé un certain sens<br />

religieux tout en cherchant à assumer son besoin permanent<br />

d’apprendre et de savoir. Sa grande culture généra<strong>le</strong> lui<br />

avait permis d’entrer très tôt <strong>au</strong> sein d’une grande éco<strong>le</strong> de<br />

journalisme, dirigée d’ail<strong>le</strong>urs par un ancien élève de la<br />

commun<strong>au</strong>té dont il était issu, et <strong>au</strong> fil des années, il avait<br />

lui-même dessiné <strong>le</strong> personnage qu’il était <strong>au</strong>jourd’hui : Un<br />

grand reporter spécialisé dans la recherche historique<br />

théologique, ainsi répondait-il davantage <strong>au</strong>x besoins de sa<br />

doub<strong>le</strong> personnalité. Il faisait mieux connaître Dieu tout en<br />

exultant dans sa soif de connaissances.<br />

De façon plus intime, il se considérait un peu comme<br />

« l’attaché de presse » de Dieu, journaliste, chercheur et<br />

historien.<br />

Cela lui avait d’ail<strong>le</strong>urs permis, grâce à la qualité de ses<br />

écrits et à la pertinence de ses recherches, de devenir un<br />

reporter prisé sur ce genre de sujet. Il faisait maintenant<br />

office de référence et avait par-là même accédé à une vie<br />

matériel<strong>le</strong> relativement aisée, qui lui permettait de voyager<br />

comme bon lui semblait pour effectuer ses recherches,<br />

écrire ses artic<strong>le</strong>s, tout en gardant une tota<strong>le</strong> liberté<br />

d’action. Il proposait ses sujets, on <strong>le</strong>s lui achetait, mais ils<br />

ne lui étaient jamais imposés.<br />

Il travaillait à présent sur un point qui tiraillait son esprit<br />

depuis des années, mais qu’il n’avait jamais voulu aborder<br />

jusque là car il ne se sentait pas suffisamment fort<br />

professionnel<strong>le</strong>ment et spirituel<strong>le</strong>ment, et d’un aspect plus<br />

bassement matériel, il n’en avait pas <strong>le</strong>s moyens, sa<br />

recherche nécessitant be<strong>au</strong>coup de temps et d’argent, car<br />

el<strong>le</strong> allait certainement l’amener à faire un tour du monde,<br />

long et fastidieux, probab<strong>le</strong>ment semé d’embûches car il ne<br />

pouvait pas exprimer clairement ce qu’il cherchait à<br />

découvrir. Il <strong>au</strong>rait été pris pour un fou.<br />

13


Sa première étape l’avait amené à New York, immense<br />

cathédra<strong>le</strong> bâtie à la gloire de l’homme.<br />

* * *<br />

Jérémie décida de quitter Time square et de se rendre sur<br />

la cinquième avenue pour voir un <strong>au</strong>tre aspect du spectac<strong>le</strong>.<br />

De toute façon, il avait <strong>le</strong> temps, il ne pouvait commencer<br />

sa recherche avant <strong>le</strong> lundi 3 janvier 2000. Le 1 er janvier<br />

ayant eu la bonne idée de tomber un samedi.<br />

Il descendit la 43 ème rue pour se rendre sur Fifth avenue<br />

qui n’était séparée de Time square que par deux blocs<br />

seu<strong>le</strong>ment. Il traversa rapidement l’avenue of the Americas<br />

qui el<strong>le</strong> <strong>au</strong>ssi n’était plus qu’une vague humaine se<br />

déplaçant <strong>au</strong> rythme des musiques endiablées. Arrivé sur la<br />

Fifth avenue, il hésita sur sa direction entre al<strong>le</strong>r à g<strong>au</strong>che<br />

vers Rockefel<strong>le</strong>r Center ou à droite pour redescendre<br />

l’avenue jusqu’à Madison square, point de jonction entre<br />

Broadway et Fifth avenue, où l’activité devait là <strong>au</strong>ssi être<br />

à son comb<strong>le</strong>. Il décida de prendre à droite, il y avait <strong>au</strong>tant<br />

de monde sur la grande avenue qu’il devait y en avoir <strong>le</strong><br />

jour où <strong>le</strong>s astron<strong>au</strong>tes de la mission Apollo avaient défilé<br />

<strong>au</strong> retour de <strong>le</strong>ur petite balade lunaire.<br />

Il fit quelques pas et se trouva face à face avec un<br />

majestueux lion de pierre qui montait la garde sur <strong>le</strong> grand<br />

escalier de la Public Library. Le hasard l’avait mené<br />

machina<strong>le</strong>ment vers ce temp<strong>le</strong> du savoir, de l’histoire et de<br />

la connaissance humaine. En fait, était-ce vraiment un<br />

hasard ? Son voyage à New York avait pour objet cette<br />

cathédra<strong>le</strong> de l’histoire. Son subconscient l’avait amené là,<br />

et il se sentait un peu frustré de ne pouvoir y accéder. Des<br />

14


centaines de gens s’étaient assis sur <strong>le</strong>s escaliers pour s’y<br />

reposer en regardant <strong>le</strong> monde se déplacer à <strong>le</strong>urs pieds.<br />

Jérémie remarqua un fait amusant <strong>au</strong> milieu de cette<br />

fou<strong>le</strong> en mouvement, un homme seul, assis sur un banc,<br />

dormait en ignorant <strong>le</strong> raz de marée humain qui dévalait<br />

devant lui, tel une coulée de lave incandescente recouvrant<br />

sur son passage <strong>le</strong>s rues de Manhattan.<br />

Jérémie s’approcha de l’inconnu qui malgré <strong>le</strong> vacarme<br />

environnant, semblait dormir à poings fermés. Il se dit qu’il<br />

ne dormait peut-être pas et qu’il avait pu avoir un malaise<br />

dû à l’ivresse provoquée par <strong>le</strong>s bruits et <strong>le</strong>s mouvements<br />

de la fou<strong>le</strong>. Il lui posa la main sur l’ép<strong>au</strong><strong>le</strong> et <strong>le</strong> secoua<br />

légèrement :<br />

- Monsieur, vous al<strong>le</strong>z bien ? monsieur…<br />

L’homme lui paraissait relativement âgé, dépassant<br />

apparemment la soixantaine, sa tête, coiffée d’un vieux<br />

feutre élimé, penchait sur sa poitrine, <strong>le</strong>s mains croisées sur<br />

son ventre, lui donnant une attitude sereine, comme <strong>le</strong>s<br />

croquis représentant <strong>le</strong>s Mexicains faisant une sieste <strong>au</strong><br />

so<strong>le</strong>il après un bon repas. Malgré <strong>le</strong>s différentes tentatives<br />

de Jérémie, l’homme ne bougeait toujours pas, cependant,<br />

l’inquiétude de Jérémie s’éloigna en sentant que la<br />

respiration du vieux était régulière, peut-être avait-il un peu<br />

trop bu se dit-il, et décida de passer son chemin. Il se<br />

retourna pour regarder l’avenue et choisit de rentrer à son<br />

hôtel.<br />

- je vous attendais.<br />

Jérémie se retourna pour voir d’où venait la voix, <strong>le</strong><br />

vieux semblait toujours dormir dans la même position.<br />

- C’est bien à vous que je par<strong>le</strong> », fit <strong>le</strong> chape<strong>au</strong> du<br />

dormeur, <strong>le</strong> vieux sou<strong>le</strong>va son couvre-chef et regarda<br />

Jérémie.<br />

- Oui, je vous attendais, reprit-il, vous en avez mis du<br />

temps, je commençais vraiment à désespérer.<br />

- Vous m’attendiez ? Mais qui êtes vous ? Et d’où me<br />

connaissez-vous ?<br />

15


L’homme lui sourit, <strong>le</strong> regarda profondément dans <strong>le</strong>s<br />

yeux, comme s’il cherchait à lire dans ses pensées.<br />

- Vous venez d’assez bien résumer la situation. Je<br />

m’appel<strong>le</strong> Gaby Goldman et je suis là pour vous aider. Je<br />

savais que vous viendriez. Pour tout vous dire, je ne sais<br />

pas grand-chose de vous, ni même comment vous vous<br />

appe<strong>le</strong>z, par contre, je sais ce que vous cherchez, même si<br />

vous ne <strong>le</strong> savez pas encore vraiment. Je suis venu vous<br />

mettre sur la voie. Peu importent <strong>le</strong>s circonstances qui vous<br />

ont fait venir ici, l’essentiel est que vous y soyez arrivé. Le<br />

hasard n’existe pas, la preuve, c’est que je vous attendais et<br />

que vous ne <strong>le</strong> saviez pas. La vie n’est qu’une accumulation<br />

de moments comme celui-ci. On réalise des choses, dont<br />

<strong>le</strong>s actes semb<strong>le</strong>nt infimes, mais, comme des pierres que<br />

l’on entasse, ils contribuent à construire une pyramide que<br />

l’on ne peut jamais redescendre. La vie est ainsi, <strong>au</strong> départ<br />

vous ramassez vos pierres sur <strong>le</strong> sol, sur ce qui est ferme et<br />

existant, et <strong>au</strong> fur et à mesure que vous avancez dans<br />

l’existence, vous créez vos propres pierres. C’est votre<br />

personnalité qui vous aide à construire cette pyramide. Le<br />

problème est peut-être que <strong>le</strong>s hommes cherchent toujours à<br />

repousser la pointe de la pyramide, sans penser qu’ils ne<br />

peuvent pas en élargir <strong>le</strong>s bases. Je suis là pour élargir vos<br />

bases.<br />

- Mais comment saviez-vous que j’allais venir ?<br />

Comment saviez-vous <strong>au</strong>ssi, il y a quelques minutes, quand<br />

je vous ai réveillé, que c’était moi, et d’ail<strong>le</strong>urs, comment<br />

savez vous que c’est moi ?<br />

- Vous ne m’avez pas écouté, vous cherchez déjà à<br />

atteindre <strong>le</strong> bout de la pyramide alors que vous venez à<br />

peine de commencer à créer vos bases, puisque vous n’êtes<br />

arrivé ici qu’<strong>au</strong>jourd’hui. Vous avez en main <strong>le</strong>s outils, il<br />

vous f<strong>au</strong>t à présent <strong>le</strong>s plans, même si d’habitude cela<br />

fonctionne de la manière inverse. Mais comme on dit, il<br />

f<strong>au</strong>t des exceptions pour confirmer <strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s, il est vrai<br />

<strong>au</strong>ssi que votre tâche sort un peu de la normalité des<br />

16


choses. Il va vous falloir accepter certaines nouve<strong>au</strong>tés<br />

<strong>au</strong>xquel<strong>le</strong>s vous ne vous attendiez pas, même si votre esprit<br />

est suffisamment ouvert, vous n’êtes pas <strong>au</strong> bout de votre<br />

étonnement. Mais cela est bien, un homme qui s’étonne<br />

n’est pas blasé. Je peux tout de même répondre à la<br />

dernière partie de votre question. Je savais que c’était vous<br />

car je connais <strong>le</strong> monde et je connais <strong>le</strong>s hommes. Qui,<br />

dans la plus grande fête de tous <strong>le</strong>s temps, à une époque ou<br />

<strong>le</strong> monde entier se moque tota<strong>le</strong>ment de son prochain,<br />

dites-moi qui <strong>au</strong>rait pu s’inquiéter d’un vieil homme qui<br />

dort sur un banc ?<br />

- Honnêtement, je ne sais pas qui, répondit Jérémie, ni<br />

pourquoi, cela dit, vous avez peut-être une vision du monde<br />

et des hommes un peu trop sévère, tous <strong>le</strong>s hommes ne sont<br />

pas foncièrement m<strong>au</strong>vais, ni foncièrement bons d’ail<strong>le</strong>urs,<br />

et <strong>le</strong> fait que je vous aie abordé n’est pas forcément une<br />

preuve d’exception à la règ<strong>le</strong>. Par conséquent, vous ne<br />

pouvez pas être sûr que c’est moi que vous attendiez.<br />

- Ecoutez mon jeune ami, pour <strong>le</strong> moment, mettons cela<br />

sur <strong>le</strong> compte de l’intuition, et nous en repar<strong>le</strong>rons un peu<br />

plus tard lorsque nous nous reverrons.<br />

- Parce que nous allons nous revoir ? Et pourquoi nous<br />

reverrions-nous ?<br />

-Je ne pensais pas que vous seriez <strong>au</strong>ssi impulsif. Tenez,<br />

je vais vous donner votre première base: Jamais plus d’une<br />

question à la fois. Nous allons donc nous revoir, ici même,<br />

lundi matin, vers dix heures. J’ai quelque chose à vous<br />

montrer. Quant <strong>au</strong> pourquoi, vous ne tarderez pas à <strong>le</strong><br />

découvrir par vous-même.<br />

- Vous m’avez dit que j’étais venu chercher quelque<br />

chose, qu’est-ce c’est ? .<br />

- Tout homme a une quête sur cette terre, certains savent<br />

ce qu’el<strong>le</strong> est, et ils traversent la vie avec un objectif<br />

permanent et finissent par aboutir, d’<strong>au</strong>tres ne la<br />

connaissent pas et passent <strong>le</strong>ur temps à errer <strong>au</strong> milieu des<br />

<strong>au</strong>tres hommes, ne sachant que faire de <strong>le</strong>ur existence. La<br />

17


vôtre est un peu particulière, et <strong>le</strong> premier objet de votre<br />

mission, c’est de trouver quel<strong>le</strong> est votre quête. Et comme<br />

tous <strong>le</strong>s hommes, vous pouvez <strong>au</strong>ssi bien la découvrir ou<br />

passer à côté, il a donc été décidé de vous aider, mais juste<br />

ce qu’il f<strong>au</strong>t, pour vous mettre sur la voie. Comme je vous<br />

l’ai dit, je suis là pour ça. Mais honnêtement, je crois que<br />

n’importe comment, vous <strong>au</strong>riez trouvé. Je vais simp<strong>le</strong>ment<br />

vous permettre de gagner du temps, car ça, vous al<strong>le</strong>z en<br />

avoir besoin.<br />

- Dites-moi, qu’est-ce que je vais trouver ?<br />

- Reposez-vous. Reposez votre esprit. Vous <strong>le</strong> s<strong>au</strong>rez<br />

bien assez tôt, et quand <strong>le</strong> moment sera venu, il vous f<strong>au</strong>dra<br />

être assez fort pour comprendre et surtout pour accepter. A<br />

lundi. Au fait, comment vous appe<strong>le</strong>z-vous ?<br />

- Jérémie Cohen.<br />

-Cela ne m’étonne pas.<br />

* * *<br />

18


CHAPITRE II<br />

L’esprit de Jérémie était en ébullition. La rencontre avec<br />

Gaby Goldman avait bien sûr quelque chose de mystérieux,<br />

mais <strong>au</strong> fond de lui, il n’était étonné qu’à moitié ; car<br />

malgré l’aspect brutal de cet entretien, il prenait conscience<br />

que cela cadrait tout à fait avec ce qu’il était venu chercher<br />

à New York. Il était donc satisfait de cette conversation<br />

avec son étrange interlocuteur, car il entérinait ses<br />

motivations. Cela n’était pas sûr, mais cette entrevue lui<br />

prouvait qu’il n’était pas fou et qu’il fallait continuer sa<br />

recherche.<br />

Il prit <strong>le</strong> chemin de son hôtel, vers la vingt-huitième rue.<br />

Il était tard et voulait dormir. Jusqu’à lundi, si possib<strong>le</strong>,<br />

pour ne pas subir son impatience.<br />

1 er janvier 2000<br />

* * *<br />

Jérémie se réveilla tard en ce matin du 1 er janvier 2000,<br />

il n’avait pas programmé <strong>le</strong> réveil <strong>au</strong>tomatique de l’hôtel,<br />

n’ayant rien de particulier à faire <strong>au</strong>jourd’hui. Il était plus<br />

19


de onze heures et il décida d’al<strong>le</strong>r prendre un café dehors<br />

plutôt que de rester à l’hôtel. Il se passa la tête sous l’e<strong>au</strong><br />

froide et s’habilla rapidement sans prendre garde à ce qu’il<br />

allait porter. Les vêtements n’ayant pour lui qu’un intérêt<br />

fonctionnel, il s’habillait léger l’été et ch<strong>au</strong>dement l’hiver,<br />

l’aspect vestimentaire ne lui importait pas. La seu<strong>le</strong> fois de<br />

sa vie ou il avait fait attention à ce qu’il allait mettre, c’était<br />

pour la présentation de sa thèse en théologie, ses<br />

professeurs lui ayant conseillé de se rendre face <strong>au</strong> jury<br />

habillé d’une façon présentab<strong>le</strong>. Il avait donc pour<br />

l’occasion acheté une veste et une cravate mais n’avait<br />

surtout pas jugé nécessaire d’investir dans une paire de<br />

ch<strong>au</strong>ssures. Il s’était par conséquent rendu à l’examen en<br />

tennis de toi<strong>le</strong>, avec un blazer neuf. L’effet avait été des<br />

plus saisissants, et bien que <strong>le</strong> jury eut été composé par des<br />

membres on ne peut plus sérieux, un léger sourire avait<br />

parcouru <strong>le</strong> visage des personnes présentes en voyant<br />

arriver ce thésard, sûr de lui, allant aborder un thème grave,<br />

mais en tennis j<strong>au</strong>nes.<br />

Jérémie sortit de sa chambre et se dirigea vers<br />

l’ascenseur. Il fit un signe à une femme de ménage qui<br />

avait un air grognon. Peut-être n’avait-el<strong>le</strong> pas apprécié<br />

qu’il libère sa chambre à onze heures et demie, car à peine<br />

la porte de l’ascenseur refermée, el<strong>le</strong> s’y rendit d’un pas<br />

rapide avec son chariot d’entretien. On n’avait pas idée de<br />

se <strong>le</strong>ver à une heure pareil<strong>le</strong>.<br />

Les deux battants de l’ascenseur s’ouvrirent sur un hall<br />

encombré. Le Prince Georges hôtel regorgeait de touristes<br />

du monde entier qui étaient venus passer ce nouvel an 2000<br />

à New York. Jérémie remit sa clé à la réception et sortit de<br />

l’hôtel. Il y avait toujours <strong>au</strong>tant de monde dans la rue et<br />

une immense parade déambulait sur la cinquième avenue,<br />

composée de centaines de chars qui représentaient eux<strong>au</strong>ssi<br />

<strong>le</strong>s évènements princip<strong>au</strong>x du XXeme sièc<strong>le</strong>.<br />

Jérémie se fraya rapidement un chemin vers un fast-food<br />

distant de quelques mètres de l’hôtel. Il y avait peu de<br />

20


monde à l’intérieur. Le spectac<strong>le</strong> était pour l’instant dehors.<br />

Il s’assit prés d’une baie vitrée donnant sur la rue. Une<br />

serveuse en mini-jupe à rayures rouges et blanches vint<br />

immédiatement prendre sa commande. Café noir et donuts,<br />

qu’il reçut moins de deux minutes plus tard sur sa tab<strong>le</strong>. Le<br />

service était vraiment rapide. New York ne dérogeait pas à<br />

la règ<strong>le</strong> de la vitesse. Les new yorkais ne vivaient que grâce<br />

à deux choses : La montre et <strong>le</strong> téléphone portab<strong>le</strong>. Le<br />

temps avait pris une <strong>au</strong>tre signification. On ne prenait plus<br />

<strong>le</strong> temps de vivre, on <strong>le</strong> gagnait, comme on gagne une<br />

course.<br />

Jérémie regarda son café, <strong>le</strong> porta à ses lèvres, il était<br />

trop ch<strong>au</strong>d et souffla dessus pour <strong>le</strong> faire tiédir. Il avala<br />

rapidement son beignet en attendant, et se remit à penser à<br />

sa rencontre avec Gaby Goldman. Qui était ce type ? Il ne<br />

l’avait jamais vu et pourtant l’<strong>au</strong>tre semblait quand même<br />

connaître pas mal de choses <strong>le</strong> concernant. Surtout sur<br />

l’objet fondamental de sa recherche, dont il n’avait pourtant<br />

jamais parlé à personne. Il n’avait fait <strong>au</strong>cun écrit à ce<br />

sujet. Tout était dans sa tête. Comment Goldman pouvait-il<br />

savoir vers quoi s’orientait son travail, dont lui-même<br />

n’avait pour l’instant qu’une vague idée qui germait dans<br />

son esprit. El<strong>le</strong> était bien en rapport avec tout ce qu’il avait<br />

réalisé jusqu’à ce jour, et il la considérait comme un<br />

aboutissement à la fois spirituel et professionnel. Si ses<br />

recherches étaient menées à <strong>le</strong>ur terme comme il l’espérait,<br />

il dévoi<strong>le</strong>rait des révélations qui pourraient bou<strong>le</strong>verser <strong>le</strong><br />

monde à tous <strong>le</strong>s nive<strong>au</strong>x. De toute façon, une fois que son<br />

enquête <strong>au</strong>rait abouti, la première question qu’il <strong>au</strong>rait à se<br />

poser serait justement de savoir, <strong>au</strong> cas où il <strong>au</strong>rait raison,<br />

s’il fallait dire ou non la vérité <strong>au</strong>x hommes, sachant que<br />

<strong>le</strong>s conséquences seraient irréversib<strong>le</strong>s sur <strong>le</strong>s plans<br />

politiques, économiques et religieux.<br />

S’il parvenait à prouver ce qu’il pensait, toute l’histoire<br />

de l’humanité serait remise en c<strong>au</strong>se, <strong>au</strong> nive<strong>au</strong> politique<br />

car cela allait changer l’idée que l’homme avait du pouvoir,<br />

21


<strong>au</strong> nive<strong>au</strong> économique car si <strong>le</strong>s politiques remettaient en<br />

c<strong>au</strong>se <strong>le</strong>ur propre vision du pouvoir, des conséquences<br />

économiques phénoména<strong>le</strong>s allaient recréer une nouvel<strong>le</strong><br />

donne mondia<strong>le</strong>, et enfin religieux car la vérité remettrait<br />

certainement en place <strong>le</strong>s principes fondament<strong>au</strong>x des<br />

religions et surtout de <strong>le</strong>ur interprétation depuis que<br />

l’homme a décidé de <strong>le</strong>s transcrire.<br />

Sa quête, qui allait être ardue et compliquée, partait<br />

pourtant d’une idée simp<strong>le</strong> : prouver concrètement à<br />

l’humanité l’existence de Dieu.<br />

A priori, cette idée pouvait paraître cel<strong>le</strong> d’un joyeux<br />

illuminé comme la terre en avait souvent porté et dont <strong>le</strong>s<br />

asi<strong>le</strong>s ne manquent pas. L’idée par el<strong>le</strong>-même était plutôt<br />

fol<strong>le</strong> dans la mesure où prouver l’existence de Dieu ne<br />

faisait plus appel à la Foi des hommes, de quelque religion<br />

qu’ils soient, mais surtout de <strong>le</strong> prouver d’une manière<br />

palpab<strong>le</strong>, qui ne pourrait être mise en doute, Cela allait bien<br />

sûr à l’encontre de tout ce qu’on lui avait appris <strong>au</strong> sujet de<br />

la Foi, mais il y a toujours un doute.<br />

D’emblée plusieurs questions se présentaient <strong>au</strong>xquel<strong>le</strong>s<br />

<strong>le</strong>s réponses n’étaient même pas envisageab<strong>le</strong>s dans la<br />

normalité du raisonnement humain. D’abord, chercher à<br />

prouver l’existence de Dieu pouvait déjà amener à prouver<br />

qu’Il n’existait pas. Ensuite, si Son existence apparaissait<br />

comme étant réel<strong>le</strong>, comment faire pour <strong>le</strong> prouver<br />

concrètement ? Il était peu probab<strong>le</strong> de pouvoir faire venir<br />

Dieu sur un plate<strong>au</strong> de CNN et de Le faire interviewer par<br />

Larry King. Et avant d’en arriver là, il ne fallait pas se<br />

tromper sur l’orientation de la recherche, suivre <strong>le</strong>s bonnes<br />

voies après <strong>le</strong>s avoir découvertes par soi-même. Qu’est-ce<br />

qui sur terre pouvait amener à prouver que Dieu existe ?<br />

Est-Il seu<strong>le</strong>ment un être spirituel ? Peut-Il avoir une<br />

représentation physique ? S’Il existe, est-il possib<strong>le</strong> de<br />

rentrer en contact réel avec Lui ? Acceptera-t-Il de <strong>le</strong><br />

prouver <strong>au</strong>x hommes, Lui qui <strong>le</strong>ur a demandé d’avoir la Foi<br />

et donc de croire sans preuves. Dieu seul Lui-même<br />

22


pourrait prendre cette décision, qui pour Lui <strong>au</strong>ssi<br />

changerait la face des choses. Et dans <strong>le</strong> cas où Il existe,<br />

souhaiterait-Il que Jérémie arrive à prouver son existence ?<br />

La volonté divine pouvait faire que Jérémie ne trouve pas la<br />

vérité comme el<strong>le</strong> pouvait lui permettre d’y accéder. De<br />

toute façon s’Il existe, Lui seul avait <strong>le</strong> pouvoir de décider.<br />

Décider s’il fallait <strong>le</strong> faire savoir <strong>au</strong>x hommes ou non. Tout<br />

dépendait en fait de la confiance que Dieu avait en eux.<br />

Dieu avait-Il foi en l’homme ?<br />

C’était peut-être là que se trouvait la réponse à toutes ces<br />

questions. La première « expérience » que Dieu avait faite<br />

en envoyant Son fils sur terre avait somme toute une demiréussite<br />

(ou un semi-echec, mais Dieu peut-Il échouer ?).<br />

En effet, la chrétienté avait pu s’étendre dans <strong>le</strong> monde<br />

entier, mais était-ce bien ce que Dieu cherchait ? Peu<br />

probab<strong>le</strong>. En fait, c’était une réussite dans la mesure où une<br />

certaine quantité d’hommes, non négligeab<strong>le</strong>, avaient vu<br />

naître en eux la Foi en l’existence de Dieu, mais son<br />

objectif final n’avait-il pas été de faire que l’homme soit<br />

meil<strong>le</strong>ur ? Dans ce cas, l’échec était total, car<br />

objectivement, ce n’est pas parce que l’homme croit en<br />

Dieu qu’il est meil<strong>le</strong>ur.<br />

Les deux mil<strong>le</strong> années qui venaient de passer avaient<br />

surtout prouvé <strong>le</strong> contraire. L’objectif général de l’ancien et<br />

du nouve<strong>au</strong> testament avait été de rendre l’homme<br />

meil<strong>le</strong>ur, pour <strong>le</strong> mettre sur la voie en obéissant à certaines<br />

règ<strong>le</strong>s, qui en fait ne sont pas <strong>au</strong>ssi lourdes que ce que nous<br />

pouvons imaginer. L’homme <strong>le</strong>s a alourdies, et dans son<br />

interprétation, il en a modifié <strong>le</strong> sens, consciemment ou<br />

non. Il en a modifié <strong>le</strong> sens en fonction des époques, des<br />

modes de vie, et surtout des intérêts des dirigeants.<br />

Cela a permis <strong>au</strong>x hommes de diriger d’<strong>au</strong>tres hommes,<br />

de <strong>le</strong>s amener à faire la guerre <strong>au</strong> nom de Dieu, alors que<br />

<strong>le</strong>s guerres ont toujours été dues <strong>au</strong>x intérêts économiques<br />

primordi<strong>au</strong>x des états, mais <strong>le</strong> prétexte divin était porteur. Il<br />

est sûr que selon <strong>le</strong> sièc<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s effets en ont été plus ou<br />

23


moins ressentis par <strong>le</strong> commun des mortels, mais jamais<br />

cela n’a permis de rendre l’homme meil<strong>le</strong>ur.<br />

C’est là que Jérémie avait sa chance, à une condition :<br />

C’est que Dieu accepte de redonner sa chance à l’humanité.<br />

3 janvier 2000.<br />

* * *<br />

Même si <strong>le</strong> monde avait décidé de faire la fête tout <strong>le</strong><br />

week-end, Jérémie avait préféré rester <strong>au</strong> calme plutôt que<br />

de se joindre <strong>au</strong>x agapes. De toute façon, cette fête du<br />

millénaire n’était pas justifiée car selon <strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s du<br />

ca<strong>le</strong>ndrier, <strong>le</strong> XXIeme sièc<strong>le</strong> ne débuterait que <strong>le</strong> 1 er janvier<br />

2001. Il avait donc passé son samedi soir et son dimanche<br />

entre des promenades dans Central park et sa chambre<br />

d’hôtel, et si extérieurement il paraissait d’un calme<br />

léthargique, c’est parce que son cerve<strong>au</strong> ne laissait pas à<br />

son corps <strong>le</strong> temps de faire des prouesses.<br />

Jérémie n’avait eu qu’une pensée tout <strong>au</strong> long du weekend.<br />

Qu’est-ce que Gaby Goldman allait lui faire découvrir<br />

ce matin ? Sa nuit de dimanche à lundi avait certainement<br />

été la plus agitée de sa vie et à présent, sur <strong>le</strong> chemin de la<br />

Public Library, il avait envie de courir, de faire avancer <strong>le</strong><br />

temps pour se retrouver quelques minutes plus tard. Il<br />

marchait <strong>le</strong>ntement, mais en retenant son pas pour ne pas<br />

al<strong>le</strong>r plus vite. Il arriva devant la grande bibliothèque où<br />

l’ambiance de vendredi soir avait laissé la place à un calme<br />

plus studieux, dicté par la masse imposante de l’édifice.<br />

Jérémie se rendit prés du banc où il avait fait la<br />

connaissance de Gaby Goldman. Il était un peu en avance<br />

et décida de s’asseoir en attendant.<br />

- J’<strong>au</strong>rais dû parier ma vie que vous seriez en avance.<br />

24


Jérémie se retourna et vit Gaby Goldman s’avancer vers<br />

lui, <strong>le</strong> visage souriant, la main tendue en avant. Jérémie la<br />

lui serra.<br />

- Pourquoi ? demanda –t-il.<br />

- Parce que j’<strong>au</strong>rais gagné et cela vous <strong>au</strong>rait empêché de<br />

faire des bêtises !<br />

- Drô<strong>le</strong> de langage pour quelqu’un qui dit vouloir<br />

m’aider.<br />

- Vous savez, on ne fait pas toujours ce qu’on veut dans<br />

la vie. Allons-y, ce ne sera pas long.<br />

Ils gravirent côte à côte l’escalier monumental qui<br />

menait à l’entrée de la grande bibliothèque et se<br />

retrouvèrent sous <strong>le</strong>s immenses colonnes. Gaby Goldman<br />

se redressa en observant la construction.<br />

- l’homme dans sa folie, a quand même <strong>le</strong> génie de<br />

construire des édifices tels que celui-ci. Mais on devrait<br />

pouvoir y habiter, cela nous rendrait plus dignes et plus<br />

sages, on y apprendrait à vivre. Le savoir de l’homme est sa<br />

plus grande victoire. Le grand honneur de l’homme, c’est<br />

de chercher à <strong>le</strong> transmettre, et <strong>le</strong> pire de son déshonneur<br />

c’est de l’exploiter en <strong>le</strong> déformant.<br />

Gaby se tourna vers Jérémie.<br />

- Savez-vous quel<strong>le</strong> est la différence entre l’homme et<br />

l’animal ? Je vous par<strong>le</strong> de la différence fondamenta<strong>le</strong>, pas<br />

cel<strong>le</strong> qu’on nous enseigne à l’éco<strong>le</strong>.<br />

- Non, quel<strong>le</strong> est-el<strong>le</strong> ?<br />

- L’homme est conscient du mal qu’il fait, mais il <strong>le</strong> fait,<br />

même si ce n’est pas une nécessité vita<strong>le</strong>. Je ne par<strong>le</strong> pas du<br />

besoin de se nourrir pour survivre, l’homme a trouvé des<br />

moyens de répondre à ses exigences alimentaires sans tuer,<br />

alors que justement, <strong>au</strong> départ, c’était une nécessité vita<strong>le</strong>.<br />

C’est ce qui fait que l’homme est intelligent.<br />

Prenons un exemp<strong>le</strong> : Deux lions mâ<strong>le</strong>s vont se battre<br />

pour un territoire qui pour eux est un espace vital<br />

représenté par une zone où ils vont pouvoir se déplacer<br />

suffisamment loin pour rester en bonne condition physique,<br />

25


où ils <strong>au</strong>ront assez de gibier pour répondre à <strong>le</strong>ur besoin<br />

alimentaire. Ils vont se battre donc, mais <strong>le</strong> vainqueur ne<br />

cherchera pas à tuer son adversaire, il <strong>le</strong> bannira de son<br />

territoire mais ne l’empêchera pas d’al<strong>le</strong>r vivre ail<strong>le</strong>urs.<br />

Autre point important, <strong>le</strong> vainqueur ne cherchera pas à<br />

posséder un territoire plus grand que ce qui lui est<br />

nécessaire. Cela est dans la nature, <strong>le</strong> lion, inconsciemment,<br />

ainsi que tous <strong>le</strong>s anim<strong>au</strong>x, sait pertinemment que <strong>le</strong><br />

maintien de son espace vital est nécessaire à l’équilibre de<br />

son espèce, par conséquent, il va savoir de lui-même,<br />

mettre des garde-fous à son développement. L’homme<br />

réagit de la manière inverse. Il cherche perpétuel<strong>le</strong>ment à<br />

agrandir son territoire, il tue pour cela sans honte <strong>au</strong>cune et<br />

surtout sans réfléchir.<br />

L’homme s’éta<strong>le</strong>, il n’a pas <strong>le</strong> respect de son propre<br />

équilibre, et lorsque la planète sera définitivement la limite<br />

de son espace vital, il se rendra compte qu’il l’a détruite et<br />

donc qu’il s’est lui-même détruit. Le pire, c’est<br />

qu’<strong>au</strong>jourd’hui l’homme en est conscient.<br />

Les nob<strong>le</strong>s lions de pierre montant la garde à l’entrée de<br />

la Public Library semblaient être <strong>le</strong>s garants de la<br />

transmission du savoir. En passant la grande porte, Jérémie<br />

eut <strong>le</strong> sentiment de traverser une arche qui lui semblait être<br />

un point de non-retour.<br />

- Regardez, lui dit Gaby, tout ce qui est <strong>au</strong>tour de vous<br />

ne représente qu’une infime partie du savoir de l’humanité,<br />

et pourtant, <strong>le</strong> début de la vérité se trouve dans ces murs. Le<br />

savoir n’est rien sans <strong>le</strong> reste du monde. Vous entrez dans<br />

un endroit qui est un temp<strong>le</strong> dédié à l’histoire, à l’humanité,<br />

mais comme pour une religion, un seul temp<strong>le</strong> ne suffit pas.<br />

Ce qui en fait la force, c’est la multiplicité des savoirs, cela<br />

empêche d’une part de se tromper, mais cela permet surtout<br />

d’al<strong>le</strong>r de l’avant car on ne sait rien de l’avenir. Je vais<br />

<strong>au</strong>jourd’hui vous permettre d’ouvrir une porte sur l’avenir<br />

car <strong>le</strong>s hommes en ont besoin. C’est la mission qui m’a été<br />

confiée. Ce n’est pas pour vous que je fais cela, c’est pour<br />

26


l’humanité. Dieu m’a envoyé ce message, je dois vous <strong>le</strong><br />

transmettre. C’est la raison de mon aide dans votre<br />

recherche. Dieu m’a demandé de vous assister.<br />

Pendant quelques secondes, Jérémie se demanda s’il<br />

n’était pas en présence d’un fou, mais une tel<strong>le</strong> sérénité<br />

émanait du vieil homme qu’il ne semblait <strong>au</strong>cunement être<br />

un illuminé. De plus, sa présence répondait à ce dont il<br />

avait besoin, avoir <strong>le</strong> sentiment que sa recherche ne<br />

commençait pas dans <strong>le</strong> vide.<br />

- Je vais vous emmener dans un endroit qui n’est<br />

fréquenté que par <strong>le</strong>s chercheurs, interdit <strong>au</strong> public, il s’y<br />

trouve des trésors de l’humanité, dont l’existence est bien<br />

sûr connue, mais qui n’est utilisé qu’à des fins d’analyse et<br />

de compréhension de certaines choses.<br />

Jérémie suivit Gaby vers un escalier qui montait<br />

quelques étages qu’il ne compta pas. L’escalier se faisait de<br />

plus en plus petit, comme dans ces vieil<strong>le</strong>s demeures où<br />

plus on allait h<strong>au</strong>t, moins <strong>le</strong>s aménagements étaient cossus.<br />

L’escalier se terminait enfin sur une petite porte en bois,<br />

sans poignée, fermée à clé. Gaby sortit de la poche de son<br />

blouson une petite clé qui semblait être en bronze. Il la<br />

rentra dans la serrure et la porte s’ouvrit avec un<br />

grincement digne d’un film d’anticipation.<br />

Ils entrèrent dans une pièce pas très grande, meublée de<br />

vieil<strong>le</strong>s étagères en bois qui avaient dû traverser quelques<br />

sièc<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s murs d’un marron vieilli semblaient avoir la<br />

pelade. De vieux livres étaient plus ou moins bien rangés<br />

dans <strong>le</strong>s rayonnages, une vieil<strong>le</strong> tab<strong>le</strong> en bois patinée par <strong>le</strong><br />

temps trônait <strong>au</strong> milieu de la petite sal<strong>le</strong>; quelques ouvrages<br />

poussiéreux posés çà et là, comme si la personne qui <strong>le</strong>s<br />

avait consultés était partie sans avoir terminé sa tâche.<br />

Jérémie s’approcha de la tab<strong>le</strong> et regarda un des livres<br />

qui était ouvert. Gaby Goldman alluma la lumière car <strong>le</strong><br />

vasistas du plafond ne laissait passer qu’une faib<strong>le</strong> lueur<br />

filtrée par une épaisse couche de poussière.<br />

27


Jérémie feuil<strong>le</strong>ta quelques pages d’un vieux bouquin,<br />

retournant d’abord à la première, pour voir de quel<strong>le</strong> année<br />

il datait. C’était un réf<strong>le</strong>xe chez lui, <strong>le</strong> fait de connaître<br />

l’année de naissance d’un livre lui permettait de mieux <strong>le</strong><br />

comprendre lors de sa <strong>le</strong>cture. Il <strong>le</strong> remettait dans son<br />

contexte, et surtout, la sensation de toucher un livre très<br />

ancien lui faisait ressentir quelque chose de magique,<br />

proche d’un sentiment d’immortalité. La transmission du<br />

savoir est la seu<strong>le</strong> voie existante vers l’immortalité,<br />

l’essentiel n’est pas que <strong>le</strong> corps parte, mais que la pensée<br />

reste.<br />

Le livre qu’il feuil<strong>le</strong>tait avait plus d’un sièc<strong>le</strong>, il datait de<br />

1856, cent quarante-quatre ans, deux vies <strong>le</strong> séparaient de<br />

celui qui l’avait écrit, et pourtant, cent quarante-quatre ans<br />

plus tard, quelqu’un pensait à son <strong>au</strong>teur. C’est ça<br />

l’immortalité. Ne jamais disparaître tota<strong>le</strong>ment.<br />

Le sujet du livre traitait de l’interprétation de la Bib<strong>le</strong> par<br />

un puritain du moment, qui cherchait des liens pour établir<br />

des règ<strong>le</strong>s de vie basées sur <strong>le</strong> respect de la religion face à<br />

la société de l’époque.<br />

- Laissez donc tomber ces sottises, lança Gaby Goldman.<br />

Les hommes ont toujours cherché à interpréter la religion<br />

de la façon qui <strong>le</strong>s arrangeait <strong>le</strong> mieux. Même là, <strong>le</strong> pouvoir<br />

et l’argent sont arrivés à s’immiscer dans la pensée des<br />

hommes par <strong>le</strong> biais de prédicateurs qui ne pouvaient vivre<br />

que de cela. Dieu a crée l’homme à Son image, mais<br />

l’homme en a ensuite profité pour recréer Dieu à la sienne,<br />

et quand on connaît l’homme on se rend compte qu’il est<br />

normal que certains d’entre nous n’aient pas la Foi. Venez<br />

plutôt par ici.<br />

Jérémie referma <strong>le</strong> livre et rejoint Gaby qui se tenait<br />

debout face à une étagère p<strong>le</strong>ine de vieux grimoires.<br />

- Ces livres ont été ramenés de Jérusa<strong>le</strong>m en Europe il y<br />

a quelque quatre sièc<strong>le</strong>s. Ils ont été récupérés à Rome par<br />

un riche sang b<strong>le</strong>u de l’époque qui est venu s’instal<strong>le</strong>r en<br />

Amérique du Nord vers 1754 pour y pratiquer des affaires<br />

28


lucratives entre <strong>le</strong> vieux continent et ce nouvel eldorado<br />

qu’était l’Amérique. Dans l’ensemb<strong>le</strong>, en dehors de <strong>le</strong>ur<br />

ancienneté, ils ont peu de va<strong>le</strong>ur historique, qu’ils soient<br />

protégés ici ou en vente chez un antiquaire n’a pas<br />

tel<strong>le</strong>ment d’importance. Enfin, tous, s<strong>au</strong>f un. En effet, il y<br />

en a un, un seul qui va vous ouvrir la voie. La véritab<strong>le</strong><br />

voie vers ce que vous cherchez. Mais il vous f<strong>au</strong>dra<br />

réapprendre à lire, à penser, pour bien comprendre ce qui<br />

est dit <strong>au</strong> travers de ces lignes. Il va tout d’abord vous<br />

falloir <strong>le</strong> trouver, c’est, je dirais, la première épreuve, un<br />

petit examen de passage. A un détail près, si vous ne<br />

trouvez pas <strong>le</strong> bon livre, vous ne pourrez pas choisir une<br />

seconde fois et votre quête s’achèvera ici, dans cette pièce<br />

sombre. Je ne suis là que pour vérifier votre aptitude.<br />

Jérémie jeta un coup d’œil à l’étagère qui devait contenir<br />

une bonne soixantaine de vieux bouquins reliés en cuir,<br />

d’épaisseurs et de h<strong>au</strong>teurs différentes, dont <strong>le</strong>s titres<br />

gravés sur la tranche étaient plus ou moins effacés.<br />

Jérémie alla récupérer devant la tab<strong>le</strong> l’unique chaise de<br />

la pièce et vint s’asseoir devant l’étagère. Il regarda<br />

soigneusement <strong>le</strong>s livres un par un et se mit la tête entre <strong>le</strong>s<br />

mains. Au fond de lui-même, une seu<strong>le</strong> question revenait<br />

constamment, « qu’est-ce que je cherche ? » .<br />

Tous ces livres semblaient dater de la même époque,<br />

XVIième ou XVIIième Sièc<strong>le</strong>, qui n’avait pas spécia<strong>le</strong>ment<br />

été une période où Dieu ou un de ses prophètes avaient<br />

véritab<strong>le</strong>ment fait passer des messages, or pour lui, il avait<br />

l’intime conviction que <strong>le</strong> livre qu’il cherchait était un<br />

message de Dieu. Le message qu’il attendait. Le message<br />

qui lui prouverait déjà à lui que Dieu existait. Il se <strong>le</strong>va,<br />

s’approcha de l’étagère et regarda chaque livre de plus près.<br />

Il <strong>le</strong>s détailla un à un, et en fait, ne vit que de la vieil<strong>le</strong><br />

poussière sur du vieux cuir gravé de vieil<strong>le</strong>s inscriptions en<br />

grec, en latin ou en hébreu.<br />

Fina<strong>le</strong>ment il se rassit et se mit à réfléchir à h<strong>au</strong>te voix.<br />

29


- Dieu a crée l’homme à son image, Dieu est Amour,<br />

Dieu est juste, Dieu donne des épreuves à l’homme, Dieu<br />

punit, Dieu a ouvert la voie et seul Dieu a <strong>le</strong> pouvoir de la<br />

refermer.<br />

Jérémie réfléchit <strong>au</strong>x différents messages que Dieu avait<br />

envoyés à l’homme, Moïse, <strong>le</strong>s Dix Commandements,<br />

Jésus, l’Ancien et <strong>le</strong> Nouve<strong>au</strong> Testament, et tout ce qui<br />

avait pu être des messages que l’humanité n’avait pas<br />

compris. Un éclair traversa son esprit et lui donna l’espace<br />

d’une seconde ce qu’il estimait être une partie de la<br />

solution. A chaque fois, Dieu avait laissé <strong>le</strong> choix à<br />

l’homme. Il avait laissé <strong>le</strong> choix à Moïse, Il avait laissé <strong>le</strong><br />

choix à ceux qui <strong>le</strong> suivirent, Il avait laissé <strong>le</strong> choix <strong>au</strong>x<br />

hommes de respecter <strong>le</strong>s Dix Commandements, puisque<br />

certains ne <strong>le</strong>s appliquaient pas, Il <strong>le</strong>ur avait laissé <strong>le</strong> choix<br />

de tuer Son Fils, et Il avait laissé <strong>au</strong>x hommes <strong>le</strong> choix<br />

d’interpréter Sa paro<strong>le</strong>.<br />

A présent, c’est Jérémie qui avait <strong>le</strong> choix, celui de<br />

choisir un livre ou celui de ne pas en choisir un, <strong>le</strong> choix<br />

d’écouter Gaby Goldman ou de ne pas l’écouter, <strong>le</strong> choix<br />

de croire ou de ne pas croire, en fait, il était libre. Libre de<br />

faire ce qu’il voulait, libre de laisser <strong>le</strong> hasard faire <strong>le</strong>s<br />

choses, et il se rappela une phrase de Gaby Goldman lors<br />

de <strong>le</strong>ur première rencontre. « Le hasard n’existe pas ». Il se<br />

re<strong>le</strong>va, se retourna vers Gaby et lui dit :<br />

- J’ai <strong>le</strong> choix. Je suis libre.<br />

- Vous êtes sur la bonne voie, répondit Gaby. Vous<br />

pensez bien, votre esprit est en train de s’ouvrir et surtout<br />

de se libérer de tous <strong>le</strong>s préjugés que vous avez. Cette<br />

épreuve existe pour vous apprendre à réfléchir et éviter <strong>le</strong>s<br />

pièges qui vous seront tendus tout <strong>au</strong> long de votre<br />

recherche, à condition bien sûr, de trouver <strong>le</strong> livre.<br />

Gaby <strong>le</strong> regardait avec des yeux malicieux, presque<br />

moqueurs, et <strong>le</strong> défiait de trouver. Jérémie sentit qu’il y<br />

avait un piège. Un piège simp<strong>le</strong>, dans <strong>le</strong>quel n’importe qui<br />

peut tomber par trop de naïveté et de confiance. La<br />

30


première épreuve était une épreuve de confiance. « Je crois<br />

en toi Gaby mais je ne crois pas en toi. Je crois que tu veux<br />

me mettre sur la voie, mais je ne crois pas en tes conseils<br />

car tu <strong>le</strong>s donnes pour m’éprouver ». Jérémie se retourna,<br />

regarda derrière lui une grande étagère qui semblait vide et<br />

il <strong>le</strong> vit.<br />

* * *<br />

- Monseigneur, pensez-vous qu’il s’agisse vraiment<br />

d’une bonne chose, nous avons bien vu ce que cela a donné<br />

la première fois.<br />

- Oui, peut être n’étaient-ils pas encore prêts, il f<strong>au</strong>t<br />

toujours laisser une chance. Eux-même disent que <strong>le</strong><br />

XXIème sièc<strong>le</strong> sera spirituel ou ne sera pas. Je n’en<br />

demande pas tant, mais s’ils ne font ne serait-ce qu’un pas<br />

en avant, cela signifiera qu’ils sont sur la bonne voie. Et<br />

puis de toute façon, j’ai tout mon temps avant de décider.<br />

Comme disent <strong>le</strong>s Anglais, « wait and see ». Vous ne<br />

devriez pas penser qu’ils sont irrécupérab<strong>le</strong>s, cela voudrait<br />

dire que je me suis trompé.<br />

- Je ne voulais pas dire cela, Monseigneur, mais ce n’est<br />

peut-être pas encore <strong>le</strong> moment.<br />

- Peut-être, mais ça m’amuse, et puis j’aimerais voir<br />

comment il va s’en sortir. Pour la première fois, ce n’était<br />

peut-être pas si mal que vous pouvez <strong>le</strong> penser, il en est<br />

quand même resté quelque chose.<br />

- Vous avez raison, Monseigneur.<br />

* * *<br />

31


CHAPITRE III<br />

Il n’était pas relié, il n’y avait que quelques pages pliées<br />

en deux et liées entre el<strong>le</strong>s par un vieux cordon de chanvre<br />

usé. Jérémie <strong>le</strong> prit dans ses mains et <strong>le</strong> posa sur la tab<strong>le</strong><br />

pour <strong>le</strong> feuil<strong>le</strong>ter. Il n’y avait <strong>au</strong>cune inscription sur la<br />

première page. Quelques plis montraient que quelqu’un<br />

l’avait déjà lu. Jérémie <strong>le</strong> parcourut d’abord rapidement, il<br />

n’y avait en fait que quatre pages manuscrites en hébreu. Il<br />

lui f<strong>au</strong>drait <strong>le</strong> traduire, mais en prenant bien soin de<br />

l’interpréter correctement. Il n’y avait que du texte rédigé<br />

en gros caractères. Aucun dessin, <strong>au</strong>cun signe, rien qui ne<br />

pouvait indiquer à quel<strong>le</strong> date ce manuscrit avait été écrit.<br />

L’écriture semblait toutefois très vieil<strong>le</strong>, <strong>le</strong> papier étant en<br />

fait un papyrus, la cou<strong>le</strong>ur de l’encre était verdâtre ou grise<br />

à certains endroits. Le manuscrit avait sans doute dû être<br />

rédigé avec un mélange d’e<strong>au</strong> et de terre ou de quelconque<br />

végétal. Jérémie prit bien garde en tournant <strong>le</strong>s pages de ne<br />

pas <strong>le</strong>s plier car <strong>le</strong> papyrus était cassant. Il tourna la tête en<br />

cherchant Gaby Goldman.<br />

- Qu’est-ce que c’est ?<br />

Gaby sortit de la pénombre et s’avança vers lui.<br />

32


- Chaque homme reçoit un jour un signe de son destin, à<br />

lui d’abord de s’en rendre compte et en suite de<br />

l’interpréter. Certains y parviennent et réussissent <strong>le</strong>ur vie,<br />

avec plénitude et jamais <strong>le</strong> sentiment d’avoir loupé quoique<br />

ce soit. D’<strong>au</strong>tres ne trouvent pas, et ils passent <strong>le</strong>ur vie à<br />

attendre quelque chose qui ne viendra pas avec un éternel<br />

sentiment de ne jamais respirer à fond. Le destin de chaque<br />

homme est écrit, chaque miette de vie est tracée, pour<br />

chaque homme depuis que l’homme existe, et il en est ainsi<br />

pour toute chose. A un détail près. Dieu laisse <strong>le</strong> choix, ce<br />

qui fait que fina<strong>le</strong>ment, chaque homme a <strong>le</strong> destin qu’il se<br />

crée. Au départ, c’est écrit, car tout homme a une bonne<br />

raison pour passer en ce bas monde, tout homme est un<br />

envoyé de Dieu, mais c’est après qu’il choisit ce que sera sa<br />

vie. Ce choix n’est pas toujours fait consciemment, mais <strong>le</strong>s<br />

actes font que l’homme trace sa voie, certains prennent à<br />

droite quand il <strong>le</strong> f<strong>au</strong>t et suivent <strong>le</strong> destin qui <strong>le</strong>ur est fixé.<br />

D’<strong>au</strong>tres prennent à g<strong>au</strong>che et décident de tout changer.<br />

Dieu n’y peut rien car Il a décidé de laisser à l’homme la<br />

possibilité de penser et de choisir, et Dieu ne va pas à<br />

l’encontre de ce qu’Il a décidé, puisque ce qu’Il décide est<br />

juste.<br />

- Dieu, vois-tu, a envoyé Son Fils sur terre pour<br />

permettre <strong>au</strong>x hommes de choisir, certains d’entre eux ont<br />

décidé de suivre la voie tracée par <strong>le</strong> Divin. Mais ce n’était<br />

pas <strong>le</strong> cas de tous et <strong>le</strong>s <strong>au</strong>tres l’ont tué. Néanmoins ce n’est<br />

pas grave, car cela n’a pas empêché l’homme d’évoluer<br />

depuis deux mil<strong>le</strong> ans, dans <strong>le</strong> bien et dans <strong>le</strong> mal. Dieu a<br />

souvent envoyé des messagers depuis, mais <strong>le</strong>s hommes ne<br />

<strong>le</strong>s ont pas reconnus. Chacun a fait sa révolution, Moïse<br />

d’abord, Jésus ensuite, mais <strong>au</strong>ssi tous <strong>le</strong>s <strong>au</strong>tres. Chaque<br />

génération voit apparaître un messager de Dieu et chaque<br />

homme est lui-même un messager de Dieu, il fait <strong>au</strong> moins<br />

une fois dans sa vie un acte qui lui est dicté par Dieu.<br />

Certains ne sont sur terre que pour empêcher un aveug<strong>le</strong> de<br />

33


traverser une rue alors qu’il allait se faire renverser par un<br />

<strong>au</strong>tobus.<br />

- Mais <strong>le</strong> destin de l’aveug<strong>le</strong> n’était-il pas de se faire<br />

écraser ?<br />

- C’est là où tout n’est qu’une question d’interprétation.<br />

Peut-être que <strong>le</strong> destin de l’aveug<strong>le</strong> était justement d’être là<br />

pour éprouver celui qui l’a s<strong>au</strong>vé, ou encore <strong>au</strong>tre chose …<br />

seul Dieu sait…<br />

Donc, reprit Gaby, nous avons tous une mission, dont<br />

l’importance peut varier en fonction de chaque homme et<br />

de la petite tranche d’intérêt qu’il peut représenter dans<br />

l’humanité.<br />

- Je comprends pour <strong>le</strong>s hommes qui font <strong>le</strong> bien, mais<br />

<strong>le</strong>s <strong>au</strong>tres ? Quel peut être <strong>le</strong> message apporté par un Hit<strong>le</strong>r<br />

ou un Pinochet ? Dieu est-il capab<strong>le</strong> de faire <strong>le</strong> mal ?<br />

- Dieu est capab<strong>le</strong> de tout, il raisonne à long terme. Peut<br />

être envoie-t-il des messagers comme ceux-là pour<br />

empêcher <strong>le</strong>s hommes de faire d’<strong>au</strong>tres erreurs bien pires<br />

encore, si Dieu est capab<strong>le</strong> de tout, une fois de plus comme<br />

il a crée l’homme à son image, l’homme est <strong>au</strong>ssi capab<strong>le</strong><br />

de tout ! Chaque époque peut avoir ses sept plaies<br />

d’Egypte, et n’oubliez pas une chose, chacun a son<br />

interprétation du bien et du mal, tout dépend de quel côté<br />

on se place. En 1789, lors de la Révolution française, <strong>le</strong><br />

peup<strong>le</strong> se battait et tuait pour une bonne c<strong>au</strong>se, alors que <strong>le</strong><br />

Roi pensait que ce qui se passait était mal, à l’époque on<br />

pouvait dire que couper des têtes à tout va était bien car<br />

cela épurait la société de ce qui pouvait représenter <strong>le</strong> mal.<br />

Cela a duré des années, mais n’oubliez pas, Dieu raisonne à<br />

long terme, cette boucherie qui a eu lieu pendant des<br />

décennies a fait de la France l’exemp<strong>le</strong> incontournab<strong>le</strong> de<br />

la démocratie dans <strong>le</strong> monde. Tous <strong>le</strong>s états évolués<br />

<strong>au</strong>jourd’hui ont eu <strong>le</strong>ur révolution dans <strong>le</strong> sang. Une<br />

révolution ne peut se faire <strong>au</strong>trement, et d’ail<strong>le</strong>urs ceux qui<br />

critiquent <strong>au</strong>jourd’hui <strong>le</strong>s révoltes sanglantes, oublient<br />

souvent que <strong>le</strong>ur état a creusé ses fondations dans <strong>le</strong>s<br />

34


cimetières. De toute façon, il n’y a qu’une chose qui<br />

compte : Dieu laisse <strong>le</strong> choix <strong>au</strong>x hommes, et si fina<strong>le</strong>ment<br />

l’homme ne sait pas choisir, Dieu décidera.<br />

« En ce qui nous concerne, mon ami, je crois que c’est<br />

ici que nos chemins se séparent. J’ai rempli ma mission, je<br />

dois reconnaître qu’el<strong>le</strong> était simp<strong>le</strong>, Dieu a bien choisi.<br />

Ces derniers mots pesaient de tout <strong>le</strong>ur poids dans<br />

l’esprit de Jérémie, l’homme a <strong>le</strong> choix, mais ironiquement<br />

« Dieu a bien choisi ».<br />

- Je ne pense pas que nous ayons à nous revoir reprit<br />

Gaby, en tout cas pas ici. Vous avez la première clé, il vous<br />

f<strong>au</strong>t à présent trouver la porte. Al<strong>le</strong>z, partons d’ici, nous<br />

n’avons plus rien à y faire.<br />

Jérémie se dirigea vers la porte de la petite pièce, l’ouvrit<br />

et attendit que Gaby sorte. Au bout de quelques secondes<br />

ne <strong>le</strong> voyant pas arriver, il regarda à l’intérieur, il n’y avait<br />

plus personne.<br />

* * *<br />

Jérémie se retrouva seul dans sa chambre d’hôtel, assis<br />

devant <strong>le</strong> vieux manuscrit, une foultitude de questions lui<br />

venaient à l’esprit <strong>au</strong>xquel<strong>le</strong>s il ne pouvait apporter <strong>au</strong>cune<br />

réponse précise. Il se dit fina<strong>le</strong>ment qu’il lui fallait<br />

commencer par <strong>le</strong> plus simp<strong>le</strong> : d’abord faire une traduction<br />

du document, et si la solution en el<strong>le</strong>-même était simp<strong>le</strong>, la<br />

réalisation était tout <strong>au</strong>tre. Malgré ses origines, il ne<br />

connaissait strictement rien à l’hébreux, il devait donc<br />

trouver un traducteur. A priori, <strong>le</strong> manuscrit n’était pas<br />

daté, mais des indices dans <strong>le</strong> document pourraient peutêtre<br />

permettre de <strong>le</strong> resituer dans <strong>le</strong> temps. Le texte inscrit<br />

était relativement court, et s’étalait en gros caractères sur<br />

<strong>le</strong>s quatre pages que contenait <strong>le</strong> manuscrit.<br />

La première n’avait qu’une seu<strong>le</strong> inscription,<br />

certainement un titre ou bien <strong>le</strong> nom de son <strong>au</strong>teur, sur<br />

chacune des <strong>au</strong>tres pages, un paragraphe court qui ne<br />

35


comportait jamais plus de huit lignes. Il n’y avait rien<br />

d’<strong>au</strong>tre permettant d’avoir une quelconque indication sur <strong>le</strong><br />

contenu.<br />

Il lui semblait pourtant qu’une certaine <strong>au</strong>ra se dégageait<br />

de l’ouvrage, peut-être se trompait-il, mais il était persuadé<br />

que non. La manière dont il l’avait découvert était déjà en<br />

soi un mystère, ce qu’il contenait devait donc là <strong>au</strong>ssi<br />

représenter un bon lot de surprises.<br />

De toute façon, jamais son cerve<strong>au</strong> n’<strong>au</strong>rait pu imaginer<br />

<strong>le</strong> dixième de ce qu’il y avait dans ces quelques lignes.<br />

Jérémie composa <strong>le</strong> numéro du service des<br />

renseignements téléphoniques new-yorkais pour demander<br />

<strong>le</strong>s coordonnées de l’université hébraïque de New York. Il<br />

nota soigneusement <strong>le</strong> numéro, regarda sa montre, il<br />

pouvait encore appe<strong>le</strong>r.<br />

Une standardiste lui répondit dès la première sonnerie.<br />

- Université hébraïque, bonjour.<br />

- Bonjour mademoisel<strong>le</strong>, je m’appel<strong>le</strong> Jérémie Cohen et<br />

je voudrais un simp<strong>le</strong> renseignement, s’il vous plait, quel<strong>le</strong><br />

est la personne qui fait référence chez vous en matière de<br />

traduction de vieux textes hébreux ?<br />

- Quel<strong>le</strong> époque ?<br />

Il ne s’attendait pas à cette question qui pourtant émanait<br />

de la plus pure logique. Il répondit bêtement :<br />

- Je… je ne sais pas !<br />

- Ca va être simp<strong>le</strong> ! Lança-t-el<strong>le</strong>, il y a ici plus de quinze<br />

sommités en la matière ! Je ne peux pas vous orienter sur<br />

quelqu’un de précis sans un minimum d’in<strong>format</strong>ions.<br />

- Qui, selon vous, est <strong>le</strong> meil<strong>le</strong>ur de tous ?<br />

Quelques secondes de si<strong>le</strong>nce suivirent la question de<br />

Jérémie puis la jeune femme répondit :<br />

- Sans doute <strong>le</strong> professeur Nathan Wiessman, c’est un<br />

spécialiste du genre, et si lui ne peut vous aider, il s<strong>au</strong>ra<br />

certainement vers qui vous orienter.<br />

- Merci, vous pouvez me <strong>le</strong> passer ?<br />

36


- Comme vous y al<strong>le</strong>z ! Il est sûrement en cours à cette<br />

heure-ci. Je vais vous passer son assistante.<br />

Jérémie attendit quelques secondes et une petite voix<br />

nasillarde lui répondit :<br />

- Bonjour monsieur Cohen, je suis l’assistante du<br />

professeur Wiessman, que puis-je faire pour vous ?<br />

- J’<strong>au</strong>rais voulu soumettre un texte à traduire <strong>au</strong><br />

professeur Wiessman, c’est assez important, pourrais-je lui<br />

par<strong>le</strong>r ?<br />

- Pas tout de suite, de quoi s’agit-il ?<br />

- De la traduction d’un texte en hébreu que j’ai trouvé à<br />

la Public Library.<br />

- Oh alors, ce n’est pas la peine de <strong>le</strong> déranger, venez ici<br />

à la bibliothèque, nous avons toutes <strong>le</strong>s traductions de<br />

l’ensemb<strong>le</strong> des textes de la Public Library. Quel en est <strong>le</strong><br />

titre ? Je vais vous donner la référence, cela vous évitera de<br />

chercher.<br />

- Je n’ai pas <strong>le</strong> titre, c’est une sorte de papyrus.<br />

- C’est bizarre, nous n’avons pas connaissance de<br />

papyrus en hébreux à la bibliothèque, s’il y en avait un, il<br />

est certain que nous <strong>le</strong> s<strong>au</strong>rions.<br />

- C’est pour cela que je voudrais voir <strong>le</strong> professeur<br />

Wiessman.<br />

- Ne quittez pas.<br />

Jérémie attendit plus longtemps cette fois-ci, quelques<br />

minutes avant que l’assistante ne <strong>le</strong> reprenne en ligne.<br />

- Le professeur Wiessman va vous recevoir ce soir à dixneuf<br />

heures trente. Septième étage, bure<strong>au</strong> 7234. Vous<br />

pouvez me laisser vos coordonnées <strong>au</strong> cas ou il y <strong>au</strong>rait un<br />

empêchement ?<br />

- Je suis <strong>au</strong> Prince Georges hôtel, chambre 705, mon<br />

numéro direct est <strong>le</strong> 555-72-705. Je ne bouge pas. Merci.<br />

- Au revoir M. Cohen.<br />

37


* * *<br />

Jérémie était arrivé un quart-d’heure en avance pour son<br />

entretien avec <strong>le</strong> professeur Wiessman. Dans la petite sal<strong>le</strong><br />

d’attente, il avait rapidement consulté <strong>le</strong>s quelques<br />

ouvrages et artic<strong>le</strong>s étalés sur une petite tab<strong>le</strong> basse. Tous<br />

avaient été écrits par <strong>le</strong> professeur Wiessman et cela en<br />

disait assez long sur l’homme avec <strong>le</strong>quel il avait rendezvous.<br />

Le professeur Nathan Wiessman était né en janvier 1938,<br />

en Autriche, rapidement émigré <strong>au</strong>x Etats-Unis, ses parents,<br />

visionnaires et lucides, avaient sans doute vu arriver la<br />

catastrophe historique qui allait avoir lieu <strong>le</strong>s années<br />

suivantes. Après un bref passage à Paris, sa famil<strong>le</strong> et lui<br />

s’étaient retrouvés à New York dés <strong>le</strong> début de 1939, ce<br />

qui avait évité <strong>au</strong> petit Nathan <strong>le</strong>s affres d’une guerre<br />

ignob<strong>le</strong> et surtout de finir rapidement sa vie dans un camp<br />

d’extermination. D’<strong>au</strong>tres n’avaient malheureusement pas<br />

eu cette chance…<br />

Sans que son enfance soit aisée, <strong>le</strong> petit pécu<strong>le</strong> de ses<br />

parents et la débrouillardise de son père avait permis <strong>au</strong><br />

jeune Nathan de suivre des études d’abord dans un collège<br />

new yorkais puis à l’université de Princeton dans <strong>le</strong> New<br />

Jersey. Très rapidement, il avait orienté ses trav<strong>au</strong>x vers<br />

l’étude de l’histoire hébraïque et était devenu à présent une<br />

référence parmi <strong>le</strong>s sommités de l’histoire de la civilisation<br />

juive. Traducteur de textes anciens, analyste et professeur<br />

de renom. Ses interprétations hors du commun de textes<br />

théologiques, et ce qu’el<strong>le</strong>s qu’en soient <strong>le</strong>urs provenances<br />

religieuses, lui avaient souvent valu <strong>le</strong>s frondes de certains<br />

ecclésiastiques et de quelques-uns uns de ses collègues de<br />

travail. Malgré cela, il n’avait pas dérivé de son idée<br />

fondamenta<strong>le</strong> basée sur <strong>le</strong> fait que <strong>le</strong>s religions<br />

monothéistes avaient la même origine, mais que chacune<br />

des interprétations <strong>au</strong> travers des différents textes d’origine,<br />

38


n’étaient que pure invention humaine, qui avaient servi <strong>le</strong>s<br />

différents pouvoirs politiques en place à chacune des<br />

époques où ces écrits avaient été rédigés. Il ne remettait pas<br />

en c<strong>au</strong>se ce qui avait été spécifiquement écrit, il contestait<br />

plutôt la façon que <strong>le</strong>s hommes avaient eu d’interpréter ces<br />

textes. Cependant, la démonstration du bien fondé de ses<br />

affirmations avait rapidement fait taire ses détracteurs, non<br />

pas parce qu’ils reconnaissaient qu’il avait raison, mais<br />

simp<strong>le</strong>ment parce que <strong>le</strong>s doutes qu’il avait émis pouvaient<br />

représenter des solutions supplémentaires <strong>au</strong>x nombreuses<br />

questions non élucidées jusqu’à ce jour.<br />

Jérémie pensa qu’il était exactement tombé sur l’homme<br />

qu’il lui fallait.<br />

- Monsieur Jérémie Cohen ?<br />

- Ravi de faire votre connaissance professeur Wiessman.<br />

- Si vous vou<strong>le</strong>z bien me suivre.<br />

Jérémie pénétra dans un bure<strong>au</strong> qui avait dû être<br />

spacieux, mais il y a trente ans. A présent, c’était un<br />

concentré de bibliothèque, d’archives et <strong>le</strong>s pi<strong>le</strong>s de livres<br />

amoncelées <strong>le</strong>s unes contre <strong>le</strong>s <strong>au</strong>tres recouvraient même<br />

certains tab<strong>le</strong><strong>au</strong>x dont il <strong>au</strong>rait été diffici<strong>le</strong> de définir <strong>le</strong><br />

motif. Des tonnes de dossiers empilés, sur <strong>le</strong>s étagères, <strong>au</strong><br />

sol et sur <strong>le</strong> grand bure<strong>au</strong> en bois, amenaient à penser que<br />

<strong>le</strong> cabinet du professeur était <strong>le</strong> seul endroit ou l’on avait pu<br />

entreposer toutes <strong>le</strong>s archives de l’université hébraïque.<br />

Le professeur invita Jérémie à s’asseoir et il s’enfonça<br />

dans un f<strong>au</strong>teuil en cuir qui avait dû faire partie de la<br />

décoration d’origine lors de la construction de l’édifice.<br />

-Je vous écoute monsieur Cohen. Il paraît que vous<br />

<strong>au</strong>riez trouvé à la Public Library un document dont nous<br />

n’<strong>au</strong>rions pas connaissance ?<br />

- En effet, je vais d’abord me présenter et… .<br />

- Laissons-là ces formalités et montrez-moi votre trésor.<br />

De deux choses l’une, ou bien <strong>le</strong> professeur Wiessman<br />

avait un rendez-vous urgent ou il piaffait d’impatience de<br />

39


voir <strong>le</strong> document. Optimiste, Jérémie opta pour la seconde<br />

solution et présenta <strong>le</strong> manuscrit <strong>au</strong> professeur.<br />

- Le voici. Comme vous pouvez <strong>le</strong> voir, ce n’est pas un<br />

véritab<strong>le</strong> livre mais un manuscrit de quelques pages. On<br />

m’a dit que vous étiez celui qui pourrait traduire un tel<br />

document.<br />

Le professeur s’empressa de feuil<strong>le</strong>ter <strong>le</strong> papyrus,<br />

s’arrêta plusieurs fois sur une ligne et fina<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> referma<br />

en <strong>le</strong> posant doucement sur son bure<strong>au</strong>.<br />

- Je n’ai en effet jamais eu connaissance de cet ouvrage,<br />

vous dites l’avoir trouvé à la Public Library, je ne<br />

comprends pas, il n’y a même pas d’étiquette de<br />

référencement, ce n’est pas dans <strong>le</strong>urs habitudes. Ou l’avez<br />

vous déniché ?<br />

- Dans une petite pièce située pratiquement dans <strong>le</strong>s<br />

comb<strong>le</strong>s de la bibliothèque, qui, d’après ce que j’ai<br />

compris, est <strong>le</strong> lieu privilégié de recherche et de travail<br />

pour <strong>le</strong>s hommes comme vous.<br />

- Mon ami, je n’ai qu’un seul lieu de travail et de<br />

recherche privilégié : mon cerve<strong>au</strong>. Cependant, je connais<br />

parfaitement cet endroit et je n’y ai jamais vu ce texte.<br />

Vous ignorez sans doute comment-il est arrivé là ? »<br />

- Absolument, et à vrai dire cela m’importe peu, pour<br />

l’instant, seul son contenu m’intéresse.<br />

- Vous avez tort, <strong>le</strong>s choses ont toujours une bonne<br />

raison d’être là où el<strong>le</strong>s se trouvent.<br />

- Vous avez raison, reprit Jérémie, il était sans doute là<br />

pour que je <strong>le</strong> trouve.<br />

Nathan Wiessman eut un petit sourire narquois. Il aimait<br />

bien <strong>le</strong>s gens qui savaient retomber sur <strong>le</strong>urs pattes.<br />

- D’après ce que j’ai rapidement parcouru, <strong>le</strong> texte ne<br />

doit pas être compliqué à traduire. Cela ne devrait prendre<br />

qu’une bonne journée, c’est de l’hébreux assez ancien, mais<br />

<strong>le</strong>s termes restent assez classiques. Le contrô<strong>le</strong> des erreurs<br />

possib<strong>le</strong>s prendra plus de temps que la traduction el<strong>le</strong>même.<br />

40


- Pensez-vous pouvoir dater ce texte ?<br />

- Là, c’est <strong>au</strong>tre chose. L’hébreux est une langue qui a<br />

très peu changé depuis <strong>le</strong>s premiers écrits, c’est d’ail<strong>le</strong>urs<br />

une langue relativement récente, comme l’arabe, par contre<br />

<strong>le</strong> papyrus utilisé comme support peut dater de deux mil<strong>le</strong><br />

ou trois mil<strong>le</strong> ans avant Jésus-Christ, mais je ne fais là<br />

référence qu’à des connaissances purement scolaires, en<br />

fait, il doit dater de moins bien longtemps que cela, car à<br />

cette époque, l’hébreux n’existait pas. L’hébreux tient son<br />

origine du phénicien archaïque utilisé environ mil<strong>le</strong> ans<br />

avant J-C., ce n’est que plus tard que la langue est<br />

réel<strong>le</strong>ment apparue. Enfin, <strong>le</strong> texte est suffisamment<br />

structuré, faisant appel à un vocabulaire et à une grammaire<br />

laissant penser qu’il est relativement récent. Je vous<br />

conseil<strong>le</strong> de faire appel à un spécialiste de la datation <strong>au</strong><br />

carbone 14 qui vous permettra de dater précisément ce<br />

document. Pour la traduction, j’en fais mon affaire.<br />

Pouvez-vous repasser dans deux jours ?<br />

- Je ne veux pas vous presser professeur, mais je suis<br />

actuel<strong>le</strong>ment à la recherche de certains faits et j’ai la<br />

conviction que ce document représente la base fondatrice<br />

de mes recherches et je ne peux rien commencer sans cette<br />

traduction, deux jours, c’est un peu long.<br />

- D’accord, je peux mettre un de mes élèves sur cette<br />

traduction et vous l’<strong>au</strong>rez demain soir.<br />

- Ce n’est pas ce que je voulais dire, il se peut qu’il y ait<br />

dans ce texte quelques surprises à ne pas mettre entre toutes<br />

<strong>le</strong>s mains, je préfèrerais que vous fassiez vous-même cette<br />

traduction, je suis désolé de vous presser ainsi, mais cela<br />

revêt une grande importance.<br />

- Vous ne me pressez pas monsieur Cohen. C’est moi qui<br />

déciderai de me presser, mais vous m’intriguez, que<br />

recherchez-vous exactement ?<br />

- Je vous <strong>le</strong> dirais demain soir, en venant chercher la<br />

traduction. Ah, <strong>au</strong>tre chose, peut-on faire une copie de<br />

l’original sans l’abîmer, je voudrais <strong>le</strong> garder.<br />

41


- Décidément, ce n’est pas la confiance qui vous<br />

caractérise, vous ne vou<strong>le</strong>z pas rester <strong>au</strong>ssi pendant que je<br />

travail<strong>le</strong> ? »<br />

- Je n’osais pas vous <strong>le</strong> demander.<br />

- Très bien jeune homme, à demain matin, six heures à<br />

mon bure<strong>au</strong>.<br />

Une fois de plus, Jérémie allait passer une longue nuit.<br />

4 janvier 2000<br />

* * *<br />

Malgré une nuit diffici<strong>le</strong> passée en pointillés, Jérémie n’eut<br />

<strong>au</strong>cun mal à se <strong>le</strong>ver sur <strong>le</strong> coup de cinq heures. Il s’habilla<br />

rapidement et avala un m<strong>au</strong>vais café servi <strong>au</strong> rest<strong>au</strong>rant de<br />

l’hôtel. Il récupéra <strong>le</strong>s affaires dont il avait besoin pour<br />

al<strong>le</strong>r voir <strong>le</strong> professeur Wiessman et, dés cinq heures et<br />

demie, il était <strong>au</strong> volant de sa voiture de location et prit la<br />

direction de l’université hébraïque. A cette heure-ci la<br />

circulation était encore fluide. Seuls quelques camions de<br />

livraison et des services d’entretien de la vil<strong>le</strong> obstruaient<br />

de temps en temps <strong>le</strong>s rues quadrillant Manhattan.<br />

Il arriva <strong>au</strong> bout de vingt minutes dans la rue de<br />

l’université et commença à chercher une place pour se<br />

garer. Il ne put faire qu’une centaine de mètres. Un<br />

policeman <strong>au</strong> milieu de la rue lui fit signe de prendre à<br />

g<strong>au</strong>che et de passer son chemin. Jérémie obtempéra et<br />

trouva une place dans une rue adjacente. Il gara sa voiture,<br />

prit sa sacoche et se dirigea à pied vers l’université. Il se<br />

rendit compte rapidement qu’il ne pourrait al<strong>le</strong>r plus loin.<br />

Quatre véhicu<strong>le</strong>s du New York Police Department<br />

fermaient la rue dans <strong>le</strong>s deux sens. Le trottoir devant<br />

l’université était inaccessib<strong>le</strong>. De la rubalise j<strong>au</strong>ne avec<br />

l’inscription « CRIME SCENE, DO NOT CROSS »<br />

bouclait tout <strong>le</strong> périmètre <strong>le</strong> long du bâtiment. Quelques<br />

42


policemen en surveillaient l’accès. Il s’approcha de l’un<br />

d’eux.<br />

- Bonjour monsieur, Pourrais-je passer s’il vous plait, j’ai<br />

rendez-vous avec quelqu’un à l’université.<br />

Le policier <strong>le</strong> regarda d’un oeil suspicieux et lui fit non<br />

de la tête.<br />

Jérémie insista gentiment, mais <strong>le</strong> policeman était<br />

intraitab<strong>le</strong>.<br />

- Ecoutez monsieur, j’ai un rendez-vous important avec<br />

<strong>le</strong> professeur Nathan Wiessman, et je doute que ce soit<br />

quelqu’un qui accepte faci<strong>le</strong>ment qu’on arrive en retard,<br />

pouvez-vous <strong>le</strong> faire prévenir ?<br />

- Avec qui avez-vous rendez-vous ?<br />

- Le professeur Nathan Wiessman.<br />

- Suivez-moi.<br />

Jérémie passa sous la rubalise j<strong>au</strong>ne et emboîta <strong>le</strong> pas du<br />

policier. Après avoir fait quelques mètres, il passèrent prés<br />

d’un marquage <strong>au</strong> sol dessinant <strong>le</strong>s contours d’un corps.<br />

Jérémie avait l’impression d’être <strong>au</strong> cinéma. Il y avait une<br />

flaque de sang séché <strong>au</strong> nive<strong>au</strong> de la tête. Quelqu’un était<br />

certainement tombé de l’immeub<strong>le</strong>.<br />

Le policier conduisit Jérémie vers un véhicu<strong>le</strong> de police<br />

banalisé ou se tenaient deux inspecteurs en civil. Juste<br />

derrière, deux ambulanciers faisaient entrer une civière<br />

recouverte d’un sac en plastique fermé par un zip dans une<br />

camionnette portant l’inscription « CORONER ».<br />

Le policeman s’approcha de l’un des deux hommes et lui<br />

parla à l’oreil<strong>le</strong>. L’inspecteur se dirigea de suite vers<br />

Jérémie.<br />

- Vous aviez rendez-vous avec <strong>le</strong> professeur<br />

Wiessman ?<br />

- En effet, il s’est passé quelque chose ?<br />

- Pourquoi deviez vous <strong>le</strong> rencontrer ?<br />

- Il doit me traduire un document. Que s’est-il passé ?<br />

- Il a fait une m<strong>au</strong>vaise chute. Montrez-moi vos papiers<br />

s’il vous plait.<br />

43


Jérémie fouilla dans sa sacoche et sortit son passeport et<br />

sa carte de presse.<br />

L’inspecteur observa <strong>le</strong>s documents avec une moue<br />

dubitative.<br />

- Français, vous êtes journaliste ?<br />

- C’est écrit sur la carte.<br />

- Quel est l’objet de votre séjour <strong>au</strong>x Etats-Unis ?<br />

- Je prépare un artic<strong>le</strong> pour un magazine français.<br />

- A quel sujet ?<br />

- La Shoah.<br />

- Et pourquoi deviez vous rencontrer <strong>le</strong> professeur<br />

Wiessman ?<br />

- Je vous l’ai dit : il devait me traduire un document en<br />

hébreux écrit pendant la guerre dans un camp de<br />

concentration.<br />

- Et vous êtes venus <strong>au</strong>x U.S.A pour ça ?<br />

- Non, Je suis venu consulter des documents sur ce<br />

qu’avait trouvé l’armée américaine à la libération des<br />

camps, et je profitais d’être à New York pour faire traduire<br />

ce témoignage par <strong>le</strong> professeur Wiessman qui passe pour<br />

être une sommité en la matière.<br />

- Qui passait. Le professeur Wiessman est mort.<br />

Défenestré. Il a fait une chute mortel<strong>le</strong> de la fenêtre de son<br />

bure<strong>au</strong>, il y a environ une demi-heure. Où étiez vous à ce<br />

moment là ?<br />

- Je quittais mon hôtel pour me rendre ici.<br />

- A quel hôtel résidez-vous ?<br />

- Prince Georges hôtel, ang<strong>le</strong> 5eme avenue, 28eme rue<br />

ouest.<br />

L’inspecteur nota toutes <strong>le</strong>s coordonnées de Jérémie et<br />

garda son passeport.<br />

- Vous aviez prévu de rester combien de temps à New<br />

York ?<br />

- Je ne sais pas, une semaine, peut-être plus, tout dépend<br />

de l‘avancement de mon artic<strong>le</strong>.<br />

44


- Pour l’instant, vous restez à New York jusqu’à nouvel<br />

ordre. Le temps de l’enquête préliminaire. Si on n’a rien à<br />

vous reprocher, votre passeport vous sera rendu dans deux<br />

jours. Voici ma carte. Je suis l’inspecteur Collins. F.B.I..<br />

Sans laisser <strong>le</strong> temps à Jérémie d’ajouter quelque chose,<br />

l’officier se retourna et partit rejoindre son collègue.<br />

Profitant d’être dans <strong>le</strong> périmètre de sécurité, Jérémie<br />

gravit <strong>le</strong>s marches de l’entrée de l’université et y pénétra<br />

discrètement. D’<strong>au</strong>tres policiers s’affairaient à l’intérieur.<br />

Jérémie préféra prendre <strong>le</strong>s escaliers plutôt que<br />

l’ascenseur. Il passerait plus inaperçu vis à vis des agents<br />

qui officiaient dans <strong>le</strong>s loc<strong>au</strong>x. Quelques secondes plus<br />

tard, il pénétra dans <strong>le</strong> couloir qui menait <strong>au</strong> bure<strong>au</strong> du<br />

professeur Wiessman. Plutôt que d’al<strong>le</strong>r dans la sal<strong>le</strong><br />

d’attente, il entra dans <strong>le</strong> bure<strong>au</strong> de l’assistante du<br />

professeur et prit la liberté de s’asseoir en attendant son<br />

arrivée.<br />

La défenestration du professeur « tombait » mal. Il ne<br />

savait plus à présent qui pourrait l’aider dans sa démarche.<br />

Heureusement qu’il n’avait pas laissé l’original du<br />

document <strong>au</strong> professeur. A l’heure qu’il est, il serait sous<br />

séquestre et dans la quasi-impossibilité de <strong>le</strong> récupérer.<br />

Quant <strong>au</strong>x raisons de la chute du professeur, il n’avait<br />

<strong>au</strong>cune raison pour l’expliquer et de toute façon, il n’y avait<br />

évidemment <strong>au</strong>cun rapport avec son affaire. Pour Jérémie,<br />

l’explication était simp<strong>le</strong>, ou <strong>le</strong> professeur s’était suicidé ou<br />

c’était un simp<strong>le</strong> accident, il avait dû se pencher un peu<br />

trop en ouvrant ses fenêtres, il y avait un tel fatras dans <strong>le</strong><br />

bure<strong>au</strong> et la veil<strong>le</strong> <strong>au</strong> soir, Wiessman ne donnait pas du tout<br />

l’impression de quelqu’un qui envisageait <strong>le</strong> suicide. Il ne<br />

semblait nul<strong>le</strong>ment déprimé, était sûr de lui, la tête<br />

fermement accrochée sur ses ép<strong>au</strong><strong>le</strong>s. Mais après tout, il<br />

n’avait rencontré <strong>le</strong> professeur que quelques minutes, et<br />

celui-ci pouvait avoir dix mil<strong>le</strong> raisons cachées d’en arriver<br />

là.<br />

45


Jérémie revint rapidement <strong>au</strong> principal de ses soucis : qui<br />

allait pouvoir lui traduire <strong>le</strong> document ? Le professeur lui<br />

avait parlé d’un de ses étudiants qui pourrait être capab<strong>le</strong> de<br />

<strong>le</strong> faire. Il lui fallait <strong>le</strong> retrouver. Et surtout savoir s’il<br />

pourrait avoir confiance en lui.<br />

Machina<strong>le</strong>ment, il regardait <strong>le</strong> bure<strong>au</strong> de la secrétaire<br />

tout en étant pris dans ses pensées. Ses yeux s’arrêtèrent sur<br />

un bloc-messages où la première feuil<strong>le</strong> était griffonnée en<br />

rouge. Jérémie se pencha en avant pour satisfaire sa<br />

curiosité et retourna <strong>le</strong> bloc pour voir ce qu’il y avait<br />

d’écrit. Le message était simp<strong>le</strong> :<br />

« URGENT »<br />

« RAPPELER INSPECTEUR COLLINS FBI »<br />

« 555-26-521 »<br />

« CONC. J.C.»<br />

Jérémie se dit tout de suite qu’il y avait peut-être un lien<br />

entre ce petit bout de papier et la mort du professeur<br />

Wiessman. Tous <strong>le</strong>s profs ne sont pas contactés en urgence<br />

par un agent du F.B.I. Ce n’est que quelques secondes plus<br />

tard qu’il réalisa que ses initia<strong>le</strong>s se trouvaient sur <strong>le</strong> papier.<br />

Ce ne pouvait être qu’une coïncidence, mais <strong>le</strong>s<br />

coïncidences sont <strong>le</strong> fait du hasard et, une fois de plus, il se<br />

rappela Gaby Goldman : « <strong>le</strong> hasard n’existe pas » avait-il<br />

dit. Jérémie chercha quel lien il pouvait y avoir entre lui, <strong>le</strong><br />

professeur et ce message. Il avait entre ses mains un<br />

document qui lui paraissait être extraordinaire, une<br />

personne était capab<strong>le</strong> de <strong>le</strong> traduire et éventuel<strong>le</strong>ment de<br />

l’interpréter, par contre, personne, hormis Gaby et <strong>le</strong><br />

professeur, ne savait qu’il était en sa possession, et encore<br />

moins pourquoi il l’avait récupéré. A moins que quelqu’un<br />

n’ait parlé. Ce ne pouvait être Gaby, et <strong>le</strong> professeur<br />

pouvait-il avoir une raison d’en discuter avec une tierce<br />

personne ? Il ne <strong>le</strong> pensait pas, s<strong>au</strong>f si <strong>le</strong> fait que <strong>le</strong><br />

document ne soit pas répertorié dans <strong>le</strong>s fichiers l’avait<br />

46


amené à se poser des questions, et éventuel<strong>le</strong>ment à en<br />

poser à d’<strong>au</strong>tres personnes.<br />

Il y avait une troisième possibilité : quelqu’un d’<strong>au</strong>tre<br />

était <strong>au</strong> courant de l’existence de ce manuscrit et <strong>le</strong><br />

cherchait. C’était une idée qu’il ne fallait pas rejeter. Si<br />

d’<strong>au</strong>tres personnes étaient <strong>au</strong>ssi en quête de ce manuscrit,<br />

el<strong>le</strong>s avaient pu faire des démarches identiques à cel<strong>le</strong>s de<br />

Jérémie et aboutir à la même conclusion, et <strong>au</strong> vu son<br />

éminence en matière de vieux textes hébreux, <strong>le</strong> professeur<br />

Wiessman avait pu en avoir eu connaissance puisqu’il était<br />

un des rares à pouvoir <strong>le</strong> traduire. Il tenait là la première<br />

possibilité d’un lien avec <strong>le</strong> F.B.I. car il était très faci<strong>le</strong><br />

pour un service comme celui-ci de mettre sur écoute <strong>le</strong>s<br />

quelques personnes ayant une possibilité d’accéder <strong>au</strong><br />

manuscrit et d’attendre que <strong>le</strong> poisson morde.<br />

Cela pouvait signifier que <strong>le</strong> F.B.I. lui-même cherchait <strong>le</strong><br />

document, et comme il avait donné son nom à l’assistante<br />

de Wiessman, la bouc<strong>le</strong> était bouclée. Mais pourquoi <strong>le</strong><br />

F.B.I chercherait-il un tel écrit ? Son raisonnement tenait à<br />

peu près la route et il s<strong>au</strong>rait rapidement si sa thèse était<br />

valab<strong>le</strong>, son passeport étant entre <strong>le</strong>s mains de l’inspecteur<br />

Collins, si d’ici deux jours il ne <strong>le</strong> lui rendait pas, c’est qu’il<br />

avait raison. Mais cela impliquait pas mal de conséquences,<br />

d’abord il était certainement sous surveillance, il lui<br />

f<strong>au</strong>drait donc prendre toutes <strong>le</strong>s préc<strong>au</strong>tions nécessaires<br />

pour protéger <strong>le</strong> document jusqu’à ce qu’il en ait une<br />

traduction.<br />

Ensuite, s’il était coincé <strong>au</strong>x Etats-Unis, sa recherche<br />

risquait de prendre un sacré retard. Le F.B.I. connaissait-il<br />

<strong>le</strong> contenu du manuscrit ? Probab<strong>le</strong>ment en avaient-ils une<br />

idée puisqu’ils étaient informés de son existence.<br />

Jérémie se dit qu’il ne fallait pas qu’il reste plus<br />

longtemps ici. Il se <strong>le</strong>va et sortit rapidement du bure<strong>au</strong>.<br />

Il se retrouva dans <strong>le</strong> couloir et chercha d’abord à quitter<br />

<strong>le</strong> bâtiment, puis il se ravisa et suivit un panne<strong>au</strong> indicateur<br />

d’une sal<strong>le</strong> de <strong>le</strong>cture. Il voulait rester dans la place<br />

47


songeant que c’était <strong>le</strong> seul moyen de pouvoir entrer en<br />

contact avec l’étudiant dont lui avait parlé Wiessman. Il ne<br />

voulait pas essayer avec un <strong>au</strong>tre professeur car si sa<br />

théorie était valab<strong>le</strong>, eux <strong>au</strong>ssi étaient certainement sous<br />

surveillance.<br />

Jérémie entra dans la sal<strong>le</strong> de <strong>le</strong>cture, prit un livre et<br />

sortit son cahier de notes et joua à l’étudiant absorbé par<br />

son travail.<br />

Le temps devenait long. Jérémie était dans la sal<strong>le</strong> de<br />

<strong>le</strong>cture depuis bientôt trois quarts d’heure. En regardant sa<br />

montre, <strong>le</strong>s secondes passaient comme cou<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>s gouttes<br />

d’e<strong>au</strong> d’un robinet fuyant. El<strong>le</strong>s en devenaient bruyantes.<br />

Il y avait de plus en plus d’agitation dans <strong>le</strong>s couloirs de<br />

l’université. Huit heures approchaient et professeurs et<br />

étudiants commençaient à faire revivre <strong>le</strong>s lieux. La police<br />

était toujours présente mais savait se rendre discrète. Il y<br />

avait quand même moins d’uniformes. Quelques<br />

inspecteurs en civil avaient pris <strong>le</strong> relais et démarraient<br />

véritab<strong>le</strong>ment l’enquête. Jérémie avait un problème à<br />

résoudre : trouver <strong>le</strong> fameux étudiant en évitant de se faire<br />

repérer. Il n’avait rien à se reprocher, mais il y avait de<br />

fortes chances que l’inspecteur Collins soit encore sur <strong>le</strong>s<br />

lieux, et il valait mieux ne pas faire découvrir l’étudiant s’il<br />

arrivait à <strong>le</strong> trouver.<br />

Il se mit d’abord à réfléchir de quel<strong>le</strong> façon il pourrait<br />

dénicher quelqu’un dont il ne connaissait ni <strong>le</strong> nom ni <strong>le</strong><br />

visage. A première vue, cela ne semblait pas évident dans<br />

un endroit ou il pouvait y avoir trois ou quatre mil<strong>le</strong><br />

universitaires qui en plus n’étaient pas forcément là tous en<br />

même temps.<br />

Quelques jeunes gens commençaient à arriver dans la<br />

sal<strong>le</strong> de <strong>le</strong>cture pour y consulter des ouvrages et Jérémie se<br />

dit qu’il pouvait peut-être commencer par-là. La<br />

bibliothèque est un endroit où ils ont nécessairement<br />

l’habitude de passer. L’<strong>au</strong>tre solution était <strong>au</strong>ssi de se<br />

renseigner <strong>au</strong>près de l’assistante du professeur Wiessman,<br />

48


mais c’était plus risqué. Il était probab<strong>le</strong> qu’el<strong>le</strong> serait<br />

interrogée par <strong>le</strong> F.B.I.<br />

Il pouvait <strong>au</strong>ssi directement contacter Collins pour tirer<br />

<strong>le</strong>s choses <strong>au</strong> clair, mais ce n’était pas spécia<strong>le</strong>ment une<br />

bonne idée tant qu’il ne connaîtrait pas exactement <strong>le</strong><br />

rapport entre <strong>le</strong> F.B.I. et <strong>le</strong> manuscrit.<br />

Une étudiante vint s’asseoir à côté de Jérémie, déballa<br />

ses affaires et partit dans <strong>le</strong>s rayonnages pour y chercher un<br />

livre. El<strong>le</strong> revint avec un ouvrage gros comme un tome du<br />

bottin new yorkais, écrit en hébreu, Jérémie décida de la<br />

questionner.<br />

-Mademoisel<strong>le</strong>, s’il vous plait.<br />

La jeune femme <strong>le</strong> regarda d’un air interrogateur.<br />

-Excusez-moi, mais j’avais rendez-vous avec <strong>le</strong><br />

professeur Wiessman, mais il a eu un accident, vous êtes <strong>au</strong><br />

courant ?<br />

-Oui, c’est affreux, c’était un grand professeur, tout <strong>le</strong><br />

monde a été très touché en apprenant la nouvel<strong>le</strong>. Que<br />

désirez-vous ?<br />

-Eh bien <strong>le</strong> professeur devait me traduire un vieux<br />

document en hébreu, nous devions nous rencontrer ce<br />

matin, mais malheureusement, après ce qu’il s’est passé, je<br />

ne sais plus à qui m’adresser pour la traduction. Il m’avait<br />

parlé d’un étudiant qui pourrait se charger de cela, mais<br />

comme j’avais refusé par confidentialité, il avait donc<br />

accepté de la faire lui-même, mais à présent… Vous ne<br />

voyez pas qui pourrait être cet étudiant ?<br />

-Ecoutez, je ne sais pas, je ne travaillais pas avec lui, je<br />

ne vois pas comment je pourrais vous aider.<br />

-N’y avait-il pas un groupe de travail plus proche du<br />

professeur avec <strong>le</strong>quel il faisait plus de recherches ?<br />

-Oui certainement, mais vous pourriez demander à son<br />

assistante.<br />

-J’y ai bien pensé, mais el<strong>le</strong> n’est pas encore arrivée.<br />

Connaissez-vous un des étudiants qui faisait partie de son<br />

groupe de travail ?<br />

49


-Oui, j’en connais bien un mais il n’est pas là <strong>au</strong>jourd’hui.<br />

-Pourriez-vous <strong>le</strong> contacter pour moi, voici ma carte avec<br />

mon numéro de portab<strong>le</strong>. C’est très urgent, merci.<br />

-Je vais voir ce que je peux faire.<br />

-Merci be<strong>au</strong>coup, à bientôt.<br />

Jérémie se <strong>le</strong>va et se dirigea vers la sortie. Il n’avait plus<br />

qu’à attendre que cette option donne quelque chose.<br />

Volontairement, il avait donné son numéro de téléphone<br />

portab<strong>le</strong> français pour éviter <strong>le</strong>s risques d’écoute à l’hôtel.<br />

Il quitta rapidement l’université où malgré <strong>le</strong> drame du<br />

matin, la vie quotidienne recommençait à prendre ses<br />

droits.<br />

50


CHAPITRE IV<br />

Jérémie n’avait plus qu’à attendre. Il rentra à son hôtel et<br />

décida de reporter par écrit sur son ordinateur portab<strong>le</strong> <strong>le</strong>s<br />

deniers jours qui venaient de passer. Cela lui prit peu de<br />

temps, car en dehors de l’histoire du manuscrit et de la<br />

mort du professeur Wiessman, il avait peu avancé sur <strong>le</strong><br />

fond du problème. En attendant l’hypothétique appel de<br />

l’étudiant, il se dit qu’il avait toujours la possibilité de<br />

tenter de trouver un laboratoire qui lui permettrait de faire<br />

une datation <strong>au</strong> carbone 14 pour déterminer exactement la<br />

période ou <strong>le</strong> manuscrit avait été rédigé. Ce genre d’endroit<br />

devait certainement exister à New York. Il choisit pour<br />

commencer la méthode la plus simp<strong>le</strong> : Il prit l’annuaire de<br />

l’état de New York et consulta <strong>le</strong>s pages réservées <strong>au</strong>x<br />

laboratoires scientifiques. Il en choisi un s’occupant de<br />

paléontologie et appela pour demander où il pourrait faire<br />

réaliser une tel<strong>le</strong> recherche.<br />

Une aimab<strong>le</strong> standardiste lui donna <strong>le</strong> renseignement, en<br />

lui précisant toutefois que c’était une démarche<br />

relativement longue et que <strong>le</strong>s laboratoires étaient assez<br />

surchargés. El<strong>le</strong> lui conseilla donc de demander à<br />

51


l’université fédéra<strong>le</strong> des sciences, où ils avaient tout <strong>le</strong><br />

matériel nécessaire pour mener à bien une tel<strong>le</strong> opération.<br />

Il nota soigneusement <strong>le</strong>s coordonnées, remercia la jeune<br />

femme pour son aide et raccrocha pour appe<strong>le</strong>r l’université<br />

des sciences.<br />

Il n’eut pas <strong>le</strong> temps de composer <strong>le</strong> numéro. Son<br />

portab<strong>le</strong> se mit à sonner et il décrocha dès la première<br />

sonnerie.<br />

-Allô ?<br />

-M. Jérémie Cohen ?<br />

-Lui-même, qui est à l’appareil ?<br />

-Je m’appel<strong>le</strong> Peter Fisher, je suis étudiant à l’université<br />

hébraïque. Sarah m’a donné votre numéro. Il semb<strong>le</strong> que<br />

vous ayez besoin de mes services pour une traduction ?<br />

-En effet, vous pourriez m’être d’un grand secours, votre<br />

amie vous a expliqué ? Je suis désolé pour ce qui est arrivé<br />

<strong>au</strong> professeur Wiessmann.<br />

-Oui c’est une très grande perte pour nous, c’était un<br />

homme extraordinaire, une montagne de connaissances.<br />

C’est un m<strong>au</strong>vais coup porté à la recherche.<br />

-Je <strong>le</strong> crois <strong>au</strong>ssi. Pensez-vous pouvoir traduire mon<br />

document ?<br />

-Il f<strong>au</strong>drait que je puisse <strong>le</strong> voir pour vous répondre<br />

précisément. Savez-vous de quand il date ?<br />

-Non, mais <strong>le</strong> professeur l’avait vu et m’avait dit que<br />

c’était un texte relativement récent.<br />

-Alors dans ce cas il ne devrait pas y avoir be<strong>au</strong>coup de<br />

problèmes. Quand désirez-vous que nous nous<br />

rencontrions ?<br />

-Dés que possib<strong>le</strong>, Vous êtes disponib<strong>le</strong> à partir de<br />

quand ?<br />

-Ce soir vers dix-huit heures si vous vou<strong>le</strong>z.<br />

-Parfait, où peut-on se rencontrer ? Si cela ne vous<br />

dérange pas, je préfèrerais que ce soit à mon hôtel. Je suis<br />

<strong>au</strong> Prince Georges sur la cinquième.<br />

-Oui, je vois où c’est. Alors dix-huit heures à votre hôtel.<br />

52


-D’accord, je suis à la chambre 705. A ce soir, merci.<br />

Jérémie raccrocha, satisfait que <strong>le</strong>s choses ail<strong>le</strong>nt plus<br />

vite qu’il ne l’imaginait. Il reprit son téléphone et appela<br />

l’université des sciences.<br />

Une <strong>au</strong>tre standardiste lui répondit, et après lui avoir<br />

expliqué ce qu’il voulait faire, el<strong>le</strong> lui passa <strong>le</strong> responsab<strong>le</strong><br />

du service qui pouvait réaliser <strong>le</strong>s datations <strong>au</strong> carbone 14.<br />

Le scientifique lui annonça que c’était tout à fait possib<strong>le</strong><br />

mais que cela prenait du temps et qu’ils avaient be<strong>au</strong>coup<br />

de travail. Jérémie demanda à quel moment il pourrait faire<br />

effectuer ces trav<strong>au</strong>x, en précisant qu’il était assez pressé. Il<br />

arriva à obtenir un rendez-vous pour <strong>le</strong> <strong>le</strong>ndemain matin,<br />

mais sans avoir de garantie sur la possibilité de faire la<br />

datation rapidement. Il fallait déjà que <strong>le</strong> scientifique puisse<br />

voir <strong>le</strong> manuscrit avant de savoir s’il pourrait <strong>le</strong> dater.<br />

Jérémie se dit qu’il f<strong>au</strong>drait qu’il apprenne à maîtriser son<br />

impatience, <strong>le</strong>s choses allaient pourtant vite, mais pas assez<br />

pour lui.<br />

La journée se passa <strong>au</strong>ssi <strong>le</strong>ntement que lorsqu’on attend<br />

l’arrivée d’un évènement important.<br />

A dix-huit heures précises, <strong>le</strong> téléphone de sa chambre<br />

émit une sonnerie stridente faisant brusquement sortir<br />

Jérémie des pensées qui avaient bousculé son esprit tout <strong>au</strong><br />

long de la journée. Il se sentait <strong>au</strong>ssi lourd qu’on peut l’être<br />

après avoir dormi tout une après-midi, ce qui n’avait<br />

pourtant pas été <strong>le</strong> cas.<br />

Le réceptionniste lui annonça l’arrivée de Peter Fisher et<br />

Jérémie préféra <strong>le</strong> faire monter plutôt que de <strong>le</strong> rencontrer<br />

dans un des salons de l’hôtel.<br />

Après quelques minutes, trois coups brefs se firent<br />

entendre à la porte de sa chambre, Jérémie s’empressa<br />

d’al<strong>le</strong>r ouvrir.<br />

Un jeune homme d’environ vingt-cinq ans se tenait<br />

derrière la porte, Jérémie l’invita à rentrer.<br />

Peter Fisher était l’archétype de l’étudiant américain.<br />

Assez grand, une carrure élancée, apparemment sportif, il<br />

53


était vêtu de l’incontournab<strong>le</strong> sweat-shirt, d’un jean large et<br />

de grosses ch<strong>au</strong>ssures de marche. Il portait sur son ép<strong>au</strong><strong>le</strong><br />

un vieux sac de l’US Army.<br />

-Bonsoir, je suis Peter Fisher.<br />

-Jérémie Cohen, enchanté. Désolé de vous avoir dérangé,<br />

j’apprécie be<strong>au</strong>coup la promptitude avec laquel<strong>le</strong> vous<br />

avez bien voulu me contacter.<br />

-Ce n’est rien, que puis-je faire pour vous ?<br />

Jérémie lui expliqua de vive voix ce qu’il attendait de<br />

lui, en insistant sur la confidentialité de ses recherches.<br />

En discutant avec lui, il pensa qu’il pourrait lui faire<br />

confiance. Peter Fisher semblait être quelqu’un de sérieux,<br />

intelligent, sûr de lui, un peu rebel<strong>le</strong> <strong>au</strong>ssi, et apparemment<br />

toujours prêt à plaisanter. Jérémie avait essayé d’en dire <strong>le</strong><br />

moins possib<strong>le</strong> sur ses recherches et sur la provenance du<br />

manuscrit, mais Peter affichait tout de même une certaine<br />

curiosité qui après réf<strong>le</strong>xion, était tout à fait norma<strong>le</strong> de la<br />

part d’un étudiant.<br />

-Avez-vous une idée de quel<strong>le</strong> période date ce<br />

manuscrit ?<br />

-Aucune pour <strong>le</strong> moment, mais j’ai rendez-vous demain<br />

matin avec un certain Alan Hartfield qui est responsab<strong>le</strong> du<br />

laboratoire C 14 à l’université des sciences de New York,<br />

pour faire une datation <strong>au</strong> carbone 14, mais je ne sais pas<br />

combien de temps cela prendra.<br />

-De toute façon, reprit Peter, nous pourrons déjà nous<br />

faire une certaine idée <strong>au</strong> travers de la traduction. Je peux<br />

voir <strong>le</strong> document ?<br />

Jérémie récupéra <strong>le</strong> manuscrit et <strong>le</strong> présenta à Peter.<br />

Celui-ci l’observa attentivement, <strong>le</strong> feuil<strong>le</strong>tant<br />

préc<strong>au</strong>tionneusement, ne faisant <strong>au</strong>cun commentaire. Après<br />

l’avoir parcouru dans son ensemb<strong>le</strong>, il regarda Jérémie et se<br />

décida à faire quelques remarques :<br />

-Cela ne devrait pas être très compliqué, <strong>le</strong> texte semb<strong>le</strong><br />

récent, c’est tout à fait dans mes cordes, ça devrait même<br />

être assez rapide.<br />

54


-Combien de temps vous f<strong>au</strong>dra-t-il ?<br />

-Quelques heures, une journée tout <strong>au</strong> plus, il me f<strong>au</strong>t<br />

quelques supports techniques disponib<strong>le</strong>s à l’université qui<br />

faciliteront la traduction. Vous pouvez me <strong>le</strong> laisser ?<br />

-Impossib<strong>le</strong>, j’en ai besoin pour faire la datation et pour<br />

être franc avec vous, je préfère ne pas m’en séparer.<br />

J’aimerais d’ail<strong>le</strong>urs être avec vous quand vous travail<strong>le</strong>rez<br />

dessus. Quand pourriez vous faire ce travail ? Ou plutôt, je<br />

pose ma question différemment, pouvez-vous commencer<br />

maintenant ? Je suis assez impatient de connaître <strong>le</strong> résultat.<br />

-Je veux bien, mais il est tard, je ne suis pas sûr de<br />

pouvoir terminer ce soir et je n’ai pas mes supports. Ca va<br />

rallonger <strong>le</strong> processus, je ne suis pas un dictionnaire<br />

d’hébreu !<br />

-Nous verrons bien, si vous vou<strong>le</strong>z nous pourrons dîner<br />

ensemb<strong>le</strong> ensuite.<br />

-Vu <strong>le</strong> temps que cela peut prendre, je pense plutôt que<br />

nous pourrons prendre notre petit-déjeuner ensemb<strong>le</strong> !<br />

-Pas de problème pour moi répondit Jérémie, ce soir, j’ai<br />

tout mon temps.<br />

Jérémie arrangea <strong>le</strong> petit bure<strong>au</strong> de sa chambre pour <strong>le</strong>ur<br />

permettre de travail<strong>le</strong>r un peu plus à l’aise. Ils se mirent<br />

immédiatement à <strong>le</strong>ur tâche.<br />

Pour commencer, Peter recopia soigneusement <strong>le</strong>s<br />

caractères en prenant soin de <strong>le</strong>s imiter du mieux possib<strong>le</strong><br />

et en laissant de grands espaces entre chaque ligne. Il<br />

expliqua à Jérémie que cela servirait de document de travail<br />

pour y noter toutes <strong>le</strong>s remarques ou questions qui<br />

pourraient se poser lors de la traduction.<br />

Cela lui prit bien une heure à recopier. Quand il eut<br />

terminé, il récupéra son sac et en sortit un vieux<br />

dictionnaire d’hébreu classique.<br />

Il divisa <strong>le</strong> texte en séparant chaque mot par un trait<br />

vertical.<br />

-Je vais d’abord faire une traduction littéra<strong>le</strong> de chaque<br />

terme annonça-t-il, ensuite, en fonction du résultat,<br />

55


j’essaierai de replacer chaque mot dans <strong>le</strong> contexte brut de<br />

la phrase. En <strong>le</strong> repositionnant dans un ensemb<strong>le</strong>, on pourra<br />

plus faci<strong>le</strong>ment retrouver son sens exact pour enfin arriver<br />

à une phrase bien construite et non dénuée de sens. Il y a<br />

une chose qu’il ne f<strong>au</strong>t pas oublier, <strong>le</strong>s anciens avaient<br />

toujours tendance à utiliser des métaphores ou à expliquer<br />

par l’exemp<strong>le</strong> <strong>au</strong> travers duquel on doit tirer un<br />

enseignement. La Bib<strong>le</strong> et tous <strong>le</strong>s textes anciens en sont<br />

truffés. C’est pour cela qu’il f<strong>au</strong>t se méfier <strong>au</strong> premier<br />

abord d’un texte très simp<strong>le</strong> en apparence. Si la traduction<br />

en el<strong>le</strong>-même est aisée, l’interprétation est tout <strong>au</strong>tre,<br />

d’<strong>au</strong>tant plus que l’homme <strong>au</strong>ra envie d’interpréter en<br />

fonction de ce qu’il a envie de lire ou d’entendre. Par<br />

conséquent, <strong>le</strong> cerve<strong>au</strong> ne peut plus être objectif, et cela<br />

devient bien entendu la première source d’erreur. Je vous<br />

demande donc de ne me faire <strong>au</strong>cun commentaire jusqu’à<br />

ce que j’aie complètement terminé afin de ne pas avoir la<br />

moindre démarche subjective. Par contre, vous pouvez tout<br />

à fait nous faire monter des bières !<br />

Jérémie s’exécuta et <strong>le</strong> room-service se présenta<br />

quelques minutes plus tard avec un plate<strong>au</strong> chargé de toutes<br />

<strong>le</strong>s bières américaines de la création. Décidément, <strong>le</strong>s Etats-<br />

Unis ne connaissent pas la demi-mesure.<br />

* * *<br />

-Margaret, Convoquez-moi l’inspecteur Collins<br />

immédiatement !<br />

Du fond de son f<strong>au</strong>teuil en cuir dans <strong>le</strong> plus grand<br />

bure<strong>au</strong> du dernier étage de l’immeub<strong>le</strong> du F.B.I., Milton<br />

Glover, directeur de l’agence new yorkaise du Bure<strong>au</strong><br />

56


Fédéral d’Investigations, était en proie à un énervement<br />

inhabituel de sa part.<br />

Il avait reçu quelques minutes plus tôt un appel<br />

téléphonique de la Maison Blanche émanant des plus<br />

proches services de sécurité du Président. Il était d’<strong>au</strong>tant<br />

plus atterré qu’il ne savait absolument pas de quoi il<br />

s’agissait. La seu<strong>le</strong> chose qui l’avait vraiment marqué,<br />

c’était <strong>le</strong> savon que lui avait passé son interlocuteur pour<br />

avoir laissé fi<strong>le</strong>r un suspect éventuel dans une sombre<br />

affaire de professeur tombé de sa fenêtre.<br />

Collins entra dans <strong>le</strong> bure<strong>au</strong> et son patron ne lui laissa<br />

pas <strong>le</strong> temps de par<strong>le</strong>r.<br />

-Qu’est-ce que c’est que ce foutoir ?<br />

-De quoi vou<strong>le</strong>z vous par<strong>le</strong>r monsieur ?<br />

-Qui est ce prof qui est tombé de la fenêtre de son<br />

bure<strong>au</strong> ?<br />

-Un professeur de l’université hébraïque. Le professeur<br />

Nathan Wiessman. On ne sait pas encore comment cela à<br />

pu se passer. Toutes <strong>le</strong>s thèses sont envisageab<strong>le</strong>s.<br />

-Comment ça toutes <strong>le</strong>s thèses sont envisageab<strong>le</strong>s ! Je<br />

viens d’avoir un appel de la Maison Blanche. Un type<br />

furieux de la sécurité nationa<strong>le</strong> a passé un quart-d’heure à<br />

me faire reluire <strong>le</strong>s tympans comme quoi nous étions juste<br />

bons à faire la circulation sur <strong>le</strong>s routes désaffectées du<br />

Vermont ! Qu’est-ce que c’est que cette affaire ? Qu’est-ce<br />

que la Maison Blanche a à voir avec un prof qui tombe de<br />

sa fenêtre ?<br />

-Nous avons juste reçu une note émanant de la N.S.A.<br />

nous disant qu’il fallait entrer en contact avec un certain<br />

professeur Wiessman et lui demander de nous prévenir s’il<br />

était contacté par un certain Jérémie Cohen. J’ai donc<br />

essayé hier soir, mais il était déjà parti. J’ai donc laissé un<br />

mot sur <strong>le</strong> bure<strong>au</strong> de son assistante lui demandant de me<br />

rappe<strong>le</strong>r. C’est quand je suis arrivé ce matin que j’ai appris<br />

qu’il avait eu un accident.<br />

57


-Ben voyons ! Un type est dans <strong>le</strong> giron de la N.S.A. et<br />

comme par hasard, <strong>le</strong> <strong>le</strong>ndemain matin, il a un accident !<br />

Bon, qu’a donné l’enquête préliminaire ?<br />

-Rien de plus que ce que nous avons pu constater sur <strong>le</strong>s<br />

lieux et <strong>le</strong>s quelques renseignements que nous avons pu<br />

glaner <strong>au</strong>près de ses proches et des personnes qui<br />

travaillaient avec lui. Apparemment, c’était un type sans<br />

histoires qui vivait pour sa femme et son boulot. Un point<br />

important cependant : Il avait rendez-vous tôt ce matin avec<br />

ce Jérémie Cohen. Le type s’est présenté à l’université,<br />

mais <strong>le</strong> professeur était déjà sur <strong>le</strong> trottoir. J’ai eu une<br />

discussion avec lui, il m’a seu<strong>le</strong>ment dit qu’il avait un<br />

document à faire traduire par <strong>le</strong> prof. J’ai quand même<br />

récupéré son passeport et ses coordonnées à l’hôtel, mais je<br />

n’ai rien pu faire de mieux, n’ayant <strong>au</strong>cun motif pour<br />

l’appréhender. Nous verrons ce que donneront <strong>le</strong>s résultats<br />

de l’enquête, mais je ne pense pas qu’il ait fait <strong>le</strong> coup.<br />

Nous avons pris des renseignements à son sujet <strong>au</strong>près des<br />

services français, rien à signa<strong>le</strong>r de ce côté. C’est un<br />

journaliste spécialisé dans la théologie, assez reconnu, pas<br />

de casier, <strong>au</strong>cun antécédent louche. Nous avons contacté<br />

quelques-uns uns des canards avec <strong>le</strong>squels il travail<strong>le</strong>, ils<br />

m’ont confirmé qu’il était chez nous pour consulter des<br />

archives de L’U.S. Army sur la libération des camps à la<br />

fin de la guerre. Il doit faire un artic<strong>le</strong> sur la Shoah. Tout<br />

cela corrobore exactement avec ce qu’il m’a lui-même<br />

déclaré.<br />

-Vous <strong>le</strong> faites suivre ?<br />

-Oui, comme nous avons reçu une note de la N.S.A., j’ai<br />

préféré mettre quelqu’un dessus. Il n’a pas bougé de son<br />

hôtel <strong>au</strong>jourd’hui. Je voulais d’ail<strong>le</strong>urs vous demander<br />

l’<strong>au</strong>torisation de <strong>le</strong> mettre sur écoute.<br />

-Vous l’avez. Ne <strong>le</strong> lâchez pas, je veux pas avoir<br />

d’emmerdes avec la Maison Blanche. Je sais pas ce qu’ils<br />

ont contre ce type, mais ça ne me dit rien qui vail<strong>le</strong>, ni pour<br />

lui ni pour nous.<br />

58


Collins quitta <strong>le</strong> bure<strong>au</strong> et alla directement <strong>au</strong>x écoute<br />

pour faire surveil<strong>le</strong>r la ligne de la chambre de Jérémie.<br />

Quelque chose lui disait pourtant que c’était peine perdue.<br />

Il n’avait certainement pas tué Wiessman. La N.S.A. était<br />

un peu paranoïaque ces derniers temps. Ou alors il y avait<br />

quelque chose de bien caché.<br />

* * *<br />

Cela faisait bientôt trois heures que Peter s’appliquait à<br />

la traduction. Jérémie avait fait monter un plate<strong>au</strong> de<br />

sandwiches que Peter avait avalés goulûment. Il laissait<br />

faire l’étudiant sans intervenir et comblait son ennui en<br />

lisant <strong>le</strong>s journ<strong>au</strong>x du soir qu’il avait achetés à la boutique<br />

dans <strong>le</strong> hall de l’hôtel. Quelques entrefi<strong>le</strong>ts avaient annoncé<br />

la chute mortel<strong>le</strong> du professeur Wiessmann et laissaient<br />

entendre qu’il s’agissait d’un banal accident.<br />

Jérémie y croyait de moins en moins, mais il ne<br />

comprenait pas. Il était quasiment sûr que des personnes<br />

connaissaient l’existence du manuscrit et avaient une idée<br />

de son contenu. Et surtout qu’el<strong>le</strong>s ne désiraient pas<br />

forcément que <strong>le</strong> texte soit dévoilé <strong>au</strong> grand jour.<br />

Apparemment, ils ne se doutaient pas encore que Jérémie<br />

l’avait en sa possession sinon ils <strong>au</strong>raient tout fait dés<br />

<strong>au</strong>jourd’hui pour <strong>le</strong> récupérer. Le message destiné <strong>au</strong><br />

professeur Wiessmann devait être une première prise de<br />

contact par <strong>le</strong> F.B.I. pour lui demander de <strong>le</strong>s informer dés<br />

que Jérémie chercherait à entrer en relation avec lui.<br />

Heureusement que Peter était intervenu immédiatement.<br />

Demain <strong>au</strong>rait peut-être été trop tard.<br />

De temps en temps, Peter poussait une petite<br />

exclamation de joie signifiant sûrement qu’il venait de<br />

59


trouver la solution d’un passage diffici<strong>le</strong>. Cela faisait à<br />

chaque fois surs<strong>au</strong>ter Jérémie qui commençait sérieusement<br />

à être fatigué, mais l’impatience de connaître <strong>le</strong>s résultats<br />

de la traduction lui permettait de tenir.<br />

Jérémie s’était fina<strong>le</strong>ment endormi quand, vers quatre<br />

heures du matin, Peter poussa un cri mêlé de joie et de<br />

satisfaction qui sortit bruta<strong>le</strong>ment Jérémie de son sommeil.<br />

-Ca y est ! J’ai terminé !<br />

Les yeux gonflés par la fatigue, il se tourna vers Jérémie.<br />

-C’est complètement fou ! Si je ne me suis pas trompé,<br />

c’est complètement fou !<br />

* * *<br />

60


5 janvier 2000<br />

CHAPITRE V<br />

-Monsieur <strong>le</strong> Président, vous avez <strong>le</strong> Vatican sur la ligne<br />

spécia<strong>le</strong>.<br />

Il était tôt et la Maison Blanche était encore peu active en<br />

cette heure matina<strong>le</strong>. Les personnes travaillant <strong>au</strong>x heures<br />

norma<strong>le</strong>s n’avaient pas encore pris <strong>le</strong>ur service, et seuls <strong>le</strong>s<br />

membres permanents de la sécurité nationa<strong>le</strong> et de la<br />

protection rapprochée du Président des Etats-Unis étaient<br />

présents dans <strong>le</strong>s luxueux loc<strong>au</strong>x de l’antre du pouvoir<br />

américain.<br />

Le Président s’était <strong>le</strong>vé une heure plus tôt, avait pris une<br />

rapide collation et s’était immédiatement rendu dans <strong>le</strong><br />

légendaire bure<strong>au</strong> ova<strong>le</strong> qui était <strong>le</strong> témoin à jamais<br />

si<strong>le</strong>ncieux de quelques-uns uns des plus grands secrets de<br />

l’Histoire.<br />

Il fit rapidement un point mental des affaires en cours<br />

avec <strong>le</strong> Vatican, se demandant ce qui pouvait motiver un<br />

appel des plus h<strong>au</strong>tes instances catholiques à six heures du<br />

matin, d’<strong>au</strong>tant plus que d’habitude, s<strong>au</strong>f cas grave, cela<br />

61


passait par la voie protocolaire d’usage. Avant de prendre<br />

la ligne, il décida quand même d’appe<strong>le</strong>r <strong>le</strong> responsab<strong>le</strong> des<br />

relations diplomatiques entre la Maison Blanche et <strong>le</strong><br />

Vatican.<br />

-Michael, avons-nous un dossier sensib<strong>le</strong> en cours avec <strong>le</strong><br />

Vatican ?<br />

-Rien de particulier, Monsieur <strong>le</strong> Président, nous avons<br />

seu<strong>le</strong>ment reçu une note de <strong>le</strong>ur part nous demandant de<br />

surveil<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s agissements d’un ressortissant français,<br />

journaliste de surcroît, qui pourrait nuire à la sécurité du<br />

pays, nous avons mis la NSA sur <strong>le</strong> dossier depuis hier,<br />

mais il n’en est rien ressorti de vraiment important <strong>le</strong> type<br />

se tient tranquil<strong>le</strong> et nous avons son passeport<br />

-Qu’a-t-il fait ?<br />

-Rien, il est seu<strong>le</strong>ment témoin dans une affaire de<br />

défenestration d’un professeur à l’université hébraïque de<br />

New York.<br />

-OK, merci, à plus tard.<br />

William Colton décrocha la « ligne spécia<strong>le</strong> » et<br />

s’annonça.<br />

-Bonjour, Monsieur <strong>le</strong> Président, je suis <strong>le</strong> Cardinal<br />

Francesco Bellini, je vous passe notre saint Père.<br />

Quelques secondes de si<strong>le</strong>nce passèrent et une voix<br />

tremblotante se fit entendre dans l’écouteur.<br />

-Que Dieu vous bénisse William, je suis désolé de vous<br />

déranger à une heure <strong>au</strong>ssi matina<strong>le</strong>, mais je dois vous<br />

entretenir de certaines choses revêtant la plus h<strong>au</strong>te<br />

importance, pour nous, pour vous et pour l’humanité tout<br />

entière. Ce que je vais vous dire relève de la plus grande<br />

discrétion et il est primordial que vous fassiez très attention<br />

<strong>au</strong>x personnes à qui vous al<strong>le</strong>z devoir en par<strong>le</strong>r. Vous<br />

devrez sé<strong>le</strong>ctionner de façon particulière <strong>le</strong>s gens de vos<br />

services qui seront chargés de suivre cette affaire. Il vous<br />

f<strong>au</strong>t savoir que même <strong>le</strong>s membres de votre équipe en qui<br />

vous avez <strong>le</strong> plus confiance ne seront pas forcément ceux<br />

62


<strong>au</strong>xquels vous devrez vous adresser, je pense que vous me<br />

comprenez ?<br />

-Tout à fait, nous avons l’habitude de tenir certains<br />

secrets, vous pouvez me faire confiance, ce n’est pas la<br />

première fois que nous travaillons ensemb<strong>le</strong> sur des affaires<br />

délicates.<br />

-Oui, mais cel<strong>le</strong>-ci n’a absolument rien à voir avec ce<br />

que nous avons vécu jusqu’à présent.<br />

-De quoi s’agit-il ?<br />

-Vous savez, <strong>le</strong> Vatican a toujours eu connaissance de<br />

certaines choses, des secrets, des documents qui ont été<br />

transmis de générations en générations, dont nous avons<br />

jalousement tu <strong>le</strong> contenu car ils pouvaient avoir une<br />

influence néfaste sur notre fonctionnement et celui de<br />

l’humanité en général, en d’<strong>au</strong>tres termes, tous <strong>le</strong>s états,<br />

quels qu’ils soient, ont un « dossier Kennedy » bien caché<br />

dans <strong>le</strong>urs archives.<br />

William Colton se demanda qui <strong>le</strong> Vatican avait bien pu<br />

faire assassiner, mais il garda cette pensée pour lui, son<br />

illustre interlocuteur semblait suffisamment sérieux pour ne<br />

pas entendre de bon matin des plaisanteries que lui-même<br />

trouvait de m<strong>au</strong>vais goût.<br />

-Voilà, l’Eglise a eu connaissance, il y a environ six<br />

sièc<strong>le</strong>s, de l’existence d’un document que nous n’avons<br />

malheureusement jamais eu en main, dont nous ne sommes<br />

même pas sûrs qu’il ait jamais existé, mais que nous ne<br />

pouvons nous permettre de laisser apparaître <strong>au</strong> grand jour<br />

s’il était prouvé qu’il se trouve quelque part. Nous ne<br />

sommes même pas sûrs de son contenu car nous en avons<br />

eu connaissance <strong>au</strong> travers de quelques écrits de moines<br />

ayant fait une analyse particulière de certains textes datant<br />

des différentes périodes de la rédaction de la Bib<strong>le</strong>. Nous<br />

avons certes des secrets, mais <strong>au</strong>cun n’a <strong>le</strong> pouvoir de nous<br />

remettre en question, or, celui-ci, s’il est réel, peut se<br />

révé<strong>le</strong>r catastrophique pour la terre entière. C’est pour cela<br />

qu’il est indispensab<strong>le</strong> de prendre <strong>le</strong>s devants, et je dois<br />

63


vous avouer que je préfèrerais que nous puissions avoir la<br />

certitude que ce document n’existe pas. Ce ne serait pas la<br />

première erreur de l’Eglise, mais parfois, il est préférab<strong>le</strong><br />

de se tromper plutôt que de découvrir des vérités<br />

dangereuses.<br />

-Et selon vous, que contiendrait ce document ?<br />

Le premier homme de l’église souhaitait <strong>au</strong> fond de lui que<br />

<strong>le</strong> Président ne lui pose pas cette question, tout en sachant<br />

qu’el<strong>le</strong> était inévitab<strong>le</strong>.<br />

Au fur et à mesure que <strong>le</strong> Pape lui faisait part de ce qu’il<br />

savait, <strong>le</strong> visage de William Colton se décomposait et pour<br />

la première fois depuis qu’il était Président des Etats-Unis,<br />

une peur glacia<strong>le</strong> et profonde envahissait tout son corps,<br />

comme si son sang s’était transformé en un liquide froid et<br />

piquant se déversant <strong>le</strong>ntement dans ses veines.<br />

* * *<br />

Jérémie regardait Peter d’un air plus qu’interrogateur. Il<br />

<strong>le</strong> suppliait de lui dire, de lui laisser voir la feuil<strong>le</strong> noircie<br />

par des gribouillis incompréhensib<strong>le</strong>s, un médecin n’<strong>au</strong>rait<br />

pas fait mieux sur une ordonnance. Des ratures<br />

entrecoupaient des mots illisib<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s yeux de Peter<br />

étaient exorbités, fixant intensément Jérémie, sa joie s’était<br />

peu à peu transformée en une peur glacia<strong>le</strong> qu’il n’avait<br />

jamais ressentie jusqu’à ce jour. Les goutte<strong>le</strong>ttes d’une<br />

sueur froide descendaient <strong>le</strong>ntement <strong>le</strong> long de son visage<br />

et envahissaient son corps comme s’il était peu à peu<br />

recouvert d’une glu cherchant à l’étouffer.<br />

Il reprit ses esprits et se décida enfin à par<strong>le</strong>r.<br />

-Jérémie, avez-vous la moindre idée de ce qu’il y a làdedans<br />

?<br />

64


-Je ne sais pas, il est probab<strong>le</strong> que ce soit en rapport avec<br />

ce que je recherche, mais je ne peux pas dire dans quel<strong>le</strong>s<br />

proportions. Al<strong>le</strong>z-vous enfin…<br />

-Ecoutez, je crois plutôt qu’il y a une grosse arnaque<br />

quelque part, je ne sais pas où vous vou<strong>le</strong>z en venir, mais<br />

ce que vous faites est quand même un peu exagéré, quel<strong>le</strong>s<br />

que soient vos motivations, personne de sensé ne donnera<br />

crédit à votre histoire, et vous passerez pour <strong>le</strong> pire des fous<br />

que notre bonne vieil<strong>le</strong> terre <strong>au</strong>ra jamais porté. Je remercie<br />

Dieu que <strong>le</strong> professeur Wiessman n’ait pas eu à faire <strong>le</strong><br />

travail que vous lui aviez demandé.<br />

-Mais bon sang ! Qu’est-ce qui est écrit dans ce foutu<br />

manuscrit ?<br />

Le ton que Jérémie avait pris était plus que persuasif et<br />

fit naître un doute chez son interlocuteur.<br />

-Bon, pour être bref, ce vieux bout de papyrus tout fripé<br />

annonce <strong>le</strong> retour du Christ pour la fin de ce sièc<strong>le</strong>.<br />

Etonnant non ?<br />

L’abattement soudain de Jérémie dissipa tota<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s<br />

doutes de Peter. Il s’assit sur son lit et se pris la tête entre<br />

<strong>le</strong>s mains, prenant peu à peu conscience que sa recherche<br />

l’amenait dans des retranchements qu’il n’avait même pas<br />

osé imaginer. Il voulait prouver <strong>au</strong> monde l’existence de<br />

Dieu et Dieu lui avait envoyé un message. La manière dont<br />

il avait découvert <strong>le</strong> manuscrit <strong>le</strong> lui prouvait, tout <strong>le</strong><br />

mystère tournant <strong>au</strong>tour de Gaby Goldman était une preuve<br />

en soi, mais que lui seul connaissait et surtout que lui seul<br />

acceptait. L’énormité des affirmations du manuscrit<br />

jouerait à coup sûr contre lui <strong>au</strong> lieu de l’aider à prouver ses<br />

dires vis à vis de l’humanité. Lui-même avait des difficultés<br />

à croire malgré tout ce que disait Peter.<br />

-Peter, il f<strong>au</strong>t absolument que ceci reste entre nous,<br />

personne ne doit savoir. Il f<strong>au</strong>t avant tout que je prouve que<br />

ce document n’est pas un f<strong>au</strong>x et qu’ensuite je démontre<br />

que son contenu n’est pas un tissu de balivernes, car si tout<br />

cela est vrai, il ne f<strong>au</strong>t absolument pas <strong>le</strong> prendre à la<br />

65


légère, car ce que dit Dieu ne peut être interprété<br />

légèrement, même si depuis des sièc<strong>le</strong>s l’homme n’en a fait<br />

qu’à sa tête à ce sujet. Que dit exactement <strong>le</strong> manuscrit ?<br />

-C’est assez simp<strong>le</strong>, c’est justement là que ç’en est<br />

étonnant, il n’y a <strong>au</strong>cune énigme, <strong>le</strong>s phrases sont claires, il<br />

y en a quelques-uns unes qui semb<strong>le</strong>nt être là uniquement<br />

pour donner de la forme <strong>au</strong> texte, mais <strong>le</strong> véritab<strong>le</strong> message<br />

ne passe que sur trois ou quatre lignes, ce qui est assez<br />

paradoxal quand on sait que la plupart des écritures sont<br />

truffées de parabo<strong>le</strong>s, de métaphores et <strong>au</strong>tres formes de<br />

transcriptions littéraires pour faire passer <strong>le</strong>s messages<br />

divins.<br />

-Parce que ce sont <strong>le</strong>s hommes qui <strong>le</strong>s ont rédigés,<br />

regardez, <strong>le</strong>s seuls messages que l’on peut qualifier de<br />

réel<strong>le</strong>ment divins sont très simp<strong>le</strong>s : Les Dix<br />

Commandements ne passent pas par quatre chemins pour<br />

formu<strong>le</strong>r ce qu’ils ont à dire, <strong>le</strong>s messages de Dieu sont<br />

toujours très simp<strong>le</strong>s pour que justement tout <strong>le</strong> monde <strong>le</strong>s<br />

comprenne, ce sont <strong>le</strong>s hommes qui ont compliqué<br />

certaines choses de façon à ce que seuls <strong>le</strong>s instruits<br />

puissent comprendre, et à toutes <strong>le</strong>s époques, ce sont <strong>le</strong>s<br />

érudits qui ont détenu <strong>le</strong> pouvoir car celui qui ne comprend<br />

pas écoute et obéît. Ce simp<strong>le</strong> raisonnement peut déjà aider<br />

à prouver que ce texte est vrai. Mais il va complètement à<br />

l’encontre de ceux qui détiennent <strong>le</strong> pouvoir, qu’il soit<br />

politique ou religieux, donc ceux-là <strong>au</strong>ront tout intérêt à<br />

démontrer qu’il s’agit d’un f<strong>au</strong>x.<br />

Tout en écoutant Jérémie, Peter réfléchissait, son<br />

raisonnement tenait la route, et il en était à présent<br />

convaincu, même si cela lui faisait peur. Il reprit <strong>le</strong><br />

manuscrit et expliqua à Jérémie.<br />

-Voilà, <strong>le</strong>s quelques lignes faisant passer <strong>le</strong> message sont<br />

séparées par d’<strong>au</strong>tres phrases qui n’ont qu’une signification<br />

secondaire, l’ensemb<strong>le</strong> du texte est très clair :<br />

66


Bientôt vingt sièc<strong>le</strong>s <strong>au</strong>ront passé,<br />

Durant deux mil<strong>le</strong> ans ils m’<strong>au</strong>ront trompé,<br />

Sans résister <strong>au</strong>x tentations de celui que j’ai chassé.<br />

Une nouvel<strong>le</strong> épreuve pour <strong>le</strong>s hommes<br />

Leur ouvrira la porte de ma divine justice.<br />

Ils s<strong>au</strong>ront la vérité et,<br />

Dans toute ma miséricorde,<br />

Je <strong>le</strong>s pardonnerai,<br />

Quant à la lumière du so<strong>le</strong>il<br />

A nouve<strong>au</strong> je l’enverrai, pour répandre ma paro<strong>le</strong><br />

Et donner <strong>au</strong>x hommes l’essence de la Foi..<br />

Ne pourront-ils comprendre,<br />

Alors je <strong>le</strong>s oublierais,<br />

La nuit reviendra,<br />

Dans mon âme et sur la terre<br />

Car ils me feront pêcher<br />

Par ma dernière colère.<br />

Infinie folie que cel<strong>le</strong> des hommes,<br />

La justice est unique et el<strong>le</strong> m’appartient<br />

Car l’homme juge avec son cœur<br />

Et non avec son âme.<br />

Jérémie lut et relut maintes fois <strong>le</strong> texte. On ne pouvait<br />

être plus clair, <strong>le</strong> ton emphatique du texte lui donnait certes<br />

une dimension divine, mais <strong>le</strong> message était resp<strong>le</strong>ndissant<br />

de simplicité. Dieu allait à nouve<strong>au</strong> envoyer Son Fils pour<br />

redonner la Foi <strong>au</strong>x hommes, mais Il <strong>le</strong>s prévenait <strong>au</strong>ssi, si<br />

l’humanité ne L’écoutait pas, alors Sa colère serait<br />

immense et ultime, Il ne donnerait pas d’<strong>au</strong>tre chance.<br />

67


CHAPITRE VI<br />

Après avoir longuement réfléchi sur <strong>le</strong> fond du<br />

document, Jérémie, sur <strong>le</strong>s insistances répétées de Peter,<br />

décida de lui dévoi<strong>le</strong>r l’objet réel de ses recherches et lui<br />

raconta toute l’histoire depuis <strong>le</strong> début, <strong>le</strong>s circonstances de<br />

la découverte du manuscrit, la rencontre avec Gaby<br />

Goldman, la mort subite du professeur Wiessman et ses<br />

déductions sur <strong>le</strong> fait que quelqu’un d’<strong>au</strong>tre avait peut-être<br />

connaissance du manuscrit.<br />

Peter enchaîna immédiatement sur ce point.<br />

-Il est certain que peu de gens peuvent avoir intérêt à ce<br />

que l’on puisse faire apparaître <strong>au</strong> grand jour de tel<strong>le</strong>s<br />

révélations. Il est absolument nécessaire de pouvoir<br />

apporter des preuves tangib<strong>le</strong>s pour être crédib<strong>le</strong>s, et de<br />

bien réfléchir à la manière de <strong>le</strong>s porter à la connaissance<br />

du monde. Si tout ce que vous m’avez raconté est vrai, la<br />

première chose à faire, c’est de vous protéger, car vous<br />

n’êtes plus en sécurité. Le simp<strong>le</strong> fait que <strong>le</strong> F.B.I.<br />

s’intéresse à vous est une preuve en soi de l’<strong>au</strong>thenticité de<br />

ce document. Même s’ils ne l’ont jamais vu, ils savent qu’il<br />

existe et qu’il peut porter préjudice <strong>au</strong>x différents pouvoirs<br />

en place, par conséquent, ils feront tout pour <strong>le</strong> récupérer et<br />

68


éliminer toutes <strong>le</strong>s personnes non-<strong>au</strong>torisées à en avoir<br />

connaissance. Nous devons coûte que coûte mettre <strong>le</strong> plus<br />

de distance possib<strong>le</strong> entre eux et nous.<br />

-Pourquoi dites vous nous ? demanda Jérémie.<br />

-Vous ne croyez pas que je vais vous laisser seul pour<br />

vivre une histoire <strong>au</strong>ssi palpitante, surtout que cela ferait de<br />

nous <strong>le</strong>s nouve<strong>au</strong>x messagers de Dieu, n’oubliez pas que je<br />

suis Juif et que nous attendons cela depuis des sièc<strong>le</strong>s.<br />

Vous n’avez pas <strong>le</strong> choix, ou je vous suis, ou je me charge<br />

de dévoi<strong>le</strong>r cette histoire à quelques personnes qui ne<br />

seront certainement pas <strong>au</strong>ssi coopératives que moi.<br />

Jérémie ne réfléchit pas longtemps. Cette fois-ci, c’était<br />

Peter qui était <strong>le</strong> plus convaincant, et objectivement parlant,<br />

il ne pourrait jamais continuer à mener seul son enquête <strong>au</strong><br />

vu des proportions qu’el<strong>le</strong> prenait.<br />

-C’est d’accord. Mais il va vous falloir be<strong>au</strong>coup de<br />

temps libre et surtout bien peser <strong>le</strong>s répercussions que cela<br />

peut impliquer. Je ne veux pas vous engager dans des<br />

risques inuti<strong>le</strong>s, <strong>le</strong> simp<strong>le</strong> fait que je contacte <strong>le</strong> professeur<br />

Wiessman a eu pour lui des conséquences catastrophiques,<br />

je ne veux plus être responsab<strong>le</strong> de la disparition de qui que<br />

ce soit.<br />

-Ma décision est prise et el<strong>le</strong> est irrévocab<strong>le</strong>. De toute<br />

façon, il me serait impossib<strong>le</strong> de vivre en sachant que je<br />

suis passé à coté de quelque chose qui peut changer <strong>le</strong><br />

cours de l’histoire du monde, même si toutes <strong>le</strong>s vérités ne<br />

sont pas forcément bonnes à dire. Vous savez, be<strong>au</strong>coup<br />

d’hommes ont la Foi mais <strong>au</strong> fond d’eux-mêmes, il persiste<br />

toujours un soupçon de doute, et <strong>au</strong>-delà de toutes <strong>le</strong>s<br />

implications politiques, religieuses et économiques que<br />

peut engendrer la preuve de l’existence de Dieu, si cela<br />

peut faire que <strong>le</strong>s hommes soient meil<strong>le</strong>urs, sans pour<br />

<strong>au</strong>tant changer fondamenta<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>ur mode de vie, car je<br />

ne crois pas que ce soit réel<strong>le</strong>ment l’objectif de Dieu, alors<br />

je serai fier d’avoir participé à cette action. Je ne cherche<br />

pas à obtenir la reconnaissance de Dieu je me connais, je<br />

69


l’ai déjà, ni même cel<strong>le</strong> des hommes, je cherche seu<strong>le</strong>ment<br />

à pouvoir un jour partir en me disant que ma vie a servi à<br />

quelque chose. Si un jour un seul homme réfléchit vraiment<br />

avant de faire du mal à un <strong>au</strong>tre, notre action <strong>au</strong>ra servi à<br />

quelque chose. Que comptez-vous faire à présent ?<br />

-Il f<strong>au</strong>t rég<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s problèmes en cours un par un. J’avais<br />

un rendez-vous ce matin avec <strong>le</strong> responsab<strong>le</strong> d’un<br />

laboratoire pour faire dater <strong>le</strong> manuscrit, mais je vais<br />

annu<strong>le</strong>r. Cela risque de paraître suspect vis à vis des<br />

<strong>au</strong>torités qui me font certainement suivre. Ensuite, j’ai un<br />

souci be<strong>au</strong>coup plus grave : Mon passeport est entre <strong>le</strong>s<br />

mains du F.B.I., il m’est donc impossib<strong>le</strong> de quitter <strong>le</strong> pays<br />

pour <strong>le</strong> moment, et si je ne <strong>le</strong>s contacte pas pour <strong>le</strong><br />

récupérer, cela peut <strong>au</strong>ssi semb<strong>le</strong>r louche. L’urgence reste<br />

cependant de rentrer en Europe, pour deux raisons, la<br />

première, c’est d’éviter de tomber entre <strong>le</strong>s mains de ceux<br />

qui enquêtent sur moi, et la seconde, plus importante, c’est<br />

de pouvoir continuer mes recherches car je suis persuadé<br />

que je n’ai plus rien à faire ici. Vous êtes toujours avec<br />

moi ?<br />

-Plus que jamais. Pour commencer, je crois qu’il<br />

convient de mettre <strong>le</strong> manuscrit en sécurité.<br />

-J’ai ma petite idée la-dessus, reprit Jérémie, nous allons<br />

en faire une copie, mettre la traduction <strong>au</strong> propre sous une<br />

forme codée, et je vais envoyer l’original par la poste à un<br />

des magazines pour <strong>le</strong>quel je travail<strong>le</strong>, occupez-vous de<br />

recopier la traduction pendant que je <strong>le</strong> contacte, pour <strong>le</strong><br />

code, faites quelque chose de simp<strong>le</strong>, en recopiant <strong>le</strong> texte<br />

et en l’incluant dans un <strong>au</strong>tre, chaque <strong>le</strong>ttre suivie d’un<br />

point de ponctuation sera une <strong>le</strong>ttre à replacer dans son<br />

ordre normal d’origine, cela évitera d’avoir un texte trop<br />

long, par contre <strong>le</strong> rapprochement sera diffici<strong>le</strong> à faire car<br />

<strong>le</strong> raisonnement est simp<strong>le</strong>, s’ils <strong>le</strong> trouve, <strong>le</strong>s gens qui<br />

chercheront à <strong>le</strong> décoder iront immédiatement vers des<br />

solutions compliquées, ça nous permettra de gagner du<br />

temps.<br />

70


Chacun se mit à sa tâche. Jérémie passa plusieurs coups<br />

de fil à partir de son portab<strong>le</strong>, annula son rendez-vous avec<br />

<strong>le</strong> laboratoire de datation <strong>au</strong> carbone 14 et appela un ami<br />

rédacteur en chef à Paris, pour lui expliquer qu’il allait lui<br />

envoyer un document sensib<strong>le</strong> à faire déposer chez l’avocat<br />

du magazine, tout ça sans ouvrir l’enveloppe. Il lui<br />

expliquerait plus tard. Fina<strong>le</strong>ment, en utilisant cette fois-ci<br />

<strong>le</strong> téléphone de l’hôtel, il appela l’inspecteur Collins.<br />

-Bonjour, Jérémie Cohen à l’appareil, je voudrais par<strong>le</strong>r à<br />

l’inspecteur Collins.<br />

-C’est moi, comment al<strong>le</strong>z-vous monsieur Cohen ?<br />

-Très bien, merci, je venais <strong>au</strong>x nouvel<strong>le</strong>s pour mon<br />

passeport, j’ai rendez-vous cet après-midi <strong>au</strong>x archives de<br />

l’U.S.Army, et après ça, je n’<strong>au</strong>rais plus rien à faire <strong>au</strong>x<br />

Etats-Unis.<br />

Avant d’appe<strong>le</strong>r Collins, Jérémie avait pris soin de<br />

contacter <strong>le</strong>s archives pour que cela corrobore <strong>le</strong>s<br />

déclarations qu’il avait faites la veil<strong>le</strong> à l’inspecteur. Il était<br />

plus prudent d’anticiper sur l’enquête menée par <strong>le</strong> F.B.I.<br />

-Vous al<strong>le</strong>z donc nous quitter ? Vous ne serez pas resté<br />

longtemps à New York.<br />

Apparemment, il s’était déjà renseigné, Jérémie ne lui<br />

avait jamais dit quand il était arrivé.<br />

-Non, comme je vous l’ai dit, je suis venu pour quelque<br />

chose de bien précis, et je n’ai malheureusement pas <strong>le</strong><br />

temps de faire du tourisme, <strong>le</strong> journal qui m’emploie attend<br />

mon reportage rapidement et je dois bien sûr faire attention<br />

à mes frais, s’ils ne sont pas justifiés, la différence sera<br />

pour moi. Qu’en est-il de mon passeport ?<br />

-Il f<strong>au</strong>t attendre que l’enquête préliminaire soit terminée.<br />

Cela ne prendra pas longtemps, nous sommes pratiquement<br />

sûrs qu’il s’agit d’un accident, je pense que <strong>le</strong> dossier sera<br />

classé <strong>au</strong>jourd’hui ou demain, je vous ferai prévenir pour<br />

que vous puissiez <strong>le</strong> récupérer.<br />

71


-Cela me gêne un peu, je n’ai plus <strong>au</strong>cune raison de rester<br />

ici, et j’aimerais pouvoir réserver un avion pour demain et<br />

rentrer finir mon artic<strong>le</strong>.<br />

-Ne vous inquiétez pas, il n’y <strong>au</strong>ra pas de problèmes,<br />

nous n’avons pas l’habitude de retenir <strong>le</strong>s gens sans raison.<br />

Au revoir Monsieur Cohen.<br />

Jérémie pensa que justement, ils avaient une excel<strong>le</strong>nte<br />

raison de <strong>le</strong> retenir.<br />

* * *<br />

Dès qu’il eut raccroché, L’inspecteur Collins demanda à<br />

être reçu par Milton Glover. Il monta quatre à quatre <strong>le</strong>s<br />

escaliers qui menaient <strong>au</strong> bure<strong>au</strong> de son patron qui <strong>le</strong> fit<br />

entrer tout de suite.<br />

-Alors, où en est-on ? Les écoutes ont-el<strong>le</strong>s donné<br />

quelque chose ?<br />

-Non, il n’a passé que deux appels depuis sa chambre,<br />

l’un était pour <strong>le</strong>s archives militaires et l’<strong>au</strong>tre pour<br />

m’appe<strong>le</strong>r afin qu’on lui rende son passeport. Les hommes<br />

qui l’ont suivi ont confirmé qu’il n’avait pas téléphoné d’un<br />

<strong>au</strong>tre endroit de l’hôtel ni d’une cabine publique.<br />

-Il a un portab<strong>le</strong> ?<br />

-Oui, mais de ce côté, impossib<strong>le</strong> de savoir pour <strong>le</strong><br />

moment s’il a pu passer des appels, C’est techniquement<br />

très simp<strong>le</strong>, mais la procédure de vérification est longue car<br />

il fonctionne avec un opérateur français qui a des accords<br />

avec une structure américaine. Nous avons fait une<br />

demande d’enquête <strong>au</strong>près de la C.I.A. car c’est de <strong>le</strong>ur<br />

ressort. Ils doivent transmettre <strong>le</strong>ur demande <strong>au</strong> chef de<br />

station à Paris, qui doit agir dans un premier temps d’une<br />

façon officiel<strong>le</strong> et demander <strong>au</strong>x <strong>au</strong>torités françaises de<br />

72


ien vouloir nous transmettre ces in<strong>format</strong>ions, et sans<br />

motif sérieux, je doute fort que nous puissions <strong>le</strong>s faire<br />

intervenir, de toute façon, cela prendra faci<strong>le</strong>ment deux ou<br />

trois jours. Si Cohen intervient <strong>au</strong>près de son ambassade<br />

avant ce délai, nous ne pourrons rien contre lui et nous<br />

serons obligés de lui rendre son passeport.<br />

-OK, OK, j’ai compris, on va se faire sérieusement<br />

allumer, la Maison Blanche a rappelé tout à l’heure, je <strong>le</strong>ur<br />

ait dit que nous n’avions rien contre ce type mais ils ne<br />

veu<strong>le</strong>nt rien savoir, je ne sais pas ce qu’ils ont contre lui,<br />

mais <strong>le</strong> fait est que <strong>le</strong> Président veut être informé heure par<br />

heure des agissements de ce Jérémie Cohen. Par contre,<br />

interdiction de faire des vagues, tout doit rester<br />

extrêmement confidentiel, ils n’ont même pas dit pourquoi<br />

il fallait <strong>le</strong> surveil<strong>le</strong>r. Sécurité du territoire. On va quand<br />

même pas <strong>le</strong> kidnapper !<br />

-Ne serait-ce pas une solution envisageab<strong>le</strong> ? Nous ne<br />

sommes plus à ça près.<br />

-Vous oubliez que c’est un journaliste, et connu en plus,<br />

on <strong>au</strong>rait toute la presse internationa<strong>le</strong> sur <strong>le</strong> dos, et s’il a<br />

quelque chose à se reprocher, il s’est certainement <strong>au</strong>ssi<br />

bordé de ce côté. Quel<strong>le</strong> affaire de merde !<br />

-Patron, il y a peut-être une solution. Je viens de penser à<br />

quelque chose.<br />

-Dites toujours. On verra bien.<br />

-Je ne sais pas ce que ce type cherche, mais nous<br />

sommes d’accord que ça a l’air d’avoir une importance<br />

capita<strong>le</strong> pour nos supérieurs, et apparemment, nos chefs<br />

doivent <strong>au</strong>ssi chercher la même chose, il n’y a qu’à <strong>le</strong><br />

laisser trouver à notre place et <strong>le</strong> coincer officieusement <strong>au</strong><br />

moment voulu.<br />

-Et si on <strong>le</strong> perd, c’est génial, on se retrouve à la retraite<br />

anticipée !<br />

-On ne <strong>le</strong> perdra pas.<br />

-Et pourquoi ça ?<br />

73


-Car à mon avis, quelque chose me dit que nous<br />

pourrons obtenir tous <strong>le</strong>s moyens pour <strong>le</strong> surveil<strong>le</strong>r comme<br />

<strong>le</strong> lait sur <strong>le</strong> feu. Si <strong>le</strong>s ordres émanent de la Présidence,<br />

tous <strong>le</strong>s services seront sur <strong>le</strong> coup, et en cas d’échec, nous<br />

ne serons pas <strong>le</strong>s seuls responsab<strong>le</strong>s. De toute façon,<br />

quoiqu’il arrive, dès qu’il <strong>au</strong>ra quitté <strong>le</strong> territoire américain,<br />

l’enquête se poursuivra sous la responsabilité de la C.IA.<br />

-Vous avez des solutions faci<strong>le</strong>s pour vous dégager<br />

des problèmes !<br />

-Pour nous dégager, patron. S’il y a un problème, vous<br />

s<strong>au</strong>terez avant moi.<br />

Milton Glover ne réfléchit pas longtemps. N’importe<br />

comment, <strong>le</strong> bébé qui était en train de naître lui semblait<br />

mal engagé.<br />

-OK, je vais voir ce que je peux faire. Je vous tiens <strong>au</strong><br />

courant. Continuez la surveillance et surtout, ne <strong>le</strong> lâchez<br />

pas.<br />

-Vous pouvez être tranquil<strong>le</strong> patron.<br />

* * *<br />

Après être allé poster <strong>le</strong> manuscrit, Jérémie passa son<br />

après-midi <strong>au</strong>x archives de l’armée américaine, il fut<br />

étonné de l’aide que lui avait apportée un sympathique<br />

lieutenant qui ne l’a pas lâché d’un pouce durant toute sa<br />

visite. Il devait certainement avoir eu des ordres pour <strong>le</strong><br />

surveil<strong>le</strong>r. Pendant plus de quatre heures, il visionna des<br />

films et des séries de photos qui avaient été faites soit par<br />

l’U.S. Army à la libération des camps, ou encore saisis <strong>au</strong>x<br />

nazis à la fin de la guerre. Jamais il n’<strong>au</strong>rait pu penser que<br />

l’homme atteindrait une tel<strong>le</strong> perfection dans une tâche<br />

74


<strong>au</strong>ssi immonde que cel<strong>le</strong> de l’élimination de ses<br />

semblab<strong>le</strong>s.<br />

Tout ce qui avait été dévoilé jusque-là <strong>au</strong> monde entier<br />

n’était certainement qu’une infime partie de ce qui s’était<br />

réel<strong>le</strong>ment passé. La honte pesait non seu<strong>le</strong>ment sur <strong>le</strong>s<br />

coupab<strong>le</strong>s, mais <strong>au</strong>ssi sur <strong>le</strong>s <strong>au</strong>tres. La honte de faire partie<br />

de la même espèce et de se dire que l’homme était capab<strong>le</strong><br />

de faire consciemment de tel<strong>le</strong>s atrocités. La honte de<br />

savoir que malgré tout, malgré <strong>le</strong>s films, <strong>le</strong>s témoignages,<br />

la dou<strong>le</strong>ur et la <strong>le</strong>çon pour l’humanité, cela continuait<br />

toujours. On condamnait mais on oubliait vite, on torturait<br />

encore, chaque jour des milliers de gens souhaitaient<br />

mourir pour ne plus souffrir de la folie du pouvoir. Le<br />

monde n’a plus jamais été en paix. La guerre avait<br />

seu<strong>le</strong>ment pris une <strong>au</strong>tre forme, plus vicieuse que des<br />

bombes sur des civils. C’est une guerre larvée que se<br />

mènent <strong>le</strong>s pouvoirs <strong>au</strong> travers de groupuscu<strong>le</strong>s pour<br />

<strong>le</strong>squels on entretient volontairement des idéologies<br />

politiques ou religieuses inuti<strong>le</strong>s. Tout ça pour garder<br />

officieusement la mainmise sur des territoires représentant<br />

un intérêt économique où <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s sont tel<strong>le</strong>ment<br />

fragi<strong>le</strong>s, divisés et instab<strong>le</strong>s qu’il <strong>le</strong>ur est impossib<strong>le</strong> de<br />

prendre en main <strong>le</strong>ur destinée. Personne n’a vraiment<br />

intérêt à ce que la Pa<strong>le</strong>stine ne devienne un état à part<br />

entière ni qu’Israël ne prenne <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> total de la région,<br />

il est par contre profitab<strong>le</strong> à l’occident d’avoir une situation<br />

qui permette à la fois d’avoir sur place un pays<br />

suffisamment fort pour inquiéter <strong>le</strong>s états limitrophes et<br />

assurer une certaine stabilité par la peur, tout en ayant la<br />

possibilité de maintenir des garde-fous en alimentant un<br />

contre-pouvoir régional, pour que celui qui détient la force<br />

n’en use pas trop. Et ce n’est pas <strong>le</strong> seul exemp<strong>le</strong>. Que ce<br />

soit en Yougoslavie, dans <strong>le</strong>s pays baltes, en Chine ou en<br />

Afrique, l’occident tire un profit caché de ce genre de<br />

situation. Cela permet justement d’éviter que certaines<br />

75


nations qui pourraient devenir fortes ne créent un contrepouvoir<br />

<strong>au</strong>x grandes puissances mondia<strong>le</strong>s.<br />

Il faisait nuit quand Jérémie retrouva sa chambre d’hôtel.<br />

Un certain malaise l'embarrassait après tout ce qu’il avait<br />

vu <strong>au</strong>x archives et même si cela n’avait pas de rapport<br />

direct avec sa recherche, <strong>le</strong> résultat qui en ressortirait<br />

pourrait peut-être permettre de changer tout ça. Mais ce<br />

n’était pas tout de croire en Dieu, on pouvait même<br />

sérieusement douter de son existence en sachant qu’il avait<br />

pu laisser faire toutes ces horreurs, il fallait <strong>au</strong>ssi croire en<br />

l’homme, ce qui était moins évident.<br />

Peter n’était pas à l’hôtel. Il avait laissé un mot non signé<br />

pour dire qu’il était parti chez lui prendre quelques affaires<br />

et rég<strong>le</strong>r certains détails de sa vie quotidienne. Il ne disait<br />

pas vers quel<strong>le</strong> heure il reviendrait, demandant simp<strong>le</strong>ment<br />

à Jérémie de l’attendre.<br />

Il était presque neuf heures du soir quand Peter frappa à<br />

la porte de la chambre de Jérémie.<br />

-Voilà, j’ai récupéré de quoi partir pendant quelques<br />

temps. J’ai <strong>au</strong>ssi pris une chambre à l’hôtel pour la nuit et<br />

demain on avisera. Mais j’ai bien réfléchi à votre problème<br />

de passeport, je pense qu’ils vont vous <strong>le</strong> rendre, d’abord<br />

parce qu’ils n’ont rien d’illégal contre vous, et ensuite, et<br />

c’est plus grave, parce qu’ils comptent peut-être sur vos<br />

recherches pour avancer dans <strong>le</strong>s <strong>le</strong>urs. Vu l’importance de<br />

l’enjeu, ils ne peuvent pas se permettre de passer à côté<br />

d’une piste potentiel<strong>le</strong>. Je pense que pour gagner en temps<br />

et en sécurité, nous devrions <strong>le</strong>ur laisser quelques f<strong>au</strong>x<br />

indices pour <strong>le</strong>s induire en erreur. Cela permettra <strong>au</strong>ssi de<br />

<strong>le</strong>ur faire mesurer f<strong>au</strong>ssement l’état d’avancement de notre<br />

enquête. Aujourd’hui nous ne pouvons pas savoir à quel<br />

nive<strong>au</strong> de danger nous nous trouvons car eux-mêmes ne<br />

savent pas où nous en sommes ni à quel degré nous<br />

représentons un risque. Nous devons jouer sur ce point, et<br />

<strong>au</strong> moins, pendant quelques jours, c’est nous qui<br />

76


maîtriserons la situation. Si on allait dîner, j’ai une faim à<br />

vider <strong>le</strong>s réserves de l’état de New York !<br />

-Vous avez raison, un peu de détente ne nous fera pas de<br />

mal. Nous allons toutefois prendre quelques préc<strong>au</strong>tions.<br />

Personne ne sait que nous nous connaissons, il v<strong>au</strong>t mieux<br />

laisser <strong>le</strong>s choses en l’état, on va se donner rendez-vous<br />

dans un rest<strong>au</strong>rant de votre choix, de préférence avec un<br />

étage pour que nous puissions y manger ensemb<strong>le</strong> en ayant<br />

la possibilité de repérer <strong>le</strong>s suiveurs éventuels. Mais je ne<br />

pense pas qu’ils me fi<strong>le</strong>ront jusqu’à l’intérieur du<br />

rest<strong>au</strong>rant. Au fait, je voulais vous poser une question à ce<br />

sujet, la jeune femme qui nous à mis en contact représente<br />

<strong>le</strong> seul lien possib<strong>le</strong> entre vous et moi, ne pensez-vous pas<br />

qu’ils puissent remonter jusqu’à vous par ce biais ?<br />

-Sarah ? Aucune chance de ce côté pour eux ! Il f<strong>au</strong>drait<br />

d’abord qu’ils interrogent tous <strong>le</strong>s étudiants de l’université<br />

pour éventuel<strong>le</strong>ment la retrouver, ensuite, ça m’étonnerait<br />

qu’el<strong>le</strong> <strong>le</strong>ur dise quoique ce soit à mon sujet.<br />

-Pourquoi ça ?<br />

-Parce qu’el<strong>le</strong> ne prendra jamais <strong>le</strong> risque de faire<br />

quelque chose qui pourrait définitivement nous séparer.<br />

-C’est votre amie ?<br />

-Un peu plus que ça. Et vous savez, même s’il ne<br />

s’agissait pas de cela, il est rare dans notre commun<strong>au</strong>té<br />

que nous fassions quelque chose qui va à l’encontre des<br />

intérêts d’un Juif, ou alors, c’est qu’il a trahi. Mais vous<br />

devez savoir cela <strong>au</strong>ssi bien que moi, ce n’est pas pour rien<br />

que je vous aide. Ne vous inquiétez pas. Je crois d’ail<strong>le</strong>urs<br />

qu’<strong>au</strong> point où nous en sommes de nos relations, nous<br />

pourrions nous tutoyer, n’est-ce pas ?<br />

-Tout à fait Peter, ravi de faire ta connaissance.<br />

77


CHAPITRE VII<br />

Jérémie et Peter profitèrent p<strong>le</strong>inement de <strong>le</strong>ur moment de<br />

détente en s’offrant un bon repas dans un steak-house de<br />

Greenwich Village. Un groupe de blues jouait des<br />

standards en fond musical dans une atmosphère<br />

typiquement new-yorkaise. Il n’y avait pas d’étage par<br />

contre ils dînaient dans une cave, ce qui revenait <strong>au</strong> même.<br />

Malgré l’envie qui <strong>le</strong>s tenaillait, <strong>au</strong>cun des deux n’aborda<br />

ce qui <strong>au</strong>rait dû être <strong>le</strong>ur principal sujet de conversation. Ils<br />

apprirent surtout à mieux faire connaissance en parlant<br />

respectivement de <strong>le</strong>ur vie, de <strong>le</strong>urs projets, et de tout ce<br />

qui <strong>le</strong>ur tenait à cœur. Ce n’était ni plus ni moins qu’une<br />

discussion entre copains.<br />

La soirée était bien avancée quand ils décidèrent de<br />

changer d’endroit pour al<strong>le</strong>r boire un digestif dans un club.<br />

Il ressortirent séparément du rest<strong>au</strong>rant. Jérémie remarqua<br />

immédiatement une Oldsmobi<strong>le</strong> grise qui alluma ses phares<br />

<strong>au</strong> moment où il montait dans son taxi. Arrivé à<br />

Washington square, il demanda <strong>au</strong> ch<strong>au</strong>ffeur de s’engager<br />

sur la Cinquième avenue et lui donna l’adresse de son<br />

hôtel. Il avait décidé de rentrer pour ne pas prendre de<br />

risques. Ne <strong>le</strong> voyant pas arriver, Peter comprendrait.<br />

78


Il était presque une heure du matin quand <strong>le</strong> téléphone<br />

portab<strong>le</strong> de Jérémie fit entendre sa petite sonnerie aiguë.<br />

Jérémie décrocha et la voix de Peter se fit entendre, avec un<br />

écho lointain certainement dû à la transmission par satellite.<br />

-Je viens de rentrer à l’hôtel. Tu as <strong>au</strong>ssi repéré la voiture<br />

grise qui te suivait ?<br />

-Oui, en sortant du rest<strong>au</strong>rant. C’est pour ça que je suis<br />

rentré tout de suite. J’ai pensé qu’il valait mieux ne pas<br />

tenter <strong>le</strong> diab<strong>le</strong>, cela <strong>au</strong>rait paru étrange que nous nous<br />

retrouvions tous <strong>le</strong>s deux <strong>au</strong>x mêmes endroits, on ne sait<br />

jamais, <strong>au</strong> cas où ils <strong>au</strong>raient <strong>au</strong>ssi surveillé <strong>le</strong>s clients qui<br />

sortaient du rest<strong>au</strong>rant. Et de ton côté, tu n’as rien remarqué<br />

de bizarre ?<br />

-Quand je suis sorti, ils ont suivi ton taxi jusqu’à l’hôtel,<br />

et je <strong>le</strong>s ai filés avec ma moto. Ils se sont arrêtés quelques<br />

secondes après que tu soies rentré dans <strong>le</strong> hall. Ils sont<br />

d’ail<strong>le</strong>urs toujours là. Je suis allé boire un verre dans un bar<br />

proche d’ici, et en revenant <strong>au</strong> Prince Georges, la voiture<br />

était toujours garée dans la rue en face, tous phares éteints.<br />

Ils ont de la patience ! Bon, je vais al<strong>le</strong>r me coucher, je suis<br />

vidé. Bonne nuit et à demain.<br />

6 janvier 2000<br />

* * *<br />

La nuit de Jérémie fut courte. Son esprit <strong>le</strong> harcelait sans<br />

cesse par des milliers de questions. Il se <strong>le</strong>va vers sept<br />

heures du matin avec la ferme décision de quitter New-<br />

York <strong>au</strong> plus tôt. Quels qu’en soient <strong>le</strong>s moyens. Il était<br />

pour lui hors de question de prendre <strong>le</strong> moindre retard dans<br />

ses recherches. Il décida d’appe<strong>le</strong>r une dernière fois<br />

l’inspecteur Collins avant d’envisager d’<strong>au</strong>tres solutions de<br />

79


départ, sachant que s’il tentait de sortir des Etats-Unis par<br />

un procédé illégal, il se mettait systématiquement hors-laloi<br />

et donnait une raison valab<strong>le</strong> <strong>au</strong>x <strong>au</strong>torités américaines<br />

pour <strong>le</strong> retenir contre son gré, avec de plus <strong>au</strong>cun recours<br />

diplomatique possib<strong>le</strong> par l’ambassade de France, dans la<br />

mesure où cela signifierait qu’il a quelque chose à se<br />

reprocher. La décision était d’<strong>au</strong>tant plus diffici<strong>le</strong> à prendre<br />

qu’il n’avait <strong>au</strong>cune connaissance des filières d’exfiltration<br />

possib<strong>le</strong>s pour quitter <strong>le</strong> pays.<br />

Il descendit <strong>au</strong> bar de l’hôtel pour ava<strong>le</strong>r rapidement un<br />

immonde café <strong>au</strong> sucre assaisonné de caramel. Les U.S.A.<br />

avaient encore be<strong>au</strong>coup à apprendre sur <strong>le</strong> goût. Il vit<br />

Peter rentrer dans <strong>le</strong> rest<strong>au</strong>rant pour y prendre son petitdéjeuner<br />

mais il ne lui fit <strong>au</strong>cun signe de présence. Il <strong>le</strong><br />

rejoindrait probab<strong>le</strong>ment plus tard.<br />

Jérémie remonta dans sa chambre et se mit à ranger<br />

toutes ses affaires dans son grand sac de voyage. Peter vint<br />

<strong>le</strong> rejoindre quelques minutes plus tard. Tous deux<br />

décidèrent de mettre en application ce qu’ils avaient<br />

envisagé la veil<strong>le</strong> pour brouil<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s pistes. Jérémie fit un<br />

semblant d’artic<strong>le</strong> sur <strong>le</strong> bloc correspondance à en-tête de<br />

l’hôtel, jetant des brouillons dans la corbeil<strong>le</strong>, il fit <strong>au</strong>ssi<br />

l’éb<strong>au</strong>che d’un f<strong>au</strong>x plan de recherches pour retrouver un<br />

soi-disant manuscrit pouvant être caché dans différents<br />

endroits du monde.<br />

Vers neuf heures, il appela l’inspecteur Collins, celui-ci<br />

n’était pas là mais avait laissé un message à son intention,<br />

lui précisant seu<strong>le</strong>ment qu’il devait passer à onze heures à<br />

son bure<strong>au</strong> du commissariat central de Manhattan et qu’il<br />

pouvait d’ores et déjà prendre une réservation pour <strong>le</strong><br />

prochain vol à destination de l’Europe. Il appela<br />

immédiatement la centra<strong>le</strong> de réservation d’Air France et<br />

obtint une place dans <strong>le</strong> vol de dix-huit heures vingt-cinq<br />

pour Paris. Peter en fit <strong>au</strong>tant et il put lui-<strong>au</strong>ssi avoir un<br />

f<strong>au</strong>teuil dans <strong>le</strong> même avion.<br />

80


Ils libérèrent <strong>le</strong>urs chambres respectives, et convinrent de<br />

se retrouver à l’aéroport en sal<strong>le</strong> de pré-embarquement.<br />

Jérémie n’avait pas une seconde de retard pour son<br />

rendez-vous avec Collins. A onze heures précises, il<br />

frappait à la porte du bure<strong>au</strong> de l’inspecteur. Il fut reçu<br />

immédiatement par <strong>le</strong> policier.<br />

-Monsieur Cohen, j’ai <strong>le</strong> plaisir de vous annoncer que<br />

nous avons terminé l’enquête sur la mort du professeur<br />

Wiessman. Je vous rends donc votre passeport. Le dossier<br />

est classé, nous avons conclu à un accident. Il est probab<strong>le</strong><br />

qu’en voulant ouvrir sa fenêtre <strong>le</strong> professeur, gêné par <strong>le</strong>s<br />

pi<strong>le</strong>s de livres et de documents qui foisonnent dans son<br />

bure<strong>au</strong>, a perdu l’équilibre et est ma<strong>le</strong>ncontreusement<br />

tombé. Cela est très regrettab<strong>le</strong>, mais ce sont des choses qui<br />

arrivent. Nous ne vous importunerons donc plus. Vous al<strong>le</strong>z<br />

rentrer chez vous je suppose ?<br />

-Tout à fait, après avoir eu votre message j’ai pris une<br />

réservation pour Paris et je m’en vais <strong>au</strong>jourd’hui.<br />

-Avez-vous malgré tout pu faire traduire votre<br />

document ?<br />

-Non, je <strong>le</strong> ferai faire en France. Ce n’est pas d’une<br />

importance capita<strong>le</strong>.<br />

-Pourtant d’<strong>au</strong>tres personnes <strong>au</strong>raient pu <strong>le</strong> faire ici, il<br />

n’y avait pas que <strong>le</strong> professeur Wiessman pour cela, de<br />

nombreux membres de l’université sont capab<strong>le</strong>s de vous<br />

rendre ce service.<br />

-Certainement, mais après ce que j’ai vu <strong>au</strong>x archives,<br />

<strong>au</strong>cun document ou témoignage écrit ne peut remplacer<br />

certaines images. Cela a été très dur.<br />

-Je comprends, d’<strong>au</strong>tant que vous avez dû souffrir<br />

personnel<strong>le</strong>ment de ce drame, je suppose que vous avez dû<br />

perdre des membres de votre famil<strong>le</strong> dans cette affreuse<br />

guerre.<br />

-Pas spécia<strong>le</strong>ment, mais même si je n’étais pas né à cette<br />

période, on m’en a parlé et c’est assez diffici<strong>le</strong> d’imaginer<br />

que nos proches aînés ont vécu de tel<strong>le</strong>s atrocités. Mais cela<br />

81


ne doit pas nous en<strong>le</strong>ver la force de redresser la tête et de<br />

continuer à vivre et à se battre.<br />

-A se battre contre quoi ?<br />

-Contre <strong>le</strong>s personnes qui donnent un tout <strong>au</strong>tre sens <strong>au</strong><br />

vous quand ils par<strong>le</strong>nt avec des gens qui ne sont pas issus<br />

du même village.<br />

-Que vou<strong>le</strong>z-vous dire ?<br />

-Vous me comprenez très bien inspecteur Collins, ne<br />

seriez-vous pas d’origine irlandaise ?<br />

-Si, pourquoi ?<br />

-Quand vous <strong>au</strong>rez une conversation avec un anglais,<br />

vous vous souviendrez de moi. Au revoir inspecteur.<br />

Jérémie signa un reçu et récupéra son passeport sur <strong>le</strong><br />

bure<strong>au</strong>. Il sortit en si<strong>le</strong>nce laissant l’inspecteur mûrir<br />

certaines réf<strong>le</strong>xions sur <strong>le</strong>s formes cachées de la<br />

xénophobie.<br />

* * *<br />

Le hall d’embarquement du vol 762 d’Air France à<br />

destination de Paris était quasiment vide. La plupart des<br />

touristes étant venus fêter <strong>le</strong> nouvel an à New-York étaient<br />

déjà repartis, et <strong>le</strong>s quelques dizaines de passagers qui<br />

attendaient étaient principa<strong>le</strong>ment des hommes d’affaires<br />

retournant en Europe, en majorité des Français.<br />

Jérémie et Peter avaient enregistré <strong>le</strong>urs bagages avec<br />

quelques minutes d’interval<strong>le</strong>. Sans se consulter, il<br />

choisirent de ne pas se par<strong>le</strong>r, attendant d’être dans l’avion<br />

pour reprendre <strong>le</strong> contact.<br />

Une hôtesse invita <strong>le</strong>s voyageurs à embarquer dans un<br />

747 flambant neuf. Comme à l’habitude, certains passagers<br />

ignoraient <strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s du savoir-vivre en passant<br />

82


outrageusement devant <strong>le</strong>s <strong>au</strong>tres, prenant un air préoccupé<br />

et h<strong>au</strong>tain, feignant de ne pas avoir vu qu’ils passaient<br />

devant quelqu’un. Les places étaient pourtant toutes<br />

affectées <strong>au</strong> moment de la réservation. A l’entrée de<br />

l’appareil, un steward demandait à chaque personne de<br />

s’asseoir à la place qui lui était réservée, l’avion étant loin<br />

d’être p<strong>le</strong>in, chacun pourrait ensuite choisir un <strong>au</strong>tre<br />

emplacement à sa guise en fonction des sièges disponib<strong>le</strong>s.<br />

L’énorme Boeing quitta en douceur <strong>le</strong> sol américain et<br />

se sou<strong>le</strong>va poussivement vers <strong>le</strong> ciel qui n’était plus que<br />

nuit. Jérémie regarda <strong>le</strong>s lumières de New-York s’éloigner<br />

vers <strong>le</strong> bas en poussant un long soupir de soulagement. Les<br />

pictogrammes illuminés à peine éteints, Peter vint s’asseoir<br />

prés de Jérémie.<br />

-Et voilà, première manche remportée par <strong>le</strong>s serviteurs<br />

de Dieu ! Remarque, nous avons un allié de choix ! Je suis<br />

prêt à parier be<strong>au</strong>coup sur nous. On ne peut que gagner !<br />

-Jésus <strong>au</strong>ssi avait un allié de choix, et pourtant, cela ne<br />

l’a pas empêché de finir sur la croix.<br />

-Que tu dis, Il n’a pas fini sur la croix, Il n’a fait que<br />

retourner <strong>au</strong>près de son Père qui en avait décidé ainsi.<br />

-Tu as raison, si Dieu a rappelé Son fils, Il peut <strong>au</strong>ssi<br />

nous rappe<strong>le</strong>r.<br />

-Tu es bien pessimiste. Si nous nous sommes rencontrés,<br />

c’est que Dieu Le voulait, Il nous confie donc une mission,<br />

et Il fera tout pour que nous réussissions.<br />

-Il f<strong>au</strong>drait pour cela savoir quel est l’objet exact de cette<br />

mission, reprit Jérémie.<br />

-C’est simp<strong>le</strong>. A mon avis, nous devons nous charger de<br />

préparer <strong>au</strong> mieux <strong>le</strong> retour possib<strong>le</strong> du Christ en ce basmonde.<br />

-Justement, c’est ça qui me chiffonne. Depuis que nous<br />

avons découvert ce qui était écrit sur <strong>le</strong> manuscrit, nous<br />

avons pensé à be<strong>au</strong>coup de choses, s<strong>au</strong>f une. Pourtant<br />

évidente.<br />

-Ah oui ? Laquel<strong>le</strong> ?<br />

83


-Et bien selon <strong>le</strong> manuscrit, Jésus doit revenir sur terre<br />

vingt sièc<strong>le</strong>s après en être parti. Cela signifie que nous<br />

sommes en p<strong>le</strong>in dans la période de Son possib<strong>le</strong> retour. Si<br />

cela est vrai et qu’il revient de la même façon qu’Il est venu<br />

la première fois, alors Il est déjà né. Il f<strong>au</strong>t donc savoir qui<br />

Il est et où Il se trouve. Ce n’est pas <strong>au</strong>ssi simp<strong>le</strong>. Il y a des<br />

milliers de dérangés qui disent être <strong>le</strong> Christ revenu sur<br />

terre. Il sera impossib<strong>le</strong> de faire la part des choses. Je crois<br />

que c’est là <strong>le</strong> principal objet de notre mission, Le<br />

découvrir et prouver <strong>au</strong> monde qui Il est. Je suis sûr que<br />

comme la première fois, Dieu enverra des signes.<br />

-De quoi, <strong>le</strong>s rois mages ?<br />

-Ne plaisante pas avec ça. C’est un sacré problème.<br />

-Je dirais plutôt l’inverse ! Ne t’inquiète pas et aie<br />

confiance. Dieu a plus d’un tour dans Son sac.<br />

-Tu En par<strong>le</strong>s comme si tu Le connaissais.<br />

Peter prit un air grave pour répondre à Jérémie<br />

-Mais je Le connais. Je par<strong>le</strong> tous <strong>le</strong>s jours avec Lui,<br />

c’est ma façon de prier, et Il me répond. Pas besoin d’al<strong>le</strong>r<br />

à la synagogue ou à l’église pour ça, mon miroir est <strong>le</strong> plus<br />

sacré des sanctuaires de Dieu. Chacun de mes actes et<br />

chacune de mes pensées sont pour moi des réponses claires<br />

<strong>au</strong>x questions que je Lui pose. Je Lui fais confiance et Il me<br />

fait confiance. C’est un deal permanent entre nous et <strong>le</strong> jour<br />

où je <strong>le</strong> décevrai, peut-être m’enverra-t-il paître mais je ne<br />

crois pas, car <strong>le</strong> seul véritab<strong>le</strong> pouvoir est celui de<br />

pardonner. On craint toujours ceux qui punissent alors qu’il<br />

f<strong>au</strong>t craindre ceux qui peuvent pardonner car ils sont<br />

suffisamment forts pour <strong>le</strong> faire. La punition est <strong>le</strong> pouvoir<br />

de ceux qui ont peur.<br />

-Tu es bien philosophe en avion, c’est <strong>le</strong> fait d’être dans<br />

<strong>le</strong> ciel qui te rend comme ça ?<br />

-Non, mais je connais <strong>le</strong>s hommes. Ce sont des faib<strong>le</strong>s, et<br />

plus on va en h<strong>au</strong>t de l’échel<strong>le</strong> et plus ils ont peur. Peur de<br />

perdre ce qu’ils ont acquis. Le pouvoir, l’argent, tout ce qui<br />

peut pourrir l’être humain quoi… Au fait, qu’est-ce qui te<br />

84


fait dire qu’il est déjà né ? Le retour est annoncé pour deux<br />

mil<strong>le</strong> ans après qu’il soit venu, rien ne précise à quel<br />

moment il doit renaître…<br />

-Oui, reprit Jérémie, mais d’une part, sur deux mil<strong>le</strong> ans<br />

je ne pense pas que Dieu soit à vingt ou trente ans près,<br />

ensuite, je suis persuadé que <strong>le</strong> retour annoncé parmi <strong>le</strong>s<br />

hommes correspond à une échéance bien précise avec<br />

laquel<strong>le</strong> la naissance doit coïncider à l’année près. Or, à<br />

l’échel<strong>le</strong> historique et humaine, qu’avons-nous comme<br />

évènements prévisib<strong>le</strong>s pour <strong>le</strong>s années à venir ?<br />

-Je ne vois pas ce qui pourrait être prévisib<strong>le</strong>. Tu lis dans<br />

<strong>le</strong> futur toi maintenant ?<br />

-Pas du tout, mais je suis certain que Dieu a décidé de<br />

marquer <strong>le</strong> coup par rapport à un événement où l’homme<br />

voit ressurgir certaines de ses appréhensions.<br />

-Le changement de millénaire ?<br />

-Exactement. Tout <strong>le</strong> monde s’est mis en tête que <strong>le</strong><br />

passage à l’an 2000 était <strong>le</strong> « Millénium » mais je te<br />

rappel<strong>le</strong> que nous ne serons <strong>au</strong> XXIème sièc<strong>le</strong> que <strong>le</strong> 1 er<br />

janvier 2001.<br />

-Et alors ?<br />

-Et bien cela peut représenter un bon point de départ<br />

pour démarrer une nouvel<strong>le</strong> phase de l’histoire. Tu as bien<br />

sûr entendu par<strong>le</strong>r de la parousie ?<br />

-Oui.<br />

-Si on établit une relation entre la parousie et <strong>le</strong><br />

changement de millénaire, cela peut avoir un sens<br />

chronologique. En grec, parousie signifie « arrivée », il<br />

s’agit en fait du retour du Christ annoncé pour la fin des<br />

temps et prévoyant <strong>le</strong> jugement dernier. Si l’on reprend <strong>le</strong>s<br />

termes exacts du manuscrit, il y est clairement dit qu’une<br />

nouvel<strong>le</strong> épreuve attend <strong>le</strong>s hommes, que s’ils la passent<br />

avec succès, ils seront pardonnés, mais si par malheur ils<br />

échouent, la punition sera définitive. Comme me l’a dit<br />

Gaby Goldman, Dieu laisse <strong>le</strong> choix <strong>au</strong>x hommes. Je pense<br />

que ce retour possib<strong>le</strong> du Christ parmi nous est un choix<br />

85


donné <strong>au</strong>x hommes. En gros, s’ils l’acceptent, pas de<br />

problèmes. S’ils refusent, Dieu punira.<br />

-Quel est <strong>le</strong> rapport avec <strong>le</strong> nouve<strong>au</strong> millénaire ?<br />

-Une <strong>au</strong>tre doctrine apparaît dans <strong>le</strong> raisonnement. Le<br />

millénarisme, qui est une doctrine semblab<strong>le</strong> <strong>au</strong><br />

messianisme, qui, d’une façon généra<strong>le</strong>, annonce que Jésus<br />

reviendra sur terre pour y régner mil<strong>le</strong> ans, en ayant pour<br />

but de ramener l’homme <strong>au</strong>x conditions de vie socia<strong>le</strong><br />

existant à l’origine ce qui ne ferait pas de mal à l’humanité,<br />

quand on voit ce que <strong>le</strong>s hommes ont étés capab<strong>le</strong>s de faire<br />

depuis <strong>le</strong> début. Je pense que <strong>le</strong> passage <strong>au</strong> troisième<br />

millénaire peut être un bon prétexte pour démarrer un règne<br />

de mil<strong>le</strong> ans.<br />

-Tu ne crois pas que c’est un peu tiré par <strong>le</strong>s cheveux ?<br />

-Je ne pense pas. Dieu doit être suffisamment malin pour<br />

provoquer une peur chez <strong>le</strong>s hommes justement <strong>au</strong> moment<br />

où ils l’attendent. Cela ne pourra donner que plus de poids<br />

<strong>au</strong> message qu’Il veut faire passer.<br />

-Et <strong>le</strong> jugement dernier dans tout ça ?<br />

-C’est très simp<strong>le</strong>, si <strong>le</strong>s hommes comprennent, pas de<br />

jugement dernier. S’ils ne comprennent pas, nous sommes<br />

alors à l’<strong>au</strong>be de la fin des temps. C’est clairement exprimé<br />

dans <strong>le</strong> manuscrit.<br />

Peter se retourna et jeta un coup d’œil <strong>au</strong> travers du<br />

hublot. Dehors, on ne voyait que <strong>le</strong> ciel noir et <strong>le</strong>s étoi<strong>le</strong>s.<br />

* * *<br />

Cela faisait bientôt deux heures que <strong>le</strong> 747 survolait<br />

l’océan Atlantique. Une charmante hôtesse proposa un<br />

copieux repas à Jérémie et Peter, qu’ils s’empressèrent<br />

d’ava<strong>le</strong>r avec un appétit d’ogre. Peter demanda à être servi<br />

86


à nouve<strong>au</strong> car la première ration ne lui suffisait<br />

apparemment pas.<br />

-Tu avais faim, constata Jérémie. Pourtant à te voir, on<br />

croirait que tu as un appétit d’oise<strong>au</strong>.<br />

-D’aig<strong>le</strong>, en effet, reprit Peter en riant. Et puis cette jolie<br />

hôtesse représente tout à fait ce que j’imagine de la femme<br />

idéa<strong>le</strong>. Un petit plaisir, ne serait-ce que visuel, n’est jamais<br />

mal venu. Cela fait partie des bonnes choses que Dieu à<br />

offertes à l’homme, entre <strong>au</strong>tres. Il f<strong>au</strong>t savoir en profiter.<br />

La vie est remplie de toutes ces petites choses qui font<br />

qu’on soit heureux ou non. Les apprécier est une façon de<br />

remercier notre Créateur. Ne <strong>le</strong> décevons pas. J’espère que<br />

tu en profites <strong>au</strong>ssi.<br />

-Je ne sais pas, répondit Jérémie soudain morose. En fait,<br />

je ne crois pas que j’aie jamais vraiment eu <strong>le</strong> temps d’y<br />

faire attention.<br />

-Grossière erreur mon ami ! Tu as commencé ta vie par<br />

la fin, il y a un temps pour tout, ne crois pas que ta mission,<br />

si tu en as une, soit unique. La première mission de tout<br />

homme est de réussir sa vie. La vie est un cade<strong>au</strong>, et<br />

comme tous <strong>le</strong>s cade<strong>au</strong>x, nous nous devons d’en faire bon<br />

usage, déjà pour remercier Dieu de nous l’avoir offert.<br />

Ensuite celui qui a réussi sa vie <strong>au</strong>ra l’esprit suffisamment<br />

large et ouvert pour mieux aider <strong>le</strong>s <strong>au</strong>tres à trouver <strong>le</strong>ur<br />

chemin. Si l’homme réussit tout ça, alors il sera prêt pour<br />

accomplir d’<strong>au</strong>tres missions pouvant être plus importantes,<br />

mais pour garder la tête froide, il f<strong>au</strong>t de temps en temps se<br />

relâcher. C’est <strong>le</strong> principe de la soupape de sécurité. Il est<br />

vrai que tu ne me semb<strong>le</strong>s pas être quelqu’un qui fait<br />

souvent marcher sa soupape ! Tu as une femme dans ta<br />

vie ?<br />

Jérémie fut un peu désorienté par cette question, pourtant<br />

naturel<strong>le</strong>, mais qui lui paraissait néanmoins abrupte,<br />

d’<strong>au</strong>tant plus qu’il se sentait plutôt gêné de répondre par la<br />

négative. Il chercha à détourner <strong>le</strong> problème.<br />

87


-Il n’y a pas que <strong>le</strong>s femmes dans la vie, on dirait<br />

qu’el<strong>le</strong>s sont <strong>le</strong> centre de ta pensée.<br />

-Ne te dérobe pas mon ami, et je te rassure tout de suite,<br />

<strong>le</strong>s femmes ne sont pas l’objet principal de ma vie, mais<br />

el<strong>le</strong>s en font partie, comme pour tout homme, et si on ne<br />

cherche pas à en trouver une parmi <strong>le</strong>s <strong>au</strong>tres, on <strong>au</strong>ra pas<br />

cel<strong>le</strong> dont on a besoin. Tu sais, l’âme sœur, tu as entendu<br />

par<strong>le</strong>r de ça ?<br />

-Ne te moques pas de moi, j’y ai bien pensé, mais une<br />

femme n’est pas toujours compatib<strong>le</strong> avec une vie de<br />

journaliste. Mon métier fait que je suis une sorte de SDF.<br />

-Ce n’est pas non plus compatib<strong>le</strong> avec la vieil<strong>le</strong>sse d’un<br />

journaliste, ni compatib<strong>le</strong> avec la vie d’un étudiant, d’un<br />

médecin ou d’un directeur de banque. C’est ce qu’on se dit<br />

jusqu’<strong>au</strong> moment où on en trouve une compatib<strong>le</strong> avec<br />

notre cœur. Mais pour cela il f<strong>au</strong>t chercher. Et je pense que<br />

cette charmante hôtesse peut tout à fait rentrer dans ma<br />

gamme d’essais !<br />

Ils éclatèrent de rire et Peter attaqua son second plate<strong>au</strong><br />

repas. Jérémie, écrasé par la fatigue fit un long somme qui<br />

l’emporta jusqu’<strong>au</strong>x environs de 22h30. Lorsqu’il se<br />

réveilla, la cabine de l’avion n’était plus éclairée que par de<br />

faib<strong>le</strong>s lumières m<strong>au</strong>ves. Peter lisait un magazine et<br />

semblait malgré tout frais comme s’il venait de passer une<br />

bonne nuit de sommeil.<br />

-Tu as un peu dormi ? demanda Jérémie.<br />

-Non, mais j’ai be<strong>au</strong>coup réfléchi.<br />

-A quoi, ta future épouse ?<br />

-Pas du tout, j’essayais d’imaginer ce que pourrait être<br />

Jésus <strong>au</strong> cas ou nous découvririons qui Il est.<br />

-C’est à dire ?<br />

-Est-Il juif, musulman, chrétien, bouddhiste ou <strong>au</strong>tre ?<br />

Qu’est-ce qui nous attend de ce point de vue ? Il y a<br />

obligatoirement une partie des gens qui croient en quelque<br />

chose sur terre qui découvriront qu’ils se sont trompés.<br />

88


-Je n’en suis pas sûr, d’une part je pense qu’il y a trop de<br />

similitudes entre <strong>le</strong>s principa<strong>le</strong>s religions pour qu’el<strong>le</strong>s<br />

n’aient pas la même racine, à nouve<strong>au</strong>, je dis que tout n’est<br />

qu’une question d’interprétation et d’adaptation en fonction<br />

des différentes civilisations. Les religions monothéistes se<br />

ressemb<strong>le</strong>nt étroitement, quant <strong>au</strong>x religions polythéistes, je<br />

crois qu’il y a <strong>au</strong>ssi des points communs.<br />

-Comment ça ?<br />

-Chacun se rattache à une divinité qui lui est propre en<br />

fonction de ses besoins, mais toutes <strong>le</strong>s religions<br />

polythéistes ont une entité supérieure <strong>au</strong>x <strong>au</strong>tres. De même<br />

que dans la religion chrétienne chacun des saints est un<br />

« saint-patron » de quelque chose. Il n’est pas Dieu, mais il<br />

est spécialisé dans une tâche bien précise, et <strong>le</strong>s hommes <strong>le</strong><br />

savent, car <strong>au</strong>trement ils ne prieraient que Dieu et non pas<br />

<strong>le</strong>s saints.<br />

-Mais <strong>le</strong>s saints ont étés faits par <strong>le</strong>s hommes.<br />

-De même que <strong>le</strong>s dieux grecs ou romains, ou encore<br />

tous <strong>le</strong>s <strong>au</strong>tres dieux de toutes <strong>le</strong>s croyances diverses qui<br />

ont étés imaginés par <strong>le</strong>s hommes car ils en avaient besoin<br />

pour répondre à des nécessités qui <strong>le</strong>ur étaient spécifiques.<br />

Chaque homme estimant qu’il est unique, il a <strong>au</strong>ssi besoin<br />

de sentir que quelqu’un ou quelque chose <strong>le</strong> protège<br />

particulièrement. Mais dans <strong>le</strong> fond, je veux dire<br />

humainement parlant, tu as raison, certains accepteront de<br />

croire qu’ils se sont trompés, et d’<strong>au</strong>tres non, il y a un<br />

risque. Mais je ne crois pas qu’il ne soit que religieux. De<br />

toute façon, ce n’est pas <strong>le</strong> problème du moment, pour<br />

l’instant il y a une chose à laquel<strong>le</strong> nous devons penser en<br />

priorité.<br />

-Qu’est-ce que c’est ?<br />

-Il nous f<strong>au</strong>t trouver la manière de découvrir qui est <strong>le</strong><br />

Christ.<br />

-Comment comptes-tu t’y prendre ?<br />

-C’est bien là <strong>le</strong> problème. Comme je te l’ai dit, je ne<br />

pense pas que nous devions chercher quelqu’un pour <strong>le</strong><br />

89


moment. J’ai la conviction que Dieu va nous envoyer des<br />

indices, et c’est principa<strong>le</strong>ment à cela que nous devons être<br />

attentifs. Je ne sais pas sous quel<strong>le</strong> forme ces signes nous<br />

seront présentés, est-ce qu’il <strong>au</strong>ra un nouve<strong>au</strong> messager<br />

comme Gaby Goldman ou <strong>au</strong>tre chose, je n’en ai pas la<br />

moindre idée !<br />

-Alors ne t’en inquiète pas, reprit Peter. Il f<strong>au</strong>t agir de la<br />

façon la plus naturel<strong>le</strong> en ce qui nous concerne. Pour <strong>le</strong><br />

manuscrit, tu ne te doutais de rien, par conséquent il f<strong>au</strong>t<br />

faire ce que nous estimons être <strong>le</strong> mieux et <strong>le</strong>s signes<br />

apparaîtront <strong>au</strong> fur et à mesure de notre avancement.<br />

90


CHAPITRE VIII<br />

-Messieurs, si nous sommes réunis ici ce soir à une heure<br />

<strong>au</strong>ssi tardive, c’est que nous nous trouvons dans une<br />

situation pour <strong>le</strong> moins délicate. Vous avez tous étés<br />

informés de l’objet de cette réunion par une voie officieuse<br />

et je compte sur vous pour que tout ce que vous entendrez<br />

dans <strong>le</strong>s discussions qui vont suivre reste absolument<br />

secret. Pour ceux qui ont des supérieurs hiérarchiques, vous<br />

êtes dispensés de <strong>le</strong>ur faire part de l’existence de cette<br />

séance ainsi que de son contenu. Vous al<strong>le</strong>z chacun avoir<br />

une mission bien spécifique relative à notre affaire et je<br />

vous demande de ne pas y déroger ni d’étendre vos<br />

investigations <strong>au</strong>-delà de ce que je vais vous demander. Je<br />

veux que <strong>le</strong>s choses soient bien claires : Vous n’<strong>au</strong>rez<br />

<strong>au</strong>cun compte rendu synthétisant <strong>le</strong>s résultats de cette<br />

enquête et je ne peux même pas vous donner <strong>le</strong> véritab<strong>le</strong><br />

motif ayant déc<strong>le</strong>nché ces recherches. Vous ne devrez<br />

rendre compte à personne d’<strong>au</strong>tre que moi. Vous avez<br />

devant vous un dossier personnel où tout ce que vous<br />

devrez faire est reporté. Je vous interdis de vous consulter<br />

mutuel<strong>le</strong>ment, la tâche qui vous est confiée est purement<br />

personnel<strong>le</strong> et tout ce que vous avez à faire ou trouver est<br />

détaillé dans ce document. Au cas où vous <strong>au</strong>riez des<br />

questions, vous pourrez me <strong>le</strong>s poser tout à l’heure <strong>au</strong> cours<br />

d’un entretien individuel, il y a <strong>au</strong>ssi dans <strong>le</strong> dossier un<br />

91


numéro de téléphone spécial que vous êtes <strong>le</strong>s seuls à<br />

détenir et qui est protégé. Vous pourrez m’y joindre à toute<br />

heure du jour ou de la nuit <strong>au</strong> cas où il vous serait<br />

nécessaire de me poser des questions ou savoir quel<strong>le</strong><br />

pourrait être la conduite à tenir face à un problème<br />

particulier. Je n’ai rien de plus à ajouter. Avant que nous<br />

commencions <strong>le</strong>s entretiens, vous avez une heure pour<br />

éplucher votre dossier personnel. Une petite pièce est mise<br />

à la disposition de chacun d’entre vous pour l’étudier en<br />

toute tranquillité. Un agent de la sécurité va vous y<br />

conduire. Nous nous retrouverons ici dans une heure. Une<br />

dernière chose : vous disposez tous d’un crédit illimité. A<br />

tout à l’heure.<br />

William Colton se <strong>le</strong>va du canapé en cuir situé en face de<br />

son bure<strong>au</strong> présidentiel. Les quatre agents spéci<strong>au</strong>x<br />

<strong>au</strong>xquels il venait de faire son speech quittèrent <strong>le</strong> bure<strong>au</strong><br />

ova<strong>le</strong> sans poser de question n’y même un regard pour <strong>le</strong>ur<br />

illustre interlocuteur. Ils savaient que la première chose<br />

qu’ils avaient à faire était simp<strong>le</strong> : se taire.<br />

Le Président américain rejoint son bure<strong>au</strong> en bois massif,<br />

s’assit sur son imposant f<strong>au</strong>teuil de l’homme <strong>le</strong> plus<br />

puissant du monde, et demanda à son secrétaire particulier<br />

de déc<strong>le</strong>ncher une réunion téléphonique avec <strong>le</strong> Président<br />

de la République Française ainsi qu’avec <strong>le</strong> Pape. Les deux<br />

hommes étaient prévenus et, quelques secondes plus tard, la<br />

réunion put commencer.<br />

-Bonsoir messieurs, avant tout, je propose qu’une<br />

réunion soit faite tous <strong>le</strong>s soirs à la même heure quoiqu’il<br />

arrive. Je pense que vous serez d’accord avec moi, n’est-ce<br />

pas ?<br />

Ses deux interlocuteurs acquiescèrent. Il <strong>le</strong>ur était<br />

obligatoire de faire un point quotidien du dérou<strong>le</strong>ment des<br />

opérations. Pour <strong>le</strong> moment, <strong>au</strong>cun <strong>au</strong>tre chef d’état n’avait<br />

été mis dans la confidence, pour la bonne et simp<strong>le</strong> raison<br />

que tant que <strong>le</strong>ur pays n’était pas concerné, il valait mieux<br />

taire ce qu’il se tramait. Le périp<strong>le</strong> de Jérémie Cohen ne<br />

92


concernait pour l’instant que <strong>le</strong>s Etats-Unis, la France et <strong>le</strong><br />

Vatican.<br />

-Bien, reprit William Colton, je me suis occupé<br />

personnel<strong>le</strong>ment de mettre quatre de mes agents <strong>le</strong>s plus<br />

sûrs pour mener cette enquête. Leur objectif est simp<strong>le</strong> :<br />

connaître tous <strong>le</strong>s faits et gestes de Jérémie Cohen depuis <strong>le</strong><br />

moment où il a mis <strong>le</strong>s pieds <strong>au</strong>x USA jusqu’à la fin de<br />

cette affaire. Tout est cloisonné et nous sommes <strong>le</strong>s seuls à<br />

savoir <strong>le</strong> véritab<strong>le</strong> objet de <strong>le</strong>ur mission. Eux-mêmes ne<br />

connaissent pas <strong>le</strong> véritab<strong>le</strong> motif de l’opération. Je vous<br />

demande de faire la même chose avec vos services sans<br />

qu’ils se rapprochent <strong>le</strong>s uns des <strong>au</strong>tres, cela nous permettra<br />

de faire des recoupements pour mieux contrô<strong>le</strong>r la situation<br />

afin que <strong>le</strong>s trois enquêtes menées se complètent. Si nous<br />

devons <strong>le</strong>ur transmettre des in<strong>format</strong>ions que <strong>le</strong>s <strong>au</strong>tres<br />

<strong>au</strong>ront pu glaner, cela se fera par nous et nous seuls. Qu’en<br />

pensez-vous ?<br />

-Je suis complètement d’accord, continua Jacques<br />

Mulliet. Le Président Français avait lui-même organisé une<br />

réunion identique avec trois agents de la DGSE qui se<br />

voyaient confier la même mission que <strong>le</strong>urs homologues<br />

américains. Cependant, reprit-il, il nous f<strong>au</strong>t décider de<br />

savoir à quel moment il nous f<strong>au</strong>dra mettre un terme à cette<br />

enquête, et surtout de quel<strong>le</strong> façon il sera nécessaire de<br />

classer <strong>le</strong> dossier. Il ne f<strong>au</strong>t pas oublier que Cohen est<br />

journaliste et qu’il peut à tout moment avertir la presse de<br />

ce qu’il va découvrir. Sait-on s’il a trouvé <strong>le</strong> manuscrit ?<br />

-D’après ce que nous savons reprit Colton, il semb<strong>le</strong>rait<br />

que non. Nous avons fouillé sa chambre d’hôtel à New<br />

York, et tout porte à croire qu’il ne l’a pas. Mais il a pu<br />

brouil<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s pistes, il nous f<strong>au</strong>t faire avec pour <strong>le</strong> moment.<br />

De toute façon, je crois que nous devons <strong>le</strong> laisser<br />

continuer jusqu’à ce qu’il découvre l’identité de celui qui<br />

pourrait être <strong>le</strong> Christ.<br />

-Vous y croyez donc ? Demanda Mulliet.<br />

93


-Selon <strong>le</strong>s éléments que sa Sainteté a bien voulu nous<br />

communiquer, cela ne semb<strong>le</strong> faire <strong>au</strong>cun doute, n’importe<br />

comment, même si nous nous trompons, nous ne pouvons<br />

pas prendre <strong>le</strong> risque de ne rien faire <strong>au</strong> cas où tout cela<br />

serait vrai.<br />

Le pape décida d’intervenir à ce moment.<br />

-Vous savez mes amis, l’Eglise s’est trompée sur<br />

be<strong>au</strong>coup de choses depuis des sièc<strong>le</strong>s, mais là, je crains<br />

que tout ceci ne soit que pure vérité et c’est bien ce qui<br />

m’inquiète. Il y a certaines choses que <strong>le</strong>s papes se<br />

transmettent de la manière la plus confidentiel<strong>le</strong>, je dirais<br />

une sorte de testament que <strong>le</strong> suivant ne doit ouvrir que<br />

quelques semaines après avoir été intronisé. J’ai moi-même<br />

découvert cel<strong>le</strong>-ci après avoir été choisi pour diriger notre<br />

sainte Mère l’Eglise et l’un de mes vœux <strong>le</strong> plus secret était<br />

que cela ne se réalise pas pendant mon pontificat. Mais je<br />

savais par avance que je ne pourrais passer à coté de cet<br />

évènement. C’était écrit très précisément et nous <strong>le</strong> savons<br />

depuis plusieurs sièc<strong>le</strong>s maintenant. Un de mes<br />

prédécesseurs avait décidé de l’annoncer, mais il n’a pu<br />

vivre suffisamment longtemps pour mener à bien son<br />

projet. Ce qui m’attriste <strong>le</strong> plus dans tout cela, c’est que je<br />

vais complètement à l’encontre de ce que Dieu a décidé.<br />

Mais je ne crois pas que notre civilisation soit prête pour ce<br />

genre d’épreuve. Mes motivations sont bien différentes des<br />

vôtres. Vous ne voyez que <strong>le</strong>s conséquences politiques ou<br />

économiques que <strong>le</strong> retour du Christ peut engendrer, moi<br />

je ne vois que <strong>le</strong>s effets sur l’homme d’un tel épisode dans<br />

l’histoire de l’humanité. Je crois que Dieu me punira pour<br />

ne pas lui avoir fait confiance. Je vais contre ma Foi et je<br />

suis persuadé que quoique nous puissions faire, notre partie<br />

est perdue d’avance. On ne peut pas al<strong>le</strong>r contre la volonté<br />

de Dieu. Vous savez monsieur Colton, j’ai be<strong>au</strong>coup<br />

réfléchi depuis notre premier entretien téléphonique et je<br />

suis revenu vers des sentiments que je qualifierais de « plus<br />

religieux », depuis toujours nous annonçons <strong>le</strong> retour de<br />

94


Jésus et nous savions qu’Il et quand Il reviendrait.<br />

Maintenant nous prenons conscience de toutes nos erreurs<br />

passées et cela nous effraie car nous savons que la seu<strong>le</strong><br />

chose qu’Il devrait faire, c’est nous punir pour avoir utilisé<br />

et déformé Sa paro<strong>le</strong>. Mais notre peur est plus forte que<br />

notre honte. C’est malheureusement souvent <strong>le</strong> cas chez<br />

l’homme. Nous n’y pouvons rien. Dieu nous a crées ainsi.<br />

Certainement pour nous mettre à l’épreuve.<br />

William Colton s’impatientait. Il y avait certaines choses<br />

<strong>au</strong>xquel<strong>le</strong>s il préférait ne pas penser. L’éventualité d’un<br />

retour du Christ sur la terre pouvait remettre en question<br />

be<strong>au</strong>coup de choses. A commencer par la crédibilité des<br />

politiques. Les hommes qui mènent <strong>au</strong>jourd’hui <strong>le</strong> monde<br />

ne sont là que parce qu’il n’y a <strong>au</strong>cune entité supérieure<br />

connue et que la société <strong>le</strong>ur a permis d’accéder <strong>au</strong> pouvoir<br />

car el<strong>le</strong> a besoin de chefs. Si <strong>le</strong> contraire pouvait être<br />

prouvé, cela signifierait que <strong>le</strong>ur rô<strong>le</strong> serait réduit à celui de<br />

simp<strong>le</strong>s exécutants. Toutes <strong>le</strong>s formes de pouvoirs seraient<br />

remises en c<strong>au</strong>se. Politique, économique et bien sûr<br />

religieux. Les dirigeants n’<strong>au</strong>raient plus de raison d’être<br />

puisqu’il n’y <strong>au</strong>rait qu’un <strong>le</strong>ader pour l’ensemb<strong>le</strong> de<br />

l’humanité. Le vieux rêve de domination du monde de<br />

certains hommes serait définitivement réduit à néant. On ne<br />

peut se prendre pour Dieu que quand Il n’existe pas, car<br />

seul Lui a <strong>le</strong> pouvoir de nous rappe<strong>le</strong>r à l’ordre. Colton se<br />

dit qu’il ne fallait pas prendre <strong>le</strong> risque, en tout cas, pas tant<br />

qu’il serait à la tête de la plus grande puissance mondia<strong>le</strong>.<br />

-Le Président Mulliet a cependant raison. Il est impératif<br />

que nous prenions dès maintenant une décision sur la<br />

conduite à tenir à partir du moment où nous <strong>au</strong>rons atteint<br />

un point de non-retour dans notre enquête. Il n’y a, à mon<br />

avis, pas cinquante solutions. Nous devrons écarter<br />

définitivement tout risque de divulgation de la part de<br />

Cohen. Je pense que vous me comprenez ?<br />

Le si<strong>le</strong>nce qui suivit ne laissa <strong>au</strong>cun doute.<br />

95


* * *<br />

-Monseigneur, que pensez-vous de cela ?<br />

-Il n’y a rien d’étonnant. Ils n’en font toujours qu’à <strong>le</strong>ur<br />

tête. Mais ils reviendront bientôt vers de meil<strong>le</strong>urs<br />

sentiments. Ils sont encore dans <strong>le</strong> doute. Ils sont comme<br />

notre ami Thomas…<br />

-Vous avez vraiment confiance.<br />

-Oui, en moi.<br />

-Et que ferez-vous si ça ne marche pas ?<br />

-Ce n’est pas encore <strong>le</strong> moment d’en décider.<br />

96


7 janvier 2000<br />

CHAPITRE IX<br />

Le vol de Jérémie et Peter arriva avec quelques minutes<br />

de retard dûes à un encombrement particulier en ce début<br />

d‘année. Une fou<strong>le</strong> compacte se pressait devant <strong>le</strong>s tapis<br />

roulant de livraison des bagages chargés par <strong>le</strong>s centaines<br />

de valises en provenance de tous <strong>le</strong>s coins du monde. Ils<br />

mirent près d’une heure pour récupérer <strong>le</strong>urs sacs respectifs<br />

avant d’al<strong>le</strong>r rejoindre la fi<strong>le</strong> d’attente de contrô<strong>le</strong> des<br />

passeports. Jérémie se dirigea directement vers la voie<br />

réservée <strong>au</strong>x passeports CEE tandis que Peter s’impatientait<br />

devant cel<strong>le</strong> des « étrangers ». Le débit était rapide pour<br />

Jérémie, l’officier de la police de l’air et des frontières ne<br />

jetant qu’un simp<strong>le</strong> coup d’œil sur <strong>le</strong>s passeports. Quand<br />

vint <strong>le</strong> tour de Jérémie, <strong>le</strong> policier s’attarda longuement sur<br />

ses papiers, consulta son ordinateur pour fina<strong>le</strong>ment lui<br />

rendre son passeport <strong>au</strong> bout de quelques minutes. Le<br />

regard rapide mais appuyé de l’officier déc<strong>le</strong>ncha<br />

immédiatement une sonnette d’alarme dans l’esprit de<br />

Jérémie. Apparemment, <strong>le</strong>s in<strong>format</strong>ions allaient vite entre<br />

<strong>le</strong>s services américains et français. Après être sorti de la<br />

zone sous douane, il se dirigea vers une série de bancs pour<br />

y attendre Peter. Celui-ci arriva <strong>au</strong> bout d’un quart d’heure<br />

et Jérémie lui fit un signe rapide pour ne pas qu’il <strong>le</strong><br />

rejoigne. Il prit son sac et s’orienta vers la sortie du<br />

97


terminal des arrivées. Peter <strong>le</strong> suivait de loin et c’est<br />

séparément qu’ils attendirent la navette aéroport qui <strong>le</strong>s<br />

conduirait <strong>au</strong> centre de Paris. Jérémie avait pris soin, dans<br />

l’avion, de remettre des francs français à Peter en prévision<br />

de ce genre de situation. Quelques minutes plus tard, ils<br />

s’embarquèrent dans <strong>le</strong> car.<br />

Jérémie avait donné à Peter <strong>le</strong>s coordonnées d’un hôtel<br />

proche de son domici<strong>le</strong> <strong>au</strong> cas où il <strong>le</strong>ur <strong>au</strong>rait fallu se<br />

séparer, en lui précisant de quel<strong>le</strong> manière il <strong>le</strong> contacterait.<br />

S’ils étaient suivis en France, <strong>le</strong>s choses n’aillaient pas être<br />

simp<strong>le</strong>s se dit Jérémie. Il <strong>le</strong>ur f<strong>au</strong>drait faire preuve<br />

d’ingéniosité pour éviter de se faire repérer tout en<br />

continuant <strong>le</strong>ur enquête, mais Jérémie avait sa petite idée à<br />

ce sujet. La présence de Peter lui serait plus que précieuse.<br />

Avant de se rendre chez lui, Jérémie téléphona d’une<br />

cabine <strong>au</strong> rédacteur en chef du journal à qui il avait envoyé<br />

<strong>le</strong> manuscrit. Malgré sa fatigue du voyage, il lui donna<br />

rendez-vous dans un café montmartrois en lui précisant<br />

bien de ne pas amener <strong>le</strong> paquet qu’il avait reçu. Une heure<br />

plus tard, ils étaient tous <strong>le</strong>s deux attablés dans la sal<strong>le</strong><br />

surch<strong>au</strong>ffée du bar où <strong>le</strong>s serveurs s’affairaient à dresser <strong>le</strong>s<br />

tab<strong>le</strong>s pour <strong>le</strong> déjeuner. Jérémie avait commandé un doub<strong>le</strong><br />

expresso pour essayer de tenir <strong>le</strong> coup. Il n’avait<br />

pratiquement pas dormi depuis la veil<strong>le</strong>, n’étant même pas<br />

arrivé à somno<strong>le</strong>r plus d’une heure dans l’avion.<br />

-Alors, demanda son ami, ce voyage <strong>au</strong>x USA semb<strong>le</strong><br />

avoir été profitab<strong>le</strong>, qu’est-ce que tu nous ramènes de<br />

neuf ? C’est quoi ce paquet que tu m’as expédié ?<br />

-Je ne peux rien te dire pour <strong>le</strong> moment, mais j’ai besoin<br />

de toi. J’enquête actuel<strong>le</strong>ment sur quelque chose qui me<br />

tient vraiment à cœur et qui nécessite la plus grande<br />

discrétion, je veux dire même vis à vis des <strong>au</strong>torités. Par<br />

contre, je peux te jurer que quoiqu’il arrive, tu ne seras pas<br />

inquiété. Une fois que j’<strong>au</strong>rai terminé, je pourrai rendre<br />

public <strong>le</strong> résultat de mes recherches. <strong>Jean</strong>-Pierre, je peux te<br />

faire confiance ?<br />

98


-Comme à une tombe ! Que puis-je faire pour toi ?<br />

-C’est simp<strong>le</strong>, je vais régulièrement t’envoyer des<br />

documents par la poste. En fait, il s’agira de notes de<br />

synthèse que je ferai <strong>au</strong> fur et à mesure de l’avancement de<br />

mes investigations. Je veux que tu <strong>le</strong>s mettes en sécurité<br />

chez l’avocat de ton journal sans même <strong>le</strong>s lire. A chaque<br />

envoi, il y <strong>au</strong>ra un paquet dans <strong>le</strong>quel se trouvera une<br />

enveloppe que tu lui remettras. Sans l’ouvrir. Tu ne pourras<br />

en prendre connaissance que s’il m’arrive quelque chose de<br />

grave ou si je te <strong>le</strong> demande. C’est d’accord ?<br />

-Tu peux compter sur moi. Tu vas rester sur Paris ?<br />

-Je ne sais pas encore, mais cela m’étonnerait. J’ai un<br />

<strong>au</strong>tre service à te demander. Il y a de fortes chances que ma<br />

ligne de téléphone et mon mobi<strong>le</strong> soient sur écoute, est-ce<br />

que tu peux me passer un portab<strong>le</strong> du journal ?<br />

-Pas de problème. Tu veux passer <strong>le</strong> prendre <strong>au</strong> bure<strong>au</strong> ?<br />

-Oui, ça ne risque rien. Je passerai ce soir vers dix-neuf<br />

heures. Je suis certainement suivi, mais il est tout à fait<br />

normal pour un journaliste d’al<strong>le</strong>r dans une rédaction.<br />

-Dis-moi, tu m’as l’air d’être dans une sacrée panade.<br />

Qu’est-ce que tu as fait <strong>au</strong>x States ? T’as découvert<br />

l’assassin de Kennedy ?<br />

-Mieux que ça encore. Mais je ne peux vraiment rien te<br />

dire pour <strong>le</strong> moment. Ne me poses plus de questions, si on<br />

te demande, je travail<strong>le</strong> sur la Shoah, tu dois avoir<br />

d’anciens papiers à moi là-dessus. Tu reprends quelque<br />

chose ?<br />

-Non, je vais y al<strong>le</strong>r, et toi, tu devrais al<strong>le</strong>r dormir un<br />

peu, tu as une tête de déterré.<br />

Ils se séparèrent et Jérémie rentra chez lui. Il regarda en<br />

bas de son immeub<strong>le</strong> s’il voyait quelque chose de suspect,<br />

mais sans résultats. Il prit une bonne douche et se coucha<br />

dans son grand lit en bois.<br />

La faim <strong>le</strong> réveilla vers cinq heures de l’après-midi. Il se<br />

passa la tête sous un jet d’e<strong>au</strong> froide, mit un jeans, enfila un<br />

lourd pull irlandais et descendit acheter quelques victuail<strong>le</strong>s<br />

99


dans une épicerie voisine. De retour chez lui, il se prépara<br />

des andouil<strong>le</strong>ttes <strong>au</strong> vin blanc et ouvrit une bouteil<strong>le</strong> de<br />

Juliénas. Il retrouva <strong>le</strong> bon goût de la France.<br />

Après avoir fini son repas, il descendit dans son garage<br />

pour prendre sa voiture et se rendit <strong>au</strong> journal pour y<br />

récupérer un téléphone. <strong>Jean</strong>-Pierre Caron l’attendait.<br />

-Ah ! Te voilà, tu es devenu l’ennemi public numéro un<br />

ou quoi ? J’ai eu trois coups de fil de gens qui voulaient<br />

savoir si je t’avais vu et la visite d’un flic bizarre.<br />

-Que <strong>le</strong>ur as-tu dit ?<br />

-A ceux qui téléphonaient, rien. Je ne suis pas sensé<br />

donner des in<strong>format</strong>ions <strong>au</strong> téléphone sur <strong>le</strong>s gens qui<br />

travail<strong>le</strong>nt avec moi, et <strong>au</strong> flic, je lui ai dit qu’on s’était vus<br />

en fin de matinée et que tu m’avais remis un artic<strong>le</strong> sur<br />

l’Holoc<strong>au</strong>ste suite à ton voyage <strong>au</strong>x Etats-Unis. Je lui ai<br />

précisé que tu devais être chez toi. Il n’est pas venu te<br />

voir ?<br />

-Non, mais tu as bien fait. Bon, je te quitte, je te<br />

rappel<strong>le</strong>rai dans quelques jours.<br />

-Jérémie, je ne sais pas sur quel<strong>le</strong> affaire tu es, mais fais<br />

attention à toi, je n’ai pas envie de perdre un bon journaliste<br />

et encore moins un ami.<br />

-Merci, à bientôt. Je te tiendrai <strong>au</strong> courant.<br />

A peine sorti de l’immeub<strong>le</strong>, il composa <strong>le</strong> numéro de<br />

l’hôtel ou se trouvait Peter. Son ami était dans sa chambre.<br />

-Ah, enfin ! Je commençais à me morfondre. J’ai failli<br />

sortir. Je suis dans la plus bel<strong>le</strong> vil<strong>le</strong> du monde et tu me<br />

laisses croupir <strong>au</strong> fond d’une chambre d’hôtel de 3 mètres<br />

sur deux. Il n’y a même pas la télévision ! Vous devriez<br />

prendre exemp<strong>le</strong> sur nos hôtels américains en ce qui<br />

concerne l’espace !<br />

-Peter, il f<strong>au</strong>t que tu saches une chose, quand <strong>le</strong>s<br />

immeub<strong>le</strong>s parisiens ont étés construits, <strong>le</strong>s Etats-Unis en<br />

étaient encore <strong>au</strong>x maisons en rondins de bois et <strong>le</strong>s vrais<br />

américains avaient la pe<strong>au</strong> rouge et vivaient dans des<br />

teepees ! N’oublie pas que sans l’Europe, il n’y <strong>au</strong>rait pas<br />

100


d’Etats-Unis ni d’américains tels que tu <strong>le</strong>s conçois<br />

<strong>au</strong>jourd’hui. Tu te trouves dans l’un des berce<strong>au</strong>x de ta<br />

civilisation mon ami !<br />

-Erreur, pour toi comme pour moi <strong>le</strong> véritab<strong>le</strong> berce<strong>au</strong> de<br />

notre civilisation est un peu plus loin que Paris, je dirais Le<br />

Sinaï ou un coin dans la région, tu sais la Terre Promise.<br />

El<strong>le</strong> a d’ail<strong>le</strong>urs été tel<strong>le</strong>ment promise qu’on ne sait<br />

toujours pas vraiment à qui el<strong>le</strong> est ! Trêve de plaisanteries.<br />

Où en sommes-nous ?<br />

-La situation est relativement simp<strong>le</strong>, je me suis rendu<br />

compte dès l’aéroport que j’étais surveillé. Cela ne va pas<br />

nous faciliter <strong>le</strong>s choses. Pour commencer, tu vas louer un<br />

téléphone mobi<strong>le</strong> afin que nous puissions rester en contact<br />

permanent sans être obligés de nous voir. Je ne pense pas<br />

que nos suiveurs savent que nous sommes en relation.<br />

-Ok sur ce point. Mais pour notre petite enquête, par où<br />

commence-t-on ? Tu as reçu un signe ?<br />

-Ne plaisante pas ! Non je n’ai pas reçu de signe ni de<br />

message sur mon répondeur. C’est bien mon problème. Je<br />

ne sais vraiment pas par où commencer. Si ça se trouve,<br />

nous n’avons absolument rien à faire à Paris, et nous<br />

perdons un temps qui nous est précieux.<br />

-Jérémie, si tu veux mon avis, nous ne perdons pas de<br />

temps, je pense plutôt qu’il f<strong>au</strong>t que nous soyons patients.<br />

Si Dieu a décidé il y a quelques jours de te mettre sur la<br />

voie, Il ne va pas te laisser choir en p<strong>le</strong>in milieu, n’oublie<br />

pas que dans cette histoire, c’est Lui <strong>le</strong> patron et tu feras ce<br />

que tu <strong>au</strong>ras à faire <strong>au</strong> moment qu’Il choisira. Tu réagis<br />

comme tout homme : Impatiemment. Il f<strong>au</strong>t laisser <strong>au</strong>x<br />

choses <strong>le</strong> temps de se mettre en route, et fina<strong>le</strong>ment, si tu<br />

analyses bien la situation, tu as progressé en deux ou trois<br />

jours sur une affaire qui date de vingt sièc<strong>le</strong>s. C’est<br />

extraordinaire et tu n’<strong>au</strong>rais jamais été <strong>au</strong>ssi vite sans l’aide<br />

de Dieu. C’est quand même Lui qui t’a envoyé Gaby<br />

Goldman, Il n’a pas fait cela pour rien, Il a sûrement une<br />

idée derrière <strong>le</strong> Saint-Esprit ! Fais-Lui confiance, Si tu<br />

101


doutes de Lui, Il ne t’aidera plus. Rappel<strong>le</strong>-toi ce que t’a dit<br />

Gaby Goldman, tout est décidé à l’avance, mais l’homme a<br />

<strong>le</strong> choix de ses actes. Ne t’enlève jamais ça de la tête. Pour<br />

<strong>le</strong> moment, tant que nous avons pas plus d’indices, je crois<br />

que nous devons aborder <strong>le</strong> problème d’une manière<br />

simp<strong>le</strong>. Il f<strong>au</strong>t que nous <strong>le</strong> traitions d’une façon purement<br />

technique. C’est une enquête, et dans toute enquête, il y a<br />

une vision technique et scientifique qui permet de<br />

développer l’intuition et la réf<strong>le</strong>xion. Nous nous trouvons<br />

face à une équation dans laquel<strong>le</strong> nous avons une idée du<br />

résultat sans connaître <strong>le</strong>s données qui nous permettent d’y<br />

arriver. Il f<strong>au</strong>t donc procéder par ordre. Quels sont<br />

<strong>au</strong>jourd’hui <strong>le</strong>s éléments dont nous disposons ?<br />

-En dehors du manuscrit, pas grand-chose.<br />

-Très bien, il y a donc un outil de démarrage dont nous<br />

connaissons <strong>le</strong> contenu mais pas l’histoire. Tu ne voulais<br />

pas <strong>le</strong> faire dater <strong>au</strong> Carbone 14 ?<br />

-Si, mais à présent, je ne vois plus quel intérêt cela peut<br />

représenter. Nous savons ce qu’il contient et nous avons la<br />

ferme conviction qu’il émane de Dieu Lui-même.<br />

-Je crois que nous devons déjà commencer par<br />

<strong>au</strong>thentifier ce fait, enchaîna Peter, car <strong>le</strong> jour où nous<br />

allons dévoi<strong>le</strong>r notre secret, il nous f<strong>au</strong>dra des preuves.<br />

C’est un premier point. Ensuite, je crois qu’il f<strong>au</strong>t chercher<br />

dans <strong>le</strong>s différents éléments qui t’ont amené à déc<strong>le</strong>ncher<br />

tes recherches.<br />

-Tu sais, c’est assez flou de ce côté là, c’est un mélange<br />

d’intuition, de Foi et de quelques recoupements que j’ai pu<br />

faire <strong>au</strong> travers des différentes recherches que j’ai pu mener<br />

dans <strong>le</strong> cadre de mon travail, en lisant et relisant la Bib<strong>le</strong>,<br />

en étudiant divers documents théologiques, mais c’est<br />

surtout par la nécessité que j’éprouvais de connaître la<br />

vérité à ce sujet, je crois en Dieu, mais je ressens <strong>au</strong>ssi en<br />

moi <strong>le</strong> besoin permanent de répondre <strong>au</strong>x questions que <strong>le</strong>s<br />

hommes ont pu se poser depuis des sièc<strong>le</strong>s. Il me semb<strong>le</strong><br />

que toutes ces interrogations sont concentrées dans mon<br />

102


esprit. J’ai surtout <strong>le</strong> sentiment de pouvoir y répondre un<br />

jour ou l’<strong>au</strong>tre et d’apporter ma pierre à la construction de<br />

cet édifice. Il y a eu trop d’erreurs depuis <strong>le</strong> passé et<br />

j’aimerais participer à la remise en place de certaines<br />

choses. Je ne sais pas si tu peux me comprendre.<br />

-Je peux. Il y a tel<strong>le</strong>ment d’hommes, et j’en fais partie,<br />

qui ont ressenti ce besoin sans jamais savoir ni comment<br />

agir ni comment se faire entendre. Tu t’es attaqué à quelque<br />

chose qui est à la fois pharamineux et dangereux à doub<strong>le</strong><br />

titre. Dangereux car tu risques ta carrière sur ce coup et<br />

dangereux parce que si tu te rapproches trop de la vérité, tu<br />

risques de gêner <strong>le</strong>s gens qui détiennent <strong>le</strong> pouvoir et de<br />

terminer comme un certain Icare qui a fini par se brû<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s<br />

ai<strong>le</strong>s en s’approchant trop du so<strong>le</strong>il.<br />

-J’en suis tout à fait conscient, mais cela ne m’inquiète<br />

pas. Au moins je serai allé jusqu’<strong>au</strong> bout de mes<br />

convictions.<br />

-C’est tout à ton honneur. Reprenons dans l’ordre.<br />

Primo, faire dater <strong>le</strong> document, on va s’en occuper dès<br />

demain. Tu sais où tu peux faire ça ?<br />

-Oui, sans problème. Mais il f<strong>au</strong>t qu’on s’en occupe<br />

discrètement. Je pense qu’il f<strong>au</strong>drait éviter Paris. Il y a<br />

d’<strong>au</strong>tres labos en France. Comme je dois certainement faire<br />

l’objet d’une surveillance, il va falloir là <strong>au</strong>ssi trouver une<br />

solution. On ne pourra pas faire grand-chose si je suis<br />

marqué comme un footbal<strong>le</strong>ur.<br />

-Donne-moi une adresse et je m’en occupe. Pendant ce<br />

temps, essaye de réfléchir de quel<strong>le</strong> façon tu peux faire une<br />

rupture de filature. A mon avis, <strong>le</strong> mieux est de quitter<br />

Paris. Il n’y a <strong>au</strong>cune raison apparente qui nous retienne ici.<br />

Tu me rappel<strong>le</strong>s demain en fin de matinée, ok ?<br />

-Pas de problème. Bonne nuit.<br />

Jérémie éteint son téléphone portab<strong>le</strong> et décida de<br />

retourner se coucher, il avait une nuit à rattraper.<br />

103


8 janvier 2000<br />

Son réveil sonna <strong>le</strong> <strong>le</strong>ndemain matin à huit heures trente.<br />

Il se <strong>le</strong>va rapidement et se sentit be<strong>au</strong>coup mieux. Sa nuit<br />

avait été à la fois réparatrice et conseillère. Il avala un café<br />

brûlant, prit une bonne douche et se mit devant son<br />

ordinateur pour se renseigner sur Internet sur <strong>le</strong>s différents<br />

laboratoires qui pouvaient faire des datations <strong>au</strong> carbone<br />

14. Il en trouva un à Lyon et décida de <strong>le</strong> contacter. Il put<br />

avoir rapidement <strong>le</strong> directeur du labo et lui exposa ce qu’il<br />

attendait de lui. Jérémie lui expliqua qu’il enverrait son<br />

assistant pour lui apporter <strong>le</strong> document dés <strong>le</strong> <strong>le</strong>ndemain<br />

après-midi. Dés qu’il eut raccroché, il appela <strong>Jean</strong>-Pierre<br />

Caron à la rédaction et lui demanda de faire amener <strong>le</strong><br />

paquet par coursier à l’hôtel de Peter. Il se débrouil<strong>le</strong>rait<br />

ensuite pour <strong>le</strong> lui renvoyer. Il téléphona ensuite à Peter.<br />

-Salut, bien dormi ?<br />

-Comme un bébé, je me suis réveillé toutes <strong>le</strong>s trois<br />

heures ! Ils ont oublié d’iso<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s murs qui sont en papier !<br />

<strong>le</strong>s voisins al<strong>le</strong>mands ont refait l’ « Oktoberfest » dans <strong>le</strong>ur<br />

chambre toute la nuit. C’était génial. J’adore Paris.<br />

-Tu vas être content. Tu t’habil<strong>le</strong>s, tu payes ta note , tu<br />

prends un taxi pour la gare de Lyon, et une fois que tu es<br />

là-bas, tu t’embarques dans <strong>le</strong> premier TGV pour la vil<strong>le</strong> du<br />

même nom. Une fois arrivé, tu descends à l’Hilton de la<br />

Cité Internationa<strong>le</strong> et tu attends que je te contacte. Tu<br />

verras, c’est <strong>au</strong>ssi une jolie vil<strong>le</strong> où il y à p<strong>le</strong>in de choses à<br />

faire. Je te rappel<strong>le</strong> ce soir. Pense à louer un portab<strong>le</strong> avant<br />

de partir. Je te rejoins demain. Autre chose tu devrais<br />

recevoir par coursier d’ ici quelques minutes un paquet qui<br />

contient <strong>le</strong> manuscrit. Récupère-<strong>le</strong>, je t’expliquerai tout ce<br />

soir.<br />

-Ok, chef. Mais qu’est-ce qu’on va faire à Lyon ?<br />

-Il y a p<strong>le</strong>in d’universités là-bas, c’est pour pas que tu<br />

sois dépaysé. A demain.<br />

104


* * *<br />

Jérémie se rendit dans sa chambre, récupéra des<br />

vêtements dans son armoire et <strong>le</strong>s mit dans un grand sac de<br />

sport. Il prit une sacoche en cuir usé et y rangea toutes <strong>le</strong>s<br />

notes et documents afférents à son enquête. Il vida dans un<br />

sac en plastique tout ce qu’il restait de périssab<strong>le</strong> dans <strong>le</strong><br />

frigo et jeta <strong>le</strong> tout dans la colonne d’évacuation des<br />

détritus. Après avoir coupé l’e<strong>au</strong> et <strong>le</strong> gaz, il posa son sac<br />

dans l’entrée et sortit de son appartement. Avant d’accéder<br />

à la rue, il essaya de repérer ceux qui <strong>le</strong> suivaient. Il y avait<br />

peu de monde, la ruel<strong>le</strong> étant habituel<strong>le</strong>ment calme, un<br />

livreur qu’il connaissait à qui il fit un petit signe amical,<br />

quelques vieil<strong>le</strong>s dames allant faire <strong>le</strong>urs courses, et un<br />

agent d’entretien de la vil<strong>le</strong> de Paris qui nettoyait <strong>le</strong>s<br />

canive<strong>au</strong>x. Il marcha quelques centaines de mètres et rentra<br />

dans une agence de sa banque. Il n’y avait que deux<br />

personnes <strong>au</strong> guichet et put passer <strong>au</strong> bout de quelques<br />

minutes. Il retira en espèces la moitié de ce qu’il avait sur<br />

son compte courant, et vida un compte de dépôt. Il se<br />

retrouva avec une jolie somme dans <strong>le</strong>s poches de son<br />

blouson. El<strong>le</strong> lui permettrait de pouvoir tenir et voyager<br />

plusieurs mois sans pouvoir laisser de traces d’opérations<br />

bancaires qui risqueraient de <strong>le</strong> faire repérer par ses<br />

suiveurs. Il ressortit de l’agence et un fait pourtant anodin<br />

attira son attention. Le balayeur qui était tout à l’heure dans<br />

sa rue était maintenant sur <strong>le</strong> trottoir en face de la banque.<br />

Le problème était qu’il balayait un canive<strong>au</strong> où il restait<br />

encore <strong>le</strong>s traces humides du passage d’un camion de<br />

nettoyage de la voirie qui se trouvait d’ail<strong>le</strong>urs encore à une<br />

cinquantaine de mètres plus loin. Un <strong>au</strong>tre fait déc<strong>le</strong>ncha un<br />

doute chez Jérémie : l’agent d’entretien était blanc.<br />

Habituel<strong>le</strong>ment c’était plutôt des noirs qui acceptaient de<br />

105


faire ce genre de travail <strong>au</strong> sein des services municip<strong>au</strong>x. Il<br />

pressa <strong>le</strong> pas et rentra rapidement chez lui. Il se mit à la<br />

fenêtre qui donnait sur la rue, caché par <strong>le</strong>s ride<strong>au</strong>x, et resta<br />

là immobi<strong>le</strong> pendant un bon quart d’heure. Le balayeur<br />

revint dans la ruel<strong>le</strong> Il sembla à Jérémie qu’il fit un signe<br />

vers une des voitures qui étaient garées en bas de chez lui.<br />

Il <strong>le</strong>s étudia toutes attentivement et s’arrêta sur une Peugeot<br />

206 grise de laquel<strong>le</strong> s’échappait un léger nuage de fumée.<br />

Il attendit encore un peu pour vérifier que personne ne<br />

descendait du véhicu<strong>le</strong>. Comme il avait repéré ses suiveurs,<br />

il se dit que c’était <strong>le</strong> meil<strong>le</strong>ur moment pour opérer sa<br />

rupture de filature. Il prit son sac, mit la sacoche en cuir à<br />

l’intérieur, déposa <strong>le</strong> tout sur <strong>le</strong> palier et ferma la porte à<br />

c<strong>le</strong>fs. Il se rendit dans <strong>le</strong> parking souterrain de l’immeub<strong>le</strong><br />

et mit ses affaires dans <strong>le</strong> coffre de sa voiture. Il démarra,<br />

sortit de l’immeub<strong>le</strong>, prit à droite et descendit la rue<br />

Lamarck en espérant que <strong>le</strong> feu de signalisation du bout de<br />

la voie serait rouge. La chance lui sourit et quelques<br />

secondes plus tard, il vit la 206 manœuvrer pour sortir de la<br />

place où el<strong>le</strong> était garée. Le feu passa <strong>au</strong> vert et il s’avança<br />

<strong>le</strong>ntement pour essayer de garder la 206 dans son<br />

rétroviseur. Il tourna à g<strong>au</strong>che pour prendre l’avenue de St.<br />

Ouen et arriva jusqu’à la place de Clichy. Il prit <strong>le</strong><br />

bou<strong>le</strong>vard des Batignol<strong>le</strong>s et de Courcel<strong>le</strong>s en direction de<br />

la place des Ternes. Du portab<strong>le</strong>, il appela <strong>Jean</strong>-Pierre<br />

Caron et lui demanda de faire ouvrir la porte d’accès <strong>au</strong><br />

parking souterrain du journal pour lui permettre de rentrer<br />

sa voiture. Il prit l’avenue de Wagram pour remonter vers<br />

<strong>le</strong> rond-point des Champs-Élysées et tourna de suite à<br />

droite dans la rue de l’Etoi<strong>le</strong>. Le portail du journal était<br />

ouvert et il s’y engouffra pour parquer sa voiture. <strong>Jean</strong>-<br />

Pierre l’attendait dans <strong>le</strong> parking.<br />

-Alors que se passe-t-il ?<br />

-Je suis suivi et je veux <strong>le</strong>s semer. Est-ce que je peux<br />

laisser ma voiture ici pendant quelque temps ?<br />

106


-Pas de problème. Le mieux c’est que tu me laisses <strong>le</strong>s<br />

c<strong>le</strong>fs, et ce soir ou demain matin, je l’amènerai dans un<br />

<strong>au</strong>tre parking. Comment vas-tu sortir d’ici ?<br />

-Je comptais là-<strong>au</strong>ssi sur toi pour me donner un coup de<br />

main. Je crois que tu as des camionnettes de livraison <strong>au</strong><br />

journal. Est-ce que tu peux envoyer un de tes coursiers faire<br />

une livraison à la gare de Lyon ?<br />

-On doit bien avoir un petit réassort de magazines à faire<br />

là-bas. Je m’en occupe tout de suite. Attends-moi ici.<br />

<strong>Jean</strong>-Pierre Caron revint quelques minutes plus tard avec<br />

un coursier. Il enferma Jérémie à l’arrière de la camionnette<br />

et cel<strong>le</strong>-ci quitta <strong>le</strong> parking immédiatement. Au moment où<br />

el<strong>le</strong> accédait à la rue, Jérémie regarda par la fenêtre de la<br />

porte de derrière s’il voyait la 206. Un homme en<br />

descendait lorsqu’il l’aperçut. Il n’était pas repéré. Son<br />

passage <strong>au</strong> journal n’avait pas duré plus de cinq minutes.<br />

Il <strong>le</strong>ur fallut environ trois quarts d’heure pour arriver<br />

jusqu’à la gare de Lyon. La camionnette accéda dans une<br />

zone réservée <strong>au</strong>x livraisons et une fois arrêtée, Jérémie en<br />

descendit et fila droit vers la grande sal<strong>le</strong> des guichets. Il<br />

demanda à quel<strong>le</strong> heure partait <strong>le</strong> prochain TGV pour Lyon<br />

et acheta un bil<strong>le</strong>t de première classe qu’il paya en espèces.<br />

Il en avait pour un peu moins d’une demi-heure d’attente. Il<br />

se dirigea tout de suite vers <strong>le</strong> quai d’où partirait son train<br />

et se mêla dans la fou<strong>le</strong> des personnes qui attendaient.<br />

Quelques minutes plus tard, <strong>le</strong> long serpent métallique était<br />

mis en gare et Jérémie y pénétra pour accéder à sa place.<br />

Apparemment, la rupture de filature avait été un succès.<br />

107


CHAPITRE X<br />

Il y avait peu de monde dans <strong>le</strong> compartiment de<br />

première classe dans <strong>le</strong>quel se trouvait Jérémie. Le train<br />

commença à se déplacer légèrement, agité de temps en<br />

temps par <strong>le</strong>s changements de voie. Jérémie fut peu à peu<br />

bercé par un faib<strong>le</strong> roulis qu’il finit par oublier dans <strong>le</strong> flux<br />

incessant de ses pensées. Il éprouvait une certaine<br />

satisfaction personnel<strong>le</strong> pour s’être <strong>au</strong>ssi faci<strong>le</strong>ment libéré<br />

des individus qui <strong>le</strong> suivaient. Bien qu’il ne soit pas habitué<br />

à ce genre d’exercice, il estimait qu’il s’en était bien tiré.<br />

Peut-être même un peu trop faci<strong>le</strong>ment à son goût. Il<br />

pensait cela d’une façon généra<strong>le</strong> d’ail<strong>le</strong>urs. Depuis son<br />

arrivée à New-York, <strong>le</strong>s choses lui semblaient avoir avancé<br />

à une vitesse éclair. Lui qui avait toujours été habitué à des<br />

enquêtes <strong>au</strong>ssi longues que minutieuses, il s’attendait et<br />

espérait même que cel<strong>le</strong> qui était certainement la plus<br />

importante de sa vie serait be<strong>au</strong>coup plus palpitante. Il était<br />

à la fois frustré et étonné de la simplicité avec laquel<strong>le</strong> tout<br />

cela se déroulait. Il y avait cependant une différence qui<br />

pesait de tout son poids par rapport à ce qu’il avait vécu<br />

jusqu’à présent. Jamais son travail n’avait eu pour<br />

conséquence la mort d’un homme. La disparition du<br />

108


professeur Wiessman, qui <strong>au</strong> départ lui avait paru<br />

complètement sans relation avec ses recherches, avait pris<br />

une toute <strong>au</strong>tre dimension dès <strong>le</strong> moment où il avait pu<br />

établir un infime rapprochement entre ce décès et l’objet de<br />

son enquête. Il ressentait cela comme une charge<br />

phénoména<strong>le</strong> sur sa conscience. On ne mesure jamais assez<br />

<strong>le</strong>s conséquences de nos actes. Encore f<strong>au</strong>t-il avoir l’esprit<br />

suffisamment fin pour peser tous <strong>le</strong>s effets possib<strong>le</strong>s de nos<br />

faits et gestes. C’est d’<strong>au</strong>tant plus diffici<strong>le</strong> quand on ne sait<br />

pas forcément où on met <strong>le</strong>s pieds. Mais <strong>le</strong>s traces sont par<br />

contre indélébi<strong>le</strong>s. Chercher à prouver l’existence de Dieu<br />

est une chose que plusieurs hommes avant Jérémie avaient<br />

tentée sans que cela amène pour <strong>au</strong>tant à la mort d’un<br />

homme. Les hommes ont plus souvent été tués par ceux qui<br />

voulaient imposer un Dieu plutôt que de prouver son<br />

existence. Le fait d’apprendre que <strong>le</strong> Christ devait<br />

incessamment revenir sur terre, qu’il était même peut-être<br />

déjà là, était pour Jérémie une extension assez inattendue<br />

de ce qu’il cherchait à prouver. C’était à la fois <strong>au</strong>-delà de<br />

ses espérances, et même une forme de victoire, mais <strong>au</strong>ssi<br />

une charge lourde qui lui paraissait diffici<strong>le</strong> d’assumer seul.<br />

Il était à l’origine de la découverte la plus extraordinaire de<br />

l’histoire de l’humanité. Il lui semblait que Dieu l’avait<br />

choisi tout en doutant de sa capacité à être <strong>le</strong> messager<br />

fiab<strong>le</strong> qu’Il envoyait. Sa modestie l’empêchait d’utiliser <strong>le</strong><br />

terme de prophète venant annoncer l’arrivée prochaine du<br />

Messie. Il était sûr de n’être qu’un petit maillon dans la<br />

chaîne divine qui se mettait en place, comme on prépare un<br />

grand événement avec une accumulation de petits détails. Il<br />

n’était qu’un de ces infimes petits détails dans la divine<br />

stratégie mais il en éprouvait pas moins une certaine fierté.<br />

On a be<strong>au</strong> être choisi par Dieu, on n’en est pas moins<br />

homme. Ce raisonnement <strong>le</strong> rassura un peu sur un point<br />

particulier. Il avait contribué à faire partie de l’ « équipe »<br />

choisie, mais cela ne voulait pas systématiquement dire que<br />

c’était lui qui mènerait <strong>le</strong> jeu jusqu’<strong>au</strong> bout. Il n’était<br />

109


certainement que <strong>le</strong> premier ( ?) maillon de cette chaîne<br />

sans pour <strong>au</strong>tant être celui qui découvrirait <strong>le</strong> Christ en ce<br />

bas monde. Il pensa qu’il serait rapidement fixé sur ce<br />

point.<br />

Le TGV entra en gare de la Part-Dieu à 14h37 précises.<br />

Il y avait comme d’habitude une fou<strong>le</strong> grouillante qui<br />

semblait se mouvoir avec la <strong>le</strong>nteur et la régularité<br />

invincib<strong>le</strong> d’une hou<strong>le</strong> océanique. Les halls de gares sont<br />

<strong>au</strong>ssi impersonnels que rassurants, même si on y passe que<br />

quelques instants. Ils sont la représentation à un nive<strong>au</strong><br />

microcosmique de ce qu’est la vie. A tout instant on peut y<br />

trouver la joie, la tristesse, la richesse et la p<strong>au</strong>vreté<br />

caractérisant l’existence d’un homme qui n’est faite que<br />

d’attentes. Là des gens se retrouvent, là ils se séparent et<br />

commencent à attendre <strong>le</strong> moment où ils se reverront. On<br />

attend la vie comme on attend un train. El<strong>le</strong> arrive puis finit<br />

par repartir après que nous ayons fait un bout de chemin<br />

avec el<strong>le</strong>. Certains vivent en première classe et d’<strong>au</strong>tres en<br />

seconde. Il y a là-<strong>au</strong>ssi un prix à payer jusqu’à la<br />

destination fina<strong>le</strong>. On finit toujours par descendre du train,<br />

parfois même en route.<br />

Jérémie sortit de la gare et se mit dans la fi<strong>le</strong> d’attente<br />

des taxis. Un quart-d’heure plus tard il demandait <strong>au</strong><br />

ch<strong>au</strong>ffeur de <strong>le</strong> conduire à la cité internationa<strong>le</strong>. La<br />

circulation n’était pas trop dense malgré <strong>le</strong>s incessants<br />

trav<strong>au</strong>x. Le taxi se gara devant l’entrée du Hilton. Jérémie<br />

paya, récupéra son sac et se rendit à la réception. Il prit une<br />

réservation pour deux jours sous un f<strong>au</strong>x nom en précisant<br />

qu’il resterait peut-être plus longtemps. Un groom<br />

l’accompagna jusqu’à sa chambre. Il rangea rapidement ses<br />

affaires dans un placard et appela immédiatement Peter. La<br />

standardiste lui répondit qu’il ne se trouvait pas à l’hôtel.<br />

Profitant d’un peu de temps libre, Peter était certainement<br />

sorti faire un peu de tourisme lyonnais. N’ayant rien à faire<br />

de plus, Jérémie reprit ses documents de travail et consulta<br />

l’ensemb<strong>le</strong> de ses notes. Il ressortit la traduction du<br />

110


manuscrit et <strong>le</strong> parcourut en détail pour vérifier qu’<strong>au</strong>cun<br />

message caché ne lui avait échappé. Le sens du document<br />

était d’une limpidité enfantine. La simplicité qui en émanait<br />

ne laissait apparaître <strong>au</strong>cune possibilité de l’existence d’une<br />

quelconque énigme masquée.<br />

* * *<br />

Peter observait la vil<strong>le</strong> de toute la h<strong>au</strong>teur de la colline de<br />

Fourvière. Un vent cinglant et froid balayait <strong>le</strong> promontoire<br />

situé <strong>au</strong> pied de la basilique, qui permettait d’avoir une vue<br />

magnifique de Lyon et de ses environs. Au loin, <strong>le</strong>s<br />

sommets des massifs alpins étaient protégés par un bonnet<br />

blanc de neige qui faisait ressentir jusque là ce sentiment<br />

mêlé de puissance et de sérénité qu’apportait la montagne.<br />

Il avait visité la basilique qui, malgré son jeune âge<br />

comparé à d’<strong>au</strong>tres monuments religieux, semblait toutefois<br />

chargée d’histoire. Le site dans son ensemb<strong>le</strong> lui paraissait<br />

magique tant il était imposant et entouré d’une sorte de<br />

calme empreint de Foi. Même en se trouvant à l’extérieur<br />

de l’église, on avait l’impression de ne pas en être sorti.<br />

-C’est be<strong>au</strong> n’est-ce pas ?<br />

Peter se retourna vers la personne qui lui adressait la<br />

paro<strong>le</strong>. C’était un petit bonhomme emmitouflé dans une<br />

grande écharpe écossaise, qui devait avoir largement<br />

dépassé la soixantaine, frigorifié. La seu<strong>le</strong> chose qui ne<br />

tremblait pas était ses yeux. Il regardait fixement Peter,<br />

comme s’il cherchait à pénétrer dans son esprit. Malgré<br />

cela, Peter éprouva un sentiment de tota<strong>le</strong> confiance envers<br />

son interlocuteur.<br />

-Oui en effet. C’est un endroit rare.<br />

-Je dirais plutôt approprié.<br />

-Approprié à quoi ?<br />

-A notre conversation pardi !<br />

111


-Quel<strong>le</strong> conversation ?<br />

-Cel<strong>le</strong> que nous allons avoir ensemb<strong>le</strong> bien entendu. Un<br />

endroit comme celui-ci doit vous changer de New York. Là<br />

bas on a plutôt tendance à se sentir dominé. Ici, c’est <strong>le</strong><br />

sentiment inverse qui prédomine.<br />

-Pas forcément, reprit Peter, ici, on a peut-être<br />

l’impression de dominer <strong>le</strong> monde mais on ressent <strong>au</strong>ssi la<br />

certitude d’être dominé par Dieu.<br />

-Le connaissant, je suis persuadé que votre remarque doit<br />

Lui faire <strong>le</strong> plus grand plaisir.<br />

-Mais qui êtes vous ?<br />

-Oh, vous ne me connaissez pas mais vous avez<br />

certainement dû entendre par<strong>le</strong>r de moi. Je m’appel<strong>le</strong> Gaby<br />

Goldman.<br />

* * *<br />

-Comment ça vous l’avez perdu ! Je croyais que vous<br />

étiez <strong>le</strong>s meil<strong>le</strong>urs ! Qui est-ce qui m’a fichu une tel<strong>le</strong><br />

bande d’incapab<strong>le</strong>s ! Vous vous foutez de moi, ce n’est pas<br />

possib<strong>le</strong> !<br />

Le Président Jacques Mulliet ne décolérait pas. Il venait<br />

d’apprendre de la part d’un des agents qui était sur <strong>le</strong>s pas<br />

de Jérémie Cohen qu’il avait réussi à <strong>le</strong>ur faire f<strong>au</strong>x bond.<br />

Ce n’était pas seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> fait que Jérémie ait disparu qui<br />

l’irritait, mais il se voyait mal annoncer la nouvel<strong>le</strong> à<br />

William Colton. Les services français allaient une fois de<br />

plus en prendre pour <strong>le</strong>ur grade. S’il s’était agit d’une<br />

affaire intérieure, il <strong>au</strong>rait sans doute été moins gêné. Cela<br />

ne faisait pas vingt-quatre heures que la filature de Jérémie<br />

avait été décidée qu’il avait déjà disparu. Les agents<br />

Américains n’ayant pas encore eu <strong>le</strong> temps d’arriver en<br />

112


France, seuls <strong>le</strong>s Français avaient pu être opérationnels<br />

immédiatement. Jérémie avait été suivi depuis son arrivée à<br />

Orly et ses guetteurs ne s’attendaient certainement pas à<br />

une réaction <strong>au</strong>ssi rapide et surtout <strong>au</strong>ssi simp<strong>le</strong> de sa part.<br />

En fait, ils n’avaient pas conscience que Jérémie faisait une<br />

course contre la montre dans laquel<strong>le</strong> il était <strong>le</strong> seul engagé.<br />

Ils se trouvaient en face de quelqu’un qui n’avait que faire<br />

de ceux qui étaient derrière lui. Une seu<strong>le</strong> chose lui<br />

importait, assouvir l’impatience de sa découverte. On ne<br />

peut pas grand-chose contre un homme qui fait passer ses<br />

desseins avant tout <strong>le</strong> reste. Le temps ne compte pas car il<br />

<strong>le</strong> survo<strong>le</strong> et <strong>le</strong>s <strong>au</strong>tres n’ont pas d’importance car il <strong>le</strong>s<br />

ignore. D’ail<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong>s motivations rendent souvent <strong>le</strong>s<br />

hommes inconscients : Combien de temps <strong>au</strong>rait-on dû<br />

perdre en négociations qui <strong>au</strong>raient pu éviter d’aboutir à<br />

des guerres gagnées ? Les hommes sont be<strong>au</strong>coup plus<br />

motivés par <strong>le</strong> sentiment d’une victoire apportée par la<br />

guerre que par celui d’une paix fondée sur des compromis.<br />

On ne donne pas de médail<strong>le</strong>s à ceux qui négocient mais on<br />

honore longtemps <strong>le</strong>s vainqueurs, même s’ils sont morts.<br />

-Ecoutez, on ne peut pas se permettre de <strong>le</strong> laisser fi<strong>le</strong>r<br />

dans la nature, insista Jacques Mulliet. Il est impératif que<br />

vous <strong>le</strong> retrouviez. Vous avez un jour. Après, il sera peutêtre<br />

trop tard. Vous me vérifiez tout, aéroports, gares,<br />

<strong>au</strong>toroutes, taxis et tout <strong>le</strong> bataclan. Je veux que tout ce qui<br />

est <strong>au</strong>-delà du possib<strong>le</strong> soit fait pour retrouver ce type. Je ne<br />

veux même pas savoir comment vous l’avez perdu ni même<br />

comment vous <strong>le</strong> rattraperez. La prochaine fois que vous<br />

m’appel<strong>le</strong>rez, ce sera pour me dire où il se trouve. Vous<br />

m’avez bien compris ?<br />

-Oui monsieur <strong>le</strong> Président.<br />

L’agent des services secrets <strong>au</strong>rait donné n’importe quoi<br />

pour savoir ce qu’on reprochait à ce Jérémie Cohen. Il<br />

devait être <strong>au</strong> courant de certaines choses pas claires pour<br />

<strong>au</strong>tant donner la trouil<strong>le</strong> <strong>au</strong> premier citoyen français.<br />

113


* * *<br />

Peter se demanda s’il avait bien compris. Pendant<br />

quelques secondes, il regarda Gaby avec <strong>au</strong>tant<br />

d’incrédulité que d’étonnement. Il s’attendait à tout s<strong>au</strong>f à<br />

Gaby Goldman.<br />

-Vous me semb<strong>le</strong>z surpris, l’interrogea Gaby. Vous<br />

n’avez pas cru ce que votre ami Jérémie vous a déclaré à<br />

mon sujet ?<br />

-Si, <strong>au</strong> contraire, mais je ne m’attendais pas à vous<br />

rencontrer. L’ange Gabriel n’est apparu qu’une fois.<br />

-Eh bien cela fera trois !<br />

-Comment ?<br />

-Vous m’avez très bien compris. Vous êtes <strong>au</strong> courant de<br />

suffisamment de choses pour être à présent capab<strong>le</strong> d’en<br />

comprendre d’<strong>au</strong>tres. Mais là n’est pas la question, même si<br />

vous éprouvez certainement <strong>le</strong> réel besoin de l’approfondir,<br />

ce que je conçois tout à fait venant de votre part. C’est<br />

humain. Pour être bref, je suis encore venu vous permettre,<br />

à vous et votre ami, de gagner un peu de temps. Je ne fais<br />

pas cela pour vous mais parce qu’On me l’a demandé. Je<br />

n’agis que sur <strong>le</strong>s ordres de mon supérieur et Il en a décidé<br />

ainsi. Ne vous attendez pas à ce que je vous dévoi<strong>le</strong> tout de<br />

but en blanc, il est nécessaire que vous découvriez certaines<br />

choses par vous-même. Vous détenez déjà l’élément<br />

principal <strong>au</strong> travers de ce que Jérémie et vous avez appris<br />

dans <strong>le</strong> manuscrit. Les choses sont simp<strong>le</strong>s et il ne f<strong>au</strong>t pas<br />

chercher à <strong>le</strong>s compliquer. Ce n’est surtout pas à vous de<br />

vous en charger. A ce sujet, la réponse est dans <strong>le</strong><br />

manuscrit. Relisez-<strong>le</strong> bien sans chercher une quelconque<br />

devinette. La réponse est dans <strong>le</strong> véritab<strong>le</strong> sens des mots.<br />

-Mais <strong>le</strong> Christ ?<br />

-Je peux vous rassurer sur ce point : Il est déjà là et vous<br />

finirez par découvrir qui Il est. C’est d’ail<strong>le</strong>urs assez<br />

114


simp<strong>le</strong>. Mais <strong>le</strong>s hommes imaginent toujours <strong>le</strong>s choses<br />

tel<strong>le</strong>s qu’ils s’attendent à <strong>le</strong>s voir et c’est là une des<br />

principa<strong>le</strong>s sources de <strong>le</strong>urs erreurs. Combien de fois ont-ils<br />

étés déçus par une chose qu’ils attendaient impatiemment<br />

parce qu’el<strong>le</strong> ne s’est pas présentée à eux tel<strong>le</strong> qu’ils<br />

l’imaginaient ? Ils vendent des fois la pe<strong>au</strong> de l’ours avant<br />

de l’avoir tué, <strong>le</strong> tuent, mais ne sont pas contents parce<br />

qu’il était brun <strong>au</strong> lieu de blanc. L’homme est un éternel<br />

insatisfait. Il en est de même pour Jérémie et vous. Vous<br />

attendez de découvrir <strong>le</strong> Christ tel qu’il est apparu il y a<br />

deux mil<strong>le</strong> ans, avec peut-être un aspect différent, certes,<br />

mais il f<strong>au</strong>t avant tout réfléchir <strong>au</strong>x raisons de son retour.<br />

Quels sont <strong>le</strong>s véritab<strong>le</strong>s desseins de Dieu dans cette<br />

histoire ? Je peux vous certifier que vous avez déjà la<br />

réponse. Vous croyez <strong>au</strong>ssi n’être que <strong>le</strong>s petits maillons<br />

d’une grande chaîne sans avoir pensé que vous pouviez être<br />

la chaîne tout entière. Rappe<strong>le</strong>z vous bien une chose : Dieu<br />

ne distribue jamais de petits rô<strong>le</strong>s quand il s’agit de<br />

transmettre Sa paro<strong>le</strong>. Chaque personnage de la Bib<strong>le</strong><br />

détient en lui une importance capita<strong>le</strong> car il représente un<br />

message bien précis que Dieu a voulu transmettre et qui, si<br />

on y réfléchit bien, changerait complètement la face du<br />

problème s’il n’existait pas dans cette histoire. Ce sont <strong>le</strong>s<br />

hommes qui ont inventé <strong>le</strong>s petits rô<strong>le</strong>s car ils en avaient<br />

besoin. Non pas par modestie, mais pour donner un sens <strong>au</strong><br />

pouvoir.<br />

-Quel est notre rô<strong>le</strong> alors ?<br />

-Vous êtes bien pressé. Mais vous avez raison car il me<br />

semb<strong>le</strong> que Dieu lui <strong>au</strong>ssi est pressé. Il ne f<strong>au</strong>t pas <strong>le</strong><br />

décevoir et c’est pour cela qu’il m’envoie. Je vais donc<br />

vous donner un indice : Le Christ est celui qui meurt de la<br />

justice des hommes.<br />

-Mais ça nous <strong>le</strong> savons !<br />

-Non vous ne <strong>le</strong> savez pas. Rappe<strong>le</strong>z-vous l’Histoire. A<br />

bientôt Peter.<br />

-Comment ça « à bientôt » ?<br />

115


-Vous <strong>au</strong>rez tout <strong>le</strong> temps de comprendre, plus tard...<br />

Pour <strong>le</strong> moment, il vous f<strong>au</strong>t jouer votre rô<strong>le</strong> jusqu’<strong>au</strong> bout,<br />

et pour ma part, je vous trouve assez bon. Mais n’est-ce pas<br />

votre ami qui arrive ?<br />

Peter regarda derrière lui vers la basilique, quelqu’un<br />

arrivait bien, mais ce n’était pas Jérémie. Il se retourna du<br />

coté du panorama et ne vit plus personne. Il chercha Gaby<br />

sur l’esplanade mais il avait disparu.<br />

* * *<br />

Peter rentra immédiatement à l’Hôtel. La nuit<br />

commençait à recouvrir Lyon d’un voi<strong>le</strong> b<strong>le</strong>u marine et la<br />

vil<strong>le</strong> s’illuminait peu à peu de milliers de lumières. En<br />

arrivant <strong>au</strong> Hilton, Peter récupéra sa clé et demanda s’il<br />

n’avait reçu <strong>au</strong>cun message. Le réceptionniste lui dit que<br />

M. Cohen, qui était à l’hôtel, l’avait demandé par deux fois.<br />

Il lui communiqua <strong>le</strong> numéro de chambre de Jérémie en lui<br />

précisant qu’il s’y trouvait certainement. Peter regagna ses<br />

appartements et appela Jérémie sur la ligne interne.<br />

-Je ne t’attendais pas de si tôt. Je te rejoins de suite il<br />

m’est arrivé un truc dingue !<br />

Quelques minutes plus tard il frappait à la porte de<br />

Jérémie. Celui-ci ouvrit de suite.<br />

-Alors que penses-tu de Lyon ?<br />

-On y fait des rencontres étonnantes, répondit Peter. J’ai<br />

fait la connaissance de ton ami Gaby Goldman. C’est<br />

d’ail<strong>le</strong>urs <strong>le</strong> mien <strong>au</strong>ssi maintenant. Tu n’as plus<br />

l’exclusivité !<br />

-Que t’a-t-il dit ?<br />

116


-Oh, peu de choses, mais qui va<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>ur pesant de<br />

réf<strong>le</strong>xion. Au fait tu sais qu’apparemment, il pourrait être<br />

l’ange Gabriel ? D’après ce qu’il m’a fait comprendre, a<br />

moins que je ne sois <strong>le</strong> dernier des idiots, ils ne font qu’une<br />

seu<strong>le</strong> et même personne. Et cela n’<strong>au</strong>rait rien d’étonnant.<br />

Nous sommes pas <strong>au</strong> bout de nos surprises avec cette<br />

histoire !<br />

-En tout cas reprit Jérémie, <strong>le</strong> personnage correspond<br />

bien <strong>au</strong> rô<strong>le</strong>.<br />

-C’est exactement ce qu’il m’a dit !<br />

Peter lui relata mot pour mot la conversation qu’il avait<br />

eue avec l’« ange Gaby ». A peine eut-il fini que Jérémie<br />

sortit de sa sacoche la traduction du manuscrit. Tous deux<br />

la relirent en détail.<br />

-Je crois que nous devons faire abstraction de certaines<br />

choses annonça Jérémie. Nous devons penser simp<strong>le</strong>ment<br />

mais différemment. En fait quel genre de personnage nous<br />

attendons nous à découvrir ? Jésus tel qu’Il apparaît dans la<br />

Bib<strong>le</strong>. Avec tous <strong>le</strong>s effets que cela peut comporter de la<br />

façon dont nous <strong>le</strong>s connaissons <strong>au</strong> travers de l’Histoire. Le<br />

tout est de comprendre quel est <strong>le</strong> genre de message que<br />

Dieu veut faire passer en renvoyant Son Fils parmi <strong>le</strong>s<br />

hommes. Contrairement <strong>au</strong> début, Dieu n’a plus rien à<br />

prouver <strong>au</strong>x hommes. Il a fait ce qu’il fallait pour ça.<br />

D’abord Il <strong>le</strong>s a prévenus qu’Il enverrait un jour son<br />

représentant, et Il l’a fait. Les hommes ayant besoin de<br />

croire en des choses concrètes, Jésus a fait des mirac<strong>le</strong>s<br />

pour prouver qu’il émanait de la volonté divine. Dans ce<br />

sens, Dieu a tout fait pour asseoir son existence vis à vis<br />

des hommes. Certains y ont cru mais pas tous. Nous<br />

sommes <strong>au</strong>jourd’hui à une époque où toutes ces va<strong>le</strong>urs<br />

sont sérieusement remises en question par l’humanité. Pour<br />

plusieurs raisons. La première, c’est la perte de crédibilité<br />

de l’Eglise depuis des années. La volonté de pouvoir et de<br />

richesse à en quelque sorte dégoûté <strong>le</strong>s hommes de tout ce<br />

qui représentait la religion. Certaines prises de positions de<br />

117


l’Eglise n’étaient pas à <strong>le</strong>ur place dans <strong>le</strong> monde<br />

d’<strong>au</strong>jourd’hui et inversement, lorsque l’Eglise <strong>au</strong>rait dû<br />

é<strong>le</strong>ver la voix face à des absurdités humaines, el<strong>le</strong> a joué la<br />

politique de l’<strong>au</strong>truche par peur de perdre certains de ses<br />

acquis. Les hommes ne sont pas dupes. Dieu est<br />

<strong>au</strong>jourd’hui représenté par une entité identique à cel<strong>le</strong> d’un<br />

gouvernement. Avec toutes <strong>le</strong>s intrigues politiques et<br />

financières que cela implique, avec toutes <strong>le</strong>s manipulations<br />

que cela engendre en passant par <strong>le</strong> chantage, <strong>le</strong> meurtre ou<br />

encore la guerre. Ce n’est pas l’image que Dieu veut<br />

donner de Lui. Ensuite, <strong>le</strong>s hommes eux-mêmes, aveuglés<br />

par <strong>le</strong> pouvoir et l’argent se sont éloignés de la paro<strong>le</strong><br />

divine. Depuis quelques années, on dit que <strong>le</strong> XXIème<br />

sièc<strong>le</strong> sera spirituel ou ne sera pas. A mon avis, c’est là <strong>le</strong><br />

seul et unique message de Dieu, et il a <strong>le</strong> mérite d’être clair.<br />

Je crois qu’il f<strong>au</strong>t <strong>le</strong> prendre <strong>au</strong> premier degré, si tu<br />

analyses bien <strong>le</strong> manuscrit, que dit-il ? Croyez en Moi, ayez<br />

confiance ou je vous ferai disparaître. Le XXIème sièc<strong>le</strong><br />

sera celui de Dieu ou celui de notre mort. Si Dieu renvoie<br />

<strong>au</strong>jourd’hui Son Fils sur terre, C’est tout simp<strong>le</strong>ment pour<br />

vérifier que <strong>le</strong>s hommes ont bien compris la <strong>le</strong>çon. Il ne<br />

fera pas de mirac<strong>le</strong>s pour montrer qu’Il est là. Il veut<br />

simp<strong>le</strong>ment savoir si <strong>le</strong>s hommes ont repris confiance en<br />

Lui en acceptant Son Fils tel qu’Il est. Ce que je comprends<br />

moins, c’est cet indice. « Le Christ est celui qui meurt de la<br />

justice des hommes ». C’est exactement ce qu’il s’est passé<br />

lorsque Jésus a été crucifié. Et cela peut avoir plusieurs<br />

significations. La première qui me vient à l’esprit, c‘est que<br />

Dieu généralise et qu’il considère que l’homme n’est pas<br />

capab<strong>le</strong> de juger même s’il s’en arroge <strong>le</strong> droit définitif car<br />

l’homme se trompe. Le manuscrit dit bien « La justice est<br />

unique et el<strong>le</strong> m’appartient, car l’homme juge avec son<br />

cœur et non avec son âme ».L’homme est trop subjectif<br />

pour juger et il prend par conséquent <strong>le</strong> risque de<br />

condamner des innocents qui sont des enfants de Dieu, car<br />

selon la religion, nous sommes tous sous Sa divine<br />

118


protection. Nous sommes Ses créatures qu’Il a faites à Son<br />

image. Tu me suis ?<br />

-Tout à fait. Auquel cas, il n’y <strong>au</strong>rait pas plus de<br />

véritab<strong>le</strong> retour de Jésus-Christ que de roub<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong><br />

porte-monnaie d’un Russe !<br />

-C’est à peu près ça. Mais je n’y crois pas trop. Le<br />

manuscrit est suffisamment clair à ce sujet et ce<br />

raisonnement n’est pas simp<strong>le</strong>. Dans cette histoire tout est<br />

et doit être interprété <strong>au</strong> premier degré. Nous en avons eu<br />

maintes fois la preuve et Gaby Goldman te l’a encore<br />

répété, ainsi qu’il l’avait fait pour moi. Le second<br />

raisonnement peut-être <strong>le</strong> suivant : Comme Dieu cherche à<br />

voir la confiance que <strong>le</strong>s hommes ont en Lui, Il a<br />

certainement envoyé Son Fils sur terre mais n’éprouvera <strong>le</strong>s<br />

hommes que s’ils ne croient pas en Sa paro<strong>le</strong>. La confiance,<br />

avant d’être basée sur des actes, est fondée sur la paro<strong>le</strong>, et<br />

sur un plan religieux, c’est <strong>le</strong> fondement même de la Foi. Si<br />

<strong>le</strong>s hommes croient en Dieu ils accepteront de croire que<br />

Jésus est parmi nous tout simp<strong>le</strong>ment en croyant celui qui<br />

va <strong>le</strong>ur annoncer cette nouvel<strong>le</strong>. Si <strong>le</strong>s hommes ne<br />

l’acceptent pas, alors Dieu <strong>le</strong>ur prouvera qu’ils se sont<br />

trompés en faisant apparaître Son Fils <strong>au</strong> grand jour, mais<br />

pour la dernière fois, à un moment où il sera peut-être trop<br />

tard. Nous en revenons <strong>au</strong> Jugement Dernier et la bouc<strong>le</strong><br />

est bouclée.<br />

-Cela signifierait que nous n’avons pas forcément intérêt<br />

de découvrir qui est <strong>le</strong> Christ ?<br />

-Je ne crois pas. D’<strong>au</strong>tant plus que cela corrobore ce qu’a<br />

dit Gaby Goldman. Il est déjà arrivé.<br />

-Pourtant Gaby a dit que nous finirions par découvrir qui<br />

Il est.<br />

-Peter, il ne t’a pas précisé dans quel<strong>le</strong> vie.<br />

119


CHAPITRE XI<br />

Jérémie et Peter dînèrent ensemb<strong>le</strong> dans un petit<br />

rest<strong>au</strong>rant du vieux Lyon. Ils organisèrent <strong>le</strong>ur journée du<br />

<strong>le</strong>ndemain. . Jérémie expliqua à Peter tout ce qu’il devrait<br />

dire et faire en apportant <strong>le</strong> manuscrit <strong>au</strong> laboratoire qui<br />

devait faire la datation <strong>au</strong> carbone 14. Ils étaient tous <strong>le</strong>s<br />

deux indécis sur la conduite à tenir suite <strong>au</strong>x déclarations<br />

que Gaby Goldman avaient faites à Peter. Un peu déçus<br />

<strong>au</strong>ssi. La motivation première qu’ils avaient de découvrir<br />

celui qui était <strong>le</strong> Christ et de <strong>le</strong> faire connaître <strong>au</strong> grand jour<br />

était tombée <strong>au</strong> plus bas après <strong>le</strong> raisonnement qu’avait<br />

tenu Jérémie. Ils avaient nourri secrètement l’espoir de<br />

faire surgir <strong>le</strong>ur rô<strong>le</strong> <strong>au</strong> grand jour une fois que Jésus serait<br />

connu du monde entier, se considérant un peu comme <strong>le</strong>s<br />

nouve<strong>au</strong>x apôtres de l’envoyé de Dieu. Cette réaction était<br />

après tout humaine. Aucun homme n’a véritab<strong>le</strong>ment <strong>le</strong><br />

désir de rester dans l’ombre lorsqu’il a participé à une<br />

histoire extraordinaire et encore moins lorsqu’il a contribué<br />

à l’Histoire. Il <strong>le</strong>ur fallait faire abstraction de ce sentiment<br />

avant de continuer dans <strong>le</strong>urs démarches. Malgré cela,<br />

Jérémie était quand même mû par la motivation d’al<strong>le</strong>r <strong>au</strong><br />

bout des questions qu’il se posait depuis des années. Audelà<br />

de la tâche que lui avait confiée Dieu, il éprouvait<br />

cependant <strong>le</strong> désir d’étancher sa soif de connaissances et<br />

d’accomplir la mission personnel<strong>le</strong> qu’il s’était fixée.<br />

120


Même si on travail<strong>le</strong> pour Dieu, on doit vivre p<strong>le</strong>inement<br />

pour soi.<br />

A la fin de <strong>le</strong>ur repas, tous deux prirent un digestif et<br />

Jérémie paya l’addition. Un froid cinglant <strong>le</strong>s surprit et ils<br />

hâtèrent <strong>le</strong> pas pour rejoindre <strong>le</strong>s quais de Saône et y<br />

prendre un taxi. Ils ne se parlèrent pas jusqu’à l’hôtel.<br />

Arrivés dans <strong>le</strong> hall d’entrée, ils se séparèrent en se<br />

souhaitant brièvement une bonne nuit sans vraiment y<br />

croire. Dans l’ascenseur qui <strong>le</strong> montait à son étage, Jérémie<br />

se dit qu’il ne f<strong>au</strong>drait pas qu’il reste longtemps <strong>au</strong> Hilton.<br />

Son identité était connue et ses suiveurs parisiens<br />

mettraient peu de temps à <strong>le</strong> découvrir. La machine<br />

policière devait déjà être en route et son signa<strong>le</strong>ment<br />

arriverait en priorité dans toutes <strong>le</strong>s grandes vil<strong>le</strong>s de<br />

France. Il savait déjà qu’il n’avait que quelques heures<br />

devant lui. Un jour tout <strong>au</strong> plus. Une fois dans sa chambre<br />

il prit une douche et se coucha. Il mit du temps à<br />

s’endormir, La pensée étant la pire ennemie du sommeil.<br />

9 janvier 2000<br />

* * *<br />

Le téléphone de la chambre de Jérémie sonna à sept<br />

heures trente du matin. Il se réveilla en surs<strong>au</strong>t. La première<br />

idée qui lui vint à l’esprit fut que cela n’était pas normal.<br />

Personne n’était sensé savoir qu’il se trouvait à Lyon et<br />

encore moins dans cet hôtel. Il reprit ses esprits et réfléchit<br />

quelques secondes avant de décrocher. Fina<strong>le</strong>ment, il prit <strong>le</strong><br />

combiné et une voix virtuel<strong>le</strong> lui annonça qu’il était sept<br />

heures et demie et lui souhaita une bonne journée. Ce<br />

n’était que <strong>le</strong> service du réveil. Il se frotta <strong>le</strong> visage en se<br />

disant qu’il devenait paranoïaque. Il se rassura <strong>au</strong>ssi en<br />

pensant qu’il y avait de quoi. Après un rapide passage à la<br />

121


sal<strong>le</strong> de bain, il s’habilla et descendit <strong>au</strong> rest<strong>au</strong>rant pour<br />

prendre un copieux petit-déjeuner. La sal<strong>le</strong> était déjà p<strong>le</strong>ine<br />

d’hommes d’affaires tirés à quatre éping<strong>le</strong>s. On se serait<br />

cru dans un congrès économique. Jérémie remonta dans sa<br />

chambre et appela Peter. Une voix endormie lui répondit.<br />

-Qu’est-ce c’est ?<br />

-Salut Peter, c’est Jérémie. Désolé de te réveil<strong>le</strong>r mais<br />

nous avons pas mal de choses à faire <strong>au</strong>jourd’hui. Rejoinsmoi<br />

dans ma chambre, je te fais monter un café et des<br />

croissants.<br />

-Tu <strong>au</strong>rais pu me laisser dormir encore un peu. Dieu a<br />

tout <strong>le</strong> temps devant lui.<br />

-Moi non. A tout de suite.<br />

Assis sur <strong>le</strong> lit de Jérémie, Peter dégustait son café en<br />

trempant généreusement un croissant dans sa tasse.<br />

-Alors, quel est <strong>le</strong> programme ?<br />

-Pour toi, carbone 14 et en ce qui me concerne, j’ai bien<br />

réfléchi. Il f<strong>au</strong>t que je quitte <strong>le</strong> coin et éventuel<strong>le</strong>ment que<br />

je me refasse une nouvel<strong>le</strong> identité. Je suis faci<strong>le</strong>ment<br />

repérab<strong>le</strong>. Je vais essayer de passer en Italie. Mais je ne sais<br />

pas encore comment, mon signa<strong>le</strong>ment a certainement dû<br />

être donné <strong>au</strong>x postes frontières.<br />

-Qu’est-ce que je fais une fois que j’ai déposé <strong>le</strong><br />

manuscrit ?<br />

-D’abord, tu ne <strong>le</strong> déposes pas. Tu <strong>le</strong>ur laisses seu<strong>le</strong>ment<br />

pré<strong>le</strong>ver un échantillon et tu renvoies <strong>le</strong> manuscrit à cette<br />

adresse. C’est <strong>le</strong> journal. Ensuite, tu attends mes<br />

instructions. A partir de maintenant, essaye de ne pas trop<br />

prendre de risques pour ne pas être repéré. Evite <strong>le</strong>s taxis,<br />

utilise plutôt <strong>le</strong>s transports en commun pour te déplacer en<br />

vil<strong>le</strong> et si je te demande de me rejoindre quelque part,<br />

prends toujours <strong>le</strong> train. Tu as loué un portab<strong>le</strong> ?<br />

-Oui.<br />

-Bien. Donne-moi <strong>le</strong> numéro. Je t’appel<strong>le</strong> dès ce soir.<br />

Pour la datation, dis <strong>le</strong>ur que c’est très urgent et que tu es<br />

prêt à payer cher pour que cela puisse être rapide. Tiens, tu<br />

122


as quarante mil<strong>le</strong> francs dans cette enveloppe. Pour <strong>le</strong>s frais<br />

d’hôtel et <strong>le</strong> reste. Je pense que ça devrait être suffisant. De<br />

toute façon, on ne restera pas longtemps sans contact.<br />

* * *<br />

Michel Froment avait lui <strong>au</strong>ssi passé une m<strong>au</strong>vaise nuit.<br />

Selon <strong>le</strong>s instructions qu’il avait reçues, c’est à lui que<br />

revenait la charge de faire <strong>le</strong> rapport quotidien <strong>au</strong> président<br />

de la République Française et il n’avait pas envie de se<br />

reprendre une <strong>au</strong>tre remontée de bretel<strong>le</strong>s de la part de son<br />

nouve<strong>au</strong> patron. Il avait consacré sa nuit à a<strong>le</strong>rter tous <strong>le</strong>s<br />

services des grandes agglomérations françaises pour qu’ils<br />

retrouvent Jérémie Cohen. Motif invoqué : Secret d’état.<br />

Comme cela, il n’y <strong>au</strong>rait pas de questions. La photo de<br />

Jérémie était maintenant dans tous <strong>le</strong>s commissariats et<br />

toutes <strong>le</strong>s polices de France avaient eu son signa<strong>le</strong>ment. Les<br />

aéroports étaient sous surveillance ainsi que tous <strong>le</strong>s points<br />

de passage à l’étranger. Le dossier avait <strong>au</strong>ssi été transmis à<br />

Interpol à Lyon, dont <strong>le</strong> siège se trouvait à moins de deuxcent<br />

mètres du Hilton de Jérémie, mais ça, personne n’en<br />

savait rien. Il attendait maintenant <strong>le</strong> retour in<strong>format</strong>isé des<br />

recherches faites <strong>au</strong>près des établissements hôteliers.<br />

L’ordinateur central lui dirait dans quelques minutes si<br />

Jérémie avait dormi dans un hôtel quelque part en France.<br />

* * *<br />

Jérémie paya sa note et quitta l’hôtel vers dix heures du<br />

matin. Il prit un taxi et se fit déposer à proximité d’un<br />

centre commercial proche de la gare de la Part-Dieu qu’il<br />

123


ejoignit à pied. Arrivé dans la gare, il consulta <strong>le</strong> panne<strong>au</strong><br />

des départs sans vraiment savoir quel<strong>le</strong> destination il allait<br />

choisir. C’est là qu’il prit réel<strong>le</strong>ment conscience qu’il était<br />

devenu un homme traqué. Il se rappela <strong>au</strong>ssi que cela ne<br />

durait vraiment jamais longtemps. Officiel<strong>le</strong>ment, il n’y<br />

avait rien contre lui, mais ceux qui <strong>le</strong> cherchaient<br />

n’agissaient pas non plus de façon officiel<strong>le</strong>, ce qui quelque<br />

part <strong>le</strong>ur laissait tous <strong>le</strong>s droits. La seu<strong>le</strong> solution pour lui<br />

était de rendre <strong>le</strong>s choses publiques <strong>le</strong> plus tôt possib<strong>le</strong>. Le<br />

meil<strong>le</strong>ur moyen de se protéger était fina<strong>le</strong>ment d’utiliser la<br />

meil<strong>le</strong>ure arme dont il pouvait disposer : La presse. Il<br />

composa <strong>le</strong> numéro de <strong>Jean</strong>-Pierre Caron sur son portab<strong>le</strong>.<br />

Celui-ci ne répondit pas.<br />

* * *<br />

-Il est à Lyon. Au Hilton. Il y est arrivé hier en milieu<br />

d’après-midi sous un f<strong>au</strong>x nom mais on a pu <strong>le</strong> repérer<br />

grâce à son portab<strong>le</strong>.<br />

-Très bien. Envoyez du monde là-bas immédiatement<br />

pour <strong>le</strong> pêcher. Faites surveil<strong>le</strong>r <strong>au</strong>ssi <strong>le</strong>s gares de Lyon et<br />

de ses environs ainsi que l’aéroport. Je veux des barrages à<br />

tous <strong>le</strong>s péages <strong>au</strong>toroutiers. Si on se démerde bien, il est<br />

dans une souricière. La vil<strong>le</strong> est entourée de points ou nous<br />

pouvons opérer des contrô<strong>le</strong>s. Il ne fera pas la bêtise de<br />

louer une voiture. Il voyage sous sa propre identité et ne<br />

connaît certainement pas <strong>le</strong>s filières pour se procurer de<br />

f<strong>au</strong>x papiers. Encore un point : Vous me mettez toutes ses<br />

relations sur écoutes. Au boulot.<br />

-Monsieur, il y a <strong>au</strong>tre chose.<br />

-Quoi donc ?<br />

-Eh bien, nous avons fait une vérification de toutes <strong>le</strong>s<br />

personnes qui se trouvent dans l’hôtel. Un certain Peter<br />

Fisher y est <strong>au</strong>ssi descendu.<br />

124


-Et alors ?<br />

-Nous avons vu ce nom dans la liste des passagers de<br />

l’avion avec <strong>le</strong>quel Cohen est rentré des Etats-Unis. Nous<br />

avons trouvé cela bizarre et avons fait une petite enquête<br />

rapide sur ce type. En arrivant à Paris, il est descendu dans<br />

un hôtel de Montmartre, quartier où habite Cohen. Cela<br />

faisait trois coïncidences de trop alors nous avons interrogé<br />

<strong>le</strong> FBI <strong>au</strong>x USA. Il se trouve que Peter Fisher était l’élève<br />

d’un certain professeur Wiessman, avec <strong>le</strong>quel Cohen avait<br />

rendez-vous à peu près <strong>au</strong> moment où il est tombé de sa<br />

fenêtre. Le bonhomme est mort.<br />

-Qu’en a conclu <strong>le</strong> FBI ?<br />

-L’enquête préliminaire a opté pour la thèse de l’accident.<br />

Mais il semb<strong>le</strong> que <strong>le</strong> dossier à été rouvert.<br />

-Parfait. Faites suivre ce Peter Fisher, mais ne l’arrêtez<br />

pas. Il va peut-être pouvoir nous mener à Cohen.<br />

* * *<br />

Jérémie n’arrivait toujours pas à joindre <strong>Jean</strong>-Pierre<br />

Caron. Pourtant il ne pouvait pas retourner à Paris sans<br />

avoir eu une sérieuse discussion avec son ami. Il devait<br />

mettre certaines choses <strong>au</strong> point avec lui de façon à lui<br />

assurer une tota<strong>le</strong> sécurité. Il acheta malgré tout un bil<strong>le</strong>t<br />

mais sur une ligne norma<strong>le</strong> qui l’obligeait à faire plusieurs<br />

changements de train. Le trajet serait be<strong>au</strong>coup plus long,<br />

mais <strong>le</strong>s TGV devaient sûrement être surveillés. Il n’avait<br />

pas de train avant la fin de soirée. Cela lui laisserait <strong>le</strong><br />

temps de contacter <strong>Jean</strong>-Pierre. Il ressortit de la gare,<br />

retourna <strong>au</strong> centre commercial et s’attabla dans une<br />

brasserie. Une fou<strong>le</strong> compacte déambulait dans <strong>le</strong>s allées,<br />

flânant devant <strong>le</strong>s centaines de boutiques bondées à c<strong>au</strong>se<br />

des soldes. Jérémie éprouvait <strong>le</strong> besoin de dévoi<strong>le</strong>r tout ce<br />

125


qu’il savait <strong>au</strong>x gens qui passaient devant lui. Mais il serait<br />

passé pour un fou ou un ivrogne comme il y en a tant dans<br />

tous <strong>le</strong>s endroits publics. La vie continuait et chacun ne<br />

voyait que ce qui <strong>le</strong> concerne directement. Après tout, on<br />

ne pouvait pas s’arrêter systématiquement sur <strong>le</strong> monde qui<br />

nous entoure et s’apitoyer sur la misère humaine. On ne<br />

vivrait plus et il n’y <strong>au</strong>rait plus qu’à prier pour que tout cela<br />

cesse définitivement. Pourtant <strong>le</strong> risque existait, plus que<br />

jamais. Jérémie se laissa al<strong>le</strong>r dans ses pensées et se<br />

demanda comment Dieu pourrait S’y prendre s’Il<br />

choisissait de faire disparaître l’humanité.<br />

* * *<br />

Peter déballa <strong>le</strong> colis contenant <strong>le</strong> manuscrit vers onze<br />

heures trente du matin. Il <strong>le</strong> sortit soigneusement et<br />

conserva l’emballage pour <strong>le</strong> réexpédier. Il <strong>le</strong> mit dans sa<br />

sacoche et descendit à la réception où il demanda à ce<br />

qu’on <strong>le</strong> mette dans un coffre, précisant qu’il la récupérerait<br />

en début d’après-midi. Il acheta <strong>au</strong>ssi un plan de Lyon à la<br />

boutique de l’hôtel et y chercha l’adresse du laboratoire. Il<br />

ne se trouvait pas très loin du Hilton, dans <strong>le</strong> campus d’une<br />

université. Il pourrait s’y rendre faci<strong>le</strong>ment en bus.<br />

Vers treize heures quarante-cinq, il se prépara et<br />

récupéra la sacoche contenant <strong>le</strong> manuscrit. Il se posta à<br />

l’arrêt de bus devant l’hôtel dont on pouvait douter de<br />

l’utilité, <strong>le</strong>s personnes fréquentant <strong>le</strong> Hilton ne devant pas<br />

souvent utiliser <strong>le</strong>s transports en commun. S<strong>au</strong>f s’ils vont à<br />

Rio en première classe…<br />

Il arriva à l’université environ une demi-heure plus tard.<br />

El<strong>le</strong> n’avait rien à envier <strong>au</strong>x grands campus américains.<br />

C’était une vil<strong>le</strong> dans la vil<strong>le</strong>. Des milliers d’étudiants se<br />

126


pressaient un peu partout. Il y avait <strong>au</strong>tant d’agitation qu’à<br />

la bourse de New York. Fina<strong>le</strong>ment, il trouva dans <strong>le</strong><br />

déda<strong>le</strong> de bâtiments celui où se trouvait <strong>le</strong> laboratoire.<br />

C’était une toute petite construction beige cachée <strong>au</strong> milieu<br />

de grands immeub<strong>le</strong>s universitaires. Il demanda <strong>le</strong><br />

professeur Nivel<strong>le</strong> qui en était <strong>le</strong> directeur. Celui-ci arriva<br />

quelques secondes plus tard et invita Peter à <strong>le</strong> suivre dans<br />

son bure<strong>au</strong>. Il avait l’air <strong>au</strong>ssi sympathique que pressé. Cela<br />

pouvait paraître étonnant pour quelqu’un qui travaillait à<br />

l’échel<strong>le</strong> de milliers d’années. Peter lui expliqua<br />

rapidement ce qu’il attendait de lui, sans dévoi<strong>le</strong>r <strong>le</strong><br />

contenu du manuscrit. Il insista sur <strong>le</strong> fait qu’il avait besoin<br />

d’un résultat urgent. Le professeur lui coupa la paro<strong>le</strong> :<br />

-Faire dater un document comme celui-ci n’est pas une<br />

chose compliquée mais qui demande be<strong>au</strong>coup de<br />

préparation. La plupart des gens qui nous donnent à faire ce<br />

genre de travail s’imaginent que c’est quelque chose<br />

d’extrêmement comp<strong>le</strong>xe. En fait, il n’en est rien, on peut<br />

comparer cela à une simp<strong>le</strong> soustraction. Le principe est<br />

relativement simp<strong>le</strong> : tout organisme vivant contient du<br />

carbone dont une toute petite partie est du carbone 14 qui<br />

est un isotope 1 du carbone qui se désintègre pour donner un<br />

atome d’azote et un é<strong>le</strong>ctron. Tant que l’organisme est<br />

vivant, ces atomes de carbone 14 sont remplacés. Dès que<br />

l’organisme meurt, <strong>le</strong>s atomes de carbone radioactif qu’il<br />

contient se désintègrent et ne sont plus renouvelés. Par<br />

conséquent, il ne reste plus qu’a comparer <strong>le</strong> contenu en<br />

carbone 14 d’un organisme mort par rapport à celui d’un<br />

vivant, on calcu<strong>le</strong> la différence et on peut déterminer la<br />

période à laquel<strong>le</strong> vivait cet organisme. C’est un bref<br />

résumé que je fais là, mais c’est <strong>le</strong> principe qui importe.<br />

-C’est très intéressant répondit Peter. Vous pourrez donc<br />

estimer faci<strong>le</strong>ment la période où ce manuscrit à été écrit.<br />

1<br />

Eléments chimiques identiques qui ne diffèrent que par la masse du<br />

noy<strong>au</strong> de <strong>le</strong>urs atomes.<br />

127


-Ecrit non. Fabriqué oui. D’après ce que je vois il s’agit<br />

d’un papyrus. Il a donc été fabriqué à partir d’une plante.<br />

Pour ça pas de problème. Mais pour connaître l’époque à<br />

laquel<strong>le</strong> il a été rédigé, cela ne sera probab<strong>le</strong>ment pas<br />

possib<strong>le</strong>. L’encre utilisée ne provient peut-être pas d’un<br />

organisme vivant, et en imaginant que cela soit <strong>le</strong> cas, la<br />

quantité contenue dans <strong>le</strong> document sera probab<strong>le</strong>ment<br />

insuffisante pour récupérer assez de carbone pour avoir des<br />

données fiab<strong>le</strong>s.<br />

-Combien de temps vous f<strong>au</strong>dra t-il pour <strong>le</strong> dater ?<br />

-Environ un mois.<br />

-On ne peut pas écourter ce délai ?<br />

-Je ne préfère pas m’avancer là-dessus. Je vous ai dit que<br />

cela demandait une préparation assez longue. Je verrai ce<br />

que nous pouvons faire mais je ne vous promets rien.<br />

-Autre chose professeur, je ne peux pas vous laisser <strong>le</strong><br />

document comp<strong>le</strong>t, nous y faisons un important travail de<br />

traduction. Est-ce qu’un échantillon vous suffira ?<br />

-On va essayer. Venez avec moi <strong>au</strong> labo, nous allons faire<br />

un prélèvement.<br />

Le professeur étudia minutieusement <strong>le</strong> manuscrit et en<br />

découpa un petit morce<strong>au</strong> sur chacune des pages puis rendit<br />

<strong>le</strong> document à Peter.<br />

-Voilà, rappe<strong>le</strong>z-moi dans une quinzaine de jours. Où<br />

puis-je vous joindre si j’ai besoin de vous demander des<br />

renseignements ?<br />

Peter lui donna son numéro de portab<strong>le</strong> à contrecœur. Il<br />

n’aimait pas laisser ce genre de traces.<br />

-Je vous remercie professeur. Combien va coûter la<br />

datation ?<br />

-Environ deux mil<strong>le</strong> francs. Nous verrons cela quand<br />

vous viendrez récupérer <strong>le</strong>s résultats.<br />

-Merci professeur. A bientôt. Appe<strong>le</strong>z-moi si vous avez<br />

du nouve<strong>au</strong> plus tôt que prévu.<br />

-Au revoir monsieur Fisher.<br />

128


Peter quitta <strong>le</strong> campus en se disant qu’il était de nouve<strong>au</strong><br />

« en vacances ». Il n’avait plus qu’à attendre <strong>le</strong> prochain<br />

contact de Jérémie. Il rentra à son hôtel pour se changer et<br />

voir s’il n’avait pas reçu de message de la part de son ami.<br />

* * *<br />

Un policier en civil se mêlait <strong>au</strong>x clients du Hilton qui<br />

étaient dans <strong>le</strong> Hall. Dès son arrivée, il avait demandé à la<br />

réception qu’on lui fasse un signe pour <strong>le</strong> prévenir de<br />

l’arrivée de Peter Fisher. Il avait reçu ses instructions<br />

directement de la part de Michel Froment qui était en route<br />

pour Lyon dans un hélicoptère affecté sur ordre du<br />

Président. Le Policier n’avait qu’une mission bien précise :<br />

Mettre un visage sur Peter et <strong>le</strong> montrer à Froment quand<br />

celui-ci arriverait.<br />

Peter entra dans <strong>le</strong> vestibu<strong>le</strong> du Hilton et se dirigea droit<br />

vers l’accueil. Le réceptionniste fit un petit geste convenu<br />

pour prévenir l’inspecteur et lui montrer l’homme qu’il<br />

recherchait. Le policier appela immédiatement Michel<br />

Froment sur son portab<strong>le</strong> pour lui annoncer qu’il avait<br />

« marqué » Fisher. Froment lui renouvela ses consignes et<br />

lui confirma qu’il serait à Lyon d’ici une demi-heure.<br />

Ce fut à peu près <strong>le</strong> temps qu’il fallut à Peter pour se<br />

rafraîchir et se changer.<br />

En ressortant de l’hôtel, Peter observa un hélicoptère<br />

blanc qui se posait sur une esplanade adjacente <strong>au</strong> Hilton.<br />

Il se dit que certaines personnes ne se refusaient rien et se<br />

dirigea vers son arrêt de bus préféré.<br />

Un inspecteur attendait Michel Froment dans une voiture<br />

banalisée. Dès que <strong>le</strong> bus de Peter arriva, Ils lui emboîtèrent<br />

129


<strong>le</strong> pas et <strong>le</strong> dépassèrent sur la doub<strong>le</strong> voie longeant <strong>le</strong><br />

Rhône. Après l’avoir largement devancé, ils stoppèrent<br />

deux arrêts plus loin. Froment descendit de la voiture et<br />

attendit tranquil<strong>le</strong>ment que <strong>le</strong> car vienne s’arrêter. Il y<br />

monta et alla s’asseoir quelques places derrière Peter.<br />

Quand <strong>le</strong> bus redémarra, Froment vérifia que <strong>le</strong> véhicu<strong>le</strong><br />

banalisé s’était repositionné derrière lui. Quelques minutes<br />

plus tard, <strong>le</strong> car s'immobilisa devant l’hôtel de vil<strong>le</strong> et Peter<br />

en descendit, suivi à distance par l’agent des services<br />

spéci<strong>au</strong>x. Peter remonta la rue de la République en flânant<br />

devant <strong>le</strong>s magasins. Il se promena pendant plus d’une<br />

heure avant de se poser dans un café pour y déguster un<br />

chocolat ch<strong>au</strong>d.<br />

* * *<br />

Jérémie tenta une fois de plus de joindre <strong>Jean</strong>-Pierre<br />

Caron. Cette fois-ci, son ami décrocha.<br />

-Où étais-tu ? J’ai essayé de te joindre tout l’après-midi ?<br />

-Ah, mais je ne t’ai pas dit que je travaillais moi <strong>au</strong>ssi ?<br />

-Ok, ça va. Est-ce que tu peux me récupérer cette nuit à<br />

la gare de Lyon. Je vais arriver vers trois heures et demie<br />

du matin.<br />

-Je ne t’ai pas dit que je dormais moi <strong>au</strong>ssi ?<br />

-Je sais que tu dors, mais j’ai vraiment besoin que tu<br />

viennes me chercher.<br />

-Ok d’accord. Mais la prochaine fois c’est toi qui payes<br />

<strong>le</strong> rest<strong>au</strong> !<br />

-T’inquiètes pas pour ça. Bon, je suis à Lyon et je dois<br />

prendre un train à minuit moins <strong>le</strong> quart pour Dijon. De là<br />

j’ai une correspondance pour Paris qui partira vers une<br />

heure trente. Attends-moi à la brasserie qui est devant la<br />

gare. Merci d’avance. Tu es un chic type.<br />

130


* * *<br />

Le portab<strong>le</strong> de Michel Froment se mit à vibrer <strong>au</strong> fond<br />

de la poche de son veston.<br />

-On a repéré Cohen. Comme vous nous l’avez demandé<br />

on a mis ses copains sur écoute. Il est encore à Lyon. Il<br />

vient d’appe<strong>le</strong>r son rédacteur en chef pour qu’il vienne <strong>le</strong><br />

chercher ce soir à Paris, gare de Lyon. Il doit prendre un<br />

train pour Dijon à 23h45.<br />

-Ok, j’y serai. De votre coté, attendez-<strong>le</strong> à l’arrivée à<br />

Paris pour <strong>le</strong> cueillir. Pour ma part, je vais <strong>au</strong>x instructions.<br />

Froment rappela <strong>au</strong>ssitôt <strong>le</strong> Président sur <strong>le</strong> numéro privé<br />

qu’il lui avait donné. Il répondit immédiatement.<br />

-Monsieur <strong>le</strong> Président, nous avons retrouvé Cohen. Pour<br />

<strong>le</strong> moment il est à Lyon mais il doit rentrer cette nuit sur<br />

Paris. Nous avons <strong>au</strong>ssi repéré quelqu’un qui travail<strong>le</strong><br />

apparemment avec lui sur cette affaire. Un certain Peter<br />

Fisher, de nationalité américaine. Que doit-on faire à<br />

présent ?<br />

Le président lui répondit par un long si<strong>le</strong>nce. Il<br />

réfléchissait sur la conduite à tenir. Il prit fina<strong>le</strong>ment la<br />

paro<strong>le</strong>.<br />

-Très bien. Nous devons opérer de la façon la plus<br />

discrète et par conséquent, je suggère déjà de réduire <strong>le</strong><br />

risque de divulgation de ce qui nous intéresse. Dans un<br />

premier temps, il f<strong>au</strong>t mettre Fisher hors d’état de nuire.<br />

Rappe<strong>le</strong>z-moi dans quinze minutes.<br />

Jacques Mulliet composa <strong>au</strong>ssitôt <strong>le</strong> numéro direct de<br />

William Colton et lui expliqua la situation. Colton ne passa<br />

pas par quatre chemins.<br />

131


-Jacques, nous n’avons <strong>au</strong>cun intérêt à ce qu’il y ait des<br />

témoins de ce qui se passe. Je pense de toute façon que ce<br />

Peter Fisher n’a pas un grand avenir. Oubliez qu’il est<br />

américain et que vos services agissent en conséquence.<br />

Cela pourra peut-être nous servir ensuite.<br />

-J’avais un peu la même idée. Je vous tiens <strong>au</strong> courant de<br />

la suite des opérations. Je pense <strong>au</strong>ssi qu’il f<strong>au</strong>t laisser <strong>le</strong><br />

Vatican en dehors de tout cela n’est-ce pas ?<br />

-Tout à fait. Nous aviserons par la suite.<br />

* * *<br />

Michel Froment reçut des directives très précises de la<br />

part du Président Mulliet. Même si celui-ci avait utilisé des<br />

mots couverts pour <strong>le</strong>s lui transmettre. Il continua sa<br />

filature et suivit Peter jusqu’en début de soirée. Il retourna<br />

à la Basilique de Fourvière. Malgré son côté catholique, ce<br />

qui ne voulait plus dire grand-chose à ses yeux, l’endroit lui<br />

plaisait vraiment, et la rencontre avec Gaby Goldman lui<br />

avait laissé un agréab<strong>le</strong> souvenir qu’il se plaisait à évoquer.<br />

Il se rendit ensuite rue Mercière pour y dîner. Il y avait des<br />

rest<strong>au</strong>rants à foison, plus souvent fréquentés par des<br />

touristes ou hommes d’affaires de passage que par <strong>le</strong>s vrais<br />

Lyonnais. Il rentra dans un « typique » bistrot dont la<br />

décoration sentait encore <strong>le</strong> neuf.<br />

Froment resta en dehors du rest<strong>au</strong>rant et appela ses<br />

collaborateurs pour <strong>le</strong>ur donner <strong>le</strong>s dernières instructions<br />

suite à la conversation téléphonique qu’il avait eue avec <strong>le</strong><br />

Président.<br />

Une heure et demie plus tard, Peter sortit du bistrot et se<br />

dirigea vers <strong>le</strong>s quais de Saône pour y admirer la vue<br />

nocturne qu’offrait la basilique de Fourvière tout illuminée.<br />

Il longeait <strong>le</strong>s quais depuis quelques instants quand il sentit<br />

132


un homme arriver derrière lui. Il n’eut pas <strong>le</strong> temps de se<br />

retourner. L’homme lui planta dans <strong>le</strong> dos <strong>le</strong> canon de son<br />

pisto<strong>le</strong>t prolongé par un énorme si<strong>le</strong>ncieux.<br />

-Ne vous retournez pas. Avancez jusqu’<strong>au</strong> pont et<br />

descendez l’escalier jusqu’à la berge.<br />

Peter était glacé de terreur. Il ne comprenait pas ce qu’il<br />

lui arrivait. Lentement il s’avança en titubant légèrement.<br />

La tête lui tournait et il ne savait pas comment réagir. Il<br />

descendit l’escalier et une fois sur la berge, l’homme<br />

l’obligea à se rendre sous <strong>le</strong> pont, l’empêchant toujours de<br />

se retourner.<br />

Peter n’entendit pas <strong>le</strong>s trois coups de feu. Le choc des<br />

bal<strong>le</strong>s tirées à bout portant <strong>le</strong> projeta immédiatement <strong>au</strong> sol.<br />

Il ne ressentit qu’une dou<strong>le</strong>ur fulgurante qui traversa tout<br />

son corps. Etalé par terre dans une position ridicu<strong>le</strong>, il eut<br />

quelques soubres<strong>au</strong>ts et son cœur chargé d’espoir cessa de<br />

battre.<br />

Michel Froment rechargea son pisto<strong>le</strong>t et <strong>le</strong> rangea dans<br />

son holster. Il vérifia que personne ne se trouvait dans <strong>le</strong>s<br />

environs et remonta tranquil<strong>le</strong>ment sur <strong>le</strong> quai. Il retrouva<br />

une centaine de mètres plus loin la voiture banalisée qui<br />

n’avait cessé de <strong>le</strong>s suivre. Il pressa <strong>le</strong> pas. La soirée n’était<br />

pas encore terminée. Il lui restait vingt minutes pour ne pas<br />

louper Jérémie <strong>au</strong> départ de son train.<br />

* * *<br />

133


CHAPITRE XII<br />

Jérémie n’en pouvait plus d’attendre. Assis sur <strong>le</strong> quai de<br />

la gare, il était frigorifié par un vio<strong>le</strong>nt courant d’air qui<br />

pénétrait tout son corps. Son train allait bientôt arriver et il<br />

attendait avec impatience de se retrouver dans un<br />

compartiment bien ch<strong>au</strong>ffé. Il ne fit pas attention <strong>au</strong>x deux<br />

hommes qui venaient d’accéder sur <strong>le</strong> quai, mélangés à un<br />

groupe de voyageurs. Le rapide entra en gare dans un<br />

vacarme assourdissant. Les personnes qui l’attendaient s’y<br />

pressèrent en essayant de monter tous en même temps dans<br />

<strong>le</strong>s voitures. Le froid excusait cependant l’impatience.<br />

Jérémie y monta à son tour et s’installa à une place proche<br />

de l’entrée. Il rangea son sac <strong>au</strong>-dessus de lui et se lova<br />

dans <strong>le</strong> f<strong>au</strong>teuil en skaï orange.<br />

* * *<br />

134


Michel Froment et son <strong>au</strong>xiliaire s’installèrent chacun à<br />

une extrémité du wagon. Une fois <strong>le</strong> train parti, Froment<br />

passa un coup de fil pour demander que l’hélicoptère <strong>le</strong>s<br />

attende à Dijon. Ils ne quittèrent pas Jérémie des yeux de<br />

tout <strong>le</strong> voyage. Celui-ci s’était endormi, épuisé par sa<br />

journée d’attente dans <strong>le</strong> froid.<br />

10 janvier 2000<br />

Un h<strong>au</strong>t-par<strong>le</strong>ur grésillant annonça l’entrée en gare de<br />

Dijon. Les deux policiers se <strong>le</strong>vèrent en l’entendant et se<br />

placèrent chacun devant <strong>le</strong>s portes d’accès <strong>au</strong> wagon.<br />

Le train s’immobilisa dans un grincement qui <strong>au</strong>rait<br />

achevé de déchirer <strong>le</strong>s tympans d’un sourd.<br />

Froment et son adjoint descendirent <strong>au</strong>ssitôt du train. Ils<br />

attendirent Jérémie en se plaçant de façon à pouvoir<br />

l’encadrer faci<strong>le</strong>ment. Ils n’interviendraient qu’une fois que<br />

tous <strong>le</strong>s passagers <strong>au</strong>raient quitté <strong>le</strong> quai. La gare était<br />

déserte quand ils s’approchèrent de Jérémie par derrière.<br />

Il n’eut pas <strong>le</strong> temps de faire un mouvement. Quatre<br />

solides bras l’empoignèrent et il se retrouva avec une paire<br />

de menottes <strong>au</strong>x poignets sans avoir eu <strong>le</strong> temps de voir qui<br />

l’agressait.<br />

-Qui êtes-vous ? Que me vou<strong>le</strong>z-vous ?<br />

-Tais-toi. Tu ne bouges pas et si tu nous suis sans faire<br />

de vagues il n’y <strong>au</strong>ra pas de problème.<br />

En traversant <strong>le</strong> hall de gare, un agent de la sécurité de<br />

nuit s’approcha d’eux en essayant des savoir ce qu’il se<br />

passait. Il ne demanda pas son reste en voyant la carte de<br />

Michel Froment, ornée du drape<strong>au</strong> tricolore. Ça calme.<br />

L’hélicoptère stationnait en si<strong>le</strong>nce sur une zone dégagée<br />

à proximité de la gare. En quelques secondes, Jérémie s’y<br />

trouva projeté sans ménagements. Le pilote avait déjà<br />

rallumé son moteur quand Froment referma la porte.<br />

Jérémie fut immobilisé par <strong>le</strong>s deux hommes qui l’avaient<br />

135


arrêté. Avec une deuxième paire de menottes, ils<br />

attachèrent sa chevil<strong>le</strong> à la banquette de l’hélico.<br />

-Mais bon sang ! Qu’est-ce que vous me vou<strong>le</strong>z ?<br />

-La ferme !<br />

-Vous n’avez pas <strong>le</strong> droit de faire ça !<br />

-Ecoute. On est des flics et on a pas mal de droits sur ta<br />

petite personne. Maintenant, tu te calmes ou c’est moi qui<br />

vais <strong>le</strong> faire. Pigé ?<br />

Jérémie prit <strong>le</strong> parti de se taire. N’importe comment, il<br />

n’avait pas tel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> choix. Il souhaita de toutes ses<br />

forces que <strong>Jean</strong>-Pierre Caron remue ciel et terre en ne <strong>le</strong><br />

voyant pas arriver.<br />

L’hélicoptère se posa dans un endroit proche de Paris.<br />

Jérémie fut emmené dans une grande bâtisse qui tenait plus<br />

de l’hôtel particulier que d’un commissariat de banlieue.<br />

Ceux qui l’avaient en<strong>le</strong>vé lui confisquèrent toutes ses<br />

affaires et l’enfermèrent dans une petite pièce située dans <strong>le</strong><br />

sous-sol de la maison.<br />

Vers 3h45 du matin, <strong>le</strong> portab<strong>le</strong> de Jérémie sonna<br />

plusieurs fois. Personne ne répondit. <strong>Jean</strong>-Pierre Caron<br />

rentra chez lui. Dire qu’il avait un m<strong>au</strong>vais pressentiment<br />

re<strong>le</strong>vait de l’euphémisme.<br />

Jérémie s’endormit sur <strong>le</strong> petit lit métallique qui meublait<br />

la pièce. Sa fatigue avait eu raison de ses inquiétudes.<br />

Il fut vio<strong>le</strong>mment réveillé vers sept heures par un des<br />

hommes qui l’avait en<strong>le</strong>vé la veil<strong>le</strong>. Il l’emmena<br />

bruta<strong>le</strong>ment à l’extérieur de la maison et <strong>le</strong> projeta dans un<br />

fourgon cellulaire. Ils prirent la direction de Paris. Jérémie<br />

ne put voir où on l’emmenait. Au bout de trois quarts<br />

d’heure, <strong>le</strong> fourgon s’arrêta et on <strong>le</strong> fit descendre. Il<br />

reconnut la cour pavée du 36, quai des Orfèvres, siège de la<br />

Police Judiciaire. On l’amena dans un bure<strong>au</strong> sombre qui<br />

sentait <strong>le</strong> rance et une forte odeur de tabac froid. Il fut forcé<br />

de s’asseoir sur une vieil<strong>le</strong> chaise en bois, de nouve<strong>au</strong><br />

attaché avec des menottes.<br />

136


Un homme bedonnant entra un peu plus tard dans <strong>le</strong><br />

bure<strong>au</strong>.<br />

-Bonjour, je suis <strong>le</strong> commissaire Favier. Vous vous<br />

doutez des raisons de votre présence ici, monsieur Cohen ?<br />

-Mais pas du tout, qu’est-ce vous me vou<strong>le</strong>z ? Qu’est-ce<br />

que j’ai fait ? Cette arrestation est arbitraire. J’exige d’avoir<br />

un avocat !<br />

-Vous en <strong>au</strong>rez un car vous al<strong>le</strong>z en avoir bien besoin.<br />

Vous êtes accusé du meurtre de Peter Fisher, citoyen<br />

américain, et nous avons reçu un mandat d’arrêt<br />

international vous concernant de la part des <strong>au</strong>torités<br />

américaines. Pour l’assassinat d’un certain professeur<br />

Wiessman.<br />

137


DEUXIEME PARTIE<br />

138


CHAPITRE XIII<br />

<strong>Jean</strong>-Pierre Caron consacra sa matinée à passer des coups<br />

de téléphone à tout ce qu’il comptait comme relations, que<br />

ce soit dans <strong>le</strong> monde de la presse, de la politique et même<br />

<strong>au</strong> sein du gouvernement, mais sans <strong>au</strong>cun résultat. Il<br />

n’avait pas oublié non plus de contacter Jacques Berger,<br />

l’avocat du journal avec <strong>le</strong>quel il avait rendez-vous en<br />

début d’après-midi.<br />

La disparition de Jérémie l’avait fortement éprouvé. Il<br />

savait bien qu’il était sur un gros coup, mais son ami<br />

n’avait absolument rien voulu lui révé<strong>le</strong>r. Pendant un<br />

moment, il eut envie de contacter <strong>le</strong>s services de police,<br />

mais <strong>au</strong> travers des bribes de discussions qu’il avait eues<br />

avec Jérémie, il s’était douté que ceux qui <strong>le</strong> suivaient<br />

faisaient peut-être partie des <strong>au</strong>torités policières, quel<strong>le</strong>s<br />

qu’en soient <strong>le</strong>ur forme, et qu’ils pouvaient être à l’origine<br />

de sa disparition. Il décida d’attendre son entretien avec<br />

l’avocat avant d’entamer des démarches plus officiel<strong>le</strong>s.<br />

Pour se changer <strong>le</strong>s idées, il consulta la liste des<br />

télécopies en provenance de l’AFP. Il n’y avait<br />

pratiquement rien de spécial. Les nouvel<strong>le</strong>s habituel<strong>le</strong>s qui<br />

remplissaient <strong>le</strong> quotidien de la presse. Affaires politiques,<br />

139


la crise qui n’en finissait pas <strong>au</strong> proche orient, et quelques<br />

in<strong>format</strong>ions venant alimenter la rubrique des faits divers.<br />

Un point cependant attira son attention. Le meurtre à Lyon<br />

d’un jeune étudiant américain. Son flair de journaliste se<br />

mit de suite à lui lancer quelques sign<strong>au</strong>x. Il se rappela que<br />

Jérémie l’avait appelé de Lyon avant de retourner sur Paris.<br />

Il fit <strong>au</strong>ssi <strong>le</strong> lien avec <strong>le</strong> voyage <strong>au</strong>x USA que Jérémie<br />

avait fait quelques jours plus tôt. C’était d’ail<strong>le</strong>urs à partir<br />

de là-bas que tous <strong>le</strong>s mystères évoqués par son ami avaient<br />

commencé. Enfin <strong>le</strong> paquet qu’il avait fait envoyer par<br />

coursier était à l’attention d’un certain Peter Fisher et celuici<br />

pouvait tout à fait être américain. Quelque chose lui<br />

disait qu’il pouvait y avoir un lien avec la disparition subite<br />

de Jérémie.<br />

Il prit son téléphone et appela un de ses correspondants à<br />

Lyon pour lui demander d’essayer d’en savoir un peu plus<br />

sur cet assassinat qui ne prenait que deux lignes sur un fax<br />

de l’AFP…<br />

Vers 14h30 il se rendit chez Maître Jacques Berger.<br />

Celui-ci <strong>le</strong> reçut sans attendre et demanda à <strong>Jean</strong>-Pierre<br />

Caron de lui expliquer en détail ce qu’il se passait.<br />

L’avocat connaissait Jérémie et avait de l’estime pour lui.<br />

-Je ne comprends vraiment pas ce qui a pu arriver,<br />

déclara <strong>Jean</strong>-Pierre après avoir tout raconté à Maître<br />

Berger. Jérémie n’est pas du tout du genre à se mettre à mal<br />

avec <strong>le</strong>s <strong>au</strong>torités. Cela dit, on voit tel<strong>le</strong>ment de choses de<br />

nos jours qu’on ne peut plus être sûr de quoique ce soit.<br />

D’après ce qu’il m’avait dit, il était sur un dossier assez<br />

important. Je suppose qu’il a découvert quelque chose de<br />

pas clair qui doit mettre en c<strong>au</strong>se nos politiques. Ils ne sont<br />

plus à ça près. Cela peut tout à fait expliquer sa disparition.<br />

-Peut-être cherche t-il à se mettre <strong>au</strong> vert pendant<br />

quelques jours, reprit l’avocat, il est possib<strong>le</strong> qu’il ne vous<br />

ait pas contacté pour ne pas vous mouil<strong>le</strong>r. Avez-vous une<br />

idée de ce que contient <strong>le</strong> fameux paquet qu’il vous a<br />

envoyé ?<br />

140


-Aucune. Mais je pense qu’il s’agissait de documents.<br />

-Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?<br />

-Le colis n’était pas épais, c’était plutôt une grosse<br />

enveloppe soup<strong>le</strong>.<br />

Le portab<strong>le</strong> de <strong>Jean</strong>-Pierre Caron se mit à sonner à ce<br />

moment. Il s’excusa et prit la communication. C’était son<br />

correspondant de Lyon.<br />

-J’ai du nouve<strong>au</strong> sur ce que tu m’as demandé. La victime<br />

s’appel<strong>le</strong> Peter Fisher. Etudiant américain. Il a été assassiné<br />

de trois bal<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong> dos. On l’a retrouvé sous un pont à<br />

Lyon. Le suspect numéro un s’appel<strong>le</strong> Jérémie Cohen.<br />

C’est un journaliste. Tu <strong>le</strong> connais ?<br />

-Malheureusement oui. Sais-tu où il se trouve ?<br />

-Apparemment, il <strong>au</strong>rait été appréhendé à Dijon, et vu la<br />

nationalité de la victime, il a immédiatement été transféré à<br />

la PJ à Paris.<br />

-Ok, merci. Si tu as plus d’infos, rappel<strong>le</strong>-moi.<br />

<strong>Jean</strong>-Pierre raconta <strong>au</strong>ssitôt ce que lui avait dit son<br />

correspondant.<br />

-Nous voilà avec une bel<strong>le</strong> affaire en perspective annonça<br />

Berger. Tu veux que je m’en occupe ?<br />

-Oui bien sûr. Que doit-on faire dans l’immédiat ?<br />

-Pour commencer, tu appel<strong>le</strong>s <strong>le</strong> service des personnes<br />

disparues et tu <strong>le</strong>ur racontes ce qu’il s’est passé cette nuit,<br />

que ton ami n’a toujours pas donné de nouvel<strong>le</strong>s et que tu<br />

t’en inquiètes. Ils vont faire une première recherche <strong>au</strong>près<br />

des différents services de police et ils finiront par<br />

t‘annoncer ce qu’il en est. Tu <strong>le</strong>ur demandes où il se trouve,<br />

s’il a un avocat et éventuel<strong>le</strong>ment si on peut <strong>le</strong> voir. Mais<br />

j’en doute… seul son avocat peut <strong>le</strong> rencontrer maintenant.<br />

S’il n’en a pas, tu donnes mon nom et tu m’appel<strong>le</strong>s<br />

<strong>au</strong>ssitôt pour que je prenne l’affaire en main.<br />

141


* * *<br />

Jérémie avait été installé dans une petite cellu<strong>le</strong><br />

individuel<strong>le</strong> dont <strong>le</strong>s murs étaient couverts de graffitis<br />

insultants à l’encontre de forces de police.<br />

L’annonce par <strong>le</strong> commissaire Favier de la mort de Peter<br />

l’avait mora<strong>le</strong>ment accablé. Le fait d’être en plus accusé de<br />

crimes dont il était innocent avait pour l’instant moins<br />

d’importance à ses yeux que cet acte incompréhensib<strong>le</strong><br />

dont il n’osait pas imaginer <strong>le</strong> motif. Il ne prenait pas<br />

encore conscience des charges qui pesaient contre lui, se<br />

disant que de toute façon il n’<strong>au</strong>rait pas de mal à prouver<br />

son innocence.<br />

Il entendit quelqu’un marcher et la porte s’ouvrit laissant<br />

passer <strong>le</strong> lumière blanche et artificiel<strong>le</strong> des néons du<br />

couloir. Un gardien lui demanda de <strong>le</strong> suivre. Il traversèrent<br />

des couloirs <strong>au</strong>ssi crasseux que vieillots et on l’introduisit<br />

dans un bure<strong>au</strong> où se tenait <strong>le</strong> commissaire Favier<br />

accompagné par un des inspecteurs qui l’avait arrêté.<br />

-Re-bonjour M.Cohen. Comment vous sentez-vous ?<br />

Je crois qu’il est temps pour nous d’avoir une petite<br />

conversation, n’est ce pas ?<br />

-Je n’ai absolument rien à vous dire commissaire. Je veux<br />

un avocat.<br />

-Vous avez de la chance d’avoir de bons amis, un certain<br />

M.Caron vous a cherché partout et il a fina<strong>le</strong>ment appris<br />

que vous vous trouviez parmi nous. Il nous a donné <strong>le</strong> nom<br />

de l’avocat qui va s’occuper de votre affaire. Maître<br />

Jacques Berger. Vous <strong>le</strong> connaissez ?<br />

-Oui.<br />

-Etes-vous d’accord pour qu’il assure votre défense ?<br />

-Oui, bien sûr.<br />

-Très bien. Il est actuel<strong>le</strong>ment dans nos loc<strong>au</strong>x et<br />

s’occupe de quelques formalités. Vous <strong>au</strong>rez bientôt<br />

142


l’occasion d’avoir un entretien avec lui. Dés que nous en<br />

<strong>au</strong>rons terminé.<br />

-Je ne vous dirai rien en dehors de sa présence.<br />

-Reconnaissez-Vous <strong>au</strong> moins que vous connaissiez<br />

Peter Fisher ?<br />

-Oui, je <strong>le</strong> connaissais, mais je ne l’ai pas tué, si c’est ce<br />

que vous vou<strong>le</strong>z savoir. Pour l’instant, je ne vous dirai rien<br />

de plus.<br />

Jérémie se referma comme une huître et ne répondit à<br />

<strong>au</strong>cune des questions que lui posa <strong>le</strong> commissaire.<br />

Au bout d’une demi-heure, on <strong>le</strong> fit <strong>le</strong>ver et il fut<br />

accompagné dans une petite pièce contenant deux chaises<br />

et une tab<strong>le</strong>, dont la seu<strong>le</strong> ouverture était une vitre assez<br />

épaisse. Quelques instants plus tard, un gardien introduisit<br />

Maître Berger.<br />

-Bonjour Jérémie. Comment al<strong>le</strong>z-vous ?<br />

-Aussi bien que peut l’être un innocent en cage. Vous<br />

al<strong>le</strong>z pouvoir me sortir de là ?<br />

-Je préfère être franc avec vous, pour <strong>le</strong> moment, je n’en<br />

sais absolument rien. Tout va dépendre de ce que vous al<strong>le</strong>z<br />

me dire. Reprenez toute l’histoire depuis <strong>le</strong> début.<br />

Jérémie exposa l’ensemb<strong>le</strong> de ses péripéties jusqu’<strong>au</strong>x<br />

dernières minutes qu’il venait de passer avec <strong>le</strong><br />

commissaire.<br />

-Votre histoire est pour <strong>le</strong> moins étonnante reprit l’avocat.<br />

Mais dans une affaire comme cel<strong>le</strong>-ci, il f<strong>au</strong>t savoir<br />

discerner <strong>le</strong> fond de la forme. Vous n’êtes pas accusé de<br />

faire des recherches sur Dieu ou <strong>le</strong> Christ, vous êtes suspect<br />

dans une affaire de doub<strong>le</strong> meurtre, celui du professeur<br />

Wiessman et celui de votre ami Peter. Reprenons dans<br />

l’ordre. Je veux que vous me disiez toute la vérité, il ne doit<br />

pas y avoir de cachotteries entre nous car cela peut<br />

complètement désorienter <strong>le</strong> système de défense que nous<br />

allons adopter. Avez-vous tué ces deux hommes ?<br />

-Bien sûr que non !<br />

143


-Très bien. Avez-vous un alibi pour ces deux crimes ?<br />

Réfléchissez bien. Le moindre détail peut avoir une<br />

importance capita<strong>le</strong>. Commençons par <strong>le</strong> meurtre du<br />

professeur.<br />

-Eh bien <strong>le</strong> matin j’ai quitté mon hôtel vers 5h30 et je me<br />

suis rendu immédiatement à l’université. J’avais rendezvous<br />

à six heures avec <strong>le</strong> professeur. Je m’y suis rendu avec<br />

ma voiture de location et en arrivant <strong>le</strong>s policiers étaient<br />

déjà là. Un inspecteur nommé Collins m’a posé quelques<br />

questions sur <strong>le</strong> motif de ma visite <strong>au</strong> professeur Wiessman.<br />

C’est lui qui m’a annoncé la nouvel<strong>le</strong> de son décès.<br />

-Vers quel<strong>le</strong> heure êtes-vous arrivé devant l’université ?<br />

-Je ne me rappel<strong>le</strong> pas bien, mais il devait être <strong>au</strong>x<br />

a<strong>le</strong>ntours de six heures moins dix.<br />

-Est-ce que quelqu’un de l’hôtel vous a vu partir ?<br />

-Je ne me rappel<strong>le</strong> pas. J’ai pris un café <strong>au</strong> rest<strong>au</strong>rant de<br />

l’hôtel et en partant j’ai posé la clé de ma chambre dans une<br />

boîte prévue à cet effet.<br />

-Vers quel<strong>le</strong> heure vous êtes-vous rendu <strong>au</strong> rest<strong>au</strong>rant ?<br />

-Je pense qu’il devait être cinq heures dix.<br />

-Y avez-vous rencontré quelqu’un ?<br />

-Non, je me suis servi <strong>au</strong> self. Peut-être y avait-il un<br />

serveur ou quelqu’un d’<strong>au</strong>tre, mais je n’y ait pas fait<br />

attention. Je crains, maître, que sur ce coup je n’ai pas<br />

d’alibi pl<strong>au</strong>sib<strong>le</strong>. Et sur <strong>le</strong> meurtre de Peter, s’il est prouvé<br />

qu’il est mort avant 23h45, je n’en ai pas non plus.<br />

-Pourquoi cela ?<br />

-J’ai passé ma journée d’hier complètement seul. J’ai<br />

quitté Peter vers 9h30 du matin et je suis parti de l’hôtel à<br />

dix heures.<br />

-Qu’avez-vous fait entre <strong>le</strong> moment où vous êtes parti de<br />

l’hôtel jusqu’à ce que vous preniez <strong>le</strong> train ?<br />

-Je suis allé à la gare pour y acheter mon bil<strong>le</strong>t et j’ai<br />

attendu jusqu’<strong>au</strong> soir dans un centre commercial.<br />

-Vous avez rencontré quelqu’un ou fait quelque chose de<br />

particulier ?<br />

144


-Non, je me suis installé dans une brasserie pour<br />

déjeuner, mais c’était vers 13h30, je ne sais pas si <strong>le</strong><br />

serveur se souviendra de moi.<br />

-Et même s’il se souvenait, reprit l’avocat, la tranche<br />

horaire ne nous intéresse pas. Jérémie, je crains que vous ne<br />

soyez dans une situation délicate. Il va maintenant falloir<br />

que vous répondiez <strong>au</strong>x questions de la police. Je serai avec<br />

vous. Mais je vais être clair : Vous n’avez pour <strong>le</strong> moment<br />

<strong>au</strong>cun moyen de prouver que vous êtes innocent.<br />

* * *<br />

Jacques Mulliet reprit contact avec <strong>le</strong> Président<br />

américain pour lui faire part des dernières évolutions de ce<br />

qu’on pouvait maintenant appe<strong>le</strong>r l’ « affaire Cohen ».<br />

Il avait appris quasi-immédiatement la nouvel<strong>le</strong> de<br />

l’arrestation de Jérémie Cohen par Michel Froment. Celuici<br />

lui avait <strong>au</strong>ssi annoncé que Peter Fisher ne pourrait plus<br />

être une éventuel<strong>le</strong> source de problèmes et que tout pouvait<br />

à présent s’enc<strong>le</strong>ncher d’une façon be<strong>au</strong>coup plus officiel<strong>le</strong>,<br />

Cohen étant accusé du meurtre de Peter Fisher. Cela se<br />

présentait d’ail<strong>le</strong>urs plutôt bien car toutes <strong>le</strong>s apparences<br />

étaient contre Jérémie Cohen.<br />

-Bonsoir William. Nous avons du nouve<strong>au</strong>. Nous tenons<br />

Cohen et il n’y a plus de témoin gênant. Il f<strong>au</strong>t que nous<br />

déterminions à présent la conduite à tenir. L’affaire prend<br />

maintenant une tournure officiel<strong>le</strong> car Cohen est accusé du<br />

meurtre de Wiessman et de Fisher et il n’a <strong>au</strong>cun alibi. Il a<br />

pris un avocat, un as du barre<strong>au</strong> en France, mais il n’a pas<br />

pu faire grand-chose jusqu’à <strong>au</strong>jourd’hui, Cohen n’ayant<br />

pour <strong>le</strong> moment <strong>au</strong>cun argument positif de défense.<br />

145


-Très bien. Je crois que <strong>le</strong> mieux est à présent de laisser<br />

faire la procédure judiciaire jusqu’à un certain point. Une<br />

fois que la justice française <strong>au</strong>ra prouvé la culpabilité de<br />

notre homme, je ferai <strong>le</strong> nécessaire pour qu’une demande<br />

d’extradition soit faite officiel<strong>le</strong>ment de la part des <strong>au</strong>torités<br />

de mon pays. Il est clair que d’une façon ou d’une <strong>au</strong>tre,<br />

Cohen doit-être mis hors d’état de nuire. Le fait qu’il soit<br />

accusé de meurtre sur <strong>le</strong> territoire américain, qui plus est<br />

sur la personne d’un éminent professeur et de l’assassinat<br />

en France de l’un de nos ressortissants nous permettra<br />

d’engager une tel<strong>le</strong> procédure. Il f<strong>au</strong>t bien entendu qu’el<strong>le</strong><br />

soit acceptée par votre gouvernement car vous n’avez pas<br />

de solution juridique extrême dans votre pays.<br />

-En effet, vous avez raison, il v<strong>au</strong>t mieux rég<strong>le</strong>r cette<br />

affaire d’une manière tout à fait léga<strong>le</strong>.<br />

* * *<br />

-Monseigneur, je trouve qu’il est sur une m<strong>au</strong>vaise pente.<br />

Que comptez vous faire à présent ?<br />

-Ce n’est pas lui qui est en m<strong>au</strong>vaise posture, ce sont <strong>le</strong>s<br />

hommes.<br />

-Ce ne sont pas tous <strong>le</strong>s hommes mais seu<strong>le</strong>ment<br />

quelques-uns qui <strong>le</strong>s dirigent et qui agissent mal.<br />

-Le moment viendra où <strong>le</strong> choix sera entre <strong>le</strong>s mains de<br />

tous <strong>le</strong>s hommes. Ils ont déjà su se rebel<strong>le</strong>r contre <strong>le</strong>s<br />

pouvoirs qui <strong>le</strong>s gouvernent. Nous verrons cela plus tard…<br />

146


11 janvier 2000<br />

CHAPITRE XIV<br />

<strong>Jean</strong>-Pierre Caron faisait <strong>le</strong> bilan de la situation depuis<br />

plus d’une heure avec Maître Berger. Celui-ci lui avait<br />

annoncé que la défense de Jérémie se présentait mal sur <strong>le</strong><br />

plan de la forme. Sans par<strong>le</strong>r du fond, qui pour <strong>le</strong> moment<br />

n’était pas défendab<strong>le</strong>. L’histoire de Jérémie pouvait être<br />

pl<strong>au</strong>sib<strong>le</strong> jusqu’à un certain point. Mais jamais un tribunal<br />

n’accepterait de débattre sur une affaire <strong>au</strong>ssi peu crédib<strong>le</strong><br />

que <strong>le</strong> retour possib<strong>le</strong> du Christ sur terre. Il y avait d’abord<br />

<strong>le</strong>s faits. Jérémie était accusé de meurtre et il n’y avait<br />

qu’une seu<strong>le</strong> solution pour <strong>le</strong> sortir de ce m<strong>au</strong>vais pas :<br />

Prouver qu’il était innocent. Cela ne laissait que deux<br />

possibilités. La première était de réel<strong>le</strong>ment démontrer par<br />

des faits que Jérémie n’avait pas tué. La deuxième option<br />

était d’arriver à créer un doute mettant l’accusation dans<br />

l’impossibilité de démontrer la culpabilité. Jérémie n’ayant<br />

pas d’alibi, l’avocat pencha de suite pour ce type de<br />

défense. D’après ce qu’il savait de l’enquête, <strong>au</strong>cune arme<br />

n’avait été retrouvée sur <strong>le</strong> lieu de l’assassinat de Peter et<br />

147


l’<strong>au</strong>topsie qui pourrait compléter <strong>le</strong>s éléments<br />

d’in<strong>format</strong>ions n’<strong>au</strong>rait lieu que demain. Quant <strong>au</strong> meurtre<br />

de Wiessman, il y avait tout de même un peu plus de<br />

matière pour contester <strong>le</strong>s faits. Si <strong>le</strong>s Américains avaient<br />

clos l’enquête dès <strong>le</strong> début en concluant à un accident, c’est<br />

qu’il n’y avait <strong>au</strong>cun élément tangib<strong>le</strong> laissant supposer<br />

qu’il y ait eu meurtre. Il y avait déjà là un problème de<br />

procédure. Mais la mort de Wiessman était un <strong>au</strong>tre<br />

problème qu’il fallait traiter dans un second temps. La<br />

justice française n’avait en fait rien à reprocher à Jérémie<br />

Cohen à ce sujet. L’accusation avait été faite par <strong>le</strong>s<br />

<strong>au</strong>torités américaines suite à un complément d’enquête soidisant<br />

ordonné après <strong>le</strong> départ des USA de Jérémie.<br />

Toutefois, il était important de savoir <strong>le</strong>s motivations qui<br />

avaient amené à rouvrir un dossier classé comme un<br />

ma<strong>le</strong>ncontreux accident.<br />

-Peut-être est-ce une machination ? déclara <strong>Jean</strong>-Pierre.<br />

-Honnêtement, je ne crois pas que votre ami soit<br />

coupab<strong>le</strong>. Il ne peut s’agir que d’une machination. Je dirais<br />

même une manipulation. Et el<strong>le</strong> n’a pu être mise en place<br />

que pour une seu<strong>le</strong> raison.<br />

-Laquel<strong>le</strong> ?<br />

-C’est que l’histoire de votre ami est vraie.<br />

-Comment cela ? Vous croyez réel<strong>le</strong>ment que Jérémie a<br />

découvert que <strong>le</strong> Christ allait revenir sur terre et surtout<br />

qu’il a découvert qu’il était déjà parmi nous ?<br />

-Voyez-vous une <strong>au</strong>tre explication ? Réfléchissez un peu.<br />

Imaginons que certains êtres soi-disant bien pensants et<br />

détenant un minimum de pouvoir aient été <strong>au</strong> courant de<br />

cela avant que votre ami ne <strong>le</strong> découvre, croyez-vous qu’ils<br />

vont prendre <strong>le</strong> risque de laisser revenir dans l’esprit des<br />

hommes que Dieu existe vraiment et qu’Il renvoie Son Fils<br />

pour <strong>le</strong> prouver, et par-là même mettre en péril <strong>le</strong>s<br />

fondements du pouvoir dans notre civilisation, tout ça sans<br />

réagir ? Je n’y crois pas. Les politiques ont bien trop peur<br />

de perdre ce qu’ils ont mis tant de temps à acquérir. Même<br />

148


s’ils estiment que cette histoire n’est qu’une pure invention,<br />

ils préfèreront se border et annihi<strong>le</strong>r complètement <strong>le</strong><br />

danger. Nous avons pu voir depuis quelques années la<br />

faib<strong>le</strong>sse des politiques et <strong>le</strong>ur capacité à s’entre protéger,<br />

et ce quel que soit <strong>le</strong>ur bord. La façon de réagir par rapport<br />

à cette affaire démontre deux choses : ou l’histoire est<br />

vraie, ou el<strong>le</strong> fait peur. Si el<strong>le</strong> fait peur, cela signifie que<br />

d’<strong>au</strong>tres se doutaient de quelque chose, et croyez-moi, <strong>le</strong><br />

vieil adage « il n’y a pas de fumée sans feu » n’a jamais fait<br />

mentir personne. Je suis bien placé pour <strong>le</strong> savoir.<br />

-Que préconisez-vous Maître ?<br />

-Le mieux est que je m’occupe de défendre notre ami<br />

avec <strong>le</strong>s armes que je possède et que vous <strong>le</strong> défendiez avec<br />

<strong>le</strong>s vôtres.<br />

-C’est à dire ?<br />

-Je m’occupe de la forme, et vous vous occupez du fond.<br />

Continuez son enquête. Vous disposez de suffisamment de<br />

moyens financiers et d’in<strong>format</strong>ions pour vous occuper du<br />

fond du problème. Si <strong>au</strong> travers de cela on peut prouver<br />

qu’il y a eu caba<strong>le</strong>, cela apportera des arguments<br />

supplémentaires pour non pas prouver l’innocence, mais<br />

prouver qu’il y a des doutes sur la culpabilité.<br />

-S’il y a eu manipulation en h<strong>au</strong>t de l’échel<strong>le</strong>, ne pensezvous<br />

pas qu’un tribunal puisse <strong>au</strong>ssi subir des pressions de<br />

la part de certains pouvoirs ?<br />

-Si je réponds à votre question, cela voudrait dire que j’ai<br />

des doutes sur <strong>le</strong> fonctionnement de la justice et je<br />

remettrais en c<strong>au</strong>se <strong>le</strong>s fondements de mon métier. Je crois<br />

fermement en la justice et comme el<strong>le</strong> est humaine,<br />

j’admets parfaitement qu’el<strong>le</strong> puisse se tromper.<br />

* * *<br />

149


<strong>Jean</strong> Pierre Caron décida de suivre <strong>le</strong>s conseils de Maître<br />

Berger et de tenter de poursuivre l’enquête commencée par<br />

Jérémie. Cette situation l’effrayait un peu car il savait ne<br />

pas avoir ni <strong>le</strong>s motivations ni <strong>le</strong>s connaissances de<br />

Jérémie. D’<strong>au</strong>tre part, malgré <strong>le</strong>s éléments que l’avocat<br />

avait pu récupérer <strong>au</strong> cours de la longue discussion qu’il<br />

avait eue avec son client, <strong>Jean</strong>-Pierre ne voyait pas par quel<br />

bout il lui fallait commencer. Il n’avait <strong>au</strong>cune note en sa<br />

possession, <strong>au</strong>cun document pour prouver même l’objet des<br />

recherches de Jérémie. La seu<strong>le</strong> chose qu’il pouvait faire,<br />

c’était éventuel<strong>le</strong>ment de tenter de récupérer <strong>le</strong> manuscrit.<br />

Jérémie avait dit à Maître Berger qu’il se trouvait <strong>au</strong><br />

laboratoire à Lyon, mais qu’il fallait attendre que la<br />

datation eut été faite. Au risque de se <strong>le</strong> faire saisir pour <strong>le</strong>s<br />

besoins de l’enquête. Le tout était de savoir si Peter avait<br />

été suivi avant ou après avoir déposé <strong>le</strong> manuscrit <strong>au</strong> labo.<br />

Si par ail<strong>le</strong>urs <strong>le</strong>s enquêteurs tentaient de savoir ce que<br />

Peter avait fait de sa journée, ils pouvaient là <strong>au</strong>ssi<br />

remonter jusqu’<strong>au</strong> document. D’après ce que Jérémie avait<br />

dit, il ne pensait pas que ceux qui <strong>le</strong> suivaient savaient qu’il<br />

était en possession du manuscrit, mais il n’avait <strong>au</strong>cune<br />

certitude à ce sujet.<br />

<strong>Jean</strong>-Pierre réfléchissait <strong>au</strong>ssi à une <strong>au</strong>tre possibilité à<br />

condition là <strong>au</strong>ssi qu’il arrive à avoir plus d’éléments<br />

concernant l’enquête de Jérémie. En mettant l’affaire <strong>au</strong><br />

grand jour <strong>au</strong> travers de la presse, il <strong>au</strong>rait la possibilité de<br />

mettre ceux qui en voulaient à Cohen dans une m<strong>au</strong>vaise<br />

position. Lui <strong>au</strong>ssi détenait un pouvoir et cela <strong>le</strong> grisait. La<br />

presse a une tel<strong>le</strong> puissance qu’el<strong>le</strong> peut faire et défaire<br />

pratiquement ce qu’el<strong>le</strong> veut. A commencer par <strong>le</strong>s<br />

politiques. Mais il f<strong>au</strong>t pour cela avoir de la matière.<br />

Be<strong>au</strong>coup de matière pour tenir l’affaire en h<strong>au</strong>t de<br />

l’actualité pendant <strong>le</strong>s mois que durerait un procès contre<br />

Jérémie. Il fallait à tout prix que <strong>Jean</strong>-Pierre récolte un<br />

maximum d’in<strong>format</strong>ions.<br />

150


* * *<br />

Jérémie se morfondait <strong>au</strong> fond de sa cellu<strong>le</strong>. Il ressassait<br />

dans son esprit tout ce qu’il s’était passé afin de trouver<br />

quelque chose, un indice qui pourrait jouer en sa faveur.<br />

Tout en étant conscient qu’on ne peut pas grand chose<br />

contre une manœuvre émanant certainement des plus<br />

h<strong>au</strong>tes instances de l’état. Il espérait incessamment l’aide<br />

de Dieu, sachant qu’il ne pourrait pas obtenir grand-chose<br />

des hommes. Mais il ignorait <strong>le</strong>s véritab<strong>le</strong>s desseins de<br />

Dieu. Peut-être que ce qu’il vivait était en fait la plus pure<br />

volonté divine et que cela faisait partie du plan que Dieu<br />

avait élaboré pour éprouver <strong>le</strong>s hommes. Si tel était <strong>le</strong> cas,<br />

Jérémie n’avait plus qu’à prendre sur lui et attendre que <strong>le</strong>s<br />

hommes fassent <strong>le</strong>ur choix. Ce sentiment lui faisait peur<br />

tout en sachant que cela s’imbriquait bien avec <strong>le</strong>s<br />

déductions que Peter et lui avaient faites. Il prit conscience<br />

qu’il lui manquait, et surtout, il s’en voulait à mort de<br />

l’avoir entraîné dans une tel<strong>le</strong> histoire. Mais il ne pouvait<br />

pas prévoir. Maintenant il était seul et n’avait plus qu’à<br />

espérer. Mais l’espoir est toujours rattaché à quelque chose<br />

ou à quelqu’un, et là, il n’avait personne. S<strong>au</strong>f peut-être son<br />

véritab<strong>le</strong> patron.<br />

Ecrasé par ses pensées, il avait atteint une fatigue mora<strong>le</strong><br />

qu’il n’arrivait pas à dominer. Pourtant il savait que <strong>le</strong> seul<br />

moyen de s’en sortir était de re<strong>le</strong>ver la tête et de se battre.<br />

Mais contre quoi ?<br />

* * *<br />

151


14 janvier 2000<br />

<strong>Jean</strong>-Pierre Caron put enfin obtenir un droit de visite quatre<br />

jours après l’incarcération de Jérémie. Celui-ci, par mesure<br />

de sécurité, avait été mis en détention provisoire à la prison<br />

de la Santé. Il avait été placé dans <strong>le</strong> quartier des<br />

personnalités. Le fait d’être journaliste lui avait donné droit<br />

à cette petite attention. Il avait été remis dans une cellu<strong>le</strong><br />

individuel<strong>le</strong> relativement équipée de toi<strong>le</strong>ttes et d’un simp<strong>le</strong><br />

lavabo, pour tous meub<strong>le</strong>s, un lit en fer, une chaise en bois<br />

et un petit bure<strong>au</strong>. Les murs étaient propres et semblaient<br />

avoir étés souvent repeints. Il avait pu obtenir une petite<br />

télévision grâce <strong>au</strong>x démarches de Maître Berger. Cela<br />

faisait partie des privilèges réservés <strong>au</strong>x « VIP’s ». Les<br />

loc<strong>au</strong>x étaient bien entretenus, il f<strong>au</strong>t dire que depuis<br />

quelques années, ils commençaient de plus en plus à voir<br />

défi<strong>le</strong>r du be<strong>au</strong> monde…Il put avoir la visite de <strong>Jean</strong>-Pierre<br />

suite <strong>au</strong>x insistances de son avocat, arguant du fait que<br />

Jérémie n’ayant pas de famil<strong>le</strong>, il pouvait avoir une<br />

dérogation spécia<strong>le</strong>. Le fait qu’il soit journaliste avait là<strong>au</strong>ssi<br />

certainement dû influer sur la décision des <strong>au</strong>torités. Il<br />

valait mieux éviter de faire des vagues <strong>au</strong> risque de voir<br />

toute la profession monter l’affaire en éping<strong>le</strong>. Les<br />

journalistes ne plaisantent jamais avec <strong>le</strong>s conditions de<br />

détention de <strong>le</strong>urs confrères, quel que soit <strong>le</strong> pays.<br />

Ils avaient été placés dans <strong>le</strong> parloir où <strong>le</strong>s détenus<br />

recevaient la visite de <strong>le</strong>ur famil<strong>le</strong>. Plusieurs minutes<br />

passèrent avant qu’ils commencent à échanger quelques<br />

mots.<br />

-Comment te sens-tu ? Demanda <strong>Jean</strong>-Pierre, ça n’est pas<br />

trop dur ?<br />

-Ca va un peu mieux, répondit faib<strong>le</strong>ment Jérémie. C’est<br />

déjà pas mal que je ne sois pas avec <strong>le</strong>s droits communs. Je<br />

ne sais pas si j’<strong>au</strong>rais pu supporter cela. Je n’arrive pas à<br />

me faire à l’idée que Peter est mort. Je crois que c’est <strong>le</strong><br />

152


plus diffici<strong>le</strong>. Je m’en veux à mort de l’avoir entraîné dans<br />

tout ça. Il ne méritait pas de finir ainsi. Tout est de ma<br />

f<strong>au</strong>te.<br />

-Tu ne pouvais pas savoir. Personne ne peut jamais savoir<br />

jusqu’où peuvent al<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s choses et <strong>au</strong> début, rien ne<br />

pouvait te laisser prévoir <strong>le</strong>s enchaînements que prendrait<br />

ton enquête. Aucun d’entre nous ne peut imaginer <strong>le</strong>s<br />

conséquences de ses actes. Encore moins dans notre métier,<br />

où à priori, nous ne sommes jamais directement concernés<br />

par <strong>le</strong> travail que nous faisons. Tu t’es retrouvé dans la<br />

même situation qu’un docteur qui doit soigner un de ses<br />

proches.<br />

-Comment cela, que veux-tu dire ?<br />

-J’ai bien réfléchi à toute ton histoire. Et bien que cela<br />

puisse être diffici<strong>le</strong> à imaginer dans notre monde hyperrationnel,<br />

je suis persuadé qu’el<strong>le</strong> est vraie.<br />

-Qu’est-ce qui te fait dire ça ?<br />

-C’est trop gros et c’est trop simp<strong>le</strong>. Et puis je te connais<br />

suffisamment pour savoir que tu n’<strong>au</strong>rais jamais inventé<br />

une histoire pareil<strong>le</strong>. Tu n’avais pas besoin de ça pour faire<br />

par<strong>le</strong>r de toi et ce n’est pas ton genre. Un dernier point, et<br />

nous en sommes convenu avec Berger, c’est que si cela<br />

n’avait pas été sérieux, tu ne serais pas dans cette situation.<br />

Ton affaire gêne du monde. Si ce n’était pas vraiment <strong>le</strong><br />

cas, <strong>le</strong>s politiques <strong>au</strong>raient plongé sur l’occasion pour<br />

casser du journaliste, or, <strong>au</strong>cun bruit n’a été fait à ton sujet.<br />

Il y a seu<strong>le</strong>ment eu quelques entrefi<strong>le</strong>ts dans la presse, et<br />

pas dix secondes dans <strong>le</strong>s journ<strong>au</strong>x télévisés. Les copains<br />

ne sont pas encore montés <strong>au</strong> créne<strong>au</strong> f<strong>au</strong>te d’arguments<br />

pour <strong>le</strong> moment. C’est un peu pour ça que Maître Berger a<br />

fait tout ce qu’il pouvait pour qu’on puisse se voir. Il t’a<br />

sans doute dit que j’allais reprendre ton enquête pour<br />

récupérer un maximum d’in<strong>format</strong>ions et arriver à te sortir<br />

de là d’une façon ou d’une <strong>au</strong>tre. Si on arrive à faire monter<br />

l’affaire en mayonnaise et la rendre publique, on peut<br />

démontrer que tu fais l’objet d’une méchante caba<strong>le</strong><br />

153


manigancée par ceux qui détiennent <strong>le</strong> pouvoir. En arrivant<br />

à créer un doute dans l’opinion publique, on créera un<br />

doute sur ta culpabilité. C’est la seu<strong>le</strong> façon de gagner.<br />

-Tu oublies une chose <strong>Jean</strong>-Pierre. Si tu crois en mon<br />

histoire, tu es <strong>au</strong>ssi obligé de croire que ce qui arrive est <strong>le</strong><br />

choix de Dieu. On ne peut pas al<strong>le</strong>r à l’encontre de ce qu’Il<br />

décide. Si c’est la manière qu’Il a choisi d’éprouver <strong>le</strong>s<br />

hommes, crois-tu qu’il va s’arrêter parce que <strong>le</strong> petit<br />

Jérémie Cohen a des soucis avec la justice ? Non. J’en ai la<br />

ferme conviction. Je suis manipulé des deux côtés. Mais<br />

une chose me rassure et dont je suis fier : En étant manipulé<br />

par Dieu, cela signifie qu’il a vu en moi quelqu’un de<br />

différent des <strong>au</strong>tres hommes et en qui il pouvait faire<br />

confiance. A combien d’hommes est-ce arrivé depuis <strong>le</strong><br />

début de l’histoire de l’humanité ? Je sais que je resterai<br />

dans l’ombre et que personne ne se souviendra de moi,<br />

mais peu importe, l’essentiel est que Dieu se souviendra de<br />

ce que j’ai fait pour Lui, car Il est <strong>le</strong> seul à ne jamais<br />

oublier puisque c’est Lui qui crée.<br />

-Crois-tu que Dieu acceptera que tu restes inactif face <strong>au</strong><br />

combat <strong>au</strong>quel Il t’a confronté ? Qu’est-ce qui te dit que ton<br />

rô<strong>le</strong> est terminé dans la tâche qu’Il t’a confiée ? Rien à ce<br />

jour ne peut te laisser croire <strong>le</strong> contraire. Face à ce doute, tu<br />

es obligé d’agir et de redresser la tête par respect pour Dieu<br />

et par respect pour toi. Si tu ne te respectes pas, cela<br />

signifie que tu n’as <strong>au</strong>cune considération pour ce que Dieu<br />

a créé. Il est donc impératif que tu m’aides à t’aider. Quels<br />

sont <strong>le</strong>s éléments que tu peux me communiquer ?<br />

-En fait, <strong>le</strong> seul véritab<strong>le</strong> élément de preuve est <strong>le</strong><br />

manuscrit. Ils ne l’ont pas trouvé ?<br />

-Il semb<strong>le</strong> que non. Ton appartement à été perquisitionné<br />

sous prétexte de rechercher l’arme du crime. Mais comme<br />

ils savent très bien que tu es innocent, ça veut dire qu’ils<br />

cherchent <strong>au</strong>tre chose. Le manuscrit en l’occurrence. Peter<br />

ne te l’a pas rendu ?<br />

154


-Non. Je lui ai dit de l’apporter dans un laboratoire de<br />

datation <strong>au</strong> carbone 14 et de n’en laisser que des<br />

échantillons. Il l’a donc obligatoirement conservé. Je ne<br />

sais pas ce qu’il a pu en faire ensuite, il a dû <strong>le</strong> mettre<br />

quelque part. Mais je ne sais pas où. Si la police ne l’a pas<br />

récupéré, il doit encore être à Lyon.<br />

Un gardien <strong>le</strong>ur signifia que <strong>le</strong> visite était terminée. <strong>Jean</strong>-<br />

Pierre se <strong>le</strong>va <strong>le</strong> premier et Jérémie fut reconduit dans sa<br />

cellu<strong>le</strong>.<br />

* * *<br />

Le téléphone du Président Mulliet se mit à sonner <strong>au</strong>ssi<br />

discrètement que la gravité des lieux l’exigeait. La nuit<br />

tombait sur Paris et <strong>le</strong> Président finissait de signer quelques<br />

courriers et documents officiels qui lui avaient été transmis<br />

en fin d’après-midi. Il termina rapidement de <strong>le</strong>s parapher<br />

et décrocha enfin.<br />

-Monsieur <strong>le</strong> Président, vous avez un appel du Vatican.<br />

-Passez-<strong>le</strong>-moi, merci.<br />

-La voix tremblante du Pape se fit entendre dans<br />

l’écouteur.<br />

-Bonsoir Jacques, Je me permets de venir <strong>au</strong>x nouvel<strong>le</strong>s,<br />

cela fait déjà quelques jours que nous ne nous sommes pas<br />

parlés. Où en sommes nous ?<br />

-Vous savez, l’affaire qui nous occupe suit maintenant<br />

son cours juridique, ce n’est plus qu’une histoire de<br />

procédure. Il est important que nous accusions un peu <strong>le</strong><br />

coup, nous ne voulons pas que tout cela s’ébruite. Du<br />

moment que <strong>le</strong> véritab<strong>le</strong> danger est éloigné, il f<strong>au</strong>t laisser<br />

passer un peu d’e<strong>au</strong> sous <strong>le</strong>s ponts.<br />

155


-Justement, je voulais vous dire que seul un aspect du<br />

problème me semblait être réglé, encore que je n’en sois<br />

pas si sûr. La manière utilisée me déplaît quelque peu. Je ne<br />

peux pas être complètement d’accord avec <strong>le</strong> fait d’attaquer<br />

injustement quelqu’un qui est certainement innocent des<br />

crimes dont on l’accuse. Je ne pense pas me tromper n’estce<br />

pas ?<br />

-Très saint Père, il y a des choses <strong>au</strong>xquel<strong>le</strong>s je ne préfère<br />

pas vous mê<strong>le</strong>r, ce serait indigne de vous.<br />

-Vous savez, depuis <strong>le</strong> début de cette affaire, il y a une<br />

chose que je ne vois plus dans mon miroir, c’est la dignité.<br />

J’ai de plus en plus de mal à assumer la décision que j’ai<br />

prise en appelant William Colton. Mais vous ne pouvez<br />

peut-être pas comprendre cela, du moins de la façon dont je<br />

l’entends, vous n’avez pas la même position que moi. Je<br />

veux dire que je sais qu’un jour viendra, et il n’est pas loin,<br />

où je devrai personnel<strong>le</strong>ment rendre des comptes sur ce que<br />

j’ai commis à l’encontre du Seigneur. J’aimerais pouvoir<br />

me rattraper, mais tout est allé tel<strong>le</strong>ment vite que je sais<br />

maintenant que ce que nous avons mis en route ne pourra<br />

plus jamais s’arrêter. Nous avons actionné une machine<br />

inferna<strong>le</strong> que nous ne s<strong>au</strong>rons jamais enrayer. Il y a<br />

toutefois une chose que je voudrais vous demander.<br />

-Laquel<strong>le</strong> ?<br />

-Je vous avais parlé d’un document, dont <strong>le</strong> Vatican se<br />

doute de l’existence et qui, à mon avis, doit avoir été<br />

découvert par ce Jérémie Cohen. Il nous serait très<br />

important qu’il rentre en notre possession. Nous s<strong>au</strong>rons <strong>le</strong><br />

garder comme nous avons su conserver d’<strong>au</strong>tres secrets. Il<br />

est préférab<strong>le</strong> qu’il ail<strong>le</strong> entre nos mains, il ne f<strong>au</strong>drait pas<br />

que n’importe qui puisse en prendre connaissance, vous me<br />

comprenez ?<br />

-Tout à fait, mais nous ne l’avons malheureusement pas<br />

trouvé et nous n’avons <strong>au</strong>cune idée d’où il se trouve.<br />

L’appartement de Cohen à été complètement fouillé, ainsi<br />

que <strong>le</strong>s bagages qu’il avait lorsqu’il a été appréhendé, il n’y<br />

156


avait rien dans ses affaires. Nous avons <strong>au</strong>ssi récupéré <strong>le</strong>s<br />

effets de Peter Fisher, mais sans résultat. Il me semb<strong>le</strong> que<br />

ce fameux manuscrit a une fois de plus disparu dans la<br />

nature.<br />

-Cela est très gênant. Il f<strong>au</strong>drait que vous puissiez tout<br />

tenter pour récupérer ce document, sinon, nous risquons<br />

probab<strong>le</strong>ment de vite nous retrouver avec une nouvel<strong>le</strong><br />

affaire sur la conscience, et pour ma part, je n’y tiens pas<br />

du tout.<br />

-Je comprends tout à fait reprit Mulliet. Je vais faire <strong>le</strong><br />

nécessaire pour accélérer <strong>le</strong>s choses de ce côté. Vous<br />

pouvez compter sur moi. Bientôt, vous pourrez dormir<br />

tranquil<strong>le</strong>.<br />

-Honnêtement, je ne <strong>le</strong> pense pas.<br />

* * *<br />

157


15 janvier 2000<br />

CHAPITRE XV<br />

<strong>Jean</strong>-Pierre Caron arriva à Lyon vers midi <strong>le</strong> <strong>le</strong>ndemain.<br />

Il prit lui <strong>au</strong>ssi une chambre <strong>au</strong> Hilton pour tenter de refaire<br />

<strong>le</strong> même trajet que Peter et Jérémie et éventuel<strong>le</strong>ment<br />

découvrir à quels endroits ils s’étaient rendus <strong>au</strong> cours de<br />

<strong>le</strong>ur séjour lyonnais. A la réception, il annonça qu’il était<br />

journaliste et qu’il enquêtait sur la disparition du jeune<br />

américain, à la demande d’un journal new-yorkais. Il<br />

n’apprit pas grand-chose. Le jeune Peter Fisher avait par<br />

deux fois demandé un taxi pour se rendre en vil<strong>le</strong>, agissant<br />

apparemment comme n’importe quel touriste de passage à<br />

Lyon. Il demanda s’il y avait un moyen de retrouver <strong>le</strong> taxi<br />

qui avait conduit Peter, en quoi <strong>le</strong> réceptionniste lui<br />

répondit positivement, l’hôtel faisant toujours appel à la<br />

même compagnie quand un de ses clients avait besoin de se<br />

déplacer. <strong>Jean</strong>-Pierre nota <strong>le</strong>s coordonnées en se disant<br />

qu’avec quelques bil<strong>le</strong>ts, il retrouverait certainement celui<br />

que Peter avait utilisé.<br />

158


* * *<br />

Jacques Mulliet était tracassé par la conversation qu’il<br />

avait eue la veil<strong>le</strong> avec <strong>le</strong> Pape. Il y avait quelque chose qui<br />

lui échappait. Depuis <strong>le</strong> début de l’affaire, <strong>le</strong> Pape semblait<br />

avoir tendance à faire machine arrière suite <strong>au</strong>x derniers<br />

développements. Il fit part de son impression à William<br />

Colton pendant la réunion téléphonique qu’ils avaient pris<br />

l’habitude de tenir <strong>au</strong> quotidien.<br />

-Je peux me tromper, mais il me semb<strong>le</strong> que notre cher<br />

Pape ne maîtrise plus tel<strong>le</strong>ment ses émotions depuis<br />

quelque temps. Sa conscience lui joue des tours et risque de<br />

nous en jouer <strong>au</strong>ssi. Il f<strong>au</strong>drait peut-être faire quelque chose<br />

pour essayer de <strong>le</strong> ressaisir. Vous n’avez pas ressenti cela<br />

en lui parlant ?<br />

-Si, répondit Colton. C’est même assez flagrant. J’ai<br />

d’ail<strong>le</strong>urs eu certains échos de la part de son entourage<br />

direct selon <strong>le</strong>quel ces derniers temps, il avait tendance à se<br />

replier sur lui-même. Ayant souvent des absences<br />

apparemment inexplicab<strong>le</strong>s. Certains de ses proches en ont<br />

parlé à ses médecins qu’il consulte régulièrement, mais<br />

ceux-ci ont affirmé qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter.<br />

Ils pensent que cela est à mettre sur <strong>le</strong> compte de la fatigue,<br />

d’<strong>au</strong>tant plus que ce début d’année Sainte est assez<br />

éprouvant pour un homme de son âge. Mais ne vous faites<br />

pas de soucis. Je dois al<strong>le</strong>r à Rome en voyage officiel d’ici<br />

quelques jours, je vais <strong>le</strong> raisonner. Pour <strong>le</strong> moment, je<br />

pense qu’il est préférab<strong>le</strong> de prendre quelques préc<strong>au</strong>tions<br />

supplémentaires. Primo, je suis d’accord avec <strong>le</strong> Pape sur <strong>le</strong><br />

fait qu’il f<strong>au</strong>t retrouver <strong>le</strong> manuscrit. Il a dû vous en<br />

par<strong>le</strong>r ?<br />

-En effet, il m’a demandé, <strong>au</strong> cas ou nous <strong>le</strong> trouvions, de<br />

<strong>le</strong> lui remettre.<br />

-Je ne pense pas que cela soit judicieux. Un tel document<br />

pourrait s’avérer uti<strong>le</strong>. Cela peut être un moyen de pression<br />

159


pour l’avenir, on ne sait jamais ce qu’il nous réserve. Il sera<br />

toutefois important de lui en transmettre une copie. De<br />

façon à ce que <strong>le</strong> Vatican sache… Dans un second temps, il<br />

me semb<strong>le</strong> à présent préférab<strong>le</strong> que toutes <strong>le</strong>s personnes qui<br />

se sont trouvées dans l’environnement direct ou indirect de<br />

cette affaire puissent être complètement écartées du dossier.<br />

Sans pour <strong>au</strong>tant envisager des solutions radica<strong>le</strong>s. Cela<br />

pourrait éveil<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s soupçons <strong>au</strong> cas où d’éventuels<br />

enquêteurs mettraient <strong>le</strong>ur nez dans l’affaire Cohen.<br />

Combien de personnes ont étés mêlées à l’enquête chez<br />

vous ?<br />

-Trois agents, mais qui n’étaient pas <strong>au</strong> courant du fond<br />

du problème, ensuite toutes <strong>le</strong>s personnes qui ont participé<br />

<strong>au</strong>x investigations de routine et qui n’ont <strong>au</strong>cune possibilité<br />

de connaître <strong>le</strong>s tenants et aboutissants de notre affaire.<br />

Concernant <strong>le</strong>s trois types de la DGSE, un seul a<br />

véritab<strong>le</strong>ment été sur <strong>le</strong> terrain, <strong>le</strong>s deux <strong>au</strong>tres ayant plutôt<br />

agi de façon sédentaire pour glaner ça et là des<br />

in<strong>format</strong>ions et faire des recoupements. Le mieux à faire est<br />

d’accuser <strong>le</strong> coup pour <strong>le</strong> moment. D’ici quelques mois,<br />

j’opérerai des modifications <strong>au</strong> sein de la DGSE et ils<br />

feront l’objet d’une promotion bien méritée pour services<br />

rendus à la nation, en prenant soin de <strong>le</strong>s éloigner et de <strong>le</strong>s<br />

mettre à des postes où ils <strong>au</strong>ront peu de chances d’être en<br />

contact.<br />

-Parfait. Ce sera très bien ainsi. Concernant Cohen, où en<br />

êtes vous ?<br />

-La procédure judiciaire suit son cours, répondit Mulliet.<br />

Il y en a encore pour quelques semaines avant que<br />

l’enquête soit définitivement close et qu’on arrive à un<br />

procès. Quand pensez-vous nous faire la demande<br />

d’extradition ?<br />

-Nos avocats sont là-dessus. Je pense que ça ne va plus<br />

tarder. Essayez quand même de faire <strong>le</strong> nécessaire pour que<br />

<strong>le</strong> procès ait lieu rapidement.<br />

160


* * *<br />

<strong>Jean</strong>-Pierre Caron se rendit directement <strong>au</strong> siège de la<br />

compagnie de taxis pour essayer de retrouver <strong>le</strong>s ch<strong>au</strong>ffeurs<br />

qui avaient conduit Peter. L’hôtesse d’accueil lui confirma<br />

que toutes <strong>le</strong>s courses étaient consignées dans un registre,<br />

mais qu’el<strong>le</strong> n’était pas habilitée à lui communiquer de tels<br />

renseignements. Seu<strong>le</strong> la police pouvait avoir accès à ce<br />

registre dans <strong>le</strong> cadre d’une enquête. Sa qualité de<br />

journaliste ne lui arrogeait pas ce droit.<br />

-Chère mademoisel<strong>le</strong>, j’ai oublié de vous préciser que<br />

mon journal m’a alloué un budget relativement important<br />

pour mener à bien mes investigations. Je comprends tout à<br />

fait que ce type de renseignement peut avoir une certaine<br />

va<strong>le</strong>ur et loin de moi l’idée de vous faire courir des risques<br />

inuti<strong>le</strong>s. D’<strong>au</strong>tre part, mes sources ont toujours droit à la<br />

plus grande confidentialité de ma part. Je peux vous<br />

garantir que personne ne s<strong>au</strong>ra même que je suis passé vous<br />

voir.<br />

-Quels jours m’avez-vous dit ?<br />

El<strong>le</strong> obtint toutes <strong>le</strong>s précisions de la part de <strong>Jean</strong>-Pierre et<br />

se <strong>le</strong>va pour consulter un gros cahier noir. El<strong>le</strong> finit par en<br />

photocopier deux pages puis <strong>le</strong>s remit discrètement <strong>au</strong><br />

journaliste. Celui-ci avait déjà posé sur <strong>le</strong> comptoir une<br />

publicité prise sur une petite tab<strong>le</strong> voisine. L’hôtesse<br />

s’empressa de la mettre dans son sac avec un sourire gêné.<br />

A peine sorti, <strong>Jean</strong>-Pierre Caron alla s’instal<strong>le</strong>r dans un<br />

café pour étudier tranquil<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s documents que lui avait<br />

donnés la jeune femme. Plusieurs taxis avaient chargé des<br />

personnes <strong>au</strong> Hilton pendant que Peter s’y trouvait. Il raya<br />

immédiatement toutes <strong>le</strong>s courses qui n’avaient pas été<br />

faites à partir de l’hôtel pour éclaircir <strong>le</strong>s documents.<br />

Ensuite, il supprima <strong>le</strong>s courses où deux personnes et plus<br />

avaient été chargées. De même, il annula tout ce qui était à<br />

destination de la gare ou de l’aéroport. Sachant que Peter<br />

n’envisageait pas de quitter Lyon puisque sa réservation<br />

161


avait été prise pour plusieurs jours. Il ne resta enfin que<br />

deux personnes dont une s’était fait conduire à l’hôpital<br />

Edouard Herriot, et l’<strong>au</strong>tre à la Basilique de Fourvière. Il ne<br />

vit <strong>au</strong>cune raison pour que Peter se soit rendu à l’hôpital. Il<br />

décida donc d’al<strong>le</strong>r faire un tour à Fourvière.<br />

Son taxi <strong>le</strong> déposa devant <strong>le</strong> parvis de la Basilique.<br />

Plusieurs cars de tourisme déposaient des dizaines de<br />

personnes âgées venant visiter <strong>le</strong> site. Il gravit <strong>le</strong>s marches<br />

menant sous <strong>le</strong> porche, jeta rapidement un œil sur la plaque<br />

en marbre posée <strong>au</strong> sol, en hommage à la visite que <strong>le</strong> Pape<br />

avait faite à Lyon. Il rentra enfin dans l’édifice et<br />

commença à <strong>le</strong> visiter comme n’importe quel touriste.<br />

Quelques personnes se recueillaient sur <strong>le</strong>s bancs en bois<br />

qui remplissaient la nef.<br />

Il s’arrêta devant l’<strong>au</strong>tel somptueusement décoré et<br />

observa en détail l’immense crucifix qui dominait <strong>le</strong> tout.<br />

Il se détourna rapidement en regardant <strong>le</strong> visage de Jésus,<br />

quelque chose <strong>le</strong> gênait dans <strong>le</strong> regard du Christ.<br />

* * *<br />

<strong>Jean</strong>-Pierre rentra à son hôtel en fin d’après midi. Il<br />

passa un coup de fil <strong>au</strong> journal en expliquant à son<br />

assistante que son séjour à Lyon durerait peut-être plus<br />

longtemps que prévu car il n’avait pas encore trouvé ce<br />

qu’il cherchait. Il appela ensuite Maître Berger pour savoir<br />

comment évoluait la situation de Jérémie. Celui-ci lui<br />

annonça que peu de choses avaient avancés dans <strong>le</strong> dossier.<br />

-Je ne vous cache pas que votre ami est vraiment en<br />

m<strong>au</strong>vaise posture. Aucun nouvel élément d’enquête n’est<br />

apparu en sa faveur. Au contraire, jusqu’à présent, la police<br />

n’avait pas d’idée concernant <strong>le</strong> mobi<strong>le</strong> des crimes. Ils sont<br />

cependant arrivés à certaines déductions qui peuvent<br />

162


concorder entre el<strong>le</strong>s : Concernant <strong>le</strong> meurtre de Wiessman,<br />

Jérémie l’<strong>au</strong>rait assassiné pour lui dérober un manuscrit<br />

d’une va<strong>le</strong>ur inestimab<strong>le</strong>. Ceci pourrait être en fait <strong>le</strong><br />

véritab<strong>le</strong> motif de son voyage à New-York. Ils expliquent<br />

<strong>le</strong> meurtre de Peter par <strong>le</strong> fait que celui-ci étant un élève<br />

assez proche de Wiessman, il <strong>au</strong>rait suivi Jérémie en France<br />

afin de récupérer <strong>le</strong> document. Il semb<strong>le</strong>rait que Jérémie<br />

l’ait tué <strong>au</strong> cours d’une altercation qui a eu lieu entre <strong>le</strong>s<br />

deux hommes lors d’un rendez-vous sur <strong>le</strong>s quais à Lyon.<br />

Je suis assez inquiet car <strong>le</strong> raisonnement se tient. Personne<br />

ne peut prouver que Jérémie et Peter aient eu de bonnes ou<br />

m<strong>au</strong>vaises relations. La police américaine a fait une<br />

enquête à l’université hébraïque à New York, et ils sont<br />

tombés sur une certaine Sarah Rosenthal qui <strong>le</strong>ur a<br />

confirmé que Jérémie était bien resté à l’université après<br />

qu’il ait rencontré <strong>le</strong>s policemen <strong>le</strong> matin de la découverte<br />

du corps. Il était à la bibliothèque et semblait chercher<br />

quelqu’un qui pourrait lui traduire un document. C’est el<strong>le</strong><br />

qui lui a donné <strong>le</strong>s coordonnées de Peter. Apparemment,<br />

c’était sa petite amie. C’est un peu léger pour arriver à des<br />

conclusions pl<strong>au</strong>sib<strong>le</strong>s, mais sans que nous puissions<br />

interroger cette fil<strong>le</strong>, nous ne pourrons jamais avoir une<br />

idée fiab<strong>le</strong> de l’interprétation de ce témoignage. Je pense<br />

que je vais prendre contact avec un confrère sur place pour<br />

qu’une contre-enquête puisse être menée. De toute façon, il<br />

est probab<strong>le</strong> qu’il fail<strong>le</strong> mettre un avocat américain sur<br />

l’affaire.<br />

-Pourquoi cela ? demanda <strong>Jean</strong>-Pierre.<br />

-Une demande d’extradition est en cours <strong>au</strong>x Etats-Unis.<br />

Sous prétexte que <strong>le</strong>s crimes concernant des citoyens<br />

américains, dont l’un a eu lieu sur <strong>le</strong>ur territoire, ils<br />

tiennent absolument à ce que Jérémie soit jugé chez eux.<br />

D’après certaines sources que j’ai <strong>au</strong> ministère de la justice,<br />

il semb<strong>le</strong>rait qu’il y ait de fortes pressions de la part du<br />

gouvernement de Washington sur l’Elysée pour que la<br />

demande soit acceptée.<br />

163


-Qu’est-ce que ça changerait ?<br />

-Aux Etats-Unis, ce genre de crime est passib<strong>le</strong> de la<br />

peine de mort.<br />

* * *<br />

<strong>Jean</strong>-Pierre Caron redescendit à la réception pour essayer<br />

de soutirer quelques in<strong>format</strong>ions sur ce qu’avait pu faire<br />

Peter. Il fut reçu cette fois-ci par un jeune réceptionniste<br />

légèrement efféminé. Il lui demanda s’il se souvenait de<br />

Peter Fisher qui était descendu à l’hôtel quelques jours plus<br />

tôt.<br />

-Je me rappel<strong>le</strong> bien de lui, déclara <strong>le</strong> jeune homme. J’ai<br />

eu une petite conversation avec lui à propos de New York.<br />

C’est moi qui lui ai établi sa fiche. Quand j’ai vu qu’il était<br />

new-yorkais, je lui ai raconté que je connaissais bien la<br />

vil<strong>le</strong>, car j’y ai travaillé pendant quelques mois. C’était<br />

quelqu’un de très sympathique. J’ai été évidemment surpris<br />

quand j’ai appris l’affreuse nouvel<strong>le</strong>. Je ne comprends pas<br />

ce qui a pu se passer. Il n’avait pas l’air de quelqu’un<br />

cherchant des noises. Je suppose que c’est un crime<br />

crapu<strong>le</strong>ux, on voit tel<strong>le</strong>ment de choses incroyab<strong>le</strong>s de nos<br />

jours.<br />

-Vous n’avez pas d’idée sur ce qu’il a pu faire à Lyon ?<br />

-Non, pas vraiment, il m’a seu<strong>le</strong>ment dit qu’il allait<br />

profiter d’être là quelques jours pour visiter la vil<strong>le</strong>. C’est<br />

moi qui lui ai conseillé d’al<strong>le</strong>r visiter St. <strong>Jean</strong> et bien sûr la<br />

basilique de Fourvière. Ce qu’il a fait d’ail<strong>le</strong>urs <strong>le</strong> jour<br />

même puisque je l’ait revu <strong>le</strong> <strong>le</strong>ndemain et il m’a dit que<br />

l’endroit lui avait vraiment plu.<br />

-Rien d’<strong>au</strong>tre de particulier ?<br />

164


-Non, il m’a juste demandé où il pouvait trouver un<br />

bure<strong>au</strong> de poste car il avait un paquet à expédier. Je lui ai<br />

répondu de ne pas se déranger, qu’à l’hôtel nous pouvions<br />

nous occuper de lui rendre ce service. Il m’a donc laissé <strong>le</strong><br />

colis et nous l’avons expédié <strong>le</strong> <strong>le</strong>ndemain matin. Je me<br />

suis moi-même assuré que son envoi avait été bien effectué.<br />

Je lui ai laissé un message pour lui dire que c’était bien<br />

parti, accompagné de l’accusé d’envoi en recommandé.<br />

-Il y avait l’adresse de l’hôtel pour <strong>le</strong> lieu d’expédition ?<br />

-En effet. Je lui avait dit qu’il pouvait la mettre, et que<br />

s’il partait entre-temps, il pourrait me laisser une adresse ou<br />

je pourrais lui faire suivre l’accusé de réception.<br />

Malheureusement, il n’a pas eu <strong>le</strong> temps de savoir si son<br />

courrier était bien arrivé.<br />

-Quand la police a-t-el<strong>le</strong> récupéré ses affaires<br />

personnel<strong>le</strong>s ?<br />

-Dés <strong>le</strong> <strong>le</strong>ndemain du drame. Ils sont venus <strong>le</strong> matin<br />

même.<br />

-Ils n’ont donc pas pris l’accusé de réception puisque<br />

celui-ci ne pouvait être retourné <strong>au</strong> mieux que <strong>le</strong><br />

sur<strong>le</strong>ndemain ?<br />

-Certainement. Je pense même qu’il doit encore être ici<br />

car à ma connaissance, personne n’est venu <strong>le</strong> réclamer.<br />

-Vous pourriez vérifier ?<br />

-Bien sûr, mais je ne peux pas vous <strong>le</strong> laisser, ce serait<br />

une f<strong>au</strong>te grave. Je ne sais pas d’ail<strong>le</strong>urs si je peux vous <strong>le</strong><br />

montrer. Vous étiez <strong>le</strong> destinataire ?<br />

-Je ne sais pas, mais Monsieur Fisher devait m’envoyer<br />

des documents importants que je n’ai pas reçus. Si <strong>le</strong><br />

paquet que vous avez expédié était bien pour moi, je<br />

pourrais faire des recherches <strong>au</strong>près de la poste. S’il m’était<br />

en effet destiné, je vous demanderais seu<strong>le</strong>ment de me<br />

communiquer <strong>le</strong> numéro d’envoi. Cela suffira.<br />

-Ne bougez pas je vais voir.<br />

Le réceptionniste revint quelques instants plus tard,<br />

brandissant fièrement un bout de papier à entête de la poste.<br />

165


-Le voilà.<br />

<strong>Jean</strong>-Pierre eut une montée d’adrénaline. Il avait<br />

certainement devant lui l’adresse où se trouvait <strong>le</strong><br />

manuscrit.<br />

-C’est bien à vous qu’il a envoyé <strong>le</strong> paquet Monsieur<br />

Caron. Il vous a été adressé rue de l’Etoi<strong>le</strong> à Paris.<br />

<strong>Jean</strong>-Pierre n’en revenait pas. Cela faisait des jours que<br />

Jérémie et lui se tordaient l’esprit dans tous <strong>le</strong>s sens pour<br />

essayer de savoir où était <strong>le</strong> manuscrit pour fina<strong>le</strong>ment<br />

apprendre qu’il était <strong>au</strong> journal. Il remercia vivement <strong>le</strong><br />

jeune homme et se rendit <strong>au</strong>ssitôt dans sa chambre. Il<br />

appela immédiatement son assistante.<br />

-Catherine, avez-vous reçu un colis pour moi ces derniers<br />

jours, en recommandé ?<br />

-Si je n’en avais reçu qu’un ! Mon bure<strong>au</strong> crou<strong>le</strong> sous<br />

tous <strong>le</strong>s paquets qui vous sont destinés ! il f<strong>au</strong>t dire que ces<br />

derniers temps, on ne vous a pas be<strong>au</strong>coup vu <strong>au</strong> bure<strong>au</strong>…<br />

<strong>Jean</strong>-Pierre avait envie de hur<strong>le</strong>r sa joie. Il allait enfin<br />

pouvoir mettre la main sur ce fameux manuscrit.<br />

Dans l’heure qui suivit, il avait quitté l’hôtel et il attendait<br />

maintenant son TGV qui devait <strong>le</strong> ramener sur Paris. Le<br />

voyage lui parut extrêmement long. Tout <strong>au</strong> long du trajet,<br />

il avait ressenti la même impatience que <strong>le</strong> jour de son<br />

premier rendez-vous avec une fil<strong>le</strong>. Il touchait du doigt la<br />

théorie d’Einstein sur la relativité.<br />

En arrivant à Paris, il ne prit pas <strong>le</strong> temps d’al<strong>le</strong>r poser ses<br />

bagages chez lui. Il se rendit directement <strong>au</strong> journal.<br />

Malgré l’heure tardive, quelques journalistes travaillaient<br />

encore à l’édition de la fin de semaine. Les bouclages sont<br />

toujours des courses contre la montre.<br />

Il courut à son bure<strong>au</strong> et récupéra en passant tous <strong>le</strong>s<br />

paquets qui se trouvaient dans <strong>le</strong> placard de son assistante.<br />

Il <strong>le</strong>s vérifia un à un et tomba enfin sur une grosse<br />

enveloppe marron sur laquel<strong>le</strong> était collée une étiquette<br />

d’envoi en recommandé avec <strong>le</strong> nom de Peter inscrit en<br />

majuscu<strong>le</strong>s d’imprimerie. Il l’ouvrit délicatement et vit<br />

166


qu’une <strong>au</strong>tre enveloppe se trouvait à l’intérieur, fermée par<br />

du ruban adhésif blanc qu’il décolla préc<strong>au</strong>tionneusement.<br />

Il en retira une espèce de vieux papyrus j<strong>au</strong>ni qu’il lui<br />

semblait assez cassant. Il feuil<strong>le</strong>ta <strong>le</strong>s pages une à une sans<br />

comprendre ce qui était inscrit dessus, tout en ayant une<br />

idée de son contenu. Il remit <strong>le</strong> tout dans l’enveloppe, la<br />

referma puis se rendit dans une petite pièce annexe à son<br />

bure<strong>au</strong> où se trouvait <strong>le</strong> coffre-fort. Il mit sa clé dans la<br />

serrure, composa un code et la porte s’ouvrit<br />

<strong>au</strong>tomatiquement. Il rangea l’enveloppe sous d’<strong>au</strong>tres<br />

paquets contenant des documents et des cassettes vidéo et<br />

referma la porte. Il quitta la pièce et s’installa<br />

confortab<strong>le</strong>ment dans son f<strong>au</strong>teuil. Il ouvrit la porte du petit<br />

réfrigérateur de bure<strong>au</strong> et prit une mignonnette de Cognac<br />

qu’il se versa dans un verre en cristal.<br />

Il réfléchit quelques instants en réch<strong>au</strong>ffant son Cognac et<br />

d’une main légèrement tremblante, il composa un numéro<br />

de téléphone. Il dut attendre une dizaine de sonneries avant<br />

que son interlocuteur décroche.<br />

-Allô ?<br />

-J’ai retrouvé <strong>le</strong> manuscrit.<br />

-Bravo, où était-il ?<br />

-Peter Fisher me l’avait envoyé l’après-midi du jour où il<br />

a été tué. Il était à mon bure<strong>au</strong> et je ne <strong>le</strong> savais pas.<br />

-Que de temps perdu ! Très bien. Je vous envoie<br />

quelqu’un pour <strong>le</strong> récupérer dès demain matin. Bonsoir.<br />

-Bonsoir Monsieur <strong>le</strong> Président.<br />

167


30 janvier 2000<br />

CHAPITRE XVI<br />

Deux semaines passèrent sans que l’enquête n’apporte<br />

<strong>au</strong>cun élément en faveur de Jérémie. Maître Berger passait<br />

<strong>le</strong> voir tous <strong>le</strong>s jours et faisait avec lui <strong>le</strong> bilan de ses<br />

démarches. Malheureusement, <strong>au</strong>cune n’avait pu porter ses<br />

fruits car tout conduisait à croire que Jérémie était<br />

véritab<strong>le</strong>ment coupab<strong>le</strong> des crimes dont on l’accusait.<br />

Berger était devenu franchement pessimiste quant à<br />

l’avenir de son client. Il ne <strong>le</strong> lui avait d’ail<strong>le</strong>urs pas caché.<br />

Espérant qu’un argument de dernière minute ou un<br />

témoignage viendrait s’ajouter <strong>au</strong> dossier permettant de<br />

créer un doute. L’avocat pensait intérieurement qu’il y<br />

avait une caba<strong>le</strong> <strong>au</strong> plus h<strong>au</strong>t nive<strong>au</strong> dont l’objectif était de<br />

définitivement faire taire Jérémie Cohen. Il avait de plus en<br />

plus <strong>le</strong> sentiment de se battre contre des moulins à vent et<br />

qu’il était qu’un élément mineur dans un mécanisme<br />

inéluctab<strong>le</strong>. Il désirait continuer <strong>le</strong> combat pour Jérémie,<br />

étant intimement convaincu de son innocence, mais comme<br />

un fait exprès, tout ce qu’il engageait en terme de<br />

168


procédure se soldait par une fin de non recevoir. C’est à<br />

partir du moment où il avait tenté des actions qui<br />

norma<strong>le</strong>ment <strong>au</strong>raient dû aboutir du fait de certaines<br />

jurisprudences mais qui avaient échoué, qu’il commença<br />

sérieusement à penser que <strong>le</strong> jeu était truqué. Le résultat<br />

serait sans doute la mise en application officiel<strong>le</strong> de<br />

quelque chose ayant été planifié longtemps à l’avance. Il<br />

est diffici<strong>le</strong> de gagner un combat où <strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s ne sont pas<br />

respectées, surtout quand <strong>le</strong> vainqueur est déterminé avant<br />

que la partie commence. La demande d’extradition était<br />

parvenue <strong>au</strong> gouvernement français par voie officiel<strong>le</strong>,<br />

émanant directement de la Maison Blanche, avec, selon <strong>le</strong>s<br />

déclarations du ministère de la justice, une insistance<br />

particulière de la part du Président des Etats-Unis. Aucune<br />

réponse n’avait pour <strong>le</strong> moment été donnée par <strong>le</strong>s<br />

<strong>au</strong>torités françaises. Le porte-paro<strong>le</strong> de l’Elysée avait<br />

seu<strong>le</strong>ment déclaré que la Présidence s’en tiendrait à la<br />

décision de la justice. Jacques Berger avait immédiatement<br />

réagi en affirmant que si la France <strong>au</strong>torisait l’extradition,<br />

el<strong>le</strong> envoyait obligatoirement un de ses citoyens à la chaise<br />

é<strong>le</strong>ctrique et que c’était un crime détourné pour une nation<br />

qui avait aboli la peine de mort. La presse avait<br />

immédiatement reprit l’argument et en avait fait ses gros<br />

titres pendant quelques jours. Mais une affaire, quel<strong>le</strong><br />

qu’el<strong>le</strong> soit, ne se vend pas longtemps <strong>au</strong>près du public, et<br />

de la première page, el<strong>le</strong> se retrouve vite dans une rubrique<br />

de seconde zone. C’est la loi du marché.<br />

Le manuscrit n’avait pas non plus été retrouvé. L’avocat<br />

contactait régulièrement <strong>Jean</strong>-Pierre Caron pour connaître<br />

<strong>le</strong>s évolutions de l’enquête qu’il devait mener de son côté,<br />

mais <strong>au</strong>cun développement concret n’était apparu. De plus,<br />

<strong>Jean</strong>-Pierre lui avait annoncé qu’il <strong>au</strong>rait du mal à<br />

consacrer plus de temps à cette affaire, étant constamment<br />

sollicité par ses activités professionnel<strong>le</strong>s, suite à une<br />

actualité chargée en ce début d’année. Maître Berger avait<br />

<strong>au</strong>ssi ressenti une certaine gêne chez Caron qu’il n’arrivait<br />

169


pas à expliquer. Le journaliste avait pourtant consacré<br />

toute son énergie à aider Jérémie <strong>au</strong> début de l’enquête,<br />

mais il semblait à présent prendre des distances par rapport<br />

à l’affaire. Berger pensait que lui <strong>au</strong>ssi avait peut-être fait<br />

l’objet de pressions. Caron n’était allé visiter Jérémie<br />

qu’une fois en quinze jours, et encore pour une rencontre<br />

qui n’avait pas duré plus de dix minutes. Il avait cependant<br />

confirmé à Jérémie qu’il ferait un s<strong>au</strong>t à Lyon pour<br />

récupérer <strong>le</strong>s résultats de la datation <strong>au</strong> carbone 14.<br />

2 février 2000<br />

* * *<br />

William Colton était en déplacement à Rome où avait lieu<br />

un sommet international des pays industrialisés pour<br />

trouver des solutions de protection de l’environnement à<br />

une échel<strong>le</strong> mondia<strong>le</strong>. Tous <strong>le</strong>s chefs d’états importants<br />

étaient présents et Jacques Mulliet faisait bien sûr partie du<br />

voyage. Une rumeur courut selon laquel<strong>le</strong> une réunion<br />

officieuse devait avoir lieu entre <strong>le</strong> Président français,<br />

William Colton et <strong>le</strong> Pape. Les deux présidents déclarèrent<br />

qu’il ne s’agissait que d’une simp<strong>le</strong> visite de courtoisie,<br />

n’ayant rien d’officiel, dont l’objectif était seu<strong>le</strong>ment<br />

d’al<strong>le</strong>r saluer <strong>le</strong> premier homme du Vatican.<br />

Le Pape <strong>le</strong>s reçut dans un salon particulier attenant à son<br />

bure<strong>au</strong>. Visib<strong>le</strong>ment fatigué, il avait du mal à se tenir droit,<br />

mais il refusa qu’un de ses assistants reste <strong>au</strong>près de lui<br />

pour <strong>le</strong> soutenir.<br />

Les trois hommes s’installèrent confortab<strong>le</strong>ment dans de<br />

grands f<strong>au</strong>teuils tapissés ornés de boiseries dorées.<br />

Le Pape engagea de suite la conversation.<br />

-Messieurs, comme vous avez pu <strong>le</strong> comprendre, j’ai<br />

quelques regrets d’avoir agi comme je l’ai fait. Je suis<br />

170


vieux et j’ai toujours essayé de faire ce que je pensais être<br />

<strong>le</strong> mieux pour <strong>le</strong>s hommes. Selon <strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s de notre Sainte<br />

Mère l’Eglise, même si cel<strong>le</strong>-ci n’a pas toujours respecté <strong>le</strong><br />

rô<strong>le</strong> qu’el<strong>le</strong> <strong>au</strong>rait du tenir <strong>au</strong> fil de l’Histoire. Je pense<br />

qu’<strong>au</strong> travers de mon pontificat, je suis arrivé à donner une<br />

<strong>au</strong>tre image de l’Eglise que tous n’ont certes pas comprise,<br />

mais qui a eu <strong>le</strong> mérite de faire avancer certaines choses<br />

dans notre diffici<strong>le</strong> monde d’<strong>au</strong>jourd’hui.<br />

J’ai toujours agi de façon à ce que <strong>le</strong>s va<strong>le</strong>urs que nous<br />

représentons soient reconnues et respectées par tous. Mais<br />

je n’arrive fina<strong>le</strong>ment pas à accepter ce que je crois être <strong>le</strong><br />

dernier de mes actes importants, et qui est pour moi <strong>le</strong> plus<br />

marquant de ma vie d’homme et d’homme d’église. Le<br />

retour du Christ parmi nous est je crois <strong>le</strong> seul moyen pour<br />

éviter à l’humanité de continuer de glisser sur la m<strong>au</strong>vaise<br />

pente qu’el<strong>le</strong> a pris depuis <strong>le</strong> début de ce sièc<strong>le</strong>. Je suis à<br />

présent persuadé que Dieu a décidé de donner une nouvel<strong>le</strong><br />

chance <strong>au</strong>x hommes. Je ne peux donc pas imaginer que<br />

moi, Son principal représentant, je puisse al<strong>le</strong>r à l’encontre<br />

de ce qu’Il a choisi et que pour des raisons bassement<br />

politiques et économiques, je prenne la responsabilité de ne<br />

pas dévoi<strong>le</strong>r <strong>au</strong>x hommes qu’ils ont une chance à saisir<br />

pour retourner <strong>au</strong>x véritab<strong>le</strong>s va<strong>le</strong>urs de la vie et <strong>le</strong>ur<br />

permettre d’accéder à quelque chose de meil<strong>le</strong>ur. Personne<br />

n’a <strong>le</strong> droit de s’octroyer une décision qui concerne l’avenir<br />

de l’humanité. Surtout pas moi, qui ai vécu pour justement<br />

prévenir <strong>le</strong>s hommes de regarder <strong>le</strong>ur avenir avec un œil sur<br />

<strong>le</strong> passé. Nous ne pouvons pas refaire des erreurs qui ont<br />

été commises. Notre pouvoir doit nous permettre d’agir<br />

dans <strong>le</strong> seul objectif de faciliter <strong>le</strong> quotidien du monde qui<br />

nous entoure. Cela n’est malheureusement pas <strong>le</strong> cas. Nous<br />

ne voyons justement que notre pouvoir. Peu importe<br />

l’avenir des hommes une fois que nous <strong>au</strong>rons disparu,<br />

puisqu’en agissant comme cela, eux <strong>au</strong>ssi sont voués à<br />

disparaître. Je crains cependant que ce jour soit plus proche<br />

que nous ne pouvons l’imaginer. Si Dieu a renvoyé Son<br />

171


Fils sur terre, nous n’avons qu‘une chose à faire messieurs :<br />

Le trouver, dire <strong>au</strong> monde qui Il est et nous mettre à sa<br />

disposition. C’est la seu<strong>le</strong> solution qui s’offre à nous pour<br />

que cette histoire se termine bien et que l’Histoire ne finisse<br />

pas. je sais ce que je dis. J’ai pu analyser <strong>le</strong> situation, j’ai lu<br />

la copie de ce que j’appel<strong>le</strong> dès à présent Le Dernier<br />

Testament, car il n’y en <strong>au</strong>ra pas d’<strong>au</strong>tre. Je sais qu’il est<br />

vrai et que nous devons <strong>le</strong> craindre car il émane<br />

directement de Dieu. Certains textes qui sont en notre<br />

possession nous parlaient de l’existence de ce document. Ils<br />

nous disaient <strong>au</strong>ssi qu’il n’apparaîtrait <strong>au</strong> grand jour que<br />

lorsque Dieu <strong>le</strong> déciderait. Ecoutez-moi bien messieurs,<br />

c’est <strong>le</strong> dernier avertissement que <strong>le</strong> Seigneur nous donne<br />

avant de nous juger. Ne passons pas à côté de la chance<br />

qu’il nous offre. Je vous en conjure, il f<strong>au</strong>t que vous fassiez<br />

tout pour trouver <strong>le</strong> Christ.<br />

Mulliet et Colton se regardèrent si<strong>le</strong>ncieusement ne<br />

sachant comment réagir ni de quel côté pencher. Le Pape<br />

était tel<strong>le</strong>ment persuasif que pendant quelques secondes ils<br />

crurent qu’il allaient se plier à ses déclarations.<br />

-Que comptez-vous faire ? demanda Jacques Mulliet.<br />

-Je vais faire ce que j’estime être <strong>le</strong> mieux pour <strong>le</strong>s<br />

hommes. Je vais annoncer la nouvel<strong>le</strong> en disant que nous <strong>le</strong><br />

savions mais que nous n’avions qu’une vague idée de<br />

l’époque à laquel<strong>le</strong> cela devait arriver. Leur première<br />

réaction sera la peur. Cela est nécessaire car ils doivent<br />

craindre la colère de Dieu et cette fois-ci je peux vous dire<br />

que la crainte est réel<strong>le</strong>ment justifiée.<br />

-C’est une décision un peu hâtive enchaîna Colton. Je<br />

pense que vous devriez bien la mûrir avant d’en par<strong>le</strong>r. Ne<br />

serait-ce qu’à votre entourage. Je ne suis d’ail<strong>le</strong>urs pas sûr<br />

que vous obteniez l’assentiment général de la part des<br />

différentes <strong>au</strong>torités de l’Eglise.<br />

-Eh bien il f<strong>au</strong>dra qu’ils s’y fassent ! Ils ont vécu depuis<br />

des années en croyant que cette situation arriverait un jour,<br />

ils ne doivent pas la renier <strong>au</strong>jourd’hui parce qu’el<strong>le</strong> se<br />

172


produit à une période qui ne <strong>le</strong>ur convient pas. C’est <strong>le</strong><br />

moment que Dieu a choisi pour éprouver la Foi des<br />

hommes, mais <strong>au</strong>ssi cel<strong>le</strong> de Ses représentants. Je vous<br />

retourne votre question messieurs, et vous, qu’al<strong>le</strong>z-vous<br />

faire ?<br />

-Très Saint Père, reprit Jacques Mulliet, Vous êtes arrivé<br />

à créer un doute dans notre esprit. Nous allons donc<br />

réfléchir. Attendez quelques jours avant de prendre position<br />

publiquement, nous devons étudier la chose d’une façon<br />

plus posée avant d’agir.<br />

* * *<br />

William Colton avait un dernier rendez-vous avant son<br />

départ de Rome. Un appel interne <strong>le</strong> prévint que celui-ci<br />

venait d’arriver et il reçut son visiteur immédiatement.<br />

-Bonjour Monseigneur, que diriez-vous si nous allions<br />

faire une promenade dans <strong>le</strong>s jardins de l’ambassade ?<br />

Le Cardinal Dickson comprit que l’entretien allait être<br />

plus que confidentiel.<br />

-Ce serait avec grand plaisir, répondit <strong>le</strong> Cardinal<br />

Dickson, il fait be<strong>au</strong> <strong>au</strong>jourd’hui, profitons de la clémence<br />

des éléments.<br />

Ils quittèrent <strong>le</strong> bure<strong>au</strong> en passant par la porte-fenêtre<br />

donnant directement sur <strong>le</strong> parc. Colton attendit d’être<br />

arrivé <strong>au</strong> nive<strong>au</strong> d’un petit salon de jardin protégé par une<br />

tonnel<strong>le</strong> de rosiers grimpants. Il finit enfin par prendre la<br />

paro<strong>le</strong>, son interlocuteur semblant s’impatienter.<br />

-Monseigneur, demanda Colton, Je viens d’avoir un<br />

entretien avec Sa Sainteté. Il a l’air très fatigué n’est-ce<br />

pas ?<br />

-En effet, et je dois vous avouer que <strong>le</strong> Vatican se fait de<br />

plus en plus de soucis sur sa personne. Notre Saint-Père est<br />

vieux mais il met tant d’ardeur à sa charge que cela en est<br />

suicidaire <strong>au</strong> vu de son état de santé.<br />

173


-Je suppose qu’il doit déjà y avoir des rumeurs <strong>au</strong> sein<br />

des h<strong>au</strong>tes instances de l’église concernant sa succession ?<br />

-Nous sommes des hommes de Dieu mais nous sommes<br />

avant tout des hommes, il est vrai que des bruits de couloir<br />

ont fait <strong>le</strong>ur apparition ces derniers temps.<br />

-Avez-vous eu l’occasion de vous entretenir avec lui ces<br />

derniers temps ? je veux dire de façon tout à fait<br />

confidentiel<strong>le</strong>…<br />

-Je vois où vous vou<strong>le</strong>z en venir. Le Pape m’a un peu<br />

mis dans la confidence vu ma position. J’ai souvent eu<br />

l’occasion de travail<strong>le</strong>r avec lui sur <strong>le</strong> devenir de l’Eglise<br />

ainsi que sur <strong>le</strong>s grandes orientations théologiques que nous<br />

devons prendre. Nous pensons qu’il est nécessaire de<br />

renforcer certaines positions que nous avons perdues depuis<br />

quelques centaines d’années. Mais nous devons al<strong>le</strong>r<br />

doucement pour ne pas brusquer nos forces vives. Le fait<br />

que depuis ces dernières années, excusez-moi d’utiliser des<br />

termes <strong>au</strong>ssi bassement économiques, nous ayons perdu<br />

certaines « parts de marché » vis à vis de nos fidè<strong>le</strong>s, nous<br />

oblige à revoir la direction à prendre. C’est est <strong>le</strong> fruit d’un<br />

certain laxisme qui s’est installé ces derniers temps. En<br />

choisissant une voie plus ouverte dans notre politique, nous<br />

avons coupé la branche sur laquel<strong>le</strong> nous étions assis. Cela<br />

a permis à d’<strong>au</strong>tres de s’instal<strong>le</strong>r plus confortab<strong>le</strong>ment et<br />

surtout plus vio<strong>le</strong>mment sur <strong>le</strong> devant de la scène. Nous<br />

avons une sacrée concurrence avec <strong>le</strong>s intégristes de tous<br />

bords apparus <strong>au</strong> cours des deux décennies qui viennent de<br />

passer. Nous sommes quelques-uns à penser qu’il f<strong>au</strong>t<br />

réagir vite.<br />

-Et par rapport <strong>au</strong> sujet qui nous intéresse ?<br />

-Il est clair que cela peut poser certains problèmes. A<br />

commencer par la remise en question de notre pouvoir, du<br />

vôtre <strong>au</strong>ssi d’ail<strong>le</strong>urs. Vous savez, il y a deux catégories<br />

d’hommes sur la terre, <strong>le</strong>s bergers et <strong>le</strong>s moutons. Nous ne<br />

pouvons pas prendre <strong>le</strong> risque de perdre notre rô<strong>le</strong> de<br />

bergers.<br />

174


-Vous êtes donc d’accord avec moi sur <strong>le</strong> fait qu’il est<br />

nécessaire de prendre des décisions urgentes et surtout<br />

d’agir en conséquence dans l’hypothèse d’un retournement<br />

de situation provenant de votre <strong>au</strong>torité supérieure.<br />

-C’est en effet une question qui m’est venue à l’esprit<br />

depuis mon dernier entretien avec lui, répondit Dickson.<br />

Mais la décision est diffici<strong>le</strong> à prendre, et je ne sais pas si<br />

el<strong>le</strong> est de mon ressort.<br />

-Je ne veux pas vous ennuyer avec ce genre de choses,<br />

reprit Colton, je comprends tout à fait la difficulté de votre<br />

position, c’est pourquoi je pense que nous <strong>au</strong>rions la<br />

possibilité de vous apporter une aide conséquente à ce<br />

sujet. Le tout est que nous puissions suffisamment avoir<br />

confiance dans celui qui pourrait assurer la succession afin<br />

que tout ceci reste sous <strong>le</strong> sce<strong>au</strong> du secret. Si une tel<strong>le</strong><br />

vérité venait à apparaître <strong>au</strong> grand jour, <strong>le</strong> résultat serait<br />

<strong>au</strong>ssi préjudiciab<strong>le</strong> que ce que nous voulons éviter. Il est<br />

certain que nous avons <strong>le</strong> pouvoir de… disons d’orienter la<br />

prise de décision de vos confrères concernant une<br />

éventuel<strong>le</strong> succession pouvant avoir lieu dans un avenir<br />

relativement proche. Il est même possib<strong>le</strong> que cela puisse<br />

jouer en votre faveur, on ne sait jamais ce qui peut arriver.<br />

* * *<br />

<strong>Jean</strong>-Pierre Caron retourna comme convenu à Lyon pour<br />

al<strong>le</strong>r y chercher <strong>le</strong>s résultats de la datation <strong>au</strong> carbone 14. Il<br />

avait promis à Jérémie de <strong>le</strong>s lui transmettre via Maître<br />

Berger. Pour ne pas éveil<strong>le</strong>r de soupçons, il donnerait <strong>le</strong>s<br />

origin<strong>au</strong>x à l’avocat et en remettrait une copie à Jacques<br />

Mulliet. Il n’y avait <strong>au</strong>cun risque de divulgation puisque la<br />

datation ne concernait que des échantillons du manuscrit ne<br />

comportant pas de texte. Il avait téléphoné la veil<strong>le</strong> <strong>au</strong><br />

professeur Nivel<strong>le</strong> pour demander si <strong>le</strong>s trav<strong>au</strong>x étaient<br />

terminés. Celui-ci lui avait répondu par l’affirmative et<br />

après que <strong>Jean</strong>-Pierre lui eut expliqué que <strong>le</strong> jeune homme<br />

175


qui lui avait amené <strong>le</strong> document était décédé, ils avaient<br />

convenu d’un rendez-vous pour <strong>le</strong> <strong>le</strong>ndemain.<br />

En arrivant <strong>au</strong> laboratoire, <strong>Jean</strong>-Pierre fut immédiatement<br />

reçu par <strong>le</strong> professeur. Ils s’installèrent dans son bure<strong>au</strong> et<br />

<strong>le</strong> scientifique sortit un épais dossier d’un boîtier en<br />

plastique. Il consulta une feuil<strong>le</strong> de notes qui se trouvait sur<br />

la petite pi<strong>le</strong> de papiers.<br />

-Je ne vous cache pas que ces échantillons nous ont<br />

donné du fil à retordre monsieur Caron.<br />

-Comment cela ? Vous avez eu du mal à définir la<br />

période de création de ce document ?<br />

-A vrai dire, non. C’est plutôt que je me rappelais bien<br />

que votre papyrus servait de support à un texte. Nous avons<br />

donc dû faire plusieurs contrô<strong>le</strong>s pour vérifier que nous<br />

n’avions pas commis d’erreurs.<br />

-Je ne comprends pas, je ne pense pas que ce soit la<br />

première fois que vous datez un tel document, n’est-ce<br />

pas ?<br />

-En effet, je dirais même que cela fait partie de notre<br />

quotidien.<br />

-Où est <strong>le</strong> problème alors ?<br />

-Eh bien voilà : comme je viens de vous <strong>le</strong> dire, nous<br />

avons l’habitude de traiter ce genre de support, nous avons<br />

donc pu, <strong>au</strong> travers de cela, apprendre un peu plus de<br />

choses sur l’histoire de l’écriture. C’est dans ce sens que<br />

nous avons dû contrô<strong>le</strong>r maintes fois notre travail car<br />

voyez-vous, il se trouve qu’il y a une énorme incohérence<br />

entre <strong>le</strong> papyrus lui-même et <strong>le</strong> texte qui a pu être inscrit<br />

dessus.<br />

-Comment cela ?<br />

-Le texte n’a pas pu être écrit à la même époque que ce<br />

papyrus a été fabriqué.<br />

-Pourquoi ?<br />

-Parce que d’après l’âge de votre document, l’écriture, et<br />

je dirais même <strong>le</strong>s langues, n’existait pas <strong>au</strong> moment où ce<br />

papier à été réalisé. Les chinois n’avaient même pas encore<br />

176


inventé la technique permettant de faire du papier à base de<br />

végét<strong>au</strong>x. Vous comprenez ce que je veux dire ? Votre<br />

papyrus date d’une époque où norma<strong>le</strong>ment, il n’était pas<br />

encore inventé. Je ne vous par<strong>le</strong> donc pas de l’écriture qu’il<br />

y a dessus.<br />

-Vous vou<strong>le</strong>z dire que c’est un f<strong>au</strong>x ?<br />

-Je n’ai pas dit cela. Votre document est ce qu’il y a de<br />

plus vrai. Cela peut signifier une chose, c’est qu’il y a une<br />

inconnue <strong>au</strong> nive<strong>au</strong> de l’histoire de l’humanité à ce sujet.<br />

Les faits sont là et nous ne nous basons que sur <strong>le</strong>s faits.<br />

Notre métier nous interdit <strong>le</strong>s extrapolations hasardeuses.<br />

Votre papyrus ne peut être que vrai mais il f<strong>au</strong>t admettre<br />

que <strong>le</strong>s archéologues et <strong>au</strong>tres scientifiques du genre sont<br />

passés à côté de quelque chose dans <strong>le</strong>urs découvertes. Le<br />

plus étonnant, c’est que quelqu’un ait pu l’avoir en main<br />

<strong>au</strong>ssi longtemps après qu’il ait été fabriqué. Je ne par<strong>le</strong> pas<br />

de quelques centaines d’années, mais de milliers d’années.<br />

Votre papier date d’environ dix mil<strong>le</strong> ans avant notre ère.<br />

Je crois que vous devriez à présent faire appel à des<br />

scientifiques spécialisés dans ce domaine. Vous tenez entre<br />

vos mains une découverte capita<strong>le</strong> dans l’histoire de<br />

l’humanité.<br />

Il ne croyait pas si bien dire.<br />

-D’où provient ce manuscrit monsieur Caron ?<br />

-Nous l’avons découvert dans une bibliothèque, <strong>au</strong> milieu<br />

d’<strong>au</strong>tres livres.<br />

-C’est assez étonnant, car cela signifie que son existence<br />

était déjà connue, mais par des gens qui ne s’en sont pas<br />

vraiment inquiétés. Cela dit, il se trouve dans des vieux<br />

greniers tel<strong>le</strong>ment de choses ayant une va<strong>le</strong>ur historique<br />

inestimab<strong>le</strong>…Mais si vous cherchez à en savoir plus sur ce<br />

document, je pense que vous n’êtes pas encore <strong>au</strong> bout de<br />

vos peines ? Que comptez-vous en faire ?<br />

-Il est clair que je vais pousser plus loin <strong>le</strong>s investigations.<br />

Je vais commencer par mettre <strong>le</strong> manuscrit en sécurité, et<br />

177


avertir <strong>le</strong>s <strong>au</strong>torités scientifiques de cette découverte. Cela<br />

permettra d’élargir <strong>le</strong>s possibilités de recherches.<br />

-C’est une excel<strong>le</strong>nte idée monsieur Caron. Puis-je vous<br />

demander de me tenir informé lorsque vous <strong>au</strong>rez de<br />

nouve<strong>au</strong>x résultats, je suis sûr qu’à l’université, plus d’un<br />

professeur aimerait en savoir davantage sur un tel<br />

document.<br />

-Je <strong>le</strong> crois <strong>au</strong>ssi, je vais cependant vous demander<br />

d’avoir pour l’instant la plus grande discrétion à ce sujet. Je<br />

ne préfère pas ébruiter cela avant d’avoir plus<br />

d’in<strong>format</strong>ions. Je vous remercie professeur.<br />

L’entretien étant terminé, <strong>Jean</strong>-Pierre récupéra <strong>le</strong> dossier,<br />

régla <strong>le</strong> montant des trav<strong>au</strong>x et <strong>le</strong>s deux hommes se<br />

séparèrent sur quelques banalités.<br />

<strong>Jean</strong>-Pierre Caron se rendit de suite à la gare pour s<strong>au</strong>ter<br />

dans <strong>le</strong> premier TGV à destination de Paris.<br />

Arrivé dans la capita<strong>le</strong>, il passa à son bure<strong>au</strong>, fit une<br />

photocopie du dossier qu’il mit dans une grande enveloppe<br />

kraft, déposa l’original dans <strong>le</strong> coffre et repartit du journal<br />

en direction du f<strong>au</strong>bourg St.Honoré. Il gara sa voiture, et<br />

une fois devant <strong>le</strong> palais présidentiel, il prit à droite la petite<br />

rue de L’Elysée. Il se présenta devant un garde républicain<br />

à qui il remit ses papiers en disant qu’il était attendu. Le<br />

garde demanda confirmation et un huissier se présenta<br />

quelques minutes plus tard pour l’accompagner dans <strong>le</strong>s<br />

illustres loc<strong>au</strong>x. Après avoir passé plusieurs points de<br />

contrô<strong>le</strong>, il se retrouva dans un petit boudoir richement<br />

décoré de meub<strong>le</strong>s <strong>Louis</strong> XIII. Un nouvel huissier arriva et<br />

lui demanda de patienter. <strong>Jean</strong>-Pierre regrettait de ne pas<br />

avoir pu passer par la grande porte du palais. Il avait<br />

toujours rêvé d’entrer dans l’antre de la République<br />

Française. Cela faisait partie des agréments que pouvaient<br />

apporter <strong>le</strong> pouvoir. Sa trahison n’était pas du fait de<br />

l’argent. Seul <strong>le</strong> pouvoir l’intéressait. Il avait choisi son<br />

métier de journaliste quand il avait pris conscience du<br />

pouvoir qu’il détiendrait grâce à l’in<strong>format</strong>ion. Il pouvait<br />

178


faire et défaire ce qu’il voulait <strong>au</strong> travers de son journal.<br />

Personne ne peut résister à la puissance des mots quand ils<br />

sont une arme. Sa présence en ces lieux était pour lui <strong>le</strong><br />

symbo<strong>le</strong> d’une orgueil<strong>le</strong>use victoire. Il rentrait dans la plus<br />

h<strong>au</strong>te sphère du pouvoir et il espérait bien en tirer non pas<br />

la fortune, mais <strong>le</strong> respect par la crainte.<br />

-Monsieur, <strong>le</strong> Président va vous recevoir. Si vous vou<strong>le</strong>z<br />

bien me suivre.<br />

<strong>Jean</strong>-Pierre ne se fit pas attendre. Il emboîta <strong>le</strong> pas de<br />

l’huissier qui <strong>le</strong> conduisit dans un petit salon attenant <strong>au</strong><br />

bure<strong>au</strong> présidentiel. La porte s’ouvrit quelques secondes<br />

plus tard sur <strong>le</strong> Président de la République. Il s’approcha de<br />

<strong>Jean</strong>-Pierre, <strong>le</strong>s deux hommes se saluèrent et Jacques<br />

Mulliet l’invita à s’asseoir.<br />

-Vous avez <strong>le</strong>s documents ? demanda t-il.<br />

<strong>Jean</strong>-Pierre lui présenta l’enveloppe contenant <strong>le</strong>s<br />

photocopies des résultats et lui fit un rapide résumé de ce<br />

que lui avait déclaré <strong>le</strong> professeur Nivel<strong>le</strong>.<br />

Le Président écoutait sans dire un mot. Quand <strong>Jean</strong>-Pierre<br />

eut fini, il se cala dans son f<strong>au</strong>teuil et lui dit :<br />

-Monsieur Caron, je compte bien entendu sur votre tota<strong>le</strong><br />

discrétion. Nous sommes très peu à connaître <strong>le</strong> fond de<br />

cette histoire. S’il y avait une quelconque fuite, vous en<br />

seriez <strong>le</strong> seul responsab<strong>le</strong>. En dehors de Cohen et vous, qui<br />

d’<strong>au</strong>tre est <strong>au</strong> courant de cette affaire ?<br />

-Son avocat, Maître Jacques Berger, mais il ne peut pas<br />

utiliser cela comme argument de défense. Je pense donc<br />

qu’il n’en fera pas état <strong>au</strong> cours d’un procès.<br />

-Je vous demande de vous en assurer avant que je sois<br />

obligé d’agir par des moyens plus décisifs.<br />

-Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir monsieur <strong>le</strong><br />

Président.<br />

-Non, vous ferez ce qu’il f<strong>au</strong>t monsieur Caron.<br />

Le Président se <strong>le</strong>va, signifiant à <strong>Jean</strong>-Pierre que<br />

l’entretien était terminé. Avant de quitter <strong>le</strong> salon, il se<br />

retourna vers lui.<br />

179


-Monsieur Caron, nous n’avons jamais eu cet entretien. Si<br />

tout se passe bien, vous pourrez d’ici quelque temps obtenir<br />

certaines in<strong>format</strong>ions qui feront vos be<strong>au</strong>x jours ainsi que<br />

ceux de votre journal.<br />

<strong>Jean</strong>-Pierre fut raccompagné par l’huissier. Un goût amer<br />

dans la bouche. Il se rendit compte qu’il n’était qu’un pion<br />

dans une partie dont il n’avait pas vraiment pris conscience<br />

des enjeux. Le seul pouvoir des pions est entre <strong>le</strong>s mains de<br />

ceux qui <strong>le</strong>s déplacent.<br />

Il rentra chez lui. Demain il lui f<strong>au</strong>drait rendre visite à<br />

Jérémie.<br />

3 février 2000<br />

* * *<br />

<strong>Jean</strong>-Pierre rencontra Maître Berger en arrivant à la<br />

prison. Il lui remit <strong>le</strong> dossier du laboratoire et échangèrent<br />

quelques mots sur la datation du manuscrit. L’avocat<br />

annonça à <strong>Jean</strong>-Pierre que la demande d’extradition avait<br />

de fortes chances d’être acceptée par <strong>le</strong> gouvernement. Il<br />

lui semblait que <strong>le</strong>s <strong>au</strong>torités françaises étaient gênées par<br />

l’instruction de ce dossier et qu’un procès ayant lieu <strong>au</strong>x<br />

USA pourrait arranger tout <strong>le</strong> monde, s<strong>au</strong>f <strong>le</strong> principal<br />

intéressé.<br />

<strong>Jean</strong>-Pierre fut ensuite accompagné dans <strong>le</strong> parloir.<br />

Jérémie arriva quelques instants plus tard. Son visage était<br />

blême, il avait <strong>le</strong>s traits tirés de quelqu’un usé par <strong>le</strong><br />

harassement moral. En quelques semaines de détention, <strong>le</strong><br />

fringant journaliste était devenu un homme abattu par son<br />

destin.<br />

-Alors, quel<strong>le</strong>s sont <strong>le</strong>s nouvel<strong>le</strong>s ? Demanda Jérémie.<br />

-J’ai récupéré <strong>le</strong>s résultats de la datation <strong>au</strong> carbone 14.<br />

Il lui expliqua dans <strong>le</strong> moindre détail ce que cela avait<br />

donné. Il lui fit part des remarques faites par Nivel<strong>le</strong><br />

180


concernant l’incohérence de date entre la fabrication du<br />

papyrus et cel<strong>le</strong> de la rédaction du texte.<br />

-Quand on sait de qui émane ce document, la chose peutêtre<br />

tout à fait compréhensib<strong>le</strong>. Mais cela signifie <strong>au</strong>ssi<br />

qu’<strong>au</strong>cune personne sensée n’acceptera de donner du crédit<br />

à une tel<strong>le</strong> preuve. J’espérais qu’un fait nouve<strong>au</strong><br />

s’ajouterait de ce côté de l’affaire, mais je me rends compte<br />

que tout est bien calculé et que je dois à présent continuer<br />

dans <strong>le</strong> sens de la mission que Dieu m’a donnée. Les voies<br />

du Seigneur ne sont impénétrab<strong>le</strong>s que pour celui qui ne <strong>le</strong>s<br />

comprend pas. Je sais maintenant ce qu’Il attendait de moi.<br />

Je suis fatigué, mais plus <strong>le</strong>s jours avancent, moins j’ai<br />

peur. Une seu<strong>le</strong> chose m’inquiète. J’espère que je n’ai pas<br />

commis d’erreurs obligeant Dieu à modifier ses plans. Je<br />

n’ai plus qu’à attendre <strong>le</strong> jugement des hommes. Ce n’est<br />

qu’une question de temps maintenant. J’ai compris que<br />

mon rô<strong>le</strong> était terminé. Dieu a distribué <strong>le</strong>s cartes et c’est<br />

maintenant <strong>au</strong>x hommes de par<strong>le</strong>r. Mais je sais d’avance<br />

qu’ils vont perdre la partie en croyant l’avoir gagnée. C’est<br />

souvent ce qui arrive. Tu vois ce que je te disais, <strong>le</strong>s choses<br />

n’ont pas besoin d’être compliquées. Cette affaire est<br />

simp<strong>le</strong>. Ce n’est qu’une question de choix. Mais j’aimerais<br />

que Dieu fasse une chose, j’aimerais qu’Il fasse sortir Son<br />

Fils de l’ombre pour que <strong>le</strong>s hommes puissent choisir<br />

ouvertement. En toute connaissance de c<strong>au</strong>se. Je pense<br />

qu’Il a commis une erreur en agissant comme Il l’a fait car<br />

<strong>le</strong>s hommes n’ont pas encore la maturité pour comprendre.<br />

Mais je dis cela car je suis la principa<strong>le</strong> victime de son<br />

plan. La mort de Peter est une erreur de ma part. J’<strong>au</strong>rais dû<br />

comprendre qu’il me fallait assumer seul cette mission.<br />

Mais je vais bientôt avoir tout <strong>le</strong> temps de m’expliquer<br />

avec Dieu.<br />

<strong>Jean</strong>-Pierre ne répondit pas. Un long si<strong>le</strong>nce succéda <strong>au</strong><br />

monologue de Jérémie.<br />

-<strong>Jean</strong>-Pierre, reprit Jérémie, je te demande maintenant de<br />

laisser tomber toute cette histoire. On ne changera rien à ce<br />

181


qu’il s’est passé et je ne veux pas qu’un <strong>au</strong>tre de mes amis<br />

supporte <strong>le</strong>s conséquences de mes actes. Mon destin<br />

n’appartient qu’à moi, ou plutôt à Dieu. Il f<strong>au</strong>t laisser <strong>le</strong>s<br />

choses se terminer par el<strong>le</strong>s-mêmes. Il ne f<strong>au</strong>t pas chercher<br />

à découvrir qui est <strong>le</strong> Christ. Dieu choisira Lui-même de Le<br />

faire apparaître <strong>au</strong> grand jour ou non.<br />

182


4 février 2000<br />

CHAPITRE XVII<br />

Maître Berger arriva vers dix heures du matin à la prison<br />

de la Santé. Les nouvel<strong>le</strong>s n’étaient pas bonnes et il était<br />

agacé de la tournure que prenaient <strong>le</strong>s évènements. Le<br />

dossier était traité à une vitesse inhabituel<strong>le</strong> dans ce genre<br />

de procédure.<br />

Il retrouva un Jérémie plus serein. Son client s’était<br />

apparemment fait une raison, bien qu’il attendit avec<br />

impatience que tout cela se termine.<br />

-Bonjour Jérémie.<br />

-Bonjour Maître, quel<strong>le</strong>s sont <strong>le</strong>s nouvel<strong>le</strong>s ?<br />

Jacques Berger poussa un long soupir qui inquiéta malgré<br />

tout Jérémie.<br />

-J’ai une très m<strong>au</strong>vaise nouvel<strong>le</strong> pour vous Jérémie : Le<br />

gouvernement à accepté la demande d’extradition. Il n’y<br />

<strong>au</strong>ra pas de procès en France. Vous serez transféré <strong>au</strong>x<br />

Etats-Unis pour y être jugé. Tout ceci n’est qu’une<br />

mascarade. Je suis désolé.<br />

183


-Vous n’avez pas à l’être, répondit Jérémie. Il fallait s’y<br />

attendre et je m’y suis préparé. Savez-vous quand <strong>le</strong> procès<br />

doit avoir lieu ?<br />

-D’après ce que je sais, début mars. C’est dans pas<br />

longtemps. Nous <strong>au</strong>rons peu de temps pour nous préparer.<br />

J’ai d’ores et déjà transmis <strong>le</strong> dossier à un avocat<br />

américain. Mais rassurez-vous, je serai présent pour vous<br />

soutenir.<br />

-Tant mieux. Je souhaite qu’on en finisse rapidement.<br />

J’en ai assez d’attendre en espérant quelque chose qui de<br />

toute façon ne viendra pas. Je tiens à vous remercier de tout<br />

ce que vous avez fait Maître. Mais c’était perdu d’avance.<br />

* * *<br />

Du fond de son bure<strong>au</strong> donnant sur la place saint Pierre,<br />

<strong>le</strong> Pape buvait son thé en rédigeant un long discours destiné<br />

à être lu devant <strong>le</strong>s cardin<strong>au</strong>x et qui serait <strong>au</strong>ssi transmis à<br />

tous <strong>le</strong>s chefs d’états du monde. Il racontait comment <strong>le</strong><br />

Vatican savait que <strong>le</strong> Christ devait revenir sur terre et que<br />

ce jour était enfin arrivé. Il demandait à chacun d’agir en<br />

son âme et conscience pour respecter la volonté de Dieu. Il<br />

y avait un dernier détail inconnu de tous, même de Jérémie<br />

Cohen. L’Eglise savait qui était Jésus. El<strong>le</strong> savait depuis<br />

des sièc<strong>le</strong>s sous quel nom il reviendrait. Le Pape n’en avait<br />

jamais parlé. Cela faisait partie du testament secret de<br />

chaque souverain pontife. Il arrivait maintenant <strong>au</strong> terme de<br />

la rédaction de son discours. « Il f<strong>au</strong>t que <strong>le</strong>s hommes<br />

sachent que celui qui nous a été envoyé par Dieu ne<br />

viendra pas pour nous juger. Il est parmi nous pour nous<br />

ouvrir <strong>le</strong>s yeux et nous rendre meil<strong>le</strong>urs. J’ai compris que<br />

<strong>le</strong> seul moyen pour <strong>le</strong>s hommes d’obtenir la miséricorde de<br />

184


notre Seigneur était d’appe<strong>le</strong>r Son Fils pour qu’il vienne<br />

nous aider. Ecoute-moi toi qui est <strong>le</strong> fils de Dieu, viens à<br />

nous pour nous pardonner d’avoir douté de Toi, que ton<br />

nom soit sanctifié… ».Il allait écrire <strong>le</strong> nom du Christ quand<br />

<strong>le</strong> cardinal Dickson rentra dans son bure<strong>au</strong>.<br />

-Très Saint-Père, c’est l’heure de votre consultation<br />

médica<strong>le</strong> quotidienne.<br />

-Je termine ceci et j’arrive, j’en ai pour quelques minutes.<br />

-Mais votre médecin est arrivé et…<br />

-J’ai dit que je terminais et je suis à vous…<br />

Une forte dou<strong>le</strong>ur <strong>le</strong> prit dans la poitrine, il fixa <strong>le</strong><br />

cardinal dans une expression implorante et s’affala<br />

bruta<strong>le</strong>ment sur <strong>le</strong> sous-main en cuir de son bure<strong>au</strong>. Le<br />

cardinal Dickson se précipita vers <strong>le</strong> vieil homme pour lui<br />

porter secours, mais cela ne servit à rien. Le pape avait<br />

cessé de vivre. Ses doigts étaient crispés sur un magnifique<br />

stylo-plume en laque, et ses yeux sans vie semblaient<br />

regarder la première majuscu<strong>le</strong> d’un nom qu’il avait<br />

commencé à écrire d’une main tremblante.<br />

Le cardinal retira délicatement <strong>le</strong> stylo des mains du<br />

pape décédé. Il l’essuya et <strong>le</strong> rangea dans un porte-plume<br />

en ébène. Il dégagea ensuite <strong>le</strong>s feuil<strong>le</strong>s qui se trouvaient<br />

sous la tête du vieil homme et se mit à <strong>le</strong>s parcourir. Une<br />

fois qu’il eut terminé sa <strong>le</strong>cture, il mit <strong>le</strong> tout dans sa<br />

soutane et s’en alla donner l’a<strong>le</strong>rte.<br />

* * *<br />

Jacques Mulliet appela William Colton dès qu’il apprit la<br />

nouvel<strong>le</strong> de la mort soudaine du Pape.<br />

-Vous êtes <strong>au</strong> courant ?<br />

-Oui. Nous n’en demandions pas tant répondit Colton. Il<br />

f<strong>au</strong>t croire que Dieu est avec nous…<br />

185


-Pensez-vous qu’il ait eu <strong>le</strong> temps de préparer quelque<br />

chose ?<br />

-Oui, mais ne vous en souciez pas. Ce qui devait être fait<br />

a été fait dans <strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s de l’art. Personne ne sera <strong>au</strong><br />

courant de rien. Et si malgré tout il y avait des rumeurs,<br />

el<strong>le</strong>s pourront être rapidement démenties. Il n’y a plus de<br />

preuves.<br />

* * *<br />

-Monseigneur, <strong>le</strong>s choses prennent une forme<br />

déterminante à présent. Ne pensez-Vous pas qu’il serait<br />

bon d’intervenir d’une façon ou d’une <strong>au</strong>tre ?<br />

-Non, tout n’est pas terminé. Il reste encore un dernier<br />

aspect du problème à traiter. Je ne ferai rien tant qu’ils<br />

n’<strong>au</strong>ront pas réglé cela par eux-même.<br />

* * *<br />

186


CHAPITRE XVIII<br />

Le transfert de Jérémie <strong>au</strong>x Etats-Unis eut lieu <strong>le</strong> 22<br />

février 2000. Un avion spécial envoyé par <strong>le</strong> gouvernement<br />

américain l’avait ramené <strong>au</strong>x USA. Jacques Berger avait<br />

obtenu l’<strong>au</strong>torisation de l’accompagner. Dès son arrivée à<br />

New York, Jérémie avait été incarcéré dans une prison<br />

d’état où il avait là <strong>au</strong>ssi eu droit à une cellu<strong>le</strong> individuel<strong>le</strong>.<br />

La date du procès avait été fixée <strong>au</strong> 5 mars. Il n’avait plus<br />

que quelques jours à attendre pour être fixé sur son sort.<br />

Ses deux avocats se démenaient pour que <strong>le</strong> procès soit<br />

repoussé car ils n’avaient que très peu de temps pour<br />

préparer la défense. Toutes <strong>le</strong>s instances juridiques avaient<br />

rejeté <strong>le</strong>urs différentes demandes de report et cela sans<br />

explication. Un sentiment de découragement émanait des<br />

deux défenseurs qui avaient l’impression qu’on <strong>le</strong>s<br />

empêchait de faire correctement <strong>le</strong>ur travail. L’avocat<br />

américain de Jérémie s’appelait James Grant. Berger avait<br />

fait appel à lui car il était un des ténors du barre<strong>au</strong> de New<br />

York. Il n’avait à ce jour perdu <strong>au</strong>cun procès, même dans<br />

<strong>le</strong>s cas <strong>le</strong>s plus diffici<strong>le</strong>s. Son jeune âge lui avait valu à ses<br />

débuts <strong>le</strong>s sarcasmes des défenseurs des parties adverses,<br />

mais <strong>le</strong>s facultés d’orateur qui <strong>le</strong> caractérisaient en avaient<br />

187


fait un des avocats <strong>le</strong>s plus redoutés du moment, sachant<br />

jong<strong>le</strong>r ta<strong>le</strong>ntueusement entre la procédure et la sensibilité<br />

des jurés se trouvant en face de lui. Berger ne l’avait pas<br />

désigné pour rien. Il savait que la seu<strong>le</strong> possibilité de<br />

gagner <strong>au</strong>x USA serait dans l’art et la manière de faire<br />

ressortir <strong>le</strong> fond du problème. Pour deux raisons. D’une<br />

part <strong>le</strong>s Etats-Unis et <strong>le</strong>urs institutions sont très proches de<br />

la religion, et il fallait arriver à utiliser cela en dehors de la<br />

sal<strong>le</strong> du tribunal. L’opinion publique serait à coup sûr<br />

sensib<strong>le</strong> à une affaire douteuse dont <strong>le</strong>s origines seraient<br />

spirituel<strong>le</strong>s. Ensuite, ces arguments pourraient avoir sans<br />

doute plus de poids devant un tribunal américain plutôt que<br />

français. Grant, et cela en p<strong>le</strong>in accord avec Berger et<br />

Jérémie, avait préparé sa défense là-dessus, pensant que<br />

c’était la dernière chance que Jérémie pouvait avoir de s’en<br />

sortir. La stratégie était simp<strong>le</strong> : D’abord créer un doute sur<br />

<strong>le</strong>s faits et ensuite faire dériver l’opinion des jurés sur <strong>le</strong><br />

fond.<br />

Jérémie était <strong>le</strong> seul qui n’était pas dupe et il passa <strong>le</strong>s<br />

quelques jours précédant l’<strong>au</strong>dience à lire pour ne plus<br />

penser à l’injustice dont il était l’objet. Le matin du procès<br />

arriva enfin, et c’est paradoxa<strong>le</strong>ment dans un esprit<br />

tota<strong>le</strong>ment libéré qu’il prit place dans <strong>le</strong> box des accusés.<br />

5 mars 2000<br />

* * *<br />

Le tribunal avait fait sal<strong>le</strong> comb<strong>le</strong>. Le procès avait attiré<br />

de nombreux journalistes doub<strong>le</strong>ment intéressés par<br />

l’affaire car on y jugeait un de <strong>le</strong>ur confères et qu’il était<br />

français. Fait assez rare dans <strong>le</strong>s anna<strong>le</strong>s de l’histoire de la<br />

justice américaine.<br />

188


Du banc des accusés, Jérémie pouvait voir face à lui <strong>le</strong><br />

jury composé de personnes semblant venir de toutes <strong>le</strong>s<br />

couches socia<strong>le</strong>s. Des Blancs, des Noirs, hommes, femmes,<br />

<strong>le</strong>s uns paraissant relativement aisés et <strong>le</strong>s <strong>au</strong>tres portant sur<br />

<strong>le</strong>ur visage <strong>le</strong>s traits tirés d’une vie moins faci<strong>le</strong>. Au centre<br />

se tenaient <strong>le</strong>s greffiers. Les avocats de la défense étaient<br />

dans un espace situé <strong>au</strong> pied du box où se trouvait Jérémie<br />

et en face d’eux se trouvaient <strong>le</strong>s membres de l’accusation.<br />

-Messieurs, la cour.<br />

L’assistance se <strong>le</strong>va comme un seul homme et se rassit<br />

une fois que <strong>le</strong>s magistrats furent installés. Le juge<br />

présidant <strong>le</strong> tribunal était un homme avoisinant la<br />

soixantaine, de forte corpu<strong>le</strong>nce avec un grosse tête ronde<br />

solidement posée sur de larges ép<strong>au</strong><strong>le</strong>s. Il fit signe à un<br />

homme pour lui indiquer qu’il pouvait commencer à lire <strong>le</strong>s<br />

chefs d’accusation.<br />

-Jérémie Cohen, né <strong>le</strong> 12 décembre 1967 à Paris, France,<br />

de parents inconnus, nationalité française, profession<br />

journaliste, <strong>le</strong>s chefs d’accusation reconnus contre vous<br />

sont <strong>le</strong>s suivants : Vous êtes accusé d’avoir commis <strong>le</strong> 4<br />

janvier 2000 entre cinq heures et cinq heure trente du<br />

matin, un meurtre avec préméditation sur la personne du<br />

professeur Nathan Elie Wiessman, docteur en histoire,<br />

professeur à l’Université Hébraïque de New York, retrouvé<br />

mort ce même jour à cinq heures trente-deux du matin,<br />

suite à une chute provoquée de la fenêtre de son bure<strong>au</strong>. Le<br />

motif invoqué suite <strong>au</strong>x résultats de l’enquête étant <strong>le</strong> vol<br />

de documents historiques, qui à ce jours n’ont toujours pas<br />

été retrouvés. Jérémie Cohen, vous êtes <strong>au</strong>ssi accusé de<br />

meurtre avec préméditation sur la personne de Peter<br />

Michael Fisher, étudiant, assassiné à Lyon, France, <strong>le</strong> 9<br />

janvier 2000 entre vingt-trois heures et vingt-trois heures<br />

trente, par trois bal<strong>le</strong>s de pisto<strong>le</strong>t. L’arme du crime n’a pas<br />

été retrouvée. Le motif invoqué par l’enquête étant que<br />

suite à une altercation que vous avez eue avec Peter Fisher<br />

qui cherchait à vous reprendre <strong>le</strong>s documents dérobés <strong>au</strong><br />

189


professeur Wiessman, vous n’avez pas voulu <strong>le</strong>s lui rendre<br />

et vous l’avez tué.<br />

Au cours de l’enquête menée de front par <strong>le</strong>s <strong>au</strong>torités des<br />

Etats-Unis et françaises, vous avez admis connaître ces<br />

personnes mais vous avez nié être l’<strong>au</strong>teur des crimes dont<br />

vous êtes accusé.<br />

Le Juge prit la paro<strong>le</strong>.<br />

-Monsieur Cohen maintenez-vous toujours vos<br />

déclarations ?<br />

-Oui votre Honneur.<br />

-Quel type de défense avez-vous décidé d’adopter<br />

monsieur Cohen ?<br />

-Je plaide non coupab<strong>le</strong> votre Honneur.<br />

6 mars 2000<br />

* * *<br />

La première journée du procès avait été principa<strong>le</strong>ment<br />

marquée par la reprise des éléments de l’enquête, afin que<br />

<strong>le</strong> jury puisse avoir une vision plus précise des faits. James<br />

Grant avait plusieurs fois demandé un report d’<strong>au</strong>dience<br />

arguant la nécessité d’un complément d’enquête car à ses<br />

yeux, <strong>au</strong>cun indice véritab<strong>le</strong> pouvait prouver que Jérémie<br />

avait commis ces crimes. Les demandes de reports avaient<br />

étés systématiquement rejetées sous prétexte que selon <strong>le</strong>s<br />

conclusions des polices françaises et américaines, <strong>le</strong>s<br />

éléments de recoupement étaient fiab<strong>le</strong>s puisqu’ils avaient<br />

abouti à la même conclusion.<br />

Les avocats de la partie civi<strong>le</strong> faisaient maintenant <strong>le</strong>ur<br />

plaidoirie en cherchant à attirer l’attention du jury sur <strong>le</strong><br />

190


caractère innocent des victimes. Maître Temp<strong>le</strong>ton était à la<br />

barre.<br />

-Votre Honneur, mesdames et messieurs <strong>le</strong>s jurés, vous<br />

avez devant vous un homme qui sous des apparences<br />

calmes et posées, est en fait un machiavélique assassin. Ses<br />

victimes, un éminent professeur américain reconnu dans <strong>le</strong><br />

monde entier, dont <strong>le</strong>s trav<strong>au</strong>x ont permis de faire mettre<br />

sur <strong>le</strong> devant de la scène mondia<strong>le</strong> la qualité non seu<strong>le</strong>ment<br />

de notre enseignement, mais <strong>au</strong>ssi du sérieux des<br />

institutions américaines pour tout ce qui est de la recherche.<br />

Pensez-vous qu’il soit juste qu’un tel homme soit la victime<br />

d’une manipulation diabolique de la part d’un journaliste,<br />

quand on sait que la plupart des hommes faisant ce métier<br />

sont prêts à tout pour arriver à <strong>le</strong>urs fins…<br />

Un grondement de protestation se fit entendre dans<br />

l’assistance, principa<strong>le</strong>ment composée de reporters.<br />

Le juge intervint.<br />

-Si<strong>le</strong>nce dans la sal<strong>le</strong> ! Maître, je vous demande de<br />

mesurer vos propos.<br />

-Très bien Votre Honneur. Ensuite, son <strong>au</strong>tre victime,<br />

Peter Fisher, brillant élève du professeur Wiessman promis<br />

à un avenir, qui j’en suis certain, <strong>au</strong>rait été <strong>au</strong>ssi radieux<br />

que celui de son précepteur. Mais il en a été décidé<br />

<strong>au</strong>trement. Pour assouvir son besoin de reconnaissance et<br />

de notoriété, cet homme, Jérémie Cohen, mesdames et<br />

messieurs <strong>le</strong>s jurés, n’a pas hésité à <strong>le</strong>s exécuter froidement<br />

pour <strong>le</strong>ur vo<strong>le</strong>r l’objet de <strong>le</strong>ur labeur et s’approprier un<br />

document qui revient de droit à notre pays.<br />

Grant se <strong>le</strong>va.<br />

-Objection Votre honneur ! Rien ne prouve que <strong>le</strong>s deux<br />

victimes étaient en possession d’un document quelconque.<br />

Aucun indice permettant de prouver qu’ils <strong>le</strong> détenaient n’a<br />

été trouvé dans <strong>le</strong>urs affaires personnel<strong>le</strong>s ou<br />

professionnel<strong>le</strong>s. Rien ne prouve à ce jour que c’est là <strong>le</strong><br />

mobi<strong>le</strong> du crime.<br />

191


Le juge, visib<strong>le</strong>ment gêné, laissa passer quelques<br />

secondes avant de répondre.<br />

-Objection retenue. Poursuivez Maître Temp<strong>le</strong>ton.<br />

Grant reprit la paro<strong>le</strong> sans que <strong>le</strong> juge la lui ait donnée.<br />

-Votre honneur, je me permets de faire une remarque<br />

supplémentaire. En retenant mon objection, vous acceptez<br />

donc <strong>le</strong> principe que <strong>le</strong> mobi<strong>le</strong> des crimes n’est pas prouvé.<br />

Je demande donc une suspension de séance pour qu’un<br />

complément d’enquête soit effectué. La vie d’un homme<br />

est en jeu dans ce procès et la justice ne peut pas se<br />

permettre de laisser un doute sur un point pouvant être<br />

capital dans la décision du jury. En acceptant cela, vous<br />

permettrez <strong>au</strong>x jurés de ne pas avoir de doute sur la<br />

conclusion qu’ils donneront quant à la culpabilité<br />

éventuel<strong>le</strong> de mon client.<br />

Grant se tourna vers <strong>le</strong> jury.<br />

-Mesdames et messieurs, votre rô<strong>le</strong> est diffici<strong>le</strong>. Je sais<br />

que la décision que vous prendrez sera à jamais gravée dans<br />

votre conscience. Pensez-vous pouvoir vivre sereinement<br />

en sachant que vous <strong>au</strong>rez peut-être condamné un homme<br />

sans avoir tous <strong>le</strong>s éléments prouvant sa culpabilité ?<br />

Quelques-uns des membres du jury approuvèrent d’un<br />

mouvement de la tête. Le président du tribunal prit la<br />

paro<strong>le</strong>.<br />

-La séance est suspendue pour demande de complément<br />

d’enquête. L’<strong>au</strong>dience reprendra <strong>le</strong> lundi 12 mars à neuf<br />

heures.<br />

* * *<br />

L’<strong>au</strong>dience reprit comme prévu <strong>le</strong> lundi suivant en début<br />

de matinée. L’assistance se trouvait dans une excitation due<br />

192


à l’impatience de savoir si l’enquête avait apporté de<br />

nouve<strong>au</strong>x développements.<br />

Le juge prit la paro<strong>le</strong> pour ouvrir la séance.<br />

-Mesdames et messieurs <strong>le</strong>s jurés, messieurs <strong>le</strong>s<br />

représentants des parties. Le complément d’enquête<br />

demandé par la défense <strong>le</strong> 6 mars 2000 n’a, jusqu’à ce jour,<br />

permis d’apporter <strong>au</strong>cun indice nouve<strong>au</strong> dans l’affaire qui<br />

nous intéresse. Qu’il soit porté <strong>au</strong> dossier qu’<strong>au</strong>cun mobi<strong>le</strong><br />

du crime n’a put être prouvé. Je rappel<strong>le</strong> que <strong>le</strong>s membres<br />

du jury devront donc tenir compte de cet élément dans <strong>le</strong>urs<br />

délibérations. Maître Grant, avez-vous quelque chose à<br />

ajouter ?<br />

-Non Votre Honneur.<br />

-Maître Temp<strong>le</strong>ton ?<br />

-Rien du tout, Votre honneur.<br />

-Parfait. L’<strong>au</strong>dience peut reprendre. Maître Temp<strong>le</strong>ton,<br />

vous aviez la paro<strong>le</strong>.<br />

L’avocat de la partie civi<strong>le</strong> plaida pendant plus d’une<br />

heure et demie, essayant de faire oublier certaines lacunes<br />

dans <strong>le</strong> dossier que Grant sou<strong>le</strong>vait à chaque fois que<br />

Temp<strong>le</strong>ton <strong>le</strong>s omettait volontairement. Il demanda<br />

fina<strong>le</strong>ment la peine capita<strong>le</strong> pour l‘accusé. Jérémie ne<br />

bronchait pas dans <strong>le</strong> box des accusés. De temps en temps,<br />

ses avocats se retournaient vers lui pour lui par<strong>le</strong>r à<br />

l’oreil<strong>le</strong>. Les arguments utilisés par l’accusation tenaient la<br />

route mais James Grant rappelait systématiquement <strong>au</strong><br />

tribunal que <strong>le</strong> manque de preuves ne permettait pas<br />

d’entériner <strong>le</strong>s charges retenues contre Jérémie. Ce fut<br />

enfin à l’avocat de la défense d’exposer sa vision des faits.<br />

Il descendit <strong>au</strong> milieu du prétoire. Fit un tour comp<strong>le</strong>t<br />

pour observer l’assistance, et après un long si<strong>le</strong>nce, il<br />

s’adressa directement <strong>au</strong>x membres du Jury.<br />

-Mesdames et Messieurs, je n’ai pas du tout l’envie de<br />

faire de m<strong>au</strong>vais jeux de mots, car la raison de notre<br />

présence dans cette sal<strong>le</strong> ne donne pas envie de plaisanter.<br />

193


Cependant, permettez-moi de vous dire que je vous laisse<br />

juges.<br />

Quelques rires étouffés se firent entendre dans<br />

l’assistance. Grant reprit.<br />

-Pourquoi sommes-nous ici, mesdames et messieurs <strong>le</strong>s<br />

jurés ? Je vais vous répondre et vous serez d’accord avec<br />

moi. Nous sommes ici en tant qu’êtres humains désignés<br />

pour faire appliquer la justice. Qui avons-nous à juger ?<br />

Nous avons en face de nous un homme qui lui <strong>au</strong>ssi a une<br />

carrière ainsi qu’une vie exemplaire et cette sal<strong>le</strong> ne serait<br />

pas assez grande pour que toutes <strong>le</strong>s personnes connaissant<br />

Jérémie Cohen puissent en témoigner. Pensez-vous que<br />

vous détenez réel<strong>le</strong>ment tous <strong>le</strong>s indices, toutes <strong>le</strong>s preuves,<br />

tous <strong>le</strong>s éléments nécessaires à une application impartia<strong>le</strong><br />

de la justice. N’oubliez pas que cet homme n’est pas<br />

américain. Il fait partie d’une grande nation à laquel<strong>le</strong> nous<br />

devons rendre hommage, car si nous sommes ici<br />

<strong>au</strong>jourd’hui, c’est parce qu’el<strong>le</strong> nous a aidés et permis de<br />

construire l’histoire de notre pays. Cette nation, mesdames<br />

et messieurs <strong>le</strong>s jurés, cette nation a <strong>le</strong>s yeux rivés sur nous<br />

<strong>au</strong>jourd’hui. El<strong>le</strong> nous regarde appliquer la justice qu’el<strong>le</strong><br />

nous a permis d’avoir. Cel<strong>le</strong> que nous revendiquions il y a<br />

un peu plus de deux sièc<strong>le</strong>s. Le dénouement que vous<br />

déciderez de donner à ce procès sera la vitrine dans <strong>le</strong><br />

monde de ce qu’est la justice américaine. Etes-vous sûrs<br />

que <strong>le</strong> monde acceptera de respecter nos institutions comme<br />

il se doit si nous condamnons un homme sans détenir toutes<br />

<strong>le</strong>s preuves de sa culpabilité ? Votre décision fera que <strong>le</strong><br />

monde jugera notre justice, et nous ne voulons pas donner<br />

une image qui n’est pas la nôtre. Mais ce n’est pas tout.<br />

Quel<strong>le</strong> est la devise de nôtre pays ? « Nous croyons en<br />

Dieu ». Et Dieu nous a laissés <strong>le</strong> pouvoir de juger nos<br />

semblab<strong>le</strong>s car il avait confiance en nous. Quel<strong>le</strong> est la<br />

première phrase que <strong>le</strong> président de ce tribunal a prononcée<br />

en ouvrant ce procès ? Il a dit « que Dieu bénisse cette<br />

assemblée ». Prendrez-vous <strong>le</strong> risque de condamner cet<br />

194


homme sans preuves avec la bénédiction de notre<br />

Seigneur ? Je ne <strong>le</strong> crois pas. Je ne <strong>le</strong> crois pas car vous êtes<br />

des Américains et que vous aimez la justice que notre<br />

peup<strong>le</strong> a gagnée par tous <strong>le</strong>s combats qu’il a menés.<br />

Regardez-vous, notre nation est représentée sur ces bancs<br />

en bois où vous êtes assis. Aucune distinction de race ou de<br />

classe socia<strong>le</strong>, et même si cela n’est pas toujours appliqué<br />

dans la rue, vous êtes quand même présents dans cette<br />

assistance. N’est-ce pas là la véritab<strong>le</strong> preuve que notre<br />

justice existe, <strong>au</strong> nom de Dieu et <strong>au</strong> nom des hommes ? Je<br />

ne vous demande qu’une seu<strong>le</strong> chose mesdames et<br />

messieurs <strong>le</strong>s jurés, ne m’écoutez pas, n’écoutez que votre<br />

conscience. Vous savez que cet homme risque la mort. Il<br />

est accusé injustement de deux crimes ignob<strong>le</strong>s. Je précise<br />

bien injustement. Car si vous <strong>le</strong> jugez coupab<strong>le</strong> malgré <strong>le</strong><br />

manque flagrant de preuves, c’est vous qui serez jugés.<br />

Mais pas par <strong>le</strong>s hommes car <strong>au</strong> cas où nous <strong>au</strong>rions des<br />

doutes, Dieu n’en a pas car Il est <strong>le</strong> détenteur de la vérité.<br />

Et <strong>au</strong>-delà de la justice des hommes qui peut se laisser<br />

abuser car el<strong>le</strong> est justement humaine, cel<strong>le</strong> de Dieu ne se<br />

trompe jamais. C’est à vous que je demande <strong>au</strong>jourd’hui de<br />

ne pas vous laisser abuser par des apparences trompeuses.<br />

Toute cette affaire n’est que <strong>le</strong> pur fruit des apparences. Y a<br />

t-il un témoin dans cette assistance qui ait vu Jérémie<br />

Cohen pousser <strong>le</strong> professeur Wiessman de sa fenêtre ? Non.<br />

Y en a t-il un qui l’ait vu tirer sur Peter Fisher ? Non. A ton<br />

retrouvé l’arme du crime ? Non. Et ce tribunal vient de<br />

prouver qu’il n’y avait pas non plus de mobi<strong>le</strong>. Alors je<br />

vous <strong>le</strong> demande : Que doit-on faire ? Condamner cet<br />

homme et s’en remettre <strong>au</strong> jugement de Dieu ? Nos<br />

ancêtres ont souvent fait ça et on dit maintenant que<br />

c’étaient des barbares. Pas de mobi<strong>le</strong>, pas d’arme du crime,<br />

pas de témoins, mais deux victimes. Victimes de quoi en<br />

fait, et surtout victimes de qui ? Qu’est-ce qui nous dit que<br />

ces deux crimes sont liés ? Rien. Si demain matin un des<br />

étudiants de l’université Hébraïque meurt dans un accident<br />

195


de voiture, va-t-on accuser Jérémie Cohen d’avoir trafiqué<br />

ses freins lors de son passage à New York ? Rien ne prouve<br />

d’ail<strong>le</strong>urs que <strong>le</strong> professeur Wiessman n’est pas la victime<br />

d’un ma<strong>le</strong>ncontreux accident. Je vous rappel<strong>le</strong> d’ail<strong>le</strong>urs<br />

que c’est la conclusion à laquel<strong>le</strong> avait abouti l’enquête<br />

menée <strong>au</strong> moment des faits. D’où vient ce soudain<br />

retournement de situation, quels sont <strong>le</strong>s indices qui ont<br />

amené à rouvrir une enquête qui avait conclu à un<br />

accident ? Qu’on nous <strong>le</strong>s montre ! Nous avons besoin de<br />

faits pour établir la vérité dans cette affaire. Je vais vous<br />

dire ce qu’il en est mesdames et messieurs <strong>le</strong>s jurés : Aucun<br />

fait supplémentaire n’a été ajouté dans <strong>le</strong> dossier de la mort<br />

du professeur Wiessman. Si ce n’est que l’homme qui est<br />

devant vous n’a été vu par personne entre cinq heures et<br />

cinq heures trente du matin. Il n ‘a d’ail<strong>le</strong>urs été vu par<br />

personne entre <strong>le</strong> moment où il est rentré la veil<strong>le</strong> <strong>au</strong> soir à<br />

son hôtel. Savez-vous combien de crimes ont étés commis à<br />

New York cette nuit là ? Il y en a eu soixante-sept.<br />

Quelqu’un peut-il prouver que vous étiez chez vous en train<br />

de dormir du sommeil du… juste pendant que ces crimes<br />

étaient commis ? Non. Mais ne serait-ce pas Jérémie Cohen<br />

qui <strong>au</strong>rait tué ces gens ? Rien ne peut <strong>le</strong> confirmer ni<br />

prouver <strong>le</strong> contraire. Savez-vous exactement quel est <strong>le</strong><br />

métier de Jérémie Cohen, il est journaliste, certes, mais<br />

savez-vous dans quel domaine il s’est spécialisé ? Non,<br />

vous ne <strong>le</strong> savez pas car cela n’était pas précisé dans <strong>le</strong><br />

dossier, pourtant ce détail a <strong>au</strong>ssi son importance. Jérémie<br />

Cohen est spécialisé dans <strong>le</strong>s recherches à caractère<br />

théologique. Depuis des années il avait une ambition<br />

secrète, cel<strong>le</strong> de prouver <strong>au</strong> monde que Dieu existe. Vous<br />

me direz que cela fait preuve d’un total manque de Foi.<br />

Cependant, je mets <strong>au</strong> défi quiconque dans cette assistance<br />

de me dire qu’il n’y a jamais pensé. Chaque homme sur<br />

terre a ce besoin de savoir qui lui a traversé l’esprit. Je vais<br />

vous raconter une histoire qui me fait un peu penser à cel<strong>le</strong><br />

de Jérémie Cohen. Cette histoire vous la connaissez tous,<br />

196


mais il est bon que vous vous la remettiez en tête, el<strong>le</strong> vous<br />

aidera à prendre votre décision.<br />

« Il était une fois, un homme, il y a environ deux mil<strong>le</strong><br />

ans… » .<br />

Grant reprit dans <strong>le</strong>s grandes lignes l’histoire de Jésus.<br />

Personne n’osa l’interrompre. Quand il arriva <strong>au</strong> jugement<br />

du Christ il détailla un peu plus l’histoire.<br />

« … Jésus fut donc envoyé devant ses juges, mais en fait<br />

qu’est-ce que ceux-là avaient à lui reprocher de concret ?<br />

Rien du tout. Jésus était seu<strong>le</strong>ment là car il gênait. Et qui<br />

gênait-il mesdames et messieurs <strong>le</strong>s jurés ? il gênait <strong>le</strong><br />

pouvoir. Imaginons une minute que Jérémie Cohen puisse<br />

découvrir un jour la vérité sur l’existence de Dieu, ne peuton<br />

pas comparer son histoire à cel<strong>le</strong> du Christ ? Ne peut-on<br />

pas comparer ce tribunal à celui qui a jugé notre Seigneur ?<br />

Avons-nous <strong>le</strong> droit de prendre <strong>le</strong> risque de refaire <strong>le</strong>s<br />

mêmes erreurs que nos prédécesseurs ? Acceptez-vous de<br />

prendre sur vous cette lourde responsabilité, en sachant que<br />

nous serons à notre tour jugés sur cette décision comme<br />

nous jugeons <strong>au</strong>jourd’hui ceux qui ont tué <strong>le</strong> Christ ? Je<br />

refuse de <strong>le</strong> croire mesdames et messieurs <strong>le</strong>s jurés. Car<br />

vous savez que Jérémie est innocent. Vous savez que ses<br />

recherches peuvent déranger <strong>le</strong>s pouvoirs qui nous<br />

gouvernent. Faites <strong>le</strong> rapprochement et laissez votre<br />

conscience vous dicter ce qu’il vous reste à faire. Dites<br />

vous bien qu’en condamnant cet homme, vous ne vengerez<br />

pas la mort du professeur Wiessman ni cel<strong>le</strong> de Peter<br />

Fisher. Je reconnais que pour avoir pris contact avec eux,<br />

Jérémie Cohen détient une part de responsabilité dans <strong>le</strong>ur<br />

disparition. Mais en est-il pour <strong>au</strong>tant coupab<strong>le</strong> ? Vous<br />

n’<strong>au</strong>rez pas la faib<strong>le</strong>sse de croire qu’il l’est. Car<br />

contrairement à ceux qui ont envoyé cet homme sur <strong>le</strong> banc<br />

où il se trouve, vous n’avez pas d’intérêt à <strong>le</strong> voir mourir ».<br />

Le président du tribunal lui coupa la paro<strong>le</strong>.<br />

-Maître, je vous prie de bien vouloir éviter de tel<strong>le</strong>s<br />

allégations. Vous n’avez pas de preuves de ce que vous<br />

197


avancez et vous êtes à la limite de la diffamation. Ceci<br />

peut-être retenu contre vous.<br />

-Je vous remercie d’apporter de l’e<strong>au</strong> à mon moulin Votre<br />

Honneur. J’ai agi de la même façon que ceux qui ont amené<br />

mon client où il se trouve. Sans preuves.<br />

-Poursuivez, Maître.<br />

-J’ai terminé votre Honneur. Je tiens seu<strong>le</strong>ment à ajouter<br />

une chose pour <strong>le</strong>s membres du jury.<br />

James Grant se tourna vers eux et <strong>le</strong>ur dit :<br />

-Mesdames et messieurs <strong>le</strong>s jurés, je ne vous demande<br />

pas de pardonner Jérémie, il n’a <strong>au</strong>cune raison de l’être.<br />

Mais je vous en conjure, ne donnez pas à Dieu une raison<br />

de ne pas vous pardonner.<br />

* * *<br />

Maître Berger avait écouté la plaidoirie de James Grant<br />

avec une attention et un respect particulier. Au fur et à<br />

mesure qu’il avançait dans sa défense, une certaine anxiété<br />

parcourait son esprit. N’osant pas imaginer ce qui crevait<br />

<strong>le</strong>s yeux. Il regarda Jérémie d’un air soucieux et ce qui<br />

pouvait ressemb<strong>le</strong>r à la vérité apparut brusquement dans ses<br />

pensées.<br />

Et si Jérémie…<br />

198


CHAPITRE XIX<br />

Les délibérations durèrent un peu plus de trois heures. C’est<br />

vers dix-sept heures que <strong>le</strong>s jurés ressortirent de la petite<br />

sal<strong>le</strong> annexe <strong>au</strong> tribunal dans laquel<strong>le</strong> ils avaient pu statuer<br />

sur <strong>le</strong>s différents arguments exposés par <strong>le</strong>s parties<br />

adverses. Ils s’installèrent sur <strong>le</strong>urs bancs et l’un d’eux se<br />

re<strong>le</strong>va <strong>au</strong>ssitôt, une feuil<strong>le</strong> blanche à la main.<br />

- Votre Honneur, <strong>le</strong> jury m’a désigné pour vous lire <strong>le</strong>s<br />

conclusions de nos délibérations. A la question « Jérémie<br />

Cohen est-il coupab<strong>le</strong> de meurtre sur la personne du<br />

professeur Nathan Elie Wiessman, <strong>le</strong> jury par manque de<br />

preuves suffisantes pouvant confirmer <strong>le</strong>s faits, a répondu<br />

non. A la question Jérémie Cohen est-il coupab<strong>le</strong> de<br />

meurtre sur la personne de Peter Michael Fisher, <strong>le</strong> jury,<br />

par manque de preuves suffisantes pouvant confirmer <strong>le</strong>s<br />

faits, a répondu non. Par conséquent, nous déclarons à<br />

l’unanimité en notre âme et conscience, que monsieur<br />

Jérémie Cohen est non coupab<strong>le</strong> des faits qui lui ont été<br />

reprochés. Que Dieu bénisse cette assemblée.<br />

Le président du tribunal remercia <strong>le</strong>s jurés et prononça <strong>le</strong><br />

verdict.<br />

199


-Moi, Georges Oscar Dawson, juge de paix de l’état de<br />

New York, déclare après délibération du jury ici présent,<br />

que l’accusé Jérémie Cohen est non coupab<strong>le</strong> des charges<br />

qui ont été retenues contre lui. Le verdict est donc<br />

l’acquittement. Que Dieu bénisse l’Amérique. L’<strong>au</strong>dience<br />

est terminée.<br />

Les deux avocats de Jérémie se tournèrent vers lui. James<br />

Grant lui serra furieusement la main et Jacques Berger <strong>le</strong><br />

regarda intensément dans <strong>le</strong>s yeux avec un profond<br />

sentiment de respect.<br />

* * *<br />

William Colton était entré dans une colère furieuse en<br />

apprenant la nouvel<strong>le</strong> de l’acquittement de Jérémie Cohen.<br />

Il ne comprenait pas comment <strong>le</strong> juge avait pu entériner une<br />

tel<strong>le</strong> décision. Il avait pourtant été personnel<strong>le</strong>ment briefé<br />

par <strong>le</strong> président lui-même. Certains membres du jury<br />

avaient eux-<strong>au</strong>ssi étés « retournés » en faveur d’une<br />

décision plus radica<strong>le</strong>. Cela n’avait pourtant rien donné.<br />

Colton se demandait quel était l’élément décisif qui avait<br />

permis d’arriver à une tel<strong>le</strong> situation. Tout avait cependant<br />

été soigneusement préparé et calculé, mais un grain de<br />

sab<strong>le</strong> s’était glissé dans <strong>le</strong> mécanisme qu’il avait mis en<br />

place.<br />

Il convoqua un des agents de la NSA qui avait été affecté<br />

à l’enquête sur Jérémie. Celui-ci se présenta quelques<br />

minutes plus tard dans <strong>le</strong> bure<strong>au</strong> présidentiel.<br />

-Jackson, je veux que vous fassiez une recherche sur ce<br />

juge Dawson. Il m’a filé entre <strong>le</strong>s doigts et je ne comprends<br />

pas pourquoi. Je veux tout savoir sur lui. Qui il est, d’où il<br />

200


vient, ses idées politiques et tout ce qui peut nous<br />

intéresser. Vous avez une heure.<br />

-Bien monsieur <strong>le</strong> président.<br />

En attendant, Colton appela Jacques Mulliet pour faire un<br />

point de la situation. Celui-ci n’était pas non plus dans un<br />

calme digne de sa fonction.<br />

-Que s’est-il passé ? Demanda Mulliet. Je croyais que<br />

vous aviez la situation bien en main.<br />

-Je n’en sais fichtre rien ! La situation s’est renversée en<br />

l’espace de quelques heures <strong>au</strong> tribunal. C’est<br />

incompréhensib<strong>le</strong>. Je viens de demander une enquête sur <strong>le</strong><br />

juge. Il s’est certainement passé quelque chose qui nous a<br />

échappé. Mais je ne vois pas quoi.<br />

-Je crois que je commence à comprendre repris Mulliet.<br />

En fait, je pense que nous n’avons jamais véritab<strong>le</strong>ment tiré<br />

<strong>le</strong>s ficel<strong>le</strong>s dans cette affaire. L’histoire de Cohen est vraie.<br />

Le pape nous avait pourtant prévenus.<br />

-Que vou<strong>le</strong>z-vous dire ?<br />

-C’est pourtant simp<strong>le</strong>. William, j’ai <strong>le</strong> sentiment que tout<br />

ceci est bien <strong>au</strong>-dessus de ce que nous sommes. Je crois que<br />

nous venons de prendre une bonne <strong>le</strong>çon. En fait, nous ne<br />

sommes que peu de choses face à un pouvoir dont nous<br />

n’avons même pas idée de la puissance.<br />

-Vous n’al<strong>le</strong>z pas vous y mettre vous <strong>au</strong>ssi ! Vous avez<br />

<strong>au</strong>ssi bien que moi conscience de l’importance des enjeux<br />

qui sont dans cette affaire.<br />

-J’en ai tout à fait conscience, du moins, je viens d’en<br />

prendre conscience. Cela nous dépasse. Notre pouvoir n’a<br />

de l’importance qu’<strong>au</strong>x yeux des hommes car ils sont<br />

conditionnés ainsi depuis des sièc<strong>le</strong>s. Mais notre rô<strong>le</strong> n’a<br />

que l’importance que nous lui donnons. Nous devons<br />

diriger certes, mais uniquement parce que <strong>le</strong>s hommes ont<br />

besoin de l’être comme un équipage a besoin d’un<br />

capitaine. Mais il y a une différence entre un capitaine et<br />

nous. Le capitaine a avant tout conscience de la<br />

responsabilité qu’il a envers ces hommes car il sait que <strong>le</strong>ur<br />

201


vie est entre ses mains et il agit toujours en pesant bien <strong>le</strong>s<br />

conséquences de ses actes. Le capitaine pense pour tous et<br />

non pas pour lui seul. C’est là notre erreur. Nous ne<br />

sommes plus des capitaines de navire. Nous sommes<br />

devenus des armateurs. Nous avons dévié notre tâche à des<br />

fins purement personnel<strong>le</strong>s sans penser que notre bate<strong>au</strong><br />

finirait un jour à la dérive. Je crois, William, qu’il nous f<strong>au</strong>t<br />

méditer cela profondément ou nous n’<strong>au</strong>rons pas de<br />

deuxième chance. Ce que nous venons de vivre est un<br />

avertissement pour nous ramener dans <strong>le</strong> droit chemin. Il<br />

f<strong>au</strong>t en tenir compte ou nous sommes finis. Quand je dis<br />

nous, je par<strong>le</strong> des hommes et seuls ceux qui détiennent <strong>le</strong><br />

pouvoir ont la possibilité de faire changer <strong>le</strong> cap. C’est<br />

notre rô<strong>le</strong> et nous devons <strong>le</strong> jouer. Je souhaite simp<strong>le</strong>ment<br />

qu’il ne soit pas trop tard. Croyez-moi, il f<strong>au</strong>t laisser<br />

tomber toute cette affaire car nous ne sommes pas de tail<strong>le</strong><br />

pour nous battre contre Dieu.<br />

* * *<br />

L’agent spécial Jackson frappa légèrement à la porte du<br />

bure<strong>au</strong> de William Colton. Celui-ci l’invita à entrer.<br />

-Alors, qu’avez-vous trouvé sur Dawson ?<br />

-Monsieur <strong>le</strong> président, je… je suis un peu gêné mais…<br />

-Et bien qu’y a t-il ? Par<strong>le</strong>z bon sang !<br />

-Nous n’avons <strong>au</strong>cune trace d’un juge nommé Georges<br />

Oscar Dawson. Il n’existe pas.<br />

Colton fit tourner son f<strong>au</strong>teuil vers la grande fenêtre qui<br />

donnait sur <strong>le</strong>s jardins de la Maison Blanche. Il regardait<br />

dehors pensivement.<br />

-Moi, je crois plutôt qu’Il existe.<br />

202


* * *<br />

Jacques Berger regardait Jérémie d’une façon pour <strong>le</strong><br />

moins bizarre qui n’avait pas échappé à son client. Il finit<br />

par lui par<strong>le</strong>r.<br />

-Jérémie, qu’est-ce qui vous a véritab<strong>le</strong>ment motivé pour<br />

vous lancer dans de tel<strong>le</strong>s recherches ?<br />

-Le besoin de connaître la vérité je pense, je ressentais en<br />

moi la nécessité de répondre à certaines questions que <strong>le</strong>s<br />

hommes se posent et j’ai voulu al<strong>le</strong>r chercher <strong>le</strong>s réponses<br />

là où je pensais qu’el<strong>le</strong>s étaient.<br />

-Les avez-vous trouvées ?<br />

-Oui. S<strong>au</strong>f une peut-être.<br />

-Laquel<strong>le</strong> ?<br />

-Je ne sais toujours pas qui est <strong>le</strong> Christ. Et je pense que<br />

je ne s<strong>au</strong>rais jamais qui Il est. J’ai pourtant la ferme<br />

conviction qu’Il est là, quelque part…<br />

-N’avez-vous jamais pu imaginer que…que, enfin, je<br />

veux dire…<br />

-Quoi Maître ?<br />

-Et bien, c’est assez diffici<strong>le</strong>, mais pendant quelques<br />

secondes, durant <strong>le</strong> procès, lorsque Grant a fait <strong>le</strong> parallè<strong>le</strong><br />

entre votre histoire et cel<strong>le</strong> de Jésus, j’ai trouvé que <strong>le</strong>s<br />

coïncidences étaient un peu trop nombreuses. Est-ce qu’il<br />

ne vous est jamais venu à l’idée que…que vous pouviez<br />

peut-être être celui que vous cherchez ?<br />

-Comment cela ?<br />

-Je…je pense que vous pourriez être <strong>le</strong> Christ.<br />

Jérémie observa profondément Berger et ne répondit pas.<br />

Il se rappela une petite phrase de Gaby Goldman : « <strong>le</strong><br />

Christ est celui… »<br />

203


* * *<br />

-Monseigneur, je crois que c’est fini maintenant. Je pense<br />

qu’ils vont retenir la <strong>le</strong>çon.<br />

-Rien n’est fini. Les hommes sont comme des enfants. Il<br />

f<strong>au</strong>t constamment <strong>le</strong>s rappe<strong>le</strong>r à l’ordre. C’est ce qui <strong>le</strong>ur<br />

permet de grandir. Mais ils ne sont pas encore arrivés à<br />

maturité. Ce sont encore des ado<strong>le</strong>scents fougueux qui<br />

n’ont pas conscience qu’ils sont à l’âge où ils jouent avec<br />

<strong>le</strong>ur avenir. Ils ont peut-être compris une <strong>le</strong>çon, mais je sais<br />

déjà qu’il f<strong>au</strong>dra encore intervenir. Je pensais qu’ils<br />

<strong>au</strong>raient un peu plus évolué en deux mil<strong>le</strong> ans, mais peu de<br />

choses ont changé. C’est pourtant simp<strong>le</strong>.<br />

-Vous savez Monseigneur, il f<strong>au</strong>t du temps avant que la<br />

lumière du so<strong>le</strong>il n’éclaire <strong>le</strong> ciel.<br />

-Oui, en effet, <strong>le</strong> septième jour n’est pas encore fini…<br />

204


7 mars 2000<br />

EPILOGUE<br />

Jérémie avait fêté sa victoire la veil<strong>le</strong> <strong>au</strong> soir avec ses<br />

deux avocats dans un grand rest<strong>au</strong>rant new-yorkais. Il<br />

n’avait pas encore réalisé que son affaire était terminée.<br />

Pour l’aspect juridique en tout cas, car il lui manquait<br />

toujours une réponse que Maître Berger avait tenté de lui<br />

faire comprendre, mais il n’y croyait pas.<br />

Tous <strong>le</strong>s trois avaient décidé de rester à New York<br />

jusqu’<strong>au</strong> sur<strong>le</strong>ndemain. Jérémie ayant exprimé <strong>le</strong> désir de<br />

se recueillir sur <strong>le</strong>s tombes respectives de Peter et du<br />

professeur Wiessman.<br />

Jérémie marchait <strong>le</strong>ntement entre <strong>le</strong>s milliers de<br />

sépultures du cimetière Juif de New York. Il arriva devant<br />

une petite tombe décorée simp<strong>le</strong>ment. Seul un nom et deux<br />

dates étaient gravés sur la stè<strong>le</strong>. « Peter Fisher – 1976-<br />

2000 ».<br />

Jérémie s’agenouilla devant la sépulture et quelques<br />

larmes coulèrent <strong>le</strong> long de ses joues<br />

-Vous n’avez pas de raison de p<strong>le</strong>urer Jérémie. Gardez<br />

vos larmes pour <strong>le</strong>s hommes. Peter n’en a pas besoin.<br />

Jérémie se retourna et il vit <strong>le</strong> visage souriant de Gaby<br />

Goldman.<br />

205


-Comment vous sentez-vous ? Demanda Gaby.<br />

-Je vais bien. Merci. Mais j’ai quelques réclamations à<br />

faire à votre Patron…<br />

-Pourquoi cela ? N’a t-Il pas répondu à votre soif de<br />

savoir ? C’était quand même bien <strong>le</strong> sujet de fond de votre<br />

histoire. Il serait regrettab<strong>le</strong> que Dieu Se soit démené pour<br />

rien. Vous savez qu’Il existe à présent, et vous avez eu tous<br />

<strong>le</strong>s éléments nécessaires pour vous <strong>le</strong> prouver.<br />

-Je n’ai plus d’éléments. Le manuscrit a disparu et il était<br />

la seu<strong>le</strong> preuve dont je pouvais disposer pour que l’histoire<br />

puisse être racontée <strong>au</strong> monde.<br />

-Je ne suis pas sûr que cela fasse partie de la volonté de<br />

Dieu. N’avez-vous jamais pensé que Dieu pouvait répondre<br />

directement <strong>au</strong>x questions que <strong>le</strong>s hommes lui posent. Vous<br />

Lui avez posé une question et Il vous a répondu. Je<br />

reconnais qu’<strong>au</strong> travers de ce que vous Lui avez demandé,<br />

il semb<strong>le</strong> qu’il en ait profité pour répondre à quelques-unes<br />

des questions que Lui se posait. Les voies du Seigneur sont<br />

impénétrab<strong>le</strong>s Jérémie. Même pour celui qui croit <strong>le</strong>s<br />

comprendre. Dieu connaît <strong>le</strong>s manipulations dont vous avez<br />

fait l’objet de la part des hommes. Mais il est allé jusqu’<strong>au</strong><br />

bout car il voulait savoir si <strong>le</strong>s hommes étaient capab<strong>le</strong>s de<br />

juger un innocent en toute connaissance de c<strong>au</strong>se. Il paraît<br />

qu’il s’est bien amusé <strong>au</strong> cours du procès.<br />

-Comment cela ?<br />

-Vous ne croyez tout de même pas qu’il vous <strong>au</strong>rait laissé<br />

mourir alors que ce n’était pas <strong>le</strong> moment. Aucun homme<br />

ne pouvait espérer avoir un juge <strong>au</strong>ssi juste.<br />

-Je ne comprends pas. vous vou<strong>le</strong>z dire que…<br />

-Si vous vou<strong>le</strong>z bien <strong>le</strong> croire, oui. Vous savez, cela Lui<br />

arrive plus souvent que vous ne pouvez l’imaginer.<br />

-Mais si Dieu voulait simp<strong>le</strong>ment répondre à mes<br />

questions, pourquoi Wiessman et Peter sont-ils morts ?<br />

-Concernant Wiessman, j’ai <strong>le</strong> plaisir de vous annoncer<br />

qu’il est mort on ne peut plus naturel<strong>le</strong>ment. Son heure était<br />

venue et cela n’a rien à voir avec votre histoire. Il a eu un<br />

206


el arrêt cardiaque <strong>au</strong> moment ou il se trouvait devant sa<br />

fenêtre, vous connaissez la suite…<br />

-Et Peter, il n’est pas mort de sa bel<strong>le</strong> mort, lui.<br />

Gaby Goldman regarda la tombe si<strong>le</strong>ncieusement.<br />

-Peter n’est pas mort Jérémie. Il est ressuscité…<br />

207

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