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Recueil des textes primés 2010 - Encres Vives

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12 ème Concours<br />

Nouvelles et Poésies<br />

Année <strong>2010</strong><br />

*PALMARES*<br />

Un mot de trop……..<br />

Paradis perdus<br />

Où vont nos arbres ?<br />

<strong>Encres</strong> <strong>Vives</strong> et la Ville de Cholet<br />

1


Contact : www.encres-vives.fr<br />

encres.vives.cholet@orange.fr<br />

ENCRES VIVES,<br />

en partenariat<br />

Avec la ville de CHOLET<br />

* PALMARES *<br />

************<br />

Dessin de couverture : Guy Roy<br />

Conception, saisie <strong>des</strong> <strong>textes</strong>, réalisation : Christiane Métayer<br />

2


I– PALMARES de la ville de CHOLET<br />

- poésies adultes pages 3-8<br />

- nouvelles adultes pages 9-25<br />

II – PALMARES ENCRES VIVES<br />

- prix musical poésies adultes pages 27-28<br />

- poésies adultes pages 29-31<br />

- nouvelles adultes pages 32-39<br />

- prix spécial Allemagne pages 40-43<br />

- prix spécial Suisse pages 44-47<br />

- poésies jeunes pages 48-53<br />

- nouvelles jeunes pages 54-57<br />

3


I – PALMARES<br />

Ville de CHOLET<br />

4


CATEGORIE : POESIES ADULTES<br />

Ville de Cholet<br />

PALMARES<br />

1 er prix Monsieur Michel MULOT – 71 Le Creusot<br />

« L’enfant sur le chemin »<br />

2 ème prix Madame Marie-Thérèse VENDEE – 49 Cholet<br />

« Les paradis perdus »<br />

3 ème prix Madame Monique GERMAIN ROSSARD – 49 Angers<br />

« Petra »<br />

4 ème prix Monsieur René OLIVIER – 01 Courmangoux<br />

« Images d’enfance »<br />

Thème : paradis perdus<br />

5


L’enfant sur le chemin<br />

La campagne s’endort en pelisse de neige ;<br />

Le crépuscule sombre aux contours indécis<br />

Se fond dans le silence où le temps fait sursis,<br />

Sous la lune naissante, aux ombres en cortège.<br />

Ses pas insouciants en pèlerine beige,<br />

Balancent son cartable au bout <strong>des</strong> doigts transis ;<br />

Quelques flocons perdus viennent à ses sourcils<br />

Mettre l’éclat furtif d’un scintillant arpège.<br />

Mais qu’importe le froid : le voilà de retour<br />

A la vieille maison toute empreinte d’amour,<br />

Où le poêle ronronne une flamme ravie.<br />

Tout seul sur le chemin, cet enfant, c’était moi…<br />

Et mon âme sereine, et mon cœur sans émoi,<br />

Ne savaient pas alors les hivers de la vie.<br />

Michel MULOT<br />

71 Le Creusot<br />

6


Les paradis perdus<br />

A fleur de mémoire revivent les souvenirs.<br />

Paradis de l’enfance, remplis de rêves et de désirs.<br />

Te souviens-tu ?<br />

L’odeur <strong>des</strong> foins coupés,<br />

Celle <strong>des</strong> feuilles tombées<br />

Craquantes, mises en tas et brûlées,<br />

Ah ! L’odeur âcre de la fumée dans le soir tombé.<br />

Feu dans la cheminée, joues et doigts réchauffés.<br />

Draps glacés sous l’édredon gonflé<br />

Courses pieds nus dans les champs de blé juste coupés<br />

Ou le matin dans les prés recouverts de rosée.<br />

Et passe le temps…<br />

Vie sous d’autres cieux éloignés,<br />

Richesse de la nature et <strong>des</strong> personnes rencontrées,<br />

Paradis de l’amour et de l’amitié partagés.<br />

Longues années ensoleillées<br />

Remplies d’enfants et de gaieté,<br />

Expériences nouvelles traversées<br />

Mais aussi peines et douleurs oubliées.<br />

Foin <strong>des</strong> nostalgies…<br />

Mes paradis ne sont pas perdus<br />

Ils sont en moi avec <strong>des</strong> sédiments et <strong>des</strong> résidus<br />

Qui ont construit ma vie par les chemins parcourus.<br />

D’autres paradis m’ont enchantée et ravie.<br />

Voleuse de mots ou hasard de mes lectures choisies<br />

J’essaie de les glisser dans la Poésie.<br />

Et peut-être au bout de ma longue vie<br />

Traverserai-je un autre Paradis ?<br />

Ailleurs…<br />

Marie-Thérèse VENDEE<br />

49 Cholet<br />

7


Petra<br />

J’aurais donc vu Petra avant que de mourir,<br />

Sa pierre reste en moi gravée en souvenir.<br />

Car le soleil mourant, là-bas, se fait si beau<br />

Dans le soir imposant, qu’on voudrait qu’un tombeau<br />

Nous y soit réservé, au milieu de ceux-là,<br />

Dans la roche sculptée, quand nos corps seront las.<br />

Dans la lumière d’or le temps s’est arrêté<br />

Par un souffle divin venu nous apaiser.<br />

Ailées comme <strong>des</strong> anges dans l’immensité,<br />

Les draperies moirées en ondulations<br />

Appellent à prier avec intensité<br />

Sur la pierre creusée par les dévotions.<br />

On se prend à rêver d’y tailler un linceul<br />

Pour notre éternité et d’y reposer seul.<br />

N’en est-il pas ainsi <strong>des</strong> plus beaux paradis<br />

Que les hommes ont perdus ? Par delà les années<br />

De splendeurs oubliées, voilà qu’ils irradient<br />

L’aura mystérieuse dont ils sont pénétrés.<br />

J’aurais donc vu Petra avant que de mourir,<br />

Sa pierre reste en moi : pourrais-je y revenir ?<br />

Monique GERMAIN-ROSSARD<br />

49 Angers<br />

8


Images d’enfance<br />

Non ! Ne m’appelle pas. Ce n’est pas l’heure encore…<br />

Si je verse <strong>des</strong> pleurs sur le tertre oublié,<br />

Si le regret m’étreint, si le passé m’implore<br />

De me dire partout son fidèle allié,<br />

C’est que ton cher visage a marqué mon enfance<br />

Et que les souvenirs qui parlent d’autrefois<br />

Evoqués quelque part, passent pour une offense<br />

En ce monde cruel où vacille la foi.<br />

Ce tout petit garçon timide et solitaire,<br />

Comme il était heureux en franchissant ton seuil !<br />

Tu savais le comprendre et l’aimer sans mystère<br />

Et tu lui souriais parfois, pour tout accueil.<br />

Je me souviens <strong>des</strong> bruits, <strong>des</strong> odeurs de la ferme,<br />

De la chaise vétuste où tu venais t’asseoir<br />

Quand le travail <strong>des</strong> champs, parvenant à son terme<br />

Le ciel nous bénissait d’un magique encensoir.<br />

Chères heures du chant, de la fable et du conte !<br />

L’ombre accourait, propice à ce chuchotement,<br />

Les gau<strong>des</strong> mijotaient dans la coquelle en fonte<br />

Et l’horloge approuvait le doux rapprochement.<br />

Tu dors près du clocher. La mort a clos ta bouche<br />

Tu t’en fus, emportant la photo du gamin…<br />

Devant ce noir clin d’œil de la Grande Farouche<br />

Oh ! Je n’aurais pas dû te lâcher la main.<br />

Non ! Ne m’appelle pas car je me sens indigne<br />

De profiter déjà du paradis offert.<br />

Je saurai te rejoindre et j’attendrai ton signe…<br />

Peut-être n’ai-je pas suffisamment souffert ?<br />

René OLIVIER<br />

21 - Courmangoux<br />

9


CATEGORIE : NOUVELLES ADULTES<br />

Ville de Cholet<br />

PALMARES<br />

1 er prix Monsieur Gilles BOURDOULEIX – 49 Cholet<br />

« Un mot pour avouer »<br />

2 ème prix Madame Maud REDON – 44 Clisson<br />

« Les bonnes intentions »<br />

3 ème prix Monsieur Eric MOULARD – 22 Plérin<br />

« Le dernier mot »<br />

4 ème prix Monsieur Yannick PENE – 65 Bagnères de Bigorre<br />

« Un concours de mots »<br />

Thème : Un mot de trop………<br />

10


Un mot pour avouer<br />

Le commissariat semble s’éveiller. A la radio, j’entends un discours du Président Obama sur<br />

les questions de sécurité. Un terroriste a été maîtrisé par <strong>des</strong> passagers qui ont ainsi empêché<br />

qu’il s’explose, entraînant la désintégration de l’avion. Je regarde le café fumant tomber<br />

doucement dans le gobelet. Je repense aux évènements <strong>des</strong> dernières heures.<br />

Il était déjà tard hier soir. Je traînais au commissariat à rédiger un rapport, comme la plupart<br />

<strong>des</strong> soirées depuis que ma femme m’a quitté avec nos deux enfants. Pour être franc, elle m’a<br />

plaqué parce qu’elle me trouvait trop impliqué dans mon boulot. Et elle avait raison…En fait<br />

traiter un dossier, classer quelques papiers sont de mauvaises excuses pour être prêt à sauter<br />

sur la première affaire qui passe. Je crois que je suis né flic. Toujours est-il qu’hier soir les<br />

deux lieutenants de service étaient mobilisés sur un homicide. Quand le standard prévint de<br />

l’alerte donnée par une patrouille effectuant sa ronde, je répondis immédiatement que je m’en<br />

occupais. Je téléphonai aussitôt à mon équipier David Anderson. Son statut de célibataire le<br />

rend plus corvéable bien que je le sache très accaparé par les jupons !<br />

David mit un moment à répondre. Peut-être était-il endormi.<br />

- Je ne te dérange pas ? »<br />

- Non je suis chez moi, » me dit-il comme une évidence que le portable ne garantit pas.<br />

Je lui donnai l’adresse et lui proposai de me retrouver sur place.<br />

Un homme avait en effet appelé peu après minuit depuis sa vaste demeure d’un quartier<br />

résidentiel. Rentrant chez lui après une soirée de travail solitaire à son bureau, il avait<br />

découvert son épouse sans vie, le corps jeté en travers du lit conjugal et baignant dans son<br />

sang.<br />

La patrouille était arrivée quelques minutes avant David et moi. Un policier surveillait<br />

l’entrée de la maison, sa voiture éclairée et le gyrophare clignotant ; quelques voisins se<br />

tenaient debout à proximité, comme <strong>des</strong> insectes nocturnes attirés par la lumière. Certains<br />

étaient sommairement habillés. D’autres n’avaient pas pris la peine de se changer et<br />

arboraient leur plus beau peignoir. L’autre flic de la patrouille se tenait dans le salon près du<br />

propriétaire désormais veuf, prostré dans un canapé de cuir qui semblait immense et qu’il<br />

m’aurait fallu payer en plusieurs traites. Le visage de l’homme bien que déformé par la douleur<br />

évoquait à ma mémoire un vague souvenir. Il sembla faire un effort surhumain pour redresser<br />

la tête. Il avait abondamment pleuré. Il me fixa.<br />

-Elle est morte » dit-il dans un souffle.<br />

Il n’attendait visiblement pas de réponse et replongea dans sa prostration.<br />

J’observai que son costume était recouvert de taches de sang. Je fis signe à David de me suivre.<br />

Nous mîmes <strong>des</strong> gants en caoutchouc et <strong>des</strong> sur-chaussures. L’agent de faction à l’entrée<br />

m’avait rapidement indiqué que le corps était au premier dans la chambre à coucher. David en<br />

sportif accompli monta quatre à quatre les marches du large escalier. Je suivis plus<br />

péniblement. Nous restâmes à l’extérieur de la pièce pour ne pas polluer la scène du crime.<br />

Le corps de la jeune femme qui, même dans la mort, était très belle, gisait, lardé de coups de<br />

couteau. Le meurtrier s’était sauvagement acharné sur elle. Les draps de satin blanc étaient<br />

colorés de rouge. Les yeux grands ouverts de la victime exprimaient une terreur qui indiquait<br />

la souffrance endurée avant que la mort ne vienne comme une douce délivrance. J’ai toujours<br />

été frappé par ce point commun entre les mala<strong>des</strong> en phase terminale et les gens assassinés<br />

après d’effroyables tortures. La mort, qui pour nous les témoins survivants paraît une<br />

sentence insoutenable, devient une bénédiction en achevant <strong>des</strong> douleurs insupportables.<br />

J’étais certain que cette femme avait quitté la vie avec cette consolation.<br />

J’aperçus sur un meuble une photographie représentant le mari répondant à <strong>des</strong> journalistes<br />

sur les marches du Palais de Justice. Peter Roberts. Le nom me revînt soudain. Un avocat<br />

pénaliste connu pour être habile et retors, que j’avais écouté plaider une fois dans une affaire<br />

que j’avais suivie. Il avait arraché la clémence <strong>des</strong> jurés et évité à l’accusé reconnu coupable la<br />

très lourde peine qu’il aurait pourtant méritée tant les faits étaient accablants.<br />

11


L’équipe scientifique nous rejoignit vite. Nous les laissâmes à leur travail minutieux. Je<br />

chargeai David d’aller glaner quelques informations auprès <strong>des</strong> voisins curieux. Je vins<br />

m’asseoir près du mari. J’entamai la conversation avec la méfiance que m’inspirait la<br />

profession de l’homme qui serait forcément et instinctivement sur ses gar<strong>des</strong> en présence d’un<br />

enquêteur. Je compris de notre entretien qu’il avait, comme souvent, travaillé tard à son<br />

bureau, profitant du calme de la nuit que le téléphone muet et les collaborateurs rentrés chez<br />

eux ne viennent pas troubler. Le cabinet de l’avocat était situé dans un immeuble du centreville.<br />

Vers 21 heures, un agent de sécurité accomplissant sa ronde l’avait salué. Roberts<br />

pensait être parti après 23 heures mais sans pouvoir apporter plus de précision. Il avait<br />

récupéré sa voiture au sous-sol et n’avait croisé personne. Une trentaine de minutes de trajet<br />

dans les rues désertes. La voiture laissée dans l’allée d’accès à la maison, là où je l’avais vue en<br />

arrivant. Le silence dans la maison. Jaimie endormie, avait-il pensé. La découverte de<br />

l’horreur. Il s’était jeté sur elle, avait secoué le corps et prenant conscience de l’atroce vérité<br />

avait téléphoné à la police.<br />

Les agents l’avaient trouvé assis au bord du lit, pleurant. Il me dit avoir saisi le couteau<br />

ensanglanté abandonné près de Jaimie. Ecœuré, il l’avait lâché. Il était toujours sur la <strong>des</strong>cente<br />

de lit où nous l’avions aperçu David et moi. Nous allions donc y relever les empreintes de<br />

Roberts. Mais y en aurait-il d’autres ? Au premier coup d’œil et avant toute analyse<br />

scientifique, dans la mesure où le sang n’avait pas encore séché, j’aurais déduit que le crime<br />

avait été commis peu de temps avant l’arrivée supposée de Roberts, c’est-à-dire entre le<br />

moment où le dernier témoin, le vigile, l’avait vu à son bureau et son retour chez lui. En<br />

général les agents de sécurité ont un parcours de ronde précis et minuté. Le vigile pourrait<br />

dire avec une assez fiable précision l’heure à laquelle il était passé dans le cabinet de Roberts.<br />

A priori cela amenait à une conclusion qu’un bizuth aurait tirée : Roberts n’avait pas d’alibi<br />

vérifiable.<br />

Cette constatation m’occupait l’esprit quand je vis David me faire signe depuis le vestibule. Je<br />

laissai l’avocat et rejoignis mon équipier. Il m’entraîna à l’écart et me parla à voix basse.<br />

- J’ai interrogé les voisins. Tous très à l’aise. Ce n’est pas un quartier de prolos. Une<br />

observation générale : le couple Roberts n’était pas au mieux. Des cris fréquents qui<br />

résonnaient jusque dans les jardins proches. Des départs de voiture sur les chapeaux de roue,<br />

parfois dans la nuit. Roberts souvent absent de chez lui. Une épouse oisive dont tout le<br />

monde pensait qu’elle prenait du bon temps avec <strong>des</strong> amants. Tous sont prêts à témoigner<br />

plus officiellement ».<br />

- Bigre ! »fis-je. « Avec la faiblesse de son alibi, cela fait du mari un suspect idéal. Une énième<br />

dispute qui tourne mal. Il pète les plombs. Prend un couteau. Et hop ! Quand il retrouve ses<br />

esprits, il échafaude le scénario qu’il m’a servi ».<br />

Je me tournai vers le salon et observai Roberts toujours effondré. Il fallait le cuisiner<br />

rapidement.<br />

Il n’avait pas fait d’objection pour nous suivre au commissariat, « pour bien préciser les<br />

évènements de la soirée » lui avais-je indiqué. A cet instant j’avais lu dans son regard qu’il<br />

savait ce que j’avais derrière la tête. Pourtant il joua le jeu et ne protesta pas.<br />

Un long moment fut consacré à raconter une fois, deux fois, jusqu’à dix fois le déroulement<br />

<strong>des</strong> dernières heures. L’absence d’alibi se confirmait. Roberts affirma avoir reçu un appel sur<br />

sa ligne directe peu de temps après le passage du vigile. « Comme si quelqu’un vérifiait que<br />

j’étais au bureau » précisa-t-il. Détail qu’il avait omis de me donner lors de l’entretien à son<br />

domicile mais qui ne prouvait rien. C’est à ce moment que nous le laissâmes seul, David le<br />

surveillant à travers la glace sans tain et moi allant me chercher un café.<br />

Nous attaquions maintenant la deuxième phase de l’interrogatoire.<br />

- Ce n’était pas extraordinaire avec votre épouse, semble-t-il ».<br />

- Vous croyez que je n’ai pas compris que vous me suspectez. Je n’ai rien à me reprocher ».<br />

J’ai décidé de mener les débats et David interviendra si les détails sont nécessaires.<br />

- Je vous entends Mr Roberts. Mais vous n’avez pas répondu à ma remarque ».<br />

-Jaimie et moi, nous avons eu <strong>des</strong> moments difficiles. Nous sommes mariés depuis trois ans.<br />

C’est ma seconde épouse. Elle est… ». Il hésite et se reprend la voix étranglée. « Elle était plus<br />

12


jeune que moi. Douze ans exactement. Je bosse beaucoup. Elle espérait autre chose d’un<br />

homme en vue et riche. Elle était très belle, très séduisante. Elle a vite pris <strong>des</strong> amants. Je l’ai<br />

su. Elle s’était même amouraché d’un flic ! ». Il ajoute cette précision avec un sourire ironique.<br />

Je ne sais pas si l’ironie tient au fait d’avouer cela à deux policiers ou à la différence de niveau<br />

social entre l’amant et le mari. Je laisse filer.<br />

C’était de l’histoire ancienne et elle avait rompu avec ce flic qui le prenait mal car… ».<br />

- Mon œil » coupe soudain David, « Quand elle vous a dit être enceinte de son amant, ce qui<br />

entraînait la rupture définitive, vous ne l’avez pas supporté ».<br />

Je tourne la tête vers David mais ne réagit pas. C’est Roberts qui reprend la parole la voix<br />

calme, les yeux fixant Anderson.<br />

- Elle n’était pas enceinte de son amant, mais de moi. C’était la conséquence heureuse de<br />

notre réconciliation il y a quelques semaines. J’étais effondré quand je l’ai découverte parce<br />

que je perdais non seulement ma femme mais aussi mon enfant, moi qui n’ai jamais pu en<br />

avoir avec ma première épouse. Elle m’avait confirmé sa grossesse hier soir au téléphone. Nous<br />

avions décidé de partir deux jours en amoureux pour le fêter. C’est pourquoi je voulais<br />

boucler un dossier pour m’en aller l’esprit libre. Je le lui avais dit au téléphone ».<br />

Le silence est soudain pesant. Il l’est d’autant plus pour moi que je suis contrarié.<br />

Un signe de tête et David sort avec moi de la salle d’interrogatoire. Je l’abandonne derrière le<br />

miroir après avoir coupé l’enregistrement filmé et je me dirige vers le service du médecin<br />

légiste, au sous-sol de l’immeuble du commissariat, du pas décidé que j’adopte quand je suis<br />

en colère.<br />

Je constate à la fois avec satisfaction et déception que c’est mon vieux complice le docteur<br />

Richard Cosby qui officie. Déception car il m’a joué un sale coup. Satisfaction car nous<br />

pourrons nous expliquer franchement.<br />

- Salut Richard. Je te félicite de ta promptitude. Le corps de Jaimie Roberts a été apporté<br />

quasiment au moment où nous arrivions avec le mari. Une heure de causerie avec lui et tu as<br />

eu le temps de faire l’autopsie. C’est parfait. Mais le patron de l’enquête c’est moi. Et c’est à<br />

moi qu’on donne les premiers éléments utiles. En près de quinze ans, tu ne m’avais jamais<br />

court-circuité ainsi ».<br />

Richard s’assoit tranquillement ; sa blouse témoigne du job qui est le sien. Il sourit. Ses yeux<br />

portant la fatigue d’une nuit blanche.<br />

- Quatre homici<strong>des</strong> entre 20 heures hier et maintenant. Des urgences à traiter. J’ai bossé sans<br />

arrêt ».<br />

- Pas une raison pour profiter de ma pause café et informer mon coéquipier de ce que j’aurais<br />

dû savoir en premier ou au moins en même temps ».<br />

Il lève les yeux au ciel.<br />

- Viens ».<br />

Il m’entraîne dans la salle d’autopsie.<br />

Il y a le corps d’un homme. Celui sur lequel Richard travaillait quand je l’ai interrompu. Un<br />

peu à l’écart, il y a deux corps recouverts d’un drap. Richard s’approche du plus éloigné. Il<br />

soulève le drap. Jaimie Roberts. Son corps est intact !<br />

- Je ne comprends pas ton énervement. Et je suis trop crevé pour en discuter ».<br />

Richard me regarde longuement. Il doit me trouver aussi blême que ses clients…Je bredouille<br />

quelques mots d’excuses. Je quitte cette pièce. Dans le couloir, je respire profondément.<br />

L’impression que le sol se dérobe me projetant dans un abîme qui m’avale. C’est dans le feu<br />

qui éclaire la vérité que je plonge.<br />

Je repars vers la salle d’interrogatoire.<br />

- Elle s’était amouraché d’un flic » a dit Roberts. « Elle était enceinte » a dit Anderson.<br />

Un mot de trop…Un mot de trop…<br />

Comment David a-t-il su que Jaimie Roberts était enceinte ? Parce qu’elle lui a dit. Au<br />

téléphone ou de vive voix. L’amant flic, c’était lui. J’imagine qu’il a imploré une ultime<br />

rencontre avec sa maîtresse pour essayer de renouer. Elle aura accepté cette explication et<br />

indiqué innocemment que son mari restait travailler à son bureau. Connaissant la prudence<br />

de David, il aura vérifié en appelant Roberts, probablement d’une cabine. Quand je l’ai<br />

13


prévenu que nous devions partir sur un crime, il m’a précisé être chez lui pour que j’enregistre<br />

comme un fait acquis l’information alors qu’il pouvait se trouver n’importe où et<br />

particulièrement entre la maison <strong>des</strong> Roberts et son domicile, revenant de commettre son<br />

forfait, ne se doutant pas que nous nous retrouvions en charge de l’enquête.<br />

Avec l’aspect d’un automate, j’avance dans le couloir, vers l’ascenseur.<br />

Des détails me reviennent. Sans soupçons particuliers, ils m’avaient forcément échappé. David<br />

se dirigeant directement vers la chambre de la victime alors que c’est à moi qu’un collègue<br />

avait précisé la localisation. Son empressement à me rapporter les témoignages défavorables<br />

<strong>des</strong> voisins, insistant sur les heurts opposant les Roberts et orientant ainsi mes doutes en<br />

direction du mari.<br />

Et surtout ce mot de trop enregistré dans la salle d’interrogatoire.<br />

« Enceinte ».<br />

Ce mot que David a prononcé. Une situation qu’il était censé ignorer.<br />

Je sors de l’ascenseur.<br />

J’hésite. Ma démarche me paraît soudain pesante.<br />

Dans un instant, je vais relâcher un innocent. Dans l’instant qui suivra, je lirai ses droits à un<br />

policier. A mon coéquipier depuis six ans, trahi par un mot de trop.<br />

Gilles BOURDOULEIX<br />

49 - Cholet<br />

14


Les bonnes intentions<br />

« Va t-en, tu ne peux pas m’aider, tu ne sers à rien ».<br />

Un mot de trop détruit toujours son intention<br />

Schopenhauer<br />

Les mots, comme les armes, partent parfois tous seuls. Depuis hier, je ressasse ceux que j’ai<br />

utilisés. Je sais que je lui ai fait mal. Mais l’angoisse ne s’explique pas, ne se partage pas. A<br />

ceux à qui elle est étrangère, il faut renoncer à demander de l’aide. Les autres, ceux qui savent,<br />

ceux qui ont vécu ou vivent cette oppression intérieure, ceux avec qui les mots sont superflus,<br />

je répugne à risquer de leur faire partager mon état, dont je crains toujours qu’il soit<br />

contagieux. Alors à qui d’autre en parler que lui, mon amoureux, mon presque fiancé ? En<br />

vain. Il est parti en claquant la porte « On en reparlera quand tu seras calmée ». Et je suis là,<br />

effectivement un peu calmée ; l’angoisse écrasée par la peur de le perdre. J’en retrouve un peu<br />

de lucidité. Trop peu de temps qu’on se connaît : nous sommes fragiles encore. Le bonheur à<br />

deux, je me demande si ce n’est pas contre nature pour moi. Seule déjà, ce n’est pas gagné. On<br />

a beau avoir 30 ans et l’envie de construire quelque chose…La bonne volonté suffit-elle ?<br />

J’ai préparé mon mot d’excuse. Marchant sur mon orgueil, je lui dirai la vérité. Ma vérité. Que<br />

je l’aime un peu plus avec le temps qui passe, que j’apprécie qu’il ne se soit pas énervé. Et que<br />

finalement, mon angoisse est passée grâce à lui, contrairement à ce que je disais hier soir. Je<br />

tourne les phrases. J’attends. Le bon moment. Comme si l’agacement né de cette attente était<br />

le prix à payer.<br />

Il appelle, on se donne rendez-vous. On va dénouer ces tensions.<br />

En avance, je l’attends, je savoure les prémices d’une paix annoncée. Le subtil bien-être d’une<br />

réconciliation à venir. Le voilà qui s’avance, je suis émue, encore, de son air de dandy, perdu<br />

dans notre siècle brutal. Autour de lui, une tension, lourdeur inhabituelle, à peine perceptible.<br />

S’installe. Il doit craindre que je ne reparte dans la scène d’hier soir…On a besoin de parler.<br />

Allez, je me lance :<br />

- Tu as l’air préoccupé. Dis-moi, c’est moi, c’est à cause de moi, hier ? Ce sont mes mots ?<br />

J’en suis désolée. Je…Je n’ai vraiment pas d’excuse. Je suis désolée, vraiment d’avoir été<br />

si violente, tu sais, je suis touchée que tu aies pris autant au sérieux ma saute<br />

d’humeur. Je sais que j’ai été désagréable, odieuse…c’est que, au fond, je cherchais à te<br />

faire réagir, pour ne plus me sentir seule. Te faire mal pour être sûre que tu étais là. Un<br />

truc de fille. Mais je le regrette maintenant, je regrette de …je le regrettai déjà en le<br />

disant…je<br />

- Attends, il faut que je te dise quelque chose.<br />

Et sans attendre que j’acquiesce, comme s’il lui fallait se débarrasser d’une mission délicate,<br />

ou d’une récitation ingrate, il livre son fardeau. Une bombe eut explosé à mes pieds que je<br />

n’en eut pas été plus surprise. Je m’attendais à <strong>des</strong> reproches, <strong>des</strong> remarques sur mes caprices,<br />

ou ma tyrannie larvée de la veille, et…il me dit…quoi…Enfin, il me raconte la fin de sa soirée en<br />

trois ou quatre phrases elliptiques qu’il a visiblement tournées et retournées dans sa tête : Il<br />

n’est pas rentré chez lui. Il est sorti énervé, blessé. Il a erré seul dans les rues de Paris,<br />

songeant un instant à revenir, à rappeler, puis y renonçant. Un peu vexé de s’être fait rejeter<br />

15


ainsi, provoqué par le silence de son téléphone où auraient dû se précipiter mes excuses. Il a<br />

ressenti le besoin d’une oreille amie. Une oreille, une amie, une copine. Alors il a appelé<br />

Marion, une fille qu’il connaît un peu par son boulot, une stagiaire sympa.<br />

- Nous avons marché dans Paris, nous avons discuté, plus d’elle et de ses problèmes que<br />

de moi finalement, mais ça m’a fait du bien…Je l’ai raccompagnée chez elle ensuite, elle<br />

m’a offert un verre en me faisant découvrir <strong>des</strong> musiques qu’elle aime, pour me<br />

changer les idées, et comme il était tard…enfin, tu comprends, elle m’a proposé de<br />

dormir chez elle.<br />

Je n’ai rien dit. Je traitais l’information. –Elle doit avoir de belles et bonnes oreilles pour qu’il<br />

ait pensé à l’appeler avant quiconque…<br />

- Avant que tu ne t’imagine quoi que ce soit, il faut que tu saches qu’il ne s’est rien<br />

passé, rien du tout ! Il n’en était pas question, mais…bon, je voulais te le dire. Quand<br />

même…Même s’il n’y a rien à raconter quand on y pense. Tu vois quoi.<br />

Quoi ? Je vois quoi ? Que dit-il. Quelqu’un me parle-t-il ? Je suis sourde, je…j’affabule, je dois<br />

être en train de rêver. Tiens il fait frais ce soir. J’aurais dû prendre mon pull. Il manque <strong>des</strong><br />

mots à mon vocabulaire. Je ne peux que le regarder, en silence. Je pense à ladite Marion, je ne<br />

l’ai jamais rencontrée. Entendu parler, tout au plus par un collègue et ami. Jolie fille, plutôt<br />

paumée, qui le drague discrètement depuis quelques mois, elle le drague, comme elle en<br />

cherche d’autres, pour se trouver elle-même. Ils en ont rigolé ensemble. Avant. J’y pense, sans<br />

précision, et puis, comme il faut répondre, je m’arrache un sourire. Et j’éructe, d’une voix<br />

atone que je ne reconnais pas un « Ah » tendance dubitatif, à la recherche d’un complément<br />

qui traduise correctement mes sentiments. Cette locution est pourtant la plus juste<br />

reproduction de l’état de mes pensées.<br />

Et puis, sentant frémir l’orgueil blessé et le doute insidieux, je cherche à en savoir un peu plus,<br />

tout de même. Est-ce pour me rassurer ? Pour prendre la mesure ? Je l’interroge avec un calme<br />

qui m’étonne.<br />

- Mais tu la connais bien ? Je croyais que c’était juste une relation de boulot ? Elle habite<br />

où ? Tu avais son numéro ?<br />

C’est vrai ça, son numéro, son portable, est-ce que j’ai les numéros <strong>des</strong> mecs qui me draguent<br />

moi ? Ceux de ses ex, déjà, c’est limite. Moi, au moins, je suis correcte, je n’ai pas conservé les<br />

numéros de mes anciens amants, ni de ceux qui me draguaient à l’époque ou je l’ai rencontré.<br />

Bon, d’accord, je sais très bien où ils sont notés, mais merde, ça ne me viendrait pas à l’idée de<br />

les appeler en cas de tension entre nous ! De très loin, je m’entends lui demander d’une voix<br />

doucereuse :<br />

- Elle n’allait pas très bien ? Mais que lui arrive-t-il ? Ce n’est pas trop grave…c’est<br />

sympa de sa part d’avoir accepté de te voir si tard dans la soirée et de t’avoir invité à<br />

dormir chez elle. Il faudra que tu me la présente.<br />

Le pilote automatique a pris les rênes d’une conversation insensée, et je parle, les mots<br />

sortent, mécaniquement. Les sentiments se télescopent : surprise, colère, rage, jalousie,<br />

incompréhension ? Tous, aucun. Plus de place pour la solitude ou l’angoisse. La rage domine,<br />

me domine, je la domine – Mais il me prend vraiment pour une conne ou quoi ? – Naïf ou<br />

perturbé, il répond à chacune de mes questions, il hésite un peu parfois, étonné de cette<br />

curiosité, et de l’absence de scène, mais ne se défile pas. Et je ramasse chacune de ses réponses<br />

comme autant d’armes dont je charge sa mémoire. Je suis calme, précise, presque sereine.<br />

Tout est tamisé, mon esprit focalisé sur cette histoire, qu’on me raconte. Histoire dont je suis<br />

16


un personnage secondaire et qui s’intitulerait : « Il ne s’est rien passé ». Sous-titre : « Mais<br />

c’est déjà trop ».<br />

Et puis, pour me rassurer, il ajoute : « Je sais bien que mon passé, ma vie de Dom Juan d’avant<br />

toi ne t’inspirent pas confiance. Mais la différence, c’est que je t’aime, et que grâce à toi, j’ai<br />

tourné la page avec ce passé. D’ailleurs, c’est pour ça que je te raconte tout, alors que j’aurais<br />

pu ne rien te dire, surtout qu’il ne s’est rien passé. Tu vois, j’ai changé, tu m’as changé. Tu<br />

peux me faire confiance ». Et presque fièrement il ajoute : « Et puis de toutes façons elle<br />

quitte Paris demain alors… »<br />

- Ah bon elle déménage ?<br />

- Oui, elle rentre chez ses parents en Normandie, elle a fini son stage. Au fait…ça me fait<br />

penser…elle m’a demandé si je pouvais l’aider à déménager ; j’irai peut-être lui filer un<br />

coup de main demain matin.<br />

- Tu vas l’aider à déménager demain ? –Maintenant c’est sûr : il me prend vraiment pour<br />

une imbécile…-<br />

- Oui, si ça ne te dérange pas.<br />

- Moi, non, bien sûr, pourquoi ça me dérangerait ? Il n’y a aucun souci.<br />

Assommée, je sens mon corps se raidir. Pourquoi ? Qu’y a-t-il à craindre ? S’il le dit si<br />

simplement c’est bien la preuve de la clarté de cette histoire dans son esprit. Et pourtant, si je<br />

devais laisser paraître mes sentiments, nous en serions quittes pour une bonne crise de<br />

jalousie. Et je ne veux pas lui donner ce spectacle pitoyable, j’ai horreur de me faire remarquer<br />

dans mes instants de faiblesse. Alors je me raisonne et me maîtrise. La surprise passée, j’ai<br />

besoin de parler, de reprendre les rênes. Je lui explique sur le chemin du retour que je suis<br />

contrariée, mais enfin, que son honnêteté à mon égard, lui qui a su mentir à tant de femmes,<br />

me touche. Et que s’il ne s’est rien passé, ce n’est peut-être pas la peine d’en faire un drame.<br />

Peut-être. « Finalement, cette expérience était à vivre pour notre couple, riche<br />

d’enseignements sur chacun d’entre nous ? » ; Je conclus sans y croire.<br />

Plus tard, après les caresses, allongée dans le silence de la nuit, voici que surgissent <strong>des</strong><br />

images. L’insupportable. Lui et une autre, chez elle…sans moi. Une inconnue. Une nuit. Un<br />

homme, une jolie femme et rien ? « Ne t’inquiète pas mon amour, ce n’est rien ». Non, je ne<br />

m’inquiète pas, il ne s’est rien passé. Quelque chose grince. Réveillée en sursaut, mon cœur<br />

bat la chamade et je suis envahie d’une émotion incontrôlée. Ce n’est plus de l’angoisse, pas<br />

encore de la colère. J’attrape l’oreiller et le tord pour en extraire la rage qui s’y niche. Je ne<br />

peux pas, je ne veux pas remettre en doute ce qu’il m’a affirmé les yeux dans les yeux avec<br />

tant d’assurance. Où est l’amour s’il n’y a plus de confiance ? Mais la confiance n’est pas<br />

aveugle. Dans ma tête, ça tourne : il n’irait pas l’aider à déménager s’il avait quelque chose à<br />

cacher. N’est-ce pas ? Quel sens cela aurait-il ? Il me demanderait ma caution morale pour<br />

aller retrouver sa maîtresse d’une nuit ? Non, il a bien dû ne rien se passer. Sinon…Je respire,<br />

mon cœur emballé se calme. Pour achever, je répète, comme un mantra : « Il ne s’est rien passé,<br />

rien, rien, il ne s’est rien passé ». Et dans la nuit noire, après un grand verre d’eau glacée, je<br />

rejoins le lit, et m’y rendors.<br />

Mais l’accalmie est de courte durée, et le silence nocturne ressemble à un vaste territoire<br />

vierge, que mon esprit tente d’occuper de ses réflexions : « Rien. C’est quoi rien ? C’’est<br />

quelque chose quand même, trois fois rien, un petit rien. N’empêche qu’il n’est pas rentré chez<br />

lui. Les taxis, c’est pas fait pour les chiens. Il a dormi chez une fille qu’il ne connaît quasiment<br />

pas. Enfin je crois, je ne sais plus : Elle lui a fait écouter ses musiques favorites, l’a invité en<br />

pleine nuit, chez elle. La salope. Et si moi je faisais la même chose aux hommes à qui je plais !<br />

Il sait bien qu’elle est amoureuse de lui. Et même, il me prend vraiment pour une conne. Il est<br />

le premier à me dire que les hommes ont toujours <strong>des</strong> idées derrière la tête ! Rien, comment ça<br />

17


ien ? Pourquoi l’appeler elle et pas n’importe qui d’autre ? Ça, ce n’est presque rien, et c’est<br />

déjà trop. C’est méprisable d’imaginer que ça puisse n’être rien pour moi, pour nous ! »<br />

Je m’emballe. Pour me calmer, je me concentre sur son air contrit, son air sincère. Et le simple<br />

fait qu’il m’ait tout raconté sans attendre, alors qu’il lui eut été facile de ne rien dire. Et puis<br />

notre affection réciproque, nos projets, et le chemin parcouru depuis notre rencontre. … non …<br />

je ne peux pas être jalouse d’une petite courge. Je suis juste énervée, par cette fille, par lui, par<br />

tous ceux qui font n’importe quoi en imaginant peut-être que ça ne fait rien aux autres…Qui<br />

disent qu’ils ne font rien, quand c’est déjà trop.<br />

Non, je ne suis pas jalouse, mais je ne suis pas folle non plus : Demain, j’irai avec lui pour les<br />

aider à déménager. Je verrai bien alors, ce à quoi elle ressemble, et ce qu’ils se disent. Oh oui, si<br />

elle doit partir, que ce soit vite fait, et bien fait. Alors, réfléchissons… Il faut que je me fasse<br />

belle. Tout de même, qu’est-ce qu’elle s’imagine, cette grue. Et lui, qu’il soit fixé s’il lui prend<br />

l’envie de comparer. Je la vois déjà, minaudant, prenant <strong>des</strong> poses devant lui… Je ne<br />

supporterai pas ! Mais ils n’auront pas un instant de répit. Je serai cordiale, mais très<br />

présente. Rester digne, spirituelle, et surtout, surtout, être Gen-ti-lleu. Ne pas se laisser<br />

gagner par la jalousie.<br />

Et voilà dans ma tête, un plan de bataille est dressé, un ordre du jour établi et le calme revient<br />

peu à peu. Je serai vainqueur de la lutte, de cette épreuve de notre vie de jeune couple qui<br />

nécessite par-<strong>des</strong>sus tout maîtrise et doigté. Au fond, j’ai toujours pensé que ça arriverait un<br />

jour. Il ne pouvait pas renoncer à ses démons du simple fait de sa volonté. Une nuit, un jour,<br />

nonobstant son courage et sa sincérité, un moment de faiblesse, une envie de plaire, un besoin<br />

de réconfort, il était évident qu’il retrouverait ses réflexes d’antan… On y est et quoiqu’il se<br />

soit passé, puisqu’à présent les dés sont jetés, il faut faire bonne figure, et faire taire ce<br />

ressentiment qui m’empêche de sombrer dans un sommeil pourtant mérité. Etre tendre,<br />

compréhensive, au-<strong>des</strong>sus <strong>des</strong> mesquineries, être forte enfin. Mais tout de même, cela n’exclut<br />

pas de la faire déménager, vite. Qu’elle retourne chez ses parents, on n’est jamais trop<br />

prudent.<br />

Sur le disque rayé de mes bonnes intentions, un samedi flou de soleil se lève.<br />

Je saute du lit la première. Derrière mon masque de charmante, je songe à la matinée qui<br />

débute. Jusqu’à ce qu’il s’étonne de me voir si tôt levée un samedi matin. « Mais, je viens avec<br />

toi mon chéri »… Il est surpris et ne le cache pas, mais il a l’air de comprendre qu’au fond, cette<br />

rencontre désagréable est le prix à payer pour le calme futur. Il ne cherche pas à m’en<br />

dissuader, et c’est tant mieux. Tout se passe parfaitement : je réalise que je me maîtrise<br />

totalement, et même, sans efforts. Finies la moiteur et les palpitations, fini le ventre qui se<br />

retourne à la vue d’images insupportables objet de mon imagination. Non, cette matinée sera<br />

vite passée, et la fâcheuse renvoyée chez elle. Toutes mes pensées sont ordonnées au rang que<br />

je leur ai assigné. Aux armes, en marche, tenez-vous prêts pour la grande scène du 2 ème acte<br />

final de cette comédie en un mouvement.<br />

6 ème arrondissement. « Mâdâme ne se refuse rien ! ». Il sonne à l’interphone, il a l’air de<br />

connaître. Une voix, le bip, escalier jusqu’au 5 ème étage ; et une jeune femme ouvre la porte.<br />

Marion, certainement. Je saisis très vite la petite flamme qui s’allume dans son œil, pour<br />

s’éteindre aussitôt en m’apercevant, remplacée par un sourcil interrogateur. GO ! « Bonjour, je<br />

suis Delphine, l’amie de Pierre, je me suis dit qu’une paire de bras supplémentaires serait<br />

bienvenue ! » . Voilà, c’est tout. C’est simple, c’est fait. Je suis dans la place. Il semble presque<br />

soulagé : Quoi, il croyait que j’allais faire un drame hystérique ? Il n’assumait pas la situation ?<br />

Ce n’était pas non plus le Pérou ! Si peu qu’on pourrait dire rien ( !) Et c’est bien mal me<br />

connaître que d’avoir envisagé un esclandre.<br />

18


Tout en portant quelques cartons de la fenêtre à la porte, j’examine scrupuleusement l’entour.<br />

L’appartement est joli, mais tout petit… Me retournant, je croise le regard de Marion qui<br />

s’arrache un sourire triste et charmant. Elle est séduisante, fragile, et se donne un air tel qu’on<br />

ne peut se retenir de vouloir prendre soin d’elle.<br />

Et merde. Une vague d’amertume remonte, je mâte d’un rapide, « il ne s’est rien passé ». Pour<br />

m’occuper, et accélérer les choses, j’attrape à nouveau deux cartons, et c’est parti. Pas un<br />

instant, je ne les laisserai seuls. Je guette, discrètement, silencieusement, toute retenue et<br />

politesse, au milieu <strong>des</strong> amis venus aider, enchantés de ma serviabilité, et de mon humour. Il a<br />

bien saisi qu’il vaut mieux pour lui s’occuper de monter et <strong>des</strong>cendre les paquets que rester à<br />

l’étage. Mais lors d’un passage à l’étage, un regard échangé, un sourire discret : la déflagration<br />

est immédiate. Ce n’est alors que je réalise l’ampleur de ma colère. Tout n’était qu’illusion, et<br />

le bel ordonnancement de mes idées s’effondre. Une rancœur immense, venue <strong>des</strong> tréfonds de<br />

ses tripes s’étend et me brûle. Envers qui ? Qu’importe, il faut que, il faut que, il faut… Inspirer,<br />

expirer, je me concentre, il faut que je rétablisse les choses, qu’entre femmes on s’explique,<br />

puisque lui…<br />

Pendant que les autres sont loin, je veux lui dire, pour qu’elle n’aille pas s’imaginer, cette grue,<br />

qu’elle a une longueur d’avance sur l’Officielle, ou une carte à jouer. Non, elle est hors jeu<br />

avant de commencer, il n’a jamais été question de lui permettre de participer, elle n’a été<br />

qu’une charmante distraction d’un soir, et d’ailleurs, c’est bien qu’elle ait été là, parfait comme<br />

serpillère. Voilà ce que je vais lui dire.<br />

Je lui pose la main sur l’épaule lui glisse compatissante : « Pierre m’a dit pour hier, il parait<br />

que tu ne vas pas trop bien en ce moment ? ». Perturbée, elle ne dit rien. Pour se reprendre et<br />

se donner contenance, elle me tend le carton qu’elle porte en me disant : « Oui, enfin non,<br />

enfin, attention, ce carton contient <strong>des</strong> trucs fragiles ».<br />

Je tends les mains vers le carton.<br />

Et voici que mes mains ne sont pas où elles devaient être, le fragile, le précieux contenu reste<br />

quelques secon<strong>des</strong> en l’air, le temps pour nos regards de se croiser. L’air du temps ? Le temps<br />

d’un regard cruel, éclats de porcelaine et de verres brisés.<br />

« Oh, pardon, vraiment, je suis désolée.<br />

« … non…, ce n’est pas grave, je vais m’en occuper, je,… ce n’est rien. »<br />

Atterrée, au bord <strong>des</strong> larmes, elle tente de ramasser les éclats répandus. Au moment où il<br />

entre dans la pièce. Malgré moi, les mots sortent de ma bouche, cruels, vengeurs et dérisoires :<br />

« Oui, tu as raison, ce n’est rien, nous ferons comme s’il ne s’était rien passé ». Mon chant du<br />

cygne…Et tandis que je cherche appui au mur, sans un regard pour moi, il s’approche d’elle, et<br />

l’aide à ramasser les débris.<br />

Maud REDON<br />

44 Clisson<br />

19


Le dernier mot<br />

L’année scolaire s’achevait par une merveilleuse journée ensoleillée. J’éprouvais un sentiment<br />

étrange de joie mêlé de nostalgie.<br />

Progressivement, nous nous éparpillâmes en nous promettant de nous revoir pendant les<br />

gran<strong>des</strong> vacances.<br />

Après que le dernier car eut enlevé Kader, je me retrouvai seul devant le portail du collège,<br />

que le directeur referma pour les gran<strong>des</strong> vacances.<br />

Je restai planté là, un moment, triste de devoir affronter deux mois d’ennui dans la ferme de<br />

mes parents. Ennui n’était pas le mot exact car mon père allait sûrement me faire travailler<br />

comme un forcené, habillé de cette salopette verte qui me rendait si sexy.<br />

Puis je me résignai enfin à rejoindre la maison de mes grands parents en traînant <strong>des</strong> pieds.<br />

Au carrefour, je me retrouvai aux côtés d’Alain, un élève de ma classe. Mais personne ne lui<br />

adressait la parole, hormis lors <strong>des</strong> évaluations, car c’était une grosse tête.<br />

Je me sentais mal à l’aise dans cette situation où je ne pouvais l’éviter. Je tentai toutefois de<br />

l’ignorer durant l’attente interminable que le bonhomme passe au vert.<br />

Il s’adressa à moi, rompant un silence pesant :<br />

« Tu vas où ? »<br />

« Ben, je vais chez mes grands parents », lui répondis-je.<br />

« Ils ne viennent pas te chercher ? »<br />

« J’suis plus un gamin, et puis ils habitent rue Nationale. J’peux y aller à pied »<br />

« C’est ma direction, ça ne te dérange pas si je t’accompagne ? »<br />

Je grommelais un « ouais » après avoir jeté un œil alentour pour m’assurer qu’aucun de mes<br />

amis ne traînait dans les parages. J’appréhendais un peu qu’on me voie en compagnie du<br />

premier de la classe.<br />

Nous passâmes devant l’hôtel de ville. Alain me tira par la manche de mon blouson avec une<br />

exaltation déroutante, que je ne lui avais jamais vue durant toute l’année scolaire.<br />

Son visage était radieux.<br />

« Mais, où tu m’emmènes ? Je n’ai rien à faire à la mairie ! »<br />

« On va se marier ! », lança Alain.<br />

« Hein ? Mais t’es ouf ou quoi ? », sentant un afflux de sang me rougir le visage.<br />

« Mais non, je veux juste te montrer quelque chose », me rassura t-il.<br />

« C’est quoi ? »<br />

« Tu verras bien, fais moi confiance »<br />

« Bon, mais cinq minutes, parce que je n’ai pas trop le temps », répondis-je.<br />

Je le suivis avec toutefois une pointe de méfiance.<br />

Nous arrivâmes dans une salle où étaient exposées de gran<strong>des</strong> toiles aux couleurs vives.<br />

« C’est quoi ces barbouillages ? L’exposition annuelle <strong>des</strong> maternelles du coin ? », lui dis-je<br />

pour faire de l’esprit.<br />

« C’est de l’art abstrait », dit-il sans paraître vexé.<br />

Et il me fit la visite de l’exposition, en me commentant les tableaux un à un, tel un guide<br />

professionnel.<br />

Il m’expliqua l’idée portée par chaque œuvre, l’harmonie <strong>des</strong> couleurs et leur signification, le<br />

travail de la matière, la recherche de l’artiste derrière l’apparente facilité <strong>des</strong> motifs de l’art<br />

abstrait.<br />

Certains visiteurs prêtaient une oreille discrète, mais attentive à ses propos d’une richesse<br />

étonnante.<br />

Moi qui n’avais aucun attrait particulier pour la peinture, je fus absorbé par ses commentaires<br />

didactiques et concrets.<br />

20


Quand nous sortîmes de la salle d’exposition, nous fûmes aveuglés par la lumière éblouissante<br />

du soleil.<br />

« Alors, ça t’a plu ? » me demanda t-il pour la forme, car il connaissait déjà la réponse. Car on<br />

pouvait lire sur mon visage comme dans un livre.<br />

« Super ! Mais comment tu sais tout sur ça ? », lui demandai-je, minimisant mon enthousiasme<br />

mais un peu sous le choc de tant de savoir.<br />

« C’est mon père qui a peint ces tableaux. Le fruit de cinq années de travail ».<br />

Nous passâmes devant une horloge digitale qui affichait un 17 :34 jaune fluo, m’indiquant que<br />

j’avais été captivé plus d’une heure par le fils d’un artiste peintre. Désormais, je ne le voyais<br />

plus de la même façon.<br />

Le réalisme de la vie et ses contraintes reprirent le <strong>des</strong>sus sur le surréalisme dans lequel je fus<br />

immergé pendant quelques instants.<br />

« Holà ! Il est déjà cinq heures et demie ! Il faut que je file maintenant car mes grands parents<br />

vont paniquer ! »<br />

« D’accord, si ça t’intéresse, tu peux venir chez moi visiter l’atelier de mon père. Il se fera un<br />

plaisir de t’expliquer son travail. Je te laisse mon numéro de portable ».<br />

Je l’aurais bien appelé tout de suite, mais par fierté, je me forçai à ne pas répondre trop<br />

précipitamment à son invitation.<br />

Après une journée ennuyeuse à regarder la télévision sur l’écran cathodique de mes grands<br />

parents, je l’appelai et il m’invita à passer le lendemain après-midi chez lui.<br />

Je fus surpris qu’il habitât dans une maison de tisserand. J’avais entendu parler de ces<br />

habitations au-<strong>des</strong>sus d’un atelier, mais ne les avais pas imaginées aussi petites.<br />

Alain n’avait ni frère, ni sœur. Les murs du séjour portaient quelques œuvres de son père,<br />

brutes. On ressentait la maîtrise et la vigueur <strong>des</strong> coups de couteau qui avaient torturé la<br />

matière.<br />

Une odeur d’huile de lin flottait dans l’air de chaque pièce.<br />

Mais je ne voyais ni ne sentais aucune trace de féminité dans cette maison.<br />

Son père avait installé son atelier de peinture dans la grande pièce du bas, qui lui servait<br />

également de chambre. Ainsi, il pouvait peindre ses rêves dans l’instant, me confia-t-il un jour.<br />

L’atelier était capharnaüm : le sol était carrelé de journaux tachés, les murs tapissés de photos<br />

et d’esquisses. Un chevalet d’atelier recouvert d’une croûte de peinture trônait au centre, juste<br />

sous l’éclairage puissant d’une énorme ampoule vissée dans un abat-jour démesuré. Son père<br />

était torse et pieds nus, debout devant une toile aussi haute que lui.<br />

Et tout autour, <strong>des</strong> châssis, <strong>des</strong> toiles, <strong>des</strong> flacons, <strong>des</strong> pinceaux, <strong>des</strong> pots de peinture<br />

cohabitaient dans un chaos apparent, d’où naissaient pourtant <strong>des</strong> créations sublimes comme<br />

celles exposées à l’hôtel de ville.<br />

Afin de ne pas déranger l’artiste absorbé par son travail, nous nous assîmes dans l’escalier et<br />

l’observâmes en silence dans son élan de créativité. Son père semblait déployer <strong>des</strong> efforts non<br />

seulement de concentration, mais également physiques, construisant, détruisant pour<br />

atteindre un but que lui seul connaissait.<br />

Nous restâmes ainsi tout l’après-midi, sans éprouver aucune lassitude. Le tableau n’était pas<br />

achevé mais je me rendis compte de l’énergie et de la recherche que requérait une telle œuvre,<br />

même non figurative.<br />

Je crois que c’est ici que naquit ma passion pour la peinture.<br />

21


Nous nous revîmes presque tous les jours pendant ces vacances, parfois chez lui, parfois<br />

ailleurs. J’échappais ainsi aux travaux de la ferme chez mes grands parents et apprenais les<br />

rudiments et techniques de l’art pictural, que le père d’Alain avait bien voulu m’enseigner lors<br />

de séances en extérieur.<br />

Mais notre affinité ne se bornait pas à la peinture.<br />

J’avais trouvé un ami insoupçonné en Alain. Nous ne nous ennuyions jamais ensemble lors de<br />

nos discussions passionnantes sur <strong>des</strong> sujets divers et variés, de nos promena<strong>des</strong> en vélo<br />

autour de l’étang <strong>des</strong> Noues ou encore de nos parties de pêche au lac de Ribou.<br />

Et puis, tout se brisa ce mercredi 25 août, où la chaleur écrasante et l’atmosphère orageuse<br />

nous firent renoncer à notre escapade. Dans notre état apathique, nous décidâmes d’aller nous<br />

rafraîchir à l’ombre <strong>des</strong> saules du parc de Moine. Nous étions assis dans l’herbe. Bizarrement,<br />

ce jour là, Alain était moins prolixe que d’habitude. Le ton qu’il employait était mélancolique,<br />

presque lascif. Il me regardait longuement avec insistance.<br />

Alors que j’observai les canards glisser silencieusement sur l’eau, je sentis sa main se poser sur<br />

la mienne.<br />

Un frisson ambigu me parcourut l’échine. Un mélange de plaisir tabou et de crainte.<br />

Peut-être cette main posée n’était-elle pas intentionnelle ? Et les secon<strong>des</strong> s’égrenèrent, ne<br />

laissant plus place au doute. Etrangement, je ne fis rien pour la retirer. Je sentais son regard<br />

posé sur moi. Troublé par ces émotions inconnues, je n’osais pas le croiser. Sa main, jusqu’ici<br />

immobile, caressa la mienne.<br />

Je feignis l’indifférence, mais mon cœur battait la chamade.<br />

Puis, un sentiment de panique m’envahit lorsque j’aperçus Kader et Hugo sur le pont en bois.<br />

Ils jetaient <strong>des</strong> cailloux dans l’eau, appuyés contre le garde-fou. Ils discutaient tous les deux<br />

et ne nous avaient pas repérés. Mais cela ne manquerait pas d’arriver…<br />

Mon cerveau se mit à bouillonner.<br />

S’ils nous voient, je suis foutu, pensai-je. Les connaissant, ils n’hésiteraient pas à diffuser ce<br />

scoop à coups de SMS, ruinant ainsi ma réputation. Le collège entier serait au courant.<br />

Quand à mon père, il allait me trucider !<br />

Alors, je retirai brutalement sa main, me leva, et l’insultai rageusement, d’un mot, un seul. Le<br />

mot de trop.<br />

Tous les promeneurs alentour se tournèrent vers nous, attirés par cette scène perturbant la<br />

quiétude <strong>des</strong> lieux.<br />

Puis, je m’éloignai d’Alain, m’assurant du coin de l’œil que Kader et Hugo m’avaient bien<br />

entendu, prouvant ainsi par ma réaction que je n’étais pas comme Alain.<br />

Ce fut le dernier mot que j’adressai à Alain.<br />

De retour chez moi, je ressassai cette scène en détail.<br />

Mais avais-je bien fait de l’insulter avec tant de violence ?<br />

Et si Kader et Hugo n’avaient pas été là, comment aurais-je réagi à cette avance imprévue ?<br />

Car je me sentais vraiment bien avec Alain. Le soir venu, je me mis à sangloter longuement<br />

sous mon oreiller.<br />

Regrettant mes propos, j’avais décidé de l’appeler dès le lendemain pour m’excuser.<br />

Mais cette fois-ci, aucun mot ne sortit lorsque son père répondit au téléphone.<br />

Je n’eus plus le courage de rappeler.<br />

Le jour de la rentrée, Kader et Hugo vinrent à ma rencontre. J’avais envie d’être ailleurs.<br />

Ils m’assénèrent de leurs commentaires :<br />

« La honte que tu lui a mis l’autre jour au parc de Moine ! », lança le premier.<br />

« Ouais, t’as eu raison ! Nous, on aime pas les pédés, ici ! », Enchaîna le second.<br />

Je débordais d’émotions, un cocktail explosif de tristesse et de rage.<br />

22


Mes poings se serrèrent dans mes poches, tremblèrent, puis jaillirent pour décrocher les<br />

mâchoires de ces deux crétins, que <strong>des</strong> coups de pieds dans l’abdomen clouèrent<br />

définitivement au sol.<br />

Je sortis du collège et me mis à courir à travers la ville jusqu’au parc de Moine. Je m’assis à<br />

l’endroit même où nous parlions ensemble ce dernier mercredi d’août. J’éprouvais de la honte.<br />

« Pardon Alain, pardon ! », sanglotai-je.<br />

Un tsunami de larmes déferla sur mes joues, incontrôlable.<br />

Mes parents m’avaient appris, sur le chemin de l’école, qu’Alain s’était pendu la veille de cette<br />

rentrée. Lui qui aimait tant l’école.<br />

La peur sans doute d’affronter les moqueries et le regard inquisiteur <strong>des</strong> autres.<br />

J’essayai de reporter la faute sur Kader et Hugo. Mais ils n’étaient en rien responsables de sa<br />

mort. Ils se trouvaient au mauvais endroit, au mauvais moment.<br />

L’assassin, c’était moi, et moi seul. A cause d’un mot.<br />

La peinture me permit d’exprimer mes sentiments. Si mes tableaux furent d’abord plus noirs<br />

que ceux de Pierre Soulages, ils sont aujourd’hui plus colorés, en souvenir de mes bons<br />

moments passés avec Alain.<br />

Peu le savent, mais sous chacune de mes œuvres, je peins d’abord le portrait d’Alain.<br />

Le temps m’a permis de reprendre une vie normale. Je vis avec Jacques, un écrivain à la<br />

recherche du succès.<br />

Désormais, je pèse mes mots, jusqu’au dernier.<br />

Eric MOULARD<br />

22 Plérin<br />

23


Un concours de mots<br />

Oakland, Californie, 1893. Un jeune homme regarde la baie de San Francisco et se dit qu’il<br />

n’est rien de mieux, quand on a l’âme aventureuse, que d’étancher sa soif de sensations sur un<br />

bateau voguant grand large. Il se dit aussi que pour prolonger le voyage, rien de tel que la<br />

lecture de romans, romans de quatre sous ou bien romans d’aventure. En tous cas, dans cette<br />

Amérique en crise, il se dit qu’un métier qui allierait l’aventure et l’écriture et qui rapporterait<br />

assez, serait le paradis pour lui ; lui, qu’une vitalité hors du commun a toujours poussé de<br />

l’avant.<br />

Notre jeune homme a relevé, quelques jours auparavant, le défi lancé par sa mère. Elle lui a<br />

annoncé, un beau matin, dans leur humble cuisine, que le Morning Call, journal de San<br />

Francisco, lançait un concours de nouvelles doté d’un premier prix de 25 dollars. 25 dollars,<br />

soit un mois de salaire dans son usine de toile de jute : 10 cents de l’heure, 12 heures par jour, 6<br />

jours sur 7. Alors même si au début il avait rétorqué à sa mère qu’il ne trouverait ni le temps,<br />

ni l’énergie pour écrire, à cause de son travail, l’idée du concours a fait son chemin dans son<br />

esprit épris d’aventures. Sa mère revint à la charge en insistant sur son goût pour la littérature<br />

et surtout sur les 25 dollars à gagner. Il faut dire que notre gaillard d’à peine 17 ans est le<br />

principal soutien financier de la famille par son travail à l’usine de jute. Flora, sa mère, lui a<br />

aussi rappelé que ses aventures maritimes et son goût de la lecture pourrait donner le cocktail<br />

gagnant pour le concours.<br />

Et c’est un dimanche que notre héros, allongé dans son lit, un matin d’octobre, réfléchit pour<br />

la première fois à ce qu’il pourrait bien raconter dans sa nouvelle. Il se creuse les méninges et<br />

compare ses idées avec les choses qu’il a l’habitude de lire, principalement <strong>des</strong> romans<br />

d’aventure. Alors il cherche dans ce qu’il a vécu, l’aventure qui serait le sujet de sa nouvelle. Il<br />

repense à sa vie de « Prince <strong>des</strong> pilleurs d’huitres » alors qu’il n’avait que quinze ans ; ou bien<br />

sa vie dans la patrouille de pêche alors qu’il n’avait que 16 ans. Intéressant se dit-il ! Mais ce<br />

qu’il l’avait le plus marqué ces derniers temps, c’est son engagement comme matelot ; un<br />

engagement pour une chasse aux phoques de 100 jours en mer du Japon, sur la goélette<br />

Sophia-Sutherland. Quelques mois de mer qui comblèrent l’appel du large qui travaillait cet<br />

adolescent grandi sur les rives du Pacifique.<br />

Pour étonner le lecteur, quoi de mieux que de raconter <strong>des</strong> faits qui sortent de l’ordinaire, se<br />

dit-il ; et se disant cela, il repense au typhon qu’il a essuyé sur le Sophia-Sutherland au large <strong>des</strong><br />

côtes du Japon. Il repense à sa frayeur mêlée d’émerveillement devant ce spectacle de la nature<br />

hostile et se demande s’il arriverait à en faire une histoire écrite. Après tout, il a une certaine<br />

science de l’écrit, lui qui fréquente depuis tout petit la bibliothèque municipale d’Oakland ; il<br />

a beaucoup lu et ce ne doit pas être très compliqué de reproduire ce qu’il a tant de fois lu. Ce<br />

qu’il faut, pense-t-il, c’est coller aux faits et aux images ; et par-<strong>des</strong>sus tout, que le lecteur<br />

éprouve <strong>des</strong> sensations quand il lira mon texte. Le tout c’est de s’y mettre et quand on a<br />

montré depuis tout petit une volonté de fer dans tout ce que l’on entreprenait, rien de plus<br />

facile.<br />

Le titre d’abord ; un titre qui parle, un titre réaliste. Pourquoi pas « Un typhon au large <strong>des</strong><br />

côtes du Japon ». Après tout, c’est ce que je vais raconter, se dit-il. Et là, d’écrire comme dans<br />

un rêve : les bons mots succédant aux bons mots, les bonnes images naissant <strong>des</strong> bonnes<br />

phrases. En un après-midi, notre apprenti écrivain avait aligné quatre mille mots d’une prose<br />

qu’il avait pris grand plaisir à composer. Il n’aurait jamais pensé que l’on puisse être fatigué de<br />

la sorte, rien qu’en ayant écrit une histoire, fatigué nerveusement, comme après une journée<br />

24


de travail. Il relut sa composition et la trouva satisfaisante. Il se mit ensuite à compter les<br />

mots de son histoire, le règlement du concours stipulant que la nouvelle ne devait pas excéder<br />

deux mille mots. Il n’avait aucune idée de ce que pouvait représenter deux mille mots alignés<br />

les uns à la suite <strong>des</strong> autres et fut très surpris d’arriver à quatre mille. Il lui faudrait<br />

retravailler la nouvelle. Mais ce travail pouvait bien attendre le dimanche suivant, son<br />

prochain jour de congé.<br />

Toutefois, dans l’ambiance abrutissante de l’usine, il se surprit à penser à la nouvelle. En<br />

effectuant ses gestes automatiques, ses pensées l’avaient entraîné vers son bureau et la<br />

composition de la nouvelle ; il se retrouva au cœur d’une phrase qu’il avait écrite et pensait à<br />

la manière de la corriger, quand il avait glissé et manqué de se blesser sur une machine de<br />

l’usine. Effrayé et à contre cœur, il se jura de ne plus penser à la nouvelle au travail et continua<br />

de s’aliéner à sa tâche jusqu’au samedi soir.<br />

Le dimanche matin, il se leva tôt et se mit au travail. Il coupa certaines scènes, remania sa<br />

nouvelle, réécrivit <strong>des</strong> phrases et se tortura toute la journée pour garder le sel de sa nouvelle<br />

en 2000 mots. Il était content de lui et le soir approchait ; il compta 2001 mots. Qu’importe, se<br />

dit-il, 2000 ou 2001 mots ; qui vérifierait ? De toute façon, maintenant, il fallait vite recopier la<br />

nouvelle, le concours se clôturant le mercredi.<br />

A la lueur d’une bougie et de sa plus belle écriture, il apposa le mot fin sur son manuscrit et le<br />

porta à sa mère dans la cuisine. Il lui demanda de poster sa nouvelle avant mercredi. Flora qui<br />

n’avait jamais eu l’instinct maternel très développé, lui jura qu’elle porterait en mains propres<br />

la précieuse missive.<br />

Le mardi, Flora s’habilla de sa tenue pour <strong>des</strong>cendre en ville, et se rendit sur les quais<br />

d’Oakland. Là, elle déboursa 5 cents pour le ferry traversant la baie de San Francisco. Sur le<br />

pont du bateau, elle se surprit à une bouffée de fierté envers son fils qui savait si bien se<br />

débrouiller dans la vie. Elle pensait même que son fils gagnerait le concours haut la main. Et<br />

c’est une Flora débordante d’euphorie qui remit la nouvelle à Ernest Bartleby, réceptionnaire<br />

<strong>des</strong> manuscrits au San Francisco Morning Call.<br />

Ernest Bartleby a toujours glorifié la rigueur dans sa vie et dans son travail. Il met un point<br />

d’honneur à être ponctuel et à appliquer la plus grande minutie à ses tâches au bureau ; c’est<br />

sûrement sa formation de comptable qui a déteint sur son attitude générale ou bien l’inverse,<br />

mais il est vrai que Mr Bartleby est apprécié dans son quartier de Richmond Hill, pour sa grande<br />

rigueur morale. Il ne rate jamais un office le dimanche matin et remercie Dieu de lui avoir<br />

donné six filles en excellente santé. Ernest Bartleby évite les excès de toute sorte et ne boit<br />

jamais une goutte d’alcool. Il a pour préceptes de vie les enseignements du Christ, tels qu’on<br />

peut les trouver dans la Sainte Bible. D’ailleurs, il se dit que si le pays va si mal, c’est que le<br />

peuple s’est détourné <strong>des</strong> Saintes Ecritures et ne veut plus respecter les règles. Il ne comprend<br />

pas comment les ouvriers peuvent s’adonner à la boisson et à la débauche. Lui non plus ne<br />

gagne pas <strong>des</strong> mille et <strong>des</strong> cents, mais ce n’est pas une raison pour qu’il s’adonne au vice.<br />

Personne ne l’a jamais aidé à payer ses factures et il est mécontent que ses impôts servent à<br />

financer <strong>des</strong> programmes d’action sociale dans <strong>des</strong> quartiers de San Francisco où les habitants<br />

ne veulent pas s’en sortir par eux-mêmes. Heureusement, se dit-il, que les Pères Pèlerins n’ont<br />

pas attendu l’aide sociale quand ils ont débarqué en Amérique. Pour lui, les allocations<br />

chômage ne devraient pas exister et l’on devrait s’en remettre pour tout à la gloire de Dieu et à<br />

la grandeur <strong>des</strong> Etats-Unis. Quand il pense au taux de délinquance à San Francisco, il se dit<br />

que le salut de la Californie et du reste du pays, passe par le respect et l’application <strong>des</strong> lois. Il<br />

serait d’accord avec le gouverneur qui se présenterait aux élections et qui promettrait plus de<br />

policemen dans les rues et plus de prisons encore. Alors quand le jury du concours de<br />

25


nouvelles, présidé par le directeur du journal, lui a remis le manuscrit gagnant pour compter<br />

le nombre de mots et qu’il en a dénombré 2001, Ernest Bartleby y a vu un signe du <strong>des</strong>tin.<br />

Notre comptable a pris sa plus belle plume et s’est dit que pour le bien de ce jeune homme, il<br />

devait prendre l’initiative de le déclasser du concours ; et c’est dans ses plus belles tournures<br />

de puritain, qu’Ernest Bartleby, juste parmi les justes, annonça à Jack, notre héros, qu’il était<br />

temps de se mettre à respecter les règles pour que la société aille mieux, et que s’il voulait<br />

faire carrière dans sa vie d’adulte, il devrait se soumettre aux règlements de toute sorte, et<br />

patati et patata sur une page entière. Bien sur, il était aussi éliminé du concours dont il avait<br />

reçu le premier prix pour ne pas avoir respecté le nombre maximal de mots à utiliser.<br />

Jack, notre apprenti écrivain, accueillit cette lettre avec la rage la plus extrême ; Fallait-il<br />

donc qu’en plus de sa naissance dans la plus basse <strong>des</strong> classes sociales, la malchance s’acharne<br />

sur lui ! Comment pouvait-il savoir qu’un mot de trop allait le pénaliser à ce point ? Il se dit<br />

qu’il aimerait bien avoir en face cet Ernest Bartleby et lui expliquer avec force coups de poings<br />

sa propre vision <strong>des</strong> règlements. Est-ce que le monde <strong>des</strong> journaux était aussi injuste que celui<br />

de l’usine, se demanda t-il ? N’arriverait-il donc jamais à grimper l’échelle sociale ? Ce samedi<br />

soir-là, il partit sur les quais d’Oakland au Saloon de la première et de la dernière chance, noyer son<br />

chagrin dans l’alcool. Là, au milieu de ceux, qui, comme lui, aimaient trop la vie pour<br />

l’enfermer dans <strong>des</strong> carcans, il se saoula et partagea l’amitié de ses compagnons de misère, les<br />

seuls avec qui il se sentait à l’aise.<br />

Le mardi matin, Flora trouva un Jack morose quand elle lui remit une lettre du San Francisco<br />

Morning Call arrivée de bonne heure. Jack ne voulut pas la lire et partit travailler ; ce n’est que<br />

le soir, qu’intrigué, il daigna ouvrir le courrier de ces vauriens de journalistes. La surprise fut<br />

grande, aussi grande qu’avait été la déception quelques jours plus tôt.<br />

Le directeur du Morning Call félicitait Monsieur Jack London d’avoir remporté le concours de<br />

nouvelles à l’unanimité du jury. Ce dernier avait apprécié le réalisme communicatif de cette<br />

nouvelle et la grande énergie qui s’en dégageait. Le jury soulignait ainsi qu’il n’avait pas douté<br />

un seul instant que le jeune homme eut vraiment vécu ce typhon. Le directeur encourageait<br />

Monsieur London de continuer à écrire et s’engageait à publier la nouvelle et à envoyer le<br />

chèque dans les plus brefs délais. Il ajoutait de tenir pour nulle et non avenue la lettre<br />

d’Ernest Bartleby et tenait à s’excuser pour la déception qu’elle avait pu entraîner.<br />

Notre héros rayonnait de joie.<br />

Et le 12 novembre 1893, le San Francisco Morning Call, publia la première <strong>des</strong> 197 nouvelles<br />

qu’écrira Jack London durant toute sa carrière d’écrivain ; une nouvelle qui avait failli être<br />

refusée pour un mot, un mot de trop……<br />

Yannick PENE<br />

65 Bagnères de Bigorre<br />

26


II – PALMARES<br />

ENCRES VIVES<br />

27


CATEGORIE : POESIES ADULTES<br />

ENCRES VIVES<br />

PALMARES<br />

Prix Musical : Madame Caroline NICOLAS – 38 Grenoble<br />

« Oisive jeunesse »<br />

Thème : Paradis Perdus<br />

28


Oisive jeunesse<br />

Ainsi ce jour-là avait-elle enfoui dans le sable blanc<br />

Le satin <strong>des</strong> étreintes perdues<br />

Les rêves échevelés<br />

Les jours propices à tout asservis<br />

Les nuits ébauchées<br />

Les baisers qu’elle ne donna jamais<br />

La rose qu’on ne lui offrit pas<br />

Et ses épines<br />

Ce qui eut pu être mais qu’elle ne vécut point<br />

Ainsi ce jour-là avait-elle enseveli dans le cimetière marin<br />

Ces riens dont elle ne voulait plus<br />

Dont nul pensait-elle ne voudrait<br />

Ainsi ce jour-là partit-elle sans se retourner<br />

Sur la vie<br />

Elle tourna le dos<br />

A l’injure <strong>des</strong> ans<br />

Et leurs dons<br />

Mi fugue mi raison<br />

Mais elle tourna le dos à la vie surtout<br />

Elle disparut dans les vagues<br />

Emportée par le rire <strong>des</strong> mouettes<br />

Affolées par la houle<br />

Et moi<br />

Tout seigneur que je sois<br />

De la voir ainsi quitter l’enclos<br />

Aux mille trésors<br />

Dès ce jour à tout jamais je devins fou<br />

De l’avoir perdue<br />

Caroline NICOLAS<br />

38 – Grenoble<br />

29


CATEGORIE : POESIES ADULTES<br />

ENCRES VIVES<br />

PALMARES<br />

1 er prix ex aequo Monsieur Lucien VAN MEER – 44 Saint Nazaire<br />

« J’étais jeune en ce temps-là… »<br />

1 er prix ex aequo Madame Michèle FEVRE – 85 La Genetouze<br />

« Evasion manquée »<br />

Thème : Paradis perdus<br />

30


J’étais jeune en ce temps-là…<br />

A bonds de chevreuil ou de sauterelle,<br />

Nous courions après les papillons bleus ;<br />

L’humeur vagabonde et l’esprit rebelle,<br />

Nous hantions les bois jusqu’au couvre-feu.<br />

On s’éclaboussait de cris de cipaye,<br />

On se chamaillait presque à tout propos :<br />

C’était le bon temps <strong>des</strong> chapeaux de paille,<br />

Le choc du soleil nous flambait la peau !<br />

L’orteil à l’affût dans les espadrilles,<br />

Le front jamais sec, du sang aux genoux,<br />

On partageait tout – même avec les filles !-<br />

Hormis les gros mots qu’on gardait pour nous…<br />

Septembre apportait champignons et mûres<br />

Et, pour nos parents, du bon vin bourru ;<br />

Ils nous achetaient cartable et chaussures,<br />

Ça sentait la fin du tohu-bohu.<br />

Je le dis sans rire, on aimait l’école,<br />

Le père Advenard et son embonpoint,<br />

Son calcul mental et son pont d’Arcole,<br />

Son art de brandir l’appât <strong>des</strong> bons points.<br />

L’hiver, le museau plaqué aux fenêtres,<br />

Nous restions béats dès que les flocons<br />

Donnaient aux sapins cet air de grands prêtres<br />

Dressés, blancs de peur, sur un édredon.<br />

C’était le bon temps de la limonade,<br />

De la bicyclette et de l’eau du puits,<br />

Mais, finis les jeux dans la bousculade :<br />

Crime impardonnable, on a tous grandi !.....<br />

Lucien VAN MEER<br />

44 Saint Nazaire<br />

31


Evasion manquée<br />

J’aimerais cheminer de hameaux en villages,<br />

Savourer les aurores quand naissent les mirages,<br />

Vagabonder le soir dans <strong>des</strong> forêts tranquilles,<br />

Loin <strong>des</strong> fumées d’usines et <strong>des</strong> bruits de la ville.<br />

Mais je tourne les pages d’un vieux livre d’images<br />

En restant immobile…mes pieds sont malhabiles…<br />

Je voudrais visiter châteaux et cathédrales,<br />

Des ruines, <strong>des</strong> abbayes avec leur collégiale,<br />

Explorer mon pays, ses trésors séculaires,<br />

Emprunter <strong>des</strong> circuits aux surnoms légendaires.<br />

De Biarritz à Laval, ou de Nîmes à Lamballe ;<br />

Mais je suis solitaire…mon corps est réfractaire…<br />

J’aimerais traverses les lan<strong>des</strong> et les campagnes,<br />

Respirer les arômes s’exhalant <strong>des</strong> montagnes,<br />

Humer les mille odeurs de la terre et <strong>des</strong> mers,<br />

M’imprégner de silence au sable du désert.<br />

Mais ce soir je m’éloigne, au pays de cocagne<br />

Et j’aligne mes vers…pour vaincre le cancer…<br />

Je voudrais parcourir les vallées, les collines,<br />

Galoper sans souci sur <strong>des</strong> pentes alpines,<br />

Escalader <strong>des</strong> pics, plonger dans <strong>des</strong> rivières<br />

Pour arriver demain par delà les frontières.<br />

Le monde me fascine, et parfois j’imagine<br />

Un vol en montgolfière…pour dernière prière…<br />

Michelle FEVRE<br />

85 La Genetouze<br />

32


CATEGORIE : NOUVELLES ADULTES<br />

ENCRES VIVES<br />

PALMARES<br />

1 er prix ex aequo Madame Agnès LUCAS – 49 Cholet<br />

« L’étreinte »<br />

1 er prix ex aequo Monsieur Alain LARCHIER – 69 Chevinay<br />

« Un mot…malheureux ? »<br />

Thème : Un mot de trop…..<br />

33


L’étreinte<br />

Elle n’a pas réfléchi, c’est venu comme cela…Il fallait qu’elle le fasse. Elle sentait depuis<br />

quelque temps déjà que la colère montait en elle…Mais elle n’a pas réfléchi. Elle s’est<br />

simplement penchée vers son sac. Elle l’avait toujours dans son sac, dans la petite poche du<br />

devant, prêt à servir pour couper un gâteau ou décacheter une enveloppe… Alors, ce fut<br />

naturel : se baisser, saisir le couteau superbement ciselé, l’ouvrir et sentir le manche<br />

fermement serré dans la paume de sa main. Elle n’a pas hésité. Il fallait qu’elle le fasse à ce<br />

moment précis. Il s’apprêtait à se relever derrière elle, il allait se rhabiller. Elle sentit sa main<br />

lui caresser doucement le creux de son dos. Il posa un baiser au bas de sa nuque.<br />

Elle ressentit ce baiser comme un signal de départ. Le mécanisme s’enclencha comme on<br />

enclenche le mouvement d’un automate. Ne pas réfléchir. Pivoter d’un coup, d’un seul, et<br />

lancer son poing droit comme le font les boxeurs sur le ring pour atteindre le corps de leur<br />

adversaire. Viser le cœur et sentir la lame s’enfoncer tout au fond de cette chair qui l’avait si<br />

souvent fait frémir.<br />

Elle n’a pas réfléchi… Cela s’enchaîna comme dans un film où toutes les actions se déroulent<br />

les unes après les autres sans qu’il n’y ait la moindre fêlure, la moindre cassure. La lame<br />

s’enfonça et il gémit sous la violence du coup. Sa souffrance sembla irréelle. Ses yeux<br />

s’agrandirent sous l’effet de la douleur ou de la surprise. Sa main s’agrippa à ce corps étranger<br />

qui le transperçait. Puis il s’effondra. Son corps se recroquevilla dans une posture de fœtus.<br />

Son sang se mit à s’écouler sur les draps du lit dans lequel ils venaient de s’aimer.<br />

Il n’y eut aucune question… Ses yeux seuls pendant un court instant s’arrêtèrent sur celle qu’il<br />

avait tant aimée. Ses yeux seuls lui firent entendre ce qu’elle n’avait jamais voulu comprendre.<br />

Pourquoi fallait-il toujours dire que l’on aime… Ne suffit-il pas d’aimer ? Aucune panique…<br />

Aucun regret. Elle prit le temps de laisser sa main caresser chaque partie de l’être endormi<br />

près d’elle comme pour imprimer définitivement le souvenir de ce corps dans sa mémoire. Son<br />

doigt suivit la courbe de l’oreille, <strong>des</strong>cendit doucement dans le cou qu’elle aimait mordiller.<br />

Elle caressa tranquillement le haut du torse, évita la plaie béante, se prolongea un court<br />

instant sur le ventre qu’elle aimait à embrasser et parcourut le reste du chemin en suivant le<br />

tracé bleuté <strong>des</strong> veines <strong>des</strong> jambes jusqu’aux pieds de l’homme assoupi.<br />

Qu’avait-il dit ? Qu’avait-il fait pour qu’elle en arrive-là ?<br />

Ils vivaient et partageaient cette aventure depuis si longtemps qu’il avait dû penser que cela<br />

se poursuivrait toujours. A l’infini… Peut-on aimer désespérément toujours à l’infini ? Peut-on<br />

aimer à l’infini quand tout est interdit ? Un amour caché… Impossible. Un amour qui lui<br />

faisait mal, qui l’empêchait de vivre, qui la rendait stupide et folle, aveugle et impuissante…<br />

Un amour comme il y en a tant, fait de mensonges et de dépits, de passion et de folie, de<br />

rancunes et de non-dits…<br />

Que lui avait-il donc dit ce jour là pour que la rage la pousse à ce geste insensé, à ce geste qui<br />

la bouleversait au point que son cœur se révoltait déjà et hurlait à la mort ?<br />

C’était drôle en fait… Ils avaient fait l’amour, et comme tout amant qui se laisse aller dans ce<br />

moment parfait où chacun a puisé dans l’autre la force d’aimer, elle s’était entendue lui dire<br />

qu’elle l’aimait. Cela lui arrivait de temps en temps… Lui dire qu’elle l’aimait dans l’espoir<br />

qu’un écho de son amour lui reviendrait en plein cœur. Il avait feint de ne rien entendre<br />

comme il avait le don de le faire si souvent… Il n’y avait jamais un mot de trop dans son<br />

34


discours. Il disait toujours les mots tels qu’il devait les dire… Jamais un mot plus haut, jamais<br />

un mot qui aurait pu l’engager… Cela aurait été trop risqué… Seuls ses yeux et ses mains le<br />

trahissaient par leurs caresses et leur tendresse.<br />

Pourquoi ce jour-là avait-elle espéré qu’enfin il se livrerait ? Elle s’était alors dégagée de son<br />

étreinte amoureuse… S’était assise au bord du lit dans l’attente de ce mot qu’elle aurait aimé<br />

entendre.<br />

« Il est temps d’y aller », lui avait-il murmuré au creux de l’oreille. « On t’attend chez toi… ».<br />

…….<br />

« Tu dors ? » Elle sursaute dans son demi-sommeil en entendant sa voix dans son oreille. « Tu<br />

t’es endormie, belle enfant ».<br />

Ce n’était qu’un cauchemar !...Merci, mon Dieu ! L’embrasser, le serrer dans ses bras encore et<br />

toujours. Que c’était bon de vivre après un tel chaos. Il la regardait sagement étendu près<br />

d’elle. « Je t’aime tant », lui dit-elle… Il prit appui sur son coude tout en la dévisageant<br />

amoureusement.<br />

« Il est temps que tu partes… Tu ne voudrais pas que l’on te trouve ici ? Cela pourrait être<br />

embarrassant ! », lui murmura t-il à l’oreille d’un ton taquin.<br />

Embarrassant ! Certes la situation serait délicate…mais deviendrait-elle embarrassante au<br />

point de gêner, d’encombrer tel un vulgaire colis qui devient un obstacle ?...<br />

Embarrassante ! Elle ne le serait pas !<br />

Sans un mot, elle se redressa, s’assit au bord du lit. A ses pieds, elle sentit l’appel discret mais<br />

pressant de son sac.<br />

Elle ne réfléchit pas… Il fallait qu’elle le fasse…<br />

Agnès LUCAS<br />

49 Cholet<br />

35


Un mot…malheureux ?<br />

Archie tapait machinalement sur son clavier. Parmi ses nombreux talents non reconnus, il<br />

possédait la frappe la plus rapide de tous les services et pouvait écrire les yeux ailleurs le<br />

rapport insipide exigé par Miss Maguy. C’est ainsi qu’il avait surnommé sa chef directe, qui<br />

lui rappelait la Dame de Fer de la chanson de Renaud.<br />

Il faut dire qu’elle le méritait bien. Elle menait le service avec une autorité qui s’apparentait à<br />

de la dictature et les plus forts en gueule y regardaient à deux fois avant de lui tenir tête. Il<br />

valait mieux avoir <strong>des</strong> arguments en béton pour s’opposer à une de ses décisions. On aurait pu<br />

penser que le physique allait avec le caractère et qu’on allait découvrir une harpie anguleuse<br />

et rigide, l’air austère et pincé, la voix acide et agressive. Eh bien non, c’était tout le contraire.<br />

Miss Maguy était belle, très belle, avec de splendi<strong>des</strong> yeux bleus qui fixaient toujours<br />

l’interlocuteur. Un regard froid et impénétrable qui pétrifiait parfois le maillon faible de<br />

l’équipe. Une voix harmonieuse qui ne haussait jamais le ton, mais qui frémissait sous le coup<br />

de l’irritation ou pouvait devenir glaciale sans perdre de son charme vénéneux. C’était bien ce<br />

discours toujours égal et parfaitement articulé qui rendait ses déclarations si inquiétantes. Du<br />

moins pour Archie.<br />

Pour l’instant, il regardait dans le couloir par la baie vitrée de son bureau, tout en tapotant<br />

son clavier. C’était l’heure de la pause et comme chaque jour, les éléments féminins du service<br />

comptable allaient rejoindre les équipes techniques devant la machine à café. Il les connaissait<br />

toutes plus ou moins et essayait de repérer les nouvelles stagiaires, espérant que l’une,<br />

différente <strong>des</strong> autres, pourrait lui montrer un signe d’intérêt.<br />

Archie était timide. C’est pourquoi il allait boire son café quand tout le monde était reparti. Il<br />

enviait secrètement ses collègues qui draguaient ouvertement <strong>des</strong> beautés de l’entreprise.<br />

Maurice, le magasinier, surnommé Pit-bull pour son mauvais caractère, qui rembarrait tout le<br />

monde, livreurs ou compagnons, mais savait faire rire les filles avec ses plaisanteries lour<strong>des</strong><br />

de sous-entendus, qui ne restaient pas toujours sans échos. Bernard, le petit génie<br />

informatique à la main baladeuse, qui ne comptait plus les gifles reçues, mais aussi les succès<br />

éphémères. Jean-Luc, l’humoriste, qui séduisait par ses traits d’esprit et sa répartie. Et la<br />

troupe d’opportunistes qui tiraient parti de l’éclat <strong>des</strong> meneurs pour ramasser <strong>des</strong> miettes.<br />

Archie était choqué de voir que la plupart <strong>des</strong> femmes qu’il admirait secrètement pour leur<br />

allure et leur élégance, se montraient sensibles aux allusions salaces et y répondaient parfois<br />

avec la même verdeur, allant jusqu’à embrasser le plaisantin. Mais il y avait aussi Chloé, une<br />

nouvelle embauchée en CDD, qui lui témoignait un peu de sympathie et qui restait parfois à<br />

bavarder un instant dans son bureau quand elle apportait le courrier. Ce n’était pas grandchose,<br />

mais cela avait suffi à déclencher quelques plaisanteries douteuses qui avaient fait<br />

avorter un début de complicité. C’était surtout lui qui avait pris ses distances, car Chloé<br />

continuait à lui faire de petits signes amicaux quand elle passait dans le couloir. Elle était<br />

d’une simplicité charmante, très spontanée et sensible. Archie ne la trouvait pas vraiment<br />

jolie, mais pourtant séduisante. Ce qui le retenait, c’était l’allure un peu trop mode de la jeune<br />

fille, avec sa coiffure ébouriffée et ses tenues surprenantes qui changeaient deux fois par jour.<br />

Il était partagé entre l’envie de sortir avec elle et le fait qu’il ne pourrait pas supporter<br />

longtemps son mode de vie. Victime d’une éducation puritaine, il avait <strong>des</strong> principes moraux<br />

qui paralysaient ses envies et cassaient ses élans.<br />

Il était en train de rêver après l’avoir vu passer une fois de plus, lorsque son PC se mit à biper.<br />

« Vous avez du courrier ». Un message interne.<br />

36


Expéditeur : Ariane Bonnard – Destinataire : Archimède Arbacis<br />

Monsieur,<br />

Il me faut pour ce soir 17 heures, un rapport complet sur le contrat Béranger. L’affaire est d’une extrême<br />

importance et devient votre priorité numéro un. Le Comité de Direction veut en connaître tous les détails et les<br />

perspectives que cela ouvre pour l’entreprise. Soyez clair, précis et exhaustif comme vous savez parfois le faire.<br />

Seule la perfection est acceptable. C’est ce que j’attends de vous. Veuillez accuser réception. Merci<br />

Salutations. A. Bonnard<br />

Archie resta un moment pétrifié. Non pas par le ton du message qui était typiquement du<br />

Miss Maguy. Mais par le contenu. Le contrat Béranger, nul ne pouvait mieux que lui le<br />

connaître, car c’était lui qui l’avait décroché. Un marché énorme, qui représentait, une fois et<br />

demie le chiffre d’affaires de l’entreprise.<br />

Merin-Garand, spécialisée dans les modules électroniques de haut de gamme avait mis au<br />

point <strong>des</strong> systèmes sophistiqués de transmission d’information sécurisée à très haut débit.<br />

Une réussite technique incontestable, mais qui avait du mal à se vendre du fait de son prix de<br />

revient élevé. L’endettement, les charges et les faibles rentrées avaient rendu la société<br />

vulnérable et en faisait une proie que les vautours financiers avaient déjà repérée. C’est alors<br />

qu’Archie avait eu l’IDEE. Il fallait vendre en Suisse. Devise forte, avantages de l’export,<br />

marché porteur de high-tech. Et il avait l’atout dans sa manche : son cousin Ferdinand.<br />

Lequel était exactement l’opposé d’Archie : audacieux, entreprenant, beau parleur, doué pour<br />

la communication, avec un sens <strong>des</strong> affaires à faire pâlir ses concurrents. Il compensait<br />

l’indigence de sa formation technique en s’entourant d’un personnel compétent<br />

soigneusement choisi pour son manque d’ambition. Et c’est pourquoi il avait souvent recours<br />

à Archie en qui il avait totalement confiance. Aussi, lorsque ce dernier lui avait proposé de<br />

présenter le produit phare de Merin-Garand à la Société <strong>des</strong> Banques Suisses, il n’avait pas<br />

hésité. Et le miracle avait eu lieu, le fondé de pouvoir d’un groupe important, Monsieur<br />

Béranger avait vu immédiatement l’intérêt du système et séduit par ses performances, il était<br />

prêt à signer.<br />

Archie, en bon naïf qu’il était, avait fait transmettre l’information au PDG par la voie<br />

hiérarchique habituelle, c’est-à-dire Miss Maguy. Et il apparaissait qu’elle avait repris l’affaire<br />

à son compte en le court-circuitant pour conserver seule le bénéfice de l’opération qui lui<br />

vaudrait à n’en pas douter un avancement spectaculaire.<br />

Si Archie était d’un naturel calme et résigné, il y avait deux circonstances qui le faisaient<br />

sortir de son apathie apparente. La première, c’était l’enthousiasme pour une réalisation<br />

technique. Quand il était sur un projet qui le passionnait, rien ne pouvait l’arrêter, et il<br />

devenait sûr de lui et autoritaire, n’hésitant pas à faire <strong>des</strong> heures supplémentaires pour tenir<br />

le challenge.<br />

La seconde, c’est quand il se mettait en colère. Ce qui lui arrivait très rarement, car il en fallait<br />

beaucoup pour le pousser dans ses derniers retranchements. Il savait qu’il avait du mal à se<br />

contrôler sous le coup de la fureur, qui le poussait à faire et dire <strong>des</strong> choses regrettables.<br />

Mais cette fois, Miss Maguy avait été trop loin et c’était une véritable rage qui s’empara de lui.<br />

Une montée d’adrénaline comme il n’en avait jamais connu, une tornade qui balayait ses<br />

inhibitions comme la saleté poursuivie par Monsieur Propre. Il avait du mal à contrôler l’envie<br />

de hurler ce qu’il pensait de cette garce qui réveillait en lui le sentiment de la haine. Mais il ne<br />

37


put retenir ses mains qui se mirent à pianoter sur le clavier, animées d’une vie indépendante.<br />

Au paroxysme de la frénésie, il claqua par inadvertance sur la souris pointée sur « Envoyez ».<br />

Peu à peu, le calme revint, et il considéra, hébété, son écran, et le message qu’il venait de<br />

retourner à Ariane Bonnard.<br />

« Maguy, sale pétasse, hydre puante assoiffée de pouvoir, tu peux toujours t’accrocher pour avoir le moindre<br />

tuyau sur un contrat qui m’appartient. L’âne Archie ».<br />

Trop tard pour récupérer le coup. La cata intégrale. Il allait se faire virer pour insulte envers<br />

un supérieur. La salope n’allait pas le manquer. Sa colère tombée, il redevenait vulnérable et<br />

craintif. Avec l’angoisse du message assassin qui allait régler son sort. Puisque tout semblait<br />

perdu, il décida d’aller boire un café en dehors de la pause règlementaire.<br />

Lorsqu’il revint, la réponse ne s’était pas fait attendre. « Dans mon bureau immédiatement.<br />

A.Bonnard ».<br />

L’ordinateur affichait 14 heures 47. La caféine <strong>des</strong> deux tasses d’expresso commençait à faire<br />

son effet en ranimant la fureur temporairement assoupie. Il décida de faire attendre, et lança<br />

un jeu informatique, ce qui était formellement interdit pendant les heures de travail.<br />

Habituellement, sa virtuosité lui permettait de gagner facilement, mais, cette fois, il accumula<br />

les erreurs avec ses mains tremblantes et la rage ne fit que prendre de l’ampleur. A 15 heures<br />

15, il revint à son écran de veille, et quitta son bureau pour affronter Miss Maguy.<br />

Les collègues qui le croisèrent dans le couloir furent stupéfaits par son air farouche et sa<br />

détermination. Sur sa lancée, il pénétra dans le saint <strong>des</strong> saints sans frapper. Miss Maguy fut<br />

tellement surprise par l’intrusion et la mine de son subordonné qu’elle resta sans voix pour la<br />

première fois de sa carrière. Celui-ci avec une assurance dont il ne se serait jamais cru capable,<br />

referma tranquillement la porte et demanda d’une voix suave :<br />

« Vous souhaitiez m’entretenir, Madame Bonnard ? »<br />

« Avez-vous perdu l’esprit, Monsieur Arbacis ? Vous ne buvez pas, mais vous semblez ivre. Et<br />

ce message ordurier qui vous vaudra une sanction <strong>des</strong> plus sévères. Et vous avez l’audace de<br />

me faire attendre… Seul le rapport exigé peut sauver encore votre tête ».<br />

Le ton glacial eut pour effet de faire monter d’un cran la résolution d’Archie qui répliqua :<br />

« Vous savez très bien, Miss Maguy, que vous n’avez nul droit sur le contrat Béranger, dont le<br />

mérite me revient intégralement. La société lui devra peut-être sa survie et son expansion et je<br />

ne vous laisserai jamais en tirer un profit personnel ».<br />

« Vous êtes un crétin, Archie. Pour tous, vous êtes un incapable et personne ne prendra au<br />

sérieux vos revendications sur une affaire aussi importante. Qui pourrait croire que le contrat<br />

du siècle soit de votre initiative ? ».<br />

Le sourire narquois de la trop belle Madame Bonnard debout devant lui semblait souligner<br />

une évidence et Archie réalisa soudain qu’il la haïssait autant qu’il la désirait. Son parfum<br />

subtil et raffiné l’enveloppait d’une auréole de séduction et son chemisier de grand couturier<br />

laissait deviner les charmes d’un buste parfait. Sans plus réfléchir, il fit un pas en avant et<br />

saisit son interlocutrice dans ses bras puissants qui l’immobilisèrent. Elle ne put crier, car<br />

c’est difficile avec une deuxième langue dans la bouche.<br />

L’étreinte dura un temps qu’Archie n’aurait su évaluer, mais lorsqu’il sentit mollir la<br />

résistance de sa compagne, il poussa son avantage. Puis elle reprit son self-control et le<br />

repoussa violemment en criant pour la première fois de sa vie professionnelle :<br />

38


« Vous avez mis un terme à votre carrière chez Merin-Garand, Archie. Je vais déposer une<br />

plainte pour harcèlement sexuel et vous serez viré sans indemnité ».<br />

Elle ne s’attendait pas à la réaction du jeune homme qui éclata de rire :<br />

« C’est ça, Maguy ! Vous allez vous couvrir de ridicule ! Archie, le minable, le refoulé, qui<br />

aurait osé porter la main sur vous alors que vous terrorisez les plus culottés ! C’est encore<br />

moins crédible que moi décrochant un fabuleux contrat ! Et cela me rendrait célèbre dans<br />

toute la boite au point de créer un mouvement de soutien unanime ! ».<br />

Décontenancée, la directrice resta un instant muette. Puis elle reprit :<br />

« D’abord, cessez de m’appeler Maguy. Je ne comprend pas le pourquoi de ce surnom ridicule<br />

dont on m’a affublée… Et puis il reste votre message sur le courrier interne et cela, c’est une<br />

preuve ».<br />

« C’était, ma belle Ariane, et ça n’est plus. Regardez votre écran ».<br />

« Mais comment ?... »<br />

« Pendant que vous succombiez à l’envoûtement de mon baiser, j’ai effacé le texte<br />

compromettant. Taper en aveugle est encore l’un de mes talents non reconnus… »<br />

Cette fois, l’enthousiasme faisait place à la colère, mais produisait le même effet libérateur sur<br />

Archie qui rayonnait et semblait immunisé contre les tentatives d’intimidation de Maguy. Elle<br />

allait contre attaquer lorsque le téléphone sonna.<br />

« Oui, Monsieur le Président…bien sûr…Mais il est dans mon bureau… Tout de suite ? Bien, je<br />

vous l’envoie. »<br />

C’est d’une voix étrangement radoucie que la directrice articula :<br />

« Le PDG vous demande à la Direction, concernant l’affaire Béranger »<br />

Archie n’était pas au bout de ses surprises. Il y a tout de même une surprise et elle se<br />

manifestait ce jour-là. Monsieur Béranger avait exigé comme interlocuteur technique,<br />

Monsieur Archimède Arbacis, chaudement recommandé par son correspondant français.<br />

Lorsque le Suisse se fut retiré après avoir signé le compromis, le président lui avait dit :<br />

« Archimède, c’est vous qui représenterez notre société pour l’étude de l’implantation de nos<br />

systèmes. Les banquiers veulent un directeur technique performant et je compte sur vous ».<br />

« Mais, je ne suis pas directeur… »<br />

« Vous le serez dès demain, le temps de donner les instructions. Et permettez-moi de vous<br />

féliciter pour cette affaire qui apporte un second souffle à Merin-Garand. Vous avez de<br />

l’avenir chez nous ».<br />

En sortant un peu brusquement de la salle de réunion, Archie manqua de bousculer Ariane<br />

Bonnard qui semblait confuse.<br />

« Alors, on écoute aux portes, Miss Maguy ? »<br />

« Ne soyez pas caustique, Archie, et restez beau joueur. Vous remportez le jack-pot, et je<br />

reconnais ma défaite. Vous m’avez impressionnée par vos… talents non reconnus. Ne<br />

pourrions-nous pas être bons camara<strong>des</strong> ? »<br />

« Venant de vous, cela vaut tous les éloges ! »<br />

39


« Vous aurez besoin d’une assistante à la hauteur de l’enjeu et nous souhaitons l’un et l’autre<br />

la prospérité de la société. Réfléchissez-y ».<br />

« Je vois. Vous pensez sans doute à quelqu’un d’efficace pour me seconder. C’est à prendre en<br />

considération ».<br />

« Puis-je encore vous demander un service, Archie ? »<br />

« Dites toujours… »<br />

« Ce soir, j’ai un diner d’affaires avec nos clients japonais et je crains un peu d’être seule avec<br />

eux. Ma culture asiatique est assez sommaire… Je sais que vous avez fait vos étu<strong>des</strong> à Tokyo.<br />

Si vous acceptiez de m’accompagner… »<br />

« Je suis encore sous vos ordres jusqu’à demain. Alors, si vous l’exigez… »<br />

Un sourire, qui n’avait rien d’ironique éclaira le visage d’Ariane, lui communiquant une<br />

chaleur inhabituelle et elle murmura :<br />

« Ce n’est pas un ordre, Archie. Seulement une requête… Et mieux vous connaître me ferait<br />

vraiment très plaisir ! »<br />

Alain LARCHIER<br />

69 Chevinay<br />

40


CATEGORIE : NOUVELLES ADULTES<br />

ENCRES VIVES<br />

PALMARES<br />

Prix spécial Allemagne :<br />

Madame Catherine CASTIN – Köln<br />

« Un soir de pluie »<br />

Thème : Un mot de trop…..<br />

41


Un soir de pluie<br />

Assis devant sa chope de bière, à une table au fond du café, il regarde dans la rue sans voir. Le<br />

soir tombe et les lampadaires viennent de s’allumer. Il porte d’un geste machinal son verre à<br />

ses lèvres, la mousse se colle à sa moustache qu’il a rousse et touffue. Il boit plusieurs gorgées<br />

à la fois. Le liquide s’engouffre vivement dans son gosier. La fraîcheur de la bière lui fait du<br />

bien, le ranime un peu de cette amertume qu’il ne comprend pas vraiment. Après tout, ce n’est<br />

pas la première fois qu’elle part en voyage d’affaires pour trois jours. Depuis le temps, il s’y est<br />

habitué. Elle prépare son sac, explique en quelques mots où elle va et pourquoi elle y va, et<br />

voilà. Il n’a jamais cherché à en savoir plus. De toute façon, il n’a jamais compris grand-chose à<br />

son travail, tous ces chiffres, ces bilans, ces expertises… Ces papiers partout… Du chinois pour<br />

lui, lui qui aime toucher ce qu’il fait, son bois, ses copeaux, ses meubles… Quand elle est partie<br />

comme ça pendant plusieurs jours, il en profite pour rester plus longtemps dans son atelier. Il<br />

lui arrive même parfois d’y passer la nuit. Mais ça il ne lui a jamais raconté, elle se serait<br />

moquée de lui. Lui, il s’y sent bien, dans son atelier, il en aime l’odeur et la solitude. Et il aime<br />

son travail, et la satisfaction du travail bien fait. Puis elle revient, ne raconte pas grand-chose,<br />

de toute façon ça ne l’intéresse pas plus que ça, et le quotidien reprend. Jusqu’au prochain<br />

voyage. Mais ce soir, il se sent tout bizarre, et il n’arrive pas à s’expliquer pourquoi. Il reprend<br />

une gorgée de bière. Bien sûr, ils ont encore eu une dispute, une vilaine dispute, mais ce n’est<br />

pas la première fois et ce n’est pas la première fois non plus qu’ils se disputent quand elle<br />

prépare son sac… Son sac… Ah oui, tiens. C’est sa valise qu’elle a choisie ce soir, pour y mettre<br />

ses tailleurs et autres accessoires. D’habitude elle prend toujours son sac, ça suffit bien pour<br />

un voyage de quelques jours. Il est peut-être déchiré, ou bien la fermeture éclair est cassée. Il y<br />

jettera un coup d’œil à son retour… Quand il reviendra à la maison, elle ne sera plus là. Elle<br />

sera déjà partie. Il ne l’accompagne jamais à l’aéroport. Pour quoi faire ? Du temps de perdu,<br />

voilà tout. Et puis, il n’aime pas ces départs, c’est pathétique. Voir tous ces gens partir, quitter<br />

ceux qui restent… Lui, il reste toujours. Alors, il préfère aller au café et attendre qu’elle finisse<br />

de se préparer et partir. De toute façon, elle n’aime pas qu’il l’accompagne. Alors… Mais ce<br />

soir, il est parti comme ça, sans même lui dire au revoir, sans même l’embrasser sur la joue.<br />

D’ailleurs, elle ne se serait pas laissé faire, ce soir, c’est sûr. Après cette grosse dispute… Quand<br />

même…Se quitter comme ça… Il vide sa chope et en commande encore une autre. Dehors, il a<br />

commencé à pleuvoir. Les passants courent ou s’abritent sous les porches. Le serveur dépose<br />

devant lui une nouvelle chope de bière. Il regarde un moment le liquide doré pétiller jusqu’à la<br />

mousse blanche. Le petit crépitement de cette mousse, ce petit bruit-là, il l’aime beaucoup<br />

aussi… Il repense à leur dispute, à sa colère à elle, et à sa propre colère à lui. A propos de quoi,<br />

au fait ? Il ne le sait même plus. Elle est devenue si imprévisible, un rien la met hors d’elle.<br />

Alors il se met en colère lui aussi, parce qu’il n’y comprend rien. Ah, au début, quand ils se<br />

sont rencontrés, ils se sont plu tout de suite, et ils se sont mariés très vite. Ils ont eu de bons<br />

moments, <strong>des</strong> moments heureux, comme tout le monde sans doute. Et puis, ils ont commencé<br />

à s’engueuler, pour trois fois rien, comme tout le monde aussi sans doute… Quand même… Il<br />

pense, se perd dans ses rêves et dans sa bière, et puis repense… Tout d’un coup, une drôle de<br />

pensée vient lui frôler l’esprit. Les traits de son visage se figent, ses yeux s’écarquillent, il<br />

devient tout pâle. Il regarde sa montre : 19 :05. Il vide sa chope d’un trait, se lève brusquement,<br />

paie sa note au comptoir et sort du café. Dehors, il s’est mis à pleuvoir encore plus fort. Il<br />

resserre le col de son manteau autour de son cou et s’engouffre dans la nuit tombée.<br />

Elle continue de faire sa valise, comme si de rien n’était. Il vient de claquer la porte de<br />

l’appartement. Il l’a fait claquer tellement fort que le petit tableau accroché au mur d’entrée<br />

en est tombé par terre. Quelle brute quand même ! Ce soir, la dispute a été violente. Comme si<br />

elle en avait encore besoin ! Ah, ce qu’il l’agace avec ses jérémia<strong>des</strong> et ses ronchonnements à<br />

42


tout bout de champ, et il ne comprend jamais rien à rien. Il ne comprendra jamais rien à rien<br />

de toute façon… Et son odeur sempiternelle de sueur et de bois ! La porte de l’armoire est<br />

grande ouverte, elle choisit et trie ce qu’elle a décidé d’emporter. Elle veut rester calme, mais<br />

ses gestes sont saccadés et maladroits. Elle est complètement énervée, beaucoup plus énervée<br />

que ce qu’elle aurait pu imaginer ! Elle sort sa trousse de toilette du tiroir de la commode et<br />

disparaît dans la salle de bains. D’un geste rapide, elle ouvre l’armoire à glace et y prends ses<br />

tubes et flacons, sa brosse à dents, sa brosse à cheveux, et jette tout pêle-mêle dans sa trousse.<br />

Elle écarte le rideau de la douche et prend sur la petite étagère en métal la bouteille de<br />

shampooing et le savon. Tout d’un coup, le téléphone se met à sonner. Elle sursaute malgré<br />

elle. Qui ça peut être à cette heure-ci ? Elle dépose sa trousse sur le coin du lavabo et se<br />

précipite dans le couloir, vers le guéridon où se trouve le téléphone. Au moment de décrocher,<br />

elle réfléchit encore. Ce n’est pas Mélanie, non, elle est au courant. Albert et Nathalie sont en<br />

vacances… Et si c’était lui ? Non, il n’appelle jamais ! Il préfère larmoyer tout seul au café et<br />

l’ignorer… Elle hésite, puis laisse le téléphone sonner. Ça ne peut être que lui et elle ne veut<br />

pas lui parler ! Pas maintenant ! Quelle dispute seigneur, quelle dispute ! Elle n’en avait<br />

vraiment pas besoin ce soir, de celle-là… Elle retourne d’une démarche ferme dans sa chambre.<br />

Une pensée brusque la saisit soudain. Mais au fait, s’il revenait plus tôt que prévu, avant<br />

qu’elle ne soit partie ?... Non, ce n’est pas possible… Il ne change jamais ses petites habitu<strong>des</strong>,<br />

il ne les changera jamais d’ailleurs… Mais avec lui on ne sait jamais ! Il serait bien capable de<br />

revenir plus tôt, rien que pour l’embêter, précisément ce soir !... Il est quelle heure au fait ? Elle<br />

jette un coup d’œil affolé sur le réveil de la table de chevet. Déjà 19 :10 heures ! Il faut qu’elle se<br />

dépêche ! Vite, elle regarde une dernière fois dans les tiroirs de la commode. Est-ce qu’elle a<br />

pensé à tout ? Au fait, à quelle heure est-ce qu’elle a dit qu’elle partait ? Elle fronce les sourcils.<br />

Ah oui, à 19 :30 heures. Vite, vite ! Elle ouvre l’armoire, la referme. Non, là, elle appris ce qu’il<br />

lui faut. Dans la salle de bains, sa trousse de toilette est tombée par terre, et son contenu s’est<br />

étalé sur le tapis, les bouteilles, le maquillage. Agacée par sa propre nervosité, elle s’accroupit<br />

sur le carrelage et refait sa trousse. La bouteille de shampooing s’est ouverte, et le liquide a<br />

commencé à faire une grosse tache sur le tapis. Décidément, tout va mal ce soir. Elle prend<br />

l’éponge et se met à nettoyer avec acharnement. Puis, elle se redresse, prend sa trousse de<br />

toilette qu’elle jette à la hâte dans sa valise. Les chaussures ? Ah oui, elle les a déjà mises. C’est<br />

la première chose qu’elle a faite, comme d’habitude. Vite, elle ferme sa valise, éteint la lumière<br />

de la chambre après y avoir jeté un regard circulaire, et se dirige vers le palier. Par la fenêtre,<br />

elle aperçoit la pluie qui tombe. Elle fait une grimace. Le temps idéal pour la route.<br />

Décidément, tout va mal ce soir. Elle enfile son imperméable, prend son sac à main, sa valise,<br />

et ferme la porte de l’appartement à double tour.<br />

Dehors, la pluie tombe si fort qu’on y voit à peine. Elle se dirige directement vers sa voiture<br />

qu’elle a garée au coin de la rue, sans jeter un regard aux alentours. Son cœur bat très fort.<br />

Vite, elle ouvre le coffre, y place sa valise. Elle ouvre la portière, s’engouffre dans sa voiture,<br />

met la ceinture de sécurité sans même prendre la peine d’enlever son imperméable, et démarre<br />

aussitôt. Ce n’est qu’au feu rouge au carrefour suivant qu’elle ose jeter un coup d’œil sur sa<br />

montre : 19 :20 heures. Ouf. Tout va bien. Le feu passe au vert. Elle redémarre aussitôt. La<br />

pluie crépite sur son pare-brise et rend la vue difficile. Les lumières <strong>des</strong> autres voitures et <strong>des</strong><br />

lampadaires l’aveuglent un peu mais elle n’en a cure. Elle part, elle est partie !... Tout à coup,<br />

une pensée épouvantable la saisit au cœur et la fait paniquer. Le passeport ! Est-ce qu’elle a<br />

pris son passeport ? Tout en continuant à rouler, elle ouvre fébrilement son sac à main posé<br />

sur le siège à côté d’elle et farfouille à l’intérieur. Elle ne le trouve pas et elle s’énerve, mais elle<br />

ne veut pas s’arrêter. Elle allume la lumière au plafond de sa voiture et vide tout le contenu de<br />

son sac sur le siège… Là, là, il est là ! Le petit carnet souple à la couverture bordeaux ! Elle<br />

pousse un immense soupir de soulagement. Elle éteint la lumière et continue de rouler. Un<br />

grand panneau sur la droite la rassure : Marseille, 780 kilomètres. Il n’y a plus rien à craindre<br />

maintenant. Elle y sera au petit matin, si tout va bien. Avec cette pluie, on ne sait jamais. Et<br />

puis après, direction d’Italie. Si elle roule bien et ne fait que quelques petites pauses, elle<br />

passera la frontière vers midi… Sabrina l’attendra là-bas comme prévu. Il ne la retrouvera<br />

43


jamais… Il n’y a pratiquement pas de circulation sur l’autoroute. C’est surtout dans le sens<br />

inverse que le trafic est encore intense, en direction de Paris, mais de son côté, en route pour<br />

le sud, il n’y a presque personne. Dans son rétroviseur, elle distingue les phares de deux ou<br />

trois voitures, qui ne roulent pas très vite. Elle philosophe, un léger sourire de contentement<br />

sur les lèvres : la pluie rend les gens prudents.<br />

Minuit ! Déjà ! Elle étouffe un bâillement. Elle fait un bref calcul dans sa tête. Ça fait plus de<br />

quatre heures qu’elle roule ! Surprise par sa propre persévérance, elle baîlle franchement cette<br />

fois. Elle peut bien faire une petite pause maintenant, tout marche comme prévu, malgré la<br />

pluie. Un petit café lui fera du bien.<br />

Quelques kilomètres plus loin, elle aperçoit l’enseigne du restaurant « L’Arche ». Elle sourit.<br />

Elle met de suite son clignotant et quitte l’autoroute. Il n’y a pratiquement personne, elle n’a<br />

aucun mal à trouver une place de parking située directement devant l’entrée du restaurant. A<br />

l’intérieur, presque toutes les tables sont vi<strong>des</strong>.<br />

Seul, un employé s’active auprès du distributeur de boissons. « Un café, s’il vous plaît. Bien<br />

serré ».<br />

Elle choisit une place près d’une fenêtre et s’installe confortablement. Dehors, la pluie tombe<br />

toujours, plus fort que jamais et on ne distingue pratiquement rien. Ah si, les phares d’une<br />

voiture qui vient de se garer là-bas. Le serveur lui apporte son café et un sucrier. Elle s’étonne<br />

et sourit en même temps. Elle prend deux morceaux de sucre qu’elle fait fondre dans son café.<br />

Comme c’est curieux, ces morceaux de sucre, d’habitude, on a <strong>des</strong> petits sachets de sucre en<br />

poudre, avec <strong>des</strong> caricatures rigolotes <strong>des</strong>sus parfois. A cette pensée, elle ne peut s’empêcher<br />

de s’esclaffer un peu.<br />

Elle ne prête pas attention à l’homme qui vient d’entrer dans le restaurant. Elle porte sa tasse<br />

de café à ses lèvres, encore amusée par ses propres petites réflexions. Ce n’est que lorsqu’il se<br />

tient droit devant elle qu’elle le reconnaît, atterrée.<br />

« T’aurais pas dû me dire que tu n’voulais plus m’voir », lui dit-il, tout en s’asseyant sur la<br />

banquette en face d’elle.<br />

Catherine CASTIN<br />

Köln – Allemagne<br />

44


CATEGORIE : NOUVELLES ADULTES<br />

ENCRES VIVES<br />

PALMARES<br />

Prix spécial Suisse :<br />

Madame Monique FELICI de BLAIREVILLE<br />

Genève<br />

« L’enjeu »<br />

Thème : Un mot de trop…<br />

45


L’enjeu<br />

Artisan-ébéniste et restaurateur attitré du Vatican à Rome, Marco Cavalli occupe une<br />

échoppe au rez-de-chaussée d’un immeuble moyenâgeux et vétuste dans le pittoresque<br />

quartier du Trastevere. Célibataire, dans la quarantaine énergique et enthousiaste, il ne vit<br />

que pour son art et sa réputation dépasse les limites de la ville.<br />

Ce matin-là, dans l’imposant bureau de Mgr. Paolo Del Ponte, responsable de la bibliothèque<br />

apostolique du Saint-Siège, Marco patiente. Face à lui, le visage sec, sévère et blême, le nez<br />

pointu chaussé de petites lunettes ron<strong>des</strong> cerclées d’or, l’ecclésiastique se plaint du mauvais<br />

état de ses fauteuils damassés Louis XV aux armatures de bois doré. Ils doivent absolument<br />

être restaurés, et vite, car une importante réunion d’historiens internationaux, très intéressés<br />

par le décryptage de certaines archives secrètes du XVIIème siècle, conservées au Vatican, va<br />

se tenir dans son bureau.<br />

Silencieux, Marco inspecte les sièges et constate, stupéfait, que la fine couche d’or qui<br />

recouvre le bois, s’effrite, s’écaille et devient poussière entre ses doigts. De surcroît, l’essence<br />

d’arbre utilisée pour les structures, est de très mauvaise qualité. Cette usure et cette<br />

dégradation le surprennent beaucoup et l’amène à une terrible conclusion : les fauteuils ne<br />

sont pas authentiques, ce ne sont que <strong>des</strong> vulgaires copies.<br />

Derrière lui, Del Ponte, sinistre et menaçant dans sa longue soutane noire ceinte d’une<br />

écharpe rouge, les épaules couvertes d’une cape à lisière et boutons écarlates, l’observe d’un<br />

œil d’aigle, et toute son attitude n’est qu’avertissement.<br />

Il exige que la restauration se fasse dans les locaux du Saint-Siège, afin qu’il puisse la<br />

superviser. Cette décision arbitraire déplaît à Marco, qui aurait préféré travailler dans son<br />

atelier, à l’abri de ce cauchemar en soutane, mais ce surplus de précautions l’intrigue et étaye<br />

ses soupçons. Le prélat sait parfaitement à quoi s’en tenir sur l’authenticité de ces fauteuils. Il<br />

se pourrait même qu’il soit impliqué dans de juteux trafics d’objets d’art. Le luxe qui<br />

l’entoure : tableaux de grands maîtres de la Renaissance, meubles rares et tapis précieux,<br />

nécessite de sérieux moyens financiers.<br />

Chaque matin, Marco se rend au Vatican, où, dans un local froid et aseptisé, Mgr. Del Ponte<br />

l’attend. Lugubre, sombre et muet, il assiste à la restauration, puis, après un moment, quitte<br />

les lieux, au grand soulagement de Marco qui culpabilise de participer à ce jeu machiavélique.<br />

Mais, a-t-il vraiment le choix ? Parler de sa découverte serait rompre avec le Saint-Siège et son<br />

ébénisterie ne s’en remettrait pas. Cependant, cette complicité tacite, à son corps défendant,<br />

le contrarie et le déprime.<br />

En représailles, il ne se rend pas au Vatican le matin suivant et exécute <strong>des</strong> comman<strong>des</strong>, sans<br />

grand enthousiasme, l’esprit ailleurs.<br />

46


Mais courte est la trêve. En fin d’après-midi, une limousine noire, rutilante, se range devant<br />

l’échoppe. Mgr. Del Ponte fait une entrée théâtrale. Courtois, mais sévère, il s’informe<br />

sèchement de la raison qui empêche Marco Cavalli de se rendre au Vatican pour terminer la<br />

restauration <strong>des</strong> fauteuils. Le jour de la réunion approche…<br />

« Ce sont <strong>des</strong> pièces de collection », clame-t-il emphatique. « Leur valeur est inestimable, et je<br />

veux que mes hôtes puissent les admirer et les apprécier. Alors, je vous attends demain<br />

matin. »<br />

Il débite ces mensonges avec un visage de marbre. Marco, dégoûté par un tel cynisme, refuse<br />

net de poursuivre son travail au Saint-Siège, ce qui irrite Monsignore, qui change de ton et<br />

d’attitude.<br />

« Amico Mio ! La clientèle du Vatican ne vous intéresse-t-elle donc plus ? Que diable signifie<br />

cette brusque volte-face ? Je vous ordonne de reprendre le chemin de l’atelier et je ne tolèrerai<br />

aucune dérobade. »<br />

Exaspéré, poussé à bout, Marco perd toute prudence, et d’une voix enrouée par l’émotion et la<br />

peur, il crie :<br />

« Eminenza ! Pardonnez-moi, mais vos fauteuils ne sont que de vulgaires copies. Ce sont <strong>des</strong><br />

faux. Prétendre le contraire serait une hérésie. Je suis un artisan responsable. Différencier<br />

l’authentique du faux fait partie de mon métier. Voilà pourquoi je ne peux, ni ne veux<br />

collaborer à une telle mascarade. »<br />

L’effet de ces paroles sur Mgr. Del Ponte est foudroyant. Son masque d’arrogance se craquèle<br />

et révèle un visage rageur. Ses yeux luisent dangereusement. Ses longues mains fines ne sont<br />

que deux poings fermés.<br />

« Taisez-vous ! », crie-t-il hors de lui, « Que connaissez-vous à l’art, à l’histoire, à la science et<br />

aux enjeux religieux ? Rien ! Absolument rien ! Votre métier consiste à assembler <strong>des</strong><br />

morceaux de bois, à les tailler et les recouvrir de feuilles d’or. Vous ne connaissez rien d’autre.<br />

Insinuer que mes fauteuils Louis XV ne sont pas authentiques, mérite une sanction<br />

unilatérale. Je vous interdis donc de remettre les pieds au Saint-Siège. J’y veillerai<br />

personnellement. Votre audace, ou plutôt votre sottise vous coûtera très cher. Ne répandez<br />

pas vos élucubrations à l’extérieur, vous vous en mordriez les doigts. Amen ! »<br />

Et, dans un bruissement de soutane, il sortit.<br />

Anéanti, Marco se fait d’amers et tardifs reproches pour n’avoir su tenir sa langue. D’autre<br />

part, il se sent soulagé de s’être sorti de ce pétrin à temps.<br />

Les semaines défilent. Difficiles et pénibles pour lui. La perte de la clientèle du Vatican est<br />

catastrophique pour son commerce. De surcroît, musées, collectionneurs, particuliers,<br />

diffèrent leurs restaurations, sous prétexte de difficultés financières.<br />

47


C’est alors que la presse romaine se déchaîne et révèle un scandale sans précédent au sein du<br />

Vatican. On parle de la découverte d’un trafic interne de meubles d’époque, en particulier du<br />

Louis XV. Un « Eminentissime », dont le nom est publiquement tu, est impliqué dans cette<br />

tortueuse affaire. On le soupçonne même d’être la tête pensante de la filière.<br />

Eclaboussé et furieux d’être à la une de tous les quotidiens de Rome, le Saint-Siège sanctionne<br />

l’indésirable et corruptible « Eminentissime », qui est muté, sans délai, quelque part en<br />

Amérique du Sud, où, misère, corruption, violence et prostitution font partie du quotidien. Il<br />

y apprendra l’humilité et le don de soi.<br />

Dans son échoppe, Marco jubile, revigoré par ces nouvelles. Certes, trop parler nuit, mais en<br />

l’occurrence, il se félicite d’avoir osé le faire. Maintenant, la situation tourne à son avantage.<br />

En effet, le Vatican a repris contact avec lui. D’importantes restaurations attendent ses soins !<br />

Les affaires reprennent !<br />

Anne-Monique FELICI de BLAIREVILLE<br />

Genève – Suisse<br />

48


CATEGORIE : POESIES JEUNES<br />

ENCRES VIVES<br />

PALMARES<br />

Mention d’honneur :<br />

Pierre-Emmanuel EMERIAU – 49 Trémentines<br />

« Où vont nos arbres ? »<br />

1 er prixMademoiselle Chloé CHARRIAT – Collège Jean Bosco – 49 Saint Macaire<br />

« Où vont nos arbres ? »<br />

2 ème prix Monsieur Axel VINCENT - Collège Jean Bosco – 49 Saint Macaire<br />

« Forêt de cheminée »<br />

3 ème prix Mademoiselle Charlène DUBARRY – Collège Jean Bosco-49 Saint Macaire<br />

« Les arbres de mon parc »<br />

4 ème prix Mademoiselle Agathe OUVRARD – Collège Jean Bosco – 49 Saint Macaire<br />

« Où vont nos arbres ? »<br />

Thème : Où vont nos arbres ?<br />

49


Où vont nos arbres ?<br />

Gran<strong>des</strong> victimes d’un long parricide,<br />

Les arbres déterrés se changent en vide.<br />

D’eux alors naquirent nos plus grands vices,<br />

Car leur ôter la vie n’est pas factice.<br />

On satisfait la société <strong>des</strong> hommes néophytes :<br />

On les tronçonne, les déracine, les décapite.<br />

On les brûle dans nos chaudières, ces crématoriums à bois.<br />

On les perce de clous, comme le divin le fut autrefois.<br />

Pourtant on ne reconnaît pas ces somptueuses majestés<br />

Comme elles le devraient paraître : les poumons de notre terre.<br />

On s’acharne à nier l’évidence d’un monde déboisé,<br />

Où les abjects gratte-ciel substituent les bois et vicient l’air.<br />

La vie s’estompe peu à peu de la nature humaine.<br />

Même si certains ont tenté de nous réconcilier, en vain,<br />

A Copenhague ou Rio. L’égoïsme accentue nos peines,<br />

Pour le bonheur d’aujourd’hui et le malheur de demain.<br />

Pierre-Emmanuel EMERIAU<br />

49 – Trémentines<br />

50


Où vont nos arbres ?<br />

Les arbres avaient de jolis feuillages dorés.<br />

Resplendissant avec mille couleurs argentées<br />

Ils étaient grands et accrochaient à leurs branches<br />

De gros fruits verts dont la pulpe était blanche.<br />

Mais hélas ! Les hommes ont tout cassé, détruit<br />

Ils ont tout coupé : il ne resta que les fruits.<br />

Tronçonnés à partir du tronc, tout saccagés.<br />

Pourquoi ces hommes-là ont-ils tout dévasté ?<br />

Mais pourquoi tous ces arbres sont-ils transformés ?<br />

A quoi serviront autant de jolis feuillus ?<br />

A faire <strong>des</strong> maisons en bois et puis du papier ?<br />

Et maintenant les forêts sont plus désertes<br />

Les arbres ne vivent plus, il ne reste rien<br />

Plus que de gran<strong>des</strong> étendues dévastées.<br />

Chloé CHARRIAT<br />

Collège Jean Bosco – 49 Saint Macaire en Mauges<br />

Classe de 5 ème I<br />

51


Forêt de cheminée<br />

Afin de ne pas faire brûler leurs feuillages<br />

Tous les arbres se précipitent vers le barrage<br />

Accompagnés de leur famille et de bagages<br />

Même les plus courageux, même les plus sages.<br />

Tous réunis en cette soirée de carnage<br />

Soit ils sont partis en papier ou en fumée<br />

Ce n’est pas un songe mais la réalité<br />

Tout le monde croit que c’est simplement un mirage<br />

Une fois tués ils rejoignent notre cheminée<br />

Ou ils se changent en quelques feuilles de papier<br />

Ils essaient de survivre derrière quelques bêtes<br />

Mais la mort les poursuit jusque dans leur cachette<br />

Les bûcherons sont fin prêts pour leur conquête<br />

Tous les arbres sont là pour que justice soit faite.<br />

Axel VINCENT<br />

Collège Jean Bosco – 49 Saint Macaire en Mauges<br />

Classe de 5 ème VI<br />

52


Les arbres de mon parc<br />

Protégeons nos arbres et forêts,<br />

Pour que les enfants puissent s’amuser,<br />

C’est mieux que de les gaspiller pour du papier,<br />

Et ça grâce à nos progrès.<br />

Quand le vent caressera vos feuilles,<br />

Elles bougeront comme <strong>des</strong> battements d’ailes.<br />

Monsieur, Madame, et Mademoiselle,<br />

Regardez-moi ce bel et agile écureuil.<br />

Touchez cette nature ; ce parfum dans l’air.<br />

Aux parcs, les enfants sont allongés par terre,<br />

Regardant défiler les nuages.<br />

La haie a de belles feuilles malgré son âge,<br />

Au mois d’hiver peut-être qu’il mourra,<br />

Moi je reviendrai en pensant qu’il était là.<br />

Charlène DUBARRY<br />

Collège Jean Bosco – 49 Saint Macaire en Mauges<br />

Classe de 5 ème VI<br />

53


Où vont nos arbres ?<br />

Les arbres dorment, c’est l’hiver, sur leurs branches,<br />

Des oiseaux multicolores aux ailes blanches<br />

Annoncent le début d’un printemps clair et doux.<br />

Un à un, les arbres se lèvent, réveillés<br />

Par le chant cristallin du vent sur leurs grands pieds<br />

Chatouillant leurs narines où se pose le houx !<br />

Mais cette fois-là les arbres ne se réveilleront<br />

Dans les appartements et les maisons, ils iront<br />

Remplissant les rivières de larmes brûlantes<br />

Roulant sur leurs joues qui tremblaient vraiment de peur<br />

Espérant qu’ils ne leur arriveraient malheur<br />

Même la nuit beaucoup de cauchemars les hantent.<br />

Leurs douces feuilles luisent d’un doré éclatant<br />

Leurs racines ondulent comme <strong>des</strong> serpents<br />

Leurs branches se balancent, je les ai trouvées,<br />

Les sapins, les chênes, comme si je rêvais<br />

Ils sont regroupés dans un endroit sur la forêt<br />

Quel plaisir gâché que de les voir s’abîmer !<br />

Agathe OUVRARD<br />

Collège Jean Bosco – 49 Saint Macaire en Mauges<br />

Classe de 5 ème I<br />

54


CATEGORIE : NOUVELLES JEUNES<br />

ENCRES VIVES<br />

PALMARES<br />

1 er prix Mademoiselle Elodie WANNER – 68 Colmar<br />

« Déracinés »<br />

2 ème prix Mademoiselle Mathilde PLASSART – 49 Cholet<br />

« L’arbre qui chante »<br />

Thème : Où vont nos arbres ?<br />

55


Déracinés<br />

C’est à l’aurore, alors qu’enracinés depuis <strong>des</strong> siècles, ces patriarches du monde ont décidé<br />

d’aller visiter leur royaume.<br />

Dans une étrange farandole, voici le chêne, le hêtre, l’érable et le tilleul qui sortent de leur<br />

torpeur. Etirant leurs branches, et faisant frétiller leurs feuilles lentement, ils brisent la terre<br />

qui les retenait.<br />

Ainsi à l’heure de la rosée, ils font leurs premiers pas dans la plaine fleurie par les premières<br />

heures du printemps. Un peu plus tôt dans la même plaine, on aurait pu entendre <strong>des</strong> rires<br />

étouffés par l’épaisseur du manteau de neige immaculé. Mais à présent règne un silence juste<br />

interrompu par le battement excité provenant de la sève de ces arbres, enthousiasmés par<br />

cette nouvelle aventure.<br />

Quelques pas suffirent à ces géants de la nature pour arriver aux carrés d’or que forment les<br />

champs de blé ; et faisant attention de ne pas fouler tous ces grains d’or, ils continuent leur<br />

avancée.<br />

Ils s’approchent lentement d’un lac où se reflète le ciel. Le jour c’est l’azur de l’immensité que<br />

nous pouvons admirer et la nuit ce sont les clous d’or qui parsèment le ciel qui en silence s’y<br />

baignent.<br />

A cet instant ce sont les lueurs orangées-roses du matin, se dispersant, que l’on peut y<br />

admirer ; et ce spectacle à l’air de plaire à ces centenaires car ils s’arrêtent dos aux champs<br />

dorés pour le contempler. Se faisant, s’écoule le temps ; les minutes passent aux bruits de<br />

leurs feuillages bousculés par le vent.<br />

Leur contemplation s’interrompt par l’arrivée de la pluie qui brouille l’image lisse du lac Ne<br />

voyant plus d’intérêt à ne pas continuer leur route, ils contournent l’étendue d’or bleu par un<br />

petit sentier.<br />

Mais voilà que le sentier se divise et que les grands majestueux ne savent plus quelle route<br />

prendre. La pluie continue, tandis que les géants se concertent dans cette antique langue qui<br />

leur est propre : le chêne, le hêtre et le tilleul préfèrent aller à gauche, voyant au loin, à l’arrière<br />

d’une haute montagne, un vallon tapissé de fleurs <strong>des</strong> champs ; mais l’érable préfère la droite,<br />

entendant au loin le bourdonnement d’abeilles ; ces petits insectes, rois dans l’entreprise de la<br />

fabrication du miel, adorent butiner les fleurs mellifères de l’érable et celui-ci serait ravi de<br />

leur compagnie.<br />

Se voyant en minorité, il cède et suit ses confrères à gauche, laissant, le cœur lourd, ses amies<br />

au loin. Mais à quelques mètres à peine du point d’arrivée, <strong>des</strong> senteurs de rêve leur<br />

parviennent et se mêlent alors, à l’odeur de la pluie, mille et un parfums. Ce n’est qu’au pied<br />

de la haute montagne, qui surplombe le vallon, que la pluie cesse enfin. S’ébrouant de joie, les<br />

feuillus voient alors apparaître une chaîne de couleurs dans le ciel. Admiratifs, ils<br />

s’interrogent sur la source de cette apparition, mais contrairement à de nombreux curieux qui<br />

courent après une chimère, ils décident sagement de ne pas partir à la recherche de la source<br />

de l’arc-en-ciel.<br />

56


Ils contournent alors la haute montagne et se retrouvent entourés de sompteuses vignes où de<br />

magnifiques grappes de belle taille dorent au soleil. Le vallon ne surpasse pas en beauté ces<br />

quelques hectares de vignes soignées minutieusement et les quatre randonneurs se hâtent<br />

avec impatience vers cette mosaïque de couleurs.<br />

Le jour est bien avancé et les quatre voyageurs se posent au milieu <strong>des</strong> orchis militaires, <strong>des</strong><br />

œillets, <strong>des</strong> adonis, <strong>des</strong> bleuets, <strong>des</strong> anémones et <strong>des</strong> panais sauvages. Pendant quelques<br />

heures, on les voit songeurs dans cette parfumerie à ciel ouvert.<br />

Puis, toujours dans cette antique langue, le chêne propose à ses compagnons de voyage<br />

d’achever ici leur périple.<br />

« Les couleurs et les senteurs y sont idéales pour agrémenter tous les paysages que nous avons<br />

vus aujourd’hui. Nos rêves seront moins fa<strong>des</strong> à présent. Un petit siècle ici, avant notre retour<br />

à notre clairière natale me semble tout à fait approprié ».<br />

Devant tant de raison et étant attachés au petit vallon, les trois branchus approuvent avec<br />

enthousiasme.<br />

En fin d’après-midi, un père et ses deux enfants, vivant plus haut dans les collines et ayant<br />

pour habitude de se promener au milieu <strong>des</strong> fleurs <strong>des</strong> champs, trouvèrent, étonnés, quatre<br />

grands arbres, qui, la veille, n’étaient pas là.<br />

Et c’est donc, dans ce petit vallon aux mille et un parfums et aux couleurs d’une palette<br />

infinie, que les quatre patriarches du monde rêvent à leur voyage.<br />

Elodie WANNER<br />

68 – Colmar<br />

57


L’arbre qui chante<br />

Je m’appelle Camille. J’ai dix ans et j’ai les cheveux bruns. Dans mon jardin, il y a un arbre que<br />

j’aime beaucoup car quand je parle, il m’écoute. Je fais la sieste dans une cabane que j’ai<br />

fabriquée. Un écureuil vient souvent prendre mon gouter. J’y passe de bons moments. Mais ce<br />

soir, une mauvaise surprise m’attend.<br />

J’arrive enfin à la maison, je traverse le jardin et…je ne vois qu’une souche d’arbre et ma cabane<br />

à côté !!<br />

Je fonce à la cuisine.<br />

-Maman ? maman, criai-je<br />

-Oui<br />

-Où est l’arbre du jardin ?<br />

-Les bûcherons l’ont coupé.<br />

-Pourquoi ?<br />

-Si nous l’avions laissé pousser, il serait tombé chez le voisin et il se serait plaint à la mairie.<br />

Je monte dans ma chambre. Triste.<br />

-A table !<br />

-J’arrive<br />

-Pourquoi cette tête ?<br />

-Tu le sais, maman.<br />

A la fin du dîner, je lui demande :<br />

-Où vont les arbres après être coupés ?<br />

-Je ne sais pas. Demande à ton professeur.<br />

La journée du lendemain se passe comme d’habitude. Je pose la question à mon professeur.<br />

Alors, je décide de demander à mes parents, un violon !!<br />

Mathilde PLASSART<br />

49 Cholet<br />

58

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