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AF90complet (1).pdf - CongoForum

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■ MADAGASCAR Didier Ratsiraka parle<br />

■ SÉNÉGAL Hold-up sur les peanuts !<br />

■ ALGÉRIE Ouverture et bonnes pratiques<br />

■ TCHAD Un nouvel Idriss Déby ?<br />

M 03276 - 90 - F: 4,00 E<br />

’:HIKNMH=[UYUUW:?a@k@j@k@a"<br />

www.afrique-asie.fr<br />

Qatar<br />

Attention<br />

danger !<br />

■ VENEZUELA La révolution continue<br />

■ TUNISIE Le calme et la tempête<br />

■ RDC/AFRIQUE DU SUD L’onde de choc<br />

■ FEMEN Un phénomène qui dérange<br />

Mai 2013<br />

Afrique Zone CFA 2 100CFA - Algérie 200 DA - Belgique 5€ - Canada 6,99$ - Comores 3€ - Djibouti 4€ - Égypte 4€ - États-Unis 7$ -<br />

Europe Zone euro 5,50€ - Ghana 7,00C - Guinée 3€ - Haïti 5$ - Hongrie 3€ - Kenya 4€ - Liban 6 000 LBP - Madagascar 3€ -<br />

Maroc 25 DH - Mauritanie 4€ - Nouvelle-Calédonie 850 XPF - Roumanie 4€ - Rwanda 4€ - Suisse 7,00 FS - Tunisie 3 DT


Continents<br />

DES CHIFFRES…<br />

56,7 milliards de francs CFA<br />

(85 millions d’euros<br />

environ). C’est le<br />

coût de l’intervention<br />

tchadienne dans le nord<br />

du Mali au 15 avril,<br />

selon le premier ministre<br />

tchadien, Joseph<br />

Djimrangar Dadnadji. ■<br />

19 millions de personnes<br />

étaient au chômage<br />

dans la zone euro en<br />

février dernier, soit<br />

12 % de la population<br />

active, selon Eurostat,<br />

l’office des statistiques<br />

de l’Union<br />

européenne. ■<br />

828 milliards d’euros,<br />

c’est ce qu’auraient dû<br />

payer les géants américains<br />

d’Internet (Amazon, Apple,<br />

Facebook, Google et<br />

Microsoft) comme impôt<br />

sur les sociétés en France<br />

en 2011. Soit vingt-deux<br />

fois plus que ce qu’ils ont<br />

réellement déboursé, selon<br />

une étude de l’Institut<br />

Greenwich. ■<br />

6,8 millions de personnes<br />

ont besoin d’aide en Syrie,<br />

selon les chiffres révélés<br />

par la responsable des<br />

opérations humanitaire de<br />

l’Onu, Valerie Amos.<br />

Quelque 4,25 millions de<br />

Syriens sont des déplacés<br />

dans leur pays et<br />

1,3 million se sont réfugiés<br />

dans les pays voisins. ■<br />

James Bond en Guinée-Bissau<br />

Ex-chef de la Marine bissau-guinéenne, « Bubo » Na<br />

Tchuto (photo) a été arrêté début avril pour trafic de<br />

drogue par des policiers américains déguisés en trafiquants.<br />

Mais il l’aurait été dans les eaux territoriales de son pays et non<br />

dans les eaux internationales, selon le sous-lieutenant de vaisseau<br />

Vasco Antonio Na Sia, qui était avec lui au moment de<br />

l’interpellation, formalisée au Cap-Vert. Infiltrée par de puissants<br />

réseaux de narcotrafiquants, la Guinée-Bissau l’est aussi<br />

par des hommes de l’Agence américaine antidrogue (DEA).<br />

C’est un de ses agents secrets qui, le 1er avril, a proposé au<br />

contre-amiral « Bubo » d’aller au large pour guider vers Bissau<br />

un yacht transportant des agents de la DEA, qui se faisaient<br />

passer par des hommes d’affaires en relation avec les rebelles<br />

des Forces armées révolutionnaires de Colombie. « Bubo »<br />

s’était déclaré prêt à leur fournir de l’armement, qu’il aurait<br />

facilement trouvé dans les casernes de l’armée de Bissau.<br />

Le 5 avril, lui et deux co-accusés ont été traduits devant un<br />

juge de New York. Le 19 avril, cela a été le tour du chef de<br />

l’armée de Guinée-Bissau, le lieutenant-général Antonio<br />

Indjai, accusé de complot de narcoterrorisme avec les Farc,<br />

désignées comme une organisation terroriste par les États-<br />

Unis depuis 1997. Le représentant de l’Onu en Guinée-<br />

Bissau, José Ramos Horta, a exclu une éventuelle intervention<br />

des Nations unies dans ce dossier, qui est « un processus<br />

unilatéral du gouvernement américain ». Antonio Indjai est<br />

frappé d’une interdiction de voyager émise par l’Onu depuis<br />

le coup d’État de 2012. Reste à clarifier si, au-delà du piège,<br />

il existe des preuves de la connexion présumée avec les<br />

Farc. ■<br />

La France au Mali: et après ?<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

D. R.<br />

…ET DES MOTS<br />

◗ « Les ravages<br />

causés par la<br />

politique de M me Thatcher<br />

perdurent. Bon<br />

débarras! » ■<br />

Syndicat des mineurs britanniques.<br />

◗ « Souvenez-vous<br />

que Margaret<br />

Thatcher a qualifié<br />

Mandela de terroriste<br />

et qu’elle a pris le thé<br />

avec Pinochet.<br />

Comment lui rendre<br />

hommage? » ■<br />

Ken Loach,<br />

cinéaste britannique.<br />

◗ « Mme Thatcher<br />

a maintenu le cap<br />

et tenu bon face<br />

à tous les conservatismes,<br />

réussissant une<br />

modernisation<br />

spectaculaire de<br />

l’économie<br />

britannique. » ■<br />

Jean-François Copé,<br />

président de l’UMP.<br />

◗ « La propagande<br />

est à la démocratie<br />

ce que la violence<br />

est à la dictature. » ■<br />

Noam Chomsky,<br />

philosophe militant américain.<br />

◗ « Le zéro ennemi<br />

(chez Erdogan) en est<br />

réduit à zéro en éthique,<br />

zéro en crédibilité, zéro<br />

en amitié et zéro<br />

en politique. » ■<br />

Bachar al-Assad.<br />

U n groupe de travail baptisé « Sahel », présidé par les sénateurs français Gérard Larcher (UMP) et Jean-Pierre Chevènement<br />

(MRC), a rendu son rapport d’enquête, le 16 avril 2013, afin que les parlementaires puissent se prononcer sur la prolongation<br />

de l’intervention des forces armées françaises au Mali. Prolongation accordée le 22 avril. Les conclusions de l’analyse sont<br />

pourtant négatives: risque d’enlisement, absence de volonté politique malienne de réconciliation nationale, État entièrement – ou<br />

presque – à reconstruire, nécessité d’une stratégie pour l’ensemble du Sahel, etc. Le rapport note que les quatre mois d’intervention<br />

ont coûté 200 millions d’euros, plus que l’aide française bilatérale au développement rural versée au cours de la décennie. ■<br />

3


4 Continents<br />

PROFIL HAUT…<br />

Jay-Z,<br />

le rappeur américain, a été<br />

critiqué aux États-Unis<br />

pour s’être rendu à Cuba et<br />

avoir déclaré : « J’aime les<br />

Cubains. » Du coup, il en a<br />

rajouté en publiant une<br />

nouvelle chanson qui se<br />

réfère à celle de Bob<br />

Dylan, « Idiot Wind ». Il y<br />

vante son voyage dans l’île<br />

des frères Castro effectué<br />

avec son épouse, la<br />

superstar Beyoncé. ■<br />

Denise Epoté,<br />

directrice Afrique de TV5<br />

Monde Afrique, a reçu la<br />

Légion d’honneur le<br />

19 avril à Paris. Autour<br />

d’elle, des personnalités,<br />

amis de toujours : Manu<br />

Dibango, son compatriote,<br />

artiste et acteur important<br />

dans le monde de la<br />

diffusion audio-culturelle,<br />

Abdou Diouf, secrétaire<br />

général de la Francophonie,<br />

un parterre de ministres<br />

africains et français, ainsi<br />

que de hauts responsables<br />

de l’audiovisuel. ■<br />

David Van Reybrouck,<br />

auteur belge du best-seller<br />

surprise Congo<br />

(Actes Sud), essai<br />

d’histoire « par le bas »<br />

multiprimé, a décidé de<br />

consacrer les 45 000 euros<br />

du prix Aujourd’hui à une<br />

édition de poche peu<br />

coûteuse, accessible aux<br />

Congolais. ■<br />

Sahara occidental: les États-Unis ont cédé<br />

Le bras de fer entre le Maroc et les États-Unis sur le<br />

nouveau mandat de la Mission des Nations unies au<br />

Sahara occidental (Minurso, photo) s’est conclu par<br />

l’abandon de Washington. Le projet de résolution qui<br />

élargissait le mandat de la Minurso au contrôle du respect<br />

des droits humains au Sahara occidental, aussitôt entériné<br />

par Susan Rice, ambassadrice américaine à l’Onu, a été<br />

revu à la baisse. Il ne s’agit plus désormais que d’« encourager<br />

des efforts et des progrès dans ce domaine », selon<br />

un négociateur. Le Conseil de sécurité renouvelle tous les<br />

ans, avant la fin avril, le mandat de la Minurso.<br />

Le gouvernement, les partis et la société civile marocains<br />

avaient réagi très violemment au premier texte,<br />

ajoutant à la menace de blocage des négociations le report<br />

d’un exercice militaire conjoint impliquant 1 400 soldats<br />

américains et 900 marocains. Taïeb Fassi Fihri, conseiller<br />

royal et ex-chef de la diplomatie, a pris la tête d’une délégation<br />

pour Moscou et Pékin, tandis que d’autres diplomates<br />

ont fait pression sur les « amis du Sahara occidental<br />

», notamment la France, le Royaume-Uni et l’Espagne<br />

– laquelle a de gros intérêts dans la pêche dans les eaux<br />

sahraouies. « Cette affaire a montré le vrai visage du<br />

Maroc et de ceux qui pensent avoir créé la notion même<br />

de droits de l’homme », a déclaré Ahmed Boukhari, le<br />

représentant du Polisario auprès de l’Onu, faisant allusion<br />

à la France, accusée de soutenir Rabat. ■<br />

Al-Jazeera ne supporte plus la contradiction<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

D. R.<br />

Cameroun : ces otages<br />

qui ont « libéré » Biya<br />

« L’heureux dénouement<br />

de cette affaire est<br />

incontestablement le fruit<br />

d’une coopération<br />

exemplaire entre les<br />

gouvernements français,<br />

nigérian et camerounais »,<br />

s’est fendu le président<br />

camerounais Paul Biya<br />

(photo). Au pouvoir depuis<br />

trois décennies, avec un<br />

bilan terne en matière de<br />

gouvernance et de respect<br />

des droits de l’homme,<br />

Paul Biya, qui avait<br />

cravaché dur lors du<br />

dernier sommet de la<br />

Francophonie à Kinshasa<br />

pour obtenir un rendezvous<br />

avec François<br />

Hollande, est le grand<br />

gagnant de la libération,<br />

aux contours encore flous,<br />

des sept otages français<br />

enlevés deux mois plus tôt<br />

par le groupe terroriste<br />

nigérian Boko Haram,<br />

alors qu’ils se trouvaient<br />

au nord du Cameroun. Bon<br />

tacticien – c’est ainsi qu’il<br />

est parvenu à s’accrocher<br />

au pouvoir depuis tant<br />

d’années –, Biya, que<br />

certains analystes<br />

considéraient comme la<br />

première victime<br />

inéluctable de la politique<br />

africaine anti-Françafrique<br />

de Hollande, avait vite<br />

flairé le bon coup qu’il<br />

pouvait retirer de la<br />

libération des otages.<br />

L’octogénaire s’est plié en<br />

quatre pour faire libérer les<br />

Français, mettant à<br />

Àla suite des propos incendiaires que Mezri Haddad, ancien ambassadeur de Tunisie auprès de l’Unesco, a tenu le 5 février<br />

sur la chaîne française France 3, dans l’émission de Frédéric Taddeï « Ce soir ou jamais », la présentatrice vedette d’Al-<br />

Jazeera, Khadija Benguenna, a saisi la justice française. Le procès aura lieu le 19 juin devant la 17e chambre du tribunal de<br />

grande instance de Paris. Selon nos informations, c’est la direction même de la chaîne qui a poussé Khadija Benguenna à déposer<br />

plainte contre le diplomate tunisien. Et qui dit Al-Jazeera dit État du Qatar! Depuis sa naissance en 1996, c’est la première<br />

fois qu’Al-Jazeera se pourvoit en justice contre quelqu’un. Preuve que Mezri Haddad a frappé le Qatar là où ça fait mal. ■


contribution, notamment,<br />

le réseau des chefferies<br />

traditionnelles de la partie<br />

septentrionale du<br />

Cameroun proche du<br />

Nigeria. Une rançon a-telle<br />

été versée ? De<br />

nombreux observateurs<br />

répondent par<br />

l’affirmative, mais aucun<br />

ne peut donner de preuves,<br />

d’autant que Yaoundé<br />

soutient, comme Paris,<br />

qu’il n’y a eu aucune<br />

transaction financière. Biya<br />

aurait-il payé de sa poche ?<br />

Ce qui est sûr, c’est que<br />

l’affaire des otages et son<br />

dénouement heureux ont<br />

littéralement ressuscité<br />

l’autocrate, jusque-là à<br />

peine toléré par l’Élysée.<br />

D. R.<br />

En l’espace de huit<br />

semaines, Biya a ainsi reçu<br />

des appels quasi quotidiens<br />

du chef de la diplomatie<br />

française, et le président<br />

français a déclaré, lors de<br />

la réception des otages,<br />

avoir une pensée<br />

particulière pour lui.<br />

Impensable il y a peu.<br />

Merci, chers otages. ■<br />

Le travail aux Gabonais<br />

Elle n’aura duré que quelques jours mais, comme à chaque<br />

fois, cette grève (photo) a fait peser sur le pays la même<br />

crainte d’une paralysie économique. Depuis 2004, le puissant<br />

syndicat de l’Organisation nationale des employés du pétrole<br />

(Onep) dénonce le non-respect de la législation du travail par les<br />

compagnies étrangères, lesquelles continuent de privilégier<br />

l’emploi de ressortissants occidentaux et autres à une maind’œuvre<br />

locale. L’État, pourtant très impliqué dans la priorité à<br />

l’emploi national, semble avoir du mal à faire respecter les<br />

textes. Une position difficile, puisqu’il est aussi actionnaire de<br />

ces mêmes entreprises pétrolières, au minimum à 25 %. Et ces<br />

grèves peuvent faire très mal à ses finances. Pour mémoire, le<br />

conflit avec Shell (2008) lui avait coûté 1 milliard de francs<br />

CFA par jour. À chaque fois, le dialogue (et les promesses) a pu<br />

débloquer la situation. Mais à chaque fois, aussi, la concrétisation<br />

s’est fait attendre. Le syndicat se rappelle donc régulièrement<br />

au bon souvenir du gouvernement. En pointant du doigt<br />

les 83 % de postes à responsabilité confiés aux étrangers, avec<br />

tous les avantages inhérents, et dans l’irrespect absolu de l’article<br />

140, loi n° 21/2010, sur leur statut de séjour.<br />

En mars dernier, bis repetita : l’Onep a posé un préavis de<br />

grève après le licenciement de dix-sept employés de Schlumberger,<br />

l’une des principales compagnies du pays. Situation bloquée,<br />

négociations avec le ministre de l’Énergie, Étienne Dieudonné<br />

Ngoubou, dans l’impasse, et sauvetage in extremis par le<br />

premier ministre, avec la réintégration promise des dix-sept<br />

employés, mais aussi l’expulsion du directeur général. Apaisement<br />

temporaire ? ■ R. C.<br />

Angola : laborieux recensement<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

…PROFIL BAS<br />

Hélène Mandroux,<br />

maire socialiste de<br />

Montpellier a adressé au<br />

journal Midi libre, le<br />

16 avril, ce message à la<br />

communauté juive présente à<br />

la Maison des relations<br />

internationales pour fêter les<br />

soixante-cinq ans de la<br />

naissance de l’État d’Israël:<br />

« Votre histoire, transmettezla.<br />

Soyez-en fiers, fiers de<br />

votre pays. » Un message qui<br />

a provoqué la stupéfaction<br />

l’Union juive française pour<br />

la Paix qui lui a écrit:<br />

« Mais, Madame la Maire,<br />

de quel “pays” parlez-vous<br />

exactement? Nous n’osons<br />

comprendre un seul instant<br />

que vous identifieriez les<br />

juifs de France à l’État<br />

d’Israël. Cela constituerait<br />

alors une insulte aux<br />

nombreux juifs qui ne se<br />

reconnaissent nullement dans<br />

la politique actuelle d’Israël,<br />

et la condamnent. » ■<br />

Nicolas Sarkozy,<br />

après sa mise en examen<br />

pour abus de faiblesse dans<br />

l’affaire de Liliane<br />

Bettencourt, est cité dans<br />

l’information judiciaire pour<br />

« corruption active et<br />

passive » et « trafic<br />

d’influence, faux et usage de<br />

faux », ouverte par le<br />

parquet de Paris. Elle<br />

concerne des accusations<br />

d’un soutien financier de la<br />

Libye lors de sa campagne<br />

présidentielle de 2007. ■<br />

Pour préparer le recensement général de la population, qui n’a jamais pu être réalisé depuis l’indépendance en 1975, un<br />

recensement pilote sera lancé en mai, couvrant près de 30 000 habitations dans sept des dix-huit provinces du pays.<br />

Le budget provisionnel du recensement général, qui recevra le soutien technique des Nations unies et de pays tels que le<br />

Brésil, le Mozambique et l’Afrique du Sud, est estimé à 50 millions de dollars pour 2013 et 70 millions pour 2014. On<br />

évalue actuellement la population totale à 21 millions d’habitants (moins de 6 millions en 1975), dont un tiers résiderait<br />

dans la région de Luanda. ■<br />

D. R.<br />

5


6 Continents<br />

Obama<br />

en chute libre<br />

Selon un sondage de<br />

l’Institut Gallup, la cote<br />

des États-Unis en Algérie,<br />

qui était en progression<br />

avec l’arrivée de Barack<br />

Obama à la tête du pays, est<br />

en chute significative.<br />

Seulement 30 % des<br />

Algériens approuvent la<br />

politique des États-Unis<br />

comme puissance<br />

mondiale dirigeante. C’est<br />

le taux le plus bas après le<br />

Pakistan et les Territoires<br />

palestiniens. ■<br />

Sénégal :<br />

Karim Wade,<br />

ex-ministre du Ciel,<br />

tombe de haut<br />

Karim Wade, fils de<br />

l’ex-président<br />

sénégalais Abdoulaye<br />

Wade, surnommé<br />

« ministre du Ciel et de la<br />

Terre » en raison de la<br />

taille gargantuesque de ses<br />

domaines de compétences<br />

ministérielles du temps où<br />

son père était au pouvoir,<br />

n’est plus qu’un vulgaire<br />

pensionnaire de la maison<br />

d’arrêt et de correction de<br />

Rebeuss. Inculpé mi-avril<br />

pour « enrichissement<br />

illicite » et concussion, il<br />

n’a pas pu justifier, selon<br />

la justice qui lui avait<br />

donné un mois pour ce<br />

faire, l’origine d’une<br />

fortune personnelle<br />

présumée, estimée à un<br />

peu plus d’un milliard<br />

d’euros. L’ancien<br />

Les nuages s’amoncellent sur Ouattara<br />

Les élections locales (municipales et régionales) du<br />

21 avril, censées clore en beauté un processus électoral<br />

entamé en 2010 dans la douleur de la présidentielle controversée,<br />

ont révélé la permanence, voire l’aggravation, des<br />

tensions politiques. Non seulement ce scrutin a été boycotté<br />

– comme les législatives de 2011 – par le parti de l’ancien<br />

président Laurent Gbagbo, ce qui traduit l’échec de la politique<br />

de réconciliation nationale mise en œuvre par le président<br />

Alassane Ouattara (photo) mais, pis, il a été émaillé de<br />

violences. Les discordances apparues entre le Rassemblement<br />

des républicains de Ouattara et son principal allié,<br />

le Parti démocratique de Côte d’Ivoire de Konan Bédié<br />

(grâce auquel le premier a remporté la présidentielle d’octobre-novembre<br />

2010), jusque-là étouffées, ont dérivé vers<br />

des affrontements violents entre les deux camps. Plusieurs<br />

saccages de bureaux de recensement des votes et des vols<br />

d’urnes ont été enregistrés, jetant une ombre épaisse sur un<br />

scrutin largement boycotté par la population, avec un taux de<br />

participation estimé à environ 30 %. Bédié, notamment, s’est<br />

plaint d’avoir été oublié dans le partage du pouvoir.<br />

Le président ivoirien doit également faire face aux dénonciations<br />

des organisations internationales de défense des<br />

droits humains qui font état, régulièrement, de violations des<br />

droits de l’homme et de l’incapacité de la justice à agir avec<br />

impartialité. ■<br />

Niger-Burkina : la guerre des frontières n’aura plus lieu<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

AFP<br />

« successeur » pressenti<br />

d’Abdoulaye Wade, qui<br />

voulait emménager au<br />

palais présidentiel, a<br />

finalement pris le chemin<br />

de la prison. Il peut<br />

toutefois s’estimer<br />

heureux : il bénéficie d’un<br />

traitement VIP, selon une<br />

radio sénégalaise... et<br />

ne devrait pas rester<br />

longtemps seul en prison.<br />

Sont en effet dans le<br />

collimateur de la justice<br />

sénégalaise, décidée à<br />

moraliser la vie publique,<br />

Oumar Sarr et Ousmane<br />

Ngom, respectivement<br />

ancien ministre de<br />

l’Habitat et ancien ministre<br />

de l’Intérieur. Stoïques, ils<br />

attendent d’être arrêtés et<br />

conduits au lieu de<br />

détention du fils Wade.<br />

Après avoir été l’homme<br />

politique sénégalais<br />

le plus détesté, Karim<br />

Wade entre à nouveau<br />

dans la légende, comme<br />

le prisonnier le plus<br />

célèbre de la prison de<br />

Rebeuss et des autres<br />

établissements<br />

pénitentiaires du Sénégal. ■<br />

L’Amérique<br />

a peur<br />

Loin d’être aussi<br />

meurtrière que les<br />

attaques terroristes qu’on<br />

voit au Moyen-Orient<br />

(Irak, Syrie), l’attaque de<br />

Boston le 15 avril, qui a<br />

tué trois personnes et en a<br />

blessé plus de 170, est la<br />

pire sur le sol américain<br />

depuis celui des deux<br />

C ’est avec soulagement que le Niger et le Burkina ont accueilli le verdict rendu le 16 avril par la Cour internationale de<br />

justice (CIJ). Saisie par les deux pays au sujet du contentieux territorial – récurrent depuis les années 1960 – sur la délimitation<br />

des 375 km de frontière commune, la CIJ n’a mécontenté personne. « Je pense que la Cour a coupé la poire en deux:<br />

on gagne un peu au nord, on perd un peu au sud », s’est réjoui le ministre nigérien de la Justice, Morou Amadou, à La Haye.<br />

« Il y avait souvent des confusions au niveau des forces de l’ordre, des patrouilles, du prélèvement des taxes : c’est fini maintenant<br />

», a, pour sa part, souligné le ministre burkinabè de l’Administration territoriale et de la Sécurité, Jérôme Bougouma. ■


Tours jumelles de New<br />

York, du 11 septembre. Le<br />

marathon de Boston, dont<br />

c’était la 116 e édition, a<br />

lieu chaque année pendant<br />

le « Patriots Day », jour<br />

férié qui célèbre la<br />

fondation de l’Amérique.<br />

Originaires de Tchétchénie,<br />

les deux frères soupçonnés<br />

d’avoir posé les bombes<br />

artisanales semblent avoir<br />

agi seuls. Sous l’influence<br />

de l’aîné, Tamerlan<br />

Tsarnaev, 26 ans, tué<br />

pendant la course-poursuite<br />

après que les suspects<br />

eurent été identifiés,<br />

Dzhokhar Tsarnaev, 19<br />

ans, grièvement blessé, a<br />

déclaré avoir été poussé<br />

par son frère à commettre<br />

cet acte. Mais y a-t-il un<br />

commanditaire ? Territoire<br />

très disputé au sud de la<br />

Russie, à majorité<br />

musulmane, la Tchétchénie<br />

a connu deux guerres<br />

sanglantes contre la Russie<br />

pour son indépendance.<br />

La famille Tsarnaev a vécu<br />

un an à Makhatchkala,<br />

capitale de la région du<br />

Daghestan, près de la<br />

Tchétchénie, puis encore<br />

un an au Kirghizstan, en<br />

Asie centrale, avant<br />

d’immigrer aux États-Unis<br />

en 2002. Le plus jeune a<br />

acquis la nationalité<br />

américaine, tandis que<br />

l’aîné possédait la green<br />

card, le permis de<br />

résidence. D’où les<br />

déclarations empressées du<br />

président tchétchène,<br />

Ramzan Kadyrov,<br />

affirmant que les deux<br />

Arabie Saoudite: guerre de succession<br />

Le limogeage par le roi Abdallah ben Abdelaziz de son<br />

neveu, le prince Khaled ben Sultan (photo), de son poste<br />

de vice-ministre de la Défense sonne-t-il le glas du clan des<br />

Sudayri et l’avènement de la branche des Shummar, dont<br />

l’actuel roi est issu ? Tout le laisse à le penser. Fils de feu le<br />

prince Sultan ben Abdelaziz, le prince général déchu Khaled<br />

avait commandé les troupes arabes engagées en 1991 dans<br />

l’opération Tempête du désert contre l’Irak, sous la bannière<br />

américaine. Il est également le patron du groupe de presse<br />

Al-Hayat, basé à Londres, qui fait l’apologie de l’ultralibéralisme<br />

américain et qui risque d’être vendu. Ce limogeage<br />

intervient au moment où le prince Muqrin ben Abdelaziz<br />

consolide son pouvoir et pourrait devenir, avec la maladie de<br />

Salman, l’actuel prince héritier, le futur prince héritier et, à<br />

court terme le nouveau roi d’Arabie.<br />

Autre limogeage en vue : celui du tout-puissant Bandar bin<br />

Sultan, actuel ministre de l’Intérieur, proche de la CIA, qui<br />

supervise tout le système sécuritaire saoudien ainsi que l’implication<br />

du royaume, avec le prince Saoud al-Fayçal (très<br />

malade), dans le bourbier syrien. Il sera probablement remplacé<br />

par un autre du clan Sudayri, Saoud ben Nayef. Ces<br />

changements internes sont-ils le prélude à un désengagement<br />

saoudien sur le plan régional? Il y a en tout cas un changement<br />

en cours : le 22 avril, en présence des grands princes<br />

saoudiens, le roi Abdallah convoquait le mufti du royaume,<br />

Abdelaziz al-Sheikh, et de nombreux ulémas wahhabites<br />

pour leur intimer l’ordre de punir, « au-delà de la prison »,<br />

les instigateurs du djihad en Syrie et ailleurs, qui « induisent<br />

nos jeunes dans l’erreur ». ■<br />

Centrafrique: Bangui à la peine<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

D. R.<br />

frères n’avaient plus de<br />

liens avec la Tchétchénie<br />

La foi musulmane des deux<br />

suspects a nourri les<br />

spéculations sur une<br />

attaque du terrorisme<br />

islamique. En revanche,<br />

d’autres sources du<br />

renseignement américain<br />

(surtout l’ex-agente du<br />

FBI, Coleen Rowley) ont<br />

rappelé les liens entre les<br />

néocons américains avec<br />

les terroristes tchétchènes,<br />

dans le cadre de la stratégie<br />

visant à affaiblir la Russie.<br />

Plus ironique encore, le<br />

FBI puis la CIA avaient été<br />

alertés en 2011 par la<br />

Russie au sujet de la<br />

radicalisation du frère aîné,<br />

confirmée après son séjour<br />

en 2012 dans ce pays. Mais<br />

aucune mesure n’a été<br />

D. R.<br />

prise pour le surveiller.<br />

Cet événement tragique va<br />

alimenter le débat<br />

d’actualité sur<br />

l’immigration. Le projet de<br />

loi favorable à la<br />

régularisation d’une partie<br />

des immigrés semblait<br />

pouvoir emporter la<br />

majorité du Congrès. Ce<br />

consensus est aujourd’hui<br />

menacé. ■<br />

ÀBangui, la situation sécuritaire se dégrade de jour en jour. Les pillages de magasins, d’entreprises et de maisons particulières<br />

se multiplient. Même désordre du côté des forces armées : des éléments restés fidèles au président déchu François<br />

Bozizé affrontent sporadiquement les combattants de la Séléka, lesquels sont désormais soutenus par la Force multinationale<br />

d’Afrique centrale (Fomac), dont l’effectif doit passer de 500 à 2000 hommes, suivant la décision prise au sommet de<br />

la CEAC du 18 avril. Quant au personnel politique, il peine à sortir la tête hors de l’eau. Le pays a été suspendu de tous les<br />

organismes supra-étatiques jusqu’au rétablissement d’un semblant d’ordre institutionnel. ■<br />

7


8 Continents<br />

Pour un vrai<br />

débat sur l’avenir<br />

de l’Unesco<br />

La méfiance à l’égard de<br />

candidats de<br />

l’hémisphère Sud va-t-elle<br />

encore prévaloir à<br />

l’Unesco ? Après l’élection<br />

du Sénégalais Amadou<br />

Mahtar Mbow qui avait<br />

révolutionné l’institution en<br />

l’engageant dans des<br />

combats planétaires,<br />

tel celui pour le nouvel<br />

ordre mondial de<br />

l’information, véritable défi<br />

au monopole des puissances<br />

occidentales, la tendance de<br />

ces mêmes puissances est à<br />

la recherche d’un candidat<br />

au profil compatible avec<br />

leurs intérêts.<br />

Six mois avant l’assemblée<br />

générale qui se tiendra en<br />

novembre prochain, au<br />

cours de laquelle les États<br />

membres éliront le nouveau<br />

directeur général, elles<br />

manœuvrent déjà pour<br />

réduire la visibilité des<br />

candidats indésirables. La<br />

France, les pays<br />

scandinaves, la Belgique et<br />

même les États-Unis – qui<br />

n’ont pourtant toujours pas<br />

honoré leurs engagements<br />

financiers à l’égard de cette<br />

agence onusienne – se sont<br />

ainsi publiquement déclarés<br />

favorables à la réélection<br />

d’Irina Bokova pour un<br />

deuxième mandat. Et ce,<br />

avant même que tous les<br />

candidats éventuels se<br />

soient présentés ! D’ores et<br />

déjà, l’ambassadeur de<br />

Djibouti à Paris, Rachad<br />

La Belgique au secours des détenus congolais<br />

« Nous poursuivons nos efforts pour vous faire sortir le plus<br />

rapidement possible de prison. » C’est en ces mots que<br />

l’ambassadeur de Belgique en République démocratique du<br />

Congo (RDC), Michel Lastschenko, vient d’écrire à Éric<br />

Kikunda, un Belgo-Congolais détenu depuis… trois ans et<br />

demi à la prison Makala de Kinshasa. Il avait été arrêté en<br />

même temps que Firmin Yangambi, un jeune et brillant avocat<br />

qui nourrissait des ambitions politiques, et Benjamin<br />

Olangi, pour avoir prétendument convoyé des armes en vue<br />

de commettre un coup d’État contre le président Kabila<br />

(photo). Les trois détenus, qui ont été condamnés à de lourdes<br />

peines (vingt ans en appel pour Yangambi après une première<br />

condamnation à mort, dix ans en appel pour les deux autres),<br />

clament qu’ils ont été arrêtés pour raisons politiques et torturés<br />

par des officiers déjà impliqués dans l’assassinat de Floribert<br />

Chebeya, et qu’ils ont été ensuite victimes d’un complot<br />

judiciaire. Leur dossier à la Cour suprême de justice (cassation)<br />

s’est entretemps égaré. En désespoir de cause, Éric<br />

Kikunda a décidé de porter plainte en Belgique, sur la base de<br />

la loi de compétence universelle, contre cinq agents publics,<br />

dont le général Mukuntu Kiyana, magistrat militaire.<br />

Celui-ci a tenté d’intimider Kikunda en l’avertissant des<br />

« conséquences fâcheuses » que cette plainte pourrait lui<br />

valoir, ajoutant et qu’il ne craignait pas la justice belge.<br />

« Votre nationalité belge ne changera rien, car moi seul peux<br />

décider de votre liberté », lui aurait rétorqué le magistrat. ■<br />

F. J. O.<br />

Alexander Orlov : la France, c’est l’Union soviétique!<br />

L<br />

’ambassadeur de Russie en France, Alexander Orlov, n’a pas gardé cette fois-ci sa langue dans sa poche. Devant un<br />

panel de journalistes au CAPE à Paris, ce diplomate chevronné, francophone et francophile, a dénoncé la montée de<br />

la « russophobie de certains médias français ». Il a mis en cause quelques journalistes français influents qui ne se sont pas<br />

rendu compte du changement intervenu en Russie depuis environ un quart de siècle, puisqu’ils maintiennent les clichés<br />

d’antan pour préserver leur fonds de commerce. L’ambassadeur a conclu sa philippique sur ses mots : « J’ai été frappé<br />

par la censure exercée dans ce pays de la liberté. La France souffre de la dictature de la pensée unique. » ■<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

D. R.<br />

Farah, s’est porté candidat<br />

et a obtenu le soutien de<br />

l’Autorité<br />

intergouvernementale pour<br />

le développement et de<br />

l’Organisation pour la<br />

coopération islamique.<br />

L’Union Africaine et la<br />

Ligue arabe ont déjà<br />

apporté leur soutien en<br />

janvier et en mars 2013.<br />

C’est la première fois<br />

depuis 25 ans que l’UE n’a<br />

qu’un seul candidat à<br />

l’Unesco.<br />

Il serait salutaire qu’un<br />

débat ait lieu sur le bilan de<br />

la directrice sortante,<br />

notamment au sujet de son<br />

programme « Priorité<br />

Afrique », dont l’efficacité<br />

et la pertinence sont<br />

contestées par des<br />

représentants du continent<br />

au sein de l’organisation.<br />

Cela permettra de le<br />

confronter aux propositions<br />

des autres candidats,<br />

notamment ceux qui<br />

concentrent leur attention<br />

sur l’Afrique. En cas<br />

contraire, cela signifiera<br />

qu’on continuera à<br />

minimiser la voix des pays<br />

du Sud et à poursuivre la<br />

mise à l’écart d’intellectuels<br />

pouvant contribuer au<br />

renouveau de l’action de<br />

cette agence clé du<br />

dispositif onusien sur le<br />

continent. ■<br />

Choc pétrolier en<br />

mer de Chine du Sud<br />

Douche froide pour la<br />

Chine, les Philippines,<br />

le Vietnam, la Malaisie,


Brunei et Taïwan: une<br />

étude réalisée par l’US<br />

Energy information<br />

administration révèle qu’il<br />

n’y a pratiquement aucune<br />

chance de découvrir des<br />

gisements de gaz ou de<br />

pétrole en mer de Chine du<br />

Sud. Non que cette mer ne<br />

soit pas riche en<br />

hydrocarbures, mais<br />

l’essentiel des dépôts se<br />

situe à proximité des côtes,<br />

soit en territoires non<br />

contestés. Un seul gisement<br />

se trouverait au large, et<br />

encore, il ne s’agit que d’un<br />

dépôt modeste – mais<br />

exploitable – de<br />

2,5 milliards de barils de<br />

pétrole et 25,5 trillions de<br />

m 3 de gaz naturel. Or, les<br />

rivalités territoriales en mer<br />

de Chine du Sud ont pour<br />

fondement les convoitises<br />

des États riverains. Ce n’est<br />

pas un hasard si les<br />

premières tensions furent<br />

concomitantes au premier<br />

choc pétrolier (1974).<br />

Au-delà d’un nationalisme<br />

souvent outrancier, Manille,<br />

Hanoi, Taipeh, Kuala<br />

Lumpur et Bandar Seri<br />

Begawan ne cachent pas<br />

que leur soudain intérêt<br />

pour quelques îlots, bancs<br />

de sable et récifs est<br />

essentiellement<br />

économique. Pour la Chine,<br />

seule nation à revendiquer<br />

le contrôle de la quasitotalité<br />

d’une mer grande<br />

comme la Méditerranée, la<br />

situation est différente:<br />

l’essentiel de son commerce<br />

et de ses<br />

approvisionnements y<br />

Irak : réconciliation et manœuvre électoraliste?<br />

Nouri al-Maliki se positionne dans la perspective de la<br />

présidentielle de 2014 en faisant du pied aux baasistes.<br />

Il a profité des récentes élections provinciales – dans 12<br />

régions sur 18 – pour annoncer qu’il allait demander au Parlement<br />

d’avancer de deux ou trois mois la date des législatives,<br />

de modifier la loi sur la débaasification et d’accorder<br />

une retraite aux anciens feddayin de Saddam.<br />

L’opération visant à désamorcer le conflit qui l’oppose aux<br />

régions à majorité sunnite, le premier ministre est conseillé à<br />

Washington par son ami Brett McGurk, expert des questions<br />

irakiennes qui devait être nommé ambassadeur à Bagdad. Le<br />

président américain a dû y renoncer, le Congrès ayant pris<br />

connaissance – sur le site de Cryptome – des « billets doux à<br />

caractère sexuel » que son poulain a adressés en 2008 à Gina<br />

Chon, journaliste du Wall Street Journal! À l’époque,<br />

McGurk était marié et travaillait en Irak pour le Conseil<br />

national de sécurité.<br />

En Irak, la proposition de Maliki est perçue comme une<br />

manœuvre électoraliste. Osama al-Nujaifi, président sunnite<br />

du Parlement, a exigé la démission du premier ministre et la<br />

nomination d’un gouvernement non partisan chargé d’organiser<br />

un scrutin transparent. Moqtada Sadr a fait annoncer<br />

que son mouvement ne participerait à aucun gouvernement<br />

composé de « baasistes, de feddayin et de terroristes »…<br />

Dix ans après la chute de Bagdad, les amendements à la loi<br />

anti-Baas ont tout de même un mérite : celui d’exister. ■<br />

Gilles Munier<br />

Élections : les poches vides du Zimbabwe<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

D. R.<br />

transite. Évidence<br />

géostratégique, la seconde<br />

puissance économique<br />

mondiale se doit de<br />

sécuriser son ouverture<br />

maritime sur le monde.<br />

Aussi puissante qu’elle soit,<br />

la Chine ne peut prétendre à<br />

un rôle de premier plan si<br />

elle ne peut projeter sa<br />

puissance sur les océans. Dès<br />

lors, qu’il y ait ou non du<br />

pétrole en mer de Chine<br />

importe peu: son ascension<br />

passe par sa mainmise sur la<br />

mer de Chine du Sud, qu’elle<br />

entend transformer en Mare<br />

Nostrum. Curieusement, ce<br />

sont les Étasuniens qui ont<br />

découvert qu’il n’y aurait<br />

pas de grandes ressources en<br />

hydrocarbures.<br />

Fin avril, le Zimbabwe ne disposait toujours pas des 132 millions de dollars nécessaires à l’organisation des élections générales<br />

prévues par Robert Mugabe le 29 juin. Le gouvernement s’était tourné vers l’Onu pour obtenir une aide. La mission<br />

d’évaluation qui devait se rendre au Zimbabwe le 10 avril a été bloquée par le ministre de la Justice, Patrick Chinamasa, pour<br />

avoir outrepassé son mandat. Les représentants de l’Onu voulaient rencontrer des responsables de la société civile. Le premier<br />

ministre Tsvangirai, leader de l’opposition, s’était opposé à la date imposée par Mugabe, estimant qu’il était nécessaire de<br />

mettre d’abord en place les réformes permettant de garantir les meilleures conditions pour ce scrutin. ■<br />

D. R.<br />

À l’heure où Washington<br />

redéploye sa puissance<br />

maritime sur le Pacifique,<br />

l’étude émanant de l’US<br />

Energy information<br />

administration est-elle<br />

authentique, ou s’agit-il<br />

d’une intox destinée à<br />

refroidir les passions des<br />

pays riverains? ■ Jack Thompson<br />

9


10 Courrier<br />

Libérez<br />

immédiatement<br />

tous les prisonniers<br />

palestiniens !<br />

Nous célébrions le<br />

17 avril la Journée<br />

nationale des<br />

prisonniers palestiniens.<br />

Ils sont aujourd’hui 4 812<br />

(dont 219 mineurs) dans<br />

les geôles israéliennes.<br />

Depuis 1967, 750 000<br />

Palestiniens sont passés<br />

par la case prison. Un<br />

chiffre équivalent à 20 %<br />

de la population de la<br />

Palestine occupée.<br />

Nous croyons qu’il est<br />

juste et important de<br />

relayer l’appel lancé par<br />

les organisations de<br />

soutien à la Palestine, en<br />

apportant notre soutien à<br />

la lutte qu’elles mènent<br />

depuis plusieurs<br />

années en faveur des<br />

prisonniers palestiniens,<br />

en dénonçant les<br />

brutalités du système<br />

carcéral israélien et en<br />

appelant de toute notre<br />

force à l’arrêt définitif<br />

des tortures qui y sont<br />

pratiquées.<br />

Le 23 février, un jeune<br />

Palestinien de 30 ans,<br />

Arafat Jaradat, est mort à<br />

la prison de Meggido, là<br />

où plusieurs autres<br />

prisonniers ont déjà perdu<br />

la vie dans des<br />

circonstances suspectes.<br />

Selon le journal français<br />

L’Humanité, Issa Qaraqe,<br />

ministre palestinien des<br />

Détenus, a déclaré avoir<br />

reçu des informations<br />

« choquantes et<br />

douloureuses » disant que<br />

le jeune homme est<br />

décédé des suites de<br />

torture. Le droit de<br />

résistance, voilà ce que<br />

veulent étouffer le<br />

sionisme et l’impérialisme<br />

dans les prisons de<br />

Meggido, Nafha, Ofer,<br />

etc., en enfermant des<br />

hommes, des femmes, des<br />

figures historiques et des<br />

dirigeants politiques tels<br />

Dessin paru dans le Canard Enchaîné<br />

que Ahmad Sa’adat,<br />

secrétaire général du Front<br />

populaire de libération de<br />

la Palestine (FPLP) ou<br />

Marwan Barghouti. À tous<br />

ces détenus s’ajoutent les<br />

détenus de diverses<br />

nationalités arabes<br />

capturés au cours des<br />

conflits déclenchés par<br />

Israël et disparus depuis<br />

dans des quartiers de<br />

haute sécurité.<br />

La lutte du peuple<br />

palestinien ne peut être<br />

séparée de celle menée par<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

tous ceux qui se battent<br />

pour l’indépendance,<br />

l’autodétermination et le<br />

progrès de leur peuple.<br />

Partout dans le monde,<br />

c’est le même système<br />

d’oppressions<br />

économiques et<br />

impérialistes qui, sous des<br />

formes qui peuvent varier<br />

d’un pays à l’autre,<br />

impose sa brutale<br />

domination au détriment<br />

des peuples. […]<br />

Ces hommes et ces<br />

femmes sont emprisonnés<br />

pour s’être élevés de tout<br />

leur être contre la violence<br />

de l’occupation<br />

impérialiste et contre<br />

l’injustice sociale.<br />

Libérez-les tous… et tout<br />

de suite ! ■<br />

Résistance.fr<br />

Les records<br />

de Karim Wade<br />

Si les accusations<br />

portées par la Cour<br />

de répression de<br />

l’enrichissement illicite<br />

(Crei) à l’encontre de<br />

Karim Wade sont<br />

confirmées par la<br />

procédure en cours, la<br />

revue américaine Forbes<br />

devra rectifier sa<br />

classification des<br />

personnalités les plus<br />

riches du continent !<br />

L’ancien ministre des<br />

Infrastructures, de la<br />

Coopération internationale<br />

et des Transports du<br />

Sénégal passerait après<br />

quelques magnats sudafricains<br />

et hommes<br />

d’affaires nigérians. Le<br />

fils de l’ancien président<br />

sénégalais gagnerait<br />

cependant un autre<br />

palmarès : le milliard<br />

d’euros de son patrimoine<br />

supposé représente pas<br />

moins de 10 % du PNB de<br />

son pays !<br />

Il ne devrait pas être le<br />

seul à détenir en secret des<br />

sommes aussi<br />

importantes, mais ses<br />

probables concurrents sont<br />

au pouvoir depuis plus<br />

longtemps ou y ont exercé<br />

les fonctions les plus<br />

élevées. De ce point de<br />

vue, le cas de Wade fils<br />

devrait être étudié de près.<br />

Et servir à introduire dans<br />

nos pays de vraies règles<br />

de transparence dans la<br />

gestion de la chose<br />

publique. Faut-il voir dans<br />

ses relations privilégiées<br />

avec des pays du Golfe<br />

(nouées lors du sommet de<br />

l’Organisation de la<br />

coopération islamique à


Dakar) la principale<br />

source de cet<br />

enrichissement rapide ?<br />

C’est une piste qu’il<br />

faudra explorer au<br />

Sénégal, mais aussi<br />

ailleurs dans les pays du<br />

Sahel. ■<br />

Mamadou Coulibaly,<br />

Toulouse.<br />

La Tunisie a peur<br />

La Tunisie vit l’ère<br />

de la diversion, de<br />

la manipulation et<br />

des tribunaux laxistes.<br />

Cela peut nous mener très<br />

loin dans l’anarchie et la<br />

déliquescence. Il faut se<br />

souvenir de celui qui, du<br />

haut de l’université de la<br />

Manouba, a eu l’audace<br />

de substituer le noir des<br />

hors-la-loi et des<br />

mercenaires aux nobles<br />

couleurs nationales. Le<br />

juge n’a pas semblé avoir<br />

senti la gravité de cet acte<br />

criminel envers la nation.<br />

Le coupable a été relaxé<br />

pour que d’autres aillent<br />

encore plus loin dans la<br />

criminalité et l’ignominie.<br />

Ceux qui se battent pour<br />

le pouvoir doivent y<br />

réfléchir et écouter<br />

la voix de leur conscience,<br />

à moins qu’ils l’aient<br />

enfermée dans les geôles.<br />

La nation est en colère.<br />

Les mouvements qui<br />

prônent la démocratie,<br />

la modernité et la justice<br />

et la paix doivent avoir<br />

en tête que leur devoir est<br />

de travailler la main dans<br />

la main pour que la<br />

Tunisie puisse sortir de<br />

l’impasse.<br />

Quant à ce qui affecte le<br />

monde du football, la<br />

responsabilité en incombe<br />

aux dirigeants qui ne<br />

rougissent plus de rien,<br />

pourvu qu’ils puissent<br />

s’assurer la Coupe… et la<br />

méta-Coupe. La Tunisie a<br />

peur et risque de ne plus<br />

croire à rien. ■<br />

Mhamed Hassine Fantar,<br />

Tunis.<br />

Contrepoints<br />

Pipolisation tous azimuts<br />

Religion et refuge du narcissisme, à l’âge de l’image<br />

et du spectacle roi, la « pipolisation » n’épargne plus<br />

rien ni personne. On peut s’amuser de voir tant de célébrités<br />

apprêtées, fardées et parfumées se presser tel des<br />

papillons de nuit autour des lumières et des caméras. On<br />

peut regretter que la République française, qui a laissé<br />

dans le dénuement, au bord de la<br />

route, des millions de ses citoyens,<br />

tournant ainsi le dos à sa vocation Par Hassen Zenati<br />

première (liberté, égalité, fraternité),<br />

accorde autant de place à cet<br />

aréopage de narcisses de la jet-set.<br />

Mais peut-on s’amuser de voir le<br />

pape François, aussitôt élu et célébré<br />

comme « pape des pauvres,<br />

d’une église des pauvres », se plier<br />

sur la place Saint-Pierre, à Rome, à<br />

de telles exhibitions de mauvais<br />

goût pour satisfaire à l’air du<br />

temps ? La question est sans doute<br />

légitime, même si la réponse n’est pas simple. ■<br />

Absence<br />

ÀRome, à l’occasion de l’installation du pape François,<br />

peu de visiteurs, absorbés dans l’admiration du faste<br />

déployé, ont relevé que les langues principales des cérémonies<br />

étaient le latin, l’italien, l’espagnol et l’anglais. Le<br />

français, langue de la « fille aînée de l’Église », la France,<br />

des catholiques d’Afrique francophone et de ceux du Liban,<br />

brillait par son absence. Il faudrait rappeler aux prélats<br />

romains, comme jadis aux organisateurs des jeux Olympiques<br />

qui doivent tant au Français Pierre Coubertin, que la<br />

langue française est toujours reconnue comme langue officielle<br />

dans leurs murs du Vatican, et les rappeler à plus de<br />

respect et d’équité à son égard. Au prochain pape ? On n’attendra<br />

peut-être pas longtemps puisque la « jurisprudence<br />

Benoît XVI » vient de remettre au goût du jour, à la grande<br />

satisfaction des fidèles, la « renonciation-démission »,<br />

oubliée depuis plusieurs siècles. ■<br />

Vérité en deçà, erreur au-delà<br />

Une étude française fait grand cas ces derniers jours<br />

d’un constat accablant: 40 000 jeunes diplômés français<br />

de très haut niveau quittent annuellement leur pays<br />

pour tenter leur chance ailleurs. Jeunes, diplômés, émigration,<br />

le cocktail explosif est le signe avant-coureur du déclin<br />

annoncé de l’Hexagone, écrivent les enquêteurs. Pourtant,<br />

on a rarement entendu déplorer en France la « fuite des cerveaux<br />

» qui affecte les pays du Sud. Il est vrai que les cerveaux<br />

qui fuient du Sud s’installent en Europe et que celleci<br />

a même une politique de « l’immigration choisie » pour<br />

s’assurer de la venue de ces compétences pourtant si nécessaires<br />

à leur pays. ■<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

D. R.<br />

11


Au fur et à mesure<br />

que progresse<br />

l’enquête sur<br />

l’odieux attentat<br />

de Boston, perpétré<br />

avec détermination par les<br />

frères Tsarnaev, des Tchétchènes<br />

naturalisés américains, les rares<br />

informations déjà filtrées par les<br />

enquêteurs donnent froid dans le<br />

dos. On apprend par exemple<br />

que les deux terroristes, une fois<br />

le carnage de Boston effectué,<br />

projetaient un autre attentat en<br />

plein cœur de New York. On<br />

apprend aussi que les services<br />

antiterroristes russes avaient<br />

déjà alerté le FBI et la CIA sur les agissements suspects<br />

de l’un des deux frères, Tamerlan Tsarnaev. Son nom<br />

avait été intégré dès 2011 dans la base de données du<br />

Centre national antiterroriste (NCT), le Terrorist Identities<br />

Datamart Environment (Tide), qui contient un demimillion<br />

de personnes à surveiller ! Cela n’est pas sans<br />

rappeler le cas, en France, d’un certain Mohamed Merah,<br />

surveillé depuis 2007.<br />

Comment se fait-il qu’on en soit arrivé à un si piètre<br />

résultat après le 11 septembre 2001, qui a conduit l’ensemble<br />

des pays occidentaux, et avec eux le monde entier,<br />

à ériger la lutte contre le terrorisme comme une priorité<br />

absolue, et parfois au détriment du respect des droits de<br />

l’homme les plus élémentaires ? Jusqu’ici, les mesures draconiennes<br />

de prévention et de sécurité ne semblent pas<br />

avoir limité le champ d’action et de nuisance des groupes<br />

terroristes. Ils ne cessent de prospérer, comme on l’a vu à<br />

Boston, à Toulouse et Montauban, mais aussi dans le<br />

Sahel, en Somalie, au Nigeria, en Libye, en Algérie avec<br />

l’attaque d’In Amenas, au Pakistan, en Afghanistan, en<br />

Irak, en Syrie…<br />

Cette liste qui est, hélas ! loin d’être exhaustive, nous<br />

interpelle à plus d’un niveau. S’agit-il d’une simple faillite<br />

de la stratégie de lutte planétaire contre le terrorisme, ou de<br />

la permanence de l’ancienne compromission occidentale,<br />

en premier lieu américaine, avec le terrorisme afin de<br />

déstabiliser des pays récalcitrants ? On croyait que, depuis<br />

les attentats du 11-Septembre perpétrés par l’organisation<br />

de Ben Laden, une ancienne créature de la CIA qui s’est<br />

retournée contre son concepteur, les Occidentaux avaient<br />

abandonné définitivement l’alliance trop risquée avec la<br />

nébuleuse terroriste – dont certains dirigeants étaient même<br />

appelés « combattants pour la liberté », lors de la guerre<br />

contre l’invasion soviétique en Afghanistan. On se rend<br />

compte aujourd’hui qu’il n’en a rien été. Plutôt que de s’at-<br />

Éditorial<br />

Terrorisme<br />

Ils n’ont rien appris, ils ont tout oublié<br />

Avril 2013 : l’ambassade de France,<br />

ce pays qui a « libéré » la Libye de son dictateur,<br />

est frappée par un attentat terroriste à Tripoli.<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

D. R.<br />

taquer au royaume saoudien dont<br />

la majorité des terroristes étaient<br />

originaires, mais qui était – et<br />

reste – l’allié des États-Unis,<br />

G. W. Bush a choisi, dans la foulée<br />

de sa guerre contre l’Afghanistan,<br />

d’envahir l’Irak de Saddam<br />

Hussein. Or, non seulement<br />

celui-ci n’avait rien à voir avec<br />

le 11-Septembre, mais il était<br />

l’ennemi implacable de l’idéologie<br />

wahhabite qui avait armé<br />

idéologiquement les auteurs de<br />

l’attentat… De pays où Al-Qaïda<br />

n’avait pas droit de cité, la Mésopotamie<br />

est devenue un théâtre<br />

de prédilection pour la mouvance<br />

terroriste. Dix ans après le déclenchement de la guerre, le<br />

peuple irakien – tout comme l’ensemble des peuples du<br />

Moyen-Orient – continue de saigner.<br />

Le deuxième exemple de la myopie occidentale criminelle<br />

aura été la guerre contre la Libye. Une guerre menée<br />

par l’Otan, conduite cette fois-ci par la France et le<br />

Royaume-Uni pour prétendument protéger la population<br />

d’un « génocide assuré ». On connaît la suite. Pour sauver<br />

quelques centaines d’opposants à Benghazi, des dizaines<br />

de milliers de Libyens ont péri, soit sous les bombes des<br />

libérateurs de l’Otan, soit dans des combats fratricides et<br />

tribaux. Le régime de Kadhafi est tombé, mais la Libye<br />

« libérée » est devenue, comme l’Irak en 2003, un pays en<br />

ruine, exportateur de terrorisme, d’armes et de chaos dans<br />

toute la région. Si la plaidoirie de l’Union africaine pour<br />

une transition politique en Libye avait été écoutée, les<br />

troupes françaises n’auraient pas été envoyées au Mali<br />

pour combattre contre les terroristes et les bandits dont<br />

Paris a indirectement mais objectivement permis la montée<br />

en puissance dans le Sahel.<br />

Mais nous n’en sommes pas à une contradiction près.<br />

Car au moment où la France envoie ses soldats mourir au<br />

Mali, elle continue, avec un aveuglement inouï, à ignorer,<br />

voire à soutenir, les mêmes groupes terroristes en Syrie qui<br />

font le plus grand mal à la lutte légitime du peuple pour la<br />

démocratie, les réformes et l’alternance politique. Et ces<br />

terroristes feront mal à l’Europe demain. Car une fois la<br />

Syrie détruite, ils retourneront leurs armes contre leurs<br />

bienfaiteurs occidentaux (voir page 48).<br />

Les idiots utiles ne sont pas rares au sein des élites politiques<br />

occidentales. Mais leur nombre ne cesse de croître.<br />

Comment s’étonner, après, que de nouveaux terroristes suivent<br />

la folie meurtrière des frères Tsarnaev ? Une folie dont<br />

les musulmans sont les premières victimes. ■<br />

Afrique Asie<br />

13


14 Sommaire<br />

Rédaction et administration<br />

3, rue de l’Atlas – 75 019 Paris<br />

Tél. : 01 42 38 14 50<br />

Fax : 01 40 03 97 00<br />

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Site web : www.afrique-asie.fr<br />

Fondateur : Simon Malley<br />

Directeur de la rédaction<br />

Majed Nehmé<br />

Rédacteur en chef délégué<br />

Valentin Mbougueng<br />

Rédacteur en chef technique<br />

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Secrétaire général<br />

Brahim Madaci<br />

Directrice administrative<br />

Marie-Édith Berthellemy<br />

Comité de rédaction<br />

Augusta Conchiglia, Maureen Smith,<br />

Corinne Moncel, Samy Abtroun,<br />

Valérie Thorin, Hassen Zenati,<br />

Gilles Munier, Giulia Gié,<br />

João Quartim de Moraes,<br />

Richard Labévière<br />

Christine Abdelkrim-Delanne,<br />

Mamo Zeleke<br />

Géopolitique : Habib Tawa<br />

Culture et société : Luigi Elongui<br />

Collaborateurs<br />

Nayla Abdul Khalek,<br />

Samir Amin, Uri Avnery,<br />

Nestor Bidadanure, Victoria Brittain,<br />

Barbara Caron, Subhi Hadidi,<br />

Remy Herrera, Mary Johnson,<br />

Bouzid Kouza, Jean Levert,<br />

Catherine Millet, François Misser,<br />

Philippe Tourel, Hugues Wagner,<br />

Kaye Whiteman, Jean Ziegler.<br />

Reporters et correspondants<br />

Nicolas Abena, Tembiré Daouda,<br />

Laurence D’Hondt, Benoît Hili,<br />

François Janne d’Othée,<br />

Benjamin Kadio, Ahmadou Keguelé,<br />

Yéo Koré Koffi, Jack Thompson,<br />

Nabil Choubachi, Fabrice Yassoua.<br />

Afrique Asie<br />

Mensuel édité par la SARL de presse<br />

AFRIAM<br />

RCS Paris B 482 704 368 — Code APE 5813 Z<br />

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Majed Nehmé<br />

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Roto Presse Numéris<br />

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Dépôt légal à parution<br />

N ° de Commission paritaire : 0113 I 87473<br />

ISSN : 1779-0042 / Diffusion NMPP<br />

Photo de couverture :<br />

«Afrique Asie»<br />

Abonnement: voir page 69<br />

© C. Millet<br />

90<br />

Continents<br />

3 Des exclusives,<br />

des chiffres et des profils<br />

10 Réactions des lecteurs,<br />

contrepoints<br />

Par Hassen Zenati<br />

Tribunes<br />

41 Ressources naturelles:<br />

aubaine ou malheur?<br />

Par Sérgio Vieira<br />

53 Sacré Chouet!<br />

Par Richard Labévière<br />

Événement<br />

16 Qatar: attention<br />

danger!<br />

En 1995, à son accession<br />

au trône, le nouvel émir<br />

du Qatar soutenait la<br />

cause palestinienne et<br />

fustigeait la guerre injuste<br />

livrée par l’Occident<br />

contre le peuple irakien.<br />

Aujourd’hui, il œuvre à la<br />

déstabilisation du monde<br />

arabe pour le compte<br />

d’Israël et des États-Unis.<br />

Les dégâts de sa stratégie<br />

sont visibles en Libye,<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

en Égypte, en Syrie<br />

et au Sahel. Il est temps<br />

de la stopper!<br />

• Interview de J.-M.<br />

Bourget: « Le Qatar,<br />

champion du mensonge<br />

et de la dissimulation »<br />

• La haine du Qatar<br />

n’est qu’une haine de soi<br />

• Tout est achetable<br />

• Bonnes feuilles:<br />

« Le Vilain Petit Qatar »,<br />

les bonnes feuilles<br />

Dossier dirigé par Majed Nehmé<br />

avec la collaboration<br />

de Jacques-Marie Bourget,<br />

Nicolas Beau, Mezri Haddad<br />

et Olivier Dalage<br />

Afrique<br />

30 Madagascar<br />

Didier Ratsiraka:<br />

« Les élections ne sont pas<br />

une fin en soi »<br />

Propos recueillis par Bilal Tarabey<br />

32 Tchad<br />

Un nouvel Idriss Déby?<br />

Par Valérie Thorin<br />

34 Centrafrique<br />

De Kinshasa à Pretoria,<br />

l’onde de choc<br />

Par François Misser<br />

94<br />

D. R.<br />

36 Afrique du Sud/RCA<br />

L’aventure ratée<br />

de Jacob Zuma<br />

Par Christine Abdelkrim-Delanne<br />

37 Coopération<br />

Beijing soigne l’Afrique<br />

Par Christine Abdelkrim-Delanne<br />

38 RDC<br />

Exit Terminator,<br />

mais pas l’instabilité…<br />

Par François Misser<br />

40 Sénégal Enfin la paix<br />

en Casamance?<br />

Par Corinne Moncel


Monde arabe<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

Économie<br />

56 34<br />

Reuters<br />

42 Algérie<br />

• Réforme constitutionnelle<br />

sur les rails<br />

Par Hamid Zedache<br />

• Médias: ouverture,<br />

éthique et bonnes<br />

pratiques<br />

Par Philippe Lebeaud<br />

46 Tunisie<br />

Le calme et la tempête<br />

Par Hamid Zyad<br />

48 Syrie Ces djihadistes<br />

venus d’Europe<br />

Par François Janne d’Othée<br />

50 Terrorisme<br />

L’internationale<br />

des criminels<br />

Par Salil Sarkar<br />

51 Palestine<br />

Encéphalogramme plat<br />

pour la France<br />

Par Christophe Oberlin<br />

Asie<br />

54 Pakistan<br />

Un État<br />

déliquescent?<br />

Par Salil Sarkar<br />

56 Corée du Nord<br />

Guerre psychologique:<br />

le style Kim Jong-un<br />

Par Jack Thompson<br />

Amérique<br />

42<br />

58 Venezuela<br />

La révolution continue<br />

avec Maduro<br />

Par Rémy Herrera<br />

60 États-Unis<br />

Ce parchemin<br />

vieux de deux siècles<br />

Par Maureen Smith<br />

APS<br />

62 Infos, brèves<br />

64 Multinationales<br />

Le fisc africain attaque<br />

Par Arnaud Bébien<br />

66 Finance islamique<br />

Georges Corm:<br />

un argent halal<br />

pas très catholique<br />

Propos recueillis<br />

par Laurence D’Hondt<br />

AFP<br />

68 Brics<br />

Une nouvelle étape<br />

Par Christine Abdelkrim-Delanne<br />

70 Sénégal<br />

Hold-up sur les peanuts!<br />

Par Corinne Moncel<br />

72 Afrique : à la dure<br />

école de l’éducation<br />

Par Guy Michel<br />

74 Débat Gustavo<br />

Massiah: « La démocratie<br />

est un apprentissage... »<br />

Propos recueillis<br />

par Fériel Berraies Guigny<br />

Sport<br />

Culture 96 Foot<br />

76 Infos culture<br />

Le temps des fractures<br />

Par Faouzi Mahjoub<br />

78 Livres<br />

• Nouvelles : dans la peau<br />

d’une femme<br />

Propos recueillis par Roger Calmé<br />

• Religion : destructions<br />

et recompositions<br />

en Chine<br />

Par Habib Tawa<br />

• Roman : lignes de fuite<br />

Par Corinne Moncel<br />

• Gabon : Sylvie Ntsame,<br />

de sueur et d’encre<br />

Par Roger Calmé<br />

• BD : du ballon<br />

aux bulles<br />

Par Nathan Fredouelle<br />

84 Musique<br />

• Electro : l’électrochoc<br />

Par Sélim Chmait<br />

• Folk : Layori et<br />

le souffle universel<br />

Par Luigi Elongui<br />

88 Spectacle<br />

Requiem pour<br />

un massacre<br />

Par Luigi Elongui<br />

89 Il y a 30 ans<br />

dans Afrique Asie<br />

La « défense »<br />

du croisé Reagan<br />

Par Fausto Giudice<br />

Société<br />

90 Psychotropes<br />

La liane des songes<br />

Par Catherine Millet<br />

92 Tunisie<br />

En hiver islamiste<br />

tu te voileras…<br />

Par Fériel Berraies Guigny<br />

94 Femen<br />

Ça tétonne et ça détonne<br />

Par Samy Abtroun<br />

La dernière page<br />

98 Ils vont éliminer<br />

Seif el-Islam Kadhafi<br />

Par Valentin Mbougueng<br />

15


16 Événement<br />

Qatar: attention danger!<br />

Quand, en 1995, l’émir<br />

Hamad Ben Khalifa<br />

al-Thani accéda au trône<br />

de cette petite dictature gazière à la<br />

suite du coup d’État contre son<br />

propre père, nombreux saluèrent cet<br />

avènement. Et pour cause : l’émir<br />

se présentait comme modernisateur,<br />

anti-saoudien et soutien inébranlable<br />

de la cause palestinienne. Il<br />

fustigeait aussi la guerre injuste<br />

livrée par l’Occident contre le<br />

peuple irakien. La chaîne télévisée<br />

Al-Jazeera, qu’il créa en 1996, fascinait<br />

les élites arabes pour son<br />

franc-parler, ses débats contradictoires,<br />

ses émissions détonantes.<br />

D’autant que la première cible du<br />

Qatar était l’Arabie Saoudite, wahhabite<br />

comme lui. Le flirt avec Al-<br />

Qaïda et les Frères musulmans<br />

n’était, pensait-on naïvement,<br />

qu’un artifice pour mieux enfoncer<br />

le voisin saoudien.<br />

Le Qatar était sur tous les fronts :<br />

au Liban meurtri par l’agression<br />

israélienne en 2006, à Gaza martyrisée<br />

par l’aviation israélienne en<br />

2009. On croyait presque au retour<br />

de l’époque nassérienne. Grosse<br />

erreur : car, pour l’émir, « le sort de<br />

la Palestine n’est qu’une boule de<br />

billard qu’il lance pour embarrasser<br />

l’Arabie… », écrivent Nicolas<br />

Beau et Jacques-Marie Bourget<br />

dans la salutaire enquête qu’ils<br />

consacrent à cet État, Le Vilain Petit<br />

Qatar (Fayard).<br />

Ce double jeu ne pouvait durer.<br />

En 2003, les Américains, qui disposent<br />

au Qatar d’une imposante base<br />

militaire à partir de laquelle ils ont<br />

commandé l’invasion de l’Irak, ont<br />

sifflé la fin de partie. Le directeur<br />

d’Al-Jazeera a été licencié sur leurs<br />

ordres et la ligne islamiste wahhabite,<br />

jusqu’ici dissimulée, est apparue.<br />

Le Qatar a scellé ses retrouvailles<br />

avec les Saoudiens. Sa cible<br />

est désormais la déstabilisation du<br />

monde arabe pour le compte<br />

d’Israël et des États-Unis. Les<br />

dégâts de cette stratégie par procuration<br />

sont trop visibles en Libye,<br />

en Égypte, en Syrie et au Sahel. Il<br />

est temps de la stopper. ■ Afrique Asie<br />

Reuters<br />

Interview Sans sponsors et en toute indépendance, à contrecourant<br />

des livres de commande publiés récemment en France<br />

sur le Qatar, Nicolas Beau et Jacques-Marie Bourget * ont<br />

enquêté sur ce minuscule État tribal, obscurantiste et richissime<br />

qui, à coup de millions de dollars et de fausses promesses de<br />

démocratie, veut jouer dans la cour des grands en imposant<br />

partout dans le monde sa lecture intégriste du Coran. Un travail<br />

rigoureux et passionnant sur cette « dictature molle », dont<br />

nous parle Jacques-Marie Bourget.<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie


« Ni Amérique ni Qatar ! Le peuple tunisien est libre ! » Dès janvier 2012, des Tunisiens se rendent compte de<br />

la manipulation et protestent contre la visite de l’émir Al-Thani à Tunis. En médaillon, Jacques-Marie Bourget.<br />

Le Qatar, champion du mensonge<br />

et de la dissimulation<br />

Propos recueillis par Majed Nehmé<br />

Écrivain et ancien grand reporter<br />

dans les plus grands titres de la<br />

presse française, Jacques-Marie<br />

Bourget a couvert de nombreuses<br />

guerres : le Vietnam, le Liban, le Salvador,<br />

la guerre du Golfe, la Serbie et le<br />

Kosovo, la Palestine… C’est à Ramallah<br />

qu’une balle israélienne le blessa<br />

grièvement. Grand connaisseur du<br />

monde arabe et des milieux occultes, il<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

D. R.<br />

a publié en septembre dernier, avec le<br />

photographe Marc Simon, Sabra et<br />

Chatila, au cœur du massacre (Éditions<br />

Érick Bonnier, voir Afrique Asie<br />

de septembre 2012).<br />

Nicolas Beau a longtemps été ➥<br />

17


18 Événement Qatar : attention danger !<br />

D. R.<br />

journaliste d’investigation à Libération,<br />

au Monde et au Canard enchainé<br />

avant de fonder et diriger le site d’information<br />

satirique français, Bakchich.<br />

info. Il a notamment écrit des livres<br />

d’enquêtes sur le Maroc et la Tunisie et<br />

sur Bernard-Henri Lévy.<br />

■ Qu’est-ce qui vous a conduits à<br />

écrire un livre sur le Qatar ?<br />

❒ Le hasard puis la nécessité. J’ai plusieurs<br />

fois visité ce pays et en suis<br />

revenu frappé par la vacuité qui se<br />

dégage à Doha. L’on y a l’impression<br />

de séjourner dans un pays virtuel, une<br />

sorte de console vidéo planétaire. Il<br />

devenait intéressant de comprendre<br />

comment un État aussi minuscule et<br />

artificiel pouvait prendre, grâce aux<br />

dollars et à la religion, une telle place<br />

dans l’histoire que nous vivons.<br />

D’autre part, à l’autre bout de la<br />

chaîne, l’enquête dans les banlieues<br />

françaises faite par Nicolas Beau, mon<br />

coauteur, nous a immédiatement<br />

convaincus qu’il y avait une stratégie<br />

de la part du Qatar de maîtriser l’islam<br />

aussi bien en France que dans tout le<br />

Moyen-Orient et en Afrique. D’imposer<br />

sa lecture du Coran qui est le wahhabisme,<br />

donc d’essence salafiste, une<br />

D. R.<br />

interprétation intégriste des écrits du<br />

Prophète. Cette sous-traitance de l’enseignement<br />

religieux des musulmans<br />

de France à des imams adoubés par le<br />

Qatar nous a semblé incompatible avec<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

l’idée et les principes de la République.<br />

Imaginez que le Vatican, devenant soudain<br />

producteur de gaz, profite de ses<br />

milliards pour figer le monde catholique<br />

dans les idées intégristes de Mon-<br />

LE QATAR EST UN INSTRUMENT DE LA POLITIQUE<br />

DE WASHINGTON AVEC LEQUEL IL EST LIÉ PAR UN PACTE D’ACIER.


Reuters<br />

À gauche : Sarkozy et Al-Thani en 2008. « De 2007 à 2012, c’est l’émir qui a réglé la politique arabe de la France. » Ci-dessus :<br />

Al-Thani et sa femme, ravis d’avoir obtenu l’organisation de la Coupe du monde de football en 2022. Contre un gros chèque ?<br />

seigneur Lefebvre, celles des groupuscules<br />

intégristes qui manifestent violement<br />

en France contre le « mariage<br />

pour tous ». Notre société deviendrait<br />

invivable, l’obscurantisme et l’intégrisme<br />

sont les meilleurs ennemis de la<br />

liberté.<br />

Sur ce petit pays, nous sommes<br />

d’abord partis pour publier un dossier<br />

dans un magazine. Mais nous avons<br />

vite changé de format pour passer à<br />

celui du livre. Le paradoxe du Qatar,<br />

qui prêche la démocratie sans en appliquer<br />

une seule once pour son propre<br />

compte, nous a crevé les yeux. Notre<br />

livre sera certainement qualifié de<br />

pamphlet animé par la mauvaise foi, de<br />

Qatar bashing… C’est faux. Dans cette<br />

entreprise nous n’avons, nous, ni commande,<br />

ni amis ou sponsors à satisfaire.<br />

Pour mener à bien ce travail, il suffisait<br />

de savoir lire et observer. Pour voir le<br />

Qatar tel qu’il est: un micro-empire<br />

tenu par un potentat, une dictature avec<br />

le sourire aux lèvres.<br />

■ Depuis quelques années, ce petit<br />

LIBERTÉ ET DÉMOCRATIE ?<br />

DES PRODUITS D’APPEL DES « PRINTEMPS ARABES ».<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

émirat gazier et pétrolier insignifiant<br />

géopolitiquement est devenu, du<br />

moins médiatiquement, un acteur<br />

politique voulant jouer dans la cour<br />

des grands et influer sur le cours de<br />

l’Histoire dans le monde musulman.<br />

Est-ce la folie des grandeurs ? Où le<br />

Qatar sert-il un projet qui le dépasse ?<br />

❒ Il existe une folie des grandeurs. Elle<br />

est encouragée par des conseillers ➥<br />

19


20 Événement Qatar : attention danger !<br />

et flagorneurs qui ont réussi à<br />

convaincre l’émir qu’il est à la fois un<br />

tsar et un commandeur des croyants.<br />

Mais c’est marginal. L’autre vérité est<br />

qu’il faut, par peur de son puissant voisin<br />

et ennemi saoudien, que la grenouille<br />

se gonfle. Faute d’occuper des<br />

centaines de milliers de kilomètres carrés<br />

dans le Golfe, le Qatar occupe<br />

ailleurs une surface politico-médiatique,<br />

un empire en papier. Doha<br />

estime que cette expansion est un<br />

moyen de protection et de survie.<br />

Enfin, il y a la religion. Un profond<br />

rêve messianique pousse Doha vers la<br />

conquête des âmes et des territoires.<br />

Ici, on peut reprendre la comparaison<br />

avec le minuscule Vatican, celui du<br />

XIX e siècle qui envoyait ses missionnaires<br />

sur tous les continents. L’émir<br />

est convaincu qu’il peut nourrir et faire<br />

fructifier une renaissance de la oumma,<br />

la communauté des croyants. Cette<br />

stratégie a son revers, celui d’un possible<br />

crash, l’ambition emportant les<br />

rêves du Qatar bien trop loin de la réalité.<br />

N’oublions pas aussi que Doha<br />

occupe une place vide, celle libérée un<br />

temps par l’Arabie Saoudite impliquée<br />

dans les attentats du 11-Septembre et<br />

contrainte de se faire plus discrète en<br />

matière de djihad et de wahhabisme.<br />

Le scandaleux passe-droit dont a bénéficié<br />

le Qatar pour adhérer à la Francophonie<br />

participe à cet objectif de<br />

« wahhabisation » : en Afrique, sponsoriser<br />

les institutions qui enseignent la<br />

langue française permet de les transformer<br />

en écoles islamiques, Voltaire et<br />

Hugo étant remplacés par le Coran.<br />

■ Cette mégalomanie peut-elle se<br />

retourner contre l’émir actuel? Surtout<br />

si l’on regarde la brève histoire<br />

de ce pays, créé en 1970 par les Britanniques,<br />

rythmée par des coups<br />

d’État et des révolutions de palais.<br />

❒ La mégalomanie et l’ambition de<br />

l’émir Al-Thani sont, c’est vrai, discrètement<br />

critiquées par de « vieux amis » du<br />

Qatar. Certains, avançant que le souverain<br />

est un roi malade, poussent la montée<br />

vers le trône de son fils désigné<br />

comme héritier, le prince Tamim. Une<br />

fois au pouvoir, le nouveau maître réduirait<br />

la voilure, notamment dans le soutien<br />

accordé par Doha aux djihadistes,<br />

comme c’est aujourd’hui le cas en<br />

Libye, au Mali et en Syrie. Cette option<br />

est même bien vue par des diplomates<br />

américains inquiets de la nouvelle radicalité<br />

islamiste dans le monde. Faut-il le<br />

rappeler, le Qatar est d’abord un instru-<br />

ment de la politique de Washington avec<br />

lequel il est lié par un pacte d’acier.<br />

Cela dit, promouvoir Tamim n’est<br />

pas simple puisque l’émir, qui a débarqué<br />

son propre père par un coup d’État<br />

en 1995, n’a pas annoncé sa retraite.<br />

Par ailleurs le premier ministre Jassim,<br />

cousin de l’émir, le tout-puissant et<br />

richissime « HBJ », n’a pas l’intention<br />

de laisser un pouce de son pouvoir.<br />

Mieux : en cas de nécessité, les États-<br />

Unis sont prêts à sacrifier et l’émir et<br />

son fils pour mettre en place un<br />

« HBJ » dévoué corps et âme à<br />

Washington et à Israël. En dépit de<br />

l’opulence affichée, l’émirat n’est pas<br />

si stable qu’il y paraît. Sur le plan économique,<br />

le Qatar est endetté à des taux<br />

« européens » et l’exploitation de gaz<br />

de schiste est en rude concurrence, à<br />

commencer aux États-Unis.<br />

■ La présence de la plus grande base<br />

américaine en dehors des États-Unis<br />

sur le sol qatari peut-elle être considérée<br />

comme un contrat d’assurance<br />

pour la survie du régime, ou au<br />

contraire comme une épée de Damoclès<br />

fatale à plus ou moins brève<br />

échéance ?<br />

❒ La présence de l’immense base<br />

Al-Udaï est, dans l’immédiat, une assurance-vie<br />

pour Doha. L’Amérique a ici<br />

un lieu idéal pour surveiller, protéger ou<br />

attaquer à son gré dans la région. Protéger<br />

l’Arabie Saoudite et Israël, attaquer<br />

l’Iran. La Mecque a connu ses révoltes,<br />

la dernière réprimée par le capitaine<br />

Barril et la logistique française. Mais<br />

Doha pourrait connaître à son tour une<br />

révolte conduite par des fous d’Allah<br />

mécontents de la présence du « grand<br />

Satan » en terre wahhabite.<br />

■ Ce régime, moderne d’apparence,<br />

est en réalité fondamentalement tribal<br />

et obscurantiste. Pourquoi si peu d’informations<br />

sur sa vraie nature?<br />

❒ Au risque de radoter, il faut que le<br />

public sache enfin que le Qatar est le<br />

champion du monde du double standard:<br />

celui du mensonge et de la dissimulation<br />

comme philosophie politique.<br />

Par exemple, des avions partent de<br />

Doha pour bombarder les taliban en<br />

Afghanistan, alors que ces mêmes guerriers<br />

religieux ont un bureau de coordination<br />

installé à Doha, à quelques kilo-<br />

L’ÉMIRAT OFFRE AUX JEUNES BLOGUEURS<br />

DES STAGES DE « RÉVOLTE PAR LE NET ».<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

D. R.<br />

mètres de la base d’où décollent les<br />

chasseurs partis pour les tuer. Il en va<br />

ainsi dans tous les domaines, et c’est le<br />

cas de la politique intérieure de ce petit<br />

pays.<br />

Regardons ce qui se passe dans ce<br />

coin de désert. Les libertés y sont<br />

absentes, on y pratique les châtiments<br />

corporels, la lettre de cachet, c'est-à-dire<br />

l’incarcération sans motif, est une pratique<br />

courante. Le vote n’existe que<br />

pour nommer une partie des conseillers<br />

municipaux, à ceci près que les associations<br />

et partis politiques sont interdits,<br />

tout comme la presse indépendante…<br />

Une Constitution qui a été élaborée par<br />

l’émir et son clan n’est même pas appli-<br />

quée dans tous ses articles. Le million et<br />

demi de travailleurs étrangers engagés<br />

au Qatar s’échine sous le régime de ce<br />

que des associations des droits de<br />

l’homme qualifient d’ « esclavage ».<br />

Ces malheureux, privés de leurs passeports<br />

et payés une misère, survivent<br />

dans les camps détestables sans avoir le<br />

droit de quitter le pays. Nombre d’entre<br />

eux, accrochés au béton des tours qu’ils<br />

Reuters


En Libye, l’objectif était double : restaurer le royaume islamiste d’Idriss et mettre la main sur les 165 milliards d’économie<br />

de la Libye. Ce rebelle qui fanfaronne entre les drapeaux qatari et libyen, sur la résidence bombardée du Guide, le savait-il?<br />

construisent, meurent d’accidents cardiaques<br />

ou de chutes (plusieurs centaines<br />

de victimes par an).<br />

La « justice » à Doha est directement<br />

rendue au palais de l’émir par l’intermédiaire<br />

de juges qui, le plus souvent,<br />

sont des magistrats mercenaires venus<br />

du Soudan. Ce sont eux qui ont<br />

condamné le poète Al-Ajami à la prison<br />

à perpétuité parce qu’il a publié sur<br />

Internet une plaisanterie sur Al-Thani!<br />

Observons une indignation à deux<br />

vitesses : parce que cet homme de<br />

plume n’est pas Soljenitsyne, personne<br />

n’a songé à défiler dans Paris pour<br />

défendre ce martyr de la liberté. Une<br />

anecdote : cette année, parce que son<br />

enseignement n’était pas « islamique »,<br />

un lycée français de Doha a tout simplement<br />

été retiré de la liste des institutions<br />

gérées par Paris.<br />

Arrêtons là car la situation du droit<br />

au Qatar est un attentat permanent aux<br />

libertés.<br />

Pourtant, et l’on retombe sur le<br />

fameux paradoxe, Doha n’hésite pas,<br />

hors de son territoire, à prêcher la<br />

démocratie. Mieux, chaque année un<br />

forum se tient sur ce thème dans la capitale.<br />

Son titre, « New or restaured<br />

democracy » alors qu’au Qatar il<br />

n’existe de démocratie ni « new » ni<br />

« restaured ». Selon le classement de<br />

The Economist en matière de démocratie,<br />

le Qatar est 136 e sur 157 e États,<br />

classé derrière le Bélarusse. Bizarre-<br />

LE RÊVE DE L’ÉMIR : PLACER MECHAAL À LA TÊTE<br />

D’UNE PALESTINE QUI SE SITUERAIT EN JORDANIE.<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

ment, alors que toutes les bonnes âmes<br />

fuient le dictateur moustachu Loukachenko,<br />

personne n’éprouve honte ou<br />

colère à serrer la main d’Al-Thani. Et le<br />

Qatar, qui est aussi un enfer, n’empêche<br />

pas de grands défenseurs des droits de<br />

l’homme, notamment français, d’y<br />

venir bronzer, invités par Doha, de<br />

Ségolène Royal à Najat Vallaud-Belkacem,<br />

de Dominique de Villepin à Bertrand<br />

Delanoë.<br />

■ Comment un pays qui est par<br />

essence antidémocratique se présentet-il<br />

comme le promoteur des printemps<br />

arabes et de la liberté d’expression? ➥<br />

21


22 Événement Qatar : attention danger !<br />

La diplomatie du carnet de chèques<br />

Dans son excellent ouvrage intitulé « Qatar, les nouveaux maîtres du jeu »,<br />

paru en mars 2013 chez Demopolis, Olivier Dalage, grand spécialiste des<br />

relations internationales en général et de la région du Golfe en particulier,<br />

revient sur une affaire explosive concernant la dispute frontalière entre l’archipel<br />

de Bahreïn et la presqu’île du Qatar. Il laisse entendre que l’actuel émir<br />

Hamad Ben Khalifa et son cousin Jassem, alors simple ministre des Affaires étrangères,<br />

auraient acheté l’arbitrage de la Cour internationale de justice. La diplomatie<br />

du carnet des chèques était déjà à l’œuvre, bien qu’à cette époque l’émirat du<br />

Qatar fût surendetté. Voici le passage concernant cette obscure affaire qui n’est<br />

pas sans rappeler les soupçons pesant sur l’achat par Doha de l’organisation de la<br />

Coupe du monde en 2022, désormais connu, dans les milieux sportifs, sous le nom<br />

de « Qatargate ». Deux scandales qui risquent de rattraper tôt ou tard les responsables<br />

qataris et leur coûter très cher.<br />

Voici le passage concernant cette ténébreuse affaire d’arbitrage :<br />

« Le Qatar et le Bahreïn ont accepté de soumettre leur différend territorial<br />

à la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye. Cela n’allait pas de soi.<br />

Au sein même de la famille Al-Thani, plusieurs princes y étaient opposés, faisant<br />

valoir les risques d’une telle procédure, ou, pour certains, proposant<br />

carrément de régler le problème par la force. Cheikh Hamad et son cousin<br />

Hamad Ben Jassem ont dû peser de tout leur poids pour faire prévaloir leurs<br />

vues au nom de la modernité nécessaire du Qatar d’aujourd’hui. Mais ceux<br />

qui se sont finalement rangés à l’avis de l’émir ne l’ont pas fait de bon gré ;<br />

que la procédure tourne mal pour l’émirat et c’est le prestige même de l’émir<br />

et son pouvoir qui seraient remis en cause. Or, pour nourrir son dossier<br />

devant la CIJ, le Qatar est à la recherche de cartes et<br />

autres documents à l’appui de ses prétentions. La Grande-<br />

Bretagne offre justement au Qatar les documents qui lui<br />

manquent, puisés dans les archives de l’ancienne puissance<br />

protectrice des émirats du Golfe. Mais quelque<br />

temps après avoir communiqué ces cartes aux magistrats<br />

de la CIJ, le Qatar découvre que les cartes ont été falsifiées<br />

au profit du Qatar. À Doha, on prend alors<br />

conscience que Londres soutient en réalité le Bahreïn et<br />

que le but de l’opération est de discréditer le Qatar<br />

auprès des juges de la CIJ.<br />

Cheikh Hamad en appelle alors à la France. Il se<br />

trouve que le président en exercice de la Cour, Gilbert Guillaume, est un<br />

Français et que Jacques Chirac le connaît depuis longtemps. Discrètement,<br />

tout en prenant soin de préciser qu’il ne veut pas interférer dans le jugement<br />

de la Cour, le président français fait en sorte de passer le message : les documents<br />

ont été trafiqués à l’insu du Qatar qui ne devrait pas en être pénalisé.<br />

Le message passe et le jugement de la CIJ, rendu en mars 2001, donnera<br />

satisfaction aux deux parties. » ■<br />

◗ Qatar - Les nouveaux maîtres du jeu, Éd. Demopolis, 208 p., 20 euros.<br />

❒ Au regard des « printemps arabes »,<br />

où le Qatar joue un rôle essentiel, il<br />

faut observer deux phases. Dans un<br />

premier temps, Doha hurle avec les<br />

peuples justement révoltés. On parle<br />

alors de « démocratie et de liberté ».<br />

Les dictateurs mis à terre, le relais est<br />

pris par les Frères musulmans, qui sont<br />

les vrais alliés de Doha. Et on oublie<br />

les slogans d’hier. Comme on le dit<br />

dans les grandes surfaces, « liberté et<br />

démocratie » n’étaient que des produits<br />

d’appel, rien de plus que de la « com ».<br />

Si l’implication du Qatar dans les<br />

À PARIS CIRCULE UN SLOGAN FAUX ET RIDICULE :<br />

LE QATAR PEUT « SAUVER L’ÉCONOMIE FRANÇAISE ».<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

D. R.<br />

« printemps » est apparue comme une<br />

surprise, c’est que la stratégie de Doha a<br />

été discrète. Depuis des années l’émirat<br />

entretient des relations très étroites avec<br />

des militants islamistes pourchassés par<br />

les potentats arabes, mais aussi avec des<br />

groupes de jeunes blogueurs et internautes<br />

auxquels il a offert des stages de<br />

« révolte par le Net ». La politique de<br />

l’émir était un fusil à deux coups.<br />

D’abord on a envoyé au « front » la jeunesse<br />

avec son Facebook et ses blogueurs,<br />

mains nues face aux fusils des<br />

policiers et militaires. Ceux-ci défaits, le<br />

terrain déblayé, l’heure est venue de<br />

mettre en poste les islamistes tenus bien<br />

au chaud en réserve, héros sacralisés,<br />

magnifiés en sagas par Al-Jazeera.<br />

■ Comment expliquez-vous l’implication<br />

directe du Qatar d’abord en<br />

Tunisie et en Libye, et actuellement<br />

en Égypte, dans le Sahel et en Syrie ?<br />

❒ En Libye, nous le montrons dans<br />

notre livre, l’objectif était à la fois de<br />

restaurer le royaume islamiste d’Idriss<br />

tout en essayant de prendre le contrôle<br />

de 165 milliards, le montant des économies<br />

dissimulées par Kadhafi. Dans le<br />

cas de la Tunisie et de l’Égypte, il s’agit<br />

de l’application d’une stratégie froide<br />

du type « redessinons le Moyen-<br />

Orient », digne des néocons américains.<br />

Mais, une fois encore, ce n’est pas le<br />

seul Qatar qui a fait tomber Ben Ali et<br />

Moubarak; leur chute a d’abord été le<br />

résultat de leur corruption et de leur<br />

politique tyrannique et aveugle.<br />

Au Sahel, les missionnaires qataris<br />

sont en place depuis cinq ans. Réseaux<br />

de mosquées, application habile de la<br />

zaqat, la charité selon l’islam, le Qatar<br />

s’est taillé, du Niger au Sénégal, un territoire<br />

d’obligés suspendus aux<br />

mamelles dorées de Doha. Plus que<br />

cela, au Niger comme dans d’autres<br />

pays pauvres de la planète, le Qatar a<br />

acheté des centaines de milliers d’hectares<br />

transformant ainsi des malheureux<br />

affamés en « paysans sans terre ».<br />

À la fin de 2012, quand les djihadistes<br />

ont pris le contrôle du Nord-Mali, on a<br />

noté que des membres du Croissant-<br />

Rouge qatari sont alors venus à Gao<br />

prêter une main charitable aux terribles<br />

assassins du Mujao…<br />

La Syrie n’est qu’une extension du<br />

D. R.


Al-Udaï, sur le sol qatari, est la plus grande base américaine en dehors des États-Unis.<br />

C’est à partir de là que les Américains ont envahi l’Irak. Dans l’immédiat, une assurance-vie pour Doha. Jusqu’à quand ?<br />

domaine de la lutte avec, en plus, une<br />

surenchère : se montrer à la hauteur de<br />

la concurrence de l’ennemi saoudien<br />

dans son aide au djihad. Ici, on a du<br />

mal à lire clairement le dessein politique<br />

des deux meilleurs amis du<br />

Qatar, les États-Unis et Israël, puisque<br />

Doha semble jouer avec le feu de l’islamisme<br />

radical…<br />

■ Le Fatah accuse le Qatar de semer<br />

la zizanie et la division entre les<br />

Palestiniens en soutenant à fond le<br />

Hamas, qui appartient à la nébuleuse<br />

des Frères musulmans. Pour beaucoup<br />

d’observateurs, cette stratégie<br />

ne profite qu’à Israël. Partagez-vous<br />

cette analyse ?<br />

❒ Quand on veut évoquer la politique<br />

du Qatar face aux Palestiniens, il faut<br />

s’en tenir à des images. Tzipi Livni, qui<br />

fut avec Ehud Barak la cheville<br />

ouvrière, en 2009, de l’opération<br />

Plomb durci sur Gaza – 1 500 morts –<br />

fait régulièrement ses courses dans les<br />

malls de Doha. Elle profite du voyage<br />

pour dire un petit bonjour à l’émir. Un<br />

souverain qui, lors d’une visite discrète,<br />

s’est rendu à Jérusalem pour y<br />

visiter la dame Livni… Souvenonsnous<br />

du pacte signé d’un côté par HBJ<br />

et le souverain Al-Thani et de l’autre<br />

les États-Unis : la priorité est d’assister<br />

la politique d’Israël. Quand le « roi »<br />

de Doha débarque à Gaza en promettant<br />

des millions, c’est un moyen d’enferrer<br />

le Hamas dans le clan des Frères<br />

musulmans pour mieux casser l’unité<br />

palestinienne. C’est une politique<br />

pitoyable. Désormais, Mechaal, réélu<br />

patron du Hamas, vit à Doha dans le<br />

creux de la main de l’émir. Le rêve de<br />

ce dernier – le Hamas ayant abandonné<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

toute idée de lutte – est de placer<br />

Mechaal à la tête d’une Palestine qui se<br />

situerait en Jordanie, le roi Abdallah<br />

étant déboulonné. Israël pourrait alors<br />

s’étendre en Cisjordanie. Intéressante<br />

politique-fiction.<br />

■ Le Qatar a-t-il « acheté » l’organisation<br />

de la Coupe du monde football<br />

en 2022 ?<br />

❒ Un grand et très vieil ami du Qatar<br />

m’a dit: « Le drame avec eux, c’est<br />

qu’ils s’arrangent toujours pour que<br />

l’on dise “cette fois encore, ils ont<br />

payé ! » Bien sûr, il y a des soupçons.<br />

Remarquons que les fédérations sportives<br />

sont si sensibles à la corruption<br />

que, avec de l’argent, acheter une compétition<br />

est possible. On a connu ➥<br />

LA SITUATION DU DROIT AU QATAR<br />

EST UN ATTENTAT PERMANENT AUX LIBERTÉS.<br />

23


24 Événement Qatar : attention danger !<br />

Reuter<br />

En 2006, Hamad Ben Khalifa Al-Thani est accueilli par l’influent prédicateur égyptien, le cheikh Youssef al-Qaradawi,<br />

lors des dix ans d’Al-Jazeera, la télévision créée par l’émir. Depuis trois ans déjà, la chaîne montre clairement son visage islamiste.<br />

cela avec des jeux Olympiques étrangement<br />

attribués à des outsiders…<br />

■ Dans le conflit frontalier entre le<br />

Qatar et le Bahreïn, vous révélez que<br />

l’un des juges de la Cour internationale<br />

de justice de La Haye aurait été acheté<br />

par le Qatar. L’affaire peut-elle être<br />

rejugée à la lumière de ces révélations ?<br />

❒ Un livre – sérieux celui-là – récemment<br />

publié sur le Qatar évoque une<br />

manipulation possible lors du jugement<br />

arbitral qui a tranché le conflit frontalier<br />

entre le Qatar et Bahreïn. Les<br />

enjeux sont énormes puisque, sous la<br />

mer et les îlots, se trouve du gaz. Un<br />

expert m’a déclaré que cette révélation<br />

pouvait être utilisée pour rouvrir le<br />

dossier devant la Cour de La Haye…<br />

■ Les liaisons dangereuses et<br />

troubles entre la France de Sarkozy<br />

et le Qatar se poursuivent avec la<br />

France de Hollande. Comment expliquez-vous<br />

cette continuité ?<br />

❒ Parler du Qatar, c’est parler de Sarkozy,<br />

et inversement. De 2007 à 2012,<br />

les diplomates et espions français en<br />

sont témoins, c’est l’émir qui a réglé la<br />

« politique arabe » de la France. Il est<br />

amusant de savoir aujourd’hui que<br />

Bachar al-Assad a été l’homme qui a<br />

introduit la « sarkozie » auprès de celui<br />

qui était alors son meilleur ami, l’émir<br />

du Qatar. Il n’y a pas de bonne comédie<br />

sans traîtres. Kadhafi était, lui aussi, un<br />

grand ami d’Al-Thani et c’est l’émir<br />

qui a facilité l’amusant séjour du colonel<br />

et de sa tente à Paris. Sans évoquer<br />

les affaires incidentes, comme l’épopée<br />

de la libération des infirmières bulgares.<br />

La relation entre le Qatar et Sarkozy<br />

a toujours été sous-tendue par des<br />

perspectives financières. Aujourd’hui<br />

Doha promet d’investir 500 millions de<br />

dollars dans le fonds d’investissement<br />

que doit lancer l’ancien président français<br />

à Londres. Échange de bons procédés,<br />

ce dernier fait de la propagande ou<br />

de la médiation dans les aventures,<br />

notamment sportives, du Qatar.<br />

François Hollande, par rapport au<br />

Qatar, s’est transformé en balancier. Un<br />

jour le Qatar est « un partenaire indispensable<br />

», qui a sauvé dans son fief de<br />

Tulle la fabrique de maroquinerie le<br />

Tanneur, le lendemain, il faut prendre<br />

garde de ses amis du djihad. Aucune<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

UN PAYS FAUSSEMENT STABLE,<br />

ENDETTÉ À DES TAUX « EUROPÉENS ».<br />

politique n’est fermement dessinée et<br />

les diplomates du Quai-d’Orsay, nommés<br />

sous Sarkozy, continuent de jouer<br />

le jeu d’un Doha qui doit rester l’ami<br />

numéro 1. En période de crise, les milliards<br />

miroitants d’Al-Thani impliquent<br />

aussi une forme d’amitié au nom d’un<br />

slogan faux et ridicule qui veut que le<br />

Qatar « peut sauver l’économie française<br />

»… La réalité est plus plate: tous<br />

les investissements industriels de Doha<br />

en France sont des échecs… Reste le<br />

placement dans la pierre, vieux bas de<br />

laine de toutes les richesses. Notons là<br />

encore un pathétique grand écart: François<br />

Hollande a envoyé son ministre de<br />

la Défense faire la quête à Doha afin de<br />

compenser le coût de l’opération militaire<br />

française au Mali, conduite contre<br />

des djihadistes très bien vus par<br />

l’émir. ■<br />

◗ * Le Vilain Petit Qatar – Cet ami<br />

qui nous veut du mal, Jacques-Marie Bourget et<br />

Nicolas Beau, Éd. Fayard, 300 p., 19 euros.


La haine du Qatar<br />

n’est qu’une haine de soi<br />

Dans les manifestations désormais<br />

quotidiennes au pays de la<br />

« révolution du jasmin », le slogan<br />

qu’on entend de plus en plus<br />

est: « La Tunisie est libre,<br />

l’Amérique et le Qatar dehors ! » Je ne sais pas<br />

si la providence va répondre à cette revendication<br />

populaire d’une nation qui vient de découvrir<br />

sa ferveur bigote, mais il est clair que beaucoup<br />

de Tunisiens ont pris conscience du rôle<br />

crucial que ces deux États ont joué dans les événements<br />

sanglants de janvier 2011. Prise de<br />

conscience tardive d’une régression collective,<br />

qui traduit un profond ressentiment et une<br />

culpabilisation oppressante succédant logiquement à l’euphorie<br />

paroxystique de janvier 2011. La haine à l’égard<br />

de l’émirat qui a libéré les Tunisiens de leur indépendance<br />

n’a jamais atteint une telle intensité, ce qui a poussé certaines<br />

figures de l’opposition, y compris ceux qui ont été<br />

les « clients » préférés d’Al-Jazeera, à sortir de leur<br />

mutisme complice pour dénoncer à leur tour la métastase<br />

du cancer wahhabite et « l’hégémonisme bédouin ».<br />

Mieux vaut tard que jamais !<br />

Nous sommes déjà bien loin de l’époque où mes compatriotes<br />

étaient sous l’emprise totale d’Al-Jazeera, qu’ils<br />

s’abreuvaient de sa propagande islamo-révolutionnaire en<br />

obéissant aux mots d’ordre de ses présentateurs et aux fatwas<br />

de son ignoble prédicateur, Youssef Qaradaoui. Al-<br />

Jazeera n’avait pas sur l’opinion tunisienne, et arabe en<br />

général, une influence médiatique, mais un pouvoir hypnotique.<br />

Tout ce que disait cette chaîne était parole<br />

biblique, coranique plus exactement. Nous sommes loin<br />

de cette journée du 15 janvier 2011, qui restera dans la<br />

mémoire collective comme la journée de l’humiliation<br />

nationale, vécue alors dans l’hystérie populiste et la dévotion<br />

à l’égard de notre « partenaire dans la révolution »,<br />

comme l’a si bien dit Rached Ghannouchi; journée durant<br />

laquelle le drapeau d’Al-Jazeera flottait au centre de la<br />

capitale, dans l’hôtel Africa, à quelques mètres du ministère<br />

de l’Intérieur, pour le premier direct en pays conquis !<br />

Comme l’enseigne le Coran, « vous ne subissez que ce<br />

que vous avez écrit de vos propres mains », et comme le<br />

dit Omar, le compagnon du Prophète, « celui qui ignore<br />

où est l’erreur mérite d’y tomber ». Le Qatar, qu’on<br />

accuse aujourd’hui de<br />

tous les péchés d’Israël,<br />

n’a pas obligé les Tunisiens<br />

à s’autodétruire. Il<br />

les a simplement persuadés<br />

qu’ils faisaient la plus<br />

Par Mezri Haddad<br />

ancien ambassadeur<br />

et philosophe.<br />

LE WAHHABISME, CETTE SOUILLURE DE L’ISLAM,<br />

CETTE NÉCROSE DE LA CIVILISATION.<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

D. R.<br />

grande révolution que l’humanité n’a jamais<br />

connue. Il les a convaincus qu’ils se sont<br />

détournés de l’islam, que leurs gouvernants,<br />

depuis 1956, étaient des « suppôts de l’Occident<br />

», des « agents du Mossad », des<br />

« traîtres » et des « apostats ». Il leur a promis<br />

le pardon d’Allah, la rédemption de leurs<br />

péchés, le bonheur terrestre et le paradis céleste.<br />

Il leur a promis ce qu’ils venaient de sacrifier:<br />

la souveraineté, l’honneur, la prospérité, la paix<br />

civile et, surtout, l’espoir d’une cité plus juste et<br />

résolument démocratique.<br />

La haine du Qatar aujourd’hui, exprime cette<br />

haine de soi dont Theodor Lessing avait<br />

naguère analysé les origines historiques et les ravages<br />

psychologiques. C’est le besoin compulsif de se débarrasser<br />

du poids de la culpabilité. Pas seulement d’avoir hypothéqué<br />

les acquis de cinquante-six ans d’indépendance,<br />

ruiné une économie qui était plus performante et moins<br />

corrompue que l’économie grecque, chypriote ou portugaise,<br />

annihilé une sécurité qui assurait la paix et la<br />

concorde civiles, altéré l’identité nationale d’un pays à<br />

l’histoire multiséculaire, pulvérisé des repères identificatoires<br />

proprement tunisiens, mais aussi d’avoir été les<br />

idiots utiles d’un « printemps arabe » qui parle l’arabe, qui<br />

pratique l’islam, qui consacre la démocratie, mais dont les<br />

objectifs géopolitiques sont aux antipodes de l’arabité et<br />

de l’islamité, et la finalité politique, le contraire même de<br />

la démocratie.<br />

S’élèvent d’ores et déjà des voix, en Tunisie et ailleurs,<br />

pour ruminer de vieux stéréotypes essentialistes et culturalistes<br />

: on vous l’a bien dit, les Arabes – qui seraient<br />

culturellement prédisposés à la servitude volontaire et au<br />

despotisme oriental cher à Montesquieu – ne méritent<br />

pas la démocratie. S’il est vrai qu’un peuple mûr pour<br />

l’islamisme ne peut pas être un peuple mature pour la<br />

démocratie, l’hétéronomie et l’autonomie étant radicalement<br />

et irrémédiablement antagoniques, il n’en demeure<br />

pas moins vrai que l’aspiration des Tunisiens à la démocratie<br />

était bien réelle et le besoin de liberté, un sentiment<br />

profond et irrépressible. Mais dans cette quête de la<br />

liberté, ils ne savaient pas que d’autres forces obscurantistes<br />

travaillaient à la conquête de leur esprit. Ils ne se<br />

doutaient pas qu’au cœur de l’islam malékite et quiétiste,<br />

le Qatar et l’Arabie Saou-<br />

dite œuvraient déjà à l’implantation<br />

de cette<br />

souillure de l’islam et de<br />

cette nécrose de la civilisation<br />

: le wahhabisme. ■<br />

25


26 Événement Qatar : attention danger !<br />

« Le Vilain Petit Qatar »,<br />

◗ À quand le « Printemps » à Doha ?<br />

Écrit par des hommes libres qui aiment<br />

et respectent le monde arabe et musulman<br />

– où ils enquêtent depuis des<br />

dizaines d’années – cet ouvrage ne<br />

relève pas du « Qatar bashing ». Il n’a<br />

rien d’une critique injuste, gratuite<br />

comme une mode. Inventé par des communicants<br />

trop malins, ce concept est<br />

devenu un « élément de langage », le<br />

bouclier chargé de défendre un émirat à<br />

la vertu forcement outragée dès qu’elle<br />

n’est pas glorifiée. Avancer comme une<br />

sorte de secret défense le « Qatar<br />

bashing » évite de répondre aux questions<br />

posées par la politique schizophrène<br />

de l’émir Al-Thani. Sa parade est<br />

de faire croire que tout propos non laudateur<br />

tenu à son endroit est xénophobe.<br />

La réalité est différente. Si la classe politique française de<br />

gauche comme de droite a déroulé le tapis rouge sous les<br />

pieds de nos amis qataris, c’est au seul nom du réalisme.<br />

Et en fermant les yeux sur les droits de l’homme bafoués<br />

et un prosélytisme wahhabite harcelant.<br />

Un exemple de parler-vrai, mais « off » : l’été dernier,<br />

quelques instants avant de recevoir l’émir Al-Thani à<br />

l’Élysée, François Hollande interroge l’ambassadeur de<br />

France au Qatar, un diplomate nommé par Nicolas Sarkozy<br />

et donc totalement dévoué à la cause de l’émirat:<br />

– Au fond, interroge le chef de l’État, que faut-il penser<br />

de ce pays?<br />

– Monsieur le Président, dans les prochaines années,<br />

il est susceptible d’investir une centaine de milliards<br />

d’euros en France.<br />

– Dans ce cas, je comprends mieux dans quel état<br />

d’esprit il faut se tenir.<br />

En aucun cas notre enquête n’a cherché à mettre en<br />

cause le Qatar au prétexte qu’il est minuscule et musulman.<br />

Puisqu’il est installé avec succès sur la scène internationale,<br />

saluons le discours moderniste et démocratique<br />

de ceux qui le dirigent. Grâce à une communication<br />

habile, portée par les zéphyrs du « printemps arabe »,<br />

Doha apparaît désormais comme le moteur des révolutions<br />

de la rive sud de la Méditerranée. Bouleversement<br />

qui, au premier regard, a pu apparaître comme une fin<br />

tant souhaitée du « malheur arabe », pour reprendre<br />

l’expression de Samir<br />

Kassir, le courageux journaliste<br />

libanais assassiné<br />

par le régime syrien. Mais,<br />

aujourd’hui, le compte<br />

n’y est pas. Et sachons<br />

les bonnes feuilles<br />

UN ÉMIRAT AUTOCRATIQUE QUI A VENDU<br />

L’ICÔNE DE LA DÉMOCRATIE À L’OCCIDENT.<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

dénoncer l’infinie duplicité d’un émirat<br />

autocratique et conservateur qui a<br />

réussi à vendre l’icône de la démocratie<br />

à ses alliés occidentaux. Coupées<br />

par l’émir Al-Thani, les fleurs de ces<br />

« printemps » sont fanées, et les Frères<br />

musulmans, couverts par Doha, sont<br />

maintenant aux commandes. Ne reste<br />

que le bonheur laissé par la chute des<br />

dictateurs.<br />

Lorsque, au Mali, l’armée tricolore<br />

combat les groupes djihadistes, il faut<br />

que nos concitoyens sachent que ces<br />

bandits sont pour partie financés par le<br />

Qatar, via des réseaux prétendument<br />

« humanitaires ». Pendant ce temps-là,<br />

en France, des âmes vétilleuses sursautent<br />

à la moindre atteinte à la laïcité,<br />

refusant de voir que le terreau de l’intolérance<br />

est arrosé par les pétrodollars du Golfe, dont ceux<br />

du Qatar, via le financement de mosquées, de centres islamiques,<br />

de colloques ou de prédicateurs intégristes.<br />

D. R.<br />

◗ « Je suis le nouveau Qarmate »<br />

Pendant longtemps, pas le moindre universitaire occidental<br />

n’a écrit une ligne sur ce pays. Historiographe de<br />

lui-même, l’émir Hamad bin Khalifa al-Thani, le<br />

monarque actuel, a apporté sa pierre à l’édifice en déclarant<br />

à ses intimes : « Je suis le nouveau Qarmat » Prétendrait-il<br />

ainsi remonter en direct aux origines de l’islam?<br />

Ayant vécu trois siècles après l’envol de Mahomet,<br />

Hamadan Qarmat Ibn al-Ach’ath, fondateur de la secte<br />

qui porte son nom, est le leader d’un courant de l’ismaélisme.<br />

Autrement dit, il est à l’origine d’un schisme qui<br />

va pousser ses disciples à mettre La Mecque à sac, en<br />

930, et à se tourner vers le feu pour prier… Que le roi<br />

du Qatar revendique une parenté philosophique avec ces<br />

fanatiques messianistes est une forme d’aveu, l’expression<br />

d’un rêve d’en revenir aux sources.<br />

Des langues de vipères – qui pullulent dans le désert<br />

et viennent souvent de chez la sœur ennemie, l’Arabie<br />

voisine – affirment que les Qataris « sont les descendants<br />

de pillards spécialisés dans l’attaque des pèlerins<br />

de La Mecque ». Lassés de leurs rezzous, les princes,<br />

gardiens des lieux saints, auraient expulsé ces bandits<br />

vers une langue de terre aride: le Qatar. [...]<br />

Habiles, les Al-Thani<br />

ont instauré un partage du<br />

pouvoir (très relatif) qui,<br />

avec l’argent distribué,<br />

jugule grosso modo toute<br />

opposition des autres<br />

Gamma


Une tribu célèbre la fête d’indépendance du Qatar (le 18 décembre):<br />

on chante, on danse... entre hommes. La population « de souche » compte 150 000 âmes. Petite fête donc!<br />

familles. Ainsi, quinze personnalités qui n’ont pas la<br />

chance d’être nées Al-Thani – fratrie qui compte environ<br />

trois mille cousins – se partagent des postes de<br />

ministre dont aucun n’est de premier plan. Pas grave<br />

dans un pays où tout se règle dans le salon de l’émir, ou<br />

dans celui de son premier ministre et cousin, Hamad bin<br />

Jassim bin Jaber al-Thani (dit « HBJ »). Dans ce<br />

royaume, être chargé de la<br />

Justice, de l’Économie,<br />

sans parler de l’Environnement<br />

ou des Affaires<br />

sociales, n’a pas plus de<br />

sens qu’être titulaire d’un<br />

LE CALIFE NE TRACE JAMAIS DE FRONTIÈRE LÉGALE<br />

ENTRE LES RECETTES PUBLIQUES ET SA FORTUNE.<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

maroquin en Corée du Nord où Kim Jong-un s’occupe<br />

de tout. [...]<br />

◗ Une tradition de révolutions de palais<br />

L’histoire actuelle du Qatar, cette monarchie ultraconservatrice<br />

qui méduse la planète, commence par un poignard<br />

planté dans le dos. En février 1972, le cheikh Khalifa<br />

lance un coup d’État<br />

contre l’émir Ahmad, un<br />

cousin ni présent ni passionné<br />

par la gestion de<br />

son pays. Quelques fidèles<br />

sont tués. On en ignore ➥<br />

27


28 Événement Qatar : attention danger !<br />

le nombre puisque ces avanies sont immédiatement effacées<br />

par la serpillière de l’Histoire, et les corps enterrés<br />

encore chauds. Pour s’assurer que l’émir Ahmad, alors<br />

occupé par une partie de chasse en Iran, ne va pas regagner<br />

son palais dare-dare, la fourbe Arabie Saoudite<br />

accepte de lui fermer sa frontière au nez.<br />

Assis sur le trône, l’émir Khalifa fait une promesse<br />

qu’il ne tiendra jamais, celle de se satisfaire d’un revenu<br />

mensuel de 250 000 dollars, alors que son prédécesseur<br />

dérivait systématiquement le quart des recettes pétrolières<br />

nationales vers ses comptes en banque. En vérité,<br />

sur la base d’une « Constitution » à proposition unique,<br />

« L’État c’est moi », une règle toujours en vigueur, le<br />

nouveau calife ne tracera jamais de frontière légale entre<br />

les recettes publiques et sa fortune. En 1979, quand l’intégralité<br />

de Qatar Petroleum passe sous contrôle « national<br />

», autrement dit celui de la famille, le mode comptable<br />

reste flou. Certes, le brut qatari ne coule pas à gros<br />

bouillons comme celui du voisin saoudien, mais le flux<br />

est assez fort pour lancer les prémices de ce que Khalifa<br />

qualifie de « renaissance d’un Qatar moderne ». Autrement<br />

dit, un pays possédant l’eau courante, l’électricité,<br />

des routes, un aéroport, des téléphones, une police et<br />

une armée et, pourquoi pas, une politique étrangère.<br />

Hélas, comme ces héros déchus que les censeurs staliniens<br />

effaçaient des photos officielles, l’émir Khalifa<br />

sera gommé de la saga de l’émirat. Les livres d’Histoire<br />

sont toujours écrits par les vainqueurs. En 1995, quand<br />

Khalifa sera chassé à son tour par son fils Hamad, l’actuel<br />

maître de Doha, le rôle de papa passe à la trappe.<br />

Pourtant l’émir Khalifa, grand ami de Paris, a développé<br />

une vraie stratégie pour l’avenir de son pays. [...]<br />

◗ L’omni-émir<br />

Si on se livre à l’exercice impossible d’oublier l’argent,<br />

le Qatar est un pays nain, une terre dérisoire<br />

grande comme une fois et demie le département du<br />

Maine-et-Loire. La population des Qataris « de<br />

souche », soit les familles installées dans le pays depuis<br />

1930, se monte à environ 150 000 âmes. Le chiffre exact<br />

est un secret d’État. Pour rester dans la comparaison<br />

hexagonale, Son Excellence Cheikh Hamad bin Khalifa<br />

al-Thani règne donc sur un peuple aussi important que<br />

celui de la ville d’Angers intramuros, la dix-huitième de<br />

France.<br />

L’infiniment petit du Qatar est forcément générateur<br />

de blagues. On affirme que, lors d’un voyage de l’émir à<br />

Pékin, le premier ministre chinois lui aurait posé cette<br />

question :<br />

– Combien d’habitants comptez-vous au Qatar?<br />

– Plus de 150000.<br />

– Alors pourquoi ne pas les avoir amenés tous avec<br />

vous? aurait repris l’ironique.<br />

Le vrai peuple de l’émir, sa force, est volatil. Il se<br />

compte en mètres cubes cachés au fond du North Field,<br />

la troisième réserve de gaz naturel au monde, après<br />

celles de la Russie et de<br />

l’Iran. D’ailleurs le Qatar<br />

fait champ commun avec<br />

l’Empire perse des ayatollahs,<br />

les voisins de la rive<br />

d’en face. Les deux États<br />

L’ÉMIR : INFAILLIBLE AMI D’ISRAËL<br />

ET MOTEUR DE LA LIGUE ARABE.<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

pompent dans la même et gigantesque nappe qui se<br />

cache sous leur détroit commun. Quelques ingénieurs<br />

mal-pensants affirment même que Doha ne se prive pas<br />

de lancer ses pompes jusque sous l’offshore des fous de<br />

Dieu… C’est donc sur cette grosse bulle que règne<br />

d’abord l’émir. Ce manque de peuple explique aussi sa<br />

volonté de conquérir celui des autres. Pour jouer sa<br />

comédie du pouvoir, l’émir a besoin de public.<br />

À la manœuvre, le cheikh Hamad al-Thani est partout,<br />

dans le Golfe et au Moyen-Orient, où il se vit en maître.<br />

En juin 2011, il donne un gouvernement au Liban, qui<br />

en attendait un depuis des mois. Il est le moteur de la<br />

Ligue arabe à laquelle, par des promesses de crédits, il<br />

impose sa loi. Doha est devenu un tribunal de simple<br />

police où l’on peut régler en un tournemain les conflits<br />

du monde entier. Ainsi la poussiéreuse capitale de la<br />

presqu’île se croit le centre du monde. Pour l’émir et<br />

son équipe, l’orgasmique « printemps arabe » est une<br />

apothéose. Cet infaillible ami d’Israël a même entrepris,<br />

en Palestine, de transformer le Hamas. Aidé de ses amis<br />

turcs, également impliqués dans cette tentative, Hamad<br />

al-Thani veut convaincre le mouvement religieux de<br />

changer de nature. Le parti de Dieu deviendrait celui des<br />

Frères musulmans de Palestine, dont le siège serait à<br />

Amman. Le Hamas renoncerait à sa charte, qui prévoit<br />

la victoire par les armes, et accepterait de reconnaître<br />

Israël. Ainsi, glisse l’aimable et pacifique cheikh à<br />

l’oreille des leaders palestiniens portant barbe, le Hamas<br />

pourra devenir un « partenaire fréquentable » auquel on<br />

rendra raison.<br />

Bien évidemment, le roi de Doha n’a pas demandé<br />

l’avis de son confrère Abdallah de Jordanie, qu’il<br />

déteste. Les amis d’Al-Thani préparent d’ailleurs un<br />

plan, la solution absolue au drame palestinien. II consisterait<br />

à destituer cet Abdallah à demi anglais pour instaurer<br />

à la place de son royaume hachémite une république,<br />

mais sur le mode islamique. Puis à placer à sa<br />

tête Khaled Mechaal, le leader du Hamas, un « révolutionnaire<br />

» dont la fougue a été domptée par l’émir et<br />

qui somnole désormais à Doha. Ainsi donnerait-on la<br />

Cisjordanie à Israël, les Palestiniens passant de l’autre<br />

côté du Jourdain. Voilà comment, quand ils s’ennuient,<br />

le roi et sa cour jouent au Monopoly avec les pays des<br />

autres. La perspective, pour le Hamas, d’échanger sa<br />

politique contre de l’argent ne fait pas l’unanimité en<br />

son sein. Ahmad Jaabari, chef militaire du parti religieux,<br />

s’oppose à l’« ouverture » suggérée par Doha.<br />

Mais un missile opportun, tiré par Israël, a éliminé à<br />

temps le mauvais coucheur. Ceux qui pensent comme<br />

lui ont compris le message. [...]<br />

◗ Foncièrement réactionnaire<br />

Sur le plan des idées, sa façon d’administrer les<br />

hommes, le souverain n’a rien de l’« autocrate éclairé »<br />

que ses thuriféraires s’échinent à dépeindre. L’émir<br />

Hamad est clairement et foncièrement réactionnaire. La<br />

vie et l’avis des autres, il<br />

s’en moque. Il aime<br />

l’ordre sans la loi, ne partage<br />

aucun pouvoir et<br />

interdit toute critique de<br />

sa personne. Émettre un


Le vrai peuple de l’émir, sa force, est volatil. Il se compte en mètres cubes cachés au fond du North Field,<br />

la troisième réserve de gaz naturel au monde, après celles de la Russie et de l’Iran.<br />

bémol dans la louange de l’Excellence relève du blasphème,<br />

l’offense suprême en pays d’islam.<br />

Depuis sa prise de pouvoir en 1995, Hamad bin al-<br />

Thani n’a qu’un seul ami, l’Amérique. C’est à l’ombre<br />

du grand parapluie des États-Unis que le jeune homme<br />

de 44 ans a pu renverser son père. Bien sûr, ce dernier,<br />

en 1991, n’avait pas été assez fou pour refuser de participer<br />

à la guerre du Golfe. Mais son engagement contre<br />

Saddam Hussein ne fut que symbolique. Trois mois<br />

après les bombardements de l’Irak, Khalifa reconstruisait<br />

des lycées à Bagdad. Pour Washington, cet émir<br />

trop absent, insaisissable, n’est plus un ami totalement<br />

sûr dans une zone où la confiance doit être absolue.<br />

◗ La voix de son maître<br />

Dans une tribune publiée par le Journal du dimanche<br />

du 24 mars 2013, Mohamed Jaham Al-Kuwari, l’ambassadeur<br />

de l’émir à Paris, en adepte de la méthode Coué,<br />

enfonce ce clou du « Qatar bashing ». Avant d’avoir<br />

mal, il crie : « Le conspirationnisme [sic] bat son plein,<br />

assorti d’une xénophobie<br />

à peine voilée. Qu’on le<br />

veuille ou non, le Qatar<br />

bashing a des airs de<br />

“délit de faciès”. » Nous<br />

voilà prévenus, écrire le<br />

DOHA PRÔNE LA LECTURE<br />

LA PLUS LIBERTICIDE DU LIVRE SACRÉ.<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

« vilain petit Qatar », c’est sortir Drumont de sa tombe.<br />

Dans sa philippique, l’ambassadeur du Qatar évoque<br />

aussi la nature de la religion prônée par son pays, « un<br />

islam d’ouverture, un “islam des Lumières”, celui<br />

d’Averroès » Là, l’ambassadeur se moque du monde.<br />

Injurie à la fois la philosophie des Lumières et Averroès,<br />

le prodigieux savant de l’islam andalou. Hélas, la<br />

vérité est têtue, la propagation du Coran sponsorisée par<br />

Doha n’est pas lumineuse mais tristement wahhabite,<br />

prônant la lecture la plus liberticide du Livre sacré. Sur<br />

Al-Jazira, il suffit d’écouter les prêches de l’imam Qaradawi,<br />

l’oracle du Qatar, pour avoir une idée de ce que<br />

Doha entend par « l’islam des Lumières ». Les prescriptions<br />

de ce fou de Dieu sont d’extirper les homosexuels<br />

de la société, de battre les femmes et de souhaiter<br />

qu’après l’Holocauste les musulmans « finissent enfin<br />

l’entreprise d’Hitler ».<br />

L’ambassadeur Al-Kuwari devrait comprendre que si<br />

une critique du Qatar prend corps, c’est qu’il suffit de<br />

placer son pays sous la lumière du microscope pour le<br />

voir tel qu’il est : un État<br />

qui emprisonne un poète,<br />

Mohammed ibn Al-Ajami,<br />

condamné à quinze ans<br />

pour avoir brocardé<br />

l’émir. ■<br />

D. R.<br />

29


30 Afrique<br />

Madagascar À trois mois du premier tour de la présidentielle auquel aucun Malgache ne croit,<br />

la Conférence sur la paix et la réconciliation a réuni toutes les forces vives. Y compris l’exhomme<br />

fort Didier Ratsiraka, resté vingt-cinq ans au pouvoir avant de connaître l’exil. De<br />

retour au pays, il entend bien jouer un rôle clé. Entretien.<br />

« Les élections ne sont pas une fin en soi »<br />

Propos recueillis par Bilal Tarabey<br />

ÀMadagascar, on le surnomme<br />

deba, « le chef », où encore<br />

l’Amiral rouge. Après onze ans<br />

d’exil en France et un premier retour très<br />

médiatique sur la Grande Île il y a deux<br />

ans, l’ancien président Didier Ratsiraka,<br />

est de nouveau à Madagascar ce 18 avril.<br />

À peine arrivé, il a rejoint la Conférence<br />

pour la paix et la réconciliation, un<br />

grand dialogue national en présence de<br />

toutes les forces politiques malgaches<br />

ainsi que de l’armée et de la société<br />

civile, entamé sous la médiation des<br />

Églises de Madagascar. Celui qui est<br />

resté vingt-cinq ans au pouvoir fait partie<br />

des initiateurs de l’événement, dont<br />

les recommandations pourraient bien<br />

aboutir à un report des élections. Pourquoi?<br />

L’ex-homme fort de Madagascar<br />

s’en explique dans un entretien à Afrique<br />

Asie réalisé le jour de son arrivée.<br />

■ En quoi consiste ce « dialogue malgacho-malgache<br />

», comme on appelle<br />

ici la conférence sur la paix et la<br />

réconciliation?<br />

❒ Depuis l’indépendance en 1960, il n’y<br />

a jamais eu de passation de pouvoir en<br />

bonne et due forme entre un président<br />

sortant et un président entrant. Il y a eu<br />

des coups d’État, institutionnels ou pas,<br />

avec ou sans l’aide de l’armée en 1972,<br />

1991, 2002, 2009… Il faut mettre un<br />

terme à ce cycle infernal, et à la crise en<br />

cours qui n’a que trop duré, dont le<br />

peuple est la première victime. Il est<br />

temps qu’une solution pérenne, transparente<br />

et démocratique soit acceptable et<br />

acceptée par tous. Et pour ce faire, la<br />

meilleure méthode, c’est de dialoguer<br />

sans méfiance et sans tabou. On met tout<br />

sur la table et on essaie de trouver ce<br />

qu’il faut pour que Madagascar ne vive<br />

plus ces crises cycliques.<br />

■ Votre première prise de pouvoir<br />

ne s’est pas faite par les urnes, et<br />

vous avez été victime de la crise de<br />

2002 en tant que président sortant<br />

(1) . Pourriez-vous dire : « Moi, président<br />

en exercice, voilà les conclusions<br />

que j’en tire »?<br />

❒ Sauf le respect que je dois à votre opinion,<br />

ne me dites pas qu’à ma première<br />

présidence je n’ai pas été élu. Il y a eu<br />

un coup d’État contre le premier président<br />

et père de l’indépendance, Philibert<br />

Tsiranana, en juin 1972. À cette époque<br />

j’étais attaché militaire à Paris, et on m’a<br />

rappelé pour être ministre des Affaires<br />

étrangères. Plus tard, après six mois de<br />

loi martiale, le plus ancien et le plus<br />

élevé dans le grade militaire a demandé<br />

que quelqu’un se sacrifie pour prendre<br />

les rênes du pouvoir. Il m’a désigné.<br />

Pourtant, un autre que je ne citerai pas<br />

s’était aussi déclaré candidat. Il y a eu<br />

finalement un vote à bulletin secret au<br />

sein du directoire militaire. J’ai eu seize<br />

voix sur dix-huit. Donc déjà, je ne me<br />

suis pas autoproclamé, on a voté pour<br />

moi. J’ai alors écrit un projet de société,<br />

le Boky mena, le Livre rouge, et j’ai<br />

appelé tous les juristes de Madagascar<br />

pour qu’ils élaborent une Constitution<br />

qui aille de pair avec ce projet. J’ai soumis<br />

ce livre et cette Constitution au<br />

peuple par référendum et j’ai dit: « Si<br />

vous acceptez, je veux bien être votre<br />

serviteur. Si vous refusez, je rentre à la<br />

caserne. » Et j’ai été élu.<br />

Je suis donc désolé de vous contredire,<br />

mais j’ai été élu en 1975 pour mon<br />

premier mandat, j’ai été réélu en 1982 et<br />

en 1989, avant d’être destitué en 1991.<br />

J’ai à nouveau été réélu en 1997 et<br />

encore une fois destitué en 2002 par<br />

monsieur Marc Ravalomanana.<br />

« JE N’AI NI BOMBES THERMONUCLÉAIRES<br />

NI KALACHNIKOVS POUR IMPOSER MES SOLUTIONS. »<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

■ Quelles solutions allez-vous suggérer<br />

lors de la Conférence pour la paix<br />

et la réconciliation à Madagascar ?<br />

❒ Excusez-moi, mais nous ne sommes<br />

qu’au premier jour de la conférence, je<br />

ne peux pas encore me prononcer. J’ai<br />

des solutions, bien sûr, mais je n’ai ni<br />

bombes thermonucléaires ni bombes à<br />

sous-munitions, ni même de kalachnikovs<br />

ou de pistolets pour les imposer.<br />

Si mes compatriotes acceptent mes<br />

solutions, inch’allah comme on dit.<br />

S’ils les récusent, je mettrai ça dans<br />

mes mémoires, et ça restera comme<br />

une page de l’Histoire. Comme une<br />

partie de l’histoire de ma chienne de<br />

vie politique. Ces solutions prennent<br />

en compte le règlement de 1972, 1992,<br />

2002, 2009. Tout doit être discuté<br />

pour en finir avec ces spasmes épisodiques,<br />

qui minent l’économie malgache.<br />

■ Croyez-vous à la tenue du premier<br />

tour de l’élection présidentielle le<br />

24 juillet?<br />

❒ Que j’y croie ou pas, l’essentiel<br />

n’est pas là. Quelle que soit la date de<br />

son élection, le futur président de la<br />

République a intérêt à trouver devant<br />

lui un peuple malgache réconcilié avec<br />

lui-même, avec l’Histoire ; des forces<br />

armées qui ont retrouvé leur cohésion ;<br />

un pays apaisé qui pourrait démarrer<br />

son redressement économique urgent.<br />

La question n’est pas de « croire ou ne<br />

pas croire » à la tenue de ces élections,<br />

et Paul le poulpe (2) est mort.<br />

■ L’une des solutions que vous proposerez<br />

pourrait-elle inclure un<br />

report des élections législatives et<br />

présidentielle ?


❒ Tout doit être discuté, absolument<br />

tout. Y compris le report des élections.<br />

À partir du moment où l’on trouve la<br />

solution, la date des élections n’a plus<br />

d’importance.<br />

■ Si la présidentielle a lieu en juillet,<br />

vous porterez-vous candidat?<br />

❒ Encore une fois, ce débat n’a pas lieu<br />

d’être. Quand je dis aux Malgaches, « le<br />

problème de ce pays c’est moi », ça<br />

semble nombriliste, c’est pourtant la réalité.<br />

Je suis le seul à avoir été destitué<br />

deux fois, et à être revenu deux fois au<br />

pouvoir. Je suis le seul homme d’État<br />

malgache dont on a annoncé le décès<br />

alors que je suis bien vivant. Mais je ne<br />

veux pas que l’on fasse une fixation sur<br />

ma petite personne. Je ne compte pas !<br />

Comme disait le général de Gaulle, « il<br />

faut trancher le nœud gordien ». Il faut<br />

aller au fond des choses. Une fois que<br />

cela sera fait, les élections pourront être<br />

normales, démocratiques, transparentes.<br />

Un homme toujours influent<br />

Mais attention, les élections ne sont pas<br />

une fin en soi. C’est une condition<br />

nécessaire, mais pas suffisante. Par<br />

exemple, au Mali, toute la communauté<br />

internationale s’est accordée à dire<br />

qu’Amadou Toumani Touré avait été élu<br />

démocratiquement. Regardez aujourd’hui<br />

ce que ça donne ! C’est la France<br />

qui est obligée de venir sauvegarder<br />

l’unité et l’intégralité territoriales du<br />

Mali, et bientôt l’Onu.<br />

Regardez la Tunisie, la Libye,<br />

l’Égypte, où il y a eu récemment des<br />

élections libres, et où les gens se tirent<br />

dessus. Et la Côte d’Ivoire ? Trois mille<br />

morts depuis la dernière élection, et ça<br />

n’est pas fini. Vous pouvez toujours me<br />

dire, « ces pays sont des républiques<br />

bananières ». Alors allons plus à l’est.<br />

Au Liban où il y a toujours eu des élections<br />

libres et démocratiques. Est-ce que<br />

ça a empêché l’assassinat de Rafik<br />

Hariri? De Bachir Gemayel? Le Hez-<br />

Alors qu’on le disait très malade, Didier Ratsiraka avait fait un retour<br />

remarqué à Madagascar le 24 novembre 2011, exprimant même sa joie<br />

en simulant des pompes sur le sol natal. Pas mal pour un mourant. Il est<br />

reparti en France et rentre aujourd’hui dans un contexte de sortie de crise difficile.<br />

Président entre 1975 et 1991 puis entre 1997 et 2002, il est lui-même arrivé<br />

au pouvoir dans le sillage d’un directoire militaire et a dirigé le pays en instituant<br />

un système de partis politiques « autorisés ». Il a été destitué deux fois. Considéré<br />

par les uns comme un grand intellectuel nationaliste non aligné et par les<br />

autres comme la cause du déclin de Madagascar, il reste une figure politique très<br />

influente dans le pays. Didier Ratsiraka a refusé de signer la Feuille de route de<br />

sortie de crise parrainée par la communauté internationale en novembre 2011,<br />

qui organise la tenue d’élections présidentielle et législatives en juillet prochain.<br />

Sa présence à la Conférence pour la paix et la réconciliation l’a placé aux côtés<br />

du président de la Transition Andry Rajoelina et de l’ancien président Albert<br />

Zafy. Du jamais vu à Madagascar depuis le début de la crise, en 2009. ■<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

Bilal Tarabey<br />

bollah de déstabiliser la région ? Et<br />

Israël? Est-ce que les élections ont<br />

empêché l’assassinat d’Itzak Rabin et le<br />

règlement du conflit palestinien ? Continuons<br />

en Europe : en Belgique, il a fallu<br />

plus de 550 jours après les élections<br />

législatives pour constituer un gouvernement.<br />

Pourquoi? Parce qu’il y a un problème<br />

fondamental dans ce pays qui n’a<br />

pas été réglé, tout comme dans les autres<br />

pays que j’ai cités.<br />

Si les élections étaient une panacée, ça<br />

se saurait. Il faut d’abord régler les problèmes<br />

sur le fond. À Madagascar on a<br />

une occasion historique de le faire<br />

aujourd’hui. Il y a d’anciens chefs d’État<br />

encore vivants, des témoins de l’Histoire,<br />

profitons-en. Aucun patriote malgache,<br />

aucun responsable international<br />

digne de ce nom ne peut récuser une<br />

conférence au sommet de réconciliation<br />

nationale.<br />

■ En parlant d’ex-chefs d’État malgaches,<br />

il en manque un à cette<br />

conférence : Marc Ravalomanana,<br />

dont la Transition refuse jusqu’à<br />

présent le retour. Que pensez de<br />

cette absence ?<br />

❒ Je ne dirai pas « absence » car,<br />

aujourd’hui, ce ne sont que les préliminaires<br />

de la conférence de réconciliation<br />

nationale. Lors de la conférence<br />

au sommet définitive – et je ne<br />

joue pas les oracles – il se peut que<br />

monsieur Marc Ravalomanana soit là.<br />

Ça dépend des Malgaches.<br />

■ Même si Marc Ravalomanana<br />

vous a destitué en 2002 ?<br />

❒ Si vous voulez faire un raccourci,<br />

non, je ne suis pas contre. Je suis un<br />

homme de paix et de réconciliation<br />

nationale.<br />

■ Après ces années d’exil, qu’est-ce<br />

que ça vous fait de rentrer à Madagascar?<br />

❒ Un bonheur indicible. Mais encore<br />

une fois, ce qui compte, c’est l’avenir<br />

du pays. On a l’impression que Madagascar<br />

est maudit, alors arrêtons les<br />

frais ! Faisons en sorte qu’il redevienne<br />

ou devienne un pays réellement<br />

démocratique, qui assure son développement,<br />

d’où seront bannies les injustices<br />

et l’oppression. ■<br />

◗ (1) Marc Ravalomanana s’était proclamé<br />

vainqueur au premier tour de la présidentielle.<br />

(2) La pieuvre vivant dans un aquarium en<br />

Allemagne, célèbre pour avoir prévu la victoire<br />

de l’équipe d’Allemagne de football<br />

au championnat d’Europe 2008 et à la Coupe<br />

du monde 2010.<br />

31


32 Afrique<br />

Tchad En étant le partenaire militaire le plus précieux des Français au Mali, le président, qui a<br />

affronté de multiples rébellions en vingt ans de pouvoir et en a attisé d’autres chez ses voisins,<br />

relooke son image.<br />

Par Valérie Thorin<br />

Ce n’est pas parce que Timan<br />

Erdimi a déclaré qu’il reprenait<br />

les armes contre le président<br />

Idriss Déby Itno que celui-ci va se trouver<br />

déstabilisé. En exil à Doha (Qatar),<br />

le leader de l’Union des forces de résistance<br />

(UFR) qui est, avec son ancien<br />

allié Mahamat Nouri, l’une des principales<br />

figures de l’opposition politicomilitaire<br />

tchadienne, semble en être<br />

réduit aux effets d’annonce. Même s’il<br />

affirme que de nombreux groupes sont<br />

en train de rejoindre son mouvement,<br />

qu’il a caché des armes et qu’elles sont<br />

prêtes à servir, il se heurte désormais à<br />

plus fort que lui. Car Idriss Déby est<br />

devenu non seulement un habile stratège<br />

sur le plan militaire, mais ses troupes ont<br />

atteint un excellent niveau. Sans compter<br />

que, sur le plan politique, il a le vent<br />

en poupe.<br />

◗ Soldats d’élite<br />

En envoyant ses soldats d’élite combattre<br />

les djihadistes au Mali, il s’est<br />

donné une stature d’homme fort dans la<br />

sous-région. Il a en effet mis à la disposition<br />

des Français et de leur opération<br />

Serval une force de 2 400 hommes, soit<br />

le contingent africain le plus important.<br />

Ceux-ci agissent en dehors de la Mission<br />

internationale de soutien au Mali<br />

(Misma, sous conduite africaine), car le<br />

Tchad n’est pas un pays de la Communauté<br />

économique des États d’Afrique<br />

de l’Ouest (Cedeao), ce qui leur donne<br />

une grande latitude pour décider de<br />

leurs interventions. Sous le commandement<br />

du propre fils du président, Mahamat<br />

Idriss Déby Itno, ils ont été notamment<br />

envoyés comme précurseurs dans<br />

l’Adrar des Ifoghas. À Tigharghâr, au<br />

cœur de ce désert rocheux où coule<br />

miraculeusement de l’eau, qui avait été<br />

choisi comme place forte par Al-Qaïda<br />

au Maghreb islamique (Aqmi), ils ont<br />

emporté une éclatante victoire, en dépit<br />

Un nouvel Idriss Déby ?<br />

de sérieuses pertes humaines. Ils ont<br />

saisi des armes, des munitions et des<br />

vivres en grand nombre. Ils revendiquent<br />

également la mort d’Abou Zeid,<br />

l’un des principaux chefs d’Aqmi, ainsi<br />

que celle de Mokhtar Belmokhtar,<br />

bien que cette dernière n’ait pas été<br />

confirmée.<br />

Désormais, leur base est installée à<br />

Kidal, principale ville de la région des<br />

Ifoghas. Mais la situation sécuritaire<br />

reste préoccupante. Quatre soldats ont<br />

encore été tués dans un attentat suicide,<br />

le 12 avril, sur un marché de la ville où<br />

ils étaient venus acheter des provisions,<br />

portant le total des victimes tchadiennes<br />

de la guerre au Mali à trente. Un lourd<br />

bilan, mais qui consacre l’excellence des<br />

forces tchadiennes en région désertique.<br />

À bon entendeur salut, pourrait dire le<br />

président Idriss Déby à ses opposants<br />

armés, qu’ils soient retranchés dans le<br />

Tibesti, haut lieu de la rébellion, ou à<br />

l’est du pays, à la frontière soudanaise<br />

qui court à travers les ergs et les rocs<br />

d’Abéché jusqu’en Libye, au nord.<br />

Autant de régions physiquement semblables<br />

aux Ifoghas, où les soldats tchadiens<br />

– dont bon nombre ont été formés<br />

par les Américains à ce type de terrains<br />

– ont excellé.<br />

Ils devraient, pour la plupart, rentrer<br />

au pays. L’Assemblée nationale a voté,<br />

le 15 avril, l’adoption d’un programme<br />

de retour. Le premier ministre Joseph<br />

Djimrangar Dadnadji avait en effet<br />

déclaré que « l’objectif des troupes tchadiennes<br />

stationnées au Mali » était<br />

atteint. Reste la question touarègue, mais<br />

à ce propos, Dadnadji est resté ferme :<br />

« Nous n’avons pas fait un marché avec<br />

le MNLA [Mouvement national de libération<br />

de l’Azawad, ndlr] pour l’aider à<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

avoir un État, a-t-il déclaré devant les<br />

Parlementaires, et le Tchad n’accepte<br />

pas qu’un groupe se lève un matin et<br />

demande un État. Ce sont des choses qui<br />

peuvent nous mettre en conflit avec le<br />

MNLA. » On ne saurait être plus clair:<br />

s’agissant de la situation intérieure du<br />

pays, les sécessionnistes de tout poil<br />

n’ont qu’à bien se tenir.<br />

◗ Politique extérieure trouble<br />

Sur le plan de sa politique extérieure,<br />

le Tchad n’a pas toujours été clair. Avec<br />

son grand voisin de l’est, le Soudan, il a<br />

fallu des années pour que la relation se<br />

pacifie. Le Tchad soutenait les rebelles<br />

soudanais et, en représailles, le Soudan<br />

apportait de l’aide aux rebelles tchadiens.<br />

De nombreux accords comme<br />

celui de Tripoli, en 2006, qui prévoyait<br />

« l'interdiction d'utiliser le territoire de<br />

l'un pour des activités hostiles contre<br />

l'autre », sont restés lettre morte, et il a<br />

fallu attendre 2010 pour que le rapprochement<br />

entre Idriss Déby et Omar al-<br />

Bachir soit effectif. Le premier avait en<br />

effet une (ré)élection présidentielle en<br />

vue, et le second fort à faire avec la<br />

sécession du Sud du Soudan.<br />

Même chose avec la Centrafrique : le<br />

Tchad a fortement épaulé François<br />

Bozizé pour le coup d’État qui a renversé<br />

feu le président Ange-Félix<br />

Patassé en 2004. Déby en voulait depuis<br />

longtemps à ce dernier non seulement<br />

pour avoir hébergé feu Moïse Kette, un<br />

fameux rebelle, mais aussi parce qu’il<br />

s’était débrouillé pour écarter durablement<br />

un projet de drainage des eaux du<br />

fleuve Oubangui vers le lac Tchad,<br />

lequel donne de dangereux signes d’assèchement.<br />

L’accord de formation militaire<br />

tchado-centrafricain n’a pas per-<br />

SUR LE PLAN INTÉRIEUR, DÉBY S’ASSURE<br />

DE SA PROPRE SÉCURITÉ EN DÉMONTRANT SA FORCE.


mis de rétablir la confiance. Grâce,<br />

entre autres, à N’Djamena, François<br />

Bozizé prend donc le pouvoir à Bangui<br />

en 2004. Les forces de sécurité centrafricaines<br />

ont dès lors été placées sous la<br />

gouverne d’éléments tchadiens. Mais<br />

d’incurie en petites trahisons, de laisser-aller<br />

en insouciance, les relations<br />

entre les deux hommes se sont détériorées.<br />

La spirale est lancée : les rébellions<br />

centrafricaines sont alimentées,<br />

peu ou prou, par le Tchad. Jusqu’à celle<br />

de 2012 : il est de notoriété publique<br />

que nombre de chefs de la Séléka, la<br />

coalition rebelle qui s’est saisie du pouvoir<br />

à Bangui en janvier dernier, avaient<br />

quartier libre à N’Djamena.<br />

L’attitude conciliatrice d’Idriss Déby<br />

face à la crise centrafricaine n’est certainement<br />

pas sans rapport et avec son<br />

engagement au Mali – il est difficile<br />

d’être présent sur tous les fronts – et<br />

avec la réhabilitation à la fois sousrégionale<br />

et sur le plan intérieur qu’il<br />

Idriss Déby Itno est désormais « l’homme fort » de la sous-région, grâce aux succès de<br />

l’armée tchadienne au Mali. Ici, en treillis militaire, en visite au Niger en janvier 2013.<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

D. R.<br />

appelle de ses vœux. Hôte du sommet de<br />

la Communauté économique des États<br />

d’Afrique centrale (CEEAC) sur la Centrafrique<br />

le 3 avril 2013, il a fait preuve<br />

de beaucoup de réflexion et de modération.<br />

En compagnie de ses homologues<br />

Denis Sassou Nguesso, Joseph Kabila,<br />

Ali Bongo, Teodoro Obiang Nguema,<br />

Thomas Boni Yayi et Jacob Zuma, il a<br />

été convenu d’un certain nombre de<br />

mesures conservatoires, entérinées par le<br />

sommet suivant, le 18 avril.<br />

◗ Bénéfices internes et externes<br />

Quel bénéfice peut retirer Idriss<br />

Déby de sa nouvelle posture ? Sur le<br />

plan intérieur, il s’assure de sa propre<br />

sécurité en démontrant sa force. C’est<br />

une pierre dans le jardin de ses opposants.<br />

Il rassure, dans le même temps,<br />

sa population. La croissance du pays,<br />

de l’ordre de 7 % en 2012 grâce notamment<br />

au pétrole, a permis la construction<br />

de nombre d’infrastructures et<br />

tend à l’amélioration du niveau de vie<br />

des Tchadiens. Mais beaucoup reste à<br />

faire et, après vingt-deux ans d’un<br />

pouvoir sans partage, il est opportun<br />

de se poser en « père de la nation »<br />

vigilant et attentif, remerciant à titre<br />

posthume les héros de la guerre.<br />

Sur le plan sous-régional, Déby<br />

s’implique dans les institutions, ce qui<br />

lui donne une meilleure visibilité. La<br />

disparition du Guide libyen Mouammar<br />

Kadhafi avait laissé en l’état l’organe<br />

qu’il avait créé, la Communauté<br />

des États sahélo-sahariens (Cen-Sad).<br />

Lors d’une réunion à N’Djamena en<br />

février 2013, Idriss Déby a permis la<br />

renaissance de cet organisme autour<br />

d’un nouveau texte fondateur, qui<br />

donne à cet ensemble une orientation<br />

davantage tournée vers le développement.<br />

Enfin, il marque un bon point<br />

vis-à-vis des Nations unies en proposant<br />

ses soldats dans le cadre d’une<br />

éventuelle mission de stabilisation au<br />

Mali. S’insérant ainsi dans un cercle<br />

vertueux, Idriss Déby pense pouvoir<br />

mieux échapper aux critiques qui ne<br />

manqueront pas de persister vis-à-vis<br />

de sa politique autocratique. En effet,<br />

s’il n’a pas d’opposition intérieure, ce<br />

n’est pas parce qu’il n’existe aucune<br />

élite politique, mais parce qu’aucune<br />

personnalité de poids n’a jamais pu<br />

faire librement entendre sa voix. Et<br />

malheureusement, il y a peu de chance<br />

que les choses changent. Car l’homme<br />

fort de N’Djamena n’en finit plus de<br />

jouer de ses muscles. ■<br />

33


34 Afrique<br />

Centrafrique La chute de François Bozizé a surtout touché la République démocratique du<br />

Congo et l’Afrique du Sud, première puissance du continent. Un sérieux revers diplomatique<br />

pour Jacob Zuma.<br />

De Kinshasa à Pretoria, l’onde de choc<br />

Par François Misser<br />

En République démocratique du<br />

Congo (RDC) voisine, la conséquence<br />

immédiate de la chute de<br />

Bozizé a été l’afflux de 35 000 nouveaux<br />

réfugiés, venus s’ajouter aux quelque<br />

13 000 recensés à la fin 2012, selon le<br />

Haut Commissariat aux réfugiés (HCR).<br />

Cet exode vers les deux provinces de<br />

l’Équateur et de la Province-Orientale<br />

préoccupe les humanitaires, qui craignent<br />

de voir s’aggraver la précarité de<br />

la population locale, notamment avec<br />

une crise alimentaire. Mais l’équation<br />

comporte aussi un élément politique :<br />

car, parmi ces réfugiés, figurent plusieurs<br />

membres de la famille de François<br />

Bozizé, dont l’épouse du président<br />

déchu, Monique, et cinq enfants, selon le<br />

porte-parole militaire de la Mission des<br />

Nations unies pour la stabilisation du<br />

Congo (Monusco), le lieutenant-colonel<br />

Félix Prosper Basse. Y compris l’exministre<br />

de la Défense, Jean-Francis. De<br />

quoi exacerber la mauvaise humeur de la<br />

population locale qui a lancé contre eux<br />

des cailloux. Elle ne pardonne pas à<br />

Bozizé d’avoir facilité la comparution<br />

du leader régional, l’ancien vice-président<br />

congolais et chef du Mouvement de<br />

libération du Congo (MLC), Jean-Pierre<br />

Bemba, devant la Cour pénale internationale<br />

de La Haye en raison des crimes<br />

commis par ses troupes en Centrafrique<br />

en 2003. Un problème de plus à gérer<br />

pour Kabila.<br />

◗ Trafic intense d’avions<br />

Kinshasa a dû aussi s’occuper des<br />

conséquences de l’arrivée du contingent<br />

sud-africain qui protégeait le président<br />

Bozizé, contraint de franchir le fleuve<br />

après avoir été défait le 25 mars.<br />

Entre cette date et début avril, la ville<br />

et l’aéroport de Gemena, dans la province<br />

de l’Équateur, sont devenus la<br />

plaque tournante de l’évacuation des<br />

soldats sud-africains vers l’Ouganda,<br />

avec un trafic intense d’avions et d’hélicoptères,<br />

rapportent des témoins visuels.<br />

La situation a conduit le 1 er avril le<br />

député du MLC (opposition) pour la circonscription<br />

de Gemena, Richard Lenga,<br />

à interpeller le ministre de l’Intérieur<br />

Richard Muyej Mangez sur les risques<br />

d’insécurité que cette présence militaire<br />

étrangère et l’arrivée massive de réfu-<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

Armée et business<br />

giés de Centrafrique peuvent engendrer.<br />

Ni l’une ni l’autre n’ont été annoncées à<br />

la population par les autorités congolaises,<br />

manifestement débordées. Mais<br />

c’est surtout l’arrivée de 200 soldats<br />

centrafricains à Zongo, le 25 mars, qui a<br />

semé la pagaille. Ils se sont livrés à des<br />

tortures, des exactions diverses et des<br />

pillages, rapporte Radio Okapi, financée<br />

Ce sont avant tout des connexions affairistes qui expliqueraient l’engagement<br />

sud-africain en Centrafrique. À Bangui comme à Johannesburg, les<br />

témoignages fusent sur la véritable nature du soutien sud-africain à<br />

Bozizé. Des sources proches du président déchu évoquent des accords facilitant<br />

l’accès d’entreprises sud-africaines à des richesses minières. La Standard Bank of<br />

South Africa, par exemple, s’est engagée en 2011 à prêter 100 millions de dollars<br />

à la firme canadienne Axmin. Celle-ci possède plusieurs permis aurifères dans le<br />

pays et son PDG, George Roach, a été associé à UraMin, une société de prospection<br />

uranifère qui a obtenu en 2006 en concession la mine de Bakouma pour 27<br />

millions de dollars. Mais UraMin n’est plus un enjeu puisqu’elle a été rachetée en<br />

2007 par Areva. Un autre acteur important du paysage minier centrafricain est la<br />

société Gem Diamonds, cotée à la Bourse de Londres, dont le PDG n’est autre<br />

que Clifford Elphick, un ancien d’Anglo American et de De Beers.<br />

Ce n’est pas tout. Le quotidien de Johannesburg Mail and Guardian (M & G)<br />

met en exergue les liens d’affaires tissés par l’ancien conseiller de Bozizé, Didier<br />

Pereira, originaire du Congo-Brazzaville, proche de Paul Langa, un des responsables<br />

de la sécurité et de la collecte de fonds au sein de l’ANC qui serait impliqué<br />

dans plusieurs projets diamantifères en Centrafrique. Selon ce journal,<br />

Pereira a signé en 2006 un protocole d’accord avec le ministère des Mines centrafricain,<br />

instaurant une joint venture dénommée Inala, dont le capital est détenu<br />

à 35 % par l’État centrafricain et le reste par une société sud-africaine dénommée<br />

Serengeti Group Holdings. Or, son principal actionnaire n’est autre que l’un des<br />

caciques de l’ANC (au pouvoir en Afrique du Sud), Joshua Nxumalo. Objectif :<br />

la commercialisation des diamants artisanaux de Centrafrique.<br />

Apparemment, le partenariat a eu d’autres ramifications. La filiale de Seregenti,<br />

Mechanonology, a en effet passé un accord avec Bangui pour la remise en<br />

état de blindés déclassés, offerts à la Centrafrique par l’armée sud-africaine.<br />

Enfin, la société d’exploration Dig Oil, qui a aussi bénéficié de l’appui de Thabo<br />

Mbeki, détient une concession pétrolière au sud-ouest de la Centrafrique. Tout<br />

cela a amené l’ancien premier ministre et dirigeant du Mouvement de libération<br />

du peuple centrafricain (MLPC), Martin Ziguélé, à déclarer à Radio France<br />

Internationale, le 26 mars, que Jacob Zuma avait été attiré dans « ce guêpier »,<br />

principalement par des hommes d’affaires sud-africains du secteur minier. ■


par l’Onu. Et moins de la moitié a pu<br />

être désarmée par les Forces armées de<br />

la République démocratique du Congo.<br />

L’autre victime collatérale de la chute<br />

de Bozizé et de la victoire des rebelles<br />

de la coalition Séléka est bien sûr<br />

l’Afrique du Sud, dont l’armée a essuyé<br />

sa première défaite importante de la<br />

période post-apartheid. Les accrochages<br />

avec les rebelles ont fait officiellement<br />

treize morts et vingt-sept blessés sudafricains,<br />

amenant le président Jacob<br />

Le 5 janvier, les Centrafricains manifestaient en faveur de la paix. Le 25 mars,<br />

le président Bozizé fuyaient devant l’arrivée des rebelles de la Séléka à Bangui.<br />

Zuma à parler d’un « triste jour » pour<br />

l’Afrique du Sud. Nul n’est dupe. Le<br />

président sud-africain a annoncé le<br />

retrait de ses troupes de Centrafrique<br />

lors du sommet régional de N’Djamena<br />

du 3 avril sur la Centrafrique, auquel il<br />

s’est invité. Mais cela faisait plusieurs<br />

jours que les soldats de l’armée sudafricaine<br />

(SANDF, South African National<br />

Defence Force) avaient commencé à<br />

quitter Bangui.<br />

La défaite est aussi politique. Elle<br />

consacre une perte d’influence de Pretoria<br />

dans le pays. Comme l’a rappelé<br />

Jacob Zuma, ses troupes étaient en Centrafrique<br />

dans le cadre d’un accord bilatéral<br />

remontant à 2007, initialement<br />

pour former l’armée centrafricaine.<br />

Mais après la première offensive de la<br />

Séléka en décembre, quelque 320<br />

hommes de la SANDF avaient été<br />

envoyés en renfort. En pure perte en<br />

définitive. En raison du refus des soldats<br />

de Bozizé de combattre les rebelles,<br />

ainsi que des militaires français et des<br />

autres pays d’Afrique centrale en mission<br />

de maintien de la paix, la SANDF<br />

s’est retrouvée pratiquement seule face<br />

aux rebelles.<br />

◗ Erreur fatale<br />

Pretoria avait à divers degrés un intérêt<br />

bien compris au maintien au pouvoir<br />

de Bozizé (voir encadré), mais, dans<br />

cette affaire, Jacob Zuma semble avoir<br />

négligé la donne régionale et franco-<br />

phone. Erreur fatale. Les quelque 500<br />

militaires français de l’opération Boali<br />

se sont contentés d’appliquer à la lettre<br />

leur mission, qui était de protéger l’ambassade<br />

et les 1 200 ressortissants français,<br />

conformément à l’intention exprimée<br />

urbi et orbi en décembre 2012 par<br />

le président François Hollande. Paris<br />

n’allait pas défendre le régime en place.<br />

Par ailleurs, la France précise que<br />

l’Afrique du Sud n’a pas cherché son<br />

aide.<br />

Une même passivité, confinant à la<br />

complicité, émane des principaux<br />

acteurs régionaux africains. Alors que<br />

l’armée tchadienne a démontré au Mali,<br />

dans des conditions très âpres, ses qualités<br />

militaires, la Force multinationale<br />

DEUX CENTS SOLDATS CENTRAFRICAINS SE SONT LIVRÉS À DES TORTURES,<br />

DES EXACTIONS DIVERSES ET DES PILLAGES… AU CONGO!<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

AFP<br />

d’Afrique centrale (Fomac) forte de 760<br />

hommes, essentiellement composée de<br />

Tchadiens, a elle aussi brillé par son<br />

absence en s’abstenant de faire obstacle<br />

à la progression de la Séléka. Tout se<br />

passe comme si les parrains régionaux,<br />

Idriss Déby (Tchad) en tête, mais aussi<br />

Paul Biya (Cameroun), Ali Bongo<br />

(Gabon) et Denis Sassou Nguesso<br />

(République du Congo), avaient saisi<br />

l’occasion pour sanctionner Bozizé, qui<br />

s’était engagé au départ des troupes<br />

sud-africaines lors des négociations de<br />

paix, voyant d’un mauvais œil ce nouvel<br />

acteur dans leur pré carré.<br />

Idriss Déby était déçu par Bozizé, à<br />

qui il reprochait de manquer à sa parole.<br />

Plusieurs accords commerciaux et militaires<br />

bilatéraux, dont la création d’une<br />

force militaire mixte pour contrôler la<br />

frontière entre les deux pays, n’ont<br />

jamais vu le jour. Bozizé aurait eu également<br />

le tort de manquer d’enthousiasme<br />

pour le projet de transfert par<br />

aqueduc des eaux de l’Oubangui pour<br />

renflouer le lac Tchad. Et certains affirment<br />

qu’il y a plus que des connivences<br />

entre Idriss Déby et Nourradine Adam,<br />

leader de la Convention des patriotes<br />

pour la justice et la paix (CPJP), l’une<br />

des composantes de la Séléka. Mais<br />

l’analyste sud-africain Helmoed Heitman<br />

va plus loin. Dans un article publié<br />

par le Sunday Independent, il affirme<br />

que les rebelles centrafricains ont reçu<br />

un appui tchadien. Lors des combats à<br />

Bangui, écrit-il, on trouvait « des forces<br />

bien différentes des va-nu-pieds décrits<br />

initialement : la plupart portaient un<br />

uniforme standard avec sangle et gilets<br />

pare-balles, des AK47 tout neufs et des<br />

armes lourdes allant jusqu’au canon<br />

23 mm ».<br />

En définitive, l’Afrique du Sud pourrait<br />

avoir perdu la Centrafrique. Un responsable<br />

de la Séléka, a déclaré : « Les<br />

accords de Bozizé avec l’Afrique du Sud<br />

n’étaient pas dans l’intérêt du pays,<br />

mais du maintien au pouvoir de Bozizé.<br />

Ils ont perdu militairement. Ils doivent<br />

s’en aller et oublier. » Cependant,<br />

d’autres membres du nouveau gouvernement,<br />

plus pragmatiques, minimisent<br />

ce précédent, considérant que Pretoria<br />

peut continuer à être un partenaire économique<br />

appréciable. ■<br />

35


36 Afrique<br />

Afrique du Sud La mort des treize soldats sud-africains tués en République centrafricaine lors<br />

d’un affrontement avec les troupes rebelles Seleka a fait scandale et continue de soulever des<br />

questions.<br />

Par Christine Abdelkrim-Delanne<br />

Annoncée par Jacob Zuma au<br />

cours de la conférence de presse<br />

d’ouverture du sommet des Brics<br />

(Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du<br />

Sud) le 26 mars, la mort de treize soldats<br />

en République centrafricaine (RCA) a<br />

créé un nouveau traumatisme au sein de<br />

la population. Ce drame est considéré<br />

comme un « fiasco » dans le pays et a<br />

attiré au président sud-africain de nouvelles<br />

critiques et accusations dont il<br />

n’avait pas besoin.<br />

◗ Les critiques de l’armée<br />

Quelques jours plus tôt, le 22 mars, il<br />

avait reçu « en urgence » François Bozizé,<br />

président centrafricain aux abois. Il réaffirmait<br />

la présence des 400 soldats sudafricains<br />

en Centrafrique déployés en janvier<br />

et confirmait leur mission d’« aider »<br />

à instaurer la paix et de former l’armée de<br />

ce pays. Cela en vertu d’un accord de<br />

coopération (de « protection », disent certains<br />

à Pretoria) de 2007, reconduit fin<br />

2012, alors que les rebelles de la Séléka,<br />

considérés par Zuma comme des « bandits<br />

», étaient aux portes de Bangui.<br />

Tous les témoignages, aujourd’hui,<br />

confirment que les forces armées sudafricaines<br />

(SANDF) envoyées à l’insu du<br />

Parlement combattaient aux côtés de<br />

celles de la RCA. Cette intervention hors<br />

de la zone de la Communauté de développement<br />

d’Afrique australe (SADC)<br />

n’avait pas reçu l’accord du Conseil de<br />

paix et sécurité de l’Union africaine. De<br />

même que l’Afrique du Sud a totalement<br />

ignoré le processus de paix mis en place<br />

par la Communauté économique des<br />

États de l’Afrique centrale (CEEAC) qui<br />

exigeait, entre autres, le retrait de toutes<br />

les forces étrangères de Centrafrique.<br />

C’est du Syndicat national des forces<br />

armées sud-africaines (SADFU) que sont<br />

venues les premières critiques. « Le président<br />

aurait dû retirer nos troupes au<br />

moment même où Bozizé a déshonoré ses<br />

L’aventure ratée de Zuma<br />

obligations et cet accord [celui de la<br />

CEEAC] aurait dû être le signal du<br />

retrait de nos soldats de ce pays », a<br />

déclaré Pikkie Greeff, son secrétaire<br />

général. En outre, selon un rescapé de<br />

l’attaque des Séléka, menée par 3 000<br />

hommes contre 200, les unités sud-africaines<br />

sur place demandaient depuis un<br />

mois des munitions dont ils étaient à<br />

court, sachant que la confrontation avec<br />

les rebelles était inévitable et imminente.<br />

« On nous a répondu que les rebelles ne<br />

viendraient pas, que ce n’était que de la<br />

politique. C’est pour ça que nos soldats<br />

sont morts ! » c’est grâce à l’intervention<br />

des parachutistes français que les blessés<br />

ont pu être évacués, explique ce témoin<br />

dont les propos ont été ensuite confirmés<br />

par d’autres soldats rescapés. Néanmoins,<br />

selon plusieurs sources, le nombre des<br />

victimes serait beaucoup plus élevé.<br />

À la suite du rapport des SANDF et de<br />

ses zones d’ombre, l’opposition, notamment<br />

l’Alliance démocratique (DA), a<br />

demandé une enquête parlementaire.<br />

« Les soldats semblent avoir été laissés<br />

sans soutien militaire. Nous devons<br />

savoir pourquoi les SANDF ont été<br />

déployées en RCA, comment sont morts<br />

les treize soldats. Finalement, la décision<br />

du président Jacob Zuma de déployer les<br />

SANDF en RCA – en réalité pour soutenir<br />

François Bozizé – a été un désastre<br />

complet », écrit David Maynier, le porteparole<br />

de DA, dans une lettre à son<br />

homologue de l’Assemblée nationale<br />

Max Sisulu, auquel il demande de mettre<br />

en place une commission multipartite ad<br />

hoc d’enquête.<br />

La question centrale reste donc : pourquoi<br />

les soldats sud-africains se battaient-ils<br />

pour une cause aussi trouble? Il<br />

faut revenir 7 ans an arrière pour comprendre<br />

l’engagement de l’Afrique du<br />

Sud dans ce pays d’Afrique centrale. En<br />

janvier 2006, alors que François Bozizé<br />

était déjà confronté aux attaques de<br />

rebelles fidèles au président Ange-Félix<br />

Patassé et cherchait le soutien sud-afri-<br />

Mai 2012 ● Afrique Asie<br />

D. R.<br />

L’embarras du président sud-africain<br />

après la déconvenue de l’armée.<br />

cain, des représentants des SANDF se<br />

rendaient en Centrafrique pour une<br />

« mission d’enquête ». Bozizé faisait le<br />

voyage à Pretoria en avril. Il rencontrait<br />

« un large éventail d’hommes d’affaires<br />

et d’organisations qui ont des intérêts en<br />

RCA, particulièrement dans les mines et<br />

l’exploration minière », selon un communiqué<br />

des Affaires étrangères. Plusieurs<br />

contrats allaient âtre signés, même<br />

si aucun d'entre eux n'était encore dans la<br />

phase d'entre en production. En tout cas,<br />

le télégramme diplomatique américain<br />

de décembre 2006, en reconnaissait l'enjeu<br />

: l’intervention sud-africaine, lit-on,<br />

visait à « stabiliser » la RCA, mais « les<br />

intérêts miniers ont, sans aucun doute,<br />

joué un rôle dans la décision de s’impliquer<br />

».<br />

Aujourd’hui, une enquête devrait faire<br />

toute la lumière sur ce background. En<br />

est-on si sûr ? « Le problème en Afrique<br />

du Sud, c’est que tout le monde veut diriger<br />

le pays. Il faut considérer aussi que<br />

les questions et les décisions militaires<br />

ne sont pas des questions à discuter en<br />

public », a déclaré Jacob Zuma dans son<br />

allocution de condoléances aux familles,<br />

ne laissant espérer aucune transparence<br />

sur cette affaire. Comme il l’a fait pour<br />

tant d’autres auparavant. ■


Coopération Stratégique, économique et politique, la visite du nouveau président chinois en<br />

terre africaine est un geste diplomatique fort. La Chine est là et compte bien y rester… S’engageant<br />

sur des projets voulus par les Africains, elle se distingue des pratiques occidentales.<br />

Par Christine Abdelkrim-Delanne<br />

Nouveau président, nouveau style.<br />

La décontraction de Xi Jinping<br />

et de son épouse, la chanteuse<br />

populaire Peng Liyan, lors de leur<br />

voyage en Afrique, a marqué les esprits.<br />

Et ce voyage d’une semaine fin mars,<br />

via la Russie, a été perçu comme un<br />

geste fort de la part de la diplomatie chinoise.<br />

Sans doute le nouveau président<br />

chinois, Xi Jinping, a-t-il saisi l’occasion<br />

de sa participation au 5e Sommet<br />

des chefs d’États des Brics (Brésil, Russie,<br />

Inde, Chine Afrique du Sud) dans ce<br />

dernier pays pour élargir sa visite à la<br />

Tanzanie et au Congo-Brazzaville et<br />

s’adresser au continent africain.<br />

◗ Centre culturel chinois<br />

En Tanzanie, pays anglophone avec<br />

lequel la Chine entretient les plus<br />

anciennes relations en Afrique – ils<br />

datent de 1965, sous l’égide de Julius<br />

Niyerere, le père du « socialisme à<br />

l’africaine » –, le président chinois a<br />

souligné la coopération exceptionnelle<br />

par son volume et sa qualité. Ouvrant<br />

son discours par les salutations traditionnelles<br />

en swahili, il a également exprimé<br />

les sentiments d’« amitié » avec tous les<br />

pays africains, quelle que soit leur<br />

importance. « La Chine les traite également<br />

et mène activement une coopération<br />

pragmatique qui bénéficie aux deux<br />

parties », a-t-il déclaré. Beijing se<br />

refuse, en effet, à n’être qu’un « pays<br />

donateur » et ne s’engage que sur des<br />

projets de coopération.<br />

Le président chinois a voulu se démarquer<br />

des travers de la politique occidentale<br />

en Afrique en déclarant : « Aucune<br />

partie ne tente d’imposer sa vue à<br />

Beijing soigne l’Afrique<br />

l’autre », appelant « tous les pays à respecter<br />

la dignité et l’indépendance de<br />

l’Afrique ». Xi Jiping a en outre assuré<br />

que les relations de son pays avec<br />

l’Afrique allaient s’intensifier dans le<br />

respect « de tous les engagements ».<br />

Discours nouveau et réaliste<br />

lorsqu’il souligne, néanmoins,<br />

qu’il existe chez les<br />

dirigeants chinois une vraie<br />

prise de conscience des difficultés<br />

de la relation Chine-<br />

Afrique, relatives notamment<br />

à la main-d’œuvre chinoise<br />

sur le sol africain et à l’attitude<br />

de certaines entreprises<br />

chinoises.<br />

À Dar es-Salaam où la<br />

Chine a construit le nouveau<br />

Centre de conférences Julius-<br />

Nyerere inauguré à cette<br />

occasion, Xi Jinping a lancé<br />

ce message au continent :<br />

« La Chine va continuer à étendre ses<br />

investissements et poursuivre sa coopération<br />

conformément à son engagement<br />

de fournir 20 milliards de dollars de<br />

crédits aux pays africains entre 2013<br />

et 2015. » Pour ce qui concerne la Tanzanie,<br />

seize accords commerciaux, culturels<br />

et de développement concernant la<br />

réhabilitation d’infrastructures hospitalières<br />

et portuaires ont été signés. La<br />

Chine construira également… un centre<br />

culturel chinois.<br />

« Le développement de la Chine sera<br />

une opportunité sans précédent pour<br />

l’Afrique de même que le développement<br />

de l’Afrique le sera pour mon pays », a<br />

répété le président chinois devant le Parlement<br />

congolais à Brazzaville où il<br />

s’est rendu après le sommet des Brics.<br />

C’était la première visite au Congo<br />

ENGAGEMENT CHINOIS: 20 MILLIARDS DE DOLLARS<br />

DE CRÉDITS AUX PAYS AFRICAINS ENTRE 2013 ET 2015.<br />

Mai 2012 ● Afrique Asie<br />

(4 millions d’habitants) d’un dirigeant<br />

chinois depuis l’établissement des relations<br />

diplomatiques entre les deux pays<br />

en 1964. Avec le président Denis Sassou<br />

Nguesso, il a parlé des « moyens de renforcer<br />

la coopération » et a inauguré une<br />

Le président tanzanien Salma Kikwete<br />

reçoit son hôte chinois, Xi Jinping.<br />

bibliothèque universitaire dotée d’une<br />

médiathèque. Onze accords de coopération<br />

ont également été signés. « La<br />

Chine est actuellement le plus important<br />

partenaire commercial de la république<br />

du Congo », a-t-il déclaré – bien qu’officiellement<br />

la France soit toujours en tête<br />

en tant que partenaire économique et<br />

financier. il a souligné que les échanges<br />

bilatéraux ont explosé, passant de<br />

290 millions de dollars en 2002 à 5 milliards<br />

de dollars en 2012.<br />

Grands travaux de modernisation,<br />

centrale hydraulique de Liouesso, nouvelle<br />

aérogare, deuxième piste de l’aéroport<br />

international de Maya-Maya, bâtiments<br />

officiels, hôpitaux, marchés<br />

couverts, télécommunications, routes,<br />

nouvelles zones urbaines… Les investissements<br />

chinois interviennent dans tous<br />

les secteurs. Ce sont les principaux<br />

groupes chinois d’ingénierie et du BTP<br />

qui remportent la plupart des appels<br />

d’offres concernant des contrats d’infrastructures<br />

lancés par la Délégation générale<br />

des grands travaux (DGGT). ■<br />

37<br />

D. R.


38 Afrique<br />

RDC Le général rebelle tutsi Bosco Ntaganda a été transféré le 22 mars à la Cour pénale internationale.<br />

Pour autant, rien n’est réglé au Kivu. L’envoi programmé de la brigade d’intervention<br />

africaine réveille l’hostilité des rebelles du M23, qui était sur le point de signer un accord de paix.<br />

Et au Katanga, la situation demeure agitée.<br />

Exit Terminator, mais pas l’instabilité…<br />

Par François Misser<br />

Nombre d’ONG de défense des<br />

droits de l’homme ont salué le<br />

transfert à La Haye, le<br />

22 mars, de Bosco Ntaganda, épilogue<br />

d’une longue saga. Ce militaire tutsi<br />

congolais était en effet poursuivi<br />

depuis 2005 par la Cour pénale internationale<br />

(CPI) pour des crimes contre<br />

l’humanité commis en temps que chef<br />

de la milice de l’Union des patriotes<br />

congolais (UPC) dans le district en<br />

Province-Orientale. Mais pendant sept<br />

ans, il a côtoyé les Casques bleus sans<br />

avoir fait l’objet de la moindre tentative<br />

d’arrestation. Promu général en<br />

2006, il avait rejoint la rébellion de<br />

Laurent Nkunda, qu’il a renversé trois<br />

ans plus tard avec le soutien de Kigali<br />

et de Kinshasa, pour devenir commandant<br />

en second de l’armée congolaise<br />

au Kivu. Et pendant trois ans, au nom<br />

de la stabilité, Kinshasa a refusé de le<br />

livrer à la CPI.<br />

◗ Résolution 2098<br />

En fait, c’est la condamnation de son<br />

compère Thomas Lubanga en<br />

mars 2012 qui a constitué un tournant.<br />

Les pressions internationales se sont<br />

accentuées sur Kinshasa. Bosco, craignant<br />

d’être livré à son tour, s’est<br />

mutiné il y a un an, tandis que le colonel<br />

Sultani Makenga, commandant en<br />

second de l’armée congolaise au Sud-<br />

Kivu, lui aussi tutsi, mais partisan de<br />

Nkunda, a empêché ses hommes de<br />

rejoindre Bosco qu’il considère comme<br />

un traître.<br />

Lorsque Kabila, pour punir Bosco<br />

qui avait jusqu’alors le soutien de<br />

Kigali, met fin à l’opération Amani<br />

Leo, traque contre les rebelles hutus<br />

des Forces démocratiques pour la libération<br />

du Rwanda (FDLR), il suscite la<br />

mauvaise humeur de Kigali. C’est dans<br />

Bosco Ntaganda (à droite) pourrait être également poursuivi<br />

pour des crimes commis au Kivu, alors qu’il servait l’armée congolaise.<br />

ces circonstances que naît le mouvement<br />

rebelle du M23 le 6 mai 2012,<br />

créé par Makenga. L’éclatement du<br />

M23 en février 2013 et la défaite de ses<br />

partisans en mars incite Bosco à fuir la<br />

République démocratique du Congo<br />

(RDC) puis à se livrer à l’ambassade<br />

des États-Unis à Kigali. Mais sa reddition<br />

suscite beaucoup de spéculations<br />

quant à sa motivation. A-t-il préféré<br />

l’abri d’une prison à la vindicte de<br />

Kigali ou de Kinshasa, qui peuvent<br />

estimer que cet exécutant des basses<br />

œuvres peut dénoncer ses maîtres d’antan<br />

? Une chose est sûre : officielle-<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

ment, il n’est poursuivi que pour les<br />

crimes commis en Ituri par l’UPC, ce<br />

qui en principe dédouane les deux capitales.<br />

Mais le dossier peut s’étoffer.<br />

Sous la pression des organisations des<br />

droits de l’homme, le général Ntaganda<br />

pourrait être également poursuivi pour<br />

les crimes commis au Kivu, alors qu’il<br />

servait l’armée congolaise. Cela serait<br />

embarrassant pour le président Joseph<br />

Kabila, qui pourrait se voir reprocher<br />

d’avoir laissé faire.<br />

Dans ce contexte, survient un autre<br />

événement important: le vote, le<br />

28 mars, de la résolution 2098 du


Conseil de sécurité de l’Onu, instaurant<br />

la mise en place d’une brigade africaine<br />

d’intervention contre les groupes<br />

armés au Kivu. Celle-ci doit être intégrée<br />

au sein de la Mission des Nations<br />

unies pour la stabilisation du Congo<br />

(Monusco) et composée de 3 069 éléments<br />

provenant de Tanzanie,<br />

d’Afrique du Sud et du Malawi. Ces<br />

troupes comprendront trois bataillons<br />

d’infanterie, une compagnie d’artillerie,<br />

une autre de reconnaissance et des<br />

forces spéciales pour neutraliser et<br />

désarmer les groupes armés.<br />

Pour l’ambassadeur congolais à<br />

Bruxelles, Henri Mova Sakanyi, cette<br />

résolution portée par la Communauté<br />

de développement d’Afrique australe<br />

(SADC) et cautionnée par la région<br />

des Grands Lacs, via la Conférence<br />

internationale des pays de la région<br />

des Grands Lacs (CIRGL), constitue<br />

« un succès diplomatique majeur pour<br />

la RDC ». Elle exprime « un devoir de<br />

solidarité » de la Communauté internationale<br />

envers un État membre en<br />

D. R.<br />

« L’ONU CHOISIT DE FAIRE LA GUERRE<br />

proie à des agressions à répétition de<br />

ses voisins. Pour le diplomate congolais,<br />

la résolution 2098 est une « révolution<br />

» dans l’histoire des relations<br />

internationales : c’est la première fois<br />

que les Casques bleus pourront, selon<br />

le chapitre VII de la charte onusienne,<br />

engager « expressis verbis » une<br />

action offensive contre des forces<br />

négatives partout où la paix est menacée<br />

en RDC, et ne plus se borner à un<br />

rôle d’observation des hostilités.<br />

Mais le vote de la résolution de<br />

l’Onu inquiète un certain nombre<br />

d’ONG. Elles redoutent que le<br />

déploiement de la brigade corresponde<br />

au choix d’une solution exclusivement<br />

militaire. Or, l’instabilité a<br />

aussi des causes sociales et politiques,<br />

dit-on dans le monde associatif. Et<br />

paradoxalement, il n’est pas sûr que la<br />

perspective du déploiement de cette<br />

brigade contribue à calmer les esprits.<br />

Alors que la faction du M23 de Sultani<br />

Makenga semblait prête à signer<br />

un accord de paix avec Kinshasa, prévoyant<br />

l’intégration de ses troupes<br />

dans les Forces armées de la République<br />

démocratique du Congo<br />

(FARDC), la création de la brigade<br />

d’intervention vient de raidir la position<br />

des rebelles du M23 engagés<br />

depuis décembre dans de laborieux<br />

pourparlers de paix à Kampala.<br />

Dans un communiqué daté du<br />

1 er avril, le M23 a dénoncé la décision<br />

du Conseil de sécurité de créer une<br />

telle brigade. Au lieu d’« encourager<br />

une solution politique, en apportant<br />

un appui substantiel aux négociations<br />

politiques de Kampala » entre le M23<br />

et Kinshasa, l’Onu choisit de « faire la<br />

guerre contre l’un des partenaires<br />

pour la paix », a dénoncé le président<br />

politique du M23, Bertrand Bisimwa.<br />

En outre, la mise en place de cette<br />

force n’ira pas sans problèmes. Il est<br />

question qu’elle soit placée sous le<br />

contrôle d’un officier indien. Or,<br />

l’Inde ne participe à la Monusco qu’à<br />

des conditions particulières et restrictives<br />

en ce qui concerne l’engagement<br />

de ses troupes. Les responsables des<br />

unités africaines pourraient donc avoir<br />

quelques difficultés à être commandés<br />

par un général appartenant à une<br />

CONTRE UN PARTENAIRE DE LA PAIX ». BERTRAND BISIMWA, DU M23<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

nation qui expose moins ses propres<br />

compatriotes au feu de l’ennemi.<br />

Pendant ce temps, la situation<br />

demeure fragile au Katanga où l’on a<br />

enregistré le 23 mars un nouvel épisode<br />

tragique avec la mort de trentecinq<br />

personnes, lors d’affrontements<br />

entre un groupe de rebelles maï-maï et<br />

l’armée congolaise, dans la capitale<br />

provinciale Lubumbashi. Au nombre<br />

de 250 personnes environ, les<br />

rebelles, armés sommairement de<br />

fusils de chasse, de machettes, d’arcs<br />

et de flèches, se sont finalement rendus<br />

à la Monusco après avoir traversé<br />

la ville de Lubumbashi et plusieurs<br />

quartiers environnants, au terme d’un<br />

combat sanglant avec la Garde républicaine<br />

de Joseph Kabila.<br />

◗ Violence chronique<br />

Selon les témoins, ces Maï-Maï, qui<br />

appartiennent au groupe Bakata<br />

Katanga de Ferdinand Kazadi Ntanda<br />

Imena Mutombo, ont reçu un accueil<br />

plutôt favorable d’une partie de la<br />

population. Des femmes ont jeté leurs<br />

pagnes sous leurs pas en signe de<br />

bienvenue, tandis que les passants ont<br />

applaudi le cortège. Les revendications<br />

des rebelles semblaient avoir un<br />

caractère politique et social. « Nous<br />

sommes fatigués d’être des esclaves !<br />

Nous ne voulons plus de cette souffrance<br />

! », ont-ils déclaré aux agents<br />

de la Monusco. Certains arboraient<br />

même autour de la tête un bandeau<br />

aux couleurs de l’ancien drapeau du<br />

Katanga. Le groupe comprenait des<br />

hommes, mais aussi des femmes et<br />

des enfants. Ce n’est qu’au centre<br />

ville, place de la Poste que les choses<br />

ont commencé à dégénérer : des manifestants<br />

ont déchiré le drapeau congolais<br />

et hissé celui du Katanga sécessionniste.<br />

Et la Garde républicaine a<br />

ouvert le feu.<br />

Une fois encore, ce genre d’incidents<br />

témoigne à la fois d’une inquiétante<br />

défaillance des services de renseignement<br />

et de l’ignorance<br />

pathétique du pouvoir, ou de son<br />

indifférence face à la situation d’abandon<br />

des populations des zones les plus<br />

reculées des provinces. À l’instar des<br />

Enyele de l’Équateur ou des partisans<br />

de la secte politico-religieuse du<br />

Bundu dia Kongo », au Bas-Congo. Il<br />

faudra plus que la comparution en justice<br />

de Bosco Ntaganda, alias « le Terminator<br />

», pour asseoir la stabilité en<br />

RDC. ■<br />

39


40 Afrique<br />

Sénégal L’arrivée de Macky Sall au pouvoir, la médiation de Sant’Egidio et la fatigue manifeste<br />

des indépendantistes auront-elles raison du conflit qui dure depuis trente ans dans la région<br />

méridionale du pays ?<br />

Par Corinne Moncel<br />

Enfin la paix en Casamance ?<br />

Plus de trente ans que la guerre<br />

pour l’indépendance dure en Casamance.<br />

Et peut-être, enfin, un troisième<br />

cessez-le-feu en vue depuis le<br />

début du conflit, en décembre 1982, à la<br />

suite d’une manifestation à Zinguichor,<br />

la capitale régionale, durement<br />

réprimée par les forces de l’ordre.<br />

Les Casamançais y dénonçaient le<br />

« mépris culturel » et la « confiscation<br />

» de leurs terres par les « nordistes<br />

». Un premier cessez-le-feu<br />

avait été signé en 1991 avec le Mouvement<br />

des forces démocratiques de<br />

la Casamance (MFDC), puis un<br />

deuxième en 2004, sans effet durable.<br />

Rien depuis. Sinon l’explosion du<br />

MFDC en de multiples factions mili-<br />

taires et politiques à la mort de son<br />

leader historique, l’abbé Diamacoune<br />

Senghor, en 2007, l’alternance<br />

de périodes d’accalmie et d’embuscades<br />

meurtrières, l’exaspération et<br />

la lassitude de la population, première<br />

victime d’un conflit qui a fait des milliers<br />

de morts et des dizaines de milliers<br />

de déplacés. Jusqu’à ce que celui qui<br />

avait promis de régler le conflit « en<br />

cent jours » à son accession au pouvoir<br />

en 2000, Abdoulaye Wade, passe le<br />

témoin présidentiel et le bébé casamançais<br />

à Macky Sall, en mars 2012.<br />

◗ Geste « humanitaire »<br />

L’ancien président avait, certes,<br />

réitéré les appels au dialogue avec la<br />

rébellion jusqu’à la veille de son départ,<br />

tout en jouant la carte du pourrissement.<br />

L’arrivée de Sall, qui a d’emblée tendu<br />

la main aux trois principaux chefs militaires<br />

rebelles, Salif Sadio, César Atoute<br />

Badiatte et Ousmane Niantang Diatta –<br />

mais sans rien promettre –, a en revanche<br />

suscité un appel d’air. Salif Sadio, chef<br />

du front Nord, présenté comme le plus<br />

ultra et le plus incontrôlable des indépendantistes,<br />

avait déjà fait savoir au<br />

régime précédent qu’il était prêt à négocier<br />

si c’était hors du pays, et sous<br />

l’égide de la communauté catholique<br />

italienne Sant’Egidio, bien connue pour<br />

ses médiations dans nombre de conflits<br />

(Mozambique, Algérie, Burundi…).<br />

En août 2012, Ousmane Niantang<br />

« Trop de sang a coulé », a déclaré le rebelle<br />

O. Niantang Diatta, ici entouré de ses combattants.<br />

Diatta faisait de même. Tout en mettant<br />

comme condition aux pourparlers la<br />

levée du mandat d’arrêt international<br />

contre Mamadou Nkrumah Sané, exilé à<br />

Paris depuis 1993 et « secrétaire général<br />

» du MFDC pour la plupart des<br />

rebelles. Mais pas pour la faction de<br />

César Atoute Badiatte qui, depuis sa<br />

destitution par Diatta en 2010, semble<br />

en perte de vitesse au sein du MFDC.<br />

En octobre, Sant’Egidio entrait officiellement<br />

dans la danse pour faciliter<br />

les relations entre le gouvernement et<br />

les rebelles. Salif Sadio réitérait son<br />

désir de négocier sur les bases énoncées<br />

neuf mois plus tôt, en y ajoutant la<br />

levée du mandat d’arrêt international à<br />

son encontre émis par le gouvernement<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

Wade. Pour établir un « climat favorable<br />

» aux discussions, Sant’Egidio<br />

lui a demandé de faire un geste « humanitaire<br />

» : libérer huit prisonniers de<br />

guerre. Ce qui fut fait très protocolairement<br />

le 9 décembre 2012 en territoire<br />

casamançais.<br />

Le 12 avril dernier, les choses se<br />

sont accélérées : malgré des attaques<br />

meurtrières en février – non revendiquées<br />

–, Sant’Egidio, « informée<br />

par la présidence de la République<br />

du Sénégal », a annoncé : « Il<br />

n’existe aucun mandat d’arrêt<br />

envers Salif Sadio. » Cinq jours plus<br />

tard, en exclusivité sur la chaîne<br />

télévisée nationale, la RTS, Ousmane<br />

Niantang Diatta s’est publiquement<br />

engagé en faveur des pour-<br />

D. R.<br />

parlers : « Trop de sang a coulé en<br />

Casamance. La peur a été installée<br />

partout, à cause de la guerre. […]<br />

Je demande à tous les combattants,<br />

de l’est à l’ouest, de déposer les<br />

armes, pour un troisième cessez-le-<br />

feu, pour aboutir à la paix avec des<br />

négociations justes et sincères. »<br />

La fin d’un long cauchemar pour les<br />

Casamançais, dont les jeunes n’ont<br />

connu que la guerre ? Même si les<br />

héros sont manifestement fatigués et<br />

que Sadio semble s’être affranchi de<br />

son tuteur, le Gambien Yayah Jammeh,<br />

régulièrement accusé par Dakar<br />

de vouloir entretenir l’instabilité au<br />

Sénégal, rien n’est moins sûr. Car il<br />

faudra démanteler toute l’économie de<br />

guerre qui gangrène la Casamance<br />

depuis trois décennies : pillages, razzias,<br />

trafics de bois, de drogue, de<br />

primes aux fausses intermédiations…<br />

La guerre du développement a commencé.<br />

■<br />

« JE DEMANDE À TOUS LES COMBATTANTS, DE L’EST<br />

À L’OUEST, DE DÉPOSER LES ARMES. » OUSMANE NIANTANG DIATTA


Lettre d’Afrique australe<br />

Ressources naturelles: aubaine ou malheur ?<br />

L’Afrique Australe regorge de<br />

richesses naturelles. Cela devrait<br />

contribuer significativement au<br />

développement économique, faciliter<br />

la sortie de la misère pour des<br />

millions de gens au-dessous du seuil de pauvreté.<br />

En est-il ainsi?<br />

Depuis des décennies, les ressources naturelles<br />

– eau, terres fertiles, charbon, gaz, pétrole,<br />

cuivre, or, diamants, etc. – n’ont cessé d’être<br />

exploitées, mais force est de constater qu’elles<br />

ont peu profité à la majorité des gens. Ces ressources,<br />

y compris humaines, ont déclenché la<br />

convoitise depuis toujours. D’abord la traite des<br />

esclaves, puis l’occupation des terres par les<br />

colons, enfin, le déferlement des entreprises<br />

minières des pays colonisateurs et de leurs<br />

alliés. Cela n’a pas été une aubaine pour les<br />

peuples concernés, au contraire : elles leur ont<br />

infligé beaucoup de malheurs et de souffrances.<br />

Les luttes politiques et les armées de libération<br />

nationale ont abouti à la conquête des indépendances.<br />

Mais la présence d’importantes ressources minières a souvent<br />

été un obstacle pour y arriver. Ainsi, la France a<br />

retardé l’indépendance algérienne à cause du pétrole. Les<br />

intérêts belges sur les mines de la richissime province du<br />

Katanga ont provoqué une succession de soubresauts et<br />

l’ignoble assassinat de Lumumba et de ses compagnons.<br />

Ce n’est pas un hasard si les indépendances des pays<br />

membres de l’ancienne Fédération de la Rhodésie et du<br />

Nyassaland, de la Namibie, des colonies de l’Angola et du<br />

Mozambique, voire la fin du régime d’apartheid en<br />

Afrique du Sud, ont été acquises bien plus tard que dans<br />

le reste de l’Afrique, et souvent après des longues luttes<br />

armées de libération.<br />

L’appétit étranger pour les richesses de ces pays<br />

explique ces blocages. Qui plus est, pendant la guerre<br />

froide, le colonialisme et l’apartheid étaient perçus en<br />

Occident comme des alliés contre le prétendu danger<br />

soviétique. Après les indépendances de l’Afrique australe<br />

et la chute de l’apartheid, qu’est-il arrivé?<br />

Le gouvernement du Mozambique a pu signer à Rome<br />

un accord de paix avec la Renamo, parti instrument de la<br />

Rhodésie de Ian Smith et de l’Intelligence militaire du<br />

Sud-Africain Piether Botha. Les vingt-huit années de<br />

guerre ont contraint le pays à se soumettre aux diktats de<br />

Bretton Woods et à chasser toute idée de socialisme.<br />

L’Angola a également dû affronter une longue et destructrice<br />

guerre contre les<br />

alliés de l’apartheid, soutenus<br />

ouvertement par la<br />

première puissance mondiale,<br />

les États-Unis.<br />

Cependant, les bonnes<br />

Par Sergio Vieira<br />

Membre fondateur<br />

du Frelimo et<br />

plusieurs fois<br />

ministre du<br />

Mozambique,<br />

aujourd'hui écrivain<br />

et professeur retraité<br />

à l’université<br />

Eduardo-Mondlane<br />

de Maputo.<br />

UN PILLAGE INSTITUTIONNALISÉ<br />

QUI RUINE LES POPULATIONS LOCALES.<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

D. R.<br />

relations de ce pays avec les compagnies pétrolières<br />

occidentales ont finalement pesé sur l’issue<br />

du conflit, qui a vu la disparition de Savimbi,<br />

le leader de l’Unita.<br />

Il faut reconnaître aujourd’hui que la misère<br />

dans laquelle était plongée la majorité de la<br />

population a bien diminué. Dans les campagnes,<br />

les gens bâtissent de plus en plus souvent des<br />

maisons en briques, l’électricité couvre presque<br />

tous les districts du pays, et des antennes de<br />

télévision surgissent comme des champignons.<br />

Quelque dix millions de Mozambicains, sur un<br />

total de vingt-trois millions, possèdent un<br />

mobile, les gens s’habillent et sont chaussés. À<br />

présent, la pauvreté en ville est plus frappante<br />

qu’à la campagne. Toutefois, le mieux-être rural<br />

n’est pas la conséquence de l’exploitation du<br />

sous-sol, mais du simple fait qu’avec la paix<br />

retrouvée le paysan a pu reprendre le travail.<br />

Enfin, un nouveau scandale a récemment éclaté<br />

dans le pays : une compagnie qui exploite le gaz<br />

a voulu vendre une partie de ses actions à l’extérieur, de<br />

façon à ne pas payer les impôts au pays ! Une bagatelle<br />

de quelques centaines de millions de dollars, voire des<br />

milliards!<br />

Tout n’est pas sombre, bien entendu. En Angola, grâce<br />

aux rendements du pétrole et des diamants, on a pu<br />

reconstruire les villes du Centre et du Sud, détruites pendant<br />

la guerre, de même que les infrastructures indispensables<br />

au développement économique. Les ressources<br />

minières et l’exportation de viande bovine ont permis au<br />

Botswana de redistribuer suffisamment pour que sa population<br />

vive dans une certaine aisance. De progrès sont<br />

également visibles en Tanzanie et en Zambie, ainsi qu’au<br />

Zimbabwe où la levée des sanctions européennes et britanniques<br />

s’impose désormais.<br />

Moins réjouissante, la situation au Swaziland où le<br />

charbon est épuisé – tout est parti au Japon – et où le<br />

pays n’a même pas profité de sa valeur ajoutée. En<br />

Afrique du Sud, un apartheid économique demeure pour<br />

la majorité des non-Blancs et même des petits Blancs.<br />

Nul ne voit la lumière au bout du tunnel. Conséquence,<br />

les conflits sociaux et la violence ne font qu’augmenter.<br />

Où s’arrêteront-ils ? Les massacres des mineurs de platine<br />

et des paysans qui occupent des terres sont plus<br />

qu’inquiétants.<br />

En l’état actuel des choses, on ne peut avoir qu’une<br />

conclusion : les populations d’Afrique australe souffrent<br />

encore trop des malheurs<br />

induits par la convoitise<br />

sur les ressources naturelles<br />

pour se réjouir de<br />

leur abondance.<br />

La lutte continue!■<br />

41


42 Monde arabe Algérie<br />

Institution La réforme de la Constitution a été lancée par le président Abdelaziz Bouteflika. Il<br />

en attend dans des délais brefs des amendements pour réparer les failles de celle en vigueur,<br />

qui a néanmoins donné des assises solides à l’État national.<br />

Par Hamid Zedache<br />

Un an avant la prochaine élection<br />

présidentielle prévue mi-<br />

2014, le président Abdelaziz<br />

Bouteflika a lancé un chantier institutionnel<br />

d’une très grande portée. Il<br />

s’agit d’apporter des amendements à<br />

la Constitution en vigueur, elle-même<br />

résultat de plusieurs ajustements, mais<br />

qui a fait ses preuves dans les tempêtes<br />

successives traversées par l’Algérie.<br />

Le chef de l’État a chargé une<br />

commission d’experts d’élaborer<br />

l’avant-projet de révision constitutionnelle,<br />

qui doit couronner le processus<br />

de réformes globales mis sur les rails<br />

depuis son accession au pouvoir en<br />

1999. Ce processus a avancé parallèlement<br />

à la reconstruction économique<br />

et sociale pour effacer les séquelles de<br />

la décennie terroriste, qui a failli<br />

engloutir les institutions républicaines.<br />

◗ Principes fondateurs<br />

La commission devra notamment<br />

s’appuyer sur les propositions émises<br />

par les divers acteurs politiques et<br />

sociaux associés aux consultations<br />

nationales de l’été 2011. Elles ont été<br />

supervisées par le président du Sénat,<br />

Abdelkader Bensalah, et lors des<br />

contacts pris à sa suite par le premier<br />

ministre Abdelamalek Sellal. Ce dernier<br />

a été chargé d’installer la commission,<br />

constituée de professeurs<br />

d’université – dont une femme – choisis<br />

pour leur compétence reconnue en<br />

la matière et pour leur probité morale.<br />

La présidence de la République a<br />

annoncé le lancement des travaux en<br />

ces termes : « Les réformes politiques<br />

initiées par le président de la République<br />

en vue de consolider la démocratie<br />

représentative dans notre pays,<br />

de conforter les fondements de l’État<br />

de droit et de renforcer les droits et<br />

libertés du citoyen ont été le résultat<br />

tangible d’une large consultation poli-<br />

Sur les rails<br />

tique, tant en ce qui concerne leur<br />

volet législatif que leur volet constitutionnel.<br />

Les propositions formulées<br />

par les différents acteurs politiques et<br />

sociaux qui ont participé aux deux<br />

consultations sur ces réformes, menées<br />

successivement par le président du<br />

Conseil de la nation et le premier<br />

ministre, ont fait l’objet, dans leur<br />

volet constitutionnel, d’une exploitation<br />

intégrale et d’un travail de synthèse,<br />

par un groupe de travail qualifié<br />

institué à cet effet. Ce travail,<br />

récemment, achevé, a donné lieu à un<br />

document préliminaire qui a été soumis<br />

à la haute appréciation du président<br />

de la République. À l’examen de<br />

ce document, le chef de l’État a décidé<br />

de mettre en place la commission<br />

d’experts chargée d’élaborer un<br />

avant-projet de loi portant révision<br />

constitutionnelle. Cet avant-projet<br />

devra s’appuyer, à la fois, sur les propositions<br />

retenues des acteurs politiques<br />

et sociaux, et sur les orientations<br />

du président de la République, et<br />

ce, en vue de leur traduction en dispositions<br />

constitutionnelles. »<br />

Il faut rappeler que dès son arrivée au<br />

pouvoir en 1999, le président Bouteflika<br />

avait indiqué sa volonté de réformer<br />

la Constitution hybride – ni parlementaire,<br />

ni présidentielle – dont il<br />

héritait dans des conditions difficiles.<br />

Mais l’agenda de la reconstruction<br />

nationale et de la réconciliation s’est<br />

imposé à lui. Le cap a été pointé de<br />

nouveau en avril 2011 par le chef de<br />

l’État: « Nous sommes aujourd’hui<br />

appelés à aller de l’avant dans l’approfondissement<br />

du processus démocratique,<br />

le renforcement des bases de<br />

l’État de droit, la réduction des dispari-<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

tés et l’accélération du développement<br />

socio-économique. Cette mission ambitieuse<br />

et décisive pour l’avenir de notre<br />

pays exige l’adhésion de la majorité, la<br />

participation de toutes les forces politiques<br />

et sociales et la contribution des<br />

compétences nationales. Elle requiert<br />

aussi un État fort capable d’instaurer<br />

une plus grande confiance entre l’administration<br />

et les citoyens. Un État<br />

reposant sur une administration compétente<br />

et crédible et un système judiciaire<br />

placé sous la seule autorité de la<br />

loi. » Dans sa première phase, le bouquet<br />

de réformes institutionnelles s’est<br />

traduit par la révision de la loi électorale,<br />

qui réserve aux femmes au moins<br />

30 % des sièges des assemblées élues,<br />

l’abrogation de l’état d’urgence, la<br />

dépénalisation des délits de presse et<br />

l’ouverture de l’audiovisuel.<br />

Inaugurant les travaux des experts,<br />

le premier ministre a indiqué qu’aucune<br />

« limite préalable » n’a été fixée<br />

à la révision constitutionnelle. En<br />

dehors des « constantes nationales et<br />

des valeurs et principes fondateurs de<br />

la société algérienne », qui « incarnent<br />

sa longue histoire, sa civilisation<br />

millénaire et une vision d’avenir portée<br />

par des valeurs et principes partagés<br />

par l’ensemble des citoyens algériens<br />

», a-t-il dit, le champ est libre<br />

devant les experts. Il n’est ainsi pas<br />

question de remettre en cause la nature<br />

républicaine du régime, le pluralisme<br />

politique, les droits démocratiques<br />

individuels et collectifs acquis tout au<br />

long de ces dernières décennies, l’islam<br />

et la langue arabe comme langue<br />

nationale et officielle, le tamazigh<br />

comme langue nationale, le régime<br />

représentatif et la souveraineté popu-<br />

UNE OCCASION POUR LES PARTIS POLITIQUES<br />

DE PARTICIPER AUX GRANDS DÉBATS NATIONAUX.


laire comme source unique de la loi,<br />

l’égalité hommes-femmes, la liberté<br />

de conscience, d’expression et du<br />

culte, l’alternance au pouvoir, etc.<br />

En dehors des islamistes en nette<br />

perte de vitesse, qui plaident comme<br />

partout ailleurs où ils ont pignon sur<br />

rue en faveur d’un régime parlemen-<br />

taire, source d’instabilité chronique,<br />

selon les constitutionnalistes, la plupart<br />

des partis politiques algériens<br />

estiment nécessaire de conserver un<br />

régime présidentiel, à l’américaine –<br />

avec un vice-président élu sur le<br />

même ticket que le chef de l’État ou<br />

nommé par lui –- ou semi-présidentiel<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

APS<br />

Au tour du premier ministre Abdelmalek<br />

Sellal, les membres de la commission<br />

chargée d’élaborer l’avant-projet<br />

de la révision constitutionnelle.<br />

Ci-contre, le parlement algérien.<br />

à la française, quitte à en tempérer les<br />

excès par un rééquilibrage des pouvoirs<br />

entre les deux têtes de l’exécutif<br />

et le législatif. Ils sont aussi pour une<br />

indépendance totale du pouvoir judiciaire,<br />

certains allant jusqu’à réclamer<br />

la rupture de tout lien entre le parquet<br />

et le ministère de la Justice. D’autres<br />

sont pour la limitation de la durée et<br />

du nombre des mandats électifs et le<br />

non-cumul des mandats.<br />

L’avant-projet sera-t-il soumis au<br />

Parlement ou à un référendum populaire<br />

pour être approuvé? Pour Abdelmalek<br />

Sellal, les deux options restent<br />

ouvertes. « Si les amendements touchent<br />

aux équilibres du pouvoir, un<br />

référendum s’imposera. » Sinon, il<br />

reviendra au Parlement d’en débattre et<br />

d’en décider. Dans les deux cas, ce<br />

sera une occasion pour les partis politiques<br />

de manifester leur ancrage dans<br />

la société et de confirmer leur présence<br />

dans les grands débats nationaux. ■<br />

43<br />

APS


44 Monde arabe Algérie<br />

APS<br />

Le paysage audiovisuel suscite un intérêt grandissant chez les Algériens, plutôt attachés à leurs chaînes nationales.<br />

À dr., le ministre de la Communication Mohamed Saïd (à dr.) est un ancien journaliste.<br />

Médias La mise en concurrence dans l’audiovisuel est en route. Elle se fera dans le respect<br />

d’impératifs afin de ne pas transformer en foire d’empoigne ce domaine sensible entre tous.<br />

Ouverture, éthique et bonnes pratiques<br />

Par Philippe Lebeaud<br />

L<br />

’Algérie a été la première en<br />

Afrique et dans le monde arabe<br />

à libéraliser il y a plus de vingt<br />

ans la presse écrite, qui compte aujourd’hui<br />

une bonne cinquantaine de titres<br />

indépendants, d’une liberté de contenu<br />

et de ton assez remarquable. Mais elle<br />

a sans doute tardé à ouvrir l’audiovisuel<br />

à la concurrence. Les dures<br />

épreuves traversées par le pays durant<br />

la décennie noire du terrorisme justifient<br />

largement l’hésitation des pouvoirs<br />

publics. Les autorités n’en ont<br />

pas moins fait bouger les lignes avec<br />

prudence, mais résolument. La loi sur<br />

l’information de 1990 stipulait déjà :<br />

« Les organes et les titres du secteur<br />

public ne doivent en aucune circonstance<br />

tenir compte d’influences ou de<br />

considérations de nature à compro-<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

mettre l’exactitude de l’information.<br />

Ils assurent l’égal accès à l’expression<br />

des courants d’opinion et de pensée. »<br />

La flambée terroriste a fait rater le<br />

tournant.<br />

◗ Création contre bureaucratie<br />

En 2011, tandis que le terrorisme<br />

vaincu cédait la place à la réconciliation<br />

nationale, un pas de plus a été<br />

franchi lorsque le président Bouteflika


a appelé à plus grande ouverture des<br />

médias publics, en particulier la télévision<br />

qui, contrairement à la radio, ne<br />

parvenait pas à s’affranchir des codes<br />

convenus. Dans une communication<br />

au conseil des ministres, le chef de<br />

l’État, soulignant que l’Algérie était<br />

entrée dans l’ère de « la démocratie<br />

pluraliste », avait demandé : « La télévision<br />

et la radio doivent assurer la<br />

couverture des activités de l’ensemble<br />

des partis et organisations nationales<br />

agréés et leur ouvrir équitablement<br />

leurs canaux. » Car, avait-il indiqué,<br />

« aucune loi ni instruction n’a jamais<br />

interdit l’accès des partis politiques à<br />

la télévision et à la radio ». Cet appel<br />

devait battre en brèche l’attentisme<br />

des directeurs qui s’étaient succédé à<br />

la tête de l’audiovisuel et qui privilégiaient<br />

l’instruction bureaucratique à<br />

l’initiative créatrice.<br />

Depuis, les choses ont bien évolué.<br />

Même si l’opposition garde ses<br />

réserves – réclamant toujours plus –,<br />

les débats organisés par l’audiovisuel<br />

public ont gagné en notoriété auprès<br />

de l’opinion publique, assurant aux<br />

acteurs politiques dans leur diversité<br />

des tribunes recherchées. Un degré<br />

supplémentaire a été franchi un peu<br />

plus tard, lorsque le chef de l’État, en<br />

même temps qu’il annonçait la dépénalisation<br />

des délits de presse, donnait<br />

mandat aux responsables du secteur de<br />

« proposer les voies et les moyens<br />

d’améliorer le paysage audiovisuel, de<br />

promouvoir la communication par le<br />

biais des nouvelles technologies de<br />

l’information et d’identifier les<br />

domaines à travers lesquels l’aide<br />

publique contribuera à l’épanouissement<br />

de la presse écrite ». Il appelait<br />

par ailleurs, dans le droit fil des<br />

réformes politiques et institutionnelles,<br />

à la création d’une autorité de<br />

régulation des médias, chargée de<br />

« veiller au respect des principes<br />

consacrés par la liberté d’expression,<br />

de garantir un accès équitable des<br />

partis politiques aux médias audiovisuels<br />

et de concourir au respect de<br />

l’éthique et de la déontologie ».<br />

Les téléspectateurs algériens, qui ont<br />

pris goût à la diversité télévisuelle en<br />

se branchant sur des télévisions étrangères<br />

reçues par satellite, ne cachaient<br />

pas leur frustration en attendant le lancement<br />

de chaînes algériennes indépendantes.<br />

Quelques créateurs entre-<br />

LE PAYS DISPOSE DE TALENTS CAPABLES DE LIBÉRER<br />

LE TÉLÉSPECTATEUR DE LA TUTELLE TÉLÉVISUELLE ÉTRANGÈRE.<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

APS<br />

prenants n’ont certes pas attendu la loi<br />

et se sont jetés dans l’eau en émettant<br />

à partir de l’étranger. Mais leurs<br />

conditions de travail précaires n’encourageaient<br />

pas les investisseurs à<br />

leur accorder les moyens de leur développement.<br />

◗ Nouvelle loi<br />

En fait, les autorités, qui avaient privilégié<br />

l’installation et le développement<br />

de radios thématiques et régionales<br />

– une radio par département et<br />

cinq radios nationales –, devaient<br />

aussi résoudre une équation difficile :<br />

ouvrir le secteur télévisuel sans déclencher<br />

une foire d’empoigne entre<br />

concurrents privilégiant l’audience<br />

pour l’audience, au risque de dérapages<br />

préjudiciables à la qualité des<br />

programmes. L’équilibre était difficile<br />

à trouver entre impératifs financiers et<br />

raisons éthiques, déontologiques et<br />

politiques. Les expériences récentes<br />

dans le monde arabe et en Afrique le<br />

confirment.<br />

C’est au nouveau ministre de la<br />

Communication, Mohamed Saïd, journaliste<br />

lui-même avant de bifurquer<br />

temporairement vers la diplomatie,<br />

qu’il reviendra de défendre le projet<br />

de loi sur la libération de l’audiovisuel<br />

devant la représentation nationale. Il<br />

estime que si l’Algérie a intérêt à<br />

ouvrir le champ télévisuel à des professionnels<br />

algériens motivés par autre<br />

chose que l’appât immédiat du gain,<br />

afin de détourner les téléspectateurs<br />

des chaînes étrangères proposant des<br />

idéologies et des modes de vie étrangers<br />

au pays, il est indispensable que<br />

cette ouverture se fasse dans le respect<br />

de critères éthiques et professionnels<br />

permettant l’émergence d’une presse<br />

de haut niveau.<br />

La nouvelle loi est attendue avec<br />

d’autant plus d’impatience par les professionnels<br />

de l’information, de la culture<br />

et du divertissement que, il faut le<br />

rappeler, l’Algérie a beaucoup investi<br />

ces dernières années dans les établissements<br />

de formation liés aux médias.<br />

Elle dispose d’équipes prêtes et de<br />

nombreux talents capables de relever<br />

le défi télévisuel: présenter aux Algériens<br />

des programmes qui les concernent<br />

dans une forme moderne et<br />

agréable à suivre, avec un contenu qui<br />

fasse avancer la réflexion et leur ouvre<br />

de nouveaux horizons. Pour libérer<br />

enfin le téléspectateur d’une certaine<br />

tutelle télévisuelle étrangère. ■<br />

45


46 Monde arabe<br />

Tunisie En attendant des élections que personne ne voit venir, le pays vit sous de gros nuages<br />

sombres, au rythme d’une contestation politique et sociale annonciatrice de graves affrontements.<br />

Par Hamid Zyad Envoyé spécial<br />

En cette fin de printemps tardif,<br />

Tunis baigne dans une étrange<br />

atmosphère, maussade. La combativité<br />

se mêle à la résignation. Chacun<br />

attend les jours meilleurs que, pessimistes,<br />

peu de Tunisiens voient<br />

venir. La tragédie de l’assassinat de<br />

Chokri Belaid, le leader de la gauche<br />

démocratique, dont les meurtriers courent<br />

toujours malgré les promesses<br />

réitérées du gouvernement de les<br />

retrouver au plus vite, est passée par<br />

là. À peine apaisé, le bras de fer entre<br />

le gouvernement et le principal syndicat,<br />

l’UGTT, ne cesse de rebondir,<br />

chacune des parties accusant l’autre<br />

d’arrière-pensées politiciennes. Les<br />

salafistes crèvent d’envie d’en<br />

découdre avec les démocrates. Ils<br />

entretiennent la tension autour des 500<br />

mosquées dont ils se sont rendus<br />

maîtres et dont ils se servent comme<br />

autant de tremplins pour asséner leurs<br />

coups au pouvoir.<br />

◗ « Mode survie »<br />

Un de leurs chefs en cavale, le djihadiste<br />

Abou Iyadh, impliqué dans<br />

l'attaque de l'ambassade des États-<br />

Unis à Tunis en septembre 2012, a<br />

menacé de faire tomber le gouvernement<br />

par la violence si ses partisans<br />

n’étaient pas libérés. Le chef des<br />

Ligues de défense de la révolution<br />

(LDR), une milice au service du pouvoir<br />

islamiste, promet de s’opposer<br />

par la force aux rassemblements politiques<br />

de l’opposition, sans n’être nullement<br />

désavoué. Il est passé à l’acte à<br />

Gafsa – capitale du bassin minier –<br />

pour tenter de perturber un meeting de<br />

Nidaa Tounes, rival principal d’Ennahdha.<br />

Mollement protégée par la<br />

police, la réunion s’est tout de même<br />

déroulée en présence de plus de 10 000<br />

personnes. Des parents angoissés se<br />

présentent tous les jours à la télévision<br />

Le calme et la tempête<br />

Reuters<br />

À Bizerte, le 16 avril dernier : heurts entre des jeunes et la police, après un match<br />

de football. En vérité, le sport sert juste de prétexte pour dire son ras-le-bol.<br />

pour dénoncer l’embrigadement de<br />

leurs enfants dans le djihad en Syrie<br />

pour une cause qui n’est pas la leur.<br />

La crainte de l’enlisement taraude<br />

les marchés et les hommes d’affaires<br />

unis pour appeler à la fin de l’insécurité,<br />

alors que plusieurs investisseurs<br />

ont déjà fait leurs bagages pour des<br />

cieux plus sereins, au Maroc notamment,<br />

et que d’autres se préparent à<br />

partir.<br />

À Tunis, le regard est d’emblée<br />

agressé par le mur de barbelés de trois<br />

mètres de haut qui se dresse autour du<br />

palais du gouvernement de la Kasbah,<br />

sous les yeux pleins d’interrogations<br />

des rares touristes qui continuent à<br />

battre le pavé de la Médina. La morosité<br />

règne dans ce temple de l’artisanat<br />

et de la convivialité, d’habitude<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

grouillant de visiteurs cosmopolites<br />

s’adonnant à leur sport favori: le marchandage<br />

pour le plaisir. Assis sur un<br />

tabouret devant sa minuscule échoppe,<br />

un boutiquier ne se donne même plus<br />

la peine de faire la chasse aux clients.<br />

« Les affaires ? Quelles affaires ? On<br />

ne fait plus d’affaires. Depuis la révolution,<br />

la source de notre gagne-pain,<br />

le tourisme, a tari. Nous sommes sur<br />

le mode survie », répond ce marchand<br />

de souvenirs, les yeux tournés vers le<br />

ciel, implorant la miséricorde divine.<br />

Malgré un léger frémissement, les<br />

deux dernières saisons touristiques ont<br />

été médiocres. Hormis les Algériens,<br />

venus nombreux, les Européens,<br />

inquiets de l’insécurité pour certains,<br />

sceptiques sur l’évolution du « printemps<br />

arabe » de Tunis pour d’autres,


se sont massivement abstenus. Le<br />

Forum social mondial (FSM), rassemblement<br />

pluriannuel des altermondialistes,<br />

n’a pas drainé les foules. Il s’est<br />

terminé en queue de poisson.<br />

À la Marsa, le propriétaire du principal<br />

bazar de cette station balnéaire prisée,<br />

tiré d’une sieste qui semblait<br />

devoir se prolonger, confirme avec<br />

une pointe de colère dans la voix :<br />

« On est fatigués, on n’y arrive plus. »<br />

Il ne faut pas trop le pousser pour qu’il<br />

crie fort son exaspération : « On en a<br />

marre des blocages, du chômage, des<br />

cambriolages, des vols et des rapines.<br />

On en a marre du désordre. Vivement<br />

la sécurité, vivement la stabilité, vive<br />

Ben Ali! » Autour de lui les clients<br />

baissent les yeux. Aucun ne désapprouve.<br />

Même spectacle de camp retranché<br />

devant le ministère de l’Intérieur, en<br />

plein centre-ville, avenue Habib-Bourguiba,<br />

que les militants islamistes et<br />

leurs auxiliaires des LDR voudraient<br />

rebaptiser « avenue de la Révolution<br />

». Saisis d’une fièvre révisionniste,<br />

ils clament, l’écume aux lèvres,<br />

que l’histoire de la Tunisie doit être<br />

réécrite de A à Z pour que soit effacé à<br />

jamais le souvenir de Habib Bourguiba,<br />

père de la Nation et du Destour,<br />

le parti de l’indépendance, leur bête<br />

noire. Déjà, sous leur pression, les<br />

fêtes de l’Indépendance, le 20 mars, et<br />

des Martyrs, le 9 avril, point de basculement<br />

de la lutte nationale, ont été<br />

zappées.<br />

Paradoxalement, à quelques jours<br />

d’intervalle, le treizième anniversaire<br />

de la disparition de Bourguiba, mort<br />

dans l’isolement et la solitude après sa<br />

destitution par Zine el-Abidine Ben<br />

Ali, était commémoré avec ferveur par<br />

le peuple dans sa ville natale de<br />

Monastir. Le président provisoire de la<br />

République, Moncef Merzouki, vilipendé<br />

pour avoir promis l’opposition à<br />

la potence s’il accédait au pouvoir, et<br />

qui vient ingénument d’aggraver son<br />

cas en menaçant d’intenter des procès<br />

contre ceux qui critiqueraient le Qatar,<br />

promu bienfaiteur de la Tunisie, s’est<br />

invité aux cérémonies. Il y a célébré, à<br />

la sauvette, les multiples vertus du<br />

« bourguibisme », cette « voie<br />

moyenne », subtil dosage d’authenticité<br />

et de modernité, qui reste la<br />

marque du « combattant suprême ».<br />

Repentance ou récupération ? Posture<br />

tactique en tout cas. Car, la plupart<br />

des Tunisiens, même ceux qui<br />

s’en étaient écartés, considèrent que<br />

cette « voie moyenne », combinée à<br />

l’exercice des libertés démocratiques,<br />

reste le seul antidote à l’obscurantisme<br />

envahissant. Merzouki n’est pas loin<br />

de considérer que son unique planche<br />

de salut réside désormais dans le<br />

« marais destourien ». Abandonné par<br />

les siens, soutenu par Ennahdha<br />

comme la corde soutient le pendu, il<br />

croit pouvoir se présenter aux prochaines<br />

élections comme un<br />

« recours », l’homme du salut national,<br />

sur la base d’une synthèse réconciliant<br />

islam et démocratie, à la turque.<br />

Sans mystère, l’électorat destourien<br />

est le principal enjeu du scrutin national<br />

destiné à clore une transition<br />

vieille de plus de deux ans qui n’a que<br />

trop duré. La date de cette élection,<br />

annoncée pour la fin de l’année, fait<br />

l’objet, dans une totalité opacité, de<br />

mystérieuses tractations entre les dirigeants<br />

de la coalition majoritaire à<br />

l’Assemblée constituante. Ses<br />

membres, confortablement payés et<br />

bénéficiant d’immunités diverses, ne<br />

semblent pas pressés de remettre en<br />

jeu leur mandat.<br />

◗ Économie dans le rouge<br />

Merzouki n’est pas seul sur ce créneau.<br />

Le guide d’Ennahdha, Rached<br />

Ghannouchi, mettant en sourdine ses<br />

alliances ratées avec les salafistes et<br />

les LDR, multiplie lui aussi les avances<br />

en direction des destouriens. Au grand<br />

dam de son aile dure, qui veut les<br />

exclure pour longtemps, sinon à<br />

jamais, du paysage politique. Il chercherait<br />

ainsi à élargir sa base afin de<br />

faire contrepoids à ses encombrants<br />

alliés. Il vient de réaffirmer qu’Ennahdha<br />

ne « peut pas et ne veut pas<br />

gouverner seule », et « même avec<br />

51 % des voix, elle ne le pourrait<br />

pas ». Il reconnaît ainsi le poids et le<br />

rôle des « forces vives » dans l’administration,<br />

l’université, l’armée, la<br />

police et le monde des affaires, qui lui<br />

LE PRÉSIDENT PROVISOIRE MONCEF MERZOUKI<br />

EST SOUTENU PAR ENNAHDHA COMME LA CORDE SOUTIENT LE PENDU.<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

restent résolument hostiles.<br />

« Ennahdha a la quantité mais pas la<br />

qualité », a-t-il avoué.<br />

C’est sans doute pour couper l’herbe<br />

sous les pieds de Nidaa Tounes que les<br />

représentants d’Ennahdha à l’Assemblée<br />

constituante ont, à la surprise<br />

générale, fomenté un coup tordu en<br />

adoptant en commission un avant-projet<br />

de loi privant de leurs droits<br />

civiques pour au moins dix ans des<br />

milliers de responsables ayant exercé<br />

des fonctions politiques sous la bannière<br />

du Rassemblement démocratique<br />

constitutionnel (RCD, dissous) de Ben<br />

Ali. La peur de l’échec électoral n’est<br />

pas étrangère à ce début de panique.<br />

« Les dirigeants islamistes, qui ont<br />

pris le pouvoir par effraction dans des<br />

circonstances exceptionnelles, à la<br />

faveur d’une loi électorale taillée sur<br />

mesure, craignent qu’un échec électoral<br />

marque la fin de l’hégémonie<br />

qu’ils exercent depuis près de deux<br />

ans sur le monde politique. Rentrés<br />

pour la plupart d’un long exil, leur<br />

enracinement dans le pays est faible.<br />

Ils se comportent en étrangers et sont<br />

imprégnés de la culture islamique du<br />

“butin” à partager, qui est aux antipodes<br />

de la culture de l’État propre au<br />

bourguibisme », explique déçu et troublé,<br />

un cadre supérieur à la retraite.<br />

La lettre d’intention signée avec le<br />

FMI, que les autorités voudraient faire<br />

passer pour un bon point, a jeté le<br />

trouble dans le pays. Tous les indicateurs<br />

économiques sont au rouge vif:<br />

dette publique excessive (48 % du<br />

PIB), déficit commercial qui se creuse,<br />

solde négatif de la balance des paiements,<br />

inflation galopante (6,5 %),<br />

chômage en hausse (17,6 % en<br />

moyenne, et chômage des jeunes crevant<br />

les plafonds), croissance en<br />

berne. Appelé au secours, le FMI, en<br />

contrepartie d’un prêt de soutien à la<br />

balance des paiements, a dicté ses<br />

conditions habituelles d’inspiration<br />

néolibérale : réduction drastique des<br />

subventions aux produits de base et<br />

aux carburants, bradage des dernières<br />

entreprises publiques, allégements de<br />

la fiscalité des entreprises, gel des<br />

salaires et des allocations sociales, etc.<br />

Alors que les Tunisiens ne cessent de<br />

découvrir l’étendue de la pauvreté<br />

cachée, cette politique d’austérité<br />

dévastatrice frappera en premier lieu<br />

les plus pauvres. Elle annonce des<br />

explosions sociales à venir, prévient<br />

l’UGTT. ■<br />

47


48 Monde arabe<br />

Syrie Attirés par des discours sectaires, des centaines de jeunes Occidentaux partent combattre<br />

aux côtés des rebelles. La Belgique tente de trouver la parade, mais difficilement, tant la<br />

politique occidentale est borgne à l’égard de ce pays.<br />

Par François Janne d’Othée Bruxelles<br />

Ces djihadistes venus d’Europe<br />

Il s’appelle Jejoen Bontinck, il est<br />

belge et il a 18 ans. En février, ce<br />

jeune Anversois raconte à ses<br />

parents qu’il part en vacances aux<br />

Pays-Bas. À la mi-mars, il leur téléphone,<br />

en pleurs. Il n’est pas aux<br />

Pays-Bas, mais dans la zone rebelle<br />

en Syrie, qu’il veut quitter au plus<br />

vite. Sans plus aucune nouvelle<br />

depuis lors, son père Dimitri a décidé<br />

d’aller le récupérer tout seul. Un<br />

père follement inquiet: d’après un<br />

chercheur de l’université de Gand (et<br />

imam), une douzaine de jeunes<br />

Belges, parfois des mineurs, auraient<br />

déjà été tués sur le champ de bataille<br />

syrien. « Il se rend compte qu’il ne<br />

peut rien attendre du gouvernement<br />

belge », réagit son avocat. La Belgique<br />

peut difficilement envoyer des<br />

enquêteurs en zone insurgée, et<br />

depuis qu’elle a fermé son ambassade<br />

à Damas, elle a perdu tout<br />

contact direct avec les autorités<br />

syriennes.<br />

◗ Réseaux Salafistes<br />

Du côté des rebelles syriens, on<br />

compterait une centaine de Britanniques,<br />

« quelques dizaines » de<br />

Français, selon le ministre français de<br />

l’Intérieur Manuel Valls, des Néerlandais,<br />

des Espagnols, et plus d’une<br />

centaine de jeunes Belges, ce qui fait<br />

de la Belgique le plus gros pourvoyeur<br />

(hors pays arabes) en proportion<br />

de sa population. Qui sont-ils ?<br />

D’après la ministre de l’Intérieur<br />

Joëlle Milquet, interrogée par le journal<br />

belge La Dernière Heure, les profils<br />

sont très différents : des jeunes<br />

musulmans, des convertis, « parmi<br />

lesquels on trouve des gens très radicalisés<br />

», des idéalistes « souvent<br />

manipulés », mais aussi des « cas<br />

très lourds, suivis de près par la justice<br />

»… « Et enfin, ceux qui veulent<br />

D. R.<br />

Comment en vouloir à ces jeunes « fous de Dieu » quand l’Europe<br />

où ils vivent fait implicitement cause commune avec les rebelles islamistes?<br />

soutenir l’opposition classique »,<br />

ajoute-t-elle. En fait, la plupart ont<br />

rejoint le Front al-Nosra, un groupe<br />

djihadiste composé de quelque 4 000<br />

combattants qui a prêté allégeance au<br />

mouvement Al-Qaïda. Il compte près<br />

de deux tiers d’étrangers, principalement<br />

issus de pays arabes.<br />

Parmi les plus concernés par le<br />

phénomène, les bourgmestres<br />

(maires) d’Anvers, de Malines et<br />

Vilvorde se sont réunis pour tenter<br />

d’évaluer l’impact en termes de<br />

sécurité publique de ces jeunes guerriers<br />

qui reviennent dans les quartiers<br />

après avoir été formés par des<br />

émules d’Al-Qaïda. Dans le cas de<br />

la Syrie, « il y a des va-t-en-guerre<br />

âgés d’une quinzaine d’années, ce<br />

qui laisse présager un retour de<br />

flamme possible à terme, explique le<br />

théologien Mohamed Ramousi, au<br />

nom du Forum musulmans et société.<br />

À l’instar du gang de Roubaix<br />

entraîné en Bosnie et se livrant,<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

quelques années plus tard, en 1996,<br />

à des braquages virant au carnage<br />

urbain en France : fusillades aux<br />

armes de guerre, lance-roquettes,<br />

fusils d’assaut, grenades, meurtres,<br />

courses-poursuites… » Ramousi<br />

appelle les imams à dénoncer l’embrigadement<br />

de jeunes exaltés au<br />

nom de l’islam.<br />

En Belgique, l’ampleur du départ<br />

de jeunes combattants a justifié la<br />

mise sur pied d’une task force Syrie,<br />

une première en Europe. Cette plateforme,<br />

qui comprend notamment des<br />

représentants de l’Organe de coordination<br />

pour l’analyse de la menace<br />

(Ocam), de la Sûreté de l’État, du<br />

SGRS (renseignements de l’armée),<br />

du parquet fédéral, de la police belge<br />

et du centre de crise des Affaires<br />

étrangères, a pour objectif d’élaborer<br />

une stratégie pour empêcher que<br />

d’autres jeunes gens ne partent au<br />

combat en Syrie, et tenter de rapatrier<br />

ceux qui sont partis.


Cela exigera notamment d’identifier<br />

certains réseaux salafistes et<br />

autres groupements (comme Sharia4Belgium)<br />

qui infiltrent les mosquées,<br />

prisons et écoles. Les recruteurs<br />

qui organisent des « soirées<br />

d’information » dans des appartements<br />

privés seront pistés et certains<br />

sites Internet particulièrement surveillés.<br />

Tous sont accusés de profiter<br />

du désarroi d’une jeunesse qui s’estime<br />

laissée pour compte. Dans les<br />

quartiers populaires de Molenbeek<br />

(Bruxelles), le chômage dépasse les<br />

30 %. Partir, c’est se trouver un nouvel<br />

idéal, se valoriser, et revenir au<br />

pays avec l’aura du combattant.<br />

Le sujet étant devenu un enjeu de<br />

politique belge, chacun y va de sa<br />

petite idée, le plus souvent impraticable.<br />

Un bourgmestre voudrait<br />

qu’on confisque les cartes d’identité<br />

de ces candidats au djihad pour<br />

rendre leur voyage plus difficile,<br />

mais la base légale pour le faire est<br />

bien faible. Un imam belge suggère<br />

de placer ces jeunes dans des centres<br />

fermés, tandis que le ministre des<br />

Affaires étrangères Didier Reynders<br />

prône des sanctions pénales, « avec<br />

l’espoir que cela ait un effet dissuasif<br />

au départ », déclare-t-il.<br />

Mais peut-on raisonnablement dissocier<br />

l’indispensable prévention et<br />

la diplomatie? À cet égard, les Européens<br />

se montrent particulièrement<br />

borgnes. Depuis le début, la politique<br />

belge, et plus largement européenne,<br />

est d’asséner que Bachar al-Assad<br />

doit quitter le pouvoir (sans avoir au<br />

préalable consulté les Syriens), et<br />

d’encourager coûte que coûte la<br />

rébellion malgré sa désunion et la<br />

présence en son sein d’éléments qui<br />

sont aux antipodes des valeurs démocratiques.<br />

La France et le Royaume-<br />

Uni, rejoints par des eurodéputés<br />

belges comme Guy Verhofstadt,<br />

ancien premier ministre belge et chef<br />

de groupe libéral au Parlement européen,<br />

ont même évoqué l’envoi<br />

d’armes aux opposants. Sans parler<br />

de cette « fatwa » de Laurent Fabius<br />

qui a décrété que Bachar al-Assad<br />

« ne mérite pas de vivre ».<br />

Comment dès lors expliquer à ces<br />

jeunes que ce qu’ils font est répréhensible<br />

? Ils s’estiment à juste titre<br />

légitimés. Même le père Paolo<br />

dall’Oglio, fondateur du monastère<br />

« NOUS CRAIGNONS POUR VOTRE VIE, MAIS CRAIGNONS AUSSI<br />

QUE VOUS DEVENIEZ DES MEURTRIERS. » DES PARENTS BELGES<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

D. R.<br />

de Mar Mousa près de Damas, et<br />

expulsé par le régime, a récemment<br />

tenu des propos positifs sur<br />

l’« idéal » de ces garçons. En outre,<br />

aucune loi ne les empêche de se<br />

battre à l’étranger, même s’il faudra<br />

déterminer s’ils ne se rendent pas<br />

coupables de complicité avec certains<br />

groupes terroristes présents sur<br />

le terrain. Fin 2012, les États-Unis<br />

ont placé le Front al-Nosra sur la<br />

liste des organisations terroristes.<br />

Mais l’Union européenne (UE), elle,<br />

préfère continuer d’infliger sanction<br />

sur sanction au régime de Bachar al-<br />

Assad.<br />

◗ « Le bon côté »<br />

Autre paradoxe : on attend de voir<br />

l’efficacité des démarches que la task<br />

force belge va entreprendre à l’égard<br />

de la Turquie, par où les jeunes transitent<br />

avant de se diriger vers la Syrie<br />

avec armes et bagages. Ankara est en<br />

effet une des plus farouches adversaires<br />

de Bachar al-Assad. On ne voit<br />

donc pas pourquoi le gouvernement<br />

Erdogan mettrait un zèle soudain à<br />

empêcher que des combattants de<br />

tous bords partent faire le coup de feu<br />

contre l’armée loyaliste. En outre, la<br />

Turquie est officiellement l’alliée des<br />

Européens. L’Otan vient d’ailleurs de<br />

la gratifier de missiles Patriot afin de<br />

parer une hypothétique attaque du<br />

régime syrien. Difficile après cela de<br />

lui demander de contrôler les rebelles,<br />

censés être « du bon côté ».<br />

Cela ne fera pas l’affaire de ces<br />

parents inquiets qui se demandent<br />

quand ils reverront leurs fils. Dans<br />

une lettre ouverte publiée par le journal<br />

La Libre Belgique, un père et une<br />

mère (anonymes) écrivent: « Nous<br />

craignons pour votre vie, mais craignons<br />

aussi que vous deveniez des<br />

meurtriers. Des savants musulmans<br />

nous disent que la seule guerre légitime<br />

est strictement défensive, lorsque<br />

l’existence de la communauté musulmane<br />

est menacée, ce qui n’est en<br />

aucun cas ici, puisqu’il s’agit d’une<br />

guerre entre musulmans d’obédiences<br />

différentes. » Le père de<br />

Jejoen Bontinck, lui, n’avait toujours<br />

pas retrouvé son fils en Syrie une<br />

semaine après s’être envolé de Belgique.<br />

Comme si sa détresse n’était<br />

déjà pas assez profonde, il a en outre<br />

été arrêté et maltraité pendant<br />

quelques heures par une bande de<br />

rebelles. ■<br />

49


50 Monde arabe<br />

Terrorisme Dans un livre à lire absolument * , Jean-Loup Izambert dénonce les complicités des<br />

élites occidentales à l’égard des djihadistes, derrière les indignations de façade.<br />

Par Salil Sarkar<br />

L’internationale des criminels<br />

Jean-Loup Izambert est un enquêteur<br />

chevronné mais ignoré par les<br />

« grands » médias et les éditeurs<br />

les plus en vue du monde francophone.<br />

Ignoré, car ses investigations révèlent<br />

les agissements très vilains, voire criminels,<br />

des élites qui gouvernent les pays<br />

riches. Crimes sans châtiment ne fait<br />

pas exception à la règle sur un sujet<br />

sensible : le soutien aux djihadistes pour<br />

préserver leurs intérêts.<br />

◗ Joueurs de guerre<br />

Selon une récente étude du King’s<br />

College de Londres, il y aurait entre<br />

2 000 et 5 500 djihadistes du monde<br />

entier qui font feu en Syrie pour y<br />

démolir le régime et établir la charia.<br />

Parmi eux, environ 600 viennent des<br />

pays de l’Union européenne, dont entre<br />

30 et 92 de la France (1) . Chiffres minimisés,<br />

selon les supporteurs, critiques<br />

ou pas, du régime. Jean-Loup Izambert<br />

rappelle que ce sont l’Afghanistan et la<br />

Bosnie qui ont vu arriver sur leur sol les<br />

premiers activistes islamistes contemporains,<br />

des djihadistes mobilisés par<br />

les dirigeants des émirats du Golfe,<br />

mais surtout ceux des États-Unis et de<br />

nombre de ses alliés européens, avec<br />

les incontournables experts pakistanais<br />

en cheville ouvrière.<br />

Exemple plus récent, la Tunisie.<br />

Izambert cite les « notices rouges »<br />

d’Interpol, l’organisation internationale<br />

de la police criminelle qui recherchait,<br />

il y a plus de vingt ans, des militants<br />

islamistes pour homicides volontaires,<br />

attentats à l’explosif contre des touristes,<br />

un avion civil… Pourtant, note<br />

l’auteur, « ceux-ci s’installent tranquillement<br />

en France – de même qu’en<br />

Angleterre et aux États-Unis – et développent<br />

des activités économiques,<br />

sociales et même politiques ». Au début<br />

des années 1980, des militants d’Ennahdha,<br />

y compris leur chef actuel<br />

Rached Ghannouchi, sont emprisonnés<br />

(et peut-être même torturés) en Tunisie.<br />

Par la suite, Ghannouchi choisit l’exil<br />

en Europe ou il vit pendant des décennies,<br />

et notamment en Grande-Bretagne,<br />

dont les dirigeants, d’habitude si<br />

prompts à vociférer contre le terrorisme,<br />

ont choisi d’ignorer les mandats<br />

d’Interpol.<br />

En Algérie, le Front islamique de<br />

salut (Fis) puis ses successeurs (GIA,<br />

etc.) subissent la répression sévère des<br />

autorités. Mais certains de leurs chefs<br />

bénéficient de la sympathie des services<br />

secrets des États-Unis. Anwar Haddam,<br />

physicien nucléaire de formation, y<br />

représente le Fis pendant des années et<br />

voyage en Europe pour animer des<br />

séminaires. D’ordinaire frappés d’urticaire<br />

à la moindre mention de terrorisme,<br />

les dirigeants américains et européens<br />

laissent faire. Complicités ? Ça y<br />

ressemble furieusement.<br />

Et la Libye, où le chaos règne depuis<br />

l’élimination de Mouammar Kadhafi ?<br />

Révolte populaire, ou pseudo-rébellion<br />

financée par des pays du Golfe, avec<br />

l’entraînement des éléments de classes<br />

défavorisées par des services spéciaux<br />

européens ? Le 25 août 2011, mettant<br />

de côté ses réserves habituelles pour<br />

révéler les vilenies des élites, le quotidien<br />

français Le Figaro cite un responsable<br />

: « Si Londres et Paris n’avaient<br />

pas envoyé leurs forces spéciales pour<br />

aider les rebelles et leur apprendre le<br />

métier, les insurgés ne seraient pas à<br />

Tripoli aujourd’hui et la guerre serait<br />

loin d’être terminée. » La résolution<br />

des Nations unies concernant la Libye<br />

n’autorisait pourtant aucune intervention<br />

pour dégommer le régime… « Le<br />

procédé, dit Izambert, n’est pas nouveau<br />

de la part des États-Unis et des<br />

pays de l’Union européenne. L’expérience<br />

montre que ceux-ci – qui détiennent<br />

la large majorité des postes de<br />

décisions au sein de l’Organisation des<br />

Nations unies – ont déjà piétiné ses<br />

résolutions dans plusieurs autres<br />

conflits régionaux. »<br />

Flashback en Afghanistan. Les services<br />

secrets étasuniens ont commencé<br />

à soutenir les moudjahiddine islamistes<br />

six mois avant l’intervention des troupes<br />

soviétiques le 24 décembre 1979 pour<br />

soutenir le régime de gauche afghan. Ils<br />

dépenseront des milliards de dollars<br />

pour mettre les premiers islamistes au<br />

pouvoir, puis, devant leur incapacité à<br />

tenir le pays, formeront les taliban pour<br />

les supplanter. Pas assez dociles, ces<br />

taliban ? Eh bien, on les accusera d’abriter<br />

Oussama Ben Laden, agent secret<br />

saoudien qui aurait changé de casquette.<br />

De nos jours, les dirigeants américains<br />

manœuvrent encore pour se<br />

garantir une présence<br />

dans la région... Dans<br />

un « grand jeu », avec<br />

la superpuissance étasunienne<br />

et ses amis en<br />

joueurs actifs. Pour<br />

combien de temps<br />

encore ? L’auteur<br />

semble dire : jusqu’à<br />

ce que « l’Eurasie »,<br />

un ensemble de pays<br />

comprenant la Russie,<br />

la Chine et<br />

d’autres, y mette fin.<br />

L’Eurasie ? Une<br />

notion géographique très<br />

flexible et quasi mystique, que brandissent<br />

de nombreux penseurs. Et les<br />

peuples dans tout ça ? Ce n’est pas eux<br />

qui font l’Histoire?■<br />

◗ (1) The Guardian, Londres, 3 avril 2013.<br />

◗ * Crimes sans châtiment, Jean-Loup Izambert,<br />

Éditions 20cœurs, 326 p., 22 euros.<br />

ENTRE 2000 ET 5000 DJIHADISTES DU MONDE ENTIER<br />

FONT FEU EN SYRIE POUR Y ÉTABLIR LA CHARIA.<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

D. R.


Palestine En matière de coopération sanitaire à Gaza, Paris, soumis aux desiderata d’Israël, a<br />

tout faux. Les Palestiniens se tournent vers d’autres partenaires, bien plus efficaces.<br />

Encéphalogramme plat pour la France<br />

Par Christophe Oberlin *<br />

En visite en septembre 2005 dans<br />

la bande Gaza, le médecin et<br />

ministre des Affaires étrangères<br />

français Philippe Douste-Blazy<br />

demanda: « De quoi avez-vous besoin ? »<br />

« D’un centre anticancéreux : dépistage,<br />

radio et chimiothérapie. » Marché<br />

conclu. Cinq médecins palestiniens sont<br />

identifiés par l’Autorité palestinienne et<br />

partent au cancéropole de Toulouse pour<br />

une formation de cinq ans. Sept ans plus<br />

tard, quelle est la situation ?<br />

◗ « Centre Prince-Nayef »<br />

Quatre des médecins sont de retour à<br />

Gaza, dont trois sont effectivement<br />

affectés au centre. Mais ils ne cachent<br />

pas leur amertume. Le bâtiment existe,<br />

les appareils sont là, mais l’accélérateur<br />

nucléaire (qui délivre la radiothérapie<br />

sans nécessité de produits radioactifs)<br />

est en panne, comme l’IRM et le scanner.<br />

L’appareil de scintigraphie (gamma<br />

caméra) qui sert à localiser les atteintes<br />

cancéreuses est toujours en caisse, il n’a<br />

jamais été installé. Les Israéliens ont<br />

jusqu’ici refusé l’acheminement des produits<br />

radioactifs nécessaires à son fonctionnement.<br />

Des produits dont la demivie<br />

(dégradation automatique) est de<br />

quelques heures à quelques jours. Tous<br />

les prix Nobel de physique réunis n’en<br />

feraient pas un pétard !<br />

Comment en est-on arrivé là ? Après<br />

le succès du Hamas aux élections de<br />

février 2006, la diplomatie française a<br />

stoppé tout contact avec les autorités de<br />

Gaza. Et le projet a tout simplement été<br />

lâché en rase campagne.<br />

En attendant, Le D r Awad Aeshan travaille<br />

dans un autre établissement où<br />

sont traités, par les moyens du bord,<br />

1 200 patients par an. « Mais, précise-t-<br />

il, les malades sont beaucoup plus nombreux<br />

: il n’y a pas de dépistage, ils<br />

meurent chez eux. » Et l’espérance de<br />

vie des femmes de Gaza atteintes d’un<br />

cancer du sein est la moitié de celles de<br />

Cisjordanie.<br />

Aujourd’hui l’Arabie Saoudite a repris<br />

le projet et posé sur la table 9 millions<br />

de dollars. « Le centre ouvrira à la fin<br />

de l’année », assure le ministre de la<br />

Santé, Mofeed Mokhallalati. Il s’appellera<br />

« centre Prince-Nayef ».<br />

Dans l’ancienne colonie de Netzarim<br />

évacuée par Israël en 2005, la coopération<br />

turque n’a pas perdu de temps. La<br />

nouvelle faculté de médecine est terminée.<br />

Elle doit être inaugurée en avril par<br />

le premier ministre turc Recep Tayyip<br />

Erdogan, et recevra ses étudiants à la<br />

rentrée prochaine. Face à elle, un hôpital<br />

universitaire de 200 lits, copie à l’identique<br />

d’un hôpital turc, a été construit en<br />

vingt-deux mois, pour 34 millions de<br />

dollars. « La totalité du ciment et des<br />

pierres égyptiennes est passée par les<br />

tunnels », précise Abdelhakim al-Bata,<br />

le directeur administratif et financier.<br />

DES CAILLOUS SUR JOSPIN ET VÉDRINE, DES ŒUFS<br />

SUR ALLIOT-MARIE ET… PRESQUE UNE GIFLE SUR KOUCHNER!<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

C’est aussi la Turquie qui finance les<br />

équipements et accompagnera en moyens<br />

et techniciens le démarrage de l’hôpital.<br />

« Ils ne vont pas nous abandonner brutalement<br />

», précise Abdelhakim…<br />

Politique désastreuse, action humanitaire<br />

en berne : voilà aujourd’hui la position<br />

de la France en Palestine, et à Gaza<br />

Gaza compte<br />

désormais sur la solidarité<br />

saoudienne et turque.<br />

en particulier. Lionel Jospin et Hubert<br />

Védrine se sont fait caillasser par les<br />

étudiants de l’université de Birzeit, Bernard<br />

Kouchner ne doit qu’à la clairvoyance<br />

de son interprète de ne pas<br />

s’être fait gifler en Cisjordanie (celui-ci<br />

a pris sur lui de modifier la traduction du<br />

discours du ministre jugé trop offensant),<br />

Michèle Alliot-Marie a reçu des<br />

œufs sur le pare-brise de sa voiture…<br />

Malgré tout, il y a toujours, curieusement<br />

orthographiée, une rue « Charles<br />

de Gaulle » à Gaza ! Et la France se dote<br />

d’un nouveau centre culturel. À la<br />

mesure de ses ambitions. ■<br />

◗ * Chirurgien. Dernier ouvrage paru :<br />

Bienvenue en Palestine - Destination interdite,<br />

avec Acacia Condes, 2012, Érick Bonnier<br />

Éditions.<br />

51<br />

Photos: D. R.


RÉPUBLIQUE ALGÉRIENNE DÉMOCRATIQUE ET POPULAIRE<br />

MINISTÈRE DES TRANSPORTS<br />

EPE/SPA « AIR ALGÉRIE »<br />

CAPITAL DE 43.000.000.000 DA<br />

Siège social : 01 place Maurice Audin - Alger<br />

Site Internet : http://www.airalgerie.dz<br />

AVIS D’APPEL D’OFFRES<br />

INTERNATIONAL RESTREINT<br />

AOR N°01/DEXP/2013<br />

ÉTUDE D’UN PROJET DE MISE EN PLACE DU HUB D’AIR ALGÉRIE<br />

À L’AÉROPORT HOUARI BOUMEDIENE D’ALGER<br />

MAÎTRE D’OUVRAGE : AIR ALGÉRIE<br />

1. Afin d’accroître les possibilités de correspondances sur l’Aéroport d’Alger, non seulement<br />

pour le transport des passagers mais aussi pour celui des marchandises, sur les réseaux des<br />

lignes aériennes nationales et internationales exploitées par Air Algérie, ainsi qu’entre ces<br />

réseaux ;<br />

Afin d’améliorer, ainsi, la rentabilité des vols et par conséquent les revenus d’Air Algérie ;<br />

Afin de contribuer au développement de la plateforme aéroportuaire d’Alger et de son trafic,<br />

sans pour autant créer des problèmes de congestion ou de sous capacité ;<br />

Air Algérie lance un appel d’offres restreint aux candidats internationaux spécialisés dans le<br />

domaine du transport aérien pour l’étude de la mise en place d’un HUB à l’aéroport international<br />

d’Alger.<br />

2. Les candidats intéressés par le présent avis d’appel d’offres peuvent retirer le cahier des<br />

charges sur présentation d’une demande de retrait ou copie du registre de commerce, contre<br />

le paiement de la somme non remboursable de quinze mille dinars algériens (15.000 DA) à<br />

l’adresse ci-dessous. Le paiement sera effectué par virement au compte bancaire [BNA,<br />

Agence Liberté, 08 rue de la Liberté-Alger : 001-00 6050300003422/Clé 77 ].<br />

3. Le jour de dépôt des offres est fixé au dimanche 20 mai 2013, au niveau de :<br />

Air Algérie, Division Exploitation<br />

Aéroport International d’Alger<br />

Houari Boumediene<br />

Terminal International<br />

Hall 02, deuxième étage<br />

Alger, Algérie<br />

Fax +213 21 50 93 02<br />

E-mail : divisionexploitation@airalgerie.dz<br />

L’heure limite de dépôt des offres est fixée le même jour à 14h00.


Édité en 2011, le livre d’Alain<br />

Chouet – Au cœur des services<br />

spéciaux. La menace islamiste :<br />

fausses pistes et vrais dangers –<br />

fait partie, sans doute, de ce qui<br />

s’est publié de mieux en France sur les<br />

attentats du 11 septembre 2001, le terrorisme<br />

islamiste et les crises de l’arc proche<br />

et moyen-oriental. L’ouvrage ressort aujourd’hui<br />

en poche (1) , agrémenté d’une postface<br />

tirant quelques enseignements des deux<br />

années passées, en commençant par déconstruire<br />

les idées reçues sur les mal nommées<br />

« révolutions arabes ».<br />

On se souvient, notamment, qu’un de nos islamologues<br />

en chef de Science-Po Paris écrivait, en<br />

août 2011, que les djihadistes « étaient paniqués par<br />

la vague démocratique en train de submerger le<br />

monde arabe… » Remis de cette panique qui n’a rien<br />

soustrait de leurs capacités de nuisance, les islamistes<br />

sunnites se sont aussitôt réorganisés en deux<br />

branches : les Frères (modérés) et les salafistes (radicaux).<br />

Peu ou prou inventées par les mêmes docteurs<br />

en islamologie, ces deux catégories/valises servent<br />

désormais de fil conducteur à la lecture de l’actualité<br />

en Tunisie, Égypte, Libye, sinon en Syrie. Et les<br />

mêmes de se féliciter en déplorant la pression débordante<br />

de groupes « salafistes », note Chouet, qu’on<br />

ne pourrait maîtriser qu’en leur faisant des concessions.<br />

Et il ajoute : « L’argument est peu convaincant<br />

quand on observe que la plupart des leaders de ces<br />

groupes salafistes sont issus de la Confrérie, ce qui<br />

laisse planer la suspicion quant à la spontanéité de<br />

ces surenchères entre tribuns populistes. » Criant<br />

dans le désert depuis plus d’un quart de siècle qu’il<br />

faut « suivre l’argent », Chouet conclut : « Tant qu’ils<br />

bénéficieront du “nerf de la guerre” financier que<br />

leur prodiguent généreusement nos partenaires wahhabites<br />

du Qatar et de l’Arabie Saoudite, les Frères<br />

musulmans, leur filiation salafiste et surtout leurs différents<br />

bras armés djihadistes pèseront sur notre<br />

sécurité collective. J’y inclus celle de nos voisins<br />

arabes, quelle que soit leur confession, et, musulmans,<br />

quelle que soit leur nationalité, qui sont les<br />

premières victimes de cette violence. »<br />

Sur la Syrie aussi, Chouet n’y va pas par quatre<br />

chemins : « Les soutiens extérieurs importants apportés<br />

à cette rébellion armée ne font qu’éloigner les<br />

perspectives d’un règle-<br />

ment pacifique du conflit.<br />

Quelles que soient les<br />

responsabilités des uns<br />

et des autres dans le<br />

drame syrien, le fait est<br />

Tribune<br />

Sacré Chouet !<br />

Par Richard Labévière<br />

Consultant<br />

international.<br />

EN LIBYE, « PERSONNE NE NOUS AVAIT DEMANDÉ<br />

DE DÉTRUIRE TOUT UN APPAREIL D’ÉTAT ». A. CHOUET<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

D. R.<br />

qu’aujourd’hui l’opposition politique au<br />

régime est totalement hétéroclite et fragmentée.<br />

Dispersées à l’étranger, essentiellement<br />

en Turquie, en France et au Qatar selon<br />

leurs affinités, ses diverses composantes prônent<br />

des stratégies contradictoires et souvent<br />

marginalisées au profit de la rébellion militaire.<br />

Et, au sein de cette dernière, les fondamentalistes<br />

sunnites djihadistes ont pris le<br />

pas sur les éléments locaux. »<br />

Sur la Libye, il est opportun de rappeler,<br />

comme Chouet le fait : « Personne ne nous<br />

avait demandé de détruire tout un appareil<br />

d’État, ses infrastructures, ses communications, de<br />

bombarder les bâtiments officiels, d’assister militairement<br />

la rébellion qui comptait plus d’éléments<br />

armés que de civils, de massacrer la famille et les<br />

proches de l’autocrate, de livrer ce dernier publiquement<br />

et devant les caméras à la loi de Lynch. »<br />

Quant au Mali : « Comme l’a dit le président Hollande,<br />

ces djihadistes sont vaincus mais ils sont toujours<br />

là. Et comme toute guérilla dégénérée, ils se<br />

sont reconvertis au grand banditisme, au trafic de<br />

drogue et à la prise d’otages. Tout cela n’offre pas le<br />

tableau d’une grande et durable stabilité. »<br />

Enfin, relevant – comme le fait Afrique Asie depuis<br />

longtemps – qu’il est paradoxal de faire la guerre à<br />

des islamistes au Mali alors qu’on les soutient en<br />

Syrie, Alain Chouet conclut : « Plus étrange apparaît<br />

en revanche l’empressement des Occidentaux à favoriser<br />

partout les entreprises réactionnaires encore<br />

moins démocratiques que les dictatures auxquelles<br />

elles se substituent et à vouer aux gémonies ceux qui<br />

leur résistent. Prompt à condamner l’islamisme chez<br />

lui, l’Occident se retrouve à en encourager ses<br />

manœuvres dans le monde arabe et musulman. »<br />

Quel bonheur – dans le pays de Voltaire et Condorcet<br />

– de lire de telles vérités qui ont valu à plus d’un<br />

journaliste leur mise à mort professionnelle. Quel<br />

soulagement de disposer d’un tel livre à diffuser sans<br />

modération à la sortie des églises, des mosquées, des<br />

synagogues et des meetings politiques. Quel espoir<br />

de tourner et retourner de telles pages où la complexité<br />

s’éclaircit et au fil desquelles on approche<br />

l’intelligence des choses.<br />

En dernière instance, et ce n’est pas le moindre de<br />

ses mérites, ce sacré Chouet nous apprend qu’un<br />

espion 1 peut aussi rester un homme libre… ■<br />

◗ (1) Éditions La<br />

Découverte/Poche, avril 2013.<br />

(2) Alain Chouet: La Sagesse de<br />

l’espion, L’œil neuf Éditions,<br />

2010.<br />

53


54 Asie<br />

Pakistan Alors que le terrorisme endeuille toujours la population, la campagne pour les<br />

élections générales du 11 mai bat son plein. Les civils espèrent être reconduits, dans un pays<br />

que certains ne sont pas loin de considérer comme « failli ». Pourtant, si beaucoup de choses<br />

dysfonctionnent, d’autres marchent plutôt bien…<br />

Par Salil Sarkar<br />

On a compté 6211 personnes<br />

mortes dans des attentats terroristes<br />

au Pakistan l’an dernier.<br />

Quelques dizaines de moins<br />

qu’en 2011. Les victimes sont souvent<br />

des civils, mais les assaillants – des<br />

militants islamistes pour la plupart –<br />

sont aussi du nombre. Cette année, le<br />

total s’élève à 1 930 jusqu’à la fin<br />

mars. Une très légère amélioration, les<br />

pires années ayant été 2008, 2009 et<br />

2010. Le score macabre est même<br />

monté à près de 12000 en 2009 (1) .<br />

Malgré l’accalmie toute relative, les<br />

tueries se poursuivent dans et autour<br />

des grandes villes comme Peshawar,<br />

au nord, Lahore, à l’est, Quetta, à<br />

l’ouest, et surtout Karachi, grande<br />

ville portuaire et capitale financière. Et<br />

cela se passe souvent au nez et à la<br />

barbe des autorités pakistanaises.<br />

◗ 1,25 dollar par jour<br />

Qui fait parler la poudre? Des<br />

groupes sunnites ultra sectaires comme<br />

le Lashkar-i-Jhangvi (l’armée de<br />

Jhangvi, du nom d’un islamiste pakistanais<br />

historique) visent les chiites.<br />

Des taliban pakistanais attaquent des<br />

civils en espérant déstabiliser les autorités.<br />

Mais aussi des partis politiques<br />

ayant pignon sur rue qui se battent<br />

entre eux pour gagner du terrain. Sans<br />

compter une insurrection séparatiste au<br />

Baloutchistan, au sud-ouest du pays.<br />

L’armée a peut-être les moyens de<br />

mettre fin aux attentats, mais les militaires<br />

disent qu’ils n’agiront que si le<br />

gouvernement le leur demande. Or le<br />

gouvernement, mené par un Parti du<br />

peuple (PPP) contrôlé par les proches<br />

de l’ancien premier ministre Benazir<br />

Bhutto, hésite à donner l’ordre à l’armée<br />

d’intervenir. Le Pakistan a passé<br />

une trentaine d’années, presque la moi-<br />

Un État déliquescent ?<br />

tié de son existence en tant que pays<br />

indépendant, sous régime militaire.<br />

Le journaliste Ahmed Rashid écrit (2)<br />

que le PPP a toujours été incapable<br />

d’affronter les djihadistes. D’autres<br />

partis politiques en revanche ont fait<br />

maintes compromissions avec eux<br />

pour obtenir quelques avantages politiques.<br />

Selon Rashid, « presque tous<br />

les groupes extrémistes ont un chezsoi<br />

dans la province du Pendjab,<br />

dirigé par le Pakistan Muslim League<br />

(PML) ». Rappelons que le PML, loin<br />

d’être un parti djihadiste ou salafiste,<br />

est un groupement de bourgeois des<br />

villes et de riches propriétaires ruraux,<br />

tout comme son rival, le PPP. Et, plus<br />

que les autres partis, il est passé maître<br />

dans l’acrobatie politique. Ne craignons<br />

donc pas qu’il encourage les<br />

djihadistes s’il revient au pouvoir, à<br />

l’issue des élections prévues le 11 mai.<br />

Il l’espère bien. Pour la première fois<br />

dans l’histoire du Pakistan, un gouvernement<br />

civil pourra succéder à un gouvernement<br />

civil sortant, clament l’élite<br />

pakistanaise et ses amis et alliés à<br />

l’étranger. Pour la première fois aussi,<br />

l’administration sortante, celle du PPP,<br />

aura pu régner durant tout le quinquennat<br />

pour lequel ce parti a été élu. Mais<br />

le fait que ce pouvoir soit civil ne<br />

semble pas éveiller l’extase au sein du<br />

peuple. Car le bilan de tous les pouvoirs,<br />

qu’ils soient civils ou militaires,<br />

est loin d’être brillant.<br />

Avec pas loin de 180 millions d’habitants,<br />

le Pakistan représente la 27 e<br />

économie du monde (en parité de pouvoir<br />

d’achat). Environ 28 % de la<br />

population sont officiellement consi-<br />

LE BILAN DE TOUS LES POUVOIRS, QU’ILS SOIENT<br />

CIVILS OU MILITAIRES, EST LOIN D’ÊTRE BRILLANT.<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

dérés comme étant en dessous du seuil<br />

de la pauvreté, vivotant avec moins de<br />

1,25 dollar américain par jour. Pour<br />

l’indice de développement humain<br />

(IDH) publié chaque année par le Programme<br />

des Nations unies pour le<br />

développement, le Pakistan partage la<br />

146 e place avec le Bangladesh, soit dix<br />

rangs derrière l’Inde. La moitié des<br />

adultes, dont les deux tiers des femmes,<br />

est analphabète, et 12 millions d’enfants<br />

ne sont pas scolarisés. La faim et<br />

la malnutrition sont un problème clé,<br />

écrit Arshad Mahmood, un militant<br />

des droits de l’enfant. Selon lui,<br />

400 000 enfants meurent chaque année<br />

avant d’atteindre l’âge de 5 ans. Plus<br />

du tiers de ces décès est à attribuer à la<br />

carence alimentaire, souligne-t-il. Des<br />

millions d’enfants travaillent au Pakistan,<br />

y compris comme domestiques<br />

chez les politiciens, et le nombre d’enfants<br />

vivant et travaillant dans la rue<br />

est en augmentation (3) .<br />

Le 11 mai, les Pakistanais éliront<br />

donc la Chambre basse du Parlement<br />

national, ainsi que quatre Assemblées<br />

provinciales – au Pendjab, à Sindh, au<br />

Baloutchistan et chez les Pachtous à<br />

Khyber Pakhtunhwa. À la Commission<br />

des droits de l’homme du Pakistan,<br />

le secrétaire général I.A. Rehman<br />

avertit pourtant que la moitié des<br />

sièges de l’Assemblée nationale se<br />

trouve dans les « zones à craindre »,<br />

ou la peur des violences pourrait pousser<br />

des électeurs à fuir les urnes et certains<br />

candidats à se retirer de la course.<br />

Dans d’autres endroits, des candidats<br />

pourraient être contraints d’obtenir<br />

l’approbation des extrémistes pour


avoir la vie sauve. On s’en inquiète à<br />

la Commission électorale, qui appelle<br />

les partis politiques à l’aider à prévenir<br />

toute tentative de saboter le scrutin.<br />

D’ailleurs, des partis laïcs comme le<br />

PPP au pouvoir, l’Awami National<br />

Party (ANP), très présent chez les<br />

Pachtous, et le Muttahida Quami<br />

Movement (MQM), puissant à Karachi,<br />

ont dû annuler des meetings électoraux<br />

après des menaces proférées<br />

par des djihadistes. En revanche, les<br />

partis censés être de droite et affichant<br />

des affinités religieuses ont pu organiser<br />

de vastes et<br />

bruyantes réunions<br />

sans être inquiétés !<br />

Le Pakistan est-il<br />

un État en déliquescence,<br />

un État<br />

« failli » ? Selon le<br />

Failed State Index,<br />

une liste concoctée<br />

par des spécialistes<br />

étasuniens, il figure<br />

au 13 e rang, certes<br />

loin derrière la<br />

Somalie (n° 1), la<br />

République démocratique<br />

de Congo<br />

(n° 2), ou – plus<br />

curieusement – le<br />

Zimbabwe (n° 5),<br />

mais devant le Nigeria<br />

et le Kenya. Pour<br />

l’analyste Zahid Shahab<br />

Ahmed, assurément<br />

beaucoup de<br />

choses ne fonctionnent<br />

pas au Pakistan,<br />

mais pas mal de<br />

choses marchent (4) .<br />

Il dit que le Pakistan<br />

est « un État contrôlé<br />

D. R.<br />

par quelques élites ayant un gouvernement<br />

incapable d’administrer certaines<br />

parties du pays ». Dans des territoires<br />

près de la frontière afghane,<br />

ainsi qu’à Karachi, la capitale financière<br />

du pays, le gouvernement n’est<br />

pas en état d’exercer son autorité.<br />

Mais, la majeure partie du pays est<br />

sous contrôle, et l’armée joue un rôle<br />

central dans la démocratie pakistanaise,<br />

explique-t-il.<br />

◗ FMI<br />

Paradoxalement, le pays a connu un<br />

taux de croissance économique de 7 %<br />

en moyenne chaque année pendant<br />

quatre ans, jusqu’en 2007, et une<br />

baisse du taux officiel de pauvreté, à<br />

17 %. Or justement, il s’agit des années<br />

durant lesquelles le général Pervez<br />

Musharraf occupait la présidence, à la<br />

suite du coup d’État de 1999. Rentré<br />

au pays récemment après des années<br />

d’exil à Dubaï et à Londres, en vue de<br />

se présenter aux élections, il doit<br />

désormais faire ses adieux à une nouvelle<br />

carrière politique, car la justice l'a<br />

condamnée provisoirement à la résidence<br />

surveillée. La Cour suprême<br />

pakistanaise veut le juger pour trahison<br />

pour avoir pris le pouvoir inconstitutionnellement,<br />

suspendu la Constitu-<br />

Manifestation à Peshawar contre la corruption qui sévit<br />

dans le pays : les islamistes occupent de plus en plus la rue.<br />

tion et fait arrêter les juges de la Cour.<br />

Il est aussi accusé par d’autres tribunaux,<br />

entre autres, de n’avoir pas offert<br />

suffisamment de protection à l’ancien<br />

premier ministre Benazir Bhutto,<br />

assassinée le 27 décembre 2007.<br />

Malgré les quelques succès sous le<br />

président Musharaff, le Pakistan a dû<br />

éviter une crise de la balance des paiements<br />

avec des prêts du Fonds monétaire<br />

international (FMI) totalisant<br />

11 milliards de dollars américains en<br />

2008. Et la Banque de développement<br />

asiatique prédit que le nouveau gouvernement<br />

issu des urnes devra encore<br />

compter sur le FMI pour un prêt de<br />

9 milliards de dollars avant la fin de<br />

l’année.<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

Au lieu de quémander l’aide des<br />

pays riches, le Pakistan devrait mobiliser<br />

ses propres ressources. Le conseil<br />

vient des parlementaires britanniques<br />

qui étudient des propositions d’aide au<br />

Pakistan. Ils ont rappelé que les impôts<br />

et taxes ne représentent à peine que<br />

10 % du PIB. Pas plus de 25 % de la<br />

TVA rentre dans les coffres d’État.<br />

Selon le Bureau fédéral des revenus<br />

pakistanais, 0,57 % des résidents –<br />

soit 768 000 personnes – ont payé<br />

l’impôt sur le revenu l’an dernier. Et<br />

seulement 270 000 personnes ont<br />

effectivement déboursé quelques sous<br />

sur les trois dernières années de prélèvement.<br />

Des poursuites pour fraude<br />

fiscale ? Il n’y en a pas eu depuis au<br />

moins 25 ans (5) . ■<br />

◗ (1) South Asia Terror Portal,<br />

http://www.satp.org/satporgtp/countries/pakista<br />

n/database/casualties.htm.<br />

(2) http://www.bbc.co.uk/news/world-asia-<br />

21761133 March 15 2013.<br />

(3) Dawn, Karachi, 9 avril 2013.<br />

http://dawn.com/2013/04/09/more-of-the-same-<br />

6/<br />

(4) Pakistan Institute of Peace Studies.<br />

http://www.insightonconflict.org/2013/02/pakist<br />

an-look-back-2012/<br />

(5) Guardian, Londres, 4 avril 2013.<br />

55


56 Asie<br />

Corée du Nord Rarement la péninsule n’a été si proche du gouffre. La faute au dirigeant<br />

actuel? À Washington ? Séoul? Pékin ? Ou aux sanctions répétitives votées par le Conseil de<br />

sécurité de l’Onu ? Récapitulatif.<br />

Par Jack Thompson<br />

Sur le sentier de la guerre, Kim<br />

Jong-un ne mâche ni ses mots ni<br />

ses gestes. Le lundi, le jeune dirigeant<br />

nord-coréen ordonne à ses troupes<br />

de réagir à « la vitesse de la lumière » en<br />

cas d’agression et de « conquérir les<br />

bastions ennemis ». Le mardi, il conspue<br />

les « pauvres crétins » de Séoul et<br />

menace d’une guerre thermonucléaire la<br />

« citrouille bouillie » étasunienne. Le<br />

mercredi, le « jeune général » – l’un des<br />

multiples sobriquets du dictateur nordcoréen<br />

– commande personnellement<br />

une salve d’artillerie et désigne Baengnyeong,<br />

une île sud-coréenne de 10 000<br />

habitants, dont 5 000 civils, comme cible<br />

initiale en cas de conflit. Le jeudi, la<br />

presse chinoise révèle que pour Pyongyang,<br />

la question n’est plus de savoir si<br />

la guerre allait éclater, mais quand. Le<br />

vendredi…<br />

Depuis que la Corée du Nord a procédé<br />

à son troisième essai nucléaire le<br />

12 février, il ne se passe plus un jour<br />

sans que des nouvelles plus alarmantes<br />

les unes que les autres ne proviennent<br />

d’une péninsule au bord de l’abîme.<br />

Depuis la disparition de Kim Jong-il en<br />

décembre 2011 et l’avènement de son<br />

fils Kim Jong-un, cette poussée d’adrénaline<br />

était prévisible. Ostensiblement, la<br />

Commission de défense nationale, l’organe<br />

suprême du pouvoir nord-coréen,<br />

avait donné le ton: « Nous déclarons<br />

solennellement et fièrement aux responsables<br />

politiques stupides dans le monde,<br />

y compris les fantoches de Corée du Sud,<br />

qu’ils ne doivent pas s’attendre au<br />

moindre changement de notre part. »<br />

Malgré un semblant d’adoucissement<br />

printanier, l’hiver suivant est glacial. En<br />

décembre, la Corée du Nord procède au<br />

lancement réussi d’une fusée équipée<br />

Guerre psychologique :<br />

le style Kim Jong-un<br />

d’un satellite. Immédiatement la communauté<br />

internationale, les États-Unis<br />

en tête, condamne ce tir assimilé à un<br />

essai de missile intercontinental. L’Onu<br />

s’alarme d’une « violation claire de la<br />

résolution 1874 » qui interdit Pyongyang<br />

de développer « la technologie<br />

des missiles balistiques ». En janvier, le<br />

Conseil de sécurité de l’Onu étend les<br />

sanctions à l’égard de la Corée du Nord.<br />

Pyongyang réplique en annonçant l’imminence<br />

d’un essai nucléaire. Il a eu lieu<br />

le 12 février, et sa puissance serait supérieure<br />

aux essais de 2006 et 2009. Le<br />

7 mars, le pouvoir nord-coréen dénonce<br />

les intentions belliqueuses des États-<br />

Unis. Washington est menacé d’une<br />

« frappe nucléaire préventive ». La boîte<br />

de Pandore est ouverte. Les surenchères<br />

de Pyongyang entraînent les répliques<br />

systématiques de Séoul, Tokyo et<br />

Washington. Un cercle vicieux se forme,<br />

le geste de l’un – mise en batterie de<br />

missiles, etc. – entraîne une réplique de<br />

l’autre – déploiement de batteries antimissiles,<br />

etc.<br />

◗ La mécanique du chantage<br />

Alors que la Corée du Nord se déclare<br />

en « état de guerre » la Corée du Sud<br />

feint d’ignorer les vociférations provenant<br />

de l’autre côté du 38 e parallèle (1) et<br />

vaque à ses occupations habituelles. En<br />

effet, la Corée du Nord monte régulièrement<br />

sur ses grands chevaux, menaçant<br />

de « noyer Séoul sous une mer de feu ».<br />

Séoul et Washington procèdent alors à<br />

des exercices militaires, la tension<br />

grimpe puis se dissipe aussi rapidement<br />

S’ILS LE SOUHAITENT, LES CHINOIS PEUVENT ÉTRANGLER<br />

LA DYNASTIE DES KIM DU JOUR AU LENDEMAIN.<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

qu’elle est montée. Ayant obtenu<br />

quelques concessions économiques, une<br />

aide alimentaire et des matières premières,<br />

les maîtres de Pyongyang remisent<br />

alors leurs troupes et missiles<br />

jusqu’à la crise suivante. Voilà en simplifié<br />

ce qu’était la diplomatie de l’extrême<br />

de Kim Jong-il. Une stratégie qui<br />

lui a globalement réussi tout au long de<br />

son règne (1994-2011).<br />

Néanmoins cette tactique a ses limites :<br />

lassée des sempiternelles rodomontades<br />

venues du Nord, Séoul est de plus en<br />

plus sourde aux menaces de Pyongyang.<br />

Dès lors, la surenchère est de mise. Crise<br />

après crise, les Kim font monter la mise.<br />

Mais pour cela il faut être crédible. D’où<br />

la nécessité d’en faire toujours plus.<br />

L’armée nord-coréenne, forte de 1,2 million<br />

d’hommes, n’impressionne plus<br />

Séoul protégée par le parapluie américain<br />

? Qu’à cela ne tienne ! Kim Jong-il<br />

élabore une nouvelle doctrine : le Songun,<br />

« L’armée d’abord ». Une doctrine<br />

et un slogan qui aboutiront en 2006 au<br />

premier essai nucléaire. Kim Jong-il<br />

peut alors négocier une dénucléarisation<br />

de la péninsule en échange d’une aide<br />

économique substantielle.<br />

L’accalmie fait long feu. Tandis que<br />

Pyongyang désactive sa centrale<br />

nucléaire, Washington renie ses engagements<br />

et n’honore pas sa promesse de<br />

retirer la Corée du Nord de la liste des<br />

États voyous. Cette « maladresse » étasunienne<br />

ulcère Pyongyang. Kim Jong-il<br />

revient au chantage nucléaire. À sa mort,<br />

la Corée du Nord dispose d’un savoirfaire<br />

nucléaire et balistique que son fils,


à peine âgé de 30 ans, a visiblement<br />

décidé de faire fructifier. Mais a-t-il<br />

réellement le choix ?<br />

◗ 28500 GI<br />

Nombre d’observateurs estiment que<br />

les gesticulations de Kim Jong-un sont<br />

autant dues à la tentation de procéder à<br />

un nouveau chantage à l’atome qu’à la<br />

nécessité pour le troisième des Kim de<br />

s’affirmer face à un quarteron de généraux<br />

récalcitrants. Mais cette fois-ci, le<br />

coup de bluff est différent: Pyongyang<br />

est coutumière des bravades, certes,<br />

mais jamais aussi longues. Pour autant,<br />

aucun analyste n’envisage sérieusement<br />

que la Corée du Nord puisse<br />

mettre ses menaces à exécution. Les<br />

deux missiles Musadan (3 000 à<br />

4 000 km de portée en fonction de leur<br />

charge utile) déployés début avril sur la<br />

frontière n’ont jamais été testés. De là à<br />

ce qu’ils puissent emporter une charge<br />

nucléaire et présenter une menace crédible<br />

pour Washington…<br />

Pour Pyongyang, attaquer directement<br />

les États-Unis relève du suicide. Chien<br />

qui aboie ne mord pas dit-on. Peut-être.<br />

Mais plus Pyongyang menace, plus<br />

Séoul, Washington et Tokyo déploient<br />

des missiles antimissiles. Principe de<br />

précaution oblige, Néanmoins, ces<br />

réponses musclées ne sont pas forcément<br />

des plus avisées, vu le contexte actuel.<br />

Par ailleurs, en sanctionnant systématiquement<br />

l’aventurisme nucléaire des<br />

Kim, l’Onu enferme Kim Jong-un dans<br />

un jusqu’au-boutisme malsain. D’autant<br />

plus que la fin de la guerre de Corée<br />

s’est soldée par la signature d’un armistice<br />

entre les forces sino-nord-coréennes<br />

et le commandement de l’Onu, mais<br />

sans véritable traité de paix. La paix,<br />

c’est justement ce que réclament les<br />

Kim de père en fils et qui leur est systématiquement<br />

refusée par les États-Unis.<br />

Ces derniers sont trop heureux d’une<br />

péninsule coréenne instable – pas trop<br />

tout de même –, où stationnent 28 500 de<br />

leurs soldats.<br />

◗ L’atout Chine<br />

Nouvellement élue, la présidente<br />

sud-coréenne Park Geun-Hye a promis<br />

Les gesticulations de Kim Jong-un seraient autant dues à la tentation de procéder<br />

à un chantage à l’atome qu’à la nécessité de s’affirmer face à un quarteron de généraux récalcitrants.<br />

de « riposter violemment et immédiatement<br />

sans aucune autre considération<br />

politique » à toute attaque nordcoréenne.<br />

Séoul vient de modifier les<br />

procédures d’engagement de ses<br />

troupes, qui peuvent désormais riposter<br />

instantanément à toute agression<br />

sans autorisation préalable de l’état-<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

major. Si le scénario nucléaire demeure<br />

invraisemblable, celui d’un dérapage<br />

incontrôlé le long du 38 e parallèle augmente<br />

au fur et à mesure que la crise<br />

s’enlise. Un seul pays semble en<br />

mesure de dénouer la crise : la Chine,<br />

qui contrôle au moins 80 % des approvisionnements<br />

de la Corée du Nord.<br />

S’ils le souhaitent, les Chinois peuvent<br />

étrangler la dynastie des Kim du jour<br />

au lendemain. Pour l’heure Pékin<br />

montre son désagrément vis-à-vis des<br />

Kim en approuvant les sanctions de<br />

l’Onu, mais sans les appliquer. La<br />

chute de la dynastie se traduirait par<br />

un afflux massif de réfugiés en Chine,<br />

et surtout par une réunification de la<br />

péninsule coréenne sous parapluie<br />

américain. Des GI stationnant sur la<br />

frontière chinoise : inadmissible ! À<br />

La Havane, Fidel Castro, 86 ans, juge<br />

la situation « incroyable et absurde »,<br />

deux mots qui résument l’état de la<br />

péninsule coréenne. Mais il n’aide pas<br />

à trouver une solution acceptable – s’il<br />

en est une – par toutes les parties en<br />

présence. ■<br />

◗ (1) Depuis la fin de la guerre de Corée<br />

(1950-1953), le 38 e parallèle délimite les<br />

frontières entre les deux Corées.<br />

57<br />

Reuters


58 Amériques<br />

Venezuela Au terme d’une campagne qui s’est déroulée dans un climat tendu, l’élection<br />

présidentielle a donné la victoire à la gauche d’une courte tête. Le perdant, Henrique Capriles, a<br />

choisi l’affrontement. Bilan, au moins sept morts.<br />

La révolution continue avec Maduro<br />

Par Rémy Herrera<br />

Lundi 15 avril 2013, le Conseil<br />

national électoral (CNE), par la<br />

voix de sa présidente, Tibisay<br />

Lucena, a officiellement déclaré Nicolas<br />

Maduro président de la République<br />

bolivarienne du Venezuela, à la suite<br />

de l’élection tenue la veille. Elle lui a<br />

donné la victoire par 50,75 % des suffrages,<br />

contre 48,97 % à son adversaire<br />

de droite, Henrique Capriles. Courte<br />

victoire, assurément, et bien plus serrée<br />

que ne l’annonçaient la plupart des<br />

sondages ; mais victoire fondamentale,<br />

permettant de poursuivre l’œuvre de<br />

transformation de la société qui a été<br />

engagée sur les quinze dernières<br />

années.<br />

◗ Des résultats à la mesure des enjeux<br />

Depuis 1998, c’est la dix-huitième<br />

victoire électorale (contre une seule<br />

défaite, enregistrée lors du référendum<br />

de réforme constitutionnelle à la fin<br />

2007) que remportent les forces de<br />

gauche favorables à l’approfondissement<br />

de la révolution – et la première<br />

depuis la mort d’Hugo Chavez. Maduro<br />

l’a emporté dans seize États, contre huit<br />

gagnés par Capriles. Pourtant, le fait<br />

marquant est que moins de 263 000<br />

voix séparent les deux hommes, pour<br />

18,9 millions de votants et un taux de<br />

participation de 78 %, en léger recul par<br />

rapport aux 80 % du scrutin présidentiel<br />

d’octobre dernier. Près de 7 560 000<br />

Vénézuéliens ont apporté leur soutien<br />

au candidat de gauche ; un peu moins de<br />

7 300 000 à celui de droite. À gauche,<br />

cela fait environ 700 000 voix de moins<br />

que celles qui s’étaient portées sur Chavez<br />

en 2012. À droite, Capriles en a<br />

enregistré 700 000 de plus que lors de<br />

sa précédente défaite en octobre.<br />

Il n’est pas aisé d’expliquer ce recul<br />

relatif du nombre de suffrages obtenus<br />

par la gauche, malgré tout victorieuse.<br />

Les rivalités de succession, instrumen-<br />

talisées à droite, n’ont pas déchiré<br />

l’unité des forces progressistes durant<br />

la campagne. Appuyée par les puissances<br />

intérieures et extérieures de l’argent,<br />

dans un moment de profond<br />

désarroi et de vulnérabilité chez de<br />

larges fractions du peuple après la disparition<br />

de leur leader un mois plus tôt,<br />

l’agressivité de la propagande électorale<br />

de Capriles, qui s’est placé à l’offensive,<br />

a sans doute enlevé des voix à<br />

la gauche, jusque dans certains quartiers<br />

populaires où la droite sait agir, à<br />

sa manière.<br />

Cependant, l’évidence des progrès<br />

apportés par la révolution au plus grand<br />

nombre (dépenses sociales en hausse,<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

Une anecdote révélatrice…<br />

diminution des inégalités et de la pauvreté,<br />

santé et éducation gratuites, augmentation<br />

des retraites, construction de<br />

logements, baisse du chômage…) a<br />

convaincu une majorité de Vénézuéliens<br />

de refuser de voir jeter à bas ce<br />

que leurs luttes solidaires ont eu tant de<br />

mal à mettre debout. Face à l’oligarchie<br />

et à ses manœuvres de déstabilisation,<br />

le travail permanent de conscientisation<br />

et d’organisation des masses révolutionnaires<br />

si cher à Chavez a finalement<br />

porté ses fruits.<br />

Des félicitations sont parvenues du<br />

monde entier. Le président bolivien<br />

Evo Morales a déclaré que ce succès<br />

était aussi « une victoire de toute<br />

Que le lecteur nous autorise ici une digression qui donnera une idée de la<br />

façon dont la droite vénézuélienne conçoit la démocratie. Il y a près de<br />

dix ans, lors d’un voyage au Venezuela, l’auteur de ces lignes alluma le<br />

poste de télévision de sa chambre d’hôtel pour y suivre les informations – et vérifier<br />

si elles étaient aussi « persécutées par le régime chaviste » qu’on le disait. Les<br />

images montraient Hugo Chavez recevant à l’aéroport une personnalité, noire de<br />

peau (je reconnus le président zimbabwéen Robert Mugabe), mais le son ne semblait<br />

pas marcher. M’apprêtant à appeler la réception, j’entendis alors le téléviseur<br />

émettre des bruits étranges… Comme venus de la jungle ? Stupeur: il s’agissait de<br />

cris de singes ! Soudain, le son jaillit quand le présentateur du journal TV de cette<br />

chaîne privée très regardée déclara, d’un ton glacial: « Aujourd’hui, dans la capitale<br />

vénézuélienne, deux singes se sont rencontrés… »<br />

C’est ce jour que j’appris que la droite avait l’habitude de nommer Hugo Chavez<br />

« el mono » (le singe). Ailleurs, cela s’appellerait « incitation à la haine<br />

raciale » et violerait des principes à valeur constitutionnelle. Mais, loin d’être<br />

choqués par cette violence, nos médias dominants préféraient répéter la (pseudo)<br />

« violation de la liberté d’expression par Chavez ». Comme ils préfèrent<br />

aujourd’hui, entre roues de la Fortune et coupures publicitaires abrutissantes, insinuer<br />

le doute quant à la légalité de la victoire de Nicolas Maduro, jouer la carte de<br />

la haine et œuvrer à la déstabilisation politique du Venezuela – qui ferait sûrement<br />

bondir l’audimat, et permettrait peut-être même de privatiser les profits d’un secteur<br />

pétrolier que la révolution bolivarienne a décidé de redistribuer depuis bientôt<br />

quinze ans au bénéfice des plus pauvres. Nous, nous avons choisi notre camp :<br />

c’est celui de la révolution, pour une démocratie vraie, avec participation populaire,<br />

progrès social et solidarité internationale. ■


l’Amérique latine », tandis que Rafael<br />

Correa, le chef de l’État équatorien,<br />

affirmait que « le Venezuela ne retournera<br />

plus en arrière ». Le président<br />

cubain, Raul Castro, s’est quant à lui<br />

réjoui du fait que l’intégration régionale<br />

pourra continuer à s’approfondir<br />

en Amérique latine. La présidente de<br />

l’Argentine, Cristina Fernandez, a félicité<br />

son homologue victorieux, ainsi<br />

que le peuple vénézuélien, pour le<br />

« civisme » dont il a fait preuve lors de<br />

la journée du 14 avril. Elle a exprimé sa<br />

« gratitude pour l’ami et camarade<br />

Hugo Chavez ».<br />

Vladimir Poutine a dit sa satisfaction<br />

face à une possible consolidation de<br />

l’« association stratégique » entre son<br />

pays et le Venezuela, et le gouvernement<br />

chinois, par un communiqué du<br />

ministère des Relations extérieures,<br />

s’est déclaré disposé à renforcer davantage<br />

encore les « liens d’amitié » entre<br />

Beijing et Caracas.<br />

Sitôt sa défaite annoncée, Capriles<br />

choisit la voie de l’affrontement en<br />

contestant les résultats, criant à la fraude<br />

et demandant un nouveau décompte.<br />

L’appui de Washington a été immédiat,<br />

jugeant « raisonnable » cette revendication.<br />

De hauts responsables de l’Organisation<br />

des États américains sont allés<br />

dans le même sens. Par esprit d’apaisement,<br />

et pour lever tout soupçon, Nicolas<br />

Maduro a accepté. Le Conseil national<br />

électoral a mis fin aux protestations<br />

en confirmant l’avance du vainqueur. Le<br />

caractère légal du scrutin et l’impartialité<br />

du CNE ont été attestés par les<br />

témoignages des observateurs internationaux<br />

de l’Union européenne et de<br />

l’Union des nations sud-américaines,<br />

présents sur place et certifiant que l’élection<br />

s’était déroulée selon les règles exigées<br />

et dans de bonnes conditions, et que<br />

les résultats rendus publics devaient être<br />

respectés, démocratiquement.<br />

Les attaques de Capriles contre le<br />

CNE ont tranché avec l’attitude sereine<br />

qu’il avait adoptée après sa victoire<br />

Nicolas Maduro, successeur attendu d’Hugo Chavez : sa victoire est fondamentale car elle va<br />

lui permettre de poursuivre l’œuvre de transformation de la société engagée depuis quinze ans.<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

étriquée – avec très peu de voix<br />

d’avance sur son rival socialiste, Elias<br />

Jaua – lors des élections de décembre<br />

dernier qui l’ont fait devenir gouverneur<br />

de l’État de Miranda. Son excitation<br />

a même viré à l’irresponsabilité<br />

lorsqu’il s’est entêté et a durci encore le<br />

ton, au point d’être relayé par des<br />

figures de l’extrême droite qui ont<br />

appelé ouvertement à l’insurrection.<br />

Des bâtiments publics, stations-service,<br />

locaux du Parti socialiste unifié du<br />

Venezuela ont été saccagés en divers<br />

endroits du pays. Des messages massivement<br />

diffusés sur les réseaux sociaux<br />

sont allés jusqu’à prétendre que « les<br />

Cubains » auraient refusé l’accès à des<br />

urnes électorales, poussant des groupes<br />

extrémistes à lancer l’assaut contre des<br />

centres médicaux et à brutaliser des<br />

médecins cubains y exerçant. Ces provocations<br />

et les violences qu’elles ont<br />

entraînées, ravivant le souvenir du coup<br />

d’État néo-fasciste d’avril 2002, ont fait<br />

au moins sept morts. ■<br />

59<br />

Reuters


60 Amériques<br />

États-Unis Adoptée en 1787 pour répondre à des préoccupations du moment, puis amendée à<br />

quelques reprises, la Constitution est-elle encore pertinente aujourd’hui? Rien n’est moins sûr.<br />

Par Maureen Smith<br />

Ce parchemin vieux de deux siècles<br />

Datant de 1791, le deuxième<br />

amendement de la Constitution<br />

des États-Unis garantit pour<br />

tout citoyen américain le droit de porter<br />

des armes. il se traduit ainsi: « Une<br />

milice bien organisée étant nécessaire<br />

à la sécurité d’un État libre, le droit<br />

qu’a le peuple de détenir et de porter<br />

des armes ne sera pas transgressé. »<br />

Aujourd’hui, son interprétation divise<br />

foncièrement les républicains et les<br />

démocrates, les premiers estimant que<br />

le port d’arme est autorisé à tous et<br />

sans condition, alors que les seconds<br />

veulent strictement limiter ce droit.<br />

◗ George Washington et les drones<br />

Cet exemple nous amène aux questions<br />

de fond suivantes: ce parchemin,<br />

vieux de plus de deux siècles, peut-il<br />

déterminer les choix cruciaux que le<br />

pays est appelé à prendre? Doit-on<br />

suivre à la lettre le texte original des<br />

Pères fondateurs – parmi lesquels les<br />

trente-neuf signataires de ladite Constitution<br />

(1) – ou l’adapter à son époque?<br />

De manière générale, la droite étasunienne,<br />

autoproclamée comme son<br />

plus ardent défenseur, se borne à une<br />

lecture stricte du document, alors que<br />

la gauche, plus pragmatique, en souhaite<br />

une relecture plus moderne, fûtce<br />

le texte sacré.<br />

Le monde a évolué et nul ne saurait<br />

en faire abstraction. Les Pères fondateurs,<br />

aussi visionnaires qu’ils étaient,<br />

ne pouvaient prévoir tous les progrès<br />

que l’homme accomplirait: les révolutions<br />

de l’aéronautique, de l’atome, de<br />

l’informatique, l’invention des antibiotiques<br />

ou encore la mise en place du<br />

Medicare – signe d’une véritable transformation<br />

des mentalités! Les auteurs<br />

de la Constitution auraient-ils écrit<br />

pareil texte en de telles circonstances?<br />

On peut se demander par exemple si<br />

l’utilisation des drones dans le ciel<br />

libyen ne constitue pas une violation<br />

de l’article l, section VIII, qui donne au<br />

D. R.<br />

Congrès le pouvoir de déclarer la<br />

guerre. Que penserait George Washington<br />

de ces attaques meurtrières à effets<br />

collatéraux désastreux? On aurait bien<br />

du mal à le dire, vu qu’il était à mille<br />

lieues d’imaginer que l’homme irait<br />

dans le ciel et qu’il utiliserait un satellite<br />

pour viser une cible à distance!<br />

Comment aurait réagi un James<br />

Madison face à la décision de prélever<br />

un impôt à des Américains qui n’ont<br />

pas les moyens de se payer une assurance<br />

santé? Serait-ce un abus de l’autorité<br />

du Congrès selon la clause du<br />

commerce? Difficile à dire puisqu’au<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

XVIII e siècle, les médecins utilisaient<br />

encore des sangsues! Et Thomas Jefferson,<br />

propriétaire d’esclaves dont on<br />

suppute qu’il avait au moins un enfant<br />

métis, qu’aurait-il pensé d’un président<br />

américain moitié blanc, moitié noir, né<br />

à Hawaï… État qui n’existait pas<br />

alors?<br />

Les Pères fondateurs, tout autant que<br />

les dieux, ne sont pas infaillibles. Ils<br />

ont inclus dans la Constitution des<br />

États-Unis de belles formules sur la<br />

protection des libertés démocratiques –<br />

liberté de parole, de réunion, de religion.<br />

Mais ils ont également ajouté<br />

QU’AURAIT PENSÉ THOMAS JEFFERSON, PROPRIÉTAIRE D’ESCLAVES,<br />

D’UN PRÉSIDENT AMÉRICAIN MOITIÉ BLANC, MOITIÉ NOIR ?


dans ce texte « inviolable » quelques<br />

concepts moins éclairés qui feraient<br />

bondir n’importe quel être humain:<br />

une personne noire équivaut au tiers<br />

d’un homme blanc, les femmes ne peuvent<br />

pas voter… Et ils ont concocté<br />

d’autres inepties: le petit État du<br />

Dakota du Sud devrait avoir le même<br />

nombre de sénateurs que la Californie,<br />

idée tout à fait inégalitaire. Quant à<br />

l’impôt, la prohibition et autres inventions<br />

de ce genre, ils n’y sont pour<br />

rien: tout cela est venu bien après eux!<br />

◗ Bible et lubies<br />

Les Américains n’ont jamais cessé<br />

de débattre de leur Constitution, quasiment<br />

depuis le jour de sa signature.<br />

Mais concentrons-nous sur la dernière<br />

décennie.<br />

En 2000, lors du scrutin présidentiel<br />

Quatre ans après l’indépendance,<br />

les élus des treize États<br />

de la Confédération signent la<br />

Constitution, le 17 septembre 1787.<br />

qui a mis Al Gore aux prises avec<br />

George W. Bush, les électeurs ont<br />

suivi, avec un intérêt nouveau, de<br />

longs cours sur la signification de ce<br />

texte. Mais c’est avec la montée des<br />

Tea Parties (les républicains extrémistes,<br />

soi-disant « fidèles » de la<br />

Constitution) dans l’arène publique<br />

que le conflit s’est aggravé. Exemple<br />

révélateur, la déclaration à l’emportepièce<br />

du député conservateur du<br />

Texas, Ron Paul, en 2008, dite avec<br />

une conviction inouïe : « La Constitution<br />

a été explicitement écrite dans un<br />

seul but: restreindre les prérogatives<br />

du gouvernement fédéral. » En vérité,<br />

selon les Articles de la Confédération,<br />

qui précédèrent la Constitution, les<br />

États bénéficiaient déjà d’un pouvoir<br />

extraordinaire (beaucoup ayant leurs<br />

propres soldats, leurs propres devises,<br />

etc.). La Constitution a voulu au<br />

contraire renforcer le gouvernement<br />

central des États-Unis, pour la simple<br />

et bonne raison que celui-ci n’existait<br />

pas vraiment!<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

Amendée seulement vingt-huit fois<br />

en plus de 225 ans (il faut le vote des<br />

deux tiers du Congrès et/ou des trois<br />

quarts des États), la Constitution est<br />

devenue une bible séculaire que les<br />

politiques utilisent, souvent à mauvais<br />

escient, pour justifier leurs lubies et<br />

leur orthodoxie. Pour mieux avancer,<br />

il n’est jamais inutile de regarder chez<br />

ses voisins : la France compte déjà<br />

cinq constitutions ; les Anglais, pourtant<br />

proches, n’ont jamais eu le<br />

moindre texte écrit en ce sens ; et le<br />

must, sans doute : à la fin de la guerre<br />

froide, de jeunes avocats américains<br />

ont été embauchés… pour rédiger les<br />

nouvelles lois de l’Europe de l’Est!<br />

Ces exemples devraient nourrir copieusement<br />

la réflexion. ■<br />

◗ (1) Sont considérés comme les Pères<br />

fondateurs des États-Unis, les hommes qui ont<br />

signé la Déclaration d’indépendance ou la<br />

Constitution des États-Unis, et ceux qui ont<br />

participé à la Révolution<br />

américaine comme Patriots.<br />

61<br />

D. R.


62 Économie Infos<br />

Mozambique :<br />

encore du charbon<br />

La compagnie<br />

japonaise Nippon<br />

Steel a signé un contrat<br />

avec le gouvernement<br />

mozambicain pour<br />

l’exploitation du charbon<br />

de la mine de Revuboe,<br />

dans la province<br />

septentrionale de Tete,<br />

dont la concession avait<br />

déjà été attribuée au<br />

groupe Talbot. L’Anglo<br />

American, qui était<br />

associée à Talbot, vient de<br />

se retirer du projet. Les<br />

réserves de charbon de<br />

coke de cette mine sont<br />

estimées à 1,4 milliard de<br />

tonnes. Elle se situe dans<br />

le même bassin où opèrent<br />

déjà d’autres groupes,<br />

dont les géants australien<br />

Rio Tinto (mines de<br />

Benga et de Zambèze) et<br />

brésilien Vale. À partir de<br />

2016, la Revuboe devrait<br />

produire quelque<br />

5 millions de tonnes de<br />

minerai par an. Comme<br />

pour les autres<br />

compagnies engagées sur<br />

le site, la partie du<br />

charbon thermique sera<br />

employée pour produire<br />

localement de l’électricité.<br />

L’accord prévoit par<br />

ailleurs le transfert de 5 %<br />

des actions au<br />

gouvernement<br />

mozambicain, représenté<br />

par l’entreprise minière<br />

d’État Emem, et 5 %<br />

Tendances... Tendances... Tendances... Tendances...<br />

●●● La Technip, un des leaders mondiaux du management<br />

de projets, de l’ingénierie et de la construction pour l’industrie<br />

de l’énergie, a remporté l’appel d’offres pour le développement<br />

du champ pétrolifère congolais de Moho Nord. Situé<br />

à environ 75 km au large des côtes de la République du<br />

Congo, à une profondeur d’eau comprise entre 650 et 1 100<br />

mètres, ce champ, exploité par Total, a des réserves estimées<br />

à près de 230 millions de barils. ●●● La monnaie électronique<br />

expérimentale, bitcoin, lancée en 2009 à la suite de<br />

la crise financière mondiale, et qui n’est gérée par aucun État<br />

La mode au secours du textile tunisien<br />

De jeunes stylistes tunisiens ont animé un Festival de la<br />

mode les 3 et 4 avril dans la banlieue de Tunis. Et cela<br />

dans un double but : faire connaître les créateurs nationaux et<br />

revaloriser la filière en crise du textile et de l’habillement. Ce<br />

secteur a été durement touché par la crise mondiale qui affecte<br />

aussi ses clients occidentaux, dont la France, entraînant une<br />

baisse des exportations de 7,9 %. Le climat d’instabilité et<br />

d’insécurité a aussi contribué à la baisse des investissements.<br />

« Une dizaine d’investisseurs étrangers sont prêts à lancer<br />

leurs projets, mais ils attendent de voir la stabilité rétablie<br />

dans le pays », indique Samir Haouet, directeur général du<br />

centre technique du textile (Cettex), précisant que soixante-dix<br />

entreprises ont fermé leurs portes depuis la « révolution ».<br />

Pour François-Marie Grau, délégué général adjoint de l’Union<br />

française des industries et de l’habillement, le modèle tunisien a<br />

tardé à se convertir : « L’industrie tunisienne présente aujourd’hui<br />

une grande fragilité. Son principal handicap est sa dépendance<br />

vis-à-vis de l’exportation et de ses principaux donneurs<br />

d’ordres qui connaissent de profonds bouleversements », a-t-il<br />

précisé à l’AFP. Sur plus de 2 000 entreprises tunisiennes textile-habillement,<br />

1 700 sont totalement exportatrices, travaillant<br />

essentiellement dans la sous-traitance pour la grande distribution.<br />

Elles « doivent rechercher le relais de croissance où ils se<br />

situent, à savoir les marchés hors Europe où la croissance ne se<br />

dément pas », ajoute François-Marie Grau. ■<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

ou Banque centrale, a atteint un record : la valeur des bitcoins<br />

en circulation dépasse le milliard de dollars. Le quotidien<br />

online La Tribune explique que la valeur des bitcoins<br />

est entièrement flottante et qu’elle a dépassé les 147 dollars<br />

début avril. Il y a environ 11 millions de bitcoins en circulation,<br />

et leur nombre est limité à 21 millions. Ils peuvent être<br />

échangés contre d’autres monnaies sur des bourses<br />

d’échanges Internet. Ce système de paiement gratuit et anonyme<br />

est « apprécié des libertaires technophiles, mais aussi<br />

des traders et de certains trafiquants en tout genre ». ■<br />

D. R.<br />

supplémentaires seront<br />

mis à la disposition<br />

d’investisseurs<br />

nationaux. ■<br />

Cameroun :<br />

ouvrez les robinets !<br />

Depuis des lustres,<br />

Yaoundé, la capitale,<br />

et Douala, plus grande ville<br />

du pays et capitale<br />

économique, sont<br />

confrontées à une<br />

distribution très aléatoire de<br />

l’eau. Mise en service en<br />

1985, l’usine de traitement<br />

des eaux d’Akomnyada, qui<br />

approvisionne Yaoundé, est<br />

victime de saturation depuis<br />

le début des années 2000.<br />

Pour l’heure, elle ne peut<br />

fournir que 100 000 m3 par<br />

jour sur les 300 000<br />

nécessaires. Même cas de<br />

figure à Douala où les<br />

besoins supplémentaires<br />

seraient de<br />

260 000 m3 /jour. Le sujet<br />

est donc très sensible. C’est<br />

pourquoi dans une<br />

campagne très médiatisée,<br />

le ministre en charge de<br />

l’Eau et de l’Énergie,<br />

Atangana Kouna, a<br />

largement commenté<br />

l’avancement des travaux<br />

sur le fleuve Mefou, le<br />

barrage achevé à 70 % et la<br />

zone de traitement des<br />

boues et les locaux<br />

techniques. « Les travaux<br />

sont censés s’achever au<br />

mois d’août 2013. Donc à<br />

partir de ce moment, nous


aurons de l’eau à<br />

Yaoundé », a-t-il précisé.<br />

Directeur général de la<br />

Camwater, en charge de la<br />

construction des<br />

infrastructures liées à la<br />

distribution, Jean William<br />

Sollo le confirme, chiffres à<br />

l’appui. Dans son<br />

budget 2013<br />

(128,7 milliards de francs<br />

CFA), 85 % vont aux<br />

investissements. Quatre<br />

cents milliards devraient<br />

être alloués d’ici à dix ans.<br />

Depuis que Solo a été<br />

nommé en 2012, la<br />

salubrité de l’eau s’est<br />

nettement améliorée. Et le<br />

renforcement des unités<br />

d’Akomnyada et de Yato a<br />

été une priorité. Une bonne<br />

partie du problème de l’eau<br />

pourrait donc être réglée<br />

d’ici à la fin de l’année. À<br />

D. R.<br />

la condition que<br />

l’administration joue<br />

pleinement le jeu. Si Paul<br />

Biya l’a fortement souhaité,<br />

les lenteurs administratives<br />

peuvent encore ralentir le<br />

débit. Robinet (à demi)<br />

ouvert donc ! ■ R. C.<br />

Une étude de l’Organisation internationale du travail<br />

(OIT) intitulée Piégés et coincés : les trafics de personnes<br />

au Moyen-Orient, a évalué à 600 000 le nombre de<br />

travailleurs forcés dans la région et a appelé à la mise en<br />

place de règlements pour mettre un terme à leur exploitation<br />

qui est également de nature sexuelle. Il s’agirait de réformer<br />

le système de la kafala qui oblige la main-d’œuvre étrangère<br />

à être parrainée. Le rapport de 150 pages, rédigé au terme de<br />

ACP : un Ghanéen après l’autre<br />

L<br />

’ancien ministre des Affaires étrangères et de l’Intégration<br />

régionale du Ghana, Muhammad Mumuni, a pris le<br />

26 mars dernier la succession de son compatriote Mohamed<br />

Ibn Chambas au poste de secrétaire général du groupe des pays<br />

d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) pour les vingt<br />

mois qui restent avant l’expiration de son mandat. Le nouveau<br />

secrétaire général ACP est confronté à des défis importants. En<br />

effet, il est désigné au moment où le groupe des quatre-vingts<br />

pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, partenaires de<br />

l’Union européenne dans le cadre de l’accord de Cotonou,<br />

s’interroge sur son avenir après l’expiration de ce même<br />

accord, prévue en 2020. C’est sur ce sujet que va plancher un<br />

groupe de quatorze personnes éminentes, présidé par l’ancien<br />

chef d’État nigérian Olusegun Obasanjo. Il comprend notamment<br />

les ex-présidents du Guyana, Bharrat Jagdeo, et de la<br />

République dominicaine, Leonel Fernandez Reyna. Ce groupe<br />

doit préparer des recommandations aux chefs d’État ACP pour<br />

la fin décembre 2014.<br />

Pour Olusegun Obasanjo, il s’agit de réinventer le groupe et<br />

ses fonctions afin de travailler à une meilleure intégration des<br />

États ACP dans l’économie mondiale, à un moment difficile :<br />

le partenaire européen est en crise, les négociations pour des<br />

accords de partenariat économique censées mener au libre<br />

échange, entamées en 2002, n’ont toujours pas abouti, et la<br />

donne a changé avec l’irruption sur la scène économique mondiale<br />

de grands pays émergents comme la Chine l’Inde et le<br />

Brésil notamment. ■ F. M.<br />

Moyen-Orient : le fléau du travail forcé<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

D. R.<br />

COTE… DÉCOTE…<br />

3,6 milliards de dollars.<br />

C’est le montant<br />

de l’aide que se sont<br />

engagés à verser des<br />

donateurs, réunis à Doha,<br />

pour un plan de<br />

développement de la<br />

région soudanaise du<br />

Darfour, dévastée par<br />

la guerre civile. Le<br />

Qatar a annoncé une<br />

contribution de<br />

500 millions de dollars. ■<br />

28 milliards d’euros<br />

de chiffre d’affaires en<br />

2012 pour le groupe<br />

français LVMH (dont les<br />

marques Louis Vuitton,<br />

Givenchy, Dior et Moët-<br />

Chandon), et un bénéfice<br />

net de 3,4 milliards.<br />

Le PDG du groupe,<br />

Bernard Arnault, vient de<br />

renoncer à demander la<br />

nationalité belge qu’il<br />

recherchait à acquérir<br />

depuis un an afin de payer<br />

moins d’impôts qu’en<br />

France. ■<br />

8 000 entreprises<br />

portugaises<br />

se sont installées en<br />

Angola, la plupart<br />

depuis la fin du conflit en<br />

2002. Les transferts de ces<br />

travailleurs portugais ont<br />

atteint un « niveau record »<br />

en 2012, selon le ministre<br />

portugais des Affaires<br />

étrangères. ■<br />

650 entretiens sur une période de deux ans en Jordanie, au<br />

Liban, au Koweït et aux Émirats arabes unis, a été présenté<br />

le 9 avril, à l’ouverture d’une conférence de deux jours à<br />

Amman de l’OIT. Beate Andrees, chef du programme d’action<br />

pour combattre le travail forcé à l’OIT, a notamment<br />

déclaré : « L’immigration de travail dans cette région du<br />

monde est sans pareille par son ampleur et sa croissance,<br />

qui a été exponentielle ces dernières années. » ■<br />

63


64 Économie<br />

D. R.<br />

Multinationales Lever l’impôt et lutter contre l’évasion fiscale des sociétés étrangères, qui<br />

représente des sommes colossales… Les pays d’Afrique prennent de plus en plus conscience<br />

que leur développement passera aussi par là.<br />

Par Arnaud Bébien<br />

C<br />

’est le grand ménage. En<br />

Afrique, de l’Est et australe<br />

notamment, les gouvernements<br />

deviennent beaucoup plus regardants<br />

sur les activités des sociétés étrangères<br />

sur leurs territoires. Au premier rang<br />

des exigences, le paiement des taxes à<br />

l’État. Car les groupes mondiaux opérant<br />

en Afrique n’en font qu’à leur tête<br />

depuis très longtemps : entre évasion<br />

Le fisc africain attaque<br />

En Zambie, l’un des plus gros producteurs de cuivre au monde, le minerai ne rapporte presque<br />

rien aux caisses de l’État. Les multinationales y pratiquent leur sport favori: l’évasion fiscale.<br />

fiscale et non-règlements des sommes<br />

dues, le manque à gagner est énorme.<br />

Conscients de passer à côté d’une<br />

manne indispensable au développement<br />

de leur pays et au bouclage de leur budget,<br />

les dirigeants africains se focalisent<br />

de plus en plus sur les taxes.<br />

◗ Glencore et les autres<br />

Ce mouvement, s’il s’est amorcé en<br />

Afrique il y a quelques années, a ainsi<br />

intéressé, mi-février à Moscou, les<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

ministres des Finances des pays du<br />

G20. Ils ont conclu leur week-end de<br />

concertation « déterminés à mettre sur<br />

pied des mesures destinées à lutter<br />

contre l’érosion de la base d’imposition<br />

et le transfert des profits ». Les<br />

ministres avaient par ailleurs reçu favorablement<br />

les conclusions d’un rapport<br />

sur la question, publié par l’Organisation<br />

de coopération pour le développement<br />

économique (OCDE). À savoir:<br />

les grands groupes échappent en majo-


ité aux taxes et privent chaque année<br />

les pays en développement de 350 milliards<br />

de dollars d’impôts, selon la<br />

Banque mondiale.<br />

L’exemple le plus flagrant est certainement<br />

celui des mines de cuivre en<br />

Zambie. Le site minier de Mopani est<br />

l’un des plus vastes de Zambie, mais<br />

aussi de la planète, quand on sait l’importance<br />

stratégique qu’occupe ce pays<br />

dans la production mondiale. Et pourtant…<br />

Le cuivre ne rapporte presque<br />

rien aux caisses de l’État, alors que le<br />

cours de cette matière a quadruplé<br />

entre 2001 et 2008. Pourquoi? La<br />

réponse à cette question se trouve chez<br />

la multinationale suisse Glencore qui<br />

exploite le cuivre, pilier d’un système<br />

que veulent abattre plusieurs ONG<br />

zambiennes<br />

Saviour Mwambwa est l’un des leaders<br />

de la lutte qu’a relatée le documen-<br />

taire À qui profite le cuivre ? (prix<br />

Albert-Londres 2012), réalisé par les<br />

Françaises Audrey Gallet et Alice<br />

Odiot. Saviour Mwambwa poursuit la<br />

société suisse Glencore devant les tribunaux<br />

anglais pour évasion fiscale et<br />

pollution environnementale, avec des<br />

conséquences sur la santé des riverains<br />

de la mine. Avec ses avocats européens<br />

et des associations, il a remonté le fil<br />

des transactions et découvert une fraude<br />

de Glencore chiffrée à plusieurs centaines<br />

de millions de dollars.<br />

La stratégie des Suisses est couramment<br />

utilisée par les multinationales.<br />

Glencore vend le cuivre de Mopani à<br />

seulement 25 % du cours réel à ses<br />

filiales installées dans des paradis fiscaux,<br />

qui se chargent ensuite de<br />

D. R.<br />

revendre le tout au prix du marché. Les<br />

profits réalisés sont énormes, tout<br />

comme… le trou laissé dans les finances<br />

zambiennes. Mais Glencore n’est pas la<br />

seule impliquée dans l’évasion<br />

fiscale en Zambie : depuis février dernier,<br />

l’ONG Action Aid suspecte publiquement<br />

la firme agroalimentaire Associated<br />

British Foods de ne pas payer<br />

d’impôts dans ce pays.<br />

Outre l’Afrique australe, les choses<br />

bougent également en Ouganda. Fin<br />

2012, le pays s’est lancé dans une<br />

course à l’audit de la comptabilité des<br />

sociétés étrangères. Le risque était alors<br />

grand pour l’Ouganda de ne pas boucler<br />

son budget 2013 : de nombreux donateurs<br />

internationaux annonçaient la fin<br />

de leurs aides, sur fond de scandales de<br />

corruption et de détournements de certaines<br />

sommes allouées. « Nous savons<br />

que nous pouvons collecter les sommes<br />

manquantes à notre budget national,<br />

indiquait Sirajji Kanyesigye, responsable<br />

du département des paiements au<br />

fisc ougandais. Nous réalisons de nombreux<br />

audits pour traquer les impayés<br />

et les montages financiers. » MTN, le<br />

grand opérateur mobile sud-africain, est<br />

ainsi tombé dans les filets ougandais<br />

pour évasion fiscale. Le montant s’élève<br />

à 35 millions de dollars et plusieurs<br />

employés de la filiale ougandaise ont<br />

été arrêtés.<br />

L’Uganda Revenue Authority, le fisc<br />

ougandais, s’est rendu compte, en 2012,<br />

que les finances du pays ont été privées<br />

de près de 500 millions de dollars ces<br />

cinq dernières années. Comptes<br />

maquillés, corruption du personnel des<br />

impôts, évasion fiscale, retards dans les<br />

paiements : l’arsenal utilisé par les<br />

sociétés pour ne pas payer ce qu’elles<br />

doivent à l’État est bien garni. Il faut<br />

toute la conscience et la compétence<br />

professionnelle de certains spécialistes<br />

pour dénicher les cas de fraudes. L’inspecteur<br />

général du gouvernement<br />

ougandais, l’un des plus hauts postes du<br />

pays, a ainsi été sommé par le président<br />

Yoweri Museveni d’enquêter et d’expliquer<br />

l’origine de ces pertes.<br />

De plus en plus de pays réagissent et<br />

mettent en place des systèmes pour<br />

déceler les tricheries. Si on a découvert<br />

le pot aux roses en Ouganda après<br />

LES GRANDS GROUPES PRIVENT CHAQUE ANNÉE LES PAYS<br />

EN DÉVELOPPEMENT DE 350 MILLIARDS DE DOLLARS D’IMPÔTS.<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

coup, d’autres préfèrent se prémunir en<br />

mettant en place des systèmes sophistiqués<br />

pour empêcher la perte d’importantes<br />

recettes fiscales. Au Burundi,<br />

Kieran Holmes est, depuis 2010, le<br />

commissaire général de l’Office burundais<br />

des recettes. Il était auparavant au<br />

Rwanda pour le même type de mission,<br />

et il aide maintenant le petit pays<br />

d’Afrique centrale à mettre sur pied<br />

l’informatisation de son système de collecte<br />

d’impôts. « Nous installons une<br />

structure moderne, recommandée par<br />

le Fonds monétaire international, dit-il.<br />

Le personnel est aussi formé à l’utilisation<br />

de ces nouveaux systèmes. » Pour<br />

celui qui a une longue expérience dans<br />

ce domaine en Afrique et au Moyen-<br />

Orient, la modernité du système de collecte<br />

endigue la corruption et l’évasion<br />

fiscale.<br />

◗ Le chemin vertueux du Burundi<br />

Kieran Holmes souligne que, pour un<br />

pays sans ressources naturelles majeures<br />

comme le Burundi, lever l’impôt est la<br />

condition sine qua non au développement.<br />

« Ce n’est pas toujours facile,<br />

remarque-t-il. Le passage de l’ancien<br />

au nouveau système prend du temps,<br />

mais je vois que les autorités comprennent<br />

l’intérêt de bâtir des institutions<br />

saines, avec moins de corruption. Nous<br />

créons de meilleures conditions pour<br />

les affaires et les investissements. »<br />

Avec plusieurs employés du fisc pris la<br />

main dans le sac en 2011 et des investissements<br />

dans les infrastructures avec<br />

l’argent des impôts, le Burundi s’engage<br />

sur un chemin vertueux. Selon le<br />

commissaire général, « 95 % du budget<br />

national peut être financé par les taxes<br />

d’ici à cinq ans. »<br />

La Commission économique pour<br />

l’Afrique (CEA) des Nations unies<br />

située à Addis-Abeba pousse les États<br />

africains à adopter la voie prise par le<br />

Burundi. Elle rappelle que plus de<br />

1,5 milliard de dollars de taxes des<br />

multinationales leur échappe chaque<br />

année. Un montant colossal qui<br />

retourne bien souvent dans le pays<br />

d’origine de ces sociétés étrangères.<br />

Réagir avant qu’il ne soit trop tard<br />

pour ne pas laisser l’argent dormir et<br />

s’évader: tel était le but du rapport de<br />

la CEA publié l’an passé. « Pour<br />

10 dollars de taxes évadées, le dollar<br />

d’aide reçu ne compense pas les pertes<br />

économiques et financières pour le<br />

continent », écrivent, très justement,<br />

les auteurs du rapport. ■<br />

65


66 Économie<br />

Finance islamique Georges Corm, ex-ministre des Finances libanais et professeur à l’université<br />

Saint-Joseph à Beyrouth, souligne les inégalités engendrées par les économies rentières arabes.<br />

Pour lui, les islamistes n’ont pas de solutions. Pis : ils s’adaptent parfaitement à ce système.<br />

Propos recueillis par Laurence D’Hondt<br />

■ Quelles sont les caractéristiques<br />

des économies des pays arabes dans<br />

lesquelles la mouvance islamiste<br />

(Frères musulmans, Ennahdha…) a<br />

pris le pouvoir ?<br />

❒ Il s’agit d’économies à faible productivité<br />

qui, plus d’un demi-siècle<br />

après leur indépendance, n’ont pas su<br />

enclencher le cercle vertueux d’une<br />

industrialisation accélérée sur le<br />

modèle des pays du Sud-Est asiatique.<br />

Des sources diverses de rentes économiques<br />

faciles ont provoqué une<br />

paresse technologique évidente, qui<br />

n’a pas assuré la remontée des grandes<br />

filières technologiques modernes dans<br />

l’électronique, l’informatique, la santé,<br />

les équipements et machines-outils.<br />

Ces sources de rente très abondantes<br />

proviennent du secteur foncier, ou agricole,<br />

ou touristique, ou encore de<br />

matières premières telles que l’énergie<br />

ou les phosphates. Ces ressources<br />

financières proviennent aussi du passage<br />

d’oléoducs pétroliers ou gaziers,<br />

de route de transit comme le canal de<br />

Suez, ou encore des aides étrangères et<br />

des importantes remises des émigrés.<br />

La création de zones industrielles offshore<br />

n’a fait que perpétuer un système<br />

se contentant de contrats de sous-traitance<br />

passive avec les firmes multinationales.<br />

■ Quelles sont les réponses que la<br />

réflexion économique des partis islamistes<br />

au pouvoir apporte aux défis<br />

de systèmes économiques qui se sont<br />

avérés injustes et peu porteurs d’emplois<br />

? Pourquoi l’interdiction de l’intérêt<br />

sur le capital semble-t-elle une<br />

fixation de la pensée « économique »<br />

islamiste ?<br />

Les partis islamiques ont surfé<br />

Un argent halal<br />

pas très catholique<br />

d’abord sur la vague antisocialiste, en<br />

dénonçant les atteintes de l’État à la<br />

liberté de commerce. Par la suite, les<br />

États se réclamant de l’islam, dans le<br />

monde arabe ou hors du monde arabe,<br />

ont lancé la mode de la finance isla-<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

mique à partir des années 1980. Des<br />

banques islamiques et des modes de<br />

financement islamiques ont poussé un<br />

peu partout, et même les grandes<br />

banques occidentales, soucieuses de<br />

recueillir les dépôts de riches Arabes<br />

Moulay Youssef Alaoui, l’entreprise et le Coran<br />

Àl’occasion d’une rencontre inédite à Beyrouth entre responsables des<br />

mondes chrétien et musulman, pour trouver une éthique commune<br />

entre les deux religions dans le domaine économique, Moulay Youssef<br />

Alaoui, chef d’entreprise marocain, a fait un témoignage poignant de<br />

vérité. En quelques mots, il a illustré avec clarté ce que la foi peut avoir de<br />

stimulant pour faire face aux défis d’un monde en crise. Alors que l’homme a<br />

eu « la chance » d’hériter de deux entreprises familiales, il n’a pourtant eu<br />

longtemps qu’une seule idée en tête : trouver un bon moyen de « s’en débarrasser<br />

». Il n’avait aucun désir de porter la charge de ces entreprises. Timide,<br />

inquiet, il n’osait même pas prendre la parole en public.<br />

« Il y a deux ans, à l’occasion d’une rencontre entre chefs d’entreprise au<br />

Liban, je me suis fait cette réflexion : mon éducation musulmane fondée sur la<br />

responsabilité et la solidarité pouvait-elle vraiment me permettre de vendre<br />

ces deux sociétés familiales? » La réponse est venue dans l’avion qui l’a<br />

ramené au Maroc. « Je me suis dit: l’héritage est un don de Dieu et j’ai la responsabilité<br />

de le faire fructifier. Je suis un homme et je dois faire preuve d’humilité<br />

en ne responsabilisant que moi-même pour les choses qui m’arrivent. »<br />

De retour, l’homme a acquis une stature morale qu’il n’avait jamais endossée<br />

et il a pris rapidement deux décisions pour les 100 personnes qu’il<br />

employait: l’une était de créer une Fondation financée à 75 % par les bénéfices<br />

de l’entreprise et à 25 % par la cotisation du personnel; l’autre, celle de<br />

relever le niveau des salaires les plus bas de l’entreprise. Alors que Moulay<br />

s’apprêtait à voir les autres salariés protester devant cette augmentation partielle,<br />

il a eu la surprise de découvrir qu’aucun n’a émis d’objection et que la<br />

solidarité était une valeur partagée qui ne demandait qu’à être appliquée.<br />

Revenant sur le hadith (dit du Prophète), « Le meilleur est celui qui est le plus<br />

utile aux autres », Moulay Youssef Alaoui y lit non seulement une invitation à<br />

la mise en valeur de son héritage au profit des autres, mais également un appel<br />

à « devenir acteur de sa liberté », une dimension trop peu encouragée dans<br />

l’économie des pays musulmans. ■ L. Dh.<br />

◗ www.beirutconference.org


Georges Corm: « Les mouvances islamiques n’ont guère développé<br />

de programmes d’éthique des affaires et de redistribution des revenus. »<br />

faisant montre de piété, ont ouvert des<br />

guichets de « finance islamique ». Formellement,<br />

ces institutions ne payent<br />

pas d’intérêt à leurs déposants et ne<br />

font pas payer d’intérêts à leurs<br />

emprunteurs. Cela est réalisé à travers<br />

diverses formules d’association à leurs<br />

bénéfices pour les déposants, payés sur<br />

l’association qu’elles ont dans les<br />

bénéfices de leurs emprunteurs. Beaucoup<br />

d’opérations sont déguisées en<br />

différentes formules de leasing où<br />

l’emprunteur paye des loyers à sa<br />

banque islamique. En fait, la base de<br />

calcul a toujours comme référence<br />

implicite les taux d’intérêt internationaux<br />

plus une marge.<br />

Cette interdiction formelle de l’intérêt<br />

leur permet d’apparaître comme<br />

conformes à la charia qui interdisait le<br />

prêt à intérêt (tout comme dans le<br />

christianisme), bien que d’éminents<br />

juristes musulmans dès le début du<br />

siècle dernier aient expliqué qu’il était<br />

licite de pratiquer l’intérêt, à condition<br />

qu’il ne soit pas usuraire. Mais, ce qui<br />

reste certain, c’est qu’aucun des États<br />

qui ont choisi de généraliser la finance<br />

islamique (Arabie Saoudite, Pakistan,<br />

Iran, Soudan) n’apporte aujourd’hui la<br />

preuve d’un meilleur développement<br />

économique, ni d’une justice sociale<br />

plus grande.<br />

■ Quel est le travail que font les mouvements<br />

islamistes sur le terrain: de<br />

l’assistanat? De l’achat de voix<br />

opportunistes ? De la redistribution<br />

durable de richesses ?<br />

❒ Certains des membres de ces mouvements<br />

sont devenus des hommes d’af-<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

D. R.<br />

faires prospères en s’inscrivant dans<br />

les circuits de l’économie de rente. Par<br />

ailleurs, depuis des années, fleurissent<br />

des associations charitables qui viennent<br />

de façon marginale combler les<br />

insuffisances en matière de sécurité<br />

sociale des États. Elles ont des réseaux<br />

très développés dans les campagnes<br />

pauvres et les bidonvilles urbains. Elles<br />

deviennent de ce fait très influentes<br />

idéologiquement, et influencent considérablement<br />

les votes dans les exercices<br />

électoraux. Elles influent aussi<br />

sur la généralisation de mœurs islamiques<br />

rigoristes et les modes d’habillement<br />

de l’homme et de la femme.<br />

Mais il faut noter que cela n’a pas vraiment<br />

fait reculer les énormes injustices<br />

sociales caractéristiques des économies<br />

rentières.<br />

■ Quelles sont les aspirations<br />

éthiques profondes de l’islam qui<br />

sont susceptibles d’influencer les<br />

politiques économiques de certains<br />

pays ?<br />

❒ Ces aspirations sont peu connues,<br />

comme c’est malheureusement le cas<br />

pour l’éthique économique chrétienne,<br />

qui est sur le fond très similaire. Le<br />

souci principal du croyant doit être la<br />

sollicitude matérielle envers les vieux<br />

parents, les orphelins, les démunis. Par<br />

ailleurs, la bonne foi et l’équité dans les<br />

transactions commerciales constituent<br />

également une obligation de nature<br />

religieuse. Malheureusement, en<br />

dehors du slogan « l’islam est la solution<br />

», les mouvances islamiques n’ont<br />

guère développé de programmes<br />

d’éthique des affaires, de justice<br />

sociale et de redistribution des revenus,<br />

inspiré de leur patrimoine. L’impôt inspiré<br />

de la sharia islamique, dit zakat,<br />

appliqué dans les pays que j’ai cités<br />

n’est pas suffisant pour atténuer les<br />

énormes écarts de richesses.<br />

Mais si le slogan sur l’islam comme<br />

solution à tous les problèmes a eu<br />

autant de succès populaire, c’est<br />

qu’aux yeux de larges pans de déshérités<br />

de ces sociétés, l’islam rime avec<br />

justice sociale. Un vieux dicton arabe<br />

bien connu affirme : « La justice est ce<br />

qui fait de bons royaumes. » L’accession<br />

au pouvoir des partis islamiques<br />

sonne pour eux l’heure de vérité. ■<br />

L’IMPÔT INSPIRÉ DE LA SHARIA ISLAMIQUE N’EST PAS<br />

SUFFISANT POUR ATTÉNUER LES ÉNORMES ÉCARTS DE RICHESSES.<br />

67


68 Économie<br />

Brics Pas à pas mais sûrement, le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud construisent<br />

une force alternative aux institutions internationales dominées par les pays « développés<br />

». Le 5 e Sommet de Durban a apporté sa pierre à l’édifice.<br />

Par Christine Abdelkrim-Delanne<br />

C<br />

’est par vingt et un coups de<br />

canon que le président Jacob<br />

Zuma a accueilli le 26 mars à<br />

Pretoria son homologue chinois, Xi<br />

Jinping. Nouveau président du géant<br />

asiatique, Xi Jinping effectuait<br />

son premier voyage en Afrique<br />

et assistait au 5e sommet des<br />

chefs d’État des pays dits<br />

« émergents » du groupe Brics<br />

(Brésil, Russie, Inde Chine et<br />

Afrique du Sud), à Durban, fin<br />

mars. Les Brics représentent<br />

ensemble 25 % du PNB mondial<br />

et 40 % de la population de<br />

la planète.<br />

Le sommet de Durban, en<br />

terre africaine, s’est réuni<br />

autour du thème central « Les Brics et<br />

l’Afrique : un partenariat pour le développement,<br />

l’intégration et l’industrialisation<br />

». Avec un PIB de 8 250 milliards<br />

de dollars en 2012, contre<br />

390 milliards pour l’Afrique du Sud<br />

qui a bien du mal à justifier sa qualité<br />

d’« émergent », la Chine est sans nul<br />

doute un interlocuteur privilégié et<br />

indispensable au sein des Brics. Mais<br />

elle fait peur aussi, car avec un PIB de<br />

25 % supérieur à ceux de ses quatre<br />

partenaires réunis, sa présence en<br />

Afrique est de plus en plus importante<br />

et créée parfois des déséquilibres.<br />

◗ Financer les grands travaux<br />

Cette réalité a pesé sur le débat au<br />

cœur du sommet concernant la création<br />

d’une banque de développement<br />

et de certaines institutions communes.<br />

Proposé lors du 4 e sommet à New<br />

Delhi, en 2012, le projet d’une banque<br />

commune avance à petits pas, au gré<br />

des divergences, au grand dam de<br />

l’Afrique du Sud qui y a fondé tous<br />

ses espoirs. « Nous avons décidé<br />

d’ouvrir des négociations formelles<br />

pour créer une nouvelle banque de<br />

Une nouvelle étape<br />

développement menée par les Brics,<br />

destinée à nos propres besoins en<br />

infrastructures, qui sont considérables,<br />

mais aussi pour coopérer avec<br />

les autres marchés émergents et les<br />

pays en développement à l’avenir », a<br />

répété Jacob Zuma, pressé de trouver<br />

Les Brics représentent<br />

25 % du PNB mondial.<br />

le financement des « grands travaux »<br />

annoncés dans son dernier discours à<br />

la nation. Ils sont censés sortir le pays<br />

de la crise et, surtout, le sortir, lui, des<br />

difficultés à quelques mois des prochaines<br />

élections.<br />

L’admission de l’Afrique du Sud au<br />

sein du groupe en 2011 représente un<br />

défi pour Jacob Zuma vis-à-vis des<br />

autres pays d’Afrique et de la Communauté<br />

de développement de<br />

l’Afrique australe (SADC). Perçues –<br />

et souhaitées – comme une alternative<br />

aux partenaires traditionnels occidentaux,<br />

les relations entre les États africains<br />

et les Brics doivent évoluer et<br />

sortir du modèle « matières premières<br />

contre produits manufacturés ». Le<br />

sommet s’est d’ailleurs terminé par<br />

une rencontre informelle entre dix<br />

chefs d’État africains, dont l’Angolais<br />

José Eduardo Dos Santos et l’Ivoirien<br />

Alassane Ouattara, et leurs homologues<br />

des Brics dont les acteurs économiques<br />

sont tous présents sur le<br />

continent à des degrés divers, Chine<br />

en tête.<br />

Derrière les discours d’unité<br />

et de solidarité économique,<br />

les divergences entre ces pays<br />

aux économies hétérogènes et<br />

de niveaux de développement<br />

différents demeurent, mais<br />

évoluent au fil des discussions.<br />

La New Development Bank,<br />

créée pour damer le pion à la<br />

Banque mondiale et au FMI,<br />

« doit être une banque de développement<br />

basée sur des projets.<br />

Ensuite nous parlerons<br />

des sommes nécessaires », a insisté<br />

Mikhaïl Marguelov, le représentant<br />

russe pour l’Afrique qui accompagnait<br />

Vladimir Poutine, exprimant<br />

l’opposition de la Russie à une dotation<br />

de capital trop élevée. Elle<br />

demande de ramener les 10 milliards<br />

de dollars par pays prévus au départ à<br />

2 milliards.<br />

Parmi les questions qui seront<br />

débattus au prochain sommet au Brésil<br />

en 2014, la localisation du siège de<br />

la Banque que l’Afrique du Sud espère<br />

accueillir. Un rapport annuel du<br />

Forum économique mondial portant<br />

sur 144 pays place ce pays à la<br />

deuxième position en terme de solidité<br />

des banques, devant le Brésil<br />

(14 e ), l’Inde (38 e ) et la Russie (132 e ),<br />

un atout qu’elle ne se prive pas de<br />

faire valoir. La question du fonds de<br />

réserve commun fera elle aussi l’objet<br />

du débat du prochain sommet. ■<br />

DERRIÈRE LES DISCOURS D’UNITÉ ET DE SOLIDARITÉ, DES DIVERGENCES<br />

ENTRE CES PAYS AUX ÉCONOMIES HÉTÉROGÈNES DEMEURENT.<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

D. R.


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70 Économie<br />

Sénégal Avec la libéralisation de la commercialisation, les Chinois ont débarqué sur le marché<br />

de l’arachide, raflant une bonne part de la production avec des arguments sonnants et trébuchants.<br />

Les producteurs sourient, les huileries locales pleurent.<br />

Par Corinne Moncel<br />

Àen croire les trois grosses huileries<br />

industrielles du pays (1) ,<br />

c’est ni plus ni moins à la mort<br />

de la filière arachide qu’on assiste<br />

depuis le début de la campagne de commercialisation<br />

2012-2013, qui s’achève<br />

ce mois d’avril. La cause ? Le débarquement<br />

massif de nouveaux acheteurs<br />

étrangers, principalement chinois, mais<br />

aussi indiens, marocains, vietnamiens,<br />

et même russes, qui raflent une bonne<br />

part de la production sénégalaise depuis<br />

la libéralisation de l’exportation de la<br />

graine, fin 2010. La présidence avait<br />

pris cette mesure à la suite du record de<br />

production lors de la saison 2010-2011 :<br />

1,3 million de tonnes d’arachides, bien<br />

au-delà des possibilités d’achat des huiliers<br />

locaux (environ 400 000 tonnes).<br />

Une décision historique sur un marché<br />

jusque-là fermé à l’exportation – hors<br />

Union économique et monétaire ouestafricaine.<br />

◗ Achat cash<br />

La mesure trop récente et une production<br />

décevante la saison suivante<br />

(523 000 tonnes, -59 %) n’avaient pas<br />

permis aux acheteurs étrangers de se<br />

faire remarquer. Mais avec une très<br />

bonne récolte cette année (environ<br />

750 000 tonnes), on ne voit plus qu’eux<br />

dans le bassin arachidier: ils écument<br />

les campagnes pour acheter cash tout ce<br />

qu’ils peuvent. Et ils ont mis les<br />

moyens : alors que le gouvernement a<br />

fixé le prix d’achat du kilo à 190 francs<br />

CFA (un peu moins de 0,30 euro), en<br />

hausse de 8 % par rapport à l’année<br />

précédente, ils n’ont pas hésité à renchérir<br />

de 20 %, 30 %, voire 40 %, sur le<br />

prix officiel! On a ainsi vu des records<br />

à 270 francs le kilo, loin des 165 francs<br />

ayant prévalu toute la décennie d’avant<br />

la libéralisation…<br />

Le gouvernement a pourtant fait un<br />

effort cette saison pour sortir du sys-<br />

Hold-up sur les peanuts !<br />

tème de « bons » jusqu’alors en vigueur,<br />

qui permettaient aux différents opérateurs<br />

nationaux (la collecte est libéralisée<br />

depuis 2001) d’acheter la graine à<br />

crédit aux producteurs. Avec de gros<br />

scandales récurrents d’impayés. Les<br />

négociants savaient aussi attendre le<br />

bon moment pour acheter à prix bradés<br />

la récolte de paysans pris à la gorge par<br />

les besoins de liquidités (fêtes, rentrées<br />

des classes…). En lançant, en novembre<br />

dernier, l’opération Tek teggi<br />

(« devise »), les autorités ont rendu<br />

obligatoire le paiement en liquide des<br />

arachides et débloqué 42 milliards de<br />

francs CFA (62,6 millions d’euros).<br />

Les huiliers, eux, ont mobilisé 60 milliards<br />

de francs. Cela n’a pas suffi: ils<br />

ont dû surenchérir sur le prix officiel,<br />

proposant 210 francs le kilo, en réaction<br />

au rouleau compresseur des étrangers.<br />

En vain. Du coup, les usines n’ont plus<br />

assez de graines pour fabriquer toute<br />

l’huile d’arachide dont le Sénégal est le<br />

LE GOUVERNEMENT A FIXÉ LE KILO D’ARACHIDES À 190 FRANCS CFA.<br />

LES ÉTRANGERS LE PAYENT JUSQU’À 270 FRANCS !<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

Une graine d’importance<br />

Culture introduite par les Français au début du XIXe siècle, l’arachide<br />

est devenue dominante au Sénégal: elle couvre 40 % des terres cultivées,<br />

emploie près de 60 % de la population, et on la consomme à<br />

toutes les sauces – notamment dans le plat national, le thiéboudiène. Longtemps<br />

premier produit d’exportation, elle s’est fait devancer par la pêche (le<br />

tourisme et les phosphates en 2005) après une crise sérieuse de la filière dans<br />

les années 2000. La production est extensive, pluviale et le fait de petits producteurs.<br />

Le Sénégal ne figure pas parmi les premiers exportateurs mondiaux, loin<br />

derrière la Chine (1er ), l’Inde (2e ), l’Argentine (3e ) et les États-Unis (4e ), et<br />

même le Nigeria, premier producteur d’Afrique. Il est en revanche le premier<br />

exportateur mondial d’huile brute, tout en étant importateur d’huile de soja. ■<br />

premier exportateur mondial. Suneor,<br />

l’une des plus grosses entreprises<br />

agroalimentaires du pays (5 000<br />

employés, dont 2 000 permanents), qui<br />

traite la majeure partie de l’arachide du<br />

pays, n’avait collecté, à la mi-mars, que<br />

50 000 tonnes sur les 100 000 envisagées.<br />

Novasen n’en avait acquis que<br />

15 000, pour la même prévision<br />

d’achat…<br />

Remontés contre les Chinois, elles<br />

ont sonné le tocsin dès le début de la<br />

campagne : « La présence des Chinois<br />

sur le marché correspond à la mort de<br />

la filière arachide. Parce que les usines<br />

de transformation locales vont fermer<br />

s’il n’y a pas de produits », déclarait fin<br />

novembre Thiendiaté Bouyo Ndao,<br />

directeur général de Suneor, qui récidivait<br />

fin janvier: « Sans approvisionnement<br />

en graines, il n’y aura plus d’industrie.<br />

Et sans industrie, pas de<br />

filière. » Les syndicats des huileries, en<br />

lutte pour préserver leurs emplois,


parlaient, de leur côté, de « concurrence<br />

déloyale ». « C’est l’État qui est<br />

responsable, estimait Thié Mbaye<br />

Ndiaye, du syndicat des corps gras de<br />

Diourbel. Le gouvernement devait, en<br />

parallèle [de la fixation des prix], imposer<br />

des règles du jeu clairement établies<br />

qui pouvaient éviter cette surenchère.<br />

»<br />

Mais les huiliers ont-ils vraiment<br />

compris les nouvelles règles du jeu<br />

depuis la libéralisation ? En situation de<br />

rythme de la loi du marché, ont-ils rapporté<br />

à l’agence sénégalaise ASI24 en<br />

janvier. On nous demande un certificat<br />

de conformité, ce qui est une pure vue<br />

de l’esprit. En principe, pour exporter,<br />

on a besoin de la facture commerciale,<br />

du certificat d’origine et de la déclaration<br />

douanière. Le certificat de conformité<br />

n’existe nulle part! »<br />

Le blocage n’a pas convaincu les<br />

opérateurs étrangers de revenir aux prix<br />

d’achat officiels. En revanche, si les<br />

Les Chinois sont disposés à acheter, à long terme, 3 millions de tonnes d’arachide.<br />

Cette année, le pays en a produit 750 000 tonnes, une très bonne récolte.<br />

monopole depuis des décennies, ils<br />

n’ont pas su anticiper ce qui était pourtant<br />

prévisible. C’est ce que leur a fait<br />

comprendre le ministre de l’Agriculture,<br />

Abdoulaye Baldé : « [Ils] ont des<br />

problèmes d’approvisionnement, donc<br />

ils n’ont qu’à faire des efforts pour être<br />

compétitifs sur le marché. » De quoi<br />

faire s’étrangler les fabricants qui ont<br />

joué la carte du patriotisme économique<br />

pour émouvoir les autorités. Lesquelles<br />

ne sont pas restées sourdes à leurs<br />

doléances. Sans le dire expressément,<br />

elles appliquent, depuis novembre, une<br />

interdiction d’exporter de fait en bloquant<br />

le départ des navires vers la<br />

Chine et d’autres destinations. À la mimars,<br />

près de 54 000 tonnes étaient toujours<br />

en attente, et seulement 5 139<br />

tonnes avaient été expédiées…<br />

Si bien que ce sont dorénavant les<br />

intermédiaires qui évoquent à leur tour<br />

une mesure qui « va finir par tuer la<br />

filière et l’économie de l’arachide ». Le<br />

gouvernement subit « les contrecoups<br />

du lobbying d’une industrie en souffrance<br />

et incapable de soutenir le<br />

graines venaient à se gâter sur les docks<br />

de Dakar, le risque est grand de décourager<br />

les partenaires étrangers prêts à<br />

s’impliquer dans la commercialisation<br />

de la filière. À l’instar des Chinois de la<br />

province de Shangdong (96 millions<br />

d’habitants) dont une délégation, en<br />

novembre dernier, était invitée par la<br />

chambre de commerce et de l’industrie<br />

de Kaolack. Venue pour évaluer la possibilité<br />

d’un premier partenariat portant<br />

sur les 54 000 tonnes, elle s’était dite<br />

disposée à acheter à terme 3 millions de<br />

tonnes par an. De quoi réjouir Alioune<br />

Sarr, directeur de l’Agence sénégalaise<br />

pour la promotion des exportations<br />

(Asepex), qui voyait déjà le moyen<br />

pour le Sénégal de « résorber le déficit<br />

très profond de 400 milliards de la<br />

balance commerciale » s’il parvient à<br />

« exporter entre 1 et 2 millions de<br />

tonnes d’arachides ».<br />

La délégation a toutefois souligné les<br />

faiblesses de la filière sénégalaise:<br />

absence de semences de qualité, d'engrais<br />

chimiques, insuffisance de la maîtrise<br />

de l’eau et sous-équipement agri-<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

D. R.<br />

cole. Pour autant les Chinois, en quête<br />

d’approvisionnements planétaires pour<br />

répondre aux besoins d’une population<br />

de 1,4 milliard d’individus, seront<br />

capables de s’investir rapidement si on<br />

leur assure que ces problèmes trouvent<br />

une solution. Ce que leur a confirmé<br />

Macoumba Diouf, le directeur de l’Institut<br />

sénégalais de recherches agricoles.<br />

Pas sûr non plus qu’ils se laissent impressionnés<br />

par les vociférations verbales<br />

l’industrie locale et de ses employés:<br />

« On est prêts à s’opposer aux étrangers<br />

pour qu’ils nous laissent nos graines sur<br />

place. Si nous devons les trouver dans<br />

les villages pour les chasser […], nous<br />

le ferons », s’emportait le secrétaire<br />

national du Syndicat des travailleurs des<br />

corps, gras, Samuel Ndour.<br />

◗ Fin de règne<br />

On comprend que les producteurs<br />

soutiennent à fond les opérateurs étrangers.<br />

« L’ère des grandes huileries est<br />

révolue après soixante ans de règne<br />

sans partage et d’exploitation éhontée<br />

des paysans », s’est enthousiasmé le<br />

secrétaire général de la Fédération des<br />

paysans du Sénégal. Ceux-ci souhaitent<br />

que les opérateurs étrangers les accompagnent<br />

dans la redynamisation de la<br />

filière et ne se cantonnent pas au rôle<br />

d’acheteurs. Déjà des Chinois – mais<br />

aussi des commerçants sénégalais, les<br />

fameux bana-bana – construisent dans<br />

le Saloum de petites usines de transformation<br />

qui produisent de la pâte, de<br />

l’huile, du beurre d’arachide… Mais<br />

avec la concurrence, ils doivent eux<br />

aussi acheter plus cher la matière première.<br />

Un surcoût qui se répercutera sur<br />

le prix des denrées ou sur les marges<br />

bénéficiaires.<br />

Cette année, avec une bonne récolte,<br />

qui s’écoule à des prix historiques, et<br />

payée cash, les producteurs sont triplement<br />

contents. Beaucoup d’observateurs,<br />

cependant, craignent que cette<br />

envolée leur fasse vendre jusqu’aux<br />

semences, hypothèquant la saison suivante.<br />

Mais pour El Hadji Ndiaye, responsable<br />

d'un syndicat local d'agriculteurs<br />

interrogé par l’AFP, « le paysan<br />

sénégalais cultive l'arachide depuis le<br />

XIX e siècle. Il s'est toujours débrouillé<br />

pour avoir ses semences et met toujours<br />

en réserve des graines ». L’âge d’or de<br />

l’arachide serait-il revenu ? ■<br />

◗ (1) Suneor, filiale du géant français<br />

Advens, Novasen et Complexe agro-industriel<br />

de Touba (CAIT).<br />

71


72 Économie<br />

Développement Le dernier rapport de l’Unesco dresse un bilan décevant des progrès pour<br />

atteindre les Objectifs de développement du Millénaire. Pour la plupart, l’Afrique piétine depuis<br />

2008. En particulier pour la scolarisation et l’alphabétisation.<br />

Par Guy Michel<br />

610<br />

millions d’enfants<br />

n’étaient pas scolarisés<br />

dans le monde en 2010,<br />

dernière année pour laquelle des<br />

chiffres sont disponibles. Dans vingthuit<br />

pays, moins de 85 % des enfants<br />

étaient scolarisés. En outre, cette statistique<br />

exclut tous les pays touchés<br />

par des conflits.<br />

L’Unesco reprend en détail les six<br />

Objectifs de développement du Millénaire<br />

(ODM) de l’enseignement primaire<br />

universel.<br />

◗ Insuffisant !<br />

Objectif 1. L’éducation et la protection<br />

de la petite enfance. Le taux de<br />

mortalité infantile est passé de 88/000<br />

naissances vivantes en 1990 à 60 en<br />

2010, mais le rythme actuel de diminution<br />

est insuffisant pour atteindre<br />

l’objectif de 25 en 2015. Près d’un<br />

enfant sur quatre à l’échelle mondiale<br />

souffrira d’un retard de croissance<br />

modéré ou extrême en 2015. La malnutrition<br />

infantile est sous-jacente à<br />

plus de la moitié des décès des jeunes<br />

enfants.<br />

Objectif 2. L’enseignement primaire<br />

universel. La baisse du nombre d’enfants<br />

non scolarisés a été rapide<br />

entre 1999 et 2004, mais s’est ralentie<br />

ensuite et les progrès ont cessé depuis<br />

2008. Cette évolution frappe surtout<br />

l’Afrique subsaharienne où se trouve<br />

maintenant la moitié de l’effectif mondial<br />

des enfants non scolarisés, alors<br />

qu’elle ne représente qu’un dixième de<br />

la population mondiale. Cinq ans<br />

avant 2015, vingt-neuf pays avaient un<br />

taux de scolarisation inférieur à 85 %<br />

et ont très peu de chance d’atteindre<br />

l’objectif avant la date fixée. La situa-<br />

Afrique : à la dure école de<br />

l’éducation pour tous<br />

tion est pire au Sahel, où le taux d’accès<br />

dans le primaire n’atteint pas la<br />

moitié de l’effectif total.<br />

L’entrée tardive en première année<br />

d’enseignement est signalée comme<br />

un gros obstacle à la réalisation de<br />

l’enseignement primaire universel.<br />

Elle est plus fréquente dans les<br />

ménages pauvres, car les enfants<br />

pauvres habitent plus loin de l’école et<br />

que les transports sont plus coûteux<br />

pour eux. Certains ne vont pas à l’école<br />

avant de pouvoir parcourir à pied ces<br />

grandes distances.<br />

Le problème réside aussi dans le<br />

maintien jusqu’au bout (taux d’achèvement)<br />

du cycle : au Sahel, ce taux<br />

d’achèvement est d’environ 37 %. La<br />

pauvreté exerce plus d’effet sur la survie<br />

que sur l’entrée à l’école. Selon les<br />

enquêtes, les coûts financiers de l’éducation<br />

constituent le facteur le plus<br />

important pour les ménages, lorsqu‘ils<br />

décident d’envoyer ou non leurs<br />

enfants à l’école ou de les y maintenir.<br />

Le facteur travail (de l’enfant) n’intervient<br />

qu’en seconde place.<br />

Objectif 3. Répondre aux besoins<br />

éducatifs des jeunes et des adultes.<br />

Le taux brut de scolarisation dans le<br />

premier cycle du secondaire n’était<br />

que de 52 % en 2010 dans les pays à<br />

faible revenu, et seulement de 40 %<br />

en Afrique subsaharienne. Des millions<br />

de jeunes n’acquièrent aucune<br />

compétence fondamentale pour<br />

gagner leur vie.<br />

Seulement 24 % des jeunes filles et<br />

36 % des garçons sont capables d’in-<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

diquer les moyens de prévenir la transmission<br />

du VIH par voie sexuelle et de<br />

réfuter les idées fausses sur la contamination<br />

par le virus.<br />

Objectif 4. Améliorer les niveaux<br />

d’alphabétisation des adultes de 50 %<br />

d’ici à 2015. Le nombre d’adultes<br />

analphabètes n’a reculé que de<br />

881 millions en 2005 à 775 millions<br />

en 2010. Seuls trois pays (sur 40<br />

concernés) devraient atteindre l’objectif<br />

: la Chine, la Guinée Équatoriale et<br />

la Malaisie.<br />

Objectif 5. Évaluer la parité et l’égalité<br />

entre les sexes dans l’éducation.<br />

Les filles continuent d’être défavorisées<br />

dans soixante pays.<br />

Objectif 6. La qualité de l’éducation.<br />

En Asie du Sud et de l’Ouest, le<br />

nombre d’élèves par enseignant a crû<br />

de 36 à 39. En Afrique subsaharienne,<br />

il a légèrement augmenté de 42 à 43.<br />

restant le plus élevé du monde. Dans<br />

douze pays, la proportion d’enseignants<br />

ayant reçu une formation<br />

conforme aux normes nationales est<br />

inférieure à 50 %. On observe une<br />

valeur moyenne de 65 % de rétention<br />

des acquis de l’alphabétisation après<br />

six années d’études pour des adultes<br />

ruraux, mais au Mali et au Niger, le<br />

chiffre n’est plus que de 45 %, contre<br />

85 % en Éthiopie et 95 % au Rwanda.<br />

Ces différences sont essentiellement<br />

liées à la qualité des services offerts,<br />

notamment le nombre d’élèves par<br />

enseignant (souvent supérieur à 80) et<br />

la formation de l’enseignant.<br />

Le suivi du financement de l’édu-<br />

EN 2011, L’AIDE INTERNATIONALE A DIMINUÉ POUR LA PREMIÈRE FOIS<br />

DEPUIS 1997. ELLE AVAIT STAGNÉ EN 2010.


cation primaire universelle : les deux<br />

tiers des pays à revenus faibles et<br />

moyens inférieurs ont continué à<br />

accroître leur budget d’éducation<br />

durant les années de crise, mais certains<br />

pays comme le Niger et le<br />

Tchad ont opéré des coupes sensibles<br />

en 2010.<br />

Pourquoi cette insistance sur ce cas<br />

de l’Afrique subsaharienne ? Parce<br />

qu’il est prévu que sa population<br />

double d’ici à 2050 avec un taux d’accroissement<br />

d’environ 2,5 % par an,<br />

alors que la croissance du PIB ne<br />

dépasse que faiblement ce taux sur le<br />

long terme, n’apportant qu’une amélioration<br />

minime du niveau de vie par<br />

habitant.<br />

Par ailleurs, la productivité des agriculteurs<br />

africains est médiocre par rapport<br />

à celle des asiatiques. L’explication<br />

là encore est clairement liée au<br />

niveau d’éducation : un agriculteur<br />

analphabète sera incapable d’utiliser<br />

efficacement les engrais, de sélectionner<br />

les meilleures cultures et d’opérer<br />

les investissements nécessaires. La<br />

preuve: la culture irriguée n’occupe en<br />

Afrique que 4 % du potentiel.<br />

Il a aussi été constaté depuis plus de<br />

vingt-cinq ans que l’éducation des<br />

filles engendrait un recul de l’âge du<br />

mariage, donc l’âge de la première<br />

En 2010, vingt-neuf pays avaient un taux de scolarisation<br />

inférieur à 85 %. Et la situation est pire au Sahel.<br />

naissance, et qu’elle espaçait les grossesses,<br />

provoquant une forte décroissance<br />

du nombre d’enfants. La majorité<br />

de ces impacts sociaux sont<br />

obtenus après une scolarité primaire<br />

complète. L’impact additionnel du<br />

secondaire est sensiblement inférieur,<br />

celui du supérieur n’est plus que de<br />

9 % seulement.<br />

◗ Retard francophone<br />

Les systèmes éducatifs se développent<br />

en affrontant des difficultés progressives.<br />

Ils mettent d’abord en place<br />

des établissements dans les zones<br />

urbaines, le reste allant aux zones<br />

rurales d’habitat dispersé. Or, celles-ci<br />

sont plus nombreuses en Afrique subsaharienne,<br />

où par ailleurs les recettes<br />

fiscales sont faibles. L’éducation primaire<br />

universelle ne pourra donc progresser<br />

rapidement que si les pays de<br />

cette zone bénéficient de l’appui des<br />

pays riches. L’aide internationale y est<br />

nécessaire, plus spécifiquement française<br />

pour sa partie francophone, nettement<br />

en retard par rapport à la partie<br />

anglophone.<br />

En 2011, l’aide internationale a<br />

diminué pour la première fois depuis<br />

1997. Elle avait déjà stagné en 2010.<br />

Sur les 5,9 milliards de dollars d’aide<br />

totale à l’éducation de base versés en<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

D. R.<br />

2010, seulement 1,9 milliard a été<br />

alloué aux pays à faibles revenus.<br />

L’Afrique subsaharienne n’a reçu que<br />

la moitié des fonds supplémentaires<br />

prévus.<br />

Qu’en est-il de l’aide française au<br />

développement dans le secteur de<br />

l’éducation ? La France s’est engagée<br />

à aider les pays pauvres (surtout<br />

d’Afrique) à atteindre l’OMD concernant<br />

l’éducation. Selon les statistiques<br />

rassemblées par l’OCDE,<br />

l’aide française en Afrique est la suivante<br />

: le total des versements français<br />

en 2006 était de 909 millions de<br />

dollars ; il a cru à 1 189 millions en<br />

2010. Mais la ventilation par pays<br />

offre de nombreuses surprises :<br />

Mayotte, absente en 2006, a reçu<br />

416 millions de dollars en 2010.<br />

Cependant, ce territoire d’outre-mer<br />

devenu département français en 2011<br />

est devenu inéligible à l’aide au<br />

développement à cette date, selon les<br />

critères adoptés par l’OCDE. Cela<br />

provoquera une baisse significative<br />

des apports français à ce titre.<br />

L’Algérie et le Maroc ont perçu en<br />

2010 respectivement 121 et 145 millions<br />

de dollars. Par contre, les pays<br />

les plus concernés par les Objectifs du<br />

Millénaire comme le Burkina Faso, le<br />

Mali et le Niger n’ont perçu respectivement<br />

que 16, 22 et 8 millions de<br />

dollars. En outre, les chiffres cités<br />

concernent l’ensemble de l’éducation.<br />

Si on considère l’éducation de base, le<br />

total à l’Afrique se limite à 178 millions<br />

de dollars en 2010. Soit, pour ces<br />

mêmes pays à 2, 6 et 2 millions, nettement<br />

moins que les 10 % des financements<br />

fournis par les pays eux-mêmes.<br />

Pour information, les versements<br />

concernant l’éducation supérieure et la<br />

formation professionnelle atteignaient<br />

620 millions de dollars en 2010. Si la<br />

France veut tenir ses promesses, elle<br />

doit donc soit augmenter significativement<br />

son aide totale, soit la répartir<br />

différemment.<br />

En effet, si l’aide multilatérale est<br />

restée constante pour l’éducation de<br />

base, un progrès sensible est intervenu<br />

du côté de l’aide bilatérale géré par<br />

l’Agence française de développement<br />

(AFD). Les quatorze pays francophones<br />

prioritaires de l’Afrique subsaharienne,<br />

qui avaient reçu 35 millions<br />

d’euros en 2010, auront perçu 40 millions<br />

d’euros en 2011 et 2012 et<br />

devraient bénéficier d’environ 50 millions<br />

d’euros en 2013. ■<br />

73


74 Économie<br />

Entretien Après que, en plein hiver islamiste, Tunis eut accueilli le Forum social mondial dans<br />

l’indifférence des médias, malgré un succès d’audience, Gustavo Massiah, économiste et figure<br />

de l’altermondialisme et de la solidarité internationale, évoque les profonds remous qui<br />

secouent le monde arabe.<br />

« La démocratie est un apprentissage<br />

Propos recueillis par Fériel Berraies Guigny<br />

Pionnier de l’altermondialisme,<br />

ingénieur économiste de formation,<br />

Gustavo Massiah est né<br />

d’un père italien et d’une mère juive<br />

de Turquie. Il s’éprend très tôt du<br />

monde arabe et de l’Afrique du Nord.<br />

Mais ses combats s’étendent aux différentes<br />

problématiques des pays du<br />

Sud. Très impliqué dans les ONG de<br />

solidarité internationale et de droits<br />

humains en France, il a été président<br />

du Centre de recherche et d’information<br />

sur le développement (Crid, collectif<br />

d’une cinquantaine d’ONG),<br />

membre fondateur du Centre d’études<br />

et d’initiatives de solidarité internationale<br />

(Cedetim), de l’Association internationale<br />

de techniciens, experts et<br />

chercheurs (Aitec) et du réseau Initiatives<br />

pour un autre monde (Ipam). Il<br />

est membre fondateur et membre du<br />

Conseil scientifique d’Attac (dont il a<br />

été vice-président de 2001 à 2006) et<br />

du Conseil international du Forum<br />

social mondial. Il a publié de nombreux<br />

écrits, articles et contributions<br />

sur les thématiques du développement,<br />

des rapports Nord/Sud, de la solidarité<br />

internationale, des droits économiques,<br />

sociaux et culturels…<br />

■ L’altermondialisme, une profession<br />

de foi?<br />

❒ Oui, c’est le résultat d’un parcours<br />

de toute une vie. Si l’on essaie de<br />

décrypter ce mouvement, on peut dire<br />

que la mondialisation a eu plusieurs<br />

phases. Et dans chaque phase, il y a<br />

une logique dominante et une logique<br />

anti-systémique, qui remet en cause le<br />

courant dominant. C’est la relation<br />

entre les deux qui fait l’Histoire.<br />

du Nord au Sud »<br />

■ Quand a commencé l’altermondialisme<br />

?<br />

❒ Le mouvement anti-systémique que<br />

l’on nomme mouvement altermondialiste<br />

est né dans la phase qui a commencé<br />

dans les années 1980, celle que<br />

l’on appelle de « la financiarisation ».<br />

Il prend d’abord pied dans les pays du<br />

Sud, où on s’insurge contre les effets<br />

de la dette, les pénuries alimentaires…,<br />

et où on proteste contre la Banque<br />

mondiale, le Fonds monétaire international<br />

(FMI) et l’Organisation mondiale<br />

du commerce (OMC), leurs<br />

plans d’austérité imposés au fil des<br />

ans. Ce mouvement est héritier des<br />

mouvements pour la décolonisation,<br />

des luttes sociales, des luttes ouvrières<br />

et paysannes, pour la démocratie dans<br />

les années 1965-1973. Tous ces mouvements<br />

remettent en cause les systèmes<br />

d’oppression et d’exploitation.<br />

Puis vient la phase des forums économiques<br />

mondiaux, dont celui de<br />

Porto Alegre (Brésil), qui crée un nouveau<br />

mouvement social de protestation.<br />

Il va se déployer par la suite dans les<br />

différentes régions du monde. Ce dernier<br />

mouvement se situe dans la lignée<br />

des mouvements d’émancipation.<br />

■ L’impérialisme est en crise, mais<br />

on en subit toujours ses effets pervers…<br />

❒ L’impérialisme n’a jamais été un<br />

long fleuve tranquille, car il a été<br />

secoué de tout temps par la résistance<br />

des peuples. En 1977, avec Samir<br />

« NE PAS DÉPENDRE DES OUKASES CONJOINTS DU FMI,<br />

DE LA BANQUE MONDIALE ET DES MONARCHIES DU GOLFE. »<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

Amin, nous avions déjà écrit La Crise<br />

de l’impérialisme (Éditions du Midi).<br />

Cette crise prend des formes différentes<br />

selon les phases historiques. Il y<br />

a d’abord eu la colonisation, puis, de<br />

1914 à 1945, une deuxième étape avec<br />

les guerres, les fascismes, les crises<br />

financières… Un peu comme ce que<br />

nous traversons aujourd’hui.<br />

◗ Prolongement de la décolonisation<br />

La crise est d’une grande multiplicité<br />

: elle est financière, boursière, alimentaire,<br />

concerne l’endettement, les<br />

subprimes, le logement, notamment<br />

aux États-Unis, etc. Mais elle est<br />

d’abord sociale. Tout le monde admet<br />

aujourd’hui qu’il y a une profonde<br />

crise due aux inégalités sociales, qui<br />

ont atteint un niveau jamais égalé.<br />

Quand les « Occupy Wall Street » sortent<br />

le slogan « Vous êtes 1 % et nous<br />

sommes 99 % », cela montre l’ampleur<br />

de la problématique.<br />

■ Dans la démocratie d’Utopia<br />

Land, quels pays seraient les<br />

meilleurs élèves ?<br />

❒ On pourrait dire que certains pays<br />

comme les Pays-Bas ou la Suède sont<br />

plus impliqués démocratiquement par<br />

l’importance qu’ils donnent aux collectivités<br />

locales, par exemple. Néanmoins,<br />

cela ne les exclut pas de participer<br />

à une forme de regroupement<br />

mondial. Dans mon livre Stratégie<br />

altermondialiste (Éd. La Découverte),<br />

j’ai bien expliqué ce phénomène.


■ Le défi serait donc de construire<br />

une démocratie mondiale pour la<br />

période à venir ?<br />

❒ Instaurer une démocratie mondiale<br />

reviendrait entre autres à s’interroger<br />

sur le système capable de garantir la<br />

liberté et les droits. La démocratie ne<br />

revient pas à se satisfaire d’institutions<br />

formelles. Il faut l’appréhender, pays<br />

par pays et à différents niveaux.<br />

■ La démocratie occidentale appliquée<br />

dans certaines régions du Sud,<br />

notamment en Afrique du Nord,<br />

paraît avoir ses limites…<br />

❒ Effectivement, les effets de l’aprèsrévolution<br />

dans certains pays, dont la<br />

Tunisie, ont conduit à de grandes souffrances<br />

et de profonds questionnements.<br />

Mais je reste très optimiste,<br />

tout en étant très conscient des dangers<br />

de cet « après-révolution ». Il faut<br />

rester vigilant. Comme dans toutes les<br />

révolutions, il sera nécessaire de laisser<br />

le temps au temps, et accepter qu’il<br />

y ait des avancées et des reculs. Se<br />

dire aussi qu’il faudra tout un reformatage<br />

culturel auprès de populations qui<br />

n’étaient pas auparavant au fait de<br />

l’exercice de la démocratie.<br />

La notion de Sud renvoyait aux pays<br />

décolonisés qu’on avait essayé d’enfermer<br />

dans une représentation du<br />

Tiers Monde. Or, la représentation<br />

Nord-Sud n’est plus suffisante aujourd’hui.<br />

D’abord parce qu’il y a, dans<br />

chaque pays et à l’échelle mondiale,<br />

un Sud dans le Nord et un Nord dans<br />

le Sud. La montée en puissance des<br />

Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine,<br />

Afrique du Sud) qu’on appelle de<br />

manière approximative les « émergents<br />

», et la crise relative de l’hégémonie<br />

de l’Europe et des États Unis<br />

traduisent l’importance des bouleversements<br />

géopolitiques en cours. En<br />

fait, dans le monde actuel, nous<br />

sommes dans le prolongement de la<br />

décolonisation qui est inachevée.<br />

Ce qui se passe au Maghreb et au<br />

Machrek constitue l’ouverture d’un<br />

nouveau cycle de luttes et de révolutions.<br />

Elles ont commencé en Tunisie,<br />

se sont étendues à l’Égypte puis à<br />

toute la région. Il s’agit d’un soulèvement<br />

des peuples autour de revendications<br />

clairement exprimées : la justice<br />

sociale, les libertés, le refus des<br />

inégalités, de la corruption et de la<br />

domination. Ces revendications ont<br />

traversé la Méditerranée pour s’exprimer<br />

de manière spécifique avec les<br />

Indignés en Espagne, au Portugal et<br />

en Grèce, puis elles ont traversé l’Atlantique<br />

avec les « Occupy Wall<br />

Street »…<br />

■ Il y a également une « salafisation<br />

» du Sahel…<br />

❒ Ce qu’on appelle l’islamisme, sous<br />

ses différentes acceptions, n’est pas<br />

tombé du ciel! Il s’est développé à<br />

partir des conditions de vie catastrophiques<br />

des couches populaires dans<br />

les différents pays. Cette situation<br />

sociale a été fortement accentuée par<br />

les politiques néolibérales qui ont<br />

accru la précarité et la misère. Dans de<br />

nombreux pays, des dictatures se sont<br />

imposées pour garantir aux multinationales<br />

et aux États dominants l’accès<br />

aux matières premières, le contrôle<br />

des flux migratoires, les programmes<br />

d’ajustement structurel. Ces dictatures<br />

ont développé à une grande échelle<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

la région n’est pas des investissements<br />

ou des subventions. Ces transferts sont<br />

toujours coûteux sur le plan politique,<br />

et même sur le plan économique, car<br />

ils sont conditionnés. Après la guerre,<br />

le plan Marshall avait pour objectif<br />

d’engager les pays européens sur la<br />

voie d’un développement capitaliste<br />

de marché, alors que dans beaucoup<br />

de pays européens, notamment la<br />

France, des gouvernements issus de la<br />

Résistance pouvaient être tentés par<br />

d’autres voies.<br />

◗ Privilégier la consommation populaire<br />

Dans les pays de la région, l’urgence<br />

est de relancer les économies sur les<br />

bases actuelles, par exemple le tourisme<br />

pour la Tunisie. Mais ce qui sera<br />

déterminant, ce sera de lancer un projet<br />

économique et social de transfor-<br />

Gustavo Massiah: « Les politiques néolibérales ont accru la précarité et la misère. »<br />

l’affairisme clanique et la corruption,<br />

provoquant dans les populations un<br />

rejet moral des couches dirigeantes.<br />

L’échec des réponses socialiste et baasiste<br />

a ouvert la voie à la recherche de<br />

nouvelles réponses, que les courants<br />

islamistes ont réussi à incarner au<br />

niveau d’une partie des peuples. Les<br />

réponses à ces questions sont d’abord<br />

internes.<br />

■ Un plan Marshall aurait-il pu<br />

aider certains pays du monde arabe<br />

et sahélien? Même si des allégeances<br />

politiques avec le Golfe continuent<br />

d’alimenter les bras armés des nouvelles<br />

politiques fondamentalistes...<br />

❒ Ce qui manque d’abord aux pays de<br />

mation sur des bases nouvelles en privilégiant<br />

la consommation populaire.<br />

Un tel projet nécessitera une modification<br />

des règles économiques internationales<br />

pour ne pas dépendre des<br />

oukases conjoints du FMI, de la<br />

Banque mondiale et des monarchies<br />

du Golfe. Cette modification n’est pas<br />

préalable : elle résultera de l’engagement<br />

de pays dans d’autres directions<br />

qui amènera à revoir les règles internationales.<br />

On peut le voir en Amérique<br />

latine avec des pays comme le<br />

Brésil, le Venezuela, l’Équateur ou la<br />

Bolivie, qui forcent la Banque mondiale<br />

et le FMI à négocier sur d’autres<br />

fondements que les leurs. ■<br />

75<br />

D. R.


76 Culture Infos<br />

Zhao Wei à l’honneur<br />

Réalisatrice et<br />

comédienne, qui s’est<br />

imposée en 1995 dans la<br />

série télévisée Princess<br />

Pearl, très populaire en<br />

Asie, Zhao Wei sera<br />

l’invitée d’honneur de la<br />

troisième édition du<br />

Festival du cinéma chinois<br />

en France. La manifestation<br />

a été programmée du<br />

13 mai au 19 juin et aura<br />

lieu à Paris, Marseille,<br />

Lyon, Biarritz, Strasbourg<br />

et Cannes. Lors du Festival,<br />

la célèbre interprète<br />

de A time of Love<br />

présentera en exclusivité<br />

sa première réalisation :<br />

So Young.<br />

Un véritable événement,<br />

car la projection se<br />

déroulera simultanément en<br />

Chine et en France. ■<br />

La culture africaine<br />

doublement en deuil<br />

Il était le père de la<br />

littérature africaine<br />

contemporaine, auteur du<br />

roman culte Le Monde<br />

s’effondre, publié en 1958.<br />

Elle était l’une des<br />

chanteuses les plus<br />

populaires d’Afrique de<br />

l’Est, magnifique interprète<br />

du taarab, le répertoire<br />

traditionnel de l’archipel de<br />

Zanzibar, en Tanzanie.<br />

L’écrivain nigérian Chinua<br />

Achebe est mort le 21 mars<br />

dernier à l’âge de 82 ans.<br />

Bi Kidude est décédée à<br />

son domicile, sur son île<br />

Agenda<br />

Reggae guyanais<br />

• Vedette de la musique<br />

guyanaise et titulaire d’un<br />

style de reggae mêlé aux<br />

influences locales, Chris<br />

Combette sera en concert à<br />

Paris le 17 mai, aux<br />

Combustibles, 14 rue Abel,<br />

dans le 12 e<br />

arrondissement. ■<br />

D. R.<br />

D. R.<br />

natale. Deux pertes<br />

immenses pour la culture<br />

africaine. ■<br />

Tambours en tournée<br />

En 2013, le groupe de<br />

batteurs le plus<br />

spectaculaire d’Afrique<br />

centrale, les Tambours de<br />

Brazza (République du<br />

Congo), fête ses vingt ans<br />

de carrière. Après avoir<br />

sorti l’album Sur la route<br />

des caravanes, la formation<br />

a entamé une tournée<br />

internationale avec de<br />

nombreux concerts, surtout<br />

en France. Un spectacle est<br />

d’ailleurs programmé au<br />

centre culturel Georges-<br />

Pompidou à Vincennes, en<br />

banlieue parisienne. Le son<br />

de l’Afrique contemporaine<br />

avec des rythmes de transe,<br />

des danses hypnotiques et<br />

des mélodies ancestrales, le<br />

tout dans un mélange<br />

époustouflant de tradition et<br />

recherche musicale. ■<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

Amoussou filme la corruption<br />

près avoir imaginé, dans son premier film Africa Paradis,<br />

Ace que pourrait être un monde où les rôles de l’Afrique et<br />

de l’Europe seraient inversés, Sylvestre Amoussou a choisi la<br />

corruption pour thème de son second long métrage en tant que<br />

réalisateur. Un pas en avant conte l’histoire de Koffi Dodomey,<br />

un simple marchand de fruits et légumes vivant dans une<br />

grande ville africaine indéterminée qui, en voulant retrouver<br />

son frère disparu, fait éclater au grand jour une affaire de corruption.<br />

Elle éclabousse membres du gouvernement, consuls et<br />

hommes d’affaires, mettant en danger ses proches et lui-même.<br />

Le message du réalisateur est donc clair : la corruption touche<br />

tout un chacun ; et même les actes du plus simple des hommes<br />

peuvent aider à la combattre. Pour faire passer ce message, Sylvestre<br />

Amoussou a préféré au didactisme d’un documentaire le<br />

caractère divertissant d’un thriller, ponctué d’action, d’humour<br />

et de romance. Le spectateur assiste ainsi à une intrigue à<br />

l’américaine, mais qui bénéficie d’un message de fond en forme<br />

d’encouragement aux populations à mener leurs pays vers la<br />

démocratie. Le tout est soutenu par des acteurs pleinement<br />

investis dans le film, à l’image de Sylvestre Amoussou qui joue<br />

lui-même le personnage principal, assumant ainsi doublement<br />

le rôle du dénonciateur de la corruption et de celui qui, le premier,<br />

fait un « pas en avant ». ■ Nathan Fredouelle<br />

◗ Un pas en avant, les dessous de la corruption, de Sylvestre Amoussou,<br />

Bénin, 2010, avec Sylvestre Amoussou, Thierry Desroses, Sandra Adjaho,<br />

Sidiki Bakaba…<br />

D. R.<br />

Biguine & jazz<br />

• Bientôt dans les bacs le<br />

prochain album de la<br />

vocaliste martiniquaise<br />

Adèle Belmont, avec un<br />

ensemble de « chansons à<br />

danser » d’un genre inédit,<br />

à la croisée des chemins de<br />

la biguine et du jazz, du<br />

blues et du classique. ■<br />

D. R.


Photos: © Arami<br />

Arts pluriels : une galerie vivifiante<br />

es mélanges ne lui font pas peur, au contraire, ils font<br />

Lmême toute la richesse du lieu. À cheval sur les cinq continents,<br />

la galerie Arts pluriels revendique haut et fort son ouverture<br />

d’esprit et un goût affirmé pour la diversité. Inauguré fin<br />

1991, à l’initiative de Simone Guirandou-N’Diaye (médaillon),<br />

critique d’art et galeriste, l’espace est niché au cœur de Cocody<br />

à Abidjan, la capitale ivoirienne. C’est dans ce cadre que,<br />

depuis plus de vingt ans désormais, la grande dame officie, ne<br />

ménageant pas ses efforts pour promouvoir l’art plastique<br />

contemporain et l’art traditionnel africain. Dans sa galerie, elle<br />

offre d’ailleurs volontiers ses commentaires avisés au visiteur.<br />

Ce dernier peut y découvrir une riche exposition permanente<br />

dans laquelle les toiles d’artistes ivoiriens (Jacques Stenka,<br />

Mathilde Moro, Frédéric Bruly Bouabré…) côtoient celles<br />

d’artistes étrangers (Ahmed Hajeri, Ablade Glover…), mais<br />

aussi quelques belles pièces d’art traditionnel (Côte d’Ivoire,<br />

Mali, Guinée, Cameroun, RDC…). Ponctuant la vie de la galerie,<br />

des expositions sont aussi régulièrement organisées. La<br />

dernière en date, « Made in Côte d’Ivoire », était consacrée à<br />

l’œuvre (photo) de Jean-Servais Somian, designer-ébéniste et<br />

sculpteur. Au programme : consoles, commodes, coffres,<br />

chaises, tables… entièrement revisités par l’artiste, un adepte<br />

du bois de cocotier, qui a confié la fabrication de toutes ses<br />

créations à des artisans locaux. Pour faire court, une joyeuse<br />

galerie et une belle vision de l’art. ■ Bachar Rahmani<br />

◗ www.galerie-artspluriels.com<br />

Agenda<br />

Ramsès II<br />

• Vieille de 3 000<br />

ans, une nouvelle<br />

pyramide appartenant<br />

à un vizir du<br />

pharaon Ramsès II<br />

a été découverte<br />

à Louxor, dans<br />

le sud de<br />

l’Égypte. ■<br />

D. R.<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

Irak, terre brûlée<br />

Pour la première fois,<br />

l’artiste irakien de<br />

Londres, Dia al-Azzawi<br />

(photo), était représenté à<br />

l’incontournable rendezvous<br />

parisien de l’art<br />

moderne et contemporain,<br />

Art Paris Art Fair 2013<br />

(stand de la galerie Claude<br />

Lemand). Son cri de révolte<br />

et de colère contre la folie<br />

meurtrière de la guerre a<br />

ainsi résonné sous la nef du<br />

Grand Palais avec Bilad<br />

al-Sawad (Terre noire) et<br />

autres créations. Cette série<br />

de peintures, dessins et<br />

sculptures, réalisée<br />

entre 1994 et 2011, lui a été<br />

directement inspirée par le<br />

conflit en Irak. À travers<br />

ces œuvres, Dia al-Azzawi<br />

évoque une terre autrefois<br />

fertile, devenue noire,<br />

brûlée par les armes de<br />

destruction massive. ■<br />

B. Rahmani<br />

◗ www.claude-lemand.com<br />

© Galerie IF © Arami<br />

Danse congolaise<br />

Tiré du lingala, langue<br />

nationale en République<br />

démocratique du Congo, le<br />

mot losanganya veut dire<br />

« rencontres » et symbolise<br />

le lieu stratégique d’un<br />

village. C’est aussi le nom<br />

d’une compagnie de danse<br />

congolaise et d’un espace de<br />

libre échange sur les maux<br />

qui rongent la société.<br />

Didier Etiho, le chorégraphe<br />

de la troupe, a créé un<br />

spectacle dont l’histoire se<br />

déroule dans un bar de<br />

Kinshasa où les gens, réunis<br />

autour d’un verre de vin,<br />

discutent sur les sujets<br />

divers du quotidien d’une<br />

grande ville d’Afrique<br />

centrale. ■<br />

Musiques urbaines<br />

Les rappeurs Bouba,<br />

La Fouine et Orelsan,<br />

la formation camerounaise<br />

X Maleya, le musicien de<br />

République démocratique<br />

du Congo Fally Ipupa, la<br />

chanteuse gabonaise<br />

Patience Dabany sont parmi<br />

les artistes nommés pour<br />

les dix catégories des<br />

premiers Trace Urban<br />

Music Award, en France.<br />

Organisée par le groupe<br />

Trace et la chaîne Canalsat,<br />

c’est la seule cérémonie<br />

dont le jury est le public.<br />

La remise des prix<br />

musicaux aura lieu dans la<br />

salle parisienne du Trianon<br />

(18e arrondissement), le<br />

14 mai. ■<br />

No limit<br />

• « No limit 2 ». Pour le<br />

deuxième épisode de sa<br />

série une œuvre/un artiste,<br />

la galerie Imane-Farès<br />

(Paris) invite Sammy<br />

Baloji, Mohamed el-Baz<br />

(installation en photo)<br />

et James Webb,<br />

jusqu’au 8 juin. ■<br />

77


78 Livres<br />

D. R.<br />

Nouvelles Six histoires qui nous parlent de femmes branchées au voltage de la réalité. Les<br />

personnages de Landria Ndembi sont à l’image de leur temps, révélateurs de nos errances.<br />

Propos recueillis<br />

par Roger Calmé<br />

Elle avait édité, en<br />

2006, un ouvrage<br />

(remarqué) sur le<br />

travail des enfants en<br />

Afrique subsaharienne.<br />

Écriture de sociologue<br />

attentive, précise…<br />

Quantités qu’elle conserve<br />

aujourd’hui dans ce recueil<br />

de nouvelles. Denise<br />

Landria Ndembi entretient<br />

un contact permanent avec<br />

la réalité, le poids et<br />

l’épaisseur des choses.<br />

■ Comment avez-vous<br />

construit ce recueil?<br />

La réalité ne semble pas<br />

vous quitter.<br />

❒ Tu n’achèteras pas ma<br />

Dans la peau d’une femme<br />

peau, Madame<br />

l’ambassadrice,<br />

aborde des<br />

thèmes<br />

importants de<br />

notre société:<br />

chômage, VIH,<br />

infidélité,<br />

maltraitance des enfants…<br />

Et la femme en est l’actrice<br />

et la victime. Dans le cas de<br />

Marianne, cocufiée par son<br />

mari, il y a la blessure, puis<br />

le pardon par amour, pour<br />

le bonheur des enfants.<br />

Avec Larissa, les moqueries<br />

de ses voisins parce que<br />

sa peau est noire d’ébène<br />

et qu’elle refuse<br />

de se dépigmenter.<br />

Ou encore Marielle,<br />

l’épouse du diplomate,<br />

• Le refus de l’esclavitude. Résistances<br />

africaines à la traite négrière, Alain<br />

Anselin, Éd. Duboiris, 214 p., 20 euros.<br />

En 1235, après avoir défait Sumaworo<br />

Kanté, le souverain féticheur des Soso,<br />

Soundiata Keïta pose l’acte fondateur de<br />

l’Empire mandingue et abolit l’esclavage.<br />

Environ trois siècles avant le début de l’affreuse<br />

traite transatlantique par les négriers<br />

européens, le combat est engagé en<br />

Afrique contre la plus déshumanisante<br />

forme de servitude. Elle se<br />

poursuivra plus tard sur les côtes du<br />

continent, pendant la longue traversée<br />

océanienne et aux abords des<br />

plantations ou de l’habitation du<br />

maître sur les terres du Nouveau<br />

Monde. Une histoire de luttes<br />

armées et de fuites nocturnes, de<br />

repaires insaisissables et de rébellions<br />

sanglantes, souvent méconnues,<br />

que l’auteur de cet ouvrage<br />

reprend, avec des témoignages inédits et des<br />

documents à l’appui. Car, encore une fois, et<br />

surtout en cette période de récolonisation, la<br />

soumission n’est pas une fatalité!■ Luigi Elongui<br />

D. R.<br />

D. R.<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

impliquée dans<br />

des œuvres<br />

humanitaires<br />

à l’insu<br />

de son mari…<br />

Des actions<br />

fortes qui<br />

contribuent à<br />

l’épanouissement de la<br />

femme et de son entourage.<br />

Elle peut être naïve,<br />

entreprenante,<br />

manipulatrice, jalouse, mais<br />

elle incarne cette femme<br />

dans notre société, avec ses<br />

ambiguïtés.<br />

■ Pourquoi ce passage de<br />

l’essai à la fiction?<br />

❒ Tous les styles ont leur<br />

propre énergie. En 2006,<br />

j’ai écrit cet essai sur le<br />

travail des enfants au Bénin,<br />

Gabon et Togo. Mais je<br />

pense que si la forme<br />

diffère, on peut aussi faire<br />

passer d’autres messages<br />

par le roman, la nouvelle, la<br />

poésie ou le théâtre. C’est<br />

également valable avec le<br />

style… Pour ma part, je<br />

préfère un langage<br />

accessible au plus grand<br />

nombre. Et les lecteurs en<br />

sont heureux.<br />

■ Vos lecteurs, oui, et<br />

votre entourage proche?<br />

❒ À l’instar du premier<br />

livre, il y a eu un accueil<br />

très chaleureux. La diversité<br />

des thèmes abordés a<br />

encore plus retenu leur<br />

attention. Et ce sont eux<br />

d’ailleurs qui m’ont aidée à<br />

financer la première<br />

• La Rose dans le bus jaune,<br />

Eugène Ébodé, Éd. Gallimard/Continents<br />

Noirs, 320 p., 19,90 euros.<br />

Le septième opus littéraire de l’écrivain<br />

camerounais Eugène Ébodé, actuellement<br />

chroniqueur au journal Le Courrier<br />

de Genève, en Suisse, se déroule aux<br />

États-Unis au cœur du mouvement pour les<br />

droits civiques. La remémoration<br />

salutaire d’une époque où la<br />

mobilisation bravait les barrières<br />

raciales, malheureusement révolue<br />

si on la compare à l’indifférence<br />

criante qui fait aujourd’hui<br />

le lit des agressions féroces des<br />

puissances dominatrices. L’épisode<br />

autour duquel se tisse la<br />

trame narrative a lieu le<br />

1er décembre 1955 à Montgomery,<br />

Alabama, dans un bus<br />

jaune : dressé face à une femme<br />

noire assise, un homme blanc<br />

intime à cette dernière de se<br />

lever. Rose resta assise « pour tenir debout ».<br />

Depuis, elle est la rose dans le bus jaune de<br />

Cleveland Avenue… ■ L. E.


D. R.<br />

commande chez mon<br />

éditeur (1) . De cela, je leur<br />

suis reconnaissante.<br />

■ Tout écrivain a des<br />

« parents » littéraires,<br />

des auteurs qui l’ont<br />

accompagné. Les vôtres?<br />

❒ Certainement ceux qui<br />

ont évoqué la souffrance des<br />

femmes. Je pense à Amadou<br />

Koné, dans Les Frasques<br />

d’Ebinto, à Mariama Bâ<br />

avec Une si longue lettre, à<br />

Okoumba Nkoghe pour<br />

Siana, ou encore à Justine<br />

Mintsa avec L’Histoire<br />

d’Awu, et beaucoup d’autres<br />

encore. Ces écrivains ont<br />

cette magie de décrire les<br />

choses sur lesquelles il<br />

m’arrive, maintenant<br />

encore, de verser une larme.<br />

Je fais corps avec la douleur<br />

de Ramatoulaye Fall,<br />

Maïmouna, Siana, Awu,<br />

Antoinette… Sacrifiées par<br />

celui-là même qui lui a<br />

donné la vie. Et dire que<br />

plein de jeunes filles<br />

subissent encore les pires<br />

sévices de leurs géniteurs.<br />

■ Une jeune auteure vous<br />

demande des conseils sur<br />

la façon d’aborder<br />

l’écriture…<br />

❒ Je lui parlerais du choix<br />

des thèmes, de la façon<br />

d’orienter son histoire. Pour<br />

moi, un personnage est le<br />

reflet de la société. On va<br />

l’habiller pour que l’histoire<br />

colle au plus juste à la<br />

réalité. Ensuite, il y a la<br />

qualité du dialogue,<br />

l’épaisseur du personnage.<br />

Faire passer des émotions<br />

au travers de ces échanges<br />

de mots et de ce qu’ils<br />

traduisent en termes de<br />

personnalité. Être précis. Et<br />

se dire que certains thèmes<br />

peuvent aussi porter<br />

préjudice à leur auteur. Bien<br />

être conscient de son statut<br />

d’écrivain, que l’on soit<br />

humaniste, partisan,<br />

spirituel, et en accepter les<br />

conséquences, comme les<br />

critiques. Toute œuvre n’est<br />

pas forcément bien<br />

accueillie. ■<br />

◗ Tu n’achèteras pas ma peau,<br />

Madame l’ambassadrice, Denise<br />

Landria Ndembi, La Doxa<br />

Éditions, 155 p., 12 euros.<br />

• Les Miroirs de Frankenstein,<br />

Abbas Beydoun. Éd. Actes sud,<br />

144 p., 19,80 euros.<br />

C<br />

’est avec une sincérité toute contrôlée<br />

que le Libanais Abbas Beydoun nous<br />

offre quelques instantanés de son<br />

enfance et de sa vie d’adulte. Dans le plus<br />

grand désordre chronologique, ce poète, écrivain<br />

et journaliste dévoile une<br />

dizaine de tableaux. Des tranches de<br />

vie pleines de contradictions, à<br />

l’instar de son aventure avec une<br />

parente voilée, dont il restera à<br />

jamais le cousin préféré : « On<br />

écarte le tabou en toute simplicité,<br />

et puis on le remet tout aussi simplement<br />

à sa place. Le voile, c’était<br />

la permission pour le désir d’apparaître<br />

sans embarras, et pour le<br />

corps, de se contempler librement. »<br />

Et si l’ensemble est plutôt rieur, le<br />

lecteur sera aussi confronté à<br />

quelques pages angoissantes, notamment<br />

sur la dépression. Un jeu de<br />

miroirs (déformants ?) qui offre une certaine<br />

vision de la vie. ■ B. R.<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

Du beau fabliau<br />

Âme sensible s’abstenir! C’est du pétant et du pétaradant<br />

que nous offre Harry Bellet dans ce nouveau<br />

livre * , lui qui nous avait habitués à des univers<br />

plus feutrés dans des romans policiers captivants. De<br />

frivoles aventures? Que nenni! Sous des apparences grivoises<br />

et fort trompeuses, ce roman historique nous<br />

plonge avec beaucoup d’érudition dans un XVIe siècle en<br />

pleine ébullition. Même si Harry Bellet s’accorde des<br />

libertés et l’annonce d’entrée de jeu : « Puisqu’un bon<br />

lecteur croit toujours ce qui est écrit, puissent mes amis<br />

historiens de l’art bien vouloir pardonner ce qui suit… »<br />

L’histoire commence précisément en 1515. L’année<br />

de la sanglante bataille de Marignan qui oppose le<br />

jeune roi François 1er de France et ses alliés vénitiens<br />

aux mercenaires suisses pour le contrôle du duché de<br />

Milan. En Turquie, le prince Soliman s’entretient avec<br />

son fidèle esclave, Renos le Grec, et s’imagine déjà sur<br />

le trône du sultan. Au Vatican, le pape Léon X rédige<br />

et signe de sa main une malheureuse phrase (disons les<br />

choses, un blasphème) sur un vélin qui s’envole par la<br />

fenêtre – hasard ou souffle divin ? Passant de main en<br />

main, ce parchemin compromettant sera le fil conducteur<br />

du récit, le prétexte pour une<br />

longue errance jusqu’à Bâle.<br />

Mais 1515, c’est aussi et surtout<br />

l’année où l’imagier Jean<br />

Jambecreuse, décide de quitter sa<br />

ville natale d’Augsbourg pour<br />

parfaire son apprentissage à Bâle.<br />

Un personnage directement inspiré<br />

du peintre et graveur allemand<br />

Hans Holbein le Jeune<br />

(1497-1543), lui-même fils du<br />

peintre Hans Holbein l’Ancien et<br />

frère cadet d’Ambrosius Holbein,<br />

avec lequel il étudie dans l’atelier<br />

paternel.<br />

C’est donc à la suite du truculent<br />

Jean Jambecreuse (fort généreusement<br />

doté par la nature, ce<br />

qui n’est pas un détail) que le lecteur<br />

s’immerge dans la vie quotidienne de Bâle, en<br />

pleine Renaissance. Au fil des aventures et des rencontres<br />

avec Érasme ou Léonard de Vinci, pour les<br />

plus glorieuses, l’artisan imagier se transforme en<br />

artiste peintre. Il étudie aussi le latin, ce qui lui vaut<br />

d’être rebaptisé Ioannes Holpenius. Et fait l’apprentissage<br />

de la vie, avec ses hauts et ses bas…<br />

De ce récit (dont on attend la suite avec impatience)<br />

servi par une langue riche et abondante en foisonnements<br />

de toute nature – nous sommes bien au siècle de<br />

Rabelais –, on ne décroche pas. ■ Bachar Rahmani<br />

◗ * Les Aventures extravagantes de Jean Jambecreuse,<br />

artiste et bourgeois de Bâle. Assez gros fabliau, Harry Bellet,<br />

Éd. Actes Sud, 368 p., 22,80 euros.<br />

D. R.<br />

79


80 Culture<br />

Religion L’identité profonde du monde chinois a été bouleversée, tout au long du xx e siècle, par<br />

une politique de modernisation forcée dont les Chinois tentent de rééquilibrer les effets. L’essai<br />

remarquable de Vincent Goossaert et David A. Palmer en explique les motivations et les conséquences<br />

insoupçonnées.<br />

Destructions et recompositions en Chine<br />

Par Habib Tawa<br />

Une idée commune<br />

voudrait que les<br />

grands concepts,<br />

communément admis dans<br />

de nombreuses sociétés,<br />

soient le propre de<br />

l’ensemble de l’humanité.<br />

Ainsi en est-il de la notion<br />

de religion que se partagent<br />

les univers culturels juif,<br />

chrétien, musulman et<br />

autres. En dépit de leurs<br />

différences, chacun d’entre<br />

eux définit pour soi un<br />

domaine religieux et le<br />

distingue des activités<br />

superstitieuses et technicoscientifiques.<br />

Paradoxalement, ce<br />

découpage était étranger à la<br />

société chinoise<br />

traditionnelle. Le mot et la<br />

notion de religion sont<br />

absents du vocabulaire<br />

chinois classique. D’autres<br />

classifications y<br />

répartissaient et regroupaient<br />

l’ensemble de la réalité<br />

sociale selon des ordres<br />

différents. Depuis, des<br />

termes proches du mot<br />

religion ont été adaptés et<br />

adoptés.<br />

◗ Un monde révolu...<br />

À partir du XIX e siècle,<br />

l’intrusion agressive des<br />

puissances chrétiennes, dans<br />

un empire du Milieu<br />

chancelant, a poussé de<br />

larges secteurs des élites<br />

chinoises à intégrer les<br />

valeurs des oppresseurs, afin<br />

de redresser leur pays<br />

humilié. Aussi, dans un<br />

grand élan de modernisation<br />

destiné à surmonter la<br />

faiblesse de leur nation, ontelles<br />

décidé d’aligner leurs<br />

conceptions et leur mode de<br />

fonctionnement sur ceux de<br />

leurs dangereux prédateurs.<br />

En conséquence, un abandon<br />

de la dynamique<br />

traditionnelle de la société,<br />

accompagné du rejet d’une<br />

vaste partie de son héritage,<br />

a été imposé autoritairement<br />

à la Chine et s’est propagé<br />

dans ses extensions<br />

extraterritoriales<br />

(émigration). Le<br />

traumatisme de ces<br />

innovations a probablement<br />

été plus violent que le<br />

ravage des nombreuses<br />

guerres, civiles et<br />

étrangères, qui ont dévasté<br />

le pays au cours des XIX e et<br />

XX e siècles.<br />

Cet éclairage<br />

particulièrement fécond du<br />

destin contemporain du<br />

quart de l’espèce humaine<br />

est proposé par deux savants<br />

spécialistes, Vincent<br />

Goossaert et David A.<br />

Palmer. Dans La Question<br />

religieuse en Chine*, une<br />

synthèse brillante,<br />

exhaustive et accessible à<br />

tout homme cultivé, ils<br />

décrivent les chocs<br />

successifs encaissés par la<br />

société chinoise, ses<br />

réactions de défense et<br />

UN LIVRE EXCEPTIONNEL RÉVÈLE LA CONFRONTATION<br />

ENTRE LES RELIGIONS DE CHINE ET LA MODERNITÉ.<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

d’esquive, l’obstination des<br />

réformistes et finalement la<br />

résurgence, sous des formes<br />

renouvelées, des structures<br />

anciennes. L’approche<br />

globalisante des auteurs<br />

s’inspire de la nécessité<br />

d’envisager une société<br />

comme un tout organique,<br />

dont les échanges<br />

réciproques déterminent<br />

l’évolution. Les projets du<br />

pouvoir doivent être étudiés<br />

en parallèle avec les<br />

réactions des groupes<br />

auxquels il cherche à<br />

s’imposer et ceux-ci en<br />

interaction entre eux. Aussi<br />

le mode d’exposition du<br />

livre revient-il sur les<br />

mêmes événements selon<br />

différents angles d’approche<br />

(projets modernisateurs,<br />

réorientations religieuses,<br />

regroupements<br />

traditionalistes, résistances<br />

paysannes, etc.).<br />

Ce tour d’horizon complet,<br />

incluant la diaspora<br />

chinoise, s’appuie sur une<br />

masse énorme de notes, qui<br />

renvoient à une<br />

bibliographie de grande<br />

taille, y compris en chinois<br />

(42 pages), le tout soutenu<br />

par un index exhaustif (29<br />

pages). Cet apparat permet<br />

d’approfondir chaque point<br />

évoqué. Pour autant, une<br />

lecture au premier degré est<br />

aisée, le style est fluide et<br />

l’attention soutenue par les<br />

révélations qui surgissent à<br />

chaque détour de page.<br />

L’inédit de l’approche<br />

contribue à accrocher<br />

l’intérêt du lecteur. On est<br />

loin des biographies<br />

répétitives sur les grands<br />

hommes de la Chine<br />

contemporaine qui<br />

généralement passent<br />

rapidement sur le décalage<br />

considérable entre le monde<br />

de leur jeunesse et celui<br />

qu’ils ont contribué à forger.<br />

Ici, on comprend mieux<br />

d’où vient ce pays et où il<br />

va. Un vrai régal!<br />

Sans vouloir résumer un<br />

livre aussi riche, quelques<br />

observations en donnent un<br />

avant-goût. Depuis des<br />

millénaires la société<br />

chinoise était centrée autour<br />

de l’empereur. Par ses actes,<br />

autant que par les rites qu’il<br />

pratiquait, il maintenait<br />

l’équilibre de l’univers et en<br />

particulier celui de l’Empire.<br />

Cette démarche confondait<br />

déjà le civil et le religieux,<br />

au sens où nous les<br />

entendons. De haut en bas<br />

de l’échelle, les provinces,<br />

les régions et jusqu’aux plus<br />

petites portions du territoire<br />

reproduisaient ce schéma.<br />

Les croyances et les<br />

observances n’imposaient<br />

pas aux sujets des<br />

engagements rigides,<br />

puisqu’ils pratiquaient et<br />

adhéraient, simultanément et<br />

sans exclusive, à des<br />

« enseignements » différents<br />

(taoïsme, bouddhisme,<br />

confucianisme et religions


traditionnelles locales). Leur<br />

vie et leurs besoins<br />

quotidiens étaient assurés<br />

par des activités mêlant sans<br />

les distinguer les savoirs, les<br />

techniques, la magie et la<br />

divination. Selon les cas, la<br />

médecine, la bienfaisance,<br />

Dans l’ïle de Lantau (à Hong-Kong), l’achèvement en 1997 d’un Bouddha colossal de<br />

34 mètres, le Tian Tan, manifeste le retour en force de la religion dans le monde chinois.<br />

l’art de l’écriture, les<br />

méthodes de combat, les<br />

choix de vie, les techniques<br />

de prière et de méditation<br />

obéissaient à des procédures<br />

exercées indifféremment par<br />

des praticiens confirmés, des<br />

lettrés, des fonctionnaires de<br />

temples, des vagabonds<br />

inspirés ou des religieux<br />

vivant en communauté.<br />

◗ ...mais irréductible<br />

Avant même la fin de<br />

l’Empire (en 1911), puis<br />

avec les pouvoirs successifs,<br />

dont celui du Guomindang<br />

(à partir de 1927) et des<br />

communistes (dominants<br />

après 1949), une volonté<br />

farouche d’éradiquer ces<br />

traditions et de les<br />

remplacer par un modèle<br />

distinguant religion, science<br />

et superstition s’imposa. De<br />

nombreux temples furent<br />

rapidement fermés et<br />

transformés en écoles,<br />

tandis que les<br />

manifestations publiques<br />

des cultes s’y rattachant<br />

étaient souvent interdites.<br />

L’enseignement<br />

traditionnel, aboli, fut<br />

remplacé par une formation<br />

à l’occidentale. Les activités<br />

religieuses durent<br />

s’enregistrer comme telles<br />

ou se virent combattues<br />

comme superstitions. On<br />

chercha à détacher les<br />

activités techniques du<br />

substrat cultuel auquel elles<br />

étaient viscéralement liées.<br />

Parallèlement, des groupes<br />

parareligieux (les sociétés<br />

rédemptrices) s’affirmèrent<br />

porteurs de projets civils<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

afin de demeurer sous la<br />

protection de la loi.<br />

Toutes ces transformations<br />

suscitèrent des résistances<br />

plus ou moins sourdes, en<br />

particulier à la campagne.<br />

Les traditions furent<br />

laminées, les fidèles<br />

persécutés, même si certains<br />

se développèrent à la faveur<br />

des interdits (tels les<br />

protestants dont le nombre a<br />

été multiplié par trente en<br />

un demi-siècle). Pour<br />

remplacer l’ancien système,<br />

les nationalistes et surtout<br />

les communistes tentèrent<br />

de fabriquer des rites, des<br />

pratiques et des traditions<br />

nouvelles selon des<br />

catégories occidentalisées.<br />

L’épuisement du<br />

volontarisme maoïste,<br />

entraîné dans d’incessantes<br />

et excessives luttes de<br />

factions, a contribué à terme<br />

à l’échec de ce projet. Sans<br />

le vouloir, le résultat en fut<br />

D. R.<br />

de la résurgence des<br />

modèles anciens sous des<br />

habits neufs.<br />

Aujourd’hui, le retour en<br />

force du fait religieux<br />

s’impose avec l’attachement<br />

quasi superstitieux à des<br />

lambeaux de maoïsme, la<br />

reviviscence des cinq<br />

religions reconnues institutionnellement<br />

(taoïsme,<br />

bouddhisme, islam<br />

protestantisme et<br />

catholicisme, avec le<br />

confucianisme maintenu<br />

dans une situation<br />

ambiguë), la renaissance de<br />

restes des religions locales<br />

et la formation de nouvelles<br />

sociétés parareligieuses,<br />

enregistrées (tel le<br />

Falungong) ou qualifiées de<br />

« secrètes » et donc<br />

interdites. Ce réveil marque<br />

la persistance d’un mode de<br />

fonctionnement s’abreuvant<br />

aux racines anciennes tout<br />

en intégrant des acquis<br />

modernes. Moins bridé<br />

qu’au siècle passé, le monde<br />

chinois réélabore désormais<br />

le nouveau paradigme qui le<br />

conduira demain.<br />

Ce livre exceptionnel nous<br />

permet d’en découvrir les<br />

arcanes. ■<br />

◗ * La Question religieuse<br />

en Chine, Vincent Goossaert<br />

et David A. Palmer,<br />

trad. de l’anglais, CNRS Éditions,<br />

2012, 500 p., 25 euros.<br />

81<br />

D. R.


82 Culture<br />

Roman Dans le style délicat qu’on lui connaît, Alain Blottière entrecroise les destins de Goma<br />

l’adolescent cairote et Nathan le lycéen parisien. Un très joli livre.<br />

Par Corinne Moncel<br />

Chaque livre d’Alain<br />

Blottière est un<br />

enchantement. C’est<br />

d’ailleurs le titre de son<br />

quatrième roman, quinze<br />

ans après l’éblouissant<br />

Saad, écrit à 22 ans et paru<br />

en 1980. Depuis, l’écrivain<br />

balade sa plume délicate et<br />

délicieusement nostalgique<br />

de Djibouti à la<br />

Cyrénaïque, avec une<br />

prédilection pour le pays où<br />

il a longtemps résidé et<br />

qu’il n’a jamais pu quitter<br />

tout à fait: l’Égypte. La<br />

plupart de ses œuvres s’y<br />

déroulent – à la brillante<br />

exception du Tombeau de<br />

Tommy (2009), un retour au<br />

roman après dix ans<br />

d’absence dans ce genre<br />

littéraire. En évoquant le<br />

groupe Manouchian, Alain<br />

Blottière voulut briser le<br />

sortilège égyptien qui<br />

continuait de le posséder<br />

dans les récits auxquels il<br />

se consacra durant son<br />

abstinence romanesque.<br />

◗ Songes d’ailleurs<br />

Mais l’auteur n’a pas<br />

résisté à l’ensorcellement:<br />

avec Rêveurs, il revient<br />

magistralement au pays qui<br />

le hante. Au travers d’une<br />

histoire mettant en scène<br />

une de ses autres<br />

obsessions : l’adolescence,<br />

passage entre l’enfance et<br />

l’âge d’homme où tout et<br />

rien n’est encore joué.<br />

Rêveurs : deux jeunes<br />

garçons, deux réalités<br />

sociales divergentes, deux<br />

mondes aux antipodes, et<br />

pourtant un point de<br />

rencontre dans la ligne de<br />

Lignes de fuite<br />

fuite de leurs songes<br />

d’ailleurs…<br />

D’un côté Nathan, jeune<br />

lycéen français à qui tout<br />

est donné : l’argent,<br />

l’attention, l’amour… sauf<br />

celui de sa mère morte<br />

quand il était enfant.<br />

Nathan qui s’ennuie à<br />

mourir dans sa vie<br />

confortable et ne supporte<br />

ni le réel et ses pestilences,<br />

ni l’affection insistante de<br />

ses proches. Gentil garçon<br />

par défaut, l’adolescent<br />

préfère le monde virtuel des<br />

jeux vidéo et, surtout, le jeu<br />

du foulard, ce « rêve<br />

indien » qu’on atteint en<br />

s’étranglant. Pendant<br />

quelques secondes alors,<br />

entre vie et mort, Nathan<br />

retrouve la ouate maternelle<br />

à jamais perdue.<br />

Goma, lui, n’a jamais<br />

connu le confort de<br />

Nathan : enfant des rues<br />

du Caire, il survit en<br />

ramassant de vieux cartons<br />

dans la partie haute du<br />

quartier de Dar el-Salam, le<br />

plus populaire et plus mal<br />

famé de la capitale<br />

égyptienne. Tout un monde<br />

grouillant de gens rustres<br />

pratiquant mille métiers<br />

informels, de fonctionnaires<br />

corrompus et de flics<br />

sadiques, où la lutte pour<br />

rester en vie n’autorise<br />

aucun relâchement affectif.<br />

L’amitié et la tendresse<br />

existent pourtant dans la<br />

petite bande de Goma, qui<br />

rêve de la France comme<br />

DEUX MONDES AUX ANTIPODES QUI, MIS<br />

EN CONTACT, CRÉENT UN MOMENT UNIQUE DE GRÂCE.<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

l’acmé du bonheur. Mais la<br />

révolte gronde dans le<br />

lointain centre ville.<br />

Galvanisés par les<br />

nouvelles de la « guerre »<br />

place Tahrir commencée<br />

par les « facebooks » pour<br />

déloger le « roi des<br />

voleurs », Goma et ses<br />

amis décident de braver les<br />

obstacles afin de prendre<br />

part à la liesse générale.<br />

On s’en doute : c’est moins<br />

la vie sans joie de Nathan<br />

que celle, poignante, de<br />

Goma, qui captive dans le<br />

roman de Blottière. Dans le<br />

style à la fois simple et<br />

poétique qu’on lui connaît,<br />

s’autorisant plus qu’à<br />

l’accoutumée les phrases<br />

longues, l’écrivain décrit<br />

avec une justesse et une<br />

émotion qui étreignent la<br />

vie de ce petit peuple<br />

d’Égypte, souvent plus<br />

répugnant que valeureux,<br />

bafoué, maltraité, ignoré<br />

des dirigeants mais aussi<br />

des « facebooks » de la<br />

ville riche. Croyant autant<br />

que ces derniers à la fin<br />

d’un règne, le peuple de<br />

Dar el-Salam sera le<br />

premier à comprendre<br />

« qu’il n’y avait jamais eu<br />

de révolution. Le roi des<br />

voleurs et des criminels<br />

n’était qu’une marionnette<br />

manœuvrée par des<br />

hommes en uniformes<br />

chamarrés ».<br />

Goma, qui connaîtra l’enfer<br />

de l’hôpital, de la prison,<br />

des rues gazées et de la<br />

D. R.<br />

morgue, mais aussi la rage<br />

euphorisante de vouloir<br />

mettre à bas un ordre<br />

injuste, croisera Nathan en<br />

vacances imposées sur les<br />

bords du Nil. L’attrait sera<br />

immédiat: l’évidence de<br />

leur gémellité par-delà leur<br />

condition, pour un moment<br />

L’obsession de l’adolescence<br />

sublimée par un style poétique.<br />

unique de grâce à<br />

l’intersection même de<br />

leurs rêves de douceur.<br />

Alain Blottière, qui a<br />

adopté un procédé narratif<br />

original – chaque passage<br />

sur un adolescent se conclut<br />

sans ponctuation pour<br />

mieux faire le lien avec le<br />

point de vue de l’autre<br />

garçon –, a une fois encore<br />

réussi un très joli livre. ■<br />

◗ Rêveurs, Alain Blottière,<br />

Éd. Gallimard, 176 p.,<br />

15,90 euros.


Gabon Tout métier mérite salaire, y compris celui d’écrivain. Évident? Pas tant que ça. Depuis<br />

trois ans, l’éditrice et romancière se bat pour défendre ce droit.<br />

« Éditer c’est mettre au monde l’enfant<br />

de l’autre », affirme Sylvie Ntsame.<br />

Par Roger Calmé<br />

Sylvie Ntsame, de sueur et d’encre<br />

Elle rappelle volontiers<br />

qu’elle a commencé<br />

l’écriture… par la<br />

correspondance<br />

administrative. Très loin de<br />

ses romans d’amour, de<br />

désespérance, de magie<br />

sombre. Une école de la<br />

précision, écriture au<br />

scalpel qui prend toujours<br />

soin à ne pas s’égarer.<br />

Sylvie Ntsame aime que les<br />

mots soient à leur place.<br />

Romancière de son état et<br />

éditrice par conviction, elle<br />

pose sur le livre un regard<br />

très global. Ouvrage de<br />

création, objet de<br />

fabrication, outil<br />

communicant et<br />

économique, il est à la<br />

croisée des chemins.<br />

Complexe, oui, mais<br />

maîtrisable, si l’on pose les<br />

bonnes balises. De ne pas<br />

lui reconnaître sa place<br />

revient à écrire sur du sable.<br />

Retour sur image. À savoir<br />

son premier ouvrage, La<br />

Fille du Komo, achevé en<br />

2004 et pour lequel elle<br />

cherchait un éditeur. « Ici,<br />

au Gabon, il n’y avait<br />

qu’une maison, et je n’ai<br />

reçu aucune réponse à<br />

l’envoi de mon manuscrit.<br />

Je me suis donc tournée<br />

vers la France. » À compte<br />

d’auteur ou d’éditeur, que<br />

l’on paie la fabrication ou<br />

que la maison d’édition s’en<br />

charge, même relents<br />

d’arnaque. Elle accepte<br />

pourtant de publier. « Parce<br />

que l’auteur est prêt à tout<br />

accepter pour que son livre<br />

ELLE A PUBLIÉ CINQUANTE OUVRAGES.<br />

NOMBRE D’ENTRE EUX SONT AU PROGRAMME SCOLAIRE.<br />

D. R.<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

vive. L’Harmattan m’avait<br />

demandé d’acheter<br />

cinquante exemplaires pour<br />

participation aux frais de<br />

fabrication, et ne versait<br />

des droits qu’à partir du<br />

501 e livre vendu. »<br />

Pourcentage consenti, 4 %.<br />

Une misère. Mais la leçon a<br />

bien été retenue. Sylvie<br />

signe le contrat et revient au<br />

pays, écrire… et publier.<br />

« En fait, il y a eu une part<br />

de hasard. Je m’occupais<br />

d’enfants démunis au sein<br />

d’une petite ONG et pour<br />

alimenter les fonds, j’avais<br />

écrit des contes, en me<br />

disant que les droits<br />

pouvaient nourrir<br />

l’association. Mais<br />

impossible de contrôler si je<br />

mettais l’ouvrage dans<br />

d’autres mains. Avec un<br />

deuxième livre, Femmes<br />

libérées battues, et des amis<br />

qui ont accepté de me<br />

confier leurs manuscrits,<br />

l’idée d’éditer est venue. »<br />

Une aventure sous contrôle.<br />

Elle va faire ce que<br />

personne encore n’avait osé<br />

au Gabon. Investir dans les<br />

machines, acheter son<br />

papier, former son<br />

personnel, à tous les<br />

niveaux, maîtriser sa<br />

distribution et, enfin, ce qui<br />

était à la base même du<br />

parcours : « Reconnaître à<br />

l’écrivain sa place. »<br />

Premiers droits d’auteur<br />

payés la même année. Du<br />

jamais vu ! 11 000 francs<br />

CFA, se souvient-elle, à<br />

l’un de ses anciens<br />

professeurs, M. Mbuluku.<br />

Depuis, cinquante ouvrages<br />

ont été produits. Nombre<br />

d’entre eux sont au<br />

programme scolaire. Et si<br />

on lui reproche parfois de<br />

ne pas être visible à<br />

l’international, elle sourit.<br />

« Notre choix, c’est le<br />

Gabon. D’être solides ici.<br />

Nous pouvons payer nos<br />

auteurs. Ce qui ne serait<br />

sans doute pas le cas si<br />

nous avions joué à<br />

l’étranger. »<br />

◗ Inertie<br />

L’aventure est belle, mais…<br />

Souvent elle regrette : « Les<br />

auteurs ne s’impliquent pas<br />

plus. Il y a une inertie très<br />

préjudiciable. Ils se disent<br />

que ça ne sert à rien de<br />

dépenser de l’énergie,<br />

même si les droits d’auteurs<br />

sont payés. Ce sont leurs<br />

expériences d’avant qui les<br />

ont marqués. » Mais elle,<br />

non ! L’amertume,<br />

Repères<br />

• Née en 1964, à<br />

Oyem.<br />

• Premier roman, La<br />

Fille du Komo (2004).<br />

• Fondatrice des<br />

Éditions Ntsame<br />

(2010).<br />

• Contact:<br />

07752146 et<br />

leseditionsntsame@gm<br />

ail.com<br />

Sylvie Ntsame ne connaît<br />

pas. Demain, elle édite une<br />

gamine de 13 ans, auteure<br />

d’un livre de contes.<br />

« C’est tellement beau,<br />

ce qu’elle écrit! » Éditer,<br />

mettre au monde l’enfant<br />

de l’autre. ■<br />

83


84 Culture<br />

BD Samuel Eto’o, la star du foot camerounais, raconte son parcours dans une bande dessinée<br />

imagée par Joëlle Esso. Vive les huit prochains tomes !<br />

Par Nathan Fredouelle<br />

Il n’est pas rare d’assister<br />

à la sortie d’un livre<br />

écrit par ou pour une<br />

vedette une fois sa carrière<br />

bien avancée, que ce soit un<br />

acteur, un musicien ou un<br />

sportif. Le footballeur<br />

Samuel Eto’o n’échappe<br />

pas à la règle, mais il a<br />

choisi la bande dessinée.<br />

Comme l’Ivoirien Didier<br />

Drogba en décembre<br />

dernier avec son livre De<br />

Tito à Didier Drogba,<br />

l’attaquant camerounais<br />

évoluant actuellement en<br />

Russie donne au grand<br />

public l’occasion de<br />

découvrir, à travers cases et<br />

bulles, non seulement sa<br />

carrière, mais aussi sa<br />

jeunesse et tout ce qui l’a<br />

mené à la célébrité.<br />

Le premier tome, intitulé<br />

Naissance d’un champion,<br />

relate l’enfance du<br />

footballeur à New Bell,<br />

quartier populaire de<br />

Douala, au Cameroun.<br />

On y assiste à ses premiers<br />

matchs avec ses amis et<br />

lors de rencontres interquartiers,<br />

jusqu’à ce qu’il<br />

soit recruté à 12 ans par<br />

une école avec laquelle il<br />

partira s’entraîner en<br />

France. Une fois là-bas, il<br />

n’a plus envie de retourner<br />

au Cameroun et souhaite à<br />

tout prix intégrer une<br />

grande équipe. Or, il n’a<br />

pas de papiers et ne peut ni<br />

réaliser son rêve, ni étudier.<br />

Il se résout donc à revenir<br />

chez lui afin de jouer au<br />

football dans de bonnes<br />

conditions. Le deuxième<br />

tome racontera comment il<br />

parvient en équipe<br />

Du ballon aux bulles<br />

nationale junior à tout juste<br />

14 ans, et ainsi de suite<br />

jusqu’à la carrière<br />

internationale qu’on lui<br />

connaît.<br />

Si, à l’heure d’Internet, tout<br />

un chacun peut en deux<br />

clics s’instruire sur la vie<br />

du footballeur, l’ouvrage<br />

apporte plus qu’un simple<br />

compte-rendu de parcours.<br />

En effet, Eto’o lui-même en<br />

assure le récit, y apportant<br />

sa propre subjectivité, son<br />

authenticité. À la simple<br />

biographie s’ajoutent ainsi<br />

des souvenirs d’enfance,<br />

mais aussi une volonté de<br />

ne pas occulter les<br />

mésaventures du jeune<br />

Samuel. En évoquant des<br />

choix parfois mal avisés,<br />

ses rapports quelquefois<br />

tendus avec ses parents ou<br />

encore ses péripéties<br />

administratives en France,<br />

il refuse d’idéaliser sa<br />

trajectoire.<br />

◗ Public jeune<br />

En effet, le message<br />

qu’Eto’o veut faire passer<br />

n’est pas celui de la<br />

glorification systématique<br />

du sport comme moyen de<br />

réussir, mais plutôt un<br />

encouragement adressé à la<br />

jeunesse africaine et<br />

mondiale. Le choix du<br />

médium de la bande<br />

dessinée ainsi que les<br />

dessins simples et colorés<br />

de la dessinatrice et<br />

scénariste camerounaise<br />

Joëlle Esso (par ailleurs<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

De l’enfance à New Bell à la gloire de Top<br />

Player International... Ici avec Joëlle Esso.<br />

également chanteuse)<br />

permettent de toucher un<br />

public jeune, constitué<br />

d’enfants pouvant partager<br />

les conditions de vie du<br />

jeune Samuel Eto’o. Le<br />

footballeur les incite à<br />

poursuivre leurs rêves à<br />

force de passion et de<br />

détermination, mais aussi<br />

de sérieux et de travail<br />

acharné. Et il le fait non<br />

LE FOOTBALLEUR INCITE LES ENFANTS À POURSUIVRE<br />

LEURS RÊVES AVEC PASSION MAIS AUSSI TRAVAIL.<br />

seulement grâce à cette<br />

bande dessinée, mais aussi<br />

à travers sa fondation qui<br />

s’investit dans l’éducation<br />

scolaire et sportive des<br />

enfants au Cameroun – et<br />

ailleurs – en attribuant des<br />

bourses et en ouvrant des<br />

complexes sportifs. Si le<br />

« petit Milla » a fait bien<br />

des kilomètres depuis qu’il<br />

a quitté New Bell, il<br />

n’oublie pas d’où il vient. ■<br />

◗ Eto’o Fils - Naissance d’un<br />

champion, tome I, Samuel Eto’o<br />

Fils et Joëlle Esso, Éd. Dagan,<br />

48 p., 14 euros.<br />

D. R.


Électro Entrevue avec djette Sarahina, une artiste d’origine algérienne qui n’a pas peur de<br />

croquer la vie à pleines dents.<br />

Par Sélim Chmait<br />

Sarahina est l’une des<br />

djettes les plus actives<br />

sur la scène<br />

parisienne. Cette jolie jeune<br />

femme d’origine algérienne<br />

n’a pas froid aux yeux,<br />

comme en témoigne son<br />

parcours.<br />

■ Pouvez-vous revenir sur<br />

votre parcours musical?<br />

❒ C’est en travaillant durant<br />

un an dans un magasin de<br />

disques à Londres que ma<br />

passion pour le djing est<br />

apparue. Je touchais des<br />

disques vinyles à longueur<br />

de journée et j’ai fini par<br />

me dire: « Pourquoi ne pas<br />

apprendre à mixer? »<br />

Lorsque je suis revenue sur<br />

Paris, j’ai commencé à<br />

apprendre avec DJ Hitchn<br />

qui était professeur à la<br />

DMC School (école de<br />

djing). Ensuite, j’ai acheté<br />

du matériel pour pouvoir<br />

me perfectionner et<br />

m’entraîner chez moi avant<br />

de mixer dans des soirées<br />

parisiennes. Après avoir<br />

sillonné toutes les boîtes de<br />

Paris, j’ai décidé de<br />

m’inscrire à un concours<br />

qui concernait les « DJ’s au<br />

féminin ». Sur les cinq<br />

finalistes, je suis arrivée<br />

première, ce qui m’a permis<br />

d’avoir mon émission sur<br />

NRJ tous les deuxièmes<br />

dimanches de chaque mois,<br />

de minuit à deux heures.<br />

Actuellement, je prépare un<br />

single pour toucher un plus<br />

large auditoire, car je sais<br />

que je suis encore inconnue<br />

du grand public.<br />

■ Quel est votre style<br />

musical de prédilection?<br />

❒ À la base, je viens du<br />

Météo de l’entre-deux rives<br />

« Dans la chanson à texte, le message est en quelque sorte imposé. »<br />

hip-hop, cela se ressentait<br />

dans mon mix. Puis j’ai<br />

découvert l’électro qui m’a<br />

tout de suite attirée. C’est<br />

une musique qui fait<br />

bouger, danser les gens. Je<br />

dirais que mon style est<br />

électro-house, même si je<br />

commence maintenant à me<br />

mettre à la deep house et<br />

tout ce qui est plus pointu<br />

et underground.<br />

■ La deep house est une<br />

musique où il y a peu,<br />

« IL FAUT CROIRE EN SES RÊVES<br />

ET NE JAMAIS BAISSER LES BRAS. »<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

voire pas du tout, de<br />

paroles. Peut-on faire<br />

passer un message avec<br />

une musique qui ne<br />

contient pas de texte ?<br />

❒ Oui, je pense que les<br />

instruments musicaux<br />

comme la guitare ou le<br />

piano véhiculent forcément<br />

quelque chose. Que ce soit<br />

positif ou négatif. Ce qui<br />

est bien, c’est que chacun a<br />

la liberté d’interpréter cette<br />

musique à sa manière et de<br />

D. R.<br />

lui donner un sens selon<br />

son état d’esprit.<br />

Contrairement aux<br />

chansons à texte, où le<br />

message est en quelque<br />

sorte imposé.<br />

■ Avec les nouvelles<br />

technologies (logiciel<br />

Serato, etc.), le djing est<br />

de plus en plus accessible<br />

et beaucoup d’auditeurs<br />

s’improvisent<br />

professionnels. Quelles<br />

sont les qualités requises<br />

pour être un bon DJ ?<br />

❒ Pour moi, cela passe<br />

avant tout par la sélection<br />

musicale. Elle doit être<br />

atypique et singulière. Un<br />

vrai DJ ne doit pas<br />

ressembler aux autres et il<br />

doit faire découvrir des<br />

nouveautés à son public.<br />

Ensuite, il y a la manière de<br />

mixer. Avoir un mix<br />

homogène sans forcément<br />

être super pointu dans la<br />

technique et les scratchs.<br />

■ Vous avez mixé dans<br />

pas mal de pays : Algérie,<br />

Maroc, Tunisie, Espagne,<br />

Roumanie…<br />

Musicalement parlant,<br />

lequel vous a le plus<br />

marqué ?<br />

❒ L’Algérie. J’ai joué à<br />

Alger et j’ai été<br />

agréablement surprise de<br />

voir un public qui s’est<br />

montré très réceptif. J’ai<br />

découvert que les Algérois<br />

étaient de grands<br />

connaisseurs de la house<br />

music. C’est toujours un<br />

plaisir pour moi de jouer<br />

là-bas.<br />

■ Un dernier mot pour les<br />

lecteurs ?<br />

❒ Tout est possible, il faut<br />

croire en ses rêves et ne<br />

jamais baisser les bras. ■<br />

85


86 Musique<br />

D. R.<br />

Folk Le feeling de la chanteuse d’origine nigériane enchante et apaise, composées dans les<br />

tournures mélodiques et évocatrices de la langue yoruba.<br />

Par Luigi Elongui<br />

En 2010, on découvre<br />

Layori avec un<br />

premier Origin,<br />

sensation vocale haletant de<br />

magie, répertoire<br />

inclassable, en suspens<br />

entre soul, country, jazz et<br />

tradition. En ouverture de<br />

l’album, « Dada »,<br />

troublante chanson yoruba<br />

– la langue de l’ethnie d’où<br />

elle vient –, est un voyage<br />

vers l’insondable… Là où<br />

se trouvent « les<br />

profondeurs de l’endroit où<br />

la musique a commencé »,<br />

explique la jeune femme à<br />

la taille d’amazone. En<br />

2013, elle sort un nouveau<br />

album, Rebirth, plus épuré<br />

Layori et le souffle universel<br />

D. R.<br />

que le précédent.<br />

Coproductrice et directrice<br />

artistique, Layori y impose<br />

sa griffe, marque d’une<br />

authenticité majeure.<br />

Avec moins d’instruments,<br />

• Ali Mohammed Birra, Great Oromo<br />

Music, Buda Musique/Socadisc.<br />

Plus brut et concis que celui du répertoire<br />

amharique, vibrant de syncopes étourdissantes,<br />

le son de Dire Dawa, la capitale<br />

cosmopolite des Oromo située à l’est de<br />

l’Éthiopie, a été popularisé depuis les années<br />

1960 à Addis-Abeba par Ali Mohammed Birra.<br />

Chanteur au débit fervent d’histoire d’amours<br />

inassouvis, voix haut perchée<br />

aux aigus saisissants et aux envolées<br />

en spirales lancinantes, celui<br />

que l’on appelle le « souverain<br />

bohème des chanteurs oromo »<br />

débute sa carrière en 1962 au<br />

sein du groupe Afraan Qaallo,<br />

formation d’artistes et d’intellectuels<br />

engagés pour la cause d’un<br />

peuple en lutte constante contre<br />

le régime impérial d’Hailé Selassié,<br />

représentant des aristocraties chrétiennes<br />

des hauts plateaux. Son combat identitaire se<br />

reflète aussi par l’usage de la langue oromo<br />

dans la chanson. Un joyau de la collection<br />

Éthiopiques qui fait la différence avec le reste<br />

de son catalogue. ■ Y. K.<br />

D. R.<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

la batterie est remplacée<br />

par le cajon espagnol. On y<br />

retrouve « Dada » dans une<br />

orchestration plus souple,<br />

mais avec les mêmes notes<br />

qui sonnent comme un<br />

sortilège. « Elle est sortie<br />

de moi d’une manière<br />

imprévue, raconte la<br />

chanteuse, et maintenant<br />

que j’en maîtrise mieux le<br />

sens, elle est mon “hymne<br />

national”. “Dada” reflète<br />

mon rythme de vie, est le<br />

miroir de ce que je veux<br />

faire de mon existence,<br />

l’expression de ma foi en<br />

des choses simples qui<br />

rendent le bonheur. Je l’ai<br />

composée en un quart<br />

d’heure. Mais ce n’est<br />

qu’après que j’ai saisi ce<br />

qui s’était passé lorsque je<br />

l’ai chantée pour la<br />

première fois. »<br />

Et elle souligne le concept :<br />

« C’est quelque chose de<br />

profond », comme pour<br />

• Ndedy Eyango, Appelle-moi,<br />

1 CD + 1 DVD, Musico Center Production.<br />

Cela fait plus d’un lustre que le musicien<br />

de Nkogsamba porte haut et avec<br />

une approche originale le drapeau du<br />

makossa, genre national au Cameroun et fleuron<br />

culturel du peuple sawa. Dans son répertoire,<br />

les airs frais des montagnes proches de<br />

l’Ouest prennent la place des<br />

odeurs fluviales qui donnent la<br />

saveur des musiques côtières, et il<br />

y a une plus forte ouverture aux<br />

motifs des autres régions. Ainsi,<br />

dans cet Appelle-moi qui évoque<br />

les meilleures œuvres de la belle<br />

époque des années 1980, Ndedy<br />

propose, à la deuxième plage, une<br />

synthèse époustouflante de la<br />

grande richesse musicale du pays, un tour<br />

vibrant des syncopes du bikutsi aux frénésies<br />

de l’assiko, aux mélopées du Nord, celles que<br />

l’on retrouve également dans « Que G Tem »,<br />

avec des images tournées dans les environ de<br />

Maroua. De belles compositions, un appel<br />

irrésistible à la danse et un remarquable élan<br />

créatif. ■ L. E.


évoquer la source dans le<br />

mystère des premiers<br />

temps. Interrogée sur la<br />

signification du texte, elle<br />

répond que cela n’a aucune<br />

importance… Mais la<br />

question « inattendue et<br />

qui fait réfléchir »<br />

interroge Layori sur<br />

l’essence de la voix et son<br />

pouvoir émotionnel. Un<br />

intervalle de silence intense<br />

pour que ses pensées<br />

regagnent les espaces<br />

éthérés d’une culture<br />

musicale qui se révèle<br />

formidable.<br />

« Les inflexions de la voix<br />

de Chavela Vargas donnent<br />

une idée du sens des mots.<br />

Cela m’a toujours fascinée<br />

chez elle. Et je me suis<br />

posée le problème pour<br />

moi-même : comment<br />

aurais-je pu obtenir une<br />

force d’expression égale ?<br />

Chavela chantait en un<br />

dialecte qu’elle ne<br />

comprenait pas, mais elle<br />

en comprenait le<br />

sentiment. »<br />

De la vocaliste au poncho<br />

rouge, légendaire interprète<br />

• Samba Touré, Albala,<br />

Glitterbeat Records.<br />

de la musique ranchera du<br />

Mexique, à la grande dame<br />

de la chanson française,<br />

Édith Piaf, le passage est<br />

fulgurant et les propos de<br />

Layori proposent d’autres<br />

suggestions : « Quand<br />

j’écoute Édith Piaf, sa<br />

force de caractère<br />

m’impressionne sans que je<br />

sache le français. En<br />

connaissant la signification<br />

des phrases, je suis sûre<br />

que j’aurais eu la chair de<br />

poule quand il le fallait,<br />

selon le sens des mots. »<br />

Après avoir vécu entre le<br />

Nigeria, son pays natal, et<br />

les États-Unis, Layori s’est<br />

installée en Allemagne puis<br />

au Portugal. Elle aime<br />

voyager et découvrir dans<br />

les diverses langues<br />

comment la hauteur des<br />

sons et l’intensité des<br />

timbres véhiculent les<br />

émotions. Car dans les voix<br />

du monde, il y a le souffle<br />

universel qui se manifeste<br />

en une grande variété<br />

d’idiomes, et à chacun son<br />

feeling. Celui de Layori<br />

enchante et apaise. ■<br />

Arabesques dans les airs, volutes nostalgiques,<br />

pleurs du violon et rythmique<br />

de transe… C’est le cachet aux<br />

influences plurielles du Nord du Mali en butte à<br />

la barbarie intégriste et au néocolonialisme<br />

français. Les accords de guitare et les atmosphères<br />

pétries d’évocations rappellent la<br />

musique d’Ali Farka Touré, le guitariste<br />

disparu de la musique malienne, avec<br />

lequel Samba Touré collabora, notamment<br />

à l’occasion de sa tournée internationale, en<br />

1997-1998. Au musicien de Niafunké qui<br />

le stimula dans l’apprentissage de la gui-<br />

D. R.<br />

tare, Samba Touré consacra Songhaï Blues,<br />

paru en 2009, un premier album à diffusion<br />

internationale (suivant Fondo, publié uni-<br />

quement au Mali en 2003), résultat de sa rencontre<br />

avec la production du label londonien<br />

World Music Network. Ce dernier réalisa également<br />

Crocodile Blues il y a deux ans, alors<br />

que cet Albala, traversé par une énergie plus<br />

vigoureuse que les précédents, est le fruit d’une<br />

nouvelle complicité avec Hugo Race et la maison<br />

Glitterbeat Records. ■ Moundiba Malanda<br />

D. R.<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

Manuel Wandji, sur la route de la forêt<br />

Dans les images du DVD de son dernier album *<br />

avec les deux supports audio et vidéo, les percussions<br />

sont omniprésentes. Et Manuel Wandji,<br />

artiste franco-camerounais né dans la ville française de<br />

Nancy, en Lorraine, en donne une explication plutôt<br />

simple : « À 18 ans, je suis parti au pays de mon père, qui<br />

est originaire de l’ouest du Cameroun. Ma famille s’est<br />

établie à Yaoundé, la capitale, où les musiques urbaines<br />

se développent sous influence de la forêt qui entoure la<br />

ville. Le bikutsi est le style dominant avec le jeu des guitares<br />

qui puise dans la rythmique des balafons. J’ai commencé<br />

à faire de la musique dans l’orchestre du lycée.<br />

Mon premier instrument était la batterie, mais je suis<br />

passé rapidement au nkul, le gros tambour des Béti. C’est<br />

un instrument magique avec lequel j’ai entamé une<br />

recherche sur les timbres et les accords. »<br />

Dans la ville des sept collines, synthèse d’urbanité et de<br />

sonorités plus rudes et intenses, tributaires de la nature<br />

environnante, Manuel Wandji avait trouvé sa route. Le<br />

génie de la forêt lui servira de guide pour l’emmener en<br />

pirogue parcourir les rivières surplombées par les lianes,<br />

jouer les percussions sur les rochers baignés par les eaux<br />

du fleuve, traverser le pont sur le Sanaga accompagné par<br />

les notes du saxo de Manu Dibango.<br />

Dans Voyages & Friends, comme dans les précédents<br />

albums de ce musicien qui revendique sa double culture,<br />

l’osmose est là, entre les sons frénétiques de New York<br />

et les ambiances boisées de l’Afrique centrale, le groove<br />

métropolitain et les airs de la flûte qui se lèvent des<br />

terres rougeâtres des hauts plateaux de l’Ouest. C’est le<br />

leitmotiv de sa vie autant que de sa carrière aux activités<br />

multiples d’arrangeur, de compositeur de musiques<br />

pour spectacles de danse, de producteur, de danseur, de<br />

chanteur…Son style haut en couleur est à l’image de sa<br />

philosophie de la connaissance qui se forme dans<br />

l’échange et découvre la pulsation comme élément<br />

moteur et élan de vie. ■ L. E.<br />

◗ * Voyages & Friends, Wambo Productions,<br />

Buda Musique / Universal.<br />

87


88 Culture<br />

Théâtre Dans un spectacle * aux allures incantatoires, l’artiste et résistant culturel comorien<br />

Soeuf Elbadawi pleure les morts du « mur Balludur » qui criminalise la migration de ses compatriotes<br />

dans leur propre pays.<br />

Par Luigi Elongui<br />

Le 18 janvier 1995, les<br />

autorités de Paris<br />

établissent le visa<br />

obligatoire pour les<br />

ressortissants de l’ensemble<br />

des Comores qui veulent se<br />

rendre sur l’île sœur de<br />

Mayotte, annexée par la<br />

France lors de la<br />

proclamation de<br />

l’indépendance de l’archipel<br />

en 1975. Le « mur<br />

Balladur », du nom du<br />

premier ministre français de<br />

l’époque, est érigé et le<br />

carnage annoncé va avoir<br />

lieu, occulté par un noir<br />

silence de complicités et de<br />

soumissions.<br />

◗ Victimes de l’impensable<br />

On compte aujourd’hui<br />

15 000 morts dans les bras<br />

de l’océan séparant Anjouan<br />

de Mayotte où, à bord de<br />

fragiles embarcations<br />

nommées kwasa, des<br />

Comoriens sombrent par<br />

centaines, coupables du<br />

crime de migration sur leur<br />

propre terre. « Immense<br />

cortège de fantômes sous<br />

l’eau… cadavres sans<br />

sépultures », ils ont été<br />

sacrifiés sur l’autel d’une loi<br />

promulguée à des milliers<br />

de kilomètres de distance,<br />

« bordel orchestré de haute<br />

main, mouroir fabriqué par<br />

des chiens de race<br />

défendant les sordides<br />

intérêts de la lointaine<br />

république de Paris », écrit<br />

Soeuf Elbadawi dans son<br />

nouveau spectacle, tiré du<br />

livre éponyme, Un dhikri<br />

pour nos morts - La Rage<br />

Requiem pour un massacre<br />

Photos: D. R.<br />

Poésie et révolte sont entremêlées<br />

dans l’ensemble de l’œuvre de Soeuf Elbadawi.<br />

entre les dents (1) .<br />

Mais « peut-on être<br />

étranger ou clandestin sur<br />

la terre de ses aïeux? » Et<br />

peut-on accepter que les<br />

victimes de l’impensable –<br />

un acte administratif posé<br />

pour produire un tel désastre<br />

– puissent disparaître aussi<br />

des mémoires, tuées une<br />

deuxième fois par<br />

l’indifférence et la<br />

couardise, de surcroît<br />

privées du droit ultime de<br />

sépulture que l’on doit à<br />

tout être humain ?<br />

Ancien journaliste,<br />

essayiste, metteur en scène<br />

et comédien, musicologue et<br />

surtout résistant culturel<br />

dans son pays de Lune (2) et<br />

sur un continent en butte<br />

aux prédations impériales et<br />

aux nouvelles guerres<br />

d’agression, Soeuf Elbadawi<br />

« NOUS NE POUVONS TOUS ÊTRE LES ENFANTS DE LA<br />

DÉFECTION, DU RENONCEMENT OU DE LA REDDITION. »<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

répond trois fois non à ce<br />

questionnement lancinant.<br />

Rédigé sous une forme<br />

poétique et dans un français<br />

où s’intercalent<br />

systématiquement des<br />

expressions en shikomori, la<br />

langue nationale dans les<br />

quatre îles (Ngazidja,<br />

Moheli, Anjouan et Maore<br />

[Mayotte]), sa mise en scène<br />

prend des allures<br />

incantatoires.<br />

Un album, paru en même<br />

temps, est intitulé Comores:<br />

chants de lune et<br />

d’espérance (3) . Il témoigne<br />

d’une volonté farouche de<br />

réinscrire le meilleur du<br />

patrimoine musical insulaire<br />

comme socle d’un présent<br />

broyé par les incertitudes,<br />

laminé par les défections. À<br />

sa dernière plage, le « Blues<br />

of Moroni » annonce, dans<br />

la ferveur mélodique, la fin<br />

de la passivité des insulaires<br />

face au « Maître des<br />

possédants », le prédateur<br />

arrivé au XIX e siècle. Quand<br />

en 1841 la France prend<br />

possession de l’archipel<br />

situé dans l’océan Indien, au<br />

nord du canal du<br />

Mozambique.<br />

Au milieu, les airs<br />

mélancoliques de waudzu<br />

évoquent l’histoire d’une<br />

colonisation ininterrompue<br />

et les déboires d’un peuple<br />

en proie à la division et<br />

décimé par un visa.<br />

L’imaginaire de l’auteur est<br />

hanté par « ces restes<br />

d’hommes qui, par milliers,<br />

se noient sous le lagon au<br />

crépuscule d’un matin sans<br />

brumes. »<br />

L’esprit obsédé par « les<br />

corps dépareillés et sans<br />

visages enlisés sous l’eau,<br />

ces âmes qui flottent au<br />

large tels des restes de Lune<br />

dans un cauchemar<br />

diurne », Soeuf Ebadawi<br />

lève sa mélopée de


mgodro (4) sur « le rivage<br />

assombri du Monde des<br />

Taiseaux », ses<br />

compatriotes « atteints par<br />

les remords de l’inaction »,<br />

et dresse un réquisitoire<br />

implacable contre la<br />

« puissance dévastatrice »<br />

du pays le plus agressif de<br />

la planète. Un double défi<br />

pour briser la chaîne qui<br />

joint la main de l’oppresseur<br />

à la complicité de<br />

l’opprimé.<br />

« Nous ne pouvons tous être<br />

les enfants de la défection,<br />

du renoncement ou de la<br />

reddition », affirme l’artiste,<br />

alors qu’il emprunte la<br />

parole visionnaire d’Ibuka,<br />

le premier fou de<br />

Moroni (5) , pour tracer<br />

« une ligne d’espoir aux<br />

pieds du monstre »,<br />

car la « lente agonie<br />

des vaincus n’empêche<br />

pas un miracle<br />

d’Outre-Monde ».<br />

Dans l’épilogue, une<br />

mélodie de délivrance<br />

donne le signal de la révolte<br />

et la fin du pacte<br />

d’allégeance: « Ces morts<br />

dont personne ne veut tenir<br />

le livre des comptes n’iront<br />

pas seuls au dernier Jour<br />

des Justes. » ■<br />

◗ (1) Le dhikri est une cérémonie<br />

soufie d’apaisement des défunts.<br />

L’ouvrage est publié par<br />

les Éditions Vents d’ailleurs<br />

(72 p., 9 euros).<br />

(2) En arabe, Djazaïr al-Qamar,<br />

d’où Comores, veut dire « les îles<br />

de la Lune ».<br />

(3) Paru chez Buda Musique,<br />

distribué par Universal. Il vient<br />

de recevoir le prix de<br />

l’académie Charles-Cros pour<br />

les « musiques du monde ».<br />

(4) Musique de danse au rythme<br />

ternaire partagée entre les Comores<br />

et Madagascar.<br />

(5) Capitale des Comores.<br />

◗ * Le spectacle Un dhikri<br />

pour nos morts - La Rage entre<br />

les dents sera joué au théâtre<br />

Le Tarmac (Paris 20 e ), du 25 au<br />

29 juin. Lectures aux Comores<br />

pendant le mois de mai.<br />

Il y a trente ans dans Afrique Asie<br />

La « défense » du croisé Reagan<br />

Le compte des morts violentes au Salvador, au Nicaragua et au Guatemala<br />

s’allonge, les horreurs perpétrées par les soldats formés au Panama par des<br />

instructeurs venus du Nord se suivent et se ressemblent. L’Amérique<br />

démocratique les regarde défiler sur ses écrans, et elle est mal à l’aise. La<br />

« guerre secrète » menée en Amérique centrale n’est plus secrète pour personne.<br />

L’inquiétude est grande, les initiatives de paix aboutiront-elles ? En attendant, on<br />

assiste à un gigantesque ballet macabre autour de peuples martyrs.<br />

« Cela fait, semble-t-il, un siècle qu’un représentant délégué américain aux<br />

Nations unies s’est trouvé embarrassé d’être pris en flagrant délit de mensonge.<br />

» Ces mots ne viennent pas « d’ailleurs », ils ont été écrits dans le très<br />

américain New York Times, le 12 avril, par Anthony Lewis qui poursuit : « Les<br />

États-Unis sont confrontés au choix de politique étrangère le plus crucial depuis<br />

la guerre du Viêt-Nam. Mais à la différence du Viêt-Nam, le public américain est<br />

au courant de ce qui se passe avant qu’il soit trop tard. Notre système politique<br />

saura-t-il cette fois-ci fonctionner de manière à éviter le désastre ? Le terrain est<br />

l’Amérique centrale, et quiconque sait se servir de ses yeux ne peut avoir de<br />

doute sur ce que l’administration Reagan est en train d’y faire. Elle y mène une<br />

guerre secrète. Elle y accroît un engagement américain dans des problèmes que<br />

nous ne pouvons résoudre. Elle provoque une identification des États-Unis<br />

comme oppresseurs et assassins. Les résultats d’une telle politique ne sont pas<br />

difficiles à imaginer : elle nous aliénera le centre en Amérique latine et intensifiera<br />

les sentiments anti-américains. La recherche d’une victoire militaire<br />

conduira à une débâcle politique – pour la région et pour les États-Unis. »<br />

L’opinion américaine s’est clairement prononcée, ces derniers mois, contre la<br />

politique reaganienne en Amérique<br />

centrale qui se résume ainsi:<br />

empêcher la victoire des forces<br />

révolutionnaires au Salvador,<br />

déstabiliser le pouvoir sandiniste<br />

au Nicaragua, garder le contrôle,<br />

par tous les moyens possibles, du<br />

Guatemala, du Honduras et du<br />

Costa Rica. La principale justification<br />

idéologique de cette politique<br />

n’a rien d’original, elle est à<br />

l’œuvre aussi bien ici qu’en<br />

Afrique australe et en Asie du<br />

Sud-Est : défendre l’« Ouest »<br />

contre l’« Est ». Les paysans massacrés<br />

au Salvador, les Indiens<br />

victimes du cannibalisme – au sens propre, les témoignages sont là – de la soldatesque<br />

du très chrétien général Rios Montt au Guatemala, les miliciens sandinistes<br />

de 18 ans, tous ces gens-là sont présentés comme des agents de Moscou et<br />

de La Havane. Cette couleuvre, les Américains moyens, sondés par les instituts<br />

spécialisés, sont de moins en moins nombreux à l’avaler. Ils inclinent plutôt à<br />

s’inscrire dans la question posée par les manifestants du 19 mars à New York :<br />

« Pourquoi devons-nous financer l’assassinat du peuple salvadorien ? » [...]<br />

Par ailleurs, le consensus latino-américain est brisé depuis la guerre des<br />

Malouines : désormais, le Venezuela, la Colombie et Panama sont ralliés à l’initiative<br />

franco-mexicaine pour un dialogue et une désescalade en Amérique<br />

centrale. La logique de la lecture reaganienne du conflit comme un affrontement<br />

« Est-Ouest » est refusée par l’Europe occidentale, et pas seulement social-démocrate.<br />

Comment réagit-on à Washington ? Une formule semble bien résumer<br />

l’attitude de l’administration Reagan : « Elle ne peut pas vaincre, mais elle ne<br />

veut pas perdre. » ■ Fausto Giudice<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

D. R.<br />

89


90 Société<br />

Psychotropes Il existe en Amazonie un thé hallucinogène qui traverse le temps, à base d’une<br />

plante maîtresse de la pharmacopée amérindienne : l’ayahuasca. Les grands laboratoires et les<br />

touristes s’intéressent de près à cette boisson qui soigne les états d’âme, et dont l’usage est très<br />

encadré lors de rituels chamaniques.<br />

Par Catherine Millet<br />

Entre modernisme et<br />

tradition, préservation<br />

de l’environnement ou<br />

exploitation à grande échelle,<br />

médecine du corps ou<br />

médecine de l’âme, la forêt<br />

amazonienne est le témoin<br />

des transformations qui<br />

s’opèrent dans le monde et<br />

des résistances qui s’y<br />

opposent. À l’image du<br />

projet de construction du<br />

barrage hydroélectrique de<br />

Belo Monte, sur la rivière de<br />

Xingu, qui a été adopté le<br />

1er juin 2012, au grand dam<br />

de Raoni Metuktire, chef de<br />

la tribu des Kayapos, et<br />

d’Amnesty International,<br />

clamant le respect des<br />

peuples autochtones auprès<br />

du gouvernement brésilien.<br />

Belo Monte, troisième plus<br />

grand barrage électrique du<br />

monde, apparaît surtout<br />

comme le symbole d’un<br />

Brésil tiraillé entre ses<br />

velléités de croissance et la<br />

préservation des<br />

communautés indigènes et de<br />

leur habitat, l’Amazonie.<br />

◗ Cheminement difficile<br />

Les plus grands laboratoires<br />

pharmaceutiques parcourent<br />

cette réserve naturelle qui<br />

détient la plupart des espèces<br />

animales et végétales de la<br />

planète, à la recherche de<br />

plantes médicinales. Mais il<br />

se crée également un<br />

nouveau type de tourisme<br />

dont les adeptes se rendent<br />

dans la forêt profonde pour<br />

profiter de l’enseignement<br />

La liane des songes<br />

traditionnel des Amérindiens.<br />

Car, au cœur de l’Amazonie,<br />

existe une plante, une liane<br />

qui court entre les arbres:<br />

l’ayahuasca, dite « liane des<br />

songes », qui détient la force.<br />

En décoction avec l’autre<br />

plante maîtresse de la<br />

pharmacologie populaire de<br />

l’Amazonie, la feuille<br />

Psychotria viridis,<br />

surnommée « la lumière »,<br />

elle permet d’obtenir le thé<br />

hallucinogène local qui<br />

soigne les états d’âme. Cette<br />

boisson se consomme<br />

traditionnellement lors des<br />

cérémonies chamaniques.<br />

En suivant des règles<br />

déterminées – jeun,<br />

abstinence sexuelle, absence<br />

de boissons alcoolisées et<br />

accompagnement par des<br />

personnes ayant plus<br />

d’expérience dans la doctrine<br />

–, son utilisation fait partie<br />

d’un processus<br />

d’apprentissage qui intègre la<br />

personne dans la<br />

communauté. La maladie<br />

change le rapport de<br />

l’individu avec la société.<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

Afin de pouvoir y rétablir son<br />

entière participation, le<br />

malade doit se soumettre à un<br />

rituel de transition. « Si le<br />

chamane ne guide pas son<br />

patient, celui-ci risque de<br />

faire un voyage sans retour,<br />

jusqu’à la folie. Il faut être<br />

préparé, orienté dans ce<br />

cheminement difficile,<br />

explique Roger Rumrill,<br />

avocat, spécialiste des<br />

communautés indigènes de<br />

L’iboga du Gabon aussi…<br />

l’Amazonie péruvienne. Il y<br />

a trois clefs pour une bonne<br />

prise de l’ayahuasca : la<br />

qualité de la drogue,<br />

l’entourage et le chamane.<br />

Le voyage doit être<br />

collectif! »<br />

Il est intéressant de<br />

confronter ses dires avec<br />

ceux du professeur Simon, de<br />

l’université de Bordeaux II,<br />

en France, directeur de<br />

recherche en psychologie des<br />

Un petit arbuste aux effets similaires à l’ayauasca, l’iboga au Gabon, attire également<br />

de plus en plus de citadins en mal d’expériences fortes ou d’introspection. Un<br />

scientifique américain, Howard Lotsof, a tenté de convaincre chercheurs, laboratoires,<br />

politiques et société civile de soigner les toxicomanes avec de l’ibogaïne, qui est supposée<br />

agir de façon identique à l’ayahuasca. Cette molécule de la famille des alcaloïdes est<br />

extraite de l’iboga (Tabernanthe Iboga), un arbuste endémique de l’Afrique centrale équatoriale.<br />

L’écorce de sa racine concentre une douzaine d’alcaloïdes très actifs utilisés dans la<br />

médecine traditionnelle et les cérémonies initiatiques bwiti au Gabon. ■


comportements adaptatifs de<br />

l’Inserm. En parlant de<br />

l’interaction entre l’individu<br />

et la pression exercée par la<br />

société, le chercheur évoque<br />

un lien fondamental entre les<br />

substances psychotropes, la<br />

société et le sujet. L’avantage<br />

de ce genre de consultation<br />

est de rendre le patient plus<br />

lucide de ses maux et capable<br />

de les exprimer plus<br />

clairement.<br />

Des études ont été réalisées<br />

en Europe afin d’utiliser ce<br />

thé en psychiatrie. Les<br />

Amérindiens considèrent que<br />

70 % des maux sont<br />

d’origine psychosomatique.<br />

Le chamane soigne les<br />

malades en cherchant<br />

l’origine profonde du mal, si<br />

Ci-dessus: la préparation<br />

du thé. La qualité<br />

de l’ayahuasca<br />

doit être excellente.<br />

Ci-contre: matériel<br />

et procédés lors<br />

de la cérémonie de guérison.<br />

bien que ses adeptes utilisent<br />

couramment l’expression<br />

« prendre une purge », à<br />

cause du pouvoir du thé à<br />

désintoxiquer l’organisme et<br />

à rétablir l’équilibre<br />

thérapeutique du patient. Le<br />

mot drogue n’a pas le même<br />

sens pour tout le monde.<br />

Les Incas avaient, bien avant<br />

la Renaissance en Europe,<br />

une connaissance très<br />

approfondie de l’astronomie,<br />

des mathématiques, ainsi que<br />

de la médecine puisqu’ils<br />

étaient des pionniers en<br />

chirurgie. Ils avaient une<br />

médecine pour le physique et<br />

une pour l’esprit. En 1930 fut<br />

fondé à Rio Branco, au cœur<br />

de l’Amazonie brésilienne, le<br />

premier centre ésotérique qui<br />

utilise comme base de travail<br />

le thé hallucinogène. Devenu<br />

aujourd’hui l’une des<br />

communautés ésotériques les<br />

plus populaires d’Amérique<br />

latine, le Santo Daime<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

compte chaque jour un<br />

nombre croissant d’adeptes,<br />

notamment dans les plus<br />

grandes villes du Brésil.<br />

Arrive en 1912 en Amazonie<br />

pour travailler dans les<br />

plantations de caoutchouc,<br />

maître Irineu Serra, Brésilien<br />

fondateur de la doctrine, fut<br />

initié par les Amérindiens qui<br />

lui ont appris à utiliser<br />

l’ayahuasca. Le milieu est<br />

alors hostile, le travail<br />

extrêmement pénible. La<br />

culture des nouveaux<br />

arrivants va se fondre avec<br />

celle des indigènes de la<br />

région. Représentative du<br />

métissage du nouveau peuple<br />

du Brésil, cette communauté<br />

est la rencontre de trois<br />

éléments ethniques<br />

composant l’Amérique<br />

latine: les Amérindiens, les<br />

Blancs et les Noirs. « Il<br />

s’agissait de se libérer de la<br />

dure réalité de la vie<br />

matérielle en recréant de<br />

nouvelles valeurs<br />

culturelles », selon l’ouvrage<br />

de Vera Froes sur la secte du<br />

Santo Daime.<br />

Il existe cependant, pour<br />

l’historienne et spécialiste de<br />

l’ethnobotanique, présidente<br />

des études amazoniennes,<br />

UN SAVOIR-FAIRE MÉDICAL INCA<br />

QUI INTÉRESSE DÉSORMAIS L’EUROPE.<br />

Photos : C. Millet<br />

« une distinction<br />

fondamentale entre l’emploi<br />

des substances<br />

hallucinogènes dans le<br />

chamanisme, où elles ont une<br />

importance rituelle, médicale<br />

et divinatoire, et la prise de<br />

drogue dans les sociétés<br />

occidentales, ou l’on est en<br />

face d’un phénomène<br />

purement hédoniste ». La<br />

drogue ne serait dans ces<br />

sociétés que la compensation<br />

d’un phénomène dépressif<br />

individuel, répondant à<br />

certains déficits de<br />

fonctionnement.<br />

◗ L’âme et le corps<br />

Pour le professeur Simon,<br />

« prendre des additifs ferait<br />

partie d’un rééquilibrage<br />

instinctif du fonctionnement<br />

de l’organisme par des<br />

mécanismes biologiques ou<br />

psychologiques<br />

comportementaux, de façon à<br />

retrouver l’équilibre perdu ».<br />

Il précise que c’est la société<br />

qui forme les attitudes : selon<br />

les époques, refuser un<br />

apéritif représente une forme<br />

d’asocialité. « Il n’y a rien de<br />

plus arbitraire qu’une<br />

législation sur la drogue »,<br />

précise-t-il.<br />

Selon le professeur Simon,<br />

« l’histoire des stupéfiants<br />

est étonnante. On a<br />

constamment soigné les effets<br />

de dépendances d’une<br />

drogue avec une autre… »<br />

Un psychotrope en chasse un<br />

autre, mais le nouveau est<br />

d’autant plus nocif qu’il est<br />

créé artificiellement. Or, les<br />

additifs naturels sont moins<br />

toxiques que leurs dérivés<br />

chimiques.<br />

Il est aujourd’hui question de<br />

soigner en priorité le mal qui<br />

suscite le besoin d’additifs.<br />

Ce qui était déjà le principe<br />

même du rituel à base du thé<br />

hallucinogène chez les<br />

Amérindiens en Amazonie.<br />

La route est longue pour que<br />

médecine de l’âme et<br />

médecine du corps<br />

cohabitent en toute sérénité<br />

entre sciences et<br />

consciences. ■<br />

91


92 Société<br />

Tunisie Comme le « printemps arabe », le rêve révolutionnaire au féminin a fait long feu : Ennhadha<br />

veut faire table rase du code du statut personnel des femmes, modèle de parité dans le<br />

monde, pour les soumettre à nouveau au pouvoir masculin. Manipulées, nombre d’entre elles<br />

participent à leur malheur.<br />

Par Fériel Berraies Guigny<br />

En hiver islamiste tu te voileras…<br />

Quotidiennement, les<br />

acquis des femmes<br />

tunisiennes sont<br />

remis en cause par le<br />

pouvoir en place. Ils<br />

interprètent les textes<br />

religieux en ne laissant<br />

aucune ambivalence sur le<br />

rôle dévolu aux Tunisiennes<br />

dans le futur islamiste du<br />

pays: d’égales des hommes,<br />

elles pourraient ne plus être<br />

que complémentaires! C’est<br />

ainsi que les conçoit et veut<br />

les voir rapidement<br />

Ennahdha, en balayant les<br />

valeurs du code du statut<br />

personnel au profit d’une<br />

interprétation rétrograde du<br />

statut de la femme.<br />

◗ Mauvaise moitié<br />

Depuis toujours, l’homme a<br />

interprété les versets<br />

coraniques en donnant une<br />

dimension masculine du<br />

divin, « l’homme étant<br />

présenté dans toute sa<br />

suprématie et la femme dans<br />

une posture inférieure »,<br />

explique l’universitaire et<br />

exégète coranique tunisienne<br />

Mongia Souahi. La femme<br />

serait la moitié de l’homme,<br />

elle n’aurait pas le droit<br />

d’étudier, de travailleur, de<br />

faire de la politique. Une<br />

interprétation erronée<br />

largement utilisée par le<br />

pouvoir en place et dans<br />

beaucoup de pays arabes<br />

conservateurs.<br />

Pourtant, la femme est aimée<br />

et choyée dans le Coran,<br />

insiste Mongia Souaïhi,<br />

l’une des rares islamologues<br />

femmes dans le monde<br />

arabo-musulman à avoir<br />

traduit le Coran. « Dans le<br />

hadith Nabawi et dans le<br />

comportement du Prophète<br />

et de ses amis, les femmes<br />

étaient respectées en tant<br />

qu’être humain à part<br />

entière. Khadija elle-même<br />

était professeure, c’était une<br />

femme d’affaires, une<br />

politique. Il y a eu des<br />

femmes qui se sont opposées<br />

à Omar Ibn el-Khattab. Il y<br />

a eu des femmes qui se sont<br />

élevées contre Mouaawi<br />

Abousofiene; elles étaient<br />

activistes et elles ont parlé<br />

des problèmes qui<br />

taraudaient leur société.<br />

Rien dans les écrits ne<br />

prouve que la femme est la<br />

moitié de l’homme »,<br />

explique l’islamologue.<br />

Mais, comme dans toutes les<br />

religions monothéistes qui<br />

sont dominées par les<br />

hommes, et dans toutes les<br />

sociétés qui se réfèrent à ces<br />

religions, les femmes sont<br />

considérées comme des<br />

citoyennes de seconde zone.<br />

Les exégètes des XVIII e<br />

et XIX e siècles ont<br />

malheureusement abondé<br />

dans ce sens, et rares sont<br />

ceux qui ont pris la défense<br />

des femmes, à l’exception<br />

du Tunisien Mohamed Tahar<br />

Ibn Achour.<br />

Entre espoir et crainte, la<br />

révolution du « printemps<br />

arabe » version féminine est<br />

encore en train de chercher<br />

la place qu’elle mérite. Pour<br />

faire face aux préjugés, les<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

femmes du petit peuple,<br />

mais aussi les femmes<br />

intellectuelles et celles de la<br />

classe nantie, doivent peser<br />

de tout leur poids en faveur<br />

de la laïcité et de la parité.<br />

Un travail laborieux mais<br />

nécessaire, car l’islamisation<br />

radicale a planté « sa tente »<br />

dans la région, et la Tunisie<br />

en subit les conséquences,<br />

mettant en péril les acquis<br />

des femmes qui ont toujours<br />

été un modèle pour le monde<br />

arabe et le monde en<br />

général.<br />

L’un des défis majeurs pour<br />

les Tunisiennes au cours de<br />

cette post-révolution tourne<br />

principalement autour de la<br />

question du pouvoir et de<br />

leur statut. Et ce n’est pas<br />

une question de chiffres:<br />

qu’importe si le Parlement<br />

tunisien compte 23 % de<br />

femmes contre 20 % pour le<br />

Parlement français, s’il<br />

s’agit de femmes qui ne<br />

représentent pas la<br />

population dans sa globalité<br />

et ne s’expriment que dans<br />

le sens du pouvoir islamiste<br />

qui les a intronisées!<br />

C’est bien là le leurre<br />

politique d’Ennahdha. Les<br />

femmes libérales exigent que<br />

la Constitution soit garante<br />

des droits des femmes avec<br />

deux articles non<br />

négociables: la séparation<br />

du religieux et du politique,<br />

et l’égalité entre les femmes<br />

et les hommes dans tous les<br />

domaines, conformément à<br />

la Convention sur<br />

l’élimination de toutes les<br />

formes de discrimination à<br />

l’égard des femmes et à la<br />

levée des réserves annoncée<br />

par l’ancien pouvoir et qui<br />

doit être concrétisée…<br />

Il est indispensable que les<br />

réformes politiques<br />

garantissent le caractère<br />

constitutionnel et irrévocable<br />

de ces droits, qui sont les<br />

garanties nécessaires pour<br />

restaurer la confiance entre<br />

les différents acteurs<br />

politiques et les convaincre<br />

qu’aucune des parties ne<br />

sera dépossédée des<br />

promesses de la révolution<br />

de janvier 2011.<br />

Si la Tunisie a créé un<br />

néologisme dans le monde<br />

arabe avec sa révolution, il<br />

reste qu’elle n’est pas finie.<br />

Car la libération des peuples<br />

et des femmes sont<br />

inséparables. Toute société<br />

qui reposerait sur un lien de<br />

domination des hommes sur<br />

les femmes est une société<br />

qui bloquerait la dynamique<br />

sociale.<br />

Aujourd’hui, les Tunisiennes<br />

sont en alerte maximum.<br />

Elles sont à l’écoute de tous<br />

les discours politiques<br />

diffusés dans les médias, à<br />

l’affût du moindre indice qui<br />

LA TUNISIENNE EST AUTANT UN ALIBI<br />

RELIGIEUX QU’UN INSTRUMENT POLITIQUE.


La révolution tunisienne a chassé Ben Ali et apporté<br />

l’islamisme. Pour la liberté des femmes, il faudra repasser !<br />

mettrait en péril leurs droits.<br />

Paradoxalement, elles sont<br />

aussi responsables de ce qui<br />

arrive. Car les femmes de<br />

l’élite intellectuelle et la<br />

petite bourgeoisie que l’on<br />

voit déambuler et scander<br />

des slogans dans les rues,<br />

qui craignent de perdre ces<br />

acquis de plus de cinquante<br />

ans, ne sont pas les femmes<br />

de la Tunisie profonde.<br />

Celles qui sont<br />

reconnaissables entre toutes<br />

et qu’on a pourtant<br />

longtemps cachées. Les<br />

femmes du rif, celles qui se<br />

lèvent dès potron-minet et<br />

jusqu’au soir pour travailler<br />

sans réel espoir d’une vie<br />

meilleure. Celles qui vivent<br />

dans les zones les plus<br />

stériles et reculées du pays<br />

sans eau ni électricité, leurs<br />

maris partis à la ville<br />

chercher du travail. Ce sont<br />

aussi ces femmes de la<br />

banlieue ou des bidonvilles<br />

de Tunis qui n’arrivent pas à<br />

joindre les deux bouts et qui<br />

acceptent des petits boulots<br />

saisonniers. Ce sont les<br />

laissées-pour-compte de<br />

trois régimes successifs qui<br />

n’ont que faire de la<br />

Constitution. Car rien ne<br />

changera pour elles.<br />

Ces femmes ne savent pas<br />

ou à peine lire et écrire, ne<br />

connaissent pas leurs droits,<br />

et cette révolution une<br />

nouvelle fois les aura<br />

oubliées. Quand la pauvreté<br />

est beaucoup plus profonde<br />

que l’on pense, que<br />

l’hermétisme et<br />

l’individualisme sont à leur<br />

comble, l’endoctrinement<br />

religieux est aisé. Surtout<br />

s’il est accompagné de<br />

quelques billets pour aller<br />

« bien voter », quitte à faire<br />

le lit de l’islamisme. Ce sont<br />

bien ces femmes qui ont<br />

appelé de tous leurs vœux le<br />

pouvoir islamiste! Elles qui<br />

sont devenues<br />

antiféministes.<br />

◗ Tout à perdre<br />

Comment unifier toutes les<br />

femmes tunisiennes autour<br />

d’un projet équitable et<br />

démocratique qui les<br />

incluent toutes dans leur<br />

diversité sociale? Comment<br />

parler à toutes, quel<br />

dénominateur commun<br />

leur trouver? Pour<br />

l’intellectuelle, la démocratie<br />

rimera avec parité, pour la<br />

moins nantie, elle rimera<br />

avec pain.<br />

À l’heure actuelle, le<br />

discours des libéraux est<br />

confus et ne laisse paraître<br />

aucune stratégie inclusive<br />

sur le plan social. Il ne<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

coupe pas avec l’islamisme,<br />

et certains, pour accaparer le<br />

pouvoir, ont fait la cour à<br />

l’électorat islamiste,<br />

trahissant ainsi les électeurs<br />

qui leur avaient fait<br />

confiance. La situation<br />

exceptionnelle des<br />

Tunisiennes dans le monde<br />

arabe a, de plus, été entamée<br />

par la propagande islamiste<br />

des chaînes satellitaires<br />

arabes et leurs dérives<br />

obscurantistes. De plus en<br />

plus de femmes se sont<br />

voilées, mais nombreuses<br />

parmi elles se disent<br />

démocrates et ne sont pas<br />

prêtes à renoncer à leurs<br />

droits. Pour autant, cela<br />

suffira-t-il à les prémunir des<br />

menaces d’une régression ?<br />

La situation de flou politique<br />

et les errements des<br />

dirigeants actuels ont eu<br />

raison du rêve<br />

révolutionnaire au féminin.<br />

Pis encore, les femmes, en<br />

plus de devenir un alibi<br />

religieux, sont également<br />

instrumentalisées<br />

politiquement. Une façon<br />

pour le régime en place de<br />

faire diversion en laissant<br />

d’obscurs imams prêcher le<br />

nécessaire confinement des<br />

femmes qui idéalement ne<br />

seraient qu’un objet sexuel.<br />

Des discours d’un autre âge.<br />

D. R.<br />

Déjà, des pratiques<br />

(excisions sur les petites<br />

filles, appel au mariage des<br />

prépubères, polygamie, etc.)<br />

ont été enregistrées dans les<br />

zones reculées, dans un pays<br />

qui n’a jamais été ni de près<br />

ni de loin confronté à<br />

l’obscurantisme barbu ou<br />

voilé.<br />

Alors oui, les Tunisiennes<br />

sont menacées et leur<br />

quotidien leur rappelle que<br />

tout est à perdre pour elles.<br />

Pourtant, elles sont aussi<br />

conscientes que rien n’est<br />

encore joué et beaucoup<br />

d’entre elles, que nous avons<br />

approchées par le biais de<br />

partis politiques ou<br />

d’associations féministes et<br />

des droits de l’homme, sont<br />

très réactives et actives sur le<br />

terrain. La Tunisie est encore<br />

un champ exploratoire. Si la<br />

question des femmes dans le<br />

monde arabe est complexe,<br />

il faudra toujours tenir<br />

compte des diversités<br />

culturelles et des disparités<br />

sociales. Pour autant, les<br />

femmes resteront esclaves de<br />

cette situation accablante<br />

tant que les mentalités à leur<br />

égard ne changeront pas.<br />

Ce qui pourra à terme<br />

changer leur destin sera<br />

l’éducation, l’autonomie<br />

financière, le fait de les<br />

responsabiliser en tant que<br />

citoyennes. Se dire qu’aussi<br />

que ce sont les mères et les<br />

femmes qui vont élever et<br />

former les hommes de<br />

demain.<br />

Avec des politiques d’égalité<br />

homme/femmes, la société<br />

tout entière serait gagnante.<br />

Si on a du souffle, que l’on<br />

est aidé, que l’on se met en<br />

réseau, que l’on se respecte<br />

les uns les autres, qu’on<br />

admet la pluralité d’opinion<br />

dans tous les forums du<br />

monde et les grandes<br />

instances internationales, on<br />

finira enfin par comprendre<br />

que la dimension du genre<br />

est très importante et qu’elle<br />

fait partie intégrante des<br />

questions de<br />

développement. ■<br />

93


94 Société<br />

Société Pour lutter contre l’obscurantisme et l’intolérance, les Femen feutrent sur leurs seins<br />

des slogans revendiquant leur droit à la liberté. Enquête à découvert autour d’un phénomène<br />

qui enfle, non sans peine, au Maghreb et dans le monde arabe.<br />

Par Samy Abtroun<br />

Composé de plusieurs<br />

centaines de<br />

membres dans le<br />

monde – et sans doute bien<br />

plus de sympathisants –, le<br />

groupe des Femen, créé en<br />

2008 en Ukraine, a d’abord<br />

choisi de bomber le torse<br />

pour dénoncer la<br />

prostitution endémique<br />

dans le pays. Mais,<br />

rapidement, son action<br />

s’est généralisée à toutes<br />

les formes de violence dont<br />

sont victimes les femmes,<br />

en Ukraine et ailleurs. Le<br />

principe: deux petits seins<br />

valent mieux qu’une<br />

longue banderole. En<br />

utilisant cette partie<br />

fantasmée – et pour un<br />

certain nombre<br />

fantasmagorique – de leur<br />

corps, ces féministes,<br />

autoproclamées<br />

« sextrémistes », se<br />

dispensent de porte-voix :<br />

elles pointent leur message,<br />

souvent crus et parfois<br />

drôles, mais toujours de<br />

manière non violente,<br />

comme d’autres dégainent<br />

un pistolet, tout en<br />

concédant les limites du<br />

procédé, « être trop vues<br />

mais jamais bien lues ».<br />

Passent ainsi sous leurs<br />

feutres les machistes, les<br />

conservateurs, les<br />

fanatiques et autres<br />

pourfendeurs des libertés:<br />

sexistes, anti-avortements,<br />

conjoints violents, violeurs,<br />

homophobes, racistes,<br />

censeurs, etc. En somme,<br />

la bonne majorité du<br />

monde d’aujourd’hui.<br />

Ça tétonne et ça détonne<br />

Mais leurs cibles de<br />

prédilection restent les<br />

extrémistes religieux et<br />

autres bigots. En<br />

avril 2012, elles faisaient<br />

sonner les cloches de la<br />

cathédrale Saint-Sophie de<br />

Kiev pour dénoncer la<br />

proposition d’un député<br />

ukrainien visant à interdire<br />

l’interruption volontaire de<br />

grossesse (IVG). La même<br />

année, une militante tentait<br />

de se jeter sur le patriarche<br />

de l’Église orthodoxe russe<br />

Kirill en visite à Kiev, jugé<br />

politiquement trop proche<br />

de Poutine. En<br />

janvier 2013, elles<br />

s’exhibaient place Saint-<br />

Pierre à Rome lors de<br />

l’angélus du pape Benoît<br />

XVI, avec un « shut up »<br />

(« tais-toi ») inscrit sur leur<br />

poitrine. Un mois plus tard,<br />

elles fêtaient le départ du<br />

Saint-Père dans la<br />

cathédrale Notre-Dame de<br />

Paris, avec ces slogans:<br />

« Bye bye Benoît », « No<br />

homophobe »!<br />

Sur leurs tétons, guère de<br />

privilèges: elles rayent<br />

aussi bien les inepties des<br />

cathos que celles des<br />

islamistes. Elles expriment<br />

ainsi leur solidarité avec les<br />

musulmanes victimes des<br />

pratiques moyenâgeuses de<br />

leur État. En 2010, elles<br />

levaient le tee-shirt devant<br />

l’ambassade d’Iran à Kiev<br />

pour dénoncer la<br />

condamnation à la<br />

lapidation de Sakineh<br />

Mohammadi Ashtiani,<br />

Iranienne accusée<br />

d’adultère. En 2011, c’est<br />

devant l’ambassade<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

d’Arabie Saoudite qu’elles<br />

soulevaient un niqab de<br />

circonstance pour dénoncer<br />

l’interdiction de conduire<br />

faite aux femmes dans ce<br />

pays. Sur leur poitrine:<br />

« Cars for women camels<br />

for men » (« Des voitures<br />

pour les femmes, des<br />

chameaux pour les<br />

hommes »). En 2012, elles<br />

manifestaient à Londres<br />

contre la participation du<br />

royaume wahhabite aux<br />

jeux Olympiques. À Paris,<br />

elles marchaient pour la<br />

liberté des musulmanes:<br />

sur leur peau, le slogan<br />

« Intégrisme dégage! »,<br />

référence à celui qui avait<br />

chassé le président tunisien<br />

Ben Ali un an plus tôt.<br />

En avril dernier, elles<br />

brûlaient un drapeau à la<br />

couleur noire du salafisme<br />

devant la Grande Mosquée<br />

de Paris, puis se dénudaient<br />

devant une mosquée à<br />

Berlin, pour dire leur rejet<br />

des extrémistes.<br />

◗ « Fuck your morals »<br />

Les Femen font rapidement<br />

des émules au Maghreb et<br />

dans le monde arabe. « Ces<br />

filles disent exactement ce<br />

qu’on dit chez nous. Elles<br />

l’écrivent tellement bien<br />

qu’on est obligé de les<br />

entendre », explique Nadia,<br />

sympathisante algérienne.<br />

Pour être de la partie, il<br />

suffit d’en partager les<br />

idées… et d’un bon feutre,<br />

Internet servant de moyen<br />

de diffusion. Alors que la<br />

Place Tahrir est en feu,<br />

l’Égyptienne Aliaa Magda<br />

Elmahdy pose nue sur son<br />

blog « Journal d’une<br />

rebelle » et sur Twitter.<br />

L’acte se veut symbolique:<br />

en se dénudant, elle dévoile<br />

le vrai visage d’un pays pris<br />

par les Frères musulmans,<br />

et d’une société violente et<br />

hypocrite. Menacée de<br />

mort, elle doit fuir. En mars<br />

dernier, Amina Tyler, une<br />

militante tunisienne, qui<br />

entend lancer le mouvement<br />

Femen dans son pays, poste<br />

ses photos d’elle, seins nus,<br />

sur Facebook, avec ce tag :<br />

« Mon corps m’appartient,<br />

il n’est l’honneur de<br />

personne. » Sur un autre<br />

cliché: « Fuck your<br />

morals » (« Allez vous faire<br />

foutre avec votre<br />

moralité »)… Le hic: le<br />

pays du jasmin est depuis<br />

quelques années devenu le<br />

pays du « chasse nu » ; et le<br />

corps, de plus en plus voilé,<br />

appartient de moins en<br />

moins à celles qui le<br />

portent.<br />

Les seins d’Amina font le<br />

tour du monde et pétrifient<br />

les salafistes et autres<br />

nouvelles « élites » de cette<br />

Tunisie de la révolution qui<br />

n’a eu de « printemps<br />

arabe » que celui des barbes<br />

et des voiles. Coupée du<br />

« LE PRINCIPE: DEUX PETITS SEINS<br />

VALENT MIEUX QU’UNE LONGUE BANDEROLE. »


monde et brutalisée par sa<br />

propre famille, contrainte<br />

de prendre des traitements<br />

chimiques, victime d’une<br />

fatwa de mort prononcée<br />

par Ennahdha, parti<br />

islamiste au pouvoir, encore<br />

menacée de lapidation, la<br />

jeune tunisienne de 19 ans<br />

ne doit sa survie qu’à sa<br />

fuite.<br />

Entretemps, un blog de<br />

soutien se crée. Une Femen<br />

du Bahreïn se dévoile sur le<br />

réseau… visage couvert<br />

pour éviter d’être tuée.<br />

Suivie d’une Algérienne. Le<br />

groupe féministe perturbe<br />

enfin la visite à Paris du<br />

président tunisien Moncef<br />

Marzouki, allié des<br />

islamistes, et organise, en<br />

soutien à sa militante, une<br />

« Journée internationale du<br />

djihad seins nus ». Excusez<br />

du peu.<br />

◗ « Nous couperons vos seins »<br />

Dans une Tunisie qui<br />

affronte ses démons, bien<br />

couverts ceux-là, le nu<br />

courageux d’Amina est<br />

éminemment politique. Il<br />

porte la liberté comme un<br />

étendard et, s’exprimant<br />

dans son plus simple habit,<br />

de la manière la plus vraie<br />

qui soit. C’est bien là<br />

l’objectif déclaré des<br />

Femen. « Nous sommes<br />

libres, nous sommes nues,<br />

c’est notre droit car c’est<br />

notre corps, et personne ne<br />

peut utiliser la religion ou<br />

d’autres prétextes pour<br />

abuser des femmes ou les<br />

oppresser. Nous nous<br />

battrons contre eux »,<br />

explique Alexandra<br />

Shevchenko, l’une des<br />

fondatrices du mouvement.<br />

En se mettant ainsi à nu, ces<br />

seins à slogans frappent les<br />

consciences, les yeux et le<br />

reste. Mais cette arme à<br />

double tranchant a, plus<br />

d’une fois, montré ses<br />

dangers. « T’es à poil, t’as<br />

pas d’armure », confie<br />

Nadia. Leur forme de<br />

protestation agace, quand<br />

elle ne rend pas hystérique.<br />

Dans une Tunisie qui affronte ses démons, bien couverts<br />

ceux-là, le nu courageux d’Amina est éminemment politique.<br />

« T’es souvent face à des<br />

malades. Ce ne sont pas les<br />

filles nues qu’ils ne<br />

supportent pas de regarder,<br />

c’est l’image qu’elles leur<br />

renvoient d’eux-mêmes! »,<br />

poursuit la jeune<br />

Algérienne. Accusées de<br />

christianophobie et<br />

d’islamophobie, insultées,<br />

brutalisées, arrêtées,<br />

emprisonnées, les Femen<br />

échappent parfois de peu au<br />

lynchage. En novembre<br />

dernier, des militantes<br />

déguisées en nonnes étaient<br />

entrées dans le cortège<br />

d’intégristes catholiques de<br />

l’Institut Civitas, réputé<br />

proche de l’extrême droite,<br />

qui défilait à Paris contre le<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

projet de loi sur le mariage<br />

pour tous. Elles se sont fait<br />

violemment tabasser.<br />

Dans des sociétés habillées<br />

de mauvaise vertu, le nu est<br />

devenu criminel. Partout où<br />

les poitrines de ces femmes<br />

ensoleillent, les coups<br />

pleuvent, signe que le<br />

monde d’aujourd’hui,<br />

abreuvé d’interdits et de<br />

préjugés, est plus replié sur<br />

ses fondamentalismes que<br />

ses fondamentaux. Et les<br />

détracteurs des<br />

« sextrémistes » ne sont pas<br />

que religieux, loin de là.<br />

Les féministes plus<br />

« classiques » se disent<br />

heurtées par ces mutines<br />

aux lolos qui jouent avec<br />

« DANS DES SOCIÉTÉS HABILLÉES DE MAUVAISE<br />

VERTU, LE NU EST DEVENU CRIMINEL. »<br />

D. R.<br />

les médias. Elles les<br />

trouvent trop belles, des<br />

« guerrières aux ongles<br />

propres », des « femmes<br />

objets », des « blondes<br />

idiotes ». En Égypte et en<br />

Tunisie, l’intelligentsia se<br />

rebiffe, expliquant que leurs<br />

légitimes revendications<br />

génère des effets inverses.<br />

Outre le fait qu’ils satisfont<br />

les machistes et les pervers,<br />

ces « lancers de seins »<br />

radicalisent les extrémismes<br />

et nuisent à l’image de la<br />

femme, critique-t-on. Ainsi,<br />

en s’attaquant à l’islamisme<br />

radical, les Femen<br />

donneraient une mauvaise<br />

image de l’islam, religion<br />

tolérante mais mal<br />

interprétée. Elles feraient<br />

également croire que toutes<br />

les musulmanes sont<br />

persécutées. Ou encore elles<br />

dédouaneraient les nonmusulmans,<br />

entendez les<br />

Européens, des abus qu’ils<br />

commettent. « Faux,<br />

oppose Nadia. Le message<br />

est clair: montrer ses seins,<br />

c’est juste tétonner<br />

là où ça fait mal, aider les<br />

croyantes et les<br />

non-croyantes à vivre.<br />

Il n’y a rien d’intellectuel<br />

là-dedans. Je me fiche<br />

qu’elles soient belles. Ce<br />

qui m’intéresse, c’est<br />

qu’elles veulent que notre<br />

vie à nous soit moins<br />

moche! »<br />

Reste que leur combat est<br />

encore loin d’être gagné.<br />

Ces opérations « coup de<br />

poing – coup de sein » sont<br />

aussi vite médiatisées<br />

qu’archivées. Au Maghreb<br />

et dans le monde arabe,<br />

elles restent trop<br />

exceptionnelles pour faire<br />

évoluer les mentalités. À<br />

preuve, cette menace laissée<br />

sur le site – piraté – des<br />

Femen, à la suite de leur<br />

engagement pour la<br />

libération d’Amina:<br />

« Venez en Tunisie!<br />

Nous couperons vos<br />

seins et nous les<br />

donnerons à manger<br />

à nos chiens! » ■<br />

95


96 Sport<br />

Foot L’exode des talents a appauvri les clubs d’Afrique subsaharienne qui disputent des<br />

compétitions nationales dévaluées.<br />

Par Faouzi Mahjoub<br />

Àl’issue de son<br />

septième<br />

couronnement par<br />

l’assemblée générale de la<br />

Confédération africaine de<br />

football (Caf), réunie le<br />

10 mars à Marrakech, Issa<br />

Hayatou a lâché au micro<br />

de l’envoyé spécial de RFI:<br />

« [Sous ma présidence], le<br />

football africain a fait un<br />

bond en avant. » Était-il au<br />

bord du précipice?! Et de<br />

déverser son mépris pour<br />

les journalistes tout en<br />

ignorant les pratiquants<br />

(amateurs ou<br />

professionnels). C’est<br />

pourtant admis: sa Majesté<br />

Hayatou VII n’aime pas le<br />

foot, elle n’en parle jamais<br />

parce qu’elle ne sait pas en<br />

parler. Elle ne s’intéresse<br />

pas au jeu, car elle n’en<br />

saisit pas les subtilités. Elle<br />

est sous l’emprise des<br />

forces de la politique et de<br />

l’argent et à force de<br />

côtoyer les dictateurs, elle<br />

n’en a pas pris de la graine.<br />

Surtout, elle ne se<br />

préoccupe pas des réalités<br />

de football africain<br />

d’aujourd’hui.<br />

◗ Deux footballs<br />

Ce dernier est, depuis la fin<br />

des années 1990, à deux<br />

vitesses. Son élite vit et<br />

pratique hors d’Afrique,<br />

plus spécialement en<br />

Europe, alors que son<br />

corps, c’est-à-dire la masse<br />

des pratiquants, se trouve<br />

sur le continent. Il n’y a<br />

plus un seul football<br />

africain mais un football<br />

afro-africain (tous les<br />

joueurs et joueuses non<br />

Le temps des fractures<br />

expatriés amateurs ou non<br />

amateurs), et un second<br />

afro-européen (les<br />

expatriés, tous<br />

professionnels).<br />

Par ailleurs, les fractures<br />

provoquées par un<br />

développement inégal dans<br />

les domaines des<br />

infrastructures, des<br />

équipements, des cadres et<br />

des performances ne<br />

manquent pas et ne sont pas<br />

prêtes d’être réduites. Une<br />

première fracture se situe<br />

au niveau des sélections<br />

nationales. Elle sépare<br />

l’Afrique de l’Est (aucune<br />

victoire en Coupe<br />

d’Afrique des nations<br />

depuis… 1970 et aucune<br />

qualification à la Coupe du<br />

monde) du reste de<br />

l’Afrique. Une deuxième<br />

concerne les clubs, scindant<br />

les pays d’Afrique du Nord<br />

de tous les autres. La<br />

troisième relègue en bas du<br />

classement le ballon<br />

insulaire (Cap-Vert, Sao<br />

Tomé-et-Principe,<br />

Seychelles, Comores,<br />

Maurice, Réunion, voire<br />

Madagascar). Ces fractures<br />

se retrouvent<br />

immanquablement au<br />

niveau de l’organisation,<br />

de la couverture<br />

télévisuelle et<br />

de la commercialisation<br />

des compétitions.<br />

Enfin, depuis la réélection<br />

en mai 2002 du Suisse<br />

Joseph S. Blatter à la<br />

présidence de la Fifa (aux<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

dépens du Camerounais<br />

Issa Hayatou, président de<br />

la Caf depuis 1988), une<br />

rupture s’est produite entre<br />

les décideurs du football<br />

africain et les joueurs,<br />

surtout les anciennes<br />

gloires. Ceux-ci sont exclus<br />

de toute structure de<br />

décision.<br />

De plus, le football africain<br />

continue de faire face à un<br />

phénomène qui n’en finit<br />

pas de l’appauvrir: le<br />

départ vers l’étranger de ses<br />

jeunes joueurs. Chaque<br />

saison, ils sont des dizaines<br />

âgés de 16 à 20 ans qui<br />

quittent les centres de<br />

formation, privés ou<br />

fédéraux, pour rejoindre les<br />

clubs européens. Si certains<br />

font beaucoup parler d’eux<br />

– tels les talentueux<br />

Académiciens formés par<br />

Jean-Marc Guillou à<br />

Abidjan dans les années<br />

1993-1999 –, une armée<br />

d’inconnus, poussée par des<br />

« agents » peu scrupuleux<br />

ou par des dirigeants<br />

intéressés par des<br />

commissions occultes, part<br />

tenter l’aventure hors du<br />

continent. Pour beaucoup<br />

de ces candidats à l’exil, la<br />

désillusion est à la mesure<br />

des espoirs nourris: rares<br />

sont ceux à s’être imposés<br />

au top niveau et à avoir<br />

poursuivi leur progression.<br />

Les colloques se sont, çà et<br />

là, multipliés pour dénoncer<br />

le phénomène et réclamer,<br />

outre une authentique<br />

L’ÉLITE DES FOOTBALLEURS VIT<br />

HORS D’AFRIQUE, SURTOUT EN EUROPE.<br />

politique de formation pour<br />

les jeunes, la mise en place<br />

d’une législation dissuasive<br />

dans les pays<br />

« exportateurs », ainsi<br />

qu’une réglementation de la<br />

profession d’agent de<br />

joueurs. En vain. Seuls les<br />

règlements de la Fifa<br />

concernant le statut et le<br />

transfert des joueurs, entrés<br />

en vigueur le 1 er septembre<br />

2001, tentent vainement de<br />

freiner un exode<br />

irrésistible, dont la<br />

première victime est la<br />

Ligue des clubs champions.<br />

Jamais compétition<br />

continentale des clubs n’a<br />

été aussi médiatisée, aussi<br />

couverte par la télévision.<br />

Et jamais elle n’a autant<br />

brassé d’argent depuis son<br />

lancement en 1997. Mais<br />

jamais elle n’a suscité<br />

d’engouement. Le<br />

désintérêt populaire<br />

s’explique d’une part par la<br />

formule de la Ligue des<br />

champions (dont le<br />

sponsor-titre jusqu’en 2016<br />

est la firme de téléphonie<br />

Orange), et, d’autre part,<br />

par la qualité du jeu<br />

produite par les vainqueurs<br />

de l’épreuve, en grande<br />

majorité des clubs du nord<br />

de l’Afrique qui ont les<br />

moyens de conserver leurs<br />

meilleurs éléments et de<br />

recruter des talents.<br />

Conçue pour être une<br />

vitrine et un bon produit<br />

télévisuel, la Ligue des<br />

champions s’est heurtée<br />

aux réalités du petit écran<br />

en Afrique. Très vite, il a<br />

fallu faire un constat:<br />

seules les télévisions<br />

nationales d’Algérie,<br />

d’Égypte, du Maroc, de


Les supporters, comme ici, de l’équipe sud-africaine des Bafana-Bafana,<br />

ont bien des raisons d’être déçus par leurs joueurs nationaux.<br />

Tunisie et d’Afrique du Sud<br />

disposaient des moyens<br />

techniques adéquats et<br />

pouvaient produire et<br />

fournir des images de<br />

niveau international.<br />

Ailleurs, aucune chaîne<br />

nationale ne pouvait<br />

répondre au drastique<br />

cahier des charges édicté<br />

par le détenteur des droits.<br />

Conséquences: un flux<br />

d’images de piètre qualité,<br />

des incidents techniques à<br />

la pelle et, surtout, une<br />

désaffection du public<br />

rassasié à l’œil par des<br />

retransmissions de la Ligue<br />

des champions… d’Europe.<br />

Entre un Julius Berger<br />

Lagos-Mamelodi<br />

Sundowns Pretoria, une<br />

Jeanne d’Arc Dakar-TP<br />

Mazembe et un Barcelone-<br />

Real Madrid ou un<br />

Manchester United-Bayern<br />

de Munich, il n’y a pas<br />

photo pour le<br />

téléspectateur.<br />

En 2004, la Ligue des<br />

champions est élargie à<br />

soixante clubs. L’inflation<br />

des participants répond à<br />

des considérations<br />

clientélistes. Elle ne stimule<br />

pas l’intérêt sportif de la<br />

compétition et ne favorise<br />

pas la qualité du jeu. Elle<br />

profite en premier lieu aux<br />

plus riches: les clubs nordafricains.<br />

Les autres,<br />

paupérisés, y font de la<br />

figuration et disputent des<br />

championnats nationaux<br />

qui ne font pas recette.<br />

Avec l’exode des talents, la<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

Coupe d’Afrique des<br />

nations est devenue la<br />

Coupe de football… afroeuropéen,<br />

la compétition<br />

des expatriés. Quelque<br />

90 % des joueurs qui<br />

participent au tournoi final<br />

sont des professionnels<br />

employés par des clubs<br />

européens. À l’appel de<br />

leurs fédérations nationales<br />

d’origine, ils se regroupent<br />

à quelques jours des matchs<br />

internationaux et se<br />

préparent en Europe,<br />

souvent sous la conduite<br />

d’entraîneurs… européens.<br />

Ils jouent pour le passeport<br />

et permettent aux<br />

fédérations de leurs pays,<br />

SEULES LES TÉLÉVISIONS D’AFRIQUE<br />

DU NORD SATISFONT AU CAHIER DES CHARGES.<br />

D. R.<br />

qui ne les rétribuent pas,<br />

d’engranger des recettes.<br />

La présence d’Afro-<br />

Européens à la Coupe<br />

d’Afrique des nations<br />

assure à la Caf une<br />

commercialisation juteuse<br />

de la compétition. Notons<br />

aussi que, ne retrouvant pas<br />

chez eux le même<br />

environnement sportif,<br />

technique et humain que<br />

dans leurs clubs, les<br />

« expats » ne fournissent<br />

qu’un rendement bien<br />

inférieur à leurs capacités.<br />

Comme en témoignent,<br />

depuis 1998, leurs<br />

performances en Coupe du<br />

monde. En 2010, avec six<br />

représentants à la phase<br />

finale, seule une équipe –<br />

celle du Ghana – a franchi<br />

deux tours. Vingt ans<br />

auparavant, le Cameroun<br />

avait réussi le même<br />

exploit. Avec l’Égypte, il<br />

était le deuxième<br />

ambassadeur du football<br />

africain au Mondial italien.<br />

Où est alors le « bon en<br />

avant »?<br />

◗ Un vœu pieux...<br />

En 2008, Issa Hayatou a<br />

consenti à lancer un<br />

championnat d’Afrique<br />

pour les joueurs non<br />

expatriés. La première<br />

édition eut lieu en 2009, en<br />

Côte d’Ivoire, et de la<br />

deuxième deux ans plus<br />

tard, au Soudan. Entretemps,<br />

clientélisme oblige,<br />

le président de la Caf a<br />

porté le nombre des<br />

finalistes de huit à seize.<br />

Son erreur fut aussi de<br />

refuser d’impliquer les<br />

Unions régionales de<br />

l’organisation de la<br />

compétition. Tout comme il<br />

aura perturbé les tournois<br />

que celles-ci organisent<br />

chaque année.<br />

Sa Majesté Hayatou VII<br />

affirme: « Dans vingt ou<br />

trente ans, l’Afrique sera<br />

sortie de l’ornière et son<br />

football poursuivra son<br />

ascension vers les<br />

sommets. » Amen. ■<br />

97


98<br />

Je ne sais pas pourquoi, mais mon petit<br />

doigt me dit que Seif el-Islam Kadhafi,<br />

le fils rescapé de l’ancien Guide libyen<br />

assassiné en octobre 2011, est en danger<br />

de mort subite. Après l’exécution extrajudiciaire<br />

de son père, on se souvient que le dirigeant<br />

russe Poutine, enquêteur post mortem, avait<br />

lancé : « Qui a donné l’ordre de tuer Kadhafi ? »,<br />

comme pour crier à la trahison des forces de<br />

l’Otan qui prétendaient faire la guerre en Libye<br />

pour autre chose. Si rien n’est fait, le fils du<br />

Guide sera lui aussi éliminé dans des circonstances<br />

troubles, et l’on reposera la même question<br />

à un sou : « Qui a donné l’ordre de tuer Seif<br />

el-Islam? »<br />

Alors que la terre est remplie d’organisations<br />

disant défendre les droits de l’homme, Seif el-Islam, après<br />

sa capture par une milice écumant la région, est détenu au<br />

secret depuis novembre 2011, quelque part à Zinten. Même<br />

la procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou<br />

Bensouda, semble avoir baissé les bras. Elle exigeait le<br />

transfert du fils Kadhafi à La Haye, la CPI estimant, à juste<br />

titre du reste, qu’il n’existait pas en Libye, un État désormais<br />

failli, aux mains de groupes islamo-tribaux prétendument<br />

révolutionnaires, de justice digne de ce nom. Les<br />

complaintes de dame Fatou sont restées au stade de jérémiades.<br />

Seif el-Islam sera jugé, de façon sommaire, à Tripoli,<br />

et rapidement pendu. Human Rights Watch, la FIDH,<br />

Amnesty International, le Parti socialiste français et tout le<br />

bazar droit-de-l’hommiste international pondront des communiqués<br />

au ton vaguement affligé pour « regretter » que<br />

les autorités de Tripoli aient été aussi peu civilisées sur ce<br />

dossier. Mais, en sourdine, beaucoup d’Occidentaux seront<br />

bien contents et sableront le champagne le jour de la pendaison<br />

de Seif. Et bon nombre de médias dominants se<br />

chargeront alors d’édulcorer cette violation des droits de<br />

l’homme, en faisant croire que ce play-boy aurait commis<br />

de graves crimes contre l’humanité. Les rappels de la malheureuse<br />

phrase de ce dernier prédisant des rivières de sang<br />

en Libye seront opportunément utiles.<br />

Le fils du Guide pendu, les vérités qu’il sait et a<br />

menacé à plusieurs reprises de dévoiler au sujet de nombreuses<br />

affaires encore floues, comme celle du financement<br />

de l’unique campagne présidentielle à ce jour de<br />

l’ex-président français Nicolas Sarkozy, seront étouffées,<br />

à jamais. Seif el-Islam sera pendu probablement cette<br />

année par ce qu’il en sait trop sur pas mal de dirigeants<br />

européens encore poste ou en retraite et leurs liens présumés<br />

avec Kadhafi.<br />

Avant que la propagande<br />

très révolutionnaire des<br />

islamistes libyens n’efface<br />

tout, rappelons ces paroles<br />

de Seif à la chaîne Euro-<br />

La dernière page<br />

Ils vont éliminer Seif el-Islam Kadhafi<br />

Par Valentin Mbougueng<br />

Président<br />

de la Ligue<br />

internationale des<br />

journalistes<br />

pour l’Afrique<br />

(Lijaf)<br />

LE FILS DU GUIDE PENDU,<br />

LES VÉRITÉS QU’IL SAIT SERONT ÉTOUFFÉES.<br />

Mai 2013 ● Afrique Asie<br />

D. R.<br />

news, en mars 2011 : « Tout d’abord, il faut que<br />

Sarkozy rende l’argent qu’il a accepté de la<br />

Libye pour financer sa campagne électorale.<br />

C’est nous qui avons financé sa campagne, et<br />

nous en avons la preuve. Nous sommes prêts à<br />

tout révéler. La première chose que l’on<br />

demande à ce clown, c’est de rendre l’argent au<br />

peuple libyen. Nous lui avons accordé une aide<br />

afin qu’il œuvre pour le peuple libyen, mais il<br />

nous a déçus. Rendez-nous notre argent ! Nous<br />

avons tous les détails, les comptes bancaires, les<br />

documents, et les opérations de transfert. Nous<br />

révélerons tout prochainement. » Avec de tels<br />

secrets, auxquels il faut ajouter ceux concernant<br />

des amis très intéressés, tels l’ancien premier<br />

ministre britannique Tony Blair et le DSK ita-<br />

lien Berlusconi, la demande pressante de Seif d’être jugé<br />

par la Cour pénale internationale ne pouvait prospérer.<br />

De la même façon qu’un espion français infiltré (à en<br />

croire l’enquête du Corriere della Sera du 29 septembre<br />

2012) avait déchargé son arme en plein front du<br />

Guide pour qu’il se taise à jamais, Seif sera lui aussi, mis<br />

hors d’état de parler de choses qui dérangent l’avenir des<br />

relations pétrolières entre la Libye post-Kadhafi et les États<br />

qui l’ont recolonisée via le CNT libyen. D’autres anciens<br />

dignitaires du régime Kadhafi seront également mis à mort<br />

après des parodies de justice. Ils seront pendus, officiellement,<br />

pour crimes contre l’humanité, crimes contre le<br />

peuple libyen, détournement de millions de dollars, etc. En<br />

réalité, Senoussi, ex-chef des services de renseignements,<br />

et Mahmoud al-Baghdadi seront exécutés parce qu’ils en<br />

savent trop sur des affaires qui embarrassent ceux qui prétendent<br />

avoir libéré la Libye.<br />

Dans un tel contexte où la cause des condamnés est<br />

depuis longtemps entendue, l’ouverture d’une information<br />

judiciaire en France contre Sarkozy dans le cadre du<br />

financement présumé de sa campagne électorale par l’argent<br />

de Kadhafi a quelque chose d’ubuesque et d’indécent.<br />

Pendant que l’on s’efforce, à Tripoli, de détruire<br />

toutes les pièces ramenant à ce dossier, à Paris, on gesticule<br />

et on fait semblant de vouloir faire éclater la vérité<br />

sur cette affaire. Il serait surprenant que la justice française<br />

boucle sa procédure avant la pendaison, à Tripoli,<br />

de tous les témoins gênants et autres porteurs de valises,<br />

ces « amis » d’hier devenus, subitement, des criminels<br />

contre l’humanité. Trois des fils Kadhafi ont déjà été<br />

sommairement exécutés. Seif en sera le quatrième. Mon<br />

petit doigt affirme qu’il ne sera pas le dernier. Le prochain<br />

sur la liste ? Saadi,<br />

réfugié au Niger, dans<br />

cette bande sahélienne où<br />

l’armée française a pris<br />

durablement ses quartiers.<br />

Pas de bon augure. ■


Cinquantenaire<br />

de l'Independance<br />

de l'Algérie<br />

62<br />

12<br />

1962 - 2012

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