AF90complet (1).pdf - CongoForum
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■ MADAGASCAR Didier Ratsiraka parle<br />
■ SÉNÉGAL Hold-up sur les peanuts !<br />
■ ALGÉRIE Ouverture et bonnes pratiques<br />
■ TCHAD Un nouvel Idriss Déby ?<br />
M 03276 - 90 - F: 4,00 E<br />
’:HIKNMH=[UYUUW:?a@k@j@k@a"<br />
www.afrique-asie.fr<br />
Qatar<br />
Attention<br />
danger !<br />
■ VENEZUELA La révolution continue<br />
■ TUNISIE Le calme et la tempête<br />
■ RDC/AFRIQUE DU SUD L’onde de choc<br />
■ FEMEN Un phénomène qui dérange<br />
Mai 2013<br />
Afrique Zone CFA 2 100CFA - Algérie 200 DA - Belgique 5€ - Canada 6,99$ - Comores 3€ - Djibouti 4€ - Égypte 4€ - États-Unis 7$ -<br />
Europe Zone euro 5,50€ - Ghana 7,00C - Guinée 3€ - Haïti 5$ - Hongrie 3€ - Kenya 4€ - Liban 6 000 LBP - Madagascar 3€ -<br />
Maroc 25 DH - Mauritanie 4€ - Nouvelle-Calédonie 850 XPF - Roumanie 4€ - Rwanda 4€ - Suisse 7,00 FS - Tunisie 3 DT
Continents<br />
DES CHIFFRES…<br />
56,7 milliards de francs CFA<br />
(85 millions d’euros<br />
environ). C’est le<br />
coût de l’intervention<br />
tchadienne dans le nord<br />
du Mali au 15 avril,<br />
selon le premier ministre<br />
tchadien, Joseph<br />
Djimrangar Dadnadji. ■<br />
19 millions de personnes<br />
étaient au chômage<br />
dans la zone euro en<br />
février dernier, soit<br />
12 % de la population<br />
active, selon Eurostat,<br />
l’office des statistiques<br />
de l’Union<br />
européenne. ■<br />
828 milliards d’euros,<br />
c’est ce qu’auraient dû<br />
payer les géants américains<br />
d’Internet (Amazon, Apple,<br />
Facebook, Google et<br />
Microsoft) comme impôt<br />
sur les sociétés en France<br />
en 2011. Soit vingt-deux<br />
fois plus que ce qu’ils ont<br />
réellement déboursé, selon<br />
une étude de l’Institut<br />
Greenwich. ■<br />
6,8 millions de personnes<br />
ont besoin d’aide en Syrie,<br />
selon les chiffres révélés<br />
par la responsable des<br />
opérations humanitaire de<br />
l’Onu, Valerie Amos.<br />
Quelque 4,25 millions de<br />
Syriens sont des déplacés<br />
dans leur pays et<br />
1,3 million se sont réfugiés<br />
dans les pays voisins. ■<br />
James Bond en Guinée-Bissau<br />
Ex-chef de la Marine bissau-guinéenne, « Bubo » Na<br />
Tchuto (photo) a été arrêté début avril pour trafic de<br />
drogue par des policiers américains déguisés en trafiquants.<br />
Mais il l’aurait été dans les eaux territoriales de son pays et non<br />
dans les eaux internationales, selon le sous-lieutenant de vaisseau<br />
Vasco Antonio Na Sia, qui était avec lui au moment de<br />
l’interpellation, formalisée au Cap-Vert. Infiltrée par de puissants<br />
réseaux de narcotrafiquants, la Guinée-Bissau l’est aussi<br />
par des hommes de l’Agence américaine antidrogue (DEA).<br />
C’est un de ses agents secrets qui, le 1er avril, a proposé au<br />
contre-amiral « Bubo » d’aller au large pour guider vers Bissau<br />
un yacht transportant des agents de la DEA, qui se faisaient<br />
passer par des hommes d’affaires en relation avec les rebelles<br />
des Forces armées révolutionnaires de Colombie. « Bubo »<br />
s’était déclaré prêt à leur fournir de l’armement, qu’il aurait<br />
facilement trouvé dans les casernes de l’armée de Bissau.<br />
Le 5 avril, lui et deux co-accusés ont été traduits devant un<br />
juge de New York. Le 19 avril, cela a été le tour du chef de<br />
l’armée de Guinée-Bissau, le lieutenant-général Antonio<br />
Indjai, accusé de complot de narcoterrorisme avec les Farc,<br />
désignées comme une organisation terroriste par les États-<br />
Unis depuis 1997. Le représentant de l’Onu en Guinée-<br />
Bissau, José Ramos Horta, a exclu une éventuelle intervention<br />
des Nations unies dans ce dossier, qui est « un processus<br />
unilatéral du gouvernement américain ». Antonio Indjai est<br />
frappé d’une interdiction de voyager émise par l’Onu depuis<br />
le coup d’État de 2012. Reste à clarifier si, au-delà du piège,<br />
il existe des preuves de la connexion présumée avec les<br />
Farc. ■<br />
La France au Mali: et après ?<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
D. R.<br />
…ET DES MOTS<br />
◗ « Les ravages<br />
causés par la<br />
politique de M me Thatcher<br />
perdurent. Bon<br />
débarras! » ■<br />
Syndicat des mineurs britanniques.<br />
◗ « Souvenez-vous<br />
que Margaret<br />
Thatcher a qualifié<br />
Mandela de terroriste<br />
et qu’elle a pris le thé<br />
avec Pinochet.<br />
Comment lui rendre<br />
hommage? » ■<br />
Ken Loach,<br />
cinéaste britannique.<br />
◗ « Mme Thatcher<br />
a maintenu le cap<br />
et tenu bon face<br />
à tous les conservatismes,<br />
réussissant une<br />
modernisation<br />
spectaculaire de<br />
l’économie<br />
britannique. » ■<br />
Jean-François Copé,<br />
président de l’UMP.<br />
◗ « La propagande<br />
est à la démocratie<br />
ce que la violence<br />
est à la dictature. » ■<br />
Noam Chomsky,<br />
philosophe militant américain.<br />
◗ « Le zéro ennemi<br />
(chez Erdogan) en est<br />
réduit à zéro en éthique,<br />
zéro en crédibilité, zéro<br />
en amitié et zéro<br />
en politique. » ■<br />
Bachar al-Assad.<br />
U n groupe de travail baptisé « Sahel », présidé par les sénateurs français Gérard Larcher (UMP) et Jean-Pierre Chevènement<br />
(MRC), a rendu son rapport d’enquête, le 16 avril 2013, afin que les parlementaires puissent se prononcer sur la prolongation<br />
de l’intervention des forces armées françaises au Mali. Prolongation accordée le 22 avril. Les conclusions de l’analyse sont<br />
pourtant négatives: risque d’enlisement, absence de volonté politique malienne de réconciliation nationale, État entièrement – ou<br />
presque – à reconstruire, nécessité d’une stratégie pour l’ensemble du Sahel, etc. Le rapport note que les quatre mois d’intervention<br />
ont coûté 200 millions d’euros, plus que l’aide française bilatérale au développement rural versée au cours de la décennie. ■<br />
3
4 Continents<br />
PROFIL HAUT…<br />
Jay-Z,<br />
le rappeur américain, a été<br />
critiqué aux États-Unis<br />
pour s’être rendu à Cuba et<br />
avoir déclaré : « J’aime les<br />
Cubains. » Du coup, il en a<br />
rajouté en publiant une<br />
nouvelle chanson qui se<br />
réfère à celle de Bob<br />
Dylan, « Idiot Wind ». Il y<br />
vante son voyage dans l’île<br />
des frères Castro effectué<br />
avec son épouse, la<br />
superstar Beyoncé. ■<br />
Denise Epoté,<br />
directrice Afrique de TV5<br />
Monde Afrique, a reçu la<br />
Légion d’honneur le<br />
19 avril à Paris. Autour<br />
d’elle, des personnalités,<br />
amis de toujours : Manu<br />
Dibango, son compatriote,<br />
artiste et acteur important<br />
dans le monde de la<br />
diffusion audio-culturelle,<br />
Abdou Diouf, secrétaire<br />
général de la Francophonie,<br />
un parterre de ministres<br />
africains et français, ainsi<br />
que de hauts responsables<br />
de l’audiovisuel. ■<br />
David Van Reybrouck,<br />
auteur belge du best-seller<br />
surprise Congo<br />
(Actes Sud), essai<br />
d’histoire « par le bas »<br />
multiprimé, a décidé de<br />
consacrer les 45 000 euros<br />
du prix Aujourd’hui à une<br />
édition de poche peu<br />
coûteuse, accessible aux<br />
Congolais. ■<br />
Sahara occidental: les États-Unis ont cédé<br />
Le bras de fer entre le Maroc et les États-Unis sur le<br />
nouveau mandat de la Mission des Nations unies au<br />
Sahara occidental (Minurso, photo) s’est conclu par<br />
l’abandon de Washington. Le projet de résolution qui<br />
élargissait le mandat de la Minurso au contrôle du respect<br />
des droits humains au Sahara occidental, aussitôt entériné<br />
par Susan Rice, ambassadrice américaine à l’Onu, a été<br />
revu à la baisse. Il ne s’agit plus désormais que d’« encourager<br />
des efforts et des progrès dans ce domaine », selon<br />
un négociateur. Le Conseil de sécurité renouvelle tous les<br />
ans, avant la fin avril, le mandat de la Minurso.<br />
Le gouvernement, les partis et la société civile marocains<br />
avaient réagi très violemment au premier texte,<br />
ajoutant à la menace de blocage des négociations le report<br />
d’un exercice militaire conjoint impliquant 1 400 soldats<br />
américains et 900 marocains. Taïeb Fassi Fihri, conseiller<br />
royal et ex-chef de la diplomatie, a pris la tête d’une délégation<br />
pour Moscou et Pékin, tandis que d’autres diplomates<br />
ont fait pression sur les « amis du Sahara occidental<br />
», notamment la France, le Royaume-Uni et l’Espagne<br />
– laquelle a de gros intérêts dans la pêche dans les eaux<br />
sahraouies. « Cette affaire a montré le vrai visage du<br />
Maroc et de ceux qui pensent avoir créé la notion même<br />
de droits de l’homme », a déclaré Ahmed Boukhari, le<br />
représentant du Polisario auprès de l’Onu, faisant allusion<br />
à la France, accusée de soutenir Rabat. ■<br />
Al-Jazeera ne supporte plus la contradiction<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
D. R.<br />
Cameroun : ces otages<br />
qui ont « libéré » Biya<br />
« L’heureux dénouement<br />
de cette affaire est<br />
incontestablement le fruit<br />
d’une coopération<br />
exemplaire entre les<br />
gouvernements français,<br />
nigérian et camerounais »,<br />
s’est fendu le président<br />
camerounais Paul Biya<br />
(photo). Au pouvoir depuis<br />
trois décennies, avec un<br />
bilan terne en matière de<br />
gouvernance et de respect<br />
des droits de l’homme,<br />
Paul Biya, qui avait<br />
cravaché dur lors du<br />
dernier sommet de la<br />
Francophonie à Kinshasa<br />
pour obtenir un rendezvous<br />
avec François<br />
Hollande, est le grand<br />
gagnant de la libération,<br />
aux contours encore flous,<br />
des sept otages français<br />
enlevés deux mois plus tôt<br />
par le groupe terroriste<br />
nigérian Boko Haram,<br />
alors qu’ils se trouvaient<br />
au nord du Cameroun. Bon<br />
tacticien – c’est ainsi qu’il<br />
est parvenu à s’accrocher<br />
au pouvoir depuis tant<br />
d’années –, Biya, que<br />
certains analystes<br />
considéraient comme la<br />
première victime<br />
inéluctable de la politique<br />
africaine anti-Françafrique<br />
de Hollande, avait vite<br />
flairé le bon coup qu’il<br />
pouvait retirer de la<br />
libération des otages.<br />
L’octogénaire s’est plié en<br />
quatre pour faire libérer les<br />
Français, mettant à<br />
Àla suite des propos incendiaires que Mezri Haddad, ancien ambassadeur de Tunisie auprès de l’Unesco, a tenu le 5 février<br />
sur la chaîne française France 3, dans l’émission de Frédéric Taddeï « Ce soir ou jamais », la présentatrice vedette d’Al-<br />
Jazeera, Khadija Benguenna, a saisi la justice française. Le procès aura lieu le 19 juin devant la 17e chambre du tribunal de<br />
grande instance de Paris. Selon nos informations, c’est la direction même de la chaîne qui a poussé Khadija Benguenna à déposer<br />
plainte contre le diplomate tunisien. Et qui dit Al-Jazeera dit État du Qatar! Depuis sa naissance en 1996, c’est la première<br />
fois qu’Al-Jazeera se pourvoit en justice contre quelqu’un. Preuve que Mezri Haddad a frappé le Qatar là où ça fait mal. ■
contribution, notamment,<br />
le réseau des chefferies<br />
traditionnelles de la partie<br />
septentrionale du<br />
Cameroun proche du<br />
Nigeria. Une rançon a-telle<br />
été versée ? De<br />
nombreux observateurs<br />
répondent par<br />
l’affirmative, mais aucun<br />
ne peut donner de preuves,<br />
d’autant que Yaoundé<br />
soutient, comme Paris,<br />
qu’il n’y a eu aucune<br />
transaction financière. Biya<br />
aurait-il payé de sa poche ?<br />
Ce qui est sûr, c’est que<br />
l’affaire des otages et son<br />
dénouement heureux ont<br />
littéralement ressuscité<br />
l’autocrate, jusque-là à<br />
peine toléré par l’Élysée.<br />
D. R.<br />
En l’espace de huit<br />
semaines, Biya a ainsi reçu<br />
des appels quasi quotidiens<br />
du chef de la diplomatie<br />
française, et le président<br />
français a déclaré, lors de<br />
la réception des otages,<br />
avoir une pensée<br />
particulière pour lui.<br />
Impensable il y a peu.<br />
Merci, chers otages. ■<br />
Le travail aux Gabonais<br />
Elle n’aura duré que quelques jours mais, comme à chaque<br />
fois, cette grève (photo) a fait peser sur le pays la même<br />
crainte d’une paralysie économique. Depuis 2004, le puissant<br />
syndicat de l’Organisation nationale des employés du pétrole<br />
(Onep) dénonce le non-respect de la législation du travail par les<br />
compagnies étrangères, lesquelles continuent de privilégier<br />
l’emploi de ressortissants occidentaux et autres à une maind’œuvre<br />
locale. L’État, pourtant très impliqué dans la priorité à<br />
l’emploi national, semble avoir du mal à faire respecter les<br />
textes. Une position difficile, puisqu’il est aussi actionnaire de<br />
ces mêmes entreprises pétrolières, au minimum à 25 %. Et ces<br />
grèves peuvent faire très mal à ses finances. Pour mémoire, le<br />
conflit avec Shell (2008) lui avait coûté 1 milliard de francs<br />
CFA par jour. À chaque fois, le dialogue (et les promesses) a pu<br />
débloquer la situation. Mais à chaque fois, aussi, la concrétisation<br />
s’est fait attendre. Le syndicat se rappelle donc régulièrement<br />
au bon souvenir du gouvernement. En pointant du doigt<br />
les 83 % de postes à responsabilité confiés aux étrangers, avec<br />
tous les avantages inhérents, et dans l’irrespect absolu de l’article<br />
140, loi n° 21/2010, sur leur statut de séjour.<br />
En mars dernier, bis repetita : l’Onep a posé un préavis de<br />
grève après le licenciement de dix-sept employés de Schlumberger,<br />
l’une des principales compagnies du pays. Situation bloquée,<br />
négociations avec le ministre de l’Énergie, Étienne Dieudonné<br />
Ngoubou, dans l’impasse, et sauvetage in extremis par le<br />
premier ministre, avec la réintégration promise des dix-sept<br />
employés, mais aussi l’expulsion du directeur général. Apaisement<br />
temporaire ? ■ R. C.<br />
Angola : laborieux recensement<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
…PROFIL BAS<br />
Hélène Mandroux,<br />
maire socialiste de<br />
Montpellier a adressé au<br />
journal Midi libre, le<br />
16 avril, ce message à la<br />
communauté juive présente à<br />
la Maison des relations<br />
internationales pour fêter les<br />
soixante-cinq ans de la<br />
naissance de l’État d’Israël:<br />
« Votre histoire, transmettezla.<br />
Soyez-en fiers, fiers de<br />
votre pays. » Un message qui<br />
a provoqué la stupéfaction<br />
l’Union juive française pour<br />
la Paix qui lui a écrit:<br />
« Mais, Madame la Maire,<br />
de quel “pays” parlez-vous<br />
exactement? Nous n’osons<br />
comprendre un seul instant<br />
que vous identifieriez les<br />
juifs de France à l’État<br />
d’Israël. Cela constituerait<br />
alors une insulte aux<br />
nombreux juifs qui ne se<br />
reconnaissent nullement dans<br />
la politique actuelle d’Israël,<br />
et la condamnent. » ■<br />
Nicolas Sarkozy,<br />
après sa mise en examen<br />
pour abus de faiblesse dans<br />
l’affaire de Liliane<br />
Bettencourt, est cité dans<br />
l’information judiciaire pour<br />
« corruption active et<br />
passive » et « trafic<br />
d’influence, faux et usage de<br />
faux », ouverte par le<br />
parquet de Paris. Elle<br />
concerne des accusations<br />
d’un soutien financier de la<br />
Libye lors de sa campagne<br />
présidentielle de 2007. ■<br />
Pour préparer le recensement général de la population, qui n’a jamais pu être réalisé depuis l’indépendance en 1975, un<br />
recensement pilote sera lancé en mai, couvrant près de 30 000 habitations dans sept des dix-huit provinces du pays.<br />
Le budget provisionnel du recensement général, qui recevra le soutien technique des Nations unies et de pays tels que le<br />
Brésil, le Mozambique et l’Afrique du Sud, est estimé à 50 millions de dollars pour 2013 et 70 millions pour 2014. On<br />
évalue actuellement la population totale à 21 millions d’habitants (moins de 6 millions en 1975), dont un tiers résiderait<br />
dans la région de Luanda. ■<br />
D. R.<br />
5
6 Continents<br />
Obama<br />
en chute libre<br />
Selon un sondage de<br />
l’Institut Gallup, la cote<br />
des États-Unis en Algérie,<br />
qui était en progression<br />
avec l’arrivée de Barack<br />
Obama à la tête du pays, est<br />
en chute significative.<br />
Seulement 30 % des<br />
Algériens approuvent la<br />
politique des États-Unis<br />
comme puissance<br />
mondiale dirigeante. C’est<br />
le taux le plus bas après le<br />
Pakistan et les Territoires<br />
palestiniens. ■<br />
Sénégal :<br />
Karim Wade,<br />
ex-ministre du Ciel,<br />
tombe de haut<br />
Karim Wade, fils de<br />
l’ex-président<br />
sénégalais Abdoulaye<br />
Wade, surnommé<br />
« ministre du Ciel et de la<br />
Terre » en raison de la<br />
taille gargantuesque de ses<br />
domaines de compétences<br />
ministérielles du temps où<br />
son père était au pouvoir,<br />
n’est plus qu’un vulgaire<br />
pensionnaire de la maison<br />
d’arrêt et de correction de<br />
Rebeuss. Inculpé mi-avril<br />
pour « enrichissement<br />
illicite » et concussion, il<br />
n’a pas pu justifier, selon<br />
la justice qui lui avait<br />
donné un mois pour ce<br />
faire, l’origine d’une<br />
fortune personnelle<br />
présumée, estimée à un<br />
peu plus d’un milliard<br />
d’euros. L’ancien<br />
Les nuages s’amoncellent sur Ouattara<br />
Les élections locales (municipales et régionales) du<br />
21 avril, censées clore en beauté un processus électoral<br />
entamé en 2010 dans la douleur de la présidentielle controversée,<br />
ont révélé la permanence, voire l’aggravation, des<br />
tensions politiques. Non seulement ce scrutin a été boycotté<br />
– comme les législatives de 2011 – par le parti de l’ancien<br />
président Laurent Gbagbo, ce qui traduit l’échec de la politique<br />
de réconciliation nationale mise en œuvre par le président<br />
Alassane Ouattara (photo) mais, pis, il a été émaillé de<br />
violences. Les discordances apparues entre le Rassemblement<br />
des républicains de Ouattara et son principal allié,<br />
le Parti démocratique de Côte d’Ivoire de Konan Bédié<br />
(grâce auquel le premier a remporté la présidentielle d’octobre-novembre<br />
2010), jusque-là étouffées, ont dérivé vers<br />
des affrontements violents entre les deux camps. Plusieurs<br />
saccages de bureaux de recensement des votes et des vols<br />
d’urnes ont été enregistrés, jetant une ombre épaisse sur un<br />
scrutin largement boycotté par la population, avec un taux de<br />
participation estimé à environ 30 %. Bédié, notamment, s’est<br />
plaint d’avoir été oublié dans le partage du pouvoir.<br />
Le président ivoirien doit également faire face aux dénonciations<br />
des organisations internationales de défense des<br />
droits humains qui font état, régulièrement, de violations des<br />
droits de l’homme et de l’incapacité de la justice à agir avec<br />
impartialité. ■<br />
Niger-Burkina : la guerre des frontières n’aura plus lieu<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
AFP<br />
« successeur » pressenti<br />
d’Abdoulaye Wade, qui<br />
voulait emménager au<br />
palais présidentiel, a<br />
finalement pris le chemin<br />
de la prison. Il peut<br />
toutefois s’estimer<br />
heureux : il bénéficie d’un<br />
traitement VIP, selon une<br />
radio sénégalaise... et<br />
ne devrait pas rester<br />
longtemps seul en prison.<br />
Sont en effet dans le<br />
collimateur de la justice<br />
sénégalaise, décidée à<br />
moraliser la vie publique,<br />
Oumar Sarr et Ousmane<br />
Ngom, respectivement<br />
ancien ministre de<br />
l’Habitat et ancien ministre<br />
de l’Intérieur. Stoïques, ils<br />
attendent d’être arrêtés et<br />
conduits au lieu de<br />
détention du fils Wade.<br />
Après avoir été l’homme<br />
politique sénégalais<br />
le plus détesté, Karim<br />
Wade entre à nouveau<br />
dans la légende, comme<br />
le prisonnier le plus<br />
célèbre de la prison de<br />
Rebeuss et des autres<br />
établissements<br />
pénitentiaires du Sénégal. ■<br />
L’Amérique<br />
a peur<br />
Loin d’être aussi<br />
meurtrière que les<br />
attaques terroristes qu’on<br />
voit au Moyen-Orient<br />
(Irak, Syrie), l’attaque de<br />
Boston le 15 avril, qui a<br />
tué trois personnes et en a<br />
blessé plus de 170, est la<br />
pire sur le sol américain<br />
depuis celui des deux<br />
C ’est avec soulagement que le Niger et le Burkina ont accueilli le verdict rendu le 16 avril par la Cour internationale de<br />
justice (CIJ). Saisie par les deux pays au sujet du contentieux territorial – récurrent depuis les années 1960 – sur la délimitation<br />
des 375 km de frontière commune, la CIJ n’a mécontenté personne. « Je pense que la Cour a coupé la poire en deux:<br />
on gagne un peu au nord, on perd un peu au sud », s’est réjoui le ministre nigérien de la Justice, Morou Amadou, à La Haye.<br />
« Il y avait souvent des confusions au niveau des forces de l’ordre, des patrouilles, du prélèvement des taxes : c’est fini maintenant<br />
», a, pour sa part, souligné le ministre burkinabè de l’Administration territoriale et de la Sécurité, Jérôme Bougouma. ■
Tours jumelles de New<br />
York, du 11 septembre. Le<br />
marathon de Boston, dont<br />
c’était la 116 e édition, a<br />
lieu chaque année pendant<br />
le « Patriots Day », jour<br />
férié qui célèbre la<br />
fondation de l’Amérique.<br />
Originaires de Tchétchénie,<br />
les deux frères soupçonnés<br />
d’avoir posé les bombes<br />
artisanales semblent avoir<br />
agi seuls. Sous l’influence<br />
de l’aîné, Tamerlan<br />
Tsarnaev, 26 ans, tué<br />
pendant la course-poursuite<br />
après que les suspects<br />
eurent été identifiés,<br />
Dzhokhar Tsarnaev, 19<br />
ans, grièvement blessé, a<br />
déclaré avoir été poussé<br />
par son frère à commettre<br />
cet acte. Mais y a-t-il un<br />
commanditaire ? Territoire<br />
très disputé au sud de la<br />
Russie, à majorité<br />
musulmane, la Tchétchénie<br />
a connu deux guerres<br />
sanglantes contre la Russie<br />
pour son indépendance.<br />
La famille Tsarnaev a vécu<br />
un an à Makhatchkala,<br />
capitale de la région du<br />
Daghestan, près de la<br />
Tchétchénie, puis encore<br />
un an au Kirghizstan, en<br />
Asie centrale, avant<br />
d’immigrer aux États-Unis<br />
en 2002. Le plus jeune a<br />
acquis la nationalité<br />
américaine, tandis que<br />
l’aîné possédait la green<br />
card, le permis de<br />
résidence. D’où les<br />
déclarations empressées du<br />
président tchétchène,<br />
Ramzan Kadyrov,<br />
affirmant que les deux<br />
Arabie Saoudite: guerre de succession<br />
Le limogeage par le roi Abdallah ben Abdelaziz de son<br />
neveu, le prince Khaled ben Sultan (photo), de son poste<br />
de vice-ministre de la Défense sonne-t-il le glas du clan des<br />
Sudayri et l’avènement de la branche des Shummar, dont<br />
l’actuel roi est issu ? Tout le laisse à le penser. Fils de feu le<br />
prince Sultan ben Abdelaziz, le prince général déchu Khaled<br />
avait commandé les troupes arabes engagées en 1991 dans<br />
l’opération Tempête du désert contre l’Irak, sous la bannière<br />
américaine. Il est également le patron du groupe de presse<br />
Al-Hayat, basé à Londres, qui fait l’apologie de l’ultralibéralisme<br />
américain et qui risque d’être vendu. Ce limogeage<br />
intervient au moment où le prince Muqrin ben Abdelaziz<br />
consolide son pouvoir et pourrait devenir, avec la maladie de<br />
Salman, l’actuel prince héritier, le futur prince héritier et, à<br />
court terme le nouveau roi d’Arabie.<br />
Autre limogeage en vue : celui du tout-puissant Bandar bin<br />
Sultan, actuel ministre de l’Intérieur, proche de la CIA, qui<br />
supervise tout le système sécuritaire saoudien ainsi que l’implication<br />
du royaume, avec le prince Saoud al-Fayçal (très<br />
malade), dans le bourbier syrien. Il sera probablement remplacé<br />
par un autre du clan Sudayri, Saoud ben Nayef. Ces<br />
changements internes sont-ils le prélude à un désengagement<br />
saoudien sur le plan régional? Il y a en tout cas un changement<br />
en cours : le 22 avril, en présence des grands princes<br />
saoudiens, le roi Abdallah convoquait le mufti du royaume,<br />
Abdelaziz al-Sheikh, et de nombreux ulémas wahhabites<br />
pour leur intimer l’ordre de punir, « au-delà de la prison »,<br />
les instigateurs du djihad en Syrie et ailleurs, qui « induisent<br />
nos jeunes dans l’erreur ». ■<br />
Centrafrique: Bangui à la peine<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
D. R.<br />
frères n’avaient plus de<br />
liens avec la Tchétchénie<br />
La foi musulmane des deux<br />
suspects a nourri les<br />
spéculations sur une<br />
attaque du terrorisme<br />
islamique. En revanche,<br />
d’autres sources du<br />
renseignement américain<br />
(surtout l’ex-agente du<br />
FBI, Coleen Rowley) ont<br />
rappelé les liens entre les<br />
néocons américains avec<br />
les terroristes tchétchènes,<br />
dans le cadre de la stratégie<br />
visant à affaiblir la Russie.<br />
Plus ironique encore, le<br />
FBI puis la CIA avaient été<br />
alertés en 2011 par la<br />
Russie au sujet de la<br />
radicalisation du frère aîné,<br />
confirmée après son séjour<br />
en 2012 dans ce pays. Mais<br />
aucune mesure n’a été<br />
D. R.<br />
prise pour le surveiller.<br />
Cet événement tragique va<br />
alimenter le débat<br />
d’actualité sur<br />
l’immigration. Le projet de<br />
loi favorable à la<br />
régularisation d’une partie<br />
des immigrés semblait<br />
pouvoir emporter la<br />
majorité du Congrès. Ce<br />
consensus est aujourd’hui<br />
menacé. ■<br />
ÀBangui, la situation sécuritaire se dégrade de jour en jour. Les pillages de magasins, d’entreprises et de maisons particulières<br />
se multiplient. Même désordre du côté des forces armées : des éléments restés fidèles au président déchu François<br />
Bozizé affrontent sporadiquement les combattants de la Séléka, lesquels sont désormais soutenus par la Force multinationale<br />
d’Afrique centrale (Fomac), dont l’effectif doit passer de 500 à 2000 hommes, suivant la décision prise au sommet de<br />
la CEAC du 18 avril. Quant au personnel politique, il peine à sortir la tête hors de l’eau. Le pays a été suspendu de tous les<br />
organismes supra-étatiques jusqu’au rétablissement d’un semblant d’ordre institutionnel. ■<br />
7
8 Continents<br />
Pour un vrai<br />
débat sur l’avenir<br />
de l’Unesco<br />
La méfiance à l’égard de<br />
candidats de<br />
l’hémisphère Sud va-t-elle<br />
encore prévaloir à<br />
l’Unesco ? Après l’élection<br />
du Sénégalais Amadou<br />
Mahtar Mbow qui avait<br />
révolutionné l’institution en<br />
l’engageant dans des<br />
combats planétaires,<br />
tel celui pour le nouvel<br />
ordre mondial de<br />
l’information, véritable défi<br />
au monopole des puissances<br />
occidentales, la tendance de<br />
ces mêmes puissances est à<br />
la recherche d’un candidat<br />
au profil compatible avec<br />
leurs intérêts.<br />
Six mois avant l’assemblée<br />
générale qui se tiendra en<br />
novembre prochain, au<br />
cours de laquelle les États<br />
membres éliront le nouveau<br />
directeur général, elles<br />
manœuvrent déjà pour<br />
réduire la visibilité des<br />
candidats indésirables. La<br />
France, les pays<br />
scandinaves, la Belgique et<br />
même les États-Unis – qui<br />
n’ont pourtant toujours pas<br />
honoré leurs engagements<br />
financiers à l’égard de cette<br />
agence onusienne – se sont<br />
ainsi publiquement déclarés<br />
favorables à la réélection<br />
d’Irina Bokova pour un<br />
deuxième mandat. Et ce,<br />
avant même que tous les<br />
candidats éventuels se<br />
soient présentés ! D’ores et<br />
déjà, l’ambassadeur de<br />
Djibouti à Paris, Rachad<br />
La Belgique au secours des détenus congolais<br />
« Nous poursuivons nos efforts pour vous faire sortir le plus<br />
rapidement possible de prison. » C’est en ces mots que<br />
l’ambassadeur de Belgique en République démocratique du<br />
Congo (RDC), Michel Lastschenko, vient d’écrire à Éric<br />
Kikunda, un Belgo-Congolais détenu depuis… trois ans et<br />
demi à la prison Makala de Kinshasa. Il avait été arrêté en<br />
même temps que Firmin Yangambi, un jeune et brillant avocat<br />
qui nourrissait des ambitions politiques, et Benjamin<br />
Olangi, pour avoir prétendument convoyé des armes en vue<br />
de commettre un coup d’État contre le président Kabila<br />
(photo). Les trois détenus, qui ont été condamnés à de lourdes<br />
peines (vingt ans en appel pour Yangambi après une première<br />
condamnation à mort, dix ans en appel pour les deux autres),<br />
clament qu’ils ont été arrêtés pour raisons politiques et torturés<br />
par des officiers déjà impliqués dans l’assassinat de Floribert<br />
Chebeya, et qu’ils ont été ensuite victimes d’un complot<br />
judiciaire. Leur dossier à la Cour suprême de justice (cassation)<br />
s’est entretemps égaré. En désespoir de cause, Éric<br />
Kikunda a décidé de porter plainte en Belgique, sur la base de<br />
la loi de compétence universelle, contre cinq agents publics,<br />
dont le général Mukuntu Kiyana, magistrat militaire.<br />
Celui-ci a tenté d’intimider Kikunda en l’avertissant des<br />
« conséquences fâcheuses » que cette plainte pourrait lui<br />
valoir, ajoutant et qu’il ne craignait pas la justice belge.<br />
« Votre nationalité belge ne changera rien, car moi seul peux<br />
décider de votre liberté », lui aurait rétorqué le magistrat. ■<br />
F. J. O.<br />
Alexander Orlov : la France, c’est l’Union soviétique!<br />
L<br />
’ambassadeur de Russie en France, Alexander Orlov, n’a pas gardé cette fois-ci sa langue dans sa poche. Devant un<br />
panel de journalistes au CAPE à Paris, ce diplomate chevronné, francophone et francophile, a dénoncé la montée de<br />
la « russophobie de certains médias français ». Il a mis en cause quelques journalistes français influents qui ne se sont pas<br />
rendu compte du changement intervenu en Russie depuis environ un quart de siècle, puisqu’ils maintiennent les clichés<br />
d’antan pour préserver leur fonds de commerce. L’ambassadeur a conclu sa philippique sur ses mots : « J’ai été frappé<br />
par la censure exercée dans ce pays de la liberté. La France souffre de la dictature de la pensée unique. » ■<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
D. R.<br />
Farah, s’est porté candidat<br />
et a obtenu le soutien de<br />
l’Autorité<br />
intergouvernementale pour<br />
le développement et de<br />
l’Organisation pour la<br />
coopération islamique.<br />
L’Union Africaine et la<br />
Ligue arabe ont déjà<br />
apporté leur soutien en<br />
janvier et en mars 2013.<br />
C’est la première fois<br />
depuis 25 ans que l’UE n’a<br />
qu’un seul candidat à<br />
l’Unesco.<br />
Il serait salutaire qu’un<br />
débat ait lieu sur le bilan de<br />
la directrice sortante,<br />
notamment au sujet de son<br />
programme « Priorité<br />
Afrique », dont l’efficacité<br />
et la pertinence sont<br />
contestées par des<br />
représentants du continent<br />
au sein de l’organisation.<br />
Cela permettra de le<br />
confronter aux propositions<br />
des autres candidats,<br />
notamment ceux qui<br />
concentrent leur attention<br />
sur l’Afrique. En cas<br />
contraire, cela signifiera<br />
qu’on continuera à<br />
minimiser la voix des pays<br />
du Sud et à poursuivre la<br />
mise à l’écart d’intellectuels<br />
pouvant contribuer au<br />
renouveau de l’action de<br />
cette agence clé du<br />
dispositif onusien sur le<br />
continent. ■<br />
Choc pétrolier en<br />
mer de Chine du Sud<br />
Douche froide pour la<br />
Chine, les Philippines,<br />
le Vietnam, la Malaisie,
Brunei et Taïwan: une<br />
étude réalisée par l’US<br />
Energy information<br />
administration révèle qu’il<br />
n’y a pratiquement aucune<br />
chance de découvrir des<br />
gisements de gaz ou de<br />
pétrole en mer de Chine du<br />
Sud. Non que cette mer ne<br />
soit pas riche en<br />
hydrocarbures, mais<br />
l’essentiel des dépôts se<br />
situe à proximité des côtes,<br />
soit en territoires non<br />
contestés. Un seul gisement<br />
se trouverait au large, et<br />
encore, il ne s’agit que d’un<br />
dépôt modeste – mais<br />
exploitable – de<br />
2,5 milliards de barils de<br />
pétrole et 25,5 trillions de<br />
m 3 de gaz naturel. Or, les<br />
rivalités territoriales en mer<br />
de Chine du Sud ont pour<br />
fondement les convoitises<br />
des États riverains. Ce n’est<br />
pas un hasard si les<br />
premières tensions furent<br />
concomitantes au premier<br />
choc pétrolier (1974).<br />
Au-delà d’un nationalisme<br />
souvent outrancier, Manille,<br />
Hanoi, Taipeh, Kuala<br />
Lumpur et Bandar Seri<br />
Begawan ne cachent pas<br />
que leur soudain intérêt<br />
pour quelques îlots, bancs<br />
de sable et récifs est<br />
essentiellement<br />
économique. Pour la Chine,<br />
seule nation à revendiquer<br />
le contrôle de la quasitotalité<br />
d’une mer grande<br />
comme la Méditerranée, la<br />
situation est différente:<br />
l’essentiel de son commerce<br />
et de ses<br />
approvisionnements y<br />
Irak : réconciliation et manœuvre électoraliste?<br />
Nouri al-Maliki se positionne dans la perspective de la<br />
présidentielle de 2014 en faisant du pied aux baasistes.<br />
Il a profité des récentes élections provinciales – dans 12<br />
régions sur 18 – pour annoncer qu’il allait demander au Parlement<br />
d’avancer de deux ou trois mois la date des législatives,<br />
de modifier la loi sur la débaasification et d’accorder<br />
une retraite aux anciens feddayin de Saddam.<br />
L’opération visant à désamorcer le conflit qui l’oppose aux<br />
régions à majorité sunnite, le premier ministre est conseillé à<br />
Washington par son ami Brett McGurk, expert des questions<br />
irakiennes qui devait être nommé ambassadeur à Bagdad. Le<br />
président américain a dû y renoncer, le Congrès ayant pris<br />
connaissance – sur le site de Cryptome – des « billets doux à<br />
caractère sexuel » que son poulain a adressés en 2008 à Gina<br />
Chon, journaliste du Wall Street Journal! À l’époque,<br />
McGurk était marié et travaillait en Irak pour le Conseil<br />
national de sécurité.<br />
En Irak, la proposition de Maliki est perçue comme une<br />
manœuvre électoraliste. Osama al-Nujaifi, président sunnite<br />
du Parlement, a exigé la démission du premier ministre et la<br />
nomination d’un gouvernement non partisan chargé d’organiser<br />
un scrutin transparent. Moqtada Sadr a fait annoncer<br />
que son mouvement ne participerait à aucun gouvernement<br />
composé de « baasistes, de feddayin et de terroristes »…<br />
Dix ans après la chute de Bagdad, les amendements à la loi<br />
anti-Baas ont tout de même un mérite : celui d’exister. ■<br />
Gilles Munier<br />
Élections : les poches vides du Zimbabwe<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
D. R.<br />
transite. Évidence<br />
géostratégique, la seconde<br />
puissance économique<br />
mondiale se doit de<br />
sécuriser son ouverture<br />
maritime sur le monde.<br />
Aussi puissante qu’elle soit,<br />
la Chine ne peut prétendre à<br />
un rôle de premier plan si<br />
elle ne peut projeter sa<br />
puissance sur les océans. Dès<br />
lors, qu’il y ait ou non du<br />
pétrole en mer de Chine<br />
importe peu: son ascension<br />
passe par sa mainmise sur la<br />
mer de Chine du Sud, qu’elle<br />
entend transformer en Mare<br />
Nostrum. Curieusement, ce<br />
sont les Étasuniens qui ont<br />
découvert qu’il n’y aurait<br />
pas de grandes ressources en<br />
hydrocarbures.<br />
Fin avril, le Zimbabwe ne disposait toujours pas des 132 millions de dollars nécessaires à l’organisation des élections générales<br />
prévues par Robert Mugabe le 29 juin. Le gouvernement s’était tourné vers l’Onu pour obtenir une aide. La mission<br />
d’évaluation qui devait se rendre au Zimbabwe le 10 avril a été bloquée par le ministre de la Justice, Patrick Chinamasa, pour<br />
avoir outrepassé son mandat. Les représentants de l’Onu voulaient rencontrer des responsables de la société civile. Le premier<br />
ministre Tsvangirai, leader de l’opposition, s’était opposé à la date imposée par Mugabe, estimant qu’il était nécessaire de<br />
mettre d’abord en place les réformes permettant de garantir les meilleures conditions pour ce scrutin. ■<br />
D. R.<br />
À l’heure où Washington<br />
redéploye sa puissance<br />
maritime sur le Pacifique,<br />
l’étude émanant de l’US<br />
Energy information<br />
administration est-elle<br />
authentique, ou s’agit-il<br />
d’une intox destinée à<br />
refroidir les passions des<br />
pays riverains? ■ Jack Thompson<br />
9
10 Courrier<br />
Libérez<br />
immédiatement<br />
tous les prisonniers<br />
palestiniens !<br />
Nous célébrions le<br />
17 avril la Journée<br />
nationale des<br />
prisonniers palestiniens.<br />
Ils sont aujourd’hui 4 812<br />
(dont 219 mineurs) dans<br />
les geôles israéliennes.<br />
Depuis 1967, 750 000<br />
Palestiniens sont passés<br />
par la case prison. Un<br />
chiffre équivalent à 20 %<br />
de la population de la<br />
Palestine occupée.<br />
Nous croyons qu’il est<br />
juste et important de<br />
relayer l’appel lancé par<br />
les organisations de<br />
soutien à la Palestine, en<br />
apportant notre soutien à<br />
la lutte qu’elles mènent<br />
depuis plusieurs<br />
années en faveur des<br />
prisonniers palestiniens,<br />
en dénonçant les<br />
brutalités du système<br />
carcéral israélien et en<br />
appelant de toute notre<br />
force à l’arrêt définitif<br />
des tortures qui y sont<br />
pratiquées.<br />
Le 23 février, un jeune<br />
Palestinien de 30 ans,<br />
Arafat Jaradat, est mort à<br />
la prison de Meggido, là<br />
où plusieurs autres<br />
prisonniers ont déjà perdu<br />
la vie dans des<br />
circonstances suspectes.<br />
Selon le journal français<br />
L’Humanité, Issa Qaraqe,<br />
ministre palestinien des<br />
Détenus, a déclaré avoir<br />
reçu des informations<br />
« choquantes et<br />
douloureuses » disant que<br />
le jeune homme est<br />
décédé des suites de<br />
torture. Le droit de<br />
résistance, voilà ce que<br />
veulent étouffer le<br />
sionisme et l’impérialisme<br />
dans les prisons de<br />
Meggido, Nafha, Ofer,<br />
etc., en enfermant des<br />
hommes, des femmes, des<br />
figures historiques et des<br />
dirigeants politiques tels<br />
Dessin paru dans le Canard Enchaîné<br />
que Ahmad Sa’adat,<br />
secrétaire général du Front<br />
populaire de libération de<br />
la Palestine (FPLP) ou<br />
Marwan Barghouti. À tous<br />
ces détenus s’ajoutent les<br />
détenus de diverses<br />
nationalités arabes<br />
capturés au cours des<br />
conflits déclenchés par<br />
Israël et disparus depuis<br />
dans des quartiers de<br />
haute sécurité.<br />
La lutte du peuple<br />
palestinien ne peut être<br />
séparée de celle menée par<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
tous ceux qui se battent<br />
pour l’indépendance,<br />
l’autodétermination et le<br />
progrès de leur peuple.<br />
Partout dans le monde,<br />
c’est le même système<br />
d’oppressions<br />
économiques et<br />
impérialistes qui, sous des<br />
formes qui peuvent varier<br />
d’un pays à l’autre,<br />
impose sa brutale<br />
domination au détriment<br />
des peuples. […]<br />
Ces hommes et ces<br />
femmes sont emprisonnés<br />
pour s’être élevés de tout<br />
leur être contre la violence<br />
de l’occupation<br />
impérialiste et contre<br />
l’injustice sociale.<br />
Libérez-les tous… et tout<br />
de suite ! ■<br />
Résistance.fr<br />
Les records<br />
de Karim Wade<br />
Si les accusations<br />
portées par la Cour<br />
de répression de<br />
l’enrichissement illicite<br />
(Crei) à l’encontre de<br />
Karim Wade sont<br />
confirmées par la<br />
procédure en cours, la<br />
revue américaine Forbes<br />
devra rectifier sa<br />
classification des<br />
personnalités les plus<br />
riches du continent !<br />
L’ancien ministre des<br />
Infrastructures, de la<br />
Coopération internationale<br />
et des Transports du<br />
Sénégal passerait après<br />
quelques magnats sudafricains<br />
et hommes<br />
d’affaires nigérians. Le<br />
fils de l’ancien président<br />
sénégalais gagnerait<br />
cependant un autre<br />
palmarès : le milliard<br />
d’euros de son patrimoine<br />
supposé représente pas<br />
moins de 10 % du PNB de<br />
son pays !<br />
Il ne devrait pas être le<br />
seul à détenir en secret des<br />
sommes aussi<br />
importantes, mais ses<br />
probables concurrents sont<br />
au pouvoir depuis plus<br />
longtemps ou y ont exercé<br />
les fonctions les plus<br />
élevées. De ce point de<br />
vue, le cas de Wade fils<br />
devrait être étudié de près.<br />
Et servir à introduire dans<br />
nos pays de vraies règles<br />
de transparence dans la<br />
gestion de la chose<br />
publique. Faut-il voir dans<br />
ses relations privilégiées<br />
avec des pays du Golfe<br />
(nouées lors du sommet de<br />
l’Organisation de la<br />
coopération islamique à
Dakar) la principale<br />
source de cet<br />
enrichissement rapide ?<br />
C’est une piste qu’il<br />
faudra explorer au<br />
Sénégal, mais aussi<br />
ailleurs dans les pays du<br />
Sahel. ■<br />
Mamadou Coulibaly,<br />
Toulouse.<br />
La Tunisie a peur<br />
La Tunisie vit l’ère<br />
de la diversion, de<br />
la manipulation et<br />
des tribunaux laxistes.<br />
Cela peut nous mener très<br />
loin dans l’anarchie et la<br />
déliquescence. Il faut se<br />
souvenir de celui qui, du<br />
haut de l’université de la<br />
Manouba, a eu l’audace<br />
de substituer le noir des<br />
hors-la-loi et des<br />
mercenaires aux nobles<br />
couleurs nationales. Le<br />
juge n’a pas semblé avoir<br />
senti la gravité de cet acte<br />
criminel envers la nation.<br />
Le coupable a été relaxé<br />
pour que d’autres aillent<br />
encore plus loin dans la<br />
criminalité et l’ignominie.<br />
Ceux qui se battent pour<br />
le pouvoir doivent y<br />
réfléchir et écouter<br />
la voix de leur conscience,<br />
à moins qu’ils l’aient<br />
enfermée dans les geôles.<br />
La nation est en colère.<br />
Les mouvements qui<br />
prônent la démocratie,<br />
la modernité et la justice<br />
et la paix doivent avoir<br />
en tête que leur devoir est<br />
de travailler la main dans<br />
la main pour que la<br />
Tunisie puisse sortir de<br />
l’impasse.<br />
Quant à ce qui affecte le<br />
monde du football, la<br />
responsabilité en incombe<br />
aux dirigeants qui ne<br />
rougissent plus de rien,<br />
pourvu qu’ils puissent<br />
s’assurer la Coupe… et la<br />
méta-Coupe. La Tunisie a<br />
peur et risque de ne plus<br />
croire à rien. ■<br />
Mhamed Hassine Fantar,<br />
Tunis.<br />
Contrepoints<br />
Pipolisation tous azimuts<br />
Religion et refuge du narcissisme, à l’âge de l’image<br />
et du spectacle roi, la « pipolisation » n’épargne plus<br />
rien ni personne. On peut s’amuser de voir tant de célébrités<br />
apprêtées, fardées et parfumées se presser tel des<br />
papillons de nuit autour des lumières et des caméras. On<br />
peut regretter que la République française, qui a laissé<br />
dans le dénuement, au bord de la<br />
route, des millions de ses citoyens,<br />
tournant ainsi le dos à sa vocation Par Hassen Zenati<br />
première (liberté, égalité, fraternité),<br />
accorde autant de place à cet<br />
aréopage de narcisses de la jet-set.<br />
Mais peut-on s’amuser de voir le<br />
pape François, aussitôt élu et célébré<br />
comme « pape des pauvres,<br />
d’une église des pauvres », se plier<br />
sur la place Saint-Pierre, à Rome, à<br />
de telles exhibitions de mauvais<br />
goût pour satisfaire à l’air du<br />
temps ? La question est sans doute<br />
légitime, même si la réponse n’est pas simple. ■<br />
Absence<br />
ÀRome, à l’occasion de l’installation du pape François,<br />
peu de visiteurs, absorbés dans l’admiration du faste<br />
déployé, ont relevé que les langues principales des cérémonies<br />
étaient le latin, l’italien, l’espagnol et l’anglais. Le<br />
français, langue de la « fille aînée de l’Église », la France,<br />
des catholiques d’Afrique francophone et de ceux du Liban,<br />
brillait par son absence. Il faudrait rappeler aux prélats<br />
romains, comme jadis aux organisateurs des jeux Olympiques<br />
qui doivent tant au Français Pierre Coubertin, que la<br />
langue française est toujours reconnue comme langue officielle<br />
dans leurs murs du Vatican, et les rappeler à plus de<br />
respect et d’équité à son égard. Au prochain pape ? On n’attendra<br />
peut-être pas longtemps puisque la « jurisprudence<br />
Benoît XVI » vient de remettre au goût du jour, à la grande<br />
satisfaction des fidèles, la « renonciation-démission »,<br />
oubliée depuis plusieurs siècles. ■<br />
Vérité en deçà, erreur au-delà<br />
Une étude française fait grand cas ces derniers jours<br />
d’un constat accablant: 40 000 jeunes diplômés français<br />
de très haut niveau quittent annuellement leur pays<br />
pour tenter leur chance ailleurs. Jeunes, diplômés, émigration,<br />
le cocktail explosif est le signe avant-coureur du déclin<br />
annoncé de l’Hexagone, écrivent les enquêteurs. Pourtant,<br />
on a rarement entendu déplorer en France la « fuite des cerveaux<br />
» qui affecte les pays du Sud. Il est vrai que les cerveaux<br />
qui fuient du Sud s’installent en Europe et que celleci<br />
a même une politique de « l’immigration choisie » pour<br />
s’assurer de la venue de ces compétences pourtant si nécessaires<br />
à leur pays. ■<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
D. R.<br />
11
Au fur et à mesure<br />
que progresse<br />
l’enquête sur<br />
l’odieux attentat<br />
de Boston, perpétré<br />
avec détermination par les<br />
frères Tsarnaev, des Tchétchènes<br />
naturalisés américains, les rares<br />
informations déjà filtrées par les<br />
enquêteurs donnent froid dans le<br />
dos. On apprend par exemple<br />
que les deux terroristes, une fois<br />
le carnage de Boston effectué,<br />
projetaient un autre attentat en<br />
plein cœur de New York. On<br />
apprend aussi que les services<br />
antiterroristes russes avaient<br />
déjà alerté le FBI et la CIA sur les agissements suspects<br />
de l’un des deux frères, Tamerlan Tsarnaev. Son nom<br />
avait été intégré dès 2011 dans la base de données du<br />
Centre national antiterroriste (NCT), le Terrorist Identities<br />
Datamart Environment (Tide), qui contient un demimillion<br />
de personnes à surveiller ! Cela n’est pas sans<br />
rappeler le cas, en France, d’un certain Mohamed Merah,<br />
surveillé depuis 2007.<br />
Comment se fait-il qu’on en soit arrivé à un si piètre<br />
résultat après le 11 septembre 2001, qui a conduit l’ensemble<br />
des pays occidentaux, et avec eux le monde entier,<br />
à ériger la lutte contre le terrorisme comme une priorité<br />
absolue, et parfois au détriment du respect des droits de<br />
l’homme les plus élémentaires ? Jusqu’ici, les mesures draconiennes<br />
de prévention et de sécurité ne semblent pas<br />
avoir limité le champ d’action et de nuisance des groupes<br />
terroristes. Ils ne cessent de prospérer, comme on l’a vu à<br />
Boston, à Toulouse et Montauban, mais aussi dans le<br />
Sahel, en Somalie, au Nigeria, en Libye, en Algérie avec<br />
l’attaque d’In Amenas, au Pakistan, en Afghanistan, en<br />
Irak, en Syrie…<br />
Cette liste qui est, hélas ! loin d’être exhaustive, nous<br />
interpelle à plus d’un niveau. S’agit-il d’une simple faillite<br />
de la stratégie de lutte planétaire contre le terrorisme, ou de<br />
la permanence de l’ancienne compromission occidentale,<br />
en premier lieu américaine, avec le terrorisme afin de<br />
déstabiliser des pays récalcitrants ? On croyait que, depuis<br />
les attentats du 11-Septembre perpétrés par l’organisation<br />
de Ben Laden, une ancienne créature de la CIA qui s’est<br />
retournée contre son concepteur, les Occidentaux avaient<br />
abandonné définitivement l’alliance trop risquée avec la<br />
nébuleuse terroriste – dont certains dirigeants étaient même<br />
appelés « combattants pour la liberté », lors de la guerre<br />
contre l’invasion soviétique en Afghanistan. On se rend<br />
compte aujourd’hui qu’il n’en a rien été. Plutôt que de s’at-<br />
Éditorial<br />
Terrorisme<br />
Ils n’ont rien appris, ils ont tout oublié<br />
Avril 2013 : l’ambassade de France,<br />
ce pays qui a « libéré » la Libye de son dictateur,<br />
est frappée par un attentat terroriste à Tripoli.<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
D. R.<br />
taquer au royaume saoudien dont<br />
la majorité des terroristes étaient<br />
originaires, mais qui était – et<br />
reste – l’allié des États-Unis,<br />
G. W. Bush a choisi, dans la foulée<br />
de sa guerre contre l’Afghanistan,<br />
d’envahir l’Irak de Saddam<br />
Hussein. Or, non seulement<br />
celui-ci n’avait rien à voir avec<br />
le 11-Septembre, mais il était<br />
l’ennemi implacable de l’idéologie<br />
wahhabite qui avait armé<br />
idéologiquement les auteurs de<br />
l’attentat… De pays où Al-Qaïda<br />
n’avait pas droit de cité, la Mésopotamie<br />
est devenue un théâtre<br />
de prédilection pour la mouvance<br />
terroriste. Dix ans après le déclenchement de la guerre, le<br />
peuple irakien – tout comme l’ensemble des peuples du<br />
Moyen-Orient – continue de saigner.<br />
Le deuxième exemple de la myopie occidentale criminelle<br />
aura été la guerre contre la Libye. Une guerre menée<br />
par l’Otan, conduite cette fois-ci par la France et le<br />
Royaume-Uni pour prétendument protéger la population<br />
d’un « génocide assuré ». On connaît la suite. Pour sauver<br />
quelques centaines d’opposants à Benghazi, des dizaines<br />
de milliers de Libyens ont péri, soit sous les bombes des<br />
libérateurs de l’Otan, soit dans des combats fratricides et<br />
tribaux. Le régime de Kadhafi est tombé, mais la Libye<br />
« libérée » est devenue, comme l’Irak en 2003, un pays en<br />
ruine, exportateur de terrorisme, d’armes et de chaos dans<br />
toute la région. Si la plaidoirie de l’Union africaine pour<br />
une transition politique en Libye avait été écoutée, les<br />
troupes françaises n’auraient pas été envoyées au Mali<br />
pour combattre contre les terroristes et les bandits dont<br />
Paris a indirectement mais objectivement permis la montée<br />
en puissance dans le Sahel.<br />
Mais nous n’en sommes pas à une contradiction près.<br />
Car au moment où la France envoie ses soldats mourir au<br />
Mali, elle continue, avec un aveuglement inouï, à ignorer,<br />
voire à soutenir, les mêmes groupes terroristes en Syrie qui<br />
font le plus grand mal à la lutte légitime du peuple pour la<br />
démocratie, les réformes et l’alternance politique. Et ces<br />
terroristes feront mal à l’Europe demain. Car une fois la<br />
Syrie détruite, ils retourneront leurs armes contre leurs<br />
bienfaiteurs occidentaux (voir page 48).<br />
Les idiots utiles ne sont pas rares au sein des élites politiques<br />
occidentales. Mais leur nombre ne cesse de croître.<br />
Comment s’étonner, après, que de nouveaux terroristes suivent<br />
la folie meurtrière des frères Tsarnaev ? Une folie dont<br />
les musulmans sont les premières victimes. ■<br />
Afrique Asie<br />
13
14 Sommaire<br />
Rédaction et administration<br />
3, rue de l’Atlas – 75 019 Paris<br />
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Géopolitique : Habib Tawa<br />
Culture et société : Luigi Elongui<br />
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Nayla Abdul Khalek,<br />
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Nestor Bidadanure, Victoria Brittain,<br />
Barbara Caron, Subhi Hadidi,<br />
Remy Herrera, Mary Johnson,<br />
Bouzid Kouza, Jean Levert,<br />
Catherine Millet, François Misser,<br />
Philippe Tourel, Hugues Wagner,<br />
Kaye Whiteman, Jean Ziegler.<br />
Reporters et correspondants<br />
Nicolas Abena, Tembiré Daouda,<br />
Laurence D’Hondt, Benoît Hili,<br />
François Janne d’Othée,<br />
Benjamin Kadio, Ahmadou Keguelé,<br />
Yéo Koré Koffi, Jack Thompson,<br />
Nabil Choubachi, Fabrice Yassoua.<br />
Afrique Asie<br />
Mensuel édité par la SARL de presse<br />
AFRIAM<br />
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N ° de Commission paritaire : 0113 I 87473<br />
ISSN : 1779-0042 / Diffusion NMPP<br />
Photo de couverture :<br />
«Afrique Asie»<br />
Abonnement: voir page 69<br />
© C. Millet<br />
90<br />
Continents<br />
3 Des exclusives,<br />
des chiffres et des profils<br />
10 Réactions des lecteurs,<br />
contrepoints<br />
Par Hassen Zenati<br />
Tribunes<br />
41 Ressources naturelles:<br />
aubaine ou malheur?<br />
Par Sérgio Vieira<br />
53 Sacré Chouet!<br />
Par Richard Labévière<br />
Événement<br />
16 Qatar: attention<br />
danger!<br />
En 1995, à son accession<br />
au trône, le nouvel émir<br />
du Qatar soutenait la<br />
cause palestinienne et<br />
fustigeait la guerre injuste<br />
livrée par l’Occident<br />
contre le peuple irakien.<br />
Aujourd’hui, il œuvre à la<br />
déstabilisation du monde<br />
arabe pour le compte<br />
d’Israël et des États-Unis.<br />
Les dégâts de sa stratégie<br />
sont visibles en Libye,<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
en Égypte, en Syrie<br />
et au Sahel. Il est temps<br />
de la stopper!<br />
• Interview de J.-M.<br />
Bourget: « Le Qatar,<br />
champion du mensonge<br />
et de la dissimulation »<br />
• La haine du Qatar<br />
n’est qu’une haine de soi<br />
• Tout est achetable<br />
• Bonnes feuilles:<br />
« Le Vilain Petit Qatar »,<br />
les bonnes feuilles<br />
Dossier dirigé par Majed Nehmé<br />
avec la collaboration<br />
de Jacques-Marie Bourget,<br />
Nicolas Beau, Mezri Haddad<br />
et Olivier Dalage<br />
Afrique<br />
30 Madagascar<br />
Didier Ratsiraka:<br />
« Les élections ne sont pas<br />
une fin en soi »<br />
Propos recueillis par Bilal Tarabey<br />
32 Tchad<br />
Un nouvel Idriss Déby?<br />
Par Valérie Thorin<br />
34 Centrafrique<br />
De Kinshasa à Pretoria,<br />
l’onde de choc<br />
Par François Misser<br />
94<br />
D. R.<br />
36 Afrique du Sud/RCA<br />
L’aventure ratée<br />
de Jacob Zuma<br />
Par Christine Abdelkrim-Delanne<br />
37 Coopération<br />
Beijing soigne l’Afrique<br />
Par Christine Abdelkrim-Delanne<br />
38 RDC<br />
Exit Terminator,<br />
mais pas l’instabilité…<br />
Par François Misser<br />
40 Sénégal Enfin la paix<br />
en Casamance?<br />
Par Corinne Moncel
Monde arabe<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
Économie<br />
56 34<br />
Reuters<br />
42 Algérie<br />
• Réforme constitutionnelle<br />
sur les rails<br />
Par Hamid Zedache<br />
• Médias: ouverture,<br />
éthique et bonnes<br />
pratiques<br />
Par Philippe Lebeaud<br />
46 Tunisie<br />
Le calme et la tempête<br />
Par Hamid Zyad<br />
48 Syrie Ces djihadistes<br />
venus d’Europe<br />
Par François Janne d’Othée<br />
50 Terrorisme<br />
L’internationale<br />
des criminels<br />
Par Salil Sarkar<br />
51 Palestine<br />
Encéphalogramme plat<br />
pour la France<br />
Par Christophe Oberlin<br />
Asie<br />
54 Pakistan<br />
Un État<br />
déliquescent?<br />
Par Salil Sarkar<br />
56 Corée du Nord<br />
Guerre psychologique:<br />
le style Kim Jong-un<br />
Par Jack Thompson<br />
Amérique<br />
42<br />
58 Venezuela<br />
La révolution continue<br />
avec Maduro<br />
Par Rémy Herrera<br />
60 États-Unis<br />
Ce parchemin<br />
vieux de deux siècles<br />
Par Maureen Smith<br />
APS<br />
62 Infos, brèves<br />
64 Multinationales<br />
Le fisc africain attaque<br />
Par Arnaud Bébien<br />
66 Finance islamique<br />
Georges Corm:<br />
un argent halal<br />
pas très catholique<br />
Propos recueillis<br />
par Laurence D’Hondt<br />
AFP<br />
68 Brics<br />
Une nouvelle étape<br />
Par Christine Abdelkrim-Delanne<br />
70 Sénégal<br />
Hold-up sur les peanuts!<br />
Par Corinne Moncel<br />
72 Afrique : à la dure<br />
école de l’éducation<br />
Par Guy Michel<br />
74 Débat Gustavo<br />
Massiah: « La démocratie<br />
est un apprentissage... »<br />
Propos recueillis<br />
par Fériel Berraies Guigny<br />
Sport<br />
Culture 96 Foot<br />
76 Infos culture<br />
Le temps des fractures<br />
Par Faouzi Mahjoub<br />
78 Livres<br />
• Nouvelles : dans la peau<br />
d’une femme<br />
Propos recueillis par Roger Calmé<br />
• Religion : destructions<br />
et recompositions<br />
en Chine<br />
Par Habib Tawa<br />
• Roman : lignes de fuite<br />
Par Corinne Moncel<br />
• Gabon : Sylvie Ntsame,<br />
de sueur et d’encre<br />
Par Roger Calmé<br />
• BD : du ballon<br />
aux bulles<br />
Par Nathan Fredouelle<br />
84 Musique<br />
• Electro : l’électrochoc<br />
Par Sélim Chmait<br />
• Folk : Layori et<br />
le souffle universel<br />
Par Luigi Elongui<br />
88 Spectacle<br />
Requiem pour<br />
un massacre<br />
Par Luigi Elongui<br />
89 Il y a 30 ans<br />
dans Afrique Asie<br />
La « défense »<br />
du croisé Reagan<br />
Par Fausto Giudice<br />
Société<br />
90 Psychotropes<br />
La liane des songes<br />
Par Catherine Millet<br />
92 Tunisie<br />
En hiver islamiste<br />
tu te voileras…<br />
Par Fériel Berraies Guigny<br />
94 Femen<br />
Ça tétonne et ça détonne<br />
Par Samy Abtroun<br />
La dernière page<br />
98 Ils vont éliminer<br />
Seif el-Islam Kadhafi<br />
Par Valentin Mbougueng<br />
15
16 Événement<br />
Qatar: attention danger!<br />
Quand, en 1995, l’émir<br />
Hamad Ben Khalifa<br />
al-Thani accéda au trône<br />
de cette petite dictature gazière à la<br />
suite du coup d’État contre son<br />
propre père, nombreux saluèrent cet<br />
avènement. Et pour cause : l’émir<br />
se présentait comme modernisateur,<br />
anti-saoudien et soutien inébranlable<br />
de la cause palestinienne. Il<br />
fustigeait aussi la guerre injuste<br />
livrée par l’Occident contre le<br />
peuple irakien. La chaîne télévisée<br />
Al-Jazeera, qu’il créa en 1996, fascinait<br />
les élites arabes pour son<br />
franc-parler, ses débats contradictoires,<br />
ses émissions détonantes.<br />
D’autant que la première cible du<br />
Qatar était l’Arabie Saoudite, wahhabite<br />
comme lui. Le flirt avec Al-<br />
Qaïda et les Frères musulmans<br />
n’était, pensait-on naïvement,<br />
qu’un artifice pour mieux enfoncer<br />
le voisin saoudien.<br />
Le Qatar était sur tous les fronts :<br />
au Liban meurtri par l’agression<br />
israélienne en 2006, à Gaza martyrisée<br />
par l’aviation israélienne en<br />
2009. On croyait presque au retour<br />
de l’époque nassérienne. Grosse<br />
erreur : car, pour l’émir, « le sort de<br />
la Palestine n’est qu’une boule de<br />
billard qu’il lance pour embarrasser<br />
l’Arabie… », écrivent Nicolas<br />
Beau et Jacques-Marie Bourget<br />
dans la salutaire enquête qu’ils<br />
consacrent à cet État, Le Vilain Petit<br />
Qatar (Fayard).<br />
Ce double jeu ne pouvait durer.<br />
En 2003, les Américains, qui disposent<br />
au Qatar d’une imposante base<br />
militaire à partir de laquelle ils ont<br />
commandé l’invasion de l’Irak, ont<br />
sifflé la fin de partie. Le directeur<br />
d’Al-Jazeera a été licencié sur leurs<br />
ordres et la ligne islamiste wahhabite,<br />
jusqu’ici dissimulée, est apparue.<br />
Le Qatar a scellé ses retrouvailles<br />
avec les Saoudiens. Sa cible<br />
est désormais la déstabilisation du<br />
monde arabe pour le compte<br />
d’Israël et des États-Unis. Les<br />
dégâts de cette stratégie par procuration<br />
sont trop visibles en Libye,<br />
en Égypte, en Syrie et au Sahel. Il<br />
est temps de la stopper. ■ Afrique Asie<br />
Reuters<br />
Interview Sans sponsors et en toute indépendance, à contrecourant<br />
des livres de commande publiés récemment en France<br />
sur le Qatar, Nicolas Beau et Jacques-Marie Bourget * ont<br />
enquêté sur ce minuscule État tribal, obscurantiste et richissime<br />
qui, à coup de millions de dollars et de fausses promesses de<br />
démocratie, veut jouer dans la cour des grands en imposant<br />
partout dans le monde sa lecture intégriste du Coran. Un travail<br />
rigoureux et passionnant sur cette « dictature molle », dont<br />
nous parle Jacques-Marie Bourget.<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie
« Ni Amérique ni Qatar ! Le peuple tunisien est libre ! » Dès janvier 2012, des Tunisiens se rendent compte de<br />
la manipulation et protestent contre la visite de l’émir Al-Thani à Tunis. En médaillon, Jacques-Marie Bourget.<br />
Le Qatar, champion du mensonge<br />
et de la dissimulation<br />
Propos recueillis par Majed Nehmé<br />
Écrivain et ancien grand reporter<br />
dans les plus grands titres de la<br />
presse française, Jacques-Marie<br />
Bourget a couvert de nombreuses<br />
guerres : le Vietnam, le Liban, le Salvador,<br />
la guerre du Golfe, la Serbie et le<br />
Kosovo, la Palestine… C’est à Ramallah<br />
qu’une balle israélienne le blessa<br />
grièvement. Grand connaisseur du<br />
monde arabe et des milieux occultes, il<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
D. R.<br />
a publié en septembre dernier, avec le<br />
photographe Marc Simon, Sabra et<br />
Chatila, au cœur du massacre (Éditions<br />
Érick Bonnier, voir Afrique Asie<br />
de septembre 2012).<br />
Nicolas Beau a longtemps été ➥<br />
17
18 Événement Qatar : attention danger !<br />
D. R.<br />
journaliste d’investigation à Libération,<br />
au Monde et au Canard enchainé<br />
avant de fonder et diriger le site d’information<br />
satirique français, Bakchich.<br />
info. Il a notamment écrit des livres<br />
d’enquêtes sur le Maroc et la Tunisie et<br />
sur Bernard-Henri Lévy.<br />
■ Qu’est-ce qui vous a conduits à<br />
écrire un livre sur le Qatar ?<br />
❒ Le hasard puis la nécessité. J’ai plusieurs<br />
fois visité ce pays et en suis<br />
revenu frappé par la vacuité qui se<br />
dégage à Doha. L’on y a l’impression<br />
de séjourner dans un pays virtuel, une<br />
sorte de console vidéo planétaire. Il<br />
devenait intéressant de comprendre<br />
comment un État aussi minuscule et<br />
artificiel pouvait prendre, grâce aux<br />
dollars et à la religion, une telle place<br />
dans l’histoire que nous vivons.<br />
D’autre part, à l’autre bout de la<br />
chaîne, l’enquête dans les banlieues<br />
françaises faite par Nicolas Beau, mon<br />
coauteur, nous a immédiatement<br />
convaincus qu’il y avait une stratégie<br />
de la part du Qatar de maîtriser l’islam<br />
aussi bien en France que dans tout le<br />
Moyen-Orient et en Afrique. D’imposer<br />
sa lecture du Coran qui est le wahhabisme,<br />
donc d’essence salafiste, une<br />
D. R.<br />
interprétation intégriste des écrits du<br />
Prophète. Cette sous-traitance de l’enseignement<br />
religieux des musulmans<br />
de France à des imams adoubés par le<br />
Qatar nous a semblé incompatible avec<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
l’idée et les principes de la République.<br />
Imaginez que le Vatican, devenant soudain<br />
producteur de gaz, profite de ses<br />
milliards pour figer le monde catholique<br />
dans les idées intégristes de Mon-<br />
LE QATAR EST UN INSTRUMENT DE LA POLITIQUE<br />
DE WASHINGTON AVEC LEQUEL IL EST LIÉ PAR UN PACTE D’ACIER.
Reuters<br />
À gauche : Sarkozy et Al-Thani en 2008. « De 2007 à 2012, c’est l’émir qui a réglé la politique arabe de la France. » Ci-dessus :<br />
Al-Thani et sa femme, ravis d’avoir obtenu l’organisation de la Coupe du monde de football en 2022. Contre un gros chèque ?<br />
seigneur Lefebvre, celles des groupuscules<br />
intégristes qui manifestent violement<br />
en France contre le « mariage<br />
pour tous ». Notre société deviendrait<br />
invivable, l’obscurantisme et l’intégrisme<br />
sont les meilleurs ennemis de la<br />
liberté.<br />
Sur ce petit pays, nous sommes<br />
d’abord partis pour publier un dossier<br />
dans un magazine. Mais nous avons<br />
vite changé de format pour passer à<br />
celui du livre. Le paradoxe du Qatar,<br />
qui prêche la démocratie sans en appliquer<br />
une seule once pour son propre<br />
compte, nous a crevé les yeux. Notre<br />
livre sera certainement qualifié de<br />
pamphlet animé par la mauvaise foi, de<br />
Qatar bashing… C’est faux. Dans cette<br />
entreprise nous n’avons, nous, ni commande,<br />
ni amis ou sponsors à satisfaire.<br />
Pour mener à bien ce travail, il suffisait<br />
de savoir lire et observer. Pour voir le<br />
Qatar tel qu’il est: un micro-empire<br />
tenu par un potentat, une dictature avec<br />
le sourire aux lèvres.<br />
■ Depuis quelques années, ce petit<br />
LIBERTÉ ET DÉMOCRATIE ?<br />
DES PRODUITS D’APPEL DES « PRINTEMPS ARABES ».<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
émirat gazier et pétrolier insignifiant<br />
géopolitiquement est devenu, du<br />
moins médiatiquement, un acteur<br />
politique voulant jouer dans la cour<br />
des grands et influer sur le cours de<br />
l’Histoire dans le monde musulman.<br />
Est-ce la folie des grandeurs ? Où le<br />
Qatar sert-il un projet qui le dépasse ?<br />
❒ Il existe une folie des grandeurs. Elle<br />
est encouragée par des conseillers ➥<br />
19
20 Événement Qatar : attention danger !<br />
et flagorneurs qui ont réussi à<br />
convaincre l’émir qu’il est à la fois un<br />
tsar et un commandeur des croyants.<br />
Mais c’est marginal. L’autre vérité est<br />
qu’il faut, par peur de son puissant voisin<br />
et ennemi saoudien, que la grenouille<br />
se gonfle. Faute d’occuper des<br />
centaines de milliers de kilomètres carrés<br />
dans le Golfe, le Qatar occupe<br />
ailleurs une surface politico-médiatique,<br />
un empire en papier. Doha<br />
estime que cette expansion est un<br />
moyen de protection et de survie.<br />
Enfin, il y a la religion. Un profond<br />
rêve messianique pousse Doha vers la<br />
conquête des âmes et des territoires.<br />
Ici, on peut reprendre la comparaison<br />
avec le minuscule Vatican, celui du<br />
XIX e siècle qui envoyait ses missionnaires<br />
sur tous les continents. L’émir<br />
est convaincu qu’il peut nourrir et faire<br />
fructifier une renaissance de la oumma,<br />
la communauté des croyants. Cette<br />
stratégie a son revers, celui d’un possible<br />
crash, l’ambition emportant les<br />
rêves du Qatar bien trop loin de la réalité.<br />
N’oublions pas aussi que Doha<br />
occupe une place vide, celle libérée un<br />
temps par l’Arabie Saoudite impliquée<br />
dans les attentats du 11-Septembre et<br />
contrainte de se faire plus discrète en<br />
matière de djihad et de wahhabisme.<br />
Le scandaleux passe-droit dont a bénéficié<br />
le Qatar pour adhérer à la Francophonie<br />
participe à cet objectif de<br />
« wahhabisation » : en Afrique, sponsoriser<br />
les institutions qui enseignent la<br />
langue française permet de les transformer<br />
en écoles islamiques, Voltaire et<br />
Hugo étant remplacés par le Coran.<br />
■ Cette mégalomanie peut-elle se<br />
retourner contre l’émir actuel? Surtout<br />
si l’on regarde la brève histoire<br />
de ce pays, créé en 1970 par les Britanniques,<br />
rythmée par des coups<br />
d’État et des révolutions de palais.<br />
❒ La mégalomanie et l’ambition de<br />
l’émir Al-Thani sont, c’est vrai, discrètement<br />
critiquées par de « vieux amis » du<br />
Qatar. Certains, avançant que le souverain<br />
est un roi malade, poussent la montée<br />
vers le trône de son fils désigné<br />
comme héritier, le prince Tamim. Une<br />
fois au pouvoir, le nouveau maître réduirait<br />
la voilure, notamment dans le soutien<br />
accordé par Doha aux djihadistes,<br />
comme c’est aujourd’hui le cas en<br />
Libye, au Mali et en Syrie. Cette option<br />
est même bien vue par des diplomates<br />
américains inquiets de la nouvelle radicalité<br />
islamiste dans le monde. Faut-il le<br />
rappeler, le Qatar est d’abord un instru-<br />
ment de la politique de Washington avec<br />
lequel il est lié par un pacte d’acier.<br />
Cela dit, promouvoir Tamim n’est<br />
pas simple puisque l’émir, qui a débarqué<br />
son propre père par un coup d’État<br />
en 1995, n’a pas annoncé sa retraite.<br />
Par ailleurs le premier ministre Jassim,<br />
cousin de l’émir, le tout-puissant et<br />
richissime « HBJ », n’a pas l’intention<br />
de laisser un pouce de son pouvoir.<br />
Mieux : en cas de nécessité, les États-<br />
Unis sont prêts à sacrifier et l’émir et<br />
son fils pour mettre en place un<br />
« HBJ » dévoué corps et âme à<br />
Washington et à Israël. En dépit de<br />
l’opulence affichée, l’émirat n’est pas<br />
si stable qu’il y paraît. Sur le plan économique,<br />
le Qatar est endetté à des taux<br />
« européens » et l’exploitation de gaz<br />
de schiste est en rude concurrence, à<br />
commencer aux États-Unis.<br />
■ La présence de la plus grande base<br />
américaine en dehors des États-Unis<br />
sur le sol qatari peut-elle être considérée<br />
comme un contrat d’assurance<br />
pour la survie du régime, ou au<br />
contraire comme une épée de Damoclès<br />
fatale à plus ou moins brève<br />
échéance ?<br />
❒ La présence de l’immense base<br />
Al-Udaï est, dans l’immédiat, une assurance-vie<br />
pour Doha. L’Amérique a ici<br />
un lieu idéal pour surveiller, protéger ou<br />
attaquer à son gré dans la région. Protéger<br />
l’Arabie Saoudite et Israël, attaquer<br />
l’Iran. La Mecque a connu ses révoltes,<br />
la dernière réprimée par le capitaine<br />
Barril et la logistique française. Mais<br />
Doha pourrait connaître à son tour une<br />
révolte conduite par des fous d’Allah<br />
mécontents de la présence du « grand<br />
Satan » en terre wahhabite.<br />
■ Ce régime, moderne d’apparence,<br />
est en réalité fondamentalement tribal<br />
et obscurantiste. Pourquoi si peu d’informations<br />
sur sa vraie nature?<br />
❒ Au risque de radoter, il faut que le<br />
public sache enfin que le Qatar est le<br />
champion du monde du double standard:<br />
celui du mensonge et de la dissimulation<br />
comme philosophie politique.<br />
Par exemple, des avions partent de<br />
Doha pour bombarder les taliban en<br />
Afghanistan, alors que ces mêmes guerriers<br />
religieux ont un bureau de coordination<br />
installé à Doha, à quelques kilo-<br />
L’ÉMIRAT OFFRE AUX JEUNES BLOGUEURS<br />
DES STAGES DE « RÉVOLTE PAR LE NET ».<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
D. R.<br />
mètres de la base d’où décollent les<br />
chasseurs partis pour les tuer. Il en va<br />
ainsi dans tous les domaines, et c’est le<br />
cas de la politique intérieure de ce petit<br />
pays.<br />
Regardons ce qui se passe dans ce<br />
coin de désert. Les libertés y sont<br />
absentes, on y pratique les châtiments<br />
corporels, la lettre de cachet, c'est-à-dire<br />
l’incarcération sans motif, est une pratique<br />
courante. Le vote n’existe que<br />
pour nommer une partie des conseillers<br />
municipaux, à ceci près que les associations<br />
et partis politiques sont interdits,<br />
tout comme la presse indépendante…<br />
Une Constitution qui a été élaborée par<br />
l’émir et son clan n’est même pas appli-<br />
quée dans tous ses articles. Le million et<br />
demi de travailleurs étrangers engagés<br />
au Qatar s’échine sous le régime de ce<br />
que des associations des droits de<br />
l’homme qualifient d’ « esclavage ».<br />
Ces malheureux, privés de leurs passeports<br />
et payés une misère, survivent<br />
dans les camps détestables sans avoir le<br />
droit de quitter le pays. Nombre d’entre<br />
eux, accrochés au béton des tours qu’ils<br />
Reuters
En Libye, l’objectif était double : restaurer le royaume islamiste d’Idriss et mettre la main sur les 165 milliards d’économie<br />
de la Libye. Ce rebelle qui fanfaronne entre les drapeaux qatari et libyen, sur la résidence bombardée du Guide, le savait-il?<br />
construisent, meurent d’accidents cardiaques<br />
ou de chutes (plusieurs centaines<br />
de victimes par an).<br />
La « justice » à Doha est directement<br />
rendue au palais de l’émir par l’intermédiaire<br />
de juges qui, le plus souvent,<br />
sont des magistrats mercenaires venus<br />
du Soudan. Ce sont eux qui ont<br />
condamné le poète Al-Ajami à la prison<br />
à perpétuité parce qu’il a publié sur<br />
Internet une plaisanterie sur Al-Thani!<br />
Observons une indignation à deux<br />
vitesses : parce que cet homme de<br />
plume n’est pas Soljenitsyne, personne<br />
n’a songé à défiler dans Paris pour<br />
défendre ce martyr de la liberté. Une<br />
anecdote : cette année, parce que son<br />
enseignement n’était pas « islamique »,<br />
un lycée français de Doha a tout simplement<br />
été retiré de la liste des institutions<br />
gérées par Paris.<br />
Arrêtons là car la situation du droit<br />
au Qatar est un attentat permanent aux<br />
libertés.<br />
Pourtant, et l’on retombe sur le<br />
fameux paradoxe, Doha n’hésite pas,<br />
hors de son territoire, à prêcher la<br />
démocratie. Mieux, chaque année un<br />
forum se tient sur ce thème dans la capitale.<br />
Son titre, « New or restaured<br />
democracy » alors qu’au Qatar il<br />
n’existe de démocratie ni « new » ni<br />
« restaured ». Selon le classement de<br />
The Economist en matière de démocratie,<br />
le Qatar est 136 e sur 157 e États,<br />
classé derrière le Bélarusse. Bizarre-<br />
LE RÊVE DE L’ÉMIR : PLACER MECHAAL À LA TÊTE<br />
D’UNE PALESTINE QUI SE SITUERAIT EN JORDANIE.<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
ment, alors que toutes les bonnes âmes<br />
fuient le dictateur moustachu Loukachenko,<br />
personne n’éprouve honte ou<br />
colère à serrer la main d’Al-Thani. Et le<br />
Qatar, qui est aussi un enfer, n’empêche<br />
pas de grands défenseurs des droits de<br />
l’homme, notamment français, d’y<br />
venir bronzer, invités par Doha, de<br />
Ségolène Royal à Najat Vallaud-Belkacem,<br />
de Dominique de Villepin à Bertrand<br />
Delanoë.<br />
■ Comment un pays qui est par<br />
essence antidémocratique se présentet-il<br />
comme le promoteur des printemps<br />
arabes et de la liberté d’expression? ➥<br />
21
22 Événement Qatar : attention danger !<br />
La diplomatie du carnet de chèques<br />
Dans son excellent ouvrage intitulé « Qatar, les nouveaux maîtres du jeu »,<br />
paru en mars 2013 chez Demopolis, Olivier Dalage, grand spécialiste des<br />
relations internationales en général et de la région du Golfe en particulier,<br />
revient sur une affaire explosive concernant la dispute frontalière entre l’archipel<br />
de Bahreïn et la presqu’île du Qatar. Il laisse entendre que l’actuel émir<br />
Hamad Ben Khalifa et son cousin Jassem, alors simple ministre des Affaires étrangères,<br />
auraient acheté l’arbitrage de la Cour internationale de justice. La diplomatie<br />
du carnet des chèques était déjà à l’œuvre, bien qu’à cette époque l’émirat du<br />
Qatar fût surendetté. Voici le passage concernant cette obscure affaire qui n’est<br />
pas sans rappeler les soupçons pesant sur l’achat par Doha de l’organisation de la<br />
Coupe du monde en 2022, désormais connu, dans les milieux sportifs, sous le nom<br />
de « Qatargate ». Deux scandales qui risquent de rattraper tôt ou tard les responsables<br />
qataris et leur coûter très cher.<br />
Voici le passage concernant cette ténébreuse affaire d’arbitrage :<br />
« Le Qatar et le Bahreïn ont accepté de soumettre leur différend territorial<br />
à la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye. Cela n’allait pas de soi.<br />
Au sein même de la famille Al-Thani, plusieurs princes y étaient opposés, faisant<br />
valoir les risques d’une telle procédure, ou, pour certains, proposant<br />
carrément de régler le problème par la force. Cheikh Hamad et son cousin<br />
Hamad Ben Jassem ont dû peser de tout leur poids pour faire prévaloir leurs<br />
vues au nom de la modernité nécessaire du Qatar d’aujourd’hui. Mais ceux<br />
qui se sont finalement rangés à l’avis de l’émir ne l’ont pas fait de bon gré ;<br />
que la procédure tourne mal pour l’émirat et c’est le prestige même de l’émir<br />
et son pouvoir qui seraient remis en cause. Or, pour nourrir son dossier<br />
devant la CIJ, le Qatar est à la recherche de cartes et<br />
autres documents à l’appui de ses prétentions. La Grande-<br />
Bretagne offre justement au Qatar les documents qui lui<br />
manquent, puisés dans les archives de l’ancienne puissance<br />
protectrice des émirats du Golfe. Mais quelque<br />
temps après avoir communiqué ces cartes aux magistrats<br />
de la CIJ, le Qatar découvre que les cartes ont été falsifiées<br />
au profit du Qatar. À Doha, on prend alors<br />
conscience que Londres soutient en réalité le Bahreïn et<br />
que le but de l’opération est de discréditer le Qatar<br />
auprès des juges de la CIJ.<br />
Cheikh Hamad en appelle alors à la France. Il se<br />
trouve que le président en exercice de la Cour, Gilbert Guillaume, est un<br />
Français et que Jacques Chirac le connaît depuis longtemps. Discrètement,<br />
tout en prenant soin de préciser qu’il ne veut pas interférer dans le jugement<br />
de la Cour, le président français fait en sorte de passer le message : les documents<br />
ont été trafiqués à l’insu du Qatar qui ne devrait pas en être pénalisé.<br />
Le message passe et le jugement de la CIJ, rendu en mars 2001, donnera<br />
satisfaction aux deux parties. » ■<br />
◗ Qatar - Les nouveaux maîtres du jeu, Éd. Demopolis, 208 p., 20 euros.<br />
❒ Au regard des « printemps arabes »,<br />
où le Qatar joue un rôle essentiel, il<br />
faut observer deux phases. Dans un<br />
premier temps, Doha hurle avec les<br />
peuples justement révoltés. On parle<br />
alors de « démocratie et de liberté ».<br />
Les dictateurs mis à terre, le relais est<br />
pris par les Frères musulmans, qui sont<br />
les vrais alliés de Doha. Et on oublie<br />
les slogans d’hier. Comme on le dit<br />
dans les grandes surfaces, « liberté et<br />
démocratie » n’étaient que des produits<br />
d’appel, rien de plus que de la « com ».<br />
Si l’implication du Qatar dans les<br />
À PARIS CIRCULE UN SLOGAN FAUX ET RIDICULE :<br />
LE QATAR PEUT « SAUVER L’ÉCONOMIE FRANÇAISE ».<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
D. R.<br />
« printemps » est apparue comme une<br />
surprise, c’est que la stratégie de Doha a<br />
été discrète. Depuis des années l’émirat<br />
entretient des relations très étroites avec<br />
des militants islamistes pourchassés par<br />
les potentats arabes, mais aussi avec des<br />
groupes de jeunes blogueurs et internautes<br />
auxquels il a offert des stages de<br />
« révolte par le Net ». La politique de<br />
l’émir était un fusil à deux coups.<br />
D’abord on a envoyé au « front » la jeunesse<br />
avec son Facebook et ses blogueurs,<br />
mains nues face aux fusils des<br />
policiers et militaires. Ceux-ci défaits, le<br />
terrain déblayé, l’heure est venue de<br />
mettre en poste les islamistes tenus bien<br />
au chaud en réserve, héros sacralisés,<br />
magnifiés en sagas par Al-Jazeera.<br />
■ Comment expliquez-vous l’implication<br />
directe du Qatar d’abord en<br />
Tunisie et en Libye, et actuellement<br />
en Égypte, dans le Sahel et en Syrie ?<br />
❒ En Libye, nous le montrons dans<br />
notre livre, l’objectif était à la fois de<br />
restaurer le royaume islamiste d’Idriss<br />
tout en essayant de prendre le contrôle<br />
de 165 milliards, le montant des économies<br />
dissimulées par Kadhafi. Dans le<br />
cas de la Tunisie et de l’Égypte, il s’agit<br />
de l’application d’une stratégie froide<br />
du type « redessinons le Moyen-<br />
Orient », digne des néocons américains.<br />
Mais, une fois encore, ce n’est pas le<br />
seul Qatar qui a fait tomber Ben Ali et<br />
Moubarak; leur chute a d’abord été le<br />
résultat de leur corruption et de leur<br />
politique tyrannique et aveugle.<br />
Au Sahel, les missionnaires qataris<br />
sont en place depuis cinq ans. Réseaux<br />
de mosquées, application habile de la<br />
zaqat, la charité selon l’islam, le Qatar<br />
s’est taillé, du Niger au Sénégal, un territoire<br />
d’obligés suspendus aux<br />
mamelles dorées de Doha. Plus que<br />
cela, au Niger comme dans d’autres<br />
pays pauvres de la planète, le Qatar a<br />
acheté des centaines de milliers d’hectares<br />
transformant ainsi des malheureux<br />
affamés en « paysans sans terre ».<br />
À la fin de 2012, quand les djihadistes<br />
ont pris le contrôle du Nord-Mali, on a<br />
noté que des membres du Croissant-<br />
Rouge qatari sont alors venus à Gao<br />
prêter une main charitable aux terribles<br />
assassins du Mujao…<br />
La Syrie n’est qu’une extension du<br />
D. R.
Al-Udaï, sur le sol qatari, est la plus grande base américaine en dehors des États-Unis.<br />
C’est à partir de là que les Américains ont envahi l’Irak. Dans l’immédiat, une assurance-vie pour Doha. Jusqu’à quand ?<br />
domaine de la lutte avec, en plus, une<br />
surenchère : se montrer à la hauteur de<br />
la concurrence de l’ennemi saoudien<br />
dans son aide au djihad. Ici, on a du<br />
mal à lire clairement le dessein politique<br />
des deux meilleurs amis du<br />
Qatar, les États-Unis et Israël, puisque<br />
Doha semble jouer avec le feu de l’islamisme<br />
radical…<br />
■ Le Fatah accuse le Qatar de semer<br />
la zizanie et la division entre les<br />
Palestiniens en soutenant à fond le<br />
Hamas, qui appartient à la nébuleuse<br />
des Frères musulmans. Pour beaucoup<br />
d’observateurs, cette stratégie<br />
ne profite qu’à Israël. Partagez-vous<br />
cette analyse ?<br />
❒ Quand on veut évoquer la politique<br />
du Qatar face aux Palestiniens, il faut<br />
s’en tenir à des images. Tzipi Livni, qui<br />
fut avec Ehud Barak la cheville<br />
ouvrière, en 2009, de l’opération<br />
Plomb durci sur Gaza – 1 500 morts –<br />
fait régulièrement ses courses dans les<br />
malls de Doha. Elle profite du voyage<br />
pour dire un petit bonjour à l’émir. Un<br />
souverain qui, lors d’une visite discrète,<br />
s’est rendu à Jérusalem pour y<br />
visiter la dame Livni… Souvenonsnous<br />
du pacte signé d’un côté par HBJ<br />
et le souverain Al-Thani et de l’autre<br />
les États-Unis : la priorité est d’assister<br />
la politique d’Israël. Quand le « roi »<br />
de Doha débarque à Gaza en promettant<br />
des millions, c’est un moyen d’enferrer<br />
le Hamas dans le clan des Frères<br />
musulmans pour mieux casser l’unité<br />
palestinienne. C’est une politique<br />
pitoyable. Désormais, Mechaal, réélu<br />
patron du Hamas, vit à Doha dans le<br />
creux de la main de l’émir. Le rêve de<br />
ce dernier – le Hamas ayant abandonné<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
toute idée de lutte – est de placer<br />
Mechaal à la tête d’une Palestine qui se<br />
situerait en Jordanie, le roi Abdallah<br />
étant déboulonné. Israël pourrait alors<br />
s’étendre en Cisjordanie. Intéressante<br />
politique-fiction.<br />
■ Le Qatar a-t-il « acheté » l’organisation<br />
de la Coupe du monde football<br />
en 2022 ?<br />
❒ Un grand et très vieil ami du Qatar<br />
m’a dit: « Le drame avec eux, c’est<br />
qu’ils s’arrangent toujours pour que<br />
l’on dise “cette fois encore, ils ont<br />
payé ! » Bien sûr, il y a des soupçons.<br />
Remarquons que les fédérations sportives<br />
sont si sensibles à la corruption<br />
que, avec de l’argent, acheter une compétition<br />
est possible. On a connu ➥<br />
LA SITUATION DU DROIT AU QATAR<br />
EST UN ATTENTAT PERMANENT AUX LIBERTÉS.<br />
23
24 Événement Qatar : attention danger !<br />
Reuter<br />
En 2006, Hamad Ben Khalifa Al-Thani est accueilli par l’influent prédicateur égyptien, le cheikh Youssef al-Qaradawi,<br />
lors des dix ans d’Al-Jazeera, la télévision créée par l’émir. Depuis trois ans déjà, la chaîne montre clairement son visage islamiste.<br />
cela avec des jeux Olympiques étrangement<br />
attribués à des outsiders…<br />
■ Dans le conflit frontalier entre le<br />
Qatar et le Bahreïn, vous révélez que<br />
l’un des juges de la Cour internationale<br />
de justice de La Haye aurait été acheté<br />
par le Qatar. L’affaire peut-elle être<br />
rejugée à la lumière de ces révélations ?<br />
❒ Un livre – sérieux celui-là – récemment<br />
publié sur le Qatar évoque une<br />
manipulation possible lors du jugement<br />
arbitral qui a tranché le conflit frontalier<br />
entre le Qatar et Bahreïn. Les<br />
enjeux sont énormes puisque, sous la<br />
mer et les îlots, se trouve du gaz. Un<br />
expert m’a déclaré que cette révélation<br />
pouvait être utilisée pour rouvrir le<br />
dossier devant la Cour de La Haye…<br />
■ Les liaisons dangereuses et<br />
troubles entre la France de Sarkozy<br />
et le Qatar se poursuivent avec la<br />
France de Hollande. Comment expliquez-vous<br />
cette continuité ?<br />
❒ Parler du Qatar, c’est parler de Sarkozy,<br />
et inversement. De 2007 à 2012,<br />
les diplomates et espions français en<br />
sont témoins, c’est l’émir qui a réglé la<br />
« politique arabe » de la France. Il est<br />
amusant de savoir aujourd’hui que<br />
Bachar al-Assad a été l’homme qui a<br />
introduit la « sarkozie » auprès de celui<br />
qui était alors son meilleur ami, l’émir<br />
du Qatar. Il n’y a pas de bonne comédie<br />
sans traîtres. Kadhafi était, lui aussi, un<br />
grand ami d’Al-Thani et c’est l’émir<br />
qui a facilité l’amusant séjour du colonel<br />
et de sa tente à Paris. Sans évoquer<br />
les affaires incidentes, comme l’épopée<br />
de la libération des infirmières bulgares.<br />
La relation entre le Qatar et Sarkozy<br />
a toujours été sous-tendue par des<br />
perspectives financières. Aujourd’hui<br />
Doha promet d’investir 500 millions de<br />
dollars dans le fonds d’investissement<br />
que doit lancer l’ancien président français<br />
à Londres. Échange de bons procédés,<br />
ce dernier fait de la propagande ou<br />
de la médiation dans les aventures,<br />
notamment sportives, du Qatar.<br />
François Hollande, par rapport au<br />
Qatar, s’est transformé en balancier. Un<br />
jour le Qatar est « un partenaire indispensable<br />
», qui a sauvé dans son fief de<br />
Tulle la fabrique de maroquinerie le<br />
Tanneur, le lendemain, il faut prendre<br />
garde de ses amis du djihad. Aucune<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
UN PAYS FAUSSEMENT STABLE,<br />
ENDETTÉ À DES TAUX « EUROPÉENS ».<br />
politique n’est fermement dessinée et<br />
les diplomates du Quai-d’Orsay, nommés<br />
sous Sarkozy, continuent de jouer<br />
le jeu d’un Doha qui doit rester l’ami<br />
numéro 1. En période de crise, les milliards<br />
miroitants d’Al-Thani impliquent<br />
aussi une forme d’amitié au nom d’un<br />
slogan faux et ridicule qui veut que le<br />
Qatar « peut sauver l’économie française<br />
»… La réalité est plus plate: tous<br />
les investissements industriels de Doha<br />
en France sont des échecs… Reste le<br />
placement dans la pierre, vieux bas de<br />
laine de toutes les richesses. Notons là<br />
encore un pathétique grand écart: François<br />
Hollande a envoyé son ministre de<br />
la Défense faire la quête à Doha afin de<br />
compenser le coût de l’opération militaire<br />
française au Mali, conduite contre<br />
des djihadistes très bien vus par<br />
l’émir. ■<br />
◗ * Le Vilain Petit Qatar – Cet ami<br />
qui nous veut du mal, Jacques-Marie Bourget et<br />
Nicolas Beau, Éd. Fayard, 300 p., 19 euros.
La haine du Qatar<br />
n’est qu’une haine de soi<br />
Dans les manifestations désormais<br />
quotidiennes au pays de la<br />
« révolution du jasmin », le slogan<br />
qu’on entend de plus en plus<br />
est: « La Tunisie est libre,<br />
l’Amérique et le Qatar dehors ! » Je ne sais pas<br />
si la providence va répondre à cette revendication<br />
populaire d’une nation qui vient de découvrir<br />
sa ferveur bigote, mais il est clair que beaucoup<br />
de Tunisiens ont pris conscience du rôle<br />
crucial que ces deux États ont joué dans les événements<br />
sanglants de janvier 2011. Prise de<br />
conscience tardive d’une régression collective,<br />
qui traduit un profond ressentiment et une<br />
culpabilisation oppressante succédant logiquement à l’euphorie<br />
paroxystique de janvier 2011. La haine à l’égard<br />
de l’émirat qui a libéré les Tunisiens de leur indépendance<br />
n’a jamais atteint une telle intensité, ce qui a poussé certaines<br />
figures de l’opposition, y compris ceux qui ont été<br />
les « clients » préférés d’Al-Jazeera, à sortir de leur<br />
mutisme complice pour dénoncer à leur tour la métastase<br />
du cancer wahhabite et « l’hégémonisme bédouin ».<br />
Mieux vaut tard que jamais !<br />
Nous sommes déjà bien loin de l’époque où mes compatriotes<br />
étaient sous l’emprise totale d’Al-Jazeera, qu’ils<br />
s’abreuvaient de sa propagande islamo-révolutionnaire en<br />
obéissant aux mots d’ordre de ses présentateurs et aux fatwas<br />
de son ignoble prédicateur, Youssef Qaradaoui. Al-<br />
Jazeera n’avait pas sur l’opinion tunisienne, et arabe en<br />
général, une influence médiatique, mais un pouvoir hypnotique.<br />
Tout ce que disait cette chaîne était parole<br />
biblique, coranique plus exactement. Nous sommes loin<br />
de cette journée du 15 janvier 2011, qui restera dans la<br />
mémoire collective comme la journée de l’humiliation<br />
nationale, vécue alors dans l’hystérie populiste et la dévotion<br />
à l’égard de notre « partenaire dans la révolution »,<br />
comme l’a si bien dit Rached Ghannouchi; journée durant<br />
laquelle le drapeau d’Al-Jazeera flottait au centre de la<br />
capitale, dans l’hôtel Africa, à quelques mètres du ministère<br />
de l’Intérieur, pour le premier direct en pays conquis !<br />
Comme l’enseigne le Coran, « vous ne subissez que ce<br />
que vous avez écrit de vos propres mains », et comme le<br />
dit Omar, le compagnon du Prophète, « celui qui ignore<br />
où est l’erreur mérite d’y tomber ». Le Qatar, qu’on<br />
accuse aujourd’hui de<br />
tous les péchés d’Israël,<br />
n’a pas obligé les Tunisiens<br />
à s’autodétruire. Il<br />
les a simplement persuadés<br />
qu’ils faisaient la plus<br />
Par Mezri Haddad<br />
ancien ambassadeur<br />
et philosophe.<br />
LE WAHHABISME, CETTE SOUILLURE DE L’ISLAM,<br />
CETTE NÉCROSE DE LA CIVILISATION.<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
D. R.<br />
grande révolution que l’humanité n’a jamais<br />
connue. Il les a convaincus qu’ils se sont<br />
détournés de l’islam, que leurs gouvernants,<br />
depuis 1956, étaient des « suppôts de l’Occident<br />
», des « agents du Mossad », des<br />
« traîtres » et des « apostats ». Il leur a promis<br />
le pardon d’Allah, la rédemption de leurs<br />
péchés, le bonheur terrestre et le paradis céleste.<br />
Il leur a promis ce qu’ils venaient de sacrifier:<br />
la souveraineté, l’honneur, la prospérité, la paix<br />
civile et, surtout, l’espoir d’une cité plus juste et<br />
résolument démocratique.<br />
La haine du Qatar aujourd’hui, exprime cette<br />
haine de soi dont Theodor Lessing avait<br />
naguère analysé les origines historiques et les ravages<br />
psychologiques. C’est le besoin compulsif de se débarrasser<br />
du poids de la culpabilité. Pas seulement d’avoir hypothéqué<br />
les acquis de cinquante-six ans d’indépendance,<br />
ruiné une économie qui était plus performante et moins<br />
corrompue que l’économie grecque, chypriote ou portugaise,<br />
annihilé une sécurité qui assurait la paix et la<br />
concorde civiles, altéré l’identité nationale d’un pays à<br />
l’histoire multiséculaire, pulvérisé des repères identificatoires<br />
proprement tunisiens, mais aussi d’avoir été les<br />
idiots utiles d’un « printemps arabe » qui parle l’arabe, qui<br />
pratique l’islam, qui consacre la démocratie, mais dont les<br />
objectifs géopolitiques sont aux antipodes de l’arabité et<br />
de l’islamité, et la finalité politique, le contraire même de<br />
la démocratie.<br />
S’élèvent d’ores et déjà des voix, en Tunisie et ailleurs,<br />
pour ruminer de vieux stéréotypes essentialistes et culturalistes<br />
: on vous l’a bien dit, les Arabes – qui seraient<br />
culturellement prédisposés à la servitude volontaire et au<br />
despotisme oriental cher à Montesquieu – ne méritent<br />
pas la démocratie. S’il est vrai qu’un peuple mûr pour<br />
l’islamisme ne peut pas être un peuple mature pour la<br />
démocratie, l’hétéronomie et l’autonomie étant radicalement<br />
et irrémédiablement antagoniques, il n’en demeure<br />
pas moins vrai que l’aspiration des Tunisiens à la démocratie<br />
était bien réelle et le besoin de liberté, un sentiment<br />
profond et irrépressible. Mais dans cette quête de la<br />
liberté, ils ne savaient pas que d’autres forces obscurantistes<br />
travaillaient à la conquête de leur esprit. Ils ne se<br />
doutaient pas qu’au cœur de l’islam malékite et quiétiste,<br />
le Qatar et l’Arabie Saou-<br />
dite œuvraient déjà à l’implantation<br />
de cette<br />
souillure de l’islam et de<br />
cette nécrose de la civilisation<br />
: le wahhabisme. ■<br />
25
26 Événement Qatar : attention danger !<br />
« Le Vilain Petit Qatar »,<br />
◗ À quand le « Printemps » à Doha ?<br />
Écrit par des hommes libres qui aiment<br />
et respectent le monde arabe et musulman<br />
– où ils enquêtent depuis des<br />
dizaines d’années – cet ouvrage ne<br />
relève pas du « Qatar bashing ». Il n’a<br />
rien d’une critique injuste, gratuite<br />
comme une mode. Inventé par des communicants<br />
trop malins, ce concept est<br />
devenu un « élément de langage », le<br />
bouclier chargé de défendre un émirat à<br />
la vertu forcement outragée dès qu’elle<br />
n’est pas glorifiée. Avancer comme une<br />
sorte de secret défense le « Qatar<br />
bashing » évite de répondre aux questions<br />
posées par la politique schizophrène<br />
de l’émir Al-Thani. Sa parade est<br />
de faire croire que tout propos non laudateur<br />
tenu à son endroit est xénophobe.<br />
La réalité est différente. Si la classe politique française de<br />
gauche comme de droite a déroulé le tapis rouge sous les<br />
pieds de nos amis qataris, c’est au seul nom du réalisme.<br />
Et en fermant les yeux sur les droits de l’homme bafoués<br />
et un prosélytisme wahhabite harcelant.<br />
Un exemple de parler-vrai, mais « off » : l’été dernier,<br />
quelques instants avant de recevoir l’émir Al-Thani à<br />
l’Élysée, François Hollande interroge l’ambassadeur de<br />
France au Qatar, un diplomate nommé par Nicolas Sarkozy<br />
et donc totalement dévoué à la cause de l’émirat:<br />
– Au fond, interroge le chef de l’État, que faut-il penser<br />
de ce pays?<br />
– Monsieur le Président, dans les prochaines années,<br />
il est susceptible d’investir une centaine de milliards<br />
d’euros en France.<br />
– Dans ce cas, je comprends mieux dans quel état<br />
d’esprit il faut se tenir.<br />
En aucun cas notre enquête n’a cherché à mettre en<br />
cause le Qatar au prétexte qu’il est minuscule et musulman.<br />
Puisqu’il est installé avec succès sur la scène internationale,<br />
saluons le discours moderniste et démocratique<br />
de ceux qui le dirigent. Grâce à une communication<br />
habile, portée par les zéphyrs du « printemps arabe »,<br />
Doha apparaît désormais comme le moteur des révolutions<br />
de la rive sud de la Méditerranée. Bouleversement<br />
qui, au premier regard, a pu apparaître comme une fin<br />
tant souhaitée du « malheur arabe », pour reprendre<br />
l’expression de Samir<br />
Kassir, le courageux journaliste<br />
libanais assassiné<br />
par le régime syrien. Mais,<br />
aujourd’hui, le compte<br />
n’y est pas. Et sachons<br />
les bonnes feuilles<br />
UN ÉMIRAT AUTOCRATIQUE QUI A VENDU<br />
L’ICÔNE DE LA DÉMOCRATIE À L’OCCIDENT.<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
dénoncer l’infinie duplicité d’un émirat<br />
autocratique et conservateur qui a<br />
réussi à vendre l’icône de la démocratie<br />
à ses alliés occidentaux. Coupées<br />
par l’émir Al-Thani, les fleurs de ces<br />
« printemps » sont fanées, et les Frères<br />
musulmans, couverts par Doha, sont<br />
maintenant aux commandes. Ne reste<br />
que le bonheur laissé par la chute des<br />
dictateurs.<br />
Lorsque, au Mali, l’armée tricolore<br />
combat les groupes djihadistes, il faut<br />
que nos concitoyens sachent que ces<br />
bandits sont pour partie financés par le<br />
Qatar, via des réseaux prétendument<br />
« humanitaires ». Pendant ce temps-là,<br />
en France, des âmes vétilleuses sursautent<br />
à la moindre atteinte à la laïcité,<br />
refusant de voir que le terreau de l’intolérance<br />
est arrosé par les pétrodollars du Golfe, dont ceux<br />
du Qatar, via le financement de mosquées, de centres islamiques,<br />
de colloques ou de prédicateurs intégristes.<br />
D. R.<br />
◗ « Je suis le nouveau Qarmate »<br />
Pendant longtemps, pas le moindre universitaire occidental<br />
n’a écrit une ligne sur ce pays. Historiographe de<br />
lui-même, l’émir Hamad bin Khalifa al-Thani, le<br />
monarque actuel, a apporté sa pierre à l’édifice en déclarant<br />
à ses intimes : « Je suis le nouveau Qarmat » Prétendrait-il<br />
ainsi remonter en direct aux origines de l’islam?<br />
Ayant vécu trois siècles après l’envol de Mahomet,<br />
Hamadan Qarmat Ibn al-Ach’ath, fondateur de la secte<br />
qui porte son nom, est le leader d’un courant de l’ismaélisme.<br />
Autrement dit, il est à l’origine d’un schisme qui<br />
va pousser ses disciples à mettre La Mecque à sac, en<br />
930, et à se tourner vers le feu pour prier… Que le roi<br />
du Qatar revendique une parenté philosophique avec ces<br />
fanatiques messianistes est une forme d’aveu, l’expression<br />
d’un rêve d’en revenir aux sources.<br />
Des langues de vipères – qui pullulent dans le désert<br />
et viennent souvent de chez la sœur ennemie, l’Arabie<br />
voisine – affirment que les Qataris « sont les descendants<br />
de pillards spécialisés dans l’attaque des pèlerins<br />
de La Mecque ». Lassés de leurs rezzous, les princes,<br />
gardiens des lieux saints, auraient expulsé ces bandits<br />
vers une langue de terre aride: le Qatar. [...]<br />
Habiles, les Al-Thani<br />
ont instauré un partage du<br />
pouvoir (très relatif) qui,<br />
avec l’argent distribué,<br />
jugule grosso modo toute<br />
opposition des autres<br />
Gamma
Une tribu célèbre la fête d’indépendance du Qatar (le 18 décembre):<br />
on chante, on danse... entre hommes. La population « de souche » compte 150 000 âmes. Petite fête donc!<br />
familles. Ainsi, quinze personnalités qui n’ont pas la<br />
chance d’être nées Al-Thani – fratrie qui compte environ<br />
trois mille cousins – se partagent des postes de<br />
ministre dont aucun n’est de premier plan. Pas grave<br />
dans un pays où tout se règle dans le salon de l’émir, ou<br />
dans celui de son premier ministre et cousin, Hamad bin<br />
Jassim bin Jaber al-Thani (dit « HBJ »). Dans ce<br />
royaume, être chargé de la<br />
Justice, de l’Économie,<br />
sans parler de l’Environnement<br />
ou des Affaires<br />
sociales, n’a pas plus de<br />
sens qu’être titulaire d’un<br />
LE CALIFE NE TRACE JAMAIS DE FRONTIÈRE LÉGALE<br />
ENTRE LES RECETTES PUBLIQUES ET SA FORTUNE.<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
maroquin en Corée du Nord où Kim Jong-un s’occupe<br />
de tout. [...]<br />
◗ Une tradition de révolutions de palais<br />
L’histoire actuelle du Qatar, cette monarchie ultraconservatrice<br />
qui méduse la planète, commence par un poignard<br />
planté dans le dos. En février 1972, le cheikh Khalifa<br />
lance un coup d’État<br />
contre l’émir Ahmad, un<br />
cousin ni présent ni passionné<br />
par la gestion de<br />
son pays. Quelques fidèles<br />
sont tués. On en ignore ➥<br />
27
28 Événement Qatar : attention danger !<br />
le nombre puisque ces avanies sont immédiatement effacées<br />
par la serpillière de l’Histoire, et les corps enterrés<br />
encore chauds. Pour s’assurer que l’émir Ahmad, alors<br />
occupé par une partie de chasse en Iran, ne va pas regagner<br />
son palais dare-dare, la fourbe Arabie Saoudite<br />
accepte de lui fermer sa frontière au nez.<br />
Assis sur le trône, l’émir Khalifa fait une promesse<br />
qu’il ne tiendra jamais, celle de se satisfaire d’un revenu<br />
mensuel de 250 000 dollars, alors que son prédécesseur<br />
dérivait systématiquement le quart des recettes pétrolières<br />
nationales vers ses comptes en banque. En vérité,<br />
sur la base d’une « Constitution » à proposition unique,<br />
« L’État c’est moi », une règle toujours en vigueur, le<br />
nouveau calife ne tracera jamais de frontière légale entre<br />
les recettes publiques et sa fortune. En 1979, quand l’intégralité<br />
de Qatar Petroleum passe sous contrôle « national<br />
», autrement dit celui de la famille, le mode comptable<br />
reste flou. Certes, le brut qatari ne coule pas à gros<br />
bouillons comme celui du voisin saoudien, mais le flux<br />
est assez fort pour lancer les prémices de ce que Khalifa<br />
qualifie de « renaissance d’un Qatar moderne ». Autrement<br />
dit, un pays possédant l’eau courante, l’électricité,<br />
des routes, un aéroport, des téléphones, une police et<br />
une armée et, pourquoi pas, une politique étrangère.<br />
Hélas, comme ces héros déchus que les censeurs staliniens<br />
effaçaient des photos officielles, l’émir Khalifa<br />
sera gommé de la saga de l’émirat. Les livres d’Histoire<br />
sont toujours écrits par les vainqueurs. En 1995, quand<br />
Khalifa sera chassé à son tour par son fils Hamad, l’actuel<br />
maître de Doha, le rôle de papa passe à la trappe.<br />
Pourtant l’émir Khalifa, grand ami de Paris, a développé<br />
une vraie stratégie pour l’avenir de son pays. [...]<br />
◗ L’omni-émir<br />
Si on se livre à l’exercice impossible d’oublier l’argent,<br />
le Qatar est un pays nain, une terre dérisoire<br />
grande comme une fois et demie le département du<br />
Maine-et-Loire. La population des Qataris « de<br />
souche », soit les familles installées dans le pays depuis<br />
1930, se monte à environ 150 000 âmes. Le chiffre exact<br />
est un secret d’État. Pour rester dans la comparaison<br />
hexagonale, Son Excellence Cheikh Hamad bin Khalifa<br />
al-Thani règne donc sur un peuple aussi important que<br />
celui de la ville d’Angers intramuros, la dix-huitième de<br />
France.<br />
L’infiniment petit du Qatar est forcément générateur<br />
de blagues. On affirme que, lors d’un voyage de l’émir à<br />
Pékin, le premier ministre chinois lui aurait posé cette<br />
question :<br />
– Combien d’habitants comptez-vous au Qatar?<br />
– Plus de 150000.<br />
– Alors pourquoi ne pas les avoir amenés tous avec<br />
vous? aurait repris l’ironique.<br />
Le vrai peuple de l’émir, sa force, est volatil. Il se<br />
compte en mètres cubes cachés au fond du North Field,<br />
la troisième réserve de gaz naturel au monde, après<br />
celles de la Russie et de<br />
l’Iran. D’ailleurs le Qatar<br />
fait champ commun avec<br />
l’Empire perse des ayatollahs,<br />
les voisins de la rive<br />
d’en face. Les deux États<br />
L’ÉMIR : INFAILLIBLE AMI D’ISRAËL<br />
ET MOTEUR DE LA LIGUE ARABE.<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
pompent dans la même et gigantesque nappe qui se<br />
cache sous leur détroit commun. Quelques ingénieurs<br />
mal-pensants affirment même que Doha ne se prive pas<br />
de lancer ses pompes jusque sous l’offshore des fous de<br />
Dieu… C’est donc sur cette grosse bulle que règne<br />
d’abord l’émir. Ce manque de peuple explique aussi sa<br />
volonté de conquérir celui des autres. Pour jouer sa<br />
comédie du pouvoir, l’émir a besoin de public.<br />
À la manœuvre, le cheikh Hamad al-Thani est partout,<br />
dans le Golfe et au Moyen-Orient, où il se vit en maître.<br />
En juin 2011, il donne un gouvernement au Liban, qui<br />
en attendait un depuis des mois. Il est le moteur de la<br />
Ligue arabe à laquelle, par des promesses de crédits, il<br />
impose sa loi. Doha est devenu un tribunal de simple<br />
police où l’on peut régler en un tournemain les conflits<br />
du monde entier. Ainsi la poussiéreuse capitale de la<br />
presqu’île se croit le centre du monde. Pour l’émir et<br />
son équipe, l’orgasmique « printemps arabe » est une<br />
apothéose. Cet infaillible ami d’Israël a même entrepris,<br />
en Palestine, de transformer le Hamas. Aidé de ses amis<br />
turcs, également impliqués dans cette tentative, Hamad<br />
al-Thani veut convaincre le mouvement religieux de<br />
changer de nature. Le parti de Dieu deviendrait celui des<br />
Frères musulmans de Palestine, dont le siège serait à<br />
Amman. Le Hamas renoncerait à sa charte, qui prévoit<br />
la victoire par les armes, et accepterait de reconnaître<br />
Israël. Ainsi, glisse l’aimable et pacifique cheikh à<br />
l’oreille des leaders palestiniens portant barbe, le Hamas<br />
pourra devenir un « partenaire fréquentable » auquel on<br />
rendra raison.<br />
Bien évidemment, le roi de Doha n’a pas demandé<br />
l’avis de son confrère Abdallah de Jordanie, qu’il<br />
déteste. Les amis d’Al-Thani préparent d’ailleurs un<br />
plan, la solution absolue au drame palestinien. II consisterait<br />
à destituer cet Abdallah à demi anglais pour instaurer<br />
à la place de son royaume hachémite une république,<br />
mais sur le mode islamique. Puis à placer à sa<br />
tête Khaled Mechaal, le leader du Hamas, un « révolutionnaire<br />
» dont la fougue a été domptée par l’émir et<br />
qui somnole désormais à Doha. Ainsi donnerait-on la<br />
Cisjordanie à Israël, les Palestiniens passant de l’autre<br />
côté du Jourdain. Voilà comment, quand ils s’ennuient,<br />
le roi et sa cour jouent au Monopoly avec les pays des<br />
autres. La perspective, pour le Hamas, d’échanger sa<br />
politique contre de l’argent ne fait pas l’unanimité en<br />
son sein. Ahmad Jaabari, chef militaire du parti religieux,<br />
s’oppose à l’« ouverture » suggérée par Doha.<br />
Mais un missile opportun, tiré par Israël, a éliminé à<br />
temps le mauvais coucheur. Ceux qui pensent comme<br />
lui ont compris le message. [...]<br />
◗ Foncièrement réactionnaire<br />
Sur le plan des idées, sa façon d’administrer les<br />
hommes, le souverain n’a rien de l’« autocrate éclairé »<br />
que ses thuriféraires s’échinent à dépeindre. L’émir<br />
Hamad est clairement et foncièrement réactionnaire. La<br />
vie et l’avis des autres, il<br />
s’en moque. Il aime<br />
l’ordre sans la loi, ne partage<br />
aucun pouvoir et<br />
interdit toute critique de<br />
sa personne. Émettre un
Le vrai peuple de l’émir, sa force, est volatil. Il se compte en mètres cubes cachés au fond du North Field,<br />
la troisième réserve de gaz naturel au monde, après celles de la Russie et de l’Iran.<br />
bémol dans la louange de l’Excellence relève du blasphème,<br />
l’offense suprême en pays d’islam.<br />
Depuis sa prise de pouvoir en 1995, Hamad bin al-<br />
Thani n’a qu’un seul ami, l’Amérique. C’est à l’ombre<br />
du grand parapluie des États-Unis que le jeune homme<br />
de 44 ans a pu renverser son père. Bien sûr, ce dernier,<br />
en 1991, n’avait pas été assez fou pour refuser de participer<br />
à la guerre du Golfe. Mais son engagement contre<br />
Saddam Hussein ne fut que symbolique. Trois mois<br />
après les bombardements de l’Irak, Khalifa reconstruisait<br />
des lycées à Bagdad. Pour Washington, cet émir<br />
trop absent, insaisissable, n’est plus un ami totalement<br />
sûr dans une zone où la confiance doit être absolue.<br />
◗ La voix de son maître<br />
Dans une tribune publiée par le Journal du dimanche<br />
du 24 mars 2013, Mohamed Jaham Al-Kuwari, l’ambassadeur<br />
de l’émir à Paris, en adepte de la méthode Coué,<br />
enfonce ce clou du « Qatar bashing ». Avant d’avoir<br />
mal, il crie : « Le conspirationnisme [sic] bat son plein,<br />
assorti d’une xénophobie<br />
à peine voilée. Qu’on le<br />
veuille ou non, le Qatar<br />
bashing a des airs de<br />
“délit de faciès”. » Nous<br />
voilà prévenus, écrire le<br />
DOHA PRÔNE LA LECTURE<br />
LA PLUS LIBERTICIDE DU LIVRE SACRÉ.<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
« vilain petit Qatar », c’est sortir Drumont de sa tombe.<br />
Dans sa philippique, l’ambassadeur du Qatar évoque<br />
aussi la nature de la religion prônée par son pays, « un<br />
islam d’ouverture, un “islam des Lumières”, celui<br />
d’Averroès » Là, l’ambassadeur se moque du monde.<br />
Injurie à la fois la philosophie des Lumières et Averroès,<br />
le prodigieux savant de l’islam andalou. Hélas, la<br />
vérité est têtue, la propagation du Coran sponsorisée par<br />
Doha n’est pas lumineuse mais tristement wahhabite,<br />
prônant la lecture la plus liberticide du Livre sacré. Sur<br />
Al-Jazira, il suffit d’écouter les prêches de l’imam Qaradawi,<br />
l’oracle du Qatar, pour avoir une idée de ce que<br />
Doha entend par « l’islam des Lumières ». Les prescriptions<br />
de ce fou de Dieu sont d’extirper les homosexuels<br />
de la société, de battre les femmes et de souhaiter<br />
qu’après l’Holocauste les musulmans « finissent enfin<br />
l’entreprise d’Hitler ».<br />
L’ambassadeur Al-Kuwari devrait comprendre que si<br />
une critique du Qatar prend corps, c’est qu’il suffit de<br />
placer son pays sous la lumière du microscope pour le<br />
voir tel qu’il est : un État<br />
qui emprisonne un poète,<br />
Mohammed ibn Al-Ajami,<br />
condamné à quinze ans<br />
pour avoir brocardé<br />
l’émir. ■<br />
D. R.<br />
29
30 Afrique<br />
Madagascar À trois mois du premier tour de la présidentielle auquel aucun Malgache ne croit,<br />
la Conférence sur la paix et la réconciliation a réuni toutes les forces vives. Y compris l’exhomme<br />
fort Didier Ratsiraka, resté vingt-cinq ans au pouvoir avant de connaître l’exil. De<br />
retour au pays, il entend bien jouer un rôle clé. Entretien.<br />
« Les élections ne sont pas une fin en soi »<br />
Propos recueillis par Bilal Tarabey<br />
ÀMadagascar, on le surnomme<br />
deba, « le chef », où encore<br />
l’Amiral rouge. Après onze ans<br />
d’exil en France et un premier retour très<br />
médiatique sur la Grande Île il y a deux<br />
ans, l’ancien président Didier Ratsiraka,<br />
est de nouveau à Madagascar ce 18 avril.<br />
À peine arrivé, il a rejoint la Conférence<br />
pour la paix et la réconciliation, un<br />
grand dialogue national en présence de<br />
toutes les forces politiques malgaches<br />
ainsi que de l’armée et de la société<br />
civile, entamé sous la médiation des<br />
Églises de Madagascar. Celui qui est<br />
resté vingt-cinq ans au pouvoir fait partie<br />
des initiateurs de l’événement, dont<br />
les recommandations pourraient bien<br />
aboutir à un report des élections. Pourquoi?<br />
L’ex-homme fort de Madagascar<br />
s’en explique dans un entretien à Afrique<br />
Asie réalisé le jour de son arrivée.<br />
■ En quoi consiste ce « dialogue malgacho-malgache<br />
», comme on appelle<br />
ici la conférence sur la paix et la<br />
réconciliation?<br />
❒ Depuis l’indépendance en 1960, il n’y<br />
a jamais eu de passation de pouvoir en<br />
bonne et due forme entre un président<br />
sortant et un président entrant. Il y a eu<br />
des coups d’État, institutionnels ou pas,<br />
avec ou sans l’aide de l’armée en 1972,<br />
1991, 2002, 2009… Il faut mettre un<br />
terme à ce cycle infernal, et à la crise en<br />
cours qui n’a que trop duré, dont le<br />
peuple est la première victime. Il est<br />
temps qu’une solution pérenne, transparente<br />
et démocratique soit acceptable et<br />
acceptée par tous. Et pour ce faire, la<br />
meilleure méthode, c’est de dialoguer<br />
sans méfiance et sans tabou. On met tout<br />
sur la table et on essaie de trouver ce<br />
qu’il faut pour que Madagascar ne vive<br />
plus ces crises cycliques.<br />
■ Votre première prise de pouvoir<br />
ne s’est pas faite par les urnes, et<br />
vous avez été victime de la crise de<br />
2002 en tant que président sortant<br />
(1) . Pourriez-vous dire : « Moi, président<br />
en exercice, voilà les conclusions<br />
que j’en tire »?<br />
❒ Sauf le respect que je dois à votre opinion,<br />
ne me dites pas qu’à ma première<br />
présidence je n’ai pas été élu. Il y a eu<br />
un coup d’État contre le premier président<br />
et père de l’indépendance, Philibert<br />
Tsiranana, en juin 1972. À cette époque<br />
j’étais attaché militaire à Paris, et on m’a<br />
rappelé pour être ministre des Affaires<br />
étrangères. Plus tard, après six mois de<br />
loi martiale, le plus ancien et le plus<br />
élevé dans le grade militaire a demandé<br />
que quelqu’un se sacrifie pour prendre<br />
les rênes du pouvoir. Il m’a désigné.<br />
Pourtant, un autre que je ne citerai pas<br />
s’était aussi déclaré candidat. Il y a eu<br />
finalement un vote à bulletin secret au<br />
sein du directoire militaire. J’ai eu seize<br />
voix sur dix-huit. Donc déjà, je ne me<br />
suis pas autoproclamé, on a voté pour<br />
moi. J’ai alors écrit un projet de société,<br />
le Boky mena, le Livre rouge, et j’ai<br />
appelé tous les juristes de Madagascar<br />
pour qu’ils élaborent une Constitution<br />
qui aille de pair avec ce projet. J’ai soumis<br />
ce livre et cette Constitution au<br />
peuple par référendum et j’ai dit: « Si<br />
vous acceptez, je veux bien être votre<br />
serviteur. Si vous refusez, je rentre à la<br />
caserne. » Et j’ai été élu.<br />
Je suis donc désolé de vous contredire,<br />
mais j’ai été élu en 1975 pour mon<br />
premier mandat, j’ai été réélu en 1982 et<br />
en 1989, avant d’être destitué en 1991.<br />
J’ai à nouveau été réélu en 1997 et<br />
encore une fois destitué en 2002 par<br />
monsieur Marc Ravalomanana.<br />
« JE N’AI NI BOMBES THERMONUCLÉAIRES<br />
NI KALACHNIKOVS POUR IMPOSER MES SOLUTIONS. »<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
■ Quelles solutions allez-vous suggérer<br />
lors de la Conférence pour la paix<br />
et la réconciliation à Madagascar ?<br />
❒ Excusez-moi, mais nous ne sommes<br />
qu’au premier jour de la conférence, je<br />
ne peux pas encore me prononcer. J’ai<br />
des solutions, bien sûr, mais je n’ai ni<br />
bombes thermonucléaires ni bombes à<br />
sous-munitions, ni même de kalachnikovs<br />
ou de pistolets pour les imposer.<br />
Si mes compatriotes acceptent mes<br />
solutions, inch’allah comme on dit.<br />
S’ils les récusent, je mettrai ça dans<br />
mes mémoires, et ça restera comme<br />
une page de l’Histoire. Comme une<br />
partie de l’histoire de ma chienne de<br />
vie politique. Ces solutions prennent<br />
en compte le règlement de 1972, 1992,<br />
2002, 2009. Tout doit être discuté<br />
pour en finir avec ces spasmes épisodiques,<br />
qui minent l’économie malgache.<br />
■ Croyez-vous à la tenue du premier<br />
tour de l’élection présidentielle le<br />
24 juillet?<br />
❒ Que j’y croie ou pas, l’essentiel<br />
n’est pas là. Quelle que soit la date de<br />
son élection, le futur président de la<br />
République a intérêt à trouver devant<br />
lui un peuple malgache réconcilié avec<br />
lui-même, avec l’Histoire ; des forces<br />
armées qui ont retrouvé leur cohésion ;<br />
un pays apaisé qui pourrait démarrer<br />
son redressement économique urgent.<br />
La question n’est pas de « croire ou ne<br />
pas croire » à la tenue de ces élections,<br />
et Paul le poulpe (2) est mort.<br />
■ L’une des solutions que vous proposerez<br />
pourrait-elle inclure un<br />
report des élections législatives et<br />
présidentielle ?
❒ Tout doit être discuté, absolument<br />
tout. Y compris le report des élections.<br />
À partir du moment où l’on trouve la<br />
solution, la date des élections n’a plus<br />
d’importance.<br />
■ Si la présidentielle a lieu en juillet,<br />
vous porterez-vous candidat?<br />
❒ Encore une fois, ce débat n’a pas lieu<br />
d’être. Quand je dis aux Malgaches, « le<br />
problème de ce pays c’est moi », ça<br />
semble nombriliste, c’est pourtant la réalité.<br />
Je suis le seul à avoir été destitué<br />
deux fois, et à être revenu deux fois au<br />
pouvoir. Je suis le seul homme d’État<br />
malgache dont on a annoncé le décès<br />
alors que je suis bien vivant. Mais je ne<br />
veux pas que l’on fasse une fixation sur<br />
ma petite personne. Je ne compte pas !<br />
Comme disait le général de Gaulle, « il<br />
faut trancher le nœud gordien ». Il faut<br />
aller au fond des choses. Une fois que<br />
cela sera fait, les élections pourront être<br />
normales, démocratiques, transparentes.<br />
Un homme toujours influent<br />
Mais attention, les élections ne sont pas<br />
une fin en soi. C’est une condition<br />
nécessaire, mais pas suffisante. Par<br />
exemple, au Mali, toute la communauté<br />
internationale s’est accordée à dire<br />
qu’Amadou Toumani Touré avait été élu<br />
démocratiquement. Regardez aujourd’hui<br />
ce que ça donne ! C’est la France<br />
qui est obligée de venir sauvegarder<br />
l’unité et l’intégralité territoriales du<br />
Mali, et bientôt l’Onu.<br />
Regardez la Tunisie, la Libye,<br />
l’Égypte, où il y a eu récemment des<br />
élections libres, et où les gens se tirent<br />
dessus. Et la Côte d’Ivoire ? Trois mille<br />
morts depuis la dernière élection, et ça<br />
n’est pas fini. Vous pouvez toujours me<br />
dire, « ces pays sont des républiques<br />
bananières ». Alors allons plus à l’est.<br />
Au Liban où il y a toujours eu des élections<br />
libres et démocratiques. Est-ce que<br />
ça a empêché l’assassinat de Rafik<br />
Hariri? De Bachir Gemayel? Le Hez-<br />
Alors qu’on le disait très malade, Didier Ratsiraka avait fait un retour<br />
remarqué à Madagascar le 24 novembre 2011, exprimant même sa joie<br />
en simulant des pompes sur le sol natal. Pas mal pour un mourant. Il est<br />
reparti en France et rentre aujourd’hui dans un contexte de sortie de crise difficile.<br />
Président entre 1975 et 1991 puis entre 1997 et 2002, il est lui-même arrivé<br />
au pouvoir dans le sillage d’un directoire militaire et a dirigé le pays en instituant<br />
un système de partis politiques « autorisés ». Il a été destitué deux fois. Considéré<br />
par les uns comme un grand intellectuel nationaliste non aligné et par les<br />
autres comme la cause du déclin de Madagascar, il reste une figure politique très<br />
influente dans le pays. Didier Ratsiraka a refusé de signer la Feuille de route de<br />
sortie de crise parrainée par la communauté internationale en novembre 2011,<br />
qui organise la tenue d’élections présidentielle et législatives en juillet prochain.<br />
Sa présence à la Conférence pour la paix et la réconciliation l’a placé aux côtés<br />
du président de la Transition Andry Rajoelina et de l’ancien président Albert<br />
Zafy. Du jamais vu à Madagascar depuis le début de la crise, en 2009. ■<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
Bilal Tarabey<br />
bollah de déstabiliser la région ? Et<br />
Israël? Est-ce que les élections ont<br />
empêché l’assassinat d’Itzak Rabin et le<br />
règlement du conflit palestinien ? Continuons<br />
en Europe : en Belgique, il a fallu<br />
plus de 550 jours après les élections<br />
législatives pour constituer un gouvernement.<br />
Pourquoi? Parce qu’il y a un problème<br />
fondamental dans ce pays qui n’a<br />
pas été réglé, tout comme dans les autres<br />
pays que j’ai cités.<br />
Si les élections étaient une panacée, ça<br />
se saurait. Il faut d’abord régler les problèmes<br />
sur le fond. À Madagascar on a<br />
une occasion historique de le faire<br />
aujourd’hui. Il y a d’anciens chefs d’État<br />
encore vivants, des témoins de l’Histoire,<br />
profitons-en. Aucun patriote malgache,<br />
aucun responsable international<br />
digne de ce nom ne peut récuser une<br />
conférence au sommet de réconciliation<br />
nationale.<br />
■ En parlant d’ex-chefs d’État malgaches,<br />
il en manque un à cette<br />
conférence : Marc Ravalomanana,<br />
dont la Transition refuse jusqu’à<br />
présent le retour. Que pensez de<br />
cette absence ?<br />
❒ Je ne dirai pas « absence » car,<br />
aujourd’hui, ce ne sont que les préliminaires<br />
de la conférence de réconciliation<br />
nationale. Lors de la conférence<br />
au sommet définitive – et je ne<br />
joue pas les oracles – il se peut que<br />
monsieur Marc Ravalomanana soit là.<br />
Ça dépend des Malgaches.<br />
■ Même si Marc Ravalomanana<br />
vous a destitué en 2002 ?<br />
❒ Si vous voulez faire un raccourci,<br />
non, je ne suis pas contre. Je suis un<br />
homme de paix et de réconciliation<br />
nationale.<br />
■ Après ces années d’exil, qu’est-ce<br />
que ça vous fait de rentrer à Madagascar?<br />
❒ Un bonheur indicible. Mais encore<br />
une fois, ce qui compte, c’est l’avenir<br />
du pays. On a l’impression que Madagascar<br />
est maudit, alors arrêtons les<br />
frais ! Faisons en sorte qu’il redevienne<br />
ou devienne un pays réellement<br />
démocratique, qui assure son développement,<br />
d’où seront bannies les injustices<br />
et l’oppression. ■<br />
◗ (1) Marc Ravalomanana s’était proclamé<br />
vainqueur au premier tour de la présidentielle.<br />
(2) La pieuvre vivant dans un aquarium en<br />
Allemagne, célèbre pour avoir prévu la victoire<br />
de l’équipe d’Allemagne de football<br />
au championnat d’Europe 2008 et à la Coupe<br />
du monde 2010.<br />
31
32 Afrique<br />
Tchad En étant le partenaire militaire le plus précieux des Français au Mali, le président, qui a<br />
affronté de multiples rébellions en vingt ans de pouvoir et en a attisé d’autres chez ses voisins,<br />
relooke son image.<br />
Par Valérie Thorin<br />
Ce n’est pas parce que Timan<br />
Erdimi a déclaré qu’il reprenait<br />
les armes contre le président<br />
Idriss Déby Itno que celui-ci va se trouver<br />
déstabilisé. En exil à Doha (Qatar),<br />
le leader de l’Union des forces de résistance<br />
(UFR) qui est, avec son ancien<br />
allié Mahamat Nouri, l’une des principales<br />
figures de l’opposition politicomilitaire<br />
tchadienne, semble en être<br />
réduit aux effets d’annonce. Même s’il<br />
affirme que de nombreux groupes sont<br />
en train de rejoindre son mouvement,<br />
qu’il a caché des armes et qu’elles sont<br />
prêtes à servir, il se heurte désormais à<br />
plus fort que lui. Car Idriss Déby est<br />
devenu non seulement un habile stratège<br />
sur le plan militaire, mais ses troupes ont<br />
atteint un excellent niveau. Sans compter<br />
que, sur le plan politique, il a le vent<br />
en poupe.<br />
◗ Soldats d’élite<br />
En envoyant ses soldats d’élite combattre<br />
les djihadistes au Mali, il s’est<br />
donné une stature d’homme fort dans la<br />
sous-région. Il a en effet mis à la disposition<br />
des Français et de leur opération<br />
Serval une force de 2 400 hommes, soit<br />
le contingent africain le plus important.<br />
Ceux-ci agissent en dehors de la Mission<br />
internationale de soutien au Mali<br />
(Misma, sous conduite africaine), car le<br />
Tchad n’est pas un pays de la Communauté<br />
économique des États d’Afrique<br />
de l’Ouest (Cedeao), ce qui leur donne<br />
une grande latitude pour décider de<br />
leurs interventions. Sous le commandement<br />
du propre fils du président, Mahamat<br />
Idriss Déby Itno, ils ont été notamment<br />
envoyés comme précurseurs dans<br />
l’Adrar des Ifoghas. À Tigharghâr, au<br />
cœur de ce désert rocheux où coule<br />
miraculeusement de l’eau, qui avait été<br />
choisi comme place forte par Al-Qaïda<br />
au Maghreb islamique (Aqmi), ils ont<br />
emporté une éclatante victoire, en dépit<br />
Un nouvel Idriss Déby ?<br />
de sérieuses pertes humaines. Ils ont<br />
saisi des armes, des munitions et des<br />
vivres en grand nombre. Ils revendiquent<br />
également la mort d’Abou Zeid,<br />
l’un des principaux chefs d’Aqmi, ainsi<br />
que celle de Mokhtar Belmokhtar,<br />
bien que cette dernière n’ait pas été<br />
confirmée.<br />
Désormais, leur base est installée à<br />
Kidal, principale ville de la région des<br />
Ifoghas. Mais la situation sécuritaire<br />
reste préoccupante. Quatre soldats ont<br />
encore été tués dans un attentat suicide,<br />
le 12 avril, sur un marché de la ville où<br />
ils étaient venus acheter des provisions,<br />
portant le total des victimes tchadiennes<br />
de la guerre au Mali à trente. Un lourd<br />
bilan, mais qui consacre l’excellence des<br />
forces tchadiennes en région désertique.<br />
À bon entendeur salut, pourrait dire le<br />
président Idriss Déby à ses opposants<br />
armés, qu’ils soient retranchés dans le<br />
Tibesti, haut lieu de la rébellion, ou à<br />
l’est du pays, à la frontière soudanaise<br />
qui court à travers les ergs et les rocs<br />
d’Abéché jusqu’en Libye, au nord.<br />
Autant de régions physiquement semblables<br />
aux Ifoghas, où les soldats tchadiens<br />
– dont bon nombre ont été formés<br />
par les Américains à ce type de terrains<br />
– ont excellé.<br />
Ils devraient, pour la plupart, rentrer<br />
au pays. L’Assemblée nationale a voté,<br />
le 15 avril, l’adoption d’un programme<br />
de retour. Le premier ministre Joseph<br />
Djimrangar Dadnadji avait en effet<br />
déclaré que « l’objectif des troupes tchadiennes<br />
stationnées au Mali » était<br />
atteint. Reste la question touarègue, mais<br />
à ce propos, Dadnadji est resté ferme :<br />
« Nous n’avons pas fait un marché avec<br />
le MNLA [Mouvement national de libération<br />
de l’Azawad, ndlr] pour l’aider à<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
avoir un État, a-t-il déclaré devant les<br />
Parlementaires, et le Tchad n’accepte<br />
pas qu’un groupe se lève un matin et<br />
demande un État. Ce sont des choses qui<br />
peuvent nous mettre en conflit avec le<br />
MNLA. » On ne saurait être plus clair:<br />
s’agissant de la situation intérieure du<br />
pays, les sécessionnistes de tout poil<br />
n’ont qu’à bien se tenir.<br />
◗ Politique extérieure trouble<br />
Sur le plan de sa politique extérieure,<br />
le Tchad n’a pas toujours été clair. Avec<br />
son grand voisin de l’est, le Soudan, il a<br />
fallu des années pour que la relation se<br />
pacifie. Le Tchad soutenait les rebelles<br />
soudanais et, en représailles, le Soudan<br />
apportait de l’aide aux rebelles tchadiens.<br />
De nombreux accords comme<br />
celui de Tripoli, en 2006, qui prévoyait<br />
« l'interdiction d'utiliser le territoire de<br />
l'un pour des activités hostiles contre<br />
l'autre », sont restés lettre morte, et il a<br />
fallu attendre 2010 pour que le rapprochement<br />
entre Idriss Déby et Omar al-<br />
Bachir soit effectif. Le premier avait en<br />
effet une (ré)élection présidentielle en<br />
vue, et le second fort à faire avec la<br />
sécession du Sud du Soudan.<br />
Même chose avec la Centrafrique : le<br />
Tchad a fortement épaulé François<br />
Bozizé pour le coup d’État qui a renversé<br />
feu le président Ange-Félix<br />
Patassé en 2004. Déby en voulait depuis<br />
longtemps à ce dernier non seulement<br />
pour avoir hébergé feu Moïse Kette, un<br />
fameux rebelle, mais aussi parce qu’il<br />
s’était débrouillé pour écarter durablement<br />
un projet de drainage des eaux du<br />
fleuve Oubangui vers le lac Tchad,<br />
lequel donne de dangereux signes d’assèchement.<br />
L’accord de formation militaire<br />
tchado-centrafricain n’a pas per-<br />
SUR LE PLAN INTÉRIEUR, DÉBY S’ASSURE<br />
DE SA PROPRE SÉCURITÉ EN DÉMONTRANT SA FORCE.
mis de rétablir la confiance. Grâce,<br />
entre autres, à N’Djamena, François<br />
Bozizé prend donc le pouvoir à Bangui<br />
en 2004. Les forces de sécurité centrafricaines<br />
ont dès lors été placées sous la<br />
gouverne d’éléments tchadiens. Mais<br />
d’incurie en petites trahisons, de laisser-aller<br />
en insouciance, les relations<br />
entre les deux hommes se sont détériorées.<br />
La spirale est lancée : les rébellions<br />
centrafricaines sont alimentées,<br />
peu ou prou, par le Tchad. Jusqu’à celle<br />
de 2012 : il est de notoriété publique<br />
que nombre de chefs de la Séléka, la<br />
coalition rebelle qui s’est saisie du pouvoir<br />
à Bangui en janvier dernier, avaient<br />
quartier libre à N’Djamena.<br />
L’attitude conciliatrice d’Idriss Déby<br />
face à la crise centrafricaine n’est certainement<br />
pas sans rapport et avec son<br />
engagement au Mali – il est difficile<br />
d’être présent sur tous les fronts – et<br />
avec la réhabilitation à la fois sousrégionale<br />
et sur le plan intérieur qu’il<br />
Idriss Déby Itno est désormais « l’homme fort » de la sous-région, grâce aux succès de<br />
l’armée tchadienne au Mali. Ici, en treillis militaire, en visite au Niger en janvier 2013.<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
D. R.<br />
appelle de ses vœux. Hôte du sommet de<br />
la Communauté économique des États<br />
d’Afrique centrale (CEEAC) sur la Centrafrique<br />
le 3 avril 2013, il a fait preuve<br />
de beaucoup de réflexion et de modération.<br />
En compagnie de ses homologues<br />
Denis Sassou Nguesso, Joseph Kabila,<br />
Ali Bongo, Teodoro Obiang Nguema,<br />
Thomas Boni Yayi et Jacob Zuma, il a<br />
été convenu d’un certain nombre de<br />
mesures conservatoires, entérinées par le<br />
sommet suivant, le 18 avril.<br />
◗ Bénéfices internes et externes<br />
Quel bénéfice peut retirer Idriss<br />
Déby de sa nouvelle posture ? Sur le<br />
plan intérieur, il s’assure de sa propre<br />
sécurité en démontrant sa force. C’est<br />
une pierre dans le jardin de ses opposants.<br />
Il rassure, dans le même temps,<br />
sa population. La croissance du pays,<br />
de l’ordre de 7 % en 2012 grâce notamment<br />
au pétrole, a permis la construction<br />
de nombre d’infrastructures et<br />
tend à l’amélioration du niveau de vie<br />
des Tchadiens. Mais beaucoup reste à<br />
faire et, après vingt-deux ans d’un<br />
pouvoir sans partage, il est opportun<br />
de se poser en « père de la nation »<br />
vigilant et attentif, remerciant à titre<br />
posthume les héros de la guerre.<br />
Sur le plan sous-régional, Déby<br />
s’implique dans les institutions, ce qui<br />
lui donne une meilleure visibilité. La<br />
disparition du Guide libyen Mouammar<br />
Kadhafi avait laissé en l’état l’organe<br />
qu’il avait créé, la Communauté<br />
des États sahélo-sahariens (Cen-Sad).<br />
Lors d’une réunion à N’Djamena en<br />
février 2013, Idriss Déby a permis la<br />
renaissance de cet organisme autour<br />
d’un nouveau texte fondateur, qui<br />
donne à cet ensemble une orientation<br />
davantage tournée vers le développement.<br />
Enfin, il marque un bon point<br />
vis-à-vis des Nations unies en proposant<br />
ses soldats dans le cadre d’une<br />
éventuelle mission de stabilisation au<br />
Mali. S’insérant ainsi dans un cercle<br />
vertueux, Idriss Déby pense pouvoir<br />
mieux échapper aux critiques qui ne<br />
manqueront pas de persister vis-à-vis<br />
de sa politique autocratique. En effet,<br />
s’il n’a pas d’opposition intérieure, ce<br />
n’est pas parce qu’il n’existe aucune<br />
élite politique, mais parce qu’aucune<br />
personnalité de poids n’a jamais pu<br />
faire librement entendre sa voix. Et<br />
malheureusement, il y a peu de chance<br />
que les choses changent. Car l’homme<br />
fort de N’Djamena n’en finit plus de<br />
jouer de ses muscles. ■<br />
33
34 Afrique<br />
Centrafrique La chute de François Bozizé a surtout touché la République démocratique du<br />
Congo et l’Afrique du Sud, première puissance du continent. Un sérieux revers diplomatique<br />
pour Jacob Zuma.<br />
De Kinshasa à Pretoria, l’onde de choc<br />
Par François Misser<br />
En République démocratique du<br />
Congo (RDC) voisine, la conséquence<br />
immédiate de la chute de<br />
Bozizé a été l’afflux de 35 000 nouveaux<br />
réfugiés, venus s’ajouter aux quelque<br />
13 000 recensés à la fin 2012, selon le<br />
Haut Commissariat aux réfugiés (HCR).<br />
Cet exode vers les deux provinces de<br />
l’Équateur et de la Province-Orientale<br />
préoccupe les humanitaires, qui craignent<br />
de voir s’aggraver la précarité de<br />
la population locale, notamment avec<br />
une crise alimentaire. Mais l’équation<br />
comporte aussi un élément politique :<br />
car, parmi ces réfugiés, figurent plusieurs<br />
membres de la famille de François<br />
Bozizé, dont l’épouse du président<br />
déchu, Monique, et cinq enfants, selon le<br />
porte-parole militaire de la Mission des<br />
Nations unies pour la stabilisation du<br />
Congo (Monusco), le lieutenant-colonel<br />
Félix Prosper Basse. Y compris l’exministre<br />
de la Défense, Jean-Francis. De<br />
quoi exacerber la mauvaise humeur de la<br />
population locale qui a lancé contre eux<br />
des cailloux. Elle ne pardonne pas à<br />
Bozizé d’avoir facilité la comparution<br />
du leader régional, l’ancien vice-président<br />
congolais et chef du Mouvement de<br />
libération du Congo (MLC), Jean-Pierre<br />
Bemba, devant la Cour pénale internationale<br />
de La Haye en raison des crimes<br />
commis par ses troupes en Centrafrique<br />
en 2003. Un problème de plus à gérer<br />
pour Kabila.<br />
◗ Trafic intense d’avions<br />
Kinshasa a dû aussi s’occuper des<br />
conséquences de l’arrivée du contingent<br />
sud-africain qui protégeait le président<br />
Bozizé, contraint de franchir le fleuve<br />
après avoir été défait le 25 mars.<br />
Entre cette date et début avril, la ville<br />
et l’aéroport de Gemena, dans la province<br />
de l’Équateur, sont devenus la<br />
plaque tournante de l’évacuation des<br />
soldats sud-africains vers l’Ouganda,<br />
avec un trafic intense d’avions et d’hélicoptères,<br />
rapportent des témoins visuels.<br />
La situation a conduit le 1 er avril le<br />
député du MLC (opposition) pour la circonscription<br />
de Gemena, Richard Lenga,<br />
à interpeller le ministre de l’Intérieur<br />
Richard Muyej Mangez sur les risques<br />
d’insécurité que cette présence militaire<br />
étrangère et l’arrivée massive de réfu-<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
Armée et business<br />
giés de Centrafrique peuvent engendrer.<br />
Ni l’une ni l’autre n’ont été annoncées à<br />
la population par les autorités congolaises,<br />
manifestement débordées. Mais<br />
c’est surtout l’arrivée de 200 soldats<br />
centrafricains à Zongo, le 25 mars, qui a<br />
semé la pagaille. Ils se sont livrés à des<br />
tortures, des exactions diverses et des<br />
pillages, rapporte Radio Okapi, financée<br />
Ce sont avant tout des connexions affairistes qui expliqueraient l’engagement<br />
sud-africain en Centrafrique. À Bangui comme à Johannesburg, les<br />
témoignages fusent sur la véritable nature du soutien sud-africain à<br />
Bozizé. Des sources proches du président déchu évoquent des accords facilitant<br />
l’accès d’entreprises sud-africaines à des richesses minières. La Standard Bank of<br />
South Africa, par exemple, s’est engagée en 2011 à prêter 100 millions de dollars<br />
à la firme canadienne Axmin. Celle-ci possède plusieurs permis aurifères dans le<br />
pays et son PDG, George Roach, a été associé à UraMin, une société de prospection<br />
uranifère qui a obtenu en 2006 en concession la mine de Bakouma pour 27<br />
millions de dollars. Mais UraMin n’est plus un enjeu puisqu’elle a été rachetée en<br />
2007 par Areva. Un autre acteur important du paysage minier centrafricain est la<br />
société Gem Diamonds, cotée à la Bourse de Londres, dont le PDG n’est autre<br />
que Clifford Elphick, un ancien d’Anglo American et de De Beers.<br />
Ce n’est pas tout. Le quotidien de Johannesburg Mail and Guardian (M & G)<br />
met en exergue les liens d’affaires tissés par l’ancien conseiller de Bozizé, Didier<br />
Pereira, originaire du Congo-Brazzaville, proche de Paul Langa, un des responsables<br />
de la sécurité et de la collecte de fonds au sein de l’ANC qui serait impliqué<br />
dans plusieurs projets diamantifères en Centrafrique. Selon ce journal,<br />
Pereira a signé en 2006 un protocole d’accord avec le ministère des Mines centrafricain,<br />
instaurant une joint venture dénommée Inala, dont le capital est détenu<br />
à 35 % par l’État centrafricain et le reste par une société sud-africaine dénommée<br />
Serengeti Group Holdings. Or, son principal actionnaire n’est autre que l’un des<br />
caciques de l’ANC (au pouvoir en Afrique du Sud), Joshua Nxumalo. Objectif :<br />
la commercialisation des diamants artisanaux de Centrafrique.<br />
Apparemment, le partenariat a eu d’autres ramifications. La filiale de Seregenti,<br />
Mechanonology, a en effet passé un accord avec Bangui pour la remise en<br />
état de blindés déclassés, offerts à la Centrafrique par l’armée sud-africaine.<br />
Enfin, la société d’exploration Dig Oil, qui a aussi bénéficié de l’appui de Thabo<br />
Mbeki, détient une concession pétrolière au sud-ouest de la Centrafrique. Tout<br />
cela a amené l’ancien premier ministre et dirigeant du Mouvement de libération<br />
du peuple centrafricain (MLPC), Martin Ziguélé, à déclarer à Radio France<br />
Internationale, le 26 mars, que Jacob Zuma avait été attiré dans « ce guêpier »,<br />
principalement par des hommes d’affaires sud-africains du secteur minier. ■
par l’Onu. Et moins de la moitié a pu<br />
être désarmée par les Forces armées de<br />
la République démocratique du Congo.<br />
L’autre victime collatérale de la chute<br />
de Bozizé et de la victoire des rebelles<br />
de la coalition Séléka est bien sûr<br />
l’Afrique du Sud, dont l’armée a essuyé<br />
sa première défaite importante de la<br />
période post-apartheid. Les accrochages<br />
avec les rebelles ont fait officiellement<br />
treize morts et vingt-sept blessés sudafricains,<br />
amenant le président Jacob<br />
Le 5 janvier, les Centrafricains manifestaient en faveur de la paix. Le 25 mars,<br />
le président Bozizé fuyaient devant l’arrivée des rebelles de la Séléka à Bangui.<br />
Zuma à parler d’un « triste jour » pour<br />
l’Afrique du Sud. Nul n’est dupe. Le<br />
président sud-africain a annoncé le<br />
retrait de ses troupes de Centrafrique<br />
lors du sommet régional de N’Djamena<br />
du 3 avril sur la Centrafrique, auquel il<br />
s’est invité. Mais cela faisait plusieurs<br />
jours que les soldats de l’armée sudafricaine<br />
(SANDF, South African National<br />
Defence Force) avaient commencé à<br />
quitter Bangui.<br />
La défaite est aussi politique. Elle<br />
consacre une perte d’influence de Pretoria<br />
dans le pays. Comme l’a rappelé<br />
Jacob Zuma, ses troupes étaient en Centrafrique<br />
dans le cadre d’un accord bilatéral<br />
remontant à 2007, initialement<br />
pour former l’armée centrafricaine.<br />
Mais après la première offensive de la<br />
Séléka en décembre, quelque 320<br />
hommes de la SANDF avaient été<br />
envoyés en renfort. En pure perte en<br />
définitive. En raison du refus des soldats<br />
de Bozizé de combattre les rebelles,<br />
ainsi que des militaires français et des<br />
autres pays d’Afrique centrale en mission<br />
de maintien de la paix, la SANDF<br />
s’est retrouvée pratiquement seule face<br />
aux rebelles.<br />
◗ Erreur fatale<br />
Pretoria avait à divers degrés un intérêt<br />
bien compris au maintien au pouvoir<br />
de Bozizé (voir encadré), mais, dans<br />
cette affaire, Jacob Zuma semble avoir<br />
négligé la donne régionale et franco-<br />
phone. Erreur fatale. Les quelque 500<br />
militaires français de l’opération Boali<br />
se sont contentés d’appliquer à la lettre<br />
leur mission, qui était de protéger l’ambassade<br />
et les 1 200 ressortissants français,<br />
conformément à l’intention exprimée<br />
urbi et orbi en décembre 2012 par<br />
le président François Hollande. Paris<br />
n’allait pas défendre le régime en place.<br />
Par ailleurs, la France précise que<br />
l’Afrique du Sud n’a pas cherché son<br />
aide.<br />
Une même passivité, confinant à la<br />
complicité, émane des principaux<br />
acteurs régionaux africains. Alors que<br />
l’armée tchadienne a démontré au Mali,<br />
dans des conditions très âpres, ses qualités<br />
militaires, la Force multinationale<br />
DEUX CENTS SOLDATS CENTRAFRICAINS SE SONT LIVRÉS À DES TORTURES,<br />
DES EXACTIONS DIVERSES ET DES PILLAGES… AU CONGO!<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
AFP<br />
d’Afrique centrale (Fomac) forte de 760<br />
hommes, essentiellement composée de<br />
Tchadiens, a elle aussi brillé par son<br />
absence en s’abstenant de faire obstacle<br />
à la progression de la Séléka. Tout se<br />
passe comme si les parrains régionaux,<br />
Idriss Déby (Tchad) en tête, mais aussi<br />
Paul Biya (Cameroun), Ali Bongo<br />
(Gabon) et Denis Sassou Nguesso<br />
(République du Congo), avaient saisi<br />
l’occasion pour sanctionner Bozizé, qui<br />
s’était engagé au départ des troupes<br />
sud-africaines lors des négociations de<br />
paix, voyant d’un mauvais œil ce nouvel<br />
acteur dans leur pré carré.<br />
Idriss Déby était déçu par Bozizé, à<br />
qui il reprochait de manquer à sa parole.<br />
Plusieurs accords commerciaux et militaires<br />
bilatéraux, dont la création d’une<br />
force militaire mixte pour contrôler la<br />
frontière entre les deux pays, n’ont<br />
jamais vu le jour. Bozizé aurait eu également<br />
le tort de manquer d’enthousiasme<br />
pour le projet de transfert par<br />
aqueduc des eaux de l’Oubangui pour<br />
renflouer le lac Tchad. Et certains affirment<br />
qu’il y a plus que des connivences<br />
entre Idriss Déby et Nourradine Adam,<br />
leader de la Convention des patriotes<br />
pour la justice et la paix (CPJP), l’une<br />
des composantes de la Séléka. Mais<br />
l’analyste sud-africain Helmoed Heitman<br />
va plus loin. Dans un article publié<br />
par le Sunday Independent, il affirme<br />
que les rebelles centrafricains ont reçu<br />
un appui tchadien. Lors des combats à<br />
Bangui, écrit-il, on trouvait « des forces<br />
bien différentes des va-nu-pieds décrits<br />
initialement : la plupart portaient un<br />
uniforme standard avec sangle et gilets<br />
pare-balles, des AK47 tout neufs et des<br />
armes lourdes allant jusqu’au canon<br />
23 mm ».<br />
En définitive, l’Afrique du Sud pourrait<br />
avoir perdu la Centrafrique. Un responsable<br />
de la Séléka, a déclaré : « Les<br />
accords de Bozizé avec l’Afrique du Sud<br />
n’étaient pas dans l’intérêt du pays,<br />
mais du maintien au pouvoir de Bozizé.<br />
Ils ont perdu militairement. Ils doivent<br />
s’en aller et oublier. » Cependant,<br />
d’autres membres du nouveau gouvernement,<br />
plus pragmatiques, minimisent<br />
ce précédent, considérant que Pretoria<br />
peut continuer à être un partenaire économique<br />
appréciable. ■<br />
35
36 Afrique<br />
Afrique du Sud La mort des treize soldats sud-africains tués en République centrafricaine lors<br />
d’un affrontement avec les troupes rebelles Seleka a fait scandale et continue de soulever des<br />
questions.<br />
Par Christine Abdelkrim-Delanne<br />
Annoncée par Jacob Zuma au<br />
cours de la conférence de presse<br />
d’ouverture du sommet des Brics<br />
(Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du<br />
Sud) le 26 mars, la mort de treize soldats<br />
en République centrafricaine (RCA) a<br />
créé un nouveau traumatisme au sein de<br />
la population. Ce drame est considéré<br />
comme un « fiasco » dans le pays et a<br />
attiré au président sud-africain de nouvelles<br />
critiques et accusations dont il<br />
n’avait pas besoin.<br />
◗ Les critiques de l’armée<br />
Quelques jours plus tôt, le 22 mars, il<br />
avait reçu « en urgence » François Bozizé,<br />
président centrafricain aux abois. Il réaffirmait<br />
la présence des 400 soldats sudafricains<br />
en Centrafrique déployés en janvier<br />
et confirmait leur mission d’« aider »<br />
à instaurer la paix et de former l’armée de<br />
ce pays. Cela en vertu d’un accord de<br />
coopération (de « protection », disent certains<br />
à Pretoria) de 2007, reconduit fin<br />
2012, alors que les rebelles de la Séléka,<br />
considérés par Zuma comme des « bandits<br />
», étaient aux portes de Bangui.<br />
Tous les témoignages, aujourd’hui,<br />
confirment que les forces armées sudafricaines<br />
(SANDF) envoyées à l’insu du<br />
Parlement combattaient aux côtés de<br />
celles de la RCA. Cette intervention hors<br />
de la zone de la Communauté de développement<br />
d’Afrique australe (SADC)<br />
n’avait pas reçu l’accord du Conseil de<br />
paix et sécurité de l’Union africaine. De<br />
même que l’Afrique du Sud a totalement<br />
ignoré le processus de paix mis en place<br />
par la Communauté économique des<br />
États de l’Afrique centrale (CEEAC) qui<br />
exigeait, entre autres, le retrait de toutes<br />
les forces étrangères de Centrafrique.<br />
C’est du Syndicat national des forces<br />
armées sud-africaines (SADFU) que sont<br />
venues les premières critiques. « Le président<br />
aurait dû retirer nos troupes au<br />
moment même où Bozizé a déshonoré ses<br />
L’aventure ratée de Zuma<br />
obligations et cet accord [celui de la<br />
CEEAC] aurait dû être le signal du<br />
retrait de nos soldats de ce pays », a<br />
déclaré Pikkie Greeff, son secrétaire<br />
général. En outre, selon un rescapé de<br />
l’attaque des Séléka, menée par 3 000<br />
hommes contre 200, les unités sud-africaines<br />
sur place demandaient depuis un<br />
mois des munitions dont ils étaient à<br />
court, sachant que la confrontation avec<br />
les rebelles était inévitable et imminente.<br />
« On nous a répondu que les rebelles ne<br />
viendraient pas, que ce n’était que de la<br />
politique. C’est pour ça que nos soldats<br />
sont morts ! » c’est grâce à l’intervention<br />
des parachutistes français que les blessés<br />
ont pu être évacués, explique ce témoin<br />
dont les propos ont été ensuite confirmés<br />
par d’autres soldats rescapés. Néanmoins,<br />
selon plusieurs sources, le nombre des<br />
victimes serait beaucoup plus élevé.<br />
À la suite du rapport des SANDF et de<br />
ses zones d’ombre, l’opposition, notamment<br />
l’Alliance démocratique (DA), a<br />
demandé une enquête parlementaire.<br />
« Les soldats semblent avoir été laissés<br />
sans soutien militaire. Nous devons<br />
savoir pourquoi les SANDF ont été<br />
déployées en RCA, comment sont morts<br />
les treize soldats. Finalement, la décision<br />
du président Jacob Zuma de déployer les<br />
SANDF en RCA – en réalité pour soutenir<br />
François Bozizé – a été un désastre<br />
complet », écrit David Maynier, le porteparole<br />
de DA, dans une lettre à son<br />
homologue de l’Assemblée nationale<br />
Max Sisulu, auquel il demande de mettre<br />
en place une commission multipartite ad<br />
hoc d’enquête.<br />
La question centrale reste donc : pourquoi<br />
les soldats sud-africains se battaient-ils<br />
pour une cause aussi trouble? Il<br />
faut revenir 7 ans an arrière pour comprendre<br />
l’engagement de l’Afrique du<br />
Sud dans ce pays d’Afrique centrale. En<br />
janvier 2006, alors que François Bozizé<br />
était déjà confronté aux attaques de<br />
rebelles fidèles au président Ange-Félix<br />
Patassé et cherchait le soutien sud-afri-<br />
Mai 2012 ● Afrique Asie<br />
D. R.<br />
L’embarras du président sud-africain<br />
après la déconvenue de l’armée.<br />
cain, des représentants des SANDF se<br />
rendaient en Centrafrique pour une<br />
« mission d’enquête ». Bozizé faisait le<br />
voyage à Pretoria en avril. Il rencontrait<br />
« un large éventail d’hommes d’affaires<br />
et d’organisations qui ont des intérêts en<br />
RCA, particulièrement dans les mines et<br />
l’exploration minière », selon un communiqué<br />
des Affaires étrangères. Plusieurs<br />
contrats allaient âtre signés, même<br />
si aucun d'entre eux n'était encore dans la<br />
phase d'entre en production. En tout cas,<br />
le télégramme diplomatique américain<br />
de décembre 2006, en reconnaissait l'enjeu<br />
: l’intervention sud-africaine, lit-on,<br />
visait à « stabiliser » la RCA, mais « les<br />
intérêts miniers ont, sans aucun doute,<br />
joué un rôle dans la décision de s’impliquer<br />
».<br />
Aujourd’hui, une enquête devrait faire<br />
toute la lumière sur ce background. En<br />
est-on si sûr ? « Le problème en Afrique<br />
du Sud, c’est que tout le monde veut diriger<br />
le pays. Il faut considérer aussi que<br />
les questions et les décisions militaires<br />
ne sont pas des questions à discuter en<br />
public », a déclaré Jacob Zuma dans son<br />
allocution de condoléances aux familles,<br />
ne laissant espérer aucune transparence<br />
sur cette affaire. Comme il l’a fait pour<br />
tant d’autres auparavant. ■
Coopération Stratégique, économique et politique, la visite du nouveau président chinois en<br />
terre africaine est un geste diplomatique fort. La Chine est là et compte bien y rester… S’engageant<br />
sur des projets voulus par les Africains, elle se distingue des pratiques occidentales.<br />
Par Christine Abdelkrim-Delanne<br />
Nouveau président, nouveau style.<br />
La décontraction de Xi Jinping<br />
et de son épouse, la chanteuse<br />
populaire Peng Liyan, lors de leur<br />
voyage en Afrique, a marqué les esprits.<br />
Et ce voyage d’une semaine fin mars,<br />
via la Russie, a été perçu comme un<br />
geste fort de la part de la diplomatie chinoise.<br />
Sans doute le nouveau président<br />
chinois, Xi Jinping, a-t-il saisi l’occasion<br />
de sa participation au 5e Sommet<br />
des chefs d’États des Brics (Brésil, Russie,<br />
Inde, Chine Afrique du Sud) dans ce<br />
dernier pays pour élargir sa visite à la<br />
Tanzanie et au Congo-Brazzaville et<br />
s’adresser au continent africain.<br />
◗ Centre culturel chinois<br />
En Tanzanie, pays anglophone avec<br />
lequel la Chine entretient les plus<br />
anciennes relations en Afrique – ils<br />
datent de 1965, sous l’égide de Julius<br />
Niyerere, le père du « socialisme à<br />
l’africaine » –, le président chinois a<br />
souligné la coopération exceptionnelle<br />
par son volume et sa qualité. Ouvrant<br />
son discours par les salutations traditionnelles<br />
en swahili, il a également exprimé<br />
les sentiments d’« amitié » avec tous les<br />
pays africains, quelle que soit leur<br />
importance. « La Chine les traite également<br />
et mène activement une coopération<br />
pragmatique qui bénéficie aux deux<br />
parties », a-t-il déclaré. Beijing se<br />
refuse, en effet, à n’être qu’un « pays<br />
donateur » et ne s’engage que sur des<br />
projets de coopération.<br />
Le président chinois a voulu se démarquer<br />
des travers de la politique occidentale<br />
en Afrique en déclarant : « Aucune<br />
partie ne tente d’imposer sa vue à<br />
Beijing soigne l’Afrique<br />
l’autre », appelant « tous les pays à respecter<br />
la dignité et l’indépendance de<br />
l’Afrique ». Xi Jiping a en outre assuré<br />
que les relations de son pays avec<br />
l’Afrique allaient s’intensifier dans le<br />
respect « de tous les engagements ».<br />
Discours nouveau et réaliste<br />
lorsqu’il souligne, néanmoins,<br />
qu’il existe chez les<br />
dirigeants chinois une vraie<br />
prise de conscience des difficultés<br />
de la relation Chine-<br />
Afrique, relatives notamment<br />
à la main-d’œuvre chinoise<br />
sur le sol africain et à l’attitude<br />
de certaines entreprises<br />
chinoises.<br />
À Dar es-Salaam où la<br />
Chine a construit le nouveau<br />
Centre de conférences Julius-<br />
Nyerere inauguré à cette<br />
occasion, Xi Jinping a lancé<br />
ce message au continent :<br />
« La Chine va continuer à étendre ses<br />
investissements et poursuivre sa coopération<br />
conformément à son engagement<br />
de fournir 20 milliards de dollars de<br />
crédits aux pays africains entre 2013<br />
et 2015. » Pour ce qui concerne la Tanzanie,<br />
seize accords commerciaux, culturels<br />
et de développement concernant la<br />
réhabilitation d’infrastructures hospitalières<br />
et portuaires ont été signés. La<br />
Chine construira également… un centre<br />
culturel chinois.<br />
« Le développement de la Chine sera<br />
une opportunité sans précédent pour<br />
l’Afrique de même que le développement<br />
de l’Afrique le sera pour mon pays », a<br />
répété le président chinois devant le Parlement<br />
congolais à Brazzaville où il<br />
s’est rendu après le sommet des Brics.<br />
C’était la première visite au Congo<br />
ENGAGEMENT CHINOIS: 20 MILLIARDS DE DOLLARS<br />
DE CRÉDITS AUX PAYS AFRICAINS ENTRE 2013 ET 2015.<br />
Mai 2012 ● Afrique Asie<br />
(4 millions d’habitants) d’un dirigeant<br />
chinois depuis l’établissement des relations<br />
diplomatiques entre les deux pays<br />
en 1964. Avec le président Denis Sassou<br />
Nguesso, il a parlé des « moyens de renforcer<br />
la coopération » et a inauguré une<br />
Le président tanzanien Salma Kikwete<br />
reçoit son hôte chinois, Xi Jinping.<br />
bibliothèque universitaire dotée d’une<br />
médiathèque. Onze accords de coopération<br />
ont également été signés. « La<br />
Chine est actuellement le plus important<br />
partenaire commercial de la république<br />
du Congo », a-t-il déclaré – bien qu’officiellement<br />
la France soit toujours en tête<br />
en tant que partenaire économique et<br />
financier. il a souligné que les échanges<br />
bilatéraux ont explosé, passant de<br />
290 millions de dollars en 2002 à 5 milliards<br />
de dollars en 2012.<br />
Grands travaux de modernisation,<br />
centrale hydraulique de Liouesso, nouvelle<br />
aérogare, deuxième piste de l’aéroport<br />
international de Maya-Maya, bâtiments<br />
officiels, hôpitaux, marchés<br />
couverts, télécommunications, routes,<br />
nouvelles zones urbaines… Les investissements<br />
chinois interviennent dans tous<br />
les secteurs. Ce sont les principaux<br />
groupes chinois d’ingénierie et du BTP<br />
qui remportent la plupart des appels<br />
d’offres concernant des contrats d’infrastructures<br />
lancés par la Délégation générale<br />
des grands travaux (DGGT). ■<br />
37<br />
D. R.
38 Afrique<br />
RDC Le général rebelle tutsi Bosco Ntaganda a été transféré le 22 mars à la Cour pénale internationale.<br />
Pour autant, rien n’est réglé au Kivu. L’envoi programmé de la brigade d’intervention<br />
africaine réveille l’hostilité des rebelles du M23, qui était sur le point de signer un accord de paix.<br />
Et au Katanga, la situation demeure agitée.<br />
Exit Terminator, mais pas l’instabilité…<br />
Par François Misser<br />
Nombre d’ONG de défense des<br />
droits de l’homme ont salué le<br />
transfert à La Haye, le<br />
22 mars, de Bosco Ntaganda, épilogue<br />
d’une longue saga. Ce militaire tutsi<br />
congolais était en effet poursuivi<br />
depuis 2005 par la Cour pénale internationale<br />
(CPI) pour des crimes contre<br />
l’humanité commis en temps que chef<br />
de la milice de l’Union des patriotes<br />
congolais (UPC) dans le district en<br />
Province-Orientale. Mais pendant sept<br />
ans, il a côtoyé les Casques bleus sans<br />
avoir fait l’objet de la moindre tentative<br />
d’arrestation. Promu général en<br />
2006, il avait rejoint la rébellion de<br />
Laurent Nkunda, qu’il a renversé trois<br />
ans plus tard avec le soutien de Kigali<br />
et de Kinshasa, pour devenir commandant<br />
en second de l’armée congolaise<br />
au Kivu. Et pendant trois ans, au nom<br />
de la stabilité, Kinshasa a refusé de le<br />
livrer à la CPI.<br />
◗ Résolution 2098<br />
En fait, c’est la condamnation de son<br />
compère Thomas Lubanga en<br />
mars 2012 qui a constitué un tournant.<br />
Les pressions internationales se sont<br />
accentuées sur Kinshasa. Bosco, craignant<br />
d’être livré à son tour, s’est<br />
mutiné il y a un an, tandis que le colonel<br />
Sultani Makenga, commandant en<br />
second de l’armée congolaise au Sud-<br />
Kivu, lui aussi tutsi, mais partisan de<br />
Nkunda, a empêché ses hommes de<br />
rejoindre Bosco qu’il considère comme<br />
un traître.<br />
Lorsque Kabila, pour punir Bosco<br />
qui avait jusqu’alors le soutien de<br />
Kigali, met fin à l’opération Amani<br />
Leo, traque contre les rebelles hutus<br />
des Forces démocratiques pour la libération<br />
du Rwanda (FDLR), il suscite la<br />
mauvaise humeur de Kigali. C’est dans<br />
Bosco Ntaganda (à droite) pourrait être également poursuivi<br />
pour des crimes commis au Kivu, alors qu’il servait l’armée congolaise.<br />
ces circonstances que naît le mouvement<br />
rebelle du M23 le 6 mai 2012,<br />
créé par Makenga. L’éclatement du<br />
M23 en février 2013 et la défaite de ses<br />
partisans en mars incite Bosco à fuir la<br />
République démocratique du Congo<br />
(RDC) puis à se livrer à l’ambassade<br />
des États-Unis à Kigali. Mais sa reddition<br />
suscite beaucoup de spéculations<br />
quant à sa motivation. A-t-il préféré<br />
l’abri d’une prison à la vindicte de<br />
Kigali ou de Kinshasa, qui peuvent<br />
estimer que cet exécutant des basses<br />
œuvres peut dénoncer ses maîtres d’antan<br />
? Une chose est sûre : officielle-<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
ment, il n’est poursuivi que pour les<br />
crimes commis en Ituri par l’UPC, ce<br />
qui en principe dédouane les deux capitales.<br />
Mais le dossier peut s’étoffer.<br />
Sous la pression des organisations des<br />
droits de l’homme, le général Ntaganda<br />
pourrait être également poursuivi pour<br />
les crimes commis au Kivu, alors qu’il<br />
servait l’armée congolaise. Cela serait<br />
embarrassant pour le président Joseph<br />
Kabila, qui pourrait se voir reprocher<br />
d’avoir laissé faire.<br />
Dans ce contexte, survient un autre<br />
événement important: le vote, le<br />
28 mars, de la résolution 2098 du
Conseil de sécurité de l’Onu, instaurant<br />
la mise en place d’une brigade africaine<br />
d’intervention contre les groupes<br />
armés au Kivu. Celle-ci doit être intégrée<br />
au sein de la Mission des Nations<br />
unies pour la stabilisation du Congo<br />
(Monusco) et composée de 3 069 éléments<br />
provenant de Tanzanie,<br />
d’Afrique du Sud et du Malawi. Ces<br />
troupes comprendront trois bataillons<br />
d’infanterie, une compagnie d’artillerie,<br />
une autre de reconnaissance et des<br />
forces spéciales pour neutraliser et<br />
désarmer les groupes armés.<br />
Pour l’ambassadeur congolais à<br />
Bruxelles, Henri Mova Sakanyi, cette<br />
résolution portée par la Communauté<br />
de développement d’Afrique australe<br />
(SADC) et cautionnée par la région<br />
des Grands Lacs, via la Conférence<br />
internationale des pays de la région<br />
des Grands Lacs (CIRGL), constitue<br />
« un succès diplomatique majeur pour<br />
la RDC ». Elle exprime « un devoir de<br />
solidarité » de la Communauté internationale<br />
envers un État membre en<br />
D. R.<br />
« L’ONU CHOISIT DE FAIRE LA GUERRE<br />
proie à des agressions à répétition de<br />
ses voisins. Pour le diplomate congolais,<br />
la résolution 2098 est une « révolution<br />
» dans l’histoire des relations<br />
internationales : c’est la première fois<br />
que les Casques bleus pourront, selon<br />
le chapitre VII de la charte onusienne,<br />
engager « expressis verbis » une<br />
action offensive contre des forces<br />
négatives partout où la paix est menacée<br />
en RDC, et ne plus se borner à un<br />
rôle d’observation des hostilités.<br />
Mais le vote de la résolution de<br />
l’Onu inquiète un certain nombre<br />
d’ONG. Elles redoutent que le<br />
déploiement de la brigade corresponde<br />
au choix d’une solution exclusivement<br />
militaire. Or, l’instabilité a<br />
aussi des causes sociales et politiques,<br />
dit-on dans le monde associatif. Et<br />
paradoxalement, il n’est pas sûr que la<br />
perspective du déploiement de cette<br />
brigade contribue à calmer les esprits.<br />
Alors que la faction du M23 de Sultani<br />
Makenga semblait prête à signer<br />
un accord de paix avec Kinshasa, prévoyant<br />
l’intégration de ses troupes<br />
dans les Forces armées de la République<br />
démocratique du Congo<br />
(FARDC), la création de la brigade<br />
d’intervention vient de raidir la position<br />
des rebelles du M23 engagés<br />
depuis décembre dans de laborieux<br />
pourparlers de paix à Kampala.<br />
Dans un communiqué daté du<br />
1 er avril, le M23 a dénoncé la décision<br />
du Conseil de sécurité de créer une<br />
telle brigade. Au lieu d’« encourager<br />
une solution politique, en apportant<br />
un appui substantiel aux négociations<br />
politiques de Kampala » entre le M23<br />
et Kinshasa, l’Onu choisit de « faire la<br />
guerre contre l’un des partenaires<br />
pour la paix », a dénoncé le président<br />
politique du M23, Bertrand Bisimwa.<br />
En outre, la mise en place de cette<br />
force n’ira pas sans problèmes. Il est<br />
question qu’elle soit placée sous le<br />
contrôle d’un officier indien. Or,<br />
l’Inde ne participe à la Monusco qu’à<br />
des conditions particulières et restrictives<br />
en ce qui concerne l’engagement<br />
de ses troupes. Les responsables des<br />
unités africaines pourraient donc avoir<br />
quelques difficultés à être commandés<br />
par un général appartenant à une<br />
CONTRE UN PARTENAIRE DE LA PAIX ». BERTRAND BISIMWA, DU M23<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
nation qui expose moins ses propres<br />
compatriotes au feu de l’ennemi.<br />
Pendant ce temps, la situation<br />
demeure fragile au Katanga où l’on a<br />
enregistré le 23 mars un nouvel épisode<br />
tragique avec la mort de trentecinq<br />
personnes, lors d’affrontements<br />
entre un groupe de rebelles maï-maï et<br />
l’armée congolaise, dans la capitale<br />
provinciale Lubumbashi. Au nombre<br />
de 250 personnes environ, les<br />
rebelles, armés sommairement de<br />
fusils de chasse, de machettes, d’arcs<br />
et de flèches, se sont finalement rendus<br />
à la Monusco après avoir traversé<br />
la ville de Lubumbashi et plusieurs<br />
quartiers environnants, au terme d’un<br />
combat sanglant avec la Garde républicaine<br />
de Joseph Kabila.<br />
◗ Violence chronique<br />
Selon les témoins, ces Maï-Maï, qui<br />
appartiennent au groupe Bakata<br />
Katanga de Ferdinand Kazadi Ntanda<br />
Imena Mutombo, ont reçu un accueil<br />
plutôt favorable d’une partie de la<br />
population. Des femmes ont jeté leurs<br />
pagnes sous leurs pas en signe de<br />
bienvenue, tandis que les passants ont<br />
applaudi le cortège. Les revendications<br />
des rebelles semblaient avoir un<br />
caractère politique et social. « Nous<br />
sommes fatigués d’être des esclaves !<br />
Nous ne voulons plus de cette souffrance<br />
! », ont-ils déclaré aux agents<br />
de la Monusco. Certains arboraient<br />
même autour de la tête un bandeau<br />
aux couleurs de l’ancien drapeau du<br />
Katanga. Le groupe comprenait des<br />
hommes, mais aussi des femmes et<br />
des enfants. Ce n’est qu’au centre<br />
ville, place de la Poste que les choses<br />
ont commencé à dégénérer : des manifestants<br />
ont déchiré le drapeau congolais<br />
et hissé celui du Katanga sécessionniste.<br />
Et la Garde républicaine a<br />
ouvert le feu.<br />
Une fois encore, ce genre d’incidents<br />
témoigne à la fois d’une inquiétante<br />
défaillance des services de renseignement<br />
et de l’ignorance<br />
pathétique du pouvoir, ou de son<br />
indifférence face à la situation d’abandon<br />
des populations des zones les plus<br />
reculées des provinces. À l’instar des<br />
Enyele de l’Équateur ou des partisans<br />
de la secte politico-religieuse du<br />
Bundu dia Kongo », au Bas-Congo. Il<br />
faudra plus que la comparution en justice<br />
de Bosco Ntaganda, alias « le Terminator<br />
», pour asseoir la stabilité en<br />
RDC. ■<br />
39
40 Afrique<br />
Sénégal L’arrivée de Macky Sall au pouvoir, la médiation de Sant’Egidio et la fatigue manifeste<br />
des indépendantistes auront-elles raison du conflit qui dure depuis trente ans dans la région<br />
méridionale du pays ?<br />
Par Corinne Moncel<br />
Enfin la paix en Casamance ?<br />
Plus de trente ans que la guerre<br />
pour l’indépendance dure en Casamance.<br />
Et peut-être, enfin, un troisième<br />
cessez-le-feu en vue depuis le<br />
début du conflit, en décembre 1982, à la<br />
suite d’une manifestation à Zinguichor,<br />
la capitale régionale, durement<br />
réprimée par les forces de l’ordre.<br />
Les Casamançais y dénonçaient le<br />
« mépris culturel » et la « confiscation<br />
» de leurs terres par les « nordistes<br />
». Un premier cessez-le-feu<br />
avait été signé en 1991 avec le Mouvement<br />
des forces démocratiques de<br />
la Casamance (MFDC), puis un<br />
deuxième en 2004, sans effet durable.<br />
Rien depuis. Sinon l’explosion du<br />
MFDC en de multiples factions mili-<br />
taires et politiques à la mort de son<br />
leader historique, l’abbé Diamacoune<br />
Senghor, en 2007, l’alternance<br />
de périodes d’accalmie et d’embuscades<br />
meurtrières, l’exaspération et<br />
la lassitude de la population, première<br />
victime d’un conflit qui a fait des milliers<br />
de morts et des dizaines de milliers<br />
de déplacés. Jusqu’à ce que celui qui<br />
avait promis de régler le conflit « en<br />
cent jours » à son accession au pouvoir<br />
en 2000, Abdoulaye Wade, passe le<br />
témoin présidentiel et le bébé casamançais<br />
à Macky Sall, en mars 2012.<br />
◗ Geste « humanitaire »<br />
L’ancien président avait, certes,<br />
réitéré les appels au dialogue avec la<br />
rébellion jusqu’à la veille de son départ,<br />
tout en jouant la carte du pourrissement.<br />
L’arrivée de Sall, qui a d’emblée tendu<br />
la main aux trois principaux chefs militaires<br />
rebelles, Salif Sadio, César Atoute<br />
Badiatte et Ousmane Niantang Diatta –<br />
mais sans rien promettre –, a en revanche<br />
suscité un appel d’air. Salif Sadio, chef<br />
du front Nord, présenté comme le plus<br />
ultra et le plus incontrôlable des indépendantistes,<br />
avait déjà fait savoir au<br />
régime précédent qu’il était prêt à négocier<br />
si c’était hors du pays, et sous<br />
l’égide de la communauté catholique<br />
italienne Sant’Egidio, bien connue pour<br />
ses médiations dans nombre de conflits<br />
(Mozambique, Algérie, Burundi…).<br />
En août 2012, Ousmane Niantang<br />
« Trop de sang a coulé », a déclaré le rebelle<br />
O. Niantang Diatta, ici entouré de ses combattants.<br />
Diatta faisait de même. Tout en mettant<br />
comme condition aux pourparlers la<br />
levée du mandat d’arrêt international<br />
contre Mamadou Nkrumah Sané, exilé à<br />
Paris depuis 1993 et « secrétaire général<br />
» du MFDC pour la plupart des<br />
rebelles. Mais pas pour la faction de<br />
César Atoute Badiatte qui, depuis sa<br />
destitution par Diatta en 2010, semble<br />
en perte de vitesse au sein du MFDC.<br />
En octobre, Sant’Egidio entrait officiellement<br />
dans la danse pour faciliter<br />
les relations entre le gouvernement et<br />
les rebelles. Salif Sadio réitérait son<br />
désir de négocier sur les bases énoncées<br />
neuf mois plus tôt, en y ajoutant la<br />
levée du mandat d’arrêt international à<br />
son encontre émis par le gouvernement<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
Wade. Pour établir un « climat favorable<br />
» aux discussions, Sant’Egidio<br />
lui a demandé de faire un geste « humanitaire<br />
» : libérer huit prisonniers de<br />
guerre. Ce qui fut fait très protocolairement<br />
le 9 décembre 2012 en territoire<br />
casamançais.<br />
Le 12 avril dernier, les choses se<br />
sont accélérées : malgré des attaques<br />
meurtrières en février – non revendiquées<br />
–, Sant’Egidio, « informée<br />
par la présidence de la République<br />
du Sénégal », a annoncé : « Il<br />
n’existe aucun mandat d’arrêt<br />
envers Salif Sadio. » Cinq jours plus<br />
tard, en exclusivité sur la chaîne<br />
télévisée nationale, la RTS, Ousmane<br />
Niantang Diatta s’est publiquement<br />
engagé en faveur des pour-<br />
D. R.<br />
parlers : « Trop de sang a coulé en<br />
Casamance. La peur a été installée<br />
partout, à cause de la guerre. […]<br />
Je demande à tous les combattants,<br />
de l’est à l’ouest, de déposer les<br />
armes, pour un troisième cessez-le-<br />
feu, pour aboutir à la paix avec des<br />
négociations justes et sincères. »<br />
La fin d’un long cauchemar pour les<br />
Casamançais, dont les jeunes n’ont<br />
connu que la guerre ? Même si les<br />
héros sont manifestement fatigués et<br />
que Sadio semble s’être affranchi de<br />
son tuteur, le Gambien Yayah Jammeh,<br />
régulièrement accusé par Dakar<br />
de vouloir entretenir l’instabilité au<br />
Sénégal, rien n’est moins sûr. Car il<br />
faudra démanteler toute l’économie de<br />
guerre qui gangrène la Casamance<br />
depuis trois décennies : pillages, razzias,<br />
trafics de bois, de drogue, de<br />
primes aux fausses intermédiations…<br />
La guerre du développement a commencé.<br />
■<br />
« JE DEMANDE À TOUS LES COMBATTANTS, DE L’EST<br />
À L’OUEST, DE DÉPOSER LES ARMES. » OUSMANE NIANTANG DIATTA
Lettre d’Afrique australe<br />
Ressources naturelles: aubaine ou malheur ?<br />
L’Afrique Australe regorge de<br />
richesses naturelles. Cela devrait<br />
contribuer significativement au<br />
développement économique, faciliter<br />
la sortie de la misère pour des<br />
millions de gens au-dessous du seuil de pauvreté.<br />
En est-il ainsi?<br />
Depuis des décennies, les ressources naturelles<br />
– eau, terres fertiles, charbon, gaz, pétrole,<br />
cuivre, or, diamants, etc. – n’ont cessé d’être<br />
exploitées, mais force est de constater qu’elles<br />
ont peu profité à la majorité des gens. Ces ressources,<br />
y compris humaines, ont déclenché la<br />
convoitise depuis toujours. D’abord la traite des<br />
esclaves, puis l’occupation des terres par les<br />
colons, enfin, le déferlement des entreprises<br />
minières des pays colonisateurs et de leurs<br />
alliés. Cela n’a pas été une aubaine pour les<br />
peuples concernés, au contraire : elles leur ont<br />
infligé beaucoup de malheurs et de souffrances.<br />
Les luttes politiques et les armées de libération<br />
nationale ont abouti à la conquête des indépendances.<br />
Mais la présence d’importantes ressources minières a souvent<br />
été un obstacle pour y arriver. Ainsi, la France a<br />
retardé l’indépendance algérienne à cause du pétrole. Les<br />
intérêts belges sur les mines de la richissime province du<br />
Katanga ont provoqué une succession de soubresauts et<br />
l’ignoble assassinat de Lumumba et de ses compagnons.<br />
Ce n’est pas un hasard si les indépendances des pays<br />
membres de l’ancienne Fédération de la Rhodésie et du<br />
Nyassaland, de la Namibie, des colonies de l’Angola et du<br />
Mozambique, voire la fin du régime d’apartheid en<br />
Afrique du Sud, ont été acquises bien plus tard que dans<br />
le reste de l’Afrique, et souvent après des longues luttes<br />
armées de libération.<br />
L’appétit étranger pour les richesses de ces pays<br />
explique ces blocages. Qui plus est, pendant la guerre<br />
froide, le colonialisme et l’apartheid étaient perçus en<br />
Occident comme des alliés contre le prétendu danger<br />
soviétique. Après les indépendances de l’Afrique australe<br />
et la chute de l’apartheid, qu’est-il arrivé?<br />
Le gouvernement du Mozambique a pu signer à Rome<br />
un accord de paix avec la Renamo, parti instrument de la<br />
Rhodésie de Ian Smith et de l’Intelligence militaire du<br />
Sud-Africain Piether Botha. Les vingt-huit années de<br />
guerre ont contraint le pays à se soumettre aux diktats de<br />
Bretton Woods et à chasser toute idée de socialisme.<br />
L’Angola a également dû affronter une longue et destructrice<br />
guerre contre les<br />
alliés de l’apartheid, soutenus<br />
ouvertement par la<br />
première puissance mondiale,<br />
les États-Unis.<br />
Cependant, les bonnes<br />
Par Sergio Vieira<br />
Membre fondateur<br />
du Frelimo et<br />
plusieurs fois<br />
ministre du<br />
Mozambique,<br />
aujourd'hui écrivain<br />
et professeur retraité<br />
à l’université<br />
Eduardo-Mondlane<br />
de Maputo.<br />
UN PILLAGE INSTITUTIONNALISÉ<br />
QUI RUINE LES POPULATIONS LOCALES.<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
D. R.<br />
relations de ce pays avec les compagnies pétrolières<br />
occidentales ont finalement pesé sur l’issue<br />
du conflit, qui a vu la disparition de Savimbi,<br />
le leader de l’Unita.<br />
Il faut reconnaître aujourd’hui que la misère<br />
dans laquelle était plongée la majorité de la<br />
population a bien diminué. Dans les campagnes,<br />
les gens bâtissent de plus en plus souvent des<br />
maisons en briques, l’électricité couvre presque<br />
tous les districts du pays, et des antennes de<br />
télévision surgissent comme des champignons.<br />
Quelque dix millions de Mozambicains, sur un<br />
total de vingt-trois millions, possèdent un<br />
mobile, les gens s’habillent et sont chaussés. À<br />
présent, la pauvreté en ville est plus frappante<br />
qu’à la campagne. Toutefois, le mieux-être rural<br />
n’est pas la conséquence de l’exploitation du<br />
sous-sol, mais du simple fait qu’avec la paix<br />
retrouvée le paysan a pu reprendre le travail.<br />
Enfin, un nouveau scandale a récemment éclaté<br />
dans le pays : une compagnie qui exploite le gaz<br />
a voulu vendre une partie de ses actions à l’extérieur, de<br />
façon à ne pas payer les impôts au pays ! Une bagatelle<br />
de quelques centaines de millions de dollars, voire des<br />
milliards!<br />
Tout n’est pas sombre, bien entendu. En Angola, grâce<br />
aux rendements du pétrole et des diamants, on a pu<br />
reconstruire les villes du Centre et du Sud, détruites pendant<br />
la guerre, de même que les infrastructures indispensables<br />
au développement économique. Les ressources<br />
minières et l’exportation de viande bovine ont permis au<br />
Botswana de redistribuer suffisamment pour que sa population<br />
vive dans une certaine aisance. De progrès sont<br />
également visibles en Tanzanie et en Zambie, ainsi qu’au<br />
Zimbabwe où la levée des sanctions européennes et britanniques<br />
s’impose désormais.<br />
Moins réjouissante, la situation au Swaziland où le<br />
charbon est épuisé – tout est parti au Japon – et où le<br />
pays n’a même pas profité de sa valeur ajoutée. En<br />
Afrique du Sud, un apartheid économique demeure pour<br />
la majorité des non-Blancs et même des petits Blancs.<br />
Nul ne voit la lumière au bout du tunnel. Conséquence,<br />
les conflits sociaux et la violence ne font qu’augmenter.<br />
Où s’arrêteront-ils ? Les massacres des mineurs de platine<br />
et des paysans qui occupent des terres sont plus<br />
qu’inquiétants.<br />
En l’état actuel des choses, on ne peut avoir qu’une<br />
conclusion : les populations d’Afrique australe souffrent<br />
encore trop des malheurs<br />
induits par la convoitise<br />
sur les ressources naturelles<br />
pour se réjouir de<br />
leur abondance.<br />
La lutte continue!■<br />
41
42 Monde arabe Algérie<br />
Institution La réforme de la Constitution a été lancée par le président Abdelaziz Bouteflika. Il<br />
en attend dans des délais brefs des amendements pour réparer les failles de celle en vigueur,<br />
qui a néanmoins donné des assises solides à l’État national.<br />
Par Hamid Zedache<br />
Un an avant la prochaine élection<br />
présidentielle prévue mi-<br />
2014, le président Abdelaziz<br />
Bouteflika a lancé un chantier institutionnel<br />
d’une très grande portée. Il<br />
s’agit d’apporter des amendements à<br />
la Constitution en vigueur, elle-même<br />
résultat de plusieurs ajustements, mais<br />
qui a fait ses preuves dans les tempêtes<br />
successives traversées par l’Algérie.<br />
Le chef de l’État a chargé une<br />
commission d’experts d’élaborer<br />
l’avant-projet de révision constitutionnelle,<br />
qui doit couronner le processus<br />
de réformes globales mis sur les rails<br />
depuis son accession au pouvoir en<br />
1999. Ce processus a avancé parallèlement<br />
à la reconstruction économique<br />
et sociale pour effacer les séquelles de<br />
la décennie terroriste, qui a failli<br />
engloutir les institutions républicaines.<br />
◗ Principes fondateurs<br />
La commission devra notamment<br />
s’appuyer sur les propositions émises<br />
par les divers acteurs politiques et<br />
sociaux associés aux consultations<br />
nationales de l’été 2011. Elles ont été<br />
supervisées par le président du Sénat,<br />
Abdelkader Bensalah, et lors des<br />
contacts pris à sa suite par le premier<br />
ministre Abdelamalek Sellal. Ce dernier<br />
a été chargé d’installer la commission,<br />
constituée de professeurs<br />
d’université – dont une femme – choisis<br />
pour leur compétence reconnue en<br />
la matière et pour leur probité morale.<br />
La présidence de la République a<br />
annoncé le lancement des travaux en<br />
ces termes : « Les réformes politiques<br />
initiées par le président de la République<br />
en vue de consolider la démocratie<br />
représentative dans notre pays,<br />
de conforter les fondements de l’État<br />
de droit et de renforcer les droits et<br />
libertés du citoyen ont été le résultat<br />
tangible d’une large consultation poli-<br />
Sur les rails<br />
tique, tant en ce qui concerne leur<br />
volet législatif que leur volet constitutionnel.<br />
Les propositions formulées<br />
par les différents acteurs politiques et<br />
sociaux qui ont participé aux deux<br />
consultations sur ces réformes, menées<br />
successivement par le président du<br />
Conseil de la nation et le premier<br />
ministre, ont fait l’objet, dans leur<br />
volet constitutionnel, d’une exploitation<br />
intégrale et d’un travail de synthèse,<br />
par un groupe de travail qualifié<br />
institué à cet effet. Ce travail,<br />
récemment, achevé, a donné lieu à un<br />
document préliminaire qui a été soumis<br />
à la haute appréciation du président<br />
de la République. À l’examen de<br />
ce document, le chef de l’État a décidé<br />
de mettre en place la commission<br />
d’experts chargée d’élaborer un<br />
avant-projet de loi portant révision<br />
constitutionnelle. Cet avant-projet<br />
devra s’appuyer, à la fois, sur les propositions<br />
retenues des acteurs politiques<br />
et sociaux, et sur les orientations<br />
du président de la République, et<br />
ce, en vue de leur traduction en dispositions<br />
constitutionnelles. »<br />
Il faut rappeler que dès son arrivée au<br />
pouvoir en 1999, le président Bouteflika<br />
avait indiqué sa volonté de réformer<br />
la Constitution hybride – ni parlementaire,<br />
ni présidentielle – dont il<br />
héritait dans des conditions difficiles.<br />
Mais l’agenda de la reconstruction<br />
nationale et de la réconciliation s’est<br />
imposé à lui. Le cap a été pointé de<br />
nouveau en avril 2011 par le chef de<br />
l’État: « Nous sommes aujourd’hui<br />
appelés à aller de l’avant dans l’approfondissement<br />
du processus démocratique,<br />
le renforcement des bases de<br />
l’État de droit, la réduction des dispari-<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
tés et l’accélération du développement<br />
socio-économique. Cette mission ambitieuse<br />
et décisive pour l’avenir de notre<br />
pays exige l’adhésion de la majorité, la<br />
participation de toutes les forces politiques<br />
et sociales et la contribution des<br />
compétences nationales. Elle requiert<br />
aussi un État fort capable d’instaurer<br />
une plus grande confiance entre l’administration<br />
et les citoyens. Un État<br />
reposant sur une administration compétente<br />
et crédible et un système judiciaire<br />
placé sous la seule autorité de la<br />
loi. » Dans sa première phase, le bouquet<br />
de réformes institutionnelles s’est<br />
traduit par la révision de la loi électorale,<br />
qui réserve aux femmes au moins<br />
30 % des sièges des assemblées élues,<br />
l’abrogation de l’état d’urgence, la<br />
dépénalisation des délits de presse et<br />
l’ouverture de l’audiovisuel.<br />
Inaugurant les travaux des experts,<br />
le premier ministre a indiqué qu’aucune<br />
« limite préalable » n’a été fixée<br />
à la révision constitutionnelle. En<br />
dehors des « constantes nationales et<br />
des valeurs et principes fondateurs de<br />
la société algérienne », qui « incarnent<br />
sa longue histoire, sa civilisation<br />
millénaire et une vision d’avenir portée<br />
par des valeurs et principes partagés<br />
par l’ensemble des citoyens algériens<br />
», a-t-il dit, le champ est libre<br />
devant les experts. Il n’est ainsi pas<br />
question de remettre en cause la nature<br />
républicaine du régime, le pluralisme<br />
politique, les droits démocratiques<br />
individuels et collectifs acquis tout au<br />
long de ces dernières décennies, l’islam<br />
et la langue arabe comme langue<br />
nationale et officielle, le tamazigh<br />
comme langue nationale, le régime<br />
représentatif et la souveraineté popu-<br />
UNE OCCASION POUR LES PARTIS POLITIQUES<br />
DE PARTICIPER AUX GRANDS DÉBATS NATIONAUX.
laire comme source unique de la loi,<br />
l’égalité hommes-femmes, la liberté<br />
de conscience, d’expression et du<br />
culte, l’alternance au pouvoir, etc.<br />
En dehors des islamistes en nette<br />
perte de vitesse, qui plaident comme<br />
partout ailleurs où ils ont pignon sur<br />
rue en faveur d’un régime parlemen-<br />
taire, source d’instabilité chronique,<br />
selon les constitutionnalistes, la plupart<br />
des partis politiques algériens<br />
estiment nécessaire de conserver un<br />
régime présidentiel, à l’américaine –<br />
avec un vice-président élu sur le<br />
même ticket que le chef de l’État ou<br />
nommé par lui –- ou semi-présidentiel<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
APS<br />
Au tour du premier ministre Abdelmalek<br />
Sellal, les membres de la commission<br />
chargée d’élaborer l’avant-projet<br />
de la révision constitutionnelle.<br />
Ci-contre, le parlement algérien.<br />
à la française, quitte à en tempérer les<br />
excès par un rééquilibrage des pouvoirs<br />
entre les deux têtes de l’exécutif<br />
et le législatif. Ils sont aussi pour une<br />
indépendance totale du pouvoir judiciaire,<br />
certains allant jusqu’à réclamer<br />
la rupture de tout lien entre le parquet<br />
et le ministère de la Justice. D’autres<br />
sont pour la limitation de la durée et<br />
du nombre des mandats électifs et le<br />
non-cumul des mandats.<br />
L’avant-projet sera-t-il soumis au<br />
Parlement ou à un référendum populaire<br />
pour être approuvé? Pour Abdelmalek<br />
Sellal, les deux options restent<br />
ouvertes. « Si les amendements touchent<br />
aux équilibres du pouvoir, un<br />
référendum s’imposera. » Sinon, il<br />
reviendra au Parlement d’en débattre et<br />
d’en décider. Dans les deux cas, ce<br />
sera une occasion pour les partis politiques<br />
de manifester leur ancrage dans<br />
la société et de confirmer leur présence<br />
dans les grands débats nationaux. ■<br />
43<br />
APS
44 Monde arabe Algérie<br />
APS<br />
Le paysage audiovisuel suscite un intérêt grandissant chez les Algériens, plutôt attachés à leurs chaînes nationales.<br />
À dr., le ministre de la Communication Mohamed Saïd (à dr.) est un ancien journaliste.<br />
Médias La mise en concurrence dans l’audiovisuel est en route. Elle se fera dans le respect<br />
d’impératifs afin de ne pas transformer en foire d’empoigne ce domaine sensible entre tous.<br />
Ouverture, éthique et bonnes pratiques<br />
Par Philippe Lebeaud<br />
L<br />
’Algérie a été la première en<br />
Afrique et dans le monde arabe<br />
à libéraliser il y a plus de vingt<br />
ans la presse écrite, qui compte aujourd’hui<br />
une bonne cinquantaine de titres<br />
indépendants, d’une liberté de contenu<br />
et de ton assez remarquable. Mais elle<br />
a sans doute tardé à ouvrir l’audiovisuel<br />
à la concurrence. Les dures<br />
épreuves traversées par le pays durant<br />
la décennie noire du terrorisme justifient<br />
largement l’hésitation des pouvoirs<br />
publics. Les autorités n’en ont<br />
pas moins fait bouger les lignes avec<br />
prudence, mais résolument. La loi sur<br />
l’information de 1990 stipulait déjà :<br />
« Les organes et les titres du secteur<br />
public ne doivent en aucune circonstance<br />
tenir compte d’influences ou de<br />
considérations de nature à compro-<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
mettre l’exactitude de l’information.<br />
Ils assurent l’égal accès à l’expression<br />
des courants d’opinion et de pensée. »<br />
La flambée terroriste a fait rater le<br />
tournant.<br />
◗ Création contre bureaucratie<br />
En 2011, tandis que le terrorisme<br />
vaincu cédait la place à la réconciliation<br />
nationale, un pas de plus a été<br />
franchi lorsque le président Bouteflika
a appelé à plus grande ouverture des<br />
médias publics, en particulier la télévision<br />
qui, contrairement à la radio, ne<br />
parvenait pas à s’affranchir des codes<br />
convenus. Dans une communication<br />
au conseil des ministres, le chef de<br />
l’État, soulignant que l’Algérie était<br />
entrée dans l’ère de « la démocratie<br />
pluraliste », avait demandé : « La télévision<br />
et la radio doivent assurer la<br />
couverture des activités de l’ensemble<br />
des partis et organisations nationales<br />
agréés et leur ouvrir équitablement<br />
leurs canaux. » Car, avait-il indiqué,<br />
« aucune loi ni instruction n’a jamais<br />
interdit l’accès des partis politiques à<br />
la télévision et à la radio ». Cet appel<br />
devait battre en brèche l’attentisme<br />
des directeurs qui s’étaient succédé à<br />
la tête de l’audiovisuel et qui privilégiaient<br />
l’instruction bureaucratique à<br />
l’initiative créatrice.<br />
Depuis, les choses ont bien évolué.<br />
Même si l’opposition garde ses<br />
réserves – réclamant toujours plus –,<br />
les débats organisés par l’audiovisuel<br />
public ont gagné en notoriété auprès<br />
de l’opinion publique, assurant aux<br />
acteurs politiques dans leur diversité<br />
des tribunes recherchées. Un degré<br />
supplémentaire a été franchi un peu<br />
plus tard, lorsque le chef de l’État, en<br />
même temps qu’il annonçait la dépénalisation<br />
des délits de presse, donnait<br />
mandat aux responsables du secteur de<br />
« proposer les voies et les moyens<br />
d’améliorer le paysage audiovisuel, de<br />
promouvoir la communication par le<br />
biais des nouvelles technologies de<br />
l’information et d’identifier les<br />
domaines à travers lesquels l’aide<br />
publique contribuera à l’épanouissement<br />
de la presse écrite ». Il appelait<br />
par ailleurs, dans le droit fil des<br />
réformes politiques et institutionnelles,<br />
à la création d’une autorité de<br />
régulation des médias, chargée de<br />
« veiller au respect des principes<br />
consacrés par la liberté d’expression,<br />
de garantir un accès équitable des<br />
partis politiques aux médias audiovisuels<br />
et de concourir au respect de<br />
l’éthique et de la déontologie ».<br />
Les téléspectateurs algériens, qui ont<br />
pris goût à la diversité télévisuelle en<br />
se branchant sur des télévisions étrangères<br />
reçues par satellite, ne cachaient<br />
pas leur frustration en attendant le lancement<br />
de chaînes algériennes indépendantes.<br />
Quelques créateurs entre-<br />
LE PAYS DISPOSE DE TALENTS CAPABLES DE LIBÉRER<br />
LE TÉLÉSPECTATEUR DE LA TUTELLE TÉLÉVISUELLE ÉTRANGÈRE.<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
APS<br />
prenants n’ont certes pas attendu la loi<br />
et se sont jetés dans l’eau en émettant<br />
à partir de l’étranger. Mais leurs<br />
conditions de travail précaires n’encourageaient<br />
pas les investisseurs à<br />
leur accorder les moyens de leur développement.<br />
◗ Nouvelle loi<br />
En fait, les autorités, qui avaient privilégié<br />
l’installation et le développement<br />
de radios thématiques et régionales<br />
– une radio par département et<br />
cinq radios nationales –, devaient<br />
aussi résoudre une équation difficile :<br />
ouvrir le secteur télévisuel sans déclencher<br />
une foire d’empoigne entre<br />
concurrents privilégiant l’audience<br />
pour l’audience, au risque de dérapages<br />
préjudiciables à la qualité des<br />
programmes. L’équilibre était difficile<br />
à trouver entre impératifs financiers et<br />
raisons éthiques, déontologiques et<br />
politiques. Les expériences récentes<br />
dans le monde arabe et en Afrique le<br />
confirment.<br />
C’est au nouveau ministre de la<br />
Communication, Mohamed Saïd, journaliste<br />
lui-même avant de bifurquer<br />
temporairement vers la diplomatie,<br />
qu’il reviendra de défendre le projet<br />
de loi sur la libération de l’audiovisuel<br />
devant la représentation nationale. Il<br />
estime que si l’Algérie a intérêt à<br />
ouvrir le champ télévisuel à des professionnels<br />
algériens motivés par autre<br />
chose que l’appât immédiat du gain,<br />
afin de détourner les téléspectateurs<br />
des chaînes étrangères proposant des<br />
idéologies et des modes de vie étrangers<br />
au pays, il est indispensable que<br />
cette ouverture se fasse dans le respect<br />
de critères éthiques et professionnels<br />
permettant l’émergence d’une presse<br />
de haut niveau.<br />
La nouvelle loi est attendue avec<br />
d’autant plus d’impatience par les professionnels<br />
de l’information, de la culture<br />
et du divertissement que, il faut le<br />
rappeler, l’Algérie a beaucoup investi<br />
ces dernières années dans les établissements<br />
de formation liés aux médias.<br />
Elle dispose d’équipes prêtes et de<br />
nombreux talents capables de relever<br />
le défi télévisuel: présenter aux Algériens<br />
des programmes qui les concernent<br />
dans une forme moderne et<br />
agréable à suivre, avec un contenu qui<br />
fasse avancer la réflexion et leur ouvre<br />
de nouveaux horizons. Pour libérer<br />
enfin le téléspectateur d’une certaine<br />
tutelle télévisuelle étrangère. ■<br />
45
46 Monde arabe<br />
Tunisie En attendant des élections que personne ne voit venir, le pays vit sous de gros nuages<br />
sombres, au rythme d’une contestation politique et sociale annonciatrice de graves affrontements.<br />
Par Hamid Zyad Envoyé spécial<br />
En cette fin de printemps tardif,<br />
Tunis baigne dans une étrange<br />
atmosphère, maussade. La combativité<br />
se mêle à la résignation. Chacun<br />
attend les jours meilleurs que, pessimistes,<br />
peu de Tunisiens voient<br />
venir. La tragédie de l’assassinat de<br />
Chokri Belaid, le leader de la gauche<br />
démocratique, dont les meurtriers courent<br />
toujours malgré les promesses<br />
réitérées du gouvernement de les<br />
retrouver au plus vite, est passée par<br />
là. À peine apaisé, le bras de fer entre<br />
le gouvernement et le principal syndicat,<br />
l’UGTT, ne cesse de rebondir,<br />
chacune des parties accusant l’autre<br />
d’arrière-pensées politiciennes. Les<br />
salafistes crèvent d’envie d’en<br />
découdre avec les démocrates. Ils<br />
entretiennent la tension autour des 500<br />
mosquées dont ils se sont rendus<br />
maîtres et dont ils se servent comme<br />
autant de tremplins pour asséner leurs<br />
coups au pouvoir.<br />
◗ « Mode survie »<br />
Un de leurs chefs en cavale, le djihadiste<br />
Abou Iyadh, impliqué dans<br />
l'attaque de l'ambassade des États-<br />
Unis à Tunis en septembre 2012, a<br />
menacé de faire tomber le gouvernement<br />
par la violence si ses partisans<br />
n’étaient pas libérés. Le chef des<br />
Ligues de défense de la révolution<br />
(LDR), une milice au service du pouvoir<br />
islamiste, promet de s’opposer<br />
par la force aux rassemblements politiques<br />
de l’opposition, sans n’être nullement<br />
désavoué. Il est passé à l’acte à<br />
Gafsa – capitale du bassin minier –<br />
pour tenter de perturber un meeting de<br />
Nidaa Tounes, rival principal d’Ennahdha.<br />
Mollement protégée par la<br />
police, la réunion s’est tout de même<br />
déroulée en présence de plus de 10 000<br />
personnes. Des parents angoissés se<br />
présentent tous les jours à la télévision<br />
Le calme et la tempête<br />
Reuters<br />
À Bizerte, le 16 avril dernier : heurts entre des jeunes et la police, après un match<br />
de football. En vérité, le sport sert juste de prétexte pour dire son ras-le-bol.<br />
pour dénoncer l’embrigadement de<br />
leurs enfants dans le djihad en Syrie<br />
pour une cause qui n’est pas la leur.<br />
La crainte de l’enlisement taraude<br />
les marchés et les hommes d’affaires<br />
unis pour appeler à la fin de l’insécurité,<br />
alors que plusieurs investisseurs<br />
ont déjà fait leurs bagages pour des<br />
cieux plus sereins, au Maroc notamment,<br />
et que d’autres se préparent à<br />
partir.<br />
À Tunis, le regard est d’emblée<br />
agressé par le mur de barbelés de trois<br />
mètres de haut qui se dresse autour du<br />
palais du gouvernement de la Kasbah,<br />
sous les yeux pleins d’interrogations<br />
des rares touristes qui continuent à<br />
battre le pavé de la Médina. La morosité<br />
règne dans ce temple de l’artisanat<br />
et de la convivialité, d’habitude<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
grouillant de visiteurs cosmopolites<br />
s’adonnant à leur sport favori: le marchandage<br />
pour le plaisir. Assis sur un<br />
tabouret devant sa minuscule échoppe,<br />
un boutiquier ne se donne même plus<br />
la peine de faire la chasse aux clients.<br />
« Les affaires ? Quelles affaires ? On<br />
ne fait plus d’affaires. Depuis la révolution,<br />
la source de notre gagne-pain,<br />
le tourisme, a tari. Nous sommes sur<br />
le mode survie », répond ce marchand<br />
de souvenirs, les yeux tournés vers le<br />
ciel, implorant la miséricorde divine.<br />
Malgré un léger frémissement, les<br />
deux dernières saisons touristiques ont<br />
été médiocres. Hormis les Algériens,<br />
venus nombreux, les Européens,<br />
inquiets de l’insécurité pour certains,<br />
sceptiques sur l’évolution du « printemps<br />
arabe » de Tunis pour d’autres,
se sont massivement abstenus. Le<br />
Forum social mondial (FSM), rassemblement<br />
pluriannuel des altermondialistes,<br />
n’a pas drainé les foules. Il s’est<br />
terminé en queue de poisson.<br />
À la Marsa, le propriétaire du principal<br />
bazar de cette station balnéaire prisée,<br />
tiré d’une sieste qui semblait<br />
devoir se prolonger, confirme avec<br />
une pointe de colère dans la voix :<br />
« On est fatigués, on n’y arrive plus. »<br />
Il ne faut pas trop le pousser pour qu’il<br />
crie fort son exaspération : « On en a<br />
marre des blocages, du chômage, des<br />
cambriolages, des vols et des rapines.<br />
On en a marre du désordre. Vivement<br />
la sécurité, vivement la stabilité, vive<br />
Ben Ali! » Autour de lui les clients<br />
baissent les yeux. Aucun ne désapprouve.<br />
Même spectacle de camp retranché<br />
devant le ministère de l’Intérieur, en<br />
plein centre-ville, avenue Habib-Bourguiba,<br />
que les militants islamistes et<br />
leurs auxiliaires des LDR voudraient<br />
rebaptiser « avenue de la Révolution<br />
». Saisis d’une fièvre révisionniste,<br />
ils clament, l’écume aux lèvres,<br />
que l’histoire de la Tunisie doit être<br />
réécrite de A à Z pour que soit effacé à<br />
jamais le souvenir de Habib Bourguiba,<br />
père de la Nation et du Destour,<br />
le parti de l’indépendance, leur bête<br />
noire. Déjà, sous leur pression, les<br />
fêtes de l’Indépendance, le 20 mars, et<br />
des Martyrs, le 9 avril, point de basculement<br />
de la lutte nationale, ont été<br />
zappées.<br />
Paradoxalement, à quelques jours<br />
d’intervalle, le treizième anniversaire<br />
de la disparition de Bourguiba, mort<br />
dans l’isolement et la solitude après sa<br />
destitution par Zine el-Abidine Ben<br />
Ali, était commémoré avec ferveur par<br />
le peuple dans sa ville natale de<br />
Monastir. Le président provisoire de la<br />
République, Moncef Merzouki, vilipendé<br />
pour avoir promis l’opposition à<br />
la potence s’il accédait au pouvoir, et<br />
qui vient ingénument d’aggraver son<br />
cas en menaçant d’intenter des procès<br />
contre ceux qui critiqueraient le Qatar,<br />
promu bienfaiteur de la Tunisie, s’est<br />
invité aux cérémonies. Il y a célébré, à<br />
la sauvette, les multiples vertus du<br />
« bourguibisme », cette « voie<br />
moyenne », subtil dosage d’authenticité<br />
et de modernité, qui reste la<br />
marque du « combattant suprême ».<br />
Repentance ou récupération ? Posture<br />
tactique en tout cas. Car, la plupart<br />
des Tunisiens, même ceux qui<br />
s’en étaient écartés, considèrent que<br />
cette « voie moyenne », combinée à<br />
l’exercice des libertés démocratiques,<br />
reste le seul antidote à l’obscurantisme<br />
envahissant. Merzouki n’est pas loin<br />
de considérer que son unique planche<br />
de salut réside désormais dans le<br />
« marais destourien ». Abandonné par<br />
les siens, soutenu par Ennahdha<br />
comme la corde soutient le pendu, il<br />
croit pouvoir se présenter aux prochaines<br />
élections comme un<br />
« recours », l’homme du salut national,<br />
sur la base d’une synthèse réconciliant<br />
islam et démocratie, à la turque.<br />
Sans mystère, l’électorat destourien<br />
est le principal enjeu du scrutin national<br />
destiné à clore une transition<br />
vieille de plus de deux ans qui n’a que<br />
trop duré. La date de cette élection,<br />
annoncée pour la fin de l’année, fait<br />
l’objet, dans une totalité opacité, de<br />
mystérieuses tractations entre les dirigeants<br />
de la coalition majoritaire à<br />
l’Assemblée constituante. Ses<br />
membres, confortablement payés et<br />
bénéficiant d’immunités diverses, ne<br />
semblent pas pressés de remettre en<br />
jeu leur mandat.<br />
◗ Économie dans le rouge<br />
Merzouki n’est pas seul sur ce créneau.<br />
Le guide d’Ennahdha, Rached<br />
Ghannouchi, mettant en sourdine ses<br />
alliances ratées avec les salafistes et<br />
les LDR, multiplie lui aussi les avances<br />
en direction des destouriens. Au grand<br />
dam de son aile dure, qui veut les<br />
exclure pour longtemps, sinon à<br />
jamais, du paysage politique. Il chercherait<br />
ainsi à élargir sa base afin de<br />
faire contrepoids à ses encombrants<br />
alliés. Il vient de réaffirmer qu’Ennahdha<br />
ne « peut pas et ne veut pas<br />
gouverner seule », et « même avec<br />
51 % des voix, elle ne le pourrait<br />
pas ». Il reconnaît ainsi le poids et le<br />
rôle des « forces vives » dans l’administration,<br />
l’université, l’armée, la<br />
police et le monde des affaires, qui lui<br />
LE PRÉSIDENT PROVISOIRE MONCEF MERZOUKI<br />
EST SOUTENU PAR ENNAHDHA COMME LA CORDE SOUTIENT LE PENDU.<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
restent résolument hostiles.<br />
« Ennahdha a la quantité mais pas la<br />
qualité », a-t-il avoué.<br />
C’est sans doute pour couper l’herbe<br />
sous les pieds de Nidaa Tounes que les<br />
représentants d’Ennahdha à l’Assemblée<br />
constituante ont, à la surprise<br />
générale, fomenté un coup tordu en<br />
adoptant en commission un avant-projet<br />
de loi privant de leurs droits<br />
civiques pour au moins dix ans des<br />
milliers de responsables ayant exercé<br />
des fonctions politiques sous la bannière<br />
du Rassemblement démocratique<br />
constitutionnel (RCD, dissous) de Ben<br />
Ali. La peur de l’échec électoral n’est<br />
pas étrangère à ce début de panique.<br />
« Les dirigeants islamistes, qui ont<br />
pris le pouvoir par effraction dans des<br />
circonstances exceptionnelles, à la<br />
faveur d’une loi électorale taillée sur<br />
mesure, craignent qu’un échec électoral<br />
marque la fin de l’hégémonie<br />
qu’ils exercent depuis près de deux<br />
ans sur le monde politique. Rentrés<br />
pour la plupart d’un long exil, leur<br />
enracinement dans le pays est faible.<br />
Ils se comportent en étrangers et sont<br />
imprégnés de la culture islamique du<br />
“butin” à partager, qui est aux antipodes<br />
de la culture de l’État propre au<br />
bourguibisme », explique déçu et troublé,<br />
un cadre supérieur à la retraite.<br />
La lettre d’intention signée avec le<br />
FMI, que les autorités voudraient faire<br />
passer pour un bon point, a jeté le<br />
trouble dans le pays. Tous les indicateurs<br />
économiques sont au rouge vif:<br />
dette publique excessive (48 % du<br />
PIB), déficit commercial qui se creuse,<br />
solde négatif de la balance des paiements,<br />
inflation galopante (6,5 %),<br />
chômage en hausse (17,6 % en<br />
moyenne, et chômage des jeunes crevant<br />
les plafonds), croissance en<br />
berne. Appelé au secours, le FMI, en<br />
contrepartie d’un prêt de soutien à la<br />
balance des paiements, a dicté ses<br />
conditions habituelles d’inspiration<br />
néolibérale : réduction drastique des<br />
subventions aux produits de base et<br />
aux carburants, bradage des dernières<br />
entreprises publiques, allégements de<br />
la fiscalité des entreprises, gel des<br />
salaires et des allocations sociales, etc.<br />
Alors que les Tunisiens ne cessent de<br />
découvrir l’étendue de la pauvreté<br />
cachée, cette politique d’austérité<br />
dévastatrice frappera en premier lieu<br />
les plus pauvres. Elle annonce des<br />
explosions sociales à venir, prévient<br />
l’UGTT. ■<br />
47
48 Monde arabe<br />
Syrie Attirés par des discours sectaires, des centaines de jeunes Occidentaux partent combattre<br />
aux côtés des rebelles. La Belgique tente de trouver la parade, mais difficilement, tant la<br />
politique occidentale est borgne à l’égard de ce pays.<br />
Par François Janne d’Othée Bruxelles<br />
Ces djihadistes venus d’Europe<br />
Il s’appelle Jejoen Bontinck, il est<br />
belge et il a 18 ans. En février, ce<br />
jeune Anversois raconte à ses<br />
parents qu’il part en vacances aux<br />
Pays-Bas. À la mi-mars, il leur téléphone,<br />
en pleurs. Il n’est pas aux<br />
Pays-Bas, mais dans la zone rebelle<br />
en Syrie, qu’il veut quitter au plus<br />
vite. Sans plus aucune nouvelle<br />
depuis lors, son père Dimitri a décidé<br />
d’aller le récupérer tout seul. Un<br />
père follement inquiet: d’après un<br />
chercheur de l’université de Gand (et<br />
imam), une douzaine de jeunes<br />
Belges, parfois des mineurs, auraient<br />
déjà été tués sur le champ de bataille<br />
syrien. « Il se rend compte qu’il ne<br />
peut rien attendre du gouvernement<br />
belge », réagit son avocat. La Belgique<br />
peut difficilement envoyer des<br />
enquêteurs en zone insurgée, et<br />
depuis qu’elle a fermé son ambassade<br />
à Damas, elle a perdu tout<br />
contact direct avec les autorités<br />
syriennes.<br />
◗ Réseaux Salafistes<br />
Du côté des rebelles syriens, on<br />
compterait une centaine de Britanniques,<br />
« quelques dizaines » de<br />
Français, selon le ministre français de<br />
l’Intérieur Manuel Valls, des Néerlandais,<br />
des Espagnols, et plus d’une<br />
centaine de jeunes Belges, ce qui fait<br />
de la Belgique le plus gros pourvoyeur<br />
(hors pays arabes) en proportion<br />
de sa population. Qui sont-ils ?<br />
D’après la ministre de l’Intérieur<br />
Joëlle Milquet, interrogée par le journal<br />
belge La Dernière Heure, les profils<br />
sont très différents : des jeunes<br />
musulmans, des convertis, « parmi<br />
lesquels on trouve des gens très radicalisés<br />
», des idéalistes « souvent<br />
manipulés », mais aussi des « cas<br />
très lourds, suivis de près par la justice<br />
»… « Et enfin, ceux qui veulent<br />
D. R.<br />
Comment en vouloir à ces jeunes « fous de Dieu » quand l’Europe<br />
où ils vivent fait implicitement cause commune avec les rebelles islamistes?<br />
soutenir l’opposition classique »,<br />
ajoute-t-elle. En fait, la plupart ont<br />
rejoint le Front al-Nosra, un groupe<br />
djihadiste composé de quelque 4 000<br />
combattants qui a prêté allégeance au<br />
mouvement Al-Qaïda. Il compte près<br />
de deux tiers d’étrangers, principalement<br />
issus de pays arabes.<br />
Parmi les plus concernés par le<br />
phénomène, les bourgmestres<br />
(maires) d’Anvers, de Malines et<br />
Vilvorde se sont réunis pour tenter<br />
d’évaluer l’impact en termes de<br />
sécurité publique de ces jeunes guerriers<br />
qui reviennent dans les quartiers<br />
après avoir été formés par des<br />
émules d’Al-Qaïda. Dans le cas de<br />
la Syrie, « il y a des va-t-en-guerre<br />
âgés d’une quinzaine d’années, ce<br />
qui laisse présager un retour de<br />
flamme possible à terme, explique le<br />
théologien Mohamed Ramousi, au<br />
nom du Forum musulmans et société.<br />
À l’instar du gang de Roubaix<br />
entraîné en Bosnie et se livrant,<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
quelques années plus tard, en 1996,<br />
à des braquages virant au carnage<br />
urbain en France : fusillades aux<br />
armes de guerre, lance-roquettes,<br />
fusils d’assaut, grenades, meurtres,<br />
courses-poursuites… » Ramousi<br />
appelle les imams à dénoncer l’embrigadement<br />
de jeunes exaltés au<br />
nom de l’islam.<br />
En Belgique, l’ampleur du départ<br />
de jeunes combattants a justifié la<br />
mise sur pied d’une task force Syrie,<br />
une première en Europe. Cette plateforme,<br />
qui comprend notamment des<br />
représentants de l’Organe de coordination<br />
pour l’analyse de la menace<br />
(Ocam), de la Sûreté de l’État, du<br />
SGRS (renseignements de l’armée),<br />
du parquet fédéral, de la police belge<br />
et du centre de crise des Affaires<br />
étrangères, a pour objectif d’élaborer<br />
une stratégie pour empêcher que<br />
d’autres jeunes gens ne partent au<br />
combat en Syrie, et tenter de rapatrier<br />
ceux qui sont partis.
Cela exigera notamment d’identifier<br />
certains réseaux salafistes et<br />
autres groupements (comme Sharia4Belgium)<br />
qui infiltrent les mosquées,<br />
prisons et écoles. Les recruteurs<br />
qui organisent des « soirées<br />
d’information » dans des appartements<br />
privés seront pistés et certains<br />
sites Internet particulièrement surveillés.<br />
Tous sont accusés de profiter<br />
du désarroi d’une jeunesse qui s’estime<br />
laissée pour compte. Dans les<br />
quartiers populaires de Molenbeek<br />
(Bruxelles), le chômage dépasse les<br />
30 %. Partir, c’est se trouver un nouvel<br />
idéal, se valoriser, et revenir au<br />
pays avec l’aura du combattant.<br />
Le sujet étant devenu un enjeu de<br />
politique belge, chacun y va de sa<br />
petite idée, le plus souvent impraticable.<br />
Un bourgmestre voudrait<br />
qu’on confisque les cartes d’identité<br />
de ces candidats au djihad pour<br />
rendre leur voyage plus difficile,<br />
mais la base légale pour le faire est<br />
bien faible. Un imam belge suggère<br />
de placer ces jeunes dans des centres<br />
fermés, tandis que le ministre des<br />
Affaires étrangères Didier Reynders<br />
prône des sanctions pénales, « avec<br />
l’espoir que cela ait un effet dissuasif<br />
au départ », déclare-t-il.<br />
Mais peut-on raisonnablement dissocier<br />
l’indispensable prévention et<br />
la diplomatie? À cet égard, les Européens<br />
se montrent particulièrement<br />
borgnes. Depuis le début, la politique<br />
belge, et plus largement européenne,<br />
est d’asséner que Bachar al-Assad<br />
doit quitter le pouvoir (sans avoir au<br />
préalable consulté les Syriens), et<br />
d’encourager coûte que coûte la<br />
rébellion malgré sa désunion et la<br />
présence en son sein d’éléments qui<br />
sont aux antipodes des valeurs démocratiques.<br />
La France et le Royaume-<br />
Uni, rejoints par des eurodéputés<br />
belges comme Guy Verhofstadt,<br />
ancien premier ministre belge et chef<br />
de groupe libéral au Parlement européen,<br />
ont même évoqué l’envoi<br />
d’armes aux opposants. Sans parler<br />
de cette « fatwa » de Laurent Fabius<br />
qui a décrété que Bachar al-Assad<br />
« ne mérite pas de vivre ».<br />
Comment dès lors expliquer à ces<br />
jeunes que ce qu’ils font est répréhensible<br />
? Ils s’estiment à juste titre<br />
légitimés. Même le père Paolo<br />
dall’Oglio, fondateur du monastère<br />
« NOUS CRAIGNONS POUR VOTRE VIE, MAIS CRAIGNONS AUSSI<br />
QUE VOUS DEVENIEZ DES MEURTRIERS. » DES PARENTS BELGES<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
D. R.<br />
de Mar Mousa près de Damas, et<br />
expulsé par le régime, a récemment<br />
tenu des propos positifs sur<br />
l’« idéal » de ces garçons. En outre,<br />
aucune loi ne les empêche de se<br />
battre à l’étranger, même s’il faudra<br />
déterminer s’ils ne se rendent pas<br />
coupables de complicité avec certains<br />
groupes terroristes présents sur<br />
le terrain. Fin 2012, les États-Unis<br />
ont placé le Front al-Nosra sur la<br />
liste des organisations terroristes.<br />
Mais l’Union européenne (UE), elle,<br />
préfère continuer d’infliger sanction<br />
sur sanction au régime de Bachar al-<br />
Assad.<br />
◗ « Le bon côté »<br />
Autre paradoxe : on attend de voir<br />
l’efficacité des démarches que la task<br />
force belge va entreprendre à l’égard<br />
de la Turquie, par où les jeunes transitent<br />
avant de se diriger vers la Syrie<br />
avec armes et bagages. Ankara est en<br />
effet une des plus farouches adversaires<br />
de Bachar al-Assad. On ne voit<br />
donc pas pourquoi le gouvernement<br />
Erdogan mettrait un zèle soudain à<br />
empêcher que des combattants de<br />
tous bords partent faire le coup de feu<br />
contre l’armée loyaliste. En outre, la<br />
Turquie est officiellement l’alliée des<br />
Européens. L’Otan vient d’ailleurs de<br />
la gratifier de missiles Patriot afin de<br />
parer une hypothétique attaque du<br />
régime syrien. Difficile après cela de<br />
lui demander de contrôler les rebelles,<br />
censés être « du bon côté ».<br />
Cela ne fera pas l’affaire de ces<br />
parents inquiets qui se demandent<br />
quand ils reverront leurs fils. Dans<br />
une lettre ouverte publiée par le journal<br />
La Libre Belgique, un père et une<br />
mère (anonymes) écrivent: « Nous<br />
craignons pour votre vie, mais craignons<br />
aussi que vous deveniez des<br />
meurtriers. Des savants musulmans<br />
nous disent que la seule guerre légitime<br />
est strictement défensive, lorsque<br />
l’existence de la communauté musulmane<br />
est menacée, ce qui n’est en<br />
aucun cas ici, puisqu’il s’agit d’une<br />
guerre entre musulmans d’obédiences<br />
différentes. » Le père de<br />
Jejoen Bontinck, lui, n’avait toujours<br />
pas retrouvé son fils en Syrie une<br />
semaine après s’être envolé de Belgique.<br />
Comme si sa détresse n’était<br />
déjà pas assez profonde, il a en outre<br />
été arrêté et maltraité pendant<br />
quelques heures par une bande de<br />
rebelles. ■<br />
49
50 Monde arabe<br />
Terrorisme Dans un livre à lire absolument * , Jean-Loup Izambert dénonce les complicités des<br />
élites occidentales à l’égard des djihadistes, derrière les indignations de façade.<br />
Par Salil Sarkar<br />
L’internationale des criminels<br />
Jean-Loup Izambert est un enquêteur<br />
chevronné mais ignoré par les<br />
« grands » médias et les éditeurs<br />
les plus en vue du monde francophone.<br />
Ignoré, car ses investigations révèlent<br />
les agissements très vilains, voire criminels,<br />
des élites qui gouvernent les pays<br />
riches. Crimes sans châtiment ne fait<br />
pas exception à la règle sur un sujet<br />
sensible : le soutien aux djihadistes pour<br />
préserver leurs intérêts.<br />
◗ Joueurs de guerre<br />
Selon une récente étude du King’s<br />
College de Londres, il y aurait entre<br />
2 000 et 5 500 djihadistes du monde<br />
entier qui font feu en Syrie pour y<br />
démolir le régime et établir la charia.<br />
Parmi eux, environ 600 viennent des<br />
pays de l’Union européenne, dont entre<br />
30 et 92 de la France (1) . Chiffres minimisés,<br />
selon les supporteurs, critiques<br />
ou pas, du régime. Jean-Loup Izambert<br />
rappelle que ce sont l’Afghanistan et la<br />
Bosnie qui ont vu arriver sur leur sol les<br />
premiers activistes islamistes contemporains,<br />
des djihadistes mobilisés par<br />
les dirigeants des émirats du Golfe,<br />
mais surtout ceux des États-Unis et de<br />
nombre de ses alliés européens, avec<br />
les incontournables experts pakistanais<br />
en cheville ouvrière.<br />
Exemple plus récent, la Tunisie.<br />
Izambert cite les « notices rouges »<br />
d’Interpol, l’organisation internationale<br />
de la police criminelle qui recherchait,<br />
il y a plus de vingt ans, des militants<br />
islamistes pour homicides volontaires,<br />
attentats à l’explosif contre des touristes,<br />
un avion civil… Pourtant, note<br />
l’auteur, « ceux-ci s’installent tranquillement<br />
en France – de même qu’en<br />
Angleterre et aux États-Unis – et développent<br />
des activités économiques,<br />
sociales et même politiques ». Au début<br />
des années 1980, des militants d’Ennahdha,<br />
y compris leur chef actuel<br />
Rached Ghannouchi, sont emprisonnés<br />
(et peut-être même torturés) en Tunisie.<br />
Par la suite, Ghannouchi choisit l’exil<br />
en Europe ou il vit pendant des décennies,<br />
et notamment en Grande-Bretagne,<br />
dont les dirigeants, d’habitude si<br />
prompts à vociférer contre le terrorisme,<br />
ont choisi d’ignorer les mandats<br />
d’Interpol.<br />
En Algérie, le Front islamique de<br />
salut (Fis) puis ses successeurs (GIA,<br />
etc.) subissent la répression sévère des<br />
autorités. Mais certains de leurs chefs<br />
bénéficient de la sympathie des services<br />
secrets des États-Unis. Anwar Haddam,<br />
physicien nucléaire de formation, y<br />
représente le Fis pendant des années et<br />
voyage en Europe pour animer des<br />
séminaires. D’ordinaire frappés d’urticaire<br />
à la moindre mention de terrorisme,<br />
les dirigeants américains et européens<br />
laissent faire. Complicités ? Ça y<br />
ressemble furieusement.<br />
Et la Libye, où le chaos règne depuis<br />
l’élimination de Mouammar Kadhafi ?<br />
Révolte populaire, ou pseudo-rébellion<br />
financée par des pays du Golfe, avec<br />
l’entraînement des éléments de classes<br />
défavorisées par des services spéciaux<br />
européens ? Le 25 août 2011, mettant<br />
de côté ses réserves habituelles pour<br />
révéler les vilenies des élites, le quotidien<br />
français Le Figaro cite un responsable<br />
: « Si Londres et Paris n’avaient<br />
pas envoyé leurs forces spéciales pour<br />
aider les rebelles et leur apprendre le<br />
métier, les insurgés ne seraient pas à<br />
Tripoli aujourd’hui et la guerre serait<br />
loin d’être terminée. » La résolution<br />
des Nations unies concernant la Libye<br />
n’autorisait pourtant aucune intervention<br />
pour dégommer le régime… « Le<br />
procédé, dit Izambert, n’est pas nouveau<br />
de la part des États-Unis et des<br />
pays de l’Union européenne. L’expérience<br />
montre que ceux-ci – qui détiennent<br />
la large majorité des postes de<br />
décisions au sein de l’Organisation des<br />
Nations unies – ont déjà piétiné ses<br />
résolutions dans plusieurs autres<br />
conflits régionaux. »<br />
Flashback en Afghanistan. Les services<br />
secrets étasuniens ont commencé<br />
à soutenir les moudjahiddine islamistes<br />
six mois avant l’intervention des troupes<br />
soviétiques le 24 décembre 1979 pour<br />
soutenir le régime de gauche afghan. Ils<br />
dépenseront des milliards de dollars<br />
pour mettre les premiers islamistes au<br />
pouvoir, puis, devant leur incapacité à<br />
tenir le pays, formeront les taliban pour<br />
les supplanter. Pas assez dociles, ces<br />
taliban ? Eh bien, on les accusera d’abriter<br />
Oussama Ben Laden, agent secret<br />
saoudien qui aurait changé de casquette.<br />
De nos jours, les dirigeants américains<br />
manœuvrent encore pour se<br />
garantir une présence<br />
dans la région... Dans<br />
un « grand jeu », avec<br />
la superpuissance étasunienne<br />
et ses amis en<br />
joueurs actifs. Pour<br />
combien de temps<br />
encore ? L’auteur<br />
semble dire : jusqu’à<br />
ce que « l’Eurasie »,<br />
un ensemble de pays<br />
comprenant la Russie,<br />
la Chine et<br />
d’autres, y mette fin.<br />
L’Eurasie ? Une<br />
notion géographique très<br />
flexible et quasi mystique, que brandissent<br />
de nombreux penseurs. Et les<br />
peuples dans tout ça ? Ce n’est pas eux<br />
qui font l’Histoire?■<br />
◗ (1) The Guardian, Londres, 3 avril 2013.<br />
◗ * Crimes sans châtiment, Jean-Loup Izambert,<br />
Éditions 20cœurs, 326 p., 22 euros.<br />
ENTRE 2000 ET 5000 DJIHADISTES DU MONDE ENTIER<br />
FONT FEU EN SYRIE POUR Y ÉTABLIR LA CHARIA.<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
D. R.
Palestine En matière de coopération sanitaire à Gaza, Paris, soumis aux desiderata d’Israël, a<br />
tout faux. Les Palestiniens se tournent vers d’autres partenaires, bien plus efficaces.<br />
Encéphalogramme plat pour la France<br />
Par Christophe Oberlin *<br />
En visite en septembre 2005 dans<br />
la bande Gaza, le médecin et<br />
ministre des Affaires étrangères<br />
français Philippe Douste-Blazy<br />
demanda: « De quoi avez-vous besoin ? »<br />
« D’un centre anticancéreux : dépistage,<br />
radio et chimiothérapie. » Marché<br />
conclu. Cinq médecins palestiniens sont<br />
identifiés par l’Autorité palestinienne et<br />
partent au cancéropole de Toulouse pour<br />
une formation de cinq ans. Sept ans plus<br />
tard, quelle est la situation ?<br />
◗ « Centre Prince-Nayef »<br />
Quatre des médecins sont de retour à<br />
Gaza, dont trois sont effectivement<br />
affectés au centre. Mais ils ne cachent<br />
pas leur amertume. Le bâtiment existe,<br />
les appareils sont là, mais l’accélérateur<br />
nucléaire (qui délivre la radiothérapie<br />
sans nécessité de produits radioactifs)<br />
est en panne, comme l’IRM et le scanner.<br />
L’appareil de scintigraphie (gamma<br />
caméra) qui sert à localiser les atteintes<br />
cancéreuses est toujours en caisse, il n’a<br />
jamais été installé. Les Israéliens ont<br />
jusqu’ici refusé l’acheminement des produits<br />
radioactifs nécessaires à son fonctionnement.<br />
Des produits dont la demivie<br />
(dégradation automatique) est de<br />
quelques heures à quelques jours. Tous<br />
les prix Nobel de physique réunis n’en<br />
feraient pas un pétard !<br />
Comment en est-on arrivé là ? Après<br />
le succès du Hamas aux élections de<br />
février 2006, la diplomatie française a<br />
stoppé tout contact avec les autorités de<br />
Gaza. Et le projet a tout simplement été<br />
lâché en rase campagne.<br />
En attendant, Le D r Awad Aeshan travaille<br />
dans un autre établissement où<br />
sont traités, par les moyens du bord,<br />
1 200 patients par an. « Mais, précise-t-<br />
il, les malades sont beaucoup plus nombreux<br />
: il n’y a pas de dépistage, ils<br />
meurent chez eux. » Et l’espérance de<br />
vie des femmes de Gaza atteintes d’un<br />
cancer du sein est la moitié de celles de<br />
Cisjordanie.<br />
Aujourd’hui l’Arabie Saoudite a repris<br />
le projet et posé sur la table 9 millions<br />
de dollars. « Le centre ouvrira à la fin<br />
de l’année », assure le ministre de la<br />
Santé, Mofeed Mokhallalati. Il s’appellera<br />
« centre Prince-Nayef ».<br />
Dans l’ancienne colonie de Netzarim<br />
évacuée par Israël en 2005, la coopération<br />
turque n’a pas perdu de temps. La<br />
nouvelle faculté de médecine est terminée.<br />
Elle doit être inaugurée en avril par<br />
le premier ministre turc Recep Tayyip<br />
Erdogan, et recevra ses étudiants à la<br />
rentrée prochaine. Face à elle, un hôpital<br />
universitaire de 200 lits, copie à l’identique<br />
d’un hôpital turc, a été construit en<br />
vingt-deux mois, pour 34 millions de<br />
dollars. « La totalité du ciment et des<br />
pierres égyptiennes est passée par les<br />
tunnels », précise Abdelhakim al-Bata,<br />
le directeur administratif et financier.<br />
DES CAILLOUS SUR JOSPIN ET VÉDRINE, DES ŒUFS<br />
SUR ALLIOT-MARIE ET… PRESQUE UNE GIFLE SUR KOUCHNER!<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
C’est aussi la Turquie qui finance les<br />
équipements et accompagnera en moyens<br />
et techniciens le démarrage de l’hôpital.<br />
« Ils ne vont pas nous abandonner brutalement<br />
», précise Abdelhakim…<br />
Politique désastreuse, action humanitaire<br />
en berne : voilà aujourd’hui la position<br />
de la France en Palestine, et à Gaza<br />
Gaza compte<br />
désormais sur la solidarité<br />
saoudienne et turque.<br />
en particulier. Lionel Jospin et Hubert<br />
Védrine se sont fait caillasser par les<br />
étudiants de l’université de Birzeit, Bernard<br />
Kouchner ne doit qu’à la clairvoyance<br />
de son interprète de ne pas<br />
s’être fait gifler en Cisjordanie (celui-ci<br />
a pris sur lui de modifier la traduction du<br />
discours du ministre jugé trop offensant),<br />
Michèle Alliot-Marie a reçu des<br />
œufs sur le pare-brise de sa voiture…<br />
Malgré tout, il y a toujours, curieusement<br />
orthographiée, une rue « Charles<br />
de Gaulle » à Gaza ! Et la France se dote<br />
d’un nouveau centre culturel. À la<br />
mesure de ses ambitions. ■<br />
◗ * Chirurgien. Dernier ouvrage paru :<br />
Bienvenue en Palestine - Destination interdite,<br />
avec Acacia Condes, 2012, Érick Bonnier<br />
Éditions.<br />
51<br />
Photos: D. R.
RÉPUBLIQUE ALGÉRIENNE DÉMOCRATIQUE ET POPULAIRE<br />
MINISTÈRE DES TRANSPORTS<br />
EPE/SPA « AIR ALGÉRIE »<br />
CAPITAL DE 43.000.000.000 DA<br />
Siège social : 01 place Maurice Audin - Alger<br />
Site Internet : http://www.airalgerie.dz<br />
AVIS D’APPEL D’OFFRES<br />
INTERNATIONAL RESTREINT<br />
AOR N°01/DEXP/2013<br />
ÉTUDE D’UN PROJET DE MISE EN PLACE DU HUB D’AIR ALGÉRIE<br />
À L’AÉROPORT HOUARI BOUMEDIENE D’ALGER<br />
MAÎTRE D’OUVRAGE : AIR ALGÉRIE<br />
1. Afin d’accroître les possibilités de correspondances sur l’Aéroport d’Alger, non seulement<br />
pour le transport des passagers mais aussi pour celui des marchandises, sur les réseaux des<br />
lignes aériennes nationales et internationales exploitées par Air Algérie, ainsi qu’entre ces<br />
réseaux ;<br />
Afin d’améliorer, ainsi, la rentabilité des vols et par conséquent les revenus d’Air Algérie ;<br />
Afin de contribuer au développement de la plateforme aéroportuaire d’Alger et de son trafic,<br />
sans pour autant créer des problèmes de congestion ou de sous capacité ;<br />
Air Algérie lance un appel d’offres restreint aux candidats internationaux spécialisés dans le<br />
domaine du transport aérien pour l’étude de la mise en place d’un HUB à l’aéroport international<br />
d’Alger.<br />
2. Les candidats intéressés par le présent avis d’appel d’offres peuvent retirer le cahier des<br />
charges sur présentation d’une demande de retrait ou copie du registre de commerce, contre<br />
le paiement de la somme non remboursable de quinze mille dinars algériens (15.000 DA) à<br />
l’adresse ci-dessous. Le paiement sera effectué par virement au compte bancaire [BNA,<br />
Agence Liberté, 08 rue de la Liberté-Alger : 001-00 6050300003422/Clé 77 ].<br />
3. Le jour de dépôt des offres est fixé au dimanche 20 mai 2013, au niveau de :<br />
Air Algérie, Division Exploitation<br />
Aéroport International d’Alger<br />
Houari Boumediene<br />
Terminal International<br />
Hall 02, deuxième étage<br />
Alger, Algérie<br />
Fax +213 21 50 93 02<br />
E-mail : divisionexploitation@airalgerie.dz<br />
L’heure limite de dépôt des offres est fixée le même jour à 14h00.
Édité en 2011, le livre d’Alain<br />
Chouet – Au cœur des services<br />
spéciaux. La menace islamiste :<br />
fausses pistes et vrais dangers –<br />
fait partie, sans doute, de ce qui<br />
s’est publié de mieux en France sur les<br />
attentats du 11 septembre 2001, le terrorisme<br />
islamiste et les crises de l’arc proche<br />
et moyen-oriental. L’ouvrage ressort aujourd’hui<br />
en poche (1) , agrémenté d’une postface<br />
tirant quelques enseignements des deux<br />
années passées, en commençant par déconstruire<br />
les idées reçues sur les mal nommées<br />
« révolutions arabes ».<br />
On se souvient, notamment, qu’un de nos islamologues<br />
en chef de Science-Po Paris écrivait, en<br />
août 2011, que les djihadistes « étaient paniqués par<br />
la vague démocratique en train de submerger le<br />
monde arabe… » Remis de cette panique qui n’a rien<br />
soustrait de leurs capacités de nuisance, les islamistes<br />
sunnites se sont aussitôt réorganisés en deux<br />
branches : les Frères (modérés) et les salafistes (radicaux).<br />
Peu ou prou inventées par les mêmes docteurs<br />
en islamologie, ces deux catégories/valises servent<br />
désormais de fil conducteur à la lecture de l’actualité<br />
en Tunisie, Égypte, Libye, sinon en Syrie. Et les<br />
mêmes de se féliciter en déplorant la pression débordante<br />
de groupes « salafistes », note Chouet, qu’on<br />
ne pourrait maîtriser qu’en leur faisant des concessions.<br />
Et il ajoute : « L’argument est peu convaincant<br />
quand on observe que la plupart des leaders de ces<br />
groupes salafistes sont issus de la Confrérie, ce qui<br />
laisse planer la suspicion quant à la spontanéité de<br />
ces surenchères entre tribuns populistes. » Criant<br />
dans le désert depuis plus d’un quart de siècle qu’il<br />
faut « suivre l’argent », Chouet conclut : « Tant qu’ils<br />
bénéficieront du “nerf de la guerre” financier que<br />
leur prodiguent généreusement nos partenaires wahhabites<br />
du Qatar et de l’Arabie Saoudite, les Frères<br />
musulmans, leur filiation salafiste et surtout leurs différents<br />
bras armés djihadistes pèseront sur notre<br />
sécurité collective. J’y inclus celle de nos voisins<br />
arabes, quelle que soit leur confession, et, musulmans,<br />
quelle que soit leur nationalité, qui sont les<br />
premières victimes de cette violence. »<br />
Sur la Syrie aussi, Chouet n’y va pas par quatre<br />
chemins : « Les soutiens extérieurs importants apportés<br />
à cette rébellion armée ne font qu’éloigner les<br />
perspectives d’un règle-<br />
ment pacifique du conflit.<br />
Quelles que soient les<br />
responsabilités des uns<br />
et des autres dans le<br />
drame syrien, le fait est<br />
Tribune<br />
Sacré Chouet !<br />
Par Richard Labévière<br />
Consultant<br />
international.<br />
EN LIBYE, « PERSONNE NE NOUS AVAIT DEMANDÉ<br />
DE DÉTRUIRE TOUT UN APPAREIL D’ÉTAT ». A. CHOUET<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
D. R.<br />
qu’aujourd’hui l’opposition politique au<br />
régime est totalement hétéroclite et fragmentée.<br />
Dispersées à l’étranger, essentiellement<br />
en Turquie, en France et au Qatar selon<br />
leurs affinités, ses diverses composantes prônent<br />
des stratégies contradictoires et souvent<br />
marginalisées au profit de la rébellion militaire.<br />
Et, au sein de cette dernière, les fondamentalistes<br />
sunnites djihadistes ont pris le<br />
pas sur les éléments locaux. »<br />
Sur la Libye, il est opportun de rappeler,<br />
comme Chouet le fait : « Personne ne nous<br />
avait demandé de détruire tout un appareil<br />
d’État, ses infrastructures, ses communications, de<br />
bombarder les bâtiments officiels, d’assister militairement<br />
la rébellion qui comptait plus d’éléments<br />
armés que de civils, de massacrer la famille et les<br />
proches de l’autocrate, de livrer ce dernier publiquement<br />
et devant les caméras à la loi de Lynch. »<br />
Quant au Mali : « Comme l’a dit le président Hollande,<br />
ces djihadistes sont vaincus mais ils sont toujours<br />
là. Et comme toute guérilla dégénérée, ils se<br />
sont reconvertis au grand banditisme, au trafic de<br />
drogue et à la prise d’otages. Tout cela n’offre pas le<br />
tableau d’une grande et durable stabilité. »<br />
Enfin, relevant – comme le fait Afrique Asie depuis<br />
longtemps – qu’il est paradoxal de faire la guerre à<br />
des islamistes au Mali alors qu’on les soutient en<br />
Syrie, Alain Chouet conclut : « Plus étrange apparaît<br />
en revanche l’empressement des Occidentaux à favoriser<br />
partout les entreprises réactionnaires encore<br />
moins démocratiques que les dictatures auxquelles<br />
elles se substituent et à vouer aux gémonies ceux qui<br />
leur résistent. Prompt à condamner l’islamisme chez<br />
lui, l’Occident se retrouve à en encourager ses<br />
manœuvres dans le monde arabe et musulman. »<br />
Quel bonheur – dans le pays de Voltaire et Condorcet<br />
– de lire de telles vérités qui ont valu à plus d’un<br />
journaliste leur mise à mort professionnelle. Quel<br />
soulagement de disposer d’un tel livre à diffuser sans<br />
modération à la sortie des églises, des mosquées, des<br />
synagogues et des meetings politiques. Quel espoir<br />
de tourner et retourner de telles pages où la complexité<br />
s’éclaircit et au fil desquelles on approche<br />
l’intelligence des choses.<br />
En dernière instance, et ce n’est pas le moindre de<br />
ses mérites, ce sacré Chouet nous apprend qu’un<br />
espion 1 peut aussi rester un homme libre… ■<br />
◗ (1) Éditions La<br />
Découverte/Poche, avril 2013.<br />
(2) Alain Chouet: La Sagesse de<br />
l’espion, L’œil neuf Éditions,<br />
2010.<br />
53
54 Asie<br />
Pakistan Alors que le terrorisme endeuille toujours la population, la campagne pour les<br />
élections générales du 11 mai bat son plein. Les civils espèrent être reconduits, dans un pays<br />
que certains ne sont pas loin de considérer comme « failli ». Pourtant, si beaucoup de choses<br />
dysfonctionnent, d’autres marchent plutôt bien…<br />
Par Salil Sarkar<br />
On a compté 6211 personnes<br />
mortes dans des attentats terroristes<br />
au Pakistan l’an dernier.<br />
Quelques dizaines de moins<br />
qu’en 2011. Les victimes sont souvent<br />
des civils, mais les assaillants – des<br />
militants islamistes pour la plupart –<br />
sont aussi du nombre. Cette année, le<br />
total s’élève à 1 930 jusqu’à la fin<br />
mars. Une très légère amélioration, les<br />
pires années ayant été 2008, 2009 et<br />
2010. Le score macabre est même<br />
monté à près de 12000 en 2009 (1) .<br />
Malgré l’accalmie toute relative, les<br />
tueries se poursuivent dans et autour<br />
des grandes villes comme Peshawar,<br />
au nord, Lahore, à l’est, Quetta, à<br />
l’ouest, et surtout Karachi, grande<br />
ville portuaire et capitale financière. Et<br />
cela se passe souvent au nez et à la<br />
barbe des autorités pakistanaises.<br />
◗ 1,25 dollar par jour<br />
Qui fait parler la poudre? Des<br />
groupes sunnites ultra sectaires comme<br />
le Lashkar-i-Jhangvi (l’armée de<br />
Jhangvi, du nom d’un islamiste pakistanais<br />
historique) visent les chiites.<br />
Des taliban pakistanais attaquent des<br />
civils en espérant déstabiliser les autorités.<br />
Mais aussi des partis politiques<br />
ayant pignon sur rue qui se battent<br />
entre eux pour gagner du terrain. Sans<br />
compter une insurrection séparatiste au<br />
Baloutchistan, au sud-ouest du pays.<br />
L’armée a peut-être les moyens de<br />
mettre fin aux attentats, mais les militaires<br />
disent qu’ils n’agiront que si le<br />
gouvernement le leur demande. Or le<br />
gouvernement, mené par un Parti du<br />
peuple (PPP) contrôlé par les proches<br />
de l’ancien premier ministre Benazir<br />
Bhutto, hésite à donner l’ordre à l’armée<br />
d’intervenir. Le Pakistan a passé<br />
une trentaine d’années, presque la moi-<br />
Un État déliquescent ?<br />
tié de son existence en tant que pays<br />
indépendant, sous régime militaire.<br />
Le journaliste Ahmed Rashid écrit (2)<br />
que le PPP a toujours été incapable<br />
d’affronter les djihadistes. D’autres<br />
partis politiques en revanche ont fait<br />
maintes compromissions avec eux<br />
pour obtenir quelques avantages politiques.<br />
Selon Rashid, « presque tous<br />
les groupes extrémistes ont un chezsoi<br />
dans la province du Pendjab,<br />
dirigé par le Pakistan Muslim League<br />
(PML) ». Rappelons que le PML, loin<br />
d’être un parti djihadiste ou salafiste,<br />
est un groupement de bourgeois des<br />
villes et de riches propriétaires ruraux,<br />
tout comme son rival, le PPP. Et, plus<br />
que les autres partis, il est passé maître<br />
dans l’acrobatie politique. Ne craignons<br />
donc pas qu’il encourage les<br />
djihadistes s’il revient au pouvoir, à<br />
l’issue des élections prévues le 11 mai.<br />
Il l’espère bien. Pour la première fois<br />
dans l’histoire du Pakistan, un gouvernement<br />
civil pourra succéder à un gouvernement<br />
civil sortant, clament l’élite<br />
pakistanaise et ses amis et alliés à<br />
l’étranger. Pour la première fois aussi,<br />
l’administration sortante, celle du PPP,<br />
aura pu régner durant tout le quinquennat<br />
pour lequel ce parti a été élu. Mais<br />
le fait que ce pouvoir soit civil ne<br />
semble pas éveiller l’extase au sein du<br />
peuple. Car le bilan de tous les pouvoirs,<br />
qu’ils soient civils ou militaires,<br />
est loin d’être brillant.<br />
Avec pas loin de 180 millions d’habitants,<br />
le Pakistan représente la 27 e<br />
économie du monde (en parité de pouvoir<br />
d’achat). Environ 28 % de la<br />
population sont officiellement consi-<br />
LE BILAN DE TOUS LES POUVOIRS, QU’ILS SOIENT<br />
CIVILS OU MILITAIRES, EST LOIN D’ÊTRE BRILLANT.<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
dérés comme étant en dessous du seuil<br />
de la pauvreté, vivotant avec moins de<br />
1,25 dollar américain par jour. Pour<br />
l’indice de développement humain<br />
(IDH) publié chaque année par le Programme<br />
des Nations unies pour le<br />
développement, le Pakistan partage la<br />
146 e place avec le Bangladesh, soit dix<br />
rangs derrière l’Inde. La moitié des<br />
adultes, dont les deux tiers des femmes,<br />
est analphabète, et 12 millions d’enfants<br />
ne sont pas scolarisés. La faim et<br />
la malnutrition sont un problème clé,<br />
écrit Arshad Mahmood, un militant<br />
des droits de l’enfant. Selon lui,<br />
400 000 enfants meurent chaque année<br />
avant d’atteindre l’âge de 5 ans. Plus<br />
du tiers de ces décès est à attribuer à la<br />
carence alimentaire, souligne-t-il. Des<br />
millions d’enfants travaillent au Pakistan,<br />
y compris comme domestiques<br />
chez les politiciens, et le nombre d’enfants<br />
vivant et travaillant dans la rue<br />
est en augmentation (3) .<br />
Le 11 mai, les Pakistanais éliront<br />
donc la Chambre basse du Parlement<br />
national, ainsi que quatre Assemblées<br />
provinciales – au Pendjab, à Sindh, au<br />
Baloutchistan et chez les Pachtous à<br />
Khyber Pakhtunhwa. À la Commission<br />
des droits de l’homme du Pakistan,<br />
le secrétaire général I.A. Rehman<br />
avertit pourtant que la moitié des<br />
sièges de l’Assemblée nationale se<br />
trouve dans les « zones à craindre »,<br />
ou la peur des violences pourrait pousser<br />
des électeurs à fuir les urnes et certains<br />
candidats à se retirer de la course.<br />
Dans d’autres endroits, des candidats<br />
pourraient être contraints d’obtenir<br />
l’approbation des extrémistes pour
avoir la vie sauve. On s’en inquiète à<br />
la Commission électorale, qui appelle<br />
les partis politiques à l’aider à prévenir<br />
toute tentative de saboter le scrutin.<br />
D’ailleurs, des partis laïcs comme le<br />
PPP au pouvoir, l’Awami National<br />
Party (ANP), très présent chez les<br />
Pachtous, et le Muttahida Quami<br />
Movement (MQM), puissant à Karachi,<br />
ont dû annuler des meetings électoraux<br />
après des menaces proférées<br />
par des djihadistes. En revanche, les<br />
partis censés être de droite et affichant<br />
des affinités religieuses ont pu organiser<br />
de vastes et<br />
bruyantes réunions<br />
sans être inquiétés !<br />
Le Pakistan est-il<br />
un État en déliquescence,<br />
un État<br />
« failli » ? Selon le<br />
Failed State Index,<br />
une liste concoctée<br />
par des spécialistes<br />
étasuniens, il figure<br />
au 13 e rang, certes<br />
loin derrière la<br />
Somalie (n° 1), la<br />
République démocratique<br />
de Congo<br />
(n° 2), ou – plus<br />
curieusement – le<br />
Zimbabwe (n° 5),<br />
mais devant le Nigeria<br />
et le Kenya. Pour<br />
l’analyste Zahid Shahab<br />
Ahmed, assurément<br />
beaucoup de<br />
choses ne fonctionnent<br />
pas au Pakistan,<br />
mais pas mal de<br />
choses marchent (4) .<br />
Il dit que le Pakistan<br />
est « un État contrôlé<br />
D. R.<br />
par quelques élites ayant un gouvernement<br />
incapable d’administrer certaines<br />
parties du pays ». Dans des territoires<br />
près de la frontière afghane,<br />
ainsi qu’à Karachi, la capitale financière<br />
du pays, le gouvernement n’est<br />
pas en état d’exercer son autorité.<br />
Mais, la majeure partie du pays est<br />
sous contrôle, et l’armée joue un rôle<br />
central dans la démocratie pakistanaise,<br />
explique-t-il.<br />
◗ FMI<br />
Paradoxalement, le pays a connu un<br />
taux de croissance économique de 7 %<br />
en moyenne chaque année pendant<br />
quatre ans, jusqu’en 2007, et une<br />
baisse du taux officiel de pauvreté, à<br />
17 %. Or justement, il s’agit des années<br />
durant lesquelles le général Pervez<br />
Musharraf occupait la présidence, à la<br />
suite du coup d’État de 1999. Rentré<br />
au pays récemment après des années<br />
d’exil à Dubaï et à Londres, en vue de<br />
se présenter aux élections, il doit<br />
désormais faire ses adieux à une nouvelle<br />
carrière politique, car la justice l'a<br />
condamnée provisoirement à la résidence<br />
surveillée. La Cour suprême<br />
pakistanaise veut le juger pour trahison<br />
pour avoir pris le pouvoir inconstitutionnellement,<br />
suspendu la Constitu-<br />
Manifestation à Peshawar contre la corruption qui sévit<br />
dans le pays : les islamistes occupent de plus en plus la rue.<br />
tion et fait arrêter les juges de la Cour.<br />
Il est aussi accusé par d’autres tribunaux,<br />
entre autres, de n’avoir pas offert<br />
suffisamment de protection à l’ancien<br />
premier ministre Benazir Bhutto,<br />
assassinée le 27 décembre 2007.<br />
Malgré les quelques succès sous le<br />
président Musharaff, le Pakistan a dû<br />
éviter une crise de la balance des paiements<br />
avec des prêts du Fonds monétaire<br />
international (FMI) totalisant<br />
11 milliards de dollars américains en<br />
2008. Et la Banque de développement<br />
asiatique prédit que le nouveau gouvernement<br />
issu des urnes devra encore<br />
compter sur le FMI pour un prêt de<br />
9 milliards de dollars avant la fin de<br />
l’année.<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
Au lieu de quémander l’aide des<br />
pays riches, le Pakistan devrait mobiliser<br />
ses propres ressources. Le conseil<br />
vient des parlementaires britanniques<br />
qui étudient des propositions d’aide au<br />
Pakistan. Ils ont rappelé que les impôts<br />
et taxes ne représentent à peine que<br />
10 % du PIB. Pas plus de 25 % de la<br />
TVA rentre dans les coffres d’État.<br />
Selon le Bureau fédéral des revenus<br />
pakistanais, 0,57 % des résidents –<br />
soit 768 000 personnes – ont payé<br />
l’impôt sur le revenu l’an dernier. Et<br />
seulement 270 000 personnes ont<br />
effectivement déboursé quelques sous<br />
sur les trois dernières années de prélèvement.<br />
Des poursuites pour fraude<br />
fiscale ? Il n’y en a pas eu depuis au<br />
moins 25 ans (5) . ■<br />
◗ (1) South Asia Terror Portal,<br />
http://www.satp.org/satporgtp/countries/pakista<br />
n/database/casualties.htm.<br />
(2) http://www.bbc.co.uk/news/world-asia-<br />
21761133 March 15 2013.<br />
(3) Dawn, Karachi, 9 avril 2013.<br />
http://dawn.com/2013/04/09/more-of-the-same-<br />
6/<br />
(4) Pakistan Institute of Peace Studies.<br />
http://www.insightonconflict.org/2013/02/pakist<br />
an-look-back-2012/<br />
(5) Guardian, Londres, 4 avril 2013.<br />
55
56 Asie<br />
Corée du Nord Rarement la péninsule n’a été si proche du gouffre. La faute au dirigeant<br />
actuel? À Washington ? Séoul? Pékin ? Ou aux sanctions répétitives votées par le Conseil de<br />
sécurité de l’Onu ? Récapitulatif.<br />
Par Jack Thompson<br />
Sur le sentier de la guerre, Kim<br />
Jong-un ne mâche ni ses mots ni<br />
ses gestes. Le lundi, le jeune dirigeant<br />
nord-coréen ordonne à ses troupes<br />
de réagir à « la vitesse de la lumière » en<br />
cas d’agression et de « conquérir les<br />
bastions ennemis ». Le mardi, il conspue<br />
les « pauvres crétins » de Séoul et<br />
menace d’une guerre thermonucléaire la<br />
« citrouille bouillie » étasunienne. Le<br />
mercredi, le « jeune général » – l’un des<br />
multiples sobriquets du dictateur nordcoréen<br />
– commande personnellement<br />
une salve d’artillerie et désigne Baengnyeong,<br />
une île sud-coréenne de 10 000<br />
habitants, dont 5 000 civils, comme cible<br />
initiale en cas de conflit. Le jeudi, la<br />
presse chinoise révèle que pour Pyongyang,<br />
la question n’est plus de savoir si<br />
la guerre allait éclater, mais quand. Le<br />
vendredi…<br />
Depuis que la Corée du Nord a procédé<br />
à son troisième essai nucléaire le<br />
12 février, il ne se passe plus un jour<br />
sans que des nouvelles plus alarmantes<br />
les unes que les autres ne proviennent<br />
d’une péninsule au bord de l’abîme.<br />
Depuis la disparition de Kim Jong-il en<br />
décembre 2011 et l’avènement de son<br />
fils Kim Jong-un, cette poussée d’adrénaline<br />
était prévisible. Ostensiblement, la<br />
Commission de défense nationale, l’organe<br />
suprême du pouvoir nord-coréen,<br />
avait donné le ton: « Nous déclarons<br />
solennellement et fièrement aux responsables<br />
politiques stupides dans le monde,<br />
y compris les fantoches de Corée du Sud,<br />
qu’ils ne doivent pas s’attendre au<br />
moindre changement de notre part. »<br />
Malgré un semblant d’adoucissement<br />
printanier, l’hiver suivant est glacial. En<br />
décembre, la Corée du Nord procède au<br />
lancement réussi d’une fusée équipée<br />
Guerre psychologique :<br />
le style Kim Jong-un<br />
d’un satellite. Immédiatement la communauté<br />
internationale, les États-Unis<br />
en tête, condamne ce tir assimilé à un<br />
essai de missile intercontinental. L’Onu<br />
s’alarme d’une « violation claire de la<br />
résolution 1874 » qui interdit Pyongyang<br />
de développer « la technologie<br />
des missiles balistiques ». En janvier, le<br />
Conseil de sécurité de l’Onu étend les<br />
sanctions à l’égard de la Corée du Nord.<br />
Pyongyang réplique en annonçant l’imminence<br />
d’un essai nucléaire. Il a eu lieu<br />
le 12 février, et sa puissance serait supérieure<br />
aux essais de 2006 et 2009. Le<br />
7 mars, le pouvoir nord-coréen dénonce<br />
les intentions belliqueuses des États-<br />
Unis. Washington est menacé d’une<br />
« frappe nucléaire préventive ». La boîte<br />
de Pandore est ouverte. Les surenchères<br />
de Pyongyang entraînent les répliques<br />
systématiques de Séoul, Tokyo et<br />
Washington. Un cercle vicieux se forme,<br />
le geste de l’un – mise en batterie de<br />
missiles, etc. – entraîne une réplique de<br />
l’autre – déploiement de batteries antimissiles,<br />
etc.<br />
◗ La mécanique du chantage<br />
Alors que la Corée du Nord se déclare<br />
en « état de guerre » la Corée du Sud<br />
feint d’ignorer les vociférations provenant<br />
de l’autre côté du 38 e parallèle (1) et<br />
vaque à ses occupations habituelles. En<br />
effet, la Corée du Nord monte régulièrement<br />
sur ses grands chevaux, menaçant<br />
de « noyer Séoul sous une mer de feu ».<br />
Séoul et Washington procèdent alors à<br />
des exercices militaires, la tension<br />
grimpe puis se dissipe aussi rapidement<br />
S’ILS LE SOUHAITENT, LES CHINOIS PEUVENT ÉTRANGLER<br />
LA DYNASTIE DES KIM DU JOUR AU LENDEMAIN.<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
qu’elle est montée. Ayant obtenu<br />
quelques concessions économiques, une<br />
aide alimentaire et des matières premières,<br />
les maîtres de Pyongyang remisent<br />
alors leurs troupes et missiles<br />
jusqu’à la crise suivante. Voilà en simplifié<br />
ce qu’était la diplomatie de l’extrême<br />
de Kim Jong-il. Une stratégie qui<br />
lui a globalement réussi tout au long de<br />
son règne (1994-2011).<br />
Néanmoins cette tactique a ses limites :<br />
lassée des sempiternelles rodomontades<br />
venues du Nord, Séoul est de plus en<br />
plus sourde aux menaces de Pyongyang.<br />
Dès lors, la surenchère est de mise. Crise<br />
après crise, les Kim font monter la mise.<br />
Mais pour cela il faut être crédible. D’où<br />
la nécessité d’en faire toujours plus.<br />
L’armée nord-coréenne, forte de 1,2 million<br />
d’hommes, n’impressionne plus<br />
Séoul protégée par le parapluie américain<br />
? Qu’à cela ne tienne ! Kim Jong-il<br />
élabore une nouvelle doctrine : le Songun,<br />
« L’armée d’abord ». Une doctrine<br />
et un slogan qui aboutiront en 2006 au<br />
premier essai nucléaire. Kim Jong-il<br />
peut alors négocier une dénucléarisation<br />
de la péninsule en échange d’une aide<br />
économique substantielle.<br />
L’accalmie fait long feu. Tandis que<br />
Pyongyang désactive sa centrale<br />
nucléaire, Washington renie ses engagements<br />
et n’honore pas sa promesse de<br />
retirer la Corée du Nord de la liste des<br />
États voyous. Cette « maladresse » étasunienne<br />
ulcère Pyongyang. Kim Jong-il<br />
revient au chantage nucléaire. À sa mort,<br />
la Corée du Nord dispose d’un savoirfaire<br />
nucléaire et balistique que son fils,
à peine âgé de 30 ans, a visiblement<br />
décidé de faire fructifier. Mais a-t-il<br />
réellement le choix ?<br />
◗ 28500 GI<br />
Nombre d’observateurs estiment que<br />
les gesticulations de Kim Jong-un sont<br />
autant dues à la tentation de procéder à<br />
un nouveau chantage à l’atome qu’à la<br />
nécessité pour le troisième des Kim de<br />
s’affirmer face à un quarteron de généraux<br />
récalcitrants. Mais cette fois-ci, le<br />
coup de bluff est différent: Pyongyang<br />
est coutumière des bravades, certes,<br />
mais jamais aussi longues. Pour autant,<br />
aucun analyste n’envisage sérieusement<br />
que la Corée du Nord puisse<br />
mettre ses menaces à exécution. Les<br />
deux missiles Musadan (3 000 à<br />
4 000 km de portée en fonction de leur<br />
charge utile) déployés début avril sur la<br />
frontière n’ont jamais été testés. De là à<br />
ce qu’ils puissent emporter une charge<br />
nucléaire et présenter une menace crédible<br />
pour Washington…<br />
Pour Pyongyang, attaquer directement<br />
les États-Unis relève du suicide. Chien<br />
qui aboie ne mord pas dit-on. Peut-être.<br />
Mais plus Pyongyang menace, plus<br />
Séoul, Washington et Tokyo déploient<br />
des missiles antimissiles. Principe de<br />
précaution oblige, Néanmoins, ces<br />
réponses musclées ne sont pas forcément<br />
des plus avisées, vu le contexte actuel.<br />
Par ailleurs, en sanctionnant systématiquement<br />
l’aventurisme nucléaire des<br />
Kim, l’Onu enferme Kim Jong-un dans<br />
un jusqu’au-boutisme malsain. D’autant<br />
plus que la fin de la guerre de Corée<br />
s’est soldée par la signature d’un armistice<br />
entre les forces sino-nord-coréennes<br />
et le commandement de l’Onu, mais<br />
sans véritable traité de paix. La paix,<br />
c’est justement ce que réclament les<br />
Kim de père en fils et qui leur est systématiquement<br />
refusée par les États-Unis.<br />
Ces derniers sont trop heureux d’une<br />
péninsule coréenne instable – pas trop<br />
tout de même –, où stationnent 28 500 de<br />
leurs soldats.<br />
◗ L’atout Chine<br />
Nouvellement élue, la présidente<br />
sud-coréenne Park Geun-Hye a promis<br />
Les gesticulations de Kim Jong-un seraient autant dues à la tentation de procéder<br />
à un chantage à l’atome qu’à la nécessité de s’affirmer face à un quarteron de généraux récalcitrants.<br />
de « riposter violemment et immédiatement<br />
sans aucune autre considération<br />
politique » à toute attaque nordcoréenne.<br />
Séoul vient de modifier les<br />
procédures d’engagement de ses<br />
troupes, qui peuvent désormais riposter<br />
instantanément à toute agression<br />
sans autorisation préalable de l’état-<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
major. Si le scénario nucléaire demeure<br />
invraisemblable, celui d’un dérapage<br />
incontrôlé le long du 38 e parallèle augmente<br />
au fur et à mesure que la crise<br />
s’enlise. Un seul pays semble en<br />
mesure de dénouer la crise : la Chine,<br />
qui contrôle au moins 80 % des approvisionnements<br />
de la Corée du Nord.<br />
S’ils le souhaitent, les Chinois peuvent<br />
étrangler la dynastie des Kim du jour<br />
au lendemain. Pour l’heure Pékin<br />
montre son désagrément vis-à-vis des<br />
Kim en approuvant les sanctions de<br />
l’Onu, mais sans les appliquer. La<br />
chute de la dynastie se traduirait par<br />
un afflux massif de réfugiés en Chine,<br />
et surtout par une réunification de la<br />
péninsule coréenne sous parapluie<br />
américain. Des GI stationnant sur la<br />
frontière chinoise : inadmissible ! À<br />
La Havane, Fidel Castro, 86 ans, juge<br />
la situation « incroyable et absurde »,<br />
deux mots qui résument l’état de la<br />
péninsule coréenne. Mais il n’aide pas<br />
à trouver une solution acceptable – s’il<br />
en est une – par toutes les parties en<br />
présence. ■<br />
◗ (1) Depuis la fin de la guerre de Corée<br />
(1950-1953), le 38 e parallèle délimite les<br />
frontières entre les deux Corées.<br />
57<br />
Reuters
58 Amériques<br />
Venezuela Au terme d’une campagne qui s’est déroulée dans un climat tendu, l’élection<br />
présidentielle a donné la victoire à la gauche d’une courte tête. Le perdant, Henrique Capriles, a<br />
choisi l’affrontement. Bilan, au moins sept morts.<br />
La révolution continue avec Maduro<br />
Par Rémy Herrera<br />
Lundi 15 avril 2013, le Conseil<br />
national électoral (CNE), par la<br />
voix de sa présidente, Tibisay<br />
Lucena, a officiellement déclaré Nicolas<br />
Maduro président de la République<br />
bolivarienne du Venezuela, à la suite<br />
de l’élection tenue la veille. Elle lui a<br />
donné la victoire par 50,75 % des suffrages,<br />
contre 48,97 % à son adversaire<br />
de droite, Henrique Capriles. Courte<br />
victoire, assurément, et bien plus serrée<br />
que ne l’annonçaient la plupart des<br />
sondages ; mais victoire fondamentale,<br />
permettant de poursuivre l’œuvre de<br />
transformation de la société qui a été<br />
engagée sur les quinze dernières<br />
années.<br />
◗ Des résultats à la mesure des enjeux<br />
Depuis 1998, c’est la dix-huitième<br />
victoire électorale (contre une seule<br />
défaite, enregistrée lors du référendum<br />
de réforme constitutionnelle à la fin<br />
2007) que remportent les forces de<br />
gauche favorables à l’approfondissement<br />
de la révolution – et la première<br />
depuis la mort d’Hugo Chavez. Maduro<br />
l’a emporté dans seize États, contre huit<br />
gagnés par Capriles. Pourtant, le fait<br />
marquant est que moins de 263 000<br />
voix séparent les deux hommes, pour<br />
18,9 millions de votants et un taux de<br />
participation de 78 %, en léger recul par<br />
rapport aux 80 % du scrutin présidentiel<br />
d’octobre dernier. Près de 7 560 000<br />
Vénézuéliens ont apporté leur soutien<br />
au candidat de gauche ; un peu moins de<br />
7 300 000 à celui de droite. À gauche,<br />
cela fait environ 700 000 voix de moins<br />
que celles qui s’étaient portées sur Chavez<br />
en 2012. À droite, Capriles en a<br />
enregistré 700 000 de plus que lors de<br />
sa précédente défaite en octobre.<br />
Il n’est pas aisé d’expliquer ce recul<br />
relatif du nombre de suffrages obtenus<br />
par la gauche, malgré tout victorieuse.<br />
Les rivalités de succession, instrumen-<br />
talisées à droite, n’ont pas déchiré<br />
l’unité des forces progressistes durant<br />
la campagne. Appuyée par les puissances<br />
intérieures et extérieures de l’argent,<br />
dans un moment de profond<br />
désarroi et de vulnérabilité chez de<br />
larges fractions du peuple après la disparition<br />
de leur leader un mois plus tôt,<br />
l’agressivité de la propagande électorale<br />
de Capriles, qui s’est placé à l’offensive,<br />
a sans doute enlevé des voix à<br />
la gauche, jusque dans certains quartiers<br />
populaires où la droite sait agir, à<br />
sa manière.<br />
Cependant, l’évidence des progrès<br />
apportés par la révolution au plus grand<br />
nombre (dépenses sociales en hausse,<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
Une anecdote révélatrice…<br />
diminution des inégalités et de la pauvreté,<br />
santé et éducation gratuites, augmentation<br />
des retraites, construction de<br />
logements, baisse du chômage…) a<br />
convaincu une majorité de Vénézuéliens<br />
de refuser de voir jeter à bas ce<br />
que leurs luttes solidaires ont eu tant de<br />
mal à mettre debout. Face à l’oligarchie<br />
et à ses manœuvres de déstabilisation,<br />
le travail permanent de conscientisation<br />
et d’organisation des masses révolutionnaires<br />
si cher à Chavez a finalement<br />
porté ses fruits.<br />
Des félicitations sont parvenues du<br />
monde entier. Le président bolivien<br />
Evo Morales a déclaré que ce succès<br />
était aussi « une victoire de toute<br />
Que le lecteur nous autorise ici une digression qui donnera une idée de la<br />
façon dont la droite vénézuélienne conçoit la démocratie. Il y a près de<br />
dix ans, lors d’un voyage au Venezuela, l’auteur de ces lignes alluma le<br />
poste de télévision de sa chambre d’hôtel pour y suivre les informations – et vérifier<br />
si elles étaient aussi « persécutées par le régime chaviste » qu’on le disait. Les<br />
images montraient Hugo Chavez recevant à l’aéroport une personnalité, noire de<br />
peau (je reconnus le président zimbabwéen Robert Mugabe), mais le son ne semblait<br />
pas marcher. M’apprêtant à appeler la réception, j’entendis alors le téléviseur<br />
émettre des bruits étranges… Comme venus de la jungle ? Stupeur: il s’agissait de<br />
cris de singes ! Soudain, le son jaillit quand le présentateur du journal TV de cette<br />
chaîne privée très regardée déclara, d’un ton glacial: « Aujourd’hui, dans la capitale<br />
vénézuélienne, deux singes se sont rencontrés… »<br />
C’est ce jour que j’appris que la droite avait l’habitude de nommer Hugo Chavez<br />
« el mono » (le singe). Ailleurs, cela s’appellerait « incitation à la haine<br />
raciale » et violerait des principes à valeur constitutionnelle. Mais, loin d’être<br />
choqués par cette violence, nos médias dominants préféraient répéter la (pseudo)<br />
« violation de la liberté d’expression par Chavez ». Comme ils préfèrent<br />
aujourd’hui, entre roues de la Fortune et coupures publicitaires abrutissantes, insinuer<br />
le doute quant à la légalité de la victoire de Nicolas Maduro, jouer la carte de<br />
la haine et œuvrer à la déstabilisation politique du Venezuela – qui ferait sûrement<br />
bondir l’audimat, et permettrait peut-être même de privatiser les profits d’un secteur<br />
pétrolier que la révolution bolivarienne a décidé de redistribuer depuis bientôt<br />
quinze ans au bénéfice des plus pauvres. Nous, nous avons choisi notre camp :<br />
c’est celui de la révolution, pour une démocratie vraie, avec participation populaire,<br />
progrès social et solidarité internationale. ■
l’Amérique latine », tandis que Rafael<br />
Correa, le chef de l’État équatorien,<br />
affirmait que « le Venezuela ne retournera<br />
plus en arrière ». Le président<br />
cubain, Raul Castro, s’est quant à lui<br />
réjoui du fait que l’intégration régionale<br />
pourra continuer à s’approfondir<br />
en Amérique latine. La présidente de<br />
l’Argentine, Cristina Fernandez, a félicité<br />
son homologue victorieux, ainsi<br />
que le peuple vénézuélien, pour le<br />
« civisme » dont il a fait preuve lors de<br />
la journée du 14 avril. Elle a exprimé sa<br />
« gratitude pour l’ami et camarade<br />
Hugo Chavez ».<br />
Vladimir Poutine a dit sa satisfaction<br />
face à une possible consolidation de<br />
l’« association stratégique » entre son<br />
pays et le Venezuela, et le gouvernement<br />
chinois, par un communiqué du<br />
ministère des Relations extérieures,<br />
s’est déclaré disposé à renforcer davantage<br />
encore les « liens d’amitié » entre<br />
Beijing et Caracas.<br />
Sitôt sa défaite annoncée, Capriles<br />
choisit la voie de l’affrontement en<br />
contestant les résultats, criant à la fraude<br />
et demandant un nouveau décompte.<br />
L’appui de Washington a été immédiat,<br />
jugeant « raisonnable » cette revendication.<br />
De hauts responsables de l’Organisation<br />
des États américains sont allés<br />
dans le même sens. Par esprit d’apaisement,<br />
et pour lever tout soupçon, Nicolas<br />
Maduro a accepté. Le Conseil national<br />
électoral a mis fin aux protestations<br />
en confirmant l’avance du vainqueur. Le<br />
caractère légal du scrutin et l’impartialité<br />
du CNE ont été attestés par les<br />
témoignages des observateurs internationaux<br />
de l’Union européenne et de<br />
l’Union des nations sud-américaines,<br />
présents sur place et certifiant que l’élection<br />
s’était déroulée selon les règles exigées<br />
et dans de bonnes conditions, et que<br />
les résultats rendus publics devaient être<br />
respectés, démocratiquement.<br />
Les attaques de Capriles contre le<br />
CNE ont tranché avec l’attitude sereine<br />
qu’il avait adoptée après sa victoire<br />
Nicolas Maduro, successeur attendu d’Hugo Chavez : sa victoire est fondamentale car elle va<br />
lui permettre de poursuivre l’œuvre de transformation de la société engagée depuis quinze ans.<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
étriquée – avec très peu de voix<br />
d’avance sur son rival socialiste, Elias<br />
Jaua – lors des élections de décembre<br />
dernier qui l’ont fait devenir gouverneur<br />
de l’État de Miranda. Son excitation<br />
a même viré à l’irresponsabilité<br />
lorsqu’il s’est entêté et a durci encore le<br />
ton, au point d’être relayé par des<br />
figures de l’extrême droite qui ont<br />
appelé ouvertement à l’insurrection.<br />
Des bâtiments publics, stations-service,<br />
locaux du Parti socialiste unifié du<br />
Venezuela ont été saccagés en divers<br />
endroits du pays. Des messages massivement<br />
diffusés sur les réseaux sociaux<br />
sont allés jusqu’à prétendre que « les<br />
Cubains » auraient refusé l’accès à des<br />
urnes électorales, poussant des groupes<br />
extrémistes à lancer l’assaut contre des<br />
centres médicaux et à brutaliser des<br />
médecins cubains y exerçant. Ces provocations<br />
et les violences qu’elles ont<br />
entraînées, ravivant le souvenir du coup<br />
d’État néo-fasciste d’avril 2002, ont fait<br />
au moins sept morts. ■<br />
59<br />
Reuters
60 Amériques<br />
États-Unis Adoptée en 1787 pour répondre à des préoccupations du moment, puis amendée à<br />
quelques reprises, la Constitution est-elle encore pertinente aujourd’hui? Rien n’est moins sûr.<br />
Par Maureen Smith<br />
Ce parchemin vieux de deux siècles<br />
Datant de 1791, le deuxième<br />
amendement de la Constitution<br />
des États-Unis garantit pour<br />
tout citoyen américain le droit de porter<br />
des armes. il se traduit ainsi: « Une<br />
milice bien organisée étant nécessaire<br />
à la sécurité d’un État libre, le droit<br />
qu’a le peuple de détenir et de porter<br />
des armes ne sera pas transgressé. »<br />
Aujourd’hui, son interprétation divise<br />
foncièrement les républicains et les<br />
démocrates, les premiers estimant que<br />
le port d’arme est autorisé à tous et<br />
sans condition, alors que les seconds<br />
veulent strictement limiter ce droit.<br />
◗ George Washington et les drones<br />
Cet exemple nous amène aux questions<br />
de fond suivantes: ce parchemin,<br />
vieux de plus de deux siècles, peut-il<br />
déterminer les choix cruciaux que le<br />
pays est appelé à prendre? Doit-on<br />
suivre à la lettre le texte original des<br />
Pères fondateurs – parmi lesquels les<br />
trente-neuf signataires de ladite Constitution<br />
(1) – ou l’adapter à son époque?<br />
De manière générale, la droite étasunienne,<br />
autoproclamée comme son<br />
plus ardent défenseur, se borne à une<br />
lecture stricte du document, alors que<br />
la gauche, plus pragmatique, en souhaite<br />
une relecture plus moderne, fûtce<br />
le texte sacré.<br />
Le monde a évolué et nul ne saurait<br />
en faire abstraction. Les Pères fondateurs,<br />
aussi visionnaires qu’ils étaient,<br />
ne pouvaient prévoir tous les progrès<br />
que l’homme accomplirait: les révolutions<br />
de l’aéronautique, de l’atome, de<br />
l’informatique, l’invention des antibiotiques<br />
ou encore la mise en place du<br />
Medicare – signe d’une véritable transformation<br />
des mentalités! Les auteurs<br />
de la Constitution auraient-ils écrit<br />
pareil texte en de telles circonstances?<br />
On peut se demander par exemple si<br />
l’utilisation des drones dans le ciel<br />
libyen ne constitue pas une violation<br />
de l’article l, section VIII, qui donne au<br />
D. R.<br />
Congrès le pouvoir de déclarer la<br />
guerre. Que penserait George Washington<br />
de ces attaques meurtrières à effets<br />
collatéraux désastreux? On aurait bien<br />
du mal à le dire, vu qu’il était à mille<br />
lieues d’imaginer que l’homme irait<br />
dans le ciel et qu’il utiliserait un satellite<br />
pour viser une cible à distance!<br />
Comment aurait réagi un James<br />
Madison face à la décision de prélever<br />
un impôt à des Américains qui n’ont<br />
pas les moyens de se payer une assurance<br />
santé? Serait-ce un abus de l’autorité<br />
du Congrès selon la clause du<br />
commerce? Difficile à dire puisqu’au<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
XVIII e siècle, les médecins utilisaient<br />
encore des sangsues! Et Thomas Jefferson,<br />
propriétaire d’esclaves dont on<br />
suppute qu’il avait au moins un enfant<br />
métis, qu’aurait-il pensé d’un président<br />
américain moitié blanc, moitié noir, né<br />
à Hawaï… État qui n’existait pas<br />
alors?<br />
Les Pères fondateurs, tout autant que<br />
les dieux, ne sont pas infaillibles. Ils<br />
ont inclus dans la Constitution des<br />
États-Unis de belles formules sur la<br />
protection des libertés démocratiques –<br />
liberté de parole, de réunion, de religion.<br />
Mais ils ont également ajouté<br />
QU’AURAIT PENSÉ THOMAS JEFFERSON, PROPRIÉTAIRE D’ESCLAVES,<br />
D’UN PRÉSIDENT AMÉRICAIN MOITIÉ BLANC, MOITIÉ NOIR ?
dans ce texte « inviolable » quelques<br />
concepts moins éclairés qui feraient<br />
bondir n’importe quel être humain:<br />
une personne noire équivaut au tiers<br />
d’un homme blanc, les femmes ne peuvent<br />
pas voter… Et ils ont concocté<br />
d’autres inepties: le petit État du<br />
Dakota du Sud devrait avoir le même<br />
nombre de sénateurs que la Californie,<br />
idée tout à fait inégalitaire. Quant à<br />
l’impôt, la prohibition et autres inventions<br />
de ce genre, ils n’y sont pour<br />
rien: tout cela est venu bien après eux!<br />
◗ Bible et lubies<br />
Les Américains n’ont jamais cessé<br />
de débattre de leur Constitution, quasiment<br />
depuis le jour de sa signature.<br />
Mais concentrons-nous sur la dernière<br />
décennie.<br />
En 2000, lors du scrutin présidentiel<br />
Quatre ans après l’indépendance,<br />
les élus des treize États<br />
de la Confédération signent la<br />
Constitution, le 17 septembre 1787.<br />
qui a mis Al Gore aux prises avec<br />
George W. Bush, les électeurs ont<br />
suivi, avec un intérêt nouveau, de<br />
longs cours sur la signification de ce<br />
texte. Mais c’est avec la montée des<br />
Tea Parties (les républicains extrémistes,<br />
soi-disant « fidèles » de la<br />
Constitution) dans l’arène publique<br />
que le conflit s’est aggravé. Exemple<br />
révélateur, la déclaration à l’emportepièce<br />
du député conservateur du<br />
Texas, Ron Paul, en 2008, dite avec<br />
une conviction inouïe : « La Constitution<br />
a été explicitement écrite dans un<br />
seul but: restreindre les prérogatives<br />
du gouvernement fédéral. » En vérité,<br />
selon les Articles de la Confédération,<br />
qui précédèrent la Constitution, les<br />
États bénéficiaient déjà d’un pouvoir<br />
extraordinaire (beaucoup ayant leurs<br />
propres soldats, leurs propres devises,<br />
etc.). La Constitution a voulu au<br />
contraire renforcer le gouvernement<br />
central des États-Unis, pour la simple<br />
et bonne raison que celui-ci n’existait<br />
pas vraiment!<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
Amendée seulement vingt-huit fois<br />
en plus de 225 ans (il faut le vote des<br />
deux tiers du Congrès et/ou des trois<br />
quarts des États), la Constitution est<br />
devenue une bible séculaire que les<br />
politiques utilisent, souvent à mauvais<br />
escient, pour justifier leurs lubies et<br />
leur orthodoxie. Pour mieux avancer,<br />
il n’est jamais inutile de regarder chez<br />
ses voisins : la France compte déjà<br />
cinq constitutions ; les Anglais, pourtant<br />
proches, n’ont jamais eu le<br />
moindre texte écrit en ce sens ; et le<br />
must, sans doute : à la fin de la guerre<br />
froide, de jeunes avocats américains<br />
ont été embauchés… pour rédiger les<br />
nouvelles lois de l’Europe de l’Est!<br />
Ces exemples devraient nourrir copieusement<br />
la réflexion. ■<br />
◗ (1) Sont considérés comme les Pères<br />
fondateurs des États-Unis, les hommes qui ont<br />
signé la Déclaration d’indépendance ou la<br />
Constitution des États-Unis, et ceux qui ont<br />
participé à la Révolution<br />
américaine comme Patriots.<br />
61<br />
D. R.
62 Économie Infos<br />
Mozambique :<br />
encore du charbon<br />
La compagnie<br />
japonaise Nippon<br />
Steel a signé un contrat<br />
avec le gouvernement<br />
mozambicain pour<br />
l’exploitation du charbon<br />
de la mine de Revuboe,<br />
dans la province<br />
septentrionale de Tete,<br />
dont la concession avait<br />
déjà été attribuée au<br />
groupe Talbot. L’Anglo<br />
American, qui était<br />
associée à Talbot, vient de<br />
se retirer du projet. Les<br />
réserves de charbon de<br />
coke de cette mine sont<br />
estimées à 1,4 milliard de<br />
tonnes. Elle se situe dans<br />
le même bassin où opèrent<br />
déjà d’autres groupes,<br />
dont les géants australien<br />
Rio Tinto (mines de<br />
Benga et de Zambèze) et<br />
brésilien Vale. À partir de<br />
2016, la Revuboe devrait<br />
produire quelque<br />
5 millions de tonnes de<br />
minerai par an. Comme<br />
pour les autres<br />
compagnies engagées sur<br />
le site, la partie du<br />
charbon thermique sera<br />
employée pour produire<br />
localement de l’électricité.<br />
L’accord prévoit par<br />
ailleurs le transfert de 5 %<br />
des actions au<br />
gouvernement<br />
mozambicain, représenté<br />
par l’entreprise minière<br />
d’État Emem, et 5 %<br />
Tendances... Tendances... Tendances... Tendances...<br />
●●● La Technip, un des leaders mondiaux du management<br />
de projets, de l’ingénierie et de la construction pour l’industrie<br />
de l’énergie, a remporté l’appel d’offres pour le développement<br />
du champ pétrolifère congolais de Moho Nord. Situé<br />
à environ 75 km au large des côtes de la République du<br />
Congo, à une profondeur d’eau comprise entre 650 et 1 100<br />
mètres, ce champ, exploité par Total, a des réserves estimées<br />
à près de 230 millions de barils. ●●● La monnaie électronique<br />
expérimentale, bitcoin, lancée en 2009 à la suite de<br />
la crise financière mondiale, et qui n’est gérée par aucun État<br />
La mode au secours du textile tunisien<br />
De jeunes stylistes tunisiens ont animé un Festival de la<br />
mode les 3 et 4 avril dans la banlieue de Tunis. Et cela<br />
dans un double but : faire connaître les créateurs nationaux et<br />
revaloriser la filière en crise du textile et de l’habillement. Ce<br />
secteur a été durement touché par la crise mondiale qui affecte<br />
aussi ses clients occidentaux, dont la France, entraînant une<br />
baisse des exportations de 7,9 %. Le climat d’instabilité et<br />
d’insécurité a aussi contribué à la baisse des investissements.<br />
« Une dizaine d’investisseurs étrangers sont prêts à lancer<br />
leurs projets, mais ils attendent de voir la stabilité rétablie<br />
dans le pays », indique Samir Haouet, directeur général du<br />
centre technique du textile (Cettex), précisant que soixante-dix<br />
entreprises ont fermé leurs portes depuis la « révolution ».<br />
Pour François-Marie Grau, délégué général adjoint de l’Union<br />
française des industries et de l’habillement, le modèle tunisien a<br />
tardé à se convertir : « L’industrie tunisienne présente aujourd’hui<br />
une grande fragilité. Son principal handicap est sa dépendance<br />
vis-à-vis de l’exportation et de ses principaux donneurs<br />
d’ordres qui connaissent de profonds bouleversements », a-t-il<br />
précisé à l’AFP. Sur plus de 2 000 entreprises tunisiennes textile-habillement,<br />
1 700 sont totalement exportatrices, travaillant<br />
essentiellement dans la sous-traitance pour la grande distribution.<br />
Elles « doivent rechercher le relais de croissance où ils se<br />
situent, à savoir les marchés hors Europe où la croissance ne se<br />
dément pas », ajoute François-Marie Grau. ■<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
ou Banque centrale, a atteint un record : la valeur des bitcoins<br />
en circulation dépasse le milliard de dollars. Le quotidien<br />
online La Tribune explique que la valeur des bitcoins<br />
est entièrement flottante et qu’elle a dépassé les 147 dollars<br />
début avril. Il y a environ 11 millions de bitcoins en circulation,<br />
et leur nombre est limité à 21 millions. Ils peuvent être<br />
échangés contre d’autres monnaies sur des bourses<br />
d’échanges Internet. Ce système de paiement gratuit et anonyme<br />
est « apprécié des libertaires technophiles, mais aussi<br />
des traders et de certains trafiquants en tout genre ». ■<br />
D. R.<br />
supplémentaires seront<br />
mis à la disposition<br />
d’investisseurs<br />
nationaux. ■<br />
Cameroun :<br />
ouvrez les robinets !<br />
Depuis des lustres,<br />
Yaoundé, la capitale,<br />
et Douala, plus grande ville<br />
du pays et capitale<br />
économique, sont<br />
confrontées à une<br />
distribution très aléatoire de<br />
l’eau. Mise en service en<br />
1985, l’usine de traitement<br />
des eaux d’Akomnyada, qui<br />
approvisionne Yaoundé, est<br />
victime de saturation depuis<br />
le début des années 2000.<br />
Pour l’heure, elle ne peut<br />
fournir que 100 000 m3 par<br />
jour sur les 300 000<br />
nécessaires. Même cas de<br />
figure à Douala où les<br />
besoins supplémentaires<br />
seraient de<br />
260 000 m3 /jour. Le sujet<br />
est donc très sensible. C’est<br />
pourquoi dans une<br />
campagne très médiatisée,<br />
le ministre en charge de<br />
l’Eau et de l’Énergie,<br />
Atangana Kouna, a<br />
largement commenté<br />
l’avancement des travaux<br />
sur le fleuve Mefou, le<br />
barrage achevé à 70 % et la<br />
zone de traitement des<br />
boues et les locaux<br />
techniques. « Les travaux<br />
sont censés s’achever au<br />
mois d’août 2013. Donc à<br />
partir de ce moment, nous
aurons de l’eau à<br />
Yaoundé », a-t-il précisé.<br />
Directeur général de la<br />
Camwater, en charge de la<br />
construction des<br />
infrastructures liées à la<br />
distribution, Jean William<br />
Sollo le confirme, chiffres à<br />
l’appui. Dans son<br />
budget 2013<br />
(128,7 milliards de francs<br />
CFA), 85 % vont aux<br />
investissements. Quatre<br />
cents milliards devraient<br />
être alloués d’ici à dix ans.<br />
Depuis que Solo a été<br />
nommé en 2012, la<br />
salubrité de l’eau s’est<br />
nettement améliorée. Et le<br />
renforcement des unités<br />
d’Akomnyada et de Yato a<br />
été une priorité. Une bonne<br />
partie du problème de l’eau<br />
pourrait donc être réglée<br />
d’ici à la fin de l’année. À<br />
D. R.<br />
la condition que<br />
l’administration joue<br />
pleinement le jeu. Si Paul<br />
Biya l’a fortement souhaité,<br />
les lenteurs administratives<br />
peuvent encore ralentir le<br />
débit. Robinet (à demi)<br />
ouvert donc ! ■ R. C.<br />
Une étude de l’Organisation internationale du travail<br />
(OIT) intitulée Piégés et coincés : les trafics de personnes<br />
au Moyen-Orient, a évalué à 600 000 le nombre de<br />
travailleurs forcés dans la région et a appelé à la mise en<br />
place de règlements pour mettre un terme à leur exploitation<br />
qui est également de nature sexuelle. Il s’agirait de réformer<br />
le système de la kafala qui oblige la main-d’œuvre étrangère<br />
à être parrainée. Le rapport de 150 pages, rédigé au terme de<br />
ACP : un Ghanéen après l’autre<br />
L<br />
’ancien ministre des Affaires étrangères et de l’Intégration<br />
régionale du Ghana, Muhammad Mumuni, a pris le<br />
26 mars dernier la succession de son compatriote Mohamed<br />
Ibn Chambas au poste de secrétaire général du groupe des pays<br />
d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) pour les vingt<br />
mois qui restent avant l’expiration de son mandat. Le nouveau<br />
secrétaire général ACP est confronté à des défis importants. En<br />
effet, il est désigné au moment où le groupe des quatre-vingts<br />
pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, partenaires de<br />
l’Union européenne dans le cadre de l’accord de Cotonou,<br />
s’interroge sur son avenir après l’expiration de ce même<br />
accord, prévue en 2020. C’est sur ce sujet que va plancher un<br />
groupe de quatorze personnes éminentes, présidé par l’ancien<br />
chef d’État nigérian Olusegun Obasanjo. Il comprend notamment<br />
les ex-présidents du Guyana, Bharrat Jagdeo, et de la<br />
République dominicaine, Leonel Fernandez Reyna. Ce groupe<br />
doit préparer des recommandations aux chefs d’État ACP pour<br />
la fin décembre 2014.<br />
Pour Olusegun Obasanjo, il s’agit de réinventer le groupe et<br />
ses fonctions afin de travailler à une meilleure intégration des<br />
États ACP dans l’économie mondiale, à un moment difficile :<br />
le partenaire européen est en crise, les négociations pour des<br />
accords de partenariat économique censées mener au libre<br />
échange, entamées en 2002, n’ont toujours pas abouti, et la<br />
donne a changé avec l’irruption sur la scène économique mondiale<br />
de grands pays émergents comme la Chine l’Inde et le<br />
Brésil notamment. ■ F. M.<br />
Moyen-Orient : le fléau du travail forcé<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
D. R.<br />
COTE… DÉCOTE…<br />
3,6 milliards de dollars.<br />
C’est le montant<br />
de l’aide que se sont<br />
engagés à verser des<br />
donateurs, réunis à Doha,<br />
pour un plan de<br />
développement de la<br />
région soudanaise du<br />
Darfour, dévastée par<br />
la guerre civile. Le<br />
Qatar a annoncé une<br />
contribution de<br />
500 millions de dollars. ■<br />
28 milliards d’euros<br />
de chiffre d’affaires en<br />
2012 pour le groupe<br />
français LVMH (dont les<br />
marques Louis Vuitton,<br />
Givenchy, Dior et Moët-<br />
Chandon), et un bénéfice<br />
net de 3,4 milliards.<br />
Le PDG du groupe,<br />
Bernard Arnault, vient de<br />
renoncer à demander la<br />
nationalité belge qu’il<br />
recherchait à acquérir<br />
depuis un an afin de payer<br />
moins d’impôts qu’en<br />
France. ■<br />
8 000 entreprises<br />
portugaises<br />
se sont installées en<br />
Angola, la plupart<br />
depuis la fin du conflit en<br />
2002. Les transferts de ces<br />
travailleurs portugais ont<br />
atteint un « niveau record »<br />
en 2012, selon le ministre<br />
portugais des Affaires<br />
étrangères. ■<br />
650 entretiens sur une période de deux ans en Jordanie, au<br />
Liban, au Koweït et aux Émirats arabes unis, a été présenté<br />
le 9 avril, à l’ouverture d’une conférence de deux jours à<br />
Amman de l’OIT. Beate Andrees, chef du programme d’action<br />
pour combattre le travail forcé à l’OIT, a notamment<br />
déclaré : « L’immigration de travail dans cette région du<br />
monde est sans pareille par son ampleur et sa croissance,<br />
qui a été exponentielle ces dernières années. » ■<br />
63
64 Économie<br />
D. R.<br />
Multinationales Lever l’impôt et lutter contre l’évasion fiscale des sociétés étrangères, qui<br />
représente des sommes colossales… Les pays d’Afrique prennent de plus en plus conscience<br />
que leur développement passera aussi par là.<br />
Par Arnaud Bébien<br />
C<br />
’est le grand ménage. En<br />
Afrique, de l’Est et australe<br />
notamment, les gouvernements<br />
deviennent beaucoup plus regardants<br />
sur les activités des sociétés étrangères<br />
sur leurs territoires. Au premier rang<br />
des exigences, le paiement des taxes à<br />
l’État. Car les groupes mondiaux opérant<br />
en Afrique n’en font qu’à leur tête<br />
depuis très longtemps : entre évasion<br />
Le fisc africain attaque<br />
En Zambie, l’un des plus gros producteurs de cuivre au monde, le minerai ne rapporte presque<br />
rien aux caisses de l’État. Les multinationales y pratiquent leur sport favori: l’évasion fiscale.<br />
fiscale et non-règlements des sommes<br />
dues, le manque à gagner est énorme.<br />
Conscients de passer à côté d’une<br />
manne indispensable au développement<br />
de leur pays et au bouclage de leur budget,<br />
les dirigeants africains se focalisent<br />
de plus en plus sur les taxes.<br />
◗ Glencore et les autres<br />
Ce mouvement, s’il s’est amorcé en<br />
Afrique il y a quelques années, a ainsi<br />
intéressé, mi-février à Moscou, les<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
ministres des Finances des pays du<br />
G20. Ils ont conclu leur week-end de<br />
concertation « déterminés à mettre sur<br />
pied des mesures destinées à lutter<br />
contre l’érosion de la base d’imposition<br />
et le transfert des profits ». Les<br />
ministres avaient par ailleurs reçu favorablement<br />
les conclusions d’un rapport<br />
sur la question, publié par l’Organisation<br />
de coopération pour le développement<br />
économique (OCDE). À savoir:<br />
les grands groupes échappent en majo-
ité aux taxes et privent chaque année<br />
les pays en développement de 350 milliards<br />
de dollars d’impôts, selon la<br />
Banque mondiale.<br />
L’exemple le plus flagrant est certainement<br />
celui des mines de cuivre en<br />
Zambie. Le site minier de Mopani est<br />
l’un des plus vastes de Zambie, mais<br />
aussi de la planète, quand on sait l’importance<br />
stratégique qu’occupe ce pays<br />
dans la production mondiale. Et pourtant…<br />
Le cuivre ne rapporte presque<br />
rien aux caisses de l’État, alors que le<br />
cours de cette matière a quadruplé<br />
entre 2001 et 2008. Pourquoi? La<br />
réponse à cette question se trouve chez<br />
la multinationale suisse Glencore qui<br />
exploite le cuivre, pilier d’un système<br />
que veulent abattre plusieurs ONG<br />
zambiennes<br />
Saviour Mwambwa est l’un des leaders<br />
de la lutte qu’a relatée le documen-<br />
taire À qui profite le cuivre ? (prix<br />
Albert-Londres 2012), réalisé par les<br />
Françaises Audrey Gallet et Alice<br />
Odiot. Saviour Mwambwa poursuit la<br />
société suisse Glencore devant les tribunaux<br />
anglais pour évasion fiscale et<br />
pollution environnementale, avec des<br />
conséquences sur la santé des riverains<br />
de la mine. Avec ses avocats européens<br />
et des associations, il a remonté le fil<br />
des transactions et découvert une fraude<br />
de Glencore chiffrée à plusieurs centaines<br />
de millions de dollars.<br />
La stratégie des Suisses est couramment<br />
utilisée par les multinationales.<br />
Glencore vend le cuivre de Mopani à<br />
seulement 25 % du cours réel à ses<br />
filiales installées dans des paradis fiscaux,<br />
qui se chargent ensuite de<br />
D. R.<br />
revendre le tout au prix du marché. Les<br />
profits réalisés sont énormes, tout<br />
comme… le trou laissé dans les finances<br />
zambiennes. Mais Glencore n’est pas la<br />
seule impliquée dans l’évasion<br />
fiscale en Zambie : depuis février dernier,<br />
l’ONG Action Aid suspecte publiquement<br />
la firme agroalimentaire Associated<br />
British Foods de ne pas payer<br />
d’impôts dans ce pays.<br />
Outre l’Afrique australe, les choses<br />
bougent également en Ouganda. Fin<br />
2012, le pays s’est lancé dans une<br />
course à l’audit de la comptabilité des<br />
sociétés étrangères. Le risque était alors<br />
grand pour l’Ouganda de ne pas boucler<br />
son budget 2013 : de nombreux donateurs<br />
internationaux annonçaient la fin<br />
de leurs aides, sur fond de scandales de<br />
corruption et de détournements de certaines<br />
sommes allouées. « Nous savons<br />
que nous pouvons collecter les sommes<br />
manquantes à notre budget national,<br />
indiquait Sirajji Kanyesigye, responsable<br />
du département des paiements au<br />
fisc ougandais. Nous réalisons de nombreux<br />
audits pour traquer les impayés<br />
et les montages financiers. » MTN, le<br />
grand opérateur mobile sud-africain, est<br />
ainsi tombé dans les filets ougandais<br />
pour évasion fiscale. Le montant s’élève<br />
à 35 millions de dollars et plusieurs<br />
employés de la filiale ougandaise ont<br />
été arrêtés.<br />
L’Uganda Revenue Authority, le fisc<br />
ougandais, s’est rendu compte, en 2012,<br />
que les finances du pays ont été privées<br />
de près de 500 millions de dollars ces<br />
cinq dernières années. Comptes<br />
maquillés, corruption du personnel des<br />
impôts, évasion fiscale, retards dans les<br />
paiements : l’arsenal utilisé par les<br />
sociétés pour ne pas payer ce qu’elles<br />
doivent à l’État est bien garni. Il faut<br />
toute la conscience et la compétence<br />
professionnelle de certains spécialistes<br />
pour dénicher les cas de fraudes. L’inspecteur<br />
général du gouvernement<br />
ougandais, l’un des plus hauts postes du<br />
pays, a ainsi été sommé par le président<br />
Yoweri Museveni d’enquêter et d’expliquer<br />
l’origine de ces pertes.<br />
De plus en plus de pays réagissent et<br />
mettent en place des systèmes pour<br />
déceler les tricheries. Si on a découvert<br />
le pot aux roses en Ouganda après<br />
LES GRANDS GROUPES PRIVENT CHAQUE ANNÉE LES PAYS<br />
EN DÉVELOPPEMENT DE 350 MILLIARDS DE DOLLARS D’IMPÔTS.<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
coup, d’autres préfèrent se prémunir en<br />
mettant en place des systèmes sophistiqués<br />
pour empêcher la perte d’importantes<br />
recettes fiscales. Au Burundi,<br />
Kieran Holmes est, depuis 2010, le<br />
commissaire général de l’Office burundais<br />
des recettes. Il était auparavant au<br />
Rwanda pour le même type de mission,<br />
et il aide maintenant le petit pays<br />
d’Afrique centrale à mettre sur pied<br />
l’informatisation de son système de collecte<br />
d’impôts. « Nous installons une<br />
structure moderne, recommandée par<br />
le Fonds monétaire international, dit-il.<br />
Le personnel est aussi formé à l’utilisation<br />
de ces nouveaux systèmes. » Pour<br />
celui qui a une longue expérience dans<br />
ce domaine en Afrique et au Moyen-<br />
Orient, la modernité du système de collecte<br />
endigue la corruption et l’évasion<br />
fiscale.<br />
◗ Le chemin vertueux du Burundi<br />
Kieran Holmes souligne que, pour un<br />
pays sans ressources naturelles majeures<br />
comme le Burundi, lever l’impôt est la<br />
condition sine qua non au développement.<br />
« Ce n’est pas toujours facile,<br />
remarque-t-il. Le passage de l’ancien<br />
au nouveau système prend du temps,<br />
mais je vois que les autorités comprennent<br />
l’intérêt de bâtir des institutions<br />
saines, avec moins de corruption. Nous<br />
créons de meilleures conditions pour<br />
les affaires et les investissements. »<br />
Avec plusieurs employés du fisc pris la<br />
main dans le sac en 2011 et des investissements<br />
dans les infrastructures avec<br />
l’argent des impôts, le Burundi s’engage<br />
sur un chemin vertueux. Selon le<br />
commissaire général, « 95 % du budget<br />
national peut être financé par les taxes<br />
d’ici à cinq ans. »<br />
La Commission économique pour<br />
l’Afrique (CEA) des Nations unies<br />
située à Addis-Abeba pousse les États<br />
africains à adopter la voie prise par le<br />
Burundi. Elle rappelle que plus de<br />
1,5 milliard de dollars de taxes des<br />
multinationales leur échappe chaque<br />
année. Un montant colossal qui<br />
retourne bien souvent dans le pays<br />
d’origine de ces sociétés étrangères.<br />
Réagir avant qu’il ne soit trop tard<br />
pour ne pas laisser l’argent dormir et<br />
s’évader: tel était le but du rapport de<br />
la CEA publié l’an passé. « Pour<br />
10 dollars de taxes évadées, le dollar<br />
d’aide reçu ne compense pas les pertes<br />
économiques et financières pour le<br />
continent », écrivent, très justement,<br />
les auteurs du rapport. ■<br />
65
66 Économie<br />
Finance islamique Georges Corm, ex-ministre des Finances libanais et professeur à l’université<br />
Saint-Joseph à Beyrouth, souligne les inégalités engendrées par les économies rentières arabes.<br />
Pour lui, les islamistes n’ont pas de solutions. Pis : ils s’adaptent parfaitement à ce système.<br />
Propos recueillis par Laurence D’Hondt<br />
■ Quelles sont les caractéristiques<br />
des économies des pays arabes dans<br />
lesquelles la mouvance islamiste<br />
(Frères musulmans, Ennahdha…) a<br />
pris le pouvoir ?<br />
❒ Il s’agit d’économies à faible productivité<br />
qui, plus d’un demi-siècle<br />
après leur indépendance, n’ont pas su<br />
enclencher le cercle vertueux d’une<br />
industrialisation accélérée sur le<br />
modèle des pays du Sud-Est asiatique.<br />
Des sources diverses de rentes économiques<br />
faciles ont provoqué une<br />
paresse technologique évidente, qui<br />
n’a pas assuré la remontée des grandes<br />
filières technologiques modernes dans<br />
l’électronique, l’informatique, la santé,<br />
les équipements et machines-outils.<br />
Ces sources de rente très abondantes<br />
proviennent du secteur foncier, ou agricole,<br />
ou touristique, ou encore de<br />
matières premières telles que l’énergie<br />
ou les phosphates. Ces ressources<br />
financières proviennent aussi du passage<br />
d’oléoducs pétroliers ou gaziers,<br />
de route de transit comme le canal de<br />
Suez, ou encore des aides étrangères et<br />
des importantes remises des émigrés.<br />
La création de zones industrielles offshore<br />
n’a fait que perpétuer un système<br />
se contentant de contrats de sous-traitance<br />
passive avec les firmes multinationales.<br />
■ Quelles sont les réponses que la<br />
réflexion économique des partis islamistes<br />
au pouvoir apporte aux défis<br />
de systèmes économiques qui se sont<br />
avérés injustes et peu porteurs d’emplois<br />
? Pourquoi l’interdiction de l’intérêt<br />
sur le capital semble-t-elle une<br />
fixation de la pensée « économique »<br />
islamiste ?<br />
Les partis islamiques ont surfé<br />
Un argent halal<br />
pas très catholique<br />
d’abord sur la vague antisocialiste, en<br />
dénonçant les atteintes de l’État à la<br />
liberté de commerce. Par la suite, les<br />
États se réclamant de l’islam, dans le<br />
monde arabe ou hors du monde arabe,<br />
ont lancé la mode de la finance isla-<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
mique à partir des années 1980. Des<br />
banques islamiques et des modes de<br />
financement islamiques ont poussé un<br />
peu partout, et même les grandes<br />
banques occidentales, soucieuses de<br />
recueillir les dépôts de riches Arabes<br />
Moulay Youssef Alaoui, l’entreprise et le Coran<br />
Àl’occasion d’une rencontre inédite à Beyrouth entre responsables des<br />
mondes chrétien et musulman, pour trouver une éthique commune<br />
entre les deux religions dans le domaine économique, Moulay Youssef<br />
Alaoui, chef d’entreprise marocain, a fait un témoignage poignant de<br />
vérité. En quelques mots, il a illustré avec clarté ce que la foi peut avoir de<br />
stimulant pour faire face aux défis d’un monde en crise. Alors que l’homme a<br />
eu « la chance » d’hériter de deux entreprises familiales, il n’a pourtant eu<br />
longtemps qu’une seule idée en tête : trouver un bon moyen de « s’en débarrasser<br />
». Il n’avait aucun désir de porter la charge de ces entreprises. Timide,<br />
inquiet, il n’osait même pas prendre la parole en public.<br />
« Il y a deux ans, à l’occasion d’une rencontre entre chefs d’entreprise au<br />
Liban, je me suis fait cette réflexion : mon éducation musulmane fondée sur la<br />
responsabilité et la solidarité pouvait-elle vraiment me permettre de vendre<br />
ces deux sociétés familiales? » La réponse est venue dans l’avion qui l’a<br />
ramené au Maroc. « Je me suis dit: l’héritage est un don de Dieu et j’ai la responsabilité<br />
de le faire fructifier. Je suis un homme et je dois faire preuve d’humilité<br />
en ne responsabilisant que moi-même pour les choses qui m’arrivent. »<br />
De retour, l’homme a acquis une stature morale qu’il n’avait jamais endossée<br />
et il a pris rapidement deux décisions pour les 100 personnes qu’il<br />
employait: l’une était de créer une Fondation financée à 75 % par les bénéfices<br />
de l’entreprise et à 25 % par la cotisation du personnel; l’autre, celle de<br />
relever le niveau des salaires les plus bas de l’entreprise. Alors que Moulay<br />
s’apprêtait à voir les autres salariés protester devant cette augmentation partielle,<br />
il a eu la surprise de découvrir qu’aucun n’a émis d’objection et que la<br />
solidarité était une valeur partagée qui ne demandait qu’à être appliquée.<br />
Revenant sur le hadith (dit du Prophète), « Le meilleur est celui qui est le plus<br />
utile aux autres », Moulay Youssef Alaoui y lit non seulement une invitation à<br />
la mise en valeur de son héritage au profit des autres, mais également un appel<br />
à « devenir acteur de sa liberté », une dimension trop peu encouragée dans<br />
l’économie des pays musulmans. ■ L. Dh.<br />
◗ www.beirutconference.org
Georges Corm: « Les mouvances islamiques n’ont guère développé<br />
de programmes d’éthique des affaires et de redistribution des revenus. »<br />
faisant montre de piété, ont ouvert des<br />
guichets de « finance islamique ». Formellement,<br />
ces institutions ne payent<br />
pas d’intérêt à leurs déposants et ne<br />
font pas payer d’intérêts à leurs<br />
emprunteurs. Cela est réalisé à travers<br />
diverses formules d’association à leurs<br />
bénéfices pour les déposants, payés sur<br />
l’association qu’elles ont dans les<br />
bénéfices de leurs emprunteurs. Beaucoup<br />
d’opérations sont déguisées en<br />
différentes formules de leasing où<br />
l’emprunteur paye des loyers à sa<br />
banque islamique. En fait, la base de<br />
calcul a toujours comme référence<br />
implicite les taux d’intérêt internationaux<br />
plus une marge.<br />
Cette interdiction formelle de l’intérêt<br />
leur permet d’apparaître comme<br />
conformes à la charia qui interdisait le<br />
prêt à intérêt (tout comme dans le<br />
christianisme), bien que d’éminents<br />
juristes musulmans dès le début du<br />
siècle dernier aient expliqué qu’il était<br />
licite de pratiquer l’intérêt, à condition<br />
qu’il ne soit pas usuraire. Mais, ce qui<br />
reste certain, c’est qu’aucun des États<br />
qui ont choisi de généraliser la finance<br />
islamique (Arabie Saoudite, Pakistan,<br />
Iran, Soudan) n’apporte aujourd’hui la<br />
preuve d’un meilleur développement<br />
économique, ni d’une justice sociale<br />
plus grande.<br />
■ Quel est le travail que font les mouvements<br />
islamistes sur le terrain: de<br />
l’assistanat? De l’achat de voix<br />
opportunistes ? De la redistribution<br />
durable de richesses ?<br />
❒ Certains des membres de ces mouvements<br />
sont devenus des hommes d’af-<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
D. R.<br />
faires prospères en s’inscrivant dans<br />
les circuits de l’économie de rente. Par<br />
ailleurs, depuis des années, fleurissent<br />
des associations charitables qui viennent<br />
de façon marginale combler les<br />
insuffisances en matière de sécurité<br />
sociale des États. Elles ont des réseaux<br />
très développés dans les campagnes<br />
pauvres et les bidonvilles urbains. Elles<br />
deviennent de ce fait très influentes<br />
idéologiquement, et influencent considérablement<br />
les votes dans les exercices<br />
électoraux. Elles influent aussi<br />
sur la généralisation de mœurs islamiques<br />
rigoristes et les modes d’habillement<br />
de l’homme et de la femme.<br />
Mais il faut noter que cela n’a pas vraiment<br />
fait reculer les énormes injustices<br />
sociales caractéristiques des économies<br />
rentières.<br />
■ Quelles sont les aspirations<br />
éthiques profondes de l’islam qui<br />
sont susceptibles d’influencer les<br />
politiques économiques de certains<br />
pays ?<br />
❒ Ces aspirations sont peu connues,<br />
comme c’est malheureusement le cas<br />
pour l’éthique économique chrétienne,<br />
qui est sur le fond très similaire. Le<br />
souci principal du croyant doit être la<br />
sollicitude matérielle envers les vieux<br />
parents, les orphelins, les démunis. Par<br />
ailleurs, la bonne foi et l’équité dans les<br />
transactions commerciales constituent<br />
également une obligation de nature<br />
religieuse. Malheureusement, en<br />
dehors du slogan « l’islam est la solution<br />
», les mouvances islamiques n’ont<br />
guère développé de programmes<br />
d’éthique des affaires, de justice<br />
sociale et de redistribution des revenus,<br />
inspiré de leur patrimoine. L’impôt inspiré<br />
de la sharia islamique, dit zakat,<br />
appliqué dans les pays que j’ai cités<br />
n’est pas suffisant pour atténuer les<br />
énormes écarts de richesses.<br />
Mais si le slogan sur l’islam comme<br />
solution à tous les problèmes a eu<br />
autant de succès populaire, c’est<br />
qu’aux yeux de larges pans de déshérités<br />
de ces sociétés, l’islam rime avec<br />
justice sociale. Un vieux dicton arabe<br />
bien connu affirme : « La justice est ce<br />
qui fait de bons royaumes. » L’accession<br />
au pouvoir des partis islamiques<br />
sonne pour eux l’heure de vérité. ■<br />
L’IMPÔT INSPIRÉ DE LA SHARIA ISLAMIQUE N’EST PAS<br />
SUFFISANT POUR ATTÉNUER LES ÉNORMES ÉCARTS DE RICHESSES.<br />
67
68 Économie<br />
Brics Pas à pas mais sûrement, le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud construisent<br />
une force alternative aux institutions internationales dominées par les pays « développés<br />
». Le 5 e Sommet de Durban a apporté sa pierre à l’édifice.<br />
Par Christine Abdelkrim-Delanne<br />
C<br />
’est par vingt et un coups de<br />
canon que le président Jacob<br />
Zuma a accueilli le 26 mars à<br />
Pretoria son homologue chinois, Xi<br />
Jinping. Nouveau président du géant<br />
asiatique, Xi Jinping effectuait<br />
son premier voyage en Afrique<br />
et assistait au 5e sommet des<br />
chefs d’État des pays dits<br />
« émergents » du groupe Brics<br />
(Brésil, Russie, Inde Chine et<br />
Afrique du Sud), à Durban, fin<br />
mars. Les Brics représentent<br />
ensemble 25 % du PNB mondial<br />
et 40 % de la population de<br />
la planète.<br />
Le sommet de Durban, en<br />
terre africaine, s’est réuni<br />
autour du thème central « Les Brics et<br />
l’Afrique : un partenariat pour le développement,<br />
l’intégration et l’industrialisation<br />
». Avec un PIB de 8 250 milliards<br />
de dollars en 2012, contre<br />
390 milliards pour l’Afrique du Sud<br />
qui a bien du mal à justifier sa qualité<br />
d’« émergent », la Chine est sans nul<br />
doute un interlocuteur privilégié et<br />
indispensable au sein des Brics. Mais<br />
elle fait peur aussi, car avec un PIB de<br />
25 % supérieur à ceux de ses quatre<br />
partenaires réunis, sa présence en<br />
Afrique est de plus en plus importante<br />
et créée parfois des déséquilibres.<br />
◗ Financer les grands travaux<br />
Cette réalité a pesé sur le débat au<br />
cœur du sommet concernant la création<br />
d’une banque de développement<br />
et de certaines institutions communes.<br />
Proposé lors du 4 e sommet à New<br />
Delhi, en 2012, le projet d’une banque<br />
commune avance à petits pas, au gré<br />
des divergences, au grand dam de<br />
l’Afrique du Sud qui y a fondé tous<br />
ses espoirs. « Nous avons décidé<br />
d’ouvrir des négociations formelles<br />
pour créer une nouvelle banque de<br />
Une nouvelle étape<br />
développement menée par les Brics,<br />
destinée à nos propres besoins en<br />
infrastructures, qui sont considérables,<br />
mais aussi pour coopérer avec<br />
les autres marchés émergents et les<br />
pays en développement à l’avenir », a<br />
répété Jacob Zuma, pressé de trouver<br />
Les Brics représentent<br />
25 % du PNB mondial.<br />
le financement des « grands travaux »<br />
annoncés dans son dernier discours à<br />
la nation. Ils sont censés sortir le pays<br />
de la crise et, surtout, le sortir, lui, des<br />
difficultés à quelques mois des prochaines<br />
élections.<br />
L’admission de l’Afrique du Sud au<br />
sein du groupe en 2011 représente un<br />
défi pour Jacob Zuma vis-à-vis des<br />
autres pays d’Afrique et de la Communauté<br />
de développement de<br />
l’Afrique australe (SADC). Perçues –<br />
et souhaitées – comme une alternative<br />
aux partenaires traditionnels occidentaux,<br />
les relations entre les États africains<br />
et les Brics doivent évoluer et<br />
sortir du modèle « matières premières<br />
contre produits manufacturés ». Le<br />
sommet s’est d’ailleurs terminé par<br />
une rencontre informelle entre dix<br />
chefs d’État africains, dont l’Angolais<br />
José Eduardo Dos Santos et l’Ivoirien<br />
Alassane Ouattara, et leurs homologues<br />
des Brics dont les acteurs économiques<br />
sont tous présents sur le<br />
continent à des degrés divers, Chine<br />
en tête.<br />
Derrière les discours d’unité<br />
et de solidarité économique,<br />
les divergences entre ces pays<br />
aux économies hétérogènes et<br />
de niveaux de développement<br />
différents demeurent, mais<br />
évoluent au fil des discussions.<br />
La New Development Bank,<br />
créée pour damer le pion à la<br />
Banque mondiale et au FMI,<br />
« doit être une banque de développement<br />
basée sur des projets.<br />
Ensuite nous parlerons<br />
des sommes nécessaires », a insisté<br />
Mikhaïl Marguelov, le représentant<br />
russe pour l’Afrique qui accompagnait<br />
Vladimir Poutine, exprimant<br />
l’opposition de la Russie à une dotation<br />
de capital trop élevée. Elle<br />
demande de ramener les 10 milliards<br />
de dollars par pays prévus au départ à<br />
2 milliards.<br />
Parmi les questions qui seront<br />
débattus au prochain sommet au Brésil<br />
en 2014, la localisation du siège de<br />
la Banque que l’Afrique du Sud espère<br />
accueillir. Un rapport annuel du<br />
Forum économique mondial portant<br />
sur 144 pays place ce pays à la<br />
deuxième position en terme de solidité<br />
des banques, devant le Brésil<br />
(14 e ), l’Inde (38 e ) et la Russie (132 e ),<br />
un atout qu’elle ne se prive pas de<br />
faire valoir. La question du fonds de<br />
réserve commun fera elle aussi l’objet<br />
du débat du prochain sommet. ■<br />
DERRIÈRE LES DISCOURS D’UNITÉ ET DE SOLIDARITÉ, DES DIVERGENCES<br />
ENTRE CES PAYS AUX ÉCONOMIES HÉTÉROGÈNES DEMEURENT.<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
D. R.
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70 Économie<br />
Sénégal Avec la libéralisation de la commercialisation, les Chinois ont débarqué sur le marché<br />
de l’arachide, raflant une bonne part de la production avec des arguments sonnants et trébuchants.<br />
Les producteurs sourient, les huileries locales pleurent.<br />
Par Corinne Moncel<br />
Àen croire les trois grosses huileries<br />
industrielles du pays (1) ,<br />
c’est ni plus ni moins à la mort<br />
de la filière arachide qu’on assiste<br />
depuis le début de la campagne de commercialisation<br />
2012-2013, qui s’achève<br />
ce mois d’avril. La cause ? Le débarquement<br />
massif de nouveaux acheteurs<br />
étrangers, principalement chinois, mais<br />
aussi indiens, marocains, vietnamiens,<br />
et même russes, qui raflent une bonne<br />
part de la production sénégalaise depuis<br />
la libéralisation de l’exportation de la<br />
graine, fin 2010. La présidence avait<br />
pris cette mesure à la suite du record de<br />
production lors de la saison 2010-2011 :<br />
1,3 million de tonnes d’arachides, bien<br />
au-delà des possibilités d’achat des huiliers<br />
locaux (environ 400 000 tonnes).<br />
Une décision historique sur un marché<br />
jusque-là fermé à l’exportation – hors<br />
Union économique et monétaire ouestafricaine.<br />
◗ Achat cash<br />
La mesure trop récente et une production<br />
décevante la saison suivante<br />
(523 000 tonnes, -59 %) n’avaient pas<br />
permis aux acheteurs étrangers de se<br />
faire remarquer. Mais avec une très<br />
bonne récolte cette année (environ<br />
750 000 tonnes), on ne voit plus qu’eux<br />
dans le bassin arachidier: ils écument<br />
les campagnes pour acheter cash tout ce<br />
qu’ils peuvent. Et ils ont mis les<br />
moyens : alors que le gouvernement a<br />
fixé le prix d’achat du kilo à 190 francs<br />
CFA (un peu moins de 0,30 euro), en<br />
hausse de 8 % par rapport à l’année<br />
précédente, ils n’ont pas hésité à renchérir<br />
de 20 %, 30 %, voire 40 %, sur le<br />
prix officiel! On a ainsi vu des records<br />
à 270 francs le kilo, loin des 165 francs<br />
ayant prévalu toute la décennie d’avant<br />
la libéralisation…<br />
Le gouvernement a pourtant fait un<br />
effort cette saison pour sortir du sys-<br />
Hold-up sur les peanuts !<br />
tème de « bons » jusqu’alors en vigueur,<br />
qui permettaient aux différents opérateurs<br />
nationaux (la collecte est libéralisée<br />
depuis 2001) d’acheter la graine à<br />
crédit aux producteurs. Avec de gros<br />
scandales récurrents d’impayés. Les<br />
négociants savaient aussi attendre le<br />
bon moment pour acheter à prix bradés<br />
la récolte de paysans pris à la gorge par<br />
les besoins de liquidités (fêtes, rentrées<br />
des classes…). En lançant, en novembre<br />
dernier, l’opération Tek teggi<br />
(« devise »), les autorités ont rendu<br />
obligatoire le paiement en liquide des<br />
arachides et débloqué 42 milliards de<br />
francs CFA (62,6 millions d’euros).<br />
Les huiliers, eux, ont mobilisé 60 milliards<br />
de francs. Cela n’a pas suffi: ils<br />
ont dû surenchérir sur le prix officiel,<br />
proposant 210 francs le kilo, en réaction<br />
au rouleau compresseur des étrangers.<br />
En vain. Du coup, les usines n’ont plus<br />
assez de graines pour fabriquer toute<br />
l’huile d’arachide dont le Sénégal est le<br />
LE GOUVERNEMENT A FIXÉ LE KILO D’ARACHIDES À 190 FRANCS CFA.<br />
LES ÉTRANGERS LE PAYENT JUSQU’À 270 FRANCS !<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
Une graine d’importance<br />
Culture introduite par les Français au début du XIXe siècle, l’arachide<br />
est devenue dominante au Sénégal: elle couvre 40 % des terres cultivées,<br />
emploie près de 60 % de la population, et on la consomme à<br />
toutes les sauces – notamment dans le plat national, le thiéboudiène. Longtemps<br />
premier produit d’exportation, elle s’est fait devancer par la pêche (le<br />
tourisme et les phosphates en 2005) après une crise sérieuse de la filière dans<br />
les années 2000. La production est extensive, pluviale et le fait de petits producteurs.<br />
Le Sénégal ne figure pas parmi les premiers exportateurs mondiaux, loin<br />
derrière la Chine (1er ), l’Inde (2e ), l’Argentine (3e ) et les États-Unis (4e ), et<br />
même le Nigeria, premier producteur d’Afrique. Il est en revanche le premier<br />
exportateur mondial d’huile brute, tout en étant importateur d’huile de soja. ■<br />
premier exportateur mondial. Suneor,<br />
l’une des plus grosses entreprises<br />
agroalimentaires du pays (5 000<br />
employés, dont 2 000 permanents), qui<br />
traite la majeure partie de l’arachide du<br />
pays, n’avait collecté, à la mi-mars, que<br />
50 000 tonnes sur les 100 000 envisagées.<br />
Novasen n’en avait acquis que<br />
15 000, pour la même prévision<br />
d’achat…<br />
Remontés contre les Chinois, elles<br />
ont sonné le tocsin dès le début de la<br />
campagne : « La présence des Chinois<br />
sur le marché correspond à la mort de<br />
la filière arachide. Parce que les usines<br />
de transformation locales vont fermer<br />
s’il n’y a pas de produits », déclarait fin<br />
novembre Thiendiaté Bouyo Ndao,<br />
directeur général de Suneor, qui récidivait<br />
fin janvier: « Sans approvisionnement<br />
en graines, il n’y aura plus d’industrie.<br />
Et sans industrie, pas de<br />
filière. » Les syndicats des huileries, en<br />
lutte pour préserver leurs emplois,
parlaient, de leur côté, de « concurrence<br />
déloyale ». « C’est l’État qui est<br />
responsable, estimait Thié Mbaye<br />
Ndiaye, du syndicat des corps gras de<br />
Diourbel. Le gouvernement devait, en<br />
parallèle [de la fixation des prix], imposer<br />
des règles du jeu clairement établies<br />
qui pouvaient éviter cette surenchère.<br />
»<br />
Mais les huiliers ont-ils vraiment<br />
compris les nouvelles règles du jeu<br />
depuis la libéralisation ? En situation de<br />
rythme de la loi du marché, ont-ils rapporté<br />
à l’agence sénégalaise ASI24 en<br />
janvier. On nous demande un certificat<br />
de conformité, ce qui est une pure vue<br />
de l’esprit. En principe, pour exporter,<br />
on a besoin de la facture commerciale,<br />
du certificat d’origine et de la déclaration<br />
douanière. Le certificat de conformité<br />
n’existe nulle part! »<br />
Le blocage n’a pas convaincu les<br />
opérateurs étrangers de revenir aux prix<br />
d’achat officiels. En revanche, si les<br />
Les Chinois sont disposés à acheter, à long terme, 3 millions de tonnes d’arachide.<br />
Cette année, le pays en a produit 750 000 tonnes, une très bonne récolte.<br />
monopole depuis des décennies, ils<br />
n’ont pas su anticiper ce qui était pourtant<br />
prévisible. C’est ce que leur a fait<br />
comprendre le ministre de l’Agriculture,<br />
Abdoulaye Baldé : « [Ils] ont des<br />
problèmes d’approvisionnement, donc<br />
ils n’ont qu’à faire des efforts pour être<br />
compétitifs sur le marché. » De quoi<br />
faire s’étrangler les fabricants qui ont<br />
joué la carte du patriotisme économique<br />
pour émouvoir les autorités. Lesquelles<br />
ne sont pas restées sourdes à leurs<br />
doléances. Sans le dire expressément,<br />
elles appliquent, depuis novembre, une<br />
interdiction d’exporter de fait en bloquant<br />
le départ des navires vers la<br />
Chine et d’autres destinations. À la mimars,<br />
près de 54 000 tonnes étaient toujours<br />
en attente, et seulement 5 139<br />
tonnes avaient été expédiées…<br />
Si bien que ce sont dorénavant les<br />
intermédiaires qui évoquent à leur tour<br />
une mesure qui « va finir par tuer la<br />
filière et l’économie de l’arachide ». Le<br />
gouvernement subit « les contrecoups<br />
du lobbying d’une industrie en souffrance<br />
et incapable de soutenir le<br />
graines venaient à se gâter sur les docks<br />
de Dakar, le risque est grand de décourager<br />
les partenaires étrangers prêts à<br />
s’impliquer dans la commercialisation<br />
de la filière. À l’instar des Chinois de la<br />
province de Shangdong (96 millions<br />
d’habitants) dont une délégation, en<br />
novembre dernier, était invitée par la<br />
chambre de commerce et de l’industrie<br />
de Kaolack. Venue pour évaluer la possibilité<br />
d’un premier partenariat portant<br />
sur les 54 000 tonnes, elle s’était dite<br />
disposée à acheter à terme 3 millions de<br />
tonnes par an. De quoi réjouir Alioune<br />
Sarr, directeur de l’Agence sénégalaise<br />
pour la promotion des exportations<br />
(Asepex), qui voyait déjà le moyen<br />
pour le Sénégal de « résorber le déficit<br />
très profond de 400 milliards de la<br />
balance commerciale » s’il parvient à<br />
« exporter entre 1 et 2 millions de<br />
tonnes d’arachides ».<br />
La délégation a toutefois souligné les<br />
faiblesses de la filière sénégalaise:<br />
absence de semences de qualité, d'engrais<br />
chimiques, insuffisance de la maîtrise<br />
de l’eau et sous-équipement agri-<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
D. R.<br />
cole. Pour autant les Chinois, en quête<br />
d’approvisionnements planétaires pour<br />
répondre aux besoins d’une population<br />
de 1,4 milliard d’individus, seront<br />
capables de s’investir rapidement si on<br />
leur assure que ces problèmes trouvent<br />
une solution. Ce que leur a confirmé<br />
Macoumba Diouf, le directeur de l’Institut<br />
sénégalais de recherches agricoles.<br />
Pas sûr non plus qu’ils se laissent impressionnés<br />
par les vociférations verbales<br />
l’industrie locale et de ses employés:<br />
« On est prêts à s’opposer aux étrangers<br />
pour qu’ils nous laissent nos graines sur<br />
place. Si nous devons les trouver dans<br />
les villages pour les chasser […], nous<br />
le ferons », s’emportait le secrétaire<br />
national du Syndicat des travailleurs des<br />
corps, gras, Samuel Ndour.<br />
◗ Fin de règne<br />
On comprend que les producteurs<br />
soutiennent à fond les opérateurs étrangers.<br />
« L’ère des grandes huileries est<br />
révolue après soixante ans de règne<br />
sans partage et d’exploitation éhontée<br />
des paysans », s’est enthousiasmé le<br />
secrétaire général de la Fédération des<br />
paysans du Sénégal. Ceux-ci souhaitent<br />
que les opérateurs étrangers les accompagnent<br />
dans la redynamisation de la<br />
filière et ne se cantonnent pas au rôle<br />
d’acheteurs. Déjà des Chinois – mais<br />
aussi des commerçants sénégalais, les<br />
fameux bana-bana – construisent dans<br />
le Saloum de petites usines de transformation<br />
qui produisent de la pâte, de<br />
l’huile, du beurre d’arachide… Mais<br />
avec la concurrence, ils doivent eux<br />
aussi acheter plus cher la matière première.<br />
Un surcoût qui se répercutera sur<br />
le prix des denrées ou sur les marges<br />
bénéficiaires.<br />
Cette année, avec une bonne récolte,<br />
qui s’écoule à des prix historiques, et<br />
payée cash, les producteurs sont triplement<br />
contents. Beaucoup d’observateurs,<br />
cependant, craignent que cette<br />
envolée leur fasse vendre jusqu’aux<br />
semences, hypothèquant la saison suivante.<br />
Mais pour El Hadji Ndiaye, responsable<br />
d'un syndicat local d'agriculteurs<br />
interrogé par l’AFP, « le paysan<br />
sénégalais cultive l'arachide depuis le<br />
XIX e siècle. Il s'est toujours débrouillé<br />
pour avoir ses semences et met toujours<br />
en réserve des graines ». L’âge d’or de<br />
l’arachide serait-il revenu ? ■<br />
◗ (1) Suneor, filiale du géant français<br />
Advens, Novasen et Complexe agro-industriel<br />
de Touba (CAIT).<br />
71
72 Économie<br />
Développement Le dernier rapport de l’Unesco dresse un bilan décevant des progrès pour<br />
atteindre les Objectifs de développement du Millénaire. Pour la plupart, l’Afrique piétine depuis<br />
2008. En particulier pour la scolarisation et l’alphabétisation.<br />
Par Guy Michel<br />
610<br />
millions d’enfants<br />
n’étaient pas scolarisés<br />
dans le monde en 2010,<br />
dernière année pour laquelle des<br />
chiffres sont disponibles. Dans vingthuit<br />
pays, moins de 85 % des enfants<br />
étaient scolarisés. En outre, cette statistique<br />
exclut tous les pays touchés<br />
par des conflits.<br />
L’Unesco reprend en détail les six<br />
Objectifs de développement du Millénaire<br />
(ODM) de l’enseignement primaire<br />
universel.<br />
◗ Insuffisant !<br />
Objectif 1. L’éducation et la protection<br />
de la petite enfance. Le taux de<br />
mortalité infantile est passé de 88/000<br />
naissances vivantes en 1990 à 60 en<br />
2010, mais le rythme actuel de diminution<br />
est insuffisant pour atteindre<br />
l’objectif de 25 en 2015. Près d’un<br />
enfant sur quatre à l’échelle mondiale<br />
souffrira d’un retard de croissance<br />
modéré ou extrême en 2015. La malnutrition<br />
infantile est sous-jacente à<br />
plus de la moitié des décès des jeunes<br />
enfants.<br />
Objectif 2. L’enseignement primaire<br />
universel. La baisse du nombre d’enfants<br />
non scolarisés a été rapide<br />
entre 1999 et 2004, mais s’est ralentie<br />
ensuite et les progrès ont cessé depuis<br />
2008. Cette évolution frappe surtout<br />
l’Afrique subsaharienne où se trouve<br />
maintenant la moitié de l’effectif mondial<br />
des enfants non scolarisés, alors<br />
qu’elle ne représente qu’un dixième de<br />
la population mondiale. Cinq ans<br />
avant 2015, vingt-neuf pays avaient un<br />
taux de scolarisation inférieur à 85 %<br />
et ont très peu de chance d’atteindre<br />
l’objectif avant la date fixée. La situa-<br />
Afrique : à la dure école de<br />
l’éducation pour tous<br />
tion est pire au Sahel, où le taux d’accès<br />
dans le primaire n’atteint pas la<br />
moitié de l’effectif total.<br />
L’entrée tardive en première année<br />
d’enseignement est signalée comme<br />
un gros obstacle à la réalisation de<br />
l’enseignement primaire universel.<br />
Elle est plus fréquente dans les<br />
ménages pauvres, car les enfants<br />
pauvres habitent plus loin de l’école et<br />
que les transports sont plus coûteux<br />
pour eux. Certains ne vont pas à l’école<br />
avant de pouvoir parcourir à pied ces<br />
grandes distances.<br />
Le problème réside aussi dans le<br />
maintien jusqu’au bout (taux d’achèvement)<br />
du cycle : au Sahel, ce taux<br />
d’achèvement est d’environ 37 %. La<br />
pauvreté exerce plus d’effet sur la survie<br />
que sur l’entrée à l’école. Selon les<br />
enquêtes, les coûts financiers de l’éducation<br />
constituent le facteur le plus<br />
important pour les ménages, lorsqu‘ils<br />
décident d’envoyer ou non leurs<br />
enfants à l’école ou de les y maintenir.<br />
Le facteur travail (de l’enfant) n’intervient<br />
qu’en seconde place.<br />
Objectif 3. Répondre aux besoins<br />
éducatifs des jeunes et des adultes.<br />
Le taux brut de scolarisation dans le<br />
premier cycle du secondaire n’était<br />
que de 52 % en 2010 dans les pays à<br />
faible revenu, et seulement de 40 %<br />
en Afrique subsaharienne. Des millions<br />
de jeunes n’acquièrent aucune<br />
compétence fondamentale pour<br />
gagner leur vie.<br />
Seulement 24 % des jeunes filles et<br />
36 % des garçons sont capables d’in-<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
diquer les moyens de prévenir la transmission<br />
du VIH par voie sexuelle et de<br />
réfuter les idées fausses sur la contamination<br />
par le virus.<br />
Objectif 4. Améliorer les niveaux<br />
d’alphabétisation des adultes de 50 %<br />
d’ici à 2015. Le nombre d’adultes<br />
analphabètes n’a reculé que de<br />
881 millions en 2005 à 775 millions<br />
en 2010. Seuls trois pays (sur 40<br />
concernés) devraient atteindre l’objectif<br />
: la Chine, la Guinée Équatoriale et<br />
la Malaisie.<br />
Objectif 5. Évaluer la parité et l’égalité<br />
entre les sexes dans l’éducation.<br />
Les filles continuent d’être défavorisées<br />
dans soixante pays.<br />
Objectif 6. La qualité de l’éducation.<br />
En Asie du Sud et de l’Ouest, le<br />
nombre d’élèves par enseignant a crû<br />
de 36 à 39. En Afrique subsaharienne,<br />
il a légèrement augmenté de 42 à 43.<br />
restant le plus élevé du monde. Dans<br />
douze pays, la proportion d’enseignants<br />
ayant reçu une formation<br />
conforme aux normes nationales est<br />
inférieure à 50 %. On observe une<br />
valeur moyenne de 65 % de rétention<br />
des acquis de l’alphabétisation après<br />
six années d’études pour des adultes<br />
ruraux, mais au Mali et au Niger, le<br />
chiffre n’est plus que de 45 %, contre<br />
85 % en Éthiopie et 95 % au Rwanda.<br />
Ces différences sont essentiellement<br />
liées à la qualité des services offerts,<br />
notamment le nombre d’élèves par<br />
enseignant (souvent supérieur à 80) et<br />
la formation de l’enseignant.<br />
Le suivi du financement de l’édu-<br />
EN 2011, L’AIDE INTERNATIONALE A DIMINUÉ POUR LA PREMIÈRE FOIS<br />
DEPUIS 1997. ELLE AVAIT STAGNÉ EN 2010.
cation primaire universelle : les deux<br />
tiers des pays à revenus faibles et<br />
moyens inférieurs ont continué à<br />
accroître leur budget d’éducation<br />
durant les années de crise, mais certains<br />
pays comme le Niger et le<br />
Tchad ont opéré des coupes sensibles<br />
en 2010.<br />
Pourquoi cette insistance sur ce cas<br />
de l’Afrique subsaharienne ? Parce<br />
qu’il est prévu que sa population<br />
double d’ici à 2050 avec un taux d’accroissement<br />
d’environ 2,5 % par an,<br />
alors que la croissance du PIB ne<br />
dépasse que faiblement ce taux sur le<br />
long terme, n’apportant qu’une amélioration<br />
minime du niveau de vie par<br />
habitant.<br />
Par ailleurs, la productivité des agriculteurs<br />
africains est médiocre par rapport<br />
à celle des asiatiques. L’explication<br />
là encore est clairement liée au<br />
niveau d’éducation : un agriculteur<br />
analphabète sera incapable d’utiliser<br />
efficacement les engrais, de sélectionner<br />
les meilleures cultures et d’opérer<br />
les investissements nécessaires. La<br />
preuve: la culture irriguée n’occupe en<br />
Afrique que 4 % du potentiel.<br />
Il a aussi été constaté depuis plus de<br />
vingt-cinq ans que l’éducation des<br />
filles engendrait un recul de l’âge du<br />
mariage, donc l’âge de la première<br />
En 2010, vingt-neuf pays avaient un taux de scolarisation<br />
inférieur à 85 %. Et la situation est pire au Sahel.<br />
naissance, et qu’elle espaçait les grossesses,<br />
provoquant une forte décroissance<br />
du nombre d’enfants. La majorité<br />
de ces impacts sociaux sont<br />
obtenus après une scolarité primaire<br />
complète. L’impact additionnel du<br />
secondaire est sensiblement inférieur,<br />
celui du supérieur n’est plus que de<br />
9 % seulement.<br />
◗ Retard francophone<br />
Les systèmes éducatifs se développent<br />
en affrontant des difficultés progressives.<br />
Ils mettent d’abord en place<br />
des établissements dans les zones<br />
urbaines, le reste allant aux zones<br />
rurales d’habitat dispersé. Or, celles-ci<br />
sont plus nombreuses en Afrique subsaharienne,<br />
où par ailleurs les recettes<br />
fiscales sont faibles. L’éducation primaire<br />
universelle ne pourra donc progresser<br />
rapidement que si les pays de<br />
cette zone bénéficient de l’appui des<br />
pays riches. L’aide internationale y est<br />
nécessaire, plus spécifiquement française<br />
pour sa partie francophone, nettement<br />
en retard par rapport à la partie<br />
anglophone.<br />
En 2011, l’aide internationale a<br />
diminué pour la première fois depuis<br />
1997. Elle avait déjà stagné en 2010.<br />
Sur les 5,9 milliards de dollars d’aide<br />
totale à l’éducation de base versés en<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
D. R.<br />
2010, seulement 1,9 milliard a été<br />
alloué aux pays à faibles revenus.<br />
L’Afrique subsaharienne n’a reçu que<br />
la moitié des fonds supplémentaires<br />
prévus.<br />
Qu’en est-il de l’aide française au<br />
développement dans le secteur de<br />
l’éducation ? La France s’est engagée<br />
à aider les pays pauvres (surtout<br />
d’Afrique) à atteindre l’OMD concernant<br />
l’éducation. Selon les statistiques<br />
rassemblées par l’OCDE,<br />
l’aide française en Afrique est la suivante<br />
: le total des versements français<br />
en 2006 était de 909 millions de<br />
dollars ; il a cru à 1 189 millions en<br />
2010. Mais la ventilation par pays<br />
offre de nombreuses surprises :<br />
Mayotte, absente en 2006, a reçu<br />
416 millions de dollars en 2010.<br />
Cependant, ce territoire d’outre-mer<br />
devenu département français en 2011<br />
est devenu inéligible à l’aide au<br />
développement à cette date, selon les<br />
critères adoptés par l’OCDE. Cela<br />
provoquera une baisse significative<br />
des apports français à ce titre.<br />
L’Algérie et le Maroc ont perçu en<br />
2010 respectivement 121 et 145 millions<br />
de dollars. Par contre, les pays<br />
les plus concernés par les Objectifs du<br />
Millénaire comme le Burkina Faso, le<br />
Mali et le Niger n’ont perçu respectivement<br />
que 16, 22 et 8 millions de<br />
dollars. En outre, les chiffres cités<br />
concernent l’ensemble de l’éducation.<br />
Si on considère l’éducation de base, le<br />
total à l’Afrique se limite à 178 millions<br />
de dollars en 2010. Soit, pour ces<br />
mêmes pays à 2, 6 et 2 millions, nettement<br />
moins que les 10 % des financements<br />
fournis par les pays eux-mêmes.<br />
Pour information, les versements<br />
concernant l’éducation supérieure et la<br />
formation professionnelle atteignaient<br />
620 millions de dollars en 2010. Si la<br />
France veut tenir ses promesses, elle<br />
doit donc soit augmenter significativement<br />
son aide totale, soit la répartir<br />
différemment.<br />
En effet, si l’aide multilatérale est<br />
restée constante pour l’éducation de<br />
base, un progrès sensible est intervenu<br />
du côté de l’aide bilatérale géré par<br />
l’Agence française de développement<br />
(AFD). Les quatorze pays francophones<br />
prioritaires de l’Afrique subsaharienne,<br />
qui avaient reçu 35 millions<br />
d’euros en 2010, auront perçu 40 millions<br />
d’euros en 2011 et 2012 et<br />
devraient bénéficier d’environ 50 millions<br />
d’euros en 2013. ■<br />
73
74 Économie<br />
Entretien Après que, en plein hiver islamiste, Tunis eut accueilli le Forum social mondial dans<br />
l’indifférence des médias, malgré un succès d’audience, Gustavo Massiah, économiste et figure<br />
de l’altermondialisme et de la solidarité internationale, évoque les profonds remous qui<br />
secouent le monde arabe.<br />
« La démocratie est un apprentissage<br />
Propos recueillis par Fériel Berraies Guigny<br />
Pionnier de l’altermondialisme,<br />
ingénieur économiste de formation,<br />
Gustavo Massiah est né<br />
d’un père italien et d’une mère juive<br />
de Turquie. Il s’éprend très tôt du<br />
monde arabe et de l’Afrique du Nord.<br />
Mais ses combats s’étendent aux différentes<br />
problématiques des pays du<br />
Sud. Très impliqué dans les ONG de<br />
solidarité internationale et de droits<br />
humains en France, il a été président<br />
du Centre de recherche et d’information<br />
sur le développement (Crid, collectif<br />
d’une cinquantaine d’ONG),<br />
membre fondateur du Centre d’études<br />
et d’initiatives de solidarité internationale<br />
(Cedetim), de l’Association internationale<br />
de techniciens, experts et<br />
chercheurs (Aitec) et du réseau Initiatives<br />
pour un autre monde (Ipam). Il<br />
est membre fondateur et membre du<br />
Conseil scientifique d’Attac (dont il a<br />
été vice-président de 2001 à 2006) et<br />
du Conseil international du Forum<br />
social mondial. Il a publié de nombreux<br />
écrits, articles et contributions<br />
sur les thématiques du développement,<br />
des rapports Nord/Sud, de la solidarité<br />
internationale, des droits économiques,<br />
sociaux et culturels…<br />
■ L’altermondialisme, une profession<br />
de foi?<br />
❒ Oui, c’est le résultat d’un parcours<br />
de toute une vie. Si l’on essaie de<br />
décrypter ce mouvement, on peut dire<br />
que la mondialisation a eu plusieurs<br />
phases. Et dans chaque phase, il y a<br />
une logique dominante et une logique<br />
anti-systémique, qui remet en cause le<br />
courant dominant. C’est la relation<br />
entre les deux qui fait l’Histoire.<br />
du Nord au Sud »<br />
■ Quand a commencé l’altermondialisme<br />
?<br />
❒ Le mouvement anti-systémique que<br />
l’on nomme mouvement altermondialiste<br />
est né dans la phase qui a commencé<br />
dans les années 1980, celle que<br />
l’on appelle de « la financiarisation ».<br />
Il prend d’abord pied dans les pays du<br />
Sud, où on s’insurge contre les effets<br />
de la dette, les pénuries alimentaires…,<br />
et où on proteste contre la Banque<br />
mondiale, le Fonds monétaire international<br />
(FMI) et l’Organisation mondiale<br />
du commerce (OMC), leurs<br />
plans d’austérité imposés au fil des<br />
ans. Ce mouvement est héritier des<br />
mouvements pour la décolonisation,<br />
des luttes sociales, des luttes ouvrières<br />
et paysannes, pour la démocratie dans<br />
les années 1965-1973. Tous ces mouvements<br />
remettent en cause les systèmes<br />
d’oppression et d’exploitation.<br />
Puis vient la phase des forums économiques<br />
mondiaux, dont celui de<br />
Porto Alegre (Brésil), qui crée un nouveau<br />
mouvement social de protestation.<br />
Il va se déployer par la suite dans les<br />
différentes régions du monde. Ce dernier<br />
mouvement se situe dans la lignée<br />
des mouvements d’émancipation.<br />
■ L’impérialisme est en crise, mais<br />
on en subit toujours ses effets pervers…<br />
❒ L’impérialisme n’a jamais été un<br />
long fleuve tranquille, car il a été<br />
secoué de tout temps par la résistance<br />
des peuples. En 1977, avec Samir<br />
« NE PAS DÉPENDRE DES OUKASES CONJOINTS DU FMI,<br />
DE LA BANQUE MONDIALE ET DES MONARCHIES DU GOLFE. »<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
Amin, nous avions déjà écrit La Crise<br />
de l’impérialisme (Éditions du Midi).<br />
Cette crise prend des formes différentes<br />
selon les phases historiques. Il y<br />
a d’abord eu la colonisation, puis, de<br />
1914 à 1945, une deuxième étape avec<br />
les guerres, les fascismes, les crises<br />
financières… Un peu comme ce que<br />
nous traversons aujourd’hui.<br />
◗ Prolongement de la décolonisation<br />
La crise est d’une grande multiplicité<br />
: elle est financière, boursière, alimentaire,<br />
concerne l’endettement, les<br />
subprimes, le logement, notamment<br />
aux États-Unis, etc. Mais elle est<br />
d’abord sociale. Tout le monde admet<br />
aujourd’hui qu’il y a une profonde<br />
crise due aux inégalités sociales, qui<br />
ont atteint un niveau jamais égalé.<br />
Quand les « Occupy Wall Street » sortent<br />
le slogan « Vous êtes 1 % et nous<br />
sommes 99 % », cela montre l’ampleur<br />
de la problématique.<br />
■ Dans la démocratie d’Utopia<br />
Land, quels pays seraient les<br />
meilleurs élèves ?<br />
❒ On pourrait dire que certains pays<br />
comme les Pays-Bas ou la Suède sont<br />
plus impliqués démocratiquement par<br />
l’importance qu’ils donnent aux collectivités<br />
locales, par exemple. Néanmoins,<br />
cela ne les exclut pas de participer<br />
à une forme de regroupement<br />
mondial. Dans mon livre Stratégie<br />
altermondialiste (Éd. La Découverte),<br />
j’ai bien expliqué ce phénomène.
■ Le défi serait donc de construire<br />
une démocratie mondiale pour la<br />
période à venir ?<br />
❒ Instaurer une démocratie mondiale<br />
reviendrait entre autres à s’interroger<br />
sur le système capable de garantir la<br />
liberté et les droits. La démocratie ne<br />
revient pas à se satisfaire d’institutions<br />
formelles. Il faut l’appréhender, pays<br />
par pays et à différents niveaux.<br />
■ La démocratie occidentale appliquée<br />
dans certaines régions du Sud,<br />
notamment en Afrique du Nord,<br />
paraît avoir ses limites…<br />
❒ Effectivement, les effets de l’aprèsrévolution<br />
dans certains pays, dont la<br />
Tunisie, ont conduit à de grandes souffrances<br />
et de profonds questionnements.<br />
Mais je reste très optimiste,<br />
tout en étant très conscient des dangers<br />
de cet « après-révolution ». Il faut<br />
rester vigilant. Comme dans toutes les<br />
révolutions, il sera nécessaire de laisser<br />
le temps au temps, et accepter qu’il<br />
y ait des avancées et des reculs. Se<br />
dire aussi qu’il faudra tout un reformatage<br />
culturel auprès de populations qui<br />
n’étaient pas auparavant au fait de<br />
l’exercice de la démocratie.<br />
La notion de Sud renvoyait aux pays<br />
décolonisés qu’on avait essayé d’enfermer<br />
dans une représentation du<br />
Tiers Monde. Or, la représentation<br />
Nord-Sud n’est plus suffisante aujourd’hui.<br />
D’abord parce qu’il y a, dans<br />
chaque pays et à l’échelle mondiale,<br />
un Sud dans le Nord et un Nord dans<br />
le Sud. La montée en puissance des<br />
Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine,<br />
Afrique du Sud) qu’on appelle de<br />
manière approximative les « émergents<br />
», et la crise relative de l’hégémonie<br />
de l’Europe et des États Unis<br />
traduisent l’importance des bouleversements<br />
géopolitiques en cours. En<br />
fait, dans le monde actuel, nous<br />
sommes dans le prolongement de la<br />
décolonisation qui est inachevée.<br />
Ce qui se passe au Maghreb et au<br />
Machrek constitue l’ouverture d’un<br />
nouveau cycle de luttes et de révolutions.<br />
Elles ont commencé en Tunisie,<br />
se sont étendues à l’Égypte puis à<br />
toute la région. Il s’agit d’un soulèvement<br />
des peuples autour de revendications<br />
clairement exprimées : la justice<br />
sociale, les libertés, le refus des<br />
inégalités, de la corruption et de la<br />
domination. Ces revendications ont<br />
traversé la Méditerranée pour s’exprimer<br />
de manière spécifique avec les<br />
Indignés en Espagne, au Portugal et<br />
en Grèce, puis elles ont traversé l’Atlantique<br />
avec les « Occupy Wall<br />
Street »…<br />
■ Il y a également une « salafisation<br />
» du Sahel…<br />
❒ Ce qu’on appelle l’islamisme, sous<br />
ses différentes acceptions, n’est pas<br />
tombé du ciel! Il s’est développé à<br />
partir des conditions de vie catastrophiques<br />
des couches populaires dans<br />
les différents pays. Cette situation<br />
sociale a été fortement accentuée par<br />
les politiques néolibérales qui ont<br />
accru la précarité et la misère. Dans de<br />
nombreux pays, des dictatures se sont<br />
imposées pour garantir aux multinationales<br />
et aux États dominants l’accès<br />
aux matières premières, le contrôle<br />
des flux migratoires, les programmes<br />
d’ajustement structurel. Ces dictatures<br />
ont développé à une grande échelle<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
la région n’est pas des investissements<br />
ou des subventions. Ces transferts sont<br />
toujours coûteux sur le plan politique,<br />
et même sur le plan économique, car<br />
ils sont conditionnés. Après la guerre,<br />
le plan Marshall avait pour objectif<br />
d’engager les pays européens sur la<br />
voie d’un développement capitaliste<br />
de marché, alors que dans beaucoup<br />
de pays européens, notamment la<br />
France, des gouvernements issus de la<br />
Résistance pouvaient être tentés par<br />
d’autres voies.<br />
◗ Privilégier la consommation populaire<br />
Dans les pays de la région, l’urgence<br />
est de relancer les économies sur les<br />
bases actuelles, par exemple le tourisme<br />
pour la Tunisie. Mais ce qui sera<br />
déterminant, ce sera de lancer un projet<br />
économique et social de transfor-<br />
Gustavo Massiah: « Les politiques néolibérales ont accru la précarité et la misère. »<br />
l’affairisme clanique et la corruption,<br />
provoquant dans les populations un<br />
rejet moral des couches dirigeantes.<br />
L’échec des réponses socialiste et baasiste<br />
a ouvert la voie à la recherche de<br />
nouvelles réponses, que les courants<br />
islamistes ont réussi à incarner au<br />
niveau d’une partie des peuples. Les<br />
réponses à ces questions sont d’abord<br />
internes.<br />
■ Un plan Marshall aurait-il pu<br />
aider certains pays du monde arabe<br />
et sahélien? Même si des allégeances<br />
politiques avec le Golfe continuent<br />
d’alimenter les bras armés des nouvelles<br />
politiques fondamentalistes...<br />
❒ Ce qui manque d’abord aux pays de<br />
mation sur des bases nouvelles en privilégiant<br />
la consommation populaire.<br />
Un tel projet nécessitera une modification<br />
des règles économiques internationales<br />
pour ne pas dépendre des<br />
oukases conjoints du FMI, de la<br />
Banque mondiale et des monarchies<br />
du Golfe. Cette modification n’est pas<br />
préalable : elle résultera de l’engagement<br />
de pays dans d’autres directions<br />
qui amènera à revoir les règles internationales.<br />
On peut le voir en Amérique<br />
latine avec des pays comme le<br />
Brésil, le Venezuela, l’Équateur ou la<br />
Bolivie, qui forcent la Banque mondiale<br />
et le FMI à négocier sur d’autres<br />
fondements que les leurs. ■<br />
75<br />
D. R.
76 Culture Infos<br />
Zhao Wei à l’honneur<br />
Réalisatrice et<br />
comédienne, qui s’est<br />
imposée en 1995 dans la<br />
série télévisée Princess<br />
Pearl, très populaire en<br />
Asie, Zhao Wei sera<br />
l’invitée d’honneur de la<br />
troisième édition du<br />
Festival du cinéma chinois<br />
en France. La manifestation<br />
a été programmée du<br />
13 mai au 19 juin et aura<br />
lieu à Paris, Marseille,<br />
Lyon, Biarritz, Strasbourg<br />
et Cannes. Lors du Festival,<br />
la célèbre interprète<br />
de A time of Love<br />
présentera en exclusivité<br />
sa première réalisation :<br />
So Young.<br />
Un véritable événement,<br />
car la projection se<br />
déroulera simultanément en<br />
Chine et en France. ■<br />
La culture africaine<br />
doublement en deuil<br />
Il était le père de la<br />
littérature africaine<br />
contemporaine, auteur du<br />
roman culte Le Monde<br />
s’effondre, publié en 1958.<br />
Elle était l’une des<br />
chanteuses les plus<br />
populaires d’Afrique de<br />
l’Est, magnifique interprète<br />
du taarab, le répertoire<br />
traditionnel de l’archipel de<br />
Zanzibar, en Tanzanie.<br />
L’écrivain nigérian Chinua<br />
Achebe est mort le 21 mars<br />
dernier à l’âge de 82 ans.<br />
Bi Kidude est décédée à<br />
son domicile, sur son île<br />
Agenda<br />
Reggae guyanais<br />
• Vedette de la musique<br />
guyanaise et titulaire d’un<br />
style de reggae mêlé aux<br />
influences locales, Chris<br />
Combette sera en concert à<br />
Paris le 17 mai, aux<br />
Combustibles, 14 rue Abel,<br />
dans le 12 e<br />
arrondissement. ■<br />
D. R.<br />
D. R.<br />
natale. Deux pertes<br />
immenses pour la culture<br />
africaine. ■<br />
Tambours en tournée<br />
En 2013, le groupe de<br />
batteurs le plus<br />
spectaculaire d’Afrique<br />
centrale, les Tambours de<br />
Brazza (République du<br />
Congo), fête ses vingt ans<br />
de carrière. Après avoir<br />
sorti l’album Sur la route<br />
des caravanes, la formation<br />
a entamé une tournée<br />
internationale avec de<br />
nombreux concerts, surtout<br />
en France. Un spectacle est<br />
d’ailleurs programmé au<br />
centre culturel Georges-<br />
Pompidou à Vincennes, en<br />
banlieue parisienne. Le son<br />
de l’Afrique contemporaine<br />
avec des rythmes de transe,<br />
des danses hypnotiques et<br />
des mélodies ancestrales, le<br />
tout dans un mélange<br />
époustouflant de tradition et<br />
recherche musicale. ■<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
Amoussou filme la corruption<br />
près avoir imaginé, dans son premier film Africa Paradis,<br />
Ace que pourrait être un monde où les rôles de l’Afrique et<br />
de l’Europe seraient inversés, Sylvestre Amoussou a choisi la<br />
corruption pour thème de son second long métrage en tant que<br />
réalisateur. Un pas en avant conte l’histoire de Koffi Dodomey,<br />
un simple marchand de fruits et légumes vivant dans une<br />
grande ville africaine indéterminée qui, en voulant retrouver<br />
son frère disparu, fait éclater au grand jour une affaire de corruption.<br />
Elle éclabousse membres du gouvernement, consuls et<br />
hommes d’affaires, mettant en danger ses proches et lui-même.<br />
Le message du réalisateur est donc clair : la corruption touche<br />
tout un chacun ; et même les actes du plus simple des hommes<br />
peuvent aider à la combattre. Pour faire passer ce message, Sylvestre<br />
Amoussou a préféré au didactisme d’un documentaire le<br />
caractère divertissant d’un thriller, ponctué d’action, d’humour<br />
et de romance. Le spectateur assiste ainsi à une intrigue à<br />
l’américaine, mais qui bénéficie d’un message de fond en forme<br />
d’encouragement aux populations à mener leurs pays vers la<br />
démocratie. Le tout est soutenu par des acteurs pleinement<br />
investis dans le film, à l’image de Sylvestre Amoussou qui joue<br />
lui-même le personnage principal, assumant ainsi doublement<br />
le rôle du dénonciateur de la corruption et de celui qui, le premier,<br />
fait un « pas en avant ». ■ Nathan Fredouelle<br />
◗ Un pas en avant, les dessous de la corruption, de Sylvestre Amoussou,<br />
Bénin, 2010, avec Sylvestre Amoussou, Thierry Desroses, Sandra Adjaho,<br />
Sidiki Bakaba…<br />
D. R.<br />
Biguine & jazz<br />
• Bientôt dans les bacs le<br />
prochain album de la<br />
vocaliste martiniquaise<br />
Adèle Belmont, avec un<br />
ensemble de « chansons à<br />
danser » d’un genre inédit,<br />
à la croisée des chemins de<br />
la biguine et du jazz, du<br />
blues et du classique. ■<br />
D. R.
Photos: © Arami<br />
Arts pluriels : une galerie vivifiante<br />
es mélanges ne lui font pas peur, au contraire, ils font<br />
Lmême toute la richesse du lieu. À cheval sur les cinq continents,<br />
la galerie Arts pluriels revendique haut et fort son ouverture<br />
d’esprit et un goût affirmé pour la diversité. Inauguré fin<br />
1991, à l’initiative de Simone Guirandou-N’Diaye (médaillon),<br />
critique d’art et galeriste, l’espace est niché au cœur de Cocody<br />
à Abidjan, la capitale ivoirienne. C’est dans ce cadre que,<br />
depuis plus de vingt ans désormais, la grande dame officie, ne<br />
ménageant pas ses efforts pour promouvoir l’art plastique<br />
contemporain et l’art traditionnel africain. Dans sa galerie, elle<br />
offre d’ailleurs volontiers ses commentaires avisés au visiteur.<br />
Ce dernier peut y découvrir une riche exposition permanente<br />
dans laquelle les toiles d’artistes ivoiriens (Jacques Stenka,<br />
Mathilde Moro, Frédéric Bruly Bouabré…) côtoient celles<br />
d’artistes étrangers (Ahmed Hajeri, Ablade Glover…), mais<br />
aussi quelques belles pièces d’art traditionnel (Côte d’Ivoire,<br />
Mali, Guinée, Cameroun, RDC…). Ponctuant la vie de la galerie,<br />
des expositions sont aussi régulièrement organisées. La<br />
dernière en date, « Made in Côte d’Ivoire », était consacrée à<br />
l’œuvre (photo) de Jean-Servais Somian, designer-ébéniste et<br />
sculpteur. Au programme : consoles, commodes, coffres,<br />
chaises, tables… entièrement revisités par l’artiste, un adepte<br />
du bois de cocotier, qui a confié la fabrication de toutes ses<br />
créations à des artisans locaux. Pour faire court, une joyeuse<br />
galerie et une belle vision de l’art. ■ Bachar Rahmani<br />
◗ www.galerie-artspluriels.com<br />
Agenda<br />
Ramsès II<br />
• Vieille de 3 000<br />
ans, une nouvelle<br />
pyramide appartenant<br />
à un vizir du<br />
pharaon Ramsès II<br />
a été découverte<br />
à Louxor, dans<br />
le sud de<br />
l’Égypte. ■<br />
D. R.<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
Irak, terre brûlée<br />
Pour la première fois,<br />
l’artiste irakien de<br />
Londres, Dia al-Azzawi<br />
(photo), était représenté à<br />
l’incontournable rendezvous<br />
parisien de l’art<br />
moderne et contemporain,<br />
Art Paris Art Fair 2013<br />
(stand de la galerie Claude<br />
Lemand). Son cri de révolte<br />
et de colère contre la folie<br />
meurtrière de la guerre a<br />
ainsi résonné sous la nef du<br />
Grand Palais avec Bilad<br />
al-Sawad (Terre noire) et<br />
autres créations. Cette série<br />
de peintures, dessins et<br />
sculptures, réalisée<br />
entre 1994 et 2011, lui a été<br />
directement inspirée par le<br />
conflit en Irak. À travers<br />
ces œuvres, Dia al-Azzawi<br />
évoque une terre autrefois<br />
fertile, devenue noire,<br />
brûlée par les armes de<br />
destruction massive. ■<br />
B. Rahmani<br />
◗ www.claude-lemand.com<br />
© Galerie IF © Arami<br />
Danse congolaise<br />
Tiré du lingala, langue<br />
nationale en République<br />
démocratique du Congo, le<br />
mot losanganya veut dire<br />
« rencontres » et symbolise<br />
le lieu stratégique d’un<br />
village. C’est aussi le nom<br />
d’une compagnie de danse<br />
congolaise et d’un espace de<br />
libre échange sur les maux<br />
qui rongent la société.<br />
Didier Etiho, le chorégraphe<br />
de la troupe, a créé un<br />
spectacle dont l’histoire se<br />
déroule dans un bar de<br />
Kinshasa où les gens, réunis<br />
autour d’un verre de vin,<br />
discutent sur les sujets<br />
divers du quotidien d’une<br />
grande ville d’Afrique<br />
centrale. ■<br />
Musiques urbaines<br />
Les rappeurs Bouba,<br />
La Fouine et Orelsan,<br />
la formation camerounaise<br />
X Maleya, le musicien de<br />
République démocratique<br />
du Congo Fally Ipupa, la<br />
chanteuse gabonaise<br />
Patience Dabany sont parmi<br />
les artistes nommés pour<br />
les dix catégories des<br />
premiers Trace Urban<br />
Music Award, en France.<br />
Organisée par le groupe<br />
Trace et la chaîne Canalsat,<br />
c’est la seule cérémonie<br />
dont le jury est le public.<br />
La remise des prix<br />
musicaux aura lieu dans la<br />
salle parisienne du Trianon<br />
(18e arrondissement), le<br />
14 mai. ■<br />
No limit<br />
• « No limit 2 ». Pour le<br />
deuxième épisode de sa<br />
série une œuvre/un artiste,<br />
la galerie Imane-Farès<br />
(Paris) invite Sammy<br />
Baloji, Mohamed el-Baz<br />
(installation en photo)<br />
et James Webb,<br />
jusqu’au 8 juin. ■<br />
77
78 Livres<br />
D. R.<br />
Nouvelles Six histoires qui nous parlent de femmes branchées au voltage de la réalité. Les<br />
personnages de Landria Ndembi sont à l’image de leur temps, révélateurs de nos errances.<br />
Propos recueillis<br />
par Roger Calmé<br />
Elle avait édité, en<br />
2006, un ouvrage<br />
(remarqué) sur le<br />
travail des enfants en<br />
Afrique subsaharienne.<br />
Écriture de sociologue<br />
attentive, précise…<br />
Quantités qu’elle conserve<br />
aujourd’hui dans ce recueil<br />
de nouvelles. Denise<br />
Landria Ndembi entretient<br />
un contact permanent avec<br />
la réalité, le poids et<br />
l’épaisseur des choses.<br />
■ Comment avez-vous<br />
construit ce recueil?<br />
La réalité ne semble pas<br />
vous quitter.<br />
❒ Tu n’achèteras pas ma<br />
Dans la peau d’une femme<br />
peau, Madame<br />
l’ambassadrice,<br />
aborde des<br />
thèmes<br />
importants de<br />
notre société:<br />
chômage, VIH,<br />
infidélité,<br />
maltraitance des enfants…<br />
Et la femme en est l’actrice<br />
et la victime. Dans le cas de<br />
Marianne, cocufiée par son<br />
mari, il y a la blessure, puis<br />
le pardon par amour, pour<br />
le bonheur des enfants.<br />
Avec Larissa, les moqueries<br />
de ses voisins parce que<br />
sa peau est noire d’ébène<br />
et qu’elle refuse<br />
de se dépigmenter.<br />
Ou encore Marielle,<br />
l’épouse du diplomate,<br />
• Le refus de l’esclavitude. Résistances<br />
africaines à la traite négrière, Alain<br />
Anselin, Éd. Duboiris, 214 p., 20 euros.<br />
En 1235, après avoir défait Sumaworo<br />
Kanté, le souverain féticheur des Soso,<br />
Soundiata Keïta pose l’acte fondateur de<br />
l’Empire mandingue et abolit l’esclavage.<br />
Environ trois siècles avant le début de l’affreuse<br />
traite transatlantique par les négriers<br />
européens, le combat est engagé en<br />
Afrique contre la plus déshumanisante<br />
forme de servitude. Elle se<br />
poursuivra plus tard sur les côtes du<br />
continent, pendant la longue traversée<br />
océanienne et aux abords des<br />
plantations ou de l’habitation du<br />
maître sur les terres du Nouveau<br />
Monde. Une histoire de luttes<br />
armées et de fuites nocturnes, de<br />
repaires insaisissables et de rébellions<br />
sanglantes, souvent méconnues,<br />
que l’auteur de cet ouvrage<br />
reprend, avec des témoignages inédits et des<br />
documents à l’appui. Car, encore une fois, et<br />
surtout en cette période de récolonisation, la<br />
soumission n’est pas une fatalité!■ Luigi Elongui<br />
D. R.<br />
D. R.<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
impliquée dans<br />
des œuvres<br />
humanitaires<br />
à l’insu<br />
de son mari…<br />
Des actions<br />
fortes qui<br />
contribuent à<br />
l’épanouissement de la<br />
femme et de son entourage.<br />
Elle peut être naïve,<br />
entreprenante,<br />
manipulatrice, jalouse, mais<br />
elle incarne cette femme<br />
dans notre société, avec ses<br />
ambiguïtés.<br />
■ Pourquoi ce passage de<br />
l’essai à la fiction?<br />
❒ Tous les styles ont leur<br />
propre énergie. En 2006,<br />
j’ai écrit cet essai sur le<br />
travail des enfants au Bénin,<br />
Gabon et Togo. Mais je<br />
pense que si la forme<br />
diffère, on peut aussi faire<br />
passer d’autres messages<br />
par le roman, la nouvelle, la<br />
poésie ou le théâtre. C’est<br />
également valable avec le<br />
style… Pour ma part, je<br />
préfère un langage<br />
accessible au plus grand<br />
nombre. Et les lecteurs en<br />
sont heureux.<br />
■ Vos lecteurs, oui, et<br />
votre entourage proche?<br />
❒ À l’instar du premier<br />
livre, il y a eu un accueil<br />
très chaleureux. La diversité<br />
des thèmes abordés a<br />
encore plus retenu leur<br />
attention. Et ce sont eux<br />
d’ailleurs qui m’ont aidée à<br />
financer la première<br />
• La Rose dans le bus jaune,<br />
Eugène Ébodé, Éd. Gallimard/Continents<br />
Noirs, 320 p., 19,90 euros.<br />
Le septième opus littéraire de l’écrivain<br />
camerounais Eugène Ébodé, actuellement<br />
chroniqueur au journal Le Courrier<br />
de Genève, en Suisse, se déroule aux<br />
États-Unis au cœur du mouvement pour les<br />
droits civiques. La remémoration<br />
salutaire d’une époque où la<br />
mobilisation bravait les barrières<br />
raciales, malheureusement révolue<br />
si on la compare à l’indifférence<br />
criante qui fait aujourd’hui<br />
le lit des agressions féroces des<br />
puissances dominatrices. L’épisode<br />
autour duquel se tisse la<br />
trame narrative a lieu le<br />
1er décembre 1955 à Montgomery,<br />
Alabama, dans un bus<br />
jaune : dressé face à une femme<br />
noire assise, un homme blanc<br />
intime à cette dernière de se<br />
lever. Rose resta assise « pour tenir debout ».<br />
Depuis, elle est la rose dans le bus jaune de<br />
Cleveland Avenue… ■ L. E.
D. R.<br />
commande chez mon<br />
éditeur (1) . De cela, je leur<br />
suis reconnaissante.<br />
■ Tout écrivain a des<br />
« parents » littéraires,<br />
des auteurs qui l’ont<br />
accompagné. Les vôtres?<br />
❒ Certainement ceux qui<br />
ont évoqué la souffrance des<br />
femmes. Je pense à Amadou<br />
Koné, dans Les Frasques<br />
d’Ebinto, à Mariama Bâ<br />
avec Une si longue lettre, à<br />
Okoumba Nkoghe pour<br />
Siana, ou encore à Justine<br />
Mintsa avec L’Histoire<br />
d’Awu, et beaucoup d’autres<br />
encore. Ces écrivains ont<br />
cette magie de décrire les<br />
choses sur lesquelles il<br />
m’arrive, maintenant<br />
encore, de verser une larme.<br />
Je fais corps avec la douleur<br />
de Ramatoulaye Fall,<br />
Maïmouna, Siana, Awu,<br />
Antoinette… Sacrifiées par<br />
celui-là même qui lui a<br />
donné la vie. Et dire que<br />
plein de jeunes filles<br />
subissent encore les pires<br />
sévices de leurs géniteurs.<br />
■ Une jeune auteure vous<br />
demande des conseils sur<br />
la façon d’aborder<br />
l’écriture…<br />
❒ Je lui parlerais du choix<br />
des thèmes, de la façon<br />
d’orienter son histoire. Pour<br />
moi, un personnage est le<br />
reflet de la société. On va<br />
l’habiller pour que l’histoire<br />
colle au plus juste à la<br />
réalité. Ensuite, il y a la<br />
qualité du dialogue,<br />
l’épaisseur du personnage.<br />
Faire passer des émotions<br />
au travers de ces échanges<br />
de mots et de ce qu’ils<br />
traduisent en termes de<br />
personnalité. Être précis. Et<br />
se dire que certains thèmes<br />
peuvent aussi porter<br />
préjudice à leur auteur. Bien<br />
être conscient de son statut<br />
d’écrivain, que l’on soit<br />
humaniste, partisan,<br />
spirituel, et en accepter les<br />
conséquences, comme les<br />
critiques. Toute œuvre n’est<br />
pas forcément bien<br />
accueillie. ■<br />
◗ Tu n’achèteras pas ma peau,<br />
Madame l’ambassadrice, Denise<br />
Landria Ndembi, La Doxa<br />
Éditions, 155 p., 12 euros.<br />
• Les Miroirs de Frankenstein,<br />
Abbas Beydoun. Éd. Actes sud,<br />
144 p., 19,80 euros.<br />
C<br />
’est avec une sincérité toute contrôlée<br />
que le Libanais Abbas Beydoun nous<br />
offre quelques instantanés de son<br />
enfance et de sa vie d’adulte. Dans le plus<br />
grand désordre chronologique, ce poète, écrivain<br />
et journaliste dévoile une<br />
dizaine de tableaux. Des tranches de<br />
vie pleines de contradictions, à<br />
l’instar de son aventure avec une<br />
parente voilée, dont il restera à<br />
jamais le cousin préféré : « On<br />
écarte le tabou en toute simplicité,<br />
et puis on le remet tout aussi simplement<br />
à sa place. Le voile, c’était<br />
la permission pour le désir d’apparaître<br />
sans embarras, et pour le<br />
corps, de se contempler librement. »<br />
Et si l’ensemble est plutôt rieur, le<br />
lecteur sera aussi confronté à<br />
quelques pages angoissantes, notamment<br />
sur la dépression. Un jeu de<br />
miroirs (déformants ?) qui offre une certaine<br />
vision de la vie. ■ B. R.<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
Du beau fabliau<br />
Âme sensible s’abstenir! C’est du pétant et du pétaradant<br />
que nous offre Harry Bellet dans ce nouveau<br />
livre * , lui qui nous avait habitués à des univers<br />
plus feutrés dans des romans policiers captivants. De<br />
frivoles aventures? Que nenni! Sous des apparences grivoises<br />
et fort trompeuses, ce roman historique nous<br />
plonge avec beaucoup d’érudition dans un XVIe siècle en<br />
pleine ébullition. Même si Harry Bellet s’accorde des<br />
libertés et l’annonce d’entrée de jeu : « Puisqu’un bon<br />
lecteur croit toujours ce qui est écrit, puissent mes amis<br />
historiens de l’art bien vouloir pardonner ce qui suit… »<br />
L’histoire commence précisément en 1515. L’année<br />
de la sanglante bataille de Marignan qui oppose le<br />
jeune roi François 1er de France et ses alliés vénitiens<br />
aux mercenaires suisses pour le contrôle du duché de<br />
Milan. En Turquie, le prince Soliman s’entretient avec<br />
son fidèle esclave, Renos le Grec, et s’imagine déjà sur<br />
le trône du sultan. Au Vatican, le pape Léon X rédige<br />
et signe de sa main une malheureuse phrase (disons les<br />
choses, un blasphème) sur un vélin qui s’envole par la<br />
fenêtre – hasard ou souffle divin ? Passant de main en<br />
main, ce parchemin compromettant sera le fil conducteur<br />
du récit, le prétexte pour une<br />
longue errance jusqu’à Bâle.<br />
Mais 1515, c’est aussi et surtout<br />
l’année où l’imagier Jean<br />
Jambecreuse, décide de quitter sa<br />
ville natale d’Augsbourg pour<br />
parfaire son apprentissage à Bâle.<br />
Un personnage directement inspiré<br />
du peintre et graveur allemand<br />
Hans Holbein le Jeune<br />
(1497-1543), lui-même fils du<br />
peintre Hans Holbein l’Ancien et<br />
frère cadet d’Ambrosius Holbein,<br />
avec lequel il étudie dans l’atelier<br />
paternel.<br />
C’est donc à la suite du truculent<br />
Jean Jambecreuse (fort généreusement<br />
doté par la nature, ce<br />
qui n’est pas un détail) que le lecteur<br />
s’immerge dans la vie quotidienne de Bâle, en<br />
pleine Renaissance. Au fil des aventures et des rencontres<br />
avec Érasme ou Léonard de Vinci, pour les<br />
plus glorieuses, l’artisan imagier se transforme en<br />
artiste peintre. Il étudie aussi le latin, ce qui lui vaut<br />
d’être rebaptisé Ioannes Holpenius. Et fait l’apprentissage<br />
de la vie, avec ses hauts et ses bas…<br />
De ce récit (dont on attend la suite avec impatience)<br />
servi par une langue riche et abondante en foisonnements<br />
de toute nature – nous sommes bien au siècle de<br />
Rabelais –, on ne décroche pas. ■ Bachar Rahmani<br />
◗ * Les Aventures extravagantes de Jean Jambecreuse,<br />
artiste et bourgeois de Bâle. Assez gros fabliau, Harry Bellet,<br />
Éd. Actes Sud, 368 p., 22,80 euros.<br />
D. R.<br />
79
80 Culture<br />
Religion L’identité profonde du monde chinois a été bouleversée, tout au long du xx e siècle, par<br />
une politique de modernisation forcée dont les Chinois tentent de rééquilibrer les effets. L’essai<br />
remarquable de Vincent Goossaert et David A. Palmer en explique les motivations et les conséquences<br />
insoupçonnées.<br />
Destructions et recompositions en Chine<br />
Par Habib Tawa<br />
Une idée commune<br />
voudrait que les<br />
grands concepts,<br />
communément admis dans<br />
de nombreuses sociétés,<br />
soient le propre de<br />
l’ensemble de l’humanité.<br />
Ainsi en est-il de la notion<br />
de religion que se partagent<br />
les univers culturels juif,<br />
chrétien, musulman et<br />
autres. En dépit de leurs<br />
différences, chacun d’entre<br />
eux définit pour soi un<br />
domaine religieux et le<br />
distingue des activités<br />
superstitieuses et technicoscientifiques.<br />
Paradoxalement, ce<br />
découpage était étranger à la<br />
société chinoise<br />
traditionnelle. Le mot et la<br />
notion de religion sont<br />
absents du vocabulaire<br />
chinois classique. D’autres<br />
classifications y<br />
répartissaient et regroupaient<br />
l’ensemble de la réalité<br />
sociale selon des ordres<br />
différents. Depuis, des<br />
termes proches du mot<br />
religion ont été adaptés et<br />
adoptés.<br />
◗ Un monde révolu...<br />
À partir du XIX e siècle,<br />
l’intrusion agressive des<br />
puissances chrétiennes, dans<br />
un empire du Milieu<br />
chancelant, a poussé de<br />
larges secteurs des élites<br />
chinoises à intégrer les<br />
valeurs des oppresseurs, afin<br />
de redresser leur pays<br />
humilié. Aussi, dans un<br />
grand élan de modernisation<br />
destiné à surmonter la<br />
faiblesse de leur nation, ontelles<br />
décidé d’aligner leurs<br />
conceptions et leur mode de<br />
fonctionnement sur ceux de<br />
leurs dangereux prédateurs.<br />
En conséquence, un abandon<br />
de la dynamique<br />
traditionnelle de la société,<br />
accompagné du rejet d’une<br />
vaste partie de son héritage,<br />
a été imposé autoritairement<br />
à la Chine et s’est propagé<br />
dans ses extensions<br />
extraterritoriales<br />
(émigration). Le<br />
traumatisme de ces<br />
innovations a probablement<br />
été plus violent que le<br />
ravage des nombreuses<br />
guerres, civiles et<br />
étrangères, qui ont dévasté<br />
le pays au cours des XIX e et<br />
XX e siècles.<br />
Cet éclairage<br />
particulièrement fécond du<br />
destin contemporain du<br />
quart de l’espèce humaine<br />
est proposé par deux savants<br />
spécialistes, Vincent<br />
Goossaert et David A.<br />
Palmer. Dans La Question<br />
religieuse en Chine*, une<br />
synthèse brillante,<br />
exhaustive et accessible à<br />
tout homme cultivé, ils<br />
décrivent les chocs<br />
successifs encaissés par la<br />
société chinoise, ses<br />
réactions de défense et<br />
UN LIVRE EXCEPTIONNEL RÉVÈLE LA CONFRONTATION<br />
ENTRE LES RELIGIONS DE CHINE ET LA MODERNITÉ.<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
d’esquive, l’obstination des<br />
réformistes et finalement la<br />
résurgence, sous des formes<br />
renouvelées, des structures<br />
anciennes. L’approche<br />
globalisante des auteurs<br />
s’inspire de la nécessité<br />
d’envisager une société<br />
comme un tout organique,<br />
dont les échanges<br />
réciproques déterminent<br />
l’évolution. Les projets du<br />
pouvoir doivent être étudiés<br />
en parallèle avec les<br />
réactions des groupes<br />
auxquels il cherche à<br />
s’imposer et ceux-ci en<br />
interaction entre eux. Aussi<br />
le mode d’exposition du<br />
livre revient-il sur les<br />
mêmes événements selon<br />
différents angles d’approche<br />
(projets modernisateurs,<br />
réorientations religieuses,<br />
regroupements<br />
traditionalistes, résistances<br />
paysannes, etc.).<br />
Ce tour d’horizon complet,<br />
incluant la diaspora<br />
chinoise, s’appuie sur une<br />
masse énorme de notes, qui<br />
renvoient à une<br />
bibliographie de grande<br />
taille, y compris en chinois<br />
(42 pages), le tout soutenu<br />
par un index exhaustif (29<br />
pages). Cet apparat permet<br />
d’approfondir chaque point<br />
évoqué. Pour autant, une<br />
lecture au premier degré est<br />
aisée, le style est fluide et<br />
l’attention soutenue par les<br />
révélations qui surgissent à<br />
chaque détour de page.<br />
L’inédit de l’approche<br />
contribue à accrocher<br />
l’intérêt du lecteur. On est<br />
loin des biographies<br />
répétitives sur les grands<br />
hommes de la Chine<br />
contemporaine qui<br />
généralement passent<br />
rapidement sur le décalage<br />
considérable entre le monde<br />
de leur jeunesse et celui<br />
qu’ils ont contribué à forger.<br />
Ici, on comprend mieux<br />
d’où vient ce pays et où il<br />
va. Un vrai régal!<br />
Sans vouloir résumer un<br />
livre aussi riche, quelques<br />
observations en donnent un<br />
avant-goût. Depuis des<br />
millénaires la société<br />
chinoise était centrée autour<br />
de l’empereur. Par ses actes,<br />
autant que par les rites qu’il<br />
pratiquait, il maintenait<br />
l’équilibre de l’univers et en<br />
particulier celui de l’Empire.<br />
Cette démarche confondait<br />
déjà le civil et le religieux,<br />
au sens où nous les<br />
entendons. De haut en bas<br />
de l’échelle, les provinces,<br />
les régions et jusqu’aux plus<br />
petites portions du territoire<br />
reproduisaient ce schéma.<br />
Les croyances et les<br />
observances n’imposaient<br />
pas aux sujets des<br />
engagements rigides,<br />
puisqu’ils pratiquaient et<br />
adhéraient, simultanément et<br />
sans exclusive, à des<br />
« enseignements » différents<br />
(taoïsme, bouddhisme,<br />
confucianisme et religions
traditionnelles locales). Leur<br />
vie et leurs besoins<br />
quotidiens étaient assurés<br />
par des activités mêlant sans<br />
les distinguer les savoirs, les<br />
techniques, la magie et la<br />
divination. Selon les cas, la<br />
médecine, la bienfaisance,<br />
Dans l’ïle de Lantau (à Hong-Kong), l’achèvement en 1997 d’un Bouddha colossal de<br />
34 mètres, le Tian Tan, manifeste le retour en force de la religion dans le monde chinois.<br />
l’art de l’écriture, les<br />
méthodes de combat, les<br />
choix de vie, les techniques<br />
de prière et de méditation<br />
obéissaient à des procédures<br />
exercées indifféremment par<br />
des praticiens confirmés, des<br />
lettrés, des fonctionnaires de<br />
temples, des vagabonds<br />
inspirés ou des religieux<br />
vivant en communauté.<br />
◗ ...mais irréductible<br />
Avant même la fin de<br />
l’Empire (en 1911), puis<br />
avec les pouvoirs successifs,<br />
dont celui du Guomindang<br />
(à partir de 1927) et des<br />
communistes (dominants<br />
après 1949), une volonté<br />
farouche d’éradiquer ces<br />
traditions et de les<br />
remplacer par un modèle<br />
distinguant religion, science<br />
et superstition s’imposa. De<br />
nombreux temples furent<br />
rapidement fermés et<br />
transformés en écoles,<br />
tandis que les<br />
manifestations publiques<br />
des cultes s’y rattachant<br />
étaient souvent interdites.<br />
L’enseignement<br />
traditionnel, aboli, fut<br />
remplacé par une formation<br />
à l’occidentale. Les activités<br />
religieuses durent<br />
s’enregistrer comme telles<br />
ou se virent combattues<br />
comme superstitions. On<br />
chercha à détacher les<br />
activités techniques du<br />
substrat cultuel auquel elles<br />
étaient viscéralement liées.<br />
Parallèlement, des groupes<br />
parareligieux (les sociétés<br />
rédemptrices) s’affirmèrent<br />
porteurs de projets civils<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
afin de demeurer sous la<br />
protection de la loi.<br />
Toutes ces transformations<br />
suscitèrent des résistances<br />
plus ou moins sourdes, en<br />
particulier à la campagne.<br />
Les traditions furent<br />
laminées, les fidèles<br />
persécutés, même si certains<br />
se développèrent à la faveur<br />
des interdits (tels les<br />
protestants dont le nombre a<br />
été multiplié par trente en<br />
un demi-siècle). Pour<br />
remplacer l’ancien système,<br />
les nationalistes et surtout<br />
les communistes tentèrent<br />
de fabriquer des rites, des<br />
pratiques et des traditions<br />
nouvelles selon des<br />
catégories occidentalisées.<br />
L’épuisement du<br />
volontarisme maoïste,<br />
entraîné dans d’incessantes<br />
et excessives luttes de<br />
factions, a contribué à terme<br />
à l’échec de ce projet. Sans<br />
le vouloir, le résultat en fut<br />
D. R.<br />
de la résurgence des<br />
modèles anciens sous des<br />
habits neufs.<br />
Aujourd’hui, le retour en<br />
force du fait religieux<br />
s’impose avec l’attachement<br />
quasi superstitieux à des<br />
lambeaux de maoïsme, la<br />
reviviscence des cinq<br />
religions reconnues institutionnellement<br />
(taoïsme,<br />
bouddhisme, islam<br />
protestantisme et<br />
catholicisme, avec le<br />
confucianisme maintenu<br />
dans une situation<br />
ambiguë), la renaissance de<br />
restes des religions locales<br />
et la formation de nouvelles<br />
sociétés parareligieuses,<br />
enregistrées (tel le<br />
Falungong) ou qualifiées de<br />
« secrètes » et donc<br />
interdites. Ce réveil marque<br />
la persistance d’un mode de<br />
fonctionnement s’abreuvant<br />
aux racines anciennes tout<br />
en intégrant des acquis<br />
modernes. Moins bridé<br />
qu’au siècle passé, le monde<br />
chinois réélabore désormais<br />
le nouveau paradigme qui le<br />
conduira demain.<br />
Ce livre exceptionnel nous<br />
permet d’en découvrir les<br />
arcanes. ■<br />
◗ * La Question religieuse<br />
en Chine, Vincent Goossaert<br />
et David A. Palmer,<br />
trad. de l’anglais, CNRS Éditions,<br />
2012, 500 p., 25 euros.<br />
81<br />
D. R.
82 Culture<br />
Roman Dans le style délicat qu’on lui connaît, Alain Blottière entrecroise les destins de Goma<br />
l’adolescent cairote et Nathan le lycéen parisien. Un très joli livre.<br />
Par Corinne Moncel<br />
Chaque livre d’Alain<br />
Blottière est un<br />
enchantement. C’est<br />
d’ailleurs le titre de son<br />
quatrième roman, quinze<br />
ans après l’éblouissant<br />
Saad, écrit à 22 ans et paru<br />
en 1980. Depuis, l’écrivain<br />
balade sa plume délicate et<br />
délicieusement nostalgique<br />
de Djibouti à la<br />
Cyrénaïque, avec une<br />
prédilection pour le pays où<br />
il a longtemps résidé et<br />
qu’il n’a jamais pu quitter<br />
tout à fait: l’Égypte. La<br />
plupart de ses œuvres s’y<br />
déroulent – à la brillante<br />
exception du Tombeau de<br />
Tommy (2009), un retour au<br />
roman après dix ans<br />
d’absence dans ce genre<br />
littéraire. En évoquant le<br />
groupe Manouchian, Alain<br />
Blottière voulut briser le<br />
sortilège égyptien qui<br />
continuait de le posséder<br />
dans les récits auxquels il<br />
se consacra durant son<br />
abstinence romanesque.<br />
◗ Songes d’ailleurs<br />
Mais l’auteur n’a pas<br />
résisté à l’ensorcellement:<br />
avec Rêveurs, il revient<br />
magistralement au pays qui<br />
le hante. Au travers d’une<br />
histoire mettant en scène<br />
une de ses autres<br />
obsessions : l’adolescence,<br />
passage entre l’enfance et<br />
l’âge d’homme où tout et<br />
rien n’est encore joué.<br />
Rêveurs : deux jeunes<br />
garçons, deux réalités<br />
sociales divergentes, deux<br />
mondes aux antipodes, et<br />
pourtant un point de<br />
rencontre dans la ligne de<br />
Lignes de fuite<br />
fuite de leurs songes<br />
d’ailleurs…<br />
D’un côté Nathan, jeune<br />
lycéen français à qui tout<br />
est donné : l’argent,<br />
l’attention, l’amour… sauf<br />
celui de sa mère morte<br />
quand il était enfant.<br />
Nathan qui s’ennuie à<br />
mourir dans sa vie<br />
confortable et ne supporte<br />
ni le réel et ses pestilences,<br />
ni l’affection insistante de<br />
ses proches. Gentil garçon<br />
par défaut, l’adolescent<br />
préfère le monde virtuel des<br />
jeux vidéo et, surtout, le jeu<br />
du foulard, ce « rêve<br />
indien » qu’on atteint en<br />
s’étranglant. Pendant<br />
quelques secondes alors,<br />
entre vie et mort, Nathan<br />
retrouve la ouate maternelle<br />
à jamais perdue.<br />
Goma, lui, n’a jamais<br />
connu le confort de<br />
Nathan : enfant des rues<br />
du Caire, il survit en<br />
ramassant de vieux cartons<br />
dans la partie haute du<br />
quartier de Dar el-Salam, le<br />
plus populaire et plus mal<br />
famé de la capitale<br />
égyptienne. Tout un monde<br />
grouillant de gens rustres<br />
pratiquant mille métiers<br />
informels, de fonctionnaires<br />
corrompus et de flics<br />
sadiques, où la lutte pour<br />
rester en vie n’autorise<br />
aucun relâchement affectif.<br />
L’amitié et la tendresse<br />
existent pourtant dans la<br />
petite bande de Goma, qui<br />
rêve de la France comme<br />
DEUX MONDES AUX ANTIPODES QUI, MIS<br />
EN CONTACT, CRÉENT UN MOMENT UNIQUE DE GRÂCE.<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
l’acmé du bonheur. Mais la<br />
révolte gronde dans le<br />
lointain centre ville.<br />
Galvanisés par les<br />
nouvelles de la « guerre »<br />
place Tahrir commencée<br />
par les « facebooks » pour<br />
déloger le « roi des<br />
voleurs », Goma et ses<br />
amis décident de braver les<br />
obstacles afin de prendre<br />
part à la liesse générale.<br />
On s’en doute : c’est moins<br />
la vie sans joie de Nathan<br />
que celle, poignante, de<br />
Goma, qui captive dans le<br />
roman de Blottière. Dans le<br />
style à la fois simple et<br />
poétique qu’on lui connaît,<br />
s’autorisant plus qu’à<br />
l’accoutumée les phrases<br />
longues, l’écrivain décrit<br />
avec une justesse et une<br />
émotion qui étreignent la<br />
vie de ce petit peuple<br />
d’Égypte, souvent plus<br />
répugnant que valeureux,<br />
bafoué, maltraité, ignoré<br />
des dirigeants mais aussi<br />
des « facebooks » de la<br />
ville riche. Croyant autant<br />
que ces derniers à la fin<br />
d’un règne, le peuple de<br />
Dar el-Salam sera le<br />
premier à comprendre<br />
« qu’il n’y avait jamais eu<br />
de révolution. Le roi des<br />
voleurs et des criminels<br />
n’était qu’une marionnette<br />
manœuvrée par des<br />
hommes en uniformes<br />
chamarrés ».<br />
Goma, qui connaîtra l’enfer<br />
de l’hôpital, de la prison,<br />
des rues gazées et de la<br />
D. R.<br />
morgue, mais aussi la rage<br />
euphorisante de vouloir<br />
mettre à bas un ordre<br />
injuste, croisera Nathan en<br />
vacances imposées sur les<br />
bords du Nil. L’attrait sera<br />
immédiat: l’évidence de<br />
leur gémellité par-delà leur<br />
condition, pour un moment<br />
L’obsession de l’adolescence<br />
sublimée par un style poétique.<br />
unique de grâce à<br />
l’intersection même de<br />
leurs rêves de douceur.<br />
Alain Blottière, qui a<br />
adopté un procédé narratif<br />
original – chaque passage<br />
sur un adolescent se conclut<br />
sans ponctuation pour<br />
mieux faire le lien avec le<br />
point de vue de l’autre<br />
garçon –, a une fois encore<br />
réussi un très joli livre. ■<br />
◗ Rêveurs, Alain Blottière,<br />
Éd. Gallimard, 176 p.,<br />
15,90 euros.
Gabon Tout métier mérite salaire, y compris celui d’écrivain. Évident? Pas tant que ça. Depuis<br />
trois ans, l’éditrice et romancière se bat pour défendre ce droit.<br />
« Éditer c’est mettre au monde l’enfant<br />
de l’autre », affirme Sylvie Ntsame.<br />
Par Roger Calmé<br />
Sylvie Ntsame, de sueur et d’encre<br />
Elle rappelle volontiers<br />
qu’elle a commencé<br />
l’écriture… par la<br />
correspondance<br />
administrative. Très loin de<br />
ses romans d’amour, de<br />
désespérance, de magie<br />
sombre. Une école de la<br />
précision, écriture au<br />
scalpel qui prend toujours<br />
soin à ne pas s’égarer.<br />
Sylvie Ntsame aime que les<br />
mots soient à leur place.<br />
Romancière de son état et<br />
éditrice par conviction, elle<br />
pose sur le livre un regard<br />
très global. Ouvrage de<br />
création, objet de<br />
fabrication, outil<br />
communicant et<br />
économique, il est à la<br />
croisée des chemins.<br />
Complexe, oui, mais<br />
maîtrisable, si l’on pose les<br />
bonnes balises. De ne pas<br />
lui reconnaître sa place<br />
revient à écrire sur du sable.<br />
Retour sur image. À savoir<br />
son premier ouvrage, La<br />
Fille du Komo, achevé en<br />
2004 et pour lequel elle<br />
cherchait un éditeur. « Ici,<br />
au Gabon, il n’y avait<br />
qu’une maison, et je n’ai<br />
reçu aucune réponse à<br />
l’envoi de mon manuscrit.<br />
Je me suis donc tournée<br />
vers la France. » À compte<br />
d’auteur ou d’éditeur, que<br />
l’on paie la fabrication ou<br />
que la maison d’édition s’en<br />
charge, même relents<br />
d’arnaque. Elle accepte<br />
pourtant de publier. « Parce<br />
que l’auteur est prêt à tout<br />
accepter pour que son livre<br />
ELLE A PUBLIÉ CINQUANTE OUVRAGES.<br />
NOMBRE D’ENTRE EUX SONT AU PROGRAMME SCOLAIRE.<br />
D. R.<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
vive. L’Harmattan m’avait<br />
demandé d’acheter<br />
cinquante exemplaires pour<br />
participation aux frais de<br />
fabrication, et ne versait<br />
des droits qu’à partir du<br />
501 e livre vendu. »<br />
Pourcentage consenti, 4 %.<br />
Une misère. Mais la leçon a<br />
bien été retenue. Sylvie<br />
signe le contrat et revient au<br />
pays, écrire… et publier.<br />
« En fait, il y a eu une part<br />
de hasard. Je m’occupais<br />
d’enfants démunis au sein<br />
d’une petite ONG et pour<br />
alimenter les fonds, j’avais<br />
écrit des contes, en me<br />
disant que les droits<br />
pouvaient nourrir<br />
l’association. Mais<br />
impossible de contrôler si je<br />
mettais l’ouvrage dans<br />
d’autres mains. Avec un<br />
deuxième livre, Femmes<br />
libérées battues, et des amis<br />
qui ont accepté de me<br />
confier leurs manuscrits,<br />
l’idée d’éditer est venue. »<br />
Une aventure sous contrôle.<br />
Elle va faire ce que<br />
personne encore n’avait osé<br />
au Gabon. Investir dans les<br />
machines, acheter son<br />
papier, former son<br />
personnel, à tous les<br />
niveaux, maîtriser sa<br />
distribution et, enfin, ce qui<br />
était à la base même du<br />
parcours : « Reconnaître à<br />
l’écrivain sa place. »<br />
Premiers droits d’auteur<br />
payés la même année. Du<br />
jamais vu ! 11 000 francs<br />
CFA, se souvient-elle, à<br />
l’un de ses anciens<br />
professeurs, M. Mbuluku.<br />
Depuis, cinquante ouvrages<br />
ont été produits. Nombre<br />
d’entre eux sont au<br />
programme scolaire. Et si<br />
on lui reproche parfois de<br />
ne pas être visible à<br />
l’international, elle sourit.<br />
« Notre choix, c’est le<br />
Gabon. D’être solides ici.<br />
Nous pouvons payer nos<br />
auteurs. Ce qui ne serait<br />
sans doute pas le cas si<br />
nous avions joué à<br />
l’étranger. »<br />
◗ Inertie<br />
L’aventure est belle, mais…<br />
Souvent elle regrette : « Les<br />
auteurs ne s’impliquent pas<br />
plus. Il y a une inertie très<br />
préjudiciable. Ils se disent<br />
que ça ne sert à rien de<br />
dépenser de l’énergie,<br />
même si les droits d’auteurs<br />
sont payés. Ce sont leurs<br />
expériences d’avant qui les<br />
ont marqués. » Mais elle,<br />
non ! L’amertume,<br />
Repères<br />
• Née en 1964, à<br />
Oyem.<br />
• Premier roman, La<br />
Fille du Komo (2004).<br />
• Fondatrice des<br />
Éditions Ntsame<br />
(2010).<br />
• Contact:<br />
07752146 et<br />
leseditionsntsame@gm<br />
ail.com<br />
Sylvie Ntsame ne connaît<br />
pas. Demain, elle édite une<br />
gamine de 13 ans, auteure<br />
d’un livre de contes.<br />
« C’est tellement beau,<br />
ce qu’elle écrit! » Éditer,<br />
mettre au monde l’enfant<br />
de l’autre. ■<br />
83
84 Culture<br />
BD Samuel Eto’o, la star du foot camerounais, raconte son parcours dans une bande dessinée<br />
imagée par Joëlle Esso. Vive les huit prochains tomes !<br />
Par Nathan Fredouelle<br />
Il n’est pas rare d’assister<br />
à la sortie d’un livre<br />
écrit par ou pour une<br />
vedette une fois sa carrière<br />
bien avancée, que ce soit un<br />
acteur, un musicien ou un<br />
sportif. Le footballeur<br />
Samuel Eto’o n’échappe<br />
pas à la règle, mais il a<br />
choisi la bande dessinée.<br />
Comme l’Ivoirien Didier<br />
Drogba en décembre<br />
dernier avec son livre De<br />
Tito à Didier Drogba,<br />
l’attaquant camerounais<br />
évoluant actuellement en<br />
Russie donne au grand<br />
public l’occasion de<br />
découvrir, à travers cases et<br />
bulles, non seulement sa<br />
carrière, mais aussi sa<br />
jeunesse et tout ce qui l’a<br />
mené à la célébrité.<br />
Le premier tome, intitulé<br />
Naissance d’un champion,<br />
relate l’enfance du<br />
footballeur à New Bell,<br />
quartier populaire de<br />
Douala, au Cameroun.<br />
On y assiste à ses premiers<br />
matchs avec ses amis et<br />
lors de rencontres interquartiers,<br />
jusqu’à ce qu’il<br />
soit recruté à 12 ans par<br />
une école avec laquelle il<br />
partira s’entraîner en<br />
France. Une fois là-bas, il<br />
n’a plus envie de retourner<br />
au Cameroun et souhaite à<br />
tout prix intégrer une<br />
grande équipe. Or, il n’a<br />
pas de papiers et ne peut ni<br />
réaliser son rêve, ni étudier.<br />
Il se résout donc à revenir<br />
chez lui afin de jouer au<br />
football dans de bonnes<br />
conditions. Le deuxième<br />
tome racontera comment il<br />
parvient en équipe<br />
Du ballon aux bulles<br />
nationale junior à tout juste<br />
14 ans, et ainsi de suite<br />
jusqu’à la carrière<br />
internationale qu’on lui<br />
connaît.<br />
Si, à l’heure d’Internet, tout<br />
un chacun peut en deux<br />
clics s’instruire sur la vie<br />
du footballeur, l’ouvrage<br />
apporte plus qu’un simple<br />
compte-rendu de parcours.<br />
En effet, Eto’o lui-même en<br />
assure le récit, y apportant<br />
sa propre subjectivité, son<br />
authenticité. À la simple<br />
biographie s’ajoutent ainsi<br />
des souvenirs d’enfance,<br />
mais aussi une volonté de<br />
ne pas occulter les<br />
mésaventures du jeune<br />
Samuel. En évoquant des<br />
choix parfois mal avisés,<br />
ses rapports quelquefois<br />
tendus avec ses parents ou<br />
encore ses péripéties<br />
administratives en France,<br />
il refuse d’idéaliser sa<br />
trajectoire.<br />
◗ Public jeune<br />
En effet, le message<br />
qu’Eto’o veut faire passer<br />
n’est pas celui de la<br />
glorification systématique<br />
du sport comme moyen de<br />
réussir, mais plutôt un<br />
encouragement adressé à la<br />
jeunesse africaine et<br />
mondiale. Le choix du<br />
médium de la bande<br />
dessinée ainsi que les<br />
dessins simples et colorés<br />
de la dessinatrice et<br />
scénariste camerounaise<br />
Joëlle Esso (par ailleurs<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
De l’enfance à New Bell à la gloire de Top<br />
Player International... Ici avec Joëlle Esso.<br />
également chanteuse)<br />
permettent de toucher un<br />
public jeune, constitué<br />
d’enfants pouvant partager<br />
les conditions de vie du<br />
jeune Samuel Eto’o. Le<br />
footballeur les incite à<br />
poursuivre leurs rêves à<br />
force de passion et de<br />
détermination, mais aussi<br />
de sérieux et de travail<br />
acharné. Et il le fait non<br />
LE FOOTBALLEUR INCITE LES ENFANTS À POURSUIVRE<br />
LEURS RÊVES AVEC PASSION MAIS AUSSI TRAVAIL.<br />
seulement grâce à cette<br />
bande dessinée, mais aussi<br />
à travers sa fondation qui<br />
s’investit dans l’éducation<br />
scolaire et sportive des<br />
enfants au Cameroun – et<br />
ailleurs – en attribuant des<br />
bourses et en ouvrant des<br />
complexes sportifs. Si le<br />
« petit Milla » a fait bien<br />
des kilomètres depuis qu’il<br />
a quitté New Bell, il<br />
n’oublie pas d’où il vient. ■<br />
◗ Eto’o Fils - Naissance d’un<br />
champion, tome I, Samuel Eto’o<br />
Fils et Joëlle Esso, Éd. Dagan,<br />
48 p., 14 euros.<br />
D. R.
Électro Entrevue avec djette Sarahina, une artiste d’origine algérienne qui n’a pas peur de<br />
croquer la vie à pleines dents.<br />
Par Sélim Chmait<br />
Sarahina est l’une des<br />
djettes les plus actives<br />
sur la scène<br />
parisienne. Cette jolie jeune<br />
femme d’origine algérienne<br />
n’a pas froid aux yeux,<br />
comme en témoigne son<br />
parcours.<br />
■ Pouvez-vous revenir sur<br />
votre parcours musical?<br />
❒ C’est en travaillant durant<br />
un an dans un magasin de<br />
disques à Londres que ma<br />
passion pour le djing est<br />
apparue. Je touchais des<br />
disques vinyles à longueur<br />
de journée et j’ai fini par<br />
me dire: « Pourquoi ne pas<br />
apprendre à mixer? »<br />
Lorsque je suis revenue sur<br />
Paris, j’ai commencé à<br />
apprendre avec DJ Hitchn<br />
qui était professeur à la<br />
DMC School (école de<br />
djing). Ensuite, j’ai acheté<br />
du matériel pour pouvoir<br />
me perfectionner et<br />
m’entraîner chez moi avant<br />
de mixer dans des soirées<br />
parisiennes. Après avoir<br />
sillonné toutes les boîtes de<br />
Paris, j’ai décidé de<br />
m’inscrire à un concours<br />
qui concernait les « DJ’s au<br />
féminin ». Sur les cinq<br />
finalistes, je suis arrivée<br />
première, ce qui m’a permis<br />
d’avoir mon émission sur<br />
NRJ tous les deuxièmes<br />
dimanches de chaque mois,<br />
de minuit à deux heures.<br />
Actuellement, je prépare un<br />
single pour toucher un plus<br />
large auditoire, car je sais<br />
que je suis encore inconnue<br />
du grand public.<br />
■ Quel est votre style<br />
musical de prédilection?<br />
❒ À la base, je viens du<br />
Météo de l’entre-deux rives<br />
« Dans la chanson à texte, le message est en quelque sorte imposé. »<br />
hip-hop, cela se ressentait<br />
dans mon mix. Puis j’ai<br />
découvert l’électro qui m’a<br />
tout de suite attirée. C’est<br />
une musique qui fait<br />
bouger, danser les gens. Je<br />
dirais que mon style est<br />
électro-house, même si je<br />
commence maintenant à me<br />
mettre à la deep house et<br />
tout ce qui est plus pointu<br />
et underground.<br />
■ La deep house est une<br />
musique où il y a peu,<br />
« IL FAUT CROIRE EN SES RÊVES<br />
ET NE JAMAIS BAISSER LES BRAS. »<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
voire pas du tout, de<br />
paroles. Peut-on faire<br />
passer un message avec<br />
une musique qui ne<br />
contient pas de texte ?<br />
❒ Oui, je pense que les<br />
instruments musicaux<br />
comme la guitare ou le<br />
piano véhiculent forcément<br />
quelque chose. Que ce soit<br />
positif ou négatif. Ce qui<br />
est bien, c’est que chacun a<br />
la liberté d’interpréter cette<br />
musique à sa manière et de<br />
D. R.<br />
lui donner un sens selon<br />
son état d’esprit.<br />
Contrairement aux<br />
chansons à texte, où le<br />
message est en quelque<br />
sorte imposé.<br />
■ Avec les nouvelles<br />
technologies (logiciel<br />
Serato, etc.), le djing est<br />
de plus en plus accessible<br />
et beaucoup d’auditeurs<br />
s’improvisent<br />
professionnels. Quelles<br />
sont les qualités requises<br />
pour être un bon DJ ?<br />
❒ Pour moi, cela passe<br />
avant tout par la sélection<br />
musicale. Elle doit être<br />
atypique et singulière. Un<br />
vrai DJ ne doit pas<br />
ressembler aux autres et il<br />
doit faire découvrir des<br />
nouveautés à son public.<br />
Ensuite, il y a la manière de<br />
mixer. Avoir un mix<br />
homogène sans forcément<br />
être super pointu dans la<br />
technique et les scratchs.<br />
■ Vous avez mixé dans<br />
pas mal de pays : Algérie,<br />
Maroc, Tunisie, Espagne,<br />
Roumanie…<br />
Musicalement parlant,<br />
lequel vous a le plus<br />
marqué ?<br />
❒ L’Algérie. J’ai joué à<br />
Alger et j’ai été<br />
agréablement surprise de<br />
voir un public qui s’est<br />
montré très réceptif. J’ai<br />
découvert que les Algérois<br />
étaient de grands<br />
connaisseurs de la house<br />
music. C’est toujours un<br />
plaisir pour moi de jouer<br />
là-bas.<br />
■ Un dernier mot pour les<br />
lecteurs ?<br />
❒ Tout est possible, il faut<br />
croire en ses rêves et ne<br />
jamais baisser les bras. ■<br />
85
86 Musique<br />
D. R.<br />
Folk Le feeling de la chanteuse d’origine nigériane enchante et apaise, composées dans les<br />
tournures mélodiques et évocatrices de la langue yoruba.<br />
Par Luigi Elongui<br />
En 2010, on découvre<br />
Layori avec un<br />
premier Origin,<br />
sensation vocale haletant de<br />
magie, répertoire<br />
inclassable, en suspens<br />
entre soul, country, jazz et<br />
tradition. En ouverture de<br />
l’album, « Dada »,<br />
troublante chanson yoruba<br />
– la langue de l’ethnie d’où<br />
elle vient –, est un voyage<br />
vers l’insondable… Là où<br />
se trouvent « les<br />
profondeurs de l’endroit où<br />
la musique a commencé »,<br />
explique la jeune femme à<br />
la taille d’amazone. En<br />
2013, elle sort un nouveau<br />
album, Rebirth, plus épuré<br />
Layori et le souffle universel<br />
D. R.<br />
que le précédent.<br />
Coproductrice et directrice<br />
artistique, Layori y impose<br />
sa griffe, marque d’une<br />
authenticité majeure.<br />
Avec moins d’instruments,<br />
• Ali Mohammed Birra, Great Oromo<br />
Music, Buda Musique/Socadisc.<br />
Plus brut et concis que celui du répertoire<br />
amharique, vibrant de syncopes étourdissantes,<br />
le son de Dire Dawa, la capitale<br />
cosmopolite des Oromo située à l’est de<br />
l’Éthiopie, a été popularisé depuis les années<br />
1960 à Addis-Abeba par Ali Mohammed Birra.<br />
Chanteur au débit fervent d’histoire d’amours<br />
inassouvis, voix haut perchée<br />
aux aigus saisissants et aux envolées<br />
en spirales lancinantes, celui<br />
que l’on appelle le « souverain<br />
bohème des chanteurs oromo »<br />
débute sa carrière en 1962 au<br />
sein du groupe Afraan Qaallo,<br />
formation d’artistes et d’intellectuels<br />
engagés pour la cause d’un<br />
peuple en lutte constante contre<br />
le régime impérial d’Hailé Selassié,<br />
représentant des aristocraties chrétiennes<br />
des hauts plateaux. Son combat identitaire se<br />
reflète aussi par l’usage de la langue oromo<br />
dans la chanson. Un joyau de la collection<br />
Éthiopiques qui fait la différence avec le reste<br />
de son catalogue. ■ Y. K.<br />
D. R.<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
la batterie est remplacée<br />
par le cajon espagnol. On y<br />
retrouve « Dada » dans une<br />
orchestration plus souple,<br />
mais avec les mêmes notes<br />
qui sonnent comme un<br />
sortilège. « Elle est sortie<br />
de moi d’une manière<br />
imprévue, raconte la<br />
chanteuse, et maintenant<br />
que j’en maîtrise mieux le<br />
sens, elle est mon “hymne<br />
national”. “Dada” reflète<br />
mon rythme de vie, est le<br />
miroir de ce que je veux<br />
faire de mon existence,<br />
l’expression de ma foi en<br />
des choses simples qui<br />
rendent le bonheur. Je l’ai<br />
composée en un quart<br />
d’heure. Mais ce n’est<br />
qu’après que j’ai saisi ce<br />
qui s’était passé lorsque je<br />
l’ai chantée pour la<br />
première fois. »<br />
Et elle souligne le concept :<br />
« C’est quelque chose de<br />
profond », comme pour<br />
• Ndedy Eyango, Appelle-moi,<br />
1 CD + 1 DVD, Musico Center Production.<br />
Cela fait plus d’un lustre que le musicien<br />
de Nkogsamba porte haut et avec<br />
une approche originale le drapeau du<br />
makossa, genre national au Cameroun et fleuron<br />
culturel du peuple sawa. Dans son répertoire,<br />
les airs frais des montagnes proches de<br />
l’Ouest prennent la place des<br />
odeurs fluviales qui donnent la<br />
saveur des musiques côtières, et il<br />
y a une plus forte ouverture aux<br />
motifs des autres régions. Ainsi,<br />
dans cet Appelle-moi qui évoque<br />
les meilleures œuvres de la belle<br />
époque des années 1980, Ndedy<br />
propose, à la deuxième plage, une<br />
synthèse époustouflante de la<br />
grande richesse musicale du pays, un tour<br />
vibrant des syncopes du bikutsi aux frénésies<br />
de l’assiko, aux mélopées du Nord, celles que<br />
l’on retrouve également dans « Que G Tem »,<br />
avec des images tournées dans les environ de<br />
Maroua. De belles compositions, un appel<br />
irrésistible à la danse et un remarquable élan<br />
créatif. ■ L. E.
évoquer la source dans le<br />
mystère des premiers<br />
temps. Interrogée sur la<br />
signification du texte, elle<br />
répond que cela n’a aucune<br />
importance… Mais la<br />
question « inattendue et<br />
qui fait réfléchir »<br />
interroge Layori sur<br />
l’essence de la voix et son<br />
pouvoir émotionnel. Un<br />
intervalle de silence intense<br />
pour que ses pensées<br />
regagnent les espaces<br />
éthérés d’une culture<br />
musicale qui se révèle<br />
formidable.<br />
« Les inflexions de la voix<br />
de Chavela Vargas donnent<br />
une idée du sens des mots.<br />
Cela m’a toujours fascinée<br />
chez elle. Et je me suis<br />
posée le problème pour<br />
moi-même : comment<br />
aurais-je pu obtenir une<br />
force d’expression égale ?<br />
Chavela chantait en un<br />
dialecte qu’elle ne<br />
comprenait pas, mais elle<br />
en comprenait le<br />
sentiment. »<br />
De la vocaliste au poncho<br />
rouge, légendaire interprète<br />
• Samba Touré, Albala,<br />
Glitterbeat Records.<br />
de la musique ranchera du<br />
Mexique, à la grande dame<br />
de la chanson française,<br />
Édith Piaf, le passage est<br />
fulgurant et les propos de<br />
Layori proposent d’autres<br />
suggestions : « Quand<br />
j’écoute Édith Piaf, sa<br />
force de caractère<br />
m’impressionne sans que je<br />
sache le français. En<br />
connaissant la signification<br />
des phrases, je suis sûre<br />
que j’aurais eu la chair de<br />
poule quand il le fallait,<br />
selon le sens des mots. »<br />
Après avoir vécu entre le<br />
Nigeria, son pays natal, et<br />
les États-Unis, Layori s’est<br />
installée en Allemagne puis<br />
au Portugal. Elle aime<br />
voyager et découvrir dans<br />
les diverses langues<br />
comment la hauteur des<br />
sons et l’intensité des<br />
timbres véhiculent les<br />
émotions. Car dans les voix<br />
du monde, il y a le souffle<br />
universel qui se manifeste<br />
en une grande variété<br />
d’idiomes, et à chacun son<br />
feeling. Celui de Layori<br />
enchante et apaise. ■<br />
Arabesques dans les airs, volutes nostalgiques,<br />
pleurs du violon et rythmique<br />
de transe… C’est le cachet aux<br />
influences plurielles du Nord du Mali en butte à<br />
la barbarie intégriste et au néocolonialisme<br />
français. Les accords de guitare et les atmosphères<br />
pétries d’évocations rappellent la<br />
musique d’Ali Farka Touré, le guitariste<br />
disparu de la musique malienne, avec<br />
lequel Samba Touré collabora, notamment<br />
à l’occasion de sa tournée internationale, en<br />
1997-1998. Au musicien de Niafunké qui<br />
le stimula dans l’apprentissage de la gui-<br />
D. R.<br />
tare, Samba Touré consacra Songhaï Blues,<br />
paru en 2009, un premier album à diffusion<br />
internationale (suivant Fondo, publié uni-<br />
quement au Mali en 2003), résultat de sa rencontre<br />
avec la production du label londonien<br />
World Music Network. Ce dernier réalisa également<br />
Crocodile Blues il y a deux ans, alors<br />
que cet Albala, traversé par une énergie plus<br />
vigoureuse que les précédents, est le fruit d’une<br />
nouvelle complicité avec Hugo Race et la maison<br />
Glitterbeat Records. ■ Moundiba Malanda<br />
D. R.<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
Manuel Wandji, sur la route de la forêt<br />
Dans les images du DVD de son dernier album *<br />
avec les deux supports audio et vidéo, les percussions<br />
sont omniprésentes. Et Manuel Wandji,<br />
artiste franco-camerounais né dans la ville française de<br />
Nancy, en Lorraine, en donne une explication plutôt<br />
simple : « À 18 ans, je suis parti au pays de mon père, qui<br />
est originaire de l’ouest du Cameroun. Ma famille s’est<br />
établie à Yaoundé, la capitale, où les musiques urbaines<br />
se développent sous influence de la forêt qui entoure la<br />
ville. Le bikutsi est le style dominant avec le jeu des guitares<br />
qui puise dans la rythmique des balafons. J’ai commencé<br />
à faire de la musique dans l’orchestre du lycée.<br />
Mon premier instrument était la batterie, mais je suis<br />
passé rapidement au nkul, le gros tambour des Béti. C’est<br />
un instrument magique avec lequel j’ai entamé une<br />
recherche sur les timbres et les accords. »<br />
Dans la ville des sept collines, synthèse d’urbanité et de<br />
sonorités plus rudes et intenses, tributaires de la nature<br />
environnante, Manuel Wandji avait trouvé sa route. Le<br />
génie de la forêt lui servira de guide pour l’emmener en<br />
pirogue parcourir les rivières surplombées par les lianes,<br />
jouer les percussions sur les rochers baignés par les eaux<br />
du fleuve, traverser le pont sur le Sanaga accompagné par<br />
les notes du saxo de Manu Dibango.<br />
Dans Voyages & Friends, comme dans les précédents<br />
albums de ce musicien qui revendique sa double culture,<br />
l’osmose est là, entre les sons frénétiques de New York<br />
et les ambiances boisées de l’Afrique centrale, le groove<br />
métropolitain et les airs de la flûte qui se lèvent des<br />
terres rougeâtres des hauts plateaux de l’Ouest. C’est le<br />
leitmotiv de sa vie autant que de sa carrière aux activités<br />
multiples d’arrangeur, de compositeur de musiques<br />
pour spectacles de danse, de producteur, de danseur, de<br />
chanteur…Son style haut en couleur est à l’image de sa<br />
philosophie de la connaissance qui se forme dans<br />
l’échange et découvre la pulsation comme élément<br />
moteur et élan de vie. ■ L. E.<br />
◗ * Voyages & Friends, Wambo Productions,<br />
Buda Musique / Universal.<br />
87
88 Culture<br />
Théâtre Dans un spectacle * aux allures incantatoires, l’artiste et résistant culturel comorien<br />
Soeuf Elbadawi pleure les morts du « mur Balludur » qui criminalise la migration de ses compatriotes<br />
dans leur propre pays.<br />
Par Luigi Elongui<br />
Le 18 janvier 1995, les<br />
autorités de Paris<br />
établissent le visa<br />
obligatoire pour les<br />
ressortissants de l’ensemble<br />
des Comores qui veulent se<br />
rendre sur l’île sœur de<br />
Mayotte, annexée par la<br />
France lors de la<br />
proclamation de<br />
l’indépendance de l’archipel<br />
en 1975. Le « mur<br />
Balladur », du nom du<br />
premier ministre français de<br />
l’époque, est érigé et le<br />
carnage annoncé va avoir<br />
lieu, occulté par un noir<br />
silence de complicités et de<br />
soumissions.<br />
◗ Victimes de l’impensable<br />
On compte aujourd’hui<br />
15 000 morts dans les bras<br />
de l’océan séparant Anjouan<br />
de Mayotte où, à bord de<br />
fragiles embarcations<br />
nommées kwasa, des<br />
Comoriens sombrent par<br />
centaines, coupables du<br />
crime de migration sur leur<br />
propre terre. « Immense<br />
cortège de fantômes sous<br />
l’eau… cadavres sans<br />
sépultures », ils ont été<br />
sacrifiés sur l’autel d’une loi<br />
promulguée à des milliers<br />
de kilomètres de distance,<br />
« bordel orchestré de haute<br />
main, mouroir fabriqué par<br />
des chiens de race<br />
défendant les sordides<br />
intérêts de la lointaine<br />
république de Paris », écrit<br />
Soeuf Elbadawi dans son<br />
nouveau spectacle, tiré du<br />
livre éponyme, Un dhikri<br />
pour nos morts - La Rage<br />
Requiem pour un massacre<br />
Photos: D. R.<br />
Poésie et révolte sont entremêlées<br />
dans l’ensemble de l’œuvre de Soeuf Elbadawi.<br />
entre les dents (1) .<br />
Mais « peut-on être<br />
étranger ou clandestin sur<br />
la terre de ses aïeux? » Et<br />
peut-on accepter que les<br />
victimes de l’impensable –<br />
un acte administratif posé<br />
pour produire un tel désastre<br />
– puissent disparaître aussi<br />
des mémoires, tuées une<br />
deuxième fois par<br />
l’indifférence et la<br />
couardise, de surcroît<br />
privées du droit ultime de<br />
sépulture que l’on doit à<br />
tout être humain ?<br />
Ancien journaliste,<br />
essayiste, metteur en scène<br />
et comédien, musicologue et<br />
surtout résistant culturel<br />
dans son pays de Lune (2) et<br />
sur un continent en butte<br />
aux prédations impériales et<br />
aux nouvelles guerres<br />
d’agression, Soeuf Elbadawi<br />
« NOUS NE POUVONS TOUS ÊTRE LES ENFANTS DE LA<br />
DÉFECTION, DU RENONCEMENT OU DE LA REDDITION. »<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
répond trois fois non à ce<br />
questionnement lancinant.<br />
Rédigé sous une forme<br />
poétique et dans un français<br />
où s’intercalent<br />
systématiquement des<br />
expressions en shikomori, la<br />
langue nationale dans les<br />
quatre îles (Ngazidja,<br />
Moheli, Anjouan et Maore<br />
[Mayotte]), sa mise en scène<br />
prend des allures<br />
incantatoires.<br />
Un album, paru en même<br />
temps, est intitulé Comores:<br />
chants de lune et<br />
d’espérance (3) . Il témoigne<br />
d’une volonté farouche de<br />
réinscrire le meilleur du<br />
patrimoine musical insulaire<br />
comme socle d’un présent<br />
broyé par les incertitudes,<br />
laminé par les défections. À<br />
sa dernière plage, le « Blues<br />
of Moroni » annonce, dans<br />
la ferveur mélodique, la fin<br />
de la passivité des insulaires<br />
face au « Maître des<br />
possédants », le prédateur<br />
arrivé au XIX e siècle. Quand<br />
en 1841 la France prend<br />
possession de l’archipel<br />
situé dans l’océan Indien, au<br />
nord du canal du<br />
Mozambique.<br />
Au milieu, les airs<br />
mélancoliques de waudzu<br />
évoquent l’histoire d’une<br />
colonisation ininterrompue<br />
et les déboires d’un peuple<br />
en proie à la division et<br />
décimé par un visa.<br />
L’imaginaire de l’auteur est<br />
hanté par « ces restes<br />
d’hommes qui, par milliers,<br />
se noient sous le lagon au<br />
crépuscule d’un matin sans<br />
brumes. »<br />
L’esprit obsédé par « les<br />
corps dépareillés et sans<br />
visages enlisés sous l’eau,<br />
ces âmes qui flottent au<br />
large tels des restes de Lune<br />
dans un cauchemar<br />
diurne », Soeuf Ebadawi<br />
lève sa mélopée de
mgodro (4) sur « le rivage<br />
assombri du Monde des<br />
Taiseaux », ses<br />
compatriotes « atteints par<br />
les remords de l’inaction »,<br />
et dresse un réquisitoire<br />
implacable contre la<br />
« puissance dévastatrice »<br />
du pays le plus agressif de<br />
la planète. Un double défi<br />
pour briser la chaîne qui<br />
joint la main de l’oppresseur<br />
à la complicité de<br />
l’opprimé.<br />
« Nous ne pouvons tous être<br />
les enfants de la défection,<br />
du renoncement ou de la<br />
reddition », affirme l’artiste,<br />
alors qu’il emprunte la<br />
parole visionnaire d’Ibuka,<br />
le premier fou de<br />
Moroni (5) , pour tracer<br />
« une ligne d’espoir aux<br />
pieds du monstre »,<br />
car la « lente agonie<br />
des vaincus n’empêche<br />
pas un miracle<br />
d’Outre-Monde ».<br />
Dans l’épilogue, une<br />
mélodie de délivrance<br />
donne le signal de la révolte<br />
et la fin du pacte<br />
d’allégeance: « Ces morts<br />
dont personne ne veut tenir<br />
le livre des comptes n’iront<br />
pas seuls au dernier Jour<br />
des Justes. » ■<br />
◗ (1) Le dhikri est une cérémonie<br />
soufie d’apaisement des défunts.<br />
L’ouvrage est publié par<br />
les Éditions Vents d’ailleurs<br />
(72 p., 9 euros).<br />
(2) En arabe, Djazaïr al-Qamar,<br />
d’où Comores, veut dire « les îles<br />
de la Lune ».<br />
(3) Paru chez Buda Musique,<br />
distribué par Universal. Il vient<br />
de recevoir le prix de<br />
l’académie Charles-Cros pour<br />
les « musiques du monde ».<br />
(4) Musique de danse au rythme<br />
ternaire partagée entre les Comores<br />
et Madagascar.<br />
(5) Capitale des Comores.<br />
◗ * Le spectacle Un dhikri<br />
pour nos morts - La Rage entre<br />
les dents sera joué au théâtre<br />
Le Tarmac (Paris 20 e ), du 25 au<br />
29 juin. Lectures aux Comores<br />
pendant le mois de mai.<br />
Il y a trente ans dans Afrique Asie<br />
La « défense » du croisé Reagan<br />
Le compte des morts violentes au Salvador, au Nicaragua et au Guatemala<br />
s’allonge, les horreurs perpétrées par les soldats formés au Panama par des<br />
instructeurs venus du Nord se suivent et se ressemblent. L’Amérique<br />
démocratique les regarde défiler sur ses écrans, et elle est mal à l’aise. La<br />
« guerre secrète » menée en Amérique centrale n’est plus secrète pour personne.<br />
L’inquiétude est grande, les initiatives de paix aboutiront-elles ? En attendant, on<br />
assiste à un gigantesque ballet macabre autour de peuples martyrs.<br />
« Cela fait, semble-t-il, un siècle qu’un représentant délégué américain aux<br />
Nations unies s’est trouvé embarrassé d’être pris en flagrant délit de mensonge.<br />
» Ces mots ne viennent pas « d’ailleurs », ils ont été écrits dans le très<br />
américain New York Times, le 12 avril, par Anthony Lewis qui poursuit : « Les<br />
États-Unis sont confrontés au choix de politique étrangère le plus crucial depuis<br />
la guerre du Viêt-Nam. Mais à la différence du Viêt-Nam, le public américain est<br />
au courant de ce qui se passe avant qu’il soit trop tard. Notre système politique<br />
saura-t-il cette fois-ci fonctionner de manière à éviter le désastre ? Le terrain est<br />
l’Amérique centrale, et quiconque sait se servir de ses yeux ne peut avoir de<br />
doute sur ce que l’administration Reagan est en train d’y faire. Elle y mène une<br />
guerre secrète. Elle y accroît un engagement américain dans des problèmes que<br />
nous ne pouvons résoudre. Elle provoque une identification des États-Unis<br />
comme oppresseurs et assassins. Les résultats d’une telle politique ne sont pas<br />
difficiles à imaginer : elle nous aliénera le centre en Amérique latine et intensifiera<br />
les sentiments anti-américains. La recherche d’une victoire militaire<br />
conduira à une débâcle politique – pour la région et pour les États-Unis. »<br />
L’opinion américaine s’est clairement prononcée, ces derniers mois, contre la<br />
politique reaganienne en Amérique<br />
centrale qui se résume ainsi:<br />
empêcher la victoire des forces<br />
révolutionnaires au Salvador,<br />
déstabiliser le pouvoir sandiniste<br />
au Nicaragua, garder le contrôle,<br />
par tous les moyens possibles, du<br />
Guatemala, du Honduras et du<br />
Costa Rica. La principale justification<br />
idéologique de cette politique<br />
n’a rien d’original, elle est à<br />
l’œuvre aussi bien ici qu’en<br />
Afrique australe et en Asie du<br />
Sud-Est : défendre l’« Ouest »<br />
contre l’« Est ». Les paysans massacrés<br />
au Salvador, les Indiens<br />
victimes du cannibalisme – au sens propre, les témoignages sont là – de la soldatesque<br />
du très chrétien général Rios Montt au Guatemala, les miliciens sandinistes<br />
de 18 ans, tous ces gens-là sont présentés comme des agents de Moscou et<br />
de La Havane. Cette couleuvre, les Américains moyens, sondés par les instituts<br />
spécialisés, sont de moins en moins nombreux à l’avaler. Ils inclinent plutôt à<br />
s’inscrire dans la question posée par les manifestants du 19 mars à New York :<br />
« Pourquoi devons-nous financer l’assassinat du peuple salvadorien ? » [...]<br />
Par ailleurs, le consensus latino-américain est brisé depuis la guerre des<br />
Malouines : désormais, le Venezuela, la Colombie et Panama sont ralliés à l’initiative<br />
franco-mexicaine pour un dialogue et une désescalade en Amérique<br />
centrale. La logique de la lecture reaganienne du conflit comme un affrontement<br />
« Est-Ouest » est refusée par l’Europe occidentale, et pas seulement social-démocrate.<br />
Comment réagit-on à Washington ? Une formule semble bien résumer<br />
l’attitude de l’administration Reagan : « Elle ne peut pas vaincre, mais elle ne<br />
veut pas perdre. » ■ Fausto Giudice<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
D. R.<br />
89
90 Société<br />
Psychotropes Il existe en Amazonie un thé hallucinogène qui traverse le temps, à base d’une<br />
plante maîtresse de la pharmacopée amérindienne : l’ayahuasca. Les grands laboratoires et les<br />
touristes s’intéressent de près à cette boisson qui soigne les états d’âme, et dont l’usage est très<br />
encadré lors de rituels chamaniques.<br />
Par Catherine Millet<br />
Entre modernisme et<br />
tradition, préservation<br />
de l’environnement ou<br />
exploitation à grande échelle,<br />
médecine du corps ou<br />
médecine de l’âme, la forêt<br />
amazonienne est le témoin<br />
des transformations qui<br />
s’opèrent dans le monde et<br />
des résistances qui s’y<br />
opposent. À l’image du<br />
projet de construction du<br />
barrage hydroélectrique de<br />
Belo Monte, sur la rivière de<br />
Xingu, qui a été adopté le<br />
1er juin 2012, au grand dam<br />
de Raoni Metuktire, chef de<br />
la tribu des Kayapos, et<br />
d’Amnesty International,<br />
clamant le respect des<br />
peuples autochtones auprès<br />
du gouvernement brésilien.<br />
Belo Monte, troisième plus<br />
grand barrage électrique du<br />
monde, apparaît surtout<br />
comme le symbole d’un<br />
Brésil tiraillé entre ses<br />
velléités de croissance et la<br />
préservation des<br />
communautés indigènes et de<br />
leur habitat, l’Amazonie.<br />
◗ Cheminement difficile<br />
Les plus grands laboratoires<br />
pharmaceutiques parcourent<br />
cette réserve naturelle qui<br />
détient la plupart des espèces<br />
animales et végétales de la<br />
planète, à la recherche de<br />
plantes médicinales. Mais il<br />
se crée également un<br />
nouveau type de tourisme<br />
dont les adeptes se rendent<br />
dans la forêt profonde pour<br />
profiter de l’enseignement<br />
La liane des songes<br />
traditionnel des Amérindiens.<br />
Car, au cœur de l’Amazonie,<br />
existe une plante, une liane<br />
qui court entre les arbres:<br />
l’ayahuasca, dite « liane des<br />
songes », qui détient la force.<br />
En décoction avec l’autre<br />
plante maîtresse de la<br />
pharmacologie populaire de<br />
l’Amazonie, la feuille<br />
Psychotria viridis,<br />
surnommée « la lumière »,<br />
elle permet d’obtenir le thé<br />
hallucinogène local qui<br />
soigne les états d’âme. Cette<br />
boisson se consomme<br />
traditionnellement lors des<br />
cérémonies chamaniques.<br />
En suivant des règles<br />
déterminées – jeun,<br />
abstinence sexuelle, absence<br />
de boissons alcoolisées et<br />
accompagnement par des<br />
personnes ayant plus<br />
d’expérience dans la doctrine<br />
–, son utilisation fait partie<br />
d’un processus<br />
d’apprentissage qui intègre la<br />
personne dans la<br />
communauté. La maladie<br />
change le rapport de<br />
l’individu avec la société.<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
Afin de pouvoir y rétablir son<br />
entière participation, le<br />
malade doit se soumettre à un<br />
rituel de transition. « Si le<br />
chamane ne guide pas son<br />
patient, celui-ci risque de<br />
faire un voyage sans retour,<br />
jusqu’à la folie. Il faut être<br />
préparé, orienté dans ce<br />
cheminement difficile,<br />
explique Roger Rumrill,<br />
avocat, spécialiste des<br />
communautés indigènes de<br />
L’iboga du Gabon aussi…<br />
l’Amazonie péruvienne. Il y<br />
a trois clefs pour une bonne<br />
prise de l’ayahuasca : la<br />
qualité de la drogue,<br />
l’entourage et le chamane.<br />
Le voyage doit être<br />
collectif! »<br />
Il est intéressant de<br />
confronter ses dires avec<br />
ceux du professeur Simon, de<br />
l’université de Bordeaux II,<br />
en France, directeur de<br />
recherche en psychologie des<br />
Un petit arbuste aux effets similaires à l’ayauasca, l’iboga au Gabon, attire également<br />
de plus en plus de citadins en mal d’expériences fortes ou d’introspection. Un<br />
scientifique américain, Howard Lotsof, a tenté de convaincre chercheurs, laboratoires,<br />
politiques et société civile de soigner les toxicomanes avec de l’ibogaïne, qui est supposée<br />
agir de façon identique à l’ayahuasca. Cette molécule de la famille des alcaloïdes est<br />
extraite de l’iboga (Tabernanthe Iboga), un arbuste endémique de l’Afrique centrale équatoriale.<br />
L’écorce de sa racine concentre une douzaine d’alcaloïdes très actifs utilisés dans la<br />
médecine traditionnelle et les cérémonies initiatiques bwiti au Gabon. ■
comportements adaptatifs de<br />
l’Inserm. En parlant de<br />
l’interaction entre l’individu<br />
et la pression exercée par la<br />
société, le chercheur évoque<br />
un lien fondamental entre les<br />
substances psychotropes, la<br />
société et le sujet. L’avantage<br />
de ce genre de consultation<br />
est de rendre le patient plus<br />
lucide de ses maux et capable<br />
de les exprimer plus<br />
clairement.<br />
Des études ont été réalisées<br />
en Europe afin d’utiliser ce<br />
thé en psychiatrie. Les<br />
Amérindiens considèrent que<br />
70 % des maux sont<br />
d’origine psychosomatique.<br />
Le chamane soigne les<br />
malades en cherchant<br />
l’origine profonde du mal, si<br />
Ci-dessus: la préparation<br />
du thé. La qualité<br />
de l’ayahuasca<br />
doit être excellente.<br />
Ci-contre: matériel<br />
et procédés lors<br />
de la cérémonie de guérison.<br />
bien que ses adeptes utilisent<br />
couramment l’expression<br />
« prendre une purge », à<br />
cause du pouvoir du thé à<br />
désintoxiquer l’organisme et<br />
à rétablir l’équilibre<br />
thérapeutique du patient. Le<br />
mot drogue n’a pas le même<br />
sens pour tout le monde.<br />
Les Incas avaient, bien avant<br />
la Renaissance en Europe,<br />
une connaissance très<br />
approfondie de l’astronomie,<br />
des mathématiques, ainsi que<br />
de la médecine puisqu’ils<br />
étaient des pionniers en<br />
chirurgie. Ils avaient une<br />
médecine pour le physique et<br />
une pour l’esprit. En 1930 fut<br />
fondé à Rio Branco, au cœur<br />
de l’Amazonie brésilienne, le<br />
premier centre ésotérique qui<br />
utilise comme base de travail<br />
le thé hallucinogène. Devenu<br />
aujourd’hui l’une des<br />
communautés ésotériques les<br />
plus populaires d’Amérique<br />
latine, le Santo Daime<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
compte chaque jour un<br />
nombre croissant d’adeptes,<br />
notamment dans les plus<br />
grandes villes du Brésil.<br />
Arrive en 1912 en Amazonie<br />
pour travailler dans les<br />
plantations de caoutchouc,<br />
maître Irineu Serra, Brésilien<br />
fondateur de la doctrine, fut<br />
initié par les Amérindiens qui<br />
lui ont appris à utiliser<br />
l’ayahuasca. Le milieu est<br />
alors hostile, le travail<br />
extrêmement pénible. La<br />
culture des nouveaux<br />
arrivants va se fondre avec<br />
celle des indigènes de la<br />
région. Représentative du<br />
métissage du nouveau peuple<br />
du Brésil, cette communauté<br />
est la rencontre de trois<br />
éléments ethniques<br />
composant l’Amérique<br />
latine: les Amérindiens, les<br />
Blancs et les Noirs. « Il<br />
s’agissait de se libérer de la<br />
dure réalité de la vie<br />
matérielle en recréant de<br />
nouvelles valeurs<br />
culturelles », selon l’ouvrage<br />
de Vera Froes sur la secte du<br />
Santo Daime.<br />
Il existe cependant, pour<br />
l’historienne et spécialiste de<br />
l’ethnobotanique, présidente<br />
des études amazoniennes,<br />
UN SAVOIR-FAIRE MÉDICAL INCA<br />
QUI INTÉRESSE DÉSORMAIS L’EUROPE.<br />
Photos : C. Millet<br />
« une distinction<br />
fondamentale entre l’emploi<br />
des substances<br />
hallucinogènes dans le<br />
chamanisme, où elles ont une<br />
importance rituelle, médicale<br />
et divinatoire, et la prise de<br />
drogue dans les sociétés<br />
occidentales, ou l’on est en<br />
face d’un phénomène<br />
purement hédoniste ». La<br />
drogue ne serait dans ces<br />
sociétés que la compensation<br />
d’un phénomène dépressif<br />
individuel, répondant à<br />
certains déficits de<br />
fonctionnement.<br />
◗ L’âme et le corps<br />
Pour le professeur Simon,<br />
« prendre des additifs ferait<br />
partie d’un rééquilibrage<br />
instinctif du fonctionnement<br />
de l’organisme par des<br />
mécanismes biologiques ou<br />
psychologiques<br />
comportementaux, de façon à<br />
retrouver l’équilibre perdu ».<br />
Il précise que c’est la société<br />
qui forme les attitudes : selon<br />
les époques, refuser un<br />
apéritif représente une forme<br />
d’asocialité. « Il n’y a rien de<br />
plus arbitraire qu’une<br />
législation sur la drogue »,<br />
précise-t-il.<br />
Selon le professeur Simon,<br />
« l’histoire des stupéfiants<br />
est étonnante. On a<br />
constamment soigné les effets<br />
de dépendances d’une<br />
drogue avec une autre… »<br />
Un psychotrope en chasse un<br />
autre, mais le nouveau est<br />
d’autant plus nocif qu’il est<br />
créé artificiellement. Or, les<br />
additifs naturels sont moins<br />
toxiques que leurs dérivés<br />
chimiques.<br />
Il est aujourd’hui question de<br />
soigner en priorité le mal qui<br />
suscite le besoin d’additifs.<br />
Ce qui était déjà le principe<br />
même du rituel à base du thé<br />
hallucinogène chez les<br />
Amérindiens en Amazonie.<br />
La route est longue pour que<br />
médecine de l’âme et<br />
médecine du corps<br />
cohabitent en toute sérénité<br />
entre sciences et<br />
consciences. ■<br />
91
92 Société<br />
Tunisie Comme le « printemps arabe », le rêve révolutionnaire au féminin a fait long feu : Ennhadha<br />
veut faire table rase du code du statut personnel des femmes, modèle de parité dans le<br />
monde, pour les soumettre à nouveau au pouvoir masculin. Manipulées, nombre d’entre elles<br />
participent à leur malheur.<br />
Par Fériel Berraies Guigny<br />
En hiver islamiste tu te voileras…<br />
Quotidiennement, les<br />
acquis des femmes<br />
tunisiennes sont<br />
remis en cause par le<br />
pouvoir en place. Ils<br />
interprètent les textes<br />
religieux en ne laissant<br />
aucune ambivalence sur le<br />
rôle dévolu aux Tunisiennes<br />
dans le futur islamiste du<br />
pays: d’égales des hommes,<br />
elles pourraient ne plus être<br />
que complémentaires! C’est<br />
ainsi que les conçoit et veut<br />
les voir rapidement<br />
Ennahdha, en balayant les<br />
valeurs du code du statut<br />
personnel au profit d’une<br />
interprétation rétrograde du<br />
statut de la femme.<br />
◗ Mauvaise moitié<br />
Depuis toujours, l’homme a<br />
interprété les versets<br />
coraniques en donnant une<br />
dimension masculine du<br />
divin, « l’homme étant<br />
présenté dans toute sa<br />
suprématie et la femme dans<br />
une posture inférieure »,<br />
explique l’universitaire et<br />
exégète coranique tunisienne<br />
Mongia Souahi. La femme<br />
serait la moitié de l’homme,<br />
elle n’aurait pas le droit<br />
d’étudier, de travailleur, de<br />
faire de la politique. Une<br />
interprétation erronée<br />
largement utilisée par le<br />
pouvoir en place et dans<br />
beaucoup de pays arabes<br />
conservateurs.<br />
Pourtant, la femme est aimée<br />
et choyée dans le Coran,<br />
insiste Mongia Souaïhi,<br />
l’une des rares islamologues<br />
femmes dans le monde<br />
arabo-musulman à avoir<br />
traduit le Coran. « Dans le<br />
hadith Nabawi et dans le<br />
comportement du Prophète<br />
et de ses amis, les femmes<br />
étaient respectées en tant<br />
qu’être humain à part<br />
entière. Khadija elle-même<br />
était professeure, c’était une<br />
femme d’affaires, une<br />
politique. Il y a eu des<br />
femmes qui se sont opposées<br />
à Omar Ibn el-Khattab. Il y<br />
a eu des femmes qui se sont<br />
élevées contre Mouaawi<br />
Abousofiene; elles étaient<br />
activistes et elles ont parlé<br />
des problèmes qui<br />
taraudaient leur société.<br />
Rien dans les écrits ne<br />
prouve que la femme est la<br />
moitié de l’homme »,<br />
explique l’islamologue.<br />
Mais, comme dans toutes les<br />
religions monothéistes qui<br />
sont dominées par les<br />
hommes, et dans toutes les<br />
sociétés qui se réfèrent à ces<br />
religions, les femmes sont<br />
considérées comme des<br />
citoyennes de seconde zone.<br />
Les exégètes des XVIII e<br />
et XIX e siècles ont<br />
malheureusement abondé<br />
dans ce sens, et rares sont<br />
ceux qui ont pris la défense<br />
des femmes, à l’exception<br />
du Tunisien Mohamed Tahar<br />
Ibn Achour.<br />
Entre espoir et crainte, la<br />
révolution du « printemps<br />
arabe » version féminine est<br />
encore en train de chercher<br />
la place qu’elle mérite. Pour<br />
faire face aux préjugés, les<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
femmes du petit peuple,<br />
mais aussi les femmes<br />
intellectuelles et celles de la<br />
classe nantie, doivent peser<br />
de tout leur poids en faveur<br />
de la laïcité et de la parité.<br />
Un travail laborieux mais<br />
nécessaire, car l’islamisation<br />
radicale a planté « sa tente »<br />
dans la région, et la Tunisie<br />
en subit les conséquences,<br />
mettant en péril les acquis<br />
des femmes qui ont toujours<br />
été un modèle pour le monde<br />
arabe et le monde en<br />
général.<br />
L’un des défis majeurs pour<br />
les Tunisiennes au cours de<br />
cette post-révolution tourne<br />
principalement autour de la<br />
question du pouvoir et de<br />
leur statut. Et ce n’est pas<br />
une question de chiffres:<br />
qu’importe si le Parlement<br />
tunisien compte 23 % de<br />
femmes contre 20 % pour le<br />
Parlement français, s’il<br />
s’agit de femmes qui ne<br />
représentent pas la<br />
population dans sa globalité<br />
et ne s’expriment que dans<br />
le sens du pouvoir islamiste<br />
qui les a intronisées!<br />
C’est bien là le leurre<br />
politique d’Ennahdha. Les<br />
femmes libérales exigent que<br />
la Constitution soit garante<br />
des droits des femmes avec<br />
deux articles non<br />
négociables: la séparation<br />
du religieux et du politique,<br />
et l’égalité entre les femmes<br />
et les hommes dans tous les<br />
domaines, conformément à<br />
la Convention sur<br />
l’élimination de toutes les<br />
formes de discrimination à<br />
l’égard des femmes et à la<br />
levée des réserves annoncée<br />
par l’ancien pouvoir et qui<br />
doit être concrétisée…<br />
Il est indispensable que les<br />
réformes politiques<br />
garantissent le caractère<br />
constitutionnel et irrévocable<br />
de ces droits, qui sont les<br />
garanties nécessaires pour<br />
restaurer la confiance entre<br />
les différents acteurs<br />
politiques et les convaincre<br />
qu’aucune des parties ne<br />
sera dépossédée des<br />
promesses de la révolution<br />
de janvier 2011.<br />
Si la Tunisie a créé un<br />
néologisme dans le monde<br />
arabe avec sa révolution, il<br />
reste qu’elle n’est pas finie.<br />
Car la libération des peuples<br />
et des femmes sont<br />
inséparables. Toute société<br />
qui reposerait sur un lien de<br />
domination des hommes sur<br />
les femmes est une société<br />
qui bloquerait la dynamique<br />
sociale.<br />
Aujourd’hui, les Tunisiennes<br />
sont en alerte maximum.<br />
Elles sont à l’écoute de tous<br />
les discours politiques<br />
diffusés dans les médias, à<br />
l’affût du moindre indice qui<br />
LA TUNISIENNE EST AUTANT UN ALIBI<br />
RELIGIEUX QU’UN INSTRUMENT POLITIQUE.
La révolution tunisienne a chassé Ben Ali et apporté<br />
l’islamisme. Pour la liberté des femmes, il faudra repasser !<br />
mettrait en péril leurs droits.<br />
Paradoxalement, elles sont<br />
aussi responsables de ce qui<br />
arrive. Car les femmes de<br />
l’élite intellectuelle et la<br />
petite bourgeoisie que l’on<br />
voit déambuler et scander<br />
des slogans dans les rues,<br />
qui craignent de perdre ces<br />
acquis de plus de cinquante<br />
ans, ne sont pas les femmes<br />
de la Tunisie profonde.<br />
Celles qui sont<br />
reconnaissables entre toutes<br />
et qu’on a pourtant<br />
longtemps cachées. Les<br />
femmes du rif, celles qui se<br />
lèvent dès potron-minet et<br />
jusqu’au soir pour travailler<br />
sans réel espoir d’une vie<br />
meilleure. Celles qui vivent<br />
dans les zones les plus<br />
stériles et reculées du pays<br />
sans eau ni électricité, leurs<br />
maris partis à la ville<br />
chercher du travail. Ce sont<br />
aussi ces femmes de la<br />
banlieue ou des bidonvilles<br />
de Tunis qui n’arrivent pas à<br />
joindre les deux bouts et qui<br />
acceptent des petits boulots<br />
saisonniers. Ce sont les<br />
laissées-pour-compte de<br />
trois régimes successifs qui<br />
n’ont que faire de la<br />
Constitution. Car rien ne<br />
changera pour elles.<br />
Ces femmes ne savent pas<br />
ou à peine lire et écrire, ne<br />
connaissent pas leurs droits,<br />
et cette révolution une<br />
nouvelle fois les aura<br />
oubliées. Quand la pauvreté<br />
est beaucoup plus profonde<br />
que l’on pense, que<br />
l’hermétisme et<br />
l’individualisme sont à leur<br />
comble, l’endoctrinement<br />
religieux est aisé. Surtout<br />
s’il est accompagné de<br />
quelques billets pour aller<br />
« bien voter », quitte à faire<br />
le lit de l’islamisme. Ce sont<br />
bien ces femmes qui ont<br />
appelé de tous leurs vœux le<br />
pouvoir islamiste! Elles qui<br />
sont devenues<br />
antiféministes.<br />
◗ Tout à perdre<br />
Comment unifier toutes les<br />
femmes tunisiennes autour<br />
d’un projet équitable et<br />
démocratique qui les<br />
incluent toutes dans leur<br />
diversité sociale? Comment<br />
parler à toutes, quel<br />
dénominateur commun<br />
leur trouver? Pour<br />
l’intellectuelle, la démocratie<br />
rimera avec parité, pour la<br />
moins nantie, elle rimera<br />
avec pain.<br />
À l’heure actuelle, le<br />
discours des libéraux est<br />
confus et ne laisse paraître<br />
aucune stratégie inclusive<br />
sur le plan social. Il ne<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
coupe pas avec l’islamisme,<br />
et certains, pour accaparer le<br />
pouvoir, ont fait la cour à<br />
l’électorat islamiste,<br />
trahissant ainsi les électeurs<br />
qui leur avaient fait<br />
confiance. La situation<br />
exceptionnelle des<br />
Tunisiennes dans le monde<br />
arabe a, de plus, été entamée<br />
par la propagande islamiste<br />
des chaînes satellitaires<br />
arabes et leurs dérives<br />
obscurantistes. De plus en<br />
plus de femmes se sont<br />
voilées, mais nombreuses<br />
parmi elles se disent<br />
démocrates et ne sont pas<br />
prêtes à renoncer à leurs<br />
droits. Pour autant, cela<br />
suffira-t-il à les prémunir des<br />
menaces d’une régression ?<br />
La situation de flou politique<br />
et les errements des<br />
dirigeants actuels ont eu<br />
raison du rêve<br />
révolutionnaire au féminin.<br />
Pis encore, les femmes, en<br />
plus de devenir un alibi<br />
religieux, sont également<br />
instrumentalisées<br />
politiquement. Une façon<br />
pour le régime en place de<br />
faire diversion en laissant<br />
d’obscurs imams prêcher le<br />
nécessaire confinement des<br />
femmes qui idéalement ne<br />
seraient qu’un objet sexuel.<br />
Des discours d’un autre âge.<br />
D. R.<br />
Déjà, des pratiques<br />
(excisions sur les petites<br />
filles, appel au mariage des<br />
prépubères, polygamie, etc.)<br />
ont été enregistrées dans les<br />
zones reculées, dans un pays<br />
qui n’a jamais été ni de près<br />
ni de loin confronté à<br />
l’obscurantisme barbu ou<br />
voilé.<br />
Alors oui, les Tunisiennes<br />
sont menacées et leur<br />
quotidien leur rappelle que<br />
tout est à perdre pour elles.<br />
Pourtant, elles sont aussi<br />
conscientes que rien n’est<br />
encore joué et beaucoup<br />
d’entre elles, que nous avons<br />
approchées par le biais de<br />
partis politiques ou<br />
d’associations féministes et<br />
des droits de l’homme, sont<br />
très réactives et actives sur le<br />
terrain. La Tunisie est encore<br />
un champ exploratoire. Si la<br />
question des femmes dans le<br />
monde arabe est complexe,<br />
il faudra toujours tenir<br />
compte des diversités<br />
culturelles et des disparités<br />
sociales. Pour autant, les<br />
femmes resteront esclaves de<br />
cette situation accablante<br />
tant que les mentalités à leur<br />
égard ne changeront pas.<br />
Ce qui pourra à terme<br />
changer leur destin sera<br />
l’éducation, l’autonomie<br />
financière, le fait de les<br />
responsabiliser en tant que<br />
citoyennes. Se dire qu’aussi<br />
que ce sont les mères et les<br />
femmes qui vont élever et<br />
former les hommes de<br />
demain.<br />
Avec des politiques d’égalité<br />
homme/femmes, la société<br />
tout entière serait gagnante.<br />
Si on a du souffle, que l’on<br />
est aidé, que l’on se met en<br />
réseau, que l’on se respecte<br />
les uns les autres, qu’on<br />
admet la pluralité d’opinion<br />
dans tous les forums du<br />
monde et les grandes<br />
instances internationales, on<br />
finira enfin par comprendre<br />
que la dimension du genre<br />
est très importante et qu’elle<br />
fait partie intégrante des<br />
questions de<br />
développement. ■<br />
93
94 Société<br />
Société Pour lutter contre l’obscurantisme et l’intolérance, les Femen feutrent sur leurs seins<br />
des slogans revendiquant leur droit à la liberté. Enquête à découvert autour d’un phénomène<br />
qui enfle, non sans peine, au Maghreb et dans le monde arabe.<br />
Par Samy Abtroun<br />
Composé de plusieurs<br />
centaines de<br />
membres dans le<br />
monde – et sans doute bien<br />
plus de sympathisants –, le<br />
groupe des Femen, créé en<br />
2008 en Ukraine, a d’abord<br />
choisi de bomber le torse<br />
pour dénoncer la<br />
prostitution endémique<br />
dans le pays. Mais,<br />
rapidement, son action<br />
s’est généralisée à toutes<br />
les formes de violence dont<br />
sont victimes les femmes,<br />
en Ukraine et ailleurs. Le<br />
principe: deux petits seins<br />
valent mieux qu’une<br />
longue banderole. En<br />
utilisant cette partie<br />
fantasmée – et pour un<br />
certain nombre<br />
fantasmagorique – de leur<br />
corps, ces féministes,<br />
autoproclamées<br />
« sextrémistes », se<br />
dispensent de porte-voix :<br />
elles pointent leur message,<br />
souvent crus et parfois<br />
drôles, mais toujours de<br />
manière non violente,<br />
comme d’autres dégainent<br />
un pistolet, tout en<br />
concédant les limites du<br />
procédé, « être trop vues<br />
mais jamais bien lues ».<br />
Passent ainsi sous leurs<br />
feutres les machistes, les<br />
conservateurs, les<br />
fanatiques et autres<br />
pourfendeurs des libertés:<br />
sexistes, anti-avortements,<br />
conjoints violents, violeurs,<br />
homophobes, racistes,<br />
censeurs, etc. En somme,<br />
la bonne majorité du<br />
monde d’aujourd’hui.<br />
Ça tétonne et ça détonne<br />
Mais leurs cibles de<br />
prédilection restent les<br />
extrémistes religieux et<br />
autres bigots. En<br />
avril 2012, elles faisaient<br />
sonner les cloches de la<br />
cathédrale Saint-Sophie de<br />
Kiev pour dénoncer la<br />
proposition d’un député<br />
ukrainien visant à interdire<br />
l’interruption volontaire de<br />
grossesse (IVG). La même<br />
année, une militante tentait<br />
de se jeter sur le patriarche<br />
de l’Église orthodoxe russe<br />
Kirill en visite à Kiev, jugé<br />
politiquement trop proche<br />
de Poutine. En<br />
janvier 2013, elles<br />
s’exhibaient place Saint-<br />
Pierre à Rome lors de<br />
l’angélus du pape Benoît<br />
XVI, avec un « shut up »<br />
(« tais-toi ») inscrit sur leur<br />
poitrine. Un mois plus tard,<br />
elles fêtaient le départ du<br />
Saint-Père dans la<br />
cathédrale Notre-Dame de<br />
Paris, avec ces slogans:<br />
« Bye bye Benoît », « No<br />
homophobe »!<br />
Sur leurs tétons, guère de<br />
privilèges: elles rayent<br />
aussi bien les inepties des<br />
cathos que celles des<br />
islamistes. Elles expriment<br />
ainsi leur solidarité avec les<br />
musulmanes victimes des<br />
pratiques moyenâgeuses de<br />
leur État. En 2010, elles<br />
levaient le tee-shirt devant<br />
l’ambassade d’Iran à Kiev<br />
pour dénoncer la<br />
condamnation à la<br />
lapidation de Sakineh<br />
Mohammadi Ashtiani,<br />
Iranienne accusée<br />
d’adultère. En 2011, c’est<br />
devant l’ambassade<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
d’Arabie Saoudite qu’elles<br />
soulevaient un niqab de<br />
circonstance pour dénoncer<br />
l’interdiction de conduire<br />
faite aux femmes dans ce<br />
pays. Sur leur poitrine:<br />
« Cars for women camels<br />
for men » (« Des voitures<br />
pour les femmes, des<br />
chameaux pour les<br />
hommes »). En 2012, elles<br />
manifestaient à Londres<br />
contre la participation du<br />
royaume wahhabite aux<br />
jeux Olympiques. À Paris,<br />
elles marchaient pour la<br />
liberté des musulmanes:<br />
sur leur peau, le slogan<br />
« Intégrisme dégage! »,<br />
référence à celui qui avait<br />
chassé le président tunisien<br />
Ben Ali un an plus tôt.<br />
En avril dernier, elles<br />
brûlaient un drapeau à la<br />
couleur noire du salafisme<br />
devant la Grande Mosquée<br />
de Paris, puis se dénudaient<br />
devant une mosquée à<br />
Berlin, pour dire leur rejet<br />
des extrémistes.<br />
◗ « Fuck your morals »<br />
Les Femen font rapidement<br />
des émules au Maghreb et<br />
dans le monde arabe. « Ces<br />
filles disent exactement ce<br />
qu’on dit chez nous. Elles<br />
l’écrivent tellement bien<br />
qu’on est obligé de les<br />
entendre », explique Nadia,<br />
sympathisante algérienne.<br />
Pour être de la partie, il<br />
suffit d’en partager les<br />
idées… et d’un bon feutre,<br />
Internet servant de moyen<br />
de diffusion. Alors que la<br />
Place Tahrir est en feu,<br />
l’Égyptienne Aliaa Magda<br />
Elmahdy pose nue sur son<br />
blog « Journal d’une<br />
rebelle » et sur Twitter.<br />
L’acte se veut symbolique:<br />
en se dénudant, elle dévoile<br />
le vrai visage d’un pays pris<br />
par les Frères musulmans,<br />
et d’une société violente et<br />
hypocrite. Menacée de<br />
mort, elle doit fuir. En mars<br />
dernier, Amina Tyler, une<br />
militante tunisienne, qui<br />
entend lancer le mouvement<br />
Femen dans son pays, poste<br />
ses photos d’elle, seins nus,<br />
sur Facebook, avec ce tag :<br />
« Mon corps m’appartient,<br />
il n’est l’honneur de<br />
personne. » Sur un autre<br />
cliché: « Fuck your<br />
morals » (« Allez vous faire<br />
foutre avec votre<br />
moralité »)… Le hic: le<br />
pays du jasmin est depuis<br />
quelques années devenu le<br />
pays du « chasse nu » ; et le<br />
corps, de plus en plus voilé,<br />
appartient de moins en<br />
moins à celles qui le<br />
portent.<br />
Les seins d’Amina font le<br />
tour du monde et pétrifient<br />
les salafistes et autres<br />
nouvelles « élites » de cette<br />
Tunisie de la révolution qui<br />
n’a eu de « printemps<br />
arabe » que celui des barbes<br />
et des voiles. Coupée du<br />
« LE PRINCIPE: DEUX PETITS SEINS<br />
VALENT MIEUX QU’UNE LONGUE BANDEROLE. »
monde et brutalisée par sa<br />
propre famille, contrainte<br />
de prendre des traitements<br />
chimiques, victime d’une<br />
fatwa de mort prononcée<br />
par Ennahdha, parti<br />
islamiste au pouvoir, encore<br />
menacée de lapidation, la<br />
jeune tunisienne de 19 ans<br />
ne doit sa survie qu’à sa<br />
fuite.<br />
Entretemps, un blog de<br />
soutien se crée. Une Femen<br />
du Bahreïn se dévoile sur le<br />
réseau… visage couvert<br />
pour éviter d’être tuée.<br />
Suivie d’une Algérienne. Le<br />
groupe féministe perturbe<br />
enfin la visite à Paris du<br />
président tunisien Moncef<br />
Marzouki, allié des<br />
islamistes, et organise, en<br />
soutien à sa militante, une<br />
« Journée internationale du<br />
djihad seins nus ». Excusez<br />
du peu.<br />
◗ « Nous couperons vos seins »<br />
Dans une Tunisie qui<br />
affronte ses démons, bien<br />
couverts ceux-là, le nu<br />
courageux d’Amina est<br />
éminemment politique. Il<br />
porte la liberté comme un<br />
étendard et, s’exprimant<br />
dans son plus simple habit,<br />
de la manière la plus vraie<br />
qui soit. C’est bien là<br />
l’objectif déclaré des<br />
Femen. « Nous sommes<br />
libres, nous sommes nues,<br />
c’est notre droit car c’est<br />
notre corps, et personne ne<br />
peut utiliser la religion ou<br />
d’autres prétextes pour<br />
abuser des femmes ou les<br />
oppresser. Nous nous<br />
battrons contre eux »,<br />
explique Alexandra<br />
Shevchenko, l’une des<br />
fondatrices du mouvement.<br />
En se mettant ainsi à nu, ces<br />
seins à slogans frappent les<br />
consciences, les yeux et le<br />
reste. Mais cette arme à<br />
double tranchant a, plus<br />
d’une fois, montré ses<br />
dangers. « T’es à poil, t’as<br />
pas d’armure », confie<br />
Nadia. Leur forme de<br />
protestation agace, quand<br />
elle ne rend pas hystérique.<br />
Dans une Tunisie qui affronte ses démons, bien couverts<br />
ceux-là, le nu courageux d’Amina est éminemment politique.<br />
« T’es souvent face à des<br />
malades. Ce ne sont pas les<br />
filles nues qu’ils ne<br />
supportent pas de regarder,<br />
c’est l’image qu’elles leur<br />
renvoient d’eux-mêmes! »,<br />
poursuit la jeune<br />
Algérienne. Accusées de<br />
christianophobie et<br />
d’islamophobie, insultées,<br />
brutalisées, arrêtées,<br />
emprisonnées, les Femen<br />
échappent parfois de peu au<br />
lynchage. En novembre<br />
dernier, des militantes<br />
déguisées en nonnes étaient<br />
entrées dans le cortège<br />
d’intégristes catholiques de<br />
l’Institut Civitas, réputé<br />
proche de l’extrême droite,<br />
qui défilait à Paris contre le<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
projet de loi sur le mariage<br />
pour tous. Elles se sont fait<br />
violemment tabasser.<br />
Dans des sociétés habillées<br />
de mauvaise vertu, le nu est<br />
devenu criminel. Partout où<br />
les poitrines de ces femmes<br />
ensoleillent, les coups<br />
pleuvent, signe que le<br />
monde d’aujourd’hui,<br />
abreuvé d’interdits et de<br />
préjugés, est plus replié sur<br />
ses fondamentalismes que<br />
ses fondamentaux. Et les<br />
détracteurs des<br />
« sextrémistes » ne sont pas<br />
que religieux, loin de là.<br />
Les féministes plus<br />
« classiques » se disent<br />
heurtées par ces mutines<br />
aux lolos qui jouent avec<br />
« DANS DES SOCIÉTÉS HABILLÉES DE MAUVAISE<br />
VERTU, LE NU EST DEVENU CRIMINEL. »<br />
D. R.<br />
les médias. Elles les<br />
trouvent trop belles, des<br />
« guerrières aux ongles<br />
propres », des « femmes<br />
objets », des « blondes<br />
idiotes ». En Égypte et en<br />
Tunisie, l’intelligentsia se<br />
rebiffe, expliquant que leurs<br />
légitimes revendications<br />
génère des effets inverses.<br />
Outre le fait qu’ils satisfont<br />
les machistes et les pervers,<br />
ces « lancers de seins »<br />
radicalisent les extrémismes<br />
et nuisent à l’image de la<br />
femme, critique-t-on. Ainsi,<br />
en s’attaquant à l’islamisme<br />
radical, les Femen<br />
donneraient une mauvaise<br />
image de l’islam, religion<br />
tolérante mais mal<br />
interprétée. Elles feraient<br />
également croire que toutes<br />
les musulmanes sont<br />
persécutées. Ou encore elles<br />
dédouaneraient les nonmusulmans,<br />
entendez les<br />
Européens, des abus qu’ils<br />
commettent. « Faux,<br />
oppose Nadia. Le message<br />
est clair: montrer ses seins,<br />
c’est juste tétonner<br />
là où ça fait mal, aider les<br />
croyantes et les<br />
non-croyantes à vivre.<br />
Il n’y a rien d’intellectuel<br />
là-dedans. Je me fiche<br />
qu’elles soient belles. Ce<br />
qui m’intéresse, c’est<br />
qu’elles veulent que notre<br />
vie à nous soit moins<br />
moche! »<br />
Reste que leur combat est<br />
encore loin d’être gagné.<br />
Ces opérations « coup de<br />
poing – coup de sein » sont<br />
aussi vite médiatisées<br />
qu’archivées. Au Maghreb<br />
et dans le monde arabe,<br />
elles restent trop<br />
exceptionnelles pour faire<br />
évoluer les mentalités. À<br />
preuve, cette menace laissée<br />
sur le site – piraté – des<br />
Femen, à la suite de leur<br />
engagement pour la<br />
libération d’Amina:<br />
« Venez en Tunisie!<br />
Nous couperons vos<br />
seins et nous les<br />
donnerons à manger<br />
à nos chiens! » ■<br />
95
96 Sport<br />
Foot L’exode des talents a appauvri les clubs d’Afrique subsaharienne qui disputent des<br />
compétitions nationales dévaluées.<br />
Par Faouzi Mahjoub<br />
Àl’issue de son<br />
septième<br />
couronnement par<br />
l’assemblée générale de la<br />
Confédération africaine de<br />
football (Caf), réunie le<br />
10 mars à Marrakech, Issa<br />
Hayatou a lâché au micro<br />
de l’envoyé spécial de RFI:<br />
« [Sous ma présidence], le<br />
football africain a fait un<br />
bond en avant. » Était-il au<br />
bord du précipice?! Et de<br />
déverser son mépris pour<br />
les journalistes tout en<br />
ignorant les pratiquants<br />
(amateurs ou<br />
professionnels). C’est<br />
pourtant admis: sa Majesté<br />
Hayatou VII n’aime pas le<br />
foot, elle n’en parle jamais<br />
parce qu’elle ne sait pas en<br />
parler. Elle ne s’intéresse<br />
pas au jeu, car elle n’en<br />
saisit pas les subtilités. Elle<br />
est sous l’emprise des<br />
forces de la politique et de<br />
l’argent et à force de<br />
côtoyer les dictateurs, elle<br />
n’en a pas pris de la graine.<br />
Surtout, elle ne se<br />
préoccupe pas des réalités<br />
de football africain<br />
d’aujourd’hui.<br />
◗ Deux footballs<br />
Ce dernier est, depuis la fin<br />
des années 1990, à deux<br />
vitesses. Son élite vit et<br />
pratique hors d’Afrique,<br />
plus spécialement en<br />
Europe, alors que son<br />
corps, c’est-à-dire la masse<br />
des pratiquants, se trouve<br />
sur le continent. Il n’y a<br />
plus un seul football<br />
africain mais un football<br />
afro-africain (tous les<br />
joueurs et joueuses non<br />
Le temps des fractures<br />
expatriés amateurs ou non<br />
amateurs), et un second<br />
afro-européen (les<br />
expatriés, tous<br />
professionnels).<br />
Par ailleurs, les fractures<br />
provoquées par un<br />
développement inégal dans<br />
les domaines des<br />
infrastructures, des<br />
équipements, des cadres et<br />
des performances ne<br />
manquent pas et ne sont pas<br />
prêtes d’être réduites. Une<br />
première fracture se situe<br />
au niveau des sélections<br />
nationales. Elle sépare<br />
l’Afrique de l’Est (aucune<br />
victoire en Coupe<br />
d’Afrique des nations<br />
depuis… 1970 et aucune<br />
qualification à la Coupe du<br />
monde) du reste de<br />
l’Afrique. Une deuxième<br />
concerne les clubs, scindant<br />
les pays d’Afrique du Nord<br />
de tous les autres. La<br />
troisième relègue en bas du<br />
classement le ballon<br />
insulaire (Cap-Vert, Sao<br />
Tomé-et-Principe,<br />
Seychelles, Comores,<br />
Maurice, Réunion, voire<br />
Madagascar). Ces fractures<br />
se retrouvent<br />
immanquablement au<br />
niveau de l’organisation,<br />
de la couverture<br />
télévisuelle et<br />
de la commercialisation<br />
des compétitions.<br />
Enfin, depuis la réélection<br />
en mai 2002 du Suisse<br />
Joseph S. Blatter à la<br />
présidence de la Fifa (aux<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
dépens du Camerounais<br />
Issa Hayatou, président de<br />
la Caf depuis 1988), une<br />
rupture s’est produite entre<br />
les décideurs du football<br />
africain et les joueurs,<br />
surtout les anciennes<br />
gloires. Ceux-ci sont exclus<br />
de toute structure de<br />
décision.<br />
De plus, le football africain<br />
continue de faire face à un<br />
phénomène qui n’en finit<br />
pas de l’appauvrir: le<br />
départ vers l’étranger de ses<br />
jeunes joueurs. Chaque<br />
saison, ils sont des dizaines<br />
âgés de 16 à 20 ans qui<br />
quittent les centres de<br />
formation, privés ou<br />
fédéraux, pour rejoindre les<br />
clubs européens. Si certains<br />
font beaucoup parler d’eux<br />
– tels les talentueux<br />
Académiciens formés par<br />
Jean-Marc Guillou à<br />
Abidjan dans les années<br />
1993-1999 –, une armée<br />
d’inconnus, poussée par des<br />
« agents » peu scrupuleux<br />
ou par des dirigeants<br />
intéressés par des<br />
commissions occultes, part<br />
tenter l’aventure hors du<br />
continent. Pour beaucoup<br />
de ces candidats à l’exil, la<br />
désillusion est à la mesure<br />
des espoirs nourris: rares<br />
sont ceux à s’être imposés<br />
au top niveau et à avoir<br />
poursuivi leur progression.<br />
Les colloques se sont, çà et<br />
là, multipliés pour dénoncer<br />
le phénomène et réclamer,<br />
outre une authentique<br />
L’ÉLITE DES FOOTBALLEURS VIT<br />
HORS D’AFRIQUE, SURTOUT EN EUROPE.<br />
politique de formation pour<br />
les jeunes, la mise en place<br />
d’une législation dissuasive<br />
dans les pays<br />
« exportateurs », ainsi<br />
qu’une réglementation de la<br />
profession d’agent de<br />
joueurs. En vain. Seuls les<br />
règlements de la Fifa<br />
concernant le statut et le<br />
transfert des joueurs, entrés<br />
en vigueur le 1 er septembre<br />
2001, tentent vainement de<br />
freiner un exode<br />
irrésistible, dont la<br />
première victime est la<br />
Ligue des clubs champions.<br />
Jamais compétition<br />
continentale des clubs n’a<br />
été aussi médiatisée, aussi<br />
couverte par la télévision.<br />
Et jamais elle n’a autant<br />
brassé d’argent depuis son<br />
lancement en 1997. Mais<br />
jamais elle n’a suscité<br />
d’engouement. Le<br />
désintérêt populaire<br />
s’explique d’une part par la<br />
formule de la Ligue des<br />
champions (dont le<br />
sponsor-titre jusqu’en 2016<br />
est la firme de téléphonie<br />
Orange), et, d’autre part,<br />
par la qualité du jeu<br />
produite par les vainqueurs<br />
de l’épreuve, en grande<br />
majorité des clubs du nord<br />
de l’Afrique qui ont les<br />
moyens de conserver leurs<br />
meilleurs éléments et de<br />
recruter des talents.<br />
Conçue pour être une<br />
vitrine et un bon produit<br />
télévisuel, la Ligue des<br />
champions s’est heurtée<br />
aux réalités du petit écran<br />
en Afrique. Très vite, il a<br />
fallu faire un constat:<br />
seules les télévisions<br />
nationales d’Algérie,<br />
d’Égypte, du Maroc, de
Les supporters, comme ici, de l’équipe sud-africaine des Bafana-Bafana,<br />
ont bien des raisons d’être déçus par leurs joueurs nationaux.<br />
Tunisie et d’Afrique du Sud<br />
disposaient des moyens<br />
techniques adéquats et<br />
pouvaient produire et<br />
fournir des images de<br />
niveau international.<br />
Ailleurs, aucune chaîne<br />
nationale ne pouvait<br />
répondre au drastique<br />
cahier des charges édicté<br />
par le détenteur des droits.<br />
Conséquences: un flux<br />
d’images de piètre qualité,<br />
des incidents techniques à<br />
la pelle et, surtout, une<br />
désaffection du public<br />
rassasié à l’œil par des<br />
retransmissions de la Ligue<br />
des champions… d’Europe.<br />
Entre un Julius Berger<br />
Lagos-Mamelodi<br />
Sundowns Pretoria, une<br />
Jeanne d’Arc Dakar-TP<br />
Mazembe et un Barcelone-<br />
Real Madrid ou un<br />
Manchester United-Bayern<br />
de Munich, il n’y a pas<br />
photo pour le<br />
téléspectateur.<br />
En 2004, la Ligue des<br />
champions est élargie à<br />
soixante clubs. L’inflation<br />
des participants répond à<br />
des considérations<br />
clientélistes. Elle ne stimule<br />
pas l’intérêt sportif de la<br />
compétition et ne favorise<br />
pas la qualité du jeu. Elle<br />
profite en premier lieu aux<br />
plus riches: les clubs nordafricains.<br />
Les autres,<br />
paupérisés, y font de la<br />
figuration et disputent des<br />
championnats nationaux<br />
qui ne font pas recette.<br />
Avec l’exode des talents, la<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
Coupe d’Afrique des<br />
nations est devenue la<br />
Coupe de football… afroeuropéen,<br />
la compétition<br />
des expatriés. Quelque<br />
90 % des joueurs qui<br />
participent au tournoi final<br />
sont des professionnels<br />
employés par des clubs<br />
européens. À l’appel de<br />
leurs fédérations nationales<br />
d’origine, ils se regroupent<br />
à quelques jours des matchs<br />
internationaux et se<br />
préparent en Europe,<br />
souvent sous la conduite<br />
d’entraîneurs… européens.<br />
Ils jouent pour le passeport<br />
et permettent aux<br />
fédérations de leurs pays,<br />
SEULES LES TÉLÉVISIONS D’AFRIQUE<br />
DU NORD SATISFONT AU CAHIER DES CHARGES.<br />
D. R.<br />
qui ne les rétribuent pas,<br />
d’engranger des recettes.<br />
La présence d’Afro-<br />
Européens à la Coupe<br />
d’Afrique des nations<br />
assure à la Caf une<br />
commercialisation juteuse<br />
de la compétition. Notons<br />
aussi que, ne retrouvant pas<br />
chez eux le même<br />
environnement sportif,<br />
technique et humain que<br />
dans leurs clubs, les<br />
« expats » ne fournissent<br />
qu’un rendement bien<br />
inférieur à leurs capacités.<br />
Comme en témoignent,<br />
depuis 1998, leurs<br />
performances en Coupe du<br />
monde. En 2010, avec six<br />
représentants à la phase<br />
finale, seule une équipe –<br />
celle du Ghana – a franchi<br />
deux tours. Vingt ans<br />
auparavant, le Cameroun<br />
avait réussi le même<br />
exploit. Avec l’Égypte, il<br />
était le deuxième<br />
ambassadeur du football<br />
africain au Mondial italien.<br />
Où est alors le « bon en<br />
avant »?<br />
◗ Un vœu pieux...<br />
En 2008, Issa Hayatou a<br />
consenti à lancer un<br />
championnat d’Afrique<br />
pour les joueurs non<br />
expatriés. La première<br />
édition eut lieu en 2009, en<br />
Côte d’Ivoire, et de la<br />
deuxième deux ans plus<br />
tard, au Soudan. Entretemps,<br />
clientélisme oblige,<br />
le président de la Caf a<br />
porté le nombre des<br />
finalistes de huit à seize.<br />
Son erreur fut aussi de<br />
refuser d’impliquer les<br />
Unions régionales de<br />
l’organisation de la<br />
compétition. Tout comme il<br />
aura perturbé les tournois<br />
que celles-ci organisent<br />
chaque année.<br />
Sa Majesté Hayatou VII<br />
affirme: « Dans vingt ou<br />
trente ans, l’Afrique sera<br />
sortie de l’ornière et son<br />
football poursuivra son<br />
ascension vers les<br />
sommets. » Amen. ■<br />
97
98<br />
Je ne sais pas pourquoi, mais mon petit<br />
doigt me dit que Seif el-Islam Kadhafi,<br />
le fils rescapé de l’ancien Guide libyen<br />
assassiné en octobre 2011, est en danger<br />
de mort subite. Après l’exécution extrajudiciaire<br />
de son père, on se souvient que le dirigeant<br />
russe Poutine, enquêteur post mortem, avait<br />
lancé : « Qui a donné l’ordre de tuer Kadhafi ? »,<br />
comme pour crier à la trahison des forces de<br />
l’Otan qui prétendaient faire la guerre en Libye<br />
pour autre chose. Si rien n’est fait, le fils du<br />
Guide sera lui aussi éliminé dans des circonstances<br />
troubles, et l’on reposera la même question<br />
à un sou : « Qui a donné l’ordre de tuer Seif<br />
el-Islam? »<br />
Alors que la terre est remplie d’organisations<br />
disant défendre les droits de l’homme, Seif el-Islam, après<br />
sa capture par une milice écumant la région, est détenu au<br />
secret depuis novembre 2011, quelque part à Zinten. Même<br />
la procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou<br />
Bensouda, semble avoir baissé les bras. Elle exigeait le<br />
transfert du fils Kadhafi à La Haye, la CPI estimant, à juste<br />
titre du reste, qu’il n’existait pas en Libye, un État désormais<br />
failli, aux mains de groupes islamo-tribaux prétendument<br />
révolutionnaires, de justice digne de ce nom. Les<br />
complaintes de dame Fatou sont restées au stade de jérémiades.<br />
Seif el-Islam sera jugé, de façon sommaire, à Tripoli,<br />
et rapidement pendu. Human Rights Watch, la FIDH,<br />
Amnesty International, le Parti socialiste français et tout le<br />
bazar droit-de-l’hommiste international pondront des communiqués<br />
au ton vaguement affligé pour « regretter » que<br />
les autorités de Tripoli aient été aussi peu civilisées sur ce<br />
dossier. Mais, en sourdine, beaucoup d’Occidentaux seront<br />
bien contents et sableront le champagne le jour de la pendaison<br />
de Seif. Et bon nombre de médias dominants se<br />
chargeront alors d’édulcorer cette violation des droits de<br />
l’homme, en faisant croire que ce play-boy aurait commis<br />
de graves crimes contre l’humanité. Les rappels de la malheureuse<br />
phrase de ce dernier prédisant des rivières de sang<br />
en Libye seront opportunément utiles.<br />
Le fils du Guide pendu, les vérités qu’il sait et a<br />
menacé à plusieurs reprises de dévoiler au sujet de nombreuses<br />
affaires encore floues, comme celle du financement<br />
de l’unique campagne présidentielle à ce jour de<br />
l’ex-président français Nicolas Sarkozy, seront étouffées,<br />
à jamais. Seif el-Islam sera pendu probablement cette<br />
année par ce qu’il en sait trop sur pas mal de dirigeants<br />
européens encore poste ou en retraite et leurs liens présumés<br />
avec Kadhafi.<br />
Avant que la propagande<br />
très révolutionnaire des<br />
islamistes libyens n’efface<br />
tout, rappelons ces paroles<br />
de Seif à la chaîne Euro-<br />
La dernière page<br />
Ils vont éliminer Seif el-Islam Kadhafi<br />
Par Valentin Mbougueng<br />
Président<br />
de la Ligue<br />
internationale des<br />
journalistes<br />
pour l’Afrique<br />
(Lijaf)<br />
LE FILS DU GUIDE PENDU,<br />
LES VÉRITÉS QU’IL SAIT SERONT ÉTOUFFÉES.<br />
Mai 2013 ● Afrique Asie<br />
D. R.<br />
news, en mars 2011 : « Tout d’abord, il faut que<br />
Sarkozy rende l’argent qu’il a accepté de la<br />
Libye pour financer sa campagne électorale.<br />
C’est nous qui avons financé sa campagne, et<br />
nous en avons la preuve. Nous sommes prêts à<br />
tout révéler. La première chose que l’on<br />
demande à ce clown, c’est de rendre l’argent au<br />
peuple libyen. Nous lui avons accordé une aide<br />
afin qu’il œuvre pour le peuple libyen, mais il<br />
nous a déçus. Rendez-nous notre argent ! Nous<br />
avons tous les détails, les comptes bancaires, les<br />
documents, et les opérations de transfert. Nous<br />
révélerons tout prochainement. » Avec de tels<br />
secrets, auxquels il faut ajouter ceux concernant<br />
des amis très intéressés, tels l’ancien premier<br />
ministre britannique Tony Blair et le DSK ita-<br />
lien Berlusconi, la demande pressante de Seif d’être jugé<br />
par la Cour pénale internationale ne pouvait prospérer.<br />
De la même façon qu’un espion français infiltré (à en<br />
croire l’enquête du Corriere della Sera du 29 septembre<br />
2012) avait déchargé son arme en plein front du<br />
Guide pour qu’il se taise à jamais, Seif sera lui aussi, mis<br />
hors d’état de parler de choses qui dérangent l’avenir des<br />
relations pétrolières entre la Libye post-Kadhafi et les États<br />
qui l’ont recolonisée via le CNT libyen. D’autres anciens<br />
dignitaires du régime Kadhafi seront également mis à mort<br />
après des parodies de justice. Ils seront pendus, officiellement,<br />
pour crimes contre l’humanité, crimes contre le<br />
peuple libyen, détournement de millions de dollars, etc. En<br />
réalité, Senoussi, ex-chef des services de renseignements,<br />
et Mahmoud al-Baghdadi seront exécutés parce qu’ils en<br />
savent trop sur des affaires qui embarrassent ceux qui prétendent<br />
avoir libéré la Libye.<br />
Dans un tel contexte où la cause des condamnés est<br />
depuis longtemps entendue, l’ouverture d’une information<br />
judiciaire en France contre Sarkozy dans le cadre du<br />
financement présumé de sa campagne électorale par l’argent<br />
de Kadhafi a quelque chose d’ubuesque et d’indécent.<br />
Pendant que l’on s’efforce, à Tripoli, de détruire<br />
toutes les pièces ramenant à ce dossier, à Paris, on gesticule<br />
et on fait semblant de vouloir faire éclater la vérité<br />
sur cette affaire. Il serait surprenant que la justice française<br />
boucle sa procédure avant la pendaison, à Tripoli,<br />
de tous les témoins gênants et autres porteurs de valises,<br />
ces « amis » d’hier devenus, subitement, des criminels<br />
contre l’humanité. Trois des fils Kadhafi ont déjà été<br />
sommairement exécutés. Seif en sera le quatrième. Mon<br />
petit doigt affirme qu’il ne sera pas le dernier. Le prochain<br />
sur la liste ? Saadi,<br />
réfugié au Niger, dans<br />
cette bande sahélienne où<br />
l’armée française a pris<br />
durablement ses quartiers.<br />
Pas de bon augure. ■
Cinquantenaire<br />
de l'Independance<br />
de l'Algérie<br />
62<br />
12<br />
1962 - 2012