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Marc Ronet, Texte d'Itzhak Goldberg, professeur en ... - Galerie Univer

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<strong>Marc</strong> <strong>Ronet</strong>,<br />

<strong>Texte</strong> d’Itzhak <strong>Goldberg</strong>, <strong>professeur</strong> <strong>en</strong> histoire de l'art à l'<strong>Univer</strong>sité Jean Monnet,<br />

Saint-­‐Eti<strong>en</strong>ne pour le catalogue de l’exposition 2012<br />

« F<strong>en</strong>être sur paysage »<br />

Rev<strong>en</strong>ir à l’œuvre de <strong>Marc</strong> <strong>Ronet</strong>, pour qui la connaît depuis longtemps, est une<br />

expéri<strong>en</strong>ce étrange. D’une part, <strong>en</strong> retrouvant les préoccupations de l’artiste, on se s<strong>en</strong>t<br />

un peu chez soi : des objets quotidi<strong>en</strong>s, des paysages imaginaires, le vide, les êtres <strong>en</strong><br />

passe de s’effacer, le tout transc<strong>en</strong>dé par la couleur… Mais, d’autre part, on remarque<br />

immédiatem<strong>en</strong>t que cette av<strong>en</strong>ture picturale, l<strong>en</strong>te et profonde, ne cesse d’évoluer,<br />

d’avancer à petits pas, de jouer sur les décalages, bref d’inv<strong>en</strong>ter. Voilà pourquoi il faut<br />

se méfier de ce qui semble familier dans la production plastique de <strong>Ronet</strong>. A comm<strong>en</strong>cer<br />

par le titre, sans doute trompeur, de cette réflexion sur les derniers travaux de l’artiste<br />

– F<strong>en</strong>être sur paysage. Trompeur ou pour le moins ambigu, car on s’att<strong>en</strong>d à suivre un<br />

regard qui, à travers cette ouverture dans le mur, décrit toute la richesse de la nature<br />

<strong>en</strong>vironnante. Et, de fait, <strong>Marc</strong> <strong>Ronet</strong> a souv<strong>en</strong>t peint des paysages, plus ou moins<br />

figuratifs, plus ou moins transformés <strong>en</strong> une matière colorée épaisse. Certes, sans<br />

aucune distinction « topologique », ses visions d’une forêt ou d’un sous-­‐bois lointains<br />

se limitai<strong>en</strong>t parfois à une branche « nue », sans feuilles, qui traverse la toile. Il n’<strong>en</strong><br />

reste pas moins que ces fragm<strong>en</strong>ts de nature, réels ou imaginés, ont été <strong>en</strong>cadrés par<br />

une « f<strong>en</strong>être » et mis <strong>en</strong> perspective.<br />

Cep<strong>en</strong>dant, depuis quelque temps, les images évolu<strong>en</strong>t. L’expression F<strong>en</strong>être sur<br />

paysage<br />

doit être prise littéralem<strong>en</strong>t, au pied de la lettre. Les rideaux s’étal<strong>en</strong>t sur la surface de<br />

la toile, de bord à bord ; la f<strong>en</strong>être se rapproche progressivem<strong>en</strong>t du sujet du tableau et<br />

finit par se confondre avec lui. Mieux <strong>en</strong>core, elle s’y substitue.<br />

On le sait, la f<strong>en</strong>être, ce topos pictural – sa théorisation par l’architecte Alberti remonte<br />

à la R<strong>en</strong>aissance : « le tableau est pour moi comme une f<strong>en</strong>être », pose-­‐t-­‐il <strong>en</strong> 1453 –<br />

est considéré comme une métaphore de la peinture. Frontière <strong>en</strong>tre le dedans et le<br />

dehors, la f<strong>en</strong>être est un poste d'observation privilégié de la réalité. Quand les artistes<br />

comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t à s’intéresser à l’univers physique qui les <strong>en</strong>toure, ils introduis<strong>en</strong>t dans les<br />

tableaux ce que l’on nomme la veduta, une ouverture au fond de la toile prolongeant le<br />

regard du spectateur, le plongeant littéralem<strong>en</strong>t dans un paysage verdoyant. En outre, la<br />

veduta est destinée à exciter l'imagination du spectateur, à lui rappeler que la scène ne<br />

se joue pas dans un lieu clos, mais sur un fond d'univers.<br />

Comme <strong>en</strong> littérature, la f<strong>en</strong>être <strong>en</strong> peinture marque souv<strong>en</strong>t le seuil d'une description.<br />

Elle situe la séparation <strong>en</strong>tre le monde intérieur – celui de l'auteur – et l’extérieur<br />

que découvre le lecteur. « C'est la séparation <strong>en</strong>tre le subjectif et l'objectif, le moi et<br />

le monde, <strong>en</strong>tre le créé et le donné – bref <strong>en</strong>tre la culture et la nature » 1. Toutefois, la<br />

peinture ne s’arrête jamais au simple acte de l’<strong>en</strong>registrem<strong>en</strong>t de la réalité.


Il serait naïf de p<strong>en</strong>ser la f<strong>en</strong>être comme une plaque photogénique sur laquelle<br />

s’imprimerait un reflet fidèle du monde. Jamais transposition, l’activité artistique est<br />

avant tout une<br />

transplantation. La métaphore d’Alberti est ainsi reprise de façon critique par Erwin<br />

Panofsky : « Comparer ainsi un tableau à une f<strong>en</strong>être, c'est attribuer à l'artiste, ou exiger<br />

de lui, une approche visuelle directe de la réalité »2. A partir de la fin du XIXe siècle, le<br />

rôle de la f<strong>en</strong>être change explicitem<strong>en</strong>t. Elle n'est plus un cadre neutre, un instrum<strong>en</strong>t<br />

de vision, elle devi<strong>en</strong>t l'objet même de la perception. Zola a décrit la transformation<br />

que fait subir la vitre à notre regard : « Si la f<strong>en</strong>être était libre, les objets placés au-­‐delà<br />

apparaîtrai<strong>en</strong>t dans leur réalité. Mais la f<strong>en</strong>être n'est pas libre, et ne saurait l'être. Les<br />

images doiv<strong>en</strong>t trouver un milieu, et ce milieu doit forcém<strong>en</strong>t les modifier, si pur et si<br />

transpar<strong>en</strong>t qu'il soit »3. La seule façon, selon l’écrivain, d'être le plus objectif possible,<br />

est d'abandonner le rêve de transpar<strong>en</strong>ce idéale et d'inclure ce filtre dans la description<br />

de la réalité.<br />

Retournons à l’œuvre de <strong>Marc</strong> <strong>Ronet</strong>. F<strong>en</strong>êtres, donc ? Les titres l’affirm<strong>en</strong>t. Il est vrai<br />

que, dans certaines de ses toiles, même s’il est pratiquem<strong>en</strong>t impossible de différ<strong>en</strong>cier<br />

le paysage et le rectangle de la toile, on peut <strong>en</strong>core deviner leur coexist<strong>en</strong>ce (Paysage<br />

à la terre brune, 2011). Le plus souv<strong>en</strong>t, toutefois, il faut parler de f<strong>en</strong>êtres aux volets<br />

clos, qui ne jou<strong>en</strong>t plus leur rôle de prisme réfractant les rayons de lumière. Clairem<strong>en</strong>t,<br />

chez l’artiste, cet objet n’est pas investi du rôle de passeur, d’échangeur <strong>en</strong>tre le dehors<br />

et le dedans. Il ne s’agit même plus de brouiller les limites <strong>en</strong>tre les différ<strong>en</strong>ts espaces<br />

suggérés ou, à l’instar de Matisse, de prolonger l’espace de l’atelier vers le monde<br />

<strong>en</strong>vironnant. Tourner la f<strong>en</strong>être vers l’intérieur, oblitérer l’extérieur, comme le fait<br />

<strong>Ronet</strong>, est une façon de convier le regard à pénétrer à l’intérieur de la peinture même.<br />

Plus qu’une f<strong>en</strong>être, il s’agit donc d’une surface de projection m<strong>en</strong>tale ou d’un support de<br />

méditation.<br />

Etrangem<strong>en</strong>t, ces rectangles r<strong>en</strong>dus opaques, ni reflets, ni miroirs, rappell<strong>en</strong>t d’autres<br />

configurations avec leurs couches de couleurs superposées : les œuvres de Rothko,<br />

ces paysages sans ligne d'horizon – surtout celles de la dernière période du peintre<br />

américain où, systématiquem<strong>en</strong>t, les toiles sont partagées <strong>en</strong> deux rectangles gris-­‐noirs<br />

et font p<strong>en</strong>ser à des f<strong>en</strong>êtres aux stores abaissés. Cette comparaison <strong>en</strong>tre les travaux de<br />

<strong>Ronet</strong> et la production de Rothko, assimilée à une abstraction radicale, est-­‐elle risquée ?<br />

Paradoxalem<strong>en</strong>t, les deux peintres ont une approche presque semblable de la création.<br />

Rothko déclare : « Il n'existe pas de bonne peinture qui parle de ri<strong>en</strong>. Le sujet est<br />

ess<strong>en</strong>tiel ». Et <strong>Ronet</strong> : « C’est la matière picturale qui va faire exister le sujet » ; « l’objet<br />

est resté prés<strong>en</strong>t ». De même, face à ces deux œuvres, le spectateur est progressivem<strong>en</strong>t<br />

saisi d’un s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t de spiritualité indéterminée.<br />

Certes, la manière de donner corps au « sujet » de la peinture pr<strong>en</strong>d des allures<br />

bi<strong>en</strong> différ<strong>en</strong>tes avec les deux artistes. Rothko évacue de ses tableaux tout signe<br />

calligraphique ou tout contour dessiné, afin de les organiser à l'aide de surfaces<br />

colorées ; les toiles se transform<strong>en</strong>t <strong>en</strong> un mur de couleur stratifiée, qui vibre et s'ét<strong>en</strong>d<br />

partout, captivant le spectateur par son effet hypnotique.


Les œuvres de <strong>Ronet</strong>, même si elles défont la trame des formes, au mom<strong>en</strong>t où elles les<br />

suscit<strong>en</strong>t, se plac<strong>en</strong>t dans un <strong>en</strong>tre-­‐deux – <strong>en</strong>tre le lisible et le suggéré, le montré et le<br />

voilé. Voilé, car ces f<strong>en</strong>êtres sont partiellem<strong>en</strong>t recouvertes par des rideaux. Cep<strong>en</strong>dant,<br />

à l’<strong>en</strong>contre des tissus fins et délicats habituels, ceux utilisées par l’artiste, accrochés<br />

négligemm<strong>en</strong>t à leur support, sont d’une matière épaisse et informe. Parfois même,<br />

comme pour garantir l’opacité,<br />

l’artiste fait appel à un double rideau (F<strong>en</strong>être bleue avec rideau devant et rideau<br />

derrière, 2011). Voiles non transpar<strong>en</strong>ts, volets clos, f<strong>en</strong>êtres « aveugles » : tout semble<br />

participer à un effort contre la visibilité et la transpar<strong>en</strong>ce.<br />

Ainsi, chez <strong>Ronet</strong>, l’univers se rétrécit, car le peintre n’a pas besoin de grands espaces ;<br />

le voyage dans lequel il s’embarque est Autour de sa chambre. Cette attitude n’est pas<br />

nouvelle, car avant la série des F<strong>en</strong>êtres, ce sont les tables qui ont été la matrice de sa<br />

production plastique ; objets anodins qui meubl<strong>en</strong>t l’intérieur et qui sont dev<strong>en</strong>us un<br />

socle, plus ou moins stable, sur lequel la peinture pr<strong>en</strong>d corps. Mais, à la différ<strong>en</strong>ce des<br />

tables, qui rest<strong>en</strong>t le sujet dans ses tableaux, les f<strong>en</strong>êtres sembl<strong>en</strong>t moins un sujet qu’un<br />

support matériel sur lequel l’artiste « accroche » ses images. Un rideau comme un jardin<br />

est le titre parlant d’une de ses œuvres.<br />

Dans cette mise <strong>en</strong> abyme, les autres titres sont : F<strong>en</strong>être à rideau violet, F<strong>en</strong>être à<br />

rideau<br />

jaune, F<strong>en</strong>être à rideau à la tache bleue, F<strong>en</strong>être à rideau sombre… Manifestem<strong>en</strong>t, c’est<br />

sur cette part variable que <strong>Ronet</strong> conc<strong>en</strong>tre sa recherche chromatique ou <strong>en</strong>core qu’il<br />

interroge le rapport <strong>en</strong>tre la figure et le fond, <strong>en</strong>tre le volume et la surface. Accroché ou<br />

étalé, froissé ou étiré, t<strong>en</strong>du ou plié, collé à la vitre ou écarté, le rideau se modifie sans<br />

cesse. Pour autant, il serait réducteur de limiter la lecture de ces travaux uniquem<strong>en</strong>t<br />

à leur aspect formel, aussi riche soit-­‐il. L’importance que pr<strong>en</strong>d le rideau dans l’œuvre<br />

réc<strong>en</strong>te de <strong>Ronet</strong> fait qu’un regard nourri par la culture occid<strong>en</strong>tale, et plus <strong>en</strong>core celui<br />

d’un histori<strong>en</strong> d’art, ne peut éviter le soupçon qu’il puisse s’agir d’autre chose que d’une<br />

simple étoffe. Impossible ainsi de ne pas songer à cette fameuse icône qu’est le voile de<br />

Véronique, tel qu’on le voit souv<strong>en</strong>t reproduit au fil des siècles.<br />

Ent<strong>en</strong>dons-­‐nous bi<strong>en</strong>, nous ne suggérerons pas que ces variations sont des versions<br />

actualisées de ce vieux thème de l’iconographie chréti<strong>en</strong>ne. Moins <strong>en</strong>core que l’œuvre<br />

de <strong>Ronet</strong> a des acc<strong>en</strong>ts religieux. On a plutôt affaire au sacré laïque – le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t<br />

qui nous saisit face à une création qui nous touche au plus profond de nous même.<br />

Toutefois, si cette association s’impose, c’est que l’analogie est frappante <strong>en</strong>tre le<br />

lég<strong>en</strong>daire morceau de linge sur lequel s’imprime le visage de Dieu et le rideau (toujours<br />

un seul). Dans un cas comme dans l’autre, le voile et le rideau ne sont pas de simples<br />

supports (comme l’est la toile), mais ils acquièr<strong>en</strong>t leur propre prés<strong>en</strong>ce plastique.<br />

L’ess<strong>en</strong>tiel de cette analogie est le statut particulier de l’icône qui permet de mieux<br />

compr<strong>en</strong>dre le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t du spectateur face aux œuvres de <strong>Ronet</strong>. De fait, l’icône, et<br />

surtout celle de la Sainte Face, n’est pas une image ordinaire. Sans <strong>en</strong>trer dans le débat<br />

théologique qui l’interroge depuis des siècles, cette image miraculeuse est <strong>en</strong> même<br />

temps une « représ<strong>en</strong>tation » impossible puisqu'elle t<strong>en</strong>te de capter l'invisible ou même<br />

ce qu'il est interdit de voir dans ce monde. En vérité, à la différ<strong>en</strong>ce de la métaphore<br />

classique, l’icône est une f<strong>en</strong>être, mais une f<strong>en</strong>être ouvrant sur l'autre monde.


Peut-­‐on éviter le rapprochem<strong>en</strong>t avec les F<strong>en</strong>êtres à rideau, ces fausses traversées qui<br />

ne mèn<strong>en</strong>t nulle part et laiss<strong>en</strong>t le regard <strong>en</strong> susp<strong>en</strong>s ? Ne pourrait-­‐on dire qu’elles sont<br />

comme les icônes qui nous troubl<strong>en</strong>t par leur aspect énigmatique ; des images certes,<br />

mais plus <strong>en</strong>core un dispositif s<strong>en</strong>sible pour la contemplation ?<br />

Contemplation du sacré – dans le s<strong>en</strong>s métaphysique de ce qui est le mieux incarné<br />

par le vide. Ainsi, pour le philosophe George Steiner, le sacré, quelle que soit sa forme,<br />

n’est jamais abs<strong>en</strong>t d’une œuvre artistique, car « cette question peut être explicite ou<br />

implicite : dans tout ce qui porte sur le vide, sur le noir du noir, l'abs<strong>en</strong>ce de Dieu est<br />

fortem<strong>en</strong>t ress<strong>en</strong>tie, il y a un poids de l'abs<strong>en</strong>ce ». Pour repr<strong>en</strong>dre la belle définition<br />

de Marie-­‐José Mondzain : « l’icône ne comble aucun vide. Elle a pour mission de le<br />

maint<strong>en</strong>ir »4.<br />

C’est cette conception du vide qui fascine <strong>Marc</strong> <strong>Ronet</strong>. Elle trouve son expression un peu<br />

partout, parfois d’une manière inatt<strong>en</strong>due, étrangem<strong>en</strong>t « accompagnée ».<br />

Curieusem<strong>en</strong>t,<br />

<strong>en</strong> même temps que le peintre réalise ses « rideaux-­‐voiles » il fait appel à une autre<br />

matière<br />

souple – celle des chiffons. Le sujet n’est pas nouveau, car il l’a déjà employé <strong>en</strong> 1964<br />

(Nature morte au chiffon) ou <strong>en</strong> 1997 (Chiffon). Ici, toutefois, les chiffons sont isolés<br />

dans<br />

des réceptacles dont on ignore la nature exacte – une caisse, une pièce, un atelier ? –<br />

nommés Lieux. Ces objets d’une trivialité extrême, à mille lieux du prestige de l’icône,<br />

se voi<strong>en</strong>t pourtant <strong>en</strong>tourés d’une aura impressionnante quand ils sont plongés dans<br />

le vide. Il suffit de comparer Chiffon susp<strong>en</strong>du dans un lieu brun à Grande f<strong>en</strong>être à<br />

rideau jaune, afin de constater qu’un effet semblable se dégage de chacune de ses<br />

œuvres. Comm<strong>en</strong>t ne pas p<strong>en</strong>ser à la fameuse phrase de Pascal : « Quelle vanité que<br />

la peinture, qui attire l'admiration par la ressemblance des choses dont on n'admire<br />

point les originaux »5 ? Miracle de la peinture, par laquelle <strong>Ronet</strong> parvi<strong>en</strong>t à donner une<br />

forme picturale à ce qui paraît irreprés<strong>en</strong>table, qui investit chaque objet avec la même<br />

int<strong>en</strong>sité, pour le transc<strong>en</strong>der.<br />

Toutefois, si les chiffons exerc<strong>en</strong>t une telle fascination sur le spectateur, c’est égalem<strong>en</strong>t<br />

par les métamorphoses que le peintre leur fait subir. Malléables, ils se transform<strong>en</strong>t<br />

dans chaque tableau ; un tas affaissé avec Chiffon <strong>en</strong> tas dans un lieu ou <strong>en</strong>core une<br />

forme indéfinissable et organique, <strong>en</strong> formation (une pâte <strong>en</strong> mi-­‐cuisson qui monte,<br />

un corps ouvert qui gonfle ?) avec Grand chiffon blanc dans un lieu. Sans parler d’une<br />

évolution programmée, on a l’impression que le peintre continue d’explorer les<br />

frontières incertaines <strong>en</strong>tre les g<strong>en</strong>res (nature morte et figure humaines), <strong>en</strong>tre l’animé<br />

et l’inanimé. On ne peut pas s’empêcher de s<strong>en</strong>tir une forme d’inquiétude face à cette<br />

matière inerte à laquelle le peintre donne une appar<strong>en</strong>ce qui s’approche de l’informe,<br />

comme s’il remontait aux origines de la création.<br />

Nature morte, paysage… la figure humaine reste-­‐t-­‐elle abs<strong>en</strong>te de l’univers de <strong>Marc</strong><br />

<strong>Ronet</strong> ? Apparemm<strong>en</strong>t oui, à une exception près : celui d’une fillette dont l’effigie<br />

s’évanouit l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t ; Nénette, l’<strong>en</strong>fant de <strong>Marc</strong> <strong>Ronet</strong>. Pudeur oblige, cet épisode<br />

tragique de la vie du peintre ne sera pas évoqué ici.


On dira seulem<strong>en</strong>t qu’avec ces images, plus qu’ailleurs, l’exist<strong>en</strong>ce empiète sur la<br />

création. Mais là <strong>en</strong>core les choses chang<strong>en</strong>t. Dans le passé, ce « portrait » qui s’étiolait<br />

r<strong>en</strong>voyait directem<strong>en</strong>t à la personne représ<strong>en</strong>tée grâce au titre (Nénette, 1971).<br />

Récemm<strong>en</strong>t, une autre adolesc<strong>en</strong>te la remplace, l’<strong>en</strong>fant devi<strong>en</strong>t l’Infante. Partant du<br />

chef d’œuvre de Velázquez, Les Ménines, <strong>Ronet</strong> extrait ce personnage qui, chez lui,<br />

remplit toute la surface de la toile.<br />

Admiration pour le grand peintre espagnol, figure titulaire artistique ? Sans doute.<br />

Mais probablem<strong>en</strong>t aussi le déplacem<strong>en</strong>t, au s<strong>en</strong>s freudi<strong>en</strong> de ce terme, d’un souv<strong>en</strong>ir<br />

trop douloureux qui le hante. Rappelons-­‐nous la composition du tableau de Velázquez.<br />

Au fond d’une pièce imm<strong>en</strong>se et vide, sur le seuil d’une porte, une sombre silhouette<br />

masculine (une ombre ?) quitte probablem<strong>en</strong>t la scène. Sur le mur situé derrière, on<br />

devine deux portraits : probablem<strong>en</strong>t le roi et la reine, par<strong>en</strong>ts abs<strong>en</strong>ts. Au premier<br />

plan, à côté de l’héritière du trône, face à une toile dont on ne voit que le revers, se ti<strong>en</strong>t<br />

le peintre, véritable maître du lieu. Chez <strong>Ronet</strong>, dans la première de trois toiles qui<br />

form<strong>en</strong>t sa série, La Ménine blonde (2011), l’Infante repr<strong>en</strong>d pratiquem<strong>en</strong>t les mêmes<br />

traits que ceux peints par Velázquez. Avec la seconde, Ménine ocre barrée, tout change.<br />

La jeune fille, au visage totalem<strong>en</strong>t effacé, est barrée d’une croix ou d’un X. Un détail, le<br />

personnage du fond, dont ne subsiste qu’une trace, est égalem<strong>en</strong>t biffé d’une croix.<br />

Avec la dernière, Grande croix carminée et jaune, tout disparaît ; il ne reste qu’un lieu<br />

– <strong>en</strong> est-­‐ce un ? – <strong>en</strong>veloppé d’un brouillard aux tonalités rouges, brunes et jaunes. Un<br />

lieu sans accès possible, car l’<strong>en</strong>trée est fermée par une croix. Série ou plutôt séqu<strong>en</strong>ce,<br />

car l’effacem<strong>en</strong>t progressif semble introduire la notion de temporalité. Effacem<strong>en</strong>t qui<br />

aboutit, comme souv<strong>en</strong>t chez <strong>Ronet</strong>, au s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t du vide. Sauf qu’on le situerait ici du<br />

côté du néant ou de l’abs<strong>en</strong>ce.<br />

On pourrait longtemps gloser sur la disparition programmée de cette figure de<br />

substitution qu’est la Ménine. On pourrait aussi s’interroger sur la dissolution de la<br />

figure du fond. On pourrait <strong>en</strong>fin questionner l’inévitable télescopage <strong>en</strong>tre le père,<br />

abs<strong>en</strong>t de l’image, et l’artiste qui y est partout. Mais on s’arrêtera là, car il y a des<br />

mom<strong>en</strong>ts où l’histori<strong>en</strong> d’art doit savoir s’effacer à son tour.<br />

1. Pierre Schneider, Matisse, Paris, Flammarion, 1992, p. 448.<br />

2. Erwin Panofsky, La R<strong>en</strong>aissance et ses avant-­‐courriers dans l’art d’Occid<strong>en</strong>t, Paris,<br />

Flammarion, 1976,<br />

p. 123.<br />

3. Émile Zola, Lettre à Valabrègue, 18 août 1864.<br />

4. Marie-­‐José Mondzain, “Visage du Christ, forme de l’église” in Du visage, textes réunis<br />

par M.-­‐J. Baudinet,<br />

Ch. Schlatter, Lille, 1982, p. 188.<br />

5. Pascal, P<strong>en</strong>sées, édition établie par Ernest Havet, Paris, Dezobry et E. Magdeleine,<br />

1852, p. 114, § 31.<br />

<strong>Galerie</strong> <strong>Univer</strong> / Colette Colla<br />

6, cité de l'Ameublem<strong>en</strong>t, 75011 Paris<br />

tél : 01 43 67 00 67 - uni- ver@orange.fr

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