Actes des JERF sur la vie associative (application/pdf - 820.04ko)
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Journées d’étude <strong>des</strong> responsables<br />
fédéraux <strong>sur</strong> <strong>la</strong> <strong>vie</strong> <strong>associative</strong><br />
1 er au 3 février 2012<br />
Les actes<br />
plénières & ateliers
<strong>Actes</strong> <strong>des</strong> journées d’étude<br />
<strong>des</strong> responsables fédéraux (<strong>JERF</strong>)<br />
consacrées à <strong>la</strong> <strong>vie</strong> <strong>associative</strong><br />
Les <strong>JERF</strong> se sont tenues<br />
les 4 et 5 février 2012 à Paris.<br />
Organisées chaque année, les <strong>JERF</strong><br />
proposent un temps de réflexion et de<br />
mobilisation du réseau de <strong>la</strong> Ligue de<br />
l’enseignement autour d’une question<br />
structurante, en vue de l’é<strong>la</strong>boration<br />
d’une orientation stratégique.<br />
Ces actes présentent les<br />
communications d’intervenants<br />
extérieurs et <strong>la</strong> synthèse <strong>des</strong> ateliers<br />
organisés durant les <strong>JERF</strong>.<br />
Les actes : février 2012<br />
3
SOMMAIRE<br />
Introduction 3<br />
par Nadia Bel<strong>la</strong>oui<br />
Plénière 1 9<br />
Panorama du paysage associatif français et <strong>des</strong> gran<strong>des</strong><br />
tendances en matière de bénévo<strong>la</strong>t, de financement<br />
et d’emploi associatif<br />
Plénière 2 23<br />
Concurrence, performance et commande publique :<br />
les associations face aux mutations institutionnelles.<br />
L’initiative <strong>associative</strong> est-elle condamnée ?<br />
Plénière 3 39<br />
L’engagement contemporain : les raisons d’agir et le sens<br />
<strong>des</strong> mutations<br />
Plénière 4 47<br />
Professionnalisation, quête de performance :<br />
le modèle de l’entreprise s’impose-t-il aux bénévoles,<br />
aux sa<strong>la</strong>riés et aux volontaires <strong>des</strong> associations ? »<br />
Plénière 5 61<br />
Éducation popu<strong>la</strong>ire et <strong>vie</strong> <strong>associative</strong> au XXI e siècle :<br />
refondation, adaptation ou… fin de l’histoire ?<br />
Synthèse <strong>des</strong> ateliers 83<br />
Bibliographie 99<br />
4 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
Introduction<br />
Toutes les enquêtes d’opinion le montrent, les associations sont<br />
plébiscitées et considérées par nos concitoyens comme <strong>des</strong> recours<br />
face à <strong>la</strong> crise. Pourtant, malgré quelques fulgurances et <strong>des</strong> années de<br />
construction patiente d’une représentation nationale et européenne, les<br />
associations ne par<strong>vie</strong>nnent pas à s’imposer comme un acteur à part<br />
entière de <strong>la</strong> décision publique et pas davantage comme un acteur spécifique<br />
de <strong>la</strong> scène économique. Pourtant, alors que notre société connaît<br />
<strong>des</strong> transformations profon<strong>des</strong>, les associations paraissent les subir au<br />
lieu de les anticiper voire de les provoquer.<br />
L’enjeu <strong>des</strong> journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux de <strong>la</strong> Ligue<br />
de l’enseignement, dont vous découvrez les actes, était de se donner<br />
collectivement du pouvoir d’agir <strong>sur</strong> les transformations en cours, pour<br />
rompre avec un certain climat de fatalisme.<br />
La première question qui se pose alors est de savoir s’il y a vraiment<br />
un <strong>des</strong>tin commun entre <strong>la</strong> « petite association de membres », « l’association<br />
militante » et l’association du « modèle gestionnaire ». Sans<br />
doute l’existence d’associations appartenant au « modèle mixte », pour<br />
reprendre <strong>la</strong> terminologie complète de Viviane Tchernonog (voir p. 9),<br />
fournit une première réponse. Mais il est sans doute utile de rappeler <strong>sur</strong>tout<br />
que faute de <strong>des</strong>tin commun, l’ambition démocratique du « monde<br />
associatif » organisé a vécu. Le plébiscite de l’association cache mal, en<br />
effet, une conception instrumentale, qui n’est pas incompatible avec une<br />
puissance publique réduite au minimum, mobilisant une « sous fonction<br />
publique » contenue dans <strong>la</strong> mise en œuvre. Or, ce qui fait le lien entre<br />
les petites et les gran<strong>des</strong> associations, les fédérées et les isolées, c’est<br />
bien une conception de l’action publique qui prévoit l’action citoyenne,<br />
l’idée que <strong>la</strong> société civile peut/doit s’auto-organiser pour répondre à<br />
ses besoins, sociaux, économiques et démocratiques, quelle que soit<br />
<strong>la</strong> délégation qu’elle accorde, par ailleurs, à ses élus pour conduire les<br />
affaires publiques.<br />
Concurrence, performance et reporting : <strong>la</strong> nouvelle donne du « new<br />
public management » (voir p. 27) rend d’autant plus essentielle l’expression<br />
d’une vision alternative de ce que peut être une action publique<br />
forte, façonnée par les réalités territoriales, et concertée. S’il est évident<br />
que l’évaluation <strong>des</strong> politiques comme <strong>la</strong> plus grande transparence <strong>des</strong><br />
fonds publics sont essentielles, elles ne sont pas incompatibles avec<br />
Les actes : février 2012<br />
5
une <strong>vie</strong> <strong>associative</strong> dotée d’une vraie capacité d’initiative, d’innovation<br />
sociale et formu<strong>la</strong>nt une critique constructive <strong>des</strong> politiques publiques.<br />
S’il est une certitude qui traverse nos travaux, c’est bien l’urgence<br />
d’une nouvelle alliance entre pouvoirs publics et associations fondées<br />
<strong>sur</strong> une conception, que l’on pourrait attribuer à Pierre Rosanvallon,<br />
d’une démocratie de <strong>la</strong> délibération, qui va au-delà de l’autorisation<br />
donnée par une majorité électorale à un groupe pour agir et qui suppose<br />
<strong>des</strong> corps intermédiaires – dont les associations- capables d’activer <strong>la</strong><br />
démocratie, entre deux élections, de façon permanente.<br />
É<strong>la</strong>rgissant <strong>la</strong> problématique initiale de l’importation du modèle de<br />
l’entreprise capitalistisque dans les associations (voir p. 47), l’horizon<br />
d’une socio-économie plurielle, développée par Jean-Louis Laville,<br />
fondée <strong>sur</strong> une pluralité d’acteurs et de principes (<strong>la</strong> redistribution, <strong>la</strong><br />
réciprocité et <strong>la</strong> domesticité), bien au-delà de <strong>la</strong> seule loi du marché, aura<br />
marqué aussi ces journées d’étude.<br />
Approfondissant <strong>la</strong> critique du réductionnisme économique en cours,<br />
Patrick Viveret a réitéré l’urgence de « reconsidérer <strong>la</strong> richesse » et a proposé<br />
<strong>la</strong> création d’une procédure d’alerte pour contrer le risque de « dépôt<br />
de bi<strong>la</strong>n écologique et social » comme il en existe pour le risque financier.<br />
Il a rappelé combien l’enjeu de <strong>la</strong> formation, comprise comme un « accompagnement<br />
vers le meilleur de soi-même », était central (voir p. 61).<br />
Encore faut-il que les associations, et les mouvements d’éducation<br />
popu<strong>la</strong>ire en particulier, continuent de fabriquer de <strong>la</strong> connaissance et de<br />
l’engagement. S’il est indispensable de rappeler combien le bénévo<strong>la</strong>t se<br />
porte bien dans notre pays, il est tout aussi nécessaire de prendre acte<br />
de <strong>la</strong> (nouvelle ?) donne de l’engagement (voir p. 39) : les hommes et les<br />
femmes ne s’effacent plus derrière les militants ; si le pacte associatif est<br />
fondé <strong>sur</strong> <strong>des</strong> valeurs, elles doivent se vivre dans les faits. Les institutions<br />
<strong>associative</strong>s héritières d’une époque où les idéologies et les appartenances<br />
politiques et confessionnelles étaient beaucoup plus structurantes<br />
ont d’autant plus d’efforts à fournir pour répondre à ces évolutions<br />
qu’elles ont aussi connu le grand tournant de <strong>la</strong> professionnalisation.<br />
Comment rendre compte de <strong>la</strong> vivacité du sens derrière l’action quand<br />
les impératifs de l’agir rendent difficiles le débat <strong>sur</strong> sa pertinence ?<br />
Comment <strong>la</strong>isser s’épanouir une certaine culture de l’indignation voire<br />
de <strong>la</strong> transgression quand <strong>la</strong> confiance <strong>des</strong> pouvoirs publics est fondée<br />
<strong>sur</strong> une certaine respectabilité ? Comment transformer l’indignation en<br />
engagement <strong>sur</strong> <strong>la</strong> durée pour <strong>des</strong> causes pas toujours médiatiques ?<br />
6 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
Les participants aux journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux<br />
ne se seront pas défilés. Ces actes rendent mal compte, en effet, de ce<br />
qui a été sans doute l’essentiel dans ces travaux : une certaine capacité<br />
à affronter nos propres faiblesses et contradictions. L’échange,<br />
en plénière, autour de <strong>la</strong> stratégie <strong>associative</strong> de notre Union régionale<br />
du Centre, a été très riche de ce point de vue : « Les dispositifs sont à<br />
considérer pour ce qu’ils produisent et non pour ce qu’ils sont », « nous<br />
avons besoin de formation politique et stratégique », « notre implication<br />
dans les collectifs consiste trop souvent à nous partager le gâteau »,<br />
« faire rentrer une personne dans un CA ne résout rien ; il faut faire rentrer<br />
<strong>des</strong> groupes, susceptibles de remettre en cause le fonctionnement de <strong>la</strong><br />
fédération », « ça prend du temps de trouver <strong>des</strong> opportunités », « nous<br />
devons avoir une re<strong>la</strong>tion différente aux politiques et rejeter le copinage ;<br />
on peut faire <strong>des</strong> coups avec <strong>des</strong> copains mais on ne fait pas de politique<br />
», « il nous faut rompre les rapports de domination vis-à-vis <strong>des</strong><br />
élus ». Autant de considérations courageuses et nécessaires si l’on veut<br />
véritablement prendre le risque de joindre l’acte à <strong>la</strong> parole.<br />
Nadia Bel<strong>la</strong>oui,<br />
secrétaire nationale chargée de <strong>la</strong> politique <strong>associative</strong><br />
Les actes : février 2012<br />
7
SéAnce plénière 1<br />
Panorama du paysage associatif français<br />
et <strong>des</strong> gran<strong>des</strong> tendances en matière de<br />
bénévo<strong>la</strong>t, de financement et d’emploi<br />
associatif<br />
Intervention de Viviane Tchernonog, chargée de recherche au CNRS<br />
Les financements <strong>des</strong> associations<br />
Jusqu’à une période récente, les budgets <strong>des</strong> associations étaient<br />
composés, à part re<strong>la</strong>tivement équivalente, de ressources privées et de<br />
ressources publiques.<br />
Les ressources privées sont composées, pour une grande partie<br />
(45 %), de <strong>la</strong> participation <strong>des</strong> usagers aux services rendus par l’association<br />
sous formes de cotisations, de ventes et, pour 5 %, du mécénat<br />
et <strong>des</strong> dons privés.<br />
Les financements publics ont <strong>des</strong> origines et <strong>des</strong> formes très différentes<br />
: Il s’agit, pour 20 %, de comman<strong>des</strong> publiques et pour 30 % de<br />
subventions publiques de toutes origines.<br />
Les deux premiers partenaires <strong>des</strong> associations sont l’État (entre 12<br />
et 15 % — chiffres 2005) et les communes. Ces deux collectivités sont<br />
généralistes, elles financent tous types d’associations.<br />
L’État ne finance schématiquement que les grosses associations.<br />
Les communes financent aussi les gran<strong>des</strong> et les moyennes, mais<br />
c’est aussi le seul partenaire <strong>des</strong> petites associations, et notamment de<br />
nombreuses associations d’Éducation Popu<strong>la</strong>ire.<br />
Les conseils généraux financent de façon importante les gran<strong>des</strong><br />
associations qui inter<strong>vie</strong>nnent dans le champ de l’action sociale, les<br />
conseils généraux étant chefs de file en matière d’action sociale.<br />
Les actes : février 2012<br />
9
Les conseils régionaux sont <strong>des</strong> partenaires financiers un peu en<br />
retrait ; ils financent essentiellement les secteurs de l’éducation et de <strong>la</strong><br />
formation, ce qui représente 3 à 4 % du financement du secteur associatif.<br />
Les conseils généraux financent une part importante <strong>des</strong> politiques<br />
d’action sociale.<br />
En 2005, les financements <strong>des</strong> conseils généraux représentent 1/10 e<br />
du budget total du secteur associatif. Ces gran<strong>des</strong> tendances vont durer<br />
jusqu’à <strong>la</strong> crise (2009-2010).<br />
Cette période (2005-2010) a connu une augmentation en volume <strong>des</strong><br />
financements publics, contrairement aux discours tenus <strong>sur</strong> leur raréfaction.<br />
Dans cette période, globalement, quelles que soient les formes et<br />
les origines, le financement public a continué de croître et à un rythme<br />
qui n’était pas négligeable de 1,8 % annuel, en volume, corrigé de l’inf<strong>la</strong>tion.<br />
C’est-à-dire, à un rythme assez proche de l’augmentation du PIB,<br />
donc de l’augmentation <strong>des</strong> richesses nationales. Même si les financements<br />
publics ont augmenté durant cette période, le secteur associatif<br />
a augmenté encore plus rapidement, en moyenne de 2,5 % par an. Ce<br />
qui signifie concrètement qu’il s’est appuyé <strong>sur</strong>tout <strong>sur</strong> <strong>des</strong> financements<br />
d’origine privée pour pouvoir as<strong>sur</strong>er son développement. Dans cette<br />
période, les financements privés ont augmenté deux fois plus rapidement<br />
que les financements publics : 3,5 % pour 1,8 %.<br />
Au-delà de cette augmentation globale, le secteur associatif a été<br />
chahuté par un certain nombre d’événements qui expliquent et alimentent<br />
les discours qui sont tenus. Dans cette période, on assiste à une<br />
baisse de plus en plus importante <strong>des</strong> financements de l’État et à une<br />
montée en charge <strong>des</strong> financements émanant <strong>des</strong> collectivités locales.<br />
La baisse <strong>des</strong> financements de l’État a plusieurs origines :<br />
• La décentralisation, qui contribue mécaniquement à atténuer le rôle<br />
de l’État et à augmenter le poids <strong>des</strong> collectivités locales, et a une<br />
incidence <strong>sur</strong> cette évolution.<br />
• Les déficits publics jouent un rôle dans <strong>la</strong> contraction croissante<br />
<strong>des</strong> financements de l’État en direction <strong>des</strong> associations.<br />
• Un changement de philosophie de l’État matérialisé par le rapport<br />
Lang<strong>la</strong>is 1 qui donne une certaine ligne de conduite de ce que<br />
devrait être le financement de l’État en direction <strong>des</strong> associations.<br />
1. « Pour un partenariat renouvelé entre l’État et les associations », 2008.<br />
10 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
Les formes d’interventions <strong>des</strong> pouvoirs publics<br />
Dans ses conclusions, le rapport Lang<strong>la</strong>is préconise d’en finir avec<br />
« <strong>la</strong> culture de <strong>la</strong> subvention » aux associations. Ce rapport va marquer,<br />
au niveau de l’État, un tournant. Même si l’on ne peut pas le me<strong>sur</strong>er<br />
aujourd’hui, j’espère que l’enquête en cours nous fournira <strong>des</strong> outils, le<br />
niveau <strong>des</strong> subventions a baissé et le niveau <strong>des</strong> comman<strong>des</strong> publiques<br />
a augmenté.<br />
À cette transformation de plus en plus rapide s’ajoute l’évolution <strong>des</strong><br />
réglementations au sens <strong>la</strong>rge du terme. Il y a le cadre réglementaire européen,<br />
les circu<strong>la</strong>ires fiscales et autres, qui peuvent générer <strong>des</strong> risques<br />
juridiques. Ce<strong>la</strong> amène de plus en plus les pouvoirs publics à recourir à un<br />
financement par le biais de petites comman<strong>des</strong> ou de petits appels d’offres.<br />
De ce point de vue, <strong>la</strong> montée en charge <strong>des</strong> collectivités locales dans<br />
le financement de <strong>la</strong> <strong>vie</strong> <strong>associative</strong> accélère beaucoup <strong>la</strong> transformation<br />
<strong>des</strong> subventions publiques. Il est c<strong>la</strong>ir que les acteurs locaux préfèrent,<br />
depuis un certain temps, <strong>la</strong>rgement cette forme de financement qui leur<br />
donne une plus grande visibilité au niveau local. Ce<strong>la</strong> donne à voir aux<br />
citoyens l’articu<strong>la</strong>tion <strong>des</strong> financements à <strong>des</strong> politiques publiques mises<br />
en p<strong>la</strong>ce localement. Tout ce<strong>la</strong> relève de <strong>la</strong> décentralisation. C’est un<br />
élément de <strong>la</strong> démocratie, même si c’est un élément un petit peu pervers.<br />
Les collectivités locales sont prises, beaucoup plus que ne l’était l’État,<br />
dans une logique d’actions à court terme, visibles. Les mandats sont de<br />
cinq ans. La première année, on fait un état <strong>des</strong> lieux, <strong>la</strong> dernière année,<br />
on prépare les élections, et en trois ans il faut faire et montrer les choses<br />
que l’on a faites et promises. Tout ce<strong>la</strong> accélère considérablement cette<br />
transformation.<br />
Toute une série d’importantes mutations jusqu’à <strong>la</strong> crise ont déjà<br />
fragilisé le secteur dans <strong>la</strong> période précédente. Dans un certain nombre<br />
d’associations très chahutées par ces changements, on assiste déjà à<br />
d’importantes restructurations : <strong>des</strong> disparitions, <strong>des</strong> fusions, <strong>des</strong> rapprochements,<br />
spontanés ou le couteau sous <strong>la</strong> gorge ou forcées par les<br />
pouvoirs publics.<br />
Le bénévo<strong>la</strong>t<br />
Il n’y a pas de crise du bénévo<strong>la</strong>t. Le travail bénévole connaît, au<br />
contraire, un rythme de croissance tout à fait considérable. Les différents<br />
travaux qui sont conduits auprès <strong>des</strong> associations permettent de<br />
conclure que le bénévo<strong>la</strong>t est en plein essor.<br />
Les actes : février 2012<br />
11
Les dernières données nous permettent de conclure aujourd’hui que<br />
32 % <strong>des</strong> français âgés de plus de 18 ans ont une activité bénévole, ce qui<br />
nous fait à peu près 16 millions de bénévoles ; on arrive, grosso modo, à un<br />
équivalent temps plein de plus de 1 million d’emplois, ce qui est tout à fait<br />
considérable. Pour autant, le travail bénévole connaît un certain nombre<br />
de difficultés qui explique les discours tenus <strong>sur</strong> <strong>la</strong> crise du bénévo<strong>la</strong>t. Si<br />
les bénévoles sont nombreux à vouloir s’engager, souvent ils ne disposent<br />
pas <strong>des</strong> qualifications qui sont nécessaires aux besoins <strong>des</strong> associations.<br />
Beaucoup de candidats au bénévo<strong>la</strong>t ne trouvent pas d’association prête<br />
à les accueillir. Le monde associatif s’est considérablement professionnalisé,<br />
et les associations ont besoin aujourd’hui de bénévoles de plus<br />
en plus qualifiés et formés. Ce besoin est particulièrement aigu en ce qui<br />
concerne les fonctions de dirigeants bénévoles.<br />
Notre dernière enquête avait tracé le profil de ces bénévoles, qui sont<br />
<strong>sur</strong>tout <strong>des</strong> hommes, <strong>des</strong> seniors issus <strong>des</strong> catégories sociales les plus<br />
qualifiées et les plus favorisées. Les associations demandent de plus en<br />
plus à leurs dirigeants d’avoir <strong>des</strong> compétences en matière de gestion,<br />
et en matière juridique et sociale et d’avoir aussi <strong>des</strong> réseaux, un carnet<br />
d’adresse, etc. Est-ce que l’on veut imposer <strong>la</strong> professionnalisation de<br />
l’association ?<br />
Autre difficulté : le comportement <strong>des</strong> bénévoles. Il est souvent reproché<br />
aux nouveaux bénévoles de « zapper ». On constate que le profil<br />
<strong>des</strong> bénévoles a changé depuis une dizaine d’années. Ils sont devenus<br />
beaucoup plus exigeants. Ils sont nombreux à souhaiter maîtriser leur<br />
parcours de bénévoles, à vouloir diversifier les expériences. Ils préfèrent<br />
souvent certains secteurs d’activités.<br />
Les jeunes préfèrent faire du bénévo<strong>la</strong>t dans <strong>la</strong> culture ou l’humanitaire<br />
et d’autres secteurs sont dé<strong>la</strong>issés. Les nouveaux bénévoles<br />
veulent avoir une prise <strong>sur</strong> le projet de l’association. Ils ne veulent pas<br />
être de simples exécutants, ce n’est plus du travail gratuit. Ils veulent<br />
aussi pouvoir infléchir un certain nombre d’actions de l’association. Dans<br />
les dernières années, au moment où l’on par<strong>la</strong>it de <strong>la</strong> crise du bénévo<strong>la</strong>t,<br />
les petites associations ont, sans aucun problème, pu mobiliser les<br />
bénévoles dont elles avaient besoin. Celles qui ont connu davantage de<br />
difficultés pour pouvoir trouver et mobiliser <strong>des</strong> bénévoles, ce sont les<br />
gran<strong>des</strong> associations dans lesquelles l’éloignement avec le projet associatif<br />
est plus grand. Autant d’évolutions que les associations n’arrivent<br />
pas à anticiper et n’ont peut-être pas forcément toujours intégrées.<br />
Aujourd’hui, il y a un niveau élevé et croissant d’engagement ; les dif-<br />
12 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
ficultés en matière de travail bénévole pro<strong>vie</strong>nnent <strong>sur</strong>tout, pour l’essentiel,<br />
<strong>des</strong> niveaux en formation et en qualification <strong>des</strong> bénévoles.<br />
L’emploi sa<strong>la</strong>rié<br />
Il y a beaucoup de choses à dire <strong>sur</strong> l’emploi sa<strong>la</strong>rié parce qu’il se<br />
dit aussi beaucoup de choses qui ne sont pas toujours très exactes.<br />
Le niveau de l’emploi sa<strong>la</strong>rié associatif dans notre pays est tout à fait<br />
considérable et sa croissance impressionnante. Dans un contexte de<br />
chômage, le secteur associatif continue à créer <strong>des</strong> emplois, au point<br />
qu’il est même devenu, au grand dam <strong>des</strong> associations, un outil <strong>des</strong><br />
politiques de l’emploi. Il est vrai que le secteur a une grande capacité à<br />
créer <strong>des</strong> emplois, mais n’oublions pas non plus, pour bien interpréter<br />
cette croissance, que le secteur associatif crée <strong>des</strong> emplois tertiaires,<br />
<strong>des</strong> emplois sociaux et quand l’économie perd <strong>des</strong> emplois souvent ce<br />
sont <strong>des</strong> emplois industriels, ceci explique un petit peu <strong>la</strong> croissance<br />
importante du secteur associatif, même si ça n’explique pas tout.<br />
Sur <strong>la</strong> question du volume, on utilise souvent le chiffre de 1,8 million<br />
de personnes sa<strong>la</strong>riées dans les associations pour expliquer l’importance<br />
du travail dans les associations. On utilise aussi ce chiffre pour faire le<br />
ratio du nombre d’emplois sa<strong>la</strong>riés au nombre d’emplois privés le plus<br />
souvent. C’est trompeur, car le secteur associatif emprunte <strong>des</strong> formes<br />
tout à fait particulières.<br />
D’abord, l’emploi associatif est caractérisé par énormément d’emplois<br />
à temps partiel dans de nombreuses associations, occasionnels<br />
ou saisonniers sans aucune comparaison avec les autres emplois du<br />
secteur privé. Il est marqué par <strong>la</strong> fonction d’insertion professionnelle <strong>des</strong><br />
associations. Plusieurs milliers d’emplois sont <strong>des</strong> emplois d’insertion, il<br />
s’agit donc de temps partiels, de Cdd, de contrats à court-terme, etc.<br />
Pour un certain nombre de postes de travail, l’emploi est une activité<br />
complémentaire à une activité principale. Par exemple, un prof de gym<br />
qui donne deux heures de cours de danse dans une association, sera<br />
compté parmi ces 1,8 million emplois.<br />
L’emploi sa<strong>la</strong>rié dans les associations est souvent un emploi plus<br />
formé et plus qualifié que <strong>la</strong> moyenne <strong>des</strong> emplois privés.<br />
Alors, 1,8 million de personnes… de bulletins de paye : oui, d’emplois<br />
: non. Abandonnons cette manière de compter les emplois qui<br />
nous amène à <strong>des</strong> contresens phénoménaux et qui gênent les associa-<br />
Les actes : février 2012<br />
13
tions dans leur stratégie de lutte face à <strong>la</strong> crise, face aux défis qu’elles<br />
rencontrent. Certains organismes dont l’Acoss (Agence centrale <strong>des</strong><br />
organismes de Sécurité sociale) ont dit que le secteur associatif résistait<br />
à <strong>la</strong> crise. Comment pouvait-il y résister si les financements baissent ?<br />
Vraisemb<strong>la</strong>blement, il s’est passé, à ce moment-là, une précarisation<br />
croissante <strong>des</strong> emplois sa<strong>la</strong>riés dans les associations et qui font que les<br />
CDI n’ont pas été remp<strong>la</strong>cés par <strong>des</strong> CDI, mais par une combinaison<br />
particulière de CDD, d’emploi de bénévoles, de stagiaires, etc. Ce<strong>la</strong><br />
explique que l’on compte le nombre d’emplois au nombre de personnes<br />
percevant un bulletin de sa<strong>la</strong>ire. Évacuons de nos têtes cette manière<br />
d’évaluer l’emploi.<br />
Aujourd’hui, <strong>la</strong> meilleure manière d’apprécier le volume et l’évolution<br />
de l’emploi sa<strong>la</strong>rié c’est de travailler <strong>sur</strong> <strong>la</strong> question de <strong>la</strong> masse sa<strong>la</strong>riale ;<br />
même si ce n’est pas pleinement satisfaisant, c’est l’indicateur qui permet<br />
le mieux de l’apprécier. On peut donc dire que l’emploi sa<strong>la</strong>rié, c’est<br />
5,5 % de <strong>la</strong> masse sa<strong>la</strong>riale globale privée et publique du pays et c’est<br />
sans doute, 6 à 6,5 % du volume de l’emploi privé (et pas 10, 12,14 %<br />
comme certains l’annoncent). Ce<strong>la</strong> suffit tout à fait pour montrer <strong>la</strong> visibilité<br />
du secteur en terme d’emplois.<br />
Autre aspect à prendre en compte pour l’emploi sa<strong>la</strong>rié, les besoins<br />
en qualification et le contexte de professionnalisation <strong>des</strong> associations.<br />
Les associations sont embarquées dans un mouvement de professionnalisation<br />
qui s’impose à elles, parce qu’elles ne vivent pas en vase clos.<br />
Leurs interventions sont devenues de plus en plus techniques. Elles ont<br />
besoin de plus en plus de qualification, parce qu’aujourd’hui on a davantage<br />
besoin qu’hier de gérer, de communiquer pour se faire connaître,<br />
pour les plus petites, et de compétences plus é<strong>la</strong>rgies, pour les plus<br />
gran<strong>des</strong>. Cette professionnalisation est aussi un moyen d’accéder à <strong>des</strong><br />
ressources, à <strong>des</strong> financements qui vont permettre de mettre en p<strong>la</strong>ce<br />
les projets. D’une façon générale, l’accès au financement nécessite <strong>des</strong><br />
qualifications. La professionnalisation de<strong>vie</strong>nt obligatoire parce que les<br />
normes, les réglementations sont de plus en plus précises et contraignantes,<br />
<strong>la</strong> société est davantage judiciarisée, etc.<br />
Face à une professionnalisation qui s’impose à elles, les associations<br />
éprouvent <strong>des</strong> difficultés à recruter les qualifications qui leurs<br />
sont nécessaires, pour un certain nombre de raisons, notamment parce<br />
qu’elles n’offrent pas les sa<strong>la</strong>ires qui sont nécessaires pour accéder à<br />
ces formations. Les associations manquent de ressources pour as<strong>sur</strong>er<br />
<strong>des</strong> financements comparables aux secteurs public ou privé, mais il y a<br />
14 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
aussi une certaine réticence culturelle en matière de rémunération. Que<br />
font les associations pour contourner cette difficulté ? Elles as<strong>sur</strong>ent<br />
elles-mêmes, dans un certain nombre de domaines, <strong>la</strong> formation de leurs<br />
sa<strong>la</strong>riés, ce qui génère pour elles, un certain coût. La rotation <strong>des</strong> sa<strong>la</strong>riés<br />
est très forte, car les sa<strong>la</strong>riés, une fois formés, font <strong>des</strong> passages assez<br />
courts dans les associations et vont vers le secteur privé qui offre <strong>des</strong><br />
rémunérations plus attrayantes ou vers un secteur public qui offre une<br />
stabilité de l’emploi plus grande. Cette rotation (turnover) est source de<br />
coûts et de difficultés chroniques pour les associations.<br />
L’augmentation du nombre <strong>des</strong> associations<br />
Grosso modo, il s’est créé dans <strong>la</strong> décennie, en moyenne annuellement,<br />
de 60 à 65 000 associations (chiffre <strong>des</strong> enregistrements en<br />
préfecture). Il y a une mortalité prénatale importante, mais aussi une<br />
mortalité périnatale ou postnatale, qui n’est pas négligeable et qui, au<br />
final, s’ajoute à un renouvellement normal du secteur ; un certain nombre<br />
d’associations disparaissent.<br />
Nous avions fait <strong>des</strong> calculs, dans <strong>la</strong> précédente enquête, pour tenter<br />
de repérer le nombre d’associations supplémentaires que le secteur<br />
comptait chaque année. L’estimation assez basse par rapport à ces<br />
soixante-cinq mille enregistrements qui ne correspondent pas toujours à<br />
<strong>des</strong> réalités ; le secteur s’enrichit chaque année de 37 000 associations<br />
supplémentaires. Ce<strong>la</strong> ne parait pas beaucoup, mais 37 000 associations<br />
supplémentaires, c’est une croissance moyenne de 4 à 4,5 % et c’est<br />
supérieur à tous les ratios d’évolution de croissance <strong>des</strong> financements<br />
publics et privés. Ce<strong>la</strong> explique le fait que les associations ont exprimé<br />
un sentiment croissant de raréfaction <strong>des</strong> ressources.<br />
L’impact de <strong>la</strong> crise<br />
La crise de 2009 et plus généralement l’état de récession dans lequel<br />
se trouve le pays (crise de <strong>la</strong> dette etc.), accélère toutes les tendances<br />
que nous avons vues précédemment : baisse <strong>des</strong> financements de l’État,<br />
capacité de prise en charge par les collectivités locales, privatisation,<br />
transformation <strong>des</strong> subventions en comman<strong>des</strong>, etc.<br />
En 2009, l’État a baissé de façon très brusque les subventions en<br />
direction <strong>des</strong> associations, l’État étant immédiatement confronté à <strong>la</strong><br />
récession (baisse <strong>des</strong> rentrées fiscales et <strong>des</strong> cotisations sociales) et le<br />
secteur associatif a subi tout ceci de plein fouet.<br />
Les actes : février 2012<br />
15
Mais les collectivités locales qui ont une fiscalité légèrement différente,<br />
n’ont été touchées par <strong>la</strong> crise qu’avec un certain déca<strong>la</strong>ge par<br />
rapport à l’État. Elles ont pu compenser, mais dans quelle me<strong>sur</strong>e, une<br />
baisse <strong>des</strong> financements de l’État ? On se pose un certain nombre de<br />
questions aujourd’hui, auxquelles il est très difficile de répondre : Dans<br />
quelles proportions le financement de l’État a baissé en 2010 ? Est-ce<br />
que les collectivités locales ont pu compenser, ou plus que compenser,<br />
comme dans le passé ? Nous n’en savons rien. On ne peut pas déduire<br />
que <strong>la</strong> masse <strong>des</strong> financements publics ait globalement baissé. Dans<br />
quelle me<strong>sur</strong>e le financement privé et l’accroissement <strong>des</strong> ventes <strong>des</strong><br />
associations ont-ils compensé une éventuelle baisse <strong>des</strong> financements<br />
publics ? Nous ne sommes pas en me<strong>sur</strong>e de le dire.<br />
Avec les données que nous avons à notre disposition, essayons<br />
d’appréhender et de comprendre l’impact de <strong>la</strong> crise. D’abord les discours<br />
tenus. Il faut les écouter, mais il ne faut pas écouter que ça, car on se<br />
<strong>la</strong>isse influencer par <strong>des</strong> associations plus bruyantes, sans doute, parce<br />
qu’elles ont perdu d’importants financements, tandis que les associations<br />
pour lesquelles tout va bien, ont tendance à faire moins de bruit. Mais ces<br />
discours ont été <strong>la</strong>rgement re<strong>la</strong>yés au plus haut niveau puisque c’était par<br />
le ministre au moment du forum national de <strong>la</strong> <strong>vie</strong> <strong>associative</strong> et dans les<br />
administrations <strong>des</strong> services déconcentrés de l’État. Ce qui est extraordinaire,<br />
c’est que l’État n’est pas du tout en me<strong>sur</strong>e d’apprécier <strong>la</strong> baisse <strong>des</strong><br />
financements, il s’adresse même à nous pour le savoir […] !<br />
Il y a eu ici, une baisse totalement aveugle <strong>des</strong> financements. Un<br />
certain nombre d’enquêtes nous montrent que les financements <strong>des</strong><br />
communes restent globalement stables. La question se pose pour les<br />
Conseils généraux parce que c’est eux qui sont en me<strong>sur</strong>e de compenser<br />
ou pas, <strong>la</strong> baisse <strong>des</strong> financements de l’État. Nous conduisons<br />
actuellement une enquête auprès de 35 conseils généraux <strong>sur</strong> l’impact<br />
de <strong>la</strong> crise sous toutes les formes de financement en direction <strong>des</strong> associations.<br />
Quels enseignements en tirons-nous ? D’abord, les situations sont<br />
très variables entre les départements. Dans certains départements, les<br />
subventions en direction du secteur ont baissé ; dans d’autres, ils sont<br />
restés stables ; dans d’autres ils ont augmenté. En moyenne <strong>sur</strong> les 35<br />
départements qui représentent un peu plus de <strong>la</strong> moitié de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion,<br />
entre 2009 et 2010, les financements se sont stabilisés, ils ont augmenté<br />
en euros courants, mais ça été annulé par l’inf<strong>la</strong>tion, donc ils sont restés<br />
stables. Comme on sait que les financements de l’État ont baissé, on<br />
16 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
peut en déduire que les financements en direction <strong>des</strong> associations ont<br />
globalement baissé. Un <strong>des</strong> indicateurs qui nous permet de le penser<br />
très fortement, c’est <strong>la</strong> baisse de l’emploi qui est intervenue pour <strong>la</strong> première<br />
fois dans l’histoire du monde associatif, qui confirme ce constat.<br />
De très nombreuses étu<strong>des</strong> montrent que les formes et le volume de<br />
l’emploi sa<strong>la</strong>rié dans les associations sont dépendants <strong>des</strong> formes et du<br />
volume <strong>des</strong> financements publics. L’emploi sa<strong>la</strong>rié est un thermomètre<br />
de ce point de vue.<br />
Cette baisse qui est encore très petite, commencée en 2010 et qui<br />
continue en 2011, est très préoccupante. Il y aura un avant et un « après<br />
2 010 ». Les associations ont une activité paracyclique assez forte. Une<br />
part importante de leurs emplois, de leur budget, etc. ne cède pas aux<br />
éléments conjoncturels. Il y a une certaine résistance du secteur de ce<br />
point de vue.<br />
Cette baisse de l’emploi, même légère, paraît donc particulièrement<br />
importante. Dernier élément de cette enquête auprès <strong>des</strong> Conseils<br />
généraux, <strong>la</strong> très forte accélération de <strong>la</strong> transformation <strong>des</strong> subventions<br />
publiques, même si les financements publics se sont maintenus globalement<br />
: En une seule année, les seules subventions publiques ont baissé<br />
de 7 %. C’est assez phénoménal, le paysage <strong>des</strong> financements est totalement<br />
métamorphosé. Il est probable que <strong>la</strong> subvention publique telle<br />
que nous <strong>la</strong> connaissions a vécu. Il est sans doute urgent, pour <strong>la</strong> sauver,<br />
d’imaginer d’autres formes de subventions.<br />
Les conséquences à plus long terme<br />
Les ressources publiques, il faut toujours les demander avec force et<br />
énergie. Les pouvoirs publics ont besoin de faire produire par les associations<br />
un certain nombre de choses, ça leur coûte moins cher, mais les<br />
financements publics sont appelés à se contracter.<br />
Alors, quelles sont les solutions possibles ? Ce<strong>la</strong> reste les financements<br />
privés. Dons et mécénat sont appelés à augmenter vraisemb<strong>la</strong>blement<br />
de façon importante puisque l’on dit que <strong>la</strong> France dispose de<br />
<strong>la</strong> meilleure fiscalité dans ce domaine. Dons et mécénat ensemble, c’est<br />
5 % du budget total du secteur associatif. Pour compenser <strong>la</strong> baisse<br />
du financement qui représente, à peu près, <strong>la</strong> moitié du financement du<br />
secteur associatif, c’est difficile.<br />
Concrètement aujourd’hui, on le constate déjà, <strong>la</strong> seule marge de<br />
manœuvre <strong>des</strong> associations, c’est de faire participer davantage l’usager.<br />
Les actes : février 2012<br />
17
La première conséquence, on <strong>la</strong> voit tout de suite, c’est un dép<strong>la</strong>cement<br />
progressif et insidieux. Les associations ne s’en rendent pas compte car<br />
il ne se voit pas dans l’instant. À moyen terme, c’est quelque chose qui<br />
pourrait s’affirmer et devenir préoccupant, avec le développement de<br />
projets associatifs vers <strong>des</strong> catégories plus solvables. Un éloignement<br />
<strong>des</strong> associations <strong>des</strong> publics popu<strong>la</strong>ires, <strong>des</strong> couches moyennes moins<br />
favorisées etc. Ce<strong>la</strong> pourrait marquer l’évolution du secteur associatif<br />
demain.<br />
Jusqu’à présent, l’État, avait dans ses interventions, un certain<br />
nombre de qualités et de défauts, mais sa politique était appliquée avec<br />
une certaine équité <strong>sur</strong> l’ensemble du territoire. Or, on sait qu’en France,<br />
il y a <strong>des</strong> territoires riches, il y a <strong>des</strong> territoires pauvres, il a <strong>des</strong> territoires<br />
en plein développement où il n’y a pas beaucoup de chômage, beaucoup<br />
d’entreprises imp<strong>la</strong>ntées, beaucoup d’emplois. Il y a donc ici <strong>des</strong><br />
capacités de financement du secteur associatif qui sont beaucoup plus<br />
importantes que dans <strong>des</strong> territoires en déclin. Le secteur associatif de<br />
demain sera-t-il constitué d’une diversité de secteurs dont le niveau de<br />
développement sera égal au niveau de développement <strong>des</strong> territoires ?<br />
C’est un élément aux conséquences importantes.<br />
Les comman<strong>des</strong> publiques conduisent les associations à produire<br />
<strong>des</strong> services qui sont plus ou moins complètement formatés par <strong>la</strong> puissance<br />
publique et <strong>la</strong> baisse <strong>des</strong> subventions handicape sérieusement <strong>la</strong><br />
capacité d’innovation du secteur. Les pouvoirs publics n’ont rien contre<br />
<strong>la</strong> capacité d’innovation du secteur, qui a inspiré de très nombreuses<br />
politiques publiques tout au long de l’histoire, mais c’est un mouvement<br />
de fait vers lequel nous allons.<br />
Il ne faut pas idéaliser <strong>la</strong> subvention publique telle que nous l’avons<br />
connue. Elle avait un certain nombre d’avantages et en tout cas elle favorisait<br />
l’innovation. Elle avait aussi un certain nombre d’inconvénients : le<br />
manque de transparence, <strong>la</strong> reconduction systématique, un frein à l’innovation<br />
; parfois, elle instal<strong>la</strong>it les associations dans un certain ronron où<br />
elles refaisaient toujours <strong>la</strong> même chose, très utile par ailleurs.<br />
Quand le nombre d’adhérents baisse, ce<strong>la</strong> veut dire souvent que le<br />
projet associatif ne correspond plus aux besoins de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion dans<br />
les formes dans lesquelles il avait été pensé ; souvent, d’autres associations,<br />
plus jeunes, plus récentes, faisant les choses différemment, sont<br />
venues progressivement répondre aux besoins de ces publics.<br />
18 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
Conclusion<br />
Est-ce que l’on va dans le sens d’un rapprochement du modèle de<br />
l’entreprise, avec le développement <strong>des</strong> prestations par les associations ?<br />
Est-ce que les associations s’orientent naturellement vers cette voie<br />
pour <strong>sur</strong>vivre ?<br />
Est-ce que les incitations qui sont faites aujourd’hui au monde associatif<br />
de se rapprocher, de mutualiser, de grandir, de se professionnaliser,<br />
de mieux gérer, d’améliorer sa gouvernance etc. vont-elles, in fine,<br />
accélérer cette évolution ? Auraient-elles ces objectifs ?<br />
L’observation <strong>des</strong> associations, leur financement, leur stratégie etc.,<br />
apparaît dans les enquêtes avec une grande diversité. Quand on parle du<br />
« modèle associatif », quels sont les scénarios possibles ?<br />
Il semble que nous abordons le problème de façon un petit peu biaisée<br />
si l’on considère qu’il n’y a qu’un seul modèle économique associatif.<br />
Il faut appréhender <strong>la</strong> réalité sous l’éc<strong>la</strong>irage de quatre modèles associatifs<br />
qui seraient différents.<br />
C’est un travail qui a débuté dans l’enquête de 2005 et qui est en<br />
cours d’actualisation.<br />
Nous pouvons donc distinguer quatre grands modèles économiques<br />
associatifs : Il y a deux types sans sa<strong>la</strong>rié, et deux types employeur.<br />
• Modèle <strong>des</strong> petites associations de membres : Il s’agit du modèle<br />
le plus courant. On y trouve les associations sportives, culturelles et<br />
de loisirs, de <strong>vie</strong> sociale locale. Elles sont très nombreuses (56 %) ;<br />
ce<strong>la</strong> concerne plus de <strong>la</strong> moitié du nombre total d’associations.<br />
Elles ont <strong>des</strong> petits budgets, elles n’ont pas d’emploi sa<strong>la</strong>rié. Elles<br />
représentent 12 % du budget cumulé du secteur associatif, donc<br />
un petit poids, mais elles concentrent <strong>la</strong> moitié du travail bénévole<br />
dans les associations. Leur modèle économique n’est pas compliqué.<br />
Il est constitué du bénévo<strong>la</strong>t pour l’essentiel, <strong>des</strong> cotisations,<br />
et de quelques subventions communales.<br />
• Le modèle « militant » : Ce sont <strong>des</strong> associations sans sa<strong>la</strong>rié. Ce<br />
sont <strong>des</strong> associations militantes à tire principal ou secondaire :<br />
parents d’élèves, défense d’une cause, <strong>des</strong> droits, de locataires,<br />
propriétaires, de cadre de <strong>vie</strong>, d’environnement, etc. Ce<strong>la</strong> représente<br />
30 % du nombre total d’associations, c’est donc important.<br />
Elles réalisent 5 % du budget cumulé du secteur associatif, mais<br />
Les actes : février 2012<br />
19
elles concentrent 28 % du travail bénévole qui a <strong>la</strong> particu<strong>la</strong>rité<br />
d’être militant et qualifié. Elles n’ont pas d’emploi sa<strong>la</strong>rié. Le<br />
modèle économique est assez simple : travail bénévole et cotisations.<br />
Elles ne touchent pas de subvention. Elles vivent de dons et<br />
de quelques ventes.<br />
• Le modèle dit « gestionnaire » : Ce sont <strong>des</strong> associations qui<br />
remplissent <strong>des</strong> missions de service public, qui gèrent <strong>des</strong> hôpitaux,<br />
<strong>des</strong> écoles, <strong>des</strong> établissements médico-sociaux, etc. Elles<br />
sont peu nombreuses, au total ce<strong>la</strong> ne fait que 3 à 4 % du nombre<br />
total d’associations, mais elles ont un poids économique tout à fait<br />
considérable. Elles réalisent de 30 à 40 % du poids économique<br />
du secteur associatif et elles concentrent une grande majorité <strong>des</strong><br />
financements publics. Elles vivent quasi exclusivement de financements<br />
publics : de l’État, <strong>des</strong> Conseils généraux et régionaux,<br />
<strong>des</strong> organismes de sécurité sociale. Elles ont <strong>des</strong> sa<strong>la</strong>riés, le plus<br />
souvent en CDI, à temps plein, avec <strong>des</strong> conventions collectives,<br />
donc un emploi un peu plus traditionnel. Dans ces associations, il y<br />
a moins de travail bénévole, il s’agit <strong>sur</strong>tout du travail bénévole <strong>des</strong><br />
dirigeants. Les conseils d’administration sont composés de représentants<br />
<strong>des</strong> autorités de tutelle, <strong>des</strong> financeurs, etc. Leur modèle<br />
économique est as<strong>sur</strong>é par <strong>des</strong> financements publics, ce qui ne<br />
veut pas dire qu’elles n’ont pas parfois de difficulté. Elles font<br />
l’objet, parfois, d’incitation et de pression à <strong>des</strong> regroupements,<br />
mutualisations, fusions, etc.<br />
• Le modèle mixte qui est fondé à <strong>la</strong> fois <strong>sur</strong> un engagement citoyen<br />
et un partenariat avec les pouvoirs publics, mais qui dépasse <strong>la</strong><br />
dimension militante, au sens où il est impliqué dans l’action et <strong>la</strong><br />
production de services sociaux. Ce type d’associations est principalement<br />
constitué par <strong>des</strong> petits et moyens employeurs, il y a<br />
néanmoins quelques gran<strong>des</strong> associations. Les associations de<br />
ce modèle représentent, à peu près, entre 8 et 10 % du nombre<br />
total d’associations. Elles concentrent 15 à 20 % du travail bénévole<br />
dans les associations. Elles vivent à partir de montages très<br />
complexes de ressources, c’est d’ailleurs une part de leur fragilité.<br />
Elles ont un besoin vital du travail bénévole. Elles ont besoin <strong>des</strong><br />
cotisations <strong>des</strong> membres. Elles touchent quelques dons. Elles<br />
vivent de recettes d’activités, ce<strong>la</strong> représente 70 % de leur budget.<br />
Elles ont <strong>des</strong> subventions publiques de différentes formes : <strong>des</strong><br />
contrats passés, <strong>des</strong> subventions, mais globalement, les ventes<br />
sont majoritaires dans ce modèle. Ce sont elles, qui aujourd’hui<br />
sont concernées par les baisses <strong>des</strong> financements publics, ce<br />
20 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
n’est pas le modèle précédent. Elles ont besoin de se professionnaliser<br />
parce qu’elles sont complètement insérées dans le marché<br />
et elles sont aussi en concurrence avec les entreprises privées.<br />
On le voit aujourd’hui, par exemple, dans le secteur de l’aide à<br />
domicile qui représente bien cette situation. Ce sont elles qui ne<br />
sont pas en me<strong>sur</strong>e de payer les sa<strong>la</strong>ires au juste prix et qui sont<br />
obligées de former leurs sa<strong>la</strong>riés et qui les perdent ensuite. Elles<br />
sont très immergées dans le marché. Elles subissent de plein fouet<br />
<strong>la</strong> concurrence <strong>des</strong> entreprises privées. Elles sont <strong>des</strong>tinataires<br />
aujourd’hui du message de regroupement, de rapprochement,<br />
de bonne gouvernance, de professionnalisation, etc. L’enjeu pour<br />
elles est de <strong>sur</strong>vivre. Leur mortalité est <strong>la</strong> plus importante. On voit<br />
bien dans les enquêtes que leur moyenne d’âge est plus jeune.<br />
Les associations du modèle dit gestionnaire ont été créées, pour<br />
<strong>la</strong> plupart, entre 1960 et 1970. D’une enquête à l’autre, ce bloc<br />
bouge re<strong>la</strong>tivement peu. Le type d’association du modèle mixte est<br />
lui très vulnérable, très fragile, à très forte mortalité, avec un renouvellement<br />
qui est important. Quelles sont les perspectives pour ce<br />
type d’associations ? C’est ici que beaucoup de choses se jouent.<br />
Je n’ai pas de solution à proposer.<br />
Est-ce que <strong>la</strong> question <strong>des</strong> secteurs d’activités est très opérante<br />
aujourd’hui ? C’est très compliqué. Ce<strong>la</strong> tient sans doute à l’histoire et à<br />
<strong>la</strong> constitution <strong>des</strong> réseaux et du découpage fonctionnel <strong>des</strong> administrations.<br />
Tout dépend de <strong>la</strong> manière dont on veut travailler. Il me semble tout<br />
de même que <strong>sur</strong> <strong>la</strong> question du modèle économique associatif, il faut<br />
être très prudent parce que <strong>la</strong> réalité est plus complexe.<br />
Les actes : février 2012<br />
21
Réponses de Viviane Tchernonog aux questions de <strong>la</strong> salle<br />
Pour les collectivités territoriales, en particulier les conseils généraux,<br />
les financements en direction <strong>des</strong> associations s’élèvent à 18 % du budget<br />
global départemental (60 milliards d’euros).<br />
Pour <strong>la</strong> question du double comptage <strong>des</strong> bénévoles, ceux agissant<br />
dans plusieurs associations, il n’y a pas de double comptage dans l’enquête<br />
du CNRS puisque nous avons pris en compte les déc<strong>la</strong>rations <strong>des</strong><br />
associations. Nous avons 19 millions d’engagements bénévoles pour<br />
16 millions de bénévoles.<br />
Sur <strong>la</strong> question du <strong>vie</strong>illissement, <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion <strong>des</strong> bénévoles n’est<br />
pas spécialement âgée. Ce sont les dirigeants bénévoles qui sont plus<br />
âgés que les autres.<br />
Il est vrai que les associations du modèle 3 captent <strong>la</strong> plus grande<br />
partie <strong>des</strong> financements <strong>des</strong> conseils généraux. L’État, dans un document<br />
qui s’appelle l’effort financier de l’État en direction <strong>des</strong> associations,<br />
comptabilise tous les financements publics, dont ceux attribués<br />
aux associations gestionnaires, qui sont là car elles savent mieux faire<br />
et qu’elles sont moins chères. C’est une manière pour l’État de produire<br />
moins cher. Les financements publics vont aussi au modèle 4. Actuellement,<br />
quand on contracte les financements publics, on ne contracte que<br />
ceux du modèle 4, les autres sont intouchables, car liés à <strong>la</strong> gestion d’un<br />
équipement ou d’un dispositif. On ne peut pas supprimer un équipement<br />
collectif, mais on va supprimer les petites subventions aux associations.<br />
Sport, culture, loisirs ne représentent qu’une toute petite part <strong>des</strong> subventions<br />
départementales en direction du monde associatif, l’essentiel<br />
<strong>des</strong> financements vont vers les grosses associations du type 3, dans le<br />
cadre de l’action sociale et médico-sociale.<br />
22 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
SéAnce plénière 2<br />
Concurrence, performance<br />
et commande publique : les associations<br />
face aux mutations institutionnelles.<br />
L’initiative <strong>associative</strong> est-elle condamnée ?<br />
Intervention de Thomas Kirszbaum, chercheur associé à l’Institut<br />
<strong>des</strong> sciences sociales du politique (ENS Cachan, CNRS UMR 7220) *<br />
Rapide mise en perspective historique<br />
Les re<strong>la</strong>tions entre les associations et les pouvoirs publics sont<br />
marquées par un double héritage historique : celui de <strong>la</strong> Révolution française<br />
qui, en excluant les corps intermédiaires du lien direct entre les<br />
individus et un État incarnant l’intérêt général, a engendré une tradition<br />
de méfiance réciproque avec les associations ; celui de <strong>la</strong> pensée républicaine<br />
et du solidarisme qui ont cherché à incorporer les associations à <strong>la</strong><br />
sphère publique au nom d’un devoir de participation (Barthélemy, 2000 ;<br />
Demoustier, 2005). C’est dans cette seconde logique de l’État « instituteur<br />
du social » (Rosanvallon, 1981) qu’une intégration <strong>des</strong> interventions<br />
<strong>associative</strong>s dans les politiques de l’État se réalisera au cours <strong>des</strong> Trente<br />
glorieuses, notamment dans les secteurs social et médico-social, de<br />
l’éducation popu<strong>la</strong>ire, de <strong>la</strong> culture et du sport.<br />
À <strong>la</strong> faveur <strong>des</strong> gran<strong>des</strong> lois de décentralisation du début <strong>des</strong> années<br />
1980, l’implication du monde associatif va se prolonger dans une action<br />
publique territorialisée, prenant en charge de nouveaux besoins (exclusion<br />
sociale, banlieues défavorisées, éducation, environnement…). La<br />
reconnaissance du secteur associatif culmine avec les Assises de <strong>la</strong> <strong>vie</strong><br />
<strong>associative</strong> en 1999, puis <strong>la</strong> célébration du Centenaire de <strong>la</strong> loi de 1901<br />
* Ce texte en forme de brève revue de <strong>la</strong> littérature n’a pas <strong>la</strong> prétention de couvrir<br />
de manière exhaustive un sujet qui a suscité une abondance de travaux. Il s’agit<br />
d’apporter <strong>des</strong> éc<strong>la</strong>irages ponctuels <strong>sur</strong> quelques contraintes environnementales<br />
pesant aujourd’hui <strong>sur</strong> le monde associatif français.<br />
Les actes : février 2012<br />
23
marquée par <strong>la</strong> signature d’une charte d’engagements réciproques entre<br />
l’État et quatorze coordinations <strong>associative</strong>s. Toutefois, dans <strong>la</strong> grande<br />
variété <strong>des</strong> structures <strong>associative</strong>s, toutes ne sont pas parties prenantes<br />
de l’action publique. Selon Viviane Tchernonog (2007), les associations<br />
dont le projet s’inscrit dans une politique publique seraient même très<br />
minoritaires puisqu’elles représentent 15 % de l’ensemble du secteur ;<br />
elles pèsent néanmoins 83 % du budget cumulé de l’ensemble <strong>des</strong><br />
associations 1 .<br />
L’émergence de ces associations comme acteurs <strong>des</strong> politiques<br />
publiques consacre l’estompement <strong>des</strong> frontières public/privé au sein de<br />
l’action publique (Hély, 2006). Ce<strong>la</strong> permet de rappeler <strong>la</strong> nature pluraliste<br />
du service public « à <strong>la</strong> française », ouvert depuis longtemps à <strong>des</strong><br />
acteurs privés 2 , même si <strong>la</strong> prise en charge d’un service public par les<br />
associations « loi de 1901 » ne sera juridiquement reconnue que dans<br />
les années 1970 3 . Une circu<strong>la</strong>ire du 27 jan<strong>vie</strong>r 1975 visant à c<strong>la</strong>rifier les<br />
« rapports entre les collectivités publiques et les associations as<strong>sur</strong>ant<br />
<strong>des</strong> tâches d’intérêt général » a alors posé que « l’État et les collectivités<br />
n’ont pas le monopole du bien public ».<br />
L’ère ouverte par <strong>la</strong> décentralisation a été marquée par le développement<br />
<strong>des</strong> contractualisations locales visant à constituer une capacité<br />
locale d’action collective pour répondre aux enjeux <strong>des</strong> territoires (Duran,<br />
Thoenig, 1996). Bien que ce modèle pluraliste d’action publique ait<br />
<strong>la</strong>rgement sollicité les notions de « partenariat », de « coproduction »,<br />
de « gouvernance » ou de « réseaux », les associations ont exprimé de<br />
façon persistante <strong>la</strong> crainte de se voir instrumentaliser au détriment de<br />
leurs objectifs propres. Le Conseil national de <strong>la</strong> <strong>vie</strong> <strong>associative</strong> s’en était<br />
inquiété au début <strong>des</strong> années 1990, dans un avis <strong>sur</strong> « les associations<br />
dans <strong>la</strong> décentralisation » soulignant que les pouvoirs publics locaux<br />
recherchent avant tout <strong>des</strong> exécutants <strong>des</strong> politiques qu’ils pilotent sans<br />
réelle négociation avec <strong>des</strong> partenaires associatifs porteurs de projets<br />
1. Selon <strong>la</strong> typologie de Tchernonog, les « associations de membres » orientées<br />
vers <strong>la</strong> pratique d’une activité, constituent <strong>la</strong> majorité du tissu associatif (56 %) ;<br />
elles pèsent 12 % du budget associatif et mobilisent <strong>la</strong> moitié <strong>des</strong> bénévoles.<br />
Les associations à « contenu militant » (incluant les associations humanitaires)<br />
représentent 29 % du monde associatif et réalisent 5 % de son budget total.<br />
2. À propos <strong>des</strong> services urbains, Dominique Lorrain (1990) a rappelé<br />
l’existence d’un « second modèle » de service public local, fondé<br />
<strong>sur</strong> <strong>des</strong> contractualisations entre municipalités et entreprises privées.<br />
3. Conseil d’État, Fédération française d’articles de sport, 22 novembre 1974.<br />
24 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
autonomes (CNVA, 1992). Depuis les années 2000, cette préoccupation<br />
de l’instrumentalisation est redoublée par <strong>des</strong> évolutions institutionnelles<br />
qui convergent pour cantonner les associations dans une fonction de<br />
prestataires de services.<br />
Les transformations du contexte européen et national<br />
Le niveau européen 4<br />
Les régu<strong>la</strong>tions européennes sont devenues centrales dans les inquiétu<strong>des</strong><br />
exprimées par les acteurs associatifs <strong>des</strong> politiques publiques, <strong>sur</strong>tout<br />
depuis que le droit européen a fixé, en 2005, un cadre réglementaire<br />
définissant les modalités de financement <strong>des</strong> services par les collectivités<br />
publiques. Cherchant à contrôler l’impact <strong>des</strong> ai<strong>des</strong> accordées aux<br />
opérateurs économiques par les États-membres (État et collectivités<br />
territoriales) <strong>sur</strong> les conditions de <strong>la</strong> concurrence, <strong>la</strong> Commission européenne<br />
a adopté une vision extensive de <strong>la</strong> notion d’activité économique.<br />
La réglementation communautaire ne tient aucun compte de <strong>la</strong> nonlucrativité<br />
<strong>des</strong> associations, qu’elle considère comme <strong>des</strong> opérateurs<br />
économiques dès lors qu’elles offrent <strong>des</strong> biens ou <strong>des</strong> services, à titre<br />
onéreux, <strong>sur</strong> un marché concurrentiel – ce<strong>la</strong> quelle que soit leur finalité<br />
sociale ou leur mode financement.<br />
La directive « services », dite « Bolkenstein », du 12 décembre 2006,<br />
dont l’objectif est de libéraliser le marché intérieur <strong>des</strong> services, a suscité<br />
une polémique très nourrie en France, très re<strong>la</strong>yée au sein du monde<br />
associatif. Si <strong>la</strong> majorité <strong>des</strong> activités <strong>associative</strong>s est exclue du champ<br />
d’<strong>application</strong> de <strong>la</strong> directive, celle-ci s’applique <strong>la</strong>rgement aux services<br />
sociaux, en particulier l’accompagnement sco<strong>la</strong>ire, l’aide aux personnes<br />
âgées, <strong>la</strong> gestion <strong>des</strong> centres sociaux de quartier ou le tourisme social 5 .<br />
Pour se voir exclues du champ de <strong>la</strong> directive, ces activités doivent être<br />
qualifiées comme « services sociaux d’intérêt général » (SIEG), ce qui<br />
suppose de remplir <strong>des</strong> critères précis qui ne se retrouvent pas toujours<br />
dans les mo<strong>des</strong> de reconnaissance <strong>des</strong> associations par l’État français.<br />
4. Les développements qui suivent sont principalement tirés du travail de Samuel Le<br />
Floch (2011) pour <strong>la</strong> FNARS.<br />
5. Seuls se trouvent exclus « les services sociaux re<strong>la</strong>tifs au logement social, à l’aide<br />
à l’enfance et à l’aide aux familles et aux personnes se trouvant de manière temporaire<br />
ou permanente dans une situation de besoin, qui sont as<strong>sur</strong>és par l’État, par<br />
<strong>des</strong> prestataires mandatés par l’État ou par <strong>des</strong> associations caritatives reconnues<br />
comme telles par l’État ».<br />
Les actes : février 2012<br />
25
Les règles re<strong>la</strong>tives aux ai<strong>des</strong> publiques attribuées aux opérateurs<br />
économiques chargés de SIEG ont été précisées par un texte de<br />
novembre 2005 dénommé « paquet Monti-Kroes », notamment l’exigence<br />
d’un mandatement prenant <strong>la</strong> forme d’un acte officiel de <strong>la</strong> collectivité<br />
publique qui finance l’opérateur chargé du service. Or, jusqu’à <strong>la</strong><br />
circu<strong>la</strong>ire Fillon du 18 jan<strong>vie</strong>r 2010 <strong>sur</strong> les re<strong>la</strong>tions entre les associations<br />
et les pouvoirs publics, qui introduit un nouveau modèle de convention<br />
pluriannuelle d’objectif, le régime juridique français de <strong>la</strong> subvention<br />
n’était pas compatible avec <strong>la</strong> réglementation européenne <strong>sur</strong> les ai<strong>des</strong><br />
d’État (l’acte officiel de contractualisation qui en décou<strong>la</strong>it ne constituait<br />
pas un mandatement au sens européen du terme). Il y avait donc un<br />
risque avéré de généralisation de <strong>la</strong> commande publique – notamment<br />
de recours aux procédures du Code <strong>des</strong> marchés publics – comme instrument<br />
de contractualisation entre les associations et les collectivités<br />
publiques.<br />
Des coalitions d’acteurs associatifs, notamment français, ont cherché<br />
à infléchir <strong>la</strong> réglementation européenne – et certains de leurs arguments<br />
ont été repris dans <strong>la</strong> contribution française à l’évaluation du « paquet<br />
Monti-Kroes » de septembre 2010. Les associations p<strong>la</strong>ident en particulier<br />
pour une reconnaissance de <strong>la</strong> spécificité <strong>des</strong> Services sociaux<br />
d’intérêt général (SSIG) mis en œuvre par le secteur associatif. Elles font<br />
valoir que <strong>la</strong> notion communautaire d’activité économique s’applique<br />
à l’ensemble <strong>des</strong> activités <strong>associative</strong>s, notamment à caractère social,<br />
alors que certaines ne relèvent pas de l’existence d’un marché. Elles<br />
contestent également l’impact de leurs activités <strong>sur</strong> les échanges intracommunautaires<br />
et le risque d’atteinte à <strong>la</strong> concurrence. Elles soulignent<br />
enfin <strong>la</strong> disproportion d’une réglementation européenne établie pour les<br />
grands services de réseau (télécommunication, transport, etc.) quand<br />
elle s’applique à de petites structures <strong>associative</strong>s qui développent <strong>des</strong><br />
besoins sociaux, peu ou mal pris en compte par le marché.<br />
Le prisme économique de <strong>la</strong> Commission européenne semble<br />
en passe d’évoluer puisqu’elle devrait publier de nouvelles règles de<br />
contrôle, en 2012, dans le cadre du « paquet Almunia », donnant plus<br />
de souplesse au financement <strong>des</strong> services locaux (notamment sociaux)<br />
dont l’impact <strong>sur</strong> les échanges intracommunautaires est jugé limité. De<br />
même, le seuil en <strong>des</strong>sous duquel les ai<strong>des</strong> financières allouées aux<br />
services d’intérêt général échappent aux règles européennes devrait être<br />
augmenté et l’appel à projets devrait être reconnu comme mandatement<br />
compatible avec le droit européen et comme alternative au marché<br />
public pour certains services. Cependant, <strong>la</strong> Commission européenne<br />
26 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
a limité ces dispositions aux « besoins sociaux essentiels », lesquels ne<br />
font l’objet d’aucune définition précise.<br />
Le niveau national<br />
Le cadre national de conception et de mise en œuvre <strong>des</strong> politiques<br />
publiques a connu <strong>des</strong> évolutions substantielles ces dernières années,<br />
qui affectent l’intervention <strong>associative</strong>. Ces transformations renvoient<br />
pour l’essentiel au succès rencontré par le New Public Management<br />
(« Nouvelle gestion publique ») comme source d’inspiration de <strong>la</strong> transformation<br />
<strong>des</strong> organisations publiques, à commencer par l’État. Les<br />
grands principes guidant les réformes « néo-managériales » de l’État<br />
sont : <strong>la</strong> séparation nette entre les fonctions de stratégie, de pilotage et<br />
de contrôle d’un côté, les fonctions opérationnelles de mise en œuvre<br />
et d’exécution de l’autre ; <strong>la</strong> fragmentation <strong>des</strong> gran<strong>des</strong> bureaucraties<br />
verticales en unités administratives autonomes chargées d’une politique<br />
publique ; le renforcement <strong>des</strong> responsabilités et de l’autonomie <strong>des</strong><br />
gestionnaires en charge de <strong>la</strong> mise en œuvre de ces politiques, auxquels<br />
sont fixés <strong>des</strong> objectifs de résultats (Bezès, 2008).<br />
L’entrée en vigueur de <strong>la</strong> Loi organique re<strong>la</strong>tive aux lois de finances<br />
(Lolf), depuis le 1 er jan<strong>vie</strong>r 2006, décline ces principes et notamment le<br />
passage d’une logique de moyens à une logique de résultats. L’autre<br />
réforme majeure de l’État est <strong>la</strong> Révision générale <strong>des</strong> politiques<br />
publiques (RGPP), engagée depuis 2007. Présentée comme <strong>la</strong> déclinaison<br />
hexagonale de <strong>la</strong> « Revue générale <strong>des</strong> programmes » canadienne<br />
qui avait permis de réinterroger les politiques publiques dans tous leurs<br />
aspects et dans une démarche participative, <strong>la</strong> RGPP relève essentiellement<br />
d’un exercice technocratique et <strong>des</strong>cendant de réorganisation<br />
administrative, dont le but essentiel est de réduire le nombre de fonctionnaires<br />
de l’État (RFAP, 2 010).<br />
Bien qu’elles ne soient pas juridiquement concernées par <strong>la</strong> Lolf et<br />
<strong>la</strong> RGPP, les collectivités territoriales sont concernées par <strong>la</strong> diffusion de<br />
<strong>la</strong> culture du New Public Management. Des rapports officiels les incitent<br />
à s’inspirer <strong>des</strong> principes de <strong>la</strong> Lolf pour développer leurs propres systèmes<br />
de me<strong>sur</strong>e de performances (Lambert, Migaud, 2005 ; Richard,<br />
2006). Avec <strong>la</strong> RGPP, l’État les sollicite aussi indirectement pour partager<br />
les conséquences de son endettement et de ses déficits, en appe<strong>la</strong>nt<br />
les collectivités territoriales à financer <strong>des</strong> activités désormais jugées<br />
secondaires au regard de son « cœur de métier » (Pissaloux, Supplisson,<br />
2 010). En accentuant l’affaiblissement de l’État départemental au profit<br />
du niveau régional, devenu le niveau territorial de droit commun du pilo-<br />
Les actes : février 2012<br />
27
tage de l’ensemble <strong>des</strong> politiques publiques, <strong>la</strong> RGPP confère également<br />
un rôle accru aux collectivités territoriales comme acteurs <strong>des</strong> territoires.<br />
Le phénomène de « résidualisation » <strong>des</strong> services départementaux de<br />
l’État était déjà sensible avec l’Acte II de <strong>la</strong> décentralisation (2004) qui<br />
avait organisé le transfert de nombreux agents de l’État vers les collectivités<br />
locales (Epstein, 2010).<br />
Concurrence<br />
Le monde associatif dénonce avec insistance, depuis quelques<br />
années, <strong>la</strong> volonté <strong>des</strong> pouvoirs publics de les p<strong>la</strong>cer en concurrence<br />
pour accéder aux financements publics. La réglementation européenne<br />
se trouve souvent incriminée. De fait, elle est souvent mise en avant par<br />
les pouvoirs publics français pour justifier le recours aux procédures de<br />
mise en concurrence prévues par le Code <strong>des</strong> marchés publics. Il semble<br />
que les collectivités publiques redoutent avant tout de voir requalifier<br />
les subventions en comman<strong>des</strong> publiques. De fait, si le droit européen<br />
n’interdit pas les subventions, il a créé une insécurité juridique importante<br />
(Le Floch, 2011). Cette insécurité n’a été que partiellement levée par <strong>la</strong><br />
circu<strong>la</strong>ire Fillon du 18 jan<strong>vie</strong>r 2010, critiquée par <strong>des</strong> fédérations d’associations<br />
pour le manque de concertation qui a présidé à sa conception<br />
et pour les <strong>la</strong>cunes dans le suivi de sa mise en œuvre (C<strong>la</strong>vagnier, 2011).<br />
Principaux financeurs <strong>des</strong> associations, notamment dans le domaine<br />
social, les collectivités territoriales n’ont pas été non plus associées à<br />
l’é<strong>la</strong>boration de <strong>la</strong> circu<strong>la</strong>ire et n’en sont pas officiellement <strong>des</strong>tinataires.<br />
Les collectivités territoriales ont donc tendance à privilégier <strong>la</strong> commande<br />
publique (Le Floch, 2011).<br />
Des secteurs et <strong>des</strong> formes de concurrence diversifiés<br />
Il con<strong>vie</strong>nt de re<strong>la</strong>tiviser le poids <strong>des</strong> marchés publics comme mode<br />
d’allocation <strong>des</strong> ressources publiques aux associations. Le régime de <strong>la</strong><br />
subvention et celui de <strong>la</strong> tarification dans l’action sociale restent les mo<strong>des</strong><br />
de contractualisation les plus répandus ; mais les comman<strong>des</strong> publiques<br />
représentent d’ores et déjà près de <strong>la</strong> moitié du montant cumulé <strong>des</strong><br />
subventions et <strong>la</strong> tendance de fond semble être celle d’une substitution<br />
progressive <strong>des</strong> subventions par <strong>des</strong> comman<strong>des</strong> publiques, même si les<br />
données chiffrées restent rares <strong>sur</strong> ce sujet (Tchernonog, 2010).<br />
Une récente enquête conduite par <strong>la</strong> Conférence permanente <strong>des</strong><br />
coordinations <strong>associative</strong>s et de France Active auprès de 877 associations<br />
montre que les associations ayant conclu au moins un marché<br />
public avec l’État et/ou une collectivité territoriale sont <strong>sur</strong>tout <strong>des</strong><br />
28 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
associations de taille significative (plus de 500 000 euros de budget). La<br />
même enquête indique que le poids <strong>des</strong> marchés publics est fortement<br />
corrélé au secteur d’activité <strong>des</strong> associations : l’environnement (55 %<br />
de marchés publics), le développement économique (39 %) et l’action<br />
sociale (26 %) (CPCA, France active, 2012).<br />
Soumis au Code <strong>des</strong> marchés publics dès 2003, le secteur de <strong>la</strong><br />
formation professionnelle est souvent considéré comme précurseur.<br />
Depuis lors, les petites associations locales cèdent le pas face à de<br />
grosses entreprises d’intérim ou de consulting pour l’accompagnement<br />
<strong>des</strong> demandeurs d’emploi (La Vie <strong>associative</strong>, 2009). L’aide aux devoirs<br />
est un autre secteur où les entreprises commerciales font leur entrée <strong>sur</strong><br />
le « marché éducatif local » (Rousseau, 2001). Dans le champ <strong>des</strong> services<br />
sociaux, <strong>la</strong> mise en concurrence <strong>des</strong> opérateurs se développe par<br />
plusieurs voies : de manière implicite dans <strong>la</strong> sélection <strong>des</strong> associations<br />
qui se voient délivrer <strong>des</strong> autorisations, ou à travers <strong>des</strong> procédures plus<br />
formelles pour les activités sortant du champ réglementaire <strong>des</strong> autorisations<br />
(c’est le cas notamment d’associations œuvrant dans le champ<br />
de <strong>la</strong> prévention spécialisée, de <strong>la</strong> petite enfance ou de <strong>la</strong> lutte contre les<br />
exclusions). Enfin, l’ouverture à <strong>la</strong> concurrence s’est traduite par l’arrivée<br />
d’entreprises ou de groupes privés à but lucratif dans <strong>des</strong> secteurs<br />
comme l’hébergement <strong>des</strong> personnes âgées, les services à <strong>la</strong> personne<br />
ou <strong>la</strong> garde d’enfants. Ce phénomène a été favorisé par <strong>des</strong> mécanismes<br />
de solvabilisation de l’usager (par exemple avec l’APA en 2002 ou le p<strong>la</strong>n<br />
Borloo de 2005) (Marival, 2008). Plus récemment, <strong>la</strong> loi « Hôpital, patient,<br />
santé, territoire » du 21 juillet 2009 introduit l’appel à projets dans <strong>la</strong><br />
procédure d’autorisation <strong>des</strong> établissements et services, en ne prenant<br />
en considération que les activités de <strong>la</strong> structure, indépendamment du<br />
statut juridique du gestionnaire (Lafore, 2010).<br />
Si l’on entend par « mise en concurrence », l’arrivée d’entreprises<br />
du secteur lucratif <strong>sur</strong> un marché donné, on voit que ce phénomène<br />
n’atteint pas <strong>la</strong> même intensité selon les secteurs, ni ne repose <strong>sur</strong> les<br />
mêmes instruments. Plus souple qu’un marché public, l’appel à projets<br />
peut constituer une alternative à l’appel d’offres, même si les acteurs<br />
publics considèrent ce procédé comme juridiquement moins sécurisé<br />
que celui <strong>des</strong> marchés publics (Guézennec, 2011). Si l’on retient une<br />
acceptation de <strong>la</strong> concurrence plus <strong>la</strong>rge que <strong>la</strong> procédure <strong>des</strong> marchés<br />
publics, <strong>la</strong> compétition peut se dérouler de façon quasi-exclusive entre<br />
associations. C’est le cas par exemple dans <strong>la</strong> politique de <strong>la</strong> ville où <strong>la</strong><br />
procédure de l’appel à projets est courante. Cependant, son impact <strong>sur</strong><br />
le choix <strong>des</strong> opérateurs est à re<strong>la</strong>tiviser car on observe une tendance<br />
Les actes : février 2012<br />
29
à <strong>la</strong> reconduction <strong>des</strong> subventions aux mêmes porteurs de projets, en<br />
particulier aux plus grosses associations œuvrant dans les quartiers<br />
(Kirszbaum, 2009).<br />
Le spectre de <strong>la</strong> banalisation<br />
C’est à propos du développement de <strong>la</strong> concurrence par le secteur<br />
privé lucratif dans le domaine social et médico-social que les commentaires<br />
les plus critiques ont été formulés. Le principe du « libre choix »<br />
du prestataire par l’usager ne prendrait pas en compte les effets pervers<br />
liés aux comportements opportunistes d’entreprises privées qui tireraient<br />
parti <strong>des</strong> asymétries d’information pour offrir <strong>des</strong> services de moindre<br />
qualité (Petrel<strong>la</strong>, Richez-Battesti, 2011). Alors que <strong>la</strong> mise en concurrence<br />
permet en théorie de bénéficier d’un service au meilleur prix, passer un<br />
marché se traduirait par un <strong>sur</strong>coût de l’ordre de 15 % à prestation comparable<br />
dans les services sociaux (La Gazette <strong>des</strong> communes, 2012).<br />
L’impact de <strong>la</strong> concurrence <strong>sur</strong> les associations mêmes qui se <strong>la</strong>ncent<br />
dans <strong>la</strong> compétition est l’objet de nombreuses analyses. Le concept<br />
d’« entreprise <strong>associative</strong> » (Marchal, 1992), qui semble faire figure<br />
d’oxymore, recouvre <strong>des</strong> réalités très diverses selon que l’entreprise<br />
<strong>associative</strong> est gestionnaire, partenaire, marchande ou mécénale (Hély,<br />
2009). C’est en fait <strong>la</strong> réduction de l’association à une simple fonction de<br />
prestataire de service qui nourrit <strong>la</strong> critique. Michel Chauvière évoque par<br />
exemple un phénomène de « cha<strong>la</strong>ndisation » à propos d’associations<br />
qui se définissent moins comme <strong>des</strong> institutions fondatrices de <strong>la</strong> société<br />
que comme <strong>des</strong> organisations productives de certaines prestations<br />
(Chauvière, 2007, 2009).<br />
La question est bien celle-ci : qu’est-ce qui différencie l’association<br />
prestataire de service de n’importe quel autre acteur marchand ? Le<br />
danger serait celui de <strong>la</strong> banalisation à travers un processus d’homogénéisation<br />
<strong>des</strong> comportements associatifs relevant d’un phénomène<br />
d’« isomorphisme institutionnel » affectant les organisations qui évoluent<br />
au sein d’un même champ organisationnel (Di Maggio, Powell, 1991).<br />
Dans cette perspective, l’environnement créé un modèle dominant exerçant<br />
diverses pressions <strong>sur</strong> les organisations qui le composent. En quête<br />
de légitimité, ces organisations chercheraient à mettre leurs pratiques<br />
en conformité avec les exigences de leur environnement (en termes de<br />
procédures, de valeurs et objectifs poursuivis, etc.). S’agissant <strong>des</strong> associations,<br />
l’incertitude <strong>sur</strong> les financements et l’ouverture à <strong>la</strong> concurrence<br />
les conduirait à rechercher <strong>des</strong> modèles auxquels se référer et à adopter<br />
<strong>des</strong> solutions déjà connues et reconnues comme efficaces. C’est ainsi<br />
30 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
que <strong>des</strong> techniques de management et <strong>des</strong> outils de gestion (gestion<br />
par projet, démarches qualité, gestion <strong>des</strong> ressources humaines, etc.)<br />
auraient tendance à être importés du monde de l’entreprise marchande<br />
(Marival, 2008). Ces évolutions sont à <strong>la</strong> source de tensions identitaires<br />
importantes traversant le monde associatif. Or, ce qui fait (ou faisait) <strong>la</strong><br />
spécificité <strong>des</strong> associations est un modèle d’organisation <strong>des</strong> services<br />
distinct de celui <strong>des</strong> entreprises lucratives, notamment du point de vue<br />
de <strong>la</strong> participation d’une pluralité <strong>des</strong> parties prenantes dans <strong>la</strong> gouvernance<br />
de l’organisation (bénévoles, usagers, sa<strong>la</strong>riés) (Avare, Sponem,<br />
2008 ; Nyssens, Petrel<strong>la</strong>, 2009 ; Petrel<strong>la</strong>, Richez-Battesti, 2011).<br />
La réception du modèle de management de l’entreprise privée ne se<br />
fait sans doute pas de <strong>la</strong> même manière selon les types d’association.<br />
Plus une association est un partenaire privilégié de <strong>la</strong> mise en œuvre<br />
d’une politique publique et plus son organisation aura tendance à se<br />
calquer <strong>sur</strong> un modèle bureaucratique plutôt que <strong>sur</strong> celui de l’entreprise<br />
marchande ; positionnée en prestataire de service, l’association sera<br />
davantage contrainte de développer sa technicité et sa réactivité face<br />
à <strong>des</strong> opportunités d’accéder à <strong>des</strong> marchés (Laville, 2004). Il existe<br />
cependant une troisième voie, celle de <strong>la</strong> « démocratisation de l’économie<br />
» portée notamment par l’économie sociale et solidaire (Chanial et<br />
Laville, 2006). Fondée <strong>sur</strong> un principe de solidarité plutôt que de profit,<br />
<strong>la</strong> crise économique et financière d’aujourd’hui paraît lui donner toute<br />
son actualité.<br />
Performance<br />
Les acteurs publics font rarement l’apologie ouverte de <strong>la</strong> concurrence<br />
dans le contexte culturel français où <strong>la</strong> logique du marché continue<br />
d’avoir mauvaise presse. Il en va différemment de <strong>la</strong> quête de performance<br />
qui a envahi le vocabu<strong>la</strong>ire <strong>des</strong> politiques publiques au cours de <strong>la</strong><br />
décennie précédente. La performance est notamment au cœur de <strong>la</strong> Lolf<br />
et tend à se confondre avec l’exigence d’évaluation, elle-même rabattue<br />
<strong>sur</strong> <strong>la</strong> production d’indicateurs. L’exigence de performance n’est pas<br />
sans lien avec le système de concurrence car l’évaluation est censée<br />
permettre une sélection optimale <strong>des</strong> opérateurs les mieux à même de<br />
garantir l’efficacité et l’efficience de l’action publique.<br />
Dans le cadre de <strong>la</strong> Lolf, les gestionnaires <strong>des</strong> programmes publics sont<br />
tenus de définir de tels indicateurs à chaque niveau d’intervention de l’État<br />
afin de rendre compte au Parlement <strong>des</strong> résultats <strong>des</strong> politiques mises en<br />
œuvre. Mais <strong>la</strong> culture du résultat déborde très <strong>la</strong>rgement les frontières de<br />
Les actes : février 2012<br />
31
l’État et concerne de manière directe les associations inscrivant leur action<br />
dans le cadre d’une politique publique. En effet, contrairement à ce que<br />
souhaitaient ses promoteurs, <strong>la</strong> Lolf tend à cantonner les agents locaux de<br />
l’État dans une fonction d’exécution <strong>des</strong> programmes définis à l’échelon<br />
central et vis-à-vis duquel ils doivent rendre <strong>des</strong> comptes par <strong>des</strong> activités<br />
de reporting. Or, le <strong>sur</strong>croît de contraintes supportées par ces agents tend<br />
à être reporté <strong>sur</strong> leurs partenaires dont ils de<strong>vie</strong>nnent dépendants pour<br />
atteindre leurs objectifs. Ceci les conduit à évaluer <strong>la</strong> performance de leurs<br />
partenaires associatifs (Dubost, Zoukoua, 2011).<br />
Les indicateurs de performance devant me<strong>sur</strong>er l’efficience <strong>des</strong><br />
subventions versées par l’État, les associations se trouvent dans l’obligation<br />
de se doter d’outils de gestion et de comptabilité permettant de<br />
me<strong>sur</strong>er les résultats <strong>des</strong> actions (Avare, 2008). C’est à cet effet qu’un<br />
« Guide Lolf à l’usage <strong>des</strong> associations » a été publié par le ministère<br />
de l’Éducation nationale, de <strong>la</strong> Jeunesse et de <strong>la</strong> Vie <strong>associative</strong>. En sus<br />
du compte rendu financier prévu par <strong>la</strong> loi, l’association bénéficiant d’un<br />
financement doit fournir à l’administration une évaluation de l’action ou<br />
<strong>des</strong> actions subventionnées. En amont du financement, l’association<br />
souhaitant bénéficier d’un financement de l’État doit proposer à celuici<br />
un ou plusieurs objectifs « réalistes » et <strong>des</strong> indicateurs « simples et<br />
objectifs » dans <strong>la</strong> fiche du dossier de demande de subvention prévue à<br />
cet effet. Les objectifs en question doivent traduire au moins l’une <strong>des</strong><br />
caractéristiques de <strong>la</strong> performance, définie comme l’efficacité socio-économique,<br />
<strong>la</strong> qualité du service à l’usager et/ou l’efficience de <strong>la</strong> gestion<br />
(Raynaut, Aïm-Tuil, 2011).<br />
L’hégémonie du quantitatif<br />
Le « Guide Lolf » demande aux associations de fournir un bi<strong>la</strong>n <strong>sur</strong> <strong>la</strong><br />
base d’indicateurs à <strong>la</strong> fois qualitatifs et quantitatifs. En pratique, <strong>la</strong> priorité<br />
est donnée aux indicateurs quantitatifs, lesquels doivent seulement<br />
être « complétés » par <strong>des</strong> indicateurs qualitatifs « permettant d’appréhender<br />
<strong>la</strong> richesse <strong>des</strong> interventions <strong>des</strong> associations qui contribuent à<br />
<strong>la</strong> mise en œuvre <strong>des</strong> politiques publiques ». Le guide précise d’ailleurs<br />
que les indicateurs qualitatifs peuvent être quantifiés et que l’évaluation<br />
a pour objet de me<strong>sur</strong>er à court terme « les écarts négatifs ou positifs »<br />
par rapport aux objectifs fixés ; à long terme, il s’agit d’analyser « les<br />
effets directs ou indirects » de l’action. Le guide recommande <strong>la</strong> vigi<strong>la</strong>nce<br />
<strong>des</strong> associations par rapport à ces exigences car ces éléments peuvent<br />
conditionner le renouvellement de <strong>la</strong> subvention (Raynaut, Aïm-Tuil,<br />
2011).<br />
32 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
Le tropisme quantitativiste de l’évaluation conçue dans ces termes<br />
a <strong>des</strong> effets bien connus de <strong>la</strong> littérature <strong>sur</strong> l’évaluation. Il s’agit plus<br />
exactement d’effets pervers car les systèmes articu<strong>la</strong>nt une profusion<br />
d’objectifs et d’indicateurs, <strong>des</strong> activités de reporting systématique et<br />
<strong>des</strong> procédures d’audits réguliers produisent d’importantes distorsions<br />
dans les politiques menées. Ils incitent en particulier les opérateurs à<br />
se concentrer <strong>sur</strong> les activités les plus « rentables », car me<strong>sur</strong>ables, et<br />
non vers <strong>des</strong> tâches plus qualitatives et plus complexes à me<strong>sur</strong>er ou<br />
simplement mal renseignées par les indicateurs définis par les bailleurs<br />
de fonds (Bevan, Hood, 2006 ; Sa<strong>la</strong>is, 2010).<br />
Ainsi, à propos du secteur social, l’injonction de performance risque<br />
d’inciter les associations à se conformer aux exigences de rendement et<br />
d’effectuer un tri entre les bénéficiaires, au détriment <strong>des</strong> situations les<br />
plus difficiles et <strong>des</strong> publics les plus défavorisés (Le Floch, 2011).<br />
Le cas de <strong>la</strong> politique de <strong>la</strong> ville, qui procède essentiellement par<br />
appel à projets et non par appels d’offres, éc<strong>la</strong>ire cependant les limites<br />
de l’exercice évaluatif rabattu <strong>sur</strong> <strong>la</strong> production d’indicateurs de performance.<br />
Les opérateurs de quartier, notamment associatifs, sont encore<br />
loin d’avoir intégré <strong>la</strong> logique de performance promue au niveau national<br />
et re<strong>la</strong>yée jusqu’à un certain point par leurs financeurs locaux. Le<br />
moment-clé de leur « évaluation » repose en fait <strong>sur</strong> <strong>la</strong> production d’un<br />
bi<strong>la</strong>n annuel faisant une <strong>la</strong>rge p<strong>la</strong>ce à <strong>la</strong> <strong>des</strong>cription littéraire de l’action<br />
financée. L’impact de celle-ci <strong>sur</strong> les bénéficiaires – estimé par l’opérateur<br />
lui-même – apparaît difficilement traduisible dans <strong>des</strong> indicateurs<br />
quantitatifs, dont <strong>la</strong> production est vécue comme un exercice obligé,<br />
pour ne pas dire inutile, et dans tous les cas très coûteuse en temps,<br />
au détriment précisément de l’action auprès <strong>des</strong> bénéficiaires. En outre,<br />
les performances <strong>associative</strong>s servent très rarement à juger du bienfondé<br />
<strong>des</strong> projets et à orienter les financements en conséquence. Il est<br />
d’autant moins aisé de mettre fin au financement de certaines actions<br />
que les structures qui les portent sont généralement très dépendantes<br />
<strong>des</strong> crédits de <strong>la</strong> politique de <strong>la</strong> ville pour as<strong>sur</strong>er leur <strong>sur</strong><strong>vie</strong> (Kirszbaum,<br />
2009). D’autres enquêtes locales concernant <strong>des</strong> associations sportives,<br />
culturelles, d’insertion ou de prévention de <strong>la</strong> délinquance, montrent<br />
pareillement que l’ajustement <strong>des</strong> moyens alloués aux résultats obtenus<br />
est très re<strong>la</strong>tif. Une tendance au maintien <strong>des</strong> ressources allouées par<br />
les municipalités est observable, avec <strong>des</strong> phénomènes de cliquet à <strong>la</strong><br />
baisse, y compris quand les exigences du financeur municipal ne sont<br />
pas satisfaites (Fabre, 2005 ; Batac, Carassus, 2005).<br />
Les actes : février 2012<br />
33
Me<strong>sur</strong>er l’utilité sociale<br />
Comme les effets de <strong>la</strong> concurrence, <strong>la</strong> méthode de l’évaluation<br />
quantitative risque d’oblitérer l’originalité <strong>des</strong> productions <strong>associative</strong>s.<br />
En particulier, l’évaluation quantitative ne permet pas de penser le sens<br />
de l’action, un sens qui est pourtant l’un <strong>des</strong> moteurs essentiels de <strong>la</strong><br />
dynamique <strong>associative</strong> (Avare et al., 2008). La conception dominante de<br />
l’évaluation se fonde <strong>sur</strong> <strong>la</strong> me<strong>sur</strong>e d’un écart à une norme qui est le plus<br />
souvent déterminée par <strong>la</strong> puissance publique et qui porte <strong>sur</strong> un système<br />
fermé (un dispositif, une action, une organisation). Cette approche<br />
fait abstraction de <strong>la</strong> spécificité <strong>des</strong> associations, <strong>la</strong>quelle réside principalement<br />
dans leur mode d’organisation et dans les effets indirects de<br />
leurs activités. Si l’évaluation souffre d’un déficit de légitimité auprès <strong>des</strong><br />
acteurs associatifs, c’est qu’elle est avant tout perçue comme un outil de<br />
contrôle qui ne prend pas en compte les mo<strong>des</strong> et les principes d’organisation<br />
interne comme facteurs potentiels d’utilité sociale (personnalisation<br />
de <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion avec l’usager, mobilisation <strong>des</strong> parties prenantes,<br />
impacts en termes de capital social…) (Trouvé, Jolivet, 2009).<br />
La notion d’utilité sociale <strong>des</strong> associations a donné lieu à <strong>des</strong><br />
réflexions théoriques d’importance, même si ses traductions concrètes<br />
dans l’évaluation restent peu développées en France. L’un <strong>des</strong> obstacles<br />
<strong>vie</strong>nt de ce que <strong>la</strong> quantification de certaines dimensions d’utilité sociale<br />
(lien social, estime de soi, autonomie existentielle, sociabilité, qualité de<br />
<strong>vie</strong>, démocratie locale, innovation sociale…) risque fort d’en appauvrir<br />
le contenu (Gadrey, 2005). Des référentiels d’utilité sociale sont donc<br />
à construire pour chaque type d’association, au niveau fin, pour rendre<br />
compte auprès de toutes les « parties prenantes » (financeurs publics,<br />
donateurs, bénéficiaires, sa<strong>la</strong>riés, bénévoles…) de ce que l’association<br />
produit, mais aussi de son impact <strong>sur</strong> les bénéficiaires, les territoires ou<br />
<strong>la</strong> société (Archambault, 2010). Les démarches d’auto-évaluation de l’utilité<br />
sociale s’inscrivent dans cette perspective. L’évaluation s’apparente<br />
alors à une démarche participative – inévitable du fait de <strong>la</strong> diversité <strong>des</strong><br />
représentations de l’utilité sociale selon les statuts <strong>des</strong> différentes parties<br />
prenantes – susceptible de déboucher <strong>sur</strong> <strong>la</strong> constitution d’une représentation<br />
commune de l’utilité sociale et de ses indicateurs pertinents<br />
(Trouvé, Jolivet, 2009).<br />
En l’état actuel, et à l’instar <strong>des</strong> effets internes de l’environnement<br />
concurrentiel <strong>des</strong> associations, l’injonction de performance contribue à <strong>la</strong><br />
diffusion du « managérialisme » au sein <strong>des</strong> associations. Les dispositifs<br />
utilisés pour donner une image de l’association en externe ont tendance<br />
à se diffuser dans le fonctionnement interne <strong>des</strong> associations. Le risque<br />
34 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
pour les acteurs associatifs est alors de centrer leur attention <strong>sur</strong> ce qui<br />
est chiffré, me<strong>sur</strong>é et me<strong>sur</strong>able, aux dépens d’autres activités pouvant<br />
avoir elles aussi une certaine efficacité (Avare, Sponem, 2008 ; Avare<br />
et al., 2008). La tendance à <strong>la</strong> normalisation <strong>des</strong> pratiques de me<strong>sur</strong>e<br />
de l’utilité sociale par les procédures fiscales, ou par <strong>la</strong> publication de<br />
gui<strong>des</strong> méthodologiques émanant du monde associatif lui-même, <strong>la</strong>isse<br />
finalement à d’autres le soin de donner <strong>la</strong> définition légitime de l’utilité<br />
sociale. Le monde associatif risque alors de se voir privé de son principe<br />
d’autonomie (Hély, 2010).<br />
Commande publique<br />
Dès lors qu’une association est en capacité de démontrer que son<br />
projet relève de l’intérêt général (ou possède une utilité sociale) et qu’il<br />
s’inscrit dans le cadre d’une politique publique, c’est le critère de l’initiative<br />
qui détermine le régime de <strong>la</strong> subvention. Dans le cas d’une commande<br />
publique, <strong>la</strong> logique est inverse puisque <strong>la</strong> collectivité publique<br />
formalise de manière uni<strong>la</strong>térale <strong>des</strong> besoins avant de se tourner vers<br />
<strong>des</strong> opérateurs potentiels mis en concurrence avant d’être sélectionnés<br />
(Le Floch, 2011). Passer de <strong>la</strong> culture de <strong>la</strong> subvention à celle de <strong>la</strong> commande<br />
publique, comme le préconise par exemple le rapport Lang<strong>la</strong>is<br />
(2008), menace ainsi l’un <strong>des</strong> fondements de <strong>la</strong> <strong>vie</strong> <strong>associative</strong> : <strong>la</strong> capacité<br />
d’initiative. Il n’est plus question pour l’association d’initier un projet<br />
propre, mais de prendre en charge un service dont les modalités et les<br />
objectifs auront été fixés par d’autres (La Vie <strong>associative</strong>, 2009).<br />
D’une tutelle à l’autre<br />
Dans le cadre français, le danger de <strong>la</strong> commande publique pour l’initiative<br />
<strong>associative</strong> est accentué en raison d’une caractéristique essentielle<br />
du financement <strong>des</strong> associations : <strong>la</strong> très <strong>la</strong>rge prépondérance <strong>des</strong> ressources<br />
monétaires d’origine publique (près <strong>des</strong> deux tiers) et <strong>la</strong> faiblesse<br />
corré<strong>la</strong>tive <strong>des</strong> dons et du mécénat privés (moins de 10 %) (Archambault,<br />
2006a). Toutefois, on ne doit pas perdre de vue que <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> associations<br />
fonctionnent sans ou avec très peu de financements publics,<br />
lesquels se concentrent <strong>sur</strong> un petit nombre d’associations fonctionnant<br />
en articu<strong>la</strong>tion avec l’action publique (Tchernonog, 2 010).<br />
Le développement de <strong>la</strong> commande publique matérialise le dilemme<br />
<strong>des</strong> associations bénéficiant de fonds publics : elles redoutent un<br />
désengagement financier qui limiterait leurs possibilités d’action, mais<br />
le recours aux financements publics risque aussi de restreindre leur<br />
initiative propre. La question n’est pas nouvelle car les associations ont<br />
Les actes : février 2012<br />
35
toujours regardé le financement public, et les nombreuses contraintes<br />
dont il est assorti, comme un risque d’instrumentalisation par les pouvoirs<br />
publics (Archambault, 2006b). Historiquement, le degré ultime de<br />
cette instrumentalisation est <strong>la</strong> régu<strong>la</strong>tion de type « tuté<strong>la</strong>ire » qui s’est<br />
développée en particulier dans le secteur social et médico-social à partir<br />
<strong>des</strong> années 1970 (Enjolras, 1995) et qui se traduit un contrôle <strong>des</strong> investissements,<br />
<strong>des</strong> coûts, de <strong>la</strong> qualité, <strong>des</strong> prix et de <strong>la</strong> démographie <strong>des</strong><br />
équipements (Marival, 2008).<br />
Cette régu<strong>la</strong>tion tuté<strong>la</strong>ire est le fait de l’État et <strong>des</strong> organismes<br />
sociaux. Mais on assiste à une baisse significative de leurs financements<br />
et à un effort accru <strong>des</strong> collectivités territoriales depuis <strong>la</strong> fin <strong>des</strong> années<br />
1990 (Tchernonog, 2007). L’Acte II de <strong>la</strong> décentralisation (loi du 13 août<br />
2004 re<strong>la</strong>tive aux libertés et responsabilités locales) y a contribué en<br />
confiant de nouvelles compétences aux conseils généraux, positionnés<br />
comme « chef de file » en matière d’action sociale et médico-sociale.<br />
Ce<strong>la</strong> ne veut pas dire que le rôle d’encadrement de l’État a disparu.<br />
Dégagé <strong>des</strong> contraintes de gestion, il se recentre justement <strong>sur</strong> son rôle<br />
de cadrage et de production de normes, plus ou moins marqué selon les<br />
secteurs (Marival, 2008). Dans <strong>la</strong> politique de <strong>la</strong> ville, on voit également<br />
l’État « gouverner à distance » par le truchement d’agences nationales<br />
qui s’as<strong>sur</strong>ent de <strong>la</strong> mise en œuvre performante de leurs programmes<br />
par <strong>des</strong> acteurs territoriaux appelés à se conformer aux objectifs définis<br />
par ces agences (Epstein, 2 010).<br />
Couplée au re<strong>la</strong>tif désengagement financier de l’État (CPCA, France<br />
active, 2012), <strong>la</strong> décentralisation (Acte I puis Acte II) n’en p<strong>la</strong>ce pas<br />
moins les associations dans une re<strong>la</strong>tion de face à face de plus en plus<br />
exclusive avec les collectivités locales. Les municipalités et les conseils<br />
généraux sont devenus les premiers bailleurs de fond <strong>des</strong> associations<br />
(Tchernonog, 2007). La RGPP accentue ce mouvement en organisant le<br />
recentrage de l’État <strong>sur</strong> ses « missions essentielles ». Les associations<br />
ont alors tendance à se tourner vers les municipalités, une tendance qui<br />
pourrait s’accentuer encore si les régions et départements perdaient leur<br />
c<strong>la</strong>use de compétence générale dans le cadre de <strong>la</strong> « réforme territoriale<br />
». La pression qui s’exerce <strong>sur</strong> les municipalités est donc très forte<br />
pour financer les associations, car elles ne peuvent pas se défausser <strong>sur</strong><br />
un échelon inférieur ; d’autant moins que <strong>la</strong> crise accentue les deman<strong>des</strong><br />
sociales et que les administrés sont indifférents aux partages institutionnels<br />
<strong>des</strong> compétences (Pissaloux, Supplisson, 2 010).<br />
Dans le cadre de <strong>la</strong> décentralisation, le croisement <strong>des</strong> niveaux de<br />
36 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
compétence et de décision avait multiplié les financements croisés, ce<br />
qui augmentait <strong>la</strong> marge d’autonomie financière d’associations moins<br />
dépendantes qu’elles ne le sont avec un seul financeur (Demoustier,<br />
2005). Même payées au prix fort par <strong>des</strong> lourdeurs de gestion, les associations<br />
risquent de perdre cette liberté re<strong>la</strong>tive vis-à-vis d’un interlocuteur<br />
unique. L’État pousse en ce sens et le rapport Lang<strong>la</strong>is s’est fait<br />
l’écho de cette volonté en recommandant de mettre fin au système <strong>des</strong><br />
financements croisés (Lang<strong>la</strong>is, 2008). Pour certaines associations, les<br />
inconvénients du rapport de sujétion induit par <strong>la</strong> commande publique<br />
pourraient se dép<strong>la</strong>cer de l’État vers les élus locaux.<br />
Re<strong>la</strong>tion asymétrique ou dépendance réciproque ?<br />
Une dépendance accrue envers les municipalités n’est pas sans<br />
risque pour les associations. L’Acte I de <strong>la</strong> décentralisation avait déjà<br />
permis de constater <strong>la</strong> contradiction forte entre le leadership mayoral et<br />
l’idéal participatif incarné par les associations (Blondiaux et al., 1999).<br />
Les nouveaux dispositifs d’action publique territorialisés, nés en particulier<br />
dans le sil<strong>la</strong>ge de <strong>la</strong> politique de <strong>la</strong> ville, étaient révé<strong>la</strong>teurs du<br />
caractère asymétrique de l’échange avec les institutions financeurs. La<br />
rhétorique du « partenariat » et de <strong>la</strong> « coproduction » <strong>des</strong> politiques<br />
sociales territorialisées ne pouvait masquer le fait que les associations<br />
étaient absentes <strong>des</strong> arènes où se font les vrais choix de politique locale<br />
(définition <strong>des</strong> objectifs, choix <strong>des</strong> mo<strong>des</strong> d’action, etc.) (Mail<strong>la</strong>rd, 2002).<br />
Les re<strong>la</strong>tions <strong>des</strong> associations avec les élus sont en fait variables,<br />
selon l’attitude plus ou moins interventionniste de ces derniers, al<strong>la</strong>nt du<br />
clientélisme ou du copinage jusqu’au respect absolu de l’autonomie <strong>des</strong><br />
associations (Koulytchizky, Pujol, 2001) 6 . Un examen plus attentif <strong>des</strong><br />
re<strong>la</strong>tions mairies-associations montre en fait que <strong>la</strong> subordination supposée<br />
<strong>des</strong> associations est re<strong>la</strong>tive. Plusieurs facteurs <strong>vie</strong>nnent freiner<br />
<strong>la</strong> capacité <strong>des</strong> élus à régenter l’action <strong>associative</strong> <strong>sur</strong> leur territoire. La<br />
commande publique pose <strong>la</strong> question de l’existence proprement dite d’un<br />
projet politique <strong>des</strong> élus. Les municipalités peuvent avoir <strong>des</strong> finalités<br />
incertaines et être marquées par <strong>des</strong> conflits internes qui ne valident pas<br />
forcément l’idée de « maire entrepreneur » (Mail<strong>la</strong>rd, 2004). De leur côté,<br />
les associations déploient diverses stratégies pour limiter leur dépendance<br />
et préserver leur autonomie tout en accédant aux ressources qui<br />
6. Le cas de figure inverse est celui <strong>des</strong> associations parapubliques fondées, dirigées<br />
et financées par les autorités publiques. Ces associations représentent un dévoiement<br />
de l’intention du légis<strong>la</strong>teur de 1901, qui concevait l’association comme un<br />
contrat civil fondé <strong>sur</strong> <strong>la</strong> volonté individuelle <strong>des</strong> sociétaires (Amb<strong>la</strong>rd, 2001).<br />
Les actes : février 2012<br />
37
leur sont nécessaires. L’association peut ainsi s’efforcer de créer une<br />
situation de dépendance mutuelle, en développant par exemple <strong>des</strong><br />
re<strong>la</strong>tions personnelles avec les élus et les fonctionnaires territoriaux, de<br />
façon à apparaître comme un partenaire non-substituable (Fabre, 2006).<br />
Comme le rappellent plus <strong>la</strong>rgement Christian Hoarau et Jean-Louis<br />
Laville (2008), <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion <strong>des</strong> associations aux pouvoirs publics prend<br />
rarement <strong>la</strong> forme d’une contrainte uni<strong>la</strong>térale : si les politiques publiques<br />
influent <strong>sur</strong> les associations, <strong>la</strong> réciproque n’est pas exclue.<br />
La théorie de <strong>la</strong> « dépendance à l’égard <strong>des</strong> ressources » forgée par<br />
Pfeffer et Sa<strong>la</strong>ncik (2003) fournit une grille d’analyse <strong>des</strong> stratégies permettant<br />
aux associations de réduire leur dépendance à l’égard de l’administration.<br />
Sur le p<strong>la</strong>n technique, elles peuvent développer une expertise<br />
afin d’augmenter <strong>la</strong> dépendance de <strong>la</strong> collectivité vis-à-vis d’elles. Sur<br />
le p<strong>la</strong>n économique, elles peuvent renforcer leurs ressources propres<br />
afin de réduire leur propre dépendance. Enfin, elles peuvent déployer<br />
<strong>des</strong> stratégies de négociation au sein de coalitions d’acteurs et chercher<br />
à peser <strong>sur</strong> les mo<strong>des</strong> d’allocation <strong>des</strong> ressources (Marival, 2008).<br />
Mais dans le contexte d’un développement <strong>des</strong> logiques de marché<br />
pouvant aiguiser les comportements individualistes <strong>des</strong> associations, se<br />
regrouper pour peser de<strong>vie</strong>nt à <strong>la</strong> fois plus difficile et plus nécessaire. Ce<br />
peut-être en effet un moyen d’éviter <strong>des</strong> coopérations imposées par les<br />
pouvoirs publics via les marchés publics (Le Floch 2001). Les fédérations<br />
et autres coordinations inter<strong>associative</strong>s s’apparentent aujourd’hui à <strong>des</strong><br />
protections (au moins potentielles) face aux contraintes exercées par les<br />
pouvoirs publics.<br />
38 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
SéAnce plénière 3<br />
L’engagement contemporain :<br />
les raisons d’agir et le sens <strong>des</strong> mutations<br />
Intervention de Catherine Lenzi, sociologue, chercheuse associée au<br />
<strong>la</strong>boratoire Printemps/CNRS, responsable du pôle enseignement supérieur,<br />
recherche et international à l’IREIS Rhône-Alpes<br />
Avant de traiter de l’engagement contemporain et de ses évolutions,<br />
il me faut au préa<strong>la</strong>ble éc<strong>la</strong>irer <strong>la</strong> notion même d’engagement. En<br />
France, l’engagement est fortement lié à l’action partisane ou au militantisme<br />
politique. On a longtemps considéré que l’engagement « noble »,<br />
l’engagement par excellence était l’engagement politique, suivi de<br />
l’engagement syndical. Les autres formes d’engagement (engagement<br />
associatif ou bénévo<strong>la</strong>t) étaient assez dépréciées. Pour preuve, ce n’est<br />
que récemment que <strong>des</strong> chercheurs, sociologues et politistes ont inclus<br />
l’engagement bénévole et associatif dans l’étude <strong>des</strong> formes de participation<br />
au débat public. Cet aveuglement général <strong>sur</strong> l’action bénévole et<br />
<strong>associative</strong> comme engagement citoyen rend difficilement perceptibles<br />
les modalités d’engagement contemporaines qui se concentrent essentiellement<br />
dans le champ associatif.<br />
Si on entend derrière le terme engagement, l’engagement partisan<br />
ou politique, il ne fait donc pas l’ombre d’un doute que les individus<br />
aujourd’hui ne se reconnaissent plus dans ces mo<strong>des</strong> de participation<br />
collective qu’ils perçoivent comme sacrificielle et en désaccord profond<br />
avec les valeurs individuelles et d’autonomie qui les animent. Ce n’est<br />
donc pas anodin si les acteurs associatifs se définissent davantage<br />
comme <strong>des</strong> individus « engagés » et affranchis <strong>des</strong> logiques d’appareil,<br />
que comme <strong>des</strong> militants, terme associé au « petit soldat de <strong>la</strong> cause ».<br />
Suivant cette même logique, les individus engagés dans une action<br />
collective et plus généralement les bénévoles associatifs, se définissent<br />
souvent comme apolitiques ou apartisans, quand bien même tout dans<br />
leur pratique, témoigne du contraire.<br />
Ainsi, l’engagement contemporain apparaît plus distancié que par le<br />
passé. Cette évolution <strong>des</strong> pratiques est analysée par certains (y compris<br />
<strong>des</strong> chercheurs) comme <strong>la</strong> marque d’un désintérêt pour <strong>la</strong> chose<br />
Les actes : février 2012<br />
39
publique et, de façon plus précise, pour <strong>la</strong> ou le politique. Mais ces<br />
formes de mobilisations relèvent-elles de logiques si différentes et diamétralement<br />
opposées aux formes « traditionnelles », qu’il faille nécessairement<br />
opposer « ancien » et « nouveau » militantisme ?<br />
Dans un premier temps lors de cette intervention, il s’agira d’interroger<br />
<strong>la</strong> réalité de ce « désengagement » et de cette « nouveauté » pour<br />
mettre en évidence dans un second temps, que loin d’être désinvestis,<br />
les individus s’engagent toujours mais dans <strong>des</strong> collectifs plus fragiles et<br />
moins en capacité de répondre à leurs attentes.<br />
Préambule à une analyse théorique de l’engagement<br />
contemporain : déconstruire le clivage ancien/nouveau<br />
Un éc<strong>la</strong>irage historique et sociologique du militantisme nous enseigne<br />
que <strong>la</strong> thématique du « nouveau » était déjà présente dans les années 70<br />
au moment où s’affaiblit le mouvement ouvrier et où l’appareil théorique<br />
marxiste de <strong>la</strong> conflictualité sociale se trouve limité pour appréhender<br />
<strong>des</strong> formes de mobilisations autrement que d’un point de vue matérialiste.<br />
Il en est ainsi <strong>des</strong> mouvements féministes, écologistes, étudiants<br />
ou régionalistes, entre autres, identifiés par Albert Melucci qui analyse<br />
« une politisation de <strong>la</strong> sphère privée, une vive attention à <strong>la</strong> dimension<br />
corporelle (et sexuelle), un intérêt pour les marges et <strong>la</strong> déviance, un désir<br />
d’autonomie et d’indépendance à l’égard de l’État et de ses appareils<br />
de contrôle social (joint à un désintérêt marqué à l’égard <strong>des</strong> enjeux de<br />
pouvoir), un fort accent <strong>sur</strong> <strong>la</strong> solidarité, <strong>la</strong> spontanéité et <strong>la</strong> participation<br />
directe, un rejet <strong>des</strong> hiérarchies, de l’autorité et de <strong>la</strong> délégation de pouvoir<br />
». (Melucci, 1980 in Mathieu, 2004a, p. 30).<br />
Ainsi, le passage à un nouveau registre de l’action collective, re<strong>la</strong>tif<br />
à <strong>la</strong> défense de l’autonomie et de l’identité personnelle (Cohen, 1985)<br />
est l’enjeu de <strong>la</strong> rhétorique postmatérialiste. La thèse, alimentée par<br />
les travaux de Ronald Inglehart (1977), tendant à démontrer qu’à partir<br />
du moment où les sociétés occidentales satisfont les besoins matériels<br />
immédiats, les revendications évoluent vers <strong>des</strong> enjeux postmatérialistes,<br />
qualitatifs, culturels et identitaires (qualité de <strong>vie</strong>, souci de l’environnement<br />
et de soi…), va également dans ce sens.<br />
À l’opposé <strong>des</strong> Trente Glorieuses, le chômage de masse et <strong>la</strong> précarisation<br />
de l’emploi, ont rapidement recentré les mobilisations <strong>sur</strong><br />
<strong>des</strong> enjeux matériels. Néanmoins, au-delà <strong>des</strong> faiblesses préjudiciables<br />
du modèle d’analyse, on peut malgré tout reconnaître à <strong>la</strong> théorie <strong>des</strong><br />
40 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
« nouveaux mouvements sociaux » le mérite d’avoir favorisé un dépassement<br />
<strong>des</strong> modèles réducteurs d’interprétations de l’action collective<br />
hérités de l’analyse économique (Neveu, 1996). Grosso modo, au-delà<br />
de l’interprétation centrale de l’action collective, comme réponse aux<br />
contradictions du système capitaliste, deux acceptions à partir <strong>des</strong><br />
années 70 se font jour. La théorie de <strong>la</strong> mobilisation <strong>des</strong> ressources,<br />
constitue le cadre théorique de référence dans les années 80. De filiation<br />
olsonnienne (1978), impulsée entre autres par Anthony Oberschall (1973)<br />
et Charles Tilly (1986), elle se fonde <strong>sur</strong> <strong>la</strong> théorie du choix rationnel ou<br />
de l’utilitarisme et prête aux acteurs sociaux une capacité à reconnaître<br />
les fins de leur action et à se doter <strong>des</strong> moyens pour tenter d’y parvenir.<br />
À côté d’une lecture économique <strong>des</strong> conduites militantes, <strong>la</strong> seconde<br />
approche, celle de <strong>la</strong> théorie <strong>des</strong> « nouveaux mouvements sociaux »<br />
considère que l’action fait « sens » (Touraine, in Wieviorka, 2000). La<br />
rencontre entre les deux acceptions permettra in fine d’enrichir les acquis<br />
de <strong>la</strong> « mobilisation <strong>des</strong> ressources » en limitant le modèle de l’homo<br />
economicus à ses justes proportions. Pour partie, ces transformations<br />
conceptuelles visent à une complexification du modèle rationnel justifiant<br />
que <strong>des</strong> incitations d’ordre social et identitaire (et pas seulement matériel)<br />
expliquent l’action.<br />
En outre, Erik Neveu (1996) précise que <strong>la</strong> science politique a longtemps<br />
analysé le militantisme par un travail d’objectivation <strong>des</strong> déterminants<br />
macrosociologiques, tels que le statut social et <strong>la</strong> socialisation<br />
familiale. Ce faisant, elle <strong>la</strong>issait de côté tout un pan ethnographique de<br />
<strong>la</strong> construction <strong>des</strong> engagements qui explore l’expérience vécue du militantisme<br />
comme système de « rétribution » et déterminants de l’action.<br />
Dès lors, « une meilleure compréhension du militantisme implique aussi<br />
de le penser au quotidien » (Neveu, 1996, p. 72). Afin de comprendre<br />
pourquoi certains militent, tandis que d’autres demeurent passifs – point<br />
obscur de <strong>la</strong> théorie de <strong>la</strong> « mobilisation <strong>des</strong> ressources » – il importe<br />
de comprendre les « intérêts » en action <strong>des</strong> militants (Ibid.). S’inspirant<br />
d’une lecture olsonnienne de l’engagement, Daniel Gaxie (1977) a montré,<br />
en étudiant le parti communiste, que le militantisme dépendait de<br />
rétributions, à <strong>la</strong> fois symboliques et matérielles. La notion de rétribution<br />
comme incitation engageant à l’action collective, au cœur de l’approche<br />
olsonnienne, se charge ici d’un souffle nouveau. L’auteur dresse une liste<br />
<strong>des</strong> gains, pratiques, émotionnels et identitaires que procure un parti et<br />
qui constituent autant d’incitations à l’engagement. Procédant de cette<br />
même logique, l’anthropologie de l’intérêt de Pierre Bourdieu dépasse <strong>la</strong><br />
notion réductrice de l’utilitarisme (calculs/intérêts) pour y adjoindre celle<br />
de raison d’agir ou d’action raisonnable. Ainsi, le « sens » symbolique<br />
Les actes : février 2012<br />
41
que produit l’action collective peut avoir un effet engageant, intensifiant<br />
<strong>la</strong> mobilisation et le dévouement de certains. Par l’angle d’approche de<br />
l’économie <strong>des</strong> pratiques, se trouve explicité le militantisme de certains<br />
qui réside dans le fait que l’action collective confère une reconnaissance<br />
sociale ou un entre-soi, à l’origine d’implications « disproportionnées »<br />
(effets <strong>sur</strong>impliquant).<br />
Comparativement à <strong>la</strong> logique <strong>des</strong> prédispositions ou de l’appartenance<br />
sociale (socialisations antérieures) et à celle <strong>des</strong> intérêts dans <strong>la</strong><br />
gratification matérielle et symbolique tirées de cette adhésion, les analyses<br />
contemporaines <strong>sur</strong> l’engagement militant visent à dépasser ces<br />
deux positions, afin d’adopter un angle de vue plus processuel (Fillieule,<br />
2001). Ces analyses accordent un intérêt significatif au contexte. Au-delà<br />
d’une analyse objectivante en termes de structures et de ressources, en<br />
empruntant à un cadre d’analyse constructiviste, elles tentent d’éc<strong>la</strong>irer<br />
<strong>la</strong> façon dont les mobilisations produisent <strong>des</strong> justifications (gratifications<br />
symboliques) et renvoient aussi à l’expérience subjective de<br />
l’engagement. Dans cette perspective, on peut citer l’apport <strong>des</strong> travaux<br />
de Johanna Siméant (1998 ; 2001) <strong>sur</strong> les sans papiers, qui se donnent<br />
comme objectif, en articu<strong>la</strong>nt les trois logiques explicatives de l’engagement<br />
– intérêts, prédispositions et contexte ou facteurs déclenchants,<br />
actualisant <strong>des</strong> prédispositions –, de mettre au jour les raisons pour<br />
lesquelles certains restent actifs et d’autres se désengagent.<br />
Procédant d’une logique analogue, <strong>des</strong> travaux récents 1 interrogent<br />
les engagements non plus comme <strong>la</strong> seule conséquence d’intérêts et de<br />
choix personnels, pour lesquels l’action collective marque <strong>des</strong> rétributions<br />
ou gratifications (matérielles ou symboliques) ou comme <strong>la</strong> résultante de<br />
normes héritées de socialisations antérieures qui façonnent les conduites<br />
militantes (habitus politiques, socialisation religieuse…), mais comme le<br />
produit d’un processus d’ajustement (Sawicki, 2003 ; Haward-Duclos et<br />
Nicourd, 2005) fragile qui fait le lien entre une trajectoire personnelle et<br />
une organisation qui le suscite. Cette posture entend rompre avec les<br />
analyses issues d’un individualisme « optimiste », illustré notamment en<br />
France par les travaux de Jacques Ion (1999, 2005), qui expliquent les<br />
changements actuels dans le paysage militant comme <strong>la</strong> marque d’une<br />
mutation <strong>des</strong> formes de mobilisation, et dépeignent un activisme plus<br />
distancié et affranchi, valorisant <strong>la</strong> réflexivité du « nouveau » militantisme.<br />
1. Voir notamment : A. Collovald, 2002 ; B. Havard Duclos et S. Nicourd, 2005 ;<br />
O. Fillieule, 2001 ; Péchu, 1996-2001 ; Sawicki, 2003.<br />
42 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
« Au militant dévoué et fidèle, fonctionnant à l’appartenance identitaire<br />
et à l’engagement illimité, aurait succédé un militant plus autonome à<br />
l’égard <strong>des</strong> organisations, mobilisé <strong>sur</strong> <strong>des</strong> objectifs concrets, mo<strong>des</strong>tes<br />
et spécialisés mais utiles, <strong>sur</strong> <strong>des</strong> durées limitées. L’action de<strong>vie</strong>ndrait<br />
plus importante que l’affiliation, dans un idéal tout autant libéral que libertaire<br />
» (Havard-Duclos et Nicourd, 2005, p. 171).<br />
Comprendre les « raisons d’agir » et le sens <strong>des</strong> engagements<br />
pour une analyse plus complexe <strong>des</strong> défections<br />
Suivant cette même approche, nous proposons de rendre lisibles les<br />
raisons d’agir qui motivent et orientent les conduites <strong>des</strong> individus qui, si<br />
elles ne sont pas forcément liées à <strong>la</strong> thèse utilitariste, ne sont pas pour<br />
autant <strong>des</strong> « actes gratuits », c’est-à-dire non motivés.<br />
Afin de rendre compte <strong>des</strong> logiques d’engagement, nous choisissons<br />
d’emprunter <strong>la</strong> lecture offerte par Pierre Bourdieu dans « Raisons<br />
pratiques » (1994) de l’acte d’investissement, comme d’un acte désintéressé,<br />
sans pour autant que celui-ci n’obéisse à aucune logique ou<br />
raison d’agir.<br />
Dans nombre de cas, le sens de l’acte d’engagement renvoie moins<br />
à <strong>la</strong> notion d’intérêt – au sens d’un calcul stratégique et rationnel – qu’à<br />
celle d’illusio, théorisée par Pierre Bourdieu : « L’illusio, c’est le fait d’être<br />
pris au jeu, d’être pris par le jeu, de croire que le jeu en vaut <strong>la</strong> chandelle,<br />
ou, pour dire les choses simplement, que ça vaut <strong>la</strong> peine de jouer »<br />
(Bourdieu, 1994, p. 151). Toutefois, le jeu n’a de signification pour les<br />
individus que s’ils sont pris dans un champ d’actions qui permet de<br />
connaître et de reconnaître le jeu et ses enjeux, ce qui aura d’autant<br />
plus de chances de se produire que l’individu aura été ou non structuré<br />
conformément aux structures du champ en question. Ainsi le sens du<br />
jeu ou de l’engagement est à rechercher dans les habitus collectifs, mais<br />
aussi individuels – ou dispositions congruentes (Lahire, 2005) – incorporés<br />
dans les différentes expériences de socialisations antérieures, que<br />
l’expérience de l’engagement dévoile en quelque sorte.<br />
Dès lors, ce qui nous intéresse ici est moins de mettre en lumière un<br />
hypothétique « nouveau » militantisme, forcément mieux que l’ancien,<br />
qui participe à jeter un discrédit <strong>sur</strong> les mouvements plus traditionnels,<br />
mais bien de cibler <strong>la</strong> façon dont l’expérience même de l’engagement<br />
produit ou non du sens pour les individus qui y participent et justifie leur<br />
adhésion dans <strong>la</strong> durée.<br />
Les actes : février 2012<br />
43
Bénédicte Havard-Duclos et Sandrine Nicourd, à partir d’une analyse<br />
<strong>des</strong> processus d’engagement observés dans <strong>des</strong> associations de<br />
solidarité, ont montré que l’intensité <strong>des</strong> engagements dépendait de<br />
<strong>la</strong> façon dont les organisations répondent aux attentes <strong>des</strong> militants<br />
<strong>sur</strong> quatre registres : « l’utilité sociale, le sens de l’engagement pour <strong>la</strong><br />
trajectoire personnelle, le p<strong>la</strong>isir apporté par une sociabilité et un statut<br />
satisfaisants, <strong>la</strong> légitimité de l’engagement au regard <strong>des</strong> normes sociales<br />
dominantes » (Havard-Duclos et Nicourd, 2005, p. 194).<br />
Les associations étant porteuses pour les individus de ressources<br />
diverses, tant matérielles, que symboliques ou identitaires, les auteures<br />
observent que le degré de mobilisation <strong>des</strong> militants est corrélé avec<br />
<strong>la</strong> possibilité qui leur est donnée de compenser ou non leur investissement<br />
dans l’association dans d’autres sphères du monde social. Grosso<br />
modo, plus l’individu est soutenu par <strong>des</strong> liens sociaux denses (familiaux<br />
ou professionnels par exemple) et plus son investissement est distancié<br />
et inversement : <strong>des</strong> personnes « fragiles » ayant peu de lien d’attache<br />
ont tendance à créer <strong>des</strong> liens de dépendance forts qui les font se rapprocher<br />
du « militant total ».<br />
Dès lors, nous retenons à travers ce modèle d’analyse que les collectifs<br />
sont pourvoyeurs de ressources : rétributions matérielles/symboliques/identitaires,<br />
qui sont les conditions indispensables à l’implication<br />
<strong>des</strong> militants. La manière dont le collectif met en scène <strong>la</strong> sociabilité militante,<br />
dont il construit les reconnaissances est fondamentale pour expliquer<br />
pourquoi certaines attentes <strong>des</strong> individus sont prises en compte<br />
alors que d’autres ne sont saisies nulle part.<br />
Pour limiter les défections, fidéliser, entretenir les vocations, les associations<br />
doivent donc répondre aux bénévoles <strong>sur</strong> les quatre registres<br />
identifiés plus haut. Si l’utilité de l’engagement n’est plus perceptible,<br />
tant de <strong>la</strong> part <strong>des</strong> professionnels, <strong>des</strong> bénévoles, que <strong>des</strong> personnes<br />
<strong>des</strong>tinataires de l’action, les raisons de partir prennent le <strong>des</strong>sus. Quand<br />
il y a absence de résonance biographique et moins d’enjeux identitaires,<br />
on observe plus de désengagement.<br />
Dès lors, les raisons du turnover ou du désengagement sont moins à<br />
chercher dans <strong>la</strong> montée de « l’individualisme » ou le désintérêt de nos<br />
concitoyens pour <strong>la</strong> cité que dans les difficultés pour les associations de<br />
définir les réponses qu’elles sont susceptibles d’apporter aux attentes<br />
individuelles (Havard-Duclos et Nicourd, 2005, p. 194).<br />
44 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
Pour conclure : le contexte socio-économique et <strong>la</strong> fragilité<br />
<strong>des</strong> collectifs d’engagement<br />
Le contexte socio-économique actuel p<strong>la</strong>ce activement les associations<br />
dans le champ de l’action sociale et modifie en profondeur<br />
leur mode d’organisation. Acculées à se transformer en prestataire de<br />
service, les associations mutent en profondeur et sont traversées de<br />
logiques contradictoires. La nécessité de leur <strong>sur</strong><strong>vie</strong> économique impose<br />
<strong>des</strong> critères de fonctionnement proche de l’entreprise : on le voit dans<br />
les pratiques, dans les opportunités d’emplois qui y sont créés, dans<br />
les critères d’évaluation : (avoir <strong>des</strong> résultats démontrables, dépenser<br />
une énergie à chercher <strong>des</strong> subventions sont autant de contraintes qui<br />
imposent d’avoir une solide détermination politique pour ne pas se replier<br />
<strong>sur</strong> l’assistance ou <strong>des</strong> pratiques dérivées de <strong>la</strong> réparation).<br />
Comment, dans un tel contexte de rationalisation, les associations<br />
peuvent continuer à produire <strong>des</strong> normes politiques ? Traversées par une<br />
logique de professionnalisation accrue à me<strong>sur</strong>e qu’elles se technicisent<br />
pour répondre à <strong>la</strong> commande sociale, comment peuvent-elles encore<br />
produire de « bonnes raisons d’agir » ?<br />
La sociabilité <strong>des</strong> associations continue à retenir, mais <strong>la</strong> complexité<br />
<strong>des</strong> re<strong>la</strong>tions entre professionnels et bénévoles peut produire <strong>des</strong> défections.<br />
La reconnaissance accrue <strong>des</strong> associations par <strong>la</strong> professionnalisation<br />
participe à discréditer le bénévo<strong>la</strong>t. De <strong>la</strong> même façon, le discours<br />
dominant de résultat, d’efficacité <strong>des</strong> actions contribue à rendre difficile<br />
pour les associations de défendre <strong>des</strong> logiques émancipatrices et éducatives<br />
qui s’inscrivent dans <strong>la</strong> durée et produisent du sens pour l’action.<br />
En effet, <strong>la</strong> culture de l’urgence qui traverse toutes les associations<br />
contribue à rendre difficile <strong>la</strong> défense d’actions éducatives, inscrites dans<br />
<strong>des</strong> temporalités plus longues que celle de <strong>la</strong> réparation et plus difficilement<br />
me<strong>sur</strong>ables et quantifiables.<br />
Du coup, s’il est moins question d’observer un « nouveau » militantisme,<br />
on peut faire le constat d’une tendance générale de <strong>la</strong> fragilité <strong>des</strong><br />
collectifs à tenir dans <strong>la</strong> durée les engagements <strong>des</strong> militants à travers<br />
<strong>des</strong> gratifications fortes.<br />
Ne s’agit-il pas pour elles de se recentrer <strong>sur</strong> le projet associatif, de<br />
se réapproprier l’espace commun, de re-politiser l’action ? De redonner<br />
du sens à l’action (sens collectif et individuel) ? Et de reconnaître <strong>la</strong> portée<br />
politique <strong>des</strong> engagements ?<br />
Les actes : février 2012<br />
45
Ne s’agit-il pas pour ces associations de déconstruire cette rhétorique<br />
du résultat, de l’urgence, pour repenser les actions dans le long<br />
terme ? Les associations sont mobilisées <strong>sur</strong> <strong>des</strong> objectifs courts, ce qui<br />
affaiblit <strong>la</strong> capacité qu’elles ont à construire <strong>des</strong> marges de manœuvre<br />
garantes de leur capacité d’expérimentation sociale et de transformation<br />
sociale.<br />
De cette façon, les associations ont à l’avenir à réfléchir à <strong>la</strong> façon<br />
dont elles peuvent résister aux injonctions <strong>des</strong> financeurs et aux injonctions<br />
<strong>des</strong> <strong>des</strong>tinataires de l’action. À <strong>la</strong> façon dont elles peuvent continuer<br />
à produire <strong>des</strong> ressources identitaires, <strong>des</strong> reconnaissances fortes<br />
pour ceux et celles qui s’y engagent, tout en s’organisant pour <strong>la</strong> <strong>sur</strong><strong>vie</strong><br />
de leur structure.<br />
C’est peut-être aussi et <strong>sur</strong>tout dans le lien paradoxal qu’elles entretiennent<br />
avec l’État, que les associations ont à réfléchir leur action. On dit<br />
partout que les associations sont fondamentales pour <strong>la</strong> création du lien<br />
social, qu’elles sont utiles, mais les recompositions <strong>des</strong> financements<br />
fragilisent <strong>la</strong> pérennité <strong>des</strong> actions et <strong>des</strong> emplois et donc <strong>la</strong> possibilité<br />
d’inscrire les actions dans <strong>la</strong> durée et de produire un travail de fond,<br />
de prévention, d’éducation qui produit du sens pour les personnes qui<br />
s’engagent et les <strong>des</strong>tinataires de l’action.<br />
46 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
Séance plénière 4<br />
Professionnalisation, quête de performance :<br />
Le modèle de l’entreprise s’impose-t-il<br />
aux bénévoles, aux sa<strong>la</strong>riés<br />
et aux volontaires <strong>des</strong> associations ? »<br />
Intervention de Jean-Louis Laville, sociologue et économiste,<br />
professeur au Conservatoire national <strong>des</strong> arts et métiers (Cnam)/Lise. Ifris,<br />
CNRS *<br />
De <strong>la</strong> légitimité à <strong>la</strong> professionnalisation<br />
Contrairement à l’entreprise qui est formée par <strong>des</strong> actionnaires<br />
attendant un retour <strong>sur</strong> leur investissement, l’association tire sa légitimité<br />
d’un autre registre : sa création s’explique par l’importance accordée<br />
à un bien commun <strong>sur</strong> lequel se rassemblent les membres fondateurs.<br />
Toutefois, pour s’inscrire dans <strong>la</strong> durée, l’association doit trouver <strong>la</strong><br />
possibilité d’étayer <strong>la</strong> référence à ce bien commun <strong>sur</strong> <strong>des</strong> conceptions<br />
partagées et <strong>des</strong> dispositifs susceptibles de conforter l’action collective<br />
initiée par les créateurs.<br />
Plusieurs logiques peuvent ainsi être distinguées à partir de l’observation<br />
<strong>des</strong> trajectoires <strong>associative</strong>s.<br />
• La logique d’entraide met l’accent <strong>sur</strong> l’égalité entre les participants<br />
et <strong>la</strong> priorité accordée à leur auto-organisation d’une activité économique,<br />
elle est mise en œuvre par <strong>des</strong> membres qui sont aussi<br />
<strong>des</strong> usagers pour les services qu’ils promeuvent.<br />
• La logique de mouvement part plus d’une revendication et d’une<br />
volonté de transformation sociale ; elle privilégie l’expression poli-<br />
* Cette contribution a pour objet d’indiquer quelques repères théoriques visant à<br />
analyser <strong>la</strong> professionnalisation <strong>des</strong> associations et à susciter un débat <strong>sur</strong> les enseignements<br />
pour l’action. Il ne s’agit que d’éléments rassemblés à titre exploratoire et<br />
appe<strong>la</strong>nt un travail collectif d’approfondissement.<br />
Les actes : février 2012<br />
47
tique par rapport à <strong>la</strong> production, l’engagement par une même<br />
« cause » et <strong>la</strong> mobilisation en faveur de celle-ci.<br />
• La logique d’aide relève plus de <strong>la</strong> compassion et de <strong>la</strong> bienveil<strong>la</strong>nce<br />
vis-à-vis <strong>des</strong> plus démunis, les promoteurs se différenciant<br />
<strong>des</strong> bénéficiaires de l’action.<br />
• La logique domestique privilégie les liens affectifs, <strong>la</strong> cooptation<br />
autour d’un leader charismatique qui conçoit <strong>la</strong> structure comme<br />
l’extension du domaine privé et valorise <strong>la</strong> fidélité au groupe fondateur<br />
et les re<strong>la</strong>tions personnelles.<br />
Les associations qui se définissent par leur identité <strong>la</strong>ïque se<br />
retrouvent d’abord autour <strong>des</strong> logiques de mouvement et d’entraide<br />
sans toutefois que les autres logiques soient absentes, les logiques<br />
domestique et d’aide pouvant être à l’origine de certaines démarches.<br />
Impulsées à partir d’une ou plusieurs de ces logiques dans lesquelles<br />
elles puisent leur légitimité, les associations comme tout autre action<br />
collective se trouvent confrontées avec le temps à un processus de<br />
rationalisation 1 organisationnelle cherchant à concilier division et coordination<br />
<strong>des</strong> activités.<br />
Comme l’a mis en évidence Jean Gadrey 2 , ce processus peut<br />
toutefois emprunter deux modalités : <strong>la</strong> rationalisation taylorienne qui<br />
repose <strong>sur</strong> une séparation tranchée entre les tâches de conception et<br />
d’exécution de<strong>vie</strong>nt le modèle dominant dans l’industrie ; mais il existe<br />
une rationalisation professionnelle dans <strong>la</strong>quelle <strong>la</strong> formalisation procède<br />
par construction de routines, typification <strong>des</strong> cas et apprentissage par<br />
échanges entre les sa<strong>la</strong>riés. Cette seconde rationalisation va jouer un<br />
rôle majeur dans <strong>la</strong> trajectoire de multiples associations. En effet, dans<br />
<strong>la</strong> période d’expansion dite <strong>des</strong> « Trente Glorieuses », le fonctionnement<br />
associatif peut s’appuyer <strong>sur</strong> une augmentation forte <strong>des</strong> financements<br />
publics, accru par les connivences entretenues avec les responsables<br />
de l’appareil d’État et prenant source, par exemple, dans les réseaux<br />
de résistance. Il en résulte une importance <strong>des</strong> associations dans l’institutionnalisation<br />
<strong>des</strong> professions au sein de différents champs d’activité<br />
(éducation popu<strong>la</strong>ire, social, culture…).<br />
Ainsi, les associations d’éducation popu<strong>la</strong>ire, dès 1945, créent <strong>des</strong><br />
formations diversifiées pour le personnel de maisons d’enfants, pour les<br />
1. La contribution fondatrice à cet égard est celle de M. Weber pour qui le processus<br />
de rationalisation caractérise <strong>la</strong> société moderne, cf. M. Weber, « Economie et société<br />
– Les catégories de <strong>la</strong> sociologie », tome 1, Paris, Plon, 1995 (traduction française).<br />
2. J. Gadrey, « Services : <strong>la</strong> productivité en question », Paris, Desclée de Brouwer, 1996.<br />
48 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
maîtres d’internat du second degré, pour les moniteurs d’adolescents et<br />
les cadres de vil<strong>la</strong>ges d’enfants auxquelles s’ajoutent, à partir de 1949,<br />
les stages infirmiers d’hôpitaux psychiatriques. Dans les années 1960<br />
et 1970, les diplômes d’état de moniteurs et de directeurs de colonies<br />
de vacances sont créés, les éducateurs spécialisés se voient régis par<br />
une convention collective et <strong>des</strong> diplômes sont institués avec habilitation<br />
<strong>des</strong> associations.<br />
Comme les associations concernées participent de cette reconnaissance<br />
de nouvelles professionnalités une confusion s’instaure entre ce<br />
rôle et les logiques qui ont présidé à leur création. En fait, les logiques<br />
mentionnées précédemment présentes lors de l’émergence sont rabattues<br />
progressivement <strong>sur</strong> une logique publique c’est-à-dire qu’une<br />
banalisation s’exerce amenant à ce que les associations se rapprochent<br />
de services publics. Le poids <strong>des</strong> professionnels de métier de<strong>vie</strong>nt<br />
important parce que leur expertise les amène à définir les deman<strong>des</strong> <strong>des</strong><br />
usagers et parce que les postes de direction et d’encadrement supérieur<br />
sont prioritairement affectés à ces professionnels dotés d’une forte expérience<br />
dans les métiers pratiqués.<br />
La professionnalisation apparaît alors comme le prolongement de ce<br />
qui était visé dans <strong>des</strong> logiques initiales d’entraide ou de mouvement<br />
passant désormais au second p<strong>la</strong>n. Son analyse comme phénomène<br />
central aux associations de <strong>la</strong> période d’expansion met en évidence plusieurs<br />
caractéristiques qui font ressortir sa complexité dès lors que l’on<br />
entre dans le détail.<br />
• Les rapports générationnels à <strong>la</strong> professionnalité peuvent s’avérer<br />
très différents, ce qui amène à identifier les principaux « groupes<br />
générationnels » tels qu’ils ressortent de l’histoire. La différenciation<br />
<strong>des</strong> comportements au travail selon ces groupes générationnels<br />
apparaît très explicative de démarcations dans les pratiques<br />
sociales <strong>des</strong> sa<strong>la</strong>riés.<br />
• L’évolution du répertoire <strong>des</strong> professionnalités peut être une source<br />
importante de différences internes. Il peut s’agir de variantes de <strong>la</strong><br />
définition de professionnalité au sein d’un même métier souvent<br />
liées aux différences de génération qui <strong>vie</strong>nnent d’être citées. Il<br />
peut s’agir aussi du passage d’une profession unique à une pluralité<br />
de professions.<br />
Des professionnalités peu définies quant à leur contenu peuvent<br />
engendrer <strong>des</strong> identités au travail mal as<strong>sur</strong>ées. La définition formelle <strong>des</strong><br />
activités peut être en retard <strong>sur</strong> les activités réellement exercées. Dans<br />
Les actes : février 2012<br />
49
de nombreux cas, c’est <strong>la</strong> confrontation directe à <strong>des</strong> problèmes sociaux<br />
et culturels d’époque qui l’explique : les associations sont souvent « en<br />
première ligne » face à <strong>des</strong> problèmes pour lesquels les règles héritées,<br />
y compris professionnelles, sont dépassées. D’où l’importance et <strong>la</strong><br />
difficulté d’une analyse approfondie du patrimoine collectif de savoirs<br />
et de savoir-faire détenus par l’association. Quand il y a absence de<br />
correspondance actualisée en principes généraux d’action et pratiques<br />
sociales en œuvre, on pourrait dire que les pratiques sont en avance <strong>sur</strong><br />
leur conceptualisation.<br />
En outre, l’explicitation de <strong>la</strong> professionnalité n’est pas une opération<br />
aisée. Répertorier les savoirs neufs, les transformer en compétences<br />
opératoires et transmissibles dans le cadre d’une formation <strong>sur</strong> le tas<br />
ou théorique ; se réapproprier de <strong>la</strong> reconnaissance de cette professionnalisation<br />
par rapport à de nouvelles deman<strong>des</strong> sociales : toutes ces<br />
exigences et contraintes peuvent conduire à s’éloigner du projet associatif.<br />
C’est le constat déjà réalisé dans le cadre <strong>des</strong> fonctionnements<br />
organisés du travail social en entreprises, dans les quartiers, dans les<br />
administrations et collectivités locales. L’esprit militant et les capacités<br />
professionnelles de travailleurs sociaux se heurtent bien souvent aux<br />
enjeux statuaires et au souci de carrière ou encore aux contraintes <strong>des</strong><br />
rapports organisés, au point de perdre le désir d’innovation originel 3 . De<br />
tels changements peuvent aussi bien guetter les volontés <strong>associative</strong>s.<br />
En somme, les processus de professionnalisation ne peuvent pas<br />
être saisis de manière statique, ils sont à reconstruire chronologiquement.<br />
Les professions qui sont légitimées par l’existence de conventions<br />
collectives et de négociations sociales régulières sont à distinguer <strong>des</strong><br />
professions en émergence comme <strong>des</strong> statuts relevant du traitement<br />
social du chômage.<br />
Une succession de crises<br />
Cette emprise de <strong>la</strong> professionnalisation est perturbée par <strong>la</strong> succession<br />
de crises qui s’amorce dès les années 1970 avec une première<br />
crise <strong>des</strong> valeurs. À cette époque, de nouveaux mouvements sociaux<br />
(écologiques, féministes,…) soulignent que <strong>la</strong> conflictualité sociale ne se<br />
réduit pas à <strong>la</strong> lutte entre capital et travail. L’effritement de l’idéologie du<br />
progrès et du patriarcat, qui avait constitué un socle culturel implicite de<br />
<strong>la</strong> société antérieure, commence à se manifester. L’une <strong>des</strong> questions<br />
3. Le problème de <strong>la</strong> réponse professionnalisée à une demande sociale neuve a été<br />
particulièrement étudié par G. Latrielle, La naissance <strong>des</strong> professions, Lyon, 1982<br />
50 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
posées dans cette première crise concerne le déficit démocratique de<br />
l’État social traditionnel : trop confiant envers les qualifications <strong>des</strong> sa<strong>la</strong>riés<br />
professionnels, il a pu considérer les usagers plus comme <strong>des</strong> assujettis<br />
que comme <strong>des</strong> co-concepteurs <strong>des</strong> activités les concernant. À<br />
l’exclusion de <strong>la</strong> parole <strong>des</strong> sa<strong>la</strong>riés quant à l’organisation du travail dans<br />
le paradigme taylorien fait écho l’invalidation de l’expression <strong>des</strong> usagers<br />
dans l’État providence. À partir de ce moment-là, en réaction contre<br />
le pouvoir <strong>des</strong> professionnels, <strong>des</strong> innovations dans <strong>la</strong> société civile<br />
se fixent pour objectif de considérer les usagers comme <strong>des</strong> citoyens<br />
et de les impliquer dans <strong>la</strong> co-construction de services associatifs, de<br />
même que les volontaires. Des structures juridiques sont adoptées dans<br />
plusieurs pays pour faciliter cette démarche et instaurer une nouvelle<br />
logique, une logique multi<strong>la</strong>térale qui vise à garantir <strong>la</strong> participation <strong>des</strong><br />
différentes catégories d’acteurs (sa<strong>la</strong>riés, bénévoles, usagers auxquels<br />
peuvent s’adjoindre les collectivités publiques…)<br />
À cette crise de valeurs succède une crise « économique » s’amorçant<br />
dans les années 1980 pour aller jusqu’à <strong>la</strong> crise systémique actuelle.<br />
Les théoriciens monétaristes qui incitent les gouvernements à abandonner<br />
les préceptes keynésiens p<strong>la</strong>ident pour une compétitivité supposant<br />
le désengagement de l’État considéré comme trop envahissant et coûteux.<br />
Traduction en termes de gestion, le « new public management » se<br />
diffuse et propose <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> importées <strong>des</strong> gran<strong>des</strong> entreprises privées,<br />
censées améliorer l’efficacité et efficience. C’est une autre étape de<br />
<strong>la</strong> professionnalisation qui s’impose, non pas fondée <strong>sur</strong> le métier mais<br />
<strong>sur</strong> <strong>la</strong> gestion, les cadres dirigeants sont désormais sélectionnés plus<br />
pour leur maîtrise de <strong>la</strong> gestion que pour leur expérience <strong>des</strong> activités.<br />
Fréquemment, ils ont été les agents d’un isomorphisme mimétique en<br />
se faisant les promoteurs d’une logique privée que « le développement<br />
de contraintes légis<strong>la</strong>tives, en termes de comptabilité et d’audit, proches<br />
de celles <strong>des</strong> sociétés commerciales » 4 a renforcé (p<strong>la</strong>n comptable spécifique<br />
et règlement 99-01 du 16 février 1999 du Conseil national de <strong>la</strong><br />
comptabilité, loi comptable 99-01 et loi du 15 mai 2001, instruction fiscale<br />
de 1998, loi organique aux lois de finances entrée en vigueur le 1 er jan<strong>vie</strong>r<br />
2006 pour faire passer l’État d’une « culture de moyen » à une « culture de<br />
résultat »). Autrement dit, les associations ont été touchées par le managérialisme<br />
5 , ce système de <strong>des</strong>cription, d’explication et d’interprétation du<br />
4. P. Avare, S. Sponem, « Le managérialisme et les associations », in C. Hoarau,<br />
J.L. Laville, La gouvernance <strong>des</strong> associations, Toulouse, Erès, 2009.<br />
5. J.F. Chan<strong>la</strong>t, Sciences sociales et management. P<strong>la</strong>idoyer pour une anthropologie<br />
générale, Québec, Presses de l’Université Laval, Éditions Eska, 2000.<br />
Les actes : février 2012<br />
51
monde à partir <strong>des</strong> catégories de <strong>la</strong> gestion caractérisé « par <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce qu’il<br />
accorde à <strong>la</strong> notion de performance, par l’importance prise par <strong>la</strong> rationalité<br />
instrumentale et par <strong>la</strong> mise en avant <strong>des</strong> concepts d’auditabilité et de<br />
responsabilité » 6 . Une partie <strong>des</strong> associations se tourne vers une logique<br />
privée qui ne prend plus référence <strong>sur</strong> le modèle public mais <strong>sur</strong> l’entreprise<br />
privée, privilégiant les alliances avec les grands groupes comme ce<strong>la</strong><br />
a été conceptualisé dans l’approche du « social business » 7 .<br />
De l’analyse à l’action<br />
En résumé, le rapport à <strong>la</strong> professionnalisation s’avère complexe.<br />
Dans <strong>la</strong> période d’expansion, les associations ont été reconnues par un<br />
État aux moyens croissants. Elles sont devenues <strong>des</strong> auxiliaires fonctionnels<br />
<strong>des</strong> pouvoirs publics afin de corriger les effets perturbateurs<br />
du marché et as<strong>sur</strong>er <strong>la</strong> cohésion sociale. L’État-providence a financé<br />
de fortes créations d’emploi dans les associations. Ceci a conduit à<br />
valoriser le travail <strong>des</strong> professionnels. La nécessité et l’obligation d’une<br />
technicité demandée par l’État aux associations renforcent l’importance<br />
du professionnalisme par rapport au bénévo<strong>la</strong>t et l’effacement <strong>des</strong> activités<br />
volontaires dans les associations gestionnaires au profit du travail<br />
sa<strong>la</strong>rié. Dans les années 1970 le rôle prééminent <strong>des</strong> professionnels a été<br />
contesté au nom du droit d’expression <strong>des</strong> usagers et <strong>des</strong> volontaires.<br />
Depuis les années 1980 une autre vague de professionnalisation s’est<br />
pourtant répandue, une professionnalisation gestionnaire.<br />
La récapitu<strong>la</strong>tion de tous ces éléments amène à une position nuancée.<br />
Le fonctionnement associatif se trouve confronté à une dynamique<br />
sociale spécifique de <strong>la</strong> professionnalisation. D’une part, <strong>la</strong> professionnalisation<br />
doit être suffisante pour <strong>sur</strong>vivre et se pérenniser. D’autre part, <strong>la</strong><br />
professionnalisation doit être contrôlée, voire autolimitée pour respecter<br />
les valeurs du projet et l’engagement. Trop de spécialisations professionnelles<br />
engoncent <strong>la</strong> dynamique sociale dans le carcan <strong>des</strong> spécialisations<br />
et <strong>des</strong> fragmentations. Inversement, trop de bénévo<strong>la</strong>t rend <strong>la</strong> gestion<br />
impossible du moins engluée dans <strong>la</strong> difficulté à retenir les bénévoles, à<br />
les stabiliser et à les rendre capables d’apprentissages nécessaires à <strong>la</strong><br />
crédibilité extérieure <strong>des</strong> services rendus. Concrètement, pour résister<br />
à <strong>la</strong> pression managérialiste et à l’attraction du modèle privé, plusieurs<br />
pistes concrètes peuvent être mentionnées pour initier un débat.<br />
6. P. Avare, S. Sponem, op-cit.<br />
7. M. Yunus, Vers un nouveau capitalisme, Paris, le Livre de poche, 2008 (traduction<br />
française).<br />
52 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
• Se réapproprier l’histoire de l’association dans sa singu<strong>la</strong>rité à<br />
travers l’articu<strong>la</strong>tion entre les logiques (opposition, complémentarité,<br />
synergie). Un travail <strong>sur</strong> cette histoire permet de récapituler<br />
une mémoire et un patrimoine collectifs qui sont autant de points<br />
d’appui pour éviter le rabattement <strong>sur</strong> <strong>la</strong> dimension organisationnelle<br />
et tenir compte de <strong>la</strong> dimension institutionnelle du projet.<br />
Quelles logiques ont été mobilisées dans l’association (entraide,<br />
mouvement, domestique, aide, multi<strong>la</strong>térale, privée, publique) et<br />
quels agencements ont été trouvés pour leur coexistence ?<br />
• Veiller à l’expression concrète <strong>des</strong> différentes parties prenantes<br />
(professionnels mais aussi usagers et volontaires) par <strong>la</strong> mise en<br />
p<strong>la</strong>ce d’espaces de participation et d’é<strong>la</strong>boration collective pour<br />
<strong>des</strong> enjeux quotidiens ; examiner <strong>la</strong> composition <strong>des</strong> instances de<br />
gouvernance et de dirigeance pour veiller à les rendre plus accessibles<br />
à ces parties prenantes dans leur diversité.<br />
• Structurer <strong>des</strong> réseaux inter-associatifs à <strong>la</strong> fois sectoriels et territoriaux<br />
afin d’opposer une coopération volontaire à <strong>des</strong> injonctions<br />
au regroupement émanant <strong>des</strong> pouvoirs externes ; constituer <strong>des</strong><br />
forums ou arènes qui soient en me<strong>sur</strong>e de valoriser le rôle <strong>des</strong><br />
associations dans l’économie et <strong>la</strong> <strong>vie</strong> <strong>des</strong> territoires.<br />
• Engager <strong>des</strong> démarches de co-construction <strong>des</strong> politiques<br />
publiques incluant une réflexion <strong>sur</strong> l’évaluation multicritères et<br />
multi-acteurs contre le réductionnisme <strong>des</strong> procédures importées<br />
<strong>des</strong> entreprises, une mise en évidence de <strong>la</strong> connaissance de<br />
proximité <strong>des</strong> deman<strong>des</strong> sociales acquises par les associations,<br />
une formalisation <strong>des</strong> régu<strong>la</strong>tions basées <strong>sur</strong> <strong>des</strong> conventions<br />
d’objectifs contrastant avec les régu<strong>la</strong>tions plus tuté<strong>la</strong>ires ou<br />
concurrentielles 8 .<br />
8. Pour une mise en perspective entre les défis posés aux associations d’éducation<br />
popu<strong>la</strong>ire et d’action sociale, il peut être stimu<strong>la</strong>nt de consulter F. Batifoulier (dir.),<br />
Manuel de direction en action sociale et médico-sociale, Paris, Dunod, 2011 et<br />
J. Haeringer (dir.), La démocratie : enjeu pour les associations d’action sociale, Paris,<br />
Desclée de Bouwer, 2008.<br />
Les actes : février 2012<br />
53
DÉBAT AVEC LA SALLE<br />
Réponses de Jean-Louis Laville aux questions de <strong>la</strong> salle<br />
Usagers ou clients, est-ce <strong>la</strong> même chose ?<br />
Précisions <strong>sur</strong> les termes « usager » et « client » :<br />
Il faut refuser <strong>la</strong> terminologie de client pour de multiples raisons et<br />
promouvoir une désignation qui n’est pas évidente, autour de l’usager,<br />
mais aussi du citoyen. L’adoption de cette notion de client, avec <strong>des</strong><br />
différences selon les champs associatifs, est peut-être plus marquée<br />
dans le champ de l’action sociale et médico-sociale que dans d’autres<br />
champs ; ce<strong>la</strong> <strong>vie</strong>nt entériner cette forme de repli néo-managérialiste. La<br />
notion de client, par son référentiel consumériste, n’est pas adaptée à<br />
cette logique d’action publique, qui me semble présente dans <strong>la</strong> spécificité<br />
<strong>associative</strong>.<br />
L’affirmation de <strong>la</strong> logique gestionnaire ne serait-ce pas <strong>la</strong><br />
disparition <strong>des</strong> services publics en direction de <strong>la</strong> <strong>vie</strong> <strong>associative</strong> et<br />
l’affirmation de l’économie sociale et solidaire ?<br />
C’est un vrai problème de <strong>la</strong> théorisation sociale de l’économie<br />
sociale. Si on regarde l’histoire de <strong>la</strong> théorisation de l’économie sociale,<br />
le modèle coopératif est au cœur de <strong>la</strong> théorisation de l’économie sociale.<br />
La <strong>vie</strong> <strong>associative</strong> n’a jamais été considérée véritablement comme étant<br />
centrale dans l’approche de l’économie sociale pour plusieurs raisons.<br />
Il y aujourd’hui une inadéquation entre cette théorisation et <strong>la</strong> réalité de<br />
l’économie sociale et solidaire, si on raisonne en ces termes. La réalité<br />
économique, si on reste <strong>sur</strong> le p<strong>la</strong>n économique, mais on pourrait l’évoquer<br />
<strong>sur</strong> le p<strong>la</strong>n sociopolitique, <strong>la</strong> réalité de l’économie sociale et solidaire<br />
est constituée à 80 % par le monde associatif. La manière dont se focalisent<br />
les débats <strong>sur</strong> l’économie sociale et solidaire est absolument en<br />
déca<strong>la</strong>ge par rapport à <strong>la</strong> réalité de cette économie sociale et solidaire.<br />
Voyez comment les débats peuvent s’agréger autour de <strong>la</strong> reprise<br />
<strong>des</strong> entreprises en coopératives par leurs sa<strong>la</strong>riés. Périodiquement, on<br />
voit ce dossier réapparaître. Or, dans <strong>la</strong> réalité de l’économie sociale et<br />
solidaire, ça ne représente quasiment rien. Il faut travailler le déca<strong>la</strong>ge<br />
entre <strong>la</strong> représentation, y compris par elle-même, de l’économie sociale<br />
et solidaire et sa réalité. Le problème n’est pas d’abandonner l’économie<br />
sociale et solidaire, mais au contraire de refonder son approche. Il faut<br />
54 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
esituer <strong>la</strong> <strong>vie</strong> <strong>associative</strong> comme une problématique constitutive d’une<br />
autre forme d’économie, mais cette autre forme d’économie ne peut pas<br />
être abordée avec les outils théoriques, uniquement de <strong>la</strong> tradition de<br />
l’économie sociale et solidaire. Celle-ci n’a pas suffisamment travaillé<br />
<strong>sur</strong> <strong>la</strong> composante <strong>associative</strong> qui est aujourd’hui <strong>la</strong> majeure partie de<br />
l’économie sociale et solidaire. C’est un point clé.<br />
Assimi<strong>la</strong>tion de <strong>la</strong> professionnalisation à l’efficience<br />
et à l’efficacité ?<br />
Tout ce qui s’est joué pendant <strong>la</strong> période d’expansion autour de <strong>la</strong><br />
professionnalisation a permis que soit reconnu dans <strong>la</strong> société, à travers<br />
les statuts et les conventions collectives, un certain nombre de fonctions<br />
qui auparavant étaient <strong>des</strong> fonctions qui n’étaient pas publiques.<br />
Ce mouvement de professionnalisation, qui a permis <strong>la</strong> reconnaissance<br />
de professions, de répertoire de professionnalité, de métiers, a été un<br />
mouvement qui est très important. Il ne peut pas du tout être ramené à<br />
<strong>la</strong> professionnalisation gestionnaire qui a eu lieu après. Sans rentrer dans<br />
les détails, à travers un certain nombre d’approches, il faut reprendre de<br />
manière détaillée, comment s’est fait ce mouvement de professionnalisation,<br />
en considérant que ce qui est important dans l’aspect organisationnel<br />
<strong>des</strong> associations se joue justement autour de ces professionnalités.<br />
La dimension de professionnalisation est extrêmement importante. Le<br />
problème qu’a créé ce mouvement de professionnalisation, c’est qu’en<br />
tant que moyens, <strong>la</strong> professionnalisation a pu devenir une finalité en soi.<br />
Comme si elle garantissait <strong>la</strong> réalisation <strong>des</strong> objectifs associatifs.<br />
C’est cette croyance, qui a été remise en cause à partir <strong>des</strong> crises<br />
<strong>des</strong> années 70 et <strong>des</strong> crises suivantes. C’était l’idée que <strong>la</strong> professionnalisation<br />
pouvait permettre de réaliser les finalités. Il est important qu’il y<br />
ait une professionnalisation et qu’elle soit analysée dans sa complexité.<br />
Il y a <strong>des</strong> niveaux de professionnalisation dans une même association qui<br />
ne sont pas les mêmes. Il y a <strong>des</strong> générations de professionnels qui ne<br />
vont pas être les mêmes. Il faut reprendre cette professionnalité dans sa<br />
complexité et en même temps arriver à faire que cette professionnalisation<br />
n’envahisse pas tout et pouvoir réserver une p<strong>la</strong>ce aux autres parties<br />
prenantes que les professionnels.<br />
« Ni rejet de cette professionnalisation, ni envahissement par celle-ci » :<br />
C’est cet équilibre qui doit être au centre de l’interrogation <strong>sur</strong> <strong>la</strong> gouvernance<br />
<strong>associative</strong>. La professionnalisation gestionnaire n’est pas soluble<br />
dans <strong>la</strong> nouvelle gestion publique. Ce qui est en train de se <strong>des</strong>siner au<br />
niveau de l’action, comme au niveau de <strong>la</strong> réflexion international, c’est le<br />
Les actes : février 2012<br />
55
fait que l’on peut aujourd’hui avoir une réflexion <strong>sur</strong> <strong>la</strong> professionnalisation<br />
gestionnaire qui ne soit pas calquée <strong>sur</strong> <strong>la</strong> nouvelle gestion publique.<br />
Ce qui est en train de changer, c’est que beaucoup de dirigeants<br />
associatifs avaient internalisé, à leur corps défendant ou non, cette nouvelle<br />
gestion publique. Il y a d’autres manières de gérer les associations<br />
qui sont tout à fait possibles. On voit aujourd’hui un frémissement de<br />
changement de paradigme dans <strong>la</strong> gouvernance <strong>associative</strong>, qui permet<br />
d’alimenter <strong>la</strong> question <strong>sur</strong> <strong>la</strong> professionnalisation gestionnaire.<br />
Ceci s’inscrit dans un moment de déstabilisation <strong>des</strong> financements<br />
publics. Il est évident que les associations vont être mises en accusation<br />
en regard du droit du travail. Il est absolument essentiel que les associations<br />
soient en me<strong>sur</strong>e de répondre <strong>sur</strong> ce p<strong>la</strong>n-là et il ne faut pas valider<br />
<strong>des</strong> stratégies massives de désengagement public.<br />
Le rôle <strong>des</strong> pouvoirs publics dans <strong>la</strong> professionnalisation<br />
Les strates successives de professionnalisation n’ont pas été pensées<br />
de <strong>la</strong> même façon. La première strate avait pris <strong>la</strong> figure du permanent,<br />
celui qui s’est investi de manière bénévole et qui, dans le prolongement<br />
de son engagement bénévole, de<strong>vie</strong>nt un permanent de l’association.<br />
Ces chronologies, ces strates historiques de professionnalisation, font un<br />
rapport aux logiques évoquées avant et suivant les différents itinéraires.<br />
Il faudrait reprendre plus en détail ces strates qui se sont succédé. Les<br />
glissements sémantiques sont tout à fait emblématiques de ce point de<br />
vue-là.<br />
Sur le rôle <strong>des</strong> pouvoirs publics, là aussi, il faudrait rentrer plus dans<br />
le détail. La régu<strong>la</strong>tion qui s’était diffusée pendant <strong>la</strong> période d’expansion<br />
est une régu<strong>la</strong>tion que l’on peut qualifier de régu<strong>la</strong>tion tuté<strong>la</strong>ire. Les activités<br />
<strong>associative</strong>s étaient financées par les pouvoirs publics sous réserve<br />
du respect <strong>des</strong> règles établies par les tutelles. Ce<strong>la</strong> conforte le scénario<br />
d’une forme de sous-traitance <strong>associative</strong> d’un certain nombre de fonctions<br />
publiques, donc l’avènement de <strong>la</strong> logique publique.<br />
Avec l’arrivée du monétarisme, dès les années 80, en particulier au<br />
Royaume-Uni avec Margaret Thatcher, s’est mise en p<strong>la</strong>ce une autre<br />
forme de régu<strong>la</strong>tion, qui a été théorisée à ce moment-là, et qui est une<br />
régu<strong>la</strong>tion concurrentielle. Dans <strong>la</strong> lignée monétariste, on considère qu’il<br />
y a du gaspil<strong>la</strong>ge et du gâchis dans l’affectation <strong>des</strong> moyens publics. La<br />
théorie qui émerge à ce moment-là c’est <strong>la</strong> théorie <strong>des</strong> quasi-marchés<br />
qui visent à réorganiser l’affectation <strong>des</strong> fonds publics <strong>sur</strong> le modèle du<br />
marché. C’est l’irruption <strong>des</strong> appels d’offres dans <strong>la</strong> régu<strong>la</strong>tion publique.<br />
56 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
C’est l’abandon <strong>des</strong> financements structurels pour les associations, au<br />
profit de financement <strong>sur</strong> <strong>des</strong> actions ponctuelles dans le cadre d’appels<br />
à projets.<br />
Il y a tout ce glissement d’une régu<strong>la</strong>tion tuté<strong>la</strong>ire vers une régu<strong>la</strong>tion<br />
beaucoup plus concurrentielle, avec <strong>des</strong> émergences de régu<strong>la</strong>tion plus<br />
conventionnée qui repose plus <strong>sur</strong> une logique de convention d’objectifs<br />
que <strong>sur</strong> une régu<strong>la</strong>tion concurrentielle. On a cette complexité de régu<strong>la</strong>tions<br />
publiques qui sont <strong>des</strong> régu<strong>la</strong>tions non cohérentes dans le temps.<br />
Elles ne se sont pas succédé, mais sédimentées ; on peut les retrouver<br />
à différents niveaux. Cette approche <strong>des</strong> régu<strong>la</strong>tions peut aider, en les<br />
déclinant selon <strong>des</strong> secteurs d’activités parce qu’il y a <strong>des</strong> pondérations<br />
différentes en fonction <strong>des</strong> secteurs d’activités, à saisir les contraintes<br />
auxquelles sont soumis un certain nombre de fonctionnements associatifs.<br />
Sur <strong>la</strong> question du professionnalisme, quand on évoque le monde<br />
associatif avec les journalistes ou avec les responsables publics, on<br />
fait face à <strong>des</strong> représentations stéréotypées, y compris avec ceux qui<br />
se disent opposés au néo-managerialisme. Un <strong>des</strong> clichés récurrents<br />
consiste à situer les associations forcément dans l’amateurisme, alors<br />
que les entreprises privées sont dans une logique de professionnalisme.<br />
Ces représentations sont liées à tout un ensemble d’intériorisations<br />
qui ont été faites, y compris par les pouvoirs publics, quelle que soit<br />
leur couleur politique. On va considérer que <strong>la</strong> marchandisation est un<br />
vecteur de professionnalisme. On le retrouve dans <strong>la</strong> succession <strong>des</strong><br />
politiques publiques menées par <strong>des</strong> gouvernements d’obédiences différentes,<br />
dans les champs <strong>des</strong> services aux personnes et dans les services<br />
de proximité. On a une assimi<strong>la</strong>tion entre <strong>des</strong> notions qui doivent être<br />
différenciées analytiquement.<br />
On voit bien que le discours général est extrêmement difficile à faire<br />
passer. La manière de se démarquer de ces clichés doit s’arrimer <strong>sur</strong><br />
deux le<strong>vie</strong>rs. Le premier, c’est l’accumu<strong>la</strong>tion d’expériences pour constater<br />
que le professionnalisme n’est pas toujours du côté de l’entreprise<br />
privée et que l’amateurisme n’est pas toujours du côté <strong>des</strong> associations.<br />
Les formes de régu<strong>la</strong>tions concurrentielles, avec leurs effets pervers,<br />
nous donnent <strong>des</strong> exemples concrets que l’on peut mobiliser dans <strong>la</strong><br />
communication car, dans certains cas, les professionnalismes plutôt sont<br />
du côté associatif que du côté de l’entreprise privée, dans les champs<br />
d’activités où opèrent ces associations.<br />
Les actes : février 2012<br />
57
En même temps, il y a un débat beaucoup plus conceptuel à mener<br />
<strong>sur</strong> ce qu’est l’économie, et ce<strong>la</strong> renvoie à <strong>la</strong> question de l’économie<br />
sociale et solidaire. Une autre faiblesse de <strong>la</strong> théorisation de l’économie<br />
sociale, c’est d’avoir considéré que le nec plus ultra de l’économie<br />
sociale, c’est de réussir <strong>sur</strong> le marché. En fait, si l’on se fixe ce type<br />
d’objectif, on ne peut que se prêter au mouvement d’isomorphisme<br />
mentionné plus haut.<br />
La trajectoire de l’économie sociale peut se résumer par cette<br />
phrase : « les coopératives pensaient changer le marché, mais en fait,<br />
c’est le marché qui a changé les coopératives. »<br />
On ne peut pas se contenter d’avoir comme optique de réussir <strong>sur</strong> le<br />
marché et de dire que l’on est une alternative au capitalisme.<br />
Toute l’école de pensée, que l’on appelle l’école de socio-économie<br />
ou l’école d’anthropologie économique met en évidence qu’il n’y a pas<br />
un principe économique – le marché –, mais qu’il y a une pluralité de<br />
principes économiques : marché, mais aussi redistribution, réciprocité,<br />
administration domestique. Une analyse économique fondée <strong>sur</strong> cette<br />
pluralité met en évidence, dans le fonctionnement concret <strong>des</strong> associations,<br />
l’hybridation <strong>des</strong> ressources. On a <strong>des</strong> arguments extrêmement<br />
précis <strong>sur</strong> ce que peut-être un positionnement d’une autre économie.<br />
Par exemple, on <strong>vie</strong>nt de faire une recherche européenne <strong>sur</strong> l’insertion<br />
par l’économique.<br />
En France, les tenants de l’insertion par l’économique, pour beaucoup<br />
très « social business », vont dire qu’ils sont de vrais acteurs <strong>sur</strong> le<br />
marché et qu’ils sont sérieux. La réalité de leur fonctionnement économique<br />
est différente. Les marchés <strong>sur</strong> lesquels ils sont <strong>des</strong> marchés tout<br />
à fait particuliers, <strong>des</strong> marchés que l’on peut appeler socio politiquement<br />
encastrés.<br />
80 % <strong>des</strong> marchés de l’insertion par l’économie sont exécutés avec<br />
<strong>des</strong> collectivités publiques de proximité. Elles confient ces marchés aux<br />
acteurs de l’insertion parce qu’il y a une convergence avec les finalités<br />
<strong>des</strong> collectivités publiques.<br />
On ne peut pas du tout parler de marché, au sens habituel du marché,<br />
mais, on doit parler de marchés locaux dont on doit saisir <strong>la</strong> spécificité.<br />
Ce<strong>la</strong> permet de déconstruire cette espèce de rapport au marché, qui<br />
infériorise les acteurs associatifs. Il faut montrer que plutôt que de parler<br />
58 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
d’un marché, on doit parler de marchés au pluriel, mais aussi d’autres<br />
principes économiques de redistribution et de réciprocité pour arriver à<br />
saisir réellement ce qu’est le fonctionnement économique d’une association.<br />
Sinon, on se <strong>la</strong>isse embarquer, comme trop d’acteurs de l’insertion,<br />
dans un référentiel au marché qui finit par en faire <strong>des</strong> sous-traitants<br />
<strong>des</strong> grosses boîtes qui veulent se faire un peu de promotion à travers<br />
quelques actions très ponctuelles d’insertion.<br />
Les actes : février 2012<br />
59
60 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
séAnce plénière 5<br />
Éducation popu<strong>la</strong>ire<br />
et <strong>vie</strong> <strong>associative</strong> au XXI e siècle :<br />
refondation, adaptation ou…<br />
fin de l’histoire ?<br />
Introduction de Nico<strong>la</strong>s Sadoul, secrétaire national de <strong>la</strong> Ligue de<br />
l’enseignement<br />
Je suis heureux que nous nous retrouvions ce matin pour poursuivre<br />
notre réflexion <strong>sur</strong> l’avenir de <strong>la</strong> <strong>vie</strong> <strong>associative</strong>.<br />
Nous avons souhaité lier volontairement notre réflexion <strong>sur</strong> <strong>la</strong> question<br />
de Congrès 2013 de Marseille « Cap <strong>sur</strong> 2016 : un avenir par l’éducation<br />
popu<strong>la</strong>ire » à ce devenir et aux mutations qui touchent <strong>la</strong> <strong>vie</strong> <strong>associative</strong>.<br />
La formule de « <strong>vie</strong> <strong>associative</strong> d’éducation popu<strong>la</strong>ire » renvoie<br />
aujourd’hui, et depuis les années 50, à <strong>des</strong> réseaux d’associations, en<br />
partie subventionnés par les pouvoirs publics : Il s’agit de moins de 400<br />
associations agréées « jeunesse et éducation popu<strong>la</strong>ire » regroupées<br />
pour <strong>la</strong> plupart au sein du Cnajep et où inter<strong>vie</strong>nnent professionnels et<br />
bénévoles.<br />
Agissant dans <strong>des</strong> domaines divers du sport, <strong>des</strong> loisirs, de <strong>la</strong> culture,<br />
de l’animation en direction <strong>des</strong> jeunes, de l’action sociale, de l’éducation<br />
à l’environnement, les principes et les pratiques de ces associations ont<br />
bien évolué depuis leurs fondations, en même temps sans doute que<br />
les politiques publiques de l’État social, de l’émergence <strong>des</strong> collectivités<br />
locales comme acteurs locaux, en même temps que l’école publique<br />
connaît une révolution inédite tant elle est prise dans <strong>la</strong> révolution cognitive<br />
à l’œuvre notamment par l’avènement <strong>des</strong> TICE, et ses acteurs, au<br />
premier rang <strong>des</strong>quels les instituteurs, les professeurs du secondaire<br />
dont <strong>la</strong> sociologie, <strong>la</strong> démographie sont aussi totalement différentes de<br />
celles qui ont permis <strong>la</strong> structuration de ces réseaux… du moins pour le<br />
courant <strong>la</strong>ïque dont <strong>la</strong> Ligue est <strong>la</strong> pierre angu<strong>la</strong>ire.<br />
Les actes : février 2012<br />
61
Il est donc sans doute pertinent de lire dans l’histoire contemporaine<br />
<strong>des</strong> associations dites d’éducation popu<strong>la</strong>ire, l’histoire <strong>des</strong> rapports de<br />
<strong>la</strong> construction d’une citoyenneté active articulée à une démocratisation<br />
<strong>des</strong> savoirs, <strong>des</strong> connaissances nécessaires pour pouvoir agir dans <strong>la</strong><br />
cité au sein d’associations locales, au sein de collectifs de parents, de<br />
sportifs, de spectateurs, de jeunes, plutôt fédérées, encadrées par <strong>des</strong><br />
mouvements organisés, hiérarchisés, institutionnalisés.<br />
Ce<strong>la</strong> a fait dire que l’éducation popu<strong>la</strong>ire, dans une lecture structuraliste,<br />
pouvait être appréhendée comme « l’histoire d’une domestication »<br />
par l’État au cours du XX e siècle. Je ne re<strong>vie</strong>ndrai pas en détail <strong>sur</strong> les<br />
étapes historiques <strong>des</strong> différents courants ouvriéristes, <strong>la</strong>ïques et éducatifs,<br />
confessionnels mais également anarchistes et anarchosyndicalistes<br />
qui ont nourri cette éducation popu<strong>la</strong>ire comme processus d’émancipation<br />
sociale, de formation <strong>des</strong> citoyens, d’accès à <strong>la</strong> culture d’espace<br />
pour « faire société » pour les uns, de critique radicale de <strong>la</strong> société,<br />
d’agir prop’et d’intervention subversive pour d’autres.<br />
Cependant, si les associations d’éducation popu<strong>la</strong>ire évoluent, se<br />
développent et agissent dans un rapport étroit avec l’État, dans une institutionnalisation<br />
forte, dans une cogestion même (formation, diplômes,<br />
Fonjep…) il est donc nécessaire, au moment où l’État social explose<br />
dans ses formes c<strong>la</strong>ssiques (dont l’apogée fut celle dites <strong>des</strong> « Trente<br />
Glorieuses »), de se réinterroger <strong>sur</strong> l’avenir de cette dimension fondamentale<br />
d’intervention dans <strong>la</strong> cité.<br />
Nous l’avons vu hier, passer d’une logique de subvention à celle de<br />
<strong>la</strong> vente, par l’intégration <strong>des</strong> logiques d’appels d’offres rend difficile<br />
l’action d’éducation auprès <strong>des</strong> plus défavorisés dans le but de leur permettre<br />
d’intervenir réellement dans <strong>la</strong> cité, <strong>sur</strong>tout dans un désarrimage<br />
avec les institutions structurantes que sont l’École, les politiques culturelles<br />
et sportives nationales…<br />
Or, les révolutions économiques, écologiques et cognitives rendent<br />
désormais urgentes notre repositionnement en matière d’éducation<br />
popu<strong>la</strong>ire comme processus d’émancipation sociale et culturelle dans<br />
un contexte où le temps passé devant les écrans augmente significativement,<br />
au moment où les rapports sociaux dématérialisés explosent<br />
dans <strong>des</strong> réseaux sociaux ectop<strong>la</strong>smiques qui ne font plus <strong>des</strong> rapports<br />
physiques, corporels <strong>la</strong> première dimension du « faire société » ; où le<br />
désintérêt pour <strong>la</strong> chose publique et le bien commun, que nous pourrions<br />
appeler « <strong>la</strong> politique », se manifeste fortement chez les plus jeunes de<br />
nos concitoyens notamment celles et ceux qui sont les plus pauvres.<br />
62 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
Alors <strong>la</strong> question de l’éducation popu<strong>la</strong>ire n’est-elle pas plus que<br />
jamais celle de l’approfondissement démocratique, celle de l’apprentissage<br />
d’une éducation à l’esprit critique, à une éducation aux convictions<br />
et à l’action délibérée pour porter d’autres modèles de société ?<br />
Le fait que nous invitions ce matin une dirigeante d’ATD 1 Quart<br />
Monde a du sens : association créée par Joseph Wresinski 2 ; ce n’est<br />
bien sûr pas un hasard, tant les modalités d’intervention dans leurs<br />
dimensions idéologiques, spirituelles, historiques et pratiques diffèrent<br />
de celles de notre réseau.<br />
Quelques indications<br />
De même, alors que l’une <strong>des</strong> alternatives contemporaines pour<br />
l’éducation popu<strong>la</strong>ire dans de nouvelles modalités d’interventions sont<br />
constituées par <strong>la</strong> promotion de l’EEDD 3 et de l’ESS 4 , accueillir Patrick<br />
Viveret est aussi bienvenu : lui qui est l’un <strong>des</strong> penseurs/acteurs majeurs<br />
<strong>sur</strong> les questions d’évaluation <strong>des</strong> politiques publiques, <strong>des</strong> indicateurs<br />
<strong>sur</strong> <strong>la</strong> production de <strong>la</strong> richesse, mais aussi il est un observateur/acteur<br />
<strong>des</strong> mouvements sociaux altermondialistes qui ont pu, et peuvent encore<br />
constituer <strong>des</strong> foyers de productions d’idées nouvelles, d’émergence de<br />
collectifs nouveaux, de formes d’intervention et de production d’idées<br />
contestataires, de rapports de force inédits.<br />
Car n’y a-t-il pas pour notre mouvement qui a solennellement appelé<br />
à (re)faire société, <strong>la</strong> nécessité impérieuse de reposer <strong>la</strong> question du<br />
conflit, du/<strong>des</strong> lieux <strong>des</strong> conflits ?<br />
1. Agir Tous pour <strong>la</strong> Dignité.<br />
2. Le père Joseph Wresinski est né dans une famille d’immigrés pauvres. Alors qu’il<br />
aurait pu oublier le monde de <strong>la</strong> misère, il choisit d’y retourner ; il rejoint en 1956<br />
un camp de familles sans abri à Noisy-le-Grand près de Paris et habite 11 ans ce<br />
« camp provisoire ». « J’ai été hanté par l’idée que jamais ces familles ne sortiraient<br />
de <strong>la</strong> misère aussi longtemps qu’elles ne seraient pas accueillies dans leur ensemble,<br />
en tant que peuple, là où débattaient les autres hommes. Je me suis promis que si<br />
je restais, je ferais en sorte que ces familles puissent gravir les marches du Vatican,<br />
de l’Élysée, de l’ONU… » Il s’oppose à <strong>la</strong> soupe popu<strong>la</strong>ire et propose aux familles<br />
un jardin d’enfants et une bibliothèque. « Ce n’est pas tellement de nourriture, de<br />
vêtements qu’avaient besoin tous ces gens, mais de dignité, de ne plus dépendre du<br />
bon vouloir <strong>des</strong> autres ». Une chapelle, <strong>des</strong> ateliers pour les jeunes et les adultes, une<br />
<strong>la</strong>verie, un salon d’esthétique pour les femmes vont être réalisés peu à peu. Avec les<br />
familles du camp et quelques amis, est créée une association qui prend le nom de<br />
« Aide à Toute Détresse » (ATD).<br />
3. Éducation à l’environnement et au développement durable.<br />
4. Économie sociale et solidaire.<br />
Les actes : février 2012<br />
63
Car nous sommes dans une société qui refoule le conflit, et qui préfère<br />
le consensus faux, voire <strong>la</strong> violence. Or, nos sociétés ultra-violentes<br />
pour les citoyens, les parties constitutives de ce peuple introuvable,<br />
doivent sans doute intégrer dans une éducation popu<strong>la</strong>ire, une éducation<br />
au conflit.<br />
En effet, pour éviter le conflit <strong>des</strong>tructeur et <strong>la</strong> violence <strong>des</strong>tructrice<br />
<strong>des</strong> biens, <strong>des</strong> rapports sociaux, <strong>des</strong> rapports de <strong>vie</strong> et <strong>des</strong>tructeurs <strong>des</strong><br />
individus (solitude, stress, burn out, suici<strong>des</strong>,…), ne faut-il pas pouvoir<br />
mettre <strong>des</strong> mots <strong>sur</strong> les réalités ? Ne faut-il pas réapprendre à « faire<br />
conflit » pour faire réellement société : c’est-à-dire au lieu de cacher les<br />
contradictions, les réveiller pour mieux déclencher <strong>des</strong> processus d’observation,<br />
de compréhension et alors de transformation. Paul Ricœur,<br />
qui n’est pas à proprement parler un révolutionnaire a tenté de définir<br />
<strong>la</strong> société démocratique en disant « une société est démocratique parce<br />
qu’elle sait qu’elle est divisée ». Les divisions de <strong>la</strong> société sont patentes,<br />
les contradictions existent a fortiori quand un pouvoir les invente en permanence<br />
(story telling) pour mieux jouer avec, créer <strong>des</strong> peurs et mieux<br />
les instrumentaliser. Cet approfondissement démocratique par l’éducation<br />
popu<strong>la</strong>ire ne doit-il pas intégrer cette capacité réelle de s’exprimer<br />
<strong>sur</strong> ces contradictions, de les analyser et de les arbitrer ?<br />
Reste également à savoir avec qui (peuple) et où ? Comment ce<br />
processus d’éducation popu<strong>la</strong>ire peut-il participer à créer un espace<br />
d’émancipation politique dans l’espace social. Car aujourd’hui, en reprenant<br />
une notion forte de Jürgen Habermas, de l’École de Francfort, <strong>la</strong><br />
question n’est-elle pas plus que jamais celle de l’espace public, c’està-dire<br />
<strong>la</strong> réunion en un lieu public de personnes privées qui font une<br />
utilisation publique de leur raison critique. Où sont ces espaces publics<br />
aujourd’hui ? Ils sont plutôt réduits et ne peuvent être limités, circonscrits,<br />
réduits aux seuls réseaux sociaux.<br />
Nous pensons en tant qu’acteurs de <strong>la</strong> société civile, que les collectifs,<br />
les associations doivent continuer à être ces lieux de passage entre<br />
l’espace privé et l’espace public. Or, les pouvoirs publics, les politiques<br />
publiques ont de plus en plus de mal avec ces espaces, puisqu’ils leur<br />
préfèrent le marché dans bien <strong>des</strong> cas. Ce passage espace privé/espace<br />
public est essentiel tant pour l’expression de sa parole (individualités), de<br />
soi-même (y compris avec ses aspirations spirituelles d’où <strong>la</strong> question du<br />
rapport à <strong>la</strong> <strong>la</strong>ïcité). C’est bien sûr essentiel dans <strong>la</strong> capacité à prendre <strong>la</strong><br />
parole publique dans <strong>des</strong> débats publics, notamment aujourd’hui quand<br />
ils sont saturés par <strong>la</strong> communication, <strong>la</strong> prise de parole médiatique<br />
64 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
continuelle <strong>des</strong> professionnels de <strong>la</strong> vente, de <strong>la</strong> consommation, pour<br />
capter du « temps de cerveau disponible » pour vendre tous les biens<br />
de consommation dont les politiciens actuels sont les experts reconnus.<br />
Mais aussi dans <strong>des</strong> débats apparents, insignifiants pour <strong>la</strong> plupart et<br />
qui ne se déroulent que par machines interposées. Il y a donc toujours<br />
un accompagnement à susciter entre espaces privés aujourd’hui multiformes<br />
et espaces publics qui sont profondément é<strong>la</strong>rgis et qui transforment<br />
<strong>la</strong> nature même de <strong>la</strong> démocratie par les TICE, et par Internet en<br />
particulier. Avant son avènement, <strong>la</strong> séparation entre espace de sociabilité<br />
(privé) et espace public existait : il y avait même entre les deux <strong>des</strong><br />
gardiens, <strong>des</strong> <strong>sur</strong>veil<strong>la</strong>nts de <strong>la</strong> frontière : <strong>des</strong> journalistes, <strong>des</strong> éditeurs<br />
(<strong>des</strong> gate-keepers). Je pense que nous, acteurs de l’éducation popu<strong>la</strong>ire,<br />
étions/sommes sans doute encore un peu <strong>des</strong> contrebandiers de l’éducation,<br />
de <strong>la</strong> culture et de <strong>la</strong> politique, <strong>des</strong> ai<strong>des</strong> à forcer ces frontières<br />
pour remettre en cause les principales oppositions qui structurent l’espace<br />
public : Conversation/information, individus/citoyens, privé/public,<br />
marché/politique notamment en forçant l’espace clos de <strong>la</strong> politique et<br />
de l’information, et <strong>des</strong> industries culturelles.<br />
En explosant les interactions entre les individus, <strong>la</strong> technologie<br />
brouille <strong>la</strong> frontière entre les sphères, bouleverse et casse certaines<br />
castes visibles en permettant aux non professionnels de l’information,<br />
de l’édition, de <strong>la</strong> politique, mais aussi aux non professionnels de l’éducation<br />
et du militantisme d’étendre le périmètre de <strong>la</strong> prise de parole et<br />
peut être de <strong>la</strong> démocratie. La ligne de partage entre sociabilité privée et<br />
débat public est donc trouée.<br />
Les débats personnels s’exposent dans les réseaux sociaux, et les<br />
tissages <strong>des</strong> liens personnels et <strong>des</strong> enjeux publics de<strong>vie</strong>nnent permanents.<br />
Alors une double révolution a lieu devant nos yeux par, d’une part,<br />
un é<strong>la</strong>rgissement du droit à <strong>la</strong> parole en public à <strong>la</strong> société tout entière et,<br />
d’autre part, l’incorporation d’une partie <strong>des</strong> conversations privées dans<br />
l’espace public.<br />
Ce processus d’approfondissement et de radicalisation de l’individualisme<br />
contemporain doit être accompagné, re<strong>la</strong>yé pour pouvoir<br />
nourrir effectivement l’approfondissement démocratique notamment en<br />
lui permettant de trouver d’autres débouchés physiques et collectifs. Il y<br />
a là sans doute un enjeu fort pour l’éducation popu<strong>la</strong>ire moderne.<br />
Les actes : février 2012<br />
65
Intervention de Patrick Viveret, Philosophe<br />
Nous sommes en présence de trois gran<strong>des</strong> questions qui suscitent<br />
trois chantiers importants.<br />
La première question est liée à <strong>la</strong> <strong>vie</strong> <strong>associative</strong> elle-même, qui,<br />
par définition, produit un type de richesse qui est en grande partie non<br />
monétaire et dont le mode de rémunération est <strong>la</strong> gratification, qui est,<br />
elle-même, en grande partie non monétaire. Le premier grand chantier<br />
concerne <strong>la</strong> richesse. C’est aussi, <strong>la</strong> question du chantier de <strong>la</strong> lutte<br />
contre <strong>la</strong> pauvreté. Il s’agit de considérer <strong>la</strong> pauvreté en tant qu’envers<br />
de <strong>la</strong> dignité. La question est celle de l’alternative à <strong>la</strong> misère ; comme l’a<br />
montré Majid Rahnema 5 dans son livre Quand <strong>la</strong> misère chasse <strong>la</strong> pauvreté<br />
(Ed. Fayard/<strong>Actes</strong> Sud, 2003), il peut y avoir de <strong>la</strong> pauvreté digne.<br />
Là où le problème de<strong>vie</strong>nt de plus en plus insupportable, c’est <strong>la</strong><br />
création d’une situation de misère, c’est-à-dire lorsque <strong>des</strong> personnes<br />
n’accèdent pas à <strong>la</strong> dignité. Ce qu’ATD Quart Monde démontre, c’est<br />
comment il est possible de construire <strong>des</strong> éléments de dignité, y compris<br />
en partant <strong>des</strong> savoirs <strong>des</strong> personnes qui sont concernées par les<br />
situations de pauvreté.<br />
Le premier chantier, c’est donc <strong>la</strong> question de <strong>la</strong> richesse. Il est<br />
aujourd’hui d’autant plus important, alors que l’on prétend que les<br />
caisses sont vi<strong>des</strong>. L’essentiel <strong>des</strong> argumentations en faveur <strong>des</strong> programmes<br />
d’austérité sociale sont liées à cette prétention selon <strong>la</strong>quelle<br />
<strong>la</strong> richesse, au sens monétaire du terme, serait tarie. On aurait dépensé<br />
trop et on n’a plus les moyens de faire face à un certain nombre d’exigences<br />
et en particulier à <strong>la</strong> toute première exigence, celle de l’État social<br />
lui-même.<br />
On comprend bien que l’on ne peut avancer <strong>sur</strong> ce chantier que si<br />
on arrête de réduire <strong>la</strong> richesse à son expression monétaire. Dans <strong>la</strong><br />
richesse exprimée, au sens monétaire du terme, et dans les comptabilités<br />
monétaires, qu’elles soient publiques, nationales, ou générales,<br />
dans les comptabilités d’entreprises, d’un côté, il y a toute une partie<br />
de richesses (au sens monétaire) qui, en réalité, correspondent à <strong>des</strong><br />
nuisances ou à <strong>des</strong> <strong>des</strong>tructions. Toute activité qui génère un flux monétaire,<br />
même si au début cette activité est une activité dangereuse ou<br />
<strong>des</strong>tructrice, va générer <strong>des</strong> flux monétaires de remp<strong>la</strong>cement, d’indemnisation,<br />
de réparation, etc.<br />
5. Majid Rahnema est diplomate et ancien ministre iranien, né en 1924 à Téhéran.<br />
66 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
Dans nos systèmes comptables, il n’y a pas une colonne qui indiquerait<br />
que les valeurs ajoutées monétaires sont liées au départ à une activité<br />
dangereuse et <strong>des</strong>tructrice. On peut prendre l’exemple du pétrolier<br />
l’Erica qui a pollué les côtes bretonnes en 1999 : Du point de vue de <strong>la</strong><br />
comptabilité nationale, l’Erica a contribué à l’augmentation du fameux<br />
Produit Intérieur Brut. Avec l’échouement et <strong>la</strong> marée noire, il a fallu remp<strong>la</strong>cer<br />
le pétrolier, ce qui a fait fonctionner <strong>la</strong> valeur ajoutée monétaire<br />
de <strong>la</strong> fabrication de pétroliers ; même chose pour les indemnisations<br />
d’as<strong>sur</strong>ance, etc. Inversement, les bénévoles qui ont participé gratuitement<br />
à <strong>la</strong> dépollution <strong>des</strong> p<strong>la</strong>ges ont été considérés, du point de vue de<br />
<strong>la</strong> comptabilité nationale, comme <strong>des</strong> inactifs improductifs.<br />
À aucun moment, ils ne sont apparus dans les comptes. Si on avait<br />
fait appel à du personnel rémunéré pour dépolluer les p<strong>la</strong>ges, ce<strong>la</strong> aurait<br />
généré <strong>des</strong> flux monétaires, ce qui serait apparu dans <strong>la</strong> comptabilité<br />
nationale. En résumé, le bénévo<strong>la</strong>t est globalement un élément qui, du<br />
point de vue de <strong>la</strong> richesse calculée en Produit Intérieur Brut, a tendance<br />
à <strong>la</strong> faire baisser. Ce n’est pas une ab<strong>sur</strong>dité propre à l’industrie pétrolière,<br />
ce<strong>la</strong> vaut pour n’importe quel accident, n’importe quelle situation<br />
de <strong>des</strong>truction ou de nuisance.<br />
C’est comme ça que l’agriculture intensive a pu détruire les nappes<br />
phréatiques, désertifier, générer <strong>des</strong> nuisances très coûteuses. On a<br />
considéré comme élément positif <strong>la</strong> production de biens agroalimentaires<br />
<strong>sur</strong> le modèle industriel. Tout le reste – <strong>la</strong> préservation de <strong>la</strong> nature,<br />
l’aménagement du territoire, le lien social –, était induit.<br />
Plus nous arrivons à une situation d’insoutenabilité du modèle économique<br />
dominant et plus <strong>la</strong> question du chantier de <strong>la</strong> richesse se réouvre.<br />
Nous avons besoin de procéder à ce qu’on pourrait appeler un audit<br />
<strong>des</strong> véritables richesses et <strong>des</strong> véritables <strong>des</strong>tructions de richesses. Nos<br />
comptabilités ne nous renseignent pas <strong>sur</strong> cette question essentielle.<br />
C’est un point absolument décisif, car quand on nous dit que <strong>des</strong><br />
pays risquent <strong>la</strong> faillite ou que les caisses sont vi<strong>des</strong>, de quoi parle-t-on<br />
exactement ? On nous dit que pour remplir nos caisses, nous allons faire<br />
<strong>des</strong> programmes d’austérité qui vont réduire, par exemple, <strong>la</strong> possibilité<br />
de se soigner. En réalité, on est en train de détruire <strong>des</strong> richesses réelles.<br />
Même chose <strong>sur</strong> le p<strong>la</strong>n éducatif, même chose quand on ne fait pas les<br />
investissements écologiques qui sont nécessaires si on veut éviter <strong>des</strong><br />
catastrophes futures <strong>sur</strong> le dérèglement climatique et <strong>sur</strong> le maintien de<br />
<strong>la</strong> biodiversité.<br />
Les actes : février 2012<br />
67
La création de valeurs, c’est de <strong>la</strong> création de force de <strong>vie</strong>. Quand on<br />
parle de valeur ajoutée, on devrait parler de valeur de force <strong>vie</strong> supplémentaire<br />
et inversement, <strong>la</strong> <strong>des</strong>truction de valeur, c’est quand on détruit<br />
de <strong>la</strong> force de <strong>vie</strong>. Comme les deux formes fondamentales de <strong>la</strong> richesse<br />
sont soit <strong>des</strong> richesses naturelles qui nous <strong>vie</strong>nnent de <strong>la</strong> nature, soit <strong>des</strong><br />
richesses humaines, soit <strong>la</strong> combinaison <strong>des</strong> deux. À chaque fois qu’il y a<br />
une <strong>des</strong>truction de richesses naturelles ou une <strong>des</strong>truction de richesses<br />
humaines, il y a donc <strong>des</strong>truction de valeur.<br />
Une <strong>des</strong> réformes essentielles à conduire, y compris <strong>sur</strong> le p<strong>la</strong>n juridique,<br />
c’est d’instaurer le risque d’un dépôt de bi<strong>la</strong>n écologique ou d’un<br />
dépôt de bi<strong>la</strong>n social. Si <strong>des</strong> seuils d’insoutenabilité sont franchis, une<br />
procédure d’alerte devrait permettre aux travailleurs <strong>des</strong> entreprises ou<br />
<strong>des</strong> institutions concernées de pouvoir se saisir du problème et d’alerter<br />
les pouvoirs publics.<br />
Par exemple, si à <strong>la</strong> suite de <strong>des</strong>truction d’écosystème important, il<br />
y a un risque de dépôt de bi<strong>la</strong>n écologique, ou si une entreprise génère<br />
une telle souffrance au travail, que son taux de suicide est a<strong>la</strong>rmant, ça<br />
générerait ce risque de dépôt de bi<strong>la</strong>n écologique ou de dépôt de bi<strong>la</strong>n<br />
social. À travers cette question du chantier d’une autre approche de <strong>la</strong><br />
richesse, on va du même coup réouvrir le fait que l’économie monétaire<br />
n’est qu’un sous-ensemble d’une économie de <strong>la</strong> richesse au sein de<br />
<strong>la</strong>quelle les formes non monétaires de <strong>la</strong> création et d’échanges de<br />
valeurs jouent un rôle absolument déterminant.<br />
C’est le passage d’une économie de production à une économie de<br />
contribution. Quand on raisonne <strong>sur</strong> une économie de contribution, on va<br />
voir quantité de richesses non monétaires qui vont apparaître comme décisives,<br />
et, inversement, quantité d’éléments qui sont qualifiés de richesses au<br />
sens monétaire du terme, qui en réalité relèvent de <strong>la</strong> <strong>des</strong>truction.<br />
Au passage, il n’est pas sans intérêt de revisiter <strong>la</strong> notion de bénéfice.<br />
Le mot bénéfice <strong>vie</strong>nt du <strong>la</strong>tin « Beneficium » ; ce<strong>la</strong> veut dire « faire<br />
le bien » ; les bénéfices, ce sont <strong>des</strong> bienfaits. Ce mot « bénéfice » <strong>vie</strong>nt<br />
de <strong>la</strong> comptabilité du salut. Quand on remonte dans l’histoire, l’une <strong>des</strong><br />
gran<strong>des</strong> mutations a été ce que Max Weber 6 avait appelé « le passage<br />
de l’économie du salut au salut par l’économie ». C’est le cœur de sa<br />
thèse dans l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme. Quand on<br />
regarde les éléments de l’économie du salut, on a les deux éléments clés<br />
6. Max Weber, sociologue et économiste allemand, est l’un <strong>des</strong> fondateurs de <strong>la</strong><br />
sociologie moderne.<br />
68 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
de l’économie, que sont <strong>la</strong> comptabilité et <strong>la</strong> monnaie.<br />
Du point de vue de <strong>la</strong> comptabilité, jusqu’à l’invention du purgatoire<br />
à <strong>la</strong> fin du XI e siècle, l’au-delà était structuré de façon binaire : enfer ou<br />
paradis. Autant dire que <strong>la</strong> seule question importante de l’ici-bas, c’était<br />
comment on évite <strong>la</strong> damnation dans l’au-delà.<br />
Pour ce<strong>la</strong>, il y avait un outil de repérage qui s’appe<strong>la</strong>it <strong>la</strong> comptabilité<br />
du salut. Dans <strong>la</strong> comptabilité du salut, il y avait, d’un côté, <strong>la</strong> colonne<br />
<strong>des</strong> bienfaits et, de l’autre côté, <strong>la</strong> colonne <strong>des</strong> méfaits ; ces méfaits,<br />
c’était les fameux péchés. Dans les péchés, vous a<strong>vie</strong>z une gradation. Il<br />
faut rappeler que le péché le plus grave, qui vous envoyait sans rémission<br />
à <strong>la</strong> damnation, ce n’était ni le meurtre, ni <strong>la</strong> luxure, ni les sept<br />
péchés capitaux, c’était le prêt à intérêts, en particulier sous <strong>la</strong> forme de<br />
l’u<strong>sur</strong>e. C’était le b<strong>la</strong>sphème suprême.<br />
Prétendre que l’argent était créateur dans le temps, c’était mettre<br />
l’argent au même niveau que Dieu. Seul Dieu est créateur dans le temps.<br />
C’est au cœur de toutes les civilisations et en particulier dans <strong>la</strong> civilisation<br />
occidentale, dans l’ancien testament. C’est l’alternative par rapport<br />
au veau d’or. On le retrouve dans le christianisme avec <strong>la</strong> fameuse parabole<br />
: « Il est plus difficile à un riche de rentrer dans le royaume <strong>des</strong> cieux,<br />
qu’à un chameau de passer pas le trou d’une aiguille ».<br />
L’Is<strong>la</strong>m a repris aussi cette tradition, mais c’est aussi issu de <strong>la</strong> civilisation<br />
grecque. Il ne faut jamais oublier qu’Aristote 7 avait caractérisé le<br />
dérapage de l’économie.<br />
Aujourd’hui, l’un <strong>des</strong> problèmes majeurs de <strong>la</strong> crise financière, c’est <strong>la</strong><br />
déme<strong>sur</strong>e de l’économie spécu<strong>la</strong>tive. Bernard Lietaer 8 , ancien directeur<br />
de <strong>la</strong> Banque Centrale de Belgique, avait mis en évidence dès 2007 que<br />
<strong>sur</strong> les trois mille deux cents milliards de dol<strong>la</strong>rs échangés quotidiennement<br />
<strong>sur</strong> les marchés financiers, moins de 3 % correspondaient à <strong>des</strong><br />
biens et <strong>des</strong> services effectifs. Le reste, les 97,3 %, c’était de l’économie<br />
spécu<strong>la</strong>tive qui tournait <strong>sur</strong> elle-même. C’est ce que l’on pourrait appeler<br />
en terme aristotélicien « une crise chrématistique ». En terme judéochrétien,<br />
c’est le nouveau péché mortel qui peut conduire les sociétés<br />
et les économies qui adoptent ce mode de croissance vers de nouvelles<br />
formes de damnation.<br />
7. Aristote, philosophe grec.<br />
8. Bernard Lietaer est un économiste et universitaire belge.<br />
Les actes : février 2012<br />
69
Inversement, nous avons besoin de repérer, dans le questionnement<br />
d’un développement humain soutenable, où sont les activités bénéfiques<br />
et où sont les activités nuisibles.<br />
Il est intéressant de noter, par exemple, que le Conseil régional<br />
<strong>des</strong> Pays de <strong>la</strong> Loire, en partenariat avec l’Observatoire de <strong>la</strong> décision<br />
publique et avec le Forum pour d’autres indicateurs de richesse, ont<br />
conduit une enquête publique auprès d’un panel de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion, autour<br />
de <strong>la</strong> question « Qu’est-ce qui fait richesse pour vous ? Qu’est-ce qui<br />
compte pour vous ? Qu’est-ce qui menace ces richesses ? ». On a vu<br />
apparaître <strong>des</strong> éléments absolument fondamentaux, qui n’apparaissent<br />
dans aucunes comptabilités, par exemple, <strong>la</strong> question du rapport au<br />
temps. Le sentiment de dégradation par rapport au temps, à cause <strong>des</strong><br />
logiques de vitesse, de productivité, de rentabilité, permet du même<br />
coup de construire d’autres politiques publiques. Quand vous posez <strong>la</strong><br />
question : « où sont les bénéfices ? », et « où sont les nuisances ? », vous<br />
avancez considérablement du point de vue <strong>des</strong> politiques publiques à<br />
mettre en œuvre.<br />
Ce<strong>la</strong> permet de faire le lien avec le chantier autour de <strong>la</strong> démocratie ;<br />
c’est toute <strong>la</strong> question de l’éducation à <strong>la</strong> qualité démocratique et pas<br />
simplement au processus démocratique défini par <strong>la</strong> loi du nombre. C’est<br />
toute <strong>la</strong> question de <strong>la</strong> citoyenneté. Dans ce chantier <strong>sur</strong> <strong>la</strong> démocratie,<br />
le problème du discernement et de <strong>la</strong> délibération est tout à fait fondamental.<br />
Si l’on reprend les questions « où sont les bénéfices ? », « où sont les<br />
nuisances ? », vous allez avoir une troisième colonne à côté <strong>des</strong> « B » ou<br />
<strong>des</strong> « N » que vous pouvez graduer par degré d’importance, et faire <strong>la</strong><br />
nique aux agences de notation qui sont, évidemment, incapables de faire<br />
cette opération. À côté de ces éléments c<strong>la</strong>irement identifiés comme bénéfiques<br />
ou au contraire, comme nuisances, vous allez avoir <strong>des</strong> éléments<br />
qui vont faire doute ou débat. On peut appeler ça, <strong>la</strong> colonne « D ».<br />
Certains éléments qui sont considérés comme <strong>des</strong> bienfaits par certains<br />
sont considérés comme <strong>des</strong> méfaits ou comme <strong>des</strong> nuisances par<br />
d’autres. À chaque fois que vous avez <strong>des</strong> éléments qui font doute ou<br />
débat, c’est là que l’intelligence démocratique va être prioritaire. C’est là<br />
que l’on a besoin d’un supplément de discernement, d’évaluation, mais<br />
d’évaluation au sens de délibération <strong>sur</strong> <strong>la</strong> valeur, c’est-à-dire « qu’est-ce<br />
qui fait force de <strong>vie</strong> ? », et non pas au sens réducteur de simple me<strong>sur</strong>e,<br />
mais aussi de construction de désaccord.<br />
70 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
Ce qui est toxique dans un débat, ce n’est jamais <strong>la</strong> divergence,<br />
c’est le malentendu, le soupçon, c’est le procès d’intention. Le propre<br />
de l’intelligence démocratique, c’est d’aller construire une délibération de<br />
plus grande qualité. Cette délibération ne peut pas se faire sans que l’ensemble<br />
<strong>des</strong> parties prenantes concernées soient également présentes.<br />
Par exemple, dans le cas d’ATD Quart Monde, si les personnes en situation<br />
de très grande pauvreté, avec leur expérience et leur propre savoir<br />
ne sont pas présentes dans ces délibérations, il y a une très grande partie<br />
<strong>des</strong> connaissances de ce qui est bénéfique, de ce qui est nuisible et de<br />
ce qui suscite doute et débat qui va être absent.<br />
C’est <strong>la</strong> question du chantier démocratique : il porte <strong>sur</strong> <strong>la</strong> qualité<br />
démocratique, et pas simplement <strong>sur</strong> <strong>la</strong> quantité démocratique. La loi<br />
du nombre, <strong>sur</strong> le p<strong>la</strong>n quantitatif, n’est pas négligeable ; sortir du suffrage<br />
censitaire et avoir <strong>des</strong> procédures de décisions, qui fait que l’on<br />
va choisir plutôt à 50 % plus 1, qu’à 10 %, ou même moins. Dans <strong>des</strong><br />
systèmes oligarchiques, c’est un progrès. La démocratie ne se réduit<br />
pas à <strong>la</strong> forme quantitative. C’est tout l’enjeu qualitatif qu’est <strong>la</strong> formation<br />
du jugement, <strong>la</strong> citoyenneté, directement liée au processus éducatif.<br />
Le processus éducatif ne se réduit pas au seul système sco<strong>la</strong>ire. Cette<br />
dimension qualitative de <strong>la</strong> démocratie est fondamentale ; <strong>la</strong> dimension<br />
quantitative, par exemple, n’a jamais empêché le basculement dans un<br />
système <strong>des</strong>potique, voire totalitaire.<br />
Hitler est d’abord arrivé au pouvoir par <strong>des</strong> voies légales et démocratiques.<br />
Il a fait son coup d’État après. Louis-Napoléon Bonaparte<br />
a d’abord été élu Président de <strong>la</strong> République française de <strong>la</strong> Seconde<br />
République, au suffrage universel. Comprenons bien ! Du point de vue<br />
de <strong>la</strong> qualité démocratique, <strong>la</strong> loi du nombre est un élément absolument<br />
insuffisant. Quand bien même dans une collectivité, une toute petite<br />
minorité exprimerait un point de vue différent, du point de vue de <strong>la</strong> qualité<br />
démocratique, ça va être une ressource fondamentale.<br />
On va appeler ça <strong>des</strong> <strong>la</strong>nceurs d’alertes, alors que du point de vue<br />
de <strong>la</strong> quantité démocratique, on considère que comme ils sont moins<br />
de 10 %, ce<strong>la</strong> n’est pas intéressant. S’il y a une écoute de positions<br />
différentes, divergentes, quand bien même elles seraient minoritaires, <strong>la</strong><br />
construction <strong>des</strong> désaccords de<strong>vie</strong>nt un élément clé de <strong>la</strong> délibération.<br />
De <strong>la</strong> même façon, <strong>la</strong> construction <strong>des</strong> conflits est une alternative à <strong>la</strong><br />
violence ; il faut arrêter de confondre les deux. C’est quand il n’y a pas<br />
eu à temps formation d’un conflit que <strong>la</strong> violence apparaît.<br />
Exemple typique : les émeutes urbaines. Il n’y a pas eu de formation<br />
Les actes : février 2012<br />
71
à temps du conflit. Pour qu’il y ait formation du conflit, il faut là encore<br />
que l’ensemble <strong>des</strong> acteurs puissent être présents et puissent dire :<br />
« pour nous, cette situation est insoutenable », tels que les dix millions<br />
de Français qui sont dans <strong>des</strong> situations de mal-logement actuellement.<br />
C’est le chantier démocratique qui se nourrit de <strong>la</strong> perspective éducative.<br />
Il faut donner tous leur sens aux mots. Le mot éducation est un<br />
mot beaucoup plus fort que le mot formation. À certains égards, c’est<br />
presque l’inverse, Ex-ducere : conduire au dehors.<br />
Permettre à <strong>des</strong> êtres humains d’accéder pleinement à leur condition<br />
d’être humain. À <strong>la</strong> capacité d’é<strong>la</strong>borer leur propre projet de <strong>vie</strong> : le droit<br />
au métier. Le droit au métier est <strong>sur</strong> un axe fondamental de <strong>la</strong> question :<br />
« qu’allons-nous faire de nos <strong>vie</strong>s ? », et pas simplement : « que faisonsnous<br />
dans <strong>la</strong> <strong>vie</strong> ? ». Ce chantier-là qu’est le chantier éducatif par excellence<br />
nous permet de revisiter <strong>la</strong> troisième grande question, <strong>la</strong> troisième<br />
grande insoutenabilité du système dominant actuel, qui est justement le<br />
problème de société qui réduit <strong>la</strong> notion de métier à <strong>la</strong> notion de travail,<br />
ou à <strong>la</strong> notion d’emploi.<br />
Vous avez trois mots très forts, très différents dans leur substance,<br />
qui renvoient historiquement à <strong>des</strong> fonctions différentes. Ces trois mots<br />
sont : vocation, qui a gardé son sens premier, qui est <strong>sur</strong> l’axe du projet<br />
de <strong>vie</strong> ; métier, décliné plus avant ; et profession.<br />
À l’origine, on ne peut professer que si l’on est habité parce que<br />
l’on professe ; il faut donc vivre ce que l’on professe. Mais quand on<br />
entend parler d’une professionnalisation d’un milieu, ce<strong>la</strong> veut dire que<br />
l’on est rentré dans une logique de réduction techniciste, qui s’éloigne,<br />
au contraire, de <strong>la</strong> vocation. Profession, vocation, métier sont <strong>sur</strong> l’axe<br />
fondamental du « droit de tout être humain de faire de sa <strong>vie</strong> une œuvre »,<br />
pour reprendre <strong>la</strong> grande distinction de Hannah Arendt entre le travail et<br />
l’œuvre.<br />
Si pour <strong>des</strong> raisons pédagogiques, on veut à tout prix garder le mot<br />
travail, il faut au moins faire <strong>la</strong> grande distinction d’André Gorz entre travail<br />
choisi et travail contraint. Ce n’est pas du tout <strong>la</strong> même chose. Pour<br />
le travail choisi, on se situe dans un trépied positif, où on est reconnu par<br />
une collectivité, avec une reconnaissance sociale. On bénéficie <strong>des</strong> éléments<br />
de base, en termes de revenus et de protection sociale, pour éviter<br />
de basculer dans <strong>la</strong> misère. On construit sa propre estime de soi, en lien<br />
avec cette reconnaissance sociale : c’est le droit au travail au sens positif<br />
du terme, tel que le mouvement ouvrier a voulu le promouvoir.<br />
72 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
Ce droit au travail là n’a rien à voir avec le sens étymologique et<br />
historique du mot travail, le fameux tripalium (instrument de torture), qui<br />
renvoyait à de <strong>la</strong> dépendance, de <strong>la</strong> souffrance, pour <strong>des</strong> raisons de<br />
nécessité. Ce n’est pas du tout <strong>la</strong> même chose de savoir si une société<br />
fixe comme objectifs l’éducation au projet de <strong>vie</strong>, l’éducation au métier,<br />
l’éducation au droit de chacun à faire de sa <strong>vie</strong> une œuvre, le droit au<br />
travail choisi. Si l’on garde le mot travail ou, au contraire, <strong>la</strong> formation<br />
adaptatrice, à <strong>des</strong> jobs, à <strong>des</strong> emplois ou à <strong>des</strong> travaux, au sens de<br />
<strong>la</strong>beurs dépendants, dans <strong>des</strong> logiques de nécessité et de <strong>sur</strong><strong>vie</strong> : ce<br />
n’est pas du tout le même projet social.<br />
De <strong>la</strong> même façon qu’il y a une insoutenabilité économique du modèle<br />
actuel, de l’hyper capitalisme, fondé <strong>sur</strong> <strong>la</strong> seule richesse monétaire qui<br />
est en train d’exploser sous le poids de sa propre déme<strong>sur</strong>e spécu<strong>la</strong>tive,<br />
il y a une déme<strong>sur</strong>e du côté social qui se traduit par le creusement <strong>des</strong><br />
inégalités sociales, tant à l’échelle mondiale que dans nos propres sociétés.<br />
Une formation qui se veut purement adaptatrice à <strong>des</strong> techniques<br />
ou à <strong>des</strong> jobs, qui, de toute façon, auront toute chance d’avoir disparu,<br />
entre le moment où ils ont été choisis, et le moment où ils se réalisent, à<br />
cause de <strong>la</strong> rapidité de l’évolution <strong>des</strong> technologies, cette formation ne<br />
nous permet pas de répondre à toutes les questions qui sont celles du<br />
chômage de masse.<br />
Inversement, si vous prenez le problème par le droit au métier, on<br />
peut dire que tout être humain a au moins deux métiers matriciels dont<br />
vont dépendre tous les autres. Tout être humain a un métier de chef de<br />
projet, chef de projet de sa propre <strong>vie</strong>. C’est l’intérêt de <strong>la</strong> société que,<br />
grâce à l’éducation, que ce métier (ou ces métiers, on peut avoir plusieurs<br />
projets de <strong>vie</strong> essentiels) ait pu être construit, préparé, repéré et<br />
qu’il soit ensuite exercé dans de bonnes conditions. Une personne qui<br />
n’arrive pas à prendre en charge sa propre <strong>vie</strong>, non seulement se détruit<br />
elle-même, mais les dégâts col<strong>la</strong>téraux qu’elle va faire autour d’elle vont<br />
coûter très chers à <strong>la</strong> société.<br />
Le mot coût est à écrire aussi bien au sens de coût que de coups. Ce<br />
sont l’ensemble <strong>des</strong> coups de maltraitance qui <strong>vie</strong>nnent du fait, que l’on<br />
a <strong>des</strong> humains qui n’ont pas accédé à <strong>la</strong> capacité de se mettre debout<br />
et d’assumer leur projet.<br />
ATD Quart Monde, les Réseaux d’Échanges Réciproques de Savoirs,<br />
entre autres, l’ont mis en évidence : tout être humain, y compris dans <strong>des</strong><br />
situations dites défavorisées, est porteur de savoirs, de savoir être, de<br />
savoir-faire, de savoir de compétences, etc. À partir du moment où l’on<br />
Les actes : février 2012<br />
73
permet à ces personnes, aussi bien individuellement que collectivement, de<br />
comprendre qu’elles sont elles-mêmes porteuses de savoirs, elles peuvent<br />
alors à <strong>la</strong> fois les échanger et les transmettre. Le processus de construction<br />
de leur propre estime, leur propre fierté va se trouver bouleversé.<br />
Il y a un lien direct entre le chantier d’une autre approche de <strong>la</strong><br />
richesse, le chantier d’une autre approche de <strong>la</strong> démocratie et le chantier<br />
d’une autre approche <strong>des</strong> questions de l’emploi, en reprenant le<br />
problème en terme de métier, en organisant <strong>la</strong> nécessité de politiques<br />
de temps de <strong>vie</strong>, depuis l’accompagnement de <strong>la</strong> naissance jusqu’à<br />
l’accompagnement de <strong>la</strong> mort. Comment permettre à <strong>des</strong> êtres humains,<br />
aussi bien <strong>sur</strong> le p<strong>la</strong>n personnel, que <strong>sur</strong> le p<strong>la</strong>n collectif, d’aller vers le<br />
meilleur de leurs potentialités créatrices ? C’est <strong>la</strong> notion d’accompagnement<br />
vers ce qu’Amartya Sen 9 appe<strong>la</strong>it les capabilités, les potentialités<br />
créatrices, plutôt que <strong>des</strong> logiques compétitives, qui va nous intéresser.<br />
Pour évoquer <strong>des</strong> éléments de perspectives stratégiques, pour avancer<br />
<strong>sur</strong> ces trois chantiers, qui sont au cœur de <strong>la</strong> nouvelle éducation<br />
popu<strong>la</strong>ire, pour permettre de <strong>la</strong> refonder de façon dynamique, on peut<br />
utiliser ce que lors <strong>des</strong> états généraux de l’économie sociale et solidaire<br />
ont a appelé « le trépied du R.Ê.V.E. ».<br />
C’est-à-dire, le lien nécessaire entre <strong>la</strong> résistance, une résistance<br />
créatrice, qui n’est pas une révolte désespérée, une résistance qui va<br />
être productrice de conflits alternatifs à <strong>la</strong> violence, le R de <strong>la</strong> résistance<br />
créatrice. Le V de <strong>la</strong> vision transformatrice, ce qui débloque l’imaginaire<br />
permet de sortir de <strong>la</strong> pensée TINA (There Is No Alternative), phrase de<br />
Margaret Thatcher 10 que l’on nous ressort sous <strong>des</strong> formes différentes<br />
tout le temps. À chaque fois que le Président de <strong>la</strong> République actuel<br />
veut passer en contrebande ses projets de régression sociale, il nous dit<br />
« c’est ça, ou le chaos ». C’est le propre <strong>des</strong> acteurs de l’économie et de<br />
<strong>la</strong> politique dominante de mettre en avant <strong>la</strong> pensée TINA.<br />
9. Amartya Kumar Sen (Bengali) est un économiste. Il a reçu le prix Nobel d’économie<br />
en 1998, pour ses travaux <strong>sur</strong> <strong>la</strong> famine, <strong>sur</strong> <strong>la</strong> théorie du développement humain, <strong>sur</strong><br />
l’économie du bien-être, <strong>sur</strong> les mécanismes fondamentaux de <strong>la</strong> pauvreté, et <strong>sur</strong> le<br />
libéralisme politique. Il est l’initiateur de l’approche par les capabilités.<br />
10. There is no alternative (TINA « il n’y a pas d’alternative » en français) est un slogan<br />
politique couramment attribué à Margaret Thatcher lorsqu’elle était Premier ministre<br />
du Royaume-Uni qui signifie que le marché, le capitalisme et <strong>la</strong> mondialisation sont<br />
<strong>des</strong> phénomènes nécessaires et bénéfiques et que tout régime qui prend une autre<br />
voie court à l’échec.<br />
74 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
Le déblocage de l’imaginaire se manifeste à travers le E de l’expérimentation,<br />
mais d’une expérimentation anticipatrice, qui va dire : « ici et<br />
maintenant, nous allons le plus loin possible dans <strong>la</strong> démonstration que<br />
cet autre monde est déjà possible ».<br />
C’est toute l’histoire du mouvement ouvrier. Si vous prenez <strong>la</strong> fin du<br />
XIX e , avec ce capitalisme industriel à <strong>la</strong> Zo<strong>la</strong> et son caractère d’insoutenabilité,<br />
vous avez le R de <strong>la</strong> résistance, mais vous avez le V de <strong>la</strong> vision,<br />
pas simplement <strong>sur</strong> <strong>la</strong> vision politique. Quand vous regardez <strong>la</strong> façon<br />
dont est né le projet de création de <strong>la</strong> sécurité Sociale, ce<strong>la</strong> paraissait à<br />
l’époque une utopie totalement insensée. Cette représentation qu’un jour<br />
il serait possible de construire un système de sécurité sociale, permettait,<br />
par ce déblocage de l’imaginaire, le E de l’expérimentation anticipatrice<br />
de l’époque, qui était <strong>la</strong> création <strong>des</strong> caisses de secours mutuel.<br />
Nous avons besoin aujourd’hui que nous mettions en œuvre ce trépied<br />
en permanence, et que nous le fassions ensemble. Si l’on dissocie<br />
<strong>la</strong> résistance de <strong>la</strong> vision et de l’expérimentation, il y a un moment où <strong>la</strong><br />
résistance tourne à <strong>la</strong> révolte désespérée. Si <strong>la</strong> vision n’est pas incarnée,<br />
vous pouvez vous lever tous les matins en disant qu’un autre monde est<br />
possible, mais c’est un horizon qui s’éloigne ; à <strong>la</strong> fin, au lieu d’être une<br />
source d’énergie, ce<strong>la</strong> de<strong>vie</strong>nt un sentiment d’impuissance.<br />
Si vous découplez l’expérimentation de <strong>la</strong> résistance et de <strong>la</strong> vision<br />
transformatrice, vous serez pris inévitablement dans une contradiction,<br />
même en déployant une énergie créatrice formidable.<br />
Cette énergie créatrice permet de limiter <strong>la</strong> casse du système ou<br />
est instrumentée par le système dominant. Un exemple typique récent,<br />
c’est l’histoire du microcrédit. Au départ, le microcrédit, notamment tel<br />
qu’il est pensé par Muhammad Yunus 11 , est une critique en acte du<br />
macrocrédit. Il faut voir <strong>la</strong> sévérité de Yunus <strong>sur</strong> le système bancaire<br />
officiel et donc, <strong>la</strong> partie de résistance présente. De <strong>la</strong> même façon, il<br />
est possible de changer radicalement les règles du crédit, y compris à<br />
l’échelle macro-internationale, avec une vision transformatrice. Dans les<br />
faits, on a découplé le microcrédit de sa part de résistance et de sa part<br />
de vision transformatrice : le microcrédit se contente de limiter <strong>la</strong> casse<br />
<strong>des</strong> dégâts du macrocrédit.<br />
11. Muhammad Yunus est un économiste et entrepreneur bang<strong>la</strong>dais connu pour<br />
avoir fondé <strong>la</strong> première institution de microcrédit, <strong>la</strong> Grameen Bank, ce qui lui valut le<br />
prix Nobel de <strong>la</strong> paix en 2006. Il est <strong>sur</strong>nommé le « banquier <strong>des</strong> pauvres » [1].<br />
Les actes : février 2012<br />
75
Ainsi, <strong>des</strong> banques françaises, celles-là même qui refusent de<br />
faire crédit à leurs popu<strong>la</strong>tions les plus pauvres, ont créé <strong>des</strong> comités<br />
d’éthique et, à coup de p<strong>la</strong>quettes magnifiques, nous expliquent qu’elles<br />
sont en partenariat avec <strong>la</strong> Grameen Bank 12 , qu’elles sont dans une<br />
perspective de Social Business, etc. Pour reprendre <strong>la</strong> comparaison<br />
historico-théologique énoncée plus avant, c’est l’équivalent du trafic<br />
d’indulgences !<br />
Quand vous prenez <strong>des</strong> valeurs fondamentales et que vous les marchandisez<br />
parce que vos caisses sont vi<strong>des</strong>, vous allez créer une crise<br />
généralisée du crédit, entendue comme crise de confiance et comme<br />
crise de foi, le mot finance ne veut pas simplement dire confiance, mais<br />
aussi foi. Toute grande crise financière est à analyser dans les catégories<br />
d’une grande crise religieuse, de ce point de vue-là.<br />
Ce trépied du rapport entre <strong>la</strong> résistance, <strong>la</strong> vision et l’expérimentation,<br />
c’est un élément de stratégie dynamique pour une nouvelle forme<br />
d’éducation popu<strong>la</strong>ire et de <strong>vie</strong> <strong>associative</strong>. L’énergie qui met en p<strong>la</strong>ce<br />
ce trépied du rêve, c’est l’énergie du désir. Quand on évoque <strong>la</strong> pensée<br />
TINA, qu’est-ce qu’une pensée qui créé un sentiment d’impuissance,<br />
y compris pour les victimes d’un système ? C’est ce que l’on appelle<br />
le phénomène de <strong>la</strong> sidération. La sidération, c’est quand vous êtes<br />
dans un tel état, que même si vous êtes victime d’un système, vous<br />
êtes convaincu, au fond de vous-même, qu’il n’est pas possible de faire<br />
autrement.<br />
Comment sort-on de <strong>la</strong> sidération ? Les mots sont intéressants à revisiter,<br />
le contraire de <strong>la</strong> sidération, <strong>la</strong> désidération. Cet état de sidération<br />
se manifeste à travers <strong>la</strong> fascination de l’argent. Si l’argent fascine tant<br />
nos sociétés, c’est que fondamentalement, il permet de traiter l’angoisse<br />
de mort par une fascination du règne minéral. Ce minéral qui brille, on<br />
comprend bien que ce<strong>la</strong> remplit une autre fonction positive.<br />
L’alternative à <strong>la</strong> sidération, c’est l’énergie du désir. Encore faut-il que<br />
les acteurs de <strong>la</strong> <strong>vie</strong> <strong>associative</strong>, de l’éducation popu<strong>la</strong>ire et de l’économie<br />
sociale et solidaire, se remettent à croire à leurs valeurs comme<br />
source de <strong>vie</strong>.<br />
12. La Grameen Bank (littéralement, « Banque <strong>des</strong> vil<strong>la</strong>ges ») est une banque spécialisée<br />
dans le microcrédit. Elle a été créée officiellement en 1983 par Muhammad<br />
Yunus au Bang<strong>la</strong><strong>des</strong>h.<br />
76 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
Le diagramme de Dark Vador. (Cf. schéma exécuté <strong>sur</strong> tableau) :<br />
créativité<br />
compétition coopération<br />
bureaucratif<br />
Dans le diagramme de Dark Vador, vous avez le côté obscur de<br />
<strong>la</strong> force. Vous prenez un double axe, qui est caractéristique de toute<br />
collectivité humaine, COOPÉRATION/COMPÉTITION, et un autre axe<br />
CRÉATIVITÉ/BUREAUCRATIE. Si l’on prend les acteurs de l’économie<br />
sociale et solidaire, de l’éducation popu<strong>la</strong>ire, de <strong>la</strong> <strong>vie</strong> <strong>associative</strong>, leurs<br />
valeurs affichées sont de l’ordre de <strong>la</strong> coopération créative, au croisement<br />
de l’axe coopératif et de l’axe créatif. Si, dans un mouvement de<br />
perte d’énergie, vous gardez <strong>la</strong> coopération, vous n’êtes plus vraiment<br />
dans <strong>la</strong> créativité, alors vous commencez à aller sérieusement vers <strong>des</strong><br />
modèles bureaucratiques. Vous êtes alors dans le modèle de <strong>la</strong> coopération<br />
bureaucratique qui commence à être énergétiquement moins<br />
intéressant. Ce sont les Yalta, dont l’économie sociale est une grande<br />
spécialiste. Des institutions se mettent en p<strong>la</strong>ce, au sein <strong>des</strong>quelles on<br />
organise le partage <strong>des</strong> territoires et <strong>des</strong> puissances, dans une logique<br />
bureaucratique. Imaginez, qu’il y ait une nouvelle dégradation d’énergie,<br />
vous n’êtes même plus dans <strong>la</strong> coopération bureaucratique, mais vous<br />
êtes dans <strong>la</strong> compétition bureaucratique. À ce moment-là, vous êtes<br />
dans <strong>la</strong> double peine. Vous n’avez plus les avantages de <strong>la</strong> coopération,<br />
mais une compétition féroce avec tous les acteurs.<br />
En plus, vous avez à gérer le poids <strong>des</strong> logiques bureaucratiques.<br />
On comprend bien que, quand l’économie de marché fonctionne à<br />
peu près correctement, ce qui n’est pas le cas du capitalisme, c’est-àdire<br />
qu’elle est dans <strong>la</strong> compétition créative, vous vous retrouvez en deçà<br />
de l’économie de marché. En prime, si vous êtes dans <strong>la</strong> compétition<br />
Les actes : février 2012<br />
77
ureaucratique et que vos valeurs sont dans <strong>la</strong> coopération créative,<br />
vous allez porter vos valeurs comme <strong>des</strong> boulets, c’est <strong>la</strong> double peine.<br />
Il n’y a de possibilité, dans une stratégie du désir, qui met en œuvre<br />
<strong>la</strong> stratégie du rêve, que si les conditions de <strong>la</strong> coopération créative sont<br />
recréées. Ce<strong>la</strong> s’appelle l’aide mutuelle à <strong>la</strong> joie de vivre, <strong>la</strong> seule énergie<br />
qui met en mouvement <strong>des</strong> êtres humains, individuellement ou collectivement.<br />
Le danger est de recréer par-derrière de nouvelles logiques<br />
de captation et de domination, c’est le problème majeur de toutes les<br />
collectivités humaines. Vous pouvez être lucide <strong>sur</strong> l’accaparement de<br />
richesse, mais si vous êtes aveugle <strong>sur</strong> l’accaparement de pouvoir, vous<br />
avez le drame historique qu’a été celui du communisme. Si vous êtes<br />
aveugle <strong>sur</strong> l’accaparement du sens, vous pouvez avoir <strong>des</strong> révolutions<br />
fondamentalistes à l’iranienne.<br />
La grande question est d’éviter, parce que l’on a été victime, de<br />
devenir soi-même bourreau. Le fait d’être victime n’est en aucune façon<br />
un vaccin définitif contre le fait de devenir bourreau. La seule énergie qui<br />
bloque à <strong>la</strong> racine <strong>la</strong> recréation de nouvelles formes de captation et de<br />
domination, existe quand l’accès à l’intensité de <strong>vie</strong> que chacun éprouve<br />
est telle que non seulement on n’a pas en<strong>vie</strong> de rentrer en rivalité avec<br />
autrui, mais on a, au contraire, plutôt en<strong>vie</strong> que les autres participent de<br />
cette même intensité.<br />
C’est le passage du couple excitation/dépression, qui est au cœur<br />
de <strong>la</strong> finance, au cœur <strong>des</strong> médias, au cœur de nos systèmes de représentation,<br />
pour un autre couple, qui est le couple intensité/sérénité, qui<br />
correspond exactement à ce que Spinoza appe<strong>la</strong>it <strong>la</strong> joie de vivre. Oser<br />
dire que nous avons à nous entraider mutuellement pour considérer que<br />
le droit d’être heureux est une alternative à <strong>des</strong> logiques de maltraitance<br />
et de mal de vivre qui sont au cœur de tous systèmes de domination. En<br />
même temps, il nous faut sortir définitivement ce que l’on peut appeler le<br />
« militantisme sacrificiel ».<br />
Quand on a <strong>des</strong> formes de militantisme qui remettent les projets de<br />
« lendemains qui chantent » au lendemain justement, et qui s’interdisent<br />
de favoriser les conditions qui nous permettent de vivre cette intensité<br />
de <strong>vie</strong> dès aujourd’hui, nous n’avons pas, à ce moment-là, l’énergie suffisante<br />
pour nous opposer à toutes les logiques. Les logiques peuvent être<br />
soit les logiques mortifères, soit les logiques dites « du divertissement »,<br />
au sens pascalien du terme, tout ce qui va faire que le capitalisme va<br />
nous su<strong>sur</strong>rer : « bien sûr, que nous déshumanisons, mais c’est pour<br />
votre bien, chers amis ».<br />
78 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
Remettez l’humain au centre, ce que vous ne cessez de dire. On va<br />
voir ce que ce<strong>la</strong> donne ! Si remettre l’humain au centre, c’est remettre au<br />
centre une espèce humaine qui va de <strong>la</strong> Saint Barthélémy au Rwanda en<br />
passant par Hiroshima et Auschwitz, d’une telle capacité de prédation<br />
et de <strong>des</strong>truction, pour les autres ou pour elle-même, ce n’est pas une<br />
idée absolument extraordinaire. Remettre l’humain au centre n’a de sens<br />
que si les conditions de <strong>la</strong> question éducative sont créées. Dans cette<br />
perspective, c’est une question centrale.<br />
C’est le meilleur de l’humanité et non pas le pire de l’inhumanité que<br />
nous remettons au centre. Comment construit-on les éléments d’une<br />
qualité supérieure d’humanité ? C’est toute <strong>la</strong> grande question de <strong>la</strong><br />
fraternité et, osons le mot, de <strong>la</strong> question de l’amour. On n’arrête pas<br />
de considérer que l’on tombe en amour, qui est l’inconscient collectif<br />
profond, de <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> traditions humaines : on tombe en amour, on<br />
tombe amoureux.<br />
De <strong>la</strong> même façon, le bonheur est associé à l’idée d’ennui, « les<br />
peuples heureux n’ont pas d’histoire », « ils furent heureux et ils eurent<br />
beaucoup d’enfants », fin de l’histoire ! L’amour est associé à <strong>la</strong> chute, le<br />
bonheur est associé à l’ennui, et le sens très souvent à <strong>la</strong> guerre ! Quand<br />
on a le sentiment d’avoir trouvé quelque chose de vital, qui répond à<br />
<strong>la</strong> question fondamentale du sens de sa <strong>vie</strong> face à sa mort, là encore,<br />
c’est un enjeu collectif et individuel, <strong>la</strong> peur d’être déstabilisé par le sens<br />
d’autrui de<strong>vie</strong>nt important.<br />
Tant que l’on ne réouvre pas le chantier « A.B.S. », il est possible<br />
de s’élever en Amour et non pas de tomber. Il est possible de vivre à <strong>la</strong><br />
Bonne heure, c’est-à-dire vivre l’intensité, <strong>la</strong> présence et <strong>la</strong> qualité de <strong>la</strong><br />
<strong>vie</strong>, c’est une formidable aventure, collective et individuelle et non pas un<br />
ennui. Il est possible de se nourrir de <strong>la</strong> pluralité <strong>des</strong> traditions de Sens,<br />
ce<strong>la</strong> s’appelle le dialogue <strong>des</strong> civilisations et l’espace de <strong>la</strong> spiritualité<br />
<strong>la</strong>ïque. À ce moment-là, cette nourriture est une formidable chance pour<br />
l’humanité de s’élever.<br />
Pour réaliser ce chantier-là, nous avons besoin de croire que <strong>la</strong> joie<br />
de vivre est possible, qu’elle est praticable, qu’elle est une valeur, au<br />
sens de force de <strong>vie</strong>.<br />
Les actes : février 2012<br />
79
DÉBAT AVEC LA SALLE<br />
Réponses aux questions et remarques de <strong>la</strong> salle<br />
« Les Trente Glorieuses »<br />
Il est intéressant de faire du « tri sélectif » <strong>sur</strong> cette période dite <strong>des</strong><br />
« Trente Glorieuses » Ce qui est contestable <strong>sur</strong> cette période, c’est<br />
qu’il y a un double point aveugle. Le point aveugle le plus évident est<br />
écologique : à aucun moment on ne se pose <strong>la</strong> question écologique.<br />
Le deuxième point aveugle est spirituel. Tous les mouvements de 1968<br />
se sont levés contre l’extraordinaire pauvreté comme objet social de<br />
société, dont le seul objet était <strong>la</strong> consommation, l’alternative au « métro,<br />
boulot, dodo ».<br />
Il y a un vrai double point aveugle dans ces fameuses « trente glorieuses<br />
», qui fait, qu’à juste titre, le terme glorieux est totalement inadapté.<br />
En revanche, il y a une différence tout à fait fondamentale de ces<br />
trente années-là par rapport aux quarante dernières années que nous<br />
venons de vivre, qui sont non seulement piteuses, mais même odieuses,<br />
à bien <strong>des</strong> égards. Non seulement, elles n’ont pas rétabli <strong>la</strong> question<br />
du double point aveugle, l’écologie et le sens, mais en prime, elles ont<br />
recréé les conditions de ce que Karl Po<strong>la</strong>nyi 13 , avait appelé <strong>des</strong> « sociétés<br />
de marchés », et non plus <strong>des</strong> « économies de marchés », ou ce que<br />
l’on peut appeler un « ultracapitalisme ». La période d’après-guerre est<br />
une période qui, du point de vue économique et financier, est marquée<br />
par de <strong>la</strong> régu<strong>la</strong>tion.<br />
Le phénomène de l’économie spécu<strong>la</strong>tive sous sa forme explosive<br />
n’existe pas. Le phénomène même de l’endettement n’existe pas. Le<br />
creusement <strong>des</strong> inégalités sociales était en permanence attaqué à <strong>la</strong><br />
racine par <strong>la</strong> fiscalité. Aux États-Unis, sous l’administration d’Eisenhower,<br />
qui n’est pas spécialement connu pour être un alternatif, le taux<br />
d’imposition de <strong>la</strong> tranche supérieure était de plus de 90 %. Roosevelt<br />
l’avait mis à 95 % ; on est loin du bouclier fiscal. S’il y a eu <strong>des</strong> formes<br />
de développement qui ont permis en particulier <strong>la</strong> croissance <strong>des</strong> c<strong>la</strong>sses<br />
13. Karl Po<strong>la</strong>nyi était un historien hongrois de l’économie. Socialiste influencé par le<br />
marxisme, il est principalement connu pour son livre La Grande Transformation.<br />
80 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
moyennes, qui est un élément clé du point de vue démocratique, c’est<br />
parce que l’on avait de l’économie régulée.<br />
Aujourd’hui, nous sommes dans une situation que l’on peut appeler<br />
le système DCD : Dérégu<strong>la</strong>tion à outrance, Compétition à outrance,<br />
Délocalisation à outrance, ce<strong>la</strong> donne les « quarante piteuses » que nous<br />
sommes en train de vivre. Redécouvrir, dans une prochaine perspective<br />
historique, sortir de l’insoutenabilité du modèle DCD, reprendre ce qui,<br />
dans <strong>la</strong> période d’après-guerre, avait été positif, du point de vue de<br />
<strong>la</strong> justice sociale et de <strong>la</strong> régu<strong>la</strong>tion, c’était tout l’enjeu <strong>des</strong> bases du<br />
Conseil National de <strong>la</strong> Résistance.<br />
La question de l’évaluation<br />
C’est le moment, y compris quand j’évoque le trépied du rêve,<br />
d’ajouter le E sans aucun problème. Aussi bien dans <strong>la</strong> résistance, que<br />
dans <strong>la</strong> vision, que dans l’expérimentation, on a besoin de faire œuvre<br />
de discernement, donc d’évaluation. On peut redonner toute sa force<br />
au mot évaluation à partir du sens du mot valeur. Si l’évaluation est une<br />
délibération <strong>sur</strong> ce qui est force de <strong>vie</strong>, ou, au contraire ce qui est nuisible,<br />
on va retrouver les deux dimensions de l’évaluation. Les éléments<br />
de quantification, de me<strong>sur</strong>e, sont <strong>des</strong> outils au service de <strong>la</strong> qualification<br />
et non l’inverse. La quantification n’est pas une finalité. C’est un outil<br />
au service de <strong>la</strong> qualification. Il y a quantité de situations où il n’y a pas<br />
besoin de quantification. La quantification n’a de sens que référée à <strong>la</strong><br />
question de <strong>la</strong> qualification. C’est ce qui fonde <strong>la</strong> démocratie. Si tout<br />
était quantifiable, il suffirait de sociétés à pilotage automatique avec<br />
les bons logiciels et les bons indicateurs, nous n’aurions pas besoin de<br />
délibération.<br />
La question évaluative est à inscrire pleinement. L’évaluation est une<br />
fonction de <strong>la</strong> démocratie, c’est une bataille qu’il faut continuer à mener<br />
aujourd’hui. On ne peut pas dissocier l’évaluation du processus démocratique.<br />
Les valeurs et le réel<br />
Il faut arrêter de nous <strong>la</strong>isser intimider par <strong>la</strong> conception du pseudoréalisme<br />
qui est lié au modèle dominant. Qu’est-ce que l’irréalisme total<br />
pour <strong>des</strong> êtres humains ? Pour reprendre une phrase fameuse <strong>des</strong> traditions<br />
de sagesse, ce que l’on peut définir comme l’irréalisme total « ce<br />
sont <strong>des</strong> humains qui vivent sans savoir qu’ils vont mourir et qui meurent<br />
sans savoir qu’ils ont vécus ». C’est l’irréalisme total.<br />
Les actes : février 2012<br />
81
Le véritable réalisme anthropologique est celui qui épouse pleinement<br />
<strong>la</strong> condition humaine et qui se pose <strong>la</strong> question éducative par excellence<br />
: « Comment je vais vivre cette condition ? », « Comment vais-je<br />
m’élever dans cette condition ? », « Comment faire de cette condition<br />
humaine un voyage dont les autres vont être <strong>des</strong> compagnons de route<br />
et non pas <strong>des</strong> rivaux ? ».<br />
Ce sont ces questions qui constituent le véritable réalisme anthropologique.<br />
82 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
SYnthèse <strong>des</strong> ateliers<br />
THÈME 1<br />
« Concurrence, performance et commande<br />
publique : Les associations face aux mutations<br />
institutionnelles. L’initiative <strong>associative</strong> est-elle<br />
condamnée ? »<br />
Le réseau associatif de <strong>la</strong> Ligue de l’enseignement est présent et<br />
agit au niveau de tous les échelons territoriaux du pays. De ce fait,<br />
chaque composante du mouvement se trouve directement prise dans<br />
les mouvements qui se sont amorcés depuis plusieurs années : mise<br />
en concurrence du secteur associatif avec le secteur marchand par le<br />
recours de plus en plus fréquent aux appels d’offres, mise en <strong>application</strong><br />
de nouvelles règles de management public qui se répercutent <strong>sur</strong> nos<br />
rapports avec l’État et les collectivités territoriales, volonté politique de<br />
soumettre les associations à <strong>des</strong> procédures et <strong>des</strong> mo<strong>des</strong> d’évaluation<br />
pensés, conçus en dehors d’elles et inadaptés à leur réalité.<br />
Il est particulièrement difficile de résister à ce mouvement de fond.<br />
Le secteur associatif pris dans différentes contraintes ne réussit pas toujours<br />
à faire valoir d’autres approches et à revendiquer une p<strong>la</strong>ce qui va<br />
bien au-delà <strong>des</strong> différents services ou prestations auxquels il est identifié.<br />
Nos re<strong>la</strong>tions avec les pouvoirs publics et les collectivités territoriales<br />
en sont affectées.<br />
Cette problématique, déclinée à partir <strong>des</strong> notions de compétition et<br />
performance, dit bien tout l’enjeu qu’il y a à réussir à se détacher d’une<br />
identité de fournisseur de services pour retrouver une p<strong>la</strong>ce d’acteur<br />
de <strong>la</strong> démocratie dans une société où les crises économique et sociale<br />
nécessitent <strong>des</strong> corps intermédiaires soli<strong>des</strong>, indépendants et en capacité<br />
de contribuer à une transformation de <strong>la</strong> société.<br />
Les actes : février 2012<br />
83
n Conception et évaluation <strong>des</strong> politiques publiques<br />
Comment le secteur associatif peut-il peser davantage dans <strong>la</strong><br />
conception et l’évaluation <strong>des</strong> politiques publiques pour éviter d’être<br />
cantonné à un rôle de mise en œuvre ?<br />
Dans cette question, l’enjeu du projet politique de <strong>la</strong> Ligue apparaît<br />
central. Le projet est réaffirmé comme étant notre principal outil. L’affirmer,<br />
le diffuser, le rendre plus visible et plus lisible doit nous permettre<br />
d’aller vers une reconnaissance qui dépasse celle <strong>des</strong> différentes activités<br />
que nous développons. Le projet définit ce que nous sommes à<br />
savoir un corps intermédiaire, un collectif constitué dans une perspective<br />
d’action collective organisée. Il nous donne donc <strong>la</strong> capacité et <strong>la</strong> légitimité<br />
à participer au débat public d’une part et à contribuer à l’é<strong>la</strong>boration<br />
<strong>des</strong> politiques nationales ou territoriales d’autre part.<br />
Face à une idéologie libérale dominante, peser dans l’espace public<br />
suppose de porter une autre vision de <strong>la</strong> conception et de l’évaluation<br />
<strong>des</strong> politiques publiques. C’est un cheminement que nous ne pouvons<br />
pas faire seuls. C’est pourquoi, il est important de renforcer et de développer<br />
<strong>des</strong> col<strong>la</strong>borations avec le milieu universitaire. Ceci dans un mouvement<br />
réciproque d’enrichissement : offrir <strong>des</strong> terrains de recherche aux<br />
universitaires et nous donner les moyens d’étayer notre discours mais<br />
aussi nos actions, de les faire évaluer (produire autrement <strong>des</strong> richesses,<br />
évaluer autrement…).<br />
S’attacher à diffuser, partager notre projet politique dans les différentes<br />
instances de gouvernance <strong>des</strong> collectivités est une façon de<br />
pousser nos interlocuteurs, nos partenaires, à revenir dans le champ du<br />
politique dans les re<strong>la</strong>tions que nous entretenons avec eux.<br />
Les objectifs à poursuivre<br />
• Investir tous les espaces du politique en renouant un dialogue<br />
direct avec les élus et revendiquer une p<strong>la</strong>ce dans l’é<strong>la</strong>boration<br />
<strong>des</strong> politiques publiques. Il s’agit d’être présent dès le 1 er niveau de<br />
réflexion initié <strong>sur</strong> les politiques publiques, dans tous les espaces<br />
de débat, dans toutes les instances de concertation, de consultations<br />
(conseil de développement, diagnostic de pays…). Cette<br />
forme de « reconquête » suppose d’inciter et d’accompagner notre<br />
réseau afin que <strong>la</strong> démarche s’enclenche à tous les échelons de<br />
notre mouvement. La formation <strong>des</strong> élus, mais aussi celle <strong>des</strong><br />
techniciens <strong>des</strong> collectivités locales (ex. <strong>sur</strong> les différentes formes<br />
84 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
de contractualisation, de conventionnement, de modalités de partenariat),<br />
font partie <strong>des</strong> options que nous devons prendre.<br />
Le niveau d’action le plus pertinent semblerait être le niveau régional,<br />
même s’il apparaît que l’organisation régionale de notre réseau n’est<br />
actuellement pas <strong>la</strong> plus structurante et <strong>la</strong> plus structurée.<br />
• Organiser le dialogue civil implique de renforcer notre discours <strong>sur</strong><br />
cette question et de l’articuler à celle de <strong>la</strong> démocratie participative,<br />
<strong>sur</strong> leur complémentarité. Notre point d’ancrage doit c<strong>la</strong>irement se<br />
situer dans une démarche d’éducation popu<strong>la</strong>ire, qu’il con<strong>vie</strong>ndra<br />
de réactiver et de remobiliser. Nous sommes un réseau associatif,<br />
mais nous ne pouvons pas agir seul hors <strong>des</strong> différentes coordinations<br />
<strong>associative</strong>s auxquelles nous sommes rattachés. Il s’agit<br />
donc de mieux les investir, de maintenir notre présence dans<br />
l’ensemble <strong>des</strong> réseaux associatifs et de contribuer au développement<br />
de stratégies collectives. Légiférer pour l’institutionnalisation<br />
du dialogue civil est aussi une piste évoquée.<br />
Mener <strong>la</strong> bataille de l’évaluation consiste à porter, auprès <strong>des</strong> pouvoirs<br />
publics et <strong>des</strong> élus territoriaux, une autre vision de l’évaluation.<br />
En premier lieu, Il s’agit de contrer <strong>la</strong> simple évaluation quantitative, qui<br />
appauvrit <strong>la</strong> compréhension de notre action et d’é<strong>la</strong>borer <strong>des</strong> propositions<br />
alternatives. L’évaluation nécessite du temps et <strong>des</strong> moyens, <strong>des</strong><br />
conditions de dialogue avec toutes les parties prenantes d’une action,<br />
autant d’éléments à faire valoir pour aller vers une autre approche de<br />
<strong>la</strong> question. Sur ce point, l’accompagnement et <strong>la</strong> formation de notre<br />
réseau associatif à <strong>des</strong> démarches d’évaluation, axées <strong>sur</strong> l’aspect qualificatif<br />
<strong>des</strong> actions, seront déterminants. Des pistes très concrètes sont<br />
aussi évoquées : redonner de <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce à <strong>des</strong> formes d’évaluation telles<br />
que le récit capable de rendre compte <strong>des</strong> vécus d’expériences et de<br />
l’utilité sociale de l’action, développer nos propres formes et contenus<br />
d’évaluation ; les diffuser en complément <strong>des</strong> évaluations imposées par<br />
l’externe.<br />
En conclusion, <strong>la</strong> Ligue de l’enseignement pourra davantage peser<br />
<strong>sur</strong> <strong>la</strong> conception et l’évaluation <strong>des</strong> politiques publiques par <strong>la</strong> recherche<br />
d’une ligne de conduite cohérente dans l’ensemble <strong>des</strong> composantes de<br />
notre réseau.<br />
Les actes : février 2012<br />
85
n Territoires pertinents de <strong>la</strong> <strong>vie</strong> <strong>associative</strong><br />
Quels sont les territoires les plus pertinents aujourd’hui pour <strong>la</strong> <strong>vie</strong><br />
<strong>associative</strong> ? Quelles évolutions <strong>des</strong> compétences et de <strong>la</strong> gouvernance<br />
<strong>des</strong> collectivités publiques pourraient favoriser, à chaque échelon<br />
pertinent, de véritables partenariats entre les associations et <strong>la</strong> puissance<br />
publique, impliquant d’autres acteurs territoriaux, dans une démarche de<br />
développement local ?<br />
Pour un réseau tel que le nôtre, tous les niveaux de territoires sont<br />
pertinents en matière d’actions et de développement de <strong>la</strong> <strong>vie</strong> <strong>associative</strong>.<br />
Les spécificités de notre organisation territoriale méritent d’être<br />
précisées. La Ligue de l’enseignement constitue un réseau associatif<br />
présent <strong>sur</strong> l’ensemble du territoire. Son but est d’accompagner et<br />
d’appuyer les associations pour leur permettre de faire émerger et de<br />
développer leurs projets de territoire.<br />
Ainsi, il s’agirait de valoriser le fait qu’à chaque niveau territorial correspond<br />
un rôle spécifique pour notre réseau :<br />
• <strong>la</strong> proximité <strong>des</strong> actions dans une volonté de mutualisation se jouerait<br />
au niveau <strong>des</strong> communes et <strong>des</strong> regroupements de communes.<br />
• Le niveau départemental serait le lieu ressource, dont <strong>la</strong> mission<br />
spécifique pourrait être de promouvoir une logique de projet.<br />
• <strong>la</strong> région serait le niveau structuration de notre action territorialisée,<br />
en particulier en matière de jeunesse, d’éducation et de formation,<br />
mais seulement à <strong>la</strong> condition d’associer le local dans les prises<br />
de décisions.<br />
La redéfinition <strong>des</strong> niveaux que nous investissons dans l’objectif de<br />
développer et d’organiser <strong>la</strong> <strong>vie</strong> <strong>associative</strong> implique de re-questionner<br />
nos rapports avec les élus. Notre positionnement doit prendre en compte<br />
plusieurs éléments. Tout d’abord, considérer que les financements<br />
publics dont bénéficient les associations ne doivent pas être perçus<br />
comme une dépendance. Ils sont le signe de <strong>la</strong> contribution <strong>des</strong> associations<br />
à une politique d’intérêt général, dont les collectivités ne sont pas<br />
les seules dépositaires et qu’elles ne peuvent assumer seules.<br />
En parallèle, les associations et leurs dirigeants doivent, face aux<br />
élus, veiller à ne pas se <strong>la</strong>isser enfermer dans <strong>la</strong> position de l’opérateur,<br />
du prestataire. L’influence croissante du rôle <strong>des</strong> techniciens <strong>des</strong><br />
86 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
collectivités est de, ce point de vue, repérée comme un véritable frein ;<br />
leur approche technicienne prend le <strong>des</strong>sus aux dépens d’une approche<br />
politique, véritable attribution de l’élu.<br />
La réforme <strong>des</strong> collectivités territoriales, dont l’<strong>application</strong> est prévue<br />
dès 2014, va chambouler l’organisation <strong>des</strong> territoires et impacter nos<br />
actions, nos rapports avec les élus. La réforme <strong>des</strong> collectivités territoriales<br />
aura <strong>des</strong> répercussions <strong>sur</strong> nos actions. Pour interpeller le bon<br />
niveau de compétences, un travail doit être mené pour c<strong>la</strong>rifier les compétences<br />
<strong>des</strong> différents échelons politiques et leur articu<strong>la</strong>tion.<br />
Trois objectifs ont été définis<br />
• Renforcer notre capacité à nous organiser collectivement, l’enjeu<br />
étant de réaffirmer le secteur associatif dans son rôle de corps<br />
intermédiaire, à tous les échelons territoriaux, à <strong>la</strong> fois acteur de<br />
<strong>la</strong> <strong>vie</strong> démocratique et acteur de développement <strong>sur</strong> ces différents<br />
territoires. Pour y parvenir, nous devons d’ores et déjà anticiper les<br />
réformes à venir (réforme <strong>des</strong> collectivités territoriales) en identifiant<br />
dès maintenant ceux qui seront nos interlocuteurs en matière de<br />
développement de <strong>la</strong> <strong>vie</strong> <strong>associative</strong>. Un <strong>des</strong> moyens pour atteindre<br />
cet objectif sera de nous attacher à informer et former l’ensemble<br />
de notre réseau.<br />
• Préserver notre capacité d’initiative, de manière à ne pas se<br />
<strong>la</strong>isser enfermer dans un rôle de prestataire. Nous devons, pour<br />
ce<strong>la</strong>, nous emparer de <strong>la</strong> question de <strong>la</strong> me<strong>sur</strong>e de l’utilité sociale.<br />
Cette me<strong>sur</strong>e suppose d’en définir les indicateurs qui s’appuient à<br />
l’interne <strong>sur</strong> nos pratiques de management inspirées de l’ESS et à<br />
l’externe <strong>sur</strong> <strong>la</strong> valorisation de nos spécificités en termes d’actions<br />
et d’effets.<br />
• Participer à <strong>la</strong> définition <strong>des</strong> politiques publiques. Concourir à <strong>la</strong><br />
mise en œuvre de démarches de diagnostics partagés, valoriser le<br />
caractère de service public de nos actions. Œuvrer pour <strong>la</strong> mise en<br />
p<strong>la</strong>ce d’un conseil de développement à <strong>la</strong> <strong>vie</strong> <strong>associative</strong> dans les<br />
communautés d’agglomération et de communes.<br />
Les actes : février 2012<br />
87
n Pratique vertueuse de <strong>la</strong> commande publique<br />
Comment favoriser une pratique vertueuse de <strong>la</strong> commande publique (à<br />
<strong>la</strong> fois par le commanditaire et les associations) permettant de concilier<br />
l’objectif d’une utilisation pertinente et transparente de l’argent public et<br />
celui de conforter le secteur associatif dans sa dimension civique et sa<br />
faculté à détecter les besoins sociaux ?<br />
Le terme de commande publique est associé à <strong>la</strong> procédure de mise<br />
en concurrence que sont les appels d’offres. Cette forme de définition<br />
<strong>des</strong> besoins et de réponse à ces besoins évacue de nombreuses questions<br />
qui se situent en amont : <strong>la</strong> définition <strong>des</strong> besoins, les acteurs susceptibles<br />
de contribuer à cette définition, le choix opéré quant au type de<br />
réponse, les mo<strong>des</strong> d’évaluation.<br />
Les objectifs définis<br />
• Travailler à une critique globale de <strong>la</strong> commande publique et être<br />
en capacité d’analyser et de répondre par d’autres propositions,<br />
continuer de promouvoir le modèle de conventionnement auprès<br />
<strong>des</strong> décideurs ;<br />
• Dans les re<strong>la</strong>tions avec les élus, se positionner comme acteur associatif<br />
en capacité d’identifier <strong>des</strong> besoins <strong>sur</strong> les territoires, et donc<br />
de co-construire avec les collectivités ;<br />
• É<strong>la</strong>borer et revendiquer notre propre culture de l’évaluation, en<br />
proposant, même si ce n’est pas attendu, <strong>des</strong> critères qualitatifs.<br />
n Influence de <strong>la</strong> réglementation européenne<br />
Comment infléchir les règles communautaires du marché intérieur et<br />
de <strong>la</strong> concurrence pour favoriser les initiatives <strong>associative</strong>s, et plus<br />
<strong>la</strong>rgement, de l’économie sociale, au nom de leur contribution à l’intérêt<br />
général ? Comment utiliser le droit européen (ex : en matière de lutte<br />
contre les discriminations) comme un le<strong>vie</strong>r ?<br />
Réussir à nous repérer dans une architecture européenne complexe,<br />
tant au niveau politique qu’institutionnel, est un enjeu pour notre réseau<br />
associatif. Promouvoir l’association et ses spécificités, dans un cadre<br />
européen, en est un autre.<br />
88 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
Des objectifs qui ont été définis<br />
D’un point de vue politique, nous avons à renforcer le lien avec le<br />
niveau européen en développant <strong>des</strong> logiques d’influence auprès <strong>des</strong><br />
parlementaires européens. Comme au niveau national, il s’agit aussi de<br />
transformer nos rapports avec les décideurs politiques par <strong>des</strong> actions<br />
de promotion et de défense d’une logique de conventionnement plutôt<br />
qu’une logique d’appels d’offres.<br />
La formation demeure un objectif prioritaire. Il s’agit de développer<br />
et de renforcer pour notre réseau <strong>la</strong> connaissance et <strong>la</strong> compréhension<br />
<strong>des</strong> enjeux qui se jouent à ce niveau territorial ainsi que celles <strong>des</strong> mécanismes<br />
institutionnels de l’UE.<br />
Il est souhaitable de nous inscrire dans une approche européenne en<br />
participant à <strong>la</strong> réflexion <strong>sur</strong> l’homogénéisation <strong>des</strong> pratiques <strong>associative</strong>s<br />
au niveau européen.<br />
Une question reste en suspend, et mériterait d’être approfondie :<br />
Quelle utilité et quelle opérationnalité pour un statut de l’association<br />
européenne ?<br />
Les actes : février 2012<br />
89
THÈME 2<br />
L’engagement contemporain :<br />
les raisons d’agir et le sens <strong>des</strong> mutations<br />
Constats<br />
n Engagement et nouveau rôle pour les fédérations<br />
Une lecture c<strong>la</strong>ire de l’évolution <strong>des</strong> formes d’engagement est complexe<br />
et difficile à établir : Comment appréhender <strong>la</strong> réalité d’un effritement<br />
et d’une atomisation de l’engagement ?<br />
Il apparaît cependant nécessaire de déconstruire les représentations<br />
<strong>sur</strong> les formes de mobilisation collective et de réaffirmer l’existence<br />
encore vivace <strong>des</strong> valeurs citoyennes qui ont amené à <strong>la</strong> fondation de <strong>la</strong><br />
Ligue de l’enseignement il y a 150 ans.<br />
Il y a une plus grande distanciation aujourd’hui dans l’engagement. À<br />
titre d’exemple, pour les enseignants, ce<strong>la</strong> faisait partie de <strong>la</strong> fonction il y<br />
a quelques décennies, <strong>la</strong> question ne se posait pas ; elle faisait partie de<br />
<strong>la</strong> professionnalisation.<br />
Le fonctionnement <strong>des</strong> fédérations <strong>associative</strong>s pose question. Elles<br />
sont devenues parfois <strong>des</strong> prestataires ou <strong>des</strong> auxiliaires de services<br />
auprès <strong>des</strong> collectivités. De plus, une logique d’appareil <strong>des</strong>cendante<br />
pénalise l’ouverture <strong>sur</strong> une base militante renouvelée.<br />
Enfin, on constate un défaut de visibilité et de légitimité <strong>des</strong> coordinations<br />
<strong>associative</strong>s institutionnalisées comme <strong>la</strong> CPCA.<br />
Enjeux et pistes d’actions<br />
n Intégrer les nouvelles générations et favoriser les re<strong>la</strong>tions<br />
intergénérationnelles<br />
Les nouvelles générations nous regardent comme étant institutionnalisés<br />
et recherchent un chemin alternatif. Nous sommes dans une forme<br />
organisée de <strong>la</strong> militance et de <strong>la</strong> formation face à de nouvelles générations<br />
ayant d’autres préoccupations.<br />
Quels moyens inventer pour travailler ensemble ? Quelles p<strong>la</strong>ces pour<br />
90 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
celles et ceux qui refusent les logiques d’appareil : quelle adaptation de<br />
nos logiques ? Comment faire en sorte que cette émergence profite à<br />
l’associatif ? Nous devons être capables de les penser légitimes dans leur<br />
modèle d’engagement.<br />
Les jeunes n’ont pas grand-chose de spécifique dans leurs modalités<br />
d’engagement : <strong>la</strong> question de <strong>la</strong> transmission doit se penser de <strong>la</strong><br />
même manière pour eux comme pour les retraités débutants <strong>sur</strong> le tard<br />
l’engagement associatif.<br />
En revanche, une attention particulière a été consacrée par les pouvoirs<br />
publics à <strong>des</strong> le<strong>vie</strong>rs de participation spécifiques comme le service<br />
civique et il ne faut donc pas rater cette opportunité. Ce<strong>la</strong> passe aussi par<br />
<strong>la</strong> conduite d’une réflexion stratégique <strong>sur</strong> les dispositifs susceptibles de<br />
favoriser l’engagement comme les juniors associations.<br />
La valorisation individuelle de l’engagement peut être envisagée<br />
comme rétribution mais aucunement comme déclencheur de l’engagement<br />
sous peine de l’annihiler.<br />
Enfin, un plus grand renouvellement est à rechercher au sein <strong>des</strong> instances<br />
<strong>associative</strong>s, en limitant par exemple les mandats dans le temps.<br />
n Du bénévole au militant : organiser le passage<br />
Il n’y a jamais eu d’âge d’or du bénévo<strong>la</strong>t mais le passage du bénévo<strong>la</strong>t<br />
au militantisme doit se travailler différemment dans une société où<br />
les idéologies sont moins structurantes. Les processus d’é<strong>la</strong>boration<br />
collective sont décisifs dans cette montée en généralité que réc<strong>la</strong>me le<br />
militantisme.<br />
Il faut réfléchir à <strong>des</strong> formes de délibération qui permettent de traiter<br />
de tout (y compris de <strong>la</strong> gestion) sans techniciser le débat (toujours faire<br />
apparaître le sens derrière l’action) ; penser <strong>la</strong> convivialité ; <strong>la</strong>isser plus de<br />
p<strong>la</strong>ce à l’expression individuelle.<br />
n Initier une complémentarité avec les nouveaux collectifs<br />
associatifs informels<br />
Au sein de <strong>la</strong> ligue, nous n’agissons pas trop dans l’immédiateté<br />
de l’action, mais plutôt dans <strong>la</strong> structuration. A contrario, les nouveaux<br />
collectifs associatifs nous aident en questionnant nos mo<strong>des</strong> d’action.<br />
Les actes : février 2012<br />
91
Comment peut-on et doit-on s’approprier les mo<strong>des</strong> de fonctionnement<br />
de ces nouveaux collectifs ? On peut apprendre notamment de<br />
l’utilisation qu’ils font de <strong>la</strong> communication. Nous devons par ailleurs<br />
être un repère de structuration pour eux et travailler avec les collectifs<br />
informels.<br />
Nous devons aussi en tirer <strong>des</strong> enseignements pour faire évoluer<br />
notre mouvement. Peut-on encore longtemps se passer d’une communication<br />
<strong>la</strong>rge (type campagne d’opinion et actions de p<strong>la</strong>idoyer) et<br />
envisager en même temps une mobilisation importante ? Nous pouvons<br />
apprendre <strong>des</strong> collectifs dans <strong>la</strong> conduite d’une action militante, à l’heure<br />
<strong>des</strong> médias de masse et de l’internet communautaire.<br />
Il est donc nécessaire d’organiser une veille collective par rapport à<br />
ces collectifs pour rentrer en contact. Les associations telles que Génération<br />
précaire, Don quichotte, et les Indignés, mais aussi les collectifs<br />
ponctuels de défense d’une cause (par ex <strong>la</strong> fermeture de c<strong>la</strong>sses dans<br />
les écoles publiques) sont utiles même s’ils ont vocation à s’éteindre<br />
aussi vite qu’ils se sont créés ; organisons une complémentarité avec<br />
eux.<br />
Les collectifs associatifs doivent pouvoir compter <strong>sur</strong> les associations<br />
plus installées pour conduire leur travail d’alerte mais aussi prendre en<br />
compte les réalités de terrain dont elles ignorent souvent tout.<br />
Réactiver notre travail <strong>sur</strong> les valeurs et le sens politique de nos<br />
actions et faire évoluer notre gouvernance<br />
Au sein de <strong>la</strong> Ligue de l’enseignement, l’engagement doit devenir<br />
premier et l’appareil second.<br />
Une piste pourrait être <strong>la</strong> création d’espaces d’expression non statutaires<br />
et l’évolution <strong>des</strong> modalités de délibérations <strong>des</strong> instances pour<br />
produire du sens, de <strong>la</strong> parole partagée et lui donner de l’écho. Il ne<br />
faut pas limiter <strong>la</strong> démocratie interne au droit de vote dans les décisions<br />
statutaires.<br />
Comment intégrer toutes les parties prenantes de <strong>la</strong> Ligue dans le<br />
message de <strong>la</strong> fédération (sa<strong>la</strong>rié, volontaire, militant, partenaires, usagers,<br />
etc.) et faire évoluer <strong>la</strong> gouvernance ?<br />
92 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
n Renforcer le rôle <strong>des</strong> instances de <strong>la</strong> société civile dans<br />
l’é<strong>la</strong>boration <strong>des</strong> politiques publiques<br />
Dans <strong>la</strong> démocratie consultative organisée par les collectivités, il faut<br />
repenser les conditions d’une réelle contribution <strong>des</strong> parties prenantes<br />
aux processus qui se revendiquent d’une logique publique (réappropriation<br />
<strong>des</strong> métho<strong>des</strong> de l’éducation popu<strong>la</strong>ire – voir, comprendre, agir).<br />
Ce<strong>la</strong> passe aussi par <strong>la</strong> promotion du dialogue civil organisé au<br />
niveau local : organisation de conférences départementales <strong>sur</strong> <strong>la</strong> <strong>vie</strong><br />
<strong>associative</strong> ; renforcement du rôle <strong>des</strong> CESER (conseils économiques et<br />
sociaux régionaux) et <strong>des</strong> Conseils de développement en rendant leur<br />
consultation obligatoire et systématique.<br />
Les actes : février 2012<br />
93
THÈME 3<br />
« Professionnalisation, quête de performance : le<br />
modèle de l’entreprise s’impose-t-il aux bénévoles,<br />
aux sa<strong>la</strong>riés et aux volontaires <strong>des</strong> associations ? »<br />
n Évolution manageriale de <strong>la</strong> <strong>vie</strong> <strong>associative</strong><br />
L’approche de l’engagement par <strong>la</strong> question <strong>des</strong> compétences met en<br />
évidence une évolution managériale de <strong>la</strong> <strong>vie</strong> <strong>associative</strong>. Bien au-delà<br />
de l’emploi associatif, ce sont tous les processus de production qui sont<br />
concernés. Dans quelle me<strong>sur</strong>e les associations peuvent-elles (doivent-<br />
elles) expérimenter d’autres mo<strong>des</strong> de fonctionnement que l’entreprise<br />
capitalistique ?<br />
Une part de nos difficultés s’explique par <strong>la</strong> pression qu’exerce <strong>la</strong><br />
puissance publique <strong>sur</strong> le secteur associatif pour créer de l’emploi. Certains<br />
financements de collectivités territoriales sont conditionnés au fait<br />
que l’association soit employeuse.<br />
Les associations peuvent participer à une politique de l’emploi, mais<br />
le cœur doit rester le projet partagé par <strong>des</strong> bénévoles.<br />
Le respect du droit du travail reste une bonne garantie pour les<br />
personnels associatifs, qu’on peut être tenté de mobiliser plus que de<br />
raison au nom de leur engagement. Il faut à <strong>la</strong> fois que les sa<strong>la</strong>riés associatifs<br />
soient associés au projet de l’association et qu’ils aient <strong>des</strong> droits<br />
comme dans n’importe quelle entreprise.<br />
Le phénomène de professionnalisation touche aussi les bénévoles<br />
qu’on a plus tendance à instrumentaliser dans <strong>des</strong> processus plus normés.<br />
Or, <strong>la</strong> spécificité de nos structures réside précisément dans leur<br />
caractère hybride, mobilisant à <strong>la</strong> fois <strong>des</strong> sa<strong>la</strong>riés et <strong>des</strong> bénévoles, qui<br />
discutent de <strong>la</strong> façon dont ils se répartissent <strong>la</strong> charge et se complètent.<br />
Il faut donc trouver <strong>des</strong> modalités de définition collective <strong>des</strong> processus<br />
de travail dans une association. Les instances doivent se pencher <strong>sur</strong> le<br />
sujet et pas seulement <strong>sur</strong> <strong>la</strong> santé financière de <strong>la</strong> structure (« état <strong>des</strong><br />
lieux de l’entreprise »).<br />
94 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
Un projet associatif fort, partagé et régulièrement questionné, permet de<br />
bien répartir les rôles entre les parties prenantes, au-delà de leurs statuts.<br />
Nous avons un devoir d’exemp<strong>la</strong>rité dans les métho<strong>des</strong> de travail et<br />
<strong>la</strong> capacité à impliquer les sa<strong>la</strong>riés comme les bénévoles et nous devons<br />
le revendiquer. Ce<strong>la</strong> passe aussi par l’invention d’un vocabu<strong>la</strong>ire spécifique<br />
(pas de décalque du secteur lucratif, pas de « nov <strong>la</strong>ngue », pas<br />
d’anglicismes non plus).<br />
n Statut du volontariat de l’animation<br />
La Ligue promeut <strong>la</strong> création d’un statut du volontariat de l’animation<br />
et est fortement engagée dans le service civique. Quelle p<strong>la</strong>ce entendons-nous<br />
faire à cette nouvelle partie prenante du projet associatif ?<br />
Comment éviter le « sous-emploi » ? Le volontariat peut-il renforcer<br />
l’engagement bénévole ?<br />
Le volontariat doit être une façon de découvrir <strong>la</strong> <strong>vie</strong> <strong>associative</strong>. Il<br />
faut donc inscrire le volontaire dans <strong>des</strong> cadres qui lui permettent de<br />
donner du sens à son action et de se projeter dans l’engagement, audelà<br />
de <strong>la</strong> mission accomplie.<br />
• Créer <strong>des</strong> espaces d’expression pour les volontaires ; prendre en<br />
compte réellement leur vision <strong>des</strong> choses jusque dans nos instances<br />
décisionnaires ;<br />
• Former les volontaires par une démarche participative et collective ;<br />
développer leur sens critique ; transmettre aussi les valeurs de<br />
l’association ;<br />
• Proposer <strong>des</strong> parcours d’engagement. Dans <strong>la</strong> Ligue, les passerelles<br />
ne sont pas faites entre l’Usep, les juniors associations, les<br />
associations étudiantes d’Animafac, le service civique ou le contrat<br />
d’engagement éducatif.<br />
Les actes : février 2012<br />
95
n Conditions pour un emploi associatif de qualité<br />
L’une <strong>des</strong> fonctions sociales majeures <strong>des</strong> associations a été de créer<br />
de l’emploi. Quel bi<strong>la</strong>n tirons-nous aujourd’hui de l’arrivée massive<br />
de sa<strong>la</strong>riés dans les associations ? La contribution à l’effort de lutte<br />
contre le chômage (notamment par les emplois aidés) est-elle toujours<br />
aussi importante à nos yeux ? Quelles sont les conditions d’un emploi<br />
associatif de qualité ?<br />
Les associations ne répondraient pas aussi bien aux attentes de <strong>la</strong><br />
société à leur égard si elles n’avaient pas développé le sa<strong>la</strong>riat, qui a<br />
enrichi les projets associatifs et haussé le niveau d’exigence. Toutefois, il<br />
ne faut pas sous-estimer le risque toujours grand, pour une structure, de<br />
ne pas maîtriser son développement ou de mal gérer les conflits sociaux<br />
qui sont inéluctables et d’autant plus mal vécus par <strong>des</strong> dirigeants portés<br />
par leur engagement.<br />
L’emploi ne peut être qu’un moyen de mener à bien le projet de<br />
l’association. Pour autant, nous devons assumer pleinement notre rôle<br />
d’employeur en cohérence avec nos valeurs de solidarité. C’est pourquoi,<br />
nous devrions développer une vraie politique de réduction de l’emploi<br />
précaire dans nos structures, investir encore plus dans <strong>la</strong> formation<br />
et <strong>la</strong> qualification de nos personnels etc.<br />
La notion de sa<strong>la</strong>rié-militant est compliquée. Il est évident (mais pas<br />
toujours vrai) que les sa<strong>la</strong>riés doivent être impliqués dans <strong>la</strong> conduite <strong>des</strong><br />
projets mais il ne faut pas que tout l’espace soit occupé par les sa<strong>la</strong>riés.<br />
Sinon, <strong>la</strong> captation de l’association par ses sa<strong>la</strong>riés empêche l’implication<br />
de bénévoles.<br />
96 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
n De l’association à <strong>la</strong> coopérative<br />
De plus en plus d’acteurs associatifs se questionnent <strong>sur</strong> l’intérêt de faire<br />
évoluer le statut de leur association vers <strong>la</strong> coopérative quand le projet<br />
économique l’emporte <strong>sur</strong> <strong>la</strong> dimension citoyenne voire pour donner plus<br />
de p<strong>la</strong>ce aux sa<strong>la</strong>riés dans <strong>la</strong> conduite du projet. N’est-ce pas possible<br />
dans une association ? La transformation de l’association en coopérative<br />
permet-elle de mieux faire face aux impératifs économiques ? Quel bi<strong>la</strong>n<br />
de l’utilisation du statut de SCIC ?<br />
Il n’est pas envisageable de « produire de <strong>la</strong> citoyenneté » dans un<br />
cadre coopératif, plus adapté à <strong>la</strong> production de services. Mais ne faut-il<br />
pas que <strong>la</strong> Ligue fasse <strong>des</strong> choix parmi ses nombreuses finalités et crée<br />
<strong>des</strong> coopératives pour créer et gérer certaines de ses activités. Ce<strong>la</strong> permettrait<br />
d’offrir un cadre plus impliquant aux sa<strong>la</strong>riés de ces structures<br />
et, peut-être, de générer <strong>des</strong> moyens financiers plus importants pour<br />
financer les secteurs non marchands.<br />
Nous pourrions ainsi créer un système mixte fait d’associations et<br />
de coopératives. À cet égard, nous ne devons pas craindre d’investir<br />
de nouveaux champs d’intervention et de créer de nouvelles activités et<br />
de nouveaux services. La coopérative semble permettre <strong>la</strong> créativité par<br />
l’implication forte <strong>des</strong> sa<strong>la</strong>riés et l’ancrage territorial par <strong>la</strong> réponse à un<br />
besoin identifié.<br />
Les actes : février 2012<br />
97
Bibliographie<br />
Politique générale<br />
• Jean-François Draperi, L’économie sociale et solidaire : une<br />
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• Ligue de l’enseignement, le modèle associatif est-il viable ?, dossier<br />
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• La Tribune Fonda — Éc<strong>la</strong>irage pour l’avenir <strong>des</strong> associations —<br />
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• FAL 44, La mutualisation de l’emploi associatif « enjeux et limites »<br />
— FAL éditions — 2011<br />
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1. À télécharger <strong>sur</strong> le site www.associations.<strong>la</strong>ligue.org<br />
Les actes : février 2012<br />
101
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104 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
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106 Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux
Journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux<br />
<strong>sur</strong> <strong>la</strong> <strong>vie</strong> <strong>associative</strong><br />
Dans un contexte de recomposition de l’action publique, de banalisation<br />
du fait associatif dans une logique exacerbée de mise en<br />
concurrence, d’hypermarchandisation de <strong>la</strong> société ou encore de crise<br />
démocratique, les associations sont interrogées <strong>sur</strong> leur capacité à<br />
être <strong>des</strong> lieux d’engagement citoyen, de transformation sociale, mais<br />
aussi en tant qu’acteur économique spécifique revendiquant sa finalité<br />
d’utilité sociale.<br />
Les journées d’étude <strong>des</strong> responsables fédéraux avaient pour finalité<br />
de fournir une grille de lecture et une culture communes afin de donner<br />
au réseau de <strong>la</strong> Ligue de l’enseignement une capacité d’agir collectivement<br />
<strong>sur</strong> les transformations qui affectent le monde associatif.<br />
Ces travaux se vou<strong>la</strong>ient aussi une étape décisive pour préparer un<br />
texte d’orientation en matière de <strong>vie</strong> <strong>associative</strong>.<br />
Pour construire cette dynamique collective, les <strong>JERF</strong> ont proposé :<br />
- un état <strong>des</strong> lieux du paysage associatif ;<br />
- <strong>des</strong> plénières de réflexion prospective <strong>sur</strong> les enjeux associatifs<br />
autour de trois thématiques stratégiques : évolution <strong>des</strong> re<strong>la</strong>tions<br />
contractuelles entre associations et collectivités ; nouveau rôle <strong>des</strong><br />
fédérations dans un contexte d’affaiblissement <strong>des</strong> formes instituées<br />
de l’action collective ; impact de <strong>la</strong> professionnalisation <strong>sur</strong> les associations<br />
;<br />
- une table ronde autour de <strong>la</strong> problématique « éducation popu<strong>la</strong>ire<br />
et dynamique <strong>associative</strong> », dans <strong>la</strong> perspective de <strong>la</strong> question du<br />
Congrès de 2013 ;<br />
- <strong>des</strong> temps d’ateliers.<br />
Laïque et indépendante, <strong>la</strong> Ligue de l’enseignement réunit <strong>des</strong> hommes et <strong>des</strong> femmes qui<br />
agissent au quotidien pour faire vivre <strong>la</strong> citoyenneté en favorisant l’accès de tous à l’éducation, <strong>la</strong><br />
culture, les loisirs ou le sport.<br />
Des centaines de milliers de bénévoles et plusieurs milliers de professionnels se mobilisent, partout<br />
en France, au sein de près de 30 000 associations locales et d’un important réseau d’entreprises<br />
de l’économie sociale. Tous y trouvent les ressources, l’accompagnement et <strong>la</strong> formation nécessaires<br />
pour concrétiser leurs initiatives et leurs projets. Tous refusent <strong>la</strong> résignation et proposent<br />
une alternative au chacun pour soi. Rejoignez-nous...