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LETTRES DE CHAPELAIN A NI COLAS HEINSIUS - Springer

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<strong>LETTRES</strong> <strong>DE</strong> <strong>CHAPELAIN</strong><br />

A <strong>NI</strong> <strong>COLAS</strong> <strong>HEINSIUS</strong><br />

( 1649-1658)


LETTRE I 129<br />

nous fait croire iey que M[adam]e Grotius ayme mieux faire imprimer<br />

I'Histoire Hollandoise de feu son Mary a Leyde qu'a Paris. Pourveu<br />

qu'elle voye le jour n'importe Oll 6. J'en espere plus de Latinite et<br />

moins de declamation que de eelle du P. Strada quoyque jusqu'iey<br />

elle soit creüe la meilleure qui ait paru sans en exeepter mesme<br />

l' Auriaeus de vostre Meursius 7. Mais e'est trop vous amuser pour une<br />

premiere fois et sije m'estendois davantage vous pourries me deffendre<br />

d'y revenir. C'est pourquoy je ne vous diray rien plus sinon que Mon-<br />

et Portner y qualifie son heros des adjectifs lentus et tardus. Guyet en effet, nous dit Portner,<br />

faisait dans le ('cabinet» des freres Dupuy, dont il etait l'ami le plus familier, figure d'original:<br />

bien qu'il consacrat sa vie a des travaux philologiques, qui aboutissaient en particulier a une<br />

correction extremement severe des vulgates de maint auteur latin et grec, il evitait systematiquement<br />

toute discussion approfondie sur ces sujets, et se refusait de meme a publier<br />

les resultats de ses recherches. La «lenteur,) de Guyet pourrait donc etre cette sorte de paresse<br />

dedaigneuse grace a laquelle le critique se mettait trop commodement a l'abri des dementis,<br />

des attaques et des querelIes que le ton peremptoire de ses affirmations aurait du normalement<br />

lui attirer.<br />

Si cette hypothese est exacte, l' expression «les jeux de vos AcademicienSl) pourrait designer<br />

quelque satire ou pamphlet prepare contre Guyet par des professeurs (sens latin de (


130 LETTRE I<br />

sieur vostre Pere est l'ancien objet de mon admiration et que je suis<br />

Monsieur<br />

De Paris ce 8. J anvier I649.<br />

Vostre tres humble et tres affectionne<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Comme je finissois ma responee a vostre Lettre mon Neveu que<br />

j'avois appelle pour la repasser et caeheter m'a dit qu'il avoit garde<br />

une eopie de eelle qui s'estoit perdue lorsque je la luy baillay pour en<br />

faire le paquet. C'est eette mesme eopie queje luy ay prise pour vous<br />

l'envoyer, dans laquelle vous verres bien qu'il n'y avoit rien qui vous<br />

la peust faire regretter que la passion que je vous y tesmoignois po ur<br />

vostre merite, qui est plus grande que je vous seaurois exprimer 8.<br />

Gorreetions orthographiques, post-scriptum, formules finales et signature autographes.<br />

Pour le reste, eopie, de la main d'un secretaire (nO I). En-tete:<br />

Monsieur Heinsius le Fils / A Leyde.<br />

8 Ce post-scriptum n'est pas contemporain de la lettre sur laquelle j] est dispose. Il a en<br />

realite ete ecrit immediatement apres la lettre 11, qui suit. La lettre I s'etant egaree, Chapelain<br />

en a expedie une copie avec sa lettre 11: iI y a aIors ajoute ces lignes. Les indications<br />

fournies par ce post-scriptum ont eIe discutees dans I'Introduction, pp. I 1-12 et 41-42. Sur Ie<br />

sens du mol «repasser», voir ibid., p. 42.


134 LETTRE 111<br />

nore, Oll il verra avec grande consolation la tendresse que vous aves<br />

pour luy et le respect que vous portes a sa maladie. La Pucelle vous<br />

est trop obligee du cas que vous faites d'elle et auroit grande passion de<br />

s'en rendre digne. Je ne scay quelle sera sa fortune. Les Princes et les<br />

Princesses qui y prennent in te rest me pressent comme vous de luy donner<br />

la liberte d'aller chercher ses avantures et je crains de n'avoir<br />

pas asses de force pour resister ades instances de cette qualite, quoy<br />

que la constance me fust fort necessaire pour son honneur et pour le<br />

mien 4. Vous scaves ce que c'est de la Poesie en general maisje ne scay<br />

si vous scaves ce que c'est du chagrin delicat 5 de la nostre. Jamais les<br />

vers n'y sont acheves et il y a tousjours a retoucher 6. C'est de cette<br />

sorte d'ouvrage plus que de celuy de la Peinture dont on peut dire<br />

faciebat et j amais F eci t. Virgile estoi t de cette opinion pour les siens. Je<br />

le suis bien davantage pour les miens ayant a faire a une Nation desgoustee<br />

que peu de chose touche et qui ne pardonne rien. J'en suis au<br />

douziesme livre et l' on m' a engage le poignard a la gorge de donner<br />

cette moitie du Poeme lors que ce dernier livre sera fait. Voila le conte<br />

queje vous en puis rendre. Ce quej'y adjousteray est queje manqueray<br />

sije puis a ma promesse. Sije ne le puisj'abandonneray la Guerriere a<br />

son destin et Dieu vueille qu' elle n'ait pas celuy des fruits precoces et des<br />

recueils epistolaires (voir la Bibliographie de l'ouvrage de Mornet), il convient au moins<br />

d'ajouter Urbain Chevreau (Lettres nouvelles, 1642). - Un choix de lettres latines de Balzac<br />

allait paraltre l'annee suivante (1650), a la suite des Carminum libri tres; le volume, preface<br />

par Menage, devait etre dedie par lui a Christine de Suede, qui lui avait fait savoir par<br />

Nicolas Heinsius l'interet qu'elle prenait aux poesies latines de l'ermite de la Charente.<br />

4 Chapelain recevait depuis 1633 une pension reguliere de deux mille livres du duc de<br />

Longueville. G. Collas decrit, pp. 85--86 de son etude, les relations du poete avec son<br />

('mallre», et enumere, p. 183, les ouvrages de circonstance dedies de 1634 a 1646 au duc, a<br />

sa femme, aleurs enfants le comte de Dunois et la princesse Marie d'Orleans, ouvrages par<br />

lesquels Chapelain s'acquittait de ses fonctions de poete a gages. Mais Longueville avait<br />

pour ancetre Dunois, le compagnon d'armes de la Pucelle: on comprend l'attention qu'il<br />

portait, avec toute sa familie, aux progres realises par Chapelain dans la composition de<br />

son epopee, l'orgueil et l'impatience avec lesquels, dans ce milieu tout particulierement,<br />

etait attendue la publication. Les douze premiers livres de La Pucelle paraltront a la fin de<br />

1655, dedies, comme de juste, a Son Altesse Monseigneur Henry d'Orleans, duc de Longueville, etc.<br />

5 Chagrin: sorte de tissu de taffetas leger.<br />

6 La formule est tres sincere sous le plume de Chapelain. On peut la rapprocher de celleci,<br />

queje souligne dans l'avis du (


LETTRE III 135<br />

enfans exposes7• En ce temps 1;\ je vous en demanderay vostre avis et<br />

cependant je demeureray<br />

Monsieur Vostre tres humble et tres aqUls<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur / Monsieur Hei:nsius Le Fils /<br />

A Leyde.<br />

7 Selon G. Collas (p. 206), «il y a bien de la fausse modestie» dans les plaintes analogues<br />

qui s'egrenent tout au long de la correspondance de Chapelain, depuis 1635 environ. lei<br />

pourtant, comme dans d'autres passages des lettres que l'on va lire, se manifeste une veritable<br />

angoisse. Chapelain, maladivement, a peur du jugement des lecteurs; la vision de son<br />

ouvrage acheve, detache de lui, livre a des curiosites malignes ou devenu un banal objet de<br />

discussion dans ces milieux litteraires qui attendaient La Pucelle comme un regal ou comme<br />

une proie, cette vision lui est devenue avec le temps de moins en moins supportable. A demi<br />

reconforte par le succes d'estime de la publication cle 1655 (clont on lui avait fait un devoir),<br />

Chapelain retrouvera cette angoisse, a la fin de sa carriere, et, meme apres trois revisions<br />

successives des vingt-quatre chants, il ne se decidera jamais a faire imprimer le poeme dans<br />

son ensemble.


Monsieur<br />

IV<br />

quand je ne devrois pas une responce a vostre derniere Lettre, a<br />

laquelle nos troubles et vostre voyage du Nort m'ont empesche<br />

jusqu'icy de satisfaire, je n'aurois pas laisse de vous escrire apres avoir<br />

leu dans celles de Mrs de S. Sauveur et Menage la part obligeante que<br />

vous aves prise a mes malheurs et l'inquietude que la revolution de<br />

la Cour vous a causee pour l'amour de moy 1. Vous ne m'en croiries<br />

pas, Monsieur, sije voulois faire le Stolque en cette occasion si sensible<br />

a un homme aussy interesse quej'y suis, et sij'affectois une constance<br />

stupide en un choq pour lequel il n'y auroit ny honneur ny vertu<br />

de se monstrerinesbranslable.J e vous avoüe donc que ce grand accident<br />

n'a pas fait seulement de grandes ruInes dans ma fortune, mais qu'il a<br />

donne une rude secousse a ma philosophie et mis en desordre la fermete<br />

de mon ame dontj'avois fait capitaljusqu'en ces derniers temps. Mais<br />

je vous dois dire aussy queje ne m'en suis pas laisse entierement abbattre,<br />

que je n'ay pas perdu la raison de veüe et que je n'ay pas resiste<br />

aux consolations qui me sont venües de la part de mes Amis en cette<br />

rencontre. C'est asses vous faire entendre que celle quej'ayremarquee<br />

pour moy dans vos lettres aces Mrs m'a este tres chere et n'a pas tenu<br />

lieu d'un petit adoucissement a mes maux 2. Car enfinje vous mets au<br />

1 C'est le 8 octobre 1649 que Heinsius prit a Amsterdam un bateau pour le (,Norb). Il<br />

quitta Stockholm dans la seconde semaine de mars 1650 et rentra en Hollande par le<br />

Danemark et I' Allemagne. Malgre ses visites a la bibliotheque ducale de Gottorp, pres de<br />

Schleswig, puis a celles de Hambourg et de Breme, il fut probablement de retour a Leyde<br />

vers le 5 avril deja. Sur ces voyages, et sur le premier se jour a la cour de Christine, voir<br />

F. F. Blok, pp. 68-78. - En France les princes avaient en janvier 1650 repris les hostilites<br />

contre Mazarin et l'autorite royale, et depuis lors cette ('seconde Fronde.) s'etait etendue a<br />

plusieurs provinces. Voir la note suivante. - Sur Saint-Sauveur, voir infra, lettre XIII, n. I,<br />

p.160.<br />

2 Le duc de Longueville avait pris une part active a la premiere Fronde, et l'avait notamment<br />

prolongee dans la Normandie dont il "tait gouverneur. Compris dans l'amnistie<br />

d"cidee lors des negociations de Rueil, il s'etait ensuite associe aux princes de Conde et de<br />

Conty dans la lutte contre Mazarin, et fut comme eux arrete le 18 janvier 1650. Chapelain<br />

crut tout d'abord que la decision prise par Mazarin d'eloigner de Paris, a cette occasion,<br />

tous les «domestiques.) du duc le frappait lui aussi. Il n'en fut rien, et Mazarin signifia au<br />

poete un ordre expres de rester a Paris (G. Collas, p. 85, d'apres Goujet, XVII, p. 670).<br />

Une lettre deJacques Dupuy a Heinsius du 7 mai 1650 (Leyde, B.P. L. [923) dit textuellement:<br />


LETTREIV 137<br />

rang de ces Amis qui me sont precieux et de qui I'affection me passe<br />

pour un bien inestimable. Si vous ne vouIes estre modeste hors de<br />

saison vous tomberes d'accord que j'ay sujet de vous considerer de<br />

cette sorte et que je ne puis trop estimer une Personne qui vaut autant<br />

que vous faites et de qui je me sens veritablement ayme. Mais, Monsieur,<br />

pour ne pas finir cette lettre sans vous entretenir un peu de<br />

cette Personne, je pensois que vostre travail le plus prest a voir le<br />

jour fust l'Ovide illustre et purifie par vos lumieres. Cependant j'ap.<br />

prens que vous nous donneres avant cela le Claudian de vostre revision,<br />

et que I'impression en est desja plus qu'a demyfaite 3.Je vous felicite de<br />

l'un et de l'autre et me resjoüis par avance de la gloire qui vous en<br />

doit revenir. Je me resjoüis aussy avec vous de la satisfaction que vous<br />

aves rapportee du bon accueil que vous a fait Ia Musagete Reyne de<br />

Suede et prens une nouvelle veneration pour elle de voir qu'elle ale<br />

goust si bon, et qu'elle distingue si bien entre le vray et le faux merite 4•<br />

Je dis une veneration nouvelle parce que nostre Monsr Chanut rn'en<br />

avoit desja imprirne une ancienne des les premiers mois de sa Residence<br />

paiement de sa rente viagere de 2000 livres, «a prendre sur tous [les] biens meubles et immeubles,<br />

presents et a VenID), du duc (ed. A. Adam des Historiettes de Tallemant des Reaux,<br />

1960-1961, t. I, p. 1184, d'apres le dictionnaire deJal) dut etre interrompu, ou du moins<br />

longuement retarde; l'imparfait utilise par Dupuy dans la phrase eitre plus haut: «dont il<br />

tiroit pensionf), est significatif. D'autre part, apres l'Ode pour Mgr le Cardinal Mazarin (debut<br />

de 1647), Chapelain rec;:ut une pension de 1500 livres du Cardinal, gagee sur l'abbaye de<br />

Saint-Pierre de Corbie. Tallemant des Reaux (ed. citee, t. I, P.572) nous apprend que<br />

pendant les quatre annees de la guerre civile (1649-1653) Chapelain fut contraint, pour<br />

obtenir son du, de poursuivre lui-meme les fermiers, mais vainement, car da guerre avoit<br />

mis le benefice en non-valeun). Ce n'est peut-etre la qu'un exemple parmi d'autres des<br />

pertes financieres subies alors, du fait des evenements, par Chapelain. Les Documents du<br />

minutier eentral eoneernant l'histoire litteraire (I65O-I7oo), Paris, 1960, ne signalent, parmi la<br />

centaine d'actes notaries passes par Chapelain entre 1650 et sa mort (pp. 61-78), aucune<br />

disposition qui puisse etre rapportee au present passage et l'eclairer d'une lumiere nouvelle;<br />

la liste impressionnante des operations financieres de Chapelain nous enseigne toutefois qu'on<br />

aurait tort de prendre trop au serieux les plaintes de l'ecrivain: ses ressourees, des 1650,<br />

etaient fort largement assurees. - Quant au dechirement moral d'un homme dont les diverses<br />

fidelites se trouvaient ainsi rendues contradictoires par la situation politique, il etait<br />

assez facile a imaginer pour que Heinsius et les autres amis de Chapelain se sentissent<br />

obliges ades formules de compassion et d'encouragement.<br />

3 L'edition annotee de Claudien allait paraitre en aout 1650, chez les Elzevier de Leyde,<br />

en un vol. in-12 (Willems n° 675); la meme annee, Louis Elzevier a Amsterdam en publia<br />

de nouveau le texte, sans les notes, en un vol. in-24 (Willems n° 1102). Ce meme imprimeur<br />

fera paraitre en 1652 J'Ovide de Nicolas Heinsius, en trois vol. in-24 (Willems n° 1150).<br />

4 Heinsius eut a Stockholm de multiples occupations. Loge dans le palais de la reine, il<br />

assista aux f etes et aux ballets donnes par Christine. Il aida celle-ci a lire Ovide et a composer<br />

des vers latins. Il rencontra nombre d'erudits, en particulier son ami Isaac Vossius, qui par son<br />

insistance tant aupres de la reine qu'aupres de Daniel Heinsius avait rendu possible le<br />

voyage de Nicolas. C'est egalement durant ce premier sejour que fut forme le projet de faire<br />

revenir le jeune Heinsius a Stockholm, et de Py munir cette fois d'un emploi durable. De<br />

fait, a la fin dejuin 1650, Heinsius etait de nouveau a Stockholm (F. F. Blok, loe. eit.).


138 LETTREIV<br />

aupres d'Elle par les Relations qu'il rn'en faisoit 5. En effect Elle a<br />

rehausse sa grandeur d'un estage par l'arnour qu'Elle a fait paroistre<br />

pour les lettres, etje ne scay si le Royaurne des Muses qu'elle a occupe<br />

par ses graces n'est point quelque chose de plus que celuy qu'Elle a<br />

herite de ses Peres, pour glorieux que ce dernier puisse estre par les<br />

rniracles de leurs actions. Mais ce n'est pas icy le lieu de parler d'Elle,<br />

et cette rnatiere ne tornbe pas sous le stile Epistolaire, au rnoins sous<br />

l'infirne, tel que celuy dontje vous escris. 11 vaut rnieux vous rernercier<br />

de l'avis que vous nous aves donne de ce Supplement de la Seconde<br />

Decade de Tite live par Freinsheimius, duquel il m'est demeure une<br />

grande curiosite par le bien que vous nous en dittes, si ce que vous en<br />

dittes n'est point un office que vous rendes a la gloire de vostre Amy.<br />

Nous en jugerons quand il viendra jusqu'icy sans prevention et aussy<br />

favorablement qu'un nom aussy fameux que le sien en est digne 6. Si<br />

vous croyes que Monsieur vostre Pere ait quelque plaisir a estre estime<br />

et honnore de moy vous n'obligeres de l'en bien asseurer et vous de me<br />

croire tousjours<br />

Monsieur<br />

De Paris ce 18. May 1650.<br />

Vostre tres humble et tres passionne<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur / Monsieur Heinsius le Fils / A<br />

Leyde. Cachets.<br />

:; Pierre Chanut (1601-1662, dates controversees) etait arrive a Stockholm, pour y<br />

representer la France avec le titre de ministre resident, le 31 decembre 1645. Il revint en<br />

France, en conge, d'avril a decembre 1649; Christine lui fit donner a son retour le titre<br />

d'ambassadeur. On trouvera dans P. de Luz, Christine de Suede, 1951, pp. 56-60, d'importants<br />

extraits d'une depeche (du ler fevrier 1648; voir Pintard, Le libertinage [ ... ], p. 117 et n. 2)<br />

adressee par Chanut au secn:taire d'Etat Lomenie de Brienne: ce texte est un bon exemple<br />

du style admiratif, encore que finement nuance, avec lequel le diplomate avait l'habitude<br />

de depeindre la reine a ses amis franc;ais. On sait d'ailleurs que des sentiments de confiance<br />

unirent les deux personnages, et que Chanut joua un role important dans la eonversion de<br />

Christine au catholieisme.<br />

6 Freinshemius (Johan Freinsheim, 1608-1660) avait ete appele en Suede en 1642 deja;<br />

il enseigna a Upsal, et lut aussi avec lajeune reine leshistorienslatins etgrecs. En 1647 Christine<br />

fit de lui son brbliothecaire et son historiographe, et l'installa aupres d'elle a Stockholm.<br />

Puis elle confia la bibliotheque a Isaac Vossius, en octobre 1650, et rendit Freinshemius a son<br />

enseignement d'Upsal. Il rentra en Allemagne peu apn:s; Heinsius lui rendra visite a<br />

"'>orms, lors de son passage en 1653. lei Heinsius a signale a son correspondant la publication<br />

du premier volume des Supplementa Liviana de Freinshemius (Stockholm, J. Jansson,<br />

1649). Ce premier volume suppleait aux livres XI-XX (,Seconde Decade») qui manquent<br />

dans Tite-Live. L'ouvrage s'augmentera en 1654 des Iivres XLVI-XCV, imprimes a Sirasbourg:<br />

Chapelain ne eessera, dans ses lettres de cette epoque (infra, Iettres XXXII et<br />

suivantes), d'interroger son correspondant au sujet de cette publication. Les Iivres XCVI­<br />

CXL, qui aehevent de eombler les lacunes de Tite-Live, ne paraitront qu'apres la mort de<br />

l'auteur.


140 LETTRE V<br />

pour la restitution duquel la Conjecture et les Livres vous ont ayde<br />

comme a l'envy. Ce sera sans doute un Chef d'reuvre et un modelle<br />

de la maniere avec laquelle on doit traiter les playes que la lime<br />

du Temps a faites aux meilleurs Escrivains des siecles passes. Ce<br />

que vous nous aves fait voir en l'un nous donne la plus grande impatience<br />

du monde pour voir ce que vous aures fait en l'autre et<br />

j'espere que vous ne nous laisseres pas languir encore beaucoup dans<br />

un desir sijuste. Vostre Panegyrique pour la Reyne de Suede me sera<br />

rendu dans deux ou trois jours. Je n'ay pas laisse po ur ne l'avoir pas<br />

d'en voir quelque chose ches nostre illustre Amy Monsieur le Marquis<br />

de Montauzier et ce que j'en ay veu n'a fait que me confirmer dans<br />

l'opinion que vostre Poesie marche sur les pas de celle de Monsieur<br />

vostre Pere et en laisse derriere plusieurs qui ne pensent pas estre<br />

des derniers 3. Ce que Mons. Chanut m'a mande de vos vers est tout<br />

conforme a ce que je vous en dis et vous scaves qu'il n'y apersonne<br />

qui enjuge plus sainement ny plus equitablement que luy. Il m'a apris<br />

que j'ay part quelques fois en vos conversations et que vous m'y estes<br />

favorable. Il scavoit bien que je serois touche de cet avis par l'estime<br />

que je luy ay tousjours faite de vostre personne et de vos belles connoissances.<br />

Si c'est luy qui a parle de la Pucelle a vostre Royale<br />

HeroIne je ne scay si je dois m'en resjoüir ou rn'en affiiger. Car plus<br />

il luy en aura dit de bien plus ma chute sera grande lorsque Sa<br />

M[ajes]te verra de combien l'Ouvrage est inferieur a ce qu'illuy en<br />

aura fait esperer. Mais ce seroit une plainte rustique sije me plaignois<br />

d'un office comme celuy la et il est plus apropos de courre la fortune de<br />

tout ce qui m'en peut arriver de pire. Pour contenter la curiosite de<br />

Sa Mte si elle continue a l'avoir pour si peu de chose vous luy pourres<br />

dire que dans un an je seray force par la volonte absolue de mes<br />

Princes et de mes Princesses a donner la moitie du Poeme, lequel s'il<br />

estoit a mon choix je ne donnerois qu'entier, afin qu'on en pust voir<br />

tout d'une veüe le corps et la correspondance de ses membres, en quoy<br />

selon moy consiste le principal merite du Poete et la plus grande finesse<br />

de l'Art. Cependant ayant este sollicite par Monsr de Wukfort Resi-<br />

eritique ne fUt pas eneore affermie sur des bases sures. Une seeonde edition de Claudien,<br />

notablement amelioree, verra le jour en 1665 a Amsterdam. Sur la valeur des editions<br />

classiques proeurees par Heinsius, voir F. F. Blok, eh. VI.<br />

3 Ce poeme d'environ six cents vers, Christina Augusta, fut compose a l'oecasion des fetes<br />

du eouronnement de la reine (20 oetobre 1650). et publie chezJansson, a Stoekholm, infolio,<br />

aeeompagne de quelques autres pieces de vers dans lesquelles Nieolas Heinsius<br />

ehantait inlassablement la gloire de la souveraine. Le reeueil sera tout entier reimprime aux<br />

pp. 121-168 des Poemata de 1653. II est dedie a Pierre et Jaeques Dupuy. - Sur Montauzier,<br />

voir infra, lettre VII, p. 144 et la n. 3.


VI<br />

Nicolao Heinsio<br />

Joannes Capellanus<br />

euyocwe:'Lv [sie]<br />

Si quid est in me ingenii, eruditionis, reconditiorisve doctrinre<br />

(quod sane per quam pusillum ultro et ingenue esse profiteor) id<br />

omne, doctissime idem et amantissime Heinsi, cernere erit in poematiis<br />

meis prresertim vero in hero'ico carmine cuius adeo frequenter mihi<br />

aurem vellis. Verum enimvero quanquam mirifice afficiar amore musarum<br />

mansuetiorum et in his libentissime conquiescam validius tarnen<br />

insto in consectandis et amplexandis iis qure animum non doctiorem<br />

sed meliorem faciunt. Cordi mihi est prrecipue probitas inculpata; in<br />

amicitiis constantia et fides; celsa mens et erecta fortunre despiciens,<br />

et ad fastigium sapientire pleno gradu contendens; patrire charitas;<br />

beneficiorum sensus ac recordatio jucundissima; officiorum memoria<br />

tenax, et in quibuslibet juvandis studium vehemens. hrec pauca ex<br />

multis hujusmodi generis velim spectes ante omnia in eo homuntione<br />

quem amandum suscepisti si deinceps illum dilligere atque animo<br />

complecti e re tua forejudicabis. Candor enim qui in me est prrecipuus,<br />

et qui bonam mentem assidue comitatur, non sinit te adeo perspicacem<br />

in rebus meis secutire ut me alium habeas quam qui sim et qui esse<br />

velim. Habes, mi Heinsi, qure conceptis verbis respondere mihi visum<br />

est ad caput primum ultimre epistolre ture jucundissimre in lectulo ex<br />

gravissimo morbo decumbenti, nec dum satis certo salutis recuperandre<br />

ad ea q ure supersun t facturo satis quum primum regrotare desiero 1. Vale.<br />

Lutetire. Anno salutis rec. M.DCLl. VIo Calendas Majas 2.<br />

Copie, de La main du secretaire n° I. Non signee. Adresse au verso: A Monsieur /<br />

Monsieur Heinsius Le Fils / A Leyde. Cachets.<br />

1 Chapelain etait periodiquement atteint de maux qui le laissaient tres affaibli. Leur<br />

gravite ne lui echappait pas: seize mois plus tard (infra, lettre XVI, p. 175), il ecrira a son<br />

correspondant: «Vous m'aves pense perdre cette annee comme l'autre d'une maladie dont<br />

je suis delivrel); illui donnera des details sur cette maladie, lettre XIX, p. 183. Le manque<br />

de precision dans la description des symptomes rend ces indispositions difficiles a identifier.<br />

Sans doute faut-il y voir les premiers signes de l'affection de la prostate qui se declarera<br />

quelques annees plus tard (voir infra, lettre LXX, p. 391 et la n. 4).<br />

2 Sur l'emploi du latin dans cette lettre, voir l'lntroduction, pp. 7-8.


VII<br />

Nicolao Heinsio<br />

Joannes Capellanus<br />

S.P.D.<br />

In medio ipso gravissimi ac desperatissimi morbi, Amicissime Heinsi,<br />

respondi ad primum caput acuratissimre Epistolre ture latinis verbis<br />

haud vero seio an latine certe balbutienti similis adeo desuetudo in<br />

quovis genere actionum humanarum ponderis habet ad bene vel secus<br />

exequenda ea qure facienda susceperis. Ad reliqua nune ab adversa<br />

valetudine paulum recreatus etsi nondum liber et absolutus pergarn<br />

respondere idiomate solito, nimirum maternD in quo minus hebes mihi<br />

videor esse magisque expedite sensa animi mei exprimere.<br />

Je n'adjousteray rien, Monsieur, a ce que je vous ay escrit par mes<br />

preeedentes sur le merite de vostre travail qui a donne Claudian a<br />

luy mesme sinon que les louanges que je luy ay donnees ont este<br />

sineeres et que je n'en ay rien dit que ce dont j'estois pleinement<br />

persuade. 11 seroit a souhaitter que tous ceux qui s'oceupent a la<br />

restauration des livres antiens y apportassent la diligence que vous<br />

faittes ou plustost pour ne les pas accuser de negligence eussent le<br />

talent pour y reüssir aussy heureusement que vous. Je vis vostre<br />

Panegyrique peu de jours apres vous avoir escrit et je meure si avee<br />

toute l'estime queje faisois de vousje n'en fus surpris tantj'y trouvay<br />

de sublimite, de doctrine, de delicatesse et de lumieres de poesie<br />

semees et placees ehacune en leur lieu de sorte qu'il vous est inutille<br />

d'en vouloir excuser les deffaults pretendus sur l'inclemenee de l'air<br />

ou il a este conceu et execute non plus que sur la preeipitation avee<br />

laquelle vousl'aves fait si ce n'est que vous en voulussies augmenterle<br />

prix par tant de eirconstanees opposees au sueces des beaux ouvrages<br />

et qui pourtant n'ont rien peu contre cettui cy 1. J'en ay parle dans<br />

ce sens a Mr Menage et a ceux de nos autres amys qui sont bons<br />

juges de ces matieres. Je n'ay trouve personne d'un avis differend<br />

du mien. Le libraire Courbe me prevint pour l'envoy de l'exemplaire<br />

que vous avies destine a Mr de Balzac et c'est par luy qu'ille doit avoir<br />

receu des il y a longtemps mais je n'en ay aucune connoissance car<br />

sa maladie d'un coste et la mienne qui vint apres de l'autre ont fait<br />

1 Sur ce «Panegyrique», voir supra, lettre V, n. 3, p. 140.


144 LETTRE VII<br />

une intermission de commerce entre nous qui n'ajamais este si longue<br />

et qu'en l'estat ou je suis j'apprehende qui ne finisse pas encore si<br />

tost 2. Des que je serayen estat de luy escrire je luy feray bien scavoir<br />

par quelles obligeantes raisons vous ne luy escrives point et cela vaudra<br />

bien une lettre d'autant plus que son chagrin et sa paresse joints a<br />

ses maux ordinaires luy font trouver fort douces toutes les raisons qui le<br />

dispensent de manier la plume qu'il manie toutesfois si bien. Je feray<br />

le mesme office aupres de Mr le M[arquis] de Montauzieretquoyque<br />

tres occupe et tres lent a se mettre a escrire selon qu'il vous ayme et<br />

estimeje me promettrois presque plus tost de faire qu'il vous escrivit sans<br />

que vous l'eussies provoque que d'obliger Mr de Balzac a vous<br />

respondre aussy prontement qu'il devroit apres avoir receu de vous la<br />

lettre du monde la plus touchante 3. Juges par la s'il recevra bien la<br />

discrettion qui vous retient de l'entretenir souvent par vos lettres.<br />

J'apprens avec beaucoup de joye que vous ayes mis le texte d'Ovide<br />

au point ou il doit demeurer c'est a dire au meilleur Oll il puisse estre,<br />

il me semble qu'autresfois Mr vostre Pere honnora une Edition qu'en<br />

firent les Elzevirs en petit de quelques notes ou du moins d'une preface<br />

qui me sembla fort belle mais ce ne devoit estre rien a comparaison de<br />

vostre travai1 4• Je ne m'esloignerois pas de la publication du texte a<br />

part suyvant l'intention de la Reyne de Suede pourveu que dans la<br />

preface vous exprimassies son commandement et que vous y fissies<br />

mention des Notes comme la devant suyvre bientost apres 5• Pour ma<br />

satisfaction particuliere et ce me semble aussy pour vostre honneur<br />

2 Le celc':bre editeur et libraire parisien Augustin Courbe, a l'enseigne de la Palme (curvata<br />

resurgo), allait en particulier editer le poeme de La Pucelle. - Voir infra, lettre X, n. I, p. 150,<br />

les remerciements que Balzac adressa a Heinsius apropos de son poeme a Christine et de<br />

son edition de Claudien.<br />

3 Sur le marquis de Montauzier (1610-1690), qui est, avec Menage, le personnage le<br />

plus frequemment nomme dans ces lettres de Chapelain, voir la monographie d'A. Roux<br />

(1860). Montauzier est depuis 1645 gouverneur de la Saintonge et de l'Angoumois. Ses relations<br />

amicales avec Chapelain sont bien connues. Heinsius, d'autre part, lui avait dedie<br />

son premier recueil de vers (Elegiarum liber, Paris, 1646). En aout 1651, a Paris, il ira lui<br />

rendre visite: Montauzier le retiendra a sa table, avec Menage (lettre a J. F. Gronovius,<br />

Burman, t. III, p. 279). C'est encore a Montauzier que Heinsius dediera ses Poemata de<br />

1653.<br />

4 L'edition procuree par Daniel Heinsius etait parue a Leyde, 1629, 3 vol. in-16 (Willerns<br />

n° 317, Searles n° 1377). Elle s'ouvre sur une dedicace de dix pages en prose a Adrianus<br />

Blyenburgius, dedicace qui a en effet toutes les apparences d'une preface. Chaque volume<br />

comporte une vingtaine de pages de notes critiques.<br />

5 Cette edition paraitra l'annee suivante a Amsterdam, chez Louis Elzevier (WiIIerns<br />

n° 1150). Elle ne comporte aucune note. Dans la lettre-preface (datee du 31 mars 1652, a<br />

Rome) par laquelle Heinsius dedie son ouvrage a Christine, le conseil de Chapelain se<br />

trouve exactement suivi; on lit: «Specimen interim studii hujus ad te mitto, ut desideriis<br />

aliqua ex parte tuis satisfiat. [ ... ] Luculentior mox secutura editio [ ... ]». L'edition savante<br />

ainsi annoncee verra le jour en 1658-1661 (Arnsterdam, 3 vol. in-12).


LETTRE VII 145<br />

je voudrois qu'il ne fut point imprime de si petite lettre et que le<br />

volume en fut au moins in 8°6. Vousvous appercevres par la queje ne<br />

suis plus jeune et qu'on m'oblige quand on m'espargne la peine de<br />

tirer mes lunettes de leur estuy. Je ne vous diray point avec quelle<br />

consolation Mr Menage m'a appris que nous vous aurions bientost iey;<br />

dittes vous le cl vous mesme qui eonfesses de bien connoistre la veritable<br />

amitie que j'ay pour vous. Hastes nous done ce bien qui sera d'autant<br />

plus grand qu'il nous viendra plus tost 7. Pour la Pucelle eette malheureuse<br />

maladie ne peut manquer qu'elle n'apporte du retardement<br />

a sa sortie au jour; mais ce n'est pas son plus grand desavantage ear<br />

il est a eraindre que minuat prresentia famam 8 et qu'elle ne valut mieux<br />

pour elle eachee que monstree. Je ne me puis toutesfois deffendre de la<br />

monstrer tost ou tard tant j'ay d'engagements pour cela qui sont<br />

invincibles. Aymes moy tousjours et me croyes.<br />

Monsieur<br />

De Paris ce ioe May i65i<br />

Vostre tres humble et tres passionne<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Co pie, entierement de la main du seeretaire n° I. Adresse au verso: A Monsieur /<br />

Monsieur Heinsius Le Fils / A Leyde. Cachets.<br />

6 L'edition sera du format in-24. La petitesse des formats utilises par les Elzevier (ils<br />

reservaient l'in-octavo aux editions


Monsieur<br />

VIII<br />

j'estois entierement guery lorsque vous me plaignies comme malade<br />

encore, et la tendresse de vostre creur qui m'eust pu servir de remede,<br />

ne m'a servy que d'un tesmoignage de cette noble amitie dont vous<br />

m'honnores et qui m'est bien plus precieuse que la sante. Dieu me l'a<br />

rendue par les vreux d'un asses grand nombre de personnes qui me<br />

veulent du bien comme vous. Je souhaite que ce soit pour leur utilite,<br />

car autrement la vie me sembleroit un suplice si les amertumes<br />

n'en estoient adoucies par la consolation d'estre au moins de quelque<br />

usage pour le bien de ceux qui nous ayment et que nous aymons. Entre<br />

les choses qui m'ont fait regarder ma convalescence avec joye, croyes<br />

moy, Monsieur, mais croyes moy bien, que vostre vertu est l'une<br />

des principales. J'ay este fort aise de me revoir en estat de joüir d'un<br />

merite comme le vostre, lequelje n'ay point gouste suffisamment a mon<br />

gre. Outre le beau bruit que vous aves desja fait dans le monde, il<br />

vous en reste encore tant a faire que je pouvois bien mourir sans<br />

regreter le jour mais non pas sans regreter tout ce que vous adjousteres<br />

de rare a ce que nous avons veu de vous jusqu'icy. Je ne vous flate<br />

point, je vous annonce vostre gloire future et si vous me croyes Poete<br />

je vous l'annonce en cette qualite qui porte avec soy celle de Prophete.<br />

Mais c'est ass es pour ce regard et il ne faut pas davantage tourmenter<br />

vostre modestie. J'ay impatience d'apprendre si nous vous verrons cet<br />

Este en ce pa'is comme vous nous l'aves fait esperer etj'attens ce bien<br />

comme l'un de ceux qui me peuvent arriver les plus agreables au<br />

monde. Nous apprendrons mille choses de vostre bouche que les<br />

lettres ne scauroient expliquer qu'imparfaitement 1. Monsf Chanut me<br />

doit apporter cette Seconde Decade de la fac;on de Freinshemius 2.<br />

C'est vous Monsieur qui m'en aves le premier donne bonne opinion et<br />

qui aves excite la curiosite que j'ay de la voir. A vostre arrivee vous<br />

nous dires plus amplement ce qu'il vous en semble 3. Nous verrons<br />

1 Heinsius quitta Leyde le 27 juiIlet (F. F. Blok, p. 102). Il est peu probable que cette<br />

leUre lui soit parvenue avant son depart.<br />

2 Chanut est absent de Stockholm de juin 1651 a mai 1653, periode pendant laquelle il<br />

assiste a la conference de Lübeck en qualite de mediateur entre Polonais et Suedois. La<br />

difficuIte des negociations pouvait des leur debut rendre previsible la venue du diplomate<br />

a Paris, pour des entretiens avec son ministre.<br />

3 Sur Freinshemius et son ouvrage, voir supra, lettre IV, p. 138 et la n. 6.


LETTRE VIII 147<br />

comment Monsr de Saumaise se demeslera du proces qu'il a avec<br />

l'Inconnu Milton. Il y a des gens de bon goust qui croyent que ce<br />

Milton est un nom vain et suppose et qui estiment que sa plume est<br />

Hollandoise. L'impression du livre faite a Amsterdam non a Londres<br />

ne sert pas peu a le faire imaginer 4. Je suis marry du retardement de<br />

la publication de vostre Ovide. Mais il faut prendre patience puisque<br />

c'est pour son mieux que vous le tenes encore sous la def. Vous<br />

trouveres icy Monsieur Menage sur le point de donner un Recueil de<br />

ses Opuscules Greques, Latines, Franc;oises, en Prose et en vers,<br />

serieuses, et burlesques. Ce sera un excellent Potpourry, dans lequel<br />

vous vous rencontreres avantageusement en plus d'une page 5. Vous le<br />

trouvenSs aussy tres broüille avec le mirifique Monsf Guyet et je scay<br />

desja le party que vous prendres en cette querelle 6. Monsieur de<br />

Montauzier vous a tousjours dans le lieu le plus honnorable de son<br />

souvenir, et respond tousjours noblement a vostre amitie si noble. Nous<br />

joüissons icy de sa conversation et ne croyons pas devoir si tost encore<br />

estre prives de sa presence. Je suis<br />

Monsieur Vostre tres humble et tres passionne<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

De Paris ce IB. Juillet I65I<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur I Monsieur Heinsius Le Fils I<br />

A Leyde. Cachets.<br />

4 La querelle entre Saumaise et Milton fut suivie avec passion dans toute l'Europe<br />

lettree. Le pamphlet de Saumaise (Defensio regia pro Carolo I) etait paru chez Elzevier, d'abord<br />

anonyme, en 1649. Celui de Milton (Pro populo Anglicano deftnsio, contra Claudii Anonymi, alias<br />

Salmasii, deJensionem regiam) fut publie, quoi qu'en dise Chapelain, a Londres, chez W. Dugard,<br />

en fevrier 1651. 11 est exact neanmoins que des le printernps de nombreuses contrefac;:ons<br />

virent le jour en Hollande; trois d'entre elles furent imprimees a Amsterdam. La<br />

presence sur le sol hollandais du prince de Galles, le futur Charles 11, accroissait sans<br />

doute l'interet qu'on prenait dans ce pays a la querelle. C'est ce prince qui avait eommande<br />

a Saumaise la Defensio regia. Voir sur l'aspect bibliographique de cette question l'article tres<br />

detaille de F. F. Madan, Milton, Salmasius and Dugard; I, The first edition of Milton's Pro<br />

populo anglicano deftnsio, in: The Library,Jourth series, vol. IV, 1923-1924, pp. 119-135, et sur<br />

l'ouvrage de Milton A. Geffroy, Etude sur les pamphlets politiques et religieux de Milton, pp. 143-<br />

156.<br />

5 11 s'agit des Miscellanea, dates de 1652. L'une des parties qui eomposent le reeueil, le<br />

Liber adoptivus, renferme trois poemes de Heinsius, qui se trouve egalement nomme, a cote<br />

de Chapelain et de Conrart, dans la dedicaee a Montauzier.<br />

6 Nous avons vu (supra, lettre I, n. 5, pp. 128-129) que Heinsius ne semble pas eprouver a<br />

l'egard de Guyet une partieuliere admiration, tandis qu'il est, de longue date deja, l'ami<br />

de Menage. Mais la querelle, probablement, ne dura pas: les biographes de Guyet ni de<br />

Menage n'y font allusion. D'autre part a la mort de Guyet, quatre ans plus tard, ses heritiers<br />

vendirent sa bibliotheque a Menage ades conditions avantageuses; Jacques Dupuy ecrit a<br />

ee sujet: (,Mons. Menage a achepte tous ses livres moyennant la somme de neuf eens livres;<br />

ils valoient quelque chose de plus et ses heritiers I'en ont voulu gratifler a ee pris la» (a<br />

Nicolas Heinsius, 13 mai 1655, Leyde, B.P.L. 1923).


LETTREIX 149<br />

N'oublies pas s'il vous plaist a m'envoyer ces vers latins sur Martial<br />

chastre par les Peres 2. Je suis de ereur et d'ame a vous.<br />

Chapelain<br />

Je vous renvoye une lettre que j'ay trouvee parmy vos vers Latins<br />

imprimes et dont peut estre vous estes en peine 3.<br />

Autographe. Sans suscription 4.<br />

Si ce n'est plus pour vous qu'il eclaire et qu'il tonne<br />

Si vous ne portes plus que d'inutiles traits<br />

11 est temps que son front par vos mains desormais<br />

D'olive et de Laurier recoive la Couronne.<br />

Mais il ne suffit pas que sur ce front guerrier<br />

Rampent confusement l'olive et le laurier<br />

Sur luy mesme a l'envy doit ramper le Lierre<br />

Du myrthe effemine n'y souffres point les !leurs,<br />

Dans le sein de Venus Mars termine la guerre<br />

Christine la termine dans celuy des nceuf Sceurs.<br />

Le dernier vers est faux. On peut penser que Chapelain l'aura corrige dans sa copie. - La<br />

seconde poesie est bien connue, et merite sa reputation. Voiture, parait-il, I'admirait fort.<br />

Elle figure, apres le madrigalliminaire de Montauzier, en tete de La guirlande de Julie, dont<br />

elle est I'une des pieces les plus anciennes (1633). Les vers, comme l'explique Heinsius a sa<br />

royale correspondante, sont censes etre prononces par Gustave-Adolphe, le pere de Christine,<br />

pour qui Julie professait une vive estime. Ou plutöt le poete feint que I'ombre du roi<br />

conte comment l'Amour, a sa mort, le metamorphosa en cette !leur appelee couronne<br />

imperiale, et lui permit ainsi d'orner le front deJulie. L'ed. O. Uzanne fournit un excellent<br />

commentaire du poeme (p. xxv et pp. 97-98). Elle donne un texte qui ne differe de celui<br />

du manuscrit (ibid., fol. (43) que par trois variantes minimes.<br />

2 Cette epigramme, si elle est bien, comme le sens parait I'indiquer, de Heinsius luimeme,<br />

ne figure pas pourtant dans ses ceuvres imprimees.<br />

3 Heinsius semble avoir apporte a Chapelain un exemplaire de ses poemes. Il devrait<br />

s'agir du recueil consacre I'annee precedente a la gloire de Christine (supra, lettre V, p.<br />

140 et la n. 3). Toutefois, je n'en trouve pas d'exemplaire mentionne dans le catalogue<br />

Searles.<br />

4 Ce billet non date fut evidemment porte a Heinsius, avec les poemes qui y etaientjoints,<br />

a son domicile parisien.


Monsieur<br />

x<br />

Vous verres par la response de Mr de Balzac jointe acette lettre que<br />

s'il est paresseux il n'est pas inhumain et que je m'estois trompe<br />

lorsqueje l'accusois d'avoir manque envers vous a l'un des principaux<br />

devoirs de la societe. Luy voulant autant de bien que vous faites vous<br />

aures de la joye aussy bien que moy qu'il s'en soit enfin acquite et<br />

considerant avec quels termes il l'a fait vous croires le retardement<br />

bien recompense et l'interest de vos civilites bien paye par les siennes.<br />

En usant ainsy il s'est raccommode avec moy qui ne pouvois souffrir sa<br />

rusticite apparente et en cherchois les causes que je n'avois garde<br />

de trouver. Il me semble que comme il vous y a traite nous avons sujet<br />

d'en estre tous deux satisfaits et que desormais vous pouves entretenir<br />

commerce avec luy sans scrupule. Vous voyes ce qu'il vous dit de vos<br />

Epistres et l'hommage que son latin rend au vostre. Ce point des<br />

Epistres est surtout remarquable car c'est vous associer a un Empire<br />

oujusqu'icy il a pretendu regner tout seul l . Quand vous luy respondres<br />

je ne pense pas que vous prenies une autre voye que la mienne, maisje<br />

desire davantage de vous encore, je veux dire que vous laissies vos<br />

lettres ouvertes en me les addressant, et si vous voules qu'elles aillent<br />

a luy fermees vous les pouries cacheter comme nous disons a cachet<br />

1 La lettre manuscrite de Balzac, datee du ler septembre 1651, est a Leyde (B.P.L. 246;<br />

pour l'imprime, voir infra la n. 3). En voici le debut et la fin, auxquels fait allusion Chapelain.<br />

Entre ces deux passages ne figurent que des developpements de peu d'interet sur Claudien,<br />

sur Christine, et sur les voyages du jeune Heinsius.<br />

(,Monsieur<br />

Je vous respons en langue vulgaire, par ce que mon latin redoute le vostre: et de plus je<br />

vous escris a la haste, par ce que si j'apportois de la fa


LETTRE XI 155<br />

tion de vostre Ovide. Mais peut estre n'a t elle pas besoin de ma<br />

sollicitation. Je suis de tout mon ecrur<br />

Monsieur<br />

De Paris ce 26. Oet. 1651.<br />

Vostre tres humble et tres passionne<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur / Monsieur Heinsius Le Fils /<br />

Gentilhomme Hollandois / A Venise. Cachets.


Monsieur<br />

XII<br />

De Paris ce 16. Fevrier 1652<br />

la mesme infortune qui a fait perir entre les mains des Courriers le<br />

paquet ouj'avois mis une lettre de Mr de Balzac pour vous, est arrivee<br />

a celuy que vous m'avies addresse de Venise, et j'ay reconnu a mon<br />

dommage qu'il n'y a pas plus de fidelite en ceux qui viennent de deUt<br />

qu'en ceux qui partent de dec;a. Mais cette perte ne me fait pas l'effect<br />

qu'a vous [sie]. Au contraire, loin de me rebuter d'escrire elle m'y<br />

excite et me fait redoubler mes soins afin de remedier au tort que je<br />

rec;ois de la Fortune et de faire que vous ayes malgre elle de ces marques<br />

de mon amitie, n'estant pas possible que de plusieurs despesches il n'en<br />

eschappe au moins une qui satisface pour les autres cl un si legitime<br />

devoir. Je vous exhorte a en user de mesme etj'en ay besoin, pour ce<br />

que desormais les tesmoignages de vostre bienveillance me sont devenus<br />

necessaires, et que c'est la plus solide nourriture dont se repaisse mon<br />

esprit. Je vous conseille mesme pour nostre commune consolation de<br />

retenir des copies de vos lettres, comme je fay des miennes, afin d'y<br />

avoir recours en de semblables accidens. Et quand cette pratique ne<br />

seroit bonne a autre chose l'utilite en est manifeste en cela. C'est par<br />

cette prevoyance que je suis en estat de contenter l'envie que vous<br />

tesmoignes a Mr Girauld de voir ce que Mr de Balzac et moy vous<br />

escrivions et qui a este perdu. Vous trouveres l'un et l'autre dans ce<br />

paquet, et je ne doute point que vous ne soyes bien aise de voir la<br />

sorte dont nostre Amy traite avec vous, et combien il est persuade de<br />

vostre merite et de vostre vertu 1. Mr Menage a veu avec plaisir dans la<br />

derniere que vous m'aves escrite ce qu'il croyoit bien desja, je veux<br />

dire que vostre plume n'avoit pas suyvi vostre intention, lorsqu'elle<br />

l'avoit fait autheur de la publication de vos vers contre l'ennemy<br />

de Monsieur vostre Pere. Voicy les termes de vostre precedente qui luy<br />

avoient donne peine et dont il ne tomboit pas d'accord. Montozerium<br />

1 La lettre qui est eonsideree iei par Chapelain eomme perdue porte supra le numero<br />

X. L'exemplaire de Leyde etant tout entier de la main d'un seeretaire, on pourrait penser<br />

qu'il s'agit du duplieata joint a eette lettre XII. Mais la lettre de Balzae, elle, est autographe<br />

(ou en tout eas est de la meme main que d'autres missives qui ne sont pas passees par le<br />

eabinet de Chapelain). On doit done admettre que la transmission du paquet subit seulement<br />

un long retard.


LETTRE XII 157<br />

autem cum quanto cultu prosequar non nescias, mi CapelIane, parum comiter<br />

facturus videbar, si popularem eius, hominem Gallum et cui multum<br />

pretii poneret, defricatum convitiisque, quamquam meritis, exceptum illi sisterem.<br />

Jussit tamen voluitque ut auderem Menagius, et hunc mihi scrupulum exemit.<br />

Multum itaque mihi spei est atque fiducire in Herois nostri requitate qui cum<br />

viderit quam petulanter etc. Lesquels termes bien qu'ils aillent directement<br />

a vous oster le scrupule que vous avies de choquer Mr le Marquis de<br />

Montauzier en luy dediant un Ouvrage ou un homme qu'il estimoit<br />

n'estoit pas bien traite , ne laissent pas d'aller indirectement a vous<br />

lever le scrupule de publier le blasme de cet homme, puisque en vous<br />

exhortant a ne pas craindre de choquer ce Seigneur en le luy addressant,<br />

c'estoit en quelque sorte vous exhorter a le publier. Mais s'il y<br />

a eu de la mesprise vous l'aves toute reparee par ce que vous m'en aves<br />

mande depuis, dont Mr Menage est demeure entierement satisfait.<br />

Que si au lieu de Menagius vous eussies mis Capellanus je l'eusse laisse<br />

passer sans vous en faire de querelle. Car encore que je ne vous aye<br />

rien persuade sur ce sujet, je tiens toutesfois pour maxime qu'en<br />

matiere de juste ressentiment il ne faut jamais contraindre personne<br />

et moins nos Amis que qui que ce soit, et qu'il n'y a point de morale<br />

qui oblige les gens a souffrir d'injure sans la repousser, pourveu que<br />

ce soit, comme ils disent, sub moderamine inculpatre tuteIre 2. Si vous<br />

n'imprimes pas ces vers vous nous en donneres copie, et il n'est pas<br />

raisonnable qu'ils soient vos Enfans et qu'ils ne soient pas veus et<br />

caresses de nous 3. La troisiesme Partie des Poemes du Testi s'est publiee<br />

apres sa mort et contre ses ordres. Aussy n'est elle pas digne de luy.<br />

C'estoit un bel Esprit qui avoit la teinture de l'antiquite, et qui estoit<br />

mesme plus docte que le commun des Italiens d'aujourd'huy 4.<br />

]'espere donc que de Florence vous nous escrires amplement. Si vous<br />

y rencontres M. le Conte Bardi qui a este Resident icy vous le salueres<br />

de ma part s'il vous plaist. Le Grand Duc n'a pas dans sa Cour un<br />

2 Expression empruntee au latin juridique, et signifiant litteralement: avec les temperaments<br />

imposes par une tutelle irreprochable.<br />

3 Voir lettre precedente, p. 153 et la n. 4.<br />

4 Fulvio Testi (1593-1646) avait publie deux volumes de Rime en 1613 (Venise) et 1617<br />

(Modene) ; puis en 1627 un volume de Poesie liriche, Oll le marinisme etait abandonne au<br />

profit d'une inspiration plus classique. Un second reeueil de Poesie liriche vit le jour en 1644:<br />

Testi desavoua a eette oeeasion tous ses premiers poemes parus avant 1627. La troisieme<br />

partie des Poesie liriche fut publiee par ses fils en 1648, deux ans apres la mort de l'auteur.<br />

C'est a ee reeueil que fait allusion Chapelain. Une quatrieme partie viendra grossir la Raccolta<br />

generale des poesies de Testi, qui paraitra a Modene en 1653. Notons qu'ulterieurement,<br />

et notamment lorsqu'il s'adressera a G. Graziani, Chapelain sera plus elogieux dans ses<br />

jugements sur Testi (voir Tamizey, t. II, p. 548: «un des premiers hommes de notre siede.».


158 LETTRE XII<br />

homme de plus grand merite 5. On n'entend point encore parler que<br />

vos Vers soient imprimes. Vos Elzevirs ont peu de respect pour vous 6•<br />

Un Mr Du Piquet venu a Paris depuis peu m'a visite de la part de la<br />

Reyne de Suede a qui il est et m'a oblige par ses instances a luy donner<br />

le Premier Livre de la Pucelle pour luy porter 7. Jene l'ay pu refusera,<br />

la curiosite et si je l'ose dire a la priere d'une si grande Princesse. C'est<br />

ainsy qu'il m'en a parle. J'y ay joint un Sonnet dont je vous envoye<br />

copie. Il vous falloit rendre conte de cela, parce que je dois la bonne<br />

opinion que cette HeroIne a de moy au tesmoignage que vous m'aves<br />

rendu aupres d'Elle 8. Aymes moy et me croyes tousjours<br />

Monsieur Vostre tres humble et tres passionne<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

ALLES vaillante Fille a la Fille vaillante<br />

Dont les Peuples du Nort reconnoissent les loix<br />

Alles l'entretenir de vos fameux exploits<br />

Et paroistre comme Elle auguste et triomphante.<br />

Vous aves toutes deux l'ame ferme et constante,<br />

Toutes deux le corps propre aux belliqueux emplois,<br />

Toutes deux l'esprit ne pour maistriser les Roys,<br />

Et regner au millieu de la trouppe scavante.<br />

5 Ferdinando de' Bardi, comte de Vemio (mort en 1680), etait chambellan du grand duc<br />

de Toscane Ferdinand II de Medicis, dont il fut quelque temps le ministre en France, Ce<br />

courtisan ecrivit des vers de circonstance, les montra a Chapelain, et se lia d'amitie avec<br />

lui; sa civilite allait jusqu'a l'obsequiosite. Voir une appreciation de Chapelain sur son<br />

caractere, dans Tamizey, t. I, pp. 692- 693.<br />

6 Le retard de cette publication etait du au fait que Jean Elzevier, a Leyde, hesitait a<br />

imprimer le scazon, injurieux a l'egard de Saumaise (D. W. Davies, The world of the Elseviers,<br />

p. 86, et Willems, pp. CXCII-CXCIII). Le volume ne parut en effet qu'apres la mort de<br />

celui-ci, en 1653. Mais Heinsius, sur les instances de son pere (voir lettre suivante, p. 161<br />

et la n. 5), en avait retire le poeme litigieux.<br />

7 Le nom de ce Du Piquet (qu'ailleurs Chapelain nomme parfois Piquet), Fran


LETTRE XII<br />

D'une mesme splendeur vos [ronts sont revestus,<br />

Vos creurs sans difference ont les mesmes Vertus,<br />

Et la Voix de chacune est la voix d'un Oracle.<br />

Un seul point rend divers vos destins glorieux,<br />

Tout ce bien que des Cieux vous aves par miracle,<br />

Elle l'a par nature, et n'en doit rien aux Cieux 9.<br />

La leUre est autographe. Le sonnet est de la main du seeretaire n° I. Adresse au<br />

verso de la leUre: A Monsieur / Monsieur Heinsius Le Fils / A Florence.<br />

9 Ce sonnet est reste, dans Ie dossier de Leyde, joint a la lettre de Chapelain. Le texte<br />

offre quelques differences avec celui du manuscrit de Paris (F. fr., n.a., 1890, fol. 196), qui<br />

donne, sous le titre A la Pucelle, en l'envoyant a la Reyne de Suede, Sonnet: v. 4, (,Et vous monstrer<br />

comme elle»; v. 6, ('aux martiaux emplois»; v. 7, ('pour regner sur les Roys»; v. 8, (,Et vous<br />

faire admirer par Ia trouppe»; v. 1 I, (,Ce que des Cieux benins vous [ ... ]».<br />

159


Monsieur<br />

XIII<br />

je me sens fort oblige au R. Pere Du Puy du soin qu'il a eu de vous<br />

faire tenir mes lettres et "1 vous de la compassion que vous me tesmoignes<br />

du miserable estat ou la France est reduite par les mains de<br />

ses propres Enfans 1. En effet c'est une chose pitoyable que ce Peuple<br />

triomphant qui depuis quinze annees a veu tous ses voysins sous luy<br />

d'amitie ou de force, tourne maintenant ses armes victorieuses contre<br />

luy mesme et face pour sa destruction ce qu'aucune puissance humai<br />

ne n'a jamais sceu faire. L'image de Rome sous Pompee et sous<br />

Cesar me revient continuellement dans l'esprit, et je ne trouve que<br />

trop de paralleles entre la Republique et ce Royaume po ur en augurer<br />

rien de bon et pour n'en apprehender pas une subversion entiere. Nous<br />

souffrons non par raison mais [par] 2la fureur de la Destinee qui porte<br />

envie aux grandes eslevations et qui n'en ayme pas la subsistance.<br />

Ce qui desesperc neantmoins tous nos Compatriotes est ce qui me porte<br />

a endurer constamment un si grand malheur. Le Destin le veut. 11 n'y<br />

a donc point de honte. Nous ne cedons qu'a cette Necessite si puissante<br />

que Jupiter luy mesme ne scauroit luy resister. L'Espagne en ces<br />

revolutions peut bien profiter de nostre debris, mais elle ne peut pas<br />

triompher de nostre gloire. Si elle nous insulte apres nostre rUIne ce<br />

sera arracher le poil au li on apres sa mort 3. Vous voyes, Monsieur,<br />

commeje previens les consolations que vous me prepares et commeje<br />

me dispose ales recevoir sans repugnance. La principale toutesfois que<br />

j'attens de vous est l'asseurance de la continuation de vos bonnes<br />

graces qui me tiennent lieu de tout et auxquelles je mets un si grand<br />

prix qu'au millieu de toutes mes pertes je me tiendray riche pourveu<br />

que vous me les conservies. C'est du cceur que je vous le dis et vous<br />

scaves que je suis sincere. Vous ne scauries mieux me faire croire<br />

que j'ay tousjours part en vous qu'en me donnant souvent de vos<br />

1 Jacques Dupuy, prieurde Saint-Sauveur (1586-1656), etait reste, a la mort de son frere<br />

Pierre (1582-1651; voir infra, n. 10), seul garde de la bibliotheque du roi, et continuait a<br />

animer le dlebre (,Cabinet», 1'(,Academie puteanel), Oll convergeaient et d'oll repartaient les<br />

nouvelles, litteraires et aussi politiques, du monde entier. Voir R. Pintard, Le libertinage<br />

[ ... ], pp. 92---93 et passim.<br />

2 Le mot manque dans le manuscrit.<br />

3 On voyait dans Paris des contingents espagnols, qui faisaient partie des armees des<br />

princes. Celles-ci menacerent au printemps de 1652 d'encercler l'armee royale, conduite<br />

par Turenne, qui evoluait dans la region de la Loire.


LETTRE XIII 161<br />

nouvelles. VOUS le deves si vous voules estre equitable a mon amitie<br />

et vous le feres paree que vous estes equitable. Je trouve la petite<br />

impression de vostre Ovide fort avaneee, d'en estre desja au X. de la<br />

Metamorphose. Les caracteres en sont bien menus pour des yeux<br />

eomme les miens, quoyque l'impression soit belle. 11 est a eraindre que<br />

de longtemps on ne le vueille reimprimer en plus grosse lettre, et que<br />

vos Notes ne paroissent de longtemps par eette raison 1ft 4. Neantmoins<br />

la Hollande est un pai:s de grand debit. Pour vos Poesies il est estrange<br />

qu'elles soient encore a venir, et quand elles viendront, elles ne viendront<br />

pas encore tout entieres, puisque Monsieur vostre Pere vous a<br />

oblige a supprimer le Seazon 5. Mais il faudra que vous nous en donnies<br />

eopie, afin qu'un si bel ouvrage ne se perde pas, et ne soit pas prive<br />

de sa legitime louange. Mr de Balzac me le demande avee instance et<br />

je le luy ay fait esperer. Vous me feres la grace de me mander si je<br />

l'ay pu faire. On m'a dit que la lettre que vous aves escrite a M.le Card1<br />

de Retz sur sa promotion est tres belle 6. Atout evenement je vous<br />

supplie d'en mettre la copie avee la premiere que vous m'escrires, car<br />

tout se perd entre ses mains et je ne voudrois point qu'elle se perdist.<br />

Je suis bien aise que le Sonnet pour la Reyne de Suede ne vous ait pas<br />

depleu. Elle l'a veu et ne l'a pas desapprouve. Si Monsr Du Piquet que<br />

vous aves pu voir aupres de Sa Mte a fait un heureux voyage le Premier<br />

Livre de la Pueelle est acette heure entre ses mains. L'Elegie que vous<br />

nous aves communiquee est digne de sa grandeur etje m'assure que Mr<br />

de Balzac aura grande satisfaction et de la beaute de l'ouvrage et du<br />

soin que vous aves eu de le luy envoyer 7.11 partira demainaveevostre<br />

lettre, de laquelle j'ay fait prendre copie pour la luy pouvoir envoyer<br />

une seeonde fois si le malheur la faisoit perir sur les chemins. Je luy ay<br />

fait faire reflexion sur l'exeellenee de vostre stile Epistolaire et il en<br />

est persuade eomme moy. Assures vous done qu'il ne se moque point<br />

lorsqu'il vous exhorte a n'envier pas au public ce que vous pouves<br />

avoir de prest en ce genre. S'il le faisoit la raillerie retomberoit sur<br />

luyB. Vous donneres sans doute quelque chose a la memoire de feu Mr<br />

4 Voir supra, lettre VII, pp. 144-145 et les n. 5 et 6. (


Monsieur<br />

XIV<br />

les desordres de ma Patrie, auxquels par vostre bonte naturelle vous<br />

voules bien vous interesser, sont accreus de moitie depuis les dernieres<br />

lettres que vous aves receües de moy, et la Fatalite qui semble porter<br />

envie a la gloire des grands Empires pousse celuy cy sur le bord du<br />

precipice, d'Oll il n'y a que le Maistre de la Destinee qui le I>uisse<br />

retirer, tant les esprits sont obstines de tous les costes a leur destruction<br />

mutuelle, et a tel point est mon tee la desfiance en chacun des<br />

Partis, ce qui empesche qu'on ne se puisse rapprocher 1. Que peut<br />

faire un bon Citoyen qui n'a point de part aux Conseils et qui ne fait<br />

que nombre dans la Republique, sinon de plaindre son malheur et<br />

d'attendre le coup avec courage et avec patience? A ceux qui comme<br />

nous sommes [sie] outre cela Citoyens de la Republique des lettres, il y<br />

a une autre sorte de consolation a prendre, ou si ce n' est une consolation<br />

au moins une diversion en un si grand mal. I1 s'en faut sauver du mieux<br />

que l'on peut dans le sein des Muses qui ont des remedes pour toutes<br />

afHictions, et qui adoucissent toutes les douleurs si elles ne les guerissent.<br />

C'est la diete que je pratique maintenant au milieu de nos<br />

turbulences et dont je me trouve asses bien veu la grandeur de la<br />

maladie. C'est celle que je conseille a nostre Amy du Cloistre et dont<br />

il use avec asses de succes. I1 a mesme pris la matiere si fort a creur<br />

que non content de la conversation qu'il a d'ordinaire avec les illustres<br />

Morts de son Cabinet il a ouvert sa Chambre aux Doctes<br />

Vivans et en a fait un Reduit Academique regulier, qui ne pretend<br />

ceder que de gueres a celuy de Mr Du Puy, avec cette seule difference<br />

que ce dernier est de tous lesjours et que l'autre n'a que leJeudy de la<br />

semaine pour s'y assembler 2. Cet Amy est tousjours bon et tousjours<br />

1 Entre avril et juin 1652, la Cour s'etait etablie a Saint-Germain, la guerre se prolongeait<br />

autour de Paris entre Turenne d'une part, Conde et le duc de Lorraine d'autre part;<br />

l'anarchie et la misere sevissaient a Paris. Aucune solution du conflit n'etait en vue.<br />

2 11 est fait mention, irifra, lettre LXI, p. 347, d'une (,Mercuriale». C'est le nom sous lequel<br />

devinrent celebres les reunions du mercredi chez Menage, reunions qui ne prirent fin qu'avec<br />

sa mort. On peut donc etre surpris de voir que ces seances se tinrent primitivement le<br />

jeudi. Menage changea-t-il de jour parce que l'une des deux seances hebdomadaires de<br />

l'Academie etait elle aussi fixee aujeudi? - D'autre part on a crujusqu'ici que la fondation<br />

de ce ('Reduit Academique regulier.) du cloitre Notre-Dame etait posterieure a la brouille<br />

qui intervint entre Menage et le cardinal de Retz, et au demenagement de Menage qui<br />

s'ensuivit. Voir par exemple Tallemant des Reaux (ed. A. Adam, t. 11, P.332 et la n.):<br />

(,Quand il fut sorty de chez le cardinal de Retz, il se mit a. faire une espece d'academie, ou


LETTRE XIV 165<br />

dant il me pria instamment de vous ass eurer qu'il estoit plus que<br />

jamais a vous. J'admire le procede des Elzevirs en vostre endroit.<br />

Je voy bien que ce sont des vilains comme les autres et qu'ils regardent<br />

plus a leur profit sordide qu'a la satisfaction des gens d'honneur,<br />

de qui ils tirent le moyen de profiter. Avec quel front peuvent ils<br />

chicaner un interest de si petite consequence, principalement en<br />

une chose qui porte vostre nom sur le front? C'est qu'ils n'ont aucune<br />

teinture de lettres et que ce sont de simples marchands d'ancre et de<br />

papier. Les Aldes, les Estiennes, les Plantins n'en usoient pas ainsy.<br />

Aussy meritoient ils d'entrer en societe avec les habiles et de faire corps<br />

avec eux 6. Vous m'aves estonne en me disant que les Romains vous<br />

offroient d'imprimer vostre Ovide. Ce seroit pour vous un triomphe<br />

in ipsa Urbe mais a moins que de procurer vous mesme l'Edition je ne<br />

vous conseillerois pas d'accepter cette offre. Vous scaves combien<br />

est nuisible l'absence en ces matieres et ce qu'importe aux livres la<br />

justesse et l'exactitude de la Correction, surtout aux livres Oll il s'agit<br />

d'Emendations et de Restitutions. Pour moy je n'y en desire gueres<br />

moins que dans les Supputations Astronomiques, ou la moindre erreur<br />

excurrit in immensum. Je suis bien aise d'apprendre que vostre Scazon<br />

ne se perdra pas et qu'il y a lieu d'esperer qu'on le verra mesme sous la<br />

presse 7. La querelle de Vossius avec vostre Ennemy est de pire nature<br />

que la vostre puisqu'il s'agit du pecule et que l'offense ne va pas<br />

seulement a l'honneur mais a la bourse encore. La disgrace du premier,<br />

qui n'est plus a la Reyne de Suede, seroit elle venue de la? Et un homme<br />

qui est en Hollande auroit il eu le pouvoir de le rutner a Stokholm.<br />

C'est Mr Menage qui m'a appris cette mauvaise nouvelle quc je<br />

6 «Les habiles»: voir infra lettre XLII, p. 268 et la n. I. - Daniel Heinsius avait pendant<br />

de longues annees fourni aux Elzevier de Leyde un patronage scientifique dont la haute<br />

qualite contribua efficacement au succes commercial de l'etablissement. Chapelain s'etonne<br />

qu'a soi seulle nom de Heinsius ne suffise pas a assurer a Nicolas, de la part des editeurs, un<br />

traitement particulierement bienveillant (voir supra, lettre XII, n. 6, p. 158). En fait, Jean<br />

Elzevier n'etait pas sur que Nicolas dut reprendre un jour le röle que son pere vieilli n'exer­<br />


166 LETTRE XIV<br />

souhaite qui se trouve fausse 8. Mais ce qui me l'a fait croire vraye<br />

est que Mr Du Fresne s'en va vers la Reyne en qualite de Bibliotecaire.<br />

Vous scaves qui est Mr Du Fresne 9. Je suis bien ai se que les Vers pour<br />

feu Mr Du Puy ne vous ayent pas depleu. Pour la lettre a M. le<br />

C[ardina]l de Retz il s'en faut donc consoler, puisque vous n'en aves<br />

point garde de copie. C'est dommage pourtant qu'elle soit perdue car<br />

nostre Amy qui ne loüe point ce qui mesme est mediocre m'en a parle<br />

comme d'une bonne lettre, et il y a longtemps que je scay que vous<br />

n'en faites point d'autres 10. C'est ce qui me fait vous convier a nous<br />

en envoyer souvent et de longues, parce que de bonne marchandise<br />

il n'y en scauroit jamais avoir trop. Je suis de tout mon cceur<br />

Monsieur Vostre tres humble et tres passionne<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

De Paris ce 14. J uin 1652<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur / Monsieur Heinsius le Fils / a<br />

Rome. Cachets.<br />

8 Isaac Vossius vit en effet cesser, au printemps de 1652, la faveur que Christine lui<br />

manifestait depuis 1649. Saumaise etait l'auteur de eette disgrace. Vossius avait prete au<br />

fils de Saumaise,Josias (qui, servant dans la garde de la reine, etait reste en Suede apres le<br />

depart de son pere), une somme de 1500 ecus, dont il ne parvenait pas a obtenir le remboursement.<br />

Il se tourna alors vers Saumaise. Mais eelui-ci refusa de payer la dette de son<br />

fils, et eonseilla a Vossius de s'adresser a Christine pour obtenir satisfaetion. Vossius ayant<br />

decline eette proposition sans la prendre au serieux, Saumaise envoya sa lettre a Christine et<br />

en meme temps persuada habilement la souveraine qu'elle etait offensee par les medisances<br />

de Vossius. Celui-ei, sans eeouter les rumeurs qui eireulaient deja sur sa disgraee, quitta en<br />

avril Amsterdam, Oll il se trouvait depuis quelque temps, pour rentrer a Stockholm. Il fut<br />

arrete a la frontiere, Oll on lui signifia l'ordre de retourner ehez lui, et d'attendre que la<br />

reine eut fait la lumiere sur eette affaire. (F. F. Blok, p. 170). Menage a done donne a<br />

Chapelain des informations parfaitement exaetes. Vossius ne rentra en graee qu'a l'automne<br />

1653, apres la mort de Saumaise. Ajoutons, pour expliquer eet episode, que Vossius, apres<br />

avoir ete le diseiple de Saumaise a Leyde, etait tenu par ce lu i-ci en suspieion depuis quelques<br />

annees, a cause de ses amieales relations avee Nieolas Heinsius. Or l'hiver 1651-52 fut<br />

marque par une aggravation de la querelle entre Saumaise et Heinsius. L'attaque contre<br />

Heinsius, qui figure en tete de la replique (Responsio) adressee par Saumaise a Milton, d'une<br />

part, la redaction par Heinsius de son seazon et la mise en eirculation du manuscrit de eette<br />

satire, d'autre part, sont des signes non equivoques de eette reprise des hostilites, que seule<br />

fera eesser la mort de Saumaise.<br />

9 Legere inexaetitude: e'est Gabriel :"Jaude qui devait succeder a Vossius eomme bibliotheeaire<br />

de Christine (voir infra, lettre XVI, p. 173). RaphaeI Triehet du Fresne (1611-<br />

166 I), son ami et diseiple, prenait la direetion des eollections artistiques et du cabinet des<br />

medailles. Triehet du Fresne d'ailleurs eumulera les deux emplois apres le depart de Naude,<br />

en juillet 1653. Les deux hommes firent de eompagnie le trajet de Paris a Stockholm (21<br />

juillet-13 septembre 1652). Voir R. Pintard, Le libertinage [ ... ], p. 390. En attendant leur<br />

arrivee, Samuel Boehart, que Vossius avait emmene dans son voyage et qui, lui, avait ete<br />

autorise a se rendre a Stoekholm, travailla avee efficaeite a mettre de l'ordre parmi les livres<br />

deja amasses par Vossius, et dont il s'agissait maintenant de composer une bibliotheque.<br />

10 Lorsque la lettre de Heinsius est arrivee a destination, Menage etait eneore pour<br />

quelque temps attache au eardinal de Retz. C'est ce qui lui a permis d'en prendre eonnaissanee<br />

des sa reception.


Monsieur<br />

xv<br />

je me sens bien oblige a Monsieur de Balzac de m'avoir donne moyen<br />

de vous tenir parole et de vous faire voir qu'il me reste encore un<br />

peu de credit aupres de luy dans les choses ou il y va de vostre contentement.<br />

I1 est certain qu'il est plus valetudinaire que jamais<br />

et que les miseres publiques se joignant a ses infirmites corporelles<br />

stupefient en quelque sorte son eloquence et luy rendent desagreable<br />

le mestier de l'escriture dont il n'a pas moins fait autresfois ses delices<br />

que son honneur. Mais je n'ay pu le laisser dans cette letargie s'agissant<br />

de luy faire satisfaire a la civilite dont vous l'aves prevenu,<br />

ny il n'a pas voulu que vous l'y creussies insensible lorsque je luy<br />

ay represente l'obligation qu'il avoit de traiter avec vous autrement<br />

qu'avec le commun. I1 a donc fait cet effort sur son abbatement et a<br />

respondu a vostre lettre. J'avoüe bien qu'en la faisant de la sorte que<br />

vous verres il ne m'a pas seulement oste tout sujet de plainte, mais<br />

encore qu'il a este au dela de ce que j'en attendois. Vous et moy l'en<br />

eussions quite pour douze lignes de prose et voila qu'il vous envoye<br />

plus d'une centaine de vers, lesquels je ne vous loueray point parce que<br />

vous en estes le vray juge et que plus vous vous y connoisses plusj'espere<br />

qu'ils attireront vostre estime. A ce coup il a paye pour toutes ses<br />

dettes passees, et de la fac;on qu'il y a parle de Monsieur vostre Pere<br />

je ne desespere pas qu'il ne se renoüe entre eux une amitie aussy<br />

estroite qu'elle estoit autresfois avant que la Tisiphone d'Herodes eust<br />

rompu les liens de leur societe. Le Socrate Chrestien dont il vous parle<br />

est le dernier de ses Ouvrages, publie depuis vostre depart. Les matieres<br />

en sont diverses, de Langue, de Critique delicate, de belle Theologie.<br />

Comme vous n'aves point de demeure fixe et que le port en seroit fort<br />

ruineux on vous le gardera pour vostre retour. Pour l' Aristippe il me<br />

mande qu'il est prest mais que ces miserables Temps le retiennent encore<br />

a l'ombre de son Cabinet. Il y traite principalement de la Cour, et<br />

Mecenas et Agrippa y tiendront les principaux rolles. Cela ne peut<br />

manquer d'estre beau pour la matiere et po ur la forme 1. Le Recueil<br />

de Monsr Menage est acheve d'imprimer mais il ne sc;ait s'ille laissera<br />

1 La piece poetique transmise par Chapelain est l'une des dernieres qu'ecrivit Balzac.<br />

Heinsius la publia dans ses Poemata de 1653, ou elle figure dans les feuillets non numerotes<br />

qui sont en tete du volume. Elle n'est pas datee. Dans un latin fleuri, Balzac y exprime son


168 LETTRE XV<br />

aller dans la confusion Oll so nt toutes choses 2. Nous n'avons point<br />

ouy parler du vostre. Je vous plains d'estre si mal servy de vos Elzevirs.<br />

Nous n'avons rien veu non plus de vostre Ovide en petit volume.<br />

nest vray que celuy cy a este commence a imprimer plus tard et qu'il<br />

y a bien plus de besoigne. Je me resjoüis que vous vous rapprochies de<br />

nous en venant a Florence. 11 me semble que vous faisies estat d'aller en<br />

Sieile. Si vous voyes par hazard aupres de M. le Grand Duc M. le<br />

admiration pour les vers de Heinsius eonsacres a la louange de Christine (il s'agit de l'elegie<br />

dont Chapelain annonce la transmission supra, lettre XIII, p. 161), il dit sa tristesse devant<br />

la guerre civile qui dechire la France, puis il imagine que, sur le dos de Pegase, il va rejoindre<br />

Heinsius en ItaIie, terre d' ApolIon. Apres divers encouragements et souhaits de<br />

bonheur, il conclut en prose (et en frano;:ais): «VOUS voies, Monsieur, comme vos Muses<br />

inspirent les miennes, etjusqu'ou m'emporte la fureur poetique. Nostre tres-cher Monsieur<br />

Chapelain vous parlera plus raisonnablement. II vous dira en prose de mes nouvelles, de<br />

celles de mon Socrate, de mon Aristippe, etc. Vous estes nostre commune passion, [etc.]').<br />

Les formules employees apropos de Daniel Heinsius (tout simplement qualifie au debut<br />

du poeme de summus, a la fin de doctus) ne sont pas particulierement amicales en regard de<br />

eelles qu'on a pu lire a la fin de la precedente missive de Balzac (voir supra, lettre X, n. I,<br />

pp. 150--151). RappeIons que la querelle entre Balzac et Daniel Heinsius apropos de la<br />

tragedie de ce demier, Herodes infanticida, remontait a 1636 et avait ete rallumee par Menage<br />

et Saumaise en 1644. - Le Socrate chrestien de Balzac venait de paraitre. Aristippe ou de La Cour<br />

sera publie, posthume, en 1658.<br />

2 Cette indication est encore ici prematuree (voir lettre precedente, n. 4, p. 164). L'acheve<br />

d'imprimer des Miscellanea porte la date du 27 aoilt 1652. Les lettres de Dupuy a Heinsius<br />

(Leyde, B.P.L. 1923) font etat durant tout I'automne, comme celles de Chapelain lui-meme,<br />

du retard de la publication. C'est seulement le 10 janvier 1653 (sa lettre prececiente etant<br />

du 13 decembre 1652) que Dupuy peut enfin annoncer: «Nous n'avons rien ici de nouveau<br />

que les poemes de nostre ami Mr Menage publiez depuis pew). Mais ce retard aura eu pour<br />

cause essentielle I'impression du portrait liminaire de l'auteur (infra, lettre XX, p. 188).<br />

Aussi peut-on sans doute ajouter foi a la date officielle de I'acheve d'imprimer. Elle est<br />

d'ailleurs confirmee par Jean Girault, le secretaire de Menage, lorsque dans une lettre a<br />

Heinsius du 23 aoilt 1652 il annonce que le livre «est acheve d'imprimer a la reserve des<br />

epitres liminaires qui sont mesme desja sous la presse, ainsi au premier jour tout sera entierement<br />

acheve» (Leyde, ibid.). - Or, une lettre de Menage a Sarasin, publiee par G. G.<br />

dans la Rev. d'Hist. Litt. de la Fr. (1931, pp. 283-285), non datee, juxtapose notamment<br />

les deux indications suivantes: «Depuis plus d'un mois qu'il y a que je me suis retire d'avec<br />

lui [Retz]», et plus bas: (\Je vous envoie enfin mon livre en I'etat qu'il est; il y manque<br />

l'Epitre a M. Conrart, c'est-a-dire deux ou trois feuilles'). La Lettre a Conrarf occupant les pp.<br />

103-126 du demier des fascicules dont se compose le livre, on doit en deduire que celui-ci<br />

n'a pas encore atteint le stade de fabrication annonce par Girault, et que par consequent<br />

la lettre de Menage a Sarasin est anterieure a la lettre de Girault a Heinsius. Par suite, si<br />

la lettre a Sarasin est du 15 aoilt environ, la brouille entre Menage et Retz serait survenue<br />

au debut de juillet deja. Cette hypothese trouve une eonfirmation dans la phrase suivante<br />

de Jacques Dupuy, tiree d'une lettre a Heinsius du 21 fevrier 1653: «[Menage] s'estoit<br />

separe d'avec Mons. le Card. de Raiz plus de quatre ou cinq mois avant sa prison». Car cette<br />

«prison» est du 19 decembre 1652, et la periode indiquee, a vrai dire de fao;:on assez imprecise,<br />

est donc celle de juin-juillet. Peut-on meme penser que, comme le dit Tallemant des Reaux<br />

(voir lettre prececiente, n. 2, p. 163), confirme par le Menagiana, Menage n'ouvrit son<br />

«espece d'academie') qu'apres avoir quitte le cardinal de Retz? L'indication fournie par la<br />

precedente lettre de Chapelain nous obligerait alors a faire remonter cette separation<br />

jusqu'au debut de juin, ce que le silence des correspondances contemporaines rend inadmissible.<br />

En realite la fondation de I'«espece d'academie') a dil etre un peu anterieure, les<br />

deux evenements s'etalant d'ailleurs sur une periode de quelques semaines chacun. La<br />

reunion hebdomadaire eut d'abord lieu, en juin, le jeudi, au domieile loue par Retz pour<br />

Menage dans le cloitre. En juillet ou peut-etre en aoilt, apres la brouille, Menage changea


170 LETTRE XV<br />

capitale du Royaume lorsque le Roy n'en approchoit que de dix<br />

lieües 6. Je suis<br />

Monsieur<br />

De Paris ce I2. Juillet I652<br />

Vostre tres humble et tres passionne<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur I Monsieur Heinsius Le Fils I<br />

A Florence.<br />

6 Le duc Charles de Lorraine, apres avoir devaste Ja Champagne, avait franchi la Marne<br />

a Ja fin de mai, maJgre la resistance de Turenne, et avait eta bl i son armee aux portes de<br />

Paris. Il avait fait le 2 juin son entree dans la capitale, Oll les Princes et la population l'avaient<br />

accueilli avec enthousiasme. La Cour etait alors a Melun. Une violente bataille eut lieu le<br />

3 juin devant Etampes.


Monsieur<br />

XVI<br />

De Paris ce I6 Aoust I652.<br />

je ne vous diray jamais asses bien de quelle sorte je suis touche des<br />

tesmoignages que je recoy de temps en temps par vos lettres de vostre<br />

singuliere amitie; et ce queje n'aymerois point mieux avoir perdu que<br />

ce commerce duquel je tire une si grande consolation. Je trouve tout<br />

en vous, la vertu, le soin, la foy, la tendresse, la candeur, la franchise,<br />

le scavoir, l'elegance, l'eloquence, et tout cela eminemment.<br />

Vous me pourries suffire seul pour toutes choses, et si vous me conserves<br />

vostre creur et Dieu vostre sante comme je l'espere j'auray<br />

en vous un remede universel pour toutes les rUInes que la Fortune peut<br />

causer en mes affections ou en mes affaires. Apres cette declaration<br />

vous ne vous estonneres pas si je suis punctuel a correspondre a la<br />

part que vous me donnes de vos avantures et au lieu de le recevoir a<br />

grace comme vous m'en parles vous avoüeres que je m'en fais une a<br />

moy mesme et queje travaille bien plus pour moy que pour vous. Ne me<br />

dites donc plus, Monsieur, que vous vous hazardes a m'escrire de<br />

longues lettres sur la confiance que vous prenes en la facilite de<br />

mes mreurs et en cette humanite, dont vous me loües, comme sije me<br />

pouvois vanter d'estre homme sans l'avoir; mais ass eures vous que je<br />

les souhaite longues et que plus elles le seront plus elles me seront<br />

douces et plus je m'en tiendray oblige par vous. Sur cet article de<br />

lettres il est vray que nostre eher Mr Menage est incomprehensible, et<br />

que c'est un caractere d'esprit qui n'a peut estre pas son pareil. 11<br />

vous ayme autant que je fais et c'est tout dire, il vous a en tres haute<br />

es time, il desire autant que moy l'eternelle possession de vostre creur;<br />

il a de l'esprit estrangement, il escrit avec beaute et facilite, il fait<br />

bien des vers, il reüssit en prose, et ce qu'il y a de plus estrange personne<br />

ne compose mieux une Epistre que luy sans qu'avec tout cela<br />

il vueille ou puisse faire de lettres a ses Amis intimes comme vous.<br />

Je luy fais la guerre que c'est qu'il s'espuise en ce genre, a escrire<br />

a ses Amantes ou a ses Amies, et quand je luy parle plus serieusement<br />

je luy reproche qu'il ne veut rien perdre en escrivant, et qu'il ne<br />

prendjamais la plumc que dans la veüe de s'en parer en public et d'en<br />

enrichir quelque presse. Cependant il perd beaucoup a ce jeu la et ne


LETTRE XVI 173<br />

pas demeure inutile en ce lieu la et Ovide y aura trouve son conte.<br />

Voila qui va bien que vostre Ennemy commence a temperer sa bile<br />

et a mettre de l'eau en son vin. Le plus beau des Sacrifices est celuy que<br />

nous font ceux qui ne nous ayment point parce qu'il n'est suspect ny<br />

de superstition ny de flaterie. S'il continüe a se tenir coy il nous faudra<br />

contenter d'une copie manuscrite de ce fouet desguise en Scazon qui<br />

le devoit fustiger publiquement par tous les carrefours du Parnasse 5.<br />

Vous m'aves bien informe de l'affaire de M. Vossius et je croiray<br />

desormais qu'il est non pas renvoye par la Reyne de Suede, mais<br />

envoye pour son service aux lieux d'ou elle peut tirer de quoy enrichir<br />

sa merveilleuse Biblioteque 6. Gelle du Gard1 Mazarin ayant<br />

este consumee par ce foudre qui est tombe sur luy et le Sr Naude<br />

n'ayant plus d'employ il est party po ur Suede en qualite de Bibliotecaire<br />

aussy 7. Jene scay si Mr Du Fresne n'y est point appelle pour y<br />

faire une Imprimerie Royale pareille a eelle qu'il establit au louvre<br />

du temps du feu Gardinal et de Mr De Noyers. C'est le premier homme<br />

de l'Europe pour une Intendance de cette nature la 8. Je n'ay jamais<br />

5 L'espacement des nouvelles qu'il rec;oit de son correspondant amene Chapelain a se<br />

faire une idee simplifiee de l'evolution des rapports de Heinsius avec Saurnaise. Ces rapports<br />

en realite ne se sont pas ameliores durant l'ete 1652. C'est en juillet que Bourdelot (voir<br />

lettre suivante, n. 2, p. 177) se met en tete de reconcilier les deux ennemis, en aout que<br />

Heinsius repond tres fermement par la negative acette proposition. Les deux lettres (Leyde,<br />

B.P.L. 1923, et Burman, t. V, p. 7II) sont partiellement citees par F. F. Blok, pp. 175-176.<br />

6 Heinsius est mal renseigne, ou a le tort de ne pas ajouter foi aux renseignements qu'il<br />

a rec;us. Voir supra, lettre XIV, p. 166 et la n. 8. Ajoutons toutefois que si Vossius etait en<br />

disgrace, il n'etait pas


174 LETTRE XVI<br />

este en peine pour bien dire de vous du coste de Sa Mt"', quelque<br />

mauvais office que vostre Adversaire vous eust pu rendre aupres<br />

d'Elle. Vous y tenes d'une maniere trop desinteressee pour y courir<br />

les hazards du commun. Mais j'ay eu beaucoup de joye de scavoir<br />

par vous mesme la satisfaction que vous en aves et de voir en quels<br />

termes elle vom escrit sur sa gratitude pour vos travaux et pour vos<br />

services. Cela me plaist pour ce qui vous regarde et luy fait grand<br />

honneur aupres de müy 9. Apropos de moy il faut que je vous die<br />

que le Sr Piquet l'un de ses Domestiques me vint il y a six ou sept<br />

mois visiter en son nom avec beaucoup de marques d'estime et de<br />

bienveillance et que m'ayant demande de sa part et d'une maniere fort<br />

engageante quelque chose de la Pucelle je le chargeay du Premier<br />

Livre pour luy en donner un essay. Ille luy amis entre les mains a ce<br />

qu'il me mande, mais comme je n'en ay nouvelles que par luy et qu'il<br />

peut m'avoir Rate pour la fa($on dont il a este receu par Elle je vous<br />

conjure, si c'est chose que vous puissies faire avec bienseance, de luy<br />

en vouloir toucher un mot dans vostre premiere despesche, non pas<br />

comme en ayant este sollicite par moy, mais comme ayant reconnu par<br />

les miennes que j'en avüis de l'inquietude dans le düute de luy avoir<br />

dünne un mauvais divertissement. Je vous prie aussy de luy marquer<br />

que sij'ay pris la liberte de luy escrire en le luy envoyant ce n'a pas este<br />

manque de respect mais par l'instance vehemente que le Sr Piquet m'en<br />

a faite, jusqu'a me dire qu'Elle le desiroit si Diis placet pour m'honnorer<br />

d'une responce, ce qu'il me confirme encore par ses dernieres<br />

peut estre pour n'estre pas trouve en deux paroies et pour demeurer<br />

dans ses termes premiers. Cela me tient a l'esprit parce que ce M. Piquet<br />

m'a fait faire ce pas la contre ma pratique ordinaire, et sur le desir<br />

vray ou faux mais creu vray de cette grande Princesse auquel il y eust<br />

eu de la rusticite de ne condescendre pas, et je croy n'en pouvoir estre<br />

bien esclaircy que par vostre addresse diligence et amitie 10. J'attens<br />

avec beaucoup d'impatience vostre Elegie sur la mort de Mr Du Puy<br />

9 Allusion a la lettre de Christine datee du ler mai 1652 que Heinsius re


LETTRE XVI 175<br />

quej'envoyeray aussytost a son Frere 11. Vous deves avoir maintenant<br />

receu la lettre de Mr De Balzac en vers latins par laquelle il respond a<br />

la vostre en prose mais de peur qu'il n'en soit mesarrive sur les chemins<br />

je vous en envoye une nouvelle copie, car je ne vous veux pas desrober<br />

ee plaisir ny a moy le gre que vous me seaures de vous l'avoir procure.<br />

Ce n'est pas de la derniere revision sans doute, car il m'a mande qu'il<br />

y avoit encore retouche mais comme elle est elle ne laisse pas d'estre<br />

bonne et obligeante pour vous 12. Il n'y arien a faire davantage a<br />

l'Inseription des Poemes pour M. le Marquis de Montozier ce me semble,<br />

et apres luy avoir explique vostre intention il m'a semble aussyen<br />

demeurer content 13. Apres vous avoir donne la mauvaise nouvelle de<br />

ses blessures je vous doy donner eelle de leur guerison, je veux dire de<br />

l'asseurance de leur guerison, car il ne revient qu'avec lenteur, et<br />

e'est beaucoup encore d'en revenir veu l'estat Oll elles l'avoient mis.<br />

Au moins ce malheur 13. le met il a couvert de la fureur de nostre Mars<br />

pour toute cette annee. Vous estes admirable de parler des ratures<br />

de vostre lettre. A ce conte 13. je vous devrois donc bien faire des<br />

excuses de la grossierete de la mienne. Je feray vos civilites a Mrs<br />

de Grace Conrart et Thevenot a la premiere veüe 14. Vous m'aves<br />

pense perdre cette annee comme l'autre d'une maladie dont je suis<br />

delivre 15. C'est a dire que je suis en estat d'estre employe par vous en<br />

qualite Monsieur de<br />

Autographe. Sans suscription.<br />

Vostre tres humble et tres passionne<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

11 Voir supra lettre XIII, pp. 161-162 et la n. 9.<br />

12 Gette revision de son poeme par Balzac explique peut-etre que I'epitre compte un peu<br />

moins de cent vers dans le texte imprime, alors que Ghapelain parlait, dans la lettre precedente,<br />

de «plus d'une centaine de VerSl).<br />

13 Voir supra le texte de cette «Inscription», lettre XI, n. 6, p. 154.<br />

14 Antoine Godeau, alors eveque de Grasse et de Vence (1605-1672) s'ajoute aux deux<br />

amis dont Heinsius avait deja donne les noms a Ghapelain (supra, lettre XI, n. 8, p. 154).<br />

15 Ghapelain donnera des details sur sa maladie, irifra, lettre XIX, p. 183.


Monsieur<br />

XVII<br />

la lettre a laquelle je respons m'a este d'autant plus agreable que vous<br />

me l'aves escrite sans estre provoque par les miennes et que j'y reconnois<br />

un si volontaire mouvement de vostre bienveillance que la<br />

civilite commune n'y scauroit prendre aucune part. Aussy mets je a ce<br />

soin si obligeant un si haut prix que je doute si je seray jamais asses<br />

riche pour le bien payer encore que du coste de la gratitude je sois l'un<br />

des plus riches hommes du monde. Neantmoins la joye que m'a<br />

causee un si precieux tesmoignage de vostre amitie a este fort temperee<br />

par l'avis que vous m'aves donne du mauvais estat ou Monsieur vostre<br />

Pere se trouvoit, non seulement par l'interest que vous y aves et par la<br />

douleur que soufl're vostre bon naturel en cette rencontre mais par<br />

l'interest que les belles Lettres ont a sa conservation, et la perte que<br />

j'y ferois en mon particulier, comme un des amateurs passionnes des<br />

Vertus eminentes comme la sienne. Mais, Monsieur, il en faut mieux<br />

esperer et je me Rate de l'opinion que son mal ou n'est pas si grand<br />

qu'on vous l'a fait ou qu'il a diminüe de sa violence, car nous n'en<br />

apprenons rien icy qui nous face craindre po ur luy et vous scaves pourtant<br />

que nous en sommes plus pres que vous de deux cens-cinquante<br />

lieües et qu'on ne nous peut faire secret des nouvelles qui le regardent1•<br />

Au reste je n'ay point receu le paquet ou vous avies mis l'Elegie pour<br />

feu Mr Du Puy etj'adjouste ce malheur aux autres calamites qui nous<br />

persecutent. Cette perte m'est sensible mais elle n'est pas irreparable.<br />

Celle de la lettre qui l'accompagnoit et que vous me dittes qui estoit<br />

longue m'affiige bien plus parce que je crains que vous n'en ayes pas<br />

retenu de copie et qu'elle ne soit perdue entierement pour moy. Depuis<br />

pres de trois mois que je vous ay escrit deux fois et que je vous ay a<br />

chacune envoye un Exemplaire de l'Epistre en vers latins de Mr de<br />

Balzac je n'ay eu aucun avis que vous l'ayes receüe et j'apprehende<br />

fort que mes paquets n'ayent eu le mesme sort que les vostres. Vos<br />

premieres lettres m'en esclairciront et s'ils sont venus jusqu'a vous<br />

1 La sante de Daniel Heinsius s'etait en effet gravement alteree, au point que son fils,<br />

craignant que l'issue fatale fUt prochaine, demanda a la reine l'autorisation de quitter son<br />

service pour aller ä. Leyde regler la succession (lettre d'aout 1652: Burrnan, t. V, p. 755;<br />

voir F. F. Blok, p. 177). Pourtant le vieillard se retablit, et vecut trois ans encore, mais son<br />

esprit s'etait definitivement affaibli.


LETTRE XVII 177<br />

m'instruiront de quelques particularites dont je vous avois demande<br />

lumiere. Enfin voila vostre voyage de N aples et de Sicile avorte si ce<br />

n'est que vous ayes de meilleures nouvelles de Monsieur vostre Pere.<br />

Je ne scay ce qu'est devenu Mr Vossius apres son malheur. 11 faudroit<br />

que M. Bourdelot ait fait de grands progres en Suede pour pouvoir<br />

ruiner si facilement des gens de merite et si bien establis. Cela me fait<br />

juger que vostre Amy s'estoit rendu luy mesme mauvais office aupres<br />

de la Reyne avant ceux que l' Alastor et ses Emissaires luy ont rendus 2.<br />

Donnes moy le plus souvent que vous pourres de vos lettres et pries M.<br />

Du Puy de me les faire rendre soigneusement. Vous n' en scauries<br />

honnorer personne qm en face plus de cas ni qui soit davantage<br />

Monsieur<br />

De Paris ce 18. Sept. 1652<br />

vostre tres humble et tres passionne<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur! Monsieur Heinsius le Fils!<br />

Gentilhomme Hollandois ! A Florence. Cachets.<br />

2 Vossius, nous l'avons vu, s'etait retire a Amsterdam dans la maison familiale. Son<br />

caractere independant et meme egoiste, parfois extravagant, lui avait attire en France une<br />

assez mediocre reputation (F. F. Blok, p. 31; voir aussi R. Pintard, Le libertinage [ ... ],<br />

pp. 118-119). Bourdelot au contraire (sur ce personnage, voir surtout R. Pintard, op. eil.,<br />

passim) n'avait pas encore, sauf peut-etre aux esprits les plus perspicaces, fait connaitre la<br />

fatuite, l'ambition cupide, l'audace provocante qui marqueront sa conduite a la cour de<br />

Christine. Il etait arrive a Stockholm au debut de l'annee 1652, avec le titre de premier<br />

medecin ('archiatre.» de la reine. Son influence surpassa de loin celle qu'avant lui Saumaise<br />

(,l'Alastor») avait quelque temps exercee sur l'esprit de la souveraine. Si le caractere imprudent<br />

de Vossius ne rend pas invraisemblable qu'il ait reellement tenu les propos medisants<br />

que Saumaise denon


Monsieur<br />

XVIII<br />

au milieu des maux qui nous environnent et qui nous penetrentje n'ay<br />

pas ressenty une petite joye de edle que je vous ay eausee en vous<br />

proeurant les vers que vous aves reeeus de Monsieur de Balzae 1. La<br />

satisfaetion qu'il vous ont apportee a passe jusqu'a moy et j'en ay<br />

fait une espeee d'antidote eontre mes peines sinon pour les guerir<br />

au moins pour les adoueir en prenant aussy bien part a vostre eontentcment<br />

que je ferois a vostre douleur si eelle qui vous menaee vous<br />

arrivoit. Vous entendes bien que je veux parler de la maladie de<br />

Monsieur vostre Pere, laquelle m'ayant alarme m'a rendu eurieux d'en<br />

seavoir la suite, et je vous jure saintement qu'eneore qu'on ne m'ait<br />

point formellement assure qu'il en fust libre au moins m'a t on assure<br />

qu'il n'y avoit aueunes nouvelles qu'elle fust empiree, et ce silenee<br />

me fait presumer qu'elle est passee, n'y ayant point d'apparenee qu'un<br />

homme de eette reputation eust la sante deploree et que ses Amis de<br />

Leyde Oll il est n'en touehassent rien en eserivant de de


LETTRE XVIII 179<br />

que vous feignes de redouter 3. 11 ne faudroit pas que nous eussions<br />

veu ce qu'elle peut, et particulierement cette derniere Elegie sur le<br />

X.Jour natal du Prince de Toscane, laquelle ne pouvoit estre plus belle,<br />

soit pour la Latinite et le tour du Vers soit pour la gravite et la conduite,<br />

et vous ne seres pas peu heureux si elle n'attire point la jalousie<br />

de celui que vous mettes si haut au dessus de vous 4. Vous<br />

m'aves oblige d'engager une conversation sur mon Sujet avec Mr le<br />

Conte Bardi. C'est un paresseux comme Mr Menage mais il est d'un<br />

tel merite que je ne connois point d'homme presentement en Italie qui<br />

puisse aller d'egal avec luy soit pour lejugement soit pour la politesse.<br />

Je suis aussy aise pour l'amour de luy que pour l'amour de moy, qu'il<br />

persevere dans l'amitie qu'il m'a promise car il me la doit, et il y<br />

auroit a redire qu'il y manquast, d'autant plus que je n'ay jamais<br />

considere en luy que sa vertu et qu'il n'a point a craindre que je luy<br />

sois jamais acharge, sachant bien aussy bien que vous qu'il n'y arien<br />

de si pur et de si desinteresse que mon affection et que j'ay mis la<br />

Fortune au dessous de mon courage 5. Vous voila double Academicien<br />

de la seule ville de Florence.Je scay desja ce que c'est que de l'Academie<br />

de la Crusca. Pour celle des Apathistes je ne la connois point et ne<br />

l'ay jamais ouy nommer que par Udeno Nisieli qui en a pris la qualite<br />

dans ses Progymnasmi Poetici. Vous m' en donneres deux mots d' esclaircissement<br />

par vos premieres s'il vous plaist 6. 11 fautl que vous<br />

ayes fort travaille sur vostre Ovide a Rome puisqu'il vous a occupe<br />

3 Ce conseil de Chapelain, et cet encouragement, auront ete inutiles: Heinsius les a<br />

devances en repliquant a Balzac par l'envoi d'une elegie. Voir lettre suivante.<br />

4 Heinsius avait noue a Florence d'excellentes relations avec le prince Leopold de Medicis<br />

(1617-1675), plus tard cardinal, frere du grand-duc Ferdinand 11. C'est sans doute<br />

pour remercier Leopold de sa bienveillance, et pour obtenir de Ferdinand qu'illui ouvrit plus<br />

grandes les portes de sa bibliotheque, qu'il composa un poeme en l'honneur du prince<br />

heritier, le futur Cöme 111 (1642-1723), a l'occasion de son dixieme anniveraaire. Cette<br />

elegie de trente-quatre vers sera inseree dans les Poemata de 1653, pp. 178-179. Voir F. F.<br />

Blok, p. 159.<br />

5 Voir supra lettre XII, p. 158 et la n. 5.<br />

6 C'est la faveur de Leopold de Medicis, et probablement aussi le souci d'honorer Christine<br />

de Suede par-dela la peraonne de Heinsius, qui firent admettre celui-ci au sein de la<br />

celebre academie de la Crusca; d'ailleura les travaux de cette compagnie, portant principalement<br />

sur la langue et sur la litterature italiennes, n'interessaient qu'assez peu un homme<br />

qui pour l'heure s'occupait surtout de collationner les dix-huit manuscrits d'Ovide de la<br />

Laurentienne. - Les Proginnasmi poetiei etaient parus a Florence, de 1620 a 1639, sous la<br />

signature de (,Udeno Nisiely da Vernio, academico Apatistw>, pseudonyme de Benedetto<br />

Fioretti (1579-1642). L'ouvrage figurait en deux exemplaires dans la bibliotheque de<br />

Chapelain (Searies nOS 280g-281O). - L'academie des Apatisti, fondee vera 1631 par<br />

l'avocat florentin Augustin Coltellini, s'etait donne pour regle, comme son nom l'indique<br />

assez, d'eviter toute passion dans les jugements litteraires qu'elle formulait. Heinsius en<br />

avait ete l'höte lora de son premier sejour a Florence, puis en avait ete elu membre en 1649.<br />

Sur ses rapports avec ces academies florentines (dont Chapelain, plus tard, fera partie lui<br />

aussi), voir F. F. Blok, pp. 156-161.


LETTRE XVIII<br />

Mr Feramus depuis quinze jours. C'est un dommage qui ne se peut<br />

estimer. Peu de personnes faisoient mieux des vers latins que luy et il<br />

n'y avoit point parmy nous de plus homme de bien ny de plus zele pour<br />

son Prince et pour sa Patrie. Mr Menage dit qu'il est mort de douleur<br />

pour avoir veu mourir une femme qu'il avoit aymee quarente ans.<br />

Je croy que l5'a este autant de douleur du mauvais estat de nos affaires.<br />

Sa mort m'a prive d'un de mes meilleurs Amis lO.Je suis<br />

Monsieur<br />

De Paris ce IO. Octob. I652<br />

181<br />

vostre tres humble et tres passionne<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur / Monsieur Heinsius Le Fils /<br />

Gentilhomme Hollandois / A Florence. Gachets.<br />

10 On dispose de fort peu de renseignements sur Charles Feramus, avocat au Parlement<br />

de Paris, ne a Boulogne-sur-Mer. La date de sa mort n'etait jusqu'ici pas sure (voir R.<br />

Pintard, Le libertinage [ ... ] p. 387).11 avait pris part a la campagne de pamphlets contre<br />

Montmaur. En avril 1652, quelques mois donc avant de mourir, il envoya a Naude l'eJegie<br />

qu'il avait composee sur la mort de Pierre Dupuy. Dans la lettre qui pred:de ce poeme, il<br />

fait allusion a une suecession d'affaires embarrassantes, cause de son retard (Pierre Dupuy<br />

etait mort le '4 decembre 1651), et termine ainsi:


LETTRE XIX 183<br />

est a present aussy reveree et obei'e que jamais par l'esloignement des<br />

Princes et de quelques Conseillers qu'elle en achasses, nous ramenera<br />

apparemment nostre Amy bientost, et ce sera alors que nous aurons<br />

de longs entretiens sur vostre sujet, lesquels ne vous seront pas moins<br />

avantageux qu'a nous et doux et agreables 4. Pour ma maladie<br />

comme elle n'a rien d'illustre elle ne meritoit point aussy de relation.<br />

Ce n'a pas este un mal si aigu que celuy de l'annee passee, mais il n'a<br />

peut estre pas este moins perilleux et quand apres plusieurs fluxions<br />

sur la gorge sur le bras et sur l'espaule la multitude des saignees me<br />

fit enfler par tout le corps et me laissa dans une foiblesse estrange, les<br />

Medecins me creurent hydropique et ne dirent pas ce qu'ils en pensoient.<br />

Mais la Nature en appella et par une crise inesperee se mit au<br />

dessus du mal. La fraischeur que la Saison ou nous sommes a apportee<br />

a acheve de me restablir 5 et je suis acette heure au mesme estat que<br />

vous me vistes il y a un an, lorsque nous fismes la promenade de la<br />

Barre et que nostre eher Marquis nous y fit la collation a ses palissades,<br />

apres nous avoir donne a disner a son hostel de Paris 6. Si tous ces<br />

court (1601-1666), fut le principal adversaire de Conde et de Conty au cours des campagnes<br />

de 1651-1652 dans le Sud-Quest.<br />

4 Louis XIV etait entre a Paris en triomphateur le 21 octobre, et le 22, soit trois jours<br />

avant cette lettre, avait reuni le ParIement au Louvre pour lui faire enregistrer les trois<br />

declarations qui mettaient fin a la Fronde parisienne. La premiere dedaration royale<br />

formulait les eonditions de l'amnistie generale, dont etaient exeeptes toutefois une dizaine<br />

de magistrats. Conde se rendait en Flandre pour y prendre la tete des troupes espagnoles,<br />

Conty etait en Guyenne ou il poursuivit la guerre durant huit mois encore, Monsieur etait<br />

absent de Paris. D'autres prinees et prineesses furent exiles de la eapitale. Voir P.-G. Lorris,<br />

La Fronde, pp. 409-414.<br />

5 Sans tenter d'etablir un diagnostic de la maladie deerite par Chapelain, rappeIons<br />

seulement qu'il supportait malles ehaleurs. Il eerivait a Balzac le 29juilJet 1640 (Tamizey,<br />

t. I, p. 663): «[L'ete] est mon vrai ennemy contre lequel je ne trouve point de deffense.).<br />

Il n'est donc pas etonnant que la venue de l'automne lui paraisse iei avoir favorise sa convalescenee.<br />

6 Les aJlusions que contient eette fin de phrase sont enigmatiques. Mes recherehes ne<br />

m'ont pas permis d'identifier la «promenade de la Barre». La Barre etait au XVIIe siede un<br />

chateau, sis dans l'actueJle eommune de Deuil, non loin d'Enghien, a l'est de cette agglomeration.<br />

Une exeursion memorable y conduisit en 1630, alors qu'y residait Mme Du Vigean,<br />

un groupe d'hotes de marque parmi lesquels se trouvaient la princesse de Conde, sa filIe<br />

M:Jle de Bourbon, Julie d'Angennes, et Voiture qui eonta l'evenement dans une lettre<br />

charmante (Lanson, Choix de ieUres du XVIIe siecle, ed. eitee, pp. 65-70). Partie de Paris «sur<br />

les six heures du soir», la troupe fut de retour en ville a deux heures du matin, apres avoir<br />

eu le temps de visiter a La Barre les jardins, d'y souper, d'y assister a un bai et a un feu<br />

d'artifice. Est-ce a la meme promenade que Montauzier, vingt et un ans plus tard, aurait<br />

convie ses savants amis? Voiture eomme Chapelain utilise dans son recit le terme de collation<br />

et celui de paiissades (qui designe des bosquets tailles, des charmilJes, c'est-a-dire l'endroit du<br />

jardin qui est particulierement destine aux reunions); d'autre part chez Chapelain comme<br />

chez Voiture il s'agit d'une promenade de fin d'apres-midi. Mais a qui appartenait le<br />

chateau en 1651-1652? L'article ancien d'Augustin Rey (Le chilleau de La Barre, in: Rev.<br />

historique de Versailles et de Seine-et-Gise, 1912) contient a ce sujet des inexactitudes, qui n'ont<br />

malheureusement pas ete corrigees depuis (voir G. Poisson, Evocation du grand Paris: La<br />

anlieue Nord-Guest, 1960, pp. 500-502). En 1642 le chateau fut achete au chancelier Seguier


LETTRE XIX 185<br />

et il ne vous arrivera point par moy d'en estre plus broüille avee un si<br />

dangereux animal 9• 11 n'importe pas que vous ayes response de la<br />

Reyne sur la priere que je vous fis par mes preeedentes. J'ay este<br />

esclaircy d'ailleurs de ce que je desirois scavoir et la chose a mon<br />

egard s'est passee commeje le pouvois souhaiter. On me mande mesme<br />

de la que Sa Mt'" est tousjours en volonte de m'honnorer d'une Response<br />

10. D'ou peut venir qu'on vous rapp elle en Suede devant que<br />

vous ayes aeheve le voyage qu'on vous avoit ordonne du coste de la<br />

grande Grece et de l'Isle qui a si longtemps exerce les Romains et les<br />

Cartaginois? Les Dieux du Nort sont ils change ans dans leurs desseins<br />

et la Fortune a t elle puissanee sur ce qu'ils deliberent et resolvent 1l?<br />

Je vous ay mande que l' Amy Girault s'estoit alle installer Chanoine au<br />

Mans. 11 y est acette heure et y sera bien eneore sept ou huit mois.<br />

Cela s'appelle un Stage de rigueur. A vostre paroisse on ne connoist<br />

point ces termes 12. Je feray vos baisemains a nos communs Amis,<br />

entre aUtres au Müet opiniastre, le livre duquel est enfin acheve<br />

d'imprimer, et occupe maintenant les Relieurs de la rue St Jaques.<br />

Vous pouves penser que vous ne seres pas oublie et que son Autheur pour<br />

ne vous pas eserire ne vous en ayme pas moins 13. C'est a Mr Conrart a<br />

qui Mr de Balzae a laisse la liberte de choisir ceux a qui il devoit<br />

donner de ses livres, s'estant voulu deseharger du soin d'en donner<br />

aueun de son chef. Mr Conrart vous en garde done un et vous fait<br />

mille baisemains 14. Pour moy ass eures vous tousjours que vostre amitie<br />

9 «Vostre Am}'» est Vossius; «son Ennemy.>, «l'Alastofl>, «un si dangereux animai», est<br />

Saumaise.<br />

10 11 est impossible de savoir quel est le correspondant de Chapelain qui, de Stockholm,<br />

lui a donne cette consolante information. La sincerite de l'intention de Christine n'est pas<br />

sure; en tout cas cette volonte ne sera pas suivie d'effet.<br />

11 Le ton inquiet de Chapelain ne sejustifie pas entierement ici. Au debut de l'ete 1652,<br />

Heinsius souhaitait lui-meme obtenir de Christine I'autorisation de se rendre a Leyde au<br />

chevet de son pere. Cette autorisation lui fut donnee a la fin d'aout, avec la promesse que ses<br />

frais de voyage lui seraient rembourses. Heinsius en re


186 LETTRE XIX<br />

m'est precieuse et que je suis et seray etcrncllement<br />

Monsieur<br />

De Paris ce 25. Octob. I652<br />

Vostre tres humble et tres passionne<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur I Monsieur Heinsius le Fils I<br />

Gentilhomme Hollandois I A Florence. Cachets.


Monsieur<br />

xx<br />

j'ay receu la Copie de l'Elegie que vous aves donnee a la memoire<br />

de feu Monsieur Du Puy par le soin de Monsr son Frere. Je vous devrois<br />

icy rendre des graces bien eloquentes non seulement du present<br />

qui est si eloquent mais encore de l'addresse qu'il vous a pi eu de m'en<br />

faire et de la facyon si avantageuse et si obligeante avec laquelle vous y<br />

aves voulu parler de moy. Mais pour ne pas monstrer ma foiblesse<br />

aupres de vostre force il vaut mieux vous laisser concevoir vous mesme<br />

les termes dans lesquelsje vous devrois remercier d'une chose si rare, et<br />

que vous croyes qu'ayant tout le ressentiment que j'en dois avoir je<br />

l'exprimerois ainsy si j'avois l'expression pareille a la vostre. Tout de<br />

bon Monsieur, ce petit Poeme est des plus beaux que nous ayons veu<br />

de vous, et c'est tout dire; etje trouve les Manes de nostre Amy bien<br />

heureuses d'avoir este plaintes si agreablement. Entre les choses qui<br />

m'y touchent le plus c'est la douleur que vous y tesmoignes des travaux<br />

de nostre pauvre Patrie. Vous ne le faites pas seulement avec la grace<br />

qui vous est naturelle mais de plus avec une tendresse qui fait honte<br />

a beaucoup de nos Compatriotes, et qui vous fait connoistre vray<br />

Francyois sinon d'origine au moins d'affection 1. Vous aures sceu l'estat<br />

ou nous en sommes et que le plus grand mal est grace aDieu passe je<br />

veux dire la division qui estoit entre le Roy et sa Ville capitale.<br />

L'absolu pouvoir que sa presence l'y conserve [sie], arreste le precipice<br />

de sa fortune et donne esperance de mieux. Il est vray que ce n'est<br />

encore qu'esperance parce que le mal est tousjours violent et qu'il n'est<br />

pas tout a fait chasse des entrailles. Ce qui me fait approuver la resolution<br />

que vous aves prise de vous en retourner en Hollande par I' Allemagne<br />

plus tost que par la France, quelque passion quej'eusse de vous<br />

voir et de vous embrasser en passant. Car je vous aymerois peu noblement<br />

si je preferois ma satisfaction a vostre seurete 2. Si les choses<br />

1 Repetons que cette elegie a la memoire de Pierre Dupuy, dediee a Chapelain, peut<br />

se lire aux pp. 180-183 des Poemata de 1653. Heinsius y exprime son afHiction devant le<br />

spectacle de la guerre civile en France, et appelle de fa


LETTRE XX 189<br />

s'y est aguerry et mes reproches n'y font que blanchir. C'est un vertueux<br />

incorrigible 6. Je suis<br />

Monsieur<br />

De Paris ce 29. Nov. I652.<br />

Vostre tres humble et tres passionne<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur / Monsieur Heinsius Gentilhomme<br />

/ Hollandois / A Florence. Cachets.<br />

6 N'yJont que blanchir: restent sans effet. - Vertueux incorrigible: l'expression est amusante<br />

mais peu claire. Y a-t-il ici quelque allusion? Sinon, il faudrait admettre que Chapelain<br />

donne au mot vertueux un sens exceptionne1.


Monsieur<br />

XXI<br />

je ne croy jamais les malheurs de mes Amis que le plus tard qu'il<br />

m'est possible parce que je les ressens trop vivement et que ce n'est<br />

qu'avec beaucoup de peine que je me resous ales leur voir souffrir.<br />

Par cette raison j'avois combatu le veritable bruit de la perilleuse<br />

maladie de Monsieur vostre Pere, et n'y voyant point encore de certitude<br />

je vous espargnois autant que je pouvois une douleur teIle que<br />

celle la qui est trop grande pour s'y abandonner sans en estre bien<br />

esdaircy auparavant. Mais les assurances que vous m'en aves donnees<br />

par le propre tesmoignage de Monsr vostre Pere et de Monsr vostre<br />

Beau frere n'y laissent plus d'ambigui'te ny de lieu de se flater d'aucune<br />

bonne esperance, veu l'age de la Personne et la qualite de son<br />

mal; de sorte Monsieur, que sije cherchois cy devant a vous consoler<br />

en vous le rendant douteux, je chercherois volontiers acette heure a<br />

vous fortifier contre tout ce qu'on en doit attendre de pis, par les<br />

raisons qu'on allegue d'ordinaire en ces fascheuses occasions, si l'on<br />

vous pouvoit rien dire la dessus qui vous fust nouveau et que vous ne<br />

vous pussies beaucoup mieux dire a vous mesme. Du moins ne me<br />

scaurois je abstenir de vous dire que si Dieu vous prive d'un si illustre<br />

Pere, vous ne seres pas seul a le pleurer et qu'entre ceux quijoindront<br />

leurs larmes aux vostres, personne n' en versera de plus veritables ny<br />

de plus ameres que moy, pour vostre perte particuliere et pour edle<br />

que fera le public. Ne pleurons pas neantmoins avant le temps et<br />

joüissons cependant de la vie que Dieu luy conserve encore. Et qui<br />

scait s'il ne renouvellera pas le miracle qu'il opera en luy il y a douze<br />

ans pour la mesme maladie I? J'apprens au reste avec plaisir qu'entre<br />

les choses qui vous arrestent a Florence il y en a une qui regarde la<br />

gloire de la Reyne de Suede, et que le Prince Leopolde ne vous en<br />

veut laisser partir que charge d'un bouquet de louanges pour elle,<br />

far;onne par l'ordre de ce Prince pour honnorer Sa Mte aussy bien en<br />

1 Le beau-frere de Nicolas, Willem Goes (1613-1688), mari de sa sceur Elisabeth, se<br />

considerait comme le responsable des biens et des interets de la familie. Du fait de son<br />

temperament autoritaire, realiste et souvent meme interesse, ses relations avec Nicolas<br />

n'etaient pas excellentes. La mort de Daniel Heinsius semblait devoir etre proehe; le<br />

vieillard lui-meme croyait ses jours comptes; on ne s'attendait pas qu'il vecut plus de deux<br />

ans encore (F. F. Blok, passim).


192 LETTRE XXI<br />

la sienne et depuis que ses blessures luy ont permis de se divertir<br />

sur ses papiers il a choisy ses Epigrammes latines, dont il a fait deux<br />

livres l'un desquels a vostre nom en teste et l'autre celuy de nostre<br />

Amy, estant bien aise que si Fon juge ses jeux dignes de paroistre un<br />

jour a la lumiere on voye par cette double dedicace qu'il vous a aymes<br />

autant que vous l'aves ayme. Si vous respondes acette lettre je m'assure<br />

qu'il y aura dans la vostre un article estendu sur cette nouvelle<br />

dont ce Seigneur aura lieu d'estre satisfait 5. Ses playes seignent<br />

encore et 1'on les tient tousjours ouvertes pour eviter pis a cause de<br />

certaines esquilles qui en doivent sortir pour estre ass ure d'une guerison<br />

parfaite. Pour moy je suis guery autant queje le puis estre dans un age<br />

penchant et une complexion infirme sans conter le fardeau dont je<br />

suis charge 6. Mais si le corps est foible l'esprit est asses vigoureux et<br />

asses sain pour ne refuser aucune charge que vous luy voudries imposer<br />

pour vostre service, ce que vous dit sans compliment<br />

Monsieur<br />

De Paris ce 12. Dec. 1652.<br />

Vostre tres humble et tres passionne<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur / Monsieur Heinsius Gentilhomme<br />

Hollandois / A Florence. Cachets.<br />

5 Finalement Montauzier ne publia pas ses epigrammes latines. On peut en lire une,<br />

adressee a Heinsius, en tete des Adoptiva que celui-ci reunit a la fin de sa Poematum nova editio<br />

(1666). Nous savons deja que Montauzier se vit dedier le premier recueil de Heinsius<br />

(Elegiarum liber, Paris, 1646), et qu'il recevra egalement l'hommage des Poemata de 1653.<br />

Quant a la dedicace du recueil de Menage (Miscellanea), elle figure en tete de la premiere<br />

partie (Silva variorum carminum), datee prid. non. apr. MDCLII (4 avril).<br />

6 Ce fardeau est La Pucelle.


Monsieur<br />

XXII<br />

je vous donneray donc une seconde joye en vous apprenant que je n'ay<br />

pas moins receu vostre Elegie sur la mort de Mr Du Puy que celle que<br />

vous addressies a Mr De Balzac en response de son Epistre. Mais vous<br />

le deves avoir desja appris par mes precedentes si je ne me trompe,<br />

et il est malaise que je ne vous aye pas au moins donne avis d'une<br />

chose dontj'estois mesme oblige de vous faire de grands remercimens.<br />

Ce que vous m'escrives sur le malheur de Mr le Marquis de Montauzier<br />

est si tendre et si beau qu'en luy respondant hier a une de ses<br />

lettres je ne me pus empescher d' en parer la mienne et de le luy envoyer<br />

tout entier sachant bien que je ne le pouvois mieux consoler de sa<br />

peine qu'en luy procurant ce plaisir. Par celle qu'il m'avoit escrite<br />

quelque temps auparavant il me parloit de vous aux termes les plus<br />

obligeans du monde et me prioit de vous assurer de sa constante<br />

amitie.Je vous ay desja fait scavoir qu'en reconnoissance de la dedicace<br />

de vos Poesies il faisoit estat de vous dedier l'un de ses deux livres<br />

d'Epigrammes, destinant l'autre a Mr Menage pour le livre qu'il<br />

luy a addresse. Quant a moy si vous ne me tenes pas pour Poete vous<br />

me tiendres au moins pour Devin, ne m'ayant jamais veu desesperer<br />

de la guerison de Monsieur vostre Pere, et pouvant vous souvenir que<br />

je vous en ay presque tousjours respondu. Dieu soit loüe que les nouvelles<br />

que vous en aves soient si bonnes, et je ne m'en resjoüis pas<br />

seulement avec vous mais encore avec le public, a qui il importe qu'une<br />

si vive lu miere ne s'esteigne que le plus tard qu'il se pourra. Si la<br />

Reyne de Suede aprend que sa convalescence s'achemine a ce point,<br />

elle revoquera peut estre la permission qu'elle vous avoit donnee de<br />

l'aller assister en son mal, et voudra que vous fournissies vostre carriere.<br />

Nous verrons ce qu'elle fera 1. Par l'asprete avec laquelle elle se prend<br />

a l'amour de la Philosophie, curante Burdelotio, il est a craindre que la<br />

Philologie n'affoiblisse en credit aupres d'Elle et nous voyons desja<br />

force Poetes se plaindre de n'y trouver pas un aussy doux acces qu'ils<br />

avoient coustume d'y rencontrer. Sa Mte a escrit une lettre Fran-;oise<br />

a Mr Gassendi l' Aristote de ce temps si belle, si enflammee et je dis<br />

1 Tous ces «articles* ont deja ete abordes dans les lettres precedentes; on se reportera aux<br />

notes pour leur explication.


LETTRE XXII 195<br />

Menage sur la passion que vous aves de joüir de ces M.S. d'Ovide qui<br />

sont entre les mains de Mr Gaffarel et luy ay fait voir l'endroit de vostre<br />

lettre ou vous marques vostre desir et l'esperance que vous aves en luy<br />

pour le satisfaire. Il m'a dit que ce Mr Gaffarel n'estoit pas son Amy<br />

particulier et que quand il avoit creu pouvoir disposer de luy c'estoit<br />

sur le credit de Mr Naude qui est son intime et qui est maintenant<br />

en Suede, mais qu'il se promet de faire la mesme chose par Mr de<br />

S. Sauveur, lequel est aussy fort son Amy. Il ne s'esloigne pas mesme<br />

de luy eserire, et soit Mr Menage soit Mr de S. Sauveur ils luy proposeront<br />

toutes les eonditions que vous luy off res pour l'usage ou pour<br />

l'achapt de ces Exemplaires. Leur plus grande peine sera de descouvrir<br />

ou il est maintenant pour luy escrire seurement 7. Je n'ay point eu de<br />

response de Mr de Balzac sur l'Elegie que vous luy aves addressee.<br />

Sa divinite est un peu capricieuse et humoriste, mais je ne la tiens pas<br />

asses bizarre pour n'avoir pas agree une si belle off rande a cause de<br />

l'employ de Megere en son commencement, et je eroy qu'Elle a<br />

eonsume tous ses foudres eontre eelle de Monsieur vostre Pere et qu'il<br />

ne luy en reste plus po ur eelle ey. Si je m'abuse je vous le manderay<br />

fidellement. Cependant eeey demeurera entre nous s'il vous plaist 8.<br />

7 Sur le theologien provenc;alJacques Gaffarel (1601-1681), qui fut un «libertin erudit»<br />

et compta parmi ses amis Gabriel Naude et tous les habitues du «Cabinet» des freres Dupuy,<br />

voir R. Pintard, passim. Il avait visite l'Italie a plusieurs reprises, s'y interessant particulierement<br />

aux manuscrits et aux livres rares. A I'epoque ou est ecrite la presente lettre de Chapelain,<br />

Gaffarel sejoumait surtout en Provence, ou il detenait trois prieures fort eloignes I'un<br />

de I'autre. Il possedait des manuscrits d'Ovide, dont Heinsius desirait prendre connaissance.<br />

Dans une lettre a Heinsius du 14juin 1650, Girault avait declare a ce sujet (Leyde, B.P.L.<br />

1923) : «Monsieur Menage [ ... ] m'a donne ciIarge de vous dire que Monsieur Gafarel qui<br />

est en cette ville luy a promis de vous prester ses manuscrits, il faut, s'il vous plaist, Monsieur,<br />

que vous nous faciez savoir ou vous desirez qu'on vous les envoye, si vous n'aimez mieux<br />

les voir en Provance ou ils sont & ou vous passerez peut estre en revenant d'Italie». Trois<br />

ans plus tard, et en effet au moment de quitter I'Italie, Heinsius se preoccupe a nouveau de<br />

ces manuscrits; pourrait-on les lui envoyer a Geneve, par ou il compte passer a son retour?<br />

J acques Dupuy (


196 LETTRE XXII<br />

L'avanture de la Demoiselle Morigere est plaisante et le Poete qui a<br />

celebre ce mauvais mariage est fort galand. 11 m'a semble le reconnoistre<br />

a la parole, et je le croirois plustost a Florence qu'a londres,<br />

ou il n'y en a guere de cette force Ia 9. Je vous suis infiniment oblige<br />

des sentimens d'affection que vous me tesmoignes et de l'envie que<br />

vous aves de m'en donner des preuves. Mais ne contes vous point ce<br />

que vous m'en dites pour les plus certaines et les plus agreables que<br />

vous m'en scauries donner? Pour vous monstrer neantmoins que je<br />

n'en refuse pas d'autres, si en visitant vos libraires vous trouvies un<br />

petit in 4 0 Italien, entier et a bon conte, intituIe, Discorsi Poetici<br />

nell' Academia Fiorentina in difesa d' Aristotile dell' Eccmo Filosofo M. Francesco<br />

Buonamici. In Fiorenza presso Giorgio Marescotti MDXCVII. vous me<br />

feries plaisir de me l'acheter et de me l'envoyer par quelque voye<br />

d' Amy lorsque vous seres arrive a Geneve, ou de Florence mesme si<br />

vous l'y rencontries. Vous entendes bien qu'il me faudroit mander en<br />

mesme temps ce qu'il auroit couste et a qui je le devrois rendre,<br />

comme par exemple a Mr Menage pour contribuer a l'achapt des<br />

Ovides de Mr Gaffarel 10• Je feray soigneusement vos baisemains a<br />

ceux que vous m'ordonnes. Quand vous y eussies compris Mr le Cl de<br />

Retz, vous scaves sans doute que je n'eusse pu l'executer, par le<br />

malheur qui l'a separe du commerce des hommes. Apropos de quoy<br />

je vous feray remarquer la bonne fortune de Mr Menage d'avoir<br />

quite son service dans le temps qu'il a fait, car il seroit relegue maintenant<br />

aussy bien que le reste de ses domestiques et entre autres Mr<br />

Salmonnet 11. J'ay tousjours oublie a vous dire qu'entre vos Vers Mr<br />

de Balzac s'est principalement arreste a loüer les Scazons et j'ay<br />

reconnu que si vous luy escrivies jamais vorsa Oratione ce genre luy<br />

plairoit et l'obligeroit davantage que les autres. Je ne prononce point<br />

qu'il emploie soient particulierement choquantes. Il s'en prend ensuite a l'Espagne et a<br />

I' Angleterre, et conclut son elegie en evoquant le proche retour de la paix. - Humoriste : ('qui<br />

a souvent de l'humeur, difficile a vivre» (Littre). Italianisme.<br />

9 Chapelain attribue a Heinsius (a tort; voir irifra lettre XXV, p. 205) Ja paternite de<br />

l'epigramme dont celui-ci lui a fait parvenir Je texte. L'allusion est au reste obscure. (,Moriger!!»,<br />

du latin morigera, doit signifier: compJaisante, docile, soumise.<br />

10 Francesco Buonamici semble n'etre guere connu que comme l'auteur du traite eite<br />

ici par Chapelain, traite qui defend la Poetique d'Aristote contre I'interpretation qu'en avait<br />

donnee Castelvetro en 1570 (voir irifra, lettre XXV, n. 6, p. 205). C'est en fin de compte<br />

sans avoir recours a I'obligeance de son ami que Chapelain se procurera I'ouvrage (Searles<br />

n° 2784), qu'on voit aussi figurer dans la bibliotheque de Heinsius (!tali, in-quarto, n° 60).<br />

11 Retz fut inearcere le 19 deeembl'e 1652. Menage avait probablement abandonne son<br />

service au debut de I'ete. Sur cette question, voir supra, lettre XV, n. 2, pp. 168-169. Le<br />

gentilhomme ecossais Robert de Mentet de Salmonet, qui appartenait a la maison du cardinal,<br />

et dont il est question dans le dialogue de Chapelain De la leeture des vieux romans (ed.<br />

Hunter, p. 210), rec;ut lors del'emprisonnement de son maitre l'ordre de quitter Paris. Voir<br />

Tallemant des Reaux, ed. A. Adam, t. 11, pp. 325 et 1184.


Monsieur<br />

XXIII<br />

ce que vous me dites par vos lettres du premier de ce mois, du dessein<br />

que vous aves eu en m'addressant vos Vers sur la mort de Monsieur<br />

Du Puy, de donner eonnoissance a la posterite de nostre affeetion<br />

mutuelle, me touehe et m'oblige sensiblement. Ne totus moriar dans la<br />

memoire des hommes vous m'avcs enchassc dans vostre propre immortalite,<br />

et aves pourveu a ma conservation d'une maniere plus<br />

precieuse que les Egyptiens ne faisoient autresfois a celle de leurs morts<br />

par leur baume, leur casse et le reste de leurs aromates. Mais je vous<br />

ay desja rendu graces de ce bon office, et bien que je ne m'en puisse<br />

jamais acquiter vous scaves au moins que je n'en suis pas ingrat. Mon<br />

embarras est plus grand sur la sorte dont je vous dois pader des<br />

louanges que vous y avcs meslces. Car si vous avcs ereu que je les<br />

meritasse quelle opinion auray je de vostre jugement, et comment me<br />

tiendray je bien loüe par une personne qui choisit si mal sa matiere?<br />

Si vous ne l'aves pas creu aussy que penseray je de vostre candeur qui<br />

se sera laisse aller a pader contre ses sentimens en danger de me donner<br />

de la vanitc et de me faire prendre pour un autre a moy mesme. Je<br />

voy bien pourtant ce qui vous y a porte. Vous n'estes ny injudicieux<br />

ny desguise. Vous m'aves eonnu pour l'homme de peu de merite que<br />

je suis et en me loüant vous n'aves point pretendu me corrompre. Vous<br />

m'aves voulu monstrer quel je devois essayer d'estre et comme par<br />

avance vous m'aves represente tel que vous esperies que je serois si<br />

je vous croyois et marchois sur vos traces. Je le prens ainsy, Monsieur,<br />

et re


LETTRE XXIII 199<br />

tournee il vaut mieux que les eloges qu'ils preparent a la Reyne de<br />

Suede soient en leur langue qu'en aucune autre. I1s sont en possession<br />

de la plus parfaite des Modernes, et c'est ches eux qu'elle est nee et<br />

qu'elle a pris ses accroissemens. L'Envie du reste des Italiens n'a pu<br />

leur arracher la gloire d'estre les Maistres en cette partie, de sorte<br />

qu'aucun mesme n'a pu leur bien disputer cette palme qu'en se servant<br />

de leurs armes et qu'en employant les propres termes qu'il vouloit<br />

condanner. Je ne doute point que le Recueil de Poesies Toscanes dont<br />

on vous doit faire le porte ur ne soit exquis, etje l'attens avec beaucoup<br />

d'impatience, car je m'imagine que pour mieux honnorer cette Princesse<br />

on vous le donnera ')tampe 2. Vous m'aves persuade sans peine<br />

que ce que fait pour Elle M. le Conte Bardi est exquis entre tous. Je<br />

connois sa force et sa delicatesse et il y a longtemps que j'ay prononce<br />

en sa faveur comme de l'esprit le plus net et de la veine la plus soustenue<br />

de dela les Monts. Son seul defaut est sa paresse qui luy fait<br />

trahir sa propre gloire et enterrer un tresor sans prix 3. Vous m' aves<br />

fait du plaisir de m'instruire de ce qui s'est passe depuis peu entre<br />

vous et le Premier Medecin, et plus encore de m'avoir appris que<br />

vous n'avies aucuns interests en cette Cour ou vous ayes besoin d'assistance<br />

ny d'apprehension de traverse 4. Cela m'a mis en repos de ce<br />

coste la sur vostre sujet. On n'est jamais si satisfait que quand on ne<br />

tient point la Fortune par des esperances et par des craintes, et la<br />

Vertu n'estjamais en sa liberte quand on la souffre accompagner de<br />

ces deux Tirannes de la Vie. L'homme est bien malheureux de se faire<br />

des necessites qu'il n'a point et de ehereher hors de soy mesme de<br />

quoy se repaistre et se soustenir. Un peu de philosophie et l'on n'a<br />

que faire d'autre chose. Les Puissances du Monde ne sont considerables<br />

que par nostre foiblesse et leurs faveurs se tourneroient en fumee si<br />

2 (!Stampe»: imprime; italianisme, peut.etre intentionnel iei. On trouve deja le verbe<br />

stamper dans une lettre de Chapelain datee du 30 oetobre 1638 (Tamizey, t. I, p. 310; l'annotation<br />

de Tamizey est maleneontreuse: il ne saurait dans ee passage etre question d'un<br />

livre ome d'estampes.) - Le reeueil (voir supra lettre XXI, pp. [go-[g[ et la n. 2) semble<br />

etre reste manuserit, eontrairement a l'attente de Chapelain.<br />

3 Ferdinando de' Bardi (voir supra lettre XII, pp. 157-158 et la n.5) fut done I'un des<br />

auteurs du reeueil eolleetif eompose a la gloire de Christine.<br />

4 Cette note optimiste ne peut avoir d'autre souree que la lettre, datee de la fin d'aout<br />

[632 (voir supra lettre XIX, n. [[, p. [85) par laquelle Heinsius avait appris la eontinuation<br />

des bonnes graees de la reine. Mais depuis lors Heinsius n'avait rien re


200 LETTRE XXIII<br />

l'Opinion ne les maintenoit en credit et ne leur donnoit corps. Nous<br />

serions tous egaux si nous ne voulions point nous sousmettre a ceux<br />

qui naturellement ne sont pas plus que nous pour obtenir des avantages<br />

infiniment au dessous de ceux que l'on possede quand on est<br />

vertueux, et c'est une illusion estrange de n'aymer la Vertu que comme<br />

un instrument pour acquerir des biens ou des dignites. Je vous scay<br />

beaucoup de gre de vous estre mis au dessus de ces bas sentimens et<br />

de n'aymer cette Vertu que pour l'amour d'elle mesme. Hac itur a la<br />

veritable richesse, et acette belle tranquillite d'esprit dont les Sages<br />

font la felicite parfaite. Je vous escrivis il y a huit jours et j'ay peur<br />

de vous incommoder par de si frequentes despesches. Mais souvenes<br />

vous pour ne m'en blasmer pas que je vous escris rarement si ce n'est<br />

en response. Et le moyen de demeurer müet lorsque vous parles et de<br />

ne vous pas tesmoigner son amitie quand on a de si doux tesmoignages<br />

de la vostre. Je vous sou hai te le cours de cette annee heureux et suis<br />

Monsieur<br />

De Paris ce 23. Janvier 1653<br />

Vostre tres humble et tres passionne<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur I Monsieur Heinsius Le Fils I<br />

Gentilhomme Hollandois / A Florence. Cachets.


Monsieur<br />

XXIV<br />

je vous feray une confession ingenue. Vostre esprit et vostre fatyon<br />

d'escrire furent les premiers attraits qui m'engagerent a vous aymer<br />

et bien que vostre vertu m'ait depuis este tout autrement considerable<br />

et que ma principale passion regarde vos mceurs et non pas vostre stile<br />

il est pourtant vray que je suis tousjours extremement touche de ce<br />

beau talent, qui selon moy vous met au dessus de tout ce que je connois<br />

d'hommes scavans en matiere de lettres familieres, soit pour cette<br />

facilite a exprimer elegamment en une langue qui ne vous est pas<br />

naturelle, tout ce que vous pourries dire de mieux en celle que vous<br />

aves sucee avec le lait, soit pour le choix et le rangement des choses qui<br />

doivent entrer en ce genre d'escrire, soit enfin pour cette heureuse<br />

prontitude ales employer sans meditation. Songes apres cela de quelle<br />

sorte j'ay deu recevoir les excuses de vos dernieres sur la pretendue<br />

incurie dont vous les accuses et les soins que vous prenes ales en<br />

justifier, rejettant le defaut qu'elles n'ont point sur l'impetuosite de<br />

vostre affection qui ne vous permet pas d'user du phlegme qu'il semble<br />

que vous jugies necessaire pour y bien reussir. Vous faites tort, Monsieur,<br />

acette sorte de vertu, quand vous la traites comme ayant besoin<br />

de justification et d'excuse. Au point que vous la possedes, si vous ne<br />

luy voules estre injuste, vous la loüeres au Heu de l'excuser. Et heureux<br />

qui peut comme vous courir dans cette carriere qui est faite pour la<br />

course et non pas pour le petit pas.Je passeray outre, mais que ce soit un<br />

secret horrible entre nous ;je suis persuade que toute lettre familiere,je dis<br />

familiere, tenantlieu de cette parole subite teIle que la demande l' entretien<br />

des honnestes gens, si elle sent l'estude, si elle a de la deelamation,<br />

si elle se guinde pour s'eslever, peche contre sa nature et tombe dans<br />

l'affectation, c'est a dire n'est pas bonne, quelque belle qu'elle soit,<br />

et ne peut qu'elle ne choque ceux qui ont le goust raisonnable. Et je<br />

ne scay comment l'entend le jeune Pline d'avoir avoüe qu'il avoit fait<br />

les siennes avec cet esprit 1. Son Onele ne luy eust pas passe cette<br />

legerete s'il eust survecu a l'embrasement du Vesuve. Ciceron les<br />

1 Des Ja premiere phrase de son ouvrage, dans Ja dedicace a Septicius (,Frequenter<br />

hortatus es ut epistuJas, si quas paulo curatius scripsissem, coUigerem pubJicaremque»),<br />

Pline affirme le caractere litteraire de son recueil epistolaire. D'autres passages sont tout<br />

aussi explicites.


202 LETTRE XXIV<br />

faisoit belles comme vous, mais il se gardoit bien d'y laisser le moindre<br />

vestige de contrainte et comme il n'y souffroit rien de froid ny de<br />

rampant, il n'y souffroit rien non plus qui parust s'esloigner de cette<br />

noble nai:fvete qui fait l'essence de ce Caractere. Pour mon particulier<br />

je ne vous en dis autre chose sinon que je m'y applique tousjours avec<br />

l'impetuosite que vous faites et s'il vous semble voir quelque maturite<br />

en mes lettres qui vous les face paroistre escrites a loysir, attribues le<br />

plus tost a ma pesanteur qu'a ma prudence, et bien que vous n'y voyes<br />

point ce feu qui rend les vostres si brillantes n'y croyes pas moins de<br />

cette simplicite naIve en quoy je fay consister leur veritable beaute.<br />

Tout ce long et ennuyeux discours, Monsieur, n'aboutit qu'a vous<br />

prier de continüer comme vous aves commence, c'est a dire de m'escrire<br />

a l'avenir aussy prontement, aussy longuement et aussy frequemment<br />

que vous aves faitjusqu'a cette heure et de croire que vous ne me<br />

scauries donner une plus grande joye, vous asseurant que de mon<br />

coste j'y correspondray de tout mon pouvoir et que si vous prenes<br />

plaisir dans mon commerce il ne vous manquerajamais tant que Dieu<br />

me conservera la vie. Je vous envoye une lettre de Mr de Balzac un<br />

peu tardive a la verite, mais c'est un homme a qui il faut pardonner<br />

quelque chose et qui n'est pas naturellement si regulier que nous 2.<br />

La paresse de Mr Menage est pire encore et vous ne laisses pas de le<br />

souffrir sans rompre avec luy pour cela.Je feray voir a M. de Montauzier<br />

ce que vous m'escrives sur la dedicace de ses Epigrammes et je<br />

suis assure qu'ille ressentira extremement. Vous ne manqueres jamais<br />

de mes offices aupres de luy mais po ur ne vous les point faire valoir<br />

vous tenes a luy par vous mesme, et n'aves affaire que de vostre vertu<br />

pour vous le conserver. J'ay veu avec beaucoup de consolation le billet<br />

de Monsieur vostre Pere. Puisqu'il a eschappe I' Autonne et le fond de<br />

l'hyver je le tiens sauve et m'en resjoüis avec vous. Vous m'aves<br />

es tonne de la continuation de la mauvaise humeur de I' Archiatre<br />

contre vous et ne puis comprendre qui l'y peut avoir provoque. Nous<br />

verrons si la Reyne tiendra ferme pour la vertu absente. Car toutes<br />

les nouvelles de dela sont que regnat in aula 3. Aymes moy tousjours<br />

2 Cette breve lettre, du 24 decembre precedent, est a Leyde (B.P.L. 246). Elle porte par<br />

erreur la date de 1653. Balzac y remercie Heinsius de ses derniers envois, et consacre un<br />

developpement a la convalescence de Montauzier.<br />

3 Plutöt qu'a Virgile, En., I, vv. 140-141 (


et me croyes tousjours<br />

Monsieur<br />

De Paris ce 19 Fevr. 1653<br />

LETTRE XXIV 203<br />

Vostre tres humble et tres passionne<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Depuis ma lettre escrite j'en ay receu une de Monsieur le Marquis de<br />

Montauzier ou sont ces termes sur vostre sujet L' Extrait de la lettre de<br />

Monsieur Heinsius est le plus obligeant et le mieux escrit qu'il se puisse. C'est<br />

un komme qui a de la bonte et de l' esprit egalement. Je vous supplie de luy faire<br />

scavoir le ressentiment quej'ay de son amitie, et l'estime quejefay de son merite.<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur / Momieur Heinsius le Fils /<br />

Gentilhomme Hollandois / A Florence.


Monsieur<br />

xxv<br />

par vostre lettre du 8. Mars escrite a Venize je voy que vous estes en<br />

chemin pour retourner ches vous, de quoy je vous felicite en vous<br />

souhaitant et augurant un voyage heureux. Et voyes si je vous ayme<br />

d'une maniere bien desinteressee et si je prefere vostre seurete a ma<br />

satisfaction. 11 nous auroit este tres doux de vous embrasser et de vous<br />

gouverner en vostre passage si vous l'avies pris par la France, et<br />

neantmoins je suis plus aise que vous l'ayes pris par l'Allemagne a<br />

cause que c'est desormais un pais tranquille et qui vous sauvera des<br />

perils du nostre, ou la guerre n'est pas enCore esteinte et ou les propres<br />

habitans ne sortent encore les portes de leurs villes qu'avec tremeur 1.<br />

Quand la serenite y sera revenue il ne sera pas impossible que nous ne<br />

vous y revoyons, et ce sera alors que nous joüirons de vostre amitie<br />

sans trouble et sans scrupule, et qu'en mon particulier j'apprendray<br />

de vostre propre bouche le detail de vos interests de Suede, que vos<br />

lettres n'expliquent qu'en general. Cependant croyes bien s'il vous<br />

plaist que ce peu que vous m'en aves confie demeurera ensevely, et<br />

que ce sera comme s'il estoit encore dans vostre pensee. J'entens cela<br />

pour ce qui regarde l' Alastor et son Socienne 2. Car il n' en est pas de<br />

mesme pour Monsieur le Marquis de Montauzier, qui estant arrive<br />

a la Cour au mesme temps que vostre despesche me fut rendue, y<br />

vit de quelle sorte vous esties touche de la continuation de sa bienveillance<br />

et fut ravy par une nouvelle si agreable que celle de vostre<br />

bon souvenir. Sije vous mettois icy tout ce qu'il me dit pour vous dire<br />

le courrier partiroit avant que je fusse a la moitie. 11 suffira que je vous<br />

assure qu'a son ordinaire il a pour vous toute la tendresse et toute l'estime<br />

que vous scauries desirer. 11 a apporte les Epigrammes qu'il vous<br />

a dediees et nous les devons revoir ensemble au premier loysir. Quelque<br />

jour cela paroistra et vous fera honneur a l'un et a l'autre 3. 11 a eu<br />

beaucoup de joye d'apprendre qu'enfin vos Poesies se publiront a<br />

vostre arrivee et que le retardement sera compense par les Additions<br />

1 Voir supra lettre XX, p. 187 et la n. 2. - (,Tremeurl>: frayeur.<br />

2 (,Socienne»: associe, complice; il s'agit de Saumaise et de Bourdelot. Le mot est atteste<br />

en moyen fran


208 LETTRE XXV<br />

reussissant si bien. Je voy qu'en cela il convient avec Mr de Balzac 12.<br />

Je feray escrire a ce libraire de lion pour esclaircir la matiere des livres<br />

dont vous l'avies charge, et scavoir ce qu'ils sont devenus: 11 ne tiendra<br />

pas a moy qu'il ne nous les envoye pour vous les faire tenir. En tout cas il<br />

sera bon que vous me mandies a qui je les commettray icy si je les<br />

re


Monsieur<br />

XXVI<br />

je venois de cacheter ma response a vostre derniere de Venise lorsqu'on<br />

m'a rendu celle que vous m'aves escrite de Geneve, de sorte que vous<br />

aures deux lettres pour une en ce paquet. Quoyque vous soyes esloigne<br />

de nous de plus de six vingts lieues, parce neantmoins que vous estes<br />

au de


210 LETTRE XXVI<br />

ce que pour la justifieation de ma punetualite et pour la preuve de<br />

mon zele, ear je suis fort esloigne de eroire qu'elle vous pust plaire<br />

par d'autre raisons ny que je vous puisse rien escrire dont vous eussies<br />

sujet de regreter la perte. Je fay tousjours chercher la Secchia d'impression<br />

de Paris, etje n'espere plus la trouver que de hazard n'y en ayant<br />

plus du tout ches les libraires, et mon Amy qui a la mienne estant<br />

tousjours retenu prisonnier. J'attens de vos nouvelles des Heux ou vous<br />

aures commodite de m'en faire scavoir dans le co urs de vostre voyage<br />

et surtout aussytost que vous seres arrive ches vous. Je me puis pass er<br />

de vous voir si c'est pour vostre bien, mais non pas d'apprendre<br />

l' es tat de vostre sante et de vos affaires. La mienne est meilleure eette<br />

annee qu'elle n'a este les deux preeedentes, etj'espere que de quelques<br />

mois vous n'en aures point de mauvaises nouvelles. Je suis tousjours<br />

de tout mon ereur<br />

Monsieur<br />

De Paris ce 23. May 1653<br />

Vostre tres humble et tres passionne<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur / Monsieur Heinsius le Fils /<br />

Gentilhomme Hollandois / A Geneve. Cachets.


Monsieur<br />

XXVII<br />

ou vous dissimules avec moy sur le merite de vos lettres familieres, par<br />

une modestie inutile et de peu d'usage entre des Amis aussy familiers<br />

que nous sommes, ou il faudroit dire que vous ne connussies pas asses<br />

bien les plus beIles productions qui sorte nt de vous, et que vous ne les<br />

estimassies gueres parce qu'elles ne vous coustent guere aussy, de la<br />

mesme sorte qu'on assure que le Boccace mettoit son Decameron<br />

entre ses ouvrages de moindre prix a cause qu'ill'avoit fait sans peine,<br />

bien que cette piece soit la seule qui a fonde sa grande reputation.<br />

Mais j'ay bien meilleure opinion de vostre jugement que cela, et<br />

j'ayme bien mieux vous accuser d'estre trop modeste que de n'estre<br />

pas asses connoissant. Ne vous defendes donc plus, Monsieur, sur cet<br />

artide, ou vous series abandonne de vos meilleurs Amis qui estant<br />

confirmes dans leur sentiment par celuy du public, ne croiroient<br />

jamais que vous le fissies pour le leur faire croire. Je vous ass ure bien<br />

du moins que quand vous m'en jureries, per omneis Deos Deasque je<br />

n'adjousterois point de foy a vostre serment, tant l'estude particuliere<br />

que j'ay faite en ces matieres, plustost que l'amitie que j'ay pour vous,<br />

ma fait voir dairement que vous y aves peu de semblables en ce siede.<br />

Je vous ay mande ce qu'il me sembloit du genre Epistolaire, et puisque<br />

ma doctrine vous en plaist, raportes vous en a moy, qui suis d'ailleurs<br />

trop sincere envers ceux que j'ayme, pour vous aller loüer hors de<br />

propos d'une chose qui ne seroit pas louable, vous sachant riche de<br />

tant d'autres, dont je vous pourrois loüer de vostre consentement. Ne<br />

vous repentes point au reste de la chaleur avec laquelle vous m'escrivistes<br />

sur le sujet de l' Archiatre, parce que la Catastrophe de sa<br />

Tragedie vous a pleinement justifie et que sans que vous ayes eu besoin<br />

de vous en mesler ses destins se sont charges de vostre vengeance.<br />

Je vous en manderois le detail si je ne vous en croyois informe par<br />

vos Amis de dela, a qui il ne sera rien eschape de cette nouvelle. Sa<br />

cheute vous profitera doublement, car il ne faut pas douter que<br />

l' Alastor n'en demeure affoibly et que vos interests de ces quartiers<br />

la n'en reprennent de nouvelles forces. Par vostre response je verray<br />

si je me suis trompe 1. Si vous devies partir bientost de leyde pour<br />

1 En realite, Saumaise avait depuis longtemps detaehe sa eause de eelle de Bourdelot,


212 LETTRE XXVII<br />

Suede vous m'obligeres fort de me le faire scavoir de bonne heure,<br />

ayant a vous entretenir sur quelque chose qui regarde mon honneur<br />

en cette Cour la, dont je ne vous veux importuner que quand vous<br />

seres in procinctu 2 pour vous embarquer, afin de ne charger pas vostre<br />

memoire avant le temps. Ce que vous me dites du chemin que vous<br />

prendres pour vous en retourner, quoyque vous en parlies douteusement,<br />

n'a pas laisse de me resjoüir beaucoup et de me faire sentir le<br />

plaisir que donne mesrne une legere esperance de ce que l'on souhaite<br />

extremement. En effet sans le siege de Bellegarde il y auroit asses de<br />

seurete de lyon a Paris 3. Mais nous ne serons pas asses heureux pour<br />

vous voir. L' Allemagne qui est paisible et que vous n'aves point veüe<br />

encore, l'emportera sur nostre pauvre pals trouble, et vostre conservation<br />

rn'importe tant que j'y acquiesce malgre le violent desir que<br />

j'ay de vous pouvoir embrasser. J'escriray tousjours par la voye de<br />

Monsieur Du Puy selon vos ordres. Par ma derniere vous aures pu<br />

voir que nous avons icy depuis quelque temps Monsr le Marquis de<br />

Montauzier. Il a veu tout ce que vous rne dites de luy en toutes vos<br />

lettres et s'en tient fort vostre oblige, ayant pour vous une cordiale<br />

amitie et une estime extraordinaire. Je vous plains bien de cette<br />

multitude de connoissances qui vous accablent de leurs escrits. C'est<br />

la punition de vostre merite. Si vous en avies moins on vous laisseroit<br />

plus en repos. Monsr Conrart m'a mis le Socrate Chrestien de M. de<br />

Balzac entre les mains po ur vous. C'est luy qui vous le donne 4.<br />

J'attens le volume de M. Menage qu'il a donne au Relieur pour vous<br />

l'envoyer revestu. Le Sr Huguetan s'est trouve en cette Ville depuis<br />

quelques jours. Je luy ay fait dernander qu'estoit devenu le paquet<br />

que vous luy avies confie. Il a respondu arnbigurnent, disant qu'il<br />

vous le croyoit avoir envoye il y a longtemps, mais qu'il en seroit plus<br />

esclaircy par la response qu'on luy feroit la dessus a la lettre qu'il en<br />

qui ne poursuivait plus que ses propres interets. Durant son voyage de retour, Bourdelot<br />

fut accueilli a Leyde par Saumaise, qui, ('mi-railleur, mi-amer», ecouta ses recits (R. Pintard,<br />

p. 403).<br />

2 Litteralement: sous les armes, pare, pret a I'action.<br />

3 Bellegarde est le nom que portait alors la petite ville de Seurre, pres de Beaune, en<br />

Bourgogne. Seurre en effet avait ete, en 1619, erigee en duche-pairie en faveur de Roger<br />

de Saint-Lary, seigneur de Bellegarde. La place, assez bien fortifiee, fut a deux reprises,<br />

en 1650 et en 1653, asaiegee par les troupes royales et enlevee a I'armee des princes. Le siege<br />

de 1653, dont il est ici question, dura de janvier a juin. Il fut conduit par le duc d'Epernon,<br />

gouverneur de Bourgogne et Bresse; la place etai defendue par Fran


LETTRE XXVII 213<br />

alloit escrire a un de ses freres qui estoit a lyon. Je pousseray la chose<br />

jusqu'au bout 5. Je suis fort aise que vous ayes receu la lettre de<br />

Monsr de Balzac. Je reconnois par vostre derniere que l'on ne vous<br />

a pas rendu la mienne du 23. Janvier. Po ur M. de Balzac rien ne vous<br />

oblige arepliquer, et j'approuve que vous attendies quelque occasion<br />

pour renouveller ce commerce. Je luy envoyeray les trois lignes par<br />

lesquelles vous me rendes conte de ce qui est arrive des trois Exemplaires<br />

de son Socrate qu'il avoit addresses au Conte Bardi. 11 en tirera<br />

une consolation fort grande. M. de Grasse et M. Conrart vous rendent<br />

mille saluts pour ceux qu'ils ont veus dans vostre lettre pour eux. Le<br />

dernier est presentement au lit de sa goute et depuis huit jours il en<br />

est fort maltraite 6.Je vous prie de faire tousjours un fondement ass ure<br />

sur mon affection et de me croire tousjours sans reserve<br />

Monsieur<br />

De Paris ce 28. May 1653.<br />

Vostre tres humble et tres passionne<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur / Monsieur Heinsius Le Fils /<br />

Gentilhomme Hollandois / A Geneve. Cachets.<br />

5 Suite du developpement amorce supra a la fin de la lettre XXV, p. 208.<br />

6 Sur les acces de goutte de Conrart, dont il sera souvent question dans les lettres suivantes,<br />

il faut lire la ballade Du goutteux sans pareil, adressee au malade par Sarasin, et la reponse de<br />

Conrart (ed. Festugiere, t. I, pp. 239-242).


LETTRE XXVIII 215<br />

lumiere vous estoit necessaire pour vous conduire sur le sujet de cette<br />

Personne, quand vous seres au pais des Goths. Je n'ay jamais fait<br />

grand fondement sur son amitie, quelque protestation qu'il m'en ait<br />

faite. Vous conclures aisement de la que je n'ay garde d'estre surpris<br />

de ce qu'il trouva a dire a l'Ode queje fis pour M.le Conte de Dunois<br />

puisqu'en ce temps la je luy estois tanquam Ethnicus et publicanus, et<br />

qu'a peine il me connoissoit de veüe 3. On me veut faire croire qu'il<br />

m'a desservy aupres de vostre Reyne contre toutes les promesses qu'il<br />

en avoit fait de son mouvement a Monsieur Menage, peu apres estre<br />

arrive dans sa Cour. Cela n'est guere vraysemblable, et neantmoins<br />

quand vous y seres vous m'obligeres de l'approfondir, et de m'en<br />

informer avec vostre candeur ordinaire. M. Du Piquet s'en est d'abord<br />

acquite en homme d'honneur. 11 y a apparence qu'il s'en est lasse, car<br />

il est tombe dans un silence de mort apres m'avoir engage par des<br />

prieres tres instantes a avoir commerce avec luy. Je seray bien aise<br />

que vous ayes aussy l'reil sur luy pour ce regard et que vous descouvries,<br />

s'il se peut, quelle maladie l'a rendu müet et l'a fait negliger<br />

des offices dont il avoit este un si ardent solliciteur. Monsieur le<br />

Marquis de Montauzier est encore icy, mais nous ne l'y retiendrons<br />

plus guere, sa blessure desirant qu'il aille chercher du soulagement<br />

au pied des Pyrenees dans les eaux d'Encausse et les bourbes de Barbotan<br />

4. Si vous luy escrives je luy feray tenir soigneusement vos lettres.<br />

La loüange qu'il donne a vos Scazons ne diminüe rien de celle que<br />

meritent vos Elegiaques, qu'il es time tout ce qu'on les sc;auroit estimer.<br />

11 marque seulement l'avantage qu'ont selon son goust les<br />

premiers sur les seconds, sans pretendre ravaler les uns en relevant<br />

n'etait pas «renvoye.> mais «envoye» (R. Pintard, ibid.): il ne quittait Christine que charge<br />

par elle d'une mission confidentielle aupres de Mazarin. Les negociations au sujet de ce<br />

depart avaient ete menees par Picques, qui en qualite de ministre resident avait succede a<br />

l'ambassadeur Chanut, par celui-ci meme durant le mois de mai (il avait siege a la conference<br />

de Lübeck, et fit le detour par la Suede avant de rentrer en France, accompagne<br />

notamment par Naude et Bochart), enfin par Gustave Sparre, dont Christine avait recemment<br />

fait son ministre a Paris. L'abbaye en question etait eelle de Massay (a dix km de<br />

Vierzon sur la route de Chäteauroux), qui venait d'etre rendue vaeante par la mort du<br />

marquis de Chäteauneuf (Tamizey, t. 11, p. 232).<br />

3 Qu'est-ce que Bourdelot «trouva a dire» a l'ode de Chapelain? Je n'ai pu le savoir.<br />

Rappelons que eette ode, dont il a ete question supra, lettre V, p. 141, a ete publiee en 1646.<br />

Acette epoque, quoiqu'ils frequentassent tous deux ehez les freres Dupuy, Chapelain et<br />

Bourdelot n'appartenaient pas aux memes cercles erudits. Mais peut-etre les mots «en ce<br />

temps Ia» se rapportent-ils a l'envoi du poeme a la reine Christine? Ils designeraient alors<br />

le printemps 1651. L' expression «Ianquam Ethnicus el publicanus» (eomme un palen et comme un<br />

publieain) est prise dans l'Evangile, et s'y applique a un homme designe a la haine generale.<br />

4 Encausse, ancienne station thermale, au-dessus de Saint-Gaudens, sur la haute Garonne.<br />

Barbotan se trouve a plus de cent km au nord-ouest, entre Nerac et Mont-de-Marsan;<br />

Barbotan n'est pas eloigne de Dax, dont aujourd'hui encore les boues sont reputees.


c'est trop vous amuser. Je suis<br />

Monsieur<br />

De Paris ce 10 Juillet 1653.<br />

LETTRE XXVIII 217<br />

Vostre tres humble et tres passionne<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur / Monsieur Heinsius le Fils /<br />

Gentilhomme Hollandois / A Leyde. Cachets.<br />

de l'Empire. Il mourut I'annee suivante dans cette ville, avant que les pouparlers fussent<br />

acheves (Recueil des Instructions donn/es aux ambassadeurs [ ..• ], t. VII, p. 4, et t. XI, vol. I, p. 3)


Monsieur<br />

XXIX<br />

vous verres par la lettre qui accompagne eelle cy que je n'avois pas<br />

attendu que vous m'escrivissies de Hollande po ur vous y eserire, et<br />

vous l' eussies receüe en y arrivant si [v ]os 1 autres Amis de decta eussent<br />

voulu estre aussy diligens que moy et n'eussent pas desire d'avoir<br />

auparavant de vos nouvelles. Je loüe Dieu du bon sucees de vostre<br />

voyage et de la protection qu'il vous a donnee par les chemins. Je le<br />

loüe encore de ce qu'il vous a conserve Monsieur vostre Pere et de la<br />

commune consolation que vous aves eüe en vous revoyant en sante.<br />

n faut esperer que la joye de vostre retour fortifiera celle de vostre<br />

Vieillard illustre et que son fonds si fertile produira encore de ces beaux<br />

fruits qui ont attire il y a si longtemps nostre admiration. Pour vous,<br />

Monsieur je ne me contente pas de l'esperer,je le eroy de plus et l'exige<br />

d'un terroir qui est dans sa force et qui n'a aucune excuse pour ne pas<br />

fructifier. Souvenes vous entre autres de cette Histoire abregee de<br />

vostre Pats que vous medities il y a deux ans, car pour la publication de<br />

vos Poesies je la conte pour une chose faite et ne vous en sollicite plus 2.<br />

Avant que de partir pour Suede man des moy je vous prie ce que vous<br />

aves appris des causes de la cheute de l' Archiatre. Je crains que vous<br />

n'ayes este mal informe lorsque vous penses qu'il soit aussy bien decheu<br />

de la grace de la Reyne que de son employ aupres d'elle 3. Surtout<br />

quand vous seres sur les lieuxje vous en demande une Relation exacte<br />

pour m'en servir discretement a ma propre conduite dans l'interest<br />

que j'y ay et pour ne me faire pas prendre a gauche en suyvant de<br />

fausses apparences si de ce coste la il y a de l'illusion. Par une lettre<br />

quej'escriray par vous a Mr Du Piquet et queje laisseray ouverte afin<br />

que vous la voyes vous connoistrcs quel est cet interest, et jugeres s'il<br />

sera apropos que vous m'y ren dies vos offices ou non. On nous assure<br />

icy que vostre ennemy au premier jour valedicet Batavire pour n'y plus<br />

1 Le manuscrit porte nos. - La plupart des lettres de Chapelain, durant cette periode,<br />

sont expediees a Heinsius par Jacques Dupuy Saint-Sauveur.<br />

2 Il sera souvent question de ce pro<br />

jet d'«Histoire abregee» dans les lettres qu'on lira a<br />

la fin du present recueil. Heinsius y fait deja allusion dans la lettre a Bourdelot d'aout 1652,<br />

citee par F. F. Blok, p. 176: «Ad annales interim Batavi", scribendos potero calamum convertere».<br />

En fin de compte, l'ouvrage ne vit pas lejour. - La publication des Poemata se fera<br />

attendre quelques mois encore. Voir supra, lettre XXII, n. 6, p. 194.<br />

3 Chapelain est en effet mieux renseigne que son correspondant. Voir lettre precedente,<br />

p. 218 et la n. 2.


220 LETTRE XXIX<br />

le Socrate de M. de Balzac et les Oeuvres diverses de M. Menage pour<br />

vous. Cela n'attend que vostre ordre et l'addresse seure pour vous<br />

les envoyer. Je suis bien aise que vostre paquet de Lion soit arrive en<br />

seurete a Amsterdam. Voila Huguetan bien justifie 8. Croyes je vous<br />

en conjure que je ne seray jamais autre<br />

Monsieur, que<br />

De Paris ce 13 Aoust 1653.<br />

Vostre tres humble et tres passionne<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur / Monsieur Heinsius le Fils /<br />

Gentilhomme Hollandois / A Leyde. Gachets.<br />

secutive a l'Acte de Navigation de ,65', et qui se termina par la paix de Westminster en<br />

,654·<br />

8 Conclusion de l'(,article') entame supra, lettre XXV, p. 208.


Monsieur<br />

xxx<br />

je n'ay guere d'aussy grandejoye au mondequecelleque m'apportentles<br />

marques de vostre amitie surtout lorsque vous me les donnes par vos<br />

lettres. Je suis pourtant modere dans ma passion et je la scay commander<br />

encore qu'elle soit innocente et louable. J'attens cette manne<br />

avec discretion, et sans murmurer de son retardement je me contente<br />

d'enjoüir et de la recevoir quand le Ciel s'ouvre et que vous trouves a<br />

propos de m'en nourrir. Escrives moy le plus souvent que vous pourres,<br />

mais ne le faites que quand vous vous en sentires sollicite par vostre affection,<br />

que quand vous y prendres autant de plaisir que vous m' en causes,<br />

et surtout quand vous le pourres commodement et sans faire violence<br />

a vos affaires ny a vos estudes. Vous m'aves bien resjoüy de m'apprendre<br />

le nouveau secours qui vous est venu par les Morets d' Anvers<br />

pour vostre Ovide. Apres tant de soins et de diligences par un homme<br />

d'un goust aussy fin que le vostre, il faut croire que de tous les livres<br />

anciens il n'y en aura point de mieux restably, de plus sain ny de plus<br />

purge de tout ce qu'il avoit contracte de vice entre les mains des<br />

Barbares 1. Je suis bien aise aussy que vos Poesies propres soient enfin<br />

prestes a voir la lumiere etj'en suis encore plus aise pour vostre gloire<br />

que pour nostre satisfaction, bien que la satisfaction que nous en<br />

aurons ne puisse avoir de semblable. Ce sera un bon pardessus que<br />

ce que vous y adjousteres de celles de M. Rutgersius vostre Onele.<br />

Je les liray avec d'autant plus de contentement que j'en ay connu<br />

l' Autheur en mon enfance et que tout jeune que j'estois je puis dire<br />

que nous estions Amis. Vous estes bien louable de pourvoir comme<br />

vous faites a la vie de ces Orfelins et vous estes un bon parent de ne<br />

laisser pas perir des enfans si bien nes et qu'on peut appeller vos<br />

Cousins 2. Je suis en peine de vos balles et je vous prie de m'en tirer<br />

1 Heinsius put a Leyde eollationner quatre manuserits d'Ovide, appartenant a Balthasar<br />

Moret (F. F. Blok, p. 191), qui s'ajouterent a tous eeux qu'il avait deja eonsultes durant son<br />

voyage. Ce demier travail preliminaire lui permit de eommeneer a Stockholm I'etablissement<br />

de son edition in_12°, qui parut a Amsterdam de 1658 a 1661.<br />

2 Daniel Heinsius avait eu pour femme Ermgard Rutgers (morte en 1633); eelle-ei<br />

etait la sceur de l'eruditJohannes Rutgersius (1589-1625), qui, entre 1611 et 1613, avait<br />

veeu quelque temps a Paris au meme domieile que Chapelain: tous deux logeaient chez<br />

Federie Morel, doyen des leeteurs du roi (voir infra, lettre LXVIII, p. 383; Collas, p. 2).<br />

Nieolas, qui venait de fixer avec Jean Elzevier la composition definitive de ses Poemata, avait<br />

deeide de grossir le volume d'un appendiee ou fussent reunies les poesies de son onele. C'est


222 LETTRE XXX<br />

des qu'elles seront arrivees. Ce seroit une terrible perte 3. Spa vous a<br />

venge de vostre Adversaire et sans doute plus cruellement que vous<br />

n'eussies desire. Vostre guerre n'estoit point barbare et vostre ressentiment<br />

n'alloit pas jusqu'a la mort. En tout ce qu'il dit contre<br />

vous il s'est plus fait de tort qu'a vous. Le Genie de vostre Maison s'est<br />

trouve plus fort que le sien 4. Pour l'Archiatre il m'a visite etje luy ay<br />

rendu la visite. Que diries vous que sans scavoir qu'il y eust d'amitie<br />

entre nous, en me parlant de ceux qui luy vouloient mal il vous y<br />

comprit et comme pour se purger me dit que vous ayant escrit civileme<br />

nt sur vostre desmesIe avec le defunt, vous avoir touche [sie] l'obligation<br />

qu'illuy avoit, et s'estre offert pour mediateur entre vous, dans<br />

le deplaisir de ne pouvoir conserver de commerce avec vous que<br />

cette reconciliation ne fust faite; Que vous luy avies respondu si<br />

aigrement et en termes si offensans que la Reyne qui vit par hazard<br />

vostre lettre n'en eut pas meilleure opinion de vous; Qu'au reste il avoit<br />

eu une extreme peine de cette rupture parce qu'il estoit vostre ancien<br />

Amy et qu'il avoit tousjours connu et estime ce que vous val es et dans<br />

la Poesie et dans le stile Epistolaire.Je vous dis tout cecy afin que vous<br />

voyes s'il y a lieu encore de vous rajuster, et si c'est vostre conte comme<br />

ce le pourroit estre, a cause du credit qu'il a maintenu aupres de la<br />

Reyne, et qui vous pourroit nu ire ou profiter dans vos interests de cette<br />

Cour la. Jene vous exhorte arien, mais si vostre prudence vous<br />

conseilloit un raccommodement, ce seroit le vray temps maintenant<br />

qu'il n'est pas encore de retour en ces quartiers la. En ce cas je serois<br />

l'instrument le plus propre a rapp roch er les parties separees et a<br />

ressouder ce qui a este rompu. Vous m'informeres de vos intentions,<br />

que je suyvray de point en point n'ayant autre interest en cela que le<br />

vostre, et cependant vous ti end res s'il vous plaist tout cet article<br />

ensevely et en useres selon nostre amitie 5. 11 vous sera malaise de vous<br />

peut-etre en apprenant de Chapelain lui-meme son ancienne amitie avec Rutgersius que<br />

Heinsius conr;ut l'idee de lui faire hommage de ce recueil posthume. On pourra lire, infra,<br />

lettre XXXIII, p. 235, les remerciements de Chapelain.<br />

3 Le «paquet» confie a Huguetan ne contenait evidemment que des livres et peut-etre<br />

des manuscrits, c'est-a-dire une precieuse mais mince partie du bagage que Heinsius avait<br />

du expedier d'Italie en Hollande. Les «halles» dont i1 est iei question renfermaient le reste<br />

de ce bagage, du moins tout ce que Heinsius n'avait pas emporte avec lui.<br />

4 «Vostre Maisofl», parce que Daniel Heinsius, avant Nicolas, avait ete l'objet des attaques<br />

de Saumaise. Celui-ci etait mort a Spa le 3 septembre.<br />

5 Il a deja ere fait allusion (supra, lettre XVI, n. 5, p. 173) a la tentative de Bourdelot<br />

qui enjuillet 1652 s'etait mis en tete de reconcilier Saumaise et Nicolas Heinsius. Il est dair<br />

d'apres ce passage que Chapelain s'est laisse influencer au cours de l'entretien par l'habile<br />

Bourdelot, qui, reste profondement vexe de l'intransigeante lettre de reponse de Heinsius, en<br />

a fait a son interlocuteur une deseription tendancieuse. Cette lettre n'est ni aigre ni offensante,<br />

elle est ferme et hautaine; Heinsius en particulier s'y declare pret a supporter la conse-


LETTRE XXX 223<br />

detacher d'un service si glorieux que celuy de la Reyne qui de son coste<br />

n'oubliera rien a faire pour vous retenir. Si neantmoins les choses<br />

tournoient de sorte que vous ne trouvassies pas aupres d'elle la satisfaction<br />

que vous en attendes je ne vous tiendrois pas malheureux de<br />

venir vous retrancher parmy vos Amis et en la compagnie de vos<br />

livres pour vous en faire honneur a vous et a vostre pals 6. 0 ubi eampi<br />

ete. 7. Les gens de lettres sont moins propres a courtiser qu'a estre courtises,<br />

et si la liberte est faite pour quelqu'un c'est pour eux plus que<br />

pour personne. M.le M[arquis] de Montauzier n'a pas fait son voyage<br />

a cause de la peste qui adesole la Guienne. Je luy ay donne la copie<br />

du Scazon qui doit servir de dedicace a vos Poemes. Il ne se peut dire<br />

combien il en a este touche, tant pour 1'esprit qui y paroist que pour<br />

l'affection dont ils sont remplis. Il m'a ordonne de vous en rendre mille<br />

graces et de vous asseurer de sa parfaite reconnoissance. Il1'auroit fait<br />

luy mesme, mais il est oblige a se menager a cause de ses blessures et<br />

il reserve a faire cet effort pour le temps que vous aures publie vos<br />

vers 8. Quand vous m'envoyeres le Scazon contre l' Alastor je le<br />

mettray sotto eoperta et il ne verra le jour [que] 9 par vostre permission.<br />

Je vous suis fort redevable du soin que vous voules prendre pour ces<br />

Origines Amerieaines d' Hornus. Il n'importe pas quand elles viendront<br />

pourveu qu'elles viennent seurement. Vous m'avies promis une voye<br />

pour vous faire tenir les livres que j'ay a vous envoyer. Si M. Du Puy<br />

que vous m'indiques s'en veut bien charger j'y joindray la Secchia<br />

d'impression de Paris que j'ay retiree de mon Amy depuis sa sortie de<br />

quence de son attitude, et meme s'ille faut a perdre la faveur de la reine, qu'il continuera<br />

toutefois a honorer dans le secret de son cceur. 11 est du reste bien evident que ce n'est pas<br />


224 LETTRE XXX<br />

la Bastille 10. M. Degrasse et M. Conrart ont veu vostre souvenir dans<br />

vostre lettre. Vous n'aves point de serviteurs plus acquis qu'eux. Pour<br />

M. de Balzac il est malade depuis deux mois et depuis cela nous avons<br />

fait treve d'escritures. Par mes premieres je m'acquiteray de ma commission<br />

envers luy. 11 se sentira oblige lorsqu'il verra dans l'impression<br />

de vos Poesies son Epistre employee 11. Je ne vous puis donner d'addresse<br />

pour l'envoy des Exemplaires que je voy dans vostre lettre que<br />

vous vouIes faire distribuer de de«;:a. J' en consulteray nos Amis. Songes<br />

y de vostre coste et me croyes tousjours inviolablement<br />

Monsieur<br />

De Paris ce 25. Sept. 1653<br />

Vostre tres humble et tres passionne<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur / Monsieur Heinsius Gentil /<br />

homme Hollandois / A Leyde. Cachets.<br />

10 Voir supra lettre XXV, p.206 et la n.8. On observera qu'il est ici question de la<br />

Bastille et non plus du (,Bois de Vincennes».<br />

11 Voir supra, lettre XV, n. I, pp. 167-168.


Monsieur<br />

XXXI<br />

vostre Lettre d' Amsterdam me surprit en m'apprenant que vous parties<br />

ce jour la mesme pour Suede, mais elle ne m'afHigea pas, puisque<br />

ne vous devant point voir icy il m'estoit egal que vous fussit!s a Leyde<br />

ou a Stokholme, et qu'en quelque fa-;on il me seroit plus avantageux<br />

que vous fussies a la derniere, si j'en devois recevoir plus souvent de<br />

vos nouvelles que de la premiere comme vous me le mandies. Je fus<br />

seulement en peine du passage, car enfin les Anglois ne sont pas si<br />

batus qu'ils n'occupent encore vos mers, et qu'ils n'infestent la navigation<br />

surtout a l'egard de vos vaisseaux. Mais vous ne vous seres pas<br />

embarque legerement, et qu'avec toutes les precautions necessaires<br />

pour n'aller pas disputer a Londres si vous estes Suedois ou Hollandois<br />

1. J'ay creu que cette pronte resolution avoit este prise sur l'avis<br />

de la ruIne de cette faction dont vous me parles, et qui estoit si peu<br />

favorable aux personnes de vostre merite. La suite nous esclaircira de<br />

vos motifs. Cependantj'augure bien de vostre voyage, et ne doute point<br />

que l'equite de la Reyne ne vous en face avoir toute sorte de contentement.<br />

Quant aux off res que vous me faites de me servir en cette Cour<br />

la, je vous en demeure infiniment oblige, et vous avoüe que j'apprendray<br />

volontiers de vous comment va un interest que j'y ay, et ou ma<br />

reputation est engagee 2. Il vous faut expliquer cela pour vous donner<br />

moyen de m'y rendre vos offices. Depuis que Monsr de Wikford qui<br />

est a Paris eut tire de moy pour Sa Mt6 quelques vers qui m'estoient<br />

eschappes sur diverses occurrences, Elle eut la bonte de commander a<br />

Mr Du Piquet qui venoit en France, de m'honnorer d'une visite de sa<br />

part, et de me faire tesmoigner par luy d'une maniere tres pressante,<br />

qu'Elle desiroit voir quelque chose de la Pucelle. Un exorcisme si<br />

puissant ne me permit pas de garder la resolution que j'avois faite de<br />

la tenir cachee.Je fis, pour luy obeir et po ur luy plaire ce queje n'avois<br />

1 Voir supra lettre XXIX, n. 7, p. 219. Gette premiere phase de la guerre se terminera<br />

par la defaite des Hollandais.<br />

2 Gette offre de services de Heinsius repond a la demande que soumettait Ghapelain<br />

supra, lettre XXVII, p. 212, et dont ses lettres suivantes precisaient le sujet (lettre XXVIII,<br />

p. 215; lettre XXIX, p. 218). Dans le long developpement que I'on va lire, Ghapelain<br />

retrace toute l'histoire de ses relations avec Ghristine, et revient donc sur des episodes que<br />

nous ont deja fait connaitre ses precedentes lettres, depuis la Ve ou etait nomme Abraham<br />

de Wicquefort (pp. 140-141).


226 LETTRE XXXI<br />

fait jusques };\ pour qui ce soit, non pas mesme pour les Princes que<br />

regarde cet Ouvrage. Mr Du Piquet en emporta le Premier livre et<br />

une Lettre a Sa Mte dont il trouva apropos que je l'accompagnasse.<br />

Je veux croire, comme il me le manda en arrivant aupres d'Elle, qu'il<br />

luy presenta l'un et l'autre, et que toutes les bonnes paroies et toutes<br />

les glorieuses promesses qu'il me fit par son ordre estoient veritables et<br />

reelles. Car je le tiens fort homme d'honneur, etj'avois traite avec luy<br />

d'une sorte qu'il n'y a point d'apparencc qu'il eust voulu payer<br />

d'illusion un homme de la mienne. J'en suis mesme asseure par le<br />

propre tesmoignage de Mr Bourdelot qui m'escrivit de la avec quelle<br />

chaleur illuy avoit oüy parler de moy a la Reyne. Cependant la suite<br />

a este si peu conforme au commencement qu'un plus soupc;onneux quc<br />

moy auroit lieu d'en penser autrement, parce que tout a coup le<br />

mesme Mr Du Piquet, comme s'il avoit este frappe d'un coup de<br />

foudre, est devenu müet pour moy et j'ay attendu dix huit mois en<br />

vain la response a mes dernieres, non sans un grand estonnement que<br />

tant d'asseurances relterees de me faire bientost voir des marques de<br />

la magnanimite et de la gratitude de Sa Mt"', se soient tournees en<br />

fumee, et non sans beaucoup de desplaisir quc le Monde eust sceu les<br />

engagemens Oll Elle s'estoit bien voulu mettre, et vist le peu d'effect<br />

qu'ils avoient eus. Ce n'est pas, Monsieur, quej'aye l'ame aucunement<br />

interessee, ny queje croye valoir que la Reyne d'elle mesme abbaissast<br />

ses yeux sur moy, et s'apperceust de mon encens si je le luy avois offert<br />

de mon seul mouvement. Mais veu ce qui s'estoit passe je croy pouvoir<br />

dire sans presomption que sa Grandeur ne se fust point fait de tort, s'il<br />

luy eust plu de faire quelque legere demonstration d'avoir agree le<br />

zele de ma petitesse, ne fust ce que pour mettre mon honneur a couvert,<br />

et empescher qu'on ne creust qu'apres avoir este servie Elle<br />

eust juge digne de son mespris, celuy qu'Elle avoit auparavant juge<br />

digne de son estime. Toute nostre Cour qui avoit remarque la diversite<br />

de ce traitement m'en demandoit vainement la cause, et je ne leur<br />

respondois la dessus qu'aveque un profond respect pour Sa Mt",<br />

lorsque la curiosite publique a este satisfaite par des nouvelles qui<br />

sont venues de sa Cour par plus d'une voye, portant que le retardement<br />

de ses bontes po ur moy aussy bien que pour plusieurs autres,<br />

estoit arrive par les mauvais offices que nous avoit rendus aupres<br />

d'Elle le mesme Mr Bourdelot qui s'estoit engage de luy mesme a<br />

nous les rendre bons; et que la crainte de voir quelqu'un de considere<br />

par Elle en qualite d'homme de merite, afin d'occuper seul toute sa<br />

peasee et profiter seul de toutes ses faveurs, l'avoit rendu inhumain


LETTRE XXXI 227<br />

envers tout tant que nous sommes, et luy avoit fait faire violence a sa<br />

beneficence Royale pour en suspendre et arrester le cours. Que<br />

desormais que le charme estoit rompu, et que la lu miere de Sa Mte<br />

l'avoit degagee de cette obsession, Elle agiroit selon ses inelinations<br />

genereuses, et feroit justice a tous ceux qui la reverent et qui so nt<br />

touches de son excellente vertu. Je ne scay que dire de ces nouvelles et<br />

ne voudrois pas condamner legerement Mr Bourdelot d'une si grande<br />

barbarie et d'une si no ire malignite, sur la deposition peut estre de<br />

ses Ennemis, bien qu'elle soit trop generale pour n'estre que de ses<br />

Ennemis. Je n'y adjousteray creance que lorsque vous me la confirmeres<br />

parce que je vous connois tres homme de bien, et que je vous<br />

scay asses bien voulu de la Reyne pour en apprendre d'Elle la verite.<br />

Obliges moy donc je vous supplie de faire tout ce qu'il faudra pour<br />

m'en eselaircir et s'il se trouve que Mr Bourdelot m'ait fait une infidelite<br />

si lasche, j'en tireray une extreme consolation, voyant lieu<br />

d'esperer que le so in que j'ay eu de complaire a la Reyne ne me<br />

tournera plus a honte aupres de ceux qui ignorent ce qu'Elle vaut, et<br />

que n'y ayant plus d'obstaele a sa magnanimite naturelle, Elle pourveoira<br />

a ma reputation, par quelque preuve que mon obeissance ne<br />

luy a pas deplu. Vous feres cette descouverte avec vostre prudence<br />

ordinaire, et me donneres avis, s'il vous plaist, de ce que vous en<br />

aures appris. Je vous felicite de l'achevement de l'impression de vos<br />

Poesies. En l'addresse que vous me faites de celles de feu M. Rutgersius<br />

vostre Onele je remarque vostre amitie n'y pouvant remarquer vostre<br />

justice. Les unes ny les autres ne viendrontjamais asses tost pour nostre<br />

desir. En recompense je ne perdray point de temps a vous faire tenir<br />

les livres que j'ay pour vous quand je scauray Oll, et je seray bien aise<br />

d'user de cette retribution bien que la comparaison en soit fort inegale.<br />

J'ay salue nos communs Amis en vostre nom, et sur tous Monsieur le<br />

Marquis de Montauzier. Ils vous resalüent tous au centuple. Celuy du<br />

Cloistre est totus in enodando ceu defricando Aminta Tassiano, idque<br />

lingua Tassiana, propediem ex sua recensione prodituro, Viris Italis<br />

huiusce Viri egregiam indolern, multiplicemque variis in Idiomatibus<br />

loquendi facultatem demiraturis 3. Je suis<br />

Monsieur Vostre tres humble et tres passionne<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

De Paris ce 6. Nov. 1653<br />

3 Ce eommentaire de l'Aminta du Tasse, redige en italien, dedie par Menage a Mlle de<br />

La Vergne, sera publie en 1655, apres le mariage de eelle-ei avee le eomte de La Fayette.


Monsieur<br />

XXXII<br />

en me donnant la plus grande joye du monde par vostre lettre vous<br />

m'aves en mesme temps donne de la douleur, m'apprenant que vous<br />

m'escrivistes a vostre arrivee en Suede, et vous scaves combien je<br />

ressens la perte de vos moindres billets. Je n'ay point receu cette<br />

longue despesehe dont vous me parles, et je la regrette infiniment<br />

comme un vol que m'a fait la Fortune et qui ne pourroit estre repare<br />

par toutes ses faveurs. 11 est vray que vous doutant de l'injure qu'elle<br />

m'a faite, vous l'aves reparee par la lettre que M. le Baron de Spar<br />

m'a rendüe de vostre part 1. Vous m'y expliques si particulierement<br />

et si eloquemment a vostre ordinaire les justes sujets de plainte et<br />

d'alienation que vous aves pour l' Archiatre, et vous le peignes de ses<br />

couleurs avec tant de force qu'il n'y arien davantage adesirer. J'en<br />

demeure aussy de teIle sorte convaincu, que quand vous refuseres<br />

toute reconciliation avec luy je n'y trouveray quoy que ce soit a redire,<br />

surtout si vous le croyes hors d'estat de nuire a vos interests. Car<br />

lorsque je vous offris de contribüer a vostre raccommodement, outre<br />

que je ne le croyois pas si coupable, ce fut mon motif principal, et<br />

je pensois a vous oster de dessus les bras un homme qui avoit conserve<br />

un fort grand credit dans la Cour Oll vous estes, et qui avoit des<br />

marques solides de la continuation de la bienveillance de la Reyne.<br />

Maintenant que nous apprenons le changement arrive dans sa faveur<br />

et que vous pouves le mespriser sans courre de fortune, j'entre tout<br />

a fait dans vostre sens de ne vouloir jamais avoir de liaison avec luy<br />

et je serois marry de vous conseiller sans besoin un abbaissement<br />

indigne de vostre courage, et une violence a vos justes ressentimens.<br />

11 ne m'importoit que vous vescussies bien avec luy que de peur qu'il<br />

ne vous mesarrivast y vivant mal. Ce danger cessant je vous laisse en<br />

vostre liberte etje fortifie de mon suff rage la resolution que vous aves<br />

prise. Vous verres par un paquet que je vous envoye et qu'il y a trois<br />

mois qui est cachete sans que Mr Du Puy s'en soit voulu charger,<br />

disant qu'il falloit attendre de vos nouveIles, que je ne suis pas moy<br />

mesme mieux persuade de l'homme que vous, et que j'avois li eu de<br />

croire qu'il avoit fait perdre a la Reyne la volonte qu'il m'avoit luy<br />

1 Gustave Sparre (1625-1689), ministre resident de Suede a Paris.


LETTRE XXXII 231<br />

mesme mande qu'elle avoit de m'honnorer d'une responce touchant<br />

la chose dontje vous parlay lorsque vous esties encore dela les Monts 2.<br />

Vous y verres mes sentimens d'alors qui seroient bien encore les<br />

miens d'a cette heure si vous trouvies l'esprit de Sa Mte dispose a bien<br />

recevoir ce que vous luy en pourries dire, et si en les luy faisant scavoir<br />

vous ne couries point de hazard de nuire a vos propres interests. Car<br />

je n'en ay point de si grands que je ne sacrifiasse aux moindres des<br />

vostres, et celuy cy est de nature que quand je n'en recevrois aucune<br />

satisfaction je n'en mourrois pas et essayerois de m'en consoler. Je<br />

laisse aussy la chose a vostre prudence et vous prie de la consulter encore<br />

plus que vostre affection, ne voulant po ur rien vous engager a faire<br />

un pas qui vous pust estre le moins du monde prejudiciable. Monsieur<br />

Chevreau auquel je vous laissois le choix de la communiquer ou non<br />

me continue les marques de son amitie de la maniere la plus obligeante<br />

qui se puisse et il n'a pas tant de sujet de se louer de l'homme qu'on<br />

ne pust s'asseurer de luy en cela. Il me paroist d'ailleurs fort remply de<br />

vostre merite, et cette estime particuliere qu'il fait de vous faciliteroit<br />

l'entretien que vous auries ensemble sur cette matiere si vous jugies<br />

qu'il faHust s'en entretenir avec luy. Il vous pourroit aussy dire s'il<br />

seroit apropos d'en donner part a Monsieur le Conte de Tott qui<br />

est asses de mes Amis pour cela. Enfin je ne vous prie de rien avec<br />

chaleur en tout cecy, sinon de n'y rien tenter qui vous pust embarasser<br />

et qui fust au dessus de vos forces, et surtout de tenir la chose dans le<br />

plus grand secret qui se pourra, desirant qu'on ne sache point que<br />

j'aye seulement songe a ce qu'il y a eu de fascheux pour moy dans<br />

l'oubly de Sa Mte et ne voulant pas qu'on imagine que je croye que<br />

mon honneur depende de cela. Mais c'est trop parle d'une affaire a une<br />

personne zelee comme vous et qui entend a demy mot. Je vous ay<br />

mande que j'avois retire le Poeme de La Secchia d'impression de Paris<br />

et que je vous l'envoyerois sur vostre premier ordre. M. le Marquis<br />

de Montauzier n'a point encore receu vos Poesies et les attend avec<br />

impatience. M'ayant surpris en faisant cette lettre il m'a charge expressement<br />

de vous asseurer de la continuation de son amitie toute<br />

bruslante pour vostre merite et de vous dire qu'il ne croit pas se<br />

pouvoir jamais resoudre a vous laisser voir une Epigramme latine<br />

2 Le ('paquet» contenait les lettres, supra, XXVIII et XXIX; la premiere phrase de cette<br />

derniere (p. 218) montre d'une part qu'elles ont ete jointes l'une öl l'autre pour l'envoi,<br />

d'autre part que cet envoi etait confie öl la diligence d'(,Amw>: en ceux-ci la presente lettre<br />

permet de reconnaitre, comme il etait facile de le supposer, Jacques Dupuy. On peut lire<br />

pp. 215 et 218les passages auxquels fait allusion Chapelain.


Monsieur<br />

XXXIII<br />

je recoy en mesme temps la premiere lettre que vous me fistes la grace<br />

de m' escrire de Stokholme vers le commencement du mois de Novembre<br />

et la derniere d'Upsale vers la fin de Decembre, la premiere par les<br />

mains de Monsieur Du Puy avec un Exemplaire de vos Poesies et la<br />

derniere par celles de Monsieur Bourdon que vous me dittes, aussy bien<br />

que luy, avoir eu charge de la Reyne de me donner son Portrait 1.<br />

Juges par ma fa'Yon d'aymer du plaisir que m'ont apporte ces deux<br />

lettres remplies comme elles sont des marques de vostre affection. Je<br />

ne m'amuseray point a vous l'expliquer davantage ne actum agam et<br />

pour ne pas vous dire une chose que vous ne scaves desja que trop. Je<br />

vous diray seulement que les reproches que vous me faites de mon<br />

silence Pythagorique me so nt bien agreables, et que je les prens pour<br />

de nouveaux tesmoignages de vostre amitie. Ce n'est pas que je les<br />

meritasse, car aussytost que j'eus receu vostre lettre d' Amsterdam je<br />

vous y fis response. Mais Monsieur Du Puy ne trouva pas apropos<br />

d'envoyer mon paquet dans l'incertitude s'il vous trouveroit arrive en<br />

Suede. 11 faut encore tronquer icy cet esclaircissement pour ne tomber<br />

pas dans des repetitions, vous ayant rendu conte du retardement de<br />

ce paquet dans la response que je vous fis il y a quinze jours a la<br />

seconde de vos lettres. Jen' ay rien a adjouster sur le sujet de l' Archiatre<br />

sinon qu'il a enfin receu de la Reyne la grace de l' Abba'ie qu'Elle<br />

avoit demandee pour luy, et que nostre Cour travaille serieusement<br />

a l'en mettre en possession par Economat en attendant que les Bulles<br />

en soient venues de Rome. J'en ay veu les lettres de Sa Mte par lesquelles<br />

Elle luy donne avis qu'Elle en a escrit a M. le Cardinal 2.<br />

1 A la fin de l'annee 1653, la peste s'etant declaree a Stockholm, la cour et le gouvernement<br />

suedois s'etaient transportes a Upsal. - Le peintre Sebastien Bourdon (1616-1671),<br />

protestant, avait fait partie, de 1652 a 1654, de la cohorte des Franc;:ais attires par Christine<br />

a son service. Sur l'execution de ce portrait, voir irifra, lettre XXXVII, p. 248 et la n. 8.<br />

2 Les revenus du benefice, tant qu'il restait vacant, etaient administres par le bureau de<br />

l'Economat. 11 s'agissait pour Bourdelot d'obtenir que ce bureau lui cedät a titre provisoire<br />

les revenus de son abbaye, en attendant que la mesure put etre rendue officielle et definitive<br />

lors de la reception des bulles. La lettre de Louis XIV a Mazarin, a laquelle fait allusion<br />

Chapelain, n'etait qu'une formalite administrative; le roi et son ministre se trouvaient alors<br />

tous deux a Paris, ou ils etaient rentres depuis peu. Des le 6 janvier 1654, Mazarin avait<br />

ecrit a la reine Christine:


234 LETTRE XXXIII<br />

Enfin c'est une chose faitte. Et ce vous doit estre un bon augure pour<br />

les affaires que vous aves en sa Cour, et aupres d'Elle. Car puisqu'Elle<br />

paye si bien ce qu'Elle ne doit pas, seulement parce qu'Elle l'a promis,<br />

il y a apparence qu'Elle ne payera pas mal ce qu'Elle doit, y ayant<br />

engage sa parole 3. Vostre interest luy parloit tout seul. Mais cette<br />

Requeste discourüe dont vous faittes mention n'aura pas nuy a vostre<br />

dessein. Jamais Eloquence ne gasta bonne cause 4. Si cela n'estoit<br />

point trop long adescrire j'aurois grande curiosite de la voir aussy bien<br />

que le Scazon qu'il y a si longtemps que vous me deves. Vous aves<br />

trop fait sur mon affaire d'en avoir parle a Monsieur Chevreau de<br />

la sorte que vous aves fait. C'est ainsy que les bons courages vont<br />

au devant des prieres, et qu'ils se souviennent de celles qu'on leur a<br />

faites quelque long temps qu'il y ait. En l'estat Oll vous estes et en celuy<br />

ou est l' Archiatre je serois marry que vous eussies passe plus avant.<br />

Cela vous eust nuy et ne m'eust pas servy. Vous aures veu par mes<br />

precedentes a quelle condition je vous demandois cet office, et comme<br />

je pourvoyois tousjours a la seurete de vostre interest, pour peu qu'il<br />

en pust souffrir de dommage. Supprimes en desormais jusques a la<br />

pensee et croyes que je tiendray mes affaires faites quand vous aures<br />

fait les vostres qui so nt les miennes plus que les miennes mesmes. Et<br />

puis cet ordre de me donner son Portrait satisfait ma delicatesse, et<br />

me preuve asses que je n'en ay pas este mesprise. Le reste arrivera<br />

quand il pourra, et quand il n'en arriveroit autre chose cela suffit a<br />

un creur comme le mien qui n'est pas capable d'une passion sordide.<br />

Cependant je me resjoüis de l'amitie que vous aves contractee avec<br />

Monsieur Chevreau. Je le trouve tres digne d'estre ayme par des gens<br />

de nostre sorte ayant 1'ame marquee a ce coin de vertu qui tire les<br />

hommes du commun et qui les rend fermes en leurs promesses. De<br />

moy je fay fondement sur les siennes et me tiens assure de ses offices sans<br />

eroire avoir besoin de les mendier. Il m'a demande mon amitie de si<br />

bonne grace que j'aurois este digne de sa haine sije la luy avois refusee.<br />

Je luy escris un mot seulement pour le feliciter de la belle conqueste<br />

baye qui luy a este donnee [ ... ].> (Lettres du cardinal Mazarin pendant son ministere, p. p. A.<br />

Cheruel, t. VI, p. 107).<br />

3 La puerilite du raisonnement de Chapelain n'a pas besoin d'etre souligm:e. Notons des<br />

maintenant que Heinsius ne parvint jamais a toucher les sommes qui lui etaient dues. La<br />

promesse de Christine est eelle qui a ete citee supra, lettre XVI, n. 9, p. 174.<br />

4 Cette «Requeste diseourüe •• est une sorte de plaeet ou de memoire que Heinsius lut a<br />

la reine, et dans lequel il faisait valoir ses droits a des marques de reeonnaissanee. On peut<br />

en lire le texte, date d'Upsal, deeembre 1653, dans Burman, t. V, pp. 766-772. L'indignation<br />

de Heinsius, violente et mal contenue, s'y exprime sur le mode oratoire, avec solennite.


238 LETTRE XXXIV<br />

dire qu'il y doit aVOlr maintenant entre les mains de la Reyne deux<br />

livres des Dix dont est compose l' Alaric ou Rome vaincüe de Mr de<br />

Scudery et que chaque semainc de suitte en suitte Sa Mte en recevra un<br />

jusqu'a la fin. Si vous les voyes vous jugcres par vaus mesme du merite<br />

de l'Ouvrage et je me seray inutilement applique a en dirc mon<br />

sentiment a un homme aussy eclaire que vous. Atout evenement<br />

neantmoins vous scaures icy par moy que ce que j'en ay leu m'a<br />

semble digne de la grandeur du Sujet et de la Reyne pour la gloire de<br />

laquelle il a este entrepris; que ny l'Invention ny la disposition ne lui<br />

manquent, et qu'il y a une quantite fort grande de beaux sentimens<br />

et de beaux vers, en sorte que je luy augure un grand Nom et que je<br />

m'en resjouls autant pour l'honneur qu'en recevra la Poesie FranlSoise<br />

que pour celuy qui en reviendra a la Nation Suedoise et a l'admirable<br />

Princesse qui tient et regit si sagement les resnes de ce glorieux Estat 3.<br />

Je m'asseure que Monsieur Chevreau qui connoist la vertu de l' Autheur<br />

et le prix de ces choses sera de mon opinion et vous confirmera dans<br />

celle que vous en aures conceüe sur ma parole 4. Quand j'en auray<br />

acheve la lecture je vous en entretiendray plus amplement et plus<br />

decisivement 5. Les Elzevirs m'ont envoye le G. Hornus de Originibus<br />

Americanis que vous leur avies mis entre les mains pour moy en partant<br />

pour Suede. Vous me manderes s'il vous plaist ce qu'il vous aura<br />

couste et a quij'en dois remettre la somme. Vous scaves que c'est une<br />

condition necessaire. Mandes moy sije vous ay fait present des Oeuvres<br />

3 L'impression du poeme heroique de Scudery, Alaric ou Rome vaincue, publie par Courbe,<br />

etait sur le point d'etre termim!e (acheve d'imprimer du 2 mars; le privilege est du 15<br />

decembre 1653). Searles n° 1691. Le poeme est en dix chants. Les pieces liminaires sont:<br />

une epitre dedicatoire en prose a la reine Christine, tissu d'enflure pretentieuse et de<br />

banale flatterie; une longue preface qui traite du poeme epique en general et d'Alaric en<br />

particulier; deux tables, I'une des descriptions, I'autre des comparaisons. Christine de Suede<br />

est dans ce poeme consideree comme la descendante d'Alaric, roi des Goths (Christine eIlememe,<br />

dit-on, admettait cette filiation). Aussi la reine est-elle invoquee dans un des developpements<br />

qui forment I'exorde; mais le morceau prineipal se trouve au livre X, lorsque<br />

dans la grande tradition virgilienne, une


Monsieur<br />

xxxv<br />

vous aures veu par mes dernieres de quelle sorte j'ay receu toutes celles<br />

que vous m'aves escrittes öO"'t'epov 7tp6't'epov, avec une lenteur et un<br />

desordre notables, mais dont le sentiment est maintenant passe et qui ne<br />

m'ont laisse que lajoye de n'avoir rien perdu de ces precieuses marques<br />

de vostre amitie. Vous aures mis vostre esprit en repos sur l'apprehension<br />

que vous avies que l'Archiatre Mitre n'en eust attrappe quelqu'une<br />

et n'en eust fait matiere de mauvais office contre vous au lieu<br />

ou vous estes 1. Vous aures aussy connu avec quelle indifference j'ay<br />

depuis regarde ceux qu'il m'y peut avoir rendus, et que ma seule<br />

crainte estoit que la chaleur de vostre bienveillance ne vous engageast a<br />

entreprendre de m'en faire faire raison avec quelque peril po ur vos<br />

interests. Je veux croire que vous aures tempere cette ardeur sur ma<br />

priere et qu'il ne se parlera plus de cela, ou qu'il ne s'en parlera plus<br />

que legerement comme d'une chose qui ne me tient plus au creur.<br />

En effet je suis asses satisfait commeje vous l'ay mande par le souvenir<br />

que la Reyne a tesmoigne avoir de mon zele, me comprenant parmy<br />

ceux qu'elle a voulu honnorer de son Portrait. Nous verrollS ce que<br />

Mr Du Piquet aura a nous dire de sa part lorsqu'il sera icy. Comme<br />

ce fut luy qu'Elle chargea de me voir, et qui luy reporta ce qu'Elle<br />

avoit desire de moy il pourra arriver qu'il ait quelque nouvel ordre<br />

a m'apporter d'Elle pour son service ou quelque civilite a me faire<br />

pour le service passe. Quoy qu'il face vous en seres informe avec nostre<br />

confidence ordinaire. Cependant nous l'attendrons de mesme que si<br />

nous ne l'attendions point. Je suis persuade de Monsieur Chevreau<br />

d'une maniere qui ne luy scauroit estre plus avantageuse et outre son<br />

merite je considere encore en luy la capacite qu'a son ame d'une<br />

genereuse et sincere amitie.Juges si le tesmoignage que vous me donnes<br />

de celle qu'il a pour moy m'est doux, et s'il me doit confirmer agre­<br />

[able]ment 2 dans la haute opinion que j'ay de luy. Vous me feres<br />

grace de luy confirmer a luy mesme, et de m'aider a conserver un<br />

tresor qui m'est si precieux. Vous m'aves appris une estrange nouvelle<br />

que celle de la resolution qu'a pris la Reyne de deposer la Couronne<br />

1


LETTRE XXXV 241<br />

qu'elle porte si glorieusement. Il faudra si on le luy permet adjouster<br />

ce grand exemple a ceux des Charlesquints et des Diocletians avec<br />

cette difference pour sa gloire que ces Princes quiterent l'Empire sur<br />

leurs vieux jours, et le premier sur le declin de sa fortune, au lieu que<br />

cette Princesse le quitteroit dans la fleur de sa jeunesse et au milieu<br />

de ses triomphes et de ses prosperites. Je l'admire d'avoir eu une<br />

pensee si haute, mais je n'admireray gueres la Suede si elle en souffre<br />

l'execution etje criray bien haut que sua si bana nassent 3 ils n'auroient<br />

jamais consenty ales perdre 4. Je vous suis fort oblige de la part que<br />

vous me faittes de l'estat ou sont vos affaires en cette Cour et de la<br />

disposition ou est la Reyne de vous payer ce qu'elle vous doit tant<br />

pour les services de Monsf Rutgersius que pour les vostres. Si Elle a a<br />

quitter le royaume il y a apparence qu'elle voudra aquiter ses debtes<br />

auparavant et les vostres plus qu'aucune autre comme debtes privilegiees<br />

5. Jene vous dis rien sur la reception de vos Poesies vous en<br />

ayant esclaircy par mes precedentes. J'essayray de tirer l'Epigramme<br />

que vous desires de M.le Marquis de Montauzier pour vous l'envoyer6•<br />

Pour sa lettre de remerciment vous l'aves sans doute receüe avec les<br />

miennes. J'ay fait rendre en main propre a M. Du Puy les trois que<br />

vous m'avies addressees pour luy et il y a lieu de croire qu'il vous<br />

l'aura tesmoigne luy mesme. J'ay eu par son moyen les vers que vous<br />

aves chantes sur le tombeau de Tromp et les ay fort estimes. Mais<br />

en l'estat ou est la Hollande avec l'Angleterre je m'assure que vous<br />

ne les publieres pas 7. La peur de cette Nation a fort avily la vostre et<br />

3 Virgile, Georg., H, v. 458 (,[ ... ] norinu».<br />

4 Les premiers bruits de l'abdication de Christine remontaient a 1651; Vossius en avait<br />

des cette epoque parle a Menage (lettre de Girault a Heinsius, du 13 novembre 1651,<br />

Leyde, B.P.L. 1923). On peut penser qu'a son tour celui-ci avait transmis l'information a<br />

Chapelain. La reine avait renonce provisoirement a son projet, peut-etre devant les representations<br />

passionnees du senat suedois et aussi des diplomates franc;:ais Chanut et Picques<br />

(P. de Luz, pp. 107-112). Mais l'idee ne l'avait pas quittee, et la mission confidentielle dont<br />

en juin 1653 elle avait charge Bourdelot aupres de Mazarin n'etait pas etrangere a l'intention<br />

qu'elle tenait encore secrete. Des le debut de 1654 sa decision etait irrevocablement<br />

prise, et la nouvelle en etait connue dans toutes les cours d'Europe (ibid., pp. 168 et 177 sqq.).<br />

5 La carriere de Rutgersius, l'onde de Heinsius, s'etait faite en Suede. Ce personnage<br />

avait ete nomme par Gustave-Adolphe historiographe du royaume, et conseiller d'Etat; on<br />

l'avait charge de diverses negociations et ambassades, notamment en Allemagne et dans<br />

son propre pays. Mais il etait mort en 1625. Ainsi cette (,dette Rutgersiane», sur laquelle<br />

Chapelain va revenir dans les lettres suivantes, etait vieille de pres de trente ans. Entre<br />

temps Daniel Heinsius avait lui aussi a diverses repnses fait des demarches, restees inutiles,<br />

pour recuperer les sommes dues a son beau-frere par la cour de Suede. Il semble que Christine<br />

ait souhaite pouvoir donner satisfaction aux redamations financieres de Heinsius; mais<br />

l'etat lamentable de la tresorerie, et peut-etre la mauvaise volonte des tresoriers, rendirent<br />

vaine l'intention de la souveraine. Voir F. F. Blok, pp. 67 et 192-193.<br />

6 Voir supra lettre XXXII, pp. 231-232 et la n. 3.<br />

7 L'amiral Martin Tromp avait ete tue en mer le 10 aout 1653, devant Ter Heide. Le<br />

poeme de cent douze vers que Heinsius consacra a ses manes, Manes Trompiatli, peut se lire


242 LETTRE XXXV<br />

luy a oste en six mois la moitie de sa gloire a Elle qui l'avoit accreüe<br />

au centuple en repoussant la Tirannie Espagnole par l'espace de plus<br />

de soixante ans. On nous avoit dit que Freinsheimius estoit evoque<br />

par la Reyne et qu'il estoit retourne a sa Cour. A ce que je voy l'avis<br />

estoit faux. Mais cela n'importe pourveu qu'il soit vray qu'il ait les<br />

Supplemens des Decades perdues de T. live tous prests. Est ce, ce que<br />

vous m'aves assure par vostre derniere qu'il vous avoit dit a Wormes<br />

lorsque vous retournastes d'Italie. Je vous prie de m'en faire un article<br />

estendu dans vos premieres. J'estime extremement cet homme la et<br />

vous me l'aves fait estimer encore davantage en m'apprenant qu'il<br />

a joint la probite a l'habilete 8. J'ay fait vos baisemains a tous nos<br />

Amis. M. le M[arquis] de Montauzier part pour ses Gouvernemens.<br />

M. Godeau est en Provence. M. Conrart a este a la mort d'une goute<br />

retenue. M. Menage s'en va un grand benefice [sie] 9. M.le C[ardina]l<br />

de Retz est sorty de prison et est mene en Bretagne 10. Tous se portent<br />

bien et vous souhaittent la mesme chose et moy seul plus que tous ensemble<br />

comme estant plus qu'aucun<br />

Monsieur<br />

De Paris ce 2. Avril 1654<br />

Vostre tres humble et tres passionne<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur I Monsieur Heinsius Le Fils I<br />

Gentilhomme Hollandois I A Upsale. Cachets.<br />

aux pp. 63-66 de la Poematum nova editio de 1666. Les pourparlers anglo-hollandais etaient<br />

en cours depuis quelques mois, et allaient aboutir au moment ou Chapelain ecrit cette<br />

lettre: c'est le 6 avril, a Westminster, que la paix mettant fin a la premiere guerre anglaise<br />

fut signee entre Cromwell et les plenipotentiaires des Etats Generaux. Le traite consacrait<br />

la defaite hollandaise. Certes, cette defaite ne fut que provisoire, mais Chapelain ne se<br />

trompe pas lorsqu'il declare, dans la phrase suivante, que le prestige des Pays-Bas en Europe<br />

s'est trouve durant cette periode fort amoindri.<br />

8 Sur Freinshemius, voir supra lettre IV, n.6, p. 138, et lettre XXXII, n.4, P.232.<br />

Freinshemius ne retourna pas en Suede. 11 habitait Worms, d'ou est signe l'avis au lecteur des<br />

Supplementa Liviana (1654). C'est peut-etre lors de son depart de Suede qu'il manifesta cette<br />

probite que loue Heinsius: un peu plus tard, nombreux furent les erudits qui, quittant<br />

hativement une cour que le regne insolent de Bourdelot !eur rendait insupportable, se<br />

payerent eux-memes de leurs services par des procedes plus ou moins licites.<br />

9 L'allusion sera eclairee infra, lettre XXXVIII; voir la n. 4, p. 252.<br />

10 La nouvelle est toute fraiche: c'est le 30 mars que Retz, escorte de quelque six cents<br />

gardes, avait quitte le chateau de Vincennes. 11 fut installe des le lendemain dans la forteresse<br />

de Nantes.


Monsieur<br />

XXXVI<br />

j'ay fait voir a Monsieur le Marquis de Montauzier l'indignation<br />

avec laquelle vous aves appris ou le mauvais soin ou le mauvais<br />

succes du soin des Elzevirs pour l'envoy de vostre [lettre raye; les<br />

quatre mots suivants rajoutes dans l'interligne] Lettre et de vostre Livre<br />

et le ressentiment que vous leur en voulies tesmoigner aussy bien que<br />

l' exeuse que vous vous preparies a luy en faire. 11 a receu le tout avee sa<br />

noblesse d'ame aeeoustumee et quoy qu'il ait eu grand desplaisir de<br />

n'avoir point receu ce beau tesmoignage de vostre amitie, il n'a pas<br />

laisse de s'en tenir autant vostre oblige que si vos ordres avoient este<br />

heureux et que vostre present fust venu jusques a luy. La despesche<br />

que je vous ay envoyee signee de sa main il y a longtemps vous aura<br />

desja persuade de la mesme chose et vous aura eonsole ou de la negligence<br />

ou du malheur de vos libraires. Mais l'Epigramme que je vous<br />

envoye aujourd'huy qui est eelle que vous m'avies si instamment<br />

demandee et qu'enfin j'ay obtenue de luy vous prouvera encore<br />

davantage a quel point vous luy estes eher et eombien vostre merite<br />

et vostre amitie luy sont eonsiderables 1. Si la Response que vous deves<br />

avoir faitte a sa lettre et que j'attens tous les jours tarde eneore une<br />

semaine a venir elle ne le trouvera plus icy. Ses affaires et eelles du<br />

Roy le rappellent dans ses Gouvernemens pour le reste de l'annee.<br />

L' Archiatre est un prodige de fortune et on le peut adjouster a ceux<br />

de Julius Obsequens 2. En effet si le Conte de la Garde ne fust point<br />

tombe ou que la Reyne se fust declaree trois mois plus tost du dessein<br />

de quiter la Couronne, il ne tenoit rien. Son estoille a avance l'un des<br />

aecidens et areeule l'autre pour faire de luy un gallinte filius albte et<br />

une bizarre merveille 3. Nous avons tous deux le creur trop bien plaee<br />

1 Sur la lettre de Montauzier a Heinsius, du 18 fevrier, voir supra lettre XXXIV, P.237<br />

et la n. I; sur son epigramme, lettre XXXII, pp. 231-232 et la n. 3. Lacopiedel'epigramme<br />

est a Leyde (dossier Br F 8, sous le nom de Montauzier).<br />

2 Julius Obsequens (IVe siede) est I'auteur d'un livre Des prodiges, simple compilation<br />

dont la matiere est empruntee a l' Histoire de Tite-Live.<br />

3 GalliTlJEjilius albd1: Juvenal, Sat., XIII, v. 141. - Le comte Magnus de la Gardie (1622-<br />

1686) avait ete parmi les dignitaires du royaume suedois le principal adversaire de Bourdelot.<br />

Si la lutte qu'il engagea pour obtenir de Christine le depart de celui-ci fut finalement<br />

victorieuse, ce fut d'abord au prix des marques de bienveillance follement dispendieuses<br />

dont Christine entoura le depart de son medecin: Magnus de la Gardie etait depuis le 31<br />

decembre 1652 grand tresorier du royaume, et Christine l'obligea avec malignite a verser<br />

a son propre ennemi des sommes exorbitantes. De plus, Magnus ne put lui-meme rentrer


244 LETTRE XXXVI<br />

pour luy envier cette grace du Sort quelquejugement que nous facions<br />

de son merite et nous laissons ces mouvemens bas a ceux qui ne se<br />

scavent pas contenter de leur propre vertu et qui cherchent leur<br />

satisfaction hors d'eux mesmes. La Reyne a fait une action sinon plus<br />

genereuse au moins plus juste en vous gratifiant de ces quatre mille<br />

escus outre les frais de vostre voyage et de cette qualite de Secretaire<br />

Latin. Je vous demande esclaircissement sur deux choses. Ces quatuor<br />

millia nummum sont ils soluta ou solvenda et le Secretariat a t il des appointemens<br />

regles et notables. Car en tout je vas au solide. Il me<br />

semble selon que vous m'en parles qu'il n'y a point a douter que vous<br />

n'ayes accepte cet employ, bien que quelqu'un m'ait dit que la lettre<br />

de Mr Du Puy rende la chose problematique 4. Le desir que j'ay de<br />

vostre entiere satisfaction me fait craindre que l'affaire Rutgersiane<br />

n'aille pas si bien dans la disette de l'Espargne de Suede et dans cet<br />

abandonnement que la Reyne fait du timon. Dans sa retraitte le tout<br />

est si les Etats s'engageront a l'aquiter. En ce cas vous aves asses d'amis<br />

en Suede pour estre compris entre les premiers qui se payeront 5.<br />

Ne gastes rien de vos interests aupres de sa Majeste pour ma consideration<br />

et vous souvenes que je vous ay desja declare quej'y contois les<br />

miens pour rien et que pourveu que mon honneur soit a couvert je<br />

me tiendray fort satisfait d'Elle. übliges moy de dire la mesme chose<br />

a Monsieur Chevreau et de luy tesmoigner en mesme temps combien<br />

sa Morale me plaist et combien je suis sensible aux beaux mouvemens<br />

en faveur aupres de la reine. C'est pour s'etre oppose a l'influence d'autres favoris qu'il<br />

rec;ut l'avis de sa disgrace au debut de decembre ,653. Il etait a la cour de Suede le plus<br />

fidele soutien de la politique franc;aise et du gouvernement de Mazarin (il avait ete avant<br />

la Fronde charge d'une mission diplomatique a Paris qui avait eu beaucoup d'eclat) ; aussi<br />

considera-t-on avec amertume en France que sa chute marquait la fin de la tentative de<br />

rapprochement franco-suedois. - Chapelain n'a sur cette disgrace, comme sur le projet<br />

d'abdication de Christine, que des informations vagues et incompletes, qui ne lui permettent<br />

pas de saisir le veritable rapport qui lie aces evenements le triomphe et le depart de Bourdelot.<br />

4 «La lettre de',: votre lettre a. - Ces quatre mille ecus ne furent pas payes, s'il s'agit,<br />

comme il est probable, de la somme d'«environ dix mille florins') a laquelle fait allusion<br />

F. F. Blok, p. '93. A la fin de fevrier Christine avait fait remettre a Heinsius une reconnaissance<br />

de dette, de ce montant, dont le paiement etait en principe garanti par le sceau royal.<br />

Au meme moment elle lui otfrait le poste de secretaire latin et lui demandait de l'accompagner,<br />

en cette qualite, dans les deplacements qui suivraient son abdication. Heinsius declara<br />

qu'il donnerait sa reponse quand la dette de la reine serait enfin reglee. Il finit pourtant par<br />

accepter le poste, dans les jours de juin qui precederent immediatement le depart de Christine,<br />

quoiqu'il n'eut pas encore touche son du. Mais il venait d'etre pressenti pour occuper<br />

la fonction de resident en Suede des Etats de Hollande: il resta donc a Stockholm et quitta<br />

le service de la reine, sans avoir finalement obtenu d'elle les plus legitimes satisfactions<br />

pecuniaires.<br />

5 Heinsius etait en particulier lie d'amitie avec Johannes Holm, camerier, tresorier<br />

particulier et homme de confiance de Christine (plus tard anobli sous le nom de Leijoncrona)<br />

et avec le vieux chancelier Axel Oxenstiern.


LETTRE XXXVI 245<br />

de son ame. Le retardement du voyage de Monsr Piquet est receu de<br />

moy avec asses de tranquillite et il me sera mesme fort agreable po urveu<br />

que ce soit son avantage. J'ay veu M. Menage pour cet Ovide<br />

corrige par Turnebe sur des Manuscrits Anciens. A la seconde visite<br />

que je luy fis sur cela il me dit qu'il avoit sceu de Monsr Du Puy que<br />

ce Livre estoit entre les mains d'un Anglois avec plusieurs livres a la<br />

main mais qu'il ne le vouloit point communiquer et moins encore<br />

vendre si l'on ne luy achetoit tout ensemble a quoy il ne met pas un<br />

plus petit prix que de deux mille escus. Je ne croy pas que vous les<br />

voulies donner 6. Je vous ay mande la mort de Monsieur de Balzac.<br />

Vous l'aures pleure aussy bien que moy comme d'une perte veritablement<br />

grande, et qui vous estoit commune avec nous. Ne vous mettes<br />

point en peine des relieures de vos Poesies. Nous avons icy de bons<br />

ouvriers pour cela. Je retireray les deux Exemplaires pour Mr de<br />

Grasse et pour Mr Conrart. Ce demier a este a la mort de sa goutte<br />

qui estoit demeuree dans sa teste. Il est maintenant tout guery. Vostre<br />

souvenir l'a fort oblige. Il vous en re nd mille graces. Portes vous bien<br />

et aymes tousjours comme vous faittes<br />

Monsieur<br />

De Paris ce 17 Avril 1654<br />

Vostre tres humble et tres passionne<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Je devois avoir receu la Response de M. Valois a vos lettres etj'avois<br />

promis de la mettre dans mon paquet. I1 faut qu'ill'ait envoyee par<br />

quelque autre voye. La voila presentement qu'on me l'apporte et je<br />

n'ay le temps que de la mettre dans le paquet 7.<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur I Monsieur Heinsius Le Fils I<br />

Gentilhomme Hollandois I A Upsale.<br />

6 Cet


Monsieur<br />

XXXVII<br />

je n'ay point doute que la nouvelle de la mort de Monsieur de Balzac<br />

ne vous touchast, ayant eu pour luy les sentimens d'amitie et d'estime<br />

que je vous ay veus et sachant ceux qu'il a eus pour vous les dernieres<br />

annees de sa vie, dont vous deves estre d'autant plus ass ure qu'aux<br />

tesmoignages publics qu'il vous en a rendus j'y ay joint le mien particulier<br />

qui ne peut estre suspect de desguisement ny de ftaterie. Je n'ay<br />

pas laisse d'avoir la mesme joye en lisant ce que vous m'en escrives<br />

que si j'en eusse eu quelque doute et que les degousts passes entre<br />

Monsieur vostre Pere et le Defunt eussent transmis quelque goute de<br />

leur amertume dans vostre ame et vous eust [sie] rendu moins equitable<br />

pour luy. Cela va bien que sa perte vous ait affiige et que sa<br />

memoire vous soit chere. Ses os en reposeront plus doucement et sa<br />

reputation en sera plus affermie ayant un si grand partisan que vous.<br />

J'ay envoye a Monsr Du Puy vostre lettre etj'espere que nos Responses<br />

iront sous une mesme enveloppe vous attendre ou vous rencontrer<br />

a Leyde suyvant l'addresse que vous m'en donnes 1. Ce n'est pas que<br />

je croye qu'il vous soit facile d'obtenir de la Reyne, qu'on peut maintenant<br />

appeller vostre Maistresse, puisqu'elle vous a donne une charge si<br />

honnorable dans sa Maison, d'obtenir dis je qu'elle vous permette de<br />

faire ce voyage, surtout acette heure qu'elle se retire et qu'elle a<br />

besoin de la conversation de Personnes faittes comme vous 2. Mais si<br />

Elle vous retient vous mettres ordre a vous faire porter les lettres de<br />

vos Amis et vous les avertires de continuer ales envoyer droit en Suede.<br />

Monsieur le Marquis de Montauzier partit il y a quinze jours d'icy<br />

pour ses Gouvernemens. Je luy feray tenir vostre despesche et elle<br />

arrivera au mesme temps que luy a Angoulesme. L'obligation qu'il<br />

vous en aura passera jusqu'a moy estant malaise qu'il ne sache pas<br />

gre a celuy qui aura pris soin de luy faire recevoir une chose si chere.<br />

1 La plupart des lettres de Chapelain partent, acette epoque, dans le meme «paquet.)<br />

que celles deJacques Dupuy. Celui-ci a ecrit a Heinsius le 8 et le I I mai, et ne recrira plus<br />

avant le 3 juillet. La lettre du 11 mai est la reponse a laquelle fait allusion Chapelain.<br />

2 11 s'agit de la charge de secretaire latin. D'apres la presente lettre, que Chapelain adresse<br />

a Leyde, Heinsius pensait aIors rentrer en HoIIande sans deIai. Sans doute comptait-il. soit<br />

regagner definitivement Ie domiciIe famiIiaI, une fois achevee (et retribuee) sa mission<br />

aupres de Christine, soit s'accorder une periode de vacances avant d'accepter le nouveau<br />

poste que lui offrait la reine. Nous avons vu qu'en fin de compte iI ne quitta pas la Suooe.


LETTRE XXXVII 247<br />

Et je l'y croy si engage que pour recompense de ce soin je ne le quitteray<br />

pas a moins qu'a m'en envoyer une copie, car j'ayme trop tout<br />

ce qui vient de vous pour negliger aucune occasion de me donner la joye<br />

de le voir. Laissons 13. le Sr Elzevir, et oublions son manquement ou son<br />

malheur dans l'envoy ou dans la perte de vostre precedente qui<br />

devoit accompagner le Recueil de vos vers, et ne vous plaignes point<br />

qu'il nous l'ait envoye en blanc puisque nous avons des Relieurs icy<br />

mesme a la Hollandoise 3. J'ay fait voir a Monsieur de Scudery le<br />

grand article qui le regarde dans vostre derniere en responce de ce<br />

que je vous avois escrit de luy et de son ouvrage. Il a este ravy des<br />

offices que vous luy promettes et attend de vostre suff rage tout ce<br />

qu'il aura de succes. Il l'a este aussy de la bonne opinion que vous<br />

tesmoignes avoir de luy et le conte pour la meilleure partie de sa<br />

gloire. Je l'ay veu en volonte de vous le dire luy mesme par un mot de<br />

sa main et peut estre le fera t il des cet ordinaire 4. Si celuy cy vous<br />

trouve encore en Suede Monsr Chevreau vous confirmera dans l' estime<br />

que vous faittes de son merite et dans la volonte que vous aves de<br />

l'obliger. Car ils sont Amis et ils s'ayment parce qu'ils se ressemblent en<br />

vertu et en esprit 5. Je vous ay rendu conte de mes diligences aupres<br />

de Monsr Menage touchant l'Ovide pretendu note et corrige sur de<br />

bons Manuscrits par Turnebe. Il m'a encore confirme depuis que la<br />

foy de M. Herauld touchant cela estoit douteuse et que pour avoir<br />

mande tout ce que vous me dittes a Monsr Vossius vous n'y deves pas<br />

faire fondement comme sur une chose vraye et certaine, m'assurant<br />

que c'est l'opinion de Monsr Du Puy avec qui il a traitte de la chose a<br />

fonds et de qui il tient qu'il n'y a pas Heu de s'y arrester 6. Nous at-<br />

3 On appelait en France reliure a la hollandaise la celebre reliure en velin blanc soupie,<br />

particulierement commode pour les petits formats, dont la mode se repandit en Europe au<br />

debut du XVIIe siede: peut-etre a tort, on en attribuait I'invention aux Elzevier. Elle<br />

presentait quelques nouveautes techniques, permettant en particulier une ouverture plus<br />

fadle du volume. Voir R. Devauchelle, La reiiure enFrance [ ... ], t. I, pp. 106-107 et planche.<br />

- Nous avons vu au debut de la lettre precedente que Heinsius rejetait sur son imprimeur<br />

la responsabilite de la perte du volume (Po.mata): ce retard etait d'autant plus regrettable<br />

que c'est a Montauzier qu'etait dedie le recueil.<br />

4 Voir infra le post-scriptum et la n. I I.<br />

5 Voir supra lettre XXXIV, p. 238 et la n. 4.<br />

6 Voir la lettre prececiente, p. 245. Ces deux passages sont edaires par les allusions<br />

concomitantes qu'on peut trouver dans les lettres ecrites par Jacques Dupuy, acette meme<br />

epoque, a Heinsius. L'erudit Didier Herauld etait mort a la fin de 1649, au moment ou allait<br />

paraitre son QUdlstionum quotidianarum tractatus, ouvrage contenant de violentes attaques contre<br />

Saumaise. C' est son fils Isaac qui en assura la publication ( I 650), et qui signa I' Avis au iecteur. Cet<br />

Isaac Herauld devait etre bien connu de Vossius et de Nicolas Heinsius, puisqu'en cette annee<br />

1650 il s'occupait a Paris d'acheter des manuscrits pour la reine de Suede; c'estdu moins une<br />

lettre de Girault qui l'affirme (Leyde, B.P.L. 1923, 14 octobre 1650), ajoutant que l'homme<br />

est (,scavant et de beaucoup de merite». Il y eut donc, au debut de 1654, une lettre envoyee<br />

par Isaac Herauld a Vossius (Vossius est retourne en Suede, ou Christine l'a rappele apres


248 LETTRE XXXVII<br />

tendons avee impatienee eomment se sera passe l'aete d'Abdieation<br />

de sa Mte et en quellieu de la Terre elle establira la demeure de la<br />

plus glorieuse personne qui vive 7. Cependant je vous dois dire que<br />

Mr Bidal en exeeutant ses ordres m'a fait faire par le Sr Bourdon et<br />

de sa main propre le Portrait d'une si grande Prineesse fort ressemblant<br />

eomme Monsr le Baron de Spar m'en aassure, et j'ay presentement<br />

eh es moy ce preeieux gage de sa bienveillanee, duquel je luy rendis<br />

les graees que je luy devois des la semaine passee ineontinent apres<br />

l'avoir reeeu 8. Si vous estes eneore aupres de Sa Mte et que vous<br />

puissies penetrer eomment Elle en a este touehee vous m'obligeres<br />

fort de m'en esclaireir. Je luy a[i] 9 dit un mot en passant des bontes<br />

qu'Elle avoit eu dessein de me tesmoigner d'autre sorte et je luy ay<br />

designe l' Arehiatre eomme eeluy qui I'en avoit depuis destournee.<br />

Cela donnera peut estre jour a vostre amitie et a eelle de Monsieur<br />

Chevreau d'enfoncer davantage la matiere et de resveiller sa generosite<br />

maintenant que la remore n'y est plus 10. Ce n'est pas que j'aye<br />

la mort de Saumaise). Cette lettre signalait l'existence d'un exemplaire d'Ovide, a vendre,<br />

exemplaire «corrige par Tumebe sur des Manuscrits Anciens». Vossius communique aussitöt<br />

le renseignement a Heinsius, et celui-ci demande a ses amis de Paris, c'est-a-dire a Jacques<br />

Dupuy et a Chapelain, de verilier l'assertion d'Isaac Herauld. Jacques Dupuy s'entretient<br />

de la question avec Menage, en presence de Chapelain; puis il fait connaitre a Heinsius son<br />

verdict, qui est negatif (en particuIier lettre du 10 avril et du 3 juillet 1654, Leyde, B.P.L.<br />

1923). Chapelain, lui, dans la presente lettre et dans la precedente, ne donne que I'echo<br />

des conversations qu'il a entendues, et n'a pas d'avis personnel sur la confiance qu'il convient<br />

ou non d'accorder en cette matiere a Isaac Herauld. Dupuy au contraire est formel, et<br />

explique le mecanisme de ce qui ressemble beaucoup a une escroquerie. Illaisse meme entendre<br />

que ce n'est pas la premiere fois qu'Herauld est mele a de teiles affaires. Toutefois<br />

il ne l'accuse pas expressement d'indelicatesse, car ses formules peuvent aussi bien signifier<br />

qu'Herauld lui-meme est la dupe des aigrefins. Ceux-ci seraient des Anglais, qui se disent<br />

possesseurs de livres ou de manuscrits rares; ils ne s'en defont que contrelepaiement comptant<br />

d'une tres forte somme, paiement effectue sans qu'on ait le temps de verifier la valeur<br />

reelle de l'ouvrage. On peut penser que Heinsius se rendit aux condusions de cette enquete<br />

menee par Dupuy, et ne donna pas suite a la proposition d'Isaac Herauld. - Adrien Turnebe<br />

(1512-1565), professeur au College royal, est surtout connu comme helleniste.<br />

7 L'acte d'abdication sera signe le IO juin. Le ceremonie elle-meme, a laquelle assistera<br />

Heinsius, aura lieu le 16.<br />

8 Pierre Bidal (mort en 1683) etait un riche marchand de soieries, domicilie a Paris. La<br />

reine Christine etait sa diente, et il lui foumissait tous les ans des etoffes pour cinquante<br />

mille ecus; l'annee du couronnement, la commande s'e!eva a cent mille ecus. Il devint le<br />

caissier, puis l'homme d'affaires et le correspondant a Paris de la reine de Suede, qui en<br />

1653 le fit baron d'Asfeid ou d'Harzefeid. En 1657, il fut question que Christine fit sejour<br />

dans la maison de campagne qu'il possedait a Vanves. Il fit en 1658 une fantastique banqueroute,<br />

portant sur environ deux millions et demi de livres. Gui Patin, Lettres, ed. Reveille­<br />

Parise, t. 11, pp. 37, 324, 348, 386. Plus tard, la France lui confiera un poste diplomatique<br />

en Suede. - Sebastien Bourdon executa sans doute pour Chapelain une copie du portrait<br />

officiel de la reine qu'il avait peint en Suede. Ce tableau est mentionne dans le testament de<br />

Chapelain et figure dans I'inventaire qui fut dresse apres son deces. - Gustave Sparre est<br />

le ministre de Suede a Paris.<br />

9 Le manuscrit porte a.<br />

10 «La remore»: I'obstade (lat. remora): c'est Bourdelot.


LETTRE XXXVII 249<br />

l'ame interessee, et que je ne eroye avoir de quoy estre satisfait, ayant<br />

eu ee Portrait dont Elle m'a honnore. Mais si elle me faisoit la grace<br />

de me respondre eomme Elle me l'avoit tant fait eserire par Mr<br />

Piquet et par l' Archiatre mesme, ou si Elle passoit a quelque chose<br />

d'utile comme le mesme Mr Piquet et Mr Lager et depuis eux formellement<br />

Monsr Bidal m'ont assure qu'Elle l'avoit absolument<br />

resolu je ne vous dissimuleray pas que je ne le fusse davantage 11.<br />

Il est vray que je ne le serois pas tant que si j'apprenois qu'Elle vous<br />

eust fait faire raison de la dette Rutgersiane comme il me paroist<br />

qu'Elle vous le fait esperer. N'oublies point cet article dans vos lettres<br />

quel que puisse estre l'estat de l'affaire. Monsr Conrart est retombe<br />

de sa goute mais sans danger. Il vous rend mille graces de vos Vers<br />

latins et de vostre souvenir. Nous envoyerons a M. de Grasse son<br />

exemplaire par la premiere eommodite. Tous nos Amis vous rendent<br />

vos baisemains avee usure. Je suis<br />

Monsieur<br />

De Paris ce r 4 May r654<br />

Vostre tres humble et tres passionne<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Vous trouveres une lettre de Monsieur de Seudery avee eelle ey. Il<br />

n'a pas voulu tarder davantage a vous rendre Graees. Si vous luy<br />

11 La lettre XXXV (supra, p. 240) annonc;ait le retour de Du Piquet a Paris. La lettre<br />

XXXVI (p. 245) signalait que ce voyage etait retarde. Du Piquet est maintenant rentre et<br />

Chapelain l'a sans doute vu, car il n'aurait pas manque d'annoncer a son correspondant<br />

la reception d'une lettre, si Du Piquet lui avait communique ses assurances par ecrit. -<br />

«Lagen> est ce petit poete gascon, qui fut l'amant de la comtesse de la Suze et dont a ce titre<br />

parle Tallemant des Reaux, Hercule de Lager ou Lacger, qui signait de l'Age (?-1670).<br />

Moralement responsable du duel OU, le 3 fevrier 1651, fut blesse mortellement le marquis<br />

de Sevigne, il partit peu apres pour la Suede, pour y exercer les fonctions de secretaire des<br />

commandements de Christine, et d'inspecteur de ses galeres. Mais la reine ne lui garda pas<br />

longtemps sa faveur (lettre de Vossius a Heinsius, du 12 decembre 1652, Burman, t. UI, p.<br />

657, citee par F. F. Blok, p. 18g). Il quitta Stockholm en 1652, entre le 24 mai (lettre de<br />

Bourdelot, de cette date, a Saumaise, dans Lemoine et Lichtenberger, Troisfamiliers [ ... ],<br />

p. 273) et le 6 juillet (lettre de Bourdelot, de cette date, a Heinsius, Leyde, B.P.L. 1923).<br />

Christine l'envoyait en !taHe. Il abandonna le service de la souveraine a la fin de l'annee.<br />

Rentre en France, il essaya sans succes de renouer avec les salons parisiens, et se fixa definitivement<br />

a Castres, d'ou il etait originaire (F. Lachevre, dans son ed. des Vers pour Iris d'H. de<br />

Lacger; voir aussi E. Magne, Mme de la Suze ef la societe precieuse, 1 g08, pp. 66-73, et R. Pintard,<br />

Le libertinage [ ... ], p. 389). Chapelain peut fort bien l'avoir rencontre a Paris en 1653,<br />

et l'avoir questionne sur les intentions de Christine a son egard. Peut-etre meme a-t-il vu<br />

ensemble Lacger et Du Piquet, car les deux hommes s'etaient lies d'intime amitie a Stoekholm<br />

(lettre de Bourdelot a Saumaise, dans Lemoine et Lichtenberger, p. 270). - Mais Bidal,<br />

en sa qualite d'homme d'affaires de Christine a Paris, pouvait evidemment fournir a Chapelain<br />

((formellemenv» des assurances plus serieuses et mieux fondees que eelles des deux<br />

seeretaires, dont l'un n'etait plus en fonctions.


250 LETTRE XXXVII<br />

respondes comme je n'en doute point vous n'aures qu'a m'addresser<br />

vostre lettre 12.<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur I Monsieur Heinsius Le Fils I<br />

Gentilhomme Hollandois I A Leyde.<br />

12 Cette lettre de Scudery ne figure pas dans les dossiers de Leyde.


Monsieur<br />

XXXVIII<br />

je continue a vous escrire a Leyde quoyque je recoive tousjours de<br />

vos nouvelles de Stokholm et d'Upsale, et je donne plus en cela a<br />

vos ordres qu'a mon inclination, car voyant peu d'apparence que vos<br />

affaires soient si tost terminees en Suede je croy que mes lettres vous<br />

y rencontreroient encore et que vous les aymeries mieux fraisches en<br />

ce lieu Ia que vieilles en Hollande. Mais il faut que ma prudence cede<br />

a la vostre etj'y trouve matiere de plaisir en songeant qu'il y a quelque<br />

merite a vous sacrifier mes sentimens, quand mesme ils seroient les<br />

meilleurs. Vous aures veu par mes dernieres les diligences que j'ay<br />

faittes pour envoyer vostre despesche a Mr le Marquis de Montauzier<br />

et le succes de mes soins. Depuis je voy que vous aves receu celle dont<br />

j'accompagnois son Epigramme, et que vous aves este touche de la<br />

beau te de l'Ouvrage, et du tendre sentiment qu'il y tesmoigne po ur<br />

vostre vertu 1. J'ay mesme sceu que vous l'en aves remercie par escrit<br />

et que ce remerciment avoit passe par les mains de Mr Menage qui le<br />

luy avoit envoye. Vous pouves croire que j'ay este bien aise qu'il ait<br />

eu cette marque de vostre reconnoissance par les mains de nostre<br />

Amy, mais j'ay admire que ou vous ou la Fortune ayes pris pour cet<br />

office le plus paresseux de tous les Commissionnaires lorsqu'il s'agit du<br />

Sexe masculin, et il m'a semble que cela me regardoit comme le<br />

Correspondant ordinaire 2. Le principal est qu'il s'est bien acquite de<br />

la charge que vous luy avies donnee et qu'il y a huit jours que vostre<br />

lettre a este envoyee a Angoulesme, d'ou il sera aise de la faire tenir<br />

a M. de Montauzier qui par ordre du Roy est alle pourvoir a la<br />

seurete de Brouage, de la Rochelle et des Isles en cas de descente et<br />

d'irruption de la part des Anglois dont les intentions sont encore<br />

ambigues et qui se monstrent plus portes pour les Espagnols que pour<br />

nous 3. Quant a M. Menage de la fortune duquel vous me demandes<br />

1 II a ete question a plusieurs reprises deja de cette epigramme latine. Voir lettre XXXII,<br />

n. 3, P.232. Les compliments ampoules et fades qu'y debite Montauzier a l'adresse de<br />

Heinsius sont totalement insignifiants, et le (,tendre sentiment') dont parle Chapelain ne se<br />

reconnait guere au milieu de ces formules banales.<br />

2 Voir infra, lettre XL, p. 262 et la n. 10.<br />

3 Des pourparlers avaient eu lieu a Stockholm entre la Suede et l'Angleterre d'une part,<br />

entre la Suede et l'Espagne d'autre part. Deux traites de commerce avaient ete signes. Le<br />

bruit courait d'une alliance politique entre ces trois pays, qui serait dirigee contre la France.<br />

Mais a Londres les agents de Mazarin deployaient une intense activite pour eviter cet


252 LETTRE XXXVIII<br />

des nouvellesje vous diray qu'elle est tres bonne et que depuis un mois<br />

illuy est venu un Benefice de trois a quatre mille livres de rente, avec<br />

quoy il est grand Seigneur et en estat de faire rouler le Carrosse. 11 a<br />

mesme accru son vieux bien de mille livres de rente en vendant sa<br />

Terre a M. le Surintendant, et il n'aura gueres moins de huit mille<br />

francs a manger tous les ans 4. M. de Scudery a veu tout ce que vous<br />

me dittes de son Ouvrage, et l'impatience que vous aves de le voir dont<br />

il vous demeure fort oblige. 11 faudra voir ce que la Reyne fera pour<br />

luy, ou ce qu'elle pourra faire, car je crains qu'a l'avenir sa volonte<br />

ne soit plus grande que son pouvoir 5. Je le crains pour vous aussy<br />

bien que pour luy, car po ur moy, en bon ou mauvais estat qu'elle<br />

soit, cela sera egal, et je n'en desire ny attens autre chose. Monsieur<br />

encerclement. Mazarin y etait d'autant plus attentif que Conde avait lui aussi dans cette<br />

ville un representant diplomatique. Cromwell etudiait la possibilite de s'appuyer a la fois<br />

sur les protestants de l'ouest, et sur Conde et ses demiers partisans, pour tenter, avec ses<br />

allies espagnols, un debarquement sur la cöte fran"aise. 11 se convainquit peu a peu du<br />

caractere irrealisable de ce projet, puis, de 1655 a 1657, passa progressivement de I'alliance<br />

espagnole a l'alliance fran"aise (traite du 23 mars 1657). 11 faut noter que Du Daugnon<br />

(ou Du Dognon), gouverneur de Brouage, avait quitte en fevrier 1653 le parti de Conde:<br />

Louis XIV avait achete a prix d'or son ralliement, qui fit grand bruit. Depuis lors les<br />

chances de succes d'une descente anglaise sur les cötes de Brouage ou de La Rochelle etaient<br />

devenues minimes; a la date de la presente lettre, Montauzier pouvait envisager sa täche<br />

sans trop d'inquietude.<br />

4 D'apres le Menagiana (utilise par E. Samfiresco, notamment pp. 11-12) et le Dictionnaire<br />

[ ... ] de Maine-et-Loire de Celestin Port, on peut completer ainsi les informations<br />

donnees par Chapelain: Menage, en qualite d'alne, avait herite de son pere Guillaume la<br />

terre de la Moriniere, d'une valeur de soixante mille livres. lila vendit a Abel Servient, alors<br />

surintendant des Finances avec Fouquet; apres avoir quitte le cardinal de Retz (voir supra,<br />

lettre XV, n. 2, p. 168) Menage en effet s'etaitjoint a la clienteIe de Servient; et Servient fut<br />

marquis de Sable, Sable ou etait ne Guillaume Menage. Le surintendant, en echange de<br />

cette terre, servit a son protege une rente qu'ici Chapelain evalue a mille livres, mais qui<br />

fut de trois mille livres d'apres le Menagiana, tandis que Tallemant des Reaux la dit calcuJee<br />

('au denier dix-huict,) (ed. A. Adam, t. 11, p. 332), ce qui la ferait de trois mille trois cents<br />

livres environ. Quant au (,Benefice de trois a quatre mille livres de rente'), une lettre exactement<br />

contemporaine de Jacques Dupuy (3 juillet 1654; Leyde, B.P.L. 1923) nous aide a<br />

l'identifier. 11 s'agit du prieure de Montdidier en Picardie. Menage I'avait


LETTRE XXXVIII 253<br />

Chevreau m'a fort oblige de luy presenter ma lettre de remerciment<br />

pour son Portrait, etje dirois la mesme chose de son zele dans l'entretien<br />

qu'il a eu avec Sa Mte sur mes interests, si je ne craignois point<br />

qu'elle m'eust considere par la comme interesse, et qu'elle creust que<br />

les genereuses reproches qu'il a eu la hardiesse de luy faire, fussent a<br />

ma priere et par mon inspiration. Quoy qu'il en soit l'intention en est<br />

tres obligeante, et il n'y arien que je ne fisse pour m'en revancher.<br />

Devant que vous recevies cette Response on scaura ce que cette Princesse<br />

sera devenüe, et en quelle partie du monde elle aura porte sa<br />

vertu 6. Pimentel a dit icy en passant qu'Elle estoit tres mal satisfaitte<br />

de I' Archiatre et que le bien qu'Elle luy avoit fait n'estoit que pour<br />

mortifier le Conte de la Garde comme je l'avois tousjours juge 7. S'il<br />

la va trouver a Spa force gens n'iront pas de peur de se contaminer<br />

par une societe si honteuse, et la Reyne y perdra plus qu'Elle n'y<br />

gaignera. Je la defens dans cette Cour par des motifs qui la font loüer<br />

et qui destruisent les sentimens contraires. Je vous les expliqueray un<br />

jour, etje m'assure que vous les trouveres solides 8. Contre les avis du<br />

Marquis Pio touchant le refus des Bulles de l' Abbaie pour le bon<br />

Archiatre nous en avons qui ne disent pas seulement qu'il les aura,<br />

mais de plus qu'il aura le gratis des Bulles. Vous qui aves este a Rome<br />

plus d'une fois scaves ce que veut dire ce jargon 9. Ce que vous aves<br />

escrit icy de luy a plus d'une personne l'acheve de peindre et de deshonnorer.<br />

M. Du Puy a fait voir vos despesches a plusieurs de ses<br />

Contubernaux et quand il s'y rencontre on luy rompt souvent en<br />

6 Volontairement, Christine laissa ignorer a son plus proehe entourage le lieu ou elle<br />

comptait se retirer apres son abdication. Partie d'Upsalle 17 juin, elle emprunta la voie de<br />

terre et traversa le Danemark; elle arriva a Hambourg le 13 juillet. Le bruit courait qu'elle<br />

se rendait a Spa, dans l'eveche de Liege, qui etait terre d'Empire. Mais c'est en pays<br />

espagnol, a Anvers puis a Bruxelles, qu'elle sejournera du 12 aout 1654 au 21 septembre<br />

1655.<br />

7 Don Antonio Pimente! de Prado etait arrive a Stockholm en aout 1652, en qualite de<br />

ministre d'Espagne. 11 avait alors quarante-huit ans. Christine eut pour lui une affection<br />

tres vive, qui lui permit dejouer un röle important a la cour, et de contribuer efficacement<br />

au rapprochement hispano-suedois. Pimente! etait rappe!e a Madrid pour consultation.<br />

11 rejoindra ensuite Christine a Anvers (P. de Luz, passim). L'opinion qui lui est pretee ici<br />

est ce!le qu'exprimait deja Heinsius dans une lettre a Gronovius du 21 decembre 1653 (F. F.<br />

Blok, p. 188). Voir supra, lettre XXXVI, n. 3, P.243.<br />

8 Des la lettre suivante, Chapelain exprimera a l'egard de Christine des sentiments tout<br />

autres et beaucoup moins favorables. Aussi ne reviendra-t-il pas sur l'argumentation a laquelle<br />

il fait ici allusion. 11 n'est donc pas possible de savoir quelle est exactementsa pensee.<br />

9 Le «Marquis PiOD me semble etre le futur cardinal (1654), eveque de Ferrare en 1655,<br />

puis de Sabine en 1663, mort en 1689: Carlo III Pio de Savoie, de l'illustre famille des<br />

princes de Carpi. 11 avaitabandonne en 1650 le metier des armes, ets'etaitrendu a Romeou il<br />

fit carric':re dans l'administration pontificale. Il etait depuis 1652 tresorier general du Saint­<br />

Office. Ce pourrait etre a ce titre qu'il fit connaitre a Paris son avis sur la collation de<br />

I'abbaye de Massay a son nouveau beneficier. Je n'ai pu savoir si en fait Bourde!ot obtint<br />

ou non «ie gratis des Bulles,); il prit possession de son abbaye en 1655.


254 LETTRE XXXVIII<br />

visiere sur sa conduitte en vostre Cour et sur les sujets de la haine<br />

universelle qu'il s'y est attiree. Mais vous connoisses son front d'airain,<br />

et que les opprobres n'incommodent point sa forfanterie. Pique[t] 10<br />

et du Fresne ses Assecles du temps passe ne l'espargnent pas iey plus<br />

que les autres, et s'il dort de bon somme ce n'est pas faute d'estre bien<br />

pinee, et bien secoüe 11. Il ne laisse pas de roder dans la Cour et de<br />

se faire de feste, couehant de sa faveur du Nord pour s'establir en celle<br />

de Franee, et peut estre que sa Charlatanerie y reüssira car les Cours<br />

sont faittes pour les Charlatans 12. D'ou vient que vostre si juste<br />

indignation ne vous a point fait consacrer a l'infamie eternelle cette<br />

sentine de viees et de eorruption. C'est une plus belle matiere de Seazon<br />

que eelle que vostre defunt ennemy vous avoit donnee, et je ne<br />

desespere pas qu'apres l'avoir asses pelaude en prose vous ne luy faeies<br />

souffrir la berne de vos vers 13. Je suis tousjours en peine du sueees de<br />

vos affaires de dela et il me semble qu'il n'est pas de la bonte et de<br />

l'equite de la Reyne de partir du throsne sans les avoir mises a couvert,<br />

car de s'en remettre a son Suecesseur, ne seroit pas une assignation<br />

fort asseuree et je l'estimeray beaueoup s'il paye bien ce qu'il ne doit<br />

pas, apres avoir veu eette Prineesse payer si mal ses propres debtes 14.<br />

10 La fin du mot manque par suite de l'usure marginale du feuillet.<br />

11 Il est difficile de savoir exactement quels rapports eurent l'un avec l'autre Du Piquet,<br />

valet de chambre ou secretaire de la reine, et l'('archiatre') Bourdelot. Rien n'interdit de<br />

penser qu'au debut de son sejour a Stockholm Du Piquet a pu etre Fun des fideles de l'ar·<br />

chiatre (,Assecle'), du latin assecla, acolyte, sectateur). Mais il est certain que ces sentiments se<br />

modifierent. Cette phrase par exemple en temoigne, extraite d'une lettre de Bourdelot a<br />

Saumaise (du 27 juin 1652) reproduite par Lemoine et Lichtenberger, Troisfamiliers [ ... ],<br />

p. 280: (,M. du Piquet estoit entre dans la cabale [de mes ennemis], il s'en est fort repent)").<br />

L'idee d'une vive dispute est clairement suggeree dans tout le passage. D'autre part R.<br />

Pintard, p. 396, cite en note un texte d'ou l'on peut retirer que plus tard Du Piquet accusa<br />

Bourdelot d'avoir ('gaste l'esprit,) de la reine «du cotte de la Morale [et] de la Religiollf). -<br />

Quant a Trichet du Fresne, il semble en effet avoir assiste d'un ceil assez favorable aux<br />

manceuvres et aux entreprises de Bourdelot (R. Pintard, ibid, et P.402). Il avait quitte<br />

Stockholm vers le mois de novembre 1653 (F. F. Blok, pp. 189 et 201).<br />

12 (,Se faire de feste'): s'entremettre indiscretement, a tort et a travers. - (,Couchant de'):<br />

arguant de, tirant pretexte deo - N'oublions pas (peut-etre Chapelain l'ignore-t-il) que<br />

Bourdelot, a son depart de Suede, avait ete charge par Christine d'une mission confidentielle<br />

aupres de Mazarin. Sur le detail de cette mission, voir P. de Luz, pp. 168-169. De ce fait,<br />

Bourdelot dut quelque temps se considerer comme revetu du prestige diplomatique.<br />

13 Allusion au scazon contre Saumaise. Ce n'est qu'('en prose'), c'est-a-dire dans sa correspondance,<br />

que Heinsius donna forme a ses sentiments meprisants a Fegard de Bourdelot. -<br />

Pelauder et berner font image, et suggerent des chatiments physiques, comme plus haut<br />

pincer et secouer.<br />

14 Heinsius n'aura en effet guere de chances de voir ses creances eteintes sous le regne de<br />

Charles-Gustave. Son nom, chose surprenante, ne figurera meme pas sur la liste de ses<br />

serviteurs que Christine laissa au tresorier Holm, et qui enumerait ceux dont les salaires<br />

etaient restes incompletement payes. Pourtant les creances qui remontaient aux services<br />

accomplis par Rutgersius a la cour de Suede etaient bien des creances d'Etat. Quant au<br />

remboursement des sommes dues a l\'icolas Heinsius lui-meme, Christine envisagea d'y<br />

affecter une partie des revenus que lui assurerent, au-dela de son abdication, les terres dont


256 LETTRE XXXVIII<br />

lOuis plus que personne du monde et avec plus de sincerite et de passion<br />

Monsieur<br />

De Paris ce 12. Juillet 1654<br />

Vostre tres humble et tres obeissant<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur I Monsieur Heinsius Le Fils I<br />

Gentilhomme Hollandois I A Leyde. Cachets.


Monsieur<br />

XXXIX<br />

De Paris ce 21. Aoust 1654<br />

pour avoir suyvi vos ordres je ne vous auray pas bien servy et il se<br />

trouvera que quand vous recevres les lettres que je vous ay escrittes<br />

en Hollande ce ne seront plus des lettres mais des histoires du temps<br />

passe 1. Verum levis epistolarum mearum jactura 2, et ce n'est pas<br />

comme des vostres dont il n'y a pas un mot a perdre, et qui feront<br />

unjour la gloire de nostre temps et la diffamation de l' Archiatre. Pour<br />

les miennes pourveu que vous sachies que je les ay escrites, perdues<br />

ou non, elles auront fait leur effect, avec cet avantage pour vous que<br />

vous aures sceu mon devoir et que vous n'aures pas este importune<br />

de mes bagatelles. Je croy par ce que vous me mandes du 18. Juillet<br />

que vous passeres encore l'Este en Suede a la poursuittte de vos<br />

interests que vostre Heroine a si indignement laisses sans y avoir<br />

pourveu.Je vous avoue que cela seul me feroit rabbattre de l'adoration<br />

avec laquelle je l'avois reven!e ne trouvant en ce procede ny justice<br />

ny generosite et tant s'en faut tout Ie contraire, car ce n'estoit pas une<br />

grace que vous luy demandies mais une chose d'obligation. Et qui se<br />

dispense des obligations et se joüe des paroies donnees ne merite rien<br />

moins que le nom de Heros. Ce que cette Princesse a fait depuis son<br />

depart et cette maniere d' errer par le monde dans les circonstances<br />

que nous scavons n'aydent pas a la raccommoder avec moy et a luy<br />

conserver ce titre. J'aurois honte de l'encens que je luy ay donne si sa<br />

divinite pretendue m'eust este connüe de plus pres. Vous me ravisses<br />

de m'apprendre que le Roy son Successeur est un modelle de prudence<br />

et d'equite. Je m'en resjoüis pour l'amour de luy et po ur I'amour de<br />

1 Les deux missives precedentes avaient ete adressees a Leyde. Heinsius a donc, entre<br />

temps, donne contre·ordre a son ami et annonce son intention de rester en Suc':de. On<br />

comprend fort bien ses raisons. D'une part il n'avait pas encore abdique tout espoir de voir<br />

retribuer le travail qu'il avait accompli pour Christine, et il accumulait, a Stockholm, les<br />

demarches necessaires (voir quelques lignes plus bas). D'autre part les pourparlers pour la<br />

nomination de resident en Suede des Etats de Hollande etaient suffisamment avances pour<br />

que l'issue favorable n'en fit desormais plus de doute. Rien donc pour l'instant ne rendait<br />

necessaire le voyage a Leyde, ou l'etat de sante de Daniel Heinsius restait stationnaire. Voir<br />

F. F. Blok, pp. 194-195.<br />

2 Peut-etre d'apres Virgile, En., 11, v. 646; voir l'emploi de facilis jactura, supra, lettre<br />

XVI, p. 172.


258 LETTRE XXXIX<br />

vous, car j'espere qu'il reparera le defaut de vostre debitrice et qu'il<br />

se fera l'honneur qu'elle ne s'est pas fait 3. Cela est beau a luy d'appuyer<br />

sa vertu du conseil de ce Sage Cyneas dont le grand Gustave<br />

avoit fait l'arbitre de ses entreprises. 11 verra par la suite l'avantage<br />

qui luy en arrivera.Je suis du moins asseure que par son avis il ne sera<br />

pas Espagnol et que les anciens Amis luy seront preferables aux autres.<br />

J'ay eu une grande joye de scavoir que ce grand Personnage estoit<br />

vostre Protecteur aupres du Prince et je n'en puis que bien augurer<br />

po ur vous 4.Je souhaitterois que Monsieur Chevreau l'eust aussy pour<br />

Amy et qu'illuy vist rendre effectifpar son authorite ce que la Reyne<br />

ne luy a donne qu'en paroles. C'est un creur noble et tout confit en<br />

vertu, qui l'a glorieusement servie et qu'elle ne devoit pas laisser en<br />

blanc non plus que vous 5. Je suis fort oblige a Monsieur le Conte de<br />

Tott et a luy des instances qu'ils ont faittes aupres d'Elle pour luy<br />

faire tenir la promesse qu'Elle leur avoit faitte de m'escrire. Mais<br />

si vous voules que je vous parle franchement, une lettre sollicitee et<br />

extorquee ne m'auroit point pleu, et comme ma petite reputation n'a<br />

pas eu besoin jusqu'icy de cet ornement, je m'en passeray fort bien<br />

encore et ne m'en croiray pas plus deshonnore pour n'avoir pas eu<br />

d'Elle une faveur mendiee, et profanee en plus d'une maniere par le<br />

choix qu'Elle a fait de certaines gens pour les en gratifier. Je ne me<br />

suis pas mis d'a cette heure au dessus de ses lettres et de ses bienfaits<br />

et je la quitte de tout sans la moindre peine du monde. Je n'ay point<br />

fait de bassesse aupres d'Elle. J'en ay este recherche. J'y ay respondu<br />

comme je devois. Elle n'en a pas use de mesme. Je n'ay rien a me<br />

reprocher, etj'ay trop de creur et trop peu de besoin pour m'abbaisser<br />

a luy faire des reproches.Je ne souhaitterois qu'une chose d'Elle qu'Elle<br />

3 Ce passage annonce le developpement indigne qu'on va lire une vingtaine de lignes<br />

plus bas. Cette leure exprime le complet revirement de Chapelain dans ses sentiments a<br />

l'egard de Christine; voir I'Introduction, p. 107. Nous savons deja que Charles-Gustave ne<br />

paiera nullement a Heinsius les sommes dont Christine s'etait rendue debitrice.<br />

4 Le nom de Cyneas, le celebre ministre de Pyrrhus, designe ici Axel Oxenstiern. Cet<br />

homme d'Etat (1583-1654), chancelier du royaume de Suede des 1609, sous le regne de<br />

Charles IX, fut l'excellent conseiller de Gustave-Adolphe (


Monsieur<br />

XL<br />

je respons a vos deux dernieres lettres surtout a vostre derniere du<br />

19. Aoust, ou vous degages la parole de la precedente 1 en m'informant<br />

pleinement de l'estat de vostre esprit et de vos affaires et de la maniere<br />

indigne avec laquelle vous aves este traitte apres tant de si nobles<br />

penibles et utiles services. Je vous ay desja fait voir, avant cette instruction<br />

combienj'estois offense d'un procede si terrible. Maintenant<br />

mon ressentiment a passe jusqu'a l'indignation avec un degoust de<br />

moy mesme d'avoir encense une Idole si vaine et si peu digne de nostre<br />

adoration. En effect cela excede toute creance. Toute la Morale y est<br />

violee, et on diroit a voir des choses si estranges que le siecle des<br />

Proeustes et des Busires soit revenu tant la Nature y souffre, et si<br />

monstrueuse est la Metamorphose dont vous m'aves fait le portrait 2.<br />

Mais, Monsieur, mettons nous au dessus de la eolere qu'elle merite<br />

et laissons la Personne changee a ses Furies qui vous vengera [sie]<br />

bientost de tout le tort qu'Elle vous a fait. J'aurois volontiers veu la<br />

lettre que vous luy aves escrite. Monsieur Chevreau me manda il y a<br />

quelques jours qu'elle estoit vehemente sans perdre le respect, et je<br />

l'engageay la semaine passee a vous prier de m'en envoyer la eopie 3.<br />

Je vous en prie encore si c' est chose que vous puissies et vous le pouves<br />

parce qu'il n'y a point de fidelite a l'espreuve eomme la mienne et<br />

que je ne suis sans discretion 4. J'en auray autant que vous l'ordonnes<br />

1 Degager sa parole signifie: tenir parole, respecter sa promesse.<br />

2 Allusion aux deux fameux brigands mythologiques, dont le premier fut tue par Thesee,<br />

et le seeond (Busiris, roi d'Egypte) par Hereule. Tout le passage est d'ailleurs traite dans le<br />

style de la Fable (


LETTRE XL 261<br />

pour vostre derniere qui ne sera veüe de qui que ce soit sans nulle<br />

exception, afin qu'il ne vous puisse arriver aucun mal non pas mesme<br />

d'apprehension par la lecture que j'en aurois faitte. Ce n'est pas,<br />

Monsieur, que du coste du Sicophante vous ayes rien a craindre, sa<br />

malignite desormais descouverte l'ayant ruine du coste ou vous<br />

douties qu'il vous nuisist, et tout ce qu'il a essaye et tente pour avoir<br />

permission d'aller trouver cette Personne n'ayant produit qu'un refus<br />

obstine au mesme instant que ses ennemis declares estoient mandes<br />

par elle, et s'establissoient sur ses ruines 5. Il est vray qu'il n'en dort<br />

pas moins profondement et qu'il n'en fait pas moins bonne chere par<br />

l'endurcissement de son creur et le calus qu'il a fait aux sentimens de<br />

la vertu et de l'honneur 6 Exul ab octava Medicus bibit et fruitur Dis<br />

iratis 7. Il a escroque au Roy le benefice en rendant la Reyne mendiante,<br />

et cela luy suffit car son argent et son Abbaie sont ses vertus et<br />

il n'est pas resolu d'en acquerir d'autres qui l'embarrasseroient. Nostre<br />

Cour d'ailleurs qui voit la Reyne dans les interests d'Espagne, et qui<br />

trouve sa liberalite si mal employee de toutes parts, ne le peut plus<br />

regarder qu'avec desdain comme un fourbe qui l'a duppee, tant s'en<br />

faut qu'elle soit capable de le jamais considerer 8. Il n'a qu'a se bien<br />

5 La colere de Chapelain est simplificatrice. Il est exact qu'a la date de la presente lettre<br />

Bourdelot a perdu l'exceptionnelle confiance que lui temoignait Christine. Mais cette<br />

desaffection n'a rien de nouveau; elle etait deja assez nette a la fin de l'annee precedente pour<br />

que Chanut, faisant confiance aux informations que lui foumissait Du Fresne, ecrivit a la<br />

date du 11 decembre 1653: (,Le sieur Bourdelot est maintenant en tres grand mepris et<br />

aversion a la reine de Suede» (lettre au cardinal Mazarin, citee par A. P. Faugere en appendice<br />

a son ed. du Journal d'un voyage a Paris en r657-r658 des freres de Villers, p. 492). Et<br />

en cet automne 1654, les sentiments que nourrit a l'egard du medecin sa royale patiente<br />

semblent apaises, en tout cas empreints de moins d'animosite que ne l'affirme Chapelain;<br />

Bourdelot obtint sans doute la ('permission» demandee, puisqu'en fin de compte il alla en<br />

Flandre et passa quelque temps aupres de Christine. Notons encore que deux ans plus tard,<br />

en 1656, il accompagnera l'ex-souveraine de Lyon aJoigny (ou l'arreta un accident) dans<br />

le voyage qui mena celle-ci de Marseille a Paris. Il n'y eut donc pas, a proprement parler,<br />

rupture. Mais l'indignation de Chapelain reflete plutöt l'evolution generale qui s'est produite<br />

dans les cercles des lettres et des erudits: de partout, durant cette periode, se dc!chaine<br />

contre Bourdelot un concert d'imprecations, ou la jalousie se dissimule plus ou moins<br />

adroitement derriere des affirmations de mepris ou de haine.<br />

6 Calus, callus ou callum: cal, d'ou: rudesse, insensibilite; comprendre: l'insensibilite qu'il<br />

s'est donnee relativement aux sentiments, etc.<br />

7 D'apresJuvenal, Sat., I, vv. 49-50. Medicus (l'archiatre Bourdelot) remplace ici Marius,<br />

qui figure dans le texte original. Marius Priscus, proconsul de la provinee d' Mrique en<br />

98-g9 apres Jesus-Christ, avait ete, l'annee suivante, condamne au bannissement par le<br />

Senat pour son administration eupide et ses exaetions; mais il put emporter dans son exil<br />

les tresors qu'il s'etait eonstitues, et les depensa en particulier a l'entretien d'une table<br />

luxueuse. Le rapprochement suggere par Chapelain est d'une assez vive portee satirique.<br />

B La construetion est peu claire: (


262 LETTRE XL<br />

tenir, et il se doit assurer que s'il estoit aussy aise et aussy honneste<br />

d'oster les graces que de les faire, il seroit acette heure aussy nu et<br />

aussy gueux qu'il l'estoit en partant d'icy. Conclusion cet Ardelion<br />

ne vous peut plus nuire, et vous pouves vous abandonner a la Satyre<br />

et aux Scazons contre luy sans apprehender qu'il vous en mesarrive 9.<br />

Mais pour laisser la cette Cloaque, il n'importoit a qui vous addressassies<br />

vos lettres pour Monsr de Montauzier pourveu que ce fust a un de<br />

vos communs Amis et M. Menage est de ce rang 10. Je luy feray scavoir<br />

combien vous vous estes resjouy de sa bonne fortune. 11 est tousjours a<br />

vous, negligent mais sincere. Je souhaiterois fort que ce qui vous<br />

retient en Suede fust termine a vostre contentement. Mais cette maladie<br />

du Chan[celi]er et cette absence de son Fils m'empeschent d'esperer<br />

que ce soit si tost. 11 J'attens avec joye la publication de vostre<br />

Ovide quand il devroit paroistre cette fois cy sans vos Notes, car y<br />

mettant vos Corrections et restitutions il ne peut qu'il ne vous face<br />

grand honneur 12. Tous nos Amis seront informes de vostre souvenir.<br />

Portes vous bien et aymes tousjours<br />

Monsieur Vostre tres humble et tres passionne<br />

Serviteur<br />

Chapelain<br />

de Mazarin. Ce qui est important ici c'est que Chapelain, pour noircir l'ex-archiatre (qu'il<br />

appelle maintenant le «Sicophante»), n'hesite pas a porter contre lui une accusation d'ordre<br />

politique, en l'identifiant implicitement aux ennemis, espagnols ou pro-espagnols, de la<br />

cour de France.<br />

9 L'emploi adverbial du mot conclusion est familier, mais n'est pas exceptionnel a l'epoque<br />

classique. - Ardelion: «Homme qui fait l'empresse et se mele de tout. Inusite,) (Littre). Lat.<br />

ardelio. - Le conseil passionne et peu prudent de Chapelain ne sera heureusement pas suivi<br />

par Heinsius.<br />

10 Dans le passage qu'on a lu supra, lettre XXXVIII, p. 25I, Chapelain reprochait a<br />

Heinsius en termes empreints d'amertume, ou meme d'aigreur, d'avoir confie a Menage,<br />

plutöt qu'a lui-meme, une lettre adressee en dernier ressort a Montauzier. Chapelain<br />

ecrivait: «11 m'a semble que cela me regardoit comme Je Correspondant ordinaire,). C'est<br />

aux excuses OU aux explications que lui a fait parvenir Heinsius a ce sujet qu'il repond<br />

maintenant par une protestation d'indifference, qui dissimule mal un mouvement de vanite.<br />

11 La maladie avait deja emporte la chancelier Axel Oxenstiern (mort le 28 aout, ou le<br />

6 septembre, selon les sources). C'est du plus jeune de ses fils, Erik, qu'il s'agit ici. Erik<br />

Oxenstiern (I624-I656) etait alors vice-chancelier, et succeda a son pere dans la fonction<br />

de chancelier du royaume de Suede.<br />

12 Cette seconde edition d'Ovide paraltra en trois volumes, dates de I658, I659 et I66I,<br />

sur les presses elzeviriennes d'Amsterdam (Willems n° I27I). D'apres F. F. Blok (p. I92),<br />

Heinsius venait d'achever (en aout I654) la redaction du premier volume. Mais par la suite<br />

il se verra oblige de ralentir considerablement le rythme de son travail; aussi ne sera-teil plus<br />

question ici d'une proehe publication avant la lettre (infra, p. 335) du 20 janvier I656. Le<br />

format de cette edition (pet. in- I 2) ne sera guere plus imposant que celui de la precedente<br />

(I652, in-24), mais cette fois Heinsius pourra y faire figurer de tres abondantes notes critiques:<br />

elles couvriront en tout plus de quatorze cents pages, contre moins de onze cents<br />

pour le texte.


LETTRE XL 263<br />

Autographe. La date manque, peut-etre faute de place aux dernieres lignes 13.<br />

Adresse au verso: A Monsieur I Monsieur Heinsius I A la Cour de Suede.<br />

Cachets.<br />

13 On peut suppIeer sans risque d'erreur importante la date approximative du 25 septembre<br />

1654. Voir lettre suivante, ll. I.


Monsieur<br />

XLI<br />

je vous eserivis amplement il y a quinzejoUfs en response de vostre lettre<br />

du I9. Aoust et si vous aves reeeu la mienne vous n'y trouveres rien a desirer<br />

sinon un stile plus agreable et plus semblable au vostre, ear POUf les<br />

ehoses vous y aures veu toute 1'exaetitude et toute la sineerite que vous<br />

merites. J'eusse bien souhaitte vous pouvoir eonsoler des lors de la Response<br />

de Monsr Du Puy S. Sauveur, mais ou ses embarras ou sa paresse ne<br />

permirent pas qu'il m' en donnast le moyen et il ne me l' envoya que queIques<br />

jours apres. Elle sera avee eeIle ey, et s'il veut estre plus diligent<br />

qu'a l'ordinaire, elle sera aeeompagnee de sa Response a vostre derniere<br />

de I' I I Sept. qu'il eut des hier par mes soins avec un billet qui<br />

le sollicitoit de la faire po ur ce voyage 1. Dimanehe partira eeIle que<br />

vous aves eserite a M. de Montauzier qui la reeevra sans doute<br />

avee beaucoup de joye veu la passion qu'il a pour vous. Je vous assure<br />

eneore une fois que la preeedente ou vous vous expeetories sur le<br />

traittement que vous aves receu n'a este veue ny ne le sera de qui que<br />

ce soit sans exeeption. Je prieray Mons. de Montauzier qu'il ne eommunique<br />

apersonne eeIle que vous luy escrives paree qu'elle n'est<br />

gueres moins libre que l'autre et que vos sentimens n'y sont que trop<br />

expliques. Eneore que je ne voye pas queI mal vous peut arriver<br />

du coste de cette Reyne en l'estat ou elle s'est mise et aussy haIe<br />

qu'elle doit estre maintenant en un pals qu'elle a aussy mal traitte<br />

que vous 2. On n'oüit jamais parler de chose semblable, et on diroit<br />

1 Le dossier de Leyde (B.P.L. 1923) eontient deux lettres de Jaeques Dupuy a Heinsius<br />

datees du ler et du 9 oetobre 1654. Ce sont sans aucun doute celles dont pade ici Chapelain<br />

(la precedente est du 14 aout, la suivante du 3 deeembre). En consequence la presente<br />

lettre, dont Chapelain a ornis de mentionner la date, a tres probablement ete ecrite elle<br />

aussi le 9 octobre, comme la «Response» de Dupuy. Ce qui donne pour la precedente (lil y a<br />

quinze jours») la date approximative du 25 septembre, qui cOlncide avec les «quelques<br />

jours» d'anteriorite par rapport a la premiere lettre de Dupuy. - Ajoutons qu'il figure dans<br />

le meme dossier de Leyde UD premier etat de la lettre de Heinsius a laquelle repond iei<br />

Chapelain. Les premieres lignes en sont eerites avec soin, puis, Heinsius ayant renonce a<br />

expedier tel quelle feuiIlet a son correspondant, la lettre est devenue un brouiIlon hätif, a<br />

l'ecriture iIIisible; le papier est froisse, partiellement deehire; aueune date n'est indiquee:<br />

c'est I'annonce dans les premieres lignes de la mort du chancelier Axel Oxenstiem qui<br />

permet de dater le document de la mi-septembre environ.<br />

2 Voir la n. 8 de la lettre precedente, p. 261. De meme que, dans le passage auquel<br />

s'applique eette note, Bourdelot etait plus ou moins clairement presente comme un tenant<br />

du parti espagnol, de meme iei Chapelain semble etablir une sorte d'equivalence entre les<br />

situations de ces deux victimes de la reine de Suede que sont la France d'une part, Heinsius<br />

d'autre part. Et cette equivalence de situations suggerant communaute d'interets, les lettres


LETTRE XLI 265<br />

qu'elle a despoüi11e l'humanite. Tout se prepare dans sa Cour<br />

pour le voyage d'ltalie et l'on essayera de couvrir tant de desordres<br />

par une abjuration. Naples dit on ou Caprees seront la fin de<br />

la peregrination, et les delices de cette contree justifiront pleinement<br />

les motifs de la conversion 3. Que le grand Gustave aura de douleur<br />

la haut ou la bas apprenant que Christine passe sa vie ou les deux<br />

celebres Jeannes sont mortes, et que la Maison d'Autriche se venge<br />

de luy sur elle en effeminant ce beau sang qui l'avoit mise si bas 4.<br />

Vous n'en aures pas un moindre depit vous qui aves veu ces lieux<br />

pour son service, et vous seres honteux pour elle de voir qu'elle s'est<br />

volontairement sousmise a un Roy que son Pe re avoit eu dessein de<br />

rendre son tributaire et qu'elle ait voulu aller precairement habiter un<br />

Pais qu'elle ne devoitjamais voir que conquis par ses armes 5. Je vous<br />

suis fort oblige d'avoir laisse les lettres que vous escrivies a nos Amis<br />

ouvertes et autant que les affaires le pourront permettre je vous<br />

prie d'en user tousjours ainsy. Je n'ay pu encore donner a M. Colletet<br />

celle qui estoit pour luy dans vostre paquet precedent, les vendanges<br />

l'ayant attire a la campagne, et vous scaves qu'il est amy de la vendange.<br />

Je le feray aussytost qu'il se pourra seurement 6. Pour l'Ovide<br />

de M. Sarrazin je ne scay ce que nous en devons esperer. 11 manda a<br />

de Heinsius ne sauraient trouver en France, affirme Chapelain, que des lecteurs loyaux et<br />

discrets.<br />

3 La reine ne quittera Bruxelles que le 22 septembre 1655; mais c'est des le 24 decembre<br />

1654, lendemain de son arrivee dans cette ville, qu'elle a fait sa premiere profession de foi<br />

catholique; la ceremonie fut tenue secrete. On sait qu'elle choisit finalement Rome, non<br />

Naples ni Capri, pour lieu de sa residence en Italie. Quant aux (cmotifs de la conversion.),<br />

il va de soi qu'ils ne se laissent nullement enfermer dans les arguments d'une pesante ironie<br />

qu'allegue ici Chapelain.<br />

4 Jeanne Iere (1326-1382) etJeanne 11 (1371-1435), de la maison d'Anjou, regnerent<br />

toutes deux sur Naples. - Gustave-Adolphe fut tue le 16 novembre 1632 a la bataille de<br />

Lutzen, a la fin de sa campagne victorieuse contre l'Empire catholique des Habsbourg.<br />

5 C'est au printemps et au debut de l'ete de 1647 que Heinsius sejourna a Naples.<br />

Chapelain fait erreur: son ami acette date n'etait pas encore au service de Christine; et<br />

lorsqu'il retourna en Italie comme bibliothecaire de la reine, il n'alla pas plus loin que<br />

Rome. - A I'epoque de Chapelain, le royaume de Naples est depuis 1621 entre les mains<br />

de Philippe IV de Habsbourg (1605-1665), archiduc d'Autriche. Ce roi avait ete le «tributaire.)<br />

de I'adversaire de Gustave-Adolphe, I'empereur Ferdinand 11, mort en 1637. -<br />

(,Precairement.): au benefice d'une tolerance, d'une autorisation toujours revocable; le<br />

terme exprime fortement ici l'idee d'un abandon de souverainete politique.<br />

6 Guillaume Colletet (1598-1659) s'etait fait, avec la publication du Trebuschement de<br />

l'yvrongne (1627), une reputation de poete bachique, qu'il continuait de soutenir gaillardement.<br />

C'est a Gentilly qu'il avait sa maison de campagne, et c'est la tres probablement que<br />

le retiennent les vendanges. Sur ses relations avec Nicolas Heinsius, voir I'article cite supra,<br />

lettre 111, n. I, p. 132. Cet article reproduit (p. 35) le texte integral de la lettre de Heinsius<br />

a laquelle il est ici fait allusion, tel que Colletet le publia en tete des Amours de Claudine,<br />

dans ses Poisies diverses de 1656. Huit lignes, que Heinsius consacre a la fin de cette lettre a<br />

deplorer la mort de Naude, seront reprises dans le Naudtei tumulus rassemble par le P. Jacob<br />

en 1659. La lettre de Heinsius est datee de Stockholm, 30 aout 1654.


LETTRE XLI 267<br />

plains vous encore davantage de la perte que vous aves faitte en luy.<br />

Mais ma peine s'adoucit un peu par l'esperance que vous aves en son<br />

Fils qui estant destine son Successeur en sa charge sera d'asses grande<br />

consideration pour faire valoir en vostre faveur l'amitie qu'il a pour<br />

vous 11. Monsieur Chevreau par sa derniere offrit a M. Du Puy de<br />

le servir pour l'achapt des livres du Nort et M. Du Puy l'accepta<br />

avec beaucoup de ressentiment de sa courtoisie mais il souhaitta<br />

avant que d'en user d'avoir un Memoire de ceux qui sont les plus<br />

estimes et les plus nouveaux surtout ceux d'histoire. J'en escrivis dans<br />

ce sens a nostre Amy. Je vous prie de l'ayder de vos lumieres en ces<br />

matieres et de me mander ce que c'est que cette Historia Suecica et ce<br />

Traitte de Re navali veterum et si ce sont choses exquises 12. Aymes<br />

moy tousjours et me croyes tousjours tout a vous.<br />

C.<br />

Autographe. Faute de place aux dernieres lignes, la formule de politesse est<br />

simplifiee, et La signature abregte. La date manque 13. Adresse au verso: A Monsieur<br />

I Monsieur Heinsius I A Stokholm.<br />

tere ouvert et agreable. Son regne fut des le debut belliqueux, mais c'est vers la Pologne,<br />

non vers l'Empire autrichien, qu'il dirigea d'abord ses armees.<br />

11 A vrai dire, si le vieux chancelier Axel Oxenstiern avait en effet temoigne de l'amitie<br />

a Heinsius, il n'en avait pas eu pour autant le pouvoir de faire regler convenablement la<br />

situation financiere de son protege. Son fils et successeur Erik fut a son tour detourne de<br />

cette tache par de plus urgentes preoccupations.<br />

12 Il s'agit, d'une part, de l'ouvrage repute ReTurn Suecicarurn histoTia (Stockholm, 1654)<br />

du Suedois Johannes Loccenius (1598-1677), professeur a Upsal depuis 1627, juriste,<br />

historiographe de la reine Christine depuis 1648; et d'autre part, du traite De rnilitia navali<br />

veteTurn, que venait de publier a Upsal, OU Christine lui avait fait donner une chaire en 1648,<br />

l'erudit d'origine strasbourgoise J ean Scheffer (1621-1679), specialiste de diverses techniques<br />

de l'antiquite classique, en meme temps qu'historien de la societe suedoise de son temps.<br />

13 On peut suppleer ja date approximative du 9 octobre 1654. Voir la n. I, p. 264.


LETTRE XLII 269<br />

qu'il a de s'en plaindre 6. Nous verrons bientost ce que cette Mte<br />

deviendra, car Pimentel doit estre maintenant aupres d'Elle et selon<br />

l'opinion commune illa doit conduire en Italie par l'Allemagne ou<br />

elle fera abjuration entre les mains du Pape, quoyqu'elle s'en defende<br />

fort non par zele pour la Religion qu'elle a professee jusqu'icy mais<br />

pour ne paroistre pas inconstante 7. Et vous scaves si la constance est<br />

une de ses vertus. D'autres pretendent que ce point de la Religion n'est<br />

pas une chose qui l'inquiete, et qu'elle est persuadee que les am es ne<br />

sont pas plus immortelles que les corps, de quoy ils disent qu'elle<br />

ne se cache pas. Je ne scay pas quel est l'estat de son ccxur, mais<br />

en toutes ehoses sa reputation est bien flestrie 8. Je me suis soigneusement<br />

enquis de la Biblioteque de feu M. Naude etj'ay trouve<br />

que M. le C[ardina]l Mazarin l'a achetee de ses heritiers dix mille<br />

eseus contant po ur commencer a repeupler la sienne, leur ayant<br />

d'ailleurs conserve le benefice que S. Emce luy avoit autresfois donne 9.<br />

La Reyne de Suede avoit engage sa parole de luy renvoyer les MS.<br />

que ses Agens acheterent pour elle durant nos tumultes, quand nos<br />

6 Voir supra lettre XL, n. 4, p. 260.<br />

7 Sur PimenteI, voir supra, lettre XXXVIII, n. 7, p. 253. Reaccredite comme ambassadeur<br />

d'Espagne aupres de Christine apres I'abdication, il ('est arrive a Anvers dans les<br />

premiers jours de decembre,) (P. de Luz, p. 201). II accompagnera la souveraine dans le<br />

voyage qui, de septembre a decembre 1655, la menera en Italie par Innsbrück (ou aura<br />

lieu, le 3 novembre, I'abjuration solennelle) et le col du Brenner.<br />

S On peut lire dans R. Pintard, Le libertinage [ ... ], pp. 397-398, une serie de temoignages<br />

precis qui concordent exactement avec l'information transmise ici par Chapelain. Au terme<br />

de l'enquete menee par R. Pintard, il ne fait aucun doute qu'on doive compter Christine<br />

parmi les adeptes determines du (,libertinage erudit,).<br />

9 Naude etait mort le 29 juillet 1653 a son retour de Suede. Sa bibliotheque fut rachetee<br />

aux heritiers par Mazarin. Gui Patin parle de cet achat, et, a la difference de Chapelain,<br />

enonce le chiffre de dix mille francs (lettre du ler mai 1654, ed. ReveilIe-Parise, t. III, p.<br />

30), chiffre qui a ete repris depuis par tous les commentateurs. Des deux epistoliers, comment<br />

savoir lequel a raison? On notera que la lettre de Chapelain est de plus de six mois posterieure<br />

a celle de Gui Patin, qui (wien[t] d'apprendre,) I'evenement. Mais on se rappellera<br />

que Gui Patin ne saurait perdre une seule occasion de dire du mal de Mazarin; or, apres avoir<br />

rapporte le montant de la transaction, il ajoute: (,[la bibliotheque] valoit deux fois plus, et<br />

il y avoit quantite de livres qui ne se sauroient plus trouven); ce qui revient a aecuser Mazarin<br />

d'avoir par ladrerie trompe et vole les heritiers de Naude. Quelques annees plus töt,<br />

eelui-ci avait lui-meme aehete une partie des livres de la bibliotheque de Mazarin, notamment<br />

tous les ouvrages de medeeine, pour les sau ver de la dispersion ordonnee par le Parlement<br />

en 1651. Ces livres revenaient done au sein de leur colleetion primitive (J. V. Riee,<br />

Gabriel Naude, p. 35)' N aude avait pour heritiers des freres et des seeurs. II est difficile d'identifier<br />

le (,benefice') auquel Chapelain fait allusion. Mazarin n'avait jamais dote son bibliothecaire<br />

qu'avec parcimonie; il (


270 LETTRE XLII<br />

Frondeurs mirent ce merveilleux amas a l'encan 10. C'est sous couleur<br />

de renvoyer ces MS. a S. Emce que Du Fresne fit ces ballots qui ont<br />

enleve a la Suede tout ce que la despoüille de l'Allemagne luy avoit<br />

apporte de riche et de curieux 11. Cependant ils sont encore a venir<br />

et l'on croit icy que c'est autant de perdu 12. Enfin vous pouves mander<br />

a vostre Amy qu'il n'y arien a faire de ce coste 1ft, et que la Biblioteque<br />

a un Maistre qui est plustost en estat d'acheter que de vendre.Je vous<br />

diray par occasion que M. Moreau Medecin de Paris fait la Vie du<br />

Deffunt, je ne scay pas en quelle langue 13. J'attens impatiemment la<br />

10 Le Parlement ayant ordonne en 1651 la vente de la bibliotheque de Mazarin, Christine<br />

avait tente d'acquerir dans son ensemble cette magnifique collection, qui comptait environ<br />

quarante mille volumes (Lettres de Gui Patin, t. III, p. 2). Obligee d'y renoncer, elle avait<br />

tout de meme pu acheter, avec un nombre non negligeable d'imprimes, la quasi-totalite<br />

des manuscrits. Quand Mazarin eut repris le pouvoir, Christine, comme la plupart des<br />

autres acquereurs, lui restitua livres et manuscrits. A. Franklin, Histoire de la Bibliotheque<br />

Mazarine, pp. 99-101.<br />

11 Du Fresne, nous le savons deja, avait quitte Stockholm vers le mois de novembre<br />

1653. Nous trouvons sur son voyage de retour des indications assez precises dans la depeche<br />

que l'ambassadeur Chanut envoya de La Haye au cardinal Mazarin le 1 1 decembre suivant<br />

(ce texte figure en appendice de l'ed. Faugere du Journal d'un voyage a Paris en 1657-1658, pp.<br />

489-492). Nous y apprenons que dans le vaisseau qui ramenait Du Fresne en France avait<br />

ete entassee une pn:cieuse cargaison de livres, manuscrits et objets d'art appartenant a<br />

Christine. Le vaisseau fut malmene par la tempete et Du Fresne, epuise, se fit porter sur la<br />

c6te neerlandaise; il passa voir Chanut a La Haye et lui rendit compte de samission. Dans<br />

son vaisseau se trouvaient d'abord les manuscrits de la bibliotheque de Mazarin, restitues et<br />

renvoyes par Christine; puis (


LETTRE XLII 271<br />

nouvelle du retour de M. Oxenstern a Stokholm, parce que j'en<br />

espere le bon succes de vostre affaire et je vous prie de ne me laisser<br />

rien ignorer de ce qui la concernera 14. Vous aves eu raison d'escrire<br />

franchement a M. le M. de Montauzier sur le sujet dont vous me<br />

parles. 11 est naturellement discret et vous ayme asses pour se commander<br />

en cette rencontre, quand il ne le seroit pas. C'est une chose<br />

merveilleuse que luy et Guyet ont este les premiers qui l'ont descouverte<br />

pour ce qu'elle estoit, ou qui ont devine ce qu'elle seroit cette Personne<br />

d'une reputation si grande, et l'un et l'autre s'en sont expliques<br />

il y a plus de trois ans peu a son avantage lorsque nous re nd ions<br />

de si grands combats pour elle, lesquels maintenant nous sont reproches<br />

avec beaucoup de justice 15. Dn embarras qui est survenu au<br />

premier dans son Gouv[ernemenJt l'a empesche de repliquer sur vostre<br />

Response, laquelle je luy fis tenir aussytost que je l'eus receüe. M.<br />

Menage a leu dans vostre lettre la joye que vous aves de sa bonne<br />

fortune et de la continuation de son amitie. 11 vous en rend mille<br />

graces passionnees et quoyque lentulus a vous escrire ou plustost<br />

a ne vous escrire point il n'en est pas moins vostre amy et vostre<br />

admirateur. 11 commence a imprimer Son Commentaire Italien sur<br />

l' Aminte du Tasse qui sera remply d'une grande erudition. Ce sera un<br />

livre a vous envoyer avec les autres 16. 11 n'a point eu de nouvelles<br />

du Sr Sarrazin depuis ce qu'illuy mandoit de ce MS. Ovidien, et nous<br />

craignons tous deux que ce ne soit une Chimere. Je vous ay escrit<br />

par mes precedentes quel fondement il y avoit a faire sur une humeur<br />

comme la sienne. J'ay voulu aussy scavoir de M. Du Puy quand et par<br />

quelle voye il vous envoyeroit les livres qu'il avoit prests pour vous<br />

afin d'y joindre ceux que je vous destine. 11 a respondu que vous en<br />

lations avec son brillant disciple jusqu'a la mort de celui-ci (R. Pintard, passim). Sa biographie<br />

de Naude ne verra pas le jour. Gui Patin semble deja s'en douter lorsqu'i! ecrit, le<br />

8octobre 1655 (t. I, p. 216): (,M. Moreau n'a pas acheve la vie de notre bon ami feu M.<br />

Naude; il y a travaille quelquefois, dum lieet per otium et valetudinem. Il est fort employe et a fort<br />

peu de loisir, [etc.]» Toutefois on peut lire de Moreau un texte qui atteste la realite du projet : ce<br />

sont trois pages de prose latine, retra


272 LETTRE XLII<br />

ayant desja envoye dont vous n'avies pas eu contentement il ne vous<br />

en envoyeroit plus que par vostre ordre et qu'il attendroit de vo:;<br />

nouvelles po ur cela. Je suis marry de ce retardement 17. Mais vous<br />

pourres faire par vos Amis de Hollande aupres des Marchands qui<br />

viennent en France debiter leurs Impressions qu'ils se chargent de<br />

ceux que nous avons pour vous en s'en retournant. Ils ne tiendront<br />

jamais arien. Petit n'a plus de commerce en Hollande et ceux qui en<br />

ont ne sont pas de nostre connoissance 18. Croyes bien qu'en cela et en<br />

toute autre chose vous m' esprouveres tousjours ardent soigneux et<br />

punctüel, car il n'y arien que vous ne merities<br />

Monsieur de<br />

De Paris ce 10. Nov. r654.<br />

Vostre tres humble et tres passionne<br />

serviteur<br />

C.<br />

Autographe. Faute de place a la derniere ligne, la signature est abregee. Adresse<br />

au verso: A Monsieur / Monsieur Heinsius Gentilhomme / Hollandois /<br />

A Stokholm. Cachets.<br />

17 Remarquons iei, malgre le mot «marry'), la traee d'un sentiment de satisfaetion egoiste:<br />

Chapelain, semble-t-il, ne serait pas meeontent qu'un ineident eomme celui-h'l, si minuseule<br />

mt-il, jetät une ombre sur le commerce epistolaire etabli entre Dupuy et Heinsius. Par<br />

eontre-coup, ses propres relations avec Heinsius devraient, espere-t-il plus ou moins consciemment,<br />

en revetir une importanee ou un lustre supplementaire.<br />

18 (,Petit,) est le libraire-editeur Pierre Le Petit, ne vers 1617, mort en 1686, qui fut le<br />

gendre et le suceesseur de Camusat; il eut le titre d'imprimeur du roi en 1647. Voir G.<br />

Lepreux, Gallia Typographica, Serie parisienne, t. I, 1 lore partie, pp. 326-336. C'est momentanement<br />

qu'il interrompit ses relations commereiales avee la Hollande, puisque nous Je trouverons<br />

designe aux lettres LXIX et LXXI, infra, pp. 386 et 396 (eette derniere fois sous le<br />

nom exact de Le Petit), comme Je ('correspondant') de I'imprimeur de LeydeJean Elzevier.<br />

II n'est guere possible de savoir avec precision quels sont les libraires parisiens qui eonservent,<br />

a la date de Ja presente lettre, des relations regulieres avec Ja Hollande. Bien entendu c'est<br />

la guerre, sur la frontiere entre Franee et Flandre espagnole, qui interdit le maintien des<br />

liaisons commerciales normales.


Monsieur<br />

XLIII<br />

je ne puis que juger du long temps que la Response de Monsieur de<br />

Scudery a este sur les chemins, et je suis mortifie de la pensee que<br />

vous pouves avoir eüe que je n'en eusse pas pris le soin que je devois,<br />

quoyque je l'y aye apporte tout entier et aussy grand que pour les<br />

miennes propres. Le principal est qu'enfin vous l'aves receue et<br />

qu'elle vous a espargne la peine de luy faire une seconde Response.<br />

Je luy ay monstre l'inquietude que vous en avies dans la derniere de<br />

vos lettres et il vous en demeure infiniment oblige 1. Mais, Monsieur,<br />

que vous m'aves donne une grande nouvelle, de cette Charge de<br />

Resident de Messieurs Les Estats aupres du Roy de Suede qui vous<br />

a este deferee en vostre absence et avec tant d'honneur pour vous 2.<br />

Voila un beau champ ouvert a vostre vertu et a vostre capacite et je vous<br />

en augure de grandes choses a l'avenir non seulement pour la reputation<br />

mais encore pour la fortune 3. Comme vous vous aquiteres excellemment<br />

de cet employ il ne faut pas douter que d'autres plus<br />

releves encore ne vous attendent dans vostre propre Patrie qui ne<br />

vous seront pas moins utiles qu'honnorables, et par le chemin que<br />

vous prenes il n'y arien de si grand ches vous a quoy vostre merite ne<br />

vous puisse porter. Je le desire de tout mon creur et je ne le croy<br />

pas moins que je le desire. Monsieur Vossius que nous avons icy<br />

pour quelques jours m'a asseure que les Patentes de cette Charge<br />

vous avoient este envoyees et nous nous en sommes resjoüis ensemble.<br />

Il me paroist fort de vos Amis, et je luy ay fort dit qu'il ne<br />

perdoit pas son affection en vous aymant et que par toutes vos<br />

lettres je voyois des vestiges de vostre amitie pour luy 4. On ne scait<br />

1 RappeIons qu'il ne subsiste aucune lettre de Scudery dans les dossiers de Leyde.<br />

2 Au printemps 1654, le resident Van Beuningen avait demande aux Etats son rappel<br />

de Suede. Avant de quitter Stockholm, il avait propose a Nicolas Heinsius de lui succeder<br />

dans son poste. Celui-ci avait retarde sa reponse jusqu'au depart de Christine: ce n'est<br />

qu'apres avoir dument constate la carence de tout paiement que, degage par Ia meme de<br />

ses devoirs envers la reine, et d'ailleurs presse de trouver de nouvelles ressources financieres,<br />

il accepta la flatteuse proposition et se mua ainsi en diplomate; la nomination fut officielle<br />

le 7 octobre; Heinsius n'abandonnait nullement pour autant ses travaux litteraires. Voir<br />

Burman, De vita Nie. Heinsii eommentarius, p. 36, et F. F. Blok, pp. 194-195.<br />

3 Le mot «fortune» designe ici la richesse, les biens materiels; il est a rapprocher du mot<br />

«utiles», quelques lignes plus bas, qui se rapporte a la meme notion. Le traitement du nouveau<br />

resident etait fixe a quatre mille florins par an.<br />

4 L'amitie qui liait l'un a l'autre Nicolas Heinsius et Isaac Vossius remontait a leur


274 LETTRE XLIII<br />

point ce qu'il est venu faire icy pour la Reyne de Suede, et la discretion<br />

ne m'a pas permis de l'en enquerir. Dieu vueille qu'il ne s'en separe<br />

pas aussy mal traitte que vous 5. Cette Princesse verra par<br />

le choix qu'on a fait de vous pour les grandes affaires combien elle<br />

vous occupoit bassement lorsque Sa Mte vous avoit dans ses interests<br />

et si elle a quelque reste de pudeur elle ne pensera jamais a vous sans<br />

des re mors capables de vous venger de son injustice et de sa mesconnoissance.<br />

J'approuve fort que vous prenies conge d'Elle par escrit et<br />

que vous la remercies de la sorte que vous le proposes de graces ingrates<br />

pour tant de services si penibles et si ruineux que vous luy aves rendus.<br />

Vous me promettes une Copie de la lettre etje le ressens commeje dois.<br />

Mais pourquoy non de l'autre que vous luy aves escrite presque sur<br />

le mesme sujet. Car Monsieur Chevreau m'a mande qu'elle estoit digne<br />

de vous et d'Elle et je n'en doute aucunement. 11 est malaise qu'elle<br />

se soit perdue dans vostre cassette. Si vous refueilletes bien vos<br />

papiers elle se retrouvera sans faute 6. M. Vossius m'a dit qu'il<br />

voyoit jour a vous faire payer ce que la Reyne vous doit de vos<br />

appointemens et de vos voyages, sed non ego credulus illi 7. Com-<br />

adolescence. Isaac etait de deux ans l'aine de Nicolas. Mais c'est surtout la situation similaire<br />

des deux hommes aupres de Christine qui resserra leurs liens; lorsque leurs chemins<br />

se separerent, leur amitie ne resista pas aux contrastes que presentaient leurs caracteres.<br />

F. F. Blok, pp. 29-32.<br />

5 Vossius, rentre en gräce aupres de Christine, avait repris la direction de sa bibliotheque.<br />

11 etait a Anvers depuis le 18 aout. Christine le chargea de venir a Paris reprendre possession<br />

des livres et objets woles,) (F. F. Blok, p. 206) par Du Fresne, ou simplement entreposes par<br />

lui: car si l'on suit, non la troisieme, mais la premiere des interpretations proposees dans la<br />

note lIde la lettre precedente, on ne peut s'etonner que les precieuses marchandises<br />

envoyees au Havre par la reine fussent maintenant a Paris, OU Du Fresne n'avait pu que<br />

les conduire (avec les manuscrits de Mazarin, et d'autres objets parmi lesque!s une statue<br />

donnee par Christine a Servient), et les garder en attendant que Christine eut fixe provisoirement<br />

ou definitivement le lieu de sa residence. Quoi qu'il en soit, sa mission remplie,<br />

Vossius fit entreposer les caisses chez Bidal, l'homme d'affaires de Christine a Paris. F. F.<br />

Blok, ibid.<br />

6 Sur ces deux lettres de Heinsius a Christine, dont la seconde seule parvint a sa destinataire,<br />

voir supra lettre XL, note 4, p. 260. On peut se demander pourquoi Chape!ain les dit:<br />

(,presque sur le mesme sujet'): leur difference reside en ceci que la premiere n'etait guere qu'une<br />

violente reclamation au sujet de sommes non payees par Christine, tandis que la seconde,<br />

emanant du diplomate qui vient de prendre ses fonetions, etait aussi, au moins dans son<br />

principe, une lettre officielle de demission.<br />

7 Virgile, Buc., IX, v. 34: ('sed non ego credulus illis.,) - Vossius pensait obtenir de Christine<br />

qu'elle payat sa dette, non certes en argent liquide dont elle etait fort depourvue, mais<br />

en livres et en manuscrits (ou ('en effets, comme tableaux et autres nippes'): voir lettre suivante,<br />

p. 279). C'est d'ailleurs un reglement de cette sorte, mais partie!, qui intervint l'annee<br />

suivante: par I'intermediaire de son ami, Heinsius re


LETTRE XLIII 275<br />

me Je plaignois vostre malheur il m'a dit que vous aVles eu des ennemis<br />

aupres d'Elle et qui seroit ce que l' Archiatre? Il vous aura<br />

donne avis de tout. Je vous ay mande que le Fourbe s'estoit relegue<br />

dans son Abbaie desespere de pouvoir estre admis a 1'avenir aupres<br />

de la Reyne, laquelle M. Vossius m'a dit qui le traittoit de<br />

Vendeur de Mithridat, et qui tesmoignoit ne l'avoir jamais considere<br />

que comme un homme qui la faisoit rire. Quelqu'un adjousta<br />

que parlant de luy elle disoit que c'estoit proprement ce qu'on<br />

appelle Scurra 8. Il a pourtant donne cinquante pistoles a un nomme<br />

Du Monceaux son Couteau pendant pour aller a Anvers et essayer de<br />

la reschauffer sur sa Forfanterie. Il y est alle en effect mais on ass ure<br />

qu'il n'y avance gueres 9. Le Panegyrique de Girolamo Grazeani<br />

dont vous me parles a este imprime icy par mes soins a la priere de<br />

l'Autheur qui m'en a fait un remerciment d'importance. Cantaverit<br />

et ille gratis comme vous le dittes tres galamment 10. Je l'ay envoye<br />

a cette Mte en cette forme, mais Du Fresne qui est de retour d'aupres<br />

d'Elle 11 m'a dit qu'Elle l'avoit desja receu Manuscrit par le Conte<br />

8 On donnait alors le nom de mithridat ou mithridate au fameux antidote qu'avait invente<br />

le roi de Pont, et qui etait eompose de substanees veneneuses. Un «vendeur de mithridat.><br />

est done un eharlatan; l'epithete est d'autant plus injurieuse qu'elle s'applique, en la<br />

personne de Bourdelot, a un medeein. - Scurra designe, en latin classique, un bouffon, un<br />

parasite.<br />

9 (,Couteau pendant, homme qui en aeeompagne toujours un autre.> (Littre). - Richau.ffer,<br />

ranimer le zeIe. - Je n'ai pu etablir l'identite du personnage nomme iei par Chapelain. Il<br />

avait evidemment fait le voyage de Suede avee Bourdelot, et etait eonnu de Christine.<br />

C'est lui, me semble-t-il, dont le nom, deforme en M. de Mursault, apparait a de nombreuses<br />

reprises dans les Lettres de Bourdelot a Saumaise publiees a I'appendiee I (pp. 267-282)<br />

de I'etude de Lemoine et Liehtenberger: beaueoup des noms propres reproduits dans eet<br />

appendiee par les editeurs sont deformes a la suite de grossieres fautes de leeture. C'est<br />

sans doute lui eneore que nomme Chapelain dans sa lettre du IO juillet 1661 (Tamizey, t.<br />

11, p. 139)' Son nom doit-il etre orthographie Du Mouleeau, Du Monteeau, De Moneeaux?<br />

Ces formes sont frequemment interehangeables: e'est le eas en partieulier pour Je nom d'un<br />

eorrespondant bien eonnu de Mme de Sevigne, president de la Chambre des Comptes de<br />

Montpellier. Un Du Moulceau, que connait Chapelain, est gentilhomme ordinaire du<br />

prinee de Conty (Tamizey, t. 11, p. 28); e'est une maison avee laquelle Bourdelot ades<br />

attaehes preeises: s'agirait-il encore du meme personnage?<br />

10 La Calisto, panegirico del sig. Girolamo Graziani, segretario di stato dei Sereniss. Sign. Duca di<br />

Modana, alle glorie della Maesta di Cristina, regina di Suezia: tel est le titre de I'exemplaire que<br />

j'ai eonsulte, publie a Florenee en 1654; aucune indieation ne signale le role joue par<br />

Chapelain dans I'impression. Mais le eatalogue Searles mentionne, sous le n° 1847: La<br />

Calisto, Panigyrique en vers pour la Reyne de SuMe. Parigi, I654. Il Y eut done, semble-t-il, deux<br />

editions a peu pres simultanees. Le renseignement foumi iei par Chapelain se trouve du<br />

reste confirme par une lettre posterieure, adressee a Graziani lui-meme (18 fevrier 1660:<br />

Tamizey, t. 11, p. 441; voir les notes). Cette lettre et quelques autres reeueillies dans le<br />

meme volume nous montrent que Graziani (1604-1675) fut plus heureux aupres de Louis<br />

XIV, qui le pensionna, qu'aupres de Christine. Il s'aequitta de son devoir de reeonnaissanee<br />

en dediant un dernier panegyrique au roi en 1673. 11 avait chante aussi le eardinal Mazarin<br />

(1656). Ces vers officieIs et pompeux ne forment d'ailleurs que le deehet d'une reuvre dont<br />

l'ensemble est digne d'interer.<br />

11 Du Fresne etait parti de Paris le 24 aout, adestination d' Anvers (Iettre de Gassendi a<br />

Christine, du 23 aout 1654, Opera omnia, t. VI, pp. 329-330).


LETTRE XLIII 27<br />

s' accroissent ainsy de jour en jour dans vostre Maison, et vostre merite<br />

commun trouvera parmy les vostres sa juste recompense. Il ne vous<br />

en scauroit jamais tant arriver que vous en souhaitte<br />

Monsieur<br />

De Paris ce 24. Nov. 1654<br />

Vostre tres humble et tres passionne<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur / Monsieur Heinsius Gentilhomme<br />

/ Hollandois / A Stokholm. Cackets.


Monsieur<br />

XLIV<br />

vous aures veu par ma derniere Lettre de la semaine passee avec<br />

combien de joye j'avois appris la nouvelle que vous m'avies donnee<br />

de vostre promotion a la Charge de Resident de Mrs les Estats en<br />

Suede. J'en pensois faire icy un secret selon vos ordres, mais je trouvay<br />

d'abord la chose divulguee par plusieurs Hollandois qui en avoient<br />

eu avis, et j'eus le plaisir de la voir generalement approuvee.<br />

Cela me la fit debiter de mon coste en pleine Assemblee eh es Mons.<br />

le Chancelier ou mes soins et vos escrits vous font tousjours des serviteurs<br />

et des admirateurs 1. Vous m'aves fort oblige de m'envoyer la<br />

lettre pour Monsr Du Puy ouverte, et je ne l'ay leüe qu'avec une<br />

particulierc satisfaction. Je la luy fis porter incontinent apres et le<br />

conviay a faire passer sa Response par mes mains. Si elle vient elle<br />

ira avec celle cy 2. Pour nostre commerce soyes certain qu'il ne<br />

manquera jamais par mon coste et l'obligation que vous m'en aures<br />

sera mediocre. Car si mes despesches vous apportent quelque sorte de<br />

consolation et de divertissement dans les chagrins que vostre presente<br />

vie vous cause, les vostres me touchent tellement et ce caractere de<br />

purete, d'eloquence, de bonnes mreurs dont elles brillent partout, fait<br />

si veritablement un des principaux contentemens de ma vie que si<br />

quelque malheur venoit a rompre la douceur de nostre communication,<br />

vous n'y scauries tant perdre que je n'y perdisse au centuple, et<br />

si vous avies sujet de vous en plaindre j' en aurois un tres grand de me<br />

desesperer. Continues donc, Monsieur, a m'escrire et vous ass eures de<br />

ma correspondance jusqu'au tombeau. Je vous ay desja mande que<br />

nous aurions peine a obtenir de Monsieur Chevreau que nous le<br />

deschargeassions du fardeau qu'il s'est impose si genereusement de<br />

l'envoy et de la reception de nos paquets. Par le dernier ordinaire il<br />

me demande tres instamment qu'il n'y ait rien de change en cela et je<br />

1 Il s'agit de l'Academie; le Chancelier Pierre Seguier etait, depuis la mort de Richelieu.<br />

le second «proteeteur» de I'illustre assemblee. Les seanees se tenaient dans son hotel, le<br />

lundi et le jeudi. generalement en sa presence. Cet hotel, auquel on donna plus tard le<br />

nom d'«hotel des Fermes», et qui subsiste eneore partiellement, est sis entre la rue du Bouloi<br />

et l'actuelle rueJ.-J. Rousseau. Le domicile de Chapelain (voir infra lettre LVII, n. 9, D.<br />

334) n'en etait eloigne que de six eents met res environ.<br />

2 Cette reponse de Dupuy est a Leyde (B.P.L. 1923); elle porte, eomme la presente<br />

lettre de Chapelain, la date du 3 deeembre 1654.


LETTRE XLIV 279<br />

vous confesse que je ne me suis pu defendre davantage de sa courtoisie.<br />

Vous seres bien persuasif si vous luy faittes changer de resolution.<br />

J'attens avec impatience la copie de la Lettre que vous aves escrite<br />

a la Reyne en vous detachant de son service par l'occasion de vostre<br />

Residence. Je serois bien aise d'avoir la precedente aussy dont monsieur<br />

Chevreau m'avoit tant dit de bien. Le voyage qu'a fait icy<br />

Monsr Vossius m'a donne le bien de sa connoissance. Je l'ay trouve<br />

un fort honneste homme, et en luy tesmoignant que j'avois veu<br />

tousjours remarque [sie] en vous beaucoup d'amitie pour luy, il m'a<br />

de son coste paru fort de vos Amis, et nous avons eu de grands entretiens<br />

sur vos interests, desquels luy parlant avec chaleur il m'a<br />

dit que vous avies eu des Ennemis aupres de la Reyne mais qu'il<br />

esperoit vous faire au moins satisfaire de vos appointemens et de<br />

vos avances, et qu'il ne se passeroit pas trois mois que cela ne fust,<br />

ou que luy mesme ne le seroit pas de ce qui luy est deu de la mesme<br />

sorte. II m'a dit a la verite que ce ne seroit pas en argent mais en<br />

effets, comme tableaux et autres nippes dont il seroit aise de se desfaire<br />

avantageusement. Je l'ay exhorte de tout mon pouvoir a le<br />

faire, et je ne doute point qu'il ne le face au ta nt qu'il dependra de<br />

luy. Au reste luy voyant faire grande emplette de livres pour luy, je<br />

l'ay prie de trouver bon que je misse dans sa balle cinq ou six volumes<br />

que je vous destine il y a si longtemps sans avoir pu encore rencontrer<br />

de seure voye pour les envoyer en Hollande ches vous. II me l'a<br />

accorde de fort bonne grace, et je luy porteray le paquet dans deux<br />

ou trois jours. Vous donneres ordre s'il vous plaist a Messieurs vos<br />

Proches d'avoir soin de le retirer lorsque la balle de Monsieur Vossius<br />

sera arrivee ches luy. Nous verrons ce que c'est que de cette histoire<br />

de Suede de Loeccenius et du livre de Re Navali Antiquorum de<br />

Schefferus et vous en rendrons conte lorsque vous nous aures fait la<br />

grace de nous les envoyer, et je veux esperer que nous les trouverons<br />

bons puisque vous les juges dignes de la peine que vous en voules<br />

prendre. Vous n'oublires pas s'il vous plaist de nous en mander le<br />

prix et a qui ille faudra remettre, car vous scaves bien que c'est une<br />

condition que celle la sine qua non, comme disent nos barbares 3.<br />

II n'y a point encore icy de cette Premiere Partie des Supplemens de<br />

Tite live, par Freinsheimius. J'en ay fait grand bruit et grande feste,<br />

et ils sont fort desires icy 4. Je vous supplie de me faire tousjours un<br />

3 On sait que cette expression n'appartient pas au latin classique.<br />

4 Tous ces (larticleSl) ont deja ete traites dans les lettres precedentes. On se reportera aux<br />

notes pour leur explication.


280 LETTRE XLIV<br />

Article de l'estat de vos affaires et du succes de vos negotiations,<br />

c'est a dire ce qui s'en pourra mander, car je ne le desire que pour<br />

prendre tousjours part en tout ce qui vous touche et pour l'amour<br />

de vous seulement. Croyes aussy que vos meilleures lettres seront<br />

les plus longues. Vous voyes comme j'en use et que le plaisir que<br />

je prens a vous parler me fait mesme hazarder de vous ennuyer et de<br />

vous desplaire par ma pesanteur et par ma grossierete. J uges ce<br />

que vous deves faire la dessus estant aussy agreable que vous estes.<br />

Je vous ay garde po ur la bonne bouche ce que j'avois a vous dire<br />

de Mons.le Marquis de Montauzier. 11 est tousjours pour vous comme<br />

vous le pouves souhaitter. Vous le connoistn!s mieux par les termes<br />

de sa derniere lettre du 23. Nov. dernier. 11 m'y parle ainsy<br />

de vous. L'Epistre latine qu'il m'a escrite est selon l'ordinaire de<br />

son Autheur, c'est a dire dictee agreablement et aimablement.<br />

Faittes moy je vous supplie la grace de luy faire scavoir quand vous<br />

luy escrires que j'ay tousjours pour luy la plus grande estime et la<br />

plus grande amitie qu'on puisse avoir po ur un homme d'aussy grand<br />

merite et d'aussy grande bonte qu'il est. 11 vous auroit respondu a<br />

celle que je luy envoyay de vostre part il y a quelque temps si elle<br />

n'eust pas este une response et que les embarras qui luy surviennent<br />

tous les jours dans ses Gouvernemens ne l'en eussent empesche 5.<br />

Je suis de tout mon creur et sans reserve<br />

Monsieur<br />

De Paris ce 3. Decemb. r654.<br />

Vostre tres humble et tres passionne<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Dans l'entretien que j'ay eu avec M. Vossius sur son attachement<br />

a la Reyne il m'a dit qu'elle luy devoit encore huit mille escus et<br />

qu'il esperoit en estre paye sur les hardes qu'elle avoit ou en France<br />

ou en Flandres 6. Qu'il souhaitte la vie tranquille mais qu'ayant<br />

5 La demiere lettre que Heinsius avait re


LETTRE XLIV 281<br />

promis a la Reyne de la suyvre et d'aller ou elle luy commandera<br />

il pourra aller a Constantinople pour luy recouvrer des Statues et des<br />

MS. Grecs et Arabes 7.<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur / Monsieur Heinsius / A<br />

Stokholm. Gachets.<br />

les attendre, il se proeurait ainsi eommodement les garanties qui s'offraient a lui. Mais<br />

e'est de Vossius qu'emane eette aeeusation (Burman, t. III, pp. 682-683, eite par F. F.<br />

Blok, p. 206): d'apres le temoignage de Chapelain qu'on lira infra (Iettre LV, P.324),<br />

Bidal la rejetait eategoriquement.<br />

7 Vossius n'ira pas a Constantinople, Christine n'Hant plus guere en situation de lui<br />

faire faire ce voyage. Il eonvient de rapproeher eette affirmation de eelle que Vossius enonc;:ait<br />

deja quelque deux ans auparavant, et qui a ete rapportee supra, lettre XVI, n. 6, p. 173.


LETTRE XLV 283<br />

11 seroit fascheux pour la Suede qu'elle se fust attire de si considerabIes<br />

ennemis. Ille seroit aussy pour la Hollande qui n'a pas besoin<br />

cl'une nouvelle guerre contre un si puissant Estat n'estant qu'a peine<br />

sortie de celle que l' Angleterre luy a faitte avec tant d'injustice et de<br />

bonheur 5. Les uns et les autres sont prudens, et feront toutes choses<br />

plustost que d'en venir a se broüiller. J'ay impatience que cela soit,<br />

afin de vous voir installe et que vostre vertu ait le champ ouvert pour<br />

s'y rendre remarquable aussy bien dans les affaires que dans les lettres.<br />

J'approuve fort que vous ne vous expectories envers la Reyne de<br />

Suede que vous n'ayes commence a estre l'homme de la Republique.<br />

Vous le feres alors avec bien plus de dignite et de seurete et ce que vous<br />

luy dires aura plus de poids et d'efficace. J'approuve aussy que les<br />

justes reproches que vous au res a luy faire ne soient point de droit<br />

fil, et que vous rejetties sur l'Archiatre toutes les injustices que vous<br />

aves receues de luy et d'Elle. Ce procede ne frappera pas moins fort<br />

a la porte de son creur et de sa conscience, et sera plus oratoire et plus<br />

respectueux pour elle, Ce que je croy encore apropos pour ne choquer<br />

pas le Roy qui garde tousjours les bienseances et veut passer pour son<br />

Amy et pour son Defenseur 6. Quant a l'Archiatre ayant la malveillance<br />

de tous les partis vous pourres fondre sur luy en liberte toute<br />

entiere. Au reste vous aures loysir de voir si ce que je vous mandois de<br />

M. Vossius par mes dernieres sera vray je veux dire cette esperance<br />

d'estre satisfait par la Reyne de ce qu'Elle vous doit et vostre plainte ne<br />

sera guere preste avant les trois mois qu'il avoit pris pour vous faire<br />

avoir satisfaction. Apropos de M. Vossius M. Menage s'est scandalize,<br />

non sans raison qu'il soit party d'icy sans luy dire Adieu apres avoir<br />

este traite par luy avec toute l'humanite qu'il en pouvoit attendre. Il<br />

ne tient a M. Menage que je ne m'en plaigne aussy n'en ayant pas<br />

moins de sujet et n'ayant rien obmis de mon coste d'offices et de soins<br />

capables d'obliger un galant homme 7. Mais il y auroit de la foiblesse<br />

a se plaindre satius est contemnere 8. Tout ce que j'en puis dire de plus<br />

rude est que [M. Heinsius raye] les mreurs de M. Heinsius sont plus<br />

civiles et qu'il n'en eust pas use ainsy. Je luy ay consigne le paquet de<br />

livres dont je vous parlois et il m'a promis dele faire rendre seurement<br />

5 C'est le 6 avril precedent, nous l'avons vu deja, qu'avait pris fin, par le traite de Westminster,<br />

la premiere guerre navale anglo-hollandaise.<br />

6 11 s'agit bien entendu du roi de Suede Charles-Gustave, cousin et successeur de Christine.<br />

7 Nous avons deja signale (lettre XVII, n. 2, p. 177) la mediocre reputation dontjouissait<br />

Vossius dans les cercles erudits de Paris. L'allusion qui est faite ici montre fort clairement le<br />

genre de reproches qu'encourait l'ami de Heinsius.<br />

8 La citation (si c'en est une) n'a pu etre identifiee.


284 LETTRE XLV<br />

a un de vos proches qui est a Amsterdam. Les MS. renvoyes par la<br />

Reyne a M. le C[ardina)1 n'estoient pas encore venus quand il est<br />

party d'icy 9. S'ils viennent ils payeront I' Abbaie 10. 11 me dit que sa<br />

Maistresse le vouloit engager au voyage de Constantinople et qu'ille<br />

feroit bien volontiers pour y acheter force MS. Grecs. Ce que le<br />

S[i]g[no]r Carlo Dati vous a escrit est vray, je dis ce qu'il vous a<br />

mande de la dispute de M. Menage et de moy touchant le passage du<br />

Petrarque pour lequel nous avions reconnu Juge l' Academie de la<br />

Crusca 11. 11 est vray aussy qu'elle en a juge, mais, entre nous, si<br />

miserablement que j'en ay honte pour Elle, moy qui l'avois nommee<br />

avec eloge afin de luy donner la gloire de decider ce different. M.<br />

Menage a qui elle a donne gaigne au moins dans son intention en a<br />

honte luy mesme et depuis le jugement a presque espouse mon party.<br />

Nous nous reconnoissons pourtant ses obliges de I'honneur qu'elle<br />

nous a fait de nous donner place entre ses Senateurs et je la cheris<br />

principalement parce que ce m'est une nouvelle affinite avec vous<br />

qui y aves desja este appelle avec tant de gloire pour l'un et po ur<br />

l'autre. Je vous feray voir un jour La mia lettera sopra '1 Passo del<br />

Petrarca et la Scrittura delI' Accademia pour vous en faire juge sans<br />

appel. M. Du Puy et vos autres Amis recevront vos complimens par<br />

moy de bonne sorte. Vostre lettre a M. Medon est partie aujourd'huy<br />

9 Il s'agit ici encore des manuscrits que Christine avait fait acheter lors de la dispersion<br />

de la bibliotheque de Mazarin, en 1652, et qu'elle fit rapporter a Paris par Du Fresne<br />

lorsque le cardinal reprit le pouvoir. Mais Chapelain est mal informe: les manuscrits<br />

etaient maintenant arrives a bon port; nous avons vu deja que Mazarin remercia Christine<br />

de cette restitution par une lettre du II decembre 1654.<br />

10 Ironiquement, Chapelain veut dire qu'en rentrant en possession de ses manuscrits<br />

Mazarin trouvera compensation a la depense regrettable a laquelle Christine I'avait precedemment<br />

oblige, lorqu'elle lui avait demande pour son protege Bourdelot I'octroi d'un<br />

benefice ecclesiastique.<br />

11 Le Florentin Carlo Dati (1619-1676), grammairien et philologue, fit tresjeune partie<br />

de I'Academie de la Crusca, Oll il fut le confrere de Heinsius (voir supra lettre XVIIlI,<br />

n. 6, p. 179). Il devait etre nomme en 1663 secretaire de la compagnie. On peut lire, de<br />

Chapelain, des indications detaillees sur ce personnage dans une lettre a Colbert datee du<br />

18juin 1665, et reproduite par Tamizey (t. 11, p. 402). Datis'etait, en 1646, lie avecHeinsius<br />

d'une amitie que les annees ne firent que rendre plus etroite. La lettre a laquelle il est ici<br />

fait allusion est du 5 octobre 1654 (Leyde, dossier Br F 7). Dati y fait part a son ami, dans<br />

un passage d'ailleurs bref et d'un ton fort objectif, du jugement rendu par I'Academie de<br />

la Crusca dans le differend qui opposa Chapelain et Menage. Ce differend ne fut que I'une<br />

des premieres escarmouches qui annOnctTent la longue querelle des deux erudits, de quelques<br />

annees posterieure. Le passage au sens controverse consiste dans les trois mots entre<br />

parentheses (0 ehe spero) , au dernier vers du dix-septieme tercet du sonnet CLXXIV de<br />

Petrarque; le sens de cette parenthese etait selon Chapelain: «au moins I'espere-je ainsi»; et<br />

selon Menage: «oh! qu'est-ce que j'espere la?» (E. Samfiresco, Menage, p. 26; on peut lire<br />

dans le meme ouvrage, pp. 520-521, un fragment de la (,Scrittura deli' Accademia», qui<br />

donnait raison a Menage, et a laquelle Chapelain fait allusion quelques lignes plus bas.)


Monsieur<br />

XLVI<br />

contes po ur une espece de bonheur le mauvais traittement que vous<br />

aves receu de la Reyne de Suede puisqu'il vous a donne moyen<br />

d'estre utile a vostre Patrie et d'adjouster la gloire d'un employ<br />

public a celle que vos estudes particulieres vous ont acquise. Ce<br />

poste honnorable mesme ne fait pas une petite partie de vostre<br />

vengeance puisqu'il doit faire sentir a cette Princesse quelle est<br />

sa faute d'avoir neglige un homme de vostre poids et de n'avoir<br />

pas connu quel bien ce luy estoit d'avoir une vertu comme la vostre<br />

dans sa dependence. Enfin, Monsieur, pour vos propres interests<br />

domestiques cette Charge que vous aves sera vingt fois plus<br />

avantageuse que la simple qualite d'homme de lettres et je ne doute<br />

point que vous ne trouvies une toute autre facilite a vous faire faire<br />

raison desormais que vous estes revestu du Ministere, que quand vous<br />

n'avies que vostre merite qui parlast pour vous. Et moques vous de<br />

ces plaisans Critiques qui trouvent mauvais que vous servies vostre<br />

Pa'is [glorieusement raye et remplace dans l'interligne par les cinq mots<br />

suivants] a qui vous deves tout plustost qu'une Personne a qui vous ne<br />

deves rien et qui a abuse de vos services. Jamais homme de bien<br />

et de sens ne vous blasmera en cette matiere sinon d'avoir trop<br />

persevere dans un attachement si ru'ineux 1 que celuy la. J'approuve<br />

ass es que vous ayes differe jusqu'icy adescharger vostre creur a<br />

cette Personne pour luy donner tout le loysir de rentrer en elle mesme<br />

et de reparer le passe par un genereux repentir. A l'avenir lorsque<br />

vostre patience sera toute espuisee vous pourres vous satisfaire<br />

sans scrupule et luy parler en Republicain. En ce cas vous scaves ce<br />

que vous m'aves promis 2. Au reste vous estes encore asses jeune<br />

po ur vous retirer avec les Muses vos Amies apres avoir rendu a<br />

1 On peut hesiter sur le sens exact de l'expression. Chapelain a-t-iI en vue le danger que<br />

faisaient courir a la fortune personnelle de Heinsius ses avances non remboursees, son<br />

salaire non paye? ou I'«attachement» n'etait-il «rUInewo) qu'en ce sens que, n'etant soutenu<br />

d'aucun lien ree! et solide, il menac;ait ruine depuis longtemps? Le second emploi est tres<br />

frequent dans le langage cIassique, aIors que la premier semble un peu plus tardif. Mais par<br />

sa phrase precedente, Chapelain montre bien que la nuance financiere n'est pas absente de<br />

sa pensee. D'ailleurs que!que temps auparavant il adeja, developpant le meme theme,<br />

employe l'adjectif «rulneux» en lui donnant sans ambiguHe ce sens moderne (lettre XLIII,<br />

P·274)·<br />

2 Savoir: une copie de votre lettre.


LETTRE XLVI 287<br />

vostre Mere ce que vous luy deves, et vous le feres alors d'autant plus<br />

glorieusement que vous les viendres trouver enrichy des lumieres de<br />

la Politique et avec un Jugement rafine sans lequel je ne croy pas<br />

qu'un homme puisse passer pour veritablement lettre. Surtout<br />

po ur escrire l'histoire a quoy vostre establissement et vostre inclination<br />

vous portent il y a si longtemps. Vous aves fait une heureuse<br />

entree dans vostre fonction par l'occasion de l'affaire de Breme,<br />

et vous ne scauries qu'estre bien veu en Suede apres un accommodeme<br />

nt agreable aux deux Partis et qui est deu principalement a vos<br />

Maistres. Quant a Mr Vossius il fit tous ses efforts avant que de partir<br />

d'icy pour desbauscher Mr Menage et l'emmener a Bruxelles. Depuis<br />

la Reyne de Suede luy a envoye un Passeport pour l'aller voir. Mais elle<br />

a conte sans son hoste. L'impression de son Aminte, un proces ou il y va<br />

de toute sa fortune et l'opinion ou s'est mise icy cette Princesse l'ont<br />

fait resoudre a ne s'aller pas ridiculiser aupres d'Elle 3. C'est une chose<br />

estrange de [sie] l'aveuglement ou elle est tombee depuis que les<br />

Espagnols luy ont corrompu l'esprit. La France se disposoit a la<br />

recevoir po ur Arbitre de la Paix et Monsieur de Tott n'y avoit pas<br />

nuy durant le sejour qu'il a fait en cette Cour 4. Mais tout d'un coup<br />

on luy a veu embrasser le Party d'Espagne si ouvertement et si passionnement<br />

par des lettres escrittes sur ce sujet a Mr Chanut qu'Elle<br />

s'est mise hors d'estat d'estre Mediatrice et n'a pas peu desoblige le<br />

Roy et la Nation 5. Je doute que le sage Roy de Suede approuve fort<br />

ce procede non plus que les Estats de ce Royaume glorieux. 11 faudra<br />

3 On lit dans le Menagiana, ed. de 1693, pp. 82-83: «Mr Chapelain, en qui j'avois beaueoup<br />

de eonfianee, [ ... ] me dit que eette prineesse estoit tellement obsedee par un Espagnol<br />

[PimenteI] qu'elle avoit aupres d'elle, que quand je l'aurois vue une seule fois, il seroit bien<br />

diffieile que je puisse la revoir. Je le erus.') E. Samfiresco eite ee passage (p. 19) et en eonclut<br />

que e'est Chapelain qui dissuada son ami de faire le voyage, alors que Montauzier et Servient<br />

l'y eneourageaient au eontraire. C'est donner trop de poids au seul conseil d'un ami.<br />

nest bien certain que l'impression de son eommentaire sur L'Aminta du Tasse, et son proees,<br />

sans parler d'evidents arguments d'ordre psyehologique, eompterent davantage dans la<br />

determination que prit finalement Menage de ne pas quitter Paris.<br />

4 On ne voit pas exaetement a quel episode des relations franeo-suedoises il est iei fait<br />

allusion. Christine avait deja offert sa mediation, soit dans le conflit interieur franc;ais, soit<br />

dans la guerre franeo-espagnole, a deux reprises: a l'automne 1650, et en avril 1652. Dans<br />

les deux cas l'offre avait ete rejetee par le gouvernement de Mazarin. Voir P. de Luz,<br />

pp. 100-106 et 125-126. La phrase de Chapelain semble indiquer qu'une nouvelle offre de<br />

mediation a ete reeemment presentee par Christine, et qu'elle a He appuyee par le gouvernement<br />

de Stoekholm, puisque le eomte Tott s'est trouve a Paris, a ete tenu au eourant des pourparlers,<br />

et n'a pas tente de les eontreearrer. Sur eet envoi, a la fin de 1654, du comte Tott en<br />

Franee, en mission extraordinaire, je ne dispose d'aueun renseignement. Son premier se jour<br />

a Paris, qui ne revetait pas un earaetere diplomatique officiel, avait pris fin en 1651.<br />

5 Tres probablement Chapelain a iei en vue la eelebre lettre envoyee par Christine a<br />

Chanut le 4 deeembre 1964; il en sera de nouveau question infra, lettre XLVIII; voir la<br />

n. 6, p. 296.


288 LETTRE XLVI<br />

voir ce qui se passera dans leur Assemblee sur son sujet et s'ils la<br />

laisseront aller volontiers en Italie comme elle en a [sie] le dessein<br />

des avant son abdication. Pour moy j'ay peine a croire qu'on la laisse<br />

joüir de son appannage si elle fait tant que de passer le Rubicon, quelque<br />

bonte que son Successeur ait pour Elle 6. Ce que vous me dittes<br />

de la Calisto du Graziani est docte et galant comme tout ce qui vient<br />

de vous.Je l'ay fait voir a Mr Menage qui est un vieuxJurisconsulte et<br />

qui a senty la force du trait comme il falloit 7. Vous m'obligeres beaucoup<br />

de bien tesmoigner a Monsieur Spar combienj'estime sa generosite<br />

et combien je desire sa bonne fortune. Quand vostre Epithalame<br />

sera acheve vous nous en feres part 8. Ce travail aura servy a vous tenir<br />

en haleine, et pour ne vous pas enroüiller je croy que vous ne deves pas<br />

rejetter les inspirations du Parnasse, lorsqu'elles se presenteront d'elles<br />

mesmes, et qu'il suffira de ne les point rechercher. Le paquet de Livres<br />

que je vous ay envoye par Mr Vossius doit estre maintenant a Amsterdam<br />

selon mon calcul entre les mains de Monsr vostre Parent.<br />

Les Oeuvres meslees de nostre Amy y sont 9. Ceux que vous nous voules<br />

envoyer a Mr Du Puy et a moy seront attendus de nous sans impatience.<br />

Soyes bien persuade de la vraye amitie de Monsieur le<br />

Marquis de Montauzier en absence comme en presence. Je ne re


LETTRE XLVI 289<br />

point de lettres de luy Oll il ne me parle de vous avec tendresse, et il<br />

s'est fort resjouy avec moy de vostre employ par ses dernieres. Je luy<br />

feray scavoir en quels termes vous me parles de luy dans celle a quoy<br />

je respons. 11 me fait esperer que nous le verrons icy avant Pasques.<br />

La crainte de l'irruption des Anglois en Xaintonge luy a fait tenir<br />

ferme dans ses Gouvernemens. C'est tousjours le plus Royal des<br />

hommes 10. Je pense vous avoir mande qu'en guerissant de sa grande<br />

blessure pour se desennuyer il avoit traduit en vers Fran-;ois les<br />

Six Satyres de Perse d'une maniere exquise, fort a nostre mode,<br />

sans perdre la force et le genie de l' Antiquite 11. Asseures vous de<br />

son secret po ur ce que vous luy aves escrit de vostre mescontentement<br />

et de la Personne qui le cause 12. J'auray soin a l'avenir d'apprendre<br />

pour l'amour de vous ce que produiront les gens de lettres de ces<br />

quartiers et vous en donneray avis. Je pensois que M. Du Puy a qui<br />

rien de ces choses n'eschappe vous en tinst informe. Mr De Trilleport<br />

est a Grenoble pour un grand proces 13. 11 n'a pas laisse de s'y souvenir<br />

de vous et de me prier de vous bien protester en son nom qu'il vous<br />

honnore tousjours parfaittement. J'ay fait vos baisemains a Mrs<br />

Menage, Conrart, et Scudery qui vous les rendent au centuple. M. Du<br />

Puy a receu vostre lettre et eelle qui s'addresse a Mr Medon auquel il<br />

l' envoyera. Je suis sans reserve<br />

Monsieur<br />

De Paris ce 4. Fevr. 1655.<br />

Vostre tres humble et tres obeissant<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur / Monsieur Heinsius Resident /<br />

pour Mrs les Estats de Hollande / en Suede / A Stokholm. Cachets.<br />

10 Partisan de I'autorite du roi. Cf. lettre XIX, p. 182: «son creur qui est tout Realiste».<br />

11 Voir Tallemant des Reaux, ed. A. Adam, t. I, P.465: «11 a fait des traductions;<br />

regardez le bei auteur qu'il a choisy: il a mis Perse en vers fran


Monsieur<br />

XLVII<br />

la copie de la lettre d'Adieu et de plainte a la Reyne de Suede m'a<br />

este rendue avec celle que vous m'escrives par la voye de M. Du<br />

Puy 1. Pourquoy plustost par luy que par M. Chevreau? Ne seroit il<br />

plus en Suede ou seroit il arrive quelque chose entre vous? Cela<br />

n'est point sans doute. Car vous m'en auries donne avis et luy mesme.<br />

Mais il importe peu puisque la lettre est venue de laquelle je vous<br />

suis fort oblige, y reconnoissant combien vous me consideres de me<br />

communiquer des choses si secrettes, et qui le doivent absolument<br />

demeurer. Je l'ay leüe avec la satisfaction la plus grande du monde.<br />

Elle entre doucement en matiere et s'eschauffant dans le progres elle<br />

appuye fortement et courageusement les sujets de douleur que vous<br />

aves d'un si indigne traittement que celuy que vous aves receu<br />

[d'Elle raye]. Je ne la trouve ny trop longue ny trop libre. Je croy<br />

seulement que quand vous vous estes resolu a l'escrire vous aves<br />

creu qu'il n'y avoit plus rien a esperer de ce coste la et n'aves songe<br />

qu'a trouver vostre vengeance dans la mortification de la Personne<br />

ingrate et injuste tout ensemble. Car de se promettre que ces<br />

sanglans reproches la fissent rentrer en elle mesme, je ne l'oserois,<br />

et vous en seres quite a bon marche s'ils nel'aigrissentpas etnel'obligent<br />

pas a vous nuyre aupres du Roy pour le payement de ce que la Couronne<br />

et elle mesme vous doivent. Mais vous aves pese tout cela<br />

meurement avant que de vous resoudre a le faire et j'attribue plus<br />

a mon affection qu'a la raison la crainte que je pourrois avoir que<br />

vostre ressentiment si declare ne produisist un effet sinistre pour le<br />

bien de vos affaires. Vous me feres plaisir de me mettre l'esprit en<br />

repos sur ce particulier article 2. Je seray bien aise aussy d'apprendre<br />

1 11 s'agit de la seconde lettre de Heinsius, la seule qui fut effectivement envoyee a Christine.<br />

Voir supra, lettre XL, n. 4, p. 260.<br />

2 C'est par un mouvement d'humeur, sans doute, que Heinsius decida de donner libre<br />

cours a son indignation, et d'envoyer a Christine cette lettre de demission Oll l'ex-souveraine<br />

etait accusee d'ingratitude en termes meprisants; mais sa raison lui disait que dans toutes<br />

les eventualites il n'avait pas plus a perdre qu'a gagner a cet acces de franchise. «Heinsius<br />

me traicte comme si j'estois la plus viIe creature du monde», s'ecria Christine a la lecture de<br />

la lettre (F. F. Blok, p. 213, d'apres Burman, t. 111, p. 680). Pourtant elle n'empecha pas<br />

que, nous l'avons vu, une faible partie de sa dette se fUt trouvee eteinte, gräce a Vossius, a<br />

peu pres dans le meme temps (supra, lettre XLIII, n. 7, p. 274). A Stockholm d'autre part,<br />

si la possibilite d'un reglement n'etait pas encore definitivement exclue (iI en sera encore<br />

question infra, lettre XLIX, p. 300), du moins les chances en etaient-elles minimes, et


LETTRE XLVII 291<br />

comment vous vous establisses dans vostre nouvel employ soit a<br />

l'egard de vos Maistres, soit a l'egard de la Cour OU vous serves, et<br />

ce qu'il y aura de nouvelles dans leurs interests publies qui se pourront<br />

mander. J'ay parle icy plus d'une fois a Monsieur le Conte Tott de<br />

vostre merite et si je ne me trompe je l'ay fort dispose a estre de vos<br />

Amis. C'est un homme de grand poids pour son age et de qui la<br />

fortune ira loin. 11 entend le latin asses et ne le parle point mais il<br />

parle admirablement le Fran«;:ois que vous entendes fort bien 3. Cela<br />

facilitera vostre communication si vous trouves apropos de continuer<br />

avec luy ce quej'ay commence. La lettre a la Reyne n'a este veüe que<br />

de moy, et pour empescher que personne n'en eust connoissance je<br />

l'ay voulu copier moy mesme, comme vous le verres. Car je vous<br />

renvoye cette Copie que j'en ay faitte au lieu de vostre Original auquel<br />

il est arrive entre mes mains un accident qui vous l'eust rendu desagreable<br />

s'il fust retourne vers vous en cet estat la. Vous trouveres dans<br />

ce paquet celuy que M. Du Puy m'envoya hier pour vous 4. Quand M.<br />

Chevreau ne sera plus en Suede vous aviseres par quelles mains vous<br />

feres passer les lettres que vous nous escrires et nous donnen!s l'addresse<br />

pour vous escrire. Je ne scay que sont devenus les livres que je<br />

mis dans la balle de M. Vossius pour vous et s'ils sont arrives ou non en<br />

Hollande. M. Menage est a la fin de [son rqye11'impression de son<br />

Aminte. Son benefice luy est conteste et il a une occupation bien<br />

desagreable a le defendre. 11 ne fut jamais si excusable qu'a cette<br />

heure de n'escrire point 5. M. Conrart est fort travaille de sa goute.<br />

Monsieur le Marquis de Montauzier est icy depuis deux jours. Tous<br />

trois vous baisent les mains et vous demandent la continuation de<br />

vostre amitie. Je suis oblige par des ordres superieurs a donner la<br />

moitie de mon Ouvrage avant que l'annee finisse 6. Je le recommanderay<br />

a vostre proteetion en temps et lieu. Je suis de toute mon ame<br />

d'ailleurs il n'etait pas sur qu'on y tint rigueur a Heinsius du ton rude et blessant sur lequel<br />

il s'etait adresse a son ancienne maitresse.<br />

3 Sur Claes Tott, voir supra lettre XXXI, n. 4, p. 228. Le personnage a presentement<br />

vingt-quatre ans; Christine l'a fait comte, conseiller d'Etat, grand chambellan. Il sera<br />

encore gouverneur de Stockholm, marechal de Suede, et, a deux reprises, ambassadeur a<br />

Paris (1661-1662, 1672-1674).<br />

4 La lettre deJacques Dupuy est datee du 26 fevrier 1655 (Leyde, B.P.L. 1923).<br />

5 Voir E. Samfiresco, p. 12, et surtout Tallemant des Reaux, ed. A. Adam, t. 11, p. 332.<br />

Le benefice conteste est vraisemblablement le prieure de Montdidier, dont l'acquisition a<br />

ete signalee en son temps par Chapelain (voir supra lettre XXXVIII, p. 252 et la n. 4).<br />

6 L'acheve d'imprimer de la premiere edition de La Pucelk portera la date du 15 decembre<br />

1655. C'est le duc de Longueville qui, impatiente par la lenteur avec laquelle prenait<br />

forme ce poeme ou devait etre celebree la gloire de sa maison (voir infra lettre XLIX, n. 15,<br />

p. 301), invita l'auteur a en publier sans plus attendre les douze premiers chants.


292<br />

Monsieur<br />

De Paris ce I. Mars 1655.<br />

LETTRE XLVII<br />

Vostre tres humble et tres passionne<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur / Monsieur Heinsius Resident /<br />

de Messieurs les Estats des Provinces / Unies pres du Roy de Suede /<br />

A Stokholm.


Monsieur<br />

XLVIII<br />

je receus il y a douze jours la Copie de la lettre que vous aves escrite<br />

a la Reyne de Suede ou plustost l'Ex reyne de Suede par la voye de<br />

Monsieur Du Puy et je respondis la semaine passee au billet qui<br />

l'accompagnoit, en vous la renvoyant selon vos ordres. La commodite<br />

de Monsieur Chevreau vous ayant manque vous ne pouvies mieux<br />

addresser vostre paquet qu'a Mr Du Puy pour les raisons que vous<br />

m'allegues et quand a l'avenir vous seres prive de l'assistance de<br />

nostre Amy je pense qu'il ne se faudra point servir d'autre voye<br />

pour la seurete de nostre commerce. Je vous manday par ma derniere<br />

mon sentiment sur vostre juste plainte a l'Ingrate qui a abuse de<br />

vostre zele et de vostre bourse. Je n'y adjousteray rien icy sinon<br />

qu'elle estoit digne de plus grands reproches encore, si vostre prudence<br />

ne les luy eust espargnes. Ce n'est pas que ceux que vous<br />

luy aves faits soient tels qu'il n'y en eust asses pour une Mesconnoissante<br />

ordinaire. Elle les sentira mesme comme s'ils ne pouvoient<br />

estre plus piquans et si vous n'y aves cherche que vostre vengeance<br />

vous l'aves eüe. Mais d'esperer qu'ils l'excitent a vous rendre<br />

justice c'est ce que je n'oserois, passionnee, violente, emportee comme<br />

elle est. Il ne faudroit pas avoir perdu toute pudeur pour estre capable<br />

d'un sentiment si honneste. La seule misere la peut faire rentrer<br />

en elle mesme, mais quand elle y sera tombee sera teIle en<br />

estat de vous satisfaire? Pour vous tirer d'interest vous n'aves que<br />

le Roy qui par vostre presence et plus encore par sa magnanimite<br />

pourra estre porte a reparer les manquemens d'autruy et faire en<br />

vostre faveur une action vrayment Royale. Cette veüe me fait vous<br />

conseiller de perseverer dans vostre employ au moins tant que vous<br />

soyes sorty d'affaire avec la Suede. Et Monsr Grotius a fait voir<br />

dans le sien en France, au milieu d'une multitude d'embarras qu'il<br />

pouvoit encore menager beaucoup de bonnes heures pour ses Muses<br />

1. Il recevoit tous les jours des visites du Peuple scavant. Il composoit<br />

tous les jours des livres. Qu'a t il fait que vous ne puissies faire<br />

ne manquant de rien pour cela. Les Lettres et la negotiation ne sont en<br />

rien contraires ny incompatibles en un homme de teste comme vous.<br />

1 Grotius fut ambassadeur de Suede a Paris de 1636 a 1645.


294 LETTRE XLVIII<br />

La seule chose que je croy qu'il vous faudra acquerir pour reussir dans<br />

vostre charge, c'est un peu de dissimulation, si opposee a l'ingenuite<br />

du Parnasse et si necessaire dans les Cours et dans le maniment des<br />

grandes affaires. Vous aures peine a forcer vostre candeur et a porter<br />

autre chose sur le front autre chose dans le creur. Vous considereres<br />

cela comme une tromperie qui convient mal avec la probite. Mais cette<br />

conduitte dont on use pour un plus grand bien, pour la gloire de sa<br />

patrie, pour le salut de ses Compatriotes s'appelle Prudence et non<br />

pas fallace parmy les Politiques, et n'est pas mesme blasmee par ceux<br />

qui font profession de la Morale la plus austere. Quand vous y accommoderes<br />

vostre esprit vous ne feres rien d'indigne d'un homme<br />

de bien. Au reste vous aves este appelle si honnorablement a cet<br />

employ qu'il y auroit quelque chose a redire si vous en tesmoignies<br />

si tost du degoust, et vos Patrons qui vous ont creu faire honneur en<br />

vous le donnant ne prendroient pas plaisir a vous voir negliger leurs<br />

graces et condanner leur jugement. 11 y a plus. Durant vostre gestion<br />

vous vous soustiendres aux despens du public, et ne vivres plus<br />

sur le vostre. Si vostre industrie attire l'approbation de vos Maistres<br />

elle vous servira d'eschelon pour monter plus haut, pour accroistre<br />

vostre fortune, pour estre utile a vos proches et pour orner<br />

les lettres en vostre personne par l'eclat des dignites plus relevees.<br />

Mon avis est donc que vous deves vous attacher le plus<br />

agreablement que vous pourres acette Charge vous contentant de<br />

reserver la premiere place dans vostre creur aux Filles de Mnemosyne.<br />

Et parce que vous me demandes mes sentimens pour la maniere dont<br />

vous aves a vous y prendre, bien qu'a un esprit comme le vostre<br />

on ne puisse rien dire, quod si bi ipsi non dixerit prius, j'ayme mieux<br />

vous parler sans besoin que de vous refuser quoy que ce soit au<br />

monde. Les deux premieres choses que je ferois seroient l'une de<br />

tascher a connoistre parfaittement les interests generaux des deux<br />

Nations et les maximes sur lesquelles elles se fondent pour accroistre<br />

leurs avantages et pour destourner ou diminuer leurs maux. L'autre<br />

seroit de penetrer les dispositions naturelles et les interests particuliers<br />

et presens des Personnes qui ont part dans l'administration<br />

de ces Estats. Avec ces deux lumieres un bon sens ne scauroit presque<br />

faillir dans ce qu'il aura a traitter entre elles. Je voudrois ensuitte<br />

m'instruire exactement aussy des genies et des interests des autres<br />

Nations qui ont relation d'amitie ou de haine avec ces deux premieres,<br />

ces connoissances servant fort a bien conduire ce que l'on a entre<br />

les mains, et a y donner la forme la plus juste et la moins traversee


LETTRE XLVIII 295<br />

d'ineonveniens. Je joindrois a eela l'estude de la Politique dans<br />

Aristote, dans Maechiavel et dans Botero, et la leeture de Taeite<br />

de Guiceiardin et de Davila, assortissant la Theorie a la pratique<br />

et appliquant le passe au present 2. Surtout je peserois toutes les<br />

syllabes de mes Instructions pour les observer a la rigueur avec toute<br />

l'addresse dont je serois capable, m'aecommodant au temps, au lieu,<br />

aux personnes, po ur faire reussir ee qui me seroit ordonne. J'aurois<br />

le plus grand soin du Monde du seeret. Mon Seeretaire mesme ne le<br />

scauroit pas tout entier et outre le Chiffre qui luy seroit commun<br />

avee moy j'en aurois un apart pourles choses les plus importantes que<br />

je tiendrois sous ma def. J'entretiendrois correspondanee punetuelle<br />

avee tous les Amb[assadeu]rs et Residens de mon Pai's pour estre<br />

informe du eourant. Sed de his jam plus satis 3. Ne eroyes jamais<br />

estre trop long dans vos despesehes je dis dans eeIles qui sont pour<br />

moy et regles en l'estendue selon vostre affeetion. Ce seroit bien<br />

a moy a vous faire exeuse de la longueur des miennes. Nous laisserons<br />

130 M. Vossius avee son silenee, et a vous dire vray on se passe asses<br />

bien de ses lettres qui n'ont ny purete ny eleganee ny urbanite,<br />

en un mot qui luy ressemblent et qui ne vous ressemblent point.<br />

J' espere de vous faire voir un jour le mauvais J ugement de la Crusea<br />

d'a eette heure en sa propre langue 4. On va reeueillir les Oeuvres<br />

de Sarazin. 11 avoit plus d'esprit que d'ame. M. Menage en prend<br />

le soin 5. Nous avons veu la lettre de la Reyne de Suede a M. Chanut<br />

qui est teIle que vous me mandes. Je vous envoye la Response qu'il<br />

2 Sans parler d' Aristote, de Machiavel ni de Tacite, notons simplement que Chapelain<br />

avait dans sa bibliotheque quatre editions, dont l'originale (Venise, 1589), de la RagioTU! di<br />

Stato de Giovanni Botero, ouvrage qui se presente essentiellement comme une refutation<br />

de Machiavel; deux editions, dont l'originale (Florence, 1561), de I'Historia deli' Italia de<br />

Francesco Guicciardini; et deux editions, l'une en italien, l'autre traduite en franc;:ais, de<br />

I'Historia delle guerre civili di Francia (1630) d'Enrico-Caterino Davila (Searles, nOS 589-592,<br />

3624-3625, 3387-3388).<br />

3 Le soin avec lequel est ecrit ce passage montre l'interet que continuait de porter Chapelain<br />

au metier diplomatique. On ne doit pas oublier en effet qu'il avait jadis ete successivement<br />

pressenti pour trois secretariats d'ambassade: en 1632-1633 a Rome aupres du comte<br />

de Noailles, en 1640 a Cologne aupres de Mazarin, et en 1645 a Munster aupres du duc de<br />

Longueville et des autres plenipotentiaires franc;:ais. Voir sa lettre a Conringius du 16 juin<br />

1666 (Tamizey, t. 11, p. 464), et Collas, pp. 76-81.<br />

4 Voir supra, lettre XLV, p. 284 et la n. 11. «D'a cette heure» signifie du temps prisent,<br />

d'aujourd'hui. Sans doute Chapelain cherche-t-il, par l'emploi de ces quelques mots, a<br />

suggerer que la celi:bre academie florentine a fort degenere depuis l'epoque, eloignee<br />

maintenant de quelques dizaines d'annees, Oll son autorite etait reconnue de tous les philologues,<br />

et meritait de l'etre.<br />

5 Menage redigea la lettre dedicatoire de l'edition qui reunit pour la premiere fois, en<br />

1656, les (Euvres de J.-F. Sarasin. En tete de cette edition, a laquelle plusieurs amis du<br />

defunt donnerent leurs soins, figure egalement une importante et excellente preface de<br />

Pellisson. Voir Tallemant des Reaux, ed. A. Adam, t. 11, p. 337, et A. Adam, Histoire [ ... ],<br />

t. II, p. 91.


Monsieur<br />

XLIX<br />

il seroit inutile de vous dire quelle consolation vos dernieres lettres<br />

m'ont apportee. Vous l'aves senty des en me les escrivant, car vous<br />

scaves combien vostre vertu me touehe et quel prix je mets aux moindres<br />

tesmoignages de vostre amitie. Ce dernier a cela de particulier<br />

po ur ma satisfaction que vous avies commence a mc le donner sans<br />

en estre sollicite que de vostre affeetion, et que vous n'aves reeeu ma<br />

despesehe qu'apres m'avoir escrit deux grandes pages de vostre<br />

propre mouvement. Ce que vous y aves adjouste apres la reception<br />

de mon paquet est si cordial et si obligeant qu'il faudroit estre sans<br />

humanite pour n'en estre pas ravy et penetre comme parlent nos gens<br />

lorsqu'ils veulent exprimer un ressentiment extreme 1. Je vous ay<br />

desja mande que j'approuvois fort le courage avec lequel vous vous<br />

estes expectore dans vostre plainte a la Reyne de Suede, et que rien<br />

ne m'y faisoit peine que la crainte que le Roy son Cousin ne le trouvast<br />

pas bon, si la eolere qu'elle en devoit avoir la portoit a vous rendre<br />

mauvais office la dessus aupres de luy. Maisje croy mon apprehension<br />

mal fondee, et il me semble qu'on peut s'asseurer que celle qui ne s'est<br />

pas mise en peine de vous rendre justice ne se souciera gueres de se<br />

venger des reproches que vous luy en aves fait [sie], ne fust ce que<br />

po ur n' en resveiller pas le souvenir et ne faire pas connoistre q ue<br />

vostre plainte a este juste. Je seray bien aise d'apprendre comment<br />

elle l'aura receu; et de voir que vous me tenies exactement parole sur<br />

cet article. M. Vossius avoit voulu persuader M. Menage d'accompagner<br />

sa Maistresse en son voyage d'Italie, et il s'estoit depuis vante<br />

qu'il en avoit sa promesse, sur ce que nostre Amy flate de cette proposition<br />

ne l'avoit pas tout a fait rejettee. Mais voyant depuis le<br />

soulevement de tout le monde contre ce dessein, et Bidal luy ayant<br />

raporte d'estranges choses de Bruxelles, ou il estoit alle pour regler ses<br />

affaires avec elle, il s'en deporta entierement non sans quelque honte<br />

d'avoir seulement balance la dessus 2. Bidal me dit a son retour qu'il<br />

1 «Ravy et penetre» est donc une expression a la mode, en 1655, dans les salons mondains.<br />

Si d'apres les dictionnaires I'emploi dans cette acception du terme ravi n'offre aucune<br />

originalite remarquable, il n'en est pas de meme de pinetre, qui n'est atteste dans ce sens et<br />

avec cette construction que dix-sept ans plus tard (Mme de Sevigne, lettre du 5 fevrier 1672).<br />

2 Se deporter de: expression employee deja par Chapelain le 16juin 1639 (Tamizey, t. I,<br />

p. 435), et signifiant: changer d'avis, revenir sur sa decision. - Sur la tentation de Menage,


298 LETTRE XLIX<br />

avoit querelle M. Vossius d'avoir voulu embarquer nostre Amy dans<br />

ce voyage et qu'il ne luy avoit respondu autre chose sinon qu'il s'ennuyoit<br />

dans cette Comitive et qu'il n'y scavoit a qui parler 3. Cette<br />

pensee n'est guere digne d'un homme qui fait profession d'honneur<br />

et d'amitie. Mais quand Bidal n'eust point frappe ce coup Ia pour<br />

degouster M. Menage d'un embarquement si ridicule, ses propres<br />

affaires l'en eussent tousjours destourne. 11 a eu trois proces importans<br />

dont le principall'exerce encore, et l'impressicn de son Commentaire<br />

sur l'Aminte est encore a achever 4. C'est aussy la dessus qu'il a pris<br />

son excuse, pour ne se pas servir du passeport que M. Vossius avoit<br />

sollicite dans la belle veüe de l'attirer la pour se faire entretenir et<br />

desennuyer par un homme de si bonne compagnie que luy. Je suis<br />

fort mal satisfait du mesme M. Vossius alio etiam nomine de ce qu'il<br />

ne vous a fait aucune mention du paquet de livres que je luy portay<br />

moy mesme pour vous. Je ne scaurois pourtant croire qu'il ne l'ait<br />

pas mis parmy les autres livres qu'il avoit achetes, l'ayant veu de mes<br />

yeux prest a enfermer dans la mesme balle 5. La lettre de la Reyne de<br />

Suede a M. Chanut a este receüe par le Roy et par son Conseil avec<br />

autant de moderation qu'elle avoit este escrite avec emportement, et<br />

nonobstant la partialite de cette Princesse pour les Espagnols, quand<br />

Monsr le Conte Tott partit d'icy pour retourner vers elle il receut de<br />

la Reyne 6 des paroies fort obligeantes pour elle, en quoy il a paru de<br />

quel coste estoit la discretion et de quel coste l'imprudence. Je vous<br />

ay envoye copie de la Response de M. Chanut qui a semble suffire<br />

pour repousser l'injure que les Espagnols ont voulu faire a la France<br />

voir supra, lettre XLVI, p. 287 et la n. 3. - Nous avons vu deja que Pierre Bidal, marchand<br />

parisien, homme d'affaires de Christine et comptable des fonds et biens dont elle disposait<br />

en France, avait ete recompense par la souveraine des services qu'illui rendait: celle-ci, en<br />

octobre 1653, l'avait fait baron de Harzefeld (dans le duche de Breme; francise en Asfeld).<br />

Parmi les «affaireSl) que Bidal avait aregIer avec Christine, certaines pourraient bien avoir<br />

ete personnelles, et avoir eu rapport avec la jouissance de cette terre (voir F. F. Blok, p.<br />

206). D'autres, naturellement, etaient du domaine de ses responsabilites finaneieres: Chapelain<br />

y fera allusion infra, lettre LII, p. 313.<br />

3 Comitive: eompagnie, communaute. ArehaYsme.<br />

4 Ces proces eoneernaient-ils tous trois le meme benefice? Ce n'est pas sur: nous savons<br />

qu' independamment de la possession du prieure de Montdidier en Picardie, eelle aussi du<br />

doyenne du ehapitre Saint-Pierre d'Angers donna lieu ades contestations qui necessiterent<br />

un recours en justiee. Voir E. Samfireseo, p. 12, et Celestin Port, Dictionnaire [ ... ] de<br />

Maine-et-Loire, s.v. Menage.<br />

5 C'est au mois de decembre preeedent (voir lettre XLIV, p. 279) que Chapelain avait<br />

eonfie a Vossius, pour qu'illes emportät en Hollande, quelques volumes destines a Heinsius.<br />

Leur disparition va etre pour Chapelain, eomme en temoigneront les lettres suivantes, un<br />

grand sujet de preoeeupation.<br />

6 Anne d' Autriche. Sur ce voyage du eomte Tott a Paris et Bruxelles durant l'hiver 1654-<br />

1655, voir supra lettre XLVI, p. 287 et la n. 4.


LETTRE XLIX 299<br />

par cet organe illustre a la veri te mais corrompu par leurs fascinations 7.<br />

J'attens le jugement que vous et vos Amis aures fait de cette Response<br />

qui a este fort loüee de dec,:a. Je suis tres afRige du mauvais estat ou se<br />

trouve Monsieur vostre Pere et du peu d'esperance qu'on vous donne<br />

qu'il puisse recouvrer sa sante. Sur ce que vous m'en escrives je regarde<br />

desormais son corps comme son sepulchre, maisje ne l'en revere<br />

pas moins. Les tombeaux des grands hommes, tout froids et insensibles<br />

qu'ils sont, n'en attirent pas moins le respect des vivans et les poignees<br />

de fleurs de ceux qui ont este touches de leur merite pendant leur vie.<br />

Dieu a pourveu a la perte que le Monde s'en va faire du sien, en vous<br />

substituant a sa place. En effet vous n'estes pas seulement son Fils<br />

selon la chair, vous luy succedes encore selon l'esprit qui est le plus<br />

precieux heritage qu'il vous puisse laisser 8. Vous me resjoüisses fort<br />

du bon succes que vous me mandes qu'a vostre employ dans ce co mmencement.<br />

Ce n'est pas que j'aye jamais doute que cela n'allast a<br />

souhait, connoissant vostre capacite et croyant ceux a qui vous aves<br />

a faire gens raisonnables. L'affaire de Breme terminee a leur contentement<br />

par vos Patrons, en rend vostre gestion bien plus favorable, et<br />

c'est un grand bonheur pour vous de n'avoir point eu d'abord un tel<br />

champ a defricher 9. Cependant vous vous establires et fortifieres vostre<br />

jugement pour les affaires a venir qui ne vous trouvant point nouveau<br />

se feront avec peu de peine quelque espineuses qu'elles soient.Je m'asseure<br />

que vous ne manqueres pas de tenir un bon et exact registre par<br />

jours et par dattes de tout ce qui passera par vos mains des choses<br />

publiques, soit audiences, soit despesches, pour y avoir recours en cas<br />

de besoin et a la fin de vostre administration en pouvoir faire une<br />

Relation suyvie pour vos Patrons s'ils le desirent, ou pour vostre propre<br />

satisfaction et honneur. C'est per ragion di buon governo que la Suede<br />

arme et ches elle et en Allernagne, cette guerre de Pologne et cette<br />

disposition de guerre dans I'Empire entre Neubourg et Brandebourg<br />

entre Mayence et le Palatin [sie] obligeant les Suedois de se mettre<br />

7 Il est douteux que le eabinet espagnol ou que l'ambassadeur Pimentel fussent a l'origine<br />

de la lettre de Christine a Chanut. Probablement la violenee et l'orgueil de Christine sont<br />

seuls a mettre en eaUSe. P. de Luz, p. 201.<br />

8 Depuis trois ans, noUS l'avons vu, le vieux Daniel Heinsius ne vivait plus que d'une vie<br />

tres diminuee. Mais a la date de la presente lettre, il etait mort depuis six semaines deja (le<br />

25 fevrier 1655). Il est fort surprenant que Chapelain n'en eut pas eneore ete prevenu, par<br />

une voie plus direete que eelle qui passait par Stoekholm. Nieolas ne revint a Leyde, pour<br />

mettre ordre a ses affaires, que quelques mois plus tard.<br />

9 Voir supra, lettre XLV, n.2, p. 282. Durant les premiers mois de l'annee 1655, la<br />

pression qu'exer/;ait Charles-Gustave sur l'Europe du Nord, sans s'attenuer, s'etait deplacee:<br />

il devenait de plus en plus clair que le Suedois allait s'en prendre, non au duehe de Breme,<br />

mais a la Pologne.


300 LETTRE XLIX<br />

en estat de ne rien souffrir du vainqueur et de profiter mesme du debris<br />

du vaincu 10. Mais les Peuples patissent de ces levees. C'est un mal<br />

commun et de tous les temps que le Peuple porte tout le faix et nourrit<br />

les vertus et les vices. J'avoüe neantmoins que je suis un peu surpris<br />

de ces surcharges du Peuple de Suede qui avoit passe jusqu'icy dans<br />

mon esprit pour demy libre et pour sujet a peu d'impositions. Vous<br />

m'aves aussy fort bien explique les semences de division qui sont entre<br />

la Suede et la Hollande 11. Cela n'est peut estre pas mal po ur vous<br />

qui par la aures matiere a exercer vostre prudence, et a vous signaler<br />

en les estouffant. Vous croires aisement lajoye quej'ay eüe d'apprendre<br />

que le Senat Suedois songe a vous satisfaire de ce qui vous est deu.<br />

Cela est beau aces Messrs de vous vouloir contenter d'eux mesmes.Je<br />

profiterois de cette bonne disposition sans aucun retardement si<br />

j'estois en vostre place, parce que les choses sont en perpetuel mouvement<br />

et que les pensees de demain ne sont pas d'ordinaire celles d'aujourd'huy.<br />

Quand ils vous auront oblige ils vous en aymeront davantage<br />

et auront plus de creance en vous. Pour le payement du coste de<br />

Bruxelles si vous me devies quelque chose je ne prendrois pas d'assignation<br />

la dessus. Mais esclaircisses moy un peu si ce que les Suedois<br />

veulent faire pour vous est pour la dette Rutgersienne ou pour la<br />

10 Chapelain fait allusion a une situation politique que I'on ne peut decrire ici que tres<br />

sommairement. Voir les premiers chapitres du livre d'E. Haumant, La gue"e du Nord (1655-<br />

1660). L'electeur lutherien Frederic-Guillaume de Brandebourg disputait au duc catholique<br />

Philippe-Guillaume de Neubourg, son legitime possesseur, le duche deJ uliers, dont la capitale<br />

se trouvait d'ailleurs occupee par une garnison espagnole. La situation se compliquait du<br />

fait que Charles-Gustave de Suede pouvait lui aussi faire valoir des droits hereditaires sur<br />

Juliers, et egalement sur Cleves qui etait a l'electeur de Brandebourg. D'autre part le comte<br />

palatin du Rhin Charles-Louis s'etait vu restituer aux traites de Westphalie, avec sa dignite<br />

electorale, une partie des territoires qui avaient ete enleves a son pere en 1623. Le domaine<br />

de Charles-Louis, prince calviniste, jouxtait celui du prince-archeveque de Mayence, qui<br />

depuis 1651 participait a une ligue, que formaient avec lui les deux autres electeurs ecclesiastiques<br />

(Cologne et Treves), ainsi que l'eveque de Munster et le duc de Neubourg. Une<br />

ligue des princes lutheriens s'etait aussitöt formee, dans laquelle entra le roi de Suede en<br />

qualite de duc de Breme. On risquait ainsi de revenir aux guerres entre principautes catholiques<br />

et protestantes, qu'avaient en principe closes les traites de Westphalie. Ces conflits<br />

naissants offraient a Charles-Gustave, cousin de Christine par sa mere, et appartenant par<br />

son pere a la dynastie des comtes palatins (branche de Deux-Ponts), d'excellentes occasions<br />

de s'immiscer dans les affaires allemandes. Mais lorsqu'il se vit serieusement contester par<br />

le roi de Pologne Jean-Casimir Vasa son cousin (tous deux etaient arriere-petits-fils de<br />

Gustave Vasal la legitime possession du tröne de Suede, Charles-Gustave decida de porter<br />

de ce cöte les coups qui restaient en suspens. Chapelain dans cette phrase, et dans d'autres<br />

passages analogues, laisse voir la sympathie que lui inspire le roi de Suede. C'est que la<br />

dynastie lutherienne suedoise jouissait depuis longtemps de l'estime des Fran .. ais et beneficiait<br />

de leur alliance: ils soutenaient avec elle les principautes allemandes protestantes<br />

contre l'imperialisme catholique des Habsbourg. La correspondance de Mazarin avec<br />

l'ambassadeur de France a Stockholm le comte d'Avaugour montre fort bien que cette<br />

disposition, suspendue a la fin du regne de Christine, n'etait pas entierement perimee, et<br />

que les entreprises militaires de Charles-Gustave n'etaient pas considerees a Paris comme<br />

chose fächeuse.<br />

11 Il s'agit encore de l'affaire de Breme.


302 LETTRE XLIX<br />

ehoses qui seront en ma puissanee. J'ay monstre a M. le Marquis de<br />

Montauzier la tirade de vostre lettre qui estoit pour luy dont il s'est<br />

senty fort vostre oblige. Vous attendies a luy eserire qu'il fust iey. 11<br />

y est depuis six semaines tousjours passionne pour vostre vertu. Ne<br />

vous exeuses jamais de la longueur de vos lettres. Quelque estendues<br />

qu'elles soient elles sont tousjours trop eourtes pour moy. Que faudroit<br />

il done dire de la prolixite si ennuyeuse des miennes. Mais l'affeetion<br />

est parleuse et n'ayme pas d'estre resserree. Je suis de tout mon ereur<br />

Monsieur<br />

De Paris ee 8. Avril 1655.<br />

Autographe. Sans suscription.<br />

Vostre tres humble et tres obeissant<br />

serviteur<br />

Chapelain


Monsieur<br />

L<br />

sur l'avis que m'avoit donne Monsieur Chevreau du dessein que vous<br />

avies de faire un voyage en Hollande pour [vos raye] les affaires que<br />

la perte signalee de feu Monsieur vostre Pe re vous y a laissees, je me<br />

reservois a vous tesmoigner la part que j'y prenois lorsque nous<br />

jugerions que vous y pourries estre. Mais comme vos dernieres par<br />

lesquelles vous m'informes vous mesme de ce grand accident ne me<br />

parlent aucunement de ce dessein, il n'y a pas eu moyen de se contraindre<br />

et il a fallu que ma douleur vous fust declaree sans retardement.<br />

Je scay bien, Monsieur, que vous aves plus de besoin de consolation<br />

que de douleur, et qu'il y a quelque sorte d'indiscretion a vous<br />

aller rafraischir celle qui ne vous a desja tourmente que trop. Maisje suis<br />

trop affiige moy mesme pour estre capable de consoler autruy et si vous<br />

estes capable de vous fortifier dans une occasion si funeste ce sera bien<br />

plustost par vostre propre raison que par celle d'un autre je veux dire<br />

par tout ce que vous pourries dire a celuy qui seroit dans la mesme<br />

espreuve que vous estes, et que vous diries bien plus eloquemment et<br />

efficacement vous mesme que tous eeux qui entreprendroient d'adoueir<br />

vostre peine par leurs persuasions. D'ailleurs bon et tendre comme<br />

vous estes,je croy que vostre affiiction s'accommoderoit plus faeilement<br />

avec un sentiment qui luy seroit eonforme qu'avee tous les remedes<br />

de la Philosophie Stolque, et que la eompassion que l'on voit en<br />

autruy de ce que l'on souffre est plus propre a esmousser la douleur<br />

que tout le secours du plus solide et plus juste raisonnement. En effet<br />

ces sortes de maux se guerissent mieux en les endormant et en les<br />

assoupissant qu'en les voulant donter et sousmettre par la force. Je ne<br />

vous consoleray done, Monsieur, que de eette fa


304 LETTRE L<br />

cet au tel est par terre il me semble que je vis dans les tenebres et que<br />

les Dieux nous ont abandonnes. Outre ce que les plus inconnus luy<br />

doivent de larmes je croy luy en devoir de particulieres par la connoissance<br />

que vous luy avies donnee de mon nom et de l'estime que je<br />

faisois de son merite. Vos bons offices m'avoient en quelque maniere<br />

allie avec luy, et en le perdant je croy perdre plus que le commun des<br />

hommes. Je ne voy point comment cette perte se pourra reparer.<br />

Mais il paroist bien que la douleur me trouble. Elle se reparera par<br />

l'excellente posterite qu'il a laissee, soit par vos fameux Aisnes je veux<br />

dire par ces beaux Ouvrages en prose et en vers dans l'une et dans<br />

l'autre langue qu'il amis au monde, et qui ont un ass es grand fonds<br />

d'immortalite pour eux et pour luy tout ensemble; Soit par vous<br />

mesme qui le representes parfaitement, qui portes son nom, qui<br />

possedes son esprit, qui aves herite sa vertu, son scavoir, ses graces, en<br />

sorte que qui vous voit et vous entend pourroit dementir la nouvelle<br />

de sa mort, et le croire encore vivant en vostre personne. Vous ne<br />

repareres gueres moins cette perte en prenant le soin de nous donner<br />

sa Vie et ses Escrits ramasses en un corps. L'action n'en sera pas<br />

seulement pieuse, mais d'une utilite singuliere pour le public qui<br />

attend cela de vostre bon naturel et du zele que vous aves pour les<br />

bonnes lettres. Ce vous sera a vous mesme la plus grande consolation<br />

que vous puissies recevoir quand vous songeres que vous ne vous<br />

rendres pas moins Monsieur vostre Pere qu'au reste du Monde, et<br />

que vous seres le glorieux Instrument de cette espece de resurrection.<br />

Je vous exhorte surtout a nous donner sa Vie qui ne peut estre que<br />

belle a lire en toutes fa


306 LETTRE L<br />

vise le Conseil secret de ce Roy si habile. J'en apprendray tres volontiers<br />

la suitte 7. Vos lettres a M. Du Puy ont este rendues etj'ay envoye<br />

par une voye fort seure a M. Medon edle que vous luy escrives.<br />

Assures vous tousjours de mon affection tres ardente et tres sincere et<br />

me croyes veritablement<br />

Monsieur<br />

De Paris ce 27. Avril 1655.<br />

Vostre tres humble et tres obeissant<br />

serviteur<br />

Chapdain<br />

Je croy que l'avis de la publication de ces Decades du Supplement de<br />

Tite live par Freinsheimius est faux. Car nous ne voyons personne qui<br />

en ait veu d'exemplaire 8.<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur / Monsieur Heinsius Resident /<br />

aupres du Roy de Suede pour / Mrs les Estats des Provinces Unies.<br />

Gachets.<br />

7 L'Empereur Ferdinand 111 tenta d'abord de rester a l'eeart du eonflit qui opposait la<br />

Pologne et la Suede. Ce n'est que plus tard qu'il partieipa militairement a la eoalition dans<br />

laquelle s'unirent a la Pologne, eontre l'envahisseur suedois, plusieurs prinees eatholiques<br />

allemands. Pourtant le bruit avait eouru que les ardeurs belliqueuses de Charles-Gustave<br />

pouvaient avoir pour fin derniere la eonquete, soit pour lui-meme, soit pour son frere<br />

Adolphe-Jean, soit pour quelque prinee palatin, du titre de roi des Romains, e'est-a-dire<br />

finalement de la dignite imperiale. Voir la depeche de Mazarin au comte d'Avaugour, du<br />

22 janvier 1655, citee par A. Cherue!, Histoire de France sous le ministere de Mazarin, t. 11, pp.<br />

278-279. L'interpretation de Chapelain est done parfaitement autorisee.<br />

8 Voir supra lettre XXXII, n. 4, p. 232, et lettre XXXVIII, n. 16, p. 255.


Monsieur<br />

LI<br />

De Paris ce 16. May 1655<br />

je ne scay si cette Response que je fais a vostre lettre du 10. d' Avril<br />

vous sera aussy fidellement rendue que mes precedentes, desormais<br />

que nous ne nous pourrons plus servir de la voye que M. Chevreau<br />

nous avoit donnee, et ne trouvant pas M. Du Puy dispose a prendre<br />

celle du Secretaire de l'Amb[assadeu]r Hollandois qui est en cette<br />

Cour laquelle vous nous avies prescrite, et a quoy je me serois arreste<br />

dans la creance que vous auries fait aupres de ce Secretaire qu'il<br />

voulust bien nous obliger en cela. M. Du Puy considere que c'est une<br />

charge pour la bourse de l' Ambr, et qu'il n'y a pas plaisir d'abuser<br />

ainsy de sa courtoisie, de sorte qu'il prefere a cet expedient le hazard<br />

de la poste dont je ne demeure point bien d'accord 1. J'escris neantmoins<br />

a toutes fins, et ayme mieux courre fortune de perdre ma lettre<br />

que de ne me mettre pas en devoir de satisfaire a ce que je vous dois.<br />

Je suis bien aise que vous ayes receu la copie de vostre lettre a la Reyne<br />

Christine, et n'ayes point de regret a la peine que j'ay prise de la<br />

copier de ma main. Ce n'estoit pas une chose a estre veue de qui que<br />

ce soit. Je trouvois quelque peril pour vous a l'avoir escrite aussy<br />

seche et aussy peu flateuse. Mais voyant que vous avies eu asses de<br />

courage pour cela et que vous esties resolu atout ce qui en pourroit<br />

arriver j'ay este ravy qu'elle eust este faitte de la sorte, et j'en auray<br />

une bien plus grande satisfaction si les justes reproches qu'elle contient<br />

excitent la lethargie de cette Princesse et la remettent en volonte<br />

de vous faire raison de ce qu'elle vous doit. Quand mesme vous n'en<br />

tireries autre avantage que celuy d'avoir descharge vostre creur, et<br />

de vous estre venge selon vostre pouvoir de I'injustice qu' elle vous a faitte,<br />

je ne me repentirois jamais de luy avoir dit ses verites et de I'avoir fait<br />

rougir de son ingratitude. Vous aves desja remporte une partie du<br />

fruit que vous en pretendies puisqu'elle a senty la piquure et que<br />

1 L'ambassadeur des Etats Generaux des Provinces-Unies a Paris est depuis 1650 Willem<br />

Boreel. Sur ce personnage, voir le temoignage detaille et vivant que foumissent les freres<br />

de Villers dans leur Journal d'un voyage a Paris en 1657-1658, publie par A. P. Faugere, notamment<br />

pp. 53, 83-84, 109-119, 176, 191-193,444, etc. Les freres de Villers ne font pas<br />

mention du secretaire de l'ambassadeur.


310 LETTRE LI<br />

Le Recueil de M. Sarrazin n' est pas encore commence 8. La Pucelle est<br />

sous la presse, et va mais lentement. Elle ne pourra paroistre que vers<br />

la fin de l'annee. J'ay impatience de la sousmettre a vostre jugement.<br />

Je suis bien aise que vous en ayes fait un favorable de la lettre de M.<br />

Chanut a la Reyne Christine et que vous me sachies gre de vous<br />

l'avoir envoyee. Si l'Ulysse Juif n'est Pimentel je ne scay qui c'est.<br />

Mais apres y avoir bien pense ce ne peut estre un autre 9. On ne voit<br />

point encore le fondement du Conseil qu'il a donne acette pauvre<br />

Princesse de faire un si grand saut, et je suis trompe s'il est utile a<br />

autre qu'a luy, car pour son M[aitr]e et po ur elle il n'y a aucune<br />

apparence de profit 10. Ma precedente lettre respondoit a l'avis que<br />

vous m'avies donne de la triste mort de Monsr vostre Pere et vous<br />

tesmoignoit la part que j'y prenois. J'ay fait voir vostre souvenir a<br />

M. le M[arquis] de Montauzier qui s'en est senty fort oblige. 11 est<br />

tousjours tout bruslant pour vous et a peu pres<br />

Monsieur comme Vostre tres humble et tres obeissant<br />

serviteur C.<br />

Autographe. Faute de pLace aux dernieres Lignes, La disposition graphique est<br />

resserree, la signature est abrcgce, et la date est rejetce en tete. Adresse au verso:<br />

A Monsieur I Monsieur Heinsius Resident I pour Mrs Les Estats des<br />

Provinces Unies I pres du Roy de Suede I A Stokholm. Cachets.<br />

8 Voir supra, lettre XLVIII, n. 5, p. 295.<br />

9 Allusion a une expression enigmatique que contenait la lettre de Heinsius. Mais il<br />

serait etrange que Heinsius ait voulu par ces mots designer don Antonio Pimente!, qui etait<br />

d'une tres ancienne et aristocratique familie. Cet «Ulysse juif» ne serait-il pas plutöt le resident<br />

de Suede a Anvers, Fernando Garcia IIlan ou d'Yllian, seigneur de Bornival, chez qui<br />

avait habite Christine lors de son se jour dans cette ville? Voir P. de Luz, p. 199.<br />

10 Voir supra lettre XLIX, n. 7, p. 299.


312 LETTRE LII<br />

qu'aura fait M. Holm po ur vostre payement 2. J'approuve fort que<br />

vous ayes accepte ce qu'il vous a propose pour cela, afin d'oster aux<br />

Ingrats toutes excuses s'ils ont dans l'ame de vous manquer comme je<br />

le crains tousjours. Je scauray aussy volontiers ce que vous aves<br />

obtenu du Roy touchant vostre autre grande affaire 3. Je le tiens plus<br />

solide et plus loyal dans ses paroles, mais je crains qu'il ne soit pas<br />

encore en estat et qu'il ne vous assigne sur ses conquestes de Pologne,<br />

qui n'est pas argent contant. 11 sera bon neantmoins que vous traitties<br />

cet interest la delicatement et avec maturite, n'y ayant rien qui se<br />

paye plus mal par les Princes que les vieilles debtes, et surtout celles<br />

qu'ils n'ont pas contractees eux mesmes. Par la maniere d'agir de<br />

la Reyne Christine M. Menage a veu quel tort il se fust fait s'il eust cru<br />

nostre Amy qui le sollicitoit si ardemment de l'aller trouver pour faire<br />

le voyage d'Italie avec elle et il confesse d'avoir evite un grand escueil<br />

4• Son Commentaire sur l'Aminte est publie. 11 n'en donne a<br />

personne. Je veux pourtant qu'il vous excepte et par la premiere<br />

occasion que vous nous fournires ou qui s'offrira vous en recevres un<br />

Exemplaire. J'ay visite M. Bidal sur ce que vous desiries scavoir de<br />

luy 5. Pour le premier article qui est du Paquet contenant l'Extrait<br />

de ces Diverses Lec;ons d'Ovide il m'a jure saintement que tous les<br />

paquets qui luy ont este addresses pour vous ont este aussy fidellement<br />

envoyes par luy en Suede que ceux qui regardoient ses propres<br />

interests, et que s'il s'en est perdu quelqu'un il faut qu'on ne le luy<br />

ait pas apporte. Qu'il vous conseille de voir M. de Lioncrone la dessus<br />

et de le prier de voir parmy ses papiers oublies si ce paquet ne se trouveroit<br />

point, parce que c'estoit sous son enveloppe qu'il en envoyoit<br />

Vossius a peu pres completement. Mais au passage c'est Du Fresne qu'il condamne, sans<br />

circonstances attenuantes. La phrase de Chapelain, me semble-t-il, explique clairement la<br />

situation. Tout d'abord elle disculpe Du Fresne avec nettete: l'homme fut, en fin de compte,<br />

lui-meme frustre. Mais surtout elle montre bien dans quelles conditions arbitraires fut<br />

resolue l'attribution de ce lot de livres si dispute; et l'on ne peut douter que Du Fresne et<br />

Vossius furent aussi depourvus de scrupules I'un que I'autre: ne recevant qu'un salaire<br />

insuffisant ou meme theorique, tous deux penserent se faire dedommager en nature, par<br />

I'octroi de livres et de manuscrits. Christine, nous le savons, promettait volontiers mais<br />

tenait mal ses promesses; aussi les bibliothecaires en vinrent-ils a puiser dans les collections,<br />

s'y sentant plus Oll moins autorises par ces promesses toujours sujettes a revocation. Et il est<br />

normal que le dernier venu ait accuse son predecesseur de vol, tout en gardant soigneusement<br />

pour lui-meme le butin dont I'autre avait cru pOUVOlr se payer.<br />

2 Johannes Holm, d'abord tailleur, puis homme de confiance de Christine, anobli par<br />

elle sous le nom de Leijoncrona, eut finalement le röle d'intendant de sa cour. 11 resta a<br />

Stockholm apres l'abdication. Heinsius avait ete fort lie avec lui au debut de son se jour en<br />

Suede. Le dossier B.P.L. 1923, a Leyde, contient neuflettres de Holm adressees a Heinsius<br />

durant son voyage en Italie.<br />

3 C'est-a-dire touchant le paiement de la dette «rutgersiennel).<br />

4 «Nostre Amy') est ici Vossius. Voir supra, lettre XLIX, pp. 297-298.<br />

5 Sur Pierre Bidal, voir supra, lettres XXXVII, n. 8, p. 248, et XLIX, n. 2, p. 298.


314 LETTRE LI!<br />

ont bien autant de sujet de craindre la cheute de cet orage que les<br />

Polonois, car leur pats est plus riche et les conquestes en sont plus<br />

utiles pour la Suede. 11 faudra voir 10. Mr Chevreau me mande qu'il<br />

part 11. Ainsy nous n'aurons plus de vos lettres par sa voye. 11 faudra<br />

pr end re un nouvel ordre pour cela et le bien fixer. Si vous faittes<br />

avec le Secretaire de Mons. vostre Amb[assadeuJr de France 12 que<br />

Mr Du Puy son Voysin 13 les re


LETTRE LII 315<br />

M. Du Puy pour l'avis des livres qui se publient iey. 11 n'y apersonne<br />

qui en puisse estre mieux instruit que luy a cause du co neo urs des gens<br />

de lettres en son logis. M. le M[ arquis] de Montozier est tousjours<br />

plein d'ardeur pour vostre vertu, et rer;oit les tesmoignages de vostre<br />

souvenir avee une extreme joye. Vous avies propose de luy escrire<br />

quand il seroit a Paris. M. Giraud gode iL Papato dans son Eglise du<br />

Mans 15. 11 assiste M. Costar dans ses estudes qui sont presentement<br />

oeeupees a respondre a M. de Girae sur la contestation qu'ils ont<br />

touchant les lettres de Voiture. Ce Girac est un scavant homme et un<br />

dangereux ennemy 16. Je suis de tout mon cceur<br />

Monsieur Vostre tres humble et tres obeissant<br />

Serviteur<br />

Autographe. Faute de pLace, La disposition graphique de La derniere Ligne est<br />

resserree, Les abreviations y sont nombreuses, La signature manque, et La date est<br />

rejetee en tete. Adresse au verso: A Monsieur I Monsieur Heinsius Resident<br />

I po ur Messieurs Les Estats des Provinees I Unies en Suede I<br />

A Stokholm. Cachets.<br />

15 (,Gode il Papato,>; jouit de son pontificat. Girault est l'ancien secretaire de Menage,<br />

que nous avons rencontre plusieurs fois au debut de cette correspondance. Il est maintenant<br />

chanoine au Mans.<br />

16 Il est inutile de rappeler ici dans le detailles peripeties de la celebre querelle qui opposa<br />

Girac et Costar. Voir A. Fabre, Les ennemis de Chapelain, pp. 196-205, et A. Adam, Histoire<br />

[ ... ], t. H, pp. 168-169. La premiere edition des (Euvres de Voiture etait parue en 1649;<br />

l'auteur etait mort l'annee precedente. Paul Thomas, sieur de Girac (mort en 1663),<br />

conseiller au presidial d'Angouleme, redigea, sans doute sur le conseil de son ami, compatriote<br />

et cousin par alliance Balzac, un pamphlet latin qui attaquait Voiture, et jugeait ses<br />

lettres inferieures a eelles de l'('unieo eloquente'>. L'abbe Costar (1603-1660), du Mans<br />

eomme Girault, prit la defense de Voiture. Girac riposta. C'est a la replique de Costar,<br />

intitulee Suite de la Difense de M. de Voiture (1655) que Chapelain fait iei allusion. Il est clair<br />

que dans eette querelle Chapelain est du parti de Balzae, c'est-a-dire de Girac. On notera<br />

done l'impartialite de sa formule.


LETTRE LIII 317<br />

tout a fait galand. Si vostre loysir vous eust permis de l'estriller, je<br />

ne croy pas qu'il y aitjamais eu de Satyre plus brillante plus piquante<br />

ny plus divertissante; et certes il meritoit de donner ce passe temps<br />

au Monde par une main aussy adroitte et aussy forte que la vostre.<br />

Vous devies estre l' Archiloque de ce Lycambe 2. On nous dit hier ches<br />

M. le Chan[celi]er qu'il s'estoit fait Prestre 3. Vous ne croires pas sans<br />

doute que ce soit par devotion ni que pour estre sacre il en soit moins<br />

execrable. Encore s'il se fust fait Prestre de Cybele il auroit paye a la<br />

Vertu d'une de ses vilaines parties ce qui ne seroit pas asses bien<br />

aquite quand il payeroit du tout 4. Quelques qui savent jusqu'ou<br />

peut aller son impudente vanite disent qu'il n'avoit pris la Prestrise<br />

que pour passer a l'Episcopat. Pour moy qui sc ais que bien loin de<br />

luy donner un Evesche on luy osteroit volontiers l' Abbale, je suis<br />

certain qu'il n'a pris cet ordre que pour empescher qu'on ne la luy<br />

oste comme l'on feroit infailliblement par un devolu, a quoy il y auroit<br />

ouverture si cette qualite luy manquoit 5. Nous n'avons point encore<br />

icy Monsieur Chevreau. Ses correspondans m'ont [ait dire qu'il<br />

estoit a Bruxelles. A son arrivee je luy mettray vostre lettre entre les<br />

mains. M. le Conte Tott vous paroistra un galant homme quand vous<br />

le connoistres. Si Mrs les Estats vous destinent pour suyvre le Roy<br />

comme je l'ay tousjours apprehende et que la Raison d'Estat le requiert,<br />

je ne voy pas comment vous pourres parer ce coup la, car les<br />

interests particuliers cedent aux publics en tous les lieux du monde 6.<br />

2 Voir supra lettre L, p. 305 et les notes 5 et 6.<br />

3 C'est chez le chancelier Seguier que se tenaient la plupart des reunions de l'Academie.<br />

Voir supra, lettre XLIV, n. I, p. 278. - Le bruit rapporte ici trouve un autre echo, OU seule<br />

differe l'intonation, dans la correspondance de Gui Patin. Une lettre de celui-ci (lettre qui<br />

exceptionnellement ne se trouve pas datee dans l'ed. Reveille-Parise, mais qui, autant qu'on<br />

en puissejuger par les diverses allusions qu'elle contient, doit etre de quelques jours anterieure<br />

a celle de Chapelain) dit exactement ceci: «M. Bourdelot est toujours en son abbaye de<br />

Mace en Berri, OU il plaide fort contre ses moines, et les moines contre lui. 11 a eu peur de<br />

l'imposition de leurs mains, et afin d'obvier a ce malheur, qui pourrait arriver une autre<br />

fois, il va se faire pretre, afin que s'il vient a etre battu et bien frotte, il puisse faire faire le<br />

proces a ces gens-la comme ades batteurs de pretres» (t. 11, p. 191; le passage est cite dans<br />

Lemoine et Lichtenberger, Troisfamiliers [ ... ], p. 51). Mais ce bruit ne trouve ulterieurement<br />

aucune confirmation precise.<br />

4 On sait quelle mutilation etait exigee, a Rome, des Galli ou pretres de CybeIe.<br />

5 Un peu plus tard, Gui Patin ecrira: «[Bourdelot] s'est vante qu'il avoit refuse un<br />

eveche que le Mazarin lui avoit voulu donner» (5 decembre 1656, M. Reveille-Parise, t.<br />

11, p. 267). Chapelain a raison d'affirmer que nul ne pensa jamais serieusement a faire de<br />

Bourdelot un eveque; mais est-il exact qu'on ait songe a lui enlever son abbaye? lila garda<br />

en tout cas, fUt-ce au milieu des proces qui l'opposerent a ses moines, proces qui durerent<br />

quatre ans et que finalement il perdit, au grand detriment de ses revenus (Lemoine et<br />

Lichtenberger, op. eit., p. 52). Un devolu, en droit canonique, est une mesure qui, prenant<br />

acte de l'incapacite ecclesiastique du collataire, declare un benefice a nouveau vacant.<br />

6 Charles-Gustave avait deja quitte sa capitale, le 3 juillet. L'ambassadeur de France<br />

Charles d'Avaugour partit a son tour au debut d'aout, avec le chancelier Erik Oxenstiern,


318 LETTRE LIII<br />

Je parleray a M. Menage de ces Livres qui vous manquent, et vous<br />

ne deves point douter qu'il ne vous en accommode s'illes a doubles<br />

par l'achapt qu'il a fait de ceux de Guyet 7. Je suis fort persuade de<br />

ce que vous me mandes de Mr Vossius. Je le tiens un fort froid Amy<br />

et un Courtisan fort interesse. Vous me feres plaisir d'esclaircir par<br />

M. de Langerman ce que c'est donc que de cette Publication Supplementorum<br />

livianorum. Je croirois aisement que les libraires ont pris la<br />

volonte de Mr Freinsheimius en cela pour l'effect 8. M. le Marquis de<br />

Montozier me pria ces jours passes de vous assurer de son service. Par<br />

lajuges comment il recevra vostre nouvelle civilite. Ame qui vive sans<br />

exception n'a veu la lettre que vous m'envoyastes il y a quelques mois.<br />

Mais toute la Terre en a veu l'original en Flandres et M. Du Fresne<br />

m'a dit l'avoir veu traisner sur la table du M[aitr]e d'hostel Silvecroom<br />

trois semaines a l'abandon de tous ceux qui le visitoient, de sorte que<br />

si elle se publie vous pouves vous assurer que cela viendra de la 9. Je<br />

SUlS sans aucune reserve<br />

Monsieur<br />

De Paris ce 17. J uillet 1655<br />

Vostre tres humble et tres passionne<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur / Monsieur Heinsius Resident /<br />

pour Mrs les Estats des Provinces / U nies pres du Roy de Suede / A<br />

La Raye. Cachets.<br />

pour suivre le roi dans sa campagne. Chapelain pouvait donc s'attendre que Heinsius rec;:iit<br />

de son gouvernement un ordre analogue. Mais le reglement de ses affaires privees appelait<br />

Heinsius a Leyde, et comme les relations diplomatiques entre Suede et Hollande s'etaient<br />

gravement alterees, le retour de l'ambassadeur se trouvait, non pas compromis par les<br />

circonstances, mais plutöt facilite et meme commande par elles. Burman, De vita Nie. Heinsii<br />

commentarius, p. 37.<br />

7 Chapelain reviendra sur cette question infra, lettre LV; voir la n. 7, p. 325.<br />

8 Lucas Langerman (1625-1686) avait fait en Hollande, aupres de Daniel Heinsius et<br />

de Gronovius en particulier, des etudes de philologie greco-latine. Nicolas Heinsius le rencontra<br />

a Paris en 1651, et avec l'assentiment de la reine Christine l'emmena en Italie (voir<br />

Burman, t. V, passim). Les deux hommes resterent intimement li6, et durant le voyage de<br />

retour Langerman accompagna Nicolas Heinsius jusqu'a son arrivee a Stockholm, en octobre<br />

1653. 11 attendit la en vain, comme son ami, quelque paiement de ses services, puis en<br />

juillet 1654 revint a Hambourg, sa ville natale, OU il se fixa (F. F. Blok,passim). Son nom est<br />

souvent associe a celui de Freinshemius dans les lettres des erudits contemporains. Voir<br />

aussi Brieven van Daniifl Elsevier [ ... ], p. 57, n.<br />

9 Cette phrase confirme qu'on peut a bon droit voir Triehet du Fresne dans le personnage<br />

dont il a ete question au debut de la lettre precedente (voir la n. I, p. 31 I). - Johan Philip<br />

Silfvercroon (mort en 1702), d'une famille de recente noblesse, est a Bruxelles l'intendant<br />

et le tresorier de la reine Christine.


LETTRE LIV 321<br />

nous en userons donc sans scrupule, puisque le port n'en tombe pas<br />

sur vous et que vostre Republique les met munifiquement sur son<br />

conte. M. Du Puy trouve apropos de les mettre sous l'enveloppe de<br />

M. De Viquefort, comme de la plus facile, a cause qu'ille voit tous les<br />

jours, et cela revient a la mesme chose 10. Je suis de vostre avis pour<br />

vostre procede avec la jadis Reyne de Suede. 11 y ades Ames lethargiques<br />

que les touches legeres ne resveillent pas, et qui ne sont sensibles<br />

qu'aux profondes piquures. Celle cy a du moins sen ti le tort<br />

qu'elle vous faisoit. Dieu vueille qu'illuy reste encore asses de justice<br />

pour ne se contenter pas de le sentir, et pour vous faire sentir sa<br />

reconnoissance. Je ne vous dis point que je le souhaitte, je vous dis<br />

seulement que je ne l'oserois esperer. Du moins vous seres vous satisfait<br />

par vos justes reproches si elle va en Italie sans vous payer. Fresne et<br />

Piquet sont icy. Le premier s'explique qu'il ne retournera plus aupres<br />

d'elle dont il est fort mescontent. On dit que l'autre qui en est fort<br />

satisfait a pris conge d'elle pour jamais. C'est a dire que le Recutit en<br />

a chasse tous les Fran90is et qu'il regne sans Rival dans cette Cour<br />

reformee 11.Jen'entens point ce litige quevousme marquesentre Elle et<br />

les Espagnols. Est il propre ou figure? On n'en a point oüy parler icy,<br />

bien que nous ne soyons qu'a cinquante lieues d'elle 12. Les prosperites<br />

de nos armes, a sa veüe la doivent fort mortifier 13, et la bien eclaircir<br />

deJean-Casimir, Sigismond IH, avait en effet regne sur la Suede au debut du sieeIe; catholique,<br />

il avait ete detrone au profit de son onele, Charles IX, reste protestant; Charles­<br />

Gustave etait le petit-fils de ce Charles IX.<br />

10 Pour la transmission de leur correspondance Heinsius d'une part, Chapelain et Dupuy<br />

de l'autre utiliseront donc, maintenant que le depart de Chevreau les a prives d'une voie<br />

commode et sure, le service officiel de la valise diplomatique neerlandaise. A leur arrivee<br />

a Paris les lettres seront remises a Abraham Wicquefort: celui-ci, quoique representant<br />

diplomatique de l'electeur de Brandebourg, est de naissance hollandaise et garde des relations<br />

a Paris avec son ambassade nationale: il est d'autre part introduit dans plusieurs<br />

cereIes et salons, erudits, litteraires ou mondains.<br />

11 (,Le Recutio): lat. recutitus, circoncis. 11 s'agit toujours de Bourdelot: c'est ici une<br />

reprise avec variante de la douteuse plaisanterie que nous avons lue dans la lettre precedente<br />

sur le (,Prestre de Cybelb). Bien que Chapelain n'ait cesse de protester avec assurance<br />

du contraire, Bourdelot est donc rentre en gräce aupres de Christine, et a pour un peu de<br />

temps reconstitue (


322 LETTRE LIV<br />

du mauvais party qu'elle a pris de changer une amitie honneste pour<br />

une rulneuse, sans autre fondement que son caprice. Tout cela semble<br />

fait pour l'avantage du Roy son Cousin, que cette bizarrerie affermit<br />

autant dans le throsne que sa vertu propre. Je reverrai Bidal, et luy<br />

appuyeray vostre mescontentement. Ces sortes de gens n'ont guere<br />

de Morale, et l'interest les conduit en tout. 11 sc aura du moins que<br />

vous vous plaignes aussy bien de luy que de sa Maistresse et qu'il ne<br />

vous a plus pour Amy 14. M. Menage m'a prie de vous mander que<br />

s'il ne vous escrivoit point il n'en estoit pas moins a vous 15, et qu'il<br />

vous gardoit un de ses Amintes pour vous l'envoyer quand vous se res<br />

ches vous. J'apprendray volontiers si le Paquet dont je chargeay le<br />

negligent M. Vossius vous aura este rendu. J'attens aussy la lumiere<br />

qui vous doit venir par M. Langerman touchant l'Impression de ces<br />

Decades Freinsheimiennes. Celle du livre de la Peyrere des Preadamites<br />

a Amsterdam fait grand bruit. 11 me l'a autresfois communique<br />

Manuscrit mais de moitie moins ample qu'il n'est. C'est une Dissertation<br />

bourrue et hardie et toutesfois scavante et curieuse 16. J'oubliois<br />

a vous dire que je rendis d'abord vostre lettre a M. Chevreau qui s'en<br />

tinst tres oblige. M. le Marquis de Montauzier vous es time tousjours<br />

infiniment. Pour moy je suis sans reserve<br />

Monsieur<br />

De Paris ce 18 Aoust 1655.<br />

Vostre tres humble et tres passionne<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur / Monsieur Heinsius Resident /<br />

pour Mrs les Estats des Provinces / Unies aupres du Roy de Suede.<br />

Cachets.<br />

Cheruel, Histoire de France sous Mazarin, t. 11, pp. 287-288). Christine, öl Bruxelles, ne pouvait<br />

etre que parfaitement informee de tous ces evenements.<br />

14 Bidal, malgre son recent titre de noblesse et ses importantes fonctions, appartient öl<br />

l'espece decriee des financiers et des marchands.<br />

15 Apres avoir ecrit a Heinsius assez regulierement de 1645 öl 1652 (une, deux ou trois<br />

lettres chaque annee), Menage s'est interrompu dans cette correspondance du mois de<br />

fevrier 1652 au mois d'aout 1657 (Leyde, dossier Br F 8).<br />

16 Les Preadamit.e d'Isaac Lapeyrere venaient de paraitre chez les Elzevier d'Amsterdam<br />

(Willems, n° 1188). Des 1642 Richelieu en avait vu le manuscrit, et s'etait d'ailleurs oppose<br />

öl la publication. Lapeyrere depuis cette date n'avait cesse de montrer son texte öl tous ses<br />

amis, et parmi eux aux habitues du Cabinet des freres Dupuy. De multiples deve10ppements<br />

accessoires etaient venus peu öl peu grossir le volume. Sur Lapeyrere et sur son ceuvre, voir<br />

Pintard, Le libertinage [ ... ], pp. 358-362 et 420-421.


Monsieur<br />

LV<br />

je vous avoüe qu'il y avoit longtemps que j'estois en peine de vous,<br />

ayant passe pres de six mois sans avoir de vos nouvelles. Mais mon<br />

apprehension regardoit la terre, etje n'avois garde de m'imaginer que<br />

vous fussies l'objet du courroux de la mer.Je me figurois que Messieurs<br />

vos Patrons vous avoient ordonne de suyvre le Roy de Suede dans<br />

son expedition et que vostre ministere leur avoit semble necessaire<br />

aupres de luy pour estre informes fidellement de l'estat des choses<br />

et pour negocier avec luy dans les occasions. Cependant vous esties en<br />

chemin pour les venir trouver et pour mettre ordre a vos affaires<br />

domestiques. Je suis et surpris et affiige de cette violente agitation<br />

que vous aves soufferte dans vostre voyage maritime et quand je me<br />

represente le hazard ou vous aves este d'estre englouty par cet Element<br />

barbare, cela me fait le mesme effet qu'il vous faisoit lorsque vous<br />

voyes s'ouvrir l'abysme et la mort s'offrir a vos yeux. Dieu soit loüe<br />

que ce n'a este que peril et que nous en avons este quittes pour la<br />

crainte. Que dis je toutesfois pour la crainte? Vos maladies dont ces<br />

tempestes ont este la cause, sont quelque chose de bien pis que la peur,<br />

et elles me tiennent lieu presque d'un naufrage 1. En effet, Monsieur,<br />

tant que vous me mandies que vous estes guery je me croiray tousjours<br />

dans l'orage et n'auray aucun repos. Ne laisses rien a faire po ur cela et<br />

respondes moy de vous mesme, car vous vous deves a moy et je vous<br />

en demanderay un severe conte. Vous scaves combien vostre vertu<br />

m'est chere et vostre affection precieuse, et qu'il ne peut venir faute<br />

de vous sans que je tombe dans la pi re de toutes les pauvretes du<br />

monde. Pour moy je menage ma foible complexion avec tout le soin<br />

que mes occupations me le permettent, bien queje ne face que nombre<br />

sur la terre et que ma conservation n'importe aucunement au Public.<br />

Je me conserve pour mes Amis et pour vous entre tous les autres,<br />

ayant tant de sujet de me louer de vostre bonte cordiale pour moy.<br />

1 Ce voyage avait ete pour Heinsius une cruelle epreuve. La tempete avait assailli son<br />

bateau dans les detroits de la Baltique. 11 avait echappe de justesse au naufrage et avait pu<br />

aborder a Dantzig, OU, souffrant, il etait reste alite plus d'un mois. C'est par terre qu'il se<br />

rendit de Dantzig a Lübeck, mais dans cette occasion encore le mauvais temps rendit le<br />

trajet extremement penible. 11 arriva a La Haye epuise de fievre, et sa sante ne se retablit<br />

completement qu'apres de longs mois de repos. Burman, De vita Nie. Heinsii eommentarius,<br />

pp. 37-38.


324 LETTRE LV<br />

Ma sante est asses bonne, qui est une espeee de miracle dans la furieuse<br />

applieation qu'il m'a fallu avoir durant l'impression de la Pueelle,<br />

et l'extreme douleur que j'ay ressentie pour la mort d'un de mes<br />

beaux freres 2 et du pauvre Mr Gassendi 3. J'espere pourtant la<br />

maintenir en eet estat desormais que je suis hors de cet embarras<br />

de libraires et de graveurs, et que je pourray respirer au moins a la<br />

moitie de ma earriere. Car les douze premiers livres eommeneent<br />

a voir le jour. Apropos de quoy je n'attens plus qu'une commodite<br />

seure pour vous envoyer le volume qui est si grand et si gros qu'il ne<br />

seauroit aller que par un convoy 4. Je prie Dieu que eeluy que j'en<br />

ehargeray soit plus heureux ou plus soigneux que Mr Vossius auquel<br />

je n'eusse pas commis le petit ballot que je luy portay pour vous si<br />

j'eusse pense qu'il eust deu perir entre ses mains. Sur ce que vous me<br />

mandies que Bidal l'avoit fait arrester avee les autres de Mr Vossius<br />

eomme appartenant a la Reyne de Suede je l'ay visite pour en scavoir<br />

la raison. Mais il m'a formellement nie qu'il eust fait rien arrester ni a<br />

luy ni a la Reyne, trouvant fort mauvais que vostre Ami l'en accusast,<br />

et adjoustant que ee n'est pas le premier sujet de plainte qu'il avoit a<br />

faire de luy. Qu'en un mot depuis l'arrest qu'il fit des hardes de Mr<br />

Du Fresne par l'ordre de Sa Mt" lesquelles il aremises a son M[aitrJe<br />

d'hostel par son ordre encore il n'a ouy parler de rien de semblable et<br />

n'a point sceu ou Mr Vossius avoit mis les livres qu'il a achetes a Paris<br />

durant son dernier voyage, offrant de l'escrire a Mr Vossius mesme et<br />

parlant avee ressentiment de cette imputation. Je ne vous dis tout<br />

eeey qu'afin que vous vous en esclaircissies avee Mr Vossius, et que<br />

vous puissies retirer les paquets que Mr Du Puy et moy luy avons<br />

2 Chapelain a en 1655 perdu son beau-frere Loys Faroard, procureur, mari de sa jeune<br />

sreur Catherine. C'est chez les Faroard, rue SaIIe-au-Comte, qu'il habite depuis 1639 (sur<br />

I'emplacement de cette rue, voir irifra lettre LVII, n. 9. p. 334). Veuve, Catberine a vendu<br />

I'etude de son mari, par acte du 12 octobre 1655, a son gendre Antoine Leleu. Jal, Dictionnaire<br />

[ ... ].<br />

3 Pierre Gassendi etait mort a Paris le 24 octobre 1655, apres une longue agonie, durant<br />

laquelle l'avait entoure I'affection de ses nombreux amis. Chapelain figurait sur son testament.<br />

R. Pintard, Le libertinage [ ... ], pp. 417-418.<br />

4 L'acheve d'imprimer de La Pucelte est du 15 decemhre 1655 (volume date de 1656).<br />

L'editeur est Augustin Courhe. L'ouvrage contient quinze gravures. Deux d'entre elles<br />

sont de Nanteuil: ce sont les portaits du duc de Longueville et de l'auteur; les treize autres<br />

ont ete executees par Abraham Bosse d'apres les dessins de Claude Vignon: e'est le frontispiee,<br />

representant la Franee seeourue par la PueeIIe, puis les douze eompositions qui<br />

illustrent suecessivement les douze chants du poeme. Rapportons a ce sujet la severe appreciation<br />

de Tallemant des Reaux (cd. A. Adam, t. I, p. 575): Chapelain ('a dit qu'illui coustoit<br />

quatre mille livres pour les figures qui, par parenthese, ne valent rien». Le volume est<br />

un in-folio de pres de six cents pages. Si Chapelain n'est qu'a da moitie de [sa] carriere»,<br />

c'est naturellement qu'iI a encore les douze derniers chants a ecrire ...


326 LETTRE LV<br />

Puisque les Supplemens de Tite live sont imprimes il faut bien que<br />

nous en voyons icy tost ou tard des Exemplaires. Je vous confesse<br />

que j'en ay de l'impatience 9. Monsr le Marquis de Montauzier a veu<br />

vostre souvenir avec joye et m'a charge de vous assurer qu'il vous est<br />

tousjours tout acquis. Mr Chevreau m'est venu demander de vos<br />

nouvelles et a este ravy de voir dans vostre lettre que vous aures<br />

tousjours de l'amitie po ur luy. Mr Menage vous remercie du compliment<br />

que je luy ay fait en vostre nom et a tousjours pour vous une<br />

es time singuliere. Pour moy je le renvie sur tout [sie] tant qu'ils sont 10<br />

et suis sans comparaison plus qu'aucun avec une extreme tendresse<br />

Monsieur<br />

De Paris ce 25. Dec. 1655.<br />

Vostre tres humblc et tres obeissant<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur / Monsieur Heinsius Resident /<br />

pour Mrs les Estats de Hollande aupres / du Roy de Suede / A [La<br />

Raye sureharge] Leyden. Cachets.<br />

Bibliotheca heinsiana, apparaissent au moins trois titres qui pourraient repondre a eette peu<br />

preeise determination (Antiquarii, in-quarto, nOS 20, 30, 47).<br />

9 Il s'agit une fois de plus de l'ouvrage de Freinshemius.<br />

10 Renvier sur: terme de breIan; mett re une eertaine somme par-dessus l'enjeu. Au fig.<br />

reneherir sur. Littre eite une phrase de Mme de Sevigne, dont la tournure est tres proehe<br />

de eelle de Chapelain: «Vaus etes allee a Marseille pour me fuir; et moije m'en vais a Vitre<br />

pour le renvier sur vOUS» (18 mai 1671).


330 LETTRE LVI<br />

sa voye et aures moyen de la lire et de l'examiner 12. Ce dernier m'est<br />

si important que si vous ne voulies point avoir cette charite je vous<br />

prierois de ne perdre point de temps a la lire. Vous aures sceu que<br />

Mons. le Cardl a donne a M. de S. Sauveur un benefice simple de<br />

mille escus de rente et outre cela une pension de deux mille livres<br />

payees par avance. Vous aures loüe sans doute cette generosite 13. Ce<br />

n'est pas la premiere et ce ne sera pas la derniere que fera son Emce,<br />

car Elle adessein de gratifier toutes les Personnes eminentes en lettres<br />

non seulement Fran


LETTRE LVI 331<br />

amitie et de vostre souvenir. En me rendant vostre lettre il me dit<br />

qu'il vouloit vous escrire et il le fera. 11 me semble que vous avies eu<br />

dessein de luy escrire aussi. Pour moy je ne vous escris que trop pour<br />

vostre repos. Mais le moyen de vous parler peu lorsqu'on vous ayme<br />

beaucoup et qu'on se sent comme je fais<br />

Monsieur<br />

De Paris ce 3. J anvier 1656.<br />

Vostre tres humble et tres obeissant<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur / Monsieur Heinsius Resident<br />

de / Messrsles Estats des Provinces Unies aupres / du Roy de Suede /<br />

A [La Haye surcharge] Leyde. Gachets.


Monsieur<br />

LVII<br />

je respons encore a deux de vos lettres a la fois l'une du 6. et l'autre du<br />

13. de ce mois, pour ce qu'elles m'ont este rendues presque en mesme<br />

temps et vous voules bien qu'avant toutes choses je vous die que la<br />

premiere m'avoit donne bien de la joye en m'apprenant que vostre<br />

fievre vous avoit quitte, mais que cette joye avoit este courte ayant veu<br />

dans la seconde qu'il vous estoit reste une enfleure de jambes et de<br />

cuisses qui faisoit craindre l'hydropisie a vos Medecins. Ce n'est pas<br />

que ma propre experience ne m'ait fait reconnoistre que ces enfleures<br />

sont ordinaires au sortir des longues maladies, moins par l'alteration<br />

du foye que par l'affoiblissement de la complexion, et si vos Medecins<br />

n'enjugent rien de mal,j'espere de mon coste que vous en se res delivre<br />

aussitost que vous aures repris vos forces, et les esprits repares et accreus<br />

seront asses puissans pour consumer la pituite surabondante. Le<br />

conseil d'eviter toute contention d'esprit, et d'estudier 1 avec une<br />

application tant soit peu forte est le meilleur qu'ils vous puissent<br />

donner. Si mesme je retenois la Pucelle je m'empescherois bien de<br />

vous l'envoyer de peur de contribuer a la prolongation de vostre<br />

convalescence. Celuy a quije l'ay confiee est un tres horn me d'honneur<br />

Ministre Fran-;ois en Hollande et fameux sous le nom de Morus.<br />

Quelque grand et gros que soit le Volume il s'en est bien voulu charger<br />

pour l'amour de vous dont il m'a tesmoigne faire une es time particuliere<br />

2. J'eusse bien attendu l'occasion du Sr Angot, mais de la fa-;on<br />

qu'il me l'a fait entendre il ne fera ses ballots de quinze jours au plus<br />

tost, a cause du mauvais temps, et cette autre s'estant presentee j'ay<br />

creu ne la devoir pas laisser eschapper. J'ay fait mon possible pour<br />

vous faire avoir le contentement que vous desires touchant ce Memoire<br />

1 Il faut comprendre: et d'eviter d'etudier.<br />

2 Le ministre protestant Alexandre Morus, ne a Castres en 1616, mort a Paris en 1670,<br />

avait ete sur la recommandation de Saumaise nomme pasteur de l'Eglise wallonne a Middelbourg,<br />

en 1649. Il venait alors de Geneve, OU il avait enseigne le grec (1639) puisla theologie<br />

(1642). De Middelbourg il passa a Amsterdam, ou il enseigna a l'Ecole Illustre a partir de<br />

1651 ou 1652. En 1654 il prit un conge pour voyager en France et en Italie. Le texte de<br />

Chapelain nous apprend qu'a son retour il a quitte Paris entre le 3 et le 20 janvier 1656,<br />

pour aller reprendre a Amsterdam son enseignement et son ministere. Mais le voyage prit<br />

beaucoup de temps (infra, lettre LX, p. 344); et c'est seulement le 7 mars que Morus put<br />

faire porter La Pucelle a Heinsius, comme en temoigne sa lettre d'envoi, de cette date,<br />

r'mservee a Leyde (dossier Br F 8).


LETTRE LVII 333<br />

de livres. Mais la maladie du P. Jaeob a qui vous m'avies ordonne<br />

de m'addresser a retarde mes diligenees et ce n'est que d'hier que<br />

j'ay eu de luy le Memoire de eelle qu'il a faitte depuis qu'il peut agir.<br />

Je vous l'envoye afin que vous voyes les prix de eeux qu'on a trouves 3,<br />

et que vous vous resolvies ou a me laisser donner l'argent du mien, ou<br />

a faire que le Sr Elzevir envoye un ordre precis au Sr Angot pour le<br />

fournir, si vous perseveres dans la volonte de ne vous pas servir de ma<br />

bourse. Car ce dernier a declare qu'il n'avoit pas reeeu un mot de<br />

l'autre sur eet article, et je voy bien que vous n'en disposes pas mieux<br />

que de M. Vossius dans les ehoses que vous passionnes 4. Apropos de<br />

M. Vossiusj'ay porte sa lettre a M. Bidal, qui l'ayant leüe m'a dit que<br />

depuis ma visite d'il y a trois semaines pour retirer vos livres d'entre<br />

ses mains, il s'estoit enquis de ses gens si durallt son voyage de Bruxelles<br />

ou il estoit alle devant M. Vossius, eeluy ey avoit envoye quelques<br />

ballots ehes luy, et qu'on luy avoit monstre un eoffre quarre et asses<br />

grand dans un eoin que l'on y avoit apporte de la part de M. Vossius<br />

pendant son absence. Nous prismes jour au lendemain pour le faire<br />

ouvrir. Je m'y rendis hier, l'ouverture s'en fit et nous le trouvasmes<br />

plein de livres plus des deux tiers en blane le reste relies de differents<br />

volumes 5. Mais le ballot que je luy avois donne pour vous a l'Image<br />

N[otre-] D[ame] 6 ne s'y rencontra point et il y atout sujet de eroire<br />

3 Ce (,Memoire& ou plutöt ce billet du R. P. Jacob a ete conserve par Heinsius, et figure<br />

dans les dossiers de Leyde;j'en donne ici le texte; il n'est pas date.<br />

Monsieur<br />

Presentement je viens du palais pour les livres que vous souhaittez, et vous diray qu'on<br />

ne veut pas donner les Commentaires Historiques de Tristan en 3 volumes bien reliez a<br />

moins de 36ft. On les peut prendre a ce prix la, car en blanc on ne les veut pas donner a<br />

moins de dix escus. Les medailles des Empereurs Romains imprimees chez Courbe le livre<br />

relie ille vand 6ft•<br />

Sidonius Apollinaris Sirmondi in 4 chez Cramoisy relie en parchemin 3ft 1088•<br />

Vita Tichonis Brahe etc. in 4 chez la VreuveDupuy illa vand reliee en parchemin4ff 1088•<br />

Pour les deux autres je n'ay peu encore les trouver et quant a l'Angeloni delle medaglie<br />

L'amy en a un qu'll m'a fait 20ff je luy en ay offert 10ft• Voyla ce que j'ay peu faire pour<br />

votre service et celuy de Monsieur Hinsius, estant a l'un et a l'autre<br />

MonsieUt<br />

Tres humble et tres affectionne Serviteur<br />

L.Jacob<br />

4 Ce developpement est en rapport avec l'interdiction signifiee par Heinsius a san ami<br />

de prendre a ses frais l'achat de ces livres. Nous avons lu la phrase meme de Heinsius dans<br />

la lettre prt!cedente, p. 338. - (,Les choses que vous passionm:s»: que vous desirez.<br />

ö (,En blanc&: non relies encore, mais broches et prets pour Ia reliure. (,Differents volumes»:<br />

differents formats.<br />

6 L'enseigne ou l'appellation (,A l'Image Notre-Dame& est extremement frequente dans<br />

le Paris d'alors: aussi cette indication n'est-elle pas suffisante pour identifier la maison dont<br />

parle ici Chapelain; il s'agit sans doute de l'hotellerie ou etait descendu Vossius. Lors d'un<br />

precedent sejour, en 1650, celui-ci avait elu domicile au logis meme de Bidal, dans la rue au


334 LETTRE LVII<br />

qu'il fut emballe et porte avec les autres que M. Vossius fit charrier<br />

avec luy en s'en retournant avec le M[aitr]e d'hostel de la Reyne a<br />

Bruxelles 7. M. Bidal me dit que les livres de ce coffre devoient estre<br />

l'emplette que M. Vossius avait faitte ches Cramoisy po ur 500ft,<br />

dont il demandoit le payement au mesme M. Bidal, auquel M. Vossius<br />

l'avoit remis 8, et qu'ainsi ces livres n'ayant point este payes, et luy<br />

n'ayant point d'ordre de les payer mais seulement de les envoyer ils<br />

retourneroient a Cramoisy leur premier Maistre. 11 m'a promis de<br />

faire response a M. Vossius conformement a ce que je vous dis et de<br />

vous l'addresser ouverte pour la luy rendre vous mesme et voir comment<br />

il s'en tirera. Celle cy ira par la mesme voye et nous en sommes<br />

demeures que je la luy envoyerois pour la mettre sous son enveloppe.<br />

Je vous conseille d'escrire six lignes de civilite a M. Bidal pour son bon<br />

procede envers vous, par la voye du mesme homme qui vous rendra<br />

son paquet. Et vous pourres me respondre pour cette fois par luy aussi<br />

sous l'enveloppe de M. Bidal afin que je sache prontement vostre<br />

resolution sur l'achapt de ces livres de Medailles. Pour l'avenir il sera<br />

bon que vos lettres pour moy aillent sous l'enveloppe de M. Du Puy<br />

ou de quelque autre de [mot surcharge et illisible: nos ou vos ou ses] Amis<br />

qui prennent le soin de me les faire rendre de bonne heure. Car mon<br />

logis estant difficile a trouver et loin de la route des Porte urs de lettres<br />

je ne les res;oy point ou ne les res;oy que tard quelque port que l'on<br />

mette dessus 9. Mais pour sortir enfin de ce discours j'ay appris avec<br />

plaisir la consideration qu'ont fait Mrs vos Patrons sur la priere que<br />

Fer (Lettres de Gui Patin, ed. Reveille-Parise, t. 11, p. 37). La phrase de Chapelain parait<br />

indiquer que eette fois Vossius a ehoisi un autre gite.<br />

7 Cette demiere information eontredit eelle que nous avons notee supra, lettre XLIII,<br />

n. 5, p. 274, et selon laquelle Vossius aurait, a son depart de Paris, fait entreposer ehez Bidal<br />

les livres et objets qu'il etait venu reprendre a Du Fresne. C'est Vossius lui-meme qui se<br />

plaint, dans une lettre a Heinsius du 10 juillet 1655, que ses caisses soient retenues a Paris par<br />

Bidal pour des motifs personneIs a eelui-ci (F. F. Blok, p. 206, d'apres Burman, t. III, p.<br />

683). On lira infra, lettre LXI, p. 347, une phrase qui, sans foumir la elef du probleme,<br />

ajoute une preeision non negligeable:


336 LETTRE LVII<br />

Menage plaide et languit. Mais tous deux conviennent avec moy<br />

egalement dans l'amour que nous avons pour vostre vertu. Je suis et<br />

seray toute ma vie<br />

Monsieur<br />

De Paris ce 20. J an. 1656<br />

Vostre tres humble et tres passionne<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Je vous prie de me mander ce que vous scaures de cet Atlas de la<br />

Chine qui s'imprimoit a Amsterdam, et qu'on disoit qui estoit si<br />

avance des il y a six mois 13.<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur I Monsieur Heinsius Resident I<br />

pour Mrs les Estats de Hollande I aupres du Roy de Suede I A La<br />

Haye. Cachets.<br />

de notes pour 1055 pages de texte. - Quant au Claudien, c'est en 1665 seulement, a Amsterdam,<br />

qu'en parut la (,reimpression», considerablement amelioree par rapport a la premiere<br />

edition de 1650.<br />

13 Il ne peut s'agir ici que du Novus atlas sinensis, de Martinius (Martino Martini, missionnairejesuite,<br />

1614-1661). Cet atlas, d'une qualite tout a fait remarquable pour l'epoque, fut<br />

publie en 1655 a Amsterdam par Joan Blaeu, qui en fit le tome VI et dernier de son Theatrum<br />

orbis terrarum (premiere edition).


Monsieur<br />

LVIII<br />

cette response que je vous fais a une lettre fort courte que je receus de<br />

vous il y a quelque temps sera presque toute pour Monsr Elzevir et<br />

pour les livres que je vous devois envoyer par luy. Sans l'occasion de<br />

son depart je l'eusse remise avec la premiere que j'attens de vous<br />

pour y satisfaire tout ensemble 1. Mais avant que de vous parler de<br />

luy vous voules bien que je vous felicite du retour de vostre sante<br />

qui est une nouvelle d'importance pour moy, et que vous me devies<br />

pour calmer mes inquietudes. Gar pour la foiblesse de vos jambes et<br />

quelque tumeur mesme je ne les conte pour rien. Ge sont des suittes<br />

eternelles des fievres opiniastres et ou il a fallu s'abandonner a la mercy<br />

des Enfans d'Esculape. Quant a Monsr Elzevir je l'ay trouve aussi<br />

honneste homme qu'il fut jamais et tout a fait vostre serviteur 2. Je<br />

luy ay communique vostre Memoire de livres et les prix arrestes par<br />

le P.Jacob pour les aller prendre avec luy. 11 n'y avoit que l'Angeloni,<br />

l' Imperatorum Numismata etc. et les Curiosites etc. qu'il n' eust point en<br />

Hollande 3. Je luy [laeune; on peut suppteer par exemple: confiai] Imperatorum<br />

etc. que j'avois desja pris de Gourbe pour 5ff au lieu de 6ft que portoit<br />

le Memoire du P.Jacob.Je luy indiquay l'Angeloni qu'il aura achete<br />

et pour les Curiosites etc. n'y en ayant point a Paris je me suis charge de<br />

les faire chercher en Provence et de le [sie] faire venir s'il y est pour<br />

vous l' envoyer. Le reste il vous le fournira de son magazin et si nos<br />

dorures vous plaisent il emmeine avec luy un Doreur, et ce me semble<br />

un Relieur en veau qui vous servira a souhait. Vous deves avoir il y a<br />

1 Gomprendre: je l'eusse retardee jusqu'a la reception de la premiere que j'attends de<br />

vous. Ghapelain a prefere saisir l'occasion du passage d'Elzevier a Paris, et lui a confie la<br />

presente lettre sans attendre davantage.<br />

2 Il s'agit probablement de Daniel Elzevier, le membre de la famille le plus amicalemen<br />

lie avec Heinsius. L'editeur, qui travaille maintenant a Amsterdam dans l'officine de sont<br />

cousin Louis, n'est a Paris que pour un brefsejour d'affaires: son voyage n'est pas mentionne<br />

par Willems.<br />

3 Franeeseo Angeloni est l'editeur d'un album in-folio d'effigies antiques paru a Rome<br />

en 1641 sous le titre: La Historia Augusta da Giulio Cesare infino a Costantino il Magno, illustrata<br />

con la veritii delle antiehe Medaglie. Voir Ernest Babelon, Traite des monnaies grecques et romaines,<br />

t. I, p. 131. Imperatorum Numismata est le titre du reeueil designe en fran


338 LETTRE LVIII<br />

desja queIques jours la Pucelle par la voye de Monsr Morus que j'en<br />

chargeay par sa courtoisie lorsqu'il s'en retourna en vos quartiers. Je<br />

vous en demande vostre avis estendu et severe afin de pouvoir reparer<br />

ses defaux s'ils ne sont point deplores 4. J'ay fait voir vos baisemains a<br />

Monsr Du Puy qui a respondu qu'il rescriroit. Vous trouveres avec<br />

ce mot un billet touchant l'artic1e des ports. Je suis de tout mon creur<br />

Monsieur<br />

De Paris ce 15. Fev. 1656.<br />

Vostre tres humble et tres passionne<br />

serviteur<br />

ChapeIain<br />

Pour l'adresse de lettres que vous m'escrives je voy bien que Mr Du<br />

Puy s'en est voulu descharger a cause qu'elles grossissoient son paquet<br />

et que le port en estoit plus fort de quelque chose qu'il ne desiroit pas<br />

porter, comme il n'estoit pas aussi raisonnable, quoyque lorsque vous<br />

esties en Suede vous m'en ayes addresse plusieurs pour luy que je luy<br />

ay envoyees sans avoir fait reflexion sur ce qu'elles coustoient de plus<br />

de port que n'eussent fait les miennes seules. Mais quand je vous ay<br />

prie de mettre les lettres pour moy dans son paquetj'ay creu que ni les<br />

siennes ni les miennes ne luy coustoient rien de port, et que le Secretaire<br />

de M. l'Amb[assadeu]r de Hollande les luy envoyoit gratis par<br />

vostre ordre comme vous me l'avies mande de Stokholm me priant de<br />

n'avoir point de scrupule sur le fait des ports, po ur ce qu'en qualite de<br />

Resident de Mrs les Estats vos paquets soit venant de vous soit allant<br />

a vous estoient portes aux despens de la Republique. Q'a este sur eette<br />

eonsideration que je vous priay de faire passer mes lettres sous l'enveIoppe<br />

de M. Du Puy eomme plus seure que la mienne a eame que<br />

mon logis est eIoigne des porteurs difficile a trouver et d'ailleurs que<br />

l'exorbitanee des ports pour une simple lettre jusqu'a des 18. et 20 s.<br />

de eeIles 5 qui venant de lion n'en portent que 4. fait peur aux gens<br />

de mon logis qui refusent de les prendre et les renvoyent lorsque je<br />

ne me trouve pas [au logis surcharge] ehes moy, ee qui arrive tres<br />

souvent a eause de mes affaires 6. Je vous en priay aussi eomme estant<br />

4 (cDeplores: inveteres, et trop graves pour etre corriges.<br />

5 Il y a un exemple du mot exorbitance dans Tamizey, t. 11, p. 720 (18 fmier (671). Mais<br />

la le mot est employe, comme dans l'usage actuel, absolument. L'emploi que nous observons<br />

iei est plus interessant, puisque Chapelain y eonstruit exorbitance avec la preposition de: il<br />

prend modele sur la construction d'exorbitant, qui est suivi de de dans le sens etyrnologique:<br />

qui sort de l'orbite deo L'idee exprimee est eelle d'une disproportion.<br />

6 Les controverses sur le eout eleve des ports de lettres sont vives dans les annees 1640-<br />

1660. Les Maitres des courriers ne cessaient, pretextant la lourdeur de leurs responsabilites


Monsieur<br />

LIX<br />

il y a plus de deux mois que je vous ay escrit par M. Elzevir une fois<br />

et par le Correspondant de M. Bidal l'autre sans que j'aye aucune<br />

nouvelle de vous. Voila de quoy mettre en grande peine un creur aussi<br />

touche de vostre merite que le mien, surtout vos dernieres lettres ne<br />

m'assurant pas encore tout a fait de vostre convalescence. Series vous<br />

retombe malade ou vous seroit-il survenu quelque affaire publique<br />

ou domestique qui vous empeschast de tourner les yeux du coste d'un<br />

Amy aussi assure que je vous le suis. Enfin tout me passe par l'esprit<br />

comme possible hormis que vostre silence procede de quelque diminution<br />

d'amitie. C'est ce que je verrois sans le pouvoir croire tant je<br />

connois en cette matiere vostre ame semblable a la mienne c'est a dire<br />

immota ut rupes ete 1. 11 y a pres de trois mois que Mr Morus Professeur<br />

de Theologie a Amsterdam se chargea de [sie] galant homme d'un<br />

Volume de la Pucelle pour vous estant bien aise de me faire cette<br />

faveur et a vous ce plaisir. Depuis celaje n'en ay eu ni vent ni voye 2<br />

etje ne scay ce qu'il est devenu.Je vous conjure d'en escrire a Amsterdam<br />

pour en apprendre des nouvelles et de faire retirer ce livre de ses<br />

mains s'il y est arrive. J'attens quelque autre commodite pour vous<br />

envoyer un Exemplaire d'un Volume de Lettres de celles que feu M.<br />

de Balzac m'a autresfois escrittes et qu'en mourant il a voulu qui<br />

fussent publiees pour marque eternelle de nostre amitie. M. Elzevir<br />

est party d'icy un peu trop tost pour cela. Pour toutes les raisons que<br />

je vous ay mandees et principalement po ur le peu de seurete que je<br />

trouve a mettre les lettres a la poste j'ay pris la voye de M. Huggens<br />

de Zulichem tres homme d'honneur et tres habile aux Mathematiques<br />

qui m'a tesmoigne avoir beaucoup d'estime pour vous 3. Si vous n'en<br />

1 Cf. Virgile, En., VII, v. 586 (a propos du roi Latinus) : (,Ille velut pelagi rupes immota<br />

resistit .• ) Une expression un peu analogue: ibid., X, vv. 693-696. Cette comparaison est<br />

empruntee a Homere (11., XV, vv. 6J1J-62I).<br />

2 Expression empruntee au vocabulaire de la venerie, et signifiant qu'on a perdu toute<br />

trace de l'animal poursuivi.<br />

3 Il est inutile de presenter ici Christian Huygens (1629-1695). Il avait fait la connaissance<br />

de Chapelain lors de son sejour a Paris en 1655. De retour a La Haye, illui adressa, en mars<br />

1656 probablement, un exemplaire de sa brochure De Saturni luna observatio nova (voir H. L.<br />

Brugmans, Le sljour de Christian Huygens a Paris, p. 33). La lettre qui accompagnait cette<br />

brochure se trouve reproduite, sous le n° 270, au t. I des (Euvres completes de Christian Huygens,<br />

p. 390. C'est la premiere piece de la longue correspondance entre les deux hommes, correspondance<br />

integralement publiee dans les (Euvres compte/es de Chr. Huygens. La reponse de


342 LETTRE LIX<br />

Monsieur, ne vous en affiiges pas tandis que je m'en resJoUls. Cette<br />

accusation est avantageuse pour moy. Elle porte sa louange avec elle.<br />

Sije l'avois voulu faire faire expres elle ne m'auroit pas este plus utile,<br />

et si j'avois le loysir elle me donne le plus beau champ du monde de<br />

me faire honneur de son infamie 8. C'est de vous que j'attens de justes<br />

reprehensions et des censures dignes d'estre suyvies. Donnes moy<br />

amplement de vos nouvelles et me croyes tousjours cordialement et<br />

inviolablement<br />

Monsieur<br />

De Paris ce 8. Avril 1656.<br />

Vostre tres humble et tres obcissant<br />

scrviteur<br />

Chapelain<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur / Monsieur Heinsius Resident /<br />

pour Messieurs des Estats aupres / du Roy de Suede / A La Haye.<br />

Cachets.<br />

les premiers mois de 1656, celui de Lignieres et celui de La Menardiere. Probablement c'est<br />

de ce dernier, premier en date, qu'il est ici question. Intitule Lettre du sieur du Rivage contenant<br />

quelques observations sur le poeme epique ef sur le poeme de la Pucelle, il parut enjanvier. Voir l'analyse<br />

de ce texte dans I'ed. A. C. Hunter des Opuscules critiques de Chapelain, pp. 305-320.<br />

Le poete y fournit lui-meme, quelques mois plus tard, une reponse (voir infra lettre LXVIII,<br />

n. 8, p. 381).<br />

8 Voir une affirmation analogue sous le plume de Tallemant des Reaux:


Monsieur<br />

LX<br />

j'en aymeray toute ma vie Monsr Huggens de Zulichem d'avoir si bien<br />

receu la priere que je luy faisois de vous faire rendre ma lettre et de<br />

l'avoir fait avec la punctualite que je pouvois desirer. Il m'a tire par<br />

la d'une des plus grandes peines ou j'aye jamais este, ne sachant que<br />

penser de vostre silence sur deux ou trois de mes despesches, et ma<br />

principale crainte estant que vostre maladie ne vous eust repris. La<br />

Response que vous aves faitte a la derniere me pourroit mettre en re pos<br />

de ce coste la ne me parlant d'aucune recheute, et sije ne vous aymois<br />

que mediocrement je n'en aurois pas davantage d'inquietude. Il faut<br />

pourtant que je vous avoüe qu'il m'en reste encore un peu voyant<br />

que vous ne me tranches point nettement que vous estes guery, et<br />

que vous me laisses conjecturer une chose dont je voulois une pleine<br />

assurance par vous. Je vous demandois d'ailleurs d'amples nouvelles<br />

de tout ce qui vous regarde, fortune, estudes, employs, et vous me<br />

remettes a un autre voyage. Cela est suspect a un cceur qui ayme et<br />

qui craint. Vemm Deus omen avertat 1. Je veux me promettre ce que je<br />

souhaitte et que vous merites. Peut estre mesme que je recevray cette<br />

ample Relation que vous voules que j'espere et que je la recevray par<br />

le premier courrier, vostre diligence prevenant mon impatience.<br />

L'Arny qui vous avoit tant promis d'envoyer vostre paquet sous l'enveloppe<br />

de vostre Ambassadeur ne merite guere le nom d' Amy, de<br />

vous avoir manque en si peu de chose et a moins que d'avoir un ordre<br />

de ses Superieurs de ne point grossir la despesche publique avec celles<br />

des particuliers je ne voy pas comment il s'excusera envers vous 2.<br />

Tout le monde peche dans les devoirs de la Societe, et l'on n'oseroit<br />

plus prendre de confiance en personne. Le Sr Bidal a qui j'envoyay<br />

mes precedentes il y a deux mois pour vous les faire tenir par son<br />

Correspondant les doit aussi avoir oubliees ou mal recommandees,<br />

puisque vous ne m'en accuses point la reception. Pour moy si j'ay a<br />

1 Cette expression semble arrangee par Chapelain a partir d'une phrase-type qui sous<br />

des formes variees est tres frequente en latin classique.<br />

2 La voie de transmission ici indiquee est eelle meme a laquelle Chapelain a deja fait<br />

plusieurs fois allusion. Mais l'(cAmy') de la presente phrase n'est probablement pas le meme<br />

personnage que le «Seeretaire de l' Ambassadeur Hollandois qui est en eette Cou!"» signale<br />

supra, lettre LI, p. 307.


344 LETTRE LX<br />

vous rescrire ce sera par Monsr Du Puy qui a la main bonne 3, ou par<br />

Monsr de Zulichem, lorsque j'en auray l'occasion, l'ayant esprouve<br />

si officieux dans ce que j'avois exige de sa civilite. Monsr Morus en a<br />

bien use aussi quoyque l'hyver et le danger du passage ayent rendu<br />

son voyage un peu long 4. Je le remerciay dernierement du soin qu'il<br />

avoit pris de porter et de vous envoyer le Volume que je luy avois<br />

commis, et je ne doute point que de vostre coste vous ne luy ayes fait<br />

compliment la dessus. Enfin Dieu soit loüe que le livre soit venu entre<br />

vos mains, et que vous ayes eu cette petite marque de la grandeur de<br />

mon amitie. J' en attens un jugement plus severe de vostre sincerite si<br />

eclairee pour en profiter. Car ce que vous m'en dittes est trop avantageux<br />

pour y adjouster foy et je le regarde plus comme un effet de<br />

vostre bienveillance que de vostre J ustice. Quant a la consolation que<br />

vous me donnes sur les soulernens de la lie du Peuple Poetique contre<br />

mon Poeme je la re, ce sont les Annales et historid! de rebus belgicis, qui<br />

allaient paraitre a Amsterdam l'annee suivante, et dont Chapelain s'etait deja inquiete dans<br />

la premic're de ses lettres a Heinsius, supra, p. 129. Un autre ouvrage historique de Grotius<br />

venait de sortir des presses: I'Historia Gotthorum, Vandalorum et Langobardorum (Amsterdam,<br />

1655); il est fort possible que Chapelain n'en eilt pas encore vu d'exemplaire.<br />

7 Les lettres suivantes font comprendre que Chapelain pense ici particulierement aux<br />

Orationes de Daniel Heinsius, a ses Poemata, et enfin a sa production epistolaire. On reviendra<br />

plus loin sur la question de ces reimpressions.


LETTRE LX 345<br />

vous conjure si la Pucelle a fait rouler vos presses comme on nous l'asseure<br />

icy 8 et si M. Elzevir ne vous a pas fourny ensuitte de ce que je<br />

traittay avec luy tous ces livres de Medailles pour lesquels j'ay remüe<br />

tant de machines afin de vous les faire avoir. Je suis maintenant hors<br />

du mal qui m'a arreste au logis plus de six semaines, et en estat<br />

d'executer les commandemens dont vous honnoreres<br />

Monsieur<br />

De Paris ce 3. May 1656.<br />

Vostre tres humble et tres obeissant<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur / Monsieur Heinsius Resident /<br />

de Mrs les Estats de Hollande en Suede / A La Haye. Cachets.<br />

8 Il y eut en effet, en 1656, une edition de La Pucelle qui parut a Amsterdam. Elle fait<br />

l'objet de la notice n° 1686 du catalogue Willems. Elle fut imprimee, non par les Elzevier,<br />

mais, a I'imitation de la collection elzevirienne, par J.Jansson, qui s'etait fait de ce genre de<br />

contrefac;on une fructueuse specialite (Willems, pp. 427-428). On remarquera que Chapelain<br />

ne fait pas expressement mention, dans ce membre de phrase, d'Elzevier: on peut en<br />

deduire que le bruit court a Paris (et plus particulierement dans l'officine de Courbe) qu'il<br />

s'agit d'une edition clandestine.


LETTRE LXI 347<br />

fee de Calliope 3. Vous leur deves rendre conte des riches talens que<br />

vous en aves receus et si vous ne les aves pas fait profiter, on ne vous<br />

admettra aucune excuse pour bonne. Mais c'est inciter sans besoin<br />

une vertu qui court dans cette lice d'elle mesme. Donnes moy je vous<br />

conjure des avis soigneux de tout ce qui se passera dans vos interests<br />

soit a l'egard de ces Commissions estrangeres soit pour l'avancement<br />

de vos travaux d'esprit. Surtout n'oublies point l'article de vostre<br />

sante et ne craignes jamais d'estre trop long dans vos despesches. La<br />

voye de Monsieur Hugens est tres bonne et sa courtoisie ne se peut<br />

asses estimer. Vous me feres grace de l'assurer de mon ressentiment et<br />

[lacune; on peut suppteer de] l' es time particuliere que je fais de son merite.<br />

Vous aures maintenant receu les livres que M. Elzevir emporta d'icy<br />

pour VOtis. Le Tristan et quelques autres de vostre Memoire n'y furent<br />

point achetes parce qu'il me dit qu'il les avoit en hollande et qu'il<br />

vous fourniroit a meilleur conte, aymant mieux vous vendre sa marchandise<br />

que vous debiter celle d'autruy, ce qui vous sera egal pourveu<br />

que vous ayes les livres 4. Quant au paquet que je donnayen main<br />

propre a Mr Vossius, Mr Bidal me maintint encore hier qu'il devoit<br />

estre party avec les quatre balles que vostre Amy envoya de Paris en<br />

hollande ou du moins qu'illaissa ordre a l'un des officiers de la Reyne<br />

d'y envoyer 5. 11 me fit encore souvenir que dans l'opinion qu'il<br />

pourroit estre parmy ceux qui estoient enfermes dans un coffre eh es<br />

luy, nous fismes ouvrir ce coffre et ne l'y trouvasmes point; conduant<br />

que Mr Vossius avoit tort de rejetter la perte que vous aves faitte<br />

sur luy a qui il ne l'avoit ni confie ni laisse, comme il me dit qu'il<br />

l'avoit escrit a VOtis mesme par son correspondant de la haye incontinent<br />

apres l'ouverture de ce coffre; joignant sa lettre a celle que<br />

je vous escrivois pour vous en donner avis. Je suis oblige de vous dire<br />

que je n'ay trouve que de la bonne foy en Mr Bidal, et que le procede<br />

de Mr Vossius m'est le plus suspect du monde.J'ay leu vostre Responce<br />

ches M. Menage le jour de sa Mercuriale 6 et luy ay fait honte de sa<br />

paresse a vous escrire sur la comparaison que vous faisies sur cet artide<br />

entre Mr Vossius et luy. Et parce qu'il y a longtemps queje vous<br />

ay averty qu'il aymoit bien mieux faire un livre qu'une lettre la<br />

3 Une des traditions mythologiques veut que Calliope, la premiere des Muses, ait ete la<br />

mere d'ürphee.<br />

4 Voir supra lettre LVIII, p. 337 et la n. 3.<br />

5 Cette phrase a ete commentee supra, lettre LVII, n. 7, p. 334.<br />

6 C'est tous les mercredis que Menage recevait ses amis et confreres. De Ja le nom qu'il<br />

donna a ces reunions, qui se maintinrent regulierement pendant plusieurs dizaines d'annees.<br />

Nous avons assiste (voir supra, lettre XIV, p. 163 et la n. 2) a la naissance de cette ceIebre<br />

institution, et avons remarque qu'a I'origine les seances avaient Iieu le jeudi.


LETTRE LXI 351<br />

dans six jours pour Angoulesme 20. Je vous respons de son affection<br />

corps pour corps et suis<br />

Monsieur<br />

De Paris ce 23. Juin 1656<br />

Vostre tres humble et tres obeissant<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur / Monsieur Reinsius Resident /<br />

de Messrs Les Estats en Suede / A La Raye. Cachets.<br />

20 Montauzier, nous le savons, est gouverneur de la Saintonge et de I'Angoumois.


Monsieur<br />

LXII<br />

vous m'aves donne plusieurs bonnes nouvelles a la fois sur des matieres<br />

qui me tenoient a l'esprit et dontje n'estois pas en une mediocre peine.<br />

Enfin vous voila guery de cette langueur si fascheuse et en estat de<br />

faire desormais valoir vostre vertu. Car ce petit reste dont vous me<br />

parles n'est pas une chose considerable, et qui a bien surmonte le plus<br />

surmontera facilement le moins, surtout en une saison toute propre<br />

a restablir les forces perdues. Je l'espere autant que je le desire etje<br />

dors en repos de ce coste la. J'apprens aussi avec beaucoup de plaisir<br />

que vos affaires domestiques sont regIees et que ce ne seront plus des<br />

affaires pour vous 1. Cette paix interne est absolument necessaire a<br />

celuy qui a pour but ou l'estude ou les emplois de dehors, et bien plus<br />

encore a celuy qui se les propose pour occupation l'un et l'autre. Mais<br />

il estoit aise a croire qu'un homme aussi desinteresse que vous n'auroit<br />

pas grand embarras pour ce regard ayant des proches aussi raisonnables<br />

que sont les vostres. Quant a vostre establissement dans la<br />

Charge de Secretaire de la Ville d' Amsterdam comme il m'a surpris<br />

il m'a aussi apporte une joye extraordinaire, et il ne pouvoit<br />

guere arriver rien plus selon mon souhait 2. Ce genre de vie est<br />

sans doute le plus sortable a vostre humeur et le plus propre pour<br />

vos fins. 11 vous donne part a la Republique sans vous exclurre du<br />

Parnasse. 11 vous ouvre un chemin a la fortune sans vous fermer celuy<br />

de la gloire des lettres. 11 vous partage entre vous et vos Compatriotes,<br />

entre vostre plaisir et leur utilite, entre vostre honneur et leur service,<br />

sans parler du degre que ce vous est pour monter ades dignites plus<br />

hautes et [a surcharge] pour vous faire un jour l'une des principales<br />

1 Ces «affaires domestiques» sont de deux ordres: elles consistent d'une part dans le reglement<br />

de la succession de Daniel Heinsius; et les mediocres relations qui unissaient Nicolas<br />

a son beau·frere vVillem Goes rendirent ce reglement epineux (F. F. Blok, p. [86); d'autre<br />

part, des son retour en Hollande, Heinsius eut de longs demeIes judiciaires avec Margaretha<br />

van \Vullen, d'Amsterdam, qui avait ete que!que temps sa maitresse a Stockholm et qui,<br />

lui attribuant la paternite de deux fils, pretendait se faire epouser. C'est la premiere de ces<br />

deux affaires qui, sans doute, se trouve regIee a la date de la presente lettre; mais la seconde<br />

allait constituer pour Heinsius, plusieurs annees durant, un epuisant calvaire. Burman,<br />

De vita Nie. Heinsii eommentarius. p. 39.<br />

2 Burman (op. eit., pp. 38-39) indique sans precision les dates auxquelles Heinsius prit<br />

possession et se separa de son nouve! emploi: [656 et [658. Mais il dit expressement quelle<br />

joie fut ee!le du nouveau secretaire politique de la ville d'Amsterdam: Heinsius, comme<br />

d'ailleurs Chapelain dans les lignes qui vont suivre, vit surtout dans cette nomination la<br />

possibilite pour lui de disposer de longs et fruetueux loisirs.


354 LETTRE LXII<br />

rencontrer par moy ni par mes Amis ce livre de Medailles imprime<br />

a Aix 6. Je feray aussi chercher ce Supplement de Duval ad Augustas<br />

Vici et il ne se perdra de temps ni a l'un ni a l'autre 7. Selon qu'on<br />

parle du voyage de la Reyne de Suede elle ne fera que passer par icy<br />

et tirera droit en Pomeranie. Nous la verrons dans trois ou quatre<br />

jours. Elle sera peu a Paris et ira de la trouver la Cour a Compiegne 8.<br />

Je eroy tousjours qu'il y a plus de la faute de M. Vossius que de eelle<br />

de M. Bidal dans la perte du paquet que je luy avois confie pour vous,<br />

etje ne vous dissimule pas queje ne sois mal satisfait de luy de m'avoir<br />

fait perdre lajoye de vous donner cette petite marque de mon zele.Je<br />

n'attens que l'occasion d'un ballot de Courbe a Elzevir pour vous<br />

envoyer les Poesies de M. Menage en petit les lettres que M. de Balzae<br />

m'a escrites et un livret d'un de mes Amis contre l'un des Calomniateurs<br />

de la Pucelle qui est d'un stile a vous divertir 9.Je pourray mesme<br />

vous envoyer le Commentaire Italien de nostre Amy sur l' Aminte,<br />

quand je vous devrois donner l'Exemplaire que j'en ay sauf a luy en<br />

redemander un autre. Nous verrons les lettres de Saumaise et le<br />

Traitte des Sesterces de Gronovius, lorsque les Marehands en auront<br />

dance taxe les Elzevier d'avarice: «Ce sont de simples marchands d'ancre et de papier»,<br />

ecrivait-il (lettre XIV, p. 165); cette indignation et ce mepris a l'egard de la gent des<br />

imprimeurs appartiennent acette epoque et dans ce milieu, nous l'avons note, a une thematique<br />

assez banale.<br />

6 Livre deja mentionne, sous le titre «les Curwsites, etc.&, a la lettre LVIII (p. 337), et non<br />

autrement identifie.<br />

7 L'orientaliste et numismate Jean-Baptiste Duval ou Du Val, mort en 1632, avait<br />

reimprime a Paris en 1619, en y ajoutant des compIements, le traite d'Enea Vico primitivement<br />

publie a Venise en 1558 sous le titre Augustarum imagines tIIreis formis expresstll, vittll<br />

quoque earundem breviter ena"attll. Cette reimpression figurera a la Bibliotheca Heinsiana (Antiquarii,<br />

in-quarto, n° 21, IIe partie, p. 140).<br />

8 Le voyage de Christine en France se deroulera de fac;:on a peu pres conforme au programme<br />

prevu par Chapelain. Partie de Marseille le ler aout, la reine a la date de la presente<br />

lettre se trouvait sur la Saöne aux environs de Mäcon. Chanut et Bourdelot, notamment,<br />

faisaient partie du cortege triomphal que Mazarin avait organise pour elle. Elle<br />

sejourna a Paris du 8 au 15 septembre, puis rendit visite a la cour a Compiegne. Elle repartit<br />

le 23 septembre, mais pour l'Italie. L'erreur de Chapelain s'explique sans peine:<br />

le but que Christine, a son depart de Rome, avait officiellement assigne a son voyage etait<br />

la Pomeranie (ou se trouvaient des domaines de la couronne dont elle s'etait conserve la<br />

jouissance) ou meme la Suede. Mais ce n'etait la qu'un pretexte, destine ajustifier le passage<br />

de la reine en France et sa rencontre avec Mazarin. Leurs conversations devaient en realite<br />

aboutir, et aboutirent en effet, a la signature d'un traite: ce fut le «traite de Compiegne&<br />

(22-23 septembre 1656). Aux termes de cet accord le gouvernement franc;:ais s'engageait a<br />

provoquer a bref delai et ensuite a soutenir une revolte a Naples contre les occupants<br />

espagnols, puis a user de son influence pour que Christine fUt reconnue reine de Naples par<br />

les insurges. Cet ambitieux projet fut bientöt ajourne par Mazarin (ce qui amena Christine<br />

a revenir en France l'annee suivante); la formation de I'alliance franco-anglaise contre les<br />

Espagnols le rendit finalement inutile. P. de Luz, pp. 227-244.<br />

9 Ce «Iivreb> est l'opuscule de l'abbe Jean de Montigny (1637-1671), intitule Lettre a<br />

Erasme pour response a san libelle contre la Pucelle, 32 pages in 4 0 ; Courbe venait de le faire parattre<br />

en juillet. Montigny y repliquait, sur un ton assez violent, au pamphlet de Lignieres<br />

(voir supra, lettre LX, n. 5, p. 334; CoIIas, p. 261, et A. Adam, Histoire [ ... ], t. 11, p. 172).


LETTRE LXII 355<br />

apporte. J'ay rendu en main propre a M. Du Puy les trois lettres qui<br />

estoient dans le paquet que vous m'avies addresse. 11 venoit de reeevoir<br />

eelle que vous luy eserivistes par le suyvant ordinaire. M. Menage y<br />

estoit present qui leut vos lettres et nous pria de vous assurer de son<br />

estime et de sa passion. Asseures vous bien de la eontinuation de la<br />

mienne et eroyes moy tousjours inviolablement<br />

Monsieur<br />

De Paris ce 24. Aoust. 1656.<br />

Vostre tres humble et tres obeissant<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur / Monsieur Heinsius / Secretaire<br />

de la Ville I d' Amsterdam. Gachets.


Monsieur<br />

LXIII<br />

je suis bien aise que vous ressenties comme vous faittes la courtolSle<br />

de M. Christianus Hugens pour la facilite et seurete de nostre commerce.<br />

Quant a moy j'en suis touche au dernier point, car quoyqu'il<br />

n'y aille pas grand interest, et que sa bourse en soit peu chargee je ne<br />

puis considerer comme peu de chose la bonne grace avec laquelle il<br />

fait cela et un procede si noble ne peut partir que d'un creur fort<br />

genereux. Je suis bien aise de trouver en un homme tel que luy autant<br />

de sujet de l'aymer pour des mreurs si louäbles que j'en avois desja de<br />

l'estimer pour les connoissances si rares dont il a donne des preuves<br />

au Public. Il faut mesme que je vous die la dessus qu'encore qu'il<br />

ne m'ait point fait de response a la lettre dont j'accompagnois la derniere<br />

que je vous ay escrite, il n'a pas laisse de m'envoyer la vostre<br />

avec la mesme punctualite que les autres et de charger ses Correspondans<br />

du soin de me les faire apporter. Que si ce n'a pas este avec la<br />

diligence que vous et luy avies espere cela est seulement arrive parce<br />

que celuy a qui il les addresse ne s'est pas rencontre a Paris quand<br />

son paquet y est venu et qu'une affaire l'a retenu plus qu'il ne croyoit<br />

a la campagne 1. Tout ce petit detail n'est qu'afin que vous voyes<br />

mieux l'obligation que nous avons a un si honneste homme et que vous<br />

ayes de quoy l'en remercier avec plus de fondement. Mais pour vous<br />

respondre sur une chose qui me touche bien davantage; Cette decla-<br />

1 Le correspondant de Christian Huygens a Paris s'appelle Tassin. (,C'est un avocat qui<br />

ne manque pas d'esprit>, disent de lui les freres de Villers (Journal d'un v'?)lage a Paris, p. lOg).<br />

('Je le trouve fort grand hableur et fort colere», note Chr. Huygens des son arrivee a Paris<br />

(lettre non datee, du 25 juillet 1655 environ, citee par H. L. Brugmans, Le sijour de ehr.<br />

Huygens a Paris, p. 26). Il est I'intendant de Henri de Beringhen, premier ecuyer du roi. Ce<br />

seigneur recevant et protegeant volontiers les Hollandais qui venaient a Paris ou y sejournaient,<br />

Tassin, esprit cultive, grand amateur de musique, jouait aupres de ces etrangers le<br />

röle officieux et sympathique d'un conseiller, d'un intermediaire ou meme d'un commissionnaire<br />

devoue. Tout ce passage se trouve commente par le fragment suivant d'une lettre de<br />

Chr. Huygens a Tassin, non datee, mais qui doit etre de septembre 1656 (c'est le 24 aout<br />

que Chapelain a ecrit a ses deux correspondants Huygens et Heinsius), et publiee dans les<br />

(Euures comptetes, t. I, p. 523, sous le n° 364: (,De plus je vous suis tresredevable du soin que<br />

vous prenez a faire tenir si seurement mes lettres a Monsieur Chapelain et a moy les sienes,<br />

C'est un homme de tresgrand merite et reconnoissant au possible, en sorte qu'il ne m'escrit<br />

jamais sans se louer de vostre civilite et diligence en ce que vous estes si ponctuel a executer<br />

ce qui regarde nostre commerce. Je luy envoye cette lettre de Monsieur Heinsius nOltre<br />

commun amy la quelle je vous recommande. Si d'avanture vous le voyez ayez la bonte de<br />

luy faire mes excuses de ce que je ne I'ay pas accompagnee de la miene, Je n'avois rien<br />

d'importance a luy mander, et d'ailleurs je fais scrupule de I'importuner souvent de mes<br />

lettres.»


LETTRE LXIII 357<br />

ration nouvelle dc la tendresse de vostre affection pour moy, et cette<br />

preference que vous me donnes a tant d'autres Personnes que vous<br />

aymes avec justice, m'est d'une satisfaction si grande que je ne vous<br />

la puis exprimer et que je vous la remets a imaginer telle qu'elle peut<br />

et qu'elle doit estre. Ce que je vous diray en recompense est que ma<br />

passion pour vostre merite ne doit rien a la vostre, que si elle ne le<br />

renvie pas sur elle 2 elle l'egale au moins, et que n'ayant point d' Amis<br />

que je vous prefere j'en ay peu que je cherisse autant que vous. Les<br />

marques que vous en receves par mes soins so nt les moindres queje vous<br />

en voudrois donner et je tiens a grace que vous vous en soyes contente<br />

jusqu'a cette heure. Pour les vostres ils 3 me sont les plus agreables<br />

du monde et me tiennent lieu de l'un de mes plus grands biens. Je<br />

n'entens pas pourtant que vous vous facies la moindre violence pour<br />

me les continuer. Je suis tellement assure de vous que je suis a l'espreuve<br />

d'un long silence et si vos maux ou vos affaires vous empeschent<br />

de m'escrire souvent, je pourray bien sentir la privation d'une chose<br />

si douce mais je n'en pourray ni murmurer, ni croire que vous m'en<br />

aymies moins. Ne vous contraignes donc point pour cela et jusques a<br />

ce que vous soyes en estat de reprendre vos premiers erremens, vaques<br />

a vostre sante et a vostre fortune. Je ne laisseray pas de mon coste<br />

de suyvre ma coustume, et a toutes les occasions ou je croiray vous<br />

devoir donner de mes lettres pour vostre service ou pour vostre consolation,<br />

je feray ce que mon zele me conseillera. Ce n'est pas que je<br />

vous quitte tout a fait de me donner des vostres. Vous m'importes<br />

trop pour n'avoir pas de curiosite de ce qui vous regarde. Je vous<br />

dispense seulement de l'exactitude precedente pour le temps que vous<br />

ne pourries y donner sans vous incommoder. Je suis bien mortifie<br />

d'apprendre par vostre derniere qu'il vous est encore demeure des<br />

ressentimens de vostre longue indisposition et qu'elle vous cause<br />

asses de chagrin pour augurer mal de la suitte. De grace ne nourrisses<br />

point de sem bl abi es pensees. Combates ces tentations, comme ce qu'il<br />

y a de plus mauvais en vos maux. Divertisses vostre esprit de ces<br />

sombres Idees qui les entretiennent, par une serieuse application a<br />

vos anciennes estudes ou a vostre nouvel establissement. On n'est<br />

veritablement malade qu'autant que 1'0n songe que l'on Pest, et c'est<br />

l'estre moins de moitie que d'esloigner cet objet de sa pensee. J'en use<br />

ainsi dans mes infirmites et je m'en trouve le mieux du monde, avec<br />

cette joye secrette de tromper la douleur en la negligeant et de me<br />

2 Pour le sens de cette expression, voir supra lettre LV, n. 10, p. 326.<br />

3 Comprendre: vos soins.


358 LETTRE LXIII<br />

soustraire a elle en dissimulant que je la ressente. Je suis bien aise que<br />

mon contentement sur le bon choix que vous aves fait redouble le<br />

vostre et vous affermisse dans une si juste resolution 4. 11 m'est honnorable<br />

que vous donnies tant de poids a mes sentimens que vous ne<br />

croyes les vostres veritablement bons que quandje les approuve.Je vous<br />

avoue que plus j'envisage vostre present employ plus il me semble<br />

qu'il vous est propre et davantage sans comparaison qu'aucun de ceux<br />

par Oll vous aves passe jusqu'icy, sur quoy je n'ay a adjouster ni a<br />

diminuer a ce que je vous en ay dit dans ma precedente. Menages bien<br />

je vous conjure tous les momens qui vous demeureront libres pour<br />

la pasture de vostre esprit, et choisisses les matieres pour cela selon<br />

la vigueur ou la foiblesse de vostre disposition presente. Le faisant<br />

avec la prudence qui vous est naturelle, il vous servira non seulement<br />

de divertissement mais encore de remede, et c'est la meilleure medecine<br />

que je vous puisse ordonner. Surtout defendes vous de la grossierete de<br />

vostre air maritime d'Amsterdam. Stokholm l'estoit aussi [sie] et les<br />

froids y estoient plus aspres. Les precautions dont vous usies en ce<br />

pats la vous serviront utilement en celuy cy. Je viens a l'article de la<br />

Reyne Christine. Que diries vous qu'elle a raccommode en France sa<br />

reputation qui y estoit rulnee en tant de manieres et que soit pour la<br />

civilite soit pour la conduitte envers tout le monde jusqu'envers les<br />

femmes, elle n'y a pas fait un faux pas. Enfin elle est repartie d'icy<br />

pour Rome avec l'applaudissement de chacun ayant gaigne l'approbation<br />

des Peuples qui l'eussent volontiers receüe po ur leur Reyne 5.<br />

Peut estre qu'un plus long sejour l'eust fait paroistre autrement, et<br />

que la contrainte qu'elle s'est donnee pour un peu de temps n'eust pas<br />

pu durer a la longue 6. Mais dans les quinzejours qu'elle a este a Paris<br />

et a la Cour elle s'en est fait honneur et en a remporte une gloire<br />

complette. Nous l'avons saluee et en mon particulier, j'ay sujet d'estre<br />

4 Il s'agit des quelques phrases dont, dans sa lettre precedente (pp. 352-353), Chapelain<br />

a salue la nomination de son ami au poste de secretaire de la viIle d'Amsterdam.<br />

5 La lecture du Recueil des harangues qui ont eti faites a la Reine de Suede [ ... ] (Barbin, 1660)<br />

confirme le point de vue exprime ici par Chapelain. On y trouve reunis les textes de plus<br />

de quarante discours d'apparat, depuis celui (,des Consuls de Marseille» jusqu'a la (,Harangue<br />

faite a Sa Majeste pres Luzarche, par un gentilhomme du pays». P. de Luz (p. 232; la<br />

citation est deformee) a releve dejii dans ce recueilla signifieative phrase latine d'un pretre<br />

qui, s'adressant a l'ex-souveraine, declara: (


LETTRE LXIII 359<br />

fort content de son bon accueil et des paroies favorables que j'en ay<br />

receues. M. Menage en a este Favory. En effet elle l'a tout a fait bien<br />

traitte 7. Ce fut luy qui luy apprit vostre employ, dont elle tesmoigna<br />

beaucoup de joye. Elle paria ensuitte et du creur a ce qu'il paroissoit<br />

de vostre probite singuliere et de vostre stile excellent surtout au genre<br />

Epistolaire. Je vous rens ce conte afin que vous sachies que si elle vous<br />

a fait tort d'ailleurs elle vous a fait au moinsjustice en cecy. M. Vossius<br />

n'a pas paru si bien dans son esprit et le moins qu'elle en a dit a este<br />

qu'il n'avoit pas le sens commun avec tout son Gree et tout son latin.<br />

Je suis tousjours en queste des deux livres de Re Numaria qui vous<br />

manquent, sans les avoir pu rencontrer jusqu'icy 8. Ne doutes point<br />

que je n'y face le possible et pour ce retardement ne vous empesehes<br />

pas de me donner d'autres Commissions aux occurrences. Je scauray<br />

volontiers par vos premieres si l' Atlas Chinensis est acheve d'imprimer,<br />

en quoy il consiste soit de Cartes soit d'explication litterale et quel prix<br />

les Elzevirs y auront mis 9. J'ay envoye a M. Du Puy la lettre que j'ay<br />

trouvee pour luy dans mon paquet et eelle ey ira vers vous dans le<br />

sien po ur ce coup 10. Il Y a peu de vos Amis a Paris par ce temps de<br />

vendanges. Ceux qui y sont comme Mr Menage et Mrs Valois ont<br />

receu vos baisemains avec grand ressentiment et vous les rendent<br />

avec usure. Quelque jour je vous demanderay vostre avis un peu<br />

partieulier sur la Pueelle qu'on imprime iey po ur la troisiesme fois<br />

depuis neufmois qu'elle a este publiee la premiere, quoyqu'a chacune<br />

le libraire en ait tire jusqu'a treize eens cinquante, et sans que les<br />

7 Sans faire a l' Academie fram;aise la visite officielle qui sera organisee en 1658, Christine<br />

s'etait pourtant des ce premier voyage fait presenter les memhres de la compagnie; ceux-ci<br />

s'etaient reunis, par exception, a la Bihliotheque royale, que Christine put ainsi visiter.<br />

C'est le 9 septemhre qu'eut lieu la ceremonie. Quoique Menage ne fUt pas de l'Academie,<br />

quoique meme, depuis sa Requeste des Dictionnaires, il fUt avec elle en assez mauvais termes,<br />

e'est lui qui fut «l'introducteur de ces messieurs» et les nomma a la reine I'un apres I'autre<br />

(Tallemant des Reaux, ed. A. Adam, t. 11, p. 930; voir aussi Menagiana, t. II, p. 285, cite<br />

par A. Fahre, Les ennemis de Chapelain, p. 279). Il faut done eroire que cette audience ne fut<br />

pas etroitement reservee a l'Academie


360 LETTRE LXIII<br />

abboymens de la canaille contre elle l'ayent arrestee d'un pas en son<br />

chemin 11. Assures vous tousjours de la tres cordiale affection que vous<br />

a voüee<br />

Monsieur<br />

De Paris ce 3. Octob. 1656.<br />

Vostre tres humble et tres obei'ssant<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur / Monsieur Heinsius Con­<br />

[seill]er / et Secretaire de la Ville d'Ams / terdam / A Amsterdam.<br />

Cachets.<br />

11 Sur cette troisieme edition de La Pucelle, dont l'impression particulierement lente ne<br />

s'acheva qu'en septembre 1657, voir supra lettre LXI, p. 343 et la n. 12. Le chiffre de treize<br />

cent cinquante exemplaires par edition sera confirme dix mois plus tard, infra, lettre LXV,<br />

p. 367. Quant aux «abboymens de la canaille», nous avons vu quels libelles designait Chapelain<br />

en ces termes meprisants (leUre LX, n. 5, p. 344).


Monsieur<br />

LXIV<br />

SI Je ne vous ay point escrit depuis la response que je fis a vostre<br />

derniere lettre que Monsr de Vicford vous rendit il y a tantost huit<br />

mois, en vous rendant ceIles de feu Monsr De S. Sauveur 1, c'est que<br />

vostre lettre m'avoit appris que vous ne prenies plus le mesme plaisir<br />

a nourrir ce commerce avec vos Amis que par le passe, et qu'apres<br />

avoir satisfait a ceIle cy je croyois devoir attendre que vous y respondissies<br />

pour voir si vous auries agreable que je continuasse. Vostre<br />

silence si long m'a sembIe dire que le goust ne vous en estoit pas encore<br />

revenu et que vostre sante ou vos affaires ne vous permettoient pas<br />

encore de renouer ce commerce. Voila la seule cause du long temps<br />

qu'il y a que vous n'aves rien receu de moy, et je vous avoueray que<br />

ce n'a pas este sans me faire une grande violence dans la tendresse<br />

que j'ay pour vostre vertu et le cas que je fais de vostre merite. Je me<br />

suis contraint pour ne vous pas contraindre et j'ay attendu le retour<br />

de M. de Vicford pour apprendre par luy de vos nouvelles que je ne<br />

pouvois apprendre par vous. Mais bien que je les aye longtemps<br />

attendues j'eusse peu les attendre encore davantage pour mon repos.<br />

Car ni pour vostre sante ni pour vostre domestique je ne voy pas que<br />

ce qu'il m'en a dit me doive beaucoup resjoüir et j'en suis si triste et<br />

si abbatu que si vous ne me faittes bientost scavoir qu'il y a de l'amendement<br />

en l'un et en l'autre je crains de ne les porter pas avec plus<br />

de constance que vous. Fortifies vous, Monsieur, contre ces attaques et<br />

donnes moy aussi bien l'exemple de la constance que celuy de la<br />

douleur. Vous estes desormais en un poste fixe et qui vous promet de<br />

la tranquillite de l'honneur et du profit. Uses en pour tout, etjoüisses<br />

de vos agitations passees dans vostre patrie et au lieu du monde le<br />

plus remply de ces diversites qui occupent agreablement l'esprit. Vous<br />

le feres sans doute parce que vous ne scauries rien faire de mieux et<br />

que vous faittes tousjours le mieux en toutes choses. Au reste cette<br />

Reyne que vous aves si longtemps servie inutilement, vous rend au<br />

moins justice du coste de l'estime et parle de vous comme elle le doit.<br />

1 On a vu qu'en effet la precedente lettre de Chapelain avait ete jointe, pour l'envoi,<br />

au «paquev) deJacques Dupuy; mais six mois a peine, non huit mois, se sont ecoules depuis<br />

lors. - Abraham de Wicquefort, partant pour la Hollande, s'est charge du «paquet»; a son<br />

retour (voir quelques lignes plus loin), il a rapporte a Chapelain des nouvelles de Hein.ius. -<br />

Jacques Dupuy, prieur de Saint-Sauveur, s'etait eteint le 17 novembre 1656.


LETTRE LXIV 363<br />

estre vieille ne vous en sera pas moins agreable, n'estant demeuree icy<br />

que pour en partir plus seurement 5. Vous scaures de plus que le<br />

Collecteur des lettres de M. Saumaise avoit fait solliciter M. de S.<br />

Sauveur pour avoir celles que feu son Frere en avoit receues. Mais<br />

parce que nous creusmes que Monsieur vostre Pere y estoit maltraitte<br />

nous les luy fismes refuser. Depuis la mort de M. de S. Sauveur je<br />

ne scay ce qu'elles sont devenues. Si M. de Thou en a herite comme de<br />

ses MS. nous essayerons de les faire tenir a couvert et nous pourrons<br />

l'obtenir 6. Vous trouveres encore icy des Vers latins que M. Menage<br />

a faits pour la publication de vostre Ovide quand vous la voudres<br />

donner. Il les fit sur la guerre que je luy faisois du peu de soin qu'il<br />

avoit de vous escrire. C'est qu'il ne veut rien perdre de ce qu'il escrit,<br />

et qu'il croit que d'escrire des lettres est peine perdue. C'est aussi ce<br />

qui m'a fait autresfois vous mander qu'il faisoit plus volontiers un<br />

livre qu'une missive 7. Vous aves Mr Morus a Amsterdam. C'est un<br />

homme de grand scavoir et de grand esprit et qui me tesmoigna son<br />

amitie en se chargeant du volume de la Pucelle pour vous et vous le<br />

faisant rendre avec une fidelite et une diligence extreme. Je ne doute<br />

point que vous n'ayes pris liaison ensemble, et que vous n'en tiries une<br />

mutuelle consolation. Du moins je le souhaitte pour vostre commune<br />

satisfaction 8. Nostre eher M. Chevreau fit cent lieues pour voir sa<br />

5 Si, comme on atout lieu de le penser, le dossier des lettres de Montauzier a Heinsius, a<br />

Leyde (Br F 8), est complet, la lettre du marquis a laquelle il est ici fait allusion est fort<br />

ancienne en effet, car elle date du 28 juin 1656. Mais l'excuse de Chapelain est vraisemblable;<br />

et on peut fort bien comprendre qu'il n'ait pas voulu alourdir ses deux ('paquetSJ)<br />

precedents (du 24 aout et du 3 octobre [656). D'une plate banalite, la missive de Montauzier<br />

ne contient a vrai dire que quelques formules de politesse.<br />

6 Voir supra lettre LXI, pp. 349-350 et la n. 14. Le (,Collecteun) des lettres de Saumaise se<br />

nomme Ant. Clement. Contrairement a ce que semble indiquer la phrase de Chapelain, le<br />

l'remier volume, publie l'annee precedente, contenait douze lettres adressees a Pierre Dupuy;<br />

ce sont les lettres I a VI, VIII a X, XII, XLIII et XL V: ces trois dernieres sont respectivement<br />

datees de 1628, 1633 et 1634. Mais il est bien evident que ces douze lettres forment<br />

une collection tronquee, et que Chapelain pense surtout aux lettres de Saumaise posterieures<br />

a 1640. - Jacques-Auguste de Thou (1609-1677), baron de Meslai, abbe de Bonneval,<br />

puis president aux enquetes du Parlement de Paris, etait depuis l'annee precedente<br />

ambassadeur a La Haye. Il etait le troisieme fils du ceIebre historien, egalement prenomme<br />

Jacques-Auguste (1553-1617). C'est une cousine germaine de ce dernier, Claude Sanguin,<br />

qui en 1576 avait epouse l'humaniste Claude Dupuy; !eurs enfants furent ceux qu'on a<br />

appeles les (,freres puteans». Ce n'est pas seulement, d'ailleurs, par la parente que les freres<br />

Dupuy se consideraient comme des de Thou: de 1617 a 1645 ils avaient administre la riche<br />

bibliotheque de leur cousin, a laquelle ils avaientjoint la leur propre, et ils avaient vecu dans<br />

I'hötel de Thou. A !eur mort, !eurs archives ne pouvaient faire retour qu'au chef de la<br />

familie. Voir R. Pintard, pp. 92--93.<br />

7 Ces vers de Menage ne sont plus dans le dossier de Leyde. On peut les lire dans la troisieme<br />

edition des Poemata (Courbe, 1658), p. 63. Ils forment un petit poeme de neufhendecasyllabes,<br />

terne et insignifiant.<br />

8 Sur Morus, voir supra lettre LVII, n. 2, p. 332. En fait, Kicolas Heinsius et Alexandre<br />

Morus ne devinrent nullement amis. Les temoignages attestant le caractere difficile et


Monsieur<br />

LXV<br />

je commenceray ma Response a vostre Lettre du 18. du eourant, par<br />

me plaindre de ma mauvaise fortune qui m'enviant depuis si longtemps<br />

la eonsolation de vos nouvelles m'a encore prive de eelles dont<br />

vous m'avies honnore par vostre precedente, en rendant inutile la<br />

peine que vous avies prise de m'escrire, amplement sans doute comme<br />

je le juge par la petite que je viens de reeevoir de vous. Car cette lettre<br />

a laquelle vous me dittes que vous n'aves rien a adjouster n'est point<br />

venue jusqu'a moy quelle qu'en puisse estre la eause. Mais sachant<br />

a quel point je vous suis aquis et combien les marques de vostre<br />

amitie me touchent, vous ne douteres point que cette perte ne m'ait<br />

este tres sensible et vous feres bien tout ce qui sera necessaire pour<br />

la reparer; surtout si cette lettre contenoit quelque chose qui regardast<br />

vostre service, et qu'il importast que je sceusse pour vostre satisfaction.<br />

Je m'imagine que vous m'y donnies part de l'estat present de vostre<br />

sante, de celuy de vos interests domestiques et de celuy de vos estudes,<br />

et je vous avoue que mon inquietude s'estend sur ces trois articles<br />

autant par devoir que par curiosite, ne pouvant avoir l'ame tranquille<br />

tant que j'apprehenderay que ces trois choses n'aillent pas comme<br />

vous le desires. Dans les infidelites que la Fortune fait aux honnestes<br />

gens pour les despesches qui luy sont confiees, po ur obvier a la perte<br />

des vostres, je voudrois que vous usassies de l'expedient que j'ay pris<br />

depuis asses longtemps, qui est de faire tirer des copies de toutes celles<br />

qui importent tant soit peu ou a nous ou a nos Amis, avant que de<br />

les envoyer, afin d'y avoir recours en cas d'accident, et de n'estre pas<br />

reduit a donner la gesne a sa memoire po ur rappeller des images<br />

fugitives, dont elle n'est pas tousjours une seure depositaire. Ce remede<br />

ne se pratique pas sans de fameux exemples. Ciceron Pline nous en<br />

ont monstre le chemin etil n'y a ni Ambassadeur ni Secretaire d'Estat qui<br />

y manque. Pour moy je m'en suis tres bien trouve a l'occasion 1. Au<br />

reste vous aves ravi M. le Marquis de Montauzier par vostre souvenir<br />

qui luy a paru aussi eloquent qu'affectueux et tendre. Je l'ay leu avec<br />

le mesme plaisir que luy et j'ay este bien aise d'y voir mon nom<br />

1 Sur cette importante question des (,copies.) que Chapelain fait etablir de ses lettres, voir<br />

I'Introduction, pp. 39 sqq.


368 LETTRE LXV<br />

aura trouve au mois d' Avril dernier de cette Lune de Saturne et de la<br />

forme de cette grande Planete qui exerce depuis si longtemps les<br />

Astronomes et les Physiciens 11. Bien que mon logis soit difficile a<br />

trouver, lorsque vous aures volonte de m'escrire et que de favorables<br />

occasions vous manqueront po ur cela, hazardes plihost vos lettres<br />

avec cette Suscription. A Monsieur Monsieur Chapelain Con[seill]er du<br />

Roy en ses Con[sei]'S TUe Sale au Conte pres les Filles Penitentes chis Mad[am]e<br />

Faroard A Paris 12. BlIes pourront m'estre rendues. M. Menage vous<br />

respond 13 et est tousjours tout a vous, a peu pres<br />

Monsieur comme<br />

De Paris ce 30. Juillet 1657.<br />

Vostre tres humble et tres obeissant<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur / Monsieur Heinsius Con­<br />

[seill]er / et Secretaire de la Ville d'Amsterdam / A Amsterdam.<br />

Cachets.<br />

11 La correspondance entre Huygens et Chapelain s'est interrompue d'aout 1656 a<br />

octobre 1657. La publication du Systema Saturnium, qui ne verra le jour qu'en 1659, etait<br />

primitivement prevue pour 1656. Mais Huygens, en juin de cette annee, avait annonce a<br />

Chapelain qu'il ne pourrait achever ses observations qu'au printemps de 1657. Cette<br />

circonstance justifie la curiosite qui se manifeste ici.<br />

12 Chapelain avait ete fait conseiller d'Etat en 1645 par le chancelier Seguier (lettre a<br />

Conringius du 16juin 1666, Tamizey, t. I1, p. 464). Sur l'emplacement de la rue SaIle-au­<br />

Comte, voir supra lettre LVII, n. 9, p. 334. La maison Oll vivait Chapelain etait celle de<br />

sa sreur, Catherine Faroard; la fiIle de ceIle-ci y residait egalement, avec son mari Antoine<br />

Leleu.<br />

13 La lettre de Menage a Heinsius, dans les dossiers de Leyde (Br F 8), est datee du<br />

(,dernier aout.) 1657. Or le 5 octobre suivant Chapelain va accuser reception d'une reponse<br />

de Heinsius (Iettre LXVII, avant-derniere phrase, p. 378)! Ce delai trop bref montre que<br />

Menage a commis un lapsus, et que, comme le suggere assez nettement le present passage,<br />

il convient de lire: (,dernier juiIIet» ou: ('premier aout». Menage a expedie la presente lettre<br />

de Chapelain dans le meme ('paquet» que la sienne propre (Iettre suivante, p. 369)' - Cette<br />

lettre de Menage a Heinsius marquera la reprise du commerce epistolaire des deux anciens<br />

amis, apres plus de cinq ans d'interruption. Pourtant le rythme des echanges restera considerablement<br />

ralenti: dix lettres de Menage seulement suivront eelle-ei, de 1660 a 1681.


Monsieur<br />

LXVI<br />

j'ay veu dans vostre lettre du 20. d' Aoust avec plus de satisfaction<br />

que je ne vous le scaurois exprimer qu'encore que vous n'eussies receu<br />

de longtemps des miennes, vostre affection vous obligeoit a me solliciter<br />

de vous en donner et de vous eclaircir touchant les desseins de nos Amis et<br />

de nos Scavans. Croyes bien je vous en conjure que rien ne m'est plus<br />

doux que vostre amitie; qu'il n'y a point pour moy de nouvelles plus<br />

agreables que eelles qui me viennent de vous; que j'en souhaitterois<br />

toutes les semaines et que je me fais violence quand je ne vous escris<br />

pas tous les jours. 11 y a tantost un mois que je vous fis une longue<br />

despesche, laquelle vous deves avoir receue avec la Response de M.<br />

Menage qui s'en chargea et vous aures bien juge par sa prolixite du<br />

plaisir que j'ay de m'entretenir avec vous. Que s'il s'est passe un an<br />

sans que j'aye rompu le silence 1 ce n'a este que pour ce que vostre<br />

nouvel establissement et vos affaires domestiques vous le faisoient<br />

garder de vostre coste, et qu'apres vous avoir resveille inutilement<br />

deux fois par les miennes je pensay qu'il vous faloit laisser en liberte,<br />

et attendre que vous pussies renouer le commerce, sans prejudice de<br />

vos occupations. J'ay beaucoup de joye, Monsieur que ce temps la<br />

soit venu et que vous soyes en es tat de reprendre vos anciennes erres a<br />

nostre commune consolation; etje m'engage de mon coste a y correspondre<br />

fidellement, et avec tout le soin dont vous estes digne. Mais de<br />

grace lorsque vous m'escrires regardes bien a qui vous commettres vos<br />

paquets, et plustost que de les mettre en main douteuse ou negligente,<br />

suspendes en l'envoy jusqu'a ce qu'il se presente une seure occasion<br />

de me les faire tenir. Que diries vous que celles que porte vostre<br />

derniere que vous m'aves escrittes plus d'une fois par M. Bigot sont<br />

peries avec les siennes par les chemins et que j'ay surtout perdu vostre<br />

premiere, qui devoit estre fort instructive touchant vostre sante,<br />

vostre fortune et vos estudes, de quoy j'ay este fort mortifiC? Vous<br />

m'obligeres de vous estendre un peu sur tout cela dans vos prochaines.<br />

J'ay receu le Volume des Oraisons de Monsieur vostre Pere et je luy<br />

destine la place la plus honnorable de mon Cabinet. C'est sans doute<br />

un de ses Chef d'ceuvres et j'ay este ravi de lc trouver si notablement<br />

1 En realite six mois.


LETTRE LXVI 371<br />

C'est un Poeme herolque de la Conqueste de la Terre de Promission 6.<br />

Cet hyver on mettra sous la presse la Suitte des lettres que M. de<br />

Balzac m'a escrittes. Cet Este a paru un Ramas de ses Entretiens, et<br />

presentement on est asses avance de l'Impression de son Traitte de la<br />

Cour auquel il a donne le nom d'Aristippe 7. M. Conrart lutte sans<br />

cesse contre sa goutte et contre son rhumatisme et c'est un petit<br />

miracle qu'il n'en soit pas mort il y a trois ans. 11 est a sa Maison des<br />

Champs pour pratiquer quelques remedes, dont on le fait bien esperer<br />

8. S'il se remet on aura de luy plus d'un Tome de fort bonnes<br />

lettres. C'est le genre d'escrire ou il reussit eminemment 9. Pour M.<br />

Menage il est tout entier dans la langue Italienne et l'habitude qu'il<br />

a prise avec la Crusca a banni de son esprit toute autre estude. Son<br />

travail depuis un mois est le Commentaire qu'il s'est engage de faire<br />

sur les vers et sur la Prose de Gio. della Casa dont il va faire imprimer<br />

le Texte qui sera accreu et enrichi d'une Oraison que cet Archevesque<br />

estant N once a Venise avoit preparee pour la prononcer dans ce Senat<br />

contre les Espagnols apres l'occupation de Plaisance. C'est moy qui<br />

luy en fournis le MS 10. Lorqu'il vous rescrira il vous apprendra plus<br />

6 On remarque que Godeau est iei pour la premiere fois «M. de Venee.), apres avoir ete<br />

tout au long de ces lettres «M. de Grasse». C'est Mazarin, hostile a Godeau pour des raisons<br />

personnelles, qui fit desunir les deux dioeeses, reunis en 1639 par Richelieu. Godeau put<br />

ehoisir le diocc':se qu'il desirait eonserver. Cette disgraee lui survint a la fin de 1653 (Chapelain<br />

nomme eneore (,M. de Grasse» dans sa lettre du 14 mai 1654, supra, p. 249). Voir Tallemant<br />

des Reaux, ed. A. Adam, t. I, pp. 551 et I 171-1172. - Le (,Reeueib auquel Chapelain<br />

fait allusion, intituIe (Euvres chrestiemlCs et morales en prose, allait paraitre (1658) a Paris ehez<br />

P. Le Petit. Quant au Josue, Godeau quelques annees plus tard en abandonna definitivement<br />

la eomposition; Chapelain eommente eette deeision dans une lettre a l'eveque de<br />

Venee, datee du 18 deeembre 1665 (Tamizey, t. 11, p. 426).<br />

7 La suite des LeUrp.s familieres de Balzae a son ami Chapelain ne verra finalement pas le<br />

jour. Sur les Entretiens, voir lettre precedente, n. 8, p. 367. L'Aristippe ou de la Cour: Courbe,<br />

1658, in-4°·<br />

8 La celebre maison de campagne de Conrart etait situee a Athis, sur les bords de la<br />

Seine. Mlle de Scudery I'avait baptisee Carisatis, et y emmenait parfois les habitues de ses<br />

samedis; tous ont chante, en vers ou en prose, les charmes du domaine. Voir Kerviler et<br />

Barthelemy, Val. ConraTt, pp. 180 sqq., et V. Cousin, La sociitifranfaise au XVIIe siecle d'apres<br />

(,Ie Grand Cyrus.) de Mlte de Scudery, t. 11, pp. 303-312.<br />

9 Conrart vecutjusqu'a I'age de soixante-douze ans, et mourut en 1675. Mais, en dehors<br />

de ses Lettres familieres a Andre Felibien, publiees en 1681, aucun volume de lettres de lui<br />

ne parut ni de son vivant ni dans les annees qui suivirent sa mort. Notons pourtant chez<br />

Tallemant des Reaux un temoignage qui concorde exactement avec celui que fournit ici<br />

Chapelain (ed. A. Adam, t. I, p. 578): (


LETTRE LXVII 377<br />

nous escrire je l'accableray de tant de justes eloges que pour me faire<br />

taire vous seres contraint de devenir plus diligent. Nous scavons que<br />

les Lettres ne vous coustent rien, mais nous scavons aussi qu'elles<br />

valent mieux de vostre plume toute negligee que vous la tenies qu'elles<br />

ne feroient aux Personnes a qui elles coustent le plus et qui les travaillent<br />

et peignent davantage. Joüisses de l'heureuse fertilite de<br />

vostre fonds et laisses au Monde a juger du prix de ce qu'il scait<br />

produire sans estre cultive. La naivete, la simplicite qui paroist en vos<br />

despesches est ce qui les rend plus estimables, parce qu'elles satisfont<br />

par la au vray charactere des lettres, qui surtout veut sentir l'entretien<br />

libre et famHier. Au reste ne soyes point en peine de celle qui s'est<br />

perdue, et ne craignes point que ce qu'elle contenoit ne vous nuisist<br />

aupres de vostre Reyne du tempsjadis. Elle s'est perdue de bonne foy,<br />

et celuy que vous en avies charge me devoit une Response qu'il avoit<br />

jointe a la vostre, et qui a fait un mesme naufrage 2. Je souhaitte que<br />

cette Princesse puisse s'aquitter envers vous, et si cette esperance vous<br />

attiroit icy cet hyver je le souhaitterois encore davantage 3. Mais je<br />

ne voudrois pas que mon souhait, ni la consideration du plaisir que<br />

j'aurois de vous embrasser vous fist faire un voyage inutile. En gros<br />

j'ay mauvaise opinion de sa justice et encore plus de sa gratitude.<br />

Mais quand je me tromperois de ce coste comme je le voudrois bien,<br />

j'aurois peur de ne me pas tromper du coste de sa puissance. Selon<br />

que 1'0n en parle icy ches ses Correspondans mesmes elle est reduitte<br />

a une grande disette, et ne scait pas trop bien de quoy elle subsistera,<br />

desormais que les revenus de Pomeranie ou cessent ou sont fort<br />

diminues 4. Si j'apprens quelque chose de plus favorable je vous le<br />

manderay soigneusement. Je vous prie de faire bien des amities a<br />

Monsieur Morus pour vous et pour moy des genereux soins qu'il veut<br />

prendre de nos lettres. 11 a le creur aussi noble que l'esprit et est digne<br />

de toute nostre affection et de tous nos services. Je feray scavoir a<br />

M. de Montauzier l'envie que vous me portes de lajoüissance quej'ay<br />

d'une compagnie si charmante que la sienne. 11 est tousjours tout a<br />

vous et devant que de partir pour Ramb[ouille]t ou il est pour six<br />

2 Le responsable de ce double «naufrageJI est Emery Bigot. Voir supra lettre LXIV, n. 4,<br />

P·362.<br />

3 A la date de la presente lettre, le voyage de Christine approchait de sa fin; elle venait<br />

rle quitter Lyon; elle allait etre le 7 octobre a Orleans, et arriver a Fontainebleau le 10<br />

oetobre, pour y rester environ cinq mais.<br />

4 Depuis langtemps deja les ressources financieres dont disposait Christine etaient lain<br />

rle suffire a son train de vie dispendieux. L'intendant general des domaines de Pomeranie,<br />

Appelman, avait ete mande a Fontainebleau (P. de Luz, p. 249).


378 LETTRE LXVII<br />

semaines il me dit qu'il m'envoyeroit de la une Response pour vous 5.<br />

M. Menage a veu la vostre et a tenu agloire de s'y trouver en deux<br />

lieux. Si vous luy respondes comme vous me le dittes, il dit qu'il vous<br />

repliquera, quelque lethargie qui le tienne po ur l'article des lettres.<br />

]'attens deux mots, dans vostre premiere sur celuy de M. de Peyrarede,<br />

que je luy puisse monstrer 6, ct suis sans aucune reserve<br />

Monsieur<br />

De Paris ce 5. Octob. 1657.<br />

Vostre tres humble et tres obeissant<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur / Monsieur Heinsius Con­<br />

[seill]er / et Secretaire de la Ville d'/Amsterdam / A Amsterdam.<br />

Cachets.<br />

5 N'oublions pas que Mme de Montauzier, neeJulie d'Angennes, est la fille du marquis<br />

de Rambouillet, et que le celebre chäteau fait partie des biens de la famille. - Cette lettre<br />

de Montauzier, du 20 novembre 1657, a en effet ete ecrite a Rambouillet. A cote de for·<br />

mules d'une politesse banale, on y lit des questions precises sur I'edition des ceuvres de<br />

Daniel Heinsius que doit entreprendre Nicolas; Montauzier souhaite meme ('avoir un<br />

catalogue au vray de tous ses ouvrages [de Daniel Heinsius] tant imprimes que non imprimeS')<br />

(Leyde, Br F 8).<br />

6 Pour le remercier de ses «deux ou trois Corrections') sur Ovide et Claudien (lettre precedente,<br />

p. 373).


Monsieur<br />

LXVIII<br />

il Y a longtemps que j'eusse respondu a vostre longue et belle lettre<br />

du mois d'Octobre si je n'en eusse attendu une de Monsr le Marquis<br />

de Montauzier pour joindre a la mienne et vous la faire trouver plus<br />

supportable par une si agreable compagnie que celle la. Son retour<br />

retarde a este cause de ce retardement, et bien qu'il m'ait dit a son<br />

arrivee qu'il vous escriroit infailliblement je suis pourtant plus assure<br />

que je vous envoyeray celle cy par cet ordinaire que je ne le suis de<br />

vous envoyer la sienne, a cause des continuelles distractions qu'a un<br />

homme de sa sorte dans une Cour dont il fait une des plus considerabIes<br />

parties et dans une Maison qui ne desemplit point de gens de<br />

qualite de l'un et l'autre Sexe. Que si vous n'aves point de ses nouvelles<br />

pour cette fois par luy mesme je vous puis assurer que ce n'est<br />

pas faute de vous aymer tendrement et d'avoir une singuliere estime<br />

de vostre vertu soit morale soit intellectuelle. Je ne l'ay jamais veu<br />

de deux opinions sur vostre sujet, et vous estes tousjours l'objet de<br />

son admiration et de sa bienveillance 1. Mais pour en venir a ce qui<br />

me regarde dans vostre despesche, j'ay receu une consolation extreme<br />

du plaisir que vous me tesmoignes prendre a estre ayme de moy,<br />

aussi bien que de l'avantage qu'il me semble que vous voulies tirer de<br />

mon approbation, soit pour l'ordre de vos affaires soit pour les projets<br />

de vos estudes. Et en verite si ma cordiale amitie est digne de quelque<br />

chose de semblable, je ne tiendray pas cette faveur tout a fait gratuite,<br />

etje pense la pouvoir pretendre en quelque sorte jure meo. Cet article<br />

de ma sincere amitie m'ayant este passe par vous il y a longtemps 2,<br />

je ne m'y arresteray pas davantage, et je n'y respondray autre chose<br />

sinon que je suis persuade de vous comme vous l'estes de moy et que<br />

vous n'aves pas plus de confiance en ma fidelite que j'en ay en la<br />

vostre. Vous aves au reste si bien repare la perte de la lettre que vous<br />

avies commise a M. Bigot que je ne plains plus que la peine que ce<br />

1 Voir lettre precedente, n. 5, p. 378. La missive de Montauzier a beI et bien, nous le<br />

verrons plus loin, etejointe par ChapeIain a la presente lettre. 11 n'y a pas Heu de mettre en<br />

doute sa date: de retour a Paris, Montauzier aura mal fait comprendrc a Chapelain que sa<br />

lettre a Heinsius etait deja ecrite, et aura tarde a la lui faire remettre.<br />

2 (,PaSSe,): concede, accorde. On peut rapprocher la phrase de La Bruyere citee par<br />

Littre (art. 51): «J'entends corner sans cesse a mes oreilles: l'homme est un animal raisonnable;<br />

qui vous a passe cette definition?» (XII, n° 119).


LETTRE LXVIII 381<br />

sur cette action, respectant sa Personne et souhaittant qu'il y puisse<br />

avoir de quoy la defendre. Mais il ne se peut dire quelle commotion<br />

cela a cause parmy les Grands et parmy le Peuple, et il n' est pas impossible<br />

que ce sentiment general ne l'ait empeschee d'insister a venir<br />

dans une Ville ou il luy eust falu essuyer l'indiscretion de la canaille<br />

nombreuse qu'on n'eustjamais sceu contenir.Je ne scaycomment elle<br />

est partie satisfaitte, mais je scay bien qu'en l'estat ou est sa fortune,<br />

vos lettres ni vostre presence mesme quand vous fussies venu solliciter<br />

vos interests en personne, n'auroient servy qu'a augmenter le desplaisir<br />

de l'avoir tant servie inutilement. Je suis fort aise d'apprendre que<br />

vous ayes receu le Volume des lettres de Balzac qui s'addressoient a<br />

moy et celuy des Poesies de M. Menage. L'homme de M. Elzevir est<br />

charge de celuy des Entretiens du Premier, que je vous promettois<br />

par mes precedentes, et je vous remercie de ce que vous agrees que je<br />

vous face ce petit present. Une autre occasion vous portera son<br />

Aristippe qui est sans doute ce qu'il a fait de plus beau 7. Vousvern!s<br />

quelquejour une Apologie solide et agreable du Poeme de la Pucelle;<br />

car je crains de ne la pouvoir pas tousjours retenir comme j'ay fait<br />

jusqu'icy, quoyque je tienne bon encore, pour ne me pas commettre<br />

avec l'Esprit malin qui l'avoit attaque et qui ne meritoit pas qu'on<br />

luy fist l'honneur de le destruire, son action d'ailleurs l'ayant deshonnore<br />

aupres de tous les honnestes gens non seulement parce que<br />

son libelle est tres impertinent mais encore parce qu'il ne l'avoit peu<br />

faire sans une lasche ingratitude envers moy a qui il avoit plus d'une<br />

obligation sensible 8. Pour l' Apologie de l' AbM de Montigny c'estoit<br />

escomptait le depart immediat de Christine pour le Midi de la France, puis Rome. Mais la<br />

reine n'avait nullement renonce a son projet initial; sa perseverance fut couronnee dt:<br />

succes, car, apres etre retoumee pour trois mois encore a Fontainebleau, elle put passer<br />

avant son depart une douzaine de jours a Paris, installee au palais du Louvre. Voir P. de<br />

Luz, pp. 259-262.<br />

7 Les titres des ouvrages ici mentionnes par Chapelain ont deja ete precises dans les<br />

notes anterieures. - «L'homme de M. Elzevir» est encore, comme le (


LETTRE LXVIII 383<br />

pour vostre ressentiment, et ne eraignes pas que provoque eomme vous<br />

estes personne y trouve a redire. J'ay rendu a M. Menage la lettre<br />

queje trouvay pour luy dans mon paquet. Il m'a promis d'y respondre<br />

et ille fera par la voye de M. de Thou si sa paresse le luy permet. Je<br />

l'ay engage a sollieiter eeux qui ont la elef du Cabinet de ee vertueux<br />

Ambassadeur a Paris d'y faire perquisition des lettres que Mrs Du<br />

Puy et M. son Pere ont reeeues du vostre et de vous les envoyer ou<br />

des copies au moins. Je l'en feray encore souvenir 14. M. Chevreau fit<br />

iey un voyage l'annee passee de Loudun ou il s'est retire, dans l'esperance<br />

de tirer satisfaction de ce que luy devoit la Reyne de Suede.<br />

Mais a peine arresta elle ses yeux sur luy, dont il partit fort altere 15.<br />

Nous ne l'avons point veu cette fois ey, et il estoit trop sage pour s'y<br />

venir consumer, sur l'esperanee qu'elle luy feroit raison. J'ay dans la<br />

teste un dessein pour luy qui luy seroit avantageux s'il pouvoit reussir<br />

16. Songes prineipalement a bien affermir vostre sante qui est une<br />

eondition preallable sans laquelle on ne scauroit rien faire de bien en<br />

rien. Songes ensuitte a nous donner vostre Claudian vostre Ovide et<br />

quand vous pourres cette histoire de vostre Pai's que vous medites il y<br />

a si longtemps, sans oublier les lettres de M. vostre Pere et les vostres.<br />

Je me delasse maintenant en la compagnie de M. Rutgersius vostre<br />

Onele et prens grand plaisir a luy voir eelaircir, corriger, restituer les<br />

passages ou eorrompus ou diffieiles, dans les Aneiens Grecs et Latins,<br />

et pareourant son volume Variarum Lectionum il me semble l'entendre<br />

eneore parler avec la mesme eleganee et faeilite qu'il faisoit<br />

lorsque nous logions ensemble dans ma premiere jeunesse eh es le<br />

bonhomme Morel Doyen des leeteurs du Roy 17. Nous verrons si M.<br />

14 Ces derniers mots semblent indiquer que e'est a la demande de Nieolas Heinsius que<br />

s'effeetue eette eolleete des lettres de son pere. Le projet de eonstitution d'un reeueil epistolaire<br />

eonnut done au moins un debut de realisation. - Le pere de l'ambassadeur etait le<br />

eelebre historien, le presidentJaeques-Auguste de Thou, mort en 1617 a l'age de soixantetrois<br />

ans. Daniel Heinsius avait alors trente-sept ans, et enseignait a l'Universite de Leyde<br />

depuis une quinzaine d'annees. Sur le lien qui unissait les familIes Dupuy et de Thou, voir<br />

supra lettre LXIV, n. 6, p. 363.<br />

15 Voir supra, lettre LXIV, n. 9, p. 364.<br />

16 La diseretion de Chapelain ne nous laisse rien deviner de ee «dessein». Ni les lettres<br />

qui suivent ni eelles sur lesquelles s'ouvre le seeond volume du reeueil de Tamizey n'y font<br />

allusion. De toute evidenee, le projet ne fut pas realise.<br />

17 Selon Collas (pp. 2-3), e'est vers 1607 que Sebastien Chapelain mit son fils en pension<br />

ehez l'aneien imprimeur du roi Federie Morel, devenu professeur d'eloquenee latine et<br />

grecque au College royal (env. 1552-1630). Rutgersius sejourna en Franee de 1611 a 1613.<br />

On peut done fixer, avee un peu plus de precision que ne le fait Collas, a einq annees au<br />

moins la duree du sejour dujeune Chapelain dans la celebre maison de Federic More!. Les<br />

Variarum lectionum libri sex, de Rutgersius, etaient parus en 1618 a Leyde, dedies au roi de<br />

Suede Gustave-Adolphe (le eatalogue Searles mentionne sous le n° 2474 une edition publiee<br />

a Paris en 1610).


LETTRE LXVIII 385<br />

moy je vous supplie si cet Atlas de la Chine du P. Martinius est acheve<br />

d'imprimer a Amsterdam, et s'il est vray qu'on doive bientost voir la<br />

Relation de la Descouverte de la Terre Australe par vos Mrs les hollandois,<br />

comme le bruit en est grand icy 24. Je suis sans reserve<br />

Monsieur<br />

De Paris ce 6. Decemb. 1657.<br />

J'ay fait vos compliments partout.<br />

Vostre tres humble et tres obeissant<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Autographe. L'ecriture couvre entierement les quatre pages. La lettre ne porte<br />

donc pas de suscription.<br />

developper cette comparaison entre Peyrarede et Montmaur: voir infra, lettre LXXIV,<br />

p. 415 et la n. 15.<br />

24 Voir supra, pour le premier titre, lettre LVII, n. 13, p. 336, et pour le second, lettre<br />

LXVII, n. I, p. 376.


388 LETTRE LXIX<br />

Monsr Valois sont aux prises sur la Question, Si les Basiliques Chrestiennes<br />

estoient des Monasteres ou des Eglises seulement. La dispute<br />

s'eschauffe et s'aigrit, et produira plus d'un volume de part et d'autre 8.<br />

Cette sorte d'erudition a mon avis n'est guere de vostre goust, quelque<br />

fine qu'elle puisse estre. J'ay grande impatience que nous voyons ce<br />

que la vostre vous aura fourni sur vostre Ovide et sur vostre Claudian,<br />

et je ne seray point bien content que vous n'ayes donne toutes les<br />

Oeuvres de Monsieur vostre Pere. Je pense que vous n'aures pas<br />

oublie a solliciter Monsieur nostre Ambassadeur de vous faire copier<br />

toutes les lettres que feu son Pere et Mrs Du Puy en ont receues 9. Je<br />

suis avee beaucoup de passion<br />

Monsieur<br />

De Paris ce 2. Janvier 1658.<br />

Vostre tres humble et tres obeissant<br />

serviteur<br />

C.<br />

Pour l'article dont vous souhaittes d'estre eclaircy touchant les motifs<br />

qu'a eus la Reyne de Suede de faire une execution si violente sur<br />

la personne du Conte Monaldesehi, voicy ce qu'on en ass ure de plus<br />

vraysemblable. Ils disent done que Celuy cy ayant se eu en confidence<br />

fausse ou vraye du S[i]g[no]r Centinelli son Grand Chambellan les<br />

privautes qu'il avoit eu es avee elle, et s'estant mis dans la teste de le<br />

rüiner dans son esprit pour entrer en sa place, avoit contrefait des<br />

lettres eomme escrites par Centinelli ou il luy faisoit descouvrir ces<br />

privautes a quelqu'un de sa eonnoissance, et les avoit fait adroittement<br />

tomber entre les mains de la Reyne de Suede, qui avoit deseouvert<br />

faeilement la fourbe, et d'indignation l'avoit condanne a<br />

mourir, apres luy avoir fait avouer eette supposition, quoyque pour<br />

la fleehir il se fust jette a ses pieds implorant sa misericorde, sa fureur<br />

ne s'estant peu appaiser que par sa mort qui luy fut donnee par trois<br />

hommes entre lesquels estoit le jeune Centinelli son Cap[itai]ne des<br />

Gardes dans la Galerie des Cerfs de Fontainebleau. On a allegue une<br />

autre eause de eette exeeution tragique, disant qu'ayant sc eu de la<br />

Reyne de Suede confidemment les desseins qu' elle avoit sur le Royaume<br />

de Naples il les avoit reveles aux Espagnols. Mais l'opinion la<br />

plus commune est l'autre, et personne n'en semble douter 10. Quoy<br />

8 Sur cette polemique, voir supra lettre LXVI, n. 5, p. 370.<br />

9 Voir la n. 14 de la lettre precedente, p. 383.<br />

10 {,L'opinion la plus commune», pourtant, etait mal fondee, et c'est la deuxieme raison<br />

qui est exacte. Voir lettre precedente, n. 5, P.380.


LETTRE LXIX 389<br />

qu'il en soit l'action a este fort mal receue du Roy et de la Reyne et<br />

M. le Cardinall'a tesmoigne clairement a la Reyne de Suede lorsqu'il<br />

la fut visiter a Petitbourg, ce qui a produit qu'elle n'est point venue de<br />

ce voyage a Paris, ou elle faisoit estat de passer l'hyver avec un magnifique<br />

equipage. Elle est encore a Fontainebleau d'ou elle doit partir<br />

bientost pour Toulon, avec la couleur de devoir commander l'armee<br />

navale de France et avoir Monsieur de Guise pour lieutenant, comme<br />

si l'on avoit encore pensee pour Naples Oll le bruit est qu'il y a de<br />

grandes dispositions a un nouveau soulevement 11.<br />

Autographe. Le post-scriptum rempLit exactement La troisieme page. Adresse<br />

au verso: A Monsieur / Monsieur Heinsius Cons[eille]r / et Secretaire<br />

de la Ville d' Amsterdam / A Amsterdam. Cachets.<br />

11 Voir lettre precedente, n. 6, p. 380. Le «magnifique equipage,> qu'avait prevu Christine<br />

est atteste, par exemple, par le montant de la commande qu'elle avait passee, en arrivant<br />

a Fontainebleau, pour subvenir a l'habillement de son futur personnel domestique,<br />

suisses, gardes, pages, valets, palefreniers, etc.: il y en avait pour 145.316Iivres IO sols (P.<br />

de Luz, p. 250)! - «Monsieur de Guise'> est Henri 11 de Lorraine, cinquieme duc de Guise<br />

(1614-1664). Il avait en 1647 deja, a la suite de la revolte de Masaniello, ete appeIe par un<br />

parti de Napolitains cherchant a rejeter la tutelle espagnole. Son entreprise s'etait alors<br />

soldee par un echec, et par un emprisonnement en Espagne. Il avait dirige une autre expedition<br />

en 1654, qui n'eut pas plus de succes. C'est ce prince qui en 1656 avait accueilli<br />

Christine en France, au nom du roi. - Les informations contenues dans les deux phrases de<br />

Chapelain correspondent a ce que l'on pouvait savoir ou prevoir au moment ou sa lettre<br />

est ecrite. Pourtant le sejour de Christine a Paris a la fin de fevrier et au debut de mars,<br />

et surtout l'avortement du projet napolitain, viendront detruire ces perspectives.


Monsieur<br />

LXX<br />

bien que je n'aye jamais receu de lettres de vous qu'avec un plaisir<br />

extreme, je vous avoue pourtant que celle que je viens d'avoir du<br />

troisiesme de ce mois m'a apporte une plus douce joye qu'aucune de<br />

celles que vous m'ayes escritte [sie] tant j'y ay veu de tendresse de<br />

generosite et de consideration pour moy 1. Vous vous estes pu appercevoir<br />

depuis que nous nous connoissons de quelle sorte j'ayme mes<br />

Amis et surtout ceux qui vous ressemblent, combien serieusement je<br />

regarde l'affection que je leur ay promise, et comme j'en fais le premier<br />

de mes devoirs et la seule consolation de ma vie. Je vous dois dire a<br />

cette heure qu'encore que j'aye plus d'un Amy qui responde noblement<br />

a ma far;on d'aymer, je n'en ay toutesfois aucun qui remplisse<br />

plus pleinement mon attente ni qui me satisface plus entierement<br />

que vous, par cette bonte cordiale, et cette franchise ouverte qui me<br />

paroist dans toutes vos paroIes et dans toutes vos actions. Je ne vous<br />

puis asses dire a quel point je sens [sie] de me voir mettre par vous a<br />

la teste de tous ceux qui ont part a vostre ceeur, et de vous voir prendre<br />

une si parfaitte confiance en moy que vous faittes. Croyes bien en<br />

recompense que je ne vous dois rien de ce coste la et que vous ne me<br />

trouveres jamais a dire en quoy que vous puissies souhaitter qui depende<br />

de moy. La peine ou je vous voy po ur ma sante et l'incertitude<br />

ou vous estes de ne scavoir si je vis ou non, est une de ces choses qui<br />

peuvent le plus obliger. Je ne vous dis rien de l'honneur que je rer;ois<br />

de vous pouvoir remplacer par vostre election les deux nouvelles<br />

pertes que vous venes de faire du Cavalier del Pozzo 2 et du Sigr<br />

Rondanini 3, cette faveur estant au dessus de tout ce que je vous<br />

dirois sije vous parlois une annee. Je croy vous avoir mande le fascheux<br />

1 La copie de cette lettre du 3 janvier 1658 de Nicolas Heinsius est a Leyde (B.P.L. 1923).<br />

Le texte en est reproduit irifra a l'Annexe I/.<br />

2 Cassiano Dal Pozzo (1589-1657) avait accueilli a Rome avec amitie le jeune Nicolas<br />

Heinsius des son premier voyage, en 1647, et lui avait ouvert genereusement ses celebres<br />

collections. Jusqu'a sa mort, les deux hommes resterent en correspondance confiante et<br />

reguliere. Sur leurs rapports, voir F. F. BIok, pp. 152-153. C'est a Dal Pozzo qu'est dedie Ie<br />

second recueil de vers de Heinsius, ltalia, elegiarum Ziber, publie a Padoue en 1648.<br />

3 N ataIe Rondinini, chanoine du Vatican et secretaire pontifical, etait mort en septembre<br />

1657, äge de vingt-neuf ans. Il avait ecrit quelques poesies Iatines, qui furent publiees apres<br />

sa mort dans un recueiI coIIectif, accompagnees d'une biographie anonyme (Anvers, 1660;<br />

reed. Amsterdam, 1672). Le recueiI de Burman contient trois Iettres de Heinsius a Rondinini,<br />

avec les reponses.


LETTRE LXX 391<br />

estat ou m'a mis une veine qui s'est ouverte dans le rein droit et qui<br />

m'auroit mis au tombeau par une effusion de tout le sang que j'ay<br />

dans les veines, si par I'avis des Medeeins je ne m'estois eondanne<br />

a ne faire aucun violent exerciee a pied et a n'user d'aucune sorte de<br />

voiture. Par ce regime que je garde exaetement le sang s'est arreste et<br />

je joüis de la vie, sans ineommodite notable, rien ne m'empesehant de<br />

eontinuer mon travail avee la mesme liberte qu'auparavant. Vous<br />

dormires done en seurete pour ee regard, et puisque vous y prenes tant<br />

d'interest je vous promets de me conserver avec plus de soin encore<br />

pour l'amour de vous 4. Je voy au reste par les lettres que vous me<br />

marques avoir receues de moy que l'homme qui vous est suspeet<br />

vous a rendu eelles que j'avois fait passer par ses mains 5. J'en ay<br />

mesme reeeu une des vostres par sa voye, et si vous ne m'aves eserit<br />

que deux fois par luy, je n'en ay perdu qu'une qui est la derniere. La<br />

question maintenant est de seavoir si e'est qu'il n'ait point envoye<br />

cette derniere, ou si eeux a qui il l'a addressee pour me la faire tenir<br />

n'en ayent pas fait leur devoir, comme j'ay des presomptions pour<br />

l'imaginer. Car pour luy il me proteste grande amitie et me parle<br />

de vous eomme eh arme de vostre merite. Quoy qu'il en soit vous<br />

m'obligeres de me mander avee vostre eandeur ordinaire les motifs<br />

de vos soupc;:ons et ee que vous aves remarque en eette Personne qui<br />

vous fait desfier de sa sincerite. Cependant je ne me serviray plus de<br />

eette route pour ne plus mettre nostre eommeree en peril. Monsieur<br />

Bouillauld eomme je vous 1'ay eserit s'est fidellement aquitte de la<br />

charge que vous luy avies donnee de me faire rendre vostre penultiesme<br />

avee eelle que je devois envoyer a M. de Medon. Mais je ne vay pas<br />

que eelle que vous eserivies a Monsieur le Marquis de Mantauzier<br />

ni vostre Elegie sur la mort de Monsieur Rubens luy ait este portee<br />

avee le mesme soin par l'ordre de Mons. l' Ambassadeur eamme vaus<br />

4 Pres de dix mois auparavant Chapelain avait dit a son correspondant sa crainte<br />

(,d'avoir la pierre ou la gravelle') (lettre LXIV, p. 364). La deuxieme hypothese etait sans<br />

doute exacte, puisqu'il s'agit ici du rein. Cette grave maladie laissa Chapelain affaibli<br />

pour le reste de ses jours. Il ecrira au P. de Bussieres en 1661 qu'une nouvelle infirmite<br />

Je «prive de l'usage de toute voiture, de carrosse, de cheval, de chaise et [ne lui] laisse que<br />

la liberte d'aller a pied, encore guere loin» (Tamizey, t. II, p. 122). Voir aussi la lettre de<br />

1664 a Grentemesnil citee par Collas, pp. 46-47 (non reproduite par Tamizey): des minutieuses<br />

observations qui y sont consignees Collas deduit que Chapelain fut atteint (mais<br />

peut-etre posterieurement a la periode qui nous occupe ici) (,d'une inflammation de la<br />

prostate').<br />

5 Ce suspect est Alexandre Morus. A la date de la presente lettre, Morus etait retenu en<br />

Hollande: Louis XIV lui avait fait interdire de rentrer en France, quoique les pasteurs du<br />

temple de Charenton essayassent depuis plusieurs mois de s'adjoindre ses services: l'ambassadeur<br />

J.-A. de Thou l'emp!oya a la meme epoque a une mission secrete (Journal d'un<br />

voyage a Paris, ed. Faugere, pp. 144,366-367 et notes).


392 LETTRE LXX<br />

me mandies qu'elle seroit. Gar la derniere fois qu'il me vint voir, et il<br />

n'y a pas cinq ou six jours, il n'en avoit eu encore aucunes nouvelles.<br />

G'est de quoy j'ay trouve apropos de vous avertir. Vous pourres<br />

desormais avoir receu une longue response que je fis a vostre longue<br />

lettre et que pour plus d'assurance je mis par le Libraire Le Petit fort<br />

recommandee entre les mains du Facteur de M. Elzevir qui s'en alloit<br />

en Hollande avec plusieurs ballots de livres, parmy lesquels j'avois<br />

enferme les Entretiens de feu M. de Balzac pour vous. Vous aures<br />

aussi receu une autre response a la lettre qui me vint par Monsieur<br />

Bouillauld lequel voulut bien s'en charger avec promesse de vous la faire<br />

soigneusement rendre. Dans l'opinion que ces deux dernieres auront<br />

este jusques a vous je ne vous en envoye point les copies que mon Valet<br />

en a gardees pour ne vous vexer pas sans necessite par l'exorbitance<br />

des ports. Sur le sujet desquels, puisque vous m'aves donne lieu de<br />

vous en parler, je vous avoüeray que j'ay menage par le passe, et que<br />

je menageray encore a l'avenir toutes les occasions de vous descharger<br />

d'un fardeau si pesant et qui par l'avarice des Maistres des postes<br />

va veritablement a l'exces, fondes a mon avis sur ce que la pluspart<br />

des lettres qu'ils donnent aleurs Gourriers estant de marchands ils<br />

supposent que toutes sont des lettres de change qu'on n'a garde de<br />

laisser au bureau, pour fort qu'ils en salent la voiture. Que si je pouvois<br />

vous faire tenir les miennes franches en payant le port des icy,<br />

comme on le fait en France souvent d'une Ville a l'autre le payant<br />

au Messager et mettant dessus port paye, ou que j'eusse quelque affide<br />

en vos quartiers a qui je les pusse addresser et qui voulust bien que<br />

je luy en tins se conte,je vous espargnerois volontiers cette despense, et a<br />

moy le scrupule devous la faire faire. Gela n'estantpas, lorsquejen'auray<br />

point d' occasion seure et gratuite de vous escrire je vous escriray, puisq ue<br />

vous l'ordonnes, par la poste apres que vous m'aures envoye la Suscription<br />

en la forme que je la devray mettre sur mes lettres, soit po ur<br />

les qualites soit po ur la demeure, et c'est une diligence que je vous<br />

supplie de ne pas oublier par vos premieres 6. Po ur vous tirer d'inquietude<br />

sur le doute ou vous estes que parmy mes lettres il y en eust de<br />

M. de Medon ou d'autres a vous je vous assureray que la seule dont<br />

6 Il est inutile de commenter dans le detail ce long developpement. Il constitue un bon<br />

exemple de la place croissante, et finalement disproportionnee, qu'occupent dans cette<br />

correspondance les considerations relatives a l'expedition et a la reception des lettres. Sur<br />

la question de «l'exorbitance des ports», voir supra lettre LVIII, n. 6, p. 338. Dans les echanges<br />

postaux internationaux, les taxes etaient obligatoirement payees par le destinataire. «L'office<br />

distributeur beneficiait de ces taxes, quitte adedomrnager l'office expediteur, sauf convention<br />

[ ... ]. Mais le pouvoir legislatif n'intervenait pas dans ces accords» (Eug. Vaille,<br />

Histoire generale des postesftanfaises, t. IH, p. 151). - Affide: homme de confiance.


LETTRE LXX 393<br />

je les aye accompagnees est celle de Monsieur le Marquis de Montauzier<br />

que je mis dans le paquet dont l'homme de M. Elzevir fut charge<br />

pour vous. M. de Medon d'ailleurs n'est du tout point de ma connoissance,<br />

et nulle autre personne n'a souhaitte de semblables offices<br />

de moy 7.J'attens celle que vous me pro mettes par la voye de Monsieur<br />

Bouillauld pour voir auquel des deux vous vous seres resolu de Claudian<br />

ou d'Ovide, sur les diverses demandes que vous en font vos<br />

libraires, de l'avis desquels je suis bien que vous donnies ce demier le<br />

premier, quoyque je fusse tres aise de voir aussi l'autre de vostre derniere<br />

revision 8. Monsieur le Marquis de Montauzier se prend presque<br />

a moy de ce qu'Ovide tarde si longtemps a paroistre. Nous avons icy<br />

I'Histoire de M. Grotius comme vous l'aves juge. Ce Cavalier l'a<br />

achetee des premiers et voyant la curiosite quej'avois d'en lire quelque<br />

chose il me l'a envoyee pour luy en faire l'essay 9. 11 me surprit hier<br />

aupres de mon feu que j'en estois sur la fin du septiesme livre des<br />

histoires et en voulut scavoir mon sentiment, qui fut que c'estoit un<br />

Ouvrage grave entre tous ceux des derniers temps tant pour le stile<br />

que pour la tissure et des plus prochans des bons Anciens en l'un et<br />

en l'autre surtout de Tacite dont il me semble avoir affecte l'imitation<br />

par preference a tous, etje ne scay s'il en est fort louable, pouvant par<br />

la flexibilite de sa plume si bien imiter Tite live ou Cesar, sans s'engager<br />

dans ces expressions entortillees, courtes et obscures qui so nt<br />

particulieres a Tacite, sa matiere qui est toute de guerre ou peu s'en<br />

faut ne luy donnant guere moyen d'ailleurs de faire les reflexions politiques<br />

aussi frequentes que Tacite les a faittes en celles du regne<br />

paisible de Tibere et de Neron, et dont le Cabinet faisoit le sujet le<br />

plus considerable 10. Qu'autant neantmoins qu'il les y avoit pu faire<br />

entrer il l'avoit fait avec elegance et avec force, comme un Maistre<br />

7 Chapelain a ici un mouvement d'impatience, devant l'inquietude de son correspondant<br />

au sujet des lettres de Medon. Celui-ci (voir supra lettre XLV, n. 12, p. 285) etait depuis<br />

plusieurs annees dejä. en relation avec Heinsius; mais ce n'est qu'un peu plus tard qu'une<br />

correspondance reguliere s'etablit entre Chapelain et lui (Tamizey, t. lI,passim). Chapelain,<br />

nous l'avons dejä. observe, voudrait etre sur que personne en France ne lui dispute la premiere<br />

place dans l'amitie de Heinsius.<br />

8 La phrase est d'une penible lourdeur; un bien que malencontreux, qui n'est nullement<br />

concessif, la rend obscure. En d'autres termes, Chapelain est bien de l'avis des libraires, qui<br />

demandent que Heinsius donne son Ovide avant son Claudien.<br />

9 La publication des Annales et HistorilE de rebus belgicis de Hugo Grotius etait attendue<br />

depuis delongues annees: voir supra lettre I, p. 129 et la n. 6. C'est le marquis de Montauzier<br />

que designent les mots «ce Cavalier».<br />

10 «Le Cabinet», c'est-a-dire l'ensemble des affaires politiques: sens courant au XVIIe<br />

siede. - Imitant Tacite sur ce point comme dans sa maniere et dans son style, Grotius avait<br />

divise son ouvrage en Annales (livres I-V, 1566-1588) et HistorilE (livres I-XVIII, 15e8-<br />

1609).


Monsieur<br />

LXXI<br />

quand ce ne seroit que pour vous tirer de la peine ou je vous voy<br />

encore par vostre derniere lettre du 15. de ce mois et que Mr BouiIlauld<br />

m'a soigneusement rendue, je vous escriray par la poste selon vos<br />

ordres, et ne vous en espargneray pas davantage la despense en cherchant<br />

des voyes d' Amy pour VotiS faire tenir mes paquets; Et Dieu vueille<br />

que cette voye publique reussisse plus heureuse que les particulieres,<br />

et que cette quatriesme ou cinquiesme lettre que je vous escris depuis<br />

que vous n'en receves plus de moy arrive a bon port et vous serve de<br />

phare pour y attirer les autres egarees. A ce dessein je vous repeteray<br />

icy que l'une par laquelle je vous respondois a celle que vous m'escrivistes<br />

si ample par la poste accompagnee d'une autre pour Mr Menage,<br />

fut enchargee par le libraire Le Petit avec un Exemplaire des Entretiens<br />

de Mr de Balzac pour vous a l'homme de Mr Jean Elzevir de<br />

Leyden qui estoit a Paris il y a trois mois pour ses factures et qui promit<br />

de vous les faire re nd re tous deux a son arrivee en Hollande. Les<br />

autres ont este sous l'enveloppe de Mr Bouillauld par la voye de Mr<br />

l' Ambassadeur son Patron, etje ne puis comprendre qu'un si punctuel<br />

Amy s'en soit volontairement charge et les ait recommandees a ses<br />

correspondans de dela, et qu'elles ne vous ayent point este portees.<br />

Si vous vous donnes la peine de les faire demander aux gens de M.<br />

le P[resident] de Thou par quelque personne discrette et affectionnee,<br />

sans doute vous les recouvreres. Je VOtiS dis la mesme chose de celle<br />

qu'a emportee le Facteur de Mr Jean Elzevir et du livre de Mr de<br />

Balzac qu'un peu de diligence vous fera recevoir. Quant aux deux<br />

quej'ayfait passer par les mains du Personnage dontvous aves soupc;on,<br />

je trouve par vos responses qu'il vous les a remises, etje ne le pourrois<br />

accuser que de ne m'avoir pas envoye la derniere que vous luy confiastes;<br />

encore ne le voudrois je pas faire absolument, rejettant plustost<br />

cette perte sur la negligence ou la malice de ceux a qui ill'aura addressee<br />

pour me la faire tenir, et que j'ay plus d'un sujet de mescroire<br />

d'infidelite. Si apres une si longue attente elles vous sont toutes rendues,<br />

vous me trouveres exact dans nostre correspondance, et vous aures<br />

lieu si je ne me trompe d'estre satisfait de mon amitie. Si j'apprens<br />

qu'elles soient perdues sans remede, je vous en envoyeray les copies


LETTRE LXXI 397<br />

par la premiere occasion d' Amy comme de Mr Bouillauld quand il<br />

s'en retournera, et y joindray l' Aristippe de Mr de Balzac, n'y ayant<br />

point d'apparence de mettre un si gros ballot que cela a la poste, et<br />

les nouvelles d'ailleurs en estant trop vieilles pour vous les faire acheter<br />

si eher. Cependant vous scaures que 1'Elegie sur la mort de Mr Rubens<br />

n'a point este receue par Mr le Marquis de Montauzier, ni la lettre<br />

que vous me mandastes que Mons. l' Amb[ assadeu]r voulut luy envoyer<br />

luy mesme, et que dans le paquet que vous doit rendre l'homme<br />

de Mr Elzevir de Leyde il y a une response de ce Seigneur pour vous.<br />

Vous scaures aus si que vostre lettre a Mr Medon luy a este seurement<br />

portee et que je n'en ay eu aucune de luy ni d'autre pour vous. Mr<br />

Menage receut de ma main celle que vous luy escrivies et qui se trouva<br />

dans le premier paquet que j'eus de vous par le poste. Je vous priois<br />

par l'une des miennes de scavoir de Mr Christian Hugens de Zuyliehern,<br />

si celle que je luy escrivois par Mr Tassin estoit venue entre<br />

ses mains. Voila, Monsieur, un detail bien peu agreable, mais il estoit<br />

necessaire pour vous eclairer dans vos doutes et pour me purger<br />

envers vous de la negligence dont vostre seule bon te vous a retenu de<br />

me blasmer, durant un aussi long silence apparent que le mien 1. Sur<br />

quoy je ne vous puis asses exprimer la mauvaise humeur Oll m'a mis,<br />

soit ma mauvaise fortune, soit le mauvais soin de mes Amis a vous<br />

faire tenir mes lettres, dans le mesme temps que je recevois toutes les<br />

vostres a quelque une pres, et je vous avoue que je veux un peu de<br />

mal a ma discretion d'avoir eherehe pour le soulagement de vostre<br />

bourse, des moyens de vous donner de mes nouvelles qui ne vous<br />

fussent point onereux, puisque j'ay si mal rencontre dans une intention<br />

si raisonnable. Ce desplaisir s'augmente par 1'inquietude ou je vous<br />

voy sur mon sujet, et bien que ce me soit un tesmoignage fort precieux<br />

de vostre bienveillance, il m'est pourtant fascheux que vous souffries<br />

en m'en honnorant, et si je ne la connoissois pas fondee sur une baze<br />

immobile, j'aurois lieu de craindre que ces injustices que je re


398 LETTRE LXXI<br />

d'aymer vostre vertu et d'estimer vostre merite; et quoy qui vous pust<br />

paroistre au contraire, prenes le tousjours po ur une illusion, n'y ayant<br />

rien au monde de plus affermi que la passion que vous m'aves inspiree<br />

par ce que vous vaIes du coste de l'esprit, et plus encore par les marques<br />

de la constante affection que vous aves pour moy. Je vous rendois<br />

conte par mes dernieres de ce qu'il m'avoit semble de I'Histoire de<br />

Mr Grotius et je vous conseillois de changer le dessein de traitter la<br />

mesme matiere, en celuy d'escrire I'Histoire des Descouvertes de<br />

Terre et de Mer dont on a l'obligation a vos Marchands et a vos<br />

Matelots, et je vous en parlois sur la Relation qu'on nous a dit qui<br />

avoit este publiee en hollande de la Terre Australe reconnue et penetree<br />

par vos gens depuis quelques annees, de laquelle mesme Mr<br />

Vossius m'assura d'avoir les Cartes lorsqu'il estoit icy.Je vous demandois<br />

de quelle fat;(on je devois mettre le dessus des lettres que je vous<br />

envoyerois par le Courrier pour n'estre pas perdues au bureau. Je me<br />

resjoüis maintenant avec vous du commencement de l'Edition de<br />

vostre Ovide, encore que ce ne soit pas avec toutes les illustrations<br />

qu'il doit attendre de vous 2, et je pretens bien en donner une grande<br />

joye a Monsieur le Marquis de Montauzier, qui l'attendoit il y a si<br />

longtemps avec impatience; car il vous souvient bien que ce Poete<br />

est son inclination et que pour luy ille prefere a tous les autres. Ce fut<br />

en effet le dernier entretien quej'eus avec luy l'allant visiter sur l'affiiction<br />

qui luy estoit survenüe de la petite veroie de Mlle sa Fille et son<br />

Enfant unique. Presentement cette douleur est moindre depuis que<br />

les Medecins l'ont assure qu'elle n'en aura que le mal 3. Je ne scay de<br />

2 Le premier des trois volumes que comprendra cette nouvelle edition d'Ovide est date,<br />

nous le savons deja, de 1658; voir supra lettre LVII, n. 12, p. 335. L'apparat critique est<br />

considerable. La phrase de Chapelain a deux significations possibles. Ou au dernier moment<br />

Heinsius aura exprime le regret de n'avoir pu consulter tous les manuscrits d'Ovide qu'il<br />

aurait souhaite; parmi ceux qui avaient echappe a ses investigations figurent par exemple les<br />

parchemins de la collection Bongars, a Berne (voir supra, lettre XXVI, n. I, p. 209); dixhuit<br />

mois plus tard, Chapelain consolera encore Heinsius en ces termes: «Ne contes-vous pour<br />

rien le champ que cela a laisse a vos conjectures qui se sentiront tousjours de vostre profonde<br />

erudition et de la beaute de vos divinations au grand bien de la republique des lettres?><br />

(29 amlt 1659, Tamizey, t. 11, p. 49)' - Dans la deuxieme hypothese, Heinsius se serait<br />

plaint de ne pouvoir introduire dans son edition l'integralite des notes critiques qu'il avait<br />

preparees. Ce sens ressort clairement d'un passage analogue qu'on lira dans la lettre suivante;<br />

il est ici le plus probable.<br />

3 Mme de Montauzier avait perdu deux fils en bas age et ne conserva qu'une fille,<br />

Marie-Julie de Sainte-Maure, nee le 21 juillet 1646. L'enfant avait donc onze ans. A. Roux,<br />

dans I'ouvrage qu'i! a consacre a Montauzier, a fait erreur sur la date de cette maladie,<br />

qu'il reporte en 1660, peignant au contraire le printemps de 1658 comme une periode de<br />

tranquille bonheur pour la familie du marquis. Tallemant des Reaux (ed. A. Adam, t. I,<br />

PP.468-470) consacre aux bons mots de la petite Marie-Julie deux pages entieres, qui<br />

se trouvent exactement contemporaines de la presente lettre de Chapelain.


LETTRE LXXI 399<br />

quel volume est vostre Claudian, ne l'ayant point rencontre 4, mais<br />

je m'imagine que c'est in 12° comme le Terence de Monsieur vostre<br />

Pere, et que vostre Ovide sera in 12° aussi 5. Mais de quelque fac;on<br />

qu'il paroisse il sera le bienvenu. Monsr Godeau dont vous me demandes<br />

des nouvelles est retourne a son Evesche dans les Roches<br />

Alpines. Je luy feray scavoir la part qu'il a en vostre memoire. 11<br />

couve son Josue pour le faire eclore en son temps 6. Mr Conrart est<br />

tousjours aux prises avec ses goutes et ses rhumatismes, joulssant<br />

neantmoins de sa raison de ses livres et de ses Amis. 11 vous rend mille<br />

graces tres humbles de le mettre au rang des vostres et vous prie de<br />

croire que vous ne vous abuses pas. Mr Menage imprime som Commentaire<br />

Italien sur le Casa 7 et procure l'impression des lettres<br />

de M. Costard 8. 11 fera aussi bientost reimprimer ses Poesies Franc;oises<br />

9. A l' entendre parler on le pourroit croire fort malade. 11 ne<br />

l'est pourtant que d'opinion et se porte bien mieux que moy qui<br />

traisne tousjours mon lien, je veux dire cette hemorragie qui me vint<br />

de l'ouverture d'une veine du rein il y a tantost un an, et que je suis<br />

oblige de menager avec grand soin et grand repos sije veux empescher<br />

qu'elle ne devienne funeste. Mr de Trilleport a perdu son Pere, et<br />

vaque continuellement aux proces que luy a laisses sa Succession pour<br />

ne les pas perdre. 11 scaura a la premiere rencontre que vous vous<br />

estes souvenu de luy 10. Pour M. Colletet il est tousjours pauvre et<br />

tousjours gay, avec une femme jeune et belle qui reschauffe sa vieillesse<br />

4 L'allusion n'est pas daire: Chapelain a-t-il en vue la premiere edition foumie par son<br />

ami, celle de 1650 (parue d'abord A Leyde dans le format in-12, puis A Amsterdam dans le<br />

format in-24; voir JUpra lettre IV, n. 3, p. 137, et lettre V, n. 2, p. 139)? ou croit-il dejA sortie<br />

des presses la seconde edition, qui en realite ne verra le jour qu'en 1665, sept ans plus tard?<br />

elle sera du format in-Bo. Comprendre en tout cas: vos lettres etant muettes sur ce point.<br />

5 Le format de cet Ovide, qui, nous l'avons vu (lettre LVII, n. 12, p. 335), est decrit par<br />

les catalogues tantöt comme un pet. in-12, tantöt comme un in-24, sera en tout cas inferieur<br />

a ce qu'aurait souhaite Chapelain.<br />

6 Nous avons vu dejA que Godeau abandonna quelques annees plus tard la composition<br />

de ce poeme.<br />

7 Sur G. della Casa et sur ce commentaire de Menage, voir JUpra lettre LXVI, n. 10,<br />

p. 371. Mais le volume, sauf erreur, n'est sorti des presses qu'en 1667, c'est-a-dire pres de<br />

dix ans plus tard. Chapelain n'est pourtant pas seul A attendre sa prochaine publication:<br />

voir la lettre de Bigot A Menage, du 24 fevrier 1658, dans le recueil publie par H. Omont.<br />

Sans doute quelque obstacle surgit-il au dernier moment.<br />

S Menage donna ses soins A une edition des Lettres de Costar, en deux volumes in-4°, qui<br />

parut chez Courbe en 1658-1659. L'abbe Costar vivait alors au Mans.<br />

9 Chapelain fait allusion a la troisieme edition des Poemata de Menage (acheve d'imprimer<br />

du 15 octobre 1658). Le recueil est divise en quatre parties paginees separement:<br />

les (,Poesies Fran


400 LETTRE LXXI<br />

et qui luy donne beaucoup d' Amis ambigus 11. 11 me vint voir hier<br />

et je luy fis voir ce que vous me mandies de ses Poesies que vous avies<br />

veues ches Mr Hugens. S'il eust eu moyen de vous en envoyer un<br />

Exemplaire il me dit qu'il y a longtemps qu'il l'auroit fait 12. L'on<br />

n'imprime point encore le 2d volume des lettres que Mr de Balzac<br />

m'a escrittes, et je croy que celles qu'il a escrittes a Mr Conrart iront<br />

devant 13. On attend une Response fort ample de Girac a Costard<br />

sur leur querelle, dont les deux sujets sont illustres puisque c'est<br />

Voiture d'un coste et de l'autre Balzac 14. J'ay ce me semble satisfait<br />

a toutes vos Questions et au dela. 11 faut finir cette ennuyeuse patente<br />

15 en vous disant que je suis de tout mon creur et sans reserve<br />

Monsieur<br />

De Paris ce 26. Jan. 1658.<br />

Vostre tres humble et tres obeissant<br />

serviteur<br />

Chapelain<br />

Autographe. Adresse au verso: A Monsieur / Monsieur Heinsius Secretaire<br />

/ de la Ville d' Amsterdam / A Amsterdam. Cachets.<br />

11 Guillaume Colletet avait alors soixante ans, et Claudine Le Hain, sa seconde femme<br />

legitime, vingt-trois ou vingt-quatre ans. Frederic Lachevre a consacre a cette muse celebre<br />

un article (Clanes bibliographiques, t. I, pp. 130-139) qui enumere parmi les (


Monsieur<br />

LXXII<br />

je respire enfin apres une longue oppression de creur et un poids<br />

d'esprit insupportable, d'avoir veu par tant de vos lettres que vous<br />

n'en recevies point de moy et de n'estre oblige qu'a vostre bonte seule<br />

de ce que l'opinion de mon silence ne vous la donnoit pas plus mauvaise<br />

de mon amitie. Enfin donc vous estes eclaircy de mes diligences,<br />

et je ne cours plus fortune de passer aupres de vous pour un<br />

autre M. Menage en matiere d'escrire, puisque apres une si longue<br />

attente vous aves receu trois de mes despesches asses estendues pour<br />

n'estre pas indignes de ce nom. Et je veux croire que vous aures eu<br />

presentement celle que le Sr Petit enchargea de ma part au Facteur<br />

de M. Jean Elzevir avec les Entretiens de M. de Balzac. Si cela est il<br />

se trouvera que les miennes sont plus heureuses que les vostres,<br />

desquelles deux ont fait naufrage entre les mains de Mrs Bigot et<br />

Morus a mon tres grand regret, ne pouvant rien perdre de vous que je<br />

ne conte pour un malheur insigne. Mais pour respondre acette derniere,<br />

que je dois au soin de M. Boulliau, croyes bien je vous prie<br />

que les marques de tendresse que vous m'y donnes me sont les plus<br />

douces du monde et que me remplissant l'esprit de joye l'effet en<br />

passe jusques sur mon corps dont les infirmites so nt au moins pour<br />

un temps soulagees par un si agreable collyre. Je souhaitterois que<br />

l'affection que vous observes dans les miennes pour vous fissent [sie] le<br />

mesme effet en vous et qu'au moins durant leur lecture vous sentissies<br />

les pointes de vostre douleur de reins plus emoussees. Et que diries<br />

vous de la sympathie de nostre fortune aussi bien que de nos creurs,<br />

en ce qu'au mesme moment et par la mesme cause je suis tombe<br />

comme vous sur la glace, et que le coup m'ayant ebranle la teste je<br />

suis reduit a en garder la chambre depuis douze jours. Vous verres<br />

enfin que nous ne serions qu'une mesme chose si le merite du scavoir<br />

et du stile qui excelle en vous ne vous faisoit distinguer de moy aussi<br />

bien que de tous les autres. Au reste ce que je vous ay mandlS du<br />

Personnage, auquel j'ay cu deux fois recours pour vous faire tenir<br />

de mes lettres, me paroist encore veritable et je ne puis m'imaginer<br />

que celuy qui vous a rendu soigneusement le gros Volume de la<br />

Pucelle et les deux lettres que je vous ay envoyees par luy, apres m' en


402 LETTRE LXXII<br />

avoir envoye aussi l'une des vostres m'ait retenu l'autre vilainement 1.<br />

n faut par necessite que ceux de dec;a sous l'enveloppe desquels il me<br />

l'envoyoit ayent este les infidelles, comme d'ailleurs j'ay beaucoup<br />

de raison de le soupc;onner. Mais de quelque part qu'en vienne la<br />

faute, pour ne plus rien risquer de ce coste la je ne me serviray plus<br />

de cette voye, et quandje n'en auray point d'autre d'Amy fort seure,<br />

je prendray celle de la poste avec la Suscription que vous m'aves<br />

marquee. Cependant si vous escrives a M. Boulliau comme je vous le<br />

conseille faittes luy bien eonnoistre que vous ressentes le soin qu'il<br />

prend de nos paquets, et le remercies avec vostre elegante maniere<br />

des baisemains qu'il m'a prie de vous faire en son nom. La description<br />

que vous m'aves faitte de cette autre Personne suspecte est tout a<br />

fait belle et pour ce qui concerne l'esprit et l'humeur tres conforme a<br />

ce que j'en avois desja observe par moy mesme. n faut vivre civilement<br />

avec ces gens la et ne s'y fier que de bonne sorte 2. Vous aures<br />

sceu acette heure qu'est devenue la lettre que vous escrivies a M. le<br />

Marquis de Montauzier et l'Elegie sur la mort de M. Rubens, que je<br />

vous confirme qu'il n'a point encore receue, car m'estant venu voir<br />

encore hier au soir il me l'assura et m'en tesmoigna de la peine. Je<br />

me sens tres oblige a Mons. nostre Ambassadeur de la dvilite qu'il<br />

m'a fait faire par vous. Cela est beau a un homme de son rang et de<br />

sa vertu de n'oublier pas ses anciens Serviteurs, et de prevenir les<br />

marques de leur respect par des marques de generosite semblables.<br />

J'ay este tente de luy escrire pour luy en faire paroistre mon ressentiment<br />

etje ne m'en suis retenu que par la reverence quej'ay eue pour<br />

la multitude et le poids de ses affaires. Mais je charge vostre amitie<br />

de luy dire a la premiere rencontre de quelle sorte j'ay este touche<br />

de l'honneur qu'il m' a fait et combien je me resjoüis de celuy qu'il se<br />

fait a luy mesme dans l'heureux maniment des interests de la France<br />

en son present employ. Et pleust aDieu que mon eloquence fust<br />

egale a mon zele lorsque je publie en tous lieux les bons succes de son<br />

administration. n me connoist et vous en croira 3. Entre les choses<br />

1 Le personnage en question, rappelons-le, est Alexandre Morus. Mais il est impossible<br />

de savoir quels sont ses correspondants habituels, que Chapelain soupc;onne d'infidelite a<br />

son egard.<br />

2 La premiere «Personne suspecte» etant Morus, quelle est cette «autre»? Je ne vois,<br />

d'apres les lettres de ces annees 1655-1658, qu'Isaac Vossius que Chapelain et Heinsius<br />

puissent de concert designer dans ces termes. Voir par exemple, lettre LUI, p. 318: (


LETTRE LXXII 403<br />

qui me font regretter la perte de la lettre que vous me designes eelle<br />

de l'eclaireissement que vous me donnies sur ees Terres nouvellement<br />

deseouvertes par vostre Compagnie d'Est lnde est bien l'une des<br />

prineipales. Car eomme j'ay une particuliere inclination a la Geographie<br />

et surtout a la nouvelle, je n'en pouvois voir un si notable<br />

aeeroissement sans beaucoup de joye ni ne le voir pas sans beaueoup<br />

de douleur. Mais vous m'aves promis de reparer cette perte etje vous<br />

en supplie le faisant le plus exactement et avec le plus de clarte que<br />

vous pourres 4. Je penserois aisement que la vraye explication de ce<br />

passage d'Ovide ou il s'agit de la signifieation du mot procurare selon<br />

la eommune opinion s'estendroitjusques a toute autre affaire que des<br />

festins, y voyant formels les passages de Terenee et de Ciceron que<br />

vous m'en allegues. De l'humeur neantmoins dont est nostre Amy<br />

Peyrarede, je n'estime pas le devoir sousmettre a sa Critique qui<br />

n'est pas asses diserette ni asses sage pour eela 5, Il est fascheux que<br />

vostre sante et vos oceupations ne vous permettent pas de publier<br />

toutes vos Notes sur Ovide. Il le seroit encore davantage si vous ne<br />

les publies point du moins pour les nreuds digne[s] d'un Alexandre<br />

tel que vous estes 6. Donnes les done le plus tost que vous le pourres<br />

salva sc. salute qui doit estre la regle de toutes vos entreprises 7. L'Aristippe<br />

vous plaira sans doute plus qu'aueune Piece que vous ayes veue<br />

du pauvre Defunt. Mais il faut pour eela attendre une voye eommode,<br />

et je ne la laisseray point esehapper. Je vous plains infiniment de la<br />

perte signalee que vous aves faitte en la Personne du Cav[ alie]r del<br />

Pozzo. Je le vis il y a trente deux ans a Font[aineble]au a la Cour du<br />

C[ardina]l Barberin qui estoit venu Legat en Franee et des lors il me<br />

a peu pres a une lettre; car le passage est evidemment destine a etre mis sous les yeux de<br />

l'ambassadeur, ou mieux encore a lui etre lu a voix haute, au milieu d'un cercle d'auditeurs<br />

attentifs. Voir irifra, lettre LXXIV, p. 412.<br />

4 Voir supra lettre LXVII, n. I, p. 376. Le catalogue Searles revele que la bibliotheque<br />

de Ghapelain contenait a sa mort environ deux cents volumes (sur un total de plus de<br />

quatre mille) traitant de geographie; ce sont pour la moitie des recits de voyages, d'explorations<br />

et de missions.<br />

6 Deux mois plus tard, Ghapelain fera de nouveau allusion acette difficulte de sens<br />

presentee par un passage d'Ovide (voir lettre LXXIV, p. 415). Toutefois, le terme litigieux<br />

sera alors le substantif proeurator, et non plus le verbe procurare. On peut en deduire que le<br />

passage discute se trouve dans l'Art d'aimer, au vers 585 du livre I: «Inde procurator nimium<br />

quoque mUlta procuraü>. Dans les vers precedents Ovide traite de la conduite que doit<br />

adopter l'amant dans un festin. Les termes proeurator et procurare pourraient a la rigueur se<br />

rapporter eux aussi acette circonstance particuliere. Mais ils doivent en realite, comme le<br />

pensent Heinsius et Ghapelain, s'entendre dans un sens plus large. - Nous avons deja releve<br />

plusieurs allusions a Peyrarede et a la mediocre estime que lui porte Ghapelain.<br />

6 Voir lettre precedente, n. 2, p. 398.<br />

7 Gette expression latine est enigmatique; la plume de Ghapelain aurait-elle commis<br />

quelque lapsus? sans doute doit-on retablir le mot abrege en seilieet: on peut hesiter entre<br />

diverses interpretations.


404 LETTRE LXXII<br />

sembla le plus honneste homme de cette Comitive la 8. Depuis tous<br />

mes Amis qui l'ont frequente a Rome m'ont confirme dans l'opinion<br />

que j'avois de sa singuliere vertu. M. l'Evesque d' Angers entre autres<br />

me donna il y a sept ou huit ans un livre de Figures de l'impression<br />

de la Chine et une boette d'ouvrage de la Pierre incombustible<br />

Amianthos qu'il avoit eu en don de luy revenant de son employ et<br />

que je garde pour l'amour de l'un et de l'autre 9. 11 n'y avoit rien de<br />

plus poli que ses despesches ni de plus charmant que sa conversation<br />

et de la fac;on que je l'apprens c'estoit un des plus Lettres d'entre les<br />

Italiens modernes, et qui plus est le Mecene des Scavans a la honte<br />

des Papes qui le negligeoient et qui sembloient luy avoir laisse cet<br />

honneur en partage au lieu de la Pourpre qu'il meritoit bien mieux<br />

que beaucoup de ceux qu'ils en avoient revestus. Surtout on fait tomber<br />

ce blasme sur ce Carl Barberin son particulier Patron et qui par<br />

son ingratitude s'est monstre si peu digne de l'estre 10. Je sens comme<br />

je dois l'egalite que vous mettes entre l'amitie que vous avies pour<br />

luy et celle dont vous m'honnores. 11 faudra essayer que vous ne vous<br />

en repenties point et que faute de vous scavoir bien estimer vous ne<br />

soyes oblige d'y mettre a l'avenir de la difference. Je m'estonne que<br />

M. Bigot ait mal respondu aux soins et aux civilites dont vous l'aves<br />

favorise, m'ayant tousjours paru asses punctuel dans les offices de la<br />

Vie et ne pouvant ignorer ce que vous vales. Ne seroit ce point que<br />

faisant peu de sejour en chaque Ville vos lettres ne l'ayent plus rencontre<br />

ou vous les addressies. Je penche tous les jours plus a bien<br />

8 (,Comitive»: voir supra lettre XLIX, n. 3, p. 298. - Le calcul de Chapelain est exact:<br />

c'est en 1625 que le pape Urbain VIII avait envoye en France, sous la conduite de son<br />

neveu le cardinal Franc;;ois Barberini (1597-1679), une mission diplomatique chargee de<br />

regler avec Richelieu l'affaire de la Valteline. Les negociations eurent lieu a Fontainebleau<br />

de mai a septembre: elles se solderent par un echec. Cassiano Dal Pozzo (voir supra lettre<br />

LXX, n. 2, p. 390) accompagnait le cardinal.<br />

9 Henri Arnauld (1597-1692), frere d'Arnauld d'Andilly et du grand Arnauld, fut<br />

eveque d'Angers de 1650 a sa mort. Envoye en mission diplomatique en Italie (1645-1648),<br />

au moment Oll le pape Innocent X engageait la lutte contre les Barberini, il avait ete, comme<br />

Cassiano Dal Pozzo, I'ami de ceux-ci. La bolte d'amiante n'apparait pas dans le testament<br />

de Chapelain, ni dans I'inventaire de ses biens tel qu'il est reproduit dans le catalogue de<br />

Searles. De meme, je n'ai trouve aucune mention d'un album de gravures chinoises.<br />

10 Les noms du cavalier Cassiano Dal Pozzo et du cardinal Francesco Barberini se<br />

rencontrent souvent reunis lorsqu'on etudie le se jour a Rome, durant cette periode, des<br />

artistes, erudits ou savants etrangers: le mecenat du cardinal s'exerc;;ait ordinairement par<br />

la voie de Dal Pozzo. La fideIite de celui-ci a son patron fut absolue, quels que fussent les<br />

revers de fortune dont pätit le clan des Barberini. Aussi la reputation de Dal Pozzo, dans<br />

toute l'Europe lettree, est-eIIe sans tache. Tandis que les relations entre le gouvernement<br />

franc;;ais et le cardinal Francesco ont connu evidemment, depuis la promotion de 1623,<br />

des phases diverses et fort mouvementees. La presente periode est defavorable: Mazarin<br />

a cesse en 1653 de soutenir le cardinal. Ainsi pourrait s'expliquer la severite de Chapelain,<br />

rellet d'une attitude officieIIe.


LETTRE LXXII 405<br />

juger qu'a mal juger de mes Amis en ces matieres quand ils ne so nt<br />

pas aussi deplores et aussi endureis que M. Menage, et qu'ils ne font<br />

pas vanite de negligence et d'oubly 11. Je croyois certainement que<br />

celuy cy vous avoit envoye son livret quadrilingue, et je suis trompe<br />

s'il ne me l'avoit dit 12. Ne craignes pas qu'il s'embarque dans la<br />

querelle des Basiliques. 11 est trop paresseux d'un coste et de l'autre<br />

trop embesogne a l'edition des lettres de Costard et a celle de son<br />

Commentaire sur les Oeuvres Italiennes de Gio. della Casa 13. M.<br />

Valois aura de la peine a se defendre de M. de Launoy qui est meilleur<br />