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Toshio Takemoto - Université <strong>Lille</strong> 3<br />
Lieux et figures de la barbarie, CECILLE - EA 4074, Université <strong>Lille</strong> 3<br />
de Toda, un interne qui est l’un des protagonistes : « Une vraie comédie 10 ». En résumé,<br />
l’opération n’est qu’une farce ayant une intrigue trompeuse. La vie d’un malade n’a aucune<br />
importance pour ces médecins. Ils font passer la falsification pour le vrai afin d’éviter le<br />
scandale. Désormais, le mensonge est officiellement admis, même recommandé. Endô<br />
rabaisse la question morale à celle de l’apparence sociale dans ce microcosme à huis clos :<br />
est mal tout ce qui nuit à la bonne réputation des médecins. Dès lors que l’équipe médicale<br />
met en scène l’opération réussie d’une patiente décédée, elle se dégrade en un groupe des<br />
imposteurs dont l’amoralité contrevient à la déontologie. La barbarie s’insinue ainsi au cœur<br />
de ce lieu clos, et fait coupure avec le sens éthique.<br />
1.2. L'ironie<br />
MP s'achève sur la critique de la société japonaise qui prend le consensus social pour<br />
la conscience morale. S'opère une substitution réductrice. Endô révèle la disjonction entre le<br />
jugement socialement institutionnalisé et l'ordre du sentiment immédiat de la valeur morale<br />
chez l'individu. A la fin du roman, il met en scène deux internes qui, après avoir assisté à la<br />
vivisection, songent à l'implication de cet acte. Suguro anticipe le châtiment. Toda, son<br />
confrère, lui réplique :<br />
« ''Quel châtiment ? Le châtiment du monde ? Si ce n'est que cela, cela ne changera rien du<br />
tout ! dit Toda avec un nouveau bâillement. ''Toi et moi nous avons simplement disséqué un<br />
prisonnier parce que nous vivions à telle époque et à telle Faculté de Médecine. Et ceux qui<br />
nous châtient, si on les mettait à notre place, on ne sait pas ce qu'ils feraient. Le châtiment<br />
du monde, c'est à peu près ça, quoi.'' Mais Toda ressentit une indicible fatigue, et se tut 11 ».<br />
Toda caricature le jugement social qui réduit la question morale d'un individu aux<br />
circonstances de la guerre. Ainsi est rappelée une fois de plus la relativité du châtiment avec<br />
l'ironie, inscrite dans le bavardage de Toda. Déterminées par le contexte socio-historique, les<br />
instances judiciaires sont vouées au changement. De surcroît, elles sont arbitraires. Rien<br />
n'est stable ni absolu dans la société humaine. D'autre part, la loquacité négligente de Toda<br />
s'oppose au silence final auquel il est condamné. Du coup, on s'aperçoit que sa nonchalance<br />
n'est qu'apparente. Par l'effet de contraste, Endô indique l'ennui profond de Toda, privé<br />
toujours de conscience morale. Mais s'il est insatisfait du jugement social, n'aspire-t-il pas, à<br />
son insu, à une autre instance qui le transcende ? Il est temps de regarder de près<br />
l'autoportrait de ce criminel-protagoniste.<br />
© CECILLE 2008<br />
Pour citer cet article : Toshio Takemoto, « La transposition romanesque d'un acte barbare : de la vivisection à une analyse<br />
expérimentale de la conscience morale - le cas d'Endô Shûsaku (La Mer et le Poison) », in Lieux et figures de la barbarie,<br />
CECILLE – EA 4074, Université <strong>Lille</strong> 3, 2006-2008.<br />
(Obligation de citer l'auteur original de cet article, interdiction de toute modification et de toute utilisation commerciale sans<br />
autorisation préalable)<br />
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