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Toshio Takemoto - Université Lille 3 Lieux et figures de la barbarie, CECILLE - EA 4074, Université Lille 3 2. L'autoportrait du futur criminel 2.1. Le paradoxe Toda incarne un paradoxe. Il cherche à vivre la douleur morale aiguë grâce au crime énorme de la dissection. Ce personnage très intelligent laisse apparaître la vérité du sujet, indéchiffrable par la psychologie. Endô esquisse ainsi l'énigme humaine qui échappe au pouvoir éclairant et taxinomique du langage : il n'est guère possible de verbaliser le paradoxe, intrinsèque de l'homme. Malgré sa lucidité et perspicacité, Toda ne parvient pas à clarifier son propre mystère. Il ne comprend pas pourquoi il restait toujours indifférent aux souffrances des autres. Endô trace l'autoportrait de Toda qui, dans son carnet, remonte dans son passé, et relate comment il est amené à participer à la vivisection d'un captif américain. Néanmoins, il atteint aux limites de son auto-analyse après avoir énuméré ses crimes d'autrefois. « [P]ourquoi aujourd'hui avoir écrit ce mémoire ? Parce que c'est sinistre. De plus en plus sinistre de n'éprouver de crainte que devant le regard des autres et le châtiment social, et de voir cette crainte disparaître en même temps que ces deux facteurs. ''Sinistre'' est exagéré : ''mystérieux'' convient mieux. 12 » Une ironie annule le bilan de l'auto-analyse rationnelle menée par Toda. A présent, elle se révèle inutile. L'objet de sa recherche n'est pas à la portée d'une opération démonstrative et discursive. Le prédicat « mystérieux » ne commente rien : ce terme n'est qu'une tautologie de l'énigme humaine qui est la sienne. La redondance signale que le pouvoir du logos ne marche pas dans l'opacité psychique. En fait, Toda se trompe : il mobilise son intelligence pour répondre aux questions suivantes. Pourquoi n'a-t-il aucun remords alors qu'il fait du mal aux autres ? Pourquoi n'a-t-il pas de jugement immédiat et spontané qui lui permettrait de distinguer le bien du mal, à savoir la conscience morale ? Mais la démarche logique ne lui apporte aucune réponse. En effet, tout en se croyant apathique à la douleur des autres, il cherche à se sentir coupable, tel est son paradoxe. © CECILLE 2008 Pour citer cet article : Toshio Takemoto, « La transposition romanesque d'un acte barbare : de la vivisection à une analyse expérimentale de la conscience morale - le cas d'Endô Shûsaku (La Mer et le Poison) », in Lieux et figures de la barbarie, CECILLE – EA 4074, Université Lille 3, 2006-2008. (Obligation de citer l'auteur original de cet article, interdiction de toute modification et de toute utilisation commerciale sans autorisation préalable) 4
Toshio Takemoto - Université Lille 3 Lieux et figures de la barbarie, CECILLE - EA 4074, Université Lille 3 2.2. L’anamnèse La souffrance d'autrui est intériorisée dans le tréfonds psychique de Toda sans qu’il le sache. Certes, il s'analyse dans son carnet, argumente et démontre son détachement moral. Mais un indice discret, mais certain de sa subjectivité dément son objectivité apparente. En d'autres termes, la comparaison laisse apparaître sa sensibilité à l'égard du mal d'autrui. Le bombardement devient banal à la fin de la Guerre du Pacifique au Japon. Toda regarde la ville de F., bombardée par des aviateurs américains. Il entend alors un « bruit qui ressebl[e] à des gémissements 13 ». Et il se dit : « Si les hommes gémissaient en y mettant la haine, la tristesse, la douleur, la malédiction, cela devait sûrement donner ce genre de bruit 14 ». La comparaison, c'est-à-dire une association subjective laisse apparaître sa sensibilité en face du mal d'autrui. Cet homme de raison oublie vite cette impression. Néanmoins, il entend de nouveau ce bruit plaintif qui le fait penser à la douleur des autres. Du coup, Toda se rappelle ses mensonges, puis ses trahisons, enfin ses crimes. Tout comme le geignement qu'il a entendu, ces souvenirs ne s'effacent jamais. Bien au contraire, ils reviennent à son insu. Tout se passe comme si ces cris de douleur continuaient à l'appeler jusqu'à ce qu'il leur réponde en posant une question morale. Quand il atteint aux limites de sa tentative d'auto- analyse, c'est-à-dire un acte volontaire, intentionnel, et rationnel, s'opère l'anamnèse qui échappe tant à sa maîtrise qu'à son intelligence. Le paradoxe de Toda tient à une ambivalence que voici. D'une part, il mène l'examen conscient de son indifférence aux autres en douleur. Mais d'autre part, il s'attache à leurs souffrances à son insu. Il conviendrait d'analyser comment Endô met en scène les criminels-protagonistes qui participent à vivisection. 3. La mise en scène des criminels-protagonistes 3.1. Le pari C'est à travers le point de vue de Toda que notre romancier décrit la scène de la vivisection. Ainsi, Endô représente comment ce sujet regardant ressent cet acte de barbarie. Ce point culminant du récit marque le tournant décisif pour lui. Or, c'est précisément pendant la dissection que son conflit moral perd toute sa gravité. L'écriture dessine sa défaite au fur et à mesure. Ainsi, Endô fabrique une image du Japon qui annule le sens de la quête de la culpabilité chez Toda. Au début de cette scène, notre romancier introduit un lieutenant avec © CECILLE 2008 Pour citer cet article : Toshio Takemoto, « La transposition romanesque d'un acte barbare : de la vivisection à une analyse expérimentale de la conscience morale - le cas d'Endô Shûsaku (La Mer et le Poison) », in Lieux et figures de la barbarie, CECILLE – EA 4074, Université Lille 3, 2006-2008. (Obligation de citer l'auteur original de cet article, interdiction de toute modification et de toute utilisation commerciale sans autorisation préalable) 5
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Page 11: 1 Notes 1. Moura, Jean-Marc, Lire l

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