Un ange ne vaut pas un radis - Je me livre ... Eric Vincent
Un ange ne vaut pas un radis - Je me livre ... Eric Vincent
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ERIC VINCENT<br />
UN ANGE NE VAUT PAS UN RADIS
Site : http://ericvincent.no-ip.org/<br />
© <strong>Eric</strong> <strong>Vincent</strong> 2002. Tous droits réservés.<br />
Toute ressemblance avec des situations ou des personnages ayant existé, existant ou à<br />
venir, serait fortuite.
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<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
La vie de Simo<strong>ne</strong> avait été exemplaire. Quinze enfants adoptés et élevés avec amour, <strong>un</strong><br />
dévoue<strong>me</strong>nt constant auprès de sa paroisse, u<strong>ne</strong> fidélité sans faille, u<strong>ne</strong> dévotion sans limite.<br />
Après quatre-vingt-dix années de bons et loyaux services, son corps avait abdiqué. Le tracé<br />
plat de l'électrocardiogram<strong>me</strong>, accompagné d'<strong>un</strong> siffle<strong>me</strong>nt continu, confirmait l'arrêt<br />
définitif des fonctions vitales. Les proches versaient les premières lar<strong>me</strong>s, donnant dans le<br />
rituel catholique basé sur la tristesse. Avant mê<strong>me</strong> la raideur cadavérique, avant mê<strong>me</strong> la<br />
moindre tentative pour consoler les enfants, frères et sœurs, Simo<strong>ne</strong> se sentit aspirée par u<strong>ne</strong><br />
tornade. L'arrache<strong>me</strong>nt brutal de son essence fut suivi d'u<strong>ne</strong> sensation de flotte<strong>me</strong>nt et de<br />
douceur.<br />
Son â<strong>me</strong> s'élevait dans les cieux com<strong>me</strong> <strong>un</strong> flocon de <strong>ne</strong>ige poussé par <strong>un</strong> vent ascendant.<br />
Elle conservait sa for<strong>me</strong> humai<strong>ne</strong> d'origi<strong>ne</strong> mais irradiait d'u<strong>ne</strong> blanche luminosité quasi<br />
irréelle.<br />
Contre toute attente, sa vision restait intacte. Mieux, elle percevait l'invisible, découvrant les<br />
êtres sous leur véritable nature. <strong>Un</strong> regard en direction des siens de<strong>me</strong>urés dans la chambre<br />
d'hôpital, transformée pour l'occasion en chambre mortuaire, lui apprit qu'ils fêteraient<br />
bientôt son décès au champag<strong>ne</strong> et qu'ils se battraient com<strong>me</strong> des chiffonniers à la lecture du<br />
testa<strong>me</strong>nt. La noirceur de leurs auras en disait long sur la te<strong>ne</strong>ur des évé<strong>ne</strong><strong>me</strong>nts à venir.<br />
"Bande de rapaces ! Songea-t-elle. "Ils <strong>ne</strong> pensent qu'à l'héritage !"<br />
En voletant, balancée de droite à gauche com<strong>me</strong> <strong>un</strong> fétu de paille, Simo<strong>ne</strong> discerna u<strong>ne</strong><br />
myriade de points lumi<strong>ne</strong>ux "<strong>ne</strong>igeant" de bas en haut, com<strong>me</strong> elle. <strong>Un</strong>e guerre causait-elle<br />
<strong>un</strong> véritable génocide ? Non. La mort n'avait rien d'anormal. Sur six milliards de Terriens,<br />
u<strong>ne</strong> centai<strong>ne</strong> de milliers d’humains s'évaporait chaque jour. D'où <strong>un</strong> ciel à l'allure de sapin de<br />
Noël !<br />
Les scories se ruaient vers de somptueux cumulus à développe<strong>me</strong>nt vertical, des nuages<br />
annonçant du beau temps. C'était u<strong>ne</strong> belle journée pour mourir…<br />
La multitude de brillants s’avéra être autant de for<strong>me</strong>s lumi<strong>ne</strong>uses, d'autres â<strong>me</strong>s perdues à<br />
jamais pour les Terriens. Simo<strong>ne</strong> traversa la couche nuageuse et découvrit <strong>un</strong> phénomè<strong>ne</strong><br />
typique des grandes agglomérations terrestres : <strong>un</strong> gigantesque embouteillage ! <strong>Un</strong>e<br />
interminable cohorte d'â<strong>me</strong>s patientait pour pénétrer au centre de triage. Simo<strong>ne</strong> prit le<br />
temps de consulter l'affichage lumi<strong>ne</strong>ux disposé à intervalles réguliers au-dessus de la voie.<br />
- Vingt-cinq girouettes (l'<strong>un</strong>ité de <strong>me</strong>sure au pa<strong>radis</strong>, valant à peu près notre kilomètre) de<br />
bouchon sur le périphérique pa<strong>radis</strong>iaque ! S'exclama Simo<strong>ne</strong>. <strong>Je</strong> <strong>ne</strong> suis <strong>pas</strong> arrivée !<br />
La convergence des files d’attente en <strong>un</strong> <strong>un</strong>ique point d’accès, à la manière des autoroutes<br />
parisien<strong>ne</strong>s débouchant sur le périphérique, expliquait l'engorge<strong>me</strong>nt. Mais Simo<strong>ne</strong> avait<br />
toujours su faire preuve de patience, tout au long de sa longue et vertueuse vie. Elle s'inscrivit<br />
dans la queue et attendit son tour.<br />
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4<br />
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
* *<br />
*<br />
La vénérable grand-mère touchait enfin au but : <strong>un</strong> simple comptoir flottant au-dessus d'<strong>un</strong><br />
nuage orageux. L'accueil des morts, le siège administratif de l'au-delà. Régulière<strong>me</strong>nt,<br />
l'amoncelle<strong>me</strong>nt d'humidité se déchirait, crachant <strong>un</strong> éclair rouge, ouvrant la porte sur l'enfer.<br />
<strong>Un</strong>e â<strong>me</strong> noire chutait brusque<strong>me</strong>nt et grossissait les rangs toujours plus nombreux des<br />
damnés.<br />
Le cerbère à longue barbe blanche, vêtue d'u<strong>ne</strong> vieille robe mitée, triait les nouveaux<br />
arrivants. Ce travail rébarbatif, le plus vieux du monde, avait été attribué à saint Innocent, dès<br />
la création du poste. Il datait de l'époque où Adam et Eve avaient sérieuse<strong>me</strong>nt déconné.<br />
Dieu s'était mis en pétard et avait décrété que ses protégés en baveraient pour l'éternité, qu'ils<br />
devraient <strong>me</strong><strong>ne</strong>r u<strong>ne</strong> vie exemplaire pour gag<strong>ne</strong>r le pa<strong>radis</strong> alors qu'avant leurs goinfreries de<br />
pom<strong>me</strong> crue, c'était du tout cuit !<br />
Depuis ce temps-là, le poste de trieur servait à envoyer les â<strong>me</strong>s pures au pa<strong>radis</strong> ou les<br />
nouveaux venus en enfer s'ils avaient triché, <strong>me</strong>nti, volé ou tué. Les hom<strong>me</strong>s politiques, les<br />
militaires, les patrons, les avocats et les truands se voyaient affectés au service de Satan,<br />
d’office. En cas de doute, u<strong>ne</strong> séance de purgatoire servait à détermi<strong>ne</strong>r l'affectation future.<br />
Saint Innocent était le plus qualifié pour remplir ce job, grâce à sa candeur mêlée<br />
d'impartialité. Seule<strong>me</strong>nt, depuis les 35 heures, il était devenu tatillon et à cheval sur les<br />
horaires.<br />
- Suivant ! Lança saint Innocent. Ton nom ?<br />
- Julien Rapetou, répondit l'intéressé.<br />
Le loubard natif de Trappes, flingué par <strong>un</strong> caïd du Val Fourré de Mantes-la-Jolie alors qu'il<br />
s'en prenait à sa BMW volée, se présenta avec <strong>un</strong> tour<strong>ne</strong>vis dans u<strong>ne</strong> main, <strong>un</strong> autoradio dans<br />
l'autre. Les produits de son larcin….<br />
Saint Innocent chaussa des lu<strong>ne</strong>ttes spéciales, avec des verres demi-lu<strong>ne</strong>. Il toisa l'individu<br />
peu recommandable, le détaillant de la tête aux pieds à plusieurs reprises. Puis, il porta u<strong>ne</strong><br />
brève attention à u<strong>ne</strong> fiche synthétique s'affichant sur l'écran de son ordinateur.<br />
- A la trappe, l'affreux jojo de Trappes ! Décida le saint.<br />
<strong>Un</strong> éclair rouge zébra le ciel et le voyou chuta dans <strong>un</strong> long conduit <strong>me</strong>nant aux fours du<br />
seig<strong>ne</strong>ur des enfers. L'ouverture se referma aussitôt. <strong>Un</strong>e série de dong et de ding avertit saint<br />
Innocent qu'il venait de recevoir <strong>un</strong> e(nfer)-mail. Il réduisit l'application principale con<strong>ne</strong>ctée<br />
sur le fichier des entrants et activa l'apparition de la <strong>me</strong>ssagerie.<br />
- <strong>Un</strong> <strong>me</strong>ssage de Belzébuth, le roi de l'enfer !<br />
Aucu<strong>ne</strong> pièce n'était jointe ; le détecteur anti-virus n'avait rien à se <strong>me</strong>ttre sous la dent. <strong>Un</strong>e<br />
chance ! Satan adorait se <strong>livre</strong>r à d'immondes farces destructrices.
Il lut :<br />
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
"Arrête de nous balancer des â<strong>me</strong>s pourries, l'enfer est plein ! Refile-les au purgatoire ! Signé :<br />
Satan"<br />
- Ne plus envoyer d'â<strong>me</strong>s en enfer ? Quelle drôle d'idée ! <strong>Je</strong> t'envoie la réponse<br />
immédiate<strong>me</strong>nt.<br />
Il tapa son texte :<br />
"Cher Satan, il est hors de question que tu refuses des â<strong>me</strong>s sous prétexte que tu n'as plus de<br />
place. <strong>Je</strong> connais tes manœuvres sournoises. Tu espères que j'enverrai des â<strong>me</strong>s impures au<br />
pa<strong>radis</strong> et qu'elles contami<strong>ne</strong>ront les innocents. Tu n'y arriveras <strong>pas</strong> ! Si tu souffres d'<strong>un</strong><br />
excédent d'â<strong>me</strong>s pourries, utilise-les com<strong>me</strong> bois de chauffage ! Signé : saint Innocent le<br />
farceur"<br />
Il valida l'envoi du <strong>me</strong>ssage en s'exclamant :<br />
- Et toc ! Prends ça dans les cor<strong>ne</strong>s !<br />
Simo<strong>ne</strong> s'avança à <strong>pas</strong> de loup. Le saint leva les yeux vers elle et s'exclama :<br />
- Deux secondes ! <strong>Je</strong> fais ma pause !<br />
<strong>Un</strong> brouhaha s'éleva dans la file d'attente, les arrivants n'ad<strong>me</strong>ttant <strong>pas</strong> que les cadres, petits,<br />
moyens ou dirigeants, bénéficient du régi<strong>me</strong> des trente-cinq heures.<br />
Le responsable de la gare de triage haussa les épaules et sortit <strong>un</strong> vieux nid d'<strong>ange</strong> de sa<br />
poche. Il retira son auréole et l'astiqua pour lui rendre son brillant d'origi<strong>ne</strong>. Il frotta, frotta,<br />
<strong>me</strong>ttant de l'huile de coude, afin de lui rendre son lustre d'antan. Il la remit en place lorsqu'il<br />
estima qu'elle reluisait assez pour éblouir les â<strong>me</strong>s entrantes.<br />
A l’instar de ses collègues, Innocent avait été formé aux méthodes des entreprises moder<strong>ne</strong>s<br />
et n'ignorait <strong>pas</strong> que le premier juge<strong>me</strong>nt d'<strong>un</strong> client à propos d'u<strong>ne</strong> entreprise s'exerçait sur<br />
l'accueil. Saint Innocent arborait donc u<strong>ne</strong> présentation impeccable.<br />
Simo<strong>ne</strong> crut qu'il reviendrait naturelle<strong>me</strong>nt vers elle après son opération de lustrage. Que<br />
<strong>ne</strong>nni ! Il ouvrit <strong>un</strong> carton blanc et sortit u<strong>ne</strong> pizza fumante aux flocons de <strong>ne</strong>ige et au ciel<br />
bleu d'Auverg<strong>ne</strong>. Il entama joyeuse<strong>me</strong>nt son re<strong>pas</strong> sous l'œil amusé de Simo<strong>ne</strong>.<br />
- Bon appétit ! Lança la grand-mère.<br />
- Merci ! Répondit l'hôte. Vous avez envie d'u<strong>ne</strong> petite part ?<br />
- Non, <strong>me</strong>rci. J'ai dîné avant de rendre l'â<strong>me</strong>.<br />
- <strong>Un</strong> dî<strong>ne</strong>r à l'hôpital ? Vous avez été empoisonnée ?<br />
- Non. Pourquoi ?<br />
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<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
- C'est u<strong>ne</strong> blague ! Les hôpitaux ont l'habitude de servir de la nourriture peu appétissante. <strong>Je</strong><br />
vous taqui<strong>ne</strong> ! Allez ! <strong>Je</strong> suis sûr que vous avez <strong>un</strong> petit creux. Il <strong>ne</strong> faut <strong>pas</strong> avoir faim, pour<br />
m<strong>ange</strong>r ça !<br />
- Si vous insistez…<br />
Simo<strong>ne</strong> préleva u<strong>ne</strong> petite quantité, histoire de goûter.<br />
- Cela vous plaît ?<br />
- C'est très bon ! Dit-elle avec u<strong>ne</strong> lueur de gourmandise.<br />
- Tant mieux ! Il faudra vous y faire ! On <strong>ne</strong> m<strong>ange</strong> que ça, au pa<strong>radis</strong> !<br />
- Est-ce que cela veut dire que j'ai le droit d'aller au pa<strong>radis</strong> ?<br />
- En doutiez-vous, Simo<strong>ne</strong> ? Allons ! Votre grand cœur est de notoriété publique, ma chère.<br />
Vous aurez donc u<strong>ne</strong> place de choix. Votre numéro est le 1728839900335356788838. Ne<br />
l’oubliez <strong>pas</strong>, c’est votre carte d’identité, votre sésa<strong>me</strong>. Allez ! La voie est libre.<br />
<strong>Un</strong>e gigantesque porte à double battant se matérialisa derrière le comptoir. La clarté de son<br />
matériau <strong>ne</strong> parvenait <strong>pas</strong> à occulter l'exception<strong>ne</strong>lle luminosité du couloir <strong>me</strong>nant au pa<strong>radis</strong>.<br />
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong>, en vol stationnaire, tenait <strong>un</strong> stand de lu<strong>ne</strong>ttes de soleil à l'entrée. Il tendit u<strong>ne</strong> paire<br />
à la nouvelle venue.<br />
- C'est pour la lumière. C'est juste le temps d'habituer vos yeux. Dans u<strong>ne</strong> semai<strong>ne</strong>, vous n'en<br />
aurez plus l'utilité.<br />
- Merci monsieur… ?<br />
- Ange Oliveur. <strong>Je</strong> suis nouveau. Avant, je travaillais dans <strong>un</strong> garage. <strong>Je</strong> réparais des nuages de<br />
transports. Forcé<strong>me</strong>nt, avec mon nom…<br />
Elle lui fit don d’<strong>un</strong> sourire quelque peu édenté mais sincère et chaussa ses précieuses<br />
lu<strong>ne</strong>ttes. <strong>Un</strong> peu plus loin, elle découvrit u<strong>ne</strong> autre échoppe. Elle lui parut indiquée pour<br />
compenser les difficultés de déplace<strong>me</strong>nt. Elle entrait véritable<strong>me</strong>nt au pa<strong>radis</strong>. <strong>Un</strong>e juste<br />
récompense pour u<strong>ne</strong> person<strong>ne</strong> méritante. Le pa<strong>radis</strong> était vrai<strong>me</strong>nt aussi <strong>me</strong>rveilleux qu'elle<br />
se le représentait. Vrai<strong>me</strong>nt aussi <strong>me</strong>rveilleux ?<br />
* *<br />
*
2<br />
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
Saint Marc, après ses écrits sur la vie de Jésus, le fils turbulent de Dieu, administrait le centre<br />
de la comm<strong>un</strong>ication télépathique. Les â<strong>me</strong>s déf<strong>un</strong>tes, les <strong>ange</strong>s, les saints et tous les<br />
person<strong>ne</strong>ls pa<strong>radis</strong>iaques comm<strong>un</strong>iquaient avec la parole en utilisant <strong>un</strong> langage <strong>un</strong>ique,<br />
compris de tous : le langage de l'â<strong>me</strong>. Par contre, lorsque les comm<strong>un</strong>ications distantes<br />
étaient nécessaires (le pa<strong>radis</strong> était u<strong>ne</strong> vaste étendue), tout ce beau monde utilisait la liaison<br />
télépathique. Il suffisait de se concentrer pour appeler le centre de la comm<strong>un</strong>ication<br />
télépathique. <strong>Un</strong>e fois la con<strong>ne</strong>xion établie, <strong>un</strong> <strong>ange</strong> vous branchait en direct avec l'esprit<br />
demandé. C'était simple com<strong>me</strong> bonjour.<br />
Etant donné le nombre d'habitants au pa<strong>radis</strong>, le départe<strong>me</strong>nt de la comm<strong>un</strong>ication<br />
télépathique était l'<strong>un</strong> des plus importants rouages du pa<strong>radis</strong>. Son importance nécessitait<br />
donc <strong>un</strong> hom<strong>me</strong> à l'aura (et l'auréole) renommée et pure pour le diriger. Le rôle était dévolu à<br />
saint Marc, l'illustre écrivain.<br />
Ce matin, il était d'hu<strong>me</strong>ur joyeuse, com<strong>me</strong> d'habitude. La gaieté régnait dans le service,<br />
malgré la récession économique guettant leur activité. Eh oui ! Le pa<strong>radis</strong> connaissait la crise,<br />
la faute au faible nombre d'entrants. La nature humai<strong>ne</strong>, terrestre ou extraterrestre, se<br />
détériorait chaque jour davantage. Les rangs des pourris <strong>ne</strong> cessaient d'enfler.<br />
Saint Innocent, quant à lui, consultait ses tables de correspondance et appliquait les règles<br />
textuelle<strong>me</strong>nt. Résultat, le pa<strong>radis</strong> connaissait u<strong>ne</strong> chute des entrées. La situation<br />
<strong>pas</strong>sable<strong>me</strong>nt mauvaise s'aggravait d'autant plus qu'<strong>un</strong> phénomè<strong>ne</strong> vieux com<strong>me</strong> le monde<br />
l'amplifiait : les â<strong>me</strong>s déf<strong>un</strong>tes les plus méritantes, les plus expéri<strong>me</strong>ntées, étaient<br />
régulière<strong>me</strong>nt promues <strong>ange</strong> gardien. Com<strong>me</strong> ces andouilles d'humains <strong>ne</strong> cessaient de se<br />
reproduire com<strong>me</strong> des lapins, il fallait toujours plus d'<strong>ange</strong>s gardiens. Le pa<strong>radis</strong> se vidait de<br />
ses <strong>me</strong>illeurs élé<strong>me</strong>nts. Enfin, com<strong>me</strong> les <strong>ange</strong>s gardiens, de part leur fonction, <strong>pas</strong>saient plus<br />
de temps auprès de leurs protégés, ils n'utilisaient <strong>pas</strong> beaucoup les liaisons télépathiques,<br />
sauf pour recevoir des conseils avisés de saint Juste, leur grand patron. Voilà exposées, en<br />
quelques mots, les raisons pour lesquelles le centre de comm<strong>un</strong>ication télépathique<br />
connaissait u<strong>ne</strong> chute continuelle de son activité.<br />
Les difficultés importaient peu, saint Marc de<strong>me</strong>urait d'hu<strong>me</strong>ur égale. De plus, il devisait<br />
joyeuse<strong>me</strong>nt avec saint Thomas, le spécialiste des vérifications en tous genres, l'<strong>un</strong>ique<br />
personnage à qui Dieu le père en person<strong>ne</strong> confiait ses missions de confiance. Juste<strong>me</strong>nt,<br />
Dieu, en tournée dans l'<strong>un</strong>ivers depuis u<strong>ne</strong> bon<strong>ne</strong> année, à la recherche du peuple élu (u<strong>ne</strong><br />
fois de plus !), l'avait chargé de vérifier la baisse de l'activité du secteur tenu par saint Marc,<br />
<strong>ne</strong> croyant <strong>pas</strong> que la situation soit si alarmante. Saint Thomas avait reçu <strong>un</strong> <strong>me</strong>ssage de Dieu<br />
ce matin mê<strong>me</strong>, l'<strong>ange</strong> Ournal (l'apporteur de nouvelles) ayant chevauché u<strong>ne</strong> comète toute la<br />
nuit dans l'espace pour apporter le pli aux aurores.<br />
- Exami<strong>ne</strong> les comptes de près. <strong>Je</strong> <strong>ne</strong> te raconte <strong>pas</strong> de blagues. Nous som<strong>me</strong>s en régression<br />
par rapport à l'année <strong>pas</strong>sée. Tu vois, là ? La chute ? Tu sais ce que c'est ?<br />
- Non, admit Thomas. Qu'est-ce que c'est ?<br />
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<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
- La troisiè<strong>me</strong> guerre raciste entre Altaïr et Proxima du Centaure.<br />
- Ah bon ? <strong>Je</strong> <strong>ne</strong> comprends <strong>pas</strong>.<br />
- Ce sont des racistes. Saint Innocent les a jetés en enfer, étant donné qu'ils se sont entretués<br />
sauvage<strong>me</strong>nt pour des nuances de couleur. Les Altaïriens sont bleu ciel et les Proximiens<br />
sont bleu pâle. Tu vois ?<br />
- Ah oui ! Le racis<strong>me</strong>, c'est l'enfer garanti. Combien étaient-ils ?<br />
- Vingt milliards d'â<strong>me</strong>s, toutes fanatisées, s'égorgeant, se trucidant, se parjurant. Saint<br />
Innocent a crû péter <strong>un</strong> plomb lorsqu'ils ont fait exploser leurs planètes respectives. Cent<br />
cinquante girouettes de bouchon sur le périphérique pa<strong>radis</strong>iaque ! Du jamais vu ! Il a mis<br />
deux jours à résorber la file d'attente. N'empêche qu'il a envoyé la quasi-totalité des deux<br />
populations dans les hauts four<strong>ne</strong>aux de Satan ! Et voilà pourquoi il y a u<strong>ne</strong> chute des<br />
comm<strong>un</strong>ications télépathiques. Normale<strong>me</strong>nt, il y aurait dû y avoir des entrants durant cette<br />
période, afin de combler les nominations d'<strong>ange</strong>s gardiens, acheva Marc.<br />
- Mais alors, ton person<strong>ne</strong>l <strong>ne</strong> doit <strong>pas</strong> être débordé ? Songea Thomas.<br />
D'<strong>un</strong> geste, le patron des lieux désigna les nombreux sièges vides, autant d'emplois supprimés<br />
ou réaménagés.<br />
- Nous som<strong>me</strong>s <strong>pas</strong>sés à la semai<strong>ne</strong> de vingt heures. Les <strong>ange</strong>s travaillent en équipe et ont<br />
accepté des réductions de salaire et d'avantages en nature pour conserver leurs jobs<br />
respectifs. Quand Innocent est venu manifester pour la semai<strong>ne</strong> de trente-cinq heures, il s'est<br />
fait jeter par le person<strong>ne</strong>l puisque nous faisons large<strong>me</strong>nt mieux depuis longtemps.<br />
- <strong>Je</strong> n'en crois <strong>pas</strong> <strong>me</strong>s yeux !<br />
- Pourtant, tu le vois bien !<br />
- C'est vrai, concéda Thomas. <strong>Je</strong> le vois donc je le crois. Incroyable !<br />
- Encore ! Que te faut-il de plus ?<br />
- Des preuves !<br />
- Des preuves ? Demande donc l'<strong>ange</strong> Achère et à l'<strong>ange</strong> Erance, nos loueurs de nuages<br />
immobiliers ! Leur parc locatif est rempli à cinquante pour cent. Aujourd'hui, tu récla<strong>me</strong>s <strong>un</strong><br />
cumulonimbus cinq pièces, cré<strong>me</strong>ux à souhait, eau à tous les étages, climatisé, tout confort,<br />
tu l'as le lendemain, sans <strong>pas</strong>se-droit ! On se croirait dans u<strong>ne</strong> m<strong>un</strong>icipalité de la ceinture<br />
rouge parisien<strong>ne</strong>, la délinquance en moins. Enfin, la délinquance, on com<strong>me</strong>nce à en<br />
entendre parler. Pas toi ?<br />
- Tu sais, moi, je <strong>ne</strong> crois que ce que je vois ! Rétorqua Thomas, parodiant ses propres<br />
maxi<strong>me</strong>s.<br />
- J'avais oublié que…<br />
Saint Marc n’acheva jamais sa réflexion. <strong>Un</strong> détail de son environ<strong>ne</strong><strong>me</strong>nt attira son attention :<br />
des plu<strong>me</strong>s, éparpillées derrière <strong>un</strong> amplificateur d'ondes télépathiques, u<strong>ne</strong> invention à base<br />
de pensée pure, concoctée par Ange Enial, l'inventeur du pa<strong>radis</strong>. Ce poste était celui d'Ange<br />
Aponais, <strong>un</strong> spécialiste de la traduction des <strong>me</strong>ssages destinés aux â<strong>me</strong>s en phase de<br />
rédemption, logeant au purgatoire.<br />
Marc se déporta sur le côté de la machi<strong>ne</strong> et fit u<strong>ne</strong> effroyable découverte.
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
- Ange Aponais ! S'exclama le patron des lieux.<br />
L'intéressé gisait sur le sol coton<strong>ne</strong>ux du nuage, le corps entière<strong>me</strong>nt nu, les cheveux défrisés,<br />
les ailes intégrale<strong>me</strong>nt déplumées, les plu<strong>me</strong>s éparpillées aux quatre coins de son box, à<br />
l'exception d'u<strong>ne</strong> seule plu<strong>me</strong>, rouge, plantée au beau milieu de son derrière (dans le trou de<br />
balle, pour ceux qui n'auraient <strong>pas</strong> u<strong>ne</strong> vision précise de la scè<strong>ne</strong> !).<br />
- Nom du grand patron ! Blasphéma involontaire<strong>me</strong>nt saint Thomas. Que lui est-il arrivé ? Il<br />
est évanoui ? C'est impossible ! Il est malade ?<br />
- Non, tu sais bien que les <strong>ange</strong>s <strong>ne</strong> tombent <strong>pas</strong> malades.<br />
- Moi, tu sais, je <strong>ne</strong> crois que ce que je vois et…<br />
- <strong>Je</strong> sais, je sais ! S'é<strong>ne</strong>rva Marc, lassé d'entendre son ami seri<strong>ne</strong>r sa sempiter<strong>ne</strong>lle devise.<br />
- Qu'a-t-il ?<br />
- Il est… Il est… Il…<br />
Le patron était incapable de prononcer l'imprononçable. Mort ! L'<strong>ange</strong> Aponais était mort et<br />
ce concept était ridicule, rigoureuse<strong>me</strong>nt illogique, impossible puisque le pa<strong>radis</strong> était le lieu<br />
de la vie éter<strong>ne</strong>lle, venant après la mort. Les <strong>ange</strong>s étaient <strong>ange</strong>s, <strong>un</strong> point c'est tout ! Ils <strong>ne</strong><br />
pouvaient <strong>pas</strong> mourir.<br />
- Seig<strong>ne</strong>ur ! Ange Au<strong>ne</strong> ! Appela saint Marc.<br />
- Voilà, voilà ! J'arrive, patron. Ah !!! Hurla l'intéressé en accourant et découvrant<br />
l'innommable, l'inqualifiable, l'impensable.<br />
- Cesse donc de hurler et contacte l'<strong>ange</strong> Enétique, notre plus grand docteur. Vite !<br />
Il fallut plusieurs rappels à l'ordre pour que l'Ange Au<strong>ne</strong>, le postier délivrant les <strong>me</strong>ssages<br />
écrits aux esprits occupés lors de transferts d'appels télépathiques, réagisse et se décide à<br />
requérir les lumières de l'<strong>ange</strong> Enétique. Il <strong>ne</strong> pouvait détacher son regard du corps mutilé de<br />
son collègue et ami. Les plu<strong>me</strong>s arrachées, cette plu<strong>me</strong> rouge, u<strong>ne</strong> couleur banni au pa<strong>radis</strong>,<br />
plantée dans le postérieur du chérubin. Il tremblait de toutes ses ailes, sachant qu'il pourrait<br />
bien être le suivant sur la liste.<br />
* *<br />
*<br />
L'<strong>ange</strong> Enétique était accouru aussi vite que ses ailes vermoulues le per<strong>me</strong>ttaient. Après u<strong>ne</strong><br />
brève auscultation du corps inanimé, il avait tenté u<strong>ne</strong> opération de la dernière chance. Il<br />
avait improvisé <strong>un</strong> bloc opératoire sur place et avait convoqué <strong>ange</strong> Ugulaire, le spécialiste<br />
des transfusions de plu<strong>me</strong>s et autres transplantations. L'arrivée de ce dernier n'avait <strong>pas</strong><br />
déclenché u<strong>ne</strong> ola, ni mê<strong>me</strong> <strong>un</strong> enthousias<strong>me</strong> débordant. Loin de là ! L'<strong>ange</strong> Ugulaire avait<br />
trempé ses plu<strong>me</strong>s dans le scandale de l'affaire des plu<strong>me</strong>s contaminées. <strong>Un</strong> lot de plu<strong>me</strong>s<br />
roussies, en directe provenance de l'enfer, n'avait <strong>pas</strong> été testé et avait été greffé sur les ailes<br />
d'<strong>ange</strong>s atteints de "plu<strong>me</strong>vitie" avancée. Les malheureux avaient muté en diablotins et<br />
avaient rejoint les rangs de Satan, promis à d'atroces souffrances éter<strong>ne</strong>lles.<br />
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<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
L'<strong>ange</strong> Ugulaire n'avait sauvé sa tête que grâce à l'intervention d'<strong>un</strong> de ses amis politiciens,<br />
l'<strong>ange</strong> Huppé. Depuis, il vivait quotidien<strong>ne</strong><strong>me</strong>nt les sarcas<strong>me</strong>s des siens, quand il <strong>ne</strong> s'agissait<br />
<strong>pas</strong> de <strong>me</strong>sses basses.<br />
L'opération avait échoué. L'<strong>ange</strong> Enétique avait établi le décès officiel de l'<strong>ange</strong> Aponais.<br />
Après avoir rempli le formulaire qu'il <strong>ne</strong> croyait jamais devoir utiliser, il avait emporté le<br />
corps dans son laboratoire pour procéder à u<strong>ne</strong> autopsie complète.<br />
L'<strong>ange</strong> Endar<strong>me</strong>, le chef de la sécurité, était accouru sur les lieux du cri<strong>me</strong> en soufflant<br />
com<strong>me</strong> <strong>un</strong> phoque, souffrant d'<strong>un</strong> embonpoint dû à l'abus de pizza aux flocons de <strong>ne</strong>ige et<br />
au bleu ciel d'Auverg<strong>ne</strong>. Son vol mal assuré révéla égale<strong>me</strong>nt que son régi<strong>me</strong> <strong>ne</strong> s'arrêtait <strong>pas</strong><br />
à la nourriture spirituelle et à la bon<strong>ne</strong> chair. On murmurait, dans les milieux autorisés, qu'il<br />
éclusait plus que de raison, s'abreuvant au comptoir de l'<strong>ange</strong> Enépi, le bouilleur de crû,<br />
distillant les pom<strong>me</strong>s du jardin d'Eden (celles qui valurent quelques désagré<strong>me</strong>nts à Eve et<br />
Adam et à nous tous, leurs descendants).<br />
- Que person<strong>ne</strong> <strong>ne</strong> bouge ! Le crimi<strong>ne</strong>l est certai<strong>ne</strong><strong>me</strong>nt encore sur les lieux de son cri<strong>me</strong> !<br />
S'écria-t-il en atterrissant sur le nuage avec l'élégance et la grâce d'<strong>un</strong> éléphant de <strong>me</strong>r.<br />
Son halei<strong>ne</strong> empestait la liqueur d'Aubépi<strong>ne</strong>, u<strong>ne</strong> eau de feu propre à faire péter <strong>un</strong> éthylotest.<br />
Le teint rose seyant aux chérubins, virait carré<strong>me</strong>nt à l'écarlate chez ce spéci<strong>me</strong>n des forces<br />
armées.<br />
- Allons ! Tempéra saint Marc. Tu lis trop de romans. L'affaire est extrê<strong>me</strong><strong>me</strong>nt grave et le<br />
crimi<strong>ne</strong>l, si jamais <strong>un</strong> tel être existe, est si machiavélique qu'il n'a <strong>pas</strong> traîné sur le lieu du<br />
cri<strong>me</strong>.<br />
- C'est à moi de le détermi<strong>ne</strong>r, si tu per<strong>me</strong>ts ! Tutoya d'emblée l'<strong>ange</strong> Endar<strong>me</strong>, rompant avec<br />
la sacro-sainte tradition consistant à vouvoyer son supérieur hiérarchique tandis que ce<br />
dernier appliquait le tutoie<strong>me</strong>nt au subalter<strong>ne</strong>.<br />
Il fureta quelques secondes sur le théâtre du dra<strong>me</strong>, paraissant chercher quelques indices sur<br />
le sol, cherchant surtout à garder <strong>un</strong> équilibre rendu précaire par l'abus de spiritueux. Son<br />
enquête prit brutale<strong>me</strong>nt fin lorsqu'il déclama :<br />
- Euréka ! (L'<strong>ange</strong> Endar<strong>me</strong> était d'origi<strong>ne</strong> grecque) J'ai trouvé la solution ! C'est <strong>un</strong> coup de<br />
Satan ! Il a envoyé l'<strong>un</strong> de ses sbires pour tuer <strong>un</strong> de nos <strong>ange</strong>s. Non, il s'est déplacé en<br />
person<strong>ne</strong> pour nous prendre en traître, à revers. Il lui a planté l'u<strong>ne</strong> de ses plu<strong>me</strong>s rouges par<br />
là où le scandale de Sodo<strong>me</strong> et Gomorrhe est arrivé, dans le croupion ! <strong>Je</strong> vais<br />
immédiate<strong>me</strong>nt faire impri<strong>me</strong>r des affiches pro<strong>me</strong>ttant u<strong>ne</strong> récompense à qui ramè<strong>ne</strong>ra<br />
Satan, mort de peur ou brûlé vif ! <strong>Je</strong> contacte l'<strong>ange</strong> Enéral, le commandant en chef des <strong>ange</strong>s<br />
protecteurs, afin qu'il dispose des senti<strong>ne</strong>lles aux points de <strong>pas</strong>sage entre le pa<strong>radis</strong> et l'enfer.<br />
L'<strong>ange</strong> Endar<strong>me</strong> dut prendre son élan pour parvenir à s'envoler. Malgré sa prise de vitesse, il<br />
chut lourde<strong>me</strong>nt au bord du nuage, croulant sous son propre poids. Au prix d'<strong>un</strong> effort<br />
intense et continu, il parvint à redresser la situation et à regag<strong>ne</strong>r de l'altitude. Disposant déjà
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
des ailes de taille 120 F, les plus longues et les plus larges du marché pa<strong>radis</strong>iaque, il serait<br />
bientôt contraint de se sou<strong>me</strong>ttre à <strong>un</strong> régi<strong>me</strong> sévère : eau de pluie et <strong>un</strong> nuage allégé (<strong>un</strong><br />
nuage de beau temps) à chaque re<strong>pas</strong>, <strong>pas</strong> plus.<br />
- Qu'en penses-tu ? Demanda Marc à son comparse, après le départ du chef de la sécurité.<br />
- <strong>Je</strong> <strong>ne</strong> crois que ce que je vois et je n'ai <strong>pas</strong> vu l'ombre d'u<strong>ne</strong> fourche démoniaque, je n'ai <strong>pas</strong><br />
reniflé u<strong>ne</strong> once de soufre dans l'atmosphère. <strong>Je</strong> <strong>ne</strong> crois <strong>pas</strong> trop à sa version des faits. Par<br />
contre, j'ignorais qu'<strong>un</strong> <strong>ange</strong> pouvait mourir. C'est effroyable ! Doit-on prévenir Dieu ?<br />
- Il a confié les clefs du pa<strong>radis</strong> à saint Pierre, le temps qu'il effectue sa tournée <strong>un</strong>iverselle.<br />
C'est le patron par intérim. Allons lui parler !<br />
- <strong>Je</strong> n'ose <strong>pas</strong>. Il m'intimide et j'ai peur qu'il pique u<strong>ne</strong> grosse colère.<br />
- C'est vrai, nota saint Marc. Il n'est <strong>pas</strong> à prendre avec des pincettes, en ce mo<strong>me</strong>nt. Il paraît<br />
que les bon<strong>ne</strong>s manières pa<strong>radis</strong>iaques se perdent, ces derniers temps. <strong>Un</strong> peu partout dans le<br />
pa<strong>radis</strong>, de vilai<strong>ne</strong>s habitudes terrestres se pren<strong>ne</strong>nt. Les boîtes de nuit, les endroits à la<br />
mode, le jeu, les paris. Saint Pierre s'é<strong>ne</strong>rve sérieuse<strong>me</strong>nt. Pour <strong>un</strong> tripot clandestin fermé, il<br />
s'en ouvre dix nouveaux. Com<strong>me</strong>nt lui annoncer la mauvaise nouvelle ?<br />
Sur cet entracte consacré à la méditation, intervint u<strong>ne</strong> sainte qui avait tout vu et tout<br />
entendu. C'était Lucie, la sainte patron<strong>ne</strong> de la lumière. Elle en était u<strong>ne</strong>, juste<strong>me</strong>nt, car elle<br />
avait toujours des suggestions lumi<strong>ne</strong>uses en réserve.<br />
- J'ai u<strong>ne</strong> idée ! S'exclama la jeu<strong>ne</strong> fem<strong>me</strong> en aube blanche, la tête coiffée d'u<strong>ne</strong> couron<strong>ne</strong> de<br />
bougies.<br />
- Salut Lucie ! Fit Thomas. Tu es au courant ?<br />
- Ah ! Elle est bon<strong>ne</strong>, celle-là ! Au courant, électrique, bien sûr ! Pour la sainte de la lumière,<br />
elle est bon<strong>ne</strong>.<br />
- Pas fait exprès, s'excusa Thomas.<br />
- Tu as u<strong>ne</strong> idée sur la façon d'annoncer la chose à saint Pierre ? Poursuivit saint Marc, moins<br />
léger et moins sensible aux jeux de mots que son comparse.<br />
- Oui ! Il suffit de le dire à Sainte Blandi<strong>ne</strong> et de lui demander de le répéter à Pierre.<br />
- Blandi<strong>ne</strong> ? S'exclamèrent les saints.<br />
- Mais oui ! Depuis qu'elle a été martyre, elle a l'habitude d'en prendre plein la tête sans<br />
broncher. C'est l'émissaire idéal.<br />
Pour la re<strong>me</strong>rcier, ils la gratifièrent d'<strong>un</strong> baiser plein de com<strong>pas</strong>sion et d'amour sur les deux<br />
joues. Elle rosit copieuse<strong>me</strong>nt, aug<strong>me</strong>ntant la hauteur des flam<strong>me</strong>s de ses cierges, sig<strong>ne</strong><br />
évident de satisfaction. Elle leur rendit la monnaie de leurs pièces avec u<strong>ne</strong> infinie tendresse<br />
tant et si bien que leurs auréoles clignotèrent ! Elle avait réussi à les troubler grâce à sa<br />
lumi<strong>ne</strong>use présence. Quoi qu'il advien<strong>ne</strong>, il fallait toujours laisser Lucie faire...<br />
* *<br />
*<br />
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12<br />
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
<strong>Un</strong> <strong>me</strong>urtre ! L'affaire était extrê<strong>me</strong><strong>me</strong>nt grave. Saint Pierre était effondré. Depuis que Dieu<br />
lui avait laissé les clefs du pa<strong>radis</strong>, le foutoir s'installait de plus en plus. La semai<strong>ne</strong> dernière, il<br />
s'était heurté à <strong>un</strong> mouve<strong>me</strong>nt de grève des transports en comm<strong>un</strong>, <strong>me</strong>né par <strong>un</strong> syndicat, le<br />
triste<strong>me</strong>nt célèbre CFDT (C'est Fichtre<strong>me</strong>nt Dur de Travailler). Le mois précédent, les<br />
parents d'<strong>ange</strong>lots avaient défilé dans les rues de Pa<strong>radis</strong>land, la capitale administrative du<br />
pa<strong>radis</strong>. Ils réclamaient l'abolition des histoires tristes à faire peur, en vogue chez les<br />
instituteurs épris de réalis<strong>me</strong>, et le retour de Hans-Christian Andersen, des frères Grimm et<br />
de Perrault sur les bancs de l'école. Leurs chers <strong>ange</strong>s blonds méritaient u<strong>ne</strong> éducation<br />
tradition<strong>ne</strong>lle et non <strong>un</strong> vent de révolution aux relents sulfureux. <strong>Un</strong>e grève des instituteurs<br />
visés avait immédiate<strong>me</strong>nt été déclenchée, en réponse aux revendications parentales. Ils en<br />
avaient profité pour récla<strong>me</strong>r à la retraite à 6000 ans, des accès aux pa<strong>radis</strong> fiscaux et <strong>un</strong><br />
abon<strong>ne</strong><strong>me</strong>nt à vie au journal officiel de Va<strong>ne</strong>ssa (Pa<strong>radis</strong>, bien sûr !). Pierre <strong>ne</strong> savait plus où<br />
don<strong>ne</strong>r de la tête. Le <strong>me</strong>urtre fut la goutte d'eau faisant déborder le nuage. Il pleura de rage,<br />
excédé par les évé<strong>ne</strong><strong>me</strong>nts se déchaînant contre lui avec force. Ses lar<strong>me</strong>s grossirent les<br />
rivières pa<strong>radis</strong>iaques et se déversèrent dans les nuages d'évacuation. Le trop plein descendit<br />
directe<strong>me</strong>nt sur la Terre où les climatologues crurent que les précipitations étaient le fruit<br />
d'<strong>un</strong> nouveau réchauffe<strong>me</strong>nt de la Terre (encore !) et où <strong>un</strong> certain Noé se mit en tête de<br />
construire <strong>un</strong> gros bateau dans son jardin.<br />
- <strong>Un</strong> <strong>me</strong>urtre ! <strong>Un</strong> assassinat au pa<strong>radis</strong> ! Cela n'était <strong>pas</strong> arrivé depuis… Ange Enéalogie ?<br />
Depuis combien de temps n'y a-t-il <strong>pas</strong> eu <strong>un</strong> tel cri<strong>me</strong> au pa<strong>radis</strong> ?<br />
L'intéressé, <strong>un</strong> <strong>ange</strong> à lu<strong>ne</strong>ttes, à l'allure de rat de bibliothèque, à l'apparence négligée,<br />
compulsa ses <strong>livre</strong>s anciens, faits de lig<strong>ne</strong>s d'horizons et de lettres de noblesse. Il hu<strong>me</strong>cta<br />
son doigt et fit virevolter les pages à u<strong>ne</strong> allure vertigi<strong>ne</strong>use. Les feuilles mortes défilèrent et<br />
tout à coup, il posa son regard sur l'u<strong>ne</strong> d'entre elles. Le texte historique était accompagné<br />
d'u<strong>ne</strong> illustration dont la vision le plongea dans u<strong>ne</strong> terreur indescriptible.<br />
- C'était… Gloups ! Fit-il en déglutissant. C'était…<br />
- Eh bien, <strong>ange</strong> Enéalogie ? Qu'as-tu découvert ? <strong>Je</strong> sais que j'ai toute l'éternité devant moi<br />
mais le temps presse !<br />
- C'était…<br />
N'en pouvant plus de soutenir la vision atroce, il fit glisser le grimoire jusqu'au bureau de<br />
Pierre. Ce dernier eut <strong>un</strong> geste d'é<strong>ne</strong>rve<strong>me</strong>nt mais il se ravisa en découvrant la scè<strong>ne</strong> peinte à<br />
la main. La gravure (mais non, u<strong>ne</strong> peinture ! <strong>Je</strong> viens de le dire avant) décrivait u<strong>ne</strong> bataille<br />
entre le Bien et le Mal. <strong>Un</strong>e bataille, que dis-je ! LA bataille. Le conflit <strong>un</strong>ique où Satan, <strong>ange</strong><br />
déchu, avait été banni par Dieu. Le prince des ténèbres avait rallié u<strong>ne</strong> kyrielle d'<strong>ange</strong>s<br />
déviants à sa cause et s'était livré à u<strong>ne</strong> guerre sans <strong>me</strong>rci contre les forces du Bien. La bataille<br />
avait duré <strong>un</strong> siècle et avait causé de gigantesques destructions, de part et d'autre des camps.<br />
L'issue du conflit avait balancé mille fois de chaque côté, sans jamais se décider<br />
définitive<strong>me</strong>nt.<br />
Après des années de lutte interminables, Dieu et Satan comprirent qu'auc<strong>un</strong> des camps <strong>ne</strong><br />
remporterait la victoire. Ils conclurent u<strong>ne</strong> trêve illimitée durant laquelle chac<strong>un</strong> resterait à sa
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
place, tout en se livrant à u<strong>ne</strong> lutte acharnée pour conquérir les â<strong>me</strong>s, influencer les êtres<br />
humains de leur vivant. Depuis cette mémorable guerre de Sécession, les champs de bataille<br />
avaient pansé leurs plaies, les plaintes s'étaient tues, la mort était absente. Le Bien et le Mal<br />
s'équilibraient et livraient bataille ailleurs. <strong>Un</strong>e bataille pour l'influence. De la stratégie,<br />
som<strong>me</strong> toutes !<br />
Ce <strong>me</strong>urtre sentait le déterre<strong>me</strong>nt de la hache de guerre, telle que la pratiquaient les Indiens<br />
d'Amérique. Cette fois, le tomahawk prenait l'allure d'u<strong>ne</strong> plu<strong>me</strong> dans le derrière du pauvre<br />
Ange Aponais.<br />
- Seig<strong>ne</strong>ur ! S'exclama saint Pierre. Cet évé<strong>ne</strong><strong>me</strong>nt a vrai<strong>me</strong>nt eu lieu.<br />
- Vous <strong>ne</strong> vous en souve<strong>ne</strong>z plus, patron ? Demanda l'<strong>ange</strong> érudit.<br />
- <strong>Je</strong> n'étais mê<strong>me</strong> <strong>pas</strong> né, mon pauvre ami ! <strong>Je</strong> te rappelle que je suis de la génération Jésus<br />
Christ, <strong>pas</strong> celle de Moïse et encore moins celle d'Adam et Eve. Noé, je l'ai découvert en<br />
bandes gravées sur les bancs de l'école !<br />
- Il <strong>ne</strong> faut <strong>pas</strong> m'en vouloir, chef ! Avec tous ces immortels, je <strong>me</strong> perds <strong>un</strong> peu dans les âges<br />
des <strong>un</strong>s et des autres.<br />
- Ah ! <strong>Je</strong> <strong>ne</strong> te blâ<strong>me</strong> <strong>pas</strong> ! <strong>Je</strong> suis à cran et tu <strong>ne</strong> peux <strong>pas</strong> tout savoir, mê<strong>me</strong> si tu <strong>pas</strong>ses ton<br />
temps à apprendre et à emmagasi<strong>ne</strong>r nos archives. A ce propos, que lis-tu, en ce mo<strong>me</strong>nt ?<br />
- La biographie de Georges W. Bush, le prix Nobel de la paix.<br />
- Le président des Etats-<strong>Un</strong>is ?<br />
- Non, <strong>un</strong> homony<strong>me</strong>. Le ex-président des Etats-<strong>Un</strong>is est en enfer, avec Saddam. Il paraît<br />
qu'ils <strong>pas</strong>sent leur temps à <strong>me</strong>ntir.<br />
- <strong>Je</strong> <strong>ne</strong> suis <strong>pas</strong> étonné ! Bon… Cela <strong>ne</strong> résout <strong>pas</strong> notre vilai<strong>ne</strong> affaire et cela n'explique <strong>pas</strong><br />
com<strong>me</strong>nt <strong>un</strong> <strong>ange</strong> a pu mourir. <strong>Je</strong> <strong>ne</strong> peux <strong>pas</strong> <strong>me</strong> résoudre à interrompre la tournée<br />
<strong>un</strong>iverselle de Dieu. Sa mission, la recherche du peuple élu, est extrê<strong>me</strong><strong>me</strong>nt importante.<br />
D'<strong>un</strong> autre côté, cet assassinat est suffisam<strong>me</strong>nt grave pour justifier son retour. En plus, s'il<br />
<strong>ne</strong> trouve <strong>pas</strong> le peuple élu, ce n'est <strong>pas</strong> Jésus qui s'en plaindra. Sa dernière apparition devant<br />
les élus a débuté avec sa naissance dans u<strong>ne</strong> grotte sans chauffage, avec des tas de bestioles<br />
com<strong>me</strong> compag<strong>ne</strong>s. Ensuite, il a été accueilli par des jets de pierre, il a dû faire ses preuves en<br />
multipliant les petits pains et les poissons et finale<strong>me</strong>nt, il a été crucifié. Il est vacciné pour<br />
des siècles.<br />
- Alors ? Demanda l'<strong>ange</strong>.<br />
- Alors, nous patientons. Faisons confiance à l'<strong>ange</strong> Endar<strong>me</strong> et laissons-le agir. Il connaît<br />
son travail.<br />
Saint Pierre se dit qu'il exagérait probable<strong>me</strong>nt en prenant la chose à la légère mais, après<br />
tout, les subalter<strong>ne</strong>s existaient pour décharger les chefs des boulots ennuyeux, chiants et<br />
générateurs d'ennuis copieux. Aux autres les em<strong>me</strong>rde<strong>me</strong>nts !<br />
* *<br />
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<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
Ange Au<strong>ne</strong>, postier de son état, spécialisé dans la prise et la remise de <strong>me</strong>ssages enregistrés au<br />
centre des comm<strong>un</strong>ications télépathiques, fonçait entre les nuages de transport, les nuages<br />
person<strong>ne</strong>ls, les auréoles volantes officielles, précédées d'<strong>ange</strong>s casqués chargés d'ouvrir la<br />
voie. A cette heure avancée de la soirée, les artères du Pa<strong>radis</strong> étaient encore chargées. Les<br />
trente-cinq heures auraient dû réguler les bouchons !<br />
Ange Au<strong>ne</strong> n'en avait rien à faire ; il rivalisait d'audace avec les <strong>livre</strong>urs de pizzas aux flocons<br />
de <strong>ne</strong>ige, il frôlait les véhicules de ses ailes aux plu<strong>me</strong>s taillées pour la vitesse, il prenait <strong>un</strong><br />
nombre incalculable de risques. Pourquoi ? D'ordinaire, ses clients acceptaient de bon cœur<br />
qu'il dé<strong>livre</strong> ses <strong>me</strong>ssages en tenant compte du délai incompressible de transport. Alors ?<br />
Pourquoi ces risques insensés ?<br />
Il évita de peu <strong>un</strong> cumulonimbus, <strong>un</strong> énor<strong>me</strong> poids lourd du Pa<strong>radis</strong>, chargé de transporter<br />
des matériaux bruts ou des élé<strong>me</strong>nts servant à la construction d'habitation tels que colon<strong>ne</strong>s<br />
d'eau, extracteur de fumée, four à vapeur, générateur de foudre, lai<strong>ne</strong> de nuages (pour<br />
l'isolation), etc…<br />
"Ouf ! J'ai failli lui rentrer dedans !" Soupira-t-il intérieure<strong>me</strong>nt. "Mais je <strong>ne</strong> suis <strong>pas</strong> tiré<br />
d'affaire pour autant."<br />
Il se retourna u<strong>ne</strong> brève seconde, vérifiant si son poursuivant était toujours à ses trousses. Il<br />
l'était. <strong>Un</strong> petit nuage noir, au moteur gonflé à bloc d'électricité, lui filait le train. Mê<strong>me</strong> dans<br />
le trafic, en usant de ses ailes et de son faible encombre<strong>me</strong>nt, Ange Au<strong>ne</strong> <strong>ne</strong> parvenait <strong>pas</strong> à<br />
décrampon<strong>ne</strong>r cette sangsue. L'autre disposait d'<strong>un</strong> moyen de transport de petit gabarit, agile,<br />
efficace et puissant. <strong>Un</strong> nuage noir préparé par sainte Mercedes, l'ensorceleuse de nuages, la<br />
rei<strong>ne</strong> aux flèches d'argent, la champion<strong>ne</strong> toutes catégories des rallyes pa<strong>radis</strong>iaques.<br />
"Bon sang ! Qu'est-ce qu'il m'a pris d'espion<strong>ne</strong>r cette conversation ? Qu'est-ce que j'ai fait ?"<br />
Ange Au<strong>ne</strong> se remémora les faits datant à pei<strong>ne</strong> d'u<strong>ne</strong> heure. La journée de travail s'achevait<br />
molle<strong>me</strong>nt, après u<strong>ne</strong> inactivité notoire, bien qu'il ait remplacé le déf<strong>un</strong>t Ange Aponais au<br />
pied levé. En sept heures de présence, il n'avait <strong>pas</strong> con<strong>ne</strong>cté plus de cinquante person<strong>ne</strong>s à<br />
leurs correspondants. Il s'ennuyait fer<strong>me</strong><strong>me</strong>nt. Il avait continué à prendre des <strong>me</strong>ssages,<br />
cumulant désormais deux fonctions. Puis, vers seize heures, il avait remarqué u<strong>ne</strong> anomalie<br />
sur la machi<strong>ne</strong> à con<strong>ne</strong>cter les esprits, en tous points identique aux anciens standards des<br />
opératrices des Postes et Télécomm<strong>un</strong>ications françaises, dotée d'u<strong>ne</strong> cohorte de prises et de<br />
fiches.<br />
Quelques orifices ronds, destinés à recevoir des fiches, brillaient intensé<strong>me</strong>nt, preuve qu'ils<br />
n'avaient jamais été con<strong>ne</strong>ctés. Pourquoi cette absence de lustrage, d'éraflures ? Cette<br />
machi<strong>ne</strong>, com<strong>me</strong> les nombreuses autres du centre de comm<strong>un</strong>ication télépathique, était<br />
vouée à servir dans son intégralité. Com<strong>me</strong>nt, statistique<strong>me</strong>nt parlant, des lig<strong>ne</strong>s<br />
télépathiques n'étaient-elles jamais attribuées derrière ces prises rondes ?
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
Intrigué par sa découverte, profitant de la quiétude ambiante, Ange Au<strong>ne</strong> démonta le<br />
pan<strong>ne</strong>au arrière et inspecta les branche<strong>me</strong>nts aux lig<strong>ne</strong>s télépathiques. Il s'y connaissait <strong>un</strong><br />
peu, il avait <strong>un</strong> PC (Pa<strong>radis</strong> Comm<strong>un</strong>icant) portable chez lui et il <strong>ne</strong> dédaignait <strong>pas</strong> bricoler. Il<br />
<strong>ne</strong> lui fallut guère plus d'u<strong>ne</strong> minute pour déposer le cache plastifié sur le sol mouton<strong>ne</strong>ux du<br />
nuage du centre. Il jeta <strong>un</strong> œil aux alentours avant de se décider d'en jeter <strong>un</strong> autre à<br />
l'intérieur de la machi<strong>ne</strong>rie. C'était à la fois simple com<strong>me</strong> bonjour et extrê<strong>me</strong><strong>me</strong>nt<br />
compliqué. De chaque prise partait <strong>un</strong> câble fin et <strong>un</strong>ique qui s'enfonçait dans le sol nuageux.<br />
Groupés par paquets de faisceaux, les fils allaient jusqu'au centre d'émission et de réception<br />
des ondes télépathiques, régi par sainte Raymonde, la rei<strong>ne</strong> des ondes. Le systè<strong>me</strong>, basique en<br />
apparence, se compliquait du fait de l'enchevêtre<strong>me</strong>nt de quatre cents câbles.<br />
Le travail des <strong>ange</strong>s du centre était très simple. D'abord, u<strong>ne</strong> auréole flottant au-dessus d'u<strong>ne</strong><br />
des deux cents prises entrantes s'allumait, signalant <strong>un</strong> appel. L'<strong>ange</strong> opérateur enfonçait <strong>un</strong><br />
cordon équipé d'u<strong>ne</strong> prise de type jack dedans et reliait l'autre extrémité, identique<strong>me</strong>nt<br />
pourvue, à son casque. Il prenait la comm<strong>un</strong>ication et écoutait attentive<strong>me</strong>nt le numéro<br />
d'â<strong>me</strong> demandé par son correspondant ou le nom du destinataire s'il s'agissait d'<strong>un</strong><br />
personnage illustre. Il composait l'adresse person<strong>ne</strong>lle souhaitée sur <strong>un</strong> clavier et attendait<br />
qu'u<strong>ne</strong> autre auréole, cette fois-ci dans la zo<strong>ne</strong> des prises sortantes, s'éclaire, indiquant que le<br />
centre d'émission avait établi u<strong>ne</strong> liaison avec l'â<strong>me</strong>, l'<strong>ange</strong> ou le saint demandé. Dès lors, il<br />
suffisait de relier les deux prises en débranchant le cordon de son casque et en l'enfonçant<br />
dans la prise du destinataire. La con<strong>ne</strong>xion pouvait alors s'établir ou <strong>ne</strong> <strong>pas</strong> s'établir. En cas<br />
d'encombre<strong>me</strong>nt, de som<strong>me</strong>il réparateur ou de mise hors service volontaire, l'appel<br />
n'aboutissait <strong>pas</strong>. L'appelant pouvait laisser <strong>un</strong> <strong>me</strong>ssage qu'<strong>un</strong> coursier ou <strong>un</strong> postier se<br />
chargeait d'achemi<strong>ne</strong>r.<br />
Ange Au<strong>ne</strong>, face à la foultitude de fils emmêlés, s'apprêtait à jeter l'éponge lorsqu'il découvrit<br />
u<strong>ne</strong> chose à laquelle il <strong>ne</strong> s'attendait <strong>pas</strong>.<br />
- Qu'est-ce que c'est, ce truc ?<br />
Il s'enfonça dans le cœur de la machi<strong>ne</strong>, parfaite<strong>me</strong>nt froide, com<strong>me</strong> il se devait au pa<strong>radis</strong>.<br />
Deux prises se distinguaient du reste. Deux câbles les reliaient bien à la machi<strong>ne</strong>, per<strong>me</strong>ttant<br />
de comm<strong>un</strong>iquer avec l'ensemble du pa<strong>radis</strong> mais <strong>un</strong> mince fila<strong>me</strong>nt créait égale<strong>me</strong>nt <strong>un</strong> lien<br />
<strong>un</strong>ique entre les deux lig<strong>ne</strong>s. En détaillant la dérivation, Ange Au<strong>ne</strong> comprit qu'aucu<strong>ne</strong><br />
auréole lumi<strong>ne</strong>use <strong>ne</strong> s'allumait lorsqu'u<strong>ne</strong> con<strong>ne</strong>xion directe s'opérait.<br />
- <strong>Je</strong> <strong>ne</strong> comprends rien ! S'exclama-t-il. A quoi cela sert ? La machi<strong>ne</strong> per<strong>me</strong>t simple<strong>me</strong>nt <strong>un</strong><br />
maximum de deux cents comm<strong>un</strong>ications simultanées. Mais, à chaque comm<strong>un</strong>ication entre<br />
deux â<strong>me</strong>s, les lig<strong>ne</strong>s entrantes et sortantes <strong>ne</strong> sont jamais les mê<strong>me</strong>s. L'attribution vient du<br />
centre d'émission et de réception. Elle est totale<strong>me</strong>nt aléatoire. Quel est l'intérêt de coupler<br />
physique<strong>me</strong>nt deux lig<strong>ne</strong>s ? Quel intérêt y a-t-il à…<br />
Il frissonna, ce qui était normal au pa<strong>radis</strong> puisque la température n'avait rien de la chaleur<br />
infernale.<br />
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<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
"C'est u<strong>ne</strong> lig<strong>ne</strong> secrète…" Songea-t-il avec justesse.<br />
L'absence d'éraflure et de lustre sur les prises prouvait ses suppositions.<br />
Il accomplit alors <strong>un</strong> geste relevant du péché véniel. Il s'empara d'<strong>un</strong> cordon spécial, équipé<br />
de nombreuses fiches, destiné à per<strong>me</strong>ttre des ré<strong>un</strong>ions télépathiques pour les <strong>ange</strong>s chefs<br />
d'entreprise. Il relia les prises vierges entre elles et raccorda tout à son casque.<br />
"Juste histoire de contrôler si les lig<strong>ne</strong>s fonction<strong>ne</strong>nt normale<strong>me</strong>nt !" Ajouta-t-il<br />
intérieure<strong>me</strong>nt, justifiant son acte d'espionnage avéré et répréhensible.<br />
Se sentant tout de mê<strong>me</strong> coupable de piraterie patentée, il se pencha en arrière afin de vérifier<br />
que person<strong>ne</strong> n'épiait ses faits et ses gestes. Il poussa le volu<strong>me</strong> sonore à fond et écouta. <strong>Un</strong><br />
grésille<strong>me</strong>nt et <strong>un</strong> bruit de souffle n'étaient que les seuls élé<strong>me</strong>nts auditifs restitués dans les<br />
écouteurs de son casque. Gardant u<strong>ne</strong> oreille sur la mystérieuse lig<strong>ne</strong> directe, il poursuivit ses<br />
tâches routinières, prenant des <strong>me</strong>ssages, con<strong>ne</strong>ctant les appelants et les appelés, jusqu'à ce<br />
que l'heure de la fin du job <strong>ne</strong> son<strong>ne</strong>.<br />
Il était près de seize heures cinquante lorsqu'il entendit distincte<strong>me</strong>nt u<strong>ne</strong> voix chuchoter<br />
dans ses tympans (NDLA : les <strong>ange</strong>s ont ni tympans, ni oreilles, puisqu'ils n'entendent <strong>pas</strong><br />
<strong>me</strong>s suppliques les implorant de <strong>me</strong> guider sur la voie de la gloire et de la célébrité ! Pourtant,<br />
j'écris des trucs sympathiques sur eux, sans user d'u<strong>ne</strong> plu<strong>me</strong> de leurs ailes !).<br />
- Allô ! Enflure ? Ici Enfilé !<br />
- J'attends ton rapport, lâcha l'intéressé.<br />
- Ange Endar<strong>me</strong> n'a <strong>pas</strong> trouvé la moindre preuve. Il est complète<strong>me</strong>nt sec, com<strong>me</strong><br />
d'habitude. Avec son Quotient d'Imbécillité, il mérite vrai<strong>me</strong>nt sa place dans le <strong>livre</strong> des<br />
records <strong>un</strong>iversels.<br />
- Tu en es sûr ? Il est vital de préserver notre secret. Il nous faut trouver <strong>un</strong> moyen différent<br />
d'entrer en contact, sous pei<strong>ne</strong> d'être découverts u<strong>ne</strong> nouvelle fois de plus par <strong>un</strong> <strong>ange</strong>. La<br />
lig<strong>ne</strong> n'est <strong>pas</strong> sûre.<br />
Ange Au<strong>ne</strong> n'en croyait <strong>pas</strong> ses oreilles. Il pressa le casque <strong>un</strong> peu plus fort sur sa tête de<br />
chérubin afin de <strong>ne</strong> <strong>pas</strong> perdre la moindre miette de la conversation. A cette occasion, il<br />
généra quelques craque<strong>me</strong>nts parasites caractéristiques dans les lig<strong>ne</strong>s.<br />
- Tu as entendu ? S'exclama Enflure.<br />
- Oui, répondit Enfilé.<br />
- Nous som<strong>me</strong>s espionnés ! Fais le nécessaire ! Vite !<br />
La conversation s'acheva sur cet ordre. Ange Au<strong>ne</strong> de<strong>me</strong>ura interdit durant quelques<br />
secondes. Puis, pris de panique, il se leva en <strong>un</strong> batte<strong>me</strong>nt d'ailes et en oublia son casque posé<br />
sur sa tête. Ce dernier fut arraché et tomba sur le sol mouton<strong>ne</strong>ux en é<strong>me</strong>ttant <strong>un</strong> simple<br />
"ploum" étouffé par le moelleux du revête<strong>me</strong>nt blanchâtre. Ange Au<strong>ne</strong> n'avait guère besoin
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
d'<strong>un</strong> esprit brillant pour comprendre qu'<strong>un</strong> tueur nommé Enfilé, à la solde d'<strong>un</strong> dénommé<br />
Enflure, n'allait <strong>pas</strong> tarder à débarquer pour le plu<strong>me</strong>r.<br />
Il avait pris ses ailes à son cou et avait décollé sans demander son reste.<br />
Dès le début de sa fuite, il avait eu l'impression d'être <strong>un</strong> espion traqué, suivi. Il était persuadé<br />
qu'u<strong>ne</strong> myriade de regards anony<strong>me</strong>s confirmait sa présence et trans<strong>me</strong>ttait sa position à leur<br />
responsable. Com<strong>me</strong>nt l'information s'était-elle propagée à la vitesse de la poudre<br />
enflammée ? Qui étaient Enflure et Enfilé ? Com<strong>me</strong>nt s'étaient-ils arrangés pour trafiquer <strong>un</strong><br />
standard du centre des comm<strong>un</strong>ications télépathiques ? Etait-ce mê<strong>me</strong> la seule machi<strong>ne</strong><br />
truquée de la sorte ? Il n'y avait <strong>pas</strong> moins de dix mille standards du mê<strong>me</strong> modèle au centre !<br />
Il frissonna à l'idée qu'u<strong>ne</strong> seule lig<strong>ne</strong> par machi<strong>ne</strong> <strong>ne</strong> soit réservée à ces mystérieux<br />
personnages. Cela impliquerait l'existence d'u<strong>ne</strong> vaste confrérie néfaste au sein mê<strong>me</strong> du<br />
pa<strong>radis</strong>.<br />
Néfaste, oui ! Car depuis qu'il avait rejoint le boulevard saint Charles (de Gaulle), il était pris<br />
en chasse par le petit nuage noir, <strong>un</strong> bolide si sombre qu'il était impossible de voir les traits<br />
de son conducteur.<br />
"Il faut que je le lâche !" Imagina-t-il u<strong>ne</strong> fois de plus afin de s'encourager. "Bon sang !<br />
Pourquoi n'y ai-je <strong>pas</strong> songé auparavant ? Il faut que je <strong>me</strong> réfugie au quartier général des<br />
RIMA (Régi<strong>me</strong>nt d'Infanterie des Merveilleux Anges), il est tout proche. <strong>Je</strong> récla<strong>me</strong>rai la<br />
protection des hom<strong>me</strong>s chargés de la sécurité au pa<strong>radis</strong> ! Oui ! Vite !"<br />
A u<strong>ne</strong> intersection avec u<strong>ne</strong> rue en sens <strong>un</strong>ique, il bifurqua brusque<strong>me</strong>nt, causant la surprise<br />
chez son poursuivant. Ce dernier manqua de s'emplafon<strong>ne</strong>r le nuage d'habitation à l'angle de<br />
la rue mais il rattrapa la manœuvre grâce à <strong>un</strong> dérapage des plus contrôlés.<br />
La rue secondaire, dénommée Marc Lavoi<strong>ne</strong>, à cause de ses nombreux parkings des <strong>ange</strong>s,<br />
était <strong>ne</strong>tte<strong>me</strong>nt plus fluide. Le nuage noir accéléra brutale<strong>me</strong>nt, comblant son retard sur Ange<br />
Au<strong>ne</strong>, limité par sa faible vitesse. La différence de pointe de vitesse était trop flagrante ; à<br />
l'image des courses poursuites se déroulant sur Terre, entre policiers et voyous de banlieue,<br />
les fonctionnaires du pa<strong>radis</strong> étaient équipés de moyens de transport trop lents pour rivaliser<br />
avec les truands. Ses ailes affûtées <strong>ne</strong> feraient <strong>pas</strong> le poids en plei<strong>ne</strong> lig<strong>ne</strong> droite.<br />
Tout à coup, le nuage fut sur lui et le percuta mécham<strong>me</strong>nt. Ange Au<strong>ne</strong> encaissa le coup avec<br />
dignité, conservant sa trajectoire avec mille pei<strong>ne</strong>s, <strong>ne</strong> pensant qu'à sa planche de salut située<br />
à moins de deux girouettes de là. Deux mille milli-girouettes (soit deux mille mètres, à peu<br />
près), à parcourir pour trouver refuge et confier sa découverte à qui de droit, des <strong>ange</strong>s<br />
spécialistes de la sécurité, postés aux quatre coins du royau<strong>me</strong> de Dieu, prévenant la moindre<br />
tentative d'invasion de Satan et ses troupes. Si le conducteur était <strong>un</strong> suppôt de Belzébuth, <strong>un</strong><br />
Dem'Ange, com<strong>me</strong> on les nommait ici, au pa<strong>radis</strong>, les militaires le réduiraient en bouillie<br />
velue en l'aspergeant au canon à eau bénite. Enfin, il espérait que cette ar<strong>me</strong> fonction<strong>ne</strong>rait.<br />
Le pilote du nuage noir porta u<strong>ne</strong> nouvelle estocade qui envoya Ange Au<strong>ne</strong> valser dans u<strong>ne</strong><br />
rue perpendiculaire à la rue saint Charles. Il n'eut <strong>pas</strong> le temps de noter le nom de cette<br />
nouvelle artère ; il était trop occupé à se relever et à sauver sa peau avant que le nuage noir lui<br />
<strong>pas</strong>se sur les plu<strong>me</strong>s. Il esquiva la ruée du véhicule et repartit de plus belle. Il perdit en pointe<br />
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18<br />
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
de vitesse, souffrant d'u<strong>ne</strong> perte d'équilibre manifeste. Il tourna la tête vers le point à l'origi<strong>ne</strong><br />
du problè<strong>me</strong> : le bout de l'aile gauche était légère<strong>me</strong>nt tordu mais les conséquences étaient<br />
terribles. Ces mécaniques de précision <strong>ne</strong> souffraient <strong>pas</strong> le moindre dérègle<strong>me</strong>nt.<br />
Le nuage noir le tamponna u<strong>ne</strong> dernière fois, attendant l'instant précis où Ange Au<strong>ne</strong><br />
<strong>pas</strong>serait devant u<strong>ne</strong> im<strong>pas</strong>se. Le choc, très violent cette fois, <strong>ne</strong> lui laissa aucu<strong>ne</strong> chance. Il<br />
alla valdinguer dans les poubelles (NDLA : eh oui ! Le pa<strong>radis</strong> avait adopté l'invention de<br />
notre préfet !) d'u<strong>ne</strong> im<strong>pas</strong>se aux nuages d'habitations devenus miteux par manque<br />
d'entretien.<br />
Ange Au<strong>ne</strong> était complète<strong>me</strong>nt estourbi. Sa vision <strong>ne</strong> cessait de danser, ses <strong>me</strong>mbres<br />
disloqués <strong>ne</strong> lui étaient d'auc<strong>un</strong> secours pour se carapater en vitesse. Il avait échoué.<br />
Person<strong>ne</strong> <strong>ne</strong> lui viendrait en aide dans ce quartier mal famé, aux habitations tombant en<br />
rui<strong>ne</strong>, faute de bras pour les rénover. Il entendit de la musique qui n'avait rien de céleste.<br />
"Le Pa<strong>radis</strong>co… <strong>Je</strong> <strong>ne</strong> suis <strong>pas</strong> loin de cette boîte de nuit dont tout le monde parle sans y<br />
avoir mis les ailes… Il existe vrai<strong>me</strong>nt…"<br />
Mê<strong>me</strong> si des habitués du mystérieux établisse<strong>me</strong>nt, en principe interdit, sortaient et le<br />
découvraient en mauvaise posture, ils <strong>ne</strong> lèveraient <strong>pas</strong> le petit doigt pour le secourir. Son<br />
poursuivant n'était <strong>pas</strong> fou : il l'avait contraint à se réfugier dans ce quartier où il n'avait <strong>pas</strong><br />
l'ombre d'u<strong>ne</strong> chance de trouver u<strong>ne</strong> â<strong>me</strong> charitable. C'était com<strong>me</strong> ça ! Mê<strong>me</strong> au pa<strong>radis</strong>, le<br />
quartier de saint Denis était l'<strong>un</strong> des plus chauds, des plus mal famés et des plus délabrés.<br />
La porte droite du nuage noir s'ouvrit en se relevant par le haut : des portes en élytre ! La<br />
classe, le nuage noir de sainte Mercedes ! <strong>Un</strong> <strong>ange</strong> au regard fier et sombre en descendit.<br />
C'était <strong>un</strong> <strong>ange</strong>, à n'en point douter. Ses ailes le prouvaient.<br />
A la limite de la perte de conscience, Ange Au<strong>ne</strong>, incapable de réagir, fixa la for<strong>me</strong><br />
s'approchant de lui, u<strong>ne</strong> tenaille entre les mains.<br />
- Ce n'est <strong>pas</strong> beau d'écouter les conversations interdites, énonça cal<strong>me</strong><strong>me</strong>nt l'<strong>ange</strong> <strong>me</strong>naçant.<br />
"Cet accent lancinant et rythmé à la fois… <strong>Je</strong> le reconnais…" Songea le malheureux postier,<br />
sur le point de subir <strong>un</strong> sort identique à celui de son collègue, Ange Aponais.<br />
- Tu es… tu es… Ange… Ange ! Balbutia-t-il avant de recevoir <strong>un</strong> coup de tenaille en travers<br />
de la tronche.<br />
Patiem<strong>me</strong>nt, le tonton flingueur, reconnu par sa victi<strong>me</strong>, entreprit de lui arracher les plu<strong>me</strong>s<br />
des ailes, u<strong>ne</strong> par u<strong>ne</strong>, notant si <strong>un</strong> ch<strong>ange</strong><strong>me</strong>nt de couleur affectait l'u<strong>ne</strong> d'elles (ou l'u<strong>ne</strong><br />
d'aile !). Il paraissait très cal<strong>me</strong> alors qu'il accomplissait <strong>un</strong> cri<strong>me</strong> au pa<strong>radis</strong>. Il avait des <strong>ne</strong>rfs<br />
d'acier, cet <strong>ange</strong>-là !<br />
Alors qu'il attaquait la seconde aile, privilégiant les plu<strong>me</strong>s les plus longues, il y en eut u<strong>ne</strong> qui<br />
vira au rouge écarlate.<br />
- Gagné ! S'exclama-t-il.
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
Sans la moindre hésitation, il souleva l'aube de l'<strong>ange</strong> et lui planta l'objet du délit dans le<br />
croupion. Instantané<strong>me</strong>nt, le visage d'Ange Au<strong>ne</strong> blêmit, à devenir presque transparent. Ses<br />
plu<strong>me</strong>s se dispersèrent autour de lui, balayées par u<strong>ne</strong> brise naissante. Parallèle<strong>me</strong>nt, son<br />
corps hérita d'u<strong>ne</strong> raideur cadavérique que seul <strong>un</strong> marteau pourrait désormais briser. Il était<br />
mort. L'impossible venait d'avoir lieu pour la seconde fois.<br />
Le <strong>me</strong>urtrier exprima u<strong>ne</strong> moue de regret. Elle <strong>ne</strong> venait <strong>pas</strong> des remords supposés l'agiter<br />
mais de sa déception face à la transformation. Si cet <strong>ange</strong> Au<strong>ne</strong> avait été <strong>un</strong> tant soi peu<br />
dissipé, coquin, s'il s'était adonné à quelques péchés véniels, la transformation aurait été<br />
radicale<strong>me</strong>nt différente. Son corps se serait hérissé de poils, ses ailes se seraient raccourcies,<br />
des cor<strong>ne</strong>s lui seraient poussées au-dessus de la tête et sa peau aurait eu la couleur roussie du<br />
porc laqué. Il aurait rejoint les troupes de Satan.<br />
- Tant pis pour toi, vilain curieux ! Lâcha l'<strong>ange</strong> assassin en l'abandonnant à son triste sort.<br />
Il ferma les yeux pour se concentrer et utilisa la lig<strong>ne</strong> privée pour la dernière fois.<br />
- Enfilé ? Ici, Ange Grosfusi.<br />
- Le Corse ?<br />
- Oui. Le travail est terminé.<br />
- Parfait ! Dites à l'<strong>un</strong> de vos adjoints de re<strong>me</strong>ttre le matériel dans son état d'origi<strong>ne</strong>.<br />
Compris ?<br />
- Compris !<br />
Il plongea la main dans l'u<strong>ne</strong> des multiples poches de son aube immaculée. Ange Grosfusi,<br />
l'<strong>un</strong> des nombreux "Ange" corses, en extirpa <strong>un</strong> petit car<strong>ne</strong>t rouge, <strong>un</strong> coloris pourtant<br />
stricte<strong>me</strong>nt prohibé au royau<strong>me</strong> de Dieu. Il feuilleta le compro<strong>me</strong>ttant <strong>livre</strong>t et tomba sur <strong>un</strong><br />
nom qui attira son attention.<br />
- Ange Dorémifassolaci, le violoniste soliste de l'orchestre symphonique des grandes orgues.<br />
Il travaille au centre de comm<strong>un</strong>ication télépathique. Il fera l'affaire.<br />
Cet <strong>ange</strong>-là, encore <strong>un</strong> de la bande des Corses, occupait <strong>un</strong> poste identique à Ange Aponais.<br />
"Occuper" était le ter<strong>me</strong> approprié : il <strong>ne</strong> bossait <strong>pas</strong> vrai<strong>me</strong>nt, entretenant la légende selon<br />
laquelle les Corses en faisaient le moins possible pour vivre le plus longtemps (NDLA : et ils<br />
avaient entière<strong>me</strong>nt raison ! Vive le ryth<strong>me</strong> de vie corse !). Ange Dorémifassolaci était<br />
immortel, assuré<strong>me</strong>nt, vu son entrain à con<strong>ne</strong>cter les habitants du pa<strong>radis</strong>.<br />
<strong>Un</strong>e fois son choix arrêté, Ange Grosfusi regagna son véhicule et repartit en trombe,<br />
craignant par-dessus tout de tomber <strong>ne</strong>z à <strong>ne</strong>z avec d'indésirables témoins. Ange Au<strong>ne</strong> venait<br />
de payer pour sa curiosité. La curiosité est <strong>un</strong> vilain défaut !<br />
* *<br />
*<br />
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20<br />
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
Dieu s'apprêtait à se montrer au peuple élu et à édicter les commande<strong>me</strong>nts lorsqu'il se<br />
ravisa. Ces êtres nus, rampants dans la f<strong>ange</strong>, aux corps similaires à ceux de nos chenilles<br />
terrestres, bariolés com<strong>me</strong> nos plus excentriques p<strong>un</strong>ks, <strong>ne</strong> pouvaient raisonnable<strong>me</strong>nt <strong>pas</strong><br />
incar<strong>ne</strong>r les fers de lance du nouveau peuple élu. Décidé<strong>me</strong>nt, sa tournée était <strong>un</strong> échec.<br />
Depuis u<strong>ne</strong> longue année, Dieu cherchait <strong>un</strong> peuple apte à recevoir sa parole, à respecter ses<br />
commande<strong>me</strong>nts à la lettre et capable de montrer l'exemple au reste de l'<strong>un</strong>ivers. Non… Ces<br />
chenilles vague<strong>me</strong>nt humai<strong>ne</strong>s se laisseraient peut-être subjuguer par ses paroles<br />
bienveillantes mais, au jeu de la conviction et de l'évangélisation des autres peuples, elles <strong>ne</strong><br />
tiendraient <strong>pas</strong> deux ro<strong>un</strong>ds face à des zigotos de la trempe de Terriens.<br />
Pourtant, le peuple hébreu faisait <strong>un</strong> bon peuple élu. Souffrant, martyr face au joug égyptien,<br />
pauvre com<strong>me</strong> Job, <strong>un</strong> peuple itinérant, sans possession, esclave et malgré tout, heureux. Eh<br />
bien non ! Cela avait capoté. Moïse avait échoué. Dieu avait tenté u<strong>ne</strong> nouvelle approche en<br />
envoyant directe<strong>me</strong>nt <strong>un</strong> <strong>me</strong>mbre de la famille, son propre fils. Nouvel échec.<br />
Si seule<strong>me</strong>nt Judas n'avait <strong>pas</strong> foutu le bazar ! Mais non ! Monsieur Judas avait voulu jouer les<br />
originaux, en trahissant les siens, en livrant le propre fils de Dieu à l'en<strong>ne</strong>mi romain. Le pire,<br />
c'est que Jésus l'avait su avant mê<strong>me</strong> la survenance de la trahison. Quelle idée, aussi,<br />
d'envoyer son fils en Palesti<strong>ne</strong> ! En Palesti<strong>ne</strong> ! Quand on voyait ce que la Palesti<strong>ne</strong> était<br />
devenue, depuis… Après tout, elle n'avait <strong>pas</strong> changé. Elle était toujours le théâtre<br />
d'affronte<strong>me</strong>nts ethniques durant depuis plus de deux mille ans. La plus longue guerre de<br />
l'histoire de l'humanité.<br />
Non, vrai<strong>me</strong>nt, les chenilles <strong>ne</strong> convaincraient person<strong>ne</strong>. Il fallait élire <strong>un</strong> autre peuple. A<br />
condition d'en trouver suffisam<strong>me</strong>nt docile pour l'écouter. De nos jours, avec l'avancée<br />
technologique baignant chaque foyer de l'<strong>un</strong>ivers, avec la prédominance des explications<br />
scientifiques sur les explications irration<strong>ne</strong>lles, il devenait de plus en plus coton d'organiser et<br />
de crédibiliser <strong>un</strong> bon vieux miracle. Il se trouvait toujours u<strong>ne</strong> majorité, dans l'assistance,<br />
pour affir<strong>me</strong>r qu'il y avait <strong>un</strong> truc, que c'était bidon, que la grêle enflammée, les grenouilles, la<br />
pestilence et autres fléaux, ce n'était que des sor<strong>ne</strong>ttes pour adolescents attardés.<br />
Dieu songea alors qu'il devrait se rendre aux confins de l'<strong>un</strong>ivers, au bord de la ceinture<br />
<strong>un</strong>iverselle, là où la vie naissait depuis peu, là où les planètes poussaient encore des<br />
hurle<strong>me</strong>nts accompagnant les soubresauts de la formation. Oui ! C'était la solution !<br />
S'adresser directe<strong>me</strong>nt aux peuples sortis de l'âge de la pierre, <strong>pas</strong> trop nombreux, disposant<br />
de territoires suffisam<strong>me</strong>nt vastes pour <strong>ne</strong> <strong>pas</strong> <strong>pas</strong>ser leur temps à s'entretuer pour quelques<br />
ares supplé<strong>me</strong>ntaires. Mais, cette fois-ci, il prendrait ses précautions. Il verrouillerait le<br />
systè<strong>me</strong>, son systè<strong>me</strong>, en édictant et en gravant <strong>un</strong> recueil de commande<strong>me</strong>nts dig<strong>ne</strong> du code<br />
civil napoléonien, <strong>ne</strong> comportant <strong>pas</strong> moins de mille articles. En effet, tôt ou tard, le peuple<br />
élu découvrirait le systè<strong>me</strong> judiciaire américain per<strong>me</strong>ttant de faire <strong>un</strong> procès pour tout ce qui<br />
n'est <strong>pas</strong> écrit noir sur blanc. Dès lors, le peuple élu s'autoriserait des écarts sous prétexte<br />
qu'aucu<strong>ne</strong> loi divi<strong>ne</strong> <strong>ne</strong> l'interdisait. Et le grand foutoir reprendrait…
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
Dieu s'apprêtait à quitter la planète feuillue, véritable bénédiction pour le peuple de chenilles,<br />
quand il eut la surprise de découvrir <strong>un</strong> vieil ami.<br />
- Ange Ournal ! S'exclama Dieu. Quelle joie de voir tes traits chérubins ! Si tu viens t'enquérir<br />
sur <strong>me</strong>s avancées dans la quête du peuple élu, pour le journal "L'immaculée impression", je<br />
risque fort de te décevoir ! <strong>Je</strong> n'ai <strong>pas</strong> de bon<strong>ne</strong>s nouvelles à te don<strong>ne</strong>r mais je te pro<strong>me</strong>ts de<br />
t'accorder u<strong>ne</strong> interview exclusive dès que j'aurai trouvé l'objet de ma quête absolue, le peuple<br />
élu !<br />
- Hélas, Seig<strong>ne</strong>ur ! <strong>Je</strong> <strong>ne</strong> viens <strong>pas</strong> pour récolter des informations mais pour vous en <strong>livre</strong>r de<br />
terribles.<br />
- Que <strong>me</strong> dis-tu ? J'ai peur de <strong>ne</strong> <strong>pas</strong> comprendre ?<br />
- Deux <strong>ange</strong>s sont morts.<br />
- Morts ? C'est impossible ! <strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>me</strong>urt <strong>pas</strong> ! Tu dois faire erreur.<br />
- J'ai<strong>me</strong>rais que tout ceci <strong>ne</strong> soit qu'u<strong>ne</strong> stupide blague, Seig<strong>ne</strong>ur ! Malheureuse<strong>me</strong>nt, saint<br />
Pierre, qui m'a envoyé à vous par le télé-transporteur express, n'a rien d'<strong>un</strong> plaisantin. Deux<br />
<strong>ange</strong>s sont véritable<strong>me</strong>nt morts, raides com<strong>me</strong> des planches en chê<strong>ne</strong>. Ange Aponais et Ange<br />
Au<strong>ne</strong> nous ont quittés.<br />
- <strong>Je</strong> n'arrive <strong>pas</strong> à y croire… Des <strong>ange</strong>s du pa<strong>radis</strong>, morts… Cela n'était <strong>pas</strong> survenu depuis…<br />
- La première et <strong>un</strong>ique guerre de Sécession, celle ayant abouti à la création de l'enfer et du<br />
purgatoire, pour les â<strong>me</strong>s souillées méritant u<strong>ne</strong> attention et u<strong>ne</strong> grande lessive.<br />
- Ange Aponais, Ange Au<strong>ne</strong>… <strong>Je</strong> <strong>ne</strong> les connaissais <strong>pas</strong> person<strong>ne</strong>lle<strong>me</strong>nt mais je suis<br />
terrible<strong>me</strong>nt attristé. Des <strong>ange</strong>s morts… Tués par Satan, vraisemblable<strong>me</strong>nt. Cette â<strong>me</strong><br />
damnée a trouvé <strong>un</strong> moyen de s'introduire au pa<strong>radis</strong> et de se <strong>livre</strong>r à ses actes immondes.<br />
Seig<strong>ne</strong>ur ! (NDLA : Dieu a voulu dire "moi-mê<strong>me</strong> !" au lieu de "Seig<strong>ne</strong>ur !" puisque c'est lui<br />
qu'il invoque ! Compris ? <strong>Je</strong> vous embrouille, là, avouez-le !)<br />
Dieu se détourna d'Ange Ournal. Il songea :<br />
"Des <strong>ange</strong>s morts. Com<strong>me</strong>nt ? Il n'existe qu'<strong>un</strong> seul moyen et seul Satan le connaît !"<br />
- Conduis-moi vite à la maison ! Ordonna Dieu.<br />
<strong>Un</strong> magnifique carrosse, attelé à <strong>un</strong> quatuor de licor<strong>ne</strong>s immaculées, apparut soudain près<br />
d'eux, provoquant l'é<strong>me</strong>rveille<strong>me</strong>nt des chenilles humanoïdes. Dieu prit place à l'intérieur de<br />
l'ancien<strong>ne</strong> citrouille de Cendrillon, conservée et restaurée autrefois par Ange Oliveur.<br />
L'attelage s'ébranla rapide<strong>me</strong>nt et fonça à travers l'espace, se jouant des comètes et des<br />
étoiles, prenant des raccourcis en traversant des trous noirs.<br />
A l'intérieur, Dieu disposait de tous les moyens moder<strong>ne</strong>s de comm<strong>un</strong>ication et<br />
d'information. Il devait reprendre le pa<strong>radis</strong> en main, éviter la crise, stopper l'hémorragie. Il<br />
ignorait que ses moyens d'agir faisaient l'objet d'u<strong>ne</strong> surveillance renforcée.<br />
* *<br />
*<br />
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22<br />
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
En effectuant leur tournée quotidien<strong>ne</strong>, les <strong>ange</strong>s et les â<strong>me</strong>s déf<strong>un</strong>tes dévolues au ramassage<br />
des déchets pa<strong>radis</strong>iaques étaient tombés sur le corps déplumé d’Ange Au<strong>ne</strong>. La sécurité était<br />
intervenue pour empêcher <strong>un</strong> attroupe<strong>me</strong>nt autour de la macabre découverte mais la<br />
nouvelle s’était répandue com<strong>me</strong> u<strong>ne</strong> traînée de poudre. Bientôt, des hordes entières d’<strong>ange</strong>s<br />
et d’â<strong>me</strong>s déf<strong>un</strong>tes avaient accouru des rues voisi<strong>ne</strong>s pour assister à <strong>un</strong> spectacle qu’auc<strong>un</strong><br />
n’imaginait possible. Si le secret avait été conservé lors de l’assassinat d’Ange Aponais,<br />
l’information n’avait pu être classée « Confidentiel Défense » dans le cas du second <strong>me</strong>urtre.<br />
Saint Pierre avait été rapide<strong>me</strong>nt averti de cette seconde affaire. Sa première réaction fut de<br />
dépêcher Ange Ournal, l’apporteur de nouvelles, auprès du Seig<strong>ne</strong>ur afin que ce dernier<br />
revien<strong>ne</strong> au bercail et repren<strong>ne</strong> les commandes d’<strong>un</strong> navire en perdition. Décidé<strong>me</strong>nt, dès<br />
que Dieu prenait des vacances ou partait en tournée pour être acclamé par les foules, il s’en<br />
<strong>pas</strong>sait des vertes et des <strong>pas</strong> mûres au pa<strong>radis</strong>. Les <strong>ange</strong>s et les â<strong>me</strong>s vouées au repos éter<strong>ne</strong>l<br />
(enfin, il fallait quand mê<strong>me</strong> bosser <strong>un</strong> peu, contre <strong>un</strong> salaire dérisoire, qui plus est !) s’en<br />
donnaient à cœur joie et adoptaient les moindres us et coutu<strong>me</strong>s tordues des Terriens, les<br />
plus inventifs en la matière. Ils <strong>ne</strong> faisaient que des bêtises et de préférence, derrière l’église !<br />
(NDLA : je rends hommage à la chanteuse Annie Cordy, ayant chanté la chanson religieuse la<br />
plus sympathique du répertoire français !). Il n’y avait que Dieu pour re<strong>me</strong>ttre tout ceci dans<br />
le droit chemin.<br />
Assis sur son gigantesque nuage en for<strong>me</strong> de trô<strong>ne</strong>, Dieu dominait ses interlocuteurs, à<br />
défaut de domi<strong>ne</strong>r la situation. Le conseil d’administration au complet était ré<strong>un</strong>i en séance<br />
extraordinaire. A cette assemblée régulière s’ajoutaient des <strong>me</strong>mbres positionnés dans les<br />
étages inférieurs de la hiérarchie pa<strong>radis</strong>iaque mais requis en ce jour à cause de leurs<br />
compétences particulières. En comptant Dieu, ils étaient treize, <strong>un</strong> chiffre qui n’avait <strong>pas</strong><br />
porté chance à la famille suprê<strong>me</strong> quelques siècles auparavant.<br />
De là à conclure que le traître se cachait parmi les <strong>me</strong>mbres de l’assistance, il n’y avait qu’<strong>un</strong><br />
<strong>pas</strong> que je <strong>ne</strong> franchirai <strong>pas</strong>, pour d’évidentes questions de suspense. L’<strong>ange</strong> Endar<strong>me</strong>, chef<br />
de la sécurité et l’Ange Enéral, commandant des <strong>ange</strong>s avaient été priés d’assister aux débats<br />
et de rendre compte de leurs travaux. L’<strong>ange</strong> Enétique était égale<strong>me</strong>nt présent en tant que<br />
spécialiste des questions médicales. La presse pa<strong>radis</strong>iaque était représentée par son <strong>un</strong>ique et<br />
officiel journaliste, à savoir l’<strong>ange</strong> Ournal. Saint Pierre, en temps que responsable du pa<strong>radis</strong><br />
par intérim, <strong>me</strong>mbre perma<strong>ne</strong>nt du directoire, siégeait aux côtés de saint Marc, patron des<br />
deux <strong>ange</strong>s éradiqués de manière sauvage et de saint Thomas, grand vérificateur devant<br />
l’éter<strong>ne</strong>l, chargé de faire le tri entre <strong>me</strong>nsonge et vérité. Saint Innocent avait égale<strong>me</strong>nt été<br />
convié afin qu’il exami<strong>ne</strong> à la loupe son fichier d’â<strong>me</strong>s entrantes. <strong>Un</strong>e supercherie était<br />
quasi<strong>me</strong>nt inconcevable mais envisageable. <strong>Un</strong>e â<strong>me</strong> apparem<strong>me</strong>nt sai<strong>ne</strong> pouvait être entrée<br />
au pa<strong>radis</strong> en douce et se <strong>livre</strong>r à des exactions innommables, corrompant à tout va, instillant<br />
le péché dans les habitudes pa<strong>radis</strong>iaques.<br />
Saint Juste, le patron des <strong>ange</strong>s, était de la partie. Saint Luc et saint Matthieu, depuis qu’ils<br />
s’étaient illustrés dans l’écriture des évangiles, se chargeaient de taper les rapports en double<br />
exemplaire et saint Thomas se chargerait de vérifier que leurs versions corroboraient, pour<br />
ch<strong>ange</strong>r. Enfin, <strong>un</strong> saint spécial avait été convoqué ; aucu<strong>ne</strong> person<strong>ne</strong> de l’assistance, Dieu<br />
mis à part, <strong>ne</strong> connaissait sa véritable fonction au sein du pa<strong>radis</strong>. Saint <strong>Eric</strong>.
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
Dans les milieux autorisés, il se murmurait que saint <strong>Eric</strong> <strong>ne</strong> méritait <strong>pas</strong> son auréole parce<br />
qu’il était loin d’avoir eu u<strong>ne</strong> vie exemplaire sur la Terre. Cet ex-informaticien, adepte de la<br />
bon<strong>ne</strong> chair et de la boisson mousseuse sous ses for<strong>me</strong>s majeures connues (champag<strong>ne</strong> et<br />
bière, séparé<strong>me</strong>nt, s’il vous plaît !), se complaisait dans les excès et disposait de poignées<br />
d’amour monstrueuses.<br />
De plus, cet affreux zigoto s’exhibait sur les trottoirs ou au volant de sa voiture, coiffé d’<strong>un</strong><br />
bon<strong>ne</strong>t de père Noël équipé de diodes clignotantes. Ainsi, il <strong>ne</strong> manquait <strong>pas</strong> générer au<br />
minimum des torticolis, au maximum des accidents de voiture, les conducteurs étant attirés<br />
par ses lumières com<strong>me</strong> des papillons de nuit. Saint <strong>Eric</strong> usait et abusait des mauvaises<br />
blagues, <strong>ne</strong> dédaignant <strong>pas</strong> se cacher dans des placards pour faire peur, apparaître où et<br />
quand on <strong>ne</strong> l'attendait <strong>pas</strong>. Enfin, le joyeux luron <strong>ne</strong> s'était <strong>pas</strong> contenté de faire des bêtises,<br />
il en avait écrit des ton<strong>ne</strong>s à travers ses nombreux romans et nouvelles policières, fantastiques<br />
et mê<strong>me</strong> érotiques ! <strong>Un</strong> saint auteur de récit sur les seins, osant sig<strong>ne</strong>r sous son véritable<br />
seing : était-ce vrai<strong>me</strong>nt sain ?<br />
Non, vrai<strong>me</strong>nt, ce saint avait tout du pistonné ou du parvenu. Il n'avait <strong>pas</strong> le profil type du<br />
<strong>me</strong>c ayant donné sa vie, son argent et son sang pour les autres. Enfin, mê<strong>me</strong> au pa<strong>radis</strong>, il y<br />
avait des <strong>pas</strong>se-droits et autres avantages en nature, com<strong>me</strong> partout ailleurs.<br />
Saint <strong>Eric</strong> siégeait non loin de Dieu, en parfait et obscur conseiller spécial. Il <strong>ne</strong> pipait <strong>pas</strong> <strong>un</strong><br />
mot, se contentant d'observer les débats. L'<strong>ange</strong> Génétique avait décrit au Tout Puissant,<br />
cadavres à l'appui, le processus ayant conduit au surprenant décès des <strong>ange</strong>s. Saint Pierre<br />
venait d'exposer les macabres découvertes à Dieu, n'o<strong>me</strong>ttant <strong>pas</strong> le témoignage de saint<br />
Marc, corroboré par saint Thomas, au-dessus de tout soupçon. Tandis que l'<strong>ange</strong> Endar<strong>me</strong><br />
livrait ses conclusions hâtives à Dieu, saint Matthieu et saint Luc grattaient com<strong>me</strong> des<br />
malades, notant la moindre parole, rivalisant de fidélité au texte. L'<strong>ange</strong>, chef de la sécurité,<br />
affirmait fer<strong>me</strong><strong>me</strong>nt que Satan était forcé<strong>me</strong>nt dans le coup puisque seul <strong>un</strong> démon pouvait<br />
concevoir la suppression des <strong>ange</strong>s.<br />
- J'ai du mal à imagi<strong>ne</strong>r quelle raison pousserait Satan à saborder la trêve ! Rompit<br />
brusque<strong>me</strong>nt Dieu. D'<strong>un</strong> comm<strong>un</strong> accord, depuis la guerre de Sécession, nous nous som<strong>me</strong>s<br />
entendus pour que le Bien et le Mal <strong>ne</strong> s'affrontent qu'à ar<strong>me</strong>s égales, dans l'<strong>un</strong>ivers entier.<br />
Plus jamais dans l'au-delà. Les batailles directes sont stériles, la grande guerre l'a prouvé. Seul<br />
le combat à la loyale est valeureux : gag<strong>ne</strong>r u<strong>ne</strong> â<strong>me</strong>, en convainquant l'être porteur, par des<br />
moyens dig<strong>ne</strong>s du Bien et du Mal.<br />
- Seig<strong>ne</strong>ur, le Démon suprê<strong>me</strong> est pourri jusqu'à l'os. Il vendrait sa mère pour u<strong>ne</strong> poignée de<br />
cacahuètes, s'il en avait u<strong>ne</strong> ! Com<strong>me</strong>nt voulez-vous lui faire confiance ?<br />
- Il n'y a <strong>pas</strong> trente-six façons de le détermi<strong>ne</strong>r.<br />
- Com<strong>me</strong>nt ? Demanda saint Pierre.<br />
- En organisant u<strong>ne</strong> rencontre, coupa brusque<strong>me</strong>nt saint <strong>Eric</strong>, sortant de sa réserve.<br />
Sa remarque jeta <strong>un</strong> chaud (NDLA : ben oui ! Au pa<strong>radis</strong>, le truc troublant, c'est la chaleur<br />
infernale, <strong>pas</strong> le froid !). Person<strong>ne</strong> <strong>ne</strong> se voyait soutenir la vision malodorante et horrible de<br />
23
24<br />
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
Satan. Ses pieds fourchus, ses poils fournis, son bouc acéré, ses cor<strong>ne</strong>s retournées et son<br />
odeur de sueur puante et corrosive, pouah ! <strong>Un</strong> cauchemar.<br />
- Mais… bredouilla saint Pierre. C'est… impossible !<br />
- Pourquoi donc, cher Pierre ? Rétorqua <strong>Eric</strong>.<br />
- Mais enfin… Quelle idée saugrenue ! Qui assisterait à u<strong>ne</strong> telle rencontre ?<br />
- Moi, fit saint <strong>Eric</strong>.<br />
- Oh ben toi, cela <strong>ne</strong> m'éton<strong>ne</strong> <strong>pas</strong> ! Railla Pierre.<br />
- Dois-je lire des reproches déguisés derrière cette remarque ?<br />
- Ben… Euh… bafouilla Pierre, s'emmêlant joyeuse<strong>me</strong>nt les pinceaux.<br />
- Cela suffit ! Coupa Dieu. <strong>Eric</strong> a entière<strong>me</strong>nt raison. Il faut rencontrer Satan pour savoir si<br />
ces cri<strong>me</strong>s lui sont imputables ou non.<br />
- Com<strong>me</strong>nt ? Il suffira qu'il nous don<strong>ne</strong> sa parole pour le croire ? Suggéra Thomas. Moi, je <strong>ne</strong><br />
crois que ce que je vois, ajouta-t-il, <strong>ne</strong> perdant jamais u<strong>ne</strong> occasion de citer sa maxi<strong>me</strong><br />
favorite.<br />
- Quoi ? S'exclama Pierre. Sa parole ? Com<strong>me</strong>nt le prince de l'enfer pourrait-il don<strong>ne</strong>r ce qu'il<br />
n'a <strong>pas</strong> ? Il <strong>me</strong>nt com<strong>me</strong> <strong>un</strong> arracheur de dent ! Il <strong>me</strong>nt com<strong>me</strong> il respire ! Il ai<strong>me</strong> <strong>me</strong>ntir, il<br />
est fait pour <strong>me</strong>ntir ! Il incar<strong>ne</strong> le summum des sept péchés capitaux à lui seul !<br />
- C'est vrai, calma Dieu.<br />
- Mais nous <strong>ne</strong> nous déplacerons <strong>pas</strong> sans <strong>un</strong> minimum de préparation, ajouta saint <strong>Eric</strong>.<br />
D'abord, saint Thomas viendra à la rencontre afin de certifier les dires de Belzébuth. Ensuite,<br />
sainte Barbe, la patron<strong>ne</strong> des artificiers, nous protégera d'<strong>un</strong> tour pendable de ce satanique<br />
personnage et de ses feux brûlants. Et puis, le lieu choisi sera <strong>un</strong> terrain <strong>ne</strong>utre : le purgatoire.<br />
Il est hors de question de <strong>me</strong>ttre les pieds en enfer. Auc<strong>un</strong> de nous, exception faite de notre<br />
Seig<strong>ne</strong>ur, n'aurait la force de survivre à tel voyage. Mê<strong>me</strong> moi, cher Pierre ! Conclut saint <strong>Eric</strong><br />
en lançant u<strong>ne</strong> pique à celui qui, s'il avait été à la place de saint Innocent, l'aurait envoyé en<br />
enfer sans <strong>pas</strong>ser par la case purgatoire.<br />
- Mais…<br />
- Arrêtez vos gami<strong>ne</strong>ries ! Stoppa Dieu. Saint Innocent, je te charge d'envoyer <strong>un</strong> <strong>me</strong>ssage à<br />
Satan. Venant de toi, il le lira avec intérêt. Il sait que tu es l'innocence réincarnée. <strong>Je</strong> suis sûr<br />
qu'il cherchera à démonter sa culpabilité. J'ai confiance.<br />
Dieu leva la séance. Rencontrer Satan pour lever les soupçons sur lui était u<strong>ne</strong> chose, trouver<br />
le coupable en était u<strong>ne</strong> autre. Et saint <strong>Eric</strong>, en judicieux conseiller spécial, <strong>ne</strong> se fit <strong>pas</strong> prier<br />
pour lui faire verte<strong>me</strong>nt remarquer u<strong>ne</strong> fois la salle de ré<strong>un</strong>ion vidée.<br />
- Seig<strong>ne</strong>ur, il va falloir trouver le coupable.<br />
- Trouver <strong>un</strong> coupable qui connaît l'<strong>un</strong>ique manière de suppri<strong>me</strong>r des <strong>ange</strong>s. A part moi, seul<br />
Satan connaît ce processus.<br />
- Et donc tous ses lieutenants !<br />
- Cela va de soi. Com<strong>me</strong>nt découvrir le crimi<strong>ne</strong>l ?<br />
- Seig<strong>ne</strong>ur, tu n'ignores <strong>pas</strong> qu'il existe de grands détectives, des policiers tenaces et des<br />
avocats foui<strong>ne</strong>urs qui seraient à mê<strong>me</strong> de conduire u<strong>ne</strong> enquête qu'Ange Endar<strong>me</strong>, malgré<br />
toute sa bon<strong>ne</strong> volonté, a visible<strong>me</strong>nt bâclé en quelques minutes. Auc<strong>un</strong> <strong>ange</strong>, auc<strong>un</strong> saint n'a
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
les compétences requises et malheureuse<strong>me</strong>nt, les grands enquêteurs ayant été de grands<br />
pêcheurs devant l'éter<strong>ne</strong>l (NDLA : <strong>Eric</strong> aurait dû dire "devant toi" puisque l'éter<strong>ne</strong>l est<br />
devant lui !), buveurs invétérés, fu<strong>me</strong>urs, fêtards, consommateurs de pétards, drogués du sexe<br />
et drogués tout court, ils sont tous aux mains de Belzébuth, ali<strong>me</strong>ntant les hauts four<strong>ne</strong>aux<br />
de son enfer.<br />
- Il faudrait le convaincre de nous prêter l'<strong>un</strong> de ses enquêteurs, suggéra Dieu.<br />
- Ce serait l'idéal. Mais ce n'est <strong>pas</strong> gagné ! Il est le Malin ! <strong>Je</strong> vais consulter le fichier de saint<br />
Innocent, histoire de voir si <strong>un</strong> fin limier n'est <strong>pas</strong> sur ses tablettes dans les prochains jours.<br />
Auquel cas, il devra peut-être déroger à son sacro-saint règle<strong>me</strong>nt.<br />
- Bon<strong>ne</strong> idée, <strong>Eric</strong> ! Tu mérites vrai<strong>me</strong>nt ton auréole ! Compli<strong>me</strong>nta Dieu.<br />
<strong>Eric</strong> en rosit de plaisir. Il se serait appliqué u<strong>ne</strong> boîte entière de fard à pom<strong>me</strong>ttes, il n'aurait<br />
<strong>pas</strong> mieux fait.<br />
Le pire était à venir : rencontrer Satan. <strong>Un</strong> cauchemar vivant, u<strong>ne</strong> offense pour les sens. Cet<br />
abruti était capable de venir avec <strong>un</strong> foyer portatif et quelques â<strong>me</strong>s à rôtir, histoire de faire<br />
<strong>un</strong> barbecue humain et dégoûter ses interlocuteurs. Avec le dieu de la nuit et des enfers, il<br />
fallait s'attendre à tout et surtout au pire.<br />
* *<br />
*<br />
Le purgatoire, com<strong>me</strong> l’indique son nom, était <strong>un</strong> lieu conçu pour purger ses péchés. Il était<br />
donc pourvu de salles de gymnastique à tous les coins de rue. Ces antres de la torture<br />
physique pullulaient et étaient régis par des <strong>ange</strong>s en mission spéciale, tous d’anciens dieux du<br />
stade ou des hérauts du sport. Ainsi, l’illustre Zatopek entraînait-il les â<strong>me</strong>s pécheresse dans<br />
de longues et épuisantes courses de fond, la sueur et la fatigue étant sources de rédemption.<br />
Au détour d’u<strong>ne</strong> rue, il n’était <strong>pas</strong> rare de rencontrer des chapardeurs courant encore et<br />
toujours, com<strong>me</strong> au temps où ils dérobaient des fruits à l’étalage, jusqu’à ce qu’ils soient à<br />
bout de souffle, sermonnés par saint <strong>Je</strong>sse Owens en person<strong>ne</strong>, le quadruple médaillé des<br />
jeux olympiques de Berlin, en 1936.<br />
La course n’était <strong>pas</strong> la seule torture ; des salles équipées d’appareils coûteux et sophistiqués<br />
per<strong>me</strong>ttaient d’élimi<strong>ne</strong>r le Mal grâce à l’effort et à la sueur. Les terrains de sport marquaient<br />
chaque angle de rue et <strong>ne</strong> désemplissaient jamais, des matchs éter<strong>ne</strong>ls s’y déroulant sous l’œil<br />
expert des <strong>ange</strong>s moniteurs. Tout était conçu pour se vider les tripes. Au purgatoire, les<br />
habitations étaient étroites mais géantes et dépourvues d’ascenseurs, forçant leurs locataires à<br />
grimper les escaliers. N’allez <strong>pas</strong> croire que les â<strong>me</strong>s se rattrapaient sur la nourriture, à l’image<br />
des sportifs terriens, bien obligés de compenser les énor<strong>me</strong>s pertes de calories. Que <strong>ne</strong>nni !<br />
Les canti<strong>ne</strong>s purgatives, les moindres gargotes servaient de la bouffe diététique à faire hurler<br />
<strong>un</strong> gastrono<strong>me</strong> ou du rata dig<strong>ne</strong> de l’armée ou encore des plateaux re<strong>pas</strong> échappés de<br />
l’hôpital, c’est à dire aussi appétissants qu’<strong>un</strong> ramo<strong>ne</strong>ur après huit heures de boulot.<br />
Bref, ce n’était <strong>pas</strong> l’enfer mais cela en avait <strong>un</strong> avant-goût. Il y avait intérêt à se défoncer<br />
pour <strong>ne</strong> <strong>pas</strong> finir en rôti éter<strong>ne</strong>l chez Belzébuth. Lorsque saint Innocent envoyait u<strong>ne</strong> â<strong>me</strong>, la<br />
durée du séjour n’était <strong>pas</strong> fixée à l’avance ; elle dépendait de ses progrès et de sa bon<strong>ne</strong><br />
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26<br />
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
volonté à faire oublier ses vilains défauts ou méfaits. Qu’il y <strong>me</strong>tte du sien et le pécheur<br />
pouvait parfaite<strong>me</strong>nt quitter le purgatoire au bout de quelques jours. Cependant, la purge <strong>ne</strong><br />
pouvait excéder quarante jours, faute de places suffisantes dans ce territoire bâti<br />
artificielle<strong>me</strong>nt à l’issue de la Grande Guerre, à cheval entre pa<strong>radis</strong> et enfer. Au ter<strong>me</strong> du<br />
délai officiel, l’â<strong>me</strong> était jetée en enfer ou récupérée au pa<strong>radis</strong>. Et ces derniers temps, le<br />
recyclage tournait sérieuse<strong>me</strong>nt à l’avantage de Satan. En gros, quatre-vingt-quinze pourcent<br />
de la population <strong>un</strong>iverselle échouaient dans les flam<strong>me</strong>s sans fin…<br />
Dieu progressait dans la rue pavée de curieux suant sang et eau, suivi de son cortège réduit,<br />
com<strong>me</strong> prévu. A la petite troupe, saint <strong>Eric</strong> avait eu l’idée d’adjoindre l’<strong>ange</strong> Irouette, le<br />
spécialiste du vent. Le rendez-vous avait été donné sur <strong>un</strong> terrain de rugby dont la pelouse<br />
était en réfection, suite à <strong>un</strong> labourage profond pratiqué par d’anciens joueurs profession<strong>ne</strong>ls,<br />
tous promis au purgatoire pour avoir abusé de troisiè<strong>me</strong> mi-temps. L’<strong>ange</strong> Roger Couderc,<br />
l’ancien com<strong>me</strong>ntateur de la télévision française, avait rejoint l’équipe d’entraî<strong>ne</strong>urs, grâce à<br />
son œuvre pour le sport lors de sa vie terrestre. Le chantre de l’équipe de France avait été fait<br />
<strong>ange</strong>, malgré son chauvinis<strong>me</strong> patenté. Dieu n’avait <strong>pas</strong> pu o<strong>me</strong>ttre son action, son<br />
enthousias<strong>me</strong> et sa verve pour populariser <strong>un</strong> sport qui, jusqu’à preuve du contraire, était<br />
infini<strong>me</strong>nt moins secoué par des affaires que le football. Désormais, l’<strong>ange</strong> Roger Couderc<br />
poussait son célèbre « Allez les petits ! » sur les gazons du purgatoire, exhortant les â<strong>me</strong>s<br />
françaises à battre ces damnés anglais.<br />
La cohorte pa<strong>radis</strong>iaque franchit les portes du stade. Elle découvrit Satan et quelques-<strong>un</strong>s de<br />
ses lieutenants tous plus nus les <strong>un</strong>s que les autres. L’immonde animal puant avait a<strong>me</strong>né u<strong>ne</strong><br />
baignoire géante, aux di<strong>me</strong>nsions proches d’u<strong>ne</strong> pisci<strong>ne</strong>, remplie d’<strong>un</strong> liquide rouge. Dieu<br />
imagina sans pei<strong>ne</strong> qu’il s’agissait de sang. Le prince des ténèbres s’y ébattait joyeuse<strong>me</strong>nt,<br />
forçant u<strong>ne</strong> nuée de nymphettes recueillies dans ses geôles à le rejoindre et à s’occuper de son<br />
sexe toujours prêt à forniquer. L’odeur de sang, mêlée de sueur, était insoutenable. Les<br />
pauvres filles, sans doute des créatures victi<strong>me</strong>s de maladies honteuses, étaient contraintes de<br />
s’occuper du maître de l’enfer. Ses lieutenants pataugeaient égale<strong>me</strong>nt dans le jus<br />
sanguinolent.<br />
Saint <strong>Eric</strong> se tourna vers l’<strong>ange</strong> Irouette et le pria d’accomplir sa mission. <strong>Un</strong> vent contraire<br />
se leva et rabattit les odeurs pestilentielles vers leurs é<strong>me</strong>tteurs. Satan avait beau éructer et<br />
péter dans son cloaque putride, il n’offenserait <strong>pas</strong> l’odorat des dignitaires du pa<strong>radis</strong>.<br />
Malheureuse<strong>me</strong>nt, si l’odeur était contrée, il restait la vue, insupportable, des â<strong>me</strong>s en pei<strong>ne</strong>.<br />
- Que penses-tu de mon idée du bain ? Lança Satan, cherchant immédiate<strong>me</strong>nt la<br />
provocation.<br />
- C’est répugnant et cela <strong>ne</strong> m’éton<strong>ne</strong> guère de ta part. C’est pour cette raison que saint <strong>Eric</strong> a<br />
convié l’<strong>ange</strong> Irouette, le maître du vent, à notre petite ré<strong>un</strong>ion et sainte Barbe, au cas où tu<br />
nous réserverais l’u<strong>ne</strong> de tes explosives surprises.<br />
- Ah oui… saint <strong>Eric</strong>… Dire que j’ai failli le faire basculer du côté sombre ! Te voilà devenu<br />
saint. Quel étonnant revire<strong>me</strong>nt de situation ! Quelle promotion !
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
L’intéressé <strong>ne</strong> répondit <strong>pas</strong> à la raillerie. Depuis qu’il avait exercé sa profession dans u<strong>ne</strong><br />
multinationale où on le considérait com<strong>me</strong> <strong>un</strong> paillasson, il avait appris à courber le dos,<br />
pliant com<strong>me</strong> le roseau, sans jamais se briser.<br />
- Dis donc, Dieu ! A quand remonte notre dernière entrevue ?<br />
- Tu le sais parfaite<strong>me</strong>nt.<br />
- Non ? La Grande Guerre ? Que le temps <strong>pas</strong>se vite ! Remarque, je te trouve moins en<br />
for<strong>me</strong>. Tu as vieilli ! Moi, je pète le feu ! Eclata-t-il d’<strong>un</strong> rire sardonique en pétant dans son<br />
bain u<strong>ne</strong> fois de plus, lâchant <strong>un</strong> gaz enflammé qui consuma instantané<strong>me</strong>nt u<strong>ne</strong> des<br />
nymphettes, certai<strong>ne</strong><strong>me</strong>nt <strong>pas</strong> assez appliquée à sa tâche.<br />
- Com<strong>me</strong>nt oses-tu…<br />
- J’en ai des tas en réserve ! J’ai telle<strong>me</strong>nt d’â<strong>me</strong>s, <strong>me</strong>s lieutenants gag<strong>ne</strong>nt si facile<strong>me</strong>nt face à<br />
tes <strong>ange</strong>s gardiens que le combat est lassant. Bon ! Que veux-tu de moi, que je <strong>ne</strong> te don<strong>ne</strong>rai<br />
<strong>pas</strong>, bien sûr !<br />
- Deux <strong>ange</strong>s sont morts au pa<strong>radis</strong>.<br />
- Ah bon ? Grand bien leur fasse ! Et com<strong>me</strong>nt sont-ils morts ?<br />
- Par la seule façon de les tuer.<br />
- Tiens donc ! Notre secret n’en serait plus <strong>un</strong> ?<br />
- Ce n’est <strong>pas</strong> <strong>un</strong> secret pour tes lieutenants, j’en suis convaincu.<br />
- Evidem<strong>me</strong>nt, ricana Satan. Alors, com<strong>me</strong> ça, deux <strong>ange</strong>s se sont retrouvés avec u<strong>ne</strong> plu<strong>me</strong><br />
rouge dans le plus délicieux des orifices ! Etonnant !<br />
- D’autant plus qu’il s’agit d’<strong>un</strong> acte de guerre commis par u<strong>ne</strong> person<strong>ne</strong> au courant de la<br />
méthode. Donc, d’<strong>un</strong> de tes émissaires, voire de toi-mê<strong>me</strong> en person<strong>ne</strong> !<br />
- Oh là ! <strong>Je</strong> t’arrête tout de suite ! Loin de moi l’idée de déterrer la hache de guerre ! Nous<br />
nous som<strong>me</strong>s entendus pour nous <strong>livre</strong>r u<strong>ne</strong> bataille sans <strong>me</strong>rci par â<strong>me</strong>s interposées. Mais<br />
l’affronte<strong>me</strong>nt direct, je n’en veux <strong>pas</strong> ! C’est de la méthode héroïque et je déteste les héros.<br />
- Juste<strong>me</strong>nt ! Il s’agit de cri<strong>me</strong>s crapuleux, commis lâche<strong>me</strong>nt, dans l’ombre. C’est ta<br />
signature.<br />
- Ouais, cela pourrait être mon œuvre mais je serai stupide de déclarer la guerre de cette<br />
manière alors que je gag<strong>ne</strong> la quasi-totalité des â<strong>me</strong>s de l’<strong>un</strong>ivers. D’après <strong>me</strong>s informateurs<br />
qui foui<strong>ne</strong>nt à droite et à gauche, je crois savoir que les affaires <strong>ne</strong> vont <strong>pas</strong> fort. N’est-ce <strong>pas</strong>,<br />
saint Innocent ?<br />
Le responsable du triage des â<strong>me</strong>s baissa la tête, en sig<strong>ne</strong> de confirmation. Satan avait raison.<br />
Il emportait régulière<strong>me</strong>nt le morceau. Les â<strong>me</strong>s pures se faisaient de plus en plus rares. Le<br />
seig<strong>ne</strong>ur de la nuit étouffante gagnait presque par forfait. Quel intérêt avait-il à gâcher ses<br />
chances de victoire aussi bête<strong>me</strong>nt ? Le Malin était loin d’être stupide, au contraire !<br />
- C’est vrai, admit Innocent.<br />
- <strong>Je</strong> n’ai <strong>pas</strong> zigouillé tes deux <strong>ange</strong>lots, je t’en don<strong>ne</strong> ma parole !<br />
- Alors, qui les a tués ?<br />
- <strong>Je</strong> n’en sais rien et je m’en fiche com<strong>me</strong> de ma première â<strong>me</strong> rôtie !<br />
- Dans ce cas, tu <strong>ne</strong> verras <strong>pas</strong> d’inconvénient à ce que nous <strong>me</strong>nions u<strong>ne</strong> enquête ?<br />
- Enquête, enquête ! Pas de problè<strong>me</strong> !<br />
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<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
- Eh bien… Si, juste<strong>me</strong>nt, il y a <strong>un</strong> problè<strong>me</strong>… Nous manquons d’enquêteurs. Aucu<strong>ne</strong> â<strong>me</strong><br />
talentueuse n’est attendue dans les semai<strong>ne</strong>s à venir et je <strong>me</strong> demandais si tu accepterais <strong>un</strong><br />
prêt.<br />
- <strong>Un</strong> prêt ? D’<strong>un</strong> enquêteur ? Pour qui <strong>me</strong> prends-tu ? Pour rien au monde je <strong>ne</strong> <strong>me</strong> déferais<br />
d’u<strong>ne</strong> â<strong>me</strong> déf<strong>un</strong>te ! Jamais ! Ah ! Mê<strong>me</strong> pour tout l’or du monde ! Queue dalle ! Discussion<br />
close !<br />
Satan, ses lieutenants et les nymphettes disparurent instantané<strong>me</strong>nt dans <strong>un</strong> nuage sulfureux.<br />
La pisci<strong>ne</strong> remplie de sang se rompit et se déversa sur l’herbe naissante du terrain en<br />
réfection. Cela eut pour effet de réduire à néant les efforts du jardinier, brûlant le gazon<br />
com<strong>me</strong> le pire des acides. La disparition soudai<strong>ne</strong> des sataniques plongea Dieu et ses fidèles<br />
dans la plus totale perplexité. Dieu consulta Thomas du regard, cherchant son avis. Ce<br />
dernier fit u<strong>ne</strong> moue exprimant le senti<strong>me</strong>nt que Belzébuth <strong>ne</strong> masquait peut-être <strong>pas</strong> la<br />
vérité, pour u<strong>ne</strong> fois. Mais alors, si ce n’était <strong>pas</strong> Satan, ni l’<strong>un</strong> de ses lieutenants zélés dont il<br />
épiait les moindres pensées, qui avait commis ces abominations ?<br />
* *<br />
*
5<br />
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
Ange Io<strong>me</strong>, le spécialiste des taches, tenait u<strong>ne</strong> très importante blanchisserie sur Pa<strong>radis</strong>e<br />
Boulevard. Son affaire tournait correcte<strong>me</strong>nt, les <strong>ange</strong>s, les saints et autres â<strong>me</strong>s déf<strong>un</strong>tes<br />
n’hésitant jamais à porter leurs aubes à la moindre ombre suspecte. Certes, com<strong>me</strong> tout le<br />
monde, il subissait de plein fouet la baisse d’habitants au pa<strong>radis</strong> mais il se relançait grâce à<br />
des campag<strong>ne</strong>s publicitaires audacieuses sur la chaî<strong>ne</strong> religieuse officielle, Pa<strong>radis</strong> Tv. L’<strong>ange</strong><br />
Enial, inventeur de son état, lui créait des poudres et des lessives liquides toujours plus<br />
performantes, lavant plus blanc que blanc. Ainsi, <strong>ange</strong> Io<strong>me</strong> rebondissait, malgré la crise.<br />
Ce dimanche matin, jour de fer<strong>me</strong>ture de la blanchisserie, il entamait sa tournée d’inspection<br />
du matériel. Il profitait du repos dominical pour réaliser la maintenance indispensable des<br />
machi<strong>ne</strong>ries compliquées. En bon blanchisseur, il offrait toute u<strong>ne</strong> gam<strong>me</strong> de services,<br />
adaptée aux matières textiles différentes. Aux aubes en nuage lai<strong>ne</strong>ux, il fallait <strong>un</strong> lavage à<br />
froid et délicat. Les tissus faits nuages coton<strong>ne</strong>ux supportaient des bains tièdes et <strong>un</strong> essorage<br />
vigoureux. Quant aux matières plus exotiques com<strong>me</strong> le cuir blanc, que certains clients<br />
apportaient en cachette, masquant leurs préférences vesti<strong>me</strong>ntaires, elles réclamaient <strong>un</strong><br />
<strong>ne</strong>ttoyage à sec.<br />
Il <strong>pas</strong>sa près de la cuve remplie de « génie sans bouillir » où trempaient des aubes en nuages<br />
lai<strong>ne</strong>ux. <strong>Un</strong>e latte fixée sur <strong>un</strong> axe vertical, pareil à <strong>un</strong> fouet à chantilly, brassait délicate<strong>me</strong>nt<br />
le linge au ryth<strong>me</strong> de deux tours à la minute. Le program<strong>me</strong> de <strong>ne</strong>ttoyage était plus long et<br />
dépourvu d’essorage. Il jeta <strong>un</strong> œil dans la cuve et s’apprêta à poursuivre son chemin lorsqu’il<br />
buta sur <strong>un</strong> objet qui émit <strong>un</strong> tinte<strong>me</strong>nt métallique. Il porta son regard vers le bas et<br />
découvrit <strong>un</strong> cercle métal doré.<br />
- Qu’est-ce que c’est ? S’interrogea-t-il, prêt à tempêter contre les â<strong>me</strong>s qui avaient négligé le<br />
ménage alors qu’u<strong>ne</strong> blanchisserie devait être exemplaire en matière de propreté.<br />
Il ramassa l’objet. Il pesait assez lourd et n’avait <strong>pas</strong> l’air d’être du toc.<br />
- Mais… c’est… u<strong>ne</strong> auréole ! S’exclama-t-il. Qui a pu être assez étourdi pour perdre son<br />
auréole ? Voyons… Quel saint est assez distrait ?<br />
Il songea immédiate<strong>me</strong>nt à saint Plet (simplet !). <strong>Un</strong> reflet de lumière l’éblouit plus que le<br />
reste de la couron<strong>ne</strong> d’or. La gravure intérieure, sertie de diamants, renvoyait <strong>un</strong> supplé<strong>me</strong>nt<br />
de lux.<br />
- Suis-je bête ! Il suffit de voir à qui elle appartient !<br />
Il déchiffra le nom gravé et incrusté des plus beaux joyaux. « Marc ». L’auréole appartenait à<br />
saint Marc. Marc n’était <strong>pas</strong> connu pour son étourderie. Le responsable du centre de<br />
comm<strong>un</strong>ication par télépathie n’était <strong>pas</strong> franche<strong>me</strong>nt <strong>un</strong> joyeux luron, ni <strong>un</strong> type mal<br />
organisé.<br />
29
30<br />
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
Qu’il perde son auréole était inconcevable ! N’empêche, il fallait en référer au PAPE (Patron<br />
des Auréoles Perdues ou Egarées).<br />
* *<br />
*<br />
De saint Marc, il <strong>ne</strong> subsistait que l'auréole. L'heureux propriétaire de la précieuse distinction<br />
était de<strong>me</strong>uré introuvable. Son canal télépathique, après renseig<strong>ne</strong><strong>me</strong>nts pris au centre<br />
d'émission et de réception des pensées, pointait aux abonnés absents. Plus précisé<strong>me</strong>nt, sa<br />
lig<strong>ne</strong> télépathique était vacante. Les saints et les <strong>ange</strong>s n'étant point stupides, ils s'étaient<br />
immédiate<strong>me</strong>nt rendus sur le lieu de la découverte du cercle d'or gravé au nom du saint.<br />
Ange Io<strong>me</strong>, scrupuleux, méticuleux et besog<strong>ne</strong>ux, tenait des comptes précis des vête<strong>me</strong>nts<br />
entrés dans son échoppe. Il n'avait <strong>pas</strong> tardé à dénicher u<strong>ne</strong> aube immaculée non répertoriée<br />
parmi les vête<strong>me</strong>nts trempant dans le bain froid. Dieu était accouru, participant à la<br />
recherche active. Puisque deux <strong>ange</strong>s avaient péri de curieuse manière, tout le monde<br />
s'attendait à retrouver la dépouille mortelle de saint Marc dans quelque recoin de la<br />
blanchisserie, dénué, massacré à l'aide d'<strong>un</strong> rituel connu d'<strong>un</strong> cercle restreint de personnages.<br />
A son arrivée, la première question de Dieu fut pour <strong>ange</strong> Io<strong>me</strong> et elle fut ainsi formulée :<br />
- Où as-tu trouvé son auréole ?<br />
- Près de cette cuve, Seig<strong>ne</strong>ur.<br />
- Et l'aube ?<br />
- Elle était dans la cuve.<br />
- Quelle lessive utilises-tu pour le lavage à froid ?<br />
La dernière question du grand patron acheva de désarçon<strong>ne</strong>r le pauvre blanchisseur. L'heure<br />
était grave et non propice à parler chiffons, tâches ménagères ou taches tout court. Les autres<br />
participants à la ré<strong>un</strong>ion improvisée étaient tout aussi surpris par la te<strong>ne</strong>ur des propos.<br />
Néanmoins, Dieu était Dieu et avait sûre<strong>me</strong>nt ses raisons pour agir de la sorte (NDLA : la<br />
plupart d'entre nous se dit la mê<strong>me</strong> chose de sa hiérarchie, au boulot, sauf moi ! <strong>Je</strong> suis <strong>un</strong><br />
vrai poil à gratter !).<br />
- J'utilise du génie sans bouillir, Seig<strong>ne</strong>ur. Fabriqué par Aladin.<br />
- Du génie sans bouillir… murmura le Tout Puissant. Seig<strong>ne</strong>ur ! Enfin, moi-mê<strong>me</strong> !<br />
Quelqu'<strong>un</strong> a trouvé com<strong>me</strong>nt élimi<strong>ne</strong>r saint Marc. Saint Marc a fondu dans le génie sans<br />
bouillir. Il a été lessivé.<br />
La consternation envahit les visages. Les <strong>ange</strong>s mirent leurs ailes au repos, les saints présents<br />
mirent leurs auréoles en ber<strong>ne</strong>. <strong>Un</strong>e minute de silence fut observée en mémoire de saint<br />
Marc, dilué dans la seule solution apte à le réduire à l'état de souvenir.<br />
* *<br />
*
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
Dieu était pensif, prenant la pose du penseur de Rodin, singeant son air statufié. Quel<br />
sortilège avait donc plongé le grand patron du pa<strong>radis</strong> dans <strong>un</strong> tel état de léthargie ? Saint<br />
Marc, bien entendu. <strong>Un</strong> être avait découvert l'<strong>un</strong>ique moyen d'élimi<strong>ne</strong>r saint Marc, ce brave<br />
saint Marc, qui sentait toujours bon le pin des Landes. Deux <strong>ange</strong>s, <strong>un</strong> saint. Où le massacre<br />
s'arrêterait-il vrai<strong>me</strong>nt ? Pourquoi l'assassin <strong>ne</strong> montrait-il <strong>pas</strong> son véritable visage ? Pourquoi<br />
l'en<strong>ne</strong>mi n'était-il <strong>pas</strong> identifié claire<strong>me</strong>nt, com<strong>me</strong> lors de la grande guerre ? Pourquoi<br />
l'en<strong>ne</strong>mi agissait-il à la manière des terroristes, à visage masqué, com<strong>me</strong> <strong>un</strong> pleutre, <strong>un</strong> lâche,<br />
la pire des engeances ? Pourquoi et surtout, com<strong>me</strong>nt avait-il réussi ce tour de force ?<br />
Dieu <strong>ne</strong> cessait de maugréer, contredisant la légende com<strong>me</strong> quoi il avait toujours bon<br />
caractère, en toutes circonstances, mê<strong>me</strong> lorsque les Terriens s'envoyaient des ogives<br />
chimiques dans la tronche ou lorsqu'ils libéraient de d<strong>ange</strong>reux virus génétique<strong>me</strong>nt<br />
manipulés dans la nature, histoire de ralentir la croissance de la population mondiale.<br />
"Ce n'est <strong>pas</strong> moi-mê<strong>me</strong> (Dieu) possible ! Com<strong>me</strong>nt se fait-ce ?"<br />
<strong>Un</strong>e for<strong>me</strong> humai<strong>ne</strong> joviale et rondouillarde s'approcha de lui, à <strong>pas</strong> feutrés.<br />
- Seig<strong>ne</strong>ur… murmura la person<strong>ne</strong> en question.<br />
- Oui ? Plait-il ? Fit Dieu, sortant à pei<strong>ne</strong> de son cauchemar éveillé. Ah ! Saint <strong>Eric</strong> !<br />
- Seig<strong>ne</strong>ur, poursuivit l'intéressé, que peut-on faire ? Des <strong>ange</strong>s et, à présent, <strong>un</strong> saint qui<br />
partent en fumée. Si le mystérieux crimi<strong>ne</strong>l poursuit son œuvre, les ventes de génie sans<br />
bouillir vont chuter !<br />
- <strong>Je</strong> connais ton côté plaisantin, <strong>Eric</strong>. Malheureuse<strong>me</strong>nt, tu te trompes. Seul saint Marc<br />
pouvait périr en étant précipité dans u<strong>ne</strong> cuve de génie sans bouillir et <strong>un</strong>ique<strong>me</strong>nt dans ce<br />
type de lessive. Chaque saint possède en lui u<strong>ne</strong> faille particulière qui le rend vulnérable en<br />
face d'<strong>un</strong> évé<strong>ne</strong><strong>me</strong>nt banal, insoupçonnable.<br />
- Moi aussi ?<br />
- Toi aussi, <strong>Eric</strong>.<br />
- Qu'est-ce qui m'anéantirait ? Demanda saint <strong>Eric</strong> avec <strong>un</strong> soupçon d'angoisse dans la voix.<br />
- La simple vision d'u<strong>ne</strong> fée.<br />
- <strong>Un</strong>e fée ? Mais les fées n'existent <strong>pas</strong> ! Et pourquoi u<strong>ne</strong> fée ?<br />
- D'abord, les fées existent en rêve. Quand on a la volonté, on peut accomplir <strong>un</strong> rêve.<br />
Ensuite, si tu voyais u<strong>ne</strong> fée, <strong>Eric</strong>, ce serait féerique et tu serais fait, <strong>Eric</strong> !<br />
- Ah… fit le saint bedonnant et chauve, comprenant qu'<strong>un</strong> jeu de mots savant, associé à la<br />
vision d'<strong>un</strong> être plus lumi<strong>ne</strong>ux que lui, lui ôterait toute existence et toute substance.<br />
- Tous les saints possèdent u<strong>ne</strong> faille. Juste au cas où l'<strong>un</strong> d'entre eux serait corrompu par<br />
Satan… Dans ce cas, le saint gonflé d'orgueil, à la tête enflée par le discours de Belzébuth,<br />
deviendrait u<strong>ne</strong> terrible <strong>me</strong>nace pour la paix au pa<strong>radis</strong>. Mais cette précaution n'était connue<br />
que de moi seul ! C'est <strong>un</strong> secret enfoui au fond de <strong>me</strong>s pensées.<br />
- Que faire, Seig<strong>ne</strong>ur ? Les <strong>me</strong>urtres empoison<strong>ne</strong>nt la quiétude seyant naturelle<strong>me</strong>nt au<br />
domai<strong>ne</strong> pa<strong>radis</strong>iaque, ils jettent la suspicion, les bruits courent, les ru<strong>me</strong>urs sur les <strong>un</strong>s et les<br />
autres vont bon train.<br />
- Il nous faut <strong>un</strong> enquêteur dig<strong>ne</strong> de ce nom.<br />
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32<br />
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
- Mais Satan les grille tous dans ses hauts four<strong>ne</strong>aux ! Il refuse de collaborer. Et saint<br />
Innocent m'a confirmé ses inquiétudes : aucu<strong>ne</strong> â<strong>me</strong> enquêtrice n'est prévue d'arriver au<br />
pa<strong>radis</strong> avant cinquante longues années.<br />
- Il n'y a qu'u<strong>ne</strong> seule solution, <strong>Eric</strong>. <strong>Je</strong> la connais. Elle est terrible, à de nombreux égards.<br />
- Quelle est-elle, Seig<strong>ne</strong>ur ?<br />
- Convoque saint Juste !<br />
- Le saint patron des <strong>ange</strong>s gardiens ?<br />
- Oui.<br />
- Qu'est-ce que je lui dis ?<br />
- Qu'il va devoir contacter l'<strong>un</strong> des <strong>me</strong>mbres de son équipe et lui confier u<strong>ne</strong> mission<br />
extrê<strong>me</strong><strong>me</strong>nt périlleuse, délicate et… inédite.<br />
- Oui, Seig<strong>ne</strong>ur ! Obtempéra <strong>Eric</strong>, imaginant l'embryon de solution imaginée par Dieu.<br />
Il se retira, laissant le maître du pa<strong>radis</strong> plongé dans ses songes.<br />
"Saint Juste… <strong>Un</strong>e mission… J'espère que Dieu sait ce qu'il fait !" Pensa <strong>Eric</strong>.<br />
Il sauta sur <strong>un</strong> trotti-nuage à foudre en libre-service, <strong>un</strong> moyen de transport à la mode chez<br />
les saints bons chics bons genres épris de protection de l'environ<strong>ne</strong><strong>me</strong>nt. Filant à moins de<br />
cinquante girouettes à l'heure, respectant le code de la voûte céleste, il se rendit chez saint<br />
Juste, le bien nommé car il n'y avait <strong>pas</strong> <strong>me</strong>illeur patron.<br />
* *<br />
*
6<br />
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
Ja<strong>ne</strong> April se refaisait u<strong>ne</strong> beauté dans les toilettes du trib<strong>un</strong>al, profitant d'u<strong>ne</strong> suspension de<br />
séance réclamée par la partie adverse. Elle soulignait ses lèvres purpuri<strong>ne</strong>s d'<strong>un</strong> rouge<br />
écarlate, <strong>me</strong>ttant en valeur sa flamboyante chevelure rousse et ses taches de son. Ses yeux<br />
verts se satisfaisaient du reflet renvoyé par le miroir et trahissaient ses origi<strong>ne</strong>s irlandaises et<br />
explosives. Ses é<strong>me</strong>raudes, de vrais joyaux, eurent droit à quelques onces de rim<strong>me</strong>l.<br />
A part quelques bruits de tuyauterie, dus à la dilatation naturelle du métal subissant<br />
l'alternance d'eau chaude et d'eau froide, rien <strong>ne</strong> filtrait dans les lieux. Le hall jouxtant la porte<br />
était pourtant le lieu d'affronte<strong>me</strong>nt des parties en cause et le prétoire, à quelques mètres de<br />
là, connaissait des empoignades, des joutes verbales dig<strong>ne</strong>s du théâtre de Guignol.<br />
Ja<strong>ne</strong> tenait u<strong>ne</strong> nouvelle victoire à portée de main. Elle avait mis le jury dans sa poche grâce à<br />
des argu<strong>me</strong>nts claire<strong>me</strong>nt présentés et grâce à son char<strong>me</strong> inné. Mê<strong>me</strong> si Miguel Banderas,<br />
son adversaire du jour, défenseur des écologistes, était <strong>un</strong> ténor du barreau, il <strong>ne</strong> pouvait<br />
rivaliser avec sa beauté, sa classe, son sex-appeal dont elle usait pour retour<strong>ne</strong>r le jury, mê<strong>me</strong><br />
si les faits n'étaient <strong>pas</strong> spéciale<strong>me</strong>nt à l'avantage de son client, u<strong>ne</strong> grosse usi<strong>ne</strong> accusée<br />
d'avoir pollué u<strong>ne</strong> rivière de ses effluents rejetés sans scrupule. Mais la distillerie Saint Ja<strong>me</strong>s<br />
tenait en Ja<strong>ne</strong> April l'<strong>un</strong>ique chance de s'en sortir sans débourser des dizai<strong>ne</strong>s de millions de<br />
dollars.<br />
Puisque person<strong>ne</strong> <strong>ne</strong> venait, elle plongea la main de son sac à main et s'empara d'u<strong>ne</strong> boîte de<br />
fard à paupières. Elle souleva délicate<strong>me</strong>nt le fond et mit à jour u<strong>ne</strong> réserve de poudre<br />
secrète. De la poudre blanche qui, à défaut de don<strong>ne</strong>r les joues roses, rendaient les yeux<br />
brillants, la cervelle excitée, les idées bouillonnantes mais des lendemains à s'accrocher aux<br />
rideaux. A l'aide d'u<strong>ne</strong> carte de visite, elle forma u<strong>ne</strong> lig<strong>ne</strong> régulière de poudre et l'aspira par<br />
u<strong>ne</strong> nari<strong>ne</strong> grâce à u<strong>ne</strong> paille Mac Donald's à la fonction première détournée. La cocaï<strong>ne</strong> fit<br />
rapide<strong>me</strong>nt son ouvrage dans le cerveau, affûtant artificielle<strong>me</strong>nt les sens de la jeu<strong>ne</strong> fem<strong>me</strong>.<br />
<strong>Un</strong> hom<strong>me</strong> fit irruption dans les toilettes commu<strong>ne</strong>s aux deux sexes. Ja<strong>ne</strong> referma la boîte à<br />
fard avec précipitation. Ce geste <strong>ne</strong>rveux de petite fille surprise en train de com<strong>me</strong>ttre u<strong>ne</strong><br />
bêtise arracha <strong>un</strong> sourire au ténébreux Miguel, son confrère d'origi<strong>ne</strong> <strong>me</strong>xicai<strong>ne</strong>.<br />
- Alors ma belle ? On se le fait, ce petit restaurant cubain, ce soir ? Proposa-t-il d'emblée,<br />
oubliant les farces antagonistes censées les opposer dans la salle du trib<strong>un</strong>al.<br />
- Bien sûr ! Fit Ja<strong>ne</strong>. La cuisi<strong>ne</strong> <strong>me</strong>xicai<strong>ne</strong> m'excite furieuse<strong>me</strong>nt ! Tu as intérêt à <strong>me</strong> baiser<br />
toute la nuit après, mon salaud ! Posa-t-elle en guise de préalable.<br />
- Tu vas en prendre plein les orifices, ma chère ! Après que je t'ai clouée au pilori dans dix<br />
minutes !<br />
- Tu rêves, bellâtre !<br />
- Tu veux parier ?<br />
Il se posta derrière elle et se colla contre ses fesses, écrasant sa poitri<strong>ne</strong> <strong>me</strong>nue entre ses<br />
mains puissantes, les pétrissant vigoureuse<strong>me</strong>nt sans complexe, cherchant à éprouver leur<br />
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34<br />
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
fer<strong>me</strong>té à travers le tissu du chemisier. Il lui fit égale<strong>me</strong>nt sentir qu'u<strong>ne</strong> protubérance rigide<br />
torturait la fer<strong>me</strong>ture éclair de son pantalon.<br />
- Pari tenu ! Lâcha-t-elle en le repoussant après quelques secondes de tripotage.<br />
- Le pari ? Ah ! Le pari… Qu'est-ce que tu paries ?<br />
- Si je gag<strong>ne</strong>, je fais ce que je veux de toi cette nuit !<br />
- Et si tu perds ?<br />
- Mê<strong>me</strong> <strong>pas</strong> envisageable ! Fit-elle sur <strong>un</strong> ton crâ<strong>ne</strong>ur.<br />
- N'empêche… Qu'est-ce que je gag<strong>ne</strong> ?<br />
- Tu m'emmè<strong>ne</strong>s dans le château dont tu <strong>me</strong> parles si souvent et tu <strong>me</strong> <strong>livre</strong>s en pâture.<br />
- Génial ! Top ! S'exclama-t-il, sentant la proximité de la réalisation de son plus vieux<br />
fantas<strong>me</strong>, <strong>livre</strong>r sa maîtresse occasion<strong>ne</strong>lle à sa bande de copains et de copi<strong>ne</strong>s déjantés du<br />
sexe, alcooliques mondains, cocaïnoma<strong>ne</strong>s, fri<strong>me</strong>urs et friqués en mal de sensation.<br />
- Ne crie <strong>pas</strong> victoire trop tôt, avertit-elle.<br />
Il haussa les épaules et fut sur le point de sortir lorsqu'il ajouta :<br />
- Passe-toi <strong>un</strong> mouchoir au-dessus des lèvres ou tout le monde va s'apercevoir que tu t'enfiles<br />
de la poudre plein le pif !<br />
Elle constata ses dires dans le reflet du miroir et <strong>ne</strong> put lui envoyer u<strong>ne</strong> pique en guise de<br />
réponse, Miguel ayant déjà mis les voiles. Elle prit donc soin d'effacer son coupable forfait et<br />
r<strong>ange</strong>a la cachette à poudre entre sa flasque de cognac et son paquet de cigarettes. Elle remit<br />
de l'ordre dans sa coiffure, reboutonna son chemisier que ce coquin de Miguel avait mal<strong>me</strong>né<br />
et vérifia qu'elle était parfaite pour lancer sa dernière offensive et emporter le morceau. Au<br />
<strong>pas</strong>sage, elle empocherait vingt pour cent de l'a<strong>me</strong>nde infligée au groupe<strong>me</strong>nt écologiste pour<br />
diffamation, soit cent mille dollars. <strong>Un</strong> bon paquet de fric, idéal pour payer les dernières<br />
traites de la Porsche Turbo S. Elle se sentit prête pour l'assaut final et quitta les toilettes, d'<strong>un</strong><br />
<strong>pas</strong> décidé, rehaussée par huit centimètres de talons aiguilles.<br />
* *<br />
*<br />
Ja<strong>ne</strong> n'avait <strong>pas</strong> fait dans le détail mais plutôt dans la dentelle, jouant sur les lacu<strong>ne</strong>s du<br />
systè<strong>me</strong> judiciaire, sur les "non dits" plutôt que sur le fond du dossier. La pollution de la<br />
rivière, issue de déchets de whisky rejetés négligem<strong>me</strong>nt dans l'eau, et la mort de milliers de<br />
poissons, ventre en l'air, n'avaient rien d'imaginaire. L'im<strong>me</strong>nse distillerie du Kentucky n'était<br />
<strong>pas</strong> imaginaire, elle non plus et elle était bien sise au bord du cours d'eau. Cependant, l'action<br />
en justice du groupe écologiste, représenté par maître Miguel Banderas, était basée sur des<br />
analyses chimiques réalisées après la pollution. Auc<strong>un</strong> témoignage visuel n'étayait leur<br />
hypothèse et les salariés de la fabrique, solidaires de leur direction, <strong>ne</strong> se bousculaient <strong>pas</strong><br />
vrai<strong>me</strong>nt pour cracher dans la soupe. Les écologistes, par la voix de leur avocat, avaient beau<br />
marteler que la pollution était avérée, leurs argu<strong>me</strong>nts s'arrêtaient là.
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
La crucifixion vint avec la révélation choc de Ja<strong>ne</strong>, lorsque ce fut son tour de parler, en<br />
dernier.<br />
- Votre hon<strong>ne</strong>ur, mon aimable collègue tour<strong>ne</strong> en rond depuis le début des débats. Il nous<br />
seri<strong>ne</strong> à qui mieux mieux ses élé<strong>me</strong>nts polluants. A aucu<strong>ne</strong> seconde, maître Banderas n'a<br />
<strong>me</strong>ntionné les taux.<br />
- Où voulez-vous en venir, maître ? Coupa le juge.<br />
- Ces taux sont bas.<br />
- Cela <strong>ne</strong> minimise en rien l'acte crimi<strong>ne</strong>l de pollution, poursuivit celui que tous nommaient<br />
"votre hon<strong>ne</strong>ur".<br />
- Non mais cela peut expliquer la dilution d'u<strong>ne</strong> pollution monstrueuse des établisse<strong>me</strong>nts<br />
Long Jack, u<strong>ne</strong> fa<strong>me</strong>use distillerie installée deux kilomètres en amont.<br />
<strong>Un</strong> murmure traversa la salle d'audience et revint vers les protagonistes majeurs, à la manière<br />
d'u<strong>ne</strong> ola de supporters sportifs. Les visages des verts virèrent sérieuse<strong>me</strong>nt à leur couleur<br />
emblématique. <strong>Un</strong>e autre distillerie en amont, il n'y avait que la célèbre égérie du barreau<br />
américain, Ja<strong>ne</strong> April, pour s'intéresser au voisinage.<br />
- Si la distillerie voisi<strong>ne</strong> a déversé deux ton<strong>ne</strong>s de déchets, le taux de polluant sera proche de<br />
celui avancé par les plaignants. Donc, rien <strong>ne</strong> prouve, en l'absence de témoin visuel, que mon<br />
client soit coupable.<br />
- <strong>Je</strong> vois, fit le juge.<br />
Il <strong>ne</strong> pouvait <strong>pas</strong> condam<strong>ne</strong>r u<strong>ne</strong> société sur sa seule réputation de flemmarde dans le<br />
domai<strong>ne</strong> écologique. Mê<strong>me</strong> si cela le dém<strong>ange</strong>ait forte<strong>me</strong>nt, mê<strong>me</strong> si maître April traînait u<strong>ne</strong><br />
odeur de soufre, il n'avait <strong>pas</strong> le droit de les condam<strong>ne</strong>r sans preuve for<strong>me</strong>lle. Son trouble<br />
certain n'échappa point au flair de Ja<strong>ne</strong>. Elle lâcha la dernière rafale, la salve fatale, histoire de<br />
clouer son camarade de jeux sexuels au pilori, lui ôtant tout espoir de partage char<strong>ne</strong>l dans le<br />
fa<strong>me</strong>ux château.<br />
- Ah ! <strong>Un</strong>e dernière information, accompagnée de l'indispensable docu<strong>me</strong>nt…<br />
Elle déposa u<strong>ne</strong> feuille au format A3 sur laquelle figurait <strong>un</strong> savant schéma, <strong>un</strong> organigram<strong>me</strong><br />
impliquant des sociétés, des noms, des associations.<br />
- Com<strong>me</strong> vous pouvez le constater, votre hon<strong>ne</strong>ur, l'association "E<strong>me</strong>raude" figure dans<br />
cette nébuleuse d'entreprises et d'associations. Au rang desquelles nous retrouvons la<br />
distillerie Long Jack… En fait, deux <strong>me</strong>mbres de l'administration de cette société pren<strong>ne</strong>nt<br />
part à des œuvres chargées de collecter des fonds dont E<strong>me</strong>raude, représentée par maître<br />
Banderas, bénéficie royale<strong>me</strong>nt. De là à imagi<strong>ne</strong>r que nos amis écologistes ont été téléguidés<br />
par <strong>un</strong> concurrent peu scrupuleux, désireux de jeter sa faute sur mon client, il n'y a qu'<strong>un</strong> <strong>pas</strong><br />
que je <strong>ne</strong> franchirai <strong>pas</strong> dans cette salle. Il s'agit d'u<strong>ne</strong> autre procédure que nous étudierons<br />
très rapide<strong>me</strong>nt, je pense, acheva Ja<strong>ne</strong> April, abaissant elle-mê<strong>me</strong> la ma<strong>ne</strong>tte faisant jaillir la<br />
fée électricité dans les <strong>me</strong>mbres des accusateurs.<br />
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36<br />
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
Le juge et les jurés se retirèrent afin de délibérer. Pour la for<strong>me</strong>… La cause était entendue.<br />
Miguel ronchonnait dans son coin et l'association E<strong>me</strong>raude sentait son agonie financière<br />
proche. Le juge, sans le schéma relation<strong>ne</strong>l fourni par l'avocate sans pitié, s'en serait tenu à <strong>un</strong><br />
non-lieu. Avec des soupçons de manipulation, le retour de l'hom<strong>me</strong> en toge et moumoute<br />
incluse pouvait s'accompag<strong>ne</strong>r d'u<strong>ne</strong> sanction à la sauce américai<strong>ne</strong>. Au minimum, il faudrait<br />
payer les frais du procès et maîtres Ja<strong>ne</strong> et Miguel n'avaient rien de bon marché.<br />
Ja<strong>ne</strong> se colla à quelques centimètres de son latino préféré. Elle murmura :<br />
- Eh ! Beau gosse ! Ne tire <strong>pas</strong> cette tronche !<br />
- Putain ! Râla-t-il. Tu m'as eu ! <strong>Je</strong> devrais peut-être <strong>me</strong> <strong>me</strong>ttre à la poudre pour décrocher la<br />
timbale…<br />
- Sûre<strong>me</strong>nt <strong>pas</strong>, souffla-t-elle. Par contre, prépare tes <strong>me</strong>nottes.<br />
- Ah ? Fit-il, intéressé.<br />
- Ne te méprends <strong>pas</strong>. J'ai gagné le pari.<br />
Elle s'éloigna en dandinant du popotin, admirable<strong>me</strong>nt bien fait et bien moulé dans sa jupe<br />
serrée. Le sourire aux lèvres, elle serra la main de son client, le directeur de la distillerie Saint<br />
Ja<strong>me</strong>s, sûre du verdict. Elle gagnait u<strong>ne</strong> fois de plus sur <strong>un</strong> coup de théâtre et sur <strong>un</strong> coup<br />
tordu. En garce finie.<br />
* *<br />
*<br />
Le nuage poli renvoyait l'image d'<strong>un</strong> point du globe terrestre. Dieu en possédait le contrôle<br />
total et pouvait lui demander de se concentrer sur n'importe quel lieu de l'hémisphère nord<br />
ou sud. Les nuages polis relayaient des vues des millions d'astres habités d'êtres vivants.<br />
Depuis quelques heures, le Tout Puissant cadrait sur <strong>un</strong> lieu précis, s'intéressant à l'u<strong>ne</strong> de ses<br />
créatures. Il la filait sous l'œil horrifié de saint Juste.<br />
- Seig<strong>ne</strong>ur… Com<strong>me</strong>nt peut-elle se <strong>livre</strong>r à de telles contorsions et hurler de la sorte ? A quoi<br />
cela sert-il que l'hom<strong>me</strong> soit entravé ? Il semble parfaite<strong>me</strong>nt consentant. Cette… fem<strong>me</strong><br />
est… vicieuse ! Sa chevelure rappelle les couleurs de l'enfer. Elle… Oh ! Quelle horreur !<br />
Mais l'acte est interdit dans cet orifice ! Seig<strong>ne</strong>ur ! Faites quelque chose ! Vous <strong>ne</strong> pouvez<br />
laisser cette… fe<strong>me</strong>lle assoiffée de sexe… torturer cet hom<strong>me</strong>… avec des bougies !<br />
- Qui s'occupe de cette person<strong>ne</strong> ? Demanda le Seig<strong>ne</strong>ur, feignant d'ignorer les remarques<br />
ulcérées.<br />
- Euh… fit saint Juste en consultant ses registres, détachant son regard quelques secondes de<br />
la vision nuageuse. C'est l'<strong>ange</strong> gardien… Euh… Ah ! L'<strong>ange</strong> I<strong>ne</strong>.<br />
- Ange I<strong>ne</strong> ? N'est-ce <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>ange</strong> souffreteux ?<br />
- Si. Il n'a <strong>pas</strong> u<strong>ne</strong> grosse santé. Les séquelles d'u<strong>ne</strong> "plu<strong>me</strong>vitie" aiguë, <strong>un</strong> accident de moto<br />
avec son client précédent et quelques autres coups durs ont eu raison de son efficacité.<br />
D'ailleurs, il s'agit de sa dernière mission de gardiennage. Ses piètres performances justifient
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
sa mise à la retraite anticipée. Seig<strong>ne</strong>ur… com<strong>me</strong>nta u<strong>ne</strong> nouvelle fois le patron des <strong>ange</strong>s<br />
gardiens.<br />
- Convoque-le ! Ordonna Dieu.<br />
- Vous avez raison, Seig<strong>ne</strong>ur ! <strong>Un</strong> petit sermon <strong>ne</strong> lui fera <strong>pas</strong> de mal. Rien <strong>ne</strong> justifie <strong>un</strong> tel<br />
laisser-aller.<br />
- Pas question de le sermon<strong>ne</strong>r ! J'ai u<strong>ne</strong> mission de la plus haute importance à lui confier. De<br />
lui dépend notre survie.<br />
- Non… Non… Elle… serait… l'enquêtrice ? Trembla Juste, juste <strong>un</strong> petit peu.<br />
- Oui. C'est la <strong>me</strong>illeure dans son domai<strong>ne</strong>.<br />
- Seig<strong>ne</strong>ur… Elle <strong>ne</strong> mérite <strong>pas</strong> le pa<strong>radis</strong> ! A elle seule, c'est <strong>un</strong> concentré des sept pêchés<br />
capitaux ! Elle se drogue, se <strong>livre</strong> à des orgies de champag<strong>ne</strong>, de caviar, incarnant la<br />
gourmandise; quant à l'orgueil et à la luxure, ce sont ses deux ma<strong>me</strong>lles. L'envie la taraude<br />
sans cesse, elle y cède en versant dans l'onanis<strong>me</strong> le plus complet. La colère défor<strong>me</strong><br />
régulière<strong>me</strong>nt ses traits harmonieux et elle <strong>ne</strong> don<strong>ne</strong> <strong>pas</strong> le moindre cent des im<strong>me</strong>nses<br />
fortu<strong>ne</strong>s qu'elle rafle en innocentant des crimi<strong>ne</strong>ls patentés, faisant preuve d'u<strong>ne</strong> avarice<br />
excessive. Regardez-la, Seig<strong>ne</strong>ur ! Vautrée sur cet hom<strong>me</strong>. C'est indécent !<br />
- <strong>Je</strong> sais, Juste. Nous n'avons <strong>pas</strong> le choix. C'est elle qu'il nous faut pour <strong>me</strong><strong>ne</strong>r l'enquête.<br />
C'est la <strong>me</strong>illeure. Elle travaille mieux que tous. En cela, nous <strong>ne</strong> pouvons <strong>pas</strong> l'accuser de<br />
paresse. <strong>Un</strong> point positif. Il <strong>ne</strong> faut plus perdre <strong>un</strong> instant. Convoque l'<strong>ange</strong> I<strong>ne</strong>.<br />
- Bien, Seig<strong>ne</strong>ur… lâcha Juste en ajustant son auréole ternie par sa déconvenue.<br />
Le Tout Puissant s'entêtait dans sa folie. Com<strong>me</strong>nt diable s'y prendrait-il pour la faire venir<br />
au pa<strong>radis</strong> ? Com<strong>me</strong>nt la comm<strong>un</strong>ication, stricte<strong>me</strong>nt interdite depuis Moïse, s'établirait-elle<br />
entre les vivants et les â<strong>me</strong>s éter<strong>ne</strong>lles ? <strong>Un</strong> mystère que saint Juste, bien qu'il n’appartien<strong>ne</strong><br />
<strong>pas</strong> aux lieutenants de Satan, brûlait de découvrir.<br />
* *<br />
*<br />
La créature, se maintenant pénible<strong>me</strong>nt en vol stationnaire, faisait face à son chef de service<br />
et au grand patron. Observant la scè<strong>ne</strong> en candide, saint <strong>Eric</strong> se tenait non loin de là. Il<br />
détaillait l'invité surprise, secouant la tête de façon négative à chaque découverte navrante. Le<br />
pauvre bougre ainsi scruté tenait plus du poulet de batterie déplumé, aux os brinquebalants,<br />
croise<strong>me</strong>nt d'élastique et de carton pâte, emballé sous cellopha<strong>ne</strong> et jeté dans les étalages d'<strong>un</strong><br />
hypermarché que de l'<strong>ange</strong> gardien dig<strong>ne</strong> de ce nom. Ange I<strong>ne</strong> était lessivé (NDLA : com<strong>me</strong><br />
saint Marc ! Ce n'est <strong>pas</strong> bon sig<strong>ne</strong>) bien qu'il se ménage (NDLA : lessive, ménage, je vais<br />
toutes les faire !) de longues périodes de repos durant les innombrables séances de jambes en<br />
l'air de sa cliente, Ja<strong>ne</strong> April. Sa tenue vesti<strong>me</strong>ntaire et son allure, en général, laissaient à<br />
désirer. Il y avait du relâche<strong>me</strong>nt dans l'air. Ses joues creuses étaient aussi pâles qu'<strong>un</strong><br />
discours du Front National et avaient bien besoin de fard rose pour masquer son côté<br />
maladif chronique.<br />
- Assied-toi ! Proposa Dieu, conscient que le pauvre serviteur peinait à battre des ailes<br />
déplumées.<br />
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38<br />
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
- Merci Seig<strong>ne</strong>ur, répondit I<strong>ne</strong> en se laissant choir lourde<strong>me</strong>nt sur <strong>un</strong> nuage de moleski<strong>ne</strong>.<br />
- <strong>Un</strong> petit gâteau aux flocons de <strong>ne</strong>ige ? Proposa le Seig<strong>ne</strong>ur en tendant u<strong>ne</strong> assiette de<br />
douceurs.<br />
I<strong>ne</strong> se pencha en avant et prit u<strong>ne</strong> portion d'<strong>un</strong> air étonné, ses yeux allant rapide<strong>me</strong>nt du<br />
Tout Puissant à saint Juste, son responsable hiérarchique. La bonhomie, l'amabilité et la<br />
prévenance de Dieu n'avaient rien de saugrenu puisque le grand ordonnateur de l'<strong>un</strong>ivers<br />
était pétri de toutes les qualités inimaginables. Quoi de plus normal pour l'être suprê<strong>me</strong>,<br />
l'écrou maintenant les pièces des galaxies entre elles, la lumière céleste, la perfection (au<br />
masculin) ? Mais que Dieu use de tous ses avatars quasi<strong>me</strong>nt humains avec <strong>un</strong> <strong>ange</strong> de<br />
seconde main, en fin de carrière, avait quelque chose de louche. Il agissait com<strong>me</strong> <strong>un</strong><br />
directeur d'entreprise sur le point de rattraper <strong>un</strong> cadre cinquantenaire, prenant brusque<strong>me</strong>nt<br />
conscience que celui-ci a toutes les informations de l'entreprise dans sa tête, qu'il est<br />
indispensable, alors qu'il s'apprêtait à le lourder pour u<strong>ne</strong> faute grave imaginaire après trente<br />
années de bons et loyaux services.<br />
Ange I<strong>ne</strong> croqua le biscuit ; il était délicieux, onctueux, savoureux, à point. Son goût leva le<br />
moindre doute quant à ses origi<strong>ne</strong>s : il venait du plus grand pâtissier du pa<strong>radis</strong>, Fauchon.<br />
L'<strong>ange</strong> Fauchon a su créer des produits frisant la perfection en contrôlant toute la fabrication,<br />
de la production des matières premières nécessaires à la confection, jusqu'à la distribution de<br />
ses inventions. C'est ainsi qu'à côté de "Fauchon Thé", chargé d'exposer aux yeux du public<br />
les douceurs, on trouvait égale<strong>me</strong>nt "Fauchon Mix", u<strong>ne</strong> entreprise concevant tous les<br />
ustensiles de cuisi<strong>ne</strong>, on croisait aussi "Fauchon & Co" que les <strong>ange</strong>s rebaptisaient<br />
fréquem<strong>me</strong>nt "Faux Cochon", u<strong>ne</strong> usi<strong>ne</strong> de salaisons et l'activité de <strong>me</strong>u<strong>ne</strong>rie, indispensable<br />
à l'obtention d'u<strong>ne</strong> bon<strong>ne</strong> fari<strong>ne</strong> pour faire de bons gâteaux, était assurée par "Fauchon les<br />
blés" (NDLA : tout ça pour arriver à placer ce jeu de mots !).<br />
- Hum… C'est bon ! Com<strong>me</strong>nta I<strong>ne</strong>.<br />
- <strong>Je</strong> suis heureux que cela te plaise ! Ajouta Dieu. Bien… fit-il en devenant plus grave. Tu<br />
n'ignores certai<strong>ne</strong><strong>me</strong>nt <strong>pas</strong> les évé<strong>ne</strong><strong>me</strong>nts tragiques ayant frappé notre bon royau<strong>me</strong> de moimê<strong>me</strong><br />
?<br />
- Non, Seig<strong>ne</strong>ur. C'est… inqualifiable ! Le coupable est <strong>un</strong> monstre, assuré<strong>me</strong>nt. A-t-on<br />
réussi à le coincer ?<br />
- Non, fit Dieu, repoussant avec pei<strong>ne</strong> u<strong>ne</strong> moue de désappointe<strong>me</strong>nt. D'ailleurs, nous<br />
t'avons convoqué parce que tu es l'<strong>ange</strong> de la situation.<br />
- Moi ? S'étonna I<strong>ne</strong>.<br />
- Oui… lâcha le Seig<strong>ne</strong>ur sans vrai<strong>me</strong>nt savoir com<strong>me</strong>nt faire pour aborder l'épi<strong>ne</strong>ux sujet.<br />
Voilà… Euh… Com<strong>me</strong>nt dirais-je ? Cela se <strong>pas</strong>se bien, pour toi, sur la Terre ?<br />
- Oh… fit I<strong>ne</strong>, sur <strong>un</strong> ton laconique. Eh bien… J'ai hérité d'u<strong>ne</strong> person<strong>ne</strong> peu commode…<br />
Elle n'en fait qu'à sa tête. Elle est… Elle <strong>ne</strong> m'écoute jamais. Elle est… athée, elle…<br />
blasphè<strong>me</strong> sans cesse. Elle… se <strong>livre</strong> à des orgies de toutes sortes. Enfin… C'est u<strong>ne</strong> vraie<br />
catastrophe et j'avoue que je suis en dessous de tout avec elle. <strong>Je</strong> crois bien que la seule fois<br />
où elle a daigné ouvrir ses esgourdes, c'est la fois où elle a failli avoir <strong>un</strong> accident de voiture.<br />
Elle a freiné considérable<strong>me</strong>nt avant d'entrer dans u<strong>ne</strong> courbe sans vision et a pu stopper son
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
véhicule au lieu de s'encastrer dans le poids lourd renversé sur la chaussée. Oui… C'est la<br />
seule fois où j'ai hurlé si fort que ma voix a réussi à percer son cœur. Sinon, c'est u<strong>ne</strong> vraie<br />
calamité. Elle ira en enfer, Seig<strong>ne</strong>ur. <strong>Je</strong> suis désolé.<br />
- Les missions sont de plus en plus difficiles, de nos jours. Les humains cèdent aisé<strong>me</strong>nt à la<br />
facilité, la faute aux progrès de différentes natures. Tu n'es <strong>pas</strong> le seul à être confronté à ce<br />
style de comporte<strong>me</strong>nt. Malgré tout, il va te falloir réussir à percer son cœur u<strong>ne</strong> nouvelle<br />
fois.<br />
- Ah bon ? Trembla I<strong>ne</strong>, manifestant <strong>un</strong> sig<strong>ne</strong> d'inquiétude plutôt qu'<strong>un</strong> symptô<strong>me</strong> de la<br />
grippe. Autant essayer d'attraper le vent avec <strong>un</strong> lasso ! Bon… Que faut-il que je fasse ?<br />
- Il faut… Il faut…<br />
Dieu <strong>ne</strong> parvint <strong>pas</strong> à prononcer les mots imprononçables car ils constituaient <strong>un</strong> pêché aux<br />
yeux du pa<strong>radis</strong>. N'y tenant plus, <strong>Eric</strong> poursuivit à la place du Seig<strong>ne</strong>ur.<br />
- Il faut qu'elle vien<strong>ne</strong> enquêter au pa<strong>radis</strong>. Elle est l’<strong>un</strong>ique person<strong>ne</strong> capable d'accomplir<br />
cette mission, la seule suffisam<strong>me</strong>nt talentueuse pour démasquer l'assassin d'<strong>ange</strong> Aponais,<br />
d'<strong>ange</strong> Au<strong>ne</strong> et de saint Marc.<br />
- C'est vrai qu'elle est sale<strong>me</strong>nt douée pour son métier <strong>pas</strong> toujours glorieux mais elle est<br />
promise à l'enfer ! Elle a vendu son â<strong>me</strong> au Diable ! A plusieurs reprises, en plus, ce qui<br />
prouve bien qu'elle est totale<strong>me</strong>nt pourrie ! Qui vendrait plusieurs fois la mê<strong>me</strong> chose, hein ?<br />
Non… <strong>Je</strong> <strong>ne</strong> plaisante <strong>pas</strong> ! Satan a vrai<strong>me</strong>nt acheté son â<strong>me</strong>. Elle <strong>ne</strong> peut <strong>pas</strong> venir ici. En<br />
plus, bien qu'elle se saoule régulière<strong>me</strong>nt, qu'elle s'envoie des substances illicites dans le <strong>ne</strong>z,<br />
elle <strong>ne</strong> devrait <strong>pas</strong> mourir avant quelques dizai<strong>ne</strong>s d'années.<br />
- Il faut qu'elle vien<strong>ne</strong> au plus vite.<br />
- Mais pour cela, il faudrait qu'elle se… suicide… Non… Vous n'allez <strong>pas</strong> <strong>me</strong> demander… ?<br />
<strong>Eric</strong> hocha la tête en sig<strong>ne</strong> d'affirmation. La Voix confirma :<br />
- Elle doit accepter de mourir, fit le Seig<strong>ne</strong>ur. C'est la seule façon de la faire venir à nous.<br />
- Mais, Seig<strong>ne</strong>ur, rétorqua I<strong>ne</strong> avec justesse, le suicide délibéré est <strong>un</strong> acte p<strong>un</strong>i par votre Loi.<br />
Cela <strong>vaut</strong> l'enfer. Les humains n'ont <strong>pas</strong> le droit d'abréger leur vie volontaire<strong>me</strong>nt. Ils ont<br />
signé, c'est pour en baver. Ils doivent accepter leur vie. Les contrevenants récoltent les<br />
flam<strong>me</strong>s de l'enfer, c'est écrit, c'est vous-mê<strong>me</strong> qui…<br />
- <strong>Je</strong> sais cela, coupa le Seig<strong>ne</strong>ur. <strong>Je</strong> cherche u<strong>ne</strong> solution… De plus, les contacts directs avec<br />
les humains sont stricte<strong>me</strong>nt interdits en vertu de la Foi. Ils doivent croire sans preuve, sans<br />
<strong>me</strong> rencontrer. <strong>Je</strong> <strong>ne</strong> vois <strong>pas</strong> com<strong>me</strong>nt faire… Il est vrai que saint Innocent <strong>ne</strong> pourra <strong>pas</strong><br />
ch<strong>ange</strong>r son affectation si elle se don<strong>ne</strong> la mort. Et cependant, sans mourir, impossible pour<br />
elle d'atteindre le pa<strong>radis</strong>.<br />
- <strong>Je</strong> vais peut-être dire u<strong>ne</strong> bêtise, annonça saint Juste, mais si elle donnait sa vie pour u<strong>ne</strong><br />
bon<strong>ne</strong> cause, <strong>ne</strong> gag<strong>ne</strong>rait-elle <strong>pas</strong> le pa<strong>radis</strong> ?<br />
- Sauf votre respect, chef, fit Ange I<strong>ne</strong>, vous avez presque raison. <strong>Un</strong> acte désintéressé lui<br />
vaudrait assuré<strong>me</strong>nt <strong>un</strong> billet pour notre beau royau<strong>me</strong>. Mais attendre <strong>un</strong> pareil sacrifice de sa<br />
part revient à croire au père Noël, à la bon<strong>ne</strong> foi des politiciens ou à la sincérité des<br />
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<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
constructeurs automobiles assurant qu'il est impossible de faire fonction<strong>ne</strong>r leurs engins sans<br />
autre carburant que l'essence. Désolé ! Autant espérer <strong>un</strong> miracle !<br />
- Pourtant, acheva Dieu, il va te falloir réaliser ce miracle. Tu as carte blanche pour y<br />
parvenir. Tu peux tout lui dire, te montrer à elle s'il le faut. Tous les moyens sont bons. Tu<br />
dois réussir.<br />
Dieu avait tranché et scellé la mission de l'<strong>ange</strong> I<strong>ne</strong>. Ce dernier fut prié de rejoindre sa cliente<br />
au plus tôt afin de tenter de la re<strong>me</strong>ttre dans le droit chemin et l'attirer au pa<strong>radis</strong>. Quand il<br />
constata qu'elle avait foncé vers son château des orgies préféré en son absence, I<strong>ne</strong> grom<strong>me</strong>la<br />
qu'il n'y avait rien à espérer d'u<strong>ne</strong> pareille harpie sans cœur.<br />
La mort éter<strong>ne</strong>lle dans l'â<strong>me</strong>, il se résigna à regag<strong>ne</strong>r la Terre pour assister, bien<br />
involontaire<strong>me</strong>nt, aux frasques de Ja<strong>ne</strong> April. Com<strong>me</strong>nt s'y prendrait-il pour lui présenter <strong>un</strong><br />
job gratuit, d<strong>ange</strong>reux et qu'elle devrait bannir de son curriculum vitae ?<br />
* *<br />
*
7<br />
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
Le br<strong>un</strong> au teint hâlé et au regard ténébreux <strong>ne</strong> cessait de la mater. Seul à sa table de ce<br />
restaurant <strong>me</strong>xicain, il dégustait <strong>un</strong> guacamole accompagné de quelques tacos et d'oignons<br />
frits. Son re<strong>pas</strong> semblait moins l'intéresser que la plastique de Ja<strong>ne</strong>. Bien que le <strong>me</strong>c soit tout<br />
à fait son style d'amant à croquer, la jeu<strong>ne</strong> avocate éprouvait u<strong>ne</strong> gê<strong>ne</strong> indescriptible sous les<br />
feux azurs du bel inconnu (NDLA : peut-être parce qu'il m<strong>ange</strong> u<strong>ne</strong> purée d'avocat ?). Cet<br />
effet secondaire se répercutait sur la précision de ses gestes puisque à trois reprises, sa bana<strong>ne</strong><br />
cuite en beig<strong>ne</strong>t, accompagnée d'u<strong>ne</strong> sauce au chocolat et au beurre de cacahuète, s'était<br />
dérobée aux piques de sa fourchette et aux dents de son couteau. Excédée par sa fébrilité<br />
apparente, elle s'était écriée sans pitié pour ses voisins de table :<br />
- Arrête de bouger com<strong>me</strong> ça, la bana<strong>ne</strong> ou je te fais la peau !<br />
Face à la <strong>me</strong>nace, le fruit oblong avait obtempéré. Il craignait vraisemblable<strong>me</strong>nt d'être traîné<br />
devant les trib<strong>un</strong>aux pour rébellion, victi<strong>me</strong> d'<strong>un</strong> procès où il aurait assuré<strong>me</strong>nt perdu. La<br />
bana<strong>ne</strong> avait vu son armure de pâte à beig<strong>ne</strong>t transpercée par les pointes acérées de la<br />
fourchette. En mê<strong>me</strong> temps, Ja<strong>ne</strong> n'avait pu s'empêcher de jeter <strong>un</strong> regard à son bel<br />
admirateur, lui signifiant par ce geste sur le fruit symbole phallique par excellence, qu'elle<br />
prenait systématique<strong>me</strong>nt l'ascendant sur ses partenaires mâles dans les relations sexuelles<br />
qu'elle entretenait avec eux.<br />
L'inconnu avala davantage de crè<strong>me</strong> verte que voulu et manqua de s'étouffer en imaginant<br />
l'allusion. Il <strong>ne</strong> dut son salut qu'à <strong>un</strong> verre de bière fraîche, vidant la quantité de liquide<br />
mousseux pour aider à dégager la voie obstruée.<br />
Parachevant ses simagrées destinées à <strong>me</strong>ttre le mâle en condition, Ja<strong>ne</strong> s'appliqua à lécher, à<br />
sucer et à mordiller la bana<strong>ne</strong> à plusieurs reprises, simulant ce qu'elle désirait faire au <strong>me</strong>c. Le<br />
bel hidalgo aux yeux d'océan plongea la tête dans son assiette, suffoqué par tant de hardiesse.<br />
Ja<strong>ne</strong> n'en était <strong>pas</strong> à son coup d'essai. Régulière<strong>me</strong>nt, elle se livrait à des jeux coquins,<br />
lubriques, osés pour obtenir les faveurs des hom<strong>me</strong>s ou des fem<strong>me</strong>s, n'ayant aucu<strong>ne</strong><br />
préférence en la matière. En général, elle <strong>ne</strong> se trompait <strong>pas</strong> sur la nature des intentions de<br />
ses cibles et obtenait toutes leurs faveurs. Ce beau <strong>me</strong>c n'échapperait <strong>pas</strong> à la règle mê<strong>me</strong> si,<br />
en son for intérieur, elle détectait u<strong>ne</strong> anomalie dans son allure globale.<br />
"Il <strong>me</strong> plait mais il y a <strong>un</strong> truc qui cloche. <strong>Je</strong> n'arrive <strong>pas</strong> à détermi<strong>ne</strong>r quoi. Cela m'é<strong>ne</strong>rve de<br />
<strong>ne</strong> <strong>pas</strong> trouver ! Il va falloir que j'en aie le cœur <strong>ne</strong>t !" Songeait-elle sans cesser de le mater,<br />
puisqu'il en faisait autant.<br />
Tout à coup, l'inconnu se leva et fila au sous-sol du restaurant, direction les toilettes. Ja<strong>ne</strong><br />
n'hésita <strong>pas</strong> l'ombre d'u<strong>ne</strong> seconde et emboîta son <strong>pas</strong>, à u<strong>ne</strong> distance suffisam<strong>me</strong>nt<br />
raisonnable pour <strong>ne</strong> <strong>pas</strong> éveiller les soupçons. Elle adorait les histoires cochon<strong>ne</strong>s,<br />
particulière<strong>me</strong>nt celles se déroulant dans ce style d’endroit. Bien que la loi américai<strong>ne</strong> soit<br />
stricte en matière d'exhibition dans des lieux ouverts au public, Ja<strong>ne</strong> <strong>ne</strong> s'était jamais faite<br />
prendre par les forces de police. Enfin si… <strong>Un</strong>e fois ! Elle avait été prise par <strong>un</strong> flic dans les<br />
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<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
toilettes d'<strong>un</strong> cinéma. A vrai dire, il l'avait prise, tout court ! Le type l'avait <strong>me</strong>nottée à la<br />
réserve d'eau de la chasse et lui avait enfilé <strong>un</strong> énor<strong>me</strong> gourdin dans le petit orifice serré<br />
tandis que sa matraque s'était enfoncée dans son vagin surexcité. Son goût pour les liens de<br />
toutes sortes remontait à cette époque.<br />
L'inconnu venait de <strong>pas</strong>ser la porte des toilettes, côté hom<strong>me</strong>s. Ja<strong>ne</strong> empêcha que le loquet<br />
soit abaissé en n'hésitant <strong>pas</strong> à bloquer la fer<strong>me</strong>ture à l'aide de son pied.<br />
- Mais… Que faites-vous ? Protesta l'inconnu.<br />
- Ce que j'ai envie depuis longtemps, rétorqua Ja<strong>ne</strong>.<br />
- Quoi ? Fit-il, faisant mi<strong>ne</strong> de <strong>ne</strong> <strong>pas</strong> comprendre ses intentions malhonnêtes.<br />
En guise de réponse, elle le repoussa contre la cloison des toilettes et se colla à lui. Dans cette<br />
posture, il était à mê<strong>me</strong> d'interpréter ses faits et gestes à leur juste valeur. Elle s'empara de ses<br />
lèvres rapide<strong>me</strong>nt, cherchant la <strong>me</strong>nteuse qu'elle maniait à <strong>me</strong>rveille dans les prétoires.<br />
L'hom<strong>me</strong>, contraire<strong>me</strong>nt à son attente, n'était <strong>pas</strong> très réceptif. Mais dans le feu de l'action,<br />
Ja<strong>ne</strong> chassa ce senti<strong>me</strong>nt de refus de son esprit et se laissa emporter par le feu rougeoyant de<br />
sa <strong>pas</strong>sion. Elle abandonna les lèvres et elle fit sauter les boutons de sa chemise pour se jeter<br />
sur sa poitri<strong>ne</strong>. Son excitation atteignit des som<strong>me</strong>ts lorsqu'elle découvrit sa peau bronzée<br />
exempte de la moindre pilosité. Elle plaqua sa bouche sur son téton et l'aspira goulû<strong>me</strong>nt,<br />
cherchant de la main droite <strong>un</strong> renfle<strong>me</strong>nt monstrueux entre les jambes de l'inconnu. Elle<br />
stoppa brusque<strong>me</strong>nt ses succions tandis que l'hom<strong>me</strong> tentait de la repousser. Elle sentait <strong>un</strong><br />
truc gênant depuis sa rencontre avec le bel inconnu, com<strong>me</strong> si son sixiè<strong>me</strong> sens s'alarmait<br />
pour la prévenir. Elle découvrit enfin quoi en appliquant la pau<strong>me</strong> entière de sa main droite<br />
entre les jambes de l'hidalgo. Rien. Pas la moindre érection. Mais alors vrai<strong>me</strong>nt rien du tout !<br />
Ce <strong>me</strong>c n'avait <strong>pas</strong> plus d'attribut qu'u<strong>ne</strong> fem<strong>me</strong> ! Pourtant, son allure, sa poitri<strong>ne</strong>, sa carrure,<br />
il n'avait rien de féminin.<br />
L'inconnu profita de la stupéfaction de Ja<strong>ne</strong> pour se carapater en douce, les pans de chemise<br />
pendouillant sur les côtés du pantalon. L'avocate de<strong>me</strong>ura interdite durant de longues<br />
secondes, visionnant mille et u<strong>ne</strong> fois la scè<strong>ne</strong> de la découverte dans son esprit, cherchant<br />
u<strong>ne</strong> explication logique à l'attitude de cet hom<strong>me</strong>. Si jamais il en était <strong>un</strong>…<br />
"Mais… Qu'est-ce qu'il lui a pris ? C'est la première fois qu'<strong>un</strong> <strong>me</strong>c <strong>me</strong>t les voiles devant<br />
moi ! <strong>Un</strong> <strong>me</strong>c… Il… Il n'avait rien entre les jambes ! Ou il l'a planquée quelque part entre ses<br />
fesses et son ventre ou son père s'appelle Max Minus et sa mère Lilli Putien<strong>ne</strong> ! Ce n'est <strong>pas</strong><br />
u<strong>ne</strong> fem<strong>me</strong>, il a u<strong>ne</strong> glotte. Il <strong>ne</strong> peut <strong>pas</strong> être u<strong>ne</strong> fem<strong>me</strong>… Il faut que je sache !" Imagina<br />
Ja<strong>ne</strong>.<br />
Elle sortit des toilettes et grimpa les marches raides de l'escalier étroit d'<strong>un</strong> <strong>pas</strong> décidé. <strong>Un</strong>e<br />
fois parvenue au rez-de-chaussée, elle jeta <strong>un</strong> coup d'œil dans la salle. L'inconnu s'était assis à<br />
sa place, reprenant son re<strong>pas</strong> là où il l'avait laissé. Voyant que Ja<strong>ne</strong> fonçait droit vers lui,<br />
l'hom<strong>me</strong> plongea la main dans la poche intérieure de sa veste posée sur le dossier de sa chaise<br />
et retira son portefeuille. L'avocate se planta devant lui et lui lança :
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
- Ecoutez, je <strong>ne</strong> comprends <strong>pas</strong> votre réaction ! D'habitude, les hom<strong>me</strong>s sont <strong>ne</strong>tte<strong>me</strong>nt<br />
moins offusqués quand je les prends de front. C'est ma méthode. Tous les <strong>me</strong>cs se plaig<strong>ne</strong>nt<br />
d'être accusés de harcèle<strong>me</strong>nt sexuel en souriant à u<strong>ne</strong> fem<strong>me</strong>, moi je vous offre l'occasion de<br />
<strong>pas</strong>ser directe<strong>me</strong>nt à l'acte sans être obligé de sourire, sans devoir <strong>me</strong> draguer durant des<br />
heures en pesant bien chaque mot prononcé et en analysant parfaite<strong>me</strong>nt toutes <strong>me</strong>s<br />
réactions en retour. Que voulez-vous de plus ?<br />
- Laissez-moi tranquille, répondit le bel hidalgo avec u<strong>ne</strong> voix fluette d'adolescent en mue, <strong>un</strong><br />
timbre suffisam<strong>me</strong>nt opposé à son physique de séducteur pour déclencher l'hilarité chez le<br />
péquin moyen.<br />
Mais Ja<strong>ne</strong> <strong>ne</strong> se moqua <strong>pas</strong> de lui, loin de là. Quand bien mê<strong>me</strong> elle en aurait eu envie, elle<br />
était suffisam<strong>me</strong>nt profession<strong>ne</strong>lle et maîtresse d'elle-mê<strong>me</strong> pour s'abstenir de le faire. De<br />
plus, dans le cadre de ses attributions, il lui était arrivé de défendre des handicapés et ce<br />
n'était <strong>pas</strong> <strong>un</strong> sujet qu'elle prenait à la légère, du moins dans les prétoires.<br />
- Pourquoi devrais-je vous laisser tranquille ? <strong>Je</strong> n'ai <strong>pas</strong> le droit de vous dire et de vous<br />
montrer que vous <strong>me</strong> plaisez ? Rétorqua-t-elle.<br />
- Cessez de vous moquer de moi et de m'importu<strong>ne</strong>r ! S'emporta son interlocuteur.<br />
Il se leva et écarta les pans de son portefeuille. Il sortit deux billets de dix dollars et les<br />
déposa sur la table, achevant prématuré<strong>me</strong>nt son re<strong>pas</strong>. Il prit sa veste sous le bras et quitta la<br />
salle de restaurant précipitam<strong>me</strong>nt.<br />
- Eh ! Mais attendez ! S'exclama Ja<strong>ne</strong> en emboîtant son <strong>pas</strong>.<br />
- Mademoiselle ! Fit <strong>un</strong> serveur portant moustache et sombrero, en se plaçant en travers de<br />
son chemin. Il faudrait peut-être régler son re<strong>pas</strong> avant de se faire la malle !<br />
Il avait raison. Elle <strong>ne</strong> devait <strong>pas</strong> risquer la prison pour <strong>un</strong> <strong>me</strong>c à qui elle n'avait <strong>pas</strong> extirpé la<br />
moindre réaction en le chatouillant aux endroits sensibles et qui se dérobait à ses questions.<br />
Elle récupéra son sac à main, envoya cinquante dollars en travers la tronche du serveur sans<br />
attendre qu'il lui retour<strong>ne</strong> la monnaie. C'était bien le cadet de ses soucis. L'urgence du jour<br />
consistait à découvrir le pourquoi et le com<strong>me</strong>nt d'<strong>un</strong> mystère de la nature. Elle avait<br />
l'intention de suivre son bellâtre et lui faire cracher son secret, à défaut de lui faire cracher<br />
autre chose si cet hom<strong>me</strong> était dépourvu de petit oiseau. Elle trouverait !<br />
Elle se rua hors du restaurant, les yeux aux aguets, balayant les rares silhouettes déambulant à<br />
cette heure avancée de la nuit dans ce quartier populaire du Queen's. Elle découvrit sa cible<br />
en quelques secondes, aisé<strong>me</strong>nt identifiable grâce à sa stature athlétique.<br />
- Eh ! Attendez-moi ! Ne fuyez <strong>pas</strong>, je veux juste vous parler ! Cria Ja<strong>ne</strong> à l'attention de<br />
l'hom<strong>me</strong> aux yeux océan.<br />
Il se détourna et la repéra. Malgré la pénombre percée par les maigres éclairages publics, il la<br />
reconnut immédiate<strong>me</strong>nt. Il prit ombrage et accéléra le <strong>pas</strong>. Elle <strong>ne</strong> se laissa point<br />
décrampon<strong>ne</strong>r et entama <strong>un</strong> sprint pour se porter à sa hauteur.<br />
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<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
- Mais vous allez <strong>me</strong> poursuivre de vos assiduités com<strong>me</strong> ça encore longtemps ? S'étonna-t-il<br />
avec agace<strong>me</strong>nt, renforçant le timbre aigrelet de sa voix chahutée.<br />
- Ecoutez ! <strong>Je</strong> veux juste vous poser quelques questions. C'est tout !<br />
- <strong>Je</strong> <strong>ne</strong> veux <strong>pas</strong> y répondre ! S'emporta l'hom<strong>me</strong> à la veste. <strong>Je</strong> les connais par cœur, vos<br />
questions ! Toutes les fem<strong>me</strong>s <strong>me</strong> les posent sans cesse ! Laissez-moi !<br />
Elle l'accrocha par le bras pour le forcer à stopper et à l'écouter. Mais il se débattit et traversa<br />
brusque<strong>me</strong>nt la rue sans prendre garde à la circulation.<br />
Tout se <strong>pas</strong>sa à u<strong>ne</strong> vitesse vertigi<strong>ne</strong>use. <strong>Un</strong>e grosse berli<strong>ne</strong> arrivait par la gauche, à vive<br />
allure, et s'apprêtait à percuter l'hom<strong>me</strong>. Ja<strong>ne</strong> avait les moyens de le pousser en avant et de<br />
lui éviter le choc. Elle décida en u<strong>ne</strong> fraction de seconde et se jeta sur lui, le percutant com<strong>me</strong><br />
<strong>un</strong> rugbyman, le projetant <strong>un</strong> mètre plus loin, ce qui suffisait pour éviter le pire. Le parechocs<br />
s'enfonça brutale<strong>me</strong>nt dans ses jambes, le reste de son corps s'abattit sur le capot et sa<br />
tête alla embrasser le pare-brise de l'automobile. La violence de l'accident la fit s'envoler audessus<br />
de l'engin, culbutant le toit et le coffre à u<strong>ne</strong> reprise. Elle s'écrasa au sol après <strong>un</strong><br />
rebond achevant de la disloquer. Le conducteur freina à mort et stoppa sa voiture. Il se rua<br />
au-dehors, au secours de Ja<strong>ne</strong>. Il hurla à l'aide en découvrant que sa conduite d<strong>ange</strong>reuse<br />
venait d'allonger la longue liste des victi<strong>me</strong>s de la route. L'inconnu de type <strong>me</strong>xicain aux yeux<br />
océan avait disparu. Ja<strong>ne</strong> gisait dans u<strong>ne</strong> mare de sang, le corps en miettes.<br />
* *<br />
*<br />
Lorsque Ja<strong>ne</strong> ouvrit les yeux, elle découvrit <strong>un</strong> visage peu plaisant mais inhabituel. Les lieux<br />
<strong>ne</strong> lui étaient <strong>pas</strong> inconnus puisqu'il s'agissait du quartier du Queen's où elle dînait quelques<br />
minutes plus tôt. Lente<strong>me</strong>nt, les élé<strong>me</strong>nts du <strong>pas</strong>sé se rassemblèrent dans sa mémoire<br />
chancelante. Le dî<strong>ne</strong>r dans le restaurant <strong>me</strong>xicain, l'inconnu, la scè<strong>ne</strong> des toilettes, la course<br />
poursuite, l'accident et puis plus rien. Les évé<strong>ne</strong><strong>me</strong>nts <strong>ne</strong> dataient <strong>pas</strong> de cent sept ans<br />
puisque la fée électricité animait encore les vitri<strong>ne</strong>s des magasins du voisinage. Tout semblait<br />
normal, hormis <strong>un</strong> attroupe<strong>me</strong>nt sur le trottoir d'à-côté et ce drôle de personnage qui la fixait<br />
intensé<strong>me</strong>nt.<br />
L'accident… Curieux com<strong>me</strong> elle se sentait bien, pour u<strong>ne</strong> person<strong>ne</strong> qui venait de se payer<br />
u<strong>ne</strong> bagnole en plei<strong>ne</strong> tronche ! Le personnage… Qui était-il et que faisait-il ici ? Pourquoi<br />
éprouvait-elle <strong>un</strong> senti<strong>me</strong>nt étr<strong>ange</strong> vis à vis de lui ? L'impression de le connaître <strong>un</strong> peu, de<br />
l'avoir déjà rencontré quelque part, u<strong>ne</strong> vision fugace le concernant. Etait-ce <strong>un</strong> client ? Ou<br />
pire, <strong>un</strong> adversaire qu'elle avait envoyé en prison ? La prison… Ce type-là avait la tête d'<strong>un</strong><br />
gars qui sort de taule.<br />
- Salut ! Démarra-t-il brusque<strong>me</strong>nt, prouvant qu'il avait u<strong>ne</strong> voix et l'intention de s'en servir.<br />
Si la tonalité n'avait plus rien à voir avec celle, affligeante, du beau br<strong>un</strong> aux yeux bleus, le<br />
timbre était cependant familier. Com<strong>me</strong> s'il s'agissait de la voix d'<strong>un</strong> animateur radio qu'elle
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
aurait entendu chaque matin, au volant de sa Porsche, sans jamais l'identifier précisé<strong>me</strong>nt, ni<br />
<strong>me</strong>ttre <strong>un</strong> visage sur ces paroles.<br />
- Salut ! Répondit-elle poli<strong>me</strong>nt en singeant ses mots.<br />
- Tu <strong>me</strong> reconnais ? Demanda le maigrelet personnage, aux joues creuses et au poil rare.<br />
- Pas du tout ! Fit l'avocate. Cela dit, votre voix <strong>me</strong> semble plus ou moins familière !<br />
- Ouais… Plus ou moins. Plutôt moins que plus, com<strong>me</strong>nta le bonhom<strong>me</strong>. Bon ! <strong>Je</strong> vais<br />
éclairer ta lanter<strong>ne</strong>. <strong>Je</strong> m'appelle I<strong>ne</strong>. Ange I<strong>ne</strong>.<br />
La présentation teintée de patrony<strong>me</strong> humoristique fit sourire Ja<strong>ne</strong>. Ange I<strong>ne</strong> désapprouva en<br />
la sermonnant :<br />
- Il va falloir t'y faire. Là d'où je viens, tout le monde porte des noms de ce genre.<br />
- Vous <strong>ne</strong> devez <strong>pas</strong> vous marrer tous les jours, ajouta Ja<strong>ne</strong>, au bord de la crise de lar<strong>me</strong>s de<br />
joie.<br />
- En effet. Surtout depuis ces <strong>me</strong>urtres.<br />
- Des <strong>me</strong>urtres ? Quels <strong>me</strong>urtres ? Interrogea Ja<strong>ne</strong>, l'avocate som<strong>me</strong>illant en elle se réveillant<br />
brusque<strong>me</strong>nt, instinctive<strong>me</strong>nt.<br />
- Douce<strong>me</strong>nt, douce<strong>me</strong>nt ! Com<strong>me</strong>nçons par le com<strong>me</strong>nce<strong>me</strong>nt. <strong>Je</strong> te disais donc que je<br />
m'appelle Ange I<strong>ne</strong>. <strong>Je</strong> suis ton <strong>ange</strong> gardien.<br />
- Mon quoi ? S'esclaffa Ja<strong>ne</strong>. C'est u<strong>ne</strong> plaisanterie, j'espère ?<br />
- Oh non ! Malheureuse<strong>me</strong>nt…<br />
- Malheureuse<strong>me</strong>nt ? Pourquoi ?<br />
- Tu n'es <strong>pas</strong> à propre<strong>me</strong>nt parler ce que j'appellerais u<strong>ne</strong> cliente facile ! Au contraire ! Si ma<br />
voix te semble aussi peu familière, c'est parce que bien souvent j'ai échoué à te faire entendre<br />
raison. Tu es si… dépravée que mon expérience longue de plusieurs millénaires <strong>ne</strong> m'est<br />
d'auc<strong>un</strong> secours face à tes diableries, tes vices retors, ta veulerie, ta débauche, ta…<br />
- Oh ! J'en ai assez entendu com<strong>me</strong> ça, l'ivrog<strong>ne</strong> ! Passez votre chemin et cessez de<br />
m'importu<strong>ne</strong>r !<br />
- <strong>Je</strong> <strong>ne</strong> crois <strong>pas</strong> que…<br />
- Vous <strong>ne</strong> m'avez <strong>pas</strong> bien comprise, je crois ! Voulez-vous que j'appelle <strong>un</strong> policier et qu'il<br />
vous embarque au poste pour le reste de la nuit ?<br />
- <strong>Je</strong> voudrais bien voir ça ! Ricana genti<strong>me</strong>nt Ange I<strong>ne</strong>.<br />
Voyant Ja<strong>ne</strong> chercher son télépho<strong>ne</strong> portable tout autour d'elle, il lui indiqua :<br />
- Il est là-bas. Derrière l'attroupe<strong>me</strong>nt de badauds.<br />
Elle fonça récupérer ses effets person<strong>ne</strong>ls dans la direction précisée par Ange I<strong>ne</strong>. A sa<br />
grande stupéfaction, elle n'eut <strong>pas</strong> besoin de fendre la foule compacte. Elle <strong>pas</strong>sa directe<strong>me</strong>nt<br />
à travers des dizai<strong>ne</strong>s de corps en poussant <strong>un</strong> long hurle<strong>me</strong>nt de terreur. La frayeur due à la<br />
sensation de frôle<strong>me</strong>nt sans heurt se renforça en découvrant la scè<strong>ne</strong> à laquelle tous les<br />
lecteurs s'attendent : la vision de son propre corps, en piteux état, baignant dans le sang. Il<br />
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<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
était cerné par u<strong>ne</strong> nuée de personnages avides de sensations fortes, excitée par la vue du<br />
sang, com<strong>me</strong> ces terrifiants requins de Floride, d'Australie ou d'Afrique du Sud.<br />
- Non ! Hurla-t-elle sans que person<strong>ne</strong>, hormis Ange I<strong>ne</strong>, <strong>ne</strong> soit en <strong>me</strong>sure de percevoir ses<br />
cris. Non ! Non !<br />
Elle avait beau nier l'évidence, elle était morte. Le visage transfiguré par la révélation de la<br />
vérité toute crue, elle se tourna vers Ange I<strong>ne</strong>, seul être capable de discer<strong>ne</strong>r sa présence dans<br />
ce monde de dingues.<br />
- Eh oui ! Tu viens de comprendre. Tu es décédée et je suis vrai<strong>me</strong>nt ton <strong>ange</strong> gardien.<br />
- Bon sang ! J'ai suivi ce type et…<br />
- Et tu t'es jetée pour lui sauver la vie.<br />
- Oui… Mais j'ai perdu la mien<strong>ne</strong> au <strong>pas</strong>sage !<br />
- Pas sûr…<br />
- Quoi ? S'exclama l'avocate, prête à rebondir sur la moindre trace d'espoir. Que voulez-vous<br />
dire ?<br />
- N'as-tu rien remarqué à propos de la réalité humai<strong>ne</strong> qui nous entoure ? Observe et dis-moi<br />
si quelque chose <strong>ne</strong> t'intrigue <strong>pas</strong> ?<br />
Ja<strong>ne</strong> se fia à son instinct d'enquêtrice et à son don d'observation, tous deux inhérents à sa<br />
fonction d'avocate. Il faisait nuit, les réverbères fonctionnaient, le silence régnait. Le silence.<br />
Il était si absolu ! Pas le moindre bruit lointain de flots de véhicules, <strong>pas</strong> la moindre pétarade<br />
de motocyclette, <strong>pas</strong> le moindre vol de nuit survolant le Queen’s. Rien. Tout était figé, y<br />
compris les protagonistes humains de la scè<strong>ne</strong>. Rien <strong>ne</strong> bougeait.<br />
- Tout est figé, nota-t-elle avec discer<strong>ne</strong><strong>me</strong>nt.<br />
- Exact ! Admit Ange I<strong>ne</strong>. Pourquoi ?<br />
- <strong>Je</strong> l'ignore. Le temps, peut-être !<br />
- Le temps ? Que suggères-tu ?<br />
- Il <strong>ne</strong> s'écoule <strong>pas</strong> à la mê<strong>me</strong> vitesse pour vous et moi que pour les autres.<br />
- Double<strong>me</strong>nt exact ! <strong>Un</strong>e heure terrestre <strong>vaut</strong> u<strong>ne</strong> semai<strong>ne</strong> au pa<strong>radis</strong>.<br />
- Ah ? Le pa<strong>radis</strong> ? Pourquoi parlez-vous du pa<strong>radis</strong> ?<br />
- Parce que nous y allons.<br />
- Moi ? Au pa<strong>radis</strong> ? C'est u<strong>ne</strong> plaisanterie ! Vous n'avez <strong>pas</strong> de critères de sélection plus<br />
sérieux que nous pour élire nos présidents ?<br />
- Disons que c'est… spécial ! Allez ! <strong>Je</strong> t'explique en quelques mots, je serai débarrassé !<br />
Depuis peu, des <strong>me</strong>urtres ont eu lieu au pa<strong>radis</strong>. Eh oui ! Chez nous aussi, la criminalité est<br />
en hausse. Certai<strong>ne</strong>s mauvaises langues affir<strong>me</strong>nt que lorsqu'on abolit la pei<strong>ne</strong> de mort, la<br />
criminalité galope de plus en plus vite. C'est vrai puisque nous avons la vie éter<strong>ne</strong>lle ! Enfin…<br />
Bref ! Deux <strong>ange</strong>s et <strong>un</strong> saint ont péri. Là-haut, person<strong>ne</strong> n'est qualifié pour <strong>me</strong><strong>ne</strong>r u<strong>ne</strong><br />
investigation dig<strong>ne</strong> de ce nom. Tous les bons enquêteurs sont en enfer et aucu<strong>ne</strong> venue<br />
n'était prévue dans les mois à venir. Alors, on m'a chargé de te… recruter.<br />
- Me recruter ?
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
- Oui… Hum… Enfin… Ils savaient, là-haut, que tu étais la <strong>me</strong>illeure dans ton domai<strong>ne</strong> et<br />
que tu aurais les capacités suffisantes pour démêler cet imbroglio i<strong>ne</strong>xtricable pour nous,<br />
<strong>ange</strong>s purs et saints innocents.<br />
- Mais alors… <strong>Je</strong> <strong>ne</strong> suis <strong>pas</strong> morte par hasard ?<br />
- Non…<br />
- Le bel hidalgo après qui j'ai couru et dont j'ai sauvé la vie, c'était toi déguisé en bellâtre ! J'ai<br />
sauvé la vie d'u<strong>ne</strong> person<strong>ne</strong> qui <strong>ne</strong> peut <strong>pas</strong> la perdre !<br />
- Oui.<br />
- Mais tu m'as entubé en profondeur, saligaud ! <strong>Je</strong> vais t'arracher le reste des plu<strong>me</strong>s de ta<br />
misérable carcasse et te les faire bouffer ! S'emporta Ja<strong>ne</strong> en le <strong>me</strong>naçant du doigt.<br />
- Attends ! Attends ! Tu as u<strong>ne</strong> semai<strong>ne</strong> pour réussir. Ensuite, le Seig<strong>ne</strong>ur te réintègre dans<br />
ton corps, il te ressuscite et le tour est joué. Tu peux lui faire confiance, il est super doué<br />
pour ressusciter les morts. Il a de l'entraî<strong>ne</strong><strong>me</strong>nt, ce n'est <strong>pas</strong> com<strong>me</strong> s'il <strong>ne</strong> l'avait jamais fait !<br />
- Quoi ? Que se <strong>pas</strong>sera-t-il s'il <strong>me</strong> faut plus d'u<strong>ne</strong> semai<strong>ne</strong> pour réussir ?<br />
- Ce n'est <strong>pas</strong> possible… Ton corps aura <strong>pas</strong>sé la date de péremption. <strong>Un</strong>e heure terrestre,<br />
c'est tout ce qu'il peut faire. Après, il va pourrir. D'autant plus que tu l'as mal<strong>me</strong>né, si tu veux<br />
mon avis.<br />
- <strong>Je</strong> n'en ai <strong>pas</strong> besoin, répliqua l'avocate, excédée par ses révélations à tiroirs.<br />
- <strong>Je</strong> sais.<br />
- Com<strong>me</strong>nt ça ?<br />
- Tu <strong>ne</strong> m'as jamais écouté. Tu es plus têtue qu'u<strong>ne</strong> mule. Par ta faute, j'ai sombré dans u<strong>ne</strong><br />
dépression et Ange Enétique, notre bon docteur, a dû <strong>me</strong> prescrire des anticyclo<strong>ne</strong>s pour <strong>me</strong><br />
<strong>ne</strong>ttoyer l'esprit.<br />
- <strong>Je</strong> <strong>ne</strong> comprends rien à ton charabia ! <strong>Je</strong> vais te coller <strong>un</strong> procès en bon<strong>ne</strong> et due for<strong>me</strong> et te<br />
faire condam<strong>ne</strong>r à la chaise électrique !<br />
Ange I<strong>ne</strong> éclata de rire.<br />
- <strong>Je</strong> suis déjà mort.<br />
- Bon ! Se ravisa l'avocate, incapable d'user des voies légales. Si je comprends bien, je n'ai <strong>pas</strong><br />
le choix ! <strong>Je</strong> monte au pa<strong>radis</strong> avec toi pour <strong>me</strong><strong>ne</strong>r l'enquête, je boucle le tout en moins d'u<strong>ne</strong><br />
semai<strong>ne</strong> et vous <strong>me</strong> re<strong>me</strong>ttez dans mon enveloppe corporelle en bouillie.<br />
- Dieu la réparera. Il fera <strong>un</strong> miracle.<br />
- Ouais… Dis donc ! <strong>Un</strong>e question : cela n'aurait été plus simple de <strong>me</strong> demander d'enquêter<br />
sans toute cette mise en scè<strong>ne</strong> ?<br />
- Nous n'avons <strong>pas</strong> le droit d'entrer en contact direct avec les humains, sous notre for<strong>me</strong><br />
d'<strong>ange</strong>. C'est interdit.<br />
- <strong>Je</strong> vois. Secret défense, en quelque sorte. Tu m'as bien eue… Bon ! Le temps <strong>pas</strong>se, je te<br />
signale ! J'ai moins d'u<strong>ne</strong> semai<strong>ne</strong> avant de finir en rat de laboratoire pour étudiants en<br />
médeci<strong>ne</strong>.<br />
- Quoi ?<br />
- J'ai largué mon corps à la science, en espérant servir de cobaye pour les apprentis docteurs.<br />
- C'est <strong>un</strong> geste généreux de ta part, compli<strong>me</strong>nta Ange I<strong>ne</strong>.<br />
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<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
- Ne te fais <strong>pas</strong> d'illusions sur ma prétendue bonté, mon <strong>ange</strong> ! Mon geste suivait u<strong>ne</strong> logique<br />
bien à moi. En offrant mon corps aux scalpels des apprentis toubibs, j'espérais seule<strong>me</strong>nt les<br />
faire bander pendant qu'il <strong>me</strong> materait complète<strong>me</strong>nt froide pour la première fois de ma vie,<br />
lâcha Ja<strong>ne</strong> en éclatant de rire.<br />
- Oh ! Fit Ange I<strong>ne</strong> en se signant plusieurs fois, réprimant les pensées horrible<strong>me</strong>nt<br />
libidi<strong>ne</strong>uses de cette adoratrice des coutu<strong>me</strong>s de Satan.<br />
Il s'éleva dans les airs et ouvrit le t<strong>un</strong><strong>ne</strong>l de lumière immaculée <strong>me</strong>nant au pa<strong>radis</strong>. La voie<br />
avait été mise aux nor<strong>me</strong>s de sécurité depuis que ces crétins d'humains avaient démontré<br />
qu'u<strong>ne</strong> conduite d<strong>ange</strong>reuse, le non-respect des distances et des charge<strong>me</strong>nts haute<strong>me</strong>nt<br />
explosifs étaient suffisants pour provoquer le pire des cauchemars sous le t<strong>un</strong><strong>ne</strong>l du Mont<br />
Blanc.<br />
- Oh ! Douce<strong>me</strong>nt, se plaignit Ja<strong>ne</strong>. <strong>Je</strong> fais ça pour la première fois !<br />
Elle éprouvait les pires difficultés à s'engager dans le t<strong>un</strong><strong>ne</strong>l, à prendre de l'altitude et à <strong>ne</strong> <strong>pas</strong><br />
se cog<strong>ne</strong>r le long des parois.<br />
- Aïe ! Se la<strong>me</strong>nta-t-elle à plusieurs reprises. <strong>Je</strong> n'arrête <strong>pas</strong> de <strong>me</strong> cog<strong>ne</strong>r !<br />
- C'est normal ! Meilleure est l'â<strong>me</strong>, <strong>me</strong>illeur est le vol. L'é<strong>ne</strong>rgie bénéfique est le seul moteur<br />
capable de mouvoir les â<strong>me</strong>s.<br />
- Il va falloir <strong>me</strong> trouver <strong>un</strong> autre mode de transport ! <strong>Je</strong> n'ai <strong>pas</strong> l'intention de transgresser le<br />
code de conduite à chaque carrefour.<br />
- Nous verrons ça à notre arrivée là-haut.<br />
Ja<strong>ne</strong> peina à grimper dans les nuages et se découragea véritable<strong>me</strong>nt lorsqu'elle découvrit u<strong>ne</strong><br />
im<strong>me</strong>nse file d'attente d'â<strong>me</strong>s. Elle n'avait <strong>pas</strong> pris garde à ces milliers de lucioles convergeant<br />
vers <strong>un</strong> point <strong>un</strong>ique des cieux, à la beauté encore plus irréelle et plus émouvante de ce<br />
spectacle se déroulant dans la nuit terrestre. Elle se contentait de râler face aux heures de<br />
patience dont elle devrait faire preuve pour atteindre le but qu'on lui avait fixé d'autorité.<br />
- Chouette ! <strong>Un</strong> embouteillage ! Com<strong>me</strong> tous les jours à Manhattan ! Dis donc, ajouta-t-elle à<br />
l'attention d'Ange I<strong>ne</strong>, je vois que le royau<strong>me</strong> de Dieu n'est <strong>pas</strong> aussi parfait qu'on le croit !<br />
- Non, non. Ne te méprends <strong>pas</strong> ! Cette file sert à aboutir au centre de tri. Là, saint Innocent,<br />
le plus qualifié pour cette tâche, entreprend de diriger les â<strong>me</strong>s pures vers l'Eden, les â<strong>me</strong>s en<br />
pei<strong>ne</strong> vers le purgatoire et les â<strong>me</strong>s noires vers l'Enfer.<br />
- Non ? <strong>Je</strong> suis cuite ! Si tu veux que j'enquête, il va falloir éviter le portail de sécurité ! Il va<br />
hurler de <strong>me</strong> balancer chez Satan. De toutes les façons, <strong>un</strong> jour où j'avais trop picolé, j'ai<br />
promis mon â<strong>me</strong> au diable. <strong>Je</strong> suis foutue ! Il a u<strong>ne</strong> option dessus.<br />
- <strong>Je</strong> sais, je suis au courant.<br />
- Ah bon ?<br />
- <strong>Je</strong> t'ai suivie toute ta vie.<br />
- Ah ! Comprit Ja<strong>ne</strong>. Com<strong>me</strong>nt procède-t-on ?<br />
- J'ai u<strong>ne</strong> dérogation.
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
- Ah ? Alors, c'est piston et compagnie, ici aussi ?<br />
Ange I<strong>ne</strong> <strong>ne</strong> répondit <strong>pas</strong> à la remarque désobligeante. Il invita Ja<strong>ne</strong> à le suivre sur u<strong>ne</strong> voie<br />
détournée, genre issue cadenassée réservée aux dépan<strong>ne</strong>uses sur l'autoroute. Chemin faisant,<br />
Ja<strong>ne</strong> essaya d'en savoir <strong>un</strong> peu plus sur le pa<strong>radis</strong>.<br />
- C'est com<strong>me</strong>nt, le pa<strong>radis</strong> ?<br />
- Parfait, répondit Ange I<strong>ne</strong>.<br />
- Mais encore ? Vous avez des distractions ?<br />
- Bien sûr !<br />
- La télé ?<br />
- Pa<strong>radis</strong> Tv.<br />
- C'est tout ?<br />
- C'est suffisant.<br />
- <strong>Un</strong>e seule chaî<strong>ne</strong>, c'est chiant ! C'est mortel ! Vous avez la radio ?<br />
- Oui.<br />
- Laisse-moi devi<strong>ne</strong>r… Radio Pa<strong>radis</strong>.<br />
- Tu es prodigieuse !<br />
- Facile à devi<strong>ne</strong>r ! Ils <strong>pas</strong>sent quoi, en ce mo<strong>me</strong>nt, sur radio Pa<strong>radis</strong> ?<br />
- Des cantiques et des chants grégoriens ! C'est super, hein ?<br />
- Oh putain ! Râla Ja<strong>ne</strong>, désespérée par ces nouvelles révélations. <strong>Je</strong> sens que les soirées vont<br />
être longues, mais longues !<br />
Son <strong>ange</strong> gardien n'accorda <strong>pas</strong> la moindre attention à ses jérémiades à répétition. Il avait<br />
d'autres soucis. Dans quelques dizai<strong>ne</strong>s de minutes, après s'être occupé des formalités<br />
administratives, il devrait expliquer à Dieu et ses assistants par quel subterfuge il avait réussi à<br />
a<strong>me</strong><strong>ne</strong>r mademoiselle April sur les lieux de l'enquête. Il n'avait <strong>pas</strong> vrai<strong>me</strong>nt fait dans la<br />
dentelle, dans le politique<strong>me</strong>nt correct. Ja<strong>ne</strong> <strong>ne</strong> manquerait certai<strong>ne</strong><strong>me</strong>nt <strong>pas</strong> de l'épingler au<br />
<strong>pas</strong>sage. Cette histoire risquait fort de lui coûter ses ailes et sa retraite. Autant s'arracher les<br />
rares plu<strong>me</strong>s qui lui restaient et s'en planter u<strong>ne</strong> dans le trou de balle pour en finir !<br />
* *<br />
*<br />
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<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
La jeu<strong>ne</strong> fem<strong>me</strong>, au compte bancaire garni, au corps de rêve et aux envies sans limite,<br />
craquait régulière<strong>me</strong>nt pour le shopping. Rares étaient les week-ends où elle <strong>ne</strong> s'adonnait <strong>pas</strong><br />
à l'<strong>un</strong> de ses vices dominants : acheter de manière compulsive. Seule<strong>me</strong>nt, mademoiselle<br />
April était loin de se douter qu'<strong>un</strong> jour, elle <strong>pas</strong>serait autant de temps dans <strong>un</strong> magasin aussi<br />
curieux que celui où elle se trouvait depuis u<strong>ne</strong> demi-heure, à essayer des paires d'ailes d'<strong>ange</strong>.<br />
Com<strong>me</strong> la gentillesse, la bonté, l'amour, les senti<strong>me</strong>nts positifs servaient à propulser les â<strong>me</strong>s<br />
au pa<strong>radis</strong>, Ja<strong>ne</strong>, pourrie com<strong>me</strong> <strong>un</strong> ministre de république bananière, faisait du sur-place.<br />
Ange I<strong>ne</strong> se l'était coltinée jusqu'au magasin d'ailes <strong>ne</strong>uves et d'occasion, suant sang et eau<br />
pour soulever cette â<strong>me</strong> lourde de péchés graves et jamais absolus depuis sa première<br />
comm<strong>un</strong>ion.<br />
- Essayez celles-ci ! Proposa le tenancier de l'échoppe.<br />
- Vous n'avez rien de plus sexy ? Minauda Ja<strong>ne</strong>.<br />
Ange I<strong>ne</strong> se prit la tête en les ailes et les mains, désespéré par <strong>un</strong> tel amoncelle<strong>me</strong>nt de<br />
corruption et de mauvaises pensées.<br />
- Ben, fit le vendeur, si vous voulez de l'exotique, des ailes en autruche, il faut aller chez Inès<br />
de la Fresse Ange. Elle fait de la haute couture, cette demoiselle.<br />
- Nous n'avons <strong>pas</strong> le temps, objecta Ange I<strong>ne</strong>. Choisis et finissons-en !<br />
- OK ! OK ! Admit Ja<strong>ne</strong>.<br />
- <strong>Je</strong> crois que j'ai ce qu'il vous faut ! Coupa l'<strong>ange</strong> vendeur d'ailes, u<strong>ne</strong> lueur de malice dans les<br />
yeux.<br />
Il se dirigea vers le fond du magasin et revint les bras chargés d'ailes très aérodynamiques,<br />
très effilées. Elles étaient blanches, bien entendu mais Ja<strong>ne</strong> jurerait qu'<strong>un</strong> reflet rouge lui<br />
faisait clig<strong>ne</strong>r les yeux lorsqu'elle les observait sous <strong>un</strong> angle précis.<br />
- Elles sont d'occasion mais elles ont appartenu à l'<strong>ange</strong> des circuits, l'as des as en person<strong>ne</strong> :<br />
Juan Manuel Fangio.<br />
Ja<strong>ne</strong> endossa la tenue et éprouva immédiate<strong>me</strong>nt u<strong>ne</strong> sensation de bien-être, com<strong>me</strong> si l'â<strong>me</strong><br />
du plus célèbre pilote argentin, du plus célèbre pilote tout court, habitait encore ce costu<strong>me</strong>.<br />
"Le reflet rouge… <strong>Je</strong> n'ai <strong>pas</strong> rêvé !" Songea Ja<strong>ne</strong>.<br />
Le reflet rouge de la Scuderia Ferrari avait suivi jusqu'au pa<strong>radis</strong>.<br />
- Essayer, c'est les adopter ! <strong>Je</strong> les prends ! Conclut l'avocate.
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
Le vendeur poussa <strong>un</strong> soupir de soulage<strong>me</strong>nt. Il n'avait <strong>pas</strong> eu souvent l'occasion de servir<br />
u<strong>ne</strong> cliente aussi difficile et exigeante que mademoiselle April. Il priait simple<strong>me</strong>nt le ciel<br />
qu'elle fasse <strong>un</strong> bon usage de ces ailes spéciales, faites pour la pointe de vitesse, agiles, vives,<br />
bref : des ailes de compétition. Aux ailes, il ajouta le paquetage régle<strong>me</strong>ntaire du nouvel<br />
arrivant : des aubes blanches de rech<strong>ange</strong>, du fard pour avoir les joues roses, <strong>un</strong> chapelet (de<br />
saucisses ?) pour réciter ses prières, <strong>un</strong> <strong>livre</strong> d'histoire (la Bible) et <strong>un</strong> <strong>livre</strong> d'histoires drôles<br />
épais com<strong>me</strong> du papier à cigarette (vu que l'éditeur éliminait les blagues racistes, celles sur les<br />
blondes, la religion, la mort, le monde médical (voir chapitre sur la mort), les catégories<br />
socioprofession<strong>ne</strong>lles, le sport, etc…). Ja<strong>ne</strong> se décomposa littérale<strong>me</strong>nt à la vue de ces<br />
maigres effets. Bah ! Après tout, dans u<strong>ne</strong> semai<strong>ne</strong>, elle réintégrerait son corps ou elle irait<br />
rendre visite à Satan. Dans les deux cas, elle serait libre de s'adon<strong>ne</strong>r au vice et à la luxure.<br />
* *<br />
*<br />
Chemin faisant, Ange I<strong>ne</strong> exposait les rudi<strong>me</strong>nts du fonction<strong>ne</strong><strong>me</strong>nt de la société<br />
pa<strong>radis</strong>iaque. L'architecture du pa<strong>radis</strong> amusait quelque peu Ja<strong>ne</strong>. Les bâti<strong>me</strong>nts prenaient des<br />
for<strong>me</strong>s variées mais la matière première, le nuage, <strong>ne</strong> variait guère. Finale<strong>me</strong>nt, avec tous ces<br />
objets courants com<strong>me</strong> les nuages de transport, les routes nuageuses, les signalisations, tout<br />
ce qui faisait la vie terrestre se retrouvait grande<strong>me</strong>nt au pa<strong>radis</strong>. Seul l'aspect de ce monde<br />
ch<strong>ange</strong>ait ; il brillait de mille éclats mais n'affichait <strong>pas</strong> de couleurs vives. Au mieux, quelques<br />
<strong>pas</strong>tels…<br />
Ja<strong>ne</strong> remarqua qu'il y avait de nombreuses échoppes, aussi variées que sur Terre, peut-être<br />
simple<strong>me</strong>nt moins bien achalandées. Cependant, <strong>un</strong> grand nombre avait baissé les rideaux.<br />
Le détail chiffonna l'avocate. Elle coupa Ange I<strong>ne</strong>, en train de lui débiter les mille<br />
commande<strong>me</strong>nts de Dieu (eh oui ! Depuis l'invention des avocats et leur détestable habitude<br />
de chercher ce qui n'est <strong>pas</strong> écrit, Dieu avait ajouté de nombreux a<strong>me</strong>nde<strong>me</strong>nts à ses textes<br />
de loi !) :<br />
- Dis donc ! Pourquoi y a-t-il autant de magasins fermés ? Nous <strong>ne</strong> som<strong>me</strong>s <strong>pas</strong> dimanche.<br />
- C'est vrai. C'est la crise. Nous manquons de clients.<br />
- De "clients" ?<br />
- D'â<strong>me</strong>s dig<strong>ne</strong>s d'entrer au pa<strong>radis</strong>. Notre monde est composé de Dieu et sa famille, des<br />
saints reconnaissables à leurs auréoles, d'<strong>ange</strong>s résidents au pa<strong>radis</strong> et assurant des services<br />
locaux, et enfin d'â<strong>me</strong>s ayant gagné le droit de cité au pa<strong>radis</strong>, après u<strong>ne</strong> vie exemplaire. Tu<br />
les reconnaîtras grâce à leur petite hélice placée au bas du dos, mue par la gentillesse.<br />
- Ah… lâcha Ja<strong>ne</strong>, consciente qu'elle n'en posséderait jamais.<br />
- Il y a égale<strong>me</strong>nt les <strong>ange</strong>s gardiens, com<strong>me</strong> moi. Nous som<strong>me</strong>s fatale<strong>me</strong>nt les plus<br />
nombreux puisque nous som<strong>me</strong>s en charge des êtres vivants. Il arrive souvent que des â<strong>me</strong>s<br />
pures soient promues <strong>ange</strong> gardien. Voire mê<strong>me</strong> <strong>ange</strong> tout court ! C'est le cas de Ange Enial.<br />
Tu le connais mieux sous le nom de Léonard de Vinci !<br />
- Sans blague ?<br />
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<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
- Vrai<strong>me</strong>nt. Com<strong>me</strong> quoi, rien n'est impossible. Enfin, il y a la distinction suprê<strong>me</strong> : la<br />
canonisation. Les saints sont tous d'anciens humains ayant eu u<strong>ne</strong> vie exemplaire. Enfin,<br />
normale<strong>me</strong>nt.<br />
- Que veux-tu dire ?<br />
- Eh bien… <strong>Je</strong> <strong>ne</strong> devrais <strong>pas</strong> dire cela mais certains saints ont été avantagés en raison de leur<br />
relation. Le plus célèbre d'entre eux, c'est saint <strong>Eric</strong>. Il est… particulier. C'est le conseiller<br />
spécial de Dieu.<br />
- Qu'a-t-il de particulier ? S'inquiéta Ja<strong>ne</strong> alors qu'ils approchaient du siège du gouver<strong>ne</strong><strong>me</strong>nt<br />
pa<strong>radis</strong>iaque.<br />
- Disons qu'il est… inattendu.<br />
Ja<strong>ne</strong> sourit à l'idée que le pa<strong>radis</strong> <strong>ne</strong> puisse <strong>pas</strong> être aussi parfait que les religieux, sur Terre, le<br />
laissaient entendre. De là à imagi<strong>ne</strong>r que des élé<strong>me</strong>nts subversifs pouvaient s'y introduire en<br />
toute illégalité, il n'y avait qu'<strong>un</strong> <strong>pas</strong>. Après tout, elle était la preuve vivante (NDLA : mais<br />
non ! Morte ! Elle est la preuve morte !) qu'u<strong>ne</strong> â<strong>me</strong> corrompue se pro<strong>me</strong>nait dans les allées<br />
et avenues pa<strong>radis</strong>iaques. Elle le bombarda de nouvelles questions :<br />
- Mais si Dieu existe, qu'en est-il d'Allah ?<br />
- Il existe aussi, bien sûr. Com<strong>me</strong> Bouddha. Et d'autres encore !<br />
- Ah bon ?<br />
- Dieu gère <strong>un</strong> <strong>un</strong>ivers de croyance, Allah en gère <strong>un</strong> autre. Chac<strong>un</strong> ses clients, bien sûr !<br />
- Tu m'en bouches <strong>un</strong> coin ! C'est com<strong>me</strong>nt chez Allah ?<br />
- <strong>Je</strong> <strong>ne</strong> sais <strong>pas</strong>. Saint <strong>Eric</strong> y est allé en stage. Nous faisons des éch<strong>ange</strong>s, des séminaires, pour<br />
apprendre, pour confronter nos idées et pour résoudre nos problè<strong>me</strong>s en partageant nos<br />
solutions, nos trucs et astuces.<br />
- Super ! Si c'était com<strong>me</strong> ça sur Terre…<br />
- Ce serait le pa<strong>radis</strong> ! <strong>Je</strong> sais ! Com<strong>me</strong>nta Ange I<strong>ne</strong>.<br />
Ils s'engouffrèrent bientôt dans le palais résidentiel de Dieu sans avoir omis de se sou<strong>me</strong>ttre<br />
au contrôle d'<strong>ange</strong>s gardiens, spécialistes de la fouille corporelle avec leurs mains : les Phall<br />
Anges.<br />
* *<br />
*<br />
L'entrevue avec Dieu et ses saints avait été instructive. Ange Ournal, le grand reporter de<br />
l'Eden, lui avait remis u<strong>ne</strong> copie du dossier qu'il avait établi pour les archives du pa<strong>radis</strong>. De<br />
plus, il lui avait relaté les faits en com<strong>me</strong>nçant par le com<strong>me</strong>nce<strong>me</strong>nt, à savoir : la mort<br />
d'Ange Aponais. Il avait poursuivi, la lar<strong>me</strong> à l'œil, avec Ange Au<strong>ne</strong> et saint Marc. Il s'était<br />
appliqué à <strong>ne</strong> relater que les faits, rien que les faits, en bon journaliste, ce que Ja<strong>ne</strong> avait<br />
apprécié. Ensuite, chac<strong>un</strong> y était allé de son petit com<strong>me</strong>ntaire : saint Pierre, saint Innocent,<br />
Ange Endar<strong>me</strong>, saint Thomas et quelques autres. En gros, auc<strong>un</strong> <strong>ne</strong> croyait aux assertions de<br />
Satan, tout le monde le soupçonnait d'avoir <strong>me</strong>nti à propos de son innocence dans cette<br />
affaire. Leur avis différait sur la méthode employée. Ja<strong>ne</strong> n'avait <strong>pas</strong> posé la moindre
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
question, à auc<strong>un</strong> mo<strong>me</strong>nt. Elle avait observé la joyeuse cacophonie collective, disséqué les<br />
réactions et les argu<strong>me</strong>nts des <strong>un</strong>s et des autres.<br />
Elle avait remarqué que Dieu, attristé, s'était tenu en retrait de la conversation, doutant<br />
presque que la venue de la jeu<strong>ne</strong> fem<strong>me</strong> <strong>ne</strong> ch<strong>ange</strong> quelque chose aux évé<strong>ne</strong><strong>me</strong>nts secouant<br />
le pa<strong>radis</strong>.<br />
<strong>Un</strong> autre être pa<strong>radis</strong>iaque s'était égale<strong>me</strong>nt muré dans le silence mais pour des raisons<br />
différentes. Saint <strong>Eric</strong>. Il observait, lui aussi, les débats sans y participer. Il jaugeait l'attitude<br />
volontaire<strong>me</strong>nt en retrait de Ja<strong>ne</strong> et <strong>ne</strong> s'y trompait <strong>pas</strong> : Dieu avait eu raison d'insister pour<br />
qu'elle vien<strong>ne</strong> enquêter. Cette fille-là <strong>ne</strong> s'arrêterait <strong>pas</strong> aux apparences souvent trompeuses.<br />
Lorsque Dieu l'avait invitée à se retirer pour enta<strong>me</strong>r son enquête, l'urgence de la situation le<br />
commandant, Ja<strong>ne</strong> avait demandé si elle pouvait bénéficier d'u<strong>ne</strong> aide perma<strong>ne</strong>nte pour<br />
conduire ses investigations, pour l'éclairer sur des sujets historiques, pour la <strong>me</strong><strong>ne</strong>r en des<br />
lieux précis. Dieu avait accédé à sa requête. Ange Enéalogie avait bombé le torse, pensant<br />
être le plus qualifié pour remplir cette fonction. Mais il avait déchanté lorsque l'avocate avait<br />
déclamé :<br />
- J'ai<strong>me</strong>rais que saint <strong>Eric</strong> m'accompag<strong>ne</strong>.<br />
Ce dernier avait émis <strong>un</strong> petit sourire en coin et hoché la tête en sig<strong>ne</strong> d'approbation. Il lui<br />
servirait de guide.<br />
En la guidant vers son nuage locatif, situé non loin de ses quartiers, donnant sur u<strong>ne</strong> avenue<br />
bourgeoise du pa<strong>radis</strong>, saint <strong>Eric</strong> l'avait questionnée sur les raisons de son choix.<br />
- Pourquoi m'avoir choisi, Ja<strong>ne</strong> ?<br />
- Allons, saint… Com<strong>me</strong>nt dois-je vous appeler ?<br />
- <strong>Eric</strong>, tout simple<strong>me</strong>nt. Pas de titre à placer en tête.<br />
- <strong>Eric</strong>… Vous savez bien pourquoi je vous ai choisi. Vous êtes resté au-dessus de la mêlée,<br />
au-dessus de la foire d'empoig<strong>ne</strong>. Vous jaugiez <strong>me</strong>s capacités. Vous avez les bases de recul et<br />
d'impartialité pour <strong>me</strong><strong>ne</strong>r des enquêtes. Vous avez de l'imaginaire, assez pour développer et<br />
éprouver des théories. Vous êtes l'assistant idéal.<br />
- Merci pour le compli<strong>me</strong>nt. Alors ? Avant d'atteindre vos quartiers, j'ai<strong>me</strong>rais connaître<br />
votre opinion sur le sujet.<br />
- Soyons factuels : deux <strong>ange</strong>s morts et <strong>un</strong> saint fondu ! Les trois travaillaient au service des<br />
transmissions des comm<strong>un</strong>ications télépathiques. A mon avis, il n'y a <strong>pas</strong> de hasard. Ils ont<br />
découvert quelque chose là-bas.<br />
- Quoi ?<br />
- <strong>Un</strong>e conversation secrète, u<strong>ne</strong> information vitale, u<strong>ne</strong> trace de corruption, <strong>un</strong> trafic, que<br />
sais-je ?<br />
- Com<strong>me</strong>nt procédons-nous ?<br />
- <strong>Un</strong>e visite s'impose au centre des télécomm<strong>un</strong>ications télépathiques, poursuivit Ja<strong>ne</strong>.<br />
- Ange Endar<strong>me</strong> a déjà tout inspecté.<br />
- Ange Endar<strong>me</strong> ? Vous l'avez écouté ? Il <strong>ne</strong> retrouverait <strong>pas</strong> son père dans <strong>un</strong> harem !<br />
53
54<br />
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
- Expression imagée de votre cru, j'en conviens ! Mais elle résu<strong>me</strong> assez bien les capacités de<br />
notre "spécialiste" de la sécurité.<br />
- C'est mon nuage locatif ? Demanda la jeu<strong>ne</strong> fem<strong>me</strong> en approchant d'<strong>un</strong> bâti<strong>me</strong>nt<br />
somptueux à la matière grisonnante.<br />
- Exact ! Répondit saint <strong>Eric</strong>.<br />
Ils s'engagèrent dans le hall d'entrée et quémandèrent l'aide du concierge. La plaque à l'entrée<br />
de sa loge indiquait qu'il se nommait : Ander Ange Ment (NDLA : en dér<strong>ange</strong><strong>me</strong>nt ! Mauvais<br />
présage pour le fonction<strong>ne</strong><strong>me</strong>nt de l'ascenseur). En attendant que l'<strong>ange</strong> en question récupère<br />
les clefs de l'apparte<strong>me</strong>nt de fonction et bouge les fesses de son fauteuil, occupé qu'il était à<br />
regarder Pa<strong>radis</strong> Tv, Ja<strong>ne</strong> inspecta le hall, battant légère<strong>me</strong>nt des ailes pour faire du sur-place.<br />
Elle jeta <strong>un</strong> coup d'œil aux boîtes aux lettres. Auc<strong>un</strong> nom <strong>ne</strong> figurait dessus. Etaient-elles là<br />
pour faire joli ? Son nom apparut au mo<strong>me</strong>nt où l'<strong>ange</strong> concierge lui remit le trousseau de<br />
clefs. Miracle de la technologie pa<strong>radis</strong>iaque !<br />
- Il n'y a <strong>pas</strong> d'autres locataires ? Lança-t-elle au concierge.<br />
- Non, vous serez toute seule, ma petite da<strong>me</strong> ! Vous pourrez <strong>me</strong>ttre la radio à fond, vous <strong>ne</strong><br />
risquez <strong>pas</strong> de gê<strong>ne</strong>r les voisins !<br />
Puis, profitant d'<strong>un</strong> mo<strong>me</strong>nt d'inattention de saint <strong>Eric</strong>, il lui susurra à l'oreille :<br />
- Si vous voulez, je peux vous avoir des trucs intéressants. Des chaî<strong>ne</strong>s de télé<br />
supplé<strong>me</strong>ntaires, par exemple. J'ai bricolé u<strong>ne</strong> con<strong>ne</strong>xion sur ParadiX. Cela vous tente ?<br />
Elle confirma d'<strong>un</strong> sig<strong>ne</strong> de la tête.<br />
"Ainsi, la corruption entre au pa<strong>radis</strong>. Cela <strong>ne</strong> fait <strong>pas</strong> du concierge le <strong>me</strong>urtrier mais cela<br />
prouve que le coupable peut aisé<strong>me</strong>nt se cacher au pa<strong>radis</strong>. J'ai la sensation qu'<strong>un</strong> truc<br />
monu<strong>me</strong>ntal se prépare…"<br />
Elle gagna son loge<strong>me</strong>nt en empr<strong>un</strong>tant <strong>un</strong> escalier aux marches coton<strong>ne</strong>uses, com<strong>me</strong> toutes<br />
les matières. Lorsque le concierge déverrouilla la porte de l'apparte<strong>me</strong>nt, elle découvrit u<strong>ne</strong><br />
surface et <strong>un</strong> luxe inouï. Elle avait la sensation que ce type de loft n'était <strong>pas</strong> réservé au<br />
quidam comm<strong>un</strong>.<br />
- C'est magnifique ! S'exclama-t-elle.<br />
- N'est-ce <strong>pas</strong> ? Fit <strong>Eric</strong>. Après tout, le pa<strong>radis</strong> n'est <strong>pas</strong> si mal, non ? Ajouta-t-il d'<strong>un</strong> air<br />
satisfait.<br />
- Pas mal, <strong>pas</strong> mal ! Modéra-t-elle fausse<strong>me</strong>nt.<br />
- Bon, ben, je vous laisse ! Dit le concierge en se retirant. J'ai du bricolage à faire ! Ajouta-t-il<br />
en adressant <strong>un</strong> clin d'œil à Ja<strong>ne</strong>.<br />
L'avocate entreprit <strong>un</strong> rapide tour des lieux et ouvrit toutes les fenêtres, histoire d'aérer et de<br />
chasser les senteurs de renfermé. Nulle â<strong>me</strong> n'avait élu domicile dans cet apparte<strong>me</strong>nt depuis
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
des lustres. La vue était somptueuse. Pa<strong>radis</strong> sur Cè<strong>ne</strong>, l'u<strong>ne</strong> des cités les plus somptueuses du<br />
pa<strong>radis</strong>, s'étendait sous ses pieds. Les bâti<strong>me</strong>nts voisins étaient du mê<strong>me</strong> ton<strong>ne</strong>au que celui<br />
qui l'abriterait pour u<strong>ne</strong> semai<strong>ne</strong>. Cependant, les couleurs grisonnantes, <strong>ne</strong> pouvant provenir<br />
de la pollution atmosphérique, dénotaient <strong>un</strong> manque flagrant d'entretien. De nombreuses<br />
fenêtres étaient closes et les volets étaient baissés. Les locataires brillaient par leur absence.<br />
Com<strong>me</strong> dans son im<strong>me</strong>uble ! Ceci expliquait pourquoi les clients manquaient égale<strong>me</strong>nt dans<br />
les magasins.<br />
- Juste u<strong>ne</strong> question, <strong>Eric</strong> ! Com<strong>me</strong>nça Ja<strong>ne</strong> sans attendre <strong>un</strong> discours de bienvenue.<br />
- Laquelle ?<br />
- Com<strong>me</strong>nt va le busi<strong>ne</strong>ss au pa<strong>radis</strong> ?<br />
- J'ai peur de <strong>ne</strong> <strong>pas</strong> comprendre.<br />
- Eh bien… <strong>Je</strong> suis seule dans ce beau bâti<strong>me</strong>nt, les im<strong>me</strong>ubles voisins ont l'air désert, peu<br />
entretenus, j'ai vu de nombreuses échoppes définitive<strong>me</strong>nt fermées en venant ici. Ange I<strong>ne</strong><br />
<strong>me</strong> disait que les clients manquent. Est-ce vrai ?<br />
- Qu'il y a-t-il d'étonnant à cela ? Observez votre â<strong>me</strong> et vous comprendrez aisé<strong>me</strong>nt que les<br />
critères d'admission au pa<strong>radis</strong> <strong>ne</strong> correspondent plus aux rares qualités des humains. Le<br />
pa<strong>radis</strong> est réservé aux plus méritants.<br />
- Où vont les â<strong>me</strong>s ? En enfer ? Au purgatoire ?<br />
- Surtout en enfer. Les feux de Satan <strong>ne</strong> sont <strong>pas</strong> prêts de s'éteindre. Le purgatoire, par<br />
définition, est réservé aux cas récupérables.<br />
- Saint Innocent n'a <strong>pas</strong> abaissé le niveau requis pour repeupler le pa<strong>radis</strong> ?<br />
- Surtout <strong>pas</strong> ! Déjà qu'il se murmure que des â<strong>me</strong>s imparfaites ont réussi à se glisser au<br />
royau<strong>me</strong> de l'Eter<strong>ne</strong>l…<br />
- Ah… Com<strong>me</strong>nt serait-ce possible ?<br />
- <strong>Je</strong> l'ignore, avoua <strong>Eric</strong>.<br />
- Mouais… songea Ja<strong>ne</strong> à haute voix.<br />
Elle avait u<strong>ne</strong> idée sur la faisabilité de la chose.<br />
- Ange I<strong>ne</strong> <strong>me</strong> disait que des â<strong>me</strong>s étaient parfois promues <strong>ange</strong> gardien. C'est vrai ?<br />
- Oui. Mais, de nos jours, nous manquons de candidats.<br />
- C'est <strong>un</strong> cercle vicieux, nota Ja<strong>ne</strong> en prenant place dans <strong>un</strong> fauteuil immaculé, très moelleux.<br />
Pas d'â<strong>me</strong>s méritantes au pa<strong>radis</strong>, <strong>pas</strong> de nouveaux <strong>ange</strong>s gardiens pour u<strong>ne</strong> population<br />
<strong>un</strong>iverselle toujours grandissante. Mê<strong>me</strong> les guerres <strong>ne</strong> ch<strong>ange</strong>nt <strong>pas</strong> grand-chose : la<br />
libération d'<strong>ange</strong>s gardiens, pour cause de décès des êtres vivants sur les champs de bataille,<br />
n'est qu'<strong>un</strong> épiphénomè<strong>ne</strong> vite balayé par la natalité galopante de certai<strong>ne</strong>s nations. Les <strong>ange</strong>s<br />
gardiens sont vite réaffectés et le manque d'â<strong>me</strong>s méritantes empêche la nomination de<br />
nouveaux gardiens. Ensuite, voilà com<strong>me</strong>nt je vois la situation : certai<strong>ne</strong>s â<strong>me</strong>s sont livrées<br />
sans <strong>ange</strong> gardien, faute d'employés. Elles se corrompent d'autant plus vite. Saint Juste n'a<br />
plus le choix : il affecte ses <strong>ange</strong>s gardiens aux cas les plus susceptibles d'intégrer le pa<strong>radis</strong>,<br />
pour sauver les <strong>me</strong>ubles. Tant pis pour les autres ! Ce qui soulève <strong>un</strong> nouveau mystère.<br />
- Lequel ? Demanda <strong>Eric</strong>, intrigué.<br />
- Pourquoi ai-je <strong>un</strong> <strong>ange</strong> gardien ?<br />
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- Qui sait… sourit <strong>Eric</strong>.<br />
56<br />
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
En le voyant sourire de la sorte, l'avocate sut instinctive<strong>me</strong>nt qu'il avait la réponse ou au<br />
moins, sa petite idée sur la question. Il ajouta :<br />
- Pourquoi toutes ces questions sur le pa<strong>radis</strong> ?<br />
- Pour comprendre le pa<strong>radis</strong>, pour savoir ce qui a changé.<br />
- Dans quel but ?<br />
- Juste<strong>me</strong>nt ! Le but ! <strong>Je</strong> cherche le mobile de ce qui ressemble à <strong>un</strong> complot savam<strong>me</strong>nt<br />
orchestré.<br />
- <strong>Un</strong> complot ? Quels élé<strong>me</strong>nts vous per<strong>me</strong>ttent de croire à <strong>un</strong> complot d'envergure ?<br />
- Les critères d'entrée au pa<strong>radis</strong> sont draconiens. Il faut u<strong>ne</strong> organisation puissante et<br />
suffisam<strong>me</strong>nt secrète pour <strong>pas</strong>ser au travers des mailles du filet. Il faut des informations sur<br />
la nature des <strong>ange</strong>s, des saints pour apprendre l'<strong>un</strong>ique moyen de les détruire. Il faut u<strong>ne</strong><br />
sacrée dose de confiance pour élimi<strong>ne</strong>r deux <strong>ange</strong>s et <strong>un</strong> saint travaillant dans le mê<strong>me</strong><br />
service, sachant que ce point comm<strong>un</strong> sera mis en évidence en deux temps, trois<br />
mouve<strong>me</strong>nts, par l'enquêteur le plus abruti.<br />
- Ce qui n'avait <strong>pas</strong> été fait et qui en dit long sur la capacité de nos enquêteurs ! Nota fort<br />
juste<strong>me</strong>nt saint <strong>Eric</strong> alors que la justesse était l'apanage de saint Juste, juste<strong>me</strong>nt.<br />
- C'est normal, <strong>Eric</strong>. Vos â<strong>me</strong>s pures <strong>ne</strong> sont <strong>pas</strong> rompues à la rouerie, à la trahison, à la<br />
tricherie. Le ou les <strong>me</strong>urtriers étaient tranquilles. Ils <strong>ne</strong> le seront plus, à cause de mon arrivée.<br />
Cela va se savoir.<br />
- Vous êtes en d<strong>ange</strong>r ! S'exclama <strong>Eric</strong> en se redressant.<br />
- A la seconde mê<strong>me</strong> où j'ai mis les pieds au pa<strong>radis</strong>, conclut logique<strong>me</strong>nt la jeu<strong>ne</strong> fem<strong>me</strong>.<br />
- Il faut assurer votre protection ! Il <strong>me</strong> faudrait u<strong>ne</strong> â<strong>me</strong> de confiance, <strong>un</strong> être à la pureté<br />
vérifiable, avérée, éprouvée. J'ai bien u<strong>ne</strong> petite idée…<br />
- Qui ?<br />
- <strong>Un</strong> saint dévoué corps et â<strong>me</strong> au monde médical. Il panse, soig<strong>ne</strong> les â<strong>me</strong>s en pei<strong>ne</strong> à leur<br />
arrivée au pa<strong>radis</strong>. Certai<strong>ne</strong>s sont en piteux état et il leur redon<strong>ne</strong> <strong>un</strong> aspect brillant,<br />
lumi<strong>ne</strong>ux, rien qu'avec des mots. Il est très agréable. C'était <strong>un</strong> humain, auparavant. <strong>Je</strong> veux<br />
dire : <strong>un</strong> Terrien, com<strong>me</strong> moi. Il veillera sur vous en mon absence.<br />
- D'accord.<br />
- Vous pourrez discuter ensemble de la Terre, ce sera plus sympathique. <strong>Je</strong> vais le contacter et<br />
lui expliquer. En attendant, vérifiez l'identité de vos visiteurs avant d'ouvrir la porte, en jetant<br />
<strong>un</strong> œil dans le cristal de <strong>ne</strong>ige.<br />
- OK ! <strong>Je</strong> vais bosser sur les notes d'Ange Ournal et les rapports de saint Luc en attendant. <strong>Je</strong><br />
vous retrouverai ensuite pour la visite au centre des transmissions télépathiques.<br />
Elle jeta <strong>un</strong> coup d'œil autour d'elle. Des machi<strong>ne</strong>s nuageuses l'entouraient ; elle disposait de<br />
tout ce qu'il fallait pour effectuer des recherches. Le pa<strong>radis</strong> était branché. Tant mieux ! Saint<br />
<strong>Eric</strong> disparut dans <strong>un</strong> brouillard aux senteurs de lavande. Elle s'attela immédiate<strong>me</strong>nt à la<br />
tâche.<br />
* *
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
*<br />
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9<br />
58<br />
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
Ja<strong>ne</strong> s'étonnait peu à peu de la composition du pa<strong>radis</strong>. Son organisation, sa conception et ses<br />
services avaient quelque chose d'humain. Qui, du royau<strong>me</strong> de Dieu ou de la Terre, avait imité<br />
l'autre ? Dieu avait-il forgé la Terre à son image ou bien les â<strong>me</strong>s ayant gagné le repos éter<strong>ne</strong>l<br />
influençaient-elles leur destination finale ? Que penser de ce centre des comm<strong>un</strong>ications<br />
télépathiques où son enquête la conduisait fatale<strong>me</strong>nt ? L'ambiance de travail y était morose,<br />
com<strong>me</strong> dans la majeure partie des entreprises moribondes de la Terre. La mort de saint Marc<br />
y était pour beaucoup. Les <strong>ange</strong>s étaient décontenancés, désorientés sans leur chef spirituel.<br />
Par chance, l'activité était au plus bas et <strong>ne</strong> nécessitait <strong>pas</strong> de puissance de travail soutenue.<br />
L'arrivée du ténor du barreau américain fit quelque peu sensation. Les <strong>ange</strong>s se détournèrent<br />
de leurs pupitres et cernèrent rapide<strong>me</strong>nt la jeu<strong>ne</strong> fem<strong>me</strong>. Saint <strong>Eric</strong> l'accompagnait et il prit<br />
la parole immédiate<strong>me</strong>nt, anticipant les légiti<strong>me</strong>s interrogations des <strong>ange</strong>s :<br />
- Messieurs, je vous présente mademoiselle Ja<strong>ne</strong> April, avocate terrien<strong>ne</strong> de renom. Elle est…<br />
Euh… Hésita <strong>Eric</strong>, cherchant le ter<strong>me</strong> approprié pour <strong>ne</strong> <strong>pas</strong> froisser Ja<strong>ne</strong>, bien couillonnée<br />
par son <strong>ange</strong> gardien sur ce coup-là. Elle est… venue… enquêter sur la mort de vos collègues<br />
bien-aimés et votre patron adoré. (NDLA : pardon<strong>ne</strong>z saint <strong>Eric</strong>, il n'a <strong>pas</strong> mis les pieds sur<br />
Terre depuis des lustres et il ignore que les collègues, chefs ou subalter<strong>ne</strong>s, sont générale<strong>me</strong>nt<br />
haïs).<br />
- Ah… Firent la vingtai<strong>ne</strong> d'<strong>ange</strong>s présents.<br />
- L'<strong>un</strong> d'entre vous accepterait-il de décrire votre fonction au sein de cette vénérable<br />
institution ? Proposa <strong>Eric</strong>.<br />
- Moi ! Moi ! Moi ! Crièrent les employés en mê<strong>me</strong> temps, manifestant leur enthousias<strong>me</strong><br />
pour la belle rousse aux yeux verts, prouvant u<strong>ne</strong> fois de plus que les fem<strong>me</strong>s à la chevelure<br />
flamboyante étaient toutes des sorcières capables d'envoûter n'importe quel être vivant ou<br />
immortel.<br />
<strong>Eric</strong> en désigna <strong>un</strong> au hasard qui <strong>ne</strong> se fit <strong>pas</strong> prier pour déballer les joies et la variété du<br />
métier de standardiste. Ange Encive, dentiste de formation, s'était reconverti en standardiste<br />
à l'issue de ses études afin de <strong>ne</strong> <strong>pas</strong> rester sans emploi. Eh oui… Dentiste, au Pa<strong>radis</strong>, ce<br />
n'était <strong>pas</strong> <strong>un</strong> métier très lucratif, Dieu et son fils, respective<strong>me</strong>nt roi et prince du Pa<strong>radis</strong>,<br />
étant les seuls autorisés à porter des couron<strong>ne</strong>s…<br />
L'infort<strong>un</strong>é dentiste lui narra la fonction de A à Z, l'organisation, le service de <strong>me</strong>ssagerie, la<br />
récession économique ayant réduit les effectifs de dix mille employés à mille dans les jours de<br />
pointe. Il mit l'accent sur la nécessaire flexibilité de l'emploi, indispensable puisque leur<br />
activité dépendait des variations de population. Lorsque la jeu<strong>ne</strong> fem<strong>me</strong> voulut en connaître<br />
davantage sur le fonction<strong>ne</strong><strong>me</strong>nt du standard de comm<strong>un</strong>ication télépathique, l'<strong>ange</strong> Encive<br />
lui proposa u<strong>ne</strong> démonstration. Il s'assit à sa table de travail et la pria de se concentrer pour<br />
contacter le centre. Elle s'éloigna de quelques mètres, ferma les yeux et pensa à établir la<br />
con<strong>ne</strong>xion. Elle eut beau se concentrer de toutes ses forces, rien n'y fit.
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
- Faites le vide en vous, Ja<strong>ne</strong>, conseilla saint <strong>Eric</strong>, forcé<strong>me</strong>nt excellent dans le domai<strong>ne</strong> des<br />
avis éclairés puisqu'il était le conseiller spécial de Dieu.<br />
- Le vide ? Le vide… Mais qui contacter ?<br />
- <strong>Un</strong> parent, <strong>un</strong> ami, u<strong>ne</strong> personnalité, il y a le choix.<br />
- Encore faut-il que le destinataire se trouve au pa<strong>radis</strong>. Mes déf<strong>un</strong>tes connaissances sont<br />
plutôt du style à rejoindre l'enfer, question de mauvais genre.<br />
- D'accord ! Admit <strong>Eric</strong>. Procédons autre<strong>me</strong>nt : je vais être le demandeur et vous serez à la<br />
réception.<br />
Il quitta la pièce et laissa Ja<strong>ne</strong> rejoindre l'<strong>ange</strong> Encive. Ce dernier fut désappointé en<br />
constatant qu'elle avait échoué. La concentration n'avait jamais été le point fort de Ja<strong>ne</strong>, à<br />
auc<strong>un</strong> mo<strong>me</strong>nt de sa vie. Elle agissait systématique<strong>me</strong>nt en se fiant à ses connaissances, à son<br />
travail et à son instinct. Mê<strong>me</strong> si la profession d'avocat exigeait de la réflexion dans les<br />
enquêtes, elle <strong>ne</strong> faisait <strong>pas</strong> appel à des techniques s'apparentant au yoga ou autres discipli<strong>ne</strong>s<br />
asiatiques de l'esprit.<br />
Ange Encive reçut <strong>un</strong> appel. Il enfonça u<strong>ne</strong> fiche dans u<strong>ne</strong> prise.<br />
- Centre de comm<strong>un</strong>ications télépathiques, Ange Encive à votre service ! Oui. Oui…<br />
D'accord ! <strong>Je</strong> vous <strong>me</strong>ts en con<strong>ne</strong>xion !<br />
Il pianota <strong>un</strong> code mystérieux et relia la première fiche à u<strong>ne</strong> seconde, précisé<strong>me</strong>nt où la<br />
seconde auréole venait de s'allu<strong>me</strong>r. Ja<strong>ne</strong> comprit immédiate<strong>me</strong>nt le résultat de cette action.<br />
Son environ<strong>ne</strong><strong>me</strong>nt cessa de lui trans<strong>me</strong>ttre le moindre son, le moindre bruisse<strong>me</strong>nt. C'était<br />
com<strong>me</strong> si elle se trouvait dans u<strong>ne</strong> chambre sourde aux protections acoustiques poussées<br />
dans leurs derniers retranche<strong>me</strong>nts.<br />
Tout à coup, u<strong>ne</strong> voix s'éleva à l'intérieur. Oui, mais vrai<strong>me</strong>nt à l'intérieur, dans sa tête,<br />
parfaite<strong>me</strong>nt audible alors que ce qui l'entourait de<strong>me</strong>urait obstiné<strong>me</strong>nt muet.<br />
- <strong>Un</strong>e comm<strong>un</strong>ication pour vous, mademoiselle ! S'exclama la voix à plusieurs reprises, en<br />
parfaite synchronisation avec les mouve<strong>me</strong>nts de lèvres d'Ange Encive.<br />
Il lui parlait dans la tête !<br />
"<strong>Je</strong> la prends !" Répondit-elle instinctive<strong>me</strong>nt, sans é<strong>me</strong>ttre le moindre vibrato, pensant au<br />
lieu de parler. (NDLA : est-il besoin de préciser que des cohortes d'individus ont perdu cette<br />
faculté, penser au lieu de parler ? Non, je <strong>ne</strong> citerai <strong>pas</strong> les hom<strong>me</strong>s politiques, les intégristes<br />
de tous poils, les militaires, les supporters du PSG et de l'OM (<strong>pas</strong> de jaloux), etc…)<br />
"Ja<strong>ne</strong> ? Vous <strong>me</strong> captez bien ?" Songea <strong>Eric</strong> en envoyant les flots de paroles vers l'avocate.<br />
"Oui. C'est curieux ! Cela chatouille le bulbe rachidien !" Envoya-t-elle sur le mê<strong>me</strong> mode.<br />
"C'est l'effet de Laplu<strong>me</strong>."<br />
"Qui est Laplu<strong>me</strong> ?"<br />
"L'<strong>ange</strong> physicien qui a découvert ce phénomè<strong>ne</strong>. L'effet de Laplu<strong>me</strong> chatouille."<br />
"Ah…"<br />
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60<br />
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
"La démonstration vous convient-elle ?"<br />
"Parfaite<strong>me</strong>nt !"<br />
"Bien. Tenons-nous en là !" Acheva-t-il en <strong>me</strong>ttant fin à la comm<strong>un</strong>ication.<br />
Quelques secondes plus tard, saint <strong>Eric</strong> revint. Il constata que Ja<strong>ne</strong>, bien que visible<strong>me</strong>nt<br />
affectée par l'expérience, titubant légère<strong>me</strong>nt, éprouvant u<strong>ne</strong> sorte d'émotion bien légiti<strong>me</strong>,<br />
n'avait <strong>pas</strong> perdu son temps. Elle commandait à Ange Encive de la <strong>me</strong><strong>ne</strong>r auprès du standard<br />
où le corps déplumé d'Ange Aponais avait été découvert. Elle furetait tout autour à la<br />
recherche d'élé<strong>me</strong>nts que les enquêteurs du pa<strong>radis</strong> auraient négligés. Elle se pencha au sol et<br />
découvrit de légères traces de poudre (NDLA : ce n'est <strong>pas</strong> ce que vous croyez ! Mê<strong>me</strong> si le<br />
pa<strong>radis</strong> se trouve dans les nuages, ce n'est <strong>pas</strong> pour cela qu'elle va trouver de la <strong>ne</strong>ige<br />
artificielle à sniffer !). Elle en ramassa et la fit rouler entre les doigts pour en apprécier la<br />
te<strong>ne</strong>ur. Elle la huma et la goûta.<br />
- Qu'est-ce que c'est ? Demanda saint <strong>Eric</strong>.<br />
- Du plastique.<br />
- D'où vient-il ?<br />
Elle chercha et <strong>ne</strong> vit que le pan<strong>ne</strong>au arrière du standard. Elle s'approcha. Le <strong>pas</strong> des vis le<br />
maintenant au reste était usé. Le plastique venait de là. L'accès n'étant <strong>pas</strong> spéciale<strong>me</strong>nt aisé<br />
pour y faire le ménage, ce plastique pouvait avoir été arraché quelques jours auparavant.<br />
Lorsque Ange Aponais ou Ange Au<strong>ne</strong> étaient encore en vie.<br />
- Auriez-vous <strong>un</strong> tour<strong>ne</strong>vis plat ? Questionna l'avocate.<br />
- Pardon ?<br />
- <strong>Un</strong> tour<strong>ne</strong>vis. Il <strong>me</strong> faudrait <strong>un</strong> tour<strong>ne</strong>vis pour ouvrir ce pan<strong>ne</strong>au, lança-t-elle à la<br />
cantonade.<br />
Les <strong>ange</strong>s se plièrent à ses quatre volontés et volèrent aux quatre coins du bâti<strong>me</strong>nt pour lui<br />
rapporter ce qu'elle exigeait. En quelques dizai<strong>ne</strong>s de secondes, Ange Ibbon, <strong>un</strong> véritable<br />
acrobate, lui ra<strong>me</strong>na l'outil. Elle démonta le pan<strong>ne</strong>au arrière, faussant <strong>un</strong> peu plus le <strong>pas</strong> de<br />
vis, notant que les vis <strong>ne</strong> dureraient <strong>pas</strong> des lustres à ce ryth<strong>me</strong>-là. En considérant son propre<br />
travail d'ouverture, les <strong>pas</strong> de vis, trop fragiles, n'autorisaient guère plus de sept ou huit<br />
manipulations. En comptant la fabrication, la vérification et u<strong>ne</strong> pan<strong>ne</strong> ou deux, plus la<br />
sien<strong>ne</strong>, il restait deux ou trois autres ouvertures. Qui avait accédé au pan<strong>ne</strong>au ? Ange Aponais<br />
ou Ange Au<strong>ne</strong> ? Les deux, peut-être. Pourquoi ? Elle <strong>ne</strong> tarderait plus à le savoir.<br />
Elle s'engagea dans l'enchevêtre<strong>me</strong>nt de câbles en prenant soin de replier ses ailes. Elle tenait<br />
à les rendre en bon état au ter<strong>me</strong> du délai imparti. Elle s'avança et fit appel à son sens de<br />
l'observation.<br />
"Tout est relié. A l'identique, à ce que je vois. Il suffit de relier deux fiches au pupitre et la<br />
comm<strong>un</strong>ication s'opère entre les câbles qui sont full duplex (NDLA : qui per<strong>me</strong>ttent<br />
l'éch<strong>ange</strong> de données dans les deux sens). Tout est parfaite<strong>me</strong>nt identi… Ah ! Qu'est-ce que
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
c'est ?" Songea-t-elle en notant que deux soudures paraissaient plus grossières que les autres,<br />
parfaite<strong>me</strong>nt exécutées.<br />
- Qui exécute la con<strong>ne</strong>xion des câbles ? Demanda Ja<strong>ne</strong> en sortant des entrailles de la<br />
machi<strong>ne</strong>.<br />
- Les standards sont tous conçus par Ange Ointure. C'est de l'excellente qualité, ajouta saint<br />
<strong>Eric</strong>.<br />
- Oh oui ! De l'excellente qualité ! Firent les <strong>ange</strong>s en chœur, reprenant le slogan initié par le<br />
spécialiste du standard dans sa campag<strong>ne</strong> publicitaire sur Pa<strong>radis</strong> Tv.<br />
Ja<strong>ne</strong> replongea à l'intérieur et repéra la position des con<strong>ne</strong>xions suspectes. Puis, elle ressortit<br />
et lança :<br />
- <strong>Eric</strong>, pourriez-vous jeter <strong>un</strong> œil à l'intérieur ? Dites-moi si les soudures en lig<strong>ne</strong> cinq et six,<br />
colon<strong>ne</strong> quatre vous paraissent de qualité.<br />
Tandis que saint <strong>Eric</strong> se pliait de bon<strong>ne</strong> grâce (NDLA : en tant que saint, il était doué pour<br />
les grâces) aux desiderata de l'avocate, cette dernière vint inspecter l'avant de la machi<strong>ne</strong>. Elle<br />
remarqua bien vite, com<strong>me</strong> Ange Au<strong>ne</strong> et Ange Aponais l'avaient accompli avant leur mort<br />
brutale, l'absence de rayures et de pati<strong>ne</strong> sur les deux fiches suspectes.<br />
"Ces fiches étaient reliées entre elles et <strong>ne</strong> nécessitaient <strong>pas</strong> l'intervention de l'opérateur.<br />
Deux person<strong>ne</strong>s se servaient de ce canal en toute tranquillité. Pourquoi ? Par souci de<br />
discrétion, selon toute évidence !" Songea la jeu<strong>ne</strong> fem<strong>me</strong>.<br />
- Il y avait u<strong>ne</strong> soudure directe, déclama <strong>Eric</strong>. Cela crève les yeux.<br />
- Nos victi<strong>me</strong>s l'avaient découvert. Saint Marc a payé égale<strong>me</strong>nt, peut-être pour brouiller les<br />
pistes. Nous avons affaire à <strong>un</strong> complot. J'ignore quelle en est la nature mais il s'agit d'u<strong>ne</strong><br />
entreprise de grande envergure.<br />
<strong>Un</strong> "Oh" de consternation s'éleva parmi les <strong>ange</strong>s composant l'assistance. Ja<strong>ne</strong> s'isola quelque<br />
peu, faisant marcher ses <strong>ne</strong>uro<strong>ne</strong>s à fond la caisse, bien que sa véritable cervelle, de<strong>me</strong>urée<br />
sur la Terre, soit en train de dépérir à la vitesse d'<strong>un</strong> cheval au galop. <strong>Un</strong>e angoisse naissante<br />
l'étreignit. Elle doutait de pouvoir conclure dans les temps. Elle frissonna à l'idée de <strong>pas</strong>ser<br />
u<strong>ne</strong> éternité au Pa<strong>radis</strong> où il n'y avait <strong>pas</strong> grand-chose à faire. Elle ignorait que ce monde-là<br />
dissimulait bien des secrets.<br />
* *<br />
*<br />
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10<br />
62<br />
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
La nuit boréale tombait sur le pa<strong>radis</strong>. La relative obscurité n'avait rien à voir avec les<br />
ténèbres, antichambre de l'enfer. La luminosité baissait simple<strong>me</strong>nt com<strong>me</strong> au pays du soleil<br />
de minuit et le ciel se drapait de voiles irisés pour refléter des milliards de particules ionisées.<br />
Les ondulations se teintaient tour à tour de bleu turquoise ou électrique, de vert é<strong>me</strong>raude, de<br />
doré, d'argenté, incarnant <strong>un</strong> spectacle visuel dont les résidants éter<strong>ne</strong>ls <strong>ne</strong> se lassaient jamais.<br />
Saint <strong>Eric</strong> avait galam<strong>me</strong>nt raccompagné son hôte jusqu'à sa de<strong>me</strong>ure située au 15, avenue de<br />
l'étoile. Cela <strong>ne</strong> la ch<strong>ange</strong>ait guère des pieds à terre célestes puisqu'elle avait acquis, à bon<br />
prix, <strong>un</strong> loft à Paris, rue du Pa<strong>radis</strong> (NDLA : <strong>un</strong> bon point pour elle ! Elle aurait pu acheter à<br />
Denfert-Rochereau !). En s'allongeant dans <strong>un</strong> fauteuil en nuage coton<strong>ne</strong>ux pour profiter de<br />
la beauté de la nuit, elle éprouva u<strong>ne</strong> sensation incongrue en ces lieux. Son â<strong>me</strong> avait faim.<br />
Son corps céleste avait <strong>un</strong> petit creux.<br />
Elle se redressa et fila droit vers la cuisi<strong>ne</strong>. <strong>Un</strong> magnifique frigo modèle américain, avec<br />
production automatique de glaçons, histoire de rafraîchir l'atmosphère, trônait au beau milieu<br />
de la pièce. Cet électroménager lui rappela immédiate<strong>me</strong>nt son pays d'origi<strong>ne</strong>, les Etats-<strong>Un</strong>is.<br />
Elle ouvrit la porte et n'eut droit qu'à du désappointe<strong>me</strong>nt.<br />
- Les rats ! Ils n'ont mê<strong>me</strong> <strong>pas</strong> fait les courses ! Ils <strong>me</strong> forcent à <strong>me</strong> trucider et <strong>me</strong> laissent<br />
mourir de faim ! Pesta-t-elle à haute voix.<br />
Elle ouvrit les portes des placards de la cuisi<strong>ne</strong> aménagée et <strong>ne</strong> rencontra que vide et<br />
désolation. Pas mê<strong>me</strong> u<strong>ne</strong> vieille biscotte ou <strong>un</strong> fond de riz à faire cuire. D'ailleurs, com<strong>me</strong>nt<br />
faisait-on cuire les ali<strong>me</strong>nts si le feu, symbole de l'enfer par excellence, était proscrit ? Hein ?<br />
(NDLA : j'ai l'air malin, il faut que je trouve u<strong>ne</strong> explication dare-dare !)<br />
La réponse vint en découvrant les plaques à induction, ali<strong>me</strong>ntées par la foudre, com<strong>me</strong> tous<br />
les appareils électriques et le four multifonction. Le pa<strong>radis</strong> fonctionnait com<strong>me</strong> le monde<br />
humain. A moins que cela <strong>ne</strong> soit le contraire ! En tous les cas, cela <strong>ne</strong> résolvait <strong>pas</strong> son<br />
problè<strong>me</strong> de ravitaille<strong>me</strong>nt.<br />
Elle jeta <strong>un</strong> œil par la fenêtre pour tenter de découvrir la devanture éclairée d'u<strong>ne</strong> échoppe,<br />
style épicerie chinoise ou hindoue. (NDLA : n'oublions <strong>pas</strong> que Ja<strong>ne</strong> est américai<strong>ne</strong>, plus<br />
habituée à dégoter des "Ge<strong>ne</strong>ral Store" tenus par des ressortissants de ces nationalités.) Le<br />
quartier était non seule<strong>me</strong>nt très résidentiel, peu com<strong>me</strong>rçant, mais en plus, il était<br />
véritable<strong>me</strong>nt sinistré. Rares étaient les lanter<strong>ne</strong>s éclairant les nuages d'habitation.<br />
"Com<strong>me</strong>nt faire ?" Songea-t-elle avec tristesse, réprimant <strong>un</strong> nouveau gronde<strong>me</strong>nt de son<br />
estomac virtuel. "Mais bien sûr ! Allez ! <strong>Je</strong> fais le vide en moi… <strong>Je</strong> <strong>me</strong> concentre. <strong>Je</strong> veux<br />
parler au standard des comm<strong>un</strong>ications télépathiques. Le standard. Le standard…"<br />
"Comm<strong>un</strong>ications télépathiques, j'écoute !" Répondit u<strong>ne</strong> voix intérieure, assez claire pour<br />
trahir u<strong>ne</strong> certai<strong>ne</strong> jeu<strong>ne</strong>sse.<br />
"Oui ! Cela fonction<strong>ne</strong> !" S'exclama Ja<strong>ne</strong>.<br />
"Encore heureux, grâce à Dieu notre père qui êtes aux cieux ! Que puis-je pour vous ?"<br />
Poursuivit le standardiste.
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
"<strong>Je</strong> suis toute seule chez moi, je suis nouvelle au pa<strong>radis</strong> et je n'ai rien à m<strong>ange</strong>r. Que puis-je<br />
faire ?"<br />
"Le plus simple, c'est de commander chez Pizza Part à dix. Vous ai<strong>me</strong>z la pizza aux flocons<br />
de <strong>ne</strong>ige ?"<br />
"<strong>Je</strong> <strong>ne</strong> sais <strong>pas</strong>. C'est bon ?"<br />
"Très bon. Ils ajoutent <strong>un</strong> nuage de crè<strong>me</strong>."<br />
"Ah…" Pensa l'avocate, sans se douter que la présence de la crè<strong>me</strong> au pa<strong>radis</strong> était u<strong>ne</strong><br />
évidence puisque le haut lieu de la bonté n'accueillait que l'élite des â<strong>me</strong>s, soit la crè<strong>me</strong>…<br />
"OK pour la pizza !" Ajouta la jeu<strong>ne</strong> fem<strong>me</strong>.<br />
"<strong>Je</strong> vous <strong>me</strong>ts en contact ! Bon<strong>ne</strong> soirée !" Acheva le standardiste.<br />
La comm<strong>un</strong>ication suivit rapide<strong>me</strong>nt et Ja<strong>ne</strong> put commander cette fa<strong>me</strong>use pizza aux flocons<br />
de <strong>ne</strong>ige, sans savoir quel goût elle avait et en ignorant qu'il s'agissait de l'<strong>un</strong>ique modèle de<br />
pizza délivré par les échoppes officielles. Elle fut simple<strong>me</strong>nt assurée d'être livrée dans les<br />
cinq minutes, ce qui constituait <strong>un</strong> record par rapport aux délais annoncés par les habituels<br />
fournisseurs du monde terrien.<br />
En attendant sa livraison, elle regagna son fauteuil et s'empara de la télécommande. Elle<br />
alluma le téléviseur. La chaî<strong>ne</strong> apparut quasi<strong>me</strong>nt instantané<strong>me</strong>nt et elle eut la curieuse<br />
impression de relief, com<strong>me</strong> si les protagonistes étaient à l'intérieur du salon. Le chiffre <strong>un</strong><br />
s'affichait au bas de l'écran. La chaî<strong>ne</strong> diffusait <strong>un</strong> épisode de la célèbre série "Les routes du<br />
pa<strong>radis</strong>" avec Michael Landon, l'inoubliable Charles Ingalls de "La petite maison dans la<br />
prairie". Ja<strong>ne</strong> zappa automatique<strong>me</strong>nt, détestant les mièvreries romantiques, bon cœur et<br />
morales.<br />
Seule<strong>me</strong>nt, quel que soit le bouton enfoncé, le téléviseur é<strong>me</strong>ttait invariable<strong>me</strong>nt de la <strong>ne</strong>ige,<br />
u<strong>ne</strong> mire prise en directe sur les nuages gonflés d'humidité et refroidis par Ange Lent, le<br />
spécialiste du congélateur et du réfrigérateur.<br />
- Bon sang ! Protesta-t-elle. A quoi cela sert u<strong>ne</strong> télécommande avec autant de touches s'il n'y<br />
a qu'u<strong>ne</strong> chaî<strong>ne</strong> !<br />
Puis, elle se remémora les dires du concierge, Ander Ange Ment. Il n'avait peut-être <strong>pas</strong> tenu<br />
parole ou il avait oublié sa pro<strong>me</strong>sse de lui obtenir des chaî<strong>ne</strong>s supplé<strong>me</strong>ntaires.<br />
- A moins que…<br />
Elle composa <strong>un</strong> chiffre sur la télécommande capable de piloter, en théorie, quatre-vingt-dix<strong>ne</strong>uf<br />
canaux. <strong>Un</strong>e émission d'u<strong>ne</strong> toute autre nature apparut.<br />
- Le soixante-<strong>ne</strong>uf… Nota-t-elle avec amuse<strong>me</strong>nt.<br />
En quelques images, elle vit s'envoler la légende selon laquelle les <strong>ange</strong>s n'avaient <strong>pas</strong> de sexe.<br />
Ceux qu'elle voyait en train de s'enfiler com<strong>me</strong> des perles, en étaient dotés et savaient<br />
visible<strong>me</strong>nt s'en servir. La scè<strong>ne</strong> scabreuse avait lieu dans u<strong>ne</strong> chambre coton<strong>ne</strong>use qu'il était<br />
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64<br />
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
impossible de localiser grâce à des détails. Cependant, l'aspect de la pièce excluait totale<strong>me</strong>nt<br />
que l'action pren<strong>ne</strong> place en enfer ou au purgatoire. La partouze à poils et à plu<strong>me</strong>s se<br />
déroulait au pa<strong>radis</strong>. Le film montrait sans pudeur que certains <strong>ange</strong>s étaient di<strong>me</strong>nsionnés<br />
com<strong>me</strong> des taureaux de concours et que d'autres avaient des attributs féminins. Les jeu<strong>ne</strong>s<br />
"coqs" volaient dans les plu<strong>me</strong>s des "poules"…<br />
- Finale<strong>me</strong>nt, la soirée sera moins morose que je <strong>ne</strong> le pensais ! Déclama-t-elle en prenant<br />
u<strong>ne</strong> pose suggestive devant l'écran de télévision, très intéressée par les images.<br />
* *<br />
*<br />
Ja<strong>ne</strong> approchait de l'extase, émoustillée par le film diffusé par la chaî<strong>ne</strong> ParadiX, u<strong>ne</strong><br />
réalisation intitulée "Emplu<strong>me</strong>-moi à fond". Son activité lubrique cessa soudai<strong>ne</strong><strong>me</strong>nt<br />
lorsqu'<strong>un</strong> nuage de fumée s'échappa de la son<strong>ne</strong>tte en é<strong>me</strong>ttant le son caractéristique d'u<strong>ne</strong><br />
cocotte-minute. Elle sursauta brusque<strong>me</strong>nt en lorgnant du côté de la porte d'entrée.<br />
Instinctive<strong>me</strong>nt, elle s'empara de la télécommande de la télévision et bascula sur la première<br />
chaî<strong>ne</strong>, censée être l'<strong>un</strong>ique canal de diffusion.<br />
- Ma pizza ! S'exclama-t-elle en se pourléchant les lèvres, son â<strong>me</strong> étant curieuse<strong>me</strong>nt<br />
affamée, n'ayant <strong>pas</strong> encore eu le temps de se désaccoutu<strong>me</strong>r aux vicissitudes de la vie<br />
terrestre.<br />
Elle se dirigea droit vers la porte en se demandant com<strong>me</strong>nt elle ferait pour régler l'addition.<br />
"Bah ! Après tout, les prestations sont peut-être gratuites, au pa<strong>radis</strong> ! A moins que saint <strong>Eric</strong><br />
ou les autres commanditaires de ma venue <strong>ne</strong> pren<strong>ne</strong>nt les frais an<strong>ne</strong>xes en charge !"<br />
La porte s'escamota à sa demande et elle découvrit <strong>un</strong> être qui n'était <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>livre</strong>ur de pizza,<br />
selon toute vraisemblance. <strong>Un</strong>e â<strong>me</strong> travailleuse aurait été dotée d'u<strong>ne</strong> petite hélice, <strong>un</strong> <strong>ange</strong><br />
aurait été pourvu d'u<strong>ne</strong> paire d'ailes régle<strong>me</strong>ntaires (elle était l'exception qui confirmait la<br />
règle). Ce <strong>livre</strong>ur de pizza n'avait ni pizza, ni casque, ni mobylette, ni coca-cola brassé à force<br />
d'avoir zigzagué com<strong>me</strong> <strong>un</strong> dératé sur la chaussée, prenant d'im<strong>me</strong>nses risques avec sa<br />
marchandise et accessoire<strong>me</strong>nt, <strong>me</strong>ttant sa vie et celles des autres en d<strong>ange</strong>r. L'être possédait<br />
la toge des êtres suprê<strong>me</strong>s ajoutée à l'élé<strong>me</strong>nt (le cinquiè<strong>me</strong> !) indiquant sa fonction :<br />
l'auréole. <strong>Un</strong> saint inconnu.<br />
- Bonsoir ! Fit-il simple<strong>me</strong>nt en guise de présentation.<br />
- A qui ai-je l'hon<strong>ne</strong>ur… ? Répondit-elle alors que la puissance de sa voix et son assurance<br />
déclinaient.<br />
Elle éprouvait u<strong>ne</strong> curieuse sensation en présence de cet être aux vête<strong>me</strong>nts particulière<strong>me</strong>nt<br />
étincelants. Il dégageait u<strong>ne</strong> lueur, des ondes, u<strong>ne</strong> aura bénéfique. Il agissait insensible<strong>me</strong>nt<br />
com<strong>me</strong> <strong>un</strong> médica<strong>me</strong>nt chargé d'apaiser les douleurs.
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
- <strong>Je</strong> suis saint Timothy. C'est <strong>Eric</strong> qui m'envoie pour vous protéger. Certes, je <strong>ne</strong> suis <strong>pas</strong> <strong>un</strong><br />
combattant, <strong>un</strong> <strong>ange</strong> des troupes d'élite d'<strong>ange</strong> Lure, le commandant en second des forces de<br />
sécurité mais je suis là pour assurer votre protection.<br />
- Saint Timothy ? Lâcha-t-elle, intriguée par les révélations du saint.<br />
- Oui. D'ordinaire, je <strong>me</strong> charge de panser les plaies des â<strong>me</strong>s en pei<strong>ne</strong>. Voyez-vous, de<br />
nombreux êtres gag<strong>ne</strong>nt leur ticket d'entrée au pa<strong>radis</strong> en éprouvant mille et u<strong>ne</strong> souffrances<br />
tout au long de leur vie. Croyez-moi, certains se dévouent parfois près d'u<strong>ne</strong> centai<strong>ne</strong><br />
d'années en endurant u<strong>ne</strong> existence d'ascète. Et encore, je <strong>ne</strong> parle que des Terriens à la<br />
longévité assez courte. Certai<strong>ne</strong>s peuplades du fin fond de la galaxie dé<strong>pas</strong>sent allègre<strong>me</strong>nt<br />
les cinq cents années terrestres. En ces temps de guerres incessantes, il y a, malheureuse<strong>me</strong>nt,<br />
d'innombrables martyrs qui vien<strong>ne</strong>nt grossir les rangs de nos hôtes. Curieuse<strong>me</strong>nt, si le<br />
nombre d'entrées au pa<strong>radis</strong> a chuté, j'ai person<strong>ne</strong>lle<strong>me</strong>nt davantage de travail que <strong>me</strong>s<br />
prédécesseurs car les méritants sont de plus en plus des victi<strong>me</strong>s de conflits internationaux.<br />
Ja<strong>ne</strong> le dévisageait avec insistance, au fur et à <strong>me</strong>sure qu'il s'exprimait, se laissant envahir par<br />
d'étr<strong>ange</strong>s senti<strong>me</strong>nts de familiarité, de quiétude, d'apaise<strong>me</strong>nt. Instinctive<strong>me</strong>nt, elle glissa ses<br />
doigts dans sa chevelure, cherchant à créer des bouclettes en torsadant ses mèches. L'effet<br />
Timothy, idéal pour embellir les blondes et bru<strong>ne</strong>s toisons (et les rousses aussi, bien sûr,<br />
puisque cela fonctionnait sur Ja<strong>ne</strong> !).<br />
- Timothy… susurra-t-elle. Timothy, dites-moi…<br />
- Oui ?<br />
- <strong>Eric</strong> m'a confié que vous étiez terrien avant d'être saint à temps complet. Est-ce vrai ?<br />
- C'est l'exacte vérité.<br />
- Que faisiez-vous sur la Terre ? Où viviez-vous ?<br />
- J'étais médecin. <strong>Je</strong> vivais à New-York… expliqua le saint.<br />
- Médecin ? New-York ? S'étonna Ja<strong>ne</strong>. Timothy… Hudson…<br />
Peu à peu, les souvenirs s'extirpèrent des tréfonds de sa mémoire. Saint Timothy n'était <strong>pas</strong><br />
n'importe qui ; c'était Timothy Hudson, <strong>un</strong> brillant praticien, spécialiste des maladies<br />
tropicales et infectieuses, <strong>un</strong> être exquis qu'elle avait rencontré lors d'<strong>un</strong> procès entre le<br />
ministère public et <strong>un</strong> grand laboratoire, accusé d'avoir mis en vente <strong>un</strong> vaccin bricolé à la va<br />
vite sur le marché. Timothy avait été cité en tant qu'expert des virus et autres bestioles avides<br />
de systè<strong>me</strong>s imm<strong>un</strong>itaires.<br />
Ja<strong>ne</strong> avait été séduite par son physique à l'avenant, son im<strong>me</strong>nse assurance, son génie associé<br />
à u<strong>ne</strong> dose sans limite de modestie et de timidité. Elle avait craqué pour cet hom<strong>me</strong> atypique,<br />
sortant complète<strong>me</strong>nt des sentiers, des ornières dans lesquels elle avait coutu<strong>me</strong> de s'engager.<br />
Il avait de la classe, de l'instruction, de la puissance, de la prestance et il était <strong>un</strong> amant<br />
fabuleux.<br />
Mais, car il y avait <strong>un</strong> "mais", leur relation n'avait <strong>pas</strong> survécu très longtemps. Ja<strong>ne</strong> avait trahi<br />
en compagnie d'<strong>un</strong> amant. A la découverte blessante, à la surprise désagréable, infamante,<br />
Timothy avait rétorqué avec u<strong>ne</strong> terrible nouvelle l'affligeant : la leucémie. Il n'était âgé que<br />
de vingt-<strong>ne</strong>uf ans lorsqu'u<strong>ne</strong> for<strong>me</strong> rare de cancer du sang l'avait réduit à l'état de fantô<strong>me</strong><br />
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66<br />
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
humain en quelques semai<strong>ne</strong>s. Ja<strong>ne</strong> n'avait jamais supporté l'ambiance des hôpitaux, la notion<br />
de mort, la maladie ou l'anormalité. Elle avait fui en l'abandonnant à son triste sort. Il était<br />
mort six mois plus tard, après avoir enduré de longues souffrances physiques, après avoir<br />
pleuré toutes les lar<strong>me</strong>s de son corps, d'avoir perdu son amour auquel il croyait dur com<strong>me</strong><br />
fer. De là datait l'aversion profonde de Ja<strong>ne</strong> pour la maladie, pour toutes les for<strong>me</strong>s de<br />
souffrance, de malheur. De là datait son envie de gag<strong>ne</strong>r du fric pour <strong>ne</strong> jamais être dans le<br />
besoin, son envie de s'éclater sexuelle<strong>me</strong>nt de n'importe quelle façon, autant de fois que<br />
possible. De là datait son envie de vivre coûte que coûte, sachant trop bien que tout pouvait<br />
s'arrêter d'<strong>un</strong> claque<strong>me</strong>nt de doigt, parce qu'<strong>un</strong> dingue l'aurait décidé en lui logeant u<strong>ne</strong> balle<br />
dans la tête ou qu'<strong>un</strong> terroriste l'aurait choisie com<strong>me</strong> voisi<strong>ne</strong> au mo<strong>me</strong>nt de se faire sauter,<br />
lui faisant payer le droit d'être dirigée par <strong>un</strong> président mou du bulbe rachidien (Com<strong>me</strong>nt<br />
s'appelle-t-il, déjà ? J'ai son nom sur la bouche !). De là datait son obsession pour les histoires<br />
courtes et sans lendemain.<br />
- Tu te souviens de moi, Ja<strong>ne</strong> ? S'étonna saint Timothy. <strong>Je</strong> suis surpris. <strong>Je</strong> pensais que tu<br />
m'avais oublié.<br />
- Non, fit l'avocate en baissant les yeux.<br />
Elle s'effaça sur le côté, invitant son hôte à pénétrer dans le confortable apparte<strong>me</strong>nt. Il<br />
accepta l'invitation. Elle releva le <strong>me</strong>nton et croisa son regard. Il <strong>ne</strong> la toisa <strong>pas</strong>, com<strong>me</strong> elle le<br />
craignait. Au contraire, il souriait. Pas <strong>un</strong> de ces sourires narquois dont ses confrères étaient<br />
capables à l'idée de la vaincre grâce à <strong>un</strong> argu<strong>me</strong>nt fallacieux ou à <strong>un</strong> tour pendable. Non…<br />
<strong>Un</strong> sourire d'<strong>ange</strong>, apte à convaincre le diable de se convertir aux joies de la bonté, suffisant<br />
pour enjôler <strong>un</strong> percepteur. Elle le suivit jusqu'au salon. Il attendit qu'elle l'invite à s'asseoir<br />
sur le canapé, n'ayant rien perdu de ses manières polies et de sa bon<strong>ne</strong> éducation.<br />
- Tu vois, j'ai fait du chemin, depuis mon départ de la Terre, poursuivit Timothy. Grâce à toi.<br />
- Moi ? Releva Ja<strong>ne</strong>, craignant l'explication.<br />
- Oui… En effet… Il y a combien de temps ? Cinq ans ? Oui, c'est cela. Cinq ans. Le temps<br />
<strong>pas</strong>se si vite. N'est-ce <strong>pas</strong> ?<br />
- Oui… fit-elle, songeuse.<br />
- Oui, c'est en partie grâce à toi si je suis venu au pa<strong>radis</strong> et surtout, si j'ai été canonisé. J'ai<br />
telle<strong>me</strong>nt… souffert… dans mon cœur à l'époque que Dieu a entendu <strong>me</strong>s appels à l'aide.<br />
J'avais éprouvé u<strong>ne</strong> douleur im<strong>me</strong>nse. J'allais mourir et en fait, je souffrais com<strong>me</strong> si tu étais<br />
morte. Ta disparition <strong>me</strong> laissait orphelin et veuf à la fois. <strong>Je</strong> n'ai <strong>pas</strong> pu m'en re<strong>me</strong>ttre.<br />
- <strong>Je</strong> suis désolée, s'excusa la jeu<strong>ne</strong> fem<strong>me</strong>. <strong>Je</strong>… J'étais profondé<strong>me</strong>nt choquée et… je… je<br />
n'arrivais <strong>pas</strong> à <strong>me</strong> faire à l'idée de la mort. <strong>Je</strong> hais toujours autant les hôpitaux et autres lieux<br />
puant la mort.<br />
- <strong>Je</strong> sais…<br />
- Tu sais ? Com<strong>me</strong>nt ?<br />
- Disons que du ciel, surveiller est très facile ! <strong>Un</strong> peu com<strong>me</strong> <strong>un</strong> satellite ! J'ai suivi ton<br />
parcours durant ces années.<br />
- Tu <strong>ne</strong> dois <strong>pas</strong> être satisfait du résultat, je suppose ! Il <strong>ne</strong> correspond guère aux critères<br />
d'entrée au pa<strong>radis</strong> !
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
- Si ton entrée <strong>ne</strong> relevait que d'u<strong>ne</strong> décision de saint Innocent, ta venue serait<br />
irrémédiable<strong>me</strong>nt compromise, je le pense. Mais, <strong>ne</strong> crois <strong>pas</strong> que tout soit négatif, mê<strong>me</strong> si<br />
ton comporte<strong>me</strong>nt a sérieuse<strong>me</strong>nt changé après notre séparation. Tu es devenue u<strong>ne</strong> brillante<br />
avocate, rétribuée à la hauteur de ses talents.<br />
- Maigre consolation à porter à mon crédit ! Cela <strong>ne</strong> pèse <strong>pas</strong> lourd face au reste, n'est-ce <strong>pas</strong>,<br />
Timothy ?<br />
- <strong>Je</strong> <strong>ne</strong> suis <strong>pas</strong> là pour te juger, Ja<strong>ne</strong>. <strong>Je</strong> suis là pour te protéger. Ta vie est réelle<strong>me</strong>nt en<br />
d<strong>ange</strong>r si le complot que tu as évoqué, a bien l'ampleur annoncée.<br />
- Tu étais d'accord avec la proposition de saint <strong>Eric</strong> ? Il a bien mijoté son coup, celui-là ! Il<br />
savait que nous nous connaissions et que nous avions été proches ?<br />
- Il savait tout.<br />
- Et tu as accepté ou tu as été contraint d'accepter ?<br />
- <strong>Je</strong> <strong>me</strong> suis porté volontaire lorsque j'ai appris qu'il fallait te protéger.<br />
Ja<strong>ne</strong> en resta muette. Volontaire. Après tout ce qu'elle lui avait fait ! Il avait été fait cocu, il<br />
avait péri seul, perclus de maux et il venait à sa rescousse. Com<strong>me</strong>nt <strong>un</strong> être aussi bon<br />
pouvait-il exister ? Pourquoi <strong>ne</strong> l'avait-elle <strong>pas</strong> gardé ? Pourquoi avait-elle toujours cherché le<br />
malheur au lieu de se réfugier dans le bonheur de ses bras accueillants ? Pourquoi <strong>ne</strong> trouvaitelle<br />
toujours aucu<strong>ne</strong> réponse à cette éter<strong>ne</strong>lle question ?<br />
- <strong>Je</strong> <strong>ne</strong> te gê<strong>ne</strong>rai <strong>pas</strong> du tout, je m'installerai dans la chambre voisi<strong>ne</strong> à la tien<strong>ne</strong>. Ainsi, tu<br />
resteras tranquille tout en sachant qu'à tout instant, il te suffirait d'appeler au secours pour<br />
que je te vien<strong>ne</strong> en aide. <strong>Eric</strong> a insisté pour que je <strong>me</strong> tien<strong>ne</strong> prêt. Aussi, je <strong>ne</strong> ferai que<br />
semblant de dormir !<br />
La jeu<strong>ne</strong> fem<strong>me</strong> l'entendait sans vrai<strong>me</strong>nt l'écouter. Dans son esprit, les mê<strong>me</strong>s questions<br />
l'assaillaient : pourquoi se portait-il volontaire ? Pourquoi était-il aussi généreux ? Risquait-il<br />
vrai<strong>me</strong>nt sa vie en s'exposant entre elle et d'éventuels assaillants ? Saint Marc était bel et bien<br />
anéanti, précipité dans u<strong>ne</strong> lessive de Génie sans bouillir, la seule ar<strong>me</strong> capable de l'envoyer<br />
person<strong>ne</strong>lle<strong>me</strong>nt vers le néant, <strong>un</strong> lieu bâti avec les idées des dictateurs de tous poils. Existaitil<br />
<strong>un</strong> traite<strong>me</strong>nt terrifiant de banalité capable de produire cet effet dévastateur sur son ancien<br />
compagnon ? Elle brûlait d'envie de connaître la réponse à cette question.<br />
- Timothy… Est-ce que l'en<strong>ne</strong>mi pourrait te faire du mal ?<br />
- Tu veux dire : com<strong>me</strong> à saint Marc ?<br />
- Oui.<br />
Il esquissa u<strong>ne</strong> moue qui signifiait oui.<br />
- <strong>Je</strong> sais qu'il existe <strong>un</strong> moyen de m'expédier dans le néant.<br />
- Seig<strong>ne</strong>ur ! Et si l'en<strong>ne</strong>mi le découvre ?<br />
- Prions pour que cela <strong>ne</strong> survien<strong>ne</strong> jamais !<br />
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<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
Et il joignit le geste à la parole, fermant les yeux et invoquant Dieu, son grand patron. Elle<br />
respecta le silence qu'il s'imposait durant la prière. Elle imagina qu'u<strong>ne</strong> spécificité le rendait<br />
particulière<strong>me</strong>nt vulnérable à <strong>un</strong> quelconque traite<strong>me</strong>nt ignoble. Si saint Marc avait péri à<br />
cause du Génie sans bouillir, Timothy risquait peut-être sa vie avec <strong>un</strong> shampoing<br />
mél<strong>ange</strong>ant l'eau, l'air et l'ale (Cherchez la marque déguisée capable de s'opposer à Timotei !).<br />
Ja<strong>ne</strong> n'imaginait <strong>pas</strong> qu'elle venait de <strong>me</strong>ttre le doigt sur la faille de Timothy. Cependant, elle<br />
concevait que cette information, connue de Dieu, consignée dans sa mémoire, avait pu<br />
s'échapper ou être pillée et exploitée par les mécréants qui complotaient au sein du pa<strong>radis</strong>.<br />
Perdre Timothy u<strong>ne</strong> seconde fois serait au-dessus de ses forces, d'autant plus qu'il n'avait plus<br />
le teint cireux de sa période maladive et qu'il était toujours aussi craquant. Est-ce que son<br />
contrat prévoyait qu'il garde son corps de plus près ?<br />
"Non, vraisemblable<strong>me</strong>nt <strong>pas</strong> !" Songea-t-elle en souriant <strong>me</strong>ntale<strong>me</strong>nt. "<strong>Je</strong> vais devoir<br />
composer avec lui et faire vœu de chasteté pour six jours ! Bah ! <strong>Je</strong> <strong>me</strong> rattraperai plus tard !"<br />
Après s'être restaurée de la pizza aux flocons de <strong>ne</strong>ige, délivrée entre-temps par <strong>un</strong> <strong>ange</strong> vif<br />
com<strong>me</strong> l'éclair, l'avocate poursuivit la conversation par politesse mais elle stoppa rapide<strong>me</strong>nt<br />
après avoir commis quelques gaffes de son crû. Alors qu'elle demandait des nouvelles des<br />
parents de l'ex-médecin, ce dernier lui apprit que sa mère était morte de chagrin et que son<br />
père, <strong>un</strong> riche propriétaire texan, avait succombé récem<strong>me</strong>nt d'<strong>un</strong> cancer de la langue, à la<br />
suite de consommation abusive de barbecue, u<strong>ne</strong> spécialité de son ranch situé non loin de<br />
Dallas.<br />
Puis, l'heure de dormir était venue. Timothy, prenant son rôle très au sérieux, avait inspecté<br />
la chambre de la jeu<strong>ne</strong> fem<strong>me</strong> de fond en comble et était venu la border com<strong>me</strong> <strong>un</strong> bon père.<br />
Penché sur elle, il l'avait gratifié d'<strong>un</strong> baiser sur le front plus amical et pater<strong>ne</strong>l que tout autre<br />
geste. Puis, il lui avait souhaité u<strong>ne</strong> bon<strong>ne</strong> nuit et avait renouvelé ses conseils de prudence<br />
avant de la quitter. Elle avait rapide<strong>me</strong>nt gagné le som<strong>me</strong>il dans les bras de Morphée, la seule<br />
person<strong>ne</strong> qui couchait avec le monde entier toutes les nuits sans encourir le moindre<br />
reproche.<br />
* *<br />
*
11<br />
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
La piste de danse <strong>ne</strong> désemplissait <strong>pas</strong> ; des enceintes, à dix mille watts l’<strong>un</strong>ité, crachaient les<br />
tubes de Va<strong>ne</strong>ssa Pa<strong>radis</strong> à grands renforts de décibels. De temps en temps, des <strong>ange</strong>s<br />
endiablés se trémoussaient de manière suggestive dès que le DJ <strong>pas</strong>sait "Parking des <strong>ange</strong>s",<br />
de Marc Lavoi<strong>ne</strong> tandis que les images de "Nous irons tous au pa<strong>radis</strong>" défilaient sur <strong>un</strong> mur<br />
immaculé. Le Pa<strong>radis</strong>co, u<strong>ne</strong> boîte de nuit secrète, enfouie sous les fondations d'<strong>un</strong> nuage<br />
d'habitation totale<strong>me</strong>nt insoupçonnable, faisait recette ce soir com<strong>me</strong> les autres soirs. Dieu et<br />
ses saints en ignoraient l'existence.<br />
La boîte, parfaite<strong>me</strong>nt illégale au pa<strong>radis</strong>, était la chasse gardée et l'œuvre du clan des corses.<br />
Le clan des corses était ainsi nommé à cause des innombrables "Ange" que comptait l'île de<br />
beauté parmi sa population vivante et morte (les deux participant aux élections<br />
présidentielles, législatives et territoriales, com<strong>me</strong> chac<strong>un</strong> sait !). Il y avait Ange Raccourci,<br />
ainsi baptisé car il avait perdu u<strong>ne</strong> aile lors de la grande guerre de sécession. A ses côtés,<br />
sirotant <strong>un</strong> Bloody Marie sans Marie (occupée à surveiller son fils Jésus, apprenant à ch<strong>ange</strong>r<br />
l'eau en vin de <strong>me</strong>sse buvable, sur les conseils de <strong>Je</strong>an-Pierre Coffe), Ange Karoussi, le cogérant<br />
du Pa<strong>radis</strong>co, lui aussi profondé<strong>me</strong>nt touché par la grande guerre, brûlé par le souffle<br />
de Satan. Les deux Anges corses attendaient la venue de hauts dignitaires dans la hiérarchie,<br />
tout en jetant <strong>un</strong> œil sur leurs employés. Ange Igolo, danseur mondain, venait d'inviter sainte<br />
Nitouche qui <strong>ne</strong> méritait <strong>pas</strong> sa prude réputation. La ru<strong>me</strong>ur laissait entendre qu'elle était si<br />
coincée qu'on la soupçonnait de s’être enfilée u<strong>ne</strong> plu<strong>me</strong> raide dans le trou du cul mais c'était<br />
totale<strong>me</strong>nt faux. Sa seule présence en ces lieux corrompus attestait du contraire. Elle se laissa<br />
entraî<strong>ne</strong>r dans <strong>un</strong> ryth<strong>me</strong> endiablé (<strong>un</strong> comble !) imposé par les <strong>pas</strong> précis d'Ange Igolo.<br />
- Ce soir, la boîte tour<strong>ne</strong> bien ! Remarqua Ange Raccourci.<br />
- C'est vrai ! Abonda Ange Karoussi. Moins il y a d'entrées au pa<strong>radis</strong>, plus nous tirons notre<br />
épingle du jeu. Mais ce n'est <strong>pas</strong> suffisant. Il est grand temps que les choses ch<strong>ange</strong>nt au<br />
pa<strong>radis</strong>. Nos invités vont y parvenir, j'espère.<br />
- Qu'est-ce qu'ils foutent ? Bon sang ! J'espère qu'ils n'ont <strong>pas</strong> été inquiétés par <strong>un</strong> barrage des<br />
forces de sécurité !<br />
- Mais non… Ne t'inquiète <strong>pas</strong> ! <strong>Je</strong> vais aux nouvelles auprès d'Ange Grosfusi.<br />
Ange Karoussi se redressa et fila vers l'entrée. Au mê<strong>me</strong> instant, l'intensité lumi<strong>ne</strong>use<br />
diminua forte<strong>me</strong>nt dans l'im<strong>me</strong>nse salle, la plongeant dans des ténèbres inhabituelles pour le<br />
pa<strong>radis</strong>. C'était l'heure de l'entrée en scè<strong>ne</strong> de la vedette maison, le musicien et chanteur<br />
polyphonique Ange Cébohu<strong>ne</strong>villanui. Tant mieux ! L'arrivée des invités, enfin annoncée par<br />
les vigiles en faction à l'entrée, n'en serait que plus discrète. <strong>Un</strong> à <strong>un</strong>, les mystérieux <strong>ange</strong>s<br />
venus en petit comité, s'introduisirent dans l'enceinte du Pa<strong>radis</strong>co, profitant de la pénombre<br />
générée par le show du soliste, entonnant "les démons de minuit", le tube du groupe Images,<br />
version polyphonie corse. Ils élirent domicile dans u<strong>ne</strong> loge parfaite<strong>me</strong>nt à l'abri des regards<br />
et des oreilles indiscrètes, grâce aux hurle<strong>me</strong>nts cacophoniques d'Ange Cébohu<strong>ne</strong>villanui.<br />
Le serveur leur apporta u<strong>ne</strong> coupe de sangria titrant au moins dix degrés, malgré les<br />
nombreux fruits du travail et du pa<strong>radis</strong> (surtout des pom<strong>me</strong>s interdites). Ange Achère et<br />
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70<br />
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
Ange Erance, les deux principaux loueurs de bâti<strong>me</strong>nts à Pa<strong>radis</strong>land, se servirent<br />
copieuse<strong>me</strong>nt sans y être invités, trahissant <strong>un</strong> manque de savoir-vivre manifeste. Ils reçurent<br />
le regard désapprobateur d'Ange Eomètre, leur grand patron, le bâtisseur de nuages<br />
d'habitation, le Bouygues des cieux, le Vauban des temps moder<strong>ne</strong>s. <strong>Un</strong> <strong>ange</strong> bouton<strong>ne</strong>ux,<br />
binoclard et moche com<strong>me</strong> <strong>un</strong> pou les accompagnait. Il se nommait Ange Enérateur de<br />
Program<strong>me</strong>. Son patrony<strong>me</strong> trahissait ses origi<strong>ne</strong>s aristocratiques mais il accomplissait <strong>un</strong><br />
métier bien peu noble : informaticien. Sa mor<strong>ne</strong> tâche consistait à maintenir le logiciel SAP<br />
(Sélection pour l'Accès au Pa<strong>radis</strong>. NDLA : c'est aussi le logiciel allemand de gestion<br />
d'entreprise le plus vendu au monde !), en appliquant les rares correctifs que nécessitait cet<br />
énor<strong>me</strong> program<strong>me</strong> basé sur l'engr<strong>ange</strong><strong>me</strong>nt des moindres détails de la vie des humains et<br />
paramétré pour analyser les faits et gestes.<br />
- Mes amis, com<strong>me</strong>nça Ange Eomètre, si les <strong>me</strong>mbres émi<strong>ne</strong>nts de notre confrérie sont<br />
ré<strong>un</strong>is pour la première fois ce soir, c'est que l'urgence de la situation l'exige. Com<strong>me</strong> vous le<br />
savez à présent, la situation économique des <strong>un</strong>s et des autres est catastrophique. Nous <strong>ne</strong><br />
som<strong>me</strong>s <strong>pas</strong> les seuls que la récession plonge dans le rouge écarlate. Les comptes des<br />
com<strong>me</strong>rçants du pa<strong>radis</strong> frisent tous avec le niveau d<strong>ange</strong>reux. <strong>Je</strong> tiens les chiffres d'Ange<br />
Ilet, alias Enfilé, le délégué du syndicat des com<strong>me</strong>rçants. Qui est responsable ? Dieu ! Sa<br />
rigidité quasi cadavérique à refuser des entrées massives au pa<strong>radis</strong> nous a conduits à la<br />
bérézina. Saint Innocent refuse toujours de <strong>me</strong>ttre cette saleté de program<strong>me</strong> à la poubelle,<br />
appliquant des critères de sélection toujours aussi draconiens que ceux qu'il imposait à l'aube<br />
de l'humanité. Par chance, notre ami Ange Enérateur de Program<strong>me</strong>, grâce à son génie, a pu<br />
accomplir quelques miracles que saint Innocent n'a <strong>pas</strong> pu décer<strong>ne</strong>r. Mais son brio n'est <strong>pas</strong><br />
suffisant. Les quelques entrées illicites dont la majorité se trouve concentrée sur la piste de<br />
danse ce soir, sont très large<strong>me</strong>nt insuffisantes pour relancer l'économie de notre pa<strong>radis</strong>.<br />
- Que proposez-vous ? S'exclamèrent Ange Achère et Ange Erance de concert, <strong>ne</strong> perdant<br />
jamais u<strong>ne</strong> part de leur pourcentage du marché, mê<strong>me</strong> sur celui du temps de parole.<br />
- Face au laxis<strong>me</strong> de Dieu, se moquant de la condition des com<strong>me</strong>rçants, il faut agir. Nous<br />
devons achever la croisade entreprise par le Diable autrefois.<br />
- Quoi ? Clamèrent les autres participants à la ré<strong>un</strong>ion.<br />
- Il faut déclencher u<strong>ne</strong> guerre au pa<strong>radis</strong>, élimi<strong>ne</strong>r les â<strong>me</strong>s trop bon<strong>ne</strong>s, accueillir les<br />
corrompues et développer le com<strong>me</strong>rce. Il faut concurrencer Satan sur son cré<strong>ne</strong>au mais sur<br />
notre terrain. Pas question d'aller le chasser ; il faut le copier.<br />
- Nous risquons, tout com<strong>me</strong> lui, d'être chassés !<br />
- Non. J'ai <strong>un</strong> plan infaillible ! <strong>Un</strong>e ar<strong>me</strong> terrifiante à laquelle Dieu et sa clique de saints<br />
bonasses <strong>ne</strong> s'attendent absolu<strong>me</strong>nt <strong>pas</strong>.<br />
- Quelle ar<strong>me</strong> ? Questionna Ange Raccourci, soulignant son vif intérêt pour tout ce qui<br />
pétait, tranchait, découpait ou tronçonnait, en bon Corse qui se respecte.<br />
- C'est <strong>un</strong> secret. Dites-vous simple<strong>me</strong>nt que nous serons plus nombreux et plus puissants<br />
que Satan lorsqu'il tenta son insurrection. Bien plus puissants !<br />
- Ah… Mais le temps presse, non ? J'ai entendu parler d'u<strong>ne</strong> enquêtrice venue spéciale<strong>me</strong>nt<br />
de la Terre pour découvrir les responsables de l'élimination des fureteurs du centre de la<br />
comm<strong>un</strong>ication télépathique. Qu'en est-il ? Questionna Ange Achère.
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
- Inutile de vous affoler, déclama le bâtisseur de nuages. Effective<strong>me</strong>nt, Dieu a eu l'idée de la<br />
faire venir au pa<strong>radis</strong> pour enquêter. Mais cette idiote n'a plus que six jours pour réussir là où<br />
Ange Endar<strong>me</strong> a échoué. Elle n'y arrivera <strong>pas</strong>.<br />
- <strong>Je</strong> <strong>ne</strong> suis <strong>pas</strong> de votre avis, rétorqua Ange Raccourci. D'après la ru<strong>me</strong>ur, elle aurait déjà<br />
découvert la dérivation opérée au centre de comm<strong>un</strong>ication télépathique. Le problè<strong>me</strong> devait<br />
soi-disant être résolu par l'<strong>un</strong> des nôtres.<br />
Il jeta <strong>un</strong> regard noir à Ange Grosfusi, celui qui avait eu l'idée de confier <strong>un</strong> travail de haute<br />
précision (<strong>ne</strong>ttoyer des preuves sans éveiller de soupçons) à Ange Dorémifassolaci.<br />
- Le travail a été bâclé et cette maudite enquêtrice a découvert le pot aux roses. Qui est-elle ?<br />
Quel profil possède-t-elle ? Nous <strong>ne</strong> savons rien d'elle. Ange Enérateur n'a rien dans ses<br />
fichiers. Pourquoi ? Com<strong>me</strong>nt se fait-il qu'il n'accède <strong>pas</strong> à son dossier person<strong>ne</strong>l ? Ange<br />
Enérateur ? Vous avez progressé ?<br />
- Non, répondit l'intéressé. <strong>Je</strong> <strong>ne</strong> comprends <strong>pas</strong>. Dès la naissance, chaque humain possède<br />
u<strong>ne</strong> entrée dans la machi<strong>ne</strong>. Ensuite, chaque acte, chaque évé<strong>ne</strong><strong>me</strong>nt vient s'inscrire dans son<br />
dossier person<strong>ne</strong>l. Cette fem<strong>me</strong> n'est <strong>pas</strong> dans nos dossiers.<br />
- Com<strong>me</strong>nt se nom<strong>me</strong>-t-elle ? Demanda Ange Eomètre.<br />
- Ja<strong>ne</strong> April. <strong>Je</strong> <strong>ne</strong> trouve <strong>pas</strong> trace d'elle dans la machi<strong>ne</strong>.<br />
- C'est l'évidence mê<strong>me</strong> ! S'exclama Ange Eomètre, persuadé de détenir la clef du mystère.<br />
Elle est morte. Les morts sont retirés de la mémoire de l'ordinateur.<br />
- Elle n'est <strong>pas</strong> morte. Si elle réussit dans le délai imparti, Dieu la renvoie dans son corps,<br />
ajouta Ange Enérateur. Nom de l'autre ! S'exclama-t-il brusque<strong>me</strong>nt. Le portable de Dieu,<br />
l'ordinateur réservé aux cas spéciaux !<br />
- Qu'est-ce que c'est ? Questionnèrent les loueurs de nuages.<br />
- <strong>Un</strong>e machi<strong>ne</strong> de transit. Bien sûr ! Son dossier est là-dedans !<br />
- Auriez-vous le moyen d'y accéder ?<br />
- Pour qui <strong>me</strong> pre<strong>ne</strong>z-vous ? <strong>Je</strong> <strong>ne</strong> suis qu'<strong>un</strong> modeste <strong>ange</strong>, je n'ai <strong>pas</strong> le privilège d'évoluer<br />
dans la sphère d'influence des hautes instances de l'état religieux ! Impossible d'accéder à<br />
cette machi<strong>ne</strong> !<br />
- Soit ! Calma Ange Eomètre. Mê<strong>me</strong> si nous <strong>ne</strong> pouvons découvrir le parcours de cette<br />
créature, cela n'empêchera <strong>pas</strong> de prendre des <strong>me</strong>sures préventives à son égard. Ange<br />
Grosfusi, fit le bâtisseur en se tournant vers le tonton flingueur, vous allez vous charger de<br />
l'élimi<strong>ne</strong>r. Si cela s'avère trop compliqué ou trop d<strong>ange</strong>reux pour le secret de nos actions,<br />
contentez-vous de lui <strong>me</strong>ttre des bâtons dans les roues ! Il n'est <strong>pas</strong> question de la laisser<br />
contrecarrer nos projets et il n'est <strong>pas</strong> question de les précipiter au risque de tout faire rater.<br />
Espion<strong>ne</strong>z les transmissions télépathiques. Avec <strong>un</strong> peu de chance, nous capterons peut-être<br />
<strong>un</strong> secret échangé entre Dieu et l'<strong>un</strong> de ses sbires. Nous dégoterons peut-être <strong>un</strong> moyen de<br />
détruire <strong>un</strong> saint. Saint <strong>Eric</strong>, par exemple ! Allez ! A vous de jouer !<br />
- Compris ! Fit le bras armé du clan des <strong>ange</strong>s corses.<br />
Nul doute que les heures de Ja<strong>ne</strong> étaient comptées. Son agenda risquait de s'avérer plus serré<br />
que prévu…<br />
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72<br />
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
* *<br />
*<br />
Sitôt la ré<strong>un</strong>ion achevée, Ange Enérateur de Program<strong>me</strong> s'était emparé de son trotti-nuage<br />
pour regag<strong>ne</strong>r ses pénates. Il n'avait bien évidem<strong>me</strong>nt <strong>pas</strong> eu vent de la conversation<br />
suivante, tenue entre Ange Grosfusi et Ange Requiempourverdi, l'<strong>un</strong> de ses sbires chargés<br />
des basses œuvres, <strong>un</strong> <strong>ange</strong> fêlé sifflotant l'air italien avant d'exécuter ses victi<strong>me</strong>s.<br />
- Qui est-ce que je flingue, patron ? Avait entamé l'abruti au cerveau aussi épais qu'u<strong>ne</strong><br />
plu<strong>me</strong>.<br />
- Person<strong>ne</strong>, gros malin ! Rétorqua Ange Grosfusi. Tu vois ce <strong>me</strong>c-là ? <strong>Je</strong> suis persuadé qu'il<br />
va avoir des ennuis bientôt.<br />
- Parce que je vais le flinguer, patron ?<br />
- Mais non ! Ecoute-moi deux secondes ! Tu vas le filer et <strong>me</strong> tenir au courant de ses<br />
moindres faits et gestes. Qui il voit, quand il part, où il dort, tout ! OK ?<br />
- Et après, je le flingue ?<br />
- Nom de l'autre ! Arrête de penser avec ton arrache-plu<strong>me</strong> et sers-toi de ta cervelle, pour u<strong>ne</strong><br />
fois ! Bon… Ce type joue avec le feu dans le cadre de son boulot de traître. Si l'enquêtrice<br />
nommée par Dieu a découvert les vestiges de notre dérivation au centre de comm<strong>un</strong>ication<br />
télépathique, le tout en moins d'u<strong>ne</strong> journée, elle va dénicher les manipulations de ce petit<br />
génie de l'informatique. Tôt ou tard, elle va lui <strong>me</strong>ttre la main dessus.<br />
- Et là, je la flingue ?<br />
- Non.<br />
- <strong>Je</strong> le flingue ?<br />
- Non.<br />
- Ah ouais ! J'ai compris !<br />
- Enfin ! Soupira Ange Grosfusi, désespérant que son adjoint mou du bulbe trouve la suite<br />
logique.<br />
- <strong>Je</strong> les flingue tous les deux.<br />
- Seig<strong>ne</strong>ur… Non, abruti ! Contente-toi de le suivre com<strong>me</strong> <strong>un</strong> toutou et de <strong>me</strong> faire <strong>un</strong><br />
compte-rendu ! Vas-y ! Tire-toi !<br />
Le vassal obtempéra sans proposer u<strong>ne</strong> élimination supplé<strong>me</strong>ntaire. Mais ce mutis<strong>me</strong> soudain<br />
n'excluait <strong>pas</strong> u<strong>ne</strong> bavure… Il disparut dans la nuit, filant le train du sieur Enérateur de<br />
Program<strong>me</strong>, à bord d'<strong>un</strong> nuage noir frappé de l'étoile d'argent.<br />
* *<br />
*
12<br />
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
Si l'enquête avait démarré sur les chapeaux de roue, grâce à la découverte effectuée au centre<br />
des comm<strong>un</strong>ications télépathiques, entraînant des <strong>me</strong>sures de sécurité préventives,<br />
l'inquisition de Ja<strong>ne</strong> faisait désormais du sur-place. Accompagnée de saint <strong>Eric</strong>, saint Luc et<br />
son garde du corps, elle s'était rendue à la bibliothèque et avait visionné les docu<strong>me</strong>nts<br />
relatant la guerre de sécession, l'<strong>un</strong>ique, effroyable et sanglante bataille ayant secoué les<br />
fonde<strong>me</strong>nts du lieu idéal (bien que person<strong>ne</strong>lle<strong>me</strong>nt, je situe plutôt le lieu idéal en montag<strong>ne</strong>,<br />
dans <strong>un</strong> chalet de cent cinquante mètres carrés, avec u<strong>ne</strong> <strong>me</strong>zzani<strong>ne</strong> pour moi et u<strong>ne</strong> petite<br />
lucar<strong>ne</strong> donnant directe<strong>me</strong>nt sur la forêt et le massif voisin, le tout non éloigné de bon<strong>ne</strong>s<br />
boutiques bien achalandées, débordant de victuailles). Il n'en fallait <strong>pas</strong> moins pour<br />
comprendre, apprendre le pa<strong>radis</strong>, l'enfer et la création du purgatoire. Comprendre pour<br />
mieux se défendre.<br />
Malheureuse<strong>me</strong>nt, tous ces efforts de<strong>me</strong>uraient vains. Elle éprouvait les mê<strong>me</strong>s difficultés<br />
que les gouver<strong>ne</strong><strong>me</strong>nts luttant contre le terroris<strong>me</strong> : l'en<strong>ne</strong>mi n'avait <strong>pas</strong> de visage. Sa théorie<br />
du complot généralisé (à la sauce Mulder et Scully, de la série X-Files), <strong>me</strong>ttant en jeu des<br />
hauts dignitaires de la hiérarchie pa<strong>radis</strong>iaque, <strong>ne</strong> tenait <strong>pas</strong> debout, faute de preuve. A part<br />
Judas, qu'il était aisé d'accuser com<strong>me</strong> d'habitude, depuis qu'il avait fauté, ou Pinocchio, dont<br />
le pif <strong>ne</strong> cessait de s'allonger dès qu'il déblatérait des salades imm<strong>ange</strong>ables, nul personnage<br />
<strong>ne</strong> pouvait être mis en accusation sans étaler <strong>un</strong> monceau de preuves.<br />
Le temps <strong>pas</strong>sait lente<strong>me</strong>nt mais i<strong>ne</strong>xorable<strong>me</strong>nt. Dans u<strong>ne</strong> journée, l'avocate serait renvoyée<br />
dans son corps encore chaud, après seule<strong>me</strong>nt u<strong>ne</strong> heure de mort cardiaque et cérébrale.<br />
Dieu arr<strong>ange</strong>rait les dégâts et elle ferait les gorgées chaudes de "Vatican magazi<strong>ne</strong>", posant<br />
avec le pape (sa sainteté, et non le Patron des Auréoles Perdues ou Egarées), incarnant<br />
officielle<strong>me</strong>nt le soixante-septiè<strong>me</strong> miracle de la maison catholique. Sept jours pour enquêter<br />
dans <strong>un</strong> monde totale<strong>me</strong>nt étr<strong>ange</strong>r, le délai était vrai<strong>me</strong>nt trop court pour réussir. Dieu <strong>ne</strong><br />
lui en tenait <strong>pas</strong> rigueur, <strong>pas</strong> plus que les saints l'assistant dans sa tâche. Dans u<strong>ne</strong> journée, le<br />
Tout-puissant la renverrait dans son corps divin (!) et reviendrait à la case départ, c'est à dire<br />
la situation où des <strong>ange</strong>s peuvent se faire déplu<strong>me</strong>r en toute imp<strong>un</strong>ité et des saints être<br />
dissous dans le néant.<br />
A ce propos, Ja<strong>ne</strong> avait exploré tous les docu<strong>me</strong>nts où ces informations auraient pu être<br />
consignées. Mais elle avait fait chou blanc : ces détails techniques sur la manière d'anéantir les<br />
saints de manière individuelle n'étaient évidem<strong>me</strong>nt <strong>pas</strong> consignés par écrit. Tout était dans la<br />
tête de Dieu et rien <strong>ne</strong> pouvait le forcer à en sortir.<br />
Ja<strong>ne</strong> songeait juste<strong>me</strong>nt à ce point précis lorsqu'elle se pro<strong>me</strong>nait près de la Cè<strong>ne</strong>, le fleuve de<br />
lumière baignant la capitale du pa<strong>radis</strong>, Pa<strong>radis</strong>land. Saint Timothy l'accompagnait, com<strong>me</strong> à<br />
son habitude, <strong>ne</strong> la lâchant <strong>pas</strong> d'u<strong>ne</strong> se<strong>me</strong>lle, prenant son rôle très à cœur. Cependant, il se<br />
tenait légère<strong>me</strong>nt à l'écart, la laissant toute à ses pensées, à sa réflexion, sachant que le silence<br />
était la clef de sa concentration.<br />
"Rien n'a pu forcer Dieu à révéler la manière de trucider saint Marc. Cela de<strong>me</strong>ure <strong>un</strong><br />
mystère. Pour les <strong>ange</strong>s, c'est différent. Le systè<strong>me</strong> de l'arrachage de plu<strong>me</strong> a peut-être été<br />
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74<br />
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
découvert par hasard et appliqué, par la suite, sur les traîtres ou les <strong>ange</strong>s générateurs<br />
d'ennuis. Mais pour le saint, si tout est dans la tête de Dieu, com<strong>me</strong>nt la fuite a-t-elle eu lieu ?<br />
Mais après tout… Timothy sait qu'il existe <strong>un</strong> moyen de l'anéantir. Peut-être connaît-il le<br />
moyen exact ? Saint <strong>Eric</strong> m'a confié qu'il savait depuis peu quel était le moyen de l'achever,<br />
lui aussi. Dieu lui a confié le secret. Ad<strong>me</strong>ttons que Dieu ait révélé à saint Marc la façon de<br />
périr et qu'u<strong>ne</strong> person<strong>ne</strong> mal intentionnée ait entendu la conversation… Cela confir<strong>me</strong>rait la<br />
présence d'au moins <strong>un</strong> traître dans l'entourage de Dieu, il aurait capté les mots de Dieu.<br />
Capté…"<br />
- Bon sang ! S'exclama brusque<strong>me</strong>nt l'avocate renommée.<br />
- Qu'y a-t-il ? Vint aussitôt s'enquérir son fidèle et preux chevalier servant.<br />
- <strong>Je</strong> cherchais com<strong>me</strong>nt l'en<strong>ne</strong>mi avait su que saint Marc était soluble dans le Génie sans<br />
bouillir. Il <strong>ne</strong> l'a <strong>pas</strong> lu dans <strong>un</strong> <strong>livre</strong>. Il n'a <strong>pas</strong> entendu les mots de Dieu en collant ses<br />
oreilles aux portes. Il a capté la révélation.<br />
- Capté ?<br />
- Oui, capté ! En espionnant saint Marc au centre de comm<strong>un</strong>ication télépathique ! <strong>Je</strong> suis<br />
persuadée que saint Marc possédait <strong>un</strong> petit standard person<strong>ne</strong>l, en tant que responsable. Il<br />
contrôlait l'accomplisse<strong>me</strong>nt du devoir par chac<strong>un</strong> de ses employés. N'était-il <strong>pas</strong> espionné ?<br />
Tout a était vérifié, sauf le bureau de saint Marc. Quelle évidence !<br />
- Merveilleux, Ja<strong>ne</strong> ! Tu es vrai<strong>me</strong>nt <strong>me</strong>rveilleuse ! Compli<strong>me</strong>nta le spécialiste des â<strong>me</strong>s<br />
amochées, accompagnant ses paroles d'<strong>un</strong> geste d'encourage<strong>me</strong>nt, <strong>pas</strong>sant sa main sur le<br />
visage de l'avocate.<br />
Elle s'en trouva émue et rosit de plaisir. Sa main fraîche possédait encore la fragilité mêlée<br />
d'assurance du médecin qu'il avait incarné sur la Terre. Elle plongea ses yeux dans les siens,<br />
chose qu'elle <strong>ne</strong> faisait jamais, par peur d'être dominée, attendrie, domptée, soumise. Elle se<br />
laissa aller, se noyant délicieuse<strong>me</strong>nt dans son regard. Il lui décocha <strong>un</strong> sourire dont il avait le<br />
secret et qui, au pa<strong>radis</strong>, se trouvait décuplé grâce à la blancheur naturelle des lieux. La<br />
caresse ajoutée au sourire la fit fondre. Elle se rapprocha insensible<strong>me</strong>nt de Timothy,<br />
cherchant le contact doux. Et puis, elle se ravisa et vint s'asseoir sur <strong>un</strong> nuage surplombant le<br />
fleuve tranquille aux mille reflets lumi<strong>ne</strong>ux.<br />
La lumière céleste s'élevait peu à peu, chassant les aurores boréales de la nuit pa<strong>radis</strong>iaque,<br />
baignant le paysage de couleurs <strong>pas</strong>tel. Au loin, Pa<strong>radis</strong>land s'éveillait pour u<strong>ne</strong> nouvelle<br />
journée, sans accident, sans faits divers défrayant la chronique, sans matière à scandale pour<br />
<strong>ange</strong> Ournal, promis à <strong>un</strong> destin de correspondant de guerre si l'en<strong>ne</strong>mi <strong>pas</strong>sait à l'attaque.<br />
- Ce serait vrai<strong>me</strong>nt dommage que tout ceci disparaisse, lâcha la jeu<strong>ne</strong> fem<strong>me</strong>.<br />
- Quoi donc ?<br />
- Le pa<strong>radis</strong>, toute cette beauté, toute cette bonté…<br />
- Serais-tu influencée par le pa<strong>radis</strong> ?<br />
Elle soupira en souriant.
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
- Oui… peut-être… C'est bizarre ! Ces lieux exercent u<strong>ne</strong> curieuse influence sur mon â<strong>me</strong>.<br />
C'est com<strong>me</strong> si j'avais enfin trouvé la paix. Vrai<strong>me</strong>nt, ce serait dommage que tout disparaisse.<br />
- Qu'est-ce qui te fait croire que cela va vrai<strong>me</strong>nt survenir ?<br />
- Regarde autour de toi, Timothy. Observe bien ! Nous som<strong>me</strong>s seuls au monde alors que si<br />
l'humanité était bon<strong>ne</strong> et généreuse com<strong>me</strong> tu l'es, les lieux pa<strong>radis</strong>iaques tels que celui-ci<br />
devraient être noirs de monde. Au lieu de cela, le pa<strong>radis</strong> se désertifie, le purgatoire <strong>ne</strong> sert<br />
plus vrai<strong>me</strong>nt à grand-chose et l'enfer devient u<strong>ne</strong> destination prisée des humains. C'est tout<br />
<strong>un</strong> systè<strong>me</strong> de valeurs qui fiche le camp. Tout le pa<strong>radis</strong> ressemblera bientôt à u<strong>ne</strong> ville<br />
fantô<strong>me</strong>, com<strong>me</strong> qu'on peut en visiter au Far West. Les bâti<strong>me</strong>nts d'habitation, pour la<br />
plupart, sont inoccupés. Les com<strong>me</strong>rces vivotent ou fer<strong>me</strong>nt les <strong>un</strong>s après les autres. Le vice,<br />
la corruption s'introduisent peu à peu dans les rouages du pa<strong>radis</strong>. Il y a mê<strong>me</strong> la chaî<strong>ne</strong><br />
ParadiX qui é<strong>me</strong>t sur des fréquences secrètes des program<strong>me</strong>s à faire hurler la censure<br />
américai<strong>ne</strong> qui n'est pourtant <strong>pas</strong> la plus sévère. Com<strong>me</strong>nt u<strong>ne</strong> telle corruption a-t-elle pu<br />
s'infiltrer dans la société pa<strong>radis</strong>iaque ? Cela <strong>ne</strong> peut plus durer ! Il faut que Dieu réagisse,<br />
qu'il pren<strong>ne</strong> des <strong>me</strong>sures draconien<strong>ne</strong>s pour filtrer les entrées au pa<strong>radis</strong> tout en les<br />
élargissant.<br />
- C'est contradictoire, nota Timothy.<br />
- Pas nécessaire<strong>me</strong>nt ! En langage de bon responsable marketing, cela s'appelle chercher de<br />
nouveaux marchés.<br />
- En clair, qu'est-ce que tu proposes ?<br />
- Que Dieu recherche de nouveaux entrants, de nouveaux peuples, dans des contrées<br />
éloignées, dans d'autres <strong>un</strong>ivers ! Qu'il organise des ré<strong>un</strong>ions d'information avec Allah,<br />
Bouddha, tous ses homologues, afin de créer des program<strong>me</strong>s d'éch<strong>ange</strong>, qu'ils agissent<br />
ensemble pour remédier au problè<strong>me</strong> de la perte de foi !<br />
- C'est <strong>un</strong> vrai program<strong>me</strong> politique ! Tu devrais te présenter aux élections pa<strong>radis</strong>iaques, tu<br />
réussirais à être élue. Malheureuse<strong>me</strong>nt, il <strong>ne</strong> reste plus qu'u<strong>ne</strong> journée. C'est trop court<br />
pour…<br />
- Qu'est-ce que tu viens de dire ? S'exclama brusque<strong>me</strong>nt Ja<strong>ne</strong> en tournant la tête en direction<br />
de son compagnon de pro<strong>me</strong>nade.<br />
- Eh bien… qu'il <strong>ne</strong> te reste qu'u<strong>ne</strong> journée et…<br />
- Non, avant !<br />
- Tu devrais te présenter aux élections pa<strong>radis</strong>iaques.<br />
- Dieu n'est <strong>pas</strong> élu. Ils veulent le renverser.<br />
- Tu crois que c'est leur mobile ?<br />
- Oui. Et je sais com<strong>me</strong>nt ils s'y pren<strong>ne</strong>nt pour introduire la corruption au pa<strong>radis</strong>.<br />
- Com<strong>me</strong>nt ?<br />
- Tu viens de le dire.<br />
- Les élections ?<br />
- Non… Tu as parlé de program<strong>me</strong>.<br />
- Et alors ?<br />
- Qui traite les entrées au pa<strong>radis</strong> ?<br />
- Saint Innocent. Il est au-dessus de tout soupçon.<br />
- <strong>Je</strong> n'en doute <strong>pas</strong>. Sur quoi s'appuie-t-il ?<br />
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76<br />
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
- Sur toutes les données enregistrées au cours de la vie d'<strong>un</strong> humain. Il obtient u<strong>ne</strong> fiche<br />
synthétique et…<br />
- Tu viens de comprendre ! Suis-moi ! Ordonna Ja<strong>ne</strong>, en se redressant, retrouvant son naturel<br />
combatif et dominant.<br />
Elle savait où aller. Il fallait faire vite et frapper en toute discrétion. Elle faisait probable<strong>me</strong>nt<br />
l'objet d'u<strong>ne</strong> surveillance assidue.<br />
* *<br />
*<br />
L’austère bâti<strong>me</strong>nt datait de Mathusalem. Il s'agissait d'u<strong>ne</strong> des plus ancien<strong>ne</strong>s constructions<br />
du pa<strong>radis</strong>, remontant à l'époque où le traite<strong>me</strong>nt des entrées était manuel. Dieu ayant<br />
recommandé aux peuples de croître et de se multiplier com<strong>me</strong> des lapins, certains l'avaient<br />
scrupuleuse<strong>me</strong>nt écouté. Les Chinois et les Hindous montraient le bon exemple, constituant<br />
à eux seuls presque la moitié de la population terrestre. Vers Noël de l'an zéro, Dieu avait<br />
mê<strong>me</strong> envoyé son fils pour multiplier les petits pains et nourrir ce beau monde. Seule<strong>me</strong>nt,<br />
l'activité sexuelle débridée avait eu u<strong>ne</strong> conséquence dramatique et non prévue : il fallait<br />
accueillir <strong>un</strong> nombre grandissant de candidats aux trois lieux de villégiature post-mortem (le<br />
pa<strong>radis</strong>, le purgatoire et l'enfer, ce dernier étant exclusive<strong>me</strong>nt desservi par Air France, avec à<br />
bord, des hôtesses moches et acariâtres). L'informatisation de l'accueil avait eu lieu peu après<br />
le déclin de l'empire romain, nos amis transalpins ayant été de grands pourvoyeurs d'â<strong>me</strong>s<br />
déf<strong>un</strong>tes, grâce à leurs innombrables campag<strong>ne</strong>s militaires.<br />
<strong>Un</strong> bâti<strong>me</strong>nt spécial avait été érigé pour accueillir u<strong>ne</strong> batterie d'ordinateurs couplés entre eux<br />
et pour implé<strong>me</strong>nter la première version du logiciel SAP (Sélection pour l'Accès au Pa<strong>radis</strong>).<br />
Le projet pharaonique avait été confié à saint Pascal (NDLA : le Pascal est <strong>un</strong> langage de<br />
programmation) qui avait mis le turbo (NDLA : le turbo Pascal est égale<strong>me</strong>nt <strong>un</strong> langage de<br />
programmation) pour tenir les délais, ce qui fut la seule fois où <strong>un</strong> projet informatique fut<br />
achevé dans les temps, sans avenant au cahier des charges, sans employer de program<strong>me</strong>urs<br />
non qualifiés pour le boulot, sans u<strong>ne</strong> analyse post-it réalisée par des utilisateurs (NDLA : je<br />
sais de quoi je parle…). Bref, saint Pascal avait jeté les bases de la sélection scientifique des<br />
â<strong>me</strong>s pures.<br />
Au sous-sol, non loin de la gigantesque salle des machi<strong>ne</strong>s, refroidie par des nuages à l'air<br />
conditionné pour cette tâche, saint Innocent réalisait u<strong>ne</strong> démonstration devant Ja<strong>ne</strong>, saint<br />
<strong>Eric</strong> et saint Timothy. A vrai dire, saint Timothy <strong>ne</strong> suivait <strong>pas</strong> grand-chose aux explications<br />
alambiquées d'Innocent. Seul <strong>Eric</strong>, ancien informaticien dans u<strong>ne</strong> autre vie, recevait cinq sur<br />
cinq les éclaircisse<strong>me</strong>nts de son collègue. Quant à l'avocate, de part sa profession, elle<br />
s'intéressait davantage aux failles du systè<strong>me</strong>, aux indices de tricherie, qu'à la technique<br />
propre<strong>me</strong>nt dite.<br />
Pour couper court au bavardage d'Innocent, <strong>Eric</strong> s'était emparé de la console<br />
d'administration. Il était entré dans le code du program<strong>me</strong>.
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
- Mais… avait vai<strong>ne</strong><strong>me</strong>nt protesté Innocent. Que fais-tu ?<br />
- T'occupe ! Avait rétorqué <strong>Eric</strong>, retrouvant quelques réflexes automatiques de langage,<br />
vestiges de sa vie <strong>pas</strong>sée sur Terre, lorsqu'il prenait les choses en main face à des empotés ou<br />
des mous du bulbe rachidien. <strong>Je</strong> foui<strong>ne</strong> dans le code source pour voir si des lig<strong>ne</strong>s ont été<br />
modifiées.<br />
- Mais il existe des ton<strong>ne</strong>s de lig<strong>ne</strong>s de program<strong>me</strong> à contrôler ! Geignit Innocent.<br />
- Mais non ! J'inspecte le program<strong>me</strong> d'enregistre<strong>me</strong>nts des faits et gestes et le program<strong>me</strong><br />
générant la fiche d'analyse synthétique. En gros, je vais à la pêche au péché de <strong>me</strong>nsonge, je<br />
cherche des dates de modifications. Alors…<br />
Il <strong>pas</strong>sa au peig<strong>ne</strong> fin des lig<strong>ne</strong>s de program<strong>me</strong>s, cherchant plutôt la trace d'u<strong>ne</strong> modification<br />
plutôt que la signification des instructions. Il connaissait saint Pascal, ce n'était <strong>pas</strong> le genre à<br />
laisser traî<strong>ne</strong>r des bogues dans ses program<strong>me</strong>s.<br />
Mais au bout d'<strong>un</strong> quart d'heure d'exploration, il dut se rendre à l'évidence : les deux<br />
traite<strong>me</strong>nts majeurs du logiciel SAP étaient exempts de ch<strong>ange</strong><strong>me</strong>nt. Pas le moindre<br />
déplace<strong>me</strong>nt d'octet, <strong>pas</strong> la moindre virgule éliminée. Rien.<br />
- Vous vous êtes trompée, conclut <strong>un</strong> peu trop rapide<strong>me</strong>nt saint Innocent, estimant son outil<br />
de sélection au-dessus de tout soupçon.<br />
- Pas sûr ! Affirma saint <strong>Eric</strong>. Il nous reste les fichiers de paramètres.<br />
Com<strong>me</strong> l'indiquaient leurs noms, les fichiers de paramètres servaient à paramétrer SAP. C'est<br />
à dire qu'<strong>un</strong> ch<strong>ange</strong><strong>me</strong>nt dans leurs données per<strong>me</strong>ttait d'infléchir, voire de modifier<br />
radicale<strong>me</strong>nt le comporte<strong>me</strong>nt du logiciel. Saint <strong>Eric</strong> s'enfonça dans les entrailles de la<br />
machi<strong>ne</strong>, inspectant les paramètres <strong>un</strong> à <strong>un</strong>, cherchant quelles combinaisons pouvaient être<br />
néfastes. Alors que les chiffres défilaient sur le mur servant à la projection des informations,<br />
Ja<strong>ne</strong> lui intima l'ordre de stopper et de revenir en arrière.<br />
- Pourquoi ? Demanda <strong>Eric</strong>.<br />
- Là ! L'alcool est toléré ! Ce n'est <strong>pas</strong> vrai<strong>me</strong>nt normal, se justifia l'avocate.<br />
- L'essentiel est que la consommation soit très modérée et occasion<strong>ne</strong>lle, expliqua Innocent.<br />
<strong>Un</strong>e petite quantité du fruit de la vig<strong>ne</strong> <strong>ne</strong> fait <strong>pas</strong> de mal. <strong>Un</strong> verre d'<strong>un</strong> bon crû,<br />
accompagnant <strong>un</strong> fromage français, ce n'est <strong>pas</strong> <strong>un</strong> péché. C'est admis. <strong>Eric</strong>, ce n'est <strong>pas</strong><br />
vous, bon vivant, qui <strong>me</strong> contredirez, n'est-ce <strong>pas</strong> ?<br />
- Exact, cher Innocent ! Et le vin de <strong>me</strong>sse, hein ? Non, évidem<strong>me</strong>nt, il faut être <strong>un</strong><br />
alcoolique patenté, violent, pour être rejeté du pa<strong>radis</strong>.<br />
- <strong>Je</strong> vois, fit Ja<strong>ne</strong>. <strong>Un</strong>e moyen<strong>ne</strong> de cinquante centilitres par mois <strong>me</strong> semblerait parfaite<strong>me</strong>nt<br />
raisonnable. Cela correspondrait à <strong>un</strong> petit verre de vin à l'occasion deux re<strong>pas</strong> <strong>me</strong>nsuels,<br />
exception<strong>ne</strong>ls. Tout va bien. Seule<strong>me</strong>nt, l'<strong>un</strong>ité de <strong>me</strong>sure n'est <strong>pas</strong> le centilitre mais le litre.<br />
Cinquante litres par mois !<br />
Leurs regards se braquèrent immédiate<strong>me</strong>nt sur la zo<strong>ne</strong> jouxtant la valeur, inscrite dans u<strong>ne</strong><br />
police de caractères plus petite, <strong>pas</strong>se-partout.<br />
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78<br />
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
- Non ! S'exclama Innocent. Cinquante litres ! C'est impossible ! Cela laisse <strong>un</strong> libre accès aux<br />
poivrots les plus atteints ! Qui est responsable de cette erreur ?<br />
Saint <strong>Eric</strong> cliqua à droite de la zo<strong>ne</strong>, priant le ciel pour que le systè<strong>me</strong> d'exploitation nommé<br />
"Fenêtre" <strong>ne</strong> se plante <strong>pas</strong> la<strong>me</strong>ntable<strong>me</strong>nt. <strong>Un</strong> nom apparut : Ange Enérateur de<br />
Program<strong>me</strong>.<br />
- Il va entendre parler du pa<strong>radis</strong>, celui-là ! Com<strong>me</strong>nta Innocent.<br />
- Ils laissent entrer des person<strong>ne</strong>s dénuées de volonté… murmura Ja<strong>ne</strong>.<br />
La remarque n'échappa <strong>pas</strong> à Timothy. Sa protégée devinait peu à peu le dessein de l'en<strong>ne</strong>mi.<br />
- Peut-on exami<strong>ne</strong>r les critères éliminatoires ? Demanda l'avocate.<br />
- Bien sûr, répondit <strong>Eric</strong>. Attendez… Voilà ! Alors… Classique ! Nous com<strong>me</strong>nçons par les<br />
dix commande<strong>me</strong>nts de Dieu. Tu <strong>ne</strong> voleras <strong>pas</strong>, tu <strong>ne</strong> tueras <strong>pas</strong> d'humain, etc…<br />
- Mais… si <strong>me</strong>s souvenirs de catéchis<strong>me</strong> sont bons, c'est : tu <strong>ne</strong> tueras point. Rien de plus.<br />
Là, il est écrit : "tu <strong>ne</strong> tueras point d'humain". Si le candidat tue <strong>un</strong> chien, <strong>un</strong> chat, n'importe<br />
quel animal, il accède au pa<strong>radis</strong> ?<br />
- <strong>Je</strong>… Non… balbutia Innocent. En fait… Il <strong>ne</strong> devrait <strong>pas</strong> pouvoir entrer au pa<strong>radis</strong>. Il est<br />
vrai que la précision du paramètre exclut tous les autres cas. Qui a…<br />
<strong>Eric</strong> l'avait devancé et avait dévoilé le nom du dernier program<strong>me</strong>ur à avoir touché au<br />
paramètre. Le patrony<strong>me</strong> d'Ange Enérateur de Program<strong>me</strong> apparut u<strong>ne</strong> fois de plus.<br />
- Ja<strong>ne</strong>, nous tenons u<strong>ne</strong> piste, nota le saint installé à la console.<br />
- Vérifions encore ! Répondit l'avocate. Il faut être certains. Montrez-moi ce qui concer<strong>ne</strong><br />
l'ambition !<br />
- C'est facile, embraya directe<strong>me</strong>nt Innocent. La seule ambition qui doit avoir animé u<strong>ne</strong> â<strong>me</strong>,<br />
est l'ambition de faire le bien.<br />
Le paramètre s'afficha. Pour u<strong>ne</strong> fois, saint Innocent <strong>ne</strong> s'était <strong>pas</strong> trompé. A u<strong>ne</strong> lettre près.<br />
L'ambition, selon les critères inscrits, était tolérée à condition de "faire le rien". Rien ! La<br />
consternation se lut sur les visages.<br />
- Laissez-moi devi<strong>ne</strong>r ! Fit Ja<strong>ne</strong>. "Faire le rien" se traduit par l'encourage<strong>me</strong>nt à la fainéantise.<br />
Avant d'agir, nous devons nous assurer de l'intégrité des paramètres et les corriger avant<br />
d'intégrer de nouveaux arrivants. Ensuite, il nous faudra repérer cet Ange Enérateur de<br />
Program<strong>me</strong>.<br />
- Procéderons-nous à son arrestation ? Interrogea Innocent, coupable de s'être laissé ber<strong>ne</strong>r<br />
par négligence, jurant qu'on <strong>ne</strong> l'y reprendrait plus, qu'il <strong>ne</strong> déléguerait plus jamais la moindre<br />
responsabilité, quitte à abandon<strong>ne</strong>r les trente-cinq heures pour des journées infini<strong>me</strong>nt plus<br />
chargées.
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
- Surtout <strong>pas</strong> ! Répondit l'avocate. Nous allons le suivre. Il dispose d'<strong>un</strong> poste clef pour<br />
trafiquer les entrées au pa<strong>radis</strong> mais il <strong>ne</strong> possède <strong>pas</strong> assez de pouvoir pour organiser à lui<br />
seul <strong>un</strong> complot de grande envergure. Il faut qu'il nous mè<strong>ne</strong> à ses commanditaires.<br />
* *<br />
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13<br />
80<br />
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
Le traître et trafiquant avéré était venu travailler com<strong>me</strong> si rien <strong>ne</strong> se <strong>pas</strong>sait. Cet <strong>ange</strong><br />
program<strong>me</strong>ur était absolu<strong>me</strong>nt sûr et certain de la solidité de sa couverture parce qu'il était<br />
véritable<strong>me</strong>nt informaticien. Il était à mille lieues d'imagi<strong>ne</strong>r que les saints <strong>Eric</strong>, Innocent et<br />
Timothy, accompagnés de cette damnée enquêtrice venue de la Terre, lorgnaient sur ses<br />
moindres faits et gestes quasi<strong>me</strong>nt depuis son arrivée dans le bâti<strong>me</strong>nt désertique.<br />
Toute la journée, ils avaient corrigé les erreurs et accumulé autant de preuves contre cet <strong>ange</strong><br />
qui avait, en réalité, tout du futur démon. Toutes les modifications entreprises avaient<br />
autorisé l'entrée illégale de cohortes d'individus qui n'avaient rien à faire au pa<strong>radis</strong>.<br />
Malheureuse<strong>me</strong>nt, il était impossible d'agir pour réparer les erreurs du <strong>pas</strong>sé, en vertu de<br />
l'efface<strong>me</strong>nt définitif des dossiers à l'entrée dans l'u<strong>ne</strong> des trois destinations possibles après la<br />
mort. Maigre consolation, leur découverte per<strong>me</strong>ttait désormais de corriger le tir. Mais<br />
com<strong>me</strong>nt chiffrer le nombre d'entrées illégales ? Com<strong>me</strong>nt identifier les fraudeurs ? Depuis<br />
quand durait la sinistre farce ? Impossible de savoir.<br />
Ils avaient cherché des dossiers compro<strong>me</strong>ttants qui eurent éclairé leur lanter<strong>ne</strong> quant aux<br />
desseins du groupe de comploteurs auquel Ange Enérateur appartenait. Leur quête acharnée<br />
avait échoué ; ou Ange Enérateur avait déjà tout effacé ou il gardait toutes ses informations<br />
au fond de sa mémoire aussi puissante que celle des machi<strong>ne</strong>s qu'il gérait.<br />
C'est en fin d'après-midi que cet <strong>ange</strong> de malheur, après avoir accompli son quota d'heures de<br />
travail, s'était envolé en direction du parking souterrain. C'est à bord d'<strong>un</strong> nuage 206 CC (206<br />
centimètres cubes de nuages) qu'il avait jailli du sous-sol pour s'engager sur Eden Avenue,<br />
l'avenue où les amoureux célèbres avaient leur étoile. Ja<strong>ne</strong> n'avait <strong>pas</strong> demandé l'autorisation<br />
à saint <strong>Eric</strong> pour s'installer au volant du nuage sportif du conseiller spécial de Dieu. Elle avait<br />
relégué celui-ci aux places arrière, exiguës, aux côtés de saint Innocent, détestant les moyens<br />
de transport, préférant la marche à pied. Les places des grands brûlés étant occupées, elle<br />
avait dévolu celle du mort à Timothy. Après tout, il était habitué qu'elle lui réserve <strong>un</strong> pareil<br />
traite<strong>me</strong>nt.<br />
La filature du traître se présentait plutôt bien ; le nuage gris d'<strong>Eric</strong>, carrossé par sainte Lolo<br />
Ferrari, doté de coussins gonflables à toute épreuve, pourvu d'assises confortables, se faufilait<br />
dans le trafic encore faible de cette fin d'après-midi. Ja<strong>ne</strong> <strong>ne</strong> quittait <strong>pas</strong> son objectif des yeux,<br />
craignant par-dessus tout de le perdre dans l'u<strong>ne</strong> des innombrables ruelles de Pa<strong>radis</strong>land.<br />
Tout à coup, la filature discrète tourna au cauchemar. Durant u<strong>ne</strong> fraction de seconde, elle<br />
détourna le regard de la voie céleste pour jeter <strong>un</strong> œil sur son rétroviseur. Deux points<br />
bleutés jaillissant d'<strong>un</strong> énor<strong>me</strong> nuage noir. Avant mê<strong>me</strong> de comprendre ce qui se <strong>pas</strong>sait,<br />
l'avocate se transforma en Fangio et mit <strong>un</strong> violent coup de volant à droite, grimpant du<br />
coup sur le trottoir, effrayant les piétons pris de panique (NDLA : au pa<strong>radis</strong>, on roule à<br />
droite ! C'est comma ça, voilà, n'en déplaise aux pays asiatiques et aux habitants du pays des<br />
kangourous !). <strong>Un</strong> réflexe pure<strong>me</strong>nt instinctif qui lui fit éviter la foudre bleutée crachée par le<br />
nuage suiveur. Le jet de lumière électrique <strong>ne</strong> fut <strong>pas</strong> perdu pour tout le monde. L'é<strong>ne</strong>rgie<br />
brûlante, bouillonnante heurta de plein fouet la 206 CC d'Ange Enérateur de Program<strong>me</strong>.
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
Elle vola en gouttelettes (C'est <strong>un</strong> nuage !) et fut vaporisée. La violence de l'attaque <strong>ne</strong> laissa<br />
<strong>pas</strong> l'ombre d'u<strong>ne</strong> chance au conducteur dont les plu<strong>me</strong>s furent arrachées et éparpillées sur<br />
plusieurs centai<strong>ne</strong>s de mètres.<br />
- Nom d'<strong>un</strong> chien ! S'exclama Ja<strong>ne</strong>.<br />
- Qu'est-ce que c'était ? Hurla Innocent, terrorisé.<br />
- <strong>Un</strong> coup de foudre, com<strong>me</strong>nta Timothy, qui s'y connaissait fort bien en coup de foudre. Et<br />
de forte puissance.<br />
- Tous les véhicules sont armés au pa<strong>radis</strong> ? Lança l'avocate.<br />
- Auc<strong>un</strong>, à ma connaissance, répondit <strong>Eric</strong>. C'est u<strong>ne</strong> embuscade ! Appuyez sur le<br />
champignon, il faut leur échapper !<br />
- Leur échapper, leur échapper… marmonna Ja<strong>ne</strong>. Il en a de bon<strong>ne</strong>s ! Ils sont armés, <strong>pas</strong><br />
nous !<br />
La poursuite ch<strong>ange</strong>a de camp. Les chasseurs devinrent les chassés et ce fut le match tant<br />
attendu entre les deux plus prestigieux constructeurs de nuages de transport du pa<strong>radis</strong>, à<br />
savoir : le nuage Lolo Ferrari, à moteur atmosphérique de forte cylindrée, estampillé d'u<strong>ne</strong><br />
pouliche très cambrée contre la production de sainte Mercedes, frappée de l'étoile argentée,<br />
dotée d'<strong>un</strong> compresseur apte à ridiculiser le fabricant de nuages populaires, saint Renault, à<br />
l'emblè<strong>me</strong> de l'os et de l'<strong>ange</strong> (los<strong>ange</strong> !).<br />
Avant de défoncer u<strong>ne</strong> plate â<strong>me</strong> (plata<strong>ne</strong> !), la conductrice quitta le trottoir et reprit la voie<br />
normale, maltraitant violem<strong>me</strong>nt l'accélérateur du nuage. Elle zigzaguait entre les véhicules<br />
vaporeux, échappant du mieux qu'elle le pouvait aux coups de boutoir bleutés et<br />
ininterrompus de l'agresseur. Visible<strong>me</strong>nt, le fait d'écharper des innocents au <strong>pas</strong>sage <strong>ne</strong><br />
tracassait guère les occupants du nuage noir. Ils mitraillaient à tout va, fer<strong>me</strong><strong>me</strong>nt décidés à<br />
en finir avec leurs cibles.<br />
Ja<strong>ne</strong> se révélait u<strong>ne</strong> conductrice hors pair, donnant des coups de volant précis, anticipant les<br />
réactions de l'en<strong>ne</strong>mi, contrôlant les glissades légiti<strong>me</strong>s du nuage chargé d'humidité, volant<br />
entre les autres usagers de la route du pa<strong>radis</strong>. Les autres conducteurs de nuages, voguant à<br />
des trains de sénateur, lui envoyaient des coups de cor<strong>ne</strong> de bru<strong>me</strong> (De la bru<strong>me</strong>, dans <strong>un</strong><br />
nuage, c'est normal) et lui lançaient des multitudes de quolibets, du genre "emplumée !" ou<br />
"achète-toi <strong>un</strong> trotti-nuage !".Mais rouler à fond la caisse n'était <strong>pas</strong> u<strong>ne</strong> solution envisageable<br />
pour le long ter<strong>me</strong>. Au cœur de l'action, tandis qu'<strong>un</strong> nouveau trait bleu ratant sa cible venait<br />
d'envoyer <strong>un</strong> com<strong>me</strong>rce au pa<strong>radis</strong> (mais il y était déjà !), l'avocate hurla :<br />
- Si l'<strong>un</strong> de vous a u<strong>ne</strong> suggestion à faire, elle est la bienvenue !<br />
Il s'écoula encore quelques secondes avant que saint <strong>Eric</strong> <strong>ne</strong> s'écrie :<br />
- Tour<strong>ne</strong>z à droite à la prochai<strong>ne</strong> intersection !<br />
Elle vira à tribord brutale<strong>me</strong>nt, évitant de peu <strong>un</strong> nuage de transport en comm<strong>un</strong>, <strong>un</strong><br />
cumulonimbus ou <strong>un</strong> cumulus, à moins que ce <strong>ne</strong> soit <strong>un</strong> bus.<br />
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82<br />
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
- Où va-t-on ?<br />
- Nous allons nous réfugier au quartier général de la sécurité pa<strong>radis</strong>iaque ! C'est à quelques<br />
pâtés de maisons d'ici. Espérons qu'ils n'oseront <strong>pas</strong> nous poursuivre là-bas !<br />
La jeu<strong>ne</strong> fem<strong>me</strong> l'espérait de tout son cœur. Elle se concentra davantage sur la conduite et<br />
l'évite<strong>me</strong>nt, ignorant volontaire<strong>me</strong>nt l'air crispé de ses compagnons de voyages, tétanisés,<br />
terrorisés, abasourdis, ébahis (NDLA : stop ! Tout le monde a compris qu'ils n'ont <strong>pas</strong><br />
l'habitude d'assister à de telles exactions au pa<strong>radis</strong>). L'im<strong>me</strong>nse enceinte du QG, haut lieu de<br />
l'entraî<strong>ne</strong><strong>me</strong>nt des <strong>ange</strong>s chargés d'assurer la protection de l'Eden, apparut en lig<strong>ne</strong> de mire,<br />
au bout d'u<strong>ne</strong> longue lig<strong>ne</strong> droite. Les poursuivants avaient toutes leurs chances de les<br />
dégom<strong>me</strong>r dans u<strong>ne</strong> artère aussi rectilig<strong>ne</strong>. Cependant, Ja<strong>ne</strong> mit en branle tous les chevaux<br />
vapeur du nuage et fit u<strong>ne</strong> pointe à exploser <strong>un</strong> radar. Malgré leur puissance, les tueurs<br />
embusqués perdaient du terrain. De plus, leurs tirs répétés avaient vidé l'é<strong>ne</strong>rgie de leur<br />
engin. Ils <strong>ne</strong> disposaient plus du potentiel pour accomplir leur sombre dessein. Ce fut assez<br />
pour que Ja<strong>ne</strong> les distance et vire de bord en déboulant com<strong>me</strong> u<strong>ne</strong> cinglée dans la cour<br />
intérieure du caser<strong>ne</strong><strong>me</strong>nt, dans <strong>un</strong> nuage de gouttelettes, <strong>pas</strong>sant à deux doigts d'exploser la<br />
guérite du planton de service.<br />
Sans attendre u<strong>ne</strong> hypothétique entrée des poursuivants, décidés à achever leur sale boulot,<br />
les quatre occupants du nuage Lolo Ferrari se jetèrent dans le premier bâti<strong>me</strong>nt à leur portée.<br />
Ils étaient sauvés. Pour le mo<strong>me</strong>nt…<br />
* *<br />
*<br />
Les fugitifs avaient été reçus par l'<strong>ange</strong> Endar<strong>me</strong> et l'<strong>ange</strong> Enéral, <strong>un</strong> vieux baroudeur ayant<br />
participé à la guerre de sécession et s'étant illustré par son courage et son dévoue<strong>me</strong>nt. Cet<br />
<strong>ange</strong> Enéral, commandant en chef de toutes les forces de sécurité intérieure, n'était <strong>pas</strong> <strong>ange</strong><br />
à se laisser faire et à attendre que les autres décident à sa place. La bravoure n'était <strong>pas</strong> sa<br />
seule qualité ; il ordonna immédiate<strong>me</strong>nt que des patrouilles se lancent à la recherche du<br />
véhicule des agresseurs. Mais sans immatriculation (ce n'était <strong>pas</strong> obligatoire au pa<strong>radis</strong>), les<br />
recherches n'étaient qu'u<strong>ne</strong> formalité inutile. Il affecta quatre <strong>ange</strong>s à la protection<br />
rapprochée du groupe de fugitifs, conscients que leur vie était en d<strong>ange</strong>r. Enfin, il dépêcha<br />
u<strong>ne</strong> <strong>un</strong>ité spéciale d'enquêteurs scientifiques, chargée de récupérer les restes d'Ange<br />
Enérateur de Program<strong>me</strong> et de récolter des indices.<br />
Ja<strong>ne</strong> n'écoutait guère le discours sécuritaire d'Ange Enéral que seul Ange Endar<strong>me</strong> admirait.<br />
Elle s'était tournée vers l'im<strong>me</strong>nse cour intérieure où elle pouvait observer à loisir des <strong>ange</strong>s à<br />
l'entraî<strong>ne</strong><strong>me</strong>nt, crapahutant dans des nuages boueux, volant au <strong>pas</strong> (deux batte<strong>me</strong>nts d'aile à<br />
la seconde, très exacte<strong>me</strong>nt) et braillant de stupides chants militaires. Timothy s'approcha<br />
d'elle mais de<strong>me</strong>ura silencieux, ressentant son besoin de silence et de solitude, après ces<br />
minutes intenses en émotion.<br />
Tout à coup, u<strong>ne</strong> entrée inattendue attira l'attention de Ja<strong>ne</strong>. D'autres troupes venaient de<br />
pénétrer dans l'enceinte d'entraî<strong>ne</strong><strong>me</strong>nt. Des <strong>ange</strong>s foncière<strong>me</strong>nt différents, d'<strong>un</strong> point de vue
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
physique. De véritables montag<strong>ne</strong>s de muscles, ressemblant à des culturistes, couverts de<br />
plu<strong>me</strong>s sur tout le torse. Leur chef leur intima l'ordre de stopper et de rester au garde à vous.<br />
Il se porta à la hauteur d'<strong>un</strong> instructeur de l'autre groupe et entama u<strong>ne</strong> discussion avec lui.<br />
Les conciliabules durèrent u<strong>ne</strong> bon<strong>ne</strong> minute, excitant la curiosité de l'avocate. Elle détailla le<br />
groupe des musclés. Auc<strong>un</strong> <strong>me</strong>mbre <strong>ne</strong> bronchait d'<strong>un</strong> millimètre. Ils étaient com<strong>me</strong> des<br />
rocs, immobiles, fiers, les plu<strong>me</strong>s lustrées, impeccables. Ja<strong>ne</strong> était véritable<strong>me</strong>nt<br />
impressionnée et frissonnait, com<strong>me</strong> prise par <strong>un</strong> drôle de senti<strong>me</strong>nt.<br />
- Qui sont-ils ? Demanda-t-elle à Timothy, ayant senti sa présence, sans se tour<strong>ne</strong>r vers lui.<br />
Il se rapprocha jusqu'à la frôler, cherchant à nouer le contact pour mieux la protéger, pour<br />
mieux ressentir ses émotions.<br />
- Ce sont des troupes spéciales. On pourrait les comparer aux bérets verts américains, aux<br />
SAS anglais ou aux légionnaires français. Ils sont entraînés par le commandant Ange Lure, <strong>un</strong><br />
<strong>ange</strong> à la volonté inflexible, à la discipli<strong>ne</strong> de fer. C'est celui qui parle<strong>me</strong>nte. Quant à ses<br />
hom<strong>me</strong>s, on les surnom<strong>me</strong> les "Indiens", à cause de leurs innombrables plu<strong>me</strong>s. Ils for<strong>me</strong>nt<br />
la compagnie Charlie.<br />
- Charlie ? Pourquoi ?<br />
- Les <strong>ange</strong>s de Charlie (NDLA : Charlie's <strong>ange</strong>ls, titre original de la série "Drôles de da<strong>me</strong>s")<br />
- Ah… fit Ja<strong>ne</strong>.<br />
Puis, elle ajouta :<br />
- J'ai u<strong>ne</strong> étr<strong>ange</strong> sensation…<br />
En contrebas, la situation ch<strong>ange</strong>a du tout au tout. L'instructeur des troupes régulières<br />
désigna u<strong>ne</strong> demi-douzai<strong>ne</strong> de ses <strong>me</strong>illeures recrues et les fit avancer sur <strong>un</strong> "Indien" sorti<br />
spontané<strong>me</strong>nt du rang. Les jeu<strong>ne</strong>s recrues se jetèrent sur l'Indien, histoire de lui voler dans<br />
les plu<strong>me</strong>s ou de lui plonger les plu<strong>me</strong>s dans l'encrier, jusqu'à ce qu'il crie grâce. L'<strong>ange</strong> <strong>ne</strong> fit<br />
<strong>pas</strong> dans le détail et leur tailla des croupières en deux temps, trois mouve<strong>me</strong>nts. Malgré<br />
l'insonorisation relative du bâti<strong>me</strong>nt les abritant, Ja<strong>ne</strong> et Timothy perçurent <strong>ne</strong>tte<strong>me</strong>nt les<br />
craque<strong>me</strong>nts d'os. L'Indien cabossa leurs ailes avec <strong>un</strong> rare délice et <strong>un</strong> entrain manifeste,<br />
jusqu'à ce qu'ils lâchent prise. <strong>Un</strong>e fois son ménage accompli, il rentra immédiate<strong>me</strong>nt dans le<br />
rang, sans manifester la moindre douleur, sans é<strong>me</strong>ttre la moindre grimace.<br />
A ce mo<strong>me</strong>nt, Ange Lure tourna la tête dans la direction des réfugiés et afficha <strong>un</strong> air à la fois<br />
surpris, contrarié et terrifiant. Il aboya des ordres et dispersa ses hom<strong>me</strong>s. Puis, il quitta<br />
précipitam<strong>me</strong>nt la cour.<br />
- Seig<strong>ne</strong>ur ! Frissonna Ja<strong>ne</strong> de plus belle.<br />
- Ils sont impressionnants, n'est-ce <strong>pas</strong> ? Com<strong>me</strong>nta Timothy.<br />
La scè<strong>ne</strong> se répéta à l'infini dans l'esprit de l'avocate. Ces <strong>ange</strong>s étaient avant tout des êtres<br />
pétris de qualité, de bonté, voire d'humanité, dans le sens noble du ter<strong>me</strong>. Com<strong>me</strong>nt<br />
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<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
pouvaient-ils agir aussi froide<strong>me</strong>nt, sans pitié pour l'adversaire, sans rester "sport" ?<br />
Com<strong>me</strong>nt ?<br />
- Timothy… Ils <strong>ne</strong> sont <strong>pas</strong> humains…<br />
- Bien sûr puisque ce sont des <strong>ange</strong>s, com<strong>me</strong>nta le saint en souriant.<br />
- Non… <strong>Je</strong> veux dire : ils sont com<strong>me</strong> des machi<strong>ne</strong>s, dénués de senti<strong>me</strong>nts… J'ai… <strong>un</strong><br />
terrible pressenti<strong>me</strong>nt. Appelle tous les saints et Dieu, aussi. <strong>Je</strong>… <strong>Je</strong> suis sûre que ces troupes<br />
spéciales, ces Indiens, n'ont <strong>pas</strong> <strong>un</strong> comporte<strong>me</strong>nt normal.<br />
- Tu sais, u<strong>ne</strong> possible attaque de Satan justifie la protection du pa<strong>radis</strong> par de telles recrues,<br />
répliqua le garde du corps.<br />
- Timothy… Tu es <strong>un</strong> adorable et prévenant compagnon mais tu ferais <strong>un</strong> bien piètre avocat.<br />
Quel intérêt aurait Satan à attaquer le pa<strong>radis</strong> ? Hein ? Pour récolter des â<strong>me</strong>s de plus en plus<br />
rares alors que l'enfer déborde de déf<strong>un</strong>ts remplis de péchés ? Pour occuper <strong>un</strong> lieu balayé<br />
par le froid, à mille lieues de sa chaleur infernale préférée ? Auc<strong>un</strong> intérêt ! Le complot vient<br />
de l'intérieur, j'en suis sûre ! L'embuscade bien préparée signifie deux choses : <strong>un</strong>, notre cas a<br />
été étudié en détail parce que nous progressons sur la voie de la vérité et deux, des moyens<br />
adéquats ont été mis en œuvre. Il n'y a <strong>pas</strong> d'ar<strong>me</strong>s, au pa<strong>radis</strong>. Normale<strong>me</strong>nt… Cependant,<br />
nous avons été canardés par u<strong>ne</strong> ar<strong>me</strong> bien réelle. Qui d'autre que les <strong>ange</strong>s militaires<br />
pourraient créer u<strong>ne</strong> ar<strong>me</strong> ? Qui ? Timothy, nous tenons le mobile : destituer Dieu pour<br />
introduire des â<strong>me</strong>s défectueuses en masse au pa<strong>radis</strong>, relancer l'économie et générer des<br />
profits. Nous <strong>ne</strong> tenons <strong>pas</strong> les coupables, nominative<strong>me</strong>nt, mais nous connaissons leur<br />
profil : les com<strong>me</strong>rçants qui perdent le plus de pouvoir. Quant à leurs moyens, puisqu'il s'agit<br />
de com<strong>me</strong>rçants, ils sont forcé<strong>me</strong>nt militaires ou paramilitaires. Nous les avons en face de<br />
nous, j'en suis persuadée. Il faut prévenir Dieu d'u<strong>ne</strong> possible attaque, d'<strong>un</strong> éventuel<br />
soulève<strong>me</strong>nt. Notre action risque de précipiter les évé<strong>ne</strong><strong>me</strong>nts.<br />
- D'accord… Messieurs ! Fit Timothy en direction des <strong>me</strong>mbres présents dans la pièce. Votre<br />
attention, s'il vous plaît !<br />
Ange Enéral et son second se tournèrent vers le saint en charge de la protection rapprochée<br />
de mademoiselle April. Saint Innocent, <strong>ne</strong> sachant plus à quel saint se vouer, en fit autant.<br />
<strong>Eric</strong> écouta religieuse<strong>me</strong>nt les paroles de Timothy qui leur exposa les craintes de l'enquêtrice,<br />
davantage fondées sur des présomptions, des faisceaux d'indices plutôt que sur des preuves<br />
tangibles. Il proposa à <strong>Eric</strong> d'effectuer u<strong>ne</strong> sortie discrète et de rendre compte de la situation<br />
à Dieu. Dieu aviserait alors de la marche à suivre mais en attendant, ils de<strong>me</strong>ureraient tous<br />
consignés à la caser<strong>ne</strong> qui, malgré les apparences et la proximité des "Indiens", incarnait le<br />
lieu où ils seraient le plus en sécurité. Ja<strong>ne</strong> de<strong>me</strong>urait persuadée de la loyauté d'Ange Enéral,<br />
d'Ange Endar<strong>me</strong> et d'u<strong>ne</strong> grande partie des <strong>ange</strong>s de la sécurité intérieure.<br />
Mais les heures à venir seraient cruciales…<br />
* *<br />
*<br />
En prenant connaissance de la situation, très risquée, Dieu avait senti que l'avocate était dans<br />
le vrai. C'est alors qu'il avait eu la brillante idée d'appeler son ami Allah à la rescousse. Il se
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
concentra quelque peu et fit apparaître le royau<strong>me</strong> d'Allah dans les fi<strong>ne</strong>s gouttelettes en<br />
suspension d'<strong>un</strong> nuage miroir. Le grand patron des musulmans disposait d'<strong>un</strong> palais à<br />
l'architecture dig<strong>ne</strong> de Babylo<strong>ne</strong> et d'<strong>un</strong> territoire couvert d'habitations au style arabisant,<br />
riches en stucs, en mosaïques et dotées de hammam individuel parfumé à l'eucalyptus. A<br />
chaque coin de rue, des <strong>ange</strong>s tenaient de petites échoppes garnies de pâtisseries succulentes<br />
que le client pouvait accompag<strong>ne</strong>r de café turc ou de thé à la <strong>me</strong>nthe sirupeux à souhait<br />
(NDLA : ça c'est du pa<strong>radis</strong> !). Ange Elati<strong>ne</strong> et Ange Elique, les fabuleux chefs pâtissiers,<br />
concoctaient des douceurs qu'ils délivraient dans toutes les bon<strong>ne</strong>s boutiques tandis que<br />
l'Harissa, le prophète bien aimé, cuisinait de succulents couscous et de divi<strong>ne</strong>s tagi<strong>ne</strong>s qui<br />
ravissaient les palais bien plus que les pizzas aux flocons de <strong>ne</strong>ige du pa<strong>radis</strong>.<br />
Bref, le royau<strong>me</strong> d'Allah, véritable oasis pa<strong>radis</strong>iaque n'avait <strong>pas</strong> à rougir face au très<br />
rafraîchissant pa<strong>radis</strong> de Dieu, bien au contraire. Ce dernier vit apparaître son confrère sur<br />
l'écran improvisé :<br />
- Salut Al ! Com<strong>me</strong>nça Dieu, sur <strong>un</strong> ton volontiers frater<strong>ne</strong>l.<br />
- Didi ! Mon frère ! Salamalékoum !<br />
- Malékoum salam.<br />
- Tu vas bien ? Les enfants, la famille, tout va com<strong>me</strong> tu veux ?<br />
- La famille, ça va. Mais j'ai des soucis.<br />
- Ah bon ? Toi aussi ?<br />
- Com<strong>me</strong>nt ça, moi aussi ? Tu as des problè<strong>me</strong>s ?<br />
- Eh oui ! Hier, on a retrouvé <strong>un</strong> <strong>ange</strong> déplumé et mort ! Tu te rencontres ? Si jamais je<br />
chope celui qui a fait ça, purée de ma mère, je l'envoie à La Mecque à genoux !<br />
- Nom de moi-mê<strong>me</strong> ! Toi aussi ! Ici, nous avons perdu deux <strong>ange</strong>s et saint Marc.<br />
- Quoi ? Mais c'est <strong>un</strong> vrai complot ! S'exclama Allah. Deux <strong>ange</strong>s et saint Marc ! C'est<br />
incroyable. Qu'est-ce que cela cache ?<br />
- <strong>Un</strong> complot, Al, <strong>un</strong> complot ! Nous nous attendons à u<strong>ne</strong> attaque surprise.<br />
- Satan ?<br />
- Non, u<strong>ne</strong> attaque intérieure. Des traîtres ! <strong>Je</strong> venais te demander de l'aide, des <strong>ange</strong>s<br />
berbères mais finale<strong>me</strong>nt, c'est <strong>un</strong> conseil que je te don<strong>ne</strong> : méfie-toi ! L'<strong>ange</strong> déplumé en<br />
cache peut-être d'autres et pour les mê<strong>me</strong>s raisons que nous. Com<strong>me</strong>nt vont les affaires, chez<br />
toi ? La clientèle ?<br />
- Eh la clientèle, ça va, ça vient ! Pas terrible ! Les marchands de tapis de prière disparaissent<br />
peu à peu.<br />
- Alors, toi aussi… Les mê<strong>me</strong>s raisons, les mê<strong>me</strong>s traîtres, les mê<strong>me</strong>s actions traîtresses.<br />
Prépare-toi au pire, Al !<br />
- Bon courage à toi, Didi !<br />
La conversation s'acheva sur ces mots annonçant des maux. Dieu devrait se débrouiller seul<br />
face à <strong>un</strong> d<strong>ange</strong>r dont il ignorait l'importance. Ja<strong>ne</strong> avait eu raison d'insister. <strong>Un</strong>e seule<br />
culpabilité était avérée : celle d'Ange Enérateur de Program<strong>me</strong>. Mais il était bel et bien mort,<br />
anéanti. Il <strong>ne</strong> parlerait <strong>pas</strong>. La guerre… <strong>Un</strong>e nouvelle guerre s'annonçait au pa<strong>radis</strong>. <strong>Un</strong>e<br />
guerre fratricide, com<strong>me</strong> toutes les guerres (NDLA : <strong>ne</strong> som<strong>me</strong>s-nous <strong>pas</strong> tous Terriens ?).<br />
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<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
* *<br />
*
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<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
Ce soir, le Pa<strong>radis</strong>co faisait relâche. En apparence. En fait, la piste était noire de monde et<br />
Ange Eomètre, accompagné d'Ange Karoussi, d'Ange Raccourci, d'Ange Achère et d'Ange<br />
Erance, s'apprêtait à prononcer <strong>un</strong> discours à l'attention de l'assemblée de traîtres, histoire de<br />
galvaniser les troupes avant l'opération "Dér<strong>ange</strong>".<br />
- Mes chers amis ! Le jour approche où nous allons enfin renverser Dieu et instaurer <strong>un</strong><br />
régi<strong>me</strong> où chac<strong>un</strong> profitera large<strong>me</strong>nt des richesses du royau<strong>me</strong>. <strong>Je</strong> vous pro<strong>me</strong>ts que vos<br />
com<strong>me</strong>rces reviendront florissants dans les <strong>me</strong>illeurs délais, que vous ferez fructifier vos<br />
investisse<strong>me</strong>nts et que Satan viendra nous supplier de lui envoyer des clients. Le pa<strong>radis</strong> va<br />
redevenir la destination favorite des morts. Pour cela, au mo<strong>me</strong>nt opport<strong>un</strong>, nous<br />
dévoilerons notre ar<strong>me</strong> fatale en nous arrachant la plu<strong>me</strong> essentielle et en nous la plantant<br />
dans le derrière. Ainsi, nous deviendrons des diablotins bien plus puissants que les faibles<br />
<strong>ange</strong>s que nous som<strong>me</strong>s aujourd'hui. Cela nous don<strong>ne</strong>ra l'avantage décisif pour emporter la<br />
victoire finale !<br />
<strong>Un</strong>e bordée d'applaudisse<strong>me</strong>nts salua les paroles dig<strong>ne</strong>s d'<strong>un</strong> dictateur du <strong>pas</strong>sé, du présent<br />
ou du futur (hélas !). Ange Lure, bâti com<strong>me</strong> <strong>un</strong> colosse, apparut dans les faisceaux des<br />
projecteurs. Il grimpa sur la scè<strong>ne</strong> et prit le micro.<br />
- Mes frères, j'ai u<strong>ne</strong> mauvaise et u<strong>ne</strong> bon<strong>ne</strong> nouvelle à vous annoncer.<br />
Des "Ah" d'intérêt et des "Oh" de déception se mêlèrent et s'élevèrent dans les rangs.<br />
- La mauvaise, c'est que la tentative d'élimination de l'enquêtrice, organisée par les <strong>ange</strong>s<br />
corses, a la<strong>me</strong>ntable<strong>me</strong>nt échoué.<br />
De nouveaux "Oh" et des huées furent adressées aux tenanciers du Pa<strong>radis</strong>co. Com<strong>me</strong>nt<br />
avaient-ils pu manquer leur cible alors qu'ils disposaient d'<strong>un</strong> instru<strong>me</strong>nt de frappe<br />
chirurgicale ? (NDLA : cela <strong>me</strong> rappelle les guerres du Golfe…)<br />
- La bon<strong>ne</strong> nouvelle, c'est que nous savons où se cache l'enquêtrice !<br />
- Ouais ! Qu'on la plu<strong>me</strong> haut et court ! Hurla la foule en liesse.<br />
- Cette idiote s'est réfugiée au quartier général de la sécurité pa<strong>radis</strong>iaque ! Ah ! Ah ! Moi et<br />
<strong>me</strong>s Dem'Anges, alias les Indiens, n'allons en faire qu'u<strong>ne</strong> simple bouchée ! Et quand ? Dès<br />
ce soir ! Il <strong>ne</strong> faut <strong>pas</strong> attendre u<strong>ne</strong> seule seconde de plus ! Com<strong>me</strong>nt ? Com<strong>me</strong> ça !<br />
Joignant le geste à la parole, il s'arracha u<strong>ne</strong> plu<strong>me</strong> précise. Instantané<strong>me</strong>nt, elle devint<br />
écarlate. Il se la planta dans le fion sans sourciller. Seule<strong>me</strong>nt, au lieu de mourir sur-le-champ,<br />
com<strong>me</strong> cela aurait dû survenir avec <strong>un</strong> <strong>ange</strong> au cœur pur et aux intentions généreuses, il<br />
poussa <strong>un</strong> long hurle<strong>me</strong>nt de bête, déchirant l'assemblée, se transformant bientôt en <strong>un</strong><br />
beugle<strong>me</strong>nt rauque. Sa taille hors nor<strong>me</strong>s prit quelques centimètres supplé<strong>me</strong>ntaires et ses<br />
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<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
muscles, gonflés à bloc, <strong>pas</strong>sèrent la surmultipliée. Des cor<strong>ne</strong>s percèrent son crâ<strong>ne</strong>, ses<br />
plu<strong>me</strong>s devinrent rouges sang et u<strong>ne</strong> queue hérissée de plu<strong>me</strong>s coupantes com<strong>me</strong> des la<strong>me</strong>s<br />
de rasoir prolongea sa colon<strong>ne</strong> vertébrale.<br />
Bientôt, les témoins de la scè<strong>ne</strong> emboîtèrent son <strong>pas</strong> et imitèrent son geste. Les <strong>ange</strong>s corses<br />
virent que la situation leur échappait. Tant pis ! Il fallait précipiter le mouve<strong>me</strong>nt et <strong>pas</strong>ser à<br />
l'attaque.<br />
- Mort à l'enquêtrice ! Mort à Thouars ! Mort à Dell ! Mort aux vaches ! Crièrent pêle-mêle les<br />
nouveaux diablotins.<br />
Armés de leurs seuls poings, ils se ruèrent dans la rue où les attendaient les légions d'Ange<br />
Lure, toutes transformées en monstrueuses bêtes immondes, sur l'ordre de leur chef<br />
suprê<strong>me</strong>. A n'en point douter, ces bestioles surdi<strong>me</strong>nsionnées n'avaient plus rien de comm<strong>un</strong><br />
avec des <strong>ange</strong>s. Les Dem'Anges constituaient u<strong>ne</strong> force capable à elle seule, de renverser tout<br />
gouver<strong>ne</strong><strong>me</strong>nt. Celui de Dieu mais aussi celui des com<strong>me</strong>rçants…<br />
* *<br />
*<br />
La nuit boréale drapait le quartier général de ses volutes bleutées et verdâtres. Le silence<br />
rassurant n'augurait pourtant rien de bon. Les bâti<strong>me</strong>nts cernant la cour intérieure avaient été<br />
transformés en camps retranchés, barricadés, protégés. Si les traîtres faisaient irruption, ils<br />
devraient fatale<strong>me</strong>nt s'introduire par la cour. De plus, sainte Lucie, patron<strong>ne</strong> de la lumière,<br />
dardait ses lumi<strong>ne</strong>ux photons droit vers l'<strong>un</strong>ique point de <strong>pas</strong>sage. L'ensemble des saints et<br />
des <strong>ange</strong>s que comptait le royau<strong>me</strong> de Dieu s'était massé dans les nuages du quartier général.<br />
Mais l'ar<strong>me</strong><strong>me</strong>nt brillait par son absence. Cependant, Dieu espérait que le nombre des<br />
troupes du Bien ferait la différence.<br />
Le temps <strong>pas</strong>sait lente<strong>me</strong>nt, rendant chaque minute plus angoissante que la précédente. <strong>Un</strong><br />
vent frais sifflait légère<strong>me</strong>nt en traversant les toitures faites d'ennuis (NDLA : sur Terre, on<br />
appelle cela des tuiles) ; ce n'était que l'<strong>un</strong>ique bruit rompant le silence imposé par l'<strong>ange</strong><br />
Enéral, prêt à don<strong>ne</strong>r l'ordre d'assaut. Ja<strong>ne</strong>, réfugiée auprès de Timothy, se sentait bizarre.<br />
Etait-ce la proximité du saint qu'elle avait jadis aimé qui la rendait toute chose ou était-ce <strong>un</strong><br />
autre phénomè<strong>ne</strong> ?<br />
- Le temps… murmura-t-elle.<br />
- Quoi ? Fit Timothy.<br />
- <strong>Je</strong> <strong>me</strong> sens com<strong>me</strong>… Seig<strong>ne</strong>ur ! Cela va faire sept jours ! S'exclama-t-elle.<br />
- Chut ! Fit l'<strong>ange</strong> Enéral. Ecoutez !<br />
<strong>Un</strong>e cla<strong>me</strong>ur s'éleva au loin. L'en<strong>ne</strong>mi ! Bientôt, la cla<strong>me</strong>ur se transforma en u<strong>ne</strong> mêlée de<br />
cris, de grog<strong>ne</strong><strong>me</strong>nts, de beugle<strong>me</strong>nts tous plus ignobles et bestiaux les <strong>un</strong>s que les autres. La<br />
grille d'accès au quartier général fut assaillie par u<strong>ne</strong> horde des diables assoiffés de sang et de<br />
guerre, désireux d'en finir avec Dieu et ses saints auxquels ils <strong>ne</strong> voulaient plus se vouer.
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
Non loin de l'avocate, saint Thomas psalmodiait :<br />
- <strong>Je</strong> n'en crois <strong>pas</strong> <strong>me</strong>s yeux ! <strong>Je</strong> <strong>ne</strong> peux <strong>pas</strong> croire ce que je vois !<br />
Les grilles résistèrent à l'assaut des <strong>ange</strong>s rebelles transformés en diablotins mais lorsque les<br />
Dem'Anges, ces êtres aux di<strong>me</strong>nsions hors nor<strong>me</strong>s, s'en mêlèrent, ce fut u<strong>ne</strong> autre histoire.<br />
Ils culbutèrent les grilles com<strong>me</strong> s'il <strong>ne</strong> s'agissait que de fragiles stalactites suspendues entre<br />
ciel et terre. Les hurle<strong>me</strong>nts de joie et de rage redoublèrent d'intensité au fur et à <strong>me</strong>sure que<br />
les mutins s'engageaient dans l'enceinte.<br />
- A l'attaque ! Cria Ange Enéral, décidé à prendre l'en<strong>ne</strong>mi par surprise.<br />
<strong>Un</strong>e vague d'<strong>ange</strong>s déferla des quatre coins de la cour intérieure, encerclant les Dem'Anges et<br />
leurs acolytes. Ils se jetèrent dans la bataille avec courage, sûr de la victoire grâce à <strong>un</strong><br />
surnombre manifeste. L'issue de la bataille <strong>ne</strong> sembla <strong>pas</strong> faire l'ombre d'<strong>un</strong> doute ; la tactique<br />
de l'Ange Enéral fonctionnait, les démons <strong>ne</strong> sachant où don<strong>ne</strong>r de la tête. C'était sans<br />
compter sur les spécificités des Dem’Anges. Fouettant de leurs queues bardées de plu<strong>me</strong>s<br />
tranchantes, ils ouvrirent u<strong>ne</strong> sérieuse brèche dans les rangs des Alliés du pa<strong>radis</strong>. Les autres<br />
<strong>ange</strong>s transformés en diablotins <strong>ne</strong> disposaient <strong>pas</strong> de cette ar<strong>me</strong>. Leur queue était fourchue,<br />
simple<strong>me</strong>nt, et nécessitait u<strong>ne</strong> parfaite maîtrise pour embrocher les <strong>ange</strong>s. Et encore ! Cela<br />
n'aboutissait <strong>pas</strong> à la mort des <strong>ange</strong>s : il fallait ensuite profiter de cet avantage pour leur<br />
arracher u<strong>ne</strong> plu<strong>me</strong> précise et leur planter dans le derrière pour les voir disparaître dans le<br />
néant.<br />
Juste<strong>me</strong>nt… Se servant des Dem’Anges com<strong>me</strong> fer de lance, les diablotins s'engouffrèrent<br />
dans la brèche et se regroupèrent dans <strong>un</strong> angle du quartier général. La situation aurait pu<br />
paraître désespérée pour l'en<strong>ne</strong>mi mais non, au contraire ! Désormais, ils n'avaient qu'<strong>un</strong><br />
front à combattre. De plus, ils pouvaient se replier dans le bâti<strong>me</strong>nt leur tournant le dos. Et<br />
ce bâti<strong>me</strong>nt n'était <strong>pas</strong> n'importe lequel : c'était celui où Ja<strong>ne</strong> et les saints s'étaient réfugiés.<br />
Les Dem’Anges enfoncèrent la lig<strong>ne</strong> d'<strong>ange</strong>s, fouettant avec u<strong>ne</strong> précision diabolique,<br />
assommant les <strong>ange</strong>s défenseurs, les troupes régulières de l'Ange Enéral avec u<strong>ne</strong> facilité<br />
déconcertante. Derrière, les diablotins se jetaient sur les blessés et les achevaient en les<br />
déplumant avec u<strong>ne</strong> rage consommée. Les premières plu<strong>me</strong>s rouges jaillirent et atterrirent<br />
dans les trous de balle, provoquant l'anéantisse<strong>me</strong>nt des premières victi<strong>me</strong>s. Bientôt, la<br />
confusion la plus totale régna car les plu<strong>me</strong>s volèrent par milliers, troublant le champ de<br />
vision et le champ de bataille.<br />
Des cla<strong>me</strong>urs s'élevèrent dans les escaliers <strong>me</strong>nant aux étages supérieurs. Forts de leur<br />
tactique, les rebelles se scindaient en deux groupes, l'<strong>un</strong> résistant aux forces armées, l'autre<br />
chargé de s'en prendre à l'exécutif, c'est à dire à Dieu et à ses saints.<br />
Ange Lure apparut au bout de la salle, méconnaissable, satanique. Il balaya d'<strong>un</strong> coup de<br />
queue et d'<strong>un</strong> coup de poing assassin deux <strong>ange</strong>s qui lui barraient la route, en guise d'apéritif.<br />
- A nous deux ! Hurla-t-il à l'attention du Seig<strong>ne</strong>ur.<br />
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<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
<strong>Un</strong>e nuée d'<strong>ange</strong>s s'abattit sur le traître et les siens. Ils volèrent dans tous les sens mais<br />
repartirent aussitôt au combat. Les saints présents se servirent de leurs auréoles pour<br />
décapiter les diablotins en les lançant à la manière de boo<strong>me</strong>rang.<br />
- Reste près de moi ! Conseilla Timothy à la jeu<strong>ne</strong> fem<strong>me</strong>.<br />
Rien <strong>ne</strong> semblait pouvoir empêcher le carnage entrepris par Ange Lure. Son terrible<br />
pressenti<strong>me</strong>nt, en voyant les "Indiens" et leur chef, cet après-midi, dans la cour, s'était avéré<br />
justifié. Il était le véritable <strong>me</strong><strong>ne</strong>ur. Elle <strong>ne</strong> connaissait <strong>pas</strong> les autres mais nul doute qu'il<br />
s'agissait de com<strong>me</strong>rçants, com<strong>me</strong> elle l'avait supposé. Les <strong>ange</strong>s protecteurs tombaient<br />
com<strong>me</strong> des mouches et <strong>ange</strong> Ugulaire, le transfuseur de plu<strong>me</strong>s, avait fort à faire pour<br />
soig<strong>ne</strong>r les blessés, aidé par Ange Eriatrie, le spécialiste des â<strong>me</strong>s vieillissantes et Ange<br />
Enérique, le pharmacien, promu brancardier et infirmier pour la circonstance.<br />
Au plus fort de la lutte, l'avocate ressentit <strong>un</strong> déchire<strong>me</strong>nt au niveau du cœur et de la tête.<br />
Elle crut avoir été blessée par <strong>un</strong> projectile mais il n'en était rien. Elle sentit qu'il était trop<br />
tard pour elle. <strong>Un</strong> puits de lumière s'ouvrit vers la Terre et elle aperçut son corps i<strong>ne</strong>rte, au<br />
loin, sans vie. Le délai était écoulé.<br />
- C'est fini… constata-t-elle amère<strong>me</strong>nt.<br />
Elle <strong>ne</strong> pourrait plus rentrer chez elle. Terminée la vie terrestre, les plaidoiries, les parties de<br />
jambes en l'air, la bon<strong>ne</strong> chère, l'amuse<strong>me</strong>nt. Au lieu de s'éclater avec quelques amis, elle était<br />
en train de vivre ses dernières minutes au pa<strong>radis</strong>.<br />
C'est alors que Dieu réussit à accomplir <strong>un</strong> geste d'u<strong>ne</strong> importance significative. Il souffla<br />
avec puissance sur <strong>un</strong> Dem’Ange qui se figea instantané<strong>me</strong>nt. Le souffle de Dieu. Le vent<br />
glacial contre la chaleur de l'enfer. Malheureuse<strong>me</strong>nt, s'il souhaitait se servir de son divin vent<br />
contre l'en<strong>ne</strong>mi, il fallait qu'il soit seul face à lui, sans ses <strong>ange</strong>s et ses saints dans l'angle de tir.<br />
Il <strong>ne</strong> pouvait tout de mê<strong>me</strong> <strong>pas</strong> attendre que ses troupes soient intégrale<strong>me</strong>nt décimées !<br />
La scè<strong>ne</strong> n'avait <strong>pas</strong> échappé à l'œil de lynx de Ja<strong>ne</strong>, malgré son désespoir de <strong>ne</strong> plus jamais<br />
regag<strong>ne</strong>r sa chère ville de New-York.<br />
"Le froid les paralyse ! Si jamais nous pouvions trouver <strong>un</strong> moyen de générer du froid !"<br />
Songea-t-elle en silence. "Du froid… Du froid… Mais com<strong>me</strong>nt ?"<br />
- Timothy ! Hurla-t-elle dans la tour<strong>me</strong>nte. Qui est le saint patron du froid ?<br />
- Il n'y en a <strong>pas</strong>.<br />
- Ah bon ?<br />
- Non. Les saints sont patron d'<strong>un</strong> métier ! C'est la règle.<br />
- Alors, qui est le saint patron des glaciers ?<br />
- Saint Gervais. Pourquoi ?<br />
Elle <strong>ne</strong> prit <strong>pas</strong> le temps de répondre. Elle se concentra. Pourvu que le centre des<br />
comm<strong>un</strong>ications télépathiques n'ait <strong>pas</strong> été attaqué par les forces du Mal ! Elle inspira
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
profondé<strong>me</strong>nt et entra en contact avec saint Gervais, après qu'<strong>un</strong> employé du centre l'ait<br />
mise en relation avec le spécialiste des cô<strong>ne</strong>s, des petits pots et autres crè<strong>me</strong>s glacées.<br />
"Saint Gervais ?"<br />
"Oui."<br />
"<strong>Je</strong> suis Ja<strong>ne</strong> April, l'enquêtrice. Dieu, quels saints, de nombreux <strong>ange</strong>s et moi-mê<strong>me</strong> som<strong>me</strong>s<br />
actuelle<strong>me</strong>nt assiégés par des démons au quartier général de la sécurité. Ils nous massacrent,<br />
ils nous étrillent. Ils veulent renverser Dieu et tous les saints. La situation est critique. Ve<strong>ne</strong>z<br />
à notre secours !"<br />
"Mon Dieu ! <strong>Un</strong>e attaque ! Com<strong>me</strong>nt puis-je vous aider ?"<br />
"Les démons craig<strong>ne</strong>nt le froid."<br />
"Oh ! <strong>Je</strong> vois ! <strong>Je</strong> convoque immédiate<strong>me</strong>nt Ange Lent, le spécialiste des congélateurs et<br />
Ange Ercé, mon fidèle adjoint. Nous allons rassembler des forces et du matériel. Te<strong>ne</strong>z bon,<br />
nous arrivons à la rescousse !"<br />
La conversation s'acheva aussitôt. A présent, il fallait tenir coûte que coûte en attendant que<br />
saint Gervais ouvre <strong>un</strong> second front salvateur. Les monstres se rapprochaient, malgré le<br />
barrage réalisé par les troupes d'Ange Enéral, bien plus nombreuses que les Dem’Anges.<br />
Mais ces monstres paraissaient indestructibles, à u<strong>ne</strong> exception près. Les <strong>ange</strong>s tombaient<br />
com<strong>me</strong> des mouches, massacrés, déplumés par des en<strong>ne</strong>mis plus enragés que jamais, plus<br />
motivés que tout. Dieu, profitant d'<strong>un</strong> dégage<strong>me</strong>nt dans son champ de vision, en profita<br />
pour figer <strong>un</strong> nouvel en<strong>ne</strong>mi. Il cherchait à paralyser Ange Lure, le chef, espérant que la<br />
chute de ce dernier agirait sur le moral des troupes. Mais ce traître se tenait sur ses gardes et<br />
s'arr<strong>ange</strong>ait pour combattre <strong>un</strong>ique<strong>me</strong>nt des <strong>ange</strong>s trop faibles pour lui résister. Il évitait<br />
égale<strong>me</strong>nt consciencieuse<strong>me</strong>nt les saints dont les auréoles, correcte<strong>me</strong>nt lancées, découpaient<br />
les queues mortelles des Dem’Anges. Malheureuse<strong>me</strong>nt, la précision de leur lancer <strong>ne</strong> leur<br />
était d'auc<strong>un</strong> secours : cinq minutes au maximum après avoir perdu leur appendice, ce dernier<br />
repoussait, plus coriace et plus acéré qu'auparavant.<br />
Timothy couvrit Ja<strong>ne</strong> de son corps afin d'être certain qu'auc<strong>un</strong> projectile <strong>ne</strong> l'atteindrait.<br />
Dans cette posture, elle se sentait plus que protégée. Mieux, elle se croyait dans <strong>un</strong> cocon<br />
protecteur, invulnérable mais aussi confortable, chaleureux, tendre. Le contact l'électrisait.<br />
- <strong>Je</strong> don<strong>ne</strong>rai ma vie pour te protéger, Ja<strong>ne</strong> ! Lui murmura-t-il au creux de l'oreille.<br />
Elle plongea son regard dans le sien et comprit que les senti<strong>me</strong>nts qu'il nourrissait pour elle<br />
<strong>ne</strong> l'avaient jamais quitté, malgré l'abandon, malgré la trahison. Com<strong>me</strong>nt Timothy pouvait-il<br />
être aussi bon ? Com<strong>me</strong>nt ? Ses yeux s'embuèrent insidieuse<strong>me</strong>nt, sans pouvoir contrôler ses<br />
propres senti<strong>me</strong>nts, pour la première fois depuis des années. Il touchait son cœur. Le pa<strong>radis</strong><br />
ouvrait son cœur. Elle se détesta soudai<strong>ne</strong><strong>me</strong>nt, haïssant ce qu'elle avait été, baissant<br />
honteuse<strong>me</strong>nt les yeux. Timothy releva son visage en glissant sa main sous son <strong>me</strong>nton et en<br />
lui servant <strong>un</strong> sourire désarmant. Il essuya ses lar<strong>me</strong>s.<br />
- Timothy… <strong>Je</strong>…<br />
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<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
La fin de sa phrase <strong>ne</strong> vint jamais. <strong>Un</strong> hurle<strong>me</strong>nt inhumain déchira la cour intérieure. Ja<strong>ne</strong> et<br />
Timothy se redressèrent et découvrirent, en contrebas, saint Gervais et ses comparses,<br />
enfonçant les lig<strong>ne</strong>s en<strong>ne</strong>mies à l'aide de pains de glace, de bombes glacées, de boules<br />
parfumées. <strong>Un</strong> Dem’Ange avait <strong>un</strong> genou à terre, la poitri<strong>ne</strong> farcie de cô<strong>ne</strong>s glacés ! La<br />
cavalerie arrivait enfin à la rescousse !<br />
* *<br />
*
15<br />
<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
La bataille avait tourné court grâce à l’intervention de saint Gervais. Les Dem’Anges avaient<br />
été anéantis et les diablotins avaient été faits prisonniers, pour la plupart d'entre eux. Ange<br />
Lure avait péri dans d'ignobles souffrances infligées par Gervais. Pour le vaincre, il lui avait<br />
servi quelques zestes de sorbet citron, générant des grimaces de terreur, il lui avait envoyé <strong>un</strong><br />
gros Miko en plei<strong>ne</strong> tronche et l'avait achevé en lui faisant ingérer <strong>un</strong> parfait à l'angélique,<br />
l'ar<strong>me</strong> absolue, le Dem’Ange <strong>ne</strong> supportant plus la perfection (le parfait), ni tout ce qui avait<br />
trait avec son ancien<strong>ne</strong> condition (angélique).<br />
Au petit matin, le bilan de la bataille était effroyable. La victoire, s'il s'agissait bien d'u<strong>ne</strong><br />
victoire, était u<strong>ne</strong> victoire à la Pyrrhus (et non u<strong>ne</strong> victoire à la "papy russe" ou Papyrus !).<br />
Les pertes étaient importantes et la catastrophe humanitaire guettait. En effet, les effectifs en<br />
<strong>ange</strong>s, affectés au pa<strong>radis</strong> ou au gardiennage d'â<strong>me</strong>s, étaient déjà insuffisants. Le massacre du<br />
jour n'arr<strong>ange</strong>ait rien. Il faudrait remédier à la situation, quoi qu'il arrive désormais. Le mérite<br />
de cette bataille serait d'avoir généré u<strong>ne</strong> prise de conscience quant à la gravité de la situation.<br />
Seule dans <strong>un</strong> coin, Ja<strong>ne</strong> avait le regard fixé sur le puits de lumière donnant sur la Terre. Elle<br />
<strong>ne</strong> pouvait se détacher de ce corps refroidi qui était le sien, désormais perdu pour toujours.<br />
Elle était inconsolable, malgré les singeries et autres pitreries d'Ange Oué, le vendeur de<br />
farces et attrapes.<br />
Timothy s'approcha d'elle et la réconforta en silence. Il déposa <strong>un</strong> baiser sur sa nuque. Elle<br />
frissonna de plaisir. Dieu que c'était divin !<br />
Saint Innocent vint près d'eux et lui confia :<br />
- Ja<strong>ne</strong>… <strong>Je</strong> suis désolé pour ce qui est arrivé mais sachez que d'après <strong>me</strong>s critères, les<br />
découvertes de votre enquête, vos avertisse<strong>me</strong>nts précieux et votre idée de génie d'appeler<br />
saint Gervais à la rescousse, prévalent sur toutes vos actions <strong>pas</strong>sées. En sauvant le pa<strong>radis</strong>,<br />
vous avez sauvé votre â<strong>me</strong> et vous avez gagné le droit de rester parmi nous. <strong>Je</strong> sais que votre<br />
temps n'était <strong>pas</strong> achevé sur la Terre et qu'Ange I<strong>ne</strong>, votre <strong>ange</strong> gardien, a procédé de<br />
manière disons "peu convention<strong>ne</strong>lle" pour vous a<strong>me</strong><strong>ne</strong>r ici. C'est peut-être u<strong>ne</strong> maigre<br />
consolation, à vos yeux.<br />
Elle de<strong>me</strong>ura incapable de répondre, les yeux toujours rivés sur la Terre, peinant à croire que<br />
son adorable corps allait nourrir les vers, six pieds sous terre. Mais u<strong>ne</strong> autre voix, la Voix,<br />
s'éleva pour s'adresser à elle :<br />
- Ja<strong>ne</strong>, dit Dieu, il est vrai que vos actes sont tout à votre hon<strong>ne</strong>ur. Vous auriez dû repartir,<br />
avant la bataille. Cependant, malgré la déchirure provoquée par le lien brisé entre votre â<strong>me</strong><br />
et votre corps, vous êtes de<strong>me</strong>urée parmi nous. Sans vous, sans votre talent, sans vos<br />
pressenti<strong>me</strong>nts qui ont fait votre renom sur la Terre, je serai de<strong>me</strong>uré l'<strong>un</strong>ique survivant de<br />
cette guerre, peut-être exilé par ces traîtres. Nous vous devons beaucoup, bien plus que vous<br />
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<strong>Un</strong> <strong>ange</strong> <strong>ne</strong> <strong>vaut</strong> <strong>pas</strong> <strong>un</strong> <strong>radis</strong><br />
<strong>ne</strong> pensez. Et j'ai le droit d'accomplir, pour vous, le miracle que vous méritez, le miracle étant<br />
l'u<strong>ne</strong> de <strong>me</strong>s prérogatives. <strong>Je</strong> peux vous ressusciter.<br />
Faire renaître, ressusciter, redon<strong>ne</strong>r vie au corps en train de se refroidir irrémédiable<strong>me</strong>nt.<br />
Dieu pouvait le faire. Ja<strong>ne</strong> leva les yeux sur lui et lui porta <strong>un</strong> regard humble empli d'amour et<br />
de re<strong>me</strong>rcie<strong>me</strong>nt. Puis, elle croisa celui de Timothy, souriant, tendre, compatissant. Il était<br />
prêt à la revoir partir sur Terre, espérant qu'elle gag<strong>ne</strong>rait son ticket d'entrée pour le pa<strong>radis</strong>,<br />
en agissant au mieux sur Terre. Il était si généreux qu'il acceptait le miracle de Dieu, mê<strong>me</strong> s'il<br />
espérait de<strong>me</strong>urer auprès d'elle, ici, au pa<strong>radis</strong>. Elle le sentait au fond de lui. Ses yeux <strong>ne</strong><br />
<strong>me</strong>ntaient <strong>pas</strong>. Il l'aimait toujours autant et était prêt à tout accepter, malgré tout. Elle croisa<br />
le regard de saint <strong>Eric</strong>, le conseiller spécial de Dieu. Son sourire et son hoche<strong>me</strong>nt de tête<br />
étaient tout autre ; elle l'interprétait non <strong>pas</strong> com<strong>me</strong> "vas-y ! Accepte !" mais plutôt com<strong>me</strong><br />
"vas-y ! Surprends-les !". <strong>Eric</strong> avait appris à la connaître en peu de temps.<br />
Lorsqu'elle s'exprima, ce fut pour dire :<br />
- <strong>Je</strong> vous re<strong>me</strong>rcie, Seig<strong>ne</strong>ur. J'ai… J'ai u<strong>ne</strong> question à vous poser.<br />
- Laquelle, Ja<strong>ne</strong> ?<br />
- Que vont devenir les <strong>ange</strong>s qui vous ont trahi ?<br />
- Ils vont être jugés pour leur traîtrise.<br />
- Il va donc y avoir <strong>un</strong> procès ?<br />
- Bien sûr !<br />
- <strong>Un</strong> procès… dit-elle songeuse.<br />
Puis, elle déclama en fixant tendre<strong>me</strong>nt Timothy :<br />
- Ils auront forcé<strong>me</strong>nt besoin des services d'<strong>un</strong> bon avocat !<br />
Saint Timothy sut qu'elle restait. Son â<strong>me</strong> en pei<strong>ne</strong> guérirait définitive<strong>me</strong>nt. De son côté,<br />
saint <strong>Eric</strong> jubila intérieure<strong>me</strong>nt.<br />
"J'ai eu u<strong>ne</strong> sacrée bon<strong>ne</strong> idée de les ré<strong>un</strong>ir ! Et u<strong>ne</strong> â<strong>me</strong> de gagnée !"<br />
Tout le monde se félicita de sa décision. C'était le début de la reconstruction.<br />
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