LE LUXE COMME VICE FÉMININ DANS LA REMONSTRANCE ...

28
Avec la production littéraire romaine, l’attribution d’un pouvoir de corruption au luxe
se renforce, de même que son association à un caractère féminin. Nombreux sont les
historiens qui expliquent les défaites militaires par l’effet des plaisirs qui annihilent la
vertu guerrière : Florus attribue au luxus les revers du roi Antioche de Syrie de la
dynastie Séleucide 9 . Salluste rend compte du rôle pernicieux qu’a joué ce vice dans la
chute de Catilina. Homme brillant, d’une grande vigueur intellectuelle et physique,
Catilina est tourmenté par « l’amour du luxe et l’amour de l’argent 10 ». Cette perversion
funeste « effémine les âmes et les corps les plus virils ; toujours illimité(e), insatiable,
rien ne peut l’atténuer, ni l’abondance, ni la disette 11 ». Ce fléau ne rend pas seulement
l’homme doux et faible, il pervertit également toute la société qui perd toute notion de
responsabilité et d’ordre. Comme le fait remarquer Juvénal dans la citation suivante, le
luxe peut vicier l’État le plus puissant en le rongeant de l’intérieur :
Nous souffrons aujourd’hui des maux d’une longue paix. Plus funeste que les armes,
la luxure s’est rué sur nous et venge l’univers asservi. Tous les crimes s’étalent, tous
les forfaits de la débauche, depuis qu’a péri la pauvreté romaine. Sur nos collines se
sont installées Sybaris, Rhodes, Milet, Tarente humide de vin, avec ses couronnes et
ses impudicités. C’est l’obscène argent qui, le premier, importa chez nous les mœurs
étrangères; c’est la richesse corruptrice qui, par son luxe honteux, a brisé l’œuvre des
siècles 12 .
Les premiers penseurs chrétiens s’approprient le schème de la pensée gréco-
romaine. Ils y opèrent toutefois une transition majeure lorsque de vice, faute contre le
bon goût et la décence, le luxe devient un péché, une faute contre Dieu. Ainsi, la montée
du christianisme engendre une transformation de l’échelle des valeurs et l’apparition de
nouvelles notions de savoir-vivre, comme la chasteté et la sobriété, qui n’avaient pas
leur place chez l’homme antique. L’édification de la sexualité en péché contribue à
9
Florus, History, I, 24, dans C. Berry, p. 67.
10
Salluste, La conjuration de Catilina (De coniuratione catilinae), V, 2. Texte établi et traduit par Alfred
Ernout, 5 e ed., Paris, Les Belles Lettres, 1962.
11
Ibid., XI, 2.
12 e
Juvénal, Satires, texte établi et traduit par Pierre de Labriolle et François Villeneuve, 8 éd., Paris, Les
Belles Lettres, 1964. Satire VI, lignes 292-299. L’information est tirée de C. Berry, op. cit., p. 69.