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« Le voyage du Général de Gaulle en 1967
et ses conséquences
sur la politique intérieure et extérieure
du Québec »
par Alessia Spinazzola
décembre 2006

© Association internationale des études québécoises (AIÉQ) 2007
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Dépôt légal : 2 e trimestre 2007
Bibliothèque nationale du Canada
ISBN : 978-0-9735471-4-6

Remerciements
Je voudrais remercier, outre l’Association internationale des études québécoises, l’Assemblée
nationale du Québec, qui m’a donné la possibilité de vivre une expérience extraordinaire au sein de
cette importante institution législative démocratique. Pendant mon stage, j’ai enrichi mes
connaissances et j’ai poursuivi mes recherches grâce à une grande collaboration de la part de tous.
À mon arrivée, l’information et la formation que j’ai reçues m’ont fait connaître le fonctionnement
général de l’Assemblée, les responsabilités de ses directions et bon nombre de ses employés. Cette
formation a été fondamentale pour m’aider à me familiariser avec la réalité politique québécoise.
Mes remerciements vont notamment à tous ceux et celles qui oeuvrent à la Direction du secrétariat
des commissions. J’ai eu la chance d’avoir avec chacun d’entre eux des discussions qui m’ont été
précieuses pour la compréhension des dynamiques sociopolitiques du Québec. Je voudrais exprimer
ma sincère gratitude de façon particulière à M. Doris Arsenault et à M. Louis Breault, qui ont su
m’accueillir et me démontrer une grande patience. Leur compréhension et leur générosité m’ont
beaucoup encouragé à approfondir mes connaissances sur le Québec, grâce à une atmosphère
amicale, sereine et toujours professionnelle.
J’aimerais aussi remercier le Président de l’Assemblée nationale, M. Michel Bissonnet, qui, avec
son esprit intelligent et vivace (et son parfait italien !), m’a permis de me sentir chez moi.
Je suis aussi très reconnaissante envers tout le personnel de la Bibliothèque de l’Assemblée pour
son aide précieuse.
Enfin, mais non moins important, un remerciement spécial à Mme Claire Vigneault qui a révisé mes
dossiers, en y consacrant beaucoup de temps et de travail.
Merci encore,
Alessia Spinazzola

« On n’est pas un petit peuple,
on est peut-être quelque chose
comme un grand peuple. »
« Le pays du Québec viendra uniquement
quand une société adulte,
confiante en elle-même,
l’aura approuvé avec une majorité
claire et démocratique. »
René Lévesque

TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION ...............................................................................................................................1
I. POURQUOI L’INTÉRÊT POUR LE QUÉBEC..............................................................................5
a) La dette de Louis XV...................................................................................................................5
b) Le parcours de l’intendance de 1960 à 1967 ...............................................................................7
c) L’indépendance nationale : principe directeur d’une politique étrangère .................................10
d) Les enjeux internationaux qui inquiètent le Général.................................................................13
e) Une nouvelle politique se profile : la coopération.....................................................................15
II. DE GAULLE ARRIVE AU QUÉBEC.........................................................................................18
a) Le Général vu par les Québécois ...............................................................................................18
b) Les Québécois vus par le Général .............................................................................................21
c) À quel Québec s’adressait de Gaulle ? ......................................................................................23
III. LES RÉACTIONS.......................................................................................................................26
a) Les préparatifs du voyage, les premiers jours et les premières disputes au sein de la Fédération
........................................................................................................................................................28
b) Le discours du général de Gaulle : mots inacceptables ou bien inespérés mais bien accueillis?
........................................................................................................................................................30
c) La presse anglophone.................................................................................................................31
d) La Presse québécoise.................................................................................................................33
e) Institutions exclusivement québécoises.....................................................................................34
f) Institutions fédérales ..................................................................................................................36
g) Les dépendances québécoises....................................................................................................36
h) Les gens de la rue : entre incrédulité et euphorie ......................................................................37
IV. LES CONSÉQUENCES..............................................................................................................38
a) La scène politique québécoise : des réajustements majeurs ......................................................39
b) La scène politique canadienne fédérale : des réajustements importants mais passagers...............43
c) Modification de l’ordre du jour concernant les questions institutionnelles...............................44
d) Les Québécois après de Gaulle : le réveil d’une nation ............................................................45
e) Une nouvelle place pour le Québec I – France/Québec.............................................................46
f) Une nouvelle place pour le Québec II – Québec/Monde ...........................................................50
g) Le triangule persiste encore aujourd’hui ...................................................................................51
h) Le rôle du Général .....................................................................................................................53
CONCLUSION..................................................................................................................................59
APPENDICES ...................................................................................................................................63
Notes Bibliographiques......................................................................................................................64

INTRODUCTION
« Il y a trois catégories de gens que cela va embêter. Les diplomates, mais bon, eux on s'en occupe, les journalistes,
mais eux on s'en fout car ils n'écrivent pas l'Histoire, et puis les Anglo-Saxons. Eux ne m'ont jamais aimé, alors… ». 1
Aéroport Charles-de Gaulle – Paris : là commence mon année dans la capitale de l’Hexagone. Dès
mon arrivée, je me suis aperçue que le personnage du Général est encore vivant dans l’imaginaire
collectif du peuple français et qu’il n’est pas un simple président de la République. Quand la
majorité des Français discute à propos de De Gaulle, on peut percevoir un sentiment d’orgueil et de
fierté nationale qui s’exprime très naturellement par les mots prononcés. En France, de Gaulle est
considéré comme un héro national ce qui lui a permis de vivre les trente années glorieuses pendant
lesquelles la société française s’est profondément transformée.
En qualité d’étudiante en relations internationales, ce qui m’intéressait vraiment en écoutant tous les
beaux mots sur le Général, ce n’était pas simplement sa figure en elle-même mais les conséquences
sur les relations diplomatiques et politiques qui auraient pu être générées lorsque de Gaulle,
personnage tellement populaire et charismatique en patrie, entrait en contact avec d’autres réalités
différentes ailleurs.
Donc, je me suis dirigée vers les archives de la Sorbonne avec l’intention bien précise de trouver un
endroit particulier du monde qui, d’une certaine façon, était affecté par Charles de Gaulle. Mon
attention fut tout de suite attirée par le Québec et le voyage controversé du Général en 1967.
Pendant mes cours de droit constitutionnel, j’avais découvert la situation particulière du Québec par
rapport au gouvernement fédéral d’Ottawa, mais je n’avais pas eu la possibilité d’approfondir le
sujet comme j’aurais désiré. C’est pour cette raison que j’ai choisi de consacrer mes recherches à la
vie politique québécoise et à ses relations avec le chef d’Etat français.
Après avoir lu le fameux discours prononcé à l’hôtel de ville de Montréal, je me suis posé deux
questions fondamentales : tout d’abord, qu’est-ce que le Général voulait dire avec ces quatre mots –
pas nombreuses mais certes d’une force émotive extraordinaire – et, ensuite, que ce serait-il passé
au Québec dans les années suivantes si de Gaulle n’avait jamais prononcé ces paroles.
J’étais encore à Paris quand j’ai trouvé sur internet l’offre d’un stage à l’Assemblée nationale du
Québec. Je ne pouvais pas en croire mes yeux : finalement je pourrai me rendre dans le pays où, il y
1 www.charles-de-gaulle.org

a 40 ans à peine, le Général se rendait. Certes, je ne m’y rendrai pas avec le Colbert, comme le
grand chef d’État, mais je me contenterai, pour le parcours Montréal-Québec, d’un petit avion
régional produit par Bombardier (entreprise québécoise qui, comme je devais le découvrir quelques
jours plus tard, entretient aujourd’hui des liaisons étroites avec la France et le reste du monde).
Dans ma dissertation, j’expliquerai tout d’abord les raisons de l’affection du Général pour le
Québec en découvrant les différents enjeux auxquels de Gaulle faisait face : une Union Européenne
qui se voulait de plus en plus fédéraliste, à défaut des pouvoirs de chaque État souverain ; l’OTAN,
qui empêchait aux ambitions gaullistes d’une défense indépendante de se réaliser ; la logique de
deux blocs, qui poussait afin d’encadrer les États du bloc occidental et du bloc oriental dans des
cages précises, sans pouvoir d’initiative.
Nous démontrerons comment de Gaulle a toujours défendu, pour chaque politique avancée, la paix
et la coopération internationale au nom de l’autodétermination des peuples. C’est là que repose la
raison d’être de l’intérêt pour le Québec, outre qu’un profond sens d’abandon pour ce peuple
français auquel il fallait, sans plus aucune incertitude, remédier.
Ensuite, je donnerai un aperçu de la perception que les Québécois avaient du Général quand il s’est
rendu au Québec et, pas moins importante, de celle que de Gaulle avait pour ce « rameau du peuple
français en terre d’Amérique » 2 . Deuxièmement, nous observerons quel était le contexte dans lequel
de Gaulle va se plonger : nous allons nous interroger à propos de quel Québec rencontre de Gaulle.
Après la description des circonstances qui ont accueilli de Gaulle, nous présenterons, avec l’analyse
de plusieurs témoignages de l’époque, les différentes réactions à la conduite du Général. Nous
distinguerons, comme l’éditorialiste Jean-Marc Léger l’a fait, tout d’abord deux peuples différents.
En effet, en exprimant bien les sentiments qui ont traversé le pays au moment du discours à l’hôtel
de ville de Montréal, le journaliste décrit un côté rue, signifié par l’explosion d’enthousiasme et un
côté notable, sur la terrasse de l’hôtel de ville, signifié par le malaise, l’irritation et l’inquiétude. Il
est clair qu’il y a présence de deux différentes réceptions du message du Général, une par la foule et
l’autre par les politiciens.
2 Jacques Filion, De Gaulle : son image du système internationale et de relations France-Canada-Québec, Université
d’Ottawa, Ottawa, Ontario, 1974.
2

Mais, en même temps, une deuxième distinction doit être faite : le niveau du gouvernement
québécois d’un coté, et celui du gouvernement fédéral de l’autre. Ce que pour la plupart des
Québécois est perçu comme un cri à la libération et à l’indépendance, sera tout à fait
« inacceptable » 3 pour le gouvernement d’Ottawa, qui invitera le chef d’État français à quitter le
Canada sans se rendre à Ottawa comme prévu.
En conclusion, nous pourrons affirmer que de Gaulle a fait sortir le Québec du Canada et il a amené
la cause du Québec au quatre coins du monde. Mais, au fond, il n’était qu’un catalyseur, un
révélateur d’une réalité qui était déjà en train de se dérouler à l’intérieur du Québec. En effet, tout
au long de notre analyse, il sera clair que le langage utilisé par de Gaulle n’était pas différent de
celui des indépendantistes ou des libéraux, comme Jean Lesage. Ce qui fera la différence sera le
personnage de De Gaulle, ce grand homme d’État qui, avec son éminente personnalité, a su payer la
« dette de Louis XV » 4 aux Canadiens français.
Certes, sans de Gaulle le Québec n’aurait pas développé ses relations commerciales, politiques et
culturelles avec la France et le reste du monde aussi rapidement, mais il l’aurait fait tôt ou tard car
la racine du mouvement souverainiste était déjà là avant même que de Gaulle remonte les rives du
Saint-Laurent.
Aujourd’hui, la rivalité entre Québec et Ottawa est très vivante et les derniers déroulements de la
politique internationale (comme récemment à l’occasion de la Conférence de l’ONU, à Nairobi, sur
les changements climatiques) n’est qu’un exemple. La coopération avec le reste du monde,
notamment avec la France, en est un parmi les objectifs du gouvernement du Québec. L’étroite
collaboration avec l’Hexagone se déroule dans plusieurs domaines, même après le départ du
Général des Champs Elysées. De Gaulle a su, en effet, créer des relations durables et partagées par
le corps politique français qui demeurent depuis 40 ans.
Malgré la proposition d’un fédéralisme asymétrique par les libéraux, il y a une volonté
souverainiste préconisée par le Parti québécois qui veut plus que ça et qui ne cesse de se faire
entendre à la fois à l’Assemblée nationale du Québec et à Ottawa, à travers le Bloc québécois, parti
souverainiste au niveau fédéral.
3 Discours de M. Pearson, Premier Ministre du Canada en 1967 – www.radio-canada.ca
4 Robert Bothwell, La dette de Louis XV, De Gaulle en son siècle, Tome VI – Liberté et dignité des peuples, Institut
Charles de Gaulle – La documentation française – Plon, Paris 1992.
3

Avant de poursuivre les travaux, je dois apporter une précision : cette dissertation est dirigée à un
public qui possède déjà une connaissance des relations et du contexte internationaux de l’époque,
puisque plusieurs informations ne seront pas données afin de concentrer notre attention
principalement sur le voyage du général de Gaulle et ses conséquences sur le Québec, notamment
ses développements politiques postérieurs.
Cette dissertation est le résultat des recherches approfondies sur le sujet qui n’auraient pas été
possibles sans l’extraordinaire chance offerte par l’Association Internationale des Études
Québécoises, l’Assemblée nationale du Québec et par tout le personnel administratif qui, chaque
jour, a soutenu cette étude en me donnant des informations précieuses pour son bon développement.
4

I. POURQUOI L’INTÉRÊT POUR LE QUÉBEC
a) La dette de Louis XV
« Ils vont m'entendre là-bas, ça va faire des vagues. [..] Je compte frapper un grand coup. Ça bardera. Mais il le faut.
C'est la dernière occasion de réparer la lâcheté de la France. » 5
Deux siècles après que le Roi eût décidé de ne plus se battre pour conserver ces « quelques arpents
de neige » qui, selon le mot de Voltaire, constituaient la Nouvelle-France, de Gaulle reconnut qu’il
s’agissait-là non seulement d’une erreur mais aussi d’un geste d’abandon qu’il fallait réparer dans
toute la mesure du possible. Le voyage en 1967 est indissociable de cette volonté de s’acquitter de
ce qu’il appela lui-même « la dette de Louis XV » 6 : il souhaite supprimer la faute originelle de
l’abandon de 1763.
Quand de Gaulle parle de la dette de Louis XV, il parle du peuple acadien qui, le premier, s’est
installé en Amérique à partir de 1604. Et il se souvient de l’histoire de ce peuple qui était ballotté à
presque chaque décennie, de la domination française à la domination anglaise et dont le sort a été
décidé par les guerres du XVIII e siècle entre les deux puissances.
Dans les années soixante, de Gaulle a voulu faire prendre conscience à la France et à la
communauté internationale de l’existence du peuple acadien actuel, revenu de l’exil, toujours
fragile devant les attaques de l’assimilation, toujours menacé par la culture anglaise dominante,
mais toujours résistant et persistant dans son développement, regroupé sur le territoire de l’ancienne
Acadie. La démonstration que les perceptions du Général vont dans la bonne direction est que le
peuple québécois se sentait abandonné - comme on peut bien comprendre par la déclaration de Guy
Cormier qui, à la suite du discours du Général à Montréal, sur La Presse, écrit « Fini l’abandon ».
Comme nous découvrirons plus loin, l’attention du Général dans la politique étrangère est la nation,
en supportant mal les puissances hégémoniques américaine et soviétique : il conçoit la vie
internationale comme un ensemble de rapports entre les nations. Cette vision de la politique
internationale est un premier motif pour lequel il s’intéresse aux Acadiens.
5 www.charles-de-gaulle.com
6 Marcel Masse, Charles de Gaulle, le Canada et le Québec, De Gaulle en son siècle – Journée internationales
organisées par l’Institut Charles de Gaulle, 19-24 NOVEMBRE 1990, UNESCO – PARIS.
5

De plus, il faut reconnaître que son intérêt n’est pas univoque : en même temps que de Gaulle
commence à nourrir de la sympathie pour un peuple qui partage avec les Français de l’Hexagone sa
langue, son esprit, ses mots, ses gestes, ses coutumes, les Acadiens prennent conscience que, à cette
époque-là, ils ne peuvent plus continuer à s’isoler dans un monde qui s’internationalise. En plus, ils
s’aperçoivent de l’extraordinaire privilège de se rattacher, pendant cette sortie vers le monde
extérieur, au peuple français, plus nombreux et plus puissant culturellement, économiquement et
socialement.
Le Général accueille à l’Élysée les Acadiens en ces termes : « Après plus de deux siècles et demi où
nous fûmes séparés, voici que nous nous retrouvons entre Acadiens et Français de France […].
Quelles épreuves nous avons, les uns et les autres, subies pendant ce temps-là ! […] L’incroyable
fidélité de leurs pères [les ancêtres de l’Acadie] a fait en sorte que par la langue, l’esprit, la
religion, le caractère, ils sont restés aussi français que jamais ! » 7 De Gaulle a voulu créer une
coopération directe entre État français et peuple acadien sans passer par l’État canadien.
Ce sentiment de nécessité qui affectait les discours de De Gaulle est assez clair, même après
l’événement, quand le Visiteur, désormais dans l’avion de retour, se confiant à Bernard
Dorin, affirme : « Ce qui vient de se produire, c'est un phénomène historique qui était peut-être
prévisible mais qui a pris des formes que seul l'événement pouvait préciser. Bien entendu, j'aurais
pu, comme beaucoup d'autres, m'en tirer par quelques courtoisies ou acrobaties diplomatiques, mais
quand on est le général de Gaulle, on ne recourt pas à des expédients de ce genre. Ce que j'ai fait, je
devais le faire. » 8 Cependant, on apprend, d’après deux de ses conseillers principaux, Etienne Burin
des Roziers et René de Saint-Légier, que quelque temps avant de se rendre au Québec, de Gaulle
nourrit encore quelques doutes : « Si j’y vais, ça risque d’être seulement pour y mettre le feu. Pour
le moment, j’ai mieux à faire. » Mais c’était suffisant pour que Robert Bordaz, commissaire général
du pavillon français à l’Expo 67, lui fasse savoir que les Québécois seraient « profondément déçus »
et verraient cette absence comme « un nouvel abandon après celui si cruel de la France » au XVIII e
siècle, afin que de Gaulle accepte de s’y rendre.
À cette conscience historique s’ajoutait une autre motivation qui fut au cœur de l’action du Général
dès le début de la Résistance : celle d’assurer non seulement la souveraineté et l’indépendance de la
France, mais aussi son prestige et son rayonnement dans toutes les régions du globe. A cet égard, le
7 Voir note 17.
8 www.charles-de-gaulle.org
6

Québec constitue au sein de l’Amérique du Nord un avant-poste, une tête de pont de la
francophonie. À ce propos, la thèse proposée par Guy Bouthillier, professeur à l’Université de
Montréal, est intéressante. Selon lui, si le Général a pris à cœur la cause québécoise, c’est aussi
parce que la fierté retrouvée des Québécois était, aux yeux du Général, la fierté de la France même
et l’humiliation du Québec était perçue un peu comme celle de la France. Aider le Québec, disait de
Gaulle, pour que le Québec, un jour, puisse nous aider. Pour que le Québec nous aide face aux
hégémoniques et aux impérialismes. 9
b) Le parcours de l’intendance de 1960 à 1967
« Si vous saviez quelle confiance la France, réveillée après d'immenses épreuves, porte vers vous, si vous saviez quelle
affection elle recommence à ressentir pour les Français du Canada et si vous saviez à quel point elle se sent obligée à
concourir à votre marche en avant, à votre progrès ! » 10
Dès les premières rencontres, en 1960, le rameau québécois cherchait à établir des liens
fonctionnels avec le tronc français, tandis que le Général laissait clairement savoir qu’il voulait
« s’occuper du Québec » 11 .
Bien que la volonté du Général était assez claire, c’est seulement après 1961 que l’on s’apercevait
véritablement de l’étendue et du dynamisme du réseau des « inconditionnels » du Général à
l’intérieur de l’administration française.
La première réalisation de cette nouvelle volonté de collaboration franco-québécoise, rendue
possible par l’ensemble de l’entourage du Général (pour la plupart des compagnons de la Résistance
et de la Libération), fut l’ouverture de la délégation générale du Québec à Paris. Le grand
déploiement protocolaire qui marqua cet événement – réception d’apparat à l’Elysée, à Matignon, à
l’hôtel de ville, à l’Académie Française, à l’Opéra – ne doivent pas faire oublier l’aspect
fondamental et permanent de la Maison du Québec : l’établissement des liens visibles fixés dans la
pierre d’un immeuble et dans le personnel assurant la représentation officielle et continue de l’État
québécois.
9 Voir note 12.
10 Discours de Charles de Gaulle, Hôtel de ville de Montréal, 24 Juillet 1967 – www.radio-canada.ca
11 Paul Gérin-Lajoie, De Gaulle et le Québec, De Gaulle en son siècle – Journée internationales organisées par l’Institut
Charles de Gaulle, 19-24 NOVEMBRE 1990, UNESCO – PARIS.
7

Le domaine de l’éducation était au cœur des échanges établis à un « rythme étonnant », de l’avis de
M. Paul Gérin-Lajoie – ancien vice-président du Conseil, gouvernement du Québec. Notamment, à
cet égard le Général s’assurait que « l’intendance suivait ».
Ainsi, en septembre 1963 et à l’hiver 1964, le Québec engageait des pourparlers avec l’ENA et avec
l’ASTEF, qui devaient aboutir à la conclusion d’ententes de collaboration. La relation avec l’ENA
aboutit à la création de l’Ecole nationale d’Administration publique du Québec (ENAP).
Comme M. Paul Gérin-Lajoie raconte, au printemps 1964, l’ambassadeur Raymond Bousquet, en
poste à Ottawa et collaborateur assidu pour le Québec, lui rendit visite en compagnie du député
français Xavier Deniau, membre de la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales de
l’Assemblée nationale. L’occasion était la présentation de la première ébauche d’un texte d’accord à
intervenir entre le ministre de l’Éducation nationale de France et le ministre de l’Éducation du
Québec. Le projet prévoyait, entre autres, des échanges de chercheurs et de professeurs
universitaires, le perfectionnement de professeurs québécois en France, des échanges d’étudiants, la
délicate question de l’équivalence des diplômes et, finalement, la constitution d’une commission
permanente de coopération franco-québécoise.
Or, dans le régime fédératif canadien, le gouvernement fédéral a toujours assumé la plénitude des
pouvoirs en matière de négociation de traités internationaux, sans toutefois avoir la compétence
législative de les mettre à exécution si leur sujet tombait dans les matières de compétence réservées
aux provinces de l’État canadien.
Ici, la question légale d’engager même de simples pourparlers internationaux par le gouvernement
du Québec est plutôt évidente ! Le gouvernement fédéral contesta cette attribution illégitime de
pouvoir, mais toléra l’existence d’une relation directe entre le gouvernement du Québec et celui de
la France, pourvu qu’il en soit tenu au courant. Finalement, le document d’entente était accepté
grâce au fait qu’il était présenté comme entente, non pas comme traité.
« Le 27 février 1965, sans que le débat Québec-Ottawa ne soit tout à fait réglé, je signai à Paris –
M. Paul Gérin-Lajoie dit – avec le ministre de l’Éducation nationale de France, Christian Fouchet,
la première entente franco-québécoise sur un programme d’échanges et de coopération dans le
domaine de l’éducation ».
8

Cependant, de Gaulle, pas intéressé à la question intérieure Québec-Ottawa, prenait tous les
moyens pour établir une relation directe et exclusive avec le gouvernement québécois.
À ce propos, il est intéressant de lire les Mémoires d’Espoir, rédigés peu avant sa mort, où de
Gaulle laisse entendre que déjà, en 1944 et 1945, il avait pu « entrevoir les réalités profondes qui
font de la Fédération canadienne un État perpétuellement mal à l’aise, ambigu et artificiel ». Ce
pays, à ses yeux, état séparé « en deux communautés ethniques radicalement différentes » 12 .
Bien que le gouvernement Pearson, qui avait remplacé celui de Diefenbaker, avait mis en place une
commission d’enquête sur la situation linguistique au Canada, de Gaulle pensait que cette tactique
de rapprochement était déjà désuète. Au début de septembre 1963, il conseilla d’ « établir une
coopération particulière avec le Canada français et ne pas laisser noyer ce que [la France fait] pour
lui et avec lui dans une affaire concernant l’ensemble des deux Canada. D’ailleurs, le Canada
français deviendra un État et c’est nécessairement dans cette perspective que [les français doivent]
agir. » 13
Donc, nous pouvons bien observer que l’attitude du Général vis-à-vis du Québec était tellement
changée pendant les dernières années que l’on est arrivé à parler d’un nouveau gaullisme :
technologie moderne et planification gouvernementale sont les deux piliers de cette nouvelle
politique. De nouveaux flux d’immigrants, qui découlent d’une stratégie concertée entre deux
niveaux de gouvernements, sont le signe clair de cette période de forte coopération. L’émigration
française, suscitée par cette nouvelle politique, permet à la France de reprendre pied sur le continent
nord-américain avec une image nouvelle. Le commerce de luxe laisse la place à l’industrie lourde et
à la technologie de pointe : il existe alors un consensus gaullien international.
Mais l’aspect plus intéressant, qui caractérisera tout l’avenir des relations franco-québécoises, est la
capacité du Général de savoir étendre son intérêt à ses collaborateurs politiques : en effet, entre
1960 et 1970, une intense activité diplomatique anime les relations franco-québécoises. Pas
seulement les principaux ministres français, comme Malraux, Fouchet ou Couve de Murville, vont
au Québec, mais le premier ministre québécois, Jean Lesage, visite Paris en octobre 1961, puis en
1963 et encore en 1964. L’ouverture de la délégation générale du Québec à Paris témoigne des
égards que la France porte au Québec. Lesage, venu chercher une sorte de légitimité, est accueilli
12 Charles de Gaulle, Mémoires d’espoir, Volumes Plon, Paris.
13 Voir note 22.
9

comme un chef d’État et un ami par de Gaulle : « Vous êtes le Québec, vous êtes le Canada
français » 14 .
c) L’indépendance nationale : principe directeur d’une politique étrangère
De l’avis de M. Conrad M. Black, l’époque était marquée par une bipolarisation totale et était
dominée par l’influence américaine dans les domaines politique, économique, culturel et militaire.
On lit, dans ses rapports, « lorsqu’à partir de 1955, […] ce monolithe américain ne laissait de place
significative qu’à la Grande-Bretagne et à son chef vénérable, Winston Churchill. Les autres pays et
les autres personnalités ne jouaient que des rôles de figuration dans les systèmes d’alliances
acronymiques sous égide américaine. Leur importance relative semblait se mesurer par la fréquence
avec laquelle le secrétaire d’État d’Eisenhower, John Foster Dulles, personnage rusé et quelque peu
rébarbatif, leur rendait visite. » 15
De Gaulle a vécu la Seconde Guerre mondiale en qualité de Chef de la France libre et il a vu
s’accroître le pouvoir des deux superpuissances, les États-Unis et l’Union Soviétique. Ainsi il
commente les deux empires : « périlleux équilibre qui risque de se rompre un jour en une guerre
démesurée s’il n’évolue pas vers une détente générale » 16 .
Bien qu’il reconnaît que les deux grands sont les seuls qui disposent de l’ubiquité des forces et des
intérêts, il n’entend pas leur laisser jouer le rôle de maîtres de l’univers. L’acquisition d’armes
atomiques par la France apportera graduellement une modification de cet état de fait. Il est persuadé
que les deux Grands laissés à eux-mêmes n’évolueront pas vers la paix. Le but de De Gaulle est de
« nouer avec chacun des États du bloc de l’est et d’abord, avec la Russie, des relations visant à la
détente, puis à l’entente et à la coopération, à en faire autant, le moment venu, avec la Chine, enfin à
nous doter d’une puissance nucléaire telle que nul ne puisse nous attaquer » : en bref, en
affaiblissant le leadership des deux Grands et en poursuivant la paix, établir des liens directs et
entretenus entre la France et le reste du monde.
14 Silvie Guillaume, Le Général de Gaulle et le Québec, De Gaulle en son siècle, Tome VI – Liberté et dignité des
peuples, Institut Charles de Gaulle – La documentation française – Plon, Paris 1992.
15 Conrad m. Black, Un Canadien anglais et de Gaulle, De Gaulle en son siècle – Journée internationales organisées par
l’Institut Charles de Gaulle, 19-24 NOVEMBRE 1990, UNESCO – PARIS.
16 Voir note 14.
10

C’est à cette organisation du monde d’après-guerre que de Gaulle s’oppose de toutes ses forces en
dénonçant le principe d’indépendance. Toutefois, comme l’ancien Secrétaire général de l’Elysée,
Burin des Roziers explique que l’indépendance, pour de Gaulle, a un double sens : il évoque à la
fois l’idée de la souveraineté nationale et celle de la libre détermination des peuples. Pour Charles
de Gaulle l’indépendance ne va pas de soi : elle est à la foi le but et le ressort d’une politique. Au fil
des ans, cette idée de l’indépendance est de plus en plus souvent associée à deux autres notions : le
progrès et la paix, vues comme trois éléments indissociables d’une action d’ensemble. Juxtaposer
les termes de paix et d’indépendance, c’est situer sur le même plan la fin dernière d’une politique
étrangère et la condition première de sa mise en œuvre.
Tout au long de son gouvernement, on s’aperçut que le gaullisme est une morale de l’effort :
« Notre pays est, suivant moi, en mesure d’agir par lui-même en Europe et dans le monde, et il doit
le faire parce que c’est là, moralement, un moteur indispensable à son effort. » 17
Et la France doit jouer un rôle bien actif et précis : elle ne doit pas se résigner au sort des
« puissances à intérêt limités » comme disaient les plénipotentiaires de Versailles ou des
« puissances régionales » selon l’expression de Henry Kissinger. Il incombe à la France d’exercer la
magistrature morale d’un pays qui a toujours eu pour vocation « d’éclairer l’univers » ; de se faire,
dans un monde déchiré, le champion de la paix, de la liberté des peuples et de la dignité des
hommes. Dans cette logique, le progrès est le prix de l’effort, et il n’y a pas d’effort national sans
indépendance nationale, la paix est le couronnement d’une action internationale.
En 1958, de Gaulle veut un changement complet qui bouscule l’échiquier diplomatique – il ne s’agit
pas d’un simple nouveau style mais d’une nouvelle conception du rôle international de la France, un
revirement profond des pratiques intérieures. Avec le Général, la France adopte une véritable
politique des « mains nettes ». Elle dira à haute voix ce que la conscience nationale lui dictera :
c’est la politique de la parole libre.
De Gaulle affirmera donc que seule la nation constitue le stade suprême et dernier du
développement et de l’intégration humaine. Par conséquent, il accorde une place privilégiée à la
nation parmi ses concepts politiques. Ce concept explique la primauté de la politique étrangère et
l’idée d’unité nationale comme idée essentielle de toute la politique extérieure. Il est connu que
17 Etienne Burin des Roziers, L’indépendance nationale selon de Gaulle: fondement et pratique d’une politique, De
Gaulle en son siècle, Tome IV – La sécurité et l’indépendance de la France, Institut Charles de Gaulle – La
documentation française – Plon, Paris 1992.
11

l’ambition extérieure est la raison d’être de l’État car c’est par elle que l’État donne les moyens à la
nation de se révéler, d’être forte, enfin d’être elle-même. Voici ce que de Gaulle confia au
Chancelier Adenauer à ce sujet : « par-dessus tout, l’indépendance politique, qui répond à la
situation et aux buts de mon pays, lui est indispensable pour survivre dans l’avenir. » 18
L’indépendance pour de Gaulle implique la liberté d’action, de manœuvre et la libre disposition de
soi-même : il faut disposer de soi-même sans être soumis d’aucune façon à une puissance étrangère,
qu’elle soit amie ou ennemie.
Ajoutons que pour de Gaulle, non seulement l’indépendance de la France importe, mais également
l’indépendance des tous les États. En fait, comme l’indique Couve de Murville, ministre des
Affaires étrangères, « l’indépendance effective de toutes les nations pouvait constituer un
contrepoids à la puissance des trop Grands ». Et l’indépendance, but poursuivi par la France elle-
même, devient, lorsque poursuivie pour les autres états, un moyen de la politique extérieure
gaulliste. Elle sert à retirer du parasol de l’un ou l’autre Super-Grands les petites, moyennes et
parfois grandes puissances qui s’y étaient assises. Et pour de Gaulle, ceci ne peut que renforcer sa
position dans le système international : d’abord parce qu’elle affaiblit celle des autres, ensuite parce
que ces états ne garderont plus l’exclusivité de leurs relations avec un seul Super-Grand mais
tourneront aussi leurs yeux vers la France. En somme, l’indépendance constitue tout à la fois l’un
des buts et des moyens de la politique extérieure gaulliste! Et ici repose l’intérêt pour le Québec
libre !
Toutefois, concernant l’idée de l’indépendance gaullienne, nous avons trouvé intéressante la
position de Mohamed Masmoudi, ancien ministre et ambassadeur de Tunisie, lorsqu’il affirme que
de Gaulle se garda bien de crier « Vive le Québec indépendant », car il voulait voir le Québec libre,
mais davantage lié à la France désormais débarrassée du carcan colonial. Cependant, il ne s’agit que
d’une opinion, car il y a beaucoup d’autres analystes, comme Jacques Fillion qui, par contre,
refusent cette volonté de leadership de la République Française au sein de la francophonie. Selon
ses mots, de Gaulle aurait « horreur du Supra-national et il le refuse pour la France en Europe ». 19
18 Voir note 14.
19 Voir note 2.
12

d) Les enjeux internationaux qui inquiètent le Général
La forte personnalité de De Gaulle et ses idées indépendantistes ont dû se confronter avec trois
ordres de facteurs de politique étrangère : un premier niveau européen ; un deuxième concernant le
bloc occidental, notamment l’organisation de l’OTAN et, finalement, un troisième niveau lié aux
deux blocs et à l’organisation du globe terrestre pendant la Guerre Froide.
Tout d’abord, par rapport à l’Europe, une conséquence parmi les autres de son concept de politique
internationale est le rapport difficile avec la Communauté Européenne. De Gaulle a, en effet, plutôt
bouleversé les cercles de la classe dirigeante européenne qui a connu un chef d’État vigoureux et
décis. Bien que le Général reconnaissait un certain niveau de coopération économique, il ne l’a
jamais acceptée sur le plan politique. « Assurer la coopération régulière de l’Europe occidentale,
c’est que ce la France considère comme souhaitable. Cela comporte un concert organisé régulier des
gouvernements responsables et puis, aussi, le travail d’organismes spécialisés dans chacun des
domaines communs, organismes subordonnés aux gouvernements. Mais cela comporte la
délibération périodique d’une assemblée qui soit formée par les délégués des parlements
nationaux. » 20 En somme, ni Exécutif, ni Parlement européens. Rien dans ces dispositifs n’est de
nature à limiter l’indépendance des États membres.
En décembre 1958, le Général fit savoir que la France appliquerait le traité de Rome. Vis-à-vis du
Marché commun, la politique du Général tient en quelques mots « Tout le Traité, rien que le
Traité ». C'est-à-dire la pleine réalisation à la lettre du Traité (institution d’un espace économique
européen, ouvert à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des hommes, régi par des
règles destinées à assurer l’équité de la concurrence) mais pas plus que ça. Cependant, les auteurs
du traité avaient déposé dans le texte des germes d’évolution. Certes, la politique du Général n’entre
pas dans l’esprit qui a inspiré Jean Monnet, Robert Schumann ou bien Alcide De Gasperi ! De plus,
en regardant l’alliance entre la France et l’Allemagne comme pierre angulaire de la construction de
l’Europe, de Gaulle refusera l’adhésion de la Grande-Bretagne à la Communauté, considérée
comme davantage atlantique qu’européenne, en créant encore plus de malaise parmi les dirigeants
européens.
20 Voir note 27.
13

En outre, une deuxième conséquence est l'attitude du général de Gaulle envers l'OTAN, passant
d'une méfiance affichée dès avant 1958 à sa décision de 1966, retirant les forces de l'organisation
militaire intégrée, tout en s'inscrivant dans un dessein de doter la France d'une politique de défense
indépendante. De Gaulle, convaincu que les États-Unis ne risqueraient jamais leur propre sécurité
pour défendre le vieux continent, propose aux américains et aux britanniques une direction à trois
de l’OTAN. Toutefois, devant l’indifférence de Londres et de Washington, de Gaulle se tournera
vers l’Europe avec le cri de la « France seule ». Il la veut indépendante mais, bien entendu, toute
tournée vers l’extérieur. Cette vision l’emmènera à proposer le plan Fouchet, en sein de l’Europe :
un projet qui vise à la concentration des six États par l’entremise de commissions dans les
principales sphères de l’activité étatique, soit le politique, la défense, le culturel. Cependant, ce
projet est refusé par les autres États européens car, selon eux, il s’appuie excessivement sur le
concept d’État-nation : le projet du Général était trop loin des souhaits des premiers fédéralistes
européens, comme Altiero Spinelli ou bien Jean Monet.
Finalement, sur le plan international, un troisième résultat est l’opposition résolue à la politique des
blocs. Au lendemain de l’intervention armée de l’Union Soviétique en Tchécoslovaquie au mois
d’aout 1968, de Gaulle tira, en quelques mots décisifs, la leçon du drame : « La division en deux
blocs qui à été imposée à l’Europe, à la faveur de ses déchirements, est pour elle un malheur
succédant à d’autres malheurs ». Et encore « Depuis 1958, nous, Français, n’avons pas cessé de
travailler à mettre un terme au régime des deux blocs » 21 .
En effet, les deux blocs font obstacle à la coopération internationale et condamnent aussi à l’échec
les initiatives de paix et surtout, selon la vision du Général, ils mènent à une réduction de jeu
diplomatique qui ne permet pas à la France d’exercer son rôle. Mais quel rôle ? « La France est pour
la paix, cherche la paix, cultive la paix, aide la paix, aide la paix partout. Comment ? En étant en
rapport avec tout le monde. Il n’y a aucune raison pour que nous exclusions d’avoir de bons
rapports avec ceux-ci ou avec ceux-là. Ce que nous appelons équilibre qui va avec la paix, c’est un
commencement de coopération internationale. C’est pourquoi la France n’exclut aucun rapport avec
qui que ce soit. » 22
Pour conclure sur les raisons de l’intérêt du Général pour le Québec, nous apparaît très singulière
l’interprétation de Charles Halary, professeur de Sociologie à l’UQAM. Selon son avis, « la volonté
d’affirmer l’indépendantisme québécois à lui-même relève d’une forme de philanthropie abstraite
21 Voir note 22.
22 Voir note 22.
14

qui ne convient pas à l’action politique, surtout celle menée par de Gaulle. Si l’on écarte les
explications portant sur l’âge avancé ou l’émotion d’un discours, il ne reste plus qu’une
interprétation : l’action politique à l’usage interne. […] Le mouvement social de mai-juin 1968
exprime une transformation profonde de la France qui n’est plus au centre d’un Empire, mais qui
conserve néanmoins les structures intérieures centralisatrices et hiérarchiques qui l’avaient mise en
place. La jeunesse française de l’après-guerre qui entre dans les institutions démocratiques sans
préparation, ni orientation, ni sélection positive fait éclater ces structures assez rapidement.
L’alternative ne se présente pas. Les réformes concernant la participation et la régionalisation,
préconisées par le Général, se font attendre. Dans ce contexte, s’effectue le voyage historique de
juillet 1967. » 23
En suivant les réflexions du professeur, on peut observer que le dernier acte de la politique
mondiale de la France a été l’envoi d’un corps expéditionnaire pour aider l’indépendance
américaine face à l’Angleterre. Avec Napoléon, la France est devenue une puissance continentale.
Ensuite, elle s’est perdue dans son empire colonial. « Elle a eu besoin du monde entier pour
continuer à exister au XX e siècle » poursuit M. Halary. L’image que de Gaulle avait projetée en
1967 était claire : mondialité et modernité française. Celles-ci ne pouvaient que se réunir en
Amérique du Nord. Montréal est le lieu qui symbolise ce projet. Les Français de Montréal, au-delà
de leurs divisions, sont les porteurs de cette vision atlantique de la civilisation française.
Et bien que, encore au début des années soixante, la société québécoise ne se montrait pas affectée
au Général, les années de la Révolution tranquille sont utiles pour changer la réalité des choses. Les
catégories de la population viscéralement hostiles à de Gaulle sont, en effet, les personnes les plus
âgées qui se trouvent dans le domaine de l’artisanat et du petit commerce. La diminution de leur
importance socio-économique ainsi que leur disparition démographique éliminent avec elles cette
rancœur de l’histoire.
e) Une nouvelle politique se profile : la coopération.
Donc, nous observons très clairement où se situe le but de la politique gaullienne : dans le cadre de
la coopération.
23 Voir note 6.
15

De Gaulle veut pour la France une politique mondiale : un des moyens de cette politique fut la
colonisation. Toutefois, les temps ont changé et, suite à l’émancipation des états coloniaux, l’ère
maintenant ouverte est celle de la coopération. En s’accordant avec l’esprit de son temps, de Gaulle
entend faire de la coopération le principal moyen de sa politique étrangère. Voici ce qu’il répond à
ce sujet dans sa Conférence de presse du 31 janvier 1964 : « Oui, la coopération est, désormais, une
grande ambition de la France. » 24
Bien que son concept de coopération ne soit pas très clairement défini, on peut observer que ce
qu’il entend comme « ensemble de liens » ou bien « tissu de liens », varie en intensité et gradation
d’un état à l’autre. Cette différence trouve sa raison d’être évidemment dans l’intérêt que de Gaulle
nourrit pour le pays par rapport à sa politique mondiale.
En fait, lorsque de Gaulle parle et organise la coopération, il s’agit d’un geste calculé. Et cette
coopération il la considère non seulement comme un bon placement à long et à moyen terme, mais
aussi comme un moyen de faire contrepoids aux deux Super-Grands. La coopération ne s’arrête pas
aux pays en voie de développement, elle s’étend à tous les états, tant les latino-américains, africains,
du sud-est asiatiques, arabes qu’européens.
Cependant, tel un observateur historien très subtile, de Gaulle veut trouver de nouveaux moyens
pour poursuivre sa politique mondiale universelle: en refusant l’aide unilatérale qui correspond à la
domination, il veut essayer un moyen moins dispendieux mais original qui convienne mieux à la
nature de la France des années 1960. Si de Gaulle est tellement populaire dans le Tiers-Monde, cela
tient au fait que la France est le seul pays à respecter l’engagement de consacrer au moins l,1% de
son produit national brut à l’aide au Tiers-Monde. En somme, suite à la décolonisation, la nouvelle
forme de politique qui remplace celle de la domination, c’est pour de Gaulle la politique de la
coopération. Aussi, entend-il pratiquer la coopération avec tous les états, sauf avec les Super-
Grands avec qui il entretient des liens d’amitié et de collaboration.
De Gaulle, en avril 1960, avait mentionné au premier ministre Diefenbaker que le « sort du Québec
et des populations françaises implantées dans d’autres provinces » touche désormais la France de
très près. En effet, selon de Gaulle, les Français canadiens, en vivant dans un système qui
« détermine à s’angliciser », ont toujours souffert parce que le gouvernement canadien d’Ottawa les
24 Voir note 2.
16

« mettait dans une situation de plus en plus inférieure et exposait à des dangers croissants leur
langue, leur substance, leur caractère. »
En outre, de Gaulle pense en termes économiques, à la fois à court terme et à long terme. Il sait que
l’avènement d’un état français en terre d’Amérique ne peut que servir la France tant politiquement
qu’économiquement. Il l’exprimait dans un discours prononcé à Québec le 23 juillet 1967 en ces
termes : « N’est-il pas aussi encourageant que possible, que les universités de Québec, de Montréal,
de Sherbrooke, et les universités de France soient en relations régulières et que nous échangions en
nombre croissant des professeurs, des ingénieurs, des techniciens, des étudiants? N’est-il pas
caractéristique que l’Hydro-Québec, votre puissante entreprise nationale, collabore directement
avec l’Électricité de France, qu’il s’agisse des recherches, ou bien des hautes tensions où vous êtes
passés maîtres, ou de l’emploi de l’énergie atomique pour produire l’électricité […]? »
Significatif est le parcours fait par de Gaulle quand, le mercredi 26 juillet 1967, il visite l’Université
à Montréal, la Place des Arts et les installations du Métropolitain - construit avec la collaboration
d’ingénieurs français de la RATP.
17

II. DE GAULLE ARRIVE AU QUÉBEC
Avant de poursuivre avec l’analyse des faits qui ont amené à l’éclatement entre de Gaulle et
Ottawa, nous pensons qu’il est important de donner un bref mais essentiel aperçu sur les perceptions
que les Québécois avaient de De Gaulle et vice-versa avant le voyage en 1967. Ensuite, nous avons
aussi jugé indispensable de faire une description non plus fondée sur les jugements mais, cette fois-
ci, sur les faits réels de la société québécoise qui a accueilli le Général.
a) Le Général vu par les Québécois
« Je lus L'Appel, le premier volume des Mémoires de Guerre du général de Gaulle. Il décrit la France comme : « La
princesse des contes ou la madone aux fresques des murs », quelques jours après avoir lu dans les « dernières volontés »
d'Hitler une phrase la dépeignant comme : « un catin fripé qui n'a jamais cessé de nous escroquer, de nous tromper et de
nous faire payer la note. » La version de De Gaulle était en toute rigueur plus attrayante. » 25
Les premiers contacts entre le héro de guerre qui avait libéré l’Europe du nazisme hitlérien et les
Canadiens en général, et ensuite les Canadiens français, n’appartiennent pas aux années soixante
mais bien plus tôt.
La guerre fut la première occasion des retrouvailles du général de Gaulle avec le Canada, avant de
l’être avec le Canada français. Après l’appel du 18 juin 1940, le chef de la France libre lance un
nouvel appel le 1 er août qui, cette fois, s’adresse aux Canadiens français, considérés comme « un
élément » de l’État canadien. Bien que cet appel ait eu peu d’écho Outre Atlantique, la solidarité du
monde libre est affirmée par celle de la communauté francophone.
Bien que de Gaulle ait déjà fait deux voyages au Canada, le premier en juillet 1944, le second en
août 1945, alors, escale obligée et commode entre l’Europe et les États-Unis, la situation
internationale n’est pas encore propice pour la création de relations solides et importantes.
Malgré la concession officielle, en 1949, par les autorités canadiennes du même statut pour les
émigrants français que ceux de Grande-Bretagne ou des États-Unis, de 1945 à 1965, ils ne
représentent que 3% de l’immigration totale.
25 Conrad M. Black, Un Canadien anglais et de Gaulle, De Gaulle en son siècle – Journée internationales organisées par
l’Institut Charles de Gaulle, 19-24 NOVEMBRE 1990, UNESCO – PARIS.
18

En Amérique du Nord, les gaullistes sont perçus comme ceux qui ont permis l’installation des
communistes à des postes-clefs en France et les villes de Montréal et Québec sont devenues, pour
les immigrants français, des foyers d’opposition extérieure à la République : le Canada se place
derrière les États-Unis avec l’Angleterre. Le danger communiste hante les esprits.
Cependant, ces grands enjeux internationaux n’inquiètent pas les hommes d’affaires français qui se
remettent à importer des produits de luxe, symbole d’un style de vie précis. Et surtout pas les
français d’Afrique du Nord, des commerçants et membres des profession libérales juives
francophones qui, à partir de 1942, établissent des habitudes commerciales avec le Canada.
Toutefois, cette immigration, qui explique la présence actuelle d’une importance communauté
francophone de juifs séfarades, ne contribue pas à faire accepter la politique de la France
républicaine.
Donc, nonobstant la nouvelle technologie aérienne qui permet, de 1945 à 1959, aux hommes
d’affaires et à ceux de la politique française de visiter constamment le Canada, le fort rôle joué par
l’Église au Québec ne fait pas accepter la laïcité de la République : les romans de Diderot et
Voltaire sont brûlés parmi d’autres oeuvres anticléricales par des étudiants de l’Université Laval, en
1953, et la moindre grève se voit accusée de susciter une rébellion communiste.
Durant toute cette période, de Gaulle disparaît de la scène internationale montréalaise. Il est perçu,
selon l’avis de M. Charles Halary, professeur de sociologie à l’UQAM, « comme un grand chef de
guerre à la retraite qui n’a pas su imposer ses idées politiques. » 26
Pourtant, il faut souligner que ce fait est assez surprenant car, au contraire, l’anticommunisme aurait
pu être un point de ralliement à de Gaulle, mais la présence de personnages aussi critiqués par les
pétainistes qu’André Malraux ou encore Raymond Aaron, connus dans les milieux intellectuels
montréalais, interdit un tel rapprochement.
Toutefois, pour comprendre le changement des esprits dans le collectif québécois, il faut tenir
compte du fait que si la reconstruction de la France d’après-guerre avait fait revenir des émigrants
français, elle avait fait aussi émigrer des intellectuels canadiens français qui fuient le régime de
Duplessis. Et, il y aura cette petite colonie d’intellectuels canadiens français expatriés en sol
26 Charles Halary, L’image du présidente de Gaulle chez les Français de Montréal, De Gaulle en son siècle – Journée
internationales organisées par l’Institut Charles de Gaulle, 19-24 NOVEMBRE 1990, UNESCO – PARIS.
19

parisien qui exercera une influence importante dans l’établissement des premières relations
politiques modernistes entre le Québec et la France. En effet, la façon dont de Gaulle favorise
l’indépendance de l’Algérie agit comme un révélateur sur ce groupe de journalistes, d’étudiants,
d’artistes qui oscillent psychologiquement entre une identité de Français d’adoption et celle
d’éclaireurs francophones presque américains.
Or, tandis que la France promouvait sa politique d’indépendance par rapport aux États-Unis, à
l’OTAN, en relançant une industrie militaire autonome et en demandant aux États-Unis et au
Canada d’évacuer leurs bases militaires sur le sol français, la conception de la France au Canada
s’empirait de plus en plus, et de Gaulle n’était vu que comme celui qui avait combattu Pétain, bradé
l’Algérie, trahi les Américains et assimilé une forme rampante de socialisme soviétique.
Par contre, en même temps, toute une nouvelle intelligentsia québécoise trouve « dans ce vieux
monsieur rétif, catholique moraliste, héros de la guerre, farouchement opposé aux politiques
hégémoniques anglo-saxonnes, une sorte de bon souverain prêt à leur prêter une oreille attentive. » 27
C’est donc dans ces circonstances que se déroulera le troisième voyage de De Gaulle, voyage qui
permettra véritablement que la reconnaissance d’une communauté nationale distincte et sensible se
fasse réelle.
Le séjour du Général au Canada de 1960 est, selon plusieurs observateurs, révélateur : il montre à
de Gaulle une Amérique remobilisée dans la course à l’espace, et un Canada qui se laisse entraîner
dans un abandon de lui-même par une continentalisation irréversible. Soutenir le Québec apparaît
alors comme l’amorce d’une politique de renforcement de l’identité distincte du Canada face aux
États-Unis.
Mais l’entente étroite entre le Québec et la France doit encore attendre, car elle ressentira les
conséquences d’un contentieux entre le Canada et la République. En effet, il existe à ce moment-là
une dispute entre le Canada et la France : le gouvernement canadien est hostile à la poursuite de la
guerre en Algérie et critique quant à la politique européenne du Général ; en outre, il est inquiet des
positions de De Gaulle sur l’OTAN. Mais surtout l’État fédéral commence à surveiller de très près
l’attention du Général pour la province de Québec.
27 Charles Halary, L’image du présidente de Gaulle chez les Français de Montréal, De Gaulle en son siècle – Journée
internationales organisées par l’Institut Charles de Gaulle, 19-24 NOVEMBRE 1990, UNESCO – PARIS.
20

Peut-être à cause de ce contexte de malaise, l’accueil que le peuple canadien réserve au Général est
assez froid. Et le fait que, malgré hôte du gouvernement fédéral, il visite Québec et Montréal n’est
pas suffisant pour remédier à l’indifférence de la population canadienne française à la venue du
Général.
Cependant, de Gaulle ne se décourage pas et affirme sa volonté de rompre avec l’attitude
d’indifférence que la France a portée jusqu’ici au Québec : en 1960 de Gaulle reconnaît l’existence
de deux communautés distinctes. Cet intérêt, dont les causes seront analysées plus profondément
plus loin, répond, dans une certaine portion, aux appels du corps diplomatique français en poste au
Canada qui souligne la possibilité d’échanges enrichissants avec le Canada français.
Les inquiétudes d’Ottawa sont la preuve que les relations franco-québécoises sont de plus en plus
importantes. Donc, le gouvernement fédéral mettra en place une stratégie pour neutraliser les fortes
liaisons franco-québécoises, en favorisant le développement des relations franco-canadiennes.
Cependant, nous allons démontrer que, malgré ces efforts, à partir de 1964, date de la visite
officielle du premier ministre canadien Pearson à Paris, les relations seront triangulaires, avec le
souci du Général de ne pas contrarier les relations heureuses de la République française avec leur
État fédéral, en développant des rapports avec le Canada.
b) Les Québécois vus par le Général
« J'ai constaté quel immense effort de progrès, de développement, et par conséquent d'affranchissement vous
accomplissez ici et c'est à Montréal qu'il faut que je le dise, parce que, s'il y a au monde une ville exemplaire par ses
réussites modernes, c'est la vôtre. Je dis c'est la vôtre et je me permets d'ajouter c'est la nôtre. » 28
La vision des Canadiens français qui, seulement avec les écrivains de 1960-70, deviennent
Québécois axés sur la notion d’indépendance politique, selon de Gaulle est historique et rattachée
d’abord à la France. Elle se situait dans la mouvance de la pensée traditionnelle des patriotes
français de haute culture : créer un réseau actif parmi les deux côtes atlantiques et dans la même
France, en entretenait la flamme.
En nourrissant étonnement devant l’opiniâtreté séculaire des Français canadiens, aussi définis par
le Général en 1967 comme étant à mi-chemin entre le passé et l’avenir, il a un sentiment de pitié
28 Discours de Charles de Gaulle, Hôtel de ville de Montréal, 24 Juillet 1967 – www.radio-canada.ca
21

devant leur état de peuple conquis. Par le fait même, il supprime le temps, abolit l’histoire des
Canadiens français et, l’intégrant dans le développement continu de l’histoire de France, il fait
d’eux, dans la seconde moitié du XX e siècle, des Français à l’étranger.
De la nation québécoise, de Gaulle dira qu’elle est un « peuple fort et entreprenant » 29 . Les
événements de la décennie qui précéda sa venue au Québec soulignaient l’importance de la
mutation dont les Québécois furent l’objet et le sujet. C’est la classe intellectuelle, selon M. Jean
Ethier-Blais, président du Centre francophone canadien, qui imposa au peuple cette revalorisation
de lui-même.
La notion de l’État, reposant sur la dynamique d’une Assemblée nationale, se substitua à celle de
province. Un État fort (et de Gaulle dira donc « un peuple fort ») au lieu d’une belle province. On
sait que Lesage importa d’Ottawa la notion d’une fonction publique tentaculaire, elle aussi symbole
de l’autonomie administrative. Le mot « rouage » prit place dans la langue quotidienne, étendant
son emprise de la machinerie au citoyen. Il est certain qu’au cours de cette décennie, le Quai
d’Orsay devint moins suspect sur les bords du Saint-Laurent. L’extraordinaire efflorescence des
lettres au Québec donna, par association, une vigueur accrue au marché des livres français : les
bonnes monnaies s’attirent les unes les autres.
« Nous assistons à un début de décolonisation depuis l’intérieur de l’homme québécois » continue
M. Jean Ethier-Blais. Fait significatif, la sémantique suivit, comme il se doit, et les mots-clés de
l’aventure de ce « peuple fort » en fin de XX e siècle, apparurent : Québec et donc l’adjectif
québécois, comme recouvrant une réalité autre que celle d’être né dans la belle ville de Québec ;
d’où le substantif Québécois qui se dressa, en opposition, à Canadien français, comme une bouteille
lancée dans la mer du futur ; enfin, cherchant à définir cette nature politique en gestation, le mot
québécitude, qui situe un groupe humain à part des autres.
De plus en plus de Gaulle semblait avoir associé le Québec à la France, comme s’il en était une
ramification directe et était donc véritablement français. Selon William M. Chandler, professeur à
l’Université de McMaster en Ontario, il n’y a guère de doute que « la vision que le Général avait de
la question québécoise s’inscrivait dans le cadre plus vaste de son expérience des mouvements
29 Jean Ethier-Blais, À quel Québec de Gaulle s’adressait-il ?, De Gaulle en son siècle – Journée internationales
organisées par l’Institut Charles de Gaulle, 19-24 NOVEMBRE 1990, UNESCO – PARIS.
22

d’indépendance nationale, notamment en Algérie et dans les anciennes colonies françaises. » 30
Selon beaucoup de spécialistes de Gaulle manifeste aux Canadiens français un intérêt et une
affection qui vont au-delà des intérêts de sa politique mondiale. Dès août 1940, il n’avait pas
manqué de manifester sa sympathie aux Canadiens français en prononçant à leur intention un
discours à la radio de Londres, discours qui commençait par ces mots : « Je n’éprouve aucun
embarras à vous parler, car je veux vous parler de la France et je sais que personne au monde ne
peut comprendre la chose française mieux que les Canadiens français. » 31 (il faut souligner qu’il
parle en 1940 !)
Dans tous les discours qu’il devait prononcer par la suite au Canada, il ne manquera pas de
développer ou de mentionner, suivant les circonstances, les trois thèmes suivants concernant les
Canadiens français: en premier lieu, les liens historiques qui unissent les Français canadiens à la
France ; ensuite, la persévérance des Français canadiens qui constituent encore en 1967 un peuple
distinct et, enfin, l’identification des Français canadiens à eux-mêmes, qui, plus elle s’accentue, les
amène à se rapprocher de la France. Dans les années 1960, les Français canadiens sont finalement
prêts à prendre leur destin en mains : plus ce phénomène s’accentue, plus ils tendent à se rapprocher
de la France.
De plus, l’Exposition universelle est aussi un moyen pour la population française de prendre contact
avec une société francophone qui dissipe le mythe feuilletonesque de Maria Chapdelaine. C’est à
partir de 1966-68 que le Québec devient une société réelle pour de nombreux Français. En effet,
l’Église catholique n’avait propagé en France que le mythe évangélisateur d’une société modèle : le
Québec, projeté en France par l’entremise des congrégations religieuses, ne pouvait toucher qu’un
public restreint.
c) À quel Québec s’adressait de Gaulle ?
« Une caractéristique du Canada français, c’est bien le complexe d’infériorité. Mais le général a cru dans le Québec et
les Québécois : les grands principes, la décolonisation, l’ère des indépendances, le Québec fleuron de la France.» 32
30 William M. Chandler, De Gaulle et le fédéralisme canadien, De Gaulle en son siècle – Journée internationales
organisées par l’Institut Charles de Gaulle, 19-24 NOVEMBRE 1990, UNESCO – PARIS.
31 www.radio-canada.ca
32 Jean Chapdelaine, délégué général du Québec en France (1965-1976), Débats - sous la présidence de Claude Chayet
et Vincent Labouret, De Gaulle en son siècle, Tome VI – Liberté et dignité des peuples, Institut Charles de Gaulle – La
documentation française – Plon, Paris 1992.
23

C’est à un peuple qui se sent extrêmement seul que le Général fait une visite durant l’été de 1967,
un peuple auquel on avait longtemps interdit d’entretenir des rapports avec son ancienne mère-
patrie. Depuis la conquête et la cession du Canada à l’Angleterre en 1763, l’isolement complet du
Québec a duré près de deux siècles. Longtemps, les Québécois ont regardé vers la France dans
l’espoir d’une expédition libératrice; ils ont cru, au début du XIX e siècle, que les entreprises de
Napoléon les conduiraient jusqu’en Amérique. Ils ont même pris l’initiative d’une guerre de
libération en 1837-1838, mais leur insurrection a été écrasée dans le sang et la France est restée
muette.
Selon le sociologue Marcel Rioux, depuis 1840 trois idéologies sont apparues : l’idéologie de
conservation qui est l’affirmation que le Québec doit préserver sa culture nationale; l’idéologie de
contestation (1950) qui, en niant véhémentement l’idéologie de conservation du siècle précédent,
donne comme but au Québec de rattraper la démocratie libérale des Nord-Américains; enfin, une
troisième idéologie, l’affirmation de la société québécoise par le développement et la participation,
tout en affirmant l’indépendance du Québec.
La victoire de l’équipe libérale de Jean Lesage, en 1960, marque le triomphe de l’idéologie de
contestation-rattrapage dont l’orientation devrait tendre à intégrer la province française de Québec à
la vie du Canada. On observe qu’alors que de Gaulle est solidement installé comme chef politique
et offre une vision planétaire du rôle de la France, les Québécois se donnent un nouveau
gouvernement, dirigé par Jean Lesage, voué à la modernisation de l’État québécois et carrément
tourné vers l’extérieur.
Alors que la France gaullienne se donne une nouvelle Constitution portant la marque du Général, le
Québec transformera en profondeur ses institutions et se dotera des mécanismes politiques
permettant un réseau de communications et d’échanges avec l’extérieur (au premier chef avec la
France).
L’année 1960 est le début de ce que l’on appelle la Révolution tranquille, traduction de l’anglais
Quiet Revolution, utilisée pour la première fois par le journal anglophone torontois Globe and Mail.
Le Québec a vécu un vrai réveil qui a reflété le passage d’une société cléricale, rurale et
traditionnelle à une société laïque, urbaine et moderne. La Révolution tranquille a marqué la fin du
vieux modèle de politique canadienne française fondée sur la défense de la tradition et des droits
coutumiers. Ce processus, autant que ce ferment social et politique, a remis en question des aspects
24

fondamentaux des relations fédérales. Cependant, dans cette dissertation, il sera évident comment
des changements institutionnels ont pu avoir lieu grâce à des facteurs externes : l’impact du général
de Gaulle sur le fédéralisme canadien fournit un exemple particulier d’influence transnationale.
Tout en suivant sa vision historique des Canadiens français, de Gaulle s’adressait à l’homme
historique que le peuple québécois aurait dû devenir, non à celui qu’il était réellement devenu.
Autant grand homme d’État et minutieux connaisseur du tissu humain il savait que, dans le cas du
Québec comme cela s’était passé pour l’Algérie, il prenait le risque du désenchantement. « Il ne
s’agit pas pour lui de mettre une solution sur un plat d’or et de l’offrir au Québec, bien plutôt,
d’indiquer un chemin vers une sortie. » 33
Cependant, il y avait aussi beaucoup de difficultés pour cette évolution générale des esprits. Et
l’obstacle s’appelait Église. Même après l’exode des prêtres et des religieuses vers ce qu’ils croient
être liberté et bonheur, le système était affecté par de hauts niveaux de faiblesse, notamment celle
de l’enseignement. La tutelle du clergé disparut et provoquait un vide. Au Québec les écoles
devinrent faciles d’accès ce qui n’a pas empêché un assez haut taux d’analphabétisme d’avancer.
Mais, en 1967, l’euphorie régnait et l’avenir de la science était entre les mains des Québécois.
Le peuple qui applaudit de Gaulle vivait encore sur les réserves intellectuelles de son passé. Il
n’avait pas encore atteint les réformes pour sortir du contexte nationaliste traditionnel et les paroles
du Général correspondaient à ce que les Québécois souhaitaient entendre.
L’identité nationale, la langue, le soin jaloux de conserver l’héritage, une vision pacifiste de sa
propre évolution, une certaine crainte devant l’action et la décision qui perturbe, le recul devant
l’aventure, c’étaient là les composantes du portrait.
À la suite de sa visite en avril 1960, de Gaulle s’aperçut qu’au Canada il existe deux
« communautés ethniques, radicalement différentes », et pour lui ces différences ont des
conséquences sur la marche même de l’État, car elles font apparaître la Fédération canadienne
comme un « état perpétuellement mal à son aise, ambigu et artificiel. » 34 D’une part, il ne voit pas
33 Jean Ethier-Blais, À quel Québec de Gaulle s’adressait-il ?, De Gaulle en son siècle – Journée internationales
organisées par l’Institut Charles de Gaulle, 19-24 NOVEMBRE 1990, UNESCO – PARIS.
34 Jacques Filion, De Gaulle : son image du système internationale et de relations France-Canada-Québec, Université
d’Ottawa, Ottawa, Ontario, 1974.
25

d’unité nationale et, d’autre part, il ne voit pas non plus de liens très étroits entre les aspirations des
gouvernés et l’attitude des gouvernants.
Selon M. Jean Ethier-Blais, le voyage du Général fut « une mise en condition nécessaire, une
marche collective du passage l’être, l’appropriation politique d’un rituel religieux qui, pour les
Québécois de 1967, avait encore un sens. À l’instant même [que de Gaulle a le courage souverain
de prononcer les paroles inévitables] ce balcon quelconque de Perrault et Marchand devient un lieu
sacré.» 35 De Gaulle était le seul qui aurait pu faire un tel discours et ne pouvait pas dire autre chose
que ce qu’il a dit, que lui dictait la foule.
Pendant le voyage de Québec à Montréal, le Chemin du Roy a retrouvé sa vocation de voie sacrée :
ce fut un vrai pèlerinage, un acte global de sacralisation dont le terme, Montréal, devenait peu à peu
un lieu à sanctifier. De Gaulle fait ici figure à la fois de sourcier et thaumaturge : cette sorte de
pèlerinage signifie la recherche d’un vouloir-vivre collectif, dont de Gaulle fut l’instrument. Si l’on
analyse le sens phénoménologique du terme pèlerinage, on y retrouve toutes les caractéristiques. Il
s’agit d’un fait collectif, impossible à nier dès lors que le petit écran, à chaque instant du périple, le
confirme. Le rôle du Chemin du Roy, resté intégré dans le souvenir historique de la nation, était
unificateur, permettant à l’axe Québec-Montréal de se développer, suivant le cheminement
géographique qui avait permis aux premiers Français de coloniser le Saint-Laurent. En ce sens, le
pèlerinage gaullien est un retour aux sources : il a répété, en fait, la stratégie de la fondation de la
nation Québécoise.
III. LES RÉACTIONS
« Pour la première fois, au cours d’une manifestation populaire et très largement spontanée, les gens du Québec ont crié
leur orgueil d’être français, sans en avoir honte, sans crainte d’être montrés du doigt. C’est un peu comme si chacun
réalisait, tout à coup, que la condition de francophone était un avantage, un acquis précieux et un motif d’orgueil, même
au cœurs d’une Amérique massivement anglophone. […] Provoquant l’expression d’un nationalisme qui désormais ne
serait plus occulte. » 36
Avant de commencer la tractation sur les différentes réactions qui ont déchiré le Canada suite à la
visite du Visiteur, nous croyons opportun d’encadrer brièvement l’arrivée du général de Gaulle.
35 Voir note 13.
36 Voir note 17.
26

Vers la fin des années soixante, les relations triangulaires Paris-Ottawa-Québec sont minées par la
suspicion et la forte surveillance du gouvernement canadien et les pressions de plus en plus ardentes
du Québec. En outre, il y a comme une compétition entre le gouvernement fédéral et le
gouvernement provincial, tous deux revendiquant l’initiative de l’invitation personnelle adressée au
chef d’État français.
L’Exposition, occasion du voyage, marquait le centenaire de la Fédération canadienne mais, en
même temps, avait lieu à Montréal. Ce petit détail était pour le Québec une raison d’user de son
influence et prérogatives pour en faire une manifestation québécoise.
De plus, parmi les mêmes Québécois il y a des conflits : le libéral Jean Lesage a dû laisser sa place
à Daniel Johnson, chef du parti de l’Union nationale, qui forme le nouveau gouvernement, en 1966.
Johnson fait l’objet de critiques de son prédécesseur qui supporte mal, notamment, de voir son rival
recueillir tous les fruits de la visite du Général alors qu’il avait été l’instigateur des relations
privilégiées avec la France.
La prise du pouvoir par le parti de l’Union nationale, en 1966, donna une dimension nouvelle à la
lutte Ottawa-Québec. Contrairement à son partenaire libéral, le parti de l’Union nationale est
exclusivement québécois, sans attache fédérale, et l’affrontement avec le pouvoir central devint
beaucoup plus fondamental. Élu en défendant la thèse des « deux nations au Canada », avec comme
thème électoral « Québec d’abord », le gouvernement Johnson poursuivit et amplifia la politique
extérieure du régime libéral de Lesage, avec une nouvelle volonté d’affirmer la personnalité
internationale du Québec. En 1967, un journaliste de Sept-Jours écrit que l’« on était parvenu à faire
de la politique étrangère en des termes qui n’avaient rien d’étrangers » (29 juillet 1967). 37
Dans cette « concurrence » Ottawa-Québec, de Gaulle décide de répondre à l’invitation personnelle
du gouvernement québécois en se rendant, pour première étape de son voyage, à Québec. Il reste
une journée dans la capitale provinciale et emprunte, le jour suivant, l’ancienne route sur la rive
nord du Saint-Laurent, appelé le « Chemin du Roi », pour se rendre à Montréal. Ce schéma n’aurait
pas donné de préoccupations sauf que l’usage était de commencer la visite du Canada par Ottawa !
La première surprise vient de l’accueil donné au Général, tant au Québec que tout au long du
Chemin du Roi. Les résultats de la Révolution tranquille sont très visibles : la chaleur de l’accueil
37 Pierre Louis-Guertin, Et de Gaulle vint…, Claude Langevin Éditeur, 1970.
27

est spontanée. Elle est en fait la manifestation de la prise de conscience par les Québécois de leur
identité. Cependant, on ne peut pas cacher la forte instrumentalisation médiatique de l’événement
faite par les autorités québécoises qui y voient une belle revanche sur le fédéral.
Les discours du Général témoignent tous une reconnaissance implicite des aspirations à la liberté et
une promesse de l’aide de la France. À Québec, il affirme :« N’acceptant plus de subir, dans l’ordre
de la pensée, de la culture et de la science, la prépondérance d’influences qui vous sont étrangères,
il vous faut des élites, des universités, des laboratoires, à vous ».
À Donnacona, ancien poste militaire français, de Gaulle dit : « Et puis maintenant, je vois le
présent, le présent du Canada français, c’est-à-dire un pays vivant au possible, un pays qui est en
train de devenir maître de lui-même, qui prend en main ses destinées. Cela est indispensable à un
peuple et vous êtes un morceau du peuple français. Vous pouvez être sûr que le vieux pays, que la
vieille France apporte et apportera à la Nouvelle-France tout son concours fraternel ».
Et le peuple québécois n’aurait pu être plus surpris et heureux en voyant que ce concours, le
Général l’apporte immédiatement et avec éclat lorsqu’il lance de l’hôtel de ville de
Montréal : « Vive Montréal ! Vive le Québec ! Vive le Québec libre ! Vive le Canada français et
vive la France ! ».
a) Les préparatifs du voyage, les premiers jours et les premières disputes au sein de
la Fédération
L’écrivain Yves Thériault , rédacteur en chef à Sept-Jours, en résumant l’état d’esprit qui préside à
la préparation de la visite en juillet 1967, affirme que la visite du Général est présentée comme une
réplique aux « Canadiens » qui se sont offert une visite de la reine. La reine, en effet, ne vient pas
au Québec, où elle a été mal reçue en 1964, mais elle vient en tant que reine du Canada rencontrer
ses sujets « Canadiens ».
Et pour rencontrer ce rameau de France ailleurs, c’est de Gaulle qui, entre Québec et Ottawa,
tranche la dispute en proposant un programme de visite identique à celui préparé par le Québec :
c’est donc le Québec qui gagne la première manche.
28

La première conséquence est la réticence d’Ottawa, malgré ses beaux mots de bienvenue. À cause
de ce peu d’intérêt que manifeste le réseau fédéral de radio-télévision pour la visite du Général,
Québec décide de mettre sur pied un réseau temporaire qui sera chargé de réaliser un reportage en
direct de quatre heures sur le Chemin du Roy. L’organisme chargé de réglementer les ondes donne
son accord, mais le réseau fédéral de radio-télévision interdit aux 19 stations radiophoniques
québécoises affiliées à son réseau de déplacer une émission régulière pour retransmettre cette
émission spéciale. L’éditorialiste Guy Cormier commente amèrement dans La Presse : « Pour la
visite royale, pas de problème : on peut déplacer des émissions régulières de la CBC pour diffuser
l’émission spéciale. Mais pour la visite du Général, cela devient impossible. » (20 juillet 1967) 38 En
outre, il faut remarquer aussi que l’on a interdit la réalisation d’une version anglaise!
Lors de la visite, on respire un tel climat tendu entre Ottawa et Québec, que le journal La Presse
titre, le 20 juillet : « De Gaulle s’en vient et la guerre Ottawa-Québec éclate ». Il s’agit de la
responsabilité d’informer la presse au début de la visite : Québec et Ottawa tiendront séparément, au
même moment et dans la même ville, des séances d’information distinctes. De plus, aucun
représentant du gouvernement central n’a été invité à prendre place à la table d’honneur lors du
dîner d’État offert par le Québec au Général le 23 juillet.
La méfiance et l’hostilité d’Ottawa face au Visiteur se manifestent encore quand une agence du
gouvernement canadien refuse, pour la première fois, de garantir l’authenticité des renseignements
qu’elle fournit sur une visite. On peut bien affirmer que « les répercussions au Québec du voyage du
Général n’attendent pas son arrivée; la scène politique canadienne est déjà en ébullition. » 39 Selon
Pierre-Louis Guertin, au Canada il règne un vrai « climat explosif », complété par deux autres
composantes : d’une part, le grand enthousiasme des Canadiens français et, d’autre part, la
méfiance, l’hostilité et les sarcasmes des Canadiens anglais face à de Gaulle et le Québec. L’agence
américaine Associated Press affirme que le voyage de président français, nommé ironiquement « Le
grand Charles » serait « une mission destinée à encourager le séparatisme Canadiens Français. »
(17 juillet)
Ce que le ministre d’État Jean Chrétien – au niveau de la Fédération – avait défini comme un
« incident » que dans une semaine tout le monde aurait oublié, s’est révélé comme un point
historique dans la mémoire québécoise. Cependant, les fédéraux avaient tout intérêt à minimiser
l’importance d’un événement qui leur échappait et les indisposait profondément!
38 Voir note 37.
39 Voir note 37.
29

Toutefois, il est impossible de ne pas rapporter l’ampleur qu’a eue la visite du Général : de
l’extrême gauche à l’extrême droite, la très grande majorité des commentateurs s’accorde pour
souligner le choc énorme de la visite présidentielle. D’un coté, le professeur François-Albert
Angers, de l’Action Nationale, (droite nationaliste et cléricale) écrit « Moment historique donc, sans
conteste! Une des trois grandes dates heureuses ou malheureuses de notre histoire : 1608, 1760,
1967! », en plaçant, évidemment, l’événement au sein des premières dates. De l’autre coté de
l’éventail politique, les jeunes contestataires de la revue Parti Pris (décolonisation, socialisme et
laïcisme) concluent : « De Gaulle au Québec. Premier acte global de décolonisation. En criant Vive
le Québec libre! du balcon de l’hôtel de ville, le Général plaçait le Québec sous un éclairage total :
il le mettait en situation sur la scène internationale, il le révélait à lui-même, il obligeait tous les
intérêts, autant canadiens que québécois, à prendre position sur le problème de son
développement. » 40
Donc, il apparaît évident comme le contexte qui s’apprête à accueillir de Gaulle est composé par
plusieurs éléments : d’un côté, nous avons les fédéraux, hostiles au Général en le voyant comme un
facteur déstabilisant pour le système fédéral et, de l’autre côté, nous avons les Canadiens français
qui, pendant les années soixante, se sont de plus en plus persuadés d’être véritablement des
Québécois, et qui hâtent la visite en nourrissant l’espoir d’avoir une certaine revanche vis-à-vis du
Canada grâce au Visiteur. De plus, il y a une deuxième distinction à faire : comme nous avons
anticipé au début de la tractation, il y avait un public de la rue et un public composé par les élites
politiques. Et même à l’intérieur de ces deux composantes, on peut bien reconnaître différentes
positions. Dans les publics de la rue, on a toujours la distinction à faire entre public francophone et
anglophone, et dans les élites politiques, il faut distinguer les institutions exclusivement
québécoises et les institutions fédérales et de leurs dépendances québécoises (toutefois, comme
nous sommes intéressés surtout aux répercussions politiques québécoises de la visite du Général, on
écartera les institutions exclusivement anglophones).
b) Le discours du général de Gaulle : mots inacceptables ou bien inespérés mais
bien accueillis?
Tout d’abord, en prenant la presse comme source pour analyser les différentes réactions, il apparaît
tout de suite une bipolarisation très nette des attitudes entre la presse anglophone et la presse
40 Voir note 37.
30

québécoise, qui nous servira de cadre dans la présentation des prises de position de la presse et des
autres institutions publiques.
La presse anglophone (mais aussi le RIN – Rassemblement pour l’Indépendance Nationale)
interprète le « Vive le Québec libre » du Général comme « Vive l’indépendance du Québec! ».
L’idée que les déclarations du Général étaient une claire ingérence est dominante dans la plupart
des journaux anglophones. La presse québécoise ainsi que, entre autres, Le Devoir, La Presse,
Montréal-Matin, par contre, a pensé que de Gaulle a voulu saluer le fait que le Québec est libre, et
qu’il s’affranchit de plus en plus de son passé sombre grâce au développement économique, social
et culturel qu’il connaît actuellement.
Parmi ces deux interprétations de fond, le gouvernement canadien fédéral adopte l’interprétation
restrictive et déclare « inacceptables » les propos du Visiteur, qui invitent « à détruire le Canada ».
Le choc fut terrible : les deux communautés linguistiques dressées l’une contre l’autre engagèrent le
Canada dans une des crises politiques les plus importantes de son histoire, « la plus importante
depuis la crise de la conscription » dira Laurent Chevalier, professeur du Département de science
politique à l’UQAM.
Sur 39 journaux anglophones du Canada observés, 34 concluent que les paroles du Général
constituent une ingérence condamnable dans les affaires internes du Canada, 3 ne font pas ce
reproche et 2 adoptent successivement l’une et l’autre attitudes. La même observation pour le
Québec portant sur 16 journaux donne le résultat inverse : un seul journal reproche sérieusement à
de Gaulle une ingérence, 11 ne lui font pas ce reproche et 4 adoptent successivement l’une et l’autre
attitudes.
c) La presse anglophone
Avant même que de Gaulle eût commencé à parler des droits des Canadiens français à disposer
d’eux-mêmes, de leur affranchissement, du Québec libre, la presse canadienne anglaise était déjà
déchaînée. Les reportages sur le déroulement de la visite portaient par un flot de colère. Les thèmes
fréquents sont : « ingérence inacceptable dans les affaires internes », « encouragement apporté par
de Gaulle aux détestables prétentions du Québec », dénigrement sommaire de la France et de l’aide
qu’elle offre au Québec, affirmation d’un prétendu « mauvais accueil » que feraient les Québécois
eux-mêmes aux propos du Général, dénonciation du « caractère subversif », voire d’ «inspiration
31

communiste », de la conduite du Visiteur.À de Gaulle viennent imputées plusieurs critiques : les
objets incriminés ne sont pas seulement ses mots et sa conduite, mais aussi le Général tel qu’il est.
La personne de De Gaulle est attaquée : il vient définir « vieil homme querelleur » par le St-
Catharines Standard, un « réactionnaire » par le Kitchener-Waterloo Record, un être «chauvin et
mesquin » par le Kingston Whig-Standard, voire un « dictateur » par le Windsor Star, un « homme
d’état vieillissant et suffisant » par le Telegraph-Journal de St-John, un « phénomène passager » par
l’Hamilton Spectator. Les plus déchaînés parlent d’un « éléphant en furie » (Montréal Star) et d’une
« bête puante avec laquelle il était inutile d’engager un concours de crachat » (chaîne de journaux
Southampress).
Ensuite, la presse s’appuie sur sa conduite. Les expressions utilisées pour qualifier la conduite du
Général révèlent l’attitude intolérante de cette presse : la conduite du Général a été « grossière, de
mauvais goût et complètement inacceptable » selon le Toronto Star, « une performance
incroyable » près l’Hamilton Spectator, une « monstrueuse impolitesse » selon le Kitchener
Waterloo Record, « son mauvais goût est plus qu’épouvantable, il est impardonnable » selon le
Cornwall Standard Free Holder.
Pour la très grande majorité des éditorialistes du Canada anglais, il semble que de Gaulle n’aura
prononcé que quatre mots au Québec.
Le Globe and Mail écrira que « c’est un événement presque sans précédent, qu’un chef d’État
accepte le témoignage de courtoisie d’un ami et l’utilise pour exacerber un problème intérieur
difficile »; le Toronto Star lui fera écho, en disant que « nous devons prendre pour acquis qu’il a
délibérément offensé et insulté le Canada »; le Niagara Falls Review déclarera qu’« il a piétiné
l’unité canadienne »; le North Bay Nugget poursuivra en disant qu’ « il a commis une bourde
monumentale »; le Fredericton Gleaner exprimera ainsi ses opinions : « il a délibérément enflammé
et fortifié le mouvement indépendantiste »; le Victoria Times est certain que le Général a voulu
évidemment « démembrer le Canada » et que « c’est une ingérence inexcusable dans un problème
interne »; enfin, le Cape Breton Post affirmera que « la présence de De Gaulle n’est pas requise ».
Toutefois, les analystes ont conduit à des recherches assez précises, en montrant que certains
journaux, tels que le Montréal Star, se sont montrés moins sévères et n’ont pas interprété la
conduite du Général comme une tentative pour détruire le Canada. L’Examiner écrit : « Le général
32

de Gaulle, bien sûr, a commis une erreur. Mais il est ironique que ses paroles aient été considérées
comme anti-canadiennes lorsqu’il est plus que probable qu’il a parlé d’un Québec libre et
indépendant non tant par rapport à la domination canadienne qu’américaine. La meilleure garantie
de l’existence d’une nation indépendante en Amérique du Nord, autre que les États-Unis, est un
Canada uni, quoique varié, qui comprend le Québec. »
Puisque de Gaulle a insulté le Canada, plusieurs commentateurs anglo-canadiens se croient justifiés
de contre-attaquer en dirigeant leurs flèches contre la France. Le Windsor Star écrit que « Vive le
Québec libre » signifiait que le peuple du Québec n’est pas libre bien qu’il soit plus libre que le
peuple de France sous sa dictature. Il est vu comme un agitateur qui a voulu « semer la zizanie »
selon le St-Catharines Standard; il « a délibérément mis le feu aux poudres » d'après le Fredericton
Gleaner; « il a encouragé à la subversion » d'après le Calgary Herald et il « a donné des conseils
incendiaires! » selon le Vancouver Province.
Mais ce qui frappe l’attention des analystes est le mensonge que plusieurs journaux anglophones
reportent. Malgré l’information irréprochable de certains journalistes anglophones, des journalistes
francophones ont voulu souligner les inexactitudes dans les comptes rendus par des organismes
d’information de langue anglaise. « Quebec gives de Gaulle quiet, reserved welcome » titre le
Globe and Mail du 24 juillet. Ce titre contredit les faits constatés par la plupart des journaux comme
le Montréal Star qui signalait « Quebec City’s Huge Welcome » et The Montreal Gazette parlait
d’un « enthusiastic crowds ».
Le même jour, le Globe and Mail attribuait à un contingent du RIN les huées qui accueillirent le
Salut Royal, à l’Anse-aux-Foulons. Or, les journalistes présents affirment que les groupes de
« séparatistes » étaient devenus compacts et pouvaient être facilement localisés, alors que les huées
provenaient clairement de l’ensemble de la foule. De plus, plusieurs journaux de langue anglaise ont
sous-estimé la foule qui a entendu de Gaulle parler du balcon de l’hôtel de ville de Montréal lundi
soir. L’agence de la Presse Canadienne mentionne 3 000 personnes, tandis que les officiers de la
police et les journalistes présents estiment la foule à au moins 7 000 personnes.
d) La Presse québécoise
Par rapport aux journaux anglophones, on remarque une très forte différence, et pas seulement à
partir des sujets parus sur les premières pages le lendemain, mais aussi en remarquant un effort de
33

contextualisation du discours du Général. Les thèmes dominants sur les quotidiens sont : le rôle du
révélateur auprès des Québécois, la reconnaissance d’avoir projeté le Québec sur la scène
internationale, l’avenir de la coopération franco-québécoise. Mais surtout, le sujet le plus fréquent et
commun est l’hypothèse de l’ingérence…que l’on repousse!
La presse québécoise, en prenant tout l’ensemble des discours du Général, et en posant en contexte
ses mots, s’aperçoit que « Vive le Québec libre! n’était pas une approbation du séparatisme » (La
Patrie et Le Nouvelliste). Le Devoir reconnaît qu’aucun séparatiste n’aurait jamais lancé à la Place
des Nations, en visitant l’Expo, « Vive le Canada! » ou bien La Presse reporte des discours
antérieurs du Général où il affirme que le Québec doit développer sa personnalité au maximum
« sans empêcher aucunement la coopération » avec les éléments voisins et différents.
Cependant, il y a une fraction de journalistes qui jugent les paroles du Général excessives. On parle
de « paroles malheureuses » (La Patrie), d’ « incident regrettable » (L’Action). La déclaration de
l’éditorialiste Roger Champoux est assez importante pour comprendre le contexte qui entoure
l’arrivée du Général. En effet, en affirmant qu’« il est des feux sur lesquels il ne convient pas de
jeter de l’huile bouillante », il admit, en quelque sorte, l’existence d’un terrain bouleversé : ce qui
va éclairer le sujet dont nous discuterons plus loin, c’est-à-dire le fait que de Gaulle agit vraiment
comme simple révélateur d’un processus déjà en acte. De plus, il conclut : « Mais que des
déclarations intempestives, des mots flamboyants, des slogans de style martial nous lancent dans le
cauchemar…à cela nous disons : non! »
À Québec, le quotidien Le Soleil fait cavalier seul et dénonce avec une assurance et une constance
qui ne se démentent à aucun moment tous les gestes du président. C’est d’abord le procès
d’intentions : « L’insistance du général de Gaulle à s’adresser à nous en nous qualifiant de Français
Canadiens comme si nous n’étions pas avant tout Canadiens, n’est-elle pas révélatrice des buts
obscurs qu’il poursuivait », puis la condamnation, en jugeant les mots du Général comme un « cri
de guerre de ceux qui veulent la division du Canada ».
e) Institutions exclusivement québécoises
Le gouvernement majoritaire de l’Union Nationale du Québec appuie sans réserve les déclarations
faites par le général de Gaulle au Québec. Toute idée d’ingérence est écartée : le Général est défini
comme « courageux et lucide ».
34

Au Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN) on jubile. Monsieur Pierre Bourgault,
président national du RIN, parti de tendance sociale-démocrate, remet à la presse, le 25 juillet, une
déclaration vigoureuse qui bénéficie d’une grande diffusion : « Je ne peux que déplorer l’hypocrisie
extrême du monde anglo-saxon, […] c'est-à-dire l’ingérence brutale dans nos affaires ».
En ce qui concerne l’autre parti québécois de tendance droite créditiste, le RN, c’est intéressant que
le chef du Ralliement National, M. Gilles Grégoire, se joint à M. Bourgault pour remercier le
président français de ses « paroles encourageantes », et accuse le premier ministre Pearson d’avoir
eu « une attitude intentionnellement maladroite » à l’égard du Visiteur.
De plus, beaucoup de corps intermédiaires et groupes de pression manifestent leur satisfaction face
à la conduite du Général et à l’attitude du gouvernement Johnson. Jamais un gouvernement
québécois n’avait reçu pour une de ses politiques l’approbation officielle d’organismes aussi
nombreux : la fédération des Sociétés Saint-Jean-Baptiste (250 000 adhérents); les partis politiques
RIN et RN, les mouvements à caractère nationaliste suivants : les Clubs Fleur-de-lis, le Comité de
Vigilance nationale, les Chevaliers de l’indépendance, la Ligue d’Action nationale; dans le domaine
de l’information, une grande partie de la presse québécoise, la Presse étudiante nationale ainsi que
les revues Socialisme 67, Parti Pris, Maintenant, l’Action nationale et Liberté.
Par contre, les attitudes adoptées par les deux grandes centrales syndicales implantées au Québec
sont beaucoup plus ambiguës : on n’adresse pas le moindre reproche directe à de Gaulle pour sa
conduite, mais on l’attaque par le biais de critiques à l’endroit de la politique ouvrière française. La
Confédération des syndicats nationaux (CSN), centrale syndicale exclusivement québécoise
(environ 200 000 adhérents), critique le gaullisme dans une façon modérée. La Fédération des
Travailleurs du Québec (FTQ-CTC), par contre, en s’agissant d’une filiale québécoise de la
Confédération du travail du Canada (CTC), d’obédience fédérale et prolongement au pays des
Trade Unions américains, adopte une position particulièrement sévère. Le secrétaire général
M. Gérard Rancourt, déclare que « la visite du président de Gaulle ne nous a encore valu aucune
nouvelle usine, aucun massif de compétences techniques ou de capitaux : rien en somme qui nous
justifierait de mettre fin à notre insertion naturelle dans une économie continentale qui nous
procure, selon les années, le deuxième et le troisième niveaux de vie au monde ».
35

f) Institutions fédérales
Le Parti libéral du Canada exerce le pouvoir à Ottawa, donc il faut considérer la déclaration du
gouvernement Pearson comme reflétant l’attitude de ce parti. « Les habitants du Canada sont libres.
Les Canadiens n’ont pas besoin d’être libérés. En vérité, des milliers de Canadiens ont donné leur
vie durant deux guerres mondiales pour libérer la France et d’autres pays d’Europe. » Ici, c’est clair,
l’allusion humiliante pour le Général au fait que la France ne peut prétendre libérer quelqu’un qui
est déjà libre, mais, en plus, on remarque le fait que la France était libérée et le Général ne peut pas
faire la même chose!
De son côté, le Parti conservateur du Canada n’émet pas de déclaration officielle en marge de la
visite, sans doute à cause de l’incertitude suscitée par la course à la chefferie, dont le parti est le
théâtre à ce moment. Malgré son remplacement comme chef de l’opposition à l’automne, il faut
considérer les commentaires de M. John Diefenbaker plus violents que ceux de Lester Pearson,
comme reflétant la position du groupe qu’il représente. Le leader tory déclare que le président
français « veut se faire l’architecte du démembrement de la Confédération canadienne » et que ses
discours constituent « une intrusion inexcusable dans les affaires intérieures du pays. »
Le Nouveau Parti démocratique, de tendance sociale-démocrate, adopte une attitude plus modérée
et son chef, M. Tommy Douglas, est le seul leader fédéral à ne pas condamner sévèrement la
conduite du Général. Il ne veut pas faire du Général un martyr.
g) Les dépendances québécoises
Or, après cette distinction nette entre institutions fédérales et québécoises, on peut aborder l’étude
des réactions de ce que M. Guertin a défini comme « les dépendances québécoises d’institutions
fédérales » 41 . L’affaire de Gaulle a provoqué dans le Parti libéral du Québec une crise majeure qui
l’a fortement ébranlé, comme nous pourrons constater par la suite de cette analyse. Aucun blâme
direct n’est adressé à de Gaulle pour sa conduite, mais on donne une interprétation séparatiste à ses
propos et on impute au gouvernement de l’Union nationale la responsabilité de cette « erreur ». La
déclaration du 29 juillet 1967 de M. Lesage, « à saveur fédéraliste », selon le journaliste Paul Cliche
du Devoir, a entraîné la démission immédiate du député François Aquin et des déchirements
continuels dans le parti au cours des semaines et des mois qui suivirent.
41 Voir note 37.
36

Il faut, cependant, remarquer le cas particulier des créditistes du Québec : le Ralliement des
créditistes, par la voix de son chef Réal Caouette, qui a jugé subversifs les propos du Général, voire
communistes. Le leader du « mouvement poujadiste québécois » a affirmé pour exprimer sa colère :
« Je ne veux pas de la culture française. Je veux plutôt la culture canadienne. »
Le politologue M. Guertin explique cette attitude parce que le Ralliement des créditistes ne dépend
d’aucune institution fédérale.
h) Les gens de la rue : entre incrédulité et euphorie
« S’il y a au monde une ville exemplaire par ses réussites modernes, c’est la votre, et je m’empresse d’ajouter : c’est la
nôtre. » 42
Les premiers à être surpris étaient les Québécois mêmes qui se trouvaient à l’hôtel de ville : les
enregistrements de cette parole historique montrent en fait que les acclamations n’arrivent qu’après
un court silence de la foule amassée qui ne s’attendait probablement pas à une marque de
reconnaissance aussi directe. Le peuple québécois est reconnaissant à de Gaulle pour ne pas l’avoir
déçu. De Gaulle a su donner un sens d’identité et d’appartenance avec ses mots «Toute la France,
en ce moment, regarde ici. Elle vous voit, elle vous entend, elle vous aime. » Ce n’est pas un cas
que les Québécois entonnent spontanément la Marseillaise! « La France va vous aider et j’en suis
sûr, vous le lui rendrez plus tard, vous apporterez au vieux pays votre propre concours » : jamais
mots n’ont été plus vrais!!
Plusieurs observateurs ont remarqué que quelque chose d’infiniment joyeux et d’extrêmement grave
se déroulait au Québec en fin de journée. Plusieurs sont les parallélismes avec la libération de la
France en 1944, soulignés par le même de Gaulle : « Ce soir ici, et tout le long de ma route, je me
suis trouvé dans une atmosphère du même genre que celle de la Libération. »
L’impact créé dans l’opinion publique du Québec par la visite du Général est immense, mais il est
intéressant d’observer comme les journalistes qui interrogent les passants pour tenter de découvrir
l’attitude de l’homme de la rue, remarquent que plusieurs n’osent pas affirmer qu’il sont favorables,
42 Voir note 10.
37

« soit parce qu’ils sont fonctionnaires fédéraux, soit parce qu’ils travaillent pour des institutions
anglophones ».
Mais, avant même que la visite se termine au moment où les gouvernements et les hommes publics
manifestent leur attitude, les espaces réservés aux lecteurs dans les journaux se remplissent et
débordent de « lettres ouvertes » de citoyens désirant commenter les événements des derniers jours.
En dix jours, le quotidien Le Devoir reçoit environ 400 lettres, « soit plus qu’à la suite d’aucun autre
événement depuis une vingtaine d’années », observe l’éditorialiste Jean-Marc Léger.
Vingt-quatre professeurs de l’Université Laval tentent de tirer une leçon de l’événement :
« Pourquoi nos fédéralistes, tant français qu’anglais, se scandalisent-ils de l’expression Québec
libre lancée par le président de la France? Pourquoi considèrent-ils comme séditieux le fait
d’évoquer la liberté du Québec sinon parce qu’ils admettent eux-mêmes que cette liberté n’existe
pas vraiment. Leur attitude présente démontre une fois pour toutes que l’option fédéraliste est
inconciliable avec l’idéal d’affranchissement du peuple québécois. La minute de la vérité a sonné. »
Des conclusions très sévères comme nous pouvons le constater.
En outre, il y a un intéressant sondage (reporté en appendice) réalisé par le Centre de Recherches
sur l’Opinion Publique (CROP) les 7, 8 et 9 août 1967 pour le compte des quotidiens Le Soleil de
Québec, Le Devoir et Montreal Star de Montréal et la station Radio-Luxembourg. On a retenu 673
noms – à Montréal 310, à Québec 265 et Trois-Rivières 88 – pour établir les statistiques.
Les populations visitées ne reprochent non seulement rien à de Gaulle en grande majorité (Tableau
II et IV), mais elles affirment de surcroît qu’Ottawa a traité « durement » et même trop durement
l’illustre Visiteur. Les Québécois estiment que de Gaulle était d’abord et avant tout leur propre
invité : selon M. Bergeron, l’analyste du sondage, « tout s’est passé comme s’il y avait deux
États » 43 . D’où le mécontentement face à la conduite d’Ottawa qui est intervenu dans leurs affaires.
IV. LES CONSÉQUENCES
« Il a rempli de joie le cœur d’une nation trop souvent humiliée, et tenue dans l’ombre. » 44
43 Pour toutes les citations, voir note 37.
44 Citation de Reginald Chartrand, Guy Bouthillier, Les indépendantistes québécois et le général de Gaulle, De Gaulle
en son siècle, Tome VI – Liberté et dignité des peuples, Institut Charles de Gaulle – La documentation française – Plon,
Paris 1992.
38

En ce qui concerne les conséquences, il faut tout d’abord déterminer celles à court terme et celles à
long terme. Nous observerons que, par rapport aux conséquences à court terme ou immédiates,
l’effet du Général sera de créer des changements, notamment à l’intérieur de la scène politique
québécoise, au niveau des partis politiques et, dans une manière mineure, à l’intérieur de la scène
politique fédérale.
De plus, à mi-chemin entre conséquences à court et long termes, nous examinerons les effets sur
l’ordre du jour des activités provinciales et, ensuite, sur la société québécoise au niveau des
individus, qui ont vu en de Gaulle un moyen de revanche sur les Canadiens anglais.
Ensuite, par rapport aux conséquences à long terme, nous analyserons la coopération avec la France
et le reste du monde que le Québec a entraînée à partir des années soixante; l’actuelle position du
Québec au sein des relations Fédération-Province, et le processus qui l’a amené aux derniers
épisodes de la politique internationale, comme par exemple la Conférence de l’ONU, à Nairobi, sur
le changement climatique.
Finalement, après avoir exposé les développements produits à la suite de la visite du Général, nous
poursuivrons avec l’étude détaillée du rôle joué par de Gaulle, en vérifiant deux éléments
fondamentaux. Le premier sera jusqu’à quel point de Gaulle a influencé le futur du Québec en
prenant en considération la possibilité qu’il ne s’agit que d’un révélateur d’une transformation que
le Québec vivait déjà lors de la visite de De Gaulle.
Le deuxième élément sera la figure même du Général, en se questionnant sur la possibilité que si ce
n’était pas de Gaulle qui avait prononcé ce discours, les conséquences auraient peut-être été
différentes, sans le grand écho qu’elles ont eu.
a) La scène politique québécoise : des réajustements majeurs
Deux phénomènes majeurs dominent les répercussions politiques directes de la visite du Général :
la crise profonde dans laquelle plonge le Parti libéral du Québec et le développement considérable
du mouvement indépendantiste québécois.
39

La vie politique québécoise semblait dominée plus que jamais par la volonté de transformer les
structures de la Fédération en procédant, au minimum, à un nouveau partage des pouvoirs à partir
de l’idée des deux nations, au maximum, à la proclamation de la souveraineté du Québec. De l’autre
côté, la vie politique canadienne semblait dominée par l’obstination à ne rien vouloir changer aux
structures existantes et par le désir de faire une place plus grande aux Canadiens français dans ces
structures.
En juin 1968, l’élection d’un nouveau premier ministre à Ottawa, Pierre Elliott Trudeau, qui
affirmait à la population anglophone son intention de « remettre le Québec à sa place », révéla le
désir du Canada de maintenir le statu quo. Au Québec, l’Union Nationale freinait son escalade
constitutionnelle, surtout après le décès de Daniel Johnson, en septembre, pour éviter l’affrontement
total auquel elle ne se sentait pas préparée, tandis que naissait le plus puissant parti « séparatiste »
de toute l’histoire du Québec, le Parti québécois.
Dans ce climat de grandes mutations, le Parti libéral du Québec est le parti qui a ressenti le plus
violemment la secousse du voyage historique. Deux des personnages les plus en vue de la
Fédération Libérale du Québec quittent leur poste : André Brossard, coprésident de la Commission
Politique, qui dénonce la « déclaration inopportune qui renie les luttes antérieures pour
l’émancipation et l’épanouissement du peuple québécois », et Gilbert Bériault, membre de la
Commission politique et président du Comité des affaires économiques du F.L.Q., qui trouve la
déclaration Lesage « inacceptable et trop grave pour être prise de cette façon ».
René Lévesque ne démissionne pas immédiatement mais, selon François Aquin qui lui reproche
amèrement de ne pas avoir tout de suite imité son geste, « Lévesque ne reste dans le parti que dans
l’espoir d’y provoquer une crise majeure, de le démolir. »
En octobre, lorsque s’ouvre le Congrès, trois principales thèses constitutionnelles se profilent. Au
nom du Comité des Affaires constitutionnelles, l’ancien ministre de l’Éducation, Paul Gérin-Lajoie,
propose pour le Québec un « statut particulier à l’intérieur d’un nouveau régime confédératif » qui
ne brimerait plus les aspirations de la population québécoise à développer sa « personnalité
collective ». Tout ce qui concerne la langue, la culture, l’éducation, le travail, le droit civil, etc. doit
relever prioritairement du pouvoir local à qui, d’autre part, doit être accordée « une participation
accrue, sinon directe, dans les décisions économiques, politiques et sociales concernant la
population du Québec. » Ainsi les décisions se rapportant aux domaines de l’immigration, la
40

fiscalité, le crédit, la monnaie et la politique étrangère ne pourront être prises sans l’accord du
Québec.
La thèse du clan Lévesque est celle de la souveraineté-association : « il faut que nous osions saisir
pour nous l’entière liberté du Québec, son droit à tout le contenu essentiel de l’indépendance. Cela
signifie que le Québec doit devenir au plus tôt un État souverain. » Pour M. Lévesque, le cadre
fédéral empêche le Québec et le Canada anglais de contrôler les leviers essentiels de leurs
développements réciproques. La seule solution : « il faut se débarrasser complètement d’un régime
fédéral qui est complètement dépassé. »
Une troisième thèse constitutionnelle est, comme les précédentes, publiée dans les journaux sous le
titre « Pour une confédération canadienne, une vraie » et présentée par le député Yves Michaud. Se
situant à mi-chemin des deux autres solutions, il propose une négociation d’une « véritable
confédération » reposant sur une base d’ « États associés ». Cependant, elle ne retient que
faiblement l’attention des congressistes.
Mais « l’homme qui a permis deux fois à Jean Lesage d’être premier ministre du Québec »
(Montréal-Matin), René Lévesque, quitte dramatiquement, devant les caméras de la télévision, le
lieu des délibérations et le parti, suivi immédiatement d’environ 200 délégués et de 10 personnalités
importantes, membres de la Commission politique de la F.L.Q. et détenteurs de postes-clefs dans le
parti.
Après le départ de tous ces hommes, les libéraux du Québec reviennent progressivement à des
thèses plus orthodoxes dans le domaine constitutionnel, et les liens avec le Parti libéral du Canada
redeviennent très étroits. Lesage ne s’est jamais remis de l’impopularité dont il a été frappé lors de
l’Affaire de Gaulle, et il doit démissionner le 28 août 1969. Et avec Robert Bourassa, « le candidat
de la rue Saint-Jacques », le Parti libéral du Québec redevient le parti du grand capital.
En même temps on assiste à un renforcement du courant indépendantiste. D’un côté, le clan
Lévesque poursuit ses activités auprès du Congrès, et le projet de créer un mouvement politique
original sur la base de la thèse « Souveraineté-Association » fait rapidement son chemin sur la scène
politique québécoise. La fusion du mouvement avec le parti politique Ralliement National donne
naissance au Parti québécois (P.Q.).
41

D’un autre côté, le Rassemblement pour l’Indépendance Nationale, dont le slogan électoral était
précisément « Vive le Québec libre! » a le vent dans les voiles au lendemain de l’événement. Repris
par de Gaulle, le slogan du RIN change en quelque sorte de nature : il n’est plus le cri de guerre des
seuls « barbus séparatistes » et des « terroristes ». On peut désormais être vieux, honorable, célèbre
et crier « Vive le Québec libre! ». Le nombre d’adhérents double durant les trois mois suivant la
visite. Mais l’annonce de la création du Mouvement Souveraineté-Association (M.S.A.) met un
frein à cette croissance au début de 1968, à cause du partage de la clientèle indépendantiste.
Cependant, une fusion entre le RIN et le M.S.A. n’est pas possible car les discussions achoppent sur
le problème des droits linguistiques et scolaires de la minorité anglophone au Québec, où les
« rinistes » se montrent intransigeants.
Par contre, une fusion entre le M.S.A. et le RN apparaît sur le fond politique québécois et elle
représente, pour le P.Q., la chance unique de s’étendre et s’implanter dans les campagnes, où le RIN
en 10 ans d’existence n’avait jamais réussi à pénétrer profondément.
Après la dissolution du RIN, en novembre 1968, les indépendantistes québécois se trouvent enfin
rassemblés dans un parti politique unique. « En attirant ces deux derniers partis (RIN et RN) dans
son sein, écrit le sociologue Marcel Rioux, le Parti québécois représente la plus sérieuse tentative
politique des indépendantistes depuis le parti patriote des années 1830. »
Le P.Q. a su obtenir l’adhésion de personnalités de premier plan. Le nombre d’adhérents du parti ne
cesse de gonfler : à la fin de 1970, on en compte plus de cent mille, par rapport à trente-six mille
cotisants en 1969, et quelques milliers lors de la fondation.
Dans ce panorama des transformations politiques, nous pouvons remarquer un cas particulier
représenté par le gouvernement de l’Union nationale du Québec qui n’a pas subi de crise
spectaculaire à la suite des événements de juillet 1967, mais dont la pensée et l’action ont été
influencées par ces événements. Cependant, il ne sera pas capable de donner aux Québécois des
objectifs nouveaux.
42

) La scène politique canadienne fédérale : des réajustements importants mais
passagers
À la différence du niveau provincial, aucun parti politique à l’échelon fédéral n’est secoué aussi
violemment que les partis québécois à la suite du passage du général de Gaulle. Des réajustements
politiques quelquefois importants, mais souvent passagers, se produisent. Toutefois, l’idée de faire
des concessions majeures au Québec ne retient que faiblement l’attention.
Le professeur Laurent Chevalier, dans une analyse des répercussions de la visite, conclut que le
Général « a contribué à tirer les partis politiques fédéraux de leur torpeur. Cette ouverture se
manifeste d’abord au sein du Parti conservateur canadien dès le mois d’août 1967, à peine trois
semaines après le départ du Général. Il accepte de parler d’un statut particulier pour le Québec au
Canada. Cette inversion de tendance est due au fait que le vieux leader Diefenbaker, qui à Ottawa
reprochait « trop grande douceur » face à de Gaulle, est remplacé par un Robert Stanfield
sympathique aux aspirations du Québec.
Le gouvernement libéral du Canada manifeste comme les conservateurs, mais plus timidement, une
certaine ouverture face au Québec.
De son côté, le Nouveau Parti démocratique, parti social-démocrate représentant la gauche
canadienne, ne semble pas avoir été affecté (dans son évolution) par la visite présidentielle. Après
l’événement, les néo-démocrates maintiennent leurs thèses favorables au Québec et reconnaissent
son droit à l’autodétermination.
Cependant, après ces premières initiatives conciliantes, « la mauvaise humeur du Canada anglais,
écrit le politologue M. Guertin, face au Québec semble reprendre le dessus et le pouvoir central
ferme progressivement la porte à toute idée de réaménagement constitutionnel en
profondeur. L’offensive du fédéral contre les prétentions internationales du Québec reprend de plus
belle au printemps 1968. » La réponse de Trudeau aux ambitions québécoises est assez claire : le
Québec est une province comme les autres et c’est au gouvernement d’Ottawa de voir aux intérêts
du Canada français. Tandis qu’il nie tout type d’émancipation québécoise, Trudeau manifeste le
désir de faire une place plus grande aux Canadiens français dans l’ensemble du Canada et au sein
des institutions fédérales, mais ces initiatives ne soulèvent aucun enthousiasme au Québec. Ou bien
43

il faut dire que dans certains cas on dénonce un net refus des Canadiens anglais face aux légers
changements proposés.
c) Modification de l’ordre du jour concernant les questions institutionnelles
À partir des années soixante-dix, il est possible d’identifier une modification de l’ordre du jour, dû
au rôle joué par le Général, concernant les questions institutionnelles, le conflit linguistique, les
affaires extérieures et le leadership politique. Cette modification a évidemment emmené à de
nouvelles tensions.
Tout d’abord, relativement aux questions institutionnelles, on observe que le problème touche
notamment les relations fédérales-provinciales : il y a des nouvelles exigences pour un contrôle
provincial de secteurs politiques cruciaux, notamment les impôts, la politique sociale et
l’immigration.
Deuxièmement, par rapport à la politique linguistique, il faut remarquer que pour le Québec, la
survie de la langue et de la culture françaises a toujours été le fondement de sa lutte contre
l’assimilation au sein de la société anglophone d’Amérique du Nord. Étant donné que le taux de
natalité élevé qui garantissait le traditionnel avantage démographique du Québec a diminué dans les
années soixante, la question linguistique s’est trouvée au cœur des revendications nationalistes. Une
série de nouvelles lois sur la langue, notamment la loi 22 et la loi 101, qui ont fait du français la
seule langue officielle du Québec, ont contribué à polariser un peu plus les rapports déjà tendus
entre Ottawa et Québec.
Troisièmement, concernant les affaires extérieures, à mesure que le gouvernement Lesage cherchait
à étendre ses activités à l’étranger, les rapports entre le Canada et la France constituèrent une arène
pour les luttes fédérales-provinciales, et Paris devint le lieu où se jouait un conflit essentiellement
canadien. Même si au début la France était spectatrice, il est possible de noter que peu à peu les
initiatives émanant du Québec coïncidèrent avec l’objectif de De Gaulle qui était de renforcer
l’influence de la France au niveau mondial. La France commença à traiter directement avec les
représentants du Québec alors qu’elle refusait de recevoir à Paris les membres du Cabinet fédéral.
Finalement, déjà aux élections provinciales de 1966, les partis réclamant une certaine forme
d’indépendance obtinrent près de 10% des voix. Mais plus important encore, le système des partis
44

fut modifié lorsque le Parti québécois devint la véritable opposition! Stephen Clarkson a soutenu
que « si Charles de Gaulle n’avait pas fait son geste spectaculaire, Pierre Elliot Trudeau ne serait
pas arrivé au pouvoir ». Le Général a tellement alarmé le Canada anglais que la version centraliste
du fédéralisme prônée par Trudeau s’en trouva légitimée. 45
d) Les Québécois après de Gaulle : le réveil d’une nation
« De Gaulle a donné au peuple québécois la fierté dans la francité , outre que sa vision du monde plus libre et plus
solidaire. » 46
Le Soleil, déjà en 1945, affirmait que, grâce à de Gaulle et à son discours directement adressé à eux,
les Canadiens français n’avaient plus honte. Et, encore plus en 1967, lorsque la France redevenait
une grande puissance et s’imposait de nouveau sur la politique internationale, le Général leur
redonne la fierté de leurs origines et la confiance en eux-mêmes. L’arbre pouvait donc grandir
maintenant qu’il avait confiance en ses racines.
Cette même théorie, nous la retrouvons dans la position de Guy Bouthillier, professeur à
l’Université de Montréal, d’après lequel de Gaulle contribuait fortement à faire connaître l’identité
du Québec aux Québécois: mais cette identité, par sa langue et par ses origines, est française.
L’écrivain Bourgault affirmera : « j’ai droit à Corneille, et à la Fountaine, Renoir est mon parent,
Pasteur est de ma famille, Lumière est français et je suis français aussi. On avait intérêt à me faire
oublier l’héritage le plus riche de la terre, celui de ma mère la France. […] L’imposture est grave,
ils faisaient de nous des tristes orphelins. […], il faut que l’esprit français puisse s’essayer encore
une fois de ce côté-ci de l’Atlantique. »
Au printemps 1968, nous voyons les Québécois craindre de voir la nouvelle sympathie pour le
Québec diminuer avec de Gaulle dans les événements de mai. Pourtant, les politiciens québécois
sont très convaincus que leur État n’aurait plus été simple objet de curiosité attendrie, inconnu de
l’opinion. Il serait devenu une « question nationale française ». Et sur cela, ils ne se sont pas
trompés !
45 Voir note 30.
46 Pierre Arsenault, De Gaulle et l’Acadie, Tome VI – Liberté et dignité des peuples, Institut Charles de Gaulle – La
documentation française – Plon, Paris 1992.
45

Il y a des analystes qui affirment que les Québécois ont vécu un vrai réveil. Celui qui prend la figure
de l’impatience lorsque, dans les semaines qui suivent l’événement, une manifestation violente
frappe le « train de la confédération », une attraction créée par le pouvoir central et destinée à
glorifier les réussites du Canada. Ces manifestations s’ajoutent aux autres protestations contre le
développement de l’école anglaise dans des quartiers montréalais où l’enseignement français est
insuffisamment assuré. Ce sont ces vagues de protestation qui donnent naissance quelques mois
plus tard au Mouvement de l’Intégration Scolaire puis à la Ligue d’Intégration Scolaire,
mouvements organisés tendant à assurer la survie de la culture française au Québec par la
promulgation de l’unilinguisme et la reconnaissance de l’école française comme seule école
publique.
Toute cette nouvelle attitude, générée par la crise de 1967, a comme conséquence d’un côté de
s’approprier d’une identité forte et claire, mais, de l’autre côté, de faire perdre aux Québécois la
confiance dans l’efficacité du dialogue avec un partenaire aussi malveillant que le gouvernement
fédéral: aux élections d’avril 1970, 24% de Québécois, et un Québécois francophone sur trois,
indiquent qu’ils sont résolus à mettre un terme au dialogue de sourds. Un sur trois comparativement
à un sur dix en 1966 : il y a sans doute du de Gaulle là-dedans!
e) Une nouvelle place pour le Québec I – France/Québec
« Vouloir nier aujourd’hui l’importance du général de Gaulle dans l’évolution politique du Québec serait faire preuve
de myopie historique. Sans lui, la question constitutionnelle canadienne et le besoin de réformes politiques exprimé par
le Québec n’auraient pas trouvé beaucoup d’échos en-dehors du Canada. » 47
Après le voyage de De Gaulle, le Québec a connu des relations fortes avec la France : relations qui
ont touché tous les domaines, culturel, économique, politique, social. De Gaulle, en nourrissant
cette volonté de faire du Québec une nouvelle France au-delà de l’Atlantique, a poussé afin de créer
non simplement des ententes avec le Québec, mais une vraie collaboration, tout en suivant sa
logique de politique internationale précédemment analysée.
Le mérite du Général est, sans aucun doute, d’avoir fait progresser cette coopération, même après
son départ des Champs-Élysées, tout au long des quarante dernières années. De Gaulle et, par la
47 Marcel Masse, Ministre délégué à l’accueil des chefs d’État lors de l’Exposition universelle en 1967, près de Charles
Halary, L’image du présidente de Gaulle chez les Français de Montréal, De Gaulle en son siècle – Journée
internationales organisées par l’Institut Charles de Gaulle, 19-24 NOVEMBRE 1990, UNESCO – PARIS.
46

suite, ses successeurs ont voulu créer une coopération directe entre l’État français et le peuple
acadien sans passer par l’État canadien. D’après M. Arsenault, président de la Société nationale des
Acadiens, le Québec n’aurait jamais connu le développement dans le domaine de la communication
sans les bourses de longue et courte durée de perfectionnement en France pour les professionnels. 48
Et la coopération ainsi étroite avec l’Hexagone a permis au Québec d’acquérir un know-how qui
n’aurait pu être le même, surtout pas dans une manière tellement vite, sans le soutien français.
De plus, la promotion de la loi sur l’égalité des deux communautés linguistiques au Nouveau-
Brunswick et la lutte pour la dualité de la société du Canada atlantique sont les conséquences
directes de l’influence du Général.
Or, en observant le contexte culturel, on ne peut pas s’abstenir de donner un aperçu du concept de la
Francophonie. L’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF) a été fondée en 1967
sous le nom d'Association internationale des parlementaires de langue française (AIPLF). Elle se
compose de 73 sections regroupées en quatre régions : Afrique, Asie-Pacifique, Amérique et
Europe. En plus de contribuer au rayonnement de la langue française et à la connaissance
réciproque des cultures d'expression française, l'APF travaille activement à la promotion de la
démocratie, de l'État de droit et des droits de la personne.
Cependant, à notre connaissance, ce n’est pas de Gaulle qui a lancé le terme francophonie. À ce
propos, le premier Larousse qui l’indique est celui de l’édition de 1968 qui dit ceci :
« Francophonie. Collectivité constituée par les peuples parlant le français. » Jean Marc Léger,
secrétaire général de l’Agence de coopération culturelle et technique, indique que l’idée même de
francophonie date pratiquement des années 1960 et qu’elle fut d’abord exprimée par des hommes
politiques africains, tels Léopold Sédar Senghor ou Dior Hamani. La francophonie est donc
postérieure à de Gaulle ou tout au plus parallèle, puisqu’elle s’est développée au fur et à mesure de
la décolonisation française, c’est-à-dire avec l’apparition des états francophones d’Afrique.
Par contre, de Gaulle n’utilise jamais le terme francophonie, mais il parle plutôt de gens qui
« parlent et partagent notre culture » pour les Africains et de « rameau du peuple français en terre
d’Amérique » en indiquant le Canada français. Cependant, même si le Général ne parle pas de la
francophonie comme telle, il n’en demeure pas moins qu’il considère la France comme le centre, le
point de départ de tout ce qui est français. Il entend aider à maintenir et développer tant la langue
48 Pierre Arsenault, De Gaulle et l’Acadie, De Gaulle en son siècle, Tome VI – Liberté et dignité des peuples, Institut
Charles de Gaulle – La documentation française – Plon, Paris 1992.
47

que la culture française : l’idée d’une "politique de la francophonie" va à l’encontre de cet avis, car
une telle politique implique la soumission à une seule et même politique de tous les états
francophones et inévitablement cette politique serait celle de la France puisque celle-ci y
dominerait.
À cet égard, il est intéressant de remarquer le progrès de la francophonie en 1981 dans les structures
fédérales : 38% de fonctionnaires fédéraux étaient francophones en 1980 contre 21% en 1970, et
70% des anglophones du gouvernement fédéral en 1981 connaissaient le français. En plus, à partir
de 1981, plus personne ne pouvait accéder à la fonction publique fédérale s’il n’avait pas une bonne
connaissance du français. La phrase prononcée par le candidat au poste de premier ministre,
M. Crosby, qui lui a ruiné sa carrière politique, lui avait coûté beaucoup de votes : en public, il avait
affirmé « Je ne sais pas le français et je m’en vante » 49 . Et finalement, au Québec, le nombre des
francophones s’éleva de 80% à 83% alors que les étrangers immigrés au Québec pouvaient étudier
en français.
Bien que la coopération économique ait été moins célébrée que la coopération culturelle, elle
constitue un succès d’autant plus remarquable qu’elle coule moins de source que ce qui se fait dans
l’univers de la culture. « Ce sont les efforts acharnés des pouvoirs publics qui ont amorcé la
pompe » selon Bernard Landry, professeur à l’Université du Québec à Montréal : les résultats
concrets, quoique longs à venir au début, furent réellement spectaculaires. 50 Il ne parle pas de
commerce, car cela est plutôt réglé par le Canada, en ce qui concerne le Québec, et par l’Union
Européenne, en ce qui concerne la France ; mais il pose l’accent sur les relations économiques,
réalisées à travers les transferts de technologie qui ne se sont plus arrêtés depuis le voyage du
Général. Parfois le disciple a même battu le maître dans les champs des affaires !
Moins de deux mois après la visite (le 14 septembre 1967), le ministre Alain Peyrefitte vient au
nom du gouvernement français proposer un accroissement énorme des échanges France-Québec. La
France décide unilatéralement de multiplier immédiatement par cinq les sommes consacrées à la
coopération. Les crédits passent en effet de 5 millions de francs (1 M$) en 1967 à 24,8 millions
(5 M$) en 1968 et doivent atteindre 40 millions de francs (8 M$) en 1970. Et le gouvernement du
Québec emboîte le pas à la France : le budget de la coopération qui était de 1,3M $ en 1967-68
passera à 2,7 M$ en 1968-69, puis à 3,7 M$ en 1969-70.
49 Voir note 32.
50 Bernard Landry, Trente ans de coopération économique avec la France, De Gaulle en son siècle, Tome VI – Liberté
et dignité des peuples, Institut Charles de Gaulle – La documentation française – Plon, Paris 1992.
48

De plus, on institue trois Centres franco-québécois, le premier de développement pédagogique, le
second de développement et de l’enseignement technique, le troisième de recherche scientifique et
technique. On accroît les échanges de professeurs à tous les niveaux, le nombre et la valeur des
bourses d’études offertes réciproquement par les deux États aux ressortissants de l’autre pays.
Les fonctionnaires québécois qui se rendent en France après l’Événement notent un changement
radical d’attitude du côté français. Beaucoup de problèmes qui ne semblaient pouvoir se régler
trouvent rapidement une solution après la visite. Une vraie volonté politique nouvelle dans ce
domaine se manifeste au sein du gouvernement français et la poussée trouve sa source à l’Élysée.
Le Consulat de France à Québec devient progressivement plus actif que l’Ambassade à Ottawa et,
en septembre 1968, alors que Sept-Jours écrit que « l’obsession du général » est devenue le Québec
(28 septembre 1968), le consul général de France à Québec est élevé au rang de ministre
plénipotentiaire.
En outre, il y a une présence souterraine de participations minoritaires dans des groupes financiers
ou immobiliers qui, discrètement, ont amené au Québec des milliards des francs.
Aujourd’hui, les milieux d’affaires français de Montréal reconnaissent généralement que c’est de
Gaulle qui, par une politique volontariste, a ouvert le Québec aux capitaux français modernes, et par
conséquent le Canada. Les entreprises française nationalisées n’avaient pas une grande expérience
internationale et ont acquis au Québec un savoir-faire dans des projets de grande ampleur. Elle a
permis des rapprochements non attendus à l’origine entre les grandes familles de l’industrie
canadienne et des intérêts français dans divers domaines aussi bien privés que publics.
Et, aspect non moins important est l’actuelle réciprocité des rapports franco-québécois : toute
proportion gardée, les investissements québécois en France sont aussi importants que l’inverse (par
exemple, l’entreprise québécoise Bombardier va construire très bientôt les cabines de la
Métropolitain pour l’Île-de-France).
Pour conclure cette analyse, il paraît évident que tandis que les rapports France/Québec
s’accroissent de plus en plus, les rapports France/Canada subissent une vraie éclipse, avec une
détérioration rapide des contacts. Cette atmosphère tendue ne s’est pas tournée vers un distension
49

même après le retrait du Général en 1969, surtout à cause d’une personnalité canadienne assez
fermée sur la question constitutionnelle concernant le Québec, c’est-à-dire M. Pierre Elliott
Trudeau, dont les choix politiques étaient conçus pour contrecarrer le séparatisme québécois et,
globalement, incompatibles avec les initiatives gaullistes.
f) Une nouvelle place pour le Québec II – Québec/Monde
« Jamais la meilleure agence de publicité n’aurait pu atteindre, voire approcher, une pareille réussite, immédiate du
surcroît.» 51
Même si, tout d’abord, le Québec était un partenaire principalement avec la France, avec les années,
il est devenu de plus en plus un acteur dans un milieu international qui ne comprenait pas
simplement la République. Pourtant, c’est avec l’intervention du Général que le Québec a été connu
par le reste du monde.
Dans une perspective québécoise, en effet, le « Vive le Québec…libre ! » s’est répercuté aux quatre
coins du monde, en mettant le Québec sur la carte, grâce à la capacité du Général d’attirer
l’attention du monde sur une minorité politique qui, même réduite au quart de la population
canadienne, n’avait pas encore réussi à se faire entendre de sa majorité. Dans les premiers mois qui
ont suivi la visite du Général, on commence à écouter le Québec et, surtout, à le considérer comme
un partenaire essentiel dans la Confédération canadienne.
De Gaulle a contribué à donner à la collectivité québécoise une voix internationale qui, aujourd’hui
plus que jamais, est essentielle à son développement. « Cela a aidé à rendre le naturalisme
québécois non seulement créatif et axé sur le développement mais aussi moins défensif et plus
ouvert qu’il ne l’a jamais été » témoigne M. Marcel Masse.
De plus, il ne faut pas oublier les avantages que la coopération avec la France, en première instance,
a donnée au système entier : en pratiquant les relations internationales, le gouvernement du Québec
a beaucoup appris en se dotant graduellement à l’intérieur du personnel, des budgets et des
organismes exigés par ses relations avec l’extérieur.
51 Voir note 32.
50

Pourtant, la présence du Québec sur la scène internationale ne se limite pas qu’au secteur des
rapports d’État à État, elle englobe aussi les contacts extérieurs de divers organismes non
gouvernementaux.
g) Le triangule persiste encore aujourd’hui
« La France défend le Québec à Nairobi – Une sorte de Vive le Québec vert vite dénoncé par Ottawa » 52
Récemment deux événements principaux ont marqué la scène de la politique intérieure d’un côté, et
extérieur de l’autre côté, très intéressants pour poursuivre notre analyse.
Tout d’abord, le 15 novembre il y a eu les célébrations pour les premières élections du Parti
québécois, élu pour diriger le Québec, ayant comme chef du gouvernement M. René Lévesque, il y
a 30 ans.
Ensuite, il y a eu la Conférence de l’ONU, à Nairobi, sur les changements climatiques. Cette
conférence a beaucoup bouleversé le théâtre politique québécois, qui, à côté de Mme Rosa
Ambrose, alors ministre fédérale de l’Environnement, a envoyé son ministre de l’Environnement
pour soutenir la position du Québec dans le cadre du protocole de Kyoto.
Ces deux événements sont tombés au même temps, et ont montré comment les relations
triangulaires Paris-Québec-Ottawa sont non seulement encore vivantes mais continuent d’engendrer
des débats intéressants.
Tandis que le Québec fêtait son orgueil national (bien qu’une nation n’existe pas), son ministre du
Parti libéral, donc qui ne souhaite surtout pas l’indépendance du Québec, venait attaquer pour ne
pas être incisif en revendiquant les positions québécoises.
Dans ce contexte de concurrence Québec-Ottawa, la voix que tout le monde a entendue était celle
de la ministre française de l’Écologie, Mme Nelly Olin, qui a pris une position nette et précise en se
félicitant avec le Québec pour ses efforts dans la lutte contre les changements climatiques et en
déplorant le Canada pour son inaction « suicidaire pour l’avenir » 53 .
52 Le Devoir, 17 novembre 2006.
53 François Cardinal, La Presse, 17 novembre 2006.
51

La réaction du Mme Ambrose a bien fait penser aux réactions fédérales qui avaient accueilli les
mots du général de Gaulle : « Certains se servent du protocole de Kyoto pour susciter la division
dans notre pays, mais nous ne le permettrons pas » 54 ou encore « Je ne me mêlerai pas de la
politique nationale française. Ce n’est pas dans mon habitude de le faire, comme (Mme Olin) l’a fait
avec la nôtre. » 55 Nous voyons que le concept d’ingérence est toujours revendiqué par les fédéraux
qui, encore aujourd’hui, n’acceptent pas le rôle de Paris en soutenant leur rameau en terre
d’Amérique.
À ce propos, nous voulons faire une petite réflexion sur le concept d’ingérence, qui, d’une certaine
manière, était revendiqué par les deux partis politiques, à la fois le Parti libéral et le Parti québécois.
Tandis que le gouvernement Pearson reprochait à de Gaulle d’être entré dans un domaine qui ne le
concernait pas, plusieurs éditorialistes québécois ont reproché au gouvernement Pearson le contenu
et le ton de ses déclarations à propos du Général. Le Temps écrit que « le premier ministre Pearson
s’est mis une fois encore les pieds dans les plats », et que son geste constitue une ingérence dans les
affaires qui ne concernent que le Québec et la France.
Or, c’est assez intéressant que deux entités politiques, le Québec fédéré et le Canada fédéral, bien
que différentes, dénoncent exactement le même principe : il s’agit d’un cas clair de délit
d’ingérence, ou bien d’« intervention d’un État dans les affaires d’un autre État » 56 .
Puisque le Québec se trouve à l’intérieur de la Fédération canadienne, il faut analyser la répartition
des compétences législatives entre le fédéral et le provincial qui délimitent l'étendue du pouvoir du
Parlement du Canada et les pouvoirs de chaque législature provinciale. Ces compétences sont
énumérées aux articles 91, 92, 92A, 93, 94, 94A et 95 de la Loi constitutionnelle de 1867.
Contrairement à la constitution des États-Unis d'Amérique, qui accorde les pouvoirs résiduaires aux
États, la constitution canadienne crée une compétence fédérale extrêmement large, basée sur le
pouvoir de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement dans toute matière ne tombant
pas dans les catégories de sujets réservés aux provinces (article 91). Cependant, la répartition est
souvent ambiguë, menant à des litiges qui ont été résolus par le Comité judiciaire du Conseil privé
et, après 1949, par la Cour suprême du Canada. Le voyage du Général se situe dans un moment de
très forte concurrence entre le réseau québécois et fédéral.
54
Louis-Gilles Francoeur, Le Devoir, 16 novembre 2006.
55
Voir note 53.
56
Charte des Nations Unis, www.un.org
52

Un aspect qui complique la situation est que nulle part dans le partage des pouvoirs établis par la
Loi constitutionnelle de 1867 il n’est fait mention du pouvoir de conclure des traités, réservé à
l'Empire britannique. Après 1960 et la Révolution tranquille au Québec, le Canada se déplaça vers
un degré plus élevé de décentralisation administrative, le Québec se retirant souvent de plusieurs
initiatives importantes du fédéral, comme le Régime de pensions du Canada. Toutefois, la question
concernant la possibilité de conclure des traités n’est pas claire : éventualité pour le Québec qui se
faisait de plus en plus réelle avec la coopération de plus en plus étroite avec la France et le reste du
monde.
Or, si on regarde la section 91, on lit qu’elle autorise le Parlement à « faire des lois [...] relativement
à toutes les matières ne tombant pas dans les catégories de sujets par la présente loi exclusivement
assignés aux législatures des provinces. » 57 Ceci accorde effectivement au Parlement les pouvoirs
résiduaires pour voter des lois dans toutes les catégories qui n'ont pas été allouées aux
gouvernements des provinces. Donc, en analysant une dispute sur une question de champs de
compétence, il faut garder à l'esprit que s'il n'est pas énuméré, il s'agit automatiquement d'une
compétence fédérale.
Dans ce cadre de souplesse législative, les Québécois y ont vu un vide. Ce que nous voulons
souligner est la réaction des organismes québécois qui ont tout de suite compris la possibilité d’en
obtenir des avantages, avec une politique assez forte, en réclamant eux-mêmes le principe
d’ingérence. Nous sommes ainsi persuadés qu’ils n’auraient jamais conçu la situation de cette façon
s’ils ne croyaient véritablement en eux-mêmes. Cette conscience et fierté, d’après nous, doit, dans
une certaine portion, sa raison d’être à Charles de Gaulle.
h) Le rôle du Général
« Le gouvernement du Québec est heureux de l’avoir invité à nous visiter et son passage chez nous restera inoubliable.
[…] Courageux et lucide, le président de Gaulle a été avec nous au fond des choses. Le Québec n’en a pas été choqué. Il
a évoqué le problème de l’identité distincte du Québec et son immense effort d’affirmation. […] Le gouvernement du
Québec poursuivra l’objectif fondamental que s’est fixé : l’adoption d’une nouvelle Constitution qui consacrera la
reconnaissance juridique et politique de la nation canadienne française et qui confie au Québec toutes les compétences
57 www.canada.gc.ca
58 Voir note 32.
nécessaires à l’épanouissement de son identité. » 58
53

Aux yeux de Claude Morin, les quatre mots du Général ont eu chez les Québécois un impact
politique et médiatique extraordinaire qui a marqué, et qui marque encore, la perception populaire.
Grâce à de Gaulle et à la complète relation bilatérale franco-québécoise, le Québec a atteint une
certaine personnalité internationale, en dépassant même cette relation.
Cependant, à la suite de l’analyse telle que nous l’avons conduite, il apparaît clair qu’afin que le
Québec se sorte du niveau fédéral pour franchir le pas international, il fallait avoir une certaine
convergence de prérequis qui ont permis l’influence décisive de l’action de De Gaulle.
Un de ces prérequis existait depuis longtemps et il n’était réalisé ni par de Gaulle ni par le Québec,
mais, tout simplement, il s’agit d’une donnée historique.
Dans les années trente, était admis le droit du gouvernement fédéral de négocier et de conclure des
accords internationaux dans tous les domaines, mais non celui de les mettre entièrement en œuvre
lui-même. Cette caractéristique conféra aux provinces un certain rôle, au moins indirect, dans la
conception et la mise en application de la politique étrangère du Canada. Par la voix du ministre de
l’Éducation de l’époque, le gouvernement québécois des années soixante s’interroge sur la
légitimité du gouvernement canadien : pourquoi les compétences internes du Québec n’auraient-
elles pas un prolongement externe ? Bien que les réponses d’Ottawa soient négatives,
l’argumentation du Québec est assez importante, car elle exploitait une faille apparente dans la base
juridique des prétentions plus ou moins impérialistes d’Ottawa en matière de politique étrangère, y
compris dans des domaines provinciaux.
En même temps, les six millions de francophones québécois, entourés par plus de 250 millions
d’anglophones canadiens et américains, commencent à se sentir insécurisés chez eux. En regardant
le Canada fédéral comme celui qui avait toujours négligé aux Québécois la possibilité de se
procurer l’oxygène francophone, ils ont décidé de chercher cet oxygène tout seuls. Ce réflexe était
d’autant plus normal que le Québec d’alors était engagé dans la voie des reformes ambitieuses sans
précédent dans les domaines de l’éducation, de l’administration publique, du développement des
richesses naturelles et de l’économie.
La question que les dirigeants québécois se posent est la possibilité d’emprunter à la France des
spécialistes pour gagner du temps et faire sûrement mieux dans le chemin de réformes. De la même
manière, il était utile que des Québécois fassent des stages dans des établissements français,
54

universités, centres de recherches, etc. Bref, se disait-on, le Québec pourrait profiter d’un apport de
la France et, qui sait, la France aurait peut-être avantage à connaître les expériences québécoises.
Ce qui caractérise cette évolution est le désir de vitesse, de faire le plus rapidement possible : les
Québécois s’aperçurent que les échanges entre nations s’adressaient désormais à des domaines qui,
en droit constitutionnel canadien, tombent dans les catégories de compétences réservées aux
provinces et que le « vide » attirait le centre, doivent s’intéresser aux relations internationales en
essayant de faire mieux, le plus vite possible.
Dans ce contexte de dynamisme et de volonté d’indépendantisme, de Gaulle fut le premier et le seul
chef d’État du monde à avoir encouragé l’établissement de relations directes suivies et structurées
avec le Québec : à chaque fois qu’il parlait de l’évolution canadienne et québécoise, ses mots
faisaient connaître le Québec aux autres nations du monde. Et comme nous l’avons vu, de Gaulle a
suscité une coopération franco-québécoise qu’ont maintenue tous ses successeurs malgré
l’opposition virulente des autorités fédérales.
Le rôle du Général était sans aucun doute fondamental pour faire connaître le Québec ailleurs. Au
début de 1968, de Gaulle favorisa la présence du Québec (sans celle d’Ottawa) à la Conférence des
ministres de l’Éducation des pays francophones à Libreville, au Gabon, permettant au Québec
d’accéder à un forum qui, autrement, lui aurait été interdit. Ce forum était suivi de plusieurs autres,
tant sur l’éducation que sur la jeunesse. Puis, ce fut l’admission du Québec à l’Agence de
coopération culturelle et technique, en 1969-70, réalisée après le départ du Général, mais rendue
possible grâce à l’impulsion venant de lui. On pourrait en dire autant de l’accession du Québec au
Sommet des chefs d’État et des gouvernements des pays francophones, en 1985. Mais ce que nous
voulons souligner est que bien qu’il appartienne à de Gaulle de donner aux Québécois les outils, les
clefs pour s’en servir selon leurs besoins et priorités, ce sont les Québécois eux-mêmes qui avaient
déjà fixé leurs priorités et besoins en manière indépendante, à partir du début de la Révolution
tranquille !
De Gaulle, en pratiquant ses politiques de décolonisation, a mis en évidence les formidables
revendications de dignité, de liberté et d’activité. Son combat pour l’indépendance a contribué à
réaffirmer des valeurs que dans le Canada, hier britannique et aujourd’hui américain, paraissaient
dépassées. Qu’une voix prestigieuse se soit fait entendre, cette fois-ci du monde atlantique, et
55

exprimée en plus dans leur langue, cela n’a pas laissé indifférents les indépendantistes québécois :
la « main tendue » dont parle Aquin, les indépendantistes l’on accueillie volontiers.
Cependant, nous ne devons pas omettre qu’un grand nombre de changements mouvementés dans le
cadre du fédéralisme canadien était déjà amorcé bien avant que les initiatives du Général en
politique étrangère n’aient été entreprises.
Sûrement l’impact français a favorisé un nouveau climat dans l’opinion publique en alimentant le
nouveau nationalisme québécois. Toutefois, la plupart des grands thèmes proposés à la conscience
québécoise par de Gaulle étaient déjà connus par les Québécois car il s’agit des sujets que des
personnages comme M. Lesage (« Maîtres chez vous ») et M. Johnson (« Égalité ou Indépendance »
et « Québec d’abord ») avaient amplement proposés depuis cinq ou six ans. D’après notre
estimation, il s’agit d’un processus déjà en cours, que de Gaulle a simplement accentué et placé sur
la scène internationale : le quotidien L’Action de Québec précise que « le président utilise un
véritable langage Canadien Français » et, comme nous montre le professeur Guy Bouthillier, les
indépendantistes ont formulé leur projet seuls, c’est à eux l’idée fondamentale du Québec libre. 59
Donc, de Gaulle est tout d’abord un révélateur, en tout cas et selon toutes les interprétations, à la
fois positives et négatives. Il révèle aux Québécois deux ordres des facteurs : premièrement, il leur
révèle leurs possibilités et réveille chez eux un immense espoir; et, deuxièmement, il est le
révélateur de la véritable ampleur de la crise canadienne, à la fois pour la population locale et pour
le monde entier.
Lucien Langlois, dans Montréal-Matin, le 25 juillet écrit « Sa fierté, il nous la communique; son
espoir, il nous l’insuffle; sa volonté, il nous l’imprime ». De Gaulle « a réussi à nous faire prendre
conscience de notre valeur et aussi peut-être à nous débarrasser de notre éternel complexe de
vaincus et de citoyens de seconde zone », selon Sylvio Saint-Amand, Le Nouvelliste (29 juillet). 60
Plusieurs éditorialistes québécois soulignent que de Gaulle a plus réalisé pour faire connaître le
Québec sur la scène internationale en quatre jours que le gouvernement du Québec en dix ans : en
agissant comme catalyseur, il accélère, de manière importante, le processus d’indépendance qui
affectait le Québec. L’Evangéline de Moncton consacre un éditorial entier aux relations du Québec
avec les autres pays et on peut lire : « Le Général de Gaulle semble avoir donné le feu vert à
59 Guy Bouthillier, Les indépendantistes québécois et le général de Gaulle, De Gaulle en son siècle, Tome VI – Liberté
et dignité des peuples, Institut Charles de Gaulle – La documentation française – Plon, Paris 1992.
60 Voir note 37.
56

Québec dans sa marche vers l’accomplissement de sa vocation internationale ». Dans ces mots la
démonstration de la présence de cette vocation qui est propre au Québec est claire! Donc, on
affirme encore une fois le rôle de seul révélateur que de Gaulle a joué en faisant sortir ce qui était
déjà dans les esprits québécois.
En outre, de Gaulle agit aussi comme catalyseur de la réalité complexe du Québec des années
soixante. Comme tel, il a presque libéré la population québécoise de ses traditionnels complexes
d’infériorité et d’isolement. Selon le professeur Laurent Chevalier, le peuple québécois « n’a jamais
connu d’autre situation que coloniale » et de Gaulle lui a ouvert les portes pour acquérir la
confiance en eux-mêmes.
Charles Taylor, illustre philosophe anglophone québécois, affirme que « de Gaulle a admirablement
compris qu’il y avait dans ce petit peuple, méprisé par son partenaire anglais, oublié ou folklorisé
par la France, une terrible soif de reconnaissance. De Gaulle est un des très grands acteurs du
théâtre de la politique, pas seulement pour ce siècle. Le cri célèbre Vive le Québec libre n’était pas
une improvisation dans la chaleur de l’instant mais le couronnement d’une série d’actes
symboliques soigneusement agencés. Quand il arrive en 1967, sur un bateau nommé le Colbert, de
Gaulle ne hisse pas, comme c’est l’usage, le pavillon canadien à côté du pavillon français : au lieu
d’accoster à Québec, il s’arrête un peu plus loin, là où les Anglais abordèrent avant la défaite de
Montcalm, à la bataille des Plaines d’Abraham. La conquête était ainsi symboliquement effacée!
[…] Le discours sur la place du marché était le sommet d’une véritable chorégraphie. Le mot ne
nous a pas surpris, on l’attendait. On savait qu’il allait se passer quelque chose d’important.
Pourquoi? Parce que ce personnage d’importance mondiale venait dire aux Québécois : « vous
existez » ». 61 Le fait de la reconnaissance couvre donc un aspect fondamental!
Un orateur du RIN exprimait en ces termes la condition du peuple québécois : « Notre peuple
conquis, avili, mutilé, déchiré par ceux qui nous entourent et tous leurs domestiques…ce peuple
québécois oublié de l’histoire et des hommes! C’est en ce peuple que de Gaulle est venu placer un
espoir et une confiance. » Et, sans aucune incertitude, cette confiance était encore plus forte et
marquée car elle provenait de Charles de Gaulle, héro de guerre, leader incontesté de la Résistance,
seule véritable voix se levant contre la politique des blocs, et non par un quelconque mortel.
61 De l’anthropologie philosophique à la politique de la reconnaissance, entretien de Philippe de Lara avec Charles
Taylor, en Charles Taylor et l’interprétation de l’identité moderne, sous la direction de Guy Laforest et Philippe de
Lara, Centre Culturel International de Cerisy-la-Salle, Les Presses de l’Université Laval, 1998.
57

Cependant, il y a, parmi les analystes, une qui nourrit des regrets par rapport à l’ampleur des mots
de De Gaulle : « le cri Vive le Québec libre ! lancé par le Général du balcon de l’hôtel de ville de
Montréal, le 24 juillet 1967, écrit la professeur Sylvie Guillaume, eut un double effet contradictoire.
Il amplifia la portée du message du Général dont on fit même un complice des séparatistes ; mais il
eut aussi un effet réducteur. L’année 1967 est restée seule dans la mémoire collective et on a pu
faire de Vive le Québec libre ! l’unique expression d’une réaction émotive. » 62
62 Voir note 14.
58

CONCLUSION
« Avant son départ de France, il connaissait l’expression et avait sans doute résolu de l’utiliser au besoin, si l’accueil et
les circonstances l’exigeaient. Toute la journée sur le Chemin du Roy, mais surtout à Montréal, il a rencontré le petit
peuple du Québec, il a vu l’ouvrier et le cultivateur de ce pays, il a découvert progressivement où résidaient la foi et
l’espoir du Québécois anonyme et ce qu’il fallait lui dire. La population rassemblée et la majorité des Québécois
comprendraient, et c’est pour eux qu’il lança : Vive le Québec libre! Ce ne fut pas en vain… » 63
Donc, à la fin de cette analyse, que nous reste-t-il? Qu’est-ce que de Gaulle a voulu dire? Est-ce
qu’il avait une idée précise sur la querelle constitutionnelle qui déchirait, et déchire encore
aujourd’hui, la Fédération canadienne? Ou encore, est-ce qu’il a voulu simplement jeter de l’huile
sur le feu?
Avant de commencer un quelconque commentaire, il faut pourtant préciser que pour répondre à ces
questions, on se plonge dans un domaine très flou car de Gaulle n’a jamais donné une définition
fixe. Donc, nous vous donnerons notre opinion de ce que de Gaulle a voulu signifier, sans la
prétention de son exactitude.
Tout d’abord, nous sommes persuadés que le Général, malgré tous ses mots sur l’indépendance et
l’autodétermination des peuples, voulait avoir une certaine influence sur cette province, cooptant le
Québec dans sa sphère d’intérêt. Il ne faut surtout pas oublier que de Gaulle reste quand même un
homme d’État qui place tout d’abord la raison d’État et ses intérêts au sein de n’importe quelle
politique : avoir un État au-delà de l’Atlantique sous son influence n’est pas négligeable !
Cependant, nous sommes aussi convaincus qu’il n’avait pas une idée claire en ce qui concerne la
position constitutionnelle québécoise. Peut-être parce qu’il n’y était pas intéressé ou bien parce qu’il
voulait laisser cette option aux Québécois en suivant le principe d’autodétermination ainsi
longtemps défendu. Toutefois, on ne peut pas s’hasarder en vous donnant une réponse : on vous
propose des options, à vous le choix de vous en approprier une !
À notre avis, les réactions fédérales qui font du Général le héro de l’indépendance québécoise en
rejetant toutes les relations avec le gouvernement central sont très myopes et font preuve d’une
méconnaissance surprenante de la réalité et du contexte. Les fédéraux se sont appropriés une
63 Par Pierre-Louis Guertin, voir note 37.
59

interprétation non seulement restrictive mais même aveugle. Pour comprendre le sens du message
du Général, comme on fait pour un quelconque événement, il faut tenir compte du contexte. Dans
ce cas particulier, on ne peut pas être objectif sans considérer les autres interventions du Général :
interpréter les quatre mots du Général comme « Vive l’indépendance du Québec » est, par contre,
signe de n’examiner ce qu’environne la réalité. En effet, De Gaulle, en plusieurs occasions, a
déclaré que le « Québec devient maître de son destin, et il le devient pacifiquement, pour son propre
bien, pour celui de ses voisins et pour le Canada tout entier ». De plus, il avait insisté à plusieurs
reprises sur le fait que les Canadiens français devraient « s’organiser en conjonction avec les autres
Canadiens ». Qui veut le détachement définitif du Canada n’aurait jamais déclaré « Vive le
Canada » à l’Expo de Montréal!
Mais alors, au fond, qu’est-ce qu’il a voulu communiquer? Est-ce qu’il a voulu dire : « Vive
l’indépendance du Québec? » Oui et non : c’est une interprétation et elle est plausible. Mais ce n’est
qu’une interprétation, restrictive en plus, car l’indépendance, la souveraineté totale, c’est un des
choix que l’on peut faire avec la liberté. Mais il y en a d’autres.
De Gaulle ne préconise rien, il ne recommande aucune solution particulière, il ne s’introduit pas
dans les disputes québécoises. Peut-être lui-même ne sait pas quelle solution précise est souhaitable.
On peut dire qu’il exerce une neutralité active (position gaulliste) : il permet l’appui de la France au
Québec, il affirme à la face du monde, et en plein cœur d’un fief américain en Amérique du Nord,
que les Québécois ne sont pas seuls. Et de plus, l’homme d’État étranger parle un « langage
québécois », il reprend les thèmes préférés des hommes politiques québécois, de politologues
depuis 1960, en saluant la renaissance du Québec, son réveil, son insertion dynamique dans le
monde moderne.
Cependant, de Gaulle n’entend préconiser aucune solution précise pour le règlement constitutionnel
des problèmes du Québec. En même temps, il s’agit d’un neutralisme actif dans la mesure où de
Gaulle subordonne la reprise de relations normales avec le reste du Canada à la réalisation d’un
nouveau statut qui satisfasse le Québec. Mais de quel statut s’agit-il, c’est le Québec qui doit choisir
et prendre la parole. En novembre 1967, de Gaulle déclare bien que « cet État du Québec aura
librement et en égal à régler avec le reste du Canada les modalités de leur coopération pour
maîtriser et pour exploiter une nature très difficile sur d’immenses étendues et aussi pour faire face
à l’envahissement des États-Unis. » 64 De Gaulle veut voir les Français canadiens, il désire dialoguer
64 www.charles-de-gaulle.org
60

avec eux et renouer des liens trop longtemps suspendus. Il veut leur parler directement, chez eux et
sans intermédiaire.
Au fond des choses, la seule que l’on puisse affirmer est que, dans le panorama des voix
québécoises et canadiennes, chacun a entendu ce qu’il voulait! En prenant seulement les mots qui
intéressent les différents côtés politiques, les mots du Général ont su réjouir presque tout le monde!
Finalement, on pourrait se demander si de Gaulle avait envisagé de dire ce qu’il a dit et qu’il ne
s’agit pas des mots spontanés. Mais aussi, en ce qui concerne la préméditation, nous ne pouvons pas
être certains. Parmi les différentes voix politiques, on a différentes opinions : selon l’avis de M.
Paul Gérin-Lajoie, le Général ne souhaitait pas une indépendance pure et simple pour le Québec,
mais plutôt une forme de personnalité étatique comportant une plus grande autonomie qu’à cette
époque-là et une reconnaissance sans équivoque sur le plan international. « Je n’hésite donc pas à
croire que le général de Gaulle avait prémédité l’expression, maintenant historique, qu’il employa
sur le balcon de l’hôtel de ville de Montréal.»
Mais peut-être que de Gaulle n’avait pas mesuré l’impact éventuel et les répercussions concrètes de
son intervention. « Se rendait-il compte – continue M. Paul Gérin-Lajoie – qu’il dépassait
clairement la pensée déjà fortement nationaliste du premier ministre, Daniel Johnson, et du maire de
Montréal, Jean Drapeau ? ».
Il ne faut surtout pas oublier que les premiers à être surpris sont les québécois mêmes qui se
trouvent à l’hôtel de ville : les enregistrements de cette parole historique montrent en fait que les
acclamations n’arrivent qu’après un court silence de la foule amassée qui ne s’attendait
probablement pas à une marque de reconnaissance aussi directe. Le témoignage de Claude Morin,
sous-ministre des affaires intergouvernementales, en montrant la stupéfaction des autorités
québécoises, nous en dit beaucoup : « Nous nous regardâmes, presque incrédules, estomaqués. » 65
Donc, en conclusion, nous nous sommes aperçus qu’avant son départ de France, de Gaulle
connaissait l’expression et avait sans doute résolu de l’utiliser au besoin, si les circonstances le
permettaient. Évidemment, de Gaulle a trouvé un public particulièrement récepteur et un terrain
fertile pour amplifier l’idée d’indépendance et souveraineté.
65 Voir note 37.
61

Cependant, aujourd’hui le Québec n’a pas encore acquis son statut indépendant à l’intérieur de la
Fédération canadienne. On pourrait se questionner sur la nécessité d’un deuxième de Gaulle en terre
québécoise.
62

APPENDICES

Notes Bibliographiques
Volumes
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Canada-Québec, Université d’Ottawa, Ottawa, Ontario, 1974.
Robert Bothwell, La dette de Louis XV, De Gaulle en son siècle, Tome VI – Liberté et
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1992.
Marcel Masse, Charles de Gaulle, le Canada et le Québec, De Gaulle en son siècle – Journée
internationales organisées par l’Institut Charles de Gaulle, 19-24 NOVEMBRE 1990,
UNESCO – PARIS.
Paul Gérin-Lajoie, De Gaulle et le Québec, De Gaulle en son siècle – Journée
internationales organisées par l’Institut Charles de Gaulle, 19-24 NOVEMBRE 1990,
UNESCO – PARIS.
Charles de Gaulle, Mémoires d’espoir, Volumes Plon, Paris.
Silvie Guillaume, Le Général de Gaulle et le Québec, De Gaulle en son siècle, Tome VI –
Liberté et dignité des peuples, Institut Charles de Gaulle – La documentation française –
Plon, Paris 1992.
Etienne Burin des Roziers, L’indépendance nationale selon de Gaulle: fondement et pratique
d’une politique, De Gaulle en son siècle, Tome IV – La sécurité et l’indépendance de la
France, Institut Charles de Gaulle – La documentation française – Plon, Paris 1992.
Conrad M. Black, Un Canadien anglais et de Gaulle, De Gaulle en son siècle – Journée
internationales organisées par l’Institut Charles de Gaulle, 19-24 NOVEMBRE 1990,
UNESCO – PARIS.
Charles Halary, L’image du présidente de Gaulle chez les Français de Montréal, De Gaulle
en son siècle – Journée internationales organisées par l’Institut Charles de Gaulle, 19-24
NOVEMBRE 1990, UNESCO – PARIS.
Jean Ethier-Blais, À quel Québec de Gaulle s’adressait-il ?, De Gaulle en son siècle –
Journée internationales organisées par l’Institut Charles de Gaulle, 19-24 NOVEMBRE
1990, UNESCO – PARIS.
William M. Chandler, De Gaulle et le fédéralisme canadien, De Gaulle en son siècle –
Journée internationales organisées par l’Institut Charles de Gaulle, 19-24 NOVEMBRE
1990, UNESCO – PARIS.
Jean Chapdelaine, délégué général du Québec en France (1965-1976), Débats - sous la
présidence de Claude Chayet et Vincent Labouret, De Gaulle en son siècle, Tome VI –
64

Liberté et dignité des peuples, Institut Charles de Gaulle – La documentation française –
Plon, Paris 1992.
Pierre Louis-Guertin, Et de Gaulle vint…, Claude Langevin Éditeur, 1970.
Guy Bouthillier, Les indépendantistes québécois et le général de Gaulle, De Gaulle en son
siècle, Tome VI – Liberté et dignité des peuples, Institut Charles de Gaulle – La
documentation française – Plon, Paris 1992.
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Sites Internet
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www.onu.org
www.canada.gc.ca
www.radio-canada.ca
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