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Avignon - Le Monde

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2006 AVIGNON page 11 - Jeudi 6 juillet 2006 - 0 123<br />

<strong>Le</strong> « théâtre calme »<br />

Dans « Gens de Séoul », l’auteur nippon,<br />

né en 1962, met en scène une famille banale<br />

pendant l’occupation de la Corée par le Japon<br />

D’abord, il y a son<br />

prénom, Oriza, un<br />

prénom qui peut<br />

sonner étrangement<br />

à nos oreilles<br />

occidentales, mais<br />

qui semble tout autant étrange à<br />

des Japonais, car O-ri-za est un<br />

takatana, c’est-à-dire une transcription<br />

d’un mot étranger.<br />

« Riz », en latin, tout simplement.<br />

En lui donnant ce prénom,<br />

les parents d’Oriza Hirata, ont<br />

voulu dès sa naissance, en 1962, le<br />

distinguer des autres et manifester<br />

une ouverture sur le monde,<br />

rare, dans un pays encore refermé<br />

sur son insularité. Ils ne croyaient<br />

sans doute pas si bien faire.<br />

Car ensuite, il y a ce voyage initiatique,<br />

à l’âge de 16 ans et demi,<br />

tout seul et à bicyclette, de quelque<br />

20 000 kilomètres à travers<br />

l’Europe. Un voyage difficile à<br />

envisager pour un gamin de cet<br />

âge, non seulement en raison<br />

d’éventuels périls, mais surtout<br />

parce que cela signifiait qu’il sortait<br />

du système scolaire, s’excluant<br />

ainsi de l’université.<br />

« Quand j’avais 13 ans, raconte-t-il,<br />

je rêvais de découvrir le monde<br />

entier. C’était fondamental, bien<br />

plus que d’aller au lycée. Au début<br />

mes parents ne me prenaient pas au<br />

sérieux. Mais quand je leur ai montré<br />

les billets d’avion que j’avais pu<br />

acheter en faisant des petits boulots,<br />

ils ne pouvaient plus rien dire. »De<br />

ce périple, il tirera son premier<br />

livre en 1981.<br />

En souriant, il explique que ce<br />

voyage n’a rien changé à sa vision<br />

du monde, parce que, à cet âge, il<br />

n’en avait pas. En revanche, dit-il<br />

« tout m’a influencé. J’ai appris<br />

très jeune que les valeurs de la vie<br />

peuvent être très variées, j’ai été<br />

enrichi par l’histoire européenne ou<br />

par l’art occidental, même si c’était<br />

assez conservateur ».<br />

Comme son prénom, il y a souvent<br />

dans ses textes (une trentai-<br />

ne à ce jour) des réminiscences<br />

venues de cet ailleurs : La Montagne<br />

magique ou <strong>Le</strong>s Buddenbrook,<br />

de Thomas Mann pour Nouvelles<br />

du plateau S et Tokyo Notes ;le<br />

film d’Ozu, Voyage à Tokyo, pour<br />

Gens de Séoul, la seule où les<br />

acteurs portent des kimonos.<br />

A son retour, il intègre l’International<br />

Christian University, à<br />

Tokyo, découvre le théâtre, écrit<br />

sa première pièce, fonde sa compagnie,<br />

Seinendan. Puis, doté d’une<br />

bourse, il va poursuivre ses études<br />

en Corée, autre fait rare pour quelqu’un<br />

de sa génération.<br />

A 25 ans, il commence à mettre<br />

en scène et en 1988, développe sa<br />

« méthode théâtrale », qu’il explique,<br />

« décrire la vie quotidienne<br />

avec des personnages ordinaires,<br />

que rien ne se passe, que le décor ne<br />

change pas, que la lumière ne change<br />

pas, qu’il n’y ait pas de musique,<br />

pas de coups de théâtre ». Ce que<br />

l’on qualifiera de « théâtre calme<br />

». Il ajoute : « Je savais que<br />

j’avais découvert une nouvelle<br />

méthode, mais je ne savais pas comment<br />

l’appliquer. Je perdais des<br />

spectateurs, personne ne comprenait<br />

ce que je voulais faire. »<br />

LE CRIME<br />

DE BONNE FOI<br />

Il fait son voyage de noces en<br />

France, en 1989, dix ans après son<br />

premier séjour, et c’est dans le<br />

TGV qui va à <strong>Avignon</strong> qu’il a<br />

l’idée de ce qui va devenir Gens de<br />

Séoul, « mais je ne pensais pas que<br />

ce serait un jour présenté au Festival.<br />

» Lors de la création, une seule<br />

critique paraît dans la presse<br />

disant en substance, « cette pièce<br />

n’a aucun sens. » Depuis, il s’est<br />

imposé, a écrit une suite, Gens de<br />

Séoul 1919 et travaille à une troisième,<br />

Gens de Séoul 1929.<br />

<strong>Le</strong> thème de la pièce (l’occupation<br />

de la Corée par le Japon, au<br />

début du siècle) est dérangeant<br />

pour ses compatriotes, mais le<br />

traitement qu’en donne Oriza<br />

Hirata est encore plus troublant.<br />

Il met en scène une famille japonaise<br />

banale, établie en Corée, qui<br />

selon ses propres termes, « sourit<br />

tout le temps et parle pendant une<br />

heure de l’occupation. » Certains y<br />

voient une pièce antiraciste,<br />

d’autres au contraire une justification<br />

du colonialisme japonais,<br />

« cela me fait plaisir que les réactions<br />

soient aussi variées, dit-il. L’essentiel,<br />

c’était de montrer que la<br />

colonisation, ce sont des gens qui<br />

occupent et des gens qui sont occu-<br />

d’Oriza<br />

Hirata<br />

« Gens de Séoul », d’Oriza Hirata, mis en scène par Frédéric Fisbach. KATSU MITYAUCHI<br />

pés. La question était donc, comment<br />

décrire le crime de bonne foi<br />

(comme les Américains convaincus<br />

du bien-fondé de l’invasion de<br />

l’Irak) commis par des gens<br />

ordinaires. »<br />

Comme le dit sa traductrice,<br />

Rose-Marie Makino Fayolle,<br />

« l’air de rien, il arrive à faire rire<br />

de choses très graves, et en riant,<br />

sans s’en rendre compte, on passe de<br />

l’autre côté ». Mais au-delà de la<br />

« méthode Hirata », il y a aussi le<br />

soin méticuleux qu’il apporte aux<br />

didascalies.<br />

Frédéric Fisbach qui avait mis<br />

en scène Tokyo Notes en 2000,<br />

avec lui – et qui monte cette fois<br />

Gens de Séoul – raconte qu’il travaillait<br />

à cette époque « sur la<br />

question d’un texte qui se présenterait<br />

sous la forme d’une partition<br />

pour l’interprète. C’est-à-dire qui<br />

poserait à l’acteur des questions<br />

d’exécution – le rapport à la forme<br />

du texte, sa rythmique, l’articulation,<br />

le souffle – avant même de penser<br />

à l’interprétation. Et je me<br />

retrouvais devant un texte qui se présentait<br />

non seulement sous la forme<br />

d’une partition pour la parole, mais<br />

aussi pour les corps. »<br />

M me Makino-Fayolle, elle,<br />

n’avait « jamais vu ça ! <strong>Le</strong> japonais<br />

s’écrit de droite à gauche et de<br />

façon verticale, or chaque page est<br />

coupée en deux, en haut un dialogue<br />

et en dessous, un autre dialogue,<br />

et partout des petits dessins,<br />

des numéros… » Il numérote par<br />

exemple chaque chaise et indique<br />

combien de temps un acteur s’y<br />

asseoit. Il y a, dit Frédéric Fisbach,<br />

« un aspect choral », les<br />

phrases courtes sont entrecoupées<br />

de oh ! de ah ! de eh !, qui<br />

montrent que l’interlocuteur<br />

écoute, d’autres personnages<br />

poursuivent en même temps une<br />

conversation différente… Une<br />

vingtaine de comédiens entrent et<br />

sortent, un nombre imposant,<br />

c’est que « l’Asie est très peuplée »,<br />

s’excuse-t-il.<br />

Si, au Japon, les acteurs appartiennent<br />

à une compagnie et ne<br />

travaillent que pour leur directeurmetteur<br />

en scène, lui, ouvre son<br />

théâtre aux autres et accepte que<br />

ses acteurs jouent ailleurs. Mais il<br />

les connaît bien et écrit en fonction<br />

de chacun, remaniant ses textes<br />

avec eux, encore et toujours.<br />

Toujours sur la brèche, toujours<br />

en mouvement, il est devenu également<br />

professeur, mais pas de<br />

théâtre…. de communication. a<br />

Martine Silber<br />

Gens de Séoul, du 21 au 26<br />

(relâche le 24), lycée Mistral.<br />

<strong>Le</strong>s pièces d’ Oriza Hirata sont publiées<br />

aux éditions des Solitaires intempestifs<br />

D’autres auteurs<br />

au programme<br />

Bernard-Marie Koltès.<br />

On entendra en anglais<br />

son Combat de nègres et<br />

de chiens (Black Battles<br />

with Dogs) qu’Arthur<br />

Nauzyciel a créé, en 2002,<br />

à Chicago avec des<br />

acteurs américains.<br />

Edward Bond, un des<br />

plus grands dramaturges<br />

britanniques contemporains,<br />

auteur d’un théâtre<br />

politique radical et prospectif.<br />

Depuis 1992, Alain<br />

Françon crée ses pièces<br />

en France. Il en présente<br />

trois (Naître, Chaise et Si<br />

ce n’est toi).<br />

Marguerite Duras.<br />

Dans Pluie d’été à Hiroshima,<br />

le metteur en scène<br />

Eric Vignier croise deux textes<br />

qui explorent l’intime et<br />

le spirituel La Pluie d’été et<br />

Hiroshima mon amour, le<br />

scénario que Marguerite<br />

Duras a écrit en 1960 pour<br />

Alain Resnais.<br />

De haut en bas :<br />

Bernard-Marie Koltes,<br />

MARC ENGUERAND. Edward<br />

Bond, MARC ENGUERAND.<br />

Marguerite Duras,<br />

JEAN-FRANÇOIS RAULT AGENCE<br />

ENGUERAND.

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