Afrique du Sud 2008. pdf - Aviation et Pilote
Afrique du Sud 2008. pdf - Aviation et Pilote
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CARNET DE VOL<br />
OVER SOUTH AFRICA<br />
Abid' Jo'burg<br />
en six jours<br />
Sébastien a débuté son parcours de pilote privé en<br />
France avant de découvrir le vol en <strong>Afrique</strong>. Posté<br />
à Abidjan depuis deux ans, il a passé son brev<strong>et</strong><br />
ivoirien <strong>et</strong> vole depuis intensément dans le pays.<br />
Devenu expert <strong>du</strong> vol africain, il a voulu partager sa<br />
passion le temps d’un vol en Piper Comanche, <strong>et</strong><br />
non le moindre : la traversée <strong>du</strong> continent pour rallier<br />
Johannesburg, en <strong>Afrique</strong> <strong>du</strong> <strong>Sud</strong>.<br />
PAR SÉBASTIEN THOMAS DE LA PINTIÈRE,<br />
PHOTOS DE L’AUTEUR.<br />
L’aéro-club d’Abidjan, au sein<br />
<strong>du</strong>quel je pratique l’art noble<br />
de voler, est une véritable<br />
malle aux trésors sociologiques.<br />
On y rencontre des<br />
personnalités extraordinaires <strong>et</strong> attachantes,<br />
des chibanis à la peau tannée<br />
ayant parcouru l’<strong>Afrique</strong> de long en<br />
large depuis de longues années, des<br />
aventuriers à la Conrad ou à la Monfreid.<br />
À force de traîner mes guêtres de<br />
morpion de cockpit au club, j’en suis<br />
venu à sympathiser avec l’un d’entre<br />
eux, Philippe. Né en <strong>Afrique</strong>, ayant<br />
grandi <strong>et</strong> vécu toute son existence sous<br />
les ciels africains, il est amoureux <strong>du</strong><br />
vol pour la liberté qu’il lui offre. Tout<br />
comme l’<strong>Afrique</strong>. Il est des animaux<br />
que l’on n’enferme pas. Comme tout<br />
aventurier qui se respecte, il a un proj<strong>et</strong><br />
fou. Et comme je suis fou, je l’ai<br />
trouvé génial.<br />
En deux mots : départ plein est, un<br />
grand virage à droite <strong>et</strong> ensuite tout<br />
droit. Sur la carte, rallier Johannesburg<br />
au départ d’Abidjan est un jeu d’enfant.<br />
Mais les réalités administratives<br />
<strong>et</strong> météorologiques africaines sont<br />
tout autre. La délivrance des autorisations<br />
de survol <strong>et</strong> d’atterrissage est<br />
une véritable gageure. Dans certains<br />
54 <strong>Aviation</strong> & <strong>Pilote</strong> - 413 - Juin 2008<br />
pays, sans ces précieux sésames, c’est<br />
la prison à coup sûr avec en prime une<br />
accusation d’espionnage. Pas forcément<br />
l’idéal.<br />
Sachant qu’il n’avait pas trouvé<br />
de copilote pour ce très long voyage<br />
(3 200 nautiques, soit 6 000 km environ<br />
– plus de 25 heures de vol) je tente<br />
ma chance <strong>et</strong> lui propose de l’accompagner,<br />
sans savoir si je pourrais moimême<br />
me libérer de mes obligations<br />
professionnelles. Ne me connaissant<br />
que très peu, <strong>et</strong> n’ayant jamais volé<br />
avec moi, Philippe prend un certain<br />
risque en acceptant : l’ambiance va<br />
être ten<strong>du</strong>e en cabine si nos tempéraments<br />
se révèlent incompatibles en<br />
cours de route…<br />
Euphorique, je file droit chez<br />
mon patron pour plaider ma cause<br />
<strong>et</strong> demander un congé exceptionnel,<br />
<strong>et</strong> ce moins de cinq jours avant mon<br />
départ. Compréhensif, il accepte lui<br />
aussi. Merci mille fois, Michel. Le<br />
feu vert donné, la danse commence.<br />
Je cours, saute d’une ambassade à<br />
une autre pour obtenir les précieux<br />
visas, sachant bien qu’au cas où je<br />
n’arriverais pas à les avoir, je partirai<br />
tout de même… en <strong>Afrique</strong>, on trouve<br />
toujours un moyen de s’arranger, diton.<br />
Je profite de la journée <strong>du</strong> lundi,<br />
veille <strong>du</strong> départ, pour me familiariser<br />
avec la machine.<br />
Abidjan-Lomé : mise en bouche<br />
Zut ! Le réveil n’a pas sonné. Je<br />
suis déjà en r<strong>et</strong>ard sur la musique.<br />
Joli départ ! La voiture stoppe sur<br />
le parking de l’aéro-club dans un<br />
effrayant crissement de pneus. Le bar,<br />
que j’avais appelé sur la route, m’a<br />
préparé quatre beaux sandwichs que<br />
j’attrape à la volée, avant de filer droit<br />
vers l’appareil. Philippe m’y attend,<br />
avec son calme extraordinaire <strong>et</strong> ses<br />
faux airs de Saint-Ex, un pied dans la<br />
cabine, un pied dehors… « Alors la<br />
jeunesse, bien dormi ? » Notre monture,<br />
un PA-24 Comanche, que nous<br />
appelons affectueusement « TUTOP »<br />
en raison de son immatriculation, fête<br />
ses 50 ans de bons <strong>et</strong> loyaux services<br />
africains.<br />
Afin de le rendre apte au voyage,<br />
Philippe a ajouté à ses tocantes d’ori-<br />
gine quelques infimes touches de<br />
technologie : un Garmin 295 <strong>et</strong> un<br />
stormscope, entre autres, ainsi qu’un<br />
nouveau moteur <strong>et</strong> un réservoir d’appoint<br />
(détails non négligeables). Notre<br />
premier vol, d’une <strong>du</strong>rée de trois heures,<br />
tient plus de la mise en jambe que<br />
de la performance.<br />
La météo est clémente <strong>et</strong> l’humeur<br />
légère. Partis tôt d’Abidjan, nous arrivons<br />
dans la capitale togolaise vers<br />
midi, <strong>et</strong> disposons de toute l’aprèsmidi,<br />
sous un soleil écrasant, pour<br />
trouver <strong>du</strong> super dans une stationservice,<br />
le moteur de notre monture<br />
acceptant de s’en abreuver, faute<br />
d’AvGas 100LL, les pétroliers ayant<br />
décidé de ne plus approvisionner la<br />
sous-région. Nous remplissons donc<br />
les réservoirs (principal <strong>et</strong> supplémentaire)<br />
au maximum. L’opération<br />
Heureux qui<br />
comme Mermoz<br />
a fait un beau<br />
voyage par delà<br />
les nuages. Les<br />
galons «servent<br />
à éloigner les<br />
indiscr<strong>et</strong>s, quitte<br />
à avoir l'air<br />
endimanché...»<br />
Voler au dessus<br />
de l'<strong>Afrique</strong> par<br />
beau temps<br />
offre au regard<br />
des sensations<br />
visuelles <strong>et</strong><br />
chromatiques<br />
qui marquent à<br />
jamais l'esprit <strong>et</strong><br />
la mémoire.<br />
L'équipage s'offre<br />
une journée off<br />
après l'étape de<br />
Libreville. Une<br />
bonne bière<br />
blonde au bar...<br />
413 - Juin 2008 - <strong>Aviation</strong> & <strong>Pilote</strong> 55
CARNET DE VOL<br />
Le Commanche<br />
affichant un<br />
demi siècle<br />
au compteur,<br />
il fait l'obj<strong>et</strong> de<br />
l'attention toute<br />
particulière de<br />
Philippe.<br />
Faute de pouvoir<br />
trouver de la<br />
100 LL, les<br />
deux pilotes<br />
choisiront <strong>du</strong><br />
super qu'il faudra<br />
soigneusement<br />
filtrer.<br />
La plage de<br />
Libreville.<br />
est relativement délicate. Nous<br />
devons à la fois rester discr<strong>et</strong>s,<br />
mais aussi filtrer systématiquement<br />
c<strong>et</strong>te essence potentiellement sale.<br />
L’opération terminée, nous trouvons<br />
un hôtel à proximité de l’aéroport, <strong>et</strong><br />
nous écroulons. Non sans avoir consommé<br />
auparavant une bonne blonde.<br />
(Une bière, bien enten<strong>du</strong>…)<br />
Jeudi 6/12–Lomé – Libreville<br />
Réveil tôt. Nous atteignons les portes<br />
de l’aéroport peu après 7 heures.<br />
TUTOP nous attend sagement sur le<br />
parking <strong>du</strong> club. Notre prochaine destination<br />
étant Libreville, nous avons<br />
p o u r<br />
l’occasion enfilé des chemises<br />
blanches à galons. Lorsque l’on<br />
vole en <strong>Afrique</strong>, c’est une précaution<br />
utile pour éloigner les indiscr<strong>et</strong>s à la<br />
recherche de quelques bill<strong>et</strong>s. Quitte<br />
à avoir l’air totalement stupides <strong>et</strong><br />
endimanchés dans notre p<strong>et</strong>it monomoteur.<br />
Ce subterfuge nous évitera de<br />
bien nombreux tracas. Ce qui compte,<br />
c’est de donner le change. Et pour<br />
avoir l’air, nous avons l’air… Nous<br />
nous installons confortablement, car<br />
le vol sera long c<strong>et</strong>te fois. L’espace est<br />
limité. Une fois les cartes, les GPS <strong>et</strong><br />
l’appareil photo en place, nous installons<br />
notre « poignée à sandwichs ».<br />
Disposant de très peu de place en<br />
cabine, nous calons ces derniers audessus<br />
<strong>du</strong> coffre, derrière le réservoir<br />
supplémentaire, ce qui les rend difficilementaccessibles<br />
depuis<br />
les places<br />
ava n t . U n<br />
long bout de<br />
scotch <strong>et</strong> le<br />
tour est joué :<br />
il nous suffira<br />
de tirer sur<br />
c<strong>et</strong>te lanière<br />
de fortune<br />
pour que les<br />
sandwichs viennent à nous.<br />
Pourquoi faire simple… À<br />
8 h 15, nos roues quittent<br />
le sol, en VFR spécial.<br />
Une heure plus tard, nous<br />
passons par le travers sud<br />
de Lagos. N’ayant pas<br />
obtenu d’autorisation<br />
de survol, nous sommes<br />
contraints de croiser au<br />
large <strong>du</strong> Nigeria. Par<br />
chance, un pilote <strong>du</strong> cru<br />
nous a indiqué la veille que certaines<br />
zones apparaissant comme interdites<br />
sur les cartes ne sont pas actives,<br />
ce qui nous évitera de devoir nous<br />
éloigner trop loin en mer. Sur notre<br />
plan de vol, des points de report aux<br />
noms étranges s’égrènent : MONOS,<br />
POLTO, MILBO, SEPER, RALIN,<br />
VITLI, TIKO, KRIBI… La météo<br />
clémente, au départ, cesse de l’être.<br />
Et nous scrutons de plus en plus attentivement<br />
notre stormscope. Philippe<br />
est d’un calme olympien. Alors que je<br />
lutte pour garder les ailes à plat, il s’affaire<br />
tranquillement sur son GPS, ses<br />
lun<strong>et</strong>tes posées sur le bout <strong>du</strong> nez. La<br />
visibilité baisse à vue d’œil (!). Autour<br />
de nous, de la pluie <strong>et</strong> des nuages.<br />
Nous gardons en vue la mer, que les<br />
constellations des torchères des platesformes<br />
transforment en un immense<br />
gâteau d’anniversaire. L’intense activité<br />
orageuse nous contraint même<br />
à quelques incartades au-dessus des<br />
terres. Sous nos ailes, l’enfer vert. Le<br />
dense tapis sombre qui s’étend à perte<br />
de vue n’est fen<strong>du</strong> ça <strong>et</strong> là que par les<br />
eaux boueuses de quelques fleuves<br />
sinueux. Aucune plaine, aucun endroit<br />
pour se poser au cas où… Même les<br />
cartes ONC que nous<br />
avons embarquées nous<br />
j<strong>et</strong>tent à la figure leurs<br />
« Relief Data Incompl<strong>et</strong>e<br />
» <strong>et</strong> « Maximum<br />
elevation figures are<br />
believed not to exceed<br />
1 800 fe<strong>et</strong> ». Je me surprends<br />
à gamberger un<br />
peu. Avec le stress, le<br />
bruit le plus insignifiant<br />
devient suspect.<br />
Le moteur de TUTOP<br />
tourne pourtant comme<br />
une horloge. Une fois<br />
le Nigeria passé, nous<br />
augmentons notre cap<br />
afin de passer entre le<br />
mont Cameroun (4 100 mètres d’altitude)<br />
<strong>et</strong> l’île de Malabo où le pic<br />
de Sainte-Isabelle culmine à 3 300<br />
mètres. Et bien que les deux montagnes<br />
ne soient séparées que par<br />
quelque 20 nautiques, la météo ne<br />
nous perm<strong>et</strong>tra de voir ni l’une ni<br />
l’autre. Déjà, le stormscope nous<br />
indique une ré<strong>du</strong>ction de l’activité<br />
orageuse, même si les nuages restent<br />
là. Nous poursuivons donc, <strong>et</strong> m<strong>et</strong>tons<br />
le cap plein sud vers Libreville. Pour<br />
fêter cela, nous activons la poignée à<br />
sandwichs qui fonctionne à merveille.<br />
Dieu est grand ! Une heure <strong>et</strong> demie<br />
plus tard, les roues de TUTOP rouleront<br />
paisiblement sur le tarmac de<br />
Libreville, Gabon, après 6 h 15 de vol<br />
non-stop. Les officiers d’immigration<br />
nous regarderont avec un air incré<strong>du</strong>le<br />
quand nous leur annoncerons notre<br />
aéroport d’origine : « Avec le p<strong>et</strong>it<br />
avion, là ?! ».<br />
Vendredi 7/12 – Journée libreen-ville<br />
L’étape de Libreville a été<br />
pour Philippe, comme pour moi, un<br />
bonheur intégral. Tout d’abord parce<br />
que nous avions décidé d’y faire relâche<br />
pendant une journée, histoire de<br />
récupérer. Ensuite parce que celle-ci<br />
avait commencé par une bonne nouvelle<br />
: l’obtention (en dernière minute)<br />
de nos autorisations de survol pour<br />
le lendemain. Mais ce<br />
sont surtout les rencontres<br />
que nous avons pu<br />
y faire qui nous ont<br />
marqués. Tout d’abord<br />
celle de Véra, la fort<br />
sympathique gérante<br />
malgache de l’aéroclub<br />
de Libreville, qui<br />
nous a accueillis à bras<br />
ouverts <strong>et</strong> s’est véritablement<br />
pliée en quatre<br />
pour nous faciliter les<br />
choses. Nous avons<br />
aussi eu la chance de<br />
rencontrer un de mes<br />
Br<strong>et</strong>ons de compatriotes<br />
qui, travaillant dans<br />
une compagnie aérienne locale, a mis<br />
un hangar <strong>et</strong> des manœuvres à notre<br />
disposition pendant quelques heures,<br />
afin que notre TUTOP puisse recevoir<br />
les soins d’usage <strong>et</strong> <strong>du</strong> carburant<br />
sans inquiétude… Merci Véra, merci<br />
Gerald. Votre aide nous a été extrêmement<br />
précieuse.<br />
En quittant le bar de l’aéro-club<br />
pour rejoindre notre hôtel à quelques<br />
encablures de là, en bord de mer, nous<br />
croisons un jeune homme qui vend<br />
des maqu<strong>et</strong>tes d’avions de ligne qu’il<br />
réalise en samba. Nous les lui ach<strong>et</strong>ons<br />
<strong>et</strong> ferons, tout au long de notre voyage,<br />
apposer sur ces trophées les cach<strong>et</strong>s de<br />
chaque aéroport. (à suivre) y<br />
56 <strong>Aviation</strong> & <strong>Pilote</strong> - 413 - Juin 2008 413 - Juin 2008 - <strong>Aviation</strong> & <strong>Pilote</strong> 57<br />
Durant l'étape<br />
entre Lomé <strong>et</strong><br />
Libreville, la<br />
météo devient<br />
pourrie, ce qui<br />
n'éffraie nullement<br />
Philippe. Mais les<br />
possibilités de se<br />
poser au-dessus<br />
de la forêt sont<br />
très limitées.<br />
Philippe,<br />
l'aventurier de<br />
l'air qui connaît<br />
chaque nuage,<br />
a accepté<br />
pour équipier<br />
Sébastien, tout<br />
jeune brev<strong>et</strong>é...
CARNET DE VOL<br />
PAR SÉBASTIEN THOMAS DE LA PINTIÈRE,<br />
PHOTOS DE L’AUTEUR.<br />
Samedi 8/12 – Libreville –<br />
Pointe-Noire. Je suis réveillé<br />
à 7 h 00 par de violents coups<br />
de poing sur ma porte. Coutume<br />
locale en guise de bienvenue<br />
? Non, l’orage est là, qui j<strong>et</strong>te<br />
dans un vacarme extraordinaire ses<br />
trombes d’eau sur les tôles on<strong>du</strong>lées<br />
<strong>du</strong> toit. C’est bien notre veine ! Fort<br />
heureusement, le vol d’aujourd’hui<br />
qui nous amènera à Pointe-Noire, en<br />
République démocratique <strong>du</strong> Congo,<br />
ne devrait guère nous prendre plus de<br />
trois heures <strong>et</strong> nous pouvons attendre<br />
un peu. Une heure plus tard, la pluie<br />
cesse <strong>et</strong> mon pessimisme météorologique<br />
se tait enfin. Philippe <strong>et</strong> moi<br />
sautons dans le premier taxi, passons<br />
à la météo, stoppons saluer Véra au<br />
bar <strong>du</strong> club, <strong>et</strong> grimpons enfin à bord.<br />
Je m’assieds à gauche aujourd’hui.<br />
Comme à l’accoutumée, le moulin<br />
démarre au quart de tour. On le fait<br />
chauffer un peu, puis procédons aux<br />
essais moteur. Au moment où la tour<br />
58 <strong>Aviation</strong> & <strong>Pilote</strong> - 414 - Juill<strong>et</strong> 2008<br />
OVER SOUTH AFRICA<br />
Destination Johannesburg<br />
Le mois dernier, Sébastien <strong>et</strong> Philippe nous ont fait traverser l’<strong>Afrique</strong><br />
jusqu’à Libreville, l’occasion pour eux de faire une halte. Les deux pilotes<br />
reprennent leur voyage jusqu’à leur dernière étape : Johannesburg.<br />
nous autorise à rouler, Philippe se souvient<br />
que nous avons oublié chez Véra<br />
notre précieux entonnoir <strong>et</strong> son filtre<br />
maison. Alors que le moteur tourne au<br />
ralenti, il descend, file vers le club <strong>et</strong><br />
revient avec l’instrument. Ouf ! Nous<br />
aurions été bien handicapés lors des<br />
étapes suivantes.<br />
L’image satellite que nous a remis<br />
la météo laisse apparaître une couverture<br />
nuageuse assez dense jusqu’à<br />
Luanda (Angola), la suite <strong>du</strong> traj<strong>et</strong><br />
étant relativement dégagée. Ce n’est<br />
pas aujourd’hui que nous verrons le<br />
soleil. En fait, la couche est moins<br />
dense qu’annoncée <strong>et</strong> nous montons<br />
tranquillement vers le niveau de vol<br />
75, au cap 160. Philippe s’affaire sur<br />
ses concentrés de technologie, sur la<br />
radio ou sur ses cartes, pendant que je<br />
pilote. Je profite aussi <strong>du</strong> paysage pour<br />
prendre quelques clichés. Les quelques<br />
heures de vol, que nous avons<br />
faites ensemble, nous ont permis de<br />
mieux nous connaître, l’ambiance est<br />
déten<strong>du</strong>e à bord <strong>et</strong> les minutes s’égrènent<br />
paisiblement. Après tout, c’est<br />
un vol court. Nous sommes tous deux<br />
brusquement sortis de notre léthargie<br />
lorsque, d’un coup, le moteur de notre<br />
TUTOP préféré se m<strong>et</strong> à ratatouiller<br />
sec. Padram, padraram…, p… ! (criaije<br />
intérieurement). Je me redresse d’un<br />
coup sur mon siège, de l’adrénaline<br />
plein les veines. Déjà Philippe, qui en<br />
a vu bien d’autres, a posé la main sur<br />
la réchauffe <strong>et</strong> la tire doucement vers<br />
lui. Quasi instantanément, le moteur<br />
reprend son ronronnement régulier.<br />
Par acquis de conscience, les quelques<br />
minutes qui suivront seront consacrées<br />
à des coups de tir<strong>et</strong>te <strong>du</strong> réchauffage<br />
carbu. Au cas où. Peu à peu, la tension<br />
redescend. Jusqu’à ce que trente minutes<br />
plus tard, un deuxième épisode <strong>du</strong><br />
même type ne vienne encore nous<br />
inquiéter. C<strong>et</strong>te fois ma réaction est<br />
plus posée. Espérons que tout aille<br />
bien jusqu’à Pointe-Noire, située à<br />
moins d’une demi-heure de notre<br />
position actuelle. Ce sera le cas, fort<br />
heureusement.<br />
Notre arrivée à Pointe-Noire nous<br />
réservera une surprise de taille. Après<br />
avoir payé les différentes taxes <strong>et</strong> ren<strong>du</strong><br />
une visite de courtoisie aux contrôleurs<br />
de la plate-forme (toujours utile <strong>et</strong> instructif<br />
dans ce type de contexte…),<br />
nous rem<strong>et</strong>tons TUTOP en route <strong>et</strong><br />
roulons vers le parking de l’aéro-club.<br />
Nous abritons TUTOP sous les ailes<br />
protectrices d’un vieil Antonov 12 à<br />
la r<strong>et</strong>raite. Nous nous extirpons de<br />
l’habitacle <strong>et</strong> déployons avec difficulté<br />
nos membres endoloris par la<br />
position assise prolongée. Autour de<br />
nous, Storch, Beech Baron, Jaribu,<br />
Coyote, Cricri, Pétrel… Des aéronefs<br />
à en revendre. Un véritable essaim.<br />
Incroyable ! Nous rencontrons tout<br />
aussi incidemment, parmi les membres<br />
<strong>du</strong> club, la responsable d’un hôtel qui<br />
dispose de deux chambres libres. Le<br />
hasard fait parfois bien les choses.<br />
Après avoir refuelé <strong>et</strong> cassé la croûte<br />
au club-house avec quelques pilotes<br />
<strong>du</strong> cru, nous m<strong>et</strong>tons le cap sur l’hôtel<br />
Mbou Mvoumvou (vous n’arrivez pas<br />
à le prononcer ? vous êtes normal…)<br />
où je trouve pour ma part le sommeil<br />
très rapidement.<br />
Dimanche 9/12 – Pointe-Noire<br />
– Ondengwa. Nous quittons Pointe-<br />
Noire sous une pluie battante. Alignés,<br />
nous voyons à peine la piste.<br />
Toute la puissance, lâché des freins.<br />
TUTOP roule <strong>et</strong> s’élève doucement.<br />
Quelques minutes de montée <strong>et</strong> nous<br />
passons déjà « on top ». Au-dessus<br />
de la couche, le soleil est de rigueur.<br />
Nous naviguons sur une mer de coton.<br />
Magique. Oubliées, les frayeurs de<br />
la veille. Un long vol nous attend<br />
aujourd’hui. Notre p<strong>et</strong>ite organisation<br />
interne commence à être rodée :<br />
les cartes sont accessibles,<br />
les sandwichs au bout de<br />
la poignée, les batteries<br />
des appareils photo ont<br />
été rechargées <strong>et</strong> les cartes<br />
mémoire vidées. Nous descendons<br />
plein sud, longeant<br />
la côte. Nous passons tout<br />
d’abord l’enclave de Cabinda, ce<br />
minuscule bout d’Angola coincé au<br />
nord de la République démocratique<br />
<strong>du</strong> Congo (ex-Zaïre). Puis nous survolons<br />
l’énorme embouchure <strong>du</strong> fleuve<br />
Zaïre dont nous ne verrons hélas rien<br />
en raison des nuages. À l’approche de<br />
Luanda, une contrôleuse fort désagréable<br />
nous fait savoir qu’une HF<br />
est hautement recommandée pour ce<br />
type de vol. N’en disposant pas à bord,<br />
mais déterminés à poursuivre notre<br />
voyage, nous lui annonçons que nous<br />
allons poursuivre notre route le long<br />
de la côte, bien au-delà de Luanda,<br />
avant d’obliquer vers Ondengwa,<br />
notre destination dans le Nord de la<br />
Namibie. Ayant obtenu la clearance<br />
de Luanda, nous descendons donc<br />
jusqu’à Lobito avant de prendre un<br />
cap vers Ondengwa. En passant à la<br />
verticale de Lobito, Philippe m’apprend<br />
que lorsqu’il avait 14 ans, il se<br />
souvient d’avoir pris le train à Lobito<br />
pour se rendre à Lubumbashi, à l’autre<br />
extrémité de son Zaïre natal. Il lui fallait<br />
à l’époque plus de 15 jours entiers<br />
pour s’y rendre…<br />
Nous atterrissons à Ondengwa en<br />
milieu d’après-midi, après quelque<br />
7 h 00 de vol, dans un décor semidésertique<br />
ressemblant étrangement à<br />
l’Arizona. La chaleur y est écrasante.<br />
Pas un fil<strong>et</strong> d’air pour distraire tous<br />
ces degrés, juste un silence compl<strong>et</strong><br />
se mêlant à la pesanteur ambiante.<br />
Une porte grince, <strong>et</strong> nous voyons<br />
sortir lentement un agent de sécurité<br />
qui s’avance vers nous : il va falloir<br />
attendre l’officier d’immigration qui,<br />
comme un fait exprès, vient de partir<br />
manger… Après une très longue <strong>et</strong><br />
pénible attente à l’ombre des ailes,<br />
par quelque 40 degrés Celsius, nous<br />
voyons enfin la personne revenir <strong>et</strong><br />
nous libérer. Nous trouvons sans<br />
trop de difficultés un hôtel correct.<br />
Point de vue nourriture, il en va bien<br />
enten<strong>du</strong> différemment. Influence<br />
anglo-saxonne oblige !<br />
Lundi 10/12 – Ondengwa - Johannesburg.<br />
Dernière étape <strong>du</strong> voyage. Et<br />
non des moindres, en terme de temps<br />
de vol comme de territoires survolés.<br />
Ces sept (dernières) heures de vol vont<br />
nous amener jusqu’à Johannesburg.<br />
Déjà, Philippe <strong>et</strong> moi ressentons la<br />
même hésitation entre le bonheur <strong>et</strong><br />
la fierté d’être allés jusqu’au bout de<br />
c<strong>et</strong>te véritable aventure <strong>et</strong> la tristesse<br />
de voir celle-ci se terminer dès ce<br />
soir. Partis tôt de l’hôtel, comme de<br />
coutume, nous grimpons dans l’avion<br />
avant que la chape de plomb solaire<br />
Réveil violent à<br />
7 h 00 <strong>du</strong> matin<br />
à Libreville.<br />
La météo ne<br />
s’annonce pas<br />
très bonne pour<br />
rejoindre Pointe-<br />
Noire…<br />
En attendant<br />
que Sébastien<br />
– copilote –<br />
s’occupe des<br />
bagages, Philippe<br />
– CdB – donne<br />
des nouvelles<br />
<strong>du</strong> périple aux<br />
amis…<br />
Le survol de<br />
l’<strong>Afrique</strong> réserve<br />
toujours des<br />
surprises comme<br />
ce fleuve encaissé<br />
<strong>et</strong> son îlot de<br />
ver<strong>du</strong>re.<br />
414 - Juill<strong>et</strong> 2008 - <strong>Aviation</strong> & <strong>Pilote</strong> 59
CARNET DE VOL<br />
Après avoir<br />
traversé un<br />
paysage semidésertique,<br />
l’équipage atterrit<br />
finalement à<br />
Ondengwa. Les<br />
deux pilotes<br />
attendront l’officier<br />
de l’immigration<br />
– en plein repas –<br />
avant de pouvoir<br />
quitter les limites<br />
de la plate-forme.<br />
Mission<br />
accomplie. Le<br />
Comanche <strong>et</strong><br />
ses deux pilotes<br />
sont arrivés à<br />
Johannesburg<br />
après six jours<br />
de voyage<br />
palpitants.<br />
ne nous écrase à nouveau. Magnéto<br />
gauche, droite, 1 + 2, start. Notre<br />
TUTOP démarre au quart de tour.<br />
Nous quittons l’arbre sous lequel nous<br />
avions cherché la veille un peu d’ombre<br />
<strong>et</strong> parcourons le taxiway pour nous<br />
aligner. Les freins en pression, toute<br />
la puissance. Alourdi par l’essence<br />
que nous avons dû embarquer, l’appareil<br />
prend lentement de la vitesse.<br />
À mi-piste, nous atteignons la vitesse<br />
de rotation, mais la PA reste faible.<br />
Dangereusement faible : 15 Pouces.<br />
Vite, une décision. Philippe, à gauche<br />
ce jour-là, tire souplement sur le<br />
manche <strong>et</strong> notre monture quitte le sol,<br />
avec regr<strong>et</strong> nous semble-t-il. Ça vole ?<br />
Alors on continue… Même si le terrain<br />
d’Ondengwa est à quelque 4 000<br />
pieds d’altitude, ce phénomène n’est<br />
pas normal. L’instrument se révélera<br />
être défectueux. La PA ne rejoindra<br />
son niveau normal qu’un peu plus<br />
60 <strong>Aviation</strong> & <strong>Pilote</strong> - 414 - Juill<strong>et</strong> 2008<br />
tard. Mais il nous faudra tout de même<br />
un certain temps pour atteindre notre<br />
niveau de croisière au niveau 75. Déjà,<br />
des bancs de sable de plus en plus<br />
grands s’étirent sous nos ailes. C’est<br />
le Kalahari. Ce désert mythique où<br />
vivent encore quelques rares bushmen<br />
(« bochiman »), premiers habitants de<br />
l’<strong>Afrique</strong> australe, <strong>et</strong> qui a servi de<br />
décor au film « Les Dieux sont tombés<br />
sur la tête ». Promis, nous n’avons pas<br />
j<strong>et</strong>é de bouteille de Coke par-dessus<br />
bord… Vus d’en haut, les paysages<br />
sont superbes, irréels presque. Le soleil<br />
porte au sol les ombres bien dessinées<br />
des cumulus que nous croisons. Nous<br />
n’échappons pas à sa lumière, <strong>et</strong> nous<br />
scotchons des cartes de navigation<br />
sur les vitres en guise de pare-soleil.<br />
Nous passons à travers Windhoek,<br />
puis une barre assez élevée de montagnes<br />
que nous devons contourner<br />
faute de pouvoir les survoler. Ensuite,<br />
Grootfontein, qui refuse de répondre<br />
à nos appels radio. S’ensuivra un épisode<br />
assez peu plaisant de turbulences<br />
sévères qui nous obligeront à ralentir<br />
<strong>et</strong> à monter un peu. 13.15, déjeuner à<br />
droite ; 13.25, déjeuner à gauche : deux<br />
services, c’est la grande classe ! À<br />
l’approche de Jo’burg, nous annonçons<br />
nos intentions : atterrir sur le terrain de<br />
Grand Central. C’est sans compter sur<br />
la rigueur des autorités locales qui confirme<br />
une de nos craintes : ce terrain<br />
n’est pas douanier. Il nous est donc<br />
impossible de nous y poser. Damned !<br />
L’essence descend, elle aussi. Philippe,<br />
qui connaît bien les lieux, annonce que<br />
nous nous poserons donc à Lanseria<br />
Airport. Seulement voilà : pas de spot<br />
d’atterrissage avant 2 heures de temps.<br />
Lanseria est un véritable hub pour<br />
l’aviation d’affaires <strong>et</strong> générale. Alors<br />
que nous tournons en rond, nous parlementons.<br />
Finalement, le contrôleur<br />
nous autorise à nous intégrer. Vent<br />
arrière, préparation de l’avion. Ré<strong>du</strong>ction.<br />
Arc blanc, on sort les traînées. On<br />
essaie en tout cas. Mais ça ne veut pas,<br />
rien à faire, le train est bloqué en position<br />
rentrée. Il est trop tard pour refaire<br />
un tour. Philippe sort donc le train<br />
manuellement <strong>et</strong> nous posons enfin<br />
les roues en terre sud-africaine. Après<br />
7 heures 30 de vol. En refusant de<br />
sortir le train, TUTOP aura sans doute<br />
voulu partager avec nous sa tristesse<br />
de voir le voyage arriver à son terme…<br />
thomasdelapintiere@gmail.com y