Le Sens - approches systémiques - Gerard Eschbach
Le Sens - approches systémiques - Gerard Eschbach
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<strong>Le</strong> sens<br />
Approches <strong>systémiques</strong><br />
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www.meta-noia.org<br />
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g.eschbach@meta-noia.org<br />
© www.meta-noia.org - 2011<br />
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Gérard <strong>Eschbach</strong><br />
<strong>Le</strong> sens<br />
Approches <strong>systémiques</strong><br />
www.meta-noia.org<br />
5
Introduction<br />
La vie corporelle est impossible sans l’air. Il en va de même<br />
pour l’esprit qui ne vit et ne survit que dans le sens. <strong>Le</strong><br />
sens des mots. <strong>Le</strong> sens des perceptions. <strong>Le</strong> sens des articulations.<br />
<strong>Le</strong> sens entre les lignes. <strong>Le</strong> sens des rapports.<br />
<strong>Le</strong> sens des raisons. Et finalement le sens du sens, c’est-àdire<br />
le sens qui donne sens.<br />
<strong>Le</strong> sens n’est pas à partir de rien. Tout sens se donne<br />
toujours à partir d’une englobante possibilité de sens. <strong>Le</strong>s<br />
différents niveaux de sens s’emboîtent. Tel sens peut<br />
englober un sens plus régional et se trouver englobé, à son<br />
tour, par un sens plus englobant. Un ‘pourquoi’ n’est pas<br />
forcément l’ultime ‘pourquoi’. Il reste toujours un pourquoi<br />
du pourquoi. Mener sa pensée jusqu’au bout d’elle-même<br />
ne va pas sans questionner inlassablement sur un englobant<br />
plus englobant.<br />
<strong>Le</strong> risque est grand, en étudiant le sens, de s’enliser dans<br />
le ‘vaporeux’. <strong>Le</strong> présent essai voudrait approcher le fonctionnement<br />
sémantique en articulant non pas des étiquettes<br />
ou des idées abstraites mais la réalité concrète telle<br />
qu’elle se donne ‘nativement’, ‘naïvement’, à travers, par<br />
exemple, les étymologies ou les expériences originaires.<br />
7
L’idée prend forme, se traduit en mouvement et se fixe en<br />
graphie. <strong>Le</strong> sens fait signe... Il en résulte une multitude<br />
d’<strong>approches</strong> figurées et schématiques. On en livre ici deux<br />
centaines dans un ordre qui, à dessein, n’est pas linéaire.<br />
Elles inscrivent toutes dans une même perspective qui est<br />
celle de la ‘systémique’. Il s’agit donc essentiellement de<br />
les lire en relation et de les voir fonctionner en interdépendance<br />
Pourquoi une approche systémique ?<br />
La réponse est simple. Pour essayer de comprendre un<br />
ensemble, un tout ou un système sans devoir comprendre<br />
toutes ses articulations internes et l'impossible détail des<br />
parties. Celles-ci sont en effet infinies, et, partant, demandent<br />
une infinité de spécialistes sur fond d'infini débat. Si<br />
bien qu'à la limite le monde peut partir en quenouille avant<br />
d'entrevoir le début d'une possible compréhension. Pour<br />
que les arbres ne cachent pas la forêt, pour que les mondes<br />
ne cachent pas le monde, le recours à la systémique<br />
devient incontournable.<br />
L’intelligibilité, en effet, vient du ‘contenant’ avant de venir<br />
du ‘contenu’. L’intelligence du tout ‘englobant’ précède et<br />
conditionne celle de la partie 'englobée’.<br />
Une approche systémique va à l’encontre de ce qu'on peut<br />
appeler la 'philosophie du boutiquier' qui ne va pas au-delà<br />
de l'addition et de la soustraction d'ingrédients. On ajoute<br />
les 'plus'. On retranche les 'moins'. Cela peut suffire à la<br />
rigueur pour gérer un stock ou cuire une soupe. Mais les<br />
réalités humaines sont d'un autre ordre. <strong>Le</strong> 'plus' ne<br />
s'ajoute pas forcément au plus et le 'moins' ne s'en<br />
retranche par nécessairement. Au contraire, 'plus' et 'moins'<br />
8
s'étreignent pour donner naissance à une réalité nouvelle.<br />
Il s'agit d'une nouvelle façon de penser et d'agir qui se<br />
déploie dans un nouvel espace épistémologique et pragmatique.<br />
En rupture d'une certaine façon avec Descartes.<br />
Mais sans faire l'économie de l'analyse cartésienne, sans<br />
laquelle elle serait impossible. Il s'agit plutôt du dépassement<br />
dialectique d'une intelligibilité trop unidimensionnelle.<br />
Revanche du tout sur la partie et du tout organiquement<br />
interactif sur le tout structural. Revanche du vivant<br />
sur la mécanique. De tout le vivant non seulement biologique<br />
mais aussi économique, politique, social, culturel...<br />
<strong>Le</strong> cristal et le vivant<br />
<strong>Le</strong> modèle archétypique de l'intelligibilité de la structure est<br />
le cristal dans sa géométrie chimique. Celui du système est<br />
le vivant en interaction avec l'ensemble de la vie, avec<br />
l'ensemble de son écosystème. La `structure' est immédiatement<br />
intelligible en elle-même, on pourrait dire en sa<br />
clôture. <strong>Le</strong> `système', lui, prend son intelligibilité dans son<br />
fonctionnement dynamiquement interactif, sous le signe de<br />
l'ouvert. L'approche systémique se caractérise par la saisie<br />
organique d'ensembles en tant qu'ensembles en interaction.<br />
Un système vivant est une ‘structure’ qui ne peut<br />
fonctionner qu’en étant essentiellement ouverte sur des<br />
échanges. Elle ne survit qu’avec portes et fenêtres. C’est-àdire<br />
avec des entrées et des sorties.<br />
Penser seulement ‘structure’ reste en marge de l'intelligence<br />
des réalités vivantes. Pour comprendre celle-ci il<br />
faut penser ‘système’, et plus spécialement ‘système vivant'.<br />
Une ‘structure’, celle du cristal par exemple, tient<br />
dans la clôture de sa géométrie chimique. Un ‘système<br />
9
vivant’, par contre, ne survit que dans l’ouvert. Ici les ‘contenus’<br />
ne sont pas des ‘choses’ isolables. Ce sont des<br />
réalités vivantes. Organiques. En interdépendance. En<br />
inter-réaction. En interrelation. Impossible de soigner un<br />
organe sans soigner le corps tout entier et, surtout, sans<br />
soigner l’environnement de ce corps.<br />
Système<br />
L'atome de structure d’un système peut être considéré<br />
comme un micro-système non bouclé. Sa plus simple expression<br />
est celle d’une ‘vanne’ électronique, un transistor,<br />
par exemple. Il a trois portes: une entrée, une sortie et une<br />
ligne de commande. On applique une grandeur physique à<br />
l’entrée. Une autre grandeur physique apparaît à la sortie<br />
en fonction de la grandeur physique appliquée. Entrée,<br />
sortie et ligne de commande sont donc comme trois portes<br />
qui ouvrent le système sur un ‘extérieur’.<br />
Du plus simple microsystème au plus complexe des macrosystèmes,<br />
et quel que soit son degré d'emboîtement systémique,<br />
c'est la fonction qui caractérise un système. Et ces<br />
fonctions peuvent être d'une incroyable diversité.<br />
Ce qui d’un ensemble fait fondamentalement un système,<br />
c’est son organisation. <strong>Le</strong> système ne se comprend pas à<br />
partir de ses éléments constitutifs, ni des liaisons entre ces<br />
éléments, ni même des interactions entre ces liaisons, mais<br />
essentiellement en fonction de ses spécificités organisationnelles.<br />
C’est en tant qu’organisé, et en tant qu’organisé<br />
seulement, que le système est rebelle à la réduction en ses<br />
éléments et transcende la juxtaposition quantitative de la<br />
multiplicité et de la diversité qui le compose. Dans cette<br />
unité complexe organisée le tout est toujours plus que la<br />
10
somme des parties, l’organisation leur conférant en quelque<br />
sorte un supplément d’être, de fonctionnement et d’action<br />
incommensurable aux parties seules. Mais déjà la<br />
partie y est plus que la partie. <strong>Le</strong> tout organisé est émergence<br />
nouvelle.<br />
C'est le programme qui représente la fonction complexe du<br />
système. Un flux, qu'il soit matériel, énergétique ou informationnel,<br />
entre dans le système, subit une transformation<br />
commandée par la fonction et se trouve ainsi transformé à<br />
la sortie. La nature, la forme, la quantité de l'entrée et de la<br />
sortie dépendent de la complexité du système et de la<br />
nature, de la forme ou de la variété des flux. La valeur 'fonction'<br />
implique toujours l'équivalent d'un programme dont la<br />
complexité dépend de la complexité de la fonction ellemême.<br />
Ce programme peut être invariable et le système<br />
est alors considéré comme programmé. Il peut aussi être<br />
variable selon les nécessités du moment et lui venir chaque<br />
fois du dehors, par une des entrées. <strong>Le</strong> système est alors<br />
dit programmable.<br />
Emboîtement des systèmes<br />
Chacune des <strong>approches</strong> systémique se trouve emboîtée<br />
dans l’autre. La vie et partant le système vivant est en interrelation<br />
maximale. Impossible de soigner un organe sans<br />
soigner le corps tout entier sans soigner l’environnement<br />
de ce corps de et, de proche en proche, son emboîtement<br />
interactif avec l’ensemble de la vie, avec l’ensemble de la<br />
‘nature’, avec l’ensemble de l’écosystème.<br />
A chaque niveau systémique, il y a ainsi une entrée et une<br />
sortie en liaison interactive avec les entrées et les sorties<br />
des autres systèmes, englobés et englobants, pour l'inces-<br />
11
sant échange des flux d'alimentation, d'élimination, d'information,<br />
de régulation, de programmation...<br />
<strong>Le</strong> système ne renvoie pas à la partie élémentaire. <strong>Le</strong><br />
système renvoie au système. Entre le plus petit microsystème<br />
possible et la totalité du macro-système cosmique,<br />
‘un’ système est chaque fois un ensemble qui fonctionne à<br />
partir d’autres ensembles dans un plus grand ensemble.<br />
Ainsi la nature: une solidarité de systèmes enchevêtrés, un<br />
tout poly-systémique.<br />
Chaque système est en interaction avec d’autres systèmes<br />
<strong>Le</strong> tout fonctionnant dans un plus grand système englobant.<br />
Du plus simple jusqu’au plus complexe, du plus élémentaire<br />
jusqu’à son extrême englobant, les systèmes<br />
s’emboîtent interactivement. Chaque source chaude partielle<br />
participant de la source chaude plus englobante. Il en<br />
va de même avec les puits froids.<br />
<strong>Le</strong>s différents systèmes s’emboîtent, chaque fois intégrés<br />
dans un système plus englobant et, à leur tour, englobant<br />
un sub-système en leur dépendance. Chaque système accapare<br />
des flux positifs et rejette des flux négatifs, et cela<br />
dans l’espace de son système englobant. Un système<br />
englobé ne survit et a fortiori ne grandit que si son solde<br />
énergétique global est positif. Cela ne peut se faire qu’au<br />
détriment de son système englobant. Celui-ci, à son tour,<br />
ne survit que sur le compte du système qui l’englobe luimême.<br />
Et ainsi de suite.<br />
Dans l'emboîtement hiérarchique de multiples systèmes, la<br />
fonction du système `englobé' se détermine chaque fois par<br />
la fonction du système plus `englobant'. Ainsi, par exemple,<br />
la fonction d'une usine d'automobiles est de produire des<br />
voitures vendables. Un tel système régit une multitude<br />
12
d'autres systèmes subordonnés, dont la fonction est de<br />
produire des pneumatiques, des projets, des circuits électroniques,<br />
des études de nouveaux modèles, des culasses<br />
de moteurs, etc. Mais cette usine est elle-même en<br />
interaction avec d'autres systèmes, encore plus `englobants',<br />
comme le marché international, la mentalité des<br />
humains face à l'automobile, la production énergétique, etc.<br />
Intelligibilité du complexe<br />
L'approche systémique tient nécessairement compte de la<br />
complexité des interactions, c'est-à-dire de la grande multiplicité<br />
et de la grande variété des éléments, des liaisons,<br />
des interactions non linéaires et de l'organisation en niveaux<br />
hiérarchiquement intégrés. Loin de réduire la complexité,<br />
la systémique la conserve. Elle intègre par différenciation<br />
plutôt que par identification. Elle privilégie les<br />
systèmes complexes ouverts. Elle ne s'occupe pas d'une<br />
seule variable à la fois mais prend en compte des ensembles<br />
de variables simultanément. Sa compréhension est<br />
pluridisciplinaire. Son approche est holistique. Son point de<br />
départ est un tout. La partie n'est pas isolable mais joue en<br />
interaction avec ce tout qui explique les parties.<br />
Pour l'intelligence systémique, les buts sont plus importants<br />
que les détails. La fonction l'emporte sur la structure. Plus<br />
essentiels que les forces sont les flux et spécialement le<br />
flux des informations. D'où le rôle essentiel des entrées,<br />
des sorties et des vannes. <strong>Le</strong>s effets sont plus pertinents<br />
que les interactions. L'équilibre dynamique prime sur la<br />
stabilité statique. L'énergie de commande l'emporte sur<br />
l'énergie de puissance. <strong>Le</strong> temps prend plus d'importance<br />
que l'espace. La causalité n'est pas linéaire mais circulaire:<br />
13
dans la réciprocité des échanges, elle procède par boucles.<br />
L'indéterminisme et même le désordre ne sont pas exclus a<br />
priori. L'imprévisible, le non reproductible et l'irréversible ne<br />
font pas peur, de même que la différence et le conflit.<br />
Un ensemble interactif de micro-systèmes bouclés les uns<br />
sur les autres peut former un système plus complexe. Il n'y<br />
a théoriquement pas de limite à la complexification. Chacune<br />
des trois `ouvertures' d'un système peut se brancher<br />
sur celles du système voisin, et ainsi de suite, de proche en<br />
proche, d'unité systémique minimale vers la plus grande<br />
unité systémique souhaitée. Avec deux transistors on peut<br />
construire une `cellule' de mémoire. Quatre transistors<br />
suffisent pour construire une 'porte' logique, c'est-à-dire un<br />
microsystème capable de réaliser une des différentes<br />
fonctions logiques élémentaires. Des millions de ces `cellules'<br />
et de ces `portes', reliées entre elles en fonction d'une<br />
organisation spécifique et déterminée par le concepteur,<br />
peuvent former un ordinateur ou tout autre machine cybernétique.<br />
L'analyse `abstrait' inévitablement un système de ses interconnexions.<br />
Dans la réalité, cependant, l'entrée et la sortie<br />
d'un système réel ne sont jamais `en l'air', mais en liaison<br />
interactive avec les entrées et les sorties des autres systèmes,<br />
englobés et englobants. <strong>Le</strong>s sorties et les entrées<br />
des différents sub-systèmes sont interconnectées pour l'incessant<br />
échange des flux. Selon la très grande complexité<br />
interactive dans l'emboîtement des systèmes. Toute une<br />
combinatoire systémique avec l'infinie possibilité d'interconnexions<br />
et d'interactions inter <strong>systémiques</strong>.<br />
Et pourtant, dans le tissu inter systémique, à l'intérieur de<br />
ces réseaux interactifs, chaque système constitue une spécificité<br />
et fonctionne avec une relative autonomie comme<br />
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un nœud, une totalité, une unité, un `autos' soi-même... Car<br />
tout en étant en interrelation et en interaction avec d'autres<br />
systèmes, tout en étant bouclé sur d'autres systèmes, un<br />
système se boucle aussi lui-même. Mais toute autonomie<br />
est fonction de réserves disponibles. Et les disponibilités ici<br />
doivent être aussi diverses que les flux de matière, d'énergie,<br />
d'information, en interaction dans le système.<br />
Boîte noire<br />
<strong>Le</strong> système en lui-même avec son fonctionnement interne<br />
et toute la complexité de ses articulations peut, en effet,<br />
être considéré comme une `boîte noire'. <strong>Le</strong> terme dit sa<br />
`mystérieuse' complexité. Il dit aussi que cette `boîte' peut<br />
rester obscure sans pour autant empêcher l'intelligence de<br />
ce qu'elle est globalement et de ce qu'elle signifie profondément.<br />
Ce qui, par contre, ne peut absolument pas rester<br />
obscur, c'est la connaissance précise de sa fonction, des<br />
entrées et des sorties.<br />
Méthodologiquement, chaque système, quelle que soit sa<br />
complexité, sa taille ou sa situation au milieu d'autres systèmes,<br />
fonctionne, en tant que système, de façon identique.<br />
Il suffit donc de connaître le fonctionnement d'un<br />
quelconque système pour les comprendre tous. N'importe<br />
quel système peut donc être pris comme 'modèle'. Dès lors<br />
il ne faut pas avoir peur d’analyser le phénomène humain à<br />
l’aide de concepts comme ‘systémique’, ‘englobé/englobant’,<br />
‘emboîtement des systèmes’, ‘source chaude/source<br />
froide’, ‘flux’, ‘entrées’, ‘sorties’, ‘réserves’, ‘accumulateurs’,<br />
‘écosystème’, ‘interactivité’, ‘dégradation de l’énergie’, ‘entropie’,<br />
‘néguentropie’, etc. Dès lors deviennent quasi naturelles<br />
les expressions comme: ‘source chaude de signi-<br />
15
fiants’, ‘accumulateurs sémantiques’, ‘réservoirs d’énergie<br />
spirituelle’, ‘asphyxie spirituelle’, ‘écosystème du sens’...<br />
La compréhension passe par un `modèle'. L'intelligibilité<br />
'systémique' fonctionne par modélisation. On commence<br />
par avoir recours au modèle de fonctionnement qu’est la<br />
‘machine’. Seulement il s’agit ici d’une machine non-mécaniste.<br />
Une autre machine. Une machine de type cybernétique<br />
avec ses interactions auto-gouvernées. N'importe<br />
quel système peut donc être pris comme 'modèle'. <strong>Le</strong> modèle<br />
cybernétique trouve cependant sa particulière pertinence.<br />
Il s'agit encore d'une 'machine', seulement cette<br />
machine est différente, non mécaniste. Elle fonctionne avec<br />
des interactions auto-gouvernées.<br />
Englobant et englobé<br />
On voudrait commencer pas comprendre au plus près, au<br />
centre ou au point de départ... La compréhension commence<br />
au plus loin. Au commencement de la compréhension<br />
ne sont pas les 'longues chaînes de raisons' mais<br />
une totalité holistique. Comprendre, c'est boucler les<br />
boucles, 'englober'. Ma compréhension est toujours 'englobante'.<br />
La vérité se joue moins au 'dedans' qu'aux limites.<br />
L'argument ontologique, par exemple, est ici révélateur. Il<br />
prend un sens radicalement différent chez saint Anselme et<br />
chez Descartes. La pensée d' Anselme procède dans la<br />
totalité de l'englobant. Descartes part d'un point englobé.<br />
Typique de ce renversement schizoïde où le point de<br />
départ est nécessairement 'dans' la bulle.<br />
Déjà ma compréhension (englobante) est englobée. Déjà<br />
ma compréhension est comprise. <strong>Le</strong> plein crie famine. "Il<br />
manque quelque chose". La boucle ne se boucle pas. La<br />
16
ulle n'est pas auto-suffisante. Elle reste béante. Gödel<br />
décèle cette 'incomplétude' au cœur de ce que nous<br />
prenons pour le plus massivement logique, à savoir les<br />
mathématiques.<br />
L'approche systémique du réel nous met en garde contre<br />
les 'totalités' qui risquent toujours de n'être que des totalisations<br />
de nos limites.<br />
17
Approches<br />
19
Compréhension<br />
L'esprit questionne. L'esprit comprend. Deux mouvements complémentaires<br />
de la connaissance. C'est cependant la compréhension qui est le<br />
but. Et l'homme n'a de cesse d'élargir le champ de sa compréhension.<br />
Ce faisant il ne cesse de créer des bulles. Ainsi se constituent des<br />
'bulles' de compréhension. Celles-ci sont diverses et inégales parmi les<br />
humains. Une telle différence est la marque propre de la liberté. Mais<br />
chaque bulle particulière se trouve elle-même portée par une bulle plus<br />
englobante, plus 'comprenante', intégrée dans une théorie plus générale,<br />
située dans un espace mental plus large.<br />
Comprendre – cumprehendere – c'est rassembler une dispersion,<br />
embrasser une diversité, étreindre des différences. Comprendre, c'est<br />
boucler une boucle. Comprendre c'est concevoir – cumcipere – nouer<br />
un 'concept', former une représentation mentale. Comprendre c’est<br />
finalement aller jusqu’aux raisons des raisons pour, ultimement, comprendre<br />
les compréhensions elles-mêmes. La compréhension, cependant,<br />
traverse une explication. Expliquer – explicare – déplier, étaler à<br />
plat, enlever les plis, montrer les éléments et les articulations. A travers<br />
l'explication, la compréhension doit exclure. Eliminer les apparences, le<br />
superflu, les fausses raisons, le redondant, les hypothèses provisoires,<br />
etc. Dis-moi ce que tu intègres et ce que tu exclus et je te dirai qui tu<br />
es.<br />
Tous les systèmes que nous pouvons concevoir se trouvent déjà<br />
englobés dans un méta-système anthropologique. Déjà nos intelligibilités<br />
sont situées dans une plus englobante possibilité d'intelligibilité.<br />
Chaque compréhension comprise est portée et englobée par une<br />
compréhension comprenante.<br />
20
Béance<br />
L’humain, l’humain authentique, est ailleurs, plus loin, plus profond que<br />
les faciles superficies dans lesquelles nous risquons sans cesse de le<br />
cantonner. L’ordre du ‘même’ n’épuise pas, et de loin, la totalité. L’humain<br />
est béant sur un ordre qui n’est pas celui des évidences quotidiennes<br />
qui règnent en superficie. Là, les euphories vont au maximum<br />
d’être, d’avoir et de paraître.<br />
Un plein infini remplirait tout l'espace et ne laisserait sa chance à rien<br />
d'autre. La possibilité de nouveauté et partant de création ne se trouve<br />
qu'à travers les vides. L’essentiel advient là où il n’y a rien. Il surgit<br />
dans la béance comme la beauté du Parthénon ou le regard d’un<br />
visage... Mais déjà parler, n'est-ce pas faire être une présence à travers<br />
son absence? La parole ne dit que dans la faille des compacités.<br />
L’essentiel se dit entre les mots. Un texte parle entre les lignes...<br />
L’animal est sans doute trop plein d’animalité pour être béant sur<br />
l’esprit... Accéder à un ordre supérieur implique l’immense traversée<br />
d’un vide. L’homme, lui, ne cesse de l’expérimenter de mille manières.<br />
Pourquoi le chimpanzé ne s’humanise-t-il pas ? Bien des ‘causes’,<br />
physiques ou sociologiques, sont tour à tour avancées pour rendre<br />
raison de l’émergence du spécifique humain. Prises une à une, ces<br />
‘causes’ peuvent se trouver aussi bien chez tel ou tel vivant sans que<br />
pour autant leur présence s’accompagne d’humanisation.<br />
L’extraordinaire socialisation des termites ? L’enfance très prolongée du<br />
lapin ? <strong>Le</strong> poids relatif de l’encéphale du ouistiti, deux fois supérieur à<br />
celui de l’homme ? Il n’est pas évident que ce qui à l’origine distingue<br />
l’homme des autres mammifères anthropoïdes tienne dans un ‘plus’.<br />
Comme s’il manquait quelque chose au singe pour devenir homme.<br />
C’est plutôt le contraire qui a des chances d’être vrai. C’est en son<br />
manque que l’homme est devenu homme. C’est au creux de sa béance<br />
qu’a pu surgir l’humain. Ensuite le ‘plus’ peut venir par surcroît.<br />
22
La caverne<br />
L'espace de l'humain. L'humain habite un espace. Notre espace d'humanité.<br />
Aucun d'entre nous ne survit sans s'y désaltérer, sans s'y<br />
nourrir, sans y respirer. Pas seulement physiquement!<br />
L’allégorie de la caverne de Platon. La plus vertigineuse question<br />
jamais posée à l’homme. Un soupçon. Un étrange soupçon! La réalité<br />
vraie est-elle seulement ce que les hommes expérimentent dans<br />
l’espace ‘naturel’ qui est le leur depuis leur naissance ? Une si radicale<br />
question ne peut se dire qu’à la limite. Platon, au Livre Septième de la<br />
République, parle donc à travers une allégorie. Agoreuo-allos. Une<br />
parole qui crie un ‘ailleurs’ sur la place publique.<br />
<strong>Le</strong> réel derrière l'illusion... Ces cavernicoles enfermés depuis leur naissance<br />
peuvent-ils avoir le moindre doute sur ce qui leur paraît être le<br />
‘réel’ ? Manquant de toute référence à l’autre, ce même s’impose à eux<br />
comme un absolu. Il est seul à faire la loi sans la différence. L’autre<br />
Parole venue d’ailleurs n’a que peu de chances de se faire entendre au<br />
milieu de ces voix assurées et entendues. Elèverait-elle la voix que sur<br />
le champ elle se ferait expulser avec violence. D'ailleurs n'a-t-elle pas<br />
l’air ridicule en cet enfermement ? Cette mauvaise conscience de la<br />
caverne. Cette voix trouble-fête des euphories prisonnières. Et pourtant<br />
elle sait... Il faut donc sortir. C'est du `dehors' et du dehors seulement<br />
que le `tout' s'éclaire en vérité. Mais peut-on sortir jusqu'à l'infini ? Sans<br />
doute est-ce là `hybris' à jamais condamnée et qui pourtant ne doit pas<br />
condamner l'effort à la limite. La portée de l’allégorie est infinie. L’humain<br />
n’a pas fini de sortir de la caverne. L’humain n’a pas fini de faire<br />
son exode. Aujourd’hui plus que jamais. L'extrême décision de l'humain<br />
ne cesse de se jouer entre le clos et l'ouvert.<br />
24
<strong>Le</strong> clos et l’ouvert<br />
<strong>Le</strong>s concepts essentiels de notre condition peuvent se diviser en deux<br />
classes selon qu’ils sont ‘clos’ ou ‘ouverts’. <strong>Le</strong>s premiers nous permettent<br />
de devenir ‘maîtres et possesseurs’. Ils tendent vers un minimum<br />
de sens et un maximum de puissance. <strong>Le</strong>s seconds nous ex-posent et<br />
nous livrent à l’infinie béance. Ils tendent vers un maximum de sens et<br />
nous laissent avec un minimum de pouvoir.<br />
<strong>Le</strong> sens existentiel de l’humain se cherche à travers des concepts<br />
d’extrême béance comme Dieu, l’être, l’éternité, la facticité, l’existence,<br />
la mort, l’amour, la liberté, le mal... Concepts ‘incontournables’ au sens<br />
premier du terme. On ne peut en faire le tour. On ne peut proprement<br />
les com-prendre (cum-prehendere: étreindre, saisir ensemble).<br />
Une courbe a fondamentalement deux possibilités. Ou bien elle se fait :<br />
boucle qui se boucle sur elle-même. Ou bien elle se fait spirale qui<br />
s’ouvre à l’infini.<br />
Ou bien la consistance du même qui se boucle sur lui-même en sécurité.<br />
Ou bien la transcendance de l’autre infiniment ouvert. L’autre non<br />
seulement dans sa différence horizontale – celle qui, entre in, ex et<br />
cum instaure le déploiement quasi naturel – mais dans sa différence<br />
verticale – celle qui ouvre l’altérité absolue du trans – où l’humain et, à<br />
travers l’humain l’être, se décide ultimement, clos ou ouvert, pour le<br />
même ou pour l’autre. (cf. p.81-82 : les quatre dynamiques fondamentales.)<br />
L’ouvert crucifie le sérieux de tout discours et renvoie la parole à<br />
l’ailleurs d’elle-même. Reste un dire à la limite. Allégorie. Parabole.<br />
Poème.<br />
A moins de n’être que maison des morts, tombeau ou prison, une<br />
maison des vivants ne peut qu'être ouverte. Avec des entrées et des<br />
sorties. Une maison ouverte au souffle de l'Esprit. Au-delà de ce que<br />
nous prenons trop vite pour nos 'horizons indépassables'.<br />
26
Courbure<br />
Il est difficile de comprendre notre ‘modernité’ sans la comparer à ce<br />
qui la précède. C’est alors que le concept de ‘courbure’ révèle sa pertinence.<br />
Au delà de l'espace du géomètre ou du menuisier, il y a l'espace de<br />
l'humain. Cet espace n'est pas d'abord la simple structure spatiale<br />
abstraite et vide de la géométrie, c'est-à-dire celui d'Euclide à 'courbure<br />
zéro'. Il s'affecte au contraire d'une courbure qui peut être positive ou<br />
négative. Dès lors il n'est pas de projet humain qui ne soit informé par<br />
telle courbure.<br />
Quelle courbure ? On sait que la géométrie d’Euclide, c’est-à-dire la<br />
géométrie du menuisier ou celle de nos perceptions habituelles, n’est<br />
qu’une géométrie parmi d’autres géométries possibles. Ce fut le mérite,<br />
au siècle dernier, de mathématiciens comme Lobatchevski ou Riemann<br />
d’avoir établi que toute géométrie commence par s’inscrire dans un<br />
espace d’une certaine ‘courbure’. L’espace euclidien postule implicitement<br />
un espace à courbure nulle. Dans un tel espace, d’un point pris<br />
hors d’une droite on peut mener une seule parallèle à cette droite et la<br />
somme des angles intérieurs d’un triangle y est égale à deux droits.<br />
Mais cette courbure ‘zéro’ n’est qu’une des possibilités parmi d’autres<br />
possibles. On peut construire une géométrie tout aussi logique à partir<br />
d’un espace à courbure ‘positive’ comme le fait Riemann ou à courbure<br />
‘négative’ comme le fait Lobatchevski.<br />
Dans un espace à courbure ‘négative’, les parallèles ont tendance à<br />
s’ouvrir, s’éloignant l’une de l’autre. A partir d’un point pris hors d’une<br />
droite plusieurs parallèles peuvent donc être menées et la somme des<br />
angles d’un triangle est toujours plus petite que deux droits. Dans un<br />
espace à courbure ‘positive’, par contre, les parallèles ont tendance à<br />
se refermer et à se couper aux extrêmes. Donc d’un point pris hors<br />
d’une droite il est impossible de mener une parallèle à cette droite et la<br />
somme des angles d’un triangle est toujours plus grande que deux<br />
droits.<br />
28
Espace de la différence<br />
Pourquoi la différence ? Pourquoi pas le 'même' ? Pourquoi le déploiement<br />
différentiel ? Pourquoi la multiple différence ? Pourquoi l’émergence<br />
d’antagonismes ? Pourquoi pas la neutre in-différence ? Pourquoi<br />
cette inventivité permanente de la vie ? <strong>Le</strong> même œil évolue<br />
différemment dans les mollusques et les vertébrés. Pourquoi ces<br />
ontogenèses différentielles ? Pourquoi ce jeu ‘gratuit’ où toutes les<br />
formes s’essaient dans tous les sens ? Pourquoi le ‘meilleur’ sélectionné<br />
ne se stabilise-t-il pas une fois pour toutes ?<br />
C’est l’homme qui sort la nature de son in-différence. L’incroyable<br />
complexité de notre monde si infiniment différencié ne sort réellement<br />
de son in-différence qu'à partir de l'homme.<br />
Eternellement pourrait n’être qu’un infini ‘même’ indifférencié. Eternellement<br />
pourrait subsister un infini ‘il y a’ dans son identité. <strong>Le</strong> même<br />
absolu... Une telle pensée pourtant ne peut être qu’une fiction. <strong>Le</strong> fait<br />
de pouvoir penser ce conditionnel le contredit en même temps. Que<br />
serait en effet l’être sans la différence ? L’être absolument in-différent<br />
pourrait-il se différencier du silence et même du néant ? Mais déjà est<br />
la question. La plus petite possibilité du plus petit questionnement déjà<br />
sort l’être de l’indifférence. Déjà est la parole. Déjà est la parole qui<br />
articule différentiellement des significations différentielles. Déjà n’est<br />
pas le même in-différent. Déjà l’autre fait irruption. Déjà est la<br />
différence. Avec sa double dramatique, ontologique et logique, d’une<br />
béance et d’un désaccord. En même temps la différence ouvre une<br />
plénitude. Elle expose aux dépassements. Il n’est pas d’espérance<br />
sans traversée de la différence<br />
Mortelle in-différence. Sans différence, sans différence de potentiel,<br />
l'énergie atteint son point zéro. Et partant notre mortalité. Cette loi se<br />
vérifie à tous les niveaux de l'humain, depuis le plus matériel jusqu'au<br />
plus spirituel. Que deviendrait notre monde sans les grandes différences<br />
entre bien et mal, entre erreur et vérité, entre Dieu et Néant,<br />
entre sacré et profane, entre ciel et terre, entre juste et injuste, entre<br />
sens et non-sens, entre besoin et création, entre relatif et absolu, entre<br />
immanence et transcendance, entre réel et idéal, entre ce qui est et ce<br />
qui doit être, entre liberté et oppression, entre péché et grâce... ?<br />
30
Dehors – Dedans<br />
La réalité et le fonctionnement de l'humain, en commençant par son<br />
intériorité, peuvent être considérés comme <strong>systémiques</strong> à l'image de<br />
n'importe quel système organique vivant. Il fonctionne selon le paradigme<br />
de tout `système' doué d'une entrée, d'une sortie et d'une fonction,<br />
en interaction avec d'autres systèmes englobés ou englobants.<br />
Avec des frontières qui marquent la différence entre un `dedans' et un<br />
`dehors', entre une `clôture' et une 'ouverture'<br />
Au 'dedans' les dynamiques de la pensée et de l'action tendent à<br />
converger en courbure positive dans une sorte de champ de gravitation.<br />
Au 'dehors' ces mêmes dynamiques divergent. Dans l'ouvert d'un<br />
infini. Mais le 'dehors' n'invite pas à la résidence. Il appelle à l'aventure<br />
!<br />
Notre esprit semble plus à l'aise dans le 'dedans' que dans le 'dehors'.<br />
Nos réflexes scolastiques ou académiques ne trouvent-ils pas leur<br />
plaisir à mettre en ordre, à ranger, à classifier, à classer, à étiqueter, à<br />
inventorier, à enregistrer, à répertorier, à recenser, à cataloguer, à coter,<br />
à entretenir, à conserver, à stocker ?<br />
<strong>Le</strong> rêve sous-jacent de notre modernité (et son illusion) n'est-il pas un<br />
'dedans' absolu sans 'dehors' et sans possible 'dehors' ? L'impossible<br />
englobé qui s'englobe lui-même en oubliant l'incontournable englobant...<br />
La division entre ‘dedans’ et ‘dehors’ passe en même temps entre<br />
‘même’ et ‘autre’. Deux catégories fondamentales. <strong>Le</strong> même tend logiquement<br />
à se boucler sur lui-même en excluant l’autre divergent et<br />
différent.<br />
32
Révolution copernicienne<br />
On sait que la ‘révolution copernicienne’ renverse l’antique image du<br />
monde. Notre terre n’est plus le centre de la sphère céleste. Désormais<br />
elle gravite, simple planète parmi d’autres planètes, autour d’un nouveau<br />
centre.<br />
Une ‘révolution’ identique s’opère dans le rapport de l’être et du connaître.<br />
Ce qui était centre est mis en orbite. Ce qui était satellite se met<br />
au centre.<br />
Jusqu’alors c’était l’être qui était central. Désormais c’est le connaître<br />
qui devient centre. <strong>Le</strong> pensable et le possible de l’homme étaient définis<br />
par l’être. Désormais, c’est l’être qui est défini par le pensable et le<br />
possible de l’homme. Ce n’est plus le réel objectif préexistant à sa<br />
saisie par l’homme qui a la primauté mais le ‘je’ connaissant humain.<br />
Cette ‘révolution’ est infiniment lourde de conséquence. Elle assigne au<br />
pensable et au possible de l’homme son nouvel espace de gravitation<br />
et son nouveau centre de gravité. De proche en proche une multitude<br />
de renversements.<br />
De la transcendance à l’immanence. De l’infini à la finitude. De l’absolu<br />
au relatif. De l’être à la phénoménalité. Du logos à la discursivité. De la<br />
valeur à l’affect. De l’objectivité à la subjectivité. Du sens à la structure.<br />
De l’essence au mot. De la vérité à la simple non-contradiction. De la<br />
lumière à la lucidité...<br />
34
Intégration – Exclusion<br />
Chaque espace d'humanité – qu'il soit personnel, social ou culturel – intègre<br />
et exclut. Il intègre ce qui est compossible avec ses préalables. Il<br />
exclut ce qui refuse cette intégration.<br />
Entre cette intégration et cette exclusion se joue en fait son originalité.<br />
Dis-moi ce que tu intègres et ce que tu exclus et je te dirai qui tu es.<br />
L'esprit questionne. L'esprit comprend. Deux mouvements complémentaires<br />
de la connaissance. C'est cependant la compréhension qui est le<br />
but. Et l'homme n'a de cesse d'élargir le champ de sa compréhension.<br />
Comprendre c'est intégrer. Cum-prehendere, saisir ensemble. Rassembler<br />
une dispersion, embrasser une diversité, étreindre une multiplicité.<br />
Comprendre c'est concevoir. Cum-cipere, nouer un 'con-cept', former<br />
une représentation mentale.<br />
Comprendre c’est exclure. Eliminer les apparences, le superflu, les<br />
fausses raisons, le redondant, les hypothèses provisoires, etc.<br />
Comprendre c’est finalement aller jusqu’aux raisons des raisons pour,<br />
ultimement, comprendre les compréhensions elles-mêmes.<br />
<strong>Le</strong>s ‘bulles’ de compréhension sont diverses et inégales parmi les<br />
humains. Une telle différence est la marque propre de la liberté.<br />
36
Culture<br />
<strong>Le</strong> milieu humain existe chaque fois comme espace de l'humain constitué<br />
en telle région du globe et à tel moment de l'histoire. Espace de la<br />
culture constituée avec ses spécificités et son originalité. Espace de la<br />
raison constituée avec ses possibilités et ses impossibilités épistémologiques<br />
et pragmatiques. Espace de la parole constituée à travers les<br />
philosophies et les lettres. Espace du savoir constitué à travers les<br />
sciences ou les mythes. Espace de la sensibilité constituée à travers<br />
les arts, les modes, les séductions... Espace des constructions. Espace<br />
des innovations. Espace des surgissements. Espace des décadences.<br />
Espace des techniques. Espace des réseaux et des communications.<br />
Espace des affrontements. Espace du désir. Espace des croyances.<br />
Espace des rêves. Espace des projets. Espace des valeurs. Espace<br />
des utopies...<br />
Une culture engendre de plus en plus de différences. Mais déjà elle ne<br />
se constitue qu’à partir d’une concentration de différences. A l’origine<br />
des multiples cultures historiquement apparues il y a cette condition<br />
nécessaire bien que non suffisante de quelque chose comme une<br />
‘oasis’ de densité humaine, le long d’un fleuve nourricier, par exemple,<br />
ou bien dans une plaine fertile. Toute culture est inséparable d’une agriculture<br />
qui sédentarise une concentration humaine croissante. Aucune<br />
grande culture ne s’est constituée sans céréale, ce concentré miraculeux<br />
de glucides, de protides et de lipides avec ses sels minéraux et<br />
ses vitamines...<br />
Ce milieu humain concentré intègre un maximum de différences personnelles,<br />
puisque l’homme est la seule espèce où les individualités se<br />
différencient fortement et se différencient d’autant plus fortement qu’ils<br />
forment une plus grande communauté. C’est une telle communauté<br />
étreignant un maximum de différence qui devient source de culture<br />
marquante. Une telle concentration communautaire induit toute une<br />
série d’autres diversifications et d’autres intensifications comme par<br />
exemple la différenciation des tâches ou la production plus intensive de<br />
subsistance. C’est toujours une différence concentrée en même temps<br />
qu’une concentration différenciée qui fait ce mélange détonnant provocateur<br />
d’humanité.<br />
38
Cultures plurielles<br />
La culture et les cultures. Au singulier, ‘la’ culture s’identifie avec la matrice<br />
universelle du spécifique humain, culture constituante interactivement<br />
humanité constituante. Concrètement cependant elle ne se<br />
manifeste qu’à travers le pluriel de la différence des espaces et des<br />
temps, en autant de cultures constituées. Sur fond d’éternel humain,<br />
sur fond d’universelle culture constituante, chaque culture particulière<br />
se constitue dans la différence comme création originale. <strong>Le</strong>s cultures<br />
sont multiples et différentes. Pourtant elles ouvrent toutes l’homme à<br />
l’universel de la culture.<br />
Chaque culture particulière, située dans un lieu géographique et se<br />
déployant dans une durée historique, peut ainsi se comprendre concrètement<br />
comme espace culturel. La culture existe d’abord comme un<br />
‘milieu’ de vie. Elle se vit avant de s’expliciter. On s’y reconnaît sans<br />
forcément la connaître. C’est dans le sein de sa culture que chaque<br />
homme est chez lui. Elle est comme sa maison paternelle hors de<br />
laquelle il se sent toujours quelque peu étranger et dont il ne prend<br />
pourtant réellement conscience que dans la distance par rapport à elle.<br />
Chaque culture particulière fonctionne à l’intérieur d’un champ culturel.<br />
Chaque culture personnelle dans le champ culturel d’une région à un<br />
moment historique donné. Celui-ci dans un champ culturel géographiquement<br />
et historiquement plus étendu. Ensembles emboîtés interactivement<br />
dans des ensembles de plus en plus larges jusqu’à l’ensemble<br />
des ensembles englobant de la totalité de l'humain. Ces différents<br />
systèmes culturels, jusqu’en leur totalité systémique, sont à la fois<br />
producteurs et consommateurs de sens. Ce ne sont pas des systèmes<br />
clos mais des systèmes ouverts.<br />
40
L’espace autour<br />
Dis-moi ton englobant. J'entends l'ultime espace hors duquel il n'y a<br />
plus pour toi que vide et in-différence. Donc l'espace total de la 'maison'<br />
que tu habites et qui te donne tout ce dont tu as besoin (matériellement,<br />
socialement, psychologiquement, intellectuellement, spirituellement)<br />
pour vivre et pour survivre. Ton absolu 'oïkos'.<br />
La clé de l'intelligibilité de l'humain ne se trouve pas dans le contenu<br />
englobé mais dans le tout englobant. L'intérieur ne devient intelligible<br />
pleinement qu'à partir de l'extérieur. C'est du `dehors' et du dehors<br />
seulement que le `tout' s'éclaire en vérité. <strong>Le</strong> tout est plus essentiel que<br />
les parties. La forêt explique les arbres et non pas l'inverse. <strong>Le</strong><br />
généraliste voit au-delà du spécialiste.<br />
Mais comment mesurer un espace à l’intérieur de cet espace luimême<br />
? Car nous sommes embarqués. La théorie de la relativité einsteinienne<br />
peut servir de paradigme. La ‘longueur’ de nos mètres et la<br />
‘durée’ de nos horloges terrestres sont nécessairement ‘déformées’ de<br />
par leur localisation spatio-temporelle. Nous ne mesurons jamais qu’à<br />
la mesure de nos déformations. Cela exige une ‘sortie’ mentale. Il faut<br />
donc sortir. L’intérieur ne devient intelligible pleinement qu’à partir de<br />
l’extérieur. C’est du ‘dehors’ que vient la lumière.<br />
42
Entre alpha et oméga<br />
Nous n’existons jamais qu’entre. Entre des frontières qui délimitent nos<br />
possibilités épistémologiques et pragmatiques. C’est là, en notre ‘milieu’<br />
entre des ‘extrêmes’, que nous nous efforçons à connaître et à<br />
agir. C’est là que se déploient notre science et notre technique. C’est là<br />
que nous construisons et organisons notre monde.<br />
La question, cependant, ne peut pas ne pas hanter l’esprit humain qui<br />
n’arrive jamais à se sentir complètement chez lui dans la seule bulle de<br />
ce qui est pour lui connaissable et possible.<br />
Que de mystères nous englobent ! Et que de questions. Déjà sur le<br />
plan de la simple nature matérielle. L'univers est-il réellement système,<br />
méga-système, ou est-il irréductible pluralité éparpillée ? Notre possible<br />
épistémologique par rapport à l'univers est-il total ou simplement<br />
régional ? L'univers, qu'il soit total ou régional, est-il intelligible de façon<br />
homogène ou hétérogène ? Qu'est-ce que réellement la ‘matière’ ?<br />
Qu'est-ce que l'énergie ? Qu'est-ce que l'espace-temps ? <strong>Le</strong> temps estil<br />
absolument irréversible ? <strong>Le</strong> cosmos est-il un ou bien y a-t-il pluralité<br />
des mondes ? Cette éventuelle pluralité est-elle fondamentalement<br />
complémentaire ou antagoniste ? Existe-t-il des anti-univers ? <strong>Le</strong>s<br />
interactions que nous connaissons (et que nous unifions), sont-elles les<br />
seules interactions ?<br />
Et plus fondamentales encore, ces questions à la frontière de la physis.<br />
Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Qu’est-ce que l’acte<br />
d’être ? Que veut dire fondamentalement ‘il y a’ ? Qu’est-ce que l’existence<br />
? Qu’est-ce que la création ? Qu'est-ce que la nécessité ?<br />
Qu'est-ce que le hasard ?<br />
Et encore plus loin. Qu’est-ce que l’esprit ? Sa foncière insatisfaction.<br />
Sa quête incessante. La raison. L’exigence rationnelle. <strong>Le</strong> mystère de<br />
la parole. La possibilité de questionner à l’infini. La valeur. La vérité.<br />
L’infinie critique de la critique. La protestation irrépressible de la justice.<br />
La pertinence ou l’impertinence des béances...<br />
44
Englobant<br />
L’humain est incapable de vivre hors du sens. Or le sens n’est pas à<br />
partir de rien. Tout sens se donne toujours à partir d’un sens englobant<br />
plus grand et plus fondamental. Déjà la simple possibilité de dire: “c’est<br />
absurde” présuppose quelque chose comme une englobante possibilité<br />
de sens. Et ultimement, le SENS DU SENS.<br />
Dis-moi ton englobant. J'entends l'ultime espace hors duquel il n'y a<br />
plus pour toi que vide et indifférence. Donc l'espace total de la 'maison'<br />
que tu habites et qui te donne tout ce dont tu as besoin (matériellement,<br />
socialement, psychologiquement, intellectuellement, spirituellement)<br />
pour vivre et pour survivre. Ton absolu 'oïkos'.<br />
La clé de l'intelligibilité de l'humain ne se trouve pas dans le contenu<br />
englobé mais dans le tout englobant.<br />
Derrière la multiplicité des espaces englobés, quel est l'ultime espace<br />
englobant, c'est-à-dire finalement l'espace du sens du sens ?<br />
Totalité : finie ou infinie<br />
Archéologiquement : IL Y A ou JE SUIS<br />
Espace : clos ou ouvert<br />
Temporalité : cyclique ou vectorielle<br />
Immanence ou Transcendance<br />
Même ordre ou Ordres différents<br />
Homme ou Dieu<br />
?<br />
46
<strong>Le</strong> milieu et les extrêmes<br />
La raison scientifique est comme une ‘bulle’ qui flotte sur un infini. Sa<br />
cohérence sphérique occupe le vaste espace du milieu. <strong>Le</strong>s extrêmes<br />
en sont exclues. Quel sens, cependant, peut-il avoir, le milieu, sans ses<br />
extrêmes ?<br />
Quelle est la raison de la raison ? Une telle question prend la critique<br />
de court. Elle marque un arrêt impuissant car une telle question déborde<br />
le possible de la raison elle-même et ouvre un infini béant. Voici la<br />
raison saisie de vertige. Pourtant une telle question n’a rien d’irrationnel.<br />
Chercher la raison est pourtant un questionnement qui s’identifie à la<br />
raison elle-même. Pourquoi alors ce vertige impuissant ? La raison, en<br />
effet, touche ici une antinomie radicale. Elle est questionnement de<br />
raison à l’infini, critique et critique de la critique à l’infini, possibilité<br />
conquérante ouverte à l’infini. En même temps l’ouverture infinie de son<br />
acte bute sur la clôture tautologique de son être-même: la raison de la<br />
raison c’est la raison. Il y a la raison. L’archè résiste à la naturelle cture<br />
rationnelle. Comme son irréductible altérité. La raison de la raison.<br />
Mais aussi la raison de l’être. Et l’être de l’être...<br />
<strong>Le</strong> sens existentiel s'identifie avec la raison d’exister, la raison de vivre,<br />
la raison d’être embarqué. Au-delà de son acception simplement abstraite<br />
et intellectuelle, il faut lui rendre toutes ses dimensions concrètes.<br />
L’échec. La mort. <strong>Le</strong> scandale... Etre expulsé du ‘milieu’ et projeté vers<br />
les ‘extrêmes’. Lorsque les ponts sont brûlés, reste une absolue béance<br />
où le sens peut se donner absolument. <strong>Le</strong>s grandes ‘conversons’ en<br />
témoignent.<br />
Entre to be or not to be... A l’encontre de l’absurde, de la déraison, du<br />
non-sens. Savoir où l’on va. Ne manquer ni de boussole ni de référentiel.<br />
Etre paré pour affronter les tempêtes. Une réponse au ‘pourquoi’<br />
multiforme et en même temps unique que l’humain ne peut pas ne<br />
pas se poser lorsqu’il prend conscience de sa condition.<br />
48
Déjà<br />
Déjà... C'est-à-dire avant que je n'intervienne. Déjà est ce qui me précède,<br />
ce qui me dépasse, ce que je n’arrive jamais ni à intégrer ni à<br />
englober, donc à ‘com’-prendre. Précédant, entourant, englobant mon<br />
être et mes possibilités déjà est ce dont je ne dispose pas et qui<br />
dispose de moi.<br />
Déjà est la matière. Déjà est la rationalité du réel. Déjà est la logique.<br />
Déjà est la pensée. La matière peut-elle expliquer l’existence de la<br />
matière ? La rationalité du réel peut-elle expliquer l’existence de cette<br />
rationalité ? La logique peut-elle expliquer l’existence de la logique ? La<br />
pensée peut-elle expliquer l’existence de la pensée ?<br />
Déjà est ‘il y a’... Un aveu d’impuissance devant l’ultime facticité. L’esprit<br />
peut-il s’en satisfaire ? Pourquoi y a-t-il ?<br />
Déjà est la pensée. Pour vérifier objectivement l'hypothèse matérialiste<br />
il faudrait personne qui ne pense ! Autrement le jeu est faussé. Mais<br />
déjà nous sommes embarqués dans le logos. Déjà le même se creuse<br />
en béance. Déjà nous sommes et pensons à partir de la différence.<br />
Déjà est la vie. Réduire la vie à la structure ? Réduire le sens à l'articulation<br />
? Mais de telles tentatives sont pipées ! Parce que, déjà, est la<br />
vie. Parce que, déjà, est l'homme.<br />
Déjà le ‘plus’ est au départ ! L’entropie ne peut être vaincue que par<br />
néguentropie. <strong>Le</strong> ‘moins’ ne peut expliquer le ‘plus’ que parce que,<br />
déjà, le ‘plus’ le précède.<br />
Avant de comprendre, déjà tu es compris. Ici on voudrait pouvoir partager<br />
l’expérience et la certitude fondamentale d'un Saint Augustin. Dieu<br />
existe avant que tu n'existes. Déjà Dieu est là. Déjà tu n’existes que<br />
dans l’englobant divin. Sa présence précède la rencontre. La rencontre<br />
précède la conscience que tu peux en avoir.<br />
Nous ne sautons jamais par-dessus un « à partir de ». Toutes nos possibilités<br />
de penser et d’agir ne peuvent jamais être qu’à partir d’un déjàlà.<br />
Notre possible, quels que soient les progrès à venir, reste irrémédiablement<br />
béant sur un préalable englobant.<br />
50
Ultime englobant<br />
Chaque espace humain, ultimement, se constitue à partir d'options fondamentales<br />
sur les enjeux fondamentaux.<br />
Dis-moi le sens englobant derrière les multiples sens englobés qui<br />
régissent ton existence concrète. C'est-à-dire l'espace total de la<br />
'maison du sens' que tu habites et qui te donne ultimement le souffle<br />
pour vivre et pour survivre<br />
L'extrême englobant du sens ne peut-il ultimement ne pas se confondre<br />
avec Dieu ? Mais une fois rompue la grande alliance avec le divin et<br />
brisé le lien théo-onto-logique, l'humain se boucle en sa boucle et<br />
instaure sa 'bulle'. <strong>Le</strong> strict possible humain en stricte immanence.<br />
Dès lors Dieu n’est plus l’ultime englobant. Il est lui-même englobé<br />
dans un plus englobant que lui. Il relève désormais du seul possible<br />
humain. Et ce possible le déclarera de plus en plus comme impossible.<br />
Dans la meilleure des hypothèses une chance lui est laissée aux<br />
limites. Ainsi pour Kant, au-delà des possibilités ‘théoriques’ de la<br />
raison, s’impose un impératif catégorique. Une pure exigence ‘pratique’.<br />
Et celle-ci ne peut pas ne pas postuler au-dehors de la sphère du<br />
possible de l’homme un quelque chose qui prend nom Dieu, et liberté,<br />
et immortalité. Non plus certitude. Simple postulat.<br />
A travers sa ‘révolution copernicienne’ anthropocentrique la modernité<br />
se refuse la possibilité d’un sens plus englobant qu’elle-même, et,<br />
partant, le don d’un sens qui ne soit pas sa propre production.<br />
Il s'agit d'un gigantesque renversement par rapport aux âges précédents.<br />
<strong>Le</strong> sens n’est plus donné objectivement mais se donne en<br />
subjectivité. Il y avait un espace du sens total capable d’intégrer les<br />
sens particuliers; désormais le sens désintégré éclate en multiples<br />
sens. <strong>Le</strong> lien du sens était donné à partir des ‘extrêmes’; il veut se<br />
nouer maintenant à partir du ‘milieu’. L’étrange renvoyait vers les<br />
extrêmes de l’être; il envahit désormais le cœur de l’être. <strong>Le</strong> questionnement<br />
se faisait ‘dans’ la réponse; maintenant toute réponse se dilue<br />
dans le questionnement.<br />
52
Ecologie<br />
Non pas l’idée un peu fade récupérée, ici et là, en faciles idéologies.<br />
Mais la tâche la plus haute et sans doute le plus grand défi lancé à<br />
notre temps. On pense d’abord aux simples possibilités de survie matérielle.<br />
<strong>Le</strong>s possibilités de survie d’authentique humanité sont encore<br />
beaucoup plus menacées.<br />
Oïkologie. <strong>Le</strong> `logos' invité en notre `oïkos'. C'est-à-dire en notre maison<br />
d'humanité. C'est-à-dire dans toute la maison de l'humain. C'est-àdire<br />
dans la maison de tout l'humain.<br />
Il vient et nous force à réfléchir sur nos clôtures et nos ouvertures. Il<br />
vient lorsque nous prenons conscience que nos puits sont obstrués et<br />
nos sources polluées. Elle vient lorsque les flux énergétiques se font<br />
insuffisants et que les réservoirs se vident. Elle vient lorsque les<br />
éboueurs ne suffisent plus à la tâche. Elle vient lorsque nous nous<br />
sentons vivre au-dessus des possibilités d'approvisionnement et de<br />
recyclage de notre terre. Il vient et nous force à réfléchir sur nos<br />
clôtures. Il vient nous faire prendre conscience des frontières et des<br />
limites. Il vient nous rappeler que le dedans n'est possible que par le<br />
dehors. Il vient dissiper nos illusions.<br />
Pourquoi l'humain n'arrive-t-il pas à se réconcilier avec l'humain ? Pourquoi<br />
toutes nos idéologies optimistes finissent-elles par se retrouver si<br />
lamentablement dans les poubelles de l'histoire ? Une réponse sans<br />
cesse insiste. Et elle est seule à résister à sa négation. Elle crie la<br />
raison de l'échec et l'urgence d'une conversion. L'humain n'est pas à<br />
partir de lui-même, clos en lui-même.<br />
La tentation est permanente de ne considérer la maison de l'humain<br />
que dans son état de nature. Cependant elle ne s'accomplit pleinement<br />
que dans son état de grâce.<br />
54
<strong>Le</strong> système<br />
Ce qui d’un ensemble fait fondamentalement un système, c’est son<br />
organisation. <strong>Le</strong> système ne se comprend pas à partir de ses éléments<br />
constitutifs, ni des liaisons entre ces éléments, ni même des interactions<br />
entre ces liaisons, mais essentiellement en fonction de ses<br />
spécificités organisationnelles. C’est en tant qu’organisé, et en tant<br />
qu’organisé seulement, que le système est rebelle à la réduction en ses<br />
éléments et transcende la juxtaposition quantitative de la multiplicité et<br />
de la diversité qui le compose. Dans cette unité complexe organisée le<br />
tout est toujours plus que la somme des parties, l’organisation leur<br />
conférant en quelque sorte un supplément d’être, de fonctionnement et<br />
d’action incommensurable aux parties seules. Mais déjà la partie y est<br />
plus que la partie. <strong>Le</strong> tout organisé est émergence nouvelle.<br />
Atome de structure d’un système. Un micro-système non bouclé. Sa<br />
plus simple expression est celle d’une ‘vanne’ électronique, un transistor,<br />
par exemple. Il a trois portes: une entrée, une sortie et une ligne de<br />
commande. On applique une grandeur physique à l’entrée. Une autre<br />
grandeur physique apparaît à la sortie en fonction de la grandeur<br />
physique appliquée. Entrée, sortie et ligne de commande sont donc<br />
comme trois portes qui ouvrent le système sur un ‘extérieur’.<br />
Du plus simple microsystème au plus complexe des macrosystèmes, et<br />
quel que soit son degré d'emboîtement systémique, c'est la fonction qui<br />
caractérise un système. Et ces fonctions peuvent être d'une incroyable<br />
diversité.<br />
56
Différence de potentiel<br />
Un système vivant ne peut fonctionner qu’en étant ouvert sur des<br />
échanges. Il ne survit qu’avec portes et fenêtres, c’est-à-dire avec des<br />
entrées et des sorties. <strong>Le</strong>s grandes entrées et les grandes sorties,<br />
celles qui ‘branchent’ un système sur ses flux vitaux d’énergie, de<br />
matière et d’information, peuvent s’appeler ‘source chaude’ et ‘puits<br />
froid’. Il ne peut y avoir de dynamique systémique que s’il existe entre<br />
source chaude et puits froid une différence de potentiel.<br />
Bien que d'un autre ordre, la réalité spirituelle telle que l'humain peut<br />
l'appréhender, ne quitte pas le sein de la nature. Il doit donc être possible<br />
d'appréhender son fonctionnement sur le modèle de celui des<br />
réalités matérielles. D'où le très grand intérêt de passer par l'intelligibilité<br />
de la systémique spirituelle. L’énergie spirituelle ne ‘fonctionne’<br />
pas différemment de l’énergie tout court. <strong>Le</strong>s raisons profondes de sa<br />
vie et de sa mort sont de l’ordre de l’entropie et de la néguentropie.<br />
<strong>Le</strong> paradigme thermodynamique les met en lumière. Entre déclins et<br />
renaissances. Entre fatigue et vitalité. La dégradation de l’énergie<br />
spirituelle. <strong>Le</strong>s ressourcements prophétiques d’une ‘foi’ commune. <strong>Le</strong>s<br />
capteurs bien ou mal orientés. <strong>Le</strong>s réservoirs vides ou pleins. <strong>Le</strong>s<br />
recyclages possibles ou impossibles. La vitalité ou les renaissances<br />
impliquent haute énergie spirituelle et grande dynamique néguentropique.<br />
<strong>Le</strong>s déclins prennent la pente en sens inverse. Mortelles indifférences<br />
!<br />
Dis-moi ton puits froid et je te dirai la force qui t’habite. La 'source<br />
chaude' reste stérile tant qu'elle ne rencontre pas, en face d'elle, un<br />
'puits froid'. Car l'énergie est fille de la différence de potentiel entre les<br />
deux.<br />
Mortelle indifférence... <strong>Le</strong> sens, fils de la différence, fonctionne entre<br />
une source chaude et un puits froid. Sa dynamique est fonction de<br />
cette différence de potentiel. Plus elle est grande, plus le sens est<br />
pertinent.<br />
58
Réservoirs d’énergie spirituelle<br />
<strong>Le</strong>s réservoirs d'énergie spirituelle prennent une importance capitale<br />
dans le fonctionnement `systémique' du Souffle, entre Source chaude<br />
et Puits froid. Même si la Source chaude venait à perdre de son<br />
énergie, le moteur peut continuer à tourner, au moins durant un certain<br />
temps. A condition que les réservoirs ne soient pas vides.<br />
Aucun système ne peut fonctionner avec des accumulateurs à plat. <strong>Le</strong><br />
`système' humain moins que tout autre. C'est parce que ses réservoirs<br />
d'énergie spirituelle et de ressources d'humanité ne sont pas vides et<br />
restent malgré tout encore `branchés' sur la source chaude que<br />
l'humain est capable de traverser sans mourir des espaces désertiques<br />
où le sens s'étiole et où l'absurde prolifère. Mais si les réserves<br />
s’épuisent ?<br />
La méconnaissance de l'importance des réservoirs d'énergie spirituelle<br />
peut entretenir de fallacieuses illusions. Celle, entre autres, de croire à<br />
une `génération spontanée' du souffle là où c'est en fait l'énergie<br />
`accumulée', peut-être durant de longs siècles précédents, qui continue<br />
d'alimenter la différence de potentiel et d'empêcher ainsi ‒ pour combien<br />
de temps ? ‒ l'asphyxie.<br />
Toute culture, collective ou personnelle, accumule des réserves de<br />
sens sous des formes très diverses et complémentaires. Il suffit d'en<br />
évoquer ici quelques-unes. Ainsi la masse des `coutumes' et des<br />
`traditions' d'une famille ou d'un peuple. <strong>Le</strong>s `valeurs' transmises de<br />
génération en génération. <strong>Le</strong>s `monuments' laissés par l'histoire. <strong>Le</strong>s<br />
`modèles' d'action et de comportement. <strong>Le</strong>s `pourvoyeurs de sens' que<br />
sont les `sages', les `héros' ou les `saints'. <strong>Le</strong>s `œuvres' d'art et leur<br />
rayonnement esthétique. <strong>Le</strong>s `paysages' qui inspirent...<br />
60
Interrelation systémique<br />
Chaque système est en interaction avec d’autres systèmes <strong>Le</strong> tout<br />
fonctionnant dans un plus grand système englobant.<br />
<strong>Le</strong>s différents systèmes s’emboîtent, chaque fois intégrés dans un<br />
système plus englobant et, à leur tour, englobant un sub-système en<br />
leur dépendance. Chaque système accapare des flux positifs et rejette<br />
des flux négatifs, et cela dans l’espace de son système englobant. Un<br />
système englobé ne survit et a fortiori ne grandit que si son solde<br />
énergétique global est positif. Cela ne peut se faire qu’au détriment de<br />
son système englobant. Celui-ci, à son tour, ne survit que sur le compte<br />
du système qui l’englobe lui-même. Et ainsi de suite.<br />
Un système vivant est une ‘structure’ qui ne peut fonctionner qu’en<br />
étant essentiellement ouverte sur des échanges. Elle ne survit qu’avec<br />
portes et fenêtres. C’est-à-dire avec des entrées et des sorties.<br />
Cette essentielle ouverture ne se nie que sous peine de mort. Un système<br />
peut certes fonctionner en clôture. Mais seulement pour un<br />
temps. Toute autonomie est ici fonction de réserves disponibles. Un<br />
système ne peut se fermer que s’il a des réservoirs garnis et des<br />
possibilités de recyclage interne de ses déchets.<br />
A chaque niveau systémique, il y a une entrée et une sortie en liaison<br />
interactive avec les entrées et les sorties des autres systèmes, englobés<br />
et englobants, pour l’incessant échange des flux d’alimentation,<br />
d’élimination, d’information, de régulation, de programmation...<br />
<strong>Le</strong> système ne renvoie pas à la partie élémentaire. <strong>Le</strong> système renvoie<br />
au système. Il y a comme un emboîtement interactif des systèmes des<br />
plus petits aux plus grands. Entre le plus petit micro-système possible<br />
et la totalité du macro-système cosmique, ‘un’ système est chaque fois<br />
un ensemble qui fonctionne à partir d’autres ensembles dans un plus<br />
grand ensemble. Ainsi la nature: une solidarité de systèmes enchevêtrés,<br />
un tout poly-systémique.<br />
62
La source chaude de nos sources chaudes<br />
Face au puits froid, le surplombant en quelque sorte, se tient la source<br />
chaude de nos énergies spirituelles. Ses manifestations sont elles<br />
aussi infinies. La foi. La certitude. La lucidité. La joie. L'espérance. La<br />
paix. Agapè. La générosité. L'inspiration. La conversion. L'enthousiasme...<br />
Cette source chaude peut-elle être ultimement ailleurs qu'en<br />
Dieu ? Tu peux certes vivre en ignorant ta source chaude. Elle, elle ne<br />
t'ignore pas. Sous peine de mort !<br />
La source chaude est là où est l'éternelle jeunesse de l'esprit,<br />
l'exigence de sens et de vérité, l'appel de lumière, l'inlassable provocation<br />
vers plus loin et plus haut. <strong>Le</strong> puits froid est du côté de la<br />
dépression, de l'asthénie, de la fatigue, de la paresse, de l'indifférence,<br />
de l'ignorance crasse, de l'abrutissement, des démissions... <strong>Le</strong> questionnement<br />
face à l'ignorance, l'intelligence face à la bêtise, le certitude<br />
face au doute, la clarté face à la confusion, la raison face aux incohérences,<br />
le sens face à l'absurde...<br />
64
<strong>Le</strong> sens du sens. <strong>Le</strong> souffle du souffle<br />
Dis-moi le sens englobant derrière les multiples sens englobés qui<br />
régissent ton existence concrète. C'est-à-dire l'espace total de la 'maison<br />
du sens' que tu habites et qui te donne ultimement le souffle pour<br />
vivre et pour survivre. <strong>Le</strong>s différents niveaux de sens s’emboîtent. Un<br />
‘pourquoi’ n’est pas forcément l’ultime ‘pourquoi’. Il reste encore et<br />
encore un pourquoi du pourquoi. Chaque sens constitué vit ainsi par<br />
grâce d'un sens constituant. Il se donne dans l'espace d’un sens plus<br />
grand et plus fondamental qui l'englobe et le porte. Ce sens constituant<br />
est tellement discret qu’il ne se manifeste pas habituellement en pleine<br />
lumière. Il est comme l'âme dans un corps. Il reste toujours pauvre face<br />
à la richesse des sens constitués.<br />
L'extrême englobant du sens ne peut ultimement que se confondre<br />
avec cet extrême que nous appelons Dieu. Si Dieu était un ‘ce que’<br />
définissable et compréhensible, il relèverait du même ordre que n’importe<br />
quel ‘objet’ de connaissance ou d'action. En tant qu’objet de<br />
‘science’, il se trouverait quelque part le long ou au bout d’une ‘longue<br />
chaîne de raisons’. Une telle compréhension serait sous le signe de la<br />
nécessité logique. Elle s’imposerait à n’importe quel esprit utilisant la<br />
bonne méthode.<br />
Mais Dieu n’est pas un ‘ce que’ objectivable. Sous peine de se nier<br />
comme Dieu, il ne peut être qu’absolu non-objet. Pur ‘Que’ sans ‘ce<br />
que’. Donc in-saisissable, in-compréhensible, proprement impensable.<br />
L’ultime sens englobant, le sens du sens, reste extrême béance. Sans<br />
‘ce que’. Simplement QUE – qu’il y ait du sens, que ne soit pas<br />
absolument le non-sens... – l’acte d’être même du sens, sans contenu<br />
et possibilité absolue de tout ‘ce que'<br />
66
Oubli de l’englobant<br />
<strong>Le</strong> péché le plus grave contre l'écosystème du sens est de nier son<br />
essentielle ouverture. Nous avons cru pouvoir le faire fonctionner en<br />
clôture, comme une simple mécanique, crispé sur lui-même, bouclé en<br />
schizoïde autonomie auto productrice. Nous nous voulions maîtres et<br />
possesseurs du système total lui-même. Bien plus, maîtres et possesseurs<br />
aussi de sa source chaude et de son puits froid. Maîtres et<br />
possesseurs donc de toute sa différence de potentiel, c'est-à-dire de<br />
toute son énergie spirituelle créatrice.<br />
Nous nous sommes mis à boucler en clôture notre espace d'humanité.<br />
Nous avons cru pouvoir faire fonctionner exponentiellement nos possibilités<br />
dans l'enfermement de notre schizoïde autonomie, bouclant en<br />
un gigantesque feed back les sorties de notre système sur ses entrées.<br />
Nous avons oublié l’essentielle ouverture de tout système vivant. L’écosystème<br />
du sens encore plus que tous les autres. Obnubilés par nos<br />
prouesses et béats devant nos aménagements intérieurs nous avons<br />
oublié qu’il y a un ‘dehors’ de notre caverne. Insouciants des lois de<br />
l'énergie et de l'incontournable entropie de tout système clos. Comment,<br />
par exemple, faire fonctionner exponentiellement une dynamique<br />
infinie – le `progrès', tels que nous l'imaginions – à l'intérieur<br />
d'un espace fini ?<br />
Nous pensions nos horizons illimités. Nous avons cru que, sans l'Autre,<br />
tout était possible. Nous avons déclaré `indépassable' notre horizon.<br />
Nous n'avons pas fini de mesurer l'étroitesse de notre pensée et des<br />
petites lueurs de nos lumignons que nous prenions pour les `Lumières'.<br />
Nous avons oublié l'essentielle ouverture de tout système vivant.<br />
L'écosystème du sens encore plus que tous les autres. Obnubilés par<br />
nos prouesses et béats devant nos aménagements intérieurs nous<br />
avons oublié qu'il y a un `dehors' de notre caverne.<br />
Ce n'est que pour un temps seulement que le système fermé peut ainsi<br />
se donner l'illusion de tourner quand même.<br />
68
Transformation<br />
<strong>Le</strong> logos pro-voque. Pro: en avant. Vocation: appel, exigence. <strong>Le</strong> logos<br />
affronte l'in-différence, la non-différence, pour que surgisse du nouveau.<br />
Que serait l’être sans la différence ? L’être absolument ‘in’-différent<br />
serait-il autre que le néant silencieux ? Mais déjà il n’y a pas rien. Déjà<br />
est la question elle-même. Déjà est le questionnant. Déjà est la différence<br />
plutôt que l'in-différence. Déjà il y a quelque chose plutôt que<br />
rien. Déjà est l’homme, différence ouverte à l’infini qui ouvre à l’infini un<br />
espace de la différence.<br />
D’un plein, quel qu’il soit, clos dans sa plénitude, jamais rien d’autre ne<br />
peut surgir. Il n’y a de transformation qu’à travers une provocation. <strong>Le</strong><br />
bloc de marbre ne devient statue qu’à travers l’agression et la violence<br />
du ciseau et du marteau. Déjà on pressent que c’est à travers la<br />
rupture qu’advient une plénitude. L’affrontement d’altérité enrichit. La<br />
traversée de différence signifie accroissement. A travers la distance<br />
une plus authentique proximité se gagne.<br />
Dans un système, c'est le programme qui représente la fonction<br />
complexe. Un flux, qu'il soit matériel, énergétique ou informationnel,<br />
entre dans le système, subit une transformation commandée par la<br />
fonction et se trouve ainsi transformé à la sortie. La nature, la forme, la<br />
quantité de l'entrée et de la sortie dépendent de la complexité du<br />
système et de la nature, de la forme ou de la variété des flux. La valeur<br />
`fonction' implique toujours l'équivalent d'un programme dont la<br />
complexité dépend de la complexité de la fonction elle-même. Ce<br />
programme peut être invariable et le système est alors considéré<br />
comme programmé. Il peut aussi être variable selon les nécessités du<br />
moment et lui venir chaque fois du dehors, par une des entrées. <strong>Le</strong><br />
système est alors dit programmable.<br />
70
La traversée du non<br />
C’est la faille qui sauve le oui de lui-même. C’est la béance qui l’ouvre<br />
à l’autre possible. C’est sa vulnérabilité qui lui donne chance d’altérité.<br />
S’ouvrir à l’autre et l’étreindre. Mourir dans cette étreinte pour surgir<br />
nouveau. Et ne se boucler pas sur ce nouveau même. Mais encore<br />
s’ouvrir. Affronter encore l’autre. Et l’autre de l’autre. Infiniment.<br />
Comme une fissure au sein de l’inconditionnel ‘oui’ que la nature ne<br />
cesse de se dire à elle-même. Cette fissure va s’élargissant en gigantesque<br />
faille.<br />
Si le oui jamais ne dit non à lui-même, jamais rien d’autre ne sera. S’il<br />
refuse de s’ouvrir à l’autre, de l’affronter, de le traverser, il ne restera<br />
éternellement qu’un oui à lui-même. Clos sur soi. Piégé, fût-ce en sa<br />
perfection.<br />
Tout est donné en ce ‘non’. Tout reste à conquérir et à se déployer.<br />
Progressivement. Dialectiquement.<br />
La traversée du NON provoque le OUI vers l'Autre. Avec ce non est<br />
donnée, nouvelle nature, la possibilité de l’humain.<br />
Dans cette distance s’ouvre un espace nouveau et s’instaure la possibilité<br />
d’un monde nouveau. <strong>Le</strong> monde de la culture, c’est-à-dire le<br />
monde de l’émergence de l’humain.<br />
72
La négation féconde<br />
La dialectique implique un moment de négativité. C’est son moment<br />
essentiel.<br />
Paradoxale efficience de la négativité ! Paradoxale efficience de ce<br />
moment de refus, de distance, de différence, béant sur l’autre !<br />
La nouveauté autre n’est possible qu’à travers un vide béant au cœur<br />
de ce plein. Une position ne se dépasse en altérité nouvelle qu’à<br />
travers son affrontement avec une opposition. C’est dire qu’il ne peut<br />
s’agir d’un vide pour lui-même. <strong>Le</strong> vide en-soi est vide et reste vide. Ici<br />
il faut une négativité active, un acte d’opposition.<br />
Différence ouverte à l'infini, l’homme est l’être en exode qui ouvre à<br />
l’infini un espace de la différence. Il est un animal différentiel instaurateur<br />
de béance dans la plénitude d’un donné-nature et sans cesse<br />
‘pro’-voqué à combler cette béance tout en instaurant continuellement<br />
de nouvelles béances dans tous les comblements eux-mêmes.<br />
La rencontre de différence est féconde. La rencontre d'extrême<br />
différence est infiniment féconde. C'est ainsi que se rencontrent<br />
Athènes et Jérusalem. La plus gigantesque rencontre de différence<br />
imaginable. L'homme occidental ne se comprend pas lui-même s'il<br />
méconnaît les gigantesques différences qui se sont affrontées et interfécondées<br />
pour lui donner naissance<br />
74
L’affrontement du même par l’autre<br />
Vivre, c’est affronter. Il n’y a pas de vie et donc de dialectique sans<br />
affrontement entre le même et l’autre.<br />
Pour qu’il puisse y avoir autre chose que le ’même’, il faut qu’il se nie<br />
en tant que’ même’ et s’affirme en s’opposant comme autre. Mais une<br />
négation qui s’affirme est affirmation. Une opposition qui se pose est<br />
position. L’autre se reprend comme un même et tend à se clore sur luimême.<br />
Il lui faut rencontrer son autre.<br />
La véritable dialectique signifie cette progression ininterrompue de<br />
toute position qui rencontre sans cesse une op-position, laquelle opposition,<br />
se fixant en sa position, doit à son tour affronter une nouvelle<br />
opposition. Et ainsi de suite.<br />
Si l’affrontement se réduit à la simple suppression de l’un par rapport à<br />
l’autre,il n’y a pas de dépassement. Reste simplement une position. <strong>Le</strong><br />
combat cesse faute de combattants !<br />
La gestation de l'Occident à travers un radical affrontement devient<br />
paradigme d'universelle fécondité des Alters. Quelque chose de décisif<br />
(pour l'humain universel) s'est jouée en Occident. C'est-à-dire le plus<br />
grand affrontement d'extrême différence.<br />
76
La dynamique du non<br />
Singulière dynamique du NON ! L’homme est l’être en exode qui risque<br />
l’autre dans l’incessante négation du même. Libérant la différence.<br />
Etreignant la différence. Dépassant la différence.<br />
L’indifférence ne parle pas. La parole commence avec la différence.<br />
Nous ne parlerions pas si nous étions pleins. Nous ne parlerions pas si<br />
nous n’étions que ce que nous sommes. L’animal est trop plein d’animalité<br />
et de lui-même pour pouvoir parler. L’in-différence ne parle pas.<br />
La parole commence avec la distance et avec la différence. La parole<br />
commence avec le refus. La nature ne peut que se dire inconditionnellement<br />
‘oui’ à elle-même. C’est le ‘non’ qui ouvre la possibilité du<br />
logos. Ensuite, un infini se donne à travers ce ‘non’.<br />
La pensée est essentiellement acte critique. Elle commence par discerner.<br />
C’est-à-dire par refuser les limites et les enfermements. “Tout<br />
était mêlé, dit Anaxagore, mais vint l’entendement qui sépara tout pour<br />
le mettre en ordre.” Au Livre de la Genèse, c’est l’Esprit qui plane sur le<br />
tohu-bohu... Pour séparer. Pour créer. C’est ainsi que le logos se fait<br />
poïète - créateur - d’infinie nouveauté.<br />
<strong>Le</strong> ‘non’ de l’esprit n’est pas le tout de l’esprit. Plus profondément celuici<br />
est ‘oui’. Un ‘oui’ cependant qui n’est pas pour le milieu mais pour les<br />
extrêmes. Un OUI différente. Un OUI nouveau.<br />
<strong>Le</strong> logos décompacte. <strong>Le</strong> moment essentiel de la dialectique est de<br />
négation. C’est l’esprit, et l’esprit seul, qui est capable de réelle négation.<br />
<strong>Le</strong> VIDE des interstices devient plus pertinent que les PLEINS.<br />
78
La négation ‘pro’-ductrice<br />
C’est en surmontant une opposition que la position se consolide. C’est<br />
dans son passage à travers la négation que l’affirmation accède à sa<br />
vérité.<br />
Un même affirmé et posé absolument comme soi-même reste nécessairement<br />
clos sur lui-même. A partir de ce même, clos sur lui-même,<br />
jamais rien d’autre ne peut être.<br />
Pour qu’il puisse y avoir autre chose que le ’même’, il faut que le même<br />
se nie en tant que ’même’ et s’affirme en s’opposant comme ‘autre’.<br />
Ainsi peut commencer une indéfinie marche en avant. Un pied avant<br />
l’autre. Un pied devant l’autre.<br />
Une négation qui s’affirme ne peut pas ne pas être affirmation. Une<br />
opposition qui se pose ne peut pas ne pas être position. L’autre risque<br />
sans cesse de se reprendre comme un même, et de se clore sur luimême.<br />
A moins de laisser ouverte l’infinie altérité de l’autre-autre.<br />
80
<strong>Le</strong>s quatre dynamiques fondamentales<br />
de notre verbe<br />
Ouvrez n’importe quel dictionnaire. Commencez en ‘a’ et survolez<br />
l’ensemble des verbes. Combien en trouvez-vous qui, directement ou<br />
indirectement, n’auraient aucun lien avec l’un ou l’autre de ces ‘radicaux’<br />
? A eux quatre, ils marquent une sorte de référentiel dialectique<br />
d’un champ dynamique pour l’ensemble des verbes du logos. Ils définissent<br />
l’espace matriciel du logos.<br />
Ce sont comme les particules fondamentales, les préfixes présidant au<br />
sens, qui affectent les radicaux sémiologiques du verbe.<br />
TRANS : comme transformer, transporter, transfigurer, transcender...<br />
CUM : comme concilier, comprendre, communier, compléter...<br />
EX : comme expliquer,extraire, exalter, exister, expédier...<br />
IN : comme insister, inclure, incarner, introduire, infatuer...<br />
Ces quatre radicaux de notre verbe sont au cœur de notre epistèmè et<br />
de notre praxis. Radicaux à la racine de toute articulation et de toute<br />
signification.<br />
Originelles affectations de toutes les dynamiques. Coordonnées fondamentales<br />
de tous les lexiques possibles. Dimensions premières avant<br />
même les concepts. In-tentions originaires du parler.<br />
A eux quatre, ils marquent une sorte de référentiel dialectique d’un<br />
champ dynamique du logos<br />
82
<strong>Le</strong> champ dynamique du logos<br />
<strong>Le</strong>s quatre polarités définissant le champ dynamique de la différence et<br />
du dépassement dialectique.Comme si le logos ne pouvait être pleinement<br />
chez lui que dans cet espace quadri-polaire de la possibilité<br />
dialectique.<br />
EX provoque en quelque sorte le IN hors de lui-même. La tension se<br />
résout dans le CUM et se dépasse dans le TRANS.<br />
Une logique apparemment illogique. Elle s’appelle ‘dialectique’. Il ne<br />
faut pas la confondre avec ses sous-produits. Avant même que le mot,<br />
en son sens moderne, n’ait encore droit de cité dans l’espace mental<br />
occidental, la réalité est là, vigoureuse, encore libre de toute prison<br />
idéologique. Pas encore constituée en mode de pensée et d’explication,<br />
mais déjà constituante d’une extraordinaire dynamique de l’être.<br />
84
Dialectiques tronquées<br />
Une dialectique à deux moments perpétue un mouvement pendulaire.<br />
Par exemple la ‘dialectique’ simplement binaire comme celle du<br />
’yin’ et ’yang’ chinois, sans différence verticale et sans troisième terme.<br />
Infinie oscillation entre IN et EX. <strong>Le</strong>s deux termes se balancent selon<br />
une inter-compénétrabilité infiniment complexe. Un tel mouvement ne<br />
fait que rythmer, de déséquilibre en équilibre et d’équilibre en déséquilibre,<br />
l’être éternellement imperturbable.<br />
Une dialectique à trois moments tend à s’arrêter dans le bouclage<br />
de la boucle. IN traverse sa différence ex pour se dépasser dans le<br />
CUM. Un réel procès d’altérité y est donc possible. Cependant ce<br />
troisième terme, même s’il est capable de relancer une nouvelle triade,<br />
reste de l’ordre de l’aboutissement. Une plénitude s’y donne dans la<br />
synthèse du CUM. <strong>Le</strong> mouvement différentiel reste globalement piégé<br />
par l’horizontalité. La transcendance se refuse au profit de la totalisation.<br />
Seule une dialectique à quatre moments procède dans l’ouvert du<br />
dépassement infini. Ainsi la dialectique véritablement totale qui connaît<br />
un quatrième terme signifiant son ‘ex’-plosivité permanente. 'In' traverse<br />
sa différence EX pour se dépasser infiniment à travers le CUM vers<br />
le TRANS. Ce n’est que la quatrième dimension, celle de la transcendance,<br />
qui peut conférer à la dialectique sa réelle dynamique, sa dynamique<br />
infinie. c’est-à-dire d’être plus qu’un simple mécanisme rationnel.<br />
86
Dialectique infinie<br />
L’authentique dialectique refuse de se laisser piéger par les totalisations<br />
horizontales.<br />
Elle connaît une quatrième dimension. qui signifie son ‘ex’-plosivité<br />
permanente.<br />
L’authentique possibilité dialectique implique une double ouverture et<br />
partant une double rupture. L’une horizontale et l’autre verticale.<br />
Ouverture horizontale de l’altérité différentielle. Ouverture verticale de<br />
l’altérité transcendante. La première s’ouvre dans la différence entre le<br />
‘même’ et l’ ‘autre’. La seconde s’ouvre dans la différence de la différence,<br />
c’est-à-dire la transcendance.<br />
<strong>Le</strong> TRANS dit l’ouvert de l’humain. Il dit en même temps que l’homme<br />
n’a pas le dernier mot sur lui-même.<br />
88
Trans<br />
Paradoxe du trans. Il est simultanément extrême fragilité et extrême<br />
puissance. A la réalité humaine qu’il affecte, il confère en même temps<br />
une singulière faiblesse et une extraordinaire capacité de survie malgré<br />
toutes vicissitudes de l’histoire.<br />
Hegel, trop séduit par le système et la totalisation pour garder à la dialectique<br />
sa dynamique de rupture et son infinie ouverture d’altérité,<br />
succombe finalement à la tentation de la clôture. Clôture de l’identification<br />
du réel au rationnel. Clôture de la totalisation en finitude du processus<br />
dialectique. La dialectique finalement au rouet du système !<br />
La dialectique moderne veut fonctionner essentiellement à trois termes:<br />
thèse, antithèse, synthèse, cette triade pouvant être répétée et poursuivie<br />
de niveau en niveau.<br />
Tenir la dialectique jusqu’au bout est à la limite impossible. Déjà le processus<br />
dialectique lui-même se trouvera distendu dialectiquement,<br />
selon le double héritage païen et judéo-chrétien, entre une double<br />
polarité, à savoir l’ouverture à l’infinie altérité et a clôture dans la<br />
totalisation d’identité.<br />
Mais même dans cette répétitivité le troisième terme, la “synthèse”,signifie<br />
chaque fois l’arrivée à un résultat. Il suffit ensuite de<br />
reprendre cette triade. Elle se suffit en quelque sorte à elle-même. La<br />
répétition faisant le reste. La synthèse devenant thèse à laquelle s’oppose<br />
une nouvelle antithèse, et ainsi de suite. <strong>Le</strong> processus fait se<br />
suivre des différences. Il n’ouvre pas à la différence de la différence.<br />
90
COMposantes et EXposantes<br />
<strong>Le</strong>s premières garantissent les cohérences et les harmonies. <strong>Le</strong>s secondes<br />
ouvrent la démesure.<br />
Tout projet culturel s’inscrit dans un tel espace dynamique. Cependant<br />
il insiste différentiellement dans telle ou telle direction et a tendance à<br />
privilégier telle ou telle région pour l’occuper. Chaque projet humain<br />
particularise ainsi l’unité fondamentale du continuum sémiologique<br />
originaire en espaces constitués différentiels.<br />
Dans cette polarisation différentielle l’axe vertical marque la différence<br />
essentielle.<br />
L’homme occidental n’est pas né par parthénogenèse ! Il est né de père<br />
et de mère. Sa mère est païenne. Son père est judéo-chrétien. De son<br />
héritage maternel, il tient ses ‘composantes’. De son héritage paternel,<br />
ses ‘exposantes’. <strong>Le</strong>s deux se sont étreintes dans la rencontre providentielle<br />
entre notre mère païenne et notre père judéo-chrétien.<br />
COMPOSANTES ― EXPOSANTES<br />
absolu 'Il y a' ― absolu ‘Je Suis’<br />
fini ― infini<br />
même ― autre<br />
milieu ― extrêmes<br />
mesure ― démesure<br />
nature ― personne<br />
être ― exister<br />
continuité ― rupture<br />
destin ― dessein<br />
cosmos ― création<br />
structure ― gratuité<br />
nécessité ― liberté<br />
objet ― projet<br />
cycle ― histoire<br />
éros ― agapè<br />
harmonie ― aventure<br />
sécurité ― risque<br />
ordre ― contingence<br />
possible ― impossible<br />
92
Rupture - dépassement<br />
<strong>Le</strong> même reste enfermé dans son même. L’autre reste en-fermé dans<br />
son même. Chacun ignore l’autre?. Rien ne se passe.<br />
La dialectique est contradiction ET assomption-dépassement de la<br />
contradiction. L’affirmation affronte la négation. La négation affronte<br />
l’affirmation. Cet affrontement, cependant, ne reste pas affrontement<br />
indéfini au même niveau. Il ne se termine pas non plus par la victoire<br />
unilatérale de l’un sur l’autre, ce qui ne ferait qu’enfermer le processus<br />
dans une affirmation stagnante. Au contraire, de cet affrontement surgit<br />
un TROISIEME moment qui reprend en assomption de dépassement –<br />
Auf-heben, en allemand – les deux premiers moments antagonistes et,<br />
par conséquent, signifie surgissement de nouveauté.<br />
Ce troisième terme nouveau, en s’affirmant, affronte une nouvelle<br />
négation. Et ainsi de suite. <strong>Le</strong> processus total de la dialectique devient<br />
ainsi mouvement en avant, progrès. Une chose n’est vivante, écrit<br />
Hegel dans la Science de la Logique II, que dans la mesure où elle<br />
contient en soi la contradiction et où elle est cette force de saisir et de<br />
maintenir en soi la contradiction.<br />
<strong>Le</strong> moment de négation est donc le moment essentiel de la dialectique.<br />
Est-ce étonnant puisqu'il s'agit du moment essentiel de l'esprit ? D’un<br />
plein, quel qu’il soit, clos dans sa plénitude, jamais rien d’autre ne peut<br />
surgir. La nouveauté autre n’est possible qu’à travers un vide béant au<br />
cœur de ce plein. Une position ne se dépasse en altérité nouvelle qu’à<br />
travers son affrontement avec une opposition. C’est dire qu’il ne peut<br />
s’agir d’un vide pour lui-même. <strong>Le</strong> vide en-soi est vide et reste vide. Ici<br />
il faut une négativité active, un acte d’opposition.<br />
94
<strong>Le</strong> ‘non’ créateur<br />
Il n’y a pas de valeur qui ne soit fondamentalement exigence de différence.<br />
Que serait, en effet, le Bien en soi, le Vrai en soi, le Beau en soi,<br />
le Juste en soi... s’il n’y avait pas en face, antagoniste provocateur, le<br />
mal, le faux, le laid, l’injuste ? Dans la faille entre le même et l’autre<br />
s’ouvre l’espace de la différence, l’espace d’une nouvelle nature et la<br />
chance d’un monde nouveau que nous pouvons aussi appeler ‘culture’<br />
<strong>Le</strong> surgissement du NON au sein de l’inconditionnel ‘oui’ de la nature à<br />
elle-même représente une fissure qui va s’élargissant en gigantesque<br />
faille. Une distance se creuse 'entre'. Entre immédiat et différé, entre<br />
présent et passé, entre présent et futur, entre le désir et son effectuation,<br />
entre le même et l’autre, entre l’apparaître et l’être, entre la<br />
présence et l’absence, entre ce qui est et ce qui doit être...<br />
Singulière dynamique du NON ! L’homme est l’être en exode qui<br />
risque l’autre dans l’incessante négation du même. Libérant la différence.<br />
Etreignant la différence. Dépassant la différence. Si le même<br />
jamais ne dit non à lui-même, jamais rien d’autre ne sera. Il ne peut<br />
que rester éternellement lui-même, clos en soi, piégé, fut-ce en sa<br />
perfection, s’il refuse de s’ouvrir à l’autre, de l’affronter, de se laisser<br />
traverser par lui. C’est la faille qui le sauve de lui-même et l’ouvre à<br />
l’autre possible. C’est sa vulnérabilité qui lui donne sa chance<br />
d’infini. S’ouvrir à l’autre et l’étreindre. Mourir dans cette étreinte<br />
pour surgir nouveau. Et ne se boucler pas sur ce nouveau même.<br />
Mais encore s’ouvrir. Affronter encore l’autre. Et l’autre de l’autre.<br />
Infiniment.<br />
96
Dialectique pascale<br />
<strong>Le</strong> quatrième moment dialectique est celui de l’Exode in-fini. Un<br />
TRANS qui ne cesse de faire mal là où l’humain n’arrive à étreindre sa<br />
plénitude sur elle-même. Un TRANS qui crève inlassablement l’horizon<br />
des euphories immanentes.<br />
Scandale que cette quatrième dimension et grandeur pourtant ! Par<br />
elle, la raison est crucifiée et provoquée au douloureux dépassement<br />
d’elle-même. En même temps elle confère l’immortalité à ce qui sans<br />
elle est voué à la mort. L’histoire d’Israël, depuis quatre mille ans, est là<br />
pour témoigner.<br />
Sans lui, pourtant, l’authentique humain n’est pas. Car l’homme est<br />
l’être en exode qui risque l’autre dans l’incessante négation du même.<br />
Libérant la différence. Étreignant la différence. Dépassant la différence<br />
La dialectique non châtrée est pour la transcendance. Elle traverse un<br />
monde qui résiste à l’ailleurs. Elle affronte les choses qui refusent de<br />
devenir autres que ce qu’elles sont. Elle est folle et fougueuse aventure<br />
‘hors de’.<br />
98
Deux logiques<br />
Ultimement deux logiques différentes régissent l’action et la pensée.<br />
Elles fonctionnent en quelque sorte sur les deux versants opposés de<br />
l’être.<br />
D’un côté la consistance du même qui se boucle sur lui-même en<br />
sécurité. De l’autre côté la transcendance de l’autre infiniment ouvert.<br />
L’autre non seulement dans sa différence horizontale – celle qui, entre<br />
in, ex et cum instaure le déploiement quasi naturel – mais dans sa<br />
différence verticale – celle qui ouvre l’altérité absolue du trans – où<br />
l’humain et, à travers l’humain l’être, se décide ultimement, clos ou<br />
ouvert, pour le même ou pour l’autre<br />
<strong>Le</strong>s tendances profondes de notre corps et de notre esprit vont vers<br />
l’intégration. Il n’est pas de vie sans assimilation. Comprendre ne va<br />
pas sans étreindre les différences. L’autre qui refuse le giron du même<br />
ne peut que se voir expulsé. Mille mécanismes de défense jouent<br />
contre lui. Sans lui, pourtant, l’existence perdrait sa dimension<br />
essentielle. Ce ‘de trop’ expose nos certitudes et nos sécurités dans<br />
l’exode de la liberté. A travers le risque.<br />
100
101
Exode infini<br />
Avant d’être loi de l’esprit, la ‘dialectique’ est d’abord très profonde loi<br />
de l’Alliance. Elle tire sa pertinence de l’expérience du mystère pascal.<br />
Rupture. Exode. Traversée vers la Terre Promise. Crucifixion. Mort qui<br />
éclate en Résurrection. La paradoxale vérité que l’essentiel advient<br />
dans le pas-sage. Non pas en ‘in’-sistant sur le plein mais en ‘ex’sistant<br />
à travers la béance.<br />
A travers toute l’expérience humaine, c’est dans la Bible et dans la<br />
Bible seulement que ce HORS DE et cet ‘EN AVANT trouvent leur<br />
pleine pertinence.<br />
L’Exode est l’expérience originaire dans la Bible et la lumière centrale<br />
de son écriture. C’est à partir de l’Exode que prend sens et ce qui<br />
précède et ce qui suit.<br />
Exode de toutes choses hors du néant. Irruption de l'originel Alpha qui<br />
tend en suite vers Oméga, dans l'ouverture d'un en avant vers ce topos<br />
du futur qui est u-topos. Si bien que la véritable genèse est moins au<br />
début qu'à la fin.<br />
La force originaire, profonde, de la dialectique n’est pas d’abord dans<br />
l’instrumentalité logique d’un processus explicatif mais dans une irréductible<br />
réalité historiquement expérimentée et vécue, fondatrice de<br />
nouvelle humanité: la Pâque biblique.<br />
<strong>Le</strong> quatrième moment dialectique est celui de l’Exode et de la Pâque<br />
in-finie. La double ouverture d’altérité n’a été réellement possible que<br />
dans et à partir de l’espace judéo-chrétien où, émergence absolument<br />
unique, l’autre a une priorité logique, ontologique, sur le ‘même’.<br />
Si la dialectique est d’une certaine façon un affront à la logique simplement<br />
logique, c’est qu’avant d’être loi de la pensée elle est une loi<br />
expérimentale de la liberté.<br />
La dialectique est-elle fondamentalement possible ailleurs qu’en régime<br />
de grâce ? Lorsqu’aucune négativité n’est plus absolue mais qu’à travers<br />
une mystérieuse gestation, elle travaille à l’enfantement de l’autre.<br />
102
103
Envers – Endroit<br />
Sans doute l’esprit se manifeste-t-il avec plus de pertinence là où il<br />
manque.<br />
L’esprit est là où il n’est pas. Non pas dans un plein mais dans un vide.<br />
Un vide qui traverse le plein. Une plénitude vide. Un vide plein. Proprement<br />
insaisissable. Il n’est nulle part en particulier. Il agit partout en<br />
même temps. L’esprit inter-vient. Plus on essaye de le dé-finir, d’en<br />
faire le tour, de le ‘saisir’, de le comprendre, plus il se retire. Comme s’il<br />
ne devait rester que la pauvreté d’une absolue nudité.<br />
L’esprit est ouvert. Il ne se laisse pas enfermer. Aussi finit-il toujours par<br />
trouver l’issue de la caverne. L’esprit est distance. Il ne ‘colle’ pas mais<br />
‘décolle’. L’esprit est entre. Entre les compacités matérielles, les solidités<br />
corporelles, les nécessités structurales. L’esprit sait lire entre les<br />
lignes. Non pas là où c’est écrit noir sur blanc mais là où c’est blanc sur<br />
noir.<br />
L'esprit ne se 'définit' donc pas. N'est jamais définissable que le 'ce<br />
que' d'une essence substantielle. Mais le 'CE QUE' de l'esprit demeure<br />
évanescent. Il ne reste jamais qu'un 'QUE'<br />
Sans doute l'esprit se manifeste-t-il avec le plus de pertinence là où il<br />
manque. Lorsque son absence l'appelle ou que son envers crie son<br />
endroit. La bêtise, par exemple, ou la force brute, ou l'indifférence, ou<br />
l'injustice, ou l'absurde...<br />
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L’esprit trouble-fête ?<br />
Il n’en fut pas toujours ainsi. C’est la schizoïdie moderne qui a rompu<br />
les liens entre le corps et l’âme, entre la pensée et la vie. <strong>Le</strong>s puissances<br />
du corps et de l’âme qui, jusque là, savaient allier leurs différences,<br />
se mettent à jouer les antagonismes.<br />
L’unité étant perdue, chaque puissance est perçue comme aliénant<br />
l’autre.<br />
L’esprit ne serait-il pas responsable de ce que l’homme ne soit jamais<br />
autre chose qu’un animal sous-développé ? Voyez Ludwig Klages: «<br />
Der Geist als Widersacher der Seele » ! L’esprit, l’antagoniste de l’âme.<br />
Voyez Oswald Spengler: « <strong>Le</strong> déclin de l’Occident », rançon d’un péché<br />
de l’esprit contre la vie.<br />
Une perspective largement et variablement partagée. J.-J. Rousseau ‒<br />
Friedrich Nietzsche ‒ Oswald Spengler ‒ Ludwig Klages ‒ Jean-Marie<br />
Guyau ‒ Wilhelm Dilthey ‒ Henri Bergson ‒ Wilhelm Reich ‒ Herbert<br />
Marcuse ‒ Georges Bataille... Un feu d'artifice de perspectives: Retour<br />
aux données immédiates. L’éros cosmogonique déchaîné. <strong>Le</strong>s Pulsions<br />
vitales créatrices. L’Affirmation du vouloir-vivre. La liberté sauvage.<br />
L’instinct sans tabou. La joie de vivre jubilante. La folle création spontanée.<br />
La fête permanente. L’exubérance dionysiaque. L’orgie sans<br />
fin...<br />
La civilisation est-elle la mort inévitable d’une culture ? Faut-il, comme<br />
Klages, accuser l’esprit ? Ne faut-il pas plutôt en chercher la cause<br />
dans quelque déraillement de l’esprit consécutif à une hyper-intellectualisation,<br />
comme le pense un Max Scheler ?<br />
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A partir d’un vide<br />
Nos réflexes physicalistes et substantialistes ne valorisent que le plein.<br />
Il semblerait normal que le couronnement du règne biologique, l’homme,<br />
soit un animal ‘plus’ quelque chose.<br />
Il faut oser le paradoxe. L’homme est un animal ‘moins’.<br />
L’animal est sans doute trop plein d’animalité pour être béant sur<br />
l’esprit.<br />
L’homme est comme une blessure au flanc de la nature. La vie de<br />
l'Esprit commence non pas avec nos pleins mais avec nos vides.<br />
Misère et grandeur de l’homme frustré en sa simple animalité, en sa<br />
seule naturalité, ex-posé à créer, par médiation symbolique, à travers la<br />
parole, un monde toujours autre, toujours nouveau.<br />
L’homme est une autre nature, une nouvelle nature. Chez l’homme, le<br />
‘donné’ naturel ne peut plus jamais être simplement ‘donné’. Jusque<br />
dans sa matérialité, l’homme est ‘autre’ que ce qui est donné.<br />
La corporéié humaine est autre que le corps donné. La main de l’homme<br />
est autre qu’un simple organe de préhension. L’œil de l’homme est<br />
autre qu’un simple organe de vision. Chaque organe est ce qu’il est et<br />
en même temps ce qu’il n’est pas. Ouvert à autre chose que ce pour<br />
quoi il est donné. Ouvert à une infinie disponibilité.<br />
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Structure – Acte<br />
L'acte surgit aux antipodes de la structure. La structure 'est'. L'acte 'fait'<br />
être.<br />
L'acte est origine. Nouvelle origine. A la limite à partir de rien. Surgissement<br />
actif originel et original. Il n'a sa source qu'en lui-même en tant<br />
qu'acte.<br />
Ultimement l'acte ne peut pas venir d'un 'donné', d'une 'nature' déjàdonnée.<br />
Il ne peut venir que de quelque chose comme un 'je', jaillissement<br />
originaire, source autonome sans préalable. Venant d'un autre<br />
que lui-même il ne serait pas acte mais simplement production, fabrication,<br />
émission, effluence, débordement, épanchement, écoulement,<br />
émanation...<br />
L'acte est de l'ordre de l'événement, c'est-à-dire d'un advenir. Ça vient.<br />
Ça sur-vient. Ça sur-prend. Une irruption d'imprévu et de nouveauté.<br />
La catégorie d'histoire n'est pas moins essentielle dans la Bible que<br />
celle de création. Rien n'est avant l'acte créateur sinon l'acte lui-même.<br />
L'acte créateur est le premier acte historique. Il est commencement de<br />
l'histoire. A partir de lui, l'être surgit dans l'histoire. A partir de lui, l'être<br />
s'identifie à l'histoire. Non seulement durant les six premiers jours...<br />
La structure est sous le signe du ‘il y a’. L’acte est de l’ordre du surgissement<br />
créationnel ex nihilo.<br />
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111
Peut-on définir l’esprit ?<br />
Plus on essaye de le définir, d’en faire le tour, de le ‘saisir’, de le comprendre,<br />
plus il se retire. Comme d’il ne devait rester que la pauvreté<br />
dune absolue nudité.<br />
L’esprit ne se ‘définit’ pas. N’est jamais définissable que le ‘ce que’<br />
d’une essence substantielle. Mais le ‘ce que’ de l’esprit demeure évanescent.<br />
Il reste le ‘que’ béant de l’acte de son surgissement.<br />
Je ne peux pas saisir l’esprit. C’est lui qui, déjà, me saisit. C’est lui qui<br />
me définit. C’est lui qui ‘englobe’ mes possibilités intellectuelles. Cellesci<br />
ne sauraient donc pas l’englober à leur tour.<br />
L’esprit ne serait-il donc que fantomatique illusion ? Certes non. Car<br />
l’esprit s’appréhende. Je fais en permanence l’expérience pertinente de<br />
sa présence et de sa réalité. Je ne peux pas dire ce qu’il. Je ne peux<br />
pas dire qu’il n’est pas ! Il appelle une intelligibilité de l’ouvert.<br />
L’esprit est béance et ne peut être appréhendé qu’en béance. Je peux<br />
pourtant m’en faire une certaine ‘idée’. Une idée ‘négative’ seulement.<br />
Une ‘idée-à-travers-un-vide’. Une ‘idée-à-la-limite’.<br />
L'esprit ne se 'définit' pas. N'est jamais définissable que le 'ce que'<br />
d'une essence substantielle. Mais le 'CE QUE' de l'esprit demeure<br />
évanescent. Il ne reste jamais qu'un 'QUE'<br />
Pourrait-il en être autrement ? L’esprit n’est pas un ‘objet’ logeable.<br />
L’esprit est une dynamique qui traverse l’humain de part en part.<br />
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A travers<br />
<strong>Le</strong>s innombrables efforts, inlassablement réitérés, de trouver à l’esprit<br />
un ‘siège’, un ‘centre’, un ‘organe’ ou une circonvolution d’organe, se<br />
sont tous soldés par un échec.<br />
L’esprit n’est pas‘ dans’. Il n’est pas non plus ‘autour’. Il est ‘à travers’.<br />
Coupez le cerveau en aussi petites portions que vous voulez, jamais<br />
vous ne trouverez l’organe de la pensée ! Vous ne trouverez probablement<br />
que le ‘support’ matériel de l’esprit, quelque chose comme sa<br />
‘béquille’.<br />
L’esprit ne traverse pas seulement les corps. Il traverse toutes les<br />
compacités. Des particularités vers l’universalité. De la confusion vers<br />
la clarté. De la subjectivité vers l’objectivité. De la dispersion vers<br />
l’unité. De l’incohérence vers la cohérence. De la complication vers la<br />
simplicité. D l’absurde vers le sens. De l’in-différence vers la différence...<br />
Pourquoi chercher l’esprit là où il ne peut pas être, là où il serait en<br />
contradiction avec lui-même ?<br />
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A travers la matière<br />
<strong>Le</strong>s monismes matérialistes ne peuvent que refuser toute ‘réalité’<br />
propre à l’esprit. Si, en effet, le réel est d’un seul ordre, à savoir l’ordre<br />
matériel, quelle place pourrait-il rester à l’esprit ? A l’encontre des vues<br />
monistes du ‘réel’, il faut venir à la dialectique et voir le réel total en<br />
tension entre polarités contraires qui s’affrontent.<br />
L’esprit est ainsi l’autre qui provoque le même vers son dépassement.<br />
Est-ce à dire que l’esprit est sans ‘substance’ ? Un épi-phénomène ?<br />
Une illusion ? Un faux-semblant ? Une simple idéalité conceptuelle ?<br />
La 'substance' de l'esprit, cependant, est au-delà de la substance puisque<br />
toute substance n'est qu'à partir de l'esprit. Dans les interstices. A<br />
travers les failles vient le sens.<br />
L'esprit surgit 'à travers'. A travers son 'autre' qu'on peut appeler 'matière’.<br />
Mais que veut dire 'matière' ? Materia. Mater. Ce à partir de quoi<br />
tout est construit. Mais qu’est finalement ce ‘à-partir-de-quoi’ ?<br />
On se trouve finalement loin de la 'matière' au sens vulgaire. A chaque<br />
niveau d'analyse il s'agit chaque fois d'un 'construit' à 'déconstruire',<br />
d'une compacité à décompacter.<br />
L’esprit est ainsi l’autre qui provoque le même vers son dépassement.<br />
La matière de cette table ? Du bois. ― La ‘matière' du bois ? Des<br />
‘fibres ligneuses’. ― La matière de ces fibres ? Des molécules de<br />
cellulose. ― La matière de ces molécules ? Des atomes de carbone,<br />
d’hydrogène et d’oxygène. ― La matière des atomes ? Des particules<br />
atomiques. ― La matière de ces particules ? Des ‘grains d’énergie’,<br />
des ‘charges électriques’, des ‘quanta’, des ‘quarks’, des ‘particules de<br />
charme’... Autant de désignations qui couvrent des formules de type<br />
mathématique<br />
Où reste la ‘matière’ ?<br />
116
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A travers les interstices<br />
L’essentiel humain passe à travers. Parler c’est traverser infiniment le<br />
champ sémantique. L’animal n’accède pas à la parole parce que le<br />
signe reste prisonnier de la chose, de la situation, des liens... L’homme<br />
parle grâce au signe libéré, dans l’exode hors d’un monde bouclé en sa<br />
compacité. L’essentiel passe à travers les structures et les constructions<br />
pour surgir en leur béance.<br />
L'esprit traverse les compacités matérielles et structurelles. Il 'décompresse'<br />
les solidités. C'est dans les interstices, à travers les failles,<br />
que vient le sens. Entre les lignes. Entre les mots. L’éros animal tend<br />
toujours vers un ’quelque chose’ de déjà donné. L’éros humain peut<br />
tendre vers là où il n’y a encore rien. Comme si l’essentiel du monde<br />
était dans les interstices du monde. Comme si l’essentiel des choses<br />
était entre les choses. Comme si l’essentiel du texte se lisait entre les<br />
lignes.<br />
L'esprit est dans la traversée des compacités. Des particularités vers<br />
l’universalité. De la confusion vers la clarté. De la subjectivité vers<br />
l’objectivité. De la dispersion vers l’unité. De l’incohérence vers la<br />
cohérence. De la complication vers la simplicité. De l’absurde vers le<br />
sens. De l’in-différence vers la différence.<br />
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119
L’esprit n’est pas en l’air<br />
Un esprit sans corps reste hors de portée de notre expérience. L’esprit<br />
s’expérimente toujours de façon physique comme esprit incarné. L’activité<br />
spirituelle est vécue et sentie à travers la corporéité. L’esprit est à<br />
travers le corps. L'activité spirituelle de l'homme n'est pas abstraite de<br />
sa condition d'incarnation.<br />
L’esprit dit ‘je’ et prend conscience de soi comme unique. Chaque fois<br />
qu’un ‘je’ se dit, émerge une présence originale. La personne est cette<br />
émergence. Il s’y célèbre l’alliance du ‘dehors’ et du ‘dedans’. La communion<br />
entre l’âme, l’esprit et le corps.<br />
L’âme prend corps... <strong>Le</strong> corps épouse l’esprit... La réalité spirituelle<br />
s’expérimente en même temps charnelle. Et la dimension charnelle,<br />
spirituelle. <strong>Le</strong> corps se vit comme un microcosme traversé par la<br />
béance. Il se fait médiateur entre l’horizontale et la verticale.<br />
A la croisée de l’horizontale et de la verticale. <strong>Le</strong> ‘cœur’ est l’absolue<br />
réconciliation de mon esprit avec mon corps et de mon corps<br />
avec mon esprit. Dans l’unité du ‘moi’. <strong>Le</strong> ‘cœur’ est l’instance de<br />
cette communion. <strong>Le</strong> ‘cœur’, loin d’être une ‘partie’ d’un tout, est ce<br />
‘tout’ lui-même en tant qu’il s’exprime dans la réalité de notre<br />
condition d’incarnation. <strong>Le</strong> ‘cœur’ signifie l’essentielle unité de toutes<br />
les composantes et de toutes les ‘puissances’ (ou potentialités)<br />
de l’homme. Corporelles, psychologiques, intellectuelles, spirituelles,<br />
sociales, culturelles... Toutes s’y enracinent et y puisent leur<br />
sève.<br />
120
121
L’esprit traverse le corps<br />
L’esprit est là. En même temps il est ailleurs. Il surgit dans la ‘béance’<br />
des réalités simplement biologiques. Il est ‘entre’. Il est ‘à travers’. A<br />
travers le cerveau. A travers le corps. A travers ‘mon’ corps.<br />
L’esprit traverse le corps verticalement. Par lui le corps vit sa transcendance.<br />
<strong>Le</strong> corps vibre à l’unisson de l’esprit. L’esprit vibre à l’unisson<br />
du corps. L'esprit pétrit la matière. La matière donne corps à<br />
l'esprit. <strong>Le</strong> corps se trouve transfiguré par la traversée de l'esprit. C’est<br />
à travers le corps que l’esprit se fait savant ou technicien, capable de<br />
scruter la matière et de la transformer. C’est à travers le corps que<br />
l’esprit chante, sourit, accueille ou se retire... L’esprit est à travers le<br />
corps<br />
Pour ne pas rester vaporeuse la pensée a besoin de mains pour manipuler<br />
et de pieds pour marcher.<br />
Penser ne va pas sans fatigue ni sans retentissement corporel. La<br />
pensée peut rendre le corps malade comme le corps malade peut<br />
perturber la pensée.<br />
<strong>Le</strong> corps se trouve transfiguré par la traversée de l'esprit.<br />
122
123
Il n’est réellement vivant que dans les béances<br />
L’esprit est à travers les béances<br />
La théologie dite ‘négative’ reste sans doute l’approche qui fait le moins<br />
violence à la vérité du mystère divin. Elle professe que ce que nous<br />
nions de Dieu est plus éloigné de l’erreur que ce que nous en<br />
affirmons. La ‘béance’ divine se refuse à nos concepts et résiste à nos<br />
possibilités intellectuelles. Seule une approche ‘mystique’, une approche<br />
par le vide, permet une rencontre, à la limite, de l’indicible et<br />
inexprimable mystère.<br />
Analogiquement, pourquoi ne pas oser l’expression d’anthropologie<br />
‘négative’ ? Une telle analogie se justifie et se fonde sur la parenté de<br />
l’homme avec Dieu, créé qu’il est ‘à son image et à sa ressemblance’,<br />
et révélé ‘divin’ par grâce. Mais on peut parler également, et dans la<br />
logique de toute notre approche, d’anthropologie de la ‘béance’.<br />
‘L’homme passe l’homme’, dit Pascal avec infiniment de pertinence. A<br />
sa manière le mystère humain est indicible et reste proprement<br />
inexprimable. Nous ne pouvons réellement en parler qu’à la limite.<br />
L’essentiel de l’humain étant ‘à travers’.<br />
L’anthropologie négative dit ‘oui’ à travers un ‘non’. Elle a plus<br />
volontiers partie liée avec le silence. Et pourtant elle doit se dire aussi.<br />
Il lui reste à parler autour. Elle parle dans les béances du plein. En ne<br />
cessant d’entretenir cette étonnante pensée de derrière.<br />
124
125
Surgissement du JE<br />
Surgissement de radicale nouveauté et d’inédite originalité, le JE s’affirme<br />
comme différence. Par lui l’être sort de l’indifférence.<br />
Chaque ‘JE’ surgit comme conscience de soi et comme conscience<br />
de... Nouveau centre autonome. Juge souverain. Sujet responsable.<br />
Personnalité de droits et de devoirs. Exigence éthique et rationnelle.<br />
<strong>Le</strong> JE rassemble dans l’unité la multiple diversité qui me constitue.<br />
Mon corps, mon hérédité, mes tendances, mes affects, ma pensée,<br />
mes souvenirs, mes rêves, ma vie sociale, mes engagements, mes<br />
expériences, mes projets, etc.<br />
A la verticale<br />
La vérité totale du JE et partant de l’esprit est à la verticale.<br />
En ses profondeurs l’esprit est communion à Dieu et à l’universel et<br />
donc ouvert à la communion entre tous les esprits.<br />
L’esprit est infiniment ouvert sur sa Source vivante. L’expérience mystique<br />
fait sentir les divines profondeurs au fin fond de toi-même<br />
Ayant perdu l’axe vertical de notre dimension infinie, nous en sommes<br />
réduits à chercher la source de notre esprit dans le cul-de-sac d’un ‘ça’<br />
de tendances et de pulsions.<br />
Ce faisant nous oublions que l’esprit est capable de faire l’EXPERIEN-<br />
CE de sa source transcendante.<br />
126
127
La différence de potentiel<br />
La dynamique de l’esprit est fonction de la différence de potentiel énergétique<br />
entre une source chaude et un puits froid.<br />
Puits froid: Dépression, asthénie, fatigue<br />
Paresse, indifférence<br />
Ignorance crasse<br />
Abrutissement, démissions...<br />
Source chaude: Eternelle jeunesse de l’esprit<br />
Exigence de sens et de vérité<br />
Inlassable pro-vocation<br />
Appel de lumière...<br />
En fait il s’agit de concepts dialectiquement antithétiques relatifs l’un à<br />
l’autre. La source chaude n’est qu’en face d’un puits froid. <strong>Le</strong> puits froid<br />
n’est qu’en face d’une source chaude.<br />
Source chaude et le puits froid se déterminent concrètement à travers<br />
l’analyse de chaque système énergétique.<br />
Un exemple suffit ici pour saisir ce qu'est concrètement la source<br />
chaude et le puits froid de l'énergie spirituelle dans un espace culturel<br />
comme celui du bouddhisme. <strong>Le</strong> puits froid de l'existence humaine est<br />
le `karma', cet enchaîne-ment au cycle fatal des réincarnations,Face à<br />
cet entropique destin,la source chaude de l'illumination qui urge la<br />
libération.<br />
128
129
<strong>Le</strong>s réservoirs de la dynamique<br />
Aucun système ne peut fonctionner avec des accumulateurs à plat. <strong>Le</strong><br />
`système' spirituel moins que tout autre.<br />
Même si la Source chaude venait à perdre de son énergie, le moteur<br />
peut continuer à tourner au moins durant un certain temps. A condition<br />
que les réservoirs ne soient pas vides. D’où l’importance capitale des<br />
réservoirs d'énergie spirituelle dans le fonctionnement `systémique' de<br />
l’esprit entre Source chaude et Puits froid.<br />
Toute culture, collective ou personnelle, accumule des réserves de<br />
sens ‒ des réserves d’esprit ‒ sous des formes très diverses et complémentaires.<br />
<strong>Le</strong>s réservoirs de la dynamique spirituelle: éducation, culture, coutumes,<br />
langues, formation, mémoire, apprentissage, expérience, méthode,<br />
savoir, monuments, savoir-faire, sages, héros, modèles, paysages,<br />
saints, rencontres, souvenirs, traditions, réflexes, contacts, œuvres,<br />
etc.<br />
Ces réservoirs sont la ‘culture’, la culture au sens le plus pertinent du<br />
terme c’est-à-dire ce qui est labouré et ensemencé en vue de moissons<br />
futures.<br />
La méconnaissance de l'importance des réservoirs d'énergie spirituelle<br />
peut entretenir de fallacieuses illusions. Celle, entre autres, de croire à<br />
une `génération spontanée' du souffle là où c'est en fait l'énergie<br />
`accumulée', peut-être durant de longs siècles précédents, qui continue<br />
d'alimenter la différence de potentiel et d'empêcher ainsi ‒ pour<br />
combien de temps ? ‒ l'asphyxie.<br />
130
131
Systémique spirituelle<br />
Pour comprendre les réalités vivantes il ne faut pas penser ‘structure’. Il<br />
faut penser ‘système’. ‘Système vivant. Une ‘structure’, celle du cristal<br />
par exemple, tient dans la clôture de sa géométrie chimique. Un ‘système<br />
vivant’, par contre, ne survit que dans l’ouvert.<br />
<strong>Le</strong>s réalités spirituelles se comprennent à travers le paradigme des<br />
réalités naturelles et matérielles. Il faut commencer par réfléchir sur ce<br />
qu'est un système ou un écosystème et comment il est menacé de mort<br />
lorsque lui est refusée l'ouverture.<br />
Ces réalités humaines peuvent être considérés comme <strong>systémiques</strong> à<br />
l'image de n'importe quel système organique vivant. Il fonctionne selon<br />
le paradigme de tout `système' doué d'une entrée, d'une sortie et d'une<br />
fonction, en interaction avec d'autres systèmes englobés ou englobants.<br />
Avec des frontières qui marquent vitalement la différence entre<br />
un `dedans' et un `dehors', entre une `clôture' et une 'ouverture'.<br />
Du plus simple jusqu’au plus complexe, du plus élémentaire jusqu’à<br />
son extrême englobant, les systèmes s’emboîtent interactivement.<br />
Chaque source chaude partielle participant de la source chaude plus<br />
englobante. Il en va de même avec les puits froids.<br />
132
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L’esprit dit non<br />
L’esprit, grand antagoniste, dit ‘non’. Protestant au cœur de l’homo animalis<br />
en exode vers son dépassement. Tout est donné en ce ‘non’. Tout<br />
reste à conquérir et à se déployer. Progressivement. Dialectiquement.<br />
Si le oui jamais ne dit non à lui-même,jamais rien d’ autre ne sera. S’il<br />
refuse de s’ouvrir à l’autre, de l’affronter, de le traverser, il ne restera<br />
éternellement qu’un oui à lui-même. Clos sur soi. Piégé, fût-ce en sa<br />
perfection.<br />
Comme une fissure au sein de l’inconditionnel oui’ que la nature ne<br />
cesse de se dire à elle-même. Cette fissure va s’élargissant en gigantesque<br />
faille<br />
Avec ce non est donnée, nouvelle nature, la possibilité de l’humain,non<br />
pas d’abord comme substantif mais comme verbe actif...<br />
<strong>Le</strong> NON de l'homme, le plus faible roseau de la nature La pensée,<br />
s’identifie avec l’originaire NEGATION qui creuse infiniment la béance<br />
du monde pour la combler infiniment.<br />
134
135
La négation motrice<br />
Tout est donné en ce ‘non’. Tout reste à conquérir et à se déployer.<br />
Progressivement. Dialectiquement. Si le ‘même’ jamais ne dit non à luimême,<br />
jamais rien d’ ‘autre’ ne sera. S’il refuse de s’ouvrir à l’autre, de<br />
l’affronter, de le traverser, il ne restera éternellement que lui-même.<br />
Clos en soi. Piégé, fût-ce en sa perfection. C’est la faille qui le sauve de<br />
lui-même. C’est la béance qui l’ouvre à l’autre possible. C’est sa vulnérabilité<br />
qui lui donne chance d’altérité. S’ouvrir à l’autre et l’étreindre.<br />
Mourir dans cette étreinte pour surgir nouveau. Et ne se boucler pas<br />
sur ce nouveau même. Mais encore s’ouvrir. Affronter encore l’autre. Et<br />
l’autre de l’autre. Infiniment.<br />
La ‘dialectique’ au sens réel du mot signifie conquête de positivité à<br />
travers la négativité.<br />
<strong>Le</strong> moment essentiel de la dialectique est de négation.<br />
136
137
DIS-cerner<br />
La pensée est essentiellement acte critique. Elle commence par DIScerner,<br />
c’est-à-dire par décompacter la massive solidité du monde.<br />
Tout était mêlé, dit Anaxagore, mais vint l’entendement qui sépara tout<br />
pour le mettre en ordre.<br />
C'est le souffle vivant de l'Esprit qui plane sur le tohu-bohu primordial<br />
pour séparer. Se faisant logos poïète, créateur d'infinie nouveauté.<br />
Dis-cerner c’est briser les liens, casser les liaisons, libérer des clôtures<br />
L’esprit est ainsi critique et critique de la critique à l’infini.<br />
L’esprit DIS-cerne<br />
DIS-socie,<br />
DIF-férencie<br />
DIS-tingue...<br />
Habitudes mentales, amalgames, évidences trompeuses, obstacles<br />
épistémologiques, lieux communs, réflexes paresseux, dogmatismes,<br />
clichés faciles, académismes, confusions, etc. etc.<br />
Rompre des liens pour ouvrir des disponibilité pour d’autres liaisons<br />
La critique est instance de crise au cœur de toute certitude donnée<br />
qu’elle creuse en béance pour que soit une plus vraie vérité.<br />
138
139
Comprendre à travers la différence<br />
L’espace du logos se déploie entre une multitude de polarités antithétiques.<br />
Cherchez dans votre lexique habituel tous les mots qui y ont<br />
également leur contraire, comme par exemple construire/détruire, etc.<br />
N’en oubliez pas. Supprimez ces nombreux couples antithétiques. Avec<br />
les mots restants, essayez de dire des choses pertinentes. Vous mesurerez<br />
combien cela s’avère impossible. Tant il est vrai que, directement<br />
ou indirectement, nous parlons et nous pensons sur fond de différence.<br />
Parler et penser c’est ‘pro’-voquer des différences et les dépasser en<br />
avant<br />
L’intelligibilité est au prix de dichotomies. Il n’y a de pertinence qu’à<br />
travers la différence. Mais ces dichotomies doivent à leur tour être relativisées.<br />
Car elles n'existent, concrètement, nulle part à l’état pur. Il<br />
s’agit plutôt d’essences ou de concepts-polaires au service d’une<br />
typologie différentielle créatrice, dialectiquement, d’intelligibilité.<br />
Intelligibilité différentielle. En dégageant les significations antinomiques<br />
on veut essentiellement dégager un espace. Un espace de tension<br />
dialectique entre polarités antithétiques ou concepts-polaires au service<br />
d'une typologie différentielle créatrice, dialectiquement, d'intelligibilité. Il<br />
ne peut, en effet, y avoir d'intelligibilité qu'à travers la différence. Ces<br />
polarités ou concepts qui se répondent en s'opposant ne sont pas des<br />
étiquettes couvrant des contenus fixes et définis. Il s'agit plutôt de<br />
concepts ouverts qui visent au-delà vers une 'essence' qui se précise<br />
progressivement.<br />
Dès lors l'essence se révèle non pas de chaque côté où les termes<br />
sont marqués dans leur exclusive, mais ENTRE les deux. Une 'essence'<br />
à la fois très lointaine et tout proche qui joue à cache-cache et qui<br />
invite à jouer avec elle.<br />
140
141
Articulation et signification<br />
Deux dimensions caractérisent la démarche de l’esprit humain: le<br />
processus articulatoire et la visée significatrice. <strong>Le</strong> premier articule son<br />
objet selon la structuralité nécessaire de la cohérence d’un système qui<br />
tend vers la clôture. La seconde est créatrice de significations dans<br />
l’ouverture du sens. Concrètement ces dimensions se distinguent comme<br />
deux polarités divergentes. Elles sont interactivement et dialectiquement<br />
complémentaires. Pourtant telle ou telle activité de l’esprit<br />
privilégie plutôt l’une ou l’autre, la science, par exemple, plutôt le logos<br />
articulant, la philosophie, plutôt le logos signifiant.<br />
La pensée est congénitale à la discursive. Elle se constitue et fonctionne<br />
par structuration, destructuration et restructuration de concepts, de<br />
jugements et de raisonnements. Elle procède par articulation, désarticulation<br />
et ré-articulation d’éléments et de complexes structurels selon<br />
des médiations reliantes ou des enchaînements.<br />
<strong>Le</strong> schéma, toujours le même, est simple: structure de départ — désarticulation<br />
— éléments — ré-articulation — nouvelle structure.<br />
Il est vrai que rien n'existe concrètement qui ne soit 'construit', de l'atome<br />
aux formes les plus complexes de la vie, de la pierre éclatée de<br />
l'homme préhistorique aux prouesses de la technique avancée, des<br />
premiers balbutiements du langage aux plus sublimes paroles poétiques<br />
ou mystiques. Tout est articulé, désarticulé, ré-articulé, structuréensemble,<br />
construit.<br />
Paradoxale efficience de la négativité ! Paradoxale efficience de ce<br />
moment de refus, de distance, de différence, béant sur l’autre !<br />
Depuis le premier outil. Depuis les premiers balbutiements. Tout<br />
commence avec la désarticulation ! L’articulation se désarticule pour<br />
que soit possible une nouvelle, une autre articulation. Articulation<br />
croissante comblant une béance croissante de signification. Signification<br />
croissante comblant une béance croissante d’articulation.<br />
142
143
Entre articulation et signification<br />
Il faut souligner très fort l’unité de l’esprit humain. Reste cependant la<br />
différence entre les deux régimes du logos, c’est-à-dire entre le logos<br />
articulant et le logos signifiant. Différence incontestablement féconde.<br />
Dialectiquement.<br />
Deux dimensions caractérisent la démarche de l’esprit humain: le processus<br />
articulatoire et la visée significatrice. <strong>Le</strong> premier articule son<br />
objet selon la structuralité nécessaire de la cohérence d’un système qui<br />
tend vers la clôture. La seconde est créatrice de significations dans<br />
l’ouverture du sens.<br />
Concrètement ces dimensions se distinguent comme deux polarités<br />
divergentes. Elles sont interactivement et dialectiquement complémentaires.<br />
Pourtant telle ou telle activité de l’esprit privilégie plutôt l’une ou<br />
l’autre, la science, par exemple, plutôt le logos articulant, la philosophie,<br />
plutôt le logos signifiant.<br />
Parler, c’est articuler des signes. Dans un système minimal, à chaque<br />
signe correspond une signification et une seule. <strong>Le</strong> signe est figé dans<br />
sa signification et la signification est figée dans son signe. <strong>Le</strong> signe est<br />
univoque et se confond avec le signal. <strong>Le</strong> ‘langage’ animal fonctionne<br />
ainsi. A l’autre extrême, deux éléments de signes différents sont capables<br />
de produire par articulation combinatoire un infini de signes<br />
signifiants et, partant, un infini de significations. L’homme a cette<br />
capacité. Entre ces deux possibilités extrêmes, les langages humains<br />
pouvaient opter entre, d’une part, inventer de plus en plus de signes<br />
élémentaires en faisant l’économie d’une trop grande articulation, ou<br />
bien, d’autre part, partir de peu de signes élémentaires pour articuler de<br />
plus en plus de significations. <strong>Le</strong> progrès du langage humain s’est<br />
engagé dans cette dernière direction.<br />
144
145
La science<br />
La science n’est pas illumination d’un mystère transcendant. Elle n’est<br />
pas non plus reflet ou photographie du réel. La science est la raison en<br />
acte et en marche à travers le cheminement laborieux de l’activité<br />
rationnelle humaine qui réalise progressivement l’accord de l’esprit<br />
avec lui-même, l’accord de l’esprit avec l’autre que lui-même et l’accord<br />
des esprits entre eux.<br />
La science est une construction logiquement et rationnellement cohérente<br />
qui tient sa vérité et sa certitude de cette cohérence elle-même.<br />
La science est une construction. Elle n’est pas illumination d’un mystère<br />
transcendant. Elle n’est pas non plus reflet ou photographie du<br />
réel. Elle est construction au sens passif et actif du terme. Non pas<br />
entité absolue mais fruit d’un travail, et d’un travail humain.<br />
La vérité de cette construction ne lui vient ni de sa conformité au ‘réel’,<br />
ni de son efficacité pratique, mais de sa propre démarche, dialectiquement<br />
progressive, vers la cohérence logique et rationnelle. La science<br />
en marche est à elle-même sa propre vérification. Il y a donc une<br />
démarche critique interne au processus totalisant qui garantit la vérité<br />
du processus lui-même. La raison scientifique opère ainsi, critiquement,<br />
sa propre validation.<br />
La science progresse donc à travers un processus d’articulation, de<br />
désarticulation et de ré-articulation en construisant par structuration,<br />
déstructuration, restructuration, une totalité logico-matérielle croissante.<br />
Construction logiquement et rationnellement cohérente qui tient sa<br />
vérité et sa certitude de cette cohérence elle-même.<br />
146
147
L’esprit décompacte<br />
Comment cette non-substance, ce vide, cette béance qu’est l’esprit<br />
peut-elle être dynamique créatrice d’altérité nouvelle? L’idée qu’on peut<br />
s’en faire ne peut être elle-même que négative. Une ‘idée-à-travers-unvide’.<br />
Une ‘idée-à-la-limite’.<br />
Du côté des béances... Etonnement... Aventure spirituelle... Quête incessante...<br />
Questionnement... Recherche... Hypothèses... Antithèses...<br />
Paradoxes... Indicible... Humour...<br />
L’esprit peut rester englué dans la compacité. L’esprit figé, solidifié,<br />
dans l’habitude, la routine, le cliché...<br />
La dynamique de l’esprit vide et se déploie à travers ce vide. Il ne s’agit<br />
pas d’un vide vide. Il s’agit d’un vide plein. Un vide actif. Non pas substantif<br />
mais verbe. Comme VIDER.<br />
La traversée dialectique de l'esprit est identiquement traversée des<br />
compacités. L'infini OUI de la nature, ce oui que la nature ne cesse de<br />
se dire et de se répéter à elle-même est traversé par le NON de<br />
l'homme, le plus faible des roseaux.<br />
C’est l’esprit, et l’esprit seul, qui est capable de réelle négation. La<br />
négation n’est dialectiquement motrice que parce que l’esprit a toujours<br />
quelque chose de nouveau à dire... Par-delà tout déjà-dit. Il a toujours<br />
quelque chose de nouveau à créer au-delà de tout déjà-créé. <strong>Le</strong> logos<br />
décompacte pour articuler et signifier un monde nouveau. L’esprit<br />
contre-dit pour dire autre chose. L’esprit nie en vue de... Mais le ‘non’<br />
de l’esprit n’est pas le tout de l’esprit. Plus profondément celui-ci est<br />
‘oui’. Mais un 'oui' d'ailleurs et pour ailleurs.<br />
148
149
Intériorité de l’esprit<br />
En extériorité, l'esprit ne se manifeste qu'à travers ses reflets. Il n'est<br />
réellement vivant qu'en intériorité. En moi. C'est là qu'il prend son souffle.<br />
Je ne peux pas saisir l’esprit. C’est lui qui, déjà, me saisit dans mes<br />
profondeurs. C’est lui qui me définit. C’est lui qui ‘englobe’ mes possibilités<br />
intellectuelles. Celles-ci ne sauraient donc pas l’englober à leur<br />
tour. L’esprit ne serait-il donc que fantomatique illusion ? Certes non.<br />
Car l’esprit s’appréhende. Je fais en permanence l’expérience pertinente<br />
de sa présence et de sa réalité. Je ne peux pas dire ce qu’il. Je<br />
ne peux pas dire qu’il n’est pas ! Il appelle une intelligibilité de l’ouvert.<br />
L’esprit dit ‘je’ et prend conscience de soi comme unique. Chaque fois<br />
qu’un ‘je’ se dit, émerge une présence originale. La personne est cette<br />
émergence. Il s’y célèbre l’alliance du ‘dehors’ et du ‘dedans’. La communion<br />
entre l’âme, l’esprit et le corps,<br />
La personne surgit là où l'animal humain ne se boucle pas sur luimême.<br />
Elle fait irruption en béance, réfractaire aux classifications et<br />
aux étiquettes. Parce qu'elle est essentiellement liberté. Elle se manifeste<br />
souvent là où on l'attend le moins. Liberté personnelle. Donc<br />
altérité en infini renouvellement. Donc création permanente de nouveauté.<br />
Donc aussi imprévisible – et parfois scandaleuse – originalité.<br />
La personne est ouverte sur son mystère qui est à sa manière un<br />
tremendum et un fascinosum. Et ce mystère célèbre la rencontre et<br />
l’alliance avec l’Autre.<br />
150
151
L’autre moitié<br />
L’essentiel se rencontre dans l’autre moitié. L’espérance, l’amour, la<br />
liberté, Dieu... <strong>Le</strong> monde a mal à la moitié qui lui manque. Toutes<br />
les philosophies du monde ne font que balbutier ce manque.<br />
La simple transparence du monde n’est qu’en surface. Derrière les<br />
évidences scientifiques, et dans une autre lumière, le monde est à<br />
deux moitiés. Une présente et une absente. Etonnante expérience<br />
que de rencontrer chaque fois l’autre moitié du symbole et de découvrir<br />
comment ‘colle’ la vertigineuse fracture du monde.<br />
C'est dans l'autre moitié que se rencontre l'espérance. C’est ta<br />
parole qui peut la dire. Elle peut aussi crier la désespérance. C’est<br />
ta parole qui décide de toi en même temps que tu décides d’elle. Où<br />
ailleurs chercherais-tu ta liberté ? Elle dit ton amour, cette parole.<br />
Elle peut aussi dire ta haine. Elle est faite pour la communion et en<br />
même temps elle peut refuser le dialogue. Elle dit ton projet. Elle<br />
peut également s’enliser dans ton vide et tourner en rond. Elle dit<br />
tes raisons. Elle peut aussi formuler tes doutes. Elle dit ta prière.<br />
Elle peut pareillement proférer la malédiction. Elle peut blesser<br />
aussi bien que guérir les blessures. Elle chante la vie. Elle peut<br />
aussi marmonner tes rancœurs. Elle te réconcilie avec les autres et<br />
avec toi-même. Elle peut aussi refuser le pardon. N’est-ce pas la<br />
parole qui sauve le fils prodigue ? Lorsqu’il commence par balbutier<br />
dans le secret de son cœur: “Oui, je me lèverai...”<br />
L’homme symbole de l’Autre. Sa moitié visible ne cesse d’appeler<br />
l’autre moitié, invisible...<br />
152
153
Symbole<br />
<strong>Le</strong> symbole: une moitié donne la clé de l'autre moitié. <strong>Le</strong>s deux morceaux<br />
d’un tesson brisé qui, en ‘collant’ parfaitement ensemble, prouvent<br />
une identité. Chaque moitié symbolique est ainsi béante sur l’autre<br />
moitié.<br />
<strong>Le</strong> symbole est d’abord un ‘quelque chose’ pris du sein de la nature. A<br />
la limite, n’importe quel ‘objet’ ou même n’importe quelle partie d’objet.<br />
Mais il le faut briser. L’objet devient ‘inutile’; il est bon à être jeté. Mais<br />
c’est là qu’il devient intéressant pour l’homme !<br />
N’est-ce pas une conduite étrange – étrangère à la nature – de donner<br />
ainsi valeur à un objet brisé ? Mais cette valeur est ailleurs. Elle est<br />
autre. Elle est nouvelle. Elle est différente. Et cette différence, c’est la<br />
signification.<br />
Il n’existe aucun mot qui ne reste affecté de matérialité et de naturalité.<br />
Même les termes les plus abstraits collent à la terre. <strong>Le</strong>s étymologies<br />
témoignent des enracinements tangibles. Ainsi, l’esprit. Respiration,<br />
souffle, vent... Et en même temps plus. Une moitié seulement reste<br />
déplacement d’air. L’autre moitié, symbole, souffle ailleurs et autre<br />
chose. C’est l’esprit qui rompt le monde pour l’ouvrir à son ailleurs.<br />
La source active du symbole est d'ordre sacral. C'est le sacré qui<br />
informe en ses profondeurs les puissances symbolisantes à la racine<br />
de tout symbole symbolisé. Là où toute moitié témoigne de l’autre<br />
moitié qui toujours se dérobe dans l’infinie différence pour s’y reconnaître<br />
quand même. 'Fascinosum' de l’originaire identité d’avant la<br />
brisure. 'Tremendum' de la différence béante infiniment.<br />
Tout parle puisque tout peut être symbole. Tout peut devenir signe,<br />
hanter l’ailleurs... et faire signe. De même que deux moitiés d’un tesson<br />
brisé, en montrant la parfaite correspondance de leur brisure, peuvent<br />
être signe de reconnaissance, symbole au sens étymologique.<br />
Sumbolon, sumballein, mettre ensemble. Aucune des deux moitiés ne<br />
se suffit à elle-même. Chacune ne prend sens qu’avec l’autre. La<br />
visible avec l’invisible.<br />
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<strong>Le</strong> non-dit<br />
La nature se dit inconditionnellement ‘oui’ à elle-même. L’humain – le<br />
spécifique humain qui est verbe actif avant d’être substantif – émerge<br />
dans un ‘non’. Avec lui s’ouvre une fissure qui va s’élargissant en<br />
gigantesque faille. Une distance se creuse entre. Entre immédiat et<br />
différé, entre présent et passé, entre présent et futur, entre le désir et<br />
son effectuation, entre l’être et l’apparaître, entre le possible et l’impossible,<br />
entre le dit et le non-dit, entre ce qui est et ce qui doit être...<br />
Avant la parole n’est que le tohu bohu. Avec elle l’autre advient. La<br />
parole commence avec la négation du néant. Elle fait surgir l’être. Au<br />
singulier et au pluriel. Comme aux origines du monde, c’est le logos qui<br />
ne cesse d’être créateur. Que serait le simple donné naturel, que serait<br />
l’être du monde, s’il restait prisonnier du silence ? Accéder à la parole,<br />
c’est d’abord rompre l’éternel silence du monde. Et l’émergence de<br />
l’homme signifie cette rupture. Avec lui tout se met à parler. Et tout en<br />
lui, geste, main, regard, posture, attitude, démarche, rythme, devient<br />
parlant. L’humain signifie le déploiement d’un espace où tout parle.<br />
La parole à l'ailleurs d'elle-même... Reste un dire à la limite. Allégorie.<br />
Parabole. Poème. Symbole. L’extrême fragilité du sens existentiel, sa<br />
béance, sa ‘faiblesse’, renvoient vers la ‘force’ d’un autre ordre. Non<br />
pas en continuité mais en rupture. Béant sur un ‘ailleurs’. Béant sur une<br />
éternité. Béant sur un autre ordre. Béant sur un 'pourquoi’ infini. Béant<br />
sur un exode incessant. Béant sur une gratuité absolue.<br />
<strong>Le</strong> dit appelle le non-dit et celui-ci veut se dire. Dans la rupture et le<br />
dépassement de la rupture se dit autre chose. <strong>Le</strong>s signifiants sans<br />
cesse se brisent et se recollent, s’éloignent et s’embrassent, pour que<br />
surgisse du signifié. <strong>Le</strong> symbole, ainsi, dit un infini. Mais il ne le dit<br />
jamais que dans la nostalgie de l’autre moitié.<br />
156
157
Entropie et néguentropie<br />
L’entropie signifie la dégradation de l’énergie spirituelle. Du côté de de<br />
l’indifférence, de la clôture, de la nécessité. La néguentropie signifie<br />
l’esprit victorieux sur l’entropie. Du côté de la différence, de l’ouverture,<br />
de la liberté.<br />
Que faudrait-il faire pour vaincre l'entropie ? <strong>Le</strong> savant Maxwell imagine<br />
pour cela un `démon'. Soit un récipient dans lequel règne l'équilibre<br />
thermique, c'est-à-dire l'entropie maximale. Il faut diviser ce récipient en<br />
deux parties, appelées respectivement `chaude' et `froide', grâce à une<br />
séparation étanche munie seulement d'un clapet. <strong>Le</strong> démon doit surveiller<br />
l'agitation au hasard des molécules et ouvrir chaque fois le clapet<br />
pour laisser passer dans la partie `chaude' une molécule rapide qui se<br />
présenterait du côté `froid' et pousser dans la partie `froide' une molécule<br />
lente qui se présente du côté `chaud'. Peu à peu toutes les molécules<br />
lentes se trouvent dans la partie `froide' et toutes les molécules<br />
rapides, dans la partie `chaude'.<br />
Rétablir une telle différence de potentiel signifierait incontestablement<br />
la victoire sur l'entropie. Mais quel serait le prix d'un tel travail ? En<br />
vertu du second principe de la thermodynamique la dépense d'énergie<br />
nécessaire serait supérieure à celle qu'on gagnerait ! Imaginons<br />
cependant ce démon infatigable et d'un dévouement sans limite. Soit.<br />
Seulement l'existence même d'un tel être est d'une extrême improbabilité<br />
! Et, dut-il exister, pour produire de la néguentropie à l'intérieur<br />
du système clos que constitue le récipient, le démon ne pourrait pas ne<br />
pas créer de l'entropie en-dehors de lui, c'est-à-dire dans l'ensemble du<br />
système environnant. <strong>Le</strong> système `récipent-démon-environnement', en<br />
sa clôture, reste piégé. Il ne peut échapper à l'entropie.<br />
La néguentropie ne peut venir du système lui-même, bouclé en sa clôture.<br />
Elle ne peut venir que du dehors.<br />
158
159
La raison conquérante<br />
C'est dans la nature de la raison d'être conquérante. Elle ne renie son<br />
'impérialisme' qu'en se reniant elle-même. La raison est pour ellemême<br />
juge souverain du possible et de l’impossible. Norme du possible<br />
et de l’impossible, la raison signifie la limite de la liberté humaines. En<br />
elle la liberté s’ouvre un champ quasi infini, mais elle est elle-même<br />
l’ultime nécessité englobante de la liberté. C’est entre la double nécessité<br />
de l’être – déjà n’est pas le non-être ! – et de la raison que s’ouvre<br />
l’espace du possible humain, c’est-à-dire l’espace où peut s’articuler à<br />
l’infini le monde nouveau de l’humain.<br />
La science est raison en acte et en marche. Scandale pour le fixisme<br />
traditionnel qui tablait sur des contenus absolus et sur de l’acquis définitif.<br />
La raison en marche découvre que ce qui est absolu en elle, ce<br />
n’est jamais son ‘contenu’ toujours variable historiquement mais son<br />
pur espace ‘contenant’, sa pure ‘forme’ normative.<br />
La science est une construction logiquement et rationnellement cohérente.<br />
La vérité de cette construction ne lui vient ni de sa conformité au<br />
‘réel’, ni de son efficacité pratique, mais de sa propre démarche, dialectiquement<br />
progressive, vers la cohérence logique et rationnelle. La<br />
science en marche est à elle-même sa propre vérification.<br />
160
161
Structure - rupture<br />
Aussi bien sur le plan de la pensée que de l'action humaine il n'est pas<br />
de création qui ne passe par une destruction. <strong>Le</strong> dernier mot n'est pas<br />
à la structure mais à la rupture.<br />
Alors que l’animal vit dans un monde enchaîné où les choses se donnent<br />
nouées sur elles-mêmes et liées entre elles par des liens univoques,<br />
l’homme se donne un monde en rupture de liens. Et dans ce<br />
monde aux liens rompus tout peut se relier de façon nouvelle. Cette<br />
capacité de destructurer et de restructurer, de désarticuler et de réarticuler,<br />
est la possibilité autant manuelle qu’intellectuelle de l’homme<br />
un, spirituellement matériel et matériellement spirituel. Jeu interactif<br />
entre le geste et l’idée dans l’unité du travail créateur<br />
L’arc est d’abord absent là où sont trop présentes la branche et la liane.<br />
Pourtant il doit déjà hanter cette absence pour pouvoir imposer sa<br />
pertinence là où d’abord il n’est pas. Sans cette absente présence, il ne<br />
serait jamais. Pour fabriquer un arc, il faut nier la branche et en même<br />
temps la récupérer comme bois. Il faut nier la liane et en même temps<br />
la reprendre comme corde.<br />
Récupérer et reprendre dans l’autre. C’est la possibilité même de la<br />
signification. La signification est la possibilité spécifiquement humaine<br />
de nier le même présent au profit d’un autre absent, et de rendre cet<br />
absent présent. Ainsi apparaît la liaison indissociable entre nouvelle<br />
’stucturation’ et nouvelle ’signification’, entre homo faber et homo sapiens,<br />
entre science qui déchiffre le monde et technique qui restructure<br />
les chiffres ainsi libérés, chaque signification en marche appelant de<br />
nouvelles structurations et chaque structuration acquise se destructurant<br />
et se restructurant pour de nouvelles significations... A l’infini.<br />
162
163
La structure<br />
L’ancienne intelligibilité visait à connaître le mystère du lien ontologique<br />
des êtres et des événements. C’est pourquoi elle spéculait sur des<br />
‘principes’, des ‘vertus’, des ‘forces’, des ‘influences’, etc. sensés nouer<br />
le monde conçu comme une totalité ‘symbiotique’.<br />
La nouvelle intelligibilité mécaniste n’appréhende plus un monde<br />
ontologiquement lié mais un univers logiquement structuré selon des<br />
rapports mathématiques dans un espace-temps géométrique. Elle n’est<br />
plus centrée sur l’être mais sur la structure. L’être, en quelque sorte<br />
démystifié, est livré dans sa nudité à la manipulation.<br />
<strong>Le</strong> concept de 'structure', devenu un concept cardinal dans l’épistémé<br />
moderne, livre toute chose à l’articulation, à la désarticulation et à la<br />
réarticulation. Dans la certitude que tout relève d’une vaste combinatoire<br />
et peut se construire et se déconstruire, théoriquement et pragmatiquement,<br />
intelligiblement et efficacement, dans la stricte extériorité<br />
transparente de l’espace et du temps. A travers la 'psychanalyse' de la<br />
'matière' résiste seule la notion de structure devenue ainsi une notionclé<br />
de l’intelligibilité moderne. Dégagée des projections anthropomorphes,<br />
délaissant le plan métaphysique, elle opère le passage de l’ontologique<br />
au logique, de l’être à la relation intelligible. Rapport logique,<br />
calculable, traduisible en fonction de type mathématique<br />
Voici H-O-H. C’est la même eau. Mais pour ainsi dire dans sa nudité.<br />
Simple formule. L’eau devenue intelligible. Non plus 'essence' mais<br />
pure structure. Simple rapport logique qui traduit la structure moléculaire<br />
de l’eau et qui me livre en même temps sa loi de construction. H<br />
et O ne sont pas d’abord de l’hydrogène et de l’oxygène au sens où ils<br />
renverraient à des ‘composants’ essences ou substances. Ce sont<br />
d’abord des symboles comme d’autres symboles de type mathématique.<br />
164
165
Structuration<br />
La pensée est d’abord discursive. Elle se constitue par structuration,<br />
destructuration et restructuration de concepts, de jugements et de<br />
raisonnements. Elle procède par articulation, désarticulation et réarticulation<br />
d’éléments et de complexes structurels selon des médiations<br />
reliantes ou des enchaînements. Structurations, articulations et médiations<br />
définissent une sorte de mécanisme mental toujours plus ou<br />
moins formel et ayant un certain degré de généralité<br />
La signification est la possibilité spécifiquement humaine de nier le<br />
même présent au profit d’un autre absent, et de rendre cet absent<br />
présent. Ainsi apparaît la liaison indissociable entre nouvelle ’stucturation’<br />
et nouvelle ’signification’, entre homo faber et homo sapiens,<br />
entre science qui déchiffre le monde et technique qui restructure les<br />
chiffres ainsi libérés, chaque signification en marche appelant de<br />
nouvelles structurations et chaque structuration acquise se destructurant<br />
et se restructurant pour de nouvelles significations... A l’infini.<br />
La béance ne peut être que le propre de l'esprit. La matière, en effet,<br />
fonctionne en bouchant les trous. Il est vrai que rien n’existe concrètement<br />
qui ne soit ’construit’, de l’atome aux formes les plus complexes<br />
de la vie, de la pierre éclatée de l’homme préhistorique aux prouesses<br />
de la technique avancée, des premiers balbutiements du langage aux<br />
plus sublimes paroles poétiques ou mystiques. Tout est articulé,<br />
désarticulé, réarticulé, structuré-ensemble, construit. Pourtant l’essentiel<br />
humain surgit à travers la destruction des constructions. Il n’est pas<br />
en continuité mais en rupture. Il advient du côté de l’autre.<br />
166
167
Rationalité constituante<br />
La raison constituante est tellement discrète qu’elle ne se manifeste<br />
pas habituellement en pleine lumière. <strong>Le</strong>ibniz déjà disait des principes<br />
qu’ils étaient comme les muscles et les tendons le sont pour marcher,<br />
quoiqu’on n’y pense point. Elle est pauvre en face de la richesse de la<br />
raison constituée. Elle est servante. Elle est outil de tout outil. Mais elle<br />
est reine aussi. Norme suprême de toute pensée réfléchie et de toute<br />
action cohérente. Juge souverain de ses pouvoirs. Ancillaire et néanmoins<br />
souveraine possibilité d’un non, d’une distance, d’une rupture,<br />
faisant irruption au cœur de la nature.<br />
A travers ses aventures historiques, la raison reste immuable dans ses<br />
exigences. Quelles que soient les formes concrètes de son application,<br />
la raison demeure imperturbablement ouverture critique et exigence de<br />
rationalité. En tant que constituante, la raison reste immuablement exigence<br />
axiologique. Et c’est cette raison activement constituante, raison<br />
de toute raison historiquement constituée, qui régit universellement<br />
l’espace matriciel de l’humain, l’espace du logos.<br />
La ‘science’ n’est pas simplement la science constituée, c’est-à-dire<br />
l’édifice imposant de l’ensemble des concepts, des connaissances, des<br />
méthodes, des lois et des théories. L’état de la science à un moment<br />
donné de sa démarche n’est jamais qu’un état relatif et révisable.<br />
Derrière les sciences constituées est à l’œuvre la science constituante,<br />
c’est-à-dire la conquête de la raison scientifique. Une aventure jamais<br />
achevée de l’intelligibilité scientifique.<br />
168
169
Espace de la science<br />
La science se construit et se totalise en postulant – postulare: demander<br />
qu’on lui accorde – un certain espace d’intelligibilité.<br />
Cet espace est totalitaire: rien, en droit, n’échappe à cette intelligibilité,<br />
même si, de fait, provisoirement, il reste des zones d’ombre ou de<br />
mystère. Cet espace est cohérent: le même type d’intelligibilité le régit<br />
de part en part. Cet espace est homogène: il n’y a pas de rupture<br />
d’intelligibilité. Cet espace est structural: ne porte pas sur l’être mais<br />
sur la structure; tout est articulable, désarticulable et réarticulable,<br />
analytiquement et synthétiquement, inductivement et déductivement,<br />
selon des rapports calculables. Cet espace est déterministe: les<br />
rapports entre les parties et entre le tout et les parties sont nécessaires<br />
et se traduisent par des relations logico-mathématiques. Même l’<br />
‘indéterminisme’ est traité de façon déterministe. Cet espace est<br />
objectif: il porte strictement sur un ‘ce que’, exclusif de tout ‘projet’ et de<br />
toute ‘intention’. Dans un tel espace les assertions sont fondamentalement<br />
hypothético-déductives.<br />
La science ‘constituante’ provoque sans cesse la science ‘constituée’<br />
en avant d’elle-même. Dans son évolution d’ensemble, la science<br />
progresse dialectiquement. L’histoire des sciences est l’histoire<br />
mouvementée de victoires remportées sur la contradiction. Une vérité<br />
scientifique est chaque fois une contradiction (provisoirement) surmontée.<br />
En attendant de rencontrer une nouvelle contradiction qui<br />
l’obligera à se dépasser. La perspective d’une science qui avancerait<br />
en ligne continue par simple ’accumulation’ répond à une image naïve.<br />
Ce sont les crises qui sont motrices du progrès scientifique. <strong>Le</strong> progrès<br />
des sciences signifie quelque chose comme une révolution permanente.<br />
170
171
Progressivité historique<br />
L’idée aime se retrouver avec l’idée dans le monde du même. Là règne<br />
l’ordre homogène de la transparence, de la clarté et de la distinction, et,<br />
partant, de la compréhension et de la prévisibilité. <strong>Le</strong>s choses sont<br />
appelées à s’ordonner logiquement les unes aux autres et à se tenir<br />
solidement par la main. Dans ce réseau de liens serrés la surprise ne<br />
peut être que passagère, vite arraisonnée par la nécessité de l’ordre du<br />
même qui tend à se faire totalitaire.<br />
Quelque chose, cependant, ne se laisse jamais complètement intégrer<br />
dans la sphère idéelle. C’est le réel. Non pas l’idée du réel, mais le<br />
réel-réel. L’idée fait très vite le tour de toute l’étendue de son domaine.<br />
<strong>Le</strong> réel, lui, déborde toujours les compréhensions. Il ne se livre pas<br />
entièrement. Il ne se laisse prendre que par un bout de lui-même. Ce<br />
qu’il a d’unique et de particulier résiste aux généralités. Sa dimension<br />
de facticité déborde les nécessités logiques. Cet autre de l’idée<br />
provoque l’idée à ériger ses défenses et à se réfugier dans l’espace<br />
apprivoisé de son possible ‘idéel’. C’est là qu’elle construit ses citadelles<br />
idéologiques. Mais combien de temps ces fortifications restentelles<br />
imprenables ? L’autre se révèle toujours, à terme, plus fort que les<br />
sécurités du même. <strong>Le</strong>s idéologies ne tiennent que pour un temps,<br />
vaincues par les morsures de l’expérience, les béances de l’histoire et<br />
les négativités qu’elles-mêmes ne cessent d’engendrer.<br />
<strong>Le</strong> pénible passage de l'abstrait au concret se voit dans la lente évolution<br />
du domaine scientifique depuis les Grecs jusqu'à aujourd'hui.<br />
Plus l'objet d'un domaine est concret, plus son accès au statut<br />
scientifique est difficile.<br />
<strong>Le</strong>s Grecs ont fondé la mathématique et posé l’idéal mathématique<br />
comme principe de toute science. Paradoxalement la valeur même de<br />
leur découverte allait jouer comme obstacle et comme limite. Telle était<br />
la séduction de l’idée que toute compromission avec son ’autre’, c'està-dire<br />
le réel concret, semble impensable. <strong>Le</strong> lent accès des différents<br />
domaines au statut scientifique en témoigne.<br />
172
173
Analyse – synthèse<br />
La pensée ne penserait pas sans cette fondamentale différence. Analyse<br />
et synthèse constituent les deux mouvements essentiels de la<br />
pensée. Chacun de ces mouvements peut être privilégié selon le<br />
rapport du sujet pensant avec l’objet pensé et, partant, dominer globalement<br />
tel ou tel processus articulatoire. Ainsi, par exemple, tel<br />
raisonnement mathématique procédera plutôt selon le mouvement<br />
synthétique; tel moment d’une explication physique sera plutôt sous le<br />
signe de l’analyse.<br />
Mais la démarche d’ensemble de la pensée, aussi bien dans son<br />
mouvement total que dans chaque moment de son processus, implique<br />
dialectiquement la complémentarité des deux mouvements antithétiques<br />
que sont l’analyse et la synthèse. Renan n’a-t-il pas dit fort judicieusement<br />
que toute connaissance était une analyse entre deux<br />
synthèses ? Cela est vrai non seulement de la connaissance dans son<br />
ensemble, non seulement de chaque connaissance particulière, mais<br />
même de chaque moment le plus élémentaire de chaque connaissance.<br />
Cela est vrai déjà au niveau de la simple perception. Voir un<br />
arbre n’est-ce pas, à partir d’une aperception synthétique, première et<br />
confuse, distinguer analytiquement, pour percevoir l’unité synthétique<br />
de ce que nous pouvons désigner et penser comme ‘arbre’ ? Cela est<br />
vrai au niveau des processus les plus complexes de la recherche, de la<br />
découverte et de l’explication scientifiques.<br />
C’est grâce à cette articulation dialectique de deux mouvements de la<br />
pensée, le mouvement inductif et le mouvement déductif, que l’esprit<br />
réalise progressivement l’accord avec le réel naturel. Ce travail est à<br />
l’œuvre dès la simple perception. Pour l’homme le ’sentir’ et le ’voir’<br />
sont déjà pétris d’idée parce que déjà assumés dans la conduite du<br />
logos. Avec le langage commence la science. L’articulation discursive<br />
du langage prend de plus en plus en charge l’articulation rationnelle<br />
d’un cosmos dans l’unité du logos indissociablement parole, calcul et<br />
raison.<br />
174
175
Entre idée et réel<br />
La science en tant qu'expérimentale procède dialectiquement entre les<br />
deux polarités différentielles que sont le donné naturel et l’idée. Claude<br />
Bernard dégage le moment ternaire de ce processus expérimental: le<br />
fait suggère l’idée. L’idée dirige l’expérience. L’expérience juge l’idée.<br />
C’est grâce à cette articulation dialectique de deux mouvements de la<br />
pensée, le mouvement inductif et le mouvement déductif, que l’esprit<br />
réalise progressivement l’accord avec le réel naturel. Ce travail est à<br />
l’œuvre dès la simple perception. Pour l’homme le ’sentir’ et le ’voir’<br />
sont déjà pétris d’idée parce que déjà assumés dans la conduite du<br />
logos. Avec le langage commence la science. L’articulation discursive<br />
du langage prend de plus en plus en charge l’articulation rationnelle<br />
d’un cosmos dans l’unité du logos indissociablement parole, calcul et<br />
raison.<br />
De la simple perception subjective à la perception objective des faits,<br />
faits scientifiques, de la perception objective des faits à l’articulation<br />
rationnelle des rapports entre les faits, lois scientifiques, de l’articulation<br />
des rapports entre les faits à l’articulation de rapports entre les rapports,<br />
théories scientifiques, s’opère une progressive conquête dialectique<br />
de l’intelligible sur le sensible, du rationnel sur l’empirique, de<br />
l’esprit sur la matière. Et cette conquête évolutive et révolutive est<br />
donnée, inchoativement, dès que le spécifique humain émerge à la fois<br />
en continuité et en rupture avec la nature.<br />
176
177
<strong>Le</strong>s rapports<br />
L’attitude naïve consiste à croire en un objet en soi autour duquel<br />
graviterait un sujet en soi, pour le connaître en le découvrant et en s’en<br />
faisant une représentation-reflet. <strong>Le</strong> renversement de cette attitude<br />
représente incontestablement un effort critique par sa prise de distance<br />
par rapport à la séduction naïve qu’exerce ‘naturellement’ l’objet sur le<br />
sujet. Dans ce renversement c’est le sujet qui devient central et qui<br />
prend conscience que c’est finalement grâce à lui – grâce à ses<br />
structures sensorielles et intellectuelles – que l’objet se manifeste de<br />
telle façon alors qu’il pourrait fort bien se manifester autrement si la<br />
structure du sujet connaissant était autre.<br />
Ce renversement signifie quelque chose comme une révolution copernicienne<br />
sur le plan épistémologique. Une critique plus critique, cependant,<br />
découvre dans ces deux perspectives antithétiques une naïveté<br />
encore plus fondamentale, à savoir la croyance en un ‘absolu’ de type<br />
métaphysique: un objet ‘en soi’ et un sujet ‘en soi’... Elle les dépassera<br />
dialectiquement.<br />
<strong>Le</strong> débat cosmologique fut faussé par cette croyance naïve en des<br />
points absolus de l’univers. Nous savons aujourd’hui qu’il est presque<br />
aussi faux – ou aussi vrai – d’affirmer que la terre tourne autour du<br />
soleil que d’affirmer que le soleil tourne autour de la terre. La première<br />
affirmation n’est pas plus vraie que la seconde; elle est simplement<br />
plus commode pour un observateur placé à l’intérieur du système<br />
solaire.<br />
C’est que la notion de rapport (logico-mathématique) s’est substituée<br />
aux réalités ‘en soi’ (métaphysiques). Rapport entre soleil et terre.<br />
Rapport entre sujet et objet. L’objet de la science n’est plus un objet en<br />
soi ayant sa vérité et même sa réalité indépendamment du sujet<br />
connaissant. L’objet de la science c’est le rapport lui-même entre un<br />
sujet et un objet. Rapport purement logique qui se traduit mathématiquement<br />
178
179
Hypothético-déductif<br />
L'idée de derrière... Si... alors. <strong>Le</strong> processus est hypothético-déductif. Il<br />
faut confronter l’idée aux faits. L’hypothèse n’a de signification scientifique<br />
que si elle est vérifiable. Il faut donc inventer les moyens de<br />
vérification. Et là encore procéder hypothético-déductivement. En<br />
l’occurrence, on le sait, c’est Pascal qui a inventé aussi bien le dispositif<br />
expérimental que les conditions d’expérimentation pour la vérification<br />
de l’hypothèse de Toricelli. L’hypothèse dirige l’expérience.<br />
L’expérience juge l’idée.<br />
L’objet de la science n’est plus un objet en soi ayant sa vérité et même<br />
sa réalité indépendamment du sujet connaissant. L’objet de la science<br />
c’est le rapport lui-même entre un sujet et un objet. Rapport purement<br />
logique qui se traduit mathématiquement. La science constitue donc un<br />
dépassement dialectique des deux perspectives antithétiques premières.<br />
Objectivité et subjectivité se dépassent pour se reprendre en<br />
totalité logico-matérielle que nous appelons ‘univers’. Cet univers n’est<br />
ni simplement donné ni simplement reçu. Il est construit. Il est en<br />
quelque sorte créé par la science.<br />
<strong>Le</strong> nouvel esprit scientifique relativise son discours comme ‘un’ discours<br />
possible sur la totalité. Il vise des relations plutôt que le ‘réel’. Il<br />
procède et se constitue hypothético-déductivement. Son ‘matérialisme’<br />
n’est plus de substance mais simplement de structure.<br />
La science est hypothético-déductive non seulement dans son processus<br />
interne mais encore dans sa possibilité constitutive radicale. La<br />
partie jouée présuppose en effet le ‘jeu’ et les ‘règles’ du jeu !<br />
180
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Dogmatisme – Scepticisme<br />
Une crise affecte aujourd’hui les sciences. Elle est surtout sensible<br />
dans les sciences fondamentales, à savoir la mathématique et la<br />
physique. <strong>Le</strong>s autres sciences, la biologie par exemple, fonctionnent<br />
dans l’espace des sciences fondamentales. Elles sont en quelque sorte<br />
englobées par elles. Elles ne se posent donc pas les questions essentielles.<br />
Elles continuent de fonctionner comme une sorte de meccano, à<br />
partir de ’pièces’ disponibles, quelles que soient les béances derrière<br />
ses matériaux et derrière ses lois de construction.<br />
Il y a là un tournant épistémologique d’une importance capitale qui<br />
ouvre la perspective moderne sur la vérité scientifique. Celle-ci ne peut<br />
plus se constituer en absolu dogmatique; elle se fait critiquement relative.<br />
Ce relativisme n’est pas sceptique puisque l’esprit en rend raison.<br />
La science est dépassement dialectique du dogmatisme et du scepticisme.<br />
<strong>Le</strong>s deux trouvent la vérité à travers leur affrontement et dans<br />
leur dépassement. <strong>Le</strong> dogmatisme affirme, le scepticisme nie ou met<br />
en question. <strong>Le</strong> dogmatisme campe sur ses certitudes. <strong>Le</strong> scepticisme<br />
laisse les questions ouvertes. <strong>Le</strong> dogmatisme appuie le pas sur la terre<br />
ferme. <strong>Le</strong> dogmatisme lève le pied pour pouvoir avancer.<br />
182
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L’englobant de la science<br />
Un espace ne peut être dit 'absolu' qu'à la condition qu'il ne soit pas<br />
englobé par un espace plus englobant. Or chacun de nos espaces humains<br />
n'est jamais que relatif. Mais chaque fois que nous voulons l'enfermer<br />
sur lui-même, en d'autres termes, chaque fois que nous voulons<br />
en faire l'espace unique et total de nos possibilités, nous l'érigeons en<br />
absolu. Mais cela se révèle être sans doute la plus gigantesque de nos<br />
illusions.<br />
On ne se libère de cette illusion que par le questionnement critique,<br />
c'est-à-dire par la quête infinie du 'pourquoi' derrière chaque 'pourquoi'.<br />
Une authentique écologie (oïkologie) épistémologique ne peut pas<br />
passer à côté de la question de l'englobant de tous les englobants.<br />
Derrière la multiplicité des espaces englobés, quel est l'ultime espace<br />
englobant, c'est-à-dire finalement l'espace du sens du sens ? Ici<br />
l'éventail des options ouvre l'indéfinie différence des engagements.<br />
Cet espace que la science ne peut pas ne pas se donner, sous peine<br />
de se nier elle-même, recouvre-t-il la totalité de tout espace possible de<br />
l’intelligibilité ? Cet englobant que la science pré-suppose sans pouvoir<br />
en rendre raison constitue l’originaire postulat de la science. <strong>Le</strong> ‘régionalisme’<br />
est tentation permanente de l’esprit humain. <strong>Le</strong> ‘cosmos’ est<br />
toujours à la mesure de notre possible. Quelle que soit la dimension de<br />
notre totalisation. Notre possible nécessairement totalise. Notre raison<br />
totalise. Notre impossible possible est critique de la critique à l’infini.<br />
Avec la science il ne s'agit encore que de l'englobant d'intelligibilité. Par<br />
contre, Une question comme "pourquoi la science ?" la situe elle-même<br />
flottante dans un autre espace qui n'est plus simplement 'scientifique', à<br />
savoir l'espace du 'sens'. Ainsi l'englobant de la science se trouve luimême<br />
englobé dans un englobant plus large. La 'maison' science se<br />
situe dans un oïkos plus englobant.<br />
Et chaque espace 'englobant' d'un espace 'englobé' marque la béance<br />
de celui-ci. Mais où trouvera-t-on l'ultime espace englobant qui n'est luimême<br />
béant sur aucun autre ?<br />
184
185
<strong>Le</strong> sens<br />
<strong>Le</strong> sens ? Même en fuyant la question on ne sort pas de son englobant<br />
! Même le non-sens en vit à sa manière.<br />
On trouve le sens est partout... du côté du sentir, de la compréhension,<br />
du signifier, de l'expliquer, de la direction, de l'orientation, de la valorisation,<br />
de la raison d'être... Ici il s’agit du sens de l’existence... La<br />
raison d’exister, la raison de vivre, la raison d’être embarqué. Face à<br />
l’absurde, à la déraison, au non-sens. Savoir où l’on va. Ne manquer ni<br />
de boussole ni de référentiel. Etre paré pour affronter les tempêtes.<br />
<strong>Le</strong> sens appelle à travers son absence ou son contraire, à savoir l’absurde,<br />
l’incompréhensible, l’irrationnel...<br />
Contrairement à l’animal à qui le sens est pour ainsi dire donné<br />
d'emblée, l'homme est l'être en qui le sens se décide. L’animal ne ‘perd’<br />
jamais le sens. Seul l’homme peut le perdre. Il lui appartient de se le<br />
donner.<br />
La protestation du sens est identiquement la protestation de la différence.<br />
Là où ça ne proteste plus, il n’y a plus de sens. Reste le règne<br />
de l’indifférence. En traversant la différence l’humain se décide. L’indifférence<br />
est stérile et insignifiante.<br />
L’indifférence tend vers le sens zéro. <strong>Le</strong> sens est fils de la différence.<br />
On peut même affirmer d’emblée que plus est forte la différence, plus<br />
fort est le sens. En même temps c’est le sens qui provoque inlassablement<br />
la différence. Sans lui, dans le cosmos, régnerait l’absolue<br />
équivalence.<br />
Il n’y a pas de valeur qui ne soit fondamentalement exigence de différence.<br />
Que serait, en effet, le Bien en soi, le Vrai en soi, le Beau en soi,<br />
le Juste en soi... s’il n’y avait pas en face, antagoniste provocateur, le<br />
mal, le faux, le laid, l’injuste ? Or le sens implique que les valeurs<br />
‘valent’.<br />
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Notre espace d’humanité<br />
Notre espace d’humanité. Aucun d’entre nous ne survit sans s’y désaltérer,<br />
sans s’y nourrir, sans y respirer. Pas seulement physiquement !<br />
L'humain habite un espace. Cet espace n'est pas d'abord la simple<br />
structure spatiale abstraite et vide de la géométrie, mais un espacetemps<br />
concret et vivant. Un espace où les 'contenus' sont en interaction<br />
avec le 'contenant'. Un espace qui est en même temps 'plus' que la<br />
somme des parties qui l'occupent et qualitativement différent d'elles. Un<br />
espace quasi biologique qui a déjà sa densité et son intensité spécifiques.<br />
Quelque chose comme un milieu de vie, un habitat... Une<br />
maison. Ma maison...<br />
L’espace de l’humain constitué à travers sa diversité spatio-temporelle.<br />
Espace de la raison constituée avec ses possibilités et ses impossibilités<br />
épistémologiques et pragmatiques. Espace de la parole<br />
constituée à travers les philosophies et les lettres. Espace du savoir<br />
constitué à travers les sciences ou les mythes. Espace de la sensibilité<br />
constituée à travers les arts, les modes, les séductions. L’espace des<br />
rêves, des projets et des utopies. L’espace des valeurs. L’espace des<br />
croyances. L’espace des techniques et des constructions. L’espace des<br />
réseaux et des communications...<br />
Avant même que 'je' ne devienne homme, déjà il y a un espace qui me<br />
précède et où le 'çà' du sens de l'humain se déploie ou se retire.<br />
Cet espace de l’humain est matriciel. Il porte en gésine. <strong>Le</strong> petit de<br />
l’homme sorti du sein biologique n’est encore, d'une certaine façon,<br />
qu’une sorte de ‘matière première’ à hominisation. Son humanité fœtale<br />
n’arrive à maturation qu’à travers un long engendrement dans l’espace<br />
humain du sens.<br />
188
189
<strong>Sens</strong> constitué et sens constituant<br />
Concrètement, le discernement n’est pas toujours facile, l’englobé se<br />
prenant pour l’englobant. Sans oublier qu’un 'englobant' peut se trouver<br />
'englobé' à un niveau plus large<br />
<strong>Le</strong> sens constituant est tellement discret qu’il ne se manifeste pas<br />
habituellement en pleine lumière. Il reste toujours pauvre face à la<br />
richesse des sens constitués. Il est comme l'âme dans un corps.<br />
<strong>Le</strong> sens constituant. <strong>Le</strong> sens du sens. C’est-à-dire le sens qui donne<br />
sens. <strong>Le</strong> sens qui porte et englobe les sens ‘constitués’. <strong>Le</strong> sens qui<br />
proteste contre l’absurde. <strong>Le</strong> sens qui résiste au non-sens. <strong>Le</strong> sens qui<br />
ouvre les horizons. <strong>Le</strong> sens qui met en perspective. <strong>Le</strong> sens qui<br />
rassemble ce qui est dispersé et disperse ce qui s’agglutine. <strong>Le</strong> sens<br />
qui libère les ‘pourquoi’ de l’angoisse. <strong>Le</strong> sens qui affecte d’un ‘plus’ le<br />
verbe être. <strong>Le</strong> sens qui crève les cercles vicieux. <strong>Le</strong> sens qui fait que<br />
les raisons se tiennent et s’entretiennent. <strong>Le</strong> sens qui lit entre les<br />
lignes. <strong>Le</strong> sens qui met en transparence. <strong>Le</strong> sens qui ne perd pas<br />
l’humour.<br />
<strong>Le</strong> sens constitué. C’est-à-dire le sens historiquement et socialement<br />
constitué. <strong>Le</strong> ‘sens’ que nous nous donnons pour vivre et survivre. <strong>Le</strong><br />
sens ‘commun’ de notre compréhension. <strong>Le</strong> sens partagé de notre<br />
expérience... Mais aussi (hélas!) <strong>Le</strong> ‘sens’ de nos facilités et de nos<br />
pares-ses. <strong>Le</strong> ‘sens’ de nos démissions. <strong>Le</strong> ‘sens’ qui nous fige dans<br />
nos habitudes... <strong>Le</strong>s succédanés du sens: <strong>Le</strong> sens factice. <strong>Le</strong> sens<br />
fabriqué. <strong>Le</strong> sens pacotille du quotidien. <strong>Le</strong> sens des horizons convenus.<br />
<strong>Le</strong> sens du ronron habituel. <strong>Le</strong> sens ‘mini’ de l’ élémentaire. <strong>Le</strong><br />
sens mercenaire. <strong>Le</strong> sens utilitaire. <strong>Le</strong> sens anonyme du ‘on’. <strong>Le</strong> sens<br />
du divertissement. <strong>Le</strong> sens des paradis artificiels. <strong>Le</strong> sens de la fuite en<br />
avant. <strong>Le</strong> sens des façades. <strong>Le</strong> sens futile du moment. <strong>Le</strong> sens<br />
pathologique. <strong>Le</strong> sens coprophage...<br />
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191
<strong>Le</strong> surgissement du logos<br />
Si n’était pas la parole... Ce conditionnel est lourd d’absurde. Mais sans<br />
la parole l’absurde lui-même n’aurait pas de sens. Rien n’aurait de<br />
sens. Bien moins, rien n’existerait. Que serait en effet l’être immergé<br />
dans un silence impénétrable ? Rien ne serait. Même pas le néant<br />
puisque le néant lui-même a encore besoin de se dire.<br />
Sans la parole... On peut essayer d’imaginer, à la limite – à l’extrême<br />
de la limite ! – un silence éternel et absolu. Mais c’est encore, c’est<br />
toujours, un silence qui parle ! Et s’il se taisait ? Alors plus rien... rien...<br />
rien... Même pas les points de suspension !<br />
L’humain n’est pas sans cette parole par laquelle l’homme se dit en<br />
proférant le verbe qui lui donne sens.<br />
L’homme parle. Il dit et se dit à travers ce dire. L’humain est création du<br />
verbe. En même temps le verbe est création humaine. <strong>Le</strong> cercle n’est<br />
vicieux que dans le monologue.<br />
Il n'y a d'humain que là où se dit une culture, c’est-à-dire un champ<br />
sémantique défriché, labouré et ensemencé.<br />
Une culture... c’est-à-dire un discours multiforme à travers les temps et<br />
les lieux. Un discours polyvalent fait aussi bien de gestes constructeurs<br />
et de graphies symboliques que de sonorités verbales. Un discours à la<br />
fois matériel et idéel. Un discours tour à tour logique et prophétique.<br />
<strong>Le</strong> ‘fond’ de culture: un ‘discours’ de base. Derrière les discours au<br />
pluriel se tient chaque fois un Discours au singulier qui les englobe. La<br />
multiplicité des discours d’une culture se profèrent interactivement sur<br />
fond de murmure de ce Discours. Donateur de cohérence, d’unité, de<br />
totalité, de valeur et de sens.<br />
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La personne donatrice de sens<br />
<strong>Le</strong> sens ne surgit pas de l’identité mais de la différence. L’acte du sens<br />
sort l’être de son in-différence et le situe dans la différence. L’instance<br />
différenciatrice par excellence est la personne humaine en sa liberté.<br />
<strong>Le</strong> spécifique humain n’est pas en continuité. Il est en rupture. Essentiellement<br />
sous les espèces de la personne. Ce n’est pas le ‘on’ mais la<br />
‘personne’ qui dote l’humain de son sens existentiel.<br />
La personne est un absolu au cœur de la contingence.<br />
La personne est l’homme qui passe infiniment l’homme.<br />
La personne est dissidence.<br />
La personne n'est pas règle mais exception.<br />
La personne ne se définit pas, elle est hors de...<br />
La personne ne se démontre pas, elle se montre.<br />
La personne n’est jamais épuisée par ce qui l’exprime.<br />
La personne ne fait pas le tour de son propre mystère.<br />
La personne est création continue.<br />
La personne est en route, dans le dépassement..<br />
La personne n'est jamais asservie La personne a horreur du plein.<br />
La personne sait être ailleurs.La personne respire l'humour.<br />
La personne s'accomplit dans ce qui vaut plus que la vie.<br />
La personne est riche de ce qui lui reste dans la nudité.<br />
Ce n’est pas la ‘nature’ qui dote l’humain de son sens existentiel mais<br />
la liberté. Selon la ‘nature’, en effet, l’homme n’est qu’un animal livré à<br />
la biologie. La ‘nature’ n’a ni compréhension ni respect pour les valeurs<br />
spécifiquement humaines qui restent proprement ‘contre-nature’. La<br />
sainteté, par exemple, ou l’exigence morale.<br />
L’âme prend corps... <strong>Le</strong> corps épouse l’esprit... La réalité spirituelle<br />
s’expérimente en même temps charnelle. Et la dimension charnelle,<br />
spirituelle. <strong>Le</strong> corps se vit comme un microcosme traversé par la<br />
béance. Il se fait médiateur de sens.<br />
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Ouvert sur un infini<br />
<strong>Le</strong>s concepts essentiels de notre condition peuvent se diviser en deux<br />
classes selon qu’ils sont ‘clos’ ou ‘ouverts’. <strong>Le</strong>s premiers nous<br />
permettent de devenir ‘maîtres et possesseurs’. Ils tendent vers un<br />
minimum de sens et un maximum de puissance. <strong>Le</strong>s seconds nous exposent<br />
et nous livrent à l’infinie béance. Ils nous laissent avec un<br />
minimum de pouvoir. Mais tendent vers un maximum de sens. .<br />
Béant sur un ‘ailleurs’. Béant sur une éternité. Béant sur un autre ordre.<br />
Béant sur un ‘pourquoi’ infini. Béant sur un exode incessant. Béant sur<br />
une gratuité absolue.<br />
<strong>Le</strong> sens est d’autant plus en béance qu’il est plus englobant et plus<br />
constituant. L’extrême sens est extrême béance. L’absence de Dieu en<br />
témoigne.<br />
<strong>Le</strong>s concepts de l'extrême sont en même temps d'extrême béance.<br />
Comment 'faire le tour' de concepts tels que Dieu, l’être, l’éternité, la<br />
facticité, l’existence, la mort, l’amour, la liberté, le mal... ? L’extrême<br />
fragilité du sens extrême, sa béance, sa ‘faiblesse’, renvoient vers la<br />
‘force’ d’un autre ordre. Non pas en continuité mais en rupture.<br />
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Composantes et exposantes<br />
Deux longues séries d'antinomies radicales dont on n'évoque ici que<br />
les axes majeurs. <strong>Le</strong>s premières garantissent les cohérences et les<br />
harmonies. <strong>Le</strong>s secondes ouvrent la démesure.<br />
L'humain, dans toutes ses dimensions, qu'elles soient personnelles,<br />
sociales, historico-culturelles, est enfant de la différence. Cette différence<br />
fondatrice non seulement le fait naître et grandir, elle le constitue<br />
en son être profond. Derrière les multiples différenciations, entre ‘droite’<br />
et ‘gauche’ par exemple, se tiennent des différences plus fondamentales.<br />
Celles-ci se fondent finalement sur les deux dimensions<br />
antithétiques fondatrices que sont les 'composantes' et les 'exposantes'.<br />
L’homme occidental ne se comprend pas lui-même s’il méconnaît les<br />
gigantesques différences qui se sont affrontées et inter-fécondées pour<br />
lui donner naissance. Il n’est pas né par parthénogenèse ! Il est né de<br />
père et de mère. Sa mère est païenne. Son père est judéo-chrétien. De<br />
son héritage maternel, il tient ses ‘composantes’. De son héritage<br />
paternel, ses ‘exposantes’<br />
<strong>Le</strong> moteur de cette étreinte d’extrême différence est dialectique. <strong>Le</strong><br />
génie païen avait bouclé en harmonie la plénitude immanente de<br />
l’humain. C’est cette positivité de la perfection ’thétique’ qu’affronte la<br />
négativité ’antithétique’ des significations judéo-chrétiennes.<br />
Deux conceptions radicalement différentes de la totalité. Deux visions<br />
radicalement différentes de l’homme. Deux espaces du pensable et du<br />
possible.<br />
La rencontre providentielle entre notre mère païenne et notre père<br />
judéo-chrétien fait s'étreindre les maternelles composantes et les<br />
paternelles exposantes.<br />
198
199
Constructeurs de la cité idéale<br />
et aventuriers de l’eschatologie<br />
Une telle typologie différentielle renvoie à une opposition profonde au<br />
cœur du sens de l’humain. Deux types humains. Deux projets d’humanité.<br />
Chercher refuge dans le repli protecteur de l’Age d’or et de la Cité<br />
idéale. Ou bien marcher vers la terre promise en risquant l’aventure et<br />
en consommant les ruptures.<br />
Intelligibilité différentielle. Cette opposition d'antinomies n'est pas pour<br />
dichotomiser le réel et le fixer en dualisme. En dégageant les significations<br />
antinomiques on veut essentiellement dégager un espace. Un<br />
espace de tension dialectique entre polarités antithétiques ou conceptspolaires<br />
au service d'une typologie différentielle créatrice, dialectiquement,<br />
d'intelligibilité. Il ne peut, en effet, y avoir d'intelligibilité qu'à travers<br />
la différence.<br />
Ces polarités ou concepts qui se répondent en s'opposant ne sont pas<br />
des étiquettes couvrant des contenus fixes et définis. Il s'agit plutôt de<br />
concepts ouverts qui visent au-delà vers une 'essence' qui se précise<br />
progressivement. Pour dégager l'essence derrière le concept "aventuriers<br />
de l'eschatologie", par exemple, un ensemble de phénomènes,<br />
de dimensions, de projets, d'archétypes, etc., donc un ensemble de<br />
concepts de même famille, s'appellent réciproquement et convergent<br />
vers cette 'essence'. Il en va de même pour le concept "constructeur de<br />
la cité idéale".<br />
L'essence de chaque famille antithétique se dégage ainsi en gagnant à<br />
la fois en 'compréhension' et en 'extension'. Dès lors l'essence se<br />
révèle ENTRE les deux.<br />
200
201
A travers<br />
L’esprit ne traverse pas seulement les matérialités. <strong>Le</strong> champ qu’il<br />
traverse est large comme l’esprit lui-même. Traversée des particularités<br />
vers l’universalité. Traversée de la confusion vers la clarté. Traversée<br />
de la subjectivité vers l’objectivité. Traversée de la dispersion vers<br />
l’unité. traversée de l’incohérence vers la cohérence. Traversée de la<br />
complication vers la simplicité. Traversée de l’absurde vers le sens.<br />
Traversée de l’indifférence vers la différence...<br />
<strong>Le</strong> sens humain se déploie en l’ouvert. A travers un champ de tensions<br />
dynamiques entre des essences antithétiques.<br />
Parler, c’est aussi traverser inlassablement le langage lui-même. Car<br />
celui-ci n’est que l’outil de la parole. Outil merveilleux, mais outil seulement.<br />
Donc service. La parole le traverse comme la création traverse<br />
les codages. La parole véritable, parle contre le langage.<br />
La logique de la traversée... Une logique apparemment illogique. Un<br />
affront à la logique simplement logique.<br />
L’essentiel humain passe à travers. L’homme parle grâce au signe<br />
libéré, dans l’exode hors d’un monde bouclé en sa compacité. L’essentiel<br />
passe entre les structures pour surgir en leur béance.<br />
Fils de la béance. Béant sur un ‘ailleurs’. Béant sur une éternité. Béant<br />
sur un autre ordre. Béant sur un ‘pourquoi’ infini. Béant sur un exode<br />
incessant. Béant sur une gratuité absolue.<br />
<strong>Le</strong> sens est d’autant plus en béance qu’il est plus englobant et plus<br />
constituant. L’extrême sens est extrême béance. L’absence de Dieu en<br />
témoigne.<br />
202
203
L’enfermement du souffle<br />
L’humain se coupe de la plénitude de l’être, prend son autonomie,<br />
boucle sa boucle et s’enferme dans sa ‘bulle’.<br />
Nous nous voulions maîtres et possesseurs du système total lui-même.<br />
Partant maîtres et possesseurs aussi de sa source chaude et de son<br />
puits froid. Maîtres et possesseurs donc de toute sa différence de<br />
potentiel, c'est-à-dire de toute son énergie spirituelle créatrice. Maîtres<br />
et possesseurs non seulement de notre possible englobé mais aussi de<br />
notre impossible englobant.<br />
Nous nous sommes mis à boucler en clôture notre espace d'humanité.<br />
Nous avons cru pouvoir faire fonctionner exponentiellement nos possibilités<br />
dans l'enfermement de notre schizoïde autonomie, bouclant en<br />
un gigantesque feed back les sorties de notre système sur ses entrées.<br />
Par quel miracle l'humain bouclé sur lui-même ne succomberait-il pas à<br />
son entropie ? Notre modernité vit dans l'illusion d'un tel miracle. Obnubilés<br />
par notre possible sans aller jusqu'aux raisons profondes de ce<br />
possible nous croyons que l'humain est à lui-même sa propre source<br />
chaude. Pourquoi l'homme, fabricateur d'outilité, fabricateur de texture,<br />
fabricateur de texte, ne serait-il pas aussi fabricateur de ce qui lui vient<br />
d'ailleurs, par grâce ?<br />
La clôture moderne, en bouclant la totalité du sens en immanence et en<br />
faisant de l’homme schizoïde le créateur absolu du sens absolu, s’était<br />
donné l’illusion d’une infinie ‘ouverture’. Comme si le mythe de la ‘lucidité’<br />
était le plus aveuglant de tous ! En fait, c’est en clôture qu’elle<br />
fonctionne. Et cet enfermement lui coupe radicalement toutes les chances<br />
de survie. C’est-à-dire toutes les chances de la néguentropie.<br />
Inexorablement l’entropie gagne... C’est-à-dire la mort.<br />
204
205
L’écosystème du sens<br />
<strong>Le</strong>s réalités spirituelles se comprennent à travers le paradigme des<br />
réalités naturelles et matérielles. Il faut commencer par réfléchir sur ce<br />
qu'est un écosystème et comment il est menacé de mort lorsque lui est<br />
refusée l'ouverture. Tout se passe, en effet, comme si, à l'image du<br />
monde matériel, l'ordre spirituel se déployait dans un écosystème<br />
spécifique d'énergie spirituelle. Dans la biosphère il y a des éléments<br />
vitaux comme l'eau ou l'air qui sont pourtant bien communs. Nous n'en<br />
prenons réellement conscience que lorsqu'ils viennent à manquer.<br />
Ainsi en va-t-il du sens. Jusqu'à aujourd'hui nous ne savions pas son<br />
absence mortelle. Nous vivions inconsciemment dans sa surabondance.<br />
Nous le produisions tout naturelle-ment plus que nous ne le<br />
consommions. Nos réservoirs en débordaient.<br />
L'écosystème du sens est la grande maison du sens, la grande matrice<br />
spirituelle dans laquelle s'engendre et s'éduque l'humain en tant qu'humain.<br />
Il s'agit ici du système total du sens. Non pas de tel ou tel sens<br />
particulier, non pas de telle ou telle culture particulière, mais du sens<br />
absolu, c'est-à-dire du sens du sens.<br />
Il n'existe pas de grande culture qui ne se soit constituée sans une<br />
source chaude puissante de signifiants absolus: Dieu, l'Etre, le Cosmos,<br />
les Valeurs, le <strong>Sens</strong>... Egalement avec des accumulateurs sémantiques<br />
bien chargés comme la tradition, la religion, l'éducation, la<br />
sagesse commune, les monuments de l'art et de l'esprit...<br />
Même l’absurde le plus radical, aujourd’hui, ne succombe pas à sa<br />
propre logique parce que ne sont pas encore à plat les puissants<br />
accumulateurs d’énergie sémantique. Elle ne peut que vouloir refouler<br />
ce sans quoi elle ne pourrait survivre et qui, pourtant, contredit si<br />
diamétralement ses présupposés. Car nos audaces d’aujourd’hui ne<br />
fonctionneraient pas sans cette formidable réserve de sens, véritable<br />
capital d’énergie spirituelle constitué au cours des siècles d’intense vie<br />
spirituelle de l’histoire occidentale.<br />
206
207
Entropie<br />
Pourquoi le ‘mouvement perpétuel’ est-il impossible ? Pour-quoi un<br />
système ne peut-il fonctionner indéfiniment dans sa clôture ? En 1850,<br />
Carnot et Clausius ont énoncé le second principe de la thermodynamique.<br />
Depuis nous savons que toute énergie est soumise à son<br />
inexorable dégradation. Cette dégradation est irréversible. Cela veut<br />
dire concrètement qu’un système clos, où l’énergie est obligée de se<br />
recycler pour ainsi dire en ‘vase clos’, tend vers un équilibre thermique<br />
qui signifie sa mort. Cette dégradation s’appelle ‘entropie’.<br />
L’entropie est ‘naturelle’ descente. N’y a-t-il pas de ‘remontée’ ? Pour<br />
désigner une telle contrepartie de l’entropie on a forgé le concept de<br />
‘néguentropie’. Celle-ci, cependant, contrairement à l’entropie, ne va<br />
pas de soi. Elle est tâche laborieuse.<br />
Mortelle indifférence ! Lorsque la différence de potentiel tend vers zéro.<br />
Aucun système ne peut se régénérer dans sa clôture. L’ensemble de<br />
notre univers considéré comme un super-système clos va progressivement<br />
se désorganisant jusqu’à sa mort inéluctable.<br />
Comment vaincre l’entropie ? La savant Maxwell invente pour cela un<br />
‘démon’. Soit un récipient dans lequel règne l’équilibre thermique, c’està-dire<br />
l’entropie maximale. Il faut diviser ce récipient en deux parties,<br />
appelées respective-ment ‘chaude’ et ‘froide’, grâce à une séparation<br />
étanche munie seulement d’un clapet. <strong>Le</strong> démon doit surveiller<br />
l’agitation au hasard des molécules et ouvrir chaque fois le clapet pour<br />
laisser passer dans la partie ‘chaude’ une molécule rapide qui se<br />
présenterait du côté ‘froid’ et pousser dans la partie ‘froide’ une<br />
molécule lente qui se présente du côté ‘chaud’. Peu à peu toutes les<br />
molécules lentes se trouvent dans la partie ‘froide’ et toutes les<br />
molécules rapides, dans la partie ‘chaude’.<br />
<strong>Le</strong> démon infatigable ne pourrait pas ne pas créer de l’entropie endehors<br />
de lui, c’est-à-dire dans l’ensemble du système environnant. <strong>Le</strong><br />
système ‘récipient-démon-environnement’ reste piégé.<br />
208
209
Hors de la caverne<br />
Il faut ici relire l'allégorie de la caverne de Platon au Livre Septième de<br />
la République. Une allégorie - agoreuo-allos - une parole qui s'ouvre<br />
pour crier un ‘ailleurs' sur la place publique. Parabole de notre univers<br />
clos dans son “horizon indépassable” selon l'expression de Sartre, le<br />
grand spécialiste de nos enfermements.<br />
La caverne représente notre espace humain avec ses limites et dans<br />
sa clôture. L'homme y est enchaîné par les nécessités `naturelles' de<br />
sa condition. Son regard et sa manière d'être sont conditionnés par les<br />
multiples contraintes qui lui viennent de naissance et, ensuite, par<br />
acquis: ses possibilités physiques et physiologiques, son héritage<br />
culturel, son éducation, les réflexes naturels et acquis, ses habitudes<br />
mentales, le mimétisme social... L'illusion d'une caverne infinie oblitère<br />
les chances du dehors.<br />
Ton retour dans la caverne te laisse ridicule trouble-fête dans le petit<br />
monde des évidences naturelles. Bien plus, tu risques la mort. Car la<br />
moyenne ne pardonne jamais à l'unique de l'avoir quittée pour la vérité.<br />
Te voilà `alter' absolu.<br />
L’humain n’a pas fini de sortir de la caverne L'humain n'a pas fini de<br />
faire son exode. Aujourd'hui encore. Aujourd'hui plus que jamais. Il est<br />
vrai que nous l'avons aménagée, la caverne de notre monde moderne.<br />
Elle a été immensément élargie. Eclairée désormais à l'électricité,<br />
sonorisée avec puissance et haute fidélité et dotée de mille facilités,<br />
elle est devenue encore plus confortable. <strong>Le</strong> jeu des ombres s'est<br />
perfectionné. On n'en perd pas le moindre détail sur les petits écrans<br />
de la télévision. <strong>Le</strong>s médias s'amusent à orchestrer et à amplifier les<br />
débats des cavernicoles...<br />
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211
La tentation schizoïde<br />
Cela commence vers l’an 1100. Très timidement encore. Et de façon<br />
quasi innocente. Parmi les protagonistes nous trouvons un homme à la<br />
destinée singulière, Abelard, un des premiers ‘modernes’. Chez ce<br />
‘maître de la dialectique’ un drame se joue entre la raison et la foi. C’est<br />
avec la crise nominaliste, en effet, que l’intelligence occidentale commence<br />
à succomber à la tentation schizoïde.<br />
La source de l'idéalisme est dans l'absolu `je pense' clos sur lui même.<br />
Du nominalisme à Descartes et à toutes les formes d'empirismes et<br />
d'idéalisme, s'est imposé le postulat qu'un au-delà du possible de<br />
l'homme est impossible; qu'un au-delà de l'idée est illusoire; qu'un audelà<br />
de la pensée — de `ma' pensée ! — est impensable.<br />
Dès lors, que peut-il rester d'une réalité hors de moi, de la réalité `en<br />
soi' ? Simplement un `x' non seulement inconnu mais encore inconnaissable.<br />
N'est donc `réel' que ce qui l'est `pour moi'. N'est plus vrai<br />
que ce que je perçois comme vrai. N'est vrai que ce que je `sens'<br />
comme vrai. N'est vrai que ce que je totalise comme vrai. `Je pense' se<br />
fait ainsi l'origine, le fondement absolu, le critère ultime de la vérité.<br />
Bien plus le ‘connaissant' se fait pour ainsi dire créateur du `connu'.<br />
L'humain s'enferme en immanence. Ce phénomène s'est accentué de<br />
façon quasi exponentielle au cours des derniers siècles. <strong>Le</strong> monde<br />
coupe ses liens ontologiques avec l'Autre transcendant et se boucle sur<br />
lui-même en immanence. <strong>Le</strong>s naturelles ouvertures sur la transcendance<br />
sont colmatées. <strong>Le</strong>s béances sur Dieu sont comblées. L'homme<br />
boucle la boucle de l'humain autonome autour de son centre schizoïde.<br />
212
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Anthropocentrisme<br />
La schizoïdie anthropocentrique par laquelle la modernité accède à<br />
elle-même boucle l’autonomie en clôture totale dans le grand enfermement<br />
de l’humain sur l’humain. Pour la première fois depuis que l’homme<br />
existe, un système culturel et anthropogène prétend se fermer en<br />
absolue autonomie et à fonctionner en voulant se donner lui-même sa<br />
source chaude, son puits froid et ses accumulateurs sémantiques.<br />
L’humain se coupe de la plénitude de l’être, prend son autonomie,<br />
boucle sa boucle et s’enferme dans sa ‘bulle’.<br />
Dieu n’est plus l’ultime englobant. L’homme, maître et possesseur de la<br />
totalité, veut ultimement tout englober.<br />
Bouclant la boucle de l’homme sur lui-même, nous nous sommes<br />
constitué un empire d’humanité. De façon auto-gène. Sans l’Autre. En<br />
autonomie. Sans l’Autre. Avec nos longueurs à nous, nos largeurs à<br />
nous, nos hauteurs à nous et nos profondeurs à nous. Quelque chose<br />
comme une caverne – oui, impertinente pertinence d’un Platon, déjà ! –<br />
une caverne aux prétentions infinies, mais ultimement caverne quand<br />
même.<br />
Là nous nous sommes ouvert un monde de possibilités simplement<br />
phénoménales. L’infinité de ces possibilités pouvait nous donner assez<br />
de vertige pour nous étourdir face aux questions essentielles. Alors<br />
nous nous sommes mis à ne plus chercher notre humanité que dans le<br />
vaste jeu de ces possibles, dans l’extension de notre champ d’être et<br />
d’action, dans notre ‘présence’ au monde et notre emprise sur lui, sur<br />
les autres, sur l’histoire...<br />
La source chaude et le puits froid du sens étant enfermés en absolue<br />
finitude, le souffle du sens total se donne ainsi, en lui-même et pour luimême,<br />
à partir de son enfermement en immanence.<br />
214
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La bulle<br />
L’humain se coupe de la plénitude de l’être, prend son autonomie,<br />
boucle sa boucle et s’enferme dans sa ‘bulle’.<br />
L'homme se veut être 'maître et possesseur' de l'univers. Mais il a beau<br />
faire tout ce qu'il voudra, son 'royaume' ne pourra jamais être autre<br />
chose qu'une 'bulle' qui flotte dans un vide englobant.<br />
<strong>Le</strong> fils de la mère grecque revendique pour soi l’héritage paternel.<br />
L’homme révélé divin par grâce veut devenir dieu sans le Père. L’homme<br />
manifesté divin à travers l’expérience judéo-chrétienne veut poursuivre<br />
seul cette expérience sans Dieu.<br />
La judéo-chrétienne démesure, jusque là verticalisée, rompt la ’mesure’<br />
de l’Alliance et, chargée d’une dynamique qui lui vient de l’Autre, se<br />
reprend en autonomie et explose en horizontalité. Alors commence<br />
l’aventure de la grande schizoïdie qui boucle le divin possible de<br />
l’homme sur lui-même et le déploie, anthropocentrique, en son immense<br />
caverne d’Utopie.<br />
Une fois l’Alliance rompue, une fois Dieu refoulé, il reste à l’homme le<br />
repli autistique sur soi-même. Quelque chose comme une schizophrénie.<br />
L’esprit coupé. L’esprit divisé. L’esprit cassé. Nous n’avons<br />
plus besoin de toi ! Voici que le possible humain expulse la grâce et se<br />
voit livré aux péchés capitaux. C’est-à-dire aux sources du péché. Et en<br />
premier lieu, l’orgueil. <strong>Le</strong>s choses peuvent-elles désormais tourner<br />
autrement qu’après l’originelle rupture ? Vous serez comme des dieux.<br />
La séduction du tentateur devenait irrésistible. Ensuite... Ils virent qu’ils<br />
étaient nus. Reste la honte ou l’exhibitionnisme. La modernité opte<br />
pour le deuxième terme de l’alternative.<br />
La schizoïdie s’absolutise. De l’absolu divin vers l’absolu en immanence<br />
anthropocentrique. A la place du Verbe de Dieu qui éclaire tout<br />
homme, lumière constituante de toute lumière, le verbe de l’homme<br />
s’auto-éclairant.<br />
216
217
<strong>Le</strong> miroir brisé<br />
<strong>Le</strong> 'cœur' est comme la ‘source chaude’ de notre dynamique spirituelle,<br />
riche d’une réserve d’énergie résiduelle qui lui reste de son originaire<br />
surgissement créationnel. Il est profonde fidélité à la grande spiration<br />
des origines. Comme le petit enfant qu’on ne cesse jamais d’être au<br />
fond de soi-même le ‘cœur' vit et agit en très grande proximité avec sa<br />
‘nativité’ première. Il dit comme ‘naturellement’, comme ‘naïvement’, un<br />
‘oui’ serein à l’être, en accord fondamental avec la nature vraie des<br />
choses. Avant les mille ‘complications’ postérieures de l’existence.<br />
Béant sur la Béance des insondables profondeurs divines, le ‘fin-fond’<br />
de ton ‘cœur’ est ton être même à sa source, tel que sorti des mains de<br />
Dieu, à son image et à sa ressemblance, au premier matin de la<br />
création et tel que vagissant dans l’Esprit sa divine filiation de grâce.<br />
Ton ‘cœur’ n’est pas à soi-même ni son propre principe ni son maître<br />
absolu. Naturellement, nativement, naïvement, tel qu’il sort du Souffle<br />
créateur, le ‘cœur’ est donné en alliance et en profonde et fondamentale<br />
fidélité. Il est parfaitement orienté. Immédiatement cependant,<br />
dès le début de l’aventure humaine, l’infidélité le guette. Il peut boucher<br />
sa béance et se fermer à l’Autre qui le fonde.<br />
Déroutant mystère de la liberté humaine... Inquiétant mystère du<br />
péché... <strong>Le</strong> ‘cœur’ est transparent à la Lumière du Verbe qui illumine<br />
tout homme. Ton ‘cœur’ est le lieu de la vérité en toi. Que tu en prennes<br />
conscience ou non, lorsque ton ‘cœur’ est perverti, tout est perverti !<br />
Lorsque la grande relation verticale de divine humanisation est<br />
dénaturée, tout est dénaturé.<br />
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Refoulement<br />
Dieu refoulé comme est refoulée une angoisse. Car celui qui est ainsi<br />
refoulé a été ’connu’, au sens biblique du terme, concrètement et existentiellement<br />
rencontré. Même si un tel ou un tel peut croire ne l’avoir<br />
pas personnellement rencontré, la ’rencontre’ pourtant le marque parce<br />
que, déjà, il se trouve enfanté dans cette matrice culturelle, en cette<br />
histoire vécue, qui, elle, en a fait l’expérience vivante. L’homme moderne<br />
ne peut donc pas ne pas être ’complexé’ de Dieu ! On ne lutte<br />
pas toute une nuit avec l’Autre sans se trouver, comme Jacob, boitillant<br />
au matin. Mais finalement, est-ce Dieu qui est ainsi refoulé ou est-ce<br />
l’homme qui se refoule devant Dieu ?<br />
On ne refoule pas la transparence. <strong>Le</strong>s mécanismes de refoulement<br />
naissent avec le mensonge et le péché. Notre schizoïdie n’est pas un<br />
fait neutre. Il s’agit d’une schizophrénie coupable. C’est justement cette<br />
culpabilité qui se refoule.<br />
Mais est-ce Dieu qui est refoulé ? Ou est-ce l’homme qui se refoule<br />
devant Dieu ?<br />
L’homme moderne a beau protester. Il ne pourra jamais faire comme<br />
s’il était seulement sorti de la cuisse de Jupiter.<br />
Dieu refoulé: tout devient dieu. C’est-à-dire idole. Majuscules ! La<br />
raison coupée du Réel absolu, la raison renvoyée à sa propre justification<br />
par elle-même, ne peut pas ne pas ériger ses idées en ‘absolu’.<br />
Toutes ses idées. Chacune de ses idées. Multiples rationalisations.<br />
Autant de mécanismes de défense. Chaque fois le retour du refoulé<br />
sous des avatars différents. Une floraison d’ismes.<br />
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221
Dieu chassé<br />
Dieu chassé de notre paradis. <strong>Le</strong>s dessous du jeu du Prince de ce<br />
monde n’ont probablement jamais été autant soupçonnés qu’en nos<br />
jours où cette folle aventure commence à tourner mal. La schizoïdie<br />
des filles et des fils de Dieu n’a cessé de nouer sa cohérence dans<br />
l’autistique constitution d’un espace de pure immanence. Contre le<br />
Père. De cet espace – culturel, mental, épistémologique, pragmatique –<br />
de stricte ’humanité’, il fallait – symétrique inversion du récit de la<br />
Genèse ? – chasser Dieu.<br />
De trop, donc, le père judéo-chrétien, devant la revendication d’une origine<br />
purement parthénogénétique à partir de la seule vierge Athena. De<br />
trop, le Père de l’Etre, du Bien et de la Vérité puisque nous suffisent<br />
nos propres productions, nos propres valeurs, nos propres lucidités.<br />
Puisque nous prétendons être à nous-mêmes notre propre source. De<br />
trop, outrageusement de trop, le Père avec son Fils et le saint Esprit !<br />
Contre l'Alliance. A la Parole qui veut nouer toutes choses dans la<br />
fidélité de l'amour s'oppose un discours qui mobilise dans la division.<br />
Quelque chose comme un pacte factieux d'éléments rebelles, un pacte<br />
schizoïde.<br />
Pourtant on n’en finit pas de chasser Dieu. Il résiste au-delà de toute<br />
logique et de toute cohérence. Car la logique et la cohérence ne sont<br />
que de surface. Profondément, beaucoup plus profondément, occultée,<br />
refoulée, se joue, fascinante et effrayante, la grande dramaturgie.<br />
Mystérieuse négative théologie négative ! <strong>Le</strong> corps à corps des esprits,<br />
plus meurtrissant que le combat de Jacob avec l’Autre. L’homme n’en<br />
sort jamais que déhanché. Et la lutte reprend... La théomachie se<br />
poursuit.<br />
222
223
Maître et possesseur de l’idée<br />
Devenir maître et possesseur de la nature. Ce rêve cartésien ne pourrait<br />
se formuler s’il n’avait été précédé, plus de cinq siècles auparavant,<br />
de cet autre rêve de devenir maître et possesseur du sens. Est-il possible<br />
de maîtriser la nature avant de s’être rendu maître des essences<br />
et du verbe ?<br />
L’idée aime se retrouver avec l’idée dans le monde du ‘même’. <strong>Le</strong>s<br />
choses sont appelées à s’ordonner logiquement les unes aux autres et<br />
à se tenir solidement par la main. Dans ce réseau de liens serrés la<br />
surprise ne peut être que passagère, vite arraisonnée par la nécessité<br />
de l’ordre du même qui tend à se faire totalitaire<br />
Par manque d’ouverture à l’autre, par absence de référentiel qui la<br />
transcende, l’idée bouclée sur elle-même en idéologie ne peut que<br />
s’enfermer sur sa propre auto-justification. Cercle vicieux de la logique<br />
qui tourne en rond jusqu’à se trouver condamnée à justifier l’injustifiable.<br />
Idée... En ton nom que de terreurs engendrées !<br />
Quelque chose, cependant, ne se laisse jamais complètement intégrer<br />
dans la sphère idéelle. C’est le réel. Non pas l’idée du réel, mais le<br />
réel-réel. L’idée fait très vite le tour de toute l’étendue de son domaine.<br />
<strong>Le</strong> réel, lui, déborde toujours les compréhensions. Il ne se livre pas<br />
entièrement. Il ne se laisse prendre que par un bout de lui-même. Ce<br />
qu’il a d’unique et de particulier résiste aux généralités. Sa dimension<br />
de facticité déborde les nécessités logiques.<br />
L’autre se révèle toujours, à terme, plus fort que les sécurités du même.<br />
<strong>Le</strong>s idéologies ne tiennent que pour un temps, vaincues par les morsures<br />
de l’expérience, les béances de l’histoire et les négativités<br />
qu’elles-mêmes ne cessent d’engendrer.<br />
Eidolos: idole... L’idée est sa création devant laquelle l’homme risque<br />
de se prosterner<br />
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225
Sans transcendance ?<br />
Ayant perdu ses références verticales, notre culture s'est mise à fonctionner<br />
de façon unilatérale. Châtrée de la transcendance, elle se<br />
complaît dans son petit monde unidimensionnel où prolifèrent les<br />
redondances. Là elle trouve et fonde ses valeurs. Là elle élaborent ses<br />
nouveaux modèles.<br />
Dans la mesure où la schizoïdie bouclait la boucle sur elle-même, il<br />
fallait bien que l’irréductible transcendance humaine se logeât sur un<br />
vecteur disponible. <strong>Le</strong> ‘progrès’ est la transcendance investie dans<br />
l’immanence du vecteur de la temporalité historique.<br />
La transcendance est évacuée. Pourquoi ne le serait-elle pas ? Puisque<br />
au-delà de l'être phénoménal il n'y a que vide et néant.<br />
Exit donc la `transcendance'. Reste seulement une `visée transcendantale'<br />
La vraie transcendance étant évacuée, on se donne les `Ersatz' qu'on<br />
peut. Tant il est vrai que l'homme n'est homme que dans le dépassement.<br />
Aujourd'hui cette `transcendance' de substitution joue essentiellement<br />
en immanence. Et de mille façons, visibles ou invisibles. Elle se retrouve<br />
dans la fuite en avant de la croissance pour la croissance qu'on<br />
appelle `progrès'. On la rencontre à travers la démesure de nos projets<br />
d'aménagement et la hardiesse de nos constructions. Elle n'est pas<br />
absente de la compétitivité dans la recherche ou l'industrie. Elle stimule<br />
les concours. La chasse à tous les sens du mot ne serait pas sans elle.<br />
Elle habite l'orgie et le sexe débridé. C'est elle qui fait battre des<br />
records. <strong>Le</strong>s courses à la nouveauté s'en nourrissent. Elle se cache<br />
derrière l'évasion dans les drogues. Elle anime les esthétiques de<br />
l'immédiat infini. Sans elle il n'y aurait pas de compétition sportive. On<br />
peut la soupçonner même derrière les plénitudes nihilistes, les ivresses<br />
du néant ou plus simplement le plaisir de transgresser l'interdit.<br />
226
227
L’homme responsable de l’humain<br />
A l'homme devenu 'suprême' revient la tâche d'inventer l'homme et de<br />
réinventer inlassablement l'homme ! Tâche de Sisyphe sans cesse<br />
reprise et sans cesse échouée. Désormais l'homme est responsable de<br />
l'homme. Radicalement. Sans recours et sans garant autre que l'homme.<br />
Coupé du Verbe de Dieu l’humain en est réduit à trouver en son autoéclairage<br />
ses propres lumières.<br />
Dieu n’est plus l’ultime englobant. Il est lui-même englobé dans un plus<br />
grand que lui. Il relève désormais du seul possible humain. Et ce<br />
possible le déclarera de plus en plus comme impossible. Dans la<br />
meilleure des hypothèses une chance lui est laissée aux limites. Ainsi<br />
pour Kant... Non plus certitude. Simple postulat.<br />
Voilà donc le possible de l'homme livré à lui-même. Une grande<br />
euphorie pour celui qui se veut être `maître et possesseur' de toutes<br />
choses. Mais, en même temps, une tâche qui se fait infinie. Car<br />
désormais il s'agit de fonder ses fondements, de certifier ses certitudes<br />
et de valoriser ses va-leurs. Sans recours.<br />
La justification s'interdisant un dehors d'elle-même, c'est désormais à<br />
l'intérieur de la clôture qu'il faudra fonder et justifier. <strong>Le</strong> vrai, par<br />
exemple, ne pouvant plus se fonder autrement que par la seule noncontradiction<br />
à l'intérieur d'une totalisation schizoïde. Dès lors seule<br />
l'articulation interne, c'est-à-dire la méthode, est capable de faire la<br />
vérité. Empirismes et rationalismes se justifient tour à tour par une<br />
insistance sur un `je perçois' ou un `je conclus'. Phénomènes ou<br />
rapports logiques, qu'importe au fond puisque l'intelligence reste<br />
prisonnière de son seul possible.<br />
Quelle justification reste possible ? Lorsqu'il n'y a plus de valeur qui ne<br />
soit enclose dans les limites de l' `humain trop humain'. Lorsque toute<br />
légitimation tourne en rond, autour d'elle-même. Lorsque tout peut<br />
devenir légitime parce que tout peut se légitimer.<br />
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229
L’absurde<br />
L’absurde naît de l’enfermement. Lorsque les existences schizoïdes se<br />
retrouvent sans lien avec l’être total, sans lien avec la raison totale,<br />
sans lien avec le sens total. Reste alors l’être cassé. L’absurde en<br />
emplit les interstices.<br />
Reste la tâche impossible de rassembler les morceaux de la raison<br />
éclatée. La prétention moderne de “devenir maîtres et possesseurs de<br />
la nature" était logée et fonctionnait dans un système qui se prenait<br />
pour absolu. Mais, en fait, nous le découvrons aujourd'hui englobé<br />
dans un plus large système qui ne peut que le relativiser.<br />
Une inquiétante dichotomie nous habite. Une étrange schizophrénie<br />
nous gagne. Elle porte toutes les marques d'une psychose. <strong>Le</strong><br />
refoulement et la mise en place de mécanismes de défense. Nous<br />
refoulons Dieu. Nous dressons nos défenses contre lui.<br />
Nous n'avons pas fini de mesurer l'étroitesse de notre pensée et la<br />
faiblesse des petites lueurs de nos lumignons que nous prenions pour<br />
les `Lumières'.<br />
Comment, dans la rupture du lien théo-onto-logique, nouer la schizoïdie<br />
? Toute la modernité se bat jusqu'au désespoir et jusqu'à l'absurde<br />
avec cette question radicale.<br />
230
231
<strong>Le</strong>s illusions<br />
Notre modernité, encore trop éblouie par ses propres prouesses, n'a<br />
pas encore pris la mesure exacte de ses illusions<br />
Nous avons logé notre prétention de “devenir maîtres et possesseurs<br />
de la nature" dans un système qui se prenait pour absolu. Nous le<br />
découvrons aujourd'hui englobé dans un plus large système qui ne<br />
saurait le contenir et qui ne peut que le relativiser.<br />
Nous avons cru que la dynamique du sens surgissait ex nihilo ou<br />
encore sortait de la cuisse de Jupiter comme la chose la plus `naturelle'<br />
du monde. Nous prenons une plus grande conscience - le paradigme<br />
de notre écosystème matériel nous éclairant - que nos possibilités tiennent<br />
d'une plus englobante donation de sens.<br />
Nous vivons dans l'illusion d'un `ouvert' grandissant que nous ne cessons<br />
de nous octroyer à nous-mêmes. Voyez la `liberté'. Sans règle.<br />
Sans contrainte. Sans bornes. Sans `maison'... Clocharde. `Ouverte'<br />
simplement pour la satis-faction d'elle-même et finalement pour rien<br />
d'autre qu'une profonde frustration. En nous bouclant sur notre possible<br />
clos sur lui-même, nous nous bouclons dans l'absurde. C'est en ouvrant<br />
l'espace de l'humain à l'infini de Dieu que s'ouvre grand un espace<br />
pour l'espérance.<br />
Ici l'impossible Démon de Maxwell doit céder sa place à l'Ange de la<br />
grâce.<br />
232
233
Pollution spirituelle<br />
Aujourd’hui, plus que jamais, urge quelque chose comme une écologie<br />
du souffle. C’est lorsque l’air empeste que nous pensons à ouvrir nos<br />
fenêtres. C’est lorsque le souffle vient à manquer que nous nous<br />
souvenons qu’il y a un dehors. C’est lorsque nous étouffons sous les<br />
déchets que nous vient l’idée d’une écologie.<br />
Jamais autant qu’aujourd’hui risquions-nous l’asphyxie spirituelle. Pourtant<br />
n’a-t-il jamais existé une civilisation aussi riche en productions<br />
culturelles que la nôtre ? Certes. Mais il manque à cette prolifération de<br />
sens ‘constitué’ un espace ouvert à sa démesure.<br />
<strong>Le</strong>s réalités spirituelles se comprennent à travers le paradigme des<br />
réalités naturelles et matérielles. Tout se passe, en effet, comme si, à<br />
l’image du monde matériel, l’ordre spirituel se déployait dans un écosystème<br />
spécifique d’énergie spirituelle.<br />
Quelle valeur a l'eau lorsqu'elle surabonde ? Elle peut prendre un prix<br />
infini lorsque tu es perdu dans le désert. Nous n'avons pas fini de<br />
traverser notre désert spirituel. Pour étancher nos soifs essentielles<br />
nous risquons de ne plus trouver que les puits obstrués et les sources<br />
polluées par nos maîtres penseurs. Pourtant elles doivent bien exister<br />
ces “sources d'eau jaillissantes pour la vie éternelle” !<br />
Oïkologie... Il faudrait l'orthographier selon son étymologie pour éviter<br />
toute confusion avec ses contrefaçons qui prolifèrent par les temps qui<br />
courent.<br />
<strong>Le</strong> `logos' invité en notre `oïkos'. C'est-à-dire en notre maison d'humanité.<br />
C'est-à-dire dans toute la maison de l'humain. C'est-à-dire dans la<br />
maison de tout l'humain<br />
Il vient lorsque nous prenons conscience que nos puits sont obstrués et<br />
nos sources polluées. Il vient lorsque les flux énergétiques se font<br />
insuffisants et que les réservoirs se vident. Il vient lorsque les éboueurs<br />
ne suffisent plus à la tâche.<br />
234
235
L’illusion du progrès<br />
Nouvelle espérance. Substitut de l’Espérance chrétienne, la nouvelle<br />
espérance moderne se dit ‘Progrès’.Avec une Majuscule. Elle déborde<br />
largement le fait du progrès pour se faire idéologie. Et même idéologie<br />
dominante. La croyance au progrès est la croyance cardinale de la<br />
modernité.<br />
<strong>Le</strong> ‘progrès’ s’identifie à un gigantesque système exponentiel. Il s’agit<br />
du système de l’ensemble du possible humain sensé croître exponentiellement.<br />
L’outil de la technique. La capacité industrielle. L’éducation<br />
des hommes. L’énergie créatrice. La connaissance scientifique.<br />
<strong>Le</strong> développement des arts et métiers. <strong>Le</strong> savoir encyclopédique.<br />
L’organisation politique. La masse d’information. La conscience morale...<br />
Comment ne croîtrait-il pas infiniment, ce système exponentiel du<br />
possible de l’homme ? Qu’est-ce qui pourrait arrêter son expansion ? Il<br />
est impensable qu’une limite quelle qu’elle soit menace un jour de le<br />
contenir. Impensable... Donc impossible ?<br />
Par quel miracle l’humain bouclé sur lui-même ne succomberait-il pas à<br />
son entropie ? Notre modernité vit dans l’illusion d’un tel miracle.<br />
Obnubilés par notre possible sans aller jusqu’aux raisons profondes de<br />
ce possible nous croyons que l’humain est à lui-même sa propre<br />
source chaude. Pourquoi l’homme, fabricateur d’outilité, fabricateur de<br />
texture, fabricateur de texte, ne serait-il pas aussi fabricateur de ce qui<br />
lui vient d’ailleurs, par grâce ?<br />
Une vision plus ‘écologique’ ébranle ces illusions en restituant la totalité<br />
du phénomène humain dans la totalité de son ‘oïkos’. Il faut sortir de la<br />
caverne pour trouver la clé de notre condition. Notre source chaude est<br />
au-delà de nous-mêmes. C’est de notre englobant divin que vient la<br />
dynamique humanisante. La néguentropie nous est donnée comme<br />
grâce.<br />
Pour beaucoup d'esprits, l'évidence n'est pas encore évidente. C'est<br />
même incontestablement l'évidence la plus difficilement admissible par<br />
la modernité. Comme si le mythe de la `lucidité' était le plus aveuglant<br />
de tous ! <strong>Le</strong>s évidences, pourtant, se font criantes.<br />
236
237
Au défi entre clos et ouvert<br />
Nous nous voulions maîtres et possesseurs du système total lui-même.<br />
Bien plus, maîtres et possesseurs aussi de sa source chaude et de son<br />
puits froid. Maîtres et possesseurs, donc, de toute sa différence de<br />
potentiel, c’est-à-dire de toute son énergie spirituelle créatrice.<br />
Nous avons péché contre la Source chaude et le Puits froid. Nous<br />
avons cru garder la divine démesure en refusant sa source, l'Alliance,<br />
qui lui donne sens. A l'homme schizoïde devenu 'suprême' revient<br />
maintenant la tâche surhumaine d'inventer inlassablement l'homme ! Il<br />
est impossible que de l'immanence bouclée en stricte immanence<br />
puisse sortir autre chose que du tautologique trop humain. Il faut à<br />
l'homme plus que l'homme pour devenir vraiment humain. Il lui faut<br />
l'Autre. Il lui faut la grande Différence verticale. Il lui faut le Souffle de<br />
Dieu.<br />
Coupé du Verbe de Dieu l'humain en est réduit à trouver en son autoéclairage<br />
ses propres Lumières.<br />
238
239
Pourquoi survivons-nous quand même?<br />
Aucun système ne peut fonctionner en clôture avec des ac-cumulateurs<br />
à plat. <strong>Le</strong> `système' humain moins que tout autre. C'est parce que ses<br />
réservoirs d'énergie spirituelle et de ressources d'humanité ne sont pas<br />
vides et restent malgré tout encore `branchés' sur la source chaude<br />
que l'humain est capable de traverser sans mourir des espaces désertiques<br />
où le sens s'étiole et où l'absurde prolifère. Mais si les réserves<br />
s'épuisent ?<br />
Ce n'est que pour un temps seulement que le système fermé peut ainsi<br />
se donner l'illusion de tourner quand même. Parce que les élans se<br />
prolongent par inertie cinétique. Par-ce que les réservoirs ne sont pas<br />
encore vides. Parce qu'il reste les prophètes et les témoins d'ailleurs.<br />
Mais inexorablement joue l'entropie. Mortelle.<br />
Même l’absurde le plus radical ne succombe pas à sa propre logique<br />
parce que ne sont pas encore à plat les puissants accumulateurs<br />
d’énergie sémantique. Plus qu’elle n’ose se l’avouer à elle-même, la<br />
modernité fonctionne malgré tout, même par subreptice participation,<br />
sur une formidable réserve de sens, véritable capital d’énergie spirituelle<br />
constitué au cours de l’histoire occidentale.<br />
La schizoïdie a cru s'épanouir en rompant les liens. En fait elle ne survit<br />
que grâce aux réservoirs qui ne sont pas vides et aux canaux qui ne<br />
sont pas complétement bouchés.<br />
Nous croyons le sens inépuisable. En fait ce sont les gigantesques<br />
réserves de sens accumulées au cours de siècles de communion au<br />
Souffle de Dieu que nous brûlons de façon insensée. Ces gigantesques<br />
réserves produites et accumulées par les siècles d'extraordinaire croissance<br />
spirituelle de cet Occident où s'étreignent, fécondes, depuis leur<br />
première rencontre, les extrêmes différences païennes et chrétiennes.<br />
Ces prodigieuses réserves d'énergie spirituelle rassemblées au cours<br />
de l'aventure chrétienne occidentale par de longues générations de foi,<br />
de prière, de contemplation, de charité, de travail, de sacrifice, de<br />
réflexion, de création, de construction...<br />
240
241
Béance de notre bulle<br />
Dans les grandes questions existentielles la quête du sens et du souffle<br />
reste béante sur une extrêmes source chaude et un extrême puits froid.<br />
Domaines à haut potentiel de transcendance qui débordent les possibilités<br />
énergétiques de l’espace du milieu. Ils ne trouvent sens et<br />
souffle que dans une source chaude et un puits froid au-delà de l’immanence.<br />
Du côté des extrêmes<br />
<strong>Le</strong>s réalités existentielles, chacune pour sa part et toutes ensemble,<br />
refusent de boucler la boucle de leur définition. Elles résistent à leur<br />
enfermement dans une ‘bulle’. Situant le sens de l’humain dans la<br />
dynamique d’une extrême différence de potentiel elles ouvrent l’humain<br />
à l’infini.<br />
La bulle schizoïde, bouclant la boucle de l'immanence, peut fallacieusement<br />
se croire en absolue sécurité. Cela commence par l'euphorie<br />
optimiste du rêve de l'homme complètement réconcilié avec luimême<br />
? Pouvoir (enfin !) vivre par soi et pour soi. Rompre avec le sens<br />
'donné' pour se donner le sens. Construire la bulle du sens total. En<br />
radicale autonomie. Où l'autre n'a plus de place.<br />
Pourquoi l'humain n'arrive-t-il pas à se réconcilier avec l'humain ?<br />
Pourquoi toutes nos idéologies optimistes finissent-elles par se retrouver<br />
si lamentablement dans les poubelles de l'histoire ? Une réponse<br />
sans cesse insiste. Et elle est seule à résister à sa négation. Elle crie la<br />
raison de l'échec et l'urgence d'une conversion. L'humain n'est pas à<br />
partir de lui-même. L’humain ne se comprend pas à partir d’une bulle.<br />
L’humain se comprend et prend sens à travers un exode et un risque.<br />
L’espace du milieu se contente d’une différence de potentiel relative<br />
242
243
L’humain provoqué hors de<br />
<strong>Le</strong>s extrêmes crient : “L’homme passe l’homme” (Pascal)<br />
La bulle anthropocentrique ne suffit pas à rendre compte de toute la<br />
différence de potentiel nécessaire à son énergie spirituelle.<br />
Et que dire de la différence de la différence ?<br />
Dans les grandes questions existentielles la quête du sens et du souffle<br />
reste béante sur une extrêmes source chaude et un extrême puits froid.<br />
Ainsi l’être, la vie, la liberté, l’homme, Dieu, la personne, le hasard, la<br />
totalité, l’éternité, l’infini, la création, la résurrection, la nécessité, la<br />
catastrophe, la contingence, l’accident, l’eschatologie, l’histoire, le mal,<br />
la grâce, le péché, l’échec, la mort...<br />
Ici l’humain est ‘pro’-voqué hors de la sécurité du ‘milieu’. Il se trouve<br />
ex-posé du côté du risque.<br />
L’humain enfermé dans sa bulle peut-il se donner à soi-même la<br />
grande différence qui le rend réellement humain ?<br />
244
245
Risque<br />
Dis-moi sur quelle différence de potentiel tu es ouvert. Ton souffle spirituel<br />
est à la mesure de cette différence. Plus celle-ci déborde les<br />
limites de la clôture plus s’ouvre l’espace du risque<br />
Nous ne totalisons jamais qu’entre Alpha et Oméga. Nos possibilités<br />
sont embarquées au « milieu » et nous risquons d’y rester enfermés.<br />
Toute logique retombe comme ’naturellement’, comme fatalement, dans<br />
le ‘rond’ de la bulle. Elle se boucle dans la clôture.<br />
Nos raison d’immanence jouent comme une sorte de gigantesque<br />
mécanisme de défense contre le souffle qu’elles ne cessent de vouloir<br />
ramener ’à la raison’, c’est-à-dire dans le cycle harmonieux de la<br />
nécessité et partant de la sécurité.<br />
Mais le souffle se laisse-t-il enfermer sans se perdre lui-même ?<br />
Nous n'existons authentiquement qu'à travers ce risque. Scandaleuse<br />
chance pour l’authentique humain qui ne se trouve jamais autant luimême<br />
qu’en étant ex-posé hors de lui-même.<br />
246
247
Ailleurs<br />
Hors de... Au risque de... Au risque de l’histoire, des autres, de l’Autre,<br />
de la rencontre, de la foi, de l’avenir, de l’éternité, de l’impossible, du<br />
mal, du scandale, de l’appel, de la mort...<br />
Face à l’extrême du mal comme Auschwitz... Aucun homme n'a jamais<br />
été, n'est jamais et ne sera jamais absolument sûr d'être indemne de<br />
tels démons. Aucun système, aucune idéologie, aucune structure, aucune<br />
morale, aucun recours au meilleur de notre `éros céleste', ne<br />
nous garantit absolument contre cet effrayant `de trop'. Agapè seul peut<br />
vider un tel calice jusqu'à la lie. La chair sanglante et les os broyés.<br />
Toute l'infamie du monde assumée.<br />
Au-delà de la simple croyance qui s'assoit sur un système d'idées où<br />
elle cherche refuge et sécurité, la foi rompt les nécessités et risque<br />
l’ailleurs.<br />
<strong>Le</strong> <strong>Sens</strong>... C'est-à-dire l’originaire <strong>Sens</strong> du sens. Il ne vient pas de<br />
nous. Il vient d’ailleurs. Il vient de l’Autre. Il nous est donné.<br />
Brûler les vaisseaux derrière soi. Partir. Dans un vide infini et en même<br />
temps vers une plénitude infinie.<br />
248
249
<strong>Le</strong> sens constituant<br />
Dis-moi le sens englobant derrière les multiples sens englobés qui<br />
régissent ton existence concrète. C'est-à-dire l'espace total de la 'maison<br />
du sens' que tu habites et qui te donne ultimement le souffle pour<br />
vivre et pour survivre. <strong>Le</strong>s différents niveaux de sens s’emboîtent. Un<br />
‘pourquoi’ n’est pas forcément l’ultime ‘pourquoi’. Il reste encore et<br />
encore un pourquoi du pourquoi. Chaque sens constitué vit ainsi par<br />
grâce d'un sens constituant. Il se donne dans l'espace d’un sens plus<br />
grand et plus fondamental qui l'englobe et le porte. Ce sens constituant<br />
est tellement discret qu’il ne se manifeste pas habituellement en pleine<br />
lumière. Il est comme l'âme dans un corps. Il reste toujours pauvre face<br />
à la richesse des sens constitués.<br />
<strong>Le</strong> sens qui donne sens. <strong>Le</strong> sens qui proteste contre l’absurde. <strong>Le</strong> sens<br />
qui résiste au non-sens. <strong>Le</strong> sens qui ouvre les horizons. <strong>Le</strong> sens qui<br />
met en perspective. <strong>Le</strong> sens qui rassemble ce qui est dispersé et disperse<br />
ce qui s’agglutine. <strong>Le</strong> sens qui libère les ‘pourquoi ?’ de l’angoisse.<br />
<strong>Le</strong> sens qui affecte d’un ‘plus’ le verbe être. <strong>Le</strong> sens qui crève les<br />
cercles vicieux. <strong>Le</strong> sens qui fait que les raisons se tiennent et s’entretiennent.<br />
<strong>Le</strong> sens qui lit entre les lignes. <strong>Le</strong> sens qui met en transparence.<br />
<strong>Le</strong> sens qui ne perd pas l’humour. <strong>Le</strong> sens du sens surgit dans<br />
la béance. Entre d'extrêmes antagonismes irréductibles. A travers l'indécidé<br />
qui provoque la décision.<br />
L'extrême englobant du sens ne peut ultimement que se confondre<br />
avec Dieu. Si Dieu était un ‘ce que’ qu’on peut définir et comprendre, il<br />
relèverait du même ordre que n’importe quel ‘objet’ de connaissance ou<br />
d'action. Mais Dieu n’est pas un ‘ce que’ objectivable. Sous peine de se<br />
nier comme Dieu, il ne peut être qu’absolu non-objet. Pur ‘Que’ sans<br />
‘ce que’. Donc in-saisissable, in-compréhensible, proprement impensable.<br />
L’ultime sens englobant, le sens du sens, reste extrême béance.<br />
Sans ‘ce que’. Simplement QUE – qu’il y ait du sens, que ne soit pas<br />
absolument le non-sens... – l’acte d’être même du sens, sans contenu<br />
et possibilité absolue de tout ‘ce que'<br />
250
251
Intensité<br />
Un plein infini remplirait tout l'espace et ne laisserait sa chance à rien<br />
d'autre. La possibilité de nouveauté et partant de création ne se trouve<br />
qu'à travers les vides. L’essentiel advient là où il n’y a rien. Il surgit<br />
dans la béance comme la beauté du Parthénon ou le regard d’un<br />
visage... Mais déjà parler, n'est-ce pas faire être une présence à travers<br />
son absence? La parole ne dit que dans la faille des compacités.<br />
L’essentiel se dit entre les mots. Un texte parle entre les lignes...<br />
C’est le vide qui nous fait être. Nous ne parlerions pas si nous étions<br />
pleins. C’est la distance qui nous fait être. nous ne parlerions pas si<br />
nous ne pouvions ‘décoller’. C’est l’altérité qui nous fait être. Nous ne<br />
parlerions pas si nous n’étions que ce que nous sommes. L’animal est<br />
trop plein d’animalité pour parler. C’est la béance qui instaure en nous<br />
la possibilité du logos.<br />
Cela commence concrètement par le pouvoir de questionner, c’est-àdire<br />
la formidable capacité de briser la compacité d’un monde pour y<br />
faire surgir l’émerveillement du sens. Miracle congénital de la parole<br />
que cette incroyable possibilité du plus petit ‘pourquoi ?’. L’animal en<br />
est radicalement incapable. <strong>Le</strong> petit enfant y accède de plein droit.<br />
C’est au creux de l’être que surgit la question. C’est dans la béance<br />
des réponses que le questionnement rebondit. C’est dans le partage<br />
des questions que le dialogue s’instaure. Nous sommes capables de<br />
communier infiniment dans la parole parce que nous sommes ouverts à<br />
l’infini.<br />
252
253
La parole prophétique<br />
Quelle valeur a l'eau lorsqu'elle surabonde ? Elle peut prendre un prix<br />
infini lorsque tu es perdu dans le désert. Nous n'avons pas fini de<br />
traverser notre désert spirituel. Pour étancher nos soifs essentielles<br />
nous risquons de ne plus trouver que les puits obstrués et les sources<br />
polluées par nos maîtres penseurs. Pourtant elles doivent bien exister<br />
ces “sources d'eau jaillissantes pour la vie éternelle” !<br />
Notre monde, aujourd’hui, ne risque-t-il pas d’oublier ses dimensions<br />
véritables et de perdre ses repères? A moins que ne se lèvent des<br />
prophètes qui témoignent de l’essentiel. Une communauté chrétienne,<br />
dans la mesure où elle vit du souffle de l’Esprit, ne peut pas ne pas être<br />
signe prophétique.<br />
Une parole prophétique dit le sens à travers la symbolique. Dans un<br />
profond accord avec l'autre dimension de l'humain.<br />
La parole prophétique signifie l’irruption de l’Autre au beau milieu de<br />
notre existence. L’Autre qui vient – d’extra-muros – pro-voquer nos clôtures<br />
pour les ouvrir à l’infini.<br />
Est prophétique une Parole qui refuse l'horizon englobant du Discours<br />
Dominant. Est prophétique une Parole qui ose être dissonante dans la<br />
grande consonance résonante. Est prophétique une parole qui porte le<br />
<strong>Sens</strong>.<br />
<strong>Le</strong> prophète n’est pas d’abord celui qui ‘prédit’ l’avenir. Etre prophète<br />
c’est mettre en lumière. C’est dégager le sens profond des choses.<br />
C’est jeter un nouvel éclairage sur le présent et le futur. C’est faire<br />
l’expérience de l’Autre et d’en témoigner.<br />
254
255
Différence de potentiel<br />
Un système vivant, un système du souffle vivant, ne peut fonctionner<br />
qu’en étant ouvert sur des échanges. Il ne survit qu’avec portes et<br />
fenêtres, c’est-à-dire avec des entrées et des sorties. <strong>Le</strong>s grandes<br />
entrées et les grandes sorties, celles qui ‘branchent’ le souffle sur ses<br />
flux vitaux d’énergie, de matière, d’information et de grâce, peuvent<br />
s’appeler ‘source chaude’ et ‘puits froid’. La dynamique du système, la<br />
dynamique du souffle, dépend de la puissance de sa source chaude,<br />
de son puits froid et de la charge de ses accumulateurs.<br />
Pourquoi le souffle meurt-il ? La réponse est obvie. <strong>Le</strong> souffle meurt<br />
lorsque l’énergie se dégrade par manque de différence de potentiel.<br />
Très concrètement, lorsque les défis ne sont plus relevés. Mortelles indifférences<br />
!<br />
Sans la différence il n'est pas d'énergie. Une grande philosophie, par<br />
exemple, est celle dont les concepts essentiels fonctionnent sur une<br />
différence de potentiel importante. Il en va de même pour les religions,<br />
les systèmes de salut, les projets politiques, etc. La source chaude se<br />
situe face au puits froid comme le plein face au vide, le haut face au<br />
bas, le positif face au négatif. Elle est de l’ordre de la néguentropie face<br />
à l’entropie. En fait il s’agit de concepts dialectiquement antithétiques.<br />
La source chaude n’est qu’en face d’un puits froid. <strong>Le</strong> puits froid n’est<br />
qu’en face d’une source chaude. Ce qu’est concrètement la source<br />
chaude et le puits froid de l’énergie spirituelle de l’humain et comment<br />
joue le face-à-face de l’entropie et de la néguentropie se dévoilera<br />
progressivement au cours de notre démarche.<br />
Une grande pensée est celle dont les concepts essentiels s'articulent<br />
sur une différence de potentiel importante. <strong>Le</strong> souffle spirituel 'fonctionne'<br />
comme toute réalité énergétique entre une source chaude et un<br />
puits froid. Sa dynamique est fonction de cette différence de potentiel.<br />
<strong>Le</strong>s raisons profondes de sa vie et de sa mort sont de l’ordre de l’entropie<br />
et de la néguentropie. <strong>Le</strong> paradigme thermodynamique les met<br />
en lumière.<br />
256
257
Oubli<br />
<strong>Le</strong>s ‘Lumières’ étaient singulièrement aveugles sur les limites ! L’homme<br />
schizoïde se croyait sorcier; il n’était qu’apprenti. Il s’est illusionné<br />
sur l’infini. Se voulant maître et possesseur du tout de la nature, il en<br />
vint à ne plus distinguer entre englobant et englobé, perdant ainsi la<br />
nécessaire différence entre l’intérieur et l’extérieur. Il ne voyait plus que<br />
les limites intérieures à dépasser et effectivement dépassables. Il ne<br />
voyait pas les limites extérieures, celles, indépassables, de son englobant.<br />
Bref, il ne voyait pas de limite aux possibles prouesses de son<br />
système d’outilité exponentielle. Jusqu’au moment où la réalité rappelle<br />
à ce système qu’il n’est qu’englobé et qu’il va se trouver coincé dans<br />
son englobant écosystème.<br />
Nous faisons de plus en plus l’expérience d’un impossible. Non pas<br />
pour des raisons idéologiques. Non pas pour des raisons épistémologiques.<br />
Mais pour des raisons physiques. L’expérience physique donc<br />
d’un impossible. Toutes nos euphories du ‘progrès’ se voient piégées.<br />
Puisque voilà ébranlé leur commun fondement. Puisque voilà coincé le<br />
système d’outilité exponentielle. Coincé dans la finitude incompressible<br />
de l’écosystème.<br />
Nous avons oublié l’essentielle ouverture de tout système vivant. L’écosystème<br />
du sens encore plus que tous les autres. Obnubilés par nos<br />
prouesses et béats devant nos aménagements intérieurs nous avons<br />
oublié qu’il y a un ‘dehors’ de notre caverne. Nous nous sommes mis à<br />
boucler en clôture notre espace d'humanité.<br />
Nous nous voulions maîtres et possesseurs du système total lui-même.<br />
Maîtres et possesseurs de toute sa différence de potentiel. Maîtres et<br />
possesseurs de toute son énergie spirituelle créatrice. Maîtres et possesseurs<br />
de sa source chaude et de son puits froid. Maîtres et possesseurs<br />
non seulement de notre possible englobé mais aussi de notre<br />
impossible englobant.<br />
258
259
Traversée de la différence<br />
L’homme est l’être en exode qui risque l’autre dans l’incessante négation<br />
du même. Libérant la différence. Etreignant la différence. Dépassant<br />
la différence. Si le même jamais ne dit non à lui-même, jamais rien<br />
d’autre ne sera. Il ne peut que rester éternellement lui-même, clos en<br />
soi, piégé, fut-ce en sa perfection, s’il refuse de s’ouvrir à l’autre, de<br />
l’affronter, de se laisser traverser par lui. C’est la faille qui le sauve de<br />
lui-même et l’ouvre à l’autre possible. C’est sa vulnérabilité qui lui<br />
donne sa chance d’infini. S’ouvrir à l’autre et l’étreindre. Mourir dans<br />
cette étreinte pour surgir nouveau. Et ne se boucler pas sur ce nouveau<br />
même. Mais encore s’ouvrir. Affronter encore l’autre. Et l’autre de<br />
l’autre. Infiniment.<br />
Si le ‘même’ n’est pas éclaté par l’ ‘autre’, il ne reste que lui-même et<br />
jamais rien d’autre ne sera. La traversée de la différence est accroissement.<br />
L’affrontement d’altérité enrichit. A travers la distance une plus<br />
authentique proximité se gagne. C’est à travers la rupture qu’advient la<br />
plénitude. C’est en surmontant une opposition que la position se consolide.<br />
C’est dans son passage à travers la négation que l’affirmation<br />
accède à sa vérité.<br />
L’homme est l’être en exode qui ouvre à l’infini un espace de la différence.<br />
Il est un animal différentiel instaurateur de béance dans la<br />
plénitude d’un donné-nature et sans cesse ‘pro’-voqué à combler cette<br />
béance tout en instaurant continuellement de nouvelles béances dans<br />
tous les comblements eux-mêmes.<br />
260
261
Désir<br />
Rien ne tournerait sans le désir. On peut être pris de vertige devant la<br />
masse des inventions et des productions humaines. Une masse de<br />
différence d'avec le simple règne animal. Comment expliquer cette différence<br />
sans cet ‘éros' spécifique à l'homme que nous appelons le<br />
désir? Qu'est-ce qui, sans lui, ferait tourner notre système exponentiel<br />
de production de l'abondance, et, partant, du ‘progrès'? Plus profondément,<br />
que serait l'homme lui-même sans cette dynamique?<br />
Dis-moi ton désir, je te dirai qui tu es. C'est le désir qui signifie et exprime<br />
le fondamental projet personnel de chaque être humain avec son<br />
mystère. Sans le désir ne régnerait que l'in-différence. C'est le désir qui<br />
ouvre en l'homme la différence. Essentiellement la différence entre un<br />
plein et un vide. Eros, comme le dit déjà très judicieusement Platon, est<br />
fils d'abondance et de pauvreté. Un manque qui tend vers sa complétude.<br />
<strong>Le</strong> désir `fonctionne' à la manière d'un système ouvert. Sur une différence<br />
de potentiel entre la source chaude de l'abondance et le puits<br />
froid du manque. Sa dynamique lui vient de la chute énergétique de<br />
cette différence de potentiel. Plus elle est grande, plus le désir est<br />
intense. Par contre, lorsque cette différence tend vers l'in-différence le<br />
désir ne peut que mourir. Cette différence de potentiel s'ouvre infiniment<br />
chez l'homme<br />
L’homme est un vivant infini au désir toujours infiniment béant. Infinie<br />
reste son insatisfaction. Car abyssal est son manque. Il ne s’agit pas<br />
seulement de ce manque biologique ou économique qui tend malgré<br />
tout vers la satisfaction. Il s’agit d’un manque essentiel qui creuse le<br />
désir à l'infini. Un manque à jamais incontournable et encore moins<br />
remblayable. Parce qu’il est irréductiblement béance sur l’Autre.<br />
262
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Eros et Agapè<br />
Une distinction capitale d’Anders Nygeren qui vise une différence<br />
essentielle. Un changement de nom lourd d'un radical changement<br />
d'identité. Désormais le discernement s'impose entre amour et amour.<br />
Cette distinction donne une clé de lecture de l’ensemble de l'existence<br />
humaine. En même temps elle préside au discernement des esprits<br />
entre deux dimensions d'accomplissement.<br />
Eros monte. Eros ne peut que vouloir monter. Du terrestre vers le<br />
céleste. Du malheur vers la béatitude. De l’impur vers le pur. Du<br />
multiple vers l’un... Eros veut se sauver à tout prix.<br />
Agapè se manifeste en contre-point. Agapè descend. Agapè veut tout<br />
sauver dût-il se perdre. Agapè embrasse le mal et traverse toute<br />
l’étendue de la négativité pour en faire un espace de grâce.<br />
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Néguentropie<br />
L’énergie spirituelle ne ‘fonctionne’ pas différemment de l’énergie tout<br />
court. Que ce soit dans l'ordre matériel ou dans l'ordre spirituel, quelles<br />
que soient les formes qu'elle prend, il s'agit toujours d'énergie. <strong>Le</strong>s<br />
raisons profondes de sa vie et de sa mort, que le paradigme thermodynamique<br />
met en lumière, sont de l’ordre de l’entropie et de la néguentropie.<br />
Entre fatigue et vitalité. Entre déclins et renaissances. Entre<br />
une source chaude et un puits froid. Avec, entre les deux, une grande<br />
différence ou une grande indifférence !<br />
Où gît l’ultime victoire sur l’entropie ? Ce n’est pas du côté d’Eros. Eros<br />
ne peut que vouloir monter. Par nécessité. Il ne fait ainsi qu’exacerber<br />
la différence entre source chaude et puits froid. Il vit de cette différence.<br />
Son intensité lui vient d’elle. Mais sa montée reste infinie tâche de<br />
Sisyphe. Eros reste toujours piégé par l’entropie. Il est ultimement pour<br />
Thanatos.<br />
L’absolue victoire sur l’entropie s’appelle Agapè. Agapè descend. Non<br />
par nécessité mais par libre gratuité. Par grâce. Lui, la source chaude,<br />
va se compromettre avec le puits froid. Il descend jusqu’au fond des<br />
négativités. Il descend plus bas que le puits froid, l’englobe, l’étreint, et<br />
le rend brûlant. Il n’y a plus de différence entre ‘froid’ et ‘chaud’, puisque<br />
tout devient ardent. Néguentropie absolue, Agapè seul est capable<br />
de sauver radicalement. Il ne cesse de descendre tant que reste possible<br />
une descente. Lui seul peut tout sauver. Descendre. Descendre<br />
toujours. Traverser le champ du scandale de part en part. Pour en faire<br />
l’espace de la grâce.<br />
<strong>Le</strong> manque devient plénitude. Agapè embrasse non seulement nos<br />
sources chaudes mais aussi nos puits froids. Inscrit en finitude, Eros ne<br />
peut jamais que circonscrire une finitude. C’est Agapè qui ouvre réellement<br />
un infini et le réalise. A travers un absolu retournement d'Eros...<br />
Concrètement. Agapè descend et se compromet dans le manque. De<br />
l’absolu manque surgit une surabondance. <strong>Le</strong> manque devient plénitude.<br />
Au-delà du règne des nécessités. Dans l’ordre de la grâce.<br />
Gratuitement.<br />
266
267
Renversement d’Agapè<br />
En Agapè, le meilleur de l’humain se trouve crucifié. L’irruption d’Agapè<br />
signifie un renversement total. Non seulement de la valeur mais de<br />
l’espace même de toute possible valeur. L’émergence d’un radical autre<br />
ordre. Mais la vérité peut-elle être cherchée ailleurs que dans la<br />
dissidence depuis la Révélation du Logos fait Chair ? Quand historiquement<br />
se révèle Agapè, déjà est omniprésent et omni-régnant Eros.<br />
Mais d’Eros, rien ne sera récupérable. Même pas l’Eros céleste. Surtout<br />
pas l’Eros céleste ! Eros sublimé à l’infini ne s’approche pas<br />
d’Agapè mais s’en éloigne.<br />
Agapè est absolue dissidence. A partir d’Agapè, Dieu n’est plus là où<br />
est le divin. La valeur n’est plus là où est le Beau, le Vrai ou le Bien.<br />
L’homme ne peut plus être là où est l’Humanité. Et encore beaucoup<br />
moins là où est le ‘surhomme’. La transcendance n’est plus là où un<br />
Marx, un Feuerbach ou un Stirner la pourfendent. <strong>Le</strong> progrès n’est pas<br />
là où Eros progresse !<br />
<strong>Le</strong> renversement d’Agapè réalise le paradoxe absolu. L’endroit bascule<br />
en envers. L’envers bascule en endroit. En ce renversement le ‘puits<br />
froid’ devient plus brûlant que la ‘source chaude’ ! <strong>Le</strong> miracle se produit.<br />
<strong>Le</strong> seul réel miracle. Contre toute logique, contre la nécessité systémique,<br />
l’entropie est vaincue. La néguentropie, qui ne peut jamais être<br />
que relative partout ailleurs, fonde ici son règne absolu.<br />
Agapè brise les continuités et surgit dans la rupture. Dans une autre<br />
dimension. A travers une distance infinie. A la limite de la simple<br />
logique, au seuil des capacités de la raison, se risque l'absolue plénitude.<br />
Là où l'homme 'passe' l'homme infiniment.<br />
268
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Miracle d'Agapè<br />
Eros, au fond, n'est que le manque qui crie famine. Il est régi par la<br />
nécessité. Il ne peut pas ne pas vouloir supprimer la différence, pour<br />
atteindre ainsi sa satisfaction, c'est-à-dire son équilibre ou son entropie.<br />
Agapè, au contraire, est débordement de surabondance. Il descend<br />
librement et gratuitement pour tout sauver. Il se penche sur tous les<br />
manques pour les combler. Il ne serait pas sans cette différence. Il fait<br />
ainsi grandir le déséquilibre et augmente sa néguentropie.<br />
Quelle place pourrait-il y avoir pour Agapè dans un monde où régnerait<br />
absolument l’harmonie ? Un monde où le mal ou la souffrance seraient<br />
absents. Un monde où la science préviendrait toute possible surprise.<br />
Un monde d’où tout risque serait banni. Un monde sans pauvres et<br />
sans handicapés. Un monde materné dans l’absolue euphorie du<br />
‘même’ étreignant le ‘même’.Dans un monde sans péché quelles chances<br />
resterait-il à la grâce ? Quelle place pour Agapè au Paradis terrestre<br />
avant la chute ?<br />
<strong>Le</strong>s puits froids ne font peur qu’à l’entropie. Agapè ne les craint pas.<br />
Nos puits froids ne s’opposent pas à la grâce. Au contraire. Qui d’autre<br />
oserait clamer ‚felix culpa“ la nuit de Pâques ? Il y a toujours plus<br />
d’Agapè que de péché. Excepté le péché contre la vérité d’Agapè,<br />
c’est-à-dire contre l’Esprit. Soudain tu entrevois et cela te renverse. Tu<br />
découvres que le puits froid lui-même est englobé par Agapè. Et plus<br />
étonnant encore, tu devines que s’il n’y avait pas d’entropie il ne<br />
pourrait y avoir Agapè.<br />
Agapè embrasse non seulement nos sources chaudes mais aussi nos<br />
puits froids. Il y a toujours plus d'Agapè que de péché. Excepté le<br />
péché contre la vérité d'Agapè, c'est-à-dire contre l'Esprit. Soudain tu<br />
entrevois et cela te renverse. Tu découvres que le puits froid lui-même<br />
est englobé par Agapè. Et plus étonnant encore, tu devines que s'il n'y<br />
avait pas d'entropie, il ne pourrait y avoir Agapè.<br />
270
271
Kénose<br />
Kénose: descendre, ressusciter à travers un anéantissement. Mystère<br />
scandaleusement incompréhensible sans cet autre mystère qu’est<br />
Agapè.<br />
La chute et la descente ne sont pas pour un nirvana mais pour une<br />
dramatique participation au mystère du Christ crucifié. Notre Dieu qui<br />
s’identifie à Agapè ne peut pas ne pas descendre. Il descend même<br />
absolument en Jésus. <strong>Le</strong> grand discernement s’opère par la Croix,<br />
crise et critère d’une authentique mystique chrétienne. En solidarité<br />
mystique avec le Christ, à travers son mystère douloureux et glorieux,<br />
s’ouvre la voie divine par excellence, la voie de la Kénose.<br />
Cette scandaleuse Croix est à la démesure de l’impossible de l’amour.<br />
Même pour Dieu le mystère douloureux semble être la seule possibilité<br />
de faire être Agapè. C’est la dérisoire faiblesse de l’Agneau immolé qui<br />
porte tout le péché du monde. Et en même temps il apporte, Agneau<br />
pascal, toute sa possible résurrection.<br />
La paradoxale force de la grâce est de pouvoir surgir là où surabondent<br />
les crucifixions. Face à l'absolu du mal. Non pas le mal qui garderait<br />
quelque `beauté' esthétiquement exploitable. Non pas le mal qui<br />
cacherait encore quelque `raison' récupérable. Mais l'extrême de l'abject.<br />
La Bible est le grand livre qui ose regarder en face le tremendum mysterium<br />
et qui le dévoile comme douloureux mystère d'une traversée,<br />
d'une transhumance, d'un dépassement, d'une transcendance de<br />
l'homme vers son Dieu, identiquement traversée, transhumance, dépassement,<br />
transcendance de l'homme vers lui-même. <strong>Le</strong> `mysterium<br />
iniquitatis' en son pascal Exode vers le `mysterium gratiae'.<br />
272
273
D’un autre ordre<br />
Et d'emblée sous forme de scandaleuses questions. Ainsi, quelle place<br />
pourrait-il y avoir pour Agapè dans un monde où régnerait absolument<br />
l’harmonie ? Un monde où le mal ou la souffrance seraient absents. Un<br />
monde où la science préviendrait toute possible surprise. Un monde<br />
d’où tout risque serait banni. Un monde sans pauvres et sans handicapés.<br />
Un monde materné dans l’absolue euphorie du ‘même’. Dans<br />
un monde sans péché quelles chances resteraient-elles à la grâce ?<br />
Quelle place pour Agapè au Paradis terrestre avant la chute ?<br />
La descente d’Agapè confond les érotiques transcendances avec infiniment<br />
plus de radicalité que ne le font les idéologiques dénonciations.<br />
Elle ramène la seule et absolue transcendance au cœur du concret.<br />
Non plus au-delà de l’immanence mais en-deçà. Ou plus exactement<br />
au-delà parce que en-deçà. Ce qui reste gratuit lorsque la structuralité<br />
est épuisée. L’autre comme grâce. Création. Rencontre. Sourire... L’autre<br />
de trop pour Eros. Jamais assez, cependant, pour Agapè.<br />
Lors de l'ultime bilan cosmique, que restera-t-il finalement et définitivement<br />
de la grande aventure divine et humaine à travers l'espace<br />
et le temps ? Quelles valeurs, quelles créations, quels acquis, auront<br />
assez de poids pour traverser l'éternité ?<br />
A la stupéfaction de tous, cela se trouvera tout en bas de la divine<br />
descente, dans les bas-fonds de la kénose. J'ai eu faim. J'ai eu soif.<br />
J'étais malade. J'étais en prison... J'étais dans la détresse. Tu es venu.<br />
Tu as partagé. Tu as soulagé. Là est né Agapè pour l'éternité<br />
274
275
Exposé à l’autre<br />
L'autre de trop. <strong>Le</strong>s tendances profondes de notre corps et de notre<br />
esprit vont vers l’intégration. Il n’est pas de vie sans assimilation. Comprendre<br />
ne va pas sans étreindre les différences. L’autre qui refuse le<br />
giron du même ne peut que se voir expulsé. Mille mécanismes de<br />
défense jouent contre lui. Sans lui, pourtant, l’existence perdrait sa<br />
dimension essentielle. Ce ‘de trop’ expose nos certitudes et nos sécurités<br />
dans l’exode de la liberté. A travers le risque L’altérité, aujourd’hui,<br />
est comme piégée par le même <strong>Le</strong> statut d’altérité s’est inversé historiquement.<br />
L’autre-pour-moi de la modernité a pris le relais de moi-pourl’autre<br />
tel qu’il se manifeste dans l’espace judéo-chrétien où ce n’est<br />
pas ’j’en dispose’ qui est premier mais ’il dispose de moi’. Un clivage.<br />
Un discernement des esprits. L’autre fait mal au même. Il ne le comble<br />
que dans la mesure où il se fait absorber, devenant pour ainsi dire la<br />
chose du même. La modernité s’est constituée dans le pari d’intégrer<br />
tout l’autre, tous les autres. Jamais l’autre n’a suscité plus d’intérêt.<br />
Jamais l’autre n’a été recherché aussi assidument. Jamais l’autre n’a<br />
été autant asservi. Par le savoir. Par le pouvoir.<br />
Dis-moi ton rapport avec l’autre. Je te dis ton espérance ou ta désespérance.<br />
L’exode te fait quitter l’espace du même pour courir l’aventure<br />
du côté de l’autre. Non pas l’autre comme simple ‘catégorie’ abstraite<br />
inoffensive encore prisonnière de la sphère du même. Mais l’autre<br />
comme autre avec tout ce que cela a d’indigeste. L’autre qui fait bande<br />
à part et refuse de se laisser apprivoiser. L’autre qui refuse d’entrer<br />
dans le cercle de la compréhension. L’autre qui dérange.<br />
276
277
Impérialisme du même<br />
Mécanismes de défense contre l’autre déconcertant et déroutant: la<br />
contingence, l’ad-venir, l’accidentel, l'événementiel, l’actuel, la rencontre...<br />
et encore plus les négativités, l’échec, le mal, le péché, la mort...<br />
Intelligibilité de réduction. <strong>Le</strong>s <strong>approches</strong> scientifiques, aujourd'hui, tendent<br />
à enfermer l’homme et la matrice de sa genèse dans une intelligibilité<br />
de 'réduction'. Vaste essai de le ramener au plus petit dénominateur<br />
commun. Commun... C’est-à-dire avec le reste de la nature.<br />
La différence escamotée. L'humain désormais bouclé dans le règne du<br />
même. Devenu simple objet naturel de la pure extériorité spatiale et<br />
temporelle, l’homme, aujourd’hui, ne semble plus pouvoir se comprendre<br />
autrement qu’en bouclant la boucle sur son immanence.<br />
Reste l’inintégrable. Ce qui résiste à tout discours. La question sans<br />
réponse. L’autre où toute cohérence sans cesse s’éclate. Dans la crise<br />
permanente des consistances. Par l’Autre, le même est livré à la crise.<br />
Ce qui est radicalement en jeu dans l’enfermement qui boucle le même<br />
en consistance, c’est le refus de l’Autre en tant qu’autre. Non pas<br />
l’autre récupérable ou l’autre réductible. Mais l’autre autre. Toujours de<br />
trop.<br />
278
279
La traversée du ‘non’.<br />
Nous ne parlerions pas si nous étions pleins. Nous ne parlerions pas si<br />
nous n’étions que ce que nous sommes. L’animal est trop plein d’animalité<br />
et de lui-même pour pouvoir parler. L’in-différence ne parle pas.<br />
La parole commence avec la distance et avec la différence. La parole<br />
commence avec le refus. La nature ne peut que se dire inconditionnellement<br />
‘oui’ à elle-même. C’est le ‘non’ qui ouvre la possibilité du<br />
logos. Ensuite, un infini se donne à travers ce ‘non’. La pensée est<br />
essentiellement acte critique. Elle commence par dis-cerner. C’est-àdire<br />
par refuser les limites et les enfermements. “Tout était mêlé, dit<br />
Anaxagore, mais vint l’entendement qui sépara tout pour le mettre en<br />
ordre.” Au Livre de la Genèse, c’est l’Esprit qui plane sur le tohu-bohu...<br />
Pour séparer. Pour créer. C’est ainsi que le logos se fait poïète ‒<br />
créateur ‒ d’infinie nouveauté.<br />
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281
Identité - Différence<br />
Pourquoi la différence ? Pourquoi pas le 'même' ? Pourquoi le déploiement<br />
différentiel ? Pourquoi la multiple différence ? Pourquoi l’émergence<br />
d’antagonismes ? Pourquoi pas la neutre in-différence ? Pourquoi<br />
cette inventivité permanente de la vie ? <strong>Le</strong> même œil évolue<br />
différemment dans les mollusques et les vertébrés. Pourquoi ces<br />
ontogenèses différentielles ? Pourquoi ce jeu ‘gratuit’ où toutes les<br />
formes s’essaient dans tous les sens ? Pourquoi le ‘meilleur’ sélectionné<br />
ne se stabilise-t-il pas une fois pour toutes ?<br />
C’est l’homme qui sort la nature de son in-différence. L’incroyable<br />
complexité de notre monde si infiniment différencié ne sort réellement<br />
de son in-différence qu'à partir de l'homme. Eternellement pourrait<br />
n’être qu’un infini ‘même’ indifférencié. Eternellement pourrait subsister<br />
un infini ‘il y a’ dans son identité. <strong>Le</strong> même absolu... Une telle pensée<br />
pourtant ne peut être qu’une fiction. <strong>Le</strong> fait de pouvoir penser ce<br />
conditionnel le contredit en même temps. Que serait en effet l’être sans<br />
la différence ? L’être absolument in-différent pourrait-il se différencier<br />
du silence et même du néant ? Mais déjà est la question. La plus petite<br />
possibilité du plus petit questionnement déjà sort l’être de l’indifférence.<br />
Déjà est la parole. Déjà est la parole qui articule différentiellement des<br />
significations différentielles. Déjà n’est pas le même in-différent. Déjà<br />
l’autre fait irruption. Déjà est la différence. Avec sa double dramatique,<br />
ontologique et logique, d’une béance et d’un désaccord. En même<br />
temps la différence ouvre une plénitude. Elle expose aux dépassements.<br />
Il n’est pas d’espérance sans traversée de la différence.<br />
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283
La différence féconde<br />
La traversée de la différence... L’homme est souvent séduit par la<br />
différence. Mais il la craint plus souvent encore. Lorsqu’elle prend le<br />
visage de l’étrange, de l’inconnu ou de la catastrophe. Inquiétant,<br />
menaçant ou déconcertant. La rencontre de différence est pourtant la<br />
grande chance de l’homme, même si elle est ambiguë. La différence<br />
peut se présenter comme une force de contrainte et d’asservissement,<br />
certes. C’est cependant à travers l’étreinte d’un maximum de différence<br />
qu’un maximum d’humanité peut advenir. L’indifférence en elle-même<br />
est stérile et insignifiante. L’indifférence tend vers le sens zéro. La<br />
dynamique est fille de la différence. On peut même affirmer d’emblée<br />
que plus est forte la différence, plus fort est la dynamique créationnelle<br />
de la vie.<br />
Mortelle in-différence. Sans différence, sans différence de potentiel,<br />
l'énergie atteint son point zéro. Et partant notre mortalité. Cette loi se<br />
vérifie à tous les niveaux de l'humain, depuis le plus matériel jusqu'au<br />
plus spirituel. Pourtant, n'est-ce pas vers l'in-différence que nous tendons<br />
sous ses mille formes du pacifisme, de la tolérance, de la fraternisation<br />
ou de la non-violence ? Jusqu'au kitsch, parfois, du `tout le<br />
monde, il est beau, tout le monde il est gentil'... Cependant que deviendrait<br />
notre monde sans les grandes différences entre bien et mal, entre<br />
erreur et vérité, entre Dieu et Néant, entre sacré et profane, entre ciel<br />
et terre, entre juste et injuste, entre sens et non-sens, entre besoin et<br />
création, entre relatif et absolu, entre immanence et transcendance,<br />
entre réel et idéal, entre ce qui est et ce qui doit être, entre liberté et<br />
oppression, entre péché et grâce... ?<br />
Une telle dynamique trouve en fait sa raison du côté de la systémique.<br />
C'est-à-dire dans différence de potentiel entre une source chaude et un<br />
puits froid.<br />
La protestation du sens est identiquement la protestation de la différence.<br />
Là où ça ne proteste plus, il n’y a plus de sens. C’est le règne<br />
de l’indifférence. C’est en traversant la différence que l’humain se<br />
décide.<br />
284
285
Plénitude<br />
Division des esprits. Pourquoi, face à l'équilibre qui marque le règne<br />
des autres vivants, l'humain est-il livré si radicalement à l'incertitude sur<br />
l'essentiel et, partant, au risque de faire sa vérité ? C'est très certainement<br />
ici le nœud (et le mystère) de l'authentique liberté. En effet,<br />
pourrait-elle être en vérité, cette liberté, sans l'urgence d'un risque pris<br />
dans les plus profondes profondeurs personnelles? Tous les optimismes<br />
`éclairés' du monde — souvent en fait des `fascismes' qui ne<br />
disent pas leur nom — voudraient conjurer cette radicale division des<br />
esprits et enrôler l'humain sous l'uniforme de la Pensée Unique. Ce qui,<br />
à l'usage, hélas!, ne manque pas de finir sous quelque Goulag ou autre<br />
Kz.<br />
Au risque de choquer les maternelles composantes de notre Occident<br />
fatigué, il ne faut pas avoir peur de marquer la virile grandeur des<br />
affrontements métaphysiques. Il n'est pas d'authentique humain qui ne<br />
passe par eux.<br />
L'homme passe infiniment l'homme. Pascal définit ainsi la béance de<br />
l'humain, cet humain authentique qui est ailleurs, plus loin, plus profond<br />
que les facilités superficielles dans lesquelles nous risquons sans cesse<br />
de le cantonner. Là, les euphories vont au maximum d’être, d’avoir<br />
et de paraître. En profondeur, par contre, s’ouvre l’infini ordre de la<br />
béance. Ici d’autres ‘valeurs’ ont cours, comme le non-être, le nonavoir,<br />
le non-paraître...<br />
286
287
Réciprocité<br />
La personne. A travers l’histoire biblique l’autre personnel est sans<br />
cesse provoqué au sein de ce qui risque de se dégrader dans l’anonymat<br />
du même. Ainsi le prophète... l’autre qui dérange en personne.<br />
Non pas la règle mais l’exception. Non pas le système mais la parole<br />
vivante. Non pas le centre mais les extrêmes. Non pas la masse mais<br />
l’unique personnel.<br />
Notre Dieu, même s'il peut l'être dit aussi, n'est d'abord ni l'Un, ni<br />
l'Inconnu, ni l'Inconnaissable, ni l'Abîme, ni le Vide, ni le Néant. Il est<br />
l’absolu ‘Je suis’, Personne, personne plurielle, réciprocité personnelle,<br />
mystère trinitaire, Père, Fils, Esprit.<br />
En Lui, ni nécessaire émanation, ni fatale procession, mais libre réciprocité<br />
de don gratuit. Il est Amour en premier, ensuite seulement<br />
Absolu, Eternel, Infini, Tout-puissant...<br />
La personne est ouverture transcendante. Elle se risque dans la démesure<br />
des ‘extrêmes’. Elle a des fins qui la dépassent. Elle assume sa<br />
liberté. Elle se décide responsable. Elle ne peut jamais avoir trop bonne<br />
conscience. La personne est ouverte en Agapè. Elle veut se partager<br />
en communion en créant la réciprocité des uniques. Elle se fonde sur<br />
une Alliance. Elle grandit en réciprocité.<br />
Une profonde fêlure traverse la réciprocité d’amour entre Dieu et l’homme,<br />
entre l’homme et l’homme. Dans toutes les dimensions de son<br />
être, l’homme est livré à l’incomplétude, à la faillite, aux négativités. Il<br />
est habité par une béance qui veut sans cesse se combler et qui sans<br />
cesse se découvre plus béante encore<br />
288
289
Risquer l’autre<br />
<strong>Le</strong> but de nos buts est en exode. <strong>Le</strong>s choses très importantes pour<br />
nous ne sont-elles pas toujours exposées à l’incertitude et au risque ?<br />
Vivre. Mourir. Aimer. Créer. Entreprendre. Engendrer... Comme si l’essentiel<br />
devait se jouer aux limites où notre ‘même’ ne peut que se<br />
rendre à l’autre du mystère qui nous porte.<br />
L’exode te fait quitter l’espace du même pour courir l’aventure du côté<br />
de l’autre. Non pas l’autre comme simple ‘catégorie’ abstraite inoffensive<br />
encore prisonnière de la sphère du même. Mais l’autre comme<br />
autre avec tout ce que cela a d’indigeste.<br />
Au beau milieu de nos établissements l’autre ne cesse de faire irruption<br />
sous les espèces de l’inédit, de l’imprévu, de la surprise, de la rencontre,<br />
de l’accident, de la ‘chance’ ou de la ‘malchance<br />
Que serait Dieu clair et distinct comme une belle formule chimique ? En<br />
gardant son altérité il garde son mystère et sauve celui des êtres. Face<br />
aux idoles devant lesquelles nous nous prosternons il est infiniment audelà<br />
de nos idée. Au-delà de nos eidolos... A son image et à sa ressemblance.<br />
<strong>Le</strong> sans-forme prend forme. En l'homme le sans-image<br />
trouve son 'icône'.<br />
290
291
Culture<br />
Il n'y a jamais d'humain que lorsque se dit une culture. Et la culture<br />
coïncide fondamentalement avec le 'discours'. Un discours multiforme à<br />
travers les temps et les lieux. Un discours polyvalent fait aussi bien de<br />
gestes constructeurs et de graphies symboliques que de sonorités<br />
verbales. Un discours à la fois matériel et idéel. Un discours tour à tour<br />
logique et prophétique. L'humain n'est pas sans ce discours par lequel<br />
l'humain se dit en se constituant et se constitue en se disant. Un Discours<br />
par lequel l'humain se dit en se constituant et se constitue en se<br />
disant.<br />
Nature et culture. Il y a ce qui est donné avec la naissance. Il y a ce qui<br />
se donne par conquête. <strong>Le</strong>s deux dimensions se recoupent. <strong>Le</strong>s<br />
frontières sont indiscernables. L’homme se trouve dans l’impossibilité<br />
absolue de faire l’expérience de ce que serait la simple biologie sans<br />
l’esprit. L’homme est fondamentale unité physico-bio-psycho-sociospirituelle.<br />
Que l’homme se soit dressé bipède et vertical, ce phénomène<br />
est-il naturel ou culturel ? En l’homme la matière est pétrie<br />
d’esprit. En l’homme l’esprit embrasse la matière. Sous quelque forme<br />
et à quelque niveau que nous tentions de les cerner, déjà la ‘nature’ se<br />
manifeste avec un indice de ‘culture’, déjà la ‘culture’ n’est pas sans<br />
‘nature’.<br />
La différence pertinente de l'humain, sa différence spécifique d'avec<br />
tout le reste de l'être, cette différence qui identifie l'homme, c'est le<br />
logos. Déjà est la parole. Toujours, déjà, est la parole. Il est impossible<br />
de contourner son en deçà. Elle est là, au surgissement de l'être. En<br />
archè est le Verbe.<br />
L’humain est fils de la différence. Il ne cesse d’engendrer des différences.<br />
Grâce essentiellement à la parole. La parole constitue proprement<br />
la différence pertinente de l'humain. Sa différence spé-cifique<br />
d'avec tout le reste de l'être. Elle est ce verbe méta-phore qui sans<br />
cesse porte infiniment au-delà.<br />
292
293
<strong>Le</strong> logos anthropogène<br />
L'homme parle. Il dit et se dit à travers ce dire. L'humain est création du<br />
verbe. En même temps le verbe est création humaine. <strong>Le</strong> cercle n'est<br />
vicieux que dans le monologue. Il est par contre infiniment fécond dans<br />
le dialogue. Ici encore le critère passe entre le clos et l'ouvert.<br />
Que serait le simple donné naturel, que serait l'être du monde, s'il restait<br />
prisonnier du silence? Accéder à la parole c'est d'abord rompre<br />
l'éternel silence du monde. Et l'émergence de l'homme signifie cette<br />
rupture. Avec lui tout se met à parler. Et tout en lui, geste, main, regard,<br />
posture, attitude, démarche, rythme, devient 'parlant'. On peut essayer<br />
d'imaginer à l'extrême de la limite un silence éternel et absolu. Mais ne<br />
serait-ce qu'à travers cette imagination, ce silence parle! Un conditionnel<br />
lourd d'absurde. Mais sans la parole l'absurde lui-même n'aurait<br />
pas de sens.<br />
Espace de la Parole. La différence pertinente de l'humain, sa différence<br />
spécifique d'avec tout le reste de l'être, cette différence qui identifie<br />
l'homme, c'est le logos. Par lui l'humain se trouve exposé hors de. Par<br />
lui il est entraîné dans une aventure jamais finie. Verbe métaphore qui<br />
porte infiniment au-delà. La parole... Existe-t-il une seule possibilité qui<br />
ne l'implique pas ? Sans elle, que resterait-il de la pensée ? Et de<br />
l'imagination ? Et de la perception ? Et du sentiment ? Que serait le<br />
simple donné naturel, que serait l'être du monde, s'il restait prisonnier<br />
du silence ? Accéder à la parole c'est d'abord rompre l'éternel silence<br />
du monde. Et l'émergence de l'homme signifie cette rupture. Avec lui<br />
tout se met à parler. Et tout en lui, geste, main, regard, posture,<br />
attitude, démarche, rythme, devient “parlant”.<br />
294
295
Matrice<br />
Pour naître humain suffit-il d'être engendré dans le sein d'une femme ?<br />
La matrice `naturelle' de l'espèce humaine suffit-elle à engendrer<br />
authentiquement cet `enfant d'ailleurs' qu'est l'homme ? Au sortir de sa<br />
matrice naturelle, l'homme ne fait que balbutier son humanité. La<br />
matrice biologique n'engendre encore que le préalable. La matrice<br />
d'authentique humanité est de l'ordre de la culture. Il n'existe pas d'humanité<br />
qui soit sans ce discours par lequel l'homme se dit en disant sa<br />
culture. Cette ‘parole’ différentielle, culturelle, décide de l'homme parce<br />
que l'homme se décide à proférer le verbe qui donne sens à son<br />
monde et lui donne sens à lui-même.<br />
Matrice constituante. <strong>Le</strong>s innombrables cultures constituées présupposent<br />
une matrice constituante. Une matrice commune qui donne<br />
naissance à l'humain universel. Que peut-être fondamentalement cette<br />
matrice ? Est-elle identifiable avec autre chose que le logos ? <strong>Le</strong> Verbe<br />
archéologique qui engendre l'humain en tant que humain. <strong>Le</strong> logos<br />
anthropogène.<br />
Au singulier, ‘la’ culture s’identifie avec la matrice universelle du spécifique<br />
humain, culture constituante interactivement humanité constituante.<br />
Concrètement cependant elle ne se manifeste qu’à travers le<br />
pluriel de la différence des espaces et des temps, en autant de cultures<br />
constituées.<br />
Chaque culture particulière fonctionne à l’intérieur d’un champ culturel.<br />
Chaque culture personnelle dans le champ culturel d’une région à un<br />
moment historique donné. Celui-ci dans un champ culturel géographiquement<br />
et historiquement plus étendu. Ensembles emboîtés interactivement<br />
dans des ensembles de plus en plus larges jusqu’à<br />
l’ensemble des ensembles englobant de la totalité de l'humain. Ces<br />
différents systèmes culturels, jusqu’en leur totalité systémique, sont à la<br />
fois producteurs et consommateurs de sens. Ce ne sont pas des<br />
systèmes clos mais des systèmes ouverts.<br />
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Sortir de la caverne<br />
La caverne représente notre espace humain avec ses limites et dans<br />
sa clôture. L'homme y est enchaîné par les nécessités `naturelles' de<br />
sa condition. Son regard et sa manière d'être sont conditionnés par les<br />
multiples contraintes qui lui viennent de naissance et, ensuite, par<br />
acquis: ses possibilités physiques et physiologiques, son héritage culturel,<br />
son éducation, les réflexes naturels et acquis, ses habitudes mentales,<br />
le mimétisme social... L'illusion d'une caverne infinie oblitère les<br />
chances du dehors.<br />
Ainsi donc la réalité de la fiction peut-elle être pour l'homme plus réelle<br />
que le réel ! Il ne reste aux cavernicoles que la `réalité' virtuelle qui occupe<br />
l'essentiel de leur temps. `Métro, boulot, dodo' comme on dira un<br />
jour. Toute une palette d'activités `sérieuses'. Des concours, des examens<br />
et des promotions avec leur cortège de diplômes et de médailles.<br />
Toute sortie de la caverne, à n’importe quel stade historique, implique<br />
un triple mouvement. Trois actes de la dramaturgie de la caverne.<br />
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Etreinte d’extrême différence<br />
L’homme occidental n’est pas né par parthénogenèse ! L’Occident est<br />
né de père et de mère. De père et de mère différents ! Notre mère est<br />
païenne. Notre père est judéo-chrétien. L’extrême simplicité d’une telle<br />
assertion risque de cacher l’extraordinaire complexité parallèle, le<br />
dense réseau avec ses enchevêtrements de lignes d’ascendance, de<br />
descendance et de colatéralité. Du côté maternel et du côté paternel...<br />
Indo-européens, Celtes, Germains, Slaves, Sémites, Arabes...<br />
De mère païenne ET de père judéo-chrétien. Si le même reste clos sur<br />
lui-même, jamais rien d’autre ne sera. La nouveauté est enfant de la<br />
différence qui s’affronte dialectiquement. Nulle part ailleurs autant de<br />
différence ne s’est étreinte qu’en notre Occident. Nulle part ailleurs ne<br />
fut libéré une plus grande dynamique. L’improbable rencontre entre une<br />
telle mère et un tel père allait se faire affronter deux mondes. Deux<br />
mondes humains ayant chacun sa langue, son histoire, ses valeurs,<br />
ses principes, ses articulations logiques, ses systèmes de représentation,<br />
ses formes de perception, ses codes régulateurs, ses types<br />
d’organisation, ses options fondamentales, ses prégnances, ses finalités.<br />
Deux espaces culturels différents jusqu’à la contradiction. Deux<br />
cultures, donc deux ’matrices d’humanité’ étrangement hétérogènes !<br />
Nulle part ailleurs autant de différence ne s’est étreinte qu’en notre<br />
Occident. Nulle part ailleurs ne fut libéré une plus grande dynamique.<br />
L’étreinte dialectique entre COM-posantes et EX-posantes. De son<br />
héritage maternel, il tient ses ‘composantes’. De son héritage paternel,<br />
ses ‘exposantes’. Tous les meurtres du père, périodiquement et rituellement<br />
perpétrés, ne pourront rien contre cette évidence première.<br />
La rencontre de la mère païenne et du père judéo-chrétien représente<br />
la plus gigantesque étreinte de différence imaginable ! Et de cette<br />
étreinte naît l’Occident. Sous le signe d’éros et de thanatos..<br />
300
301
Deux révolutions<br />
Deux révolutions. Il faut remonter plus haut dans l’histoire. Deux révolutions.<br />
Deux grandes ruptures ouvrent fondamentalement de nouvelles<br />
possibilités humaines. Deux gigantesques révolutions. Et deux seulement<br />
! Toutes les autres s'en nourrissent et s'articulent sur elles. Dix<br />
mille ans nous séparent des émergences de la première. Et quatre<br />
mille ans des origines de la seconde.<br />
Entre les deux ruptures, une infinie différence. La rupture néolithique<br />
est thétique et joue en horizontalité. La rupture judéo-chrétienne est<br />
antithétique et joue à la verticale. La révolution néolithique dit profondément<br />
oui. Elle va de soi. Elle a toute la 'raison' pour elle. La révolution<br />
judéo-chrétienne renvoie tout `oui' vers un plus fondamental `non'. Elle<br />
est de trop. Elle est `déraison' pour la raison. La révolution judéochrétienne<br />
n'est pas parallèle. D'une part elle surgit à partir de la révolution<br />
néolithique, au cœur de la révolution néolithique. D'autre part elle<br />
signifie rupture radicale du mouvement lui-même de la révolution néolithique.<br />
Elle est révolution dans la révolution. Bien plus, elle est révolution<br />
permanente au cœur même de sa propre révolution.<br />
302
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<strong>Le</strong> ‘non’ au cœur du néolithique<br />
La révolution qui commence avec Abraham dit `non'. Elle provoque<br />
ainsi dialectiquement l’essentiel des acquis de la révolution néolithique.<br />
Elle dit non à l'essentiel de ses acquis. L'homme prend en main son<br />
destin ? Non, il n'y a pas de destin pour l'homme. La valeur de l'artifice<br />
? Non, l'homme est toujours plus grand que ce qu'il fabrique. <strong>Le</strong><br />
culte de l'outil ? Non à l'outil qui fabrique des idoles à tous les sens du<br />
mot. Mais 'oui' à l'outil au service de la création. <strong>Le</strong> travail producteur ?<br />
Non, le travail n'est pas un absolu. Il ne prend valeur que dans le<br />
service. L'esclavage de la productivité ? Non, l'homme ne doit produire<br />
que le nécessaire et partager le superflu. La Bible ne peut avoir que<br />
mépris pour une `civilisation' comme la grecque qui ne fonctionne que<br />
grâce à l'esclavage de neuf hommes sur dix ! L'accumulation de<br />
l'avoir ? Non, l'avoir est pour le don et pour le service, non pour l'accumulation.<br />
La richesse durcit le cœur et aliène l'homme à l'homme. <strong>Le</strong>s<br />
grandes constructions ? Non, toute construction n'est finalement que<br />
vanité puisqu'elle ne peut tendre que vers sa destruction. La tâche<br />
essentielle de l'homme est ailleurs. Boucler la consommation sur la<br />
production ? Non, ce cercle est vicieux puisqu'il enferme l'homme<br />
unidimensionnellement sur lui-même. <strong>Le</strong> culte de la force ? Non, c'est<br />
quand je suis faible que je suis fort. Il y a des labilités qui, paradoxalement,<br />
ouvrent à d'autres fécondités. Réduire et intégrer la différence<br />
? Non, la différence est grâce. Faire régner l'ordre à tout prix ?<br />
Non, l'ordre n'est pas fin mais service. Très profondément l'homme<br />
n'est pas pour la mesure mais pour la démesure. Construire des<br />
enceintes de sécurité ? Non, Dieu seul est ta sécurité. Nouer des totalités<br />
? Non à tous les totalitarismes. Non à toutes les idéologies. L'homme<br />
en sa béance est infiniment plus grand que l'homme enfermé dans<br />
des `bulles'. Totaliser le sacré ? Non, l'homme n'est pas fait pour le<br />
sabbat mais le sabbat pour l'homme. <strong>Le</strong> décisif n'est pas la `religion'<br />
mais l'existence vraie qui s'ouvre dans la foi. Un seul Dieu tu adoreras !<br />
Il est Tout-Autre. Il est absolu 'Je suis'. Tu ne le trouves qu'en exode. <strong>Le</strong><br />
temple sera détruit. Laissez les morts ensevelir les morts. Ultimement<br />
le tombeau est vide...<br />
304
305
Typologie différentielle<br />
Composantes – exposantes. <strong>Le</strong>s premières garantissent les cohérences<br />
et les harmonies. <strong>Le</strong>s secondes ouvrent la démesure. La rencontre<br />
providentielle entre notre mère païenne et notre père judéo-chrétien fait<br />
s'étreindre les maternelles composantes et les paternelles exposantes.<br />
Deux longues séries d'antinomies radicales dont on n'évoque ici que<br />
les axes majeurs. L'absolu `Je suis' face à l'absolu `Il y a`. La liberté<br />
personnelle face à la nécessité naturelle. <strong>Le</strong> dessein face au destin.<br />
L'histoire face à l'éternel retour. La Création face au Cosmos. L'infini<br />
face au fini. La démesure face à la mesure. <strong>Le</strong>s extrêmes face au<br />
milieu. L'aventure et le risque face à l'harmonie et à la sécurité...<br />
Comme deux 'esprits' antithétiques à travers notre histoire occidentale.<br />
Une telle typologie différentielle renvoie à une opposition profonde au<br />
cœur du projet anthropologique. Quelque chose comme une division<br />
des esprits face à l’accomplissement de l’humain. Deux types humains.<br />
Deux projets d’humanité. Deux ‘essences’ qui traversent notre histoire<br />
et divisent les esprits. Ils se signifient de façon antithétique. Chercher<br />
refuge dans le repli protecteur de l’Age d’or et de la Cité idéale. Ou bien<br />
marcher vers la terre promise en risquant l’aventure et en consommant<br />
les ruptures.<br />
306
307
Dynamique de l’Occident<br />
Huit siècles d'histoire seraient à reprendre pour montrer comment, à<br />
partir d'innocentes émergences, la démesure judéo-chrétienne va<br />
courir son aventure en autonomie. Comment par une série de ruptures<br />
de plus en plus audacieuses cette démesure s'horizontalise dans<br />
l'immanence païenne jusqu'à l'athéisme. Comment toute l'aventure de<br />
la modernité n'est essentiellement, quant à son énergie et sa fécondité,<br />
que la poursuite de l'expérience judéo-chrétienne, mais sans l'Autre,<br />
sans Dieu. Comment les plus dynamiques des valeurs de notre modernité<br />
ne sont fondamentalement, malgré les apparences trompeuses,<br />
que des valeurs judéo-chrétiennes, mais tournant en 'roue libre', devenues<br />
'folles', parce que hors de la source de leur sens. Comment c'est<br />
chaque fois la plus grande hardiesse contre l'Alliance qui se fait<br />
acclamer sur la scène du monde en se faisant passer pour la plus<br />
'libératrice'. Comment, ce faisant, les 'mauvais rôles' à jouer incombent<br />
quasi fatalement aux tenants de l'Alliance. Comment la dynamique<br />
'révolutionnaire' de leur foi leur est ravie, récupérée sans la foi, et<br />
même tournée contre eux. Contre l'Alliance. Malice du 'Prince de ce<br />
monde'... Ironie de l'histoire... Humour de Dieu...<br />
308
309
Explosion à l’horizontale<br />
La judéo-chrétienne démesure, jusque là verticalisée, rompt la ’mesure’<br />
de l’Alliance et, chargée d’une dynamique qui lui vient de l’Autre, se<br />
reprend en autonomie et explose en horizontalité.<br />
La démesure verticale explose à l'horizontale. L'explosivité judéo-chrétienne<br />
ne reste pas indéfiniment contenue. <strong>Le</strong> fils de la mère grecque<br />
revendique pour soi l'héritage paternel. L'homme révélé divin par grâce<br />
veut devenir dieu sans le Père. L'homme manifesté divin à travers l'expérience<br />
judéo-chrétienne veut poursuivre seul cette expérience sans<br />
Dieu.<br />
Alors commence l'aventure de la grande schizoïdie qui boucle le divin<br />
possible de l'homme sur lui-même et le déploie, anthropocentrique, en<br />
son immense caverne d'Utopie.<br />
L'acte de naissance de la modernité rompt la communion originaire et<br />
instaure l'homme dans son autonomie anthropocentrique. La schizoïdie<br />
des filles et des fils de Dieu n'a cessé de nouer sa cohérence dans<br />
l'autistique constitution d'un espace de pure immanence.<br />
310
311
Modernité<br />
L'acte de naissance de la modernité scelle la rupture de l'Alliance. Cela<br />
émerge, quasi imperceptible, quelque part autour de l'an 1100. Cela<br />
débute par un `innocent' péché contre le Logos, qui, alors, ne peut plus<br />
être simplement celui des Grecs. La nominalistique tentation commence<br />
par susurrer cette simple question: lorsque tu parles, lorsque tu<br />
penses, est-il nécessaire qu'il y ait un garant autre que toi-même pour<br />
assurer la consistance fondamentale de ta parole et de ta pensée ? Ce<br />
doute chuchoté se fera clameur, amplifié par les mille échos de la<br />
caverne. Cinq siècles plus tard, de ce doute procédera l'affirmation<br />
fondatrice ‒ je pense donc je suis ‒ de notre plus récente modernité.<br />
312
313
Exode<br />
L'Exode, un événement historique unique et en même temps paradigme<br />
pour l'homme de tous les temps. Paradigme de toute authentique<br />
libération. Paradigme de l'espérance. Tu n'as jamais fini de quitter<br />
les terres de servitude.<br />
L’ultime moment dialectique signifié par le ‘trans’ engage l’humain dans<br />
l’Exode in-fini. Cet Exode n’est pas pour lui-même. Sa dynamique ne<br />
se boucle pas sur elle-même. L’humain est béant sur son autre dimension.<br />
Cette altérité reste incontournable. Toute dynamique spécifiquement<br />
humaine n’est jamais sans être aussi hors de soi, en avant de soi.<br />
<strong>Le</strong> quatrième moment dialectique est celui de l’Exode in-fini. Ce ‘trans’<br />
ne cesse de faire mal là où l’humain n’arrive à étreindre sa plénitude<br />
sur elle-même. Il crève inlassablement l’horizon des euphories immanentes.<br />
Sans lui, pourtant, l’authentique humain n’est pas.<br />
Exode de toutes choses hors du néant. Irruption de l'originel Alpha qui<br />
tend ensuite vers Oméga, dans l'ouverture d'un en avant vers ce topos<br />
du futur qui est u-topos. Si bien que la véritable genèse est moins au<br />
début qu'à la fin. Cette tension vers la nouvelle création. Cet eschaton<br />
d'une nouvelle terre et de nouveaux cieux. Cette montée vers la nouvelle<br />
Jérusalem, qui n'aura plus ni soleil ni lune comme luminaire mais<br />
seulement le Fils de l'Homme. Et peut-être l'homme moderne n'a-t-il<br />
pas encore fini d'explorer les profondeurs de la matière telle que la<br />
Bible la pressent en ses infinies possibilités créationnelles. Un très<br />
profond lien entre cosmos et logos. Quelque chose comme une<br />
‘matière spirituelle’ avec ses possibilités d’infinis développements c'està-dire<br />
d'infinis exodes de formes. Vers un nouveau concept de ‘nature’<br />
qui, d'une part, ne serait plus mécaniste et qui, d'autre part, n'aurait<br />
plus besoin d'un Dieu transcendant.<br />
314
315
Eternel retour<br />
<strong>Le</strong> schème de la roue de l'éternel retour, la fin coïncidant avec l'origine,<br />
est récurrent à travers la pensée humaine universelle de notre monde,<br />
de l'extrême Orient à l'extrême Occident. <strong>Le</strong> Bouddhisme n'en a pas<br />
l'exclusive. C'est ainsi, par exemple, que le néoplatonisme a orchestré<br />
de façon plus philosophique les grands thèmes spirituels de la chute et<br />
du retour, en intégrant les tendances d'origine orphique, manichéenne,<br />
hermétique et gnostique. <strong>Le</strong> christianisme en a subi largement les<br />
influences.<br />
<strong>Le</strong> système cyclique de l’éternel retour régit la philosophie implicite de<br />
l’humanité archaïque.<strong>Le</strong> cycle de l’éternel retour semble définir, depuis<br />
to ujours et comme allant de soi, le cadre, l’espace, le temps et le<br />
mouvement du projet humain. Rien ne semble pouvoir se dérouler hors<br />
de la roue fatale qui, annihilant le temps de l’histoire, ramène en coïncidence<br />
la fin avec l’origine, et enferme la dramatique de l’existence dans<br />
la répétitivité archétypale. Elle désamorce toute urgence et représente<br />
ainsi la plus formidable défense contre le risque de l’aventure existentielle<br />
et de l’engagement.<br />
<strong>Le</strong> système cyclique de l’éternel retour représente ainsi un effort optimiste<br />
de défense contre les intempéries de l’écoulement temporel.<br />
Système de neutralisation des calamités de la contingence historique.<br />
<strong>Le</strong> malheur conjuré dans son essence. Dès lors la catastrophe ellemême<br />
prend sens. Elle devient en quelque sorte supportable. Puisqu’elle<br />
participe à un sens derrière l’apparent non-sens. La contingence<br />
est comme soustraite à la gratuité, à l’arbitraire, à l’absurde. Elle trouve<br />
sa ‘raison’.<br />
Placée dans le plan vertical où se joue l’essentiel, la roue, en tournant,<br />
symbolise la dramatique fondamentale de l’être. L’existence, embarquée<br />
dans le mouvement périphérique, située en un point du contour, y<br />
vit la différence au cours d’une révolution. Une descente et une remontée.<br />
Passant du haut vers le bas, d’un côté vers l’autre, du bas vers le<br />
haut, elle connaît tour à tour la dispersion et la re-concentration, la<br />
sortie de l’Un, la perte de la béatitude, la chute, le malheur de la<br />
multiplicité, le possible retour, la conversion, le salut dans l’Un.<br />
316
317
La roue<br />
Un ‘tangha’ omniprésent au Tibet. On le trouve peint sur les murs des<br />
temples et des monastères, La ‘Roue de l’existence’ résume en un seul<br />
tableau le destin des vivants que leur karma retient dans les cycles des<br />
naissances et des morts. Jusqu’à sa ‘libération’, en effet, l’homme se<br />
débat inlassablement enchaîné dans le samsâra, la roue fatale des<br />
réincarnations.<br />
Représentée ici de façon très schématique. La 'roue de l'existence' ou<br />
'les vivants au rouet'... La vie est souffrance. La souffrance engendre le<br />
désir. <strong>Le</strong> désir engendre la douleur. Jusqu’à la sortie du piège. Chaque<br />
tour du cycle représente une réincarnation et chaque état de réincarnation<br />
une souffrance plus ou moins grande.<br />
Au centre de la roue se tiennent les symboles des trois causes du<br />
Samsara ou réincarnations sans fin. C’est-à-dire les trois poisons de<br />
base – les trois poisons mentaux – de l’existence. Ils sont présents<br />
dans notre cœur où nous expérimentons notre nature animale. <strong>Le</strong> porc,<br />
symbole de l’ignorance. <strong>Le</strong> serpent, symbole de la haine. <strong>Le</strong> coq,<br />
symbole de l’orgueil.<br />
Tant que la conscience est infestée par ces trois poisons, la soif d’existence<br />
ne peut pas ne pas poser des actes, donc produire du karma,<br />
cause quasi mécanique des réincarnations. Ces actes peuvent être de<br />
deux sortes. <strong>Le</strong>s uns sont méritoires et provoquent un mouvement<br />
ascendant, traduisez, une meilleure place parmi les six états de réincarnation.<br />
<strong>Le</strong>s autres sont dé-méritoires et provoquent un mouvement<br />
inverse.<br />
318
319
<strong>Le</strong>s 12 étapes de l'existence<br />
Dans le quatrième cercle, le plus éloigné du centre, sont représentées<br />
les douze étapes de l’existence. En commençant par le haut et dans le<br />
sens des aiguilles d’une montre se succèdent en 12 cases les 12<br />
causes interdépendantes. a) L’ignorance et la non compréhension de la<br />
véritable nature de la réalité. b) <strong>Le</strong>s formations carmiques qui déterminent<br />
des tendances de l'esprit. c) La conscience de base ou continuum<br />
mental. Son agitation est symbolisée par un singe qui saute de<br />
branche en branche. d) <strong>Le</strong> nom et la forme, les activité physiques et<br />
mentales symbolisées. Lors de l’incarnation apparaît une forme à laquelle<br />
on peut donner un nom. e) <strong>Le</strong>s six sens ou consciences sensorielles.<br />
f) <strong>Le</strong> contact. g) La sensation, agréable, neutre ou dés-agréable.<br />
h) <strong>Le</strong> désir et la soif de vivre. i) La saisie et l'attachement. j) <strong>Le</strong><br />
devenir symbolisé par une femme enceinte. Suite à la saisie s’est créée<br />
une accumulation karmique qui se manifestera dans le futur par un état<br />
de renaissance. k) La naissance représentée par une femme qui accouche.<br />
l) <strong>Le</strong> vieillissement et la mort symbolisés par un vieil homme<br />
qui porte un cadavre. Avec l'apparition d'une forme, viennent inévitablement<br />
vieillesse et mort.<br />
Fatal enchaînement des causalités en dépendance. De l’ignorance<br />
dépend le karma. Du karma dépend la conscience. De la conscien-ce<br />
dépend mentalité-corporéité. De mentalité-corporéité dépendent les six<br />
organes des sens. Des six organes des sens dépend le contact. Du<br />
contact dépend la sensation. De la sensation dépend le désir. Du désir<br />
dépend l’attachement. De l’attachement dépend l’existence. De l’existence<br />
dépend la naissance. De la naissance dépendent vieillesse et<br />
mort, avec leur suite de soucis, de lamentation, de misère, de souffrance<br />
et de désespoir.<br />
C’est ainsi que se produit toute l’accumulation de la misère. Samsâra.<br />
La roue ne cesse de tourner... vers des réincarnations sans fin. A moins<br />
de rompre l’enchaînement et de se libérer de son piège vers le nirvâna.<br />
320
321
<strong>Le</strong>s processus<br />
La douleur cesse lorsque cesse tout désir et de toute soif d’existence.<br />
Elle ne peut donc cesser que par la destruction de l’ignorance. En<br />
même temps sont éradiquées les trois racines du mal. Lorsque la soif<br />
d’existence est complétement éteinte, le saint, définitivement à l’abri de<br />
la douleur, de la crainte et du doute, atteint l’état de sérénité<br />
imperturbable du Nirvana. Il ne renaît plus nulle part.<br />
Pour briser la chaîne il suffit de casser un maillon.<br />
Soit le point de jonction 2. La sensation, formant le dernier des maillons<br />
du processus d'effet de la vie présente, est immédiatement suivie de<br />
l'avidité, le premier des maillons du processus de cause de la vie<br />
présente. Il s'agit d'un important point d'intersection entre deux types de<br />
conditionnalité, la conditionnalité cyclique et la conditionnalité progressive.<br />
Un moment décisif. Ou bien le cercle se ferme sur un nouveau<br />
tour de l'existence enchaînée. Ou bien le cercle commence à se rompre<br />
pour s'ouvrir du côté de l'Eveil par la libération du fatal enchaînement<br />
DESIR ‒ ACTE ‒ NOUVELLE EXISTENCE.<br />
Ce point de jonction 2 est capital. Il s’y joue la persistance et l'intensité<br />
du désir est le point où le Moi risque de s'investir au maximum. En ce<br />
point décisif il 'se décide' en quelque sorte pour l'illusion de sa permanence<br />
ou pour la vérité de son impermanence. En entretenant<br />
l'ignorance il continue à s'attacher et, partant, à rester prisonnier. En<br />
cassant l'ignorance il casse son attachement au Moi qu'il prend faussement<br />
pour une entité substantielle digne d'intérêt. Par le fait même il<br />
casse le cercle fatal et se libère de la douleur.<br />
C'est en effet l'élan vital qui nous porte à travers le monde douloureux<br />
des transmigrations. En brisant l'attachement à la vie, le karma cesse<br />
d'être alimenté. Il s'épuise progressivement. On s'échappe du cercle<br />
infernal.<br />
322
323
A la bifurcation des chemins<br />
Point de rupture<br />
Voici donc ce que vit le Bouddha, assis sous l’arbre de la Bodhi. C’est<br />
sa vision de l’existence humaine,communiquée par des concepts et<br />
des symboles. La signification de sa vision est très claire. C’est une<br />
vision de possibilités. C’est une vision d’alternatives. Entre deux conditionnalités.<br />
D’un côté, il y a le type de conditionnalité cyclique, de<br />
l’autre, le type de conditionnalité spirale. D’un côté, il y a l’esprit réactif,<br />
de l’autre, l’esprit créatif. On peut soit stagner, soit croître. On peut soit<br />
rester assis et accepter la boisson des mains de la femme, soit refuser<br />
la boisson et se mettre sur ses deux pieds. On peut soit continuer à<br />
tourner passivement et sans espoir sur la Roue, soit suivre le Chemin,<br />
monter l’échelle, devenir la plante, devenir les fleurs. Notre destin est<br />
entre nos mains.<br />
Du cercle à la spirale<br />
A ce point de jonction 2 nous quittons le cercle pour entrer en spirale.<br />
Une nouvelle direction. Vers l'Eveil. Sur le chemin qui mène au nirvana.<br />
324
325
La rupture du cercle<br />
Moment extraordinaire dans l’évolution de l’humanité que celui de la<br />
rupture du cycle de l’éternel retour. L’homme ose briser le cercle et<br />
marquer sa différence d’avec l’ordre cosmologique. S’ouvre ainsi l’espace<br />
nouveau où se déploie la liberté.<br />
Elle émerge tardivement et progressivement. Comme si le cercle<br />
refusait de la libérer. Ce qu’on peut appeler ‘histoire’ mais qui ne l’est<br />
pas encore réellement commence à partir du troisième millénaire avant<br />
Jésus Christ. La Mésopotamie, l’Egypte, la vallée de l’Indus. Ensuite la<br />
Crète. Ensuite les Hittites, la Chine, Israël. Ensuite Mycènes. Ensuite<br />
les Grecs, les Etrusques, Rome...<br />
Désormais l’événementiel prend une consistance suffisante pour<br />
mériter attention et rétention. L’accident temporel n’est plus simplement<br />
ramené à une structure archétypale et à un ordre éternel, il prend<br />
signification et valeur pour lui-même. L’homme prend conscience de luimême<br />
comme créateur et comme acteur. Il quitte le destin pour courir<br />
le risque de sa destinée. Avec l’émergence de l’Histoire, le cercle de<br />
l’éternel retour va se briser. <strong>Le</strong> scandaleux et irrationnel écoulement<br />
temporel prendra valeur pour lui-même. <strong>Le</strong> temps n'aura plus besoin de<br />
trouver consistance en remontant aux origines et en se régénérant 'en<br />
arrière'. Il deviendra en lui-même et pour lui-même, 'en avant', dynamique<br />
de genèse nouvelle. Pour les païens tout est toujours au départ.<br />
La suite est aux émanations et aux dégradations. Dans la Bible Alpha<br />
est pour Oméga, sans retour, et l'eschatôn est principe.<br />
326
327
L'histoire 'ex'-pose<br />
Il ne peut y avoir histoire, réellement Histoire, que lorsque le scandaleux<br />
et irrationnel écoulement temporel prend valeur pour lui-même.<br />
Lorsque le temps n’a plus besoin de trouver consistance en remontant<br />
aux origines et en se régénérant ’en arrière’ mais qu’il devient en luimême<br />
et pour lui-même, ’en avant’, dynamique de genèse nouvelle.<br />
Lorsque le scénario cosmologique n’accapare plus la scène mais la<br />
laisse libre à l’improvisation. Lorsque le même de la répétitivité cède la<br />
pertinence à l’autre de la création imprévisible. Lorsque l’irréversibilité<br />
des événements signifie moins essentiellement perte que gain d’être.<br />
Lorsque s’affronte le non-être du devenir comme possibilité d’un plusêtre.<br />
Lorsque la corrosion historique se révèle être moins menace que<br />
défi. Bref, lorsque l’homme s’embarque dans l’histoire en levant les défenses<br />
contre l’histoire et en prenant conscience de lui-même comme<br />
créateur historique.<br />
Désormais l’homme prend conscience de lui-même comme créateur et<br />
comme acteur. Il quitte le destin pour courir le risque de sa destinée.<br />
L’homme est ainsi pro-voqué par l’Autre à devenir créateur d’Histoire.<br />
L’humain est projeté hors de lui-même. Hors de ses sécurités. Il lui<br />
reste à risquer l'aventure... Il se trouve irréversiblement pris dans le flux<br />
de la temporalité. Il se trouve irrémédiablement embarqué dans l’Histoire.<br />
Et non seulement lui-même, mais sa compréhension est ellemême<br />
embarquée. Nous ne nous comprenons pas hors de cet embarquement.<br />
328
329
Possibilité historique<br />
Que fallait-il pour que l'humain ose se jeter dans l'aventure et le<br />
risque ?<br />
1 La temporalité libérée de l'éternel retour.<br />
2 <strong>Le</strong> temps devenu urgent.<br />
3 Oser sortir de la caverne.<br />
4 Ouverture d'un infini espace du sens.<br />
5 <strong>Le</strong> 'Hors de' est dédramatisé.<br />
6 Expérience d'un appel et d'une promesse.<br />
7 Irruption d'un projet historique.<br />
Cela ne pouvait venir par génération spontanée. Trop massifs se<br />
dressaient contre elle les ancestraux mécanismes de défense. Ils<br />
devaient être brisés. Ils l'ont été. Cela s'est passé dans l'espace judéochrétien.<br />
La nouveauté judéo-chrétienne brise les cycles de la fatalité et<br />
ouvre le temps en avant de lui-même. Elle libère l'histoire du fatum de<br />
l'éternel retour. <strong>Le</strong> cercle s'ouvre en vecteur. Alpha et Oméga ne se<br />
rejoignent plus que sur un autre plan. L'histoire est ouverte à sa transcendance<br />
et à son eschatologie. L'impossible lui-même est possible.<br />
Rien n'est jamais joué définitivement. Il n'existe pas d'impasse sans<br />
issue. Au creux de la catastrophe le prophète sait encore crier l'espérance.<br />
Et cette audace d'un 'exode' au-delà des limites, au-delà de<br />
toutes les limites, ne pouvait venir que portée par une Alliance avec un<br />
autre - un Tout-Autre - qui s'est révélé 'YAHVE'. 'Je Suis'. Je suis<br />
toujours avec toi. Tu n'es donc plus jamais seul. De quoi aurais-tu<br />
peur ?<br />
330
331
Entre alpha et oméga<br />
Nous ne totalisons jamais qu’entre Alpha et Oméga. Si grandes soientelles,<br />
nos totalisations ne sont jamais que des ’bulles’ flottantes sur des<br />
béances. Or nous sommes embarqués “au milieu” de l’histoire.<br />
L’histoire que nous vivons est perpétuellement inachevée et reste<br />
perpétuellement ouverte. Nous ne totalisons jamais qu’entre Alpha et<br />
Oméga. Nous ne disposons pas de l’avenir. A peine disposons-nous du<br />
présent. Quant au passé, il ne s’agit jamais que d’un ‘certain’ passé. La<br />
question du sens de l’histoire et de la fin de l’histoire reste à jamais<br />
hors de notre portée. L’histoire embarque l’homme du côté de la<br />
déraison. La raison de l’histoire, en effet, n’est pas dans la ‘raison’ mais<br />
dans l’histoire qui crucifie la raison.<br />
332
333
Impossible retour.<br />
L'homme entre en Histoire hanté par la boucle qui se boucle. Mais ce<br />
retour dans l’éternel retour est désormais impossible. L’humain est<br />
irrémédiablement livré à l'aventure et au risque. Ce n'est que ‘virtuellement’<br />
qu'il peut tenter de boucler quand même la boucle de sa<br />
compréhension. En construisant une philosophie de l'Histoire. Toutes<br />
les philosophies de l'Histoire veulent ainsi ramener l’Histoire à la raison.<br />
<strong>Le</strong>ur échec est cependant patent. La raison de l'Histoire, en effet, n'est<br />
pas dans la raison mais dans l'ouverture de l’Histoire qui crucifie la<br />
raison.<br />
L’homme entre en histoire hanté par la boucle qui se boucle. Mais cela,<br />
désormais, lui devient existentiellement impossible. Il est irrémédiablement<br />
livré à l’aventure et au risque. Ce n’est qu’intellectuellement qu’il<br />
peut tenter de boucler la boucle de sa compréhension. En construisant<br />
les philosophies de l’histoire.<br />
On ne retourne plus dans le sein maternel. Une fois contaminé par<br />
l’inquiétude historique on ne retrouve plus l’innocence de l’éternel<br />
retour. Inutile de chercher du côté des sagesses orientales, elles ne<br />
résistent qu’en superficie. Et ce n’est que par ressentiment contre la<br />
révolution judéo-chrétienne qu’un Nietzsche cherche vainement un<br />
retour dans la sagesse cyclique.<br />
334
335
Impossible totalisation<br />
Et sens pourtant. Car l’impossibilité d’enfermer la totalité de l’Histoire<br />
dans un système et, partant, de lui assigner une 'fin' – une ultime étape<br />
–, ouvre l’espace de sa signification. L'Histoire ne peut pas être 'objet'<br />
de compréhension parce qu'elle est essentiellement 'sujet' de décision.<br />
Nous ne totalisons jamais qu'entre Alpha et Oméga. Nos totalisations<br />
ne sont jamais que des 'bulles' flottantes sur des béances. Chance<br />
pour le décisif humain: liberté ex-posée. Ce n'est pas l'Histoire qui<br />
mène l'homme, c'est l'homme qui conduit l'Histoire. Et ainsi se dévoile<br />
un sens très profond de la condition humaine en chemin... En chemin.<br />
Non pas sur une route toute tracée d'avance, mais simplement balisée<br />
par les grandes options relevant d'une foi. A travers incertitude et<br />
risque. L’incertitude et le risque de l’aventure historique comme l’espace<br />
privilégié de la liberté et de l’urgence de la décision. L'ouverture<br />
d'un futur non-encore-décidé pro-voque l'être à la décision. Rien n'est<br />
jamais joué. Tout reste à jouer. Dans l'infini d'une aventure. <strong>Le</strong> grand<br />
risque humain à courir...<br />
<strong>Le</strong> sens de l’histoire est en exode. Nous sommes irréversiblement<br />
embarqués. Si grandes soient-elles, nos totalisations ne sont jamais<br />
que des ’bulles’ flottantes sur des béances. Pour assigner une ’fin’ à<br />
l’histoire, il faudrait qu’on puisse la considérer à partir de son terme ou<br />
de sa clôture. Or nous sommes embarqués au milieu de l’histoire.<br />
336
337
Verticalité transhistorique.<br />
Maître de l'histoire ?<br />
L’histoire, fondamentalement, est-elle destin ou dessein ? A moins que<br />
la pensée ne désespère devant une histoire totalement irrationnelle, il<br />
ne reste que cette alternative qui ouvre deux types de lecture de l’histoire<br />
en sa totalité. Si l’histoire n’est que destin, elle échappe à toute<br />
maîtrise de l’homme. Elle se trouve comme livrée à la nature, jouet du<br />
hasard et de la nécessité. Son long terme se déploie dans l’inconnu.<br />
Ses certitudes, son ‘sens’, se cherchent dans l’horizontalité des faits et<br />
des événements. La déraison de l’histoire trouve ainsi ses raisons dans<br />
les lois inductivement généralisées à partir de l’expérience.<br />
A une telle lecture empirique et immanentiste s’oppose la lecture transcendante<br />
de l’histoire comme dessein. Celui-ci n’est pas à chercher sur<br />
la ligne horizontale de la succession simplement événementielle mais<br />
sur cette autre ligne qui la coupe verticalement. <strong>Le</strong> sens de l’histoire<br />
transcende la phénoménalité historique. Il n’est pas dans les événements,<br />
il les traverse. Derrière le ’hasard’ de l’histoire se profile en<br />
pointillé une ligne qui est sens. Et ce sens n’advient que dans la<br />
tension avec une transhistoire. Il se ‘révèle’ à travers une Alliance. Dieu<br />
écrit droit avec des lignes brisées... Telle est la folle certitude d’un Saint<br />
Augustin au creux d’une expérience historique déconcertante.<br />
338
339
Partir<br />
Partir. Quitter les terres ‘natales’. Vers une terre promise. L’espérance<br />
est en exode. Paradoxale condition humaine ! Pourquoi lui sont-elles<br />
refusées les installations dans les plantureuses vallées d’abondance ?<br />
Pourquoi l’humain authentique n’existe-t-il qu’en incessant dépassement<br />
et en marche vers un ailleurs ?<br />
L’humain est en exode à travers la différence. Et sans cette traversée il<br />
ne s’humaniserait pas. Du ‘même’ clos sur lui-même, jamais rien<br />
d’autre ne peut être. C’est la différence de l’ ‘autre’ qui ex-pose le<br />
‘même’ à son propre dépassement, qui l’é-duque vers son accomplissement.<br />
L’homme est l’animal qui sort de la caverne. Un animal bizarre.<br />
Proprement anormal si l’on considère les normes de la vie simplement<br />
biologique. Une négation au cœur de la massive affirmation vitale. Et<br />
que proteste Nietzsche avec toute la modernité ! Nous ne bouclons la<br />
boucle de l’animalité qu’en nous niant nous-mêmes. L’authentique<br />
humain est en exode. L’animal vient au monde muni de tout ce qui lui<br />
est nécessaire. Il naît avec son animalité accomplie selon les déterminations<br />
de son espèce. Tout est donné. Il suffit de le laisser se<br />
développer suivant ses lois propres. L’homme ne naît pas avec son<br />
humanité accomplie. Il naît totalement prématuré, nu, invivable, amnésique.<br />
<strong>Le</strong> programme génétique ne code pas au-delà de la complexe<br />
machinerie de son corps et de son gros cerveau. <strong>Le</strong> reste, l’essentiel,<br />
est à créer et à apprendre. L’homme naît dans la béance. Il naît pour la<br />
différence. Il naît avec une possibilité d’accomplissement. Il naît pour<br />
un exode d’humanisation. L’homme est engendré pour un engendrement<br />
infini.<br />
E-ducation. Ex-ducere. Conduire hors de... <strong>Le</strong> plus beau concept<br />
d'humanité. Vers quoi ? Hors du donné simplement naturel vers l’homme.<br />
Hors de l’homme vers plus d’homme.<br />
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341
Urgence<br />
L’eschatologie est la vision des ‘choses ultimes’ – ta eschata, en grec –<br />
en même temps que celles des ‘fins dernières’ de l’homme. Qu’est-ce<br />
qui advient ‘après’ ? Après les limites de l’espace et du temps de notre<br />
condition humaine. Un tel questionnement n’a cessé de produire un<br />
genre littéraire particulier, l’apocalyptique, On le retrouve multiforme à<br />
travers tous les temps et toutes les cultures. Dans l’espace judéochrétien<br />
s’est particulièrement développé entre le IVe siècle avant J-C.<br />
et le IIe après. <strong>Le</strong>s apocalypses les plus connues sont celles de celles<br />
du prophète Daniel et de l’évangéliste saint Jean. ‘Apocalypse’ –<br />
apokalypsis en grec – veut dire ‘révélation’. Elle veut être ‘découverte’<br />
de l’état et du statut définitifs des choses, terrestres et célestes, à la ‘fin’<br />
de l’Histoire. La dimension eschatologique est essentielle à l’apocalyptique.<br />
L’eschatologie n’est pas essentiellement pour la ‘fin des temps’.<br />
En Jésus Christ la totalité des temps est déjà accomplie. C’est le<br />
‘maintenant’ – le kaïros – qui est eschatologique. Sans doute y a-t-il<br />
aussi un futur eschatologique qui ouvre sur l’ad-venir de radicale<br />
nouveauté. La parousie. La résurrection de la chair. le Jugement<br />
dernier. <strong>Le</strong> règne cosmique de Dieu. Mais dans le Christ et par le Christ<br />
ces événements sont déjà ‘actuels’. Ils nous ‘arrivent’ dans le<br />
‘maintenant’ existentiel de la foi.<br />
Ainsi donc l'essentiel est écrit 'droit'. L'horizon est ouvert. <strong>Le</strong> sens est<br />
donné. La route est promise. En même temps, dans le court terme de<br />
notre quotidien, nous ne nous retrouvons le plus souvent que devant<br />
les brisures. Telle est notre condition entre incertitude et risque. <strong>Le</strong>s<br />
ruptures, en effet, nous provoquent au risque de la foi. Et nous savons<br />
que nous n'existons authentiquement qu'à travers ce risque.<br />
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343
Après ?<br />
L’ultime béance, la dernière, celle qui est au bout, du côté des ‘fins<br />
dernières’. Elle s’ouvre, abrupte, au-delà de cette limite qui marque la<br />
séparation entre mon monde, celui des évidences phénoménales, et le<br />
‘trou’ qui s’ouvre béant immédiatement après. Ce monde ‘mien’, celui<br />
de ‘ma’ vie et celui de ‘mes’ possibilités est l’unique monde de mes<br />
évidences. J’y suis né. J’y meurs. Je n’ai aucune expérience d’un hypothétique<br />
‘ailleurs’. Personne n’est jamais revenu d’un au-delà. Pourquoi,<br />
alors, cette béance hante-t-elle l’existence ?<br />
Très schématiquement on peut distinguer trois types d’existences face<br />
au problème ou plus exactement du mystère de l’ultime béance. 1)<br />
L’attitude naturaliste boucle la pure immanence sur elle-même. Elle<br />
fonctionne sur un déni de tout au-delà, refoule toute angoisse métaphysique<br />
et se réconcilie ainsi avec la plénitude ‘animale’ de la vie. 2) Pour<br />
cette attitude la mort n’est pas la fin absolue. En grisé se prolonge une<br />
‘existence’ virtuelle qui ne prend fin qu’avec la fin du monde. On peut<br />
ainsi ‘survivre’ de multiples manières. En devenant ‘immortel’ comme<br />
académicien, par exemple. En se perpétuant dans la vie de ses<br />
enfants. En transmettant ses gènes (supposés (immortels). En entrant<br />
dans l’Histoire. En survivant dans la mémoire collective. 3) Il y a enfin<br />
les attitudes ouvertes à la transcendance. Ce sont elle qui nous intéressent<br />
par rapport à l’extrême béance. Bouddhisme et christianisme.<br />
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345
Deux vacuités<br />
Penser le néant est impossible. Tout ‘ce que’ du néant est impensable.<br />
Reste simplement le ‘que’ de l’acte ou du verbe anéantir ou néantiser.<br />
Face au ‘que’ s’opposent deux types de néant. Il y a le néant qui<br />
débouche sur une infinie clôture. Il s’agit d’un « néant mécréant » qui<br />
traduit un négativisme ontologique et signifie ultimement la démission<br />
devant l’être. Il y a aussi le néant positif qui ouvre un infini. C’est lui qui<br />
sous-tend la béance mystique, qu’elle soit bouddhique ou chrétienne. Il<br />
vaut mieux l’appeler ‘vacuité’.<br />
Du nirvâna on ne peut se faire qu’une idée négative. Il n’est pas l’infini<br />
de l’espace. Il n’est pas l’infinité de la perception. Il n’est pas rien. Il<br />
n’est pas idée. Il n’est pas non-idée. Il n’est pas ce monde-ci, ni le<br />
suivant, ni aucun des deux. Il n’est ni le soleil ni la lune. Il ne vient pas.<br />
Il ne part pas. Il n’a pas de cause. Il n’a pas de commencement. Il est la<br />
fin de la souffrance.<br />
L’extrême béance chrétienne est sans doute encore plus ‘béante’ que<br />
le nirvana. Celle-ci, après tout, ne quitte pas la continuité du ‘même’<br />
idéaliste alors que la béance chrétienne s’ouvre dans l’infini béance de<br />
l’autre en tant qu’autre, non seulement altérité mais altérité de l’altérité.<br />
Une secrète loi, profonde dialectique du renversement des contraires,<br />
régit la vie spirituelle. Plus tu <strong>approches</strong> de ton propre néant, plus tu<br />
atteins ce point de rupture ou tu bascules dans l'absolu de l'être.<br />
Deviens rien, et tu deviens tout. Vide-toi, et la plénitude te sera donnée<br />
par surcroit. Au creux de ton extrême ‘différence’, tu te trouveras en<br />
parfaite ‘convenance’. Par grâce.<br />
Laisse-toi tomber... Tu ne tombes jamais dans le néant absolu. Dans<br />
l’infini de la béance, il y a une présence que tu peux expérimenter. Tu<br />
ne trouves pas Dieu a travers tes plénitudes. Tu trouves Dieu a travers<br />
ton néant.<br />
Précipite-toi avec ton néant dans l'abime de Dieu.<br />
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Au-delà de « l’horizon indépassable »<br />
L’expression est de Jean-Paul Sartre, mais l’idée était dans (presque)<br />
toutes les têtes. Il s’agissait du marxisme occupant alors largement le<br />
champ intellectuel et nourrissant le Discours des Maîtres penseurs du<br />
temps. Tout le monde se mettait à humer goulûment l’air du temps.<br />
Personne ne voulait rater le train de l’histoire et rester en marge du<br />
messianisme des temps modernes. Comment ne pas communier à l’alliance<br />
enfin célébrée entre ceux qui pensent et ceux qui travaillent ?<br />
Quintessence de la ‘modernité’, le marxisme s’identifiait alors à l’espérance<br />
tout court. L’espérance au-delà de laquelle aucune espérance ne<br />
pouvait plus jamais trouver de place. En fait l’horizon indépassable de<br />
notre modernité. Depuis, les horizons ne cessent de changer au gré<br />
des illusions. Mais la clôture, elle, veut rester identique à elle-même<br />
Derrière l’infini du dire qui surabonde dans chaque espace culturel se<br />
tient un Discours aux prétentions totalitaires. <strong>Le</strong> Discours dominant. Un<br />
Discours derrière les discours. <strong>Le</strong> grand ‘souffleur’ de nos mises en<br />
scène. L’esprit du temps. C’est lui qui dicte ce qui est sortable et ce qui<br />
ne l’est pas, ce qui est ‘correct’ et ce qui ne l’est pas. Il ne s’explicite<br />
que très rarement et pourtant il est omniprésent. <strong>Le</strong> non-dit est son<br />
expression habituelle. <strong>Le</strong> ‘on’ est son empire. Il ne prolifère que derrière<br />
les démissions personnelles. <strong>Le</strong>s media lui fournissent l’orchestration et<br />
lui assurent l’amplification et la résonance. L’Audimat le dynamise. <strong>Le</strong><br />
discours dominant délimite l’horizon indépassable de la caverne. Il en<br />
exprime la logique la plus pertinente. il en constitue la forme suprême<br />
de ‘bonne conscience’. C’est dans sa logique qu’on réussit aux jeux et<br />
concours de la caverne. <strong>Le</strong>s enfants de la caverne sont plus malins<br />
que les enfants de lumière...<br />
La foi chrétienne ne peut avoir que l’air ridicule dans la caverne. Elle<br />
est l’éternelle perdante aux jeux et concours de la caverne. Qu’a-t-elle<br />
d’intéressant à produire pour amuser les cavernicoles ? N’est-elle pas<br />
leur inlassable trouble-fête et leur ‘mauvaise conscience’ ? Mais peut-il<br />
en être autrement pour une foi qui ne peut qu’être fondamental refus de<br />
toute caverne ?<br />
348
349
Exponentielle<br />
Qu’est le ‘progrès’, dogme central de la croyance dominante ? Essentiellement<br />
une courbe exponentielle de croissance le long du temps<br />
historique. Quelle croissance ? Toutes les euphories ‘progressistes’<br />
partent d’une réponse unanime: c’est le possible de l’homme qui croît.<br />
Et tout le possible de l’homme !<br />
<strong>Le</strong> ‘progrès’ s’identifie à un gigantesque système exponentiel. Est exponentielle<br />
une quantité qui traverse le temps, affectée d’un exposant<br />
croissant d’instant en instant. La ‘boule de neige’ en est l’exemple<br />
parlant. La spirale qui, à chaque révolution, embrasse un espace plus<br />
grand, en est sans doute le symbole le plus pertinent.<br />
Croissance du possible de l'homme. Ce possible, cependant, notre<br />
modernité l’a réduit au ‘faisable’. Et comme l’espace du faisable est<br />
immédiatement celui de l’avoir, le ‘progrès’ s’est mis à jouer la croissance<br />
de l’avoir. Or l’artifice est accumulable. Et l’accumulable bien<br />
géré produit le long du temps une somme en croissance, le plus<br />
s’ajoutant au plus, produisant un plus toujours plus grand. <strong>Le</strong> sens, par<br />
contre, se trouve chaque fois comme renvoyé à son éternel commencement.<br />
Décision toujours actuelle, il est à chaque moment du temps<br />
une sorte de nouvelle création. Son essentielle discontinuité refuse le<br />
sommable continu. Irrécupérable donc pour le ‘progrès’. En faisant<br />
l’économie de l’être, le projet de l’homme glisse ainsi du côté du projet<br />
constructeur qui tend à s’identifier avec son projet essentiel. <strong>Le</strong>s<br />
valeurs de signification se confondent avec les valeurs d’articulation et<br />
de plus en plus s’y perdent. Triomphe de l’homme ‘fabricateur’. Fabricateur<br />
d’outilité et fabricateur d’artifice. Fabricateur de texture. Fabricateur<br />
du texte. Fabricateur d’un ‘sens’ qui ne peut finalement plus être<br />
autre que sens-du-texte-fabriqué ! La foi au progrès se nourrit de la<br />
puissance fabricatrice d’artifice du possible de l’homme en autonomie.<br />
<strong>Le</strong> ‘progressisme’ n’est finalement que la superstructure idéologique<br />
d’un gigantesque système d’outilité exponentielle dont le fonctionnement<br />
induit l’optimisme prométhéen et entretient le discours bienportant<br />
de l’homme se voulant bien-portant.<br />
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351
<strong>Le</strong> progrès<br />
En continuité avec la naturelle ligne évolutive ascendante, la montée du<br />
spécifique humain signifie une rupture et l'irruption exponentielle d'une<br />
ligne ascendante différente. Concrètement, les deux vecteurs vont<br />
pratiquement coïncider pendant des centaines et même des milliers de<br />
millénaires. Ils ne divergeront que très progressivement, le spécifique<br />
humain prenant une accélération croissante exponentielle.<br />
Pourquoi cette accélération exponentielle si caractéristique du progrès<br />
humain ? Il y a d'abord une nécessité interne de l'articulation en ellemême.<br />
L'articulation structurelle, en effet, croît en fonction de la complexité<br />
structurale. En vertu de la croissance exponentielle des possibilités<br />
combinatoires en fonction du nombre des éléments, plus les<br />
éléments structuraux sont disponibles en grand nombre, plus les<br />
liaisons struturelles tendent à croître en progression géométrique selon<br />
une courbe exponentielle. Cela s'appelle plus simplement le phénomène<br />
de `boule de neige' dont nous avons déjà parlé à propos de la<br />
croissance de l'outil. Ensuite la liberté de l'articulation en tant qu'humaine.<br />
C'est l'homme ouvert sur l'infini qui dispose des éléments et des<br />
liens structuraux. L'homme non-fini, in-fini, ouvert à l'u-topos, ouvert<br />
dans un espace symbolique, ouvert à l'autre, ouvert à l'histoire, ouvert<br />
comme projection dans un monde nouveau. Dès lors devient possible<br />
un autre `progrès' qui n'est plus simplement poussé par la nécessité<br />
articulatoire et structurale mais appelé par l'exigence du spécifique<br />
humain. Un pro-grès, c'est-à-dire une é-ducation d'authentique humanité.<br />
Progrès ? A partir du 18e siècle la catégorie de ‘progrès’ alimentera<br />
toute une mythologie: le mythe du progrès technico-scientifique comme<br />
progrès ‘total’ de l’homme; le mythe de l’intelligibilité scientifique comme<br />
intelligibilité ‘absolue’, et logiquement, par voie de conséquence, le<br />
mythe de la supériorité de l’homme occidental inventeur et détenteur de<br />
l’efficacité mécaniste. Il n’est pire mythe que celui qui se pare de<br />
scientificité !<br />
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353
<strong>Le</strong>s deux sources du progrès<br />
Science et technique peuvent certes croître par elles-mêmes, selon la<br />
logique qui veut qu'une découverte en entraîne une autre et s'ajoute à<br />
elle, l'ensemble, au fil du temps, ne pouvant que grandir et se développer.<br />
Mais derrière l'idée de progrès il y a beaucoup plus qu'une simple<br />
croissance accumulative, si impressionnante soit-elle. Il y a une dynamique.<br />
Une dynamique faite d'exigence de dépassement infini, d'énergie<br />
volontaire pour transformer les choses et les événements, de projet<br />
historique qui casse l'éternel retour, de volonté de conquête, d'incessante<br />
ouverture sur la nouveauté... Ce dix-huitième siècle mécréant a<br />
une `foi' illimitée en les `Lumières' de la Raison et une certitude absolue<br />
que rien ne résistera à sa conquête triomphante. Une grande `foi',<br />
un peu naïve cependant, qui croit que désormais vertu et science<br />
s'embrassent en vue du bonheur croissant de l'homme. Grâce au<br />
`progrès' des auto proclamées `Lumières'.<br />
Cette dynamique de `progrès' au sens premier du mot, c'est-à-dire le<br />
refus de s'installer et la marche en avant vers la conquête d'une terre<br />
promise, où la trouver sinon dans la Bible? Il faut remonter à l'extraordinaire<br />
aventure de l'Occident né de l'interfécondation d'extrême<br />
différence. <strong>Le</strong> progrès implique une double possibilité, à savoir une<br />
dynamique de dépassement et une rationalité articulatoire. <strong>Le</strong>s deux lui<br />
viennent de cette double hérédité sans laquelle l’Occident est<br />
impensable. La maternelle composante lui apporte la rationalité scientifique<br />
et technologique. L’exposante judéo-chrétienne le dote de la<br />
dynamique de transcendance.<br />
Tout se passe comme si les 'mécanismes' néolithiques se mettaient à<br />
fonctionner de façon exponentielle. L'outil produisant l'outil qui le<br />
dépasse, Une masse d'outilité gonfle et déborde. L'invention provoque<br />
l'invention de plus en plus hardie. De plus en plus énormes se suivent<br />
les vagues technologiques. La révolution mécaniste consacre les premiers<br />
triomphes de la science exacte et rigoureuse: Galilée, Mersenne,<br />
Gassendi, Descartes... Désormais l’esprit humain possède son 'outil'<br />
pour pouvoir tout calculer et, partant, tout fabriquer.<br />
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355
Croissance de l'outil<br />
La foi au progrès se nourrit de la puissance fabricatrice d’artifice du<br />
possible de l’homme en autonomie. <strong>Le</strong> ‘progressisme’ n’est finalement<br />
que la superstructure idéologique d’un gigantesque système d’outilité<br />
exponentielle dont le fonctionnement induit l’optimisme prométhéen et<br />
entretient le discours bien-portant de l’homme se voulant bien-portant.<br />
Il faut prendre la mesure de ce troisième règne, prométhéen, que<br />
l’homme a instauré entre lui et la nature et avec lequel il tend à se<br />
confondre. <strong>Le</strong> règne de la croissance de l’artifice. Gigantesque système<br />
qui se met en place progressivement. Un système d’articulation. Un<br />
système d’outilité.<br />
A travers la révolution mécaniste et son prolongement industriel, notre<br />
modernité se dote d'un outil exponentiel producteur d'abondance à<br />
l'infini. Rien ne semble plus s'opposer à la réalisation du rêve cartésien:<br />
devenir maître et possesseur de la nature ! Entre la nature et l'homme<br />
se constitue désormais quelque chose comme un troisième règne.<br />
Prométhéen. A la mesure de la démesure de l'homme.<br />
Pendant de longs millénaires l’homme est un nomade prédateur. Il<br />
chasse. Il pèche. Il cueille fruits et graines. L’homme vit alors en<br />
symbiose avec la nature. Il subit sa domination. Il n’attente à la nature<br />
que dans les limites de ses besoins vitaux. Ce n’est que très récemment<br />
– sur l’échelle des temps préhistoriques – qu’a lieu un ‘décollage’.<br />
<strong>Le</strong>nt d’abord. De plus en plus accéléré ensuite. La révolution néolithique.<br />
L’homme devient de plus en plus agressif à l’égard de son<br />
environnement naturel. Il construit son monde dans la distance d’avec<br />
la nature. Il ne se contente plus de cueillir ou de chasser. Il force la<br />
terre à produire. Il enferme les bêtes. S’enchaînent alors logiquement<br />
toute une série de changements. Il faut se fixer. Il faut construire. Il faut<br />
se regrouper. Il faut s’organiser. Il faut se spécialiser. Il faut échanger. Il<br />
faut se défendre. Il faut inventer des outils nouveaux...<br />
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Démesure de l'exponentielle<br />
Désormais il y aura comme une accélération qui s’accélère. Durant<br />
longtemps l’outil n’était qu’une sorte de prolongement de la main de<br />
l’homme. Il va prendre de plus en plus d’autonomie. Activé par l’énergie<br />
des éléments naturels d’abord, et par l’énergie motrice artificielle ensuite.<br />
De l’outil à l’outil de l’outil. De la machine simple à la machine de<br />
plus en plus complexe. La machine se substituant à l’homme tout entier,<br />
à ses muscles d’abord, à ses nerfs et à ses réflexes ensuite, à son<br />
cerveau enfin. De la machine universelle à la machine spécialisée. De<br />
la machine de force à la machine de plus en plus cybernétique. De<br />
l’automatisation à l’automation...<br />
Croissance exponentielle. Depuis la révolution du Néolithique ce système<br />
d’outilité a fonctionné dans l’équilibre d’une homéostasie. Il s’est<br />
simplement complexifié. Ce sont les révolutions industrielles qui le<br />
livrent à une exponentialité galoppante. La croissance du système est<br />
impérative. Son arrêt ne signifie pas équilibre mais désorganisation,<br />
mort. Cette croissance exponentielle induit l’idéologie du "progressisme".<br />
Progrès. Croissance. Expansion.<br />
Pourquoi ça ne marche pas. Eh bien ça marcherait si... Si effectivement<br />
l’espace englobant du système exponentiel et les possibilités de cet<br />
espace étaient infinies. Si effectivement le système exponentiel pouvait<br />
fonctionner à l’infini, sans jamais rencontrer de limite. Tel n’est pas le<br />
cas.<br />
Où l’on peut démontrer qu’il arrive aux ‘lumières’ de charrier d’épais<br />
obscurantismes... Mais il faut bien un jour sortir de la caverne. A l’intérieur<br />
de celle-ci, les idéologies du ‘progrès’ n’ont cessé d’aveugler les<br />
esprits au point qu’ils ne se sont jamais demandé: quid du dehors de<br />
notre système ? Ce n’est pas du dedans que le système exponentiel de<br />
nos euphories est menacé. C’est du dehors. Car ce système se trouve<br />
irrémédiablement coincé dans la maison qui l’abrite. Dans cet ‘oïkos’<br />
qui l’englobe. Dans son écosystème matériel déjà. Dans son écosystème<br />
spirituel surtout.<br />
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359
Limites<br />
Inexorables limites... <strong>Le</strong> système exponentiel est coïncé dans les limites<br />
de son écosystème englobant. Il ne peut en aller autrement pour le<br />
progrès.<br />
<strong>Le</strong> système fonctionnant exponentiellement appelle, en entrée, de plus<br />
en plus d’énergie, de matériaux et d’information et livre, en sortie, de<br />
plus en plus de déchets et d’entropie. Or nous savons aujourd’hui – et<br />
si nous voulons l’ignorer, les faits nous le rappellent cruellement – que<br />
les possibilités d’entrée et de sortie du système d’outilité exponentielle<br />
ne sont pas in-finies mais finies. Elles sont inexorablement limitées.<br />
Limitées par un système plus englobant qui est lui-même réfractaire à<br />
l’exponentialité. L’écosystème. Insurmontable contradiction entre l’exponentialité<br />
du système d’outilité et l’homéostasie de son englobant<br />
écosystème !<br />
<strong>Le</strong> système fabricateur d'euphorie progressiste est fondamentalement<br />
ouvert. Il ne se ferme qu'en se coupant de de l'essentiel qui ne peut lui<br />
venir que de DEHORS. La schizoïdie n'a décidément pas fini de prendre<br />
la mesure de ses étroitesses.<br />
L’exponentialité du système producteur d’abondance n’est pas<br />
seulement coincé dans les limites physiques de l’écosystème et du<br />
système géo-politique mais encore piégé par une disproportion exponentielle<br />
entre l’exponentialité de la production d’abondance et l’exponentialité<br />
plus exponentielle du désir. Nous avons vu le ‘progrès’<br />
piégé. Enfermé dans l’incontournable limitation. <strong>Le</strong> désir ne peut pas ne<br />
pas s’y pièger lui-même. Une homéostasie entre l’infini du désir et la<br />
nécessaire finitude de l’abondance étant impossible, il reste à l’ensemble<br />
du système de production de nos euphories de tourner pour<br />
tourner. Comme si la fuite en avant, suprême ‘transcendance’ possible<br />
de notre modernité, se suffisait à elle-même pour combler la frustration<br />
relancée à l’infini.<br />
360
361
Piégé<br />
<strong>Le</strong> système d’outilité exponentielle est coincé dans notre écosystème.<br />
Nous faisons de plus en plus l’expérience d’un impossible. Non pas<br />
pour des raisons idéologiques. Non pas pour des raisons épistémologiques.<br />
Mais pour des raisons physiques. L’expérience physique donc<br />
d’un impossible. Toutes nos euphories du ‘progrès’ se voient piégées.<br />
Puisque voilà ébranlé leur commun fondement. Puisque voilà coincé le<br />
système d’outilité exponentielle. Coincé dans la finitude incompressible<br />
de l’écosystème<br />
A l’intérieur de ce super-organisme écosystémique, le système matériel<br />
de notre outilité exponentielle – l’outil de notre ‘progrès’ ! – fonctionne<br />
en parasite. Tout vient, en effet, de notre écosystème. Tout ne vient que<br />
de lui. L’énergie, les matériaux, le recyclage, l’absorption des déchets...<br />
Non seulement il fonctionne en parasite mais encore en parasite prodigue.<br />
Son gaspillage étant à la (dé)mesure de son exponentiailté.<br />
Ainsi, pour ne prendre qu’un seul exemple, en un peu plus d’un siècle<br />
une partie de l’humanité dilapide, en le brûlant bêtement dans ses<br />
moteurs ou ses chaudières, une matière très précieuse, le pétrole, que<br />
l’écosystème a mis des dizaines de milliers d’années à produire et à<br />
stocker. Au fait, combien de pétrole par an aurions-nous le droit d’extraire<br />
si nous pensions à nos générations futures ?<br />
362
363
Incontournable écosystème<br />
Entre l’exponentialité du système d’outilité et l’homéostasie de son<br />
englobant écosystème la démesure du système d’outilité exponentielle<br />
se heurte à son impossible absolu. Il est en effet absolument impossible<br />
qu’un système puisse fonctionner en infinie exponentialité dans un<br />
englobant aux possibilités incomparablement moins exponentielles.<br />
Inévitablement un tel système exponentiel ne fonctionne qu’en vue de<br />
son propre blocage. <strong>Le</strong> possible physique de notre univers ne peut pas<br />
contenir une croissance quantitativement accumulative en ‘progrès’<br />
infini. <strong>Le</strong> système d’outilité exponentielle est donc piégé irrémédiablement.<br />
Et piégées avec lui les idéologies qui ne cherchent d’espérance<br />
que dans le ‘progrès’. Déchirantes révisions du discours bien-portant<br />
de l’homme (bourgeois et occidental) bien-portant. Trois siècles à peine<br />
après ses premiers balbutiements ! L’impasse... Ce que nous appelons<br />
pudiquement la crise... Combien de temps l’homme peut-il s’aveugler<br />
dans la stupide fuite en avant ?<br />
Où le fils prodigue va-t-il essayer de chercher son salut ? Loin de la<br />
maison du Père, clochard des plénitudes perdues, il lui reste à errer<br />
d’insatisfaction en insatisfaction, trouvant son bonheur dans la poursuite<br />
des mirages. C’est avec un religieux respect qu’il se met à<br />
appeler ‘Progrès’ la sacralisation de cette fuite en avant. Combien de<br />
temps encore l’espérance orpheline se laissera-t-elle porter par une<br />
stupide fuite en avant ?<br />
Il y a une pathétique inadéquation entre les nécessaires limites de<br />
l’englobant et le refus des limites de notre système d’outilité exponentielle<br />
! Qu’ils soient de droite ou de gauche, les discours progressistes<br />
ne fonctionnent tous qu’en embrayage direct sur l’articulation de l’outil<br />
exponentiel. Ils se trouvent désormais face à de déchirantes révisions !<br />
Ce discours bien-portant de l’homme (bourgeois) bien-portant ne charrie<br />
qu’un optimisme trompeur. <strong>Le</strong> ‘progrès’, avatar d’une ‘transcendance’<br />
immanentisée, matérialiste et athée, est en train de rejoindre le<br />
cimetière des illusions perdues. Trois siècles à peine après ses premiers<br />
balbutiements !<br />
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L'homme inachevé<br />
L’homme naît inachevé pour être livré à l’aventure de l’achèvement.<br />
L'homme inachevé entraîne en son inachèvement tout ce sur quoi il<br />
porte sa main ou son regard. Il le reprend en son projet. Il refuse à la<br />
nature le droit de se clôturer dans son achèvement. Ce refus s’appelle<br />
aussi ‘culture'. Il ouvre l’espace nouveau d’une possibilité d’infinie création<br />
nouvelle.<br />
Un animal 'moins'... L’homme est comme une blessure au flanc de la<br />
nature. Il pourrait sembler normal que le couronnement du règne biologique,<br />
l’homme, soit un animal ‘plus’ quelque chose. Nos réflexes<br />
physicalistes et substantialistes ne valorisent que le plein. Comme si<br />
l’essentiel consistait dans l’accumulation quantitative. Il faut oser le<br />
paradoxe. L’homme est un animal 'moins' quelque chose. L’homme est<br />
un animal qui existe dans le vide de son animalité.<br />
Un animal bizarre. Proprement anormal si l’on considère les normes de<br />
la vie simplement biologique. Une négation au cœur de la massive<br />
affirmation vitale. Et que proteste Nietzsche avec toute la modernité !<br />
Nous ne bouclons la boucle de l’animalité qu’en nous niant nousmêmes.<br />
L’authentique humain est en exode.<br />
L’homme est un être paradoxal. Il est visiblement le seul être de la<br />
nature qui ne soit pas simplement de la nature. Et il le sait. Il est aussi<br />
en face ! Ce n’est jamais la nature qui étudie la nature. Elle n’accède à<br />
son intelligibilité qu’à partir d’un ‘ailleurs’ d’elle-même. Il faut que<br />
d’abord l’homme surgisse pour que quelque chose comme la science<br />
devienne possible.<br />
366
367
Emergence de l'humain<br />
Enfant d'ailleurs... <strong>Le</strong> surgissement du spécifique humain est en rupture<br />
d’évolution. Il refuse tout simplement d’entrer dans le jeu de la nature<br />
et fait valoir de nouvelles règles. Tout se passe comme si l’évolution<br />
jouait désormais sur un autre plan. Comme si une page se tournait sur<br />
son animalité. Autre chose prend désormais le relais du génétique.<br />
L’homme est biologique ment ‘arrêté’ pour courir ailleurs une autre<br />
aventure.<br />
Fils de la différence. L’homme n’est pas fils du ‘même’. Il est fils de l’<br />
‘autre’. L’homme naît d’autant plus homme qu’il naît de l’étreinte d’un<br />
maximum de différence.<br />
La différence sacrale creuse l’infinie béance qui fissure les milieux pour<br />
les livrer aux extrêmes. <strong>Le</strong> sacré est crise du monde pour qu’émerge<br />
l’humain. L’humain s’enfante à travers une crise. C’est le sacré qui<br />
signifie cette crise. L’homme naît en tant qu’homme dans la crise<br />
sacrale de la vie. Tant que la vie coïncide simplement avec elle-même<br />
elle n’est qu’animale. C’est la non-coïncidence de la vie avec ellemême,<br />
de l’instinct avec lui-même, du vouloir-vivre avec lui-même qui<br />
est chance de l’émergence du spécifique humain.<br />
L’homme n’est possible qu’à partir d’un animal en crise. C'est l'Autre<br />
pro-vocant qui le défie au dépassement. C’est dans l’extrême tension<br />
de la verticalité sacrale que naît l’homme en tant qu’homme. <strong>Le</strong> sacré<br />
est proprement crise d’enfantement de l’humain. Personne ne sait<br />
quand cela a commencé. Personne ne le saura sans doute jamais.<br />
Mais l’accession d’un certain primate à l’humanité reste incompréhensible<br />
autrement. Seul le ‘divin’ ouvre la différence à travers laquelle<br />
l’humanité peut advenir. Qui d’autre que Dieu pouvait provoquer<br />
l’exode de ce primate vers l’humain ?<br />
L’homme est comme une blessure au flanc de la nature. L'homme<br />
passe infiniment l'homme. Comment le résumer mieux que par cet<br />
aphorisme de Pascal ? L’homme hors de soi. L’homme en avant de soi.<br />
Très, très loin en avant de soi.<br />
368
369
L'humain<br />
L’homme n’est pas fils du plein. Il est fils de la béance. L’homme est un<br />
animal qui existe dans le vide de son animalité. L’homme naît inachevé<br />
pour être en exode vers son achèvement. Mais déjà l’Esprit n’est pas là<br />
où sont les pleins.<br />
Un animal différentiel. Paradoxe humain. L'homme, un être en si grande<br />
continuité avec le ‘donné’ naturel. Un être qui pourtant ne devient<br />
réellement compréhensible qu’en rupture avec lui. L’animal épuise ses<br />
possibilités dans un comportement symbiotique. L’homme en tant<br />
qu’animal n’échappe pas à cette nécessité. Mais il ne s’y enferme pas.<br />
Quelque chose en l’homme refuse l’installation à l’intérieur de limites.<br />
L’homme est un animal bizarre que l’animalité n’arrive pas à contenir.<br />
L’animal est fait pour l’équilibre, l’homme pour le dépassement.<br />
L’homme est en rupture. En rupture d’intelligibilité et en rupture d’être. Il<br />
y a brusquement un seuil, une rupture de niveau. Il y a brusquement un<br />
seuil, une rupture de niveau. L’émergence d’une gigantesque<br />
contra-'diction’ au cœur de la grande ‘diction’ naturelle et logique.<br />
Comment, en effet, expliquer qu’une structure puisse consentir à sa<br />
destruction, à sa déstructuration, pour ‘autre’ chose qu’elle-même, comme<br />
dans le martyre ? Comment expliquer que ce qui est ‘entre les<br />
lignes’ puisse devenir plus important que le texte écrit ? Comment<br />
expliquer que ‘ce qui est’ puisse être nié au profit de ‘ce qui doit être’ ?<br />
Comment expliquer que l’ ‘absent’ puisse devenir plus présent que le<br />
‘présent’ ? Comment expliquer que la réponse puisse s’ouvrir à la<br />
question et à la question de la question à l’infini ?<br />
La spécificité humaine, un indicible qui se cache et se révèle en même<br />
temps, se cherche dans la béance des apparences simplement phénoménales.<br />
<strong>Le</strong> petit reste du même pas 1% restant. Paradoxale intelligibilité<br />
de l’homme tellement en continuité avec le "donné" naturel et<br />
qui pourtant ne devient réellement compréhensible qu’en rupture avec<br />
lui !<br />
370
371
Communauté<br />
Originaire relation inter-personnelle. Devenir homme est impossible<br />
sans la rencontre avec l’autre. L’émergence de ‘soi’ à partir d’un ‘nous’,<br />
si elle se manifeste génétiquement et historiquement, est d’abord<br />
essentielle. L’humanité de l’homme se définit par sa relation avec<br />
l’autre. L’engendrement de l’humain se fait dans une communauté<br />
gestatrice d’humanité. Cette communauté est immédiatement la<br />
communauté humaine. Une réalité spécifique et originale, radicalement<br />
différente de la société animale. Elle est à la fois plus et autre que<br />
l’ensemble des individualités qui la composent, sans lesquels, pourtant,<br />
elle ne serait pas.<br />
Quelle est cette spécificité ? C’est d’être relationnelle. Elle est d’abord<br />
relation. Relation absolument originale par rapport à tous les autres<br />
types de relations. L’expérience de la relation inter-personnelle est<br />
originaire. Elle ne peut s’expliquer à partir d’aucune autre expérience<br />
parce que toute expérience déjà la suppose. Elle se donne avant tout<br />
ce qui à partir d’elle peut se donner. Elle se vit comme la douce chaleur<br />
gestatrice de la matrice de l’humain. Un être incapable de vivre cette<br />
relation originaire ne peut que rester en marge de l’humanisation. La<br />
possibilité d’entrer en relation inter-personnelle est une condition sine<br />
qua non de véritable humanisation.<br />
Masse - Communauté - Communion. Avec Max Sheler on peut distinguer<br />
trois niveaux humains, qualitativement très différents, de l'êtreavec<br />
et l'être-ensemble. Ils sont situés ici entre d'extrêmes polarités<br />
signifiantes. L'approche 'personnaliste' vise la 'communion'. La différence<br />
est simplement expérimentale. Entre, par exemple, la 'masse'<br />
surchauffée d'un stade de foot-ball et la 'communion' d'une multitude de<br />
jeunes lors d'une rencontre JMJ.<br />
372
373
Réfractaire<br />
C’est dans la béance que surgit le spécifique humain. Misère et grandeur<br />
de l’homme frustré en sa simple animalité, en sa seule naturalisé,<br />
ex-posé à créer, par médiation symbolique, à travers la parole, un<br />
monde toujours autre, toujours nouveau. L’espace symbolique, espace<br />
de possibilité et de déploiement du spécifique humain dans la rupture<br />
et dans la distance, représente un véritable scandale au sein de la<br />
nature. Comment une telle émergence du ‘non’ au cœur du grand ‘oui’<br />
que la nature ne cesse de se répéter à elle-même peut-elle s’expliquer<br />
? L’animal est sans doute trop plein d’animalité pour être béant sur<br />
l’esprit... Accéder à un ordre supérieur implique l’immense traversée<br />
d’un vide. L’homme, lui, ne cesse de l’expérimenter de mille manières.<br />
Nos béances se pervertissent lorsqu’elles refusent cette essentielle<br />
'pauvreté' authentiquement ‘humanisante’.<br />
L’homme n’est pas fils du plein. Il est fils de la béance. L’homme est un<br />
animal qui existe dans le vide de son animalité. L’homme naît inachevé<br />
pour être en exode vers son achèvement. Mais déjà l’Esprit n’est pas là<br />
où sont les pleins.<br />
L’homme n’est pas fils du ‘même’. Il est fils de l’ ‘autre’. L’homme naît<br />
d’autant plus homme qu’il naît de l’étreinte d’un maximum de différence.<br />
374
375
Autre plénitudes<br />
Singulier vivant que l’homme, qui n’est réellement chez soi que là où il<br />
n’est pas encore.<br />
L’homme, aujourd’hui, ne semble plus pouvoir se comprendre autrement<br />
qu’en bouclant la boucle sur son immanence. Celui qui jusque là<br />
était aussi citoyen d’ailleurs va perdre son statut d’exterritorialité. Cet<br />
animal de l’embranchement des vertébrés et de la classe des mammifères,<br />
apparu évolutivement dans l’histoire naturelle de la vie, n’est<br />
plus marqué de l’intouchable mystère sacral. Ramené dans les strictes<br />
limites de la nature, l’homme devient objet manipulable d’un savoir et<br />
d’un pouvoir. Ainsi le ‘même’ veut se boucler sur lui-même. En stricte<br />
immanence. Sans ‘hors de’. Sans l’Autre ! Un univers à l’image de<br />
l’homme qui, ayant perdu sa ressemblance avec Dieu, n’est plus qu’à<br />
l’image de son univers.<br />
L’intelligibilité naturaliste qui se veut être en stricte continuité avec le<br />
même peut avoir raison à 99%. <strong>Le</strong> stupéfiant c’est le 1% restant. Du<br />
côté de l’autre. Un petit reste qui pourtant ouvre un infini d’espérance.<br />
Une faible voix prophétique émerge sur les vastes étendues où<br />
prolifère le ‘ça’. Elle ose commencer par dire ‘je’. Petit David face au<br />
géant Goliath. Cet apparent 'rien' de l’esprit cache et révèle en même<br />
temps une autre plénitude. La béance n’est pas ‘néant’ de part en part;<br />
elle est sur fond d’être. <strong>Le</strong> ‘non’ de l’esprit n’est pas négation absolue; il<br />
est sur fond d’un ‘oui’ plus fondamental et plus originaire<br />
<strong>Le</strong> mystère, positivement, est aux antipodes de toute 'démission'. Il<br />
est lucidité face à l'essentiel de la condition humaine. Il sait que le<br />
dernier mot se dérobe pour faire place à d'autres plénitudes et que<br />
l'humain reste ex-posé à ce qu'il n'arrive pas à com-prendre, c'est-àdire,<br />
étymologiquement, à ce qu'il n'arrive pas à 'saisir 'ensemble',<br />
cum-prehendere, dans une boucle qui de toutes façons ne boucle<br />
jamais qu'un petit 'englobé' dans un plus grand 'englobant'.<br />
376
377
Schizoïdie<br />
L'acte de naissance de la modernité scelle la rupture de l'Alliance. En<br />
ses profondeurs se joue quelque chose comme une négative théologie<br />
négative. C’est une liberté radicalement ouverte par la rencontre existentielle<br />
avec l’infini Je Suis qui va historiquement se reprendre en ellemême<br />
et sur elle-même en autonomie anthropocentrique totalisante.<br />
L’homme divinisé par grâce de Je Suis boucle sa divinisation sur ellemême<br />
et se prétend dieu sans Dieu. A la place de Dieu. Dès lors Dieu<br />
doit mourir pour que l’homme puisse être absolument.<br />
Voici qu'une liberté radicalement ouverte par la rencontre existentielle<br />
avec l’infini ‘Je Suis’ va historiquement se reprendre en elle-même et<br />
sur elle-même en autonomie anthropocentrique totalisante. L’homme<br />
divinisé par grâce de ‘Je Suis’ clôt sa divinisation sur elle-même et veut<br />
devenir Dieu sans Dieu. A la place de Dieu. Dès lors Dieu doit mourir<br />
pour que l’homme puisse être absolument.<br />
378
379
Je pense<br />
A travers sa `révolution copernicienne' anthropocentrique la modernité<br />
se refuse la possibilité d'un sens plus englobant qu'elle-même, et, partant,<br />
le don d'un sens qui ne soit pas sa propre production. A partir de<br />
là, tout un renversement.<br />
<strong>Le</strong> sens n'est plus donné objectivement mais se donne en subjectivité.<br />
Il y avait un espace du sens total capable d'intégrer les sens particuliers;<br />
désormais le sens désintégré éclate en multiples sens. <strong>Le</strong> lien<br />
du sens était donné à partir des `extrêmes'; il veut se nouer maintenant<br />
à partir du `milieu'. L'étrange renvoyait vers les extrêmes de l'être; il<br />
envahit désormais le cœur de l'être. <strong>Le</strong> questionnement se faisait<br />
`dans' la réponse; maintenant toute réponse se dilue dans le questionnement.<br />
La force de l’évidence doit venir désormais de la subjectivité. Celle-ci<br />
n’a plus besoin d’autre garant qu’elle-même. C’est elle qui veut se<br />
poser comme fondatrice de la totalité pensable. Ainsi donc doit s’accomplir<br />
le renversement ‘copernicien’ de l’être à la pensée. Une<br />
nouvelle courbure de l’espace mental. Une nouvelle gravitation de<br />
l’être. Descartes, sans doute, n’ose pas encore aller du côté de ces<br />
extrêmes. Il ne veut pas priver l’être de sa vérité objective. Il doit<br />
encore exister objectivement une ‘nature des choses’. <strong>Le</strong> ‘je pense’ ne<br />
peut pas être entièrement enfermé dans sa subjectivité. Ma pensée,<br />
d’autre part, est incapable de fonder entièrement sa propre vérité. Un<br />
garant objectif est nécessaire. Comment, autrement, distinguer la<br />
pensée fausse de la pensée vraie ? Dieu reste donc garant de mes<br />
évidences. Il est aussi garant de la réalité du monde.<br />
380
381
Seul maître à bord<br />
L'acte de naissance de la modernité scelle la rupture de l'Alliance. En<br />
ses profondeurs se joue quelque chose comme une négative théologie<br />
négative. C’est une liberté radicalement ouverte par la rencontre existentielle<br />
avec l’infini Je Suis qui va historiquement se reprendre en ellemême<br />
et sur elle-même en autonomie anthropocentrique totali-sante.<br />
L’homme divinisé par grâce de Je Suis boucle sa divinisation sur ellemême<br />
et se prétend dieu sans Dieu. A la place de Dieu. Dès lors Dieu<br />
doit mourir pour que l’homme puisse être absolument.<br />
Voici qu'une liberté radicalement ouverte par la rencontre existentielle<br />
avec l’infini ‘Je Suis’ va historiquement se reprendre en elle-même et<br />
sur elle-même en autonomie anthropocentrique totalisante. L’homme<br />
divinisé par grâce de ‘Je Suis’ clôt sa divinisation sur elle-même et veut<br />
devenir Dieu sans Dieu. A la place de Dieu. Dès lors Dieu doit mourir<br />
pour que l’homme puisse être absolument.<br />
Chasser Dieu. De cet espace de stricte ‘humanité’ il fallait – symétrique<br />
inversion du récit de la Genèse ? – chasser Dieu. De trop, donc, le père<br />
judéo-chrétien, devant la revendication d’une origine purement parthénogénétique.<br />
De trop, le Père de l’Etre, du Bien et de la Vérité puisque<br />
nous suffisent nos propres productions, nos propres valeurs, nos propres<br />
lucidités. Puisque nous prétendons être à nous-mêmes notre<br />
propre source. De trop, outrageusement de trop, le Père avec son Fils<br />
et le Saint Esprit !<br />
Pourtant on n’en finit pas de chasser Dieu. Il résiste au-delà de cette<br />
logique et de cette cohérence qui ne sont que de surface. Profondément,<br />
beaucoup plus profondément, occultée, refoulée, se joue,<br />
fascinante et effrayante, la grande dramaturgie. Mystérieuse négative<br />
théologie négative ! <strong>Le</strong> combat de Jacob n’en finit pas. <strong>Le</strong> corps à<br />
corps des esprits, plus meurtrissant que le combat de avec l’Autre.<br />
L’homme n’en sort jamais que déhanché. Et la lutte reprend... La<br />
théomachie se poursuit.<br />
382
383
Courbure de l'humain<br />
<strong>Le</strong>s perspectives médiévales étaient excentrées. La perspective renaissante<br />
se concentre. Mise ‘en perspective’ de toutes choses à partir de<br />
l’homme. Centre. Point de vue. Regard. Regard qui embrasse. Et par là<br />
courbe un horizon. Mise en perspective. Avec en même temps une illusion<br />
de perspective. La subjectivité humaine se fait constituante. A<br />
l’image de celle du Père judéo-chrétien. Créatrice d’elle-même et de<br />
toute objectivité constituée. Vu à partir du centre l’horizon semble<br />
s’ouvrir un infini. Vu à partir du ‘dehors’ l’horizon clôt une finitude. Ainsi<br />
commence un énorme malentendu de toute notre modernité. Une telle<br />
courbure de notre espace ne risque-t-elle pas aussi d’être notre<br />
prison ?<br />
Dans l’espace de la courbure anthropocentrique tout tend à prendre<br />
courbure. Un même espace de gravitation avec de multiples centres de<br />
gravité qui tendent chacun à l’exclusif de la gravitation. L’horizon<br />
‘absolu’ de la modernité circonscrit des ‘relatifs’ qui tendent vers<br />
l’absolu ! Constitution en ‘autonomies’ et cristallisation en ‘réalités’<br />
d’une multitude d’ ‘abstractions’. Par exemple: le profane, le religieux,<br />
l’argent, la propriété, le pouvoir, l’Etat, la Nation, les classes... Désormais<br />
la multiplicité ne pourra-t-elle pas crier contradictoirement ‘Gott<br />
mit uns’ ? Dans l’espace de chaque singulier règne l’optimisme. <strong>Le</strong><br />
pluriel, pourtant, induit les affrontements. Guerres civiles. Guerres<br />
nationales. Guerres de religions. A moins d’entrevoir comme Montaigne<br />
la relativité essentielle et de continuer à vivre de scepticisme et de<br />
relativisme. Stoïquement. Comme le feront avec lui un Charron ou un<br />
Sanchez. ‘Docta ignorantia’ si différente pourtant de celle de Nicolas de<br />
Cues deux siècles auparavant.<br />
384
385
La source virtuelle<br />
Un au-delà de ma pensée est impensable. Un au-delà de l’idée, impossible.<br />
<strong>Le</strong> virtuel prolifère. S'ouvre alors le règne indéfini de l'idéalisme.<br />
Exit la ‘transcendance’. Reste simplement une ‘visée transcendantale’.<br />
C'est-à-dire une 'transcendance' virtuelle prisonnière des enfermements.<br />
<strong>Le</strong> possible de l’homme se fait centre de perspective sur la totalité. La<br />
vérité sur toutes choses n’est désormais qu’à partir de la pensée<br />
humaine. C’est elle qui est l’immédiateté première. C’est elle qui fonde<br />
les fondements de son savoir. Car Dieu lui-même, encore garant de<br />
mes évidences, est-il lui-même évident autrement qu’à travers l’idée<br />
claire et distincte de ma pensée ? Je pense Dieu qui garantit la vérité<br />
de ma pensée! Cercle vicieux ? Descartes, cependant, n'en est pas<br />
encore tout-à-fait là ! Nous ne pensons l'imparfait et le fini que sur fond<br />
de parfait et d'infini. Nous avons donc en nous l'idée claire et distincte<br />
de l'être absolument parfait. Quelle est la chance d’existence de cet<br />
être parfait ? Mais l’existence n’est-elle pas nécessairement inhérente –<br />
argument ontologique – à l’idée ? Cette idée qui ne peut venir ni du<br />
néant ni radicalement de nous-mêmes. Elle est nôtre, certes, mais en<br />
même temps elle renvoie encore ailleurs. Pour combien de temps<br />
‘encore’ ? Même sans être créateur ex nihilo de l’idée claire et distincte,<br />
c’est quand même en mon possible qu’elle prend conscience d’ellemême.<br />
Et c’est ce possible qui désormais héberge le doute. Y a-t-il un<br />
Dieu ? Et s’il était trompeur ?<br />
386
387
Quel englobant ?<br />
La totalité constituante n'est plus donnée absolument. Une `bulle' se<br />
constitue ex nihilo. Elle se boucle en finitude. Elle flotte dans le vide<br />
sans recours. L'objectivité étant néantisée reste la subjectivité objectivée.<br />
<strong>Le</strong> sens constitué veut être le sens constituant. <strong>Le</strong>s effets se<br />
rendent autonomes. La méthode se substitue aux liens.<br />
Dieu n’est plus l’ultime englobant. Il est lui-même englobé dans un plus<br />
grand que lui. Il relève désormais du seul possible humain. Et ce possible<br />
le déclarera de plus en plus comme impossible. Dans la meilleure<br />
des hypothèses une chance lui est laissée aux limites. Ainsi pour Kant,<br />
au-delà des possibilités ‘théoriques’ de la raison, s’impose un impératif<br />
catégorique. Une pure exigence ‘pratique’. Et celle-ci ne peut pas ne<br />
pas postuler au-dehors de la sphère du possible de l’homme un<br />
quelque chose qui prend nom Dieu, et liberté, et immortalité. Non plus<br />
certitude. Simple postulat.<br />
Une ‘logique’ est en marche. Elle exclut de plus en plus tout recours à<br />
un référentiel ou à un garant d’ailleurs. Reste désormais au possible<br />
humain de fonder le possible humain. Il n'existe plus de philosophie qui<br />
ne soit essentiellement critique.<br />
388
389
<strong>Le</strong> discours tautologique<br />
Il s’agit du ‘Discours’ lui-même qui fait notre culture, c’est-à-dire la<br />
parole cratrice d’humanité. <strong>Le</strong> Discours ainsi bouclé sur lui-même se<br />
met à fonctionner en clôture. En rupture avec le dialogue à la fois<br />
théologique, ontologique et axiologique avec l’Autre, sans quoi aucune<br />
culture n’a jamais réussi à fonctionner longtemps sans courir à sa<br />
perte. Vaste déploiement d’un monologue de l’immanence avec ellemême.<br />
Finalement, gigantesque tautologie tournant sur elle-même totalitairement.<br />
Se coupant de plus en plus de la source chaude de l’autre<br />
de lui-même et épuisant de plus en plus vite ses réserves d’énergie<br />
spirituelle historiquement accumulées, il se nourrit de plus en plus de<br />
ses propres déchets qu’il n’a même plus le temps de recycler et va<br />
jusqu’à se complaire dans l’absurde et l’étrange de sa propre entropie.<br />
Quelque chose comme un ‘stade anal’ d’autiste coprophagie...<br />
<strong>Le</strong> Discours produit de plus en plus de discours au pluriel qui prennent<br />
valeur par leur consommation même. Car cette production mercenaire<br />
de discours n’est que par le consommateur qui lui-même n’est que par<br />
son conditionnement. Par sondages interposés, un ‘public’ conditionné<br />
conditionne la croissance de son propre conditionnement. Un discours<br />
‘lancé sur le marché’ peut ainsi faire ‘boule de neige’ à condition que le<br />
bruit publicitaire soit instantanément intense et que la ‘cible’ ait des<br />
réflexes suffisamment conditionnés. Une fois l’impact du processus assuré,<br />
le déferlement quantitatif consacre la qualité qui, à son tour<br />
relance la quantité. Une boulimie qui avale des forêts de pâte à papier<br />
et sature les ondes. Ainsi fonctionne le Discours tautologique dans la<br />
clôture et en stricte finitude. Mettant entre parenthèses l’essentiel.<br />
Entre parenthèses: la vérité, le <strong>Sens</strong>, les Valeurs. Entre parenthèses: le<br />
fondement. Entre parenthèses: l’archè et le télos. <strong>Le</strong> cercle vicieux des<br />
effets et des causes. Mais comment faire autrement puisque toute<br />
signifiance veut s’autoproduire en autonomie ? L’ultime critère devient<br />
la non-contradiction à l’intérieur de la bulle. Inflation des signes et des<br />
signifiés... Prolifération de signes enflés et gonflés de vide... Polysémie<br />
où n’importe quoi signifie à la limite n’importe quoi... Tautologique autoproduction<br />
du signe par le référent et du référent par le signe...<br />
Relativité... Ce que parler ne veut plus dire.<br />
390
391
Hors de l'Alliance<br />
L'inconscient sans Père. Un inconscient qui s'enlise dans la clôture du<br />
`ça' pulsionnel ou structural. A la place des profondeurs humaines<br />
ouvertes à l'Autre plus intime que nous ne le sommes jamais à nousmêmes.<br />
Un père mythique qui n'a plus de substance ni de réalité,<br />
laissant un inconscient orphelin. A la place du Père de qui vient toute<br />
paternité et qui, par agapè, dit son Verbe, engendrant son Fils et une<br />
multitude de ses frères.<br />
Dieu peut-il être chassé des profondeurs humaines ? De là, justement,<br />
Dieu ne se laisse pas chasser. C'est ontologiquement impossible. Vous<br />
pouvez seulement le refouler. Et l'entreprise de refoulement s'est mise<br />
à fonctionner, à travers notre histoire, avec l'implacable logique et la<br />
farouche énergie des désespérés. La gloire de l'homme était en cause,<br />
et sa puissance, et sa gloire. Aux massives mécaniques de refoulement<br />
et aux lourds mécanismes de défense, on s'est efforcé de prêter la<br />
solidité scientifique. Une méta-histoire des `sciences' dites humaines,<br />
depuis leurs plus lointaines origines, révélerait sans doute la finalité<br />
occulte de leurs lucididés et l'ampleur de l'acharnement thérapeutique<br />
pour `sauver' l'homme de lui-même, c'est-à-dire pour le `sauver' de sa<br />
filiation divine.<br />
392
393
Rupture du lien<br />
L'acte de naissance de la modernité scelle la rupture de l'Alliance. En<br />
ses profondeurs se joue quelque chose comme une négative théologie<br />
négative. C’est une liberté radicalement ouverte par la rencontre existentielle<br />
avec l’infini Je Suis qui va historiquement se reprendre en ellemême<br />
et sur elle-même en autonomie anthropocentrique totalisante.<br />
L’homme divinisé par grâce de Je Suis boucle sa divinisation sur ellemême<br />
et se prétend dieu sans Dieu. A la place de Dieu. Dès lors Dieu<br />
doit mourir pour que l’homme puisse être absolument.<br />
Voici qu'une liberté radicalement ouverte par la rencontre existentielle<br />
avec l’infini ‘Je Suis’ va historiquement se reprendre en elle-même et<br />
sur elle-même en autonomie anthropocentrique totalisante. L’homme<br />
divinisé par grâce de ‘Je Suis’ clôt sa divinisation sur elle-même et veut<br />
devenir Dieu sans Dieu. A la place de Dieu. Dès lors Dieu doit mourir<br />
pour que l’homme puisse être absolument.<br />
Une fois l’Alliance rompue... <strong>Le</strong>s choses peuvent-elles tourner autrement<br />
qu’après l’originelle rupture ? Vous serez comme des dieux. La<br />
séduction du tentateur devenait irrésistible. Ensuite... Ils virent qu’ils<br />
étaient nus. Reste la honte ou l’exhibitionnisme. La modernité opte<br />
pour le deuxième terme de l’alternative.<br />
394
395
Règne de l'idée<br />
La vérité sur toutes choses n’est désormais qu’à partir de la pensée<br />
humaine. C’est elle qui est l’immédiateté première. C’est elle qui fonde<br />
les fondements de son savoir. Car Dieu lui-même, encore garant de<br />
mes évidences, est-il lui-même évident autrement qu’à travers l’idée<br />
claire et distincte de ma pensée ? Je pense Dieu qui garantit la vérité<br />
de ma pensée ! Cercle vicieux ? Descartes, cependant, n’en est pas<br />
encore tout-à-fait là ! Nous ne pensons l’imparfait et le fini que sur fond<br />
de parfait et d’infini. Nous avons donc en nous l’idée claire et distincte<br />
de l’être absolument parfait. Quelle est la chance d’existence de cet<br />
être parfait ? Mais l’existence n’est-elle pas nécessairement inhérente –<br />
argument ontologique – à l’idée ? Cette idée qui ne peut venir ni du<br />
néant ni radicalement de nous-mêmes. Elle est nôtre, certes, mais en<br />
même temps elle renvoie encore ailleurs. Pour combien de temps<br />
encore ?<br />
Devenir maître et possesseur de la nature. Ce rêve cartésien ne<br />
pouvait se formuler que précédé, plus de cinq siècles auparavant, de<br />
cet autre rêve, à savoir devenir maître et possesseur du verbe. Est-il<br />
possible, en effet, de maîtriser la nature avant de s’être rendu maître<br />
des essences ?<br />
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Coupé du verbe<br />
L'homme entièrement responsable de l'homme... Coupé du Verbe de<br />
Dieu l’humain en est réduit à trouver en son auto-éclairage ses propres<br />
lumières. Avec des questions terribles. Dieu étant chassé de notre<br />
paradis, où est désormais le coupable ? Où trouver un autre bouc<br />
émissaire ? Que faire de nos négativités ? Comment nous arranger<br />
avec notre fondamentale contingence ? L'homme est désormais entièrement<br />
responsable de l'humain, de son sens, de son salut, de son<br />
projet, de ses sources, de ses valeurs, de ses justifications, de son<br />
développement.<br />
Suprême illusion schizophrène... L’homme impeccable. C’est-à-dire<br />
l’homme au péché refoulé. <strong>Le</strong> réflexe jouait immédiatement après la<br />
chute. "Ce n'est pas moi." Et depuis, l'infantile excuse piège notre<br />
liberté.<br />
Combien de temps cela peut-il tenir sans lamentable déconfiture ?<br />
Face à l'absolu du mal... Face à l'incontournable de la négativité... Que<br />
devient l'homme faillible sans radicale possibilité de pardon ? Et sans<br />
pardon reste-t-il autre chose que la honte ou la fuite ? Souvent les deux<br />
en même temps.<br />
Si tout le 'positif' est pris entre les mains du 'Maître et possesseur', qui<br />
va prendre en charge le 'négatif' dans la bulle ? La 'justice' désormais<br />
ne cesse de courir après la Justice. Il faut bien décharger les résidus<br />
de nos frustrations sur un 'bouc émissaire'. Cela calme nos passions<br />
mais ne rend pas la justice.<br />
Quelle justification reste possible ? Lorsqu’il n’y a plus de valeur qui ne<br />
soit enclose dans les limites de l’ ‘humain trop humain’.<br />
Tâche de Sisyphe... L'humain enfermé dans sa bulle peut-il se donner<br />
à soi-même la grande différence de potentiel qui le rend réellement<br />
humain ? Cela reviendrait à dire qu'il réalise l'absolue néguentropie de<br />
son existence. Mais comment pourrait-il être à soi-même, en contradiction<br />
avec les lois de la thermodynamique, son absolue source<br />
chaude et son absolu puits froid, c'est-à-dire la source chaude de ses<br />
sources chaudes et le puits froid de ses puits froids ?<br />
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Profondeurs encombrées<br />
Johan Tauler, cinq siècles avant Freud, éclaire les épaisses `instances'<br />
qui stratifient l'inconscient. Il en compte jusqu'à quarante, les comparant<br />
à des peaux d'ours noires et gluantes. Avec infiniment plus de<br />
perspicacité, il dévoile les profonds mécanismes de méconnaissance et<br />
de défense qui s'interposent entre ces fausses profondeurs dans lesquelles<br />
l'homme farfouille avec complaisance et les plus profondes<br />
profondeurs où le Père, dans l'éternel maintenant, engendre son Fils, et<br />
avec lui, tous ses fils. Mais le schizoïde enfermement méconnaît ces<br />
mécanismes de méconnaissance et défend ces mécanismes de<br />
défense. Voilà donc cet homme qui, pourtant, "passe infiniment l'homme"<br />
enlisé dans les `peaux' nauséabondes. Il a beau en soulever, il en<br />
reste d'autres. Peut-être ne tient-il pas du tout à les soulever toutes !<br />
Comme s'il avait l'appréhension qu'en soulevant la dernière il ne tombe,<br />
horrifié, dans un abîme de lumière, devant abandonner ses nyctalopes<br />
`certitudes'. Il vaut sans doute mieux les hanter de mythes. Œdipe suffit<br />
à son divertissement.<br />
L'inconscient sans Père. Un inconscient qui s'enlise dans la clôture du<br />
`ça' pulsionnel ou structural. A la place des profondeurs humaines<br />
ouvertes à l'Autre plus intime que nous ne le sommes jamais à nousmêmes.<br />
Un père mythique qui n'a plus de substance ni de réalité,<br />
laissant un inconscient orphelin. A la place du Père de qui vient toute<br />
paternité et qui, par agapè, dit son Verbe, engendrant son Fils et une<br />
multitude de ses frères.<br />
Contre le vertical enracinement créateur d’humanité, antagonisme radical<br />
de la schizoïdie, l’acharnement s’est fait extrême. Là, de cette<br />
intériorité, Dieu devait être chassé avec beaucoup plus de violence que<br />
de toutes les extériorités. Mais de là, justement, Dieu ne se laisse pas<br />
chasser. C’est ontologiquement impossible.<br />
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401
Où est le coupable ?<br />
Qui nous sauvera ? L'humain schizoïde, coupé de sa véritable Source<br />
chaude et de son authentique Puits froid, et dont les réserves de sens<br />
s'épuisent, peut-il indéfiniment résister à l'entropie ?<br />
Notre ‘lucidité’, aujourd’hui, voudrait se contenter de vivre ‘seulement<br />
avec ce que l’on sait’. Mais sait-on jamais autre chose que ce que l’on<br />
veut savoir ? En fait nous savons plus que ce que nous croyons savoir.<br />
Nous savons sur fond de savoir refoulé. Car nous avons connu au sens<br />
biblique où l’homme ‘connaît’ la femme en la fécondant. Nous avons<br />
beau protester, nous ne pouvons pas faire comme si la rencontre<br />
n’avait pas eu lieu.<br />
On croyait que l’homme, enfin délivré de son mystère, retrouverait son<br />
innocence. On croyait que l’homme, enfin rendu, sans illusions, à la<br />
pure immanence, s’épanouirait comme le plus bel animal dans le plus<br />
beau jardin zoologique. C’est seulement un étrange mal qui se mit à<br />
proliférer...<br />
Il n'y aurait pas refoulement s'il n'y avait pas conscience, écrit Simone<br />
Weil. <strong>Le</strong> refoulement est une mauvaise conscience. L'essence des<br />
tendances refoulées, c'est le mensonge; l'essence de ce mensonge,<br />
c'est le refoulement dont on a conscience. Il faut tirer au clair les<br />
monstres qui sont en nous, ne pas avoir peur de les regarder en face...<br />
La lucidité moderne voudrait vivre `seulement avec ce que l'on sait'.<br />
Mais sait-on jamais autre chose que ce que l'on veut savoir ? En fait<br />
cette modernité en sait plus qu'elle ne sait. Elle sait sur fond de savoir<br />
refoulé. Car elle a connu au sens biblique où l'homme `connaît' la<br />
femme en la fécondant. La culture moderne a beau protester, elle ne<br />
peut pas faire comme si la rencontre n'avait pas eu lieu. Une si<br />
passionnée étreinte avec l'Autre au cours d'une si longue histoire<br />
d'amour...<br />
402
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Ça sent le renfermé<br />
Notre péché contre l'écosystème du souffle est de nier son essentielle<br />
ouverture. Nous avons cru pouvoir le faire fonctionner en clôture, crispé<br />
sur lui-même, bouclé en schizoïde autonomie autoproductrice. Nous<br />
nous voulions maîtres et possesseurs du système total lui-même. Bien<br />
plus, maîtres et possesseurs aussi de sa source chaude et de son puits<br />
froid. Maîtres et possesseurs, donc, de toute sa différence de potentiel,<br />
c’est-à-dire de toute son énergie spirituelle créatrice.<br />
Jamais autant qu’aujourd’hui risquions-nous l’asphixie spirituelle. Pourtant<br />
n’a-t-il jamais existé une civilisation aussi riche en productions<br />
culturelles que la nôtre ? Certes. Mais il manque à cette prolifération de<br />
sens ‘constitué’ un espace ouvert à sa démesure.<br />
Oïkologie. <strong>Le</strong> `logos' invité en notre `oïkos'. C'est-à-dire en notre maison<br />
d'humanité. C'est-à-dire dans toute la maison de l'humain. C'est-àdire<br />
dans la maison de tout l'humain. Il vient et nous force à réfléchir<br />
sur nos clôtures et nos ouvertures. Il vient lorsque nous prenons<br />
conscience que nos puits sont obstrués et nos sources polluées. Elle<br />
vient lorsque les flux énergétiques se font insuffisants et que les<br />
réservoirs se vident. Elle vient lorsque les éboueurs ne suffisent plus à<br />
la tâche. Elle vient lorsque nous nous sentons vivre au-dessus des<br />
possibilités d'approvisionnement et de recyclage de notre terre. Il vient<br />
et nous force à réfléchir sur nos clôtures. Il vient nous faire prendre<br />
conscience des frontières et des limites. Il vient nous rappeler que le<br />
dedans n'est possible que par le dehors. Il vient dissiper nos illusions.<br />
404
405
Crise sacrale<br />
<strong>Le</strong> sacré est crise du monde pour qu’émerge l’humain. L’homme naît<br />
en tant qu’homme dans la crise sacrale de la vie. Tant que la vie coïncide<br />
simplement avec elle-même elle n’est qu’animale. C’est la noncoïncidence<br />
de la vie avec elle-même, de l’instinct avec lui-même, du<br />
vouloir-vivre avec lui-même qui est chance de l’émergence du spécifique<br />
humain.<br />
Qui d’autre que Dieu pouvait provoquer l’exode de l’homme vers l’humain<br />
? L’homme n’est possible qu’à partir d’un animal en crise. Tant<br />
que la vie coïncide avec elle-même, elle n’est qu’animale. C’est dans la<br />
distance de la vie avec elle-même que gît la chance de l’émergence de<br />
l’humain. C’est dans la béance qu’elle est pro-voquée au dépassement.<br />
Longue histoire d’un certain vivant défié à travers une longue suite de<br />
crises différentielles. Cela n’allait pas sans un grand pro-vocateur. Seul<br />
le fascinosum et le tremendum sacral pouvaient disloquer l’animal et<br />
ouvrir en ce primate la béance de l’infini. <strong>Le</strong> même était incapable de le<br />
défier. Il lui fallait l’autre. Il fallait la grande différence sacrale pour<br />
provoquer l’homme à sacrifier son animalité. C’est donc dans la crise<br />
sacrale de la vie que naît l’homme en tant qu’homme. <strong>Le</strong> sacré est<br />
proprement crise d’enfantement de l’humain. Personne ne sait quand<br />
cela a commencé. Personne ne le saura jamais. Mais l’accession d’un<br />
certain primate à l’humanité reste incompréhensible autrement.<br />
Il fallait le fascinosum et le tremendum sacral pour disloquer l’animalité<br />
et pour ouvrir en ce primate la béance de l’infini. <strong>Le</strong> fini n’était pas<br />
suffisant pour le défier ! <strong>Le</strong> même non plus. Il lui fallait l’autre. La<br />
grande négativité dialectique. L’autre infiniment autre. Par la suite,<br />
l’histoire de l’homme est inséparable de l’histoire de ses dieux.<br />
L’homme est toujours à l’image de son Dieu. Plus il se divinise, plus<br />
l’homme s’humanise. Réactualisation de la victoire originaire où la vie<br />
passe par la mort pour revivre plus immortelle. L’homme émerge avec<br />
le savoir inconscient de cette victoire originaire. Son culte, si 'primitif'<br />
soit-il, participe de l’originelle bio-gonie et en actualise l’efficace. <strong>Le</strong><br />
sacrifice, dans toutes ses formes, témoigne de cet inconscient savoir<br />
que la vie ne peut être pleinement vie qu’à travers sa "négation"<br />
sacrificielle.<br />
406
407
Espace sacral<br />
Avant les religions, bien avant, il y a l'espace (épistémologique et<br />
pragmatique) de leur possibilité. Avant les religions constituées il y a le<br />
religieux constituant, en appliquant à la réalité religieuse cette pertinente<br />
distinction que fait André Lalande entre 'constituant' et 'constitué'<br />
à propos de la raison,<br />
Il y a ainsi le 'religieux' constituant à la racine de l'humain universel et<br />
les 'religions' constituées à travers l'espace-temps des différentes<br />
humanités. <strong>Le</strong>s religions sont innombrables et infiniment multiformes.<br />
Elles font l'objet de centaines de milliers de volumes d'études et d'analyses.<br />
D'autre part nous les côtoyons en permanence. Nous y sommes<br />
même profondément engagés.<br />
<strong>Le</strong> monde est moins que le monde. <strong>Le</strong> monde est plus que le monde.<br />
L’homme est moins que l’homme. L’homme est plus que l’homme. <strong>Le</strong><br />
sacré commence avec l’expérience fondamentale de cet étrange autre,<br />
effrayant et fascinant en même temps.<br />
L'espace du 'sacré' est coextensif à la totalité de l'espace humain. La<br />
mentalité schizoïde ambiante, soucieuse d'expulser le 'sacré', voudrait<br />
reléguer celui-ci dans une sacristie. Avec une bonne étiquette le<br />
cantonnant en sa troublante exception et croyant libérer ainsi une normalité<br />
profane. N'en déplaise à Auguste Comte, l'état `positiviste' n'est<br />
pas moins `théologique' que les états précédents. Il est même plus<br />
théologique que jamais. Mais autrement. L'état `théologique' marquait<br />
encore les différences. L'état `positif' les supprime, puisque c'est<br />
l'homme, désormais, qui se fait Dieu à la place de Dieu. Il n'est plus de<br />
science `humaine' qui ne soit en même temps science `divine'. Cette<br />
subtile réciprocité se voit sans cesse occultée. Elle joue sur fond de<br />
rivalité conflictuelle qui ne se dit pas. L'obscure dramatique de quelque<br />
chose comme une théomachie. L'anthropos n'a pas fini de régler ses<br />
comptes avec le theos.<br />
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Surgissement à la verticale<br />
C’est dans l’extrême tension de la Verticalité Sacrale que naît l’homme<br />
en tant qu’homme. <strong>Le</strong> sacré est proprement crise d’enfantement de<br />
l’humain. Personne ne sait quand cela a commencé. Personne ne le<br />
saura sans doute jamais. Mais l’accession d’un certain primate à<br />
l’humanité reste incompréhensible autrement. Seul le ‘divin’ ouvre<br />
la différence à travers laquelle l’humanité peut advenir. Qui d’autre que<br />
Dieu pouvait provoquer l’exode de ce primate vers l’humain ?<br />
Au cœur du drame sacral de la vie, l’homme, le vivant centré dans la<br />
différence. Microcosme en participation avec le macrocosme. L’originaire<br />
sacralisateur sacralisé. L’axe des valeurs. Signifiant qui se signifie.<br />
Béance ouverte à l’infini d’un monde différent. L’homme démesure.<br />
Et mesure pourtant. Première mesure de l’orbe cosmique et de la<br />
proportion harmonieuse. Chiffre du monde.<br />
L’homme, animal debout ! Sa station signifie et réalise la verticalité<br />
sacrale. L’homme est l’originaire référentiel de l’espace sacral et de son<br />
centre sacré. La physiologie est d’abord, avec plus de pertinence,<br />
symbole. En l’homme la vie vibre de l’originaire fascinosum et tremendum<br />
sacral. Dans la verticalité sacrale se joue archéologiquement le<br />
drame des protagonistes antagonistes éros et thanatos. La grande<br />
différence verticale entre le ciel et la terre qui dans son étreinte engendre<br />
les vivants. La grande différence verticale entre la terre et les<br />
enfers sous-terrestres qui dans son étreinte engendre les morts.<br />
Double engendrement qui s’articule sur les puissances ouraniennes et<br />
chtoniennes des esprits célestes et des esprits telluriques, des forces<br />
du bien et du mal, de la lumière et des ténèbres...<br />
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La rondeur du monde crucifiée<br />
C’est dans le rite sacrificiel – sacrum facere – que la crise sacrale<br />
s’actue de façon extrême. Dès ses formes les plus archaïques se<br />
rejoue la crise sans laquelle l’humain ne serait pas. Ici se révèle la<br />
profonde dialectique sacrale. La traversée de la négation vers l’autre.<br />
Du bon est détruit pour qu’un meilleur soit. De la valeur est immolée<br />
pour que dans sa béance se manifeste une autre et plus grande valeur.<br />
On sacrifie de la vie pour vaincre la mort. Dans l’extrême rupture<br />
advient une plus extrême plénitude. Dans la tension paroxysmale de la<br />
lutte et de l’étreinte hiérogamique sous le signe d’éros et de thanatos.<br />
<strong>Le</strong> sacrifice actualise cette mystérieuse dialectique à travers laquelle la<br />
libre mise à mort d’un vivant devient victorieuse de cette mort ellemême.<br />
Réactualisation de la victoire originaire où la vie passe par la<br />
mort pour revivre plus immortelle. L’homme émerge avec le savoir<br />
inconscient de cette victoire originaire. Son culte, si ‘primitif’ soit-il,<br />
participe de l’originelle bio-gonie et en actualise l’efficace. <strong>Le</strong> sacrifice,<br />
dans toutes ses formes, témoigne de cet inconscient savoir que la vie<br />
ne peut être pleinement vie qu’à travers une ‘négation’ sacrificielle. On<br />
retrouve toujours la même dynamique si profondément humanisante<br />
du non. Distance. Différence. Non... Pas encore... Pas tout de suite...<br />
Plus loin... Plus haut... Un espace négatif s’ouvre. <strong>Le</strong> sacré est instaurateur<br />
d’un tel espace dialectiquement antithétique. Un espace où les<br />
vides sont plus pertinents que les pleins. Un espace de l’appel et de la<br />
pro-vocation.<br />
L’homme, un animal capable d’offrir en sacrifice son animalité...Depuis<br />
les origines, c’est le culte qui célèbre et rythme la différence entre<br />
nature et culture. Entre la nécessité et la liberté. Entre l’ordre des choses<br />
et la création. <strong>Le</strong> culte actualise rituellement le drame bio-cosmique<br />
et la victoire de la vie sur la mort. <strong>Le</strong>s rites structurent l’espace, le<br />
temps, l’être et l’action cohérente des hommes. Ainsi les rites de<br />
passage qui président au devenir personnel et aux fonctions sociales.<br />
Ainsi les rites de la végétation qui donnent naissance à l’agriculture.<br />
Ainsi les rites totémiques qui président à la domestication des animaux.<br />
Ainsi les rites du feu sans lesquels la métallurgie n’aurait jamais<br />
commencé.<br />
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Espace hiérotrope<br />
L’espace-temps humain n’est pas isotrope. Il est originairement, archéologiquement,<br />
chargé de ‘force’ bio-sacrale. Celle-ci est concentrée<br />
au maximum en un centre absolu. De là, elle irradie la totalité de<br />
l’espace-temps en se dégradant à mesure qu’elle s’éloigne du nœud<br />
d’extrême intensité centrale et en se dispersant en nodules d’intensité<br />
variable dont chacun, devenu centre régional, participe de la charge<br />
sacrale du Centre absolu de l’univers.<br />
Entre la très haute tension centrale et la dilution périphérique, chaque<br />
nodule représente une certaine différence de potentiel sacré. En chaque<br />
point l’horizontalité naturelle se trouve en quelque sorte traversée<br />
par la verticalité sacrale.<br />
<strong>Le</strong>s continuités se discontinuent. <strong>Le</strong>s étymologies y renvoeint. Ainsi la<br />
racine tem dans templum, qui signifie couper, séparer. L’univers vibre<br />
ainsi au rythme de la discontinuité sacrale. Il y a des temps forts. Il y a<br />
des hauts-lieux. Chaque nœud de force bio-sacrale devient tabou. <strong>Le</strong>s<br />
figures et les symboles se chargent de prégnance sacrale. L’image<br />
mythique du monde s’inscrit dans la perfection sphérique. Avec la<br />
différence des hémisphères, visible et invisible, ouranienne et chtonienne,<br />
céleste et infernale.<br />
Avant de se faire géographie, l’image de la terre se construit selon une<br />
hiéro-topologie. Autour d’un centre hiérogamique. Déjà la maison... un<br />
centre habitable où l’homme se loge en y logeant les symboles de sa<br />
participation sacrale à l’univers entier. Ensuite les autres espaces, du<br />
village, à travers l’espace clanique, jusqu’aux Empires. A travers ses<br />
migrations, du <strong>Le</strong>vant au Couchant, du Nord au Sud, l’homme emporte<br />
toujours son centre avec lui. Et visiblement ce centre le suit partout !<br />
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Diffusion sacrale<br />
Il est une sphère spécifique du phénomène humain, absolument inexistante<br />
dans le règne purement animal, qui affecte la réalité humaine<br />
dans ses plus grandes hauteurs et ses plus grandes profondeurs. C'est<br />
celle du 'numineux'. Elle ne se définit pas, à peine se décrit-elle.<br />
Rudolph Otto la caractérise par l'ambivalence du 'fascinosum' et du<br />
tremendum', ce qui à la fois fascine et appelle le respect.<br />
Avant même que ne s’établisse la distinction entre le profane et le<br />
sacré, avant donc que l’homme n’en puisse parler, déjà agit ce fondamental<br />
et fondateur acte de la différence. Et même dans les espaces<br />
les plus désacralisés, il est encore omniprésent.<br />
<strong>Le</strong> 'numineux' est le reflet du 'sacré' dans la sphère existentielle de<br />
l'humain. Son étrange attraction mêlée de frisson, son secret effroi<br />
doublé de séduction, signifie la béance de l'humain du côté du mystère<br />
et témoigne de son irréductible ouverture sur la différence.<br />
<strong>Le</strong> 'sacré' est omniprésent même s'il reste souvent inconscient ou<br />
diffus. Ses manifestations sont infinies. Ici on s'arrêtera sur quatre de<br />
ses domaines. <strong>Le</strong> sacré. <strong>Le</strong> mal. <strong>Le</strong> monstrueux ou le diabolique. <strong>Le</strong><br />
divin.<br />
Diffusion sacrale... Jusqu'où s'étend le sacral ? Où s'arrête-t-il ? Il prolifère<br />
sous les espèces des majuscules. Progrès, Science, Humanité,<br />
Histoire, Révolution, République, Dollar, Etc... <strong>Le</strong> 'profane', lui, n'existe<br />
qu'à la limite et tend à se confondre avec l'animalité.<br />
416
417
La Foi<br />
<strong>Le</strong> 'sacré', avant son 'ce que', dans la pureté de son 'que', est en même<br />
temps le point d'appui et l'espace d'accueil de la 'foi'. Celle-ci cependant<br />
s'en distingue comme le concret se distingue de l'abstrait et le<br />
plein du vide. La FOI, en effet, se situe dans l'ordre de l'accomplissement.<br />
Celui de la réalité personnelle et inter-personnelle. Celui du<br />
concret absolu. Celui de la personne en tant que sacrée. Avec son fascinosum<br />
et son tremendum. Rencontre de personne à personne. Engagement<br />
réciproque. Alliance.<br />
L’évidence naturelle, procédant par ‘longues chaînes de raisons’,<br />
contraint et enchaîne dans l’ordre de la nécessité. La foi rompt les<br />
nécessités naturelles et logiques. La foi n’est pas ‘au bout’ d’une suite<br />
d’articulations rationnelles. Elle n’est pas un produit du ‘je pense’<br />
individuel ou collectif. Elle n’est pas contenue ‘dans’ nos possibilités<br />
psychologiques ou mentales. Elle n’est pas logeable dans un système.<br />
La foi n’est pas en ma possession. Je ne la comprends pas. C'est elle<br />
qui me comprend et me saisit inconditionnellement.<br />
La foi vit dans la tension. Fondamentalement la tension eschatologique.<br />
<strong>Le</strong> monde est déjà sauvé. En même temps il reste à sauver. L'essentiel<br />
est déjà accompli. En même temps cet essentiel reste à accomplir.<br />
Dans la tension de cet entre-deux urge l'actualité de la décision.<br />
Maintenant.<br />
Impératif catégorique de la foi: tu ne te prosterneras pas. Tu ne t'aplatiras<br />
devant aucune idole, ni l'argent, ni le pouvoir, ni l'opinion, ni les<br />
modes, ni les maîtres penseurs... Tu es trop grand pour cela. Tu es fille<br />
et fils de Dieu.<br />
<strong>Le</strong> dernier mot de la foi est silence. Lorsqu'après avoir lutté toute une<br />
longue nuit avec l'ange, tu te retrouves comme Jacob avec la hanche<br />
démise...<br />
418
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Profondeurs<br />
Homme, qui es-tu pour que Dieu puisse tomber en toi ? Qui es-tu pour<br />
que tu puisses tomber en Dieu ? Qui es-tu donc pour que l’Agapè de<br />
Dieu puisse être répandu en toi ? Tu es béance béante sur un Infini. Il<br />
est à craindre qu’ici nos évidences contemporaines ne puissent plus<br />
suivre. Ne tablent-elles pas sur la radicale finitude, la stricte immanence<br />
et la totale clôture de l’humain ? Reste un ‘je’, simplement virtuel,<br />
apparition épiphénoménale d’un ‘ça’ logé en cul de sac. <strong>Le</strong> ‘ça désire’<br />
des pulsions biologiques. <strong>Le</strong> ‘ça parle’ des structures aveugles. <strong>Le</strong> ‘ça<br />
fonctionne’ des absurdes mécaniques. Telle n’est pas l’évidence de<br />
départ d’un Johan Tauler. Sa psychologie des profondeurs ou sa spiritualité<br />
des profondeurs ne connaît pas de clôture. L’humain est infiniment<br />
ouvert, béant sur un fin-fond sans fond. Et c’est dans cette<br />
ouverture que se joue la décisive aventure de l’homme avec Dieu et de<br />
Dieu avec l’homme.<br />
L’homme n’existe authentiquement que dans l’abrupt de sa verticale<br />
béance... Appelé par un abîme de plénitude. Il ne peut y avoir d’humanité<br />
vraie sans cet appel. Même si personne ne voulait l’écouter, même<br />
si personne ne voulait l’entendre, il n’en serait pas moins la fondamentale<br />
et constitutive ‘pro’-vocation de l’humain. L’homme, simplement,<br />
inconsciemment ou consciemment, se constituerait en négative<br />
inversion contre lui. Personne ne pourrait savoir quel animal l’homme<br />
serait sans lui. Avec lui, et à partir de lui seulement, est aussi donnée la<br />
possibilité de ne l’écouter point.<br />
La ‘vocation’ spirituelle n’est pas une question de chapelle ni de sacristie<br />
mais de simple humanité. <strong>Le</strong> profond appel de chaque homme est<br />
de totale humanité, d’humanité d’avant la grande schizoïdie, de divine<br />
humanité. Telle que créée à l’image et à la ressemblance de Dieu. Telle<br />
que rassemblée dans le plérôme christique. L’aventure mystique n’est<br />
pas pour apporter un supplément ou un perfectionnement. Elle a d’emblée<br />
une signification ontologique. Elle est pour constituer l’humain<br />
dans son authenticité. En découvrant la vérité de Dieu, elle fait la vérité<br />
de l'homme.<br />
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L'Abîme appelle<br />
L’humain, l’humain authentique, est ailleurs, plus loin, plus profond que<br />
les faciles superficies dans lesquelles nous risquons sans cesse de le<br />
cantonner. L’ordre du ‘même’ n’épuise pas, et de loin, la totalité.<br />
L’humain est béant sur un ordre qui n’est pas celui des évidences<br />
quotidiennes qui règnent en superficie. Là, les euphories vont au<br />
maximum d’être, d’avoir et de paraître. En profondeur, par contre,<br />
s’ouvre l’infini ordre de la béance. Ici d’autres ‘valeurs’ ont cours. <strong>Le</strong><br />
non-être, le non-avoir, le non-paraître. Cet ordre de la béance n’est pas<br />
immédiatement accessible. Pour s’y retrouver quelque peu, il faut<br />
quelque chose comme une ‘conversion’ préalable. C’est alors que,<br />
derrière un ‘vide’ infini, s’appréhende, en creux, quasi par la négative,<br />
une infinie plénitude.<br />
L’essentiel de ta vie se joue et se décide sur un autre plan qui n’est<br />
plus celui des évidences quotidiennes. Un ‘ailleurs’ qui est pourtant plus<br />
proche et plus présent que toutes les présences et toutes les proximités<br />
mondaines, puisqu’il coïncide avec le fin-fond de ton intérieur.<br />
Cette intériorité verticale n’est pas le petit monde fermé de tes intimités.<br />
Elle est un abîme insondable. Elle est un univers infini.<br />
Ton mystère, cependant, est déjà plus que tien. Ton mystère est embarqué<br />
là où tu n’es plus tout seul maître à bord de toi-même. Là où tu<br />
n’existes profondément que dans la traversée de toi, la traversée de ta<br />
plus profonde différence, dans la béance de ton ‘même’ vers l’Autre. En<br />
tes extrêmes profondeurs abyssales, l’Autre appelle. Selon la parole du<br />
psaume 41: l’Abîme appelle l’abîme. L’autre Abîme, l’Abîme divin,<br />
t’appelle en ton abîme.<br />
Ce fin-fond appartient à Dieu seul. C’est là que Dieu Trinité veut habiter<br />
et agir. C’est là que le Père, dans l’unité de l’Esprit, ne cesse d’engendrer<br />
son Fils. C’est là, qu’avec son Fils et en son Fils, il nous<br />
engendre filles et fils. C’est là, qu’avec lui, nous sommes appelés à<br />
devenir 'lumière dans la lumière'.<br />
Au plus profond des profondeurs humaines on s’engouffre dans un<br />
abîme insondable. Un 'Fond sans fond'. Et dans cet abîme est l’habitation<br />
propre de Dieu.<br />
422
423
Refoulement<br />
Nous voilà aux antipodes de la vison ‘moderne’ de l’humain bouclé sur<br />
lui-même. Contre le vertical enracinement créateur d’humanité, l’acharnement<br />
s’est fait extrême. Là, de cette intériorité, Dieu devait être<br />
chassé avec beaucoup plus de violence que de toutes les extériorités.<br />
Aux mécanismes de refoulement et de défense on s’est efforcé de<br />
prêter la solidité scientifique. Une pléthore de ‘sciences’ dites humaines<br />
cache mal la finalité occulte de leurs lucidités et l’ampleur de l’acharnement<br />
thérapeutique pour ‘sauver’ l’homme de sa filiation divine. De<br />
guérison point, cependant. On croyait que l’homme, enfin délivré de<br />
son mystère, retrouverait son innocence. On croyait que l’homme, enfin<br />
rendu, sans illusions, à la pure immanence, s’épanouirait comme le<br />
plus bel animal dans le plus beau jardin zoologique. C’est seulement un<br />
étrange mal qui se mit à proliférer...<br />
On ne refoule pas impunément Dieu. On refoule encore moins impunément<br />
ce refoulement lui-même. Ce péché contre l’Esprit est promis à la<br />
mort. L’homme est sans doute trop grand pour être offert aux augures<br />
des maîtres penseurs de ce temps. <strong>Le</strong> mystère des profondeurs<br />
humaines, même barricadées, est trop saint pour être livré aux trafiquants<br />
du temple. Alors qui nous sauvera ? Et si l’homme d’aujourd’hui,<br />
l’homme occidental, malade de Dieu, savait retrouver l’eau vive ! Et<br />
suivre le mince fil d’eau qui, au travers de l’incroyable amoncellement<br />
de défenses obstruant ses divines profondeurs, continue à sourdre,<br />
témoin de la Source.<br />
424
425
Descendre<br />
Dès que tu commences ta descente, se présentent mille raisons de ne<br />
pas descendre. L’évidence des choses que tu quittes est bien portante.<br />
Celle des choses que tu dois trouver est toujours évidence crucifiée. Il<br />
te faut traverser des étendues obscures et sauvages. Il te faut traverser<br />
ta propre angoisse. Tu vas de déchirement en déchirement.<br />
Pour accéder à l’homme essentiel il n’est pas d’autre chemin que la<br />
voie négative. Plus tu te quittes, plus tu te retrouves. Autrement. Et très<br />
certainement de façon plus authentique. Il faut quitter ton déploiement<br />
dans les grandes largeurs faciles du monde. Il faut quitter ta dispersion<br />
et tes divertissements dans l’opulence de surface. Il faut quitter tes<br />
euphories unidimensionnelles. Il faut quitter tes possessions et tes<br />
dominations dans la multiplicité mondaine. Il faut quitter tes évidences<br />
phénoménales. Il faut quitter les enfermements de ton vouloir schizoïde.<br />
L’expérience abyssale est pour une rencontre. Dans la béance, l’Autre<br />
dont la mystérieuse Présence se révèle identique à celle qui se donne<br />
dans la foi se dévoile Personne et appelle à la communion. Laisse<br />
tomber Dieu... Commence même par là. Est-ce donc si scandaleux ?<br />
Mais Agapè peut-il faire autre chose ? <strong>Le</strong> stupéfiant c’est qu’il ait posé<br />
son centre de gravité au beau milieu du cœur de l’homme.<br />
Laisse-toi tomber... Comme la chose la plus ‘naturelle’ du monde. La<br />
chute libre d’un corps vers son centre de gravité. Avec une sorte de<br />
nécessité quasi physique. Il suffit de ne pas retenir. Laisse-toi tomber...<br />
Tu ne tombes pas dans le vide ni dans l’absurde. Tu tombes<br />
simplement au-delà de toi-même. En Dieu. Laisse seulement Dieu<br />
tomber en toi. Et laisse-toi tomber en Dieu. Ainsi pourrait se formuler,<br />
abrupte, l’exigence mystique.<br />
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427
428
TABLE<br />
Introduction 7<br />
Compréhension 20<br />
Béance 22<br />
La caverne 24<br />
<strong>Le</strong> clos et l’ouvert 26<br />
Courbure 28<br />
Espace de la différence 30<br />
Dedans et dehors 32<br />
Révolution copernicienne 34<br />
Intégration et exclusion 36<br />
Culture 38<br />
Cultures plurielles 40<br />
L’espace autour 42<br />
Entre alpha et oméga 44<br />
Englobant 46<br />
<strong>Le</strong> milieu et les extrêmes 48<br />
Déjà 50<br />
Ultime englobant 52<br />
Ecologie 54<br />
<strong>Le</strong> système 56<br />
Différence de potentiel 58<br />
Réservoirs d’énergie spirituelle 60<br />
Interrelation systémique 62<br />
Source de nos sources 64<br />
<strong>Sens</strong> du sens. 66<br />
429
Oubli de l’englobant 68<br />
Transformation 70<br />
La traversée du non 72<br />
La négation féconde 74<br />
L’affrontement du même par l’autre 76<br />
La dynamique du non 78<br />
La négation PRO-ductrice 80<br />
<strong>Le</strong>s quatre dynamiques fondamentales 82<br />
<strong>Le</strong> champ dynamique du logos 84<br />
Dialectique tronquée 86<br />
Dialectique infinie 88<br />
Trans 90<br />
COM-posantes et EX-posantes 92<br />
Rupture et dépassement 94<br />
<strong>Le</strong> ‘non’ créateur 96<br />
Dialectique pascale 98<br />
Deux logiques 100<br />
Exode infini 102<br />
Envers et endroit 104<br />
L’esprit trouble-fête 106<br />
A partir d’un vide 108<br />
Structure et acte 110<br />
Peut-on définir l’esprit ? 112<br />
A travers 114<br />
A travers la matière 116<br />
A travers les interstices 118<br />
L’esprit n’est pas en l’air 120<br />
L’esprit traverse le corps 121<br />
L’esprit est à travers les béances 124<br />
Surgissement du JE 126<br />
La différence de potentiel 128<br />
<strong>Le</strong>s réservoirs de la dynamique 130<br />
Systémique spirituelle 132<br />
430
L’esprit dit non 134<br />
La négation motrice 136<br />
DIS-cerner 138<br />
Comprendre à travers la différence 140<br />
Articulation et signification 142<br />
Entre articulation et signification 144<br />
La science 146<br />
L’esprit décompacte 148<br />
Intériorité de l’esprit 150<br />
L’autre moitié 152<br />
Symbole 154<br />
<strong>Le</strong> non-dit 156<br />
Entropie et néguentropie 158<br />
La raison conquérante 160<br />
Structure et rupture 162<br />
La structure 164<br />
Structuration 166<br />
Rationalité constituante 168<br />
Espace de la science 170<br />
Progressivité historique 172<br />
Analyse et synthèse 174<br />
Entre idée et réel 176<br />
<strong>Le</strong>s rapports 178<br />
Hypothético-déductif 180<br />
Dogmatisme et scepticisme 182<br />
Englobant de la science 184<br />
<strong>Le</strong> sens 186<br />
Notre espace d’humanité 188<br />
<strong>Sens</strong> constitué et sens constituant 190<br />
<strong>Le</strong> surgissement du logos 192<br />
La personne donatrice de sens 194<br />
Ouvert sur un infini 196<br />
Composantes et exposantes 198<br />
431
Constructeurs et aventuriers 200<br />
A travers 202<br />
L’enfermement du souffle 204<br />
L’écosystème du sens 206<br />
Entropie 208<br />
Hors de la caverne 210<br />
La tentation schizoïde 212<br />
Anthropocentrisme 214<br />
La bulle 216<br />
<strong>Le</strong> miroir brisé 218<br />
Refoulement 220<br />
Dieu chassé 222<br />
Maître et possesseur de l’idée 224<br />
Sans transcendance 226<br />
L’homme responsable de l’humain 228<br />
L’absurde 230<br />
<strong>Le</strong>s illusions 232<br />
Pollution spirituelle 234<br />
L’illusion du progrès 236<br />
Au défi entre clos et ouvert 238<br />
Pourquoi survivons-nous ? 240<br />
Béance de notre bulle 242<br />
L’humain provoqué hors de 244<br />
Risque 246<br />
Ailleurs 248<br />
<strong>Le</strong> sens constituant 250<br />
Intensité 252<br />
La parole prophétique 254<br />
Différence de potentiel 256<br />
Oubli 258<br />
Traversée de la différence 260<br />
Désir 262<br />
Eros et Agapè 264<br />
432
Néguentropie 266<br />
Renversement d’Agapè 268<br />
Miracle d’Agapè 270<br />
Kénose 272<br />
D’un autre ordre 274<br />
Exposé à l’autre 276<br />
Impérialisme du même 278<br />
La traversée du ‘non’ 280<br />
Identité et différence 282<br />
La différence féconde 284<br />
Plénitude 286<br />
Réciprocité 288<br />
Risquer l’autre 290<br />
Culture 292<br />
<strong>Le</strong> logos anthropogène 294<br />
Matrice 296<br />
Sortir de la caverne 298<br />
Etreinte d’extrême différence 300<br />
Deux révolutions 302<br />
<strong>Le</strong> ‘non’ au cœur du néolithique 304<br />
Typologie différentielle 306<br />
Dynamique de l’Occident 308<br />
Explosion à l’horizontale 310<br />
Modernité 312<br />
Exode 314<br />
Eternel retour 316<br />
La roue 318<br />
<strong>Le</strong>s 12 étapes de l’existence 320<br />
<strong>Le</strong>s processus 322<br />
Point de rupture 324<br />
La rupture du cercle 326<br />
L’histoire ex-pose 328<br />
Possibilité historique 330<br />
433
Entre alpha et oméga 332<br />
Impossible retour 334<br />
Impossible totalisation 336<br />
Maître de l’histoire ? 338<br />
Partir 340<br />
Urgence 342<br />
Après ? 344<br />
Deux vacuités 346<br />
Au-delà de « l’horizon indépassable » 348<br />
Exponentielle 350<br />
<strong>Le</strong> progrès 352<br />
<strong>Le</strong>s deux sources du progrès 354<br />
Croissance de l’outil 356<br />
Démesure de l’exponentielle 358<br />
Limites 360<br />
Piégé 362<br />
Incontournable écosystème 364<br />
L’homme inachevé 366<br />
Emergence de l’humain 368<br />
L’humain 370<br />
Communauté 372<br />
Réfractaire 374<br />
Autre plénitude 376<br />
Schizoïdie 378<br />
Je pense 380<br />
Seul maître à bord 382<br />
Courbure de l’humain 384<br />
La source virtuelle 386<br />
Quel englobant ? 388<br />
<strong>Le</strong> discours tautologique 390<br />
Hors de l’Alliance 392<br />
Rupture du lien 394<br />
Règne de l’idée 396<br />
434
Coupé du Verbe 398<br />
Profondeurs encombrées 400<br />
Où est le coupable ? 402<br />
Ça sent le renfermé 404<br />
Crise sacrale 406<br />
Espace sacral 408<br />
Surgissement à la verticale 410<br />
La rondeur du monde crucifiée 412<br />
Espace hiérotrope 414<br />
Diffusion sacrale 416<br />
La foi 418<br />
Profondeurs 420<br />
L’ Abîme appelle 422<br />
Refoulement 424<br />
Descendre 426<br />
Table 429<br />
435
436