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Le Sens - approches systémiques - Gerard Eschbach

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<strong>Le</strong> sens<br />

Approches <strong>systémiques</strong><br />

3


Sites internet de l'auteur<br />

www.meta-noia.org<br />

www.beance.org<br />

www.alter-x.org<br />

www.gerard-eschbach.org<br />

Contact avec l'auteur<br />

g.eschbach@meta-noia.org<br />

© www.meta-noia.org - 2011<br />

4


Gérard <strong>Eschbach</strong><br />

<strong>Le</strong> sens<br />

Approches <strong>systémiques</strong><br />

www.meta-noia.org<br />

5


Introduction<br />

La vie corporelle est impossible sans l’air. Il en va de même<br />

pour l’esprit qui ne vit et ne survit que dans le sens. <strong>Le</strong><br />

sens des mots. <strong>Le</strong> sens des perceptions. <strong>Le</strong> sens des articulations.<br />

<strong>Le</strong> sens entre les lignes. <strong>Le</strong> sens des rapports.<br />

<strong>Le</strong> sens des raisons. Et finalement le sens du sens, c’est-àdire<br />

le sens qui donne sens.<br />

<strong>Le</strong> sens n’est pas à partir de rien. Tout sens se donne<br />

toujours à partir d’une englobante possibilité de sens. <strong>Le</strong>s<br />

différents niveaux de sens s’emboîtent. Tel sens peut<br />

englober un sens plus régional et se trouver englobé, à son<br />

tour, par un sens plus englobant. Un ‘pourquoi’ n’est pas<br />

forcément l’ultime ‘pourquoi’. Il reste toujours un pourquoi<br />

du pourquoi. Mener sa pensée jusqu’au bout d’elle-même<br />

ne va pas sans questionner inlassablement sur un englobant<br />

plus englobant.<br />

<strong>Le</strong> risque est grand, en étudiant le sens, de s’enliser dans<br />

le ‘vaporeux’. <strong>Le</strong> présent essai voudrait approcher le fonctionnement<br />

sémantique en articulant non pas des étiquettes<br />

ou des idées abstraites mais la réalité concrète telle<br />

qu’elle se donne ‘nativement’, ‘naïvement’, à travers, par<br />

exemple, les étymologies ou les expériences originaires.<br />

7


L’idée prend forme, se traduit en mouvement et se fixe en<br />

graphie. <strong>Le</strong> sens fait signe... Il en résulte une multitude<br />

d’<strong>approches</strong> figurées et schématiques. On en livre ici deux<br />

centaines dans un ordre qui, à dessein, n’est pas linéaire.<br />

Elles inscrivent toutes dans une même perspective qui est<br />

celle de la ‘systémique’. Il s’agit donc essentiellement de<br />

les lire en relation et de les voir fonctionner en interdépendance<br />

Pourquoi une approche systémique ?<br />

La réponse est simple. Pour essayer de comprendre un<br />

ensemble, un tout ou un système sans devoir comprendre<br />

toutes ses articulations internes et l'impossible détail des<br />

parties. Celles-ci sont en effet infinies, et, partant, demandent<br />

une infinité de spécialistes sur fond d'infini débat. Si<br />

bien qu'à la limite le monde peut partir en quenouille avant<br />

d'entrevoir le début d'une possible compréhension. Pour<br />

que les arbres ne cachent pas la forêt, pour que les mondes<br />

ne cachent pas le monde, le recours à la systémique<br />

devient incontournable.<br />

L’intelligibilité, en effet, vient du ‘contenant’ avant de venir<br />

du ‘contenu’. L’intelligence du tout ‘englobant’ précède et<br />

conditionne celle de la partie 'englobée’.<br />

Une approche systémique va à l’encontre de ce qu'on peut<br />

appeler la 'philosophie du boutiquier' qui ne va pas au-delà<br />

de l'addition et de la soustraction d'ingrédients. On ajoute<br />

les 'plus'. On retranche les 'moins'. Cela peut suffire à la<br />

rigueur pour gérer un stock ou cuire une soupe. Mais les<br />

réalités humaines sont d'un autre ordre. <strong>Le</strong> 'plus' ne<br />

s'ajoute pas forcément au plus et le 'moins' ne s'en<br />

retranche par nécessairement. Au contraire, 'plus' et 'moins'<br />

8


s'étreignent pour donner naissance à une réalité nouvelle.<br />

Il s'agit d'une nouvelle façon de penser et d'agir qui se<br />

déploie dans un nouvel espace épistémologique et pragmatique.<br />

En rupture d'une certaine façon avec Descartes.<br />

Mais sans faire l'économie de l'analyse cartésienne, sans<br />

laquelle elle serait impossible. Il s'agit plutôt du dépassement<br />

dialectique d'une intelligibilité trop unidimensionnelle.<br />

Revanche du tout sur la partie et du tout organiquement<br />

interactif sur le tout structural. Revanche du vivant<br />

sur la mécanique. De tout le vivant non seulement biologique<br />

mais aussi économique, politique, social, culturel...<br />

<strong>Le</strong> cristal et le vivant<br />

<strong>Le</strong> modèle archétypique de l'intelligibilité de la structure est<br />

le cristal dans sa géométrie chimique. Celui du système est<br />

le vivant en interaction avec l'ensemble de la vie, avec<br />

l'ensemble de son écosystème. La `structure' est immédiatement<br />

intelligible en elle-même, on pourrait dire en sa<br />

clôture. <strong>Le</strong> `système', lui, prend son intelligibilité dans son<br />

fonctionnement dynamiquement interactif, sous le signe de<br />

l'ouvert. L'approche systémique se caractérise par la saisie<br />

organique d'ensembles en tant qu'ensembles en interaction.<br />

Un système vivant est une ‘structure’ qui ne peut<br />

fonctionner qu’en étant essentiellement ouverte sur des<br />

échanges. Elle ne survit qu’avec portes et fenêtres. C’est-àdire<br />

avec des entrées et des sorties.<br />

Penser seulement ‘structure’ reste en marge de l'intelligence<br />

des réalités vivantes. Pour comprendre celle-ci il<br />

faut penser ‘système’, et plus spécialement ‘système vivant'.<br />

Une ‘structure’, celle du cristal par exemple, tient<br />

dans la clôture de sa géométrie chimique. Un ‘système<br />

9


vivant’, par contre, ne survit que dans l’ouvert. Ici les ‘contenus’<br />

ne sont pas des ‘choses’ isolables. Ce sont des<br />

réalités vivantes. Organiques. En interdépendance. En<br />

inter-réaction. En interrelation. Impossible de soigner un<br />

organe sans soigner le corps tout entier et, surtout, sans<br />

soigner l’environnement de ce corps.<br />

Système<br />

L'atome de structure d’un système peut être considéré<br />

comme un micro-système non bouclé. Sa plus simple expression<br />

est celle d’une ‘vanne’ électronique, un transistor,<br />

par exemple. Il a trois portes: une entrée, une sortie et une<br />

ligne de commande. On applique une grandeur physique à<br />

l’entrée. Une autre grandeur physique apparaît à la sortie<br />

en fonction de la grandeur physique appliquée. Entrée,<br />

sortie et ligne de commande sont donc comme trois portes<br />

qui ouvrent le système sur un ‘extérieur’.<br />

Du plus simple microsystème au plus complexe des macrosystèmes,<br />

et quel que soit son degré d'emboîtement systémique,<br />

c'est la fonction qui caractérise un système. Et ces<br />

fonctions peuvent être d'une incroyable diversité.<br />

Ce qui d’un ensemble fait fondamentalement un système,<br />

c’est son organisation. <strong>Le</strong> système ne se comprend pas à<br />

partir de ses éléments constitutifs, ni des liaisons entre ces<br />

éléments, ni même des interactions entre ces liaisons, mais<br />

essentiellement en fonction de ses spécificités organisationnelles.<br />

C’est en tant qu’organisé, et en tant qu’organisé<br />

seulement, que le système est rebelle à la réduction en ses<br />

éléments et transcende la juxtaposition quantitative de la<br />

multiplicité et de la diversité qui le compose. Dans cette<br />

unité complexe organisée le tout est toujours plus que la<br />

10


somme des parties, l’organisation leur conférant en quelque<br />

sorte un supplément d’être, de fonctionnement et d’action<br />

incommensurable aux parties seules. Mais déjà la<br />

partie y est plus que la partie. <strong>Le</strong> tout organisé est émergence<br />

nouvelle.<br />

C'est le programme qui représente la fonction complexe du<br />

système. Un flux, qu'il soit matériel, énergétique ou informationnel,<br />

entre dans le système, subit une transformation<br />

commandée par la fonction et se trouve ainsi transformé à<br />

la sortie. La nature, la forme, la quantité de l'entrée et de la<br />

sortie dépendent de la complexité du système et de la<br />

nature, de la forme ou de la variété des flux. La valeur 'fonction'<br />

implique toujours l'équivalent d'un programme dont la<br />

complexité dépend de la complexité de la fonction ellemême.<br />

Ce programme peut être invariable et le système<br />

est alors considéré comme programmé. Il peut aussi être<br />

variable selon les nécessités du moment et lui venir chaque<br />

fois du dehors, par une des entrées. <strong>Le</strong> système est alors<br />

dit programmable.<br />

Emboîtement des systèmes<br />

Chacune des <strong>approches</strong> systémique se trouve emboîtée<br />

dans l’autre. La vie et partant le système vivant est en interrelation<br />

maximale. Impossible de soigner un organe sans<br />

soigner le corps tout entier sans soigner l’environnement<br />

de ce corps de et, de proche en proche, son emboîtement<br />

interactif avec l’ensemble de la vie, avec l’ensemble de la<br />

‘nature’, avec l’ensemble de l’écosystème.<br />

A chaque niveau systémique, il y a ainsi une entrée et une<br />

sortie en liaison interactive avec les entrées et les sorties<br />

des autres systèmes, englobés et englobants, pour l'inces-<br />

11


sant échange des flux d'alimentation, d'élimination, d'information,<br />

de régulation, de programmation...<br />

<strong>Le</strong> système ne renvoie pas à la partie élémentaire. <strong>Le</strong><br />

système renvoie au système. Entre le plus petit microsystème<br />

possible et la totalité du macro-système cosmique,<br />

‘un’ système est chaque fois un ensemble qui fonctionne à<br />

partir d’autres ensembles dans un plus grand ensemble.<br />

Ainsi la nature: une solidarité de systèmes enchevêtrés, un<br />

tout poly-systémique.<br />

Chaque système est en interaction avec d’autres systèmes<br />

<strong>Le</strong> tout fonctionnant dans un plus grand système englobant.<br />

Du plus simple jusqu’au plus complexe, du plus élémentaire<br />

jusqu’à son extrême englobant, les systèmes<br />

s’emboîtent interactivement. Chaque source chaude partielle<br />

participant de la source chaude plus englobante. Il en<br />

va de même avec les puits froids.<br />

<strong>Le</strong>s différents systèmes s’emboîtent, chaque fois intégrés<br />

dans un système plus englobant et, à leur tour, englobant<br />

un sub-système en leur dépendance. Chaque système accapare<br />

des flux positifs et rejette des flux négatifs, et cela<br />

dans l’espace de son système englobant. Un système<br />

englobé ne survit et a fortiori ne grandit que si son solde<br />

énergétique global est positif. Cela ne peut se faire qu’au<br />

détriment de son système englobant. Celui-ci, à son tour,<br />

ne survit que sur le compte du système qui l’englobe luimême.<br />

Et ainsi de suite.<br />

Dans l'emboîtement hiérarchique de multiples systèmes, la<br />

fonction du système `englobé' se détermine chaque fois par<br />

la fonction du système plus `englobant'. Ainsi, par exemple,<br />

la fonction d'une usine d'automobiles est de produire des<br />

voitures vendables. Un tel système régit une multitude<br />

12


d'autres systèmes subordonnés, dont la fonction est de<br />

produire des pneumatiques, des projets, des circuits électroniques,<br />

des études de nouveaux modèles, des culasses<br />

de moteurs, etc. Mais cette usine est elle-même en<br />

interaction avec d'autres systèmes, encore plus `englobants',<br />

comme le marché international, la mentalité des<br />

humains face à l'automobile, la production énergétique, etc.<br />

Intelligibilité du complexe<br />

L'approche systémique tient nécessairement compte de la<br />

complexité des interactions, c'est-à-dire de la grande multiplicité<br />

et de la grande variété des éléments, des liaisons,<br />

des interactions non linéaires et de l'organisation en niveaux<br />

hiérarchiquement intégrés. Loin de réduire la complexité,<br />

la systémique la conserve. Elle intègre par différenciation<br />

plutôt que par identification. Elle privilégie les<br />

systèmes complexes ouverts. Elle ne s'occupe pas d'une<br />

seule variable à la fois mais prend en compte des ensembles<br />

de variables simultanément. Sa compréhension est<br />

pluridisciplinaire. Son approche est holistique. Son point de<br />

départ est un tout. La partie n'est pas isolable mais joue en<br />

interaction avec ce tout qui explique les parties.<br />

Pour l'intelligence systémique, les buts sont plus importants<br />

que les détails. La fonction l'emporte sur la structure. Plus<br />

essentiels que les forces sont les flux et spécialement le<br />

flux des informations. D'où le rôle essentiel des entrées,<br />

des sorties et des vannes. <strong>Le</strong>s effets sont plus pertinents<br />

que les interactions. L'équilibre dynamique prime sur la<br />

stabilité statique. L'énergie de commande l'emporte sur<br />

l'énergie de puissance. <strong>Le</strong> temps prend plus d'importance<br />

que l'espace. La causalité n'est pas linéaire mais circulaire:<br />

13


dans la réciprocité des échanges, elle procède par boucles.<br />

L'indéterminisme et même le désordre ne sont pas exclus a<br />

priori. L'imprévisible, le non reproductible et l'irréversible ne<br />

font pas peur, de même que la différence et le conflit.<br />

Un ensemble interactif de micro-systèmes bouclés les uns<br />

sur les autres peut former un système plus complexe. Il n'y<br />

a théoriquement pas de limite à la complexification. Chacune<br />

des trois `ouvertures' d'un système peut se brancher<br />

sur celles du système voisin, et ainsi de suite, de proche en<br />

proche, d'unité systémique minimale vers la plus grande<br />

unité systémique souhaitée. Avec deux transistors on peut<br />

construire une `cellule' de mémoire. Quatre transistors<br />

suffisent pour construire une 'porte' logique, c'est-à-dire un<br />

microsystème capable de réaliser une des différentes<br />

fonctions logiques élémentaires. Des millions de ces `cellules'<br />

et de ces `portes', reliées entre elles en fonction d'une<br />

organisation spécifique et déterminée par le concepteur,<br />

peuvent former un ordinateur ou tout autre machine cybernétique.<br />

L'analyse `abstrait' inévitablement un système de ses interconnexions.<br />

Dans la réalité, cependant, l'entrée et la sortie<br />

d'un système réel ne sont jamais `en l'air', mais en liaison<br />

interactive avec les entrées et les sorties des autres systèmes,<br />

englobés et englobants. <strong>Le</strong>s sorties et les entrées<br />

des différents sub-systèmes sont interconnectées pour l'incessant<br />

échange des flux. Selon la très grande complexité<br />

interactive dans l'emboîtement des systèmes. Toute une<br />

combinatoire systémique avec l'infinie possibilité d'interconnexions<br />

et d'interactions inter <strong>systémiques</strong>.<br />

Et pourtant, dans le tissu inter systémique, à l'intérieur de<br />

ces réseaux interactifs, chaque système constitue une spécificité<br />

et fonctionne avec une relative autonomie comme<br />

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un nœud, une totalité, une unité, un `autos' soi-même... Car<br />

tout en étant en interrelation et en interaction avec d'autres<br />

systèmes, tout en étant bouclé sur d'autres systèmes, un<br />

système se boucle aussi lui-même. Mais toute autonomie<br />

est fonction de réserves disponibles. Et les disponibilités ici<br />

doivent être aussi diverses que les flux de matière, d'énergie,<br />

d'information, en interaction dans le système.<br />

Boîte noire<br />

<strong>Le</strong> système en lui-même avec son fonctionnement interne<br />

et toute la complexité de ses articulations peut, en effet,<br />

être considéré comme une `boîte noire'. <strong>Le</strong> terme dit sa<br />

`mystérieuse' complexité. Il dit aussi que cette `boîte' peut<br />

rester obscure sans pour autant empêcher l'intelligence de<br />

ce qu'elle est globalement et de ce qu'elle signifie profondément.<br />

Ce qui, par contre, ne peut absolument pas rester<br />

obscur, c'est la connaissance précise de sa fonction, des<br />

entrées et des sorties.<br />

Méthodologiquement, chaque système, quelle que soit sa<br />

complexité, sa taille ou sa situation au milieu d'autres systèmes,<br />

fonctionne, en tant que système, de façon identique.<br />

Il suffit donc de connaître le fonctionnement d'un<br />

quelconque système pour les comprendre tous. N'importe<br />

quel système peut donc être pris comme 'modèle'. Dès lors<br />

il ne faut pas avoir peur d’analyser le phénomène humain à<br />

l’aide de concepts comme ‘systémique’, ‘englobé/englobant’,<br />

‘emboîtement des systèmes’, ‘source chaude/source<br />

froide’, ‘flux’, ‘entrées’, ‘sorties’, ‘réserves’, ‘accumulateurs’,<br />

‘écosystème’, ‘interactivité’, ‘dégradation de l’énergie’, ‘entropie’,<br />

‘néguentropie’, etc. Dès lors deviennent quasi naturelles<br />

les expressions comme: ‘source chaude de signi-<br />

15


fiants’, ‘accumulateurs sémantiques’, ‘réservoirs d’énergie<br />

spirituelle’, ‘asphyxie spirituelle’, ‘écosystème du sens’...<br />

La compréhension passe par un `modèle'. L'intelligibilité<br />

'systémique' fonctionne par modélisation. On commence<br />

par avoir recours au modèle de fonctionnement qu’est la<br />

‘machine’. Seulement il s’agit ici d’une machine non-mécaniste.<br />

Une autre machine. Une machine de type cybernétique<br />

avec ses interactions auto-gouvernées. N'importe<br />

quel système peut donc être pris comme 'modèle'. <strong>Le</strong> modèle<br />

cybernétique trouve cependant sa particulière pertinence.<br />

Il s'agit encore d'une 'machine', seulement cette<br />

machine est différente, non mécaniste. Elle fonctionne avec<br />

des interactions auto-gouvernées.<br />

Englobant et englobé<br />

On voudrait commencer pas comprendre au plus près, au<br />

centre ou au point de départ... La compréhension commence<br />

au plus loin. Au commencement de la compréhension<br />

ne sont pas les 'longues chaînes de raisons' mais<br />

une totalité holistique. Comprendre, c'est boucler les<br />

boucles, 'englober'. Ma compréhension est toujours 'englobante'.<br />

La vérité se joue moins au 'dedans' qu'aux limites.<br />

L'argument ontologique, par exemple, est ici révélateur. Il<br />

prend un sens radicalement différent chez saint Anselme et<br />

chez Descartes. La pensée d' Anselme procède dans la<br />

totalité de l'englobant. Descartes part d'un point englobé.<br />

Typique de ce renversement schizoïde où le point de<br />

départ est nécessairement 'dans' la bulle.<br />

Déjà ma compréhension (englobante) est englobée. Déjà<br />

ma compréhension est comprise. <strong>Le</strong> plein crie famine. "Il<br />

manque quelque chose". La boucle ne se boucle pas. La<br />

16


ulle n'est pas auto-suffisante. Elle reste béante. Gödel<br />

décèle cette 'incomplétude' au cœur de ce que nous<br />

prenons pour le plus massivement logique, à savoir les<br />

mathématiques.<br />

L'approche systémique du réel nous met en garde contre<br />

les 'totalités' qui risquent toujours de n'être que des totalisations<br />

de nos limites.<br />

17


Approches<br />

19


Compréhension<br />

L'esprit questionne. L'esprit comprend. Deux mouvements complémentaires<br />

de la connaissance. C'est cependant la compréhension qui est le<br />

but. Et l'homme n'a de cesse d'élargir le champ de sa compréhension.<br />

Ce faisant il ne cesse de créer des bulles. Ainsi se constituent des<br />

'bulles' de compréhension. Celles-ci sont diverses et inégales parmi les<br />

humains. Une telle différence est la marque propre de la liberté. Mais<br />

chaque bulle particulière se trouve elle-même portée par une bulle plus<br />

englobante, plus 'comprenante', intégrée dans une théorie plus générale,<br />

située dans un espace mental plus large.<br />

Comprendre – cumprehendere – c'est rassembler une dispersion,<br />

embrasser une diversité, étreindre des différences. Comprendre, c'est<br />

boucler une boucle. Comprendre c'est concevoir – cumcipere – nouer<br />

un 'concept', former une représentation mentale. Comprendre c’est<br />

finalement aller jusqu’aux raisons des raisons pour, ultimement, comprendre<br />

les compréhensions elles-mêmes. La compréhension, cependant,<br />

traverse une explication. Expliquer – explicare – déplier, étaler à<br />

plat, enlever les plis, montrer les éléments et les articulations. A travers<br />

l'explication, la compréhension doit exclure. Eliminer les apparences, le<br />

superflu, les fausses raisons, le redondant, les hypothèses provisoires,<br />

etc. Dis-moi ce que tu intègres et ce que tu exclus et je te dirai qui tu<br />

es.<br />

Tous les systèmes que nous pouvons concevoir se trouvent déjà<br />

englobés dans un méta-système anthropologique. Déjà nos intelligibilités<br />

sont situées dans une plus englobante possibilité d'intelligibilité.<br />

Chaque compréhension comprise est portée et englobée par une<br />

compréhension comprenante.<br />

20


Béance<br />

L’humain, l’humain authentique, est ailleurs, plus loin, plus profond que<br />

les faciles superficies dans lesquelles nous risquons sans cesse de le<br />

cantonner. L’ordre du ‘même’ n’épuise pas, et de loin, la totalité. L’humain<br />

est béant sur un ordre qui n’est pas celui des évidences quotidiennes<br />

qui règnent en superficie. Là, les euphories vont au maximum<br />

d’être, d’avoir et de paraître.<br />

Un plein infini remplirait tout l'espace et ne laisserait sa chance à rien<br />

d'autre. La possibilité de nouveauté et partant de création ne se trouve<br />

qu'à travers les vides. L’essentiel advient là où il n’y a rien. Il surgit<br />

dans la béance comme la beauté du Parthénon ou le regard d’un<br />

visage... Mais déjà parler, n'est-ce pas faire être une présence à travers<br />

son absence? La parole ne dit que dans la faille des compacités.<br />

L’essentiel se dit entre les mots. Un texte parle entre les lignes...<br />

L’animal est sans doute trop plein d’animalité pour être béant sur<br />

l’esprit... Accéder à un ordre supérieur implique l’immense traversée<br />

d’un vide. L’homme, lui, ne cesse de l’expérimenter de mille manières.<br />

Pourquoi le chimpanzé ne s’humanise-t-il pas ? Bien des ‘causes’,<br />

physiques ou sociologiques, sont tour à tour avancées pour rendre<br />

raison de l’émergence du spécifique humain. Prises une à une, ces<br />

‘causes’ peuvent se trouver aussi bien chez tel ou tel vivant sans que<br />

pour autant leur présence s’accompagne d’humanisation.<br />

L’extraordinaire socialisation des termites ? L’enfance très prolongée du<br />

lapin ? <strong>Le</strong> poids relatif de l’encéphale du ouistiti, deux fois supérieur à<br />

celui de l’homme ? Il n’est pas évident que ce qui à l’origine distingue<br />

l’homme des autres mammifères anthropoïdes tienne dans un ‘plus’.<br />

Comme s’il manquait quelque chose au singe pour devenir homme.<br />

C’est plutôt le contraire qui a des chances d’être vrai. C’est en son<br />

manque que l’homme est devenu homme. C’est au creux de sa béance<br />

qu’a pu surgir l’humain. Ensuite le ‘plus’ peut venir par surcroît.<br />

22


La caverne<br />

L'espace de l'humain. L'humain habite un espace. Notre espace d'humanité.<br />

Aucun d'entre nous ne survit sans s'y désaltérer, sans s'y<br />

nourrir, sans y respirer. Pas seulement physiquement!<br />

L’allégorie de la caverne de Platon. La plus vertigineuse question<br />

jamais posée à l’homme. Un soupçon. Un étrange soupçon! La réalité<br />

vraie est-elle seulement ce que les hommes expérimentent dans<br />

l’espace ‘naturel’ qui est le leur depuis leur naissance ? Une si radicale<br />

question ne peut se dire qu’à la limite. Platon, au Livre Septième de la<br />

République, parle donc à travers une allégorie. Agoreuo-allos. Une<br />

parole qui crie un ‘ailleurs’ sur la place publique.<br />

<strong>Le</strong> réel derrière l'illusion... Ces cavernicoles enfermés depuis leur naissance<br />

peuvent-ils avoir le moindre doute sur ce qui leur paraît être le<br />

‘réel’ ? Manquant de toute référence à l’autre, ce même s’impose à eux<br />

comme un absolu. Il est seul à faire la loi sans la différence. L’autre<br />

Parole venue d’ailleurs n’a que peu de chances de se faire entendre au<br />

milieu de ces voix assurées et entendues. Elèverait-elle la voix que sur<br />

le champ elle se ferait expulser avec violence. D'ailleurs n'a-t-elle pas<br />

l’air ridicule en cet enfermement ? Cette mauvaise conscience de la<br />

caverne. Cette voix trouble-fête des euphories prisonnières. Et pourtant<br />

elle sait... Il faut donc sortir. C'est du `dehors' et du dehors seulement<br />

que le `tout' s'éclaire en vérité. Mais peut-on sortir jusqu'à l'infini ? Sans<br />

doute est-ce là `hybris' à jamais condamnée et qui pourtant ne doit pas<br />

condamner l'effort à la limite. La portée de l’allégorie est infinie. L’humain<br />

n’a pas fini de sortir de la caverne. L’humain n’a pas fini de faire<br />

son exode. Aujourd’hui plus que jamais. L'extrême décision de l'humain<br />

ne cesse de se jouer entre le clos et l'ouvert.<br />

24


<strong>Le</strong> clos et l’ouvert<br />

<strong>Le</strong>s concepts essentiels de notre condition peuvent se diviser en deux<br />

classes selon qu’ils sont ‘clos’ ou ‘ouverts’. <strong>Le</strong>s premiers nous permettent<br />

de devenir ‘maîtres et possesseurs’. Ils tendent vers un minimum<br />

de sens et un maximum de puissance. <strong>Le</strong>s seconds nous ex-posent et<br />

nous livrent à l’infinie béance. Ils tendent vers un maximum de sens et<br />

nous laissent avec un minimum de pouvoir.<br />

<strong>Le</strong> sens existentiel de l’humain se cherche à travers des concepts<br />

d’extrême béance comme Dieu, l’être, l’éternité, la facticité, l’existence,<br />

la mort, l’amour, la liberté, le mal... Concepts ‘incontournables’ au sens<br />

premier du terme. On ne peut en faire le tour. On ne peut proprement<br />

les com-prendre (cum-prehendere: étreindre, saisir ensemble).<br />

Une courbe a fondamentalement deux possibilités. Ou bien elle se fait :<br />

boucle qui se boucle sur elle-même. Ou bien elle se fait spirale qui<br />

s’ouvre à l’infini.<br />

Ou bien la consistance du même qui se boucle sur lui-même en sécurité.<br />

Ou bien la transcendance de l’autre infiniment ouvert. L’autre non<br />

seulement dans sa différence horizontale – celle qui, entre in, ex et<br />

cum instaure le déploiement quasi naturel – mais dans sa différence<br />

verticale – celle qui ouvre l’altérité absolue du trans – où l’humain et, à<br />

travers l’humain l’être, se décide ultimement, clos ou ouvert, pour le<br />

même ou pour l’autre. (cf. p.81-82 : les quatre dynamiques fondamentales.)<br />

L’ouvert crucifie le sérieux de tout discours et renvoie la parole à<br />

l’ailleurs d’elle-même. Reste un dire à la limite. Allégorie. Parabole.<br />

Poème.<br />

A moins de n’être que maison des morts, tombeau ou prison, une<br />

maison des vivants ne peut qu'être ouverte. Avec des entrées et des<br />

sorties. Une maison ouverte au souffle de l'Esprit. Au-delà de ce que<br />

nous prenons trop vite pour nos 'horizons indépassables'.<br />

26


Courbure<br />

Il est difficile de comprendre notre ‘modernité’ sans la comparer à ce<br />

qui la précède. C’est alors que le concept de ‘courbure’ révèle sa pertinence.<br />

Au delà de l'espace du géomètre ou du menuisier, il y a l'espace de<br />

l'humain. Cet espace n'est pas d'abord la simple structure spatiale<br />

abstraite et vide de la géométrie, c'est-à-dire celui d'Euclide à 'courbure<br />

zéro'. Il s'affecte au contraire d'une courbure qui peut être positive ou<br />

négative. Dès lors il n'est pas de projet humain qui ne soit informé par<br />

telle courbure.<br />

Quelle courbure ? On sait que la géométrie d’Euclide, c’est-à-dire la<br />

géométrie du menuisier ou celle de nos perceptions habituelles, n’est<br />

qu’une géométrie parmi d’autres géométries possibles. Ce fut le mérite,<br />

au siècle dernier, de mathématiciens comme Lobatchevski ou Riemann<br />

d’avoir établi que toute géométrie commence par s’inscrire dans un<br />

espace d’une certaine ‘courbure’. L’espace euclidien postule implicitement<br />

un espace à courbure nulle. Dans un tel espace, d’un point pris<br />

hors d’une droite on peut mener une seule parallèle à cette droite et la<br />

somme des angles intérieurs d’un triangle y est égale à deux droits.<br />

Mais cette courbure ‘zéro’ n’est qu’une des possibilités parmi d’autres<br />

possibles. On peut construire une géométrie tout aussi logique à partir<br />

d’un espace à courbure ‘positive’ comme le fait Riemann ou à courbure<br />

‘négative’ comme le fait Lobatchevski.<br />

Dans un espace à courbure ‘négative’, les parallèles ont tendance à<br />

s’ouvrir, s’éloignant l’une de l’autre. A partir d’un point pris hors d’une<br />

droite plusieurs parallèles peuvent donc être menées et la somme des<br />

angles d’un triangle est toujours plus petite que deux droits. Dans un<br />

espace à courbure ‘positive’, par contre, les parallèles ont tendance à<br />

se refermer et à se couper aux extrêmes. Donc d’un point pris hors<br />

d’une droite il est impossible de mener une parallèle à cette droite et la<br />

somme des angles d’un triangle est toujours plus grande que deux<br />

droits.<br />

28


Espace de la différence<br />

Pourquoi la différence ? Pourquoi pas le 'même' ? Pourquoi le déploiement<br />

différentiel ? Pourquoi la multiple différence ? Pourquoi l’émergence<br />

d’antagonismes ? Pourquoi pas la neutre in-différence ? Pourquoi<br />

cette inventivité permanente de la vie ? <strong>Le</strong> même œil évolue<br />

différemment dans les mollusques et les vertébrés. Pourquoi ces<br />

ontogenèses différentielles ? Pourquoi ce jeu ‘gratuit’ où toutes les<br />

formes s’essaient dans tous les sens ? Pourquoi le ‘meilleur’ sélectionné<br />

ne se stabilise-t-il pas une fois pour toutes ?<br />

C’est l’homme qui sort la nature de son in-différence. L’incroyable<br />

complexité de notre monde si infiniment différencié ne sort réellement<br />

de son in-différence qu'à partir de l'homme.<br />

Eternellement pourrait n’être qu’un infini ‘même’ indifférencié. Eternellement<br />

pourrait subsister un infini ‘il y a’ dans son identité. <strong>Le</strong> même<br />

absolu... Une telle pensée pourtant ne peut être qu’une fiction. <strong>Le</strong> fait<br />

de pouvoir penser ce conditionnel le contredit en même temps. Que<br />

serait en effet l’être sans la différence ? L’être absolument in-différent<br />

pourrait-il se différencier du silence et même du néant ? Mais déjà est<br />

la question. La plus petite possibilité du plus petit questionnement déjà<br />

sort l’être de l’indifférence. Déjà est la parole. Déjà est la parole qui<br />

articule différentiellement des significations différentielles. Déjà n’est<br />

pas le même in-différent. Déjà l’autre fait irruption. Déjà est la<br />

différence. Avec sa double dramatique, ontologique et logique, d’une<br />

béance et d’un désaccord. En même temps la différence ouvre une<br />

plénitude. Elle expose aux dépassements. Il n’est pas d’espérance<br />

sans traversée de la différence<br />

Mortelle in-différence. Sans différence, sans différence de potentiel,<br />

l'énergie atteint son point zéro. Et partant notre mortalité. Cette loi se<br />

vérifie à tous les niveaux de l'humain, depuis le plus matériel jusqu'au<br />

plus spirituel. Que deviendrait notre monde sans les grandes différences<br />

entre bien et mal, entre erreur et vérité, entre Dieu et Néant,<br />

entre sacré et profane, entre ciel et terre, entre juste et injuste, entre<br />

sens et non-sens, entre besoin et création, entre relatif et absolu, entre<br />

immanence et transcendance, entre réel et idéal, entre ce qui est et ce<br />

qui doit être, entre liberté et oppression, entre péché et grâce... ?<br />

30


Dehors – Dedans<br />

La réalité et le fonctionnement de l'humain, en commençant par son<br />

intériorité, peuvent être considérés comme <strong>systémiques</strong> à l'image de<br />

n'importe quel système organique vivant. Il fonctionne selon le paradigme<br />

de tout `système' doué d'une entrée, d'une sortie et d'une fonction,<br />

en interaction avec d'autres systèmes englobés ou englobants.<br />

Avec des frontières qui marquent la différence entre un `dedans' et un<br />

`dehors', entre une `clôture' et une 'ouverture'<br />

Au 'dedans' les dynamiques de la pensée et de l'action tendent à<br />

converger en courbure positive dans une sorte de champ de gravitation.<br />

Au 'dehors' ces mêmes dynamiques divergent. Dans l'ouvert d'un<br />

infini. Mais le 'dehors' n'invite pas à la résidence. Il appelle à l'aventure<br />

!<br />

Notre esprit semble plus à l'aise dans le 'dedans' que dans le 'dehors'.<br />

Nos réflexes scolastiques ou académiques ne trouvent-ils pas leur<br />

plaisir à mettre en ordre, à ranger, à classifier, à classer, à étiqueter, à<br />

inventorier, à enregistrer, à répertorier, à recenser, à cataloguer, à coter,<br />

à entretenir, à conserver, à stocker ?<br />

<strong>Le</strong> rêve sous-jacent de notre modernité (et son illusion) n'est-il pas un<br />

'dedans' absolu sans 'dehors' et sans possible 'dehors' ? L'impossible<br />

englobé qui s'englobe lui-même en oubliant l'incontournable englobant...<br />

La division entre ‘dedans’ et ‘dehors’ passe en même temps entre<br />

‘même’ et ‘autre’. Deux catégories fondamentales. <strong>Le</strong> même tend logiquement<br />

à se boucler sur lui-même en excluant l’autre divergent et<br />

différent.<br />

32


Révolution copernicienne<br />

On sait que la ‘révolution copernicienne’ renverse l’antique image du<br />

monde. Notre terre n’est plus le centre de la sphère céleste. Désormais<br />

elle gravite, simple planète parmi d’autres planètes, autour d’un nouveau<br />

centre.<br />

Une ‘révolution’ identique s’opère dans le rapport de l’être et du connaître.<br />

Ce qui était centre est mis en orbite. Ce qui était satellite se met<br />

au centre.<br />

Jusqu’alors c’était l’être qui était central. Désormais c’est le connaître<br />

qui devient centre. <strong>Le</strong> pensable et le possible de l’homme étaient définis<br />

par l’être. Désormais, c’est l’être qui est défini par le pensable et le<br />

possible de l’homme. Ce n’est plus le réel objectif préexistant à sa<br />

saisie par l’homme qui a la primauté mais le ‘je’ connaissant humain.<br />

Cette ‘révolution’ est infiniment lourde de conséquence. Elle assigne au<br />

pensable et au possible de l’homme son nouvel espace de gravitation<br />

et son nouveau centre de gravité. De proche en proche une multitude<br />

de renversements.<br />

De la transcendance à l’immanence. De l’infini à la finitude. De l’absolu<br />

au relatif. De l’être à la phénoménalité. Du logos à la discursivité. De la<br />

valeur à l’affect. De l’objectivité à la subjectivité. Du sens à la structure.<br />

De l’essence au mot. De la vérité à la simple non-contradiction. De la<br />

lumière à la lucidité...<br />

34


Intégration – Exclusion<br />

Chaque espace d'humanité – qu'il soit personnel, social ou culturel – intègre<br />

et exclut. Il intègre ce qui est compossible avec ses préalables. Il<br />

exclut ce qui refuse cette intégration.<br />

Entre cette intégration et cette exclusion se joue en fait son originalité.<br />

Dis-moi ce que tu intègres et ce que tu exclus et je te dirai qui tu es.<br />

L'esprit questionne. L'esprit comprend. Deux mouvements complémentaires<br />

de la connaissance. C'est cependant la compréhension qui est le<br />

but. Et l'homme n'a de cesse d'élargir le champ de sa compréhension.<br />

Comprendre c'est intégrer. Cum-prehendere, saisir ensemble. Rassembler<br />

une dispersion, embrasser une diversité, étreindre une multiplicité.<br />

Comprendre c'est concevoir. Cum-cipere, nouer un 'con-cept', former<br />

une représentation mentale.<br />

Comprendre c’est exclure. Eliminer les apparences, le superflu, les<br />

fausses raisons, le redondant, les hypothèses provisoires, etc.<br />

Comprendre c’est finalement aller jusqu’aux raisons des raisons pour,<br />

ultimement, comprendre les compréhensions elles-mêmes.<br />

<strong>Le</strong>s ‘bulles’ de compréhension sont diverses et inégales parmi les<br />

humains. Une telle différence est la marque propre de la liberté.<br />

36


Culture<br />

<strong>Le</strong> milieu humain existe chaque fois comme espace de l'humain constitué<br />

en telle région du globe et à tel moment de l'histoire. Espace de la<br />

culture constituée avec ses spécificités et son originalité. Espace de la<br />

raison constituée avec ses possibilités et ses impossibilités épistémologiques<br />

et pragmatiques. Espace de la parole constituée à travers les<br />

philosophies et les lettres. Espace du savoir constitué à travers les<br />

sciences ou les mythes. Espace de la sensibilité constituée à travers<br />

les arts, les modes, les séductions... Espace des constructions. Espace<br />

des innovations. Espace des surgissements. Espace des décadences.<br />

Espace des techniques. Espace des réseaux et des communications.<br />

Espace des affrontements. Espace du désir. Espace des croyances.<br />

Espace des rêves. Espace des projets. Espace des valeurs. Espace<br />

des utopies...<br />

Une culture engendre de plus en plus de différences. Mais déjà elle ne<br />

se constitue qu’à partir d’une concentration de différences. A l’origine<br />

des multiples cultures historiquement apparues il y a cette condition<br />

nécessaire bien que non suffisante de quelque chose comme une<br />

‘oasis’ de densité humaine, le long d’un fleuve nourricier, par exemple,<br />

ou bien dans une plaine fertile. Toute culture est inséparable d’une agriculture<br />

qui sédentarise une concentration humaine croissante. Aucune<br />

grande culture ne s’est constituée sans céréale, ce concentré miraculeux<br />

de glucides, de protides et de lipides avec ses sels minéraux et<br />

ses vitamines...<br />

Ce milieu humain concentré intègre un maximum de différences personnelles,<br />

puisque l’homme est la seule espèce où les individualités se<br />

différencient fortement et se différencient d’autant plus fortement qu’ils<br />

forment une plus grande communauté. C’est une telle communauté<br />

étreignant un maximum de différence qui devient source de culture<br />

marquante. Une telle concentration communautaire induit toute une<br />

série d’autres diversifications et d’autres intensifications comme par<br />

exemple la différenciation des tâches ou la production plus intensive de<br />

subsistance. C’est toujours une différence concentrée en même temps<br />

qu’une concentration différenciée qui fait ce mélange détonnant provocateur<br />

d’humanité.<br />

38


Cultures plurielles<br />

La culture et les cultures. Au singulier, ‘la’ culture s’identifie avec la matrice<br />

universelle du spécifique humain, culture constituante interactivement<br />

humanité constituante. Concrètement cependant elle ne se<br />

manifeste qu’à travers le pluriel de la différence des espaces et des<br />

temps, en autant de cultures constituées. Sur fond d’éternel humain,<br />

sur fond d’universelle culture constituante, chaque culture particulière<br />

se constitue dans la différence comme création originale. <strong>Le</strong>s cultures<br />

sont multiples et différentes. Pourtant elles ouvrent toutes l’homme à<br />

l’universel de la culture.<br />

Chaque culture particulière, située dans un lieu géographique et se<br />

déployant dans une durée historique, peut ainsi se comprendre concrètement<br />

comme espace culturel. La culture existe d’abord comme un<br />

‘milieu’ de vie. Elle se vit avant de s’expliciter. On s’y reconnaît sans<br />

forcément la connaître. C’est dans le sein de sa culture que chaque<br />

homme est chez lui. Elle est comme sa maison paternelle hors de<br />

laquelle il se sent toujours quelque peu étranger et dont il ne prend<br />

pourtant réellement conscience que dans la distance par rapport à elle.<br />

Chaque culture particulière fonctionne à l’intérieur d’un champ culturel.<br />

Chaque culture personnelle dans le champ culturel d’une région à un<br />

moment historique donné. Celui-ci dans un champ culturel géographiquement<br />

et historiquement plus étendu. Ensembles emboîtés interactivement<br />

dans des ensembles de plus en plus larges jusqu’à l’ensemble<br />

des ensembles englobant de la totalité de l'humain. Ces différents<br />

systèmes culturels, jusqu’en leur totalité systémique, sont à la fois<br />

producteurs et consommateurs de sens. Ce ne sont pas des systèmes<br />

clos mais des systèmes ouverts.<br />

40


L’espace autour<br />

Dis-moi ton englobant. J'entends l'ultime espace hors duquel il n'y a<br />

plus pour toi que vide et in-différence. Donc l'espace total de la 'maison'<br />

que tu habites et qui te donne tout ce dont tu as besoin (matériellement,<br />

socialement, psychologiquement, intellectuellement, spirituellement)<br />

pour vivre et pour survivre. Ton absolu 'oïkos'.<br />

La clé de l'intelligibilité de l'humain ne se trouve pas dans le contenu<br />

englobé mais dans le tout englobant. L'intérieur ne devient intelligible<br />

pleinement qu'à partir de l'extérieur. C'est du `dehors' et du dehors<br />

seulement que le `tout' s'éclaire en vérité. <strong>Le</strong> tout est plus essentiel que<br />

les parties. La forêt explique les arbres et non pas l'inverse. <strong>Le</strong><br />

généraliste voit au-delà du spécialiste.<br />

Mais comment mesurer un espace à l’intérieur de cet espace luimême<br />

? Car nous sommes embarqués. La théorie de la relativité einsteinienne<br />

peut servir de paradigme. La ‘longueur’ de nos mètres et la<br />

‘durée’ de nos horloges terrestres sont nécessairement ‘déformées’ de<br />

par leur localisation spatio-temporelle. Nous ne mesurons jamais qu’à<br />

la mesure de nos déformations. Cela exige une ‘sortie’ mentale. Il faut<br />

donc sortir. L’intérieur ne devient intelligible pleinement qu’à partir de<br />

l’extérieur. C’est du ‘dehors’ que vient la lumière.<br />

42


Entre alpha et oméga<br />

Nous n’existons jamais qu’entre. Entre des frontières qui délimitent nos<br />

possibilités épistémologiques et pragmatiques. C’est là, en notre ‘milieu’<br />

entre des ‘extrêmes’, que nous nous efforçons à connaître et à<br />

agir. C’est là que se déploient notre science et notre technique. C’est là<br />

que nous construisons et organisons notre monde.<br />

La question, cependant, ne peut pas ne pas hanter l’esprit humain qui<br />

n’arrive jamais à se sentir complètement chez lui dans la seule bulle de<br />

ce qui est pour lui connaissable et possible.<br />

Que de mystères nous englobent ! Et que de questions. Déjà sur le<br />

plan de la simple nature matérielle. L'univers est-il réellement système,<br />

méga-système, ou est-il irréductible pluralité éparpillée ? Notre possible<br />

épistémologique par rapport à l'univers est-il total ou simplement<br />

régional ? L'univers, qu'il soit total ou régional, est-il intelligible de façon<br />

homogène ou hétérogène ? Qu'est-ce que réellement la ‘matière’ ?<br />

Qu'est-ce que l'énergie ? Qu'est-ce que l'espace-temps ? <strong>Le</strong> temps estil<br />

absolument irréversible ? <strong>Le</strong> cosmos est-il un ou bien y a-t-il pluralité<br />

des mondes ? Cette éventuelle pluralité est-elle fondamentalement<br />

complémentaire ou antagoniste ? Existe-t-il des anti-univers ? <strong>Le</strong>s<br />

interactions que nous connaissons (et que nous unifions), sont-elles les<br />

seules interactions ?<br />

Et plus fondamentales encore, ces questions à la frontière de la physis.<br />

Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Qu’est-ce que l’acte<br />

d’être ? Que veut dire fondamentalement ‘il y a’ ? Qu’est-ce que l’existence<br />

? Qu’est-ce que la création ? Qu'est-ce que la nécessité ?<br />

Qu'est-ce que le hasard ?<br />

Et encore plus loin. Qu’est-ce que l’esprit ? Sa foncière insatisfaction.<br />

Sa quête incessante. La raison. L’exigence rationnelle. <strong>Le</strong> mystère de<br />

la parole. La possibilité de questionner à l’infini. La valeur. La vérité.<br />

L’infinie critique de la critique. La protestation irrépressible de la justice.<br />

La pertinence ou l’impertinence des béances...<br />

44


Englobant<br />

L’humain est incapable de vivre hors du sens. Or le sens n’est pas à<br />

partir de rien. Tout sens se donne toujours à partir d’un sens englobant<br />

plus grand et plus fondamental. Déjà la simple possibilité de dire: “c’est<br />

absurde” présuppose quelque chose comme une englobante possibilité<br />

de sens. Et ultimement, le SENS DU SENS.<br />

Dis-moi ton englobant. J'entends l'ultime espace hors duquel il n'y a<br />

plus pour toi que vide et indifférence. Donc l'espace total de la 'maison'<br />

que tu habites et qui te donne tout ce dont tu as besoin (matériellement,<br />

socialement, psychologiquement, intellectuellement, spirituellement)<br />

pour vivre et pour survivre. Ton absolu 'oïkos'.<br />

La clé de l'intelligibilité de l'humain ne se trouve pas dans le contenu<br />

englobé mais dans le tout englobant.<br />

Derrière la multiplicité des espaces englobés, quel est l'ultime espace<br />

englobant, c'est-à-dire finalement l'espace du sens du sens ?<br />

Totalité : finie ou infinie<br />

Archéologiquement : IL Y A ou JE SUIS<br />

Espace : clos ou ouvert<br />

Temporalité : cyclique ou vectorielle<br />

Immanence ou Transcendance<br />

Même ordre ou Ordres différents<br />

Homme ou Dieu<br />

?<br />

46


<strong>Le</strong> milieu et les extrêmes<br />

La raison scientifique est comme une ‘bulle’ qui flotte sur un infini. Sa<br />

cohérence sphérique occupe le vaste espace du milieu. <strong>Le</strong>s extrêmes<br />

en sont exclues. Quel sens, cependant, peut-il avoir, le milieu, sans ses<br />

extrêmes ?<br />

Quelle est la raison de la raison ? Une telle question prend la critique<br />

de court. Elle marque un arrêt impuissant car une telle question déborde<br />

le possible de la raison elle-même et ouvre un infini béant. Voici la<br />

raison saisie de vertige. Pourtant une telle question n’a rien d’irrationnel.<br />

Chercher la raison est pourtant un questionnement qui s’identifie à la<br />

raison elle-même. Pourquoi alors ce vertige impuissant ? La raison, en<br />

effet, touche ici une antinomie radicale. Elle est questionnement de<br />

raison à l’infini, critique et critique de la critique à l’infini, possibilité<br />

conquérante ouverte à l’infini. En même temps l’ouverture infinie de son<br />

acte bute sur la clôture tautologique de son être-même: la raison de la<br />

raison c’est la raison. Il y a la raison. L’archè résiste à la naturelle cture<br />

rationnelle. Comme son irréductible altérité. La raison de la raison.<br />

Mais aussi la raison de l’être. Et l’être de l’être...<br />

<strong>Le</strong> sens existentiel s'identifie avec la raison d’exister, la raison de vivre,<br />

la raison d’être embarqué. Au-delà de son acception simplement abstraite<br />

et intellectuelle, il faut lui rendre toutes ses dimensions concrètes.<br />

L’échec. La mort. <strong>Le</strong> scandale... Etre expulsé du ‘milieu’ et projeté vers<br />

les ‘extrêmes’. Lorsque les ponts sont brûlés, reste une absolue béance<br />

où le sens peut se donner absolument. <strong>Le</strong>s grandes ‘conversons’ en<br />

témoignent.<br />

Entre to be or not to be... A l’encontre de l’absurde, de la déraison, du<br />

non-sens. Savoir où l’on va. Ne manquer ni de boussole ni de référentiel.<br />

Etre paré pour affronter les tempêtes. Une réponse au ‘pourquoi’<br />

multiforme et en même temps unique que l’humain ne peut pas ne<br />

pas se poser lorsqu’il prend conscience de sa condition.<br />

48


Déjà<br />

Déjà... C'est-à-dire avant que je n'intervienne. Déjà est ce qui me précède,<br />

ce qui me dépasse, ce que je n’arrive jamais ni à intégrer ni à<br />

englober, donc à ‘com’-prendre. Précédant, entourant, englobant mon<br />

être et mes possibilités déjà est ce dont je ne dispose pas et qui<br />

dispose de moi.<br />

Déjà est la matière. Déjà est la rationalité du réel. Déjà est la logique.<br />

Déjà est la pensée. La matière peut-elle expliquer l’existence de la<br />

matière ? La rationalité du réel peut-elle expliquer l’existence de cette<br />

rationalité ? La logique peut-elle expliquer l’existence de la logique ? La<br />

pensée peut-elle expliquer l’existence de la pensée ?<br />

Déjà est ‘il y a’... Un aveu d’impuissance devant l’ultime facticité. L’esprit<br />

peut-il s’en satisfaire ? Pourquoi y a-t-il ?<br />

Déjà est la pensée. Pour vérifier objectivement l'hypothèse matérialiste<br />

il faudrait personne qui ne pense ! Autrement le jeu est faussé. Mais<br />

déjà nous sommes embarqués dans le logos. Déjà le même se creuse<br />

en béance. Déjà nous sommes et pensons à partir de la différence.<br />

Déjà est la vie. Réduire la vie à la structure ? Réduire le sens à l'articulation<br />

? Mais de telles tentatives sont pipées ! Parce que, déjà, est la<br />

vie. Parce que, déjà, est l'homme.<br />

Déjà le ‘plus’ est au départ ! L’entropie ne peut être vaincue que par<br />

néguentropie. <strong>Le</strong> ‘moins’ ne peut expliquer le ‘plus’ que parce que,<br />

déjà, le ‘plus’ le précède.<br />

Avant de comprendre, déjà tu es compris. Ici on voudrait pouvoir partager<br />

l’expérience et la certitude fondamentale d'un Saint Augustin. Dieu<br />

existe avant que tu n'existes. Déjà Dieu est là. Déjà tu n’existes que<br />

dans l’englobant divin. Sa présence précède la rencontre. La rencontre<br />

précède la conscience que tu peux en avoir.<br />

Nous ne sautons jamais par-dessus un « à partir de ». Toutes nos possibilités<br />

de penser et d’agir ne peuvent jamais être qu’à partir d’un déjàlà.<br />

Notre possible, quels que soient les progrès à venir, reste irrémédiablement<br />

béant sur un préalable englobant.<br />

50


Ultime englobant<br />

Chaque espace humain, ultimement, se constitue à partir d'options fondamentales<br />

sur les enjeux fondamentaux.<br />

Dis-moi le sens englobant derrière les multiples sens englobés qui<br />

régissent ton existence concrète. C'est-à-dire l'espace total de la<br />

'maison du sens' que tu habites et qui te donne ultimement le souffle<br />

pour vivre et pour survivre<br />

L'extrême englobant du sens ne peut-il ultimement ne pas se confondre<br />

avec Dieu ? Mais une fois rompue la grande alliance avec le divin et<br />

brisé le lien théo-onto-logique, l'humain se boucle en sa boucle et<br />

instaure sa 'bulle'. <strong>Le</strong> strict possible humain en stricte immanence.<br />

Dès lors Dieu n’est plus l’ultime englobant. Il est lui-même englobé<br />

dans un plus englobant que lui. Il relève désormais du seul possible<br />

humain. Et ce possible le déclarera de plus en plus comme impossible.<br />

Dans la meilleure des hypothèses une chance lui est laissée aux<br />

limites. Ainsi pour Kant, au-delà des possibilités ‘théoriques’ de la<br />

raison, s’impose un impératif catégorique. Une pure exigence ‘pratique’.<br />

Et celle-ci ne peut pas ne pas postuler au-dehors de la sphère du<br />

possible de l’homme un quelque chose qui prend nom Dieu, et liberté,<br />

et immortalité. Non plus certitude. Simple postulat.<br />

A travers sa ‘révolution copernicienne’ anthropocentrique la modernité<br />

se refuse la possibilité d’un sens plus englobant qu’elle-même, et,<br />

partant, le don d’un sens qui ne soit pas sa propre production.<br />

Il s'agit d'un gigantesque renversement par rapport aux âges précédents.<br />

<strong>Le</strong> sens n’est plus donné objectivement mais se donne en<br />

subjectivité. Il y avait un espace du sens total capable d’intégrer les<br />

sens particuliers; désormais le sens désintégré éclate en multiples<br />

sens. <strong>Le</strong> lien du sens était donné à partir des ‘extrêmes’; il veut se<br />

nouer maintenant à partir du ‘milieu’. L’étrange renvoyait vers les<br />

extrêmes de l’être; il envahit désormais le cœur de l’être. <strong>Le</strong> questionnement<br />

se faisait ‘dans’ la réponse; maintenant toute réponse se dilue<br />

dans le questionnement.<br />

52


Ecologie<br />

Non pas l’idée un peu fade récupérée, ici et là, en faciles idéologies.<br />

Mais la tâche la plus haute et sans doute le plus grand défi lancé à<br />

notre temps. On pense d’abord aux simples possibilités de survie matérielle.<br />

<strong>Le</strong>s possibilités de survie d’authentique humanité sont encore<br />

beaucoup plus menacées.<br />

Oïkologie. <strong>Le</strong> `logos' invité en notre `oïkos'. C'est-à-dire en notre maison<br />

d'humanité. C'est-à-dire dans toute la maison de l'humain. C'est-àdire<br />

dans la maison de tout l'humain.<br />

Il vient et nous force à réfléchir sur nos clôtures et nos ouvertures. Il<br />

vient lorsque nous prenons conscience que nos puits sont obstrués et<br />

nos sources polluées. Elle vient lorsque les flux énergétiques se font<br />

insuffisants et que les réservoirs se vident. Elle vient lorsque les<br />

éboueurs ne suffisent plus à la tâche. Elle vient lorsque nous nous<br />

sentons vivre au-dessus des possibilités d'approvisionnement et de<br />

recyclage de notre terre. Il vient et nous force à réfléchir sur nos<br />

clôtures. Il vient nous faire prendre conscience des frontières et des<br />

limites. Il vient nous rappeler que le dedans n'est possible que par le<br />

dehors. Il vient dissiper nos illusions.<br />

Pourquoi l'humain n'arrive-t-il pas à se réconcilier avec l'humain ? Pourquoi<br />

toutes nos idéologies optimistes finissent-elles par se retrouver si<br />

lamentablement dans les poubelles de l'histoire ? Une réponse sans<br />

cesse insiste. Et elle est seule à résister à sa négation. Elle crie la<br />

raison de l'échec et l'urgence d'une conversion. L'humain n'est pas à<br />

partir de lui-même, clos en lui-même.<br />

La tentation est permanente de ne considérer la maison de l'humain<br />

que dans son état de nature. Cependant elle ne s'accomplit pleinement<br />

que dans son état de grâce.<br />

54


<strong>Le</strong> système<br />

Ce qui d’un ensemble fait fondamentalement un système, c’est son<br />

organisation. <strong>Le</strong> système ne se comprend pas à partir de ses éléments<br />

constitutifs, ni des liaisons entre ces éléments, ni même des interactions<br />

entre ces liaisons, mais essentiellement en fonction de ses<br />

spécificités organisationnelles. C’est en tant qu’organisé, et en tant<br />

qu’organisé seulement, que le système est rebelle à la réduction en ses<br />

éléments et transcende la juxtaposition quantitative de la multiplicité et<br />

de la diversité qui le compose. Dans cette unité complexe organisée le<br />

tout est toujours plus que la somme des parties, l’organisation leur<br />

conférant en quelque sorte un supplément d’être, de fonctionnement et<br />

d’action incommensurable aux parties seules. Mais déjà la partie y est<br />

plus que la partie. <strong>Le</strong> tout organisé est émergence nouvelle.<br />

Atome de structure d’un système. Un micro-système non bouclé. Sa<br />

plus simple expression est celle d’une ‘vanne’ électronique, un transistor,<br />

par exemple. Il a trois portes: une entrée, une sortie et une ligne de<br />

commande. On applique une grandeur physique à l’entrée. Une autre<br />

grandeur physique apparaît à la sortie en fonction de la grandeur<br />

physique appliquée. Entrée, sortie et ligne de commande sont donc<br />

comme trois portes qui ouvrent le système sur un ‘extérieur’.<br />

Du plus simple microsystème au plus complexe des macrosystèmes, et<br />

quel que soit son degré d'emboîtement systémique, c'est la fonction qui<br />

caractérise un système. Et ces fonctions peuvent être d'une incroyable<br />

diversité.<br />

56


Différence de potentiel<br />

Un système vivant ne peut fonctionner qu’en étant ouvert sur des<br />

échanges. Il ne survit qu’avec portes et fenêtres, c’est-à-dire avec des<br />

entrées et des sorties. <strong>Le</strong>s grandes entrées et les grandes sorties,<br />

celles qui ‘branchent’ un système sur ses flux vitaux d’énergie, de<br />

matière et d’information, peuvent s’appeler ‘source chaude’ et ‘puits<br />

froid’. Il ne peut y avoir de dynamique systémique que s’il existe entre<br />

source chaude et puits froid une différence de potentiel.<br />

Bien que d'un autre ordre, la réalité spirituelle telle que l'humain peut<br />

l'appréhender, ne quitte pas le sein de la nature. Il doit donc être possible<br />

d'appréhender son fonctionnement sur le modèle de celui des<br />

réalités matérielles. D'où le très grand intérêt de passer par l'intelligibilité<br />

de la systémique spirituelle. L’énergie spirituelle ne ‘fonctionne’<br />

pas différemment de l’énergie tout court. <strong>Le</strong>s raisons profondes de sa<br />

vie et de sa mort sont de l’ordre de l’entropie et de la néguentropie.<br />

<strong>Le</strong> paradigme thermodynamique les met en lumière. Entre déclins et<br />

renaissances. Entre fatigue et vitalité. La dégradation de l’énergie<br />

spirituelle. <strong>Le</strong>s ressourcements prophétiques d’une ‘foi’ commune. <strong>Le</strong>s<br />

capteurs bien ou mal orientés. <strong>Le</strong>s réservoirs vides ou pleins. <strong>Le</strong>s<br />

recyclages possibles ou impossibles. La vitalité ou les renaissances<br />

impliquent haute énergie spirituelle et grande dynamique néguentropique.<br />

<strong>Le</strong>s déclins prennent la pente en sens inverse. Mortelles indifférences<br />

!<br />

Dis-moi ton puits froid et je te dirai la force qui t’habite. La 'source<br />

chaude' reste stérile tant qu'elle ne rencontre pas, en face d'elle, un<br />

'puits froid'. Car l'énergie est fille de la différence de potentiel entre les<br />

deux.<br />

Mortelle indifférence... <strong>Le</strong> sens, fils de la différence, fonctionne entre<br />

une source chaude et un puits froid. Sa dynamique est fonction de<br />

cette différence de potentiel. Plus elle est grande, plus le sens est<br />

pertinent.<br />

58


Réservoirs d’énergie spirituelle<br />

<strong>Le</strong>s réservoirs d'énergie spirituelle prennent une importance capitale<br />

dans le fonctionnement `systémique' du Souffle, entre Source chaude<br />

et Puits froid. Même si la Source chaude venait à perdre de son<br />

énergie, le moteur peut continuer à tourner, au moins durant un certain<br />

temps. A condition que les réservoirs ne soient pas vides.<br />

Aucun système ne peut fonctionner avec des accumulateurs à plat. <strong>Le</strong><br />

`système' humain moins que tout autre. C'est parce que ses réservoirs<br />

d'énergie spirituelle et de ressources d'humanité ne sont pas vides et<br />

restent malgré tout encore `branchés' sur la source chaude que<br />

l'humain est capable de traverser sans mourir des espaces désertiques<br />

où le sens s'étiole et où l'absurde prolifère. Mais si les réserves<br />

s’épuisent ?<br />

La méconnaissance de l'importance des réservoirs d'énergie spirituelle<br />

peut entretenir de fallacieuses illusions. Celle, entre autres, de croire à<br />

une `génération spontanée' du souffle là où c'est en fait l'énergie<br />

`accumulée', peut-être durant de longs siècles précédents, qui continue<br />

d'alimenter la différence de potentiel et d'empêcher ainsi ‒ pour combien<br />

de temps ? ‒ l'asphyxie.<br />

Toute culture, collective ou personnelle, accumule des réserves de<br />

sens sous des formes très diverses et complémentaires. Il suffit d'en<br />

évoquer ici quelques-unes. Ainsi la masse des `coutumes' et des<br />

`traditions' d'une famille ou d'un peuple. <strong>Le</strong>s `valeurs' transmises de<br />

génération en génération. <strong>Le</strong>s `monuments' laissés par l'histoire. <strong>Le</strong>s<br />

`modèles' d'action et de comportement. <strong>Le</strong>s `pourvoyeurs de sens' que<br />

sont les `sages', les `héros' ou les `saints'. <strong>Le</strong>s `œuvres' d'art et leur<br />

rayonnement esthétique. <strong>Le</strong>s `paysages' qui inspirent...<br />

60


Interrelation systémique<br />

Chaque système est en interaction avec d’autres systèmes <strong>Le</strong> tout<br />

fonctionnant dans un plus grand système englobant.<br />

<strong>Le</strong>s différents systèmes s’emboîtent, chaque fois intégrés dans un<br />

système plus englobant et, à leur tour, englobant un sub-système en<br />

leur dépendance. Chaque système accapare des flux positifs et rejette<br />

des flux négatifs, et cela dans l’espace de son système englobant. Un<br />

système englobé ne survit et a fortiori ne grandit que si son solde<br />

énergétique global est positif. Cela ne peut se faire qu’au détriment de<br />

son système englobant. Celui-ci, à son tour, ne survit que sur le compte<br />

du système qui l’englobe lui-même. Et ainsi de suite.<br />

Un système vivant est une ‘structure’ qui ne peut fonctionner qu’en<br />

étant essentiellement ouverte sur des échanges. Elle ne survit qu’avec<br />

portes et fenêtres. C’est-à-dire avec des entrées et des sorties.<br />

Cette essentielle ouverture ne se nie que sous peine de mort. Un système<br />

peut certes fonctionner en clôture. Mais seulement pour un<br />

temps. Toute autonomie est ici fonction de réserves disponibles. Un<br />

système ne peut se fermer que s’il a des réservoirs garnis et des<br />

possibilités de recyclage interne de ses déchets.<br />

A chaque niveau systémique, il y a une entrée et une sortie en liaison<br />

interactive avec les entrées et les sorties des autres systèmes, englobés<br />

et englobants, pour l’incessant échange des flux d’alimentation,<br />

d’élimination, d’information, de régulation, de programmation...<br />

<strong>Le</strong> système ne renvoie pas à la partie élémentaire. <strong>Le</strong> système renvoie<br />

au système. Il y a comme un emboîtement interactif des systèmes des<br />

plus petits aux plus grands. Entre le plus petit micro-système possible<br />

et la totalité du macro-système cosmique, ‘un’ système est chaque fois<br />

un ensemble qui fonctionne à partir d’autres ensembles dans un plus<br />

grand ensemble. Ainsi la nature: une solidarité de systèmes enchevêtrés,<br />

un tout poly-systémique.<br />

62


La source chaude de nos sources chaudes<br />

Face au puits froid, le surplombant en quelque sorte, se tient la source<br />

chaude de nos énergies spirituelles. Ses manifestations sont elles<br />

aussi infinies. La foi. La certitude. La lucidité. La joie. L'espérance. La<br />

paix. Agapè. La générosité. L'inspiration. La conversion. L'enthousiasme...<br />

Cette source chaude peut-elle être ultimement ailleurs qu'en<br />

Dieu ? Tu peux certes vivre en ignorant ta source chaude. Elle, elle ne<br />

t'ignore pas. Sous peine de mort !<br />

La source chaude est là où est l'éternelle jeunesse de l'esprit,<br />

l'exigence de sens et de vérité, l'appel de lumière, l'inlassable provocation<br />

vers plus loin et plus haut. <strong>Le</strong> puits froid est du côté de la<br />

dépression, de l'asthénie, de la fatigue, de la paresse, de l'indifférence,<br />

de l'ignorance crasse, de l'abrutissement, des démissions... <strong>Le</strong> questionnement<br />

face à l'ignorance, l'intelligence face à la bêtise, le certitude<br />

face au doute, la clarté face à la confusion, la raison face aux incohérences,<br />

le sens face à l'absurde...<br />

64


<strong>Le</strong> sens du sens. <strong>Le</strong> souffle du souffle<br />

Dis-moi le sens englobant derrière les multiples sens englobés qui<br />

régissent ton existence concrète. C'est-à-dire l'espace total de la 'maison<br />

du sens' que tu habites et qui te donne ultimement le souffle pour<br />

vivre et pour survivre. <strong>Le</strong>s différents niveaux de sens s’emboîtent. Un<br />

‘pourquoi’ n’est pas forcément l’ultime ‘pourquoi’. Il reste encore et<br />

encore un pourquoi du pourquoi. Chaque sens constitué vit ainsi par<br />

grâce d'un sens constituant. Il se donne dans l'espace d’un sens plus<br />

grand et plus fondamental qui l'englobe et le porte. Ce sens constituant<br />

est tellement discret qu’il ne se manifeste pas habituellement en pleine<br />

lumière. Il est comme l'âme dans un corps. Il reste toujours pauvre face<br />

à la richesse des sens constitués.<br />

L'extrême englobant du sens ne peut ultimement que se confondre<br />

avec cet extrême que nous appelons Dieu. Si Dieu était un ‘ce que’<br />

définissable et compréhensible, il relèverait du même ordre que n’importe<br />

quel ‘objet’ de connaissance ou d'action. En tant qu’objet de<br />

‘science’, il se trouverait quelque part le long ou au bout d’une ‘longue<br />

chaîne de raisons’. Une telle compréhension serait sous le signe de la<br />

nécessité logique. Elle s’imposerait à n’importe quel esprit utilisant la<br />

bonne méthode.<br />

Mais Dieu n’est pas un ‘ce que’ objectivable. Sous peine de se nier<br />

comme Dieu, il ne peut être qu’absolu non-objet. Pur ‘Que’ sans ‘ce<br />

que’. Donc in-saisissable, in-compréhensible, proprement impensable.<br />

L’ultime sens englobant, le sens du sens, reste extrême béance. Sans<br />

‘ce que’. Simplement QUE – qu’il y ait du sens, que ne soit pas<br />

absolument le non-sens... – l’acte d’être même du sens, sans contenu<br />

et possibilité absolue de tout ‘ce que'<br />

66


Oubli de l’englobant<br />

<strong>Le</strong> péché le plus grave contre l'écosystème du sens est de nier son<br />

essentielle ouverture. Nous avons cru pouvoir le faire fonctionner en<br />

clôture, comme une simple mécanique, crispé sur lui-même, bouclé en<br />

schizoïde autonomie auto productrice. Nous nous voulions maîtres et<br />

possesseurs du système total lui-même. Bien plus, maîtres et possesseurs<br />

aussi de sa source chaude et de son puits froid. Maîtres et<br />

possesseurs donc de toute sa différence de potentiel, c'est-à-dire de<br />

toute son énergie spirituelle créatrice.<br />

Nous nous sommes mis à boucler en clôture notre espace d'humanité.<br />

Nous avons cru pouvoir faire fonctionner exponentiellement nos possibilités<br />

dans l'enfermement de notre schizoïde autonomie, bouclant en<br />

un gigantesque feed back les sorties de notre système sur ses entrées.<br />

Nous avons oublié l’essentielle ouverture de tout système vivant. L’écosystème<br />

du sens encore plus que tous les autres. Obnubilés par nos<br />

prouesses et béats devant nos aménagements intérieurs nous avons<br />

oublié qu’il y a un ‘dehors’ de notre caverne. Insouciants des lois de<br />

l'énergie et de l'incontournable entropie de tout système clos. Comment,<br />

par exemple, faire fonctionner exponentiellement une dynamique<br />

infinie – le `progrès', tels que nous l'imaginions – à l'intérieur<br />

d'un espace fini ?<br />

Nous pensions nos horizons illimités. Nous avons cru que, sans l'Autre,<br />

tout était possible. Nous avons déclaré `indépassable' notre horizon.<br />

Nous n'avons pas fini de mesurer l'étroitesse de notre pensée et des<br />

petites lueurs de nos lumignons que nous prenions pour les `Lumières'.<br />

Nous avons oublié l'essentielle ouverture de tout système vivant.<br />

L'écosystème du sens encore plus que tous les autres. Obnubilés par<br />

nos prouesses et béats devant nos aménagements intérieurs nous<br />

avons oublié qu'il y a un `dehors' de notre caverne.<br />

Ce n'est que pour un temps seulement que le système fermé peut ainsi<br />

se donner l'illusion de tourner quand même.<br />

68


Transformation<br />

<strong>Le</strong> logos pro-voque. Pro: en avant. Vocation: appel, exigence. <strong>Le</strong> logos<br />

affronte l'in-différence, la non-différence, pour que surgisse du nouveau.<br />

Que serait l’être sans la différence ? L’être absolument ‘in’-différent<br />

serait-il autre que le néant silencieux ? Mais déjà il n’y a pas rien. Déjà<br />

est la question elle-même. Déjà est le questionnant. Déjà est la différence<br />

plutôt que l'in-différence. Déjà il y a quelque chose plutôt que<br />

rien. Déjà est l’homme, différence ouverte à l’infini qui ouvre à l’infini un<br />

espace de la différence.<br />

D’un plein, quel qu’il soit, clos dans sa plénitude, jamais rien d’autre ne<br />

peut surgir. Il n’y a de transformation qu’à travers une provocation. <strong>Le</strong><br />

bloc de marbre ne devient statue qu’à travers l’agression et la violence<br />

du ciseau et du marteau. Déjà on pressent que c’est à travers la<br />

rupture qu’advient une plénitude. L’affrontement d’altérité enrichit. La<br />

traversée de différence signifie accroissement. A travers la distance<br />

une plus authentique proximité se gagne.<br />

Dans un système, c'est le programme qui représente la fonction<br />

complexe. Un flux, qu'il soit matériel, énergétique ou informationnel,<br />

entre dans le système, subit une transformation commandée par la<br />

fonction et se trouve ainsi transformé à la sortie. La nature, la forme, la<br />

quantité de l'entrée et de la sortie dépendent de la complexité du<br />

système et de la nature, de la forme ou de la variété des flux. La valeur<br />

`fonction' implique toujours l'équivalent d'un programme dont la<br />

complexité dépend de la complexité de la fonction elle-même. Ce<br />

programme peut être invariable et le système est alors considéré<br />

comme programmé. Il peut aussi être variable selon les nécessités du<br />

moment et lui venir chaque fois du dehors, par une des entrées. <strong>Le</strong><br />

système est alors dit programmable.<br />

70


La traversée du non<br />

C’est la faille qui sauve le oui de lui-même. C’est la béance qui l’ouvre<br />

à l’autre possible. C’est sa vulnérabilité qui lui donne chance d’altérité.<br />

S’ouvrir à l’autre et l’étreindre. Mourir dans cette étreinte pour surgir<br />

nouveau. Et ne se boucler pas sur ce nouveau même. Mais encore<br />

s’ouvrir. Affronter encore l’autre. Et l’autre de l’autre. Infiniment.<br />

Comme une fissure au sein de l’inconditionnel ‘oui’ que la nature ne<br />

cesse de se dire à elle-même. Cette fissure va s’élargissant en gigantesque<br />

faille.<br />

Si le oui jamais ne dit non à lui-même, jamais rien d’autre ne sera. S’il<br />

refuse de s’ouvrir à l’autre, de l’affronter, de le traverser, il ne restera<br />

éternellement qu’un oui à lui-même. Clos sur soi. Piégé, fût-ce en sa<br />

perfection.<br />

Tout est donné en ce ‘non’. Tout reste à conquérir et à se déployer.<br />

Progressivement. Dialectiquement.<br />

La traversée du NON provoque le OUI vers l'Autre. Avec ce non est<br />

donnée, nouvelle nature, la possibilité de l’humain.<br />

Dans cette distance s’ouvre un espace nouveau et s’instaure la possibilité<br />

d’un monde nouveau. <strong>Le</strong> monde de la culture, c’est-à-dire le<br />

monde de l’émergence de l’humain.<br />

72


La négation féconde<br />

La dialectique implique un moment de négativité. C’est son moment<br />

essentiel.<br />

Paradoxale efficience de la négativité ! Paradoxale efficience de ce<br />

moment de refus, de distance, de différence, béant sur l’autre !<br />

La nouveauté autre n’est possible qu’à travers un vide béant au cœur<br />

de ce plein. Une position ne se dépasse en altérité nouvelle qu’à<br />

travers son affrontement avec une opposition. C’est dire qu’il ne peut<br />

s’agir d’un vide pour lui-même. <strong>Le</strong> vide en-soi est vide et reste vide. Ici<br />

il faut une négativité active, un acte d’opposition.<br />

Différence ouverte à l'infini, l’homme est l’être en exode qui ouvre à<br />

l’infini un espace de la différence. Il est un animal différentiel instaurateur<br />

de béance dans la plénitude d’un donné-nature et sans cesse<br />

‘pro’-voqué à combler cette béance tout en instaurant continuellement<br />

de nouvelles béances dans tous les comblements eux-mêmes.<br />

La rencontre de différence est féconde. La rencontre d'extrême<br />

différence est infiniment féconde. C'est ainsi que se rencontrent<br />

Athènes et Jérusalem. La plus gigantesque rencontre de différence<br />

imaginable. L'homme occidental ne se comprend pas lui-même s'il<br />

méconnaît les gigantesques différences qui se sont affrontées et interfécondées<br />

pour lui donner naissance<br />

74


L’affrontement du même par l’autre<br />

Vivre, c’est affronter. Il n’y a pas de vie et donc de dialectique sans<br />

affrontement entre le même et l’autre.<br />

Pour qu’il puisse y avoir autre chose que le ’même’, il faut qu’il se nie<br />

en tant que’ même’ et s’affirme en s’opposant comme autre. Mais une<br />

négation qui s’affirme est affirmation. Une opposition qui se pose est<br />

position. L’autre se reprend comme un même et tend à se clore sur luimême.<br />

Il lui faut rencontrer son autre.<br />

La véritable dialectique signifie cette progression ininterrompue de<br />

toute position qui rencontre sans cesse une op-position, laquelle opposition,<br />

se fixant en sa position, doit à son tour affronter une nouvelle<br />

opposition. Et ainsi de suite.<br />

Si l’affrontement se réduit à la simple suppression de l’un par rapport à<br />

l’autre,il n’y a pas de dépassement. Reste simplement une position. <strong>Le</strong><br />

combat cesse faute de combattants !<br />

La gestation de l'Occident à travers un radical affrontement devient<br />

paradigme d'universelle fécondité des Alters. Quelque chose de décisif<br />

(pour l'humain universel) s'est jouée en Occident. C'est-à-dire le plus<br />

grand affrontement d'extrême différence.<br />

76


La dynamique du non<br />

Singulière dynamique du NON ! L’homme est l’être en exode qui risque<br />

l’autre dans l’incessante négation du même. Libérant la différence.<br />

Etreignant la différence. Dépassant la différence.<br />

L’indifférence ne parle pas. La parole commence avec la différence.<br />

Nous ne parlerions pas si nous étions pleins. Nous ne parlerions pas si<br />

nous n’étions que ce que nous sommes. L’animal est trop plein d’animalité<br />

et de lui-même pour pouvoir parler. L’in-différence ne parle pas.<br />

La parole commence avec la distance et avec la différence. La parole<br />

commence avec le refus. La nature ne peut que se dire inconditionnellement<br />

‘oui’ à elle-même. C’est le ‘non’ qui ouvre la possibilité du<br />

logos. Ensuite, un infini se donne à travers ce ‘non’.<br />

La pensée est essentiellement acte critique. Elle commence par discerner.<br />

C’est-à-dire par refuser les limites et les enfermements. “Tout<br />

était mêlé, dit Anaxagore, mais vint l’entendement qui sépara tout pour<br />

le mettre en ordre.” Au Livre de la Genèse, c’est l’Esprit qui plane sur le<br />

tohu-bohu... Pour séparer. Pour créer. C’est ainsi que le logos se fait<br />

poïète - créateur - d’infinie nouveauté.<br />

<strong>Le</strong> ‘non’ de l’esprit n’est pas le tout de l’esprit. Plus profondément celuici<br />

est ‘oui’. Un ‘oui’ cependant qui n’est pas pour le milieu mais pour les<br />

extrêmes. Un OUI différente. Un OUI nouveau.<br />

<strong>Le</strong> logos décompacte. <strong>Le</strong> moment essentiel de la dialectique est de<br />

négation. C’est l’esprit, et l’esprit seul, qui est capable de réelle négation.<br />

<strong>Le</strong> VIDE des interstices devient plus pertinent que les PLEINS.<br />

78


La négation ‘pro’-ductrice<br />

C’est en surmontant une opposition que la position se consolide. C’est<br />

dans son passage à travers la négation que l’affirmation accède à sa<br />

vérité.<br />

Un même affirmé et posé absolument comme soi-même reste nécessairement<br />

clos sur lui-même. A partir de ce même, clos sur lui-même,<br />

jamais rien d’autre ne peut être.<br />

Pour qu’il puisse y avoir autre chose que le ’même’, il faut que le même<br />

se nie en tant que ’même’ et s’affirme en s’opposant comme ‘autre’.<br />

Ainsi peut commencer une indéfinie marche en avant. Un pied avant<br />

l’autre. Un pied devant l’autre.<br />

Une négation qui s’affirme ne peut pas ne pas être affirmation. Une<br />

opposition qui se pose ne peut pas ne pas être position. L’autre risque<br />

sans cesse de se reprendre comme un même, et de se clore sur luimême.<br />

A moins de laisser ouverte l’infinie altérité de l’autre-autre.<br />

80


<strong>Le</strong>s quatre dynamiques fondamentales<br />

de notre verbe<br />

Ouvrez n’importe quel dictionnaire. Commencez en ‘a’ et survolez<br />

l’ensemble des verbes. Combien en trouvez-vous qui, directement ou<br />

indirectement, n’auraient aucun lien avec l’un ou l’autre de ces ‘radicaux’<br />

? A eux quatre, ils marquent une sorte de référentiel dialectique<br />

d’un champ dynamique pour l’ensemble des verbes du logos. Ils définissent<br />

l’espace matriciel du logos.<br />

Ce sont comme les particules fondamentales, les préfixes présidant au<br />

sens, qui affectent les radicaux sémiologiques du verbe.<br />

TRANS : comme transformer, transporter, transfigurer, transcender...<br />

CUM : comme concilier, comprendre, communier, compléter...<br />

EX : comme expliquer,extraire, exalter, exister, expédier...<br />

IN : comme insister, inclure, incarner, introduire, infatuer...<br />

Ces quatre radicaux de notre verbe sont au cœur de notre epistèmè et<br />

de notre praxis. Radicaux à la racine de toute articulation et de toute<br />

signification.<br />

Originelles affectations de toutes les dynamiques. Coordonnées fondamentales<br />

de tous les lexiques possibles. Dimensions premières avant<br />

même les concepts. In-tentions originaires du parler.<br />

A eux quatre, ils marquent une sorte de référentiel dialectique d’un<br />

champ dynamique du logos<br />

82


<strong>Le</strong> champ dynamique du logos<br />

<strong>Le</strong>s quatre polarités définissant le champ dynamique de la différence et<br />

du dépassement dialectique.Comme si le logos ne pouvait être pleinement<br />

chez lui que dans cet espace quadri-polaire de la possibilité<br />

dialectique.<br />

EX provoque en quelque sorte le IN hors de lui-même. La tension se<br />

résout dans le CUM et se dépasse dans le TRANS.<br />

Une logique apparemment illogique. Elle s’appelle ‘dialectique’. Il ne<br />

faut pas la confondre avec ses sous-produits. Avant même que le mot,<br />

en son sens moderne, n’ait encore droit de cité dans l’espace mental<br />

occidental, la réalité est là, vigoureuse, encore libre de toute prison<br />

idéologique. Pas encore constituée en mode de pensée et d’explication,<br />

mais déjà constituante d’une extraordinaire dynamique de l’être.<br />

84


Dialectiques tronquées<br />

Une dialectique à deux moments perpétue un mouvement pendulaire.<br />

Par exemple la ‘dialectique’ simplement binaire comme celle du<br />

’yin’ et ’yang’ chinois, sans différence verticale et sans troisième terme.<br />

Infinie oscillation entre IN et EX. <strong>Le</strong>s deux termes se balancent selon<br />

une inter-compénétrabilité infiniment complexe. Un tel mouvement ne<br />

fait que rythmer, de déséquilibre en équilibre et d’équilibre en déséquilibre,<br />

l’être éternellement imperturbable.<br />

Une dialectique à trois moments tend à s’arrêter dans le bouclage<br />

de la boucle. IN traverse sa différence ex pour se dépasser dans le<br />

CUM. Un réel procès d’altérité y est donc possible. Cependant ce<br />

troisième terme, même s’il est capable de relancer une nouvelle triade,<br />

reste de l’ordre de l’aboutissement. Une plénitude s’y donne dans la<br />

synthèse du CUM. <strong>Le</strong> mouvement différentiel reste globalement piégé<br />

par l’horizontalité. La transcendance se refuse au profit de la totalisation.<br />

Seule une dialectique à quatre moments procède dans l’ouvert du<br />

dépassement infini. Ainsi la dialectique véritablement totale qui connaît<br />

un quatrième terme signifiant son ‘ex’-plosivité permanente. 'In' traverse<br />

sa différence EX pour se dépasser infiniment à travers le CUM vers<br />

le TRANS. Ce n’est que la quatrième dimension, celle de la transcendance,<br />

qui peut conférer à la dialectique sa réelle dynamique, sa dynamique<br />

infinie. c’est-à-dire d’être plus qu’un simple mécanisme rationnel.<br />

86


Dialectique infinie<br />

L’authentique dialectique refuse de se laisser piéger par les totalisations<br />

horizontales.<br />

Elle connaît une quatrième dimension. qui signifie son ‘ex’-plosivité<br />

permanente.<br />

L’authentique possibilité dialectique implique une double ouverture et<br />

partant une double rupture. L’une horizontale et l’autre verticale.<br />

Ouverture horizontale de l’altérité différentielle. Ouverture verticale de<br />

l’altérité transcendante. La première s’ouvre dans la différence entre le<br />

‘même’ et l’ ‘autre’. La seconde s’ouvre dans la différence de la différence,<br />

c’est-à-dire la transcendance.<br />

<strong>Le</strong> TRANS dit l’ouvert de l’humain. Il dit en même temps que l’homme<br />

n’a pas le dernier mot sur lui-même.<br />

88


Trans<br />

Paradoxe du trans. Il est simultanément extrême fragilité et extrême<br />

puissance. A la réalité humaine qu’il affecte, il confère en même temps<br />

une singulière faiblesse et une extraordinaire capacité de survie malgré<br />

toutes vicissitudes de l’histoire.<br />

Hegel, trop séduit par le système et la totalisation pour garder à la dialectique<br />

sa dynamique de rupture et son infinie ouverture d’altérité,<br />

succombe finalement à la tentation de la clôture. Clôture de l’identification<br />

du réel au rationnel. Clôture de la totalisation en finitude du processus<br />

dialectique. La dialectique finalement au rouet du système !<br />

La dialectique moderne veut fonctionner essentiellement à trois termes:<br />

thèse, antithèse, synthèse, cette triade pouvant être répétée et poursuivie<br />

de niveau en niveau.<br />

Tenir la dialectique jusqu’au bout est à la limite impossible. Déjà le processus<br />

dialectique lui-même se trouvera distendu dialectiquement,<br />

selon le double héritage païen et judéo-chrétien, entre une double<br />

polarité, à savoir l’ouverture à l’infinie altérité et a clôture dans la<br />

totalisation d’identité.<br />

Mais même dans cette répétitivité le troisième terme, la “synthèse”,signifie<br />

chaque fois l’arrivée à un résultat. Il suffit ensuite de<br />

reprendre cette triade. Elle se suffit en quelque sorte à elle-même. La<br />

répétition faisant le reste. La synthèse devenant thèse à laquelle s’oppose<br />

une nouvelle antithèse, et ainsi de suite. <strong>Le</strong> processus fait se<br />

suivre des différences. Il n’ouvre pas à la différence de la différence.<br />

90


COMposantes et EXposantes<br />

<strong>Le</strong>s premières garantissent les cohérences et les harmonies. <strong>Le</strong>s secondes<br />

ouvrent la démesure.<br />

Tout projet culturel s’inscrit dans un tel espace dynamique. Cependant<br />

il insiste différentiellement dans telle ou telle direction et a tendance à<br />

privilégier telle ou telle région pour l’occuper. Chaque projet humain<br />

particularise ainsi l’unité fondamentale du continuum sémiologique<br />

originaire en espaces constitués différentiels.<br />

Dans cette polarisation différentielle l’axe vertical marque la différence<br />

essentielle.<br />

L’homme occidental n’est pas né par parthénogenèse ! Il est né de père<br />

et de mère. Sa mère est païenne. Son père est judéo-chrétien. De son<br />

héritage maternel, il tient ses ‘composantes’. De son héritage paternel,<br />

ses ‘exposantes’. <strong>Le</strong>s deux se sont étreintes dans la rencontre providentielle<br />

entre notre mère païenne et notre père judéo-chrétien.<br />

COMPOSANTES ― EXPOSANTES<br />

absolu 'Il y a' ― absolu ‘Je Suis’<br />

fini ― infini<br />

même ― autre<br />

milieu ― extrêmes<br />

mesure ― démesure<br />

nature ― personne<br />

être ― exister<br />

continuité ― rupture<br />

destin ― dessein<br />

cosmos ― création<br />

structure ― gratuité<br />

nécessité ― liberté<br />

objet ― projet<br />

cycle ― histoire<br />

éros ― agapè<br />

harmonie ― aventure<br />

sécurité ― risque<br />

ordre ― contingence<br />

possible ― impossible<br />

92


Rupture - dépassement<br />

<strong>Le</strong> même reste enfermé dans son même. L’autre reste en-fermé dans<br />

son même. Chacun ignore l’autre?. Rien ne se passe.<br />

La dialectique est contradiction ET assomption-dépassement de la<br />

contradiction. L’affirmation affronte la négation. La négation affronte<br />

l’affirmation. Cet affrontement, cependant, ne reste pas affrontement<br />

indéfini au même niveau. Il ne se termine pas non plus par la victoire<br />

unilatérale de l’un sur l’autre, ce qui ne ferait qu’enfermer le processus<br />

dans une affirmation stagnante. Au contraire, de cet affrontement surgit<br />

un TROISIEME moment qui reprend en assomption de dépassement –<br />

Auf-heben, en allemand – les deux premiers moments antagonistes et,<br />

par conséquent, signifie surgissement de nouveauté.<br />

Ce troisième terme nouveau, en s’affirmant, affronte une nouvelle<br />

négation. Et ainsi de suite. <strong>Le</strong> processus total de la dialectique devient<br />

ainsi mouvement en avant, progrès. Une chose n’est vivante, écrit<br />

Hegel dans la Science de la Logique II, que dans la mesure où elle<br />

contient en soi la contradiction et où elle est cette force de saisir et de<br />

maintenir en soi la contradiction.<br />

<strong>Le</strong> moment de négation est donc le moment essentiel de la dialectique.<br />

Est-ce étonnant puisqu'il s'agit du moment essentiel de l'esprit ? D’un<br />

plein, quel qu’il soit, clos dans sa plénitude, jamais rien d’autre ne peut<br />

surgir. La nouveauté autre n’est possible qu’à travers un vide béant au<br />

cœur de ce plein. Une position ne se dépasse en altérité nouvelle qu’à<br />

travers son affrontement avec une opposition. C’est dire qu’il ne peut<br />

s’agir d’un vide pour lui-même. <strong>Le</strong> vide en-soi est vide et reste vide. Ici<br />

il faut une négativité active, un acte d’opposition.<br />

94


<strong>Le</strong> ‘non’ créateur<br />

Il n’y a pas de valeur qui ne soit fondamentalement exigence de différence.<br />

Que serait, en effet, le Bien en soi, le Vrai en soi, le Beau en soi,<br />

le Juste en soi... s’il n’y avait pas en face, antagoniste provocateur, le<br />

mal, le faux, le laid, l’injuste ? Dans la faille entre le même et l’autre<br />

s’ouvre l’espace de la différence, l’espace d’une nouvelle nature et la<br />

chance d’un monde nouveau que nous pouvons aussi appeler ‘culture’<br />

<strong>Le</strong> surgissement du NON au sein de l’inconditionnel ‘oui’ de la nature à<br />

elle-même représente une fissure qui va s’élargissant en gigantesque<br />

faille. Une distance se creuse 'entre'. Entre immédiat et différé, entre<br />

présent et passé, entre présent et futur, entre le désir et son effectuation,<br />

entre le même et l’autre, entre l’apparaître et l’être, entre la<br />

présence et l’absence, entre ce qui est et ce qui doit être...<br />

Singulière dynamique du NON ! L’homme est l’être en exode qui<br />

risque l’autre dans l’incessante négation du même. Libérant la différence.<br />

Etreignant la différence. Dépassant la différence. Si le même<br />

jamais ne dit non à lui-même, jamais rien d’autre ne sera. Il ne peut<br />

que rester éternellement lui-même, clos en soi, piégé, fut-ce en sa<br />

perfection, s’il refuse de s’ouvrir à l’autre, de l’affronter, de se laisser<br />

traverser par lui. C’est la faille qui le sauve de lui-même et l’ouvre à<br />

l’autre possible. C’est sa vulnérabilité qui lui donne sa chance<br />

d’infini. S’ouvrir à l’autre et l’étreindre. Mourir dans cette étreinte<br />

pour surgir nouveau. Et ne se boucler pas sur ce nouveau même.<br />

Mais encore s’ouvrir. Affronter encore l’autre. Et l’autre de l’autre.<br />

Infiniment.<br />

96


Dialectique pascale<br />

<strong>Le</strong> quatrième moment dialectique est celui de l’Exode in-fini. Un<br />

TRANS qui ne cesse de faire mal là où l’humain n’arrive à étreindre sa<br />

plénitude sur elle-même. Un TRANS qui crève inlassablement l’horizon<br />

des euphories immanentes.<br />

Scandale que cette quatrième dimension et grandeur pourtant ! Par<br />

elle, la raison est crucifiée et provoquée au douloureux dépassement<br />

d’elle-même. En même temps elle confère l’immortalité à ce qui sans<br />

elle est voué à la mort. L’histoire d’Israël, depuis quatre mille ans, est là<br />

pour témoigner.<br />

Sans lui, pourtant, l’authentique humain n’est pas. Car l’homme est<br />

l’être en exode qui risque l’autre dans l’incessante négation du même.<br />

Libérant la différence. Étreignant la différence. Dépassant la différence<br />

La dialectique non châtrée est pour la transcendance. Elle traverse un<br />

monde qui résiste à l’ailleurs. Elle affronte les choses qui refusent de<br />

devenir autres que ce qu’elles sont. Elle est folle et fougueuse aventure<br />

‘hors de’.<br />

98


Deux logiques<br />

Ultimement deux logiques différentes régissent l’action et la pensée.<br />

Elles fonctionnent en quelque sorte sur les deux versants opposés de<br />

l’être.<br />

D’un côté la consistance du même qui se boucle sur lui-même en<br />

sécurité. De l’autre côté la transcendance de l’autre infiniment ouvert.<br />

L’autre non seulement dans sa différence horizontale – celle qui, entre<br />

in, ex et cum instaure le déploiement quasi naturel – mais dans sa<br />

différence verticale – celle qui ouvre l’altérité absolue du trans – où<br />

l’humain et, à travers l’humain l’être, se décide ultimement, clos ou<br />

ouvert, pour le même ou pour l’autre<br />

<strong>Le</strong>s tendances profondes de notre corps et de notre esprit vont vers<br />

l’intégration. Il n’est pas de vie sans assimilation. Comprendre ne va<br />

pas sans étreindre les différences. L’autre qui refuse le giron du même<br />

ne peut que se voir expulsé. Mille mécanismes de défense jouent<br />

contre lui. Sans lui, pourtant, l’existence perdrait sa dimension<br />

essentielle. Ce ‘de trop’ expose nos certitudes et nos sécurités dans<br />

l’exode de la liberté. A travers le risque.<br />

100


101


Exode infini<br />

Avant d’être loi de l’esprit, la ‘dialectique’ est d’abord très profonde loi<br />

de l’Alliance. Elle tire sa pertinence de l’expérience du mystère pascal.<br />

Rupture. Exode. Traversée vers la Terre Promise. Crucifixion. Mort qui<br />

éclate en Résurrection. La paradoxale vérité que l’essentiel advient<br />

dans le pas-sage. Non pas en ‘in’-sistant sur le plein mais en ‘ex’sistant<br />

à travers la béance.<br />

A travers toute l’expérience humaine, c’est dans la Bible et dans la<br />

Bible seulement que ce HORS DE et cet ‘EN AVANT trouvent leur<br />

pleine pertinence.<br />

L’Exode est l’expérience originaire dans la Bible et la lumière centrale<br />

de son écriture. C’est à partir de l’Exode que prend sens et ce qui<br />

précède et ce qui suit.<br />

Exode de toutes choses hors du néant. Irruption de l'originel Alpha qui<br />

tend en suite vers Oméga, dans l'ouverture d'un en avant vers ce topos<br />

du futur qui est u-topos. Si bien que la véritable genèse est moins au<br />

début qu'à la fin.<br />

La force originaire, profonde, de la dialectique n’est pas d’abord dans<br />

l’instrumentalité logique d’un processus explicatif mais dans une irréductible<br />

réalité historiquement expérimentée et vécue, fondatrice de<br />

nouvelle humanité: la Pâque biblique.<br />

<strong>Le</strong> quatrième moment dialectique est celui de l’Exode et de la Pâque<br />

in-finie. La double ouverture d’altérité n’a été réellement possible que<br />

dans et à partir de l’espace judéo-chrétien où, émergence absolument<br />

unique, l’autre a une priorité logique, ontologique, sur le ‘même’.<br />

Si la dialectique est d’une certaine façon un affront à la logique simplement<br />

logique, c’est qu’avant d’être loi de la pensée elle est une loi<br />

expérimentale de la liberté.<br />

La dialectique est-elle fondamentalement possible ailleurs qu’en régime<br />

de grâce ? Lorsqu’aucune négativité n’est plus absolue mais qu’à travers<br />

une mystérieuse gestation, elle travaille à l’enfantement de l’autre.<br />

102


103


Envers – Endroit<br />

Sans doute l’esprit se manifeste-t-il avec plus de pertinence là où il<br />

manque.<br />

L’esprit est là où il n’est pas. Non pas dans un plein mais dans un vide.<br />

Un vide qui traverse le plein. Une plénitude vide. Un vide plein. Proprement<br />

insaisissable. Il n’est nulle part en particulier. Il agit partout en<br />

même temps. L’esprit inter-vient. Plus on essaye de le dé-finir, d’en<br />

faire le tour, de le ‘saisir’, de le comprendre, plus il se retire. Comme s’il<br />

ne devait rester que la pauvreté d’une absolue nudité.<br />

L’esprit est ouvert. Il ne se laisse pas enfermer. Aussi finit-il toujours par<br />

trouver l’issue de la caverne. L’esprit est distance. Il ne ‘colle’ pas mais<br />

‘décolle’. L’esprit est entre. Entre les compacités matérielles, les solidités<br />

corporelles, les nécessités structurales. L’esprit sait lire entre les<br />

lignes. Non pas là où c’est écrit noir sur blanc mais là où c’est blanc sur<br />

noir.<br />

L'esprit ne se 'définit' donc pas. N'est jamais définissable que le 'ce<br />

que' d'une essence substantielle. Mais le 'CE QUE' de l'esprit demeure<br />

évanescent. Il ne reste jamais qu'un 'QUE'<br />

Sans doute l'esprit se manifeste-t-il avec le plus de pertinence là où il<br />

manque. Lorsque son absence l'appelle ou que son envers crie son<br />

endroit. La bêtise, par exemple, ou la force brute, ou l'indifférence, ou<br />

l'injustice, ou l'absurde...<br />

104


105


L’esprit trouble-fête ?<br />

Il n’en fut pas toujours ainsi. C’est la schizoïdie moderne qui a rompu<br />

les liens entre le corps et l’âme, entre la pensée et la vie. <strong>Le</strong>s puissances<br />

du corps et de l’âme qui, jusque là, savaient allier leurs différences,<br />

se mettent à jouer les antagonismes.<br />

L’unité étant perdue, chaque puissance est perçue comme aliénant<br />

l’autre.<br />

L’esprit ne serait-il pas responsable de ce que l’homme ne soit jamais<br />

autre chose qu’un animal sous-développé ? Voyez Ludwig Klages: «<br />

Der Geist als Widersacher der Seele » ! L’esprit, l’antagoniste de l’âme.<br />

Voyez Oswald Spengler: « <strong>Le</strong> déclin de l’Occident », rançon d’un péché<br />

de l’esprit contre la vie.<br />

Une perspective largement et variablement partagée. J.-J. Rousseau ‒<br />

Friedrich Nietzsche ‒ Oswald Spengler ‒ Ludwig Klages ‒ Jean-Marie<br />

Guyau ‒ Wilhelm Dilthey ‒ Henri Bergson ‒ Wilhelm Reich ‒ Herbert<br />

Marcuse ‒ Georges Bataille... Un feu d'artifice de perspectives: Retour<br />

aux données immédiates. L’éros cosmogonique déchaîné. <strong>Le</strong>s Pulsions<br />

vitales créatrices. L’Affirmation du vouloir-vivre. La liberté sauvage.<br />

L’instinct sans tabou. La joie de vivre jubilante. La folle création spontanée.<br />

La fête permanente. L’exubérance dionysiaque. L’orgie sans<br />

fin...<br />

La civilisation est-elle la mort inévitable d’une culture ? Faut-il, comme<br />

Klages, accuser l’esprit ? Ne faut-il pas plutôt en chercher la cause<br />

dans quelque déraillement de l’esprit consécutif à une hyper-intellectualisation,<br />

comme le pense un Max Scheler ?<br />

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A partir d’un vide<br />

Nos réflexes physicalistes et substantialistes ne valorisent que le plein.<br />

Il semblerait normal que le couronnement du règne biologique, l’homme,<br />

soit un animal ‘plus’ quelque chose.<br />

Il faut oser le paradoxe. L’homme est un animal ‘moins’.<br />

L’animal est sans doute trop plein d’animalité pour être béant sur<br />

l’esprit.<br />

L’homme est comme une blessure au flanc de la nature. La vie de<br />

l'Esprit commence non pas avec nos pleins mais avec nos vides.<br />

Misère et grandeur de l’homme frustré en sa simple animalité, en sa<br />

seule naturalité, ex-posé à créer, par médiation symbolique, à travers la<br />

parole, un monde toujours autre, toujours nouveau.<br />

L’homme est une autre nature, une nouvelle nature. Chez l’homme, le<br />

‘donné’ naturel ne peut plus jamais être simplement ‘donné’. Jusque<br />

dans sa matérialité, l’homme est ‘autre’ que ce qui est donné.<br />

La corporéié humaine est autre que le corps donné. La main de l’homme<br />

est autre qu’un simple organe de préhension. L’œil de l’homme est<br />

autre qu’un simple organe de vision. Chaque organe est ce qu’il est et<br />

en même temps ce qu’il n’est pas. Ouvert à autre chose que ce pour<br />

quoi il est donné. Ouvert à une infinie disponibilité.<br />

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Structure – Acte<br />

L'acte surgit aux antipodes de la structure. La structure 'est'. L'acte 'fait'<br />

être.<br />

L'acte est origine. Nouvelle origine. A la limite à partir de rien. Surgissement<br />

actif originel et original. Il n'a sa source qu'en lui-même en tant<br />

qu'acte.<br />

Ultimement l'acte ne peut pas venir d'un 'donné', d'une 'nature' déjàdonnée.<br />

Il ne peut venir que de quelque chose comme un 'je', jaillissement<br />

originaire, source autonome sans préalable. Venant d'un autre<br />

que lui-même il ne serait pas acte mais simplement production, fabrication,<br />

émission, effluence, débordement, épanchement, écoulement,<br />

émanation...<br />

L'acte est de l'ordre de l'événement, c'est-à-dire d'un advenir. Ça vient.<br />

Ça sur-vient. Ça sur-prend. Une irruption d'imprévu et de nouveauté.<br />

La catégorie d'histoire n'est pas moins essentielle dans la Bible que<br />

celle de création. Rien n'est avant l'acte créateur sinon l'acte lui-même.<br />

L'acte créateur est le premier acte historique. Il est commencement de<br />

l'histoire. A partir de lui, l'être surgit dans l'histoire. A partir de lui, l'être<br />

s'identifie à l'histoire. Non seulement durant les six premiers jours...<br />

La structure est sous le signe du ‘il y a’. L’acte est de l’ordre du surgissement<br />

créationnel ex nihilo.<br />

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111


Peut-on définir l’esprit ?<br />

Plus on essaye de le définir, d’en faire le tour, de le ‘saisir’, de le comprendre,<br />

plus il se retire. Comme d’il ne devait rester que la pauvreté<br />

dune absolue nudité.<br />

L’esprit ne se ‘définit’ pas. N’est jamais définissable que le ‘ce que’<br />

d’une essence substantielle. Mais le ‘ce que’ de l’esprit demeure évanescent.<br />

Il reste le ‘que’ béant de l’acte de son surgissement.<br />

Je ne peux pas saisir l’esprit. C’est lui qui, déjà, me saisit. C’est lui qui<br />

me définit. C’est lui qui ‘englobe’ mes possibilités intellectuelles. Cellesci<br />

ne sauraient donc pas l’englober à leur tour.<br />

L’esprit ne serait-il donc que fantomatique illusion ? Certes non. Car<br />

l’esprit s’appréhende. Je fais en permanence l’expérience pertinente de<br />

sa présence et de sa réalité. Je ne peux pas dire ce qu’il. Je ne peux<br />

pas dire qu’il n’est pas ! Il appelle une intelligibilité de l’ouvert.<br />

L’esprit est béance et ne peut être appréhendé qu’en béance. Je peux<br />

pourtant m’en faire une certaine ‘idée’. Une idée ‘négative’ seulement.<br />

Une ‘idée-à-travers-un-vide’. Une ‘idée-à-la-limite’.<br />

L'esprit ne se 'définit' pas. N'est jamais définissable que le 'ce que'<br />

d'une essence substantielle. Mais le 'CE QUE' de l'esprit demeure<br />

évanescent. Il ne reste jamais qu'un 'QUE'<br />

Pourrait-il en être autrement ? L’esprit n’est pas un ‘objet’ logeable.<br />

L’esprit est une dynamique qui traverse l’humain de part en part.<br />

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113


A travers<br />

<strong>Le</strong>s innombrables efforts, inlassablement réitérés, de trouver à l’esprit<br />

un ‘siège’, un ‘centre’, un ‘organe’ ou une circonvolution d’organe, se<br />

sont tous soldés par un échec.<br />

L’esprit n’est pas‘ dans’. Il n’est pas non plus ‘autour’. Il est ‘à travers’.<br />

Coupez le cerveau en aussi petites portions que vous voulez, jamais<br />

vous ne trouverez l’organe de la pensée ! Vous ne trouverez probablement<br />

que le ‘support’ matériel de l’esprit, quelque chose comme sa<br />

‘béquille’.<br />

L’esprit ne traverse pas seulement les corps. Il traverse toutes les<br />

compacités. Des particularités vers l’universalité. De la confusion vers<br />

la clarté. De la subjectivité vers l’objectivité. De la dispersion vers<br />

l’unité. De l’incohérence vers la cohérence. De la complication vers la<br />

simplicité. D l’absurde vers le sens. De l’in-différence vers la différence...<br />

Pourquoi chercher l’esprit là où il ne peut pas être, là où il serait en<br />

contradiction avec lui-même ?<br />

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A travers la matière<br />

<strong>Le</strong>s monismes matérialistes ne peuvent que refuser toute ‘réalité’<br />

propre à l’esprit. Si, en effet, le réel est d’un seul ordre, à savoir l’ordre<br />

matériel, quelle place pourrait-il rester à l’esprit ? A l’encontre des vues<br />

monistes du ‘réel’, il faut venir à la dialectique et voir le réel total en<br />

tension entre polarités contraires qui s’affrontent.<br />

L’esprit est ainsi l’autre qui provoque le même vers son dépassement.<br />

Est-ce à dire que l’esprit est sans ‘substance’ ? Un épi-phénomène ?<br />

Une illusion ? Un faux-semblant ? Une simple idéalité conceptuelle ?<br />

La 'substance' de l'esprit, cependant, est au-delà de la substance puisque<br />

toute substance n'est qu'à partir de l'esprit. Dans les interstices. A<br />

travers les failles vient le sens.<br />

L'esprit surgit 'à travers'. A travers son 'autre' qu'on peut appeler 'matière’.<br />

Mais que veut dire 'matière' ? Materia. Mater. Ce à partir de quoi<br />

tout est construit. Mais qu’est finalement ce ‘à-partir-de-quoi’ ?<br />

On se trouve finalement loin de la 'matière' au sens vulgaire. A chaque<br />

niveau d'analyse il s'agit chaque fois d'un 'construit' à 'déconstruire',<br />

d'une compacité à décompacter.<br />

L’esprit est ainsi l’autre qui provoque le même vers son dépassement.<br />

La matière de cette table ? Du bois. ― La ‘matière' du bois ? Des<br />

‘fibres ligneuses’. ― La matière de ces fibres ? Des molécules de<br />

cellulose. ― La matière de ces molécules ? Des atomes de carbone,<br />

d’hydrogène et d’oxygène. ― La matière des atomes ? Des particules<br />

atomiques. ― La matière de ces particules ? Des ‘grains d’énergie’,<br />

des ‘charges électriques’, des ‘quanta’, des ‘quarks’, des ‘particules de<br />

charme’... Autant de désignations qui couvrent des formules de type<br />

mathématique<br />

Où reste la ‘matière’ ?<br />

116


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A travers les interstices<br />

L’essentiel humain passe à travers. Parler c’est traverser infiniment le<br />

champ sémantique. L’animal n’accède pas à la parole parce que le<br />

signe reste prisonnier de la chose, de la situation, des liens... L’homme<br />

parle grâce au signe libéré, dans l’exode hors d’un monde bouclé en sa<br />

compacité. L’essentiel passe à travers les structures et les constructions<br />

pour surgir en leur béance.<br />

L'esprit traverse les compacités matérielles et structurelles. Il 'décompresse'<br />

les solidités. C'est dans les interstices, à travers les failles,<br />

que vient le sens. Entre les lignes. Entre les mots. L’éros animal tend<br />

toujours vers un ’quelque chose’ de déjà donné. L’éros humain peut<br />

tendre vers là où il n’y a encore rien. Comme si l’essentiel du monde<br />

était dans les interstices du monde. Comme si l’essentiel des choses<br />

était entre les choses. Comme si l’essentiel du texte se lisait entre les<br />

lignes.<br />

L'esprit est dans la traversée des compacités. Des particularités vers<br />

l’universalité. De la confusion vers la clarté. De la subjectivité vers<br />

l’objectivité. De la dispersion vers l’unité. De l’incohérence vers la<br />

cohérence. De la complication vers la simplicité. De l’absurde vers le<br />

sens. De l’in-différence vers la différence.<br />

118


119


L’esprit n’est pas en l’air<br />

Un esprit sans corps reste hors de portée de notre expérience. L’esprit<br />

s’expérimente toujours de façon physique comme esprit incarné. L’activité<br />

spirituelle est vécue et sentie à travers la corporéité. L’esprit est à<br />

travers le corps. L'activité spirituelle de l'homme n'est pas abstraite de<br />

sa condition d'incarnation.<br />

L’esprit dit ‘je’ et prend conscience de soi comme unique. Chaque fois<br />

qu’un ‘je’ se dit, émerge une présence originale. La personne est cette<br />

émergence. Il s’y célèbre l’alliance du ‘dehors’ et du ‘dedans’. La communion<br />

entre l’âme, l’esprit et le corps.<br />

L’âme prend corps... <strong>Le</strong> corps épouse l’esprit... La réalité spirituelle<br />

s’expérimente en même temps charnelle. Et la dimension charnelle,<br />

spirituelle. <strong>Le</strong> corps se vit comme un microcosme traversé par la<br />

béance. Il se fait médiateur entre l’horizontale et la verticale.<br />

A la croisée de l’horizontale et de la verticale. <strong>Le</strong> ‘cœur’ est l’absolue<br />

réconciliation de mon esprit avec mon corps et de mon corps<br />

avec mon esprit. Dans l’unité du ‘moi’. <strong>Le</strong> ‘cœur’ est l’instance de<br />

cette communion. <strong>Le</strong> ‘cœur’, loin d’être une ‘partie’ d’un tout, est ce<br />

‘tout’ lui-même en tant qu’il s’exprime dans la réalité de notre<br />

condition d’incarnation. <strong>Le</strong> ‘cœur’ signifie l’essentielle unité de toutes<br />

les composantes et de toutes les ‘puissances’ (ou potentialités)<br />

de l’homme. Corporelles, psychologiques, intellectuelles, spirituelles,<br />

sociales, culturelles... Toutes s’y enracinent et y puisent leur<br />

sève.<br />

120


121


L’esprit traverse le corps<br />

L’esprit est là. En même temps il est ailleurs. Il surgit dans la ‘béance’<br />

des réalités simplement biologiques. Il est ‘entre’. Il est ‘à travers’. A<br />

travers le cerveau. A travers le corps. A travers ‘mon’ corps.<br />

L’esprit traverse le corps verticalement. Par lui le corps vit sa transcendance.<br />

<strong>Le</strong> corps vibre à l’unisson de l’esprit. L’esprit vibre à l’unisson<br />

du corps. L'esprit pétrit la matière. La matière donne corps à<br />

l'esprit. <strong>Le</strong> corps se trouve transfiguré par la traversée de l'esprit. C’est<br />

à travers le corps que l’esprit se fait savant ou technicien, capable de<br />

scruter la matière et de la transformer. C’est à travers le corps que<br />

l’esprit chante, sourit, accueille ou se retire... L’esprit est à travers le<br />

corps<br />

Pour ne pas rester vaporeuse la pensée a besoin de mains pour manipuler<br />

et de pieds pour marcher.<br />

Penser ne va pas sans fatigue ni sans retentissement corporel. La<br />

pensée peut rendre le corps malade comme le corps malade peut<br />

perturber la pensée.<br />

<strong>Le</strong> corps se trouve transfiguré par la traversée de l'esprit.<br />

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123


Il n’est réellement vivant que dans les béances<br />

L’esprit est à travers les béances<br />

La théologie dite ‘négative’ reste sans doute l’approche qui fait le moins<br />

violence à la vérité du mystère divin. Elle professe que ce que nous<br />

nions de Dieu est plus éloigné de l’erreur que ce que nous en<br />

affirmons. La ‘béance’ divine se refuse à nos concepts et résiste à nos<br />

possibilités intellectuelles. Seule une approche ‘mystique’, une approche<br />

par le vide, permet une rencontre, à la limite, de l’indicible et<br />

inexprimable mystère.<br />

Analogiquement, pourquoi ne pas oser l’expression d’anthropologie<br />

‘négative’ ? Une telle analogie se justifie et se fonde sur la parenté de<br />

l’homme avec Dieu, créé qu’il est ‘à son image et à sa ressemblance’,<br />

et révélé ‘divin’ par grâce. Mais on peut parler également, et dans la<br />

logique de toute notre approche, d’anthropologie de la ‘béance’.<br />

‘L’homme passe l’homme’, dit Pascal avec infiniment de pertinence. A<br />

sa manière le mystère humain est indicible et reste proprement<br />

inexprimable. Nous ne pouvons réellement en parler qu’à la limite.<br />

L’essentiel de l’humain étant ‘à travers’.<br />

L’anthropologie négative dit ‘oui’ à travers un ‘non’. Elle a plus<br />

volontiers partie liée avec le silence. Et pourtant elle doit se dire aussi.<br />

Il lui reste à parler autour. Elle parle dans les béances du plein. En ne<br />

cessant d’entretenir cette étonnante pensée de derrière.<br />

124


125


Surgissement du JE<br />

Surgissement de radicale nouveauté et d’inédite originalité, le JE s’affirme<br />

comme différence. Par lui l’être sort de l’indifférence.<br />

Chaque ‘JE’ surgit comme conscience de soi et comme conscience<br />

de... Nouveau centre autonome. Juge souverain. Sujet responsable.<br />

Personnalité de droits et de devoirs. Exigence éthique et rationnelle.<br />

<strong>Le</strong> JE rassemble dans l’unité la multiple diversité qui me constitue.<br />

Mon corps, mon hérédité, mes tendances, mes affects, ma pensée,<br />

mes souvenirs, mes rêves, ma vie sociale, mes engagements, mes<br />

expériences, mes projets, etc.<br />

A la verticale<br />

La vérité totale du JE et partant de l’esprit est à la verticale.<br />

En ses profondeurs l’esprit est communion à Dieu et à l’universel et<br />

donc ouvert à la communion entre tous les esprits.<br />

L’esprit est infiniment ouvert sur sa Source vivante. L’expérience mystique<br />

fait sentir les divines profondeurs au fin fond de toi-même<br />

Ayant perdu l’axe vertical de notre dimension infinie, nous en sommes<br />

réduits à chercher la source de notre esprit dans le cul-de-sac d’un ‘ça’<br />

de tendances et de pulsions.<br />

Ce faisant nous oublions que l’esprit est capable de faire l’EXPERIEN-<br />

CE de sa source transcendante.<br />

126


127


La différence de potentiel<br />

La dynamique de l’esprit est fonction de la différence de potentiel énergétique<br />

entre une source chaude et un puits froid.<br />

Puits froid: Dépression, asthénie, fatigue<br />

Paresse, indifférence<br />

Ignorance crasse<br />

Abrutissement, démissions...<br />

Source chaude: Eternelle jeunesse de l’esprit<br />

Exigence de sens et de vérité<br />

Inlassable pro-vocation<br />

Appel de lumière...<br />

En fait il s’agit de concepts dialectiquement antithétiques relatifs l’un à<br />

l’autre. La source chaude n’est qu’en face d’un puits froid. <strong>Le</strong> puits froid<br />

n’est qu’en face d’une source chaude.<br />

Source chaude et le puits froid se déterminent concrètement à travers<br />

l’analyse de chaque système énergétique.<br />

Un exemple suffit ici pour saisir ce qu'est concrètement la source<br />

chaude et le puits froid de l'énergie spirituelle dans un espace culturel<br />

comme celui du bouddhisme. <strong>Le</strong> puits froid de l'existence humaine est<br />

le `karma', cet enchaîne-ment au cycle fatal des réincarnations,Face à<br />

cet entropique destin,la source chaude de l'illumination qui urge la<br />

libération.<br />

128


129


<strong>Le</strong>s réservoirs de la dynamique<br />

Aucun système ne peut fonctionner avec des accumulateurs à plat. <strong>Le</strong><br />

`système' spirituel moins que tout autre.<br />

Même si la Source chaude venait à perdre de son énergie, le moteur<br />

peut continuer à tourner au moins durant un certain temps. A condition<br />

que les réservoirs ne soient pas vides. D’où l’importance capitale des<br />

réservoirs d'énergie spirituelle dans le fonctionnement `systémique' de<br />

l’esprit entre Source chaude et Puits froid.<br />

Toute culture, collective ou personnelle, accumule des réserves de<br />

sens ‒ des réserves d’esprit ‒ sous des formes très diverses et complémentaires.<br />

<strong>Le</strong>s réservoirs de la dynamique spirituelle: éducation, culture, coutumes,<br />

langues, formation, mémoire, apprentissage, expérience, méthode,<br />

savoir, monuments, savoir-faire, sages, héros, modèles, paysages,<br />

saints, rencontres, souvenirs, traditions, réflexes, contacts, œuvres,<br />

etc.<br />

Ces réservoirs sont la ‘culture’, la culture au sens le plus pertinent du<br />

terme c’est-à-dire ce qui est labouré et ensemencé en vue de moissons<br />

futures.<br />

La méconnaissance de l'importance des réservoirs d'énergie spirituelle<br />

peut entretenir de fallacieuses illusions. Celle, entre autres, de croire à<br />

une `génération spontanée' du souffle là où c'est en fait l'énergie<br />

`accumulée', peut-être durant de longs siècles précédents, qui continue<br />

d'alimenter la différence de potentiel et d'empêcher ainsi ‒ pour<br />

combien de temps ? ‒ l'asphyxie.<br />

130


131


Systémique spirituelle<br />

Pour comprendre les réalités vivantes il ne faut pas penser ‘structure’. Il<br />

faut penser ‘système’. ‘Système vivant. Une ‘structure’, celle du cristal<br />

par exemple, tient dans la clôture de sa géométrie chimique. Un ‘système<br />

vivant’, par contre, ne survit que dans l’ouvert.<br />

<strong>Le</strong>s réalités spirituelles se comprennent à travers le paradigme des<br />

réalités naturelles et matérielles. Il faut commencer par réfléchir sur ce<br />

qu'est un système ou un écosystème et comment il est menacé de mort<br />

lorsque lui est refusée l'ouverture.<br />

Ces réalités humaines peuvent être considérés comme <strong>systémiques</strong> à<br />

l'image de n'importe quel système organique vivant. Il fonctionne selon<br />

le paradigme de tout `système' doué d'une entrée, d'une sortie et d'une<br />

fonction, en interaction avec d'autres systèmes englobés ou englobants.<br />

Avec des frontières qui marquent vitalement la différence entre<br />

un `dedans' et un `dehors', entre une `clôture' et une 'ouverture'.<br />

Du plus simple jusqu’au plus complexe, du plus élémentaire jusqu’à<br />

son extrême englobant, les systèmes s’emboîtent interactivement.<br />

Chaque source chaude partielle participant de la source chaude plus<br />

englobante. Il en va de même avec les puits froids.<br />

132


133


L’esprit dit non<br />

L’esprit, grand antagoniste, dit ‘non’. Protestant au cœur de l’homo animalis<br />

en exode vers son dépassement. Tout est donné en ce ‘non’. Tout<br />

reste à conquérir et à se déployer. Progressivement. Dialectiquement.<br />

Si le oui jamais ne dit non à lui-même,jamais rien d’ autre ne sera. S’il<br />

refuse de s’ouvrir à l’autre, de l’affronter, de le traverser, il ne restera<br />

éternellement qu’un oui à lui-même. Clos sur soi. Piégé, fût-ce en sa<br />

perfection.<br />

Comme une fissure au sein de l’inconditionnel oui’ que la nature ne<br />

cesse de se dire à elle-même. Cette fissure va s’élargissant en gigantesque<br />

faille<br />

Avec ce non est donnée, nouvelle nature, la possibilité de l’humain,non<br />

pas d’abord comme substantif mais comme verbe actif...<br />

<strong>Le</strong> NON de l'homme, le plus faible roseau de la nature La pensée,<br />

s’identifie avec l’originaire NEGATION qui creuse infiniment la béance<br />

du monde pour la combler infiniment.<br />

134


135


La négation motrice<br />

Tout est donné en ce ‘non’. Tout reste à conquérir et à se déployer.<br />

Progressivement. Dialectiquement. Si le ‘même’ jamais ne dit non à luimême,<br />

jamais rien d’ ‘autre’ ne sera. S’il refuse de s’ouvrir à l’autre, de<br />

l’affronter, de le traverser, il ne restera éternellement que lui-même.<br />

Clos en soi. Piégé, fût-ce en sa perfection. C’est la faille qui le sauve de<br />

lui-même. C’est la béance qui l’ouvre à l’autre possible. C’est sa vulnérabilité<br />

qui lui donne chance d’altérité. S’ouvrir à l’autre et l’étreindre.<br />

Mourir dans cette étreinte pour surgir nouveau. Et ne se boucler pas<br />

sur ce nouveau même. Mais encore s’ouvrir. Affronter encore l’autre. Et<br />

l’autre de l’autre. Infiniment.<br />

La ‘dialectique’ au sens réel du mot signifie conquête de positivité à<br />

travers la négativité.<br />

<strong>Le</strong> moment essentiel de la dialectique est de négation.<br />

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137


DIS-cerner<br />

La pensée est essentiellement acte critique. Elle commence par DIScerner,<br />

c’est-à-dire par décompacter la massive solidité du monde.<br />

Tout était mêlé, dit Anaxagore, mais vint l’entendement qui sépara tout<br />

pour le mettre en ordre.<br />

C'est le souffle vivant de l'Esprit qui plane sur le tohu-bohu primordial<br />

pour séparer. Se faisant logos poïète, créateur d'infinie nouveauté.<br />

Dis-cerner c’est briser les liens, casser les liaisons, libérer des clôtures<br />

L’esprit est ainsi critique et critique de la critique à l’infini.<br />

L’esprit DIS-cerne<br />

DIS-socie,<br />

DIF-férencie<br />

DIS-tingue...<br />

Habitudes mentales, amalgames, évidences trompeuses, obstacles<br />

épistémologiques, lieux communs, réflexes paresseux, dogmatismes,<br />

clichés faciles, académismes, confusions, etc. etc.<br />

Rompre des liens pour ouvrir des disponibilité pour d’autres liaisons<br />

La critique est instance de crise au cœur de toute certitude donnée<br />

qu’elle creuse en béance pour que soit une plus vraie vérité.<br />

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139


Comprendre à travers la différence<br />

L’espace du logos se déploie entre une multitude de polarités antithétiques.<br />

Cherchez dans votre lexique habituel tous les mots qui y ont<br />

également leur contraire, comme par exemple construire/détruire, etc.<br />

N’en oubliez pas. Supprimez ces nombreux couples antithétiques. Avec<br />

les mots restants, essayez de dire des choses pertinentes. Vous mesurerez<br />

combien cela s’avère impossible. Tant il est vrai que, directement<br />

ou indirectement, nous parlons et nous pensons sur fond de différence.<br />

Parler et penser c’est ‘pro’-voquer des différences et les dépasser en<br />

avant<br />

L’intelligibilité est au prix de dichotomies. Il n’y a de pertinence qu’à<br />

travers la différence. Mais ces dichotomies doivent à leur tour être relativisées.<br />

Car elles n'existent, concrètement, nulle part à l’état pur. Il<br />

s’agit plutôt d’essences ou de concepts-polaires au service d’une<br />

typologie différentielle créatrice, dialectiquement, d’intelligibilité.<br />

Intelligibilité différentielle. En dégageant les significations antinomiques<br />

on veut essentiellement dégager un espace. Un espace de tension<br />

dialectique entre polarités antithétiques ou concepts-polaires au service<br />

d'une typologie différentielle créatrice, dialectiquement, d'intelligibilité. Il<br />

ne peut, en effet, y avoir d'intelligibilité qu'à travers la différence. Ces<br />

polarités ou concepts qui se répondent en s'opposant ne sont pas des<br />

étiquettes couvrant des contenus fixes et définis. Il s'agit plutôt de<br />

concepts ouverts qui visent au-delà vers une 'essence' qui se précise<br />

progressivement.<br />

Dès lors l'essence se révèle non pas de chaque côté où les termes<br />

sont marqués dans leur exclusive, mais ENTRE les deux. Une 'essence'<br />

à la fois très lointaine et tout proche qui joue à cache-cache et qui<br />

invite à jouer avec elle.<br />

140


141


Articulation et signification<br />

Deux dimensions caractérisent la démarche de l’esprit humain: le<br />

processus articulatoire et la visée significatrice. <strong>Le</strong> premier articule son<br />

objet selon la structuralité nécessaire de la cohérence d’un système qui<br />

tend vers la clôture. La seconde est créatrice de significations dans<br />

l’ouverture du sens. Concrètement ces dimensions se distinguent comme<br />

deux polarités divergentes. Elles sont interactivement et dialectiquement<br />

complémentaires. Pourtant telle ou telle activité de l’esprit<br />

privilégie plutôt l’une ou l’autre, la science, par exemple, plutôt le logos<br />

articulant, la philosophie, plutôt le logos signifiant.<br />

La pensée est congénitale à la discursive. Elle se constitue et fonctionne<br />

par structuration, destructuration et restructuration de concepts, de<br />

jugements et de raisonnements. Elle procède par articulation, désarticulation<br />

et ré-articulation d’éléments et de complexes structurels selon<br />

des médiations reliantes ou des enchaînements.<br />

<strong>Le</strong> schéma, toujours le même, est simple: structure de départ — désarticulation<br />

— éléments — ré-articulation — nouvelle structure.<br />

Il est vrai que rien n'existe concrètement qui ne soit 'construit', de l'atome<br />

aux formes les plus complexes de la vie, de la pierre éclatée de<br />

l'homme préhistorique aux prouesses de la technique avancée, des<br />

premiers balbutiements du langage aux plus sublimes paroles poétiques<br />

ou mystiques. Tout est articulé, désarticulé, ré-articulé, structuréensemble,<br />

construit.<br />

Paradoxale efficience de la négativité ! Paradoxale efficience de ce<br />

moment de refus, de distance, de différence, béant sur l’autre !<br />

Depuis le premier outil. Depuis les premiers balbutiements. Tout<br />

commence avec la désarticulation ! L’articulation se désarticule pour<br />

que soit possible une nouvelle, une autre articulation. Articulation<br />

croissante comblant une béance croissante de signification. Signification<br />

croissante comblant une béance croissante d’articulation.<br />

142


143


Entre articulation et signification<br />

Il faut souligner très fort l’unité de l’esprit humain. Reste cependant la<br />

différence entre les deux régimes du logos, c’est-à-dire entre le logos<br />

articulant et le logos signifiant. Différence incontestablement féconde.<br />

Dialectiquement.<br />

Deux dimensions caractérisent la démarche de l’esprit humain: le processus<br />

articulatoire et la visée significatrice. <strong>Le</strong> premier articule son<br />

objet selon la structuralité nécessaire de la cohérence d’un système qui<br />

tend vers la clôture. La seconde est créatrice de significations dans<br />

l’ouverture du sens.<br />

Concrètement ces dimensions se distinguent comme deux polarités<br />

divergentes. Elles sont interactivement et dialectiquement complémentaires.<br />

Pourtant telle ou telle activité de l’esprit privilégie plutôt l’une ou<br />

l’autre, la science, par exemple, plutôt le logos articulant, la philosophie,<br />

plutôt le logos signifiant.<br />

Parler, c’est articuler des signes. Dans un système minimal, à chaque<br />

signe correspond une signification et une seule. <strong>Le</strong> signe est figé dans<br />

sa signification et la signification est figée dans son signe. <strong>Le</strong> signe est<br />

univoque et se confond avec le signal. <strong>Le</strong> ‘langage’ animal fonctionne<br />

ainsi. A l’autre extrême, deux éléments de signes différents sont capables<br />

de produire par articulation combinatoire un infini de signes<br />

signifiants et, partant, un infini de significations. L’homme a cette<br />

capacité. Entre ces deux possibilités extrêmes, les langages humains<br />

pouvaient opter entre, d’une part, inventer de plus en plus de signes<br />

élémentaires en faisant l’économie d’une trop grande articulation, ou<br />

bien, d’autre part, partir de peu de signes élémentaires pour articuler de<br />

plus en plus de significations. <strong>Le</strong> progrès du langage humain s’est<br />

engagé dans cette dernière direction.<br />

144


145


La science<br />

La science n’est pas illumination d’un mystère transcendant. Elle n’est<br />

pas non plus reflet ou photographie du réel. La science est la raison en<br />

acte et en marche à travers le cheminement laborieux de l’activité<br />

rationnelle humaine qui réalise progressivement l’accord de l’esprit<br />

avec lui-même, l’accord de l’esprit avec l’autre que lui-même et l’accord<br />

des esprits entre eux.<br />

La science est une construction logiquement et rationnellement cohérente<br />

qui tient sa vérité et sa certitude de cette cohérence elle-même.<br />

La science est une construction. Elle n’est pas illumination d’un mystère<br />

transcendant. Elle n’est pas non plus reflet ou photographie du<br />

réel. Elle est construction au sens passif et actif du terme. Non pas<br />

entité absolue mais fruit d’un travail, et d’un travail humain.<br />

La vérité de cette construction ne lui vient ni de sa conformité au ‘réel’,<br />

ni de son efficacité pratique, mais de sa propre démarche, dialectiquement<br />

progressive, vers la cohérence logique et rationnelle. La science<br />

en marche est à elle-même sa propre vérification. Il y a donc une<br />

démarche critique interne au processus totalisant qui garantit la vérité<br />

du processus lui-même. La raison scientifique opère ainsi, critiquement,<br />

sa propre validation.<br />

La science progresse donc à travers un processus d’articulation, de<br />

désarticulation et de ré-articulation en construisant par structuration,<br />

déstructuration, restructuration, une totalité logico-matérielle croissante.<br />

Construction logiquement et rationnellement cohérente qui tient sa<br />

vérité et sa certitude de cette cohérence elle-même.<br />

146


147


L’esprit décompacte<br />

Comment cette non-substance, ce vide, cette béance qu’est l’esprit<br />

peut-elle être dynamique créatrice d’altérité nouvelle? L’idée qu’on peut<br />

s’en faire ne peut être elle-même que négative. Une ‘idée-à-travers-unvide’.<br />

Une ‘idée-à-la-limite’.<br />

Du côté des béances... Etonnement... Aventure spirituelle... Quête incessante...<br />

Questionnement... Recherche... Hypothèses... Antithèses...<br />

Paradoxes... Indicible... Humour...<br />

L’esprit peut rester englué dans la compacité. L’esprit figé, solidifié,<br />

dans l’habitude, la routine, le cliché...<br />

La dynamique de l’esprit vide et se déploie à travers ce vide. Il ne s’agit<br />

pas d’un vide vide. Il s’agit d’un vide plein. Un vide actif. Non pas substantif<br />

mais verbe. Comme VIDER.<br />

La traversée dialectique de l'esprit est identiquement traversée des<br />

compacités. L'infini OUI de la nature, ce oui que la nature ne cesse de<br />

se dire et de se répéter à elle-même est traversé par le NON de<br />

l'homme, le plus faible des roseaux.<br />

C’est l’esprit, et l’esprit seul, qui est capable de réelle négation. La<br />

négation n’est dialectiquement motrice que parce que l’esprit a toujours<br />

quelque chose de nouveau à dire... Par-delà tout déjà-dit. Il a toujours<br />

quelque chose de nouveau à créer au-delà de tout déjà-créé. <strong>Le</strong> logos<br />

décompacte pour articuler et signifier un monde nouveau. L’esprit<br />

contre-dit pour dire autre chose. L’esprit nie en vue de... Mais le ‘non’<br />

de l’esprit n’est pas le tout de l’esprit. Plus profondément celui-ci est<br />

‘oui’. Mais un 'oui' d'ailleurs et pour ailleurs.<br />

148


149


Intériorité de l’esprit<br />

En extériorité, l'esprit ne se manifeste qu'à travers ses reflets. Il n'est<br />

réellement vivant qu'en intériorité. En moi. C'est là qu'il prend son souffle.<br />

Je ne peux pas saisir l’esprit. C’est lui qui, déjà, me saisit dans mes<br />

profondeurs. C’est lui qui me définit. C’est lui qui ‘englobe’ mes possibilités<br />

intellectuelles. Celles-ci ne sauraient donc pas l’englober à leur<br />

tour. L’esprit ne serait-il donc que fantomatique illusion ? Certes non.<br />

Car l’esprit s’appréhende. Je fais en permanence l’expérience pertinente<br />

de sa présence et de sa réalité. Je ne peux pas dire ce qu’il. Je<br />

ne peux pas dire qu’il n’est pas ! Il appelle une intelligibilité de l’ouvert.<br />

L’esprit dit ‘je’ et prend conscience de soi comme unique. Chaque fois<br />

qu’un ‘je’ se dit, émerge une présence originale. La personne est cette<br />

émergence. Il s’y célèbre l’alliance du ‘dehors’ et du ‘dedans’. La communion<br />

entre l’âme, l’esprit et le corps,<br />

La personne surgit là où l'animal humain ne se boucle pas sur luimême.<br />

Elle fait irruption en béance, réfractaire aux classifications et<br />

aux étiquettes. Parce qu'elle est essentiellement liberté. Elle se manifeste<br />

souvent là où on l'attend le moins. Liberté personnelle. Donc<br />

altérité en infini renouvellement. Donc création permanente de nouveauté.<br />

Donc aussi imprévisible – et parfois scandaleuse – originalité.<br />

La personne est ouverte sur son mystère qui est à sa manière un<br />

tremendum et un fascinosum. Et ce mystère célèbre la rencontre et<br />

l’alliance avec l’Autre.<br />

150


151


L’autre moitié<br />

L’essentiel se rencontre dans l’autre moitié. L’espérance, l’amour, la<br />

liberté, Dieu... <strong>Le</strong> monde a mal à la moitié qui lui manque. Toutes<br />

les philosophies du monde ne font que balbutier ce manque.<br />

La simple transparence du monde n’est qu’en surface. Derrière les<br />

évidences scientifiques, et dans une autre lumière, le monde est à<br />

deux moitiés. Une présente et une absente. Etonnante expérience<br />

que de rencontrer chaque fois l’autre moitié du symbole et de découvrir<br />

comment ‘colle’ la vertigineuse fracture du monde.<br />

C'est dans l'autre moitié que se rencontre l'espérance. C’est ta<br />

parole qui peut la dire. Elle peut aussi crier la désespérance. C’est<br />

ta parole qui décide de toi en même temps que tu décides d’elle. Où<br />

ailleurs chercherais-tu ta liberté ? Elle dit ton amour, cette parole.<br />

Elle peut aussi dire ta haine. Elle est faite pour la communion et en<br />

même temps elle peut refuser le dialogue. Elle dit ton projet. Elle<br />

peut également s’enliser dans ton vide et tourner en rond. Elle dit<br />

tes raisons. Elle peut aussi formuler tes doutes. Elle dit ta prière.<br />

Elle peut pareillement proférer la malédiction. Elle peut blesser<br />

aussi bien que guérir les blessures. Elle chante la vie. Elle peut<br />

aussi marmonner tes rancœurs. Elle te réconcilie avec les autres et<br />

avec toi-même. Elle peut aussi refuser le pardon. N’est-ce pas la<br />

parole qui sauve le fils prodigue ? Lorsqu’il commence par balbutier<br />

dans le secret de son cœur: “Oui, je me lèverai...”<br />

L’homme symbole de l’Autre. Sa moitié visible ne cesse d’appeler<br />

l’autre moitié, invisible...<br />

152


153


Symbole<br />

<strong>Le</strong> symbole: une moitié donne la clé de l'autre moitié. <strong>Le</strong>s deux morceaux<br />

d’un tesson brisé qui, en ‘collant’ parfaitement ensemble, prouvent<br />

une identité. Chaque moitié symbolique est ainsi béante sur l’autre<br />

moitié.<br />

<strong>Le</strong> symbole est d’abord un ‘quelque chose’ pris du sein de la nature. A<br />

la limite, n’importe quel ‘objet’ ou même n’importe quelle partie d’objet.<br />

Mais il le faut briser. L’objet devient ‘inutile’; il est bon à être jeté. Mais<br />

c’est là qu’il devient intéressant pour l’homme !<br />

N’est-ce pas une conduite étrange – étrangère à la nature – de donner<br />

ainsi valeur à un objet brisé ? Mais cette valeur est ailleurs. Elle est<br />

autre. Elle est nouvelle. Elle est différente. Et cette différence, c’est la<br />

signification.<br />

Il n’existe aucun mot qui ne reste affecté de matérialité et de naturalité.<br />

Même les termes les plus abstraits collent à la terre. <strong>Le</strong>s étymologies<br />

témoignent des enracinements tangibles. Ainsi, l’esprit. Respiration,<br />

souffle, vent... Et en même temps plus. Une moitié seulement reste<br />

déplacement d’air. L’autre moitié, symbole, souffle ailleurs et autre<br />

chose. C’est l’esprit qui rompt le monde pour l’ouvrir à son ailleurs.<br />

La source active du symbole est d'ordre sacral. C'est le sacré qui<br />

informe en ses profondeurs les puissances symbolisantes à la racine<br />

de tout symbole symbolisé. Là où toute moitié témoigne de l’autre<br />

moitié qui toujours se dérobe dans l’infinie différence pour s’y reconnaître<br />

quand même. 'Fascinosum' de l’originaire identité d’avant la<br />

brisure. 'Tremendum' de la différence béante infiniment.<br />

Tout parle puisque tout peut être symbole. Tout peut devenir signe,<br />

hanter l’ailleurs... et faire signe. De même que deux moitiés d’un tesson<br />

brisé, en montrant la parfaite correspondance de leur brisure, peuvent<br />

être signe de reconnaissance, symbole au sens étymologique.<br />

Sumbolon, sumballein, mettre ensemble. Aucune des deux moitiés ne<br />

se suffit à elle-même. Chacune ne prend sens qu’avec l’autre. La<br />

visible avec l’invisible.<br />

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<strong>Le</strong> non-dit<br />

La nature se dit inconditionnellement ‘oui’ à elle-même. L’humain – le<br />

spécifique humain qui est verbe actif avant d’être substantif – émerge<br />

dans un ‘non’. Avec lui s’ouvre une fissure qui va s’élargissant en<br />

gigantesque faille. Une distance se creuse entre. Entre immédiat et<br />

différé, entre présent et passé, entre présent et futur, entre le désir et<br />

son effectuation, entre l’être et l’apparaître, entre le possible et l’impossible,<br />

entre le dit et le non-dit, entre ce qui est et ce qui doit être...<br />

Avant la parole n’est que le tohu bohu. Avec elle l’autre advient. La<br />

parole commence avec la négation du néant. Elle fait surgir l’être. Au<br />

singulier et au pluriel. Comme aux origines du monde, c’est le logos qui<br />

ne cesse d’être créateur. Que serait le simple donné naturel, que serait<br />

l’être du monde, s’il restait prisonnier du silence ? Accéder à la parole,<br />

c’est d’abord rompre l’éternel silence du monde. Et l’émergence de<br />

l’homme signifie cette rupture. Avec lui tout se met à parler. Et tout en<br />

lui, geste, main, regard, posture, attitude, démarche, rythme, devient<br />

parlant. L’humain signifie le déploiement d’un espace où tout parle.<br />

La parole à l'ailleurs d'elle-même... Reste un dire à la limite. Allégorie.<br />

Parabole. Poème. Symbole. L’extrême fragilité du sens existentiel, sa<br />

béance, sa ‘faiblesse’, renvoient vers la ‘force’ d’un autre ordre. Non<br />

pas en continuité mais en rupture. Béant sur un ‘ailleurs’. Béant sur une<br />

éternité. Béant sur un autre ordre. Béant sur un 'pourquoi’ infini. Béant<br />

sur un exode incessant. Béant sur une gratuité absolue.<br />

<strong>Le</strong> dit appelle le non-dit et celui-ci veut se dire. Dans la rupture et le<br />

dépassement de la rupture se dit autre chose. <strong>Le</strong>s signifiants sans<br />

cesse se brisent et se recollent, s’éloignent et s’embrassent, pour que<br />

surgisse du signifié. <strong>Le</strong> symbole, ainsi, dit un infini. Mais il ne le dit<br />

jamais que dans la nostalgie de l’autre moitié.<br />

156


157


Entropie et néguentropie<br />

L’entropie signifie la dégradation de l’énergie spirituelle. Du côté de de<br />

l’indifférence, de la clôture, de la nécessité. La néguentropie signifie<br />

l’esprit victorieux sur l’entropie. Du côté de la différence, de l’ouverture,<br />

de la liberté.<br />

Que faudrait-il faire pour vaincre l'entropie ? <strong>Le</strong> savant Maxwell imagine<br />

pour cela un `démon'. Soit un récipient dans lequel règne l'équilibre<br />

thermique, c'est-à-dire l'entropie maximale. Il faut diviser ce récipient en<br />

deux parties, appelées respectivement `chaude' et `froide', grâce à une<br />

séparation étanche munie seulement d'un clapet. <strong>Le</strong> démon doit surveiller<br />

l'agitation au hasard des molécules et ouvrir chaque fois le clapet<br />

pour laisser passer dans la partie `chaude' une molécule rapide qui se<br />

présenterait du côté `froid' et pousser dans la partie `froide' une molécule<br />

lente qui se présente du côté `chaud'. Peu à peu toutes les molécules<br />

lentes se trouvent dans la partie `froide' et toutes les molécules<br />

rapides, dans la partie `chaude'.<br />

Rétablir une telle différence de potentiel signifierait incontestablement<br />

la victoire sur l'entropie. Mais quel serait le prix d'un tel travail ? En<br />

vertu du second principe de la thermodynamique la dépense d'énergie<br />

nécessaire serait supérieure à celle qu'on gagnerait ! Imaginons<br />

cependant ce démon infatigable et d'un dévouement sans limite. Soit.<br />

Seulement l'existence même d'un tel être est d'une extrême improbabilité<br />

! Et, dut-il exister, pour produire de la néguentropie à l'intérieur<br />

du système clos que constitue le récipient, le démon ne pourrait pas ne<br />

pas créer de l'entropie en-dehors de lui, c'est-à-dire dans l'ensemble du<br />

système environnant. <strong>Le</strong> système `récipent-démon-environnement', en<br />

sa clôture, reste piégé. Il ne peut échapper à l'entropie.<br />

La néguentropie ne peut venir du système lui-même, bouclé en sa clôture.<br />

Elle ne peut venir que du dehors.<br />

158


159


La raison conquérante<br />

C'est dans la nature de la raison d'être conquérante. Elle ne renie son<br />

'impérialisme' qu'en se reniant elle-même. La raison est pour ellemême<br />

juge souverain du possible et de l’impossible. Norme du possible<br />

et de l’impossible, la raison signifie la limite de la liberté humaines. En<br />

elle la liberté s’ouvre un champ quasi infini, mais elle est elle-même<br />

l’ultime nécessité englobante de la liberté. C’est entre la double nécessité<br />

de l’être – déjà n’est pas le non-être ! – et de la raison que s’ouvre<br />

l’espace du possible humain, c’est-à-dire l’espace où peut s’articuler à<br />

l’infini le monde nouveau de l’humain.<br />

La science est raison en acte et en marche. Scandale pour le fixisme<br />

traditionnel qui tablait sur des contenus absolus et sur de l’acquis définitif.<br />

La raison en marche découvre que ce qui est absolu en elle, ce<br />

n’est jamais son ‘contenu’ toujours variable historiquement mais son<br />

pur espace ‘contenant’, sa pure ‘forme’ normative.<br />

La science est une construction logiquement et rationnellement cohérente.<br />

La vérité de cette construction ne lui vient ni de sa conformité au<br />

‘réel’, ni de son efficacité pratique, mais de sa propre démarche, dialectiquement<br />

progressive, vers la cohérence logique et rationnelle. La<br />

science en marche est à elle-même sa propre vérification.<br />

160


161


Structure - rupture<br />

Aussi bien sur le plan de la pensée que de l'action humaine il n'est pas<br />

de création qui ne passe par une destruction. <strong>Le</strong> dernier mot n'est pas<br />

à la structure mais à la rupture.<br />

Alors que l’animal vit dans un monde enchaîné où les choses se donnent<br />

nouées sur elles-mêmes et liées entre elles par des liens univoques,<br />

l’homme se donne un monde en rupture de liens. Et dans ce<br />

monde aux liens rompus tout peut se relier de façon nouvelle. Cette<br />

capacité de destructurer et de restructurer, de désarticuler et de réarticuler,<br />

est la possibilité autant manuelle qu’intellectuelle de l’homme<br />

un, spirituellement matériel et matériellement spirituel. Jeu interactif<br />

entre le geste et l’idée dans l’unité du travail créateur<br />

L’arc est d’abord absent là où sont trop présentes la branche et la liane.<br />

Pourtant il doit déjà hanter cette absence pour pouvoir imposer sa<br />

pertinence là où d’abord il n’est pas. Sans cette absente présence, il ne<br />

serait jamais. Pour fabriquer un arc, il faut nier la branche et en même<br />

temps la récupérer comme bois. Il faut nier la liane et en même temps<br />

la reprendre comme corde.<br />

Récupérer et reprendre dans l’autre. C’est la possibilité même de la<br />

signification. La signification est la possibilité spécifiquement humaine<br />

de nier le même présent au profit d’un autre absent, et de rendre cet<br />

absent présent. Ainsi apparaît la liaison indissociable entre nouvelle<br />

’stucturation’ et nouvelle ’signification’, entre homo faber et homo sapiens,<br />

entre science qui déchiffre le monde et technique qui restructure<br />

les chiffres ainsi libérés, chaque signification en marche appelant de<br />

nouvelles structurations et chaque structuration acquise se destructurant<br />

et se restructurant pour de nouvelles significations... A l’infini.<br />

162


163


La structure<br />

L’ancienne intelligibilité visait à connaître le mystère du lien ontologique<br />

des êtres et des événements. C’est pourquoi elle spéculait sur des<br />

‘principes’, des ‘vertus’, des ‘forces’, des ‘influences’, etc. sensés nouer<br />

le monde conçu comme une totalité ‘symbiotique’.<br />

La nouvelle intelligibilité mécaniste n’appréhende plus un monde<br />

ontologiquement lié mais un univers logiquement structuré selon des<br />

rapports mathématiques dans un espace-temps géométrique. Elle n’est<br />

plus centrée sur l’être mais sur la structure. L’être, en quelque sorte<br />

démystifié, est livré dans sa nudité à la manipulation.<br />

<strong>Le</strong> concept de 'structure', devenu un concept cardinal dans l’épistémé<br />

moderne, livre toute chose à l’articulation, à la désarticulation et à la<br />

réarticulation. Dans la certitude que tout relève d’une vaste combinatoire<br />

et peut se construire et se déconstruire, théoriquement et pragmatiquement,<br />

intelligiblement et efficacement, dans la stricte extériorité<br />

transparente de l’espace et du temps. A travers la 'psychanalyse' de la<br />

'matière' résiste seule la notion de structure devenue ainsi une notionclé<br />

de l’intelligibilité moderne. Dégagée des projections anthropomorphes,<br />

délaissant le plan métaphysique, elle opère le passage de l’ontologique<br />

au logique, de l’être à la relation intelligible. Rapport logique,<br />

calculable, traduisible en fonction de type mathématique<br />

Voici H-O-H. C’est la même eau. Mais pour ainsi dire dans sa nudité.<br />

Simple formule. L’eau devenue intelligible. Non plus 'essence' mais<br />

pure structure. Simple rapport logique qui traduit la structure moléculaire<br />

de l’eau et qui me livre en même temps sa loi de construction. H<br />

et O ne sont pas d’abord de l’hydrogène et de l’oxygène au sens où ils<br />

renverraient à des ‘composants’ essences ou substances. Ce sont<br />

d’abord des symboles comme d’autres symboles de type mathématique.<br />

164


165


Structuration<br />

La pensée est d’abord discursive. Elle se constitue par structuration,<br />

destructuration et restructuration de concepts, de jugements et de<br />

raisonnements. Elle procède par articulation, désarticulation et réarticulation<br />

d’éléments et de complexes structurels selon des médiations<br />

reliantes ou des enchaînements. Structurations, articulations et médiations<br />

définissent une sorte de mécanisme mental toujours plus ou<br />

moins formel et ayant un certain degré de généralité<br />

La signification est la possibilité spécifiquement humaine de nier le<br />

même présent au profit d’un autre absent, et de rendre cet absent<br />

présent. Ainsi apparaît la liaison indissociable entre nouvelle ’stucturation’<br />

et nouvelle ’signification’, entre homo faber et homo sapiens,<br />

entre science qui déchiffre le monde et technique qui restructure les<br />

chiffres ainsi libérés, chaque signification en marche appelant de<br />

nouvelles structurations et chaque structuration acquise se destructurant<br />

et se restructurant pour de nouvelles significations... A l’infini.<br />

La béance ne peut être que le propre de l'esprit. La matière, en effet,<br />

fonctionne en bouchant les trous. Il est vrai que rien n’existe concrètement<br />

qui ne soit ’construit’, de l’atome aux formes les plus complexes<br />

de la vie, de la pierre éclatée de l’homme préhistorique aux prouesses<br />

de la technique avancée, des premiers balbutiements du langage aux<br />

plus sublimes paroles poétiques ou mystiques. Tout est articulé,<br />

désarticulé, réarticulé, structuré-ensemble, construit. Pourtant l’essentiel<br />

humain surgit à travers la destruction des constructions. Il n’est pas<br />

en continuité mais en rupture. Il advient du côté de l’autre.<br />

166


167


Rationalité constituante<br />

La raison constituante est tellement discrète qu’elle ne se manifeste<br />

pas habituellement en pleine lumière. <strong>Le</strong>ibniz déjà disait des principes<br />

qu’ils étaient comme les muscles et les tendons le sont pour marcher,<br />

quoiqu’on n’y pense point. Elle est pauvre en face de la richesse de la<br />

raison constituée. Elle est servante. Elle est outil de tout outil. Mais elle<br />

est reine aussi. Norme suprême de toute pensée réfléchie et de toute<br />

action cohérente. Juge souverain de ses pouvoirs. Ancillaire et néanmoins<br />

souveraine possibilité d’un non, d’une distance, d’une rupture,<br />

faisant irruption au cœur de la nature.<br />

A travers ses aventures historiques, la raison reste immuable dans ses<br />

exigences. Quelles que soient les formes concrètes de son application,<br />

la raison demeure imperturbablement ouverture critique et exigence de<br />

rationalité. En tant que constituante, la raison reste immuablement exigence<br />

axiologique. Et c’est cette raison activement constituante, raison<br />

de toute raison historiquement constituée, qui régit universellement<br />

l’espace matriciel de l’humain, l’espace du logos.<br />

La ‘science’ n’est pas simplement la science constituée, c’est-à-dire<br />

l’édifice imposant de l’ensemble des concepts, des connaissances, des<br />

méthodes, des lois et des théories. L’état de la science à un moment<br />

donné de sa démarche n’est jamais qu’un état relatif et révisable.<br />

Derrière les sciences constituées est à l’œuvre la science constituante,<br />

c’est-à-dire la conquête de la raison scientifique. Une aventure jamais<br />

achevée de l’intelligibilité scientifique.<br />

168


169


Espace de la science<br />

La science se construit et se totalise en postulant – postulare: demander<br />

qu’on lui accorde – un certain espace d’intelligibilité.<br />

Cet espace est totalitaire: rien, en droit, n’échappe à cette intelligibilité,<br />

même si, de fait, provisoirement, il reste des zones d’ombre ou de<br />

mystère. Cet espace est cohérent: le même type d’intelligibilité le régit<br />

de part en part. Cet espace est homogène: il n’y a pas de rupture<br />

d’intelligibilité. Cet espace est structural: ne porte pas sur l’être mais<br />

sur la structure; tout est articulable, désarticulable et réarticulable,<br />

analytiquement et synthétiquement, inductivement et déductivement,<br />

selon des rapports calculables. Cet espace est déterministe: les<br />

rapports entre les parties et entre le tout et les parties sont nécessaires<br />

et se traduisent par des relations logico-mathématiques. Même l’<br />

‘indéterminisme’ est traité de façon déterministe. Cet espace est<br />

objectif: il porte strictement sur un ‘ce que’, exclusif de tout ‘projet’ et de<br />

toute ‘intention’. Dans un tel espace les assertions sont fondamentalement<br />

hypothético-déductives.<br />

La science ‘constituante’ provoque sans cesse la science ‘constituée’<br />

en avant d’elle-même. Dans son évolution d’ensemble, la science<br />

progresse dialectiquement. L’histoire des sciences est l’histoire<br />

mouvementée de victoires remportées sur la contradiction. Une vérité<br />

scientifique est chaque fois une contradiction (provisoirement) surmontée.<br />

En attendant de rencontrer une nouvelle contradiction qui<br />

l’obligera à se dépasser. La perspective d’une science qui avancerait<br />

en ligne continue par simple ’accumulation’ répond à une image naïve.<br />

Ce sont les crises qui sont motrices du progrès scientifique. <strong>Le</strong> progrès<br />

des sciences signifie quelque chose comme une révolution permanente.<br />

170


171


Progressivité historique<br />

L’idée aime se retrouver avec l’idée dans le monde du même. Là règne<br />

l’ordre homogène de la transparence, de la clarté et de la distinction, et,<br />

partant, de la compréhension et de la prévisibilité. <strong>Le</strong>s choses sont<br />

appelées à s’ordonner logiquement les unes aux autres et à se tenir<br />

solidement par la main. Dans ce réseau de liens serrés la surprise ne<br />

peut être que passagère, vite arraisonnée par la nécessité de l’ordre du<br />

même qui tend à se faire totalitaire.<br />

Quelque chose, cependant, ne se laisse jamais complètement intégrer<br />

dans la sphère idéelle. C’est le réel. Non pas l’idée du réel, mais le<br />

réel-réel. L’idée fait très vite le tour de toute l’étendue de son domaine.<br />

<strong>Le</strong> réel, lui, déborde toujours les compréhensions. Il ne se livre pas<br />

entièrement. Il ne se laisse prendre que par un bout de lui-même. Ce<br />

qu’il a d’unique et de particulier résiste aux généralités. Sa dimension<br />

de facticité déborde les nécessités logiques. Cet autre de l’idée<br />

provoque l’idée à ériger ses défenses et à se réfugier dans l’espace<br />

apprivoisé de son possible ‘idéel’. C’est là qu’elle construit ses citadelles<br />

idéologiques. Mais combien de temps ces fortifications restentelles<br />

imprenables ? L’autre se révèle toujours, à terme, plus fort que les<br />

sécurités du même. <strong>Le</strong>s idéologies ne tiennent que pour un temps,<br />

vaincues par les morsures de l’expérience, les béances de l’histoire et<br />

les négativités qu’elles-mêmes ne cessent d’engendrer.<br />

<strong>Le</strong> pénible passage de l'abstrait au concret se voit dans la lente évolution<br />

du domaine scientifique depuis les Grecs jusqu'à aujourd'hui.<br />

Plus l'objet d'un domaine est concret, plus son accès au statut<br />

scientifique est difficile.<br />

<strong>Le</strong>s Grecs ont fondé la mathématique et posé l’idéal mathématique<br />

comme principe de toute science. Paradoxalement la valeur même de<br />

leur découverte allait jouer comme obstacle et comme limite. Telle était<br />

la séduction de l’idée que toute compromission avec son ’autre’, c'està-dire<br />

le réel concret, semble impensable. <strong>Le</strong> lent accès des différents<br />

domaines au statut scientifique en témoigne.<br />

172


173


Analyse – synthèse<br />

La pensée ne penserait pas sans cette fondamentale différence. Analyse<br />

et synthèse constituent les deux mouvements essentiels de la<br />

pensée. Chacun de ces mouvements peut être privilégié selon le<br />

rapport du sujet pensant avec l’objet pensé et, partant, dominer globalement<br />

tel ou tel processus articulatoire. Ainsi, par exemple, tel<br />

raisonnement mathématique procédera plutôt selon le mouvement<br />

synthétique; tel moment d’une explication physique sera plutôt sous le<br />

signe de l’analyse.<br />

Mais la démarche d’ensemble de la pensée, aussi bien dans son<br />

mouvement total que dans chaque moment de son processus, implique<br />

dialectiquement la complémentarité des deux mouvements antithétiques<br />

que sont l’analyse et la synthèse. Renan n’a-t-il pas dit fort judicieusement<br />

que toute connaissance était une analyse entre deux<br />

synthèses ? Cela est vrai non seulement de la connaissance dans son<br />

ensemble, non seulement de chaque connaissance particulière, mais<br />

même de chaque moment le plus élémentaire de chaque connaissance.<br />

Cela est vrai déjà au niveau de la simple perception. Voir un<br />

arbre n’est-ce pas, à partir d’une aperception synthétique, première et<br />

confuse, distinguer analytiquement, pour percevoir l’unité synthétique<br />

de ce que nous pouvons désigner et penser comme ‘arbre’ ? Cela est<br />

vrai au niveau des processus les plus complexes de la recherche, de la<br />

découverte et de l’explication scientifiques.<br />

C’est grâce à cette articulation dialectique de deux mouvements de la<br />

pensée, le mouvement inductif et le mouvement déductif, que l’esprit<br />

réalise progressivement l’accord avec le réel naturel. Ce travail est à<br />

l’œuvre dès la simple perception. Pour l’homme le ’sentir’ et le ’voir’<br />

sont déjà pétris d’idée parce que déjà assumés dans la conduite du<br />

logos. Avec le langage commence la science. L’articulation discursive<br />

du langage prend de plus en plus en charge l’articulation rationnelle<br />

d’un cosmos dans l’unité du logos indissociablement parole, calcul et<br />

raison.<br />

174


175


Entre idée et réel<br />

La science en tant qu'expérimentale procède dialectiquement entre les<br />

deux polarités différentielles que sont le donné naturel et l’idée. Claude<br />

Bernard dégage le moment ternaire de ce processus expérimental: le<br />

fait suggère l’idée. L’idée dirige l’expérience. L’expérience juge l’idée.<br />

C’est grâce à cette articulation dialectique de deux mouvements de la<br />

pensée, le mouvement inductif et le mouvement déductif, que l’esprit<br />

réalise progressivement l’accord avec le réel naturel. Ce travail est à<br />

l’œuvre dès la simple perception. Pour l’homme le ’sentir’ et le ’voir’<br />

sont déjà pétris d’idée parce que déjà assumés dans la conduite du<br />

logos. Avec le langage commence la science. L’articulation discursive<br />

du langage prend de plus en plus en charge l’articulation rationnelle<br />

d’un cosmos dans l’unité du logos indissociablement parole, calcul et<br />

raison.<br />

De la simple perception subjective à la perception objective des faits,<br />

faits scientifiques, de la perception objective des faits à l’articulation<br />

rationnelle des rapports entre les faits, lois scientifiques, de l’articulation<br />

des rapports entre les faits à l’articulation de rapports entre les rapports,<br />

théories scientifiques, s’opère une progressive conquête dialectique<br />

de l’intelligible sur le sensible, du rationnel sur l’empirique, de<br />

l’esprit sur la matière. Et cette conquête évolutive et révolutive est<br />

donnée, inchoativement, dès que le spécifique humain émerge à la fois<br />

en continuité et en rupture avec la nature.<br />

176


177


<strong>Le</strong>s rapports<br />

L’attitude naïve consiste à croire en un objet en soi autour duquel<br />

graviterait un sujet en soi, pour le connaître en le découvrant et en s’en<br />

faisant une représentation-reflet. <strong>Le</strong> renversement de cette attitude<br />

représente incontestablement un effort critique par sa prise de distance<br />

par rapport à la séduction naïve qu’exerce ‘naturellement’ l’objet sur le<br />

sujet. Dans ce renversement c’est le sujet qui devient central et qui<br />

prend conscience que c’est finalement grâce à lui – grâce à ses<br />

structures sensorielles et intellectuelles – que l’objet se manifeste de<br />

telle façon alors qu’il pourrait fort bien se manifester autrement si la<br />

structure du sujet connaissant était autre.<br />

Ce renversement signifie quelque chose comme une révolution copernicienne<br />

sur le plan épistémologique. Une critique plus critique, cependant,<br />

découvre dans ces deux perspectives antithétiques une naïveté<br />

encore plus fondamentale, à savoir la croyance en un ‘absolu’ de type<br />

métaphysique: un objet ‘en soi’ et un sujet ‘en soi’... Elle les dépassera<br />

dialectiquement.<br />

<strong>Le</strong> débat cosmologique fut faussé par cette croyance naïve en des<br />

points absolus de l’univers. Nous savons aujourd’hui qu’il est presque<br />

aussi faux – ou aussi vrai – d’affirmer que la terre tourne autour du<br />

soleil que d’affirmer que le soleil tourne autour de la terre. La première<br />

affirmation n’est pas plus vraie que la seconde; elle est simplement<br />

plus commode pour un observateur placé à l’intérieur du système<br />

solaire.<br />

C’est que la notion de rapport (logico-mathématique) s’est substituée<br />

aux réalités ‘en soi’ (métaphysiques). Rapport entre soleil et terre.<br />

Rapport entre sujet et objet. L’objet de la science n’est plus un objet en<br />

soi ayant sa vérité et même sa réalité indépendamment du sujet<br />

connaissant. L’objet de la science c’est le rapport lui-même entre un<br />

sujet et un objet. Rapport purement logique qui se traduit mathématiquement<br />

178


179


Hypothético-déductif<br />

L'idée de derrière... Si... alors. <strong>Le</strong> processus est hypothético-déductif. Il<br />

faut confronter l’idée aux faits. L’hypothèse n’a de signification scientifique<br />

que si elle est vérifiable. Il faut donc inventer les moyens de<br />

vérification. Et là encore procéder hypothético-déductivement. En<br />

l’occurrence, on le sait, c’est Pascal qui a inventé aussi bien le dispositif<br />

expérimental que les conditions d’expérimentation pour la vérification<br />

de l’hypothèse de Toricelli. L’hypothèse dirige l’expérience.<br />

L’expérience juge l’idée.<br />

L’objet de la science n’est plus un objet en soi ayant sa vérité et même<br />

sa réalité indépendamment du sujet connaissant. L’objet de la science<br />

c’est le rapport lui-même entre un sujet et un objet. Rapport purement<br />

logique qui se traduit mathématiquement. La science constitue donc un<br />

dépassement dialectique des deux perspectives antithétiques premières.<br />

Objectivité et subjectivité se dépassent pour se reprendre en<br />

totalité logico-matérielle que nous appelons ‘univers’. Cet univers n’est<br />

ni simplement donné ni simplement reçu. Il est construit. Il est en<br />

quelque sorte créé par la science.<br />

<strong>Le</strong> nouvel esprit scientifique relativise son discours comme ‘un’ discours<br />

possible sur la totalité. Il vise des relations plutôt que le ‘réel’. Il<br />

procède et se constitue hypothético-déductivement. Son ‘matérialisme’<br />

n’est plus de substance mais simplement de structure.<br />

La science est hypothético-déductive non seulement dans son processus<br />

interne mais encore dans sa possibilité constitutive radicale. La<br />

partie jouée présuppose en effet le ‘jeu’ et les ‘règles’ du jeu !<br />

180


181


Dogmatisme – Scepticisme<br />

Une crise affecte aujourd’hui les sciences. Elle est surtout sensible<br />

dans les sciences fondamentales, à savoir la mathématique et la<br />

physique. <strong>Le</strong>s autres sciences, la biologie par exemple, fonctionnent<br />

dans l’espace des sciences fondamentales. Elles sont en quelque sorte<br />

englobées par elles. Elles ne se posent donc pas les questions essentielles.<br />

Elles continuent de fonctionner comme une sorte de meccano, à<br />

partir de ’pièces’ disponibles, quelles que soient les béances derrière<br />

ses matériaux et derrière ses lois de construction.<br />

Il y a là un tournant épistémologique d’une importance capitale qui<br />

ouvre la perspective moderne sur la vérité scientifique. Celle-ci ne peut<br />

plus se constituer en absolu dogmatique; elle se fait critiquement relative.<br />

Ce relativisme n’est pas sceptique puisque l’esprit en rend raison.<br />

La science est dépassement dialectique du dogmatisme et du scepticisme.<br />

<strong>Le</strong>s deux trouvent la vérité à travers leur affrontement et dans<br />

leur dépassement. <strong>Le</strong> dogmatisme affirme, le scepticisme nie ou met<br />

en question. <strong>Le</strong> dogmatisme campe sur ses certitudes. <strong>Le</strong> scepticisme<br />

laisse les questions ouvertes. <strong>Le</strong> dogmatisme appuie le pas sur la terre<br />

ferme. <strong>Le</strong> dogmatisme lève le pied pour pouvoir avancer.<br />

182


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L’englobant de la science<br />

Un espace ne peut être dit 'absolu' qu'à la condition qu'il ne soit pas<br />

englobé par un espace plus englobant. Or chacun de nos espaces humains<br />

n'est jamais que relatif. Mais chaque fois que nous voulons l'enfermer<br />

sur lui-même, en d'autres termes, chaque fois que nous voulons<br />

en faire l'espace unique et total de nos possibilités, nous l'érigeons en<br />

absolu. Mais cela se révèle être sans doute la plus gigantesque de nos<br />

illusions.<br />

On ne se libère de cette illusion que par le questionnement critique,<br />

c'est-à-dire par la quête infinie du 'pourquoi' derrière chaque 'pourquoi'.<br />

Une authentique écologie (oïkologie) épistémologique ne peut pas<br />

passer à côté de la question de l'englobant de tous les englobants.<br />

Derrière la multiplicité des espaces englobés, quel est l'ultime espace<br />

englobant, c'est-à-dire finalement l'espace du sens du sens ? Ici<br />

l'éventail des options ouvre l'indéfinie différence des engagements.<br />

Cet espace que la science ne peut pas ne pas se donner, sous peine<br />

de se nier elle-même, recouvre-t-il la totalité de tout espace possible de<br />

l’intelligibilité ? Cet englobant que la science pré-suppose sans pouvoir<br />

en rendre raison constitue l’originaire postulat de la science. <strong>Le</strong> ‘régionalisme’<br />

est tentation permanente de l’esprit humain. <strong>Le</strong> ‘cosmos’ est<br />

toujours à la mesure de notre possible. Quelle que soit la dimension de<br />

notre totalisation. Notre possible nécessairement totalise. Notre raison<br />

totalise. Notre impossible possible est critique de la critique à l’infini.<br />

Avec la science il ne s'agit encore que de l'englobant d'intelligibilité. Par<br />

contre, Une question comme "pourquoi la science ?" la situe elle-même<br />

flottante dans un autre espace qui n'est plus simplement 'scientifique', à<br />

savoir l'espace du 'sens'. Ainsi l'englobant de la science se trouve luimême<br />

englobé dans un englobant plus large. La 'maison' science se<br />

situe dans un oïkos plus englobant.<br />

Et chaque espace 'englobant' d'un espace 'englobé' marque la béance<br />

de celui-ci. Mais où trouvera-t-on l'ultime espace englobant qui n'est luimême<br />

béant sur aucun autre ?<br />

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185


<strong>Le</strong> sens<br />

<strong>Le</strong> sens ? Même en fuyant la question on ne sort pas de son englobant<br />

! Même le non-sens en vit à sa manière.<br />

On trouve le sens est partout... du côté du sentir, de la compréhension,<br />

du signifier, de l'expliquer, de la direction, de l'orientation, de la valorisation,<br />

de la raison d'être... Ici il s’agit du sens de l’existence... La<br />

raison d’exister, la raison de vivre, la raison d’être embarqué. Face à<br />

l’absurde, à la déraison, au non-sens. Savoir où l’on va. Ne manquer ni<br />

de boussole ni de référentiel. Etre paré pour affronter les tempêtes.<br />

<strong>Le</strong> sens appelle à travers son absence ou son contraire, à savoir l’absurde,<br />

l’incompréhensible, l’irrationnel...<br />

Contrairement à l’animal à qui le sens est pour ainsi dire donné<br />

d'emblée, l'homme est l'être en qui le sens se décide. L’animal ne ‘perd’<br />

jamais le sens. Seul l’homme peut le perdre. Il lui appartient de se le<br />

donner.<br />

La protestation du sens est identiquement la protestation de la différence.<br />

Là où ça ne proteste plus, il n’y a plus de sens. Reste le règne<br />

de l’indifférence. En traversant la différence l’humain se décide. L’indifférence<br />

est stérile et insignifiante.<br />

L’indifférence tend vers le sens zéro. <strong>Le</strong> sens est fils de la différence.<br />

On peut même affirmer d’emblée que plus est forte la différence, plus<br />

fort est le sens. En même temps c’est le sens qui provoque inlassablement<br />

la différence. Sans lui, dans le cosmos, régnerait l’absolue<br />

équivalence.<br />

Il n’y a pas de valeur qui ne soit fondamentalement exigence de différence.<br />

Que serait, en effet, le Bien en soi, le Vrai en soi, le Beau en soi,<br />

le Juste en soi... s’il n’y avait pas en face, antagoniste provocateur, le<br />

mal, le faux, le laid, l’injuste ? Or le sens implique que les valeurs<br />

‘valent’.<br />

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187


Notre espace d’humanité<br />

Notre espace d’humanité. Aucun d’entre nous ne survit sans s’y désaltérer,<br />

sans s’y nourrir, sans y respirer. Pas seulement physiquement !<br />

L'humain habite un espace. Cet espace n'est pas d'abord la simple<br />

structure spatiale abstraite et vide de la géométrie, mais un espacetemps<br />

concret et vivant. Un espace où les 'contenus' sont en interaction<br />

avec le 'contenant'. Un espace qui est en même temps 'plus' que la<br />

somme des parties qui l'occupent et qualitativement différent d'elles. Un<br />

espace quasi biologique qui a déjà sa densité et son intensité spécifiques.<br />

Quelque chose comme un milieu de vie, un habitat... Une<br />

maison. Ma maison...<br />

L’espace de l’humain constitué à travers sa diversité spatio-temporelle.<br />

Espace de la raison constituée avec ses possibilités et ses impossibilités<br />

épistémologiques et pragmatiques. Espace de la parole<br />

constituée à travers les philosophies et les lettres. Espace du savoir<br />

constitué à travers les sciences ou les mythes. Espace de la sensibilité<br />

constituée à travers les arts, les modes, les séductions. L’espace des<br />

rêves, des projets et des utopies. L’espace des valeurs. L’espace des<br />

croyances. L’espace des techniques et des constructions. L’espace des<br />

réseaux et des communications...<br />

Avant même que 'je' ne devienne homme, déjà il y a un espace qui me<br />

précède et où le 'çà' du sens de l'humain se déploie ou se retire.<br />

Cet espace de l’humain est matriciel. Il porte en gésine. <strong>Le</strong> petit de<br />

l’homme sorti du sein biologique n’est encore, d'une certaine façon,<br />

qu’une sorte de ‘matière première’ à hominisation. Son humanité fœtale<br />

n’arrive à maturation qu’à travers un long engendrement dans l’espace<br />

humain du sens.<br />

188


189


<strong>Sens</strong> constitué et sens constituant<br />

Concrètement, le discernement n’est pas toujours facile, l’englobé se<br />

prenant pour l’englobant. Sans oublier qu’un 'englobant' peut se trouver<br />

'englobé' à un niveau plus large<br />

<strong>Le</strong> sens constituant est tellement discret qu’il ne se manifeste pas<br />

habituellement en pleine lumière. Il reste toujours pauvre face à la<br />

richesse des sens constitués. Il est comme l'âme dans un corps.<br />

<strong>Le</strong> sens constituant. <strong>Le</strong> sens du sens. C’est-à-dire le sens qui donne<br />

sens. <strong>Le</strong> sens qui porte et englobe les sens ‘constitués’. <strong>Le</strong> sens qui<br />

proteste contre l’absurde. <strong>Le</strong> sens qui résiste au non-sens. <strong>Le</strong> sens qui<br />

ouvre les horizons. <strong>Le</strong> sens qui met en perspective. <strong>Le</strong> sens qui<br />

rassemble ce qui est dispersé et disperse ce qui s’agglutine. <strong>Le</strong> sens<br />

qui libère les ‘pourquoi’ de l’angoisse. <strong>Le</strong> sens qui affecte d’un ‘plus’ le<br />

verbe être. <strong>Le</strong> sens qui crève les cercles vicieux. <strong>Le</strong> sens qui fait que<br />

les raisons se tiennent et s’entretiennent. <strong>Le</strong> sens qui lit entre les<br />

lignes. <strong>Le</strong> sens qui met en transparence. <strong>Le</strong> sens qui ne perd pas<br />

l’humour.<br />

<strong>Le</strong> sens constitué. C’est-à-dire le sens historiquement et socialement<br />

constitué. <strong>Le</strong> ‘sens’ que nous nous donnons pour vivre et survivre. <strong>Le</strong><br />

sens ‘commun’ de notre compréhension. <strong>Le</strong> sens partagé de notre<br />

expérience... Mais aussi (hélas!) <strong>Le</strong> ‘sens’ de nos facilités et de nos<br />

pares-ses. <strong>Le</strong> ‘sens’ de nos démissions. <strong>Le</strong> ‘sens’ qui nous fige dans<br />

nos habitudes... <strong>Le</strong>s succédanés du sens: <strong>Le</strong> sens factice. <strong>Le</strong> sens<br />

fabriqué. <strong>Le</strong> sens pacotille du quotidien. <strong>Le</strong> sens des horizons convenus.<br />

<strong>Le</strong> sens du ronron habituel. <strong>Le</strong> sens ‘mini’ de l’ élémentaire. <strong>Le</strong><br />

sens mercenaire. <strong>Le</strong> sens utilitaire. <strong>Le</strong> sens anonyme du ‘on’. <strong>Le</strong> sens<br />

du divertissement. <strong>Le</strong> sens des paradis artificiels. <strong>Le</strong> sens de la fuite en<br />

avant. <strong>Le</strong> sens des façades. <strong>Le</strong> sens futile du moment. <strong>Le</strong> sens<br />

pathologique. <strong>Le</strong> sens coprophage...<br />

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191


<strong>Le</strong> surgissement du logos<br />

Si n’était pas la parole... Ce conditionnel est lourd d’absurde. Mais sans<br />

la parole l’absurde lui-même n’aurait pas de sens. Rien n’aurait de<br />

sens. Bien moins, rien n’existerait. Que serait en effet l’être immergé<br />

dans un silence impénétrable ? Rien ne serait. Même pas le néant<br />

puisque le néant lui-même a encore besoin de se dire.<br />

Sans la parole... On peut essayer d’imaginer, à la limite – à l’extrême<br />

de la limite ! – un silence éternel et absolu. Mais c’est encore, c’est<br />

toujours, un silence qui parle ! Et s’il se taisait ? Alors plus rien... rien...<br />

rien... Même pas les points de suspension !<br />

L’humain n’est pas sans cette parole par laquelle l’homme se dit en<br />

proférant le verbe qui lui donne sens.<br />

L’homme parle. Il dit et se dit à travers ce dire. L’humain est création du<br />

verbe. En même temps le verbe est création humaine. <strong>Le</strong> cercle n’est<br />

vicieux que dans le monologue.<br />

Il n'y a d'humain que là où se dit une culture, c’est-à-dire un champ<br />

sémantique défriché, labouré et ensemencé.<br />

Une culture... c’est-à-dire un discours multiforme à travers les temps et<br />

les lieux. Un discours polyvalent fait aussi bien de gestes constructeurs<br />

et de graphies symboliques que de sonorités verbales. Un discours à la<br />

fois matériel et idéel. Un discours tour à tour logique et prophétique.<br />

<strong>Le</strong> ‘fond’ de culture: un ‘discours’ de base. Derrière les discours au<br />

pluriel se tient chaque fois un Discours au singulier qui les englobe. La<br />

multiplicité des discours d’une culture se profèrent interactivement sur<br />

fond de murmure de ce Discours. Donateur de cohérence, d’unité, de<br />

totalité, de valeur et de sens.<br />

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La personne donatrice de sens<br />

<strong>Le</strong> sens ne surgit pas de l’identité mais de la différence. L’acte du sens<br />

sort l’être de son in-différence et le situe dans la différence. L’instance<br />

différenciatrice par excellence est la personne humaine en sa liberté.<br />

<strong>Le</strong> spécifique humain n’est pas en continuité. Il est en rupture. Essentiellement<br />

sous les espèces de la personne. Ce n’est pas le ‘on’ mais la<br />

‘personne’ qui dote l’humain de son sens existentiel.<br />

La personne est un absolu au cœur de la contingence.<br />

La personne est l’homme qui passe infiniment l’homme.<br />

La personne est dissidence.<br />

La personne n'est pas règle mais exception.<br />

La personne ne se définit pas, elle est hors de...<br />

La personne ne se démontre pas, elle se montre.<br />

La personne n’est jamais épuisée par ce qui l’exprime.<br />

La personne ne fait pas le tour de son propre mystère.<br />

La personne est création continue.<br />

La personne est en route, dans le dépassement..<br />

La personne n'est jamais asservie La personne a horreur du plein.<br />

La personne sait être ailleurs.La personne respire l'humour.<br />

La personne s'accomplit dans ce qui vaut plus que la vie.<br />

La personne est riche de ce qui lui reste dans la nudité.<br />

Ce n’est pas la ‘nature’ qui dote l’humain de son sens existentiel mais<br />

la liberté. Selon la ‘nature’, en effet, l’homme n’est qu’un animal livré à<br />

la biologie. La ‘nature’ n’a ni compréhension ni respect pour les valeurs<br />

spécifiquement humaines qui restent proprement ‘contre-nature’. La<br />

sainteté, par exemple, ou l’exigence morale.<br />

L’âme prend corps... <strong>Le</strong> corps épouse l’esprit... La réalité spirituelle<br />

s’expérimente en même temps charnelle. Et la dimension charnelle,<br />

spirituelle. <strong>Le</strong> corps se vit comme un microcosme traversé par la<br />

béance. Il se fait médiateur de sens.<br />

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Ouvert sur un infini<br />

<strong>Le</strong>s concepts essentiels de notre condition peuvent se diviser en deux<br />

classes selon qu’ils sont ‘clos’ ou ‘ouverts’. <strong>Le</strong>s premiers nous<br />

permettent de devenir ‘maîtres et possesseurs’. Ils tendent vers un<br />

minimum de sens et un maximum de puissance. <strong>Le</strong>s seconds nous exposent<br />

et nous livrent à l’infinie béance. Ils nous laissent avec un<br />

minimum de pouvoir. Mais tendent vers un maximum de sens. .<br />

Béant sur un ‘ailleurs’. Béant sur une éternité. Béant sur un autre ordre.<br />

Béant sur un ‘pourquoi’ infini. Béant sur un exode incessant. Béant sur<br />

une gratuité absolue.<br />

<strong>Le</strong> sens est d’autant plus en béance qu’il est plus englobant et plus<br />

constituant. L’extrême sens est extrême béance. L’absence de Dieu en<br />

témoigne.<br />

<strong>Le</strong>s concepts de l'extrême sont en même temps d'extrême béance.<br />

Comment 'faire le tour' de concepts tels que Dieu, l’être, l’éternité, la<br />

facticité, l’existence, la mort, l’amour, la liberté, le mal... ? L’extrême<br />

fragilité du sens extrême, sa béance, sa ‘faiblesse’, renvoient vers la<br />

‘force’ d’un autre ordre. Non pas en continuité mais en rupture.<br />

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Composantes et exposantes<br />

Deux longues séries d'antinomies radicales dont on n'évoque ici que<br />

les axes majeurs. <strong>Le</strong>s premières garantissent les cohérences et les<br />

harmonies. <strong>Le</strong>s secondes ouvrent la démesure.<br />

L'humain, dans toutes ses dimensions, qu'elles soient personnelles,<br />

sociales, historico-culturelles, est enfant de la différence. Cette différence<br />

fondatrice non seulement le fait naître et grandir, elle le constitue<br />

en son être profond. Derrière les multiples différenciations, entre ‘droite’<br />

et ‘gauche’ par exemple, se tiennent des différences plus fondamentales.<br />

Celles-ci se fondent finalement sur les deux dimensions<br />

antithétiques fondatrices que sont les 'composantes' et les 'exposantes'.<br />

L’homme occidental ne se comprend pas lui-même s’il méconnaît les<br />

gigantesques différences qui se sont affrontées et inter-fécondées pour<br />

lui donner naissance. Il n’est pas né par parthénogenèse ! Il est né de<br />

père et de mère. Sa mère est païenne. Son père est judéo-chrétien. De<br />

son héritage maternel, il tient ses ‘composantes’. De son héritage<br />

paternel, ses ‘exposantes’<br />

<strong>Le</strong> moteur de cette étreinte d’extrême différence est dialectique. <strong>Le</strong><br />

génie païen avait bouclé en harmonie la plénitude immanente de<br />

l’humain. C’est cette positivité de la perfection ’thétique’ qu’affronte la<br />

négativité ’antithétique’ des significations judéo-chrétiennes.<br />

Deux conceptions radicalement différentes de la totalité. Deux visions<br />

radicalement différentes de l’homme. Deux espaces du pensable et du<br />

possible.<br />

La rencontre providentielle entre notre mère païenne et notre père<br />

judéo-chrétien fait s'étreindre les maternelles composantes et les<br />

paternelles exposantes.<br />

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Constructeurs de la cité idéale<br />

et aventuriers de l’eschatologie<br />

Une telle typologie différentielle renvoie à une opposition profonde au<br />

cœur du sens de l’humain. Deux types humains. Deux projets d’humanité.<br />

Chercher refuge dans le repli protecteur de l’Age d’or et de la Cité<br />

idéale. Ou bien marcher vers la terre promise en risquant l’aventure et<br />

en consommant les ruptures.<br />

Intelligibilité différentielle. Cette opposition d'antinomies n'est pas pour<br />

dichotomiser le réel et le fixer en dualisme. En dégageant les significations<br />

antinomiques on veut essentiellement dégager un espace. Un<br />

espace de tension dialectique entre polarités antithétiques ou conceptspolaires<br />

au service d'une typologie différentielle créatrice, dialectiquement,<br />

d'intelligibilité. Il ne peut, en effet, y avoir d'intelligibilité qu'à travers<br />

la différence.<br />

Ces polarités ou concepts qui se répondent en s'opposant ne sont pas<br />

des étiquettes couvrant des contenus fixes et définis. Il s'agit plutôt de<br />

concepts ouverts qui visent au-delà vers une 'essence' qui se précise<br />

progressivement. Pour dégager l'essence derrière le concept "aventuriers<br />

de l'eschatologie", par exemple, un ensemble de phénomènes,<br />

de dimensions, de projets, d'archétypes, etc., donc un ensemble de<br />

concepts de même famille, s'appellent réciproquement et convergent<br />

vers cette 'essence'. Il en va de même pour le concept "constructeur de<br />

la cité idéale".<br />

L'essence de chaque famille antithétique se dégage ainsi en gagnant à<br />

la fois en 'compréhension' et en 'extension'. Dès lors l'essence se<br />

révèle ENTRE les deux.<br />

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A travers<br />

L’esprit ne traverse pas seulement les matérialités. <strong>Le</strong> champ qu’il<br />

traverse est large comme l’esprit lui-même. Traversée des particularités<br />

vers l’universalité. Traversée de la confusion vers la clarté. Traversée<br />

de la subjectivité vers l’objectivité. Traversée de la dispersion vers<br />

l’unité. traversée de l’incohérence vers la cohérence. Traversée de la<br />

complication vers la simplicité. Traversée de l’absurde vers le sens.<br />

Traversée de l’indifférence vers la différence...<br />

<strong>Le</strong> sens humain se déploie en l’ouvert. A travers un champ de tensions<br />

dynamiques entre des essences antithétiques.<br />

Parler, c’est aussi traverser inlassablement le langage lui-même. Car<br />

celui-ci n’est que l’outil de la parole. Outil merveilleux, mais outil seulement.<br />

Donc service. La parole le traverse comme la création traverse<br />

les codages. La parole véritable, parle contre le langage.<br />

La logique de la traversée... Une logique apparemment illogique. Un<br />

affront à la logique simplement logique.<br />

L’essentiel humain passe à travers. L’homme parle grâce au signe<br />

libéré, dans l’exode hors d’un monde bouclé en sa compacité. L’essentiel<br />

passe entre les structures pour surgir en leur béance.<br />

Fils de la béance. Béant sur un ‘ailleurs’. Béant sur une éternité. Béant<br />

sur un autre ordre. Béant sur un ‘pourquoi’ infini. Béant sur un exode<br />

incessant. Béant sur une gratuité absolue.<br />

<strong>Le</strong> sens est d’autant plus en béance qu’il est plus englobant et plus<br />

constituant. L’extrême sens est extrême béance. L’absence de Dieu en<br />

témoigne.<br />

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L’enfermement du souffle<br />

L’humain se coupe de la plénitude de l’être, prend son autonomie,<br />

boucle sa boucle et s’enferme dans sa ‘bulle’.<br />

Nous nous voulions maîtres et possesseurs du système total lui-même.<br />

Partant maîtres et possesseurs aussi de sa source chaude et de son<br />

puits froid. Maîtres et possesseurs donc de toute sa différence de<br />

potentiel, c'est-à-dire de toute son énergie spirituelle créatrice. Maîtres<br />

et possesseurs non seulement de notre possible englobé mais aussi de<br />

notre impossible englobant.<br />

Nous nous sommes mis à boucler en clôture notre espace d'humanité.<br />

Nous avons cru pouvoir faire fonctionner exponentiellement nos possibilités<br />

dans l'enfermement de notre schizoïde autonomie, bouclant en<br />

un gigantesque feed back les sorties de notre système sur ses entrées.<br />

Par quel miracle l'humain bouclé sur lui-même ne succomberait-il pas à<br />

son entropie ? Notre modernité vit dans l'illusion d'un tel miracle. Obnubilés<br />

par notre possible sans aller jusqu'aux raisons profondes de ce<br />

possible nous croyons que l'humain est à lui-même sa propre source<br />

chaude. Pourquoi l'homme, fabricateur d'outilité, fabricateur de texture,<br />

fabricateur de texte, ne serait-il pas aussi fabricateur de ce qui lui vient<br />

d'ailleurs, par grâce ?<br />

La clôture moderne, en bouclant la totalité du sens en immanence et en<br />

faisant de l’homme schizoïde le créateur absolu du sens absolu, s’était<br />

donné l’illusion d’une infinie ‘ouverture’. Comme si le mythe de la ‘lucidité’<br />

était le plus aveuglant de tous ! En fait, c’est en clôture qu’elle<br />

fonctionne. Et cet enfermement lui coupe radicalement toutes les chances<br />

de survie. C’est-à-dire toutes les chances de la néguentropie.<br />

Inexorablement l’entropie gagne... C’est-à-dire la mort.<br />

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L’écosystème du sens<br />

<strong>Le</strong>s réalités spirituelles se comprennent à travers le paradigme des<br />

réalités naturelles et matérielles. Il faut commencer par réfléchir sur ce<br />

qu'est un écosystème et comment il est menacé de mort lorsque lui est<br />

refusée l'ouverture. Tout se passe, en effet, comme si, à l'image du<br />

monde matériel, l'ordre spirituel se déployait dans un écosystème<br />

spécifique d'énergie spirituelle. Dans la biosphère il y a des éléments<br />

vitaux comme l'eau ou l'air qui sont pourtant bien communs. Nous n'en<br />

prenons réellement conscience que lorsqu'ils viennent à manquer.<br />

Ainsi en va-t-il du sens. Jusqu'à aujourd'hui nous ne savions pas son<br />

absence mortelle. Nous vivions inconsciemment dans sa surabondance.<br />

Nous le produisions tout naturelle-ment plus que nous ne le<br />

consommions. Nos réservoirs en débordaient.<br />

L'écosystème du sens est la grande maison du sens, la grande matrice<br />

spirituelle dans laquelle s'engendre et s'éduque l'humain en tant qu'humain.<br />

Il s'agit ici du système total du sens. Non pas de tel ou tel sens<br />

particulier, non pas de telle ou telle culture particulière, mais du sens<br />

absolu, c'est-à-dire du sens du sens.<br />

Il n'existe pas de grande culture qui ne se soit constituée sans une<br />

source chaude puissante de signifiants absolus: Dieu, l'Etre, le Cosmos,<br />

les Valeurs, le <strong>Sens</strong>... Egalement avec des accumulateurs sémantiques<br />

bien chargés comme la tradition, la religion, l'éducation, la<br />

sagesse commune, les monuments de l'art et de l'esprit...<br />

Même l’absurde le plus radical, aujourd’hui, ne succombe pas à sa<br />

propre logique parce que ne sont pas encore à plat les puissants<br />

accumulateurs d’énergie sémantique. Elle ne peut que vouloir refouler<br />

ce sans quoi elle ne pourrait survivre et qui, pourtant, contredit si<br />

diamétralement ses présupposés. Car nos audaces d’aujourd’hui ne<br />

fonctionneraient pas sans cette formidable réserve de sens, véritable<br />

capital d’énergie spirituelle constitué au cours des siècles d’intense vie<br />

spirituelle de l’histoire occidentale.<br />

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207


Entropie<br />

Pourquoi le ‘mouvement perpétuel’ est-il impossible ? Pour-quoi un<br />

système ne peut-il fonctionner indéfiniment dans sa clôture ? En 1850,<br />

Carnot et Clausius ont énoncé le second principe de la thermodynamique.<br />

Depuis nous savons que toute énergie est soumise à son<br />

inexorable dégradation. Cette dégradation est irréversible. Cela veut<br />

dire concrètement qu’un système clos, où l’énergie est obligée de se<br />

recycler pour ainsi dire en ‘vase clos’, tend vers un équilibre thermique<br />

qui signifie sa mort. Cette dégradation s’appelle ‘entropie’.<br />

L’entropie est ‘naturelle’ descente. N’y a-t-il pas de ‘remontée’ ? Pour<br />

désigner une telle contrepartie de l’entropie on a forgé le concept de<br />

‘néguentropie’. Celle-ci, cependant, contrairement à l’entropie, ne va<br />

pas de soi. Elle est tâche laborieuse.<br />

Mortelle indifférence ! Lorsque la différence de potentiel tend vers zéro.<br />

Aucun système ne peut se régénérer dans sa clôture. L’ensemble de<br />

notre univers considéré comme un super-système clos va progressivement<br />

se désorganisant jusqu’à sa mort inéluctable.<br />

Comment vaincre l’entropie ? La savant Maxwell invente pour cela un<br />

‘démon’. Soit un récipient dans lequel règne l’équilibre thermique, c’està-dire<br />

l’entropie maximale. Il faut diviser ce récipient en deux parties,<br />

appelées respective-ment ‘chaude’ et ‘froide’, grâce à une séparation<br />

étanche munie seulement d’un clapet. <strong>Le</strong> démon doit surveiller<br />

l’agitation au hasard des molécules et ouvrir chaque fois le clapet pour<br />

laisser passer dans la partie ‘chaude’ une molécule rapide qui se<br />

présenterait du côté ‘froid’ et pousser dans la partie ‘froide’ une<br />

molécule lente qui se présente du côté ‘chaud’. Peu à peu toutes les<br />

molécules lentes se trouvent dans la partie ‘froide’ et toutes les<br />

molécules rapides, dans la partie ‘chaude’.<br />

<strong>Le</strong> démon infatigable ne pourrait pas ne pas créer de l’entropie endehors<br />

de lui, c’est-à-dire dans l’ensemble du système environnant. <strong>Le</strong><br />

système ‘récipient-démon-environnement’ reste piégé.<br />

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Hors de la caverne<br />

Il faut ici relire l'allégorie de la caverne de Platon au Livre Septième de<br />

la République. Une allégorie - agoreuo-allos - une parole qui s'ouvre<br />

pour crier un ‘ailleurs' sur la place publique. Parabole de notre univers<br />

clos dans son “horizon indépassable” selon l'expression de Sartre, le<br />

grand spécialiste de nos enfermements.<br />

La caverne représente notre espace humain avec ses limites et dans<br />

sa clôture. L'homme y est enchaîné par les nécessités `naturelles' de<br />

sa condition. Son regard et sa manière d'être sont conditionnés par les<br />

multiples contraintes qui lui viennent de naissance et, ensuite, par<br />

acquis: ses possibilités physiques et physiologiques, son héritage<br />

culturel, son éducation, les réflexes naturels et acquis, ses habitudes<br />

mentales, le mimétisme social... L'illusion d'une caverne infinie oblitère<br />

les chances du dehors.<br />

Ton retour dans la caverne te laisse ridicule trouble-fête dans le petit<br />

monde des évidences naturelles. Bien plus, tu risques la mort. Car la<br />

moyenne ne pardonne jamais à l'unique de l'avoir quittée pour la vérité.<br />

Te voilà `alter' absolu.<br />

L’humain n’a pas fini de sortir de la caverne L'humain n'a pas fini de<br />

faire son exode. Aujourd'hui encore. Aujourd'hui plus que jamais. Il est<br />

vrai que nous l'avons aménagée, la caverne de notre monde moderne.<br />

Elle a été immensément élargie. Eclairée désormais à l'électricité,<br />

sonorisée avec puissance et haute fidélité et dotée de mille facilités,<br />

elle est devenue encore plus confortable. <strong>Le</strong> jeu des ombres s'est<br />

perfectionné. On n'en perd pas le moindre détail sur les petits écrans<br />

de la télévision. <strong>Le</strong>s médias s'amusent à orchestrer et à amplifier les<br />

débats des cavernicoles...<br />

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La tentation schizoïde<br />

Cela commence vers l’an 1100. Très timidement encore. Et de façon<br />

quasi innocente. Parmi les protagonistes nous trouvons un homme à la<br />

destinée singulière, Abelard, un des premiers ‘modernes’. Chez ce<br />

‘maître de la dialectique’ un drame se joue entre la raison et la foi. C’est<br />

avec la crise nominaliste, en effet, que l’intelligence occidentale commence<br />

à succomber à la tentation schizoïde.<br />

La source de l'idéalisme est dans l'absolu `je pense' clos sur lui même.<br />

Du nominalisme à Descartes et à toutes les formes d'empirismes et<br />

d'idéalisme, s'est imposé le postulat qu'un au-delà du possible de<br />

l'homme est impossible; qu'un au-delà de l'idée est illusoire; qu'un audelà<br />

de la pensée — de `ma' pensée ! — est impensable.<br />

Dès lors, que peut-il rester d'une réalité hors de moi, de la réalité `en<br />

soi' ? Simplement un `x' non seulement inconnu mais encore inconnaissable.<br />

N'est donc `réel' que ce qui l'est `pour moi'. N'est plus vrai<br />

que ce que je perçois comme vrai. N'est vrai que ce que je `sens'<br />

comme vrai. N'est vrai que ce que je totalise comme vrai. `Je pense' se<br />

fait ainsi l'origine, le fondement absolu, le critère ultime de la vérité.<br />

Bien plus le ‘connaissant' se fait pour ainsi dire créateur du `connu'.<br />

L'humain s'enferme en immanence. Ce phénomène s'est accentué de<br />

façon quasi exponentielle au cours des derniers siècles. <strong>Le</strong> monde<br />

coupe ses liens ontologiques avec l'Autre transcendant et se boucle sur<br />

lui-même en immanence. <strong>Le</strong>s naturelles ouvertures sur la transcendance<br />

sont colmatées. <strong>Le</strong>s béances sur Dieu sont comblées. L'homme<br />

boucle la boucle de l'humain autonome autour de son centre schizoïde.<br />

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Anthropocentrisme<br />

La schizoïdie anthropocentrique par laquelle la modernité accède à<br />

elle-même boucle l’autonomie en clôture totale dans le grand enfermement<br />

de l’humain sur l’humain. Pour la première fois depuis que l’homme<br />

existe, un système culturel et anthropogène prétend se fermer en<br />

absolue autonomie et à fonctionner en voulant se donner lui-même sa<br />

source chaude, son puits froid et ses accumulateurs sémantiques.<br />

L’humain se coupe de la plénitude de l’être, prend son autonomie,<br />

boucle sa boucle et s’enferme dans sa ‘bulle’.<br />

Dieu n’est plus l’ultime englobant. L’homme, maître et possesseur de la<br />

totalité, veut ultimement tout englober.<br />

Bouclant la boucle de l’homme sur lui-même, nous nous sommes<br />

constitué un empire d’humanité. De façon auto-gène. Sans l’Autre. En<br />

autonomie. Sans l’Autre. Avec nos longueurs à nous, nos largeurs à<br />

nous, nos hauteurs à nous et nos profondeurs à nous. Quelque chose<br />

comme une caverne – oui, impertinente pertinence d’un Platon, déjà ! –<br />

une caverne aux prétentions infinies, mais ultimement caverne quand<br />

même.<br />

Là nous nous sommes ouvert un monde de possibilités simplement<br />

phénoménales. L’infinité de ces possibilités pouvait nous donner assez<br />

de vertige pour nous étourdir face aux questions essentielles. Alors<br />

nous nous sommes mis à ne plus chercher notre humanité que dans le<br />

vaste jeu de ces possibles, dans l’extension de notre champ d’être et<br />

d’action, dans notre ‘présence’ au monde et notre emprise sur lui, sur<br />

les autres, sur l’histoire...<br />

La source chaude et le puits froid du sens étant enfermés en absolue<br />

finitude, le souffle du sens total se donne ainsi, en lui-même et pour luimême,<br />

à partir de son enfermement en immanence.<br />

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La bulle<br />

L’humain se coupe de la plénitude de l’être, prend son autonomie,<br />

boucle sa boucle et s’enferme dans sa ‘bulle’.<br />

L'homme se veut être 'maître et possesseur' de l'univers. Mais il a beau<br />

faire tout ce qu'il voudra, son 'royaume' ne pourra jamais être autre<br />

chose qu'une 'bulle' qui flotte dans un vide englobant.<br />

<strong>Le</strong> fils de la mère grecque revendique pour soi l’héritage paternel.<br />

L’homme révélé divin par grâce veut devenir dieu sans le Père. L’homme<br />

manifesté divin à travers l’expérience judéo-chrétienne veut poursuivre<br />

seul cette expérience sans Dieu.<br />

La judéo-chrétienne démesure, jusque là verticalisée, rompt la ’mesure’<br />

de l’Alliance et, chargée d’une dynamique qui lui vient de l’Autre, se<br />

reprend en autonomie et explose en horizontalité. Alors commence<br />

l’aventure de la grande schizoïdie qui boucle le divin possible de<br />

l’homme sur lui-même et le déploie, anthropocentrique, en son immense<br />

caverne d’Utopie.<br />

Une fois l’Alliance rompue, une fois Dieu refoulé, il reste à l’homme le<br />

repli autistique sur soi-même. Quelque chose comme une schizophrénie.<br />

L’esprit coupé. L’esprit divisé. L’esprit cassé. Nous n’avons<br />

plus besoin de toi ! Voici que le possible humain expulse la grâce et se<br />

voit livré aux péchés capitaux. C’est-à-dire aux sources du péché. Et en<br />

premier lieu, l’orgueil. <strong>Le</strong>s choses peuvent-elles désormais tourner<br />

autrement qu’après l’originelle rupture ? Vous serez comme des dieux.<br />

La séduction du tentateur devenait irrésistible. Ensuite... Ils virent qu’ils<br />

étaient nus. Reste la honte ou l’exhibitionnisme. La modernité opte<br />

pour le deuxième terme de l’alternative.<br />

La schizoïdie s’absolutise. De l’absolu divin vers l’absolu en immanence<br />

anthropocentrique. A la place du Verbe de Dieu qui éclaire tout<br />

homme, lumière constituante de toute lumière, le verbe de l’homme<br />

s’auto-éclairant.<br />

216


217


<strong>Le</strong> miroir brisé<br />

<strong>Le</strong> 'cœur' est comme la ‘source chaude’ de notre dynamique spirituelle,<br />

riche d’une réserve d’énergie résiduelle qui lui reste de son originaire<br />

surgissement créationnel. Il est profonde fidélité à la grande spiration<br />

des origines. Comme le petit enfant qu’on ne cesse jamais d’être au<br />

fond de soi-même le ‘cœur' vit et agit en très grande proximité avec sa<br />

‘nativité’ première. Il dit comme ‘naturellement’, comme ‘naïvement’, un<br />

‘oui’ serein à l’être, en accord fondamental avec la nature vraie des<br />

choses. Avant les mille ‘complications’ postérieures de l’existence.<br />

Béant sur la Béance des insondables profondeurs divines, le ‘fin-fond’<br />

de ton ‘cœur’ est ton être même à sa source, tel que sorti des mains de<br />

Dieu, à son image et à sa ressemblance, au premier matin de la<br />

création et tel que vagissant dans l’Esprit sa divine filiation de grâce.<br />

Ton ‘cœur’ n’est pas à soi-même ni son propre principe ni son maître<br />

absolu. Naturellement, nativement, naïvement, tel qu’il sort du Souffle<br />

créateur, le ‘cœur’ est donné en alliance et en profonde et fondamentale<br />

fidélité. Il est parfaitement orienté. Immédiatement cependant,<br />

dès le début de l’aventure humaine, l’infidélité le guette. Il peut boucher<br />

sa béance et se fermer à l’Autre qui le fonde.<br />

Déroutant mystère de la liberté humaine... Inquiétant mystère du<br />

péché... <strong>Le</strong> ‘cœur’ est transparent à la Lumière du Verbe qui illumine<br />

tout homme. Ton ‘cœur’ est le lieu de la vérité en toi. Que tu en prennes<br />

conscience ou non, lorsque ton ‘cœur’ est perverti, tout est perverti !<br />

Lorsque la grande relation verticale de divine humanisation est<br />

dénaturée, tout est dénaturé.<br />

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219


Refoulement<br />

Dieu refoulé comme est refoulée une angoisse. Car celui qui est ainsi<br />

refoulé a été ’connu’, au sens biblique du terme, concrètement et existentiellement<br />

rencontré. Même si un tel ou un tel peut croire ne l’avoir<br />

pas personnellement rencontré, la ’rencontre’ pourtant le marque parce<br />

que, déjà, il se trouve enfanté dans cette matrice culturelle, en cette<br />

histoire vécue, qui, elle, en a fait l’expérience vivante. L’homme moderne<br />

ne peut donc pas ne pas être ’complexé’ de Dieu ! On ne lutte<br />

pas toute une nuit avec l’Autre sans se trouver, comme Jacob, boitillant<br />

au matin. Mais finalement, est-ce Dieu qui est ainsi refoulé ou est-ce<br />

l’homme qui se refoule devant Dieu ?<br />

On ne refoule pas la transparence. <strong>Le</strong>s mécanismes de refoulement<br />

naissent avec le mensonge et le péché. Notre schizoïdie n’est pas un<br />

fait neutre. Il s’agit d’une schizophrénie coupable. C’est justement cette<br />

culpabilité qui se refoule.<br />

Mais est-ce Dieu qui est refoulé ? Ou est-ce l’homme qui se refoule<br />

devant Dieu ?<br />

L’homme moderne a beau protester. Il ne pourra jamais faire comme<br />

s’il était seulement sorti de la cuisse de Jupiter.<br />

Dieu refoulé: tout devient dieu. C’est-à-dire idole. Majuscules ! La<br />

raison coupée du Réel absolu, la raison renvoyée à sa propre justification<br />

par elle-même, ne peut pas ne pas ériger ses idées en ‘absolu’.<br />

Toutes ses idées. Chacune de ses idées. Multiples rationalisations.<br />

Autant de mécanismes de défense. Chaque fois le retour du refoulé<br />

sous des avatars différents. Une floraison d’ismes.<br />

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221


Dieu chassé<br />

Dieu chassé de notre paradis. <strong>Le</strong>s dessous du jeu du Prince de ce<br />

monde n’ont probablement jamais été autant soupçonnés qu’en nos<br />

jours où cette folle aventure commence à tourner mal. La schizoïdie<br />

des filles et des fils de Dieu n’a cessé de nouer sa cohérence dans<br />

l’autistique constitution d’un espace de pure immanence. Contre le<br />

Père. De cet espace – culturel, mental, épistémologique, pragmatique –<br />

de stricte ’humanité’, il fallait – symétrique inversion du récit de la<br />

Genèse ? – chasser Dieu.<br />

De trop, donc, le père judéo-chrétien, devant la revendication d’une origine<br />

purement parthénogénétique à partir de la seule vierge Athena. De<br />

trop, le Père de l’Etre, du Bien et de la Vérité puisque nous suffisent<br />

nos propres productions, nos propres valeurs, nos propres lucidités.<br />

Puisque nous prétendons être à nous-mêmes notre propre source. De<br />

trop, outrageusement de trop, le Père avec son Fils et le saint Esprit !<br />

Contre l'Alliance. A la Parole qui veut nouer toutes choses dans la<br />

fidélité de l'amour s'oppose un discours qui mobilise dans la division.<br />

Quelque chose comme un pacte factieux d'éléments rebelles, un pacte<br />

schizoïde.<br />

Pourtant on n’en finit pas de chasser Dieu. Il résiste au-delà de toute<br />

logique et de toute cohérence. Car la logique et la cohérence ne sont<br />

que de surface. Profondément, beaucoup plus profondément, occultée,<br />

refoulée, se joue, fascinante et effrayante, la grande dramaturgie.<br />

Mystérieuse négative théologie négative ! <strong>Le</strong> corps à corps des esprits,<br />

plus meurtrissant que le combat de Jacob avec l’Autre. L’homme n’en<br />

sort jamais que déhanché. Et la lutte reprend... La théomachie se<br />

poursuit.<br />

222


223


Maître et possesseur de l’idée<br />

Devenir maître et possesseur de la nature. Ce rêve cartésien ne pourrait<br />

se formuler s’il n’avait été précédé, plus de cinq siècles auparavant,<br />

de cet autre rêve de devenir maître et possesseur du sens. Est-il possible<br />

de maîtriser la nature avant de s’être rendu maître des essences<br />

et du verbe ?<br />

L’idée aime se retrouver avec l’idée dans le monde du ‘même’. <strong>Le</strong>s<br />

choses sont appelées à s’ordonner logiquement les unes aux autres et<br />

à se tenir solidement par la main. Dans ce réseau de liens serrés la<br />

surprise ne peut être que passagère, vite arraisonnée par la nécessité<br />

de l’ordre du même qui tend à se faire totalitaire<br />

Par manque d’ouverture à l’autre, par absence de référentiel qui la<br />

transcende, l’idée bouclée sur elle-même en idéologie ne peut que<br />

s’enfermer sur sa propre auto-justification. Cercle vicieux de la logique<br />

qui tourne en rond jusqu’à se trouver condamnée à justifier l’injustifiable.<br />

Idée... En ton nom que de terreurs engendrées !<br />

Quelque chose, cependant, ne se laisse jamais complètement intégrer<br />

dans la sphère idéelle. C’est le réel. Non pas l’idée du réel, mais le<br />

réel-réel. L’idée fait très vite le tour de toute l’étendue de son domaine.<br />

<strong>Le</strong> réel, lui, déborde toujours les compréhensions. Il ne se livre pas<br />

entièrement. Il ne se laisse prendre que par un bout de lui-même. Ce<br />

qu’il a d’unique et de particulier résiste aux généralités. Sa dimension<br />

de facticité déborde les nécessités logiques.<br />

L’autre se révèle toujours, à terme, plus fort que les sécurités du même.<br />

<strong>Le</strong>s idéologies ne tiennent que pour un temps, vaincues par les morsures<br />

de l’expérience, les béances de l’histoire et les négativités<br />

qu’elles-mêmes ne cessent d’engendrer.<br />

Eidolos: idole... L’idée est sa création devant laquelle l’homme risque<br />

de se prosterner<br />

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225


Sans transcendance ?<br />

Ayant perdu ses références verticales, notre culture s'est mise à fonctionner<br />

de façon unilatérale. Châtrée de la transcendance, elle se<br />

complaît dans son petit monde unidimensionnel où prolifèrent les<br />

redondances. Là elle trouve et fonde ses valeurs. Là elle élaborent ses<br />

nouveaux modèles.<br />

Dans la mesure où la schizoïdie bouclait la boucle sur elle-même, il<br />

fallait bien que l’irréductible transcendance humaine se logeât sur un<br />

vecteur disponible. <strong>Le</strong> ‘progrès’ est la transcendance investie dans<br />

l’immanence du vecteur de la temporalité historique.<br />

La transcendance est évacuée. Pourquoi ne le serait-elle pas ? Puisque<br />

au-delà de l'être phénoménal il n'y a que vide et néant.<br />

Exit donc la `transcendance'. Reste seulement une `visée transcendantale'<br />

La vraie transcendance étant évacuée, on se donne les `Ersatz' qu'on<br />

peut. Tant il est vrai que l'homme n'est homme que dans le dépassement.<br />

Aujourd'hui cette `transcendance' de substitution joue essentiellement<br />

en immanence. Et de mille façons, visibles ou invisibles. Elle se retrouve<br />

dans la fuite en avant de la croissance pour la croissance qu'on<br />

appelle `progrès'. On la rencontre à travers la démesure de nos projets<br />

d'aménagement et la hardiesse de nos constructions. Elle n'est pas<br />

absente de la compétitivité dans la recherche ou l'industrie. Elle stimule<br />

les concours. La chasse à tous les sens du mot ne serait pas sans elle.<br />

Elle habite l'orgie et le sexe débridé. C'est elle qui fait battre des<br />

records. <strong>Le</strong>s courses à la nouveauté s'en nourrissent. Elle se cache<br />

derrière l'évasion dans les drogues. Elle anime les esthétiques de<br />

l'immédiat infini. Sans elle il n'y aurait pas de compétition sportive. On<br />

peut la soupçonner même derrière les plénitudes nihilistes, les ivresses<br />

du néant ou plus simplement le plaisir de transgresser l'interdit.<br />

226


227


L’homme responsable de l’humain<br />

A l'homme devenu 'suprême' revient la tâche d'inventer l'homme et de<br />

réinventer inlassablement l'homme ! Tâche de Sisyphe sans cesse<br />

reprise et sans cesse échouée. Désormais l'homme est responsable de<br />

l'homme. Radicalement. Sans recours et sans garant autre que l'homme.<br />

Coupé du Verbe de Dieu l’humain en est réduit à trouver en son autoéclairage<br />

ses propres lumières.<br />

Dieu n’est plus l’ultime englobant. Il est lui-même englobé dans un plus<br />

grand que lui. Il relève désormais du seul possible humain. Et ce<br />

possible le déclarera de plus en plus comme impossible. Dans la<br />

meilleure des hypothèses une chance lui est laissée aux limites. Ainsi<br />

pour Kant... Non plus certitude. Simple postulat.<br />

Voilà donc le possible de l'homme livré à lui-même. Une grande<br />

euphorie pour celui qui se veut être `maître et possesseur' de toutes<br />

choses. Mais, en même temps, une tâche qui se fait infinie. Car<br />

désormais il s'agit de fonder ses fondements, de certifier ses certitudes<br />

et de valoriser ses va-leurs. Sans recours.<br />

La justification s'interdisant un dehors d'elle-même, c'est désormais à<br />

l'intérieur de la clôture qu'il faudra fonder et justifier. <strong>Le</strong> vrai, par<br />

exemple, ne pouvant plus se fonder autrement que par la seule noncontradiction<br />

à l'intérieur d'une totalisation schizoïde. Dès lors seule<br />

l'articulation interne, c'est-à-dire la méthode, est capable de faire la<br />

vérité. Empirismes et rationalismes se justifient tour à tour par une<br />

insistance sur un `je perçois' ou un `je conclus'. Phénomènes ou<br />

rapports logiques, qu'importe au fond puisque l'intelligence reste<br />

prisonnière de son seul possible.<br />

Quelle justification reste possible ? Lorsqu'il n'y a plus de valeur qui ne<br />

soit enclose dans les limites de l' `humain trop humain'. Lorsque toute<br />

légitimation tourne en rond, autour d'elle-même. Lorsque tout peut<br />

devenir légitime parce que tout peut se légitimer.<br />

228


229


L’absurde<br />

L’absurde naît de l’enfermement. Lorsque les existences schizoïdes se<br />

retrouvent sans lien avec l’être total, sans lien avec la raison totale,<br />

sans lien avec le sens total. Reste alors l’être cassé. L’absurde en<br />

emplit les interstices.<br />

Reste la tâche impossible de rassembler les morceaux de la raison<br />

éclatée. La prétention moderne de “devenir maîtres et possesseurs de<br />

la nature" était logée et fonctionnait dans un système qui se prenait<br />

pour absolu. Mais, en fait, nous le découvrons aujourd'hui englobé<br />

dans un plus large système qui ne peut que le relativiser.<br />

Une inquiétante dichotomie nous habite. Une étrange schizophrénie<br />

nous gagne. Elle porte toutes les marques d'une psychose. <strong>Le</strong><br />

refoulement et la mise en place de mécanismes de défense. Nous<br />

refoulons Dieu. Nous dressons nos défenses contre lui.<br />

Nous n'avons pas fini de mesurer l'étroitesse de notre pensée et la<br />

faiblesse des petites lueurs de nos lumignons que nous prenions pour<br />

les `Lumières'.<br />

Comment, dans la rupture du lien théo-onto-logique, nouer la schizoïdie<br />

? Toute la modernité se bat jusqu'au désespoir et jusqu'à l'absurde<br />

avec cette question radicale.<br />

230


231


<strong>Le</strong>s illusions<br />

Notre modernité, encore trop éblouie par ses propres prouesses, n'a<br />

pas encore pris la mesure exacte de ses illusions<br />

Nous avons logé notre prétention de “devenir maîtres et possesseurs<br />

de la nature" dans un système qui se prenait pour absolu. Nous le<br />

découvrons aujourd'hui englobé dans un plus large système qui ne<br />

saurait le contenir et qui ne peut que le relativiser.<br />

Nous avons cru que la dynamique du sens surgissait ex nihilo ou<br />

encore sortait de la cuisse de Jupiter comme la chose la plus `naturelle'<br />

du monde. Nous prenons une plus grande conscience - le paradigme<br />

de notre écosystème matériel nous éclairant - que nos possibilités tiennent<br />

d'une plus englobante donation de sens.<br />

Nous vivons dans l'illusion d'un `ouvert' grandissant que nous ne cessons<br />

de nous octroyer à nous-mêmes. Voyez la `liberté'. Sans règle.<br />

Sans contrainte. Sans bornes. Sans `maison'... Clocharde. `Ouverte'<br />

simplement pour la satis-faction d'elle-même et finalement pour rien<br />

d'autre qu'une profonde frustration. En nous bouclant sur notre possible<br />

clos sur lui-même, nous nous bouclons dans l'absurde. C'est en ouvrant<br />

l'espace de l'humain à l'infini de Dieu que s'ouvre grand un espace<br />

pour l'espérance.<br />

Ici l'impossible Démon de Maxwell doit céder sa place à l'Ange de la<br />

grâce.<br />

232


233


Pollution spirituelle<br />

Aujourd’hui, plus que jamais, urge quelque chose comme une écologie<br />

du souffle. C’est lorsque l’air empeste que nous pensons à ouvrir nos<br />

fenêtres. C’est lorsque le souffle vient à manquer que nous nous<br />

souvenons qu’il y a un dehors. C’est lorsque nous étouffons sous les<br />

déchets que nous vient l’idée d’une écologie.<br />

Jamais autant qu’aujourd’hui risquions-nous l’asphyxie spirituelle. Pourtant<br />

n’a-t-il jamais existé une civilisation aussi riche en productions<br />

culturelles que la nôtre ? Certes. Mais il manque à cette prolifération de<br />

sens ‘constitué’ un espace ouvert à sa démesure.<br />

<strong>Le</strong>s réalités spirituelles se comprennent à travers le paradigme des<br />

réalités naturelles et matérielles. Tout se passe, en effet, comme si, à<br />

l’image du monde matériel, l’ordre spirituel se déployait dans un écosystème<br />

spécifique d’énergie spirituelle.<br />

Quelle valeur a l'eau lorsqu'elle surabonde ? Elle peut prendre un prix<br />

infini lorsque tu es perdu dans le désert. Nous n'avons pas fini de<br />

traverser notre désert spirituel. Pour étancher nos soifs essentielles<br />

nous risquons de ne plus trouver que les puits obstrués et les sources<br />

polluées par nos maîtres penseurs. Pourtant elles doivent bien exister<br />

ces “sources d'eau jaillissantes pour la vie éternelle” !<br />

Oïkologie... Il faudrait l'orthographier selon son étymologie pour éviter<br />

toute confusion avec ses contrefaçons qui prolifèrent par les temps qui<br />

courent.<br />

<strong>Le</strong> `logos' invité en notre `oïkos'. C'est-à-dire en notre maison d'humanité.<br />

C'est-à-dire dans toute la maison de l'humain. C'est-à-dire dans la<br />

maison de tout l'humain<br />

Il vient lorsque nous prenons conscience que nos puits sont obstrués et<br />

nos sources polluées. Il vient lorsque les flux énergétiques se font<br />

insuffisants et que les réservoirs se vident. Il vient lorsque les éboueurs<br />

ne suffisent plus à la tâche.<br />

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235


L’illusion du progrès<br />

Nouvelle espérance. Substitut de l’Espérance chrétienne, la nouvelle<br />

espérance moderne se dit ‘Progrès’.Avec une Majuscule. Elle déborde<br />

largement le fait du progrès pour se faire idéologie. Et même idéologie<br />

dominante. La croyance au progrès est la croyance cardinale de la<br />

modernité.<br />

<strong>Le</strong> ‘progrès’ s’identifie à un gigantesque système exponentiel. Il s’agit<br />

du système de l’ensemble du possible humain sensé croître exponentiellement.<br />

L’outil de la technique. La capacité industrielle. L’éducation<br />

des hommes. L’énergie créatrice. La connaissance scientifique.<br />

<strong>Le</strong> développement des arts et métiers. <strong>Le</strong> savoir encyclopédique.<br />

L’organisation politique. La masse d’information. La conscience morale...<br />

Comment ne croîtrait-il pas infiniment, ce système exponentiel du<br />

possible de l’homme ? Qu’est-ce qui pourrait arrêter son expansion ? Il<br />

est impensable qu’une limite quelle qu’elle soit menace un jour de le<br />

contenir. Impensable... Donc impossible ?<br />

Par quel miracle l’humain bouclé sur lui-même ne succomberait-il pas à<br />

son entropie ? Notre modernité vit dans l’illusion d’un tel miracle.<br />

Obnubilés par notre possible sans aller jusqu’aux raisons profondes de<br />

ce possible nous croyons que l’humain est à lui-même sa propre<br />

source chaude. Pourquoi l’homme, fabricateur d’outilité, fabricateur de<br />

texture, fabricateur de texte, ne serait-il pas aussi fabricateur de ce qui<br />

lui vient d’ailleurs, par grâce ?<br />

Une vision plus ‘écologique’ ébranle ces illusions en restituant la totalité<br />

du phénomène humain dans la totalité de son ‘oïkos’. Il faut sortir de la<br />

caverne pour trouver la clé de notre condition. Notre source chaude est<br />

au-delà de nous-mêmes. C’est de notre englobant divin que vient la<br />

dynamique humanisante. La néguentropie nous est donnée comme<br />

grâce.<br />

Pour beaucoup d'esprits, l'évidence n'est pas encore évidente. C'est<br />

même incontestablement l'évidence la plus difficilement admissible par<br />

la modernité. Comme si le mythe de la `lucidité' était le plus aveuglant<br />

de tous ! <strong>Le</strong>s évidences, pourtant, se font criantes.<br />

236


237


Au défi entre clos et ouvert<br />

Nous nous voulions maîtres et possesseurs du système total lui-même.<br />

Bien plus, maîtres et possesseurs aussi de sa source chaude et de son<br />

puits froid. Maîtres et possesseurs, donc, de toute sa différence de<br />

potentiel, c’est-à-dire de toute son énergie spirituelle créatrice.<br />

Nous avons péché contre la Source chaude et le Puits froid. Nous<br />

avons cru garder la divine démesure en refusant sa source, l'Alliance,<br />

qui lui donne sens. A l'homme schizoïde devenu 'suprême' revient<br />

maintenant la tâche surhumaine d'inventer inlassablement l'homme ! Il<br />

est impossible que de l'immanence bouclée en stricte immanence<br />

puisse sortir autre chose que du tautologique trop humain. Il faut à<br />

l'homme plus que l'homme pour devenir vraiment humain. Il lui faut<br />

l'Autre. Il lui faut la grande Différence verticale. Il lui faut le Souffle de<br />

Dieu.<br />

Coupé du Verbe de Dieu l'humain en est réduit à trouver en son autoéclairage<br />

ses propres Lumières.<br />

238


239


Pourquoi survivons-nous quand même?<br />

Aucun système ne peut fonctionner en clôture avec des ac-cumulateurs<br />

à plat. <strong>Le</strong> `système' humain moins que tout autre. C'est parce que ses<br />

réservoirs d'énergie spirituelle et de ressources d'humanité ne sont pas<br />

vides et restent malgré tout encore `branchés' sur la source chaude<br />

que l'humain est capable de traverser sans mourir des espaces désertiques<br />

où le sens s'étiole et où l'absurde prolifère. Mais si les réserves<br />

s'épuisent ?<br />

Ce n'est que pour un temps seulement que le système fermé peut ainsi<br />

se donner l'illusion de tourner quand même. Parce que les élans se<br />

prolongent par inertie cinétique. Par-ce que les réservoirs ne sont pas<br />

encore vides. Parce qu'il reste les prophètes et les témoins d'ailleurs.<br />

Mais inexorablement joue l'entropie. Mortelle.<br />

Même l’absurde le plus radical ne succombe pas à sa propre logique<br />

parce que ne sont pas encore à plat les puissants accumulateurs<br />

d’énergie sémantique. Plus qu’elle n’ose se l’avouer à elle-même, la<br />

modernité fonctionne malgré tout, même par subreptice participation,<br />

sur une formidable réserve de sens, véritable capital d’énergie spirituelle<br />

constitué au cours de l’histoire occidentale.<br />

La schizoïdie a cru s'épanouir en rompant les liens. En fait elle ne survit<br />

que grâce aux réservoirs qui ne sont pas vides et aux canaux qui ne<br />

sont pas complétement bouchés.<br />

Nous croyons le sens inépuisable. En fait ce sont les gigantesques<br />

réserves de sens accumulées au cours de siècles de communion au<br />

Souffle de Dieu que nous brûlons de façon insensée. Ces gigantesques<br />

réserves produites et accumulées par les siècles d'extraordinaire croissance<br />

spirituelle de cet Occident où s'étreignent, fécondes, depuis leur<br />

première rencontre, les extrêmes différences païennes et chrétiennes.<br />

Ces prodigieuses réserves d'énergie spirituelle rassemblées au cours<br />

de l'aventure chrétienne occidentale par de longues générations de foi,<br />

de prière, de contemplation, de charité, de travail, de sacrifice, de<br />

réflexion, de création, de construction...<br />

240


241


Béance de notre bulle<br />

Dans les grandes questions existentielles la quête du sens et du souffle<br />

reste béante sur une extrêmes source chaude et un extrême puits froid.<br />

Domaines à haut potentiel de transcendance qui débordent les possibilités<br />

énergétiques de l’espace du milieu. Ils ne trouvent sens et<br />

souffle que dans une source chaude et un puits froid au-delà de l’immanence.<br />

Du côté des extrêmes<br />

<strong>Le</strong>s réalités existentielles, chacune pour sa part et toutes ensemble,<br />

refusent de boucler la boucle de leur définition. Elles résistent à leur<br />

enfermement dans une ‘bulle’. Situant le sens de l’humain dans la<br />

dynamique d’une extrême différence de potentiel elles ouvrent l’humain<br />

à l’infini.<br />

La bulle schizoïde, bouclant la boucle de l'immanence, peut fallacieusement<br />

se croire en absolue sécurité. Cela commence par l'euphorie<br />

optimiste du rêve de l'homme complètement réconcilié avec luimême<br />

? Pouvoir (enfin !) vivre par soi et pour soi. Rompre avec le sens<br />

'donné' pour se donner le sens. Construire la bulle du sens total. En<br />

radicale autonomie. Où l'autre n'a plus de place.<br />

Pourquoi l'humain n'arrive-t-il pas à se réconcilier avec l'humain ?<br />

Pourquoi toutes nos idéologies optimistes finissent-elles par se retrouver<br />

si lamentablement dans les poubelles de l'histoire ? Une réponse<br />

sans cesse insiste. Et elle est seule à résister à sa négation. Elle crie la<br />

raison de l'échec et l'urgence d'une conversion. L'humain n'est pas à<br />

partir de lui-même. L’humain ne se comprend pas à partir d’une bulle.<br />

L’humain se comprend et prend sens à travers un exode et un risque.<br />

L’espace du milieu se contente d’une différence de potentiel relative<br />

242


243


L’humain provoqué hors de<br />

<strong>Le</strong>s extrêmes crient : “L’homme passe l’homme” (Pascal)<br />

La bulle anthropocentrique ne suffit pas à rendre compte de toute la<br />

différence de potentiel nécessaire à son énergie spirituelle.<br />

Et que dire de la différence de la différence ?<br />

Dans les grandes questions existentielles la quête du sens et du souffle<br />

reste béante sur une extrêmes source chaude et un extrême puits froid.<br />

Ainsi l’être, la vie, la liberté, l’homme, Dieu, la personne, le hasard, la<br />

totalité, l’éternité, l’infini, la création, la résurrection, la nécessité, la<br />

catastrophe, la contingence, l’accident, l’eschatologie, l’histoire, le mal,<br />

la grâce, le péché, l’échec, la mort...<br />

Ici l’humain est ‘pro’-voqué hors de la sécurité du ‘milieu’. Il se trouve<br />

ex-posé du côté du risque.<br />

L’humain enfermé dans sa bulle peut-il se donner à soi-même la<br />

grande différence qui le rend réellement humain ?<br />

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245


Risque<br />

Dis-moi sur quelle différence de potentiel tu es ouvert. Ton souffle spirituel<br />

est à la mesure de cette différence. Plus celle-ci déborde les<br />

limites de la clôture plus s’ouvre l’espace du risque<br />

Nous ne totalisons jamais qu’entre Alpha et Oméga. Nos possibilités<br />

sont embarquées au « milieu » et nous risquons d’y rester enfermés.<br />

Toute logique retombe comme ’naturellement’, comme fatalement, dans<br />

le ‘rond’ de la bulle. Elle se boucle dans la clôture.<br />

Nos raison d’immanence jouent comme une sorte de gigantesque<br />

mécanisme de défense contre le souffle qu’elles ne cessent de vouloir<br />

ramener ’à la raison’, c’est-à-dire dans le cycle harmonieux de la<br />

nécessité et partant de la sécurité.<br />

Mais le souffle se laisse-t-il enfermer sans se perdre lui-même ?<br />

Nous n'existons authentiquement qu'à travers ce risque. Scandaleuse<br />

chance pour l’authentique humain qui ne se trouve jamais autant luimême<br />

qu’en étant ex-posé hors de lui-même.<br />

246


247


Ailleurs<br />

Hors de... Au risque de... Au risque de l’histoire, des autres, de l’Autre,<br />

de la rencontre, de la foi, de l’avenir, de l’éternité, de l’impossible, du<br />

mal, du scandale, de l’appel, de la mort...<br />

Face à l’extrême du mal comme Auschwitz... Aucun homme n'a jamais<br />

été, n'est jamais et ne sera jamais absolument sûr d'être indemne de<br />

tels démons. Aucun système, aucune idéologie, aucune structure, aucune<br />

morale, aucun recours au meilleur de notre `éros céleste', ne<br />

nous garantit absolument contre cet effrayant `de trop'. Agapè seul peut<br />

vider un tel calice jusqu'à la lie. La chair sanglante et les os broyés.<br />

Toute l'infamie du monde assumée.<br />

Au-delà de la simple croyance qui s'assoit sur un système d'idées où<br />

elle cherche refuge et sécurité, la foi rompt les nécessités et risque<br />

l’ailleurs.<br />

<strong>Le</strong> <strong>Sens</strong>... C'est-à-dire l’originaire <strong>Sens</strong> du sens. Il ne vient pas de<br />

nous. Il vient d’ailleurs. Il vient de l’Autre. Il nous est donné.<br />

Brûler les vaisseaux derrière soi. Partir. Dans un vide infini et en même<br />

temps vers une plénitude infinie.<br />

248


249


<strong>Le</strong> sens constituant<br />

Dis-moi le sens englobant derrière les multiples sens englobés qui<br />

régissent ton existence concrète. C'est-à-dire l'espace total de la 'maison<br />

du sens' que tu habites et qui te donne ultimement le souffle pour<br />

vivre et pour survivre. <strong>Le</strong>s différents niveaux de sens s’emboîtent. Un<br />

‘pourquoi’ n’est pas forcément l’ultime ‘pourquoi’. Il reste encore et<br />

encore un pourquoi du pourquoi. Chaque sens constitué vit ainsi par<br />

grâce d'un sens constituant. Il se donne dans l'espace d’un sens plus<br />

grand et plus fondamental qui l'englobe et le porte. Ce sens constituant<br />

est tellement discret qu’il ne se manifeste pas habituellement en pleine<br />

lumière. Il est comme l'âme dans un corps. Il reste toujours pauvre face<br />

à la richesse des sens constitués.<br />

<strong>Le</strong> sens qui donne sens. <strong>Le</strong> sens qui proteste contre l’absurde. <strong>Le</strong> sens<br />

qui résiste au non-sens. <strong>Le</strong> sens qui ouvre les horizons. <strong>Le</strong> sens qui<br />

met en perspective. <strong>Le</strong> sens qui rassemble ce qui est dispersé et disperse<br />

ce qui s’agglutine. <strong>Le</strong> sens qui libère les ‘pourquoi ?’ de l’angoisse.<br />

<strong>Le</strong> sens qui affecte d’un ‘plus’ le verbe être. <strong>Le</strong> sens qui crève les<br />

cercles vicieux. <strong>Le</strong> sens qui fait que les raisons se tiennent et s’entretiennent.<br />

<strong>Le</strong> sens qui lit entre les lignes. <strong>Le</strong> sens qui met en transparence.<br />

<strong>Le</strong> sens qui ne perd pas l’humour. <strong>Le</strong> sens du sens surgit dans<br />

la béance. Entre d'extrêmes antagonismes irréductibles. A travers l'indécidé<br />

qui provoque la décision.<br />

L'extrême englobant du sens ne peut ultimement que se confondre<br />

avec Dieu. Si Dieu était un ‘ce que’ qu’on peut définir et comprendre, il<br />

relèverait du même ordre que n’importe quel ‘objet’ de connaissance ou<br />

d'action. Mais Dieu n’est pas un ‘ce que’ objectivable. Sous peine de se<br />

nier comme Dieu, il ne peut être qu’absolu non-objet. Pur ‘Que’ sans<br />

‘ce que’. Donc in-saisissable, in-compréhensible, proprement impensable.<br />

L’ultime sens englobant, le sens du sens, reste extrême béance.<br />

Sans ‘ce que’. Simplement QUE – qu’il y ait du sens, que ne soit pas<br />

absolument le non-sens... – l’acte d’être même du sens, sans contenu<br />

et possibilité absolue de tout ‘ce que'<br />

250


251


Intensité<br />

Un plein infini remplirait tout l'espace et ne laisserait sa chance à rien<br />

d'autre. La possibilité de nouveauté et partant de création ne se trouve<br />

qu'à travers les vides. L’essentiel advient là où il n’y a rien. Il surgit<br />

dans la béance comme la beauté du Parthénon ou le regard d’un<br />

visage... Mais déjà parler, n'est-ce pas faire être une présence à travers<br />

son absence? La parole ne dit que dans la faille des compacités.<br />

L’essentiel se dit entre les mots. Un texte parle entre les lignes...<br />

C’est le vide qui nous fait être. Nous ne parlerions pas si nous étions<br />

pleins. C’est la distance qui nous fait être. nous ne parlerions pas si<br />

nous ne pouvions ‘décoller’. C’est l’altérité qui nous fait être. Nous ne<br />

parlerions pas si nous n’étions que ce que nous sommes. L’animal est<br />

trop plein d’animalité pour parler. C’est la béance qui instaure en nous<br />

la possibilité du logos.<br />

Cela commence concrètement par le pouvoir de questionner, c’est-àdire<br />

la formidable capacité de briser la compacité d’un monde pour y<br />

faire surgir l’émerveillement du sens. Miracle congénital de la parole<br />

que cette incroyable possibilité du plus petit ‘pourquoi ?’. L’animal en<br />

est radicalement incapable. <strong>Le</strong> petit enfant y accède de plein droit.<br />

C’est au creux de l’être que surgit la question. C’est dans la béance<br />

des réponses que le questionnement rebondit. C’est dans le partage<br />

des questions que le dialogue s’instaure. Nous sommes capables de<br />

communier infiniment dans la parole parce que nous sommes ouverts à<br />

l’infini.<br />

252


253


La parole prophétique<br />

Quelle valeur a l'eau lorsqu'elle surabonde ? Elle peut prendre un prix<br />

infini lorsque tu es perdu dans le désert. Nous n'avons pas fini de<br />

traverser notre désert spirituel. Pour étancher nos soifs essentielles<br />

nous risquons de ne plus trouver que les puits obstrués et les sources<br />

polluées par nos maîtres penseurs. Pourtant elles doivent bien exister<br />

ces “sources d'eau jaillissantes pour la vie éternelle” !<br />

Notre monde, aujourd’hui, ne risque-t-il pas d’oublier ses dimensions<br />

véritables et de perdre ses repères? A moins que ne se lèvent des<br />

prophètes qui témoignent de l’essentiel. Une communauté chrétienne,<br />

dans la mesure où elle vit du souffle de l’Esprit, ne peut pas ne pas être<br />

signe prophétique.<br />

Une parole prophétique dit le sens à travers la symbolique. Dans un<br />

profond accord avec l'autre dimension de l'humain.<br />

La parole prophétique signifie l’irruption de l’Autre au beau milieu de<br />

notre existence. L’Autre qui vient – d’extra-muros – pro-voquer nos clôtures<br />

pour les ouvrir à l’infini.<br />

Est prophétique une Parole qui refuse l'horizon englobant du Discours<br />

Dominant. Est prophétique une Parole qui ose être dissonante dans la<br />

grande consonance résonante. Est prophétique une parole qui porte le<br />

<strong>Sens</strong>.<br />

<strong>Le</strong> prophète n’est pas d’abord celui qui ‘prédit’ l’avenir. Etre prophète<br />

c’est mettre en lumière. C’est dégager le sens profond des choses.<br />

C’est jeter un nouvel éclairage sur le présent et le futur. C’est faire<br />

l’expérience de l’Autre et d’en témoigner.<br />

254


255


Différence de potentiel<br />

Un système vivant, un système du souffle vivant, ne peut fonctionner<br />

qu’en étant ouvert sur des échanges. Il ne survit qu’avec portes et<br />

fenêtres, c’est-à-dire avec des entrées et des sorties. <strong>Le</strong>s grandes<br />

entrées et les grandes sorties, celles qui ‘branchent’ le souffle sur ses<br />

flux vitaux d’énergie, de matière, d’information et de grâce, peuvent<br />

s’appeler ‘source chaude’ et ‘puits froid’. La dynamique du système, la<br />

dynamique du souffle, dépend de la puissance de sa source chaude,<br />

de son puits froid et de la charge de ses accumulateurs.<br />

Pourquoi le souffle meurt-il ? La réponse est obvie. <strong>Le</strong> souffle meurt<br />

lorsque l’énergie se dégrade par manque de différence de potentiel.<br />

Très concrètement, lorsque les défis ne sont plus relevés. Mortelles indifférences<br />

!<br />

Sans la différence il n'est pas d'énergie. Une grande philosophie, par<br />

exemple, est celle dont les concepts essentiels fonctionnent sur une<br />

différence de potentiel importante. Il en va de même pour les religions,<br />

les systèmes de salut, les projets politiques, etc. La source chaude se<br />

situe face au puits froid comme le plein face au vide, le haut face au<br />

bas, le positif face au négatif. Elle est de l’ordre de la néguentropie face<br />

à l’entropie. En fait il s’agit de concepts dialectiquement antithétiques.<br />

La source chaude n’est qu’en face d’un puits froid. <strong>Le</strong> puits froid n’est<br />

qu’en face d’une source chaude. Ce qu’est concrètement la source<br />

chaude et le puits froid de l’énergie spirituelle de l’humain et comment<br />

joue le face-à-face de l’entropie et de la néguentropie se dévoilera<br />

progressivement au cours de notre démarche.<br />

Une grande pensée est celle dont les concepts essentiels s'articulent<br />

sur une différence de potentiel importante. <strong>Le</strong> souffle spirituel 'fonctionne'<br />

comme toute réalité énergétique entre une source chaude et un<br />

puits froid. Sa dynamique est fonction de cette différence de potentiel.<br />

<strong>Le</strong>s raisons profondes de sa vie et de sa mort sont de l’ordre de l’entropie<br />

et de la néguentropie. <strong>Le</strong> paradigme thermodynamique les met<br />

en lumière.<br />

256


257


Oubli<br />

<strong>Le</strong>s ‘Lumières’ étaient singulièrement aveugles sur les limites ! L’homme<br />

schizoïde se croyait sorcier; il n’était qu’apprenti. Il s’est illusionné<br />

sur l’infini. Se voulant maître et possesseur du tout de la nature, il en<br />

vint à ne plus distinguer entre englobant et englobé, perdant ainsi la<br />

nécessaire différence entre l’intérieur et l’extérieur. Il ne voyait plus que<br />

les limites intérieures à dépasser et effectivement dépassables. Il ne<br />

voyait pas les limites extérieures, celles, indépassables, de son englobant.<br />

Bref, il ne voyait pas de limite aux possibles prouesses de son<br />

système d’outilité exponentielle. Jusqu’au moment où la réalité rappelle<br />

à ce système qu’il n’est qu’englobé et qu’il va se trouver coincé dans<br />

son englobant écosystème.<br />

Nous faisons de plus en plus l’expérience d’un impossible. Non pas<br />

pour des raisons idéologiques. Non pas pour des raisons épistémologiques.<br />

Mais pour des raisons physiques. L’expérience physique donc<br />

d’un impossible. Toutes nos euphories du ‘progrès’ se voient piégées.<br />

Puisque voilà ébranlé leur commun fondement. Puisque voilà coincé le<br />

système d’outilité exponentielle. Coincé dans la finitude incompressible<br />

de l’écosystème.<br />

Nous avons oublié l’essentielle ouverture de tout système vivant. L’écosystème<br />

du sens encore plus que tous les autres. Obnubilés par nos<br />

prouesses et béats devant nos aménagements intérieurs nous avons<br />

oublié qu’il y a un ‘dehors’ de notre caverne. Nous nous sommes mis à<br />

boucler en clôture notre espace d'humanité.<br />

Nous nous voulions maîtres et possesseurs du système total lui-même.<br />

Maîtres et possesseurs de toute sa différence de potentiel. Maîtres et<br />

possesseurs de toute son énergie spirituelle créatrice. Maîtres et possesseurs<br />

de sa source chaude et de son puits froid. Maîtres et possesseurs<br />

non seulement de notre possible englobé mais aussi de notre<br />

impossible englobant.<br />

258


259


Traversée de la différence<br />

L’homme est l’être en exode qui risque l’autre dans l’incessante négation<br />

du même. Libérant la différence. Etreignant la différence. Dépassant<br />

la différence. Si le même jamais ne dit non à lui-même, jamais rien<br />

d’autre ne sera. Il ne peut que rester éternellement lui-même, clos en<br />

soi, piégé, fut-ce en sa perfection, s’il refuse de s’ouvrir à l’autre, de<br />

l’affronter, de se laisser traverser par lui. C’est la faille qui le sauve de<br />

lui-même et l’ouvre à l’autre possible. C’est sa vulnérabilité qui lui<br />

donne sa chance d’infini. S’ouvrir à l’autre et l’étreindre. Mourir dans<br />

cette étreinte pour surgir nouveau. Et ne se boucler pas sur ce nouveau<br />

même. Mais encore s’ouvrir. Affronter encore l’autre. Et l’autre de<br />

l’autre. Infiniment.<br />

Si le ‘même’ n’est pas éclaté par l’ ‘autre’, il ne reste que lui-même et<br />

jamais rien d’autre ne sera. La traversée de la différence est accroissement.<br />

L’affrontement d’altérité enrichit. A travers la distance une plus<br />

authentique proximité se gagne. C’est à travers la rupture qu’advient la<br />

plénitude. C’est en surmontant une opposition que la position se consolide.<br />

C’est dans son passage à travers la négation que l’affirmation<br />

accède à sa vérité.<br />

L’homme est l’être en exode qui ouvre à l’infini un espace de la différence.<br />

Il est un animal différentiel instaurateur de béance dans la<br />

plénitude d’un donné-nature et sans cesse ‘pro’-voqué à combler cette<br />

béance tout en instaurant continuellement de nouvelles béances dans<br />

tous les comblements eux-mêmes.<br />

260


261


Désir<br />

Rien ne tournerait sans le désir. On peut être pris de vertige devant la<br />

masse des inventions et des productions humaines. Une masse de<br />

différence d'avec le simple règne animal. Comment expliquer cette différence<br />

sans cet ‘éros' spécifique à l'homme que nous appelons le<br />

désir? Qu'est-ce qui, sans lui, ferait tourner notre système exponentiel<br />

de production de l'abondance, et, partant, du ‘progrès'? Plus profondément,<br />

que serait l'homme lui-même sans cette dynamique?<br />

Dis-moi ton désir, je te dirai qui tu es. C'est le désir qui signifie et exprime<br />

le fondamental projet personnel de chaque être humain avec son<br />

mystère. Sans le désir ne régnerait que l'in-différence. C'est le désir qui<br />

ouvre en l'homme la différence. Essentiellement la différence entre un<br />

plein et un vide. Eros, comme le dit déjà très judicieusement Platon, est<br />

fils d'abondance et de pauvreté. Un manque qui tend vers sa complétude.<br />

<strong>Le</strong> désir `fonctionne' à la manière d'un système ouvert. Sur une différence<br />

de potentiel entre la source chaude de l'abondance et le puits<br />

froid du manque. Sa dynamique lui vient de la chute énergétique de<br />

cette différence de potentiel. Plus elle est grande, plus le désir est<br />

intense. Par contre, lorsque cette différence tend vers l'in-différence le<br />

désir ne peut que mourir. Cette différence de potentiel s'ouvre infiniment<br />

chez l'homme<br />

L’homme est un vivant infini au désir toujours infiniment béant. Infinie<br />

reste son insatisfaction. Car abyssal est son manque. Il ne s’agit pas<br />

seulement de ce manque biologique ou économique qui tend malgré<br />

tout vers la satisfaction. Il s’agit d’un manque essentiel qui creuse le<br />

désir à l'infini. Un manque à jamais incontournable et encore moins<br />

remblayable. Parce qu’il est irréductiblement béance sur l’Autre.<br />

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Eros et Agapè<br />

Une distinction capitale d’Anders Nygeren qui vise une différence<br />

essentielle. Un changement de nom lourd d'un radical changement<br />

d'identité. Désormais le discernement s'impose entre amour et amour.<br />

Cette distinction donne une clé de lecture de l’ensemble de l'existence<br />

humaine. En même temps elle préside au discernement des esprits<br />

entre deux dimensions d'accomplissement.<br />

Eros monte. Eros ne peut que vouloir monter. Du terrestre vers le<br />

céleste. Du malheur vers la béatitude. De l’impur vers le pur. Du<br />

multiple vers l’un... Eros veut se sauver à tout prix.<br />

Agapè se manifeste en contre-point. Agapè descend. Agapè veut tout<br />

sauver dût-il se perdre. Agapè embrasse le mal et traverse toute<br />

l’étendue de la négativité pour en faire un espace de grâce.<br />

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Néguentropie<br />

L’énergie spirituelle ne ‘fonctionne’ pas différemment de l’énergie tout<br />

court. Que ce soit dans l'ordre matériel ou dans l'ordre spirituel, quelles<br />

que soient les formes qu'elle prend, il s'agit toujours d'énergie. <strong>Le</strong>s<br />

raisons profondes de sa vie et de sa mort, que le paradigme thermodynamique<br />

met en lumière, sont de l’ordre de l’entropie et de la néguentropie.<br />

Entre fatigue et vitalité. Entre déclins et renaissances. Entre<br />

une source chaude et un puits froid. Avec, entre les deux, une grande<br />

différence ou une grande indifférence !<br />

Où gît l’ultime victoire sur l’entropie ? Ce n’est pas du côté d’Eros. Eros<br />

ne peut que vouloir monter. Par nécessité. Il ne fait ainsi qu’exacerber<br />

la différence entre source chaude et puits froid. Il vit de cette différence.<br />

Son intensité lui vient d’elle. Mais sa montée reste infinie tâche de<br />

Sisyphe. Eros reste toujours piégé par l’entropie. Il est ultimement pour<br />

Thanatos.<br />

L’absolue victoire sur l’entropie s’appelle Agapè. Agapè descend. Non<br />

par nécessité mais par libre gratuité. Par grâce. Lui, la source chaude,<br />

va se compromettre avec le puits froid. Il descend jusqu’au fond des<br />

négativités. Il descend plus bas que le puits froid, l’englobe, l’étreint, et<br />

le rend brûlant. Il n’y a plus de différence entre ‘froid’ et ‘chaud’, puisque<br />

tout devient ardent. Néguentropie absolue, Agapè seul est capable<br />

de sauver radicalement. Il ne cesse de descendre tant que reste possible<br />

une descente. Lui seul peut tout sauver. Descendre. Descendre<br />

toujours. Traverser le champ du scandale de part en part. Pour en faire<br />

l’espace de la grâce.<br />

<strong>Le</strong> manque devient plénitude. Agapè embrasse non seulement nos<br />

sources chaudes mais aussi nos puits froids. Inscrit en finitude, Eros ne<br />

peut jamais que circonscrire une finitude. C’est Agapè qui ouvre réellement<br />

un infini et le réalise. A travers un absolu retournement d'Eros...<br />

Concrètement. Agapè descend et se compromet dans le manque. De<br />

l’absolu manque surgit une surabondance. <strong>Le</strong> manque devient plénitude.<br />

Au-delà du règne des nécessités. Dans l’ordre de la grâce.<br />

Gratuitement.<br />

266


267


Renversement d’Agapè<br />

En Agapè, le meilleur de l’humain se trouve crucifié. L’irruption d’Agapè<br />

signifie un renversement total. Non seulement de la valeur mais de<br />

l’espace même de toute possible valeur. L’émergence d’un radical autre<br />

ordre. Mais la vérité peut-elle être cherchée ailleurs que dans la<br />

dissidence depuis la Révélation du Logos fait Chair ? Quand historiquement<br />

se révèle Agapè, déjà est omniprésent et omni-régnant Eros.<br />

Mais d’Eros, rien ne sera récupérable. Même pas l’Eros céleste. Surtout<br />

pas l’Eros céleste ! Eros sublimé à l’infini ne s’approche pas<br />

d’Agapè mais s’en éloigne.<br />

Agapè est absolue dissidence. A partir d’Agapè, Dieu n’est plus là où<br />

est le divin. La valeur n’est plus là où est le Beau, le Vrai ou le Bien.<br />

L’homme ne peut plus être là où est l’Humanité. Et encore beaucoup<br />

moins là où est le ‘surhomme’. La transcendance n’est plus là où un<br />

Marx, un Feuerbach ou un Stirner la pourfendent. <strong>Le</strong> progrès n’est pas<br />

là où Eros progresse !<br />

<strong>Le</strong> renversement d’Agapè réalise le paradoxe absolu. L’endroit bascule<br />

en envers. L’envers bascule en endroit. En ce renversement le ‘puits<br />

froid’ devient plus brûlant que la ‘source chaude’ ! <strong>Le</strong> miracle se produit.<br />

<strong>Le</strong> seul réel miracle. Contre toute logique, contre la nécessité systémique,<br />

l’entropie est vaincue. La néguentropie, qui ne peut jamais être<br />

que relative partout ailleurs, fonde ici son règne absolu.<br />

Agapè brise les continuités et surgit dans la rupture. Dans une autre<br />

dimension. A travers une distance infinie. A la limite de la simple<br />

logique, au seuil des capacités de la raison, se risque l'absolue plénitude.<br />

Là où l'homme 'passe' l'homme infiniment.<br />

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269


Miracle d'Agapè<br />

Eros, au fond, n'est que le manque qui crie famine. Il est régi par la<br />

nécessité. Il ne peut pas ne pas vouloir supprimer la différence, pour<br />

atteindre ainsi sa satisfaction, c'est-à-dire son équilibre ou son entropie.<br />

Agapè, au contraire, est débordement de surabondance. Il descend<br />

librement et gratuitement pour tout sauver. Il se penche sur tous les<br />

manques pour les combler. Il ne serait pas sans cette différence. Il fait<br />

ainsi grandir le déséquilibre et augmente sa néguentropie.<br />

Quelle place pourrait-il y avoir pour Agapè dans un monde où régnerait<br />

absolument l’harmonie ? Un monde où le mal ou la souffrance seraient<br />

absents. Un monde où la science préviendrait toute possible surprise.<br />

Un monde d’où tout risque serait banni. Un monde sans pauvres et<br />

sans handicapés. Un monde materné dans l’absolue euphorie du<br />

‘même’ étreignant le ‘même’.Dans un monde sans péché quelles chances<br />

resterait-il à la grâce ? Quelle place pour Agapè au Paradis terrestre<br />

avant la chute ?<br />

<strong>Le</strong>s puits froids ne font peur qu’à l’entropie. Agapè ne les craint pas.<br />

Nos puits froids ne s’opposent pas à la grâce. Au contraire. Qui d’autre<br />

oserait clamer ‚felix culpa“ la nuit de Pâques ? Il y a toujours plus<br />

d’Agapè que de péché. Excepté le péché contre la vérité d’Agapè,<br />

c’est-à-dire contre l’Esprit. Soudain tu entrevois et cela te renverse. Tu<br />

découvres que le puits froid lui-même est englobé par Agapè. Et plus<br />

étonnant encore, tu devines que s’il n’y avait pas d’entropie il ne<br />

pourrait y avoir Agapè.<br />

Agapè embrasse non seulement nos sources chaudes mais aussi nos<br />

puits froids. Il y a toujours plus d'Agapè que de péché. Excepté le<br />

péché contre la vérité d'Agapè, c'est-à-dire contre l'Esprit. Soudain tu<br />

entrevois et cela te renverse. Tu découvres que le puits froid lui-même<br />

est englobé par Agapè. Et plus étonnant encore, tu devines que s'il n'y<br />

avait pas d'entropie, il ne pourrait y avoir Agapè.<br />

270


271


Kénose<br />

Kénose: descendre, ressusciter à travers un anéantissement. Mystère<br />

scandaleusement incompréhensible sans cet autre mystère qu’est<br />

Agapè.<br />

La chute et la descente ne sont pas pour un nirvana mais pour une<br />

dramatique participation au mystère du Christ crucifié. Notre Dieu qui<br />

s’identifie à Agapè ne peut pas ne pas descendre. Il descend même<br />

absolument en Jésus. <strong>Le</strong> grand discernement s’opère par la Croix,<br />

crise et critère d’une authentique mystique chrétienne. En solidarité<br />

mystique avec le Christ, à travers son mystère douloureux et glorieux,<br />

s’ouvre la voie divine par excellence, la voie de la Kénose.<br />

Cette scandaleuse Croix est à la démesure de l’impossible de l’amour.<br />

Même pour Dieu le mystère douloureux semble être la seule possibilité<br />

de faire être Agapè. C’est la dérisoire faiblesse de l’Agneau immolé qui<br />

porte tout le péché du monde. Et en même temps il apporte, Agneau<br />

pascal, toute sa possible résurrection.<br />

La paradoxale force de la grâce est de pouvoir surgir là où surabondent<br />

les crucifixions. Face à l'absolu du mal. Non pas le mal qui garderait<br />

quelque `beauté' esthétiquement exploitable. Non pas le mal qui<br />

cacherait encore quelque `raison' récupérable. Mais l'extrême de l'abject.<br />

La Bible est le grand livre qui ose regarder en face le tremendum mysterium<br />

et qui le dévoile comme douloureux mystère d'une traversée,<br />

d'une transhumance, d'un dépassement, d'une transcendance de<br />

l'homme vers son Dieu, identiquement traversée, transhumance, dépassement,<br />

transcendance de l'homme vers lui-même. <strong>Le</strong> `mysterium<br />

iniquitatis' en son pascal Exode vers le `mysterium gratiae'.<br />

272


273


D’un autre ordre<br />

Et d'emblée sous forme de scandaleuses questions. Ainsi, quelle place<br />

pourrait-il y avoir pour Agapè dans un monde où régnerait absolument<br />

l’harmonie ? Un monde où le mal ou la souffrance seraient absents. Un<br />

monde où la science préviendrait toute possible surprise. Un monde<br />

d’où tout risque serait banni. Un monde sans pauvres et sans handicapés.<br />

Un monde materné dans l’absolue euphorie du ‘même’. Dans<br />

un monde sans péché quelles chances resteraient-elles à la grâce ?<br />

Quelle place pour Agapè au Paradis terrestre avant la chute ?<br />

La descente d’Agapè confond les érotiques transcendances avec infiniment<br />

plus de radicalité que ne le font les idéologiques dénonciations.<br />

Elle ramène la seule et absolue transcendance au cœur du concret.<br />

Non plus au-delà de l’immanence mais en-deçà. Ou plus exactement<br />

au-delà parce que en-deçà. Ce qui reste gratuit lorsque la structuralité<br />

est épuisée. L’autre comme grâce. Création. Rencontre. Sourire... L’autre<br />

de trop pour Eros. Jamais assez, cependant, pour Agapè.<br />

Lors de l'ultime bilan cosmique, que restera-t-il finalement et définitivement<br />

de la grande aventure divine et humaine à travers l'espace<br />

et le temps ? Quelles valeurs, quelles créations, quels acquis, auront<br />

assez de poids pour traverser l'éternité ?<br />

A la stupéfaction de tous, cela se trouvera tout en bas de la divine<br />

descente, dans les bas-fonds de la kénose. J'ai eu faim. J'ai eu soif.<br />

J'étais malade. J'étais en prison... J'étais dans la détresse. Tu es venu.<br />

Tu as partagé. Tu as soulagé. Là est né Agapè pour l'éternité<br />

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Exposé à l’autre<br />

L'autre de trop. <strong>Le</strong>s tendances profondes de notre corps et de notre<br />

esprit vont vers l’intégration. Il n’est pas de vie sans assimilation. Comprendre<br />

ne va pas sans étreindre les différences. L’autre qui refuse le<br />

giron du même ne peut que se voir expulsé. Mille mécanismes de<br />

défense jouent contre lui. Sans lui, pourtant, l’existence perdrait sa<br />

dimension essentielle. Ce ‘de trop’ expose nos certitudes et nos sécurités<br />

dans l’exode de la liberté. A travers le risque L’altérité, aujourd’hui,<br />

est comme piégée par le même <strong>Le</strong> statut d’altérité s’est inversé historiquement.<br />

L’autre-pour-moi de la modernité a pris le relais de moi-pourl’autre<br />

tel qu’il se manifeste dans l’espace judéo-chrétien où ce n’est<br />

pas ’j’en dispose’ qui est premier mais ’il dispose de moi’. Un clivage.<br />

Un discernement des esprits. L’autre fait mal au même. Il ne le comble<br />

que dans la mesure où il se fait absorber, devenant pour ainsi dire la<br />

chose du même. La modernité s’est constituée dans le pari d’intégrer<br />

tout l’autre, tous les autres. Jamais l’autre n’a suscité plus d’intérêt.<br />

Jamais l’autre n’a été recherché aussi assidument. Jamais l’autre n’a<br />

été autant asservi. Par le savoir. Par le pouvoir.<br />

Dis-moi ton rapport avec l’autre. Je te dis ton espérance ou ta désespérance.<br />

L’exode te fait quitter l’espace du même pour courir l’aventure<br />

du côté de l’autre. Non pas l’autre comme simple ‘catégorie’ abstraite<br />

inoffensive encore prisonnière de la sphère du même. Mais l’autre<br />

comme autre avec tout ce que cela a d’indigeste. L’autre qui fait bande<br />

à part et refuse de se laisser apprivoiser. L’autre qui refuse d’entrer<br />

dans le cercle de la compréhension. L’autre qui dérange.<br />

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277


Impérialisme du même<br />

Mécanismes de défense contre l’autre déconcertant et déroutant: la<br />

contingence, l’ad-venir, l’accidentel, l'événementiel, l’actuel, la rencontre...<br />

et encore plus les négativités, l’échec, le mal, le péché, la mort...<br />

Intelligibilité de réduction. <strong>Le</strong>s <strong>approches</strong> scientifiques, aujourd'hui, tendent<br />

à enfermer l’homme et la matrice de sa genèse dans une intelligibilité<br />

de 'réduction'. Vaste essai de le ramener au plus petit dénominateur<br />

commun. Commun... C’est-à-dire avec le reste de la nature.<br />

La différence escamotée. L'humain désormais bouclé dans le règne du<br />

même. Devenu simple objet naturel de la pure extériorité spatiale et<br />

temporelle, l’homme, aujourd’hui, ne semble plus pouvoir se comprendre<br />

autrement qu’en bouclant la boucle sur son immanence.<br />

Reste l’inintégrable. Ce qui résiste à tout discours. La question sans<br />

réponse. L’autre où toute cohérence sans cesse s’éclate. Dans la crise<br />

permanente des consistances. Par l’Autre, le même est livré à la crise.<br />

Ce qui est radicalement en jeu dans l’enfermement qui boucle le même<br />

en consistance, c’est le refus de l’Autre en tant qu’autre. Non pas<br />

l’autre récupérable ou l’autre réductible. Mais l’autre autre. Toujours de<br />

trop.<br />

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279


La traversée du ‘non’.<br />

Nous ne parlerions pas si nous étions pleins. Nous ne parlerions pas si<br />

nous n’étions que ce que nous sommes. L’animal est trop plein d’animalité<br />

et de lui-même pour pouvoir parler. L’in-différence ne parle pas.<br />

La parole commence avec la distance et avec la différence. La parole<br />

commence avec le refus. La nature ne peut que se dire inconditionnellement<br />

‘oui’ à elle-même. C’est le ‘non’ qui ouvre la possibilité du<br />

logos. Ensuite, un infini se donne à travers ce ‘non’. La pensée est<br />

essentiellement acte critique. Elle commence par dis-cerner. C’est-àdire<br />

par refuser les limites et les enfermements. “Tout était mêlé, dit<br />

Anaxagore, mais vint l’entendement qui sépara tout pour le mettre en<br />

ordre.” Au Livre de la Genèse, c’est l’Esprit qui plane sur le tohu-bohu...<br />

Pour séparer. Pour créer. C’est ainsi que le logos se fait poïète ‒<br />

créateur ‒ d’infinie nouveauté.<br />

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281


Identité - Différence<br />

Pourquoi la différence ? Pourquoi pas le 'même' ? Pourquoi le déploiement<br />

différentiel ? Pourquoi la multiple différence ? Pourquoi l’émergence<br />

d’antagonismes ? Pourquoi pas la neutre in-différence ? Pourquoi<br />

cette inventivité permanente de la vie ? <strong>Le</strong> même œil évolue<br />

différemment dans les mollusques et les vertébrés. Pourquoi ces<br />

ontogenèses différentielles ? Pourquoi ce jeu ‘gratuit’ où toutes les<br />

formes s’essaient dans tous les sens ? Pourquoi le ‘meilleur’ sélectionné<br />

ne se stabilise-t-il pas une fois pour toutes ?<br />

C’est l’homme qui sort la nature de son in-différence. L’incroyable<br />

complexité de notre monde si infiniment différencié ne sort réellement<br />

de son in-différence qu'à partir de l'homme. Eternellement pourrait<br />

n’être qu’un infini ‘même’ indifférencié. Eternellement pourrait subsister<br />

un infini ‘il y a’ dans son identité. <strong>Le</strong> même absolu... Une telle pensée<br />

pourtant ne peut être qu’une fiction. <strong>Le</strong> fait de pouvoir penser ce<br />

conditionnel le contredit en même temps. Que serait en effet l’être sans<br />

la différence ? L’être absolument in-différent pourrait-il se différencier<br />

du silence et même du néant ? Mais déjà est la question. La plus petite<br />

possibilité du plus petit questionnement déjà sort l’être de l’indifférence.<br />

Déjà est la parole. Déjà est la parole qui articule différentiellement des<br />

significations différentielles. Déjà n’est pas le même in-différent. Déjà<br />

l’autre fait irruption. Déjà est la différence. Avec sa double dramatique,<br />

ontologique et logique, d’une béance et d’un désaccord. En même<br />

temps la différence ouvre une plénitude. Elle expose aux dépassements.<br />

Il n’est pas d’espérance sans traversée de la différence.<br />

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La différence féconde<br />

La traversée de la différence... L’homme est souvent séduit par la<br />

différence. Mais il la craint plus souvent encore. Lorsqu’elle prend le<br />

visage de l’étrange, de l’inconnu ou de la catastrophe. Inquiétant,<br />

menaçant ou déconcertant. La rencontre de différence est pourtant la<br />

grande chance de l’homme, même si elle est ambiguë. La différence<br />

peut se présenter comme une force de contrainte et d’asservissement,<br />

certes. C’est cependant à travers l’étreinte d’un maximum de différence<br />

qu’un maximum d’humanité peut advenir. L’indifférence en elle-même<br />

est stérile et insignifiante. L’indifférence tend vers le sens zéro. La<br />

dynamique est fille de la différence. On peut même affirmer d’emblée<br />

que plus est forte la différence, plus fort est la dynamique créationnelle<br />

de la vie.<br />

Mortelle in-différence. Sans différence, sans différence de potentiel,<br />

l'énergie atteint son point zéro. Et partant notre mortalité. Cette loi se<br />

vérifie à tous les niveaux de l'humain, depuis le plus matériel jusqu'au<br />

plus spirituel. Pourtant, n'est-ce pas vers l'in-différence que nous tendons<br />

sous ses mille formes du pacifisme, de la tolérance, de la fraternisation<br />

ou de la non-violence ? Jusqu'au kitsch, parfois, du `tout le<br />

monde, il est beau, tout le monde il est gentil'... Cependant que deviendrait<br />

notre monde sans les grandes différences entre bien et mal, entre<br />

erreur et vérité, entre Dieu et Néant, entre sacré et profane, entre ciel<br />

et terre, entre juste et injuste, entre sens et non-sens, entre besoin et<br />

création, entre relatif et absolu, entre immanence et transcendance,<br />

entre réel et idéal, entre ce qui est et ce qui doit être, entre liberté et<br />

oppression, entre péché et grâce... ?<br />

Une telle dynamique trouve en fait sa raison du côté de la systémique.<br />

C'est-à-dire dans différence de potentiel entre une source chaude et un<br />

puits froid.<br />

La protestation du sens est identiquement la protestation de la différence.<br />

Là où ça ne proteste plus, il n’y a plus de sens. C’est le règne<br />

de l’indifférence. C’est en traversant la différence que l’humain se<br />

décide.<br />

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Plénitude<br />

Division des esprits. Pourquoi, face à l'équilibre qui marque le règne<br />

des autres vivants, l'humain est-il livré si radicalement à l'incertitude sur<br />

l'essentiel et, partant, au risque de faire sa vérité ? C'est très certainement<br />

ici le nœud (et le mystère) de l'authentique liberté. En effet,<br />

pourrait-elle être en vérité, cette liberté, sans l'urgence d'un risque pris<br />

dans les plus profondes profondeurs personnelles? Tous les optimismes<br />

`éclairés' du monde — souvent en fait des `fascismes' qui ne<br />

disent pas leur nom — voudraient conjurer cette radicale division des<br />

esprits et enrôler l'humain sous l'uniforme de la Pensée Unique. Ce qui,<br />

à l'usage, hélas!, ne manque pas de finir sous quelque Goulag ou autre<br />

Kz.<br />

Au risque de choquer les maternelles composantes de notre Occident<br />

fatigué, il ne faut pas avoir peur de marquer la virile grandeur des<br />

affrontements métaphysiques. Il n'est pas d'authentique humain qui ne<br />

passe par eux.<br />

L'homme passe infiniment l'homme. Pascal définit ainsi la béance de<br />

l'humain, cet humain authentique qui est ailleurs, plus loin, plus profond<br />

que les facilités superficielles dans lesquelles nous risquons sans cesse<br />

de le cantonner. Là, les euphories vont au maximum d’être, d’avoir<br />

et de paraître. En profondeur, par contre, s’ouvre l’infini ordre de la<br />

béance. Ici d’autres ‘valeurs’ ont cours, comme le non-être, le nonavoir,<br />

le non-paraître...<br />

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Réciprocité<br />

La personne. A travers l’histoire biblique l’autre personnel est sans<br />

cesse provoqué au sein de ce qui risque de se dégrader dans l’anonymat<br />

du même. Ainsi le prophète... l’autre qui dérange en personne.<br />

Non pas la règle mais l’exception. Non pas le système mais la parole<br />

vivante. Non pas le centre mais les extrêmes. Non pas la masse mais<br />

l’unique personnel.<br />

Notre Dieu, même s'il peut l'être dit aussi, n'est d'abord ni l'Un, ni<br />

l'Inconnu, ni l'Inconnaissable, ni l'Abîme, ni le Vide, ni le Néant. Il est<br />

l’absolu ‘Je suis’, Personne, personne plurielle, réciprocité personnelle,<br />

mystère trinitaire, Père, Fils, Esprit.<br />

En Lui, ni nécessaire émanation, ni fatale procession, mais libre réciprocité<br />

de don gratuit. Il est Amour en premier, ensuite seulement<br />

Absolu, Eternel, Infini, Tout-puissant...<br />

La personne est ouverture transcendante. Elle se risque dans la démesure<br />

des ‘extrêmes’. Elle a des fins qui la dépassent. Elle assume sa<br />

liberté. Elle se décide responsable. Elle ne peut jamais avoir trop bonne<br />

conscience. La personne est ouverte en Agapè. Elle veut se partager<br />

en communion en créant la réciprocité des uniques. Elle se fonde sur<br />

une Alliance. Elle grandit en réciprocité.<br />

Une profonde fêlure traverse la réciprocité d’amour entre Dieu et l’homme,<br />

entre l’homme et l’homme. Dans toutes les dimensions de son<br />

être, l’homme est livré à l’incomplétude, à la faillite, aux négativités. Il<br />

est habité par une béance qui veut sans cesse se combler et qui sans<br />

cesse se découvre plus béante encore<br />

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289


Risquer l’autre<br />

<strong>Le</strong> but de nos buts est en exode. <strong>Le</strong>s choses très importantes pour<br />

nous ne sont-elles pas toujours exposées à l’incertitude et au risque ?<br />

Vivre. Mourir. Aimer. Créer. Entreprendre. Engendrer... Comme si l’essentiel<br />

devait se jouer aux limites où notre ‘même’ ne peut que se<br />

rendre à l’autre du mystère qui nous porte.<br />

L’exode te fait quitter l’espace du même pour courir l’aventure du côté<br />

de l’autre. Non pas l’autre comme simple ‘catégorie’ abstraite inoffensive<br />

encore prisonnière de la sphère du même. Mais l’autre comme<br />

autre avec tout ce que cela a d’indigeste.<br />

Au beau milieu de nos établissements l’autre ne cesse de faire irruption<br />

sous les espèces de l’inédit, de l’imprévu, de la surprise, de la rencontre,<br />

de l’accident, de la ‘chance’ ou de la ‘malchance<br />

Que serait Dieu clair et distinct comme une belle formule chimique ? En<br />

gardant son altérité il garde son mystère et sauve celui des êtres. Face<br />

aux idoles devant lesquelles nous nous prosternons il est infiniment audelà<br />

de nos idée. Au-delà de nos eidolos... A son image et à sa ressemblance.<br />

<strong>Le</strong> sans-forme prend forme. En l'homme le sans-image<br />

trouve son 'icône'.<br />

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Culture<br />

Il n'y a jamais d'humain que lorsque se dit une culture. Et la culture<br />

coïncide fondamentalement avec le 'discours'. Un discours multiforme à<br />

travers les temps et les lieux. Un discours polyvalent fait aussi bien de<br />

gestes constructeurs et de graphies symboliques que de sonorités<br />

verbales. Un discours à la fois matériel et idéel. Un discours tour à tour<br />

logique et prophétique. L'humain n'est pas sans ce discours par lequel<br />

l'humain se dit en se constituant et se constitue en se disant. Un Discours<br />

par lequel l'humain se dit en se constituant et se constitue en se<br />

disant.<br />

Nature et culture. Il y a ce qui est donné avec la naissance. Il y a ce qui<br />

se donne par conquête. <strong>Le</strong>s deux dimensions se recoupent. <strong>Le</strong>s<br />

frontières sont indiscernables. L’homme se trouve dans l’impossibilité<br />

absolue de faire l’expérience de ce que serait la simple biologie sans<br />

l’esprit. L’homme est fondamentale unité physico-bio-psycho-sociospirituelle.<br />

Que l’homme se soit dressé bipède et vertical, ce phénomène<br />

est-il naturel ou culturel ? En l’homme la matière est pétrie<br />

d’esprit. En l’homme l’esprit embrasse la matière. Sous quelque forme<br />

et à quelque niveau que nous tentions de les cerner, déjà la ‘nature’ se<br />

manifeste avec un indice de ‘culture’, déjà la ‘culture’ n’est pas sans<br />

‘nature’.<br />

La différence pertinente de l'humain, sa différence spécifique d'avec<br />

tout le reste de l'être, cette différence qui identifie l'homme, c'est le<br />

logos. Déjà est la parole. Toujours, déjà, est la parole. Il est impossible<br />

de contourner son en deçà. Elle est là, au surgissement de l'être. En<br />

archè est le Verbe.<br />

L’humain est fils de la différence. Il ne cesse d’engendrer des différences.<br />

Grâce essentiellement à la parole. La parole constitue proprement<br />

la différence pertinente de l'humain. Sa différence spé-cifique<br />

d'avec tout le reste de l'être. Elle est ce verbe méta-phore qui sans<br />

cesse porte infiniment au-delà.<br />

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<strong>Le</strong> logos anthropogène<br />

L'homme parle. Il dit et se dit à travers ce dire. L'humain est création du<br />

verbe. En même temps le verbe est création humaine. <strong>Le</strong> cercle n'est<br />

vicieux que dans le monologue. Il est par contre infiniment fécond dans<br />

le dialogue. Ici encore le critère passe entre le clos et l'ouvert.<br />

Que serait le simple donné naturel, que serait l'être du monde, s'il restait<br />

prisonnier du silence? Accéder à la parole c'est d'abord rompre<br />

l'éternel silence du monde. Et l'émergence de l'homme signifie cette<br />

rupture. Avec lui tout se met à parler. Et tout en lui, geste, main, regard,<br />

posture, attitude, démarche, rythme, devient 'parlant'. On peut essayer<br />

d'imaginer à l'extrême de la limite un silence éternel et absolu. Mais ne<br />

serait-ce qu'à travers cette imagination, ce silence parle! Un conditionnel<br />

lourd d'absurde. Mais sans la parole l'absurde lui-même n'aurait<br />

pas de sens.<br />

Espace de la Parole. La différence pertinente de l'humain, sa différence<br />

spécifique d'avec tout le reste de l'être, cette différence qui identifie<br />

l'homme, c'est le logos. Par lui l'humain se trouve exposé hors de. Par<br />

lui il est entraîné dans une aventure jamais finie. Verbe métaphore qui<br />

porte infiniment au-delà. La parole... Existe-t-il une seule possibilité qui<br />

ne l'implique pas ? Sans elle, que resterait-il de la pensée ? Et de<br />

l'imagination ? Et de la perception ? Et du sentiment ? Que serait le<br />

simple donné naturel, que serait l'être du monde, s'il restait prisonnier<br />

du silence ? Accéder à la parole c'est d'abord rompre l'éternel silence<br />

du monde. Et l'émergence de l'homme signifie cette rupture. Avec lui<br />

tout se met à parler. Et tout en lui, geste, main, regard, posture,<br />

attitude, démarche, rythme, devient “parlant”.<br />

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Matrice<br />

Pour naître humain suffit-il d'être engendré dans le sein d'une femme ?<br />

La matrice `naturelle' de l'espèce humaine suffit-elle à engendrer<br />

authentiquement cet `enfant d'ailleurs' qu'est l'homme ? Au sortir de sa<br />

matrice naturelle, l'homme ne fait que balbutier son humanité. La<br />

matrice biologique n'engendre encore que le préalable. La matrice<br />

d'authentique humanité est de l'ordre de la culture. Il n'existe pas d'humanité<br />

qui soit sans ce discours par lequel l'homme se dit en disant sa<br />

culture. Cette ‘parole’ différentielle, culturelle, décide de l'homme parce<br />

que l'homme se décide à proférer le verbe qui donne sens à son<br />

monde et lui donne sens à lui-même.<br />

Matrice constituante. <strong>Le</strong>s innombrables cultures constituées présupposent<br />

une matrice constituante. Une matrice commune qui donne<br />

naissance à l'humain universel. Que peut-être fondamentalement cette<br />

matrice ? Est-elle identifiable avec autre chose que le logos ? <strong>Le</strong> Verbe<br />

archéologique qui engendre l'humain en tant que humain. <strong>Le</strong> logos<br />

anthropogène.<br />

Au singulier, ‘la’ culture s’identifie avec la matrice universelle du spécifique<br />

humain, culture constituante interactivement humanité constituante.<br />

Concrètement cependant elle ne se manifeste qu’à travers le<br />

pluriel de la différence des espaces et des temps, en autant de cultures<br />

constituées.<br />

Chaque culture particulière fonctionne à l’intérieur d’un champ culturel.<br />

Chaque culture personnelle dans le champ culturel d’une région à un<br />

moment historique donné. Celui-ci dans un champ culturel géographiquement<br />

et historiquement plus étendu. Ensembles emboîtés interactivement<br />

dans des ensembles de plus en plus larges jusqu’à<br />

l’ensemble des ensembles englobant de la totalité de l'humain. Ces<br />

différents systèmes culturels, jusqu’en leur totalité systémique, sont à la<br />

fois producteurs et consommateurs de sens. Ce ne sont pas des<br />

systèmes clos mais des systèmes ouverts.<br />

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Sortir de la caverne<br />

La caverne représente notre espace humain avec ses limites et dans<br />

sa clôture. L'homme y est enchaîné par les nécessités `naturelles' de<br />

sa condition. Son regard et sa manière d'être sont conditionnés par les<br />

multiples contraintes qui lui viennent de naissance et, ensuite, par<br />

acquis: ses possibilités physiques et physiologiques, son héritage culturel,<br />

son éducation, les réflexes naturels et acquis, ses habitudes mentales,<br />

le mimétisme social... L'illusion d'une caverne infinie oblitère les<br />

chances du dehors.<br />

Ainsi donc la réalité de la fiction peut-elle être pour l'homme plus réelle<br />

que le réel ! Il ne reste aux cavernicoles que la `réalité' virtuelle qui occupe<br />

l'essentiel de leur temps. `Métro, boulot, dodo' comme on dira un<br />

jour. Toute une palette d'activités `sérieuses'. Des concours, des examens<br />

et des promotions avec leur cortège de diplômes et de médailles.<br />

Toute sortie de la caverne, à n’importe quel stade historique, implique<br />

un triple mouvement. Trois actes de la dramaturgie de la caverne.<br />

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Etreinte d’extrême différence<br />

L’homme occidental n’est pas né par parthénogenèse ! L’Occident est<br />

né de père et de mère. De père et de mère différents ! Notre mère est<br />

païenne. Notre père est judéo-chrétien. L’extrême simplicité d’une telle<br />

assertion risque de cacher l’extraordinaire complexité parallèle, le<br />

dense réseau avec ses enchevêtrements de lignes d’ascendance, de<br />

descendance et de colatéralité. Du côté maternel et du côté paternel...<br />

Indo-européens, Celtes, Germains, Slaves, Sémites, Arabes...<br />

De mère païenne ET de père judéo-chrétien. Si le même reste clos sur<br />

lui-même, jamais rien d’autre ne sera. La nouveauté est enfant de la<br />

différence qui s’affronte dialectiquement. Nulle part ailleurs autant de<br />

différence ne s’est étreinte qu’en notre Occident. Nulle part ailleurs ne<br />

fut libéré une plus grande dynamique. L’improbable rencontre entre une<br />

telle mère et un tel père allait se faire affronter deux mondes. Deux<br />

mondes humains ayant chacun sa langue, son histoire, ses valeurs,<br />

ses principes, ses articulations logiques, ses systèmes de représentation,<br />

ses formes de perception, ses codes régulateurs, ses types<br />

d’organisation, ses options fondamentales, ses prégnances, ses finalités.<br />

Deux espaces culturels différents jusqu’à la contradiction. Deux<br />

cultures, donc deux ’matrices d’humanité’ étrangement hétérogènes !<br />

Nulle part ailleurs autant de différence ne s’est étreinte qu’en notre<br />

Occident. Nulle part ailleurs ne fut libéré une plus grande dynamique.<br />

L’étreinte dialectique entre COM-posantes et EX-posantes. De son<br />

héritage maternel, il tient ses ‘composantes’. De son héritage paternel,<br />

ses ‘exposantes’. Tous les meurtres du père, périodiquement et rituellement<br />

perpétrés, ne pourront rien contre cette évidence première.<br />

La rencontre de la mère païenne et du père judéo-chrétien représente<br />

la plus gigantesque étreinte de différence imaginable ! Et de cette<br />

étreinte naît l’Occident. Sous le signe d’éros et de thanatos..<br />

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Deux révolutions<br />

Deux révolutions. Il faut remonter plus haut dans l’histoire. Deux révolutions.<br />

Deux grandes ruptures ouvrent fondamentalement de nouvelles<br />

possibilités humaines. Deux gigantesques révolutions. Et deux seulement<br />

! Toutes les autres s'en nourrissent et s'articulent sur elles. Dix<br />

mille ans nous séparent des émergences de la première. Et quatre<br />

mille ans des origines de la seconde.<br />

Entre les deux ruptures, une infinie différence. La rupture néolithique<br />

est thétique et joue en horizontalité. La rupture judéo-chrétienne est<br />

antithétique et joue à la verticale. La révolution néolithique dit profondément<br />

oui. Elle va de soi. Elle a toute la 'raison' pour elle. La révolution<br />

judéo-chrétienne renvoie tout `oui' vers un plus fondamental `non'. Elle<br />

est de trop. Elle est `déraison' pour la raison. La révolution judéochrétienne<br />

n'est pas parallèle. D'une part elle surgit à partir de la révolution<br />

néolithique, au cœur de la révolution néolithique. D'autre part elle<br />

signifie rupture radicale du mouvement lui-même de la révolution néolithique.<br />

Elle est révolution dans la révolution. Bien plus, elle est révolution<br />

permanente au cœur même de sa propre révolution.<br />

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<strong>Le</strong> ‘non’ au cœur du néolithique<br />

La révolution qui commence avec Abraham dit `non'. Elle provoque<br />

ainsi dialectiquement l’essentiel des acquis de la révolution néolithique.<br />

Elle dit non à l'essentiel de ses acquis. L'homme prend en main son<br />

destin ? Non, il n'y a pas de destin pour l'homme. La valeur de l'artifice<br />

? Non, l'homme est toujours plus grand que ce qu'il fabrique. <strong>Le</strong><br />

culte de l'outil ? Non à l'outil qui fabrique des idoles à tous les sens du<br />

mot. Mais 'oui' à l'outil au service de la création. <strong>Le</strong> travail producteur ?<br />

Non, le travail n'est pas un absolu. Il ne prend valeur que dans le<br />

service. L'esclavage de la productivité ? Non, l'homme ne doit produire<br />

que le nécessaire et partager le superflu. La Bible ne peut avoir que<br />

mépris pour une `civilisation' comme la grecque qui ne fonctionne que<br />

grâce à l'esclavage de neuf hommes sur dix ! L'accumulation de<br />

l'avoir ? Non, l'avoir est pour le don et pour le service, non pour l'accumulation.<br />

La richesse durcit le cœur et aliène l'homme à l'homme. <strong>Le</strong>s<br />

grandes constructions ? Non, toute construction n'est finalement que<br />

vanité puisqu'elle ne peut tendre que vers sa destruction. La tâche<br />

essentielle de l'homme est ailleurs. Boucler la consommation sur la<br />

production ? Non, ce cercle est vicieux puisqu'il enferme l'homme<br />

unidimensionnellement sur lui-même. <strong>Le</strong> culte de la force ? Non, c'est<br />

quand je suis faible que je suis fort. Il y a des labilités qui, paradoxalement,<br />

ouvrent à d'autres fécondités. Réduire et intégrer la différence<br />

? Non, la différence est grâce. Faire régner l'ordre à tout prix ?<br />

Non, l'ordre n'est pas fin mais service. Très profondément l'homme<br />

n'est pas pour la mesure mais pour la démesure. Construire des<br />

enceintes de sécurité ? Non, Dieu seul est ta sécurité. Nouer des totalités<br />

? Non à tous les totalitarismes. Non à toutes les idéologies. L'homme<br />

en sa béance est infiniment plus grand que l'homme enfermé dans<br />

des `bulles'. Totaliser le sacré ? Non, l'homme n'est pas fait pour le<br />

sabbat mais le sabbat pour l'homme. <strong>Le</strong> décisif n'est pas la `religion'<br />

mais l'existence vraie qui s'ouvre dans la foi. Un seul Dieu tu adoreras !<br />

Il est Tout-Autre. Il est absolu 'Je suis'. Tu ne le trouves qu'en exode. <strong>Le</strong><br />

temple sera détruit. Laissez les morts ensevelir les morts. Ultimement<br />

le tombeau est vide...<br />

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Typologie différentielle<br />

Composantes – exposantes. <strong>Le</strong>s premières garantissent les cohérences<br />

et les harmonies. <strong>Le</strong>s secondes ouvrent la démesure. La rencontre<br />

providentielle entre notre mère païenne et notre père judéo-chrétien fait<br />

s'étreindre les maternelles composantes et les paternelles exposantes.<br />

Deux longues séries d'antinomies radicales dont on n'évoque ici que<br />

les axes majeurs. L'absolu `Je suis' face à l'absolu `Il y a`. La liberté<br />

personnelle face à la nécessité naturelle. <strong>Le</strong> dessein face au destin.<br />

L'histoire face à l'éternel retour. La Création face au Cosmos. L'infini<br />

face au fini. La démesure face à la mesure. <strong>Le</strong>s extrêmes face au<br />

milieu. L'aventure et le risque face à l'harmonie et à la sécurité...<br />

Comme deux 'esprits' antithétiques à travers notre histoire occidentale.<br />

Une telle typologie différentielle renvoie à une opposition profonde au<br />

cœur du projet anthropologique. Quelque chose comme une division<br />

des esprits face à l’accomplissement de l’humain. Deux types humains.<br />

Deux projets d’humanité. Deux ‘essences’ qui traversent notre histoire<br />

et divisent les esprits. Ils se signifient de façon antithétique. Chercher<br />

refuge dans le repli protecteur de l’Age d’or et de la Cité idéale. Ou bien<br />

marcher vers la terre promise en risquant l’aventure et en consommant<br />

les ruptures.<br />

306


307


Dynamique de l’Occident<br />

Huit siècles d'histoire seraient à reprendre pour montrer comment, à<br />

partir d'innocentes émergences, la démesure judéo-chrétienne va<br />

courir son aventure en autonomie. Comment par une série de ruptures<br />

de plus en plus audacieuses cette démesure s'horizontalise dans<br />

l'immanence païenne jusqu'à l'athéisme. Comment toute l'aventure de<br />

la modernité n'est essentiellement, quant à son énergie et sa fécondité,<br />

que la poursuite de l'expérience judéo-chrétienne, mais sans l'Autre,<br />

sans Dieu. Comment les plus dynamiques des valeurs de notre modernité<br />

ne sont fondamentalement, malgré les apparences trompeuses,<br />

que des valeurs judéo-chrétiennes, mais tournant en 'roue libre', devenues<br />

'folles', parce que hors de la source de leur sens. Comment c'est<br />

chaque fois la plus grande hardiesse contre l'Alliance qui se fait<br />

acclamer sur la scène du monde en se faisant passer pour la plus<br />

'libératrice'. Comment, ce faisant, les 'mauvais rôles' à jouer incombent<br />

quasi fatalement aux tenants de l'Alliance. Comment la dynamique<br />

'révolutionnaire' de leur foi leur est ravie, récupérée sans la foi, et<br />

même tournée contre eux. Contre l'Alliance. Malice du 'Prince de ce<br />

monde'... Ironie de l'histoire... Humour de Dieu...<br />

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Explosion à l’horizontale<br />

La judéo-chrétienne démesure, jusque là verticalisée, rompt la ’mesure’<br />

de l’Alliance et, chargée d’une dynamique qui lui vient de l’Autre, se<br />

reprend en autonomie et explose en horizontalité.<br />

La démesure verticale explose à l'horizontale. L'explosivité judéo-chrétienne<br />

ne reste pas indéfiniment contenue. <strong>Le</strong> fils de la mère grecque<br />

revendique pour soi l'héritage paternel. L'homme révélé divin par grâce<br />

veut devenir dieu sans le Père. L'homme manifesté divin à travers l'expérience<br />

judéo-chrétienne veut poursuivre seul cette expérience sans<br />

Dieu.<br />

Alors commence l'aventure de la grande schizoïdie qui boucle le divin<br />

possible de l'homme sur lui-même et le déploie, anthropocentrique, en<br />

son immense caverne d'Utopie.<br />

L'acte de naissance de la modernité rompt la communion originaire et<br />

instaure l'homme dans son autonomie anthropocentrique. La schizoïdie<br />

des filles et des fils de Dieu n'a cessé de nouer sa cohérence dans<br />

l'autistique constitution d'un espace de pure immanence.<br />

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311


Modernité<br />

L'acte de naissance de la modernité scelle la rupture de l'Alliance. Cela<br />

émerge, quasi imperceptible, quelque part autour de l'an 1100. Cela<br />

débute par un `innocent' péché contre le Logos, qui, alors, ne peut plus<br />

être simplement celui des Grecs. La nominalistique tentation commence<br />

par susurrer cette simple question: lorsque tu parles, lorsque tu<br />

penses, est-il nécessaire qu'il y ait un garant autre que toi-même pour<br />

assurer la consistance fondamentale de ta parole et de ta pensée ? Ce<br />

doute chuchoté se fera clameur, amplifié par les mille échos de la<br />

caverne. Cinq siècles plus tard, de ce doute procédera l'affirmation<br />

fondatrice ‒ je pense donc je suis ‒ de notre plus récente modernité.<br />

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Exode<br />

L'Exode, un événement historique unique et en même temps paradigme<br />

pour l'homme de tous les temps. Paradigme de toute authentique<br />

libération. Paradigme de l'espérance. Tu n'as jamais fini de quitter<br />

les terres de servitude.<br />

L’ultime moment dialectique signifié par le ‘trans’ engage l’humain dans<br />

l’Exode in-fini. Cet Exode n’est pas pour lui-même. Sa dynamique ne<br />

se boucle pas sur elle-même. L’humain est béant sur son autre dimension.<br />

Cette altérité reste incontournable. Toute dynamique spécifiquement<br />

humaine n’est jamais sans être aussi hors de soi, en avant de soi.<br />

<strong>Le</strong> quatrième moment dialectique est celui de l’Exode in-fini. Ce ‘trans’<br />

ne cesse de faire mal là où l’humain n’arrive à étreindre sa plénitude<br />

sur elle-même. Il crève inlassablement l’horizon des euphories immanentes.<br />

Sans lui, pourtant, l’authentique humain n’est pas.<br />

Exode de toutes choses hors du néant. Irruption de l'originel Alpha qui<br />

tend ensuite vers Oméga, dans l'ouverture d'un en avant vers ce topos<br />

du futur qui est u-topos. Si bien que la véritable genèse est moins au<br />

début qu'à la fin. Cette tension vers la nouvelle création. Cet eschaton<br />

d'une nouvelle terre et de nouveaux cieux. Cette montée vers la nouvelle<br />

Jérusalem, qui n'aura plus ni soleil ni lune comme luminaire mais<br />

seulement le Fils de l'Homme. Et peut-être l'homme moderne n'a-t-il<br />

pas encore fini d'explorer les profondeurs de la matière telle que la<br />

Bible la pressent en ses infinies possibilités créationnelles. Un très<br />

profond lien entre cosmos et logos. Quelque chose comme une<br />

‘matière spirituelle’ avec ses possibilités d’infinis développements c'està-dire<br />

d'infinis exodes de formes. Vers un nouveau concept de ‘nature’<br />

qui, d'une part, ne serait plus mécaniste et qui, d'autre part, n'aurait<br />

plus besoin d'un Dieu transcendant.<br />

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315


Eternel retour<br />

<strong>Le</strong> schème de la roue de l'éternel retour, la fin coïncidant avec l'origine,<br />

est récurrent à travers la pensée humaine universelle de notre monde,<br />

de l'extrême Orient à l'extrême Occident. <strong>Le</strong> Bouddhisme n'en a pas<br />

l'exclusive. C'est ainsi, par exemple, que le néoplatonisme a orchestré<br />

de façon plus philosophique les grands thèmes spirituels de la chute et<br />

du retour, en intégrant les tendances d'origine orphique, manichéenne,<br />

hermétique et gnostique. <strong>Le</strong> christianisme en a subi largement les<br />

influences.<br />

<strong>Le</strong> système cyclique de l’éternel retour régit la philosophie implicite de<br />

l’humanité archaïque.<strong>Le</strong> cycle de l’éternel retour semble définir, depuis<br />

to ujours et comme allant de soi, le cadre, l’espace, le temps et le<br />

mouvement du projet humain. Rien ne semble pouvoir se dérouler hors<br />

de la roue fatale qui, annihilant le temps de l’histoire, ramène en coïncidence<br />

la fin avec l’origine, et enferme la dramatique de l’existence dans<br />

la répétitivité archétypale. Elle désamorce toute urgence et représente<br />

ainsi la plus formidable défense contre le risque de l’aventure existentielle<br />

et de l’engagement.<br />

<strong>Le</strong> système cyclique de l’éternel retour représente ainsi un effort optimiste<br />

de défense contre les intempéries de l’écoulement temporel.<br />

Système de neutralisation des calamités de la contingence historique.<br />

<strong>Le</strong> malheur conjuré dans son essence. Dès lors la catastrophe ellemême<br />

prend sens. Elle devient en quelque sorte supportable. Puisqu’elle<br />

participe à un sens derrière l’apparent non-sens. La contingence<br />

est comme soustraite à la gratuité, à l’arbitraire, à l’absurde. Elle trouve<br />

sa ‘raison’.<br />

Placée dans le plan vertical où se joue l’essentiel, la roue, en tournant,<br />

symbolise la dramatique fondamentale de l’être. L’existence, embarquée<br />

dans le mouvement périphérique, située en un point du contour, y<br />

vit la différence au cours d’une révolution. Une descente et une remontée.<br />

Passant du haut vers le bas, d’un côté vers l’autre, du bas vers le<br />

haut, elle connaît tour à tour la dispersion et la re-concentration, la<br />

sortie de l’Un, la perte de la béatitude, la chute, le malheur de la<br />

multiplicité, le possible retour, la conversion, le salut dans l’Un.<br />

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La roue<br />

Un ‘tangha’ omniprésent au Tibet. On le trouve peint sur les murs des<br />

temples et des monastères, La ‘Roue de l’existence’ résume en un seul<br />

tableau le destin des vivants que leur karma retient dans les cycles des<br />

naissances et des morts. Jusqu’à sa ‘libération’, en effet, l’homme se<br />

débat inlassablement enchaîné dans le samsâra, la roue fatale des<br />

réincarnations.<br />

Représentée ici de façon très schématique. La 'roue de l'existence' ou<br />

'les vivants au rouet'... La vie est souffrance. La souffrance engendre le<br />

désir. <strong>Le</strong> désir engendre la douleur. Jusqu’à la sortie du piège. Chaque<br />

tour du cycle représente une réincarnation et chaque état de réincarnation<br />

une souffrance plus ou moins grande.<br />

Au centre de la roue se tiennent les symboles des trois causes du<br />

Samsara ou réincarnations sans fin. C’est-à-dire les trois poisons de<br />

base – les trois poisons mentaux – de l’existence. Ils sont présents<br />

dans notre cœur où nous expérimentons notre nature animale. <strong>Le</strong> porc,<br />

symbole de l’ignorance. <strong>Le</strong> serpent, symbole de la haine. <strong>Le</strong> coq,<br />

symbole de l’orgueil.<br />

Tant que la conscience est infestée par ces trois poisons, la soif d’existence<br />

ne peut pas ne pas poser des actes, donc produire du karma,<br />

cause quasi mécanique des réincarnations. Ces actes peuvent être de<br />

deux sortes. <strong>Le</strong>s uns sont méritoires et provoquent un mouvement<br />

ascendant, traduisez, une meilleure place parmi les six états de réincarnation.<br />

<strong>Le</strong>s autres sont dé-méritoires et provoquent un mouvement<br />

inverse.<br />

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319


<strong>Le</strong>s 12 étapes de l'existence<br />

Dans le quatrième cercle, le plus éloigné du centre, sont représentées<br />

les douze étapes de l’existence. En commençant par le haut et dans le<br />

sens des aiguilles d’une montre se succèdent en 12 cases les 12<br />

causes interdépendantes. a) L’ignorance et la non compréhension de la<br />

véritable nature de la réalité. b) <strong>Le</strong>s formations carmiques qui déterminent<br />

des tendances de l'esprit. c) La conscience de base ou continuum<br />

mental. Son agitation est symbolisée par un singe qui saute de<br />

branche en branche. d) <strong>Le</strong> nom et la forme, les activité physiques et<br />

mentales symbolisées. Lors de l’incarnation apparaît une forme à laquelle<br />

on peut donner un nom. e) <strong>Le</strong>s six sens ou consciences sensorielles.<br />

f) <strong>Le</strong> contact. g) La sensation, agréable, neutre ou dés-agréable.<br />

h) <strong>Le</strong> désir et la soif de vivre. i) La saisie et l'attachement. j) <strong>Le</strong><br />

devenir symbolisé par une femme enceinte. Suite à la saisie s’est créée<br />

une accumulation karmique qui se manifestera dans le futur par un état<br />

de renaissance. k) La naissance représentée par une femme qui accouche.<br />

l) <strong>Le</strong> vieillissement et la mort symbolisés par un vieil homme<br />

qui porte un cadavre. Avec l'apparition d'une forme, viennent inévitablement<br />

vieillesse et mort.<br />

Fatal enchaînement des causalités en dépendance. De l’ignorance<br />

dépend le karma. Du karma dépend la conscience. De la conscien-ce<br />

dépend mentalité-corporéité. De mentalité-corporéité dépendent les six<br />

organes des sens. Des six organes des sens dépend le contact. Du<br />

contact dépend la sensation. De la sensation dépend le désir. Du désir<br />

dépend l’attachement. De l’attachement dépend l’existence. De l’existence<br />

dépend la naissance. De la naissance dépendent vieillesse et<br />

mort, avec leur suite de soucis, de lamentation, de misère, de souffrance<br />

et de désespoir.<br />

C’est ainsi que se produit toute l’accumulation de la misère. Samsâra.<br />

La roue ne cesse de tourner... vers des réincarnations sans fin. A moins<br />

de rompre l’enchaînement et de se libérer de son piège vers le nirvâna.<br />

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<strong>Le</strong>s processus<br />

La douleur cesse lorsque cesse tout désir et de toute soif d’existence.<br />

Elle ne peut donc cesser que par la destruction de l’ignorance. En<br />

même temps sont éradiquées les trois racines du mal. Lorsque la soif<br />

d’existence est complétement éteinte, le saint, définitivement à l’abri de<br />

la douleur, de la crainte et du doute, atteint l’état de sérénité<br />

imperturbable du Nirvana. Il ne renaît plus nulle part.<br />

Pour briser la chaîne il suffit de casser un maillon.<br />

Soit le point de jonction 2. La sensation, formant le dernier des maillons<br />

du processus d'effet de la vie présente, est immédiatement suivie de<br />

l'avidité, le premier des maillons du processus de cause de la vie<br />

présente. Il s'agit d'un important point d'intersection entre deux types de<br />

conditionnalité, la conditionnalité cyclique et la conditionnalité progressive.<br />

Un moment décisif. Ou bien le cercle se ferme sur un nouveau<br />

tour de l'existence enchaînée. Ou bien le cercle commence à se rompre<br />

pour s'ouvrir du côté de l'Eveil par la libération du fatal enchaînement<br />

DESIR ‒ ACTE ‒ NOUVELLE EXISTENCE.<br />

Ce point de jonction 2 est capital. Il s’y joue la persistance et l'intensité<br />

du désir est le point où le Moi risque de s'investir au maximum. En ce<br />

point décisif il 'se décide' en quelque sorte pour l'illusion de sa permanence<br />

ou pour la vérité de son impermanence. En entretenant<br />

l'ignorance il continue à s'attacher et, partant, à rester prisonnier. En<br />

cassant l'ignorance il casse son attachement au Moi qu'il prend faussement<br />

pour une entité substantielle digne d'intérêt. Par le fait même il<br />

casse le cercle fatal et se libère de la douleur.<br />

C'est en effet l'élan vital qui nous porte à travers le monde douloureux<br />

des transmigrations. En brisant l'attachement à la vie, le karma cesse<br />

d'être alimenté. Il s'épuise progressivement. On s'échappe du cercle<br />

infernal.<br />

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323


A la bifurcation des chemins<br />

Point de rupture<br />

Voici donc ce que vit le Bouddha, assis sous l’arbre de la Bodhi. C’est<br />

sa vision de l’existence humaine,communiquée par des concepts et<br />

des symboles. La signification de sa vision est très claire. C’est une<br />

vision de possibilités. C’est une vision d’alternatives. Entre deux conditionnalités.<br />

D’un côté, il y a le type de conditionnalité cyclique, de<br />

l’autre, le type de conditionnalité spirale. D’un côté, il y a l’esprit réactif,<br />

de l’autre, l’esprit créatif. On peut soit stagner, soit croître. On peut soit<br />

rester assis et accepter la boisson des mains de la femme, soit refuser<br />

la boisson et se mettre sur ses deux pieds. On peut soit continuer à<br />

tourner passivement et sans espoir sur la Roue, soit suivre le Chemin,<br />

monter l’échelle, devenir la plante, devenir les fleurs. Notre destin est<br />

entre nos mains.<br />

Du cercle à la spirale<br />

A ce point de jonction 2 nous quittons le cercle pour entrer en spirale.<br />

Une nouvelle direction. Vers l'Eveil. Sur le chemin qui mène au nirvana.<br />

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325


La rupture du cercle<br />

Moment extraordinaire dans l’évolution de l’humanité que celui de la<br />

rupture du cycle de l’éternel retour. L’homme ose briser le cercle et<br />

marquer sa différence d’avec l’ordre cosmologique. S’ouvre ainsi l’espace<br />

nouveau où se déploie la liberté.<br />

Elle émerge tardivement et progressivement. Comme si le cercle<br />

refusait de la libérer. Ce qu’on peut appeler ‘histoire’ mais qui ne l’est<br />

pas encore réellement commence à partir du troisième millénaire avant<br />

Jésus Christ. La Mésopotamie, l’Egypte, la vallée de l’Indus. Ensuite la<br />

Crète. Ensuite les Hittites, la Chine, Israël. Ensuite Mycènes. Ensuite<br />

les Grecs, les Etrusques, Rome...<br />

Désormais l’événementiel prend une consistance suffisante pour<br />

mériter attention et rétention. L’accident temporel n’est plus simplement<br />

ramené à une structure archétypale et à un ordre éternel, il prend<br />

signification et valeur pour lui-même. L’homme prend conscience de luimême<br />

comme créateur et comme acteur. Il quitte le destin pour courir<br />

le risque de sa destinée. Avec l’émergence de l’Histoire, le cercle de<br />

l’éternel retour va se briser. <strong>Le</strong> scandaleux et irrationnel écoulement<br />

temporel prendra valeur pour lui-même. <strong>Le</strong> temps n'aura plus besoin de<br />

trouver consistance en remontant aux origines et en se régénérant 'en<br />

arrière'. Il deviendra en lui-même et pour lui-même, 'en avant', dynamique<br />

de genèse nouvelle. Pour les païens tout est toujours au départ.<br />

La suite est aux émanations et aux dégradations. Dans la Bible Alpha<br />

est pour Oméga, sans retour, et l'eschatôn est principe.<br />

326


327


L'histoire 'ex'-pose<br />

Il ne peut y avoir histoire, réellement Histoire, que lorsque le scandaleux<br />

et irrationnel écoulement temporel prend valeur pour lui-même.<br />

Lorsque le temps n’a plus besoin de trouver consistance en remontant<br />

aux origines et en se régénérant ’en arrière’ mais qu’il devient en luimême<br />

et pour lui-même, ’en avant’, dynamique de genèse nouvelle.<br />

Lorsque le scénario cosmologique n’accapare plus la scène mais la<br />

laisse libre à l’improvisation. Lorsque le même de la répétitivité cède la<br />

pertinence à l’autre de la création imprévisible. Lorsque l’irréversibilité<br />

des événements signifie moins essentiellement perte que gain d’être.<br />

Lorsque s’affronte le non-être du devenir comme possibilité d’un plusêtre.<br />

Lorsque la corrosion historique se révèle être moins menace que<br />

défi. Bref, lorsque l’homme s’embarque dans l’histoire en levant les défenses<br />

contre l’histoire et en prenant conscience de lui-même comme<br />

créateur historique.<br />

Désormais l’homme prend conscience de lui-même comme créateur et<br />

comme acteur. Il quitte le destin pour courir le risque de sa destinée.<br />

L’homme est ainsi pro-voqué par l’Autre à devenir créateur d’Histoire.<br />

L’humain est projeté hors de lui-même. Hors de ses sécurités. Il lui<br />

reste à risquer l'aventure... Il se trouve irréversiblement pris dans le flux<br />

de la temporalité. Il se trouve irrémédiablement embarqué dans l’Histoire.<br />

Et non seulement lui-même, mais sa compréhension est ellemême<br />

embarquée. Nous ne nous comprenons pas hors de cet embarquement.<br />

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329


Possibilité historique<br />

Que fallait-il pour que l'humain ose se jeter dans l'aventure et le<br />

risque ?<br />

1 La temporalité libérée de l'éternel retour.<br />

2 <strong>Le</strong> temps devenu urgent.<br />

3 Oser sortir de la caverne.<br />

4 Ouverture d'un infini espace du sens.<br />

5 <strong>Le</strong> 'Hors de' est dédramatisé.<br />

6 Expérience d'un appel et d'une promesse.<br />

7 Irruption d'un projet historique.<br />

Cela ne pouvait venir par génération spontanée. Trop massifs se<br />

dressaient contre elle les ancestraux mécanismes de défense. Ils<br />

devaient être brisés. Ils l'ont été. Cela s'est passé dans l'espace judéochrétien.<br />

La nouveauté judéo-chrétienne brise les cycles de la fatalité et<br />

ouvre le temps en avant de lui-même. Elle libère l'histoire du fatum de<br />

l'éternel retour. <strong>Le</strong> cercle s'ouvre en vecteur. Alpha et Oméga ne se<br />

rejoignent plus que sur un autre plan. L'histoire est ouverte à sa transcendance<br />

et à son eschatologie. L'impossible lui-même est possible.<br />

Rien n'est jamais joué définitivement. Il n'existe pas d'impasse sans<br />

issue. Au creux de la catastrophe le prophète sait encore crier l'espérance.<br />

Et cette audace d'un 'exode' au-delà des limites, au-delà de<br />

toutes les limites, ne pouvait venir que portée par une Alliance avec un<br />

autre - un Tout-Autre - qui s'est révélé 'YAHVE'. 'Je Suis'. Je suis<br />

toujours avec toi. Tu n'es donc plus jamais seul. De quoi aurais-tu<br />

peur ?<br />

330


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Entre alpha et oméga<br />

Nous ne totalisons jamais qu’entre Alpha et Oméga. Si grandes soientelles,<br />

nos totalisations ne sont jamais que des ’bulles’ flottantes sur des<br />

béances. Or nous sommes embarqués “au milieu” de l’histoire.<br />

L’histoire que nous vivons est perpétuellement inachevée et reste<br />

perpétuellement ouverte. Nous ne totalisons jamais qu’entre Alpha et<br />

Oméga. Nous ne disposons pas de l’avenir. A peine disposons-nous du<br />

présent. Quant au passé, il ne s’agit jamais que d’un ‘certain’ passé. La<br />

question du sens de l’histoire et de la fin de l’histoire reste à jamais<br />

hors de notre portée. L’histoire embarque l’homme du côté de la<br />

déraison. La raison de l’histoire, en effet, n’est pas dans la ‘raison’ mais<br />

dans l’histoire qui crucifie la raison.<br />

332


333


Impossible retour.<br />

L'homme entre en Histoire hanté par la boucle qui se boucle. Mais ce<br />

retour dans l’éternel retour est désormais impossible. L’humain est<br />

irrémédiablement livré à l'aventure et au risque. Ce n'est que ‘virtuellement’<br />

qu'il peut tenter de boucler quand même la boucle de sa<br />

compréhension. En construisant une philosophie de l'Histoire. Toutes<br />

les philosophies de l'Histoire veulent ainsi ramener l’Histoire à la raison.<br />

<strong>Le</strong>ur échec est cependant patent. La raison de l'Histoire, en effet, n'est<br />

pas dans la raison mais dans l'ouverture de l’Histoire qui crucifie la<br />

raison.<br />

L’homme entre en histoire hanté par la boucle qui se boucle. Mais cela,<br />

désormais, lui devient existentiellement impossible. Il est irrémédiablement<br />

livré à l’aventure et au risque. Ce n’est qu’intellectuellement qu’il<br />

peut tenter de boucler la boucle de sa compréhension. En construisant<br />

les philosophies de l’histoire.<br />

On ne retourne plus dans le sein maternel. Une fois contaminé par<br />

l’inquiétude historique on ne retrouve plus l’innocence de l’éternel<br />

retour. Inutile de chercher du côté des sagesses orientales, elles ne<br />

résistent qu’en superficie. Et ce n’est que par ressentiment contre la<br />

révolution judéo-chrétienne qu’un Nietzsche cherche vainement un<br />

retour dans la sagesse cyclique.<br />

334


335


Impossible totalisation<br />

Et sens pourtant. Car l’impossibilité d’enfermer la totalité de l’Histoire<br />

dans un système et, partant, de lui assigner une 'fin' – une ultime étape<br />

–, ouvre l’espace de sa signification. L'Histoire ne peut pas être 'objet'<br />

de compréhension parce qu'elle est essentiellement 'sujet' de décision.<br />

Nous ne totalisons jamais qu'entre Alpha et Oméga. Nos totalisations<br />

ne sont jamais que des 'bulles' flottantes sur des béances. Chance<br />

pour le décisif humain: liberté ex-posée. Ce n'est pas l'Histoire qui<br />

mène l'homme, c'est l'homme qui conduit l'Histoire. Et ainsi se dévoile<br />

un sens très profond de la condition humaine en chemin... En chemin.<br />

Non pas sur une route toute tracée d'avance, mais simplement balisée<br />

par les grandes options relevant d'une foi. A travers incertitude et<br />

risque. L’incertitude et le risque de l’aventure historique comme l’espace<br />

privilégié de la liberté et de l’urgence de la décision. L'ouverture<br />

d'un futur non-encore-décidé pro-voque l'être à la décision. Rien n'est<br />

jamais joué. Tout reste à jouer. Dans l'infini d'une aventure. <strong>Le</strong> grand<br />

risque humain à courir...<br />

<strong>Le</strong> sens de l’histoire est en exode. Nous sommes irréversiblement<br />

embarqués. Si grandes soient-elles, nos totalisations ne sont jamais<br />

que des ’bulles’ flottantes sur des béances. Pour assigner une ’fin’ à<br />

l’histoire, il faudrait qu’on puisse la considérer à partir de son terme ou<br />

de sa clôture. Or nous sommes embarqués au milieu de l’histoire.<br />

336


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Verticalité transhistorique.<br />

Maître de l'histoire ?<br />

L’histoire, fondamentalement, est-elle destin ou dessein ? A moins que<br />

la pensée ne désespère devant une histoire totalement irrationnelle, il<br />

ne reste que cette alternative qui ouvre deux types de lecture de l’histoire<br />

en sa totalité. Si l’histoire n’est que destin, elle échappe à toute<br />

maîtrise de l’homme. Elle se trouve comme livrée à la nature, jouet du<br />

hasard et de la nécessité. Son long terme se déploie dans l’inconnu.<br />

Ses certitudes, son ‘sens’, se cherchent dans l’horizontalité des faits et<br />

des événements. La déraison de l’histoire trouve ainsi ses raisons dans<br />

les lois inductivement généralisées à partir de l’expérience.<br />

A une telle lecture empirique et immanentiste s’oppose la lecture transcendante<br />

de l’histoire comme dessein. Celui-ci n’est pas à chercher sur<br />

la ligne horizontale de la succession simplement événementielle mais<br />

sur cette autre ligne qui la coupe verticalement. <strong>Le</strong> sens de l’histoire<br />

transcende la phénoménalité historique. Il n’est pas dans les événements,<br />

il les traverse. Derrière le ’hasard’ de l’histoire se profile en<br />

pointillé une ligne qui est sens. Et ce sens n’advient que dans la<br />

tension avec une transhistoire. Il se ‘révèle’ à travers une Alliance. Dieu<br />

écrit droit avec des lignes brisées... Telle est la folle certitude d’un Saint<br />

Augustin au creux d’une expérience historique déconcertante.<br />

338


339


Partir<br />

Partir. Quitter les terres ‘natales’. Vers une terre promise. L’espérance<br />

est en exode. Paradoxale condition humaine ! Pourquoi lui sont-elles<br />

refusées les installations dans les plantureuses vallées d’abondance ?<br />

Pourquoi l’humain authentique n’existe-t-il qu’en incessant dépassement<br />

et en marche vers un ailleurs ?<br />

L’humain est en exode à travers la différence. Et sans cette traversée il<br />

ne s’humaniserait pas. Du ‘même’ clos sur lui-même, jamais rien<br />

d’autre ne peut être. C’est la différence de l’ ‘autre’ qui ex-pose le<br />

‘même’ à son propre dépassement, qui l’é-duque vers son accomplissement.<br />

L’homme est l’animal qui sort de la caverne. Un animal bizarre.<br />

Proprement anormal si l’on considère les normes de la vie simplement<br />

biologique. Une négation au cœur de la massive affirmation vitale. Et<br />

que proteste Nietzsche avec toute la modernité ! Nous ne bouclons la<br />

boucle de l’animalité qu’en nous niant nous-mêmes. L’authentique<br />

humain est en exode. L’animal vient au monde muni de tout ce qui lui<br />

est nécessaire. Il naît avec son animalité accomplie selon les déterminations<br />

de son espèce. Tout est donné. Il suffit de le laisser se<br />

développer suivant ses lois propres. L’homme ne naît pas avec son<br />

humanité accomplie. Il naît totalement prématuré, nu, invivable, amnésique.<br />

<strong>Le</strong> programme génétique ne code pas au-delà de la complexe<br />

machinerie de son corps et de son gros cerveau. <strong>Le</strong> reste, l’essentiel,<br />

est à créer et à apprendre. L’homme naît dans la béance. Il naît pour la<br />

différence. Il naît avec une possibilité d’accomplissement. Il naît pour<br />

un exode d’humanisation. L’homme est engendré pour un engendrement<br />

infini.<br />

E-ducation. Ex-ducere. Conduire hors de... <strong>Le</strong> plus beau concept<br />

d'humanité. Vers quoi ? Hors du donné simplement naturel vers l’homme.<br />

Hors de l’homme vers plus d’homme.<br />

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341


Urgence<br />

L’eschatologie est la vision des ‘choses ultimes’ – ta eschata, en grec –<br />

en même temps que celles des ‘fins dernières’ de l’homme. Qu’est-ce<br />

qui advient ‘après’ ? Après les limites de l’espace et du temps de notre<br />

condition humaine. Un tel questionnement n’a cessé de produire un<br />

genre littéraire particulier, l’apocalyptique, On le retrouve multiforme à<br />

travers tous les temps et toutes les cultures. Dans l’espace judéochrétien<br />

s’est particulièrement développé entre le IVe siècle avant J-C.<br />

et le IIe après. <strong>Le</strong>s apocalypses les plus connues sont celles de celles<br />

du prophète Daniel et de l’évangéliste saint Jean. ‘Apocalypse’ –<br />

apokalypsis en grec – veut dire ‘révélation’. Elle veut être ‘découverte’<br />

de l’état et du statut définitifs des choses, terrestres et célestes, à la ‘fin’<br />

de l’Histoire. La dimension eschatologique est essentielle à l’apocalyptique.<br />

L’eschatologie n’est pas essentiellement pour la ‘fin des temps’.<br />

En Jésus Christ la totalité des temps est déjà accomplie. C’est le<br />

‘maintenant’ – le kaïros – qui est eschatologique. Sans doute y a-t-il<br />

aussi un futur eschatologique qui ouvre sur l’ad-venir de radicale<br />

nouveauté. La parousie. La résurrection de la chair. le Jugement<br />

dernier. <strong>Le</strong> règne cosmique de Dieu. Mais dans le Christ et par le Christ<br />

ces événements sont déjà ‘actuels’. Ils nous ‘arrivent’ dans le<br />

‘maintenant’ existentiel de la foi.<br />

Ainsi donc l'essentiel est écrit 'droit'. L'horizon est ouvert. <strong>Le</strong> sens est<br />

donné. La route est promise. En même temps, dans le court terme de<br />

notre quotidien, nous ne nous retrouvons le plus souvent que devant<br />

les brisures. Telle est notre condition entre incertitude et risque. <strong>Le</strong>s<br />

ruptures, en effet, nous provoquent au risque de la foi. Et nous savons<br />

que nous n'existons authentiquement qu'à travers ce risque.<br />

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343


Après ?<br />

L’ultime béance, la dernière, celle qui est au bout, du côté des ‘fins<br />

dernières’. Elle s’ouvre, abrupte, au-delà de cette limite qui marque la<br />

séparation entre mon monde, celui des évidences phénoménales, et le<br />

‘trou’ qui s’ouvre béant immédiatement après. Ce monde ‘mien’, celui<br />

de ‘ma’ vie et celui de ‘mes’ possibilités est l’unique monde de mes<br />

évidences. J’y suis né. J’y meurs. Je n’ai aucune expérience d’un hypothétique<br />

‘ailleurs’. Personne n’est jamais revenu d’un au-delà. Pourquoi,<br />

alors, cette béance hante-t-elle l’existence ?<br />

Très schématiquement on peut distinguer trois types d’existences face<br />

au problème ou plus exactement du mystère de l’ultime béance. 1)<br />

L’attitude naturaliste boucle la pure immanence sur elle-même. Elle<br />

fonctionne sur un déni de tout au-delà, refoule toute angoisse métaphysique<br />

et se réconcilie ainsi avec la plénitude ‘animale’ de la vie. 2) Pour<br />

cette attitude la mort n’est pas la fin absolue. En grisé se prolonge une<br />

‘existence’ virtuelle qui ne prend fin qu’avec la fin du monde. On peut<br />

ainsi ‘survivre’ de multiples manières. En devenant ‘immortel’ comme<br />

académicien, par exemple. En se perpétuant dans la vie de ses<br />

enfants. En transmettant ses gènes (supposés (immortels). En entrant<br />

dans l’Histoire. En survivant dans la mémoire collective. 3) Il y a enfin<br />

les attitudes ouvertes à la transcendance. Ce sont elle qui nous intéressent<br />

par rapport à l’extrême béance. Bouddhisme et christianisme.<br />

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Deux vacuités<br />

Penser le néant est impossible. Tout ‘ce que’ du néant est impensable.<br />

Reste simplement le ‘que’ de l’acte ou du verbe anéantir ou néantiser.<br />

Face au ‘que’ s’opposent deux types de néant. Il y a le néant qui<br />

débouche sur une infinie clôture. Il s’agit d’un « néant mécréant » qui<br />

traduit un négativisme ontologique et signifie ultimement la démission<br />

devant l’être. Il y a aussi le néant positif qui ouvre un infini. C’est lui qui<br />

sous-tend la béance mystique, qu’elle soit bouddhique ou chrétienne. Il<br />

vaut mieux l’appeler ‘vacuité’.<br />

Du nirvâna on ne peut se faire qu’une idée négative. Il n’est pas l’infini<br />

de l’espace. Il n’est pas l’infinité de la perception. Il n’est pas rien. Il<br />

n’est pas idée. Il n’est pas non-idée. Il n’est pas ce monde-ci, ni le<br />

suivant, ni aucun des deux. Il n’est ni le soleil ni la lune. Il ne vient pas.<br />

Il ne part pas. Il n’a pas de cause. Il n’a pas de commencement. Il est la<br />

fin de la souffrance.<br />

L’extrême béance chrétienne est sans doute encore plus ‘béante’ que<br />

le nirvana. Celle-ci, après tout, ne quitte pas la continuité du ‘même’<br />

idéaliste alors que la béance chrétienne s’ouvre dans l’infini béance de<br />

l’autre en tant qu’autre, non seulement altérité mais altérité de l’altérité.<br />

Une secrète loi, profonde dialectique du renversement des contraires,<br />

régit la vie spirituelle. Plus tu <strong>approches</strong> de ton propre néant, plus tu<br />

atteins ce point de rupture ou tu bascules dans l'absolu de l'être.<br />

Deviens rien, et tu deviens tout. Vide-toi, et la plénitude te sera donnée<br />

par surcroit. Au creux de ton extrême ‘différence’, tu te trouveras en<br />

parfaite ‘convenance’. Par grâce.<br />

Laisse-toi tomber... Tu ne tombes jamais dans le néant absolu. Dans<br />

l’infini de la béance, il y a une présence que tu peux expérimenter. Tu<br />

ne trouves pas Dieu a travers tes plénitudes. Tu trouves Dieu a travers<br />

ton néant.<br />

Précipite-toi avec ton néant dans l'abime de Dieu.<br />

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Au-delà de « l’horizon indépassable »<br />

L’expression est de Jean-Paul Sartre, mais l’idée était dans (presque)<br />

toutes les têtes. Il s’agissait du marxisme occupant alors largement le<br />

champ intellectuel et nourrissant le Discours des Maîtres penseurs du<br />

temps. Tout le monde se mettait à humer goulûment l’air du temps.<br />

Personne ne voulait rater le train de l’histoire et rester en marge du<br />

messianisme des temps modernes. Comment ne pas communier à l’alliance<br />

enfin célébrée entre ceux qui pensent et ceux qui travaillent ?<br />

Quintessence de la ‘modernité’, le marxisme s’identifiait alors à l’espérance<br />

tout court. L’espérance au-delà de laquelle aucune espérance ne<br />

pouvait plus jamais trouver de place. En fait l’horizon indépassable de<br />

notre modernité. Depuis, les horizons ne cessent de changer au gré<br />

des illusions. Mais la clôture, elle, veut rester identique à elle-même<br />

Derrière l’infini du dire qui surabonde dans chaque espace culturel se<br />

tient un Discours aux prétentions totalitaires. <strong>Le</strong> Discours dominant. Un<br />

Discours derrière les discours. <strong>Le</strong> grand ‘souffleur’ de nos mises en<br />

scène. L’esprit du temps. C’est lui qui dicte ce qui est sortable et ce qui<br />

ne l’est pas, ce qui est ‘correct’ et ce qui ne l’est pas. Il ne s’explicite<br />

que très rarement et pourtant il est omniprésent. <strong>Le</strong> non-dit est son<br />

expression habituelle. <strong>Le</strong> ‘on’ est son empire. Il ne prolifère que derrière<br />

les démissions personnelles. <strong>Le</strong>s media lui fournissent l’orchestration et<br />

lui assurent l’amplification et la résonance. L’Audimat le dynamise. <strong>Le</strong><br />

discours dominant délimite l’horizon indépassable de la caverne. Il en<br />

exprime la logique la plus pertinente. il en constitue la forme suprême<br />

de ‘bonne conscience’. C’est dans sa logique qu’on réussit aux jeux et<br />

concours de la caverne. <strong>Le</strong>s enfants de la caverne sont plus malins<br />

que les enfants de lumière...<br />

La foi chrétienne ne peut avoir que l’air ridicule dans la caverne. Elle<br />

est l’éternelle perdante aux jeux et concours de la caverne. Qu’a-t-elle<br />

d’intéressant à produire pour amuser les cavernicoles ? N’est-elle pas<br />

leur inlassable trouble-fête et leur ‘mauvaise conscience’ ? Mais peut-il<br />

en être autrement pour une foi qui ne peut qu’être fondamental refus de<br />

toute caverne ?<br />

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349


Exponentielle<br />

Qu’est le ‘progrès’, dogme central de la croyance dominante ? Essentiellement<br />

une courbe exponentielle de croissance le long du temps<br />

historique. Quelle croissance ? Toutes les euphories ‘progressistes’<br />

partent d’une réponse unanime: c’est le possible de l’homme qui croît.<br />

Et tout le possible de l’homme !<br />

<strong>Le</strong> ‘progrès’ s’identifie à un gigantesque système exponentiel. Est exponentielle<br />

une quantité qui traverse le temps, affectée d’un exposant<br />

croissant d’instant en instant. La ‘boule de neige’ en est l’exemple<br />

parlant. La spirale qui, à chaque révolution, embrasse un espace plus<br />

grand, en est sans doute le symbole le plus pertinent.<br />

Croissance du possible de l'homme. Ce possible, cependant, notre<br />

modernité l’a réduit au ‘faisable’. Et comme l’espace du faisable est<br />

immédiatement celui de l’avoir, le ‘progrès’ s’est mis à jouer la croissance<br />

de l’avoir. Or l’artifice est accumulable. Et l’accumulable bien<br />

géré produit le long du temps une somme en croissance, le plus<br />

s’ajoutant au plus, produisant un plus toujours plus grand. <strong>Le</strong> sens, par<br />

contre, se trouve chaque fois comme renvoyé à son éternel commencement.<br />

Décision toujours actuelle, il est à chaque moment du temps<br />

une sorte de nouvelle création. Son essentielle discontinuité refuse le<br />

sommable continu. Irrécupérable donc pour le ‘progrès’. En faisant<br />

l’économie de l’être, le projet de l’homme glisse ainsi du côté du projet<br />

constructeur qui tend à s’identifier avec son projet essentiel. <strong>Le</strong>s<br />

valeurs de signification se confondent avec les valeurs d’articulation et<br />

de plus en plus s’y perdent. Triomphe de l’homme ‘fabricateur’. Fabricateur<br />

d’outilité et fabricateur d’artifice. Fabricateur de texture. Fabricateur<br />

du texte. Fabricateur d’un ‘sens’ qui ne peut finalement plus être<br />

autre que sens-du-texte-fabriqué ! La foi au progrès se nourrit de la<br />

puissance fabricatrice d’artifice du possible de l’homme en autonomie.<br />

<strong>Le</strong> ‘progressisme’ n’est finalement que la superstructure idéologique<br />

d’un gigantesque système d’outilité exponentielle dont le fonctionnement<br />

induit l’optimisme prométhéen et entretient le discours bienportant<br />

de l’homme se voulant bien-portant.<br />

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<strong>Le</strong> progrès<br />

En continuité avec la naturelle ligne évolutive ascendante, la montée du<br />

spécifique humain signifie une rupture et l'irruption exponentielle d'une<br />

ligne ascendante différente. Concrètement, les deux vecteurs vont<br />

pratiquement coïncider pendant des centaines et même des milliers de<br />

millénaires. Ils ne divergeront que très progressivement, le spécifique<br />

humain prenant une accélération croissante exponentielle.<br />

Pourquoi cette accélération exponentielle si caractéristique du progrès<br />

humain ? Il y a d'abord une nécessité interne de l'articulation en ellemême.<br />

L'articulation structurelle, en effet, croît en fonction de la complexité<br />

structurale. En vertu de la croissance exponentielle des possibilités<br />

combinatoires en fonction du nombre des éléments, plus les<br />

éléments structuraux sont disponibles en grand nombre, plus les<br />

liaisons struturelles tendent à croître en progression géométrique selon<br />

une courbe exponentielle. Cela s'appelle plus simplement le phénomène<br />

de `boule de neige' dont nous avons déjà parlé à propos de la<br />

croissance de l'outil. Ensuite la liberté de l'articulation en tant qu'humaine.<br />

C'est l'homme ouvert sur l'infini qui dispose des éléments et des<br />

liens structuraux. L'homme non-fini, in-fini, ouvert à l'u-topos, ouvert<br />

dans un espace symbolique, ouvert à l'autre, ouvert à l'histoire, ouvert<br />

comme projection dans un monde nouveau. Dès lors devient possible<br />

un autre `progrès' qui n'est plus simplement poussé par la nécessité<br />

articulatoire et structurale mais appelé par l'exigence du spécifique<br />

humain. Un pro-grès, c'est-à-dire une é-ducation d'authentique humanité.<br />

Progrès ? A partir du 18e siècle la catégorie de ‘progrès’ alimentera<br />

toute une mythologie: le mythe du progrès technico-scientifique comme<br />

progrès ‘total’ de l’homme; le mythe de l’intelligibilité scientifique comme<br />

intelligibilité ‘absolue’, et logiquement, par voie de conséquence, le<br />

mythe de la supériorité de l’homme occidental inventeur et détenteur de<br />

l’efficacité mécaniste. Il n’est pire mythe que celui qui se pare de<br />

scientificité !<br />

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<strong>Le</strong>s deux sources du progrès<br />

Science et technique peuvent certes croître par elles-mêmes, selon la<br />

logique qui veut qu'une découverte en entraîne une autre et s'ajoute à<br />

elle, l'ensemble, au fil du temps, ne pouvant que grandir et se développer.<br />

Mais derrière l'idée de progrès il y a beaucoup plus qu'une simple<br />

croissance accumulative, si impressionnante soit-elle. Il y a une dynamique.<br />

Une dynamique faite d'exigence de dépassement infini, d'énergie<br />

volontaire pour transformer les choses et les événements, de projet<br />

historique qui casse l'éternel retour, de volonté de conquête, d'incessante<br />

ouverture sur la nouveauté... Ce dix-huitième siècle mécréant a<br />

une `foi' illimitée en les `Lumières' de la Raison et une certitude absolue<br />

que rien ne résistera à sa conquête triomphante. Une grande `foi',<br />

un peu naïve cependant, qui croit que désormais vertu et science<br />

s'embrassent en vue du bonheur croissant de l'homme. Grâce au<br />

`progrès' des auto proclamées `Lumières'.<br />

Cette dynamique de `progrès' au sens premier du mot, c'est-à-dire le<br />

refus de s'installer et la marche en avant vers la conquête d'une terre<br />

promise, où la trouver sinon dans la Bible? Il faut remonter à l'extraordinaire<br />

aventure de l'Occident né de l'interfécondation d'extrême<br />

différence. <strong>Le</strong> progrès implique une double possibilité, à savoir une<br />

dynamique de dépassement et une rationalité articulatoire. <strong>Le</strong>s deux lui<br />

viennent de cette double hérédité sans laquelle l’Occident est<br />

impensable. La maternelle composante lui apporte la rationalité scientifique<br />

et technologique. L’exposante judéo-chrétienne le dote de la<br />

dynamique de transcendance.<br />

Tout se passe comme si les 'mécanismes' néolithiques se mettaient à<br />

fonctionner de façon exponentielle. L'outil produisant l'outil qui le<br />

dépasse, Une masse d'outilité gonfle et déborde. L'invention provoque<br />

l'invention de plus en plus hardie. De plus en plus énormes se suivent<br />

les vagues technologiques. La révolution mécaniste consacre les premiers<br />

triomphes de la science exacte et rigoureuse: Galilée, Mersenne,<br />

Gassendi, Descartes... Désormais l’esprit humain possède son 'outil'<br />

pour pouvoir tout calculer et, partant, tout fabriquer.<br />

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Croissance de l'outil<br />

La foi au progrès se nourrit de la puissance fabricatrice d’artifice du<br />

possible de l’homme en autonomie. <strong>Le</strong> ‘progressisme’ n’est finalement<br />

que la superstructure idéologique d’un gigantesque système d’outilité<br />

exponentielle dont le fonctionnement induit l’optimisme prométhéen et<br />

entretient le discours bien-portant de l’homme se voulant bien-portant.<br />

Il faut prendre la mesure de ce troisième règne, prométhéen, que<br />

l’homme a instauré entre lui et la nature et avec lequel il tend à se<br />

confondre. <strong>Le</strong> règne de la croissance de l’artifice. Gigantesque système<br />

qui se met en place progressivement. Un système d’articulation. Un<br />

système d’outilité.<br />

A travers la révolution mécaniste et son prolongement industriel, notre<br />

modernité se dote d'un outil exponentiel producteur d'abondance à<br />

l'infini. Rien ne semble plus s'opposer à la réalisation du rêve cartésien:<br />

devenir maître et possesseur de la nature ! Entre la nature et l'homme<br />

se constitue désormais quelque chose comme un troisième règne.<br />

Prométhéen. A la mesure de la démesure de l'homme.<br />

Pendant de longs millénaires l’homme est un nomade prédateur. Il<br />

chasse. Il pèche. Il cueille fruits et graines. L’homme vit alors en<br />

symbiose avec la nature. Il subit sa domination. Il n’attente à la nature<br />

que dans les limites de ses besoins vitaux. Ce n’est que très récemment<br />

– sur l’échelle des temps préhistoriques – qu’a lieu un ‘décollage’.<br />

<strong>Le</strong>nt d’abord. De plus en plus accéléré ensuite. La révolution néolithique.<br />

L’homme devient de plus en plus agressif à l’égard de son<br />

environnement naturel. Il construit son monde dans la distance d’avec<br />

la nature. Il ne se contente plus de cueillir ou de chasser. Il force la<br />

terre à produire. Il enferme les bêtes. S’enchaînent alors logiquement<br />

toute une série de changements. Il faut se fixer. Il faut construire. Il faut<br />

se regrouper. Il faut s’organiser. Il faut se spécialiser. Il faut échanger. Il<br />

faut se défendre. Il faut inventer des outils nouveaux...<br />

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Démesure de l'exponentielle<br />

Désormais il y aura comme une accélération qui s’accélère. Durant<br />

longtemps l’outil n’était qu’une sorte de prolongement de la main de<br />

l’homme. Il va prendre de plus en plus d’autonomie. Activé par l’énergie<br />

des éléments naturels d’abord, et par l’énergie motrice artificielle ensuite.<br />

De l’outil à l’outil de l’outil. De la machine simple à la machine de<br />

plus en plus complexe. La machine se substituant à l’homme tout entier,<br />

à ses muscles d’abord, à ses nerfs et à ses réflexes ensuite, à son<br />

cerveau enfin. De la machine universelle à la machine spécialisée. De<br />

la machine de force à la machine de plus en plus cybernétique. De<br />

l’automatisation à l’automation...<br />

Croissance exponentielle. Depuis la révolution du Néolithique ce système<br />

d’outilité a fonctionné dans l’équilibre d’une homéostasie. Il s’est<br />

simplement complexifié. Ce sont les révolutions industrielles qui le<br />

livrent à une exponentialité galoppante. La croissance du système est<br />

impérative. Son arrêt ne signifie pas équilibre mais désorganisation,<br />

mort. Cette croissance exponentielle induit l’idéologie du "progressisme".<br />

Progrès. Croissance. Expansion.<br />

Pourquoi ça ne marche pas. Eh bien ça marcherait si... Si effectivement<br />

l’espace englobant du système exponentiel et les possibilités de cet<br />

espace étaient infinies. Si effectivement le système exponentiel pouvait<br />

fonctionner à l’infini, sans jamais rencontrer de limite. Tel n’est pas le<br />

cas.<br />

Où l’on peut démontrer qu’il arrive aux ‘lumières’ de charrier d’épais<br />

obscurantismes... Mais il faut bien un jour sortir de la caverne. A l’intérieur<br />

de celle-ci, les idéologies du ‘progrès’ n’ont cessé d’aveugler les<br />

esprits au point qu’ils ne se sont jamais demandé: quid du dehors de<br />

notre système ? Ce n’est pas du dedans que le système exponentiel de<br />

nos euphories est menacé. C’est du dehors. Car ce système se trouve<br />

irrémédiablement coincé dans la maison qui l’abrite. Dans cet ‘oïkos’<br />

qui l’englobe. Dans son écosystème matériel déjà. Dans son écosystème<br />

spirituel surtout.<br />

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Limites<br />

Inexorables limites... <strong>Le</strong> système exponentiel est coïncé dans les limites<br />

de son écosystème englobant. Il ne peut en aller autrement pour le<br />

progrès.<br />

<strong>Le</strong> système fonctionnant exponentiellement appelle, en entrée, de plus<br />

en plus d’énergie, de matériaux et d’information et livre, en sortie, de<br />

plus en plus de déchets et d’entropie. Or nous savons aujourd’hui – et<br />

si nous voulons l’ignorer, les faits nous le rappellent cruellement – que<br />

les possibilités d’entrée et de sortie du système d’outilité exponentielle<br />

ne sont pas in-finies mais finies. Elles sont inexorablement limitées.<br />

Limitées par un système plus englobant qui est lui-même réfractaire à<br />

l’exponentialité. L’écosystème. Insurmontable contradiction entre l’exponentialité<br />

du système d’outilité et l’homéostasie de son englobant<br />

écosystème !<br />

<strong>Le</strong> système fabricateur d'euphorie progressiste est fondamentalement<br />

ouvert. Il ne se ferme qu'en se coupant de de l'essentiel qui ne peut lui<br />

venir que de DEHORS. La schizoïdie n'a décidément pas fini de prendre<br />

la mesure de ses étroitesses.<br />

L’exponentialité du système producteur d’abondance n’est pas<br />

seulement coincé dans les limites physiques de l’écosystème et du<br />

système géo-politique mais encore piégé par une disproportion exponentielle<br />

entre l’exponentialité de la production d’abondance et l’exponentialité<br />

plus exponentielle du désir. Nous avons vu le ‘progrès’<br />

piégé. Enfermé dans l’incontournable limitation. <strong>Le</strong> désir ne peut pas ne<br />

pas s’y pièger lui-même. Une homéostasie entre l’infini du désir et la<br />

nécessaire finitude de l’abondance étant impossible, il reste à l’ensemble<br />

du système de production de nos euphories de tourner pour<br />

tourner. Comme si la fuite en avant, suprême ‘transcendance’ possible<br />

de notre modernité, se suffisait à elle-même pour combler la frustration<br />

relancée à l’infini.<br />

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Piégé<br />

<strong>Le</strong> système d’outilité exponentielle est coincé dans notre écosystème.<br />

Nous faisons de plus en plus l’expérience d’un impossible. Non pas<br />

pour des raisons idéologiques. Non pas pour des raisons épistémologiques.<br />

Mais pour des raisons physiques. L’expérience physique donc<br />

d’un impossible. Toutes nos euphories du ‘progrès’ se voient piégées.<br />

Puisque voilà ébranlé leur commun fondement. Puisque voilà coincé le<br />

système d’outilité exponentielle. Coincé dans la finitude incompressible<br />

de l’écosystème<br />

A l’intérieur de ce super-organisme écosystémique, le système matériel<br />

de notre outilité exponentielle – l’outil de notre ‘progrès’ ! – fonctionne<br />

en parasite. Tout vient, en effet, de notre écosystème. Tout ne vient que<br />

de lui. L’énergie, les matériaux, le recyclage, l’absorption des déchets...<br />

Non seulement il fonctionne en parasite mais encore en parasite prodigue.<br />

Son gaspillage étant à la (dé)mesure de son exponentiailté.<br />

Ainsi, pour ne prendre qu’un seul exemple, en un peu plus d’un siècle<br />

une partie de l’humanité dilapide, en le brûlant bêtement dans ses<br />

moteurs ou ses chaudières, une matière très précieuse, le pétrole, que<br />

l’écosystème a mis des dizaines de milliers d’années à produire et à<br />

stocker. Au fait, combien de pétrole par an aurions-nous le droit d’extraire<br />

si nous pensions à nos générations futures ?<br />

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Incontournable écosystème<br />

Entre l’exponentialité du système d’outilité et l’homéostasie de son<br />

englobant écosystème la démesure du système d’outilité exponentielle<br />

se heurte à son impossible absolu. Il est en effet absolument impossible<br />

qu’un système puisse fonctionner en infinie exponentialité dans un<br />

englobant aux possibilités incomparablement moins exponentielles.<br />

Inévitablement un tel système exponentiel ne fonctionne qu’en vue de<br />

son propre blocage. <strong>Le</strong> possible physique de notre univers ne peut pas<br />

contenir une croissance quantitativement accumulative en ‘progrès’<br />

infini. <strong>Le</strong> système d’outilité exponentielle est donc piégé irrémédiablement.<br />

Et piégées avec lui les idéologies qui ne cherchent d’espérance<br />

que dans le ‘progrès’. Déchirantes révisions du discours bien-portant<br />

de l’homme (bourgeois et occidental) bien-portant. Trois siècles à peine<br />

après ses premiers balbutiements ! L’impasse... Ce que nous appelons<br />

pudiquement la crise... Combien de temps l’homme peut-il s’aveugler<br />

dans la stupide fuite en avant ?<br />

Où le fils prodigue va-t-il essayer de chercher son salut ? Loin de la<br />

maison du Père, clochard des plénitudes perdues, il lui reste à errer<br />

d’insatisfaction en insatisfaction, trouvant son bonheur dans la poursuite<br />

des mirages. C’est avec un religieux respect qu’il se met à<br />

appeler ‘Progrès’ la sacralisation de cette fuite en avant. Combien de<br />

temps encore l’espérance orpheline se laissera-t-elle porter par une<br />

stupide fuite en avant ?<br />

Il y a une pathétique inadéquation entre les nécessaires limites de<br />

l’englobant et le refus des limites de notre système d’outilité exponentielle<br />

! Qu’ils soient de droite ou de gauche, les discours progressistes<br />

ne fonctionnent tous qu’en embrayage direct sur l’articulation de l’outil<br />

exponentiel. Ils se trouvent désormais face à de déchirantes révisions !<br />

Ce discours bien-portant de l’homme (bourgeois) bien-portant ne charrie<br />

qu’un optimisme trompeur. <strong>Le</strong> ‘progrès’, avatar d’une ‘transcendance’<br />

immanentisée, matérialiste et athée, est en train de rejoindre le<br />

cimetière des illusions perdues. Trois siècles à peine après ses premiers<br />

balbutiements !<br />

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L'homme inachevé<br />

L’homme naît inachevé pour être livré à l’aventure de l’achèvement.<br />

L'homme inachevé entraîne en son inachèvement tout ce sur quoi il<br />

porte sa main ou son regard. Il le reprend en son projet. Il refuse à la<br />

nature le droit de se clôturer dans son achèvement. Ce refus s’appelle<br />

aussi ‘culture'. Il ouvre l’espace nouveau d’une possibilité d’infinie création<br />

nouvelle.<br />

Un animal 'moins'... L’homme est comme une blessure au flanc de la<br />

nature. Il pourrait sembler normal que le couronnement du règne biologique,<br />

l’homme, soit un animal ‘plus’ quelque chose. Nos réflexes<br />

physicalistes et substantialistes ne valorisent que le plein. Comme si<br />

l’essentiel consistait dans l’accumulation quantitative. Il faut oser le<br />

paradoxe. L’homme est un animal 'moins' quelque chose. L’homme est<br />

un animal qui existe dans le vide de son animalité.<br />

Un animal bizarre. Proprement anormal si l’on considère les normes de<br />

la vie simplement biologique. Une négation au cœur de la massive<br />

affirmation vitale. Et que proteste Nietzsche avec toute la modernité !<br />

Nous ne bouclons la boucle de l’animalité qu’en nous niant nousmêmes.<br />

L’authentique humain est en exode.<br />

L’homme est un être paradoxal. Il est visiblement le seul être de la<br />

nature qui ne soit pas simplement de la nature. Et il le sait. Il est aussi<br />

en face ! Ce n’est jamais la nature qui étudie la nature. Elle n’accède à<br />

son intelligibilité qu’à partir d’un ‘ailleurs’ d’elle-même. Il faut que<br />

d’abord l’homme surgisse pour que quelque chose comme la science<br />

devienne possible.<br />

366


367


Emergence de l'humain<br />

Enfant d'ailleurs... <strong>Le</strong> surgissement du spécifique humain est en rupture<br />

d’évolution. Il refuse tout simplement d’entrer dans le jeu de la nature<br />

et fait valoir de nouvelles règles. Tout se passe comme si l’évolution<br />

jouait désormais sur un autre plan. Comme si une page se tournait sur<br />

son animalité. Autre chose prend désormais le relais du génétique.<br />

L’homme est biologique ment ‘arrêté’ pour courir ailleurs une autre<br />

aventure.<br />

Fils de la différence. L’homme n’est pas fils du ‘même’. Il est fils de l’<br />

‘autre’. L’homme naît d’autant plus homme qu’il naît de l’étreinte d’un<br />

maximum de différence.<br />

La différence sacrale creuse l’infinie béance qui fissure les milieux pour<br />

les livrer aux extrêmes. <strong>Le</strong> sacré est crise du monde pour qu’émerge<br />

l’humain. L’humain s’enfante à travers une crise. C’est le sacré qui<br />

signifie cette crise. L’homme naît en tant qu’homme dans la crise<br />

sacrale de la vie. Tant que la vie coïncide simplement avec elle-même<br />

elle n’est qu’animale. C’est la non-coïncidence de la vie avec ellemême,<br />

de l’instinct avec lui-même, du vouloir-vivre avec lui-même qui<br />

est chance de l’émergence du spécifique humain.<br />

L’homme n’est possible qu’à partir d’un animal en crise. C'est l'Autre<br />

pro-vocant qui le défie au dépassement. C’est dans l’extrême tension<br />

de la verticalité sacrale que naît l’homme en tant qu’homme. <strong>Le</strong> sacré<br />

est proprement crise d’enfantement de l’humain. Personne ne sait<br />

quand cela a commencé. Personne ne le saura sans doute jamais.<br />

Mais l’accession d’un certain primate à l’humanité reste incompréhensible<br />

autrement. Seul le ‘divin’ ouvre la différence à travers laquelle<br />

l’humanité peut advenir. Qui d’autre que Dieu pouvait provoquer<br />

l’exode de ce primate vers l’humain ?<br />

L’homme est comme une blessure au flanc de la nature. L'homme<br />

passe infiniment l'homme. Comment le résumer mieux que par cet<br />

aphorisme de Pascal ? L’homme hors de soi. L’homme en avant de soi.<br />

Très, très loin en avant de soi.<br />

368


369


L'humain<br />

L’homme n’est pas fils du plein. Il est fils de la béance. L’homme est un<br />

animal qui existe dans le vide de son animalité. L’homme naît inachevé<br />

pour être en exode vers son achèvement. Mais déjà l’Esprit n’est pas là<br />

où sont les pleins.<br />

Un animal différentiel. Paradoxe humain. L'homme, un être en si grande<br />

continuité avec le ‘donné’ naturel. Un être qui pourtant ne devient<br />

réellement compréhensible qu’en rupture avec lui. L’animal épuise ses<br />

possibilités dans un comportement symbiotique. L’homme en tant<br />

qu’animal n’échappe pas à cette nécessité. Mais il ne s’y enferme pas.<br />

Quelque chose en l’homme refuse l’installation à l’intérieur de limites.<br />

L’homme est un animal bizarre que l’animalité n’arrive pas à contenir.<br />

L’animal est fait pour l’équilibre, l’homme pour le dépassement.<br />

L’homme est en rupture. En rupture d’intelligibilité et en rupture d’être. Il<br />

y a brusquement un seuil, une rupture de niveau. Il y a brusquement un<br />

seuil, une rupture de niveau. L’émergence d’une gigantesque<br />

contra-'diction’ au cœur de la grande ‘diction’ naturelle et logique.<br />

Comment, en effet, expliquer qu’une structure puisse consentir à sa<br />

destruction, à sa déstructuration, pour ‘autre’ chose qu’elle-même, comme<br />

dans le martyre ? Comment expliquer que ce qui est ‘entre les<br />

lignes’ puisse devenir plus important que le texte écrit ? Comment<br />

expliquer que ‘ce qui est’ puisse être nié au profit de ‘ce qui doit être’ ?<br />

Comment expliquer que l’ ‘absent’ puisse devenir plus présent que le<br />

‘présent’ ? Comment expliquer que la réponse puisse s’ouvrir à la<br />

question et à la question de la question à l’infini ?<br />

La spécificité humaine, un indicible qui se cache et se révèle en même<br />

temps, se cherche dans la béance des apparences simplement phénoménales.<br />

<strong>Le</strong> petit reste du même pas 1% restant. Paradoxale intelligibilité<br />

de l’homme tellement en continuité avec le "donné" naturel et<br />

qui pourtant ne devient réellement compréhensible qu’en rupture avec<br />

lui !<br />

370


371


Communauté<br />

Originaire relation inter-personnelle. Devenir homme est impossible<br />

sans la rencontre avec l’autre. L’émergence de ‘soi’ à partir d’un ‘nous’,<br />

si elle se manifeste génétiquement et historiquement, est d’abord<br />

essentielle. L’humanité de l’homme se définit par sa relation avec<br />

l’autre. L’engendrement de l’humain se fait dans une communauté<br />

gestatrice d’humanité. Cette communauté est immédiatement la<br />

communauté humaine. Une réalité spécifique et originale, radicalement<br />

différente de la société animale. Elle est à la fois plus et autre que<br />

l’ensemble des individualités qui la composent, sans lesquels, pourtant,<br />

elle ne serait pas.<br />

Quelle est cette spécificité ? C’est d’être relationnelle. Elle est d’abord<br />

relation. Relation absolument originale par rapport à tous les autres<br />

types de relations. L’expérience de la relation inter-personnelle est<br />

originaire. Elle ne peut s’expliquer à partir d’aucune autre expérience<br />

parce que toute expérience déjà la suppose. Elle se donne avant tout<br />

ce qui à partir d’elle peut se donner. Elle se vit comme la douce chaleur<br />

gestatrice de la matrice de l’humain. Un être incapable de vivre cette<br />

relation originaire ne peut que rester en marge de l’humanisation. La<br />

possibilité d’entrer en relation inter-personnelle est une condition sine<br />

qua non de véritable humanisation.<br />

Masse - Communauté - Communion. Avec Max Sheler on peut distinguer<br />

trois niveaux humains, qualitativement très différents, de l'êtreavec<br />

et l'être-ensemble. Ils sont situés ici entre d'extrêmes polarités<br />

signifiantes. L'approche 'personnaliste' vise la 'communion'. La différence<br />

est simplement expérimentale. Entre, par exemple, la 'masse'<br />

surchauffée d'un stade de foot-ball et la 'communion' d'une multitude de<br />

jeunes lors d'une rencontre JMJ.<br />

372


373


Réfractaire<br />

C’est dans la béance que surgit le spécifique humain. Misère et grandeur<br />

de l’homme frustré en sa simple animalité, en sa seule naturalisé,<br />

ex-posé à créer, par médiation symbolique, à travers la parole, un<br />

monde toujours autre, toujours nouveau. L’espace symbolique, espace<br />

de possibilité et de déploiement du spécifique humain dans la rupture<br />

et dans la distance, représente un véritable scandale au sein de la<br />

nature. Comment une telle émergence du ‘non’ au cœur du grand ‘oui’<br />

que la nature ne cesse de se répéter à elle-même peut-elle s’expliquer<br />

? L’animal est sans doute trop plein d’animalité pour être béant sur<br />

l’esprit... Accéder à un ordre supérieur implique l’immense traversée<br />

d’un vide. L’homme, lui, ne cesse de l’expérimenter de mille manières.<br />

Nos béances se pervertissent lorsqu’elles refusent cette essentielle<br />

'pauvreté' authentiquement ‘humanisante’.<br />

L’homme n’est pas fils du plein. Il est fils de la béance. L’homme est un<br />

animal qui existe dans le vide de son animalité. L’homme naît inachevé<br />

pour être en exode vers son achèvement. Mais déjà l’Esprit n’est pas là<br />

où sont les pleins.<br />

L’homme n’est pas fils du ‘même’. Il est fils de l’ ‘autre’. L’homme naît<br />

d’autant plus homme qu’il naît de l’étreinte d’un maximum de différence.<br />

374


375


Autre plénitudes<br />

Singulier vivant que l’homme, qui n’est réellement chez soi que là où il<br />

n’est pas encore.<br />

L’homme, aujourd’hui, ne semble plus pouvoir se comprendre autrement<br />

qu’en bouclant la boucle sur son immanence. Celui qui jusque là<br />

était aussi citoyen d’ailleurs va perdre son statut d’exterritorialité. Cet<br />

animal de l’embranchement des vertébrés et de la classe des mammifères,<br />

apparu évolutivement dans l’histoire naturelle de la vie, n’est<br />

plus marqué de l’intouchable mystère sacral. Ramené dans les strictes<br />

limites de la nature, l’homme devient objet manipulable d’un savoir et<br />

d’un pouvoir. Ainsi le ‘même’ veut se boucler sur lui-même. En stricte<br />

immanence. Sans ‘hors de’. Sans l’Autre ! Un univers à l’image de<br />

l’homme qui, ayant perdu sa ressemblance avec Dieu, n’est plus qu’à<br />

l’image de son univers.<br />

L’intelligibilité naturaliste qui se veut être en stricte continuité avec le<br />

même peut avoir raison à 99%. <strong>Le</strong> stupéfiant c’est le 1% restant. Du<br />

côté de l’autre. Un petit reste qui pourtant ouvre un infini d’espérance.<br />

Une faible voix prophétique émerge sur les vastes étendues où<br />

prolifère le ‘ça’. Elle ose commencer par dire ‘je’. Petit David face au<br />

géant Goliath. Cet apparent 'rien' de l’esprit cache et révèle en même<br />

temps une autre plénitude. La béance n’est pas ‘néant’ de part en part;<br />

elle est sur fond d’être. <strong>Le</strong> ‘non’ de l’esprit n’est pas négation absolue; il<br />

est sur fond d’un ‘oui’ plus fondamental et plus originaire<br />

<strong>Le</strong> mystère, positivement, est aux antipodes de toute 'démission'. Il<br />

est lucidité face à l'essentiel de la condition humaine. Il sait que le<br />

dernier mot se dérobe pour faire place à d'autres plénitudes et que<br />

l'humain reste ex-posé à ce qu'il n'arrive pas à com-prendre, c'est-àdire,<br />

étymologiquement, à ce qu'il n'arrive pas à 'saisir 'ensemble',<br />

cum-prehendere, dans une boucle qui de toutes façons ne boucle<br />

jamais qu'un petit 'englobé' dans un plus grand 'englobant'.<br />

376


377


Schizoïdie<br />

L'acte de naissance de la modernité scelle la rupture de l'Alliance. En<br />

ses profondeurs se joue quelque chose comme une négative théologie<br />

négative. C’est une liberté radicalement ouverte par la rencontre existentielle<br />

avec l’infini Je Suis qui va historiquement se reprendre en ellemême<br />

et sur elle-même en autonomie anthropocentrique totalisante.<br />

L’homme divinisé par grâce de Je Suis boucle sa divinisation sur ellemême<br />

et se prétend dieu sans Dieu. A la place de Dieu. Dès lors Dieu<br />

doit mourir pour que l’homme puisse être absolument.<br />

Voici qu'une liberté radicalement ouverte par la rencontre existentielle<br />

avec l’infini ‘Je Suis’ va historiquement se reprendre en elle-même et<br />

sur elle-même en autonomie anthropocentrique totalisante. L’homme<br />

divinisé par grâce de ‘Je Suis’ clôt sa divinisation sur elle-même et veut<br />

devenir Dieu sans Dieu. A la place de Dieu. Dès lors Dieu doit mourir<br />

pour que l’homme puisse être absolument.<br />

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379


Je pense<br />

A travers sa `révolution copernicienne' anthropocentrique la modernité<br />

se refuse la possibilité d'un sens plus englobant qu'elle-même, et, partant,<br />

le don d'un sens qui ne soit pas sa propre production. A partir de<br />

là, tout un renversement.<br />

<strong>Le</strong> sens n'est plus donné objectivement mais se donne en subjectivité.<br />

Il y avait un espace du sens total capable d'intégrer les sens particuliers;<br />

désormais le sens désintégré éclate en multiples sens. <strong>Le</strong> lien<br />

du sens était donné à partir des `extrêmes'; il veut se nouer maintenant<br />

à partir du `milieu'. L'étrange renvoyait vers les extrêmes de l'être; il<br />

envahit désormais le cœur de l'être. <strong>Le</strong> questionnement se faisait<br />

`dans' la réponse; maintenant toute réponse se dilue dans le questionnement.<br />

La force de l’évidence doit venir désormais de la subjectivité. Celle-ci<br />

n’a plus besoin d’autre garant qu’elle-même. C’est elle qui veut se<br />

poser comme fondatrice de la totalité pensable. Ainsi donc doit s’accomplir<br />

le renversement ‘copernicien’ de l’être à la pensée. Une<br />

nouvelle courbure de l’espace mental. Une nouvelle gravitation de<br />

l’être. Descartes, sans doute, n’ose pas encore aller du côté de ces<br />

extrêmes. Il ne veut pas priver l’être de sa vérité objective. Il doit<br />

encore exister objectivement une ‘nature des choses’. <strong>Le</strong> ‘je pense’ ne<br />

peut pas être entièrement enfermé dans sa subjectivité. Ma pensée,<br />

d’autre part, est incapable de fonder entièrement sa propre vérité. Un<br />

garant objectif est nécessaire. Comment, autrement, distinguer la<br />

pensée fausse de la pensée vraie ? Dieu reste donc garant de mes<br />

évidences. Il est aussi garant de la réalité du monde.<br />

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381


Seul maître à bord<br />

L'acte de naissance de la modernité scelle la rupture de l'Alliance. En<br />

ses profondeurs se joue quelque chose comme une négative théologie<br />

négative. C’est une liberté radicalement ouverte par la rencontre existentielle<br />

avec l’infini Je Suis qui va historiquement se reprendre en ellemême<br />

et sur elle-même en autonomie anthropocentrique totali-sante.<br />

L’homme divinisé par grâce de Je Suis boucle sa divinisation sur ellemême<br />

et se prétend dieu sans Dieu. A la place de Dieu. Dès lors Dieu<br />

doit mourir pour que l’homme puisse être absolument.<br />

Voici qu'une liberté radicalement ouverte par la rencontre existentielle<br />

avec l’infini ‘Je Suis’ va historiquement se reprendre en elle-même et<br />

sur elle-même en autonomie anthropocentrique totalisante. L’homme<br />

divinisé par grâce de ‘Je Suis’ clôt sa divinisation sur elle-même et veut<br />

devenir Dieu sans Dieu. A la place de Dieu. Dès lors Dieu doit mourir<br />

pour que l’homme puisse être absolument.<br />

Chasser Dieu. De cet espace de stricte ‘humanité’ il fallait – symétrique<br />

inversion du récit de la Genèse ? – chasser Dieu. De trop, donc, le père<br />

judéo-chrétien, devant la revendication d’une origine purement parthénogénétique.<br />

De trop, le Père de l’Etre, du Bien et de la Vérité puisque<br />

nous suffisent nos propres productions, nos propres valeurs, nos propres<br />

lucidités. Puisque nous prétendons être à nous-mêmes notre<br />

propre source. De trop, outrageusement de trop, le Père avec son Fils<br />

et le Saint Esprit !<br />

Pourtant on n’en finit pas de chasser Dieu. Il résiste au-delà de cette<br />

logique et de cette cohérence qui ne sont que de surface. Profondément,<br />

beaucoup plus profondément, occultée, refoulée, se joue,<br />

fascinante et effrayante, la grande dramaturgie. Mystérieuse négative<br />

théologie négative ! <strong>Le</strong> combat de Jacob n’en finit pas. <strong>Le</strong> corps à<br />

corps des esprits, plus meurtrissant que le combat de avec l’Autre.<br />

L’homme n’en sort jamais que déhanché. Et la lutte reprend... La<br />

théomachie se poursuit.<br />

382


383


Courbure de l'humain<br />

<strong>Le</strong>s perspectives médiévales étaient excentrées. La perspective renaissante<br />

se concentre. Mise ‘en perspective’ de toutes choses à partir de<br />

l’homme. Centre. Point de vue. Regard. Regard qui embrasse. Et par là<br />

courbe un horizon. Mise en perspective. Avec en même temps une illusion<br />

de perspective. La subjectivité humaine se fait constituante. A<br />

l’image de celle du Père judéo-chrétien. Créatrice d’elle-même et de<br />

toute objectivité constituée. Vu à partir du centre l’horizon semble<br />

s’ouvrir un infini. Vu à partir du ‘dehors’ l’horizon clôt une finitude. Ainsi<br />

commence un énorme malentendu de toute notre modernité. Une telle<br />

courbure de notre espace ne risque-t-elle pas aussi d’être notre<br />

prison ?<br />

Dans l’espace de la courbure anthropocentrique tout tend à prendre<br />

courbure. Un même espace de gravitation avec de multiples centres de<br />

gravité qui tendent chacun à l’exclusif de la gravitation. L’horizon<br />

‘absolu’ de la modernité circonscrit des ‘relatifs’ qui tendent vers<br />

l’absolu ! Constitution en ‘autonomies’ et cristallisation en ‘réalités’<br />

d’une multitude d’ ‘abstractions’. Par exemple: le profane, le religieux,<br />

l’argent, la propriété, le pouvoir, l’Etat, la Nation, les classes... Désormais<br />

la multiplicité ne pourra-t-elle pas crier contradictoirement ‘Gott<br />

mit uns’ ? Dans l’espace de chaque singulier règne l’optimisme. <strong>Le</strong><br />

pluriel, pourtant, induit les affrontements. Guerres civiles. Guerres<br />

nationales. Guerres de religions. A moins d’entrevoir comme Montaigne<br />

la relativité essentielle et de continuer à vivre de scepticisme et de<br />

relativisme. Stoïquement. Comme le feront avec lui un Charron ou un<br />

Sanchez. ‘Docta ignorantia’ si différente pourtant de celle de Nicolas de<br />

Cues deux siècles auparavant.<br />

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La source virtuelle<br />

Un au-delà de ma pensée est impensable. Un au-delà de l’idée, impossible.<br />

<strong>Le</strong> virtuel prolifère. S'ouvre alors le règne indéfini de l'idéalisme.<br />

Exit la ‘transcendance’. Reste simplement une ‘visée transcendantale’.<br />

C'est-à-dire une 'transcendance' virtuelle prisonnière des enfermements.<br />

<strong>Le</strong> possible de l’homme se fait centre de perspective sur la totalité. La<br />

vérité sur toutes choses n’est désormais qu’à partir de la pensée<br />

humaine. C’est elle qui est l’immédiateté première. C’est elle qui fonde<br />

les fondements de son savoir. Car Dieu lui-même, encore garant de<br />

mes évidences, est-il lui-même évident autrement qu’à travers l’idée<br />

claire et distincte de ma pensée ? Je pense Dieu qui garantit la vérité<br />

de ma pensée! Cercle vicieux ? Descartes, cependant, n'en est pas<br />

encore tout-à-fait là ! Nous ne pensons l'imparfait et le fini que sur fond<br />

de parfait et d'infini. Nous avons donc en nous l'idée claire et distincte<br />

de l'être absolument parfait. Quelle est la chance d’existence de cet<br />

être parfait ? Mais l’existence n’est-elle pas nécessairement inhérente –<br />

argument ontologique – à l’idée ? Cette idée qui ne peut venir ni du<br />

néant ni radicalement de nous-mêmes. Elle est nôtre, certes, mais en<br />

même temps elle renvoie encore ailleurs. Pour combien de temps<br />

‘encore’ ? Même sans être créateur ex nihilo de l’idée claire et distincte,<br />

c’est quand même en mon possible qu’elle prend conscience d’ellemême.<br />

Et c’est ce possible qui désormais héberge le doute. Y a-t-il un<br />

Dieu ? Et s’il était trompeur ?<br />

386


387


Quel englobant ?<br />

La totalité constituante n'est plus donnée absolument. Une `bulle' se<br />

constitue ex nihilo. Elle se boucle en finitude. Elle flotte dans le vide<br />

sans recours. L'objectivité étant néantisée reste la subjectivité objectivée.<br />

<strong>Le</strong> sens constitué veut être le sens constituant. <strong>Le</strong>s effets se<br />

rendent autonomes. La méthode se substitue aux liens.<br />

Dieu n’est plus l’ultime englobant. Il est lui-même englobé dans un plus<br />

grand que lui. Il relève désormais du seul possible humain. Et ce possible<br />

le déclarera de plus en plus comme impossible. Dans la meilleure<br />

des hypothèses une chance lui est laissée aux limites. Ainsi pour Kant,<br />

au-delà des possibilités ‘théoriques’ de la raison, s’impose un impératif<br />

catégorique. Une pure exigence ‘pratique’. Et celle-ci ne peut pas ne<br />

pas postuler au-dehors de la sphère du possible de l’homme un<br />

quelque chose qui prend nom Dieu, et liberté, et immortalité. Non plus<br />

certitude. Simple postulat.<br />

Une ‘logique’ est en marche. Elle exclut de plus en plus tout recours à<br />

un référentiel ou à un garant d’ailleurs. Reste désormais au possible<br />

humain de fonder le possible humain. Il n'existe plus de philosophie qui<br />

ne soit essentiellement critique.<br />

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<strong>Le</strong> discours tautologique<br />

Il s’agit du ‘Discours’ lui-même qui fait notre culture, c’est-à-dire la<br />

parole cratrice d’humanité. <strong>Le</strong> Discours ainsi bouclé sur lui-même se<br />

met à fonctionner en clôture. En rupture avec le dialogue à la fois<br />

théologique, ontologique et axiologique avec l’Autre, sans quoi aucune<br />

culture n’a jamais réussi à fonctionner longtemps sans courir à sa<br />

perte. Vaste déploiement d’un monologue de l’immanence avec ellemême.<br />

Finalement, gigantesque tautologie tournant sur elle-même totalitairement.<br />

Se coupant de plus en plus de la source chaude de l’autre<br />

de lui-même et épuisant de plus en plus vite ses réserves d’énergie<br />

spirituelle historiquement accumulées, il se nourrit de plus en plus de<br />

ses propres déchets qu’il n’a même plus le temps de recycler et va<br />

jusqu’à se complaire dans l’absurde et l’étrange de sa propre entropie.<br />

Quelque chose comme un ‘stade anal’ d’autiste coprophagie...<br />

<strong>Le</strong> Discours produit de plus en plus de discours au pluriel qui prennent<br />

valeur par leur consommation même. Car cette production mercenaire<br />

de discours n’est que par le consommateur qui lui-même n’est que par<br />

son conditionnement. Par sondages interposés, un ‘public’ conditionné<br />

conditionne la croissance de son propre conditionnement. Un discours<br />

‘lancé sur le marché’ peut ainsi faire ‘boule de neige’ à condition que le<br />

bruit publicitaire soit instantanément intense et que la ‘cible’ ait des<br />

réflexes suffisamment conditionnés. Une fois l’impact du processus assuré,<br />

le déferlement quantitatif consacre la qualité qui, à son tour<br />

relance la quantité. Une boulimie qui avale des forêts de pâte à papier<br />

et sature les ondes. Ainsi fonctionne le Discours tautologique dans la<br />

clôture et en stricte finitude. Mettant entre parenthèses l’essentiel.<br />

Entre parenthèses: la vérité, le <strong>Sens</strong>, les Valeurs. Entre parenthèses: le<br />

fondement. Entre parenthèses: l’archè et le télos. <strong>Le</strong> cercle vicieux des<br />

effets et des causes. Mais comment faire autrement puisque toute<br />

signifiance veut s’autoproduire en autonomie ? L’ultime critère devient<br />

la non-contradiction à l’intérieur de la bulle. Inflation des signes et des<br />

signifiés... Prolifération de signes enflés et gonflés de vide... Polysémie<br />

où n’importe quoi signifie à la limite n’importe quoi... Tautologique autoproduction<br />

du signe par le référent et du référent par le signe...<br />

Relativité... Ce que parler ne veut plus dire.<br />

390


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Hors de l'Alliance<br />

L'inconscient sans Père. Un inconscient qui s'enlise dans la clôture du<br />

`ça' pulsionnel ou structural. A la place des profondeurs humaines<br />

ouvertes à l'Autre plus intime que nous ne le sommes jamais à nousmêmes.<br />

Un père mythique qui n'a plus de substance ni de réalité,<br />

laissant un inconscient orphelin. A la place du Père de qui vient toute<br />

paternité et qui, par agapè, dit son Verbe, engendrant son Fils et une<br />

multitude de ses frères.<br />

Dieu peut-il être chassé des profondeurs humaines ? De là, justement,<br />

Dieu ne se laisse pas chasser. C'est ontologiquement impossible. Vous<br />

pouvez seulement le refouler. Et l'entreprise de refoulement s'est mise<br />

à fonctionner, à travers notre histoire, avec l'implacable logique et la<br />

farouche énergie des désespérés. La gloire de l'homme était en cause,<br />

et sa puissance, et sa gloire. Aux massives mécaniques de refoulement<br />

et aux lourds mécanismes de défense, on s'est efforcé de prêter la<br />

solidité scientifique. Une méta-histoire des `sciences' dites humaines,<br />

depuis leurs plus lointaines origines, révélerait sans doute la finalité<br />

occulte de leurs lucididés et l'ampleur de l'acharnement thérapeutique<br />

pour `sauver' l'homme de lui-même, c'est-à-dire pour le `sauver' de sa<br />

filiation divine.<br />

392


393


Rupture du lien<br />

L'acte de naissance de la modernité scelle la rupture de l'Alliance. En<br />

ses profondeurs se joue quelque chose comme une négative théologie<br />

négative. C’est une liberté radicalement ouverte par la rencontre existentielle<br />

avec l’infini Je Suis qui va historiquement se reprendre en ellemême<br />

et sur elle-même en autonomie anthropocentrique totalisante.<br />

L’homme divinisé par grâce de Je Suis boucle sa divinisation sur ellemême<br />

et se prétend dieu sans Dieu. A la place de Dieu. Dès lors Dieu<br />

doit mourir pour que l’homme puisse être absolument.<br />

Voici qu'une liberté radicalement ouverte par la rencontre existentielle<br />

avec l’infini ‘Je Suis’ va historiquement se reprendre en elle-même et<br />

sur elle-même en autonomie anthropocentrique totalisante. L’homme<br />

divinisé par grâce de ‘Je Suis’ clôt sa divinisation sur elle-même et veut<br />

devenir Dieu sans Dieu. A la place de Dieu. Dès lors Dieu doit mourir<br />

pour que l’homme puisse être absolument.<br />

Une fois l’Alliance rompue... <strong>Le</strong>s choses peuvent-elles tourner autrement<br />

qu’après l’originelle rupture ? Vous serez comme des dieux. La<br />

séduction du tentateur devenait irrésistible. Ensuite... Ils virent qu’ils<br />

étaient nus. Reste la honte ou l’exhibitionnisme. La modernité opte<br />

pour le deuxième terme de l’alternative.<br />

394


395


Règne de l'idée<br />

La vérité sur toutes choses n’est désormais qu’à partir de la pensée<br />

humaine. C’est elle qui est l’immédiateté première. C’est elle qui fonde<br />

les fondements de son savoir. Car Dieu lui-même, encore garant de<br />

mes évidences, est-il lui-même évident autrement qu’à travers l’idée<br />

claire et distincte de ma pensée ? Je pense Dieu qui garantit la vérité<br />

de ma pensée ! Cercle vicieux ? Descartes, cependant, n’en est pas<br />

encore tout-à-fait là ! Nous ne pensons l’imparfait et le fini que sur fond<br />

de parfait et d’infini. Nous avons donc en nous l’idée claire et distincte<br />

de l’être absolument parfait. Quelle est la chance d’existence de cet<br />

être parfait ? Mais l’existence n’est-elle pas nécessairement inhérente –<br />

argument ontologique – à l’idée ? Cette idée qui ne peut venir ni du<br />

néant ni radicalement de nous-mêmes. Elle est nôtre, certes, mais en<br />

même temps elle renvoie encore ailleurs. Pour combien de temps<br />

encore ?<br />

Devenir maître et possesseur de la nature. Ce rêve cartésien ne<br />

pouvait se formuler que précédé, plus de cinq siècles auparavant, de<br />

cet autre rêve, à savoir devenir maître et possesseur du verbe. Est-il<br />

possible, en effet, de maîtriser la nature avant de s’être rendu maître<br />

des essences ?<br />

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397


Coupé du verbe<br />

L'homme entièrement responsable de l'homme... Coupé du Verbe de<br />

Dieu l’humain en est réduit à trouver en son auto-éclairage ses propres<br />

lumières. Avec des questions terribles. Dieu étant chassé de notre<br />

paradis, où est désormais le coupable ? Où trouver un autre bouc<br />

émissaire ? Que faire de nos négativités ? Comment nous arranger<br />

avec notre fondamentale contingence ? L'homme est désormais entièrement<br />

responsable de l'humain, de son sens, de son salut, de son<br />

projet, de ses sources, de ses valeurs, de ses justifications, de son<br />

développement.<br />

Suprême illusion schizophrène... L’homme impeccable. C’est-à-dire<br />

l’homme au péché refoulé. <strong>Le</strong> réflexe jouait immédiatement après la<br />

chute. "Ce n'est pas moi." Et depuis, l'infantile excuse piège notre<br />

liberté.<br />

Combien de temps cela peut-il tenir sans lamentable déconfiture ?<br />

Face à l'absolu du mal... Face à l'incontournable de la négativité... Que<br />

devient l'homme faillible sans radicale possibilité de pardon ? Et sans<br />

pardon reste-t-il autre chose que la honte ou la fuite ? Souvent les deux<br />

en même temps.<br />

Si tout le 'positif' est pris entre les mains du 'Maître et possesseur', qui<br />

va prendre en charge le 'négatif' dans la bulle ? La 'justice' désormais<br />

ne cesse de courir après la Justice. Il faut bien décharger les résidus<br />

de nos frustrations sur un 'bouc émissaire'. Cela calme nos passions<br />

mais ne rend pas la justice.<br />

Quelle justification reste possible ? Lorsqu’il n’y a plus de valeur qui ne<br />

soit enclose dans les limites de l’ ‘humain trop humain’.<br />

Tâche de Sisyphe... L'humain enfermé dans sa bulle peut-il se donner<br />

à soi-même la grande différence de potentiel qui le rend réellement<br />

humain ? Cela reviendrait à dire qu'il réalise l'absolue néguentropie de<br />

son existence. Mais comment pourrait-il être à soi-même, en contradiction<br />

avec les lois de la thermodynamique, son absolue source<br />

chaude et son absolu puits froid, c'est-à-dire la source chaude de ses<br />

sources chaudes et le puits froid de ses puits froids ?<br />

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399


Profondeurs encombrées<br />

Johan Tauler, cinq siècles avant Freud, éclaire les épaisses `instances'<br />

qui stratifient l'inconscient. Il en compte jusqu'à quarante, les comparant<br />

à des peaux d'ours noires et gluantes. Avec infiniment plus de<br />

perspicacité, il dévoile les profonds mécanismes de méconnaissance et<br />

de défense qui s'interposent entre ces fausses profondeurs dans lesquelles<br />

l'homme farfouille avec complaisance et les plus profondes<br />

profondeurs où le Père, dans l'éternel maintenant, engendre son Fils, et<br />

avec lui, tous ses fils. Mais le schizoïde enfermement méconnaît ces<br />

mécanismes de méconnaissance et défend ces mécanismes de<br />

défense. Voilà donc cet homme qui, pourtant, "passe infiniment l'homme"<br />

enlisé dans les `peaux' nauséabondes. Il a beau en soulever, il en<br />

reste d'autres. Peut-être ne tient-il pas du tout à les soulever toutes !<br />

Comme s'il avait l'appréhension qu'en soulevant la dernière il ne tombe,<br />

horrifié, dans un abîme de lumière, devant abandonner ses nyctalopes<br />

`certitudes'. Il vaut sans doute mieux les hanter de mythes. Œdipe suffit<br />

à son divertissement.<br />

L'inconscient sans Père. Un inconscient qui s'enlise dans la clôture du<br />

`ça' pulsionnel ou structural. A la place des profondeurs humaines<br />

ouvertes à l'Autre plus intime que nous ne le sommes jamais à nousmêmes.<br />

Un père mythique qui n'a plus de substance ni de réalité,<br />

laissant un inconscient orphelin. A la place du Père de qui vient toute<br />

paternité et qui, par agapè, dit son Verbe, engendrant son Fils et une<br />

multitude de ses frères.<br />

Contre le vertical enracinement créateur d’humanité, antagonisme radical<br />

de la schizoïdie, l’acharnement s’est fait extrême. Là, de cette<br />

intériorité, Dieu devait être chassé avec beaucoup plus de violence que<br />

de toutes les extériorités. Mais de là, justement, Dieu ne se laisse pas<br />

chasser. C’est ontologiquement impossible.<br />

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401


Où est le coupable ?<br />

Qui nous sauvera ? L'humain schizoïde, coupé de sa véritable Source<br />

chaude et de son authentique Puits froid, et dont les réserves de sens<br />

s'épuisent, peut-il indéfiniment résister à l'entropie ?<br />

Notre ‘lucidité’, aujourd’hui, voudrait se contenter de vivre ‘seulement<br />

avec ce que l’on sait’. Mais sait-on jamais autre chose que ce que l’on<br />

veut savoir ? En fait nous savons plus que ce que nous croyons savoir.<br />

Nous savons sur fond de savoir refoulé. Car nous avons connu au sens<br />

biblique où l’homme ‘connaît’ la femme en la fécondant. Nous avons<br />

beau protester, nous ne pouvons pas faire comme si la rencontre<br />

n’avait pas eu lieu.<br />

On croyait que l’homme, enfin délivré de son mystère, retrouverait son<br />

innocence. On croyait que l’homme, enfin rendu, sans illusions, à la<br />

pure immanence, s’épanouirait comme le plus bel animal dans le plus<br />

beau jardin zoologique. C’est seulement un étrange mal qui se mit à<br />

proliférer...<br />

Il n'y aurait pas refoulement s'il n'y avait pas conscience, écrit Simone<br />

Weil. <strong>Le</strong> refoulement est une mauvaise conscience. L'essence des<br />

tendances refoulées, c'est le mensonge; l'essence de ce mensonge,<br />

c'est le refoulement dont on a conscience. Il faut tirer au clair les<br />

monstres qui sont en nous, ne pas avoir peur de les regarder en face...<br />

La lucidité moderne voudrait vivre `seulement avec ce que l'on sait'.<br />

Mais sait-on jamais autre chose que ce que l'on veut savoir ? En fait<br />

cette modernité en sait plus qu'elle ne sait. Elle sait sur fond de savoir<br />

refoulé. Car elle a connu au sens biblique où l'homme `connaît' la<br />

femme en la fécondant. La culture moderne a beau protester, elle ne<br />

peut pas faire comme si la rencontre n'avait pas eu lieu. Une si<br />

passionnée étreinte avec l'Autre au cours d'une si longue histoire<br />

d'amour...<br />

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Ça sent le renfermé<br />

Notre péché contre l'écosystème du souffle est de nier son essentielle<br />

ouverture. Nous avons cru pouvoir le faire fonctionner en clôture, crispé<br />

sur lui-même, bouclé en schizoïde autonomie autoproductrice. Nous<br />

nous voulions maîtres et possesseurs du système total lui-même. Bien<br />

plus, maîtres et possesseurs aussi de sa source chaude et de son puits<br />

froid. Maîtres et possesseurs, donc, de toute sa différence de potentiel,<br />

c’est-à-dire de toute son énergie spirituelle créatrice.<br />

Jamais autant qu’aujourd’hui risquions-nous l’asphixie spirituelle. Pourtant<br />

n’a-t-il jamais existé une civilisation aussi riche en productions<br />

culturelles que la nôtre ? Certes. Mais il manque à cette prolifération de<br />

sens ‘constitué’ un espace ouvert à sa démesure.<br />

Oïkologie. <strong>Le</strong> `logos' invité en notre `oïkos'. C'est-à-dire en notre maison<br />

d'humanité. C'est-à-dire dans toute la maison de l'humain. C'est-àdire<br />

dans la maison de tout l'humain. Il vient et nous force à réfléchir<br />

sur nos clôtures et nos ouvertures. Il vient lorsque nous prenons<br />

conscience que nos puits sont obstrués et nos sources polluées. Elle<br />

vient lorsque les flux énergétiques se font insuffisants et que les<br />

réservoirs se vident. Elle vient lorsque les éboueurs ne suffisent plus à<br />

la tâche. Elle vient lorsque nous nous sentons vivre au-dessus des<br />

possibilités d'approvisionnement et de recyclage de notre terre. Il vient<br />

et nous force à réfléchir sur nos clôtures. Il vient nous faire prendre<br />

conscience des frontières et des limites. Il vient nous rappeler que le<br />

dedans n'est possible que par le dehors. Il vient dissiper nos illusions.<br />

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405


Crise sacrale<br />

<strong>Le</strong> sacré est crise du monde pour qu’émerge l’humain. L’homme naît<br />

en tant qu’homme dans la crise sacrale de la vie. Tant que la vie coïncide<br />

simplement avec elle-même elle n’est qu’animale. C’est la noncoïncidence<br />

de la vie avec elle-même, de l’instinct avec lui-même, du<br />

vouloir-vivre avec lui-même qui est chance de l’émergence du spécifique<br />

humain.<br />

Qui d’autre que Dieu pouvait provoquer l’exode de l’homme vers l’humain<br />

? L’homme n’est possible qu’à partir d’un animal en crise. Tant<br />

que la vie coïncide avec elle-même, elle n’est qu’animale. C’est dans la<br />

distance de la vie avec elle-même que gît la chance de l’émergence de<br />

l’humain. C’est dans la béance qu’elle est pro-voquée au dépassement.<br />

Longue histoire d’un certain vivant défié à travers une longue suite de<br />

crises différentielles. Cela n’allait pas sans un grand pro-vocateur. Seul<br />

le fascinosum et le tremendum sacral pouvaient disloquer l’animal et<br />

ouvrir en ce primate la béance de l’infini. <strong>Le</strong> même était incapable de le<br />

défier. Il lui fallait l’autre. Il fallait la grande différence sacrale pour<br />

provoquer l’homme à sacrifier son animalité. C’est donc dans la crise<br />

sacrale de la vie que naît l’homme en tant qu’homme. <strong>Le</strong> sacré est<br />

proprement crise d’enfantement de l’humain. Personne ne sait quand<br />

cela a commencé. Personne ne le saura jamais. Mais l’accession d’un<br />

certain primate à l’humanité reste incompréhensible autrement.<br />

Il fallait le fascinosum et le tremendum sacral pour disloquer l’animalité<br />

et pour ouvrir en ce primate la béance de l’infini. <strong>Le</strong> fini n’était pas<br />

suffisant pour le défier ! <strong>Le</strong> même non plus. Il lui fallait l’autre. La<br />

grande négativité dialectique. L’autre infiniment autre. Par la suite,<br />

l’histoire de l’homme est inséparable de l’histoire de ses dieux.<br />

L’homme est toujours à l’image de son Dieu. Plus il se divinise, plus<br />

l’homme s’humanise. Réactualisation de la victoire originaire où la vie<br />

passe par la mort pour revivre plus immortelle. L’homme émerge avec<br />

le savoir inconscient de cette victoire originaire. Son culte, si 'primitif'<br />

soit-il, participe de l’originelle bio-gonie et en actualise l’efficace. <strong>Le</strong><br />

sacrifice, dans toutes ses formes, témoigne de cet inconscient savoir<br />

que la vie ne peut être pleinement vie qu’à travers sa "négation"<br />

sacrificielle.<br />

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Espace sacral<br />

Avant les religions, bien avant, il y a l'espace (épistémologique et<br />

pragmatique) de leur possibilité. Avant les religions constituées il y a le<br />

religieux constituant, en appliquant à la réalité religieuse cette pertinente<br />

distinction que fait André Lalande entre 'constituant' et 'constitué'<br />

à propos de la raison,<br />

Il y a ainsi le 'religieux' constituant à la racine de l'humain universel et<br />

les 'religions' constituées à travers l'espace-temps des différentes<br />

humanités. <strong>Le</strong>s religions sont innombrables et infiniment multiformes.<br />

Elles font l'objet de centaines de milliers de volumes d'études et d'analyses.<br />

D'autre part nous les côtoyons en permanence. Nous y sommes<br />

même profondément engagés.<br />

<strong>Le</strong> monde est moins que le monde. <strong>Le</strong> monde est plus que le monde.<br />

L’homme est moins que l’homme. L’homme est plus que l’homme. <strong>Le</strong><br />

sacré commence avec l’expérience fondamentale de cet étrange autre,<br />

effrayant et fascinant en même temps.<br />

L'espace du 'sacré' est coextensif à la totalité de l'espace humain. La<br />

mentalité schizoïde ambiante, soucieuse d'expulser le 'sacré', voudrait<br />

reléguer celui-ci dans une sacristie. Avec une bonne étiquette le<br />

cantonnant en sa troublante exception et croyant libérer ainsi une normalité<br />

profane. N'en déplaise à Auguste Comte, l'état `positiviste' n'est<br />

pas moins `théologique' que les états précédents. Il est même plus<br />

théologique que jamais. Mais autrement. L'état `théologique' marquait<br />

encore les différences. L'état `positif' les supprime, puisque c'est<br />

l'homme, désormais, qui se fait Dieu à la place de Dieu. Il n'est plus de<br />

science `humaine' qui ne soit en même temps science `divine'. Cette<br />

subtile réciprocité se voit sans cesse occultée. Elle joue sur fond de<br />

rivalité conflictuelle qui ne se dit pas. L'obscure dramatique de quelque<br />

chose comme une théomachie. L'anthropos n'a pas fini de régler ses<br />

comptes avec le theos.<br />

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Surgissement à la verticale<br />

C’est dans l’extrême tension de la Verticalité Sacrale que naît l’homme<br />

en tant qu’homme. <strong>Le</strong> sacré est proprement crise d’enfantement de<br />

l’humain. Personne ne sait quand cela a commencé. Personne ne le<br />

saura sans doute jamais. Mais l’accession d’un certain primate à<br />

l’humanité reste incompréhensible autrement. Seul le ‘divin’ ouvre<br />

la différence à travers laquelle l’humanité peut advenir. Qui d’autre que<br />

Dieu pouvait provoquer l’exode de ce primate vers l’humain ?<br />

Au cœur du drame sacral de la vie, l’homme, le vivant centré dans la<br />

différence. Microcosme en participation avec le macrocosme. L’originaire<br />

sacralisateur sacralisé. L’axe des valeurs. Signifiant qui se signifie.<br />

Béance ouverte à l’infini d’un monde différent. L’homme démesure.<br />

Et mesure pourtant. Première mesure de l’orbe cosmique et de la<br />

proportion harmonieuse. Chiffre du monde.<br />

L’homme, animal debout ! Sa station signifie et réalise la verticalité<br />

sacrale. L’homme est l’originaire référentiel de l’espace sacral et de son<br />

centre sacré. La physiologie est d’abord, avec plus de pertinence,<br />

symbole. En l’homme la vie vibre de l’originaire fascinosum et tremendum<br />

sacral. Dans la verticalité sacrale se joue archéologiquement le<br />

drame des protagonistes antagonistes éros et thanatos. La grande<br />

différence verticale entre le ciel et la terre qui dans son étreinte engendre<br />

les vivants. La grande différence verticale entre la terre et les<br />

enfers sous-terrestres qui dans son étreinte engendre les morts.<br />

Double engendrement qui s’articule sur les puissances ouraniennes et<br />

chtoniennes des esprits célestes et des esprits telluriques, des forces<br />

du bien et du mal, de la lumière et des ténèbres...<br />

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La rondeur du monde crucifiée<br />

C’est dans le rite sacrificiel – sacrum facere – que la crise sacrale<br />

s’actue de façon extrême. Dès ses formes les plus archaïques se<br />

rejoue la crise sans laquelle l’humain ne serait pas. Ici se révèle la<br />

profonde dialectique sacrale. La traversée de la négation vers l’autre.<br />

Du bon est détruit pour qu’un meilleur soit. De la valeur est immolée<br />

pour que dans sa béance se manifeste une autre et plus grande valeur.<br />

On sacrifie de la vie pour vaincre la mort. Dans l’extrême rupture<br />

advient une plus extrême plénitude. Dans la tension paroxysmale de la<br />

lutte et de l’étreinte hiérogamique sous le signe d’éros et de thanatos.<br />

<strong>Le</strong> sacrifice actualise cette mystérieuse dialectique à travers laquelle la<br />

libre mise à mort d’un vivant devient victorieuse de cette mort ellemême.<br />

Réactualisation de la victoire originaire où la vie passe par la<br />

mort pour revivre plus immortelle. L’homme émerge avec le savoir<br />

inconscient de cette victoire originaire. Son culte, si ‘primitif’ soit-il,<br />

participe de l’originelle bio-gonie et en actualise l’efficace. <strong>Le</strong> sacrifice,<br />

dans toutes ses formes, témoigne de cet inconscient savoir que la vie<br />

ne peut être pleinement vie qu’à travers une ‘négation’ sacrificielle. On<br />

retrouve toujours la même dynamique si profondément humanisante<br />

du non. Distance. Différence. Non... Pas encore... Pas tout de suite...<br />

Plus loin... Plus haut... Un espace négatif s’ouvre. <strong>Le</strong> sacré est instaurateur<br />

d’un tel espace dialectiquement antithétique. Un espace où les<br />

vides sont plus pertinents que les pleins. Un espace de l’appel et de la<br />

pro-vocation.<br />

L’homme, un animal capable d’offrir en sacrifice son animalité...Depuis<br />

les origines, c’est le culte qui célèbre et rythme la différence entre<br />

nature et culture. Entre la nécessité et la liberté. Entre l’ordre des choses<br />

et la création. <strong>Le</strong> culte actualise rituellement le drame bio-cosmique<br />

et la victoire de la vie sur la mort. <strong>Le</strong>s rites structurent l’espace, le<br />

temps, l’être et l’action cohérente des hommes. Ainsi les rites de<br />

passage qui président au devenir personnel et aux fonctions sociales.<br />

Ainsi les rites de la végétation qui donnent naissance à l’agriculture.<br />

Ainsi les rites totémiques qui président à la domestication des animaux.<br />

Ainsi les rites du feu sans lesquels la métallurgie n’aurait jamais<br />

commencé.<br />

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Espace hiérotrope<br />

L’espace-temps humain n’est pas isotrope. Il est originairement, archéologiquement,<br />

chargé de ‘force’ bio-sacrale. Celle-ci est concentrée<br />

au maximum en un centre absolu. De là, elle irradie la totalité de<br />

l’espace-temps en se dégradant à mesure qu’elle s’éloigne du nœud<br />

d’extrême intensité centrale et en se dispersant en nodules d’intensité<br />

variable dont chacun, devenu centre régional, participe de la charge<br />

sacrale du Centre absolu de l’univers.<br />

Entre la très haute tension centrale et la dilution périphérique, chaque<br />

nodule représente une certaine différence de potentiel sacré. En chaque<br />

point l’horizontalité naturelle se trouve en quelque sorte traversée<br />

par la verticalité sacrale.<br />

<strong>Le</strong>s continuités se discontinuent. <strong>Le</strong>s étymologies y renvoeint. Ainsi la<br />

racine tem dans templum, qui signifie couper, séparer. L’univers vibre<br />

ainsi au rythme de la discontinuité sacrale. Il y a des temps forts. Il y a<br />

des hauts-lieux. Chaque nœud de force bio-sacrale devient tabou. <strong>Le</strong>s<br />

figures et les symboles se chargent de prégnance sacrale. L’image<br />

mythique du monde s’inscrit dans la perfection sphérique. Avec la<br />

différence des hémisphères, visible et invisible, ouranienne et chtonienne,<br />

céleste et infernale.<br />

Avant de se faire géographie, l’image de la terre se construit selon une<br />

hiéro-topologie. Autour d’un centre hiérogamique. Déjà la maison... un<br />

centre habitable où l’homme se loge en y logeant les symboles de sa<br />

participation sacrale à l’univers entier. Ensuite les autres espaces, du<br />

village, à travers l’espace clanique, jusqu’aux Empires. A travers ses<br />

migrations, du <strong>Le</strong>vant au Couchant, du Nord au Sud, l’homme emporte<br />

toujours son centre avec lui. Et visiblement ce centre le suit partout !<br />

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Diffusion sacrale<br />

Il est une sphère spécifique du phénomène humain, absolument inexistante<br />

dans le règne purement animal, qui affecte la réalité humaine<br />

dans ses plus grandes hauteurs et ses plus grandes profondeurs. C'est<br />

celle du 'numineux'. Elle ne se définit pas, à peine se décrit-elle.<br />

Rudolph Otto la caractérise par l'ambivalence du 'fascinosum' et du<br />

tremendum', ce qui à la fois fascine et appelle le respect.<br />

Avant même que ne s’établisse la distinction entre le profane et le<br />

sacré, avant donc que l’homme n’en puisse parler, déjà agit ce fondamental<br />

et fondateur acte de la différence. Et même dans les espaces<br />

les plus désacralisés, il est encore omniprésent.<br />

<strong>Le</strong> 'numineux' est le reflet du 'sacré' dans la sphère existentielle de<br />

l'humain. Son étrange attraction mêlée de frisson, son secret effroi<br />

doublé de séduction, signifie la béance de l'humain du côté du mystère<br />

et témoigne de son irréductible ouverture sur la différence.<br />

<strong>Le</strong> 'sacré' est omniprésent même s'il reste souvent inconscient ou<br />

diffus. Ses manifestations sont infinies. Ici on s'arrêtera sur quatre de<br />

ses domaines. <strong>Le</strong> sacré. <strong>Le</strong> mal. <strong>Le</strong> monstrueux ou le diabolique. <strong>Le</strong><br />

divin.<br />

Diffusion sacrale... Jusqu'où s'étend le sacral ? Où s'arrête-t-il ? Il prolifère<br />

sous les espèces des majuscules. Progrès, Science, Humanité,<br />

Histoire, Révolution, République, Dollar, Etc... <strong>Le</strong> 'profane', lui, n'existe<br />

qu'à la limite et tend à se confondre avec l'animalité.<br />

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La Foi<br />

<strong>Le</strong> 'sacré', avant son 'ce que', dans la pureté de son 'que', est en même<br />

temps le point d'appui et l'espace d'accueil de la 'foi'. Celle-ci cependant<br />

s'en distingue comme le concret se distingue de l'abstrait et le<br />

plein du vide. La FOI, en effet, se situe dans l'ordre de l'accomplissement.<br />

Celui de la réalité personnelle et inter-personnelle. Celui du<br />

concret absolu. Celui de la personne en tant que sacrée. Avec son fascinosum<br />

et son tremendum. Rencontre de personne à personne. Engagement<br />

réciproque. Alliance.<br />

L’évidence naturelle, procédant par ‘longues chaînes de raisons’,<br />

contraint et enchaîne dans l’ordre de la nécessité. La foi rompt les<br />

nécessités naturelles et logiques. La foi n’est pas ‘au bout’ d’une suite<br />

d’articulations rationnelles. Elle n’est pas un produit du ‘je pense’<br />

individuel ou collectif. Elle n’est pas contenue ‘dans’ nos possibilités<br />

psychologiques ou mentales. Elle n’est pas logeable dans un système.<br />

La foi n’est pas en ma possession. Je ne la comprends pas. C'est elle<br />

qui me comprend et me saisit inconditionnellement.<br />

La foi vit dans la tension. Fondamentalement la tension eschatologique.<br />

<strong>Le</strong> monde est déjà sauvé. En même temps il reste à sauver. L'essentiel<br />

est déjà accompli. En même temps cet essentiel reste à accomplir.<br />

Dans la tension de cet entre-deux urge l'actualité de la décision.<br />

Maintenant.<br />

Impératif catégorique de la foi: tu ne te prosterneras pas. Tu ne t'aplatiras<br />

devant aucune idole, ni l'argent, ni le pouvoir, ni l'opinion, ni les<br />

modes, ni les maîtres penseurs... Tu es trop grand pour cela. Tu es fille<br />

et fils de Dieu.<br />

<strong>Le</strong> dernier mot de la foi est silence. Lorsqu'après avoir lutté toute une<br />

longue nuit avec l'ange, tu te retrouves comme Jacob avec la hanche<br />

démise...<br />

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Profondeurs<br />

Homme, qui es-tu pour que Dieu puisse tomber en toi ? Qui es-tu pour<br />

que tu puisses tomber en Dieu ? Qui es-tu donc pour que l’Agapè de<br />

Dieu puisse être répandu en toi ? Tu es béance béante sur un Infini. Il<br />

est à craindre qu’ici nos évidences contemporaines ne puissent plus<br />

suivre. Ne tablent-elles pas sur la radicale finitude, la stricte immanence<br />

et la totale clôture de l’humain ? Reste un ‘je’, simplement virtuel,<br />

apparition épiphénoménale d’un ‘ça’ logé en cul de sac. <strong>Le</strong> ‘ça désire’<br />

des pulsions biologiques. <strong>Le</strong> ‘ça parle’ des structures aveugles. <strong>Le</strong> ‘ça<br />

fonctionne’ des absurdes mécaniques. Telle n’est pas l’évidence de<br />

départ d’un Johan Tauler. Sa psychologie des profondeurs ou sa spiritualité<br />

des profondeurs ne connaît pas de clôture. L’humain est infiniment<br />

ouvert, béant sur un fin-fond sans fond. Et c’est dans cette<br />

ouverture que se joue la décisive aventure de l’homme avec Dieu et de<br />

Dieu avec l’homme.<br />

L’homme n’existe authentiquement que dans l’abrupt de sa verticale<br />

béance... Appelé par un abîme de plénitude. Il ne peut y avoir d’humanité<br />

vraie sans cet appel. Même si personne ne voulait l’écouter, même<br />

si personne ne voulait l’entendre, il n’en serait pas moins la fondamentale<br />

et constitutive ‘pro’-vocation de l’humain. L’homme, simplement,<br />

inconsciemment ou consciemment, se constituerait en négative<br />

inversion contre lui. Personne ne pourrait savoir quel animal l’homme<br />

serait sans lui. Avec lui, et à partir de lui seulement, est aussi donnée la<br />

possibilité de ne l’écouter point.<br />

La ‘vocation’ spirituelle n’est pas une question de chapelle ni de sacristie<br />

mais de simple humanité. <strong>Le</strong> profond appel de chaque homme est<br />

de totale humanité, d’humanité d’avant la grande schizoïdie, de divine<br />

humanité. Telle que créée à l’image et à la ressemblance de Dieu. Telle<br />

que rassemblée dans le plérôme christique. L’aventure mystique n’est<br />

pas pour apporter un supplément ou un perfectionnement. Elle a d’emblée<br />

une signification ontologique. Elle est pour constituer l’humain<br />

dans son authenticité. En découvrant la vérité de Dieu, elle fait la vérité<br />

de l'homme.<br />

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L'Abîme appelle<br />

L’humain, l’humain authentique, est ailleurs, plus loin, plus profond que<br />

les faciles superficies dans lesquelles nous risquons sans cesse de le<br />

cantonner. L’ordre du ‘même’ n’épuise pas, et de loin, la totalité.<br />

L’humain est béant sur un ordre qui n’est pas celui des évidences<br />

quotidiennes qui règnent en superficie. Là, les euphories vont au<br />

maximum d’être, d’avoir et de paraître. En profondeur, par contre,<br />

s’ouvre l’infini ordre de la béance. Ici d’autres ‘valeurs’ ont cours. <strong>Le</strong><br />

non-être, le non-avoir, le non-paraître. Cet ordre de la béance n’est pas<br />

immédiatement accessible. Pour s’y retrouver quelque peu, il faut<br />

quelque chose comme une ‘conversion’ préalable. C’est alors que,<br />

derrière un ‘vide’ infini, s’appréhende, en creux, quasi par la négative,<br />

une infinie plénitude.<br />

L’essentiel de ta vie se joue et se décide sur un autre plan qui n’est<br />

plus celui des évidences quotidiennes. Un ‘ailleurs’ qui est pourtant plus<br />

proche et plus présent que toutes les présences et toutes les proximités<br />

mondaines, puisqu’il coïncide avec le fin-fond de ton intérieur.<br />

Cette intériorité verticale n’est pas le petit monde fermé de tes intimités.<br />

Elle est un abîme insondable. Elle est un univers infini.<br />

Ton mystère, cependant, est déjà plus que tien. Ton mystère est embarqué<br />

là où tu n’es plus tout seul maître à bord de toi-même. Là où tu<br />

n’existes profondément que dans la traversée de toi, la traversée de ta<br />

plus profonde différence, dans la béance de ton ‘même’ vers l’Autre. En<br />

tes extrêmes profondeurs abyssales, l’Autre appelle. Selon la parole du<br />

psaume 41: l’Abîme appelle l’abîme. L’autre Abîme, l’Abîme divin,<br />

t’appelle en ton abîme.<br />

Ce fin-fond appartient à Dieu seul. C’est là que Dieu Trinité veut habiter<br />

et agir. C’est là que le Père, dans l’unité de l’Esprit, ne cesse d’engendrer<br />

son Fils. C’est là, qu’avec son Fils et en son Fils, il nous<br />

engendre filles et fils. C’est là, qu’avec lui, nous sommes appelés à<br />

devenir 'lumière dans la lumière'.<br />

Au plus profond des profondeurs humaines on s’engouffre dans un<br />

abîme insondable. Un 'Fond sans fond'. Et dans cet abîme est l’habitation<br />

propre de Dieu.<br />

422


423


Refoulement<br />

Nous voilà aux antipodes de la vison ‘moderne’ de l’humain bouclé sur<br />

lui-même. Contre le vertical enracinement créateur d’humanité, l’acharnement<br />

s’est fait extrême. Là, de cette intériorité, Dieu devait être<br />

chassé avec beaucoup plus de violence que de toutes les extériorités.<br />

Aux mécanismes de refoulement et de défense on s’est efforcé de<br />

prêter la solidité scientifique. Une pléthore de ‘sciences’ dites humaines<br />

cache mal la finalité occulte de leurs lucidités et l’ampleur de l’acharnement<br />

thérapeutique pour ‘sauver’ l’homme de sa filiation divine. De<br />

guérison point, cependant. On croyait que l’homme, enfin délivré de<br />

son mystère, retrouverait son innocence. On croyait que l’homme, enfin<br />

rendu, sans illusions, à la pure immanence, s’épanouirait comme le<br />

plus bel animal dans le plus beau jardin zoologique. C’est seulement un<br />

étrange mal qui se mit à proliférer...<br />

On ne refoule pas impunément Dieu. On refoule encore moins impunément<br />

ce refoulement lui-même. Ce péché contre l’Esprit est promis à la<br />

mort. L’homme est sans doute trop grand pour être offert aux augures<br />

des maîtres penseurs de ce temps. <strong>Le</strong> mystère des profondeurs<br />

humaines, même barricadées, est trop saint pour être livré aux trafiquants<br />

du temple. Alors qui nous sauvera ? Et si l’homme d’aujourd’hui,<br />

l’homme occidental, malade de Dieu, savait retrouver l’eau vive ! Et<br />

suivre le mince fil d’eau qui, au travers de l’incroyable amoncellement<br />

de défenses obstruant ses divines profondeurs, continue à sourdre,<br />

témoin de la Source.<br />

424


425


Descendre<br />

Dès que tu commences ta descente, se présentent mille raisons de ne<br />

pas descendre. L’évidence des choses que tu quittes est bien portante.<br />

Celle des choses que tu dois trouver est toujours évidence crucifiée. Il<br />

te faut traverser des étendues obscures et sauvages. Il te faut traverser<br />

ta propre angoisse. Tu vas de déchirement en déchirement.<br />

Pour accéder à l’homme essentiel il n’est pas d’autre chemin que la<br />

voie négative. Plus tu te quittes, plus tu te retrouves. Autrement. Et très<br />

certainement de façon plus authentique. Il faut quitter ton déploiement<br />

dans les grandes largeurs faciles du monde. Il faut quitter ta dispersion<br />

et tes divertissements dans l’opulence de surface. Il faut quitter tes<br />

euphories unidimensionnelles. Il faut quitter tes possessions et tes<br />

dominations dans la multiplicité mondaine. Il faut quitter tes évidences<br />

phénoménales. Il faut quitter les enfermements de ton vouloir schizoïde.<br />

L’expérience abyssale est pour une rencontre. Dans la béance, l’Autre<br />

dont la mystérieuse Présence se révèle identique à celle qui se donne<br />

dans la foi se dévoile Personne et appelle à la communion. Laisse<br />

tomber Dieu... Commence même par là. Est-ce donc si scandaleux ?<br />

Mais Agapè peut-il faire autre chose ? <strong>Le</strong> stupéfiant c’est qu’il ait posé<br />

son centre de gravité au beau milieu du cœur de l’homme.<br />

Laisse-toi tomber... Comme la chose la plus ‘naturelle’ du monde. La<br />

chute libre d’un corps vers son centre de gravité. Avec une sorte de<br />

nécessité quasi physique. Il suffit de ne pas retenir. Laisse-toi tomber...<br />

Tu ne tombes pas dans le vide ni dans l’absurde. Tu tombes<br />

simplement au-delà de toi-même. En Dieu. Laisse seulement Dieu<br />

tomber en toi. Et laisse-toi tomber en Dieu. Ainsi pourrait se formuler,<br />

abrupte, l’exigence mystique.<br />

426


427


428


TABLE<br />

Introduction 7<br />

Compréhension 20<br />

Béance 22<br />

La caverne 24<br />

<strong>Le</strong> clos et l’ouvert 26<br />

Courbure 28<br />

Espace de la différence 30<br />

Dedans et dehors 32<br />

Révolution copernicienne 34<br />

Intégration et exclusion 36<br />

Culture 38<br />

Cultures plurielles 40<br />

L’espace autour 42<br />

Entre alpha et oméga 44<br />

Englobant 46<br />

<strong>Le</strong> milieu et les extrêmes 48<br />

Déjà 50<br />

Ultime englobant 52<br />

Ecologie 54<br />

<strong>Le</strong> système 56<br />

Différence de potentiel 58<br />

Réservoirs d’énergie spirituelle 60<br />

Interrelation systémique 62<br />

Source de nos sources 64<br />

<strong>Sens</strong> du sens. 66<br />

429


Oubli de l’englobant 68<br />

Transformation 70<br />

La traversée du non 72<br />

La négation féconde 74<br />

L’affrontement du même par l’autre 76<br />

La dynamique du non 78<br />

La négation PRO-ductrice 80<br />

<strong>Le</strong>s quatre dynamiques fondamentales 82<br />

<strong>Le</strong> champ dynamique du logos 84<br />

Dialectique tronquée 86<br />

Dialectique infinie 88<br />

Trans 90<br />

COM-posantes et EX-posantes 92<br />

Rupture et dépassement 94<br />

<strong>Le</strong> ‘non’ créateur 96<br />

Dialectique pascale 98<br />

Deux logiques 100<br />

Exode infini 102<br />

Envers et endroit 104<br />

L’esprit trouble-fête 106<br />

A partir d’un vide 108<br />

Structure et acte 110<br />

Peut-on définir l’esprit ? 112<br />

A travers 114<br />

A travers la matière 116<br />

A travers les interstices 118<br />

L’esprit n’est pas en l’air 120<br />

L’esprit traverse le corps 121<br />

L’esprit est à travers les béances 124<br />

Surgissement du JE 126<br />

La différence de potentiel 128<br />

<strong>Le</strong>s réservoirs de la dynamique 130<br />

Systémique spirituelle 132<br />

430


L’esprit dit non 134<br />

La négation motrice 136<br />

DIS-cerner 138<br />

Comprendre à travers la différence 140<br />

Articulation et signification 142<br />

Entre articulation et signification 144<br />

La science 146<br />

L’esprit décompacte 148<br />

Intériorité de l’esprit 150<br />

L’autre moitié 152<br />

Symbole 154<br />

<strong>Le</strong> non-dit 156<br />

Entropie et néguentropie 158<br />

La raison conquérante 160<br />

Structure et rupture 162<br />

La structure 164<br />

Structuration 166<br />

Rationalité constituante 168<br />

Espace de la science 170<br />

Progressivité historique 172<br />

Analyse et synthèse 174<br />

Entre idée et réel 176<br />

<strong>Le</strong>s rapports 178<br />

Hypothético-déductif 180<br />

Dogmatisme et scepticisme 182<br />

Englobant de la science 184<br />

<strong>Le</strong> sens 186<br />

Notre espace d’humanité 188<br />

<strong>Sens</strong> constitué et sens constituant 190<br />

<strong>Le</strong> surgissement du logos 192<br />

La personne donatrice de sens 194<br />

Ouvert sur un infini 196<br />

Composantes et exposantes 198<br />

431


Constructeurs et aventuriers 200<br />

A travers 202<br />

L’enfermement du souffle 204<br />

L’écosystème du sens 206<br />

Entropie 208<br />

Hors de la caverne 210<br />

La tentation schizoïde 212<br />

Anthropocentrisme 214<br />

La bulle 216<br />

<strong>Le</strong> miroir brisé 218<br />

Refoulement 220<br />

Dieu chassé 222<br />

Maître et possesseur de l’idée 224<br />

Sans transcendance 226<br />

L’homme responsable de l’humain 228<br />

L’absurde 230<br />

<strong>Le</strong>s illusions 232<br />

Pollution spirituelle 234<br />

L’illusion du progrès 236<br />

Au défi entre clos et ouvert 238<br />

Pourquoi survivons-nous ? 240<br />

Béance de notre bulle 242<br />

L’humain provoqué hors de 244<br />

Risque 246<br />

Ailleurs 248<br />

<strong>Le</strong> sens constituant 250<br />

Intensité 252<br />

La parole prophétique 254<br />

Différence de potentiel 256<br />

Oubli 258<br />

Traversée de la différence 260<br />

Désir 262<br />

Eros et Agapè 264<br />

432


Néguentropie 266<br />

Renversement d’Agapè 268<br />

Miracle d’Agapè 270<br />

Kénose 272<br />

D’un autre ordre 274<br />

Exposé à l’autre 276<br />

Impérialisme du même 278<br />

La traversée du ‘non’ 280<br />

Identité et différence 282<br />

La différence féconde 284<br />

Plénitude 286<br />

Réciprocité 288<br />

Risquer l’autre 290<br />

Culture 292<br />

<strong>Le</strong> logos anthropogène 294<br />

Matrice 296<br />

Sortir de la caverne 298<br />

Etreinte d’extrême différence 300<br />

Deux révolutions 302<br />

<strong>Le</strong> ‘non’ au cœur du néolithique 304<br />

Typologie différentielle 306<br />

Dynamique de l’Occident 308<br />

Explosion à l’horizontale 310<br />

Modernité 312<br />

Exode 314<br />

Eternel retour 316<br />

La roue 318<br />

<strong>Le</strong>s 12 étapes de l’existence 320<br />

<strong>Le</strong>s processus 322<br />

Point de rupture 324<br />

La rupture du cercle 326<br />

L’histoire ex-pose 328<br />

Possibilité historique 330<br />

433


Entre alpha et oméga 332<br />

Impossible retour 334<br />

Impossible totalisation 336<br />

Maître de l’histoire ? 338<br />

Partir 340<br />

Urgence 342<br />

Après ? 344<br />

Deux vacuités 346<br />

Au-delà de « l’horizon indépassable » 348<br />

Exponentielle 350<br />

<strong>Le</strong> progrès 352<br />

<strong>Le</strong>s deux sources du progrès 354<br />

Croissance de l’outil 356<br />

Démesure de l’exponentielle 358<br />

Limites 360<br />

Piégé 362<br />

Incontournable écosystème 364<br />

L’homme inachevé 366<br />

Emergence de l’humain 368<br />

L’humain 370<br />

Communauté 372<br />

Réfractaire 374<br />

Autre plénitude 376<br />

Schizoïdie 378<br />

Je pense 380<br />

Seul maître à bord 382<br />

Courbure de l’humain 384<br />

La source virtuelle 386<br />

Quel englobant ? 388<br />

<strong>Le</strong> discours tautologique 390<br />

Hors de l’Alliance 392<br />

Rupture du lien 394<br />

Règne de l’idée 396<br />

434


Coupé du Verbe 398<br />

Profondeurs encombrées 400<br />

Où est le coupable ? 402<br />

Ça sent le renfermé 404<br />

Crise sacrale 406<br />

Espace sacral 408<br />

Surgissement à la verticale 410<br />

La rondeur du monde crucifiée 412<br />

Espace hiérotrope 414<br />

Diffusion sacrale 416<br />

La foi 418<br />

Profondeurs 420<br />

L’ Abîme appelle 422<br />

Refoulement 424<br />

Descendre 426<br />

Table 429<br />

435


436

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