Lieutenant-colonel Henry de CORTA par le Commandant
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<strong>Henry</strong> <strong>de</strong> corta<br />
1879 - 1932<br />
une vie d’homme<br />
la légion d’abord<br />
Avant Propos<br />
Il y a bien longtemps que je projetais d’écrire cette histoire relatant la vie <strong>de</strong> mon père, histoire que<br />
je <strong>de</strong>stine à mes enfants et petits enfants, afin qu’ils n’ignorent pas ce qu’étaient ceux qui <strong>le</strong>s ont<br />
précédé. Mais <strong>le</strong> traumatisme, tardivement guéri, que m’a provoqué sa mort l’année <strong>de</strong> mes cinq<br />
ans, m’empêchait <strong>de</strong> coucher sur <strong>le</strong> papier <strong>le</strong>s souvenirs <strong>par</strong>fois relayés <strong>par</strong> ma mère, <strong>par</strong>fois<br />
trouvés dans <strong>le</strong>s correspondances et <strong>le</strong>s papiers officiels que je détiens.<br />
Éga<strong>le</strong>ment, une certaine pu<strong>de</strong>ur, et <strong>le</strong> sentiment <strong>de</strong> m’introduire dans la vie privée <strong>de</strong><br />
personnes qui m’étaient si proche, arrêtaient mes élans.<br />
Je me suis décidé aujourd’hui, vingt neuf décembre <strong>de</strong>ux mil<strong>le</strong> quatre, à commencer ce<br />
récit. Il sera honnête et sans concessions, car je crois que ce serait détruire sa personnalité et<br />
<strong>de</strong>sservir un père qui fut un homme comme nous avec son courage et ses faib<strong>le</strong>sses, que <strong>de</strong><br />
l’idéaliser. Ne vous surprenez donc pas d’apprendre quelques vérités, bien cachées jusqu’à
présent, mais qui nous rendrons plus présent cet être exceptionnel mais si humain qu’était mon<br />
père , votre grand-père et votre arrière grand-père.<br />
Il faut éga<strong>le</strong>ment remettre <strong>le</strong>s opinions professées et <strong>le</strong>s actes accomplis dans <strong>le</strong> contexte<br />
<strong>de</strong> l’époque vécue, si loin <strong>de</strong>s préoccupations actuel<strong>le</strong>s d’une jeunesse dont <strong>le</strong>s idéaux n’ont pas<br />
toujours été comblés.<br />
Je dédie donc cette histoire d’<strong>Henry</strong> <strong>de</strong> Corta à Hugues, Laurence, Pierre, Thibaud, Kim et<br />
Olivier, afin qu’ils soient fier <strong>de</strong> celui dont nous <strong>de</strong>scendons et que son souvenir ne dis<strong>par</strong>aisse pas.<br />
C’est <strong>le</strong> 16 juil<strong>le</strong>t 1879 que naquit à Paris, <strong>Henry</strong> <strong>de</strong> Corta, quatrième enfant <strong>de</strong> Char<strong>le</strong>s<br />
Adolphe <strong>de</strong> Corta et <strong>de</strong> Charlotte Marie Gounod. Descendant <strong>de</strong> basques espagnols émigrés en<br />
France en 1783, <strong>par</strong> son père , et d’une vieil<strong>le</strong> famil<strong>le</strong> française, <strong>le</strong>s Gonord <strong>de</strong> Monchaux <strong>de</strong>venu<br />
Gounod <strong>par</strong> l’erreur orthographique d’un c<strong>le</strong>rc, <strong>par</strong> sa mère.<br />
Char<strong>le</strong>s Adolphe, officier <strong>de</strong> l’armée française avec <strong>le</strong> gra<strong>de</strong> <strong>de</strong> commandant, s’illustra<br />
dans <strong>le</strong>s combats <strong>de</strong> pacification en Algérie, et <strong>par</strong>ticipa à la malheureuse campagne du Mexique.<br />
Charlotte Marie, fil<strong>le</strong> <strong>de</strong> Louis Urbain Gounod, architecte, et nièce du compositeur Char<strong>le</strong>s<br />
Gounod, mourut quatre jours après la naissance <strong>de</strong> son <strong>de</strong>rnier fils, <strong>le</strong> 20 juil<strong>le</strong>t 1879 à trente et un<br />
ans.<br />
<strong>Henry</strong> <strong>de</strong>vint donc orphelin <strong>de</strong> mère à sa naissance, et la charge <strong>de</strong> son éducation fut<br />
confiée à sa tante Thérèse Gounod, car son père ne pouvait imposer à sa progéniture <strong>le</strong>s<br />
déplacements continuels que son métier exigeait. Par la suite, épuisé <strong>par</strong> ses années <strong>de</strong><br />
campagne, et <strong>le</strong>s séquel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s nombreuses b<strong>le</strong>ssures qu’il avait subi, il mourait <strong>le</strong> 13 septembre<br />
1885, à cinquante ans, laissant à la charge <strong>de</strong> sa bel<strong>le</strong> soeur ses quatre enfants : Marie, Edith,<br />
Char<strong>le</strong>s et <strong>Henry</strong>.<br />
De l’enfance d’<strong>Henry</strong>, on sait peu <strong>de</strong> choses. Il fut choyé <strong>par</strong> sa tante Gounod et<br />
certainement très entouré <strong>par</strong> ses soeurs et son frère Char<strong>le</strong>s qui toute sa vie fut pour lui un<br />
confi<strong>de</strong>nt et un refuge. D’un caractère doux et pacifique, Char<strong>le</strong>s fut son conseil<strong>le</strong>r, et s’il ne put<br />
toujours éviter <strong>le</strong>s erreurs que commettait son frère, il n’en fut pas moins l’ami fidè<strong>le</strong> et <strong>le</strong><br />
compagnon aimé qui <strong>le</strong> soutint dans ses aventures.<br />
Doté d’un caractère emporté et d’une volonté <strong>de</strong> fer, <strong>Henry</strong> donna du fil à retordre à sa<br />
chère tante et tutrice. Une anecdote est restée qui nous renseigne sur la difficulté qu’el<strong>le</strong> eut <strong>par</strong>fois<br />
à maîtriser l’impétuosité <strong>de</strong> son neveu. C’était peu <strong>de</strong> temps après la mort <strong>de</strong> son père, il <strong>de</strong>vait<br />
avoir sept ans et n’avait pas admis une interdiction qu’il avait enfreint, et la répriman<strong>de</strong> qui en avait<br />
découlé. En représail<strong>le</strong>s, il alla chercher <strong>de</strong>s allumettes et mit <strong>le</strong> feu aux ri<strong>de</strong>aux du salon. La brave,<br />
mais autoritaire, tante Thérèse (dite Tata ), ne laissa pas passer ce geste qui aurait pu avoir <strong>de</strong><br />
graves conséquences , et s’enquit d’un pensionnat où <strong>le</strong>s humeurs belliqueuses <strong>de</strong> son neveu<br />
seraient contrôlées.<br />
C’est ainsi qu’il se retrouva pensionnaire chez <strong>le</strong>s jésuites. Il y resta douze ans, en un<br />
séjour entrecoupé <strong>de</strong> rares vacances et congés qu’il passait auprès <strong>de</strong> ses frère et soeurs. Élève
médiocre, suivant ses cours avec nonchalance, il ne se fit pas remarquer <strong>par</strong> un travail acharné,<br />
mais l’éducation et l’auto discipline que lui inculquèrent <strong>le</strong>s bons pères <strong>de</strong>vaient l’ai<strong>de</strong>r <strong>par</strong> la suite.<br />
Peu d’éléments me permettent d’élaborer sur cette longue pério<strong>de</strong> qui s’acheva en 1892,<br />
alors qu’il entra au lycée Louis <strong>le</strong> Grand comme externe pour y faire sa troisième en 1892-1893,<br />
puis sa secon<strong>de</strong> et sa première ( dite rhétorique ) qu’il acheva en 1897.<br />
Le jugement <strong>de</strong> ses professeurs, consignés dans ses carnets <strong>de</strong> note, montre qu’il était un<br />
élève fort intelligent, doté d’une excel<strong>le</strong>nte mémoire, mais étourdi et faisant ses étu<strong>de</strong>s avec<br />
beaucoup <strong>de</strong> légèreté. Néanmoins il termina son secondaire en améliorant ses résultats et en<br />
passant avec succès son diplôme <strong>de</strong> bachelier en <strong>le</strong>ttres et mathématiques <strong>le</strong> 28 octobre 1897.<br />
Je pense que c’est à cette époque qu’il se fixa <strong>le</strong> but qui <strong>de</strong>vait <strong>de</strong>venir sa raison <strong>de</strong> vivre.<br />
C’est <strong>le</strong> 28 juil<strong>le</strong>t 1898 qu’il se présenta au concours d’admission pour l’éco<strong>le</strong> spécia<strong>le</strong><br />
militaire <strong>de</strong> Saint-Cyr, et fut admis à entrer dans cette prestigieuse institution. Il est certain que <strong>le</strong><br />
souvenir <strong>de</strong> son père, qu’il ne connut pratiquement pas mais dont sa tante et ses soeurs lui <strong>par</strong>lait<br />
souvent dut influencer sa décision, éga<strong>le</strong>ment, sans doute, <strong>le</strong> prestige attaché en cette pério<strong>de</strong> à la<br />
carrière <strong>de</strong>s armes. Son esprit indépendant et rebel<strong>le</strong> aurait pu l’éloigner <strong>de</strong> la vie militaire, mais il y<br />
trouva, peut-être, une discipline qui lui était nécessaire, et un besoin <strong>de</strong> se surpasser qui ne <strong>le</strong> quitta<br />
jamais.<br />
Ne croyez surtout pas qu’il mena une existence <strong>de</strong> moine. Il plaisait aux hommes <strong>par</strong> sa<br />
sociabilité, son côté bon vivant et aventureux. Il plaisait éga<strong>le</strong>ment aux femmes, qu’il séduisait grâce<br />
à son charme, sa bel<strong>le</strong> prestance, et à <strong>de</strong>s yeux b<strong>le</strong>us qui ne <strong>le</strong>s laissaient pas indifférentes.<br />
Le 1er octobre 1900 il était incorporé comme sous-lieutenant au quatre vingt treizième<br />
régiment d’infanterie dans <strong>le</strong>quel il resta jusqu’au 25 juin 1905. Il <strong>par</strong>ticipa aux campagnes <strong>de</strong><br />
pacification en Algérie et dans <strong>le</strong> sud saharien. Il fut nommé lieutenant <strong>le</strong> 1er octobre 1902.<br />
Un document que j’ai retrouvé, est pour <strong>le</strong> moins intrigant ; il s’agit d’un rapport qu’il rédigea<br />
sur un voyage au Soudan anglo-égyptien <strong>par</strong> <strong>le</strong> Nil blanc et <strong>le</strong> Bahr el Gebel, <strong>de</strong> Khartoum à<br />
Gondokoro.<br />
Cette expédition eut lieu en janvier et février 1905, et aucune mention <strong>de</strong> cette mission<br />
n’est indiquée dans ses états <strong>de</strong> service; or sur la couverture <strong>de</strong> ce rapport il est bien spécifié que<br />
celui ci a été rédigé <strong>par</strong> <strong>le</strong> lieutenant <strong>Henry</strong> <strong>de</strong> Corta du quatre vingt treizième régiment d’infanterie.<br />
Le texte en est édifiant, car sous couvert d’un voyage d’étu<strong>de</strong> sur <strong>le</strong>s populations <strong>de</strong> ces régions, on<br />
y trouve une <strong>de</strong>scription <strong>de</strong>s implantations anglaise dans cette <strong>par</strong>tie <strong>de</strong> l’Afrique, et <strong>le</strong>s intentions<br />
colonisatrice <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers. Je ne peux me prononcer sur <strong>le</strong>s buts réels <strong>de</strong> cette mission secrète,<br />
mais vous pouvez consulter ce document et en tirer vous même <strong>le</strong>s conclusions.<br />
Le 26 juin 1905, <strong>Henry</strong> obtenait enfin sa mutation dans <strong>le</strong> corps qu’il avait toujours voulu<br />
rejoindre : la légion étrangère. Huit ans au <strong>de</strong>uxième régiment étranger avec <strong>le</strong>quel il <strong>par</strong>ticipa à<br />
toutes <strong>le</strong>s opérations, en Algérie, au Maroc, dans <strong>le</strong>s régions sahariennes et au Tonkin près <strong>de</strong> la<br />
frontière chinoise.<br />
Nommé capitaine <strong>le</strong> 23 décembre 1912, il avait vu son avancement nettement freiné en
aison <strong>de</strong> ses prises <strong>de</strong> position politiques. Royaliste, lié très tôt à l’Action Française fondée <strong>par</strong> <strong>le</strong><br />
philosophe Char<strong>le</strong>s Maurras, tenant d’un nationalisme pure et dure, avec qui il correspondit<br />
régulièrement, il ne pouvait être en o<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> sainteté auprès <strong>de</strong>s politiciens et fonctionnaires<br />
républicains à qui il ne cachait pas son aversion pour un régime qu’il méprisait. De caractère entier,<br />
ses opinions étaient éga<strong>le</strong>ment fermes et peu nuancées. Il mettait au premier plan, l’amour absolu<br />
pour <strong>le</strong>s hommes dont il avait la charge et <strong>le</strong>s <strong>de</strong>voirs qu’il avait envers eux .<br />
Tous <strong>le</strong>s témoignages <strong>le</strong> concernant, que j’ai récolté soit dans <strong>le</strong>s <strong>le</strong>ttres <strong>de</strong> ses anciens<br />
légionnaires soit <strong>par</strong> <strong>de</strong>s conversations que j’ai eu avec <strong>de</strong>s officiers ayant combattu sous ses<br />
ordres, sont concordants ; il était admiré et respecté <strong>par</strong> ses subordonnés qui acceptaient tout <strong>de</strong><br />
lui.<br />
Il fut muté du 15 avril au 10 décembre 1913 au cent soixante sixième régiment d’infanterie,<br />
puis renvoyé dans son régiment <strong>de</strong> prédi<strong>le</strong>ction, <strong>le</strong> <strong>de</strong>uxième régiment étranger jusqu’au 4 juil<strong>le</strong>t<br />
1915.<br />
La guerre contre l’Al<strong>le</strong>magne avait commencé et <strong>le</strong>s nombreux al<strong>le</strong>mands qui faisaient<br />
<strong>par</strong>tie <strong>de</strong> son bataillon commençaient à se poser <strong>de</strong>s questions sur l’opportunité <strong>de</strong> rester dans une<br />
armée qui se battait contre <strong>le</strong>ur propre pays.<br />
Au moment <strong>de</strong> la batail<strong>le</strong> <strong>de</strong> la Marne alors qu’<strong>Henry</strong> campait avec ses hommes au sud du<br />
grand Atlas, hors <strong>de</strong> portée <strong>de</strong> tout secours et laissé seul avec une unité composée presque<br />
exclusivement d’al<strong>le</strong>mands, à l’exception <strong>de</strong> trois officiers et <strong>de</strong> sept sous-officiers français, il apprit<br />
un matin, à cinq heures, qu’un coup était pré<strong>par</strong>é pour huit heures : <strong>le</strong>s dix officiers et gradés<br />
français <strong>de</strong>vaient être massacrés et l’unité entière passer à l’ennemi. Il se procura <strong>le</strong> nom <strong>de</strong>s<br />
quinze meneurs, tous légionnaires.<br />
Certes, il eut pu <strong>le</strong>s faire fusil<strong>le</strong>r instantanément, mais sacrifier <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> cette<br />
trempe, si braves au feu, et si jeunes? Brusquement Corta prit son <strong>par</strong>ti, fit venir <strong>le</strong> sergent qui avait<br />
organisé <strong>le</strong> coup et, sans avertir personne :<br />
J’ai une petite reconnaissance à faire avec quelques hommes résolus - lui dit-il, désignant<br />
<strong>le</strong>s quinze complices. - Nous <strong>par</strong>tirons dans cinq minutes, service <strong>de</strong> guerre. -<br />
Le sergent ne broncha pas. Corta, un revolver sous sa gandoura, emmena la troupe.<br />
Ils marchèrent trois heures vers <strong>le</strong> Sud, <strong>le</strong>s hommes visib<strong>le</strong>ment inquiets, car, dans cette<br />
région insoumise, <strong>le</strong>s mauvaises rencontres étaient fort possib<strong>le</strong>.<br />
Enfin l’on s’arrête, Corta met pied à terre, tend son revolver au sergent puis, faisant face<br />
aux hommes:-C’est à huit heures, n’est-ce pas, que vous <strong>de</strong>viez me faire la peau ? Eh bien, il est<br />
huit heures. Al<strong>le</strong>z-y !<br />
Les hommes ne bronchent pas.-Je vous préviens, continue-il, que si vous me ratez je ne<br />
vous raterai pas, moi, au retour-.Il y eut un si<strong>le</strong>nce. Alors il reprit.- Dans ce cas, je change d’avis,<br />
nous allons rég<strong>le</strong>r cette affaire entre nous, d’homme à homme. Sergent-.<br />
Le sergent s’avance à l’ordre et reçoit un vigoureux coup <strong>de</strong> poing dans la mâchoire qui<br />
l’envoie rou<strong>le</strong>r à quelques mètres. Chacun <strong>de</strong>s hommes subit <strong>le</strong> même traitement, après quoi l’on
etourne au cantonnement. Il n’a plus jamais été question <strong>de</strong> révolte après cela, à la compagnie<br />
montée, trois fois citée <strong>de</strong>puis à l’ordre se l’armée d’Afrique.<br />
Un coup <strong>de</strong> tête, déclarait <strong>Henry</strong> <strong>de</strong> Corta, c’est signe <strong>de</strong> tempérament. Quand on n’ a pas<br />
une bonne histoire comme ça <strong>de</strong>rrière soi, on n’est pas un vrai légionnaire.<br />
Ne pouvant supporter d’être tenu loin du conflit qui se tenait sur <strong>le</strong> sol français, il <strong>de</strong>manda<br />
à être transféré dans un régiment <strong>de</strong> première ligne. Malgré <strong>le</strong>s objections du général Lyautey qui<br />
tenait à <strong>le</strong> gar<strong>de</strong>r sous ses ordres, il obtint d’être affecté au soixante cinquième régiment<br />
d’infanterie, <strong>le</strong> 16 juil<strong>le</strong>t 1915.<br />
Abattu <strong>par</strong> la mitrail<strong>le</strong> al<strong>le</strong>man<strong>de</strong> lorsqu’il mena l’assaut à la suite <strong>de</strong> son <strong>colonel</strong> (tué à ses<br />
côtés) <strong>le</strong> 25 septembre 1915, au Ravin <strong>de</strong> la Goutte ( au nord <strong>de</strong> Mesnil <strong>le</strong>s Hurlus ) et ayant subi <strong>de</strong><br />
très graves b<strong>le</strong>ssures à la jambe gauche, il est ramassé sur <strong>le</strong> terrain <strong>par</strong> <strong>le</strong>s brancardiers<br />
al<strong>le</strong>mands et conduit à l’hôpital militaire <strong>de</strong> Sidon <strong>le</strong> 29 septembre.<br />
Après avoir refusé l’amputation, que préconisaient <strong>le</strong>s chirurgiens al<strong>le</strong>mands, il resta dans<br />
cet hôpital jusqu’au 6 octobre.<br />
novembre.<br />
Transféré ensuite à l’hôpital <strong>de</strong> Rastatt, il y compléta sa conva<strong>le</strong>scence jusqu’au 30<br />
Il est ensuite conduit au camp <strong>de</strong> Villingen dans <strong>le</strong> grand duché <strong>de</strong> Ba<strong>de</strong> où il restera<br />
jusqu’au 18 avril 1916.<br />
Son refus <strong>de</strong> toute collaboration avec ses geôliers, et la manière toute spécia<strong>le</strong> qu’il avait <strong>de</strong> se<br />
référer aux lois al<strong>le</strong>man<strong>de</strong>s (<strong>par</strong>fois fort confuses ) en s’en servant à son profit pour ridiculiser ses gar<strong>de</strong>s-<br />
chiourme, son insubordination et son constant soucis <strong>de</strong> soutenir <strong>le</strong>s doléances <strong>de</strong> ses camara<strong>de</strong>s envers<br />
<strong>le</strong>s exigences <strong>de</strong>s autorités, eurent <strong>le</strong> don d’exaspérer ses gardiens, qui l’envoyèrent en camp <strong>de</strong><br />
représail<strong>le</strong>s au camp <strong>de</strong> Vöhrenbach, du 19 avril au 4 août 1916.<br />
1917.<br />
Transféré à cette date au camp <strong>de</strong> Burg, près <strong>de</strong> Mag<strong>de</strong>burg, il y resta jusqu’au 18 novembre<br />
Transféré au camp <strong>de</strong> Mag<strong>de</strong>burg, il tente <strong>de</strong> s’en éva<strong>de</strong>r avec <strong>le</strong> capitaine Sajoux, <strong>le</strong> 29 janvier<br />
1918. Il est repris <strong>le</strong> même jours dans <strong>le</strong> train qui <strong>de</strong>vait <strong>le</strong> conduire à Berlin puis à Aix la Chapel<strong>le</strong>.<br />
Emprisonné d’abord à Berlin, puis renvoyé à Mag<strong>de</strong>burg, il est interné au camp <strong>de</strong> répression du Kavalier-<br />
Sharnorst.<br />
C’est dans ce camp qu’il se lia d’amitié avec <strong>le</strong> capitaine Jean <strong>de</strong>s Vallières, qui <strong>de</strong>vint un <strong>de</strong> ses<br />
meil<strong>le</strong>urs amis, et plus tard son beau-frère. Jean <strong>de</strong>s Vallières écrivit sur cette pério<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />
romans:”Kavalier-Sharnorst “. Et “S<strong>par</strong>takus-Para<strong>de</strong>”. Dans ce <strong>de</strong>rnier, l’image d’<strong>Henry</strong> <strong>de</strong> Corta, nommé<br />
<strong>de</strong> Joyeuse dans ce texte, y est <strong>par</strong>faitement <strong>de</strong>ssiné et représente avec justesse ce qu’était <strong>le</strong> caractère<br />
flamboyant et déterminé <strong>de</strong> mon père.<br />
Après <strong>le</strong> procès en cour martia<strong>le</strong> qui lui fut intenté ainsi qu’à Jean <strong>de</strong>s Vallières et plusieurs <strong>de</strong> ses<br />
camara<strong>de</strong>s, pour corruption <strong>de</strong> soldats al<strong>le</strong>mands et incitation <strong>de</strong> ceux ci au crime <strong>de</strong> haute trahison, il est<br />
mis en prison préventive avant <strong>le</strong> prononcé <strong>de</strong> la sentence qui se sol<strong>de</strong>ra <strong>par</strong> une condamnation à un an<br />
<strong>de</strong> forteresse. Envoyé à la forteresse <strong>de</strong> Mag<strong>de</strong>burg, il y restera du 13 mai au 8 novembre 1918.
C’est à <strong>par</strong>tir <strong>de</strong> cette date qu’il assumera, jusqu’à son retour en France, <strong>le</strong> comman<strong>de</strong>ment du<br />
camp d’Altengrabow, ou étaient internés quatre mil<strong>le</strong> cinq cent français, trois mil<strong>le</strong> huit cent russes, environ<br />
quatre cent belges, et <strong>de</strong>s représentant d’autres nationalités.<br />
La gestion <strong>de</strong> ce camp, à la fin <strong>de</strong> cette guerre <strong>de</strong> quatre ans, dans <strong>le</strong> chaos et l’insécurité qui<br />
régnaient en Al<strong>le</strong>magne à la suite <strong>de</strong> la défaite et d’une révolution qui avait suivie la conclusion <strong>de</strong><br />
l’armistice, fut extrêmement malaisée. Il fallait, malgré la mauvaise volonté du personnel al<strong>le</strong>mand, et<br />
l’incertitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s dates <strong>de</strong> rapatriement <strong>de</strong>s prisonniers dans <strong>le</strong>ur foyer, organiser <strong>le</strong> ravitail<strong>le</strong>ment, maintenir<br />
une certaine discipline <strong>par</strong>mi ces hommes qui ne comprenaient pas pourquoi ils ne pouvaient pas <strong>par</strong>tir<br />
immédiatement étant donné que la guerre était finie, et rég<strong>le</strong>r, avec une autorité al<strong>le</strong>man<strong>de</strong> désem<strong>par</strong>ée et<br />
tatillonne, <strong>le</strong>s problèmes qui se présentaient. Les très nombreuses <strong>le</strong>ttres <strong>de</strong> réclamation à cette instance,<br />
montre l’acharnement que mit <strong>Henry</strong> <strong>de</strong> Corta à faire rendre justice à ces prisonniers qui avaient traversé<br />
trois ou quatre ans <strong>de</strong> tortures, <strong>de</strong> brutalités et <strong>de</strong> privations.<br />
Rapatrié d’Al<strong>le</strong>magne <strong>le</strong> 19 janvier 1919, il est mis à la disposition du Maréchal Lyautey,<br />
gouverneur général <strong>de</strong> France au Maroc.<br />
Il est nommé commandant chef <strong>de</strong> bataillon.<br />
Il avait pu servir sous <strong>le</strong>s ordres <strong>de</strong> Lyautey avant la guerre et une certaine communauté<br />
d’idées et <strong>de</strong> pensées avait créé entre eux <strong>de</strong> profond liens d’amitié. Une correspondance assez<br />
importante est preuve <strong>de</strong> cette complicité.<br />
Dés son arrivée au Maroc il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à être muté dans une unité <strong>de</strong> légion, et prend <strong>le</strong><br />
comman<strong>de</strong>ment du sixième bataillon du premier étranger <strong>le</strong> 1er octobre 1920. Il y restera jusqu’au<br />
13 février 1931.<br />
Le bataillon qu’il commandait était ce que l’on appelait un bataillon monté : une mu<strong>le</strong> était<br />
affectée à <strong>de</strong>ux hommes , el<strong>le</strong> servait non seu<strong>le</strong>ment à porter <strong>le</strong>s équipements mais aussi à<br />
transporter un <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux hommes qui l’accompagnaient lorsque la fatigue risquait <strong>de</strong> ra<strong>le</strong>ntir <strong>le</strong><br />
dérou<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>s opérations.<br />
L’effectif <strong>de</strong> la légion à cette époque se composait <strong>de</strong> toute sorte <strong>de</strong> nationalités :<br />
beaucoup <strong>de</strong> russes, exilés à la suite <strong>de</strong> la révolution, qui reprenaient du service dans cette unité à<br />
<strong>de</strong>s gra<strong>de</strong>s très inférieurs à ceux qu’ils avaient dans <strong>le</strong>ur pays d’origine, car n’ayant pas la<br />
nationalité française ils ne pouvaient entrer dans <strong>le</strong>s troupes conventionnel<strong>le</strong>s. J’ai connu quelques<br />
uns <strong>de</strong> ces grands seigneurs dont la gentil<strong>le</strong>sse et <strong>le</strong> courage étaient admirab<strong>le</strong>. Quel bonheur<br />
d’avoir eu <strong>le</strong> privilège <strong>de</strong> <strong>le</strong>s avoir côtoyé au cour <strong>de</strong> ma vie. Chalikof-Chalikachwili, Djindjaradzé,<br />
Knoré et combien d’autres qui, <strong>de</strong> passage près <strong>de</strong> chez nous, nous ont toujours honoré <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur<br />
affectueuse visite.<br />
Déjà, avant la guerre <strong>de</strong> 14-18, <strong>le</strong>s al<strong>le</strong>mands représentaient une gran<strong>de</strong> <strong>par</strong>tie <strong>de</strong>s sous-<br />
officiers et <strong>de</strong>s simp<strong>le</strong>s soldats, mais à la suite du conflit et <strong>de</strong> la défaite al<strong>le</strong>man<strong>de</strong>, nombre d’entre<br />
eux fuyant <strong>le</strong>ur pays dévasté, et l’insécurité qui y régnait, s’engagèrent dans la légion. Ils y trouvaient<br />
l’aventure et un cadre <strong>de</strong> vie, fait <strong>de</strong> rigueur et <strong>de</strong> discipline, qui correspondait à <strong>le</strong>ur tempérament et<br />
à <strong>le</strong>ur caractère. Remarquab<strong>le</strong>s soldats, prompt à la dispute dans <strong>le</strong>s bars, mais ar<strong>de</strong>nts au combat,
soli<strong>de</strong> dans <strong>le</strong> travail <strong>de</strong> construction <strong>de</strong>s routes et <strong>de</strong>s ouvrages d’art, qui représentait une <strong>par</strong>tie <strong>de</strong><br />
<strong>le</strong>urs activités . Ils furent dirigés <strong>par</strong> mon père avec cette intelligence et cette compréhension qui ont<br />
toujours été l’apanage <strong>de</strong> ce chef né.<br />
Des années plus tard, en 1948, alors que je me trouvais à Marrakech chez un ancien<br />
légionnaire originaire d’Egypte, qui <strong>de</strong>meurait à la Targa, au milieu <strong>de</strong> la palmeraie avec sa femme<br />
Marie bourguignonne fort en gueu<strong>le</strong> mais combien bonne et accueillante, nous projetâmes une virée<br />
dans <strong>le</strong> quartier du Guélize. Cette excursion était pour moi p<strong>le</strong>ine d’émotions, car c’est dans ce<br />
quartier que mes <strong>par</strong>ents se retrouvaient lorsque mon père n’était pas en déplacement. Dans un <strong>de</strong>s<br />
cafés ou nous nous arretâmes, un si<strong>le</strong>nce se fit à notre entrée, puis mon hôte <strong>de</strong>manda à<br />
l’assistance si quelqu’un pouvait <strong>de</strong>viner qui l’accompagnait. Une voix s’é<strong>le</strong>va:” Est-ce que ce ne<br />
serait pas <strong>le</strong> fils du père Corta. Dés que j’eu acquiescé tous se précipitèrent pour me serrer la main<br />
et me donner l’accola<strong>de</strong>; <strong>le</strong> souvenir d’<strong>Henry</strong> <strong>de</strong> Corta était si présent dans <strong>le</strong>ur mémoire malgré <strong>le</strong>s<br />
dix huit années écoulées , qu’ils semblait que <strong>le</strong>s témoignages qu’ils voulurent me donner dataient<br />
<strong>de</strong> la veil<strong>le</strong>. Et quel<strong>le</strong> admiration dans la voix, quel respect dans <strong>le</strong>s mots lorsqu’ils <strong>par</strong>laient <strong>de</strong> ce<br />
chef si exigeant, mais qui prenait toujours <strong>le</strong>ur défense en face <strong>de</strong>s autorités.<br />
Exigeant, il l’était, se basant sur sa résistance et sa puissance <strong>de</strong> travail, il avait du mal à<br />
comprendre que certains avaient du mal à <strong>le</strong> suivre. L’histoire suivante <strong>le</strong> dépeint bien.<br />
Il arrive un jour <strong>de</strong> Casablanca après avoir roulé à cent trente à l’heure, frais et dispos,<br />
passe la nuit dans un dancing, histoire <strong>de</strong> voir ses hommes se distraire. Son chauffeur, un sergent<br />
d’origine al<strong>le</strong>man<strong>de</strong>, qu’il oblige à pousser sa voiture à la limite, exténué <strong>par</strong> <strong>le</strong> voyage et <strong>par</strong> une<br />
nuit blanche, apprend au petit jour qu’on re<strong>par</strong>t pour une randonnée <strong>de</strong> service, une équipée <strong>de</strong><br />
neuf heures dans <strong>le</strong> b<strong>le</strong>d, sans même repasser à la maison.<br />
-Quand va t’on dormir, interroge ce martyr du volant.<br />
- Dormir! Riposte Corta. Est-ce que je dors, moi?<br />
Et quand <strong>le</strong> sergent, à l’étape, s’effondre sur un lit.<br />
-Une petite nature, dit Corta, un peu méprisant.<br />
Pour lui, il s’entourera <strong>de</strong> ses cartes, et se remettra au travail. Les officiers, fourbus,<br />
s’esquivent un à un, lui, reste à sa tab<strong>le</strong>. Mais à peine l’adjudant-major est-il couché que <strong>le</strong><br />
téléphone <strong>le</strong> rappel<strong>le</strong>. Il se rhabil<strong>le</strong> à la hâte, court chez son chef, qu’il trouve entouré <strong>de</strong> plans<br />
déployés.<br />
travail<strong>le</strong>r.<br />
-Nous avons beaucoup à faire, mon cher; ou étiez vous donc? C’est l’heure agréab<strong>le</strong> pour<br />
Il en réveil<strong>le</strong> encore s’il <strong>le</strong> faut <strong>de</strong>ux ou trois autres. A quatre heures du matin, il lève la<br />
séance, en s’excusant <strong>de</strong> <strong>le</strong>s congédier.<br />
-Nous nous <strong>le</strong>vons <strong>de</strong> bonne heure. Nous avons trois cent kilomètres à faire. Ren<strong>de</strong>z vous<br />
<strong>de</strong>vant l’auto à six heure et <strong>de</strong>mi.<br />
C’est en rentrant d’Al<strong>le</strong>magne, en 1919, qu’il retrouva Jean <strong>de</strong>s Vallières son camara<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
captivité. Celui ci <strong>le</strong> reçut dans sa famil<strong>le</strong> qui avait été durement atteinte <strong>par</strong> la mort du chef <strong>de</strong>
famil<strong>le</strong>: <strong>le</strong> général Pierre <strong>de</strong>s Vallières, plus jeune général <strong>de</strong> France et promis à un grand avenir. Il<br />
avait été tué en première ligne, <strong>par</strong> un mitrail<strong>le</strong>ur al<strong>le</strong>mand, alors qu’il visitait <strong>le</strong>s postes avancés<br />
pour soutenir <strong>le</strong> moral <strong>de</strong> ses hommes.<br />
Noémie, la femme <strong>de</strong> Pierre <strong>de</strong>s Vallières, n’avait pas surmonté son <strong>de</strong>uil, et son caractère<br />
déjà porté vers la mélancolie, sombrait dans la neurasthénie.<br />
Jean <strong>de</strong>s Vallières venait d’épouser Annie <strong>de</strong> Térris avec qui il était fiancé <strong>de</strong>puis <strong>le</strong> début<br />
<strong>de</strong>s hostilités. Les responsabilités familia<strong>le</strong>s reposaient donc sur <strong>le</strong>s frê<strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s <strong>de</strong> sa soeur<br />
Marthe, dont l’énergie et <strong>le</strong> courage soutenaient <strong>le</strong> moral défaillant <strong>de</strong> sa mère et <strong>de</strong> son plus jeune<br />
frère René.<br />
Dés qu’il fréquenta cette famil<strong>le</strong>, <strong>Henry</strong> <strong>de</strong> Corta se sentit attiré <strong>par</strong> cette jeune fil<strong>le</strong> qui<br />
savait faire face à l’adversité. Doucement, un sentiment plus profond se développa entre eux, et<br />
bientôt ils envisagèrent <strong>le</strong> mariage. Celui-ci eut lieu <strong>le</strong> 7 février 1922 à Paris. Le témoin <strong>de</strong> Marthe<br />
était <strong>le</strong> Maréchal Pétain, celui d’<strong>Henry</strong> <strong>le</strong> Maréchal Lyautey.<br />
Marrakech.<br />
Ils durent s’établir là où <strong>Henry</strong> avait ses comman<strong>de</strong>ments; d’abord à Agadir puis à<br />
Le Maroc <strong>de</strong> cette époque était une région agitée, où <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> du territoire et la<br />
pacification incombait aux unités <strong>de</strong> l’armée française et principa<strong>le</strong>ment à la légion étrangère. La vie<br />
que menèrent <strong>Henry</strong> et Marthe fut pour <strong>le</strong> moins cahotante; absences fréquentes d’<strong>Henry</strong>, <strong>par</strong>ti en<br />
opération, retour ponctué <strong>de</strong> réceptions et <strong>de</strong> libations avec <strong>le</strong>s jeunes officiers. Iso<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> Marthe<br />
dans un pays dont el<strong>le</strong> ignorait <strong>le</strong>s coutumes et <strong>le</strong>s moeurs.<br />
C’est <strong>le</strong> 23 novembre 1922 que naquit à l’hôpital <strong>de</strong> Rabat, Hugues, <strong>le</strong>ur premier fils, bel<br />
enfant soli<strong>de</strong> et souriant. Il <strong>de</strong>vait mourir <strong>de</strong>ux mois plus tard, <strong>le</strong> 21 janvier 1923 pour on ne sait<br />
quel<strong>le</strong> raison. Il est vrai qu’a cette époque la mé<strong>de</strong>cine militaire était peu avancée et la prophylaxie<br />
bien ignorée du personnel hospitalier. Mon frère aîné fut donc enterré au cimetière <strong>de</strong> Rabat dans<br />
une concession à perpétuité qui doit toujours exister.<br />
Ce décès fut une gran<strong>de</strong> épreuve pour <strong>Henry</strong> et Marthe. Lui , <strong>par</strong>ce qu’il se reprochait <strong>de</strong><br />
n’avoir pas envoyé son épouse en France pour accoucher et passer <strong>le</strong>s premiers mois <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong><br />
<strong>le</strong>ur fils auprès <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins compétents qui auraient peut-être pu <strong>le</strong> sauver.<br />
Marthe rentra en France pour <strong>de</strong> longues vacances auprès <strong>de</strong> sa famil<strong>le</strong>, et <strong>de</strong> sa bel<strong>le</strong><br />
famil<strong>le</strong> qui l’avait toujours accueillie avec une gran<strong>de</strong> affection.<br />
La vie d’<strong>Henry</strong> et <strong>de</strong> Marthe se déroula ensuite avec <strong>le</strong>s joies <strong>de</strong> l’amitié et <strong>le</strong>s tristesses<br />
inhérentes à toute existence.<br />
Ce n’est que quatre ans plus tard que je naquis, <strong>le</strong> 29 décembre 1926, et voici <strong>de</strong>ux <strong>le</strong>ttres<br />
qu’<strong>Henry</strong> écrivit à cette occasion.<br />
libellé.<br />
La première était adressée à ma marraine, Laurence Fidière <strong>de</strong>s Prinveaux et était ainsi<br />
- Chère marraine,<br />
Votre fil<strong>le</strong>ul Bruno est né aujourd’hui à onze heures 219 rue Vercingétorix: 3Ks 600 et plus
<strong>de</strong> cheveux que son père. Il porte même la barbe. Marthe va très bien et se repose.<br />
Je vous embrasse.-<br />
La <strong>de</strong>uxième <strong>le</strong>ttre était adressée à Marthe:<br />
- Ma chère petite aimée, je ne vous verrais pas <strong>de</strong>main matin, mais je veux que ceci vous<br />
apporte tout mon amour, toute ma joie profon<strong>de</strong>: <strong>le</strong> 29 décembre efface presque, pour moi, quatre<br />
ans <strong>de</strong> chagrin, que vous avez si bel<strong>le</strong>ment supportés. Pourquoi en dire plus ? Il y faudrait trois cent<br />
pages, et vous <strong>le</strong> savez.<br />
Alors, je vous serre dans mes bras, simp<strong>le</strong>ment, pas trop fort, pour ne pas froisser <strong>le</strong> petit<br />
qui est entre nous <strong>de</strong>ux, nous unissant plus que jamais.<br />
Je vous adore. -<br />
Pendant <strong>le</strong>s quatre ans passés, la santé d’<strong>Henry</strong> avait commencé à se dégra<strong>de</strong>r; <strong>le</strong>s<br />
maladies tropica<strong>le</strong>s qu’il avait attrapé lors <strong>de</strong> ses diverses campagnes, mais principa<strong>le</strong>ment lors <strong>de</strong><br />
son séjour au Tonkin: Paludisme, amibes, etc, avaient affaibli sa résistance physique. Il buvait<br />
certainement plus qu’il n’aurait du, et fumait d’une façon <strong>par</strong>faitement excessive. Il est vrai qu’a cette<br />
époque <strong>le</strong>s français considéraient comme un titre <strong>de</strong> gloire <strong>de</strong> s’adonner aux joies <strong>de</strong> l’alcool, et la<br />
cigarette n’était pas encore condamnée <strong>par</strong> <strong>le</strong> corps médical.<br />
Malgré tout il continua à assumer ses fonctions, tout en regrettant <strong>de</strong> traîner au tab<strong>le</strong>au<br />
d’avancement. Son amour pour Marthe était intact, mais ses accès d’humeur <strong>de</strong>vinrent plus<br />
fréquents. Il commença à engraisser, et s’interrogeait <strong>de</strong> plus en plus souvent sur ses buts et <strong>le</strong><br />
sens <strong>de</strong> sa vie. Il pensa qu’un retour au Tonkin, dans ce pays qu’il avait tant aimé, et qui<br />
représentait encore l’aventure, lui serait bénéfique.<br />
d’Hannoï .<br />
C’est en 1929 qu’il <strong>de</strong>manda son affectation au 1er Étranger qui était cantonné près<br />
Et ce fut, enfin, <strong>le</strong> 25 novembre 1929 qu’il fut nommé lieutenant-<strong>colonel</strong>.<br />
Il dut patienter jusqu’au 14 février 1931 pour recevoir son ordre d’affectation dans cette<br />
unité qu’il était chargé <strong>de</strong> comman<strong>de</strong>r en second.<br />
Il <strong>par</strong>tit donc sur un transport <strong>de</strong> troupes, et nous <strong>le</strong> rejoignîmes quatre mois plus tard à<br />
bord du navire régulier <strong>de</strong> la Cie Paquet.<br />
Entre temps, il avait pris <strong>le</strong> comman<strong>de</strong>ment du 5eme Étranger, et nous débarquâmes dans<br />
<strong>le</strong> très beau logement <strong>de</strong> fonction qui lui était alloué à Dap-Cot, une banlieue d’Hannoï.<br />
<strong>Henry</strong> et Marthe entamèrent une vie mondaine avec réceptions et <strong>de</strong>voirs sociaux que <strong>le</strong>ur<br />
imposait ce poste. Lui, <strong>par</strong>tait <strong>le</strong> matin pour remplir <strong>le</strong>s <strong>de</strong>voirs <strong>de</strong> sa charge et revenait <strong>le</strong> soir, menant une<br />
vie <strong>de</strong> fonctionnaire, ce qui ne pouvait absolument pas lui convenir. Épris <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s aventures, et<br />
d’opérations hasar<strong>de</strong>uses vécues avec ses chers légionnaires et <strong>le</strong>s officiers qui <strong>par</strong>tageaient sa passion,<br />
il se trouva très vite à l’étroit dans cette vie routinière et sans surprises, ni occasions <strong>de</strong> se dépasser.<br />
Sa santé continuait à se détériorer, et l’alcool, qui a toujours été l’ami et l’ennemi du légionnaire,<br />
ne pouvait contribuer à améliorer son état. De plus, <strong>le</strong> climat dans la région d’Hannoï était <strong>par</strong>ticulièrement<br />
humi<strong>de</strong> et malsain, et cet homme <strong>de</strong> cinquante <strong>de</strong>ux ans, usé <strong>par</strong> une vie mouvementé et hyperactive,
commença à changer complètement d’humeur. Crises d’impatience et <strong>de</strong> colère pour <strong>de</strong>s futilités,<br />
ponctués <strong>de</strong> pério<strong>de</strong>s <strong>de</strong> remords où il re<strong>de</strong>venait <strong>le</strong> mari et <strong>le</strong> père attentionné qu’il était. Une peur <strong>le</strong><br />
taraudait, cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> ne pas toujours rester maître <strong>de</strong> ses réactions, et <strong>de</strong> risquer <strong>de</strong> faire du mal aux <strong>de</strong>ux<br />
êtres qu’il aimait <strong>le</strong> plus.<br />
En raison <strong>de</strong> sa mauvaise santé, nous fûmes envoyés dans une station <strong>de</strong> montagne, au Tam-<br />
Dao, pour y passer la saison la plus diffici<strong>le</strong>. Nous y restâmes jusqu’au 6 septembre 1932, et prîmes <strong>le</strong><br />
train pour Hannoï à cette date. Mon père se trouva seul pendant ce trajet, car ma mère, consciente <strong>de</strong> son<br />
état, voulait <strong>le</strong> laisser se reposer, et nous nous étions installé dans un Autre com<strong>par</strong>timent.<br />
C’est quelque temps avant Yen-Bay que nous entendîmes un bruit, comme une vitre qui se brise,<br />
et ma mère me <strong>de</strong>manda d’al<strong>le</strong>r voir ce qui se passait. J’entrais dans <strong>le</strong> com<strong>par</strong>timent et vis mon père<br />
affalé sur la banquette; il s’était donné la mort à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> son revolver d’ordonnance.<br />
Toute mon enfance on voulut me cacher ce suici<strong>de</strong>, et pourtant la certitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> sa décision<br />
désespérée m’a suivie jusqu’a ce qu’on m’en informe lors <strong>de</strong> mes dix sept ans.<br />
J’ai longtemps cherché <strong>le</strong>s raisons <strong>de</strong> son acte mais maintenant que j’ai vieilli, je crois <strong>le</strong>s<br />
comprendre. Détruit mora<strong>le</strong>ment et physiquement <strong>par</strong> la maladie, <strong>le</strong>s abus, et la conviction que tout ce en<br />
quoi il croyait et tout ce qui avait été <strong>le</strong> but <strong>de</strong> sa vie n’existait plus, que la vie casanière qu’il aurait du<br />
assumer ne lui convenait plus, il est possib<strong>le</strong> qu’il n’ait pas vu d’autre issue.<br />
Peut-être vous direz vous qu’il aurait pu prendre en considération sa femme et son fils, à qui il a<br />
bien manqué <strong>par</strong> la suite, mais étions nous dans son esprit. Et à une époque où <strong>le</strong>s ai<strong>de</strong>s psychologiques<br />
n’existaient pratiquement pas, pouvons nous juger ce qu’il aurait du penser. Parfois, <strong>de</strong>s décisions<br />
rapi<strong>de</strong>s et incontrôlées mènent notre <strong>de</strong>stin, et je ne saurais condamner celui qui fut mon père.<br />
L’armée et la légion ont décidé qu’il était mort pour son pays, et il me semb<strong>le</strong> que ce n’était que<br />
justice, en reconnaissance pour son courage et son dévouement envers sa patrie.<br />
Le général Rol<strong>le</strong>t ne s’y est pas trompé qui fit <strong>par</strong>aître l’ordre général No 3 <strong>le</strong> 17 septembre 1932.<br />
Inspection <strong>de</strong> la Légion Étrangère<br />
Ordre général No 3<br />
Le <strong>Lieutenant</strong>-Colonel <strong>de</strong> Corta du 5ème Étranger est décédé au Tonkin. C’était une <strong>de</strong>s figures<br />
<strong>le</strong>s plus bel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> la Légion Étrangère. Il lui avait consacré 22 ans d’une carrière mouvementée et brillante<br />
: Il meurt sous son drapeau.<br />
Avant la guerre il ne cessa <strong>de</strong> faire campagne pendant neuf ans dans <strong>le</strong> sud algérien, au Maroc<br />
et au Tonkin. B<strong>le</strong>ssé en 1915, il est ramassé <strong>par</strong> l’ennemi sur <strong>le</strong> champ <strong>de</strong> batail<strong>le</strong>, et après une dure<br />
captivité qu’il passe dans <strong>le</strong>s camps <strong>de</strong> répression à la suite <strong>de</strong> nombreuses tentatives d’évasion, il a hâte<br />
dés 1919 <strong>de</strong> reprendre sa place dans <strong>le</strong>s rangs <strong>de</strong> la Légion, qu’il ne quittera plus. Jusqu’en 1923, <strong>le</strong> 3éme<br />
bataillon du 4éme Étranger qu’il comman<strong>de</strong> est une <strong>de</strong>s unités <strong>le</strong>s plus en renom <strong>de</strong> la région <strong>de</strong><br />
Marrakech : il entraîne cette troupe ar<strong>de</strong>nte dans neuf combats classés qui va<strong>le</strong>nt à son chef une<br />
réputation d’élégante bravoure. Pendant la guerre du Riff il comman<strong>de</strong> un groupement <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux bataillons.
Déjà à cette époque, sa santé semb<strong>le</strong> atteinte mais il ne peut quitter la troupe qu’il aime. Il <strong>par</strong>t au Tonkin<br />
et au bout d’un an <strong>de</strong> séjour il y succombe.<br />
Le Général Rol<strong>le</strong>t, inspecteur <strong>de</strong> la Légion Étrangère, salue avec émotion la mémoire du <strong>Lieutenant</strong>-<br />
Colonel <strong>de</strong> Corta en qui s’alliaient harmonieusement <strong>le</strong>s plus bel<strong>le</strong>s qualités militaires.<br />
-------<br />
T<strong>le</strong>mcen, <strong>le</strong> 17 septembre 1932<br />
Le Général <strong>de</strong> Briga<strong>de</strong> Rol<strong>le</strong>t<br />
Inspecteur <strong>de</strong> la Légion Étrangère<br />
Propos recueillis <strong>par</strong> <strong>le</strong> <strong>Commandant</strong> ® Constantin LIANOS auprès <strong>de</strong> Bruno <strong>de</strong> <strong>CORTA</strong>, fils du<br />
<strong>Lieutenant</strong>-<strong>colonel</strong> <strong>Henry</strong> <strong>de</strong> <strong>CORTA</strong>.<br />
------<br />
Bruno <strong>de</strong> <strong>CORTA</strong> est âgé <strong>de</strong> 82 ans, il est membre sympathisant <strong>de</strong> l’AALE <strong>de</strong> Marseil<strong>le</strong> <strong>de</strong>puis 3 ans<br />
grâce à une initiative <strong>de</strong> l’ADC (er) MAHJOUBI ancien chuteur opérationnel du 20 REP, il habite à<br />
Montréal au Canada, et, il a fait <strong>le</strong> voyage <strong>de</strong> pour amener ce symbo<strong>le</strong> au musée <strong>de</strong> la Légion étrangère.
De la droite vers la gauche : Monsieur Jean-François PICHERAL sénateur <strong>de</strong>s BDR 1 er classe d’honneur<br />
<strong>de</strong> la Légion étrangère, <strong>Lieutenant</strong>-<strong>colonel</strong> Philippe Guyot conservateur du musé <strong>de</strong> la Légion étrangère,<br />
Monsieur Bruno <strong>de</strong> Corta, fils du <strong>Lieutenant</strong>-<strong>colonel</strong> Henri <strong>de</strong> Corta, <strong>Commandant</strong> ® Constantin LIANOS,<br />
officier NRBC <strong>de</strong> l’EMIAZD Sud et prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l’AALE <strong>de</strong> Marseil<strong>le</strong>.<br />
C’est au cours du cocktail <strong>de</strong> porteurs <strong>de</strong> la main du Capitaine Danjou du 29 avril soir que Bruno <strong>de</strong> Corta<br />
a remi au Général, commandant la Légion étrangère <strong>le</strong> fanion <strong>de</strong> son père. Très ému mais heureux<br />
d’avoir accompli une mission qui <strong>le</strong> tenait à cœur <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s nombreuses années.<br />
C’est avec une gran<strong>de</strong> émotion que <strong>le</strong> Général a reçu <strong>le</strong> fanion en disant une bonne <strong>par</strong>tie <strong>de</strong> l’histoire<br />
glorieuses du <strong>Lieutenant</strong> Colonel Henri <strong>de</strong> Corta dont il connaît <strong>par</strong> cœur.<br />
Aubagne <strong>le</strong> 30 avril 2008<br />
<strong>Commandant</strong> ® Constantin LIANOS<br />
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