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Ebook complet en PDF - TRAVERSES, Livre voyageur

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VOYAGEUR<br />

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<strong>TRAVERSES</strong>,<br />

ISBN : 978-2-9530266-0-3-0


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

les <strong>en</strong>fants du petit poucet.<br />

chemins de grands rêves.<br />

l’empreinte sous le sable.<br />

la stratégie de l’escargot.<br />

cartographie imaginaire.<br />

errances.<br />

sous les baisers du v<strong>en</strong>t.<br />

traversées.<br />

<strong>voyageur</strong>s impud<strong>en</strong>ts.<br />

déballages.<br />

chemins de traverses.<br />

migrations.<br />

migrations m<strong>en</strong>tales.<br />

va et vi<strong>en</strong>s.<br />

voyages imprud<strong>en</strong>ts.<br />

croisem<strong>en</strong>ts.<br />

le s<strong>en</strong>tier de plumes.<br />

nomads land.<br />

odyssées intérieures.<br />

valises pleines.<br />

le petit<br />

Traverses<br />

migrateur.<br />

récits <strong>en</strong> balade.<br />

les transhumains.<br />

exodes de récits.<br />

plus loin devant.<br />

plus loin devant.<br />

exodes de récits.<br />

les transhumains.<br />

récits <strong>en</strong> balade.<br />

le petit migrateur.<br />

valises pleines.<br />

odyssées intérieures.<br />

nomads land.<br />

le s<strong>en</strong>tier de plumes.<br />

croisem<strong>en</strong>ts.<br />

voyages imprud<strong>en</strong>ts.<br />

va et vi<strong>en</strong>s.<br />

migrations m<strong>en</strong>tales.<br />

migrations.<br />

chemins de traverses.<br />

déballages.<br />

<strong>voyageur</strong>s impud<strong>en</strong>ts.<br />

traversées.<br />

sous les baisers du v<strong>en</strong>t.<br />

errances.<br />

cartographie imaginaire.<br />

la stratégie de l’escargot.<br />

l’empreinte sous le sable.<br />

chemins de grands rêves.<br />

les <strong>en</strong>fants du petit poucet.


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

G<strong>en</strong>èse de Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

Il y a près de trois ans germait l’idée de Traverses, axé<br />

dès l’origine sur la thématique du voyage.<br />

Imaginaire, amoureux ou géographique, le choix du type<br />

de voyage abordé a appart<strong>en</strong>u <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t aux auteurs, et sous<br />

la forme qu’ils souhaitai<strong>en</strong>t. Suivant le désir qui sous-t<strong>en</strong>d<br />

toute l’av<strong>en</strong>ture du livre, certains sont volontairem<strong>en</strong>t sortis de<br />

leur « domaine de travail » habituel pour se risquer hors des<br />

s<strong>en</strong>tiers battus et pr<strong>en</strong>dre le risque d’exister « autrem<strong>en</strong>t ».<br />

Des quinze écrivains et artistes que vous allez découvrir<br />

<strong>en</strong> grappillant, suivant l’instant, une nouvelle ou un dessin,<br />

la plupart ont fait fi de ce qui était leur « métier » et les avait<br />

fait reconnaitre. Peintres, maitres des images, ils ont creusé la<br />

veine de l’écriture. Ethnologue ou illustrateurs, ils ont montré<br />

au travers de mots, d’une fiction, une partie différ<strong>en</strong>te d’euxmêmes.<br />

Vous ne serez pas étonnés de découvrir que beaucoup<br />

d’<strong>en</strong>tre eux avai<strong>en</strong>t collaboré au livre d’art fantastique Terra<br />

Incognita (édité par Kar<strong>en</strong> Guillorel et Mickaël Ivorra),<br />

qui, déjà, se différ<strong>en</strong>ciait des lignes éditoriales habituelles, <strong>en</strong><br />

invitant neuf écrivains à illustrer par les mots le travail de<br />

neuf peintres.<br />

C’est aussi le gout du voyage qui a fait exister Traverses,<br />

livre <strong>voyageur</strong> : Kar<strong>en</strong> Guillorel, qui l’édite, est une voyageuse.<br />

Il y a un an et demi, elle a <strong>en</strong>trepris un périple de sept mois, à<br />

pied de Paris jusqu’à Istanbul, puis a continué <strong>en</strong> vélo jusqu’à<br />

Jérusalem. Partir est pour elle une évid<strong>en</strong>ce, mais partir sans<br />

lire une impossibilité. Alors, elle a comm<strong>en</strong>cé à déposer sur les<br />

bancs de Sarajevo ou de V<strong>en</strong>ise les livres lus, sur lesquels elle<br />

notait « pr<strong>en</strong>ez ce livre, il est à vous ». Peu à peu, au cours<br />

de ces mois où elle déposait un roman à l’Institut Français de<br />

Zagreb, donnait un recueil de nouvelles à une connaissance de<br />

quelques heures croisée à Sofia, échangeait un livre à Istanbul,<br />

s’est imposé à elle la nécessité de faire de Traverses, livre<br />

<strong>voyageur</strong>, un ouvrage à transmettre, à échanger, à offrir, et à<br />

offrir dès le départ, dans sa conception même.<br />

Voici donc quelques traits de la naissance de Traverses. Il<br />

vous apparti<strong>en</strong>t maint<strong>en</strong>ant de continuer à le faire vivre.<br />

4 5<br />

Zoé A. Wolf


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

Préface<br />

Le livre que vous t<strong>en</strong>ez <strong>en</strong>tre vos mains n’a pas de prix.<br />

Il ne s’achète pas : il s’échange ou il se donne. Il ne se garde<br />

pas, il se transmet. Une fois lu, son destin est de vagabonder à<br />

la surface de la planète, de mains <strong>en</strong> mains. Il louvoie sous des<br />

yeux multiples et rejette la t<strong>en</strong>tation de la collection, préférant les<br />

chemins de traverses de l’av<strong>en</strong>ture géographique.<br />

Lecteur, ne soyez pas attaché à autre chose qu’aux émotions,<br />

volatiles, éphémères ou profondes, que vous aurez <strong>en</strong> lisant. Traverses,<br />

livre <strong>voyageur</strong> s’ouvre à vous, mais il doit poursuivre<br />

une route qui ne s’arrête pas avec vous. Libérez-le après l’avoir<br />

lu, feuilleté, savouré, faites le transiter vers des personnes que<br />

vous aimez ou de parfaits inconnus, qui transmettront l’ouvrage<br />

à leur tour. Abandonnez-le dans un <strong>en</strong>droit public, un bar, un<br />

banc...<br />

Si vous le trouvez dans une cache à l’aide du système de<br />

géolocalisation sur notre site, alors échangez-le contre un autre<br />

livre que vous aimez pour que le rêve perdure - et le plaisir de<br />

la lecture aussi ! Inscrivez votre prénom et votre nom, un simple<br />

mot, tracez-y un dessin si vous le souhaitez. Ri<strong>en</strong> n’est plus<br />

délicieux que de croiser le chemin d’un livre qui a voyagé et d’y<br />

trouver les traces que ceux qu’il a touché avant vous.<br />

Les livres se déplac<strong>en</strong>t de plus <strong>en</strong> plus, comme les phénomènes<br />

de bookcrossing ou passe-livre le montr<strong>en</strong>t. La chasse au livre<br />

nomade se fait paisiblem<strong>en</strong>t, et vous pouvez participer à cet exercice<br />

joyeux et planétaire par le biais du site conçu spécialem<strong>en</strong>t à<br />

cet usage. Vous pourrez y observer les migrations du recueil que<br />

vous avez <strong>en</strong> ce mom<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre les mains, y suivre la route de ses<br />

explorations, garder un li<strong>en</strong> avec ce qu’il vous a donné. Il vous<br />

suffit d’<strong>en</strong>registrer le livre par le biais de son numéro de série s’il<br />

<strong>en</strong> a déjà un, ou de le générer.<br />

Et pour que Traverses se perpétue, gagne du terrain, existe<br />

plus fortem<strong>en</strong>t chaque jour, photocopiez-le tant que vous le voudrez,<br />

du mom<strong>en</strong>t que vous n’oubliez pas de souligner le nom de<br />

ceux qui y ont participé à ses av<strong>en</strong>tures ! Imprimez-le à partir du<br />

site dédié, mettez un li<strong>en</strong> vers son site à partir du vôtre, de votre<br />

blog ou de forums ! Cet ouvrage doit voyager de main à main au<br />

même titre qu’il le fera sur les autoroutes numériques !<br />

6 7<br />

Bonne lecture, heureux lecteur, et bonne route…<br />

Kar<strong>en</strong> Guillorel.<br />

Le site web du recueil : www.traverses-lelivre.com


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

10<br />

Mercredi<br />

Kiruna<br />

Luvan<br />

Libreville.<br />

Tove tord son ticket de train. Pour une raison inédite,<br />

Libreville figure sur une carte murale. Ensemble,<br />

Libreville et Tove sillonn<strong>en</strong>t les dunes neigeuses<br />

du Norrland1. Dehors, tambourinant les f<strong>en</strong>êtres<br />

épaisses du wagon de bois, le soleil sonne blanc, métallique.<br />

Quelqu’un a épinglé Libreville sur la carte.<br />

« Pourquoi avoir épinglé Libreville ? », se demande<br />

Tove. Puis : « Pourquoi ét<strong>en</strong>dre une carte du monde<br />

sur la cloison <strong>en</strong> formica du petit train filant de Bod<strong>en</strong><br />

à Kiruna ? »<br />

Libreville.<br />

Les yeux de Tove ne part<strong>en</strong>t plus. Ils p<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t aux<br />

lettres basaltiques. Le noir simple de leur incarnation<br />

11<br />

À Annika Asphölm


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

plastique la repose. Une secousse. Du coin de l’œil, la<br />

manche décidée d’un uniforme de contrôleur. Tove<br />

se retourne, soulagée qu’on la sorte d’Afrique, et<br />

t<strong>en</strong>d fébrilem<strong>en</strong>t son billet chiffonné. Elle s’apprête<br />

à demander, pour la carte, mais le contrôleur n’a pas<br />

de visage. Ce n’est pas un homme. C’est une simple<br />

veste p<strong>en</strong>due, que les cahots ont investie d’un peu<br />

de leur vie. Tove rit très fort et se rassoie. L’Afrique,<br />

un épouvantail… Serait-elle une sorte d’oie migratrice<br />

?<br />

Moins résistante qu’une oie, elle s<strong>en</strong>t le sommeil<br />

comm<strong>en</strong>cer à la pr<strong>en</strong>dre. Elle a pourtant dormi près<br />

de huit heures dans le premier train qui l’a déposée,<br />

à bout de souffle, devant la petite gare de Bod<strong>en</strong>. On<br />

met vingt-deux heures pour grimper au Nord.<br />

Dehors blanc. Le ciel et le sol se réverbèr<strong>en</strong>t avec<br />

<strong>en</strong>têtem<strong>en</strong>t. La femme d’<strong>en</strong> face s’est assombrie. Elle<br />

dort et comm<strong>en</strong>ce à grincer des d<strong>en</strong>ts. Quelques kilomètres<br />

pass<strong>en</strong>t. Le blanc toujours, mais l’altitude<br />

comm<strong>en</strong>ce à ronger les bois, qui se parsèm<strong>en</strong>t. Tove<br />

s<strong>en</strong>t un poids lui lâcher la poitrine et compr<strong>en</strong>d les<br />

mots de l’adolesc<strong>en</strong>te qui partageait son wagon de<br />

nuit, dans le premier train. Quand Tove, nez contre<br />

la vitre aux griffes de givre, lui a dit qu’elle était impati<strong>en</strong>te<br />

de voir le paysage nordique, la jeune fille,<br />

une brosse à d<strong>en</strong>ts à la bouche, a simplem<strong>en</strong>t haussé<br />

les épaules. Elle s’est p<strong>en</strong>chée sur le lavabo, a ret<strong>en</strong>u<br />

sa veste de pyjama de dévoiler ses seins, craché et dit,<br />

simplem<strong>en</strong>t : « Skogor… Skogor… Skogor… » (Des<br />

bois… Des bois… Des bois…) sur le ton le plus<br />

monotone du monde.<br />

Le nez à nouveau sur la vitre, mais plus froid, et<br />

les yeux moins bleus, Tove ressasse l’étrange mélodie<br />

verticale et compr<strong>en</strong>d <strong>en</strong>core, à la vue de ces troncs,<br />

de ces troncs, de ces troncs, ce que Libreville a de<br />

furieusem<strong>en</strong>t magique.<br />

« Skogor… Skogor… Skogor… »<br />

Le contrôleur ne vi<strong>en</strong>t pas. Elle aimerait lui demander<br />

pour la carte au mur et l’épingle dedans, mais<br />

il ne vi<strong>en</strong>t pas. Peut-être n’est-il plus que sa veste ?<br />

« Skogor… Skogor… Skogor… »<br />

Le train s’arrête. Il fait nuit. L’autre passagère est<br />

partie depuis longtemps. Elle a laissé un verre de café<br />

<strong>en</strong> polystyrène, qui couine contre les lattes <strong>en</strong> bois<br />

de la banquette. Tove lève ses yeux dev<strong>en</strong>us gris sur<br />

l’horloge impavide, qui continue de faire avancer le<br />

temps pourtant susp<strong>en</strong>du, depuis vingt-deux heures,<br />

à deux rails parallèles.<br />

16h35. Elle arrive dans deux minutes.<br />

Le quai de la gare de Gällivare. Une vieille femme<br />

aux joues rouge sombre ravinées de larmes s’approche<br />

du quai.<br />

12 13<br />

Kiruna<br />

*


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

« Bonjour. Je vous remercie d’avoir choisi notre<br />

p<strong>en</strong>sion. »<br />

Tove est satisfaite de ne pas avoir remis son<br />

voyage à plus tard. L’été lui aurait naturellem<strong>en</strong>t fait<br />

franchir la Suède <strong>en</strong> avion, et les grincem<strong>en</strong>ts du<br />

train lui dis<strong>en</strong>t qu’elle n’aurait pas aimé se téléporter<br />

de la sorte. Mais n’est-il pas déjà trop tard ? Même<br />

mouillés de froid, les yeux de la vieille gard<strong>en</strong>t un<br />

calme plat. Le calme de l’oubli. Maria a disparu au<br />

début de l’hiver. Se souvi<strong>en</strong>t-elle seulem<strong>en</strong>t d’elle ?<br />

Jeudi<br />

Tove a r<strong>en</strong>contré Maria <strong>en</strong> Afrique. Les g<strong>en</strong>s<br />

trouv<strong>en</strong>t bizarre que deux Suédoises se r<strong>en</strong>contr<strong>en</strong>t<br />

là, mais ce g<strong>en</strong>re de coïncid<strong>en</strong>ces arrive fréquemm<strong>en</strong>t<br />

aux <strong>voyageur</strong>s. Même aux Suédois, qui sont si<br />

peu de g<strong>en</strong>s.<br />

Elles se sont r<strong>en</strong>contrées au poste de douane.<br />

Quand le douanier a pris le passeport de Maria,<br />

il s’est trompé et l’a appelée Kiruna, qui n’est pas<br />

son nom mais son lieu de naissance. La capitale<br />

du Norrland. La ville la plus ét<strong>en</strong>due d’Europe. Et<br />

probablem<strong>en</strong>t la plus inconnue. Go ahead, Kiruna !<br />

Move ! People are waiting !<br />

Tove et Maria ont cheminé <strong>en</strong>semble p<strong>en</strong>dant<br />

cinq mois. Tove a appelé Maria Kiruna p<strong>en</strong>dant cinq<br />

Kiruna<br />

mois. Par dérision puis par plaisir : les yeux de Maria,<br />

son sourire, étai<strong>en</strong>t plus vifs quand elle ne portait pas<br />

son propre nom.<br />

Pour Tove, la ville de Kiruna était alors et demeure<br />

<strong>en</strong>core un mystère <strong>complet</strong>. Élevée dans le Sud de la<br />

Suède, elle attache au Nord un <strong>en</strong>vieux et détestable<br />

vertige, qui se sublime <strong>en</strong> plaisir quand elle prononce<br />

le mot Kiruna.<br />

Tous les Scandinaves p<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t au Nord, mais Tove,<br />

obsédée par son <strong>en</strong>vie de Sud, l’avait jusque-là occulté.<br />

Qu’il ressurgisse au poste frontière de Dakawa lui<br />

a presque fait perdre l’équilibre. Tove née <strong>en</strong> Suède,<br />

partie à l’âge de dix-huit ans pour le Sud, l’Afrique, le<br />

Pacifique, l’Asie, l’Afrique, rattrapée par le Nord...<br />

Maria avait fait le chemin inverse. Née à Kiruna<br />

puis élevée dans une mission luthéri<strong>en</strong>ne <strong>en</strong> Afrique,<br />

elle était remontée l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t. En partant de l’âge de<br />

seize ans et <strong>en</strong> arrivant… à la disparition <strong>en</strong> Laponie.<br />

Les g<strong>en</strong>s trouv<strong>en</strong>t bizarre que Tove veuille retrouver<br />

Maria, juste <strong>en</strong> vertu de ce croisem<strong>en</strong>t.<br />

Pour Tove, le voyage pour la Suède était simplem<strong>en</strong>t<br />

le retour. Elle ne l’a aimé que par la grâce<br />

admirable qu’y mettait Maria. Tove s’est arrêtée dans<br />

le Götaland. Maria a continué, les yeux brillants. Elle<br />

voulait voir le Nord, et le s<strong>en</strong>tait déjà. Sa dernière<br />

14 15


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

carte était postée de Gällivare, à quelque c<strong>en</strong>t kilomètres<br />

de Kiruna.<br />

Pourquoi ? Pourquoi disparaitre au terme de tout<br />

ceci ?<br />

*<br />

La vieille arrose une plante aux feuilles très épaisses<br />

et dont Tove ne retrouve plus le nom. Une plante<br />

très pratique pour espionner les voisins depuis sa<br />

cuisine. Très répandue <strong>en</strong> Suède. Sa mère <strong>en</strong> avait<br />

trois sur le rebord de la f<strong>en</strong>être. Comm<strong>en</strong>t s’appell<strong>en</strong>t-elles<br />

? La vieille dame repose l’arrosoir.<br />

- La vie des fleurs est une chose merveilleuse.<br />

Vous ne trouvez pas ? Ma cousine, qui vit dans le<br />

Sud-Ouest, m’a dit qu’il y <strong>en</strong> avait déjà beaucoup.<br />

Vous avez déjà des fleurs, et nous on continue de<br />

pêcher dans la glace. C’est magnifique, vous ne trouvez<br />

pas ?<br />

- Oui.<br />

Tove touille son café. Elle ne l’a pas sucré, mais<br />

elle doit faire disparaitre cette flaque d’écume. C’est<br />

du café électrique rassis. Tove aurait préféré du Kafé,<br />

dont le marc continue d’agacer la langue et la d<strong>en</strong>t,<br />

le café qu’on dit grec <strong>en</strong> Grèce et serbe <strong>en</strong> Serbie,<br />

mais que les Lapons pratiqu<strong>en</strong>t depuis près de deux<br />

siècles.<br />

- Vous v<strong>en</strong>ez d’où exactem<strong>en</strong>t ?<br />

16<br />

Kiruna<br />

- De Göteborg.<br />

C’est faux, mais Tove n’est pas là pour parler d’elle.<br />

Elle a réservé une chambre dans la même p<strong>en</strong>sion<br />

que Maria pour parler de Maria. Malheureusem<strong>en</strong>t,<br />

la vieille ne se souvi<strong>en</strong>t plus de la jeune femme. Du<br />

moins le prét<strong>en</strong>d-elle. En revanche, elle se souvi<strong>en</strong>t<br />

très bi<strong>en</strong> de cet article. Il y a quelques semaines, à<br />

la fonte des neiges, une jeune fille a été retrouvée<br />

morte, figée dans un pan de glace. « Peut-être étaitce<br />

ton amie ? » Non, malheureusem<strong>en</strong>t, elle n’a pas<br />

gardé l’article.<br />

La télévision résonne dans l’autre pièce. Un jeu<br />

de questions. Des candidats habillés de façon homogène.<br />

Un prés<strong>en</strong>tateur très vieux, ressemblant à un<br />

homme politique ou à un éleveur de chi<strong>en</strong>s.<br />

La vieille ne parle plus. Peut-être regarde-t-elle<br />

l’écran par-dessus l’épaule de Tove. Ou la f<strong>en</strong>être <strong>en</strong>core<br />

au-dessus, crénelée d’autres plantes grasses.<br />

On vi<strong>en</strong>t de sortir plusieurs pains du four. Ils sont<br />

plats et délicieux. Ronds. Un peu sucrés. Tove n’<strong>en</strong> a<br />

jamais gouté d’aussi bons.<br />

Elle tourne la tête pour t<strong>en</strong>ter de voir où mène le<br />

regard de son hôtesse. Derrière la f<strong>en</strong>être, derrière<br />

les plantes, se ti<strong>en</strong>t un homme pâle, très pâle malgré<br />

le soleil pascal. Il ti<strong>en</strong>t un pic et un seau. Ses mains<br />

sont nues et sales.<br />

- C’était… C’était un mineur ?<br />

17


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

La vieille fronce les yeux vers l’écran de télévision.<br />

- Qui ?<br />

- Non, pas à la télé (une publicité pour de l’huile<br />

de moteur). Dehors.<br />

- Je n’ai ri<strong>en</strong> vu. Les mineurs ne cour<strong>en</strong>t plus les<br />

rues. Depuis Grop<strong>en</strong>.<br />

- Grop<strong>en</strong> ?<br />

- Le trou.<br />

*<br />

La Kilk<strong>en</strong>ny Inn est l’un des deux hôtels de Gällivare,<br />

et son seul pub. Ri<strong>en</strong> de très local. Hôtels et<br />

pubs sont arrivés très tard <strong>en</strong> Suède, et n’ont pas<br />

<strong>en</strong>core pénétré le Norrland.<br />

Tove monte l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t l’escalier aveugle qui mène<br />

au pub.<br />

Aucune femme. Cinq hommes très saouls gigot<strong>en</strong>t<br />

près du bar et agac<strong>en</strong>t un groupe de trois<br />

Iraki<strong>en</strong>s papotant autour d’un café. Un homme plus<br />

ravagé que les autres sirote un whisky. Gilet de cuir,<br />

santiags, teint rouge et yeux mouillés. Tove pr<strong>en</strong>d<br />

place sur une banquette de diner américain, formant<br />

une petit alcôve. Le syncrétisme transatlantique de<br />

l’<strong>en</strong>droit l’amuse.<br />

18<br />

Kiruna<br />

Que fait-elle ici ? Le Nord, sa tristesse, son inadéquation<br />

la glac<strong>en</strong>t. Les roches plates et les récifs<br />

doux de l’ile de Tjörn lui manqu<strong>en</strong>t. Et plus <strong>en</strong>core<br />

ses longues marches dans le désert du Tibesti.<br />

L’homme au whisky se lève tandis qu’elle regarde<br />

avec effroi la mousse très mince qui fuit déjà de sa<br />

Guinness mal tirée. L’homme agrém<strong>en</strong>te sa mâchoire<br />

d’un harmonica, s’assoit sur un tabouret de comptoir<br />

et pose une guitare assez laide sur sa cuisse. Un<br />

troubadour. Il ne manquait plus que ça. La bière est<br />

trop acide et le premier standard de folk américain<br />

annoné, expiré, trop triste, trop fort et agrém<strong>en</strong>té<br />

d’un atroce acc<strong>en</strong>t suédois. Tove croit reconnaitre les<br />

mots « voiture » et « chi<strong>en</strong> ». Ou bi<strong>en</strong> est-ce « cicatrice<br />

» et « brouillard » ?<br />

La barmaid s’<strong>en</strong>nuie. Elle repousse une mèche mal<br />

coupée et les assauts des cinq hommes avec la même<br />

attitude de princesse agonisante. Son tour v<strong>en</strong>u, Tove<br />

l’interroge sur Maria, mais ne reçoit que de grands<br />

yeux vides, très longuem<strong>en</strong>t plongés dans les si<strong>en</strong>s.<br />

Tove se rassoit. Des larmes lui vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t au bord<br />

des paupières : pourquoi disparaitre ici ? Pourquoi la<br />

faire v<strong>en</strong>ir à Malmberget ?<br />

Malmberget est le nom de la commune att<strong>en</strong>ante<br />

à Gällivare, sur laquelle est bâti l’hôtel. La ville historique<br />

de Gällivare, laminée par Grop<strong>en</strong>, a été séparée<br />

<strong>en</strong> deux : les mines de Malmberget d’un côté, les<br />

19


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

quartiers résid<strong>en</strong>tiels de l’autre, dans ce qui resta<br />

Gällivare. Peu à peu, une vie parallèle a insufflé les<br />

deux communes et les mines, après avoir achevé de<br />

saper le sol et d’élargir Grop<strong>en</strong>, se sont fermées. Les<br />

deux communes, ne sont plus aujourd’hui que deux<br />

villes sœurs, séparées par un gouffre aberrant de cinq<br />

c<strong>en</strong>ts mètres de long, deux c<strong>en</strong>t cinquante mètres de<br />

large et autant de profondeur.<br />

« Aussi profond que la Tour Eiffel », lui a dit la<br />

vieille, qui n’est jamais allée à Paris.<br />

Les mines ont comm<strong>en</strong>cé de grignoter la montagne<br />

<strong>en</strong> 1888. On a tant excavé que la terre s’est<br />

ouverte, l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t dans les années tr<strong>en</strong>te, dramatiquem<strong>en</strong>t<br />

à partir des années cinquante. Depuis,<br />

les habitants regard<strong>en</strong>t le sol s’effondrer sous leurs<br />

pieds.<br />

Sa logeuse a expliqué à Tove que Grop<strong>en</strong> avait<br />

mangé le quartier de son <strong>en</strong>fance. Petite, elle habitait<br />

près d’un cinéma et d’un petit café qui n’exist<strong>en</strong>t<br />

plus. Elle a été évacuée trois fois.<br />

À la demande de Tove, la vieille l’a conduite au<br />

bord du gouffre.<br />

« Il est possible que ton amie se soit perdue <strong>en</strong><br />

l’explorant. On disparait beaucoup dans le gouffre.<br />

Moi je dis, si ce n’est pas la montagne, c’est le<br />

trou. »<br />

20<br />

Kiruna<br />

C’est à peu près l’avis de la police, que Tove a<br />

consultée sans trop y croire. Maria a disparu. Ça arrive<br />

tout le temps. C’était peut-être cette touriste retrouvée<br />

dans la glace il y a deux semaines. Sans doute gelée <strong>en</strong><br />

hiver. Ou bi<strong>en</strong> elle est dans le trou, mais personne<br />

n’ira la chercher, vous êtes folle.<br />

Grop<strong>en</strong>.<br />

La vue était fabuleuse. La lumière ricochait de<br />

pierre <strong>en</strong> pierre, sans s’assouvir, et jusqu’à disparaitre,<br />

dans un noir si profond qu’il aurait pu être<br />

un pelage de phoque. Plus loin, Gällivare s’ét<strong>en</strong>dait,<br />

dragon lumineux aux pieds baignés de somptueuses<br />

veines lactées. Les rivières de Lule et Råne.<br />

Hypnotisée, Tove s’est alors dit qu’elle n’aurait jamais,<br />

jamais pu supporter de vivre ici.<br />

*<br />

Les cinq hommes ont fini d’agacer les trois immigrés<br />

et se sont écroulés, fronts contre table. Tove<br />

s<strong>en</strong>t le mom<strong>en</strong>t de partir.<br />

Elle se dirige vers la barmaid.<br />

- Combi<strong>en</strong> ?<br />

- 35 couronnes.<br />

- Voilà.<br />

- Au sujet de Maria Stålnacke… Je suis désolée<br />

pour tout à l’heure. Je la connaissais <strong>en</strong> fait.<br />

- Elle est v<strong>en</strong>ue ici cet hiver ?<br />

21


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

- Non, mais elle donnait des cours de théâtre à<br />

mon collège.<br />

- Tu es <strong>en</strong>core au collège ?<br />

- Bi<strong>en</strong> sûr que non. C’était il y a cinq ans.<br />

- Maria était déjà rev<strong>en</strong>ue <strong>en</strong> Suède ?<br />

- Comm<strong>en</strong>t ça « rev<strong>en</strong>ue » ? Elle était de Gällivare.<br />

- Je… Pardon. Elle m’avait dit qu’elle avait été<br />

élevée <strong>en</strong> Afrique.<br />

- Pas du tout. Je crois qu’elle est née à Kiruna<br />

mais elle a grandi ici. Ma demi-sœur la connaissait.<br />

Elles étai<strong>en</strong>t à la même école. Elles étai<strong>en</strong>t très amies.<br />

Elles sont dev<strong>en</strong>ues bizarres vers quatorze ans. Elles<br />

ont fait une fugue et sont desc<strong>en</strong>dues dans le Sud.<br />

Enfin, à Göteborg. Tu vi<strong>en</strong>s de là, non ? Ça s’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d<br />

à ton acc<strong>en</strong>t.<br />

- Oui. Enfin, de l’archipel à côté. Mais quand estelle<br />

partie <strong>en</strong> Afrique ? Parce que c’est là que je l’ai<br />

r<strong>en</strong>contrée.<br />

- Je n’<strong>en</strong> sais ri<strong>en</strong>. Je ne savais même pas qu’elle<br />

était partie <strong>en</strong> Afrique.<br />

- Mais… Personne ne semble la connaitre ici. Je<br />

ne compr<strong>en</strong>ds pas. La police p<strong>en</strong>se que c’est peutêtre<br />

la fille qu’on a retrouvée gelée, mais ils dis<strong>en</strong>t<br />

que c’était une touriste égarée ! Ils m’ont même laissée<br />

<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre qu’elle aurait pu simplem<strong>en</strong>t se perdre<br />

dans le trou et m’ont découragée de la retrouver !<br />

22<br />

Kiruna<br />

- Les g<strong>en</strong>s d’ici n’aim<strong>en</strong>t pas qu’on vi<strong>en</strong>ne fouiller.<br />

Et puis ils l’ont tous r<strong>en</strong>iée. Comme ma sœur. C’est<br />

débile. Je n’ai jamais le droit d’<strong>en</strong> parler à la maison.<br />

- Et tu sais où est ta sœur ?<br />

- Non. En fait, j’espérais que tu savais.<br />

- Et… C’est bi<strong>en</strong> Maria qu’on a retrouvée dans la<br />

glace, n’est-ce pas ?<br />

- Oui. Je suis désolée. Ils sont atroces, non ?<br />

Comme elle n’avait plus de famille, personne ne l’a<br />

id<strong>en</strong>tifiée. J’ai voulu le faire, mais la police a refusé<br />

mon témoignage. Ils ont dit qu’on n’était pas assez<br />

proches. Mais elle n’était proche de personne ! Ses<br />

par<strong>en</strong>ts sont morts dans un effondrem<strong>en</strong>t…<br />

Tove ne tira plus ri<strong>en</strong> de la serveuse. Elle lui dit<br />

simplem<strong>en</strong>t « au revoir » et se retira dans la remise,<br />

où elle alluma une insipide radio.<br />

V<strong>en</strong>dredi<br />

Kiruna n’est qu’à une heure de Malmberget. Une<br />

heure de phares dans les bois. Tove comm<strong>en</strong>ce à<br />

les aimer. Leurs ondes hypothermiques. Leur non-<br />

balancem<strong>en</strong>t de monolithes.<br />

Arrivée à l’orée de la gigantesque ville plate, qui<br />

s’étale comme un pays et scintille de titanesques asc<strong>en</strong>seurs<br />

miniers, Tove s’arrête et se gare. Au pied<br />

d’une longue falaise, un lac scintille. La glace fait du<br />

reflet une lumière pure, incolore.<br />

23


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

Sur la berge humide, des mères appell<strong>en</strong>t leurs<br />

<strong>en</strong>fants qui sillonn<strong>en</strong>t la glace : « Att<strong>en</strong>tion ! La couche<br />

est fine ! La glace est friable ! Restez près du<br />

bord ! »<br />

Tove regarde le sol blanc et innoc<strong>en</strong>t. Un vertige<br />

familier la pr<strong>en</strong>d. Elle voit des <strong>en</strong>fants flottant dans<br />

quelques eaux noires, sous la croute impavide, les<br />

yeux révulsés.<br />

Elle se souvi<strong>en</strong>t aussi de ces histoires terrifiantes<br />

d’<strong>en</strong>fants perdus, l’hiver, dans des labyrinthes de glace.<br />

Et qu’on retrouve au printemps, à la fonte inexplicable<br />

des glaces. À Pâques, leur cadavre figé dans une<br />

longue falaise blanche et qu’on regarde glisser à travers<br />

la couche de plus <strong>en</strong> plus fine. On n’ose pas le<br />

décrocher de peur de le démembrer par maladresse.<br />

Alors on att<strong>en</strong>d que la glace fonde petit à petit, par<br />

la plus étrange sublimation du regard. Enfin arrive le<br />

mom<strong>en</strong>t de le cueillir pour le mettre <strong>en</strong> terre.<br />

Quand elle était <strong>en</strong>fant, ces histoires de fonte<br />

morbide v<strong>en</strong>ues du Norrland la faisai<strong>en</strong>t trembler.<br />

Et maint<strong>en</strong>ant la voilà. Après avoir survécu au<br />

paludisme, à trois staphylocoques et une dys<strong>en</strong>terie,<br />

recraché le poison de deux scorpions et d’un serp<strong>en</strong>t…<br />

Tove monte vers la « falaise de Maria ». L’<strong>en</strong>droit<br />

où on l’a cueillie.<br />

Kiruna<br />

Le haut de ses cuisses fait une douleur qu’elle n’avait<br />

pas s<strong>en</strong>tie depuis des mois. Épuisée, elle regarde la neige,<br />

inlassablem<strong>en</strong>t, s’affaisser sous elle comme le ferait<br />

une colline de granit sous le pas d’un géant.<br />

Elle arrive <strong>en</strong>fin. Neige. Seul un bouquet maigre<br />

et congelé. Tove se hisse <strong>en</strong>core et dépose, à côté du<br />

bouquet, un gri-gri sombre. Maria le lui avait offert<br />

<strong>en</strong> Afrique. Elle le gardait toujours contre elle. Pourtant,<br />

une nuit, elle l’arracha à son cou transpirant, le<br />

porta jusqu’à ses lèvres et le mit finalem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre les<br />

mains de Tove. Tu me le r<strong>en</strong>dras à l’occasion.<br />

Tove s’affaisse laborieusem<strong>en</strong>t, dos contre la paroi.<br />

Assise dans la neige, à côté d’elle, une femme<br />

triplem<strong>en</strong>t vêtue d’anoraks bleus et rouges balance<br />

son buste contre le crâne bonneté d’un <strong>en</strong>fant, à la<br />

façon des cynocéphales d’Afrique de l’Est. Des singes<br />

vêtus de parkas, <strong>en</strong>foncés dans la mousse neigeuse…<br />

La vie humaine pr<strong>en</strong>d de drôles de formes.<br />

Harassée de soleil, Tove se débarrasse de son anorak.<br />

Elle relève une manche et applique son avantbras<br />

nu, duveté d’un blond profond, sur un molleton<br />

de neige. Elle s<strong>en</strong>t la brulure, familière des sorties<br />

de sauna, puis ri<strong>en</strong>. La pelure exacte de sa peau se<br />

referme sur celle de la montagne.<br />

Kiruna.<br />

24 25


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

Clair obscur<br />

Jean-Yves Kervevan<br />

Sur ton coeur, tu serrais cette tache, une lueur<br />

pâle. Tu la cachais plutôt, car il n’est jamais bon pour<br />

un m<strong>en</strong>diant d’arborer cela sur son coeur. Enfant<br />

audacieux, tu te dissimulais poitrine nue, assis <strong>en</strong><br />

plein crépuscule sur le boulevard aux mille passants<br />

aveugles. Personne d’ailleurs, dans la cité, ne semblait<br />

s’intéresser à toi. Sauf l’infection sournoise, obstinée,<br />

qui te rongeait peu à peu de l’intérieur.<br />

Tu connus la brulure mordante et l’insatiable<br />

appétit de ce feu qui dévore. La tache grandit sans<br />

cesse, s’ét<strong>en</strong>dit <strong>en</strong>core et <strong>en</strong>core. Tu savais ta fin proche,<br />

tandis que ton corps malade pr<strong>en</strong>ait l’appar<strong>en</strong>ce<br />

d’une luciole étrangem<strong>en</strong>t blanche. L<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t, tu<br />

t’affaissas. Peu à peu tu te laissas glisser sur le sol, où<br />

ta chair se consumerait <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t, ne laissant à cet<br />

<strong>en</strong>droit qu’un misérable petit tas de c<strong>en</strong>dre. Que cette<br />

infâme lumière t’embrase donc tout <strong>en</strong>tier ! Qu’elle<br />

27


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

t’emporte et efface pour toujours ta pauvre carcasse<br />

d’<strong>en</strong>fant mal né !<br />

Mais certains ne s’arrêtai<strong>en</strong>t-ils pas déjà, sortant<br />

de ce que tu avais pris pour de l’indiffér<strong>en</strong>ce et qui<br />

n’était <strong>en</strong> fait qu’une feinte ? Ils s’approchai<strong>en</strong>t de<br />

toi, pr<strong>en</strong>ant pitié, v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t se chauffer à ta flamme<br />

vacillante, presque morte. Les plus hardis se postai<strong>en</strong>t<br />

déjà si près de ce qui avait été toi, alliés de ta<br />

faiblesse, et certains esquissai<strong>en</strong>t même des gestes<br />

d’oiseaux quelque peu rassurants ! Ces charognards,<br />

<strong>en</strong> fait, reluquai<strong>en</strong>t tes yeux, ton v<strong>en</strong>tre, ta gorge<br />

si g<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t offerte ! Leurs serres s’ouvrai<strong>en</strong>t et<br />

se fermai<strong>en</strong>t dans une conversation ridicule, leurs<br />

mâchoires calculant dans le vide des trajectoires<br />

franchem<strong>en</strong>t répugnantes !<br />

Tu crus mourir alors, tandis que la claire lumière,<br />

réveillée dans sa gloire la plus affreuse, t’embrasait<br />

tout <strong>en</strong>tier. Mais les monstres ne t’effleurèr<strong>en</strong>t même<br />

pas, et tes flancs ne fur<strong>en</strong>t jamais sauvagem<strong>en</strong>t déchirés.<br />

Tes bras, tes jambes et ton buste, bi<strong>en</strong> que<br />

réduits à l’état de charbon, se soumir<strong>en</strong>t <strong>en</strong> offrande<br />

et contre toute att<strong>en</strong>te, au rite d’une résurrection !<br />

Tu avais s<strong>en</strong>ti une énergie nouvelle t’<strong>en</strong>vahir, te traverser<br />

de part <strong>en</strong> part comme une épée de lumière,<br />

grimper <strong>en</strong> toi de vertèbre <strong>en</strong> vertèbre <strong>en</strong> suivant un<br />

axe vertical, jusqu’à ton crâne ! Puis, elle avait jailli,<br />

pris la forme jolie d’une sphère d’or tout autour de ta<br />

Clair obscur<br />

tête ! Dans un étrange hoquet, un petit peu comme si<br />

tu te vomissais toi-même, tu t’étais alors s<strong>en</strong>ti r<strong>en</strong>aitre<br />

à la vie ! Ta tête, gonflée tel un ballon de baudruche,<br />

avait soulevé de terre ton corps obscur, tout calciné<br />

de mort ! Les oiseaux de proie te vir<strong>en</strong>t grandir, <strong>en</strong>trainé<br />

vers le ciel par la force invisible ! Tu t’élevais<br />

au-dessus d’eux, épouvantés, qui reculai<strong>en</strong>t. Et ce fut<br />

comme un grand croassem<strong>en</strong>t d’effroi quand ta tête<br />

se détacha, semblable à un oeuf pansu, auréolé de<br />

lumière, pour s’élever vers les très hautes sphères !<br />

Ta tête s’<strong>en</strong> fut, laissant choir ton corps noir sur ceux<br />

qui, voyant cette ombre s’abattre sur eux, fir<strong>en</strong>t le<br />

choix de mourir.<br />

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Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

Cubes<br />

Jérôme Boulbès<br />

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Traverses, livre <strong>voyageur</strong>


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Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

L’att<strong>en</strong>te<br />

Jean-Yves Kervevan<br />

C’est le bloc des condamnés. La vieille femme le<br />

sait et elle att<strong>en</strong>d. Ici, cela fait p<strong>en</strong>ser à une gare de<br />

triage, avec tous ces lits attachés à la queue-leuleu qui<br />

gliss<strong>en</strong>t sur des rails. Ils sont ori<strong>en</strong>tés, à l’heure du<br />

trépas, vers la grande bouche noire du tunnel c<strong>en</strong>tral.<br />

Les lits sont attachés <strong>en</strong>semble, au jugé, c’est-à-dire<br />

<strong>en</strong> fonction du “passage” plus ou moins immin<strong>en</strong>t<br />

de leurs occupants. Deux infirmières se charg<strong>en</strong>t de<br />

la corvée, graiss<strong>en</strong>t les roues, vérifi<strong>en</strong>t les courbes de<br />

température, réajust<strong>en</strong>t sans cesse les goutte-à-goutte,<br />

car ne convi<strong>en</strong>t-il pas de garder à chaque train<br />

de marchandises son homogénéité ? Cela garantit la<br />

beauté du synchronisme dans la mort.<br />

Souv<strong>en</strong>t, les drogueurs d’État visit<strong>en</strong>t les moribonds.<br />

Surtout afin de les distraire et de les rassurer.<br />

Affublés de nez rouges chatoyants et v<strong>en</strong>us de nulle<br />

part, ils ouvr<strong>en</strong>t aux chevets, et comme par <strong>en</strong>chan-<br />

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Traverses, livre <strong>voyageur</strong>


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

tem<strong>en</strong>t, leurs pharmacies portatives. Ainsi sont élues<br />

les formules chimiques du jour. Les drogues multicolores<br />

jailliss<strong>en</strong>t alors des mallettes, comprimés<br />

magiques parfaitem<strong>en</strong>t inoff<strong>en</strong>sifs. Nous savons<br />

<strong>en</strong> effet que ces médicam<strong>en</strong>ts sont heureusem<strong>en</strong>t<br />

périmés, et donc presque sans danger pour la santé<br />

capricieuse de nos agonisants.<br />

Le petit tube de liquide orange serré <strong>en</strong>tre ses mâchoires<br />

éd<strong>en</strong>tées, la vieille femme att<strong>en</strong>d. Elle caresse<br />

de son index tordu par l’âge un angle de l’oreiller.<br />

Ses draps sont souillés, sa mine cadavérique. Elle est<br />

si pâle et décharnée. Ses grands yeux bleus, comme<br />

deux pierres transpar<strong>en</strong>tes, flott<strong>en</strong>t dans des orbites<br />

trop caves. Ce regard si clair fixe la perfusion susp<strong>en</strong>due<br />

à la tête de son lit. Quelques petites bulles<br />

d’air y sont <strong>en</strong>core visibles, collées contre la paroi du<br />

bocal de verre. Bulles presque immatérielles, <strong>en</strong>core<br />

plus insaisissables que ne le sont les grains du sablier,<br />

<strong>en</strong>tre nos doigts impati<strong>en</strong>ts. Parfois, l’une d’<strong>en</strong>tre<br />

elles se détache, monte gracieusem<strong>en</strong>t vers le haut<br />

du bocal, s’élève, légère, <strong>en</strong> suivant une trajectoire<br />

<strong>en</strong> spirale<br />

Ne crèvera-t-elle donc jamais, cette paresseuse<br />

petite bulle ? Pas avant d’être arrivée à l’air libre,<br />

à la surface elliptique du liquide. Le récipi<strong>en</strong>t est<br />

d’ailleurs presque vide.<br />

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Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

58<br />

La mélopée funeste<br />

La mélopée funeste<br />

Catherine Deschamps<br />

À Hubert Cael,<br />

À Jean-Marie Jolibois,<br />

À pile ou face<br />

Officiellem<strong>en</strong>t, c’est l’<strong>en</strong>terrem<strong>en</strong>t du grand-père.<br />

La levée du corps à l’hôpital, et maint<strong>en</strong>ant l’étau se<br />

resserre. Nous sommes alignés aux premières loges<br />

dans l’église de ce village que je n’ai jamais compris,<br />

leur exil vers le néant, après la fin des notables. Ce<br />

hameau rejoint les vieux jours annoncés, avec la<br />

platitude de ses paysages pour exutoire d’opérette :<br />

plus tôt, la Lorraine chutait, des bouches d’égout<br />

finissai<strong>en</strong>t de se v<strong>en</strong>dre, un alliage avait été inv<strong>en</strong>té,<br />

abandonné contre une direction non pér<strong>en</strong>ne ; <strong>en</strong>core<br />

avant, des fastes industriels mettai<strong>en</strong>t la tête<br />

dans les nuages et des décharges d’adrénaline <strong>en</strong>dormai<strong>en</strong>t<br />

les retours de bâton.<br />

Dans la petite église à côté des t<strong>en</strong>nis au macadam<br />

ourlé, les sièges sont remplis à s’<strong>en</strong> frotter les hanches.<br />

Même l’arrière-banc où s’<strong>en</strong>tass<strong>en</strong>t l’épicier, la<br />

bouchère, le docteur chose, des femmes <strong>en</strong> tabliers<br />

59


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

gris, la flaque de l’affectation. À force de Paris, j’avais<br />

oublié cette foule pour saluer les morts dans les campagnes,<br />

ces mises <strong>en</strong> bouche <strong>en</strong> guise d’hommage,<br />

cette réjouissance macabre ; ils n’avai<strong>en</strong>t pas à chercher<br />

loin pour les t<strong>en</strong>ues austères. Du v<strong>en</strong>tre maternel<br />

au v<strong>en</strong>tre de la terre, ils n’ont jamais oublié. Certes,<br />

comme depuis quelques deuils la famille a r<strong>en</strong>oncé<br />

au vin d’honneur, ce sas <strong>en</strong>tre ceux qui s’invit<strong>en</strong>t et<br />

les élus de la douleur, tout à l’heure l’arrière-banc ne<br />

serait pas des agapes.<br />

Dans l’immédiat, ma grand-mère, ses <strong>en</strong>fants,<br />

leurs pièces rapportées, nous les derniers et les plus<br />

petits <strong>en</strong>core, les cousins, les vieilles tantes, quelques<br />

amis triés sur le volet ou la par<strong>en</strong>tèle éloignée, nous<br />

sommes au poulailler : vue privilégiée sur le cadavre,<br />

le bois <strong>en</strong> sandwich, les mille coquelicots <strong>en</strong> couverture,<br />

ces échardes qui ne sort<strong>en</strong>t plus.<br />

On se croirait sous l’Anci<strong>en</strong> Régime : nous, bi<strong>en</strong><br />

fringués au plus près du spectacle, et puis, derrière,<br />

un décresc<strong>en</strong>do dans la fierté du port, un relâchem<strong>en</strong>t<br />

vestim<strong>en</strong>taire, même cette <strong>en</strong>fant <strong>en</strong> blanc<br />

avachie, près du radiateur éteint.<br />

Il y a moins de vingt ans, moi aussi j’avais une chemise<br />

blanche sous la veste <strong>en</strong> flanelle, mes cheveux<br />

n’étai<strong>en</strong>t pas <strong>en</strong> bataille et j’ai réservé mes larmes.<br />

Devant le même autel, aux prémisses de leur petite<br />

La mélopée funeste<br />

mort, c’était le premier voyage que je r<strong>en</strong>onçais à<br />

vivre.<br />

La veille de la cérémonie religieuse, à mon habitude,<br />

j’ai refusé de voir le visage arrêté, ce visage étranger.<br />

La chaleur, nos bras dénudés, l’été chatoyant, un retour<br />

précipité de mon ile, cet égoïsme qui parfois me<br />

protège… j’ai préféré compter fleurette à l’herbe folle<br />

du jardin, ne pas anticiper, ne ri<strong>en</strong> réaliser ; il serait<br />

bi<strong>en</strong> trop tôt.<br />

À quoi bon papi sur la plaque de métal, l’embaumeur<br />

qui donne mal le change, l’odeur comme <strong>en</strong><br />

classe de terminale, quand malgré les études sci<strong>en</strong>tifiques<br />

j’étais exemptée pour cause de vapeurs, petite<br />

dame aux camélias de pacotille. À quoi bon, aussi,<br />

les couloirs blancs de l’hôpital, les talons et leurs<br />

cliquetis, les démarches empotées pour estomper le<br />

bruit, les affiches sans intérêt sur les murs, les dangers<br />

du tabac, les mille et un dépistages, les sièges <strong>en</strong><br />

moleskine, les magazines qui train<strong>en</strong>t, la distraction<br />

<strong>en</strong> vrille.<br />

Depuis la mort de mon père, dans la famille,<br />

j’étais toujours la seule à faire bande à part. Il faut<br />

dire qu’ils l’avai<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> cherché : la cabale pour me<br />

protéger, ne pas me dire la maladie, trop jeune paraitil.<br />

Et puis, ce refus de me laisser voir quand ses joues<br />

devinr<strong>en</strong>t trop creuses, le jeu de petit cheval avec ma<br />

cousine, quand ils savai<strong>en</strong>t déjà. Le coup de fil <strong>en</strong>fin,<br />

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Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

et seul mon grand-père dont j’acceptais les bras. Des<br />

bornes ailleurs, maman qui avait t<strong>en</strong>u la main de son<br />

mari lors du dernier souffle, maman trop loin de moi<br />

ce jeudi noir. Elle et son emphase, parce que ses peines<br />

avai<strong>en</strong>t la légitimité du charnier : mes casseroles<br />

jusqu’à la délivrance, bi<strong>en</strong>tôt, et le droit à l’erreur, à<br />

la mauvaise foi, à faire croire que j’aime plus fort,<br />

que mes colères ont leur place, que les autres ont<br />

forcém<strong>en</strong>t tort.<br />

Mais à l’époque, papa était pour des lustres sans<br />

déconfiture, moi toujours dans la maint<strong>en</strong>ance.<br />

L’école et leur pitié que je méprisais, ta mort que<br />

je leur cachais ; la boulimie de rires, les portes de<br />

ma mère franchies ; ce fils de médecin, amoureux<br />

pour les larmes que je n’ai pas eues, à la messe il y a<br />

longtemps ; d’autres, mal à l’aise pour l’ét<strong>en</strong>dard que<br />

je ne portais pas. L’orgueil, cette devise familiale que<br />

j’avais faite mi<strong>en</strong>ne, avant de mieux compr<strong>en</strong>dre.<br />

Et plus tard quand la fac, papa rev<strong>en</strong>ait immaculé,<br />

avec sa voix chaude lors de mes rêves éveillés. Il a<br />

fait son come-back dans les écouteurs de mon baladeur,<br />

<strong>en</strong>tre Versailles et la Sorbonne, Polytechnique<br />

que je n’avais pas fait, dans un train de banlieue,<br />

<strong>en</strong>tre Barbara, Nantes où il pleut, Au Petit Bonheur<br />

et son soleil, Janis Joplin et ses lords. Papa, rev<strong>en</strong>u<br />

d’outre-tombe comme je l’avais quitté, <strong>en</strong> pleine<br />

forme, me demandant des nouvelles et donnant son<br />

La mélopée funeste<br />

blanc-seing pour ma vie. Mon père, faisant fi d’une<br />

culpabilité plus tôt, une vague période délinquante,<br />

ça restait <strong>en</strong> famille. Non, ce n’était pas moi ; non, je<br />

ne l’avais pas tué. Que je sois douce avec sa femme,<br />

oui, d’accord. J’avais bi<strong>en</strong> réagi, quand ma mère a<br />

compris pour la maitresse des derniers temps. Que<br />

je me protège aussi, ça, je savais : le crin trop dur depuis<br />

ta mort pour ress<strong>en</strong>tir les <strong>en</strong>tailles, mon éternel<br />

refuge dans la distance.<br />

Papa, guilleret trois fois dans mes oreilles, deux<br />

petits tours et puis s’<strong>en</strong> vont. À nouveau le sil<strong>en</strong>ce<br />

ou Barbara, jusqu’à mon cri bi<strong>en</strong>tôt. Encore, je t’occulte,<br />

jusqu’à ce qu’<strong>en</strong>fin des os soi<strong>en</strong>t rongés sans<br />

transition.<br />

Quand même, au milieu de mon père et de son<br />

géniteur, ma marraine était morte et je l’avais vue :<br />

une horreur au fer forgée, comme la grille devant la<br />

maison, comme la rambarde de l’escalier, le temps<br />

de la métallurgie, le frisson le long de la colonne. Sa<br />

fille m’a fait v<strong>en</strong>ir pour garder ses yeux vierges. Il<br />

fallait auth<strong>en</strong>tifier sa mère, un cercueil à sceller, ma<br />

signature à aposer avant le départ pour Cythère.<br />

Je me souvi<strong>en</strong>s de cette inconnue, ce rose <strong>en</strong><br />

plaque, réparti par paquets sur la peau blafarde, des<br />

cils mal coiffés et du caca d’œil dans la glissière, la<br />

mâchoire <strong>en</strong> godille, ce tailleur <strong>en</strong> pied-de-poule où<br />

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Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

tu flottais, la bague de ton mari. Ma belle marraine,<br />

ce n’était plus toi, tu ressemblais à cette ancêtre que<br />

je n’aimais pas, tu ne m’as pas laissée de marbre. Mon<br />

<strong>en</strong>vie de vomir, avant d’acquiescer devant l’homme<br />

<strong>en</strong> noir. Après, il a refermé le couvercle et mis tant<br />

de cire pour t’interdire l’échappée belle.<br />

Et ta fille qui a voulu alpaguer mon regard de<br />

l’autre côté de la chambre jaune, le bord de la crise de<br />

nerf, ce gouffre <strong>en</strong>tre elle et moi. Ensuite, ces mots<br />

que je n’ai pas écrits pour sublimer, cette consci<strong>en</strong>ce<br />

dont je n’avais que faire.<br />

Depuis, on ne m’y a pas reprise. L’autruche a<br />

si beau plumage : bi<strong>en</strong>v<strong>en</strong>ue aux jeux de dupes, il<br />

est des croyances à cultiver, je préférais quand tu te<br />

murgeais. Je préférais ta viol<strong>en</strong>ce et ton amour mal<br />

embouché, ces excès qui t’ont tuée, cette dép<strong>en</strong>dance<br />

si visible qu’elle cachait celles des autres.<br />

Dans le fief estival, je me souvi<strong>en</strong>s nos sacoches<br />

de vélos pleines de billets à force de ton insouciance,<br />

tout cet arg<strong>en</strong>t jeté sur les toits de nos adolesc<strong>en</strong>ces,<br />

ta vie trop courte et le feu par les deux chandelles.<br />

Tes deux <strong>en</strong>fants que j’aime. Ce qu’ils ont pu garder<br />

de toi pour n’avoir pas vu l’étrangère.<br />

Alors, non, garder papi intact, maculé par la vie,<br />

celui que j’ai connu.<br />

La mélopée funeste<br />

P<strong>en</strong>ser aux os à moelle qu’il me donnait toujours<br />

; à nos bavardages qui l’agaçai<strong>en</strong>t quand nous<br />

étions petites, aux éclairs dans ses yeux lorsque plus<br />

tard le train hurlant de ses arrières-petits-<strong>en</strong>fants<br />

passait <strong>en</strong>tre ses jambes. Me souv<strong>en</strong>ir l’été dernier<br />

<strong>en</strong>core, quand il fut si glacial que le jeune homme<br />

<strong>en</strong> moto qui demandait à me voir n’a plus osé. Aussi<br />

ses paradoxes : mon Philippe, à qui il a ouvert le<br />

sésame <strong>en</strong> dépit des mauvaises réponses : artiste,<br />

sans rev<strong>en</strong>us réguliers, sans permis de conduire, sans<br />

par<strong>en</strong>ts à prés<strong>en</strong>ter, locataire… allez savoir pourquoi,<br />

papi l’aimait. Ma mère, dans la même veine : cette<br />

belle fille qu’il a protégée du mépris de la bourgeoisie<br />

malgré des origines pas comme il faut.<br />

P<strong>en</strong>ser à cette fois où il est v<strong>en</strong>u me voir sur un<br />

cheval rebelle, son amusem<strong>en</strong>t, le bouquet aux c<strong>en</strong>t<br />

roses qui masquait son visage et ses rires. Me souv<strong>en</strong>ir<br />

un Liban lointain, les seuls pleurs de sa vie<br />

quand la guerre à la télé française, les murs de la<br />

petite Suisse du Moy<strong>en</strong>-Ori<strong>en</strong>t qui se lézardai<strong>en</strong>t,<br />

une douceur de vivre qui partait <strong>en</strong> lambeaux, la<br />

métaphore de sa jeunesse explosée par les bombes<br />

du petit écran. Le Négus, une autre guerre avant, le<br />

mythe, <strong>en</strong>tre diplomatie et contre-espionnage, on<br />

s’<strong>en</strong>fonce, les héros modelés au gré des bribes qu’il<br />

<strong>en</strong> donnait. L’histoire moins reluisante aussi, un passage<br />

vers Vichy, avant la Résistance.<br />

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Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

Et puis cet au revoir qu’il a dit à la chi<strong>en</strong>ne sur<br />

notre ile, une semaine avant l’<strong>en</strong>terrem<strong>en</strong>t, juste<br />

avant l’ambulance pour l’Est. Cette larme que sa<br />

pudeur a maint<strong>en</strong>ue à l’abri des paupières. Ce « ma<br />

pauvre chérie » qu’il a dit <strong>en</strong> sourdine <strong>en</strong> serrant ma<br />

main fort. Cette phrase pour rassurer qu’il a servie à<br />

sa femme. La tristesse qui n’a pas crispé ses traits.<br />

***<br />

Au micro, le curé parle depuis trois minutes et je<br />

revi<strong>en</strong>s de mes errances. J’imaginais le Beyrouth de<br />

papi et voilà qu’il nous parle de Jérusalem. Il parait<br />

que mon grand-père y est allé trois fois, ce qui serait<br />

la preuve que, <strong>en</strong> dépit de l’agnosticisme qu’affichait<br />

monsieur le mort, il était sans doute plus titillé par la<br />

religion qu’il ne voulait bi<strong>en</strong> dire.<br />

De toute façon, l’homme <strong>en</strong> soutane affirme que,<br />

par sa vie, la chose dans la boite devant lui a gagné le<br />

paradis sans passer par la case purgatoire.<br />

Même avec ses ouvriers, souv<strong>en</strong>ez-vous, il a été<br />

si bon. Bi<strong>en</strong> sûr, ils l’appelai<strong>en</strong>t Nasser ; bi<strong>en</strong> sûr, les<br />

grèves quelques fois, et pour tout le monde la faillite<br />

à la fin. Mais toutes ces manifestations de peine de<br />

leurs veuves. Certes, sur les maris, l’amiante a fait<br />

effet plus tôt ; c’est vrai, l’hécatombe et papi <strong>en</strong> re-<br />

La mélopée funeste<br />

tard : à l’usine, les bureaux doiv<strong>en</strong>t mieux préserver<br />

que les hangars. À qui la faute, on ne savait pas.<br />

Et le curé de relater ces discussions avec papi, du<br />

temps de sa retraite. Ils t<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t salon à l’<strong>en</strong> croire, le<br />

village est si petit. Nul doute que le monsieur <strong>en</strong> robe<br />

tire son homélie de r<strong>en</strong>contres personnelles avec son<br />

invité du jour : je ne crois pas que, pour préparer la<br />

grand-messe, mes tantes ou ma grand-mère ai<strong>en</strong>t dit<br />

ces choses qu’il <strong>en</strong>rubanne. En tout cas, il est amusant<br />

cet homme de Dieu ! Avec ses <strong>en</strong>volées lyriques,<br />

il me donne le sourire à nous refaire l’histoire : de<br />

quoi nourrir la lég<strong>en</strong>de que je raconte certains matins<br />

devant ma glace.<br />

Au moins, balivernes ou pas, il met plus de baume<br />

sur mes p<strong>en</strong>sées flottantes que ces insupportables cérémonies<br />

laïques après les flammes du Père-Lachaise.<br />

La pilule passe mieux que ces morts du sida à la pelle<br />

des années 1990, lorsque nous défilions devant ces<br />

anci<strong>en</strong>s amis, réduits à la taille d’un cube qui ti<strong>en</strong>t<br />

dans la main, sans même faire semblant d’invoquer le<br />

supplém<strong>en</strong>t d’âme.<br />

Au moins, qui sait pour cette fois, qui sait pour<br />

tous les défunts : la portion congrue de la religion,<br />

ce mom<strong>en</strong>t où elle fait catharsis, du silex à croyance<br />

éphémère. Tant pis si ça ne dure pas, tant pis si les<br />

doutes afflu<strong>en</strong>t pour le meilleur ou pour le pire le<br />

reste du temps. Je veux la litanie et des chants pour<br />

66 67


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

une heure. Je veux mon grand-père <strong>en</strong> format réel<br />

dans son écrin de bois.<br />

D’ailleurs, papi aussi semble satisfait. Je suis la<br />

seule qui te vois faire la malle.<br />

À mes côtés, ma mère porte discrètem<strong>en</strong>t le<br />

mouchoir, la sœur ainée de mon père t<strong>en</strong>te d’être<br />

aussi digne que d’habitude, une grand-tante ti<strong>en</strong>t le<br />

coude de la veuve, ma cousine a l’air prisonnière de<br />

son monde, son frère calme le nouveau né : les petits<br />

pouss<strong>en</strong>t les anci<strong>en</strong>s, n’a-t-il pu s’empêcher de dire.<br />

Et papi sort de sa boite, son abs<strong>en</strong>ce de regard<br />

pour le velours rouge, les coquelicots qu’il range <strong>en</strong><br />

tas : ça doit te rappeler le grand garage où tu étais<br />

seul maitre, le balai que tu y passais pour éviter que<br />

mamie fourre son nez.<br />

Tu vi<strong>en</strong>s vers moi et tu me pr<strong>en</strong>ds la main. Nous<br />

sortons tous les deux et ils sont aveugles. Avant d’atteindre<br />

la porte cloutée, tu regardes derrière : papa<br />

et un inconnu ont pris ta place, tu sembles satisfait.<br />

Leurs silhouettes un peu floues se partag<strong>en</strong>t le cercueil.<br />

À la queue leu leu, ils sont debout et tourn<strong>en</strong>t<br />

le dos aux premiers rangs et à l’arrière-banc.<br />

Comme toi, ils ont un long costume noir à rayures,<br />

comme toi et moi, personne ne les voit, chacun à son<br />

chagrin qu’il ne faut pas répandre : les pleureuses, ce<br />

n’est pas chez nous, hélas peut-être.<br />

La mélopée funeste<br />

Dans une ponctuation trop longue, on pourrait<br />

croire que le prêtre te fait un signe, son œil complice<br />

de l’imaginaire. Quand ses mirettes épingl<strong>en</strong>t la boite,<br />

c’est net, il sourit à papa. Il parait ignorer le dadais à<br />

la mèche <strong>en</strong> vadrouille qui a aussi pris place.<br />

Ensuite, les gonds ne grinc<strong>en</strong>t pas, le vert de<br />

l’herbe rétrécit la pupille. Sous le soleil de plomb, tu<br />

es comme dans un conte, plus grand que tu n’étais,<br />

plus mince sauf depuis le cancer. Tu me pinces et<br />

c’est vrai. Sur la tombe pleine de mousse, au seuil<br />

du parvis minuscule, nous posons toutes nos fesses.<br />

Dans tes mains, tu pr<strong>en</strong>ds l’ovale de mon visage, la<br />

madone à l’<strong>en</strong>fant à l’<strong>en</strong>vers, cette douceur que tu<br />

oses <strong>en</strong>fin.<br />

Le chi<strong>en</strong> de papa, déjà mort et déjà remplacé,<br />

vi<strong>en</strong>t se coucher à nos pieds. Il revi<strong>en</strong>t comme il y<br />

a vingt ans, lors de sa fugue, la seule fois où il ne t’a<br />

plus obéi pour s’étaler sur le marbre sombre.<br />

Alors, le monde à rebours. Déjà tout près, qui va<br />

maso va sado. Une histoire d’accid<strong>en</strong>t, je l’avais presque<br />

oubliée.<br />

Maman conduisait. Dans la voiture, les plus petits<br />

gamins et moi à la place du mort, un voyage vers le<br />

service de cancérologie, la route et le croisem<strong>en</strong>t, <strong>en</strong><br />

théorie une priorité à droite, un camion qui freine<br />

68 69


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

mais cache la vue, une moto invisible qui le double,<br />

un choc et un corps par dessus le pare-brise, une glissade<br />

à n’<strong>en</strong> plus finir dans le champ de betteraves, la<br />

voiture de maman <strong>en</strong>foncée ; nous tous, ahuris mais<br />

sans mal, la peur de l’avoir tué, puis un point noir<br />

qui se lève, un motard qui revi<strong>en</strong>t vers nous. Après,<br />

le stroboscope se calme. La procession des voitures<br />

familiales se gare sur le bas-côté, des par<strong>en</strong>ts repr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />

leurs <strong>en</strong>fants sans autre compassion, ma mère<br />

et le constat, moi avec tante Agathe. C’était deux<br />

heures avant l’église ; l’auto à la mine.<br />

La suite du rebrousse poil, quelques années plus<br />

tôt : Marraine bis repetita, le téléphone qui gueule;<br />

l’alcool a fini par te flinguer. La veille, ma mère,<br />

toujours elle, s’était fait voler une citadine. En ces<br />

temps-là, la tôle ne s’est pas froissée : elle s’<strong>en</strong>trainait<br />

à devancer la mort.<br />

Sur une route de France pourtant, un ixième départ<br />

des plombes à reculons. Dans la carcasse broyée<br />

par le camion, un grand-oncle guillotiné, un cousin<br />

et ses jambes <strong>en</strong> coton, un couple qui ne s’<strong>en</strong> remet<br />

pas, l’indice des poupées russes de ferraille.<br />

Car papi appuie là où ça fait mal ; d’autres passés<br />

me fil<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre les doigts. Une affaire de métal<br />

<strong>en</strong>core, mais à plus grande échelle, la lame froide<br />

dans mon cou. Ces morts à perte de vue, avant<br />

La mélopée funeste<br />

la fin de mes prémonitions. Celle d’un grand-père<br />

par alliance, versant maternel : il s’appelait Hubert.<br />

Petite, j’aimais s<strong>en</strong>tir ses muscles et son odeur de<br />

sueur. Avec des tiges de fer volées à l’atelier et des<br />

bouts de bois qu’il sculptait, il me faisait de belles<br />

petites voitures à roulette, ces cadeaux bricolés par<br />

le manque d’arg<strong>en</strong>t, oubliés dans une déchèterie de<br />

l’Est quand mes par<strong>en</strong>ts ont gagné Paris.<br />

Il était le mari de ma grand-mère populaire, celle<br />

du tablier blanc et de la révér<strong>en</strong>ce les dimanches où<br />

mon père v<strong>en</strong>ait s’assoir à sa table <strong>en</strong> formica. Il était<br />

le beau-père de maman, un ouvrier dans l’usine de<br />

papi, une des nombreuses offrandes à l’amiante. Il a<br />

fabriqué tant d’alliages nocifs <strong>en</strong>tre deux jouets pour<br />

<strong>en</strong>fant gâtée, tant de plaques d’égout pour couvrir<br />

les bas-fonds. Sur son visage d’antan, un eczéma rugueux<br />

le marquait à vie. Une maladie sans domicile<br />

fixe a fini par trouver le chemin de sa tombe.<br />

Lorsqu’une saison après Hubert papa mourait, au<br />

pot après l’office il y a aussi eu cet homme vu ni<br />

d’Ève ni d’Adam. Sa mèche faisait colimaçon sur le<br />

haut d’un crâne dégarni ; déjà, il portait un costume<br />

à rayures. C’était le sas avant les agapes, la plupart<br />

des visages mal connus, et lui qui vi<strong>en</strong>t m’embrasser<br />

comme si depuis toujours. J’avais treize ans et j’ai demandé<br />

à ma mère. Ce grand monsieur était son père,<br />

70 71


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

celui du sang, celui d’une grand-mère <strong>en</strong> soubrette,<br />

celui d’un divorce et d’une nouvelle femme si jeune,<br />

celui qui s’est planqué pour ne pas voir mon père, le<br />

fils du patron. Ce grand-père, découvert sur le tard,<br />

construisait des ponts au nom des architectes. Il était<br />

le roi de la sous-traitance et de la tête haute, l’orgueil<br />

espiègle malgré sa crainte que l’acier ne cède lors des<br />

tempêtes.<br />

Dans les années qui suiv<strong>en</strong>t, il m’a appris à jouer<br />

aux échecs. Quelques printemps chez lui, je croyais<br />

dev<strong>en</strong>ir communiste. À défaut de ma mère, je me<br />

souvi<strong>en</strong>s pour elle. Bâtarde de vos mélanges, j’appelle<br />

ton père par son prénom. Il refuse de grandir ou<br />

notre par<strong>en</strong>té ; il ne fera pas le deuil de la Lorraine.<br />

Mais comme papa, il m’a lâchée, trois petits tours<br />

et puis fini. Il est toujours vivant, sans moi dans sa<br />

brousse, ses chats hargneux pour compagnie, sa<br />

jeune épouse qui s’est lassée, son mal de dire qu’il<br />

nous aimait.<br />

Merci, papi, de me le r<strong>en</strong>dre pour faire la nique.<br />

Le curé a raison, tu vas gagner le ciel. Bi<strong>en</strong> sûr qu’il<br />

ne pouvait pas voir l’inconnu dans ton cercueil : il<br />

n’a pas <strong>en</strong>core frappé chez saint Pierre.<br />

***<br />

72<br />

La mélopée funeste<br />

Après, bi<strong>en</strong>tôt le glas : branle-bas de combat à<br />

l’intérieur de l’église, les portes s’ouvr<strong>en</strong>t à la volée,<br />

la rouille jette du perlimpinpin.<br />

Mon grand-père, au passage du cercueil, rejoint<br />

son fils. Il ti<strong>en</strong>t sa main et agrippe mon regard. Je<br />

dois v<strong>en</strong>ir, d’autres premières loges. Comme je résiste,<br />

papi <strong>en</strong>jambe le velours à nouveau. Il pr<strong>en</strong>d papa<br />

dans ses bras, qui s’effrite et qui tombe ; il pr<strong>en</strong>d mes<br />

lunettes pour bi<strong>en</strong> voir, et moi, je reste au radiateur<br />

éteint. Bi<strong>en</strong> camouflés, nos bribes vont plus tôt que<br />

les autres à l’orée du caveau. Je s<strong>en</strong>s l’odeur d’humus,<br />

elle n’est pas nauséeuse.<br />

Alors, sans transition, papa se décompose. Et<br />

puis, sans répit, papi jette les os de son fils. Vingt<br />

années de sommeil, et <strong>en</strong>fin un cadavre.<br />

Mon corps de chair, à l’autre bout, donne un ordre<br />

à ma bouche. À la queue du cortège, sous la flaque<br />

de soleil du parvis minuscule, mon cri s’échappe. Ils<br />

<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t tous, ils n’insist<strong>en</strong>t pas : nous ne sommes<br />

pas des pleureuses. Tante Agathe esquisse un geste.<br />

Très vite, elle retire sa main de mon dos, ses pas<br />

s’éloign<strong>en</strong>t vers la tombe : faire bonne figure.<br />

Au même instant que mon bruit, des salariés<br />

mett<strong>en</strong>t papi à l’abri des coquelicots rouges, allongé<br />

au-dessus des roses qui ont disparu.<br />

73


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

Tu fais l’amour à ton fils. L’inceste est nécrophile.<br />

Vers l’autel, dans la pénombre, du coin de l’œil,<br />

je vois l’homme à la mèche <strong>en</strong> goguette. Il a troqué<br />

son costume à rayures contre un survêtem<strong>en</strong>t rouge<br />

à paillettes.<br />

Maint<strong>en</strong>ant, je connais son visage ; maint<strong>en</strong>ant,<br />

je déteste quand vous parlez décès : la mort est plus<br />

franche et bi<strong>en</strong> moins polie, comme papi qui vous<br />

tutoyait tous, comme cet autre grand-père <strong>en</strong> pénit<strong>en</strong>ce<br />

avec ses chats.<br />

Après, bi<strong>en</strong> sûr, nous avons levé nos verres. Dommage,<br />

ce petit comité. Il fut un temps des r<strong>en</strong>contres<br />

improbables, ailleurs que dans un rêve.<br />

La vie si belle, se souv<strong>en</strong>ir, son arrêt est possible :<br />

deux petits tours, un carcan de fer ou d’acier laminé,<br />

si je veux, je m’<strong>en</strong> vais.<br />

74 75


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

Le noonaute<br />

Yann Minh<br />

J’apparti<strong>en</strong>s à ce futur passé dans lequel ce n’était<br />

plus nous qui manipulions les joysticks mais les joysticks<br />

qui nous manipulai<strong>en</strong>t.<br />

Fusionnant avec nos unités c<strong>en</strong>trales et nos microprocesseurs<br />

robotisés, nous nous immergions<br />

avec délectation dans les réseaux des réseaux à la<br />

recherche de ce que nous étions dev<strong>en</strong>us sans avoir<br />

jamais compris ce que nous étions déjà.<br />

Et c’est ainsi que nous avons, sans vraim<strong>en</strong>t nous<br />

<strong>en</strong> r<strong>en</strong>dre compte, libéré la noosphère des chaines<br />

qui nous <strong>en</strong> protégeai<strong>en</strong>t.<br />

Je n’étais qu’un noonaute. Un simple pèlerin<br />

noosphérique qui, aux commandes de nooscaphes<br />

volés aux grands armateurs, espérait juste explorer<br />

les confins de la noosphère <strong>en</strong> quête des <strong>en</strong>tités lég<strong>en</strong>daires<br />

qui l’habitai<strong>en</strong>t.<br />

77


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

78<br />

Le noonaute<br />

J’étais l’un d’eux. L’un de ces fous inconsci<strong>en</strong>ts,<br />

avides de grands espaces inexplorés qui, transgressant<br />

les interdits, ont ouvert les portes aux anges et<br />

aux démons noosphériques.<br />

Cela s’est passé au tout début du vingt-et-unième<br />

siècle, à l’aube de l’ère biolithique.<br />

À cette époque, comme beaucoup d’autres noomatelots<br />

promus commandants de vaisseau, je n’étais<br />

qu’un petit capitaine de supernooscaphe. Un merc<strong>en</strong>aire<br />

de l’information sans foi ni éthique, v<strong>en</strong>du aux<br />

intérêts des compagnies marchandes, dont je pilotais<br />

les nefs fragiles et couteuses à travers les océans<br />

informationnels. Je livrais mon fret commercial de<br />

noohamburgers d’un bout à l’autre des grands empires<br />

de la communication, et j’aurais pu me cont<strong>en</strong>ter<br />

comme les autres de faire cela toute ma vie.<br />

Mais un jour, las d’emprunter toujours les mêmes<br />

lignes balisées des productions commerciales<br />

et populaires, las d’essayer <strong>en</strong> vain de convaincre<br />

mes employeurs d’explorer d’autres voies, je me suis<br />

construit <strong>en</strong> secret mon propre nooscaphe.<br />

Jours après jours, j’ai volé sur les noocargos les<br />

pièces détachées nécessaires à la construction de ma<br />

petite navette furtive. Un nooscaphe miniature et agile<br />

qui allait me permettre d’explorer ces nooconfins<br />

79


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

Le noonaute<br />

inaccessibles et dangereux <strong>en</strong>traperçus lors de mes<br />

transports noosphériques commerciaux.<br />

Je l’avais équipé de nooprocesseurs puissants, car<br />

je voulais pouvoir franchir la barrière des récifs informatiques<br />

et remonter les courants contraires des flux<br />

archétypaux.<br />

À force de pugnacité, j’ai suivi les traces laissées<br />

par les grands nooexplorateurs que j’admirais, et j’ai<br />

réussi moi aussi à franchir les frontières des confins<br />

inexplorés.<br />

J’ai connu l’ivresse des grands espaces noosphériques.<br />

J’ai voltigé dans la lumière originelle de<br />

firmam<strong>en</strong>ts virtuels inconnus, aveuglé par les feux<br />

lointains de la noog<strong>en</strong>èse. Et c’est là que, tel un papillon<br />

illuminé virevoltant <strong>en</strong>tre les rayons du soleil<br />

Alpha, j’ai découvert le noosanctuaire, la noocrypte<br />

cachée dans la clarté noosphérique.<br />

J’étais juste un petit noocapitaine inconsci<strong>en</strong>t ivre<br />

de grands espaces et qui ne savait pas ce qu’il faisait.<br />

Je suis <strong>en</strong>tré dans la noocrypte et, comme tous les<br />

orgueilleux qui m’avai<strong>en</strong>t précédé, je vous ai r<strong>en</strong>contré.<br />

Vous m’avez reconnu et vous m’avez parlé.Vous<br />

m’avez montré l’ineffable, et dit qu’il n’existait pas.<br />

Désormais je hante les firmam<strong>en</strong>ts noosphériques,<br />

sans savoir si je suis triste ou heureux... si je pleure ou<br />

si je ris.<br />

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Traverses, livre <strong>voyageur</strong>


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

84<br />

La dernière révolte<br />

Hors Humain<br />

Pourquoi le maitre et l’esclave ne s’épous<strong>en</strong>t-il pas<br />

Puisque tout deux sont <strong>en</strong>chainés<br />

sur l’autel de l’aliénation<br />

La dernière révolte… ne se fera pas dans la rue<br />

Jetée dans la rue dès l’<strong>en</strong>fance incapable de pr<strong>en</strong>dre ses<br />

libertés<br />

de régler ses comptes de réaliser ses rêves<br />

La rue s’est ouvert les veines pour laisser couler ses<br />

humeurs ses rumeurs<br />

laissez couler laissez couler<br />

laissez tomber<br />

laissez rouler laissez rouler les têtes sur des charniers<br />

pleins de promesses<br />

qui pass<strong>en</strong>t qui pass<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> sur<br />

et des clameurs de joies qui trépass<strong>en</strong>t<br />

la rue Oh la rue est fatiguée de mourir les bras <strong>en</strong> V <strong>en</strong><br />

signe de victoire<br />

85


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

la modernité à tout changé me direz vous<br />

un nouveau monde est né<br />

propre - bi<strong>en</strong> lavé - sur-armé - bi<strong>en</strong> aseptisé - <strong>en</strong><br />

résid<strong>en</strong>ce surveillée<br />

tous <strong>en</strong> résid<strong>en</strong>ce surveillée<br />

changé changé ri<strong>en</strong> n’a changé<br />

tous à la rue tous dans la rue<br />

pitoyable modernité écrasée par le nombre<br />

qui classe et chiffre ses victimes humanitairem<strong>en</strong>t<br />

consommables<br />

périssables victimes allongées sur le bord du trop tard<br />

qu’avez vous fait impitoyable modernité qu’avez vous<br />

fait<br />

qu’avez-vous fait de ces suicidés qui saxophon<strong>en</strong>t dans<br />

un monde aphone<br />

moi ri<strong>en</strong><br />

trop tard j’att<strong>en</strong>ds sur le bord du trop tard<br />

Tous à la rue tous dans la rue<br />

la rue Oh la rue est fatiguée de mourir les bras <strong>en</strong> V <strong>en</strong><br />

signe de victoire<br />

La dernière révolte ne se fera pas dans la rue<br />

La dernière révolte se fera <strong>en</strong> soi sur soi dans un dernier<br />

sursaut d’intellig<strong>en</strong>ce<br />

Un bouleversem<strong>en</strong>t une métamorphose intrinsèque<br />

Au-delà des frontières du connu<br />

sans compromis sans bain de foule ni bain de sang<br />

baissez la lumière s’il vous plait la lumière lunaire des<br />

intimistes<br />

La dernière révolte<br />

ce sera la marque du solitaire<br />

la marque des incompris qui march<strong>en</strong>t à pas de loups<br />

pacte étrange et lumineux d’un souffle au bout des lèvres<br />

où git sur un coeur brulant les reste de la vie<br />

où git sur un coeur brulant les reste de la vie<br />

La dernière révolte ne se fera pas dans la rue<br />

La dernière révolte se fera <strong>en</strong> soi sur soi et pas ailleurs<br />

laissez couler laissez couler<br />

laissez tomber<br />

laissez rouler laissez rouler<br />

laissez <strong>en</strong>fin parler les têtes les têtes coupées<br />

pour ce dernier conseil ce dernier appel ce dernier<br />

r<strong>en</strong>dez-vous<br />

souffle sur tes braises pour rester vivant souffle souffle<br />

souffle<br />

ça s’appr<strong>en</strong>d à rester vivant dis<br />

souffle sur tes braises pour rester vivant souffle souffle<br />

souffle<br />

La dernière révolte ne se fera pas dans la rue<br />

la rue Oh la rue est fatiguée de mourir les bras <strong>en</strong> V<br />

<strong>en</strong> signe de victoire<br />

86 87


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

Daddy Longues-Jambes<br />

noönK - illustré par Luh<br />

Flora se souvi<strong>en</strong>t. Quand elle était petite, elle a vécu<br />

avec les Gitans, <strong>en</strong> Inde. Elle est restée six mois, à boire<br />

comme eux les bacilles du Gange. Elle n’a aucune<br />

image de ce temps-là, sauf d’un vieillard aux orbites<br />

creuses, à l’hôpital. Elle se souvi<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core qu’elle était<br />

très malade. Elle était si maigre qu’elle croit toujours<br />

que sa peau s’était retournée comme une chaussette<br />

et que ses os étai<strong>en</strong>t à l’extérieur d’elle-même. Une<br />

brève vision tanne son esprit adolesc<strong>en</strong>t, alors qu’elle<br />

me parle : elle est toute nue, recroquevillée dans un<br />

minuscule lavabo de l’hôpital de Pondichéry et elle<br />

est aussi grosse que son kangourou <strong>en</strong> peluche. Ça<br />

a été un sale mom<strong>en</strong>t, mais Flora n’<strong>en</strong> souffre plus.<br />

Aujourd’hui, m’a-t-elle dit, son père revi<strong>en</strong>t. Et moi<br />

qui vous raconte cette histoire, au mom<strong>en</strong>t précis où<br />

Flora a dit ces derniers mots, j’ai s<strong>en</strong>ti mon cœur se<br />

contracter, car, quelques jours auparavant, j’avais r<strong>en</strong>contré<br />

l’homme que la fillette att<strong>en</strong>dait.


Traverses, livre <strong>voyageur</strong> Daddy Longues-Jambes<br />

C’est un homme hirsute. Il arp<strong>en</strong>te<br />

le béton, poursuivi par une<br />

petite carriole bringueballante,<br />

qu’il tire comme un bœuf son joug.<br />

Je l’ai croisé plusieurs fois le long<br />

des autoroutes et des nationales <strong>en</strong><br />

Galice. Il ne pr<strong>en</strong>d ni les chemins<br />

de randonnée ni les s<strong>en</strong>tiers boisés.<br />

J’ai su très vite qu’il allait droit<br />

au but. Il a l’air jeune derrière sa<br />

vieille barbe, ce gars ; il est assez<br />

grand, maigre, et brun, quasim<strong>en</strong>t<br />

de la même couleur que son surcot<br />

passé. Il marche du matin au<br />

soir d’une allure ni l<strong>en</strong>te ni rapide,<br />

régulier comme une horloge. Et il<br />

abat tant de kilomètres de jour <strong>en</strong><br />

jour qu’il est surpris que nous nous<br />

rattrapions l’un l’autre, quotidi<strong>en</strong>nem<strong>en</strong>t.<br />

Il me dévisage alors, et je<br />

porte la main à mon visage rasé,<br />

me s<strong>en</strong>tant si pâle à côté de lui, qui<br />

a accueilli tant de soleil.<br />

Un matin, nous nous sommes<br />

retrouvés, malgré nous, dans la<br />

même auberge, nos doigts glacés<br />

et nos cœurs <strong>en</strong>gourdis. Il a <strong>en</strong>fin<br />

parlé. Il a dit quelques phrases, je m’<strong>en</strong> souvi<strong>en</strong>drai<br />

toujours, car nul ne p<strong>en</strong>sait briser son mutisme ici ;<br />

le t<strong>en</strong>ancier de l’auberge m’avait observé au même<br />

titre que les autres cli<strong>en</strong>ts, d’un regard pénétrant et<br />

incrédule, comme si j’étais homme à savoir parler aux<br />

fantômes.<br />

Le maigre <strong>voyageur</strong> m’a dit qu’il était parti retrouver<br />

son <strong>en</strong>fant. Il n’avait jamais demandé son<br />

chemin qu’une fois, et ce n’était pas à moi. Il l’avait<br />

bi<strong>en</strong> regretté, car il lui avait fallu dire des mots avec sa<br />

bouche. Lui qui osait déjà si peu respirer, il avait cru<br />

vomir ses intestins sur son interlocuteur. D’ailleurs,<br />

ce dernier, un jeune randonneur aux oreilles apprivoisées<br />

par un walkman, s’était <strong>en</strong>fui.<br />

Il m’a dit son nom, alors que je ne le lui avais pas<br />

donné le mi<strong>en</strong>. Il me l’a offert comme son cadeau le<br />

plus cher. Daddy Longues-Jambes a quitté sa petite<br />

fille il y a cinq ans. Daddy Longues-Jambes a aussi un<br />

prénom : Jacques.<br />

Ce jour-là, me raconte-t-il, la petite Flora avait<br />

sangloté jusqu’à s’<strong>en</strong> bruler, et le village comm<strong>en</strong>çait<br />

à s’inquiéter, car un cœur de ce pays n’aurait jamais<br />

dû tant défaillir, fût-il un cœur de fillette. Mais, <strong>en</strong> ce<br />

temps-là, Jacques était hagard, et la petite Flora voyait<br />

l’esprit de son père se consumer sans discontinuer<br />

d’un mauvais feu. Or la petite fille savait déjà à son<br />

90 91


Traverses, livre <strong>voyageur</strong> Daddy Longues-Jambes<br />

âge ce qu’était la seule issue de la blanche<br />

héroïne.<br />

Alors que l’agonie de Jacques se<br />

prononçait, le docteur était v<strong>en</strong>u, et<br />

Flora avait été invitée à jouer dehors ;<br />

mais elle tournait désespérém<strong>en</strong>t autour<br />

de la maison, <strong>en</strong> att<strong>en</strong>dant que<br />

le docteur s’<strong>en</strong> aille. Lorsqu’il avait<br />

poussé les rideaux, la petite fille<br />

n’avait pu att<strong>en</strong>dre le verdict du médecin<br />

et s’était <strong>en</strong>fuie hors du village.<br />

Quelqu’un l’avait rattrapée, et il avait<br />

fallu hurler plus fort qu’elle pour lui<br />

appr<strong>en</strong>dre la bonne nouvelle : Daddy<br />

Longues-Jambes était sauf. Mais il<br />

n’était pas tiré d’affaire pour autant :<br />

il devait sortir du cercle infernal dans<br />

lequel il était v<strong>en</strong>u se réfugier. Alors il<br />

avait préparé son sac devant sa fillette<br />

et lui avait promis que, lorsqu’il revi<strong>en</strong>drait,<br />

il serait un vrai papa. Il avait<br />

pris une carte, avait regardé quel était<br />

le point sur la terre le plus loin de sa<br />

petite maison de Fisterra et il s’était<br />

retrouvé <strong>en</strong> Chine d’un trait, <strong>en</strong> avion,<br />

avec ce que son sac pouvait cont<strong>en</strong>ir.<br />

Et, p<strong>en</strong>dant cinq ans, il avait marché.<br />

Jacques s’est arrêté subitem<strong>en</strong>t, comme frappé<br />

d’hébétude. Il a fait tinter une pièce près de la tasse<br />

vide de café et m’a adressé un bref adieu, le regard<br />

fuyant. Je l’ai laissé s’<strong>en</strong> aller. Que pouvais-je faire<br />

d’autre ? Je suis resté deux heures à l’auberge, le temps<br />

que l’aiguille m<strong>en</strong>ue de l’horloge <strong>en</strong> annonce dix. Au<br />

rythme où j’allais, je devais arriver à Compostelle le<br />

l<strong>en</strong>demain, et je n’espérais pas revoir cet homme.<br />

L’après-midi qui a suivi notre brève r<strong>en</strong>contre,<br />

j’étais plus que jamais <strong>en</strong> élévation sur les s<strong>en</strong>tiers. Les<br />

ampoules qui constellai<strong>en</strong>t mes pieds de <strong>voyageur</strong> ne<br />

m’ont pas empêché de marcher longuem<strong>en</strong>t. J’ai laissé<br />

le soleil s’abaisser vers l’horizon, <strong>en</strong> espérant qu’il<br />

resterait un lit pour moi dans le gite d’étape que je<br />

convoitais pour mon corps épuisé. Les bêtes du soir<br />

s’égayai<strong>en</strong>t au-devant de mes pas. Un oiseau audacieux<br />

a chanté une sérénade, et j’ai vu dégringoler sur<br />

la rocaille l’un de ces étranges insectes patauds, aux<br />

pattes filiformes, rassemblées par un corps <strong>en</strong> forme<br />

de graine. J’ai t<strong>en</strong>té <strong>en</strong> vain de me souv<strong>en</strong>ir de son<br />

nom.<br />

Le chemin forestier passait à côté de l’autoroute à<br />

prés<strong>en</strong>t. L’horizon était rougeoyant, lorsque j’ai subitem<strong>en</strong>t<br />

aperçu sur le bas-côté la silhouette longiligne<br />

de Daddy Longues-Jambes, marchant à pas pesants<br />

sur le goudron, suivi de son bagage sur roues. Il mar-<br />

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Traverses, livre <strong>voyageur</strong> Daddy Longues-Jambes<br />

chait, le regard fixé sur l’énorme<br />

pancarte bleue, annonçant quarante-trois<br />

kilomètres pour Compostelle.<br />

J’ai hurlé son nom, et malgré<br />

le vrombissem<strong>en</strong>t des voitures,<br />

il m’a <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du. Je l’ai rejoint, traversant<br />

la grande route bardée de<br />

bolides. Avant même que j’aie pu<br />

le lui demander, à peine sa timide<br />

accolade terminée, il a poursuivi<br />

son histoire.<br />

Que de pays il avait traversés :<br />

la Chine, le Myanmar, l’Inde,<br />

l’Afghanistan, l’Iran, la Turquie,<br />

les Balkans... Puis l’Italie, la France<br />

où il avait attrapé le chemin de la<br />

Via Podi<strong>en</strong>sis, au Puy. Jacques a<br />

déroulé l’ét<strong>en</strong>due des beautés et<br />

des misères de sa longue marche :<br />

les hippocampes séchés du Yunnan,<br />

les jeux de hasard à Yangon,<br />

les singes qui avai<strong>en</strong>t partagé son<br />

banc et son repas <strong>en</strong> Inde, une<br />

fillette qui ressemblait si fort à sa<br />

petite Flora <strong>en</strong> Iran, et le Kurdistan,<br />

et la sale fièvre dans les<br />

Balkans. Le long récit qu’il faisait de son voyage était<br />

<strong>en</strong>trecoupé d’interrogations et de bégaiem<strong>en</strong>ts ; j’ai<br />

vite deviné que c’était la première fois qu’il racontait<br />

tout son périple ; c’était une évid<strong>en</strong>ce il était seul avec<br />

lui-même. C’est la solitude qui l’avait emm<strong>en</strong>é sur la<br />

route. Ce qui avait été intolérable depuis si longtemps<br />

était dev<strong>en</strong>u simplem<strong>en</strong>t un constat : nul autre que lui<br />

ne pourrait jamais être dans sa tête. Jacques s’<strong>en</strong> était<br />

r<strong>en</strong>du compte la veille, <strong>en</strong> parlant avec moi. Et, <strong>en</strong> fin<br />

de compte, cela lui conv<strong>en</strong>ait, même s’il avait le gout<br />

de ma compagnie. Je lui ai avoué que je me s<strong>en</strong>tais<br />

moins seul avec lui. Il a souri : nous n’étions plus des<br />

<strong>en</strong>fants.<br />

Jacques avait r<strong>en</strong>dez-vous dans deux jours, à quelques<br />

kilomètres avant Fisterra. Une grande fontaine<br />

avait été choisie autrefois comme lieu de r<strong>en</strong>contre<br />

avec sa fillette. Et l’horaire : midi. J’ai ri. Ce jour-là,<br />

très exactem<strong>en</strong>t, j’aurai quarante ans. La voix rauque<br />

de Jacques a interrompu le cours de mes p<strong>en</strong>sées :<br />

- Tu vi<strong>en</strong>dras avec moi jusqu’au r<strong>en</strong>dez-vous ?<br />

- Mais...<br />

Le regard de Jacques était d’une telle acuité que j’ai<br />

accepté.<br />

Il a paru rassuré et a repris la marche. Pour moi,<br />

j’étais troublé. Je devais m’arrêter initialem<strong>en</strong>t à Compostelle.<br />

Je n’avais ri<strong>en</strong> contre Fisterra. Il est notoire<br />

que le chemin des étoiles ne s’arrête pas à Compos-<br />

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Traverses, livre <strong>voyageur</strong> Daddy Longues-Jambes<br />

telle, mais au bord du monde,<br />

face à la mer, au finistère. À Fisterra.<br />

Nous avons dormi à la belle<br />

étoile et n’avons ri<strong>en</strong> su dire. Le<br />

l<strong>en</strong>demain, nous sommes arrivés<br />

à Compostelle, que nous avons<br />

promptem<strong>en</strong>t quittée, le cœur<br />

dépassé par la ville. L’angoisse<br />

de Jacques m’avait contaminé et<br />

m’avait ôté la voix. Il ne parlait<br />

plus du tout non plus. Il m’a fallu<br />

un grand effort pour lui demander<br />

la raison pour laquelle il ne parlait<br />

que de sa fille. Il s’est arrêté et m’a<br />

regardé, le front plissé :<br />

- Je n’aime plus ma femme.<br />

C’est terrible, je ne l’aime plus. Je<br />

l’ai oubliée. Même pas <strong>en</strong> voyage,<br />

non, tu sais. P<strong>en</strong>dant que j’étais<br />

malade, mon cœur n’était plus capable<br />

d’amour pour ma femme. Je<br />

revi<strong>en</strong>s pour mon <strong>en</strong>fant.<br />

Je me suis tu. Je me suis soudain<br />

rappelé que j’avais moi aussi<br />

une femme ; par malheur, elle ne<br />

me manquait pas.<br />

Ce qui est troublant dans la marche vers les étoiles,<br />

c'est que tout le monde pr<strong>en</strong>d le même chemin. Nous<br />

sommes <strong>en</strong>fin arrivés au lieu de r<strong>en</strong>dez-vous. Le chemin<br />

y passait. La fontaine était petite et grise, presque<br />

un abreuvoir, non loin de l'orée d'un bois. Nous nous<br />

sommes allongés sur l’herbe, à côté du chemin, et le<br />

temps a passé sous nos yeux doucem<strong>en</strong>t, dans la quiétude<br />

matinale.<br />

Subitem<strong>en</strong>t, Jacques s’est retourné vers moi, et m’a<br />

regardé, l’air désemparé.<br />

- Tomas ?<br />

C’était la première fois qu’il m’appelait par mon<br />

nom.<br />

- Oui ? j'ai répondu.<br />

- Je me s<strong>en</strong>s bizarre. T’ai-je parlé de mon<br />

voyage ?<br />

- Hier <strong>en</strong>core...<br />

- Je ne me souvi<strong>en</strong>s plus de mon voyage.<br />

- Et toutes les anecdotes ? Et la sale fièvre dans<br />

les Balkans ?<br />

Jacques s’est affaissé.<br />

- Je sais que je t’ai raconté mon voyage, mais je ne<br />

sais plus ce que j’ai vécu.<br />

Je n’ai ri<strong>en</strong> répondu. Je ne savais pas quoi dire…<br />

Jacques était le seul à connaitre son voyage et, s’il ne<br />

se souv<strong>en</strong>ait plus de ri<strong>en</strong>, je restais l’unique personne<br />

qui sût tout de ses dernières pérégrinations. Ça me<br />

96 97


Traverses, livre <strong>voyageur</strong> Daddy Longues-Jambes<br />

peinait, ça me pesait. Il m’avait<br />

chargé d’un étrange fardeau, sa<br />

propre vie, que tout le monde au<br />

retour voudrait aspirer.<br />

- Jacques, tu te souvi<strong>en</strong>s au<br />

moins de ton nom ?<br />

- Jacques, oui. Et mon nom<br />

c’est Daddy Longues-Jambes.<br />

- Et ton nom, ton vrai nom ?<br />

J’avais dit ça d’une voix presque<br />

agressive. Je voyais bi<strong>en</strong> que<br />

je m’emportais. Jacques a répondu<br />

d’une voix étrangem<strong>en</strong>t<br />

sourde :<br />

- Je ne me souvi<strong>en</strong>s plus.<br />

- Écoute, Jacques, on arrive<br />

bi<strong>en</strong>tôt au r<strong>en</strong>dez-vous, non ? Tu<br />

as bi<strong>en</strong> fait d’arriver <strong>en</strong> avance, ça<br />

te donnera le temps de te souv<strong>en</strong>ir.<br />

Ti<strong>en</strong>s, ai-je dit <strong>en</strong> plongeant<br />

un mouchoir dans l’eau fraiche<br />

de la fontaine et lui t<strong>en</strong>dant le<br />

linge humide, rafraichis-toi les<br />

tempes.<br />

Mais Jacques s’est approché et<br />

a plongé directem<strong>en</strong>t les mains<br />

dans l’eau cristalline. Les gouttelettes fraiches sur sa<br />

tignasse noire lui donnai<strong>en</strong>t l’air d’un homme des<br />

premiers cieux. J’allais lui parler quand il a porté<br />

impérativem<strong>en</strong>t le doigt à ses lèvres.<br />

- Un faucheux, juste là, dans tes cheveux au-dessus<br />

de ton front, a-t-il murmuré.<br />

Il s’est avancé vers moi, et j’ai s<strong>en</strong>ti le frôlem<strong>en</strong>t des<br />

pattes s’agiter au-dessus de mes sourcils. C’était l’un de<br />

ces insectes aux pattes filiformes dont le nom m’avait<br />

échappé.<br />

- Il est parti. Tout va bi<strong>en</strong>, a dit Daddy Longues-<br />

Jambes tout bas.<br />

Et, après m’avoir embrassé avec émotion, il est<br />

parti lui aussi.<br />

Je sais, c’est incompréh<strong>en</strong>sible. Il était <strong>en</strong>core là il<br />

y a quelques minutes. Et il est parti. D’un seul coup,<br />

Daddy Longues-Jambes s’<strong>en</strong> est allé. Il s’est évanoui<br />

dans la nature. Je n’<strong>en</strong> rev<strong>en</strong>ais pas. C’était la dernière<br />

fois que je devais le voir de ma vie <strong>en</strong>tière. Sa silhouette<br />

brune d’homme fatigué est dev<strong>en</strong>ue une simple tache<br />

dans le vert des feuillages. J’ai pris le parti de faire une<br />

sieste pour échapper à l’anxiété qui me gagnait.<br />

Peu avant midi, je savais que je n’avais pas le<br />

courage de vivre un tel mom<strong>en</strong>t : la petite fille allait arriver,<br />

chercher son père près de la fontaine, y trouver<br />

l’étranger que j’étais. Son désappointem<strong>en</strong>t énorme<br />

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Traverses, livre <strong>voyageur</strong> Daddy Longues-Jambes<br />

me transpercerait le cœur, ce serait<br />

la pire chose que j’allais vivre :<br />

la déception d’un <strong>en</strong>fant devant<br />

quelque chose d’aussi considérable<br />

que le droit de retrouver son père.<br />

Cette situation était d’une injustice<br />

intolérable, et pour elle et pour moi.<br />

Peut-être même qu’elle chercherait<br />

sur mon visage des traces de son<br />

père, mais non, ri<strong>en</strong>, ri<strong>en</strong> de ri<strong>en</strong>.<br />

Pris de panique, j’ai quitté la fontaine<br />

et me suis accroupi à vingt<br />

mètres de là, sous les frondaisons<br />

de la forêt. Et j’ai att<strong>en</strong>du.<br />

La petite fille que je m’att<strong>en</strong>dais<br />

à voir avait douze ans. Elle avait les<br />

cheveux blond véniti<strong>en</strong>, un teint<br />

mat et portait un grand jean extra<br />

large, et par-dessus un tee-shirt<br />

orange, comme un soleil, avec des<br />

inscriptions jaunes et bleu vif. Sa silhouette<br />

d’adolesc<strong>en</strong>te était m<strong>en</strong>ue,<br />

mais plutôt sportive. Elle s’est avancée<br />

timidem<strong>en</strong>t vers la fontaine. Ses<br />

épaules se sont relâchées. Ça y est,<br />

je n’<strong>en</strong> m<strong>en</strong>ais pas large. Elle a laissé<br />

sa main baigner dans l'eau fraiche, puis a bu un peu,<br />

avant de m’apercevoir. Son regard s’est fixé sur moi,<br />

mais elle n’a pas quitté la fontaine.<br />

Midi est arrivé et l’adolesc<strong>en</strong>te att<strong>en</strong>dait toujours.<br />

Ses yeux me fixai<strong>en</strong>t sans discontinuer comme si, au<br />

loin, elle pesait mon âme de son regard. J’ai sorti de<br />

mon sac les sandwiches et les fruits pour déjeuner et<br />

désamorcer le regard fixe de la fillette. Elle s’est assise<br />

contre la vasque. Elle s’est mise à pleurer, broyant<br />

mon cœur dans un étau invisible. J’ai posé le sandwich<br />

au-dessus de mon sac et me suis dirigé vers elle,<br />

le regard baissé. Ma voix mourante ne recelait aucun<br />

courage, mais je me souvi<strong>en</strong>s avoir réussi à dire :<br />

- Ça va ? Tu att<strong>en</strong>ds quelqu’un ?<br />

- Oui, a-t-elle dit le ton plein d’espoir. J’att<strong>en</strong>ds<br />

mon père. Et vous, vous att<strong>en</strong>dez quelqu’un ?<br />

- Non, ai-je m<strong>en</strong>ti. Je suis pèlerin de Compostelle.<br />

Je fais juste une halte ici pour manger et me reposer.<br />

La petite a baissé tristem<strong>en</strong>t les yeux, puis elle a<br />

t<strong>en</strong>du soudain un doigt vers le sol. Un faucheux se<br />

dandinait contre la terre aride.<br />

- C’est un...<br />

- C’est un faucheux, l’ai-je interrompue.<br />

- Moi, je connais le nom anglais : daddy long legs.<br />

Quand j’étais petite, je disais toujours le nom anglais,<br />

je ne sais pas pourquoi. En français, ça veut dire Papa<br />

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Traverses, livre <strong>voyageur</strong> Daddy Longues-Jambes<br />

Longues-Jambes.<br />

Alors j’ai repris, s<strong>en</strong>tant le rouge<br />

me monter aux joues :<br />

- En fait, ce n’est pas vrai,<br />

j’att<strong>en</strong>ds moi aussi. Je suis très<br />

fatigué et j’ai peur de tomber<br />

malade. C’est à cause du voyage,<br />

ça fait vraim<strong>en</strong>t longtemps que je<br />

voyage.<br />

- Quand j’étais petite, j’ai été<br />

très malade moi aussi.<br />

- Ah oui ? ai-je dit <strong>en</strong> mordant<br />

ma lèvre.<br />

- Ma mère m’a emm<strong>en</strong>ée<br />

partout avec elle. On était toujours<br />

toutes les deux parce que je n’avais<br />

plus de papa.<br />

Et elle m’a raconté l’histoire<br />

de l’hôpital : l’eau du Gange, le<br />

vieillard aveugle, et la maladie qui<br />

l’avait transformée <strong>en</strong> une petite<br />

chose si maigre et si faible.<br />

Mon coeur se serre douloureusem<strong>en</strong>t<br />

dans ma poitrine. Mais<br />

Flora n’<strong>en</strong> voit ri<strong>en</strong> et poursuit :<br />

- Aujourd’hui, c’est un beau<br />

jour. Je ne sais pas si je vais le<br />

reconnaitre. Je devrais être à l’école. Maman ne sait<br />

pas que je suis ici. Elle ne veut pas croire que Papa<br />

revi<strong>en</strong>dra ; elle croit qu’il est mort. C’est ce qu’ont dit<br />

des g<strong>en</strong>s qui l’ont r<strong>en</strong>contré, là-bas.<br />

- Tu es allée <strong>en</strong> Inde pour retrouver ton père ?<br />

- Maman et moi, nous sommes allées là-bas, et<br />

on l’a cherché.<br />

- Tu t’appelles comm<strong>en</strong>t ?<br />

- Flora. Et toi ?<br />

Je m’apprête à dire mon nom, mais, allez savoir<br />

pourquoi, étrange cruauté, je réponds :<br />

- Je m’appelle Jacques.<br />

Contre toute att<strong>en</strong>te, Flora est déçue. Puis elle se<br />

met <strong>en</strong> colère.<br />

- Ce n’est pas vrai, tu ne t’appelles pas Jacques.<br />

Jacques, c’est le nom du chemin des étoiles. Ton vrai<br />

nom, c’est...<br />

- Tu as raison. Mon vrai nom, c’est...<br />

- ... c’est Tomas.<br />

J’<strong>en</strong> ai le souffle coupé.<br />

- Je m’appelle Tomas.<br />

Elle se blottit soudain contre moi.<br />

- Tu es mon papa.<br />

Et je la serre contre moi, car je sais que je suis de<br />

retour.<br />

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Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

La bête noire<br />

La bête noire<br />

Jean-Yves Kervevan<br />

L’artiste est seul. Il s’<strong>en</strong>nuie à mourir, s’<strong>en</strong>nuie à<br />

faire peur.<br />

Aussi, comme chaque fois dans ce cas-là, il trace<br />

machinalem<strong>en</strong>t un cercle, il tue le temps avec un grand<br />

compas. Trait d’<strong>en</strong>cre pure sur le papier blanc, ligne<br />

invariante, continue, qui tourne et tourne <strong>en</strong>core, au<br />

long d’un cercle fermé. L’artiste perd peu à peu le fil<br />

de ses p<strong>en</strong>sées qui s’<strong>en</strong>fui<strong>en</strong>t sur la courbe infinie qu’il<br />

vi<strong>en</strong>t à peine d’achever. Le malheureux, pris de vertige,<br />

se redresse, avec l’intime conviction que quelque<br />

chose là-dedans ne tourne pas rond.<br />

- Voyons, dit-il <strong>en</strong> se p<strong>en</strong>chant de nouveau sur son<br />

ouvrage.<br />

Il se souvi<strong>en</strong>t de ce que lui disait son professeur<br />

de dessin technique, Monsieur Huchon :<br />

- Écoute bonhomme, une ligne, c’est un <strong>en</strong>semble<br />

de points qui se suiv<strong>en</strong>t.


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

Que fait l’artiste, alors ? Eh bi<strong>en</strong>, il <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>d<br />

de compter le nombre de points cont<strong>en</strong>us dans la<br />

ligne !<br />

- Voyons voyons, dit-il embarrassé par tant de<br />

complications. Il se p<strong>en</strong>che un peu plus sur le cercle<br />

parfait et clos, tracé par lui sur le papier.<br />

- Voyons voir ça d’un peu plus près...<br />

Mais il a beau plisser des yeux et grimacer, il ne<br />

voit là ri<strong>en</strong> d’autre qu’un cercle clos.<br />

- Aucun point là-dedans, ronchonne-t-il ? Con<br />

Huchon ! Je suis pas fou, tout de même! Pas déjà,<br />

pas maint<strong>en</strong>ant ! Ouais, c’est sûr ! Y a pas à tortiller !<br />

À tous les coups, on m’a refilé un cercle truqué !<br />

Après mure réflexion, il cesse de se gratter le<br />

m<strong>en</strong>ton et repr<strong>en</strong>d.<br />

- Voilà, c’est ça ! Chaque point suit chaque autre<br />

point... et l’autre point, b<strong>en</strong>, il sait qu’il est suivi,<br />

c’est logique... Alors il se cache, c’est ça, il se cache<br />

du point qui le suit, pour pas être vu de lui ! Logique<br />

ça, parce que c’est pas si facile d’espionner son<br />

prochain, hein ! Et c’est pas non plus marrant de se<br />

savoir suivi! À moins que... C’est ça, eurêka, s’exclame-t-il<br />

! J’ai dû tracer le cercle deux fois au même<br />

<strong>en</strong>droit ! J’ai fait tout de travers et deux cercles à<br />

la fois ! Conclusion, le second cercle aura caché le<br />

premier ! Mais pas moy<strong>en</strong> de l’effacer...<br />

La bête noire<br />

Il se lève, fait quelques pas, tergiverse et s’assoit.<br />

C’est décidé, il tracera un nouveau cercle, sur une<br />

feuille vierge.<br />

- Un seul cercle et point final, cette fois ! Mais ce<br />

qu’il faut, c’est que le tracé aboutisse exactem<strong>en</strong>t là<br />

où il a comm<strong>en</strong>cé !<br />

L’artiste s’empare du compas et comm<strong>en</strong>ce son<br />

oeuvre. Petit à petit, le cercle se referme, la ligne sombre<br />

grignotant peu à peu l’espace libre. Cette épreuve<br />

est terrible, périlleuse, <strong>en</strong>core quelques c<strong>en</strong>timètres,<br />

quelques millimètres, c’est vraim<strong>en</strong>t pénible. Une<br />

goutte de sueur tombée du front fiévreux de l’artiste<br />

frappe soudain la jambe d’appui du compas. Celui-ci<br />

bascule dans le vide, <strong>en</strong>trainant avec lui le malheureux<br />

garçon qui tombe dans le cercle inachevé. Un<br />

long hurlem<strong>en</strong>t, un choc, l’artiste se relève <strong>en</strong> titubant.<br />

Sur sa tête, déformant le béret, <strong>en</strong>fle une bosse<br />

impressionnante. Partout autour de lui s’ét<strong>en</strong>d un<br />

désert de chiffon blanc.<br />

Je suis maudit, pleure-t-il. Je suis artiste et je suis<br />

tombé sur la tête ! Ma tête me fait très mal et elle<br />

saigne !<br />

Mais une voix céleste, celle peut-être de feu Monsieur<br />

Huchon, lui recommande le calme, car <strong>en</strong>fin il<br />

n’a pas fini son travail. L’artiste discipliné se repr<strong>en</strong>d,<br />

fait quelques pas hésitants, hume l’air, la truffe au<br />

v<strong>en</strong>t, soudain se fige, stupéfait. À ses pieds gronde un<br />

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Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

fleuve d’<strong>en</strong>cre noire, aveugle et tumultueux. Alors, il<br />

compr<strong>en</strong>d.<br />

Victoire, lance-t-il, <strong>en</strong> se frappant le front ! Les<br />

points sont mélangés, puisque l’<strong>en</strong>cre est liquide ! Et<br />

si chacun existe <strong>en</strong> théorie, concrètem<strong>en</strong>t il n’<strong>en</strong> va<br />

pas de même! Chacun coule invisible et vit dans l’infinim<strong>en</strong>t<br />

petit ! De mon point de vue...<br />

Hélas, le malheureux artiste n’a pas le temps de<br />

développer sa p<strong>en</strong>sée, car le niveau de l’<strong>en</strong>cre monte<br />

! Et pr<strong>en</strong>ant consci<strong>en</strong>ce du danger, il se sauve. Il<br />

longe ce fleuve à toute allure, ultime t<strong>en</strong>tative pour<br />

atteindre l’ouverture existant <strong>en</strong>core dans le cercle.<br />

Mais l’<strong>en</strong>cre semble assoiffée de papier. Elle déborde<br />

et, littéralem<strong>en</strong>t hors d’elle-même, elle avale le mince<br />

espace <strong>en</strong>core libre permettant de sortir du piège.<br />

L’artiste n’<strong>en</strong> croit pas ses yeux, il est ulcéré.<br />

- Comm<strong>en</strong>t sortir de ce cercle vicieux, imploret-il<br />

? Mais que faire pour échapper à cet <strong>en</strong>fer ?<br />

Pour lui, il n’existe qu’une issue. Il le sait. Le voilà<br />

qui fonce vers le c<strong>en</strong>tre du cercle. Car la pointe du<br />

compas n’y avait-elle pas fait un trou, tout à l’heure ?<br />

Cela constitue pour lui la seule, l’ultime chance de<br />

sauver sa misérable exist<strong>en</strong>ce.<br />

Ainsi le verra-t-on, quelques instant plus tard, sauter<br />

sans hésiter dans cette béance affreuse, ouverte<br />

au c<strong>en</strong>tre exactem<strong>en</strong>t du cercle.<br />

La bête noire<br />

Mais l’<strong>en</strong>cre, véritable bête noire de l’artiste,<br />

s’<strong>en</strong>gouffre derrière lui tout aussitôt. Elle plonge<br />

allègrem<strong>en</strong>t dans ce provid<strong>en</strong>tiel trou d’évacuation.<br />

Cela rugit, gronde et glougloute, c’est comme le râle<br />

affreux d’un lavabo qui se vide. Sur la feuille blanche,<br />

désormais, ri<strong>en</strong> ne subsiste.<br />

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Traverses, livre <strong>voyageur</strong>


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

Nostalgie d’un futur passé prés<strong>en</strong>t<br />

Yann Minh<br />

Je p<strong>en</strong>se que vous n’existez pas... tout ça n’est<br />

qu’illusions sur l’écran de mes rêves... le bruit réman<strong>en</strong>t<br />

d’un cyberespace à v<strong>en</strong>ir...<br />

Je suis toujours <strong>en</strong> 1969, et je vi<strong>en</strong>s de m’<strong>en</strong>dormir<br />

dans une vieille mansarde, un samedi après-midi. Je<br />

lisais un livre décrivant un futur où l’humanité serait<br />

reliée <strong>en</strong> réseau d’un bout à l’autre de la planète : Face<br />

aux feux du soleil.<br />

Dehors la cloche de l’école sonne, malgré les classes<br />

désertes, faisant fuir les oiseaux nichés dans les<br />

arbres du jardin.<br />

J’ai trouvé le livre dissimulé dans l’<strong>en</strong>fer de la<br />

librairie du bourg, mélangé aux romans policiers<br />

érotiques dont j’ose à peine regarder les couvertures.<br />

Je me s<strong>en</strong>s toujours coupable, lorsque je vais fouiller<br />

dans cette arrière-boutique poussiéreuse, parmi les<br />

livres pour adultes. Je pars comme un voleur, sans


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

oser regarder le marchand <strong>en</strong> face... En remontant<br />

les rues désertes, dans la fraicheur de ce début<br />

d’automne, je scrute le ciel, guettant la nef interstellaire<br />

qui vi<strong>en</strong>dra me chercher...<br />

Allongé sur mon lit, je me suis <strong>en</strong>dormi au milieu<br />

du roman et je rêve d’un futur où, par écrans interposés,<br />

les habitants de différ<strong>en</strong>ts pays, différ<strong>en</strong>tes<br />

régions, partag<strong>en</strong>t leurs points de vue sur la sci<strong>en</strong>ce,<br />

la philosophie, l’art, ou simplem<strong>en</strong>t s’échang<strong>en</strong>t des<br />

livres ou des nouvelles.<br />

Il y a des grincheux, des prolixes, des drôles, des<br />

bizarres... ils parl<strong>en</strong>t de robots, comme s’ils existai<strong>en</strong>t<br />

vraim<strong>en</strong>t... de clones... et de machines plus petites<br />

que des microbes.<br />

Aux actualités on voit des images de soucoupes<br />

volantes, et les journalistes s’interrog<strong>en</strong>t sur les visites<br />

des extra-terrestres...<br />

C’est un monde où les g<strong>en</strong>s se demand<strong>en</strong>t si un<br />

robot peut être intellig<strong>en</strong>t... ils ont d’ailleurs inv<strong>en</strong>té<br />

des tests pour vérifier, et se pos<strong>en</strong>t la question de<br />

leur fiabilité. Les robots travaill<strong>en</strong>t dans les usines à<br />

la place des ouvriers et ne sont pas loin de se poser<br />

des questions eux aussi.<br />

Drôle de rêve... je me demande si je veux me<br />

réveiller...<br />

114


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

La dernière demeure<br />

Jean-Yves Kervévan<br />

Chers compagnons,<br />

Monsieur le Présid<strong>en</strong>t,<br />

Nous voici réunis autour de cette rate, <strong>en</strong> ce jour<br />

de joyeuse commémoration. Grâce aux favorables<br />

circonstances qui nous laminèr<strong>en</strong>t par le passé, je<br />

veux parler des terribles crises, des épouvantables<br />

épidémies, des effroyables conflits qu’<strong>en</strong>semble nous<br />

avons traversés, oui nous voici aujourd’hui au coude<br />

à coude, moignons contre moignons, bi<strong>en</strong> vivants et<br />

résolum<strong>en</strong>t attablés. Saluons ici, mes chers amis, la<br />

dépouille d’un héros sans visage, <strong>en</strong> charpie pourrait-on<br />

dire (car ne fut-il pas pulvérisé par une mine<br />

anti-personnel ?), saluons, dis-je, les restes de notre<br />

très cher, de notre très regretté compatriote, le colonel<br />

Hachier !


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

À travers sa rate, c’est l’homme vertueux, l’ami infatigable<br />

dans le labeur, digne représ<strong>en</strong>tant du corps<br />

d’élite des Amputés de partout, membre actif des<br />

Humiliés de la Face, éclaireur avisé de l’association<br />

des Mutilés des deux yeux, qu’avec émotion nous<br />

saluons. Une fois <strong>en</strong>core, sachons honorer ce héros<br />

au charisme si particulier et à la prés<strong>en</strong>ce quelque<br />

peu disparate.<br />

Né à l’aube du Fatal Massacre, il est <strong>en</strong>tré très<br />

jeune dans le drame qui s’offrait à lui. En effet,<br />

abandonné par des par<strong>en</strong>ts trop s<strong>en</strong>sibles, que la vue<br />

du sang faisait rougir, il dut appr<strong>en</strong>dre seul, sur le tas<br />

pourrait-on dire. Tout d’abord arracheur de pupilles<br />

au sein de la Nation, il fut <strong>en</strong>suite tourm<strong>en</strong>teur de<br />

tibias, puis dénoueur de langues auprès du tout premier<br />

Bureau Scélérat. Ces tâtonnem<strong>en</strong>ts touchants,<br />

réalisés sans grands moy<strong>en</strong>s (les programmes de<br />

Torture-à-la-carte <strong>en</strong> étai<strong>en</strong>t alors à leurs balbutiem<strong>en</strong>ts),<br />

constituèr<strong>en</strong>t cep<strong>en</strong>dant le premier champ<br />

d’expérim<strong>en</strong>tations d’où émergerai<strong>en</strong>t, bi<strong>en</strong> plus<br />

tard, les séances de dissection à main nue pratiquées<br />

à l’alcool et sans anesthésie, les « Ready Death »<br />

qu’aujourd’hui nous connaissons.<br />

Ainsi, à l’aube de la grande Guerre Noire, notre<br />

jeune Hachier révélait-il déjà un esprit à la fois novateur,<br />

fougueux et génialem<strong>en</strong>t inspiré.<br />

La dernière demeure<br />

C’est aussi à cette époque que notre héros vécut<br />

l’accid<strong>en</strong>t provid<strong>en</strong>tiel (il se luxa le petit doigt de la<br />

main droite lors d’une séance d’étirage de viscères),<br />

qui fut à l’origine de sa r<strong>en</strong>contre avec Pipette, une<br />

jeune infirmière stagiaire spécialisée dans les extraveineuses.<br />

La belle et bonne Pipette, plus connue par<br />

la suite dans les tranchées sous le nom de Pipette-la-<br />

Rouge ou <strong>en</strong>core, Pompe-à-tout-faire, devi<strong>en</strong>drait sa<br />

femme chérie, l’épouse de sa vie !<br />

Adieu, Hachier ! Adieu, toi qui connus le destin<br />

exceptionnel que nous savons ! Tu t’illustras sur tous<br />

les champs de batailles, gravissant un à un les échelons<br />

de la gloire, surmontant toujours les épreuves<br />

avec courage et détermination. Toute ta vie, nous te<br />

vîmes avancer la tête haute face à l’adversité et c’est<br />

sans nul doute <strong>en</strong> grande partie grâce à des hommes<br />

comme toi, que nous avons pu éradiquer nos <strong>en</strong>nemis,<br />

y compris ceux qui ne nous avai<strong>en</strong>t ri<strong>en</strong> fait !<br />

Ensemble, chers compagnons, r<strong>en</strong>dons ce dernier<br />

hommage à notre ami Hachier!<br />

Dégustons cette rate au court-bouillon !<br />

118 119


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

Maracasses<br />

Rachid Gu<strong>en</strong>douze


Traverses, livre <strong>voyageur</strong>


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Traverses, livre <strong>voyageur</strong>


Traverses, livre <strong>voyageur</strong>


Traverses, livre <strong>voyageur</strong>


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

Les trois jours du Coran<br />

Laur<strong>en</strong>t Bramardi<br />

Nous arrivons. Nous allons atterrir. L’avion se<br />

pose avec le soleil sur l’horizon, dans la lumière<br />

mourante le sol est presque rouge, les arbustes devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />

comme des taches bleutées sur la poussière<br />

que nous survolons. Après l’atmosphère froide de la<br />

carlingue, une bouffée d’air épais nous accueille à la<br />

sortie, un air chaud et parfumé : nous voilà à Damas.<br />

Dans la soirée, je découvre le café à la cardamone,<br />

les restaurants dans de petites cours où les chats<br />

tourn<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre les tables, les guirlandes lumineuses<br />

<strong>en</strong> guise d’éclairage. Noël r<strong>en</strong>contre la chaleur des<br />

grandes nuits d’été sous les étoiles dures et nettes du<br />

désert proche. Je suis assommé par le voyage, par la<br />

g<strong>en</strong>tillesse de tous ces g<strong>en</strong>s qui nous accueill<strong>en</strong>t <strong>en</strong><br />

riant, par le bruit des klaxons.<br />

Le l<strong>en</strong>demain nous allons au souk. Nous partons<br />

bi<strong>en</strong>tôt pour la vraie steppe, vers notre premier chan-


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

tier de fouilles, mais pour l’instant nous profitons<br />

de ce premier jour. Un taxi nous dépose avec un<br />

sourire à l’<strong>en</strong>trée d’un imm<strong>en</strong>se tunnel : c’est là. Une<br />

voute de métal noircie <strong>en</strong>jambe une grande rue faite<br />

d’échoppes collées les unes aux autres. Au-dessus<br />

de nos têtes, le toit nous garde du soleil, qui glisse<br />

malgré tout ses rayons dans les trous percés par<br />

l’usure de la chaleur tombante. Dans la poussière<br />

susp<strong>en</strong>due, soulevée par les pieds des passants, les<br />

roues des véhicules, les sabots des ânes, on dirait des<br />

étoiles accrochées dans l’att<strong>en</strong>te de la fraicheur. Elles<br />

éclair<strong>en</strong>t de fins rayons le bleu plat et opaque des<br />

tôles salies du plafond, à peine teinté d’ocre par la<br />

fumée minérale du sol usé par les allées et v<strong>en</strong>ues,<br />

un sol trop sec pour rester collé à la terre. Autour de<br />

nous, sous une forêt de fils électriques, les vitrines<br />

ouvertes brill<strong>en</strong>t d’un même éclat doré, r<strong>en</strong>voyant les<br />

feux discrets et artificiels des cuivres rutilants et des<br />

paillettes des costumes de danse. Nous marchons<br />

au milieu de ces g<strong>en</strong>s, plus curieux d’eux qu’eux de<br />

nous : les hommes vont <strong>en</strong> se t<strong>en</strong>ant la main, les plus<br />

jeunes portant la moustache et des chemises imprimées,<br />

les plus âgés <strong>en</strong> t<strong>en</strong>ue du désert, une robe<br />

simple et un keffieh sur la tête ; certains sont roux, la<br />

peau très blanche, d’autres sont habillés comme les<br />

Turcs sur les vieilles gravures et avanc<strong>en</strong>t avec une<br />

grande théière dans le dos, <strong>en</strong> v<strong>en</strong>dant des verres aux<br />

Les trois jours du Coran<br />

passants. Les femmes sont vêtues à l’europé<strong>en</strong>ne, <strong>en</strong><br />

pantalon avec un foulard sur les cheveux, ou <strong>en</strong> jupe<br />

et nu-tête; d’autres <strong>en</strong>core sont <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t cachées<br />

sous un voile noir, un grand drap qui les <strong>en</strong>veloppe<br />

dans une ombre mouvante. Il y a des Arabes, des<br />

Kurdes, des bédouins, des musulmans, des chréti<strong>en</strong>s,<br />

des Russes aussi. J’avance dans le bruit des marchandages,<br />

auquel je ne compr<strong>en</strong>ds ri<strong>en</strong>, et puis je ne suis<br />

plus sous la grande voute, la lumière me baigne, je<br />

suis sorti de l’autre côté et, comme dans un rêve où<br />

l’on glisse d’un lieu à l’autre sans s’<strong>en</strong> apercevoir, je<br />

vois autour de moi de grandes colonnes antiques.<br />

Elles poursuiv<strong>en</strong>t la rue du souk de leur majesté usée<br />

et noircie, du souv<strong>en</strong>ir d’un anci<strong>en</strong> temple de Jupiter,<br />

dont les vestiges dessin<strong>en</strong>t un hall aussi imm<strong>en</strong>se<br />

que l’allée marchande. Elles vont jusqu’aux portes de<br />

la grande mosquée, elles lui font une sorte de haie<br />

d’honneur. Je vais visiter cette mosquée, j’appr<strong>en</strong>ds<br />

que c’est la première, l’une des plus grandes aussi ; je<br />

vois le tombeau du saint chréti<strong>en</strong> qui y était <strong>en</strong>terré<br />

avant même qu’elle n’existe. Les couches d’histoire<br />

s’empil<strong>en</strong>t dans le bourdonnem<strong>en</strong>t des discussions,<br />

des passages, des vies successives. Ri<strong>en</strong> n’est fait pour<br />

les protéger et pourtant elles continu<strong>en</strong>t de se superposer<br />

avec un naturel étonnant. Cela me rappelle<br />

Alep, une autre ville de Syrie, plus au nord, que je vois<br />

plus tard : <strong>en</strong> son c<strong>en</strong>tre une imm<strong>en</strong>se citadelle mau-<br />

134 135


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

resque se dresse sur une colline, et cette colline est<br />

faite de l’amoncèlem<strong>en</strong>t des occupations antérieures.<br />

Cela s’<strong>en</strong>tasse, jusqu’à faire une petite montagne<br />

constituée de maisons et de constructions fondues<br />

par le soleil, le temps et les pluies successives. Ici<br />

on les appelle des tells, des collines faites des restes<br />

des hommes. C’est d’ailleurs la première chose que<br />

nous fouillons, dans la steppe : un tell. Mais celui<br />

d’Alep reste intouché, une montagne de vestiges<br />

qu’on ne creuse pas, parce que c’est <strong>en</strong>core <strong>en</strong> train<br />

de se faire, comme quelque chose de magique, de<br />

toujours vivant ; on ne touche qu’aux cadavres.<br />

Pourtant il y a bi<strong>en</strong> <strong>en</strong> haut, sur le sommet de cette<br />

butte fortifiée, des grands trous, des dépressions<br />

circulaires comme des cratères d’obus, qui sont <strong>en</strong><br />

fait les restes de fouilles sauvages opérées dans les<br />

soubassem<strong>en</strong>ts de la citadelle. Mais ce ne sont que<br />

des écorchures, des expéditions timides perpétrées<br />

par des anonymes avides à la recherche de vieilleries<br />

à rev<strong>en</strong>dre à des occid<strong>en</strong>taux. Aller plus loin<br />

ce serait blesser la ville, <strong>en</strong>tamer son cœur : on n’y<br />

touche pas. On va pour cela dans le désert, dans les<br />

steppes qui cour<strong>en</strong>t de Damas jusqu’aux frontières<br />

de l’Irak : là-bas il est facile de voir ces tells, ils font<br />

des bosses sur l’horizon, des repères sur le plat du<br />

paysage. Ils sont les témoins sil<strong>en</strong>cieux de ces villes<br />

fondues par le temps, les repères d’un monde éteint<br />

Les trois jours du Coran<br />

qui nous aid<strong>en</strong>t à conduire dans l’aridité sans relief<br />

de ces plaines étales. C’est eux qui font que l’horizon<br />

est plat autour d’eux. C’est eux qui nous font les<br />

témoins de choses disparues. Quand on les creuse<br />

on perce <strong>en</strong> premier les dépôts les plus réc<strong>en</strong>ts, les<br />

derniers à s’être concrétionnés. Puis on va plus loin,<br />

on s’ét<strong>en</strong>d <strong>en</strong> même temps que l’on s’<strong>en</strong>fonce et<br />

l’on trouve d’autres couches de souv<strong>en</strong>irs, les unes<br />

après les autres, comme un ognon. Tout s’écrase, se<br />

remplace, se mélange dans l’intimité du substrat, de<br />

la terre, et il faut tout reconstruire, tout réinv<strong>en</strong>ter.<br />

Pour aller chercher les choses les plus anci<strong>en</strong>nes on<br />

détruit les plus réc<strong>en</strong>tes qui les recouvr<strong>en</strong>t, après les<br />

avoir soigneusem<strong>en</strong>t répertoriées, pour que ri<strong>en</strong> ne<br />

se perde. Il faut détruire ces choses pour les sauver,<br />

puis les mettre dans des musées. Sinon c’est comme<br />

si elles n’avai<strong>en</strong>t jamais existé ; on ne saurait même<br />

pas qu’on peut les perdre.<br />

Je dégage quelque chose de ces années agglomérées<br />

derrière moi, doucem<strong>en</strong>t, pour ne ri<strong>en</strong> détruire<br />

sans auparavant <strong>en</strong> conserver la trace et raconter<br />

ce voyage comme on raconte une histoire à jamais<br />

sédim<strong>en</strong>tée. Ce que je tire de ce terreau sec n’est pas<br />

ce que ce fut mais c’est tout ce dont je me souvi<strong>en</strong>s.<br />

Dans dix ans, si je réécris ce Damas que j’ai connu,<br />

il <strong>en</strong> sortira <strong>en</strong>core autre chose. Si je raconte <strong>en</strong>core<br />

mon chemin dans le souk, le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t étrange que<br />

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Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

me font les tells la première fois où je les vois, je<br />

ferai un récit qui n’est pas celui-ci. L’archéologie et<br />

les souv<strong>en</strong>irs nous parl<strong>en</strong>t toujours <strong>en</strong> deux temps.<br />

***<br />

Sur le chantier, dans la vraie chaleur, loin de<br />

celle agitée de la ville, dans la steppe qui est sa vraie<br />

demeure, je fouille des jours durant avec méthode<br />

et att<strong>en</strong>tion. Je trouve une structure inhabituelle sur<br />

laquelle nous nous interrogeons longuem<strong>en</strong>t avec S.,<br />

notre responsable de mission. On p<strong>en</strong>se que c’est un<br />

type particulier de fondations. Et puis après quelque<br />

temps je m’aperçois que je ne fais que dégager les<br />

traces des fouilles de l’équipe précéd<strong>en</strong>te, des Allemands.<br />

Ils sont spécialistes des périodes historiques,<br />

ils ont trouvé une petite ville de l’âge du bronze qui<br />

recouvrait le village préhistorique que nous creusons.<br />

Leur ville était faite de briques, on les reconnait à leur<br />

texture particulière : un peu plus compactes, un peu<br />

plus homogènes que la terre qui les <strong>en</strong>serre. On ne<br />

les distingue plus, on ne retrouve plus leurs formes<br />

ni leurs limites exactes, mais pour plus d’éloqu<strong>en</strong>ce<br />

les Allemands ont tracé à la truelle leurs limites imaginaires<br />

; cela fait sur le sol un damier artificiel et<br />

un peu étrange. En tout cas je suis maint<strong>en</strong>ant <strong>en</strong><br />

retard. Dessous, deux squelettes aux sourires béants<br />

Les trois jours du Coran<br />

m’att<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t dans leurs sépultures oubliées, depuis<br />

dix mille ans. Alors je creuse.<br />

Là où nous nous trouvons aujourd’hui, dans le<br />

désert, l’eau est un sujet de tracas. Pour les douches,<br />

nous utilisons celle tirée de la nappe phréatique qui<br />

dort sous la couche de gypse, cette pierre blanche et<br />

pulvérul<strong>en</strong>te qui fait le sol de la steppe. De nombreuses<br />

pompes jalonn<strong>en</strong>t le paysage, des amas ferreux<br />

et noirs, consumés par leur propre chaleur, gouttant<br />

une huile bitumeuse sur le jaune de l’horizon. Elles<br />

se répond<strong>en</strong>t à travers la grande plaine, s’<strong>en</strong>voyant<br />

les bruits réguliers des halètem<strong>en</strong>ts de leurs moteurs.<br />

Même la nuit, la nuit surtout <strong>en</strong> fait, on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d cette<br />

respiration lointaine des pompes qui irrigu<strong>en</strong>t les maigres<br />

champs <strong>en</strong>tourant les hameaux. L’eau qu’elles<br />

vont chercher dans la terre avec leurs épais tuyaux<br />

est chargée de soufre. On ne peut pas la boire mais<br />

elle est bonne pour les champs et pour la peau. Pour<br />

l’eau de consommation, il faut aller plus loin, chez<br />

une famille qui habite dans une grande cour fermée,<br />

perdue au bout d’une piste, dans la grande steppe.<br />

Ils ont un puit plus profond, ou mieux situé, <strong>en</strong> tout<br />

cas une eau très claire et sans odeur que nous leur<br />

achetons. Chacun à tour de rôle nous allons leur<br />

r<strong>en</strong>dre visite avec nos bidons. Nous les chargeons<br />

toutes les semaines, légers et vides, sur la plate-forme<br />

du pick-up de la mission, une grosse Toyota blanche<br />

138 139


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

qui ressemble à un récit d’av<strong>en</strong>ture. Cette semaine,<br />

je pars avec B., notre photographe ; c’est lui qui<br />

conduit, je n’ai pas le permis. Il a un corps imm<strong>en</strong>se<br />

et fort, une démarche l<strong>en</strong>te et sure, avec un léger<br />

déhanchem<strong>en</strong>t qui dessine dans ses pas l’ombre<br />

d’une tristesse, une inflexion perchée dans ses yeux,<br />

dans la courbe desc<strong>en</strong>dante de ses sourcils. Nous<br />

partons, je suis rassuré d’être avec lui, j’imagine que<br />

les bidons seront bi<strong>en</strong> lourds quand il faudra les remonter<br />

une fois pleins. Je me s<strong>en</strong>s inutile mais je suis<br />

cont<strong>en</strong>t d’être avec B., simplem<strong>en</strong>t parce que nous<br />

nous apprécions. Nous chargeons les bidons pleins,<br />

avec l’aide de l’homme de la maison, sous les rires<br />

de ses deux femmes qui se moqu<strong>en</strong>t de lui. Et puis<br />

nous refusons un dernier thé, nous déclinons l’invitation<br />

pour manger, pour dormir là, nous voyons<br />

bi<strong>en</strong> qu’il va bi<strong>en</strong>tôt faire nuit mais il faut que l’on<br />

r<strong>en</strong>tre à la maison des fouilles, on nous y att<strong>en</strong>d.<br />

Nous nous mettons <strong>en</strong> route. Devant nous il y a<br />

une grande plaine bleutée et zébrée de nombreuses<br />

traces de véhicules, derrière nous nous s<strong>en</strong>tons le<br />

soleil se coucher au calme qui règne sur le ciel sans<br />

nuages. Nous roulons <strong>en</strong> nous fixant sur un tell que<br />

nous devinons à l’horizon, mais ce n’est pas le bon.<br />

Gardant la fin du jour dans notre dos, nous t<strong>en</strong>tons<br />

de retrouver notre route, <strong>en</strong> vain. Partout où nous<br />

regardons nous ne voyons que cette grande plaine,<br />

Les trois jours du Coran<br />

des tells à l’horizon, des pompes noires et des traces<br />

de pneus. Alors nous roulons quelque temps sans<br />

trop savoir où aller et puis nous desc<strong>en</strong>dons dans<br />

une dépression pierreuse. Nous voyons plus loin<br />

une tache de verdure et une maison beige, trahie par<br />

la couleur des arbres qui l’<strong>en</strong>tour<strong>en</strong>t. Quelqu’un se<br />

ti<strong>en</strong>t devant le seuil, habillé <strong>en</strong> blanc. De là où nous<br />

sommes, nous le croyons assis. Cela nous soulage :<br />

nous nous dirigeons vers la maison et son occupant,<br />

allant au plus court sur les solides amortisseurs de<br />

notre voiture.<br />

Nous sommes presque arrivés et nous nous apercevons<br />

que l’homme que nous voyions de loin est <strong>en</strong><br />

train de prier. Nous nous arrêtons alors, mais le mal<br />

est fait : il s’est levé et nous regarde. Nous l’avons<br />

déjà dérangé, il nous fait signe de nous approcher.<br />

C’est un vieil homme, avec une grande robe et le calot<br />

des hadjis sur sa tête, la marque des sages qui sont<br />

allés à la Mecque. Il nous sourit mais parait surpris de<br />

nous voir ; son hospitalité embarrassée m’embarrasse<br />

<strong>en</strong> retour, je me s<strong>en</strong>s grossier et impoli et un regard<br />

à B. me fait compr<strong>en</strong>dre qu’il est aussi mal à l’aise.<br />

Toujours dégingandé et <strong>en</strong>core plus sublime dans sa<br />

gêne, il me glisse à l’oreille que l’on a dû rouler sur le<br />

champ du vieillard. Je me retourne vers la plaine de<br />

caillasses que nous avons traversée pour v<strong>en</strong>ir à lui<br />

et je me s<strong>en</strong>s <strong>en</strong>core plus horriblem<strong>en</strong>t embarrassé :<br />

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Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

c’est vrai qu’elle semble plus plate et plus <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ue<br />

que le sol irrégulier, et il y a comme des petits<br />

canaux emplis de poussière qui <strong>en</strong> font le tour. Mais<br />

cep<strong>en</strong>dant le vieil homme nous sourit, nous montre<br />

une direction de la main pour répondre à nos questions<br />

maladroites. Je me demande où il <strong>en</strong> est dans<br />

sa prière, s’il a passé cet instant de recueillem<strong>en</strong>t<br />

intérieur que, je crois, réclame le Coran. Pour toute<br />

communion, des occid<strong>en</strong>taux vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t lui demander<br />

leur route <strong>en</strong> écrasant ses semis. Dans la steppe un<br />

chemin pr<strong>en</strong>d des allures de paraboles : aller quelque<br />

part, vers un ri<strong>en</strong> dans du ri<strong>en</strong>, se déguise <strong>en</strong> marche<br />

métaphysique. Pour nous, du moins ; <strong>en</strong> tout<br />

cas le vieil homme plie son tapis, l’heure de Dieu<br />

se couche avec calme sur sa maison. Il sourit toujours,<br />

la main t<strong>en</strong>due vers notre destination, et nous<br />

demande l’heure. Nous savons tous quelle heure il<br />

est, celle où le soleil se couche, celle où le regard<br />

de Dieu se dévêt de son ardeur, celle de la fin de la<br />

prière. Mais nous lui répondons, cela nous fait du<br />

bi<strong>en</strong> de lui dire quelque chose. C’est pour cela qu’il<br />

nous a posé une question. Une voiture malodorante<br />

et bruyante, c’est juste comme un gros animal qui n’a<br />

<strong>en</strong>core ri<strong>en</strong> appris. Il nous montre notre direction,<br />

il nous dit le chemin hors du désert avec ses mots,<br />

des mots que l’on ne compr<strong>en</strong>d pas et un sourire<br />

que l’on ne sait pas interpréter. Chaque objet ici a<br />

Les trois jours du Coran<br />

un nom que je ne possède pas, on doit me réexpliquer<br />

sans cesse le monde et p<strong>en</strong>dant ce temps je n’ai<br />

plus à me demander ce que j’y fais. Je suis bi<strong>en</strong> dans<br />

cette voiture, écrasant ce champ, je suis bi<strong>en</strong> dans ma<br />

honte et ma gêne. J’ai le droit de ne ri<strong>en</strong> compr<strong>en</strong>dre.<br />

Je n’ai plus à saisir toutes ces choses avec ces mots<br />

difficiles qui sont les mi<strong>en</strong>s, des mots bons pour faire<br />

des textes. Je suis bi<strong>en</strong> dans ce pays où on me pr<strong>en</strong>d<br />

pour un étranger : c’est dans l’ordre des choses. Tout<br />

ceci n’est pas aussi exotique que lorsque je le raconte.<br />

Cela revi<strong>en</strong>t devant mes yeux avec une netteté inhabituelle,<br />

c’est tout ; chaque pierre a une ombre sur la<br />

plaine, chaque arbre terni a un dessin infinim<strong>en</strong>t net<br />

et complexe, chaque maison <strong>en</strong> pisé pèse une masse<br />

de détails, chaque chose a une place évid<strong>en</strong>te et incontestable,<br />

parce que je suis étranger.<br />

142 143<br />

***<br />

Sur les bords de l’Euphrate, où nous allons travailler<br />

<strong>en</strong>suite, l’air nous semble un peu moins sec,<br />

un peu moins sain aussi. Autour du grand fleuve des<br />

falaises blanches s’élèv<strong>en</strong>t, autrefois taillées par le<br />

cours capricieux des eaux. Par-delà ces falaises, un<br />

désert de pierres sèches, plat et monotone, devi<strong>en</strong>t<br />

le seul paysage. Avant elles, des champs bi<strong>en</strong> carrés<br />

découp<strong>en</strong>t les terres que le fleuve ne réclame pas ;


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

il garde pour lui de nombreuses iles, des marais, il<br />

fait de nombreux bras dans la terre que ses eaux<br />

r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t verte. Nous surpr<strong>en</strong>ons ce spectacle parce<br />

qu’il ne va pas durer. Les eaux mont<strong>en</strong>t, elles vont<br />

<strong>en</strong>gloutir cette vallée <strong>en</strong> noyant les derniers vestiges<br />

des premiers villages. C’est pour cela que l’on nous a<br />

appelés. En aval, des travaux gigantesques construis<strong>en</strong>t<br />

petit à petit un énorme barrage ; lorsqu’il sera<br />

terminé et mis <strong>en</strong> eau, cette région où nous arrivons<br />

sera transformée <strong>en</strong> un imm<strong>en</strong>se lac de réserve qui<br />

montera jusqu’aux falaises. Nous nous installons à<br />

mi-p<strong>en</strong>te, dans un village kurde. Nous voyons déjà,<br />

plus bas, les maisons se dissoudre dans l’eau calme<br />

et montante comme des morceaux de sucre au fond<br />

d’un verre de thé. Sur les plateaux stériles, au-dessus<br />

de nous, on construit de nouvelles habitations pour<br />

les familles délogées par cette douce catastrophe.<br />

Des maisons <strong>en</strong> parpaing, grises et anguleuses, trop<br />

chaudes pour la région.<br />

Cette fois je ne fouille plus : je trie. Des sacs <strong>en</strong>tiers<br />

d’os d’animaux, trouvés sur le site, un peu plus loin,<br />

sous les rives futures du nouvel Euphrate. On nous<br />

<strong>en</strong> emmène des sacs <strong>en</strong>tiers <strong>en</strong> début d’après-midi,<br />

lorsque les fouilleurs revi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t au village. Des sacs<br />

de plastique épais pleins de poussière volatile – la<br />

poussière du sol d’ici, fait d’une terre fine et pulvéru-<br />

Les trois jours du Coran<br />

l<strong>en</strong>te, et la poussière des vieux os fragiles frottés les<br />

uns contre les autres.<br />

Le l<strong>en</strong>demain matin, avec H., mon professeur, nous<br />

r<strong>en</strong>versons sur nos tables de travail ces vieux restes de<br />

repas, <strong>en</strong>terrés dans leurs poubelles voici des milliers<br />

d’années. La poussière des sacs nous colle à la peau,<br />

les mouches nous tourn<strong>en</strong>t autour pour boire notre<br />

sueur. Petit à petit l’humeur bougonne des matins fait<br />

place à un savoir tranquille, des anecdotes, des détails ;<br />

l’air étouffant s’allège et pourtant la chaleur grimpe.<br />

Bi<strong>en</strong>tôt nous serons assommés et nous recoucherons,<br />

mais pour l’instant la pièce bourdonne de ce travail<br />

paisible et répétitif, du savoir qui doucem<strong>en</strong>t coule<br />

de H. vers moi <strong>en</strong> allégeant ces instants ingrats d’une<br />

complicité brillante comme le ciel d’ici. Un flux léger<br />

qui traverse la moiteur croissante (dehors la chaleur<br />

est sèche et saine ; dans la vieille bergerie où nous<br />

travaillons, elle est sale et poisseuse) pour se nicher<br />

dans un coin de ma mémoire. J’appr<strong>en</strong>ds vite, dans le<br />

bruit des mouches insupportables, de la porte qui bat<br />

au v<strong>en</strong>t. C’est simple et agréable comme une amitié,<br />

c’est trop simple pour se mériter, pour être un métier.<br />

J’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds un chi<strong>en</strong> maigre aboyer au-dehors ; il aboie<br />

<strong>en</strong> arabe, je ne compr<strong>en</strong>ds pas ce qu’il dit. Je ne peux<br />

pas compr<strong>en</strong>dre ce pays. Je ne peux pas compr<strong>en</strong>dre<br />

son histoire ; je ne peux compr<strong>en</strong>dre aucune histoire.<br />

144 145


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

Je décide dans le vacarme des mouches d’arrêter<br />

l’archéologie. C’est mon dernier séjour ici.<br />

Dehors le chi<strong>en</strong> aboie toujours : les fouilleurs<br />

revi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t plus tôt. Ils <strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t dans la pièce commune,<br />

la pièce où nous travaillons, <strong>en</strong> sout<strong>en</strong>ant une<br />

jeune ouvrière. Elle sourit, mais ils nous expliqu<strong>en</strong>t<br />

qu’elle s’est fait piquer par un scorpion, juste audessus<br />

du g<strong>en</strong>ou. C’est arrivé sur le tas de remblais,<br />

tandis qu’elle tamisait la terre pour y chercher les<br />

vestiges trop petits pour être vus lors de la fouille<br />

proprem<strong>en</strong>t dite. Elle s’assoit sur un coussin, regardant<br />

tout autour d’elle avec des yeux inquiets. Un<br />

instant j’ai le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t que la gêne la brule plus<br />

<strong>en</strong>core que sa blessure ; elle est là où elle ne devrait<br />

pas être, chez ses employeurs, des étrangers. Elle est<br />

l’objet d’une att<strong>en</strong>tion qu’elle ne demande pas. Elle<br />

ne veut pas dire qu’elle a été piquée et elle ne veut<br />

même pas que l’on regarde sa jambe. Une femme<br />

plus âgée, sa mère peut-être, l’accompagne et parle<br />

à sa place, très fort, avec des gestes. C’est elle qui<br />

a voulu qu’on l’amène ici, elle est persuadée que<br />

nous pouvons la soigner. S., qui est la seule à parler<br />

arabe couramm<strong>en</strong>t, la convainc qu’il faut appeler un<br />

docteur, ce que nous faisons. Nous ne pouvons ri<strong>en</strong><br />

d’autre ; c’est embarrassant, mais c’est ainsi. Déjà,<br />

lorsque nous étions dans la steppe, on v<strong>en</strong>ait nous<br />

voir comme on visite le disp<strong>en</strong>saire : les g<strong>en</strong>s d’ici<br />

Les trois jours du Coran<br />

nous pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t tous pour des médecins. Nous ne<br />

pouvons pas refuser, alors ils croi<strong>en</strong>t que nous pouvons<br />

vraim<strong>en</strong>t les aider. Mais nous n’avons que des<br />

médicam<strong>en</strong>ts. Nous faisons ce que nous pouvons,<br />

mais c’est déjà leur m<strong>en</strong>tir.<br />

Une fois, lors d’une mission précéd<strong>en</strong>te à laquelle<br />

je ne participais pas, une famille était v<strong>en</strong>ue avec sa<br />

petite fille. Leur lampe à pétrole s’était r<strong>en</strong>versée<br />

sur elle. Elle ne s’était pas <strong>en</strong>flammée mais ils ne lui<br />

avai<strong>en</strong>t pas changé son pyjama, et durant toute la nuit<br />

l’ess<strong>en</strong>ce avait brulé sa peau. Au matin ils l’avai<strong>en</strong>t<br />

am<strong>en</strong>ée mais c’était trop tard, il n’y avait plus ri<strong>en</strong> à<br />

faire : l’<strong>en</strong>fant était morte quelques heures plus tard.<br />

On me raconte cette histoire tandis que nous att<strong>en</strong>dons<br />

le médecin. Je ne sais pas quoi <strong>en</strong> p<strong>en</strong>ser : j’ai<br />

parfois l’occasion de soigner ces g<strong>en</strong>s qui vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />

nous voir, j’aime le faire et pourtant j’ai l’impression<br />

de ne pas <strong>en</strong> avoir le droit, de ne pas mieux faire que<br />

ce qu’ils font eux-mêmes. Un jour un homme vi<strong>en</strong>t,<br />

il s’est fait écraser le doigt dans le piston noirci d’une<br />

vieille pompe qu’il réparait. Son pouce est énorme,<br />

gonflé, il a pris une teinte violacée et il est f<strong>en</strong>du<br />

sur le côté comme un fruit trop mûr dont la pulpe<br />

s’échappe. E., qui a une formation médicale, me dit<br />

de désinfecter et de lui faire un pansem<strong>en</strong>t. L’homme<br />

me sourit, il a un visage sec et franc. Je pr<strong>en</strong>ds sa main<br />

avec précaution, cela le fait rire : il me fait signe qu’il<br />

146 147


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

n’a pas mal, que je n’ai pas à me ret<strong>en</strong>ir. Je nettoie la<br />

plaie avec du coton, je l’agace parce que je suis trop<br />

timoré, parce qu’il ne s<strong>en</strong>t ri<strong>en</strong>. Je badigeonne son<br />

doigt de bétadine, j’<strong>en</strong> mets trop, plus qu’il n’<strong>en</strong> faut,<br />

elle coule sur la blessure <strong>en</strong> grands débordem<strong>en</strong>ts<br />

rouillés avant de tomber sur le sol et de faire de petits<br />

agglomérats de poussière orange. J’appuie sur la<br />

plaie, pour qu’il s<strong>en</strong>te la douleur et qu’il la pr<strong>en</strong>ne<br />

pour le début d’une guérison, comme il l’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d. Il<br />

sourit et grimace <strong>en</strong> même temps : j’ai brisé la barrière<br />

de sa fierté et ai atteint la chair molle du doigt.<br />

C’est bi<strong>en</strong> ainsi, j’ai pu désinfecter <strong>en</strong> profondeur<br />

et la douleur conforte la blessure. Je ne peux ri<strong>en</strong><br />

faire de plus, je ne peux ri<strong>en</strong> faire <strong>en</strong> fait, mais cela<br />

lui convi<strong>en</strong>t, il est heureux. Il me le fait compr<strong>en</strong>dre<br />

par un sourire si ferme qu’il traverse les langues, et<br />

moi aussi je suis cont<strong>en</strong>t, cont<strong>en</strong>t de faire naitre ce<br />

sourire <strong>en</strong> pressant seulem<strong>en</strong>t une plaie.<br />

Les brulures surtout sont étonnem<strong>en</strong>t fréqu<strong>en</strong>tes<br />

par ici. On s’éclaire au pétrole, le feu se consume<br />

toute la journée, on fait cuire son pain sur de grandes<br />

plaques de tôle et les accid<strong>en</strong>ts sont partout. On<br />

apaise leurs morsures <strong>en</strong> mettant de la mousse à raser<br />

sur les cloques et les crevasses et, si la lésion est trop<br />

profonde, ou si elle pr<strong>en</strong>d une mauvaise tournure,<br />

on vi<strong>en</strong>t nous voir. Un jour une vieille dame arrive,<br />

elle a la main cachée sous un bandage de fortune,<br />

Les trois jours du Coran<br />

un fichu de soie noire décorée de fleurs éclatantes<br />

comme les femmes <strong>en</strong> port<strong>en</strong>t ici. Dessous elle a<br />

vaporisé une copieuse couche de mousse à raser, une<br />

écume blanche qui se teinte maint<strong>en</strong>ant d’un jaune<br />

suspect où la brûlure est plus profonde. Une grande<br />

partie de la main est touchée, elle ne peut plus bouger<br />

ses doigts, la peau flotte et se détache doucem<strong>en</strong>t <strong>en</strong><br />

fins lambeaux qui s’effiloch<strong>en</strong>t dans la neige m<strong>en</strong>tholée.<br />

Mais elle vi<strong>en</strong>t au bon mom<strong>en</strong>t, nous partons<br />

justem<strong>en</strong>t faire des courses à la ville la plus proche et<br />

nous proposons de l’am<strong>en</strong>er chez le médecin. Sur le<br />

chemin du retour, nous discutons du mieux que nous<br />

le pouvons ; elle nous montre sa main proprem<strong>en</strong>t<br />

bandée <strong>en</strong> riant, agitant avec l’autre un tube de pommade<br />

que lui a confié le docteur. Nous rions avec<br />

elle et la déposons dans sa famille. Ils n’ont pas l’air<br />

surpris de nous voir, ni inquiets de la longue abs<strong>en</strong>ce<br />

de leur aïeule, mais ils nous accueill<strong>en</strong>t avec une fierté<br />

réjouie. Nous buvons des thés très sucrés, comme<br />

on nous les fait ici : avec autant de sucre qu’on a de<br />

respect pour le visiteur. On nous parle et on nous<br />

sourit avec la même att<strong>en</strong>tion, si bi<strong>en</strong> que les rires et<br />

les plaisanteries eux-mêmes nous sembl<strong>en</strong>t déborder<br />

de ce sucre sans amertume. Une femme <strong>en</strong>tre dans<br />

la salle principale où nous sommes assis <strong>en</strong> cercle,<br />

autour d’une théière qui semble ne pas pouvoir se<br />

vider. Elle porte un large plateau avec du poulet rôti<br />

148 149


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

et du riz : nous mangeons avec eux, nous inquiétant<br />

un peu de notre retard. Mais nous ne pouvons refuser<br />

et, lorsqu’il nous faut bi<strong>en</strong> partir, alors que la nuit<br />

est tombée et que nous savons que l’on se soucie<br />

pour nous, il nous faut <strong>en</strong>core et <strong>en</strong>core parler par<br />

gestes pour nous excuser de ne pouvoir dormir là.<br />

Je me demande ce que p<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t les autres, s’ils sont<br />

aussi gênés que moi, si cela les surpr<strong>en</strong>d et les amuse<br />

aussi. Aujourd’hui <strong>en</strong>core je n’<strong>en</strong> ai jamais reparlé<br />

avec eux, ni eux avec moi : peut-être <strong>en</strong> avons-nous<br />

le même souv<strong>en</strong>ir.<br />

Il est dit dans le Coran qu’il faut accueillir le<br />

<strong>voyageur</strong> et l’étranger trois jours, au moins. Mais ce<br />

que j’ai connu là-bas est autre chose qu’une politesse<br />

conv<strong>en</strong>ue, c’est une vraie chaleur. Elle couve une<br />

fierté délicate et sourcilleuse mais elle est grande,<br />

franche et amicale. Quel que soit le temps que je suis<br />

resté là-bas, quelles que soi<strong>en</strong>t les maisons où je suis<br />

<strong>en</strong>tré, ces trois jours ont toujours été là devant moi.<br />

Comme une invitation que je n’ai pas su <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre,<br />

un temps que je regrette parce que je n’ai pas su le<br />

pr<strong>en</strong>dre. Je ne reste jamais trois jours, nulle part : je<br />

suis trop étonné par cette politesse qui me dépasse,<br />

par cette sincérité que je ne compr<strong>en</strong>ds pas. Alors<br />

je trouve toujours une bonne raison pour repartir,<br />

avant que la gêne ne me rattrape, ce vieux chi<strong>en</strong><br />

efflanqué qui court dans la steppe pour mordiller<br />

Les trois jours du Coran<br />

les talons des <strong>en</strong>fants d’Europe. Du temps que j’ai<br />

vécu dans la chaleur de ces grands paysages, dans la<br />

dignité de leur aridité, ce sont ces trois jours qui me<br />

rest<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tiers, parce que je ne les ai pas consommés.<br />

Mais à cet instant, alors que nous remontons dans<br />

notre grosse voiture sans cesser de nous excuser, je<br />

laisse les autres pr<strong>en</strong>dre les choses <strong>en</strong> main, décider<br />

de ce que nous ferons, si nous partirons de suite ou<br />

si nous att<strong>en</strong>drons <strong>en</strong>core un peu. Je ne sais pas quoi<br />

faire. Je n’ose ri<strong>en</strong> dire et j’ai l’impression d’être à<br />

nouveau un poids, un corps mort rongé de timidité.<br />

Il faut me r<strong>en</strong>dre à l’évid<strong>en</strong>ce : je ne peux plus quitter<br />

ma terre natale.<br />

150 151<br />

***<br />

Je me demande souv<strong>en</strong>t ce qu’il reste de ces voyages,<br />

<strong>en</strong> plus de ces trois jours qui n’ont jamais existé et<br />

de ce chi<strong>en</strong> galeux qui galopait dans la steppe. J’ai vu<br />

beaucoup d’autres choses : les fondations du temple<br />

d’Ain Dara qui se ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t, noires, au milieu de collines<br />

pelées, dures pierres de basalte aux têtes de lions.<br />

Les ruines du monastère de saint Siméon, le stylite,<br />

et la relique de sa colonne, une roche grossièrem<strong>en</strong>t<br />

sphérique à force d’avoir été touchée, qui ressemble<br />

maint<strong>en</strong>ant à une allégorie de la mélancolie. Et<br />

beaucoup d’autres choses. Quand j’<strong>en</strong> parle, toutes


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

ces images me revi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>en</strong> un bloc compact, qu’il<br />

faut le temps de défaire, de gratter précautionneusem<strong>en</strong>t.<br />

Ce sont des images qui convi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pour un<br />

texte, mais je ne peux pas <strong>en</strong> parler : ce ne sont pas<br />

vraim<strong>en</strong>t des images, c’est la joie vague d’avoir vécu<br />

tout cela, le besoin ridicule d’essayer de trouver des<br />

mots pour tout dire <strong>en</strong> une fois, pour tout résumer.<br />

Je ne peux pas plus <strong>en</strong> parler avec ceux qui étai<strong>en</strong>t làbas<br />

avec moi. Je n’ose plus les appeler, je les ai tous<br />

perdus de vue. Ils sont dev<strong>en</strong>us mes fossiles à moi,<br />

des pierres rares qui, parfois, quand je les remue avec<br />

affection au fond de ma mémoire, font remonter<br />

une culpabilité diffuse, le souv<strong>en</strong>ir d’un abandon.<br />

Peut-être n’avons-nous ri<strong>en</strong> de plus à partager que<br />

ce temps-là ; peut-être étai<strong>en</strong>t-ils déjà des souv<strong>en</strong>irs<br />

au mom<strong>en</strong>t même où nous nous connaissions.<br />

Sur le chemin du retour, <strong>en</strong> rev<strong>en</strong>ant à Damas,<br />

nous nous arrêtons dans la steppe, près de Palmyre, à<br />

la maison des fouilles. Nous sommes trois, les autres<br />

nous att<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t à l’aéroport le l<strong>en</strong>demain. Sur place il<br />

n’y a plus personne ; arrivés avec le soleil couchant,<br />

dans un grand calme, nous nous préparons trois lits.<br />

Dans le laboratoire, la pièce où nous triions les objets<br />

dégagés de leur gangue de désert, la lumière tombe<br />

d’un puits de jour fait dans le pisé du plafond, obturé<br />

par une plaque de plastique transpar<strong>en</strong>t. Sous la douche<br />

de lumière les tables s’align<strong>en</strong>t, à demi effacées<br />

Les trois jours du Coran<br />

dans l’ombre des coins. Je suis seul quelques instants,<br />

dans cette pièce où personne n’est <strong>en</strong>tré depuis des<br />

mois. Sur les murs les étagères s’align<strong>en</strong>t, chargées de<br />

boites <strong>en</strong> carton couvertes de poussière et remplies<br />

de vestiges insignifiants, des esquilles d’os et de silex.<br />

Sur la table c<strong>en</strong>trale, juste dans la chute de lumière,<br />

on a laissé <strong>en</strong> partant quelques objets – un bocal,<br />

une assiette vide, des étiquettes vierges. Sur ce petit<br />

amas la poussière aussi est tombée, comme partout,<br />

comme un dépôt de sècheresse <strong>en</strong>dormie par l’air<br />

calme de la pièce. Je suis v<strong>en</strong>u chercher quelques<br />

boites, pr<strong>en</strong>dre des os pour des études à v<strong>en</strong>ir. La<br />

pièce est assoupie, même la poussière ne flotte pas<br />

dans les derniers rayons du jour ; elle se dépose avec<br />

un sil<strong>en</strong>ce fatigué. Je n’ose plus déranger cet <strong>en</strong>droit.<br />

Je préfère att<strong>en</strong>dre qu’il y ait plus de bruits, que les<br />

autres arriv<strong>en</strong>t. Je suis là comme <strong>en</strong>seveli à mon tour,<br />

goutant la poussière comme ces vieux squelettes que<br />

nous délogeons, qui la pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t dans leurs bouches<br />

grandes ouvertes ; je la regarde s’amasser sur nos<br />

débris, comme elle le fait toujours. Cette pièce est<br />

le début d’un fossile. Mon voyage comm<strong>en</strong>ce sa vie<br />

de fossile. Dans le désert, tout se termine <strong>en</strong> comm<strong>en</strong>çant.<br />

Le ciel, la chaleur, les pierres, les vies. C’est<br />

pour ça qu’on n’y a jamais peur.<br />

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Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

À fleur de peau<br />

Philippe Jozelon<br />

Un « vieux bébé » embrasse Bloom, guitar heroine,<br />

pour la première fois. Les accords écorchés de Aile<strong>en</strong><br />

déboul<strong>en</strong>t de l’instrum<strong>en</strong>t de cette créature, la nouvelle<br />

bande sonore de la vie de Vieux Bébé…<br />

Mademoiselle Bloom danse, tournoie ; ses peaux<br />

de velours noirs ondul<strong>en</strong>t autour d’elle. Elle est le<br />

c<strong>en</strong>tre de gravité du retour à la vie de Vieux Bébé.<br />

Lui, il est une miette <strong>en</strong> apesanteur autour des d<strong>en</strong>telles<br />

opaques de la belle ; poisson pilote <strong>en</strong>fantin,<br />

prisonnier volontaire de l’attraction extra-terrestre<br />

de Bloom.<br />

Vieux Bébé a les tripes à l’air, mais les plaies sont<br />

propres, exsangues. L’infection est stoppée.<br />

Pris au piège s<strong>en</strong>suel de cette ronde merveilleuse,<br />

Vieux Bébé a le temps de p<strong>en</strong>ser, de réparer, de se<br />

souv<strong>en</strong>ir une ultime fois : flashs visuels crépitant de


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

souv<strong>en</strong>irs électrocutés, d’un Nord fantasmé, incarnés<br />

<strong>en</strong> Dotty Womb.<br />

Moi, Vieux Bébé, j’ai aimé Dotty Womb, et j’aime<br />

Bloom.<br />

Et je replonge pour Guérir, une dernière fois…<br />

En lévitation horizontale au-dessus de cette plage de<br />

Dunkerque, je plane. « Dk » nous l’appelions. D’un son<br />

mat, John Mayall marmonne son blues, I’m A Stranger.<br />

Le rythme s’accélère, No Reply sautille dans mes oreilles. Le<br />

sable ocre et blanc tournoie <strong>en</strong>tre les baraques à frites, je s<strong>en</strong>s<br />

l’odeur des beignets brulants dévorés avec Dotty Womb… Le<br />

souv<strong>en</strong>ir s’estompe et Dk devi<strong>en</strong>t une cité <strong>en</strong>gloutie. Je reste là,<br />

face à cette mer glacée, à flotter… sucre vanillé et poussière de<br />

briques rouges <strong>en</strong> susp<strong>en</strong>sion. Son crâne rasé émerge des flots<br />

huileux. Son visage brésili<strong>en</strong>, éclairé par les lumières du port<br />

industriel, pr<strong>en</strong>d vie. Ses yeux s’ouvr<strong>en</strong>t. Je veux m’<strong>en</strong>fuir.<br />

Mayall chante Dark Is The Color ; noires sont ses<br />

pupilles. Je vois des algues reptili<strong>en</strong>nes sortir de ses narines.<br />

Je suis projeté vers le ciel noir et Dk s’éloigne. Elle ouvre<br />

la bouche : un mot, un cri sil<strong>en</strong>cieux s’échappe de ces lèvres<br />

que j’ai tant embrassées, mordillées. Le son est happé par les<br />

vapeurs du Nord, ces viscosités s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>tales me rejoign<strong>en</strong>t et<br />

me dévor<strong>en</strong>t, l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t.<br />

L<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t, lorsque ses yeux se pos<strong>en</strong>t sur moi,<br />

l’iris de Bloom m’<strong>en</strong>veloppe et je m’<strong>en</strong>roule dans<br />

À fleur de peau<br />

ses paupières finem<strong>en</strong>t maquillées, ponctuées d’une<br />

pointe noire. L’ocre rouge de son regard est l’argile<br />

dont je veux m’<strong>en</strong>duire, m’imprégner… Terres et<br />

argiles sont les substances de Bloom.<br />

Je fuis dans un long couloir gris peuplé d’ombres noires.<br />

Dotty Womb m’a plaqué au sol avec son audace et ses longues<br />

mains. Je me souvi<strong>en</strong>s que Delpech chantait Pour un flirt<br />

avec toi... Ce flirt a viré à la Love Story !<br />

Je cours à perdre haleine dans ce goulot d’étranglem<strong>en</strong>t où<br />

toutes les issues de secours sont scellées. Le grand corps de<br />

Dotty me talonne, me brûle le dos. Le cul de la Femme-Enfant<br />

se trémousse et ses mains se balad<strong>en</strong>t sur ma braguette <strong>en</strong>flée.<br />

Je n’<strong>en</strong> croyais pas mes s<strong>en</strong>s ! Pas de mots inutiles, comme un<br />

carpe diem Rockabilly, Bananes Métalliques dans mon slip.<br />

Tes baisers voraces ont déchiré mes g<strong>en</strong>cives et ma langue. Quel<br />

pied ! Mes mains ont caressé ton crâne abrasif, et j’ai joué avec<br />

ta houppette tintinesque de Lolita-Skin. J’ai aimé ton viol.<br />

Je trébuche, m’affale sur le sol boueux de ce couloir. Dotty,<br />

la gamine féroce et t<strong>en</strong>dre, plante ses griffes sur mon dos et pose<br />

son cul animal sur mon visage... j’étouffe et je bois ! Ses fluides<br />

parfumés inond<strong>en</strong>t ma gorge, ses morsures m’ont <strong>en</strong>chanté. La<br />

Femme-Léopard s’<strong>en</strong>fonce dans mon cul, poils et d<strong>en</strong>ts absorbés<br />

par cet orifice. À cet instant, je jouis, vomis et disparais dans<br />

une vase opaque, celle de l’inconsci<strong>en</strong>ce naïve et heureuse, celle<br />

d’un indicible bonheur, mais aussi d’un suicide s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>tal<br />

programmé…<br />

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Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

Indicible, la rage avec laquelle je m’emploie à<br />

cisailler les li<strong>en</strong>s de métal rouillé qui comprim<strong>en</strong>t la<br />

poitrine de Bloom. De lourdes chaines <strong>en</strong>serr<strong>en</strong>t ses<br />

désirs. Sous la ferraille qui <strong>en</strong>combre sa cage thoracique,<br />

je veux retrouver le bois t<strong>en</strong>dre de ses vertèbres,<br />

appuyer mes lèvres sur son sternum, baiser son<br />

plexus solaire et végétal. Je veux nouer mes intestins<br />

autour des branches de ses artères, confronter nos<br />

muscles cardiaques, broyer nos poumons…<br />

Ét<strong>en</strong>du sur le sol d’un hangar à bateaux, reliquat marin<br />

d’une friche industrielle chti, je délire. À travers la verrière sale<br />

et brisée, les silhouettes arrogantes des Tueurs Nés d’Oliver<br />

Stone se dessin<strong>en</strong>t : notre film fétiche. Balade sanglante vers un<br />

amour absolu, Roméo et Juliette psychokillers. Mais Vieux<br />

Bébé et Dotty étions plus sages ! Nous fantasmions sur la<br />

scène du « mariage sur le pont » de Mickey et Mallory.<br />

Des gouttes d’eau teintées de rouille tomb<strong>en</strong>t sur mon corps<br />

blanc. Chaque goutte r<strong>en</strong>ferme une particule de métal oublié,<br />

chaque atome ferrugineux s’<strong>en</strong>fonce dans ma peau tranchée,<br />

coupée. Les particules non élém<strong>en</strong>taires pénètr<strong>en</strong>t mon réseau<br />

sanguin. Le sang de Dotty s’échappe de son sexe, après une<br />

dévastatrice et fantastique pénétration. Son flux se dilue sur<br />

ma queue tandis que le métal m’empoisonne. Nos bagues de<br />

fiançailles mortelles s’échauff<strong>en</strong>t et m’intoxiqu<strong>en</strong>t. Mickey et<br />

Mallory se sont aimés jusqu’au bout, Vieux Bébé et Dotty<br />

n’ont pas eu cette chance.<br />

À fleur de peau<br />

Il pleut à travers la tôle percée du hangar, une pluie acidulée<br />

sur mes lèvres. Merveilleux gout de ses m<strong>en</strong>struations ! Pas<br />

une goutte de perdue. Ma langue est imbibée de ses déchets<br />

intimes : c’est aussi « cela » aimer !<br />

Nos bagues à têtes de mort, négligées, ont été jetées au fond<br />

de l’oubli, au fond de cette <strong>en</strong>veloppe jaune, dans un coin de<br />

mon atelier... Union naïve et belle, provisoire, de la chair, du<br />

sang et du métal.<br />

La corrosion s’accélère.<br />

Une injection de Crust dans tes veines fragiles, et tu t’es<br />

<strong>en</strong>fuie, cela m’a presque tué.<br />

…Tué. Tuer cette terreur qui me vide et me paralyse<br />

lorsque Bloom disparait provisoirem<strong>en</strong>t. Éloigné<br />

d’elle, je ne respire plus, je me tétanise, je me replie…<br />

Je dois anéantir cette trouille dans un torr<strong>en</strong>t de<br />

confiance et d’amour dans lequel elle et moi devons<br />

plonger, voilà le combat à m<strong>en</strong>er… Le fantôme qui<br />

hante Vieux Bébé possède plusieurs noms : l’Abandon,<br />

l’Oubli, le M<strong>en</strong>songe, le Non-Dit : une vie bi<strong>en</strong><br />

pleine de r<strong>en</strong>dez-vous manqués. Bloom a ses démons<br />

aussi : le Sil<strong>en</strong>ce, et d’autres que je ne connais pas<br />

<strong>en</strong>core.<br />

Elle est un arbre d’une espèce inconnue, aux racines<br />

taillées à vif dont certaines sont profondém<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong>terrées et d’autres effleur<strong>en</strong>t la surface d’une terre<br />

parfois bi<strong>en</strong> sèche. Ses branches, noires, font p<strong>en</strong>ser à<br />

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Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

celles d’un saule pleureur l’hiver, avec de fines feuilles<br />

tombantes comme des larmes. Bloom est un arbre<br />

<strong>en</strong> mouvem<strong>en</strong>t, docile, passive, errante, fragile. Sous<br />

son écorce soyeuse, une Métamorphose se dessine ;<br />

les feuilles trembl<strong>en</strong>t, certaines se détach<strong>en</strong>t, sa sève<br />

de café noir pulse… Son sexe opaque s’<strong>en</strong>trouvre et,<br />

dans un nuage de copeaux écarlates, la tête de Vieux<br />

Bébé s’y <strong>en</strong>fonce voluptueusem<strong>en</strong>t.<br />

Le carnaval de Dk, au ral<strong>en</strong>ti.<br />

Muet.<br />

Visions monochromes.<br />

Ma tête au bout d’une pique dodeline au milieu des<br />

géants de mousse synthétique et de carton pâte. Ces titans<br />

joyeux gliss<strong>en</strong>t sil<strong>en</strong>cieusem<strong>en</strong>t sur les pavés poisseux du<br />

port. Soudain, les masques débonnaires explos<strong>en</strong>t, libérant<br />

des visages de chair pâles, angéliques, comme des porcelaines<br />

transpar<strong>en</strong>tes, Living Dead Dolls immatérielles.<br />

Dotty Womb s’émoustille et fredonne « Be bop a Sonia,<br />

she’s my baby ».<br />

L’Ange Troublemaker sourit. L’armée de lumière blanche<br />

s’ébroue et s’ébranle.<br />

Moi, seul masque grotesque mâle, je t<strong>en</strong>te de m’<strong>en</strong>fuir.<br />

Peine perdue, je bascule. L’Ange Psychosis <strong>en</strong>voie un baiser<br />

pourpre à ma Dotty : you’re my wife, lui dit-elle dans un<br />

souffle.<br />

À fleur de peau<br />

De ses doigts brulés, Dotty <strong>en</strong>fonce ma tête dans son<br />

rectum. Les femelles <strong>en</strong>tour<strong>en</strong>t ma princesse et chuchot<strong>en</strong>t des<br />

mots magiques dans son oreille percée. Ces salopes diaphanes et<br />

égoc<strong>en</strong>triques, figées dans leurs adolesc<strong>en</strong>ces au stade de l’ultime<br />

beauté, domin<strong>en</strong>t et étouff<strong>en</strong>t Dotty ; elle est leur muse, leur<br />

proie facile.<br />

Immobilisé dans ses replis intimes, je grimace, serre les d<strong>en</strong>ts,<br />

gueule ma tristesse. Elle n’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d ri<strong>en</strong>. Elle s’abandonne à ces<br />

gamines dangereuses dans le culte de la douceur, de l’abs<strong>en</strong>ce<br />

du pénis. Dotty rêve d’une verge greffée <strong>en</strong>tre ses cuisses, moi je<br />

voulais un vagin pour l’accueillir. Dotty réservait ses orgasmes<br />

à elles seules. Ma lesbi<strong>en</strong>ne par défaut se dissout dans mes rêves.<br />

Elle rote bruyamm<strong>en</strong>t, ses sphincters se relâch<strong>en</strong>t et je tombe,<br />

libéré... Elle me piétine rageusem<strong>en</strong>t puis se met à pleurer.<br />

Je me relève et la pr<strong>en</strong>d dans mes bras, doucem<strong>en</strong>t,<br />

t<strong>en</strong>drem<strong>en</strong>t, simplem<strong>en</strong>t...<br />

T<strong>en</strong>drem<strong>en</strong>t, simplem<strong>en</strong>t, j’accueille au fond de<br />

mon bassin mouvant les douleurs de Bloom. Bloom<br />

est une artiste. Elle peint sa prison psychique avec<br />

beaucoup de force et de tal<strong>en</strong>t. Les barreaux de sa<br />

cellule de pastel sont faits de matière carnée, de t<strong>en</strong>dons,<br />

de veines noires; racines, lierres grimpants,<br />

rampants et artères se confond<strong>en</strong>t. De ces corps<br />

retournés, écorchés, improbables, je devine parfois<br />

l’esquisse d’un visage, d’une cuisse, d’un sein. Bloom<br />

veut se libérer, consolider son arbre intime. Ses bran-<br />

160 161


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

ches, ext<strong>en</strong>sions de ses membres blessés, pouss<strong>en</strong>t<br />

sur les parois de sa prison m<strong>en</strong>tale… La pression<br />

est forte, et moi, Vieux Bébé, je déboule <strong>en</strong> lui murmurant<br />

mes mots d’amour, excessifs, généreux, dans<br />

un souffle brulant, qui s’insinue jusqu’au bout des<br />

feuilles, jusqu’au fond de sa peau.<br />

Skin, la peau du cul taillée sur mesure pour moi par<br />

Dotty Womb.<br />

Maint<strong>en</strong>ant prisonnier d’un cube gris aux parois<br />

dépourvues d’ouvertures, j’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds une meute de jeunes chi<strong>en</strong>s<br />

aux crânes pelés flairer les angles coupants de ma cellule.<br />

J’<strong>en</strong>file littéralem<strong>en</strong>t la peau évidée de Dotty, elle me va<br />

parfaitem<strong>en</strong>t !<br />

La couture, aux fils de toile d’araignée, est presque<br />

invisible, de l’anus jusqu’au sommet de la tête. Mon pénis<br />

flaccide émerge de son vagin mort, comme sidéré d’<strong>en</strong> être<br />

arrivé là.<br />

Une petite cicatrice sur son g<strong>en</strong>ou acc<strong>en</strong>tue un relief qu’il<br />

est doux de toucher.<br />

Je suis « bi<strong>en</strong> » dans sa peau d’ange.<br />

À l’extérieur, les chi<strong>en</strong>s grogn<strong>en</strong>t, montr<strong>en</strong>t les crocs.<br />

Bébés féroces et imbibés.<br />

Ils se rapproch<strong>en</strong>t des parois poreuses de ma boite.<br />

Dotty ondule sur leurs corps lisses et nerveux, elle me<br />

nargue.<br />

Je les vois, je les s<strong>en</strong>s au travers du mur.<br />

À fleur de peau<br />

Je me couche sur le sol froid, v<strong>en</strong>tre à l’air, prisonnier<br />

cons<strong>en</strong>tant de ma combinaison carnée. Je mesure la d<strong>en</strong>sité<br />

merveilleuse de ses seins qui gliss<strong>en</strong>t sur mes côtes. Les tétons,<br />

violets, presque noirs sont t<strong>en</strong>dus, comme de minuscules groins<br />

de porcs.<br />

Puis, doucem<strong>en</strong>t, je me plie <strong>en</strong> deux, mes mains <strong>en</strong>tourant<br />

mes cuisses, les si<strong>en</strong>nes, m’accaparant sa souplesse incroyable.<br />

Là, je SUIS Dotty !<br />

J’approche ma bouche, SA bouche de ma queue t<strong>en</strong>due.<br />

Fantasme d’adolesc<strong>en</strong>t, comme peut-être à l’image de cette<br />

histoire…<br />

Se sucer, faire et recevoir, seul.<br />

Nous sommes deux <strong>en</strong> un.<br />

Derrière les parois, Dotty danse un tango avec les chi<strong>en</strong>s.<br />

Elle rampe sur leurs flancs musculeux, sous leurs v<strong>en</strong>tres<br />

hygiéniques.<br />

Ils se vid<strong>en</strong>t <strong>en</strong> elle, gang bang brunâtre.<br />

Mon sexe dans ma bouche, ma colonne vertébrale pliée à<br />

l’extrême, je poursuis ma frénétique alim<strong>en</strong>tation alors que mes<br />

doigts caress<strong>en</strong>t son clitoris. Je l’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds gémir timidem<strong>en</strong>t.<br />

Soudain, les chi<strong>en</strong>s pénètr<strong>en</strong>t dans mon cocon, et plant<strong>en</strong>t<br />

leurs d<strong>en</strong>ts sur mes chairs. Dotty hurle, j’éjacule.<br />

Mon corps déchiqueté ne tremble pas.<br />

J’accepte et je r<strong>en</strong>once.<br />

Avant de succomber, crachant sang et sperme, j’aperçois<br />

Dotty, qui s’éloigne, indiffér<strong>en</strong>te et triste.<br />

Maint<strong>en</strong>ant, il ne reste plus ri<strong>en</strong> de nous.<br />

162 163


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

Nous… Bloom et moi : deux <strong>en</strong>tités complexes,<br />

névrosées, à vif, paradoxales et complém<strong>en</strong>taires,<br />

nous regardons les mêmes abimes et les mêmes<br />

cieux. Elle a capté et capturé mon iris, je veux donc<br />

à mon tour mêler mes vertèbres aux si<strong>en</strong>nes ; nous<br />

les freaks touchants et charmants !<br />

Au-delà de ces douleurs, il y a le monde des douceurs<br />

: du gout de sa peau, de ses lèvres, de son sexe,<br />

de ses sommeils parfois cruels, de ses rêves interdits<br />

à elle-même, sa t<strong>en</strong>dresse et sa vulnérabilité, sucrés<br />

comme son sang.<br />

Belle, humaine et fragile Bloom, ton hameçon<br />

s’est planté dans mon cul agité et dans mon cœur<br />

lessivé, merci pour cela…<br />

Ce voyage dans le temps me fait souffrir.<br />

Ét<strong>en</strong>du sur le lit de cette chambre d’hôtel, je meurs<br />

doucem<strong>en</strong>t.<br />

Le voyage <strong>en</strong> Dotty Womb doit s’achever maint<strong>en</strong>ant.<br />

Pour nourrir mon agonie <strong>en</strong> activant cette purge, j’ai<br />

replongé dans ton monde. J’ai revu tes photos, revisité ton<br />

album virtuel.<br />

J’ai appréh<strong>en</strong>dé tes fascinations.<br />

À la recherche du temps perdu...<br />

À fleur de peau<br />

De Tina Von Nekro à Virginie Notte, <strong>en</strong> passant par<br />

les strips des Bas Couture Burlesque Show, j’ai revisité ton<br />

panthéon.<br />

J’ai flairé tes traces avec la hantise de t’y voir malheureuse,<br />

ou heureuse !<br />

J’ai plongé dans les <strong>en</strong>fers glauques de la tal<strong>en</strong>tueuse R. D.<br />

« Crust », ton amante de ce fameux week-<strong>en</strong>d à Lille.<br />

J’ai écumé les univers électro-virtuels de Nastyboy,<br />

Psychosis, Troublemaker, Mélancolia : j’y ai s<strong>en</strong>ti ta prés<strong>en</strong>ce<br />

terrifiée ou t<strong>en</strong>dre.<br />

J’ai même retrouvé certaines de mes photos, dispersées…<br />

J’ai <strong>en</strong>fin découvert des images réc<strong>en</strong>tes, avec d’autres filles,<br />

d’autres histoires.<br />

Dans cette contemplation douloureuse, j’avais dans la<br />

bouche le goût de Dk, de ta peau.<br />

Je crois parfois deviner que tu poursuis ton autodestruction…<br />

Tu grandis et tu disparais.<br />

Paradoxe inquiétant... !<br />

Hémorragie interne <strong>en</strong> moi, depuis ce mois de juin<br />

2005.<br />

J’ai décidé d’<strong>en</strong> finir, avec Toi <strong>en</strong> moi.<br />

Je vivrai longtemps dans la terreur d’appr<strong>en</strong>dre qu’il te soit<br />

arrivé quelque chose d’irréversible.<br />

P<strong>en</strong>dant ce Voyage, j’ai craché tout l’amour que j’avais<br />

éprouvé pour toi, cette passion exclusive qui te ravissait et<br />

t’embarrassait.<br />

Ces éjaculations s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>tales m’ont soulagé.<br />

164 165


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

Tu resteras un auth<strong>en</strong>tique et beau souv<strong>en</strong>ir de chair et<br />

de métal brulant, dans ma mémoire disloquée et dans mon<br />

cœur éclaté.<br />

Dans cette chambre d’hôtel moisie, tu te dresses devant<br />

mon lit. Tu souris et me regardes timidem<strong>en</strong>t, comme autrefois,<br />

nerveuse et embarrassée.<br />

Tu t’arraches la peau des doigts.<br />

Ma respiration s’atténue, ma peau sèche a viré au noir.<br />

Tu as été ma Pierre Philosophale dans une alchimie s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>tale<br />

très opérative !<br />

L’hologramme de ton souv<strong>en</strong>ir s’efface, et moi je meurs…<br />

pour revivre.<br />

Un amour inédit, tortueux et fracassant m’intube.<br />

Et je veux vivre ces premières secondes, minutes,<br />

années d’une nouvelle vie avec lui… Me nicher<br />

avec Bloom dans la chambre ouatée de son « néant<br />

confortable ».<br />

Mon âme s’échappe vers la f<strong>en</strong>être, tandis qu’Erik<br />

Satie s’installe au piano. Des bulles de suavité et de<br />

savon attir<strong>en</strong>t mon esprit. De petites mains <strong>en</strong>trouvr<strong>en</strong>t<br />

mes paupières. Derrière les volets de l’unique<br />

f<strong>en</strong>être, la lumière est vive, l’air est doux. Dans la<br />

rue au pied de l’hôtel, un « vieux bébé » embrasse<br />

Bloom pour la première fois...<br />

166<br />

À fleur de peau


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

Voyager<br />

Jean-Yves Kervevan<br />

Voyager était son nom.<br />

D’où v<strong>en</strong>ait-il ? Nous n’aurions su le dire.<br />

Son véhicule était psychique, par l’esprit il s’était<br />

toujours déplacé. Et nous, pauvres poupées de chiffon,<br />

sans le vouloir nous l’abritions.<br />

Nous nous <strong>en</strong>trainions avec fierté depuis que<br />

le bonheur existe. Nous étions heureux de participer<br />

<strong>en</strong>semble aux grands jeux olympiques et aux<br />

chatoyantes cérémonies de guerre <strong>en</strong>tre amis. Ainsi<br />

façonnions-nous cette planète, <strong>en</strong> harmonie. Quand<br />

tout à coup, alors que ri<strong>en</strong> ne le laissait présager,<br />

Voyager se manifesta. Il nous adressa une impulsion<br />

m<strong>en</strong>tale si puissante que nous nous vîmes dev<strong>en</strong>ir<br />

fous. Puis une vague d’énergie plus apaisante nous<br />

<strong>en</strong>vahit et ce fut un s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t d’abandon qui nous<br />

saisit. Nos âmes pur<strong>en</strong>t alors s’ouvrir <strong>en</strong> harmo-


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

nie et recevoir le message suivant : « Taisez-vous !<br />

Sil<strong>en</strong>ce, vous tous ! »<br />

Le ton était impératif, mais doux.« Chut », nous<br />

fut-il <strong>en</strong>core dit. « Car vous êtes rêvés par celui que<br />

vous ignorez tous ! Votre créateur, assoupi <strong>en</strong> ce<br />

mom<strong>en</strong>t même vous rêve ! Et vous toutes et tous<br />

êtes le tissu fragile de ce songe divin ! Un songe qui<br />

peut à chaque instant pr<strong>en</strong>dre fin ! »<br />

La révélation nous glaça littéralem<strong>en</strong>t d’effroi.<br />

C’était épouvantable. P<strong>en</strong>ser que nous ne décidions<br />

ri<strong>en</strong>, ni de nos lubies, ni de nos discordes, était<br />

insupportable, tout simplem<strong>en</strong>t fou ! Comm<strong>en</strong>t<br />

accepter cette réalité crue ? Que faire ? Nous étions<br />

désemparés et l’on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dit vibrer l’écorce terrestre<br />

sous nos petits pas affolés ! Car ne v<strong>en</strong>ions-nous<br />

pas de pr<strong>en</strong>dre consci<strong>en</strong>ce du mortel danger qui<br />

nous m<strong>en</strong>açait ? Et si notre Dieu, dérangé par tant<br />

de brouhaha s’éveillait, qu’advi<strong>en</strong>drait-il de nous ?<br />

Ensemble, nous fîmes front et nous levâmes ! Je<br />

devrais dire, nous nous immobilisâmes ! D’un seul<br />

corps tout humain, nous adoptâmes la seule position<br />

possible ! Chérir ce rêve divin de l’intérieur,<br />

c’est à dire d’où nous étions, sans un murmure, sans<br />

un klaxon! Ainsi depuis ce jour, de nos bouches<br />

ne sort plus aucun son. À peine avons-nous pris le<br />

temps d’occire nos coqs et d’étouffer nos bambins.<br />

Nous sommes désormais immobiles au milieu des<br />

Voyager<br />

rues, aux volants de nos voitures qui ne vrombiss<strong>en</strong>t<br />

plus, nos montres et nos p<strong>en</strong>dules s’arrêtant, faute<br />

d’être remontées. Nous vivons là, comme des statues<br />

tremblantes sous la lune, <strong>en</strong> nos cités éteintes, ne<br />

faisant ri<strong>en</strong> qui puisse troubler le sommeil de notre<br />

seigneur et maitre. Je vous écris ces mots qui sont<br />

sans doute les derniers, car le bruit de ma plume sur<br />

le papier me semble déjà suspect. Je préfère m’arrêter<br />

ici, c’est plus sage. Peut-être aussi devrais-je ne<br />

plus respirer. C’est cela, mon coeur devrait cesser<br />

de battre... comme cela... « Chut, sil<strong>en</strong>ce » comme<br />

disait... Voyager... « Sil<strong>en</strong>ce et sérénité ».<br />

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Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

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Traverses, livre <strong>voyageur</strong>


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Traverses, Traverses livre <strong>voyageur</strong><br />

190<br />

Sylvia not in her land<br />

Luu (image) & Sylvia Zaplain (texte)<br />

Elle avait trois plumes dans la main, elle avait les<br />

cheveux foncés et le regard triste. Elle était <strong>en</strong> fuite,<br />

ce maudit lapin elle n’arrivait pas à l’attraper.<br />

Le vertige, les jambes <strong>en</strong> coton, la tête <strong>en</strong> catastrophe,<br />

tout tournait, elle tombait sans fin. Ses bras<br />

s’accrochai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre les toiles d’araignée faites des<br />

anci<strong>en</strong>s saris, des boubous et des burkas. Vestiges<br />

de vies comme la si<strong>en</strong>ne, des illusions perdues, un<br />

tourbillon de sanglots dans le v<strong>en</strong>t. Elle s<strong>en</strong>tait son<br />

haleine putresc<strong>en</strong>te, nauséabonde, prête à l’ingurgiter.<br />

Tant d’espoir agonisant dans sa gueule. L’abysse<br />

était là, inéluctable.<br />

Elle était déjà partie, elle p<strong>en</strong>sait à lui.<br />

Il était là grand comme les portes d’une église,<br />

imposant et taciturne <strong>en</strong> même temps. Pas un mot,<br />

juste son délire. Protège-moi.


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

Firefly Squid<br />

Yann Minh<br />

La Matrice ressemble à un lac <strong>en</strong>chanté, lisse comme<br />

un miroir... un lac immobile reflétant les étoiles...<br />

Parfois on y lance une lourde stèle soigneusem<strong>en</strong>t polie<br />

sur laquelle on a longuem<strong>en</strong>t gravé sa vie, ses chimères,<br />

ses haines et ses amours, et elle est absorbée par l’eau<br />

noire, sans avoir provoqué la moindre turbul<strong>en</strong>ce.<br />

Parfois on y jette juste un petit gravillon, et tout<br />

d’un coup, la magie opère. De petites rides de nacre dichroïque<br />

se déploi<strong>en</strong>t l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t depuis le point d’impact.<br />

L’ondulation lumineuse pr<strong>en</strong>d de l’amplitude, rebondit<br />

contre les rives, et la houle ténue se transforme <strong>en</strong><br />

tempête...<br />

Semblable aux bancs de Watas<strong>en</strong>ia Scintillans<br />

v<strong>en</strong>us féconder à la surface de la baie de Toyama,<br />

une population mystérieuse a surgi des profondeurs.<br />

Les céphalopodes lumineux s’<strong>en</strong>lac<strong>en</strong>t <strong>en</strong> spirales<br />

étincelantes de plus <strong>en</strong> plus longues, de plus <strong>en</strong>


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

plus d<strong>en</strong>ses de plus <strong>en</strong> plus éblouissantes, puis,<br />

lorsque la réserve de luciférine est épuisée, la<br />

horde magique retourne dans la nuit de la matrice.<br />

Les <strong>en</strong>trelacs s’éteign<strong>en</strong>t l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t, laissant la place<br />

au reflet des étoiles. Jusqu’au prochain galet ou au<br />

prochain monolithe qui vi<strong>en</strong>dra troubler la quiétude<br />

du lac <strong>en</strong>chanté.<br />

Pour ceux qui se demand<strong>en</strong>t ce que sont les Firefly Squid<br />

et les Watas<strong>en</strong>ia scintillans voir un très bon site sur la<br />

bioluminesc<strong>en</strong>ce marine : http://ascussat.free.fr<br />

194


Traverses, livre <strong>voyageur</strong>


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

Eikasia<br />

Couverture<br />

Né <strong>en</strong> 1979, Eikasia est actuellem<strong>en</strong>t photographe et illustrateur.<br />

Alors qu’il débute des études de biologie, il est repéré dès 1998<br />

par les éditeurs de Chasseurs de Rêves, lesquels lui ouvr<strong>en</strong>t leurs pages<br />

pour prés<strong>en</strong>ter ses premiers travaux. Puis son tal<strong>en</strong>t est apprécié<br />

des éditeurs (J’ai lu, Gallimard, D<strong>en</strong>oël, etc.) qui font appel à lui<br />

pour des couvertures dans le fantastique et la SF. Il y illustre des<br />

auteurs tels que Michael Moorcock, Arthur C. Clarke et H.P. Lovecraft.<br />

Il a d’ailleurs reçu des prix prestigieux, comme le prix Wojtek<br />

Siudmak du Graphisme et le prix Art&Fact. Son pseudonyme<br />

d’illustrateur, Eikasia, est une référ<strong>en</strong>ce à un mot <strong>en</strong> grec anci<strong>en</strong><br />

relatif à l’expression des fantasmes, aux décalages.<br />

Comme photographe, c’est sous son nom véritable qu’il commet<br />

ses méfaits, Marc Da Cunha Lopes. À prés<strong>en</strong>t, diplômé de<br />

l’école des Gobelins, il travaille dans la mode, la publicité et le cinéma,<br />

s’attaquant à de nouveaux domaines, autres que ceux du fantastique<br />

ou de la SF. La réalisation de film lui trotte dans la tête.<br />

www.eikasia.net pour ses travaux d’illustration<br />

www.aisakie.com pour ses travaux de photographe.<br />

Jean-Marie Vivès<br />

Le colporteur<br />

Biographies<br />

Né <strong>en</strong> 1953, célébré dans le milieu du cinéma pour ses impossibles<br />

décors numériques (La Cité des Enfants perdus, Ali<strong>en</strong> IV, Amélie<br />

Poulain…), Jean-Marie Vivès est à l’origine un illustrateur accompli.<br />

Son parcours est divers, puisqu’il a travaillé <strong>en</strong> photographie,<br />

<strong>en</strong> illustration classique, <strong>en</strong> publicité, puis pour le cinéma, avant de<br />

rev<strong>en</strong>ir dernièrem<strong>en</strong>t vers la publicité, où il a reçu de nombreux<br />

prix internationaux (Eurobest, Lion d’or à Cannes, Epica silver <strong>en</strong><br />

2004). C’est d’ailleurs dans cette perspective qu’il a été exposé au<br />

199


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

Louvre <strong>en</strong> 2006. Mais, avant tout, c’est à son travail personnel qu’il<br />

se dédie à prés<strong>en</strong>t. Un premier artbook, Terra Incognita, <strong>en</strong> a montré<br />

les premiers travaux <strong>en</strong> 2003 (publié par les éditeurs de ce recueil).<br />

Un ouvrage inhabituel d’images et d’écriture, Chemin de croix, <strong>en</strong><br />

collaboration avec Catherine Deschamps et Kar<strong>en</strong> Guillorel verra<br />

bi<strong>en</strong>tôt le jour. Les images du colporteur qui parsèm<strong>en</strong>t le recueil<br />

<strong>en</strong> sont d’ailleurs un clin d’oeil.<br />

www.jeanmarievives.com<br />

Luvan<br />

Kiruna<br />

Les luvor viv<strong>en</strong>t d’ordinaire <strong>en</strong> Suède sur la tête de lutins.<br />

Née <strong>en</strong> 1975, cette Luvan est auteur. Elle écrit des romans, des<br />

nouvelles, des scénarios. Ses nouvelles ont été publiées dans des<br />

anthologies thématiques par les éditions de l’Oxymore. Elle contribue<br />

aussi à des pièces de théâtre et elle est aussi commissaire<br />

d’exposition. Luvan est donc bel et bi<strong>en</strong> de nature multi-tâches<br />

dans ses activités. Depuis peu, elle s’est lancée dans la production<br />

d’ouvrages délirants à faible tirage. On att<strong>en</strong>d avec impati<strong>en</strong>ce le<br />

mystérieux Cindirella et le Grand Computer par Francesco da Costa,<br />

soap-opéra burlesque et cosmique.<br />

V<strong>en</strong>ez découvrir ses textes, histoires complètes, histoires à<br />

suivre, scénarii et tous ses projets <strong>en</strong> cours sur :<br />

www.luvan.org<br />

Jean-Yves Kervevan<br />

Clair obscur, L’att<strong>en</strong>te, La bête noire, La dernière demeure, Voyager<br />

Né <strong>en</strong> 1959, Jean-Yves Kervevan <strong>en</strong>tre à l’école des Beaux-Arts<br />

de Paris <strong>en</strong> 1975 où il étudie le dessin et la sculpture. Ses travaux<br />

dévoil<strong>en</strong>t un imaginaire riche et sombre, bonheur et désespoir<br />

confondus, épaulé par un bel humour poétique. Bi<strong>en</strong>v<strong>en</strong>ue dans<br />

l’univers d’un alchimiste pudique et discret, fasciné par le jeu des<br />

matières et des textures. Il voyage égalem<strong>en</strong>t et sort touché de ses<br />

déambulations autour du monde, dont on retrouve l’impact dans<br />

ses travaux. En 1987, il comm<strong>en</strong>ce sa carrière d’illustrateur dans le<br />

milieu de la sci<strong>en</strong>ce-fiction et des littératures de l’imaginaire pour<br />

des éditeurs europé<strong>en</strong>s. Bi<strong>en</strong> connu des fans de Serge Brussolo,<br />

pour lequel il a illustré de nombreux livres, il voit son oeuvre de<br />

l’époque éditée dans un artbook, L’Ange écarlate. Lauréat du premier<br />

prix Art&Fact <strong>en</strong> 2001, ses travaux personnels sont valorisés dans le<br />

artbook Terra Incognita (2003 – publié par les éditeurs de ce recueil)<br />

Jean-Yves Kervevan vi<strong>en</strong>t de rajouter une corde à son arc: il<br />

travaille à l’heure actuelle comme décorateur de cinéma (La citadelle<br />

assiégée de P.Calderon) Et, si on ne le connait pas tant pour son écriture,<br />

il n’empêche qu’il <strong>en</strong> a le gout, ajoutant à ses tal<strong>en</strong>ts un autre<br />

médium de création.<br />

www.kervevan.com<br />

Jérôme Boulbès<br />

Cubes<br />

Né <strong>en</strong> 1969, Jérôme Boulbès est réalisateur de films d’animation<br />

3D, mais, à l’occasion, il peut aussi dessiner. L’univers doux amer de<br />

Jérôme met <strong>en</strong> scène des créatures mi-humaines mi-monstres dans<br />

Le Puits (1999), La Mort de Tau (2001), Rascagnes (2003) et dernièrem<strong>en</strong>t<br />

Éclosion (2006), qui ont reçu de nombreux prix internationaux.<br />

C’est d’ailleurs à l’univers de ce dernier film, rassemblem<strong>en</strong>t<br />

de cubes de pierre solitaires et usés, que son petit <strong>voyageur</strong> est confronté.<br />

Pour <strong>en</strong> (sa)voir davantage:<br />

www.rascagnes.com<br />

Biographies<br />

200 201


Catherine Deschamps<br />

La mélopée funeste<br />

Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

Née <strong>en</strong> 1969, Catherine Deschamps est docteur <strong>en</strong> anthropologie<br />

sociale. Elle a travaillé sur le sida, la bisexualité et la prostitution<br />

de rue à Paris. Elle est actuellem<strong>en</strong>t rattachée à l’Université Libre<br />

de Bruxelles, pour une recherche sur la pornographie aux XIXe<br />

et XXe siècles. Catherine Deschamps a publié plusieurs ouvrages<br />

« sci<strong>en</strong>tifiques », dont Le Miroir bisexuel (Éditions Balland, 2002),<br />

Le Sexe et l’arg<strong>en</strong>t des trottoirs (Éditions Hachette Littérature, 2006),<br />

Le Féminisme à l’épreuve de la prostitution (avec Anne Souyris, Éditions<br />

d’Amsterdam, 2007). Elle écrit aussi depuis quelques années<br />

des fictions et nouvelles pour ses tiroirs, <strong>en</strong> guise d’alternance avec<br />

cette écriture académique parfois trop aride à son goût. Entre crudité<br />

et poésie, on trouve parmi ses thématiques fétiches la famille<br />

<strong>en</strong> ses gouffres, le corps dans son intériorité et dans ses limites, la<br />

complexité des rapports humains. Elle participe actuellem<strong>en</strong>t à un<br />

ouvrage inhabituel, Chemins de croix, <strong>en</strong> collaboration Jean-Marie<br />

Vivès. Elle avait auparavant écrit une nouvelle sur une des oeuvres<br />

de ce grand artiste, L’Arête de l’image, parue dans l’ artbook Terra<br />

Incognita (2003 - par les éditeurs de ce recueil)<br />

cathdes@club-internet.fr<br />

Yann Minh<br />

Noog<strong>en</strong>esis, Nostalgie d’un futur passé prés<strong>en</strong>t, Firefly Squid<br />

Né <strong>en</strong> 1957, Yann Minh, est l’inv<strong>en</strong>teur du néologisme noonaute<br />

; il se décrit lui-même comme étant un conglomérat cellulaire<br />

complexe et éphémère évoluant à l’échelle du macrocosme, et<br />

appart<strong>en</strong>ant à un groupe de noovéhicules morphologiquem<strong>en</strong>t<br />

similaires organisés <strong>en</strong> intellig<strong>en</strong>ces collectives dont les parcelles<br />

s’auto-définiss<strong>en</strong>t comme étant les « êtres humains ». Artiste<br />

multimédia prolifique à la pointe des nouvelles technologies de la<br />

communication depuis plus de vingt-cinq ans, Yann Minh a à son<br />

actif de nombreuses créations primées qui vont de l’installation<br />

multimedia immersive exposée au musée d’art moderne du C<strong>en</strong>tre<br />

Georges Pompidou aux docum<strong>en</strong>taires TV diffusés et produits<br />

par les chaînes nationales, <strong>en</strong> passant par les courts métrages de<br />

création ou de fiction <strong>en</strong> 3D ou <strong>en</strong> jeu vidéo.Il est aussi l’auteur du<br />

roman culte de sci<strong>en</strong>ce-fiction cyberpunk : Thanatos, Les Récifs, paru<br />

chez Flor<strong>en</strong>t-Massot <strong>en</strong> 1997. Dev<strong>en</strong>u « NooConteur cyberpunk »,<br />

il anime des confér<strong>en</strong>ces immersives <strong>en</strong> 3d temps réel. durant<br />

lesquelles il convie des groupes de « noonautes » à l’accompagner<br />

vers les zones cybernétiques secrètes découvertes p<strong>en</strong>dant ce quart<br />

de siècle de noopérégrinations. Les illustrations prés<strong>en</strong>tes sont<br />

extraites de son dernier film d’animation <strong>en</strong> images de synthèses,<br />

Noog<strong>en</strong>esis, paru <strong>en</strong> 2006.<br />

www.yannminh.com<br />

Hors Humain<br />

La dernière révolte<br />

Né l’an de grâce 1944, Allemagne, sous des pluies de bombes<br />

inc<strong>en</strong>diaires, dans les ruines fumantes d’une Europe trahie. Couteau<br />

tiré à quatre épingles, fantôme de son état, duelliste par nécessité,<br />

déchainé déchainé déchainé. Poète. Performer dans la cité, il voyage<br />

sur les routes de l’extrême pour être plus juste, sur les ailes brulantes<br />

de l’absolu. Le souffle est son m<strong>en</strong>tor, son double, sa folie<br />

dévastatrice - Imaginocratie, le livre poétique de ses abs<strong>en</strong>ces répétées.<br />

Certains soirs, vous pourrez l’apercevoir remontant les escaliers du<br />

Sacré-Coeur <strong>en</strong> corde à sauter. Un pic à la place du coeur, il chevauche<br />

toutes les données de la physiologie humaine. Logique, Hors<br />

Humain est son destin. « Tout ce que je vais dire, tout ce que je vais<br />

faire, va se retourner contre vous, humains ! »<br />

www.horshumain.org<br />

Biographies<br />

202 203


noönK (Kar<strong>en</strong> Guillorel)<br />

Daddy Longues-Jambes<br />

Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

Née <strong>en</strong> 1978, noönK (prononcez [nounka]), a coédité Chasseurs<br />

de Rêves et Terra Incognita (Grand Prix de l’imaginaire <strong>en</strong> 2002). Le<br />

goût de l’écriture et du voyage l’embarqu<strong>en</strong>t à l’autre bout de la<br />

terre régulièrem<strong>en</strong>t, et <strong>en</strong>tre temps, elle travaille avec bonheur dans<br />

le jeu vidéo, l’audiovisuel et la presse, changeant de métier comme<br />

de chemise. Depuis deux ans, c’est l’écriture de nouvelles et de<br />

scénarios qui la font respirer. Lauréate du concours de nouvelles<br />

de Nanterre pour sa nouvelle Le ravissem<strong>en</strong>t de Stanislas. Son texte,<br />

La raison d’une éclipse sortira au sein d’un ouvrage collectif <strong>en</strong> 2008<br />

chez Egone. L’adaptation <strong>en</strong> scénario de cette novella a été remarquée<br />

par le jury du Concours du scénario junior SOPADIN. Elle<br />

a aussi reçu le troisième prix du concours de scénario Acapabar<br />

pour Les chantres électroniques, dont le destin heureux sera de dev<strong>en</strong>ir<br />

une bande dessinée. Rev<strong>en</strong>ue d’un voyage de sept mois à pied et à<br />

vélo de Paris à Jérusalem <strong>en</strong> passant par Istanbul, elle prépare mille<br />

projets d’édition, mais surtout l’ouvrage Chemins de croix <strong>en</strong> collaboration<br />

avec Jean-Marie Vivès et Catherine Deschamps.<br />

www.noonk.com pour son site de création<br />

www.loindevant.com pour son site de voyages<br />

Rachid Gu<strong>en</strong>douze<br />

Maracasses<br />

Né le 28 juillet 1982, Rachid Gu<strong>en</strong>douze dessine et peint<br />

avec passion des univers fantastiques avec une s<strong>en</strong>sibilité proche<br />

de l’imaginaire nippon (ce n’est pas un hasard si Miyazaki<br />

l’<strong>en</strong>thousiasme). C’est aussi dans cette optique qu’il s’intéresse de<br />

près au graphisme de jeu vidéo. Il a d’ailleurs réalisé les sprites ainsi<br />

que les dessins préparatoires d’un jeu sur portable. Il n’est pas<br />

<strong>en</strong>core aisé de pouvoir apercevoir le travail de ce jeune dessinateur<br />

prometteur, même s’il a participé à plusieurs expositions <strong>en</strong> gravure,<br />

nu et nature morte à Clichy-la-Gar<strong>en</strong>ne, mais espérons que cela ne<br />

saurait tarder.<br />

www.rachidgu<strong>en</strong>douze.com<br />

Laur<strong>en</strong>t Bramardi<br />

Les trois jours du Coran<br />

Né <strong>en</strong> 1972, Laur<strong>en</strong>t Bramardi s’est consacré tout d’abord à<br />

l’archéologie du Proche-Ori<strong>en</strong>t avant de se tourner vers l’écriture<br />

et l’édition indép<strong>en</strong>dante. Il a créé <strong>en</strong> 1996 la revue Rose Noire et,<br />

<strong>en</strong> 2000, à la fin de celle-ci, a participé à la naissance d’Egone et de<br />

ses projets éditoriaux. Il a publié chez ce dernier un livre de contes<br />

intitulé Étrange Septembre, participé à plusieurs autres publications<br />

et s’est aussi fait connaitre pour son travail de graphiste. Dernièrem<strong>en</strong>t,<br />

les éditions Les Enfants Rouges ont publié Quatre, une BD<br />

dessinée par Anton qu’il a scénarisée, et l’Asc<strong>en</strong>te, une nouvelle revue<br />

photoromancée qu’il a créée avec Lucas Méthé, vi<strong>en</strong>t de voir<br />

paraître son premier numéro chez Egone.<br />

www.egone.net pour les éditions<br />

www.egone.net/asc<strong>en</strong>te pour la revue du même nom<br />

www.myspace.com/laur<strong>en</strong>tbramardi pour ses diverses activités<br />

Philippe Jozelon<br />

À fleur de peau<br />

Biographies<br />

Né <strong>en</strong> Suisse <strong>en</strong> 1966, anci<strong>en</strong> élève de l’école Émile Cohl,<br />

Philippe Jozelon travaille principalem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> tant que peintre et dessinateur.<br />

Son univers ambigu réunit folie, sacré et maternité dans un<br />

cocktail sur le fil du rasoir. La saga de la Compagnie des Glaces, dont<br />

il a réalisé nombre de couvertures, a permis au public de connaitre<br />

ses travaux. Plusieurs prix ont couronné son travail (Prix Ozone<br />

204 205


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

et Grand prix de l’Imaginaire). Initiateur de Art&Fact, Philippe<br />

Jozelon désire maint<strong>en</strong>ant s’atteler aux nouveaux médias, tout <strong>en</strong><br />

peignant toujours davantage. Son univers personnel de monstres<br />

et de tristesse burlesque fortem<strong>en</strong>t s<strong>en</strong>sualisée s’est dernièrem<strong>en</strong>t<br />

cristallisé dans ses travaux de photographie, que vous pourrez<br />

observer au même titre que ses autres oeuvres aux adresses suivantes<br />

:<br />

http://jozelon.monsite.wanadoo.fr/<br />

www.jozelon.jepose.net<br />

www.myspace.com/jozelon<br />

Lucile Haute (Luh)<br />

Carnet d’une Lulu à New York<br />

Daddy Longues Jambes (illustrations)<br />

Titulaire d’un Master <strong>en</strong> Arts Plastiques, consacré à une<br />

traduction picturale de l’extase, Luh poursuit son cursus universitaire<br />

autour des notions de désir et de curiosité graphique.<br />

Elle structure son doctorat autour d’un univers <strong>en</strong> noir et<br />

blanc, pouvant être qualifié d’écorché, ludique et érotique.<br />

Ses inspirations éclectiques rassembl<strong>en</strong>t les contes, la mode,<br />

la bande dessinée, le fétichisme, et les œuvres d’artistes incontournables,<br />

tels Hans Bellmer, Gustav Klimt ou Andy Warhol.<br />

Elle accumule les carnets de dessins et quitte rarem<strong>en</strong>t ce format<br />

intime pour de plus grandes surfaces. Les parcourant, l’œil croise<br />

aplats et détails, figures et abstractions. Luh juxtapose les motifs et<br />

les formes, joue avec les échelles et l’anatomie de ses personnages.<br />

Des femelles autistes, et parfois monstrueuses, s’éviscèr<strong>en</strong>t pour<br />

rire ou s’empal<strong>en</strong>t pour ri<strong>en</strong>. Les chimères stoïques de luh ne sont<br />

pas rassurantes.<br />

Explorez l’univers graphique de luh sur son site :<br />

www.laluhne.com<br />

Sylvia Zapiain<br />

Sylvia in not her land<br />

Née <strong>en</strong> 1978, Sylvia Zapiain voyage, un haut diplôme de relations<br />

internationales <strong>en</strong> poche et armée d’un multilinguisme réalisé<br />

sur toutes la planète. Mexicaine, elle a posé ses affaires à Paris, <strong>en</strong><br />

France. Pour ce recueil, c’est une participation <strong>en</strong>tre son homme et<br />

elle, que nous avons la chance d’éditer. Suite aux av<strong>en</strong>tures dignes<br />

de Brazil que Sylvia a pu vivre dans les méandres de nos institutions,<br />

ils <strong>en</strong> ont tiré cette collaboration. De manière générale, Sylvia<br />

aime mettre des mots sur les images de Luu, traduire ses dessins <strong>en</strong><br />

utilisant son médium à elle : les mots. Lui traduit <strong>en</strong> image ses idées.<br />

Complicité, donc, pour ces deux-là. Par ailleurs, travaillant actuellem<strong>en</strong>t<br />

dans la communication, Sylvia a le désir de vous scotcher à<br />

l’écran – et se dirige vers le web consulting dans cette optique.<br />

http://chouquettesdudimanche.com<br />

Luu<br />

Sylvia in not her land (illustration)<br />

Ses études à l’École de Communication Visuelle <strong>en</strong> poche, <strong>en</strong><br />

plus d’être un jeune directeur artistique très prometteur, Luu (né <strong>en</strong><br />

1978) travaille à une création personnelle abondante dans bi<strong>en</strong> des<br />

domaines liés à l’image : dessin traditionnel comme digital, flashdesign,<br />

décoration traditionnelle, fabrication de costumes, compositing<br />

et montage, on n’<strong>en</strong> finit pas de voir Luu s’approprier de nouveaux<br />

médias d’expression. Autre domaine de création majeur dans lequel<br />

il s’illustre : la cuisine ! Et ce n’est pas un hasard si l’un de ses<br />

sites web de graphisme comporte une section culinaire !<br />

http://lionel.bui.fr<br />

http://luu.restaurant.free.fr<br />

http://paralosojos.free.fr<br />

Biographies<br />

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Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

Couverture - Eikasia<br />

Table<br />

L’arbre à livres - Yann Minh<br />

G<strong>en</strong>èse de Traverses, livre <strong>voyageur</strong> - Zoé A. Wolf<br />

Préface - Kar<strong>en</strong> GuillorEl<br />

Le colporteur I - Jean-Marie ViVès<br />

Kiruna - luVan<br />

Clair obscur - Jean-Yves kErVEVan<br />

Cubes - Jérôme BoulBès<br />

L’att<strong>en</strong>te - Jean-Yves kErVEVan<br />

La mélopée funeste - Catherine DEschaMps<br />

Le noonaute - Yann Minh<br />

La dernière révolte - hors huMain<br />

Daddy Longues-Jambes - noönk (ill. luh)<br />

La bête noire - Jean-Yves kErVEVan<br />

Le colporteur II - Jean-Marie ViVès<br />

Nostalgie d’un futur passé prés<strong>en</strong>t - Yann Minh<br />

La dernière demeure - Jean-Yves kErVEVan<br />

Maracasses - Rachid GuEnDouzE<br />

Les trois jours du Coran - Laur<strong>en</strong>t BraMarDi<br />

À fleur de peau - Philippe JozElon<br />

Voyager - Jean-Yves kErVEVan<br />

Voyage graphique à NY - luh<br />

Sylvia not in her land - luu & Sylvia zapiain<br />

Firefly Squid - Yann Minh<br />

Le colporteur III - Jean-Marie ViVès<br />

Biographies<br />

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Traverses, livre <strong>voyageur</strong> est édité par :<br />

Kar<strong>en</strong> Guillorel - www.kar<strong>en</strong>guillorel.com<br />

Autre chose - www.editions-autrechose.com<br />

avec l’aide de<br />

Chasseurs de Rêves - www.chasseursdereves.com<br />

Suivi du projet :<br />

Kar<strong>en</strong> Guillorel, Octavie Piéron, Zoé A. Wolf<br />

Auteurs :<br />

Jérôme Boulbès, Laur<strong>en</strong>t Bramardi, Catherine Deschamps,<br />

Eikasia, Rachid Gu<strong>en</strong>douze, Hors Humain, Philippe Jozelon,<br />

Luh aka Lucile Haute, Luu, Luvan, Jean-Yves Kervevan, Yann<br />

Minh, noönK, Jean-Marie Vivès, Sylvia Zapiain<br />

Maquette :<br />

Kar<strong>en</strong> Guillorel, Octavie Piéron<br />

Corrections :<br />

Eva Guillorel, Octavie Piéron, Stéphane Bernard<br />

Sites web :<br />

www.traverses-lelivre.com<br />

www.myspace.fr/traverses<br />

Version électronique de l’ouvrage :<br />

Octavie Piéron<br />

www.traverses-lelivre.com<br />

Remerciem<strong>en</strong>ts :<br />

aux donateurs, aux auteurs, à tous les participants de ce projet<br />

à Zoé A. Wolf et Laur<strong>en</strong>t Bramardi pour leur aide inestimable


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

les <strong>en</strong>fants du petit poucet.<br />

chemins de grands rêves.<br />

l’empreinte sous le sable.<br />

la stratégie de l’escargot.<br />

cartographie imaginaire.<br />

sous les baisers du v<strong>en</strong>t.<br />

<strong>voyageur</strong>s impud<strong>en</strong>ts.<br />

chemins de traverses.<br />

migrations m<strong>en</strong>tales.<br />

voyages imprud<strong>en</strong>ts.<br />

le s<strong>en</strong>tier de plumes.<br />

odyssées intérieures.<br />

le petit migrateur.<br />

les transhumains.<br />

plus loin devant.<br />

exodes de récits.<br />

récits <strong>en</strong> balade.<br />

valises pleines.<br />

nomads land.<br />

croisem<strong>en</strong>ts.<br />

va et vi<strong>en</strong>s.<br />

migrations.<br />

déballages.<br />

traversées.<br />

errances.<br />

vers<br />

errances.<br />

traversées.<br />

déballages.<br />

migrations.<br />

va et vi<strong>en</strong>s.<br />

croisem<strong>en</strong>ts.<br />

nomads land.<br />

valises pleines.<br />

récits <strong>en</strong> balade.<br />

exodes de récits.<br />

plus loin devant.<br />

les transhumains.<br />

le petit migrateur.<br />

odyssées intérieures.<br />

le s<strong>en</strong>tier de plumes.<br />

voyages imprud<strong>en</strong>ts.<br />

migrations m<strong>en</strong>tales.<br />

chemins de traverses.<br />

<strong>voyageur</strong>s impud<strong>en</strong>ts.<br />

sous les baisers du v<strong>en</strong>t.<br />

cartographie imaginaire.<br />

la stratégie de l’escargot.<br />

l’empreinte sous le sable.<br />

chemins de grands rêves.<br />

les <strong>en</strong>fants du petit poucet.


Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />

Ouvrage conforme à la nouvelle orthographe.<br />

www.orthographe-recommandee.info<br />

Traverses, livre <strong>voyageur</strong> est imprimé <strong>en</strong> papier recyclé<br />

(sauf couverture)<br />

Traverses, livre <strong>voyageur</strong> est édité par Kar<strong>en</strong> Guillorel et Autre<br />

Chose, 67, rue Saint Jacques 75005 Paris<br />

Impression réalisée par Eurografica Spa, Viale dell’Industria, 2<br />

36100 Vic<strong>en</strong>za (Italie).<br />

Dépôt légal : 3ème trimestre 2007<br />

ISBN : 978-2-9530266-0-3-0

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