Ebook complet en PDF - TRAVERSES, Livre voyageur
Ebook complet en PDF - TRAVERSES, Livre voyageur
Ebook complet en PDF - TRAVERSES, Livre voyageur
Transformez vos PDF en papier électronique et augmentez vos revenus !
Optimisez vos papiers électroniques pour le SEO, utilisez des backlinks puissants et du contenu multimédia pour maximiser votre visibilité et vos ventes.
VOYAGEUR<br />
Lisez-moi<br />
suivez-moi LIVRE<br />
Échangez-moi<br />
<strong>TRAVERSES</strong>,<br />
ISBN : 978-2-9530266-0-3-0
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
les <strong>en</strong>fants du petit poucet.<br />
chemins de grands rêves.<br />
l’empreinte sous le sable.<br />
la stratégie de l’escargot.<br />
cartographie imaginaire.<br />
errances.<br />
sous les baisers du v<strong>en</strong>t.<br />
traversées.<br />
<strong>voyageur</strong>s impud<strong>en</strong>ts.<br />
déballages.<br />
chemins de traverses.<br />
migrations.<br />
migrations m<strong>en</strong>tales.<br />
va et vi<strong>en</strong>s.<br />
voyages imprud<strong>en</strong>ts.<br />
croisem<strong>en</strong>ts.<br />
le s<strong>en</strong>tier de plumes.<br />
nomads land.<br />
odyssées intérieures.<br />
valises pleines.<br />
le petit<br />
Traverses<br />
migrateur.<br />
récits <strong>en</strong> balade.<br />
les transhumains.<br />
exodes de récits.<br />
plus loin devant.<br />
plus loin devant.<br />
exodes de récits.<br />
les transhumains.<br />
récits <strong>en</strong> balade.<br />
le petit migrateur.<br />
valises pleines.<br />
odyssées intérieures.<br />
nomads land.<br />
le s<strong>en</strong>tier de plumes.<br />
croisem<strong>en</strong>ts.<br />
voyages imprud<strong>en</strong>ts.<br />
va et vi<strong>en</strong>s.<br />
migrations m<strong>en</strong>tales.<br />
migrations.<br />
chemins de traverses.<br />
déballages.<br />
<strong>voyageur</strong>s impud<strong>en</strong>ts.<br />
traversées.<br />
sous les baisers du v<strong>en</strong>t.<br />
errances.<br />
cartographie imaginaire.<br />
la stratégie de l’escargot.<br />
l’empreinte sous le sable.<br />
chemins de grands rêves.<br />
les <strong>en</strong>fants du petit poucet.
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
G<strong>en</strong>èse de Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
Il y a près de trois ans germait l’idée de Traverses, axé<br />
dès l’origine sur la thématique du voyage.<br />
Imaginaire, amoureux ou géographique, le choix du type<br />
de voyage abordé a appart<strong>en</strong>u <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t aux auteurs, et sous<br />
la forme qu’ils souhaitai<strong>en</strong>t. Suivant le désir qui sous-t<strong>en</strong>d<br />
toute l’av<strong>en</strong>ture du livre, certains sont volontairem<strong>en</strong>t sortis de<br />
leur « domaine de travail » habituel pour se risquer hors des<br />
s<strong>en</strong>tiers battus et pr<strong>en</strong>dre le risque d’exister « autrem<strong>en</strong>t ».<br />
Des quinze écrivains et artistes que vous allez découvrir<br />
<strong>en</strong> grappillant, suivant l’instant, une nouvelle ou un dessin,<br />
la plupart ont fait fi de ce qui était leur « métier » et les avait<br />
fait reconnaitre. Peintres, maitres des images, ils ont creusé la<br />
veine de l’écriture. Ethnologue ou illustrateurs, ils ont montré<br />
au travers de mots, d’une fiction, une partie différ<strong>en</strong>te d’euxmêmes.<br />
Vous ne serez pas étonnés de découvrir que beaucoup<br />
d’<strong>en</strong>tre eux avai<strong>en</strong>t collaboré au livre d’art fantastique Terra<br />
Incognita (édité par Kar<strong>en</strong> Guillorel et Mickaël Ivorra),<br />
qui, déjà, se différ<strong>en</strong>ciait des lignes éditoriales habituelles, <strong>en</strong><br />
invitant neuf écrivains à illustrer par les mots le travail de<br />
neuf peintres.<br />
C’est aussi le gout du voyage qui a fait exister Traverses,<br />
livre <strong>voyageur</strong> : Kar<strong>en</strong> Guillorel, qui l’édite, est une voyageuse.<br />
Il y a un an et demi, elle a <strong>en</strong>trepris un périple de sept mois, à<br />
pied de Paris jusqu’à Istanbul, puis a continué <strong>en</strong> vélo jusqu’à<br />
Jérusalem. Partir est pour elle une évid<strong>en</strong>ce, mais partir sans<br />
lire une impossibilité. Alors, elle a comm<strong>en</strong>cé à déposer sur les<br />
bancs de Sarajevo ou de V<strong>en</strong>ise les livres lus, sur lesquels elle<br />
notait « pr<strong>en</strong>ez ce livre, il est à vous ». Peu à peu, au cours<br />
de ces mois où elle déposait un roman à l’Institut Français de<br />
Zagreb, donnait un recueil de nouvelles à une connaissance de<br />
quelques heures croisée à Sofia, échangeait un livre à Istanbul,<br />
s’est imposé à elle la nécessité de faire de Traverses, livre<br />
<strong>voyageur</strong>, un ouvrage à transmettre, à échanger, à offrir, et à<br />
offrir dès le départ, dans sa conception même.<br />
Voici donc quelques traits de la naissance de Traverses. Il<br />
vous apparti<strong>en</strong>t maint<strong>en</strong>ant de continuer à le faire vivre.<br />
4 5<br />
Zoé A. Wolf
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
Préface<br />
Le livre que vous t<strong>en</strong>ez <strong>en</strong>tre vos mains n’a pas de prix.<br />
Il ne s’achète pas : il s’échange ou il se donne. Il ne se garde<br />
pas, il se transmet. Une fois lu, son destin est de vagabonder à<br />
la surface de la planète, de mains <strong>en</strong> mains. Il louvoie sous des<br />
yeux multiples et rejette la t<strong>en</strong>tation de la collection, préférant les<br />
chemins de traverses de l’av<strong>en</strong>ture géographique.<br />
Lecteur, ne soyez pas attaché à autre chose qu’aux émotions,<br />
volatiles, éphémères ou profondes, que vous aurez <strong>en</strong> lisant. Traverses,<br />
livre <strong>voyageur</strong> s’ouvre à vous, mais il doit poursuivre<br />
une route qui ne s’arrête pas avec vous. Libérez-le après l’avoir<br />
lu, feuilleté, savouré, faites le transiter vers des personnes que<br />
vous aimez ou de parfaits inconnus, qui transmettront l’ouvrage<br />
à leur tour. Abandonnez-le dans un <strong>en</strong>droit public, un bar, un<br />
banc...<br />
Si vous le trouvez dans une cache à l’aide du système de<br />
géolocalisation sur notre site, alors échangez-le contre un autre<br />
livre que vous aimez pour que le rêve perdure - et le plaisir de<br />
la lecture aussi ! Inscrivez votre prénom et votre nom, un simple<br />
mot, tracez-y un dessin si vous le souhaitez. Ri<strong>en</strong> n’est plus<br />
délicieux que de croiser le chemin d’un livre qui a voyagé et d’y<br />
trouver les traces que ceux qu’il a touché avant vous.<br />
Les livres se déplac<strong>en</strong>t de plus <strong>en</strong> plus, comme les phénomènes<br />
de bookcrossing ou passe-livre le montr<strong>en</strong>t. La chasse au livre<br />
nomade se fait paisiblem<strong>en</strong>t, et vous pouvez participer à cet exercice<br />
joyeux et planétaire par le biais du site conçu spécialem<strong>en</strong>t à<br />
cet usage. Vous pourrez y observer les migrations du recueil que<br />
vous avez <strong>en</strong> ce mom<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre les mains, y suivre la route de ses<br />
explorations, garder un li<strong>en</strong> avec ce qu’il vous a donné. Il vous<br />
suffit d’<strong>en</strong>registrer le livre par le biais de son numéro de série s’il<br />
<strong>en</strong> a déjà un, ou de le générer.<br />
Et pour que Traverses se perpétue, gagne du terrain, existe<br />
plus fortem<strong>en</strong>t chaque jour, photocopiez-le tant que vous le voudrez,<br />
du mom<strong>en</strong>t que vous n’oubliez pas de souligner le nom de<br />
ceux qui y ont participé à ses av<strong>en</strong>tures ! Imprimez-le à partir du<br />
site dédié, mettez un li<strong>en</strong> vers son site à partir du vôtre, de votre<br />
blog ou de forums ! Cet ouvrage doit voyager de main à main au<br />
même titre qu’il le fera sur les autoroutes numériques !<br />
6 7<br />
Bonne lecture, heureux lecteur, et bonne route…<br />
Kar<strong>en</strong> Guillorel.<br />
Le site web du recueil : www.traverses-lelivre.com
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
10<br />
Mercredi<br />
Kiruna<br />
Luvan<br />
Libreville.<br />
Tove tord son ticket de train. Pour une raison inédite,<br />
Libreville figure sur une carte murale. Ensemble,<br />
Libreville et Tove sillonn<strong>en</strong>t les dunes neigeuses<br />
du Norrland1. Dehors, tambourinant les f<strong>en</strong>êtres<br />
épaisses du wagon de bois, le soleil sonne blanc, métallique.<br />
Quelqu’un a épinglé Libreville sur la carte.<br />
« Pourquoi avoir épinglé Libreville ? », se demande<br />
Tove. Puis : « Pourquoi ét<strong>en</strong>dre une carte du monde<br />
sur la cloison <strong>en</strong> formica du petit train filant de Bod<strong>en</strong><br />
à Kiruna ? »<br />
Libreville.<br />
Les yeux de Tove ne part<strong>en</strong>t plus. Ils p<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t aux<br />
lettres basaltiques. Le noir simple de leur incarnation<br />
11<br />
À Annika Asphölm
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
plastique la repose. Une secousse. Du coin de l’œil, la<br />
manche décidée d’un uniforme de contrôleur. Tove<br />
se retourne, soulagée qu’on la sorte d’Afrique, et<br />
t<strong>en</strong>d fébrilem<strong>en</strong>t son billet chiffonné. Elle s’apprête<br />
à demander, pour la carte, mais le contrôleur n’a pas<br />
de visage. Ce n’est pas un homme. C’est une simple<br />
veste p<strong>en</strong>due, que les cahots ont investie d’un peu<br />
de leur vie. Tove rit très fort et se rassoie. L’Afrique,<br />
un épouvantail… Serait-elle une sorte d’oie migratrice<br />
?<br />
Moins résistante qu’une oie, elle s<strong>en</strong>t le sommeil<br />
comm<strong>en</strong>cer à la pr<strong>en</strong>dre. Elle a pourtant dormi près<br />
de huit heures dans le premier train qui l’a déposée,<br />
à bout de souffle, devant la petite gare de Bod<strong>en</strong>. On<br />
met vingt-deux heures pour grimper au Nord.<br />
Dehors blanc. Le ciel et le sol se réverbèr<strong>en</strong>t avec<br />
<strong>en</strong>têtem<strong>en</strong>t. La femme d’<strong>en</strong> face s’est assombrie. Elle<br />
dort et comm<strong>en</strong>ce à grincer des d<strong>en</strong>ts. Quelques kilomètres<br />
pass<strong>en</strong>t. Le blanc toujours, mais l’altitude<br />
comm<strong>en</strong>ce à ronger les bois, qui se parsèm<strong>en</strong>t. Tove<br />
s<strong>en</strong>t un poids lui lâcher la poitrine et compr<strong>en</strong>d les<br />
mots de l’adolesc<strong>en</strong>te qui partageait son wagon de<br />
nuit, dans le premier train. Quand Tove, nez contre<br />
la vitre aux griffes de givre, lui a dit qu’elle était impati<strong>en</strong>te<br />
de voir le paysage nordique, la jeune fille,<br />
une brosse à d<strong>en</strong>ts à la bouche, a simplem<strong>en</strong>t haussé<br />
les épaules. Elle s’est p<strong>en</strong>chée sur le lavabo, a ret<strong>en</strong>u<br />
sa veste de pyjama de dévoiler ses seins, craché et dit,<br />
simplem<strong>en</strong>t : « Skogor… Skogor… Skogor… » (Des<br />
bois… Des bois… Des bois…) sur le ton le plus<br />
monotone du monde.<br />
Le nez à nouveau sur la vitre, mais plus froid, et<br />
les yeux moins bleus, Tove ressasse l’étrange mélodie<br />
verticale et compr<strong>en</strong>d <strong>en</strong>core, à la vue de ces troncs,<br />
de ces troncs, de ces troncs, ce que Libreville a de<br />
furieusem<strong>en</strong>t magique.<br />
« Skogor… Skogor… Skogor… »<br />
Le contrôleur ne vi<strong>en</strong>t pas. Elle aimerait lui demander<br />
pour la carte au mur et l’épingle dedans, mais<br />
il ne vi<strong>en</strong>t pas. Peut-être n’est-il plus que sa veste ?<br />
« Skogor… Skogor… Skogor… »<br />
Le train s’arrête. Il fait nuit. L’autre passagère est<br />
partie depuis longtemps. Elle a laissé un verre de café<br />
<strong>en</strong> polystyrène, qui couine contre les lattes <strong>en</strong> bois<br />
de la banquette. Tove lève ses yeux dev<strong>en</strong>us gris sur<br />
l’horloge impavide, qui continue de faire avancer le<br />
temps pourtant susp<strong>en</strong>du, depuis vingt-deux heures,<br />
à deux rails parallèles.<br />
16h35. Elle arrive dans deux minutes.<br />
Le quai de la gare de Gällivare. Une vieille femme<br />
aux joues rouge sombre ravinées de larmes s’approche<br />
du quai.<br />
12 13<br />
Kiruna<br />
*
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
« Bonjour. Je vous remercie d’avoir choisi notre<br />
p<strong>en</strong>sion. »<br />
Tove est satisfaite de ne pas avoir remis son<br />
voyage à plus tard. L’été lui aurait naturellem<strong>en</strong>t fait<br />
franchir la Suède <strong>en</strong> avion, et les grincem<strong>en</strong>ts du<br />
train lui dis<strong>en</strong>t qu’elle n’aurait pas aimé se téléporter<br />
de la sorte. Mais n’est-il pas déjà trop tard ? Même<br />
mouillés de froid, les yeux de la vieille gard<strong>en</strong>t un<br />
calme plat. Le calme de l’oubli. Maria a disparu au<br />
début de l’hiver. Se souvi<strong>en</strong>t-elle seulem<strong>en</strong>t d’elle ?<br />
Jeudi<br />
Tove a r<strong>en</strong>contré Maria <strong>en</strong> Afrique. Les g<strong>en</strong>s<br />
trouv<strong>en</strong>t bizarre que deux Suédoises se r<strong>en</strong>contr<strong>en</strong>t<br />
là, mais ce g<strong>en</strong>re de coïncid<strong>en</strong>ces arrive fréquemm<strong>en</strong>t<br />
aux <strong>voyageur</strong>s. Même aux Suédois, qui sont si<br />
peu de g<strong>en</strong>s.<br />
Elles se sont r<strong>en</strong>contrées au poste de douane.<br />
Quand le douanier a pris le passeport de Maria,<br />
il s’est trompé et l’a appelée Kiruna, qui n’est pas<br />
son nom mais son lieu de naissance. La capitale<br />
du Norrland. La ville la plus ét<strong>en</strong>due d’Europe. Et<br />
probablem<strong>en</strong>t la plus inconnue. Go ahead, Kiruna !<br />
Move ! People are waiting !<br />
Tove et Maria ont cheminé <strong>en</strong>semble p<strong>en</strong>dant<br />
cinq mois. Tove a appelé Maria Kiruna p<strong>en</strong>dant cinq<br />
Kiruna<br />
mois. Par dérision puis par plaisir : les yeux de Maria,<br />
son sourire, étai<strong>en</strong>t plus vifs quand elle ne portait pas<br />
son propre nom.<br />
Pour Tove, la ville de Kiruna était alors et demeure<br />
<strong>en</strong>core un mystère <strong>complet</strong>. Élevée dans le Sud de la<br />
Suède, elle attache au Nord un <strong>en</strong>vieux et détestable<br />
vertige, qui se sublime <strong>en</strong> plaisir quand elle prononce<br />
le mot Kiruna.<br />
Tous les Scandinaves p<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t au Nord, mais Tove,<br />
obsédée par son <strong>en</strong>vie de Sud, l’avait jusque-là occulté.<br />
Qu’il ressurgisse au poste frontière de Dakawa lui<br />
a presque fait perdre l’équilibre. Tove née <strong>en</strong> Suède,<br />
partie à l’âge de dix-huit ans pour le Sud, l’Afrique, le<br />
Pacifique, l’Asie, l’Afrique, rattrapée par le Nord...<br />
Maria avait fait le chemin inverse. Née à Kiruna<br />
puis élevée dans une mission luthéri<strong>en</strong>ne <strong>en</strong> Afrique,<br />
elle était remontée l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t. En partant de l’âge de<br />
seize ans et <strong>en</strong> arrivant… à la disparition <strong>en</strong> Laponie.<br />
Les g<strong>en</strong>s trouv<strong>en</strong>t bizarre que Tove veuille retrouver<br />
Maria, juste <strong>en</strong> vertu de ce croisem<strong>en</strong>t.<br />
Pour Tove, le voyage pour la Suède était simplem<strong>en</strong>t<br />
le retour. Elle ne l’a aimé que par la grâce<br />
admirable qu’y mettait Maria. Tove s’est arrêtée dans<br />
le Götaland. Maria a continué, les yeux brillants. Elle<br />
voulait voir le Nord, et le s<strong>en</strong>tait déjà. Sa dernière<br />
14 15
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
carte était postée de Gällivare, à quelque c<strong>en</strong>t kilomètres<br />
de Kiruna.<br />
Pourquoi ? Pourquoi disparaitre au terme de tout<br />
ceci ?<br />
*<br />
La vieille arrose une plante aux feuilles très épaisses<br />
et dont Tove ne retrouve plus le nom. Une plante<br />
très pratique pour espionner les voisins depuis sa<br />
cuisine. Très répandue <strong>en</strong> Suède. Sa mère <strong>en</strong> avait<br />
trois sur le rebord de la f<strong>en</strong>être. Comm<strong>en</strong>t s’appell<strong>en</strong>t-elles<br />
? La vieille dame repose l’arrosoir.<br />
- La vie des fleurs est une chose merveilleuse.<br />
Vous ne trouvez pas ? Ma cousine, qui vit dans le<br />
Sud-Ouest, m’a dit qu’il y <strong>en</strong> avait déjà beaucoup.<br />
Vous avez déjà des fleurs, et nous on continue de<br />
pêcher dans la glace. C’est magnifique, vous ne trouvez<br />
pas ?<br />
- Oui.<br />
Tove touille son café. Elle ne l’a pas sucré, mais<br />
elle doit faire disparaitre cette flaque d’écume. C’est<br />
du café électrique rassis. Tove aurait préféré du Kafé,<br />
dont le marc continue d’agacer la langue et la d<strong>en</strong>t,<br />
le café qu’on dit grec <strong>en</strong> Grèce et serbe <strong>en</strong> Serbie,<br />
mais que les Lapons pratiqu<strong>en</strong>t depuis près de deux<br />
siècles.<br />
- Vous v<strong>en</strong>ez d’où exactem<strong>en</strong>t ?<br />
16<br />
Kiruna<br />
- De Göteborg.<br />
C’est faux, mais Tove n’est pas là pour parler d’elle.<br />
Elle a réservé une chambre dans la même p<strong>en</strong>sion<br />
que Maria pour parler de Maria. Malheureusem<strong>en</strong>t,<br />
la vieille ne se souvi<strong>en</strong>t plus de la jeune femme. Du<br />
moins le prét<strong>en</strong>d-elle. En revanche, elle se souvi<strong>en</strong>t<br />
très bi<strong>en</strong> de cet article. Il y a quelques semaines, à<br />
la fonte des neiges, une jeune fille a été retrouvée<br />
morte, figée dans un pan de glace. « Peut-être étaitce<br />
ton amie ? » Non, malheureusem<strong>en</strong>t, elle n’a pas<br />
gardé l’article.<br />
La télévision résonne dans l’autre pièce. Un jeu<br />
de questions. Des candidats habillés de façon homogène.<br />
Un prés<strong>en</strong>tateur très vieux, ressemblant à un<br />
homme politique ou à un éleveur de chi<strong>en</strong>s.<br />
La vieille ne parle plus. Peut-être regarde-t-elle<br />
l’écran par-dessus l’épaule de Tove. Ou la f<strong>en</strong>être <strong>en</strong>core<br />
au-dessus, crénelée d’autres plantes grasses.<br />
On vi<strong>en</strong>t de sortir plusieurs pains du four. Ils sont<br />
plats et délicieux. Ronds. Un peu sucrés. Tove n’<strong>en</strong> a<br />
jamais gouté d’aussi bons.<br />
Elle tourne la tête pour t<strong>en</strong>ter de voir où mène le<br />
regard de son hôtesse. Derrière la f<strong>en</strong>être, derrière<br />
les plantes, se ti<strong>en</strong>t un homme pâle, très pâle malgré<br />
le soleil pascal. Il ti<strong>en</strong>t un pic et un seau. Ses mains<br />
sont nues et sales.<br />
- C’était… C’était un mineur ?<br />
17
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
La vieille fronce les yeux vers l’écran de télévision.<br />
- Qui ?<br />
- Non, pas à la télé (une publicité pour de l’huile<br />
de moteur). Dehors.<br />
- Je n’ai ri<strong>en</strong> vu. Les mineurs ne cour<strong>en</strong>t plus les<br />
rues. Depuis Grop<strong>en</strong>.<br />
- Grop<strong>en</strong> ?<br />
- Le trou.<br />
*<br />
La Kilk<strong>en</strong>ny Inn est l’un des deux hôtels de Gällivare,<br />
et son seul pub. Ri<strong>en</strong> de très local. Hôtels et<br />
pubs sont arrivés très tard <strong>en</strong> Suède, et n’ont pas<br />
<strong>en</strong>core pénétré le Norrland.<br />
Tove monte l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t l’escalier aveugle qui mène<br />
au pub.<br />
Aucune femme. Cinq hommes très saouls gigot<strong>en</strong>t<br />
près du bar et agac<strong>en</strong>t un groupe de trois<br />
Iraki<strong>en</strong>s papotant autour d’un café. Un homme plus<br />
ravagé que les autres sirote un whisky. Gilet de cuir,<br />
santiags, teint rouge et yeux mouillés. Tove pr<strong>en</strong>d<br />
place sur une banquette de diner américain, formant<br />
une petit alcôve. Le syncrétisme transatlantique de<br />
l’<strong>en</strong>droit l’amuse.<br />
18<br />
Kiruna<br />
Que fait-elle ici ? Le Nord, sa tristesse, son inadéquation<br />
la glac<strong>en</strong>t. Les roches plates et les récifs<br />
doux de l’ile de Tjörn lui manqu<strong>en</strong>t. Et plus <strong>en</strong>core<br />
ses longues marches dans le désert du Tibesti.<br />
L’homme au whisky se lève tandis qu’elle regarde<br />
avec effroi la mousse très mince qui fuit déjà de sa<br />
Guinness mal tirée. L’homme agrém<strong>en</strong>te sa mâchoire<br />
d’un harmonica, s’assoit sur un tabouret de comptoir<br />
et pose une guitare assez laide sur sa cuisse. Un<br />
troubadour. Il ne manquait plus que ça. La bière est<br />
trop acide et le premier standard de folk américain<br />
annoné, expiré, trop triste, trop fort et agrém<strong>en</strong>té<br />
d’un atroce acc<strong>en</strong>t suédois. Tove croit reconnaitre les<br />
mots « voiture » et « chi<strong>en</strong> ». Ou bi<strong>en</strong> est-ce « cicatrice<br />
» et « brouillard » ?<br />
La barmaid s’<strong>en</strong>nuie. Elle repousse une mèche mal<br />
coupée et les assauts des cinq hommes avec la même<br />
attitude de princesse agonisante. Son tour v<strong>en</strong>u, Tove<br />
l’interroge sur Maria, mais ne reçoit que de grands<br />
yeux vides, très longuem<strong>en</strong>t plongés dans les si<strong>en</strong>s.<br />
Tove se rassoit. Des larmes lui vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t au bord<br />
des paupières : pourquoi disparaitre ici ? Pourquoi la<br />
faire v<strong>en</strong>ir à Malmberget ?<br />
Malmberget est le nom de la commune att<strong>en</strong>ante<br />
à Gällivare, sur laquelle est bâti l’hôtel. La ville historique<br />
de Gällivare, laminée par Grop<strong>en</strong>, a été séparée<br />
<strong>en</strong> deux : les mines de Malmberget d’un côté, les<br />
19
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
quartiers résid<strong>en</strong>tiels de l’autre, dans ce qui resta<br />
Gällivare. Peu à peu, une vie parallèle a insufflé les<br />
deux communes et les mines, après avoir achevé de<br />
saper le sol et d’élargir Grop<strong>en</strong>, se sont fermées. Les<br />
deux communes, ne sont plus aujourd’hui que deux<br />
villes sœurs, séparées par un gouffre aberrant de cinq<br />
c<strong>en</strong>ts mètres de long, deux c<strong>en</strong>t cinquante mètres de<br />
large et autant de profondeur.<br />
« Aussi profond que la Tour Eiffel », lui a dit la<br />
vieille, qui n’est jamais allée à Paris.<br />
Les mines ont comm<strong>en</strong>cé de grignoter la montagne<br />
<strong>en</strong> 1888. On a tant excavé que la terre s’est<br />
ouverte, l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t dans les années tr<strong>en</strong>te, dramatiquem<strong>en</strong>t<br />
à partir des années cinquante. Depuis,<br />
les habitants regard<strong>en</strong>t le sol s’effondrer sous leurs<br />
pieds.<br />
Sa logeuse a expliqué à Tove que Grop<strong>en</strong> avait<br />
mangé le quartier de son <strong>en</strong>fance. Petite, elle habitait<br />
près d’un cinéma et d’un petit café qui n’exist<strong>en</strong>t<br />
plus. Elle a été évacuée trois fois.<br />
À la demande de Tove, la vieille l’a conduite au<br />
bord du gouffre.<br />
« Il est possible que ton amie se soit perdue <strong>en</strong><br />
l’explorant. On disparait beaucoup dans le gouffre.<br />
Moi je dis, si ce n’est pas la montagne, c’est le<br />
trou. »<br />
20<br />
Kiruna<br />
C’est à peu près l’avis de la police, que Tove a<br />
consultée sans trop y croire. Maria a disparu. Ça arrive<br />
tout le temps. C’était peut-être cette touriste retrouvée<br />
dans la glace il y a deux semaines. Sans doute gelée <strong>en</strong><br />
hiver. Ou bi<strong>en</strong> elle est dans le trou, mais personne<br />
n’ira la chercher, vous êtes folle.<br />
Grop<strong>en</strong>.<br />
La vue était fabuleuse. La lumière ricochait de<br />
pierre <strong>en</strong> pierre, sans s’assouvir, et jusqu’à disparaitre,<br />
dans un noir si profond qu’il aurait pu être<br />
un pelage de phoque. Plus loin, Gällivare s’ét<strong>en</strong>dait,<br />
dragon lumineux aux pieds baignés de somptueuses<br />
veines lactées. Les rivières de Lule et Råne.<br />
Hypnotisée, Tove s’est alors dit qu’elle n’aurait jamais,<br />
jamais pu supporter de vivre ici.<br />
*<br />
Les cinq hommes ont fini d’agacer les trois immigrés<br />
et se sont écroulés, fronts contre table. Tove<br />
s<strong>en</strong>t le mom<strong>en</strong>t de partir.<br />
Elle se dirige vers la barmaid.<br />
- Combi<strong>en</strong> ?<br />
- 35 couronnes.<br />
- Voilà.<br />
- Au sujet de Maria Stålnacke… Je suis désolée<br />
pour tout à l’heure. Je la connaissais <strong>en</strong> fait.<br />
- Elle est v<strong>en</strong>ue ici cet hiver ?<br />
21
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
- Non, mais elle donnait des cours de théâtre à<br />
mon collège.<br />
- Tu es <strong>en</strong>core au collège ?<br />
- Bi<strong>en</strong> sûr que non. C’était il y a cinq ans.<br />
- Maria était déjà rev<strong>en</strong>ue <strong>en</strong> Suède ?<br />
- Comm<strong>en</strong>t ça « rev<strong>en</strong>ue » ? Elle était de Gällivare.<br />
- Je… Pardon. Elle m’avait dit qu’elle avait été<br />
élevée <strong>en</strong> Afrique.<br />
- Pas du tout. Je crois qu’elle est née à Kiruna<br />
mais elle a grandi ici. Ma demi-sœur la connaissait.<br />
Elles étai<strong>en</strong>t à la même école. Elles étai<strong>en</strong>t très amies.<br />
Elles sont dev<strong>en</strong>ues bizarres vers quatorze ans. Elles<br />
ont fait une fugue et sont desc<strong>en</strong>dues dans le Sud.<br />
Enfin, à Göteborg. Tu vi<strong>en</strong>s de là, non ? Ça s’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d<br />
à ton acc<strong>en</strong>t.<br />
- Oui. Enfin, de l’archipel à côté. Mais quand estelle<br />
partie <strong>en</strong> Afrique ? Parce que c’est là que je l’ai<br />
r<strong>en</strong>contrée.<br />
- Je n’<strong>en</strong> sais ri<strong>en</strong>. Je ne savais même pas qu’elle<br />
était partie <strong>en</strong> Afrique.<br />
- Mais… Personne ne semble la connaitre ici. Je<br />
ne compr<strong>en</strong>ds pas. La police p<strong>en</strong>se que c’est peutêtre<br />
la fille qu’on a retrouvée gelée, mais ils dis<strong>en</strong>t<br />
que c’était une touriste égarée ! Ils m’ont même laissée<br />
<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre qu’elle aurait pu simplem<strong>en</strong>t se perdre<br />
dans le trou et m’ont découragée de la retrouver !<br />
22<br />
Kiruna<br />
- Les g<strong>en</strong>s d’ici n’aim<strong>en</strong>t pas qu’on vi<strong>en</strong>ne fouiller.<br />
Et puis ils l’ont tous r<strong>en</strong>iée. Comme ma sœur. C’est<br />
débile. Je n’ai jamais le droit d’<strong>en</strong> parler à la maison.<br />
- Et tu sais où est ta sœur ?<br />
- Non. En fait, j’espérais que tu savais.<br />
- Et… C’est bi<strong>en</strong> Maria qu’on a retrouvée dans la<br />
glace, n’est-ce pas ?<br />
- Oui. Je suis désolée. Ils sont atroces, non ?<br />
Comme elle n’avait plus de famille, personne ne l’a<br />
id<strong>en</strong>tifiée. J’ai voulu le faire, mais la police a refusé<br />
mon témoignage. Ils ont dit qu’on n’était pas assez<br />
proches. Mais elle n’était proche de personne ! Ses<br />
par<strong>en</strong>ts sont morts dans un effondrem<strong>en</strong>t…<br />
Tove ne tira plus ri<strong>en</strong> de la serveuse. Elle lui dit<br />
simplem<strong>en</strong>t « au revoir » et se retira dans la remise,<br />
où elle alluma une insipide radio.<br />
V<strong>en</strong>dredi<br />
Kiruna n’est qu’à une heure de Malmberget. Une<br />
heure de phares dans les bois. Tove comm<strong>en</strong>ce à<br />
les aimer. Leurs ondes hypothermiques. Leur non-<br />
balancem<strong>en</strong>t de monolithes.<br />
Arrivée à l’orée de la gigantesque ville plate, qui<br />
s’étale comme un pays et scintille de titanesques asc<strong>en</strong>seurs<br />
miniers, Tove s’arrête et se gare. Au pied<br />
d’une longue falaise, un lac scintille. La glace fait du<br />
reflet une lumière pure, incolore.<br />
23
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
Sur la berge humide, des mères appell<strong>en</strong>t leurs<br />
<strong>en</strong>fants qui sillonn<strong>en</strong>t la glace : « Att<strong>en</strong>tion ! La couche<br />
est fine ! La glace est friable ! Restez près du<br />
bord ! »<br />
Tove regarde le sol blanc et innoc<strong>en</strong>t. Un vertige<br />
familier la pr<strong>en</strong>d. Elle voit des <strong>en</strong>fants flottant dans<br />
quelques eaux noires, sous la croute impavide, les<br />
yeux révulsés.<br />
Elle se souvi<strong>en</strong>t aussi de ces histoires terrifiantes<br />
d’<strong>en</strong>fants perdus, l’hiver, dans des labyrinthes de glace.<br />
Et qu’on retrouve au printemps, à la fonte inexplicable<br />
des glaces. À Pâques, leur cadavre figé dans une<br />
longue falaise blanche et qu’on regarde glisser à travers<br />
la couche de plus <strong>en</strong> plus fine. On n’ose pas le<br />
décrocher de peur de le démembrer par maladresse.<br />
Alors on att<strong>en</strong>d que la glace fonde petit à petit, par<br />
la plus étrange sublimation du regard. Enfin arrive le<br />
mom<strong>en</strong>t de le cueillir pour le mettre <strong>en</strong> terre.<br />
Quand elle était <strong>en</strong>fant, ces histoires de fonte<br />
morbide v<strong>en</strong>ues du Norrland la faisai<strong>en</strong>t trembler.<br />
Et maint<strong>en</strong>ant la voilà. Après avoir survécu au<br />
paludisme, à trois staphylocoques et une dys<strong>en</strong>terie,<br />
recraché le poison de deux scorpions et d’un serp<strong>en</strong>t…<br />
Tove monte vers la « falaise de Maria ». L’<strong>en</strong>droit<br />
où on l’a cueillie.<br />
Kiruna<br />
Le haut de ses cuisses fait une douleur qu’elle n’avait<br />
pas s<strong>en</strong>tie depuis des mois. Épuisée, elle regarde la neige,<br />
inlassablem<strong>en</strong>t, s’affaisser sous elle comme le ferait<br />
une colline de granit sous le pas d’un géant.<br />
Elle arrive <strong>en</strong>fin. Neige. Seul un bouquet maigre<br />
et congelé. Tove se hisse <strong>en</strong>core et dépose, à côté du<br />
bouquet, un gri-gri sombre. Maria le lui avait offert<br />
<strong>en</strong> Afrique. Elle le gardait toujours contre elle. Pourtant,<br />
une nuit, elle l’arracha à son cou transpirant, le<br />
porta jusqu’à ses lèvres et le mit finalem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre les<br />
mains de Tove. Tu me le r<strong>en</strong>dras à l’occasion.<br />
Tove s’affaisse laborieusem<strong>en</strong>t, dos contre la paroi.<br />
Assise dans la neige, à côté d’elle, une femme<br />
triplem<strong>en</strong>t vêtue d’anoraks bleus et rouges balance<br />
son buste contre le crâne bonneté d’un <strong>en</strong>fant, à la<br />
façon des cynocéphales d’Afrique de l’Est. Des singes<br />
vêtus de parkas, <strong>en</strong>foncés dans la mousse neigeuse…<br />
La vie humaine pr<strong>en</strong>d de drôles de formes.<br />
Harassée de soleil, Tove se débarrasse de son anorak.<br />
Elle relève une manche et applique son avantbras<br />
nu, duveté d’un blond profond, sur un molleton<br />
de neige. Elle s<strong>en</strong>t la brulure, familière des sorties<br />
de sauna, puis ri<strong>en</strong>. La pelure exacte de sa peau se<br />
referme sur celle de la montagne.<br />
Kiruna.<br />
24 25
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
Clair obscur<br />
Jean-Yves Kervevan<br />
Sur ton coeur, tu serrais cette tache, une lueur<br />
pâle. Tu la cachais plutôt, car il n’est jamais bon pour<br />
un m<strong>en</strong>diant d’arborer cela sur son coeur. Enfant<br />
audacieux, tu te dissimulais poitrine nue, assis <strong>en</strong><br />
plein crépuscule sur le boulevard aux mille passants<br />
aveugles. Personne d’ailleurs, dans la cité, ne semblait<br />
s’intéresser à toi. Sauf l’infection sournoise, obstinée,<br />
qui te rongeait peu à peu de l’intérieur.<br />
Tu connus la brulure mordante et l’insatiable<br />
appétit de ce feu qui dévore. La tache grandit sans<br />
cesse, s’ét<strong>en</strong>dit <strong>en</strong>core et <strong>en</strong>core. Tu savais ta fin proche,<br />
tandis que ton corps malade pr<strong>en</strong>ait l’appar<strong>en</strong>ce<br />
d’une luciole étrangem<strong>en</strong>t blanche. L<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t, tu<br />
t’affaissas. Peu à peu tu te laissas glisser sur le sol, où<br />
ta chair se consumerait <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t, ne laissant à cet<br />
<strong>en</strong>droit qu’un misérable petit tas de c<strong>en</strong>dre. Que cette<br />
infâme lumière t’embrase donc tout <strong>en</strong>tier ! Qu’elle<br />
27
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
t’emporte et efface pour toujours ta pauvre carcasse<br />
d’<strong>en</strong>fant mal né !<br />
Mais certains ne s’arrêtai<strong>en</strong>t-ils pas déjà, sortant<br />
de ce que tu avais pris pour de l’indiffér<strong>en</strong>ce et qui<br />
n’était <strong>en</strong> fait qu’une feinte ? Ils s’approchai<strong>en</strong>t de<br />
toi, pr<strong>en</strong>ant pitié, v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t se chauffer à ta flamme<br />
vacillante, presque morte. Les plus hardis se postai<strong>en</strong>t<br />
déjà si près de ce qui avait été toi, alliés de ta<br />
faiblesse, et certains esquissai<strong>en</strong>t même des gestes<br />
d’oiseaux quelque peu rassurants ! Ces charognards,<br />
<strong>en</strong> fait, reluquai<strong>en</strong>t tes yeux, ton v<strong>en</strong>tre, ta gorge<br />
si g<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t offerte ! Leurs serres s’ouvrai<strong>en</strong>t et<br />
se fermai<strong>en</strong>t dans une conversation ridicule, leurs<br />
mâchoires calculant dans le vide des trajectoires<br />
franchem<strong>en</strong>t répugnantes !<br />
Tu crus mourir alors, tandis que la claire lumière,<br />
réveillée dans sa gloire la plus affreuse, t’embrasait<br />
tout <strong>en</strong>tier. Mais les monstres ne t’effleurèr<strong>en</strong>t même<br />
pas, et tes flancs ne fur<strong>en</strong>t jamais sauvagem<strong>en</strong>t déchirés.<br />
Tes bras, tes jambes et ton buste, bi<strong>en</strong> que<br />
réduits à l’état de charbon, se soumir<strong>en</strong>t <strong>en</strong> offrande<br />
et contre toute att<strong>en</strong>te, au rite d’une résurrection !<br />
Tu avais s<strong>en</strong>ti une énergie nouvelle t’<strong>en</strong>vahir, te traverser<br />
de part <strong>en</strong> part comme une épée de lumière,<br />
grimper <strong>en</strong> toi de vertèbre <strong>en</strong> vertèbre <strong>en</strong> suivant un<br />
axe vertical, jusqu’à ton crâne ! Puis, elle avait jailli,<br />
pris la forme jolie d’une sphère d’or tout autour de ta<br />
Clair obscur<br />
tête ! Dans un étrange hoquet, un petit peu comme si<br />
tu te vomissais toi-même, tu t’étais alors s<strong>en</strong>ti r<strong>en</strong>aitre<br />
à la vie ! Ta tête, gonflée tel un ballon de baudruche,<br />
avait soulevé de terre ton corps obscur, tout calciné<br />
de mort ! Les oiseaux de proie te vir<strong>en</strong>t grandir, <strong>en</strong>trainé<br />
vers le ciel par la force invisible ! Tu t’élevais<br />
au-dessus d’eux, épouvantés, qui reculai<strong>en</strong>t. Et ce fut<br />
comme un grand croassem<strong>en</strong>t d’effroi quand ta tête<br />
se détacha, semblable à un oeuf pansu, auréolé de<br />
lumière, pour s’élever vers les très hautes sphères !<br />
Ta tête s’<strong>en</strong> fut, laissant choir ton corps noir sur ceux<br />
qui, voyant cette ombre s’abattre sur eux, fir<strong>en</strong>t le<br />
choix de mourir.<br />
28 29
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
Cubes<br />
Jérôme Boulbès<br />
30
Traverses, livre <strong>voyageur</strong>
Traverses, livre <strong>voyageur</strong>
Traverses, livre <strong>voyageur</strong>
Traverses, livre <strong>voyageur</strong>
Traverses, livre <strong>voyageur</strong>
Traverses, livre <strong>voyageur</strong>
Traverses, livre <strong>voyageur</strong>
Traverses, livre <strong>voyageur</strong>
Traverses, livre <strong>voyageur</strong>
Traverses, livre <strong>voyageur</strong>
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
L’att<strong>en</strong>te<br />
Jean-Yves Kervevan<br />
C’est le bloc des condamnés. La vieille femme le<br />
sait et elle att<strong>en</strong>d. Ici, cela fait p<strong>en</strong>ser à une gare de<br />
triage, avec tous ces lits attachés à la queue-leuleu qui<br />
gliss<strong>en</strong>t sur des rails. Ils sont ori<strong>en</strong>tés, à l’heure du<br />
trépas, vers la grande bouche noire du tunnel c<strong>en</strong>tral.<br />
Les lits sont attachés <strong>en</strong>semble, au jugé, c’est-à-dire<br />
<strong>en</strong> fonction du “passage” plus ou moins immin<strong>en</strong>t<br />
de leurs occupants. Deux infirmières se charg<strong>en</strong>t de<br />
la corvée, graiss<strong>en</strong>t les roues, vérifi<strong>en</strong>t les courbes de<br />
température, réajust<strong>en</strong>t sans cesse les goutte-à-goutte,<br />
car ne convi<strong>en</strong>t-il pas de garder à chaque train<br />
de marchandises son homogénéité ? Cela garantit la<br />
beauté du synchronisme dans la mort.<br />
Souv<strong>en</strong>t, les drogueurs d’État visit<strong>en</strong>t les moribonds.<br />
Surtout afin de les distraire et de les rassurer.<br />
Affublés de nez rouges chatoyants et v<strong>en</strong>us de nulle<br />
part, ils ouvr<strong>en</strong>t aux chevets, et comme par <strong>en</strong>chan-<br />
52 53
Traverses, livre <strong>voyageur</strong>
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
tem<strong>en</strong>t, leurs pharmacies portatives. Ainsi sont élues<br />
les formules chimiques du jour. Les drogues multicolores<br />
jailliss<strong>en</strong>t alors des mallettes, comprimés<br />
magiques parfaitem<strong>en</strong>t inoff<strong>en</strong>sifs. Nous savons<br />
<strong>en</strong> effet que ces médicam<strong>en</strong>ts sont heureusem<strong>en</strong>t<br />
périmés, et donc presque sans danger pour la santé<br />
capricieuse de nos agonisants.<br />
Le petit tube de liquide orange serré <strong>en</strong>tre ses mâchoires<br />
éd<strong>en</strong>tées, la vieille femme att<strong>en</strong>d. Elle caresse<br />
de son index tordu par l’âge un angle de l’oreiller.<br />
Ses draps sont souillés, sa mine cadavérique. Elle est<br />
si pâle et décharnée. Ses grands yeux bleus, comme<br />
deux pierres transpar<strong>en</strong>tes, flott<strong>en</strong>t dans des orbites<br />
trop caves. Ce regard si clair fixe la perfusion susp<strong>en</strong>due<br />
à la tête de son lit. Quelques petites bulles<br />
d’air y sont <strong>en</strong>core visibles, collées contre la paroi du<br />
bocal de verre. Bulles presque immatérielles, <strong>en</strong>core<br />
plus insaisissables que ne le sont les grains du sablier,<br />
<strong>en</strong>tre nos doigts impati<strong>en</strong>ts. Parfois, l’une d’<strong>en</strong>tre<br />
elles se détache, monte gracieusem<strong>en</strong>t vers le haut<br />
du bocal, s’élève, légère, <strong>en</strong> suivant une trajectoire<br />
<strong>en</strong> spirale<br />
Ne crèvera-t-elle donc jamais, cette paresseuse<br />
petite bulle ? Pas avant d’être arrivée à l’air libre,<br />
à la surface elliptique du liquide. Le récipi<strong>en</strong>t est<br />
d’ailleurs presque vide.<br />
56 57
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
58<br />
La mélopée funeste<br />
La mélopée funeste<br />
Catherine Deschamps<br />
À Hubert Cael,<br />
À Jean-Marie Jolibois,<br />
À pile ou face<br />
Officiellem<strong>en</strong>t, c’est l’<strong>en</strong>terrem<strong>en</strong>t du grand-père.<br />
La levée du corps à l’hôpital, et maint<strong>en</strong>ant l’étau se<br />
resserre. Nous sommes alignés aux premières loges<br />
dans l’église de ce village que je n’ai jamais compris,<br />
leur exil vers le néant, après la fin des notables. Ce<br />
hameau rejoint les vieux jours annoncés, avec la<br />
platitude de ses paysages pour exutoire d’opérette :<br />
plus tôt, la Lorraine chutait, des bouches d’égout<br />
finissai<strong>en</strong>t de se v<strong>en</strong>dre, un alliage avait été inv<strong>en</strong>té,<br />
abandonné contre une direction non pér<strong>en</strong>ne ; <strong>en</strong>core<br />
avant, des fastes industriels mettai<strong>en</strong>t la tête<br />
dans les nuages et des décharges d’adrénaline <strong>en</strong>dormai<strong>en</strong>t<br />
les retours de bâton.<br />
Dans la petite église à côté des t<strong>en</strong>nis au macadam<br />
ourlé, les sièges sont remplis à s’<strong>en</strong> frotter les hanches.<br />
Même l’arrière-banc où s’<strong>en</strong>tass<strong>en</strong>t l’épicier, la<br />
bouchère, le docteur chose, des femmes <strong>en</strong> tabliers<br />
59
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
gris, la flaque de l’affectation. À force de Paris, j’avais<br />
oublié cette foule pour saluer les morts dans les campagnes,<br />
ces mises <strong>en</strong> bouche <strong>en</strong> guise d’hommage,<br />
cette réjouissance macabre ; ils n’avai<strong>en</strong>t pas à chercher<br />
loin pour les t<strong>en</strong>ues austères. Du v<strong>en</strong>tre maternel<br />
au v<strong>en</strong>tre de la terre, ils n’ont jamais oublié. Certes,<br />
comme depuis quelques deuils la famille a r<strong>en</strong>oncé<br />
au vin d’honneur, ce sas <strong>en</strong>tre ceux qui s’invit<strong>en</strong>t et<br />
les élus de la douleur, tout à l’heure l’arrière-banc ne<br />
serait pas des agapes.<br />
Dans l’immédiat, ma grand-mère, ses <strong>en</strong>fants,<br />
leurs pièces rapportées, nous les derniers et les plus<br />
petits <strong>en</strong>core, les cousins, les vieilles tantes, quelques<br />
amis triés sur le volet ou la par<strong>en</strong>tèle éloignée, nous<br />
sommes au poulailler : vue privilégiée sur le cadavre,<br />
le bois <strong>en</strong> sandwich, les mille coquelicots <strong>en</strong> couverture,<br />
ces échardes qui ne sort<strong>en</strong>t plus.<br />
On se croirait sous l’Anci<strong>en</strong> Régime : nous, bi<strong>en</strong><br />
fringués au plus près du spectacle, et puis, derrière,<br />
un décresc<strong>en</strong>do dans la fierté du port, un relâchem<strong>en</strong>t<br />
vestim<strong>en</strong>taire, même cette <strong>en</strong>fant <strong>en</strong> blanc<br />
avachie, près du radiateur éteint.<br />
Il y a moins de vingt ans, moi aussi j’avais une chemise<br />
blanche sous la veste <strong>en</strong> flanelle, mes cheveux<br />
n’étai<strong>en</strong>t pas <strong>en</strong> bataille et j’ai réservé mes larmes.<br />
Devant le même autel, aux prémisses de leur petite<br />
La mélopée funeste<br />
mort, c’était le premier voyage que je r<strong>en</strong>onçais à<br />
vivre.<br />
La veille de la cérémonie religieuse, à mon habitude,<br />
j’ai refusé de voir le visage arrêté, ce visage étranger.<br />
La chaleur, nos bras dénudés, l’été chatoyant, un retour<br />
précipité de mon ile, cet égoïsme qui parfois me<br />
protège… j’ai préféré compter fleurette à l’herbe folle<br />
du jardin, ne pas anticiper, ne ri<strong>en</strong> réaliser ; il serait<br />
bi<strong>en</strong> trop tôt.<br />
À quoi bon papi sur la plaque de métal, l’embaumeur<br />
qui donne mal le change, l’odeur comme <strong>en</strong><br />
classe de terminale, quand malgré les études sci<strong>en</strong>tifiques<br />
j’étais exemptée pour cause de vapeurs, petite<br />
dame aux camélias de pacotille. À quoi bon, aussi,<br />
les couloirs blancs de l’hôpital, les talons et leurs<br />
cliquetis, les démarches empotées pour estomper le<br />
bruit, les affiches sans intérêt sur les murs, les dangers<br />
du tabac, les mille et un dépistages, les sièges <strong>en</strong><br />
moleskine, les magazines qui train<strong>en</strong>t, la distraction<br />
<strong>en</strong> vrille.<br />
Depuis la mort de mon père, dans la famille,<br />
j’étais toujours la seule à faire bande à part. Il faut<br />
dire qu’ils l’avai<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> cherché : la cabale pour me<br />
protéger, ne pas me dire la maladie, trop jeune paraitil.<br />
Et puis, ce refus de me laisser voir quand ses joues<br />
devinr<strong>en</strong>t trop creuses, le jeu de petit cheval avec ma<br />
cousine, quand ils savai<strong>en</strong>t déjà. Le coup de fil <strong>en</strong>fin,<br />
60 61
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
et seul mon grand-père dont j’acceptais les bras. Des<br />
bornes ailleurs, maman qui avait t<strong>en</strong>u la main de son<br />
mari lors du dernier souffle, maman trop loin de moi<br />
ce jeudi noir. Elle et son emphase, parce que ses peines<br />
avai<strong>en</strong>t la légitimité du charnier : mes casseroles<br />
jusqu’à la délivrance, bi<strong>en</strong>tôt, et le droit à l’erreur, à<br />
la mauvaise foi, à faire croire que j’aime plus fort,<br />
que mes colères ont leur place, que les autres ont<br />
forcém<strong>en</strong>t tort.<br />
Mais à l’époque, papa était pour des lustres sans<br />
déconfiture, moi toujours dans la maint<strong>en</strong>ance.<br />
L’école et leur pitié que je méprisais, ta mort que<br />
je leur cachais ; la boulimie de rires, les portes de<br />
ma mère franchies ; ce fils de médecin, amoureux<br />
pour les larmes que je n’ai pas eues, à la messe il y a<br />
longtemps ; d’autres, mal à l’aise pour l’ét<strong>en</strong>dard que<br />
je ne portais pas. L’orgueil, cette devise familiale que<br />
j’avais faite mi<strong>en</strong>ne, avant de mieux compr<strong>en</strong>dre.<br />
Et plus tard quand la fac, papa rev<strong>en</strong>ait immaculé,<br />
avec sa voix chaude lors de mes rêves éveillés. Il a<br />
fait son come-back dans les écouteurs de mon baladeur,<br />
<strong>en</strong>tre Versailles et la Sorbonne, Polytechnique<br />
que je n’avais pas fait, dans un train de banlieue,<br />
<strong>en</strong>tre Barbara, Nantes où il pleut, Au Petit Bonheur<br />
et son soleil, Janis Joplin et ses lords. Papa, rev<strong>en</strong>u<br />
d’outre-tombe comme je l’avais quitté, <strong>en</strong> pleine<br />
forme, me demandant des nouvelles et donnant son<br />
La mélopée funeste<br />
blanc-seing pour ma vie. Mon père, faisant fi d’une<br />
culpabilité plus tôt, une vague période délinquante,<br />
ça restait <strong>en</strong> famille. Non, ce n’était pas moi ; non, je<br />
ne l’avais pas tué. Que je sois douce avec sa femme,<br />
oui, d’accord. J’avais bi<strong>en</strong> réagi, quand ma mère a<br />
compris pour la maitresse des derniers temps. Que<br />
je me protège aussi, ça, je savais : le crin trop dur depuis<br />
ta mort pour ress<strong>en</strong>tir les <strong>en</strong>tailles, mon éternel<br />
refuge dans la distance.<br />
Papa, guilleret trois fois dans mes oreilles, deux<br />
petits tours et puis s’<strong>en</strong> vont. À nouveau le sil<strong>en</strong>ce<br />
ou Barbara, jusqu’à mon cri bi<strong>en</strong>tôt. Encore, je t’occulte,<br />
jusqu’à ce qu’<strong>en</strong>fin des os soi<strong>en</strong>t rongés sans<br />
transition.<br />
Quand même, au milieu de mon père et de son<br />
géniteur, ma marraine était morte et je l’avais vue :<br />
une horreur au fer forgée, comme la grille devant la<br />
maison, comme la rambarde de l’escalier, le temps<br />
de la métallurgie, le frisson le long de la colonne. Sa<br />
fille m’a fait v<strong>en</strong>ir pour garder ses yeux vierges. Il<br />
fallait auth<strong>en</strong>tifier sa mère, un cercueil à sceller, ma<br />
signature à aposer avant le départ pour Cythère.<br />
Je me souvi<strong>en</strong>s de cette inconnue, ce rose <strong>en</strong><br />
plaque, réparti par paquets sur la peau blafarde, des<br />
cils mal coiffés et du caca d’œil dans la glissière, la<br />
mâchoire <strong>en</strong> godille, ce tailleur <strong>en</strong> pied-de-poule où<br />
62 63
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
tu flottais, la bague de ton mari. Ma belle marraine,<br />
ce n’était plus toi, tu ressemblais à cette ancêtre que<br />
je n’aimais pas, tu ne m’as pas laissée de marbre. Mon<br />
<strong>en</strong>vie de vomir, avant d’acquiescer devant l’homme<br />
<strong>en</strong> noir. Après, il a refermé le couvercle et mis tant<br />
de cire pour t’interdire l’échappée belle.<br />
Et ta fille qui a voulu alpaguer mon regard de<br />
l’autre côté de la chambre jaune, le bord de la crise de<br />
nerf, ce gouffre <strong>en</strong>tre elle et moi. Ensuite, ces mots<br />
que je n’ai pas écrits pour sublimer, cette consci<strong>en</strong>ce<br />
dont je n’avais que faire.<br />
Depuis, on ne m’y a pas reprise. L’autruche a<br />
si beau plumage : bi<strong>en</strong>v<strong>en</strong>ue aux jeux de dupes, il<br />
est des croyances à cultiver, je préférais quand tu te<br />
murgeais. Je préférais ta viol<strong>en</strong>ce et ton amour mal<br />
embouché, ces excès qui t’ont tuée, cette dép<strong>en</strong>dance<br />
si visible qu’elle cachait celles des autres.<br />
Dans le fief estival, je me souvi<strong>en</strong>s nos sacoches<br />
de vélos pleines de billets à force de ton insouciance,<br />
tout cet arg<strong>en</strong>t jeté sur les toits de nos adolesc<strong>en</strong>ces,<br />
ta vie trop courte et le feu par les deux chandelles.<br />
Tes deux <strong>en</strong>fants que j’aime. Ce qu’ils ont pu garder<br />
de toi pour n’avoir pas vu l’étrangère.<br />
Alors, non, garder papi intact, maculé par la vie,<br />
celui que j’ai connu.<br />
La mélopée funeste<br />
P<strong>en</strong>ser aux os à moelle qu’il me donnait toujours<br />
; à nos bavardages qui l’agaçai<strong>en</strong>t quand nous<br />
étions petites, aux éclairs dans ses yeux lorsque plus<br />
tard le train hurlant de ses arrières-petits-<strong>en</strong>fants<br />
passait <strong>en</strong>tre ses jambes. Me souv<strong>en</strong>ir l’été dernier<br />
<strong>en</strong>core, quand il fut si glacial que le jeune homme<br />
<strong>en</strong> moto qui demandait à me voir n’a plus osé. Aussi<br />
ses paradoxes : mon Philippe, à qui il a ouvert le<br />
sésame <strong>en</strong> dépit des mauvaises réponses : artiste,<br />
sans rev<strong>en</strong>us réguliers, sans permis de conduire, sans<br />
par<strong>en</strong>ts à prés<strong>en</strong>ter, locataire… allez savoir pourquoi,<br />
papi l’aimait. Ma mère, dans la même veine : cette<br />
belle fille qu’il a protégée du mépris de la bourgeoisie<br />
malgré des origines pas comme il faut.<br />
P<strong>en</strong>ser à cette fois où il est v<strong>en</strong>u me voir sur un<br />
cheval rebelle, son amusem<strong>en</strong>t, le bouquet aux c<strong>en</strong>t<br />
roses qui masquait son visage et ses rires. Me souv<strong>en</strong>ir<br />
un Liban lointain, les seuls pleurs de sa vie<br />
quand la guerre à la télé française, les murs de la<br />
petite Suisse du Moy<strong>en</strong>-Ori<strong>en</strong>t qui se lézardai<strong>en</strong>t,<br />
une douceur de vivre qui partait <strong>en</strong> lambeaux, la<br />
métaphore de sa jeunesse explosée par les bombes<br />
du petit écran. Le Négus, une autre guerre avant, le<br />
mythe, <strong>en</strong>tre diplomatie et contre-espionnage, on<br />
s’<strong>en</strong>fonce, les héros modelés au gré des bribes qu’il<br />
<strong>en</strong> donnait. L’histoire moins reluisante aussi, un passage<br />
vers Vichy, avant la Résistance.<br />
64 65
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
Et puis cet au revoir qu’il a dit à la chi<strong>en</strong>ne sur<br />
notre ile, une semaine avant l’<strong>en</strong>terrem<strong>en</strong>t, juste<br />
avant l’ambulance pour l’Est. Cette larme que sa<br />
pudeur a maint<strong>en</strong>ue à l’abri des paupières. Ce « ma<br />
pauvre chérie » qu’il a dit <strong>en</strong> sourdine <strong>en</strong> serrant ma<br />
main fort. Cette phrase pour rassurer qu’il a servie à<br />
sa femme. La tristesse qui n’a pas crispé ses traits.<br />
***<br />
Au micro, le curé parle depuis trois minutes et je<br />
revi<strong>en</strong>s de mes errances. J’imaginais le Beyrouth de<br />
papi et voilà qu’il nous parle de Jérusalem. Il parait<br />
que mon grand-père y est allé trois fois, ce qui serait<br />
la preuve que, <strong>en</strong> dépit de l’agnosticisme qu’affichait<br />
monsieur le mort, il était sans doute plus titillé par la<br />
religion qu’il ne voulait bi<strong>en</strong> dire.<br />
De toute façon, l’homme <strong>en</strong> soutane affirme que,<br />
par sa vie, la chose dans la boite devant lui a gagné le<br />
paradis sans passer par la case purgatoire.<br />
Même avec ses ouvriers, souv<strong>en</strong>ez-vous, il a été<br />
si bon. Bi<strong>en</strong> sûr, ils l’appelai<strong>en</strong>t Nasser ; bi<strong>en</strong> sûr, les<br />
grèves quelques fois, et pour tout le monde la faillite<br />
à la fin. Mais toutes ces manifestations de peine de<br />
leurs veuves. Certes, sur les maris, l’amiante a fait<br />
effet plus tôt ; c’est vrai, l’hécatombe et papi <strong>en</strong> re-<br />
La mélopée funeste<br />
tard : à l’usine, les bureaux doiv<strong>en</strong>t mieux préserver<br />
que les hangars. À qui la faute, on ne savait pas.<br />
Et le curé de relater ces discussions avec papi, du<br />
temps de sa retraite. Ils t<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t salon à l’<strong>en</strong> croire, le<br />
village est si petit. Nul doute que le monsieur <strong>en</strong> robe<br />
tire son homélie de r<strong>en</strong>contres personnelles avec son<br />
invité du jour : je ne crois pas que, pour préparer la<br />
grand-messe, mes tantes ou ma grand-mère ai<strong>en</strong>t dit<br />
ces choses qu’il <strong>en</strong>rubanne. En tout cas, il est amusant<br />
cet homme de Dieu ! Avec ses <strong>en</strong>volées lyriques,<br />
il me donne le sourire à nous refaire l’histoire : de<br />
quoi nourrir la lég<strong>en</strong>de que je raconte certains matins<br />
devant ma glace.<br />
Au moins, balivernes ou pas, il met plus de baume<br />
sur mes p<strong>en</strong>sées flottantes que ces insupportables cérémonies<br />
laïques après les flammes du Père-Lachaise.<br />
La pilule passe mieux que ces morts du sida à la pelle<br />
des années 1990, lorsque nous défilions devant ces<br />
anci<strong>en</strong>s amis, réduits à la taille d’un cube qui ti<strong>en</strong>t<br />
dans la main, sans même faire semblant d’invoquer le<br />
supplém<strong>en</strong>t d’âme.<br />
Au moins, qui sait pour cette fois, qui sait pour<br />
tous les défunts : la portion congrue de la religion,<br />
ce mom<strong>en</strong>t où elle fait catharsis, du silex à croyance<br />
éphémère. Tant pis si ça ne dure pas, tant pis si les<br />
doutes afflu<strong>en</strong>t pour le meilleur ou pour le pire le<br />
reste du temps. Je veux la litanie et des chants pour<br />
66 67
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
une heure. Je veux mon grand-père <strong>en</strong> format réel<br />
dans son écrin de bois.<br />
D’ailleurs, papi aussi semble satisfait. Je suis la<br />
seule qui te vois faire la malle.<br />
À mes côtés, ma mère porte discrètem<strong>en</strong>t le<br />
mouchoir, la sœur ainée de mon père t<strong>en</strong>te d’être<br />
aussi digne que d’habitude, une grand-tante ti<strong>en</strong>t le<br />
coude de la veuve, ma cousine a l’air prisonnière de<br />
son monde, son frère calme le nouveau né : les petits<br />
pouss<strong>en</strong>t les anci<strong>en</strong>s, n’a-t-il pu s’empêcher de dire.<br />
Et papi sort de sa boite, son abs<strong>en</strong>ce de regard<br />
pour le velours rouge, les coquelicots qu’il range <strong>en</strong><br />
tas : ça doit te rappeler le grand garage où tu étais<br />
seul maitre, le balai que tu y passais pour éviter que<br />
mamie fourre son nez.<br />
Tu vi<strong>en</strong>s vers moi et tu me pr<strong>en</strong>ds la main. Nous<br />
sortons tous les deux et ils sont aveugles. Avant d’atteindre<br />
la porte cloutée, tu regardes derrière : papa<br />
et un inconnu ont pris ta place, tu sembles satisfait.<br />
Leurs silhouettes un peu floues se partag<strong>en</strong>t le cercueil.<br />
À la queue leu leu, ils sont debout et tourn<strong>en</strong>t<br />
le dos aux premiers rangs et à l’arrière-banc.<br />
Comme toi, ils ont un long costume noir à rayures,<br />
comme toi et moi, personne ne les voit, chacun à son<br />
chagrin qu’il ne faut pas répandre : les pleureuses, ce<br />
n’est pas chez nous, hélas peut-être.<br />
La mélopée funeste<br />
Dans une ponctuation trop longue, on pourrait<br />
croire que le prêtre te fait un signe, son œil complice<br />
de l’imaginaire. Quand ses mirettes épingl<strong>en</strong>t la boite,<br />
c’est net, il sourit à papa. Il parait ignorer le dadais à<br />
la mèche <strong>en</strong> vadrouille qui a aussi pris place.<br />
Ensuite, les gonds ne grinc<strong>en</strong>t pas, le vert de<br />
l’herbe rétrécit la pupille. Sous le soleil de plomb, tu<br />
es comme dans un conte, plus grand que tu n’étais,<br />
plus mince sauf depuis le cancer. Tu me pinces et<br />
c’est vrai. Sur la tombe pleine de mousse, au seuil<br />
du parvis minuscule, nous posons toutes nos fesses.<br />
Dans tes mains, tu pr<strong>en</strong>ds l’ovale de mon visage, la<br />
madone à l’<strong>en</strong>fant à l’<strong>en</strong>vers, cette douceur que tu<br />
oses <strong>en</strong>fin.<br />
Le chi<strong>en</strong> de papa, déjà mort et déjà remplacé,<br />
vi<strong>en</strong>t se coucher à nos pieds. Il revi<strong>en</strong>t comme il y<br />
a vingt ans, lors de sa fugue, la seule fois où il ne t’a<br />
plus obéi pour s’étaler sur le marbre sombre.<br />
Alors, le monde à rebours. Déjà tout près, qui va<br />
maso va sado. Une histoire d’accid<strong>en</strong>t, je l’avais presque<br />
oubliée.<br />
Maman conduisait. Dans la voiture, les plus petits<br />
gamins et moi à la place du mort, un voyage vers le<br />
service de cancérologie, la route et le croisem<strong>en</strong>t, <strong>en</strong><br />
théorie une priorité à droite, un camion qui freine<br />
68 69
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
mais cache la vue, une moto invisible qui le double,<br />
un choc et un corps par dessus le pare-brise, une glissade<br />
à n’<strong>en</strong> plus finir dans le champ de betteraves, la<br />
voiture de maman <strong>en</strong>foncée ; nous tous, ahuris mais<br />
sans mal, la peur de l’avoir tué, puis un point noir<br />
qui se lève, un motard qui revi<strong>en</strong>t vers nous. Après,<br />
le stroboscope se calme. La procession des voitures<br />
familiales se gare sur le bas-côté, des par<strong>en</strong>ts repr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />
leurs <strong>en</strong>fants sans autre compassion, ma mère<br />
et le constat, moi avec tante Agathe. C’était deux<br />
heures avant l’église ; l’auto à la mine.<br />
La suite du rebrousse poil, quelques années plus<br />
tôt : Marraine bis repetita, le téléphone qui gueule;<br />
l’alcool a fini par te flinguer. La veille, ma mère,<br />
toujours elle, s’était fait voler une citadine. En ces<br />
temps-là, la tôle ne s’est pas froissée : elle s’<strong>en</strong>trainait<br />
à devancer la mort.<br />
Sur une route de France pourtant, un ixième départ<br />
des plombes à reculons. Dans la carcasse broyée<br />
par le camion, un grand-oncle guillotiné, un cousin<br />
et ses jambes <strong>en</strong> coton, un couple qui ne s’<strong>en</strong> remet<br />
pas, l’indice des poupées russes de ferraille.<br />
Car papi appuie là où ça fait mal ; d’autres passés<br />
me fil<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre les doigts. Une affaire de métal<br />
<strong>en</strong>core, mais à plus grande échelle, la lame froide<br />
dans mon cou. Ces morts à perte de vue, avant<br />
La mélopée funeste<br />
la fin de mes prémonitions. Celle d’un grand-père<br />
par alliance, versant maternel : il s’appelait Hubert.<br />
Petite, j’aimais s<strong>en</strong>tir ses muscles et son odeur de<br />
sueur. Avec des tiges de fer volées à l’atelier et des<br />
bouts de bois qu’il sculptait, il me faisait de belles<br />
petites voitures à roulette, ces cadeaux bricolés par<br />
le manque d’arg<strong>en</strong>t, oubliés dans une déchèterie de<br />
l’Est quand mes par<strong>en</strong>ts ont gagné Paris.<br />
Il était le mari de ma grand-mère populaire, celle<br />
du tablier blanc et de la révér<strong>en</strong>ce les dimanches où<br />
mon père v<strong>en</strong>ait s’assoir à sa table <strong>en</strong> formica. Il était<br />
le beau-père de maman, un ouvrier dans l’usine de<br />
papi, une des nombreuses offrandes à l’amiante. Il a<br />
fabriqué tant d’alliages nocifs <strong>en</strong>tre deux jouets pour<br />
<strong>en</strong>fant gâtée, tant de plaques d’égout pour couvrir<br />
les bas-fonds. Sur son visage d’antan, un eczéma rugueux<br />
le marquait à vie. Une maladie sans domicile<br />
fixe a fini par trouver le chemin de sa tombe.<br />
Lorsqu’une saison après Hubert papa mourait, au<br />
pot après l’office il y a aussi eu cet homme vu ni<br />
d’Ève ni d’Adam. Sa mèche faisait colimaçon sur le<br />
haut d’un crâne dégarni ; déjà, il portait un costume<br />
à rayures. C’était le sas avant les agapes, la plupart<br />
des visages mal connus, et lui qui vi<strong>en</strong>t m’embrasser<br />
comme si depuis toujours. J’avais treize ans et j’ai demandé<br />
à ma mère. Ce grand monsieur était son père,<br />
70 71
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
celui du sang, celui d’une grand-mère <strong>en</strong> soubrette,<br />
celui d’un divorce et d’une nouvelle femme si jeune,<br />
celui qui s’est planqué pour ne pas voir mon père, le<br />
fils du patron. Ce grand-père, découvert sur le tard,<br />
construisait des ponts au nom des architectes. Il était<br />
le roi de la sous-traitance et de la tête haute, l’orgueil<br />
espiègle malgré sa crainte que l’acier ne cède lors des<br />
tempêtes.<br />
Dans les années qui suiv<strong>en</strong>t, il m’a appris à jouer<br />
aux échecs. Quelques printemps chez lui, je croyais<br />
dev<strong>en</strong>ir communiste. À défaut de ma mère, je me<br />
souvi<strong>en</strong>s pour elle. Bâtarde de vos mélanges, j’appelle<br />
ton père par son prénom. Il refuse de grandir ou<br />
notre par<strong>en</strong>té ; il ne fera pas le deuil de la Lorraine.<br />
Mais comme papa, il m’a lâchée, trois petits tours<br />
et puis fini. Il est toujours vivant, sans moi dans sa<br />
brousse, ses chats hargneux pour compagnie, sa<br />
jeune épouse qui s’est lassée, son mal de dire qu’il<br />
nous aimait.<br />
Merci, papi, de me le r<strong>en</strong>dre pour faire la nique.<br />
Le curé a raison, tu vas gagner le ciel. Bi<strong>en</strong> sûr qu’il<br />
ne pouvait pas voir l’inconnu dans ton cercueil : il<br />
n’a pas <strong>en</strong>core frappé chez saint Pierre.<br />
***<br />
72<br />
La mélopée funeste<br />
Après, bi<strong>en</strong>tôt le glas : branle-bas de combat à<br />
l’intérieur de l’église, les portes s’ouvr<strong>en</strong>t à la volée,<br />
la rouille jette du perlimpinpin.<br />
Mon grand-père, au passage du cercueil, rejoint<br />
son fils. Il ti<strong>en</strong>t sa main et agrippe mon regard. Je<br />
dois v<strong>en</strong>ir, d’autres premières loges. Comme je résiste,<br />
papi <strong>en</strong>jambe le velours à nouveau. Il pr<strong>en</strong>d papa<br />
dans ses bras, qui s’effrite et qui tombe ; il pr<strong>en</strong>d mes<br />
lunettes pour bi<strong>en</strong> voir, et moi, je reste au radiateur<br />
éteint. Bi<strong>en</strong> camouflés, nos bribes vont plus tôt que<br />
les autres à l’orée du caveau. Je s<strong>en</strong>s l’odeur d’humus,<br />
elle n’est pas nauséeuse.<br />
Alors, sans transition, papa se décompose. Et<br />
puis, sans répit, papi jette les os de son fils. Vingt<br />
années de sommeil, et <strong>en</strong>fin un cadavre.<br />
Mon corps de chair, à l’autre bout, donne un ordre<br />
à ma bouche. À la queue du cortège, sous la flaque<br />
de soleil du parvis minuscule, mon cri s’échappe. Ils<br />
<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t tous, ils n’insist<strong>en</strong>t pas : nous ne sommes<br />
pas des pleureuses. Tante Agathe esquisse un geste.<br />
Très vite, elle retire sa main de mon dos, ses pas<br />
s’éloign<strong>en</strong>t vers la tombe : faire bonne figure.<br />
Au même instant que mon bruit, des salariés<br />
mett<strong>en</strong>t papi à l’abri des coquelicots rouges, allongé<br />
au-dessus des roses qui ont disparu.<br />
73
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
Tu fais l’amour à ton fils. L’inceste est nécrophile.<br />
Vers l’autel, dans la pénombre, du coin de l’œil,<br />
je vois l’homme à la mèche <strong>en</strong> goguette. Il a troqué<br />
son costume à rayures contre un survêtem<strong>en</strong>t rouge<br />
à paillettes.<br />
Maint<strong>en</strong>ant, je connais son visage ; maint<strong>en</strong>ant,<br />
je déteste quand vous parlez décès : la mort est plus<br />
franche et bi<strong>en</strong> moins polie, comme papi qui vous<br />
tutoyait tous, comme cet autre grand-père <strong>en</strong> pénit<strong>en</strong>ce<br />
avec ses chats.<br />
Après, bi<strong>en</strong> sûr, nous avons levé nos verres. Dommage,<br />
ce petit comité. Il fut un temps des r<strong>en</strong>contres<br />
improbables, ailleurs que dans un rêve.<br />
La vie si belle, se souv<strong>en</strong>ir, son arrêt est possible :<br />
deux petits tours, un carcan de fer ou d’acier laminé,<br />
si je veux, je m’<strong>en</strong> vais.<br />
74 75
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
Le noonaute<br />
Yann Minh<br />
J’apparti<strong>en</strong>s à ce futur passé dans lequel ce n’était<br />
plus nous qui manipulions les joysticks mais les joysticks<br />
qui nous manipulai<strong>en</strong>t.<br />
Fusionnant avec nos unités c<strong>en</strong>trales et nos microprocesseurs<br />
robotisés, nous nous immergions<br />
avec délectation dans les réseaux des réseaux à la<br />
recherche de ce que nous étions dev<strong>en</strong>us sans avoir<br />
jamais compris ce que nous étions déjà.<br />
Et c’est ainsi que nous avons, sans vraim<strong>en</strong>t nous<br />
<strong>en</strong> r<strong>en</strong>dre compte, libéré la noosphère des chaines<br />
qui nous <strong>en</strong> protégeai<strong>en</strong>t.<br />
Je n’étais qu’un noonaute. Un simple pèlerin<br />
noosphérique qui, aux commandes de nooscaphes<br />
volés aux grands armateurs, espérait juste explorer<br />
les confins de la noosphère <strong>en</strong> quête des <strong>en</strong>tités lég<strong>en</strong>daires<br />
qui l’habitai<strong>en</strong>t.<br />
77
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
78<br />
Le noonaute<br />
J’étais l’un d’eux. L’un de ces fous inconsci<strong>en</strong>ts,<br />
avides de grands espaces inexplorés qui, transgressant<br />
les interdits, ont ouvert les portes aux anges et<br />
aux démons noosphériques.<br />
Cela s’est passé au tout début du vingt-et-unième<br />
siècle, à l’aube de l’ère biolithique.<br />
À cette époque, comme beaucoup d’autres noomatelots<br />
promus commandants de vaisseau, je n’étais<br />
qu’un petit capitaine de supernooscaphe. Un merc<strong>en</strong>aire<br />
de l’information sans foi ni éthique, v<strong>en</strong>du aux<br />
intérêts des compagnies marchandes, dont je pilotais<br />
les nefs fragiles et couteuses à travers les océans<br />
informationnels. Je livrais mon fret commercial de<br />
noohamburgers d’un bout à l’autre des grands empires<br />
de la communication, et j’aurais pu me cont<strong>en</strong>ter<br />
comme les autres de faire cela toute ma vie.<br />
Mais un jour, las d’emprunter toujours les mêmes<br />
lignes balisées des productions commerciales<br />
et populaires, las d’essayer <strong>en</strong> vain de convaincre<br />
mes employeurs d’explorer d’autres voies, je me suis<br />
construit <strong>en</strong> secret mon propre nooscaphe.<br />
Jours après jours, j’ai volé sur les noocargos les<br />
pièces détachées nécessaires à la construction de ma<br />
petite navette furtive. Un nooscaphe miniature et agile<br />
qui allait me permettre d’explorer ces nooconfins<br />
79
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
Le noonaute<br />
inaccessibles et dangereux <strong>en</strong>traperçus lors de mes<br />
transports noosphériques commerciaux.<br />
Je l’avais équipé de nooprocesseurs puissants, car<br />
je voulais pouvoir franchir la barrière des récifs informatiques<br />
et remonter les courants contraires des flux<br />
archétypaux.<br />
À force de pugnacité, j’ai suivi les traces laissées<br />
par les grands nooexplorateurs que j’admirais, et j’ai<br />
réussi moi aussi à franchir les frontières des confins<br />
inexplorés.<br />
J’ai connu l’ivresse des grands espaces noosphériques.<br />
J’ai voltigé dans la lumière originelle de<br />
firmam<strong>en</strong>ts virtuels inconnus, aveuglé par les feux<br />
lointains de la noog<strong>en</strong>èse. Et c’est là que, tel un papillon<br />
illuminé virevoltant <strong>en</strong>tre les rayons du soleil<br />
Alpha, j’ai découvert le noosanctuaire, la noocrypte<br />
cachée dans la clarté noosphérique.<br />
J’étais juste un petit noocapitaine inconsci<strong>en</strong>t ivre<br />
de grands espaces et qui ne savait pas ce qu’il faisait.<br />
Je suis <strong>en</strong>tré dans la noocrypte et, comme tous les<br />
orgueilleux qui m’avai<strong>en</strong>t précédé, je vous ai r<strong>en</strong>contré.<br />
Vous m’avez reconnu et vous m’avez parlé.Vous<br />
m’avez montré l’ineffable, et dit qu’il n’existait pas.<br />
Désormais je hante les firmam<strong>en</strong>ts noosphériques,<br />
sans savoir si je suis triste ou heureux... si je pleure ou<br />
si je ris.<br />
80 81
Traverses, livre <strong>voyageur</strong>
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
84<br />
La dernière révolte<br />
Hors Humain<br />
Pourquoi le maitre et l’esclave ne s’épous<strong>en</strong>t-il pas<br />
Puisque tout deux sont <strong>en</strong>chainés<br />
sur l’autel de l’aliénation<br />
La dernière révolte… ne se fera pas dans la rue<br />
Jetée dans la rue dès l’<strong>en</strong>fance incapable de pr<strong>en</strong>dre ses<br />
libertés<br />
de régler ses comptes de réaliser ses rêves<br />
La rue s’est ouvert les veines pour laisser couler ses<br />
humeurs ses rumeurs<br />
laissez couler laissez couler<br />
laissez tomber<br />
laissez rouler laissez rouler les têtes sur des charniers<br />
pleins de promesses<br />
qui pass<strong>en</strong>t qui pass<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> sur<br />
et des clameurs de joies qui trépass<strong>en</strong>t<br />
la rue Oh la rue est fatiguée de mourir les bras <strong>en</strong> V <strong>en</strong><br />
signe de victoire<br />
85
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
la modernité à tout changé me direz vous<br />
un nouveau monde est né<br />
propre - bi<strong>en</strong> lavé - sur-armé - bi<strong>en</strong> aseptisé - <strong>en</strong><br />
résid<strong>en</strong>ce surveillée<br />
tous <strong>en</strong> résid<strong>en</strong>ce surveillée<br />
changé changé ri<strong>en</strong> n’a changé<br />
tous à la rue tous dans la rue<br />
pitoyable modernité écrasée par le nombre<br />
qui classe et chiffre ses victimes humanitairem<strong>en</strong>t<br />
consommables<br />
périssables victimes allongées sur le bord du trop tard<br />
qu’avez vous fait impitoyable modernité qu’avez vous<br />
fait<br />
qu’avez-vous fait de ces suicidés qui saxophon<strong>en</strong>t dans<br />
un monde aphone<br />
moi ri<strong>en</strong><br />
trop tard j’att<strong>en</strong>ds sur le bord du trop tard<br />
Tous à la rue tous dans la rue<br />
la rue Oh la rue est fatiguée de mourir les bras <strong>en</strong> V <strong>en</strong><br />
signe de victoire<br />
La dernière révolte ne se fera pas dans la rue<br />
La dernière révolte se fera <strong>en</strong> soi sur soi dans un dernier<br />
sursaut d’intellig<strong>en</strong>ce<br />
Un bouleversem<strong>en</strong>t une métamorphose intrinsèque<br />
Au-delà des frontières du connu<br />
sans compromis sans bain de foule ni bain de sang<br />
baissez la lumière s’il vous plait la lumière lunaire des<br />
intimistes<br />
La dernière révolte<br />
ce sera la marque du solitaire<br />
la marque des incompris qui march<strong>en</strong>t à pas de loups<br />
pacte étrange et lumineux d’un souffle au bout des lèvres<br />
où git sur un coeur brulant les reste de la vie<br />
où git sur un coeur brulant les reste de la vie<br />
La dernière révolte ne se fera pas dans la rue<br />
La dernière révolte se fera <strong>en</strong> soi sur soi et pas ailleurs<br />
laissez couler laissez couler<br />
laissez tomber<br />
laissez rouler laissez rouler<br />
laissez <strong>en</strong>fin parler les têtes les têtes coupées<br />
pour ce dernier conseil ce dernier appel ce dernier<br />
r<strong>en</strong>dez-vous<br />
souffle sur tes braises pour rester vivant souffle souffle<br />
souffle<br />
ça s’appr<strong>en</strong>d à rester vivant dis<br />
souffle sur tes braises pour rester vivant souffle souffle<br />
souffle<br />
La dernière révolte ne se fera pas dans la rue<br />
la rue Oh la rue est fatiguée de mourir les bras <strong>en</strong> V<br />
<strong>en</strong> signe de victoire<br />
86 87
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
Daddy Longues-Jambes<br />
noönK - illustré par Luh<br />
Flora se souvi<strong>en</strong>t. Quand elle était petite, elle a vécu<br />
avec les Gitans, <strong>en</strong> Inde. Elle est restée six mois, à boire<br />
comme eux les bacilles du Gange. Elle n’a aucune<br />
image de ce temps-là, sauf d’un vieillard aux orbites<br />
creuses, à l’hôpital. Elle se souvi<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core qu’elle était<br />
très malade. Elle était si maigre qu’elle croit toujours<br />
que sa peau s’était retournée comme une chaussette<br />
et que ses os étai<strong>en</strong>t à l’extérieur d’elle-même. Une<br />
brève vision tanne son esprit adolesc<strong>en</strong>t, alors qu’elle<br />
me parle : elle est toute nue, recroquevillée dans un<br />
minuscule lavabo de l’hôpital de Pondichéry et elle<br />
est aussi grosse que son kangourou <strong>en</strong> peluche. Ça<br />
a été un sale mom<strong>en</strong>t, mais Flora n’<strong>en</strong> souffre plus.<br />
Aujourd’hui, m’a-t-elle dit, son père revi<strong>en</strong>t. Et moi<br />
qui vous raconte cette histoire, au mom<strong>en</strong>t précis où<br />
Flora a dit ces derniers mots, j’ai s<strong>en</strong>ti mon cœur se<br />
contracter, car, quelques jours auparavant, j’avais r<strong>en</strong>contré<br />
l’homme que la fillette att<strong>en</strong>dait.
Traverses, livre <strong>voyageur</strong> Daddy Longues-Jambes<br />
C’est un homme hirsute. Il arp<strong>en</strong>te<br />
le béton, poursuivi par une<br />
petite carriole bringueballante,<br />
qu’il tire comme un bœuf son joug.<br />
Je l’ai croisé plusieurs fois le long<br />
des autoroutes et des nationales <strong>en</strong><br />
Galice. Il ne pr<strong>en</strong>d ni les chemins<br />
de randonnée ni les s<strong>en</strong>tiers boisés.<br />
J’ai su très vite qu’il allait droit<br />
au but. Il a l’air jeune derrière sa<br />
vieille barbe, ce gars ; il est assez<br />
grand, maigre, et brun, quasim<strong>en</strong>t<br />
de la même couleur que son surcot<br />
passé. Il marche du matin au<br />
soir d’une allure ni l<strong>en</strong>te ni rapide,<br />
régulier comme une horloge. Et il<br />
abat tant de kilomètres de jour <strong>en</strong><br />
jour qu’il est surpris que nous nous<br />
rattrapions l’un l’autre, quotidi<strong>en</strong>nem<strong>en</strong>t.<br />
Il me dévisage alors, et je<br />
porte la main à mon visage rasé,<br />
me s<strong>en</strong>tant si pâle à côté de lui, qui<br />
a accueilli tant de soleil.<br />
Un matin, nous nous sommes<br />
retrouvés, malgré nous, dans la<br />
même auberge, nos doigts glacés<br />
et nos cœurs <strong>en</strong>gourdis. Il a <strong>en</strong>fin<br />
parlé. Il a dit quelques phrases, je m’<strong>en</strong> souvi<strong>en</strong>drai<br />
toujours, car nul ne p<strong>en</strong>sait briser son mutisme ici ;<br />
le t<strong>en</strong>ancier de l’auberge m’avait observé au même<br />
titre que les autres cli<strong>en</strong>ts, d’un regard pénétrant et<br />
incrédule, comme si j’étais homme à savoir parler aux<br />
fantômes.<br />
Le maigre <strong>voyageur</strong> m’a dit qu’il était parti retrouver<br />
son <strong>en</strong>fant. Il n’avait jamais demandé son<br />
chemin qu’une fois, et ce n’était pas à moi. Il l’avait<br />
bi<strong>en</strong> regretté, car il lui avait fallu dire des mots avec sa<br />
bouche. Lui qui osait déjà si peu respirer, il avait cru<br />
vomir ses intestins sur son interlocuteur. D’ailleurs,<br />
ce dernier, un jeune randonneur aux oreilles apprivoisées<br />
par un walkman, s’était <strong>en</strong>fui.<br />
Il m’a dit son nom, alors que je ne le lui avais pas<br />
donné le mi<strong>en</strong>. Il me l’a offert comme son cadeau le<br />
plus cher. Daddy Longues-Jambes a quitté sa petite<br />
fille il y a cinq ans. Daddy Longues-Jambes a aussi un<br />
prénom : Jacques.<br />
Ce jour-là, me raconte-t-il, la petite Flora avait<br />
sangloté jusqu’à s’<strong>en</strong> bruler, et le village comm<strong>en</strong>çait<br />
à s’inquiéter, car un cœur de ce pays n’aurait jamais<br />
dû tant défaillir, fût-il un cœur de fillette. Mais, <strong>en</strong> ce<br />
temps-là, Jacques était hagard, et la petite Flora voyait<br />
l’esprit de son père se consumer sans discontinuer<br />
d’un mauvais feu. Or la petite fille savait déjà à son<br />
90 91
Traverses, livre <strong>voyageur</strong> Daddy Longues-Jambes<br />
âge ce qu’était la seule issue de la blanche<br />
héroïne.<br />
Alors que l’agonie de Jacques se<br />
prononçait, le docteur était v<strong>en</strong>u, et<br />
Flora avait été invitée à jouer dehors ;<br />
mais elle tournait désespérém<strong>en</strong>t autour<br />
de la maison, <strong>en</strong> att<strong>en</strong>dant que<br />
le docteur s’<strong>en</strong> aille. Lorsqu’il avait<br />
poussé les rideaux, la petite fille<br />
n’avait pu att<strong>en</strong>dre le verdict du médecin<br />
et s’était <strong>en</strong>fuie hors du village.<br />
Quelqu’un l’avait rattrapée, et il avait<br />
fallu hurler plus fort qu’elle pour lui<br />
appr<strong>en</strong>dre la bonne nouvelle : Daddy<br />
Longues-Jambes était sauf. Mais il<br />
n’était pas tiré d’affaire pour autant :<br />
il devait sortir du cercle infernal dans<br />
lequel il était v<strong>en</strong>u se réfugier. Alors il<br />
avait préparé son sac devant sa fillette<br />
et lui avait promis que, lorsqu’il revi<strong>en</strong>drait,<br />
il serait un vrai papa. Il avait<br />
pris une carte, avait regardé quel était<br />
le point sur la terre le plus loin de sa<br />
petite maison de Fisterra et il s’était<br />
retrouvé <strong>en</strong> Chine d’un trait, <strong>en</strong> avion,<br />
avec ce que son sac pouvait cont<strong>en</strong>ir.<br />
Et, p<strong>en</strong>dant cinq ans, il avait marché.<br />
Jacques s’est arrêté subitem<strong>en</strong>t, comme frappé<br />
d’hébétude. Il a fait tinter une pièce près de la tasse<br />
vide de café et m’a adressé un bref adieu, le regard<br />
fuyant. Je l’ai laissé s’<strong>en</strong> aller. Que pouvais-je faire<br />
d’autre ? Je suis resté deux heures à l’auberge, le temps<br />
que l’aiguille m<strong>en</strong>ue de l’horloge <strong>en</strong> annonce dix. Au<br />
rythme où j’allais, je devais arriver à Compostelle le<br />
l<strong>en</strong>demain, et je n’espérais pas revoir cet homme.<br />
L’après-midi qui a suivi notre brève r<strong>en</strong>contre,<br />
j’étais plus que jamais <strong>en</strong> élévation sur les s<strong>en</strong>tiers. Les<br />
ampoules qui constellai<strong>en</strong>t mes pieds de <strong>voyageur</strong> ne<br />
m’ont pas empêché de marcher longuem<strong>en</strong>t. J’ai laissé<br />
le soleil s’abaisser vers l’horizon, <strong>en</strong> espérant qu’il<br />
resterait un lit pour moi dans le gite d’étape que je<br />
convoitais pour mon corps épuisé. Les bêtes du soir<br />
s’égayai<strong>en</strong>t au-devant de mes pas. Un oiseau audacieux<br />
a chanté une sérénade, et j’ai vu dégringoler sur<br />
la rocaille l’un de ces étranges insectes patauds, aux<br />
pattes filiformes, rassemblées par un corps <strong>en</strong> forme<br />
de graine. J’ai t<strong>en</strong>té <strong>en</strong> vain de me souv<strong>en</strong>ir de son<br />
nom.<br />
Le chemin forestier passait à côté de l’autoroute à<br />
prés<strong>en</strong>t. L’horizon était rougeoyant, lorsque j’ai subitem<strong>en</strong>t<br />
aperçu sur le bas-côté la silhouette longiligne<br />
de Daddy Longues-Jambes, marchant à pas pesants<br />
sur le goudron, suivi de son bagage sur roues. Il mar-<br />
92 93
Traverses, livre <strong>voyageur</strong> Daddy Longues-Jambes<br />
chait, le regard fixé sur l’énorme<br />
pancarte bleue, annonçant quarante-trois<br />
kilomètres pour Compostelle.<br />
J’ai hurlé son nom, et malgré<br />
le vrombissem<strong>en</strong>t des voitures,<br />
il m’a <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du. Je l’ai rejoint, traversant<br />
la grande route bardée de<br />
bolides. Avant même que j’aie pu<br />
le lui demander, à peine sa timide<br />
accolade terminée, il a poursuivi<br />
son histoire.<br />
Que de pays il avait traversés :<br />
la Chine, le Myanmar, l’Inde,<br />
l’Afghanistan, l’Iran, la Turquie,<br />
les Balkans... Puis l’Italie, la France<br />
où il avait attrapé le chemin de la<br />
Via Podi<strong>en</strong>sis, au Puy. Jacques a<br />
déroulé l’ét<strong>en</strong>due des beautés et<br />
des misères de sa longue marche :<br />
les hippocampes séchés du Yunnan,<br />
les jeux de hasard à Yangon,<br />
les singes qui avai<strong>en</strong>t partagé son<br />
banc et son repas <strong>en</strong> Inde, une<br />
fillette qui ressemblait si fort à sa<br />
petite Flora <strong>en</strong> Iran, et le Kurdistan,<br />
et la sale fièvre dans les<br />
Balkans. Le long récit qu’il faisait de son voyage était<br />
<strong>en</strong>trecoupé d’interrogations et de bégaiem<strong>en</strong>ts ; j’ai<br />
vite deviné que c’était la première fois qu’il racontait<br />
tout son périple ; c’était une évid<strong>en</strong>ce il était seul avec<br />
lui-même. C’est la solitude qui l’avait emm<strong>en</strong>é sur la<br />
route. Ce qui avait été intolérable depuis si longtemps<br />
était dev<strong>en</strong>u simplem<strong>en</strong>t un constat : nul autre que lui<br />
ne pourrait jamais être dans sa tête. Jacques s’<strong>en</strong> était<br />
r<strong>en</strong>du compte la veille, <strong>en</strong> parlant avec moi. Et, <strong>en</strong> fin<br />
de compte, cela lui conv<strong>en</strong>ait, même s’il avait le gout<br />
de ma compagnie. Je lui ai avoué que je me s<strong>en</strong>tais<br />
moins seul avec lui. Il a souri : nous n’étions plus des<br />
<strong>en</strong>fants.<br />
Jacques avait r<strong>en</strong>dez-vous dans deux jours, à quelques<br />
kilomètres avant Fisterra. Une grande fontaine<br />
avait été choisie autrefois comme lieu de r<strong>en</strong>contre<br />
avec sa fillette. Et l’horaire : midi. J’ai ri. Ce jour-là,<br />
très exactem<strong>en</strong>t, j’aurai quarante ans. La voix rauque<br />
de Jacques a interrompu le cours de mes p<strong>en</strong>sées :<br />
- Tu vi<strong>en</strong>dras avec moi jusqu’au r<strong>en</strong>dez-vous ?<br />
- Mais...<br />
Le regard de Jacques était d’une telle acuité que j’ai<br />
accepté.<br />
Il a paru rassuré et a repris la marche. Pour moi,<br />
j’étais troublé. Je devais m’arrêter initialem<strong>en</strong>t à Compostelle.<br />
Je n’avais ri<strong>en</strong> contre Fisterra. Il est notoire<br />
que le chemin des étoiles ne s’arrête pas à Compos-<br />
94 95
Traverses, livre <strong>voyageur</strong> Daddy Longues-Jambes<br />
telle, mais au bord du monde,<br />
face à la mer, au finistère. À Fisterra.<br />
Nous avons dormi à la belle<br />
étoile et n’avons ri<strong>en</strong> su dire. Le<br />
l<strong>en</strong>demain, nous sommes arrivés<br />
à Compostelle, que nous avons<br />
promptem<strong>en</strong>t quittée, le cœur<br />
dépassé par la ville. L’angoisse<br />
de Jacques m’avait contaminé et<br />
m’avait ôté la voix. Il ne parlait<br />
plus du tout non plus. Il m’a fallu<br />
un grand effort pour lui demander<br />
la raison pour laquelle il ne parlait<br />
que de sa fille. Il s’est arrêté et m’a<br />
regardé, le front plissé :<br />
- Je n’aime plus ma femme.<br />
C’est terrible, je ne l’aime plus. Je<br />
l’ai oubliée. Même pas <strong>en</strong> voyage,<br />
non, tu sais. P<strong>en</strong>dant que j’étais<br />
malade, mon cœur n’était plus capable<br />
d’amour pour ma femme. Je<br />
revi<strong>en</strong>s pour mon <strong>en</strong>fant.<br />
Je me suis tu. Je me suis soudain<br />
rappelé que j’avais moi aussi<br />
une femme ; par malheur, elle ne<br />
me manquait pas.<br />
Ce qui est troublant dans la marche vers les étoiles,<br />
c'est que tout le monde pr<strong>en</strong>d le même chemin. Nous<br />
sommes <strong>en</strong>fin arrivés au lieu de r<strong>en</strong>dez-vous. Le chemin<br />
y passait. La fontaine était petite et grise, presque<br />
un abreuvoir, non loin de l'orée d'un bois. Nous nous<br />
sommes allongés sur l’herbe, à côté du chemin, et le<br />
temps a passé sous nos yeux doucem<strong>en</strong>t, dans la quiétude<br />
matinale.<br />
Subitem<strong>en</strong>t, Jacques s’est retourné vers moi, et m’a<br />
regardé, l’air désemparé.<br />
- Tomas ?<br />
C’était la première fois qu’il m’appelait par mon<br />
nom.<br />
- Oui ? j'ai répondu.<br />
- Je me s<strong>en</strong>s bizarre. T’ai-je parlé de mon<br />
voyage ?<br />
- Hier <strong>en</strong>core...<br />
- Je ne me souvi<strong>en</strong>s plus de mon voyage.<br />
- Et toutes les anecdotes ? Et la sale fièvre dans<br />
les Balkans ?<br />
Jacques s’est affaissé.<br />
- Je sais que je t’ai raconté mon voyage, mais je ne<br />
sais plus ce que j’ai vécu.<br />
Je n’ai ri<strong>en</strong> répondu. Je ne savais pas quoi dire…<br />
Jacques était le seul à connaitre son voyage et, s’il ne<br />
se souv<strong>en</strong>ait plus de ri<strong>en</strong>, je restais l’unique personne<br />
qui sût tout de ses dernières pérégrinations. Ça me<br />
96 97
Traverses, livre <strong>voyageur</strong> Daddy Longues-Jambes<br />
peinait, ça me pesait. Il m’avait<br />
chargé d’un étrange fardeau, sa<br />
propre vie, que tout le monde au<br />
retour voudrait aspirer.<br />
- Jacques, tu te souvi<strong>en</strong>s au<br />
moins de ton nom ?<br />
- Jacques, oui. Et mon nom<br />
c’est Daddy Longues-Jambes.<br />
- Et ton nom, ton vrai nom ?<br />
J’avais dit ça d’une voix presque<br />
agressive. Je voyais bi<strong>en</strong> que<br />
je m’emportais. Jacques a répondu<br />
d’une voix étrangem<strong>en</strong>t<br />
sourde :<br />
- Je ne me souvi<strong>en</strong>s plus.<br />
- Écoute, Jacques, on arrive<br />
bi<strong>en</strong>tôt au r<strong>en</strong>dez-vous, non ? Tu<br />
as bi<strong>en</strong> fait d’arriver <strong>en</strong> avance, ça<br />
te donnera le temps de te souv<strong>en</strong>ir.<br />
Ti<strong>en</strong>s, ai-je dit <strong>en</strong> plongeant<br />
un mouchoir dans l’eau fraiche<br />
de la fontaine et lui t<strong>en</strong>dant le<br />
linge humide, rafraichis-toi les<br />
tempes.<br />
Mais Jacques s’est approché et<br />
a plongé directem<strong>en</strong>t les mains<br />
dans l’eau cristalline. Les gouttelettes fraiches sur sa<br />
tignasse noire lui donnai<strong>en</strong>t l’air d’un homme des<br />
premiers cieux. J’allais lui parler quand il a porté<br />
impérativem<strong>en</strong>t le doigt à ses lèvres.<br />
- Un faucheux, juste là, dans tes cheveux au-dessus<br />
de ton front, a-t-il murmuré.<br />
Il s’est avancé vers moi, et j’ai s<strong>en</strong>ti le frôlem<strong>en</strong>t des<br />
pattes s’agiter au-dessus de mes sourcils. C’était l’un de<br />
ces insectes aux pattes filiformes dont le nom m’avait<br />
échappé.<br />
- Il est parti. Tout va bi<strong>en</strong>, a dit Daddy Longues-<br />
Jambes tout bas.<br />
Et, après m’avoir embrassé avec émotion, il est<br />
parti lui aussi.<br />
Je sais, c’est incompréh<strong>en</strong>sible. Il était <strong>en</strong>core là il<br />
y a quelques minutes. Et il est parti. D’un seul coup,<br />
Daddy Longues-Jambes s’<strong>en</strong> est allé. Il s’est évanoui<br />
dans la nature. Je n’<strong>en</strong> rev<strong>en</strong>ais pas. C’était la dernière<br />
fois que je devais le voir de ma vie <strong>en</strong>tière. Sa silhouette<br />
brune d’homme fatigué est dev<strong>en</strong>ue une simple tache<br />
dans le vert des feuillages. J’ai pris le parti de faire une<br />
sieste pour échapper à l’anxiété qui me gagnait.<br />
Peu avant midi, je savais que je n’avais pas le<br />
courage de vivre un tel mom<strong>en</strong>t : la petite fille allait arriver,<br />
chercher son père près de la fontaine, y trouver<br />
l’étranger que j’étais. Son désappointem<strong>en</strong>t énorme<br />
98 99
Traverses, livre <strong>voyageur</strong> Daddy Longues-Jambes<br />
me transpercerait le cœur, ce serait<br />
la pire chose que j’allais vivre :<br />
la déception d’un <strong>en</strong>fant devant<br />
quelque chose d’aussi considérable<br />
que le droit de retrouver son père.<br />
Cette situation était d’une injustice<br />
intolérable, et pour elle et pour moi.<br />
Peut-être même qu’elle chercherait<br />
sur mon visage des traces de son<br />
père, mais non, ri<strong>en</strong>, ri<strong>en</strong> de ri<strong>en</strong>.<br />
Pris de panique, j’ai quitté la fontaine<br />
et me suis accroupi à vingt<br />
mètres de là, sous les frondaisons<br />
de la forêt. Et j’ai att<strong>en</strong>du.<br />
La petite fille que je m’att<strong>en</strong>dais<br />
à voir avait douze ans. Elle avait les<br />
cheveux blond véniti<strong>en</strong>, un teint<br />
mat et portait un grand jean extra<br />
large, et par-dessus un tee-shirt<br />
orange, comme un soleil, avec des<br />
inscriptions jaunes et bleu vif. Sa silhouette<br />
d’adolesc<strong>en</strong>te était m<strong>en</strong>ue,<br />
mais plutôt sportive. Elle s’est avancée<br />
timidem<strong>en</strong>t vers la fontaine. Ses<br />
épaules se sont relâchées. Ça y est,<br />
je n’<strong>en</strong> m<strong>en</strong>ais pas large. Elle a laissé<br />
sa main baigner dans l'eau fraiche, puis a bu un peu,<br />
avant de m’apercevoir. Son regard s’est fixé sur moi,<br />
mais elle n’a pas quitté la fontaine.<br />
Midi est arrivé et l’adolesc<strong>en</strong>te att<strong>en</strong>dait toujours.<br />
Ses yeux me fixai<strong>en</strong>t sans discontinuer comme si, au<br />
loin, elle pesait mon âme de son regard. J’ai sorti de<br />
mon sac les sandwiches et les fruits pour déjeuner et<br />
désamorcer le regard fixe de la fillette. Elle s’est assise<br />
contre la vasque. Elle s’est mise à pleurer, broyant<br />
mon cœur dans un étau invisible. J’ai posé le sandwich<br />
au-dessus de mon sac et me suis dirigé vers elle,<br />
le regard baissé. Ma voix mourante ne recelait aucun<br />
courage, mais je me souvi<strong>en</strong>s avoir réussi à dire :<br />
- Ça va ? Tu att<strong>en</strong>ds quelqu’un ?<br />
- Oui, a-t-elle dit le ton plein d’espoir. J’att<strong>en</strong>ds<br />
mon père. Et vous, vous att<strong>en</strong>dez quelqu’un ?<br />
- Non, ai-je m<strong>en</strong>ti. Je suis pèlerin de Compostelle.<br />
Je fais juste une halte ici pour manger et me reposer.<br />
La petite a baissé tristem<strong>en</strong>t les yeux, puis elle a<br />
t<strong>en</strong>du soudain un doigt vers le sol. Un faucheux se<br />
dandinait contre la terre aride.<br />
- C’est un...<br />
- C’est un faucheux, l’ai-je interrompue.<br />
- Moi, je connais le nom anglais : daddy long legs.<br />
Quand j’étais petite, je disais toujours le nom anglais,<br />
je ne sais pas pourquoi. En français, ça veut dire Papa<br />
100 101
Traverses, livre <strong>voyageur</strong> Daddy Longues-Jambes<br />
Longues-Jambes.<br />
Alors j’ai repris, s<strong>en</strong>tant le rouge<br />
me monter aux joues :<br />
- En fait, ce n’est pas vrai,<br />
j’att<strong>en</strong>ds moi aussi. Je suis très<br />
fatigué et j’ai peur de tomber<br />
malade. C’est à cause du voyage,<br />
ça fait vraim<strong>en</strong>t longtemps que je<br />
voyage.<br />
- Quand j’étais petite, j’ai été<br />
très malade moi aussi.<br />
- Ah oui ? ai-je dit <strong>en</strong> mordant<br />
ma lèvre.<br />
- Ma mère m’a emm<strong>en</strong>ée<br />
partout avec elle. On était toujours<br />
toutes les deux parce que je n’avais<br />
plus de papa.<br />
Et elle m’a raconté l’histoire<br />
de l’hôpital : l’eau du Gange, le<br />
vieillard aveugle, et la maladie qui<br />
l’avait transformée <strong>en</strong> une petite<br />
chose si maigre et si faible.<br />
Mon coeur se serre douloureusem<strong>en</strong>t<br />
dans ma poitrine. Mais<br />
Flora n’<strong>en</strong> voit ri<strong>en</strong> et poursuit :<br />
- Aujourd’hui, c’est un beau<br />
jour. Je ne sais pas si je vais le<br />
reconnaitre. Je devrais être à l’école. Maman ne sait<br />
pas que je suis ici. Elle ne veut pas croire que Papa<br />
revi<strong>en</strong>dra ; elle croit qu’il est mort. C’est ce qu’ont dit<br />
des g<strong>en</strong>s qui l’ont r<strong>en</strong>contré, là-bas.<br />
- Tu es allée <strong>en</strong> Inde pour retrouver ton père ?<br />
- Maman et moi, nous sommes allées là-bas, et<br />
on l’a cherché.<br />
- Tu t’appelles comm<strong>en</strong>t ?<br />
- Flora. Et toi ?<br />
Je m’apprête à dire mon nom, mais, allez savoir<br />
pourquoi, étrange cruauté, je réponds :<br />
- Je m’appelle Jacques.<br />
Contre toute att<strong>en</strong>te, Flora est déçue. Puis elle se<br />
met <strong>en</strong> colère.<br />
- Ce n’est pas vrai, tu ne t’appelles pas Jacques.<br />
Jacques, c’est le nom du chemin des étoiles. Ton vrai<br />
nom, c’est...<br />
- Tu as raison. Mon vrai nom, c’est...<br />
- ... c’est Tomas.<br />
J’<strong>en</strong> ai le souffle coupé.<br />
- Je m’appelle Tomas.<br />
Elle se blottit soudain contre moi.<br />
- Tu es mon papa.<br />
Et je la serre contre moi, car je sais que je suis de<br />
retour.<br />
102 103
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
La bête noire<br />
La bête noire<br />
Jean-Yves Kervevan<br />
L’artiste est seul. Il s’<strong>en</strong>nuie à mourir, s’<strong>en</strong>nuie à<br />
faire peur.<br />
Aussi, comme chaque fois dans ce cas-là, il trace<br />
machinalem<strong>en</strong>t un cercle, il tue le temps avec un grand<br />
compas. Trait d’<strong>en</strong>cre pure sur le papier blanc, ligne<br />
invariante, continue, qui tourne et tourne <strong>en</strong>core, au<br />
long d’un cercle fermé. L’artiste perd peu à peu le fil<br />
de ses p<strong>en</strong>sées qui s’<strong>en</strong>fui<strong>en</strong>t sur la courbe infinie qu’il<br />
vi<strong>en</strong>t à peine d’achever. Le malheureux, pris de vertige,<br />
se redresse, avec l’intime conviction que quelque<br />
chose là-dedans ne tourne pas rond.<br />
- Voyons, dit-il <strong>en</strong> se p<strong>en</strong>chant de nouveau sur son<br />
ouvrage.<br />
Il se souvi<strong>en</strong>t de ce que lui disait son professeur<br />
de dessin technique, Monsieur Huchon :<br />
- Écoute bonhomme, une ligne, c’est un <strong>en</strong>semble<br />
de points qui se suiv<strong>en</strong>t.
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
Que fait l’artiste, alors ? Eh bi<strong>en</strong>, il <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>d<br />
de compter le nombre de points cont<strong>en</strong>us dans la<br />
ligne !<br />
- Voyons voyons, dit-il embarrassé par tant de<br />
complications. Il se p<strong>en</strong>che un peu plus sur le cercle<br />
parfait et clos, tracé par lui sur le papier.<br />
- Voyons voir ça d’un peu plus près...<br />
Mais il a beau plisser des yeux et grimacer, il ne<br />
voit là ri<strong>en</strong> d’autre qu’un cercle clos.<br />
- Aucun point là-dedans, ronchonne-t-il ? Con<br />
Huchon ! Je suis pas fou, tout de même! Pas déjà,<br />
pas maint<strong>en</strong>ant ! Ouais, c’est sûr ! Y a pas à tortiller !<br />
À tous les coups, on m’a refilé un cercle truqué !<br />
Après mure réflexion, il cesse de se gratter le<br />
m<strong>en</strong>ton et repr<strong>en</strong>d.<br />
- Voilà, c’est ça ! Chaque point suit chaque autre<br />
point... et l’autre point, b<strong>en</strong>, il sait qu’il est suivi,<br />
c’est logique... Alors il se cache, c’est ça, il se cache<br />
du point qui le suit, pour pas être vu de lui ! Logique<br />
ça, parce que c’est pas si facile d’espionner son<br />
prochain, hein ! Et c’est pas non plus marrant de se<br />
savoir suivi! À moins que... C’est ça, eurêka, s’exclame-t-il<br />
! J’ai dû tracer le cercle deux fois au même<br />
<strong>en</strong>droit ! J’ai fait tout de travers et deux cercles à<br />
la fois ! Conclusion, le second cercle aura caché le<br />
premier ! Mais pas moy<strong>en</strong> de l’effacer...<br />
La bête noire<br />
Il se lève, fait quelques pas, tergiverse et s’assoit.<br />
C’est décidé, il tracera un nouveau cercle, sur une<br />
feuille vierge.<br />
- Un seul cercle et point final, cette fois ! Mais ce<br />
qu’il faut, c’est que le tracé aboutisse exactem<strong>en</strong>t là<br />
où il a comm<strong>en</strong>cé !<br />
L’artiste s’empare du compas et comm<strong>en</strong>ce son<br />
oeuvre. Petit à petit, le cercle se referme, la ligne sombre<br />
grignotant peu à peu l’espace libre. Cette épreuve<br />
est terrible, périlleuse, <strong>en</strong>core quelques c<strong>en</strong>timètres,<br />
quelques millimètres, c’est vraim<strong>en</strong>t pénible. Une<br />
goutte de sueur tombée du front fiévreux de l’artiste<br />
frappe soudain la jambe d’appui du compas. Celui-ci<br />
bascule dans le vide, <strong>en</strong>trainant avec lui le malheureux<br />
garçon qui tombe dans le cercle inachevé. Un<br />
long hurlem<strong>en</strong>t, un choc, l’artiste se relève <strong>en</strong> titubant.<br />
Sur sa tête, déformant le béret, <strong>en</strong>fle une bosse<br />
impressionnante. Partout autour de lui s’ét<strong>en</strong>d un<br />
désert de chiffon blanc.<br />
Je suis maudit, pleure-t-il. Je suis artiste et je suis<br />
tombé sur la tête ! Ma tête me fait très mal et elle<br />
saigne !<br />
Mais une voix céleste, celle peut-être de feu Monsieur<br />
Huchon, lui recommande le calme, car <strong>en</strong>fin il<br />
n’a pas fini son travail. L’artiste discipliné se repr<strong>en</strong>d,<br />
fait quelques pas hésitants, hume l’air, la truffe au<br />
v<strong>en</strong>t, soudain se fige, stupéfait. À ses pieds gronde un<br />
106 107
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
fleuve d’<strong>en</strong>cre noire, aveugle et tumultueux. Alors, il<br />
compr<strong>en</strong>d.<br />
Victoire, lance-t-il, <strong>en</strong> se frappant le front ! Les<br />
points sont mélangés, puisque l’<strong>en</strong>cre est liquide ! Et<br />
si chacun existe <strong>en</strong> théorie, concrètem<strong>en</strong>t il n’<strong>en</strong> va<br />
pas de même! Chacun coule invisible et vit dans l’infinim<strong>en</strong>t<br />
petit ! De mon point de vue...<br />
Hélas, le malheureux artiste n’a pas le temps de<br />
développer sa p<strong>en</strong>sée, car le niveau de l’<strong>en</strong>cre monte<br />
! Et pr<strong>en</strong>ant consci<strong>en</strong>ce du danger, il se sauve. Il<br />
longe ce fleuve à toute allure, ultime t<strong>en</strong>tative pour<br />
atteindre l’ouverture existant <strong>en</strong>core dans le cercle.<br />
Mais l’<strong>en</strong>cre semble assoiffée de papier. Elle déborde<br />
et, littéralem<strong>en</strong>t hors d’elle-même, elle avale le mince<br />
espace <strong>en</strong>core libre permettant de sortir du piège.<br />
L’artiste n’<strong>en</strong> croit pas ses yeux, il est ulcéré.<br />
- Comm<strong>en</strong>t sortir de ce cercle vicieux, imploret-il<br />
? Mais que faire pour échapper à cet <strong>en</strong>fer ?<br />
Pour lui, il n’existe qu’une issue. Il le sait. Le voilà<br />
qui fonce vers le c<strong>en</strong>tre du cercle. Car la pointe du<br />
compas n’y avait-elle pas fait un trou, tout à l’heure ?<br />
Cela constitue pour lui la seule, l’ultime chance de<br />
sauver sa misérable exist<strong>en</strong>ce.<br />
Ainsi le verra-t-on, quelques instant plus tard, sauter<br />
sans hésiter dans cette béance affreuse, ouverte<br />
au c<strong>en</strong>tre exactem<strong>en</strong>t du cercle.<br />
La bête noire<br />
Mais l’<strong>en</strong>cre, véritable bête noire de l’artiste,<br />
s’<strong>en</strong>gouffre derrière lui tout aussitôt. Elle plonge<br />
allègrem<strong>en</strong>t dans ce provid<strong>en</strong>tiel trou d’évacuation.<br />
Cela rugit, gronde et glougloute, c’est comme le râle<br />
affreux d’un lavabo qui se vide. Sur la feuille blanche,<br />
désormais, ri<strong>en</strong> ne subsiste.<br />
108 109
Traverses, livre <strong>voyageur</strong>
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
Nostalgie d’un futur passé prés<strong>en</strong>t<br />
Yann Minh<br />
Je p<strong>en</strong>se que vous n’existez pas... tout ça n’est<br />
qu’illusions sur l’écran de mes rêves... le bruit réman<strong>en</strong>t<br />
d’un cyberespace à v<strong>en</strong>ir...<br />
Je suis toujours <strong>en</strong> 1969, et je vi<strong>en</strong>s de m’<strong>en</strong>dormir<br />
dans une vieille mansarde, un samedi après-midi. Je<br />
lisais un livre décrivant un futur où l’humanité serait<br />
reliée <strong>en</strong> réseau d’un bout à l’autre de la planète : Face<br />
aux feux du soleil.<br />
Dehors la cloche de l’école sonne, malgré les classes<br />
désertes, faisant fuir les oiseaux nichés dans les<br />
arbres du jardin.<br />
J’ai trouvé le livre dissimulé dans l’<strong>en</strong>fer de la<br />
librairie du bourg, mélangé aux romans policiers<br />
érotiques dont j’ose à peine regarder les couvertures.<br />
Je me s<strong>en</strong>s toujours coupable, lorsque je vais fouiller<br />
dans cette arrière-boutique poussiéreuse, parmi les<br />
livres pour adultes. Je pars comme un voleur, sans
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
oser regarder le marchand <strong>en</strong> face... En remontant<br />
les rues désertes, dans la fraicheur de ce début<br />
d’automne, je scrute le ciel, guettant la nef interstellaire<br />
qui vi<strong>en</strong>dra me chercher...<br />
Allongé sur mon lit, je me suis <strong>en</strong>dormi au milieu<br />
du roman et je rêve d’un futur où, par écrans interposés,<br />
les habitants de différ<strong>en</strong>ts pays, différ<strong>en</strong>tes<br />
régions, partag<strong>en</strong>t leurs points de vue sur la sci<strong>en</strong>ce,<br />
la philosophie, l’art, ou simplem<strong>en</strong>t s’échang<strong>en</strong>t des<br />
livres ou des nouvelles.<br />
Il y a des grincheux, des prolixes, des drôles, des<br />
bizarres... ils parl<strong>en</strong>t de robots, comme s’ils existai<strong>en</strong>t<br />
vraim<strong>en</strong>t... de clones... et de machines plus petites<br />
que des microbes.<br />
Aux actualités on voit des images de soucoupes<br />
volantes, et les journalistes s’interrog<strong>en</strong>t sur les visites<br />
des extra-terrestres...<br />
C’est un monde où les g<strong>en</strong>s se demand<strong>en</strong>t si un<br />
robot peut être intellig<strong>en</strong>t... ils ont d’ailleurs inv<strong>en</strong>té<br />
des tests pour vérifier, et se pos<strong>en</strong>t la question de<br />
leur fiabilité. Les robots travaill<strong>en</strong>t dans les usines à<br />
la place des ouvriers et ne sont pas loin de se poser<br />
des questions eux aussi.<br />
Drôle de rêve... je me demande si je veux me<br />
réveiller...<br />
114
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
La dernière demeure<br />
Jean-Yves Kervévan<br />
Chers compagnons,<br />
Monsieur le Présid<strong>en</strong>t,<br />
Nous voici réunis autour de cette rate, <strong>en</strong> ce jour<br />
de joyeuse commémoration. Grâce aux favorables<br />
circonstances qui nous laminèr<strong>en</strong>t par le passé, je<br />
veux parler des terribles crises, des épouvantables<br />
épidémies, des effroyables conflits qu’<strong>en</strong>semble nous<br />
avons traversés, oui nous voici aujourd’hui au coude<br />
à coude, moignons contre moignons, bi<strong>en</strong> vivants et<br />
résolum<strong>en</strong>t attablés. Saluons ici, mes chers amis, la<br />
dépouille d’un héros sans visage, <strong>en</strong> charpie pourrait-on<br />
dire (car ne fut-il pas pulvérisé par une mine<br />
anti-personnel ?), saluons, dis-je, les restes de notre<br />
très cher, de notre très regretté compatriote, le colonel<br />
Hachier !
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
À travers sa rate, c’est l’homme vertueux, l’ami infatigable<br />
dans le labeur, digne représ<strong>en</strong>tant du corps<br />
d’élite des Amputés de partout, membre actif des<br />
Humiliés de la Face, éclaireur avisé de l’association<br />
des Mutilés des deux yeux, qu’avec émotion nous<br />
saluons. Une fois <strong>en</strong>core, sachons honorer ce héros<br />
au charisme si particulier et à la prés<strong>en</strong>ce quelque<br />
peu disparate.<br />
Né à l’aube du Fatal Massacre, il est <strong>en</strong>tré très<br />
jeune dans le drame qui s’offrait à lui. En effet,<br />
abandonné par des par<strong>en</strong>ts trop s<strong>en</strong>sibles, que la vue<br />
du sang faisait rougir, il dut appr<strong>en</strong>dre seul, sur le tas<br />
pourrait-on dire. Tout d’abord arracheur de pupilles<br />
au sein de la Nation, il fut <strong>en</strong>suite tourm<strong>en</strong>teur de<br />
tibias, puis dénoueur de langues auprès du tout premier<br />
Bureau Scélérat. Ces tâtonnem<strong>en</strong>ts touchants,<br />
réalisés sans grands moy<strong>en</strong>s (les programmes de<br />
Torture-à-la-carte <strong>en</strong> étai<strong>en</strong>t alors à leurs balbutiem<strong>en</strong>ts),<br />
constituèr<strong>en</strong>t cep<strong>en</strong>dant le premier champ<br />
d’expérim<strong>en</strong>tations d’où émergerai<strong>en</strong>t, bi<strong>en</strong> plus<br />
tard, les séances de dissection à main nue pratiquées<br />
à l’alcool et sans anesthésie, les « Ready Death »<br />
qu’aujourd’hui nous connaissons.<br />
Ainsi, à l’aube de la grande Guerre Noire, notre<br />
jeune Hachier révélait-il déjà un esprit à la fois novateur,<br />
fougueux et génialem<strong>en</strong>t inspiré.<br />
La dernière demeure<br />
C’est aussi à cette époque que notre héros vécut<br />
l’accid<strong>en</strong>t provid<strong>en</strong>tiel (il se luxa le petit doigt de la<br />
main droite lors d’une séance d’étirage de viscères),<br />
qui fut à l’origine de sa r<strong>en</strong>contre avec Pipette, une<br />
jeune infirmière stagiaire spécialisée dans les extraveineuses.<br />
La belle et bonne Pipette, plus connue par<br />
la suite dans les tranchées sous le nom de Pipette-la-<br />
Rouge ou <strong>en</strong>core, Pompe-à-tout-faire, devi<strong>en</strong>drait sa<br />
femme chérie, l’épouse de sa vie !<br />
Adieu, Hachier ! Adieu, toi qui connus le destin<br />
exceptionnel que nous savons ! Tu t’illustras sur tous<br />
les champs de batailles, gravissant un à un les échelons<br />
de la gloire, surmontant toujours les épreuves<br />
avec courage et détermination. Toute ta vie, nous te<br />
vîmes avancer la tête haute face à l’adversité et c’est<br />
sans nul doute <strong>en</strong> grande partie grâce à des hommes<br />
comme toi, que nous avons pu éradiquer nos <strong>en</strong>nemis,<br />
y compris ceux qui ne nous avai<strong>en</strong>t ri<strong>en</strong> fait !<br />
Ensemble, chers compagnons, r<strong>en</strong>dons ce dernier<br />
hommage à notre ami Hachier!<br />
Dégustons cette rate au court-bouillon !<br />
118 119
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
Maracasses<br />
Rachid Gu<strong>en</strong>douze
Traverses, livre <strong>voyageur</strong>
Traverses, livre <strong>voyageur</strong>
Traverses, livre <strong>voyageur</strong>
Traverses, livre <strong>voyageur</strong>
Traverses, livre <strong>voyageur</strong>
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
Les trois jours du Coran<br />
Laur<strong>en</strong>t Bramardi<br />
Nous arrivons. Nous allons atterrir. L’avion se<br />
pose avec le soleil sur l’horizon, dans la lumière<br />
mourante le sol est presque rouge, les arbustes devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />
comme des taches bleutées sur la poussière<br />
que nous survolons. Après l’atmosphère froide de la<br />
carlingue, une bouffée d’air épais nous accueille à la<br />
sortie, un air chaud et parfumé : nous voilà à Damas.<br />
Dans la soirée, je découvre le café à la cardamone,<br />
les restaurants dans de petites cours où les chats<br />
tourn<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre les tables, les guirlandes lumineuses<br />
<strong>en</strong> guise d’éclairage. Noël r<strong>en</strong>contre la chaleur des<br />
grandes nuits d’été sous les étoiles dures et nettes du<br />
désert proche. Je suis assommé par le voyage, par la<br />
g<strong>en</strong>tillesse de tous ces g<strong>en</strong>s qui nous accueill<strong>en</strong>t <strong>en</strong><br />
riant, par le bruit des klaxons.<br />
Le l<strong>en</strong>demain nous allons au souk. Nous partons<br />
bi<strong>en</strong>tôt pour la vraie steppe, vers notre premier chan-
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
tier de fouilles, mais pour l’instant nous profitons<br />
de ce premier jour. Un taxi nous dépose avec un<br />
sourire à l’<strong>en</strong>trée d’un imm<strong>en</strong>se tunnel : c’est là. Une<br />
voute de métal noircie <strong>en</strong>jambe une grande rue faite<br />
d’échoppes collées les unes aux autres. Au-dessus<br />
de nos têtes, le toit nous garde du soleil, qui glisse<br />
malgré tout ses rayons dans les trous percés par<br />
l’usure de la chaleur tombante. Dans la poussière<br />
susp<strong>en</strong>due, soulevée par les pieds des passants, les<br />
roues des véhicules, les sabots des ânes, on dirait des<br />
étoiles accrochées dans l’att<strong>en</strong>te de la fraicheur. Elles<br />
éclair<strong>en</strong>t de fins rayons le bleu plat et opaque des<br />
tôles salies du plafond, à peine teinté d’ocre par la<br />
fumée minérale du sol usé par les allées et v<strong>en</strong>ues,<br />
un sol trop sec pour rester collé à la terre. Autour de<br />
nous, sous une forêt de fils électriques, les vitrines<br />
ouvertes brill<strong>en</strong>t d’un même éclat doré, r<strong>en</strong>voyant les<br />
feux discrets et artificiels des cuivres rutilants et des<br />
paillettes des costumes de danse. Nous marchons<br />
au milieu de ces g<strong>en</strong>s, plus curieux d’eux qu’eux de<br />
nous : les hommes vont <strong>en</strong> se t<strong>en</strong>ant la main, les plus<br />
jeunes portant la moustache et des chemises imprimées,<br />
les plus âgés <strong>en</strong> t<strong>en</strong>ue du désert, une robe<br />
simple et un keffieh sur la tête ; certains sont roux, la<br />
peau très blanche, d’autres sont habillés comme les<br />
Turcs sur les vieilles gravures et avanc<strong>en</strong>t avec une<br />
grande théière dans le dos, <strong>en</strong> v<strong>en</strong>dant des verres aux<br />
Les trois jours du Coran<br />
passants. Les femmes sont vêtues à l’europé<strong>en</strong>ne, <strong>en</strong><br />
pantalon avec un foulard sur les cheveux, ou <strong>en</strong> jupe<br />
et nu-tête; d’autres <strong>en</strong>core sont <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t cachées<br />
sous un voile noir, un grand drap qui les <strong>en</strong>veloppe<br />
dans une ombre mouvante. Il y a des Arabes, des<br />
Kurdes, des bédouins, des musulmans, des chréti<strong>en</strong>s,<br />
des Russes aussi. J’avance dans le bruit des marchandages,<br />
auquel je ne compr<strong>en</strong>ds ri<strong>en</strong>, et puis je ne suis<br />
plus sous la grande voute, la lumière me baigne, je<br />
suis sorti de l’autre côté et, comme dans un rêve où<br />
l’on glisse d’un lieu à l’autre sans s’<strong>en</strong> apercevoir, je<br />
vois autour de moi de grandes colonnes antiques.<br />
Elles poursuiv<strong>en</strong>t la rue du souk de leur majesté usée<br />
et noircie, du souv<strong>en</strong>ir d’un anci<strong>en</strong> temple de Jupiter,<br />
dont les vestiges dessin<strong>en</strong>t un hall aussi imm<strong>en</strong>se<br />
que l’allée marchande. Elles vont jusqu’aux portes de<br />
la grande mosquée, elles lui font une sorte de haie<br />
d’honneur. Je vais visiter cette mosquée, j’appr<strong>en</strong>ds<br />
que c’est la première, l’une des plus grandes aussi ; je<br />
vois le tombeau du saint chréti<strong>en</strong> qui y était <strong>en</strong>terré<br />
avant même qu’elle n’existe. Les couches d’histoire<br />
s’empil<strong>en</strong>t dans le bourdonnem<strong>en</strong>t des discussions,<br />
des passages, des vies successives. Ri<strong>en</strong> n’est fait pour<br />
les protéger et pourtant elles continu<strong>en</strong>t de se superposer<br />
avec un naturel étonnant. Cela me rappelle<br />
Alep, une autre ville de Syrie, plus au nord, que je vois<br />
plus tard : <strong>en</strong> son c<strong>en</strong>tre une imm<strong>en</strong>se citadelle mau-<br />
134 135
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
resque se dresse sur une colline, et cette colline est<br />
faite de l’amoncèlem<strong>en</strong>t des occupations antérieures.<br />
Cela s’<strong>en</strong>tasse, jusqu’à faire une petite montagne<br />
constituée de maisons et de constructions fondues<br />
par le soleil, le temps et les pluies successives. Ici<br />
on les appelle des tells, des collines faites des restes<br />
des hommes. C’est d’ailleurs la première chose que<br />
nous fouillons, dans la steppe : un tell. Mais celui<br />
d’Alep reste intouché, une montagne de vestiges<br />
qu’on ne creuse pas, parce que c’est <strong>en</strong>core <strong>en</strong> train<br />
de se faire, comme quelque chose de magique, de<br />
toujours vivant ; on ne touche qu’aux cadavres.<br />
Pourtant il y a bi<strong>en</strong> <strong>en</strong> haut, sur le sommet de cette<br />
butte fortifiée, des grands trous, des dépressions<br />
circulaires comme des cratères d’obus, qui sont <strong>en</strong><br />
fait les restes de fouilles sauvages opérées dans les<br />
soubassem<strong>en</strong>ts de la citadelle. Mais ce ne sont que<br />
des écorchures, des expéditions timides perpétrées<br />
par des anonymes avides à la recherche de vieilleries<br />
à rev<strong>en</strong>dre à des occid<strong>en</strong>taux. Aller plus loin<br />
ce serait blesser la ville, <strong>en</strong>tamer son cœur : on n’y<br />
touche pas. On va pour cela dans le désert, dans les<br />
steppes qui cour<strong>en</strong>t de Damas jusqu’aux frontières<br />
de l’Irak : là-bas il est facile de voir ces tells, ils font<br />
des bosses sur l’horizon, des repères sur le plat du<br />
paysage. Ils sont les témoins sil<strong>en</strong>cieux de ces villes<br />
fondues par le temps, les repères d’un monde éteint<br />
Les trois jours du Coran<br />
qui nous aid<strong>en</strong>t à conduire dans l’aridité sans relief<br />
de ces plaines étales. C’est eux qui font que l’horizon<br />
est plat autour d’eux. C’est eux qui nous font les<br />
témoins de choses disparues. Quand on les creuse<br />
on perce <strong>en</strong> premier les dépôts les plus réc<strong>en</strong>ts, les<br />
derniers à s’être concrétionnés. Puis on va plus loin,<br />
on s’ét<strong>en</strong>d <strong>en</strong> même temps que l’on s’<strong>en</strong>fonce et<br />
l’on trouve d’autres couches de souv<strong>en</strong>irs, les unes<br />
après les autres, comme un ognon. Tout s’écrase, se<br />
remplace, se mélange dans l’intimité du substrat, de<br />
la terre, et il faut tout reconstruire, tout réinv<strong>en</strong>ter.<br />
Pour aller chercher les choses les plus anci<strong>en</strong>nes on<br />
détruit les plus réc<strong>en</strong>tes qui les recouvr<strong>en</strong>t, après les<br />
avoir soigneusem<strong>en</strong>t répertoriées, pour que ri<strong>en</strong> ne<br />
se perde. Il faut détruire ces choses pour les sauver,<br />
puis les mettre dans des musées. Sinon c’est comme<br />
si elles n’avai<strong>en</strong>t jamais existé ; on ne saurait même<br />
pas qu’on peut les perdre.<br />
Je dégage quelque chose de ces années agglomérées<br />
derrière moi, doucem<strong>en</strong>t, pour ne ri<strong>en</strong> détruire<br />
sans auparavant <strong>en</strong> conserver la trace et raconter<br />
ce voyage comme on raconte une histoire à jamais<br />
sédim<strong>en</strong>tée. Ce que je tire de ce terreau sec n’est pas<br />
ce que ce fut mais c’est tout ce dont je me souvi<strong>en</strong>s.<br />
Dans dix ans, si je réécris ce Damas que j’ai connu,<br />
il <strong>en</strong> sortira <strong>en</strong>core autre chose. Si je raconte <strong>en</strong>core<br />
mon chemin dans le souk, le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t étrange que<br />
136 137
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
me font les tells la première fois où je les vois, je<br />
ferai un récit qui n’est pas celui-ci. L’archéologie et<br />
les souv<strong>en</strong>irs nous parl<strong>en</strong>t toujours <strong>en</strong> deux temps.<br />
***<br />
Sur le chantier, dans la vraie chaleur, loin de<br />
celle agitée de la ville, dans la steppe qui est sa vraie<br />
demeure, je fouille des jours durant avec méthode<br />
et att<strong>en</strong>tion. Je trouve une structure inhabituelle sur<br />
laquelle nous nous interrogeons longuem<strong>en</strong>t avec S.,<br />
notre responsable de mission. On p<strong>en</strong>se que c’est un<br />
type particulier de fondations. Et puis après quelque<br />
temps je m’aperçois que je ne fais que dégager les<br />
traces des fouilles de l’équipe précéd<strong>en</strong>te, des Allemands.<br />
Ils sont spécialistes des périodes historiques,<br />
ils ont trouvé une petite ville de l’âge du bronze qui<br />
recouvrait le village préhistorique que nous creusons.<br />
Leur ville était faite de briques, on les reconnait à leur<br />
texture particulière : un peu plus compactes, un peu<br />
plus homogènes que la terre qui les <strong>en</strong>serre. On ne<br />
les distingue plus, on ne retrouve plus leurs formes<br />
ni leurs limites exactes, mais pour plus d’éloqu<strong>en</strong>ce<br />
les Allemands ont tracé à la truelle leurs limites imaginaires<br />
; cela fait sur le sol un damier artificiel et<br />
un peu étrange. En tout cas je suis maint<strong>en</strong>ant <strong>en</strong><br />
retard. Dessous, deux squelettes aux sourires béants<br />
Les trois jours du Coran<br />
m’att<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t dans leurs sépultures oubliées, depuis<br />
dix mille ans. Alors je creuse.<br />
Là où nous nous trouvons aujourd’hui, dans le<br />
désert, l’eau est un sujet de tracas. Pour les douches,<br />
nous utilisons celle tirée de la nappe phréatique qui<br />
dort sous la couche de gypse, cette pierre blanche et<br />
pulvérul<strong>en</strong>te qui fait le sol de la steppe. De nombreuses<br />
pompes jalonn<strong>en</strong>t le paysage, des amas ferreux<br />
et noirs, consumés par leur propre chaleur, gouttant<br />
une huile bitumeuse sur le jaune de l’horizon. Elles<br />
se répond<strong>en</strong>t à travers la grande plaine, s’<strong>en</strong>voyant<br />
les bruits réguliers des halètem<strong>en</strong>ts de leurs moteurs.<br />
Même la nuit, la nuit surtout <strong>en</strong> fait, on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d cette<br />
respiration lointaine des pompes qui irrigu<strong>en</strong>t les maigres<br />
champs <strong>en</strong>tourant les hameaux. L’eau qu’elles<br />
vont chercher dans la terre avec leurs épais tuyaux<br />
est chargée de soufre. On ne peut pas la boire mais<br />
elle est bonne pour les champs et pour la peau. Pour<br />
l’eau de consommation, il faut aller plus loin, chez<br />
une famille qui habite dans une grande cour fermée,<br />
perdue au bout d’une piste, dans la grande steppe.<br />
Ils ont un puit plus profond, ou mieux situé, <strong>en</strong> tout<br />
cas une eau très claire et sans odeur que nous leur<br />
achetons. Chacun à tour de rôle nous allons leur<br />
r<strong>en</strong>dre visite avec nos bidons. Nous les chargeons<br />
toutes les semaines, légers et vides, sur la plate-forme<br />
du pick-up de la mission, une grosse Toyota blanche<br />
138 139
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
qui ressemble à un récit d’av<strong>en</strong>ture. Cette semaine,<br />
je pars avec B., notre photographe ; c’est lui qui<br />
conduit, je n’ai pas le permis. Il a un corps imm<strong>en</strong>se<br />
et fort, une démarche l<strong>en</strong>te et sure, avec un léger<br />
déhanchem<strong>en</strong>t qui dessine dans ses pas l’ombre<br />
d’une tristesse, une inflexion perchée dans ses yeux,<br />
dans la courbe desc<strong>en</strong>dante de ses sourcils. Nous<br />
partons, je suis rassuré d’être avec lui, j’imagine que<br />
les bidons seront bi<strong>en</strong> lourds quand il faudra les remonter<br />
une fois pleins. Je me s<strong>en</strong>s inutile mais je suis<br />
cont<strong>en</strong>t d’être avec B., simplem<strong>en</strong>t parce que nous<br />
nous apprécions. Nous chargeons les bidons pleins,<br />
avec l’aide de l’homme de la maison, sous les rires<br />
de ses deux femmes qui se moqu<strong>en</strong>t de lui. Et puis<br />
nous refusons un dernier thé, nous déclinons l’invitation<br />
pour manger, pour dormir là, nous voyons<br />
bi<strong>en</strong> qu’il va bi<strong>en</strong>tôt faire nuit mais il faut que l’on<br />
r<strong>en</strong>tre à la maison des fouilles, on nous y att<strong>en</strong>d.<br />
Nous nous mettons <strong>en</strong> route. Devant nous il y a<br />
une grande plaine bleutée et zébrée de nombreuses<br />
traces de véhicules, derrière nous nous s<strong>en</strong>tons le<br />
soleil se coucher au calme qui règne sur le ciel sans<br />
nuages. Nous roulons <strong>en</strong> nous fixant sur un tell que<br />
nous devinons à l’horizon, mais ce n’est pas le bon.<br />
Gardant la fin du jour dans notre dos, nous t<strong>en</strong>tons<br />
de retrouver notre route, <strong>en</strong> vain. Partout où nous<br />
regardons nous ne voyons que cette grande plaine,<br />
Les trois jours du Coran<br />
des tells à l’horizon, des pompes noires et des traces<br />
de pneus. Alors nous roulons quelque temps sans<br />
trop savoir où aller et puis nous desc<strong>en</strong>dons dans<br />
une dépression pierreuse. Nous voyons plus loin<br />
une tache de verdure et une maison beige, trahie par<br />
la couleur des arbres qui l’<strong>en</strong>tour<strong>en</strong>t. Quelqu’un se<br />
ti<strong>en</strong>t devant le seuil, habillé <strong>en</strong> blanc. De là où nous<br />
sommes, nous le croyons assis. Cela nous soulage :<br />
nous nous dirigeons vers la maison et son occupant,<br />
allant au plus court sur les solides amortisseurs de<br />
notre voiture.<br />
Nous sommes presque arrivés et nous nous apercevons<br />
que l’homme que nous voyions de loin est <strong>en</strong><br />
train de prier. Nous nous arrêtons alors, mais le mal<br />
est fait : il s’est levé et nous regarde. Nous l’avons<br />
déjà dérangé, il nous fait signe de nous approcher.<br />
C’est un vieil homme, avec une grande robe et le calot<br />
des hadjis sur sa tête, la marque des sages qui sont<br />
allés à la Mecque. Il nous sourit mais parait surpris de<br />
nous voir ; son hospitalité embarrassée m’embarrasse<br />
<strong>en</strong> retour, je me s<strong>en</strong>s grossier et impoli et un regard<br />
à B. me fait compr<strong>en</strong>dre qu’il est aussi mal à l’aise.<br />
Toujours dégingandé et <strong>en</strong>core plus sublime dans sa<br />
gêne, il me glisse à l’oreille que l’on a dû rouler sur le<br />
champ du vieillard. Je me retourne vers la plaine de<br />
caillasses que nous avons traversée pour v<strong>en</strong>ir à lui<br />
et je me s<strong>en</strong>s <strong>en</strong>core plus horriblem<strong>en</strong>t embarrassé :<br />
140 141
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
c’est vrai qu’elle semble plus plate et plus <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ue<br />
que le sol irrégulier, et il y a comme des petits<br />
canaux emplis de poussière qui <strong>en</strong> font le tour. Mais<br />
cep<strong>en</strong>dant le vieil homme nous sourit, nous montre<br />
une direction de la main pour répondre à nos questions<br />
maladroites. Je me demande où il <strong>en</strong> est dans<br />
sa prière, s’il a passé cet instant de recueillem<strong>en</strong>t<br />
intérieur que, je crois, réclame le Coran. Pour toute<br />
communion, des occid<strong>en</strong>taux vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t lui demander<br />
leur route <strong>en</strong> écrasant ses semis. Dans la steppe un<br />
chemin pr<strong>en</strong>d des allures de paraboles : aller quelque<br />
part, vers un ri<strong>en</strong> dans du ri<strong>en</strong>, se déguise <strong>en</strong> marche<br />
métaphysique. Pour nous, du moins ; <strong>en</strong> tout<br />
cas le vieil homme plie son tapis, l’heure de Dieu<br />
se couche avec calme sur sa maison. Il sourit toujours,<br />
la main t<strong>en</strong>due vers notre destination, et nous<br />
demande l’heure. Nous savons tous quelle heure il<br />
est, celle où le soleil se couche, celle où le regard<br />
de Dieu se dévêt de son ardeur, celle de la fin de la<br />
prière. Mais nous lui répondons, cela nous fait du<br />
bi<strong>en</strong> de lui dire quelque chose. C’est pour cela qu’il<br />
nous a posé une question. Une voiture malodorante<br />
et bruyante, c’est juste comme un gros animal qui n’a<br />
<strong>en</strong>core ri<strong>en</strong> appris. Il nous montre notre direction,<br />
il nous dit le chemin hors du désert avec ses mots,<br />
des mots que l’on ne compr<strong>en</strong>d pas et un sourire<br />
que l’on ne sait pas interpréter. Chaque objet ici a<br />
Les trois jours du Coran<br />
un nom que je ne possède pas, on doit me réexpliquer<br />
sans cesse le monde et p<strong>en</strong>dant ce temps je n’ai<br />
plus à me demander ce que j’y fais. Je suis bi<strong>en</strong> dans<br />
cette voiture, écrasant ce champ, je suis bi<strong>en</strong> dans ma<br />
honte et ma gêne. J’ai le droit de ne ri<strong>en</strong> compr<strong>en</strong>dre.<br />
Je n’ai plus à saisir toutes ces choses avec ces mots<br />
difficiles qui sont les mi<strong>en</strong>s, des mots bons pour faire<br />
des textes. Je suis bi<strong>en</strong> dans ce pays où on me pr<strong>en</strong>d<br />
pour un étranger : c’est dans l’ordre des choses. Tout<br />
ceci n’est pas aussi exotique que lorsque je le raconte.<br />
Cela revi<strong>en</strong>t devant mes yeux avec une netteté inhabituelle,<br />
c’est tout ; chaque pierre a une ombre sur la<br />
plaine, chaque arbre terni a un dessin infinim<strong>en</strong>t net<br />
et complexe, chaque maison <strong>en</strong> pisé pèse une masse<br />
de détails, chaque chose a une place évid<strong>en</strong>te et incontestable,<br />
parce que je suis étranger.<br />
142 143<br />
***<br />
Sur les bords de l’Euphrate, où nous allons travailler<br />
<strong>en</strong>suite, l’air nous semble un peu moins sec,<br />
un peu moins sain aussi. Autour du grand fleuve des<br />
falaises blanches s’élèv<strong>en</strong>t, autrefois taillées par le<br />
cours capricieux des eaux. Par-delà ces falaises, un<br />
désert de pierres sèches, plat et monotone, devi<strong>en</strong>t<br />
le seul paysage. Avant elles, des champs bi<strong>en</strong> carrés<br />
découp<strong>en</strong>t les terres que le fleuve ne réclame pas ;
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
il garde pour lui de nombreuses iles, des marais, il<br />
fait de nombreux bras dans la terre que ses eaux<br />
r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t verte. Nous surpr<strong>en</strong>ons ce spectacle parce<br />
qu’il ne va pas durer. Les eaux mont<strong>en</strong>t, elles vont<br />
<strong>en</strong>gloutir cette vallée <strong>en</strong> noyant les derniers vestiges<br />
des premiers villages. C’est pour cela que l’on nous a<br />
appelés. En aval, des travaux gigantesques construis<strong>en</strong>t<br />
petit à petit un énorme barrage ; lorsqu’il sera<br />
terminé et mis <strong>en</strong> eau, cette région où nous arrivons<br />
sera transformée <strong>en</strong> un imm<strong>en</strong>se lac de réserve qui<br />
montera jusqu’aux falaises. Nous nous installons à<br />
mi-p<strong>en</strong>te, dans un village kurde. Nous voyons déjà,<br />
plus bas, les maisons se dissoudre dans l’eau calme<br />
et montante comme des morceaux de sucre au fond<br />
d’un verre de thé. Sur les plateaux stériles, au-dessus<br />
de nous, on construit de nouvelles habitations pour<br />
les familles délogées par cette douce catastrophe.<br />
Des maisons <strong>en</strong> parpaing, grises et anguleuses, trop<br />
chaudes pour la région.<br />
Cette fois je ne fouille plus : je trie. Des sacs <strong>en</strong>tiers<br />
d’os d’animaux, trouvés sur le site, un peu plus loin,<br />
sous les rives futures du nouvel Euphrate. On nous<br />
<strong>en</strong> emmène des sacs <strong>en</strong>tiers <strong>en</strong> début d’après-midi,<br />
lorsque les fouilleurs revi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t au village. Des sacs<br />
de plastique épais pleins de poussière volatile – la<br />
poussière du sol d’ici, fait d’une terre fine et pulvéru-<br />
Les trois jours du Coran<br />
l<strong>en</strong>te, et la poussière des vieux os fragiles frottés les<br />
uns contre les autres.<br />
Le l<strong>en</strong>demain matin, avec H., mon professeur, nous<br />
r<strong>en</strong>versons sur nos tables de travail ces vieux restes de<br />
repas, <strong>en</strong>terrés dans leurs poubelles voici des milliers<br />
d’années. La poussière des sacs nous colle à la peau,<br />
les mouches nous tourn<strong>en</strong>t autour pour boire notre<br />
sueur. Petit à petit l’humeur bougonne des matins fait<br />
place à un savoir tranquille, des anecdotes, des détails ;<br />
l’air étouffant s’allège et pourtant la chaleur grimpe.<br />
Bi<strong>en</strong>tôt nous serons assommés et nous recoucherons,<br />
mais pour l’instant la pièce bourdonne de ce travail<br />
paisible et répétitif, du savoir qui doucem<strong>en</strong>t coule<br />
de H. vers moi <strong>en</strong> allégeant ces instants ingrats d’une<br />
complicité brillante comme le ciel d’ici. Un flux léger<br />
qui traverse la moiteur croissante (dehors la chaleur<br />
est sèche et saine ; dans la vieille bergerie où nous<br />
travaillons, elle est sale et poisseuse) pour se nicher<br />
dans un coin de ma mémoire. J’appr<strong>en</strong>ds vite, dans le<br />
bruit des mouches insupportables, de la porte qui bat<br />
au v<strong>en</strong>t. C’est simple et agréable comme une amitié,<br />
c’est trop simple pour se mériter, pour être un métier.<br />
J’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds un chi<strong>en</strong> maigre aboyer au-dehors ; il aboie<br />
<strong>en</strong> arabe, je ne compr<strong>en</strong>ds pas ce qu’il dit. Je ne peux<br />
pas compr<strong>en</strong>dre ce pays. Je ne peux pas compr<strong>en</strong>dre<br />
son histoire ; je ne peux compr<strong>en</strong>dre aucune histoire.<br />
144 145
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
Je décide dans le vacarme des mouches d’arrêter<br />
l’archéologie. C’est mon dernier séjour ici.<br />
Dehors le chi<strong>en</strong> aboie toujours : les fouilleurs<br />
revi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t plus tôt. Ils <strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t dans la pièce commune,<br />
la pièce où nous travaillons, <strong>en</strong> sout<strong>en</strong>ant une<br />
jeune ouvrière. Elle sourit, mais ils nous expliqu<strong>en</strong>t<br />
qu’elle s’est fait piquer par un scorpion, juste audessus<br />
du g<strong>en</strong>ou. C’est arrivé sur le tas de remblais,<br />
tandis qu’elle tamisait la terre pour y chercher les<br />
vestiges trop petits pour être vus lors de la fouille<br />
proprem<strong>en</strong>t dite. Elle s’assoit sur un coussin, regardant<br />
tout autour d’elle avec des yeux inquiets. Un<br />
instant j’ai le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t que la gêne la brule plus<br />
<strong>en</strong>core que sa blessure ; elle est là où elle ne devrait<br />
pas être, chez ses employeurs, des étrangers. Elle est<br />
l’objet d’une att<strong>en</strong>tion qu’elle ne demande pas. Elle<br />
ne veut pas dire qu’elle a été piquée et elle ne veut<br />
même pas que l’on regarde sa jambe. Une femme<br />
plus âgée, sa mère peut-être, l’accompagne et parle<br />
à sa place, très fort, avec des gestes. C’est elle qui<br />
a voulu qu’on l’amène ici, elle est persuadée que<br />
nous pouvons la soigner. S., qui est la seule à parler<br />
arabe couramm<strong>en</strong>t, la convainc qu’il faut appeler un<br />
docteur, ce que nous faisons. Nous ne pouvons ri<strong>en</strong><br />
d’autre ; c’est embarrassant, mais c’est ainsi. Déjà,<br />
lorsque nous étions dans la steppe, on v<strong>en</strong>ait nous<br />
voir comme on visite le disp<strong>en</strong>saire : les g<strong>en</strong>s d’ici<br />
Les trois jours du Coran<br />
nous pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t tous pour des médecins. Nous ne<br />
pouvons pas refuser, alors ils croi<strong>en</strong>t que nous pouvons<br />
vraim<strong>en</strong>t les aider. Mais nous n’avons que des<br />
médicam<strong>en</strong>ts. Nous faisons ce que nous pouvons,<br />
mais c’est déjà leur m<strong>en</strong>tir.<br />
Une fois, lors d’une mission précéd<strong>en</strong>te à laquelle<br />
je ne participais pas, une famille était v<strong>en</strong>ue avec sa<br />
petite fille. Leur lampe à pétrole s’était r<strong>en</strong>versée<br />
sur elle. Elle ne s’était pas <strong>en</strong>flammée mais ils ne lui<br />
avai<strong>en</strong>t pas changé son pyjama, et durant toute la nuit<br />
l’ess<strong>en</strong>ce avait brulé sa peau. Au matin ils l’avai<strong>en</strong>t<br />
am<strong>en</strong>ée mais c’était trop tard, il n’y avait plus ri<strong>en</strong> à<br />
faire : l’<strong>en</strong>fant était morte quelques heures plus tard.<br />
On me raconte cette histoire tandis que nous att<strong>en</strong>dons<br />
le médecin. Je ne sais pas quoi <strong>en</strong> p<strong>en</strong>ser : j’ai<br />
parfois l’occasion de soigner ces g<strong>en</strong>s qui vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />
nous voir, j’aime le faire et pourtant j’ai l’impression<br />
de ne pas <strong>en</strong> avoir le droit, de ne pas mieux faire que<br />
ce qu’ils font eux-mêmes. Un jour un homme vi<strong>en</strong>t,<br />
il s’est fait écraser le doigt dans le piston noirci d’une<br />
vieille pompe qu’il réparait. Son pouce est énorme,<br />
gonflé, il a pris une teinte violacée et il est f<strong>en</strong>du<br />
sur le côté comme un fruit trop mûr dont la pulpe<br />
s’échappe. E., qui a une formation médicale, me dit<br />
de désinfecter et de lui faire un pansem<strong>en</strong>t. L’homme<br />
me sourit, il a un visage sec et franc. Je pr<strong>en</strong>ds sa main<br />
avec précaution, cela le fait rire : il me fait signe qu’il<br />
146 147
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
n’a pas mal, que je n’ai pas à me ret<strong>en</strong>ir. Je nettoie la<br />
plaie avec du coton, je l’agace parce que je suis trop<br />
timoré, parce qu’il ne s<strong>en</strong>t ri<strong>en</strong>. Je badigeonne son<br />
doigt de bétadine, j’<strong>en</strong> mets trop, plus qu’il n’<strong>en</strong> faut,<br />
elle coule sur la blessure <strong>en</strong> grands débordem<strong>en</strong>ts<br />
rouillés avant de tomber sur le sol et de faire de petits<br />
agglomérats de poussière orange. J’appuie sur la<br />
plaie, pour qu’il s<strong>en</strong>te la douleur et qu’il la pr<strong>en</strong>ne<br />
pour le début d’une guérison, comme il l’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d. Il<br />
sourit et grimace <strong>en</strong> même temps : j’ai brisé la barrière<br />
de sa fierté et ai atteint la chair molle du doigt.<br />
C’est bi<strong>en</strong> ainsi, j’ai pu désinfecter <strong>en</strong> profondeur<br />
et la douleur conforte la blessure. Je ne peux ri<strong>en</strong><br />
faire de plus, je ne peux ri<strong>en</strong> faire <strong>en</strong> fait, mais cela<br />
lui convi<strong>en</strong>t, il est heureux. Il me le fait compr<strong>en</strong>dre<br />
par un sourire si ferme qu’il traverse les langues, et<br />
moi aussi je suis cont<strong>en</strong>t, cont<strong>en</strong>t de faire naitre ce<br />
sourire <strong>en</strong> pressant seulem<strong>en</strong>t une plaie.<br />
Les brulures surtout sont étonnem<strong>en</strong>t fréqu<strong>en</strong>tes<br />
par ici. On s’éclaire au pétrole, le feu se consume<br />
toute la journée, on fait cuire son pain sur de grandes<br />
plaques de tôle et les accid<strong>en</strong>ts sont partout. On<br />
apaise leurs morsures <strong>en</strong> mettant de la mousse à raser<br />
sur les cloques et les crevasses et, si la lésion est trop<br />
profonde, ou si elle pr<strong>en</strong>d une mauvaise tournure,<br />
on vi<strong>en</strong>t nous voir. Un jour une vieille dame arrive,<br />
elle a la main cachée sous un bandage de fortune,<br />
Les trois jours du Coran<br />
un fichu de soie noire décorée de fleurs éclatantes<br />
comme les femmes <strong>en</strong> port<strong>en</strong>t ici. Dessous elle a<br />
vaporisé une copieuse couche de mousse à raser, une<br />
écume blanche qui se teinte maint<strong>en</strong>ant d’un jaune<br />
suspect où la brûlure est plus profonde. Une grande<br />
partie de la main est touchée, elle ne peut plus bouger<br />
ses doigts, la peau flotte et se détache doucem<strong>en</strong>t <strong>en</strong><br />
fins lambeaux qui s’effiloch<strong>en</strong>t dans la neige m<strong>en</strong>tholée.<br />
Mais elle vi<strong>en</strong>t au bon mom<strong>en</strong>t, nous partons<br />
justem<strong>en</strong>t faire des courses à la ville la plus proche et<br />
nous proposons de l’am<strong>en</strong>er chez le médecin. Sur le<br />
chemin du retour, nous discutons du mieux que nous<br />
le pouvons ; elle nous montre sa main proprem<strong>en</strong>t<br />
bandée <strong>en</strong> riant, agitant avec l’autre un tube de pommade<br />
que lui a confié le docteur. Nous rions avec<br />
elle et la déposons dans sa famille. Ils n’ont pas l’air<br />
surpris de nous voir, ni inquiets de la longue abs<strong>en</strong>ce<br />
de leur aïeule, mais ils nous accueill<strong>en</strong>t avec une fierté<br />
réjouie. Nous buvons des thés très sucrés, comme<br />
on nous les fait ici : avec autant de sucre qu’on a de<br />
respect pour le visiteur. On nous parle et on nous<br />
sourit avec la même att<strong>en</strong>tion, si bi<strong>en</strong> que les rires et<br />
les plaisanteries eux-mêmes nous sembl<strong>en</strong>t déborder<br />
de ce sucre sans amertume. Une femme <strong>en</strong>tre dans<br />
la salle principale où nous sommes assis <strong>en</strong> cercle,<br />
autour d’une théière qui semble ne pas pouvoir se<br />
vider. Elle porte un large plateau avec du poulet rôti<br />
148 149
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
et du riz : nous mangeons avec eux, nous inquiétant<br />
un peu de notre retard. Mais nous ne pouvons refuser<br />
et, lorsqu’il nous faut bi<strong>en</strong> partir, alors que la nuit<br />
est tombée et que nous savons que l’on se soucie<br />
pour nous, il nous faut <strong>en</strong>core et <strong>en</strong>core parler par<br />
gestes pour nous excuser de ne pouvoir dormir là.<br />
Je me demande ce que p<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t les autres, s’ils sont<br />
aussi gênés que moi, si cela les surpr<strong>en</strong>d et les amuse<br />
aussi. Aujourd’hui <strong>en</strong>core je n’<strong>en</strong> ai jamais reparlé<br />
avec eux, ni eux avec moi : peut-être <strong>en</strong> avons-nous<br />
le même souv<strong>en</strong>ir.<br />
Il est dit dans le Coran qu’il faut accueillir le<br />
<strong>voyageur</strong> et l’étranger trois jours, au moins. Mais ce<br />
que j’ai connu là-bas est autre chose qu’une politesse<br />
conv<strong>en</strong>ue, c’est une vraie chaleur. Elle couve une<br />
fierté délicate et sourcilleuse mais elle est grande,<br />
franche et amicale. Quel que soit le temps que je suis<br />
resté là-bas, quelles que soi<strong>en</strong>t les maisons où je suis<br />
<strong>en</strong>tré, ces trois jours ont toujours été là devant moi.<br />
Comme une invitation que je n’ai pas su <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre,<br />
un temps que je regrette parce que je n’ai pas su le<br />
pr<strong>en</strong>dre. Je ne reste jamais trois jours, nulle part : je<br />
suis trop étonné par cette politesse qui me dépasse,<br />
par cette sincérité que je ne compr<strong>en</strong>ds pas. Alors<br />
je trouve toujours une bonne raison pour repartir,<br />
avant que la gêne ne me rattrape, ce vieux chi<strong>en</strong><br />
efflanqué qui court dans la steppe pour mordiller<br />
Les trois jours du Coran<br />
les talons des <strong>en</strong>fants d’Europe. Du temps que j’ai<br />
vécu dans la chaleur de ces grands paysages, dans la<br />
dignité de leur aridité, ce sont ces trois jours qui me<br />
rest<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tiers, parce que je ne les ai pas consommés.<br />
Mais à cet instant, alors que nous remontons dans<br />
notre grosse voiture sans cesser de nous excuser, je<br />
laisse les autres pr<strong>en</strong>dre les choses <strong>en</strong> main, décider<br />
de ce que nous ferons, si nous partirons de suite ou<br />
si nous att<strong>en</strong>drons <strong>en</strong>core un peu. Je ne sais pas quoi<br />
faire. Je n’ose ri<strong>en</strong> dire et j’ai l’impression d’être à<br />
nouveau un poids, un corps mort rongé de timidité.<br />
Il faut me r<strong>en</strong>dre à l’évid<strong>en</strong>ce : je ne peux plus quitter<br />
ma terre natale.<br />
150 151<br />
***<br />
Je me demande souv<strong>en</strong>t ce qu’il reste de ces voyages,<br />
<strong>en</strong> plus de ces trois jours qui n’ont jamais existé et<br />
de ce chi<strong>en</strong> galeux qui galopait dans la steppe. J’ai vu<br />
beaucoup d’autres choses : les fondations du temple<br />
d’Ain Dara qui se ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t, noires, au milieu de collines<br />
pelées, dures pierres de basalte aux têtes de lions.<br />
Les ruines du monastère de saint Siméon, le stylite,<br />
et la relique de sa colonne, une roche grossièrem<strong>en</strong>t<br />
sphérique à force d’avoir été touchée, qui ressemble<br />
maint<strong>en</strong>ant à une allégorie de la mélancolie. Et<br />
beaucoup d’autres choses. Quand j’<strong>en</strong> parle, toutes
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
ces images me revi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>en</strong> un bloc compact, qu’il<br />
faut le temps de défaire, de gratter précautionneusem<strong>en</strong>t.<br />
Ce sont des images qui convi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pour un<br />
texte, mais je ne peux pas <strong>en</strong> parler : ce ne sont pas<br />
vraim<strong>en</strong>t des images, c’est la joie vague d’avoir vécu<br />
tout cela, le besoin ridicule d’essayer de trouver des<br />
mots pour tout dire <strong>en</strong> une fois, pour tout résumer.<br />
Je ne peux pas plus <strong>en</strong> parler avec ceux qui étai<strong>en</strong>t làbas<br />
avec moi. Je n’ose plus les appeler, je les ai tous<br />
perdus de vue. Ils sont dev<strong>en</strong>us mes fossiles à moi,<br />
des pierres rares qui, parfois, quand je les remue avec<br />
affection au fond de ma mémoire, font remonter<br />
une culpabilité diffuse, le souv<strong>en</strong>ir d’un abandon.<br />
Peut-être n’avons-nous ri<strong>en</strong> de plus à partager que<br />
ce temps-là ; peut-être étai<strong>en</strong>t-ils déjà des souv<strong>en</strong>irs<br />
au mom<strong>en</strong>t même où nous nous connaissions.<br />
Sur le chemin du retour, <strong>en</strong> rev<strong>en</strong>ant à Damas,<br />
nous nous arrêtons dans la steppe, près de Palmyre, à<br />
la maison des fouilles. Nous sommes trois, les autres<br />
nous att<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t à l’aéroport le l<strong>en</strong>demain. Sur place il<br />
n’y a plus personne ; arrivés avec le soleil couchant,<br />
dans un grand calme, nous nous préparons trois lits.<br />
Dans le laboratoire, la pièce où nous triions les objets<br />
dégagés de leur gangue de désert, la lumière tombe<br />
d’un puits de jour fait dans le pisé du plafond, obturé<br />
par une plaque de plastique transpar<strong>en</strong>t. Sous la douche<br />
de lumière les tables s’align<strong>en</strong>t, à demi effacées<br />
Les trois jours du Coran<br />
dans l’ombre des coins. Je suis seul quelques instants,<br />
dans cette pièce où personne n’est <strong>en</strong>tré depuis des<br />
mois. Sur les murs les étagères s’align<strong>en</strong>t, chargées de<br />
boites <strong>en</strong> carton couvertes de poussière et remplies<br />
de vestiges insignifiants, des esquilles d’os et de silex.<br />
Sur la table c<strong>en</strong>trale, juste dans la chute de lumière,<br />
on a laissé <strong>en</strong> partant quelques objets – un bocal,<br />
une assiette vide, des étiquettes vierges. Sur ce petit<br />
amas la poussière aussi est tombée, comme partout,<br />
comme un dépôt de sècheresse <strong>en</strong>dormie par l’air<br />
calme de la pièce. Je suis v<strong>en</strong>u chercher quelques<br />
boites, pr<strong>en</strong>dre des os pour des études à v<strong>en</strong>ir. La<br />
pièce est assoupie, même la poussière ne flotte pas<br />
dans les derniers rayons du jour ; elle se dépose avec<br />
un sil<strong>en</strong>ce fatigué. Je n’ose plus déranger cet <strong>en</strong>droit.<br />
Je préfère att<strong>en</strong>dre qu’il y ait plus de bruits, que les<br />
autres arriv<strong>en</strong>t. Je suis là comme <strong>en</strong>seveli à mon tour,<br />
goutant la poussière comme ces vieux squelettes que<br />
nous délogeons, qui la pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t dans leurs bouches<br />
grandes ouvertes ; je la regarde s’amasser sur nos<br />
débris, comme elle le fait toujours. Cette pièce est<br />
le début d’un fossile. Mon voyage comm<strong>en</strong>ce sa vie<br />
de fossile. Dans le désert, tout se termine <strong>en</strong> comm<strong>en</strong>çant.<br />
Le ciel, la chaleur, les pierres, les vies. C’est<br />
pour ça qu’on n’y a jamais peur.<br />
152 153
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
À fleur de peau<br />
Philippe Jozelon<br />
Un « vieux bébé » embrasse Bloom, guitar heroine,<br />
pour la première fois. Les accords écorchés de Aile<strong>en</strong><br />
déboul<strong>en</strong>t de l’instrum<strong>en</strong>t de cette créature, la nouvelle<br />
bande sonore de la vie de Vieux Bébé…<br />
Mademoiselle Bloom danse, tournoie ; ses peaux<br />
de velours noirs ondul<strong>en</strong>t autour d’elle. Elle est le<br />
c<strong>en</strong>tre de gravité du retour à la vie de Vieux Bébé.<br />
Lui, il est une miette <strong>en</strong> apesanteur autour des d<strong>en</strong>telles<br />
opaques de la belle ; poisson pilote <strong>en</strong>fantin,<br />
prisonnier volontaire de l’attraction extra-terrestre<br />
de Bloom.<br />
Vieux Bébé a les tripes à l’air, mais les plaies sont<br />
propres, exsangues. L’infection est stoppée.<br />
Pris au piège s<strong>en</strong>suel de cette ronde merveilleuse,<br />
Vieux Bébé a le temps de p<strong>en</strong>ser, de réparer, de se<br />
souv<strong>en</strong>ir une ultime fois : flashs visuels crépitant de
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
souv<strong>en</strong>irs électrocutés, d’un Nord fantasmé, incarnés<br />
<strong>en</strong> Dotty Womb.<br />
Moi, Vieux Bébé, j’ai aimé Dotty Womb, et j’aime<br />
Bloom.<br />
Et je replonge pour Guérir, une dernière fois…<br />
En lévitation horizontale au-dessus de cette plage de<br />
Dunkerque, je plane. « Dk » nous l’appelions. D’un son<br />
mat, John Mayall marmonne son blues, I’m A Stranger.<br />
Le rythme s’accélère, No Reply sautille dans mes oreilles. Le<br />
sable ocre et blanc tournoie <strong>en</strong>tre les baraques à frites, je s<strong>en</strong>s<br />
l’odeur des beignets brulants dévorés avec Dotty Womb… Le<br />
souv<strong>en</strong>ir s’estompe et Dk devi<strong>en</strong>t une cité <strong>en</strong>gloutie. Je reste là,<br />
face à cette mer glacée, à flotter… sucre vanillé et poussière de<br />
briques rouges <strong>en</strong> susp<strong>en</strong>sion. Son crâne rasé émerge des flots<br />
huileux. Son visage brésili<strong>en</strong>, éclairé par les lumières du port<br />
industriel, pr<strong>en</strong>d vie. Ses yeux s’ouvr<strong>en</strong>t. Je veux m’<strong>en</strong>fuir.<br />
Mayall chante Dark Is The Color ; noires sont ses<br />
pupilles. Je vois des algues reptili<strong>en</strong>nes sortir de ses narines.<br />
Je suis projeté vers le ciel noir et Dk s’éloigne. Elle ouvre<br />
la bouche : un mot, un cri sil<strong>en</strong>cieux s’échappe de ces lèvres<br />
que j’ai tant embrassées, mordillées. Le son est happé par les<br />
vapeurs du Nord, ces viscosités s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>tales me rejoign<strong>en</strong>t et<br />
me dévor<strong>en</strong>t, l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t.<br />
L<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t, lorsque ses yeux se pos<strong>en</strong>t sur moi,<br />
l’iris de Bloom m’<strong>en</strong>veloppe et je m’<strong>en</strong>roule dans<br />
À fleur de peau<br />
ses paupières finem<strong>en</strong>t maquillées, ponctuées d’une<br />
pointe noire. L’ocre rouge de son regard est l’argile<br />
dont je veux m’<strong>en</strong>duire, m’imprégner… Terres et<br />
argiles sont les substances de Bloom.<br />
Je fuis dans un long couloir gris peuplé d’ombres noires.<br />
Dotty Womb m’a plaqué au sol avec son audace et ses longues<br />
mains. Je me souvi<strong>en</strong>s que Delpech chantait Pour un flirt<br />
avec toi... Ce flirt a viré à la Love Story !<br />
Je cours à perdre haleine dans ce goulot d’étranglem<strong>en</strong>t où<br />
toutes les issues de secours sont scellées. Le grand corps de<br />
Dotty me talonne, me brûle le dos. Le cul de la Femme-Enfant<br />
se trémousse et ses mains se balad<strong>en</strong>t sur ma braguette <strong>en</strong>flée.<br />
Je n’<strong>en</strong> croyais pas mes s<strong>en</strong>s ! Pas de mots inutiles, comme un<br />
carpe diem Rockabilly, Bananes Métalliques dans mon slip.<br />
Tes baisers voraces ont déchiré mes g<strong>en</strong>cives et ma langue. Quel<br />
pied ! Mes mains ont caressé ton crâne abrasif, et j’ai joué avec<br />
ta houppette tintinesque de Lolita-Skin. J’ai aimé ton viol.<br />
Je trébuche, m’affale sur le sol boueux de ce couloir. Dotty,<br />
la gamine féroce et t<strong>en</strong>dre, plante ses griffes sur mon dos et pose<br />
son cul animal sur mon visage... j’étouffe et je bois ! Ses fluides<br />
parfumés inond<strong>en</strong>t ma gorge, ses morsures m’ont <strong>en</strong>chanté. La<br />
Femme-Léopard s’<strong>en</strong>fonce dans mon cul, poils et d<strong>en</strong>ts absorbés<br />
par cet orifice. À cet instant, je jouis, vomis et disparais dans<br />
une vase opaque, celle de l’inconsci<strong>en</strong>ce naïve et heureuse, celle<br />
d’un indicible bonheur, mais aussi d’un suicide s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>tal<br />
programmé…<br />
156 157
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
Indicible, la rage avec laquelle je m’emploie à<br />
cisailler les li<strong>en</strong>s de métal rouillé qui comprim<strong>en</strong>t la<br />
poitrine de Bloom. De lourdes chaines <strong>en</strong>serr<strong>en</strong>t ses<br />
désirs. Sous la ferraille qui <strong>en</strong>combre sa cage thoracique,<br />
je veux retrouver le bois t<strong>en</strong>dre de ses vertèbres,<br />
appuyer mes lèvres sur son sternum, baiser son<br />
plexus solaire et végétal. Je veux nouer mes intestins<br />
autour des branches de ses artères, confronter nos<br />
muscles cardiaques, broyer nos poumons…<br />
Ét<strong>en</strong>du sur le sol d’un hangar à bateaux, reliquat marin<br />
d’une friche industrielle chti, je délire. À travers la verrière sale<br />
et brisée, les silhouettes arrogantes des Tueurs Nés d’Oliver<br />
Stone se dessin<strong>en</strong>t : notre film fétiche. Balade sanglante vers un<br />
amour absolu, Roméo et Juliette psychokillers. Mais Vieux<br />
Bébé et Dotty étions plus sages ! Nous fantasmions sur la<br />
scène du « mariage sur le pont » de Mickey et Mallory.<br />
Des gouttes d’eau teintées de rouille tomb<strong>en</strong>t sur mon corps<br />
blanc. Chaque goutte r<strong>en</strong>ferme une particule de métal oublié,<br />
chaque atome ferrugineux s’<strong>en</strong>fonce dans ma peau tranchée,<br />
coupée. Les particules non élém<strong>en</strong>taires pénètr<strong>en</strong>t mon réseau<br />
sanguin. Le sang de Dotty s’échappe de son sexe, après une<br />
dévastatrice et fantastique pénétration. Son flux se dilue sur<br />
ma queue tandis que le métal m’empoisonne. Nos bagues de<br />
fiançailles mortelles s’échauff<strong>en</strong>t et m’intoxiqu<strong>en</strong>t. Mickey et<br />
Mallory se sont aimés jusqu’au bout, Vieux Bébé et Dotty<br />
n’ont pas eu cette chance.<br />
À fleur de peau<br />
Il pleut à travers la tôle percée du hangar, une pluie acidulée<br />
sur mes lèvres. Merveilleux gout de ses m<strong>en</strong>struations ! Pas<br />
une goutte de perdue. Ma langue est imbibée de ses déchets<br />
intimes : c’est aussi « cela » aimer !<br />
Nos bagues à têtes de mort, négligées, ont été jetées au fond<br />
de l’oubli, au fond de cette <strong>en</strong>veloppe jaune, dans un coin de<br />
mon atelier... Union naïve et belle, provisoire, de la chair, du<br />
sang et du métal.<br />
La corrosion s’accélère.<br />
Une injection de Crust dans tes veines fragiles, et tu t’es<br />
<strong>en</strong>fuie, cela m’a presque tué.<br />
…Tué. Tuer cette terreur qui me vide et me paralyse<br />
lorsque Bloom disparait provisoirem<strong>en</strong>t. Éloigné<br />
d’elle, je ne respire plus, je me tétanise, je me replie…<br />
Je dois anéantir cette trouille dans un torr<strong>en</strong>t de<br />
confiance et d’amour dans lequel elle et moi devons<br />
plonger, voilà le combat à m<strong>en</strong>er… Le fantôme qui<br />
hante Vieux Bébé possède plusieurs noms : l’Abandon,<br />
l’Oubli, le M<strong>en</strong>songe, le Non-Dit : une vie bi<strong>en</strong><br />
pleine de r<strong>en</strong>dez-vous manqués. Bloom a ses démons<br />
aussi : le Sil<strong>en</strong>ce, et d’autres que je ne connais pas<br />
<strong>en</strong>core.<br />
Elle est un arbre d’une espèce inconnue, aux racines<br />
taillées à vif dont certaines sont profondém<strong>en</strong>t<br />
<strong>en</strong>terrées et d’autres effleur<strong>en</strong>t la surface d’une terre<br />
parfois bi<strong>en</strong> sèche. Ses branches, noires, font p<strong>en</strong>ser à<br />
158 159
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
celles d’un saule pleureur l’hiver, avec de fines feuilles<br />
tombantes comme des larmes. Bloom est un arbre<br />
<strong>en</strong> mouvem<strong>en</strong>t, docile, passive, errante, fragile. Sous<br />
son écorce soyeuse, une Métamorphose se dessine ;<br />
les feuilles trembl<strong>en</strong>t, certaines se détach<strong>en</strong>t, sa sève<br />
de café noir pulse… Son sexe opaque s’<strong>en</strong>trouvre et,<br />
dans un nuage de copeaux écarlates, la tête de Vieux<br />
Bébé s’y <strong>en</strong>fonce voluptueusem<strong>en</strong>t.<br />
Le carnaval de Dk, au ral<strong>en</strong>ti.<br />
Muet.<br />
Visions monochromes.<br />
Ma tête au bout d’une pique dodeline au milieu des<br />
géants de mousse synthétique et de carton pâte. Ces titans<br />
joyeux gliss<strong>en</strong>t sil<strong>en</strong>cieusem<strong>en</strong>t sur les pavés poisseux du<br />
port. Soudain, les masques débonnaires explos<strong>en</strong>t, libérant<br />
des visages de chair pâles, angéliques, comme des porcelaines<br />
transpar<strong>en</strong>tes, Living Dead Dolls immatérielles.<br />
Dotty Womb s’émoustille et fredonne « Be bop a Sonia,<br />
she’s my baby ».<br />
L’Ange Troublemaker sourit. L’armée de lumière blanche<br />
s’ébroue et s’ébranle.<br />
Moi, seul masque grotesque mâle, je t<strong>en</strong>te de m’<strong>en</strong>fuir.<br />
Peine perdue, je bascule. L’Ange Psychosis <strong>en</strong>voie un baiser<br />
pourpre à ma Dotty : you’re my wife, lui dit-elle dans un<br />
souffle.<br />
À fleur de peau<br />
De ses doigts brulés, Dotty <strong>en</strong>fonce ma tête dans son<br />
rectum. Les femelles <strong>en</strong>tour<strong>en</strong>t ma princesse et chuchot<strong>en</strong>t des<br />
mots magiques dans son oreille percée. Ces salopes diaphanes et<br />
égoc<strong>en</strong>triques, figées dans leurs adolesc<strong>en</strong>ces au stade de l’ultime<br />
beauté, domin<strong>en</strong>t et étouff<strong>en</strong>t Dotty ; elle est leur muse, leur<br />
proie facile.<br />
Immobilisé dans ses replis intimes, je grimace, serre les d<strong>en</strong>ts,<br />
gueule ma tristesse. Elle n’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d ri<strong>en</strong>. Elle s’abandonne à ces<br />
gamines dangereuses dans le culte de la douceur, de l’abs<strong>en</strong>ce<br />
du pénis. Dotty rêve d’une verge greffée <strong>en</strong>tre ses cuisses, moi je<br />
voulais un vagin pour l’accueillir. Dotty réservait ses orgasmes<br />
à elles seules. Ma lesbi<strong>en</strong>ne par défaut se dissout dans mes rêves.<br />
Elle rote bruyamm<strong>en</strong>t, ses sphincters se relâch<strong>en</strong>t et je tombe,<br />
libéré... Elle me piétine rageusem<strong>en</strong>t puis se met à pleurer.<br />
Je me relève et la pr<strong>en</strong>d dans mes bras, doucem<strong>en</strong>t,<br />
t<strong>en</strong>drem<strong>en</strong>t, simplem<strong>en</strong>t...<br />
T<strong>en</strong>drem<strong>en</strong>t, simplem<strong>en</strong>t, j’accueille au fond de<br />
mon bassin mouvant les douleurs de Bloom. Bloom<br />
est une artiste. Elle peint sa prison psychique avec<br />
beaucoup de force et de tal<strong>en</strong>t. Les barreaux de sa<br />
cellule de pastel sont faits de matière carnée, de t<strong>en</strong>dons,<br />
de veines noires; racines, lierres grimpants,<br />
rampants et artères se confond<strong>en</strong>t. De ces corps<br />
retournés, écorchés, improbables, je devine parfois<br />
l’esquisse d’un visage, d’une cuisse, d’un sein. Bloom<br />
veut se libérer, consolider son arbre intime. Ses bran-<br />
160 161
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
ches, ext<strong>en</strong>sions de ses membres blessés, pouss<strong>en</strong>t<br />
sur les parois de sa prison m<strong>en</strong>tale… La pression<br />
est forte, et moi, Vieux Bébé, je déboule <strong>en</strong> lui murmurant<br />
mes mots d’amour, excessifs, généreux, dans<br />
un souffle brulant, qui s’insinue jusqu’au bout des<br />
feuilles, jusqu’au fond de sa peau.<br />
Skin, la peau du cul taillée sur mesure pour moi par<br />
Dotty Womb.<br />
Maint<strong>en</strong>ant prisonnier d’un cube gris aux parois<br />
dépourvues d’ouvertures, j’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds une meute de jeunes chi<strong>en</strong>s<br />
aux crânes pelés flairer les angles coupants de ma cellule.<br />
J’<strong>en</strong>file littéralem<strong>en</strong>t la peau évidée de Dotty, elle me va<br />
parfaitem<strong>en</strong>t !<br />
La couture, aux fils de toile d’araignée, est presque<br />
invisible, de l’anus jusqu’au sommet de la tête. Mon pénis<br />
flaccide émerge de son vagin mort, comme sidéré d’<strong>en</strong> être<br />
arrivé là.<br />
Une petite cicatrice sur son g<strong>en</strong>ou acc<strong>en</strong>tue un relief qu’il<br />
est doux de toucher.<br />
Je suis « bi<strong>en</strong> » dans sa peau d’ange.<br />
À l’extérieur, les chi<strong>en</strong>s grogn<strong>en</strong>t, montr<strong>en</strong>t les crocs.<br />
Bébés féroces et imbibés.<br />
Ils se rapproch<strong>en</strong>t des parois poreuses de ma boite.<br />
Dotty ondule sur leurs corps lisses et nerveux, elle me<br />
nargue.<br />
Je les vois, je les s<strong>en</strong>s au travers du mur.<br />
À fleur de peau<br />
Je me couche sur le sol froid, v<strong>en</strong>tre à l’air, prisonnier<br />
cons<strong>en</strong>tant de ma combinaison carnée. Je mesure la d<strong>en</strong>sité<br />
merveilleuse de ses seins qui gliss<strong>en</strong>t sur mes côtes. Les tétons,<br />
violets, presque noirs sont t<strong>en</strong>dus, comme de minuscules groins<br />
de porcs.<br />
Puis, doucem<strong>en</strong>t, je me plie <strong>en</strong> deux, mes mains <strong>en</strong>tourant<br />
mes cuisses, les si<strong>en</strong>nes, m’accaparant sa souplesse incroyable.<br />
Là, je SUIS Dotty !<br />
J’approche ma bouche, SA bouche de ma queue t<strong>en</strong>due.<br />
Fantasme d’adolesc<strong>en</strong>t, comme peut-être à l’image de cette<br />
histoire…<br />
Se sucer, faire et recevoir, seul.<br />
Nous sommes deux <strong>en</strong> un.<br />
Derrière les parois, Dotty danse un tango avec les chi<strong>en</strong>s.<br />
Elle rampe sur leurs flancs musculeux, sous leurs v<strong>en</strong>tres<br />
hygiéniques.<br />
Ils se vid<strong>en</strong>t <strong>en</strong> elle, gang bang brunâtre.<br />
Mon sexe dans ma bouche, ma colonne vertébrale pliée à<br />
l’extrême, je poursuis ma frénétique alim<strong>en</strong>tation alors que mes<br />
doigts caress<strong>en</strong>t son clitoris. Je l’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds gémir timidem<strong>en</strong>t.<br />
Soudain, les chi<strong>en</strong>s pénètr<strong>en</strong>t dans mon cocon, et plant<strong>en</strong>t<br />
leurs d<strong>en</strong>ts sur mes chairs. Dotty hurle, j’éjacule.<br />
Mon corps déchiqueté ne tremble pas.<br />
J’accepte et je r<strong>en</strong>once.<br />
Avant de succomber, crachant sang et sperme, j’aperçois<br />
Dotty, qui s’éloigne, indiffér<strong>en</strong>te et triste.<br />
Maint<strong>en</strong>ant, il ne reste plus ri<strong>en</strong> de nous.<br />
162 163
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
Nous… Bloom et moi : deux <strong>en</strong>tités complexes,<br />
névrosées, à vif, paradoxales et complém<strong>en</strong>taires,<br />
nous regardons les mêmes abimes et les mêmes<br />
cieux. Elle a capté et capturé mon iris, je veux donc<br />
à mon tour mêler mes vertèbres aux si<strong>en</strong>nes ; nous<br />
les freaks touchants et charmants !<br />
Au-delà de ces douleurs, il y a le monde des douceurs<br />
: du gout de sa peau, de ses lèvres, de son sexe,<br />
de ses sommeils parfois cruels, de ses rêves interdits<br />
à elle-même, sa t<strong>en</strong>dresse et sa vulnérabilité, sucrés<br />
comme son sang.<br />
Belle, humaine et fragile Bloom, ton hameçon<br />
s’est planté dans mon cul agité et dans mon cœur<br />
lessivé, merci pour cela…<br />
Ce voyage dans le temps me fait souffrir.<br />
Ét<strong>en</strong>du sur le lit de cette chambre d’hôtel, je meurs<br />
doucem<strong>en</strong>t.<br />
Le voyage <strong>en</strong> Dotty Womb doit s’achever maint<strong>en</strong>ant.<br />
Pour nourrir mon agonie <strong>en</strong> activant cette purge, j’ai<br />
replongé dans ton monde. J’ai revu tes photos, revisité ton<br />
album virtuel.<br />
J’ai appréh<strong>en</strong>dé tes fascinations.<br />
À la recherche du temps perdu...<br />
À fleur de peau<br />
De Tina Von Nekro à Virginie Notte, <strong>en</strong> passant par<br />
les strips des Bas Couture Burlesque Show, j’ai revisité ton<br />
panthéon.<br />
J’ai flairé tes traces avec la hantise de t’y voir malheureuse,<br />
ou heureuse !<br />
J’ai plongé dans les <strong>en</strong>fers glauques de la tal<strong>en</strong>tueuse R. D.<br />
« Crust », ton amante de ce fameux week-<strong>en</strong>d à Lille.<br />
J’ai écumé les univers électro-virtuels de Nastyboy,<br />
Psychosis, Troublemaker, Mélancolia : j’y ai s<strong>en</strong>ti ta prés<strong>en</strong>ce<br />
terrifiée ou t<strong>en</strong>dre.<br />
J’ai même retrouvé certaines de mes photos, dispersées…<br />
J’ai <strong>en</strong>fin découvert des images réc<strong>en</strong>tes, avec d’autres filles,<br />
d’autres histoires.<br />
Dans cette contemplation douloureuse, j’avais dans la<br />
bouche le goût de Dk, de ta peau.<br />
Je crois parfois deviner que tu poursuis ton autodestruction…<br />
Tu grandis et tu disparais.<br />
Paradoxe inquiétant... !<br />
Hémorragie interne <strong>en</strong> moi, depuis ce mois de juin<br />
2005.<br />
J’ai décidé d’<strong>en</strong> finir, avec Toi <strong>en</strong> moi.<br />
Je vivrai longtemps dans la terreur d’appr<strong>en</strong>dre qu’il te soit<br />
arrivé quelque chose d’irréversible.<br />
P<strong>en</strong>dant ce Voyage, j’ai craché tout l’amour que j’avais<br />
éprouvé pour toi, cette passion exclusive qui te ravissait et<br />
t’embarrassait.<br />
Ces éjaculations s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>tales m’ont soulagé.<br />
164 165
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
Tu resteras un auth<strong>en</strong>tique et beau souv<strong>en</strong>ir de chair et<br />
de métal brulant, dans ma mémoire disloquée et dans mon<br />
cœur éclaté.<br />
Dans cette chambre d’hôtel moisie, tu te dresses devant<br />
mon lit. Tu souris et me regardes timidem<strong>en</strong>t, comme autrefois,<br />
nerveuse et embarrassée.<br />
Tu t’arraches la peau des doigts.<br />
Ma respiration s’atténue, ma peau sèche a viré au noir.<br />
Tu as été ma Pierre Philosophale dans une alchimie s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>tale<br />
très opérative !<br />
L’hologramme de ton souv<strong>en</strong>ir s’efface, et moi je meurs…<br />
pour revivre.<br />
Un amour inédit, tortueux et fracassant m’intube.<br />
Et je veux vivre ces premières secondes, minutes,<br />
années d’une nouvelle vie avec lui… Me nicher<br />
avec Bloom dans la chambre ouatée de son « néant<br />
confortable ».<br />
Mon âme s’échappe vers la f<strong>en</strong>être, tandis qu’Erik<br />
Satie s’installe au piano. Des bulles de suavité et de<br />
savon attir<strong>en</strong>t mon esprit. De petites mains <strong>en</strong>trouvr<strong>en</strong>t<br />
mes paupières. Derrière les volets de l’unique<br />
f<strong>en</strong>être, la lumière est vive, l’air est doux. Dans la<br />
rue au pied de l’hôtel, un « vieux bébé » embrasse<br />
Bloom pour la première fois...<br />
166<br />
À fleur de peau
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
Voyager<br />
Jean-Yves Kervevan<br />
Voyager était son nom.<br />
D’où v<strong>en</strong>ait-il ? Nous n’aurions su le dire.<br />
Son véhicule était psychique, par l’esprit il s’était<br />
toujours déplacé. Et nous, pauvres poupées de chiffon,<br />
sans le vouloir nous l’abritions.<br />
Nous nous <strong>en</strong>trainions avec fierté depuis que<br />
le bonheur existe. Nous étions heureux de participer<br />
<strong>en</strong>semble aux grands jeux olympiques et aux<br />
chatoyantes cérémonies de guerre <strong>en</strong>tre amis. Ainsi<br />
façonnions-nous cette planète, <strong>en</strong> harmonie. Quand<br />
tout à coup, alors que ri<strong>en</strong> ne le laissait présager,<br />
Voyager se manifesta. Il nous adressa une impulsion<br />
m<strong>en</strong>tale si puissante que nous nous vîmes dev<strong>en</strong>ir<br />
fous. Puis une vague d’énergie plus apaisante nous<br />
<strong>en</strong>vahit et ce fut un s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t d’abandon qui nous<br />
saisit. Nos âmes pur<strong>en</strong>t alors s’ouvrir <strong>en</strong> harmo-
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
nie et recevoir le message suivant : « Taisez-vous !<br />
Sil<strong>en</strong>ce, vous tous ! »<br />
Le ton était impératif, mais doux.« Chut », nous<br />
fut-il <strong>en</strong>core dit. « Car vous êtes rêvés par celui que<br />
vous ignorez tous ! Votre créateur, assoupi <strong>en</strong> ce<br />
mom<strong>en</strong>t même vous rêve ! Et vous toutes et tous<br />
êtes le tissu fragile de ce songe divin ! Un songe qui<br />
peut à chaque instant pr<strong>en</strong>dre fin ! »<br />
La révélation nous glaça littéralem<strong>en</strong>t d’effroi.<br />
C’était épouvantable. P<strong>en</strong>ser que nous ne décidions<br />
ri<strong>en</strong>, ni de nos lubies, ni de nos discordes, était<br />
insupportable, tout simplem<strong>en</strong>t fou ! Comm<strong>en</strong>t<br />
accepter cette réalité crue ? Que faire ? Nous étions<br />
désemparés et l’on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dit vibrer l’écorce terrestre<br />
sous nos petits pas affolés ! Car ne v<strong>en</strong>ions-nous<br />
pas de pr<strong>en</strong>dre consci<strong>en</strong>ce du mortel danger qui<br />
nous m<strong>en</strong>açait ? Et si notre Dieu, dérangé par tant<br />
de brouhaha s’éveillait, qu’advi<strong>en</strong>drait-il de nous ?<br />
Ensemble, nous fîmes front et nous levâmes ! Je<br />
devrais dire, nous nous immobilisâmes ! D’un seul<br />
corps tout humain, nous adoptâmes la seule position<br />
possible ! Chérir ce rêve divin de l’intérieur,<br />
c’est à dire d’où nous étions, sans un murmure, sans<br />
un klaxon! Ainsi depuis ce jour, de nos bouches<br />
ne sort plus aucun son. À peine avons-nous pris le<br />
temps d’occire nos coqs et d’étouffer nos bambins.<br />
Nous sommes désormais immobiles au milieu des<br />
Voyager<br />
rues, aux volants de nos voitures qui ne vrombiss<strong>en</strong>t<br />
plus, nos montres et nos p<strong>en</strong>dules s’arrêtant, faute<br />
d’être remontées. Nous vivons là, comme des statues<br />
tremblantes sous la lune, <strong>en</strong> nos cités éteintes, ne<br />
faisant ri<strong>en</strong> qui puisse troubler le sommeil de notre<br />
seigneur et maitre. Je vous écris ces mots qui sont<br />
sans doute les derniers, car le bruit de ma plume sur<br />
le papier me semble déjà suspect. Je préfère m’arrêter<br />
ici, c’est plus sage. Peut-être aussi devrais-je ne<br />
plus respirer. C’est cela, mon coeur devrait cesser<br />
de battre... comme cela... « Chut, sil<strong>en</strong>ce » comme<br />
disait... Voyager... « Sil<strong>en</strong>ce et sérénité ».<br />
170 171
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
171
Traverses, livre <strong>voyageur</strong>
Traverses, livre <strong>voyageur</strong>
Traverses, livre <strong>voyageur</strong>
Traverses, livre <strong>voyageur</strong>
Traverses, livre <strong>voyageur</strong>
Traverses, livre <strong>voyageur</strong>
Traverses, livre <strong>voyageur</strong>
Traverses, livre <strong>voyageur</strong>
Traverses, Traverses livre <strong>voyageur</strong><br />
190<br />
Sylvia not in her land<br />
Luu (image) & Sylvia Zaplain (texte)<br />
Elle avait trois plumes dans la main, elle avait les<br />
cheveux foncés et le regard triste. Elle était <strong>en</strong> fuite,<br />
ce maudit lapin elle n’arrivait pas à l’attraper.<br />
Le vertige, les jambes <strong>en</strong> coton, la tête <strong>en</strong> catastrophe,<br />
tout tournait, elle tombait sans fin. Ses bras<br />
s’accrochai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre les toiles d’araignée faites des<br />
anci<strong>en</strong>s saris, des boubous et des burkas. Vestiges<br />
de vies comme la si<strong>en</strong>ne, des illusions perdues, un<br />
tourbillon de sanglots dans le v<strong>en</strong>t. Elle s<strong>en</strong>tait son<br />
haleine putresc<strong>en</strong>te, nauséabonde, prête à l’ingurgiter.<br />
Tant d’espoir agonisant dans sa gueule. L’abysse<br />
était là, inéluctable.<br />
Elle était déjà partie, elle p<strong>en</strong>sait à lui.<br />
Il était là grand comme les portes d’une église,<br />
imposant et taciturne <strong>en</strong> même temps. Pas un mot,<br />
juste son délire. Protège-moi.
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
Firefly Squid<br />
Yann Minh<br />
La Matrice ressemble à un lac <strong>en</strong>chanté, lisse comme<br />
un miroir... un lac immobile reflétant les étoiles...<br />
Parfois on y lance une lourde stèle soigneusem<strong>en</strong>t polie<br />
sur laquelle on a longuem<strong>en</strong>t gravé sa vie, ses chimères,<br />
ses haines et ses amours, et elle est absorbée par l’eau<br />
noire, sans avoir provoqué la moindre turbul<strong>en</strong>ce.<br />
Parfois on y jette juste un petit gravillon, et tout<br />
d’un coup, la magie opère. De petites rides de nacre dichroïque<br />
se déploi<strong>en</strong>t l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t depuis le point d’impact.<br />
L’ondulation lumineuse pr<strong>en</strong>d de l’amplitude, rebondit<br />
contre les rives, et la houle ténue se transforme <strong>en</strong><br />
tempête...<br />
Semblable aux bancs de Watas<strong>en</strong>ia Scintillans<br />
v<strong>en</strong>us féconder à la surface de la baie de Toyama,<br />
une population mystérieuse a surgi des profondeurs.<br />
Les céphalopodes lumineux s’<strong>en</strong>lac<strong>en</strong>t <strong>en</strong> spirales<br />
étincelantes de plus <strong>en</strong> plus longues, de plus <strong>en</strong>
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
plus d<strong>en</strong>ses de plus <strong>en</strong> plus éblouissantes, puis,<br />
lorsque la réserve de luciférine est épuisée, la<br />
horde magique retourne dans la nuit de la matrice.<br />
Les <strong>en</strong>trelacs s’éteign<strong>en</strong>t l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t, laissant la place<br />
au reflet des étoiles. Jusqu’au prochain galet ou au<br />
prochain monolithe qui vi<strong>en</strong>dra troubler la quiétude<br />
du lac <strong>en</strong>chanté.<br />
Pour ceux qui se demand<strong>en</strong>t ce que sont les Firefly Squid<br />
et les Watas<strong>en</strong>ia scintillans voir un très bon site sur la<br />
bioluminesc<strong>en</strong>ce marine : http://ascussat.free.fr<br />
194
Traverses, livre <strong>voyageur</strong>
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
Eikasia<br />
Couverture<br />
Né <strong>en</strong> 1979, Eikasia est actuellem<strong>en</strong>t photographe et illustrateur.<br />
Alors qu’il débute des études de biologie, il est repéré dès 1998<br />
par les éditeurs de Chasseurs de Rêves, lesquels lui ouvr<strong>en</strong>t leurs pages<br />
pour prés<strong>en</strong>ter ses premiers travaux. Puis son tal<strong>en</strong>t est apprécié<br />
des éditeurs (J’ai lu, Gallimard, D<strong>en</strong>oël, etc.) qui font appel à lui<br />
pour des couvertures dans le fantastique et la SF. Il y illustre des<br />
auteurs tels que Michael Moorcock, Arthur C. Clarke et H.P. Lovecraft.<br />
Il a d’ailleurs reçu des prix prestigieux, comme le prix Wojtek<br />
Siudmak du Graphisme et le prix Art&Fact. Son pseudonyme<br />
d’illustrateur, Eikasia, est une référ<strong>en</strong>ce à un mot <strong>en</strong> grec anci<strong>en</strong><br />
relatif à l’expression des fantasmes, aux décalages.<br />
Comme photographe, c’est sous son nom véritable qu’il commet<br />
ses méfaits, Marc Da Cunha Lopes. À prés<strong>en</strong>t, diplômé de<br />
l’école des Gobelins, il travaille dans la mode, la publicité et le cinéma,<br />
s’attaquant à de nouveaux domaines, autres que ceux du fantastique<br />
ou de la SF. La réalisation de film lui trotte dans la tête.<br />
www.eikasia.net pour ses travaux d’illustration<br />
www.aisakie.com pour ses travaux de photographe.<br />
Jean-Marie Vivès<br />
Le colporteur<br />
Biographies<br />
Né <strong>en</strong> 1953, célébré dans le milieu du cinéma pour ses impossibles<br />
décors numériques (La Cité des Enfants perdus, Ali<strong>en</strong> IV, Amélie<br />
Poulain…), Jean-Marie Vivès est à l’origine un illustrateur accompli.<br />
Son parcours est divers, puisqu’il a travaillé <strong>en</strong> photographie,<br />
<strong>en</strong> illustration classique, <strong>en</strong> publicité, puis pour le cinéma, avant de<br />
rev<strong>en</strong>ir dernièrem<strong>en</strong>t vers la publicité, où il a reçu de nombreux<br />
prix internationaux (Eurobest, Lion d’or à Cannes, Epica silver <strong>en</strong><br />
2004). C’est d’ailleurs dans cette perspective qu’il a été exposé au<br />
199
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
Louvre <strong>en</strong> 2006. Mais, avant tout, c’est à son travail personnel qu’il<br />
se dédie à prés<strong>en</strong>t. Un premier artbook, Terra Incognita, <strong>en</strong> a montré<br />
les premiers travaux <strong>en</strong> 2003 (publié par les éditeurs de ce recueil).<br />
Un ouvrage inhabituel d’images et d’écriture, Chemin de croix, <strong>en</strong><br />
collaboration avec Catherine Deschamps et Kar<strong>en</strong> Guillorel verra<br />
bi<strong>en</strong>tôt le jour. Les images du colporteur qui parsèm<strong>en</strong>t le recueil<br />
<strong>en</strong> sont d’ailleurs un clin d’oeil.<br />
www.jeanmarievives.com<br />
Luvan<br />
Kiruna<br />
Les luvor viv<strong>en</strong>t d’ordinaire <strong>en</strong> Suède sur la tête de lutins.<br />
Née <strong>en</strong> 1975, cette Luvan est auteur. Elle écrit des romans, des<br />
nouvelles, des scénarios. Ses nouvelles ont été publiées dans des<br />
anthologies thématiques par les éditions de l’Oxymore. Elle contribue<br />
aussi à des pièces de théâtre et elle est aussi commissaire<br />
d’exposition. Luvan est donc bel et bi<strong>en</strong> de nature multi-tâches<br />
dans ses activités. Depuis peu, elle s’est lancée dans la production<br />
d’ouvrages délirants à faible tirage. On att<strong>en</strong>d avec impati<strong>en</strong>ce le<br />
mystérieux Cindirella et le Grand Computer par Francesco da Costa,<br />
soap-opéra burlesque et cosmique.<br />
V<strong>en</strong>ez découvrir ses textes, histoires complètes, histoires à<br />
suivre, scénarii et tous ses projets <strong>en</strong> cours sur :<br />
www.luvan.org<br />
Jean-Yves Kervevan<br />
Clair obscur, L’att<strong>en</strong>te, La bête noire, La dernière demeure, Voyager<br />
Né <strong>en</strong> 1959, Jean-Yves Kervevan <strong>en</strong>tre à l’école des Beaux-Arts<br />
de Paris <strong>en</strong> 1975 où il étudie le dessin et la sculpture. Ses travaux<br />
dévoil<strong>en</strong>t un imaginaire riche et sombre, bonheur et désespoir<br />
confondus, épaulé par un bel humour poétique. Bi<strong>en</strong>v<strong>en</strong>ue dans<br />
l’univers d’un alchimiste pudique et discret, fasciné par le jeu des<br />
matières et des textures. Il voyage égalem<strong>en</strong>t et sort touché de ses<br />
déambulations autour du monde, dont on retrouve l’impact dans<br />
ses travaux. En 1987, il comm<strong>en</strong>ce sa carrière d’illustrateur dans le<br />
milieu de la sci<strong>en</strong>ce-fiction et des littératures de l’imaginaire pour<br />
des éditeurs europé<strong>en</strong>s. Bi<strong>en</strong> connu des fans de Serge Brussolo,<br />
pour lequel il a illustré de nombreux livres, il voit son oeuvre de<br />
l’époque éditée dans un artbook, L’Ange écarlate. Lauréat du premier<br />
prix Art&Fact <strong>en</strong> 2001, ses travaux personnels sont valorisés dans le<br />
artbook Terra Incognita (2003 – publié par les éditeurs de ce recueil)<br />
Jean-Yves Kervevan vi<strong>en</strong>t de rajouter une corde à son arc: il<br />
travaille à l’heure actuelle comme décorateur de cinéma (La citadelle<br />
assiégée de P.Calderon) Et, si on ne le connait pas tant pour son écriture,<br />
il n’empêche qu’il <strong>en</strong> a le gout, ajoutant à ses tal<strong>en</strong>ts un autre<br />
médium de création.<br />
www.kervevan.com<br />
Jérôme Boulbès<br />
Cubes<br />
Né <strong>en</strong> 1969, Jérôme Boulbès est réalisateur de films d’animation<br />
3D, mais, à l’occasion, il peut aussi dessiner. L’univers doux amer de<br />
Jérôme met <strong>en</strong> scène des créatures mi-humaines mi-monstres dans<br />
Le Puits (1999), La Mort de Tau (2001), Rascagnes (2003) et dernièrem<strong>en</strong>t<br />
Éclosion (2006), qui ont reçu de nombreux prix internationaux.<br />
C’est d’ailleurs à l’univers de ce dernier film, rassemblem<strong>en</strong>t<br />
de cubes de pierre solitaires et usés, que son petit <strong>voyageur</strong> est confronté.<br />
Pour <strong>en</strong> (sa)voir davantage:<br />
www.rascagnes.com<br />
Biographies<br />
200 201
Catherine Deschamps<br />
La mélopée funeste<br />
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
Née <strong>en</strong> 1969, Catherine Deschamps est docteur <strong>en</strong> anthropologie<br />
sociale. Elle a travaillé sur le sida, la bisexualité et la prostitution<br />
de rue à Paris. Elle est actuellem<strong>en</strong>t rattachée à l’Université Libre<br />
de Bruxelles, pour une recherche sur la pornographie aux XIXe<br />
et XXe siècles. Catherine Deschamps a publié plusieurs ouvrages<br />
« sci<strong>en</strong>tifiques », dont Le Miroir bisexuel (Éditions Balland, 2002),<br />
Le Sexe et l’arg<strong>en</strong>t des trottoirs (Éditions Hachette Littérature, 2006),<br />
Le Féminisme à l’épreuve de la prostitution (avec Anne Souyris, Éditions<br />
d’Amsterdam, 2007). Elle écrit aussi depuis quelques années<br />
des fictions et nouvelles pour ses tiroirs, <strong>en</strong> guise d’alternance avec<br />
cette écriture académique parfois trop aride à son goût. Entre crudité<br />
et poésie, on trouve parmi ses thématiques fétiches la famille<br />
<strong>en</strong> ses gouffres, le corps dans son intériorité et dans ses limites, la<br />
complexité des rapports humains. Elle participe actuellem<strong>en</strong>t à un<br />
ouvrage inhabituel, Chemins de croix, <strong>en</strong> collaboration Jean-Marie<br />
Vivès. Elle avait auparavant écrit une nouvelle sur une des oeuvres<br />
de ce grand artiste, L’Arête de l’image, parue dans l’ artbook Terra<br />
Incognita (2003 - par les éditeurs de ce recueil)<br />
cathdes@club-internet.fr<br />
Yann Minh<br />
Noog<strong>en</strong>esis, Nostalgie d’un futur passé prés<strong>en</strong>t, Firefly Squid<br />
Né <strong>en</strong> 1957, Yann Minh, est l’inv<strong>en</strong>teur du néologisme noonaute<br />
; il se décrit lui-même comme étant un conglomérat cellulaire<br />
complexe et éphémère évoluant à l’échelle du macrocosme, et<br />
appart<strong>en</strong>ant à un groupe de noovéhicules morphologiquem<strong>en</strong>t<br />
similaires organisés <strong>en</strong> intellig<strong>en</strong>ces collectives dont les parcelles<br />
s’auto-définiss<strong>en</strong>t comme étant les « êtres humains ». Artiste<br />
multimédia prolifique à la pointe des nouvelles technologies de la<br />
communication depuis plus de vingt-cinq ans, Yann Minh a à son<br />
actif de nombreuses créations primées qui vont de l’installation<br />
multimedia immersive exposée au musée d’art moderne du C<strong>en</strong>tre<br />
Georges Pompidou aux docum<strong>en</strong>taires TV diffusés et produits<br />
par les chaînes nationales, <strong>en</strong> passant par les courts métrages de<br />
création ou de fiction <strong>en</strong> 3D ou <strong>en</strong> jeu vidéo.Il est aussi l’auteur du<br />
roman culte de sci<strong>en</strong>ce-fiction cyberpunk : Thanatos, Les Récifs, paru<br />
chez Flor<strong>en</strong>t-Massot <strong>en</strong> 1997. Dev<strong>en</strong>u « NooConteur cyberpunk »,<br />
il anime des confér<strong>en</strong>ces immersives <strong>en</strong> 3d temps réel. durant<br />
lesquelles il convie des groupes de « noonautes » à l’accompagner<br />
vers les zones cybernétiques secrètes découvertes p<strong>en</strong>dant ce quart<br />
de siècle de noopérégrinations. Les illustrations prés<strong>en</strong>tes sont<br />
extraites de son dernier film d’animation <strong>en</strong> images de synthèses,<br />
Noog<strong>en</strong>esis, paru <strong>en</strong> 2006.<br />
www.yannminh.com<br />
Hors Humain<br />
La dernière révolte<br />
Né l’an de grâce 1944, Allemagne, sous des pluies de bombes<br />
inc<strong>en</strong>diaires, dans les ruines fumantes d’une Europe trahie. Couteau<br />
tiré à quatre épingles, fantôme de son état, duelliste par nécessité,<br />
déchainé déchainé déchainé. Poète. Performer dans la cité, il voyage<br />
sur les routes de l’extrême pour être plus juste, sur les ailes brulantes<br />
de l’absolu. Le souffle est son m<strong>en</strong>tor, son double, sa folie<br />
dévastatrice - Imaginocratie, le livre poétique de ses abs<strong>en</strong>ces répétées.<br />
Certains soirs, vous pourrez l’apercevoir remontant les escaliers du<br />
Sacré-Coeur <strong>en</strong> corde à sauter. Un pic à la place du coeur, il chevauche<br />
toutes les données de la physiologie humaine. Logique, Hors<br />
Humain est son destin. « Tout ce que je vais dire, tout ce que je vais<br />
faire, va se retourner contre vous, humains ! »<br />
www.horshumain.org<br />
Biographies<br />
202 203
noönK (Kar<strong>en</strong> Guillorel)<br />
Daddy Longues-Jambes<br />
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
Née <strong>en</strong> 1978, noönK (prononcez [nounka]), a coédité Chasseurs<br />
de Rêves et Terra Incognita (Grand Prix de l’imaginaire <strong>en</strong> 2002). Le<br />
goût de l’écriture et du voyage l’embarqu<strong>en</strong>t à l’autre bout de la<br />
terre régulièrem<strong>en</strong>t, et <strong>en</strong>tre temps, elle travaille avec bonheur dans<br />
le jeu vidéo, l’audiovisuel et la presse, changeant de métier comme<br />
de chemise. Depuis deux ans, c’est l’écriture de nouvelles et de<br />
scénarios qui la font respirer. Lauréate du concours de nouvelles<br />
de Nanterre pour sa nouvelle Le ravissem<strong>en</strong>t de Stanislas. Son texte,<br />
La raison d’une éclipse sortira au sein d’un ouvrage collectif <strong>en</strong> 2008<br />
chez Egone. L’adaptation <strong>en</strong> scénario de cette novella a été remarquée<br />
par le jury du Concours du scénario junior SOPADIN. Elle<br />
a aussi reçu le troisième prix du concours de scénario Acapabar<br />
pour Les chantres électroniques, dont le destin heureux sera de dev<strong>en</strong>ir<br />
une bande dessinée. Rev<strong>en</strong>ue d’un voyage de sept mois à pied et à<br />
vélo de Paris à Jérusalem <strong>en</strong> passant par Istanbul, elle prépare mille<br />
projets d’édition, mais surtout l’ouvrage Chemins de croix <strong>en</strong> collaboration<br />
avec Jean-Marie Vivès et Catherine Deschamps.<br />
www.noonk.com pour son site de création<br />
www.loindevant.com pour son site de voyages<br />
Rachid Gu<strong>en</strong>douze<br />
Maracasses<br />
Né le 28 juillet 1982, Rachid Gu<strong>en</strong>douze dessine et peint<br />
avec passion des univers fantastiques avec une s<strong>en</strong>sibilité proche<br />
de l’imaginaire nippon (ce n’est pas un hasard si Miyazaki<br />
l’<strong>en</strong>thousiasme). C’est aussi dans cette optique qu’il s’intéresse de<br />
près au graphisme de jeu vidéo. Il a d’ailleurs réalisé les sprites ainsi<br />
que les dessins préparatoires d’un jeu sur portable. Il n’est pas<br />
<strong>en</strong>core aisé de pouvoir apercevoir le travail de ce jeune dessinateur<br />
prometteur, même s’il a participé à plusieurs expositions <strong>en</strong> gravure,<br />
nu et nature morte à Clichy-la-Gar<strong>en</strong>ne, mais espérons que cela ne<br />
saurait tarder.<br />
www.rachidgu<strong>en</strong>douze.com<br />
Laur<strong>en</strong>t Bramardi<br />
Les trois jours du Coran<br />
Né <strong>en</strong> 1972, Laur<strong>en</strong>t Bramardi s’est consacré tout d’abord à<br />
l’archéologie du Proche-Ori<strong>en</strong>t avant de se tourner vers l’écriture<br />
et l’édition indép<strong>en</strong>dante. Il a créé <strong>en</strong> 1996 la revue Rose Noire et,<br />
<strong>en</strong> 2000, à la fin de celle-ci, a participé à la naissance d’Egone et de<br />
ses projets éditoriaux. Il a publié chez ce dernier un livre de contes<br />
intitulé Étrange Septembre, participé à plusieurs autres publications<br />
et s’est aussi fait connaitre pour son travail de graphiste. Dernièrem<strong>en</strong>t,<br />
les éditions Les Enfants Rouges ont publié Quatre, une BD<br />
dessinée par Anton qu’il a scénarisée, et l’Asc<strong>en</strong>te, une nouvelle revue<br />
photoromancée qu’il a créée avec Lucas Méthé, vi<strong>en</strong>t de voir<br />
paraître son premier numéro chez Egone.<br />
www.egone.net pour les éditions<br />
www.egone.net/asc<strong>en</strong>te pour la revue du même nom<br />
www.myspace.com/laur<strong>en</strong>tbramardi pour ses diverses activités<br />
Philippe Jozelon<br />
À fleur de peau<br />
Biographies<br />
Né <strong>en</strong> Suisse <strong>en</strong> 1966, anci<strong>en</strong> élève de l’école Émile Cohl,<br />
Philippe Jozelon travaille principalem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> tant que peintre et dessinateur.<br />
Son univers ambigu réunit folie, sacré et maternité dans un<br />
cocktail sur le fil du rasoir. La saga de la Compagnie des Glaces, dont<br />
il a réalisé nombre de couvertures, a permis au public de connaitre<br />
ses travaux. Plusieurs prix ont couronné son travail (Prix Ozone<br />
204 205
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
et Grand prix de l’Imaginaire). Initiateur de Art&Fact, Philippe<br />
Jozelon désire maint<strong>en</strong>ant s’atteler aux nouveaux médias, tout <strong>en</strong><br />
peignant toujours davantage. Son univers personnel de monstres<br />
et de tristesse burlesque fortem<strong>en</strong>t s<strong>en</strong>sualisée s’est dernièrem<strong>en</strong>t<br />
cristallisé dans ses travaux de photographie, que vous pourrez<br />
observer au même titre que ses autres oeuvres aux adresses suivantes<br />
:<br />
http://jozelon.monsite.wanadoo.fr/<br />
www.jozelon.jepose.net<br />
www.myspace.com/jozelon<br />
Lucile Haute (Luh)<br />
Carnet d’une Lulu à New York<br />
Daddy Longues Jambes (illustrations)<br />
Titulaire d’un Master <strong>en</strong> Arts Plastiques, consacré à une<br />
traduction picturale de l’extase, Luh poursuit son cursus universitaire<br />
autour des notions de désir et de curiosité graphique.<br />
Elle structure son doctorat autour d’un univers <strong>en</strong> noir et<br />
blanc, pouvant être qualifié d’écorché, ludique et érotique.<br />
Ses inspirations éclectiques rassembl<strong>en</strong>t les contes, la mode,<br />
la bande dessinée, le fétichisme, et les œuvres d’artistes incontournables,<br />
tels Hans Bellmer, Gustav Klimt ou Andy Warhol.<br />
Elle accumule les carnets de dessins et quitte rarem<strong>en</strong>t ce format<br />
intime pour de plus grandes surfaces. Les parcourant, l’œil croise<br />
aplats et détails, figures et abstractions. Luh juxtapose les motifs et<br />
les formes, joue avec les échelles et l’anatomie de ses personnages.<br />
Des femelles autistes, et parfois monstrueuses, s’éviscèr<strong>en</strong>t pour<br />
rire ou s’empal<strong>en</strong>t pour ri<strong>en</strong>. Les chimères stoïques de luh ne sont<br />
pas rassurantes.<br />
Explorez l’univers graphique de luh sur son site :<br />
www.laluhne.com<br />
Sylvia Zapiain<br />
Sylvia in not her land<br />
Née <strong>en</strong> 1978, Sylvia Zapiain voyage, un haut diplôme de relations<br />
internationales <strong>en</strong> poche et armée d’un multilinguisme réalisé<br />
sur toutes la planète. Mexicaine, elle a posé ses affaires à Paris, <strong>en</strong><br />
France. Pour ce recueil, c’est une participation <strong>en</strong>tre son homme et<br />
elle, que nous avons la chance d’éditer. Suite aux av<strong>en</strong>tures dignes<br />
de Brazil que Sylvia a pu vivre dans les méandres de nos institutions,<br />
ils <strong>en</strong> ont tiré cette collaboration. De manière générale, Sylvia<br />
aime mettre des mots sur les images de Luu, traduire ses dessins <strong>en</strong><br />
utilisant son médium à elle : les mots. Lui traduit <strong>en</strong> image ses idées.<br />
Complicité, donc, pour ces deux-là. Par ailleurs, travaillant actuellem<strong>en</strong>t<br />
dans la communication, Sylvia a le désir de vous scotcher à<br />
l’écran – et se dirige vers le web consulting dans cette optique.<br />
http://chouquettesdudimanche.com<br />
Luu<br />
Sylvia in not her land (illustration)<br />
Ses études à l’École de Communication Visuelle <strong>en</strong> poche, <strong>en</strong><br />
plus d’être un jeune directeur artistique très prometteur, Luu (né <strong>en</strong><br />
1978) travaille à une création personnelle abondante dans bi<strong>en</strong> des<br />
domaines liés à l’image : dessin traditionnel comme digital, flashdesign,<br />
décoration traditionnelle, fabrication de costumes, compositing<br />
et montage, on n’<strong>en</strong> finit pas de voir Luu s’approprier de nouveaux<br />
médias d’expression. Autre domaine de création majeur dans lequel<br />
il s’illustre : la cuisine ! Et ce n’est pas un hasard si l’un de ses<br />
sites web de graphisme comporte une section culinaire !<br />
http://lionel.bui.fr<br />
http://luu.restaurant.free.fr<br />
http://paralosojos.free.fr<br />
Biographies<br />
206 207
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
Couverture - Eikasia<br />
Table<br />
L’arbre à livres - Yann Minh<br />
G<strong>en</strong>èse de Traverses, livre <strong>voyageur</strong> - Zoé A. Wolf<br />
Préface - Kar<strong>en</strong> GuillorEl<br />
Le colporteur I - Jean-Marie ViVès<br />
Kiruna - luVan<br />
Clair obscur - Jean-Yves kErVEVan<br />
Cubes - Jérôme BoulBès<br />
L’att<strong>en</strong>te - Jean-Yves kErVEVan<br />
La mélopée funeste - Catherine DEschaMps<br />
Le noonaute - Yann Minh<br />
La dernière révolte - hors huMain<br />
Daddy Longues-Jambes - noönk (ill. luh)<br />
La bête noire - Jean-Yves kErVEVan<br />
Le colporteur II - Jean-Marie ViVès<br />
Nostalgie d’un futur passé prés<strong>en</strong>t - Yann Minh<br />
La dernière demeure - Jean-Yves kErVEVan<br />
Maracasses - Rachid GuEnDouzE<br />
Les trois jours du Coran - Laur<strong>en</strong>t BraMarDi<br />
À fleur de peau - Philippe JozElon<br />
Voyager - Jean-Yves kErVEVan<br />
Voyage graphique à NY - luh<br />
Sylvia not in her land - luu & Sylvia zapiain<br />
Firefly Squid - Yann Minh<br />
Le colporteur III - Jean-Marie ViVès<br />
Biographies<br />
1<br />
4<br />
6<br />
9<br />
11<br />
27<br />
30<br />
53<br />
59<br />
77<br />
85<br />
89<br />
105<br />
111<br />
113<br />
117<br />
121<br />
133<br />
155<br />
167<br />
173<br />
191<br />
193<br />
197<br />
199
Traverses, livre <strong>voyageur</strong> est édité par :<br />
Kar<strong>en</strong> Guillorel - www.kar<strong>en</strong>guillorel.com<br />
Autre chose - www.editions-autrechose.com<br />
avec l’aide de<br />
Chasseurs de Rêves - www.chasseursdereves.com<br />
Suivi du projet :<br />
Kar<strong>en</strong> Guillorel, Octavie Piéron, Zoé A. Wolf<br />
Auteurs :<br />
Jérôme Boulbès, Laur<strong>en</strong>t Bramardi, Catherine Deschamps,<br />
Eikasia, Rachid Gu<strong>en</strong>douze, Hors Humain, Philippe Jozelon,<br />
Luh aka Lucile Haute, Luu, Luvan, Jean-Yves Kervevan, Yann<br />
Minh, noönK, Jean-Marie Vivès, Sylvia Zapiain<br />
Maquette :<br />
Kar<strong>en</strong> Guillorel, Octavie Piéron<br />
Corrections :<br />
Eva Guillorel, Octavie Piéron, Stéphane Bernard<br />
Sites web :<br />
www.traverses-lelivre.com<br />
www.myspace.fr/traverses<br />
Version électronique de l’ouvrage :<br />
Octavie Piéron<br />
www.traverses-lelivre.com<br />
Remerciem<strong>en</strong>ts :<br />
aux donateurs, aux auteurs, à tous les participants de ce projet<br />
à Zoé A. Wolf et Laur<strong>en</strong>t Bramardi pour leur aide inestimable
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
les <strong>en</strong>fants du petit poucet.<br />
chemins de grands rêves.<br />
l’empreinte sous le sable.<br />
la stratégie de l’escargot.<br />
cartographie imaginaire.<br />
sous les baisers du v<strong>en</strong>t.<br />
<strong>voyageur</strong>s impud<strong>en</strong>ts.<br />
chemins de traverses.<br />
migrations m<strong>en</strong>tales.<br />
voyages imprud<strong>en</strong>ts.<br />
le s<strong>en</strong>tier de plumes.<br />
odyssées intérieures.<br />
le petit migrateur.<br />
les transhumains.<br />
plus loin devant.<br />
exodes de récits.<br />
récits <strong>en</strong> balade.<br />
valises pleines.<br />
nomads land.<br />
croisem<strong>en</strong>ts.<br />
va et vi<strong>en</strong>s.<br />
migrations.<br />
déballages.<br />
traversées.<br />
errances.<br />
vers<br />
errances.<br />
traversées.<br />
déballages.<br />
migrations.<br />
va et vi<strong>en</strong>s.<br />
croisem<strong>en</strong>ts.<br />
nomads land.<br />
valises pleines.<br />
récits <strong>en</strong> balade.<br />
exodes de récits.<br />
plus loin devant.<br />
les transhumains.<br />
le petit migrateur.<br />
odyssées intérieures.<br />
le s<strong>en</strong>tier de plumes.<br />
voyages imprud<strong>en</strong>ts.<br />
migrations m<strong>en</strong>tales.<br />
chemins de traverses.<br />
<strong>voyageur</strong>s impud<strong>en</strong>ts.<br />
sous les baisers du v<strong>en</strong>t.<br />
cartographie imaginaire.<br />
la stratégie de l’escargot.<br />
l’empreinte sous le sable.<br />
chemins de grands rêves.<br />
les <strong>en</strong>fants du petit poucet.
Traverses, livre <strong>voyageur</strong><br />
Ouvrage conforme à la nouvelle orthographe.<br />
www.orthographe-recommandee.info<br />
Traverses, livre <strong>voyageur</strong> est imprimé <strong>en</strong> papier recyclé<br />
(sauf couverture)<br />
Traverses, livre <strong>voyageur</strong> est édité par Kar<strong>en</strong> Guillorel et Autre<br />
Chose, 67, rue Saint Jacques 75005 Paris<br />
Impression réalisée par Eurografica Spa, Viale dell’Industria, 2<br />
36100 Vic<strong>en</strong>za (Italie).<br />
Dépôt légal : 3ème trimestre 2007<br />
ISBN : 978-2-9530266-0-3-0