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Françoise Tomeno, VOUS CHANTIEZ ? EH BIEN - Revue Institutions

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Ce collage à l’autre, cette poussée vers l’identique, le même, je le retrouverai chez Aliette<br />

dans le choix des chansons : toujours le même auteur-compositeur-interprète, ou bien la<br />

chanson qu’un autre vient juste de chanter l’instant d’avant, un peu comme des écholalies. On<br />

adoptera une règle dans l’atelier : pour les chansons chantées en solo, "les chansons<br />

personnelles" - comme finira par dire Aliette et avec elle tout l’atelier -, jamais, dans la même<br />

période, deux personnes ne chanteront la même chanson (la fin d’une période étant marquée<br />

la plupart du temps par un concert dans la clinique). Le compositeur préféré d’Aliette restera<br />

longtemps quelqu’un dont toutes les musiques sont bourrées de contre-temps, à un point qui<br />

me déstabilisait moi-même. Et Aliette répétait "le même" là aussi, du côté du rythme, un<br />

rythme bancal, balancé, très dur à reproduire pour elle.<br />

Aliette va un jour nous donner une définition du refrain : "heureusement qu’il y a les refrains,<br />

dit-elle, sinon il n’y aurait pas de différence". C’est ce retour du même refrain qui sépare les<br />

couplets et donc les distingue. La distinction est inatteignable pour Aliette dans les paroles et<br />

l’histoire de la chanson.<br />

Aliette réussira un jour à énoncer une autre façon de faire de la différence : alors qu’à midi je<br />

faisais, comme à l'accoutumée un petit tour dans la salle à manger pour annoncer ma présence<br />

et l’atelier, elle me dira de sa toute petite voix et avec son mystérieux sourire : "Non,<br />

<strong>Françoise</strong>, je ne viens pas" -"Vous avez peut-être quelque chose à faire ?" -"Non, je ne sais<br />

pas pourquoi, je n’ai pas envie". Ce non là aura la vie dure, et il permettra que nous parlions<br />

d’autre chose que du chant. Bravo Aliette !...<br />

Loïc. Il ressemble plutôt à un adolescent alors qu’il doit avoir la trentaine. Sa voix parlée est<br />

un peu entre deux timbres, entre deux hauteurs. Lorsqu’il me parle, il me fait penser à un<br />

enfant par son débit, sa prononciation, le rythme de ses phrases : des phrases courtes, qui<br />

s’achèvent toujours comme si elles restaient suspendues, ce sont d’ailleurs souvent des<br />

questions ; son visage semble plongé dans le vôtre. Parfois Loïc change de ton, il est déprimé.<br />

Alors il n’est plus dans ce mouvement du corps qui s’approche du vôtre et qui semble en<br />

traverser les limites. Au contraire, il est assis, le visage vers le bas, ses phrases aussi tombent<br />

quand elles finissent. Loïc a du mal à rester longtemps à l’atelier, à écouter les autres. Il a<br />

toujours ailleurs où aller (plutôt qu’autre chose à faire).<br />

Au début, il chante avec une voix perchée : celle d’un enfant, d’une femme ? Plutôt celle qui<br />

n’a pas de limite vers le haut. Voilà ce qui l’intéresse, Loïc : toujours plus haut, repousser la<br />

limite, parce qu’il n’y en aurait pas. Il peste de ne pas chanter aussi haut que moi, qui pourtant<br />

n’ai pas une voix de soprano coloratur. Mais tout de même, je suis une fille, et lui un garçon.<br />

Je le dis en plaisantant. Cependant, le jour où Loïc commence à "descendre" et à se retrouver<br />

dans sa voix, une belle voix de baryton, c’est le résultat de tout un travail institutionnel, et pas<br />

celui d’un travail vocal, technique ou non. L’atelier et une fête de quatorze juillet sur le thème<br />

de Paris seront l’occasion pour lui de se présenter avec cette nouvelle voix. Il travaillera, et<br />

dans le ton, dans l’ambiance "grave" une chanson d’Aristide Bruant.<br />

Léon. Je dirai de Léon qu’il n’habite pas sa voix quand il chante. Quand il parle, s’il parle de<br />

tous les maux dont il souffre physiquement, sa voix est terne et assez monocorde, comme luimême<br />

est monolithique avec toutes les enveloppes qui l’accompagnent : toujours des tas de<br />

gros pull-over et un anorak : il a du mal à les quitter, il se plaint pourtant d’avoir chaud. Mais<br />

apparemment ces pelures doivent lui servir pour autre chose que le chaud et le froid. Sa voix<br />

varie et s’anime quand il évoque sa région, Poissy, sa famille, la chorale où allait un de ses<br />

frères. Quand il évoque les fêtes de famille passées et à venir. Un jour aussi il s’anime en

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