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ecevoir en audience une personnalité nationa<strong>le</strong> ou un responsab<strong>le</strong> étranger. La caméra ne<br />
s’attarde pas beaucoup sur son visage et <strong>le</strong>s plans ne sont jamais serrés, afin d’éviter de<br />
révé<strong>le</strong>r ses traits et de donner la moindre indication sur son état de santé.<br />
Si <strong>le</strong>s voyages officiels du président à l’étranger se font très rares et très espacés dans <strong>le</strong> temps<br />
– <strong>Ben</strong> <strong>Ali</strong> n’a jamais été, à la vérité, un grand voyageur –, ce dernier ne se prive pas de passer<br />
de courts séjours dans des î<strong>le</strong>s lointaines avec sa famil<strong>le</strong>. Mais même durant <strong>le</strong>s courtes<br />
périodes où il est loin du pays, <strong>le</strong> locataire du Palais de Carthage tient à être montré, au<br />
journal de 20 heures, recevant un tel ou tel ministre. Les initiés savent pourtant que <strong>le</strong>s images<br />
montrées sont tirées des archives et que cette manière d’occuper <strong>le</strong> terrain des médias vise, en<br />
réalité, à faire taire <strong>le</strong>s commentaires sur ses incessants voyages pour soins à l’étranger, dont<br />
bruie la rumeur publique, et pour éviter de donner de laisser <strong>le</strong> champ libre aux supputations.<br />
Prudent et soupçonneux, <strong>Ben</strong> <strong>Ali</strong> aime multiplier ces écrans de fumée qui lui permettent<br />
d’envelopper d’un épais mystère son état physique et ses projets d’avenir. Ce mystère, qui<br />
n’en est pas un, puisque tous ses faits et gestes (ou presque) finissent par alimenter <strong>le</strong>s<br />
chuchotements de ses compatriotes, lui donne l’impression d’avoir une longueur d’avance, et<br />
particulièrement sur ses proches collaborateurs, qui pourraient être amenés à nourrir quelque<br />
ambition, y compris, peut-être ou surtout, sa propre épouse, dont il est <strong>le</strong> mieux placé pour<br />
connaître la soif de pouvoir.<br />
L’appel des 65 personnalités tunisiennes, suivi de celui des 1000, appelant <strong>le</strong> président à<br />
rempi<strong>le</strong>r pour un sixième mandat en 2014, publiés début août 2010 dans <strong>le</strong>s médias locaux,<br />
soit plus de quatre ans à l’avance, comme s’il y a péril en la demeure, participent sans doute<br />
de cette volonté présidentiel<strong>le</strong> de ne jamais laisser ouverte cette question de la succession.<br />
Pour avoir été un acteur actif de la scène politique tunisienne à la fin du règne de l’exprésident<br />
Habib Bourguiba, <strong>Ben</strong> <strong>Ali</strong> est sans doute <strong>le</strong> mieux placé pour savoir que la lutte<br />
pour <strong>le</strong> pouvoir – qu’une tel<strong>le</strong> situation ne manque pas généra<strong>le</strong>ment de provoquer – pourrait<br />
miner ce qui reste de son prestige et de son autorité au regard de ses compatriotes, créer dans<br />
<strong>le</strong> pays une atmosphère délétère peu propice au travail et accélérer ainsi la fin de son régime.<br />
Les deux appels, qui seront suivis par des milliers d’autres, au fil des semaines et des mois,<br />
émanant de toutes <strong>le</strong>s instances, des institutions et des personnes qui comptent dans <strong>le</strong> pays,<br />
servent aussi à sonner la mobilisation et à éviter tout relâchement dans <strong>le</strong>s rangs de la majorité<br />
présidentiel<strong>le</strong>.<br />
On peut affirmer avec une faib<strong>le</strong> marge d’erreur que ces appels ont été inspirés sinon par <strong>le</strong><br />
président lui-même, du moins, par ses plus proches collaborateurs, qui <strong>le</strong>s ont écrits et<br />
proposés à la signature des personnalités de <strong>le</strong>ur choix, contactés par <strong>le</strong>s services de Carthage<br />
à cet effet. Outre qu’el<strong>le</strong> permet au président d’envoyer un ballon d’essai pour sonder l’état<br />
virtuel de l’opinion sur une question, la succession, qu’il veut donner l’impression de n’avoir<br />
pas lui-même tranchée, cette manœuvre politique, car c’en est une, lui fait gagner du temps,<br />
confond et désarme tous ceux qui ont cru, ne fut-ce que dans <strong>le</strong>ur for intérieur, que <strong>le</strong> compte<br />
à rebours a commencé, et, last but not <strong>le</strong>ast, met à l’épreuve l’allégeance des uns et des autres,<br />
dans une volonté de faire <strong>le</strong> tri entre <strong>le</strong>s bons et <strong>le</strong>s mauvais Tunisiens.<br />
En d’autres termes, ces "listes blanches" ou mauves, pour utiliser la cou<strong>le</strong>ur préférée du<br />
président, contenant <strong>le</strong>s noms des personnalités appelant <strong>le</strong> président à rempi<strong>le</strong>r en 2014 sont<br />
un moyen pour identifier ou démasquer ceux qui montreraient une certaine hésitation ou<br />
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