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S’il ne fait pas assassiner ses opposants, <strong>le</strong> régime de <strong>Ben</strong> <strong>Ali</strong> tue dans l’œuf toute forme<br />
d’opposition réel<strong>le</strong>, fut-el<strong>le</strong> modérée. Surtout quand cette opposition est modérée, serionsnous<br />
tentés d’ajouter. Car, dans son infini cynisme, ce régime préfère avoir affaire à des<br />
extrémistes, à des terroristes et à des têtes brûlées. Le cas échéant, il <strong>le</strong>s "fabriquerait"<br />
volontiers, car ils justifient, à ses yeux, par <strong>le</strong>ur excès même, <strong>le</strong>s méthodes musclées qu’il met<br />
en œuvre pour <strong>le</strong>s iso<strong>le</strong>r et <strong>le</strong>s neutraliser. D’autant que, dans la foulée, ce soi-disant combat<br />
contre l’extrémisme lui sert d’alibi pour brasser plus large et pour s’attaquer, de proche en<br />
proche, à toute autres voix qui apparaîtrait un tant soit peu discordante. Souvenons-nous de sa<br />
fameuse, interminab<strong>le</strong> et éternel<strong>le</strong> guerre contre <strong>le</strong> mouvement islamiste. Après avoir frayé<br />
avec ce mouvement, au milieu des années 1980, du temps où il était en charge de la sécurité<br />
intérieure, en tant que secrétaire d’Etat chargé de la Sûreté nationa<strong>le</strong>, puis ministre de<br />
l’Intérieur, poste qu’il a cumulé ensuite avec celui de Premier ministre, alternant fermeté et<br />
indulgence, répression et dialogue, dans une évidente volonté de manipulation visant à créer<br />
<strong>le</strong>s conditions objectives pour son coup d’Etat médico-légal et son accession à la tête de<br />
l’Etat, l’"Homme du Changement", fidè<strong>le</strong> à sa tactique du volte-face permanent, qui traduit en<br />
filigrane ses mensonges successifs, a d’abord commencé par libérer <strong>le</strong>s dirigeants du<br />
mouvement islamiste Ennahdha, et à <strong>le</strong>ur tête Rached Ghannouchi, aujourd’hui en exil à<br />
Londres, avant de se retourner contre eux et, arguant d’une tentative de putsch manigancée<br />
par certains d’entre eux infiltrés dans l’armée, a lancé ses services à <strong>le</strong>urs trousses. Après une<br />
campagne d’arrestations massives, de tortures à tout va, de procès menés au pas de charge et<br />
de condamnations à de lourdes peines de prison, auxquels n’ont échappé que <strong>le</strong>s éléments<br />
ayant pu fuir à temps du pays, <strong>le</strong>s islamistes furent complètement laminés et mis hors d’état<br />
de nuire dès 1991-1992. Mais pas assez au goût du nouvel homme fort du pays, qui n’a pas<br />
jugé <strong>le</strong>s Tunisiens dignes d’accéder à ce qu’il <strong>le</strong>ur avait pourtant promis <strong>le</strong> jour de son<br />
accession au pouvoir: la démocratie, la liberté, <strong>le</strong> pluralisme...<br />
Une fois la parenthèse islamiste fermée, une épine de moins au pied du régime, <strong>Ben</strong> <strong>Ali</strong> s’est<br />
empressé de mettre en place, par petites touches successives, son propre système politique,<br />
une sorte de république formel<strong>le</strong> sur laquel<strong>le</strong> il régnerait en maître absolu, monarque à qui ne<br />
manquerait que <strong>le</strong> trône, système bâtard mais d’une redoutab<strong>le</strong> efficacité, qui lui permettrait,<br />
sous couvert de libéralisme économique, de pil<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s richesses du pays au bénéfice de sa<br />
famil<strong>le</strong> et d’une poignée d’hommes d’affaires véreux et compromis.<br />
Les islamistes mis au frais ou partis voir si l’herbe est plus verte loin de la "verte Tunisie",<br />
<strong>Ben</strong> <strong>Ali</strong> n’a pas manqué d’inventer d’autres ennemis et de mettre son système de répression<br />
en bran<strong>le</strong> pour <strong>le</strong>s pourchasser, <strong>le</strong>s harce<strong>le</strong>r et <strong>le</strong>ur rendre la vie impossib<strong>le</strong>. Toutes <strong>le</strong>s<br />
famil<strong>le</strong>s politiques que compte <strong>le</strong> pays, l’une après l’autre, qu’el<strong>le</strong>s soient de gauche ou de<br />
droite, socialistes, libéraux et nationalistes arabes, tous n’ont pas tardé à goûter à ses<br />
méthodes déjà décrites plus haut. Jusqu’aux plus modérés, surtout <strong>le</strong>s plus modérés. Car, au<br />
pays de <strong>Ben</strong> <strong>Ali</strong>, modéré ou pas, pour peu que l’on refuse d’ava<strong>le</strong>r des cou<strong>le</strong>uvres, d’admettre<br />
une injustice ou que l’on montre une certaine réserve vis-à-vis de l’homme et de son système,<br />
on finit toujours par passer de l’autre côté, poussé dans <strong>le</strong> coin, acculé dans ses derniers<br />
retranchements, avant de se retrouver fina<strong>le</strong>ment à l’ombre. C’est <strong>le</strong> cas, par exemp<strong>le</strong>, de<br />
nombreux militants de la très modérée LTDH, aujourd’hui réduite à l’illégalité et au si<strong>le</strong>nce à<br />
la suite d’un procès intenté par des éléments à la solde du régime, tous d’ail<strong>le</strong>urs grassement<br />
récompensés depuis.<br />
Si <strong>Ben</strong> <strong>Ali</strong> n’aime pas <strong>le</strong>s modérés, c’est pour deux raisons. D’abord, face à sa force bruta<strong>le</strong>, il<br />
n’admet que la soumission tota<strong>le</strong>. Ayant tous <strong>le</strong>s pouvoirs, et plus encore, et, de ce fait,<br />
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