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Cette mainmise des proches du président sur <strong>le</strong> secteur de l’information vise à empêcher la<br />
constitution de tout pô<strong>le</strong> médiatique qui soit à la fois indépendant et influent. El<strong>le</strong> vise aussi à<br />
empêcher que <strong>le</strong>s informations sur <strong>le</strong>s malversations dont ces mêmes proches se rendent<br />
coupab<strong>le</strong>s régulièrement, et dont tous <strong>le</strong>s Tunisiens par<strong>le</strong>nt dans <strong>le</strong>urs discussions privées ou<br />
sur <strong>le</strong> net, soient publiées et aient une large diffusion publique. L’autre but visé est plus<br />
trivia<strong>le</strong>ment matériel: la mainmise de ces chers gendres, beaux-frères et obligés sur <strong>le</strong> pacto<strong>le</strong><br />
que représentent <strong>le</strong>s budgets de publicité des grands groupes publics et privés du pays.<br />
Ainsi, <strong>le</strong> régime cherche à faire d’une pierre deux coups: empêcher l’information de circu<strong>le</strong>r<br />
librement dans <strong>le</strong> pays et se réserver de larges espaces pour pratiquer la désinformation à<br />
grande échel<strong>le</strong> – comme si <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> joué à cet égard par <strong>le</strong>s médias publics ne suffisait pas –,<br />
d’un côté, et de l’autre, accaparer l’essentiel des investissements publicitaires et, surtout,<br />
empêcher qu’ils ail<strong>le</strong>nt renforcer tel ou tel média privé, de manière à maintenir tous ces<br />
médias, même ceux qui sont proches du régime, dans un état de dépendance permanente. Les<br />
miettes qui <strong>le</strong>ur sont jetées par l’ATCE servent à <strong>le</strong>s maintenir en place et à renforcer <strong>le</strong>ur<br />
esprit clientéliste et <strong>le</strong>ur besoin d’exprimer constamment <strong>le</strong>ur allégeance à <strong>Ben</strong> <strong>Ali</strong> et à son<br />
système.<br />
A cet égard, <strong>le</strong> système fonctionne de manière implacab<strong>le</strong>ment efficace. En témoigne la<br />
discipline politique qu’observent tous <strong>le</strong>s patrons de presse exerçant encore dans <strong>le</strong> pays, et<br />
qui rivalisent d’imagination pour exprimer, à qui mieux- mieux, <strong>le</strong>ur attachement au régime et<br />
aux figures qui <strong>le</strong> symbolisent, à commencer par <strong>le</strong> président et <strong>le</strong>s membres de sa famil<strong>le</strong>.<br />
Le résultat est que jamais, aujourd’hui, vous ne risquez de lire dans la presse tunisienne la<br />
moindre critique adressée au président ou à l’un de ses proches. Les projets qu’il annonce, <strong>le</strong>s<br />
décisions qu’il prend, <strong>le</strong>s personnes qu’il décore et <strong>le</strong>s positions qu’il exprime dans ses<br />
discours sont autant de lignes rouges qu’aucun journaliste ne se permet d’outrepasser au<br />
risque de passer de l’autre côté et d’être éjecté tota<strong>le</strong>ment du système. Avec son cynisme<br />
habituel, <strong>le</strong> président ne cesse dans ses discours d’appe<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s journalistes à faire preuve<br />
d’audace, de professionnalisme et même d’esprit critique. Il lui est même arrivé de <strong>le</strong>s tourner<br />
en dérision, en affirmant qu’il lui suffisait de lire un journal pour savoir ce qui se publie dans<br />
tous <strong>le</strong>s autres, tant <strong>le</strong>s journaux publiés dans <strong>le</strong> pays se ressemb<strong>le</strong>nt, publiant parfois <strong>le</strong>s<br />
mêmes dépêches et commentaires diffusés par l’agence TAP, la Pravda loca<strong>le</strong>.<br />
En réalité, <strong>le</strong>s rares journalistes qui ont osé rompre l’unanimisme de façade, sur <strong>le</strong>quel veil<strong>le</strong><br />
<strong>le</strong> Grand Censeur au Palais de Carthage, Abdelwaheb Abdallah, que <strong>le</strong>s Tunisiens désignent<br />
par <strong>le</strong> sobriquet Stayech (Petit sac) par allusion à sa petite tail<strong>le</strong>, l’ont tous payé chèrement:<br />
licenciement, harcè<strong>le</strong>ment, agression en p<strong>le</strong>ine rue…<br />
De Omar Shabou, ancien patron de l’hebdomadaire Le Maghreb, interdit dès <strong>le</strong>s premières<br />
années du règne de <strong>Ben</strong> <strong>Ali</strong>, à Fahem Boukaddous, <strong>le</strong> dernier journaliste embastillé (juil<strong>le</strong>t<br />
2010), en passant par Kamel Laâbidi, Sihem <strong>Ben</strong>sedrine, Taoufik <strong>Ben</strong> Brik, Néziha Réjiba<br />
alias Oum Zied, Slim Boukhedhir, Néji Bghouri, Zied El Heni – pour ne citer que ceux dont<br />
<strong>le</strong>s cas ont été largement médiatisés à l’étranger –, tous ces chevaliers de la plume ont été, à<br />
un moment ou un autre, réprimés, agressés, empêchés d’exercer en Tunisie, parfois privés de<br />
tout moyen de subsistance. Certains ont dû quitter <strong>le</strong> pays, la mort dans l’âme, et continuent<br />
de dénoncer la dictature de <strong>Ben</strong> <strong>Ali</strong> à partir de l’étranger. Ceux qui ont choisi de – ou se sont<br />
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