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Bourguiba, son parti <strong>le</strong> Néo Destour, devenu <strong>le</strong> Parti Socialiste Destourien (PSD), son<br />
gouvernement, et toute la clique au pouvoir allaient bientôt imposer un régime tout à la fois<br />
nationaliste, paternaliste, autoritaire et quelque peu débonnaire, où <strong>le</strong>s épisodes de répression<br />
aveug<strong>le</strong> alternaient avec <strong>le</strong>s phases d’ouverture durant <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s, <strong>le</strong> Combattant Suprême,<br />
jouant <strong>le</strong>s pater familias, se montrait indulgent à l’égard de ceux qui bravaient son pouvoir<br />
personnel, ces " fils prodigues " qui ne tardaient pas d’ail<strong>le</strong>urs à rentrer dans <strong>le</strong>s rangs. A ceux<br />
qui se montraient plus récalcitrants, ils n’hésitaient pas à infliger <strong>le</strong>s souffrances <strong>le</strong>s plus<br />
terrib<strong>le</strong>s: tortures, procès iniques, emprisonnements…<br />
C’est au sein de ce régime que l’actuel président a fait son apprentissage. Homme d’appareil,<br />
il a fait l’essentiel de sa carrière au ministère de la Défense Nationa<strong>le</strong>, puis à celui de<br />
l’Intérieur, en tant que haut responsab<strong>le</strong> de la sécurité, <strong>Ben</strong> <strong>Ali</strong> n’a rien renié de l’héritage<br />
bourguibien: <strong>le</strong> réformisme social, <strong>le</strong> libéralisme économique, <strong>le</strong> rejet viscéral des<br />
mouvements religieux et l’attachement, plus pragmatique qu’idéologique, à l’Occident…<br />
Autant de choix qui sont en vérité inscrits dans la tradition d’ouverture des Tunisiens depuis<br />
<strong>le</strong>s époques <strong>le</strong>s plus anciennes. Mais, après une courte période d’hésitation ou<br />
d’acclimatement durant laquel<strong>le</strong> il a donné l’illusion de vouloir instaurer en Tunisie une<br />
démocratie digne de ce nom – promesse contenue dans la déclaration du 7 novembre 1987,<br />
annonçant la destitution de Bourguiba et son accession personnel<strong>le</strong> au pouvoir –, <strong>Ben</strong> <strong>Ali</strong> n’a<br />
pas tardé à renouer avec l’autoritarisme bourguibien, qu’il s’est empressé de renforcer tout en<br />
l’adoptant aux nouvel<strong>le</strong>s réalités du pays et en <strong>le</strong> déclinant sous une forme plus ou moins<br />
acceptab<strong>le</strong> par ses partenaires occidentaux. Ces derniers se montrant d’autant plus disposés à<br />
fermer <strong>le</strong>s yeux sur <strong>le</strong>s dépassements de son régime policier en matière de libertés publiques<br />
et de droits de l’homme, qu’il <strong>le</strong>ur donne satisfaction en matière d’ouverture économique, de<br />
facilités d’investissement et de lutte contre <strong>le</strong> terrorisme islamiste et l’immigration<br />
clandestine.<br />
C’est ainsi que sous couvert d’un pluralisme de façade, plus arithmétique que politique, <strong>le</strong><br />
régime issu du Changement – c’est-à-dire du " coup d’Etat médico-légal " qui a ouvert à <strong>Ben</strong><br />
<strong>Ali</strong> la voie de la magistrature suprême – continue d’enserrer la société tunisienne dans l’étau<br />
d’une dictature de fait, plus ou moins musclée, souvent implacab<strong>le</strong>, qui empêche <strong>le</strong> débat<br />
public et tue dans l’œuf toute velléité de contestation politique. Au point qu’aujourd’hui, <strong>le</strong>s<br />
Tunisiens ne sont pas loin de regretter <strong>le</strong>s périodes antérieures, cel<strong>le</strong> du protectorat français,<br />
au cours de laquel<strong>le</strong> ils – ou <strong>le</strong>urs parents – avaient la possibilité de s’exprimer plus ou moins<br />
librement, de s’organiser au sein de structures associatives autonomes et de mener des<br />
combats pour <strong>le</strong> changement et <strong>le</strong> progrès. Ils sont nombreux aussi à regretter <strong>le</strong> sty<strong>le</strong> de<br />
gouvernement de Bourguiba qui, tout en exerçant un pouvoir autoritaire, adossé à une culture<br />
de parti unique et à un culte de la personnalité, s’était toujours gardé de pil<strong>le</strong>r <strong>le</strong> pays et<br />
d’accaparer ses richesses au profit de son propre clan, comme <strong>le</strong> fait aujourd’hui, de manière<br />
effrontée, arrogante et humiliante pour ses concitoyens, l’" Homme du Changement ".<br />
A la mort de Bourguiba, en avril 2000, beaucoup de Tunisiens découvrirent en effet, non sans<br />
surprise, que cet homme qui a régné pendant trente ans dans un pays qu’il a libéré de la<br />
colonisation et marqué de son empreinte indélébi<strong>le</strong>, a vécu ses dernières années aux frais de<br />
l’Etat, dans une maison qui a longtemps servi de logement de fonction au gouverneur de<br />
Monastir, sa vil<strong>le</strong> nata<strong>le</strong>. Ils eurent de la peine à croire aussi que <strong>le</strong> Combattant Suprême n’a<br />
rien laissé en héritage à ses descendants. Ni château en bord de mer, ni domaine agrico<strong>le</strong>, ni<br />
compte en banque bien fourni. Sa dépouil<strong>le</strong> mortel<strong>le</strong> fut d’ail<strong>le</strong>urs veillée, à Monastir, dans la<br />
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