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Société d'histoire forestière du Québec

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www.shfq.ca<br />

ISSN1918-1760 10 $ CAN<br />

Hiver 2012<br />

Vol. 4, numéro double 2011-2012<br />

<strong>du</strong> QUÉBEC<br />

La La Nation Nation<br />

huronne-wendat<br />

huronne-wendat<br />

et la et la forêt forêt<br />

Quelle place pour les<br />

PREMIÈRES NATIONS<br />

dans l’histoire <strong>forestière</strong><br />

au <strong>Québec</strong> ?<br />

Par Martin Hébert<br />

L’annedda,<br />

l’arbre de paix<br />

Par Berthier Plante<br />

Les Hurons-Wendat et le<br />

NioNweNtsïo<br />

Quelques aspects historiques<br />

et ethnographiques<br />

Par Jean-François Richard


2 HISTOIRES FORESTIÈRES<br />

Merci à noS MeMBreS VAn BrUYSSeL


SOMMAIRE<br />

Vol. 4, numéro double 2011-2012<br />

Les Hurons-Wendat et le Nionwentsïo : Quelques aspects historiques et ethnographiques<br />

Par Jean-François Richard, anthropologue, M.A., Nation huronne-wendat, Bureau <strong>du</strong> Nionwentsïo<br />

ESSEncE fOREStIèRE<br />

Présentation<br />

Par Martin Hébert<br />

L’annedda, l’arbre de paix<br />

Par Berthier Plante, membre de la SHFQ<br />

L’annedda, l’arbre de vie<br />

Par Richard Assinuuk Dumont, Nation huronne-wendat <strong>du</strong> clan de la Tortue<br />

chROnIquE AnthROpOlOgIquE<br />

Quelle place pour les Premières Nations dans l’histoire <strong>forestière</strong> au <strong>Québec</strong> ?<br />

Par Martin Hébert<br />

REchERchE<br />

Lexique des noms d’arbres en langue huronne-wendat<br />

Par Megan Lukaniec<br />

EntREVuE D’hIER À AuJOuRD’huI<br />

Entrevue avec Mario Gros-Louis, Harry Gros-Louis et Roland « Pitre » Sioui<br />

Propos recueillis par Delphine Théberge, Julie Asselin, Martin Hébert et Linda Sioui<br />

DÉcOuVERtE<br />

Hôtel-Musée Premières Nations et la forêt<br />

Par Delphine Théberge<br />

lES ÉcRItS REStEnt...<br />

L’opinion publique<br />

Par André-Napoléon Montpetit<br />

ÉDiTeUr<br />

<strong>Société</strong> d’histoire <strong>forestière</strong><br />

<strong>du</strong> <strong>Québec</strong><br />

rÉDAcTeUr en cHeF<br />

Patrick Blanchet<br />

rÉViSion LingUiSTiqUe<br />

Prose communication<br />

concePTion ViSUeLLe<br />

eT inFogrAPHie<br />

ImagineMJ.com<br />

rÉDAcTion<br />

Julie Asselin<br />

Martin Hébert<br />

Megan Lukaniec<br />

Berthier Plante<br />

Jean-François Richard<br />

Delphine Théberge<br />

iMPriMeUr<br />

Imprimerie Provinciale inc<br />

MeMBreS DU conSeiL<br />

D’ADMiniSTrATion De LA SHFq<br />

Denis Robitaille, Ph. D., président<br />

Martin Hébert, Ph. D., vice-président<br />

Guy Lessard, secrétaire-trésorier<br />

Gérard Lacasse, administrateur<br />

Julie Fortin, administratrice<br />

coorDonnÉeS<br />

1000, 3 e avenue<br />

C.P. 52063<br />

<strong>Québec</strong> (Qc) G1L 2X4<br />

www.shfq.ca<br />

info@shfq.ca<br />

<strong>Québec</strong> 418-317-1319<br />

Sans frais 855-841-8171<br />

<strong>du</strong> QUÉBEC<br />

p. 8<br />

p. 22<br />

p. 24<br />

p. 54<br />

p. 56<br />

p. 58<br />

p. 64<br />

p. 80<br />

p. 86<br />

Cette revue est imprimée sur <strong>du</strong> papier Rolland Opaque 50.<br />

HIVER 2012 - 3


MOt Du DIREctEuR gÉnÉRAl<br />

Dans l’ensemble de ses activités, la SHFQ se donne<br />

comme objectif de faire découvrir la richesse et la<br />

variété des expériences historiques liées aux espaces<br />

forestiers québécois. La revue Histoires <strong>forestière</strong>s <strong>du</strong><br />

<strong>Québec</strong> est un outil important à cet égard. Elle nous<br />

permet, au fil des numéros, d’en apprendre un peu plus<br />

sur des univers professionnels, sociaux et culturels dont<br />

la diversité nous rappelle, chaque fois, à quel point<br />

la forêt québécoise peut être comprise et vécue de<br />

multiples manières.<br />

Le présent numéro s’inscrit tout à fait dans ce projet. Il<br />

s’agit de la première publication de la SHFQ abordant<br />

la place des Premières Nations dans le monde forestier<br />

québécois. Le fait que ce numéro est consacré aux<br />

rapports historiques et contemporains de la Nation<br />

huronne-wendat avec la forêt démontre une manière<br />

de faire qui mérite quelques mots ici. Dès l’amorce de<br />

ce numéro, il a été clair que ce dernier serait construit<br />

en partenariat avec la communauté de telle sorte qu’il<br />

ne s’agirait pas seulement d’une publication sur les<br />

Hurons-Wendat, mais aussi une publication faite avec<br />

eux. L’appui soutenu que nous ont généreusement<br />

donné le Conseil de la Nation huronne-wendat,<br />

plusieurs membres de la Nation à titre indivi<strong>du</strong>el, de<br />

même que la communauté d’affaires de Wendake<br />

témoigne d’un travail collaboratif intense de près d’un<br />

an entre la SHFQ et la Nation huronne-wendat dont le<br />

résultat est le numéro que vous tenez entre les mains.<br />

Nous devons donc des remerciements de bonne foi et<br />

les plus cordiaux à la Nation, et je tiens personnellement<br />

à remercier madame Linda Sioui qui nous a apporté sa<br />

précieuse collaboration bénévole et mon vis-à-vis et<br />

partenaire, Jean-François Richard, anthropologue de<br />

la Nation, qui a bien aimablement ajouté à ses tâches<br />

innombrables et souvent imprévisibles la charge<br />

de superviser pour la Nation ce projet. C’est à Jean-<br />

François que revient l’honneur d’ouvrir ce numéro<br />

double avec une riche mise en contexte aidant à mieux<br />

saisir les enjeux historiques et contemporains liés au<br />

Nionwentsïo, le territoire national des Hurons-Wendat.<br />

Notre section Essence <strong>forestière</strong> suit, pour sa part, en<br />

mettant en évidence diverses manières de connaître<br />

l’histoire. Suivant les pistes <strong>du</strong> mystérieux « annedda »,<br />

Berthier Plante nous livre une analyse exhaustive des<br />

sources historiographiques nous éclairant sur cet arbre,<br />

alors que Richard Assinuuk Dumont témoigne de son<br />

importance continue dans la pharmacopée huronnewendat<br />

de même que de l’importance de la tradition<br />

4 HISTOIRES FORESTIÈRES<br />

orale dans la transmission des savoirs historiques.<br />

Dans sa chronique, Martin Hébert nous propose, en<br />

guise d’intermède, de prendre un pas de recul et<br />

d’examiner quelle pourrait être la place des Premières<br />

Nations dans l’histoire <strong>forestière</strong>. Dans la seconde<br />

partie <strong>du</strong> numéro, plusieurs membres de la Nation<br />

prennent la parole. Megan Lukaniec, linguiste qui<br />

œuvre au sein d’un important projet de revitalisation<br />

de la langue huronne-wendat, nous offre ici une très<br />

rare compilation <strong>du</strong> lexique huron-wendat relatif aux<br />

essences <strong>forestière</strong>s. Les entrevues contemporaines<br />

et historiques que nous publions ici avec Mario Gros-<br />

Louis, son grand-père Harry et Roland Sioui constituent<br />

des témoignages importants <strong>du</strong> rapport des Hurons-<br />

Wendat au territoire sur près d’un siècle. Nous vous<br />

invitons, par la suite, à découvrir le rôle de l’Hôtel-<br />

Musée Premières Nations dans la mise en valeur <strong>du</strong><br />

patrimoine forestier huron-wendat.<br />

Ce numéro a bénéficié de l’appui de deux projets de<br />

recherche : le projet Yawenda d’enseignement de la<br />

langue huronne-wendat, dont le chercheur principal<br />

est Louis-Jacques Dorais de l’Université Laval, et le<br />

projet La collaboration négociée en gestion <strong>forestière</strong> :<br />

processus multiples entre les Premières Nations et<br />

l’in<strong>du</strong>strie <strong>forestière</strong> au <strong>Québec</strong>, dont le chercheur<br />

responsable est Stephen Wyatt de l’Université de<br />

Moncton. Ces deux projets sont financés par le CRSH et<br />

menés en partenariat avec la Nation huronne-wendat.<br />

Je ne pourrais passer sous silence le rôle important de<br />

notre nouvelle chargée de projet, Delphine Théberge,<br />

qui est allée au-delà de son mandat dans ce projet et<br />

qui, avec cœur et intelligence, s’est mise au service<br />

de ce projet pour en assurer le succès. Finalement, je<br />

tiens à remercier, pour la valeur inestimable de son<br />

travail, notre vice-président Martin Hébert, professeur<br />

d’anthropologie à l’Université Laval. En plus de soutenir<br />

financièrement une partie <strong>du</strong> projet, il a dirigé les<br />

travaux dans ses multiples étapes. De plus, c’est grâce à<br />

ses conseils et à son expérience que ce projet a pu être<br />

réalisé et que des liens sont maintenant établis entre<br />

la SHFQ et la Nation huronne-wendat. Les mots d’un<br />

simple remerciement ne suffisent pas pour exprimer<br />

comment la personnalité et l’implication de M. Hébert<br />

contribuent au succès de notre organisation.<br />

Patrick Blanchet<br />

Directeur général SHFQ


HIVER 2012 - 5


6 HISTOIRES FORESTIÈRES


Merci à noTre PArTenAire MAJeUr<br />

HIVER 2012 - 7


LES HuRoNS-WENDAt Et LE NIoNWENtSïo :<br />

QuELQuES ASPECtS HIStoRIQuES Et EtHNoGRAPHIQuES 1<br />

Par Jean-François richard, anthropologue, M.A., Nation huronne-wendat, Bureau <strong>du</strong> Nionwentsïo<br />

Les Hurons-Wendat ont traditionnellement fréquenté<br />

un vaste territoire qui s’étendait de Gaspé au sud-est<br />

des Grands Lacs, au nord et au sud de la vallée <strong>du</strong> Saint-<br />

Laurent, de part et d’autre de la frontière actuelle des<br />

États-Unis. Dans les temps anciens, les Hurons-Wendat<br />

étaient des agriculteurs, des chasseurs et des pêcheurs.<br />

Ils pratiquaient également le commerce avec leurs<br />

nombreux voisins et alliés.<br />

Dans la conception huronne-wendat de l’histoire, c’està-dire<br />

leur ethnohistoire proprement dite, les gens de<br />

la Nation sont les héritiers des Onwe qui habitaient<br />

la vallée <strong>du</strong> Saint-Laurent au 16 e siècle. On constate<br />

qu’au sein de la tradition orale huronne-wendat, les<br />

membres de la collectivité constituent les descendants<br />

directs des premiers Amérindiens que Jacques-Cartier<br />

rencontra au début des années 1530. C’est ce que<br />

pensaient, par exemple, des Hurons-Wendat tels le<br />

Grand Chef Nicolas Vincent Tsawenhohi (1771-1844) ou<br />

encore l’adjoint Grand Chef Michel Sioui Tehashendaye<br />

(1766-1850) ainsi que leurs parents respectifs. En effet,<br />

des recherches anthropologiques récentes permettent<br />

de documenter cet élément crucial de l’antériorité<br />

territoriale dans la tradition orale des Hurons-Wendat<br />

qui vécurent aux 18 e et 19 e siècles 2 .<br />

Les recherches historiques et anthropologiques<br />

menées sous l’égide de la Nation huronne-wendat<br />

depuis des décennies montrent que les Hurons-<br />

Wendat revenus s’établir dans la région de <strong>Québec</strong><br />

dès les années 1630 ont considérablement transformé<br />

leur mode de vie et leur économie. En effet, depuis les<br />

premières années de la mission de Sillery, les activités<br />

1 Ce texte reprend en partie un rapport pro<strong>du</strong>it par le Bureau <strong>du</strong><br />

Nionwentsïo de la Nation huronne-wendat pour le ministère des Transports<br />

<strong>du</strong> <strong>Québec</strong>. Voir à ce sujet : RICHARD, Jean-François, 2012 : L’utilisation<br />

huronne-wendat historique <strong>du</strong> territoire environnant la route 175. Rapport<br />

présenté au ministère des Transports <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> (MTQ) par le Bureau <strong>du</strong><br />

Nionwentsïo de la Nation huronne-wendat, Wendake, 124 p.<br />

2 RICHARD, Jean-François [en préparation] : L’antériorité de<br />

l’occupation territoriale dans la tradition orale des Hurons-Wendat aux 18 e et<br />

19 e siècles. Article scientifique en préparation pour publication.<br />

8 HISTOIRES FORESTIÈRES<br />

coutumières fondées sur l’exploitation des ressources<br />

fauniques, halieutiques et végétales <strong>du</strong> territoire forestier<br />

en sont venues à constituer la principale assise de<br />

l’économie des Hurons-Wendat de la région de <strong>Québec</strong>.<br />

La documentation historique datant de la période<br />

des missions de Notre-Dame-de-Foy (1669-1673),<br />

et par la suite de l’Ancienne-Lorette (1673-1697),<br />

confirme clairement cette tendance vers une plus<br />

grande importance économique des ressources <strong>du</strong><br />

territoire 3 . Un degré irréversible sera atteint à cet<br />

égard avec l’établissement <strong>du</strong> village de Roreke -<br />

Lorette par les gens de la Nation en 1697, en amont<br />

de la chute de la rivière Akiawenrak, la « rivière à la<br />

truite », soit le site de l’actuel Wendake. L’agriculture<br />

demeurera une partie intégrante de l’économie de la<br />

Nation, mais son importance relative, en comparaison<br />

avec la chasse, la pêche, le piégeage des animaux<br />

à fourrure et l’exploitation des végétaux, restera<br />

généralement limitée. Nous verrons dans ce texte<br />

certains aspects historiques et ethnographiques de la<br />

relation privilégiée unissant les Hurons-Wendat et le<br />

Nionwentsïo, le territoire coutumier de la Nation.<br />

Le cycle économique des Hurons-Wendat<br />

au début <strong>du</strong> 18 e siècle<br />

Les missionnaires œuvrant auprès des Hurons-Wendat<br />

mirent peu de temps à constater toute l’importance<br />

<strong>du</strong> territoire forestier pour la Nation. Le père Louis<br />

Davaugour, missionnaire des Hurons-Wendat au début<br />

3 Voir, par exemple, les propos des missionnaires Claude Dablon et<br />

Martin Bouvard : DABLON, Claude, 1672 : « Relation des Missions aux Hurons<br />

de Nostre-Dame de Foy, proche de Quebec. A Saint Xavier des Praiz, vers<br />

Montreal, & aux Païs des Iroquois des années, 1671. & 1672. », in Reuben Gold<br />

Thwaites (ed.), 1959 : The Jesuit Relations and Allied Documents. Travels and<br />

Explorations of the Jesuit Missionaries in New France, 1610-1791 : 248-313.<br />

Pageant Book Company, New York, vol. LV; BOUVART, Martin, 1675 : « De la<br />

chapelle de Notre-Dame de Lorette en Canada : établissement de la dévotion<br />

de Lorette », in Reuben Gold Thwaites (ed.), 1900 : The Jesuit Relations and<br />

Allied Documents. Travels and Explorations of the Jesuit Missionaries in New<br />

France, 1610-1791 : 68-103. Burrows, Cleveland, vol. LX.


<strong>du</strong> 18 e siècle, l’avait clairement remarqué, comme<br />

l’indiquent ses propos dans une lettre à son supérieur<br />

datée de 1710 4 . Davaugour y énumérait effectivement<br />

les diverses activités pratiquées par les gens de la<br />

Nation selon les saisons et les mois de l’année. Voyons<br />

sommairement les principales composantes de ce<br />

cycle afin de mieux comprendre la prédominance<br />

<strong>du</strong> territoire forestier dans les activités coutumières<br />

propres aux Hurons-Wendat de cette époque.<br />

Après la récolte des grains, à la fin de l’été, le<br />

missionnaire Davaugour affirmait que les gens de la<br />

Nation orientaient plus particulièrement leurs activités<br />

vers la chasse au castor. L’exploitation de cette espèce<br />

fort prisée, recherchée à la fois pour sa viande et<br />

pour sa peau, couvrait une période de deux à trois<br />

mois. À l’approche de la fête de la Toussaint, c’est-àdire<br />

le 1 er novembre, les Hurons-Wendat retournaient<br />

à Lorette–Wendake pour assister aux cérémonies<br />

religieuses, mais ils retournaient aussitôt en forêt<br />

jusqu’au début <strong>du</strong> mois de décembre. Les chasseurs<br />

de la Nation revenaient alors au village pour la fête de<br />

saint François-Xavier, le 3 décembre, et pour célébrer<br />

l’Immaculée Conception, le 8 décembre 5 .<br />

Les mois de décembre et de janvier étaient non<br />

seulement consacrés aux cérémonies religieuses, mais<br />

aussi à des activités coutumières d’exploitation des<br />

ressources se déroulant à une distance relativement<br />

faible <strong>du</strong> village. Le missionnaire Davaugour référait, à<br />

cet égard, à la pêche sur la glace ainsi qu’à la chasse<br />

au petit gibier, en l’occurrence le lièvre et la perdrix.<br />

Pendant ces deux mois, les gens de la Nation huronnewendat<br />

revenaient habituellement à leur foyer, au<br />

village, le soir venu, ne passant que rarement la<br />

nuit hors de la maison. Le père Davaugour spécifiait<br />

qu’au cours de cette période, si la rigueur <strong>du</strong> froid<br />

ou encore la pluie les retenaient à leur demeure, ils<br />

employaient leur temps à la confection de « réseaux »,<br />

c’est-à-dire des raquettes, qui leur servaient à « […]<br />

fouler impunément la neige, quand ils poursuivent<br />

4 DAVAUGOUR, Louis, 1900 [1710] : « Lettre <strong>du</strong> Père Louis Davaugour<br />

au Rév. Père Joseph Germain, supérieur général des missions canadiennes.<br />

De la mission de Lorette, en la Nouvelle-France. », in Lionel Saint-George<br />

Lindsay, Notre-Dame de la Jeune-Lorette en la Nouvelle-France. Étude<br />

historique : 87-100, La compagnie de publication de la revue canadienne,<br />

Montréal. Cette lettre fort instructive était à l’origine écrite en latin. Elle fut<br />

tra<strong>du</strong>ite en anglais et publiée dans The Jesuit Relations and Allied Documents<br />

édité par R. G. Thwaites. L’abbé Lionel Saint-George Lindsay en pro<strong>du</strong>isit une<br />

tra<strong>du</strong>ction française qu’il publia dans son ouvrage en 1900.<br />

5 DAVAUGOUR, Louis, 1900 [1710] : « Lettre <strong>du</strong> Père Louis Davaugour<br />

au Rév. Père Joseph Germain supérieur général des missions canadiennes. De<br />

la mission de Lorette, en la Nouvelle-France. », in Lionel Saint-George Lindsay,<br />

Notre-Dame de la Jeune-Lorette en la Nouvelle-France. Étude historique : 90,<br />

La compagnie de publication de la revue canadienne, Montréal.<br />

les grands fauves à travers les bois ou sur les plaines<br />

couvertes d’une neige profonde 6 ». Davaugour référait<br />

ainsi explicitement à la pratique de la chasse au gros<br />

gibier, c’est-à-dire les grands cervidés tels l’orignal, le<br />

chevreuil et également le caribou, une espèce qui était<br />

alors présente en nombre appréciable dans le territoire<br />

au nord de <strong>Québec</strong> 7 .<br />

Selon ce même témoignage <strong>du</strong> missionnaire<br />

Davaugour, la période de deux mois au cours de<br />

laquelle les Hurons-Wendat concentraient leurs<br />

activités dans les environs <strong>du</strong> village de Lorette–<br />

Wendake, entre les mois de décembre et janvier, se<br />

terminait généralement à la fête de la Purification de<br />

la Vierge, soit le 2 février. Le missionnaire relatait qu’à<br />

partir de cette date, les chasseurs hurons-wendat<br />

retournaient tous en forêt. Il ajoutait la remarque<br />

suivante à l’égard des « grands fauves » qui étaient<br />

poursuivis dans la neige à l’aide des raquettes :<br />

ont-ils découvert leurs pistes ou leurs tanières,<br />

ils s’y transportent avec toute leur famille, et ne<br />

revoient pas le village et le foyer avant que le souffle<br />

printanier des zéphyrs ait commencé à fondre la<br />

neige 8 .<br />

Ainsi, selon le père Davaugour, lorsque les chasseurs<br />

hurons-wendat repéraient en cette période de l’année<br />

des pistes de gros gibier ou encore des tanières, ils se<br />

déplaçaient sur les lieux en question avec toute leur<br />

famille, c’est-à-dire les femmes, les enfants et aussi<br />

possiblement les personnes plus âgées 9 . Le missionnaire<br />

ne les revoyait alors pas avant le printemps. Si la<br />

référence <strong>du</strong> père Davaugour aux « tanières » peut sans<br />

doute être associée à la chasse de l’ours noir, l’emploi<br />

<strong>du</strong> terme « pistes » d’animaux peut sans contredit être<br />

associé à la chasse des grands cervidés.<br />

6 DAVAUGOUR, Louis, 1900 [1710] : « Lettre <strong>du</strong> Père Louis Davaugour<br />

au Rév. Père Joseph Germain supérieur général des missions canadiennes. De<br />

la mission de Lorette, en la Nouvelle-France. », in Lionel Saint-George Lindsay,<br />

Notre-Dame de la Jeune-Lorette en la Nouvelle-France. Étude historique : 91,<br />

La compagnie de publication de la revue canadienne, Montréal.<br />

7 Voir à ce sujet RICHARD, Jean-François, 2010 : « Yenshenk » - Caribou.<br />

L’usage traditionnel et la connaissance <strong>du</strong> caribou forestier par les Hurons-<br />

Wendat entre le 17e siècle et le 20e siècle. Rapport présenté à Environnement<br />

Canada, Service canadien de la Faune, par le Bureau <strong>du</strong> Nionwentsïo de la<br />

Nation huronne-wendat, Wendake, avril 2010, 66 p.<br />

8 DAVAUGOUR, Louis, 1900 [1710] : « Lettre <strong>du</strong> Père Louis Davaugour<br />

au Rév. Père Joseph Germain supérieur général des missions canadiennes. De<br />

la mission de Lorette, en la Nouvelle-France. », in Lionel Saint-George Lindsay,<br />

Notre-Dame de la Jeune-Lorette en la Nouvelle-France. Étude historique : 91,<br />

La compagnie de publication de la revue canadienne, Montréal.<br />

9 Nos recherches indiquent qu’à partir <strong>du</strong> milieu <strong>du</strong> 18 e siècle, la<br />

chasse au gros gibier chez les Hurons-Wendat est progressivement devenue<br />

une activité plus spécifiquement masculine.<br />

HIVER 2012 - 9


Louis Davaugour décrivait également les activités économiques et le mode de vie de la Nation huronne-wendat<br />

lors des saisons printanière et estivale. Ses propos suggèrent que les gens étaient de retour de la chasse et présents<br />

au village lors des célébrations liées à la fête de Pâques, au mois d’avril. C’est alors que les membres de la collectivité<br />

ensemençaient les champs de blé d’Inde pour par la suite s’adonner à la pêche. C’est également à ce moment<br />

que les Hurons-Wendat abattaient des « arbres antiques » afin de prélever la matière première indispensable à la<br />

construction de leurs canots, l’écorce de bouleau. Enfin, le missionnaire précisait que le maïs était récolté vers les<br />

« ides de septembre », soit vers le 13 de ce mois 10 . Ainsi, les Hurons-Wendat retournaient-ils à leur chasse automnale<br />

<strong>du</strong> castor pour par la suite poursuivre leur cycle économique annuel qui, à l’évidence, était alors essentiellement<br />

basé sur les ressources <strong>du</strong> territoire forestier.<br />

Le tableau 1 synthétise les principaux éléments <strong>du</strong> cycle économique des Hurons-Wendat au début <strong>du</strong> 18 e siècle tel<br />

qu’il a été reconstitué sur la base <strong>du</strong> témoignage <strong>du</strong> père Louis Davaugour. Il insiste sur les dimensions des périodes<br />

de l’année concernées, des activités coutumières pratiquées ainsi que des ressources fauniques, halieutiques et<br />

végétales qui leur sont associées.<br />

Tableau 1 : Principaux éléments <strong>du</strong> cycle économique des Hurons-Wendat reconstitué<br />

sur la base <strong>du</strong> témoignage <strong>du</strong> père Louis Davaugour (1710)<br />

10 DAVAUGOUR, Louis, 1900 [1710] : « Lettre <strong>du</strong> Père Louis Davaugour au Rév. Père Joseph Germain supérieur général des missions canadiennes. De la<br />

mission de Lorette, en la Nouvelle-France. », in Lionel Saint-George Lindsay, Notre-Dame de la Jeune-Lorette en la Nouvelle-France. Étude historique : 91, La<br />

compagnie de publication de la revue canadienne, Montréal.<br />

10 HISTOIRES FORESTIÈRES


Le nionwentsïo, territoire coutumier<br />

de la nation huronne-wendat<br />

À la lumière de l’analyse de ce cycle économique<br />

annuel, on comprend aisément que le Nionwentsïo –<br />

que l’on peut tra<strong>du</strong>ire en français par les termes « notre<br />

magnifique territoire » – était véritablement essentiel<br />

aux Hurons-Wendat qui vivaient alors des multiples<br />

ressources offertes par la Terre.<br />

Il est abondamment question <strong>du</strong> territoire huronwendat<br />

dans la documentation historique et la<br />

tradition orale. Par exemple, le territoire huron-wendat<br />

fut clairement identifié par le Grand Chef Nicolas<br />

Vincent Tsawenhohi lorsqu’il témoigna à la Chambre<br />

d’Assemblée <strong>du</strong> Bas-Canada, le 29 janvier 1824. Le<br />

Grand Chef Tsawenhohi s’exprima en langue huronnewendat<br />

et ses paroles furent ainsi tra<strong>du</strong>ites par l’adjoint<br />

Grand Chef Michel Sioui Tehashendaye :<br />

La nation Huronne avoit autrefois pour limites de<br />

pays de chasse et de pêche à prendre depuis les<br />

bras de la rivière Chicoutimy à aller jusqu’aux bras<br />

des Chenaux : cette nation alloit aussi à la chasse et<br />

à la pêche <strong>du</strong> côté <strong>du</strong> sud <strong>du</strong> fleuve Saint-Laurent<br />

jusqu’à la rivière Saint-Jean. Avant ces tems-là les<br />

Hurons n’avoient aucunes limites de chasse ni de<br />

pêche : ils étoient maîtres <strong>du</strong> pays à aller jusqu’aux<br />

grands lacs : nos ancêtres ne permettoient à qui que<br />

ce soit de faire la chasse et la pêche sur leurs terres,<br />

et dans l’ancien tems, si une nation venoit chasser<br />

sur les terres d’une autre nation, cela devenoit une<br />

cause de guerre 11 .<br />

Le Grand Chef Tsawenhohi affirmait ainsi que le<br />

territoire de la Nation huronne-wendat s’étendait « […]<br />

depuis les bras de la rivière Chicoutimy à aller jusqu’aux<br />

bras des Chenaux ». L’appellation « les bras de la<br />

rivière Chicoutimy », choisie pour délimiter l’extrémité<br />

nord-est <strong>du</strong> territoire de la Nation, correspond au<br />

territoire englobé par les bassins versants des cours<br />

d’eau actuellement nommés les rivières aux Écorces,<br />

Pikauba et Chicoutimi. Le territoire de chasse de<br />

la Nation huronne-wendat, selon le Grand Chef<br />

Tsawenhohi, se prolongeait alors vers le nord nettement<br />

au delà de la « ligne de partage des eaux », c’est-à-dire<br />

la démarcation entre les bassins hydrographiques des<br />

11 VINCENT TSAWENHOHI, Nicolas, 1824 : [Témoignage de Nicolas<br />

Vincent Tsawenhohi devant la Chambre d’Assemblée <strong>du</strong> Bas-Canada,<br />

29 janvier 1824], in Bas-Canada, Assemblée législative, Appendice <strong>du</strong> XXXIIIe<br />

volume des Journaux de la Chambre d’Assemblée <strong>du</strong> Bas-Canada : n.p. John<br />

Neilson, <strong>Québec</strong>, appendice R.<br />

rivières s’écoulant vers le fleuve Saint-Laurent et celles<br />

qui se déversent dans le lac Saint-Jean et la rivière<br />

Saguenay. Les termes « bras des chenaux », utilisés par<br />

Nicolas Vincent Tsawenhohi pour marquer la limite<br />

ouest <strong>du</strong> territoire des Hurons-Wendat, renvoient pour<br />

leur part à l’embouchure de la rivière Saint-Maurice qui,<br />

au moment où le Grand Chef tint ces propos, se voyait<br />

attribuer cette désignation 12 .<br />

Par ailleurs, le Grand Chef Tsawenhohi soulignait que les<br />

limites <strong>du</strong> « pays de chasse et de pêche » des Hurons-<br />

Wendat s’étendaient également sur la rive sud <strong>du</strong> fleuve<br />

Saint-Laurent. Il précisait l’extrémité est de ce territoire,<br />

c’est-à-dire la rivière Saint-Jean, un immense cours<br />

d’eau dont l’embouchure dans l’océan Atlantique est<br />

située dans les limites de l’actuel Nouveau-Brunswick.<br />

Figure 1 : Le Grand Chef Nicolas Vincent Tsawenhohi (1771-1844) 13<br />

12 La version anglaise de ce témoignage <strong>du</strong> Grand Chef Nicolas<br />

Vincent Tsawenhohi confirme cette interprétation : « […] as far as the Mouth<br />

of the River St. Maurice. ». Voir VINCENT TSAWENHOHI, Nicolas, 1824 : [Version<br />

anglaise <strong>du</strong> Témoignage de Nicolas Vincent devant la Chambre d’Assemblée,<br />

29 janv. 1824], in Bas-Canada, Assemblée législative, Appendix to the XXXIIIrd<br />

Volume of the Journals of the House of Assembly of the Province of the<br />

Lower-Canada : n.p. John Neilson, <strong>Québec</strong>, appendice R.<br />

13 CHATFIELD, Edward (1802-1839), Nicholas Vincent Tsawanhonhi,<br />

principal chef chrétien et capitaine des Hurons établis à la Jeune-Lorette, près<br />

de <strong>Québec</strong>, Londres, Angleterre, 1825, estampe : lithographie, coloriée à la<br />

main sur papier vélin, 33,1 x 45,8 cm, Bibliothèque et Archives Canada (BAC),<br />

Temporary record for orphaned ICON records.<br />

HIVER 2012 - 11


L’identification <strong>du</strong> territoire par le Grand Chef Nicolas<br />

Vincent Tsawenhohi est directement corroborée par les<br />

événements entourant l’important conseil amérindien<br />

tenu à Trois-Rivières, au mois d’octobre 1829. Ce<br />

conseil réunit des représentants des Hurons-Wendat,<br />

des Algonquins des Trois-Rivières et des Abénaquis<br />

de Saint-François (Odanak) et de Bécancour (Wolinak).<br />

La rencontre eut lieu en présence d’un représentant<br />

des autorités coloniales, le surintendant des Affaires<br />

indiennes Michel-Louis Juchereau Duchesnay. Ce<br />

dernier était mandaté par James Kempt, gouverneur<br />

en chef de l’Amérique <strong>du</strong> Nord britannique, afin de<br />

rassembler des informations au sujet d’un conflit à<br />

l’égard des territoires de chasse entre, d’une part,<br />

les Algonquins de Trois-Rivières et, d’autre part, les<br />

Abénaquis de Saint-François et de Bécancour 14 .<br />

Ce fut l’adjoint Grand Chef Michel Sioui Tehashendaye<br />

qui fut envoyé par le Conseil de la Nation pour défendre<br />

les droits et les intérêts territoriaux des Hurons-<br />

Wendat. Michel Sioui Tehashendaye référa aux termes<br />

d’une entente concernant les « endroits de Chasse »<br />

que les ancêtres des Hurons-Wendat avaient autrefois<br />

conclue avec les Algonquins. Voici la transcription des<br />

propos de l’adjoint Grand Chef qui s’exprimait avec le<br />

wampum démontrant ses paroles :<br />

Nous, Hurons de Lorette avons toujours été en<br />

Amitié avec Nos frères les Algonquins des trois-<br />

Rivierres et nous le sommes encore. […]<br />

Nous avons ou nos Ancêtres pour nous ont fixés<br />

avec les Algonquins que nous ferions toujours<br />

la Chafse ensemble tant que Nous naurions pas<br />

de difficultés, mais que si par Malheur Nous en<br />

avions, qu’alors Nos endroits de Chafse seroient<br />

limités comme Suit Les Hurons Seroient bornés au<br />

Nord-Est au Saguenay et au Sud-ouest par le Milieu<br />

de la Rivierre St. Maurice /aux algonquins/ et <strong>du</strong><br />

fleuve bornés tout <strong>du</strong> long par le Saguenay.<br />

Nous espèrons toujours Vivre en frères et eviter<br />

toutes difficultés qui pourroient nous desunir sans<br />

cependant Négliger Nos Droits 15 .<br />

14 Le compte ren<strong>du</strong> de ce conseil a été conservé dans les archives.<br />

Voir Bibliothèque et Archives Canada (BAC), Archives navales et militaires<br />

britanniques (RG8), vol. 268, [Compte-ren<strong>du</strong> des paroles des chefs<br />

algonquins, abénakis et hurons de Lorette], Trois-Rivières, 26 octobre 1829,<br />

p. 723-736. [Bobine C-2857].<br />

15 Bibliothèque et Archives Canada (BAC), Archives navales et<br />

militaires britanniques (RG8), vol. 268, [Compte-ren<strong>du</strong> des paroles des chefs<br />

algonquins, abénakis et hurons de Lorette], Trois-Rivières, 26 octobre 1829,<br />

p. 728-729. [Bobine C-2857].<br />

12 HISTOIRES FORESTIÈRES<br />

Selon les termes de cette entente, les Hurons-Wendat et<br />

les Algonquins feraient « toujours la Chasse ensemble »<br />

tant qu’il n’y aurait pas de difficulté, c’est-à-dire qu’ils<br />

partageraient leurs territoires de chasse respectifs. Si,<br />

cependant, des problèmes survenaient, les « endroits de<br />

Chasse » allaient être limités ainsi : les Hurons-Wendat<br />

seraient bornés au nord-est par la rivière Saguenay et<br />

au sud-ouest par le milieu de la rivière Saint-Maurice,<br />

rejoignant le territoire algonquin. Comme l’indiquent<br />

les propos de l’adjoint Grand Chef Sioui, le territoire<br />

de chasse des Hurons-Wendat, le long <strong>du</strong> fleuve Saint-<br />

Laurent, était borné par la rivière Saguenay.<br />

Le surintendant Juchereau Duchesnay, dans le<br />

compte ren<strong>du</strong> <strong>du</strong> conseil d’octobre 1829, ajoutait<br />

cette remarque :<br />

Ce chef [Michel Sioui Tehashendaye, adjoint Grand<br />

Chef des Hurons-Wendat] ayant terminé Son<br />

discours, l’arrangement suivant fut fait et reconnu<br />

pour être celui qui a toujours existé –<br />

Nous, Francois Lantono fils, Jacques Canacho,<br />

et Paul Lantono Chefs Algonquins comme<br />

représentants la Nation Algonquine des trois-<br />

Rivierres, reconnoifsons pour Juste et vrais les<br />

droits de Chafse Mentionnés par le Chèf Sioui,<br />

C’est à dire que Nous Algonquins Sommes bornés<br />

au Milieu de la Rivierre S t . Maurice au Nord-Est et à<br />

la Rivierre Masquinongé au Sud-ouest et allant <strong>du</strong><br />

fleuve en profondeur cinquante lieues ou environ 16 .<br />

Si des difficultés territoriales subsistèrent entre les<br />

Algonquins et les chasseurs abénaquis des villages<br />

de Saint-François et Bécancour au cours des années<br />

suivantes, on peut dire que les événements d’octobre<br />

1829 se situent directement dans le prolongement de<br />

la tradition d’alliance ancestrale et privilégiée unissant<br />

les Hurons-Wendat et leurs voisins algonquins. En effet,<br />

on constate que le territoire huron-wendat s’étendant<br />

<strong>du</strong> Saint-Maurice au Saguenay fut explicitement<br />

reconnu par la Nation amérindienne immédiatement<br />

à l’ouest, c’est-à-dire les Algonquins qui avaient, à<br />

cette époque, établi un village près de Trois-Rivières.<br />

Cette reconnaissance fut également partagée par<br />

les autorités coloniales dûment représentées par le<br />

surintendant des Affaires indiennes Michel-Louis<br />

Juchereau Duchesnay. À cet égard, dans une lettre<br />

16 Bibliothèque et Archives Canada (BAC), Archives navales et<br />

militaires britanniques (RG8), vol. 268, [Compte-ren<strong>du</strong> des paroles des chefs<br />

algonquins, abénakis et hurons de Lorette], Trois-Rivières, 26 octobre 1829,<br />

p. 730. [Bobine C-2857].


adressée au colonel Cooper en date <strong>du</strong> 30 octobre<br />

1829, le surintendant affirmait à ses supérieurs qu’il<br />

était heureux d’avoir réglé les difficultés territoriales<br />

entre les Hurons-Wendat et les Algonquins de Trois-<br />

Rivières, garantissant <strong>du</strong> coup qu’aucun problème de<br />

cette nature ne survienne dans l’avenir 17 .<br />

Par ailleurs, ajoutons qu’une partie <strong>du</strong> Nionwentsïo<br />

est représentée sur le « Plan Vincent » qui fut à l’origine<br />

tracé sur de l’écorce de bouleau par le Grand Chef<br />

Nicolas Vincent Tsawenhohi (voir figure 2) 18 . On peut y<br />

apprécier tout le détail <strong>du</strong> réseau hydrographique et de<br />

ses ramifications pour la région comprise entre le Saint-<br />

Maurice et le Saguenay, dont approximativement 90 %<br />

sont justes selon les analyses menées par la Nation<br />

huronne-wendat, ce qui est fortement remarquable<br />

lorsqu’on tient compte des moyens techniques de<br />

l’époque 19 . Cette carte huronne-wendat, qui existe<br />

depuis au moins 1827, atteste sans l’ombre d’un doute<br />

l’occupation et l’exploitation <strong>du</strong> territoire représenté.<br />

La cartographie des composantes hydrographiques,<br />

jumelée à toute la toponymie en langue huronnewendat<br />

qui y est inscrite, méritent à elles seules une<br />

analyse en profondeur pour rendre justice à la richesse<br />

de ces informations 20 .<br />

Dans l’ensemble, 35 toponymes hurons-wendat<br />

distincts sont identifiables sur le Plan Vincent (voir<br />

tableau 2). Notons que les recherches actuellement<br />

menées par la Nation huronne-wendat ont permis, à<br />

ce jour, de recueillir un grand nombre de toponymes<br />

historiques en langue huronne-wendat s’appliquant<br />

aux entités géographiques <strong>du</strong> territoire coutumier. Ces<br />

toponymes originaux témoignent, tout comme ceux<br />

présents sur le Plan Vincent, de toute l’importance de<br />

l’occupation territoriale de la Nation huronne-wendat.<br />

17 Bibliothèque et Archives Canada (BAC), Archives navales et militaires<br />

britanniques (RG8), vol. 268, [Juchereau Duchesnay à Couper], <strong>Québec</strong>,<br />

30 octobre 1829, p. 737-739. [Bobine C-2857].<br />

18 BOUCHETTE, 1827 : Map of the Northern Bank of the St. Lawrence<br />

from the Riv. St. Maurice to the R. Saguenay re<strong>du</strong>ced from a Plan by an Huron<br />

Chief by Mr. Bouchette, inclosed in Coll. Cockburn’s Report 12th September<br />

1827. s.l., 12 septembre 1827, The National Archives of the UK, Londres,<br />

Public Record Office : Maps and plans extracted to flat storage from various<br />

series of records of the Colonial Office, MPG1/629.<br />

19 Mentionnons ici que le Plan Vincent surpasse largement toute la<br />

pro<strong>du</strong>ction cartographique européenne <strong>du</strong> Régime français, <strong>du</strong> Régime<br />

anglais et de la période euro-canadienne, et ce, jusqu’au 19e siècle. Nos<br />

recherches montrent que c’est le cas, pour certaines parties <strong>du</strong> territoire,<br />

jusque tard dans le 19e siècle, et même dans la première moitié <strong>du</strong> 20e siècle.<br />

20 RICHARD, Jean-François [en préparation] : Le Plan Vincent : bilan<br />

des plus récentes découvertes. Article scientifique en préparation pour<br />

publication.<br />

CHATFIELD, Edward (1802-1839), [Trois chefs hurons, résidant à la Jeune<br />

Lorette, près de <strong>Québec</strong>, dans leur costume traditionnel : Michel Tsioui,<br />

Teacheandale. Chef de Stanislas Coska, Aharathaha. Sous-chef <strong>du</strong> conseil.<br />

André Romain], Londres, Angleterre, 1825, estampe : lithographie sur papier<br />

vélin, 39,3 x 50,4 cm, Bibliothèque et Archives Canada (BAC), n o d’acc.<br />

1990-497-2.<br />

HIVER 2012 - 13


Figure 2 : Le Plan Vincent. Carte à l’origine sur écorce de bouleau <strong>du</strong> Grand Chef Nicolas Vincent Tsawenhohi (1771-1844), repro<strong>du</strong>ite sous la supervision<br />

de l’arpenteur général <strong>du</strong> Bas-Canada, Joseph Bouchette, en 1827<br />

14 HISTOIRES FORESTIÈRES


HIVER 2012 - 15


Tableau 2 : Toponymes en langue huronne-wendat inscrits sur le Plan Vincent<br />

et entités géographiques désignées 21<br />

21 Source : BOUCHETTE, 1827 : Map of the Northern Bank of the St. Lawrence from the Riv. St. Maurice to the R. Saguenay re<strong>du</strong>ced from a Plan by an Huron<br />

Chief by Mr. Bouchette, inclosed in Col l . Cockburn’s Report 12 th September 1827. s.l., 12 septembre 1827, The National Archives of the UK, Londres, Public Record<br />

Office : Maps and plans extracted to flat storage from various series of records of the Colonial Office, MPG1/629. La graphie des toponymes est conforme au<br />

document.<br />

16 HISTOIRES FORESTIÈRES


Le Nionwentsïo était fréquenté par les Hurons-Wendat au moment de la conclusion <strong>du</strong> Traité Huron-Britannique <strong>du</strong><br />

5 septembre 1760 par lequel l’Empire britannique, par l’intermédiaire <strong>du</strong> général James Murray, garantit à la Nation<br />

la protection de ses droits, en particulier ses coutumes, sa religion et ses pratiques de commerce (voir figure 3).<br />

Rappelons que dans le contexte de la guerre menant à la conquête de la Nouvelle-France par les Britanniques, le<br />

support militaire et politique des Amérindiens, dont les Hurons-Wendat, fut crucial et déterminant pour les Anglais.<br />

Traité de paix, d’alliance et de protection mutuelle entre deux nations distinctes et indépendantes, les Britanniques<br />

et les Hurons-Wendat, le Traité Huron-Britannique devait assurer la reconnaissance et la protection des intérêts<br />

territoriaux, politiques, culturels, spirituels et commerciaux relatifs au territoire coutumier des Hurons-Wendat.<br />

Figure 3 : Le Traité Huron-Britannique <strong>du</strong> 5 septembre 1760 22<br />

22 Archives <strong>du</strong> Conseil de la Nation huronne-wendat (ACNHW), collection « François Vincent », [Traité Huron-Britannique], 5 septembre 1760.<br />

HIVER 2012 - 17


Le texte <strong>du</strong> traité Huron-Britannique de 1760<br />

tra<strong>du</strong>ction de l’original anglais :<br />

« PAR LES PRÉSENtES, nous certifions que le CHEF<br />

de la tribu des HuRoNS, étant venu à moi pour se<br />

soumettre au nom de sa nation à la CouRoNNE<br />

BRItANNIQuE et faire la paix, est reçu sous ma<br />

protection lui et toute sa tribu; et dorénavant ils ne<br />

devront pas être molestés ni arrêtés par un officier<br />

ou des soldats anglais lors de leur retour à leur<br />

campement de LoREttE ; ils sont reçus aux mêmes<br />

conditions que les Canadiens, il leur sera permis<br />

d’exercer librement leur religion, leurs coutumes<br />

et la liberté de commerce avec les Anglais: nous<br />

recommandons aux officiers commandant les<br />

postes de les traiter gentiment.<br />

Signé par moi à Longueuil, ce 5 e jour de septembre<br />

1760.<br />

Sur l’ordre <strong>du</strong> général,<br />

JoHN CoSNAN, JA. MuRRAY.<br />

Adjudant général »<br />

L’éten<strong>du</strong>e précise <strong>du</strong> Nionwentsïo est actuellement en<br />

cours de définition, entre autres sur la base des<br />

recherches menées par la Nation huronne-wendat dans<br />

la documentation historique et la tradition orale. Il est<br />

clair que le territoire coutumier huron-wendat s’étend<br />

de la rivière Saint-Maurice, près de Trois-Rivières, jusqu’à<br />

la rivière Saguenay, près de Baie-Sainte-Catherine.<br />

Outre le Saint-Maurice et le Saguenay ainsi que certains<br />

de leurs tributaires, le territoire coutumier huronwendat<br />

comprend notamment les grands bassins<br />

hydrographiques des rivières suivantes : Batiscan,<br />

Sainte-Anne (Pérade), Jacques-Cartier, Montmorency,<br />

Sainte-Anne (Beaupré), <strong>du</strong> Gouffre et Malbaie. Les<br />

données historiques illustrent aussi clairement que<br />

le Nionwentsïo se prolonge plus au nord que la ligne<br />

de partage des eaux et englobe des portions des<br />

bassins versants des rivières Chicoutimi, aux Écorces et<br />

Pikauba. Au nord, le territoire coutumier huron-wendat<br />

comprend toutes les régions occupées et fréquentées<br />

par la Nation au moment de la conclusion <strong>du</strong> Traité<br />

Huron-Britannique de 1760. À cet égard, les recherches<br />

menées par la Nation démontrent que les Hurons-<br />

Wendat pouvaient chasser jusque dans les terres<br />

bordant immédiatement le lac Saint-Jean. D’autre part,<br />

18 HISTOIRES FORESTIÈRES<br />

le Nionwentsïo comprend aussi une partie <strong>du</strong> fleuve<br />

Saint-Laurent et s’étend sur la rive sud, englobant des<br />

portions des régions actuelles de Bellechasse, de la<br />

Beauce, de l’Estrie et <strong>du</strong> Bas-Saint-Laurent.<br />

Les recherches historiques et anthropologiques<br />

réalisées par la Nation permettent de documenter de<br />

façon solide et cohérente l’occupation et l’utilisation<br />

<strong>du</strong> territoire par les Hurons-Wendat. Il va sans dire que<br />

ces recherches démontrent clairement une importante<br />

fréquentation <strong>du</strong> Nionwentsïo, et ce, dans la plus<br />

parfaite continuité historique.<br />

La dépossession territoriale et l’usurpation<br />

des droits des Hurons-Wendat<br />

L’occupation et l’utilisation <strong>du</strong> Nionwentsïo<br />

conformément au cycle économique annuel décrit<br />

par le missionnaire Louis Davaugour en 1710 se sont<br />

maintenues pendant l’ensemble <strong>du</strong> 18 e siècle et,<br />

subséquemment, sensiblement jusqu’aux années 1820.<br />

Ce moment correspond à de nouvelles transformations<br />

dans le mode de vie et l’économie des Hurons-Wendat.<br />

C’est effectivement à cette époque que furent entamées<br />

de façon plus radicale la colonisation et l’exploitation<br />

des ressources <strong>du</strong> Nionwentsïo par les allochtones. Ces<br />

événements entraînèrent des répercussions négatives<br />

majeures à l’endroit des gens de la Nation huronnewendat.<br />

Confrontée à un rétrécissement <strong>du</strong> territoire,<br />

espace vital de la Nation, la collectivité huronne-wendat<br />

s’est adaptée et c’est ainsi que le commerce de l’artisanat<br />

et des objets usuels, notamment les mocassins et les<br />

raquettes, prit une ampleur sans précédent.<br />

La colonisation <strong>du</strong> territoire résultant en des pertes<br />

nettes d’espace s’est effectuée dans le contexte<br />

d’une hausse démographique considérable pour<br />

la Nation huronne-wendat. Malgré ces contraintes,<br />

les re-cherches récentes menées au Bureau <strong>du</strong><br />

Nionwentsïo montrent que les Hurons-Wendat ont<br />

toujours poursuivi, au cours <strong>du</strong> 19 e siècle, leurs activités<br />

coutumières de chasse, de pêche, de piégeage et<br />

de récolte des végétaux. Mais à la fin <strong>du</strong> 19 e siècle,<br />

la Nation huronne-wendat a été confrontée à de<br />

nouvelles difficultés qui ont porté un <strong>du</strong>r coup dans de<br />

nombreuses familles de la collectivité : les premières<br />

lois encadrant l’exploitation de la faune ainsi que la<br />

création d’innombrables clubs de chasse et de pêche<br />

à droits exclusifs à partir des années 1880. En 1895, la<br />

création de l’immense « Parc national des Laurentides »<br />

a eu pour effet d’interdire officiellement l’accès à


ce territoire aux gens de la Nation qui occupaient et<br />

exploitaient d’ores et déjà ses abondantes ressources.<br />

Malgré les difficultés, le harcèlement continuel et les<br />

douloureuses injustices, les Hurons-Wendat n’ont<br />

jamais cessé de fréquenter le Nionwentsïo, incluant<br />

les territoires des clubs privés et <strong>du</strong> Parc national des<br />

Laurentides. Ils furent cependant considérés comme de<br />

vulgaires braconniers. Les documents historiques, de<br />

même que les récits et la tradition orale 23 des Hurons-<br />

Wendat, illustrent on ne peut plus éloquemment cet<br />

état de fait.<br />

En guise d’exemple parmi tant d’autres, citons les<br />

propos <strong>du</strong> Huron-Wendat Maurice Bastien (1852-1932)<br />

recueillis par l’anthropologue Marius Barbeau en 1911 :<br />

Les Sioui et les Gros-Louis ont été envoyés en prison.<br />

Félix Gros-Louis et Pit (Pierre) Sioui, sont allés en<br />

prison pour avoir chassé. on a fait payer l’amende<br />

à plusieurs : Félix Gros-Louis, Daniel Gros-Louis,<br />

Paul et Eustache <strong>du</strong>rant l’hiver 1911. Gustave et<br />

Paul Gros-Louis n’avaient pas d’argent pour payer<br />

l’amende. Ils se sont sauvés pour aller en gagner et<br />

pour payer. Félix Gros-Louis a ven<strong>du</strong> sa maison 50 $<br />

pour payer l’amende. Il a été obligé de vendre sa<br />

maison pour la moitié de sa valeur.<br />

Les détectives ont monté ici pour prendre Paul et<br />

Eustache et ils s’étaient sauvés 24 .<br />

Figure 4 : Barrière à Stoneham sud dans le Parc des Laurentides, photographie<br />

datée de 1938 25<br />

23 Voir notamment à ce sujet la collection de documents et de récits<br />

oraux conservée aux Archives <strong>du</strong> Conseil de la Nation huronne-wendat.<br />

24 Archives <strong>du</strong> Musée canadien des civilisations (AMCC), Fonds Marius<br />

Barbeau, série Hurons-Wyandots, B-G-13.23, [Entrevue de Marius Barbeau<br />

avec Maurice Bastien], [1911], 1 p.<br />

25 LAVOIE, Herménégilde, Barrière à Stoneham sud dans le Parc des<br />

Laurentides, 1938, Photographie, Bibliothèque et Archives nationales <strong>du</strong><br />

<strong>Québec</strong>, centre de <strong>Québec</strong> (BAnQ-Q), Fonds Ministère de la Culture, des<br />

Communications et de la Condition féminine (E6), Office <strong>du</strong> film <strong>du</strong> <strong>Québec</strong><br />

(S7), Documents iconographiques (SS1), pièce 10545.<br />

Ainsi, dans les décennies suivant la création des clubs<br />

privés de chasse et de pêche et <strong>du</strong> Parc national des<br />

Laurentides, les Hurons-Wendat ont poursuivi leur<br />

exploitation des ressources fauniques et halieutiques<br />

<strong>du</strong> Nionwentsïo, mais forcément dans une moindre<br />

mesure, en s’adaptant tant bien que mal aux contraintes<br />

d’accès et au harcèlement de la part des gardes-chasse.<br />

Notons que c’est dans ce contexte, au 20 e siècle, que le<br />

travail de guide de chasse et de pêche a été pratiqué<br />

par de nombreux Hurons-Wendat dans le Parc national<br />

et différents clubs privés, tel le Triton Fish & Game<br />

Club. Ce n’est qu’en 1990 que l’Arrêt Sioui marquera<br />

la reconnaissance des droits territoriaux des Hurons-<br />

Wendat par le plus haut tribunal <strong>du</strong> pays, la Cour<br />

suprême <strong>du</strong> Canada. Ce jugement mit en évidence le<br />

Traité Huron-Britannique conclu le 5 septembre 1760<br />

avec le général James Murray.<br />

Figure 5 : Intitulé de la plainte à l’endroit <strong>du</strong> Huron-Wendat Lorenzo Sioui<br />

(1879-1961) pour « chasse et tué des caribous dans le temps prohibé », 16<br />

mars 1909<br />

HIVER 2012 - 19


L’occupation <strong>du</strong> nionwentsïo aujourd’hui<br />

Beaucoup d’activités coutumières historiquement<br />

pratiquées par les Hurons-Wendat au cours des<br />

précédents siècles se sont poursuivies jusqu’à<br />

aujourd’hui. Ainsi, les gens de la Nation fréquentent<br />

actuellement le Nionwentsïo pendant l’ensemble des<br />

saisons de l’année pour y exploiter une panoplie de<br />

ressources fauniques, halieutiques et végétales. Ils s’y<br />

rendent aussi pour simplement « vivre » au sein de leur<br />

territoire, que ce soit avec les aînés ou encore les jeunes<br />

enfants.<br />

La chasse à l’orignal, par exemple, constitue une<br />

activité traditionnelle d’une importance fondamentale<br />

pour la Nation huronne-wendat, mobilisant plusieurs<br />

centaines de personnes qui valorisent fortement cette<br />

pratique culturelle. L’automne et l’hiver, le piégeage<br />

des animaux à fourrure représente une activité de<br />

premier plan pour plusieurs membres de la Nation qui<br />

exploitent notamment 16 lots de piégeage se trouvant<br />

dans le Nionwentsïo. La pêche de l’omble de fontaine<br />

constitue aussi une activité prédominante chez les<br />

Hurons-Wendat qui s’y adonnent principalement au<br />

printemps et à l’été, mais également lors de la saison<br />

hivernale. L’exploitation des ressources végétales <strong>du</strong><br />

20 HISTOIRES FORESTIÈRES<br />

Figure 6 : Piégeur huron-wendat dans le Nionwentsïo, secteur de la rivière <strong>du</strong> Moulin<br />

Nionwentsïo, que ce soit les nombreuses plantes<br />

médicinales ou encore le bois de chauffage, revêt une<br />

importance toujours significative pour la collectivité.<br />

Plusieurs familles de la Nation huronne-wendat<br />

disposent de camps ou de chalets en forêt, c’est-à-dire<br />

plus de 125 établissements, qui constituent autant de<br />

points d’ancrage liés à la fréquentation <strong>du</strong> territoire.<br />

Des membres de la Nation érigent des tentes dans de<br />

nombreux sites de campement qu’ils fréquentent de<br />

façon régulière. Dans l’avenir, d’autres camps huronswendat<br />

seront implantés conformément à la Loi de la<br />

Nation huronne-wendat concernant l’aménagement<br />

de sites et de constructions en milieu forestier à des fins<br />

d’activités coutumières sur le Nionwentsïo, qui assure<br />

la protection de l’environnement et la pérennité des<br />

ressources naturelles.<br />

Le Nionwentsïo est essentiel à la pratique des activités<br />

coutumières des Hurons-Wendat aujourd’hui. Il est<br />

fondamental à la transmission des connaissances et<br />

des valeurs aux jeunes générations. Le Nionwentsïo<br />

constitue, en ce sens, une pierre d’assise indispensable<br />

de l’identité collective de la Nation huronne-wendat.


Merci à noS MeMBreS VAn BrUYSSeL<br />

HIVER 2012 - 21


L’ARBRE DE VIE<br />

Par Martin Hébert, Ph. D., anthropologue à l’Université Laval et vice-président de la <strong>Société</strong> d’histoire<br />

<strong>forestière</strong> <strong>du</strong> <strong>Québec</strong><br />

Dans les pages qui suivent, nous avons la chance de publier deux textes inédits traitant de l’annedda,<br />

le fameux arbre de vie dont l’usage médicinal contre le scorbut a été enseigné par Domagaya aux<br />

hommes de Jacques cartier à la fin de l’hiver 1536.<br />

Arrivée de Jacques Cartier à Stadaconé. Source : Lucius O’Brien, Picturesque Canada, 1871<br />

Si nous avions à élire un arbre pour symboliser la rencontre entre les peuples en Amérique <strong>du</strong> Nord, il ne fait<br />

aucun doute que l’annedda remporterait le titre haut la main. Comme l’indique ici Richard Assinuuk Dumont, la<br />

transmission des savoirs relatifs aux plantes médicinales est un acte d’une grande intimité. Elle se fait de père en<br />

fils, de mère en fille, de parents vers leurs enfants. Cette transmission se pro<strong>du</strong>it, comme il l’écrit, par l’écoute de<br />

nos frères et de nos sœurs, par l’échange entre les communautés et entre les nations. Alors quand Domagaya<br />

décide de partager son savoir, d’inclure l’équipage mourant dans le cercle des porteurs de savoir capables de guérir<br />

la « grande maladie », c’est davantage qu’un acte de compassion qu’il accomplit. Domagaya aurait très bien pu<br />

protéger son savoir, arriver avec une décoction toute faite en disant aux Français : « buvez, vous vous sentirez mieux<br />

dans quelques jours .» Mais ce n’est pas ce qu’il fait. Il partage non seulement le remède, mais aussi la recette.<br />

Mais ce n’est pas tout. Domagaya ne prend pas l’initiative d’enseigner les secrets de l’annedda par lui-même. Il<br />

se propose plutôt comme intermédiaire entre les nouveaux arrivants et les véritables porteuses de ces savoirs<br />

ancestraux. Ce sont des femmes qui guideront les Français à la recherche <strong>du</strong> précieux annedda, ce sont elles qui leur<br />

montreront comment le préparer et à quelle fréquence prendre le remède. C’est une perte considérable pour nous<br />

22 HISTOIRES FORESTIÈRES<br />

ESSEncE fOREStIèRE


que les noms de ces femmes ne soient pas passés à<br />

l’histoire. Mais chaque fois que nous parlons de ce<br />

partage fondateur entre les peuples, il faut penser<br />

à elles. Elles ont joué un rôle crucial dans le cercle<br />

qui s’est créé autour de l’annedda à la fin <strong>du</strong> mois<br />

d’avril 1536.<br />

Si l’annedda n’était que le symbole d’un partage<br />

et d’une alliance entre les peuples, ce serait déjà<br />

beaucoup. Mais il se trouve aussi au centre <strong>du</strong><br />

premier « mystère » médical de la Nouvelle-France.<br />

Comme Berthier Plante nous l’explique ici, les<br />

interprétations sur l’identité de l’annedda sont<br />

nombreuses. Nous sommes frappés, à la lecture<br />

de ce texte, par le degré de divergence entre les<br />

diverses hypothèses formulées depuis près de 500<br />

ans sur l’annedda. Faisant preuve d’une érudition<br />

à la fois historique et botanique, Berthier Plante<br />

nous offre ses propres conclusions sur la question.<br />

Richard Assinuuk Dumont, puisant dans la<br />

tradition orale huronne-wendat, propose lui aussi<br />

une identification botanique de l’annedda. Les<br />

lecteurs constateront que les conclusions entre<br />

ces deux textes divergent. En cela, nos auteurs<br />

sont en bonne compagnie. Plusieurs sommités<br />

de la botanique québécoise, dont le Frère Marie-<br />

Victorin et son proche collaborateur Jacques<br />

Rousseau, ne s’entendaient pas sur l’identité de<br />

l’énigmatique annedda. Mais comme l’a noté<br />

avec beaucoup de sagesse Jacques Mathieu, un<br />

autre porteur de savoir ayant publié en 2009 les<br />

résultats de ses travaux sur l’arbre de vie, parler de<br />

l’annedda est un acte de mémoire. C’est un acte à<br />

la fois scientifique et éthique, sans jamais que l’une<br />

ou l’autre de ces perspectives ne domine l’autre.<br />

Comme le note l’auteur, parler de l’annedda nous<br />

« invite à reconnaître l’importance d’un rappel de<br />

mémoire axé sur le respect de l’environnement,<br />

la reconnaissance mutuelle des nations, le savoir<br />

vivre ensemble et l’écologie des savoirs 1 ». Berthier<br />

Plante et Richard Assinuuk Dumont nous font ici<br />

le grand honneur de partager leurs contributions<br />

à cette écologie des savoirs concernant l’annedda. Comme tels, ils se joignent à ce cercle de partage initié par<br />

Domagaya autour de l’arbre de vie. Berthier Plante fonde son savoir sur une interprétation historiographique<br />

minutieuse, ancrée dans une tradition d’écrits qui remontent à plusieurs siècles. Richard Assinuuk Dumont fonde<br />

son savoir dans sa pratique d’homme-médecine, alimentée par les enseignements de son père, de ses frères et<br />

sœurs wendat, de même que par l’expérience. Dans le dialogue que permettent nos deux auteurs, nous retrouvons,<br />

me semble-t-il, le véritable sens de l’annedda : la merveilleuse intimité qui vient de partager nos savoirs à propos<br />

d’un arbre dont les descendants sont là, parmi nous, à observer ce que nous faisons <strong>du</strong> cadeau de vie que nous a<br />

fait, à tous, leur ancêtre.<br />

1 Jacques Mathieu (2009), L’Annedda. L’arbre de vie. <strong>Québec</strong>, Septentrion, p. 144.<br />

HIVER 2012 - 23


ESSEncE fOREStIèRE<br />

L’ANNEDDA, L’ARBRE DE PAIx<br />

Par Berthier Plante, membre de la <strong>Société</strong> d’histoire <strong>forestière</strong> <strong>du</strong> <strong>Québec</strong>, berthierplante@sympatico.ca<br />

La publication de cet article a été ren<strong>du</strong>e possible grâce à la collaboration de Francine Masson et Michel Côté,<br />

Andrée Moisan, Linda Rickert et Isabelle Boudreau.<br />

24 HISTOIRES FORESTIÈRES<br />

royaume de canada, Pierre Brault, 2011<br />

Hommage à la Nation<br />

huronne-wendat de la<br />

Province de Canada 1<br />

L’appel <strong>du</strong> large<br />

« il y a trop longtemps que nous nous promenons<br />

dans le Paradis Terrestre, pour ne pas vous rendre<br />

compte de nos découvertes. » 2<br />

en ce temps-là… était l’émerveillement.<br />

Joseph Pitton de Tournefort<br />

Sans cet abandon <strong>du</strong> regard, les écrits de Jacques Cartier<br />

prennent des allures de fabulation et l’identité de l’annedda,<br />

cet arbre mythique qui redonna la vie à son équipage, échappe<br />

fatalement à l’investigation <strong>du</strong> chercheur. Depuis près de cinq<br />

cents ans, botanistes, ethnobotanistes et historiens émettent<br />

le même postulat : l’arbre « aussi gros et aussi grand » dont<br />

parle Cartier relève d’une vision édénique sans ancrage dans<br />

le réel. Être conscient de la beauté et de la luxuriance de la<br />

forêt laurentienne originelle amène toutefois une autre<br />

perspective. En outre et pour autant qu’elles soient remises en<br />

contexte, les études <strong>du</strong> naturaliste Pierre Belon étayent celles<br />

de l’explorateur. La conjugaison de leurs observations dissipe<br />

définitivement le doute.<br />

Qui saurait mieux dire que le sage Montaigne l’apport de la<br />

« connaissance sensible » en ce siècle d’exploration : « Il n’est<br />

de plus naturel que le désir de connaissance. Nous essayons<br />

tous les moyens qui nous y peuvent mener ; quand la raison<br />

nous fait défaut, nous y employons l’expérience qui est un<br />

moyen plus faible et plus vil ; mais la vérité est chose si grande,<br />

que nous ne devons dédaigner aucune entremise qui nous y<br />

con<strong>du</strong>ise. » 3<br />

1 Cette dédicace se veut un geste de reconnaissance envers le peuple qui accueillit Jacques Cartier en 1535. Pour mieux connaître l’histoire, le mode de<br />

vie et les valeurs des “ Stadaconiens de la Province de Canada “ : Georges E. Sioui, Pour une autohistoire amérindienne et Les Hurons-Wendats, une civilisation<br />

méconnue ; Bruce G. Trigger, Les enfants d’Aataentsic ; Roland Tremblay, Les Iroquoiens <strong>du</strong> Saint-Laurent, peuple <strong>du</strong> maïs ; Images de la préhistoire <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> dans<br />

la revue Recherches Amérindiennes au <strong>Québec</strong>.<br />

2 Joseph Pitton de Tournefort (1656-1708), chercheur et enseignant, est une figure marquante de l’histoire de la botanique. Cet extrait est tiré d’un recueil<br />

épistolaire où l’humour, la poésie, l’érudition et l’observation scientifique se côtoient avec bonheur. Relation d’un voyage au Levant, fait par ordre <strong>du</strong> Roi, p. 135.<br />

3 Michel Montaigne, Essais, Livre III, chapitre XIII, p. 557.


Le regard émerveillé<br />

« Un clair matin, des canots de haut bord sont apparus sur le grand fleuve, le grand fleuve<br />

qui roulait dans sa force. Une flamme blanche tendait la drisse. à la proue et dans les<br />

cordages, des hommes pâles regardaient, émerveillés, les têtes ciselées des Pins monter et<br />

s’enchâsser dans la dentelle bleue <strong>du</strong> ciel. » 4<br />

Jacques cartier, gravure de Pierre-Louis<br />

Morin inspirée d’une toile de Théophile Hamel,<br />

Histoire des Canadiens-français de Benjamin<br />

Sulte, 1882<br />

L’explorateur…<br />

Marie-Victorin<br />

La traversée s’est effectuée en un temps record : départ de Saint-Malo le<br />

vingt avril, arrivée à Terre-Neuve le dix mai. Des vents favorables, certes,<br />

mais à quarante-trois ans, le capitaine est un pilote aguerri.<br />

Dix ans plus tôt, en 1524, Giovanni da Verrazzano, à bord de la Dauphine,<br />

sillonnait les côtes de l’Amérique <strong>du</strong> Nord, de la Floride au Cap-Breton.<br />

La rumeur circule chez quelques historiens imaginatifs : Jacques Cartier<br />

aurait fait partie de l’expédition. Rien d’avéré, mais à tout le moins,<br />

nous savons qu’« en considération de ses voyages en Brésil et en Terre-<br />

Neuve », 5 François 1 er lui accorde sa confiance et le mandate de chercher<br />

la route des épices et de l’or par le nord-ouest. Les coffres de l’état crient<br />

famine ! Les chefs d’œuvre, les bibliothèques, les châteaux, les jardins...<br />

Le Roi Chevalier, grand bâtisseur et restaurateur des arts et des lettres,<br />

est plutôt dépensier ! En Amérique, les Portugais et les Espagnols ont pris<br />

les devants. Le pillage, par les corsaires normands, de quelques galions<br />

chargés des somptueux trésors aztèques ne fait pas le poids. Face aux<br />

prétentions territoriales de ses rivaux, la célèbre répartie de François 1 er<br />

est sans équivoque : « Je voudrais bien voir la clause <strong>du</strong> testament d’Adam<br />

qui m’exclut <strong>du</strong> partage <strong>du</strong> monde » !<br />

En quête <strong>du</strong> passage présumé et chercheur d’or, Cartier prend le relais <strong>du</strong> pilote vénitien et procède à des relevés<br />

minutieux <strong>du</strong> littoral est de Terre-Neuve et de la côte <strong>du</strong> Labrador. Depuis le début <strong>du</strong> siècle, les morutiers bretons<br />

fréquentent ces eaux qui baignent une terre inhospitalière : « Si la terre était aussi bonne qu’il y a bons havres, ce<br />

serait un bien. Elle ne devrait pas se nommer Terre-Neuve, mais pierres et rochers hideux et mal équarris, car en<br />

toute ladite côte <strong>du</strong> nord, je n’y vis une charretée de terre et j’y descendis en plusieurs lieux. Sauf à Blanc-Sablon,<br />

il n’y a que de la mousse et <strong>du</strong> petit bois rabougris. Enfin, j’estime mieux qu’autrement que c’est la terre que Dieu<br />

donna à Caïn. » 6<br />

4 Heureuse coïncidence, le texte de Marie-Victorin Sa Majesté le Pin (Bibliothèque des jeunes naturalistes, tract 14) fut publié en 1934, année <strong>du</strong> quatre<br />

centième anniversaire de la venue de Jacques Cartier dans le golfe Saint-Laurent.<br />

5 Marcel Trudel, Histoire de la Nouvelle-France, p. 67.<br />

6 Michel Bideaux, Jacques Cartier, p. 101. Les extraits des récits de voyage de Cartier et <strong>du</strong> Routier de Jean Alfonse sont tous tirés de cette édition critique.<br />

HIVER 2012 - 25


Cap au sud, les deux<br />

voiliers de soixante<br />

tonneaux longent la côte<br />

occidentale de Terre-<br />

Neuve. Au lendemain<br />

« d’un mauvais temps<br />

obscur et venteux » 7 , à la<br />

hauteur de l’île Brion, une<br />

embellie se dessine enfin.<br />

Les portes d’un monde<br />

nouveau s’entrouvrent :<br />

« Cette île est la meilleure<br />

terre que nous ayons vue,<br />

car un arpent de cette<br />

terre vaut mieux que toute la Terre-Neuve. Nous la trouvâmes pleine de beaux arbres, prairies, champs de blé<br />

sauvage et de pois en fleurs aussi épais et aussi beaux que je vis quelquefois en Bretagne et qui semblaient y avoir<br />

été semés par des laboureurs. » 8<br />

itinéraires de Jacques cartier : 1534 et 1535-1536, Wikipédia<br />

De ce jour de juin 1534 à la troisième navigation de 1541-1542, l’enthousiasme <strong>du</strong> capitaine ne se démentira<br />

pas. Porté par la force <strong>du</strong> rêve asiatique et la majesté de la forêt qui défile sous ses yeux, il touchera souvent au<br />

ravissement. Faisons le parcours en sa compagnie dans l’espoir de redécouvrir ce conifère mythique, l’annedda,<br />

dont une décoction de feuilles et d’écorce pilée sauva son équipage atteint d’une « grosse maladie » lors <strong>du</strong> rude<br />

hiver de 1536.<br />

Les îles de la Madeleine en poupe, filant résolument vers l’ouest, Cartier met pied à terre à quatre reprises sur l’île<br />

<strong>du</strong> Prince-Édouard pour « voir les arbres qui sont merveilleusement beaux et de grande odeur. » 9 Cèdres, pins, ifs,<br />

ormes, frênes et saules peuplent les rives escarpées <strong>du</strong> secteur nord-ouest de l’île. Plusieurs espèces sans fruits lui<br />

sont inconnues. Bien sûr, la prudence s’impose sur l’identification des arbres. Cartier, un homme de mer, est un<br />

excellent observateur, mais un observateur sans le savoir <strong>du</strong> botaniste. Qui plus est, la science de l’époque en est<br />

encore à ses balbutiements et même le grand Linné, deux siècles plus tard, se heurtera à la complexité <strong>du</strong> monde<br />

des résineux et se limitera à rassembler les pins, sapins, épinettes et mélèzes sous un seul genre, le genre Pinus.<br />

Thuya occidental, Pierre Brault, 2011<br />

7 Ibid., p. 104.<br />

8 Ibid., p. 105.<br />

9 Ibid., p. 108.<br />

26 HISTOIRES FORESTIÈRES<br />

Pin rouge, Pierre Brault, 2011<br />

« Arbres merveilleusement beaux et de<br />

grande odeur » ! Les uns y verront une<br />

surenchère visant à satisfaire les bailleurs<br />

de fonds ; d’autres, une simple fleur de<br />

rhétorique, agrément coutumier des<br />

récits de voyage de l’époque. Pourtant,<br />

qui a humé les effluves pénétrants qui<br />

émanent d’une cédrière 10 saisira l’àpropos<br />

d’une telle évocation. Depuis<br />

des temps immémoriaux, dans les<br />

saintes Écritures et chez les Grecs, le<br />

10 John Stewart, An account of Prince Edward Island, p. 50-52. Écossais d’origine, premier historien de l’île <strong>du</strong> Prince-Édouard, John Stewart nous offre une<br />

description des lieux tels qu’ils sont probablement apparus à Cartier : « White Cedar (thuya occidentalis). This tree is common only in the north west corner of the<br />

Island, where it occupies a considerable district, it is very different tree from the red cedar of more southern climates. » John Stewart, contrairement à ce que laisse<br />

entendre Douglas C. Houston dans Scurvy and Canadian Exploration à la page 162, n’établit pas de lien entre l’annedda et la pruche.


mot « cèdre » réfère à des arbres toujours verts, odorants et au bois imputrescible. Écorce roussâtre découpée en<br />

étroites lamelles et feuilles en écailles imbriquées, genévriers, cyprès et thuyas se confondent aisément. Il n’est<br />

donc pas étonnant que le thuya occidental (Thuja occidentalis L.) soit encore connu, en dehors de la communauté<br />

scientifique, sous le nom de cèdre blanc.<br />

If ! Par l’aspect de leurs aiguilles isolées, aplaties et disposées de chaque côté <strong>du</strong> rameau, la pruche <strong>du</strong> Canada (Tsuga<br />

canadensis L.) et jusqu’à un certain point le sapin baumier (Abies balsamea (L.) Mill.), rappellent l’if commun (Taxus<br />

baccata L.), 11 unique résineux indigène des côtes malouines, sans doute familier à Cartier. Quant au mot « pin », il<br />

semble attribué aux arbres dont les aiguilles sont réunies en faisceaux : pin blanc (Pinus strobus L.), pin rouge (Pinus<br />

resinosa Ait.), pin gris (Pinus banksiana Lamb.) et mélèze laricin (Larix laricina (Du Roi) K. Koch). Par contre, certains<br />

indivi<strong>du</strong>s, en particulier les pins blancs dont les dimensions dépassent largement les espèces européennes, ne sont<br />

peut-être pas toujours reconnus comme tels.<br />

Habité par sa mission, le cœur gonflé d’espérance, Cartier ratisse le pourtour de la baie des Chaleurs : « Et celle de<br />

vers le nord est une terre haute à montagnes toute pleine d’arbres de haute futaie de plusieurs sortes et, entre<br />

autres, y a plusieurs cèdres et pruches aussi beaux qu’il soit possible de voir pour faire mâts suffisants à équiper des<br />

navires de trois cents tonneaux et plus, en laquelle ne vîmes un seul lieu vide de bois, sauf en deux lieux de basses<br />

terres où il y avait des prairies et des étangs fort beaux ». 12 Un dernier type de conifères attire donc l’attention <strong>du</strong><br />

marin : les essences aptes à répondre aux exigences des chantiers maritimes. Sans nœuds, soumises aux secousses<br />

soutenues des vents, elles se doivent d’être flexibles, élastiques et légères. À Saint-Malo, les sujets convoités sont<br />

importés. L’ancêtre de notre arbre de Noël, le sapin de Prusse (Picea abies (L.) Karst.), 13 particulièrement prisé,<br />

provient d’Allemagne. Altération <strong>du</strong> toponyme originel, le terme « pruche » réfère à l’épinette blanche (Picea glauca<br />

(Moench) Voss) et à l’épinette rouge (Picea rubens Sarg.) dont les caractéristiques, la hauteur (dépassant les vingtcinq<br />

mètres) et le diamètre (cinquante centimètres), permettent de mâter un navire de « trois cents tonneaux et<br />

plus ». L’épinette noire (Picea mariana (Mill.) B.S.P.), de moindre stature, complète le trio. Les aiguilles de ces espèces<br />

sont simples, quadrangulaires et réparties en spirale sur le rameau. Chez la plupart des auteurs, cette distinction<br />

n’est pas aussi fine et se limite à la singularité des aiguilles. Dans ce cas, le mot « pruche » englobe sapin et épinettes.<br />

Question ouverte qui n’a toutefois pas d’incidence sur le dénouement de la présente étude. 14<br />

Pruche <strong>du</strong> canada, Pierre Brault, 2011<br />

11 À la liste des noms vulgaires publiée dans Les Gymnospermes <strong>du</strong> <strong>Québec</strong>, Marie-Victorin note à la page 142 : « If (Cartier)…………..…. Tsuga canadensis ».<br />

12 Michel Bideaux, Jacques Cartier, p. 109.<br />

Épinette blanche, Pierre Brault, 2011<br />

13 Se dit également Picea excelsa (Lamb.), l’épicéa commun en Europe ou l’épinette de Norvège au <strong>Québec</strong>. Voir L’annedda et l’arbre de vie, p. 177 de<br />

Jacques Rousseau.<br />

14 Quelques éléments de réflexion apportés par Steve Canac-Marquis et Claude Poirier de l’Université Laval : « Les premiers Français qui parcoururent les<br />

côtes <strong>du</strong> Canada ne connaissaient pas toutes les essences de résineux qu’ils y rencontrèrent. Certaines leur étaient peu familières (comme l’épicéa et le mélèze) et<br />

d’autres complètement inconnues (comme le tsuga). On perçoit, dès les relations de Cartier, une volonté de distinguer ces diverses espèces de conifères, mais on<br />

n’aboutira pas à une terminologie stable avant le dernier quart <strong>du</strong> 17e siècle. (…) Parmi les arbres qui ont d’abord attiré l’attention des marins et des navigateurs<br />

figurent les conifères de grande taille qu’ils ont aperçus sur la rive nord de la baie des Chaleurs et qui leur ont paru particulièrement propices à la fabrication des<br />

mâts. Le mot qui leur est venu spontanément à l’esprit est prusse, ou pruche, qu’ils appliquaient déjà à un conifère d’Europe, appelé sapin de Prusse, d’après sa<br />

région de provenance. (…) L’attestation <strong>du</strong> mot chez Cartier ne permet pas de préciser le conifère en question (sapin ? épinette ?), mais elle illustre clairement<br />

le rapport qui a été fait entre le sapin de Prusse, réputé pour la mâture, et les arbres qu’on apercevait depuis le bateau qui explorait la baie des Chaleurs. » Extrait<br />

de « Origine commune des Français d’Amérique <strong>du</strong> Nord : le témoignage <strong>du</strong> lexique ». Dans Le français en Amérique <strong>du</strong> Nord : État présent, p. 522-524. Sapin ou<br />

épinette ? Duhamel <strong>du</strong> Monceau, contemporain de Linné, dans son Traité des arbres et arbustes, classe le « Beaumier de Gilead », dans « l’ordre » des « sapins à<br />

feuilles d’if ».<br />

HIVER 2012 - 27


Le cérémonial de Honguedo (le mot « Gaspé » est d’origine micmaque) couronné par l’érection d’une croix sur la<br />

pointe de Penouille en l’honneur <strong>du</strong> roi de France a marqué l’histoire. Avant de regagner Saint-Malo, il convient<br />

de souligner la présence à bord de deux des « fils » (neveux dans le contexte d’une société matrilinéaire ?) <strong>du</strong> chef<br />

Donnacona venu s’approvisionner en poissons dans la région. L’objectif n’a pas été atteint, les baies visitées n’ont<br />

livré aucun secret. Point d’or et d’épices, les Iroquoiens rencontrés à Gaspé n’affichent aucune richesse. Et pourtant,<br />

dès la fin d’octobre, un projet de retour est en branle. Ces hommes natifs de l’Ouest, riverains d’une mer intérieure<br />

dont la source obscure échappe toujours au compas, n’y sont peut-être pas étrangers. Les renseignements obtenus<br />

avivent les ambitions de l’explorateur.<br />

Le téméraire…<br />

Au printemps de 1535, la deuxième tentative a plus d’envergure. Cent dix membres d’équipage, trois vaisseaux :<br />

la Grande Hermine, la Petite Hermine et l’Émérillon. Le capitaine au long cours a désormais un atout majeur en<br />

main : Domagaya et Taignoagny parlent suffisamment français pour servir de guide. En eaux inconnues, toujours<br />

en quête <strong>du</strong> fameux passage, il explore minutieusement le golfe, scrute les baies prometteuses et s’engage sur le<br />

« grand fleuve de Hochelaga et chemin de Canada ». À la hauteur de Stadaconé (<strong>Québec</strong>), il choisit le havre de la<br />

rivière Sainte-Croix (Saint-Charles) pour y mettre ses navires en sûreté. La terre y est fertile. Outre l’if (pruche) et<br />

le cèdre (thuya), plusieurs feuillus y croissent. Impressionné par la stature des arbres, il commande d’apprêter des<br />

barques pour se rendre à l’île de Bacchus (île d’Orléans) : « Et étant à ladite île, la trouvâmes pleine de fort beaux<br />

arbres comme chênes, ormes, pins, cèdres et autres bois de la sorte des nôtres et pareillement y trouvâmes force<br />

vignes, ce que nous n’avions vu par ci-devant à toute la terre. » 15<br />

Bien que les premiers signes de l’automne se fassent sentir et malgré les réticences exprimées par le peuple de<br />

Stadaconé, Cartier insiste pour se rendre à Hochelaga (Montréal). Tout au long <strong>du</strong> parcours, l’émerveillement gonfle<br />

les voiles de l’Émérillon : « … nous avons été navigant amont ledit fleuve sans perdre heure ni jour <strong>du</strong>rant lequel<br />

temps avons vu et trouvé d’aussi beau pays et terres aussi unies que l’on saurait désirer pleines des beaux arbres<br />

<strong>du</strong> monde, savoir chênes, ormes, noyers, pins, cèdres, pruches, frênes, bouleaux, saules, osiers et force vignes qui<br />

est le meilleur qui avaient si grande quantité de raisins que les compagnons en venaient tous chargés à bord ». 16<br />

L’accueil dans la capitale hochelagoise est grandiose, mais dès le lendemain, préoccupé <strong>du</strong> sort <strong>du</strong> galion ancré<br />

au lac Saint-Pierre, Cartier est déjà sur le chemin <strong>du</strong> retour. À son arrivée à l’embouchure de la rivière Sainte-Croix,<br />

force est de constater que les relations avec ses alliés de la première heure se sont détériorées. La méfiance s’est<br />

installée, les intrigues couvent, l’hiver sera long et difficile. Outre la rigueur <strong>du</strong> climat, une maladie foudroyante<br />

frappera cruellement la frêle communauté.<br />

Au mois de décembre, le peuple de Stadaconé compte déjà plus d’une cinquantaine de victimes. Craignant la<br />

contagion, le capitaine interdit tout accès au fort. La mesure est inefficace : vers la mi-mars, vingt-cinq hommes<br />

sont morts et plus de quarante d’entre eux sont gravement atteints. Lors d’une promenade sur la glace, il voit venir<br />

Domagaya qui a recouvré la santé. Une douzaine de jours auparavant, celui-ci semblait pourtant « fort malade de<br />

la propre maladie qu’avaient ses gens. Car il avait l’une des jambes par le genou aussi grosse qu’un enfant de deux<br />

ans et tous les nerfs d’icelle retirés, les dents per<strong>du</strong>es et gâtées et les gencives pourries et infectes. » 17 Domagaya lui<br />

apprend comment « … avec le jus et le marc des feuilles d’un arbre, il s’était guéri et que c’était le singulier remède<br />

pour maladie… Ils (les Stadaconiens) appellent ledit arbre en leur langage annedda. » 18<br />

15 Ibid., p. 139-140.<br />

16 Ibid., p. 147.<br />

17 Ibid., p. 173.<br />

18 Loc. cit.<br />

28 HISTOIRES FORESTIÈRES


Miracle ! Un « … vrai et évident miracle… » ! 19 Deux ou trois portions de cette décoction et les moribonds sont sur<br />

la voie <strong>du</strong> rétablissement. Après quelques moments d’hésitation, les matelots se bousculent pour être servis en<br />

premier « … de sorte qu’un arbre aussi gros et aussi grand que je vis jamais arbre a été employé en moins de huit<br />

jours… ». 20<br />

Exagération ? Bon nombre de médecins admettent que les symptômes <strong>du</strong> scorbut, « la grosse maladie », peuvent<br />

s’estomper en quelques jours si un apport en vitamine C est suffisant. Par contre, est-il concevable qu’une telle<br />

carence puisse s’être manifestée dès le mois de décembre chez une population qui cultive le maïs, le haricot et la<br />

courge ? Une maladie infectieuse, transmise par les gens de Cartier, n’est certainement pas à écarter. Triste ironie <strong>du</strong><br />

sort, passager clandestin, le germe de mort venait vraisemblablement d’outre-mer. Un siècle plus tard, les Hurons,<br />

dépourvus de protection bactériologique, seront littéralement décimés à la suite de leur contact avec leurs alliés<br />

français. 21 Certes et sans l’ombre d’un doute, Domagaya a été atteint <strong>du</strong> scorbut, mais le mal survient à la fin de<br />

l’hiver et les autochtones savent le combattre !<br />

Mais quel est donc cet arbre mirifique, si gros et si grand ? Profondément enraciné dans l’imaginaire québécois, il<br />

semble se dérober à toute tentative d’identification et se fondre dans l’épais brouillard des temps ancestraux.<br />

L’ambitieux…<br />

cap-rouge, québec, Henry Richard S. Bunnett, 1886, Musée McCord<br />

19 Loc. cit.<br />

20 Ibid., p. 174.<br />

À sa troisième expédition, en 1541, Cartier cible<br />

le havre de Cap-Rouge pour hiverner. Situé à une<br />

vingtaine de kilomètres en amont de Stadaconé,<br />

surplombant le fleuve, le site revêt de multiples<br />

avantages. Ce n’est certainement pas anodin si<br />

l’annedda fait partie <strong>du</strong> décor : « De part et d’autre<br />

<strong>du</strong> dit fleuve se trouvent de très bonnes et belles<br />

terres, couvertes d’arbres qui comptent parmi les<br />

plus beaux et les plus majestueux <strong>du</strong> monde ; il y en<br />

a plusieurs espèces qui dépassent les autres de plus<br />

de dix brasses, ainsi qu’une essence qu’ils appellent<br />

Hanneda dans ce pays, qui fait plus de trois brasses<br />

de circonférence (environ cinq mètres) 22 et qui<br />

possède une qualité supérieure à celle de tous les<br />

autres arbres <strong>du</strong> monde et sur laquelle je reviendrai<br />

plus loin. » 23 Malheureusement, seules quelques<br />

pages, en tra<strong>du</strong>ction anglaise, de cette relation<br />

nous sont parvenues et nous ne connaîtrons pas<br />

la suite annoncée. Cette réaffirmation des vertus<br />

de l’annedda suggère cependant une nouvelle<br />

épidémie surmontée grâce à son pouvoir de<br />

guérison.<br />

21 En quelques années, de 1634 à 1650, les épidémies (rougeole, variole, influenza) firent périr plus de 50 % de la population vivant en Huronie. Pour<br />

mieux apprécier l’ampleur de ce phénomène, lire le texte Les agents pathogènes, des envahisseurs clandestins de l’archéologue et paléoanthropologue Robert<br />

Larocque. Champlain : La naissance de l’Amérique française, p. 266-275.<br />

22 Pour plus d’informations, consulter Paul Guilhiermoz, De l’équivalence des anciennes mesures, p. 272-281.<br />

23 Michel Bideaux, Jacques Cartier, p. 196.<br />

HIVER 2012 - 29


L’aventurier…<br />

Un indice supplémentaire nous est offert par Jean Alfonse, pilote portugais au service de la France. En juin 1542, les<br />

deux hommes se croisent : Cartier est sur son voyage de retour, alors que la flotte de Roberval, avec une année de<br />

retard, accoste enfin à Terre-Neuve. Que s’est-il passé ? Faute de ressources suffisantes, Roberval a dû surseoir à son<br />

départ. Pour assumer les charges de l’expédition, il engage sa fortune personnelle et pratique la piraterie sur la côte<br />

bretonne, allant même jusqu’à arraisonner des navires français, ce qui ne manquera pas de soulever l’indignation<br />

de François 1 er . 24<br />

Lors de cette relâche, il est permis de supposer qu’un échange d’informations, entre gens <strong>du</strong> métier, est tenu. Dans<br />

son routier, décrivant les rives de la rivière France Prime (le Saint-Laurent) entre le royaume de Canada (région de<br />

<strong>Québec</strong>) et d’Ochelaga (région de Montréal), Alfonse écrit : « Et y a en toutes ces terres grande quantité d’arbres<br />

et de plusieurs sortes, comme chênes, frênes, cèdres, cyprès, ormes, érables, hêtres, arbres de vie, qui portent<br />

médecine ; ils ont la gomme blanche comme neige ; pins communs, desquels on fait les mâts de navires (…). Et y a<br />

des cèdres fort gros ». 25<br />

Sans pour autant rejeter ce « témoignage », il y a peut-être lieu d’y mettre un bémol. L’homme n’est pas au-dessus de<br />

tout soupçon ! Meurtrier, plagiaire, corsaire ou pirate, rien n’assure qu’il ait navigué sur les eaux de la rivière France<br />

Prime en amont de <strong>Québec</strong>. Meurtrier : il tue son fils aîné dans un excès de colère ! 26 Plagiaire : sa Cosmographie<br />

repro<strong>du</strong>it des pages entières de la Suma de geographica de Fernandez de Enciso, sans la moindre mention <strong>du</strong> nom<br />

de l’auteur ! 27 Pirate : aux commandes d’une escadre française, il capture dix-huit navires espagnols. Poursuivi avec<br />

acharnement par Pedro Menéndez de Avilés jusqu’à la rade de La Rochelle, il est blessé mortellement de la main<br />

même de son vis-à-vis. 28 Une fin « aventureuse », s’il en est, qui ne devrait cependant pas ternir une réputation faisant<br />

de lui « l’homme le plus enten<strong>du</strong> en fait de navigation qui fust en France de son temps. » 29 Le compliment vient de la<br />

bouche d’un connaisseur : Samuel Champlain, auteur <strong>du</strong> « Traité de la marine et <strong>du</strong> devoir d’un bon marinier » !<br />

Plausible qu’une part des écrits <strong>du</strong> globe-trotter ne relèvent pas d’une observation in situ. Comment expliquer les<br />

cinquante vies fauchées par le scorbut s’il avait été <strong>du</strong> nombre des hivernants à France-Roy (Cap-Rouge) en 1543 ? 30<br />

Improbable à plus forte raison qu’il ait participé à l’expédition d’Ochelaga organisée le printemps suivant. Possible<br />

que Roberval, arrivé à destination fin juillet 1542, lui ait intimé l’ordre de rebrousser chemin et de parachever<br />

l’exploration de la côte labradorienne avant de rentrer en France. À la rencontre de Terre-Neuve, Pierre Ronsard,<br />

faux-monnayeur affranchi comme tant d’autres pour les besoins de la mission, s’était prononcé : les cales de Cartier<br />

regorgeaient d’or et de diamants ! La course est fébrile, la deuxième flotte tire de l’arrière. La découverte <strong>du</strong> passage<br />

<strong>du</strong> nord-ouest pourrait provoquer un renversement de situation. L’hydrographe, tout autant que son commandant,<br />

reprendrait l’avantage !<br />

Ceci étant dit, aucun motif ne saurait justifier la falsification de l’information consignée au routier. Alfonse n’aurait<br />

rien à y gagner. « Arbre de vie » et « gomme blanche », une expression et un rapprochement de conséquence que<br />

Cartier ne nous avait point livrés.<br />

24 Marcel Trudel, Histoire de la Nouvelle-France, p. 153.<br />

25 Michel Bideaux, Jacques Cartier, p. 221, d’après le manuscrit de 1544 dédié à François 1 er . Pour les diverses versions, voir le stemma à la page 45 de<br />

l’intro<strong>du</strong>ction. Le Ruttier (routier ou livre de bord), publié par Richard Hakluyt en 1600 et repris en tra<strong>du</strong>ction française dans l’édition de <strong>Québec</strong> de 1843, ne fait pas<br />

allusion au cyprès, aux propriétés médicinales de l’arbre de vie et à la « gosme blanche » qui le caractérise. D’autre part, le terme « prussetrees » s’ajoute : « And in all<br />

these Countreys there are okes, and bortz, ashes, elmes, arables, trees of life, pines, prussetrees, cedres, great wall nut trees, and wilde nuts, hasel-trees, wilde<br />

peare trees, wilde grapes, and there have been found redde plummes. » (The principal Navigations, p. 163) Comment expliquer ces variantes ? Hakluyt n’aurait-il<br />

pas pris quelques libertés en interprétant les textes de Cartier et d’Alfonse ? Engagé dans le commerce <strong>du</strong> sassafras, il n’hésite pas, en note de bas de page de sa<br />

tra<strong>du</strong>ction anglaise <strong>du</strong> Brief Récit, à faire le rapprochement avec l’annedda. Hypothèse qui s’accorderait mal avec la présence de gomme blanche !<br />

26 Louangé par les poètes et glorifié par les patriotes français, Jean Alfonse est un personnage à haut contraste. Son origine portugaise n’a été clairement<br />

établie qu’en 1952. Pour mieux le connaître, consulter Les Portugais en France au XVI e siècle de Luis de Matos.<br />

27 Lazare Sainéan, dans La cosmographie de Jean-Alfonse Saintongeais, confronte les deux documents (p. 21-22).<br />

28 Jean Alfonse, entre deux voyages au long cours, écume les mers. Pirate ou corsaire, les rivalités entre les monarques et les lettres de marque en décident.<br />

Henry Harisse, via le récit de l’écrivain espagnol Gonzalès Barcia, nous apprend qu’un certain « Juan Alphonso, corsaire français, galicien ou portugais (il ne sait<br />

lequel), qui, ayant capturé dans les parages <strong>du</strong> cap Saint-Vincent des navires basques chargés de ferraille, aurait été poursuivi, sur l’ordre de l’empereur Maximilien,<br />

par Pedro de Menendez, attaqué sur les côtes de Bretagne et blessé à mort. » Henry Harisse, Jean et Sébastien Cabot, p. 206-207.<br />

29 Samuel Champlain, Voyages <strong>du</strong> sieur de Champlain ou journal ès découvertes de la Nouvelle-France, p. 39.<br />

30 Marcel Trudel, Histoire de la Nouvelle-France, 1 Les vaines tentatives, p. 159.<br />

30 HISTOIRES FORESTIÈRES


La croisée des chemins…<br />

Que retenir au terme de ce parcours à l’estime ? 31<br />

Le thuya occidental, clairement identifié sous le nom de cèdre, ne secrète pas de gomme blanche. Arbre de taille<br />

moyenne, il ne saurait atteindre les trois brasses de circonférence de l’annedda. La pruche, l’épinette blanche,<br />

l’épinette rouge, le sapin baumier et le pin rouge, dans les meilleures conditions, ne peuvent guère dépasser<br />

deux brasses. Le pin gris, l’épinette noire s’en éloignent davantage. Le mélèze larcin, dépourvu de feuilles en hiver,<br />

ne représente pas une option crédible. Dominant largement son entourage, seul le pin blanc se distingue. Une<br />

question se pose cependant : pourquoi Cartier s’est-il contenté de le désigner sous son nom amérindien ? N’auraitil<br />

pas saisi l’appartenance de l’annedda à la tribu des pins dont il fait pourtant mention à plusieurs reprises ? Cela<br />

mérite réflexion. Marie-Victorin apporte peut-être un élément de réponse : « Tournefort, dont la sagacité ne saurait<br />

être mise en doute, devant les échantillons de Pin blanc que lui envoyait Sarrazin, prononçait que cette plante était<br />

un Mélèze. En autant que les apparences étaient seules concernées, cette solution était sans doute juste. L’opinion<br />

de Tournefort indique en tout cas que, pour un observateur non préjugé par un long usage, le Pin blanc diffère<br />

considérablement de ses congénères. » 32<br />

* Données tirées <strong>du</strong> guide Les arbres <strong>du</strong> Canada de John Laird Farrar, 1996<br />

critères d’identification de l’annedda<br />

L’arbre employé est d’une taille colossale, jamais Cartier n’en a vu d’aussi gros et d’aussi grand. Un pin dont le fût<br />

rectiligne peut atteindre les vingt mètres n’a pas de commune mesure avec les essences européennes souvent<br />

surclassées par les sapins et les épicéas. À la lumière de ces considérations, n’est-il pas logique de le percevoir<br />

comme une espèce distincte ? Par ailleurs, n’est-il pas également concevable que les Autochtones eux-mêmes<br />

accordent des vertus particulières aux arbres dominants, symboles de leur invulnérabilité, et les choisissent pour<br />

réaliser leur salutaire décoction ?<br />

Quel sera l’avis des experts, de la Renaissance à nos jours ? La diversité des réponses étonne. Minant d’entrée de<br />

jeu la crédibilité de Cartier, elles sont fréquemment teintées des préoccupations de l’époque : recherche d’un<br />

médicament pour le traitement de la syphilis pour l’un ou <strong>du</strong> cancer pour l’autre, la finalité dicte l’argument. Au<br />

31 Navigation à l’estime : méthode qui consiste à dé<strong>du</strong>ire sa position à partir de sa route et de la distance parcourue depuis sa dernière position. Cette<br />

évaluation repose sur des instruments mesurant le cap, la vitesse et le temps ainsi qu’une estimation de l’influence de l’environnement (courants, vents) sur sa<br />

marche. Tributaire de la précision de l’estimation de la route vraie et de la vitesse réelle, elle demeure approximative.<br />

32 Marie-Victorin, Les Gymnospermes <strong>du</strong> <strong>Québec</strong>, p. 2. Un survol des procédés descriptifs utilisés par Cartier opine en ce sens. Dans un premier temps,<br />

si l’ancrage est signifiant, le narrateur procède par analogie. Les paysages, la fertilité des terres, la taille et la beauté des arbres sont dépeints en fonction <strong>du</strong><br />

« déjà vu » en sol français. Devant l’inédit, dépourvu de points de référence, le marin s’en tiendra aux paramètres familiers <strong>du</strong> métier et adoptera la terminologie<br />

amérindienne. La comparaison ré<strong>du</strong>ctrice est judicieusement écartée. Laissant place à l’indétermination, larguant ses amarres, le regard affranchi s’ouvre à<br />

l’originalité <strong>du</strong> Nouveau Monde.<br />

HIVER 2012 - 31


goût <strong>du</strong> jour, ces hypothèses sont accueillies avec empressement, sans validation. L’autorité de compétence, la<br />

notoriété, suffisent bien souvent pour récolter l’adhésion des collègues et, par effet d’entraînement, <strong>du</strong> « grand<br />

public ».<br />

32 HISTOIRES FORESTIÈRES<br />

Du connu à l’inconnu<br />

« L’intelligence des choses invisibles s’acquiert par celles qu’on voit : et des incogneues par<br />

celles qu’on congnoist » 33<br />

Le naturaliste…<br />

De Pierre Belon, grand voyageur et éminent scientifique <strong>du</strong> XVI e siècle, nous<br />

apprenons qu’un arbre apporté <strong>du</strong> Canada obtint, dès son arrivée en France, ses<br />

lettres de noblesse. Parvenu au sommet <strong>du</strong> mont Taurus en Turquie, fasciné par<br />

« les arbres en perpétuelle ver<strong>du</strong>re », Belon s’exprime ainsi : « Nous montâmes la<br />

montagne en demie journée : & quand nous fumes au haut, nous la trouvâmes<br />

couverte de neige. Aussi y observâmes une sorte de Savinier, qui est cette espèce<br />

que Dioscoride a décrite, ou bien est Thuya de Théophraste et de Homère. Et pour<br />

ce qu’avions vu les années précédentes un arbre à Fontainebleau au jardin <strong>du</strong> Roi,<br />

qu’on nommait arbre de vie, qui fut apporté <strong>du</strong> pays de Canada, au temps <strong>du</strong> feu<br />

Roi François premier de ce nom, observâmes diligemment ledit Savinier sur le<br />

mont. Et ayant décrit l’un et l’autre par le menu, les trouvâmes fort semblables,<br />

mais différents en quelques marques, qu’exposerons en décrivant les plantes en<br />

particulier. » 34<br />

Saint-Paul, cité par Pierre Belon<br />

Parti trois ans plus tôt, en 1546, pour un voyage au Levant, le botaniste érudit marche sur les traces des Anciens.<br />

Chaque végétal est scruté à la lumière de leurs écrits et la conformité ou la différence en sont finement soupesées.<br />

Les embûches sont multiples, la botanique est une science en pleine effervescence. En ce siècle où les arts et les<br />

lettres « renaissent », ne serait-il pas plus juste en cette matière de parler de naissance ? Certains auteurs n’hésitent<br />

pas à illustrer leurs ouvrages de plantes purement imaginaires, les critères de classification sont variables pour ne<br />

pas dire inexistants. L’usage, le milieu, les vertus médicinales, la singularité, la rareté, les catégories « sauvage ou<br />

cultivé » servent de canevas structurant. Les textes sont souvent agrémentés d’anecdotes qui ne manquent pas<br />

d’exciter la curiosité <strong>du</strong> lecteur. Pierre Belon, sans entacher la rigueur <strong>du</strong> propos, s’y adonne à l’occasion. Par exemple,<br />

lors de son passage en Égypte, décrivant la manière de « confire » et d’embaumer les trépassés, l’apothicaire nous<br />

apprend que le roi François 1 er , grand restaurateur des lettres, n’allait nulle part sans apporter un onguent fabriqué<br />

avec de la momie broyée qu’il attachait à sa selle et portait sur lui. Ce « médicament », relent <strong>du</strong> Moyen Âge, lui<br />

garantissait la guérison advenant une blessure profonde.<br />

33 Jean Céard, La nature et les prodiges, p. 311.<br />

34 Pierre Belon, Les observations de plusieurs singularitez, p. 369.<br />

Pierre Belon, médecin, voyageur<br />

et zoologiste, Ambroise Tardieu,<br />

Iconographie universelle ou Collection des<br />

portraits de tous les personnages célèbres,<br />

1820-1828


En marge de ses contemporains, Belon s’intéresse à l’acclimatation des plantes exotiques et en prône l’intro<strong>du</strong>ction<br />

en sol français en mettant sur pied une vaste pépinière d’arbres et d’arbustes. Auteur d’un traité sur les conifères<br />

et les résineux, 35 il semble donc l’expert tout désigné pour prendre la relève au moment où les navigateurs restent<br />

muets. C’est dans ledit ouvrage que nous retrouverons les précisions annoncées. Belon s’est ren<strong>du</strong> à deux reprises<br />

au jardin de Fontainebleau : une première visite, alors que l’arbre de vie était tout petit, et la suivante, au cours de<br />

sa neuvième année, soit vers 1545 ou dans les premiers mois de 1546. À cette époque, sa taille atteint déjà celle<br />

d’un homme dont le bras serait ten<strong>du</strong> vers le ciel, mais il n’a pas encore donné de graines. Aussi est-il prématuré de<br />

parler de son écorce ou de son port. La comparaison avec le savinier (ou seconde sabine) observé sur les sommets<br />

des monts Taurus sera donc parcellaire, elle s’effectuera essentiellement à partir de la forme des branches et des<br />

feuilles.<br />

Quelle est cette « sabine repère » des régions montagneuses dont nous entretient Belon ? Un premier filtre nous<br />

est donné : son tronc sinueux est généralement trop gros pour être entouré par les bras d’un homme. Plus d’une<br />

brasse, nous dirait Cartier ! Au faîte des monts Amanus (Nur Daglari, <strong>du</strong> Taurus occidental) et Olympe de Mysie (Ulu<br />

Dag, <strong>du</strong> Taurus oriental), soumis à l’aridité des sols et au froid des hautes altitudes, seuls le genévrier grec (Juniperus<br />

excelsa Bieb. M.), le genévrier fétide (Juniperus foetidissima Willd.), le genévrier de Syrie (Juniperus drupacea Labill.) et<br />

l’oxycèdre (Juniperus oxycedrus L.) atteignent cette dimension. 36 Au-delà d’un exercice périlleux d’appariement des<br />

termes avec les anciens et en butte aux incohérences dénominatives de l’auteur lui-même, une analyse sommaire<br />

nous permet toutefois de restreindre aisément les options :<br />

genévrier grec, Igor Torgachkin, Novorossiysk, Russie. URL : http ://www.torgachkin.ru/<br />

35 Pierre Belon, De arboribus coniferis, resiniferis.<br />

36 Espèces recensées au cours d’études réalisées par une équipe d’experts : Macrofungal diversity associated with the scale-leaf juniper trees, Juniperus<br />

excelsa and J. foetidissima distributerd in Turquey, Hasan Hüseyin Dogan, Mitko Karadelev et Mustafa Isiloglu, p. 222.<br />

HIVER 2012 - 33


les feuilles des genévriers grec et fétide « correspondent tout à fait à celles <strong>du</strong> cyprès tout en étant cependant<br />

plus nombreuses. » 37 Ces espèces sont aujourd’hui regroupées dans le sous-genre Sabina caractérisé par ses<br />

feuilles en écailles imbriquées.<br />

les feuilles <strong>du</strong> genévrier de Syrie et de l’oxycèdre sont disposées en aiguilles. En regard de ce trait distinctif, leur<br />

candidature n’a aucune pertinence.<br />

Deux espèces donc à retenir, mais au-delà de ces critères, la discrimination s’avère plus hasardeuse et dépend de<br />

la subjectivité des appréciations olfactives. L’odeur « parfumée dégageant quelque nuance de résine » signalée<br />

par Belon dans sa description de la sabine (ou savinier) peut-elle évoquer la senteur de camphre attribuée au<br />

genévrier fétide par nos contemporains ? 38 Rien de probant, mais la morphologie de leurs feuilles nous oriente<br />

in<strong>du</strong>bitablement vers le thuya occidental.<br />

34 HISTOIRES FORESTIÈRES<br />

observations de P. Belon au Levant (Turquie)<br />

Constat déroutant qui soulève plus de<br />

questions qu’il n’en règle. Qu’en est-il<br />

des témoignages de première main de<br />

Jacques Cartier et de Jean Alfonse qui ne<br />

nous engageaient pourtant pas sur cette<br />

piste ? Qu’en est-il des trois brasses de<br />

circonférence et de la gomme blanche ?<br />

L’arbre de vie des botanistes est-il celui<br />

de nos explorateurs ? Sommes-nous<br />

en présence de l’annedda ? Les vents<br />

semblent contraires, la terre ferme<br />

s’éloigne !<br />

Toujours chez Pierre Belon, nous lisons<br />

qu’un autre arbre, dit « bois de vie »,<br />

fut également présenté au roi par un<br />

navigateur <strong>du</strong> Nouveau Monde. En cinq<br />

ans, issu de semences, un spécimen<br />

planté au jardin de Fontainebleau<br />

s’élève déjà à hauteur d’homme. Un<br />

examen sommaire des aiguilles, en<br />

faisceaux de cinq, amène l’arboriculteur<br />

à se prononcer en faveur <strong>du</strong> « pinaster » que les Français de l’époque appellent « alevo » et dont le nom<br />

scientifique est maintenant Pinus cembra L. De ce jour, ce deuxième arbre de vie, le pin blanc, confon<strong>du</strong> avec<br />

l’espèce européenne sera définitivement ignoré. 39<br />

37 P. Belon, De arboribus coniferis, resiniferis, p.12v et Mathieu, L’Annedda, l’arbre de vie, p. 166-167. La famille des cyprès (cupressacées), comprend les genres<br />

Thuya et Juniperus (genévrier). Ce dernier se divise lui-même en deux sous-genres : Juniperus (11 espèces à feuilles épineuses) et Sabina (43 espèces à feuilles<br />

en écailles). Lors d’un séjour dans la région de Mysie, Belon examine trois arbres récoltés en montagne aux environs des villes d’Iconium (Konya) et de Cotyaeum<br />

(Kütahya). Les essences en question sont le grand genévrier, le cèdre phénicien et la seconde sabine. La comparaison des billes (couleur et goût de l’écorce et <strong>du</strong><br />

bois, fabrication de charbon) mène à une impasse. Un jour où il visite un entrepôt abritant des stocks importants de bois, il découvre la seule différence qui lui<br />

permette de distinguer la sabine : ses feuilles ressemblent à celles <strong>du</strong> cyprès. De l’analyse des écrits de Belon, il ressort que le grand genévrier est le genévrier de<br />

Syrie dont les baies sont consommées par la population locale (Belon, Les observations, p. 165) et que le cèdre phénicien est l’oxycèdre.<br />

38 « Le nom scientifique Juniperus foetidissima s’accorde mal avec le terme grec θυίά apparenté à τυω « exhaler (spontanément ou par combustion) une<br />

odeur agréable ». Les feuilles de ce genévrier ont une forte senteur aromatique, rappelant celle <strong>du</strong> camphre, qui plaisait aux Anciens, mais ne fut pas <strong>du</strong> goût de<br />

Willdenow. » Suzanne Amigues, La « science aimable » de Théophraste, p. 1660.<br />

39 « L’identification des espèces <strong>du</strong> genre Pinus n’est pas forcément une tâche aisée. Pour y remédier, la présence des cônes est dans la plupart des cas le<br />

moyen quasi infaillible d’arriver à un diagnostic correct. Cependant, l’identification des indivi<strong>du</strong>s non fructifères demeure impossible… » Extrait de « Tentative de<br />

discrimination des principales espèces de pins « à cinq feuilles » <strong>du</strong> sous-genre Strobus (Haploxylon ou « soft pines ») par l’appareil végétatif seul ». Il faudra de dix à<br />

vingt ans, et parfois davantage, avant l’apparition des premiers cônes.


S’il est un conifère dont la synonymie est difficile à accorder entre les botanistes de la Renaissance et les Anciens,<br />

c’est bien le pinaster. Ce rapprochement fort contestable allait générer beaucoup de confusion : le terme pinaster,<br />

vague et inclusif, regroupe plusieurs espèces de pins qui n’ont de commun que le fait d’être « sauvages ». Selon<br />

certains auteurs, il réfère avant tout au pin sylvestre (Pinus sylvestris L.), essence ligneuse eurasienne ; pour d’autres,<br />

il s’agit <strong>du</strong> pin maritime (Pinus maritima Lamb.). Au cœur de ces controverses au ton parfois acerbe, malaisé de ne<br />

pas y perdre son latin… ou son grec. Reclus dans son cabinet, le médecin siennois Pietro Andrea Matthioli fustige<br />

Belon et le taxe d’incompétence et d’arrogance. Associer le pin cembro au pinaster de Pline et prétendre que le<br />

célèbre Théophraste n’a pas observé cet arbre en son pays l’irrite au plus haut point. L’antipathie de « l’aristocrate »<br />

envers l’homme de terrain aux origines modestes, qui ose et transgresse, est palpable. Hautain et cynique, il avait<br />

néanmoins vu juste : la valeur de Belon ne résidait certainement pas dans sa maîtrise des langues gréco-romaines.<br />

À l’opposé, Rembert Dodoens louange sans retenue le jugement, l’excellence et la science de son très diligent et<br />

docte ami.<br />

Heureusement, et pour s’en tenir à l’enjeu fondamental, les cinq aiguilles <strong>du</strong> pin cembro sont une caractéristique<br />

exclusive. Arbre de montagne, nous pouvons en suivre la trace à travers les contrées et les époques malgré ses<br />

multiples appellations régionales : pin cembro(t), cembro(t), ceinbrot, cirmolo, cimbre, coueve, pinarolle, arole,<br />

pin des Alpes, arve, auvier, alvier, alviès, alevo, aelvo, ervo, éouve, héoux, haiou, tinier… Et flammet en Sibérie ! Un<br />

oiseau, le picquereau (casse-noix moucheté), participe à sa propagation, moyennant une ponction usuraire pour<br />

son garde-manger enfoui sous terre. Distinction subtile avec le pin blanc, sa graine est dépourvue d’ailette. La<br />

méprise est donc compréhensible : sans l’examen des cônes, seul un œil expérimenté peut apprécier la différence<br />

entre jeunes indivi<strong>du</strong>s.<br />

Pinaster de Pierre Belon, Portrait d’oyseaux, animaux...<br />

arbres observés par P. Belon <strong>du</strong> Mans, 1557<br />

Note : « Pin », sans qualificatif, réfère à Pinus pinea L.,<br />

le pin pignon ou le pin parasol, dit « pin cultivé »<br />

40 Michel Bideaux, p. 173-174.<br />

D’autres facteurs viennent cependant teinter la lunette. Au premier<br />

chef, aucun auteur antique n’a affublé un pin <strong>du</strong> nom « d’arbre de<br />

vie ». Un tel « honneur » sied davantage au genévrier qui occupe<br />

une place de choix dans le monde gréco-romain et les Égyptiens ne<br />

s’en servaient-ils pas pour embaumer leurs momies ? Les dires d’un<br />

marin ne font pas le poids devant la science et l’histoire. Cet homme<br />

qui rapporta de la pyrite de fer et <strong>du</strong> quartz en lieu et place d’or et<br />

de diamants n’a plus aucune crédibilité. Cartier avait soutenu que<br />

l’annedda guérit toutes les maladies : un « compagnon qui avait la<br />

grosse vérole depuis cinq ou six ans auparavant, de ladite maladie a<br />

été, par cette médecine, curé nettement. » 40 . En France, les bienfaits<br />

thérapeutiques annoncés ne se sont pas avérés, d’autant plus que le<br />

scorbut n’est pas la préoccupation de l’heure. L’Europe est frappée<br />

par un mal qui s’est répan<strong>du</strong> de façon fulgurante quelques années<br />

avant le premier voyage de Cartier : la syphilis, dite la « grosse vérole ».<br />

Les hôpitaux parisiens sont débordés, les rois de France, d’Espagne<br />

et d’Angleterre en sont atteints. Les médecins français misent sur les<br />

vertus des plantes médicinales : le genévrier, le gaïac (bois de vie), la<br />

salsepareille et la sauge (herbe de vie) font partie de l’arsenal curatif. Les<br />

tests menés avec le pin blanc démontrent qu’aucune amélioration n’a<br />

été apportée à l’état de santé des malades. Qui plus est, ils en auraient<br />

subi des préjudices. Sans le nommer expressément, Belon taxe Cartier<br />

d’imposteur et l’accuse d’avoir abusé de la confiance des disciples<br />

d’Esculape, gens fort savants au demeurant, mais naturellement sans<br />

défiance ! Victime d’un espoir déçu, la pharmacopée amérindienne<br />

sera laissée pour compte. Aux yeux des « experts » de l’époque,<br />

l’affaire est classée. Objet de parodie, l’épopée de Cartier sombrera<br />

bientôt dans les profondeurs de l’oubli.<br />

HIVER 2012 - 35


Le sphinx…<br />

Pantagruélion, Œuvres de Rabelais,<br />

Livre troisième, illustration de Gustave<br />

Doré, 1861<br />

36 HISTOIRES FORESTIÈRES<br />

Sous la plume de François Rabelais, les grands explorateurs côtoient les historiens,<br />

anciens et modernes. En pays de Satin (escale de Pantagruel au pays <strong>du</strong> Mensonge),<br />

Cartier et Marco Polo, Pline et Hérodote, dissimulés derrière une tapisserie,<br />

s’adonnent à la fabulation. Ouï-dire, petit vieillard bossu, contrefait et monstrueux,<br />

y tient une « eschole de témoignerie » : « Autour de lui, je vis nombre innumérable<br />

d’hommes et de femmes écoutants et attentifs, et en reconnus aucuns parmi la<br />

troupe faisant bon minois, d’entre lesquels un pour lors tenait une mappemonde,<br />

et la leur exposait sommairement par petites aphorismes, et y devenaient clercs et<br />

savants en peu d’heure, et parlaient de prou de choses prodigieuses élégantement<br />

et par bonne mémoire, pour la centième partie desquelles savoir ne suffirait la vie<br />

de l’homme ». 41 Pierre Belon lui-même, brouillé pour une affaire de droits d’auteur<br />

avec le médecin et ichtyologue Guillaume Rondelet, collègue et ami de Rabelais,<br />

n’échappe apparemment pas à la dérision : de jeunes étudiants, originaires <strong>du</strong> Mans<br />

(sa patrie) suivent les enseignements de Ouï-dire et, de retour dans leur province,<br />

ils prodiguent leurs services au plus offrant. 42<br />

La saga a pris naissance au moment où la renommée de Cartier atteignait son<br />

apogée. Une anecdote, rapportée en 1628 par le chanoine Jacques Doremet, veut<br />

que Rabelais l’ait rencontré à Saint-Malo dans le but de se familiariser avec « les<br />

termes de la marine et <strong>du</strong> pilotage ». 43 Fondée ou non, il est assuré que « Maître<br />

Renard », au fait de l’engouement soulevé par l’odyssée <strong>du</strong> nord-ouest, avait flairé<br />

la bonne affaire. Une herbe miraculeuse allait constituer un épisode majeur <strong>du</strong><br />

Tiers livre. Édité en 1546, les quatre derniers chapitres de l’ouvrage y sont consacrés. Au port de Thalasse, près de<br />

« Samalo » (Saint-Malo), Pantagruel fait « ses apprêts pour monter sur mer ». Interprètes, pilotes, artisans, militaires,<br />

vivres, munitions, il arme ses navires pour un long et hasardeux voyage. En quête de l’oracle de la Dive-Bouteille,<br />

précaution ultime, il fait charger « grande foison de son herbe Pantagruelion, tant verte et crue que confite et<br />

préparée. » 44 Avec la verve d’un botaniste chevronné, Rabelais fournit une description scientifique de la « célèbre »<br />

plante : racines <strong>du</strong>rettes, tige crénelée, rameaux gros et forts, feuilles toujours vertes… Le merveilleux se pare<br />

d’érudition ! Outre ses vertus curatives, énergisantes et culinaires, elle s’avère d’une utilité inappréciable pour<br />

l’in<strong>du</strong>strie humaine : cordages, vêtements, papiers en sont fabriqués. Au surcroît, le roi des arbres résiste au feu qui<br />

dévore et consume tout !<br />

Un certain emploi, dont Pantagruel est l’inventeur, rompt cependant l’enchantement : le Pantagruélion, souverain<br />

paradoxe, peut aussi donner la mort en bouchant « les con<strong>du</strong>its par lesquels sortent les bons mots et entrent<br />

les bons morceaux ». 45 Nec plus ultra de la raillerie ? Faut-il y voir l’écho des reproches de Belon à l’endroit de<br />

Cartier : « Ce bois blanc (l’autre arbre de vie) était spongieux, lisse, encore recouvert de son écorce, c’était un bois<br />

qui non seulement n’a jamais pu être d’aucune utilité, mais qui a été grandement nuisible. Comme beaucoup en<br />

avaient éprouvé des dommages à leur grand détriment, on décida de l’avis général d’en abandonner l’usage… » 46<br />

41 Les cinq livres de Rabelais, P. Chéron, Cinquième livre, chapitre XXXI, p. 135.<br />

42 Chez Rabelais, la vérité appartient au lecteur. Qui se cache derrière le masque ? Après un demi-millénaire, le débat est toujours actuel. Certaines<br />

interprétations font école, les travaux d’Abel Lefranc (Les navigations de Pantagruel) ne manquent pas d’à-propos en regard de notre sujet : Jacques Cartier<br />

apparaît sous les traits de Jamet Brayer ; Jean Alfonse devient Xenomanes, « le grand voyageur et traverseur des voies périlleuses » et Roberval se nomme Robert<br />

Valbringue. Par ailleurs, le personnage de Ouï-dire n’évoque-t-il pas le « seigneur » Donnacona et ses « mystifications » relatives au royaume de Saguenay, terre<br />

promise, riche en épices, pavée d’or et d’argent : « L’un de ceux-ci, roi de trois ou quatre villes, parle au souverain d’une grande cité appelée Sagana (Saguenay),<br />

riche en mines d’or et d’argent, en épices (cannelle, poivre, girofle) et en fourrures, et de ses habitants, vêtus à l’européenne ; pour faire bonne mesure, Donnacona<br />

avait même ajouté la présence d’hommes volants. Ce roi indien (…) ne cherchait-il pas, en parlant de ces merveilles, à provoquer une expédition qui le ramènerait<br />

dans son pays ? Objection repoussée en riant par François 1 er : Donnacona était homme de bien et n’avait jamais varié dans ses déclarations, faites tantôt à Cartier<br />

(devant notaire), tantôt à lui-même. » Ces informations proviennent d’une lettre de Lagarto (Bideaux, Jacques Cartier, p. 23), espion portugais et confident de<br />

François 1 er .<br />

43 Abel Lefranc, Les navigations de Pantagruel, p. 60.<br />

44 Les cinq livres de Rabelais, P. Chéron, Tiers Livre, chapitre XLIX, p. 241.<br />

45 Les cinq livres de Rabelais, P. Chéron, Tiers Livre, chapitre LI, p. 249.<br />

46 Pierre Belon, De arboribus coniferis, p. 20 v , tra<strong>du</strong>ction d’André Daviault dans L’annedda, l’arbre de vie, p. 160, de Jacques Mathieu.


Le dernier mot appartient au « Sphinx », ce médecin de l’âme et <strong>du</strong> corps pour qui le rire demeurait le remède<br />

suprême. N’avait-il pas dédié son œuvre aux « Buveurs très illustres et aux Vérolés très précieux » ! Maladie honteuse<br />

chez les pauvres, maladie galante chez les nobles ; les abus s’élèvent ou s’abaissent, selon son rang, au niveau des<br />

faits d’armes ou des vices. Se moquer des « puissants » n’est pas sans risques, Rabelais savait ménager ses arrières<br />

et user de flatterie au besoin.<br />

Le beau parleur…<br />

Retirer la « substantifique moelle » dans l’œuvre d’André Thevet, cosmographe et historiographe royal, est une<br />

entreprise ambitieuse et dépasse largement le cadre de cet article. Préten<strong>du</strong>ment ami de Rabelais qui l’aurait tiré<br />

d’embarras, de Belon avec qui il dit avoir voyagé au Levant –cela suppose des dons d’ubiquité–, d’Alphonse et de<br />

Cartier qui devient –titre posthume–, son « grand et intime ami », 47 le personnage revendique tout de même son<br />

droit au chapitre. Comme le souligne avec discernement Marcel Trudel, Thevet nous a souvent leurrés, mais nul<br />

ne peut nier qu’il ait eu des contacts privilégiés avec les explorateurs et le Grand chef Donnacona. 48 Malgré ces<br />

réserves, l’« entrevue », faute d’autres sources, s’avère précieuse.<br />

Toujours à l’affût <strong>du</strong> sensationnel, le conteur prolixe n’allait pas passer sous silence un événement susceptible de<br />

fasciner le lecteur : «Aussi ne veut omettre ceci qui est singulier, que quand lesdits sauvages sont malades de fièvre<br />

ou persécutés d’autre maladie intérieure, ils prennent des feuilles d’un arbre qui est fort semblable aux cèdres, qui<br />

se trouvent autour de la montagne de Tarare, qui est au Lyonnais ; et en font <strong>du</strong> jus, lequel ils boivent. Et ne faut<br />

douter, que dans vingt-quatre heures il n’y a si forte maladie, tant soit-elle invétérée dans le corps, que ce breuvage<br />

ne guérisse : comme souventes fois les chrétiens ont expérimenté, et en ont apporté de la plante par-deçà. » 49<br />

Souscrivant au témoignage enthousiaste de Cartier, Thevet occupe la niche « grand public » <strong>du</strong> vulgarisateur<br />

scientifique. Point d’analyse savante, pas d’allusion au savinier de Dioscoride, au thuya de Théophraste ou à l’arbre<br />

de vie de Belon, mais rien qui nous en éloigne. Les nombreuses acceptions <strong>du</strong> mot cèdre, incluant plusieurs espèces<br />

de genévriers, renvoient sans conteste au thuya occidental.<br />

Les chercheurs…<br />

Au cours des siècles suivants, une succession impressionnante d’hypothèses, en ce qui concerne l’identité de<br />

l’annedda, verront le jour et seront tour à tour remises en question. Les contemporains de Belon, Rembert Dodoens<br />

et Charles de l’Écluse, se contenteront d’adopter l’opinion de leur pair en y ajoutant quelques commentaires.<br />

Dodoens, dans son ouvrage Histoire des plantes, publié en 1583, nous offre une excellente planche de l’arbre de vie.<br />

De son côté, Charles de l’Écluse se questionne sur l’origine de l’expression arbre de vie : « Les Français nomment cet<br />

arbre arbre de vie ; je ne sais pour quelle raison ils lui donnent ce nom, si ce n’est par hasard à cause de son feuillage<br />

immortel, caractère qu’il possède toutefois en commun avec plusieurs autres arbres, ou pour sa forte odeur, qu’ils<br />

supposent salubre. La majorité des botanistes le nomment à la fois Thuya et Arbor vitae. » 50 Aucune allusion à ses<br />

propriétés médicinales. La disgrâce de Cartier est allée jusqu’à l’occultation des motifs qui ont donné naissance à<br />

cette appellation. Après l’échec retentissant de l’entreprise coloniale Cartier-Roberval, il faudra attendre plus d’un<br />

demi-siècle avant que la France ne manifeste à nouveau son intérêt pour l’Amérique septentrionale.<br />

47 Frank Lestringant, André Thevet, cosmographe des derniers Valois. Les récits de voyage de Thevet prennent la forme d’une « fiction autobiographique».<br />

Frank Lestringant a su en dégager les contradictions et les anachronismes tout en reconnaissant qu’ils demeurent des témoins importants d’une époque en<br />

pleine mutation.<br />

48 Marcel Trudel, Dictionnaire biographique <strong>du</strong> Canada, Volume premier, p. 696.<br />

49 André Thevet, Les singularitez de la France Antarctique, p. 151v .<br />

50 Charles de l’Écluse, Rarorium aliquot stirpium, tra<strong>du</strong>ction de Jacques Rousseau dans L’annedda et l’arbre de vie, p. 198.<br />

HIVER 2012 - 37


En 1600, l’historien et collectionneur, Richard Hakluyt, dans sa tra<strong>du</strong>ction anglaise <strong>du</strong> deuxième voyage, jette son<br />

dévolu sur le sassafras. Dépourvu de feuilles en hiver et absent de la flore laurentienne, ce postulat ne tient pas<br />

la route. Fait à noter, ce bois sudorifique était alors utilisé dans le traitement de la syphilis. Trois années après<br />

cette publication, à l’instigation de Hakluyt, une expédition financée par des marchands de Londres fut menée<br />

sur les côtes de la Virginie. L’objectif, essentiellement commercial, était clairement défini : $$$, s’approvisionner en<br />

sassafras ! 51<br />

Scène dans la salle commune d’habitation de québec (1627) par Francis Back, Musée canadien des civilisations, 94-H0005, S96-25081<br />

Le légendaire « Ordre de Bon Temps », instauré par Champlain et Lescarbot à Port-Royal en 1606-1607, permettra de tromper l’ennui et de vaincre la<br />

morosité, terrain fertile pour l’émergence des maladies. Cette année-là, le scorbut fait peu de victimes : un hiver court et clément, le bon vin et le cidre,<br />

l’intro<strong>du</strong>ction dans la diète de légumes récoltés l’automne précédent peuvent expliquer ce résultat. De l’expérience, Champlain, bon vivant, retiendra<br />

les bienfaits d’une table bien arrosée et l’excellence <strong>du</strong> divertissement pour ragaillardir l’humeur des troupes.<br />

Lors de ses nombreux séjours en Acadie et à <strong>Québec</strong>, Samuel Champlain est confronté au « mal de terre ». Le premier<br />

hiver (1604-1605), à l’île de Sainte-Croix, est catastrophique : des soixante-dix-neuf hommes de l’établissement,<br />

cinquante-cinq sont gravement affectés, trente-cinq en meurent. L’été suivant, appliqué à faire des relevés dans<br />

la baie de Casco, il rencontre un capitaine amérindien dénommé Aneda : « Je me persuadai par ce nom que c’était<br />

un de sa race qui avait trouvé l’herbe appelée Aneda que Jacques Quartier a dit avoir tant de puissance contre la<br />

maladie appelée Scorbut, dont nous avons déjà parlé, qui tourmenta ses gens aussi bien que les nôtres, lorsqu’ils<br />

hivernèrent en Canada. Les sauvages ne connaissent point cette herbe, ni ne savent ce que c’est, bien que ledit<br />

sauvage en porte le nom. » 52 Bien au-delà d’une variante orthographique, ce passage est très révélateur : Champlain<br />

n’a pas idée de l’appartenance ethnique des Amérindiens qui habitaient la région de <strong>Québec</strong> au temps de Cartier.<br />

À la recherche d’une herbacée, il n’aurait donc eu accès à ses récits que par ouï-dire.<br />

La venue de Marc Lescarbot en Acadie en 1606, avocat sympathique, historien, passionné de médecine et<br />

psychologue à ses heures, ramène le sassafras sur la scène : « Reste un préservatif nécessaire pour l’accomplissement<br />

de réjouissance, et afin de prendre plaisir à ce que l’on fait, c’est d’avoir l’honnête compagnie un chacun de sa<br />

femme légitime ; car sans cela la chère n’est pas entière, on a toujours la pensée ten<strong>du</strong>e à ce que l’on aime et désire,<br />

il y a <strong>du</strong> regret, le corps devient cacochyme, et la maladie se forme. Et pour un dernier et souverain remède, je<br />

renvoie le patient à l’arbre de vie (car ainsi le peut-on qualifier) lequel Jacques Cartier ci-dessus appelle Annedda,<br />

51 Donald Culross Peattie, A Natural History of Trees of Eastern and Central North America, p. 296.<br />

52 Samuel Champlain, Œuvres de Champlain, Tome III, p. 50-51.<br />

38 HISTOIRES FORESTIÈRES


non encore connu en la côte <strong>du</strong> Port-Royal, si ce n’est d’aventure le Sassafras, dont il y a quantité en certains lieux<br />

et est certain que ledit arbre y est fort singulier. » 53 Le lien entre l’annedda, l’arbre de vie et la guérison des malades<br />

est rétabli, mais l’on sent poindre le doute sur l’identité de la plante.<br />

Champlain, passant l’hiver au lieu où son prédécesseur avait séjourné (Cap-Rouge), est mandaté pour la reconnaître<br />

et en faire provision. L’investigation se solde par un échec. Tout en réitérant sa confiance au navigateur breton,<br />

Lescarbot conclut : « Vrai est que pour le regard de l’arbre Annedda par nous célébré sur le rapport <strong>du</strong>dit Quartier,<br />

aujourd’hui il ne se trouve plus. Mais j’aime mieux en attribuer la cause au changement des peuples par les guerres<br />

qu’ils se font, que d’argüer de mensonge icelui Quartier, vu que cela ne lui pouvait apporter aucune utilité. » 54<br />

James Lind expérimente les vertus <strong>du</strong> citron et de l’orange, par Robert Thom, don de la<br />

société Pfizer, collection <strong>du</strong> Service de santé de l’université <strong>du</strong> Michigan UMHS.17<br />

Dans la première moitié <strong>du</strong> XVIII e siècle,<br />

le scorbut fera plus de ravages que les<br />

guerres elles-mêmes : au cours d’une<br />

circumnavigation périlleuse de quatre<br />

ans, le commandant George Anson perd<br />

quelques hommes dans les batailles<br />

navales contre la flotte espagnole,<br />

alors que plus d’un millier de matelots,<br />

deux marins sur trois, sont emportés<br />

par ce fléau ! Quelques années plus<br />

tard, l’arrivée d’un jeune médecin<br />

écossais dans la marine anglaise,<br />

James Lind, favorisera une avancée<br />

dans le traitement de la maladie. 55 Le<br />

premier ouvrage « scientifique » sur<br />

le sujet voit le jour en 1753. L’œuvre<br />

est exhaustive, la mésaventure de<br />

Stadaconé n’allait pas échapper à sa<br />

perspicacité : « I am inclined to believe,<br />

from the description given by Cartier<br />

of the ameda tree, with a decoction of<br />

the bark and leaves of which his men<br />

53 Marc Lescarbot, Histoire de la Nouvelle-France, vol. 2, p. 468. À noter que Richard Hakluyt, en 1609, encouragea l’édition d’une version anglaise des œuvres<br />

de Lescarbot.<br />

54 Marc Lescarbot, Histoire de la Nouvelle-France, vol. 3, p. 816.<br />

55 La plupart des ouvrages sur le sujet n’hésitent pas à parler de « percée majeure » dans le traitement <strong>du</strong> scorbut, mais il faudra une quarantaine d’années<br />

avant que le jus de citron ne soit distribué aux équipages anglais : « En réalité, l’expérience de Lind n’a pas convaincu l’amirauté. Plusieurs facteurs ont sans doute<br />

contribué à cet échec. L’un d’entre eux tient à Lind lui-même : le médecin, volontairement ou non, a noyé les conclusions de son expérience dans une longue<br />

réflexion sur l’origine de la maladie – en particulier le rôle de l’humidité et <strong>du</strong> froid – et sur l’efficacité préten<strong>du</strong>e d’autres mesures thérapeutiques. » Comment<br />

Lind n’a pas découvert le traitement contre le scorbut, Éric Martini, 2004. URL : http ://www.biusante.parisdescartes.fr/sfhm/hsm/HSMx2005x039x001/<br />

HSMx2005x039x001x0079.pdf<br />

HIVER 2012 - 39


were so speedily recovered, that it was the large swampy American spruce tree. For although the pines and firs, of<br />

which there is a great variety, differ from each other in their size and outward form, the length and disposition of<br />

their leaves, hardness of wood, etc. yet they seem all to have analogous medicinal virtues, and great efficacy in this<br />

disease. The shrub spruce, of that sort vulgarly called the black, which makes the most wholesome beer, affords a<br />

balsam superior to most turpentines, though known only to a few physicians. A simple decoction of the tops, cones<br />

leaves, or even green bark and wood of these trees, is an excellent antiscorbutic medicine…» 56<br />

Aisé d’y reconnaître l’épinette noire dont l’habitat se limite souvent à des tourbières à sphaigne dans les régions<br />

<strong>du</strong> sud où les sols riches et bien drainés sont fort convoités. Une recette détaillée de “spruce beer” suit cet énoncé.<br />

Atypique dans la région de <strong>Québec</strong>, sa candidature est aujourd’hui supportée par Michael A. Weiner, spécialiste en<br />

ethnomédecine nutritionnelle, qui situe l’hivernage de Cartier près de Montréal où elle est totalement absente :<br />

« Likewise, Cartier’s men were cured of scurvy by drinking a tea of the bright green needles of vitamin – C – rich<br />

black spruce as given to them by a tribe of Indians. » 57<br />

L’intérêt ne fléchit pas ! L’épine-vinette et le genévrier commun 58 , des arbustes, sont sur les rangs ! Les hypothèses<br />

foisonnent, souvent en notes de bas de page et sans la moindre justification. Le sassafras, au détriment d’une<br />

connaissance élémentaire de la flore laurentienne, réapparaît à l’orée de la deuxième guerre mondiale sous la<br />

plume de B. J. C. Drummond et d’Anne Wilbraham. 59 La réplique ne se fait pas attendre ! Quelques mois plus tard,<br />

Charles Macnamara contacte la revue Science, éditeur de l’article The Englishman’s Food des chercheurs anglais :<br />

« The identity of the tree Annedda has been much disputed, but from considerations not necessary to discuss here,<br />

it seems likely that it was the hemlock, Tsuga canadensis. » 60<br />

Gagnant en vraisemblance, la pruche s’inscrit effectivement dans la pharmacopée de la côte atlantique. Les<br />

témoignages de John Stewart et <strong>du</strong> juge Ludger Urgel Fontaine, au XIX e siècle, en font foi.<br />

À l’Île <strong>du</strong> Prince-Édouard : « Hemlock (pinus abies). This tree in size is next to white pine, to which, however, it is<br />

much inferior ; its chief value is for making wharfs or buildings in the water, in which situation it is more <strong>du</strong>rable<br />

than any other timber of this climate ; the bark is excellent for tanning leather, and the tops yield a medicine,<br />

which has found very powerful in scorbutic complaints ; some make a decoction of them, boiling them in the same<br />

manner as the tops of the black spruce, for making spruce beer, others bruise them and pour cold spring water<br />

upon them, which is allowed to stand twelve, and then poured off, when it will be found thick and ropy : I have seen<br />

56 James Lind, A Treatise on the Scurvy, p. 178. La tra<strong>du</strong>ction française de 1756 est erronée : « L’équipage <strong>du</strong> Capitaine Cartier fut guéri très promptement<br />

par le moyen d’une décoction de l’écorce & des feuilles de l’ameda. La description qu’il donne de cet arbre, me porte à croire que ce n’est autre chose que le<br />

grand sapin de l’Amérique… ». James Lind, Traité <strong>du</strong> scorbut, vol. 1, p. 299. Jacques Rousseau n’avait pas eu l’opportunité d’accéder à la source première : « Je n’ai<br />

pas vu l’édition anglaise originale, parue en 1753, mais il est probable qu’elle ne nous avancerait pas davantage. Sapin désigne aujourd’hui l’Abies balsamea,<br />

mais autrefois il s’appliquait également aux Abies, Picea et Thuya, comme on le fait parfois, improprement, aujourd’hui. Le « grand sapin » de Lind est aussi bien<br />

l’épinette blanche, que le vrai sapin ou la pruche. » Jacques Rousseau, L’annedda et l’arbre de vie, p. 186.<br />

57 Michael Allan Weiner, Earth Medicine Earth Food, p. 7. Et à la page 119 : « One of the most famous of all Indian “cures” occurred in 1535 when the French<br />

explorer Jacques Cartier had lost twenty-five of his men to scurvy and was then icebound in the St. Lawrence River, near the site of the future city of Montreal.<br />

Cartier contacted a group of Indians who were walking on the ice near his ship and shrewdly asked for their aid in treating this disease without letting them know<br />

the poor health of his remaining crew members. » L’opinion de M. A. Weiner s’appuie sur un texte de Charles F. Millspaugh (The American plants, vol. II, p. 163-3)<br />

qui reprend lui-même les propos de C. S. Rafinesque (Medical Flora, vol. 2, p. 183) : « The proper beer is a palatable and healthy drink, powerfully antiscorbutic. The<br />

discovers of Canada were cured of the scurvy but it, since which it has become common use in Canada, the Northern States, and even in Europe. The essence of<br />

spruce is an article of exportation, used as naval stores ; spruce beer may be made by it in a short time, and anywhere. » Épinette blanche ou épinette noire ? Les<br />

indices sont insuffisants pour statuer.<br />

Au chapitre The Pine Family, à la page 193, ce même auteur écrit : « The Mohawks name Adirhōn‘dak describes a group of Indians who were « tree eaters ». They ate<br />

quantities of the inner bark of the tops of pines, “especially in the spring when it was full of sweet sap. » Enfin, à la page 197 : « The Indians of New England boiled<br />

the needles of the white pine in water and drank the resulting tea to prevent scurvy. These needles contain up to five times as much vitamin C as is contained in<br />

an equal weight of lemon. White pine needles are also rich in vitamin A. The seeds were used to flavor meat in cooking by the Objibwa. The sweet inner bark was<br />

frequently eaten by Iroquois of New York State. »<br />

58 Douglas C. Houston, Scurvy and Canadian Exploration, p. 162 : « E. E. Rich, the noted historian of the Hudson’s Bay Company, chose « Juniper, Pinette<br />

blanche » as the tree that had saved Cartier’s men from scurvy. Two errors are involved. Juniper is a shrub that could not possibly fit Cartier’s description of “a<br />

whole tree as large and tall as any oak in France.” Épinette blanche spelled correctly would be the White Spruce, a better candidate. Rich’s reputation was such<br />

that Savours and Deacon, reputable maritime historians, in their contribution to Sir James Watt’s Starving Sailors, repeated Rich’s error verbatim. » Ces documents<br />

datent respectivement des années 1976 et 1981.<br />

59 J. C. Drummond et Anne Wilbraham, The Englishman’s Food, p. 162-164.<br />

60 Charles Macnamara, The Identity of the Tree “Annedda”. Photographe, naturaliste, entomologue, ornithologue, Macnamara est un touche-à-tout. Versés<br />

en ethnologie, ces chercheurs privilégient également la pruche : Arthur C. Parker, Indian Medicine and Medicine Men (1928) ; William N. Fenton, Contacts Between<br />

Iroquois Herbalism and Colonial Medicine (1942) ; Virgil J. Vogel, American Indian Medicine (1970).<br />

40 HISTOIRES FORESTIÈRES


this taken three times a day with great effect ; a jill before breakfast, the same quantity an hour before dinner, and<br />

the like going to bed ; it agrees well with the stomach and gives a powerful appetite... » 61<br />

Et, de souche acadienne : « L’anneda, pour les personnes qui ont souffert <strong>du</strong> scorbut, parmi les Acadiens <strong>du</strong> district<br />

de Joliette, n’est autre chose que la pruche, que les Français appellent sorte d’épinette <strong>du</strong> Canada. Plusieurs membres<br />

de ma famille, entre autres, et moi-même, avons été guéris de cette maladie, au moyen de décoctions d’écorce et<br />

de petites branches de pruches. Il est possible d’ailleurs que d’autres plantes possèdent les mêmes vertus curatives.<br />

Puis, ce qui m’étonne, c’est que Jacques Cartier mentionne un arbre appelé pruche en parlant des végétaux <strong>du</strong><br />

Canada, dans « ses Voyages. » Mais tout de même, j’ai bu ce qu’on appelait alors <strong>du</strong> tan d’écorce de pruche, dans<br />

lequel trempaient aussi des petites branches <strong>du</strong> même arbre ; je l’ai employé en même temps comme lotion, et j’ai<br />

été radicalement guéri <strong>du</strong> scorbut. » 62<br />

Sous « fausse représentation », le pin blanc se taille une place au soleil. En 1863, la Librairie Tross, réimprime l’édition<br />

originale de 1545 <strong>du</strong> Bref récit et succincte narration. Marie-Armand d’Avezac,<br />

spécialiste en géographie coloniale, rédige une intro<strong>du</strong>ction agrémentée de<br />

quelques commentaires : « Il (Cartier) passa tout l’hiver, très maltraité par le<br />

scorbut, qui lui enleva vingt-cinq de ses compagnons, et aurait fait de plus<br />

grands ravages si les indigènes ne lui eussent enseigné un remède souverain<br />

dans la décoction des feuilles et de l’écorce d’épinette blanche ou pesse <strong>du</strong><br />

Canada (Pinus alba de Linné). » 63 Une quinzaine d’années plus tard, Charles<br />

Pickering, dans son History of Plants, interprète les propos de D’Avezac : « In<br />

‘ December ‘, both natives and French were attacked with scurvy, many dying<br />

– until in ‘ April ‘ a remedy was pointed out by the natives in the leaves and<br />

bark of a tree called ‘ ameda ‘ (Pinus strobus according to D’Avezac). » 64 Méprise<br />

étonnante, la dénomination Pinus alba réfère sans l’ombre d’un doute à l’épinette<br />

blanche (Picea glauca (Moench) Voss). Comment l’expliquer si ce n’est par une<br />

tra<strong>du</strong>ction littérale des termes Pinus et alba, signifiant respectivement « pin »<br />

et « blanc ». L’histoire suit son cours : en 1989, Douglas C. Houston, lors d’une<br />

Pin cembro ou arole, Ferdinand Bernhard<br />

Vietz, Icones plantarum, 11 volumes,<br />

1800-1822<br />

allocution prononcée devant la Canadian Society for the History of Medicine,<br />

perpétue l’erreur. 65<br />

Faute d’avoir établi sa filiation avec l’annedda, le pin blanc avait été laissé à<br />

l’abandon en sol français. En 1827, Louis Marie Aubert Du Petit-Thouars,<br />

botaniste, ex-directeur de la Pépinière <strong>du</strong> Roi au Roule, présente un mémoire<br />

sur la culture des conifères à l’Académie royale des sciences de Paris. Désireux de faire connaître leurs propriétés<br />

végétatives, il s’intéresse au premier traité spécialisé sur le sujet, le De Arboribus coniferis de Pierre Belon. Ses<br />

commentaires sont des plus éclairants : « Il (Belon) constatait qu’à cette époque on avait déjà intro<strong>du</strong>it en France<br />

un arbre non moins magnifique, mais qui ne devait pas encore y prospérer. Examinant à Fontainebleau le Thuia<br />

occidentalis, on lui fit voir un autre arbre qu’on disait avoir été rapporté avec ce thuia <strong>du</strong> Canada, et que l’on<br />

confondait avec lui sous le même nom d’arbre de vie ; Belon crut que l’on se trompait, et il lui sembla que c’était le<br />

pin cembro des Alpes. C’était Belon qui était dans l’erreur, car il avait sûrement sous les yeux de jeunes plants <strong>du</strong><br />

pin qui n’a reparu en Europe que deux siècles après, sous le nom de lord Weimouth, mais on s’y tromperait encore<br />

aujourd’hui en voyant les deux arbres sans fructification. » 66<br />

61 John Stewart, An account of Prince Edward Island, p. 50-52.<br />

62 Ludger Urgel Fontaine, Cent trente-cinq ans après, p. 52. Nombre d’Acadiens lors <strong>du</strong> « grand dérangement » se réfugièrent dans le comté de Lanaudière.<br />

L’orientation des maisons de Saint-Jacques-le-Mineur en direction de la vallée d’Annapolis, la chère patrie, évoque ce triste événement.<br />

63 Marie-Armand d’Avezac, Bref récit et succincte narration, p. xijv .<br />

64 Charles Pickering, Chronological History of Plants, p. 856.<br />

65 Douglas C. Houston, Scurvy and Canadian Exploration, p. 163.<br />

66 Louis Marie Aubert Du Petit-Thouars, Histoire des progrès des sciences naturelles depuis 1789 jusqu’à 1831, p. 165-166.<br />

HIVER 2012 - 41


Plus de soixante ans plus tard, Carl Bolle, naturaliste allemand, versé en ornithologie, arrive aux mêmes conclusions.<br />

Dans un bref article de deux pages intitulé Eastern White Pine and Eastern Cedar, Mary I. Moore, en 1978, prend le<br />

relais. Quelques inexactitudes et ambiguïtés sont cependant à signaler :<br />

Les premier et deuxième voyages de Cartier sont confon<strong>du</strong>s.<br />

Le thuya occidental aurait été combiné à la salsepareille pour traiter la maladie qui affectait le pape et le roi<br />

de France. Cette affirmation n’est corroborée par aucun document de l’époque. Rien ne permet de supposer<br />

que le thuya, dont on ne disposait que de quelques plants, ait été substitué au genévrier alors en usage pour<br />

soulager les syphilitiques.<br />

L’annedda (Hanneda) ne ferait pas partie d’un groupe d’arbres dont la taille dépasse tous les autres : « In accounts<br />

of the voyages two kinds of trees are mentioned. One was 60 feet taller than the rest while the other cured the<br />

men sick with scurvy ». Cette formulation exclusive s’accorde difficilement avec le texte de Richard Hakluyt (The<br />

Principals Navigations, Voyages, Traffiques and Discoveries of the English Nation, p.149) et l’hypothèse avancée <strong>du</strong><br />

pin blanc : « On both sides of the said River there are very good and faire grounds, full of as faire and mightie<br />

trees as any be in the world, and divers sorts, which are above tenne fathoms higher the rest, and there is one<br />

kind of tree above three fathoms about, which they in the Countrey call Hanneda…» 67<br />

Sur un ton <strong>du</strong>bitatif, Marie-Victorin, dans la Flore laurentienne, s’en remet quant à lui à l’épinette blanche. 68 Dans<br />

une publication antérieure (1927), sa réserve est nettement palpable : « Dans les environs de <strong>Québec</strong>, seuls le Pin<br />

blanc et les Épinettes sont d’assez grande taille pour justifier le texte de Cartier : « trois brasses de plus que les<br />

autres arbres. » Peut-être la fabrication de la bière d’Épinette tire-t-elle son origine de l’usage de l’anedda, qui serait<br />

plutôt alors l’Épinette noire. Il est difficile de décider, et il reste toujours à résoudre la question de l’identité exacte<br />

de l’anedda. » 69 Octroyer les trois brasses à la hauteur de l’annedda rendait l’énigme pratiquement insoluble. Cette<br />

interprétation semble avoir eu cours chez bon nombre d’auteurs. Pourtant, au milieu <strong>du</strong> XVIII e siècle, James Lind<br />

y voyait nettement une mesure de la circonférence de l’arbre : « Some have believed it to be the sassafras, others<br />

the white thorn (aubépine) ; but, in his third voyage, he (Cartier) mentions the white thorns, and makes the ameda<br />

to be three fathom (sic) in circumference. » 70 Il convient de rappeler que la seule relation connue de ce voyage<br />

provient de son compatriote Richard Hakluyt. L’embûche de la langue ne jouait pas !<br />

Plus près de nous, Charlotte Erichsen-Brown surprend par sa démarche « cloisonnée ». De la narration de Cartier,<br />

l’auteure retient l’épinette ou la pruche. Du Routier d’Alfonse, le sapin baumier et, des Singularitez de Thevet, le<br />

thuya occidental. Aucune relation n’est établie entre leurs écrits et les références à l’annedda de Lescarbot et de<br />

Champlain sont rangées sous la rubrique de l’épinette, toutes espèces confon<strong>du</strong>es. Le non-sens de l’assertion<br />

suivante témoigne d’une méconnaissance de l’oeuvre de Belon : « Cartier apparently did not succeed in bringing<br />

back to France either the seeds or seedlings of the tree « annedda » that cured his men » 71 Pour couronner le tout, la<br />

première mention <strong>du</strong> thuya occidental en France est datée de 1558, cinq ans après la première édition <strong>du</strong> livre Les<br />

observations de plusieurs singularitez de Belon et vingt-deux ans après la deuxième expédition de Cartier !<br />

Le dénombrement n’est pas exhaustif, la plupart des auteurs se contentent d’affirmer ou de relayer l’opinion de<br />

leurs prédécesseurs sans le moindre esprit critique. Il faudra attendre l’ethnobotaniste Jacques Rousseau pour<br />

qu’une recherche soit soigneusement documentée. Bien structurée, l’analyse est con<strong>du</strong>ite sous différents aspects :<br />

botanique, linguistique, historique, folklorique (usage médicinal) et biochimique. La liste des personnes remerciées<br />

par le directeur <strong>du</strong> Jardin botanique de Montréal impressionne : historiens émérites, dont le chanoine Lionel Groulx,<br />

67 Mary I. Moore, Eastern White Pine and Eastern Cedar, p. 222 - 223.<br />

68 Marie-Victorin, Flore laurentienne, p. 143.<br />

69 Marie-Victorin, Les Gymnospermes <strong>du</strong> <strong>Québec</strong>, p. 81.<br />

70 James Lind, A Treatise of the Scurvy, vol.2, p. 179. Jacques Rousseau aborde cette question cruciale : « Le texte anglais <strong>du</strong> troisième voyage le (l’annedda)<br />

présente comme un arbre « above three fathoms about ». On a cru généralement que cela signifiait « trois brasses de haut » (dix-huit pieds ou six mètres) ou « trois<br />

brasses de plus que les arbres environnants », mais J. Allan Burgesse, soutient qu’il faut tra<strong>du</strong>ire plutôt par « trois brasses de circonférence », soit deux mètres de<br />

diamètre. Un gros arbre certes, mais tenant compte <strong>du</strong> facteur exagération, il en existait sûrement à <strong>Québec</strong> qui approchaient de cette taille. » Une note complète<br />

ce commentaire : « Ethnologue et historien, J. Allan Burgesse, décédé en 1953, s’est intéressé particulièrement à la petite histoire <strong>du</strong> lac Saint-Jean et à l’ethnologie<br />

algonquine. » Jacques Rousseau, L’annedda et l’arbre de vie, p. 174.<br />

71 Charlotte Erichsen-Brown, Medicinal and other Uses of North American Plants, p. ix.<br />

42 HISTOIRES FORESTIÈRES


docteurs des universités canadiennes et américaines ont offert leur concours à la rédaction de ce travail. 72 Sa prise<br />

de position, en faveur <strong>du</strong> thuya occidental, s’inscrit dans la ligne des « experts » pour qui les indications empiriques<br />

de Cartier doivent être pondérées par le facteur « exagération ». L’annedda et l’arbre de vie, fait autorité dans le<br />

monde scientifique depuis 1954.<br />

Quelques omissions significatives ébranlent la conviction : le pinaster de Belon, second arbre de vie, est ignoré ;<br />

le propos cité de Jean Alfonse n’inclut pas une information clef : nulle référence à la « gomme blanche comme<br />

neige ». Rousseau sait que deux conifères furent intro<strong>du</strong>its à Fontainebleau, mais il n’examine qu’une voie. Enfin, en<br />

discontinuité avec la rigueur habituelle de son analyse, il soutient, sans prêter plus d’attention aux observations de<br />

Cartier, qu’une « conclusion s’impose, l’annedda, le Thuya occidentalis, l’arbre de vie, le cèdre blanc, sont une seule<br />

et même plante. » 73 Dans la relation de la deuxième et de la troisième navigation, l’annedda n’est mentionné qu’en<br />

deux sites : l’embouchure des rivières Sainte-Croix et Cap-Rouge, lieux des hivernages de Cartier. Le cèdre y est<br />

signalé, mais non le pin. Dans ces conditions, l’annedda et le pin blanc peuvent être un seul et même arbre, mais le<br />

cèdre ne peut avoir cette prétention. Pourquoi Cartier aurait-il utilisé un terme amérindien pour désigner un arbre<br />

dont il connaissait le nom français ?<br />

Lac Mistassini. ile Montpetit, sur la Pointe des Demoiselles. Pressage des plantes. Jacques Rousseau, Jardin botanique de Montréal (Archives), 1945<br />

72 Jacques Rousseau, L’annedda et l’arbre de vie, p. 201.<br />

73 Loc. cit.<br />

HIVER 2012 - 43


Du survol des perspectives linguistiques et folkloriques, aucun argument décisif si ce n’est que le thuya occidental,<br />

ironiquement, s’avère une des essences qui pourrait être radiée de la course. Son nom mohawk o-nen-ta-wken-tentse-ra<br />

74 ne saurait rivaliser avec l’ohnehda <strong>du</strong> pin blanc ou l’o-no-da de la pruche. Chez les Hurons-Wendat, le pin<br />

blanc se nommerait handehta. 75 En termes biochimiques, pins, sapins, pruches et épinettes ont davantage la cote :<br />

leur teneur en vitamine C, feuilles et écorce, est nettement supérieure. Douteux que la concentration atteinte ait<br />

redonné la santé à des malades aussi affaiblis. Qui plus est, la thuyone contenue dans les parties aériennes de l’arbre<br />

aurait plutôt eu des effets pervers allant jusqu’à abréger leurs jours : « L’ingestion de cette essence peut provoquer<br />

une inflammation des parties génito-urinaires, des troubles psychiques et sensoriels et, à haute dose, des crises<br />

épileptiformes. En phytothérapie, son ingestion est donc déconseillée, la plante étant considérée comme toxique. » 76<br />

En deux lignes, Adam Shortt et Arthur G. Dougthy tranchent la question en faveur <strong>du</strong> sapin baumier : « At length<br />

Cartier heard of a tree, called by him ameda, a decoction of whose leaves and bark was a sure cure for the disease.<br />

This was the balsam fir. » 77 La forte teneur de ses aiguilles en vitamine C et sa renommée dans la pharmacopée<br />

amérindienne sé<strong>du</strong>iront également quelques chercheurs. Récemment, en août 2009, la publication <strong>du</strong> livre<br />

L’annedda, l’arbre de vie de M. Jacques Mathieu, historien, spécialiste de la Nouvelle-France, rouvre le débat. Par un<br />

cheminement plutôt déroutant, le sapin baumier 78 est substitué au thuya occidental et revêt l’identité d’annedda.<br />

Le deuxième arbre de vie, le pinaster (Pinus cembra L.) de Belon, est écarté d’emblée et, confusion supplémentaire,<br />

il est associé au pin maritime (Pinus pinaster Soland) dont les aiguilles sont géminées.<br />

Soutenir cette hypothèse, c’est admettre, contre toute vraisemblance, que :<br />

1. le sapin baumier se repro<strong>du</strong>it facilement par bouturage 79 (Belon a détaché de petites branches de l’arbre<br />

de vie et les a données à son protecteur, le cardinal René <strong>du</strong> Bellay). 80 Ses branches seraient droites si elles<br />

n’étaient légèrement recourbées à la base de ses feuilles. Semblables à celles <strong>du</strong> cyprès, de saveur amère, leur<br />

odeur rappelle la sauge. Sa branche tout entière semble avoir été aplanie avec ses feuilles comme si elle avait<br />

été passée au pressoir. Sa circonférence peut égaler, voire excéder trois brasses.<br />

2. le thuya occidental ne fut pas intro<strong>du</strong>it au jardin de Fontainebleau à l’époque de Cartier. Sa présence notoire,<br />

à la fin <strong>du</strong> siècle, dans la plupart des jardins botaniques d’Europe, demeure inexpliquée.<br />

3. Pierre Belon considère que le sapin baumier s’apparente à un savinier décrit par Dioscoride ou au thuya<br />

mentionné par Théophraste. Autrement dit, il confond un sapin et un genévrier. Charles de l’Écluse, botaniste<br />

éminent, qui a vu l’arbre de vie au jardin de Fontainebleau, s’est également fourvoyé.<br />

Déconcertant, l’intérêt <strong>du</strong> livre réside dans son esprit d’ouverture envers les pratiques thérapeutiques amérindiennes.<br />

Le discours sur le choc des civilisations gagnerait cependant à reconnaître la réciprocité des influences. Selon une<br />

étude menée par Jacques Rousseau en 1945, sur cent quinze espèces jouant un rôle significatif dans le folklore des<br />

Mohawks de Caughnawaga, vingt-sept proviennent d’Europe. 81 Enfin, sous réserve de l’identification des espèces,<br />

l’excellente version latine (M. André Daviault) d’extraits pertinents <strong>du</strong> De arboribus coniferis, resiniferis de Pierre<br />

Belon mérite d’être soulignée.<br />

74 Ibid., p. 181.<br />

75 Ibid., p. 180. Hurons-Wendat est dit « Wyandotes » chez J. Rousseau.<br />

76 Daniel Fortin, L’annedda ou « l’arbre de vie » : cherchez le conifère, p. 17.<br />

77 Adam Shortt et Arthur G. Doughty, Canada and Its Provinces, p. 38.<br />

78 Jacques Mathieu a également publié Le premier livre de plantes <strong>du</strong> Canada (1998). À la page 182, une planche sous-titrée « L’arbre de vie tel qu’illustré par<br />

Pierre Belon en 1553 (Arber 235) » est une copie <strong>du</strong> Portrait <strong>du</strong> cèdre, dessiné par Belon dans Les observations de plusieurs singularitez (p. 165 v ). Cette substitution<br />

inappropriée <strong>du</strong> titre original par Agnes Robertson Arber (Herbals, their origin and evolution : a chapter in the history of botany, 1470-1670) explique peut-être la<br />

méprise de M. Mathieu : les cônes <strong>du</strong> sapin baumier, à l’instar <strong>du</strong> cèdre <strong>du</strong> Liban, Cedrus libani (A, Rich.), sont orientés vers le ciel.<br />

79 Extrait de La pépinière, Arbres et arbustes ornementaux pour le <strong>Québec</strong> : les boutures <strong>du</strong> sapin baumier s’enracinent difficilement (p. 98) ; dans le cas <strong>du</strong><br />

thuya, plusieurs méthodes de bouturage sont utilisées avec succès (p. 148).<br />

80 Jacques Mathieu, L’annedda, l’arbre de vie, p. 170.<br />

81 Jacques Rousseau, L’annedda et l’arbre de vie, p. 193.<br />

44 HISTOIRES FORESTIÈRES


Remarques :<br />

Mentions des conifères chez Jacques cartier<br />

Aux embouchures des rivières Sainte-Croix (Saint-Charles) et Cap-Rouge, sites d’hivernage, Cartier souligne la<br />

présence <strong>du</strong> cèdre et de l’annedda, ce qui invalide la conclusion de Jacques Rousseau.<br />

L’un des termes « if » ou « pruche » désigne le sapin baumier. Cette assertion remet en cause l’hypothèse de<br />

M. Jacques Mathieu : si l’annedda avait été un sapin baumier, Cartier l’aurait tout bonnement nommé «if» ou<br />

« pruche ».<br />

L’annedda et le pin ne sont jamais mentionnés simultanément. Le pin blanc de grande taille semble considéré<br />

comme une espèce différente par Cartier.<br />

La pruche <strong>du</strong> Canada n’a pas les qualités requises pour faire un bon mât de navire : lourde, cassante, elle est<br />

affectée de beaucoup de nœuds.<br />

Les numéros de pages réfèrent à l’édition critique de Michel Bideaux, Jacques Cartier, Relations.<br />

Les sceptiques…<br />

Sensibles à l’insuffisance ou à l’incohérence de la démonstration, la réserve sera de mise chez un certain nombre<br />

d’auteurs animés par une démarche prudente et rigoureuse. Dans son édition critique des voyages de Cartier,<br />

Michel Bideaux explore en appendice, sans prendre parti, les options qui ont marqué l’histoire. 82 Les hypothèses<br />

de Hakluyt, Lescarbot, Charlevoix, Ganong, Biggar, Marie-Victorin, Rousseau… sont succinctement passées en<br />

revue. Dans le cas de Roland Tremblay, archéologue émérite, spécialiste de la préhistoire <strong>du</strong> Nord-Est <strong>du</strong> continent,<br />

le problème est intelligemment posé : les indices « circonférence et gomme blanche » de Cartier et Alfonse sont<br />

énoncés et l’avancée de Rousseau laisse le chercheur perplexe : « Depuis quelques décennies, c’est le thuya,<br />

communément appelé « cèdre blanc » qui retient la faveur parmi les candidats, à la suite d’une étude approfondie<br />

des traités de botanique des 16 e et 17 e siècles qui décrivent « l’arbre de vie » rapporté <strong>du</strong> Canada. Il reste toutefois<br />

difficile d’expliquer pourquoi Cartier, qui mentionne régulièrement le cèdre parmi les arbres <strong>du</strong> pays, le distingue<br />

visiblement de l’annedda. (…) Quoi qu’il en soit, le seul élément connu de l’ethnobotanique des Iroquoiens <strong>du</strong><br />

Saint-Laurent reste cet usage thérapeutique d’une tisane et d’un cataplasme tirés d’un conifère. » 83 Alain Cuerrier,<br />

ethnobotaniste, souligne pour sa part le manque de preuves pour trancher la question : le thuya, le pin ou le sapin<br />

figurent parmi les plantes médicinales majeures de la pharmacopée des Premières Nations <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> et sont tous<br />

en droit d’aspirer au titre d’annedda. 84<br />

82 Michel Bideaux, Jacques Cartier, p. 258.<br />

83 Roland Tremblay, Les Iroquoiens <strong>du</strong> Saint-Laurent, peuple <strong>du</strong> maïs, p. 98.<br />

84 Alain Cuerrier, Les plantes et les Premières Nations.<br />

HIVER 2012 - 45


46 HISTOIRES FORESTIÈRES<br />

Sapins, épinettes et pruches : un aperçu de l’évolution de la taxonomie<br />

Vue d’ensemble des hypothèses


Vue d’ensemble des hypothèses (remarques) : les botanistes <strong>du</strong> XVI e siècle n’établissent pas de lien entre le<br />

récit de Cartier et l’arbre de vie. Au XX e siècle, les chercheurs abordent davantage la problématique sous l’angle<br />

ethnologique et pharmacologique.<br />

Le pacificateur…<br />

Au terme de ce bref survol, une conclusion se dégage : les renseignements de Cartier (tronc de plus de trois brasses<br />

de circonférence) et de Jean Alfonse (gomme blanche) orientent fortement le débat. Du moment où l’on scrute<br />

attentivement les écrits de Pierre Belon (cinq aiguilles, second arbre de vie, bois de vie…), le doute n’est plus permis<br />

et ne laisse entrevoir aucun bénéfice.<br />

L’Annedda, le Majestueux Pin blanc, l’Arbre de paix, emblème des cinq-nations 85 iroquoises, sont enfin<br />

réunis ! Ainsi s’accomplit une autre étape de la mission pacificatrice de Dekanahouideh, le « messager<br />

céleste » originaire de la Huronie.<br />

La légende prend racine au cœur <strong>du</strong> XV e siècle et coïnciderait avec une éclipse de Soleil survenue dans la région<br />

ouest de l’Iroquoisie (état de New York) en 1451. 86 Héros <strong>du</strong> récit, Dekanahouideh, parti de la baie de Quinte,<br />

traversa le lac Ontario. Soumis à de multiples épreuves, l’ambassadeur <strong>du</strong> Grand-Esprit rallia progressivement les<br />

sceptiques à sa cause et planta l’Arbre de Paix, un « grand pin blanc aux racines blanches saines qui s’étendait aux<br />

quatre coins de la terre afin de guider les hommes qui, où qu’ils fussent, désiraient remonter jusqu’à la source de<br />

la paix. Il mit au-dessus de l’arbre l’aigle qui voit loin, 87 symbole de la préparation militaire, pour déceler le danger.<br />

Sous l’arbre, il ouvrit une caverne dans laquelle il jeta les armes de guerre. Il plaça des andouillers sur la tête des<br />

50 chefs représentant les Cinq-Nations (…) et il leur remit le texte de la grande loi, c’est-à-dire la constitution des<br />

Cinq-Nations. » 88<br />

Le thuya occidental, de famille royale par alliance, peut bien conserver son titre séculaire d’arbre de vie, il ne portera<br />

jamais ombrage au Géant de nos forêts laurentiennes.<br />

85 Au début <strong>du</strong> XVII e siècle, la ligue des Cinq-Nations rassemble les peuples suivants :<br />

Français Amérindien Anglais<br />

Onontagué Onundagaono (nation des collines) Onondaga<br />

Agnier Ganeagaono (nation <strong>du</strong> silex) Mohawk<br />

Onneiout Onayotekaono (nation de la pierre debout) Oneida<br />

Goyogouin Gweugwehono (nation de la grande pipe) Cayuga<br />

Tsonnontouan Nundawaono (nation de la grande montagne) Seneca<br />

En 1772, une sixième nation s’est ralliée : les Tuscaroras.<br />

86 D’après Paul A. Wallace, la fondation de la confédération des Cinq-Nations se situerait vers le milieu <strong>du</strong> XV e siècle. Dekanahouideh en serait l’instigateur :<br />

« La légende qui s’est peu à peu formée à son sujet a longtemps servi à la con<strong>du</strong>ite des Iroquois, chez eux et à l’étranger. Dans les différentes versions qu’on en<br />

a conservées, elle apparait maintenant comme un ensemble hétéroclite de religion, de mythologie, de droit constitutionnel, de littérature philosophique, de<br />

sciences naturelles et de folklore. Mais l’essentiel <strong>du</strong> récit, qui raconte les mesures d’ordre pratique que prit Dekanahouideh, le « Messager céleste » pour établir une<br />

solide <strong>Société</strong> des Nations sous l’Arbre de Paix, revêt une noblesse de conception insurpassée dans la tradition populaire d’une région quelconque <strong>du</strong> monde. »<br />

Dictionnaire <strong>du</strong> Canada, volume premier, p. 260. URL : http ://www.biographi.ca/index-f.html<br />

87 Dans certaines parties <strong>du</strong> pays (à l’est), le pygargue (aigle) à tête blanche niche de préférence dans un pin blanc : « Concernant son emplacement sur la<br />

tige porteuse, la structure de nidification est érigée au tiers supérieur de l’arbre, soit au creux d’une importante ramification ou à la cime. L’emplacement <strong>du</strong> nid<br />

permet aux a<strong>du</strong>ltes ou aux juvéniles d’avoir accès à un espace aérien ouvert ; c’est pourquoi le nid surplombe la canopée environnante ou borde la rive <strong>du</strong> plan<br />

d’eau, d’un marais ou d’une tourbière. L’arbre porteur <strong>du</strong> nid est généralement sain, bien qu’à l’occasion un arbre moribond ou mort soit sélectionné. Plusieurs<br />

essences de conifères (pin, sapin, épinette, mélèze) et de feuillus (bouleau, peuplier) peuvent abriter un nid. Lorsque présent dans un peuplement, le Pin blanc est<br />

le plus prisé. » Regroupement <strong>Québec</strong>Oiseaux, Le pygargue à tête blanche. URL : http ://www.quebecoiseaux.org/<br />

88 Dictionnaire <strong>du</strong> Canada, volume premier, p. 261.<br />

HIVER 2012 - 47


Pin blanc, Aylmer Bourke Lambert, A description<br />

of the genus Pinus, 1837<br />

48 HISTOIRES FORESTIÈRES<br />

« c’est lui, le roi de tous ! …<br />

« L’arbre immense est un élan, un élan magnifique<br />

et spontané…<br />

« il est l’effort victorieux. il est la Vie. » 89<br />

Des pas dans la neige<br />

Marie-Victorin<br />

« Le pin, le plus sobre des arbres, qui se contente de la maigre nourriture à laquelle se<br />

refuse le plus misérable buisson ; qui veut croître partout où il ne croît rien ; qui se plaît<br />

avec le froid, avec le chaud, qui ne craint ni l’humidité, ni la sécheresse ; qui veut peupler<br />

et fructifier tous les lieux arides et abandonnés, parer de nouveau les rochers solitaires et<br />

desséchés ; cet arbre, dont la ver<strong>du</strong>re éternelle survit aux plus longs hivers, est digne de<br />

notre plus haute sollicitude. » 90<br />

L’arbre <strong>du</strong> scorbut…<br />

François-Antoine rauch<br />

Deux siècles après les grandes navigations de Jacques Cartier, le passage <strong>du</strong> nord-ouest hante toujours l’imaginaire<br />

de l’Occident, mais l’effervescence a également gagné les mers orientales qui baignent les côtes de la Sibérie et de<br />

l’Alaska. Le passage <strong>du</strong> nord-est se dessine !<br />

Sous le règne de Pierre le Grand, la Russie se tourne résolument vers l’Europe. L’empereur, féru de sciences et<br />

de technologie 91 , fonde l’Académie des sciences et initie une ère d’exploration considérée comme l’une des plus<br />

importantes de l’histoire de l’humanité. En 1725, année de sa mort, une première expédition sous la gouverne<br />

89 Marie-Victorin, Sa Majesté le Pin.<br />

90 François-Antoine Rauch, Annales européennes de physique végétale et d’économie publique, tome deuxième. p. 34. L’écriture romantique de Rauch<br />

(1762-1837) est un véritable enchantement : « Si un paysage sans eaux est un palais de fées sans miroirs, on peut dire qu’une terre sans paysage est un pays<br />

désenchanté » (Annales européennes de physique végétale et d’économie publique, tome deuxième, p. 45) et « L’homme, insensible dans ses destructions, est loin<br />

de songer qu’autant de fois qu’il mutile la nature, autant de fois il commet un crime envers sa postérité, dont il diminue les moyens de subsistance » (Harmonie<br />

hydro-végétale et météorologique, tome second, p. 92).<br />

91 E. A. Kniajetskaia et V. L. Chenakal, Pierre le Grand et les fabricants français d’instruments scientifiques, p. 243-258.


de l’officier de marine danois Vitus Jonassen Béring se met en branle. Mission de reconnaissance <strong>du</strong> Pacifique<br />

nord, il sillonne les mers riveraines <strong>du</strong> Kamtchatka, mais le brouillard et les tempêtes l’empêcheront d’apercevoir<br />

le continent nord-américain. Les informations recueillies justifient cependant une deuxième tentative. Beaucoup<br />

plus ambitieuse, elle s’étendra sur une décennie, soit de 1733 à 1743.<br />

Préparée par le géographe Joseph-Nicolas Delisle en collaboration avec l’académie de Saint-Pétersbourg, elle<br />

mobilise environ six cents personnes, regroupées en trois détachements. L’exploration maritime demeure un enjeu<br />

majeur, mais la Sibérie et la péninsule <strong>du</strong> Kamtchatka récemment occupées sont des contrées presque inconnues.<br />

Une équipe d’experts, sous la responsabilité de Béring, est mandatée pour en définir les limites, faire l’inventaire de<br />

leurs ressources minières et floristiques, sans oublier les habitants et leur histoire : « L’expédition était composée de<br />

Gmelin, comme naturaliste, de Delisle de la Croyère, 92 comme astronome, et de G. F. Müller, comme historien. On<br />

leur adjoignit six étudiants, un interprète, cinq géomètres, un mécanicien, un peintre et un dessinateur. » 93<br />

En 1736, la « caravane savante » fait halte à Iakoutsk, la ville la plus froide <strong>du</strong> monde. Johann Georg Gmelin rencontre<br />

les survivants d’un navire russe. L’été précédent, ceux-ci avaient descen<strong>du</strong> la Léna jusqu’à son embouchure et,<br />

emprisonnés par les glaces, ils avaient été contraints de passer l’hiver en ces lieux inhospitaliers. Le scorbut ne<br />

tarda pas à se déclarer. Sur les conseils d’un Youkaghir, ils en furent guéris grâce à une décoction de sommités<br />

(extrémités des branches) de pin. 94 L’année suivante, ayant repris la mer, le même scénario se répète : « Vers le mois<br />

de novembre on ressentit quelques attaques de scorbut : il y avait aux environs une grande quantité de petits<br />

cèdres nommés slanets (sic) ; le lieutenant conjectura d’après la ressemblance qu’ils ont avec les pins et les sapins,<br />

qu’ils pourraient être utiles contre le scorbut ; il en fit faire des décoctions qui réussirent très bien, et délivrèrent ses<br />

gens de leurs incommodités. » 95<br />

Slanets ou plutôt flammets, ce « petit cèdre », le « tsar de la taïga », 96<br />

n’est nul autre que la sous-espèce Pinus cembra ssp. sibirica ou<br />

plus simplement Pinus sibirica Du Tour, le pin de Sibérie ! D’ouest<br />

en est, sa taille, tout en conservant ses proportions, décroît pour<br />

n’atteindre que deux mètres à l’est de la Léna. Sans contredit,<br />

le mot « cèdre » utilisé en Russie est tout aussi inapproprié qu’il<br />

puisse l’être pour désigner le thuya occidental en Amérique <strong>du</strong><br />

Nord. Peu importe ! Rencontre inatten<strong>du</strong>e, le pinaster de Pierre<br />

Belon partage en ces contrées la destinée de l’annedda dans son<br />

combat contre la « grosse maladie » !<br />

Décrivant les mœurs et coutumes des Yakoutes, le naturaliste<br />

allemand note également que ceux-ci « raclent l’aubier de<br />

jeunes pins, le font sécher, le mettent en poudre, et le mêlent à<br />

leurs aliments. » 97 Succédané de la farine de céréales en cas de<br />

disette ou médecine préventive ? À la même époque, en Flandre<br />

(Belgique) et en Hollande, le pin s’est mérité le titre d’arbre <strong>du</strong><br />

scorbut. L’infusion de ses pommes et de son écorce dans de la<br />

bière « empêche les paralysies, les rétractions de membres, les<br />

92 Louis Delisle dit de la Croyère est le frère de Joseph-Nicolas Delisle. En 1717, il séjourne en Nouvelle-France. De 1719 à 1724, il est caserné au fort Chambly.<br />

Source : L’Atelier Delisle, l’Amérique <strong>du</strong> Nord sur la table à dessin, p. 108.<br />

93 Biographie universelle ancienne et moderne, tome huitième, p. 290.<br />

94 Johann Georg Gmelin, Voyage en Sibérie, tome premier, p. 367. Aujourd’hui, le peuple des Youkaghirs compte à peine plus de mille indivi<strong>du</strong>s. En voie<br />

d’extinction, ceux-ci ont adopté la langue yakoute de la République de Sakha (ex Yakoutie). Certains nomades, éleveurs de rennes, boivent toujours une tisane de<br />

pin pour combattre le scorbut.<br />

95 Ibid., p. 369-370.<br />

96 Laurent Touchart, Les milieux naturels de la Russie, p. 211 : « Cet arbre, « le tsar de la taïga » (Marchand, 2007, p. 219, citant Parmuzin), a une grande<br />

importance dans la vie quotidienne de la population. Son bois est de grande qualité. Et, surtout, les graines contenues dans ses cônes (chichki) sont l’un des<br />

aliments favoris des Sibériens, qui les grignotent partout et à longueur de journée. »<br />

97 Johann Georg Gmelin, Voyage en Sibérie, vol. 1, p. 388.<br />

Traîneau de chiens en Sibérie, Jules Boilly,<br />

Voyage pittoresque en Asie et en Afrique, 1841<br />

HIVER 2012 - 49


douleurs vagues et les autres symptômes <strong>du</strong> scorbut ». 98 En France, où les légumes et le vin font davantage partie<br />

de la diète quotidienne, le mal a d’abord été connu par le biais des voyages au long cours. Contrairement aux pays<br />

<strong>du</strong> nord de l’Europe, les endémies y sont plutôt rares.<br />

Nombre de plantes recèlent des propriétés antiscorbutiques. Selon les ressources <strong>du</strong> milieu, les peuples auront<br />

recours aux herbes potagères, aux fruits, aux arbres : cresson, oseille, chicorée, cochléaria, raifort, chou, navet,<br />

citron, orange, baies, aiguilles, bourgeons, écorces de divers conifères… la liste est impressionnante. L’anecdote <strong>du</strong><br />

médecin hollandais Johann Friedrich Backstrom, rapportée par James Lind, parle d’elle-même : « Un matelot des<br />

vaisseaux qui vont au Groenland, fut ré<strong>du</strong>it à un si triste état par le scorbut, que ses compagnons le portèrent sur<br />

le rivage, et l’abandonnèrent, le croyant dans un état entièrement désespéré. Ce pauvre malheureux avait per<strong>du</strong><br />

entièrement l’usage de ses jambes ; il ne pouvait se traîner qu’en s’aidant des pieds et des mains. La terre était<br />

couverte d’une plante qu’il broutait comme les bêtes : il fut par ce moyen parfaitement guéri en peu de temps.<br />

Lorsqu’il fut revenu chez lui, on sut que cette plante n’était autre chose que le cochléaria. » 99 En Nouvelle-France<br />

et dans les Maritimes, la bière d’épinette, la « spruce beer » des anglophones, peu dispendieuse et de fabrication<br />

aisée, aura la faveur populaire. 100<br />

Sainte Vitamine c…<br />

1934, année commémorative de l’arrivée de Jacques Cartier dans la baie de Gaspé. Le Dr Léo Pariseau, à l’occasion<br />

<strong>du</strong> congrès de l’Association des médecins de langue française d’Amérique (A.M.L.F.A.), présente à son auditoire<br />

un « catalogue raisonné » issu de sa remarquable bibliothèque de livres anciens. En Marge <strong>du</strong> Récit de la « Grosse<br />

Maladie » <strong>du</strong> Capitaine Cartier raconte l’histoire <strong>du</strong> scorbut à travers les âges. Selon son expression colorée, la<br />

décoction miraculeuse serait le fruit de « Sainte Vitamine C ». 101<br />

En ces années trente, l’éminent scientifique hongrois Szent Györgyi ouvre cependant un nouveau champ<br />

d’investigation : l’acide ascorbique ne peut à lui seul expliquer la résorption des syndromes hémorragiques<br />

accompagnant l’affection. Un autre facteur, la vitamine P, 102 extraite <strong>du</strong> citron, entre en jeu et permet la régénération<br />

des capillaires sanguins. Ses résultats sont d’abord contestés, mais les découvertes subséquentes, dont celles de<br />

Jack Masquelier, professeur à la faculté de médecine et de pharmacie à l’Université de Bordeaux, vont lui donner<br />

raison. Inspiré par l’épopée de Cartier, le chercheur français s’intéresse à l’annedda dont l’écorce, riche en tannins,<br />

pourrait expliquer la remarquable guérison : « En consommant l’écorce d’une variété de pin – l’annedda – ils (les<br />

marins) ont obtenu des proanthocyanidols ou OPC tandis que les feuilles leur ont apporté de l’acide ascorbique<br />

(vitamine C). Ils disposaient ainsi <strong>du</strong> complexe ascorbique et tannins, par lequel l’acide ascorbique est protégé de<br />

sa trop facile oxydation, et peut à son tour préserver la vitamine E. » 103 Breveté et commercialisé sous l’étiquette<br />

Pycnogénol, l’extrait végétal antioxydant <strong>du</strong> D r Masquelier est pro<strong>du</strong>it à partir de l’écorce <strong>du</strong> pin maritime récolté<br />

en France.<br />

98 Sieur Liger, La nouvelle maison rustique, p. 854.<br />

99 James Lind, Traité <strong>du</strong> scorbut, vol. 2, p. 161. Critique en regard de ses hypothèses sur l’origine de la maladie, Léo Pariseau reconnaît toutefois la pertinence de<br />

ses recommandations (promotion des mesures d’hygiène et de la consommation des végétaux) : « C’est un homme dont il faut suivre les conseils et rejeter les<br />

théories. » En marge <strong>du</strong> récit de la « grosse maladie » <strong>du</strong> capitaine Cartier, p. 70.<br />

100 Duhamel <strong>du</strong> Monceau, Des semis et plantations des arbres, Additions pour le traité des arbres et des arbustes, p. 19-20. Duhamel <strong>du</strong> Monceau dresse une<br />

bonne synthèse de l’usage antiscorbutique <strong>du</strong> pin et, plus généralement, des conifères chez les populations nordiques.<br />

101 Léo Pariseau, En marge <strong>du</strong> récit de la « grosse maladie » <strong>du</strong> capitaine Cartier, p. 28. Médecin, spécialiste en histoire des sciences au Canada, Léo Pariseau<br />

(premier président) est cofondateur avec Marie-Victorin (secrétaire général) et Édouard Montpetit de l’Acfas (L’Association canadienne-française pour l’avancement<br />

des Sciences. Depuis 2001 : Association francophone pour le savoir). Méconnaissant les écrits des botanistes <strong>du</strong> XVIe siècle, il jette son dévolu sur l’épinette blanche<br />

pour élucider le « mystère » de l’annedda.<br />

102 N’étant pas essentielle à la vie (vita en latin), la vitamine P est maintenant considérée comme un flavonoïde. Pour en savoir davantage, consulter<br />

Étude théorique des métabolites secondaires des végétaux et des composés de synthèse sur le plan de l’activité biologique, thèse de doctorat d’Abderrahmane<br />

Bensegueni, enseignant-chercheur à l’université algérienne Mentouri Constantine. URL : http ://www.umc.e<strong>du</strong>.dz/theses/biologie/BEN4999.pdf<br />

103 Vin et santé, La grande famille des Polyphénols. URL : http ://www.vinetsante.com/famille-polyph.php Jack Masquelier, professeur invité de 1963 à 1974<br />

à l’Université Laval, est surtout connu pour ses découvertes sur les propriétés anti-oxydantes des pépins de raisin et des bienfaits <strong>du</strong> vin rouge sur le système<br />

vasculaire. En sa dernière année d’enseignement à <strong>Québec</strong>, il fut gratifié d’un doctorat honoris causa.<br />

50 HISTOIRES FORESTIÈRES


En outre, il est démontré « qu’en appliquant sur les muqueuses et la peau un extrait de tannins, il y a une sorte<br />

de tannage. Il s’y ajoute une activité vasoconstrictrice sur les petits vaisseaux qui complète cette activité. Cette<br />

propriété explique leur emploi contre les hémorroïdes et les blessures superficielles. » 104 Sous cet éclairage, la<br />

recommandation formulée par Domagaya « de mettre le marc (de la décoction) sur les jambes enflées et malades » 105<br />

permet de comprendre pourquoi un compagnon souffrant de la vérole en obtint quelque soulagement. Un demimillénaire<br />

de conjectures avant de percer le mystère… N’était-ce pas la marque d’« un vrai et évident miracle » ?<br />

Sa Majesté…<br />

Enfin, n’est-il pas étonnant et paradoxal de constater qu’un zeste de confiance ait été le fil con<strong>du</strong>cteur de ce retour<br />

aux sources ! Plus de trois brasses ! Aussi empirique qu’elle soit, cette observation est sans appel. François-André<br />

Michaux, dans son Histoire des arbres forestiers de l’Amérique septentrionale, publiée en 1810, nous apprend que le<br />

pin blanc, craignant autant la chaleur excessive que le froid intense, évolue principalement entre le 47 o et le 43 o<br />

degré de latitude. C’est en Nouvelle-Angleterre et dans le haut <strong>du</strong> Saint-Laurent qu’il parvient à son plus grand<br />

accroissement : « J’ai mesuré deux de ces arbres abattus pour faire des pirogues (…) et j’ai vu près d’Hollowell (état<br />

<strong>du</strong> Maine), la souche d’un indivi<strong>du</strong> qui avait un peu plus de 2 mètres (de diamètre). Ces arbres remarquables par<br />

leur grosseur extraordinaire, étaient probablement arrivés à la plus grande élévation où parvient le Pinus strobus<br />

qui est d’environ 58 mètres. » 106 Ramenée aux paramètres usuels de Cartier, la circonférence de ce pin est de<br />

trois brasses et demie ! Surplombant la canopée d’une dizaine de brasses (…tenne fathoms higher the rest…), le<br />

seigneur de la forêt était connu, au XIX e siècle, sous l’appellation de « pin baliveau ». Son envergure annonce de loin<br />

sa présence dans les bois où il est mélangé à d’autres essences.<br />

Pin blanc à La Patrie, Berthier Plante, 2011<br />

Hollowell est situé à cent quatre-vingt-cinq kilomètres au sud-est de La<br />

Patrie, dans la région <strong>du</strong> mont Mégantic. À proximité de ce village québécois,<br />

sur le bord de la rivière Saumon, un pin blanc se dirige allègrement vers les<br />

trois brasses. 107 Arbre exceptionnel, ce géant en parfaite santé est toujours<br />

en croissance ! De 1994 à 2011, sa circonférence est passée de 4,67 mètres<br />

à 5,18 mètres. Quel est son avenir si « l’homme » lui prête vie ? William<br />

Douglass, médecin bostonnais, rapporte qu’en 1736, près de la rivière<br />

Merrimack (Massachusetts) « a little above Dunstable, was cut a white pine<br />

streight and found, seven feet eight inches diameter at the butt-end… » 108<br />

Cette fois, les quatre brasses sont atteintes ! Où est l’exagération ? N’était-ce<br />

pas une vraie et évidente merveille !<br />

Je me souviens que… Né sous le lys…<br />

J’ai grandi sous la rose. 109<br />

Mais c’est à l’annedda que je dois ma survie.<br />

104 Biaye Mamadou, L’usage pharmacologique des tanins, thèse de doctorat, p. 27. URL : http ://indexmedicus.afro.who.int/iah/fulltext/BIAYEMamadou.pdf<br />

105 Michel Bideaux, Jacques Cartier, p. 173.<br />

106 François-André Michaux, Histoire des arbres forestiers de l’Amérique septentrionale, p. 106.<br />

107 Ce magnifique pin blanc figure au répertoire Les arbres remarquables <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> publié en 1994. Épargné en 1925 à l’occasion d’une coupe de bois (les<br />

moulins à scie de l’époque n’acceptaient pas de semblables colosses), il demeure accessible au public au Camping Base de plein air La Patrie. Conscients de la<br />

valeur de ce joyau patrimonial, les propriétaires sont des gens responsables et accueillants. URL : http ://www.dittonair.com/Activites.html<br />

108 William Douglass, A Summary, Historical and Political of the First Planting, p. 53.<br />

109 La devise « Je me souviens » et l’aphorisme « Que né sous le lys, je croîs sous la rose » sont d’Eugène-Étienne Taché. L’auteur n’établissait pas de lien entre<br />

ceux-ci.<br />

HIVER 2012 - 51


52 HISTOIRES FORESTIÈRES<br />

Merci à noTre coMMAnDiTAire


Merci à noS coMMAnDiTAireS<br />

HIVER 2012 - 53


« La connaissance des plantes médicinales<br />

est une réalité si complexe que toutes les<br />

cultures doivent se donner la main pour en<br />

cerner tous les aspects. » rAD<br />

Je suis Richard Assinuuk Dumont de la Nation huronnewendat,<br />

<strong>du</strong> clan de la Tortue, spécialiste en médecine<br />

naturelle et traditionnelle autochtone, herboriste,<br />

naturopathe et massothérapeute.<br />

Les connaissances touchant les plantes médicinales<br />

me viennent principalement de mon père. Pendant<br />

la belle saison, ce dernier m’amenait à la pêche et à<br />

la chasse. Lors de nos excursions, nous nous arrêtions<br />

pour cueillir des petits fruits et quelques plantes, et il<br />

en profitait pour m’enseigner leurs caractéristiques,<br />

leurs vertus curatives ou autres utilisations provenant<br />

de nos traditions séculaires.<br />

Je ne prétends aucunement détenir les secrets de<br />

la tradition, mais grâce à des lectures et à l’écoute<br />

de mes frères et sœurs wendat et de gens d’autres<br />

communautés, j’ai cueilli au fil des années une<br />

connaissance des plantes médicinales et de leurs<br />

vertus. Cette connaissance fait partie de ce que je<br />

considère comme un riche héritage provenant de<br />

l’expérience et de la sagesse de nos ancêtres qui<br />

vivaient en harmonie avec tous les aspects de leur<br />

environnement.<br />

Depuis, je me suis spécialisé dans différentes sciences<br />

ainsi que dans la connaissance des plantes médicinales<br />

d’autres communautés. Cette histoire a plus de trente<br />

années.<br />

Traditions médicinales<br />

« Le Très haut, dit le Manitou, a fait pro<strong>du</strong>ire à la<br />

terre des médicaments, et l’Homme sage ne doit<br />

pas les ignorer. »<br />

54 HISTOIRES FORESTIÈRES<br />

ESSEncE fOREStIèRE<br />

L’ANNEDDA, L’ARBRE DE VIE<br />

Par richard Assinuuk Dumont, homme-médecine, Nation huronne-wendat<br />

Bien avant que les textes sacrés ne fassent ainsi allusion<br />

à la médication par les plantes, l’usage de certains<br />

végétaux s’était créé, répan<strong>du</strong> et transmis dans les<br />

plus anciennes civilisations connues en raison de leurs<br />

vertus curatives.<br />

De quelle façon les autochtones pouvaient-il savoir ou<br />

connaître les propriétés des plantes ? Tout simplement<br />

en étant à l’écoute de leur intuition profonde et ensuite<br />

par des expériences prenant la forme d’essais et<br />

d’erreurs.<br />

On peut dire qu’il s’agissait des premières<br />

manifestations de l’effort immémorial de l’Homme<br />

pour comprendre et utiliser la nature, répondant à<br />

l’une de ses plus anciennes inquiétudes, celle qui naît<br />

de la maladie et de la souffrance.<br />

Vivant très intimement liés à la Terre-Mère, les peuples<br />

recevaient principalement leurs connaissances à<br />

travers des songes et partageaient leur savoir lors de<br />

leurs voyages entre les différentes communautés ainsi<br />

que par l’échange de plantes et d’informations liées<br />

aux maladies connues.<br />

Par exemple, s’il s’agissait d’un arbre, ils devaient savoir<br />

choisir la partie de l’arbre pour la cueillette : l’écaille, la<br />

ramille, le rameau, la tige ou la racine, selon ce qu’ils<br />

voulaient soigner. Le temps de l’année pour cueillir<br />

était aussi important : printemps, été, automne ou<br />

hiver, en accord avec les propriétés changeantes de la<br />

plante selon les saisons. Aussi, l’âge de l’arbre devait<br />

être semblable à l’âge <strong>du</strong> malade.<br />

La mesure utilisée par les autochtones pour l’emploi<br />

des plantes médicinales était une poignée (environ 40<br />

à 50 g) d’écailles, de ramilles, de rameaux, de tiges, de<br />

racines.<br />

Le thuja occidentalis, entre autres, symbolise l’équilibre.<br />

Il est un excellent purificateur qui prédispose à la<br />

prière, au calme et à la sérénité. Il attire l’énergie, sert à


soigner des infections très variées, éloigne les mauvais<br />

rêves et est souvent utilisé dans les cérémonies chez les<br />

Hurons-Wendat.<br />

L’annedda ou l’arbre de vie ?<br />

Thuja occidentalis aussi appelé faux cèdre blanc<br />

Chez les Hurons-Wendat vivant près de la rivière à<br />

la truite Akiawewhrahk, dite Saint-Charles ou Kabir<br />

Kouba, à proximité de <strong>Québec</strong>, l’arbre avec lequel<br />

Domagaya a soigné l’équipage de Jacques Cartier lors<br />

de son voyage au <strong>Québec</strong>, en 1534, et aussi lors d’un<br />

voyage de Gabriel Sagard est le thuja occidentalis.<br />

« à même la falaise bordant le canyon, le thuya<br />

occidental, appelé à tort cèdre, s’adapte aux rudes<br />

conditions de vie des parois rocheuses. Sa forte<br />

teneur en vitamine c s’avéra un utile remède pour<br />

l’équipage de Jacques cartier souffrant <strong>du</strong> scorbut.<br />

Aujourd’hui, on l’utilise surtout pour fabriquer<br />

des canots, des bardeaux et des coffres de cèdre. »<br />

http://www.chutekabirkouba.com/<br />

Par contre, l’expression « L’arbre de vie » a toujours été<br />

plutôt réservée à l’armoirie traditionnelle de la grande<br />

famille <strong>du</strong> peuple huron-wendat.<br />

Pourquoi cet arbre, le thuja occidentalis, est-il considéré<br />

comme le « fameux » annedda par notre peuple<br />

huron-wendat ?<br />

Parce qu’il fait partie des conifères et contient de la<br />

vitamine C à l’instar de tous les conifères 2, mais surtout<br />

parce qu’il fait partie d’un savoir transmis de façon<br />

orale et parce qu’il est encore et toujours utilisé comme<br />

remède par notre culture dans l’ensemble des rituels<br />

sacrés et même en utilisation domestique. Cet arbre est<br />

omniprésent dans notre environnement.<br />

1<br />

Il ne s’agit en aucune manière de bouder les chemins<br />

des explorateurs et aventuriers venus d’autres<br />

continents, mais d’y apporter la contribution d’un<br />

point de vue pouvant s’avérer des plus enrichissants.<br />

Je crois fortement que nous avons beaucoup à nous<br />

apporter mutuellement. C’est pourquoi je souhaite que<br />

l’on porte de plus en plus attention aux présentations<br />

et aux partages de connaissances de nos frères et<br />

sœurs hurons-wendat et des autres communautés<br />

autochtones afin qu’ils et elles nous fassent entrer<br />

davantage dans la connaissance de leurs richesses<br />

culturelles.<br />

Pour moi, travailler pour la santé des peuples dans ma<br />

communauté, c’est travailler au bien-être, à la joie et à<br />

la raison de vivre de nos frères et sœurs.<br />

C’est par cette approche authentique que nous<br />

pourrons peut-être nous aider à nous libérer de<br />

certaines coutumes ligotées dans la peur.<br />

« L’approche fraternelle dans le respect et<br />

l’émerveillement n’offre que des avantages. » rAD<br />

Redonner à cet arbre, le thuja occidentalis, son nom<br />

wendat, reconstituer son identité et rappeler ses vertus,<br />

c’est reconnaître aux Premières Nations d’Amérique <strong>du</strong><br />

Nord leur apport à la civilisation occidentale.<br />

Protégeons notre environnement. Ayons <strong>du</strong> respect<br />

pour tout ce qui vit.<br />

Tiawenhk Merci<br />

Notes :<br />

Richard Assinuuk Dumont,<br />

homme-médecine, Nation huronne-wendat<br />

1 : Voir le site www.fibres<strong>du</strong>monde.com.<br />

2 : On sait maintenant, avec les études scientifiques, que les substances<br />

antiscorbutiques dans les conifères, dont le thuya, servent à préserver le<br />

collagène qui imperméabilise la paroi interne des plus fins vaisseaux sanguins,<br />

au même titre que la vitamine C.<br />

HIVER 2012 - 55


chROnIquE AnthROpOlOgIquE<br />

QuELLE PLACE PouR LES<br />

PREMIèRES NAtIoNS DANS<br />

L’HIStoIRE FoREStIèRE ?<br />

56 HISTOIRES FORESTIÈRES<br />

Par Martin Hébert<br />

Ph. D., professeur d’anthropologie à l’Université Laval et vice-président de la SHFQ<br />

La foresterie contemporaine sait qu’elle ne peut plus<br />

faire l’économie d’une prise en compte des aspirations,<br />

des intérêts et des valeurs des Peuples autochtones.<br />

Avec le recul historique, nous pourrions dire qu’en fait,<br />

elle n’a jamais véritablement pu se permettre une telle<br />

négligence. Mais ce fut le cas et, tel un château de carte<br />

construit sur des bases sociales bancales, nous avons<br />

échafaudé des modes de gestion de la forêt souvent<br />

aveugles aux usages, aux connaissances…et aux<br />

droits (mêmes prouvés papiers en main) des Premières<br />

Nations.<br />

Nous nous trouvons donc aujourd’hui dans une<br />

période de reconstruction des rapports entre l’État<br />

québécois, le public, les entreprises <strong>forestière</strong>s et<br />

les Premières Nations. Dans ce chantier collectif,<br />

nous devons établir sur quelles bases reposera<br />

la cohabitation entre ces divers acteurs. L’intérêt<br />

économique, certes, entre dans l’équation. La forêt<br />

fait vivre bien des gens. Même le rapport de la<br />

Commission Royale sur les Peuples Autochtones de<br />

1996 souligne que la forêt est le meilleur levier de<br />

développement économique à moyen terme pour<br />

les Premières Nations <strong>du</strong> Canada. La pérennité des<br />

écosystèmes forestiers est clairement une autre de<br />

ces assises. Depuis des années, nous menons des<br />

entrevues régulières avec une diversité de personnes<br />

touchées et intéressées par les questions <strong>forestière</strong>s<br />

au <strong>Québec</strong>. Invariablement, nous constatons chez<br />

elles un attachement émotionnel et identitaire aux<br />

forêts. Les visions de ce que cet attachement signifie<br />

en termes pratiques varient beaucoup, comme on s’en<br />

doute, mais la préoccupation pour une forêt saine,<br />

elle, est commune. Mais outre ces deux piliers bien<br />

connus, qui ne font en fait que nous rappeler à quel<br />

point le « développement <strong>du</strong>rable » a fait son chemin<br />

dans les imaginaires québécois, il en existe au moins<br />

un autre sur lequel devrait être construite une vision<br />

commune de la forêt : l’histoire.<br />

L’histoire est particulièrement importante lorsqu’on<br />

s’intéresse à la place des Premières Nations dans le<br />

monde forestier aujourd’hui. L’histoire, ce n’est pas<br />

le folklore, ce n’est pas la nostalgie d’une culture<br />

traditionnelle préservée sous une cloche en verre.<br />

L’histoire, c’est avant tout avoir le sens d’où nous<br />

venons et d’où nous allons. Malheureusement, l’histoire<br />

<strong>forestière</strong> a encore beaucoup de chemin à faire pour<br />

véritablement dialoguer avec les Premières Nations à ce<br />

sujet. Pourtant, la contribution des premiers habitants<br />

<strong>du</strong> territoire à la construction d’une histoire <strong>forestière</strong><br />

commune peut être considérable. Réciproquement,<br />

l’histoire <strong>forestière</strong> telle que nous la connaissons<br />

aujourd’hui, qui documente l’évolution de l’in<strong>du</strong>strie,<br />

des sciences <strong>forestière</strong>s, des attitudes populaires, des<br />

cadres législatifs, et des écosystèmes peut s’avérer<br />

une ressource précieuse pour les Premières Nations.<br />

Quelle place pour les Premières Nations dans l’histoire<br />

<strong>forestière</strong>, alors ? Cette place est au moins triple. Elle se<br />

situe dans la pro<strong>du</strong>ction de connaissances historiques,<br />

dans le partage des expériences historiques et dans la<br />

construction de ce que nous pouvons appeler un « sens<br />

de l’histoire » dans le monde forestier.<br />

Les Premières Nations contribuent depuis longtemps<br />

à la pro<strong>du</strong>ction de notre savoir historique. Elles ont<br />

mis en évidence l’importance de la tradition orale<br />

comme source de savoirs et ont ainsi permis, dans<br />

plusieurs cas, d’aller au-delà des archives écrites pour<br />

comprendre le passé. La tradition orale nous raconte<br />

des événements qui sont passés sous silence dans les<br />

chroniques officielles de l’histoire. Elle nous ouvre une<br />

fenêtre sur la réalité d’indivi<strong>du</strong>s et de sociétés que,<br />

souvent, on tentait d’exclure <strong>du</strong> territoire. Mais outre<br />

ces contributions précieuses à ce que nous savons de<br />

l’histoire <strong>forestière</strong> québécoise, la tradition orale nous<br />

interroge également sur comment nous construisons ce<br />

savoir. L’image stéréotypée de l’historien travaillant en<br />

ermite dans ses cartons poussiéreux pour trouver « les


faits » historiques est mise à mal, ou <strong>du</strong> moins jugée<br />

insuffisante, lorsque confrontée au caractère<br />

vivant, fluide et relationnel de la tradition orale.<br />

Au-delà des connaissances qu’apportent les<br />

Premières Nations à notre compréhension de<br />

« ce qui s’est passé » dans notre histoire <strong>forestière</strong><br />

commune, au-delà des autres manières de<br />

connaître cette histoire qu’elles proposent,<br />

l’implication des Premières Nations dans la<br />

construction de notre histoire <strong>forestière</strong> a d’autres<br />

bénéfices que ceux d’aider à repenser notre<br />

historiographie. Elle s’inscrit dans un dialogue<br />

plus profond sur la diversité des expériences<br />

de la forêt québécoise. Nous parlons beaucoup,<br />

aujourd’hui, de la prise en compte des « valeurs »<br />

<strong>forestière</strong>s. Mais comment comprendre ces<br />

valeurs, comment ouvrir un dialogue à propos<br />

de ces valeurs, si nous ignorons le contexte dans<br />

lequel elles ont émergé et l’avenir qu’elles nous<br />

proposent ? Par exemple, nous observons, sur<br />

le terrain, énormément d’incompréhensions<br />

liées au sens et à l’importance des droits des<br />

Premières Nations. Ces droits demandent une<br />

mise en contexte historique, d’être liés avec une<br />

expérience d’habitation <strong>du</strong> territoire, puis de<br />

dépossession <strong>du</strong> territoire. Ils demandent d’être<br />

compris dans un contexte d’alliances et, oui,<br />

de trahisons historiques. Mais ils existent aussi<br />

dans une histoire réelle, vécue, de cohabitation,<br />

d’échanges et de reconnaissance <strong>du</strong> fait que la<br />

forêt est un lieu d’histoires multiples. Ouvrir un<br />

dialogue à propos de nos histoires <strong>forestière</strong>s<br />

permet, en bout de ligne, une meilleure<br />

compréhension entre les acteurs <strong>du</strong> monde<br />

forestier.<br />

Merci à noTre MeMBre VAn BrUYSSeL<br />

Ces deux contributions sont importantes, mais<br />

là où la participation des Premières Nations dans<br />

la (re)construction de notre histoire <strong>forestière</strong> est<br />

encore plus cruciale, c’est dans leur participation<br />

au développement d’une conscience historique<br />

commune, d’un sentiment partagé que nous sommes tous en train de construire notre histoire <strong>forestière</strong>, au<br />

quotidien, dans chacun des choix que nous faisons, dans chacune des décisions que nous prenons. Certains<br />

appellent cela avoir le « sens » de l’histoire. Nous le développons de plus en plus dans notre manière de penser les<br />

écosystèmes, mais nous n’avons encore que très peu développé ce sens de l’histoire dans nos rapports sociaux<br />

autour de la forêt. Quel passé nous a mené à la même table ici, aujourd’hui ? Quel avenir sommes-nous en train<br />

d’y créer pour nos descendants qui auront, pour sept, dix, vingt générations, à cohabiter sur ce territoire. Voilà des<br />

questions à la fois profondément historiques et profondément d’actualité. La légitimité, l’équité et le legs historique<br />

de nos choix en dépendent.<br />

HIVER 2012 - 57


REchERchE<br />

La langue wendat, connue aussi comme la langue<br />

« huronne » ou la langue « huronne-wendat », s’est tue<br />

depuis plus d’un siècle. Le wendat fait partie de la famille<br />

linguistique iroquoïenne à laquelle appartiennent aussi<br />

les langues des nations de la confédération iroquoise ainsi<br />

que le cherokee et le wyandot. Bien que la période <strong>du</strong><br />

temps pendant laquelle la langue wendat soit disparue<br />

reste encore nébuleuse, il y a au moins un siècle depuis<br />

le décès des derniers locuteurs courants de la langue<br />

wendat. Selon les données historiques, il semble que la<br />

langue wendat était moribonde environ 1850, alors que<br />

la transmission de la langue d’une génération à l’autre a<br />

effectivement cessé. Malgré le manque de locuteurs ou<br />

même de personnes qui ont enten<strong>du</strong> la langue parlée<br />

dans leurs foyers d’enfance, la langue wendat est bien<br />

documentée en textes rédigés par des missionnaires.<br />

Les Jésuites ont pro<strong>du</strong>it environ dix dictionnaires ainsi<br />

qu’une grammaire pendant leur séjour chez les Wendat<br />

aux 17 e et 18 e siècles. C’est à partir de ces ressources<br />

linguistiques de valeur inestimable que le peuple<br />

wendat est en train de réapprendre sa langue ancestrale.<br />

Grâce à une subvention ARUC (Alliances de recherche<br />

universités-communautés) <strong>du</strong> Conseil de recherches<br />

en sciences humaines, le wendat est l’objet d’un<br />

effort majeur de revitalisation linguistique depuis<br />

2007. Financé pour une période de cinq ans, le projet<br />

Yawenda « la voix » est une collaboration entre la Nation<br />

huronne-wendat et l’Université Laval. Les objectifs<br />

généraux <strong>du</strong> projet sont :<br />

1. Effectuer une reconstruction linguistique de la<br />

langue wendat à partir des sources écrites ;<br />

2. Former des futurs professeurs de la langue ;<br />

3. Pro<strong>du</strong>ire <strong>du</strong> matériel didactique pour tous les<br />

groupes d’âge. C’est dans le cadre de ce projet<br />

que la revitalisation linguistique de notre langue<br />

avance.<br />

58 HISTOIRES FORESTIÈRES<br />

LExIQuE PARtIEL<br />

Du VoCABuLAIRE RELAtIF Aux ARBRES<br />

Par Megan Lukaniec, linguiste huronne-wendat, Projet Yawenda<br />

Afin d’apprendre une langue à partir des sources écrites,<br />

il faut d’abord effectuer une analyse linguistique. La<br />

plupart de nos sources primaires ont été rédigées par<br />

des jésuites francophones. Bien que les Jésuites eussent<br />

un répertoire linguistique impressionnant, ils n’étaient<br />

pas habitués à entendre certains sons qui apparaissent<br />

dans la langue wendat, notamment l’aspiration (le<br />

son représenté par la lettre « h » en anglais) et l’arrêt<br />

glottal (représenté par l’apostrophe dans l’orthographe<br />

standardisée <strong>du</strong> wendat). Ces deux sons, parce qu’ils<br />

ne font pas partie de l’inventaire phonétique de la<br />

langue française, ont été difficiles à reconnaître pour<br />

ces missionnaires. Par contre, en langue wendat, ces<br />

sons sont en fait des phonèmes, c’est-à-dire que l’ajout<br />

ou la perte d’un tel son entraîne un changement dans<br />

la sémantique <strong>du</strong> mot. Ceci dit, il faut vérifier la forme<br />

sous-jacente d’un mot et réparer ces sons au besoin.<br />

Ce processus de reconstruction linguistique consiste<br />

à faire une analyse historique et comparative. Chaque<br />

lexème en wendat, qu’il soit racine, radical, affixe ou<br />

particule, est comparé avec les données dans toutes<br />

les autres langues iroquoïennes afin de trouver leurs<br />

« cognates » ou bien les mots apparentés qui proviennent<br />

de la même source dans la langue mère. Quand ces<br />

« cognates » sont identifiés, en connaissant les différents<br />

changements phonologiques qui ont eu lieu dans<br />

chacune de ces langues, on est capable de trouver la<br />

« vraie » forme <strong>du</strong> lexème et ensuite de le transcrire selon<br />

l’orthographe standardisée pour le wendat. Le processus<br />

au complet prend un minimum d’une heure pour la<br />

reconstruction et la standardisation d’un seul mot.<br />

Le minilexique qui suit est le pro<strong>du</strong>it d’une telle analyse<br />

linguistique. La plupart de ces lexèmes ont été recueillis<br />

dans un manuscrit rédigé vers le milieu <strong>du</strong> 18 e siècle<br />

par le jésuite Père Pierre Potier. Ce manuscrit, intitulé<br />

Miscellanea : Vocabulaire huron-français, contient près<br />

de 1 500 mots parmi ses 19 feuillets. L’original de ce<br />

manuscrit se trouve aujourd’hui dans la collection<br />

Gagnon à la Bibliothèque municipale de Montréal.


eSPèceS D’ArBreS :<br />

Tra<strong>du</strong>ction en wendat<br />

Tra<strong>du</strong>ction dans le<br />

manuscrit de Potier<br />

Équivalent en français<br />

moderne<br />

tsi’ngwendah chêne rouge chêne rouge red oak<br />

yarahkwa’t orme orme elm<br />

ohohch orme gras orme gras slippery elm<br />

Équivalent en anglais<br />

ohohchra’ bois blanc (gros) tilleul d’Amérique basswood or american linden<br />

yändo’yara’ tremble tremble aspen<br />

öndawa’ frêne (gras) frêne noir black ash<br />

yändahtsehkwa’ bouleau bouleau birch<br />

wahta’ érable érable maple<br />

ahndehta’ pin pin pine<br />

önen’ta’<br />

tout arbre qui ne flétrit pas<br />

comme le cèdre et le sapin<br />

arbre à feuilles persistantes evergreen<br />

o’ndeat hêtre hêtre beech<br />

ousehta’ liard peuplier à feuilles deltoïdes cottonwood<br />

yänen’tenhs épinette rouge mélèze laricin tamarack<br />

oskwa’ta’ cèdre cèdre cedar<br />

yängo’ta’ cèdre blanc cèdre blanc white cedar<br />

MoTS eT exPreSSionS reLATiFS à L’ArBre :<br />

yaronta’ « arbre »<br />

« tree »<br />

yaronto’ « arbre dans l’eau qui sert de<br />

pont pour traverser une rivière »<br />

« tree in water that is used as a<br />

bridge to cross a river »<br />

yarontout « arbre debout »<br />

« standing tree »<br />

yarontowänenh « l’arbre qui est grand, important ou<br />

vieux »<br />

« large, old or important tree »<br />

yarontïio « grand, bel arbre »<br />

« large or beautiful tree »<br />

ohtehra’ « racine d’arbre »<br />

« tree root »<br />

otsihkout « nœud d’arbre »<br />

« tree knot »<br />

yahsta’ « écorce d’arbre »<br />

« tree bark »<br />

yarenha’ « branche, cime d’arbre »<br />

« tree branch »<br />

yänrahta’ « feuille »<br />

« leaf »<br />

ohchinda’ « souche »<br />

« stump »<br />

yaenta’ « bûchette, bâton »<br />

« stick, small log »<br />

yarha’ « forêt »<br />

« forest »<br />

ohndiera’ « gland »<br />

« acorn »<br />

orända’ « eau d’érable »<br />

« maple sap »<br />

önensta’ « graine(s) »<br />

« seed(s) »<br />

önonhkwenha’ « menue(s) graine(s) »<br />

« small seed(s) »<br />

HIVER 2012 - 59


60 HISTOIRES FORESTIÈRES


HIVER 2012 - 61


62 HISTOIRES FORESTIÈRES<br />

Merci à noTre MeMBre VAn BrUYSSeL<br />

Merci à noS coMMAnDiTAireS


Merci à noS coMMAnDiTAireS<br />

PeTiT-MoTeUr-MicHeL-enr.<br />

1620 Boul. Raymond<br />

Wendake<br />

gArAge MArTin W PicArD<br />

567, Chef Stanislas Koska<br />

Merci à noTre MeMBre VAn BrUYSSeL<br />

HIVER 2012 - 63


EntREVuE D’hIER À AuJOuRD’huI<br />

Par Delphine Théberge, anthropologue et chargée de projet à la SHFQ<br />

Le lien que les Hurons-Wendat entretiennent avec le<br />

territoire n’est pas nouveau et reste solide génération<br />

après génération. Cet attachement sans cesse renouvelé<br />

à la forêt est présenté sous un angle particulier<br />

à travers les entrevues suivantes. Tout d’abord, Mario<br />

Gros-Louis, un jeune ingénieur forestier qui travaille<br />

à défendre les droits de sa nation, exprime comment<br />

se vit aujourd’hui le lien avec le territoire. Juxtaposés à<br />

ses propos, les extraits d’une entrevue avec son grandpère,<br />

Harry Gros-Louis Jr. (né en 1907), ajoutent une<br />

perspective historique au discours de Mario. Ensuite,<br />

une rencontre avec un aîné très respecté à Wendake,<br />

M. Roland Pitre Sioui (né en 1933), agrémente cette rubrique<br />

avec des anecdotes qui tra<strong>du</strong>isent son fort attachement<br />

au territoire et son désir de transmission de<br />

ses connaissances liées à la vie en forêt.<br />

Mario gros-Louis et Harry gros-Louis Jr.<br />

Dans le cadre d’un stage au ministère des Ressources<br />

naturelles et de la Faune, supervisé par le secteur<br />

Forêt <strong>Québec</strong> et par la <strong>Société</strong> d’histoire <strong>forestière</strong><br />

<strong>du</strong> <strong>Québec</strong>, Julie Asselin, étudiante au baccalauréat<br />

en anthropologie, a réalisé une entrevue avec<br />

M. Mario Gros-Louis, ingénieur forestier et analyste en<br />

aménagement <strong>du</strong> territoire au Bureau <strong>du</strong> Nionwentsïo 1 .<br />

Mario Gros-Louis, petit-fils d’Harry, explique que la<br />

fréquentation <strong>du</strong> territoire fait toujours partie des<br />

activités des Hurons-Wendat pour qui la relation avec la<br />

forêt est encore cruciale. À travers les propos de M. Gros-<br />

Louis, des extraits d’un entretien fait à Radio-Canada,<br />

en 1968, avec M. Harry Gros-Louis Jr 2 , exposent le vécu<br />

en forêt d’un homme qui « a toujours été trappeur ».<br />

Julie : Est-ce que tu fréquentes beaucoup la forêt ?<br />

Mario : J’ai un terrain de trappe. Je suis chasseur. Je<br />

suis pêcheur. Je vais en forêt presque toutes les fins<br />

de semaine. J’ai un chalet de trappe et je veux m’en<br />

1 La publication de cette entrevue, d’abord réalisée de manière<br />

anonyme, a été ren<strong>du</strong>e possible grâce à l’autorisation de M. Mario Gros-<br />

Louis.<br />

2 Ces extraits sont disponibles grâce au travail remarquable de Jean-<br />

François Richard et de son équipe.<br />

64 HISTOIRES FORESTIÈRES<br />

Mario Gros-Louis devant son camp, secteur rivière <strong>du</strong> Moulin<br />

Source : Mario Gros-Louis<br />

construire un autre ailleurs, pour d’autres activités.<br />

Aller en forêt me permet d’enseigner des choses à mes<br />

enfants. C’est extrêmement important ! La forêt, c’est<br />

ma nourriture. Chez nous, on mange tout le temps de<br />

l’orignal, <strong>du</strong> poisson, <strong>du</strong> chevreuil ou des pro<strong>du</strong>its de<br />

la forêt. Je récolte également mon bois de chauffage<br />

dans la réserve faunique des Laurentides. Je récolte<br />

aussi des plantes, des petits fruits ainsi que bien<br />

d’autres aliments comestibles. Ce que je fais en forêt<br />

est large ; j’en profite même quelques fois pour me<br />

reposer. Se reposer et relaxer, c’est aussi important.<br />

Quand on va en forêt, on n’est pas à la chasse ou à<br />

la pêche 24 heures sur 24 ! C’est la relaxation aussi.<br />

L’accès à la forêt, c’est un droit qui est protégé par le<br />

Traité Huron-Britannique.<br />

Julie : Qu’est-ce que tu fais comme travail ?<br />

Mario : Je suis ingénieur forestier. J’occupe un poste<br />

d’analyste en aménagement <strong>du</strong> territoire au sein<br />

<strong>du</strong> Bureau <strong>du</strong> Nionwentsïo, à Wendake. Mon travail<br />

consiste à représenter la Nation huronne-wendat<br />

sur différentes tables et sur différents comités. Je fais


Témoignage de Harry Gros-Louis :<br />

La forêt m’a toujours attiré. Je pense que j’avais un peu ça<br />

dans le sang, comme mes arrières-grands-pères et mon père,<br />

qui ont toujours été des trappeurs.<br />

J’ai commencé à trapper et à courir les bois dès mon jeune<br />

âge, avec mon père et mon grand-père, Daniel Gros-Louis.<br />

J’ai commencé vers treize ans à partir avec eux <strong>du</strong>rant mes<br />

vacances d’été. C’est avec eux que j’ai commencé ma carrière<br />

de trappeur.<br />

On partait avec un peu de graisse, un sac de farine et un petit<br />

peu de soda à pâte. On vivait là-bas avec les animaux qu’on<br />

prenait : le lièvre, le castor… On mangeait avec ça.<br />

de la représentation au niveau régional, comme aux<br />

Commissions régionales sur les ressources naturelles<br />

et le territoire (CRNT), aux Tables de gestion intégrée<br />

des ressources et <strong>du</strong> territoire (TGIRT), aux comités<br />

de bassins versants et à bien d’autres comités. On a<br />

tellement de demandes pour siéger sur différents<br />

comités qu’on n’a pas le choix d’en refuser. Il faudrait<br />

avoir plus de ressources financières et humaines.<br />

Je m’occupe également des consultations qui entrent<br />

ici, au Conseil de la Nation huronne-wendat. C’est<br />

beaucoup de travail et je le fais en collaboration<br />

avec plusieurs personnes de notre équipe. Par<br />

contre, les consultations permettent, en attendant<br />

un meilleur processus, de s’impliquer et de protéger<br />

certaines parties de notre territoire en réaction au<br />

développement. Dans un monde idéal, il est essentiel<br />

que la Nation huronne-wendat soit impliquée en<br />

amont de tout processus de développement.<br />

Julie : Donc, tu vas en forêt pour tes activités, et ton<br />

travail est en lien avec celle-ci. Mais qu’est-ce que la<br />

forêt représente pour toi ?<br />

Mario : La forêt, c’est ma vie. Tout ce que je fais<br />

finalement converge vers la forêt. Je travaille pour<br />

protéger la forêt, pour protéger nos droits, pour<br />

protéger l’intégrité <strong>du</strong> territoire. La forêt, c’est<br />

également un milieu de vie, une réserve de nourriture,<br />

de plantes, de fruits, etc. S’il n’y a plus de forêt, je<br />

n’existe plus. La forêt est extrêmement importante<br />

pour l’ensemble des Hurons-Wendat parce qu’on<br />

est un peuple de chasseurs, indépendamment de<br />

ce que l’histoire a déjà écrit sur nous, dans laquelle<br />

Les Hurons-Wendat Harry Gros-Louis Sr., Adélard Gros-Louis, Harry Gros-<br />

Louis Jr. et M. Picard<br />

Source : Gingras, Lirette et Gilbert, 1989, Le Club Triton, p. 218<br />

Un coup ren<strong>du</strong> dans la forêt, on était au paradis. Les affaires d’ici, ça n’existait plus. On partait et, ren<strong>du</strong> là-bas, on faisait<br />

notre vie. On vivait notre vie. On aimait notre vie.<br />

Durant les saisons d’été, pour prendre mes vacances, j’étais guide pour les touristes américains. Curieuses de vacances pour<br />

certains, mais c’était mon plaisir à moi.<br />

on affirmait qu’on était seulement des agriculteurs.<br />

C’est faux. On est aussi des utilisateurs <strong>du</strong> territoire.<br />

Ce n’est pas juste mon garde-manger à moi, c’est<br />

celui de l’ensemble de la Nation. Il y a d’ailleurs des<br />

chasses communautaires qui se font pour les aînés qui<br />

peuvent difficilement se rendre sur le territoire. On fait<br />

de la chasse communautaire pour que tout le monde<br />

puisse avoir des pro<strong>du</strong>its de la forêt. C’est un droit<br />

pour tous les Wendat.<br />

Je travaille aussi pour la protection <strong>du</strong> territoire. Nos<br />

membres veulent avoir une forêt de qualité et récolter<br />

tout ce dont ils ont besoin pour survivre. Au Bureau<br />

<strong>du</strong> Nionwentsïo, on assure l’intégrité <strong>du</strong> territoire pour<br />

que tout le monde puisse poursuivre ses activités<br />

coutumières.<br />

Témoignage de Harry Gros-Louis :<br />

Il y avait le castor, la martre, le vison, le pékan, le loupcervier,<br />

la loutre… Tous ces animaux nous payaient, car<br />

on vendait la fourrure. On faisait de très bonnes chasses…<br />

au début !<br />

On a fait de très bons hivers. Naturellement, les hivers<br />

ne se ressemblent pas tous. Il y a des baisses, il y a des<br />

hausses. C’est comme la bourse : il y a des baisses, il y<br />

a des hausses. On est parfois sorti avec des chasses de<br />

trois mille piastres, quatre mille piastres pour une saison.<br />

C’est assez raisonnable. On ne demandait pas d’avoir des<br />

affaires pour devenir millionnaire. De toute façon, notre<br />

argent de millionnaire, on n’aurait pas su où le déposer.<br />

HIVER 2012 - 65


Témoignage de Harry Gros-Louis :<br />

Maintenant, ils ont rouvert leur fameux parc national.<br />

Cette fermeture nous avait fait mal. Ils arrivaient et ils nous<br />

tassaient d’ici et là. Un Indien, c’était timide un peu. « Ôtetoi<br />

de là, tu nous nuis. » On se rangeait, on leur donnait<br />

un petit pouce, on leur donnait un autre petit pouce…<br />

Finalement, à force de leur donner des petits pouces, ils<br />

ont englobé tout le territoire. Ça nous a fait mal au cœur.<br />

On avait un beau territoire de chasse, on gagnait notre<br />

vie honorablement et honnêtement. Quand ils nous ont<br />

délogés, ils nous ont fait la vie <strong>du</strong>re.<br />

Julie : À quoi peut servir la forêt ?<br />

Mario : La forêt, c’est un milieu de vie. Elle sert à<br />

supporter presque toute la biodiversité, dont les<br />

humains. Elle sert de garde-manger, de médecine,<br />

d’abris, de source d’énergie (bois de chauffage), etc.<br />

S’il n’y a plus de forêt, la Nation huronne-wendat (et<br />

l’ensemble des êtres humains) n’existe plus. Lorsqu’il<br />

n’y a plus de forêt, beaucoup d’espèces disparaissent.<br />

La forêt présente avant l’arrivée des non-autochtones<br />

avait une certaine stabilité. Aujourd’hui, la récolte<br />

de matière ligneuse, les mines, l’exploitation<br />

hydroélectrique et l’apparition d’espèces exotiques<br />

contribuent à cette perte de biodiversité et d’habitat. Il<br />

est important de noter que la forêt joue également un<br />

rôle essentiel au niveau <strong>du</strong> cycle <strong>du</strong> carbone.<br />

Julie : Pour toi, qu’est-ce qu’une forêt en santé ?<br />

Mario : Une forêt en santé n’a aucune espèce en péril et<br />

elle me permet de récolter ce dont j’ai besoin. C’est une<br />

forêt originale aussi, avec un bon ratio de forêts matures,<br />

de forêts en transition et de forêts de régénération.<br />

Il ne faut pas déséquilibrer la forêt. Nous, on travaille<br />

beaucoup sur l’intégrité <strong>du</strong> territoire en utilisant les<br />

critères d’aménagement écosystémique. On essaie<br />

66 HISTOIRES FORESTIÈRES<br />

Harry Gros-Louis Jr. et son cousin Armand en route pour un travail sur le<br />

territoire <strong>du</strong> Triton<br />

Source : Gingras, 2010, <strong>Québec</strong> à l’époque des pionniers, p. 522<br />

Quand les gardiens ont rouvert leur parc national, ils suivaient nos « trails » et ils rattrapaient nos pistes. Ils brisaient nos<br />

pièges. Ils ont même jusqu’à brûlé nos cabanes. Ils nous mettaient en péril !<br />

Au début de l’automne, on portageait nos provisions. Ça nous prenait un mois, un mois et demi, à monter. On faisait<br />

plusieurs voyages. Le soir, à l’arrivée, il n’y avait pas de caprice. On ouvrait notre toile et notre couverte, on se cassait trois<br />

ou quatre branches de sapin, on se pliait sous un arbre et on s’abritait pour la nuit. Le lendemain matin, naturellement tout<br />

habillé, on se levait et on était prêt. Une tasse de thé et on retournait en arrière chercher les bagages qu’on avait laissés là,<br />

la veille. Tout notre bagage devait suivre comme ça. On marchait pour un mille, deux milles. Ensuite, on revenait chercher<br />

le bagage qu’on avait laissé en arrière. Vous savez, quand on portage de même pendant un mois, un mois et demi, pour se<br />

rendre à destination, qu’on y arrive enfin, que les gardiens sont passés et que nos poches de farine ont été coupées avec un<br />

couteau… Ils risquaient de nous faire périr de faim.<br />

Quand ils ont rouvert leur parc national, ils ont dit que c’était pour la protection de la faune. Ils ont pris le parc national<br />

pour protéger la faune, et le premier animal qu’ils ont tué, ça a été l’Indien.<br />

d’avoir une proportion adéquate des différentes classes<br />

d’âge de forêt et on s’assure de conserver l’ensemble<br />

des espèces.<br />

Julie : Selon toi, quelle serait la meilleure façon de gérer<br />

la forêt ?<br />

Mario : La façon idéale serait que les nations<br />

autochtones gèrent la forêt. En ce moment, je pense que<br />

le gouvernement <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> a essayé, et il a échoué.<br />

Est-ce que nous autres, on peut faire pire ? Je ne pense<br />

pas, car on peut apprendre des erreurs commises.<br />

Il faut aussi développer des partenariats et faire de la<br />

cogestion. On ne se cachera pas qu’il y a quand même<br />

de bons experts au MRNF, qu’on n’a pas ici. Depuis<br />

plusieurs années, ils ont pu développer une bonne<br />

expertise avec l’argent provenant de notre territoire,<br />

en quelque sorte. On ne dira pas demain : « Tassezvous,<br />

c’est les Hurons-Wendat qui gèrent à partir<br />

d’aujourd’hui. » Il y a de bons experts au Ministère avec<br />

qui on pourrait collaborer et eux pourraient collaborer<br />

avec nous. Je pense que, dans le futur, l’implication des<br />

Premières Nations sera essentielle à une bonne gestion<br />

<strong>forestière</strong>, et notre présence se fera de plus en plus<br />

sentir.


Pour assurer une meilleure gestion de la forêt, il faut<br />

que l’in<strong>du</strong>strie <strong>forestière</strong> prenne moins de place.<br />

Cet élément est très important parce qu’il n’y a pas<br />

juste la récolte de matière ligneuse qui est possible,<br />

il y a également la récolte de pro<strong>du</strong>its forestiers<br />

non ligneux, la chasse, la pêche, la villégiature, le<br />

récréotourisme, l’observation, etc. Il y a plus d’argent<br />

à faire en faisant autre chose que juste de la récolte<br />

ligneuse. Il faut trouver un bon équilibre au niveau<br />

économique. Il faut comprendre que l’in<strong>du</strong>strie<br />

<strong>forestière</strong> offre de bons emplois et soutient plusieurs<br />

villes, ce qui est politiquement dangereux pour un<br />

gouvernement qui désire prendre un tel virage.<br />

De plus, les redevances provenant de ce secteur<br />

d’activité sont loin d’être extraordinaires. Nos<br />

territoires sont pillés depuis des années, et la Nation<br />

huronne-wendat ne perçoit pas de redevances pour<br />

l’exploitation des ressources de son territoire, mais ce<br />

n’est qu’une question de temps.<br />

Julie : Est-ce que tu penses que la forêt est mieux gérée<br />

qu’avant ?<br />

C’est sûr que la gestion des forêts aujourd’hui est<br />

moins pire qu’il y a vingt ans. Il y a eu beaucoup<br />

d’améliorations. Dans le temps des concessions<br />

<strong>forestière</strong>s, il n’y avait aucune consultation. C’était une<br />

forme de privatisation <strong>du</strong> territoire où les Premières<br />

Nations n’étaient surtout pas invitées. La récolte se<br />

faisait sans tenir compte des gens qui utilisaient ce<br />

territoire. On coupait comme on voulait. C’était une<br />

manière très coloniale de faire les choses. Aujourd’hui,<br />

les choses ont en partie changé parce qu’il y a des<br />

allochtones qui ont « chialé ». Nous, on crie depuis<br />

longtemps de la mauvaise gestion, mais on n’est<br />

jamais pris au sérieux.<br />

Pour une meilleure gestion de la forêt, il doit tout<br />

d’abord y avoir des discussions de nation à nation.<br />

Quand on va s’asseoir au niveau régional avec des<br />

utilisateurs <strong>du</strong> territoire avec des droits bien différents,<br />

on est là comme personnes non votantes et pour<br />

s’assurer de faire protéger certains éléments en amont<br />

des consultations finales, ce qui nous permet d’alléger<br />

ces dernières. La Nation huronne-wendat a décidé de<br />

participer à titre de membre non votant (ex. : CRNT,<br />

TGIRT, etc.), car on ne peut participer à un processus<br />

démocratique avec des allochtones qui risquent de<br />

prendre des décisions pouvant affecter nos droits<br />

sur nos territoires. Advenant le cas où une situation<br />

semblable se pro<strong>du</strong>irait, une Première Nation ne<br />

pourrait se permettre de s’isoler des autres membres<br />

par un vote inégal. De plus, les Premières Nations<br />

disposent d’un canal privilégié avec les gouvernements<br />

pour discuter des effets que les décisions auront sur<br />

nos droits et ensuite parler d’accommodement. C’est<br />

par ce canal que les Hurons-Wendat vont faire valoir<br />

leurs droits.<br />

Julie : Selon toi, quelles sont les valeurs à protéger sur<br />

le territoire ?<br />

Mario : Quand on parle de valeurs, ça me fait penser à<br />

tellement de choses, parce qu’on a plusieurs valeurs. Moi,<br />

je pense tout de suite à la Nation huronne-wendat et à nos<br />

droits de Traité. C’est l’idée qui me vient en tête lorsqu’on<br />

me parle de valeurs. Mais, il y a aussi l’enseignement :<br />

enseigner ce que l’on sait à nos enfants. Au niveau <strong>du</strong><br />

territoire, c’est extrêmement important que mes enfants<br />

sachent ce que je sais. La tradition orale se transmet de<br />

cette façon. Moi, j’enseigne ce qu’on m’a enseigné, ce<br />

qu’on enseigne de génération en génération.<br />

L’intégrité <strong>du</strong> territoire est aussi une valeur importante :<br />

s’assurer que toutes les espèces sont présentes et que<br />

je puisse en récolter jusqu’à la fin de mes jours, ainsi<br />

que mes enfants et leurs enfants. On entre alors dans<br />

le concept de développement <strong>du</strong>rable : s’assurer que<br />

mes enfants, leurs enfants et ainsi de suite, puissent<br />

profiter autant que moi <strong>du</strong> territoire. C’est sûr que moi,<br />

j’aurais aimé ça en profiter autant que mes ancêtres,<br />

mais on s’est fait voler un territoire qu’on n’a jamais<br />

cédé et ça continue aujourd’hui. On s’est tellement<br />

fait tasser depuis l’avènement des clubs de chasse,<br />

des concessions <strong>forestière</strong>s, de la privatisation, de la<br />

création des réserves fauniques, des parcs, etc. On a tout<br />

le temps eu l’impression que c’est nous qui dérangions,<br />

alors que c’est nous autres qui nous faisions déranger.<br />

Témoignage de Harry Gros-Louis :<br />

Je me souviens, ils m’avaient donné un badge comme<br />

gardien pour faire la patrouille d’une certaine partie de<br />

territoire. Un moment donné, j’ai eu un coup de téléphone<br />

et ils m’ont fait descendre au Parlement pour me dire :<br />

« Veuillez déposer votre badge sur le bureau. » J’ai dit :<br />

« Pourquoi mettre mon badge sur le bureau ? Est-ce que<br />

j’ai fait une infraction, quelque chose ? » Ils ont dit : « On<br />

n’a aucun compte à vous rendre. Mettez le badge sur le<br />

bureau, un point, c’est tout. » Alors, j’ai pris le badge et je<br />

l’ai déposé sur le bureau.<br />

Là, ils ont voulu essayer de me faire prendre un permis<br />

de trappeur. J’ai dit : « Un permis de trappeur ? Je n’ai pas<br />

besoin d’un permis de trappeur ! Je suis un Indien. » Ils ont<br />

dit : « Oui, mais pour vous conformer au règlement. » J’ai<br />

dit : « Je n’ai pas d’affaire à me conformer à vos lois et à vos<br />

règlements, je suis un Indien ! Je ne suis pas pour prendre<br />

un permis pour rentrer chez nous ! »<br />

HIVER 2012 - 67


Finalement, les jugements de la Cour suprême ont<br />

commencé à reconnaître les droits des Autochtones. Il<br />

n’y a pas si longtemps, on se faisait courir par des gardes<br />

chasse dans la réserve faunique des Laurentides. La<br />

génération de ma mère, où les gens se sont fait taper<br />

sur les doigts pour être ce qu’ils sont, s’est fait exclure<br />

<strong>du</strong> territoire. Ces indivi<strong>du</strong>s ont de la méfiance envers<br />

le gouvernement <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> et les gardes-chasse.<br />

Ils ont été obligés d’acheter des permis pour aller sur<br />

leur territoire. C’est grave, là ! Quand tu te dis qu’il te<br />

faut un permis pour aller dans ton salon. Voyons ! Je<br />

n’ai pas besoin de permis pour aller dans mon salon !<br />

Il faut aussi réfléchir à cela au niveau des valeurs, une<br />

justice équitable pour les Premières Nations, parce<br />

que, présentement, c’est loin d’être équitable, <strong>du</strong><br />

moins dans notre sens à nous, car on reçoit encore des<br />

contraventions. On se fait encore harceler, même avec<br />

tous les jugements de la Cour suprême ! Notre traité a<br />

été confirmé en 1990 et, finalement, on se rend compte<br />

que, depuis ce temps, on n’a pas avancé tant que ça. On<br />

a encore <strong>du</strong> chemin à faire au niveau de la justice. J’ai<br />

d’ailleurs reçu une contravention pour avoir, semble-til,<br />

« pêché illégalement » dans la réserve faunique des<br />

Laurentides, au mois de juillet 2010. Évidemment, cette<br />

contravention est présentement en contestation. Cela<br />

est juste pour souligner qu’il y a des choses qui n’ont<br />

pas changé depuis le début <strong>du</strong> 20 e siècle. Malgré les<br />

jugements de la Cour suprême, nous sommes toujours<br />

harcelés par les gardes-chasse.<br />

Une autre valeur importante est la défense <strong>du</strong> territoire.<br />

Tous les Autochtones sont les gardiens <strong>du</strong> territoire.<br />

C’est le rôle qu’on a toujours joué et on veut continuer<br />

à le jouer. C’est aussi pour cette raison que le Bureau <strong>du</strong><br />

Nionwentsïo a été créé. C’est un bureau qui est jeune et<br />

dynamique. Ça fait trois ans qu’il existe.<br />

Julie : Est-ce que tu vois des ressemblances entre les<br />

Autochtones et les non-autochtones au niveau des<br />

valeurs ?<br />

Mario : Oui, c’est sûr qu’il y en a, mais ça dépend où<br />

la personne habite. Quelqu’un qui habite à Montréal<br />

n’aura pas les mêmes valeurs que celui qui habite<br />

à Chibougamau ou à Lebel-sur-Quévillon. Ceux qui<br />

sont plus dans les villes <strong>forestière</strong>s, ils peuvent avoir<br />

des valeurs qui ressemblent aux nôtres. Il reste qu’il y<br />

a tout de même une bonne différence au niveau des<br />

droits qui sont particuliers pour les Premières Nations.<br />

Ensuite, le lien avec la forêt est différent. Les gens de<br />

ces villages ne dépendent pas de la forêt de la même<br />

façon que nous. Eux, ils en dépendent principalement<br />

au niveau économique. C’est la gestion <strong>forestière</strong>, c’est<br />

les pâtes et papiers, les mines, ainsi de suite. Tandis que<br />

68 HISTOIRES FORESTIÈRES<br />

pour nous, c’est une source de nourriture, c’est notre<br />

garde-manger. Il y a un monde qui nous sépare. Eux, ils<br />

sont là pour faire de l’argent. Nous, on est réticent au<br />

développement parce qu’on veut pouvoir continuer à<br />

se nourrir et utiliser notre territoire ou, à tout le moins,<br />

participer à ces développements. Il faut juste trouver<br />

un bon équilibre entre les deux. On n’a jamais tenté<br />

de trouver cet équilibre. De mon point de vue à moi,<br />

l’argent mène le monde et les Premières Nations ne<br />

sont pas invitées dans ce monde.<br />

Julie : Qu’est-ce que tu veux dire quand tu parles de<br />

droits des Premières Nations ?<br />

Mario : Le droit représente ce que je peux faire sur mon<br />

territoire, sans me faire déranger et sans contrainte.<br />

C’est sûr qu’on développe des politiques ou des codes<br />

d’éthique à l’intérieur de la Nation, afin de sensibiliser<br />

notre population à une bonne gestion. On a fait des<br />

règles pour s’assurer que tout le monde comprenne<br />

bien ce que veut dire l’intégrité <strong>du</strong> territoire. En même<br />

temps que l’exercice des droits, il faut mettre de l’avant<br />

la protection et l’enseignement.<br />

Harry Gros-Louis Sr (1878-1953) en forêt avec son fils Harry Gros-Louis Jr<br />

(1907-1974)<br />

Source : Archives de la Nation huronne-wendat, don de Danielle Gros-Louis<br />

Témoignage de Harry Gros-Louis :<br />

Aujourd’hui, ils n’ont plus besoin de s’inquiéter, c’est<br />

moi le dernier trappeur de la réserve ici. Mes enfants, ils<br />

prennent le rôle des gens de la ville. Mais moi, ce n’est pas<br />

mon affaire, et ma femme non plus.<br />

Quand j’ai démissionné de mon territoire de chasse,<br />

ma femme a eu bien plus de peine que moi. Les plus<br />

beaux jours de sa vie, elle les a passés dans le bois, avec la<br />

tranquillité. On ne peut pas tous être des avocats, des juges<br />

et des notaires. Nous, on était trappeurs et on chassait.


Il est important de préciser que le développement<br />

doit être harmonisé à nos droits. Quand on parle<br />

d’harmonisation aujourd’hui, on te dit : « Voici le<br />

développement qui est à faire. On peut harmoniser<br />

certains éléments avec votre Nation. » Ce serait plutôt<br />

le contraire ! C’est le développement qui devrait être<br />

harmonisé à nos droits, notre mode de vie et notre<br />

identité. Pour cette raison, on doit être impliqué en<br />

amont de tout processus de développement sur notre<br />

territoire. Lorsqu’on harmonise en fin de processus<br />

avec un projet déjà « canné », c’est la Première Nation<br />

qui porte l’odieux d’être contre le projet ou de le<br />

retarder, car elle doit protéger ses droits sur le territoire<br />

en question.<br />

Julie : Qu’est-ce que tu changerais pour améliorer<br />

les relations entre ta Nation, le gouvernement et les<br />

in<strong>du</strong>striels ?<br />

Mario : Il y a des choses qui vont quand même bien.<br />

La relation qu’on a avec certains in<strong>du</strong>striels va très<br />

bien. Mais avec le gouvernement <strong>du</strong> <strong>Québec</strong>, c’est la<br />

relation de confiance qui est à travailler. Pour l’instant,<br />

la confiance est au plus bas et je n’ai pas l’impression<br />

que ça va changer dans un court laps de temps. En<br />

tout cas, je serais bien surpris parce que la relation<br />

d’égal à égal, de gouvernement à gouvernement, n’est<br />

vraiment pas là. J’ai parfois l’impression qu’on rit de<br />

nous autres. Les gouvernements allochtones doivent<br />

travailler avec les Premières Nations et non contre<br />

elles. Ces ministères délimitent de façon unilatérale les<br />

territoires des Premières Nations, ce qui n’est pas leur<br />

rôle. C’est plutôt aux Premières Nations de délimiter<br />

leur propre territoire. Les petits bureaux territoriaux<br />

des Premières Nations sont confrontés à un monstre,<br />

car ces ministères sont composés d’une grosse équipe<br />

pour déterminer « notre territoire » et sur lequel nous<br />

devons être consultés. Pourtant, les jugements de la<br />

Cour suprême sont clairs : aussitôt qu’il y a prétention, il<br />

doit y avoir consultation et accommodement.<br />

Pour une réelle relation de gouvernement à<br />

gouvernement, il est essentiel que notre Nation<br />

devienne autonome. Notre financement provient<br />

essentiellement des gouvernements. C’est déplaisant<br />

parce que tu te sens comme un « quêteux », mais on<br />

n’a pas le choix. Tout notre budget ici, pour protéger<br />

nos droits et nos territoires, dépend beaucoup <strong>du</strong><br />

financement ponctuel provenant des gouvernements<br />

et si demain on n’a plus de financement, notre structure<br />

territoriale est mise en danger. C’est pour cette raison<br />

qu’on cherche l’autonomie financière. La perception<br />

de redevances pour la Nation huronne-wendat est une<br />

bonne solution. Ces redevances nous permettraient de<br />

sécuriser le bureau territorial à long terme. En même<br />

temps, lorsque tu es autonome, que tu as tes propres<br />

revenus, tu es pris davantage au sérieux parce qu’ils ne<br />

peuvent pas essayer de te faire peur en laissant planer<br />

une épée de Damoclès au-dessus de ta tête.<br />

De mon côté, je crois fermement à l’autonomie<br />

financière de ma Nation. Il va toujours y avoir de la<br />

collaboration avec les autres utilisateurs <strong>du</strong> milieu<br />

(gouvernements, MRC, partenaires privés, d’autres<br />

Premières Nations, etc.). On n’a pas le choix. Mais les<br />

gens vont devoir comprendre qu’il existe une tarte et<br />

que cette dernière doit être partagée avec les Premières<br />

Nations, ce que nos ancêtres ont d’ailleurs fait lors de<br />

l’arrivée de vos ancêtres.<br />

HIVER 2012 - 69


70 HISTOIRES FORESTIÈRES<br />

roland Pitre Sioui<br />

Roland Pitre Sioui est l’un des fils d’Henri Sioui qui fut<br />

gardien au Lac à la Croix, dans le Club Triton. Roland<br />

Pitre a passé sa jeunesse en forêt où il a appris une<br />

foule de choses, telles que la chasse, la pêche, la<br />

fabrication de couteaux et la confection d’œuvres<br />

artisanales. Martin Hébert et Delphine Théberge sont<br />

allés le rencontrer, en compagnie de sa fille Linda<br />

Sioui, pour en savoir plus sur ce qu’était la vie au Club<br />

Triton. Au cours de cet entretien, vous découvrirez la<br />

vie d’un homme qui, après avoir grandi en forêt, est<br />

allé vivre à Montréal, avant de revenir définitivement<br />

chez lui, pour pouvoir être sur le territoire.<br />

L’illustre chasseur, Henri Sioui, père de Roland Pitre Sioui, gardien au Lac à<br />

la Croix<br />

Source : Gingras, Lirette et Gilbert, 1989, Le Club Triton, p. 211<br />

La vie au Triton<br />

Martin : On est venus vous rencontrer pour connaître<br />

vos souvenirs de jeunesse dans le bois.<br />

roland Pitre : Moi, j’ai été élevé au Club Triton parce<br />

que mon père était gardien. Donc, on s’était installé là.<br />

On a fait une belle vie ! C’est beau là-bas ! Je suis venu au<br />

monde en 1933 et, en 1939, on a déménagé. J’avais six<br />

ans quand on s’est installé au Triton à l’année longue,<br />

l’hiver comme l’été. On recevait le journal une fois par<br />

trois mois.<br />

Delphine : C’était quoi, les installations que vous aviez<br />

au Triton ?<br />

roland Pitre : Il y avait le Club House pour recevoir des<br />

archimilliardaires. Nous, on restait dans une belle petite<br />

maison pas loin <strong>du</strong> Club House.<br />

« En 1897, ce fut l’année de la construction de l’imposant club house, situé sur<br />

le Lac à la Croix. […] Les matériaux furent acheminés par train et transportés<br />

de la station de chemin de fer au site choisi par les voies navigables, via<br />

le Lac à la Croix. Aucune matière première ne fut prise sur place, toute la<br />

construction se faisant avec de la planche. »<br />

Source : Gingras, 2007, L’épopée de la forêt, p. 308<br />

Linda : Ma grand-mère faisait la cuisine au Club House<br />

pour les gens qui allaient au Triton, et mon grand-père<br />

était gardien et guide.<br />

Martin : Est-ce que vous montiez là avec le chemin de<br />

fer ?<br />

roland Pitre : Oui, on avait une gare à Lorette. On<br />

prenait le train là et au millage 108, on débarquait. On<br />

avait une petite rivière et on allait au Triton en canot.<br />

Martin : Est-ce que c’était long ?


oland Pitre : Deux milles et demi. On a emmené une<br />

vache une fois. On l’avait embarquée sur deux canots.<br />

On avait mis des madriers de travers et on avait fait<br />

une cage. Ce n’était pas facile de descendre à la station<br />

avec cette bête. On a débarqué la vache <strong>du</strong> train, on<br />

l’a embarquée sur les canots et on l’a emmenée à la<br />

maison <strong>du</strong> Club. On l’a débarquée dans l’eau parce<br />

qu’on n’avait pas le choix. On a fait un enclos pour la<br />

recevoir.<br />

Delphine : Est-ce que vous aviez d’autres animaux ?<br />

roland Pitre : On avait trouvé des petits ours. On les<br />

nourrissait. Ils couchaient dans mon lit. C’est frileux, un<br />

petit ours. Mais on a été obligé de les tuer parce qu’ils<br />

devenaient dangereux.<br />

Delphine : Est-ce que les sportsmen prenaient aussi le<br />

train ?<br />

roland Pitre : Pas tout le temps. Les Américains<br />

arrivaient souvent en avion. Les milliardaires, ça ne<br />

voyage pas à pied. Ils atterrissaient sur le Lac à la Croix.<br />

Quand ils arrivaient, ils venaient se reposer. Parfois, ils<br />

partaient avec leur guide. Il n’était pas question de VTT<br />

et de skidoo !<br />

Martin : Ils devaient avoir de la misère ?<br />

roland Pitre : Bah ! Ils n’avaient rien à faire.<br />

Delphine : Est-ce qu’ils avaient un sac à dos ?<br />

roland Pitre : Le millionnaire avec un sac à dos ! Voulezvous<br />

rire de moi ? Un sac à dos ! Il y avait trois ou quatre<br />

gars qui travaillaient pour eux : « On va te payer, alors<br />

portage. » Ils regardaient partout : « Regardez comme<br />

c’est beau ! Look how nice it is ! » Quand tu portages un<br />

poids sur ton dos, tu portages le lunch et des boîtes.<br />

Tu n’as pas le temps de regarder et de dire « Look how<br />

nice it is ! ».<br />

Les petits oursons adoptés par la famille Sioui en train de manger <strong>du</strong> gruau,<br />

aux alentours de 1944<br />

Source : Archives Conseil de la Nation huronne-wendat, Collection Linda<br />

Sioui, cote : PH-42-48<br />

Martin : Ils allaient là pour pêcher ou pour chasser ?<br />

roland Pitre : Ils venaient pour se reposer et se<br />

désennuyer un peu. Ils jouaient aux cartes, ils<br />

s’amusaient. De temps en temps, ils allaient à la pêche.<br />

« We want to go fishing today. We would like to eat<br />

some trout for supper. Not the big one. 10-12 inchs. »<br />

La petite, c’est la meilleure à manger. Je pêchais une<br />

douzaine de truites, je faisais cuire ça tout de suite. Mais<br />

des fois, ils voulaient aller pêcher de la grosse aussi.<br />

« We gonna try to catch some bigger: trophee. » Là, ils<br />

partaient et ils allaient à la pêche, le soir et le matin<br />

de bonne heure. Dans le jour, ils jouaient aux cartes.<br />

Ils prenaient un petit verre de fort tranquillement. Ils<br />

avaient <strong>du</strong> plaisir avec leurs invités.<br />

à Montréal pour apprendre un métier<br />

roland Pitre : Quand je suis parti d’ici, j’avais 17 ou<br />

18 ans. Je tenais à apprendre un métier. Je suis allé<br />

vivre à Saint-Henri des Tanneries. Moi, j’appelais ça la<br />

« Smoking Valley ». Il y avait beaucoup de trains dans ce<br />

coin-là et ça sentait le « yabe ». Tu lavais ton linge et il<br />

était emboucané.<br />

Avant de faire mes cours de plomberie, je n’avais pas<br />

fait beaucoup d’école. Là, j’étais à Montréal, tout seul,<br />

et j’allais à l’école technique. Les premières journées, je<br />

voyais mon professeur en train d’écrire sur le tableau<br />

noir. Je le regardais faire ses dessins sur le mur et je me<br />

disais : « Qu’est-ce que je suis venu faire ici ? » J’avais des<br />

crayons, mais j’avais de la misère à écrire mon nom. Je<br />

connaissais mes tables de multiplication. J’avais appris<br />

mes tables avec ma mère, jusqu’à la table de 24. J’avais<br />

appris à lire dans le journal. Donc, je connaissais mes<br />

tables et un peu de vocabulaire. Mais la racine carrée,<br />

calculer la pression et ces affaires-là, je ne connaissais<br />

pas ça. Un moment donné, le professeur dit : « Sioui,<br />

qu’est-ce que t’as ? » J’ai répon<strong>du</strong> : « Bien… je ne sais pas<br />

compter. La racine carrée et tout ce que tu me montres,<br />

c’est <strong>du</strong> chinois ! » Alors, le professeur m’a dit : « Si tu<br />

veux rester une heure après l’école, je vais te montrer<br />

comment faire. Je m’aperçois que tu es assez intelligent<br />

et que tu es capable de comprendre. » Après la première<br />

année, je le suivais : calculer des surfaces, des pertes<br />

de chaleur, la grandeur des châssis, le pied cube d’un<br />

appartement… ou encore, calculer des unités : drain<br />

de plancher, lavabo, toilette, évier de cuisine, trappe<br />

à graisse dans les restaurants… Il m’a montré tout ça.<br />

Alors, j’ai passé mes licences avec 85 %.<br />

HIVER 2012 - 71


Le Lac à la Croix vu <strong>du</strong> Club House<br />

Source : Gingras, Lirette et Gilbert, 1989, Le Club Triton, p. 78<br />

Delphine : Après ça, vous avez décidé de revenir ici<br />

pour pouvoir aller dans le bois ?<br />

roland Pitre : Oui, le bois, les castors, les orignaux et<br />

les ours… c’est ça que j’aime.<br />

Aujourd’hui, le partage des savoirs pour les<br />

générations qui suivent<br />

Martin : Donc, vous êtes revenu pour votre amour de<br />

la forêt ?<br />

roland Pitre : Oui. Là, j’arrive de la chasse à l’orignal.<br />

Martin : Cette année ?<br />

roland Pitre : Oui, ça faisait trois ans que je n’en avais<br />

pas tué parce que je ne voulais pas en tuer. Je ne veux<br />

pas tuer ceux qui sont à côté de mon camp. Je m’assois<br />

sur la petite galerie, je les regarde et je m’amuse avec<br />

mes lièvres. Je leur donne des corn flakes, <strong>du</strong> pain et<br />

des carottes.<br />

Martin : Vous allez à votre camp et vous regardez les<br />

orignaux.<br />

72 HISTOIRES FORESTIÈRES<br />

roland Pitre : C’est tranquille. De temps en temps, il y a<br />

quelqu’un qui vient me voir.<br />

Linda : Samuel et Philippe, tes petits-fils, ils montent<br />

aussi dans le bois ?<br />

roland Pitre : Oui, Samuel et Philippe aiment venir<br />

en forêt. Quand ils montent, je leur montre comment<br />

chasser. Ce n’est pas facile d’apprendre à tirer. Tu<br />

prends une balle et tu te dis : « Je suis prêt à tirer. » Tu<br />

prends deux respirations et pow ! Il faut laisser aller ta<br />

respiration, alors tu ne trembles pas.<br />

Au voisin, je suis en train de lui montrer tranquillement.<br />

Il était avec moi l’autre jour. J’ai ri ! On voit un beau<br />

chevreuil. Le chevreuil passe en avant de nous. Mon<br />

autre sort à la course tout énervé : pow ! J’ai dit :<br />

« Regarde ce que tu as fait. Tu ne l’as pas pogné, le<br />

chevreuil.<br />

-Comment ça se fait que tu sais ça ?<br />

-Quand tu mets une balle dans le côté d’un orignal, la<br />

touffe de poil où la balle entre tombe à terre. Tu ne lui<br />

as pas touché. Mais, calme-toi. On n’est pas à la guerre.<br />

On est à la chasse. Ne t’énerve plus. Prends ton temps<br />

et respire par le nez. »


En 1944, Roland Pitre Sioui à l’âge de 10 ans avec son père Henri, dans le secteur <strong>du</strong> Triton<br />

Source : Archives Conseil de la Nation huronne-wendat, Collection Linda Sioui, cote : PH-46-61<br />

Martin : Puis, est-ce qu’il en a tué un ?<br />

roland Pitre : Oui. On arrive à une place, la femelle<br />

passe. Il prend son temps et : pow ! J’ai dit : « As-tu vu la<br />

touffe de poil qui est tombée à terre ?<br />

-Oui, je l’ai vue comme il faut. »<br />

La femelle descend en bas de la butte et elle tombe.<br />

Lui, il descend et j’entends : bang ! bang ! Il est à la<br />

guerre, lui ! La femelle, elle avait une balle dedans. Elle<br />

était frappée à mort. On la voit sur le bord de l’eau, mais<br />

là, il en avait tiré une autre. J’étais découragé.<br />

« Tu as tiré trois balles et tu as deux orignaux. Si tu avais<br />

pris ton temps, on en aurait un et on aurait eu la belle<br />

tranquillité. Là, on est obligé de ramasser ça. N’oublie<br />

pas : il y a de l’ouvrage. Un orignal, c’est de l’ouvrage.<br />

Deux, c’est deux fois l’ouvrage ! »<br />

Donc, même si c’est beaucoup d’ouvrage, je continue à<br />

aller dans le bois et j’aime ça.<br />

conclusion<br />

M. Roland Pitre Sioui a passé son enfance en forêt.<br />

Aujourd’hui, il continue d’enseigner les multiples<br />

choses qu’il a apprises tout au long de sa vie. Les<br />

savoirs et les connaissances de cet homme sont tels<br />

que plusieurs membres de la communauté se sentent<br />

honorés lorsque M. Sioui les amène en forêt. Tout<br />

comme on peut le remarquer dans l’entrevue de<br />

M. Mario Gros-Louis, la forêt est un lieu d’enseignement<br />

qui renforce les liens entre les générations et les gens<br />

de la communauté. Bien que Harry Gros-Louis se<br />

voyait tristement comme étant le « dernier trappeur »,<br />

il serait peut-être heureux aujourd’hui de constater<br />

que ses descendants continuent à trapper, à chasser et<br />

à pêcher. Dans son entrevue à Radio-Canada, il portait<br />

un regard sur ses enfants qui « prennent le rôle des<br />

gens de la ville », probablement à cause <strong>du</strong> contexte<br />

politique qui rendait l’accès au territoire difficile.<br />

Mario Gros-Louis nous montre cependant qu’il est<br />

aujourd’hui possible de fréquenter le territoire et d’en<br />

avoir un attachement fort, tout en ayant un « métier de<br />

la ville », comme celui d’ingénieur forestier. D’ailleurs,<br />

Mario a choisi cette profession à travers laquelle il<br />

consacre ses efforts à défendre les droits des Hurons-<br />

Wendat et, par conséquent, à se réapproprier le<br />

territoire qui paraissait de plus en plus inaccessible<br />

pour Harry. Ainsi, on remarque que même si, jadis,<br />

le territoire a été difficile d’accès, les Hurons-Wendat<br />

continuent à le fréquenter.<br />

HIVER 2012 - 73


Famille Gros-Louis de la Nation huronnewendat.<br />

Une photographie montrant quatre<br />

générations de la famille Gros-Louis de<br />

Wendake. De gauche à droite : Le grand-père<br />

de Harry Gros-Louis Sr, François Gros-Louis<br />

Hatsenharonkwas (1811-1871), sa femme<br />

Marie Germain et leur fils Daniel Gros-Louis.<br />

En position assise, viennent ensuite le père<br />

de François, aussi nommé François Gros-Louis<br />

Oteiondi, et Francis Gros-Louis Sassenio, le fils<br />

de François Gros-Louis et de Marie Germain,<br />

qui fut Grand Chef de la Nation huronnewendat<br />

de 1900 à 1905, après avoir été chef<br />

de conseil depuis les années 1860.<br />

Source : Jules-Ernest Livernois, Bibliothèque<br />

et Archives Canada, PA-1315187, no MIKAN<br />

3622916<br />

74 HISTOIRES FORESTIÈRES<br />

Quelques images de la Nation huronne-wendat<br />

à travers le temps<br />

Portrait of Canadian Indian Nicolas Vincent wearing snowshoes by<br />

Philip J. Bainbrigge<br />

Source : Library and Archives Canada, archival reference number<br />

R11935-3, e00660881


Deux grands chasseurs hurons-wendat : Denis Lainé et Alexandre Sioui<br />

Source : Archives Conseil de la Nation huronne-wendat, cote : PH-14-52<br />

Groupe de Hurons-Wendat en forêt, à la fin <strong>du</strong> XIXe siècle. De gauche à droite, rangée <strong>du</strong> bas :<br />

Caroline Montagnais, Louise Gros-Louis, Élise Gros-Louis et Clara Sioui ; rangée <strong>du</strong> haut : Arthur<br />

Vincent, Thomas Paul, Caroline Gros-Louis, Gaspard Picard (chef), Folke Kronthom (consul de Suède),<br />

Alida Gros-Louis et Antoine Bastien.<br />

Source : Archives Conseil de la Nation huronne-wendat, cote : PH-14-71<br />

HIVER 2012 - 75


76 HISTOIRES FORESTIÈRES<br />

Scène datant de 1915 où Joe Picard de la Nation<br />

huronne-wendat s’apprête à enlever l’écorce sur un<br />

billot<br />

Source : Gingras, 2007, L’épopée de la forêt, p. 336<br />

Vers 1907, le Huron-Wendat Adélard Laveau aux rapides de la Graisse,<br />

« Weymontachimque » (Weymontacie)<br />

Source : Archives Conseil de la Nation huronne-wendat (ACNHW),<br />

collection « Ginette Laveau », cote : PH-19-4<br />

Le Huron-Wendat Alexandre Sioui et Frederic K. Babour au<br />

lac Batiscan. Alexandre Sioui était un fabuleux chasseur qui a<br />

pratiquement passé sa vie sur le territoire.<br />

Source : Gingras, 2010, <strong>Québec</strong> à l’époque des pionniers, p. 454


En 1926, les chasseurs hurons-wendat Origène Picard, Gérard Gros-Louis et Ludger Picard<br />

Source : Archives Conseil de la Nation huronne-wendat , collection « Origène Picard », cote : PH-17-15<br />

On aperçoit : Gérard Lirette, Mathieu Barrette, Ed Manchester, Joe Brooks, Lloyd Balfour, Ralph Kent, Paul Sioui, Tommy<br />

Raphaël et Jean Raphaël au camp de M. Balfour, au lac Gregory. Quand M. Lloyd G. Balfour (propriétaire d’Attelboro,<br />

une manufacture de bijoux <strong>du</strong> Massachusetts) partait en canot avec son chef guide, Paul Sioui, il lui arrivait de ne pas<br />

jeter sa ligne à l’eau. Il préférait se promener autour <strong>du</strong> lac, savourant la majesté des lieux. Paul Sioui était un illustre<br />

chasseur. Toutefois, à cause des législations ré<strong>du</strong>isant l’accès au territoire, il se fit arrêter de nombreuses fois. C’est<br />

pour continuer à gagner sa vie en forêt qu’il est devenu guide.<br />

Source : Gingras, 2010, <strong>Québec</strong> à l’époque des pionniers, p. 456<br />

HIVER 2012 - 77


78 HISTOIRES FORESTIÈRES<br />

Œuvre représentant une scène de chasse,<br />

réalisée par Eugène Abraham Sioui dans les<br />

années 1950<br />

Source : Jean-François Richard<br />

Le Huron-Wendat Eugène A. Sioui (auteur de l’œuvre précédente), un sportsman et le Huron-Wendat<br />

Albert Abraham Sioui<br />

Source : Archives Conseil de la Nation huronne-wendat, collection « Alexandre Sioui », cote : PH-46-72


Un peu avant 1950, le Huron-Wendat Wellie Picard, un sportsman<br />

et les Hurons-Wendat Alexandre Sioui et Armand Gros-Louis<br />

dans le secteur <strong>du</strong> Triton<br />

Source : Archives <strong>du</strong> Conseil de la Nation huronne-wendat,<br />

collection « René Picard », cote : PH-13-1<br />

Un peu avant 1950, le Huron-Wendat Armand Gros-Louis et un sportsman dans le<br />

secteur <strong>du</strong> Triton<br />

Source : Archives <strong>du</strong> Conseil de la Nation huronne-wendat, collection « René Picard »,<br />

cote : PH-13-17<br />

HIVER 2012 - 79


DÉcOuVERtE<br />

HôtEL-MuSÉE PREMIèRES NAtIoNS<br />

Et LA FoRêt<br />

Par Delphine Théberge, anthropologue, chargée de projet à la <strong>Société</strong> d’histoire <strong>forestière</strong> <strong>du</strong> <strong>Québec</strong>, dtheberge@shfq.ca<br />

Inauguré le 7 mars 2008, l’Hôtel-Musée Premières<br />

Nations à Wendake est un lieu unique où l’ambiance<br />

crée un lien constant avec la forêt. Que ce soit par<br />

l’utilisation abondante <strong>du</strong> bois, l’entrée ornée de<br />

différentes essences d’arbres, la décoration intérieure<br />

de l’hôtel où beaucoup d’objets font référence à la faune<br />

ou bien le restaurant où l’on peut déguster des pro<strong>du</strong>its<br />

issus de la forêt boréale… le complexe de l’Hôtel-<br />

Musée montre de manière originale une forme de<br />

relation au territoire. L’esthétisme particulier de la place<br />

allie habilement tradition et modernité. Ce n’est pas un<br />

hasard si ce lieu a remporté, en 2008, le prix Excellence<br />

de l’Institut de développement urbain <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> pour<br />

l’excellence et l’originalité de son architecture. Mais,<br />

résumé <strong>du</strong> mythe wendat de la création<br />

(Tiré <strong>du</strong> livre Territoires, mémoires, savoirs : au cœur <strong>du</strong> peuple<br />

wendat, sous la direction de Louis-Karl Picard-Sioui, paru en 2009<br />

aux Éditions <strong>du</strong> CDFM, à Wendake.)<br />

À l’origine, les Wendat vivaient dans le Monde-Ciel.<br />

Aataentsik, l’une d’entre eux, était malade. Un hommemédecine<br />

fit creuser un trou autour d’un arbre pour<br />

qu’elle puisse atteindre les racines qui la guériraient.<br />

Or, on avait creusé si profond que l’arbre tomba dans<br />

un trou béant, vers un Monde-Mer entièrement formé<br />

d’eau : notre monde.<br />

La femme, qui était enceinte, fut également entraînée<br />

dans le trou, mais sa chute fut amortie par des oiseaux<br />

aquatiques venus à son secours. Ne sachant quoi faire<br />

de leur trouvaille, les oiseaux convoquèrent le Conseil<br />

des Animaux.<br />

Il fut alors conclu que si l’un des Animaux pouvait<br />

plonger assez profondément pour attraper de la<br />

terre entre les racines de l’arbre tombé <strong>du</strong> ciel, on<br />

pourrait transformer le dos de Grande-Tortue en île. De<br />

nombreux animaux tentèrent l’exploit, en vain. C’est<br />

finalement Dame Crapaud qui réussit, dans un dernier<br />

souffle, à ramener un peu de terre sur Grande-Tortue.<br />

80 HISTOIRES FORESTIÈRES<br />

le complexe ne se distingue pas uniquement par son<br />

apparence; l’exposition permanente <strong>du</strong> musée s’est<br />

aussi fait remarquer en obtenant, la même année, le<br />

prix Excellence de la <strong>Société</strong> des musées québécois.<br />

Voici donc une entrevue avec M. Benoit Sioui, directeur<br />

<strong>du</strong> musée de septembre 2010 à décembre 2011.<br />

Delphine : M. Sioui, pouvez-vous nous parler de votre<br />

exposition permanente à l’Hôtel-Musée Premières<br />

Nations ?<br />

Benoit : La visite commence par la passerelle où l’on<br />

raconte le mythe de la création de la terre selon nos<br />

ancêtres.<br />

Ondéchra, la création <strong>du</strong> monde huron-wendat (1 re partie)<br />

Oeuvre de Mireille Sioui, 2007-2008, Musée huron-wendat


Avec ses pieds, Aataentsik étendit cette terre sur la carapace de l’Animal. Bientôt, la terre grandit et devint continent.<br />

C’est sur cette terre qu’Aataentsik donna naissance à une fille. Celle-ci grandit sur terre et mourut en mettant au<br />

monde ses propres enfants, des jumeaux. Bouleversée, Aataentsik se retira alors d’elle-même à l’Ouest, au pays<br />

des Morts. Les jumeaux grandirent et, rapidement, on s’aperçut que l’un d’eux était Ordre, l’autre Chaos. Ainsi, le<br />

plus vieux des garçons, Tsesta, s’affairait à engendrer de bonnes choses, préparant la venue des hommes sur Terre.<br />

L’autre, Tawiskaron, détruisait le travail de son aîné et engendrait des créatures magiques malveillantes.<br />

Un jour, afin de mettre un terme à leur rivalité, les jumeaux se battirent en <strong>du</strong>el. Plus rusé, Tsesta triompha de son<br />

frère Tawiskaron. Il put ensuite restaurer l’ordre sur Terre, mais ne réussit pas entièrement à effacer l’œuvre <strong>du</strong><br />

cadet. Tawiskaron rejoignit sa grand-mère au pays des Morts où ils règnent ensemble sur les âmes des défunts.<br />

Quant à Tsesta, après avoir enseigné aux hommes les arts et les lois, il se retira là où se lève le Soleil. De l’Est lointain,<br />

il veille aux besoins et à la protection de son peuple.<br />

Pour une version plus complète <strong>du</strong> mythe wendat de la création, vous pouvez consulter La femme venue <strong>du</strong> Ciel de Louis-Karl Picard-Sioui (illustrations de Christine<br />

Sioui-Wawanoloath), paru en 2011 aux Éditions Hannenorak, à Wendake.<br />

Quand on entre à l’intérieur <strong>du</strong> musée, on trouve des<br />

arbres regroupés. Ceux-ci sont directement liés à notre<br />

histoire. C’est notre relation avec le monde végétal.<br />

Chaque essence a été choisie parce qu’elle apportait<br />

quelque chose dans la vie quotidienne de mes<br />

ancêtres. Par exemple, le frêne servait à faire l’armature<br />

des raquettes à neige et l’armature des canots d’écorce.<br />

Ensuite, quand on avance davantage à l’intérieur,<br />

l’exposition permanente Territoires, Mémoires, Savoirs<br />

se dévoile sous nos yeux. Celle-ci est divisée en trois<br />

parties : d’abord la section Territoires où l’on découvre<br />

comment on vit sur le territoire, comment on se déplace<br />

sur celui-ci; ensuite, la section Mémoires où l’objectif<br />

est de voir comment on garde en vie, notamment par<br />

les wampums, certaines informations qui sont vitales<br />

pour nous; finalement, on met de l’avant les savoir-faire<br />

tels que la musique, la poésie, la poterie, la fabrication<br />

de pipes cérémoniales, etc.<br />

De l’autre côté des présentoirs, on a entre autres des<br />

cartes qui expliquent notre histoire, nos déplacements,<br />

où on habitait, le territoire ici à <strong>Québec</strong>, des termes en<br />

langue wendat pour les portages, pour les cours d’eau,<br />

les lacs, les rivières, les ruisseaux, etc.<br />

Delphine : Il y a aussi des éléments dehors, à l’extérieur<br />

<strong>du</strong> complexe de l’Hôtel-Musée ?<br />

Benoit : En effet, on est en train de finaliser un projet<br />

qui s’appelle le Sentier des connaissances. C’est un<br />

projet qui a été financé par Patrimoine Canada où l’on<br />

installera des panneaux dans un sentier. Le but est<br />

d’interpréter la relation que nos ancêtres avaient avec<br />

le monde végétal, pas uniquement les arbres mais<br />

également les plantes : par exemple, les plantes pour se<br />

soigner, les plantes pour faire des teintures végétales,<br />

etc. Ce projet va mettre en valeur le sous-bois à côté<br />

<strong>du</strong> complexe. À compter <strong>du</strong> 12 janvier, les spas, la<br />

balnéothérapie et la massothérapie vont être offerts<br />

à l’intérieur et à l’extérieur. Les saunas, ça vient de<br />

nos traditions. Au moment <strong>du</strong> contact, les Européens<br />

(sauf les Scandinaves) ne connaissent pas ce type<br />

d’habitation et son usage. C’est donc un complément<br />

qu’on offrira ici et qui est lié directement à nos racines.<br />

À l’ouest <strong>du</strong> complexe, il y a les cabanes d’automne. Ce<br />

sont des habitations de trappeurs et chasseurs wendat<br />

des XVIII e , XIX e et XX e siècles.<br />

Delphine : On remarque aussi que l’architecture <strong>du</strong><br />

bâtiment est particulière.<br />

Benoit : La section « hôtel » est formée de cinq blocs<br />

rectangulaires avec un toit en demi-cercle. Cela<br />

représente l’architecture des maisons longues de<br />

nos ancêtres. Les quatre blocs de chambres, pour<br />

leur part, serpentent, et c’est voulu ainsi. Cette forme<br />

architecturale est associée à la légende de l’origine<br />

de la rivière. Selon celle-ci, ce serait un serpent<br />

géant qui aurait créé le lit de la rivière. On a construit<br />

de cette manière, avec des matériaux naturels : à<br />

l’extérieur, en bois le plus possible et à l’intérieur,<br />

on a meublé pour que le bâtiment respire une âme.<br />

C’est ce qu’on se fait dire d’ailleurs, qu’on se sent bien<br />

ici, qu’il y a une atmosphère agréable. Les chambres<br />

sont toutes fenêtrées <strong>du</strong> côté de la rivière. On peut<br />

donc s’endormir au son de celle-ci. Au moment de la<br />

création de ce complexe, on a voulu créer quelque<br />

chose d’innovateur permettant un voyage d’ordre<br />

culturel et historique basé sur le professionnalisme, la<br />

rigueur et l’authenticité.<br />

HIVER 2012 - 81


Wampum<br />

Le mot wampum est une abréviation de wampumpeague (ou wampumpeake), un mot algonquin <strong>du</strong> sud de la<br />

Nouvelle-Angleterre qui signifie « enfilade de coquillages blancs ». On nomme wampum les perles blanches et<br />

pourpres de forme tubulaire fabriquées à partir de certains coquillages marins provenant exclusivement des côtes<br />

de l’océan Atlantique. Ces perles mesurent de 3 à 5 mm de diamètre sur 7 à 10 mm de longueur et ont été polies et<br />

percées avec des outils de métal d’origine européenne.<br />

Dès le début <strong>du</strong> XVII e siècle, le wampum devint un bien d’échange important dans la traite des fourrures dans le<br />

nord-est <strong>du</strong> continent américain. C’est entre autres à partir de ce pro<strong>du</strong>it que les Hollandais et les Anglais ont pu<br />

accéder aux milliers de fourrures nécessaires au commerce. Jusque dans les années 1660, les perles de wampum ont<br />

aussi servi de monnaie dans les colonies hollandaises et anglaises, notamment parce que la monnaie métallique<br />

manquait gravement dans ces colonies.<br />

Si les perles de wampum ont longtemps servi à orner le corps, les vêtements et les objets, certains peuples iroquoiens<br />

de l’intérieur des terres, quant à eux, en ont fait un usage bien particulier en les utilisant dans leurs rencontres<br />

diplomatiques officielles avec les groupes voisins ou étrangers. Les perles étaient alors tissées en des branches<br />

et colliers de diverses tailles pouvant contenir de quelques centaines à plus de dix mille perles. Par l’alternance<br />

des deux couleurs des perles, des motifs étaient représentés : carrés, losanges, hexagones, cercles, triangles, croix,<br />

lignes parallèles ou obliques, zigzags, pipes, haches, bâtiments, figures animales ou humaines, écritures, chiffres.<br />

Les colliers de wampum étaient offerts lors des rencontres formelles pour supporter le discours prononcé, pour le<br />

rendre légitime et officiel. On disait qu’une parole sans collier n’était point écoutée. Comme les wampums étaient<br />

utilisés pour soutenir les paroles prononcées, certains de ces colliers devaient être conservés sur une très longue<br />

période afin que les messages qu’ils portent soient maintenus et conservés dans le temps. Le gardien des wampums<br />

s’assurait alors que leur signification soit répétée de temps à autre devant les membres de la communauté en<br />

répétant publiquement, de façon périodique, le « contenu » des wampums afin que l’histoire de la nation se<br />

transmette à la génération plus jeune.<br />

Du début <strong>du</strong> XVII e siècle jusqu’au début <strong>du</strong> XIX e siècle environ, ce système diplomatique et protocolaire s’est<br />

répan<strong>du</strong> dans une grande partie <strong>du</strong> Nord-Est, de la vaste région des Grands-Lacs jusque dans les Maritimes, avec<br />

toutefois d’importantes variantes selon les peuples qui y avaient recours, Européens inclus.<br />

Source : Jonathan Lainey, « Histoire autochtone. Les colliers de wampum comme supports mémoriels : l’exemple <strong>du</strong> Two-Dog Wampum »,<br />

dans Alain Beaulieu, Martin Papillon et Stephan Gervais, Les Autochtones et le <strong>Québec</strong>, (Presses de l’Université de Montréal, collection<br />

« Paramètres », à paraître en 2012).<br />

Delphine : Est-ce que les gens de la Nation en<br />

apprennent lorsqu’ils viennent ici ?<br />

Benoit : Ça dépend qui. Nous, on se fait un plaisir<br />

d’informer tous les visiteurs peu importe leur<br />

provenance. À part le volet d’ordre historique et<br />

d’interprétation <strong>du</strong> patrimoine, il y a des valeurs aussi<br />

qu’on veut transmettre par ce que l’on fait. À cet<br />

égard, on fait de l’intervention auprès des enfants.<br />

On a des activités pédagogiques qui sont adressées<br />

directement à eux. C’est sûr que nos valeurs passent<br />

dans l’enseignement que l’on fait auprès des enfants<br />

et <strong>du</strong> public en général, pas juste chez les gens des<br />

Premières Nations.<br />

82 HISTOIRES FORESTIÈRES<br />

Delphine : Quel genre de valeurs voulez-vous<br />

transmettre ?<br />

Benoit : Il y a un respect qu’on porte à la terre. Nous,<br />

on l’appelle la Terre-Mère et ce n’est pas pour rien.<br />

C’est elle qui nous porte, c’est une terre nourricière. S’il<br />

n’y a pas de terre, il n’y a pas de vie. Ici, on essaie de<br />

démontrer que l’on doit continuer à vivre en harmonie<br />

avec la nature. On se doit de la respecter et d’agir de<br />

façon extrêmement consciente. On doit se questionner<br />

sur les gestes que l’on pose lorsqu’on va en forêt ou<br />

lorsqu’on utilise un territoire quelconque. L’exposition<br />

dans le musée commence avec des arbres, comme si<br />

on entrait dans une forêt.


Le campement de la cabane d’automne<br />

Le campement a été construit par des gens de la communauté qui ont participé au programme estival 2011<br />

« Maintien des traditions ». L’objectif de ce programme annuel est de permettre aux membres hurons-wendat<br />

d’apprendre sur les savoir-faire traditionnels pour devenir à leur tour des porteurs de tradition. Ce programme est<br />

initié par le secteur Culture et Patrimoine <strong>du</strong> Centre de développement de la formation et de la main-d’œuvre (CDFM)<br />

huron-wendat.<br />

La « cabane d’automne » est un campement que construisaient les Wendat à mi-chemin entre le village de Wendake<br />

et les territoires de chasse. Les familles pouvaient y séjourner quelques jours pour préparer la nourriture et le<br />

matériel nécessaire à leur ronde d’exploitation sur les territoires familiaux.<br />

Différents types d’habitation étaient utilisés en fonction <strong>du</strong> niveau d’accès aux territoires de chasse.<br />

Quatre types de construction sont présentés dans le campement : la cabane à pan incliné palissadée, le wigwam<br />

conique, la cabane à pan incliné simple, la cabane à pan incliné face à face, puis la tente de prospecteur.<br />

Cabane à pan incliné face à face<br />

Cabane à pan incliné palissadée<br />

Tente de prospecteur<br />

Source : Centre de développement de la formation et de la main-d’œuvre huron-wendat<br />

Arrière <strong>du</strong> complexe de l’Hôtel-Musée,<br />

vu <strong>du</strong> futur Sentier des connaissances<br />

Source : Delphine Théberge<br />

Wigwam conique<br />

HIVER 2012 - 83


Arbres que l’on trouve à l’entrée <strong>du</strong> musée<br />

Source : Delphine Théberge<br />

On a voulu faire ça pour montrer qu’on vivait en<br />

harmonie avec la nature. La nature est importante pour<br />

nous. Ce n’est pas vrai que l’homme doit être au-dessus<br />

de tout. À l’égard de la terre, on a une responsabilité de la<br />

transmettre dans un meilleur état pour les générations<br />

qui vont suivre. Si on n’a pas cette préoccupation, on<br />

court à notre perte.<br />

84 HISTOIRES FORESTIÈRES<br />

Delphine : On a souvent tendance à penser les musées<br />

comme présentant des choses fixes et figées dans le<br />

passé. Qu’avez-vous à dire là-dessus ?<br />

Benoit : Il ne faut pas voir les musées comme étant<br />

des endroits où c’est poussiéreux, qu’on ne garde que<br />

des vieilles choses. Un musée, c’est un lieu d’é<strong>du</strong>cation.<br />

C’est un lieu pour interpréter l’histoire par des objets<br />

qui forment en soi une ou des collections. Ces objets<br />

<strong>du</strong> patrimoine sont porteurs de sens et traînent avec<br />

eux une histoire. C’est le patrimoine et l’histoire des<br />

gens de notre nation que l’on garde vivants. C’est<br />

important parce que pour qu’un peuple sache qui il<br />

est et développe une fierté, il doit savoir d’où il émane.<br />

C’est important, en particulier pour les politiciens. Être<br />

attaché à ses racines permet de donner une trajectoire<br />

à un peuple.<br />

L’Hôtel-Musée Premières Nations<br />

Source : Delphine Théberge


Le restaurant La Traite<br />

M. Martin Gagné est le chef cuisinier <strong>du</strong> restaurant La Traite de l’Hôtel-Musée. Ce restaurant a remporté de<br />

nombreux prix aux Galas de la restauration de <strong>Québec</strong>. M. Gagné se donne pour mission de faire connaître<br />

des pro<strong>du</strong>its de la forêt boréale, telles des épices, des baies, la quenouille ou les herbes de la mer. C’est un<br />

biologiste qui lui a fait découvrir ces bijoux culinaires, et c’est par essais et erreurs qu’il a appris à les cuisiner.<br />

Historiquement, il y a peu d’écrits concernant la cuisine de ses ancêtres. « Moi, dit-il, je suis convaincu qu’ils<br />

utilisaient ces pro<strong>du</strong>its-là de différentes manières. Mais, ça n’a pas été écrit parce que ce n’est pas ce qui intéressait<br />

les Jésuites ou les explorateurs, ou peut-être que c’est parce que nos ancêtres voulaient garder leurs savoirs à<br />

propos des plantes secrets. Aujourd’hui, les portes sont ouvertes et les gens sont curieux. » Lorsqu’il a le temps,<br />

M. Gagné fait la cueillette <strong>du</strong> thé <strong>du</strong> Labrador et de champignons. Toutefois, puisque la saison idéale pour cueillir<br />

plusieurs pro<strong>du</strong>its se juxtapose à la haute saison <strong>du</strong> domaine de l’hôtellerie, M. Gagné fait affaire avec différentes<br />

coopératives qui récoltent les pro<strong>du</strong>its et en font la transformation. Ce chef cuisinier est ouvert à transmettre son<br />

savoir. Il met d’ailleurs des recettes en ligne sur le site internet de son restaurant (http://hotelpremieresnations.<br />

ca/gastronomie_hotel_premieres_nations.php). Ainsi, le menu <strong>du</strong> restaurant La Traite montre une autre façon<br />

d’être lié à la forêt.<br />

HIVER 2012 - 85


lES ÉcRItS REStEnt...<br />

Par André napoléon Montpetit<br />

Nous repro<strong>du</strong>isons ici un article <strong>du</strong> journal L’Opinion<br />

publique en raison de sa pertinence avec la thématique<br />

de ce numéro spécial de la revue Histoires <strong>forestière</strong>s<br />

<strong>du</strong> <strong>Québec</strong>. Ce journal, fort apprécié à l’époque,<br />

a été fondé en 1870 par George E. Desbarats et<br />

ses partenaires, J.-A. Mousseau et L.-O. David. Il se<br />

caractérisait par l’abondance de ses illustrations et<br />

se définissait comme étant politique et littéraire, à<br />

mi-chemin entre le journal et la revue. Une panoplie<br />

d’auteurs y ont pris part au fil des années et, en 1876,<br />

André Napoléon Montpetit, journaliste et avocat, a<br />

publié une série d’articles intitulée « Neuf jours chez un<br />

trappeur ». Ces textes ont été inspirés d’un séjour bien<br />

particulier que firent M. Montpetit et ses amis, lorsqu’ils<br />

ont accompagné Pitre Sioui, un grand chasseur Huron-<br />

Wendat, dans les environs <strong>du</strong> lac des Neiges, dans le<br />

parc des Laurentides. Nous vous livrons ici le deuxième<br />

épisode de cette série de neuf, dans lequel l’auteur fait<br />

un plaidoyer contre la nouvelle Loi de protection sur le<br />

gibier qui n’était pas adaptée à la réalité des Hurons-<br />

Wendat. Compte tenu que cet article n’était pas<br />

illustré, nous avons choisi néanmoins de l’enrichir de<br />

photographies sélectionnées par la SHFQ. Si les huit<br />

autres articles qui relatent ce périple vous intéressent,<br />

nous les avons ren<strong>du</strong>s disponibles sur le site internet<br />

de la SHFQ au www.shfq.ca.<br />

II<br />

L’Opinion publique, 15 juin 1876, p. 284<br />

Neuf jours cHez uN Trappeur<br />

Terrains de chasse<br />

Parmi les Hurons, comme parmi les Iroquois, les<br />

Algonquins et autres tribus qui occupaient jadis le sol de<br />

notre pays, il n’y avait d’héritage fixe, bien déterminé, que<br />

les terrains de chasse. Une jeune fille apportait en dot à son<br />

mari un lac ou une rivière, avec droit exclusif de chasse et<br />

de pêche sur iceux. Ces héritages étaient sacrés. Jamais un<br />

chasseur ne se serait permis d’empiéter sur le terrain <strong>du</strong><br />

voisin, voire même d’un ennemi. Se trouvait-il surpris par<br />

la faim, en plein désert, il lui était permis d’aller prendre,<br />

dans une trappe, la quantité de venaison qu’il lui fallait,<br />

86 HISTOIRES FORESTIÈRES<br />

mais sans gâter la peau de l’animal, et en laissant sa carte à<br />

sa manière, soit une écorce de bouleau, soit par une autre<br />

marque qui pouvait le faire reconnaître.<br />

Le respect de la propriété d’autrui est encore<br />

fortement prononcé chez le peuple huron. Il n’y a peut-être<br />

pas, à la Jeune-Lorette, une seule maison qui ferme à clef. Et<br />

cependant aux jours de la plus grande détresse, on n’entend<br />

jamais parler <strong>du</strong> moindre vol.<br />

À la chasse, dès qu’un Indien a rencontré la piste<br />

ou le racage d’un orignal, il lui suffit d’en faire le tour, sur<br />

ses raquettes, pour en prendre possession. Nul autre Indien<br />

ne croisera cette piste. Rencontre-t-il une cabane, à l’heure<br />

<strong>du</strong> repas ou à la tombée <strong>du</strong> jour, il y entre pour manger<br />

ou dormir. S’il se sert des ustensiles de cuisine, il remet<br />

tout dans le même ordre : il remettra aussi, sur le bûcher, la<br />

quantité de bois qu’il aura consumée.<br />

Huron-Wendat vers 1839<br />

Source : Bibliothèque et Archives Canada, KIRKLAND,<br />

John Vesey Agmodisham (1820-1896), cote : 1985-70-892


Depuis plusieurs années, les Canadiens des environs<br />

de <strong>Québec</strong> font une rude concurrence aux chasseurs<br />

indiens. Aussi, notre faune, traquée en tous sens, disparaît<br />

rapidement. Et les Indiens se plaignent <strong>du</strong> défaut de bonne<br />

foi, de respect de leur droit des gens. À les entendre, nos<br />

compatriotes ne se gênent pas d’enlever martes, visons,<br />

castors ou loutres pris au piège ou à la trappe, non plus<br />

que de dévaliser les cabanes momentanément abandonnées,<br />

où ils ont trouvé refuge et couvert. Ces hardis déprédateurs<br />

ont provoqué la loi de protection sur le gibier, qui pèse si<br />

lourdement sur l’Indien, dont la chasse est la principale<br />

ressource. Avant de protéger les animaux, on devrait songer<br />

à protéger les hommes. Pour les chasseurs canadiens, que la<br />

loi soit très sévère, je le veux bien; mais qu’elle soit d’une<br />

vigueur amoindrie pour le chasseur indien, qui y perd des<br />

privilèges, des droits anciens et l’exercice d’un état auquel<br />

son é<strong>du</strong>cation domestique et sa nature l’ont spécialement<br />

destiné.<br />

À part les Canadiens, qui font la chasse et tendent<br />

des trappes, il y a encore les chasseurs amateurs, les messieurs,<br />

comme les appellent les Indiens. Ceux-ci paient leur coup<br />

de fusil au poids de l’or. Ils ne chassent pas, ils assassinent<br />

leur bête, qu’on amène droit devant eux. Et encore, parfois,<br />

faudra-t-il affûter leur fusil.<br />

Groupe de sportsmen dans le Parc des Laurentides, vers 1903<br />

Source : SHFQ<br />

Il y a de bons, de braves, d’intrépides chasseurs<br />

parmi eux. Les officiers anglais, jadis, étaient assez souvent<br />

de première force. Ceux-là auraient rougi de surprendre<br />

l’orignal sur place, dans son ravage, sans défense, sans issue.<br />

Volontiers ils le faisaient relancer pour se donner le mérite<br />

de le lasser à la course. Le colonel Rhodes, notre Nemrod<br />

canadien, entre autres, affectionnait les exploits de ce genre.<br />

Tempérament calme, froid, force physique assez rare, aimant<br />

les chances et les hasards, familier avec le climat, dormant<br />

sur la neige mieux que sur l’édredon, l’œil juste, la main<br />

sûre, avec des armes éprouvées, il ne manquait jamais son<br />

coup. Le colonel Rhodes restera légendaire dans le monde<br />

des chasseurs.<br />

Aussi généreux qu’habile chasseur, heureux<br />

seulement de son succès, il abandonnait bienveillamment sa<br />

proie à ses guides, toujours des Indiens, bien enten<strong>du</strong>. À lui<br />

le plaisir et l’honneur, à eux les profits, sans compter qu’il les<br />

payait, en outre, largement de leurs peines. À proprement<br />

parler, il ne tirait son gibier qu’à balles d’or, qui passaient à<br />

travers le corps de l’orignal ou <strong>du</strong> caribou pour tomber dans<br />

l’escarcelle <strong>du</strong> guide indien.<br />

HIVER 2012 - 87


Mais pour moi, qui porte un intérêt tout particulier<br />

aux races indiennes, qui me fais honneur d’être lié d’amitié<br />

avec nos chefs hurons, qui ai accepté le titre honorifique<br />

de chef, sous le nom de Abatsistari, et qui suis fier d’un tel<br />

suffrage, je me crois le droit de demander une protection<br />

toute spéciale à la législature en faveur des Indiens chasseurs<br />

de Lorette, au détriment même de mes compatriotes<br />

canadiens, et au froissement des amateurs anglais, tant<br />

galants hommes ou généreux qu’ils puissent être.<br />

À vous, Canadiens chasseurs, je dirai : « Vous êtes<br />

fils de cultivateurs ou d’ouvriers; vous avez un état social,<br />

dont la rétribution est quotidienne, régularisée dans la<br />

grande organisation; vous avez <strong>du</strong> travail, vous pouvez<br />

compter sur un salaire, vous avez de quoi vivre et faire vivre<br />

vos familles d’une façon sûre, pour peu que vous soyez<br />

honnêtes travailleurs et in<strong>du</strong>strieux : eh bien ! Mes amis,<br />

vous abandonnez cette position, un gain mesuré, calculé et<br />

certain, pour courir les hasards ou les chances de la chasse,<br />

qui sont la fortune unique d’autres hommes, vos égaux, vos<br />

compatriotes, qui, eux, n’ambitionnent rien sur vous. Vous<br />

êtes dans votre droit; mais il me semble que, renonçant à<br />

des avantages sociaux établis, pour vous lancer à la poursuite<br />

des animaux de la forêt ou <strong>du</strong> désert, vous devez respecter<br />

au moins les lois de la forêt et <strong>du</strong> désert. Quand vous courez<br />

sur les pistes d’un chasseur indien, vous avez deux fois tort;<br />

quand vous enlevez son gibier de la trappe ou <strong>du</strong> piège,<br />

vous avez encore deux fois tort; quand vous pillez sa cabane,<br />

vous êtes plus qu’un voleur, vous pouvez être un assassin,<br />

car vous lui enlevez peut-être des moyens de subsistance sur<br />

lesquels il avait droit de compter. »<br />

Contre vous, chasseurs canadiens, les chasseurs<br />

indiens méritent d’avoir une protection spéciale.<br />

À vous, chasseurs amateurs, je dirai : « Vous vivez<br />

grandement, messieurs, dans le luxe et l’abondance; vous<br />

allez chasser par délassement ou pour retremper, assez<br />

souvent, une constitution trop saturée de brandy ou de vin<br />

de champagne. Vous partez pour éviter de crever de bonne<br />

chère ou de liesse, n’est-ce pas cela ?<br />

« Comparez-vous donc à ses pauvres Indiens, qui<br />

partent, avec deux ou trois livres de sel, quelques charges<br />

de poudre et de plomb, un fusil à l’épaule, une hache à la<br />

ceinture, ne laissant souvent rien à la maison !<br />

« Je sais que vous les payez bien, ces braves Indiens,<br />

mais je sais aussi qu’ils font admirablement le service. Avezvous<br />

jamais rencontré des serviteurs plus intelligents, plus<br />

dévoués, plus vigoureux, plus discrets, plus prêts à tout ? Je<br />

vous le demande.<br />

88 HISTOIRES FORESTIÈRES<br />

« Ils vous mènent piller leur domaine, pauvres<br />

grands enfants qui n’ont pas souci <strong>du</strong> lendemain !<br />

« Vous pillez hardiment, croyant leur donner<br />

compensation par vos largesses. Erreur !<br />

« Quand vos législateurs feront des lois de chasse,<br />

vous serez là pour les dicter à votre profit, peut-être aussi<br />

pour les inspirer. Avec vous viendront quelques chasseurs<br />

canadiens.<br />

Affiche de 1928 interdisant l’accès au Parc National des Laurentides.<br />

Source : SHFQ<br />

« Chose étrange ! Jamais un seul Indien ne sera<br />

appelé dans nos comités pour donner son opinion sur des<br />

faits sur lesquels il a la compétence la plus entière.<br />

« L’Indien seul souffre des abus de chasse, et<br />

cependant il est le seul qu’on ne consulte pas, lorsqu’il s’agit<br />

de les réprimer.<br />

« Vous, chasseurs amateurs, vous fournissez l’esprit<br />

de la loi, et on appellera des chasseurs canadiens qui<br />

achèveront la diction ou la lettre de cette loi.<br />

« Ces lois protégeront les plaisirs des uns,<br />

encourageront les envahissements des autres et<br />

condamneront à la misère ou à la faim ces pauvres Indiens<br />

qui n’ont rien à dire et qui doivent tout souffrir.


« Il ne faut pas vous laisser croire davantage, à vous,<br />

messieurs les chasseurs amateurs de <strong>Québec</strong>, que toute<br />

cette éten<strong>du</strong>e de terrain comprise au delà de six lieues <strong>du</strong><br />

Saint-Laurent, entre le lac Saint-Jean et les hauteurs <strong>du</strong><br />

Saint-Maurice, forme une espèce de parc anglais dont vous<br />

pouvez régler la chasse à votre escient et pour votre plus<br />

grand plaisir.<br />

« Il y a des familles nombreuses qui vivent de cette<br />

chasse, et la vie de ces familles mérite plus de respect et<br />

d’attention que vos plaisirs. »<br />

À vous législateurs de <strong>Québec</strong>, je dirai : « Protégez<br />

les Indiens, parce que vous vivez sur et à même leur héritage.<br />

« Si vous les placez sur un pied égal avec les autres<br />

chasseurs, vous créez une injustice.<br />

« Décrétez des lois, qu’il n’existe plus de tribus<br />

indiennes dans le pays, détruisez leurs droits de commune,<br />

enlevez-leur les terrains qui leur ont été concédés, opérezen<br />

la division, faites de chacun d’eux des citoyens comme<br />

nous, après leur avoir payé une juste indemnité, et vos lois<br />

de chasse cesseront d’être odieuses pour ces enfants des<br />

bois nés chasseurs. Jusque-là, ces lois ne sauraient être que<br />

tyranniques.<br />

« Du reste, la plupart des données sur lesquelles ces<br />

lois ont été élaborées sont fausses, et je me fais fort d’en<br />

fournir la preuve.<br />

« Qui vous forçait à passer une pareille législation !<br />

Avez-vous par devers vous des plaintes ou des requêtes des<br />

chasseurs indiens, les seuls, après tout, qui aient droit à une<br />

protection de chasse ?<br />

« Non !<br />

« Quel revenu votre loi nouvelle doit-elle rapporter<br />

à la Province ?<br />

« Rien !<br />

« Vous payez cependant vos gardes-chasses, qui ne<br />

peuvent suffire au quart de leur besogne, qui ne sauraient<br />

jamais faire respecter la loi, qui, à part cela, protègent très<br />

souvent les braconniers.<br />

« Les indiens chasseurs, eux, souffrent toujours.<br />

« Votre loi est-elle sage et juste ? »<br />

Vraisemblablement Thomas Sioui, avant 1906. Lors de leur expédition,<br />

M. Montpetit et son équipe se sont arrêtés à la cabane de Thomas Sioui, où ils<br />

furent les bienvenues : «Mes amis, dit-il, vous êtes chez vous, disposez de tout<br />

comme si c’était votre propriété ».<br />

Pour plus de détails sur cet évènement, voir l’article <strong>du</strong> 6 juillet 1876 de Neuf<br />

jours chez un trappeur, disponible à www.shfq.ca/<br />

(Source de la photo : Archives Conseil de la Nation Huronne-Wendat,<br />

Collection Linda Sioui, cote : PH-46-57.)<br />

Il y a toutefois une loi possible et raisonnable à passer. On<br />

pourrait accorder aux Indiens le droit de chasse libre, et<br />

exiger des chasseurs canadiens ou amateurs qu’ils eussent<br />

à se pourvoir de permis, tarifiés à cinq ou dix piastres. Il<br />

y aurait protection, alors, en faveur des Indiens chasseurs<br />

de profession. Et puis, en sus, le revenu des permis ou des<br />

amendes couvrirait probablement le montant <strong>du</strong> salaire des<br />

employés, gardes-chasses ou autres. Ne serait-ce pas mieux<br />

et plus équitable ? Je le demande.<br />

A.N. Montpetit<br />

HIVER 2012 - 89


90 HISTOIRES FORESTIÈRES<br />

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92 HISTOIRES FORESTIÈRES<br />

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