le recours aux soins des Laotiens en Thaïlande - TEL

tel-00641367, version 1 - 15 Nov 2011
« Paï Thaï, paï fang nan » : aller en Thaïlande, aller de l’autre côté
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Ainsi en réponse à la place grandissante de la télévision thaïlandaise dans les foyers et les esprits
des Laotiens, le gouvernement a mis en œuvre plusieurs stratégies, du détournement à
l‘interdiction. En 1994, des dirigeants laotiens invitent la compagnie thaïlandaise Télécom
Shinawatra 27 à établir une chaîne télévisée IBC 28-Lao afin d’offrir un programme proche de ceux
réalisés en Thaïlande mais en langue lao. En formant un tel projet, l’objectif du gouvernement
est de détourner la population laotienne des chaînes thaïlandaises. Cependant, après une année
de fonctionnement, la chaîne a brusquement cessé d’émettre au motif que certains programmes
étaient trop violents et incitaient à des comportements déviants. La chaîne constituait en outre
une distraction superflue pour les écoliers laotiens [Butler-Diaz J. 2005]. L’influence de la
télévision thaïlandaise a continué à se développer au sein des territoires frontaliers laotiens à tel
point qu’en 2004, le gouvernement a interdit toute diffusion de ces programmes dans les lieux
publics, incluant les restaurants, les hôtels, les stations de bus et les marchés [Askew et al. 2007,
p.180]. Dans la même perspective, 70% de la musique jouée en public dans les bars et les
discothèques au Laos est censé être issu du répertoire national, les 30% restant étant réservés
aux tubes étrangers [Ngaosyvathn 1994].
La télévision thaïlandaise, en plus de son impact sur les comportements, se répercute sur
l’apprentissage de la langue thaïe et semble de ce fait contribuer à une transformation de la
langue lao. Dans une enquête menée à Vientiane en 1997-1998, 91% des enquêtés (n=2003)
disent comprendre le thaïlandais et 73% le parler. La télévision et la radio apparaissent comme
les deux premiers vecteurs de cette diffusion du thaï au Laos [Institut de Recherche Culturelle,
Ministère de l’Information et de la Culture 1998, p.57]. Cette influence sur la langue, socle de
l’identité nationale, constitue une autre source d’inquiétude pour le régime : « the pressures on Lao
as a langage are many of the same pressures as those on Laos as a nation. […] The Lao are keenly aware of the
need to maintain and delineate their nationhood in the face of pressures from outside, most notably those from
Thailand » 29 [Enfield 1999, p.258]. Nick Enfield a ainsi pu relever des glissements linguistiques
du thaï vers le lao : par exemple, l’adjectif thaï « ruaj » qui signifie riche, est utilisé à Vientiane
pour faire référence aux nouveaux riches de la capitale laotienne et à leur mode de vie moderne.
Aussi, le mot travail circule de plus en plus au Laos sous sa forme thaï « ngaan » pour qualifier les
cols blancs tandis que le terme lao « viak » se réfère plus aux travaux manuels [Ibid, p.285].
D’autres exemples enfin peuvent être cités pour illustrer la manière dont la culture laotienne est
directement ou indirectement sous influence : le fort pouvoir économique de certains
Thaïlandais leur permet de restaurer des temples bouddhistes laotiens ce qui tend certes à
préserver le patrimoine mais peut être aussi mal interprété. Dans un tout autre domaine, le fait
qu’il existe des interactions croissantes entre des hommes d’affaires thaïlandais et des partenaires
laotiens, peut contribuer à faire évoluer les comportements, les pratiques et les modes de pensée
de ces derniers. Enfin un nombre croissant d’étudiants laotiens suivent leurs études en
Thaïlande et sont de la même manière imprégnés du mode de vie thaïlandais. Tous ces éléments
contribuent à alimenter la crainte d’une domination thaïlandaise diffuse.
L’équilibre des forces entre le Laos et la Thaïlande à la faveur du second persiste tel qu’il existait
par le passé mais se joue dans de nouveaux domaines, ceux de l’information, les médias, la
culture et le langage. Aux conflits frontaliers mobilisant les armées des deux pays se substituent
dès lors des conflits d’un genre nouveau.
27 Une partie du vaste conglomérat de Thaksin Shinawatra, ancien premier ministre thaïlandais (2001-
2006)
28 International Broadcasting Corporation
29 « Les pressions que subit le laotien en tant que langue sont en grande partie les mêmes que celles que
subit le Laos en tant que nation. (…) Les Laotiens sont profondément conscients du besoin de maintenir
et définir leur identité nationale face aux pressions de l’extérieur, plus particulièrement celles issues de
Thaïlande. »
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