Volume 1 Histoire & Fondamentaux Le premier volume est consacré aux fondamentaux, afi n de bien comprendre les techniques décrites dans les autres volumes. L’histoire, la philosophie et les techniques de la cuisine moderniste font l’objet du premier chapitre. « Microbiologie pour cuisiniers » démystifi e l’interaction des microbes et des aliments. La sécurité alimentaire est traitée au chapitre 3. Notre analyse met en évidence à quel point la sagesse conventionnelle présentée aux cuisiniers est fausse. Idem pour le chapitre 4, Une cuisson correcte permet de réduire le risque microbien pour la plupart des aliments, mais aucune infection alimentaire ne peut être évitée si une contamination croisée avec d’autres denrées ou surfaces de la cuisine a eu lieu. La plupart des jambons crus espagnols (ci-contre) sont interdits aux États-Unis, alors qu’il est tout à fait possible de servir du bœuf en tartare et de le garnir d’un œuf cru (page de droite). DE L’ORIGINE COMPLEXE DES DIRECTIVES SANITAIRES Les lois sur la sécurité alimentaire sont le résultat d’études scienti ques sur les germes d’origine alimentaire s’organisant généralement en deux groupes : les tests de laboratoire, qui étudient la température à laquelle un micro-organisme est tué ou neutralisé et nous avisent de ses propriétés intrinsèques, et les études d’épidémiologie, qui analysent chaque foyer de toxi-infection alimentaire et nous éclairent sur ce qui se passe dans le monde réel. Les directives o cielles devraient intégralement reposer sur l’obtention de preuves scienti ques, mais il n’en est rien. Les responsables o ciels se basent en e et sur une multitude de paramètres, incluant us et coutumes, tendances culturelles, intérêts politiques et pressions de l’industrie. Il semble raisonnable, dans une certaine mesure, que tous ces facteurs soient intégrés, car le but ultime des règles sanitaires est d’assurer la santé publique et non de prétendre à une perfection scienti que. En découlent toutefois des restrictions à la fois arbitraires et scienti quement infondées qui restreignent l’éventail des aliments disponibles, sèment la confusion dans les esprits et font obstacle à la préparation de mets de qualité. Une large part de ce chapitre est consacrée aux conséquences absurdes, parfois néfastes, de ces restrictions. Pour ne rien arranger, hasard et compromis sont inévitables à l’élaboration de ce type de normes. 16 6 VO LU M E 1 · H I S TO I R E & F O N DA M E N TAU X Prenons la manière dont les o ciels xent les taux microbiologiques acceptables après cuisson d’un aliment. Dans le chapitre précédent, nous avons évoqué la réduction décimale, ou « réduction D » (D pour « décimal » ou facteur de 10), pour désigner ces limites microbiologiques. La diminution d’un contaminant à 90 % correspond à une réduction de 1D, sa diminution à 99 %, à une réduction de 2D, sa raréfaction à 99,99 %, à une réduction de 4D, etc. En cuisine, on atteint de telles valeurs en maintenant un aliment à une certaine température pendant un temps donné. De fait, une réduction D importante signi e allonger le temps de cuisson à une température donnée. Si une réduction de 1D correspond à un temps de cuisson de 18 minutes à 54,4 °C (130 °F), une réduction de 5D devrait logiquement demander cinq fois plus de temps, soit 90 minutes, et une réduction de 6,5D, six fois et demie plus de temps, soit 117 minutes. En clair, les réductions D xées par nos administrations ont un impact considérable sur nos pratiques en cuisine et sur la qualité de nos plats. Existe-t-il une réduction D idéale ? Si, dès le départ, l’aliment ne contient aucun contaminant, alors il n’est pas nécessaire de se préoccuper d’une quelconque réduction D ! Une denrée fortement contaminée devra quant à elle subir un traitement assurant une réduction D très élevée. D’ores et déjà, S ÉC U R I T É A L I M EN TA I R E 167 3 • Historique • Microbiologie pour cuisiniers • Sécurité alimentaire • Aliments et santé • Chaleur et énergie • Physique des aliments et de l’eau « <strong>Modernist</strong> <strong>Cuisine</strong> est d’une importance capitale. Ce livre va faire prendre conscience aux chefs des nouvelles méthodes et des toutes dernières techniques culinaires pratiquées dans le monde. » —Heston Blumenthal, Restaurant Magazine, Londres « Aliments et santé ». Les croyances selon lesquelles certains aliments sont bons à la consommation et d’autres pas s’appuient généralement sur la recherche scientifi que. Malheureusement, les toutes dernières recherches scientifi ques font mentir la plupart de ces croyances. Lorsque la chaleur (chapitre 5) se propage dans un aliment, le reste dépend beaucoup de la physique de l’eau (chapitre 6). L’EAU EST UNE CHOSE ÉTRANGE Les propriétés et le comportement de l’eau nous Même après avoir atteint son point d’ébullition, sont sont si si familiers que nous ne réalisons pas que l’eau absorbe une grande quantité de chaleur — appelée c’est une substance vraiment unique. Chacun Chacun sait sait « chaleur latente de vaporisation » — avant de se qu’une molécule d’eau d’eau est composée composée de deux atomes transformer en vapeur. C’est la raison pour laquelle d’hydrogène liés à un un atome d’oxygène — H O, selon cela prend si longtemps de faire réduire un bouillon. 2 la formule chimique —, mais c’est la façon dont ces La barrière énergétique entre les états solide et liquide molécules interagissent les unes avec les autres qui de l’eau, appelée « chaleur latente de fusion », est donne à l’eau ses propriétés particulières uniques. similairement élevée. Les molécules de la plupart des liquides sont libres La cohésion principalement responsable de ces de se mouvoir, se tamponnant les unes les autres en excentricités est la liaison hydrogène, c’est-à-dire Les gouttelettes d’eau sont rondes fonction de la forme prise par le liquide. En revanche, l’attraction entre un atome d’hydrogène d’une à cause de la tension de surface, à cause de la tension de surface, qui fait que que l’attraction chimique entre les molécules d’un d’un liquide les molécules d’eau ont tendance à se coller les unes aux autres, et c’est pour cette raison que l’eau se molécule d’eau et l’atome d’oxygène d’une molécule d’eau adjacente. Les liaisons hydrogène ne sont attire celles qui sont en surface vers attire celles qui sont en surface vers comporte de façon si étrange. le centre. Parmi les liquides ordinaires, seul le mercure mercure possède une une tension Par exemple, l’eau bout à une température que dix fois moins puissantes que les liaisons qui maintiennent les atomes dans une molécule, mais de surface supérieure à celle de l’eau. de surface supérieure à celle de l’eau. beaucoup plus élevée que la plupart des autres liquides elles ont un eff et continu, et collectif, qui décourage composés de molécules similairement légères. Son suffi samment le mouvement à mesure qu’elles se point de congélation est aussi étonnamment élevé. Des forment et se brisent pour donner lieu à toutes gouttelettes d’eau forment des sphères parce que leur ces propriétés particulières mentionnées plus haut tension de surface est plus importante que celle de (voir « Pourquoi l’eau est bizarre », p. 298). Les liaisons hydrogène entre les n’importe quel autre liquide ordinaire, à l’exception du Au-delà de leurs eff ets sur les propriétés de l’eau et de molécules d’eau sont suffi samment molécules d’eau sont suffi samment mercure. L’eau gonfl e lorsqu’elle gèle et rétrécit lorsqu’elle la glace pures, les liaisons hydrogène sont responsables fortes pour conférer à l’eau beaucoup de propriétés inhabituelles, mais fond, à l’opposé de la plupart des autres substances. de la plupart des façons dont l’eau interagit avec les elles sont passagères et beaucoup plus faibles que celles qui lient les atomes au au sein d’une molécule molécule : L’étrangeté ne s’arrête pas là. Il faut fournir une quantité inhabituellement importante de chaleur autres substances. Ces liaisons permettent à l’eau d’être un solvant d’exception. Par exemple, le sucre liaisons covalentes des sucres, des liaisons covalentes des sucres, des graisses et des hydrates de carbone, liaisons liaisons ioniques ioniques des sels ou liaison à l’eau pour élever sa température ne serait-ce que de quelques degrés, c’est pourquoi cela prend tant et l’éthanol (alcool de grain) se dissolvent aisément dans l’eau car leurs molécules peuvent former des métallique des atomes de cuivre, métallique des atomes de cuivre, d’aluminium et de fer de nos ustensiles de cuisine. cuisine. de temps de porter une casserole d’eau à ébullition (surveiller la casserole n’a aucun eff et). liaisons hydrogène avec les molécules d’eau. Le même phénomène permet à la gélatine et à la pectine d’épaissir des solutions à base d’eau. Retirez l’eau des aliments, et la texture de ces substances déshydratées change, en partie parce que les protéines changent de structure, voire se dégradent lorsque les liaisons hydrogène sont retirées. C’est ainsi que des aliments crus déshydratés, comme le bœuf séché, donnent souvent l’impression d’être cuits. Les icebergs (à gauche et page suivante) fl ottent sur l’eau de mer parce que l’eau gelée est moins dense que l’eau liquide. La glace semble bleue car les liaisons hydrogène absorbent préférentiellement les lumières rouge et jaune, agissant comme un fi ltre qui ne laisse passer que le bleu et le bleu-vert. · · 2 9 6 VO LU M E 1 H I S TO I R E & F O N DA M EN TAU X PH YS I Q U E D E S A L I M EN T S E T D E L' E AU 2 97 PH YS I Q U E D E S A L I M EN T S E T D E L' E AU 2 97 6 CÔTÉ PHYSIQUE QUAND VERSER LE LAIT DANS LE CAFÉ ? Imaginons que vous attendez une amie et que vous avez commandé deux tasses de café. Vous savez qu’elle met du lait dans le sien, donc vous envisagez de verser du lait dans son café pour l’impressionner par votre attention. Toutefois, vous craignez qu’ajouter le lait ne fasse refroidir le café plus rapidement. Est-ce le cas ? Le débat du lait dans le café est un problème de physique classique, à défaut d’être un sujet de discussion de comptoir. Il revient à se demander si l’ajout de lait accélère ou ralentit le refroidissement du café pendant que vous attendez votre amie. Plusieurs facteurs entrent en jeu. Premièrement, le taux de perte de chaleur par rayonnement varie avec la température. Selon la loi de Stefan-Boltzmann, un café chaud émet plus d’énergie qu’un café déjà légèrement refroidi par l’ajout de lait. Voilà déjà une raison de verser le lait. Pour conserver le café chaud le plus longtemps possible, faut-il ajouter le lait tout de suite ou juste avant de le boire ? Deuxièmement, le café noir, de par sa couleur, émet plus de rayonnement thermique que le café au lait. Cela tendrait donc aussi à prouver qu’il ne faut pas attendre pour verser le lait. Tertio, l’argument principal : le café au lait s’évapore moins vite que le café noir. Or, l’évaporation consomme beaucoup de chaleur rapidement. Les partisans de l’ajout immédiat du lait ont donc raison. Ces facteurs pointent tous dans la même direction, et l’expérience confi rme que le café au lait refroidit 20 % moins vite que le café noir. Il est intéressant de noter que les chercheurs qui ont effectué les mesures n’ont pas pu dire lequel des trois mécanismes jouait le plus grand rôle. Donc, si vous voulez impressionner votre amie, allez-y et versez le lait dans son café avant qu’elle n’arrive. Priez juste pour qu’elle ne vous demande pas pourquoi il est encore chaud. HEAT HEAT AND AND ENERGY ENERGY 289 289 5