la bibliothèque des dominicains de toulon au xviii' siècle - Revue

LA BIBLIOTHÈQUE
DES DOMINICAINS DE TOULON
AU XVIII' SIÈCLE
L'étude de la bibliothèque des dominicains de Toulon fait partie d'une enquête
consacrée aux li vres des maisons religieuses de Provence à la fin du XVIII"
siècle'. Cette enquête sc place elle-même dans la prolongement de nombreuses
publications récentes concernant l'histoire des bibliothèques sous l'Ancien Régime!,
Ces travaux ont mis en lumière les différences qui existent entre les collections
ecclésiastiques et les collections laïques. Contrairement aux fonds privés, les collecti
o ns des maisons religieuses ont une forte capacité à durer. E ll es renaissent
et survivent avec les couvents qui les abritent. Aussi sont-elles marquées du poids
de la tradition), Même si certaines d'entre elles ont pu être délaissées à la fin du
XVI[[" siècle, elles reflètent les différentes vagues qui, au cours de la période moderne,
ont constitué la culture de plusieurs générations de reli gieux. En se plaçant à la
vei lle de la Révolution, on peut donc étudier les caractéristiques de cette culture,
étendue ou restreinte selon les époques, imprégnée de jansénisme ou
françaises .. . , op. cil. pp. 11-27.
Provence Historique Fascicule 171- 1993

MARIE-H ÉLÈN E FROESCHLÉ-CHOPARD
dominée par la mystique, orientée vers la controverse ou ve rs l'apologéti que scI on
les famill es reli gieuses.
Cependant, il faut noter que les travaux qui o nt contribué à définir les caractéristiq
ues générales des bibliothèques religieuses ont eu généralemcm pour objet
\cs grandes co ll ections. Les plus petites, inférieures à deux mill e volu mes, qui
constituent cependant une masse considérable de li vres, restent mal connues ',
A travers une étude précise de ces fo nds sur la période moderne, no us pensons
pouvoir analyser la culture du rel igieux ordinaire, d e celui q ui ne d isposait pas
pour ses lectures d 'u ne bibliothèque presti gie use.
Pour cela, nous avons choisi l'inventaire révolutio nnaire comme source privil
égiée, en raison de sa date et d e sa richesse.
La date, d 'abo rd, est d'un intérêt capital. Elle permet de saisir ces b ibli o ­
thèq ues à la fin de l' Ancien régime, à l'issue d e deux siècles de Contre-Réfo rm e
d'abord, de Réforme catholique ensuite'. En raison de leur multiplicité, ces inve ntai
res, réalisés en un laps de temps très court, entre 1790 et 1795 po ur la plup

LA BIBLIOTHÈQUE DES DOMIN ICAINS DE TOULON
après décès s . Ces choix s'expliquent aisément, car ces documents sont souvent
les seuls à fourrnr un aperçu sur des bibliothèques disparues et antérieures à 1789.
Cependant, ils sont réalisés à des dates diverses, et permettent plus difficilement
des comparaisons entre fo nds, Par ailleurs, il est difficile de les cro ire
ex haustifs. Les ouvrages conservés ne constituent généralement qu' une partie
de la bibliothèque initiale. Les inventaires après décès, énumèrent non les
livres particuliers mais des lots, dans lesquels ils ne rel èvent qu'un seul titre. O n
ne peut raisonnablement estimer proches de l'exhausti vité que les catalogues dressés
par les propriétaires ou les bibliothécaires des collections.
A l'opposé, et au dire de ceux qui les établissent, les listes dressées à partir
de 1790 ne laissent de coté que quelques « vieux bouquins » . Les inventaires
révolutionnaires retrouve nt ainsi les qualités des catalogues dressés par les propriétai
res des fonds 9 • Ils répondent donc, malgré quelques imperfections sur lesquelles
nous reviendrons, au but que nous poursuivons dans cette enquête : définir
la culture des maisons religieuses à la fin de la Réforme catholique et à la vei lle
de la dispersion des religieux.
A cette relative exhaustivité, s'ajoute une grande homogénéité du document
qui facilite la comparaison des divers fo nds. Cette homogénéité est duc à ce que
les personnes chargées du catalogage Ont su ivi les directives données par Paris.
O n peut rés umer ces directives en trois grands ensembles.
Tout d'abord, après le décret du 2 novembre 1789 qui mettait tous les biens
ecclés iastiques à la disposition de la Nati o n, un nouveau décret, le 14 du
même mois, enjoignait aux communautés reli gieuses de déposer aux greffes des
tribunaux ou aux municipalités les plus voisines, des états et catalogues des livres
ct manuscrits en leur possession. Personne n'ayant obtempéré, les premiers inve ntaires
ont été rédigés par di verses adminis trati ons chargées de dresser un état
des li eux ct de mettre les scellés. Ces inventaires, dépendant entièrement de la
bonne volonté des commissaires nommés à cet effet, sont fort divers. Ils vont
d' une évaluation globale du nombre des ouvrages lO à la liste détaillée de chaq ue
8. M ichel MARION, Recherches sur les bibliothèques privées à Paris au milieu du XVIII'
siècle, Paris, 1978.
9. Nous parl ons ici, év idemment, des inve nta ires réalisés titre après li tre, el non de ceux
q ui présentent uniq ueme nt des évaluat ions très sommaires. Ce sont ces de rn ie rs docume nts
qui expliq uent les jugements sévères que "on pellt aussi porter sur les inventaires révolutionnaires.
Voir, par exemple, Paul AMARGIER, Régis BERTRAND, Alain GIRA RD, Daniel LE IlLr.VEC ,
Ch"r(reusl's de Provence, Aix-cn-Provence, 1988: .. Les bibliothèques des temps modem es,.,
pp. 119- 12 7.

BIBLIOTHEOUE DES CAPUCINS DE TOULON
XVIe siècle XVIIe siècle XVIIIe siècle
BIBLIOTHEOUE DES MINIMES DE TOULON
XVIe siècle XVIIe siècle XVIIIe siècle
BIBLIOTHEOUE DES DOMINICAINS DE TOULON
XVIe siècle XVIIe siècle XVIIIe siècle

LA BIBLIOTHÈQUE DES DOMINICAINS DE TOULON 11
XVIr" siècle, une régression au XVIW siècle, particulièrement sensible dans sa seconde
moitié. A la veille d e la Révolutio n, le fonds paraît un fond s « hérité », tourné
vers le passé d es deux grandes époques de la vic de l'Église : la C ontrc­
R éfo rme (fi n XVI ' siècl e-d ébut XVII' siècle); l'apogée d e la Réfo rme catholique
(fin du XVI I' siècle).
Les autres bibliochèques des maisons religieuses de la vi lle présentent une évolution
différente, dans laquelle les ouvrages du xvI" siècle sont pratiquement inexistants
(6 à 10 % du fonds) alors que la plupart sont édités au xvw siècle, et plus particuli
èrement dans sa seconde moitié. Telle est la bi bliothèque des minimes,
dont l'impo rtance est comparable à celle des capucins: 748 titres d ont 70 1
datés. Les livres du xvw siècle représentent 69 % du fonds. C'est entre 1650 et
l699 que les éditions sont les plus nombreuses, avec une décenni e exceptionnelle
(1670-1679) qui compte à elle seule plus de 90 titres, soit 14 % de l'ensemble. Partout
les édi tions du XVIII" siècle sont en déclin, sauf chez les Augustins (35 % des titres
datés). Ainsi, dans toutes ces bibliothèques, la grande période de vitalité est celle
de l'apogée de la Réforme catholique, le XVIII" siècle étant celle du déclin.
Dans cet ense mble tourné vers le passé, le fonds des dominicains fait
exception. En effet, il est presque entièrement constitué d'ouvrages édités au XVIIIe
siècl e (74 % des titres datés) . chose plus remarquable encore, ces titres sont en
augmentation constante, des premières années du xVlwsiècle, qui comptent une
di zaine d 'ouvrages, aux années 1750-1759, qui rassemblent 40 titres. C e n'est
qu'après 1770 que les ouvrages nouveaux disparaissent. Mais on est ici dans une
période de crise pour les ordres religieux qui explique peut-être ce retraif Q
• Ainsi,
malgré la petitesse du fo nds (270 titres), la bibliothèque des dominicains de Toulon
peut-être qualifi ée de vivante à la fin du XVIJJ< siècle : sans doute a-t-elle été reconstituée
ve rs 1720, comme le suggère une de leurs délibérations 21 • Ces livres
récents sont, comme on pouvait s'y attendre, de perits formats (171 in - 12, par
exemple, contre 16 folios seulement) et écrits en français (223), contre 35 en latin.
La vitalité de cette bibliothèque contredit le jugement global scion lequel on aurait
affaire obli gatoirement, dans les petites collecti ons, à des fon ds vieillis.
Une autre manière de qualifier le fonds est d'en étudier la compositio n. Nous
reprendrons pour cela la célèbre classification des libraires de Paris : T héologie,
Droit. Sciences et Arts, Belles-Iertres, Histoire"l. Cette classification est inévi-

LA BIBLIOTHÈQUE DES DOMINICAINS DE TOULON 13
qui utilisent l'un ct l'autre les classifications du XVIII· siècle!7. Nous pensons avoir
ainsi évité au maximum les interprétations hâtives ou personnelles.
L'avantage de reclasser l'ensemble des livres d'une collection dans les
cinq grandes catégories de la librairie française est aussi d'éviter l'écueil qui consisterait
à ne prendre en compte que quelques ouvrages, censés définir l'orientation
d'une bibliothèque, quelques auteurs considérés comme faisant autorité.
Cc n'est pas parce qu'une bibliothèque comporte plusieurs ouvrages de
Voltaire que son propriétaire est nécessairement acquis aux « Lumières» ! L'analyse
doit tenir compte de tous les ouvrages, même ceux qui semblent, à un lecteur
du XX" siècle, de peu d'intérêt. Ce n'est que par rapport à l'ensemble du fonds
que tel ouvrage ou tel auteur peuvent prendre signification.
Tenir compte des grands ensembles permet les comparaisons. Ainsi, en 1791,
la bibliothèque des dominicains de Toulon peut être qualifiée de« vivante» en
comparaison, par exemple, de celle des capucins de la même ville. Voici comment
se présentent ces deux collections:
dominicains capucins
Théologie 51% 65%
Droit 1% 6%
Sciences et Arts 20% 8%
Belles-lettres 8% 7%
Histoire 19% 12%
Indéterminés 1% 2%
On remarquera que la Théologie est majoritaire dans les deux coll ections.
Cette catégorie apparaîtrait encore plus importante si l'on ajourait aux livres
de « théologie» ceux qui relèvent du droit canonique ou de l'histoire ecclésiastique,
classés respectivement en Droit et en Histoire. Ces bibliothèques restent
conservatrices en regard de la production du livre au XVIII" siècle, dans laquelle
la Théologie, qui ne représentait déjà que 34 % des permissions publiques des
années 1723-27, recule à 8,5 % dans les années 1784-88 28 • Cependant ce livre de
théologie ne constitue que la moitié des ouvrages des dominicains alors qu'il est
largement prépondérant chez les capucins. Parmi les trois catégories en progression

LA BIBLIOTHÈQUE DES DOMINICAINS DE TOULON 15
et surout la théologie polémique (49 titres). Cette dernière rubrique, qui représente
34 % de l'ensemble Théologie, marque l'orientation de cette bibliothèque.
Cette orientation apparaît avec encore plus de précision si l'on classe
ces ouvrages cn fonction de leurs tendances. On trouve alors, sur ces 49 titres,
28 ouvrages d'apologétique, et 18 autres qui relèvent, sans que les frontières en
soient toujours bien nettes, soit du jansénisme le plus avéré, soit de polémiques
autour de la grâce, soit d'une littérature de combat contre les jésuites.
II ne reste que quelques ouvrages de controverse antiprotestame, dont l'un d'ailleurs
pourrait facilement se ranger dans le « jansénisme» : La perpétuité de la [oy de
l'Église catholique touchant l'Eucharistie avec la réfutation de l'écrit d'un
ministre (Claude) contre ce traité, (par P. Nicole et A. Arnauld, Paris, Savreux,
1664). Dans les ouvrages écrits pour la défense du christianisme, les apologies
du XVII' siècle sont relativement peu nombreuses (4 titres) tandis que triomphent
celles qui engagent la lutte contre les philosophes.
Dès lors, on ne sera pas étonné de trouver, dans la catégorie qui vient en
seconde position par son importance, cell e des Sciences et Arts (53 titres), 36
titres qui se rapportent à la seule philosophie, contre 17 seulement pour les mathématiques,
la physique, les sciences naturelles et la géométrie. Cette « philosophie
» paraît correspondre, au moins par le nombre, aux « apologies» de la catégorie
Théologie écrites pour la combattre.
Parmi les ouvrages d'Histoire (50 titres), l'histoire profane reste modeste
(17 titres) et, comme on pouvait s'y attendre, presque toute tournée .vers
l'histoire moderne. L'histoire ecclésiastique est dominée, soit par le jansénisme,
soit par des ouvrages traitant des jésuites: 15 titres sur 33. Ces livres sont
suivis de loin par quelques hagiographies, surtout dominicaines (6 titres), et
quelques écrits touchant le protestantisme (5 titres).
On a vu le peu d'importance des deux dernières catégories : le Droit et les
Belles-lettres. Le premier est inexistant, les Belles-lettres se limitent à quelques
grammaires ou dictionnaires, quelques romans ou poèmes. On y trouve cependant
deux exemplaires de l'Anti-Lucrèce du cardinal de PolignacJ', l'apologie
de Louis Racine, La Religion J1 , l'épopée de Voltaire sur Henri IV, le roi tolérant
qui a racheté la Saint-Barthélémy, la Ligue ou Henri le Grand JJ • Si on ajoute Les
aventures de Télémaque, considérées comme une sorte de satire du gouvernement
de la cour de Louis XIV, parce que Fénelon y avançait que le roi doit se soumettre
aux lois et associer la nation à son autorité, on aura fait le tour des quelques écrits
littéraires marqués par les polémiques du temps.

LA BIBLIOTHÈQUE DES DOMINICAINS DE TOULON 17
Ces choix ne suppriment pas tous les problèmes. Ainsi, on constate que le
Dictionnaire des livres jansénistes ne retient pas toutes les œuvres de tel auteur
connu, comme Arnauld par exemple. Ceci nous avait conduit à exclure de la liste
des ouvrages jansénistes, dans un premier temps, la Logique de Port-Roya/JI>. Nous
l'avons cependant conservée, nous bornant à écarter uniquement les ouvrages
scientifiques du même auteur l7 , Le cas se reproduit quelquefois, ainsi pour Pascal
et son Traité de l'équilibre des liqueurs J8 •
Par ai lleu rs, certains ouvrages d'auteurs qui ne sont pas véritablement« janet
qui ne sont pas définis comme tels, par exemple, dans le
de Théologie catholique, peuvent avoir été retenus. Tel est le
cas de la Théologie morale de Genet J9 • L'ouvrage est composé pour Le Camus,
évêque de Grenoble. Jugé trop ri gide, il est attaqué par de nombreux évêques
ct finalement censuré par la faculté de théologie de Louvain en 1703. Par
ai lleurs, son auteur manifeste des sympathies jansénistes: devenu évêque de Vaison,
il y accueille les Sœurs ou Filles de l'Enfance de Jésus supprimées pour jansénisme.
Il est arrêté le 29 septembre 1688, emprisonné à Nîmes, puis à l'île de Ré,
avant d'être rendu à son diocèse. Le livre est recensé dans le Dictionnaire des livres
jansénistes 40 comme dans la bibliographie de Willaerr 4t • Par contre, et malgré le
sujet traité, Quaestiones agitate inter thomistas et molinistas, etc ... , nous
n'avons pas retenu cet ouvrage du père Piny, dominicain, qui ne paraît pas avoir
provoqué de querelles 41 •
En suivant ces principes, nous avons pu sélectionner 62 ouvrages touchant
au jansénisme dans cette bibliothèque. Si l'on y ajoute 15 titres qui concernent
les jésuites, et qui sont, pour la plupart, des écrits ou des pamphlets contre la
Compagnie, on peut affirmer que le jansénisme imprègne le fonds (29 % des titres).
En effet, dans cet ensemble, rares sont les ouvrages écrits contre tel auteur janséniste
ou favorables aux jésuites. On en compte trois cependant: deux du père

18 MARIE-HÉLÈNE FROESCHLÉ-CHOPARD
Daniel, jésuite, combact3nt, l'un, les Provinciales, l'autre un ouvrage du père Seny,
touchant les polémiques su r la grâce·' j le trois ième ouvrage, d 'Etienne
Fourmonr. fu stÎ ge Duguer et son interprétation de l'Ecri ture". Mais la biblio ­
thèque possède l'antido te de ces tro is li vres : ell e possède d eux éditions des
Provinciales ; deux ouvrages du père Scrry (dont l'un qui poursuit la polémique-'),
ainsi que l'ouvrage de Duguer attaqué par Fourmonr ll , .
Il nous reste à défin ir à présent quel est cc jansénis me q ui imprègne ai nsi
ta bibliothèque des dominicains de Toulon.
Cc n'est pas celui des premières polémiques. Les dominicains n'ont ni Baius,
ni Molina, ni Lcss ius, ni même Jansénius. Le seul auteur que l'o n pourrait évoquer
ici es t Estius, élève de Baius.
De la même manière le premier jansénisme, celui de Po rt-Royal, n'est représenté
que par un nombre li mité d'ouvrages. Il y a les troÎs écrÎts célèbres de Pasc.ll :
les deux éditions des Provinciales déjà évoquées (l'une non datée, l'autre de 1712),
une éd ition des Pensées de 1715. Il Y a trois ouvrages d'Arnauld, dont aucun cependant
n 'est répertorié dans le Dictionnaire des livres jansénistes. On a d éjà évoqué
La logique de Port -Royal. Le second, Des vraies et des fausses idées contre
cc qu'enseigne l'auteur de la rercherche de la Vérité, est une édition de 1724 d'u n
o uvrage p ubli é cont re Malebranche en 1683. Le troisième, En·ils sur le système
de la grâce générale, combat Nicole qui acceptait l'idée d 'une grâce uni verselle
accordée par D ieu à tous les hommes, idée proche de la grâce suffisante·-. Des deux
écrits de N ico le .dont il a été question plus haut, l'un concerne surto ut le protestantisme,
le second se situe avant la paix de C lément IX, dans la polémique dut:
à la signature du formu laire. Ce sont les Imaginaires, lettres qui défendent le jansénisme
contre le grief d'hérésie: elles parurent de 1644 à 1665, cr furent rassemblées
en deux volumes en 1667 H • Mais la bibliothèque n'a qu'une éditio n d e 1692.
ceinturl' de dOIl/cur 01/ Réfutation du /ivre Hn
tilltC//igclIcc des saint("s (:crÙllrcs (par Duguct) composé par Rabbi Ismacf Bcn Abraham, P;tris,
1723

LA BIBLIOTHÈQUE DES DOMINICAINS DE TOULON 21
trouve à la base de ce combat, le Témoignage de la Vérité dans l'Église, du père
Vivien de la Borde, supérieur du séminaire oratorien de Saint-Magloirë 1 • Ils ne
possèdent ni les Tetraples, ni les Hexaples 6J , œuvre collective où les théologiens
de Saint-Magloire ont rassemblé, en quatre colonnes puis en six, des commentaires
et passages des Pères pour justifier les 101 propositions tirées des Réflexions morales
de Quesnel, ct condamnées par la bulle Unigenitus.
On peut mesurer cependant l'importance de ce courant dans la bibliothèque,
tout d'abord, au niveau essentiel de l'Écriture. Nous ne nous attarderons pas
aux Bibles elles-mêmes: trois éditions complètes, dont une hébraïque et deux
latines; trois éditions du Nouveau Testament dont deux en grec (l'une sans auteur,
l'autre de Théodore de Bèze), et la dernière en français, de Le Maistre de
Sacy, dom il a déjà été question. Rien là d'original.
Par contre, excepté un commentaire de Bellarmin sur les psaumes, les interprètes
de l'Écriture qui sont rassemblés ici relèvent presque tous du quesnellisme
et du jansénisme du début du XVIII" siècle. On y trouve d'abord deux édirions
des Réflexions morales de Quesnel, l'une non datée M , l'autre de 1702. Mais
on y trouve aussi l'Abrégé de la morale de l'Évangile 6 \ premier commentaire
dont les Réflexions morales constituent l'achèvement 66 • Les dominicains ont aussi
deux ouvrages de Duguet, les Règles pour l'intelligence des saintes Écritures dont
on a déjà parlé, l'Explication littérale de l'ouvrage des six jours dans sa première
édition 67 • La bibliothèque possède aussi l'Analyse de l'épître aux Hébreux, œuvre
de Philippe Boucher, du groupe de Saint-Magloire, qui reprend l'enseignement
de Duguet ; elle a encore trois exemplaires, non datés, de l'Abrégé de l'Histoire
et de la morale de l'ancien Testament de Mesenguy,le« second Quesnel du XVIII"
siècle» selon Edmond Préclin bs •

LA BIBLIOTHÈQUE DES DOMINICAINS DE TOULON 23
réunit, quatre ans après la mort de Boursier, ses meilleurs écrits 7S • Dans cet
ensemble, il faudrait encore placer l'ouvrage plus récent de Claude Lequeux, ardent
janséniste et partisan des convulsionnaires, Traité du petit nombre des élus, que
la bibliothèque possède en deux exemplaircs 7b ,
A côté des théologiens du groupe de Saint-Magloire, il reste peu de chose,
si ce n'est quelques ouvrages de docteurs dominicains rigoristes, accusés de jansénisme
: Arnat de Graveson, Daniele ConcÎna.
Ainsi, dans l'ensemble du jansénisme de cette bibliothèque, comme dans
la catégorie « Écriture », c'est le « figurisme» qui triomphe.
Cet aspect explique l'importance d'une autre catégorie d'ouvrages jansénistes,
ceux qui relèvent d'une littérature de combat. Elle est déjà présente dans
ce fonds avec deux livres de Quesnel: la Paix de Clément IX, œuvre de polémique
contre un ouvrage écrit par un docteur de Sorbonne sur les cinq propositions;
l'Apologie historique des deux censures de Louvain et de Douay77. Mais
c1le se cristallise autour des querelles de la bulle Unigenitus.
Certains de ces recueils sont restés résolument anonymes, telle Recueil de
pièces sur la constitution Unigenitus, portant ni lieu ni date. Même s'ils paraissent
sans nom d'auteur, les autres ouvrages sont écrits par des jansénistes
notoires. C'est le cas du Catéchisme historique et dogmatique sur les contestations
qui divisent maintenant l'Église, de Fourquevaux; des Anecdotes ou Mémoires
secrets sur la constitution Unigenitus, de Bourgoin de Villcfore ; des Appel/ans
pleinement justifiés ... , de Gourlin 78 . A ces ouvrages s'ajoutent des histoires (comme
l'Abrégé de l'histoire ecclésiastique de Bonaventure Racine) ou des dictionnaires
apologétiques, comme celui de BarraP". Ainsi qu'on pouvait s'y attendre,

LA BIBLIOTHÈQUE DES DOMINICAINS DE TOULON 27
et 1782, au moment où la bibliothèque que nous étudions n'acquiert plus
aucun ouvrage 9 1 • On constate la même absence d'Helvetius et de d'Holbach: ni
de l'Esprit, ni Le christianisme dévoilé, ni le Système de la nature. Les philosophes
matérialistes, comme dans les bibliothèques des élites parisiennes ou celles des
magistrats cl' Aix, n'ont pas bonne presse 91 •
La bibliothèque comporte cependant quelques œuvres de Montesquieu,
Voltaire et Rousseau.
L'Esprit des lois a autant de succès chez les dominicains de Toulon qu'il en
a eu dans le siècle. Les religieux ont deux éditons, l'unc dont l'inventaire ne donne
pas la date, mais qui pourrait bien être la première) ; l'autre de 1750. Ils en ont
aussi, du même auteur, la Défense (1750). Enfin, pour fa ire bonne mesure, ils
en possèdent deux critiques: l'une de Fontaine de la Roche, janséniste, rédacteur
des Nouvelles Ecclésiastiques: "autre de Louis de Bonnaire, appelant
quoique anticonvulsionnaire et anrifiguriste, que Préclin classe parmi les jan­
sénistes rationalistes q
,. Tout ceci montre que si les dominicains ont eu le souci
de se procurer une œuvre philosophique imponante, c'est néanmoins dans un
souci de controverse apologétique (dans laquelle ressort Je jansénisme militant
de la bibliothèque)".
De Rousseau, la bibliothèque ne possède qu'un seul ouvrage, LeUres écrites
de la Montagne, dans lesquelles Jean-Jacques se défend contre le procureur
du conseil de Genève qui l'accusait d'impiété, et répond qu'il place
du christianisme, non dans l'orthodoxie, mais dans la pratique des
principes évangéliques 'H.. De Voltaire, elle en compte quatre: un poème épique dont
il a déjà été question, La ligue OH Henri le Grand; une Histoire de Charles Xl! ; des
Œuvres diverses ct les Éléments de la philosophie de Newton 97 • Comme parmi les
élites parisiennes étudiées par Daniel Mornet, comme chez les Parlementaires aixois,

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BlBUOTHEDUE DES DOMINICAINS DE TOULON
JANSENISME
BtBLIOTHEQUE DES DOMIHICAINS DE TOULON
PHLOSOPt«E
81BLIOTHEQUE DES DOMINICAINS DE TOULON
APOlOGETlOUE

LA BIBLIOTHÈQUE DES DOMINICAINS DE TOULON 33
Dans les dernières années de cette bibliothèque, les dominicains ont
acquis deux autres réfutations : cel le d'une des œ uvres capitales du rationalisme
antichrétien, l'Examen critique des apologistes de la religion chrétienne, celle du
Système de la Nature de d'Holbach. Elles sont dues toutes deux à Bergier, l'infatigable
apologiste de la fi n du siècle 11 b • Mais la seconde réfutation, l'Examen du
matérialisme est bien imprégnée de Rousseau. Désormais, peu d'apologistes échapperont
à l'influence de Jean-Jacques, même si leur pensée et celle des «philosophes}>
restent irréconciliables.
L'étude précise de la philosophie d'abord, de J'apologétique ensuite,
montre, du point de vue de l'histoire des idées au XVIIIe siècle, une culture « philosophique»
qui se nourrit mieux à partir des apologies que des ouvrages que
celles-ci réfutent. La courbe des dates d'édition traduit ce mouvement: très modeste
au début du siècle pour les deux ensembles (bien qu'un peu plus soutenu e pour
la (( philosophie) dans des années 1710-1730), elle s'enfle au milieu du siècle,
en accusant une préférence pour les apologies.
CONCLUSION
Il faudrait évoquer en conclusion la situati on particulière dans cette
bibliothèque de !'Iiistoire naLurelle de Buffon'] ? Cet ouvrage, on le sait, modifiait
les idées traditionnell es sur la formation de la Terre : celle-ci n'était plus
sortie toute faite d'un acte créateur, mais d'une lente évolution géologique. De
Lignac avait écrit une réfutation, qui soulignait combi en Buffon omettait
l' hypothèse de Dieu en se contentant d'observer simplement les faits " 8 • Dans
ce conflit, deux méthodes se heurtent: celle de l'observation, celle de l'autorité.
Or les dominicains de Toulon ont les deux ouvrages. Mais cel ui de De Lignac
correspond à la première édition (1751), tandis que l'Histoire naturelle de
Buffon est la cinquième édition (1774-89).
Il nous semble que nous avons là l'image de cette bibliothèque. Jean
Quéniart, ap rès une étude des bibliothèques du clergé dans l'ouest de la
France conclut que la plupart des prêtres du XVIUC siècle, isolés des laïcs et par­
Iant de moins en moins leur langage, paraissaient à l'écart des idées nouvelles
" 9 •