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LA LIBERTÉ MATRIMONIALE AU SENS
DE LA CONVENTION EUROPÉENNE
DES DROITS DE L’HOMME (*)
par
Michel LEVINET
Professeur de droit public
IDEDH (UMR CNRS 5815),
Université de Montpellier I
« S’il est une force redoutable, capable de
renverser cul par-dessus tête Cours suprêmes
et Parlements, n’est-ce pas celle des droits de
l’homme? »( 1 )
1. Même s’ils refusent de s’enfermer dans une définition a priori
de la « vie familiale », estimant que « l’institution de la famille n’est
pas figée, que ce soit au plan historique, sociologique ou encore juridique
» (Mazurek c. France, 1 o févr. 2000, § 52), les organes de la
Convention européenne des droits de l’homme ont toujours insisté
sur la sauvegarde du mariage qui « est dans tous les Etats signataires
de la Convention l’institution reconnue qui entraîne la fondation
d’une famille » (déc. 15 mars 1984, B., R. et J. c. R.F.A. ( 2 );
adde Van Oosterwijck c. Belgique, rapp. 13 mars 1979, § 49). Même si
l’article 8 de la Convention n’exclut pas formellement l’existence de
liens familiaux en dehors du mariage (Marckx c. Belgique, 13 juin
1979 ( 3 ) et entend surtout consacrer le droit subjectif de toute personne
au respect de ses liens familiaux, en 1950, la forme de vie
familiale privilégiée par ses auteurs reposait sur la figure du couple
(*) Cette étude est issue d’une communication présentée le 22 avril 2004 à l’Université
de Lyon III, lors des Rencontres francophones autour de la « vie familiale »
(organisées dans le cadre du Réseau de chercheurs Droits fondamentaux de l’Agence
Universitaire pour la Francophonie).
(1) H. Fulchiron, « Couples, mariage et différence des sexes : une question de discrimination?
», in Mél. J. Rubellin-Devichi, Litec, 2002, p. 31.
(2) D.R. 36, 130.
(3) F. Sudre, J.-P. Marguenaud, J.Andriantsimbazovina, A.Gouttenoire et
M. Levinet, Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, P.U.F.,
2003, n o 42 (cité infra GAC.E.D.H.).

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marié. Même si elle fait coexister définition classique de la vie familiale
— fondée sur le mariage — et définition élargie visant la situation
des couples non mariés, y compris ceux comprenant une personne
transsexuelle (X., Y. et Z. c. Royaume-Uni, 22 avril 1997,
§ 37), la jurisprudence européenne considère « légitime, voire méritoire,
de soutenir et d’encourager la famille traditionnelle » (Marckx,
préc., § 40) (Adde : Mazurek, préc., § 50; Karner c. Autriche, 24 juill.
2003, § 40), ajoutant qu’il n’est « pas possible de dégager de l’article
8 l’obligation... de doter les couples non mariés d’un statut
analogue à celui des couples mariés » (Johnston et a. c. Royaume-
Uni, 18 déc. 1986, § 68 ( 4 ). Pareille considération peut justifier une
différence de traitement en matière de prestation sociale entre relation
née du mariage et relation de concubinage ( 5 ), les intéressés
refusant de « régulariser » leur situation afin de pouvoir bénéficier
des avantages inhérents au statut de conjoint (déc. 30 août 1993,
G.A.B. c. Espagne ( 6 ); déc. 4 mars 1998, Fernanda Quintana Zapata
c. Espagne ( 7 ); déc. 19 janv. 1999, Candelaria Saucedo Gomez c.
Espagne ( 8 ); déc. 10 mai 2001, Mata Estevez c. Espagne ( 9 ). Ce faisant,
au nom de la nécessaire hiérarchisation des modèles de vie
conjugale, le juge européen semble inscrire son office dans la défense
du mariage, compris comme « base d’un statut privilégié en tant que
pilier de la famille, elle-même pilier de toutes les sociétés » ( 10 ).
2. Pour autant, ainsi que Frédérique Granet le relevait, il y a
quelques années, le pluralisme croissant des formes de conjugalité
soulève « la question de savoir quel est actuellement le sens du
mariage » ( 11 ). L’institution du mariage se trouve, en effet, confrontée
à une transformation radicale de la notion juridique de
(4) GAC.E.D.H. n o 41.
(5) Le juge communautaire partage cette position : « La décision de réserver certains
avantages aux couples mariés, en excluant tous ceux qui cohabitent sans être
mariés, relève soit du choix du législateur, soit de l’interprétation effectuée par les
juridictions nationales des règles juridiques de droit interne, sans que les particuliers
puissent faire valoir aucune discrimination fondée sur le sexe interdite par le droit
communautaire » (C.J.C.E., 7 janv. 2004, K.B., aff. C-117/01, pt 28).
(6) Req. n o 21173/93.
(7) D.R. 92-A, 139.
(8) Req. n o 37784/97.
(9) Req. n o 56501/00.
(10) M.-T. Meulders-Klein, « Egalité et non-discrimination en droit de la
famille. Le rôle des juges », Rev. trim. dr. h. 2003, p. 1194.
(11) « Convergences et divergences des droits européens de la famille », in Perpectives
de réforme en droit de la famille, Dr.Fam. (n o hors-série), déc. 2000, p. 6.

Michel Levinet 891
couple ( 12 ). Expression de l’argument de l’équivalence des sexualités,
« le terme de couple, terme neutre, terme bisexuel en quelque
sorte » ( 13 ), en vient désormais à désigner aussi bien les liens entre
personnes de sexe biologique différent que ceux entre personnes de
même sexe biologique. Aussi, les couples comportant des transsexuels
et ceux formés par des homosexuels revendiquent-ils, non
seulement le droit au respect de leur vie privée et familiale, mais
également le droit au mariage. Longtemps, le juge de Strasbourg
s’en est tenu à une définition traditionnelle du mariage, fondée,
notamment, sur la différence de sexe biologique (I), avant, depuis
peu, de l’abandonner, ouvrant la voie à de nombreuses incertitudes
(II).
I. — Un long plaidoyer en faveur
du mariage traditionnel
3. A la différence de ceux de l’article 9 de la Charte des droits fondamentaux
de l’Union européenne du 7 décembre 2000 ( 14 ), les termes
de l’article 12 de la Convention européenne des droits de
l’homme — « A partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le
droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales
régissant l’exercice de ce droit » — garantissent un seul et même
droit et confirment que « le but poursuivi consiste essentiellement à
protéger le mariage en tant que fondement de la famille » (affaires
britanniques : Rees, 17 oct. 1984, § 49; Cossey, 27 sept. 1990, § 43;
Sheffield et Horsham, 30 juill. 1998, § 66). Le droit de fonder une
famille, auquel se réfère l’article 12, est « un droit absolu, en ce sens
qu’aucune restriction semblable à celle du paragraphe 2 de l’article
8 n’a été expressément prévue » (déc. 21 mai 1975, X. c.
Royaume-Uni)( 15 ). La dignité du mariage, fondement de la famille
repose sur la complémentarité des sexes. Le mariage n’est pas, en
effet, une union quelconque entre personnes humaines; il n’existe
qu’entre deux personnes de sexe différent en vue de la perpétuation
de l’espèce. En rappelant que la complémentarité des sexes et la
(12) C. Brunetti-Pons (dir.), La notion juridique de couple, Economica, 1998;
M. Levinet, « Couple et vie familiale », in F. Sudre (dir)., Le droit au respect de la
vie familiale au sens de la C.E.D.H., Bruylant, 2002, pp. 107-160.
(13) H. Fulchiron, «Op. cit. », p. 29.
(14) Article 9 (Droit de se marier et droit de fonder une famille) : « Le droit de se
marier et le droit de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en
régissent l’exercice ».
(15) D.R. 2, 106.

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fécondité appartiennent à la nature même de l’institution du
mariage ( 16 ), la rédaction de l’article 12 traduit les valeurs fondatrices
du texte européen. C’est ce qui explique le refus obstiné
opposé par la Cour européenne des droits de l’homme à la revendication
transsexuelle, à partir d’une définition exclusivement génétique
de l’identité sexuelle, en dépit de l’existence d’autres facteurs
de détermination du sexe (morphologique, psychologique et social).
Refus logique en raison de la triple référence que comporte l’article
12 à la dualité des sexes, à l’âge nubile et aux législations
nationales pour ses modalités d’exercice. Sans doute, les autorités
nationales doivent-elles éviter des limitations de nature à l’atteindre
« dans sa substance même », mais l’appréciation des critères permettant
de déterminer le sexe d’une personne en vue du mariage fait
partie intégrante du « pouvoir dont jouissent les Etats contractants
de réglementer par des lois l’exercice du droit de se marier ». Aussi
le fait pour l’Etat défendeur de s’en tenir aux seuls critères biologiques
n’est pas déraisonnable en raison de « l’attachement au concept
traditionnel de mariage qui sous-tend l’article 12 de la Convention »
(Sheffield et Horsham, préc., §§ 66-67). Même si la Convention européenne
des droits de l’homme ne fait pas de la capacité physique de
procréer ( 17 ), voire de la possibilité d’avoir des rapports sexuels
(Hamer c. Royaume-Uni, rapp. 13 déc. 1979) ( 18 ), une condition fondamentale
du mariage, la Cour n’en a pas moins, avec constance et
solennité, affirmé et réaffirmé que son article 12 « garantissait le
mariage traditionnel entre deux personnes de sexe biologique différent
» (Rees, préc., §§ 49-50; Cossey, préc., §§ 43-46).
4. Le couple marié est donc, par excellence, l’entité fondatrice de
la famille. Le renvoi opéré par l’article 12 in fine aux systèmes juridiques
internes afin de déterminer les modalités d’exercice du droit
de se marier et de fonder une famille témoigne clairement qu’il
s’agit d’une question intéressant non seulement un droit individuel
mais aussi l’ordre public, ne serait-ce qu’en raison de ses « conséquences
d’ordre personnel, social et juridique » (F. c. Suisse, 18 déc.
1987, § 32). Manifestement, si l’Etat dispose de pouvoirs étendus,
« cela ne signifie pas que le domaine des lois nationales soit illimité »
(16) H. Fulchiron, op. cit., pp. 38-39; P. Boucaud, « Le droit de se marier », Rev.
trim. dr. h. 1992, pp. 3-46.
(17) « Si le mariage et la famille sont étroitement associés dans la Convention
comme dans les droits nationaux, rien ne permet toutefois d’en déduire que la capacité
de procréer serait une condition fondamentale, ni même que la procréation en
soit une fin essentielle... outre le fait que la famille peut toujours être fondée par
l’adoption d’enfants » (Van Oosterwijck c. Belgique, rapp 13 mars 1979, § 59).
(18) D.R. 24, 5.

Michel Levinet 893
(Hamer, rapp. préc., § 60; Draper c. Royaume-Uni, rapp. 10 juill.
1980, § 47 ( 19 ). Il doit s’abstenir d’édicter des limitations de nature
à « le restreindre ou réduire d’une manière ou à un degré qui l’atteindraient
dans sa substance même » (Rees, préc, § 50). La Convention
garantit donc le droit de former un couple marié, sous réserve
du respect de règles formelles et substantielles ( 20 ), présentes
« (d)ans tous les Etats membres du Conseil de l’Europe » (F. c.
Suisse, préc., § 32). Le droit national peut ainsi fixer un âge nubile
légal qui l’emporte sur les convictions d’un requérant prétendant
que sa religion autorise le mariage des jeunes filles à l’âge de 12 ans
sans le consentement de leurs parents, car « le mariage ne saurait
être considéré simplement comme une forme d’expression de la pensée,
de la conscience ou de la religion » (déc. 7 juill. 1986, Janis
Khan c. Royaume-Uni) ( 21 ). La référence à l’âge nubile justifie la
prohibition du mariage posthume (déc. 13 déc. 1984, M. c.
R.F.A.) ( 22 ) ou encore, dans le souci compréhensible d’éviter les
fraudes, l’annulation des « mariages blancs » conclus seulement en
vue de l’acquisition de la nationalité et / ou de l’octroi d’un titre de
séjour (déc. 6 janv. 1992, Josefa Benes c. Autriche) ( 23 ).
5. Consacrant « l’égalité de droits et de responsabilités de caractère
civil » des époux « entre eux et dans leurs relations avec leurs
enfants au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution
» (art. 5 Protocole 7), la conception européenne du mariage
est celle de sociétés « adhérant au principe de la monogamie »
(Johnston et a., préc., §§ 50 et 52). Elle exclut donc les unions polygamiques
(déc. 22 juill. 1970, X. c. Royaume-Uni) ( 24 ). Ainsi, en vue
de prévenir la formation de ménages polygamiques, l’Etat peut
interdire l’accès du territoire à la seconde épouse d’un de ses ressortissants
qui y vit avec son autre femme (déc. 29 juin 1992, Rabia
Bibi c. Royaume-Uni)( 25 ).
(19) D.R. 24, 72.
(20) Une énumération de ces conditions figure dans les rapports rendus par la
Commission dans les affaires Hamer et Draper : bans, publicité, formalités de célébration,
capacité de contracter, consentement, interdiction à des degrés divers des
mariages consanguins, prohibition de la bigamie (préc., respectivement §§ 62 et 49).
(21) D.R. 48, 253 (musulman de 21 ans condamné à 9 mois d’emprisonnement
pour avoir entretenu des relations sexuelles avec une mineure de 14 ans et demi avec
laquelle il avait contracté un mariage selon le rite islamique).
(22) D.R. 41, 259.
(23) D.R. 72, 271.
(24) Rec. Déc., vol. 35, 108 (refus opposé à un Pakistanais d’épouser la mère de
son fils sans attester de la dissolution d’un précédent mariage conclu dans son pays
d’origine). (Adde : Refah Partisi et a. c. Turquie, 13 févr. 2003, § 128)
(25) Req. n o 19628/92.

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6. Le mariage suppose a priori la vie commune. Une telle exigence
a soulevé des difficultés pour les personnes emprisonnées ( 26 ).
Cependant, la jurisprudence européenne consacre la liberté matrimoniale
des personnes privées de liberté (affaires britanniques
Hamer et Draper, rapp. préc.), y compris dans l’hypothèse de la
condamnation à une peine perpétuelle (Draper, §§ 61-62). Le
mariage pouvant « aider à stabiliser et à réadapter le détenu »
(Hamer et Draper, §§ 72 et 61), l’impossibilité de cohabiter avec le
conjoint et de « consommer le mariage » durant l’accomplissement
de la peine ne peuvent représenter des préalables à l’exercice du
droit des détenus de se marier (Ibid., §§ 67 et 71). Pour autant, l’article
12 n’est pas violé par le refus d’autoriser les rapports conjugaux
en prison, l’obstacle étant « imputable » au détenu régulièrement
condamné (déc. 21 mai 1975, X. c. Royaume-Uni, préc.). Ce
refus n’enfreint pas davantage l’article 8, même si l’on observe dans
plusieurs pays des mouvements de réforme tendant à améliorer les
conditions de détention en favorisant les « visites conjugales » (déc.
18 sept. 2001, Kalashnikov c. Russie ( 27 ); Aliev c. Ukraine, 29 avr.
2003, § 188) ( 28 ).
7. Les termes de l’article 12 n’impliquent pas le « droit au démariage
» : dans la mesure où ils « visent la formation de relations
conjugales et non leur dissolution », l’interdiction du divorce par la
loi nationale, alors pourtant qu’elle entrave le remariage, « ne saurait,
dans une société adhérant au principe de la monogamie, passer
pour une atteinte à la substance même du droit garanti » par la
Convention (Johnston et a., § 52). Par contre, « l’article 12 ne distinguant
pas entre mariage et remariage » (F. c. Suisse, préc., § 33),
une interdiction temporaire de remariage après divorce, frappant le
conjoint jugé responsable de la désunion, est susceptible de toucher
à la substance du droit au mariage. La question était au centre de
cette affaire suisse : deux fois divorcé, un citoyen de ce pays avait
été interdit de remariage pendant un délai de trois ans en vertu de
dispositions du code civil permettant au juge de fixer un telle durée
(26) F. Vasseur-Lambry, La famille et la C.E.D.H., L’Harmattan, 2000, pp. 122-
127; M. Herzog-Evans, « Droit civil commun, droit européen et incarcération », in
F. Sudre (dir.), Le droit au respect de la vie familiale au sens de la C.E.D.H., Bruylant,
2002, pp. 242-257.
(27) Req. n o 47095/99.
(28) Quand le droit national autorise le recours à l’insémination artificielle, le
rejet de la demande de visites conjugales en vue de la procréation, présentée par des
requérants catholiques refusant ce mode de reproduction, ne constitue pas une
infraction à l’article 9 de la Convention (déc. 22 oct. 1997, E.L.H. et P.B.H. c.
Royaume-Uni, D.R. 91-A, 61).

Michel Levinet 895
en cas de divorce prononcé pour cause d’adultère. S’il « reconnaît
que la stabilité du mariage représente un but légitime et conforme
à l’intérêt public » (§ 36), le juge de Strasbourg n’en précise pas
moins que la Convention « garantit au divorcé le droit de se remarier
sans subir en la matière des restrictions déraisonnables » (§ 38).
II. — Une rupture récente
avec le mariage traditionnel
8. La rupture comporte parfois des aspects positifs. C’est le cas
à propos de la question de la pénalisation du viol entre époux, trop
longtemps dominée par le stéréotype selon lequel le mari pouvait,
dans l’intimité, imposer des rapports sexuels à son épouse. Relevant
« le caractère par essence avilissant du viol », la Cour eur. dr. h.
juge, en effet, que « l’abandon de (cette) idée inacceptable » est
« conforme non seulement à une notion civilisée du mariage mais
encore et surtout aux objectifs fondamentaux de la Convention
dont l’essence même est le respect de la dignité et de la liberté
humaines » (arrêts britanniques du 22 novembre 1995 : C., § 42;
S.W., § 44) ( 29 ).
9. La position du juge européen semble plus hasardeuse lorsqu’il
procède, dans l’affaire Christine Goodwin c. Royaume-Uni (11 juill.
2002) ( 30 ), à un spectaculaire revirement de sa jurisprudence relative
au transsexualisme ( 31 ) — établie dans sa décision de principe Rees
et confirmée par 18 voix contre 2 dans son arrêt Sheffield et Horsham
—, abandonnant la référence à la différence de sexe biologique
pour définir le mariage ( 32 ). Effectuant, en Grande Chambre et à
l’unanimité, « le saut de l’ange » ( 33 ), privilégiant « une approche
compassionnelle des droits de l’homme » et déplaçant son office de
l’ordre du symbolique à celui de l’imaginaire, il accorde avec cet
(29) R.T.D. civ. 1996, p. 512, chron. J.-P. Marguenaud.
(30) GAC.E.D.H. n o 38.
(31) M. Levinet, « La revendication transsexuelle et la C.E.D.H. », Rev. trim. dr.
h. 1999, pp. 646-672.
(32) La référence à la différence de sexe biologique figure encore dans la décision
d’irrecevabilité rendue dans l’affaire Fretté c. France (12 juin 2001, req. n o 36515/97 :
invoquant une violation de l’article 14 combiné avec l’article 12, l’intéressé revendiquait
« un droit d’égal accès à l’adoption en vue de la constitution d’une famille sans
distinction fondée sur l’orientation sexuelle »).
(33) R.T.D. civ. 2003, p. 862, chron. J.-P. Marguenaud.

896 Rev. trim. dr. h. (60/2004)
arrêt une pleine légitimité au délire transsexuel ( 34 ). A partir d’une
nouvelle définition du sexe, il impose l’obligation de reconnaître
juridiquement l’identité transsexuelle. Alors même que de nombreux
doutes subsistent sur l’étiologie du transsexualisme (§ 81) et
que le dissensus européen persiste quant à la manière de traiter les
répercussions de la reconnaissance juridique des changements de
sexe sur les droits du mariage, de la filiation et de la protection de
la vie privée (§ 85), il estime qu’« il n’est pas évident que l’élément
chromosomique doive inévitablement constituer — à l’exclusion de
tout autre — le critère déterminant aux fins de l’attribution juridique
d’une identité sexuelle aux transsexuels » (§ 82). Cette nouvelle
approche produit un premier effet sur le terrain de l’article 8 (rectification
de la mention du sexe à l’état civil) : « la situation insatisfaisante
des transsexuels opérés, qui vivent entre deux mondes
parce qu’ils n’appartiennent pas vraiment à un sexe ni à l’autre, ne
p(ouvan)t plus durer » ( 35 ), il importe désormais de consacrer « la
faculté pour les transsexuels de jouir pleinement, à l’instar de leurs
concitoyens, du droit au développement personnel et à l’intégrité
physique et morale » (§ 90). Reprise sur le terrain de l’article 12
(§ 100), cette appréhension compréhensive de la notion de sexe
s’avère décisive pour la cause transsexuelle qui, au-delà du désir de
transformation physique, revendique un changement total de sexe
juridique et se déploie en matière d’accès aux droits parentaux (X.,
Y. et Z.) et d’exercice de la liberté matrimoniale.
10. Jusque-là, « (t)raduisant la conception universellement
admise depuis le début de l’histoire de l’humanité » (B. c. France,
25 mars 1992, op. concord. juge Walsh, § 4), elle avait refusé d’entériner
les tentatives « libérales » de la Commission (Van Oosterwijck,
rapp. 1 o mars 1979, § 59; Cossey, rapp. 9 mai 1989, §§ 45-46) et
maintenu une définition du mariage marquant les limites d’ordre
juridico-biologique de l’approche extensive du droit à la liberté
sexuelle ( 36 ). Dans l’affaire Cossey, elle avait considéré que« (l)’im-
(34) A. Marienburg-Wachsmann et P. Wachsmann, « La folie dans la loi. Considérations
critiques sur la nouvelle jurisprudence de la Cour eur. dr. h. en matière de
transsexualisme », Rev. trim. dr. h. 2003, pp. 1158-1183.
(35) La Cour eur. dr. h. ne manque pas d’insister sur le caractère « illogique » du
refus de l’Etat défendeur d’accepter « les implications juridiques du résultat auquel
le traitement (chirurgical) conduit », alors qu’il l’autorise, le finance « et va jusqu’à
consentir à l’insémination artificielle d’une femme qui vit avec un transsexuel » — la
Cour vise ici l’affaire X., Y. et Z. (préc.) — (§ 78).
(36) F. Sudre, « Les libertés protégées par la Cour européenne des droits de
l’homme », in D. Rousseau et F. Sudre (dir.), Droits et libertés en Europe. Conseil
constitutionnel et Cour eur. dr. h., Ed. S.T.H., 1990, p. 90.

Michel Levinet 897
possibilité, pour la requérante, d’épouser une femme ne découle
d’aucun obstacle légal » et que les « critères » légaux lui interdisant
de s’unir à un homme « cadrent avec la notion de mariage à laquelle
se réfère le droit garanti par l’article 12 » (§ 45). Dans l’affaire Sheffield
et Horsham, elle avait rappelé que l’appréciation des paramètres
permettant de déterminer le sexe d’une personne en vue du
mariage faisait partie intégrante du « pouvoir dont jouissent les
Etats contractants de réglementer par des lois l’exercice du droit de
se marier ». En l’occurrence, le fait pour l’Etat défendeur de s’en
tenir aux seuls critères biologiques n’était pas déraisonnable en raison
de « l’attachement au concept traditionnel de mariage qui soustend
l’article 12 de la Convention » (§ 67). Pour autant, elle n’avait
nullement exclu de changer de point de vue. Dès son arrêt Cossey,
elle précisait qu’il lui était « loisible d’adopter une démarche nouvelle
en interprétant l’article 12 » au cas où l’évolution des dispositifs
juridiques nationaux pourrait « passer pour la preuve d’un
abandon général du concept traditionnel de mariage » (§ 46) ( 37 ).
11. Chose faite à l’occasion de l’arrêt Goodwin qui constitue un
hommage, tout à la fois, à l’opinion dissidente prémonitoire émise
par le juge Martens dans l’affaire Cossey ( 38 ), au regret du Professeur
François Rigaux de voir la Cour européenne des droits de
l’homme s’en tenir à « une définition archaïque du sexe » ( 39 ) ainsi
qu’à l’argument de la Commission selon lequel la Convention ne faisant
pas de la capacité physique de procréer (Van Oosterwijck, rapp.
préc., § 59) ainsi que de la possibilité d’avoir des rapports sexuels
(Hamer et Draper, préc.) une condition fondamentale du mariage,
celui-ci devait être permis aux transsexuels en raison de « l’impossibilité
complète » de se marier où ils se trouvaient. Selon la Commission,
en effet, ces derniers se trouvaient empêchés par la législation
interne de contracter un mariage avec une personne du même sexe
(37) La Cour observe que la reconnaissance par certains Etats de la légitimité
d’une union du genre de celle revendiquée par la requérante ne remet pas en cause
« l’attachement audit concept traditionnel » et voit dans cet attachement « un motif
suffisant de continuer d’appliquer des critères biologiques pour déterminer le sexe
d’une personne aux fins du mariage, cette matière relevant du pouvoir dont jouissent
les Etats contractants de réglementer par des lois l’exercice du droit de se marier »
(§ 46).
(38) « Il est loin d’être évident que pour définir ce qu’il y a lieu de comprendre
par ‘sexe’ à cet égard, il faille se référer à la situation qui existait à l’époque où les
candidats au mariage sont nés plutôt qu’à celle que l’on constate au moment où ils
souhaitent se marier » (Cossey, op. dissid., § 4.5.1) (même argument chez le délégué
de la Commission, M. Busuttil, lors de l’audience de la Cour du 24 avril 1990).
(39) F. Rigaux, « Les transsexuels devant la Cour européenne des droits de
l’homme : une suite d’occasions manquées », Rev. trim. dr. h. 1998, p. 130.

898 Rev. trim. dr. h. (60/2004)
biologique que le leur et il ne leur était pas possible, au nom de leur
sexe psychosocial, d’épouser un individu de l’autre sexe biologique
(Cossey, rapp., préc., §§ 44-46) ( 40 ). Bref, alors même que pareille
aporie traduisait simplement l’aberration de l’acte initial de conversion
sexuelle, ils se voyaient transformés, selon l’expression de Jean
Hauser, en une sorte « ’d’ilotes’matrimoniaux » ( 41 ). Pour la Cour
européenne, également, si l’article 12 vise bien le droit de se marier
et celui de fonder une famille, « le second aspect n’est pas une condition
du premier, et l’incapacité pour un couple de concevoir ou
d’élever un enfant ne saurait en soi passer pour le priver du droit
visé par la première branche de la disposition en cause » (§ 98).
D’autre part, elle « n’est pas convaincue que l’on puisse aujourd’hui
continuer à admettre » que ses termes « impliquent que le sexe doive
être déterminé selon des critères purement biologiques » (§ 100).
Dans ces conditions, s’agissant d’une personne qui « mène une vie de
femme, entretient une relation avec un homme et souhaite uniquement
épouser un homme », l’intéressée peut voir, dans l’impossibilité
qui lui est opposée, « une atteinte à la substance même de son droit
de se marier » (§ 101).
12. Endossée, depuis, par le juge de Luxembourg à propos de
l’exclusion du partenaire transsexuel du bénéfice d’une pension de
réversion dont l’octroi est limité au conjoint survivant ( 42 ), cette
nouvelle interprétation de l’article 12 soulève une interrogation
majeure. Est-elle circonscrite à la situation des « transsexuels opérés
ayant pleinement réalisé leur conversion », comme semble l’indiquer
et la récurrence de cette expression et l’insistance sur le fait que la
Convention vise le droit de se marier « pour un homme et une
femme » (§§ 98 et 100) ou constitue-t-elle l’antichambre de la reconnaissance
du mariage homosexuel? Si, pour certains auteurs, le
(40) Voy. aussi la position des juges Palm, Foighel et Pekkanen dans l’arrêt Cossey
: « Mlle Cossey n’a aucune possibilité de se marier. Elle ne pourrait, tant psychologiquement
que physiquement, épouser une femme » (op dissid., § 5).
(41) J. Hauser, « Couple et différence de sexe », in C. Brunetti-Pons (dir.), Op.
cit., p. 99 : « On crée alors une catégorie étonnante ‘d’ilotes’ matrimoniaux dont on
ne voit guère comment l’idéologie des droits de l’Homme pourrait se contenter si l’on
ajoute en plus que toute l’opération avait pour but d’accorder à ces personnes un
équilibre qu’elles n’avaient pas ».
(42) C.J.C.E., 7 janv. 2004, K.B., Aff. C-117/01 (A.J.D.A. 2003, 321, chron. J.-
M. Belorgey et a.) : « L’article 141 CE s’oppose, en principe, à une législation qui,
en violation de la C.E.D.H., empêche un couple tel que K.B. et R. de remplir la
condition de mariage nécessaire pour que l’un d’entre eux puisse bénéficier d’un élément
de la rémunération de l’autre ».

Michel Levinet 899
mariage « reste l’union de deux personnes de sexe différent » ( 43 ),
pour d’autres, l’arrêt rendu le 11 juillet 2002 « admet implicitement
le mariage homosexuel » ( 44 ) voire « entrouvr(e) les portes des mairies
» aux homosexuels ( 45 ). Il est vrai qu’en liant sa nouvelle
approche du mariage à une nouvelle définition du sexe, la décision
semble signifier que les transsexuels ne peuvent être privés de la
possibilité d’épouser une personne de même sexe biologique dès lors
qu’ils ont obtenu la rectification de la mention de leur sexe d’origine
à l’état civil. Dans cette hypothèse, en effet, le mariage unirait deux
personnes de sexe juridique différent ( 46 ). Néanmoins, force est de se
demander si l’obiter dictum du § 100 (« La Cour constate également
que le libellé de l’article 9 de la Charte des droits fondamentaux de
l’Union européenne adoptée récemment s’écarte — et cela ne peut
être que délibéré — de celui de l’article 12 de la Convention en ce
qu’il exclut la référence à l’homme et à la femme ») ne constitue pas
un premier jalon dans l’admission à venir du mariage entre homosexuels.
Sans doute, le juge de Strasbourg ne confond pas revendication
transsexuelle et revendication homosexuelle : les transsexuels
ont le sentiment d’appartenir au sexe opposé à celui assigné à la
naissance et manifestent le désir obsessionnel de changer de sexe en
sollicitant les traitements hormonaux et chirurgicaux appropriés
( 47 ), puis demandent la « reconnaissance juridique de ce qu’ils
ressentent comme une accession au sexe auquel ils ont toujours
appartenu » (Cossey, op. dissid. Martens, § 2.5); par contre, sans
dénégation de leur sexe de naissance, les homosexuels se réclament
(43) Dr. fam. 2002, comm. n o 133, obs. A. Gouttenoire. Du même auteur :
GAC.E.D.H. n o 41, p. 366. Voy., dans le même sens, les observations de Yann
Favier (J.C.P. G 2003, I, 101, n o 1).
(44) F. Sudre, Droit européen et international des droits de l’homme, 6 o éd., 2003,
p. 391.
(45) R.T.D. civ. 2002, p. 865, chron. J.-P. Marguenaud.
(46) En ce sens, la décision de la Commission dans l’étonnante affaire Anita
Eriksson et Asta Goldschmidt c. Suède (déc. 9 nov. 1989, D.R. 63, 213) pourrait être
estimée prémonitoire. En l’occurrence, une transsexuelle ayant obtenu une rectification
de la mention de son sexe d’origine à l’état civil sans avoir subi de traitement
chirurgical avait vu sa demande de se marier avec l’autre requérante rejetée au motif
que les deux membres du « couple » étaient de sexe féminin. La Commission rappelle
simplement que le droit protégé par l’article 12 « ne vise que le droit d’épouser quelqu’un
du sexe opposé ».
(47) M. Levinet, « Le transsexualisme et la Convention européenne des droits de
l’homme », in Mél. G. Apollis, Pédone, 1992, pp. 124-138; L.-E. Pettiti, Les transsexuels,
P.U.F., 1992; D. Salas, Sujet de chair et sujet de droit : la justice face au
transsexualisme, P.U.F., 1994; Transsexualisme, médecine et droit, Actes du
XXIII o Colloque de droit européen, Vrije Universiteit Amsterdam (14-16 avril 1993),
Ed. Conseil de l’Europe, 1995; Le transsexualisme en Europe (2000), Ed. Conseil de
l’Europe 2000.

900 Rev. trim. dr. h. (60/2004)
d’une attirance sexuelle et affective pour des êtres du même sexe
que le leur. Dans les deux cas pourtant, se plaignant de la méconnaissance
de leur orientation sexuelle, les uns et les autres exigent
des droits à une vie de couple comparables à ceux des couples hétérosexuels.
Il s’agit bien de « deux catégories de couples ne sont pas
de sexes ‘biologiquement ’ différents et revendiquent de la même
façon un droit à une vie privée mais aussi familiale » ( 48 ), droit qui
implique l’exercice du droit à la liberté matrimoniale.
13. Aussi est-il permis de douter du caractère durable de la résistance
de la Cour européenne des droits de l’homme à la consécration
du mariage homosexuel. Interrogé, le 28 septembre 2000, à l’occasion
du cinquantenaire de la Convention, sur le point de savoir s’il
était envisageable « que la Cour décide... que les mariages entre
homosexuels aient le même statut que les mariages mixtes dans un
pays donné », son président, Luzius Wildhaber répondait qu’elle
n’avait pas « à imposer des choix moraux de cette nature » et qu’on
était « encore loin d’accepter l’existence d’une obligation positive
pour les Etats de reconnaître les mariages entre personnes du même
sexe » ( 49 ). Certes, jusqu’à présent, tout en condamnant la pénalisation
de l’homosexualité ( 50 ) et en favorisant l’élimination des situations
discriminatoires subies par les homosexuels en matière d’emploi,
d’accès aux droits parentaux ( 51 ) ou encore de transfert de bail
d’habitation (Karner, préc.), elle a, comme hier, obstinément, la
Commission, « en dépit de l’évolution contemporaine des mentalités
vis-à-vis de l’homosexualité » (déc. 3 mai 1983, X et Y c. Royaume-
Uni, déc. 3 mai 1983 ( 52 ); déc. 14 mai 1986, S. c. Royaume-Uni ( 53 );
déc. 10 févr. 1990, B. c. Royaume-Uni ( 54 ); déc. 19 mai 1992, Catharina
Johanna Kerkhoven et a. c. Pays-Bas ( 55 ); déc. 15 mai 1996,
Marc Röösli c. Allemagne ( 56 ), refusé de considérer les relations
(48) F. Ringel, « Vie privée? Vie familiale? Les difficultés d’application de l’article
8 de la C.E.D.H. à l’homosexualité et au transsexualisme », R.R.J. 1999,
p. 1051.
(49) http://www.coe.int/01/News/200009/FMB,1,0,0,2,WildhaberCourt.stm
(50) E. Spiry, « Homosexualité et droit international des droits de l’homme »,
Rev. trim. dr. h. 1996, pp. 45-66.
(51) GAC.E.D.H. n o 37. Adde :M.Levinet, « L’embarras du juge européen des
droits de l’homme face à l’homosexualité », in F. Guillaume et R. Arn (dir.), Cohabitation
non maritale. Evolution récente en droit suisse et étranger, Librairie Droz, 2000,
coll. Comparativa, n o 68, pp. 59-106.
(52) D.R. 32, 220.
(53) D.R. 47, 274.
(54) D.R. 64, 278.
(55) Req. n o 15666/89.
(56) D.R. 85-A, 149.

Michel Levinet 901
homosexuelles comme constitutives d’une vie familiale au sens de la
Convention (déc. 10 mai 2001, Mata Estevez c. Espagne, préc.; Karner,
préc., § 33). Abordée seulement par la Commission, la question
de l’accès des homosexuels au mariage a également reçu une réponse
négative (déc. 9 oct. 1989, C.M. et L.M. c. Royaume-Uni)( 57 ). Le
juge communautaire — pour lequel « il est constant que le terme de
‘mariage’, selon la définition communément admise par les Etats
membres, désigne une union entre deux personnes de sexe différent »
(C.J.C.E., D. et Royaume de Suède c. Conseil de l’Union européenne,
31 mai 2001, pt 34) ( 58 ) — et le Comité des droits de l’homme des
Nations Unies (Juliet Joslin et consorts c. Nouvelle-Zélande, constatation
du 17 juillet 2002) ( 59 ) ont, pour l’instant, adopté la même
position.
14. Contraint de tenter une conciliation, toujours périlleuse,
entre la sauvegarde de l’intégrité de l’écrit conventionnel et les
nécessités de sa lecture évolutive, le juge européen se trouve ici
confronté à une épreuve essentielle. De plus en plus, en effet, selon
la terrible expression de Pierre Legendre, « les Etats contemporains
se lavent les mains quant au noyau dur de la raison qui est la différence
des sexes » ( 60 ). Alors qu’apparaissent des législations favorables
au mariage entre personnes de même sexe (lois néerlandaises
du 21 décembre 2000 ( 61 ), loi belge du 13 février 2003) et que des
voix se font entendre ( 62 ) pour qu’il donne de l’article 12 une inter-
(57) Req. n o 14753/89.
(58) Aff. C-122/99 et C-125/99, Rec. I, p. 4342 (Rev. trim. dr. h. 2002, p. 663, obs.
C. Maubernard).
(59) Communication n o 902/1999 (CCPR/C/75/D/902/1999, 30 juill. 2002). S’estimant
victimes d’une discrimination directe fondée sur le sexe et d’une discrimination
indirecte fondée sur l’orientation sexuelle, deux couples de lesbiennes dénonçaient le
refus opposé à leur demande de se marier. Le CDH examine la communication sur
le terrain de l’article 23 § 2 du PIDCP traitant spécifiquement du mariage. Or, il
s’agit de « la seule disposition de fond qui définit un droit en employant les termes
‘l’homme et la femme’, plutôt que ‘tout être humain’, ‘chacun’ et ‘toutes les personnes’
», disposition qui « a été régulièrement et uniformément interprété(e) comme
signifiant que l’obligation incombant aux Etats parties en vertu du paragraphe 2 de
l’article 23 du Pacte se limite à reconnaître comme constituant un mariage l’union
entre un homme et une femme qui souhaitent se marier » (§ 8.2).
(60) Propos recueillis par A. Spire, Le Monde, 23 oct. 2001, p. 21.
(61) H. Fulchiron, « Le mariage homosexuel et le droit français (à propos des lois
hollandaises du 21 décembre 2000) », D. 2001, 1628-1631.
(62) C’est particulièrement le cas du Parlement européen. Dans sa résolution du
8 février 1994 (J.O.C.E., n o C.61, 28 févr. 1994, p. 40), n’invite-t-il pas la Commission
à présenter un projet de recommandation visant à mettre un terme « l’interdiction
faite aux couples homosexuels de se marier ou de bénéficier de dispositions juridiques
équivalentes » (§ 14).

902 Rev. trim. dr. h. (60/2004)
prétation occultant la référence à la différence de sexe, il lui sera
difficile de tenir tête à ceux qui s’efforcent de faire triompher une
autre approche du mariage — « une sorte de communauté dans
laquelle les liens intellectuels, spirituels et émotionnels sont au
moins aussi essentiels que les attaches physiques » ( 63 ); « le droit
d’obtenir une consécration juridique des relations intimes entre
deux personnes désirant cohabiter et avoir des relations
sexuelles » ( 64 ) —, voire prétendent, spécieusement, que la lettre
même de la Convention en autorise une lecture favorable à la cause
des couples de même sexe ( 65 ). Dans des sociétés sécularisées « arrivées
à cette situation spirituelle dans laquelle la liberté de chaque
sujet ne semble plus guère polarisée que par la spontanéité de son
propre désir » ( 66 ), où « chacun... invente pour soi-même l’existence
qui lui convient » ( 67 ), il lui appartient de ne pas perdre de vue que
les lois civiles sont les principes structurants de la vie de l’homme
en société. Dans les unions homosexuelles, font défaut les éléments
biologiques et anthropologiques du mariage et de la famille. Consacrer
une nouvelle définition du mariage reviendrait à légitimer « le
vertige de l’auto-recréation » qui va « jusqu’à nier la condition
sexuée, et partant, la nécessaire harmonie des deux genres, homme
et femme » ( 68 ). Ce serait « donner au couple homosexuel le statut de
(63) Cossey, op. dissid. Martens, préc., § 4.5.2.
(64) S. Regourd, « Les droits de l’homme devant les manipulations de la vie et
de la mort. Problèmes actuels en droit public français », R.D.P. 1981, p. 458.
(65) Ainsi Robert Wintemute qui n’hésite pas à affirmer que « l’exclusion des
couples du même sexe du mariage civil constitue une violation claire des articles 12
(qui protège le droit de se marier) et 14 (qui interdit les distinctions fondées sur le
sexe) ». Et d’ajouter que « L’usage du pluriel dans le texte anglais de l’article 12 »
(« men and women... have the right to marry »), sans dire que les hommes doivent se
marier uniquement avec les femmes ou que les femmes doivent se marier uniquement
avec les hommes, soutient cet argument mieux que l’usage du singulier dans le texte
français (« l’homme et la femme ont le droit de se marier ») (« Libertés et droits fondamentaux
des personnes gays, lesbiennes et bisexuelles en Europe », in D. Borillo
(dir.), Homosexualités et droit. De la tolérance sociale à la reconnaissance juridique,
P.U.F., 1998, p. 182, note 5). Cet argument se retrouve chez les auteurs de la communication
présentée devant le C.D.H. dans l’affaire Joslin et consorts (préc.). Sollicitant
la version anglaise du texte (« men and women... »), les intéressées estimaient,
en effet, que les termes de l’article 23, § 2 du P.I.D.C.P. signifient « plutôt que les
hommes en tant que groupe et les femmes en tant que groupe peuvent se marier »
(§ 3.8)
(66) X. Dijon, « Une lecture des itinéraires spirituels du droit », in Mél. F. Rigaux,
Bruylant, 1993, p. 168.
(67) C. Delsol, Eloge de la singularité. Essai sur la modernité tardive, La Table
Ronde, 2000, p. 57.
(68) C. Delsol, op. cit., p. 77.

Michel Levinet 903
modèle, aux côtés du couple hétérosexuel » ( 69 ) et, forcément, dévaluer
l’institution matrimoniale. Et méconnaître la justice qui « est la
vertu qui consiste à accomplir et à respecter le droit, non la vertu
qui consiste à le créer » ( 70 ).
✩
(69) H. Fulchiron, « Couples, mariage et différence des sexes : une question de
discrimination? », in Mél. J. Rubellin-Devichi, Litec, 2002, p. 50.
(70) J. Hervada, Introduction critique au droit naturel, trad. fr., Ed. Bière, 1991,
p. 25.