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Lettre de Jean-Léon Prevost – avec illustrations

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<strong>Jean</strong>-<strong>Léon</strong> Le <strong>Prevost</strong><br />

L E T T R E S<br />

Maison Généralice <strong>de</strong>s Religieux <strong>de</strong> Saint-Vincent <strong>de</strong> Paul<br />

Rome - mars 2007


III


UNE BONNE NOUVELLE R. S. V. !<br />

1935 lettres écrites <strong>de</strong> la main <strong>de</strong> notre Fondateur sont<br />

maintenant sur disque compact. Cette heureuse initiative offre un<br />

nouveau moyen <strong>de</strong> mieux connaître cet admirable apôtre <strong>de</strong>s temps<br />

mo<strong>de</strong>rnes.<br />

En effet <strong>Jean</strong>-<strong>Léon</strong> Le <strong>Prevost</strong> est un vrai porteur <strong>de</strong> lumière<br />

pour nous du XXI e siècle. Sa foi et son espérance en ont fait<br />

l’homme d’une charité audacieuse et inventive auprès <strong>de</strong> la famille<br />

ouvrière, <strong>de</strong>s pauvres et <strong>de</strong> la jeunesse. La lecture <strong>de</strong> ses lettres<br />

permettra <strong>de</strong> le suivre tout au long <strong>de</strong> son cheminement humain et<br />

spirituel : du professeur qu’il fut jusqu’à sa conversion; <strong>de</strong> son<br />

important engagement au sein <strong>de</strong> la Société <strong>de</strong> St-Vincent <strong>de</strong> Paul<br />

<strong>avec</strong> le Bienheureux Ozanam et Emmanuel Bailly, à son mariage <strong>avec</strong><br />

Mme De Lafond; <strong>de</strong> son appel à fon<strong>de</strong>r les Religieux <strong>de</strong> St-Vincent<br />

<strong>de</strong> Paul le 3 mars 1845, jusqu’à sa mort le 30 octobre 1874.<br />

Quel homme tout charité ! « Nombreux sont ceux qui, en<br />

cherchant à découvrir <strong>Jean</strong>-<strong>Léon</strong> Le <strong>Prevost</strong>, se découvriront en<br />

lui… », et y trouveront une douce lumière pour éclairer leur vie, car<br />

ne fut-il pas « un autre Vincent <strong>de</strong> Paul »? « Ceux qui sèment dans la<br />

joie moissonnent en chantant…» dit le psaume 126, 5.<br />

Après les efforts fournis pour transcrire ces <strong>Lettre</strong>s sur<br />

ordinateur, et suite aux diverses utilisations qu’en ont fait la France et<br />

le Canada, voici une copie neuve, qui se lit facilement et se voit<br />

agrémentée d’<strong>illustrations</strong> finement choisies.<br />

V


Rappelons que pour mettre en route la cause <strong>de</strong> béatification <strong>de</strong><br />

notre Fondateur, <strong>de</strong>puis longtemps, ses lettres, celles alors<br />

disponibles, avaient été colligées. Le Père Robert Doury, en 1965, en<br />

fit une première édition. Le 150 e anniversaire <strong>de</strong> fondation <strong>de</strong><br />

l’Institut, célébré en 1995, fournit l’occasion d’accueillir <strong>de</strong>s mains<br />

du Père Richard Corbon, une nouvelle édition <strong>de</strong>s <strong>Lettre</strong>s du P. Le<br />

<strong>Prevost</strong>. Cette remarquable présentation en <strong>de</strong>ux tomes, est le fruit <strong>de</strong><br />

son minutieux travail. Le Frère Gilbert Courtin lui prêta main-forte.<br />

On attendait l’heure où l’on pourrait avoir sur disque compact<br />

ces lettres <strong>de</strong> notre Fondateur. C’est fait! Le Père Corbon, aidé du<br />

Père Roger Laberge, a consacré <strong>de</strong> nombreuses heures <strong>de</strong> travail pour<br />

corriger et présenter ce travail dont nous bénéficions maintenant.<br />

Tous ces artisans, d’hier et d’aujourd’hui ont semé et nous<br />

récoltons. C’est la charité qui vous a poussés et vous a pressés à<br />

mettre à la portée <strong>de</strong> tous, et <strong>de</strong> plusieurs manières, ce trésor <strong>de</strong> notre<br />

famille Religieuse. Soyez remerciés <strong>de</strong> tout cœur! Que ceux du ciel<br />

s’unissent à ceux <strong>de</strong> la terre pour savourer ce joyeux temps <strong>de</strong> la<br />

moisson.<br />

Que la Vierge Marie, la mère <strong>de</strong> la famille, gui<strong>de</strong> lecteurs et<br />

lectrices « jusqu’à cette source jaillissante et débordante que fut le<br />

cœur du Vénérable <strong>Jean</strong>-<strong>Léon</strong> Le <strong>Prevost</strong> ».<br />

Rome, 3 mars 2007<br />

Yvon Laroche, sv<br />

Supérieur général<br />

VII


VIII


AVERTISSEMENT A NOS FRERES LECTEURS<br />

Bien chers frères,<br />

Cette édition 2007 <strong>de</strong>s <strong>Lettre</strong>s <strong>de</strong> notre Fondateur apporte quelques corrections<br />

à celle <strong>de</strong> 1995 : en effet, le père Laberge et moi‐même avons tout relu, dans l’espoir<br />

<strong>de</strong> vous présenter un texte qui soit le plus fidèle à l’original, (comme, par exemple,<br />

« défiance » au lieu <strong>de</strong> « déférence » dans la lettre 967‐1). Pas d’illusion cependant, il<br />

restera toujours <strong>de</strong>s erreurs et <strong>de</strong>s coquilles! Merci <strong>de</strong> nous les signaler.<br />

Innovation : quelques <strong>illustrations</strong> jalonnent le texte <strong>de</strong>s lettres. Nous avons<br />

pensé que cela pourrait, non pas tellement en « agrémenter » la lecture, que d’ai<strong>de</strong>r à<br />

mieux connaître le contexte dans lequel elles ont été écrites, ou mettre un visage sur<br />

un nom connu…frères ou personnages qui ont traversé la vie du Fondateur. Nous<br />

admettons que ce choix est limité et imparfait : soit parce que les albums‐photos <strong>de</strong><br />

nos premières années sont très lacunaires, soit parce que, matériellement, il s’avérait<br />

impossible <strong>de</strong> vouloir mettre une photo par lettre…<br />

La publication numérique <strong>de</strong>s <strong>Lettre</strong>s du Père Le <strong>Prevost</strong> présente, <strong>de</strong> toute<br />

évi<strong>de</strong>nce, bien <strong>de</strong>s avantages par rapport à la version papier. Ceux d’entre vous qui<br />

peuvent disposer d’un ordinateur pourront, par exemple, retrouver, en un clic, un<br />

mot ou une expression, grâce aux fonctions <strong>de</strong> recherche qu’offrent aujourd’hui les<br />

techniques du « numérique ». Rapidité, précision, disponibilité sur <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, tout<br />

cela est un progrès incontestable.<br />

Néanmoins, quiconque utilise un ordinateur sait combien il est facile <strong>de</strong> perdre<br />

un texte sur un écran, ou <strong>de</strong> voir son disque dur irrémédiablement défectueux. De<br />

plus, tous les experts mondiaux en matière <strong>de</strong> sauvegar<strong>de</strong> <strong>de</strong>s données sont formels :<br />

nous ne savons pas combien <strong>de</strong> temps il sera possible <strong>de</strong> lire un texte chargé sur un<br />

CD en 2007. Certes, pour les livres, il faut compter <strong>avec</strong> l’acidité, le feu et les fameux<br />

« vers <strong>de</strong> livres », mais tout ce qui est écrit ou imprimé sur papier n’est pas pour<br />

autant condamné à disparaître. S’il est donc heureux pour nous <strong>de</strong> disposer sur<br />

informatique <strong>de</strong>s <strong>Lettre</strong>s <strong>de</strong> M. Le <strong>Prevost</strong>, (qui s’ajoutent à celles du Frère Myionnet,<br />

et <strong>de</strong>s Pères Bellanger et Planchat), permettez‐nous <strong>de</strong> vous recomman<strong>de</strong>r <strong>de</strong> ne pas<br />

abandonner nos bonnes vieilles habitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> lecture, car lire sur un écran n’est pas et<br />

ne sera jamais l’équivalent <strong>de</strong> lire un livre: la lecture ‐ surtout la lecture spirituelle! ‐<br />

exigera toujours lenteur, profon<strong>de</strong>ur et contexte. Comme nous l’écrit un frère : « Je<br />

crois que les lettres numérisées seront une ai<strong>de</strong> efficace pour <strong>de</strong>s gens qui connaissent<br />

déjà les lettres et en portent déjà la science intérieure par une proximité spirituelle. »<br />

Bref, l’écran et le livre doivent coexister en bonne intelligence dans nos archives,<br />

dans nos bibliothèques <strong>de</strong> communauté et sur nos tables <strong>de</strong> lecteur !<br />

Mais, en définitive, à chacun <strong>de</strong> choisir sa métho<strong>de</strong>, du moment qu’il lit les<br />

<strong>Lettre</strong>s du Fondateur ! En paraphrasant notre <strong>de</strong>vise, nous vous disons donc :<br />

« Omnimodo letterae conditoris Joannes Leo Le <strong>Prevost</strong> legentur ! »<br />

« Que <strong>de</strong> toutes les manières, on lise les lettres du fondateur <strong>Jean</strong>‐<strong>Léon</strong> Le <strong>Prevost</strong> ! »<br />

Pères Corbon et Laberge<br />

IX


T A B L E D E S I L L U S T R A T I O N S<br />

1827 - 1844<br />

« Première » lettre <strong>de</strong> M.L.P. (4 septembre 1827)…………….………. 1<br />

Paris : Révolution <strong>de</strong> 1830. Bataille du pont <strong>de</strong> l’Hôtel <strong>de</strong> Ville.…… 2<br />

Victor Hugo. Les Orientales……………………………………………… 3<br />

Victor Pavie………………………………………………………………. 4<br />

Le Feuilleton d’Angers, article <strong>de</strong> M.L.P………………………………… 5<br />

Sainte‐Beuve. Ballanche………………………………………………… 6<br />

Opéra <strong>de</strong> Paris. Mme Dorval…………………………………………… 9<br />

Maison <strong>de</strong> la famille Hugo……………………………………………… 10<br />

L’Avenir…………………………………………………………………… 11<br />

Le choléra à Paris en 1832………………………………………………… 13<br />

<strong>Jean</strong>‐<strong>Léon</strong> Le <strong>Prevost</strong> à 30 ans, en 1832……………………………….. 14<br />

Mgr Gerbet………………………………………………………………. 15<br />

Eugène Boré. Félicité <strong>de</strong> Lamennais…………………………………… 17<br />

Saint‐Simon………………………………………………………………. 19<br />

Paris : passage du Commerce………………………………………….. 27<br />

Montalembert……………………………………………………………. 28<br />

Eglise Saint‐Roch………………………………………………………… 30<br />

Mme <strong>de</strong> Staël. Père Lacordaire…………………………………………. 31<br />

Mes Prisons (Pellico). ……………………………………………………. 32<br />

Charles Nodier. Une soirée à l’Arsenal. ………………………………… 33<br />

Frédéric Ozanam. La Revue Européenne………………………………… 38<br />

Emmanuel Bailly…………………………………………………………. 41<br />

Le Boulevard <strong>de</strong>s Italiens en 1833…………………………………………. 42<br />

Acte <strong>de</strong> mariage <strong>de</strong> M.L.P. Chapelle <strong>de</strong>s Missions Etrangères……… 46<br />

Rue Saint‐Sulpice et rue <strong>de</strong>s Canettes………………………………….. 49<br />

Mgr <strong>de</strong> Quélen…………………………………………………………… 63<br />

Eglise Saint‐Sulpice……………………………………………………….. 73<br />

Conférence <strong>de</strong> Charité. Sr Rosalie. St‐Etienne‐du‐Mont………………. 77<br />

Anne‐Catherine Emmerich. La douloureuse passion <strong>de</strong> N‐S…………… 79<br />

Un homme <strong>de</strong> bien, le Père <strong>Jean</strong>‐<strong>Léon</strong> Le <strong>Prevost</strong>, (<strong>de</strong> Montrond)………. 80<br />

Angers, Château, Cathédrale St Maurice……………………………… 89<br />

Abbé <strong>de</strong> Malet. Vie <strong>de</strong> S. Vincent <strong>de</strong> Paul, édité par MLP……………… 94<br />

Introduction à la Vie <strong>de</strong> S. Vt <strong>de</strong> Paul. Vie <strong>de</strong> M. Alméras, par MLP…… 95<br />

Ancien Séminaire <strong>de</strong> Saint‐Sulpice……………………………………… 104<br />

Ozanam (jeune)…………………………………………………………… 105<br />

Le Taillandier (Confrère SVP)………………………………………….. 107<br />

N.D. <strong>de</strong>s Victoires. Abbé Desgenettes……………………………......... 110<br />

Portrait <strong>de</strong> S. Vincent <strong>de</strong> Paul……………………………………… ….. 119<br />

S. Andrea‐<strong>de</strong>lle‐Frate. Alphonse <strong>de</strong> Ratisbonne………………………. 127<br />

Docteur‐abbé Ferrand <strong>de</strong> Missol……………………………………….. 131<br />

- 1 -


Maurice Maignen. Le père <strong>de</strong> Ravignan……………………………….. 134<br />

La Vierge Noire <strong>de</strong> Paris (St Thomas <strong>de</strong> Villeneuve)…………………… 140<br />

Le peuple ramené à la foi…………………………………………………….. 147<br />

Jules Gossin (Confrère SVP)………………………………………………. 149<br />

Le Père Millériot……………………………………………………………. 151<br />

Notice sur les Saintes‐Familles……………………………………………….. 152<br />

Clément Myionnet…………………………………………………………... 154<br />

1845 - 1857<br />

Châsse S. Vincent <strong>de</strong> Paul. Vitrail <strong>de</strong> la fondation en 1845………………163<br />

De Lambel. De Melun……………………………………………………… 181<br />

Frère Louis Paillé…………………………………………………………… 194<br />

Théodore <strong>de</strong> Ratisbonne…………………………………………………… 199<br />

Père Henri Planchat. ………………………………………………………. 200<br />

Abbé Ozanam. …………………………………………………………….. 232<br />

Adolphe Baudon (Confrère SVP). ……………………………………… 237<br />

Paul Decaux (Confrère SVP)………………………………….. ………… 238<br />

Révolution <strong>de</strong> 1848. Barrica<strong>de</strong>s à Paris……………………… ………… 251<br />

Mgr Affre. Sœur Rosalie………………………………………………… 253<br />

Trois épiso<strong>de</strong>s…………………………………………………………….. 255<br />

Mgr Gaston <strong>de</strong> Ségur (jeune)…………………………………………….. 261<br />

Père Emile Hello…………………………………………………………… 263<br />

Le Premier Tabernacle……………………………………………………. 264‐5<br />

Assaut <strong>de</strong> Rome en 1849………………………………………………….. 266<br />

Hermann Cohen……………………………………………………………. 270<br />

L’Ami <strong>de</strong> la Religion…………………………………………………………. 273<br />

Florent Caille………………………………………………………………… 291<br />

Père Louis Lantiez………………………………………………………….. 297<br />

Rue <strong>de</strong> l’Arbalète……………………………………………………………. 301<br />

Frère Alphonse Vasseur…………………………………………………….. 309<br />

Frère Jules Marcaire………………………………………………………… 319<br />

Les propriétés <strong>de</strong> l’Institut à Vaugirard…………………………………… 320<br />

Mgr Sibour. Napoléon III…………………………………………………… 326<br />

Chapelle <strong>de</strong>s Saints Cœurs…………………………………………………. 328<br />

Maison <strong>de</strong> Nazareth………………………………………………………… 330<br />

Orphelinat <strong>de</strong> Vaugirard…………………………………………………… 340‐1<br />

Frère <strong>Jean</strong>‐Marie Tourniquet………………………………………………. 348<br />

Abbé Louis Roussel. Frère Eugène Viollat……………………………….. 361<br />

Œuvre d’Auteuil. PP. Petit et Fontaine…………………………………… 362<br />

Pie IX proclame le dogme <strong>de</strong> l’Immaculée Conception (1854)…………. 363<br />

Après l’école ou l’apprentissage, Almanach <strong>de</strong> l’Apprenti et <strong>de</strong> l’écolier…….. 383<br />

L’abbé Henri Halluin ……………………………………………………… 399<br />

La Salette en 1864…………………………………………… …………….. 416<br />

Père Timon‐David………………………………………………………… 445<br />

Père Olivaint………………………………………………………………… 514<br />

- 2 -


L’Univers. L’Ami <strong>de</strong> la Religion (bénédiction <strong>de</strong> ND. Nazareth)………. 540<br />

Fabiola, récit <strong>de</strong>s catacombes (Cardinal Wiseman)………………………… 543<br />

Vie <strong>de</strong> Sœur Rosalie (Vicomte <strong>de</strong> Melun)………………………………… 567<br />

La bataille <strong>de</strong> Malakoff……………………………………………………… 612<br />

Les Martyrs <strong>de</strong> Castelfidardo. Mort <strong>de</strong> Georges Myionnet……………… 623<br />

1856 - 1866<br />

La Communauté <strong>de</strong> Vaugirard en 1858………………………………… 630<br />

Cardinal Morlot…………………………………………………………… 666<br />

Congrès <strong>de</strong>s Directeurs d’œuvres ouvrières. Angers 1858…………… 691<br />

Le Curé d’Ars et M. Le <strong>Prevost</strong>………………………………………… 738<br />

Frère Henri Sadron………………………………………………………. 750<br />

Mgr Dupanloup…………………………………………………………. 758<br />

Frère Emmanuel Gallais………………………………………….……. 761<br />

Bataille <strong>de</strong> Montebello……………………………………………………. 763<br />

Liergues (lieu <strong>de</strong> décès <strong>de</strong> Mme Le <strong>Prevost</strong>)…………………………. 765<br />

Maximin Giraud………………………………………………………… 766<br />

Père <strong>Léon</strong> d’Arbois <strong>de</strong> Jubainville……………………………………. 768<br />

Frère Paul Baffait………………………………………………………… 778<br />

Bataille <strong>de</strong> Castelfidardo…………………………………………………… 784<br />

Abbé Louis Risse………………………………………………………… 815<br />

Ordination sacerdotale <strong>de</strong> MLP………………………………………… 826<br />

Le Jeune Ouvrier…………………………………………………………… 829<br />

Chapelle St‐Sacrement (Arras)………………………………………… 876<br />

Le Pape Pie IX…………………………………………………………… 880<br />

Persigny…………………………………………………………………… 881<br />

Chapelle et patronage N.D. <strong>de</strong> Grâce (Grenelle)……………………… 885<br />

Frère Ernest Philibert……………………………………………………… 886<br />

Abbé Victor Braun………………………………………………………… 893<br />

Frère Edouard Cauroy…………………………………………………… 902<br />

Père Bernard <strong>de</strong> Varax…………………………………………………… 919<br />

Frère Charles‐Abel du Garreau………………………………………….. 922<br />

Le Petit‐St <strong>Jean</strong> (Amiens)………………………………………………… 949<br />

Maison et Noviciat <strong>de</strong> Chaville………………………………………… 954<br />

Père Michel Chaverot…………………………………………………….. 961<br />

Frère René Girard………………………………………………………….. 988<br />

Père Alfred Leclerc………………………………………………………… 991<br />

Le mascaret en Normandie……………………………………………….. 994<br />

Père Urbain Baumert……………………………………………………… 1007<br />

Père Jules Ginet……………………………………………………………. 1038<br />

Pèlerins <strong>de</strong> la Salette……………………………………………………… 1040<br />

Eglise <strong>de</strong> la Salette à Paris (1965)………………………………………… 1045<br />

Frère Eugène Charrin……………………………………………………… 1050<br />

Maison natale <strong>de</strong> MLP. à Cau<strong>de</strong>bec‐en‐Caux, vallée <strong>de</strong> la Seine……… 1062<br />

Père Edouard Lainé………………………………………………………… 1066<br />

Almanach <strong>de</strong> l’Apprenti et <strong>de</strong> l’écolier (1866)………………………………. 1070<br />

- 3 -


1867- 1874<br />

Mgr Angebault…………………………………………………………… 1159<br />

Les ballons du photographe et inventeur Nadar……………………… 1207<br />

Exposition universelle <strong>de</strong> 1867 à Paris………………………................... 1216<br />

Père <strong>Jean</strong>‐Joseph Allemand………………………………………………. 1221<br />

Bataille <strong>de</strong> Mentana………………………………………………………… 1229<br />

Emile Keller. Drapeau <strong>de</strong>s Zouaves Pontificaux……………………… 1248<br />

Palais Mariscotti (Rome)………………………………………………… 1262<br />

Saint Pierre‐Julien Eymard………………………………………………… 1265<br />

Termini et la Villa Strozzi (Rome)………………………………………… 1273<br />

Mélanie Calvat……………………………………………………………… 1286<br />

Général <strong>de</strong> Charrette……………………………………………………… 1287<br />

Villa Torlonia (Rome)……………………………………………………. 1294<br />

Mgr <strong>de</strong> Méro<strong>de</strong>…………………………………………………………… 1356<br />

Père Jules Pialot…………………………………………………………… 1392<br />

Père Hyacinthe Loyson, prédicateur à Notre‐Dame…………………. 1410<br />

Frère Michel Manque……………………………………………………. 1441<br />

Proclamation <strong>de</strong> l’infaillibilité pontificale (1870)……………………… 1496<br />

Camp militaire <strong>de</strong> Châlons……………………………………………… 1502<br />

La 7 e ambulance…………………………………………………………… 1505<br />

Mgr Darboy………………………………………………………………… 1506<br />

Tournay……………………………………………………………………. 1515<br />

Mère Gertru<strong>de</strong>…………………………………………………………… 1518<br />

Porta Pia et sa brèche (Rome)…………………………………………… 1521<br />

Siège <strong>de</strong> Paris……………………………………………………………… 1530<br />

Commune <strong>de</strong> Paris (Butte Montmartre)…………………………………… 1533<br />

Frère Joseph Garault……………………………………………………… 1546<br />

Père Adolphe Imhoff……………………………………………………… 1549<br />

Les Ecuries d’Augias (Daumier)…………………………………………… 1553<br />

La Commune <strong>de</strong> Paris occupant l’Hôtel‐<strong>de</strong>‐Ville…………………………… 1562<br />

Pont et Château Saint‐Ange (Rome)……………………………………. 1566<br />

Prison du Père Henri Planchat…………………………………………… 1569<br />

Exécution <strong>de</strong>s otages ( mai 1871)………………………………………… 1571<br />

Louvre et Tuileries incendiés par la Commune………………………… 1579<br />

Père Pittar…………………………………………………………………… 1611<br />

Frère Augustin Bercé……………………………………………………… 1632<br />

Frère Hodiesne, Pères Lasfargues et Degesne…………………………… 1635<br />

Abbé Bautain………………………………………………………………… 1659<br />

Les Constitutions <strong>de</strong> 1874…………………………………………………. 1681<br />

Chambre mortuaire <strong>de</strong> MLP……………………………………………… 1696<br />

Tombeau <strong>de</strong> MLP. (Chapelle <strong>de</strong> Chaville sanctuaire ND. <strong>de</strong> la Salette) 1697<br />

* * *<br />

- 4 -


1 à M. Gavard 1<br />

Invitation à rencontrer un ami.<br />

4 septembre 1827<br />

Mon cher Monsieur Gavard,<br />

Voulez‐vous profiter dʹune occasion que je vais vous offrir <strong>de</strong> voir quelques instants<br />

M. Letellier? Venez <strong>de</strong>main mercredi matin à 10h. précises chez moi; vous lʹy trouverez<br />

<strong>avec</strong> sa femme. Vous mʹaviez promis hier <strong>de</strong> vous rendre chez moi à 9h. pour visiter lʹex‐<br />

position <strong>de</strong>s Petits Augustins. Ce nouvel arrangement vous permettra <strong>de</strong> rêver une heure<br />

<strong>de</strong> plus. Je ne vous dis pas combien vous me ferez plaisir. M. Letellier veut bien se charger<br />

dʹappuyer ma <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> sa recommandation.<br />

Votre tout dévoué serviteur Le <strong>Prevost</strong><br />

Je soussigné, certifie, sans avoir lu, que M. Le <strong>Prevost</strong> nʹa dit que la vérité, et que si vous ne venez<br />

pas me voir chez lui <strong>de</strong>main matin pour déjeuner <strong>avec</strong> ma femme, nous nous fâchons pour la vie. Voyez, pe‐<br />

sez et déci<strong>de</strong>z. Charles.<br />

1 Charles Gavard, (+1856), d’origine angevine, fonctionnaire au Ministère <strong>de</strong>s finances, puis bijoutier à Paris. Il s’était lié d’amitié<br />

<strong>avec</strong> MLP., qui, en 1827, était rédacteur au Ministère <strong>de</strong>s Affaires Ecclésiastiques. Très instruit, <strong>de</strong> commerce agréable, c’est un<br />

esprit sceptique, doué d’une imagination débordante. C’est grâce à lui que MLP. fera la connaissance <strong>de</strong> Victor Pavie, alors étudiant<br />

en droit à Paris. Gavard aura toujours beaucoup d’admiration pour MLP. En <strong>de</strong>s termes un peu abscons, il écrira à V. Pavie,<br />

dans une lettre du 15 janvier 1833: "Oh, Pavie, nous ne sommes rien près <strong>de</strong> lui, non pas même la trace <strong>de</strong> son pas aux déserts qu’il<br />

parcourt!" En 1850, au même correspondant, il dira ce que lui apporte cette amitié: "Quelle force dans ces relations qui ont pour<br />

base l’espoir moral". Mais l’influence <strong>de</strong> MLP. n’ira pas jusqu’à le sortir d’un vague panthéisme.<br />

1


2 à M. Pavie 2<br />

Impressions <strong>de</strong> MLP. sur les événements <strong>de</strong> 1830. Son besoin <strong>de</strong> perfection. Vie culturelle. Relations d’amitié.<br />

Jugement sur V. Hugo.<br />

Paris, le 17 août 1830<br />

Cette feuille <strong>de</strong> toute façon <strong>de</strong>vait,<br />

mon cher Victor, vous appartenir, elle eût<br />

été lettre initiative si la vôtre eût tardé un<br />

jour <strong>de</strong> plus; elle sera une réponse,<br />

puisquʹil en est autrement. Quʹelle<br />

commence vite par vous remercier <strong>de</strong><br />

lʹintérêt affectueux et tendre que vous me<br />

témoignez. Je ne saurais dire combien je<br />

mʹy trouve sensible, combien les<br />

souvenirs que vous me donnez à travers<br />

ces grands événements 3 me semblent<br />

précieux. Que ne mʹarrêtiez‐vous, mon<br />

ami, au moment où vous courriez vers Babylone, quelque faible et traînant que je fusse, je<br />

vous eusse suivi <strong>de</strong> grand cœur; vous eussiez rompu dʹun coup tous les nœuds que je ne<br />

savais démêler dans ma conscience; votre enthousiasme, gui<strong>de</strong> bien plus sûr pour moi que<br />

ma propre raison, mʹeût entraîné sans peine jusque‐là, je lʹavoue. Approuvant <strong>de</strong>s efforts<br />

justes et généreux, je <strong>de</strong>mandais si les masses émues allaient ensuite se rasseoir paisible‐<br />

ment, si tous ces hommes, héros aujourdʹhui, voudraient reprendre le marteau, tailler à<br />

coups mesurés la pierre, combiner lentement <strong>de</strong>s lettres dans les cases; ce sang qui bouil‐<br />

lonnait dans leurs veines allait‐il si vite se calmer; arrivés au but, ne débor<strong>de</strong>raient‐ils pas<br />

bien loin au‐<strong>de</strong>là. Une noble confiance était bien plus gran<strong>de</strong> et surtout plus juste, mais je<br />

ne la sentais pas; en vous la voyant, mon ami, je lʹaurais partagée. Car, que je vous le dise<br />

ici, rien que pour le dire tout haut à quelquʹun et aussi pour que vous me conserviez ma<br />

belle image sans altérer sa pureté idéale, pour quʹelle reste toujours intacte <strong>de</strong>vant mes<br />

yeux, en preuve que tout ce quʹon rêve parfois <strong>de</strong> noble, <strong>de</strong> généreux, <strong>de</strong> spontané vers le<br />

bien, quelquʹil soit, existe vraiment dans quelque homme <strong>de</strong> notre terre. Je ne saurais plus<br />

achever ce que je voulais dire. Je ne me sens plus assez fort <strong>de</strong> mon intention pour être sûr<br />

quʹelle couvrirait la chose elle‐même, assez donc; pourtant si, à travers tout cela, vous en‐<br />

trevoyez, mon ami, une opinion peut‐être exagérée <strong>de</strong> vous, attribuez‐la seulement à ce<br />

besoin <strong>de</strong> perfection qui nous poursuit, quʹil faut satisfaire nʹimporte sur quoi et qui nous<br />

attache avi<strong>de</strong>ment aux moindres traces que nous rencontrons dʹelle. Ces <strong>de</strong>rniers temps,<br />

du reste, ont pu donner belle pâture à pareille disposition; oh! que je partage bien votre<br />

admiration pour les hommes et les choses! Quand les peuples sʹémeuvent ainsi, que leurs<br />

aspects, leurs groupes, leurs agitations onduleuses sont un imposant spectacle! Quelles<br />

vastes percées pour la raison et la philosophie! Mais ne vous semble‐t‐il pas que la force<br />

2 Victor Pavie (1808-1886). Né à Angers, rue St-Laud, il était monté à Paris pour faire son droit. Poète et écrivain, il avait un joli<br />

brin <strong>de</strong> plume qu’on encourage dans les salons littéraires <strong>de</strong> la capitale, et qu’il entretient dans le petit cercle <strong>de</strong> ses amis angevins.<br />

D’emblée, l’âme <strong>de</strong> MLP. fut conquise: ces <strong>de</strong>ux cœurs généreux et aimants étaient faits pour s’entendre. Confi<strong>de</strong>nt du retour à<br />

Dieu <strong>de</strong> MLP., Pavie subira, à son tour, l’influence <strong>de</strong> son ami re<strong>de</strong>venu chrétien convaincu. Leur correspondance (57 lettres) ne<br />

cessera qu’à la mort <strong>de</strong> MLP., en 1874.<br />

3 MLP. écrit au len<strong>de</strong>main <strong>de</strong>s événements révolutionnaires <strong>de</strong> 1830, à Paris, notamment <strong>de</strong>s 27, 28 et 29 juillet 1830 (Les Trois<br />

Glorieuses). Avec l’abdication <strong>de</strong> Charles X et l’avènement <strong>de</strong> Louis-Philippe, la Monarchie <strong>de</strong> Juillet succè<strong>de</strong> à la Restauration.<br />

2


physique, quand elle arrive à une telle puissance, une telle modération dʹelle‐même, se<br />

fond presque à la force morale et quʹelle est au moment <strong>de</strong> se retirer tout à fait pour lui cé‐<br />

<strong>de</strong>r à tout jamais la place.<br />

Tout se régularise ici, se modifie sans effort, on rentre dans lʹordre habituel; la pré‐<br />

occupation <strong>de</strong>s événements cesse peu à peu, les loisirs reviennent, lʹâme recommence à<br />

quitter ce mon<strong>de</strong> où rien ne la retient plus et retourne à ses rêves; les lettres, les chants, la<br />

poésie, tout cela reparaît, le théâtre est <strong>de</strong> nouveau rempli. Ne semblait‐il pas que cʹen était<br />

fait pour jamais <strong>de</strong> pareilles choses; en vérité, nous sommes comme à ressort, nous plions<br />

un moment sous les circonstances et nous nous redressons ensuite à notre position ordi‐<br />

naire. Moi‐même avant‐hier, jʹétais à lʹOpéra, et le Comte Ory, 4 Nourrit, M me Damoreau,<br />

Taglioni mʹont donné <strong>de</strong>s impressions dʹart plus franches, plus vives que jamais. Vous ne<br />

sauriez, mon ami, avoir une idée <strong>de</strong> la Marseillaise chantée par Nourrit <strong>avec</strong> les chœurs et<br />

lʹorchestre et répétée par lʹassemblée! Sʹil y eut dans tout cela la moindre frénésie ou même<br />

une exaltation trop énergique <strong>de</strong>s souvenirs sanglants passant à la traverse ne mʹeussent<br />

laissé que <strong>de</strong> lʹhorreur et <strong>de</strong> lʹeffroi; mais figurez‐vous au contraire lʹensemble bien et pu‐<br />

rement dans lʹart, sans en sortir ni par le jeu, ni par lʹeffet, ne trouvant dans les sympathies<br />

<strong>de</strong> jour quʹune disposition plus délicate et mieux éclairée, et peut‐être arriverez‐vous, au‐<br />

tant quʹon le peut, aussi froi<strong>de</strong>ment et <strong>de</strong> pensée, à vous en donner quelque aperçu. Jʹau‐<br />

rais été heureux que vous fussiez là près <strong>de</strong> moi. Jʹy ai bien pensé. Ne manquez pas, mon<br />

ami, quand, <strong>de</strong> votre côté, vous trouverez <strong>de</strong> vives impressions dans vos champs ou ail‐<br />

leurs <strong>de</strong> mʹy convier aussi et <strong>de</strong> mʹy faire une part. Oh! soyez sûr <strong>de</strong> toute ma sympathie,<br />

soyez sûr dʹêtre compris par moi, quoique vous fassiez ou disiez, jʹai <strong>de</strong> vous tout à la fois<br />

lʹintelligence et le sentiment.<br />

Cette lettre commence à être si longue que je nʹose plus guère la prolonger;<br />

pourtant encore, mon ami, jʹavais prévu vos désirs. Jʹétais allé voir M.<br />

Hugo 5 à la fin <strong>de</strong> la semaine <strong>de</strong>rnière. Il était sorti, je nʹai trouvé que sa<br />

femme pas encore accouchée, près <strong>de</strong> ses enfants et raccommodant leurs<br />

bas. Tout ce mon<strong>de</strong> va bien. M. Hugo partage les idées du jour, mais est<br />

décidé à nʹaccepter <strong>de</strong> fonction dʹaucune espèce et encore bien plus à ne pas les rechercher.<br />

On parle <strong>de</strong> Marion <strong>de</strong> Lorme, elle sera représentée mais seulement dans le courant <strong>de</strong> lʹhi‐<br />

ver. Vous en serez. Je voyais ces jours passés une petite lettre <strong>de</strong><br />

Henri IV ainsi conçue adressée je ne sais plus à qui: ʺAmi, jʹai<br />

besoin <strong>de</strong> ton bras, arme‐toi, sois tel jour, dans tel lieu, bien <strong>de</strong>s<br />

gens y mourrontʺ. Je me figure, mon ami, que si M. Hugo faisait<br />

représenter en votre absence, il ne manquerait pas <strong>de</strong> vous<br />

appeler par un pareil langage. Je retournerai le voir pour moi<br />

dʹabord, pour vous aussi. Je trouve que lʹon peut bien quand un<br />

ami est là résister à ses désirs, mais non en son absence.<br />

Adieu, mon ami, je vous aime aussi sincèrement que possible, il me faut aussi <strong>de</strong><br />

votre part non pas, entendons‐nous bien, une portion <strong>de</strong> cet intérêt généreux et bon que<br />

vous accor<strong>de</strong>z à tous ceux qui vous entourent, mais bien cette pure et vraie amitié cachée<br />

4 Opéra (1828) du compositeur italien Rossini.<br />

5 Avec ses amis Gavard et Pavie, MLP. fréquente les cercles littéraires <strong>de</strong> Paris, surtout le Cénacle <strong>de</strong>s Romantiques, <strong>avec</strong> son chef,<br />

Victor Hugo. En 1829, le poète a fait paraître Les Orientales, dont MLP. obtiendra un exemplaire dédicacé. Le 25 février 1830 a<br />

marqué <strong>avec</strong> Hernani le début d’une bataille où s’affrontèrent "les classiques" et les "romantiques". Son drame, Marion <strong>de</strong> Lorme,<br />

ne sera représenté qu'au mois d'août <strong>de</strong> l'année suivante.<br />

3


au fond, tout au fond <strong>de</strong> notre âme et dont on ne donne guère et à peu <strong>de</strong> gens. Cela seul,<br />

mon ami, peut me satisfaire et répondre à tous mes sentiments pour vous.<br />

<strong>Léon</strong> Le <strong>Prevost</strong><br />

Faites‐moi votre homme dʹaffaires ici, durant votre absence. Jʹai pour cela tout ce<br />

quʹil faut, capacité et bonne volonté. M. Gavard va bien et son mon<strong>de</strong> <strong>avec</strong> lui; il a dû vous<br />

écrire. On avait enfoncé la porte <strong>de</strong> sa maison quʹil avait abandonnée, pour y chercher <strong>de</strong><br />

malheureux Gar<strong>de</strong>s royaux quʹon y croyait cachés, mais rien nʹa été dérangé chez lui. Il est<br />

au moins à la hauteur <strong>de</strong>s affaires du moment, il est raisonnable pourtant et ne va guère<br />

au <strong>de</strong>là. Nous avons souvent parlé <strong>de</strong> vous, sans préjudice <strong>de</strong> lʹavenir. M. Mazure va‐t‐il<br />

venir? Jʹaurais tant <strong>de</strong> plaisir à le revoir. Jʹavais commencé à lui écrire après les événe‐<br />

ments pour les lui dire et le tranquilliser sur vous et nous tous, mais pas moyen <strong>de</strong><br />

conduire la lettre à bonne fin; elle avait déjà, je crois, plusieurs lignes <strong>de</strong> faites.<br />

M. Trébuchet 6 est resté à sa place et la gar<strong>de</strong>ra, je lʹespère. Est‐ce tout? Les articles 7<br />

Jʹen dépose un <strong>avec</strong> cette lettre. Je lʹai bien raccourci, écourté. Si je mʹen croyais, un trait <strong>de</strong><br />

plume en ferait justice. Si vous le prenez, je tâcherai que la suite soit moins mauvaise. Je la<br />

déposerai plus tard chez votre correspondant. Je prendrai le numéro chez votre Dame.<br />

(<strong>Léon</strong>)<br />

3 à M. Pavie<br />

Commentaire sur les événements révolutionnaires. Contraste <strong>de</strong>s passions humaines. Petite chronique <strong>de</strong> ses re‐<br />

lations amicales. Duel <strong>de</strong> Sainte‐Beuve.<br />

Paris, 29 septembre 1830<br />

Dʹaprès votre <strong>de</strong>rnière lettre à notre ami Gavard je<br />

mʹattendais, mon cher Victor, à en recevoir bientôt une <strong>de</strong> vous,<br />

datée <strong>de</strong> la mer, sentant le varech et la brise, bourdonnant le bruit<br />

<strong>de</strong>s vagues comme une conque marine, mais point, seriez‐vous donc<br />

assez malheureux, mon ami, pour avoir abandonné ce projet? Sʹil en<br />

était ainsi, reprenez‐le vite, jamais, bon Dieu, fut‐il plus nécessaire<br />

<strong>de</strong> se baigner aux joies pures et éthérées <strong>de</strong> la nature quand, <strong>de</strong> toute<br />

part, le matériel <strong>de</strong>s choses nous assaille, nous absorbe. Heureux ceux qui peuvent fuir. Au<br />

moins pour moi que la nécessité y garrotte jʹy ai passé bientôt tout entier. La révolution <strong>de</strong><br />

faits nʹest pas plus gran<strong>de</strong> que ma révolution intérieure. Je lis tous les journaux, je les<br />

épelle et les médite. Je me passionne pour ou contre eux, la contradiction me révolte. Je<br />

suis muet dans toute société sur la politique, par précaution contre lʹirritation que je sens<br />

en moi toute prête à éclater et dès que les entretiens dʹalentour me heurtent, vite mon cha‐<br />

peau et mes gants et me voilà courant à perdre haleine. Ne me condamnez pas, cher ami,<br />

avant dʹavoir vous‐même passé à lʹépreuve. Si après un mois passé ici, toute la violence<br />

réveillée <strong>de</strong>s partis, la niaiserie <strong>de</strong>s uns, les infâmes espérances <strong>de</strong>s autres, la déraison,<br />

lʹégoïsme <strong>de</strong> tous, ne vous poussent pas à bout, ne vous causent pas autant dʹeffroi quʹà<br />

moi, je subirai le jugement. En vérité, dans la vie paisible que nous menions, les hommes<br />

6 me<br />

Cousin <strong>de</strong> M Victor Hugo, née Adèle Foucher, c’est grâce à lui que MLP. fréquentera intimement, jusqu’en 1832, le poète et sa<br />

famille (cf. lettre <strong>de</strong> V. Pavie à M. Maignen, 18 août 1882).<br />

7<br />

Le père <strong>de</strong> V. Pavie était propriétaire d’une imprimerie qui publiait, dans les Affiches d’Angers, une annexe scientifique et littéraire,<br />

le Feuilleton <strong>de</strong> la Quinzaine. A la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> son ami, MLP. collaborait à cette petite feuille littéraire.<br />

4


dormaient. Ce calme, ce repos allaient bien à leur train et voilaient la nullité et la bassesse<br />

<strong>de</strong> lʹâme. Mais les voilà qui sʹéveillent et sur toutes ces faces passent et se formulent<br />

dʹignobles passions pour nous presque inconnues jusque là. Oh! le hi<strong>de</strong>ux spectacle. As‐<br />

sez, nʹest‐ce pas?<br />

Tous mes amis heureusement sont restés beaux. Cela fait un refuge. Avec quel bon‐<br />

heur on sʹen rapproche. Revenez, mon ami, bientôt. Vous nous manquez beaucoup. Nous<br />

avons encore M. Mazure. Je le vois presque tous les jours et presque chaque matin. Nous<br />

causons auprès <strong>de</strong> son feu (il fait déjà du feu). Jʹai rencontré ce matin chez lui Ballanche 8 ,<br />

mais quand je sortais, comme une apparition, il ne mʹen est rien resté<br />

que ses <strong>de</strong>ux yeux que <strong>de</strong>puis un moment je voyais briller à travers<br />

lʹouverture <strong>de</strong> la porte, comme une fascination. Jʹai vu M. Hugo, il y a<br />

huit ou dix jours; il y avait là une espèce <strong>de</strong> paysan du Danube quʹil<br />

semblait ne pas reconnaître ou n’avoir jamais vu; c’était gênant, nous<br />

nʹavons guère dit <strong>de</strong> choses particulières. Un journal rapporte que<br />

Sainte‐Beuve 9 et Dubois du Globe, nommé Inspecteur Général <strong>de</strong>s<br />

Etu<strong>de</strong>s ont eu un duel ensemble. Je nʹai pu encore savoir pourquoi, com‐<br />

ment, ni quelles conséquences; aucune fâcheuse, sans doute. On le saurait.<br />

Sʹils sont, je lʹespère, sans acci<strong>de</strong>nt et meilleurs amis quʹavant, pour <strong>de</strong>s<br />

poètes ce ne sera pas chose perdue et les émotions <strong>de</strong> tout cela seront bé‐<br />

néfice pour lʹâme. A Dieu ne plaise que je donne pareil événement comme<br />

désirable pour eux et pour les autres; ce nʹest pas à vous, mon ami, que jʹai<br />

besoin dʹexpliquer ma pensée.<br />

Je vous envoie un article vaille que vaille, peut‐être faux dʹun bout à lʹautre; à votre<br />

discrétion.<br />

Adieu, mon cher ami, vite une lettre, plusieurs, <strong>de</strong>s vers, <strong>de</strong> la prose, tout, et vous,<br />

surtout, le plus tôt possible.<br />

Votre tout ami,<br />

<strong>Léon</strong> Le <strong>Prevost</strong><br />

4 à M. Pavie<br />

Excuses pour avoir ouvert une lettre <strong>de</strong> V. Pavie à leur ami Mazure. Visite chez les Hugo. La répulsion que lui ins‐<br />

pirent les révolutionnaires. Il craint le retour <strong>de</strong> troubles sanglants. Sainte‐Beuve et l’évolution du Globe.<br />

Le 2 octobre 1830<br />

Au risque, mon ami, <strong>de</strong> multiplier votre ennui par le mien, je vais essayer <strong>de</strong> vous<br />

écrire; aussi bien jʹai à vous répondre pour <strong>de</strong>ux lettres; car, celle que vous adressez chez<br />

moi à M. Mazure, je viens <strong>de</strong> lʹouvrir par erreur et <strong>de</strong> ligne en ligne la faute sʹest consom‐<br />

mée jusquʹau bout. Jʹai lu la lettre tout entière; jʹaurais eu la mine bien attrapée si dans<br />

8<br />

Pierre-Simon Ballanche (1776-1847), était lyonnais. Ami <strong>de</strong> Chateaubriand et d’Ozanam, ce philosophe eut une gran<strong>de</strong> influence<br />

sur l’école romantique.<br />

9<br />

Charles-Augustin Sainte-Beuve (1804-1869), journaliste et célèbre critique littéraire. Par V. Pavie, il avait fait la connaissance <strong>de</strong><br />

MLP., dont il avait subi le charme. Ce sceptique inquiet confessera, dans l’intimité, qu’il se sentait attiré vers les sentiments religieux<br />

<strong>de</strong> MLP. (Vie <strong>de</strong> <strong>Jean</strong>-<strong>Léon</strong> Le <strong>Prevost</strong>, C. Maignen, I, p.12). Il travaillait alors au journal Le Globe, dont Dubois était directeur.<br />

A la suite d’un inci<strong>de</strong>nt à la rédaction, les <strong>de</strong>ux hommes se provoquèrent en un duel qui n’aura pas <strong>de</strong> suites fâcheuses, mais<br />

qui tournera au tragi-comique. Il pleut lorsqu’ils s’affrontent; Sainte-Beuve saisit alors d’une main, son pistolet, et <strong>de</strong> l’autre…son<br />

parapluie: "Je veux bien être tué, mais je ne veux pas être mouillé!".<br />

6


quelque coin, jʹeusse trouvé le châtiment <strong>de</strong> mon indiscrétion; mais vous semblez avoir<br />

prévu lʹaventure; il nʹy est rien que dʹamical et dʹaffectueux. Merci. M. Mazure nʹaura votre<br />

lettre que dans <strong>de</strong>ux ou trois jours, quelque empressement que je mette à la lui envoyer,<br />

car, au moment où je vous parle, du haut <strong>de</strong> la chaire <strong>de</strong> philosophie <strong>de</strong> Poitiers, ensei‐<br />

gnant et dogmatisant, il perd sans doute la terre <strong>de</strong> vue, erre aux nuages <strong>de</strong> lʹobjectif, ou<br />

re<strong>de</strong>scend au subjectif. Je vais mʹarranger pour quʹau retour, il trouve votre lettre sur son<br />

pupitre professoral. Vous nʹavez point parcouru Le Moniteur <strong>de</strong>puis huit jours. Vous y<br />

eussiez vu son exaltation. Je ne suis pas moi‐même encore bien revenu <strong>de</strong> la joie que cela<br />

mʹa donnée: <strong>de</strong>puis tant dʹannées, je le vois traînant sa vie dans une position plus précaire,<br />

nʹosant sʹasseoir nulle part, parce que tout à lʹheure il faudra partir, quʹil me semble mʹar‐<br />

rêter enfin <strong>avec</strong> lui et reprendre haleine après une route harassante <strong>de</strong> tristesse et <strong>de</strong> fati‐<br />

gue. Vous qui lʹaimez comme moi, vous serez bien heureux aussi. Je le vole en vous ap‐<br />

prenant cette bonne nouvelle, mais il vous lʹapprendra une secon<strong>de</strong> fois et ainsi il nʹy per‐<br />

dra rien. M. David 10 a contribué à cet heureux résultat par son instance auprès <strong>de</strong> Cousin.<br />

Jʹai encore dans ce moment une chose qui me met <strong>de</strong> la chaleur et <strong>de</strong> lʹagilité dans<br />

les jambes, pour plusieurs jours. Hier, tout seul, rien quʹ<strong>avec</strong> les canapés, et les chaises, et<br />

les tableaux, et les <strong>de</strong>ssins, et les croquis, jʹai causé <strong>de</strong>ux heures <strong>avec</strong> M. Hugo, joué <strong>avec</strong><br />

les enfants et babillé <strong>avec</strong> Madame, et quand je suis parti, lui mʹa serré la main; elle sʹest<br />

levée et mʹa fait <strong>de</strong> ces naïves et gauches révérences qui mʹenchantent, quʹelle seule et M me<br />

Malibran savent faire comme cela et qui pour moi contiennent toutes les idées, tous les<br />

mon<strong>de</strong>s que Vestris 11 voyait dans les profon<strong>de</strong>urs dʹun pas <strong>de</strong> danse. Mon ami, ne suis‐je<br />

pas heureux?<br />

Jʹaurais honte, mon ami, <strong>de</strong> montrer tant <strong>de</strong> légèreté en face <strong>de</strong> nos graves événe‐<br />

ments, si pour ne pas y laisser un beau jour sa tête, il nʹy avait nécessité <strong>de</strong> la promener <strong>de</strong><br />

temps en temps ailleurs. La promena<strong>de</strong>, il est vrai, je la fais bien loin ici, à <strong>de</strong>s temps <strong>de</strong> li‐<br />

bre insouciance, dʹimpressions capricieuses et qui se per<strong>de</strong>nt à tous les fils dʹaraignées,<br />

mais il sʹest fait chez nous <strong>de</strong>puis quelques jours tant <strong>de</strong> tapage quʹil fallait aller bien loin<br />

aussi pour ne plus entendre ces hurlements dʹégorgeurs, pour ne plus voir à la lueur <strong>de</strong>s<br />

torches ces hi<strong>de</strong>uses figures <strong>avec</strong> leurs bonnets pendants et leurs bras nus retroussés. Tout<br />

cela est passé maintenant et nous voilà tranquilles, sera‐ce long? Cʹest ce quʹil faut voir. Les<br />

quatre hommes misérables qui sont aux Tours <strong>de</strong> Vincennes 12 doivent avoir dʹhorribles<br />

jours. Vous ne vous figurez pas, mon ami, comme ces redoutes sont imposantes en ce<br />

moment, elles ont lʹair gonflées <strong>de</strong> troubles, <strong>de</strong> factions, <strong>de</strong> guerre, <strong>de</strong> vengeance: quand<br />

leur sein sʹouvrira, gare à nous, la France sera leur proie. En attendant, eux, les quatre, tout<br />

le mon<strong>de</strong> les abandonne, tout le mon<strong>de</strong> dit quʹil faut quʹils meurent: oh! si jʹétais éloquent,<br />

si ma pensée savait se faire jour, il me semble quʹils ne mourraient pas, car, quelque chose<br />

me dit bien haut quʹun aveuglement fatal est presque tout leur crime et que la mort pour<br />

lʹerreur, quelque funeste quʹelle soit, cʹest trop <strong>de</strong> tout. Mais je le crains bien, nous aussi,<br />

10 Pierre-<strong>Jean</strong> David, dit David d’Angers, (1788-1856), sculpteur, ami <strong>de</strong> M. Pavie, père. Il s’occupera <strong>de</strong> Victor quand celui-ci fera<br />

ses étu<strong>de</strong>s à Paris. (Parmi ses chefs-d’œuvre: une statue <strong>de</strong> Condé, et un monument à la gloire du général vendéen Bonchamps).<br />

MLP. fait allusion à l’une <strong>de</strong> ses interventions pour un ami commun, professeur <strong>de</strong> philosophie, M. Mazure, auprès <strong>de</strong> Victor Cousin,<br />

grand maître <strong>de</strong> l’Université.<br />

11 Vestris, danseur italien, M me Malibran, dite la Malibran, célèbre cantatrice française, d’origine espagnole, <strong>de</strong>s années 1815-1835.<br />

12 Quatre ministres <strong>de</strong> Charles X, dont Polignac, l’ancien chef du gouvernement, venaient d’être jetés en prison à Vincennes. Par<br />

crainte <strong>de</strong> la vindicte populaire, qui en avait fait les boucs émissaires <strong>de</strong> sa haine contre les Bourbons, ils seront transférés, le 10<br />

décembre, au palais du Luxembourg, rue <strong>de</strong> Vaugirard, pour y être jugés. Ils furent condamnés à <strong>de</strong> lour<strong>de</strong>s peines<br />

d’emprisonnement.<br />

7


comme nos pères, nous aurons <strong>de</strong>s souvenirs sanglants; et ceux qui resteront les conteront<br />

paisibles ou nʹy trouveront quʹune émotion poétique ou littéraire, comme on le faisait tous<br />

les jours pour nous, à même les temps passés; nʹest‐ce pas triste à penser; toujours <strong>de</strong>s<br />

hommes jouant <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s os et <strong>de</strong>s têtes <strong>de</strong> morts; que leur sert? Les morts ne leur disant<br />

rien, ils ne savent pas les faire parler, ou, sʹils parlent, les événements parlent plus haut:<br />

Hamlet a beau errer au cimetière, ne faut‐il pas toujours quʹil tue sa mère et meure après,<br />

lui‐même assassiné. Il y a <strong>de</strong> quoi, nʹest‐ce pas, croire à la fatalité. Il reste, il est vrai, plus<br />

haut que tout cela, un oracle à interroger mais qui donc y songe? Ceux qui le voudraient<br />

parfois comme moi, ne lʹosent plus. Tout cela mʹattriste souvent.<br />

M. Hugo mʹa conté lʹaffaire <strong>de</strong> Sainte‐Beuve et vous, vous la racontez à M. Mazure;<br />

pour dire vrai Le Globe me paraissait bien immodéré en politique <strong>de</strong>puis quelque temps, la<br />

littérature et les arts y sont abandonnés je ne sais à quelles mains; il mʹirritait. Je mʹen étais<br />

détaché; mais <strong>de</strong>puis que je sais que Sainte‐Beuve le dirige, moitié conversion, moitié es‐<br />

poir pour un meilleur avenir, je me reprends à lʹaimer; peut‐être même cette circonstance<br />

petit à petit modifiera mon opinion; je mʹavoue tout cela et le trouve bien ridicule; mais<br />

puisque cela est pourquoi ne pas le dire à vous surtout, mon cher Victor, si généreux, si<br />

indulgent pour vos amis.<br />

Si la pièce <strong>de</strong> M. Paul 13 est présentée avant votre retour, je veux, mon ami, mʹinspi‐<br />

rer <strong>de</strong> tout le dévouement que je vous ai vu montrer autrefois. Jʹécrirai à lʹauteur et je met‐<br />

trai mon zèle ou plutôt le vôtre à sa disposition. Vous pouvez donc sous ce rapport quʹen<br />

tout cas vous y serez vous‐même.<br />

Je vous reverrai <strong>avec</strong> bien <strong>de</strong> la joie et aussi M. Gavard. Quel dommage que notre<br />

ami Mazure nʹy sera plus: trois hommes dévoués pour vous recevoir. Je vous trouve heu‐<br />

reux quelquefois <strong>de</strong> notre amitié, car je pense quʹon nʹa <strong>de</strong>s amis que lorsquʹon mérite dʹen<br />

avoir.<br />

<strong>Léon</strong><br />

5 à M. Pavie<br />

Joie <strong>de</strong> l’amitié. Représentation <strong>de</strong> Marion <strong>de</strong> Lorme. Désir d’écrire un article sur la prière, mais pour le mo‐<br />

ment, sa faible santé le lui interdit.<br />

Vendredi 2 septembre 1831<br />

Votre lettre a bien tardé, mon ami, et toute part faite aux libres ébats en plein air, à<br />

lʹoubli, pour quelques instants <strong>de</strong> tout ce qui nʹest pas maison paternelle, ville natale,<br />

champs alentour, il y avait déjà plusieurs jours que je lʹattendais, mais voilà enfin, quʹelle<br />

soit la bienvenue. Je la parcours à la hâte, et pour ne pas jouir en égoïste <strong>de</strong> ma joie, jʹy<br />

convie par un mot notre ami Gavard qui bien vite est accouru et nous avons parlé <strong>de</strong> vous<br />

comme toujours, car je ne me souviens pas dʹun entretien <strong>avec</strong> lui, où vous absent, ne<br />

soyez bientôt un tiers, non <strong>de</strong> convention ou <strong>de</strong> résolution prise, mais tout naturellement<br />

et parce que <strong>de</strong>ux amis ont vite franchi tous les terrains vagues <strong>de</strong>s conversations généra‐<br />

les et par une pente insensible, comme à leur insu, reviennent aux sujets dʹentretien intime,<br />

<strong>de</strong> confiance, dʹabandon. Alors, sʹil est entre nous quelque léger dissentiment, il arrive ra‐<br />

rement que nous nʹen appelions pas à votre opinion présumée pour juger nos débats; en ce<br />

13 Paul Foucher, beau-frère <strong>de</strong> Victor Hugo.<br />

8


cas, mon triomphe est presque toujours sûr, car toujours jʹai pris en main la cause que<br />

vous‐même eussiez défendue.<br />

Dʹautres fois nous vous regrettons à propos dʹune promena<strong>de</strong>, dʹune admiration à<br />

partager <strong>avec</strong> vous, dʹune émotion dʹart ou autre que votre présence nous eût rendu plus<br />

douce encore et ainsi toujours. Cʹest surtout dans la gran<strong>de</strong> solennité, gran<strong>de</strong> pour vous<br />

surtout, ami dévoué <strong>de</strong> M. Hugo, cʹest surtout à la représentation <strong>de</strong> Marion que vous nous<br />

avez manqué et à bien dʹautres encore, et à lʹauteur, et à sa femme et à la pièce aussi, car<br />

les amis étaient bien disposés, lʹassemblée brillante et nombreuse, lʹœuvre pleine dʹintérêt<br />

et dʹadmirables effets, et pourtant, que vous dirai‐je, un certain froid, une sorte <strong>de</strong> gêne ré‐<br />

gnaient dans la salle; dʹénormes longueurs (superbes assurément en autre lieu) y contri‐<br />

buaient sans doute, mais il manquait dʹailleurs à toutes les bonnes volontés une direction,<br />

une âme, un chef. On applaudissait, mais juste à point, pas <strong>avec</strong> entraînement, moins en‐<br />

core à tort à travers ni dʹenthousiasme. Mais que cela, mon ami, nʹafflige pas votre affec‐<br />

tion, les longueurs ont été supprimées et la pièce y a tellement gagné quʹelle marche main‐<br />

tenant en plein succès, fait chaque soir gran<strong>de</strong> recette, est aujourdʹhui à sa 19 e représenta‐<br />

tion et sans doute en a plus encore dans lʹavenir. Il nʹy avait à la 1 e que peu ou point dʹop‐<br />

position, vers la 5 e ou 6 e sʹen était élevée une <strong>de</strong>s plus malveillantes où <strong>de</strong>s plus grossières.<br />

Les actes étaient interrompus, une fois même on nʹa pu achever la 4 e , mais,<br />

cʹétait si évi<strong>de</strong>mment une œuvre machinée par lʹenvie, que le public a fait<br />

justice. En <strong>de</strong>ux jours, ce fut chose faite. La pièce bien sentie, bien<br />

comprise, applaudie <strong>avec</strong> un véritable élan en bien <strong>de</strong>s endroits, partout<br />

bien écoutée, produit maintenant le plus grand effet. M me Dorval est<br />

superbe, il y a vraiment <strong>de</strong>s révélations continuelles dans ses poses, ses<br />

accents, ses gestes; vous verrez. Vous auriez eu sur tout cela un article<br />

pour votre journal, si M. Gavard nʹeût été paresseux, il en avait commencé<br />

un, il promettait chaque jour <strong>de</strong> lʹachever quand votre lettre est survenue,<br />

mais cʹétait trop peu avancé; lundi <strong>de</strong>rnier, voyant quʹil en fallait dé‐<br />

sespérer, jʹai tenté moi‐même à la hâte dʹen faire un; mais un jour ce nʹétait<br />

pas assez. Je nʹavais quʹun canevas à peine. Je nʹimprovise guère, puis la chaleur extrême<br />

mʹa affaibli au point que ma tête sʹen ressent. je suis las une heure après mon lever, jʹai be‐<br />

soin <strong>de</strong> sommeil; jʹaurais fort risqué dʹentraîner aussi nos lecteurs; il nʹy aura donc rien là‐<br />

<strong>de</strong>ssus, mais pourquoi nʹen feriez‐vous pas sur lʹouvrage imprimé, si vous ne lʹavez pas,<br />

cʹest un vif plaisir qui vous reste avant <strong>de</strong> mourir. Pour moi, je ne pouvais revenir <strong>de</strong> tout<br />

le charme que jʹy trouvais, neuf et frais encore après lʹavoir entendu <strong>de</strong>ux fois. Vos amis<br />

ont eu pour la première représentation chacun une place <strong>de</strong> galerie réservée et numérotée.<br />

Depuis je leur ai fait nouvelle et large distribution <strong>de</strong> billet: jʹai envoyé <strong>de</strong>ux dʹentre eux<br />

(<strong>de</strong>s amis) à M. Hugo <strong>avec</strong> une lettre; enfin pour les satisfaire pleinement jʹen réclamerai<br />

encore; êtes‐vous content <strong>de</strong> moi?<br />

9


Rési<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s Hugo rue N.D. <strong>de</strong>s Champs Je suis allé hier exprès rue<br />

<strong>Jean</strong> Goujon 14 pour voir tout le<br />

mon<strong>de</strong> et vous donner nouvel‐<br />

les fraîches; mais chaque soir M.<br />

Hugo est au théâtre. M me sʹétait<br />

couchée et sa porte était défen‐<br />

due; elle va bien néanmoins et<br />

les petits enfants aussi, et, jus‐<br />

quʹà M. Paul que jʹai vu hier<br />

tout fleuri <strong>de</strong> santé, bien pressé<br />

comme <strong>de</strong> coutume et pour ce<br />

ayant fort négligé sa toilette. Jʹai<br />

reçu <strong>de</strong> notre ami Mazure une<br />

lettre écrite en hâte sans doute<br />

et dans une heure <strong>de</strong> distrac‐<br />

tion, car <strong>de</strong> sa femme, <strong>de</strong> son ménage, <strong>de</strong> tout ce quʹil y a <strong>de</strong> nouveau dans sa position, pas<br />

un mot; excellent homme, il avait oublié tout cela. A propos <strong>de</strong> choses singulières, il est ar‐<br />

rivé encore une sœur chez M. Gavard douce et bonne comme les autres, j’en jugerais mais<br />

<strong>avec</strong> le nez le plus curieux qui se puisse imaginer, il est pointu et se recourbe comme un<br />

cou <strong>de</strong> cygne vers la bouche. Je vous écrirai, mon ami, un autre jour, une lettre moins dé‐<br />

layée et moins vi<strong>de</strong>. Je vous lʹai dit ma tête est fatiguée; dès que je serai remonté un peu, je<br />

veux aussi faire quelque chose pour le petit journal. Jʹaurais eu, ce me semble, aujourdʹhui<br />

encore, mille choses à dire, mais je nʹai pas <strong>de</strong> place et je cause mal. Adieu donc, à une au‐<br />

tre fois. Il faut aimer ses amis même mala<strong>de</strong>s. Aimez‐moi encore plus quʹà lʹordinaire. Il<br />

faut présenter mes souvenirs respectueux à M. votre père et parler <strong>de</strong> moi aussi à votre<br />

frère, puis à M. Cosnier nous sommes amis maintenant.<br />

<strong>Léon</strong> Le <strong>Prevost</strong><br />

Je vais mʹoccuper du tableau.<br />

6 à M. Pavie<br />

MLP. veut se gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> toute fièvre politique. Combien l’amitié est une chose sainte <strong>de</strong>vant Dieu. Nouvelles <strong>de</strong> la<br />

famille Hugo. Le journal L’Avenir. Le procès <strong>de</strong> l’enseignement libre. Les discours <strong>de</strong> Montalembert et <strong>de</strong> Lacor‐<br />

daire lui ren<strong>de</strong>nt toute sa foi. Il se reproche sa façon d’écrire. Comment il juge la vie politique et sociale en Europe.<br />

21 octobre 1831<br />

Où donc êtes vous, mon ami, quʹon ne vous entend plus? au haut dʹun mont <strong>avec</strong><br />

les aigles, ou au fond dʹun val <strong>avec</strong> les taupes? Sʹil en est ainsi, <strong>de</strong>scen<strong>de</strong>z ou remontez un<br />

peu car moi, homme <strong>de</strong> la plaine, je veux causer <strong>avec</strong> vous. Nʹimaginez pas au moins que<br />

je fasse ici une allusion politique. Dieu mʹen préserve. Jʹen suis là au contraire, que jʹajoute‐<br />

rai volontiers aux Litanies cette <strong>de</strong>man<strong>de</strong>: ʺDe furore politicorum, libera nos, Domine!ʺ<br />

comme autrefois on disait au vieux Paris, Normanorum; mes amis et moi sommes convenus<br />

14 Jusqu’en 1830, Hugo habita au n°11 <strong>de</strong> la rue Notre-Dame-<strong>de</strong>s-Champs. Après le triomphe d’Hernani, comme l’appartement ne<br />

désemplissait pas, les propriétaires, gens calmes et sans histoires, ne purent leur renouveler le bail. Les Hugo trouvèrent à se loger<br />

du côté <strong>de</strong>s Champs-Élysées, dans un hôtel qui "se dresse comme un défi au milieu <strong>de</strong>s terrains vagues". A l’époque, les Champs-<br />

Élysées n’étaient pas à la mo<strong>de</strong> et ses riches <strong>de</strong>meures pas encore construites!<br />

10


quʹune si fastidieuse chose ne se mettrait plus entre nous et dans le reste <strong>de</strong> Paris, sans<br />

convention, il en est ainsi à peu près pour tout le mon<strong>de</strong> et cela se croit aisément, nʹest‐ce<br />

pas, plein jusquʹà la gorge, on ne peut plus manger. En province on nʹen est pas là, il para‐<br />

ît: viennent <strong>de</strong> me tomber ici quelques bons Dieppois à moi connus. Cʹest vraiment<br />

curieux <strong>de</strong> les voir dévorer <strong>avec</strong> avidité les mets les plus grossiers en ce genre. Jʹen étais ef‐<br />

frayé. Quel appétit! Et vite, mon ami, vous me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>z: que faites vous maintenant que<br />

vous voilà délivré. Hélas! lʹodieuse politique, voyez‐vous, cʹest une fièvre. Tant quʹelle<br />

dure, on nʹa quʹune vie factice dʹéréthisme et <strong>de</strong> bouffissure; lʹaccès passé, on retombe pâle,<br />

exténué, vi<strong>de</strong>, impuissant, on ne sait pas même vouloir ni regretter, ni avoir un désir. Oh!<br />

heureux homme qui avez échappé à toutes ces phases <strong>de</strong> la maladie, à qui lʹair <strong>de</strong>s champs<br />

a dʹun coup rendu fraîcheur et vie: oh! que je vous vois bien la tête haute, lʹœil animé, ou<br />

plutôt comme on le <strong>de</strong>vient à la longue en présence <strong>de</strong> la nature, face à face <strong>avec</strong> lʹinfini,<br />

calme, posé, revenu pour ainsi dire; les bras croisés et regardant passer. Du moins, mon<br />

ami, pensez‐vous à nous au milieu dʹun pareil bonheur? Avez‐vous un souvenir, un re‐<br />

gret? Vous manquons‐nous? Gavard qui jamais ne jouit en repos <strong>de</strong> rien, <strong>de</strong> temps en<br />

temps me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>: ʺCroyez‐vous que Victor nous aime réellement?ʺ Et moi, invariable‐<br />

ment je réponds: je le crois. Nʹallez pas me faire mentir au moins, à vous en serait la peine<br />

<strong>de</strong>vant Dieu. Oui, <strong>de</strong>vant Dieu, lʹamitié est vraiment sainte. Tout sentiment profond, géné‐<br />

reux, dévoué est un élan vers Dieu et jʹai toujours <strong>de</strong> pareils mouvements en pensant à<br />

vous.<br />

Un autre ami à vous, M. Hugo, est à la campagne comme vous, <strong>de</strong>puis quelque<br />

temps. M. Foucher Paul que jʹai rencontré mʹa dit que sa sœur était à la campagne aussi,<br />

toujours souffrante; elle était bien changée en effet, quand je la vis pour la première fois.<br />

Vous avez connais‐sance sans doute <strong>de</strong> cette vilaine affaire <strong>de</strong> M. Hugo <strong>avec</strong> son libraire 15 ;<br />

les gens <strong>de</strong> bonne foi et <strong>de</strong> sens savent<br />

bien lui rendre justice, mais les sots et<br />

ceux qui parlent par ouï‐dire font<br />

autrement; je nʹy vois pas grand<br />

malheur. Je soupçonne pourtant que M.<br />

Hugo en a du mécontentement et <strong>de</strong><br />

lʹennui. Si vous lisez peu les journaux,<br />

cette misère vous aura échappé peut‐<br />

être; cherchez dans la Gazette <strong>de</strong>s<br />

tribunaux <strong>de</strong> ce mois.<br />

Puisque nous parlons journaux,<br />

LʹAvenir 16 va bien; il a <strong>de</strong>s moyens <strong>de</strong><br />

subsister pour un certain temps. Paraît‐il<br />

15 V. Hugo s’était engagé à livrer à son éditeur Gosselin son roman Notre-Dame <strong>de</strong> Paris le 15 avril 1829. Après un an d’attente,<br />

celui-ci lui réclama son manuscrit, sous peine d’une astreinte <strong>de</strong> 1000f par semaine <strong>de</strong> retard. V.Hugo achèvera son roman-fleuve<br />

en cinq mois!<br />

16 Fondé le 16 octobre 1830 par un groupe <strong>de</strong> jeunes catholiques rassemblés autour <strong>de</strong> Félicité <strong>de</strong> Lamennais, il était le principal organe<br />

du catholicisme libéral; son programme était «Dieu et la liberté». Hostile à la politique d’alliance entre l’Eglise et l’Etat (le<br />

trône et l’autel), il réclamait la pleine liberté <strong>de</strong> conscience et <strong>de</strong> religion, ce qui impliquait la suppression du Concordat. Il fut suspendu<br />

le 15 novembre 1831 et ses thèses condamnées dans Mirari Vos, le 15 août 1832. <strong>–</strong> Félicité <strong>de</strong> Lamennais (1782-1854),<br />

breton (comme Chateaubriand, son contemporain), ordonné prêtre en 1816, <strong>de</strong>vint célèbre pour son Essai sur l’indifférence en matière<br />

<strong>de</strong> religion (1817). Journaliste <strong>de</strong> talent, il est d’abord royaliste et ultramontain, mais il va évoluer vers le catholicisme libéral,<br />

dont il restera l’inspirateur tout au long du 19 e siècle. Après la condamnation <strong>de</strong> son journal, il se retirera dans sa propriété <strong>de</strong> la<br />

Chênaie, en Bretagne. Fin 1833, il cessera toute fonction sacerdotale, et à partir <strong>de</strong> 1835, ne partagera plus la foi catholique.<br />

11


chez vous? Y avez‐vous lu le procès <strong>de</strong> lʹEcole libre 17 <strong>de</strong>vant la chambre <strong>de</strong>s Pairs? Les dis‐<br />

cours <strong>de</strong> MM. Montalembert et Lacordaire, lʹadmirable chose! Cela me rend toute ma foi.<br />

Si cela nʹest pas à Angers, si vous nʹavez pas LʹAvenir, dites‐le moi, je vous enverrai par M.<br />

Leclerc, votre correspondant, le procès <strong>de</strong> lʹEcole libre; il a dû paraître ces jours‐ci en bro‐<br />

chure.<br />

Il est un tout petit peu question <strong>de</strong> mʹenvoyer hors <strong>de</strong> France, mais si vaguement<br />

encore quʹil ne vaut pas la peine <strong>de</strong> vous en parler aujourdʹhui.<br />

Personne ne sait mieux que moi remplir trois pages dʹune lettre sans rien dire. Je me<br />

trouve toujours surpris dʹêtre arrivé au bout quand je suis encore au préambule; mais il<br />

faut en prendre son parti, ce quʹil y a dʹun peu passable en moi, quant aux idées et aux<br />

sentiments est si confus, si loin placé; je dirais presque <strong>de</strong> moi, cʹest un trou noir, sinon<br />

profond; qui sait? au fond peut‐être, il y a quelque chose; seulement au‐<strong>de</strong>ssus, vers le<br />

bord, incessamment sʹélève un petit brouillard <strong>de</strong> babillage, <strong>de</strong> mots flui<strong>de</strong>s, vapeur légère<br />

quʹun seul rayon <strong>de</strong> jour pénètre et dissipe aussitôt. Cela ne ressemble pas mal à une com‐<br />

paraison avantageuse; cʹest quʹici encore je dis mal ce que je prétends dire et ainsi toujours.<br />

Vous ne tiendrez compte <strong>de</strong> tout cela et me ferez, nʹest‐ce pas, une réponse bien compacte,<br />

à lignes bien serrées; il y a bien aussi quelque excuse à moi <strong>de</strong> dire si peu en tant <strong>de</strong> mots,<br />

il y a si chétive vie autour <strong>de</strong> nous; quʹest‐ce donc qui vit autour <strong>de</strong> nous? Quʹest‐ce qui a<br />

une âme? Notre histoire, notre politique, notre littérature, nos arts; non, la vraie vie nʹest à<br />

rien <strong>de</strong> tout cela, mais du moins est‐elle ailleurs? En Allemagne peut‐être, mais pas com‐<br />

plète, pas <strong>de</strong> corps et dʹâme; en Russie, je ne sais pas, il fait trop froid peut‐être, le sang ne<br />

circule pas. En Angleterre, il nʹy a pas non plus force et vigueur. Tout bien considéré donc,<br />

notre pauvre Pologne égorgée 18 , rien ne vit plus en Europe. Vous avez rugi, nʹest‐il pas<br />

vrai, à lʹannonce que Varsovie était morte; il y avait bien <strong>de</strong> quoi: cʹétait le <strong>de</strong>rnier soupir<br />

dʹun ancien mon<strong>de</strong>; un nouveau mon<strong>de</strong> renaîtra sans doute, mais que <strong>de</strong> jours encore pas‐<br />

seront dans les ténèbres, combien <strong>de</strong> peines et <strong>de</strong> sueurs, et peut‐être <strong>de</strong> sang coûtera<br />

lʹœuvre nouvelle. Il me semble que je vous ai déjà dit tout cela; je baisse visiblement. Je<br />

mets ici simplement les noms <strong>de</strong> M. votre Père, <strong>de</strong> votre frère, <strong>de</strong> M. <strong>Léon</strong>. Ce sont <strong>de</strong>s no‐<br />

tes, vous en ferez un chant. Adieu, arrivez vite, au revoir bientôt. Quand? On voulait 8f.<br />

pour emballer votre Bonaparte. Cʹétait trop; <strong>avec</strong> le port cela <strong>de</strong>venait extravagant: vos or‐<br />

dres pour cela.<br />

Votre ami dévoué.<br />

<strong>Léon</strong> Le <strong>Prevost</strong><br />

17 En mai 1831, Lacordaire et Montalembert ouvrent une école libre qui est aussitôt fermée par la police. En septembre, traduits <strong>de</strong>vant<br />

la Chambre <strong>de</strong>s Pairs, où Montalembert vient d’être élu, ils ne sont condamnés qu’à 100f d’amen<strong>de</strong>. <strong>–</strong> Henri Lacordaire<br />

(1802-1861), prêtre et dominicain. Avec Lamennais et Montalembert, un <strong>de</strong>s chefs <strong>de</strong> file du catholicisme libéral. Après la<br />

condamnation <strong>de</strong> L’Avenir, il s’éloigne <strong>de</strong> Lamennais. Grand orateur, il prêchera à Stanislas, à N.D. <strong>de</strong> Paris (1836-1836) et en<br />

1843, restaurera l’ordre dominicain en France. <strong>–</strong> Charles <strong>de</strong> Montalembert (1810-1870) participe au groupe <strong>de</strong>s catholiques libéraux<br />

<strong>de</strong> Lacordaire et <strong>de</strong> Lamennais. Collaborateur à L’Avenir, il se séparera <strong>de</strong> Lamennais en 1832. Membre <strong>de</strong> la Chambre <strong>de</strong>s<br />

Pairs, il fut au cœur <strong>de</strong>s débats sur la liberté religieuse et celle <strong>de</strong> l’enseignement. Il avait ouvert à Paris un brillant salon littéraire.<br />

Il a laissé une importante étu<strong>de</strong> sur les Moines d’Occi<strong>de</strong>nt.<br />

18 Allusion au soulèvement du 14 août à Varsovie qui tentait <strong>de</strong> secouer la domination russe et autrichienne. Les troupes <strong>de</strong> Nicolas<br />

I er avaient pris la ville le 8 septembre. Cet épiso<strong>de</strong> fut l'occasion pour bien <strong>de</strong>s catholiques polonais <strong>de</strong> défendre leur pays contre<br />

l'occupant étranger, comme la fameuse comtesse Emilie <strong>de</strong> Plater, qui servit d'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> camp à son mari, et qui mérita d'être appelée<br />

la "<strong>Jean</strong>ne d'Arc polonaise". MLP. rencontrera <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ses frères, César et Ladislas, qui fréquentaient comme lui le salon <strong>de</strong> Montalembert<br />

(cf. lettre 16, du 2 avril 1833).<br />

12


7 à M. Pavie<br />

Décès du père <strong>de</strong> leur ami Gavard. Réflexions sur la mort. Le choléra à Paris.<br />

Mardi 24 avril 1832<br />

Jʹétais tout à lʹheure, mon ami, chez M. Gavard lorsque votre lettre mʹest arrivée,<br />

cʹest moi qui lʹai ouverte et jʹy vais répondre, sans préjudice dʹune épître particulière que<br />

Gavard vous pourra faire un peu plus tard. Mais en ce moment, il nʹaurait guère le calme<br />

nécessaire pour sʹentretenir <strong>avec</strong> vous, la mort a aussi heurté à sa porte et son bon vieux<br />

père vient <strong>de</strong> mourir. Il est décédé hier à 6h. non par suite <strong>de</strong> la maladie régnante 19 ; mais il<br />

nʹimporte par où la mort vient; mourir, cʹest toujours mourir. Notre ami a lʹâme si douce et<br />

si affectueuse et il avait dʹailleurs une tendresse si profon<strong>de</strong> pour son père quʹil est dans<br />

une gran<strong>de</strong> désolation; Jusquʹau <strong>de</strong>rnier instant il a veillé près <strong>de</strong> lui et lʹa vu passer <strong>de</strong> no‐<br />

tre mon<strong>de</strong> à un meilleur. Il a beaucoup pleuré toute la nuit, mais ce matin il est revenu<br />

chez lui ramenant sa mère et je lʹai trouvé calme, bien triste, mais résigné. Oh! que ce <strong>de</strong>r‐<br />

nier mot est amer, quʹil gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> douleurs profon<strong>de</strong>s, et combien <strong>de</strong> gens pourtant autour<br />

<strong>de</strong> nous, <strong>de</strong>puis un mois, ont dû se résigner, ployer sous une force indomptable, et, vain‐<br />

cus, après lʹhorrible lutte dire au vainqueur: que votre volonté soit faite: le Vainqueur, cʹest<br />

Dieu, mais que lʹhomme est faible et quʹil résiste peu: cʹest vraiment pitié! Moi aussi, tout<br />

récemment, jʹai vu mourir un bon vieillard, presque mon père ici. Il nous regardait tous et<br />

semblait, ne pouvant plus parler, nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r encore secours, mais pleurant ou mor‐<br />

nes, nous répondions par les pleurs ou le silence. Alors, nʹespérant plus, il a fermé les yeux<br />

et il est mort. 20<br />

Je ne crois pas quʹune créature ayant une âme puisse voir pareille chose sans sentir<br />

à ce moment quʹelle aussi meurt en même temps, que les liens dʹamour qui lʹattachaient à<br />

la terre se relâchent, du moins assez, pour quʹelle aussi se croie libre et prête à sʹenvoler.<br />

Jʹétais naturellement assez disposé déjà à considérer la vie comme un <strong>de</strong>voir, comme une<br />

tâche, mais je lʹoubliais bien encore quelquefois; à présent, il me semble que je ne lʹoublie‐<br />

rai plus.<br />

Votre lettre aussi, mon ami, mʹafflige profondément. Vous aussi vous me quittez<br />

donc? une absence longue, indéfinie. Il y a si peu dʹespérance au bout! Cela ressemble‐t‐il<br />

plus à la vie quʹà la mort, je ne sais, mais cela mʹattriste plus que je ne saurais dire! Vous<br />

étiez mon étoile ici: quand je ne savais plus par où marcher, je regardais en haut et jʹavan‐<br />

çais vers le point que vous occupiez vous‐même. Désormais<br />

il faudra vous placer bien haut pour quʹà si gran<strong>de</strong><br />

distance vos amis puissent vous apercevoir; mais moi,<br />

jʹaurai lʹœil perçant et saurai bien vous distinguer dès<br />

que vous commencerez à poindre. Courage mon ami,<br />

veuillez fortement sortir <strong>de</strong> lʹombre et vous y arriverez<br />

assurément. Non pas, Dieu vous en gar<strong>de</strong>, pour briller<br />

et éblouir, mais pour vivre et respirer dans la lumière, pour<br />

vivre <strong>de</strong> toutes vos facultés, par lʹâme comme par le<br />

cœur.<br />

19 De la fin du mois <strong>de</strong> mars 1832 à octobre <strong>de</strong> la même année, le choléra envahit Paris. Il fera près <strong>de</strong> 22000 morts. MLP. note ici<br />

que, paradoxalement, le père <strong>de</strong> leur ami n'est pas mort <strong>de</strong>s suites <strong>de</strong> l'épidémie.<br />

20 Il s'agit probablement <strong>de</strong> M. Hébert, ami <strong>de</strong> son père, chez qui le jeune Le <strong>Prevost</strong> avait pris pension lors d'un premier séjour à Pa-<br />

ris. (VLP, I, p.7).<br />

13


Interrompu ici, cʹest après <strong>de</strong>ux jours seulement que je clorai ce brouillon. Jʹen suis<br />

presque bien aise, car jʹaurai <strong>de</strong>s nouvelles <strong>de</strong> plus en plus satisfaisantes à vous donner sur<br />

la décroissance du mal qui nous désole; il s’affaiblit <strong>de</strong> jour en jour, et tout à l’heure la<br />

mortalité débordée comme ils disaient, sera rentrée dans son lit. Avant peu, nous aurons la<br />

retraite la plus sûre, le refuge le plus certain, car les mé<strong>de</strong>cins sʹaccor<strong>de</strong>nt à dire que là il<br />

sera le meilleur dʹhabiter, non pas où le mal ne sera pas venu, mais dʹoù déjà il sera parti.<br />

Il sʹest disséminé sur les provinces, mais affaibli et comme en déroute; on ne craint pas<br />

beaucoup ses ravages. Toutefois, mon ami, vous savez combien vivement il nous intéres‐<br />

sera <strong>de</strong> savoir quel effet il aura dans lʹAnjou 21 , et si, tout ce qui vous touche <strong>de</strong> près ou <strong>de</strong><br />

loin est épargné. Point <strong>de</strong> négligence donc et donnez‐nous souvent, mais souvent <strong>de</strong> vos<br />

nouvelles. Notre ami Cosnier peut vous relayer. Il sait bien aussi que nous attendons <strong>avec</strong><br />

impatience vos bulletins. Renvoyez‐le ici. Que fait‐il là‐bas? et M. Nerbonne donc?<br />

Je reçois hier une lettre <strong>de</strong> notre bien affectionné M. Mazure, lui et sa femme et son<br />

petit pépin <strong>de</strong> fille vont bien. Vous aurez les Chateaubriand bientôt. Je les recueille. Adieu,<br />

pensez beaucoup à nous. Ecrivez‐nous. Commercez enfin le plus possible <strong>avec</strong> nous, afin<br />

que nous ne cessions pas dʹentrer dans votre vie, dʹy être mêlé comme élément nécessaire,<br />

car, nous, voyez‐vous, ne saurions désormais vous séparer <strong>de</strong> la nôtre.<br />

Respect, affection pour tous, et pour vous, mon ami, le dévouement le plus absolu.<br />

<strong>Léon</strong> Le <strong>Prevost</strong><br />

8 à M. Pavie<br />

Il annonce à son ami qu’il ʺre<strong>de</strong>vient croyantʺ. Prière à un Dieu ʺsentiʺ. Il cherche un prêtre à qui ʺremettreʺ sa<br />

conscience. Il hésite entre les abbés Gerbet et Lacordaire.<br />

Paris, 9 août 1832<br />

Ecoutez bien, mon cher ami, je voudrais conseil <strong>de</strong> vous<br />

sur une affaire grave que vous comprendrez bien, une af‐<br />

faire <strong>de</strong> conscience enfin. Quelquʹouvert et accessible que<br />

je sois pour vous <strong>de</strong> toutes parts, je me sens quelque répu‐<br />

gnance à vous entretenir par lettre <strong>de</strong> pareille matière qui<br />

ne se touche guère, même entre amis, quʹ<strong>avec</strong> précaution,<br />

à <strong>de</strong>s heures choisies <strong>de</strong> confiance et dʹabandon. Mais que<br />

faire à cela, puisque vous nʹêtes pas là, et quʹautour <strong>de</strong> moi<br />

je nʹai personne que je puisse consulter et dont lʹavis éclai‐<br />

ré me tire <strong>de</strong> mes doutes. Vous mʹavez vu, il vous en sou‐<br />

vient, sur la route du catholicisme, le regardant comme<br />

mon but, mais faisant à peine vers lui quelque pas bien<br />

lents, mʹarrêtant souvent sur le chemin, et <strong>de</strong>meurant en<br />

<strong>de</strong>rnier résultat dans ce triste état mixte qui nʹest ni lu‐<br />

mière ni ténèbres, et qui tantôt me semblait le crépuscule<br />

<strong>de</strong> mon ancienne foi, et tantôt lʹaurore dʹune foi nouvelle. A lʹai<strong>de</strong> <strong>de</strong> Dieu, je sors enfin <strong>de</strong><br />

ces brouillards dʹincertitu<strong>de</strong> et <strong>de</strong> doute, je re<strong>de</strong>viens croyant, je sens que mes liens se bri‐<br />

21 Dès que le fléau s'était manifesté à Paris, en mars 1832, V. Pavie s'était empressé <strong>de</strong> regagner sa ville natale. C'est au mois <strong>de</strong> juin<br />

que le département du Maine-et-Loire sera envahi par la terrible maladie.<br />

14


sent et que je remonte à la vérité; ma prière nʹest plus vague, incertaine, au hasard jetée<br />

vers le Dieu inconnu, elle va dʹune pente naturelle au Dieu que je sens, que je vois, que<br />

jʹentends et sous lʹœil <strong>de</strong> qui je suis à cet instant comme à tous les autres. Vous prendrez<br />

part je le sais, mon cher ami, à mon bonheur et je nʹeusse pas manqué <strong>de</strong> vous le dire plus<br />

tôt, si je nʹeusse pas trouvé en moi la répugnance dont je parlais plus haut, sorte <strong>de</strong> pu<strong>de</strong>ur<br />

<strong>de</strong> lʹamour divin qui se renferme et se voile comme les autres amours dont il est le type<br />

éternel.<br />

Mais il ne suffit pas, vous le savez, <strong>de</strong> croire, il faut une forme à sa foi, il faut <strong>de</strong>s<br />

œuvres, il faut remplir les <strong>de</strong>voirs du chrétien. Jʹai dû, dès lors, songer à remettre ma cons‐<br />

cience aux mains dʹun prêtre, à chercher remè<strong>de</strong> pour le passé, ai<strong>de</strong> pour lʹavenir. Un di‐<br />

gne ecclésiastique dont vous mʹavez peut‐être entendu parler, M. lʹabbé Busson, ancien se‐<br />

crétaire général <strong>de</strong> notre Ministère, catéchiste <strong>de</strong> M lle <strong>de</strong> Berry 22 , nʹinspirait cette confiance<br />

tendre et élevée que jʹaimerais porter à un directeur; il était absent. Depuis son retour<br />

dʹHolyrood où il a été donné à M lle sa 1 ère communion, il avait dû quitter Paris, toute car‐<br />

rière lui était désormais close; toutefois, lʹarchevêque, qui a en lui gran<strong>de</strong> confiance, lʹa<br />

nommé récemment chanoine et curé <strong>de</strong> Notre‐Dame; mais déterminé à un oubli absolu,<br />

déconcerté peut‐être aussi par quelques odieuses plaisanteries du Constitutionnel sur sa<br />

nomination il refuse décidément et je me suis assuré à lʹarchevêché que cʹest sans espoir <strong>de</strong><br />

retour.<br />

Maintenant, mon ami, dites‐moi, que faut‐il faire? Faut‐il frapper à la porte du pre‐<br />

mier prêtre <strong>de</strong> paroisse et lui dire: Je viens à vous recevez‐moi; sans doute le plus humble<br />

prêtre me fera, je le sais, entendre la parole <strong>de</strong> Dieu, mais je suis bien faible encore, mes<br />

lumières sont bien incertaines; jʹeusse aimé pour les jours mauvais trouver <strong>de</strong>s enseigne‐<br />

ments, pour tous les jours un gui<strong>de</strong> dans les étu<strong>de</strong>s que je veux entreprendre. Vous com‐<br />

prenez déjà où je vais arriver. M. Gerbet 23 ou M. Lacordaire seraient ceux entre tous dont la<br />

direction me serait la plus précieuse, dont la parole me pénétrerait le mieux.<br />

Mais M. Gerbet ne doit revenir quʹau mois dʹoctobre à Paris où ces Messieurs pa‐<br />

raissent <strong>de</strong>voir se réunir <strong>de</strong> nouveau, et M. Lacordaire que je nʹai jamais vu me donne une<br />

frayeur dʹenfant; puis il me semble que ces MM. ne voudront pas <strong>de</strong> moi, ils ont tant et <strong>de</strong><br />

si graves occupations. Jʹaurais pourtant une gran<strong>de</strong> joie si lʹun ou lʹautre, le premier sur‐<br />

tout, voulait me diriger. Dites, que faire? Faut‐il attendre le retour <strong>de</strong> M. Gerbet? cela sem‐<br />

ble bien long, aller tout <strong>de</strong> suite à M. Lacordaire qui me dira oui ou non, ou au simple prê‐<br />

tre <strong>de</strong> paroisse?<br />

Vous qui me connaissez bien, mon ami, vous comprendrez<br />

mieux que moi, étant <strong>de</strong>puis longtemps en bonne voie, ce qui me<br />

convient le mieux. Réfléchissez un instant et donnez‐moi un bon et<br />

salutaire avis. Je le suivrai; pour vous dire ma pensée tout simple‐<br />

ment, jʹeusse <strong>de</strong> tous aimé le plus le prêtre nommé le premier, lʹab‐<br />

bé Busson; déjà chaque fois que je le voyais, je me retenais pour ne<br />

22 Elle était la sœur du comte <strong>de</strong> Chambord, dont plus tard, en 1871, l'intransigeance sur le fameux drapeau blanc, entre autres raisons,<br />

fit échouer le retour <strong>de</strong>s Bourbons sur le trône. Leur mère, la duchesse <strong>de</strong> Berry, s'illustrait en cette année 1832, en tentant <strong>de</strong><br />

soulever la Provence et la Vendée contre Louis-Philippe.<br />

23 Philippe Gerbet (1798-1864), prêtre en 1822, appartint au groupe <strong>de</strong> Lamennais jusqu'en 1835. Philosophe et historien, théologien,<br />

grand écrivain, il va préciser le système philosophique mennaisien. Il fait paraître en 1829 un maître livre, Considérations sur<br />

le dogme régénérateur <strong>de</strong> la piété catholique, où il rejette le jansénisme et recomman<strong>de</strong> la communion fréquente. A Rome <strong>de</strong> 1839<br />

à 1849, il y travaille à son Esquisse <strong>de</strong> la Rome chrétienne. Il sera nommé évêque <strong>de</strong> Perpignan, en 1854. D'après la lettre <strong>de</strong> MLP.<br />

du 1 er décembre, il semble que l'abbé Gerbet, après l'avoir entendu en confession, l'a confié à un autre prêtre. (cf. infra, lettre 10.)<br />

15


pas lui donner le nom <strong>de</strong> père, tant je me sentais entraîné vers lui <strong>de</strong> respect et <strong>de</strong> tendre<br />

confiance, puis après M. Gerbet, puis M. Lacordaire.<br />

Je cherche dans le mon<strong>de</strong> entier, à moi connu, à qui, excepté vous, mon ami, jʹeusse<br />

osé adresser pareille lettre, à personne assurément; cʹest peut‐être que vous ne ressemblez<br />

à personne, ou pour ne pas vous donner dʹorgueil, peut‐être cʹest que je vous aime mieux<br />

que personne.<br />

<strong>Léon</strong> Le <strong>Prevost</strong><br />

Brûlez cela tout <strong>de</strong> suite, je vous en prie instamment. Répon<strong>de</strong>z‐moi sans retard, je<br />

vous en prie. Cette affaire me préoccupe et jʹy veux une prompte solution.<br />

9 à M. Pavie<br />

Remerciements à son ami car il a compris les besoins <strong>de</strong> son âme. Pèlerinage <strong>de</strong> Lamennais à Rome. Vaines re‐<br />

cherches pour trouver un directeur spirituel. Dieu <strong>de</strong>man<strong>de</strong> un dévouement total. S’engager dans le combat <strong>de</strong> la<br />

doctrine. Il sollicite à nouveau les conseils <strong>de</strong> V. Pavie.<br />

22 août 1832<br />

Quelque confiance que jʹeusse en vous, mon cher Victor, je nʹattendais pas néan‐<br />

moins votre réponse sans quelque inquiétu<strong>de</strong>. Il fallait pour me satisfaire quʹelle réunit<br />

tant <strong>de</strong> qualités presque impossibles, tant dʹindulgence, <strong>de</strong> tendresse, dʹencouragement! Il<br />

me semblait, voyez‐vous, quʹen vous écrivant je mʹétais comme agenouillé <strong>de</strong>vant vous et<br />

dans lʹimmense besoin que jʹavais dʹobtenir grâce pour le passé, espoir pour lʹavenir,<br />

jʹavais versé tout cela en votre âme, attendant humblement que votre main me relevât, que<br />

votre voix me dit <strong>de</strong> consolantes paroles; cʹétait presque un ministère saint que je vous<br />

avais confié; il vous fallait, à la porte du temple, me précé<strong>de</strong>r et mʹen ouvrir lʹaccès.<br />

Si vous nʹaviez pas bien senti tout cela, mon ami, si vous ne lʹaviez pas su démêler à<br />

travers la gêne et lʹembarras <strong>de</strong> ma lettre, si la vôtre ne fût venue comme un saint embras‐<br />

sement mʹétreindre et me réchauffer, jʹaurais souffert amèrement et serais retombé dou‐<br />

loureusement sur moi‐même; mais grâces vous soient rendues, mon ami, vous mʹavez en‐<br />

tendu; grâces soient rendues à votre cœur qui a <strong>de</strong>viné le mien ou plutôt grâce à la charité<br />

chrétienne dont lʹoreille est toujours ouverte, qui recueille <strong>avec</strong> amour la moindre plainte,<br />

le moindre murmure et qui fait quʹune âme sʹentrʹouvrant pour respirer, nʹest pas<br />

contrainte <strong>de</strong> se refermer aussitôt. Merci donc, ô mon frère, comme vous mʹappelez. Votre<br />

lettre mʹa fait grand bien. Vous ne saurez croire <strong>avec</strong> quelle joie, jʹentrevois quʹune intelli‐<br />

gence plus absolue encore nous rapprochera désormais, que tous <strong>de</strong>ux nous aurons le<br />

même chemin, tous <strong>de</strong>ux le même but, et quʹespoir nous sera donné <strong>de</strong> nous y réunir.<br />

Mais je parle <strong>avec</strong> trop dʹassurance peut‐être, la lumière qui mʹéclaire est vacillante<br />

encore et le passé sʹélève encore comme un nuage pour lʹobscurcir.<br />

Jʹai suivi votre avis. En lʹabsence <strong>de</strong> M. Gerbet, jʹai voulu aller voir M. Lacordaire,<br />

mais il venait <strong>de</strong> partir aussi, pour quel que temps mʹa‐t‐on dit, jusquʹà la fin <strong>de</strong> septembre<br />

peut‐être.<br />

Ainsi vers le mois dʹoctobre, il paraît, les trois reviendront, la réunion se formera <strong>de</strong><br />

nouveau.<br />

16


Je tiens ces détails <strong>de</strong> M. Boré 24 resté seul dans lʹimmense<br />

maison <strong>de</strong> la rue <strong>de</strong> Vaugirard. Il mʹa fait en votre nom cordial<br />

accueil; nous avons fait ensemble plusieurs tours <strong>de</strong> jardin,<br />

parlant <strong>de</strong> vous beaucoup, et beaucoup aussi et <strong>avec</strong> effusion<br />

contenue (comme cela a lieu en première entrevue) <strong>de</strong> lʹAvenir et<br />

<strong>de</strong> ses pères. Le pèlerinage à Rome nʹest pas <strong>de</strong>meuré sans<br />

résultat. M. <strong>de</strong> Lamennais revient, sûr que ses doctrines sont or‐<br />

thodoxes et quʹil est bien dans le sein <strong>de</strong> lʹEglise; il nʹa point il est<br />

vrai, obtenu dʹapprobation expresse et éclatante. Cela nʹest point<br />

dans lʹesprit, à ce quʹil me semble, <strong>de</strong> la Cour <strong>de</strong> Rome, mais les<br />

cardinaux, les docteurs en théologie se sont accordés dans leur<br />

jugement favorable. M. Boré mʹa lu un passage dʹune lettre récente <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Lamennais:<br />

ʺUn cardinal, dit‐il en substance, me parlait ainsi: la Cour <strong>de</strong> Rome ne procè<strong>de</strong> point par<br />

voie dʹapprobation, mais par voie <strong>de</strong> censure; son silence est un assentissement tacite à vos<br />

doctrines; si elles eussent contenu quelque chose <strong>de</strong> répréhensible, une bulle dʹadmonition<br />

vous eût été immédiatement adressée. Nous vous y engageons donc; écrivez en toute li‐<br />

berté; reprenez la suite <strong>de</strong> LʹAvenir. Parlez‐y <strong>avec</strong> la même force et <strong>avec</strong> plus dʹénergie en‐<br />

core, puisque le danger est <strong>de</strong>venu plus grand: ainsi faisaient les Pères <strong>de</strong> lʹEglise, quand<br />

la foi leur semblait en dangerʺ.<br />

Jʹai tâché <strong>de</strong> rendre, aussi exactement que je lʹai pu faire <strong>de</strong><br />

mémoire, les termes <strong>de</strong> la lettre; le cardinal interlocuteur y est<br />

nommé, mais <strong>avec</strong> recommandation <strong>de</strong> silence. Il va sans dire que<br />

jʹignore son nom.<br />

Dʹaprès cela M. <strong>de</strong> Lamennais serait, dit M. Boré, en<br />

disposition <strong>de</strong> reprendre LʹAvenir ou tout au moins une publication<br />

périodique dans le même esprit. Ce <strong>de</strong>rnier parti me semblerait bien<br />

moins avantageux. Il y a bien <strong>de</strong>s centaines <strong>de</strong> journaux qui parlent<br />

chaque jour en mal, un seul en bien, contre tous, ne serait pas trop. On espère aussi reprise<br />

à lʹhiver du cours <strong>de</strong> M. Gerbet. Vous aurez beau faire, mon ami, tout cela vous ramènera<br />

parmi nous, à moins pourtant que vous aussi ne receviez votre mission qui vous retienne<br />

là‐bas; que vous ne repreniez la pensée dʹune correspondance, dʹun lien <strong>de</strong> doctrine noué<br />

par vous dans votre pays; alors, je le crois, vous resterez, car vous aurez <strong>de</strong>s <strong>de</strong>voirs di‐<br />

gnes <strong>de</strong> vous, tels que les impose notre temps; car, jʹhésite à le dire <strong>de</strong> peur <strong>de</strong> mauvaise<br />

inspiration, les <strong>de</strong>voirs <strong>de</strong> la vie ordinaire, même chrétienne et pure, ne me semblent pas<br />

les seuls aujourdʹhui imposés au petit nombre dʹhommes fidèles que Dieu se gar<strong>de</strong>. Il veut<br />

dʹeux le dévouement <strong>de</strong> leur vie tout entière, car ils doivent être <strong>de</strong>s instruments dans sa<br />

main. Je ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pas grâce, mon ami, pour un langage que <strong>de</strong> bien longtemps, que<br />

jamais peut‐être je nʹaurai droit <strong>de</strong> tenir. Il nʹimporte par qui la vérité (sʹil y a vérité ici) soit<br />

proclamée. Pourtant, mon ami, ne donnez pas à mes paroles plus <strong>de</strong> valeur quʹelles nʹen<br />

ont réellement et surtout gar<strong>de</strong>z toute confiance pour vos propres aspirations qui valent<br />

bien mieux que les miennes.<br />

24 Eugène Boré (1809-1878), angevin d'origine, d'abord disciple <strong>de</strong> Lamennais, il <strong>de</strong>vint ensuite prêtre <strong>de</strong> la Congrégation <strong>de</strong> la Mission,<br />

(supérieur général en 1874). Son frère <strong>Léon</strong> (1806-1883), lui aussi disciple <strong>de</strong> Lamennais, ami d'Ozanam, fut professeur<br />

d'histoire et <strong>de</strong> littérature. Après la suspension <strong>de</strong> leur journal, les trois "pèlerins <strong>de</strong> la liberté", Lamennais, Lacordaire et Montalembert,<br />

étaient partis pour Rome solliciter l'appui du Pape. Les bâtiments et le jardin sont ceux <strong>de</strong> la Maison <strong>de</strong>s Carmes, 70, rue<br />

<strong>de</strong> Vaugirard, aujourd'hui Institut Catholique <strong>de</strong> Paris.<br />

17


Ce que cʹest que sʹaventurer à dire plus quʹil ne faut! Je ne sais plus comment faire<br />

pour délayer, noyer <strong>de</strong>ux ou trois mots malencontreux. Ils signifient pourtant simplement,<br />

mon ami, que selon moi, si un combat <strong>de</strong> doctrine se renouvelait, sʹétendait, et selon les<br />

temps, pouvait exiger coopération <strong>de</strong> tous les vrais fidèles, vous moins quʹun autre, ne<br />

paraîtriez fait pour rester en paix dans les mo<strong>de</strong>stes <strong>de</strong>voirs dʹune vie douce et intérieure.<br />

Nʹest‐il pas vrai quʹil nʹy a pas mal à parler ainsi?<br />

Pour achever au plus vite cette bien longue lettre, jʹajoute que M. Boré qui a pu<br />

comprendre le but <strong>de</strong> mes questions au sujet <strong>de</strong> MM. Gerbet et Lacordaire mʹa dit quʹà<br />

leur retour lʹun ou lʹautre ou même le père attendu le premier me donneraient <strong>avec</strong> joie<br />

conseils et direction.<br />

Il reste à déci<strong>de</strong>r par vous, mon ami, si attendre vaut le mieux; dans trois semaines,<br />

M. <strong>de</strong> Lamennais doit être ici, les autres dans cinq semaines. M. <strong>de</strong> Lamennais nʹest‐il pas<br />

trop chargé dʹoccupation? Ne faudra‐t‐il pas patienter jusquʹà lʹarrivée <strong>de</strong>s premiers; alors<br />

est‐il sage <strong>de</strong> <strong>de</strong>meurer jusque‐là en si triste position quand la grâce mʹest donnée dʹen<br />

changer? Mais dʹautre part, on exigera <strong>de</strong> ma part retour sur bien <strong>de</strong>s années; ce sera chose<br />

grave pour moi (bien entendu que toute considération humaine est bien loin dʹêtre reçue<br />

par moi) et cependant dans six semaines, il faudra revenir aux mêmes moyens près dʹun<br />

autre qui aura également besoin <strong>de</strong> me connaître <strong>de</strong> loin pour me juger et me conseiller.<br />

Cette itérative nʹaffaiblira‐t‐elle pas lʹeffet dʹune première effusion? Enfin nʹest‐il pas mau‐<br />

vais dans ma position <strong>de</strong> prendre un directeur et <strong>de</strong> le quitter six semaines après? Voilà ce<br />

qui mʹarrête jusquʹici et me fait penser quʹattendre vaut mieux. Mais, peut‐être, à mon in‐<br />

su. quelque pensée humaine me dirige. Vous, mon ami, encore ici, conseillez votre frère en<br />

Dieu, conseillez‐le en chrétien, et votre voix sera entendue. Songez seulement que ce serait<br />

pour moi un grand bonheur dʹavoir pour appui lʹun <strong>de</strong> ces trois hommes et quʹautrement<br />

je nʹaurai accès ni libre, ni confiant près dʹeux. Jʹattends votre réponse.<br />

M. Boré mʹa chargé <strong>de</strong> vous donner <strong>de</strong>s nouvelles <strong>de</strong> son frère; il est arrivé à Berlin<br />

très enchanté, très heureux. M. Boré lui‐même se rappelle à votre souvenir. Moi, mon ami,<br />

je vous embrasse cordialement. Je pense <strong>avec</strong> chagrin que cette lettre vous trouvera absent<br />

peut‐être. Souvenirs affectueux pour tous.<br />

<strong>Léon</strong> Le <strong>Prevost</strong><br />

10 à M. Pavie<br />

Après la joie du retour à Dieu, les épreuves intérieures. MLP. ne sait comment expliquer son découragement.<br />

Tourment <strong>de</strong> ne savoir comment servir Dieu. Sentiment <strong>de</strong> son inutilité. Mariage malheureux <strong>de</strong> sa soeur. L’abbé<br />

Gerbet a confié MLP. à un autre prêtre. Echos <strong>de</strong> la pièce <strong>de</strong> V. Hugo, Le Roi s’amuse.<br />

1 er décembre 1832<br />

Je ne saurais, mon cher Victor, justifier mon long silence; il ne vient ni dʹoubli, je nʹai<br />

pas besoin <strong>de</strong> le dire, ni <strong>de</strong> paresse, je me hâte <strong>de</strong> vous lʹassurer, cʹest un <strong>de</strong> ces faits si fré‐<br />

quents dans notre vie dont nous ne saurions nous rendre compte exact à nous‐même,<br />

quʹon ne peut expliquer parce quʹil resterait après à expliquer lʹexplication elle‐même et<br />

quʹon se trouverait en face <strong>avec</strong> la même difficulté. Dispensez‐moi donc, mon ami, <strong>de</strong> vous<br />

dire quʹun découragement profond mʹanéantit <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s jours, <strong>de</strong>s mois, mʹenvahit <strong>de</strong><br />

plus en plus et me jette dans une phase peut‐être inévitable <strong>de</strong> la vie et quʹil me faut sans<br />

18


doute à mon tour traverser. Cʹest, comme le pourraient dire ces odieux Saint‐Simoniens 25 ,<br />

une époque critique, la transition <strong>de</strong> la jeunesse à lʹâge fait, la résistance du jeune homme<br />

qui nʹa quʹà peine entrevu le mon<strong>de</strong> doré <strong>de</strong>s illusions, <strong>de</strong>s espérances et qui refuse dʹen<br />

sortir si vite. Cʹest mille choses encore quʹon dit mal, quʹon sent confusément, qui ne sup‐<br />

portent pas la confi<strong>de</strong>nce car, à les dire, la bouche baille, à les entendre lʹoreille sʹengour‐<br />

dit. Ne vous en apercevez‐vous pas déjà?<br />

Votre amitié, mon cher Victor, voulait bien cependant sʹenquérir et sʹinquiéter <strong>de</strong><br />

moi. Jʹai lu cela <strong>avec</strong> reconnaissance dans votre <strong>de</strong>rnière lettre à Gavard. Soyez en repos,<br />

mon ami. Jʹai vu dès lʹabord, où portait votre sollicitu<strong>de</strong> amicale,<br />

sur le seul point désormais essentiel et nécessaire pour nous. Je<br />

nʹose pas dire que sur ce point tout est bien pour moi et serait se‐<br />

lon votre cœur, tout est aussi bien du moins que je le puis. Je vis<br />

maintenant dans lʹaire qui me convient et ne conçois pas que<br />

jamais jʹen puisse respirer dʹautre. Cʹétait bien là ma voie. Cʹétait<br />

bien là ma pente; la suivre me semble doux. Si vous cherchez<br />

dʹaprès cela comment je puis être si triste et si découragé, je<br />

reviendrai à mon premier dire, je nʹen sais pas très bien la cause.<br />

Jʹen trouve bien <strong>de</strong>s raisons, bonnes toutes humainement, mais<br />

que la résignation et lʹhumilité chrétiennes <strong>de</strong>vraient neutraliser. Est‐ce quʹil nʹen est pas<br />

absolument ainsi? Est‐ce que je tourne et cherche ma forme définitive ici‐bas, sans bien<br />

trouver comment mʹasseoir? Je ne sais, mais quʹimporte après tout et la place et la forme?<br />

Il nʹy a pas bien longtemps, courbant la tête sous une nécessité quʹil fallait bien accepter,<br />

ouvrant les yeux à une évi<strong>de</strong>nce invincible, je me suis dit: allons, puisque la vie intellec‐<br />

tuelle nʹest décidément pas faite pour moi, essayons un peu <strong>de</strong> la vie active, faisons dans<br />

lʹhumble sphère où je suis placé tout le bien possible. Servons nos semblables, soyons tout<br />

à tous, nʹen rebutons aucun, nous verrons; peut‐être cela ira‐t‐il mieux ainsi pour moi. A<br />

peine avais‐je pensé cela en moi‐même que <strong>de</strong> tous côtés jʹai vu accourir, pousser, surgir<br />

<strong>de</strong>s gens <strong>de</strong> toute sorte, réclamant les uns mes loisirs, et je les leur ai donnés; dʹautres, mon<br />

argent et ils lʹont eu; et en moins <strong>de</strong> rien, je me suis vu sans le sou et chargé pour bien <strong>de</strong>s<br />

mois et plus peut‐être <strong>de</strong>s occupations les plus fastidieuses. Mais après examen, jʹai vu que<br />

mon argent servait à ceux‐là pour vivre plus largement, à ceux‐ci, mes loisirs pour mettre<br />

au bout <strong>de</strong>s leurs et sʹy étendre plus à lʹaise. Cela nʹest pas fort encourageant. Eh bien, sʹil<br />

me faut encore <strong>de</strong>scendre <strong>de</strong> là, où arriverai‐je donc? A ramasser une aiguille tombée, une<br />

pelote <strong>de</strong> fil égarée loin <strong>de</strong> la boîte à ouvrage? Vous voyez bien, mon ami, que jʹai raison<br />

dʹêtre triste.<br />

Je vous plains sincèrement et <strong>de</strong> cœur dʹêtre contraint, (oui, car vous nʹoserez faire<br />

autrement) à lire jusquʹau bout cette vi<strong>de</strong> et insensée épître; mais moi‐même, ami, je lʹécris<br />

bien <strong>avec</strong> certitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> vous lasser, <strong>de</strong> vous communiquer quelque chose <strong>de</strong> ma torpeur.<br />

Ne vous plaignez donc pas. En vérité, sʹil avait dépendu <strong>de</strong> moi <strong>de</strong> ne pas la faire nous au‐<br />

rions attendu <strong>de</strong> meilleurs jours, mais M. Gavard me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux fois chaque semaine:<br />

ʺAvez‐vous écrit,ʺ un non perpétuel est trop lourd à porter. Demain, je dirai oui et je mʹen<br />

sens tout aise. Pardonnez‐moi donc, mon cher Victor, et oubliez. Surtout écrivez‐moi. Je ne<br />

25 Clau<strong>de</strong>-Henri <strong>de</strong> Saint-Simon (1760-1825), précurseur <strong>de</strong> la philosophie positiviste. Dans son œuvre posthume, le Nouveau<br />

Christianisme, il formulait la morale d'une société fondée sur un "nouveau savoir, un nouveau pouvoir et un nouveau vouloir". Il<br />

faut dépasser la religion, le christianisme en particulier, comme l'homme progresse <strong>de</strong> l'enfance à l'adolescence pour atteindre l'âge<br />

adulte.<br />

19


sais que votre voix qui puisse encore être musicale et harmonieuse pour moi en ce mo‐<br />

ment. Criez bien fort, soyez tam‐tam ou trombone, car en vérité, il me faut une secousse<br />

violente. La flûte ou le hautbois se fondraient <strong>avec</strong> mon <strong>de</strong>rnier soupir. Pourtant, il me<br />

semble bien que jʹai une âme, car je pleure souvent, bien souvent, mais je nʹen sais que<br />

faire ni à qui la donner. Blasphème, direz‐vous. Et Dieu? oui, Dieu sans doute, mais ne<br />

nous faut‐il pas, misérables mortels, une forme pour notre amour. Peut‐il aller droit au<br />

sein <strong>de</strong> Dieu, sans ailes, sans un rayon, sans un nuage pour lʹy porter. Et moi, rayon,<br />

nuage, ailes tout me manque. Je le dis à Dieu, prenez‐moi, me voici humble et soumis. Par‐<br />

lez, jʹobéirai au <strong>de</strong>gré le plus bas, sʹil vous plaît. A la place la plus obscure je veux vous<br />

servir. Mais les jours se passent, ma jeunesse sʹen va, je ne sers à rien, je ne fais <strong>de</strong> bien à<br />

personne. Une seule créature ici‐bas, ma pauvre sœur, a besoin réel <strong>de</strong> moi, et nuit et jour,<br />

il me semble entendre la voix qui appelle; elle se débat aux serres dʹun mari sauvage. In‐<br />

sensé, je lʹai vue il y a un mois. Je suis resté 15 jours près dʹelle, mais jʹen ai rapporté <strong>de</strong> la<br />

colère, <strong>de</strong> la haine et du chagrin pour <strong>de</strong>s années, sans lui donner aucun soulagement; car<br />

elle a signé un contrat <strong>de</strong>vant les hommes, dit oui <strong>de</strong>vant Dieu et <strong>de</strong>ux enfants la lient in‐<br />

vinciblement à la brute quʹelle appelle son mari; et puis ma pauvre mère bien vieille,<br />

bonne comme les anges, pure, candi<strong>de</strong> comme eux, au lieu <strong>de</strong> paix, <strong>de</strong> calme recueilli pour<br />

ses <strong>de</strong>rniers jours, a tout cela sous les yeux. Mais, insensé, pourquoi vous bavar<strong>de</strong>r tout ce‐<br />

la? Le silence me semble aujourdʹhui la seule cor<strong>de</strong> poétique qui me reste et je ne sais pas<br />

la gar<strong>de</strong>r. Je la briserai encore. Non pas!<br />

Savez‐vous bien ce quʹil mʹeût fallu? Quelquʹun <strong>de</strong> meilleur, <strong>de</strong> plus haut que moi,<br />

qui mʹentraînât dans son tourbillon, me soutînt, me dirigeât. La faculté dʹenthousiasme est<br />

réelle en moi et pourrait par élans me porter à toute espèce <strong>de</strong> bien. Dans le mon<strong>de</strong> quʹal‐<br />

lait créer M. <strong>de</strong> Lamennais, je me casais tout naturellement et sans effort 26 . Dites‐moi, sa‐<br />

vez‐vous quʹil est en Bretagne <strong>avec</strong> MM. Gerbet et Lacordaire, vivant en reclus, travaillant,<br />

méditant, priant, résigné à lʹinaction, à lʹobscurité relative du moins? et je <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong>s<br />

exemples! Mais aussi comment mesurer ma taille à pareil géant! Autant vaudrait le grain<br />

<strong>de</strong> sable disant à lʹHimalaya: frère, marchons ensemble. M. Gerbet a été bien bon pour moi<br />

et mʹa laissé aux mains dʹun homme doux, excellent, pas précisément idéal comme je lʹen‐<br />

tends, mais quʹimporte, jʹai beaucoup à mʹen louer. Je vois parfois, mais <strong>de</strong> loin en loin,<br />

pour ne pas voler son temps, M. Boré votre ami; il est extrêmement bienveillant pour moi.<br />

Son frère est <strong>de</strong> retour.<br />

Vous remarquerez, mon ami, que pas une ligne <strong>de</strong> tout ce qui précè<strong>de</strong> nʹexige ré‐<br />

ponse et je ne vous en <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rai pas une lettre, si vous nʹaviez quʹà me parler <strong>de</strong> moi;<br />

mais vous, mon bien bon Victor, il faut bien que vous me parliez <strong>de</strong> vous. Il faut bien que<br />

je sache où vous en êtes <strong>de</strong> la vie. Je ne veux pas vous perdre <strong>de</strong> vue jamais. Je vous en<br />

conjure donc, écrivez‐moi vite, dites‐moi vite, dites‐moi mille choses personnelles à vous,<br />

mille choses sur votre bon, vénérable et adorable père; sur vos travaux, votre avenir, vos<br />

espérances, tout ce qui est <strong>de</strong> vous enfin et vous intéresse et vous touche. Cela me fera un<br />

bien extrême et me rendra un peu <strong>de</strong> cœur. Adieu, je vous aime <strong>de</strong> toutes mes forces. Ne<br />

vous rebutez pas et gar<strong>de</strong>z‐moi aussi votre affection, jʹen ai besoin.<br />

<strong>Léon</strong> Le <strong>Prevost</strong><br />

26 Lamennais avait le projet <strong>de</strong> fon<strong>de</strong>r une association <strong>de</strong> prêtres et <strong>de</strong> laïcs (la Congrégation <strong>de</strong> St-Pierre), consacrée à la défense <strong>de</strong><br />

la religion par la parole et la plume.<br />

20


Vous savez que notre ami, M. Hugo a éprouvé récemment <strong>de</strong> vives contrariétés. Je<br />

nʹétais pas au Roi sʹamuse 27 . Je nʹai osé <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s billets à raison <strong>de</strong> ma négligence près<br />

<strong>de</strong> M. Hugo. Le jeune Trébuchet qui mʹavait promis une place nʹa pu me tenir parole et<br />

tous mes efforts pour mʹintroduire dʹailleurs ont été inutiles. La lettre écrite dans les jour‐<br />

naux nʹa pas produit bon effet. Mais on oublie vite aujourdʹhui. Au premier ouvrage <strong>de</strong> M.<br />

Hugo, on ne se souviendra que <strong>de</strong> son véritable talent <strong>de</strong> poète.<br />

11 à M. Pavie<br />

Projet <strong>de</strong> mariage <strong>de</strong> Victor Pavie. MLP. exalte la vie <strong>de</strong> famille. Jugement sur Le Roi s’amuse.<br />

14 décembre 1832<br />

Il faut répondre sans retard, mon cher Victor, à votre lettre. Je me sens pressé <strong>de</strong><br />

vous dire merci <strong>de</strong> votre confiance; oh merci! en me parlant <strong>de</strong> vous, vous mʹavez fait<br />

grand bien. Que vous ayez traversé le mon<strong>de</strong> qui nous sépare pour mʹapporter votre se‐<br />

cret le plus cher, jʹen ai une joie <strong>de</strong> cœur infinie. Aussi soyez tranquille, mon ami, votre<br />

pensée sera dans mon âme comme en un sanctuaire, ce sera chose sainte quʹil faut entou‐<br />

rer dʹobjets purs et sacrés comme elle. Ne sais‐je pas en effet, ce que serait pour vous une<br />

épouse. Eve elle‐même, sortant <strong>de</strong>s mains <strong>de</strong> Dieu et donnée à Adam, lʹabsorption en<br />

vous‐même <strong>de</strong> tout ce que la nature comprend <strong>de</strong> plus sympathique à vous‐même, élé‐<br />

ments épars dans tous les coins du mon<strong>de</strong> et que la pensée <strong>de</strong> Dieu assembla, dons <strong>de</strong> vie<br />

un jour pour vous, pour vous seul; à tout jamais à vous ici et dans lʹéternité encore.<br />

Ainsi donc, vue seulement, révélée par lʹintuition dʹun regard! Cʹest bien. Oh, oui,<br />

confiez‐vous à Dieu, point à la pru<strong>de</strong>nce humaine, mais, mon ami, que Dieu alors vous<br />

soit bien présent, et permettrez que moi indigne, je vous le dise, prenez bien soin que ce<br />

soit lui, bien lui, pas votre imagination, ni aucune inspiration moins pure ne vous dirige.<br />

Priez ar<strong>de</strong>mment, et moi, votre frère, je prierai aussi <strong>avec</strong> cœur, <strong>avec</strong> amour; mon Dieu,<br />

quʹil mʹest doux dʹêtre lié à vous, mon ami, par un lien si pur, si spirituel que je puisse me<br />

mettre ainsi <strong>avec</strong> vous, sous le regard <strong>de</strong> Dieu et le prier <strong>de</strong> vous bénir! En pareille voie,<br />

vous ne sauriez vous égarer, soutenu surtout par votre vénéré père, si pieux lui‐même, si<br />

digne <strong>de</strong> vous comprendre et <strong>de</strong> vous diriger; assurément si le Ciel prend une voix pour se<br />

faire entendre à vous, ce doit être la sienne.<br />

Je vois bien dʹici la vie <strong>de</strong> famille, telle quʹelle est tracée pour vous. Cʹest le <strong>de</strong>voir<br />

dans sa forme la plus pleine, cʹest le sacerdoce du patriarche, cʹest mieux encore, cʹest la<br />

voie du Christ parcourue par <strong>de</strong>ux époux chrétiens. En est‐il donc désormais dʹautre pos‐<br />

sible pour vous, pour moi, pour tous ceux qui, comme nous, nʹont <strong>de</strong> regard que pour<br />

lʹavenir; <strong>de</strong> vie sociale, <strong>de</strong> vie politique il nʹen est point <strong>de</strong> nos jours; il ne nous reste donc à<br />

nous chrétiens, quʹà nous réfugier là, quʹà rentrer aux <strong>de</strong>voirs primitifs <strong>de</strong> la famille et<br />

dans cet étroit horizon accomplir notre carrière, priant, faisant le bien, résignés durant ce<br />

silence <strong>de</strong> Dieu, attendant sa parole, qui peut‐être longtemps encore contenue nous réjoui‐<br />

ra du moins dans nos tombes.<br />

Ne soyez pas confiant à <strong>de</strong>mi, mon cher Victor, et puisque vous mʹavez fait lire la<br />

première page <strong>de</strong> votre histoire, nʹallez pas fermer subitement le volume, me laissant in‐<br />

27 A l'affiche le 22 novembre, la pièce est interdite dès le len<strong>de</strong>main par la censure, pour cause d'immoralité publique. V. Hugo avait<br />

contre-attaqué en publiant une lettre ouverte dans le Constitutionnel. Un procès s'ensuivit, où V. Hugo fut acquitté. Il obtint un<br />

triomphe populaire. Lui qui rêvait d'être "l'écho sonore" <strong>de</strong> son siècle, il se fera désormais "l'avocat <strong>de</strong> toutes les libertés".<br />

21


quiet et tourmenté sur le reste. Jʹen murmurerai quelques mots à lʹoreille <strong>de</strong> M. Gavard<br />

seulement; pour tous les autres ce sera le livre aux sept sceaux et vous en gar<strong>de</strong>rez la clef.<br />

Je ne vous fais pas <strong>de</strong> question; je ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pas <strong>de</strong> portrait; vous me diriez peut‐<br />

être en riant, comme notre ami Mazure: ʺdouée dʹassez dʹagréments pour que mes amis<br />

puissent me féliciterʺ. Si cʹétait bien assurément celle qui vous est pré<strong>de</strong>stinée, je saurais<br />

bien sans ai<strong>de</strong> me créer son image, mais votre lettre ne me donne pas sur ce point certitu<strong>de</strong><br />

absolue, et vous‐même me semblez attendre quelque révélation nouvelle. Dites‐moi seu‐<br />

lement un mot, mon ami, et je vous tiens quitte après: est‐ce une vierge comme celle <strong>de</strong> la<br />

Bible, ou bien Raphaélique ou bien Lamartinienne? Jʹécrirais dʹavance la réponse. Cʹest<br />

tout cela ensemble, direz‐vous. Je ne vous interroge donc plus. Jʹattendrai les mots quʹil<br />

vous plaira mʹécrire, et <strong>de</strong> mon mieux jʹen tirerai mon image.<br />

A propos <strong>de</strong> M. Mazure, est‐il bien vrai, êtes‐vous sûr quʹil soit venu à Paris <strong>avec</strong> sa<br />

femme? Je ne le saurais croire. Quelle que soit parfois son étrange sauvagerie, nous étions<br />

trop vraiment lʹun à lʹautre pour quʹil retournât en sûreté <strong>de</strong> conscience dans sa maison<br />

sans mʹavoir vu. Peut‐être étais‐je en Normandie? Cela me tourmente, dites mʹen un mot,<br />

si vous pouvez.<br />

Je nʹavais osé vous parlez bien nettement du Roi sʹamuse. Il est <strong>de</strong>s choses quʹon ne<br />

sʹavoue quʹà lʹextrémité; mais il est bien vrai que jʹen pense peu <strong>de</strong> bien, et moins encore <strong>de</strong><br />

la préface, qui ne me paraît pas digne et haute, qui nʹest pas ce cri <strong>de</strong> sainte et juste indi‐<br />

gnation par laquelle M. Hugo <strong>de</strong>vait répondre à une accusation publique dʹimmoralité. At‐<br />

tendons toutefois le plaidoyer. Que nos temps sont funestes au talent. Il faut lui être in‐<br />

dulgent puisque le génie lui‐même ne lutte pas contre eux dʹun succès certain. Je ne déses‐<br />

père pas assurément; mais je lʹavoue je suis inquiet et les tendres et sévères avis <strong>de</strong> Sainte‐<br />

Beuve dans son article sur les Feuilles dʹautomne 28 me semblent aujourdʹhui une voix dʹen<br />

haut, un avertissement solennel quʹil faut, sous peine <strong>de</strong> chute, que M. Hugo se recueille et<br />

médite profondément. Votre parole si fraternelle avait aussi du poids près <strong>de</strong> lui, mon<br />

cher Victor; ne trouverez‐vous donc pas encore quelque inspiration amicale? Elle arrivera,<br />

jʹen suis sûr, au point marqué par vous.<br />

Adieu, écrivez‐moi au plus vite, il le faut, car jʹattends; je voudrais bien, si jʹosais,<br />

embrasser votre bon père; faites‐le pour moi. Il ne saurait sʹoffenser <strong>de</strong> ce témoignage <strong>de</strong><br />

tous mes sentiments <strong>de</strong> vénérations et <strong>de</strong> profond dévouement.<br />

A vous toujours<br />

<strong>Léon</strong> Le <strong>Prevost</strong><br />

12 à M. Pavie<br />

Inquiétu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> V. Pavie à la perspective <strong>de</strong> se marier. MLP. l’encourage: l’amour humain est l’expression du don <strong>de</strong><br />

Dieu. S’appuyer sur Dieu.<br />

Paris, le 27 décembre 1832<br />

Je me sens un peu relevé, un peu moins découragé, mon ami, à mesure que vous<br />

versez votre confiance en moi. Je me réchauffe à lʹar<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> vos sentiments et cette douce<br />

28 Le titre du recueil est inspiré par un vers <strong>de</strong> son ami et disciple Pavie. Sainte-Beuve, qui oscillera entre la critique et l'amitié, avait<br />

apprécié les vers sereins et paisibles, leur trouvant <strong>de</strong> la mesure, <strong>de</strong> la familiarité et <strong>de</strong> la tendresse. "Lorsque l'enfant paraît…".<br />

22


chaleur distend; amollit mes pauvres membres engourdis; heureux que vous êtes, ami,<br />

dʹallumer ainsi votre feu, <strong>de</strong> convier les autres à votre foyer! et vous vous plaignez pour‐<br />

tant. Et vous avez peur <strong>de</strong> brûler! Et vous craignez lʹincendie; allez, allez toujours. Lʹin‐<br />

cendie nʹest‐ce pas <strong>de</strong> la flamme et <strong>de</strong> la lumière encore? Oui, vous aurez <strong>de</strong>s pleurs, <strong>de</strong>s<br />

sanglots; vous serez à la torture; mais tout cela cʹest la vie <strong>de</strong> lʹâme. Cʹest la puissance<br />

dʹétreinte et dʹamour qui se révèle. Ah! mon cher Victor, pleurez‐les lentement ces précieu‐<br />

ses larmes; bénissez leur amertume, et du milieu <strong>de</strong>s tourments qui vous viendront peut‐<br />

être, dites à Dieu: Merci! qui en a laissé jaillir en vous la source. Voyez autour <strong>de</strong> vous, M.<br />

Gavard, moi, bien dʹautres que je sais, dʹautres encore que vous connaissez, pareille faculté<br />

leur a‐t‐elle été donnée? Non. Ils ont aspiré à lʹâge dʹaimer et déjà il était passé quʹils aspi‐<br />

raient encore! Alors voilant tristement leurs fraîches et jeunes espérances, ils ont tendu la<br />

main à une femme. Quʹimportait laquelle? pour vivre près dʹelle doucement, lui donnant<br />

appui, respect, tendresse même, tout hors lʹamour, le vrai et pur amour, car ils nʹen avaient<br />

point à donner. Et vous, mon ami, en serrant vos <strong>de</strong>ux mains sur votre cœur quand il bat<br />

trop vite, vous y sentez bondir lʹamour; et pour vous une jeune fille, la seule peut‐être, gar‐<br />

dée aussi en air plus pur, moins brumeux que celui <strong>de</strong> nos jours, est éclose, pour ainsi dire<br />

a flori, sans quʹaucune pensée encore, sans quʹaucun regard même ait passé sur elle; quoi!<br />

Dieu vous a donné tout cela, et vous vous plaignez. Prenez gar<strong>de</strong>! Quelle que chose qui ar‐<br />

rive donc, mon ami, à mettre même les choses au pis, gar<strong>de</strong>z‐vous dʹune peine trop vio‐<br />

lente ou insensée qui rejetterait à la face du ciel <strong>de</strong>s dons bien rares quʹil vous a faits;<br />

comme le dit un <strong>de</strong> nos maîtres: ʺsi la main du Seigneur vous plie, courbez votre tête et<br />

pleurezʺ mais, moi, jʹen ai la confiance, le Seigneur vous relèvera ensuite et, dussiez‐vous<br />

recevoir cet accablant refus si redouté, si redoutable, je ne vous trouverai pas moins avan‐<br />

cé pour cela; bien plus, je verrais là un pas, un grand pas <strong>de</strong> fait. Jʹai bien peur, en voulant<br />

vous conseiller, <strong>de</strong> parler en insensé; mais vous saurez bien donner à mes paroles lʹin‐<br />

fluence et le poids quʹelles méritent tout juste, et prêter lʹoreille à une voix plus haute et<br />

bien autrement sage que la mienne. Cela dit, il me semble à moi, que si Dieu vous a bien<br />

dit que cette femme était digne <strong>de</strong> vous, que vous étiez fait pour elle, il vous la donne, elle<br />

est bien vôtre et vous pouvez la prendre. Jʹentends que les petits obstacles <strong>de</strong> vanité, les<br />

petits remparts <strong>de</strong> la Société, il faut tout à travers passer là‐<strong>de</strong>ssus et nʹy pas voir <strong>de</strong>s<br />

monts inaccessibles; une volonté ferme et persévérante est plus forte que tout cela. On re‐<br />

fusera, veuillez plus énergiquement. On dira non. Criez, beuglez oui, mille fois oui, à la<br />

<strong>de</strong>rnière; mais vous nʹirez pas jusque‐là. Ce sera chorus, et tout le mon<strong>de</strong> chantera oui <strong>avec</strong><br />

vous. Mais pour cela il faut être bien sûr <strong>de</strong> soi; il ne faut pas marcher seul, il faut avoir<br />

Dieu <strong>avec</strong> soi, lʹinterroger souvent du regard et ne continuer sa route que lorsquʹil aura dit<br />

dʹavancer. Il me semble quʹil en va ainsi jusquʹà ce moment, et pour ce que jʹen sais, les<br />

choses me paraissent telles quʹelles doivent être. Cette mère, le nez au vent, lʹoreille au<br />

guet, elle est dans la nature tout simplement; elle gar<strong>de</strong> sa fille, elle veille sur son enfant,<br />

car à seize ans on a encore besoin <strong>de</strong> sa mère. Deux ans plus tard, elle serait moins mé‐<br />

fiante et se laisserait approcher; ainsi font les animaux eux‐mêmes <strong>avec</strong> leurs petits. Ils<br />

montrent les <strong>de</strong>nts et gron<strong>de</strong>nt aux premiers temps, mais plus tard ils les laissent prendre<br />

et les offrent eux‐mêmes aux caresses et à lʹaffection <strong>de</strong> lʹhomme. Mais tout sentiment vrai<br />

rend clairvoyant telle femme qui eût été dʹailleurs incapable dʹatteindre du regard le front<br />

dʹun homme, vraiment homme comme vous, tout à coup illuminée par son amour <strong>de</strong> mère<br />

lira tout couramment dans une âme mystère, abîme profond jusque là pour elle. Confiez‐<br />

23


vous donc à tout cela, mon ami, à mille choses encore que jʹignore, quʹaucun <strong>de</strong> nous ne<br />

sait, qui nʹexistent pas moins pourtant et, dans une sphère que nous ne pouvons atteindre,<br />

font poids et contrepoids dans la balance <strong>de</strong> nos <strong>de</strong>stinées. Adieu, tenez‐moi au courant,<br />

vous êtes bien sûr <strong>de</strong> ma vive, <strong>de</strong> ma tendre sympathie, et joie ou peine, vous le savez, <strong>de</strong><br />

votre cœur ira droit à mon cœur.<br />

Votre ami et frère,<br />

<strong>Léon</strong> Le <strong>Prevost</strong><br />

Comme toujours respect et tendresse à votre bon père.<br />

13 à M. Pavie<br />

MLP. <strong>de</strong>vine que le projet <strong>de</strong> mariage est contrarié. Son désir <strong>de</strong> partager la souffrance <strong>de</strong> son ami.<br />

Vendredi 11 janvier 1833<br />

Votre silence mʹinquiète, mon cher Victor, vous ne <strong>de</strong>viez pas, après mʹavoir fait<br />

pressentir pour vous une crise violente, un chagrin effrayant, me laisser dans cette incerti‐<br />

tu<strong>de</strong>. Si vous avez <strong>de</strong> la peine, comme je le crains, il ne faut pas vous affliger seul, cela ne<br />

serait pas dʹun ami. Et vous, mon cher Victor, qui savez tout ce que pèse ce mot amitié,<br />

tout ce quʹil impose <strong>de</strong> <strong>de</strong>voirs et donne <strong>de</strong> droits, vous ne voudriez pas manquer ici à la<br />

loi la plus sainte, la plus rigoureuse, celle du partage <strong>de</strong>s peines, <strong>de</strong> lʹeffusion <strong>de</strong> la dou‐<br />

leur. Quoiquʹil vous en doive donc coûter, mon ami, si vous souffrez, il faut me le dire;<br />

écrire en pareil cas, ce me semble, est moins difficile que <strong>de</strong> parler; puis, je vous connais<br />

bien; quelques mots me suffiront, je <strong>de</strong>vinerai le reste. Dieu me gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> faire violence à<br />

votre peine qui se voudrait renfermer au plus profond <strong>de</strong> votre âme, y rester secrète et voi‐<br />

lée pour tous, si je nʹavais conviction, si je ne trouvais en moi pleine assurance que vous<br />

me <strong>de</strong>vez confiance, que ce <strong>de</strong>voir rempli, comme tout <strong>de</strong>voir quel quʹil soit, vous sera sa‐<br />

lutaire et vous donnera plus <strong>de</strong> repos.<br />

Ces lignes seront bien insensées si, comme je lʹespère encore, vous nʹaviez point les<br />

peines que je redoute pour vous; mais insensées, quʹimporte? Ce nʹest pas <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s mots<br />

que nous parlons entre nous; il est un autre langage invisible et sans son qui, à la vue sim‐<br />

ple <strong>de</strong> ce papier saura bien se faire entendre <strong>de</strong> vous. Alors, vous penserez, mon ami, que<br />

mon inquiétu<strong>de</strong> fondée ou non est bien triste, quʹil ne faut pas me la laisser en vain, ou<br />

bien quʹil faut la confirmer et me laisser mʹaffliger <strong>avec</strong> vous.<br />

Adieu, mon ami, écrivez‐moi, jʹattends impatiemment.<br />

Tout entier à vous par le cœur.<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

14 à M. Pavie<br />

Avec tact et délicatesse, MLP. exprime à son ami sa communion <strong>de</strong> cœur et d’âme. Conseils <strong>de</strong> patience. Avoir re‐<br />

cours à la prière.<br />

Mardi 12 février 1833<br />

Jʹentre aussi avant que possible dans votre peine, mon bien cher Victor. Vous souf‐<br />

frez. Cʹest assez. Je nʹexamine pas si cʹest <strong>avec</strong> raison, quʹimporte cela? La douleur nʹest pas<br />

24


moins vive; oh! oui. Quand vous appuyez sur moi votre tête pour pleurer, la mienne se<br />

penche aussi pour pleurer <strong>avec</strong> vous. Ce sera une fraternité <strong>de</strong> plus entre nous. Dʹautres<br />

vous chercheront <strong>de</strong>s distractions, <strong>de</strong>s motifs <strong>de</strong> consolation; mon rôle à moi, cʹest <strong>de</strong> sen‐<br />

tir comme vous, <strong>de</strong> craindre, dʹespérer, dʹavoir larmes et joies <strong>avec</strong> vous et comme vous,<br />

afin, mon frère, que nos <strong>de</strong>ux âmes, ainsi unies, soient plus fortes contre la peine, ne suc‐<br />

combent pas sous le bonheur. Si toute espérance vient à nous faillir quelque jour, alors,<br />

mon ami, je nʹaurai plus <strong>de</strong> paroles, pas même <strong>de</strong> murmure ou <strong>de</strong> chant pour endormir<br />

votre douleur. Nous aurons seulement <strong>de</strong>s larmes, <strong>de</strong>s larmes sympathiques qui se com‐<br />

prendront, se diront lʹune à lʹautre ce quʹil y a au cœur, dʹoù elles jaillissent, <strong>de</strong> tendresse et<br />

dʹamertume, dʹabîme sans fond quʹon nʹoserait son<strong>de</strong>r. Mais aujourdʹhui, sous vos crain‐<br />

tes, reste encore un peu dʹespoir, un rayon vous luit, pour vous faible et pâle étoile qui<br />

sʹéteint; pour moi, point lumineux dʹavenir et <strong>de</strong> jour qui va naître. Affermissez, sʹil se<br />

peut, votre vie, regar<strong>de</strong>z bien et vous direz comme moi: non, nous ne sommes plus en <strong>de</strong>s<br />

temps où un amour vrai, pur et profond doit sʹétouffer dans lʹâme qui lʹa conçu, à quelque<br />

âme quʹil aille heurter, je le crois fermement, il lui sera ouvert. Quoique vous puissiez<br />

nʹêtre pas à cet égard absolument <strong>de</strong> mon avis, vous conviendrez <strong>avec</strong> moi quʹune affec‐<br />

tion dégagée <strong>de</strong> tout intérêt, <strong>de</strong> toute personnalité, quʹun dévouement exalté, lʹamour en‐<br />

fin, tel que nous lʹentendons, tout en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> soi, sans que rien le rattache au moi et<br />

puisse lʹy ramener, quʹun tel amour, dis‐je, est bien rare, et quʹil nʹest personne, fut‐ce une<br />

brute stupi<strong>de</strong>, qui nʹen sente le prix, qui dʹinstinct, <strong>de</strong> calcul ou <strong>de</strong> sympathie ne sʹem‐<br />

presse <strong>de</strong> le recueillir; car pour les uns, il est lʹespoir du bonheur, pour les autres, nous par<br />

exemple, la vie même, le sine qua non <strong>de</strong> lʹexistence. Eh bien, pourquoi voulez‐vous quʹune<br />

femme qui semble intelligente et dévouée elle‐même par un point, une jeune fille si pure<br />

quʹelle ne peut‐être bien loin du ciel, pourquoi voulez‐vous quʹeux seuls, entre tous, res‐<br />

tent insensibles et <strong>de</strong> glace, sous un rayon qui échauffe et fond tout. Cela ne saurait être,<br />

cela ne sera pas. Vous vouliez, ainsi que cette jeune fille vous a été tout à coup révélée, tout<br />

à coup aussi la faire <strong>de</strong>scendre en vous; il nʹy fallait pas compter; à cet âge on peut épeler,<br />

mais pas lire couramment dans une âme; vous ne tenez pas assez compte <strong>de</strong> ses seize ans.<br />

Il faut que lʹécheveau encore brouillé se démêle peu à peu; il faut enfin ici lʹinitiation lente<br />

et successive, puisque la révélation intuitive serait hors <strong>de</strong> temps. Prenez donc patience,<br />

mon ami, ne brusquez pas ainsi les choses, au risque <strong>de</strong> tout briser; tâchez <strong>de</strong> vous rasseoir<br />

et comme votre ami Cosnier le conseille bien sagement, laissez les paroles déjà versées<br />

<strong>de</strong>scendre et tomber goutte à goutte. Ah! si vous pouviez entendre lʹécho <strong>de</strong> leur chute,<br />

lʹharmonie si ravissante qui sʹélèvera dans la jeune âme, oh! vous seriez trop heureux. Je<br />

vous en conjure, mon ami, soyez plus calme, ne troublez rien et vous lʹentendrez. Votre<br />

image, pensez‐vous, nʹest pas celle <strong>de</strong> son rêve; assurément, car une très jeune fille, jʹen ai<br />

eu récemment un exemple frappant, ne rêve jamais que joues blanches et roses et cheveux<br />

bruns bouclés. Mais laissez faire et vous verrez si la véritable beauté dʹun homme, les re‐<br />

flets dʹune belle âme brillant sur le front, dans la voix, le port, les gestes, si tout cela, <strong>de</strong> soi‐<br />

même, ne fait bientôt fond, <strong>de</strong>ssin, couleurs dans son esprit, nʹachève enfin un portrait<br />

nouveau dont lʹoriginal sera vous. Pour terminer, jʹajoute enfin que jamais au mon<strong>de</strong> il nʹa<br />

existé fille <strong>de</strong> seize ans, qui au premier mot <strong>de</strong> mariage, nʹait rompu net par un refus, <strong>avec</strong><br />

effroi, comme vous les dites, souvent <strong>avec</strong> colère réelle.<br />

Je ne connais pas si bien la mère. Je ne saurais pas aussi sûrement parler dʹelle,<br />

pourtant à sʹen tenir aux généralités, il y a pour moi, toute partialité amicale à part, mille à<br />

25


parier contre un que vous aurez plein succès près dʹelle. Seulement, mon ami, il ne faut<br />

pas vous rebuter et, comme un enfant bou<strong>de</strong>ur dire: je gar<strong>de</strong>rai ma peine pour moi seul;<br />

non, il ne faudrait pas quʹun refus, sʹil venait, (et il peut très bien venir) portât à votre cœur<br />

un coup sourd qui lʹenvenimerait et ne blesserait que vous. Les coups qui résonnent sont<br />

moins dangereux et, frappant lʹoreille <strong>de</strong> qui les donne lʹémeuvent et lui font dire ʺassezʺ.<br />

Ne pourriez‐vous donc voir cette mère seul à seul, et, en vous maîtrisant un peu lui parler:<br />

votre soumission, vos promesses, cet accent <strong>de</strong> vérité quʹil faut subir quoiquʹon fasse, au‐<br />

raient un effet, sinon immédiat, au moins sûr, et qui droit ou par détour, arriverait à son<br />

cœur. Peut‐on refuser un homme qui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> place, comme tous, près du foyer, qui dit:<br />

je nʹaurai ni regard, ni parole, je serai ainsi que tous, allant et venant, et si un jour, nʹim‐<br />

porte quand, accoutumé à ma vue, ayant pris foi en moi, vous me dites: restez, eh bien, je<br />

resterai. Sinon, <strong>de</strong>main, après, à toute heure vous ne pourrez dire: Allez et adieu. Prenez<br />

courage, mon ami, ne cherchez pas vainement sʹil peut y avoir quelque cause <strong>de</strong> mauvaise<br />

disposition contre vous, il nʹy en a pas, il ne peut y en avoir, tout au plus quelque illusion<br />

<strong>de</strong> vue, quelque caprice dʹoptique, acci<strong>de</strong>nt passager <strong>de</strong> la lumière, quʹun rayon dissipe en<br />

éclairant mieux. Voilà, jʹen ai confiance tout ce qui se peut trouver dʹobstacle entre vous.<br />

Que <strong>de</strong> premiers refus! Quʹun effroi enfantin nʹait donc pas tant <strong>de</strong> puissance pour vous<br />

troubler. Soyez homme, soyez surtout, mon frère, croyant, espérant en Dieu, qui tient en<br />

ses mains les fils <strong>de</strong> tout cela, priez‐le. Moi, je nʹai pas oublié un seul jour <strong>de</strong> le faire, <strong>de</strong>‐<br />

puis celui où je vous lʹai promis. Adieu, mon ami, écrivez‐moi toutes les fois que vous en<br />

avez la force et nʹatten<strong>de</strong>z pas pour cela <strong>de</strong>s faits décisifs; ce qui se passe en vous, jʹai be‐<br />

soin <strong>de</strong> le connaître aussi et jʹen veux aussi ma part. M. Gavard sait, comme vous lʹavez vu.<br />

Je nʹai pas besoin <strong>de</strong> vous en expliquer les raisons; elles mʹont semblé <strong>de</strong> conscience et <strong>de</strong><br />

sentiment. Vous les comprendrez <strong>de</strong> reste. Adieu encore. Je vous embrasse tendrement.<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

15 à M. Pavie<br />

Réunions chez Montalembert. Prochaine venue à Paris <strong>de</strong> V. Pavie.<br />

Samedi 9 mars 1833<br />

M. Sainte‐Beuve que je rencontrai dimanche <strong>de</strong>rnier au soir, mon cher Victor, chez<br />

M. <strong>de</strong> Montalembert 29 , (je nʹai pas <strong>de</strong>puis quelque temps trouvé place dans mes lettres<br />

pour vous parler <strong>de</strong> ces réunions du dimanche) M. Sainte‐Beuve donc mʹapprit à ma<br />

gran<strong>de</strong> joie que vous alliez arriver, quʹil vous attendait sous peu <strong>de</strong> jours, peut‐être <strong>de</strong>‐<br />

main, ou du moins peu après. Sans perdre <strong>de</strong> temps, je cours, moi, dès le len<strong>de</strong>main, au‐<br />

<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s ponts crier la nouvelle à M. Gavard et me féliciter <strong>avec</strong> lui. Puis, je commence une<br />

lettre pour vous, afin <strong>de</strong> vous rappeler quʹà votre choix vous aviez ici <strong>de</strong>meure toujours<br />

prête, ou chez lʹun, ou chez lʹautre. Puis, par réflexion que votre ancien domicile serait pré‐<br />

féré par vous, dans la pensée aussi que ma lettre vous croisera en chemin, je la déchire et<br />

jʹattends. Mais cela dure déjà <strong>de</strong>puis bien <strong>de</strong>s jours. Lʹinquiétu<strong>de</strong> me vient dʹavoir conçu<br />

une joie anticipée et trop hâtive.<br />

29 La rési<strong>de</strong>nce du comte <strong>de</strong> Montalembert était au 18, rue Cassette. MLP. habitait à cette époque au 4 <strong>de</strong> la même rue. Les dimanches<br />

soirs, se réunissaient chez le jeune aristocrate un bon nombre d'écrivains, artistes, philosophes, "les plus illustres champions<br />

<strong>de</strong> l'école catholique", écrivait le jeune Frédéric Ozanam.<br />

26


Hier, je suis allé au passage du Commerce prendre vent 30 ; on vous attend, mais sans<br />

avis positif <strong>de</strong> vous. M. Sainte‐Beuve, par hasard, était<br />

là dans la salle basse. Il sʹétonnait <strong>de</strong> votre silence et me<br />

paraissait moins sûr. Cette longue exposition nʹa<br />

dʹautre but, mon ami, que celui‐ci: cʹest‐à‐dire que tout<br />

cet empressement, cette attente, ces joies <strong>de</strong> vos amis<br />

forment lien et engagement pour vous; que si votre<br />

pensée <strong>de</strong> voyage est indécise encore, ils doivent<br />

lʹentraîner, que si elle était même à naître, tout cela<br />

vous ôte votre liberté et vous oblige à vouloir, malgré<br />

vous. Venez donc, mon ami, lʹexposition ne saurait aller<br />

sans vous, et peut‐être pour cela, ne va pas jusquʹici très<br />

bien. Mais, vous ici, tout sera au mieux. Car tous, nous<br />

aurons dʹautres yeux pour voir, dʹautres cœurs pour<br />

sentir.<br />

Jʹattendais une lettre <strong>de</strong> vous, bien impatient<br />

pour bien <strong>de</strong>s raisons. Si vous tar<strong>de</strong>z quelque peu<br />

encore à venir, écrivez‐moi, je vous en prie. Ma<br />

<strong>de</strong>rnière lettre vous a déplu peut‐être, par excès <strong>de</strong> confiance dans un avenir que vous in‐<br />

terprétez autrement, mais, je ne saurais, quoique je fasse, voir différemment la chose, en<br />

tous sens, sous tous les points examinés et retournés, elle mʹamène toujours la même<br />

conclusion. Il me semble impossible quʹun peu plus tôt, un peu plus tard, ce que nous<br />

voyons nous tous en vous si bien, les autres aveuglés à plaisir le nient et le méconnaissent.<br />

Adieu, mon ami, à bientôt, je lʹespère. M. Sainte‐Beuve nʹétait pas sûr que M. votre père ne<br />

dût pas aussi nous arriver. Ce serait double bonheur, mais si nous nʹen <strong>de</strong>vions pas tout<br />

avoir, que tout au moins ne nous soit pas ôté; je vous le répète, nous vous attendons.<br />

<strong>Léon</strong> Le <strong>Prevost</strong><br />

Si notre maison <strong>de</strong> la rue Cassette était choisie par vous, rappelez‐vous que vous y<br />

jouiriez dʹune entière liberté. Jʹai <strong>de</strong>ux entrées, <strong>de</strong>ux pièces complètement séparées. Vous<br />

seriez maître chez vous. Jʹajoute <strong>avec</strong> parfaite vérité que cela nʹaurait pour moi pas lʹombre<br />

<strong>de</strong> gêne ni <strong>de</strong> dérangement. Voyez cela et faites comme vous voudrez.<br />

16 à M. Pavie<br />

Cœur compatissant <strong>de</strong> MLP. Sanctuaire inviolable <strong>de</strong> lʹâme où Dieu seul pénètre. Exhortations à la confiance.<br />

Réunions chez Montalembert. Le charme quʹopère Montalembert sur ses invités. MLP. regrette lʹabsence <strong>de</strong> La‐<br />

cordaire.<br />

Paris, 2 avril 1833<br />

Il est bien tard pour vous écrire, mon cher Victor, et je cours grand risque, sinon<br />

dʹarriver trop tard, du moins dʹarriver mal à point, puisque vous‐même nous venant il se‐<br />

rait plus simple dʹattendre un peu et <strong>de</strong> ne pas mettre ce prologue à nos entretiens. Jʹécris<br />

pourtant, et, malgré aussi la mauvaise disposition où je me sens, tout cela ne me semble<br />

pas faire obstacle entre nous. Il me semble dʹailleurs quʹil ne faut pas trop longtemps vous<br />

laisser à vous‐même et quʹil est bon que par intervalle une voix amie vous réveille, vous<br />

30 "prendre le vent", jargon <strong>de</strong> chasseur: aller à la rencontre du gibier.<br />

27


amène en ce mon<strong>de</strong> et vous fasse croire encore à lʹavenir. Etes‐vous maintenant, mon ami,<br />

plus rassis, voyant les choses <strong>de</strong> vue plus nette et plus ferme; ou bien, abattu, découragé,<br />

manquant dʹair; tour à tour lʹun et lʹautre sans doute; mais <strong>de</strong> si loin, je nʹen puis que bien<br />

mal suivre les alternatives. Hélas! quelque vive que soit ma sympathie, quelquʹintime que<br />

soit la fusion <strong>de</strong> nos âmes, je sens ici mon impuissance; il est <strong>de</strong>s choses qui ne se peuvent<br />

dire ni même <strong>de</strong>viner, que Dieu seul pénètre, que lʹamour peut‐être aussi peut faire com‐<br />

prendre à lʹamour, mais qui, hors <strong>de</strong> là, reste mystère impénétrable. Cʹest bien sans doute,<br />

que lʹâme ait ainsi <strong>de</strong>s asiles inviolables où seule <strong>avec</strong> Dieu, elle sʹabrite contre tout contact<br />

même le plus ami et le moins irritant; aussi, je nʹaurai gar<strong>de</strong> dʹy vouloir suivre la vôtre,<br />

mais jusquʹau seuil du moins, mon ami, veillant et priant, jusquʹau retour, je voulais une<br />

fois encore ici avant votre arrivée vous dire toute ma tendre compassion, cʹest‐à‐dire (re‐<br />

montant au sens primitif du mot) combien mon âme reçoit vivement contrecoup <strong>de</strong> toutes<br />

les impressions <strong>de</strong> la vôtre. Combien je vis en vous, combien surtout votre confiance en ces<br />

<strong>de</strong>rniers temps mʹavait avant pénétré. Oui, je voulais vous le dire; car, je le sais, il me sem‐<br />

ble parfois que je nʹoserai quʹà peine ici vous parler, <strong>avec</strong> tant dʹeffusion vous interroger;<br />

que la parole me viendra mal et me paraîtra trop ru<strong>de</strong> pour abor<strong>de</strong>r ce point si sensible, si<br />

pudique du cœur et quʹil vous faudra presque toujours <strong>de</strong>viner ce que je ne dirai pas. Mais<br />

est‐ce à vous, mon ami, quʹil est besoin <strong>de</strong> pareil avertissement? Ce nʹest pas, du reste, que<br />

votre situation mʹapparaisse uniquement sous le côté douloureux, tant sʹen faut; mes en‐<br />

tretiens <strong>avec</strong> Cosnier qui sʹest trouvé plus confiant encore que moi, mʹont pleinement<br />

confirmé dans mes espérances. Mais je nʹignore pas que cette confiance, vous ne pouvez<br />

vous‐même lʹavoir quʹà <strong>de</strong> courts instants, et que, le plus souvent, la crainte et le découra‐<br />

gement doivent nous assaillir. Puis, votre bon père, si tendre aussi, sʹest i<strong>de</strong>ntifié si bien<br />

<strong>avec</strong> vous quʹil est <strong>de</strong>venu vous‐même, quʹil a aimé, espéré et tremblé <strong>avec</strong> vous. Cʹest<br />

donc à quelques pas plus loin quʹil vous faut chercher les pronostics <strong>de</strong> lʹavenir, les reflets<br />

moins incertains <strong>de</strong> la réalité; et tout cela, moi, je les vois dans ma confiance intime et<br />

comme surnaturelle, dans celle <strong>de</strong> vos autres amis, dans mille choses qui échappent à<br />

lʹanalyse, mais qui mʹannoncent <strong>de</strong> loin le port pour vous, comme en mer, la terre se révèle<br />

<strong>de</strong> loin par je ne sais quel parfum indicible qui crie à tous ʺterreʺ bien avant la vigie. Ce ne<br />

sont pas là, je le sais, <strong>de</strong>s raisons; mais, quoi <strong>de</strong> plus léger, quoi <strong>de</strong> plus insignifiant que<br />

<strong>de</strong>s raisons: <strong>de</strong>s présages, <strong>de</strong>s rêves, <strong>de</strong>s pressentiments me semblent en vérité et à vous<br />

aussi, je pense, mille fois plus acceptables et plus fidèles. Jʹespère donc et toujours; prenez<br />

aussi confiance, sʹil se peut, mon ami.<br />

Il est vrai, pour ne pas mêler à nos entretiens dʹéléments étrangers, jʹavais négligé<br />

<strong>de</strong> vous parler <strong>de</strong>s réunions Montalembert, en autre temps sujet <strong>de</strong> communications si in‐<br />

téressantes pour vous. En ef‐ fet, ces assemblées <strong>de</strong> frères<br />

quelquefois rêvées par vous, où lʹunité <strong>de</strong> croyances forme aussi<br />

unité pour les cœurs, se trouvent là réalisées. Orgueil, vanité,<br />

timidité irritable et gênante sont là mises <strong>de</strong> côté. On se parle, on<br />

sʹabor<strong>de</strong>, on sʹaime sans savoir les noms <strong>de</strong> ceux <strong>avec</strong> qui lʹont<br />

fait échange <strong>de</strong> paroles et <strong>de</strong> sentiments. Ce nʹest pas que tous, sans<br />

exception, soient catholiques, mais la masse, mais le peuple, si je<br />

puis dire, est essentiellement un, essentiellement catholique. Quant<br />

aux sommités, ce nʹest pas absolument <strong>de</strong> même mais le lieu influence et courbe un peu les<br />

plus inflexibles et M. Lerminier lui‐même y est un peu moins tranchant et téméraire quʹail‐<br />

28


leurs. Sainte‐Beuve, Ballanche, le Baron dʹEckstein, Mickiewicz, le Comte Plater, Liszt,<br />

dʹOrtigues, <strong>de</strong> Coux, dʹAult‐Duménil, Ampère 31 et bien dʹautres remuent dans tout cela<br />

mille idées, cueillent mille sympathies et donnent issue et pâture à ce besoin dʹadmiration<br />

et dʹamour que nous avons tous dans lʹâme et qui vous oppresse tant quand il reste inactif.<br />

Mais je nʹaurais pas <strong>de</strong> mots surtout pour vous dire toute lʹamabilité, toute la séduction en‐<br />

traînante <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Montalembert lui‐même; il parle à tous et si cordialement que dès<br />

lʹabord on se sent à lui pour toujours. Il nʹest coin si obscur qui lui échappe, groupe si ti‐<br />

mi<strong>de</strong> quʹil nʹaille un instant animer <strong>de</strong> son entretien, y jetant quelques mots dont on cause<br />

tout le soir. Du reste, sʹeffaçant tant quʹil peut. Il veut être chez lui le lien <strong>de</strong> tous et non<br />

leur chef; il est dʹune mo<strong>de</strong>stie candi<strong>de</strong>, cè<strong>de</strong> toujours pour la forme, réservant seulement<br />

le fond, se sacrifice enfin, et se montre chrétien dans son salon 32 . comme partout ailleurs,<br />

prouvant à tous quʹil nʹest réellement dʹamabilité, <strong>de</strong> grâce que là, comme <strong>de</strong> vertu, <strong>de</strong><br />

gran<strong>de</strong>ur et <strong>de</strong> force. Je pourrais longtemps continuer sur ce ton, mais jʹaime bien mieux<br />

vous laisser vous‐même en juger. Les réunions dureront encore durant votre séjour ici et<br />

vous y viendrez, il vous connaît et vous désire. Un soir, je ne sais comment, il vint à me<br />

dire: ʺVictor Hugo mʹa lu hier une lettre bien bonne que lui écrit un jeune homme nommé<br />

Pavie, pour lui recomman<strong>de</strong>r un Polonaisʺ. Me voyez‐vous dʹici mʹécrier: Pavie, Victor Pa‐<br />

vie, mais cʹest mon ami, cʹest mon frère. Il viendra vous le verrez. Et Boré <strong>de</strong> mʹappuyer,<br />

que vous étiez un catholique ar<strong>de</strong>nt, lamennaisien, que sais‐je. Si bien que M. <strong>de</strong> Monta‐<br />

lembert vous attend presque comme nous et comme nous vous serrera la main. Vous<br />

pourrez aussi voir à Paris M. Lacordaire, il a quitté la Bretagne; il ne vient pas aux diman‐<br />

ches, je ne sais pas bien pourquoi, peut‐être par scrupule <strong>de</strong> soumission plus absolue à la<br />

volonté du Saint‐Père. Je le regrette bien, jʹeusse été heureux <strong>de</strong> la voir. Il va sans dire que<br />

ses liens <strong>avec</strong> M. <strong>de</strong> Montalembert ne sont point relâchés, quʹils se voient journellement. Je<br />

nʹen sais pas davantage. Tout cela est bien dit au long, mon ami, mais je vous épargne en<br />

nʹallant pas plus loin; vous partagerez, je pense, mes sympathies 33 pour ce foyer <strong>de</strong> com‐<br />

munications, <strong>de</strong> douce effusion, et vous nʹaurez <strong>avec</strong> moi quʹun regret, cʹest quʹon en<br />

31 Ballanche (1776-1847) cf. n. 8, p.6.- Lerminier (1803-1857), publiciste en vogue dans les années 1830-1838. <strong>–</strong> D'Eckstein,<br />

(1790-1861), Danois d'origine, l'un <strong>de</strong>s précurseurs du catholicisme libéral. - Adam Mickiewicz (1798-1855), célèbre poète polonais,<br />

d'ascendance lituanienne. Chef <strong>de</strong> la jeune école romantique polonaise, il s'installa à Paris en 1832 et y publia Le Livre <strong>de</strong> la<br />

nation et <strong>de</strong>s pèlerins polonais. - Comte <strong>de</strong> Plater, cf. supra, note 18. - Franz Liszt (1811-1886), le pianiste hongrois venait d'arriver<br />

à Paris pour y parfaire sa formation artistique et littéraire. - Joseph d'Ortigues, né en 1802, musicographe; il rejoignit<br />

l'équipe <strong>de</strong> L'Avenir. <strong>–</strong> Charles <strong>de</strong> Coux, (1787-1864), économiste, disciple <strong>de</strong> Lamennais, il collabore à L'Avenir, puis à L'Université<br />

Catholique, qui reprendra, <strong>avec</strong> La Revue Européenne, le flambeau <strong>de</strong>s idées mennaisiennes. <strong>–</strong> Georges d'Ault-Dumesnil,<br />

né en 1814; ancien officier, il avait participé à la conquête <strong>de</strong> l'Algérie en 1830, <strong>avec</strong> le maréchal <strong>de</strong> Bourmont. Collaborateur <strong>de</strong><br />

L'Avenir. <strong>–</strong> <strong>Jean</strong>-Jacques Ampère (1800-1864), fils du célèbre physicien, était professeur d'histoire et <strong>de</strong> littérature française au<br />

Collège <strong>de</strong> France.<br />

32 On trouve dans les lettres <strong>de</strong> F. Ozanam une <strong>de</strong>scription <strong>de</strong>s salons <strong>de</strong> Montalembert, qu'il est intéressant <strong>de</strong> comparer à celle <strong>de</strong><br />

MLP. (VLP, I , p.34). "Il respire dans ces réunions un parfum <strong>de</strong> catholicisme et <strong>de</strong> fraternité. M. <strong>de</strong> Montalembert a une figure<br />

angélique et une conversation très instructive. Les points <strong>de</strong> doctrine sur lesquels Rome a <strong>de</strong>mandé le silence ne sont pas remis sur<br />

le tapis; la plus sage discrétion règne à cet égard. Mais l'on s'entretient <strong>de</strong> littérature, d'histoire, <strong>de</strong>s intérêts <strong>de</strong> la classe pauvre, du<br />

progrès <strong>de</strong> la civilisation. On s'anime, on réchauffe son cœur et l'on emporte <strong>avec</strong> soi une douce satisfaction, un plaisir pur, une<br />

âme maîtresse d'elle-même, <strong>de</strong>s résolutions et du courage pour l'avenir." (A Falconnet, 5 janvier 1833). Au même, le 18 mars: "On<br />

a beaucoup parlé <strong>de</strong> la misère du peuple et on en a tiré <strong>de</strong> sinistres présages pour l'avenir. Du reste, on cause très peu <strong>de</strong> politique<br />

et beaucoup <strong>de</strong> science".<br />

33 Sous la plume <strong>de</strong> Maxime <strong>de</strong> Montrond, ami intime <strong>de</strong> MLP., se <strong>de</strong>vine le rayonnement que pouvait avoir MLP. dans <strong>de</strong> telles<br />

réunions. "On pourrait s'étonner <strong>de</strong> trouver MLP. au milieu <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong> brillant, lui si humble, si simple, mais il n'y était nullement<br />

déplacé. Il était bien partout, portant partout ce bon ton, cette bienveillance et cette gaieté même, qui sont l'apanage <strong>de</strong>s esprits<br />

supérieurs. MLP. connaissait cette maxime <strong>de</strong> saint François <strong>de</strong> Sales: "Les saints tristes sont <strong>de</strong> tristes saints" et il la mettait<br />

volontiers en pratique…M. <strong>de</strong> Montalembert, qui estimait MLP. le présentait à ses amis et connaissance comme un artiste, ce qui<br />

l’humiliait quelque peu et le faisait sourire. Imaginez-vous, me disait-il quelquefois, que M. <strong>de</strong> Montalembert me prend pour un artiste.<br />

Certes, moi, artiste, je ne le suis point; amateur, oui peut-être. Oui, j’aime les beaux-arts; mais surtout quand ils sont consacrés<br />

à la gloire <strong>de</strong> Dieu; alors seulement ils méritent le nom <strong>de</strong> beaux, car ils sont un reflet <strong>de</strong> la souveraine beauté." Le beau,<br />

comme le vrai, était l’élément vital <strong>de</strong> notre pieux ami." (VLP, I, p.34).<br />

29


puisse entrevoir la prochaine interruption. M. <strong>de</strong> Montalembert ira, je crois, en Allemagne,<br />

à la saison prochaine.<br />

Adieu, au revoir bientôt. Oh! le plus tôt possible. Gavard vous veut aussi bien ar‐<br />

<strong>de</strong>mment <strong>avec</strong> votre bon, trois fois bon père. Il parait bien décidé à vous accompagner<br />

dans vos voyages et plus sûr pour cette fois <strong>de</strong> sa résolution.<br />

Que je vous sais gré <strong>de</strong> ce que vous me dites pour la chambre offerte chez moi! Que<br />

nous nous entendons bien; que ce mot dévouement une fois bien compris, révèle <strong>de</strong> cho‐<br />

ses! Vous avez bien contribué, mon ami, à me faire <strong>de</strong>scendre plus avant dans le sens in‐<br />

time <strong>de</strong> cette chose et je crois que cʹest là tout le secret <strong>de</strong> ma tendre et si infinie amitié<br />

pour vous.<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

17 à M. Pavie<br />

Témoignage dʹamitié. Commentaire dʹun sermon <strong>de</strong> Lacordaire à St‐Roch. Avis sur différentes productions litté‐<br />

raires.<br />

Mardi 28 mai 1833<br />

Il fallait, mon ami, vous laisser un peu respirer après votre retour, vous laisser digé‐<br />

rer un peu <strong>de</strong> paix Paris et nous, trop en hâte peut‐être entassés durant votre court séjour<br />

ici; il fallait enfin laisser lʹabsence se trancher nettement. Je ne vous ai donc pas écrit jus‐<br />

quʹici, malgré le désir qui mʹy a bien <strong>de</strong>s fois porté. Je me disais: il repose, il dort; ne lʹéveil‐<br />

lons pas; mais je vous ai assez longtemps regardé dormir. Vous voilà bien remis. Allons<br />

donc, levez‐vous et parlez‐moi. Dites‐moi bien naïvement comment vous êtes, si votre vie<br />

est <strong>de</strong> nouveau arrangée là‐bas; si vous avez renoué toutes vos harmonies, un moment dé‐<br />

placées. Dites‐moi en quel état est votre esprit, en quel mo<strong>de</strong>, en quel ton. Dites‐moi, mon<br />

ami, ce quʹon vous a dit à votre retour <strong>de</strong>s choses qui vous<br />

intéressent et ce qui est survenu <strong>de</strong>puis. Si jʹépuisais la<br />

série <strong>de</strong> mes questions, elles iraient loin encore et la queue<br />

prolongée en dépasserait bien ce court papier. Cʹest, voyez‐<br />

vous, quʹaccoutumé que jʹétais à vous voir, à vous entendre<br />

tous les jours, jʹai trouvé après bien du vi<strong>de</strong> et du silence et<br />

que quelques mots <strong>de</strong> vous jetés pour combler cela tombe‐<br />

raient au fond, tout au fond <strong>de</strong> mon âme et y feraient un<br />

bien que je ne puis dire. Jʹai honte <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r encore<br />

quand vous avez ici tant donné, ne réservant rien <strong>de</strong> vous,<br />

vous livrant tout entier par le dévouement et à lʹexemple<br />

du Maître, disant: buvez et mangez. Il ne peut y avoir dans<br />

ce rapprochement, je lʹespère, rien <strong>de</strong> mauvais. Je ne<br />

prends point pour divine cette nourriture, je vous aime en Dieu; il le sait, et si parfois<br />

quelquʹexaltation trop terrestre enivre ma tête, je ferme les yeux et cela passe. Oh! oui, je<br />

vous aime en Dieu! Tout sentiment contenu, a dit M me <strong>de</strong> Staël 34 , nʹa guère dʹénergie; elle<br />

34 Fille <strong>de</strong> Necker (ministre <strong>de</strong>s Finances <strong>de</strong> Louis XVI), M me <strong>de</strong> Staël (1766-1817) illustra, par l'exemple d'une vie passionnée et par<br />

ses œuvres littéraires, ce qui sera plus tard l'idéologie romantique. Pour elle, la poésie se doit d'exprimer les tourments <strong>de</strong>s âmes à<br />

la fois inquiètes et mélancoliques. Porté, par sa nature sensible, à épancher ses sentiments, ("quelque exaltation trop terrestre…"),<br />

MLP. saura en maîtriser les manifestations excessives.<br />

30


ne voyait donc pas que lʹamour peut comprimer lʹamour et quʹil y a double force alors et<br />

double énergie, dʹoù résulte la soumission, pour nous manifestation<br />

la plus haute <strong>de</strong> la puissance dʹaimer. Soyez donc en repos, mon<br />

ami, je gar<strong>de</strong>rai le feu, mais je rejetterai la fumée. Il me vient<br />

quelquʹinquiétu<strong>de</strong>, mon ami, que la pensée qui me domine<br />

heureusement aujourdʹhui et pour toujours, je lʹespère, ne revienne<br />

en mes lettres trop inévitablement jusquʹà la monotonie, jusquʹà la<br />

préoccupation maniaque. Sans doute, on peut dire: là où est le<br />

trésor, là est le cœur, ou, <strong>avec</strong> S t Paul: ʺNos stulti propter Christum. Si<br />

insanimus, Deo insanimus.ʺ 35 Sans doute on ne voit pas ce que <strong>de</strong>s<br />

chrétiens sʹentretenant auraient <strong>de</strong> mieux à dire que <strong>de</strong>s choses <strong>de</strong> Dieu ou tendant à Dieu;<br />

mais encore un sentiment divinement inspiré peut sonner mal, traversant la parole hu‐<br />

maine, mais lʹattention nʹest pas toujours piété, il faut lʹattendre et ne pas la lasser. Je sens<br />

cela. Dites‐moi donc, mon ami, si vous avez remarqué dans mes lettres, dans mon entre‐<br />

tien ou mes actes quelque disposition à manquer en tout cela <strong>de</strong> mesure. Je remarque à<br />

cette occasion que vous êtes sobre à lʹexcès <strong>de</strong> conseils. Cʹest mo<strong>de</strong>stie exagérée. On se juge<br />

mal soi‐même. Un avis souvent fait grand bien, et, pour ma part, il mʹest bien <strong>de</strong>s fois arri‐<br />

vé <strong>de</strong> regretter le vôtre. Si vous mʹaimez, jʹallais dire; je me reprends: si vous me voulez<br />

plaire, vous me conseillerez toutes les fois quʹil y aura lieu et plus que moins.<br />

Quelquʹun vous a‐t‐il dit que M. Lacordaire avait prêché. A tout hasard, je vous en<br />

parlerai quelques mots. Le sermon avait lieu à 7h. du soir à S t ‐Roch, un dimanche, par un<br />

temps et soleil superbes, cʹest assez dire que lʹassemblée adorait Dieu <strong>de</strong>hors peut‐être,<br />

mais quʹelle était peu nombreuse autour <strong>de</strong> la chaire. En revanche bien composée, le ban et<br />

lʹarrière‐ban Montalembert, le 18 è siècle y compris et toute la Pologne réfugiée. Mais, si<br />

une intention trop mondaine avait convoqué la plupart, ils ont sur lʹheure reçu leur châti‐<br />

ment: il y a eu pâture pour les chrétiens mais pour eux seulement. Toute la partie humaine<br />

<strong>de</strong> la chose: arrangement, logique, éloquence, tout cela a coulé; il nʹest rien resté à lʹorateur,<br />

soit émotion, soit disposition mauvaise, que le plan et les masses <strong>de</strong> son discours, <strong>avec</strong> sa<br />

ravissante voix si onctueuse et si pénétrante, mais encore manquant ce jour‐là dʹhabile di‐<br />

rection, trop ménagée et plus tard menaçant <strong>de</strong> sʹéteindre tout à fait. M. Lacordaire nʹavait<br />

point écrit son discours, comptant <strong>avec</strong> raison sur sa facilité pour mettre en œuvre sa ma‐<br />

tière et la mieux accommo<strong>de</strong>r, selon lʹinspiration émanée <strong>de</strong> lʹauditoire. Mais cela lui a fail‐<br />

li; pourquoi? Je ne sais, mais partout le développement manquait, <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s pensées<br />

étaient jetées, <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s masses esquissées, mais le<br />

développement, mais la liaison, la fusion harmonieuse nʹont<br />

pu venir, la plus mince intelligence y suppléait; cʹeût été, il<br />

semble travail <strong>de</strong> manœuvre, pourtant faute <strong>de</strong> cela, la chose a<br />

été tout à fait manquée. Je parle ici humainement, il sʹentend,<br />

car, je ne sais si chrétiennement il ne se pourrait dire quʹainsi<br />

dépouillée dʹartifice et même dʹenveloppe, la parole nʹétait pas<br />

encore plus pure, plus chastement introduite dans lʹâme. Il<br />

faut lʹavouer pourtant on se passe malaisément <strong>de</strong> la<br />

participation extérieure et incontestablement cet effet particulier ne pouvait être que fort<br />

restreint. M. Lacordaire est resté sous le coup, non pas découragé, le courage comme lʹes‐<br />

35 Nous sommes fous, nous, à cause du Christ. Si nous sommes fous, nous sommes fous pour Dieu (1Co 4,10).<br />

31


poir lui viennent dʹen haut, mais un peu ému. Cela<br />

<strong>de</strong>vait être, et dans son humilité, bien convaincu<br />

maintenant quʹil faut parler à la jeunesse, à nous, ses<br />

amis et ses frères, mais pas dans une chaire, pas à une<br />

assemblée dʹÉglise. Il eût fallu peut‐être lui affaiblir<br />

lʹeffet <strong>de</strong> cette première tentative; il eût essayé <strong>de</strong><br />

nouveau, et, mieux préparé, eût atteint pleinement sont<br />

but; on ne pèse pas toujours ses paroles. M. <strong>de</strong><br />

Montalembert, comme chrétien, comme ami, sʹest cru<br />

en droit <strong>de</strong> parler net et en a usé largement; dʹautres<br />

encore sans doute et moi‐même qui le vis peu après je<br />

ne dissimulai pas assez peut‐être quʹil nʹy avait pas eu<br />

satisfaction complète, ou du moins je nʹinsistai pas<br />

suffisamment sur ce quʹil y avait <strong>de</strong> grand dans la<br />

chose telle quelle. Une interruption mʹen empêcha dʹail‐<br />

leurs, une visite qui survint. Jʹen eus bien regret après<br />

et si fort que je lui écrivis quelques mots pour com‐<br />

pléter ma pensée. Il mʹa fait une réponse si pleine <strong>de</strong> bonté, <strong>de</strong> touchante humilité que<br />

vous en seriez ravi comme moi. Lʹattrait puissant que Dieu lui a donné pour la jeunesse,<br />

lʹexpérience quʹil a <strong>de</strong> ses sentiments, le besoin quʹil lui sait dʹune âme qui la comprenne,<br />

tout cela dit‐il, lʹentraîne à travailler pour elle. ʺIl faut savoir, ajoute‐t‐il, entendre la volon‐<br />

té <strong>de</strong> la Provi<strong>de</strong>nce qui ne se manifeste ordinairement à nous que par mille petites choses<br />

qui agissent sur tous les points <strong>de</strong> notre âme et la déci<strong>de</strong>nt déjà avant quʹelle ait réfléchi.<br />

Dans le cas où je me trouve la réflexion est dʹaccord <strong>avec</strong> lʹattrait intime. Du reste les cho‐<br />

ses se font peu à peu, sans bruit, et je ne me presse pas <strong>de</strong> faire, sachant bien que Dieu dis‐<br />

posera tout pour le mieux, pourvu que je mʹabandonne à sa volontéʺ.<br />

Cela ne rappelle‐t‐il pas, mon ami, Fénelon disant: Laissez‐vous aller au souffle <strong>de</strong><br />

la grâce, ne résistez pas à la volonté <strong>de</strong> Dieu, <strong>de</strong>venez comme un bon petit enfant qui se<br />

laisse emporter sans même <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r où on le porte.<br />

Voilà bien <strong>de</strong>s citations, mon ami trop pour une fois peut‐être; <strong>de</strong> peur <strong>de</strong> citer en‐<br />

core je mʹabstiens <strong>de</strong> vous parler <strong>de</strong>s Pèlerins polonais que vous avez lu déjà sans doute;<br />

cʹest encore là un homme selon notre cœur. Trouvez‐vous comme moi que la préface par<br />

M. <strong>de</strong> Montalembert, nʹest pas dʹor aussi pur que lʹouvrage même? 36 Lʹindignation est légi‐<br />

time sans doute; mais la haine en Dieu est encore <strong>de</strong> lʹamour. Cʹest que le malheur met bien<br />

près <strong>de</strong> Dieu. Pellico 37 , Mickiewicz ont trouvé là <strong>de</strong>s révéla‐tions si lumineuses quʹils en<br />

sont revenus <strong>avec</strong> une auréole. Oh! Si à eux aussi comme à un autre poète on disait: ami,<br />

dʹoù nous viens‐tu etc. Oh! quʹelle serait belle leur réponse!<br />

M. Gavard vous a écrit et désire se charger <strong>de</strong> vous renvoyer <strong>avec</strong> son avis vos<br />

compositions. Je nʹai donc pas à vous en parler, cʹest bien assez dʹun; un mot dʹexplication<br />

36 L'ouvrage du poète Mickiewicz venait d'être publié à Paris en 1832. Montalembert en avait fait la traduction.<br />

37 Silvio Pellico, (1789-1854), écrivain italien. Accusé d'appartenir aux carbonari (société secrète qui s'était juré <strong>de</strong> chasser les Autrichiens<br />

d'Italie), il fut emprisonné dix ans dans la forteresse du Spielberg, en Autriche. Libéré en 1830, il publia, <strong>de</strong>ux ans après,<br />

Mes Prisons. Davantage que la <strong>de</strong>scription du régime sévère auquel il fut soumis, l'auteur y raconte son retour à Dieu, son itinéraire<br />

spirituel, à travers les souffrances supportées chrétiennement. Ecrit <strong>avec</strong> l'âme du poète et la douceur du chrétien, le livre déçut<br />

les plus exaltés <strong>de</strong> ses amis. Il n'en eût pas moins un grand retentissement en Europe. On comprend que MLP., lui-même re<strong>de</strong>venu<br />

chrétien <strong>de</strong>puis peu, ait été marqué par un tel témoignage. Dans la lettre 19, du 12 juillet 1833, il dit avoir composé une assez<br />

longue recension <strong>de</strong> Mes Prisons. Mais, malheureusement, ce texte, envoyé à La Revue européenne, fut perdu.<br />

32


seulement: vous avez paru entendre sur LʹOrganiste 38 que cela nʹavait pas été pris au sé‐<br />

rieux par moi; tant sʹen faut. J’ai dit que le style me paraissait parfois trop familier. Jʹen‐<br />

tendais par là que la forme en quelques endroits nʹétait pas suffisamment mo<strong>de</strong>lée, si je<br />

puis dire. La chose nʹétait pas là dans le jour <strong>de</strong> lʹart, mais restait dans le mon<strong>de</strong> où lʹon vit,<br />

où lʹon parle, dans le mon<strong>de</strong> familier. Lʹautre composition, quoique moins haute sans<br />

doute, sous ce rapport est plus irréprochable. Cʹest ainsi seulement que je lʹai compris, en<br />

disant quʹelle était plus faite et pouvait plutôt que lʹautre être immédiatement publiée.<br />

Cette explication nʹimporte guère. Je désirais pourtant vous la donner, si vous avez quel‐<br />

que confiance en ma circonspection et pru<strong>de</strong>nce, vous me renverrez lʹOrganiste après<br />

lʹavoir retouché un peu et je puis, je crois, répondre <strong>de</strong> le placer, ainsi que lʹautre, la jeune<br />

fille ou lacrymae convenablement. Vous nʹoublierez pas, mon ami, que vous avez à moi un<br />

médaillon qui mʹest bien précieux. Jʹai songé <strong>de</strong>puis pourtant que votre bon père désirait<br />

peut‐être le gar<strong>de</strong>r. Consultez‐le et faites pour le mieux. En tous cas, entre mes mains, il<br />

serait un simple dépôt révocable à volonté. Puisquʹun seul exemplaire en reste, il doit ap‐<br />

partenir à tous, et, selon le moment, passer <strong>de</strong> lʹun à lʹautre. Vous jugerez donc et je vous<br />

mets au défi <strong>de</strong> ne pas faire selon mon désir. Car, comme ami, sʹentend, la matière en moi<br />

prête; si vous nʹen faites pas quelque chose, si vous nʹen tirez pas tout le parti possible, ce<br />

sera votre faute. Adieu, mon ami, je serai moins causeur une autre fois, aujourdʹhui il ne<br />

pouvait en être autrement. Embrassez tendrement pour moi votre père.<br />

Tout <strong>de</strong> cœur à vous.<br />

<strong>Léon</strong> Le <strong>Prevost</strong><br />

Vous savez quel sujet occupait nos <strong>de</strong>rnières lettres, cʹest ici une effusion ouverte<br />

qui ne peut pas tarir. Soyez sûr quʹà tout instant, à toute heure mon attention est prête, que<br />

ma sympathie veille toujours. Jʹai lu la Fée 39 , en mémoire <strong>de</strong> vous. Jʹétais digne <strong>de</strong> la lire. Je<br />

lʹai senti au plaisir quʹil mʹa donné. Que Nodier fasse un seul pas encore, quʹil rompe un<br />

<strong>de</strong>rnier lien qui lʹattache aux autres pour se livrer tout à nous et je nʹaimerais personne<br />

plus que lui.<br />

Charles Nodier<br />

Soirée à l’ Arsenal<br />

38<br />

Il s'agit <strong>de</strong> la pièce <strong>de</strong> Victor Hugo, L'Organiste Boyer (cf. Victor Pavie, sa jeunesse, ses relations littéraires, par Théodore Pavie,<br />

1887, p.141).<br />

39<br />

La Fée aux Miettes, (1832), œuvre du poète et écrivain Charles Nodier (1780-1844), dont le salon littéraire parisien, à l'Arsenal,<br />

fut l'un <strong>de</strong>s foyers du mouvement romantique. Dans La Fée, conte fantastique, il cherche à réconcilier le rêve et la réalité.<br />

33


18 à M. Pavie<br />

Condoléances pour le décès <strong>de</strong> la grand‐mère <strong>de</strong> V. Pavie. Hymne à la famille, ʺla société <strong>de</strong> Dieuʺ. Amitié pour ar‐<br />

river ensemble à Dieu.<br />

Paris, 30 mai 1833<br />

Que sans retard je vous sois présent par cette lettre, mon ami, pour mʹassocier à vo‐<br />

tre douleur, pour me placer <strong>avec</strong> vous sous la main du Seigneur quand elle vous frappe et<br />

adorer <strong>avec</strong> vous sa volonté sainte. Quand <strong>de</strong>s frères égarés sʹen vont <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong>, tant <strong>de</strong><br />

crainte se mêle à nos espérances pour eux quʹinvolontairement on se courbe <strong>avec</strong> terreur<br />

<strong>de</strong>vant la Justice <strong>de</strong> Dieu qui passe, mais quand lʹœuvre sʹaccomplit au sein dʹune famille<br />

chrétienne, le cœur ne se serre pas <strong>avec</strong> angoisse, il éclate en pleurs, en gémissements que<br />

le Ciel recueille comme un fruit précieux <strong>de</strong> soumission et dʹamour. Ainsi votre bon père<br />

agenouillé sʹeffondrait tout en larmes, ainsi vous le soutenant et ainsi moi‐même à cette<br />

heure où je mʹi<strong>de</strong>ntifie si pleinement à vous que je souffre et pleure comme vous avez<br />

souffert et pleuré. Mais, à ce moment surtout, mon ami, je le dis encore, crions: gloire et<br />

merci à Dieu! qui nous a faits chrétiens, qui change la douleur en un présent céleste. Dites,<br />

la grâce est‐elle assez sensible et palpable, quand la douleur <strong>de</strong> votre père, remontant<br />

dʹâge en âge, va par échos enchaînés toujours, toujours montant, porter son tribut aux<br />

pieds même du Seigneur? Oh! je le crois, nos yeux ne voient sûrement Dieu quʹà travers<br />

les larmes et cʹest là un mystère qui nous soulève pour arriver jusquʹaux autres.<br />

Non, je nʹai pas vu votre vénérée mère, mais ne le regrettez pas tant; vous ne savez<br />

pas jusquʹà quel point ma tendre affection pour vous me donne par intuition sentiment et<br />

notion <strong>de</strong> tout ce qui vous est cher. Quelques mots <strong>de</strong> votre frère, quelques exclamations<br />

<strong>de</strong> vous mʹavaient ici fait voir <strong>de</strong> la vue <strong>de</strong> lʹâme cette tige vénérable <strong>de</strong> votre famille. Puis,<br />

votre bon père, nʹen est‐il pas une image, puis vous et votre frère nʹen avez‐vous pas aussi<br />

quelques traits? Bien <strong>de</strong>s fois, je vous le proteste, mon esprit fut au milieu <strong>de</strong> vous aux<br />

heures les plus saintes et vit votre famille comme un frère choisi par vous <strong>de</strong>vait la voir.<br />

Désormais, il y a là un grand changement; à votre bon père reviennent toutes les vertus <strong>de</strong><br />

la mère et Dieu sait sʹil en portera noblement le far<strong>de</strong>au! Mais à vous aussi, mon bien cher<br />

Victor, tout le poids <strong>de</strong>s siennes. Mon cœur le dit <strong>avec</strong> joie; vous étiez grand déjà, mais il<br />

vous faut grandir encore. Oh! continuez sans interruption votre famille, grossissez le tré‐<br />

sor <strong>de</strong> ses vertus, gar<strong>de</strong>z‐le <strong>avec</strong> sollicitu<strong>de</strong>, <strong>avec</strong> amour. Gar<strong>de</strong>z vos saintes traditions,<br />

gar<strong>de</strong>z la profession <strong>de</strong> vos ancêtres, gar<strong>de</strong>z leur ville natale et surtout leur foyer. La fa‐<br />

mille, cʹest la société <strong>de</strong> Dieu; quelques familles saintes encore éparses parmi nous je le<br />

crois fermement, conservent seules <strong>avec</strong> lʹÉglise ce type éternel <strong>de</strong> lʹordre selon Dieu et in‐<br />

terposent cette image entre sa colère et le désordre du mon<strong>de</strong>. Cʹest donc une mission,<br />

mon ami, que vous avez, mission <strong>de</strong> paix et <strong>de</strong> conciliation, mission sainte comme celle<br />

<strong>de</strong>s patriarches aux anciens temps et mon cœur me le dit encore, vous nʹy faillirez jamais.<br />

Pour cela votre humilité accueillera tout appui, quelque faible quʹil puisse être. Je vous of‐<br />

fre donc le mien. Je veux tendre à la perfection pour soutenir la vôtre. Vous aussi, vous<br />

mʹai<strong>de</strong>rez et ainsi appuyés lʹun sur lʹautre, nous arriverons mieux à Dieu. 40<br />

40 MLP. ne cherche pas à contrarier le mouvement naturel <strong>de</strong> son cœur qui le porte à aimer son prochain. Mais, la grâce aidant, il<br />

voit <strong>de</strong> plus en plus, en toute amitié, l'occasion <strong>de</strong> se soutenir mutuellement, dans les joies et dans les peines, pour mieux marcher<br />

ensemble vers Dieu. Arriver <strong>de</strong> concert à Dieu, accomplir <strong>de</strong> concert sa sainte volonté, telles sont quelques-unes <strong>de</strong>s expressions<br />

qui viendront spontanément sous sa plume, lorsqu'il faudra encourager ses frères à sauvegar<strong>de</strong>r l'esprit <strong>de</strong> communauté et l'esprit<br />

<strong>de</strong> dévouement. (cf. Règlement <strong>de</strong> 1847).<br />

34


Avec ces sentiments vous pensez, mon ami, si je gar<strong>de</strong>rai mémoire du 18 juin. Si ce<br />

jour‐là, je serai fervent au pied <strong>de</strong>s autels. Tout ce que ma faiblesse pourra donner par la<br />

prière sera tout entier versé au tribut, et jusque là chaque soir je dirai <strong>avec</strong> vous la prière<br />

<strong>de</strong>s morts, prière pour votre aïeule vénérée 41 ; prière, nous lʹespérons, quʹelle pourra re‐<br />

cueillir elle‐même et offrir pour nous en hommage à Dieu.<br />

Votre ami<br />

<strong>Léon</strong> Le <strong>Prevost</strong><br />

Aujourdʹhui même jʹenverrai, si je ne puis la porter, votre lettre à notre ami. Son<br />

union absolue <strong>avec</strong> nous en Dieu est désormais un vœu bien ar<strong>de</strong>nt pour moi. Travaillez‐<br />

y; moi, je me sens si faible agent près <strong>de</strong> lui, si supérieur à moi, que le courage mʹaban‐<br />

donne, si je nʹavais dʹailleurs ma confiance.<br />

Dites à votre père toute ma tendre vénération pour lui; dites‐lui toute ma sincère<br />

douleur et combien je suis vôtre à tous.<br />

19 à M. Pavie<br />

Amitié fondée sur Dieu. Comment souffrir en chrétien. Le chapelet <strong>de</strong> MLP. Circonstances dans lesquelles MLP.<br />

cessa toute pratique religieuse et laissa sa vocation. Il encourage son ami à persévérer dans le choix dʹune épouse.<br />

Nouvelles <strong>de</strong> Gavard, Sainte‐Beuve, Montalembert, Lacordaire. Ozanam et ses amis ont traduit lʹouvrage <strong>de</strong> Pelli‐<br />

co, Mes Prisons, dont MLP. a fait une recension.<br />

12 [juillet] 1833 42<br />

Vos lettres mʹémeuvent si intimement, mon ami, quʹelles font naître en moi le be‐<br />

soin dʹune effusion immédiate, dʹun épanchement immense dont je comprime <strong>avec</strong> peine<br />

lʹimpétuosité et lʹexcès. Mais ce qui me rend avant tout cette émotion précieuse, cʹest que<br />

jʹy vois un don <strong>de</strong> grâce, un encouragement, cʹest que jʹy trouve un parfum céleste qui dit<br />

assez dʹoù il <strong>de</strong>scend; puis, ma joie se double par réaction, car, mon ami, la tendresse infi‐<br />

nie <strong>de</strong> votre lettre ne mʹen laisse pas douter. Moi aussi jʹai quelque puissance sur vous, moi<br />

aussi je vous semble un bienfait <strong>de</strong> Dieu. Oh! que cela me fait <strong>de</strong> bien <strong>de</strong> vous servir à<br />

quelque chose, à vous qui mʹêtes tant à moi‐même, à vous dont lʹaction mʹeût opprimé si je<br />

ne lʹeusse subie <strong>avec</strong> tant dʹamour et si une voix ne mʹeût crié: reçois, reçois toujours, cʹest<br />

Dieu qui donne. Quand une fois on a mis en cette voie toutes ses affections, quʹon a senti<br />

tout ce quʹelles puisent dʹénergie et <strong>de</strong> pureté en sʹharmonisant à lʹamour divin, se peut‐il<br />

quʹon les laisse encore sʹégarer seules. Se peut‐il quʹon préfère mille sons se heurtant et dis‐<br />

cor<strong>de</strong>s au concert céleste dont on fit un instant partie? A cela, je sais bien la réponse. Le so‐<br />

leil luit quand il absorbe et dissipe les nuages, sinon le temps est sombre, lʹair mauvais; on<br />

arrive à la nuit toujours attendant le jour. Aussi en sentant tout mon être qui se renouvelle,<br />

mon âme se refaire, tous mes sentiments primitifs perdus <strong>de</strong>puis et que je croyais éteints,<br />

renaître peu à peu sous le souffle <strong>de</strong> Dieu, en laissant enfin tout ce travail intérieur sʹopé‐<br />

41<br />

Il s'agit bien <strong>de</strong> la grand-mère <strong>de</strong> V. Pavie, et non <strong>de</strong> sa mère, comme pourraient le faire croire certaines phrases <strong>de</strong> la lettre. Par<br />

<strong>de</strong>ux fois, au moins, la biographie <strong>de</strong> V. Pavie par son frère Théodore confirme l'i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> la défunte: "Lorsqu'elle mourut en<br />

1833, un ami <strong>de</strong> la famille écrivait à Victor: M me Pavie, votre grand-mère, était une sainte"!" (p.24). C'est en 1813 que V. Pavie<br />

avait perdu sa mère: "...Victor avait cinq ans et moi <strong>de</strong>ux mois quand elle disparut d'au milieu <strong>de</strong> nous" (p.31).<br />

42<br />

L'original <strong>de</strong> la lettre porte la date du 12 juin. C'est manifestement une erreur. Dans la lettre précé<strong>de</strong>nte (18, du 30 mai), MLP.<br />

mentionne la date du 18 juin pour une messe célébrée à la mémoire <strong>de</strong> la défunte. Il y fait allusion, <strong>de</strong> nouveau, dans la présente<br />

lettre, en employant le passé: "le 18, une messe a été dite..." Cette date du 18 juin est confirmée par une lettre adressée à V. Pavie<br />

par M me Hugo: "J'irai, Monsieur, à la messe le 18 juin…" (V. Pavie, sa jeunesse…p124). Il convient donc <strong>de</strong> dater cette lettre 19 du<br />

mois <strong>de</strong> juillet.<br />

35


er en moi, je tremble parfois pourtant et je dis: si je bouge, lʹœuvre fragile encore branle et<br />

sʹécroule, alors je lève les yeux en haut, puis je pense à vous et ma confiance revient.<br />

Vous pouvez compter, mon ami, que je serai fidèle à ma promesse: le 18, ce jour si<br />

grand pour vous, je puis dire pour nous, une messe a été dite ici pour mʹassocier à vos<br />

prières, je pensai un moment à y convoquer Boré, Papau, ceux <strong>de</strong> vos amis qui sont nos<br />

frères enfin; mais vous ne mʹaviez rien recommandé à ce sujet, je craignais dʹaller plus loin<br />

que votre volonté. Jʹeusse mieux fait, je crains à présent, <strong>de</strong> suivre cette inspiration.<br />

Je sens bien intimement, mon ami, tout ce que vous me dites <strong>de</strong> votre douleur. Je<br />

conçois bien ainsi une douleur chrétienne qui plie dʹabord en sa faiblesse humaine, mais se<br />

redresse ensuite, se mêle dʹespérance, et fortifiée <strong>de</strong> cet élément divin marche encore sur la<br />

terre, mais en regardant le Ciel. Je conçois bien encore que vos pleurs roulent ensemble<br />

pour votre vénérée mère et pour la peine secrète <strong>de</strong> votre cœur; je sens mieux que je ne le<br />

pourrai dire cette liaison intime, ce rapprochement mystérieux dʹéléments en apparence<br />

opposés et pourtant qui sʹattirent. Gar<strong>de</strong>z à jamais, mon bien cher Victor, tous ces souve‐<br />

nirs, il vous en sera <strong>de</strong>mandé compte; mettez ensemble le chapelet et la boîte, purifiez<br />

complètement lʹun par lʹautre et que ce soit là lʹemblème <strong>de</strong> votre bonheur futur, bonheur<br />

terrestre, mais béni par Dieu. Ne vous semble‐t‐il pas que cette chaîne <strong>de</strong> chapelet dérou‐<br />

lée aux mains du chrétien figure sa prière qui, dʹanneau en anneau, va se rattacher au<br />

tronc du Seigneur; jʹaurai aussi un chapelet, mais je voudrais aussi quʹil me vînt dʹune<br />

main sainte. Jʹen eus un autrefois, aux meilleurs jours <strong>de</strong> ma vie à 20 ans, quand Dieu<br />

mʹavait mis au cœur la pensée sainte <strong>de</strong> me consacrer à lui. Je partis <strong>de</strong> Lisieux où jʹétais<br />

alors 43 pour venir en vacances près <strong>de</strong> ma mère, <strong>avec</strong> un ami bon, généreux, mais bien mal<br />

inspiré, car sa lumière ne venait pas dʹen haut; déjà il avait, bien à mon insu, ébranlé ma<br />

foi. Pourtant, en passant au Havre où nous étions venus en traversant le bras <strong>de</strong> mer, je<br />

mʹagenouillai le soir, lʹautre dormant déjà, et je récitai mon chapelet. Puis, lʹayant fini et<br />

posé sur la table, je ne sais par quelle distraction, je vins à mettre <strong>de</strong>ssus le flambeau. Jʹou‐<br />

bliai le chapelet <strong>de</strong>ssous. Huit jours après, tous mes liens <strong>avec</strong> Dieu étaient rompus; ma<br />

mère et ma sœur prévenues subitement à <strong>de</strong>ssein par lʹami, que jʹallais dans quelques se‐<br />

maines au Séminaire, montrèrent une émotion à laquelle je ne sus pas résister. Je repris à<br />

Dieu ce que je lui avais donné; pourtant aujourdʹhui, me voilà revenu à lui, mais je nʹai<br />

plus à lui rendre ma première jeunesse, ni ma santé dʹautrefois. On laisse quelque chose<br />

aux buissons <strong>de</strong> la route; je servirai donc Dieu, je lʹespère, mais plus dans la troupe dʹélite.<br />

Jʹai perdu mon rang.<br />

Je parlais tout à lʹheure pour vous <strong>de</strong> bonheur futur, obstiné que je suis à voir <strong>de</strong>s<br />

motifs dʹespérer dans tout ce qui vous désespère. En effet je ne puis, mon ami, considérer<br />

autrement les remontrances qui vous sont faites; elles me semblent <strong>de</strong>s marques bien réel‐<br />

les dʹintérêt; on ne crie pas aux gens vous prenez un mauvais chemin quand on désire<br />

quʹils sʹégarent: que votre caractère, vos manières dʹêtre habituelles et particulières ne<br />

soient pas dès lʹabord comprises, cʹest inévitable et ne saurait durer; notre pauvre intelli‐<br />

gence est si bornée que nous commençons tout rapprochement par <strong>de</strong>s malentendus; mais<br />

on sʹexplique peu à peu; lʹœil démêle, à travers lʹobscurité, la réalité <strong>de</strong>s choses et sʹen em‐<br />

pare définitivement. Sʹil en est ainsi entre nous, jeunes gens quʹune éducation, <strong>de</strong>s princi‐<br />

pes, <strong>de</strong>s idées communes ont formulés pour ainsi dire en un même moule, comment y<br />

échapperait‐on dʹhomme à femme, placé en situation si différente dans le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> lʹintel‐<br />

43 De septembre 1823 à février 1825, MLP. enseigna au Collège Royal <strong>de</strong> Lisieux. (Positio, p.26-27).<br />

36


ligence, cela serait effrayant si, pauvres créatures, nous nʹavions pour nous entendre que<br />

lʹintelligence; mais vous le savez mieux quʹun autre, nous avons aussi lʹamour et par là,<br />

vous et une femme vraiment bonne, vraiment femme ne sauriez manquer <strong>de</strong> vous révéler<br />

complètement lʹun à lʹautre. Ne vous découragez donc pas, mon bien cher Victor, ne vous<br />

buttez pas contre les obstacles. Surmontez‐les. Il en est un par exemple dont vous vous ef‐<br />

frayez outre mesure; lʹindifférence, peut‐être pis, <strong>de</strong> M me Ch.. Quoi, cette jeune femme,<br />

mʹavez‐vous dit, est douce et bonne et elle vous fait peur. Elle vous est adverse, je le veux.<br />

Eh bien, gagnez‐la. Priez‐la ar<strong>de</strong>mment, rappelez‐lui quʹautrefois aussi elle aima et que<br />

lʹai<strong>de</strong> <strong>de</strong> tous lui fut nécessaire, quʹil vous faut son appui et quʹelle peut tout pour vous.<br />

Qui vous empêcherait, dites‐moi, <strong>de</strong> vous la rendre ainsi dévouée ou au moins engagée <strong>de</strong><br />

délicatesse à neutralité absolue? Un peu <strong>de</strong> timidité, un peu dʹorgueil peut‐être. Oh! mon<br />

ami, on peut acheter sa compagne au prix <strong>de</strong> bien dʹautres sacrifices et ce nʹest pas vous<br />

qui reculerez <strong>de</strong>vant ceux‐là. Il serait bien froid pour tout autre dʹajouter quʹil faut, mon<br />

ami, soumettre enfin tout cela à la volonté <strong>de</strong> Dieu et chercher dans votre confiance en Lui<br />

plus <strong>de</strong> calme et dʹespérance, mais nous nous comprenons. Je nʹai pas peur <strong>de</strong> méprise. Et<br />

puisque vous permettez tout à ma vive affection, oh! mon bien‐aimé Victor, il ne nous est<br />

pas permis à nous autres chrétiens <strong>de</strong> vouloir, <strong>de</strong> chercher ici‐bas un bonheur direct et<br />

pour ce bonheur en lui‐même, ne lʹoubliez pas, il ne doit être pour nous quʹune voie, quʹun<br />

moyen; vous lʹavez dit vous‐même mille fois; mais dans les jours dʹangoisse et dʹar<strong>de</strong>nte<br />

préoccupation où vous êtes, on peut oublier la fin, cʹest pourquoi je vous la rappelle.<br />

Nous parlons ici souvent <strong>de</strong> votre frère; jʹy ai beaucoup pensé, surtout à propos <strong>de</strong><br />

lʹévénement arrivé <strong>de</strong>rnièrement dans votre famille. Lʹéloignement nʹamortit pas le coup,<br />

au contraire. Cʹest comme une pierre qui tombe; plus cʹest <strong>de</strong> haut, plus ru<strong>de</strong> est lʹatteinte.<br />

Continuez <strong>de</strong> nous informer <strong>de</strong> ce qui le concerne. Gavard et moi vous en saurons beau‐<br />

coup <strong>de</strong> gré. Ce pauvre Gavard il se trouva lʹautre jour par nous entre <strong>de</strong>ux feux. Au mo‐<br />

ment où lui arrivait votre lettre, je ne sais quelle circonstance mʹavait donné occasion <strong>de</strong><br />

lui écrire aussi, un peu <strong>de</strong> jalousie, je crois, quʹil avait montrée à propos <strong>de</strong> vous, et tandis<br />

que vos instances amicales le prenaient dʹun côté, les miennes le prenaient <strong>de</strong> lʹautre. Mais,<br />

je le crains, lʹheure <strong>de</strong> Dieu nʹa pas encore sonné pour lui. Son amour du vague va toujours<br />

croissant. Son dogme cʹest la négation, son culte, cʹest lʹattente. Il en vient à croire quʹil<br />

porte en lui quelque gran<strong>de</strong> vérité qui doit éclore un jour. Il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> grâce et respect pour<br />

sa gestation, et lʹautre jour, dʹune voix toute émue, il me suppliait <strong>de</strong> nʹy pas toucher. Pau‐<br />

vre ami qui prend un vain nuage flottant vaguement à lʹhorizon pour le bord sacré <strong>de</strong> la<br />

Patrie. Mon Dieu! que nos efforts humains sont faibles; la foi remue les montagnes, mais<br />

tout absolument nous est montagne! Et si la main <strong>de</strong> Dieu ne pousse <strong>avec</strong> nous, la monta‐<br />

gne ne bouge!<br />

Vous avez encore un autre ami, mon cher Victor, qui non seulement nʹavance pas,<br />

mais recule dʹune façon effrayante, cʹest Sainte‐Beuve. Sa collaboration au National le tue<br />

<strong>de</strong> toute façon. Il fait maintenant profession ouverte <strong>de</strong> rationalisme, et ce serait pis encore,<br />

si lʹon en croyait un article sur Casanova 44 du 1 er jour du mois, où il affiche une incroyable<br />

légèreté en morale, concédant à grand‐peine la liberté <strong>de</strong>s actes humains. Le n° du 8<br />

contient un autre travail sur les Pèlerins polonais qui nʹest guère moins malheureux. Jʹatten‐<br />

dais quʹil nous parlerait <strong>de</strong> Pellico, point. Il a laissé ce soin à je ne sais quel plat écrivain<br />

44 Casanova, (1725-1789), aventurier italien, célèbre pour ses Mémoires.<br />

37


qui a si bien défiguré son sujet quʹil nʹen reste rien. Je dénonce tout cela à votre tendre af‐<br />

fection pour lui. Il glisse vraiment. Retenez‐le, si vous pouvez.<br />

Quelques jeunes catholiques, M. Ozanam 45 en tête, viennent <strong>de</strong> réaliser une bonne<br />

et chrétienne pensée. Ils ont fait une traduction <strong>de</strong> Pellico qui sʹimprime et sera donnée à<br />

très bas prix (30 sols au plus). On en veut inon<strong>de</strong>r, sʹil se peut, notre France, et vous pense‐<br />

rez comme moi, sans doute, que meilleure semence ne saurait y<br />

être jetée. Jʹai songé que vous pourriez ai<strong>de</strong>r aussi à l ʹœuvre, en<br />

en recevant un dépôt, lʹannonçant dans votre journal 46 et partout<br />

où vous pourrez pour le répandre. Cela se peut‐il? Jʹavais fait<br />

sur ce livre un petit travail <strong>de</strong>stiné à votre journal; mais il a pris<br />

couleur si tranchée <strong>de</strong> mes sentiments catholiques quʹil a fallu y<br />

renoncer. Il est dʹailleurs beaucoup trop long. Je ne sais ce quʹil<br />

<strong>de</strong>viendra. M. Gavard qui ne doute <strong>de</strong> rien, mʹa fait lʹenvoyer,<br />

dans un moment dʹétour<strong>de</strong>rie, à la Revue Européenne 47 Je vous<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>rais pardon <strong>de</strong> tant dʹorgueil, si je nʹavais dʹavance été<br />

très indifférent à un refus prévu; on ne mʹa fait aucune réponse, je trouve quʹon a bien fait.<br />

Adieu, mon ami, écrivez‐moi quand vous pourrez. M. Gerbet est ici. Je nʹai pu réus‐<br />

sir à le voir encore. M. <strong>de</strong> Montalembert est <strong>avec</strong> vous, je pense, à cette heure. Il me dit<br />

avant son départ quʹil reviendrait par Angers, ajoutant <strong>avec</strong> insistance itérative quʹil re‐<br />

gardait comme un bonheur <strong>de</strong> vous y voir. M. Lacordaire a prêché au Collège Stanislas le<br />

jour <strong>de</strong> S t Pierre sur lʹÉglise; cʹest la plus gran<strong>de</strong> et la plus haute chose que jʹaie jamais en‐<br />

tendue. Merci du souvenir quʹà double reprise vous donnez à ma mère. Merci <strong>de</strong> vos<br />

vœux à ce sujet. Ils me vont droit au cœur et par la voie dʹune affection bien tendre, bien<br />

pure, je lʹespère. Adieu encore. Pardon pour cette lettre extravagante. Je ne le ferai plus.<br />

Jʹai <strong>de</strong>puis hier Lʹhomme <strong>de</strong> désir.<br />

Souvenir et respect, vous savez: à vous, tout ce que<br />

vous voudrez.<br />

<strong>Léon</strong> Le <strong>Prevost</strong><br />

20 à M. Pavie<br />

Savoir goûter le bonheur que Dieu et quʹIl sanctifie. Ne pas précipiter le<br />

mariage. Projet <strong>de</strong> voyage à lʹétranger pour V. Pavie qui tourne court par<br />

lʹindécision <strong>de</strong> Gavard. Petite chronique dʹouvrages littéraires ou religieux qui<br />

viennent <strong>de</strong> paraître. MLP. fait la connaissance <strong>de</strong> Bailly. Il relève quelques<br />

indices <strong>de</strong> reprise <strong>de</strong> la foi catholique.<br />

Mardi 20 août 1833<br />

Vous acceptez le bonheur <strong>avec</strong> gran<strong>de</strong> défiance, mon<br />

cher Victor, et je ne vous blâme pas. Vous craignez les<br />

45<br />

C'est en fréquentant le salon littéraire <strong>de</strong> Montalembert que MLP. avait fait la connaissance <strong>de</strong> Frédéric Ozanam (1813-1853).<br />

Jeune étudiant en droit <strong>de</strong> 20 ans, Ozanam venait <strong>de</strong> fon<strong>de</strong>r, le 23 avril, <strong>avec</strong> cinq <strong>de</strong> ses amis, la Conférence <strong>de</strong> Charité, sous l'impulsion<br />

d'Emmanuel Bailly et <strong>de</strong> la Sœur Rosalie Rendu, Fille <strong>de</strong> la Charité. Le 4 février 1834, la Conférence prendra le nom <strong>de</strong><br />

Conférence <strong>de</strong> Saint-Vincent-<strong>de</strong>-Paul. La seule lettre connue <strong>de</strong> MLP. à Ozanam est du 11avril 1838 (cf. infra, lettre 75-1).<br />

46<br />

Dès son retour à Angers en 1832, Victor Pavie avait fondé, sur le modèle du cercle littéraire le "Cénacle" animé par V. Hugo, son<br />

propre cénacle. De ce cénacle, sortit La Gerbe, où se publieront chaque année la prose et les vers <strong>de</strong> jeunes écrivains en herbe.<br />

47 Parue <strong>de</strong> 1831 à 1834, elle diffusait les idées <strong>de</strong> Lamennais. Elle s'imprimait chez Emmanuel Bailly.<br />

38


etours dʹune espérance trop facilement accueillie et vous faites bien; puis, vous aviez<br />

peur, avouez‐le, que je ne prenne trop en joie les choses que vous mʹalliez dire; vous avez<br />

donc comprimé tous les sentiments qui vous gonflaient le cœur en laissant à peine exhaler,<br />

à longues haleines, quelques bouffées légères; cʹétait assez, allez, et craintes et joies, jʹai<br />

tout <strong>de</strong>viné par là. Nʹai‐je pas toujours dʹailleurs la main sur votre cœur et ses battements<br />

précipités ne me disaient‐ils pas les luttes qui sʹy passaient. Ne craignez pas, cher ami, je<br />

nʹirai pas trop vite, je ne crierai pas victoire et triomphe avant lʹheure. Oh! je me sentirais<br />

heureux pourtant à déposer <strong>avec</strong> vous, pour un instant seulement, rien quʹun instant,<br />

toute crainte pour lʹavenir; à vous voir confiant vous‐même, vous noyer dans le bonheur et<br />

savourer <strong>avec</strong> plénitu<strong>de</strong> toutes les espérances infinies que peuvent laisser les mille choses<br />

que vous me racontez, les mille pensées entassées dans ces quelques heures, les mille sen‐<br />

timents quʹelles ont dû voir naître! Sʹil est vrai que le bonheur nʹest guère pour nous ici que<br />

dans ces aspirations ar<strong>de</strong>ntes vers tout ce qui lui ressemble, où sera donc le vôtre, mon<br />

ami, si vous vous refusez constamment à ces courts repos, toujours attendant, toujours dé‐<br />

sirant? Pas encore, et toujours traversant les plus belles heures <strong>de</strong> votre vie, courant à dʹau‐<br />

tres que vous outrepasserez encore? Oh! oui, ici jʹaurais voulu une halte pour vous, un peu<br />

<strong>de</strong> repos et <strong>de</strong> fraîcheur, sauf à reprendre après lʹâpre et dur chemin, les courses haletantes<br />

dans le désert brûlant. Dieu ne nous punit pas <strong>de</strong> notre bonheur, quand nous le sanctifions<br />

en lui, quand nous lʹacceptons comme une consolation, une grâce, comme un moyen dʹar‐<br />

river à lui. On peut, en le mettant <strong>de</strong> moitié dans sa joie, sʹy abandonner pleinement, en<br />

toute sécurité et confiance, sans peur pour le len<strong>de</strong>main, car lui encore en sera la mesure et<br />

si elle est dʹamertume et <strong>de</strong> tristesse il ne refusera pas la part que nous lui offrirons. Je le<br />

sens, il est bien facile dans le calme où je suis <strong>de</strong> parler ainsi et je nʹai gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> donner ex‐<br />

tension trop gran<strong>de</strong> à mes paroles. Je sais très bien quʹil est telles épreuves dans notre vie<br />

qui nʹadmettent ni repos, ni réflexions, où lʹon roule emporté dans un tourbillon irrésisti‐<br />

ble, nʹentendant plus, ne voyant plus, tendant seulement <strong>de</strong> toutes les puissances vers un<br />

but, vers une fin. Oui, cʹest ainsi quʹest lʹamour et ceux quʹeffraie le tourbillon, qui nʹosent<br />

sʹy lancer, qui veulent prendre une voie moins périlleuse, ceux‐là nʹarrivent jamais,<br />

lʹamour nʹest pas fait pour eux; mais encore faut‐il respirer et crier parfois: Mon Dieu! Or,<br />

pour vous, mon bien cher ami, il nʹexiste ni halte, ni trêve, partout et pour tout, vous vous<br />

jetez au tourbillon, vous ne marchez pas, vous courez toujours. Et combien <strong>de</strong> temps, pen‐<br />

sez‐vous que lʹon puisse aller ainsi, tendu jusquʹà rompre, lancé jusquʹà prendre flamme!<br />

Je voudrais donc, mon ami, quʹun peu <strong>de</strong> cette admirable force revînt sur vous‐même,<br />

pour y porter, par une volonté énergique, un peu <strong>de</strong> repos et <strong>de</strong> calme, parfois même un<br />

peu dʹespoir confiant et <strong>de</strong> tout abandon.<br />

Pourquoi, par exemple, cet effroi effaré <strong>de</strong>vant la distance quʹon mettrait entre vous<br />

et votre bonheur complet; laissez dire, laissez faire, laissez compter sur les doigts <strong>de</strong> la<br />

mère les années, que lʹhorizon reste sans limite pour elle et pour sa fille qui, si jeune en‐<br />

core, sʹeffraierait dʹun avenir plus précisé; puis, quand par votre docilité, votre soumission<br />

dʹenfant, vous aurez obtenu enfin admission, quʹil nʹy aura plus, contre vous si humble et<br />

si résigné, la défiance, à cet instant, dites‐moi, ne serez‐vous pas maître absolu et libre <strong>de</strong><br />

changer les lustres en années, les années en mois? A prendre la chose au pire, dʹaprès vos<br />

vœux mêmes, un délai quelque peu reculé paraîtrait réellement à votre bon père, à vos<br />

vrais amis un bonheur, un temps nécessaire dʹattente et dʹinitiation.<br />

39


Si je parle ainsi, mon bien‐aimé ami, ce nʹest pas, croyez‐le, que mon ar<strong>de</strong>nte sym‐<br />

pathie ne vole <strong>avec</strong> vous au but désiré. Ce nʹest pas que mon cœur reste calme et froid, pe‐<br />

sant à loisir le bien et le mal. Oh! non, vous le savez, moi qui longuement ici vous gron<strong>de</strong>,<br />

je lis tout dʹune haleine vos lettres, ne respirant quʹau bout. Chaque fois que vous souffrez,<br />

il me semble quʹil faut courir à vous et lʹimpossibilité matérielle arrête à peine ma volonté.<br />

Mais, mon ami, il y a encore en moi pour vous autre chose que <strong>de</strong> la sympathie, il y a une<br />

tendresse infinie qui veut votre bonheur au prix <strong>de</strong> tous les sacrifices et brise ou réprime<br />

tous les élans <strong>de</strong> la sympathie quand ils sʹéloignent <strong>de</strong> ce but, au lieu dʹy concourir. Voyez‐<br />

moi ainsi, mon ami, si vous voulez me voir en vérité et donnez quelque poids à mes paro‐<br />

les, car tout ce quʹil y a <strong>de</strong> meilleur en moi les inspire, <strong>de</strong> meilleur, oui car il nʹest point là<br />

<strong>de</strong> réserve, rien qui ne vous appartienne, rien qui ne vous soit donné.<br />

Jʹirai ce soir chez Gavard, je vous dirai au retour, si je puis, mieux que lui du moins,<br />

ce quʹil compte faire.<br />

Ce nʹest pas lʹaffection qui manque à Gavard pour vous suivre, ce nʹest pas non plus<br />

le désir, ce nʹest que la puissance <strong>de</strong> vouloir, puissance que je ne lui ai guère jamais vue et<br />

quʹil nʹeut peut‐être jamais. Que voulez‐vous? Cʹest étrange, mais il nous prouve que cela<br />

retranché <strong>de</strong> lʹhomme, lʹhomme est encore une riche et bonne créature. Puis, dʹailleurs,<br />

cʹest chez lui peut‐être une tendresse <strong>de</strong> cœur trop gran<strong>de</strong> qui le fait se lier <strong>avec</strong> tant<br />

dʹétreinte à tout ce qui lʹentoure que sʹen détacher est impossible. Dès lʹabord, quand je lui<br />

en parlai avant‐hier: oh! me dit‐il, jamais, je ne mʹen sens pas capable; puis votre lettre lue,<br />

cʹétait à elle quʹil était lié, il sʹécria: oh! oui, je le veux, oui, quinze jours cʹest arrêté; puis<br />

nous revenons près <strong>de</strong> sa femme qui feint <strong>de</strong> lʹencourager à partir, parce quʹau fond elle ne<br />

craint rien. Cʹétait alors bien autre chose et si vous aviez vu comme moi lʹimpossibilité<br />

énorme, infranchissable qui, tout à coup sʹest élevée entre votre projet et sa réalisation,<br />

vous auriez souri comme moi, comprenant lʹhomme jusquʹau fond et lui pardonnant aussi,<br />

car, en vérité, ce nʹest pas sa faute à lui; il donne tout ce quʹil a <strong>de</strong> vouloir, <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r plus<br />

serait mal et vous ne le ferez pas, mon ami. Je regrette sincèrement et lui aussi, que cela<br />

tourne ainsi. Je ne voudrais pas, moi, grand chose pour vous en pareil voyage. Je ne vous<br />

ferais pas suffisant contrepoids. A défaut <strong>de</strong> mieux pourtant, je serais déjà en route, scirent<br />

si ignoscere manes 48 , manes signifiant ici administration, ce qui est traduit moins librement<br />

quʹon ne le pourrait croire.<br />

La Suisse paraît calmée et vous pourriez reprendre votre premier <strong>de</strong>ssein, cela vous<br />

irait mieux, il me semble, dʹaller là tout à lʹaise, respirer lʹair que dʹaffleurer un coin <strong>de</strong><br />

lʹItalie. Après tout, pourtant, le Piémont, la Lombardie surtout peuvent bien être détachées<br />

du reste et vus en soi séparément. Gavard penche lui pour les Pyrénées, donneurs dʹavis<br />

que nous sommes, nʹayant rien <strong>de</strong> mieux à donner, mais vous, comme lʹhomme à lʹâne:<br />

nʹen ferai quʹà ma tête, et nous dʹajouter après: il le fit et fit bien.<br />

Tout cela, mon ami, est écrit en désespoir <strong>de</strong> ce que mes trois pages se sont trouvées<br />

inondées, je ne sais <strong>avec</strong> quoi, et que nʹayant plus place en suffisance pour rien mener à<br />

fin, autant vaut ne rien commencer. Nous avons ici M. Gerbet.<br />

Lisez Lelia 49 , beaucoup <strong>de</strong> mal, beaucoup <strong>de</strong> bien; il y a là et dans tout ce qui paraît<br />

aujourdʹhui un insupportable mélange <strong>de</strong>s choses saintes aux profanes. Le mysticisme en‐<br />

48 S'il avait fallu, MLP. aurait su se faire excuser, par son administration, pour partir en voyage <strong>avec</strong> son ami Pavie.<br />

49 Roman (1833) <strong>de</strong> l'écrivain Aurore Dupin, dite George Sand (1804-1876), qui bouscule quelque peu la morale et les préjugés so-<br />

ciaux <strong>de</strong> l'époque.<br />

40


vahit le roman; bientôt ce sera la scène. Nous aurons <strong>de</strong>s Mystères 50 , moins la foi dans lʹau‐<br />

teur, lʹacteur et lʹauditoire. Cela mʹinspire une singulière répugnance, mais lʹépreuve est<br />

inévitable. Un filon découvert, on lʹépuise.<br />

Jʹai remis votre journal au Cabinet <strong>de</strong> Lecture. Il paraît que vous eussiez dû déclarer<br />

à la poste que cʹétait un imprimé: la voleuse mʹa fait payer dix‐huit sous (note pour lʹave‐<br />

nir seulement, je nʹai pas besoin <strong>de</strong> vous le dire, et <strong>de</strong> simple avertissement). Mon petit<br />

travail sur Pellico parait perdu. Si la Revue le<br />

retrouve, je vous lʹenverrai, mon ami. On mʹa<br />

<strong>de</strong>mandé un bulletin dʹannonces pour cette<br />

même revue, <strong>de</strong>s poésies dʹun jeune breton un<br />

peu connu <strong>de</strong> vous Ed. Turquety: Amour et foi.<br />

Cela sera au n° dʹaoût, sauf coupures peut‐être et<br />

ajustement.<br />

Jʹai fait la connaissance <strong>de</strong> M.<br />

Bailly 51 , je mʹen applaudis, comme bien vous le<br />

pensez. Il confie la partie littéraire et<br />

philosophique du journal quʹil dirige, la Tribune<br />

Catholique, à quelques jeunes gens et le<br />

produit <strong>de</strong>s articles faits par eux est versé dans une<br />

caisse pour aumônes que les jeunes gens eux‐<br />

mêmes vont porter à <strong>de</strong> pauvres familles, cʹest une généreuse et pieuse pensée. Jʹaurai la<br />

joie dʹy entrer un peu pour ma part. Il y a en ce moment ici un grand mouvement <strong>de</strong> chari‐<br />

té et <strong>de</strong> foi, mais tout cela dans la sphère isolée <strong>de</strong> lʹhumilité, échappe au mon<strong>de</strong> indiffé‐<br />

rent. Je me trompe bien, ou <strong>de</strong> ces catacombes nouvelles sortira encore une lumière pour le<br />

mon<strong>de</strong>; il nʹimporte, du reste, quelle forme aura le résultat, mais une foule <strong>de</strong> recueils reli‐<br />

gieux qui sʹimpriment ici maintenant à profusion et vont <strong>de</strong> tous côtés porter lʹinstruction<br />

à tous les <strong>de</strong>grés, et dans la mesure <strong>de</strong> toutes les intelligences, révèlent un besoin qui jus‐<br />

quʹici sommeillait ou se montrait bien moins impérieux. Les libraires disent quʹils nʹont<br />

pas souvenir que <strong>de</strong> longues années un livre ait été vendu autant que Pellico. On en fait <strong>de</strong><br />

tous côtés <strong>de</strong>s éditions nouvelles. (La nôtre nʹavance guère.) Dʹun autre côté, M. Gerbet<br />

mʹa donné récemment <strong>de</strong>s détails bien intéressants sur le mouvement dʹascension du ca‐<br />

tholicisme en Angleterre; il mʹa en particulier rapporté un entretien <strong>de</strong> M. Rio, ami <strong>de</strong> M.<br />

<strong>de</strong> Lamennais et maintenant compagnon <strong>de</strong> voyage <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Montalembert <strong>avec</strong> plusieurs<br />

professeurs <strong>de</strong> lʹUniversité <strong>de</strong> Cambridge dʹoù on peut tirer les plus belles espérances. Si<br />

ces détails ne vous ont pas été communiqués, dites‐le, vous les aurez dans ma prochaine<br />

lettre. Jʹai vu récemment <strong>de</strong>s lettres sur les Missions dʹAmérique; elles ont aussi <strong>de</strong> bien<br />

heureux résultats; enfin on prépare ici <strong>de</strong>s Missions pour lʹAfrique qui nʹen avait pas en‐<br />

core.<br />

Jʹavais tracé sur mon papier la ligne <strong>de</strong> nec plus ultra pour laisser place à lʹadresse,<br />

elle nʹa pas été respectée. Je ne sais plus comment faire. Je ne sais pas comme vous dire<br />

50 MLP. fait ici référence au genre dramatique médiéval d'inspiration religieuse qui mettait en scène la Nativité, la Passion, la Résur-<br />

rection et <strong>de</strong>s scènes <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong>s saints.<br />

51 Emmanuel Bailly (1793-1861). Formé à l'école <strong>de</strong> la charité au sein <strong>de</strong>s nombreuses sociétés (S. <strong>de</strong>s Bonnes Oeuvres, <strong>de</strong>s Bonnes<br />

Etu<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>s Amis <strong>de</strong> l'Enfance etc.) suscitées, au len<strong>de</strong>main <strong>de</strong> la Révolution Française, par la fameuse Congrégation, il offrit, le<br />

23 avril 1833, à Ozanam et à ses amis étudiants, les bureaux où il imprimait son journal, la Tribune Catholique, rue St-Sulpice. Il<br />

accepta <strong>de</strong> prési<strong>de</strong>r les réunions <strong>de</strong> la Conférence <strong>de</strong> Charité, la future Société <strong>de</strong> Saint-Vincent-<strong>de</strong>-Paul.<br />

41


eaucoup en peu <strong>de</strong> mots. Jʹessaierai. Adieu, mon ami, à bientôt une lettre <strong>de</strong> vous. Nous<br />

avons eu, je dis nous, une lettre <strong>de</strong> Théodore, Gavard vous lʹa dit sans doute, bien bonne,<br />

bien jeune et aimable lettre. Mille choses tendres et respectueuses à votre bon père, il me<br />

semble toujours que je suis <strong>avec</strong> vous <strong>de</strong>ux et que Dieu est au milieu <strong>de</strong> nous. Amen! Jʹau‐<br />

rai bien à répondre sur la date <strong>de</strong> votre <strong>de</strong>rnière lettre, mais nous nous entendons, cʹest as‐<br />

sez répondre et puis en voilà bien long. Adieu, ami.<br />

<strong>Léon</strong> Le <strong>Prevost</strong><br />

Le boulevard <strong>de</strong>s Italiens, aquarelle, Thomas Boys, 1833<br />

21 à M. Pavie<br />

Atteint du choléra, MLP. a frôlé la mort. Lʹépreuve est une occasion <strong>de</strong> progrès spirituel. La situation matrimoniale<br />

<strong>de</strong> V. Pavie toujours incertaine.<br />

16 novembre 1833<br />

Pauvre ami, à vous donc aussi <strong>de</strong>s souffrances, et Dieu le sait, bien autrement cui‐<br />

santes que les miennes. Les miennes étaient près <strong>de</strong> la mort, les vôtres doublent la puis‐<br />

sance <strong>de</strong> votre vie mais pour doubler aussi la peine. Puisque vous le voulez, cher ami, et<br />

aussi pour détourner un instant votre attention, je vous dirai quʹil a plu au Ciel, comme<br />

vous lʹa dit Gavard, <strong>de</strong> mʹenvoyer une épreuve un peu plus ru<strong>de</strong> que d’ordinaire. Une at‐<br />

teinte assez violente <strong>de</strong> choléra a été le commencement <strong>de</strong> ma maladie et, pendant plu‐<br />

sieurs jours <strong>de</strong>s acci<strong>de</strong>nts si effrayants mʹont assailli que bien <strong>de</strong>s fois jʹai attendu lʹheure<br />

<strong>de</strong>rnière; un jour surtout, jʹen ai la ferme certitu<strong>de</strong>, la mort était à la tâche. Je sentais son<br />

travail en moi, les liens les plus intimes étaient brisés un à un. Oh! quʹà ce moment la vue<br />

dʹun prêtre, quʹon était allé chercher en hâte, me fit <strong>de</strong> bien, que Dieu fut bon et tendre<br />

pour moi; sans lui, sans mon titre <strong>de</strong> chrétien je nʹeusse jamais supporté cette terrible an‐<br />

goisse; et <strong>de</strong>puis encore, durant les semaines qui ont suivi, le corps épuisé, lʹesprit abattu,<br />

42


terrifié, poursuivi <strong>de</strong> terreurs, <strong>de</strong> faiblesses nerveuses, dans un profond découragement,<br />

effrayé dès quʹun moment jʹétais seul, comme un enfant dans les ténèbres, mon seul appui<br />

encore, ma seule paix était en Dieu. Je pleurais, je gémissais sous sa main et je me relevais<br />

moins triste, moins découragé. Aujourdʹhui, enfin, je suis loin <strong>de</strong> toute rechute et <strong>de</strong> tout<br />

danger, mais je traîne une convalescence triste et lente. Je suis faible <strong>de</strong> corps et mes fa‐<br />

cultés restent encore tellement ébranlées que tout travail mʹest impossible; mais jʹai quel‐<br />

ques instants doux et consolants toutefois, quand Dieu me fait sentir au cœur quʹil me veut<br />

ainsi, que je lui peux plaire ainsi en langueur et soumission.<br />

Ce remè<strong>de</strong> éternel, dans toutes les phases <strong>de</strong> mon mal, puissiez‐vous aussi, mon<br />

bien‐aimé frère, le prendre, lʹaccepter aussi pour le vôtre. Hélas! je le dois dire, ma foi nʹest<br />

pas telle que la consolation divine recouvrît absolument la plaie, amortît la douleur. Oh,<br />

non, une ru<strong>de</strong> bien ru<strong>de</strong> souffrance restait, peut‐être en sera‐t‐il aussi pour vous, cher ami;<br />

pourtant, il y aura, croyez‐moi, dans le mal ainsi porté, quelque chose dʹineffable et si,<br />

lʹépreuve finie, vous êtes plus près <strong>de</strong> Dieu, faudra‐t‐il vous plaindre dʹune route parcou‐<br />

rue?<br />

Il y aurait dans une autre sphère, dans la réalité <strong>de</strong>s choses, bien dʹautres consola‐<br />

tions à vous offrir. Je ne sais si le manque <strong>de</strong> tous détails dans votre lettre en est cause,<br />

mais je nʹai pu y trouver cette assurance irrévocable dʹune rupture définitive. La situation<br />

est peut‐être bien moins mauvaise que vous ne le pensez: une mère près dʹune enfant ma‐<br />

la<strong>de</strong>, lʹeût‐elle déjà donnée, lʹarrache pour la reprendre en son sein, cʹest pour elle à ce<br />

moment le fruit quʹelle portait, le frêle nourrisson quʹelle allaitait jadis et vous voulez<br />

quʹelle le laisse prendre, que le mal fini, elle laisse, tant loin que ce soit, approcher son en‐<br />

fant: cʹest impossible. Sentez cela, cher ami. Ayez confiance dans le temps ou plutôt en<br />

Dieu qui ne fera pas sʹépandre sur terre ari<strong>de</strong> tous les trésors <strong>de</strong> votre cœur. Là est la pré‐<br />

cieuse semence qui doit perpétuer votre sainte et bonne famille et Dieu la gar<strong>de</strong>ra, croyez‐<br />

moi; puis, là‐haut, tous les ascendants éteints <strong>de</strong> cette famille, vos mères surtout, pour les‐<br />

quelles vous êtes si pieux, prient pour vous, veillent sur vous. Quoiquʹil arrive donc, tout<br />

tournera à bien. Ayez confiance seulement. Espérez en Dieu!<br />

Écrivez‐moi bientôt, jʹattendais <strong>de</strong>puis longtemps votre lettre. Adieu, cher ami, dans<br />

mes heures les plus pénibles votre souvenir mʹétait présent; puisse le mien, <strong>avec</strong> ma ten‐<br />

dre, ma bien tendre affection vous êtes aussi <strong>de</strong> quelque consolation.<br />

Jʹembrasse en fils votre père; vous, en frère.<br />

<strong>Léon</strong> Le <strong>Prevost</strong><br />

22 à M. Pavie<br />

Consolations à son ami dans sa déconvenue sentimentale. Nouvelle orientation <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong> MLP.[son mariage <strong>avec</strong><br />

M lle <strong>de</strong> Lafond]. Il suivra les conseils <strong>de</strong> ses amis angevins.<br />

Mercredi 1 er janvier 1834<br />

Je vous écrivais, mon ami, quand votre lettre mʹest venue. Je trouvai quelque joie,<br />

arrivant <strong>de</strong> la messe et après avoir donné à Dieu ma première heure <strong>de</strong> cette année, à vous<br />

donner à vous, ami, la secon<strong>de</strong>; mais ce qui était <strong>de</strong> don pur <strong>de</strong>vient <strong>de</strong>voir. Vous souffrez,<br />

vous souffrez beaucoup. Jʹentrevois confusément votre malheur, je mʹy livre tout entier.<br />

Vous voulez, cher Victor, que je vous parle <strong>de</strong> moi, je le ferai, ami. En autre moment jʹy<br />

eusse trouvé répugnance, mais à cette heure que pourrais‐je vous refuser. Laissez‐moi seu‐<br />

43


lement avant, ô mon frère, répondre à votre étreinte amicale. Laissez‐moi vous dire que je<br />

pleure <strong>avec</strong> vous, que mon âme émue déjà et pressentant votre peine y compatissait dʹune<br />

indicible tristesse et reçoit seulement ici le coup quʹelle attendait. Laissez‐moi vous répon‐<br />

dre, ami (on a besoin dʹêtre aimé quand on souffre) que nul nʹeût jamais dʹamis tendres,<br />

dévoués comme les vôtres, et sʹil plaît au Ciel que pareille joie refusée à tant dʹautres, ait<br />

été couronnée, ne fut‐ce quʹune heure, dʹune joie mille fois plus pure, plus enviable encore,<br />

il faut trouver votre sort bon, votre part bien large et, tout en pleurant, crier encore,<br />

comme vous lʹavez fait: Béni soit Dieu qui donne et reprend. Souvenez‐vous aussi quʹen<br />

reprenant, cʹest alors quʹil donne le plus. Vous avez rêvé, oh! bien heureux vous êtes.<br />

Combien, âmes pauvres et chétives, y sont impuissantes; combien, timi<strong>de</strong>s et découragées<br />

nʹosent accor<strong>de</strong>r à toute leur vie la création dʹun rêve! Vous ne savez pas comme je le sais,<br />

moi, tout ce quʹil y a dʹabattement et <strong>de</strong> tristesse à sentir en soi <strong>de</strong>s puissances accablantes<br />

qui nʹauront jamais dʹemploi; à voir, non dans les songes, mais près <strong>de</strong> soi au mon<strong>de</strong> réel,<br />

lʹâme qui est à vous, dont Dieu vous a dit le nom, qui eût pu vous comprendre, vous ré‐<br />

pondre et pourtant à qui on nʹoserait parler, pas même, je lʹai dit, penser ni rêver, que mille<br />

impossibilités séparent <strong>de</strong> vous à tout jamais et si invinciblement quʹaux heures les plus<br />

confiantes, jamais une lueur dʹespérance nʹapparût pour autoriser plus tard au moins un<br />

regret. De là, re<strong>de</strong>scendant aux possibilités, aux choses que Dieu permet, met sous notre<br />

main, nʹy pouvoir porter ni son cœur, ni sa vie, chercher seulement si <strong>de</strong> cette existence<br />

vi<strong>de</strong> quelquʹun voudrait encore et dire: prenez, cʹest bien peu, mais je ne saurais plus. Me<br />

reconnaissez‐vous en tout ceci, mon bien cher Victor, et nʹaimerez‐vous pas mieux votre<br />

part que la mienne. Ne revenez pas, mais jamais, ami, sur lʹimpossibilité dont je parle!<br />

Lʹaurais‐je tue jusquʹà lʹheure dʹaffliction où vous me remettez votre âme pour lʹassoupir et<br />

lui donner quelque relâche, où alors pour cela, tout au fond <strong>de</strong> moi‐même, je puise aux<br />

<strong>de</strong>rnières ressources <strong>de</strong> lʹintime; lʹaurais‐je tue pour vous, si elle osait arriver à lʹétat dʹes‐<br />

pérance ou même <strong>de</strong> rêve, si elle était quelque chose, sinon un chagrin sans cause, nul<br />

pour créer et pourtant formant obstacle et sʹinterposant parfois <strong>avec</strong> une incroyable autori‐<br />

té.<br />

Oh! sachez‐moi bien gré, mon cher Victor, <strong>de</strong> lʹeffort immense que moi aussi jʹai fait<br />

ici pour vous parler <strong>de</strong> moi, quand mon cœur nʹest plein que <strong>de</strong> vous, ne se sent vivre<br />

quʹen vous et en votre peine; tâchez encore <strong>de</strong> prendre assez sur vous pour mʹécrire <strong>de</strong><br />

nouveau et me dire un peu plus, jusque‐là du moins quʹil vous sera supportable. Je crains<br />

dʹavoir incomplètement rempli la tâche que vous imposiez à mon amitié. Vous me <strong>de</strong>‐<br />

mandiez peut‐être, ami, quelque révélation décisive sur mon sort qui, préoccupant vive‐<br />

ment votre tendre sollicitu<strong>de</strong> pour moi, vous arrachât une heure à vous‐même. Hélas! mon<br />

ami, que vous dire? Si cʹest la vie intérieure que vous voulez elle a été, <strong>de</strong>puis votre lettre,<br />

bien agitée, bien active; et, quelquʹeffort que jʹy fisse, aujourdʹhui je ne saurais vous le dire.<br />

Quant à la vie <strong>de</strong>s faits, elle est presque en arrêt. Jʹattends un peu <strong>de</strong> calme. Jʹattends que la<br />

chose trop longtemps contenue, la forme dʹidée sʹépure, se dégage et remonte au senti‐<br />

ment. Alors, ami, je le pense je vous obéirai. Mes pensées, du moins, sont absolument reti‐<br />

rées <strong>de</strong> lʹautre projet, le détachement était peu pénible, je vous lʹai dit précé<strong>de</strong>mment:<br />

cʹétait là pour moi une forme simple et résignée pour ma vie: dʹélan, en haut et directe‐<br />

ment, je lʹeusse donnée à Dieu, dʹélan encore, mais par une autre voie, vous avez entrevu<br />

comment mon âme lʹeût pu rêver; ces <strong>de</strong>ux chemins fermés, tout autre mʹira, je pense, et<br />

Dieu me sera en ai<strong>de</strong>. Savez‐vous, et je puis à vous tout dire, ce que je regrette ici le plus,<br />

44


cʹest la chasteté reconquise <strong>avec</strong> le secours incessant <strong>de</strong> Dieu qui mʹavait rendu à mes pro‐<br />

pres yeux quelque pureté, quelque poésie, la chasteté quʹil faudra perdre dans un amour<br />

non sanctifié dʹespérance, en un hymen sans fruit. Mais votre ami 52 (jʹentends celui qui est<br />

près <strong>de</strong> vous) y a bien songé sans doute et vous aussi assurément. Je passerai donc outre<br />

probablement à ce scrupule et suivrai votre avis. Tout cela dʹailleurs, toute réflexion, toute<br />

tristesse sʹeffaceront après la détermination prise. Je sais bien quʹune immense distance se<br />

trouve entre le moment où lʹon parle et celui qui précè<strong>de</strong>.<br />

Adieu, mon bien‐aimé frère, parlez‐moi, moi aussi jʹai besoin dʹentendre votre voix.<br />

Que nʹêtes‐vous donc ici, comme vous seriez aimé, comme votre peine serait partagée, vos<br />

pleurs essuyés. Oh! que mon souvenir soit consolant pour vous. Remerciez tendrement<br />

votre ami; portez lui respect et affection <strong>de</strong> ma part.<br />

<strong>Léon</strong> Le <strong>Prevost</strong><br />

23 à M. Maillard 53<br />

Invitation à une soirée dansante.<br />

30 janvier 1834<br />

Ne prenez pas sʹil vous plaît, dʹengagement pour le soir du dimanche gras (9 fé‐<br />

vrier). Une marquise qui habite ma maison vous invite à une soirée dansante quʹelle donne<br />

ce jour‐là. Je désire bien que cela vous soit agréable; je trouverais ainsi quelque plaisir dans<br />

cette réunion à travers celui que vous auriez vous‐même.<br />

Adieu. A vous bien sincèrement.<br />

L. P.<br />

Ne me négligez pas. Victor vous gron<strong>de</strong>rait.<br />

23‐1 à M. Bailly<br />

Annonce <strong>de</strong> son mariage. Ne pas prévenir la Conférence.<br />

18 juin 1834<br />

Monsieur,<br />

Au milieu <strong>de</strong>s mille préoccupations et embarras d’un mariage tout près <strong>de</strong><br />

s’accomplir, je ne veux pas cependant négliger le soin <strong>de</strong> vous l’annoncer plus précisément<br />

que je ne l’avais fait jusqu’ici; je dois trop aux sentiments <strong>de</strong> bienveillance et d’intérêt que<br />

52<br />

L'ami intime <strong>de</strong> V. Pavie est l'abbé Jules Morel (1807-1890), doyen du petit Cénacle. Consulté par MLP., le jeune prêtre se prononça<br />

pour le mariage. "Combien il le regretta plus tard, écrit Maurice Maignen, lorsqu'il en connut bien les circonstances et les<br />

suites". Mais Dieu avait sans doute ses <strong>de</strong>sseins (…). Cf. VLP., I, p.241.<br />

53<br />

Premier billet <strong>de</strong> MLP. à ce jeune angevin, auquel il écrira souvent. (Les ASV. ont la copie <strong>de</strong> 17 lettres ou billets à M. Maillard).<br />

Ce jeune étudiant en droit, -<strong>de</strong> surcroît poète et excellent pianiste- a raconté à M. Maignen l'impression que lui laissa leur première<br />

rencontre: "Lorsqu'un matin, je vois apparaître sur le seuil <strong>de</strong> ma mo<strong>de</strong>ste chambre (…) une figure pleine <strong>de</strong> douceur et <strong>de</strong> bienveillance,<br />

aux traits fins et distingués (…), c'était Le <strong>Prevost</strong> (…). Depuis cette entrevue dont je me souviendrais toute ma vie, je<br />

l'ai fréquenté le plus que j'ai pu, je me suis attaché à lui comme à un être supérieur et bienfaisant, je l'ai suivi dans ses œuvres diverses,<br />

dans l'expansion <strong>de</strong> sa charité inépuisable (…). <strong>Lettre</strong> à Maurice Maignen, 8 juillet 1887, Positio, p582.<br />

45


vous m’avez accordés pour n’être pas assuré que vous prendriez part à un événement si<br />

grave pour moi, si décisif pour mon avenir. 54<br />

Vous avez pu apprendre, indirectement,<br />

je crois, que ce mariage s’écarte en quelques<br />

points <strong>de</strong>s convenances habituellement<br />

recherchées; toutefois, suivant les sentiments<br />

que vous‐même inspirez, je l’ai si sincèrement<br />

mis sous la protection <strong>de</strong> Dieu, j’ai si fort<br />

cherché sa volonté que je dois croire enfin<br />

l’avoir ainsi trouvée et prendre la confiance<br />

qu’Il ne nous abandonnera pas.<br />

Je l’espérerai surtout, Monsieur, si vous<br />

voulez bien m’ai<strong>de</strong>r <strong>de</strong> vos prières, si <strong>de</strong>main,<br />

en particulier, jour <strong>de</strong> mon mariage, vous avez la bonté <strong>de</strong> me recomman<strong>de</strong>r à Dieu.<br />

J’y puis compter, je le sais, et vous en remercie d’avance, vous priant <strong>de</strong> recevoir en<br />

même temps, Monsieur, l’assurance du respectueux attachement <strong>avec</strong> lequel je suis<br />

Votre dévoué serviteur<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

54 La cérémonie est prévue pour le len<strong>de</strong>main, 19 juin, à la chapelle <strong>de</strong>s Missions Etrangères, 128, rue du Bac.<br />

46


P. S. Je désirerais que ce fait tout privé ne fut point annoncé particulièrement à la<br />

Conférence, je craindrais que mes rapports <strong>de</strong> fraternité <strong>avec</strong> ses membres n’en fussent, si‐<br />

non altérés, du moins changés; ils me sont doux ainsi, je désire les gar<strong>de</strong>r.<br />

Permettez‐moi votre obligeance pour avertir M. <strong>de</strong> Francheville à son arrivée qu’il<br />

doit s’adresser, pour l’admission dans une institution, d’une jeune fille dont il m’a parlé, à<br />

M lle Bidard, rue du Petit Bourbon, n° 2. Cette dame, qui est prévenue par moi, a le moyen<br />

<strong>de</strong> faire réussir cette affaire, et surtout une charité, qui entraîne tout à bien.<br />

Je serai 3 semaines absent; j’ai laissé une note à M. <strong>de</strong> Flers sur nos familles; il les vi‐<br />

sitera régulièrement.<br />

24 à M. Levassor 55<br />

Projet dʹune maison <strong>de</strong> famille pour jeunes gens. Association <strong>avec</strong> A. Levassor. Pru<strong>de</strong>nces <strong>de</strong> M. Levassor père.<br />

Oeuvres <strong>de</strong>s jeunes détenus. Nouvelles <strong>de</strong>s pauvres visités par son ami.<br />

Paris, 25 août 1834<br />

Ma réponse, mon cher ami, aura tardé plus encore que votre lettre et je ne sais si,<br />

comme vous, jʹen pourrais donner quelque bonne excuse; ce nʹest toutefois négligence ni<br />

paresse, mais bien mon insuffisance pour les occupations momentanées qui me sont ve‐<br />

nues, ou quelque peu <strong>de</strong> manque dʹhabileté dans la distribution <strong>de</strong> mes heures ou dans<br />

lʹordre <strong>de</strong> mes actions. Je vous sais dʹavance un fonds dʹindulgence pour <strong>de</strong> pareils griefs.<br />

Sans plus dʹapologie donc, je passe outre à nos affaires.<br />

Jʹapprends <strong>avec</strong> une satisfaction bien vive que le consentement <strong>de</strong> votre père, base<br />

essentielle et fondamentale <strong>de</strong> notre projet est obtenu, ou plutôt, ce qui est mieux encore,<br />

pleinement et librement accordé. Cette sécurité <strong>de</strong> conscience bien acquise, nous nʹaurons<br />

plus que <strong>de</strong>s obstacles secondaires, et notre volonté ferme y pourra je lʹespère aisément<br />

subvenir. Et dʹabord, mon ami, lʹobjection élevée par M. votre père au sujet <strong>de</strong> lʹassociation<br />

pure et simple entre nous, ne fera point difficulté. Les inquiétu<strong>de</strong>s quʹa manifestées ici M.<br />

Levassor ne mʹoffensent nullement, puisque je nʹai pas lʹhonneur dʹêtre connu <strong>de</strong> lui; dʹail‐<br />

leurs elles ne mʹeussent en aucun cas blessé, je les eusse, comme il est juste, rapportées à sa<br />

tendre sollicitu<strong>de</strong>, à sa pru<strong>de</strong>nce qui doit ai<strong>de</strong>r la vôtre en toute décision importante pour<br />

vous. Je donne donc ici plein consentement aux dispositions que vous me proposez et je<br />

désire que mon empressement à vous faire cette concession puisse paraître à M. votre père<br />

un gage dʹentière sécurité.<br />

Toutefois, mon ami, me permettez‐vous <strong>de</strong> vous faire à ce sujet quelques observa‐<br />

tions en les abandonnant dʹailleurs à votre libre décision. Je vous ai promis que tout ce qui<br />

serait pour moi dʹintérêt personnel serait vite sacrifié et ne saurait faire ombre dʹobstacle<br />

pour le succès <strong>de</strong> notre <strong>de</strong>ssein; il en sera ainsi, je vous le proteste <strong>de</strong> nouveau, et cʹest uni‐<br />

quement dans lʹintérêt <strong>de</strong> notre œuvre elle‐même que jʹinsiste un peu à cette occasion.<br />

Pensez‐vous, mon ami, que le nouvel arrangement proposé par vous ne détruira pas<br />

lʹéquilibre, lʹharmonie désirable dʹune entière égalité entre nous? Croyez‐vous quʹil ne<br />

créera pas supériorité dʹune part, subordination <strong>de</strong> lʹautre? En ce cas, êtes‐vous bien sûr <strong>de</strong><br />

55 Louis-Adolphe Levassor (1880-1899). Jeune avocat, il était entré à la Conférence <strong>de</strong> charité dès novembre 1833, grâce à son ami<br />

Le <strong>Prevost</strong>, lequel venait d'y entrer peu <strong>de</strong> temps auparavant. Après être passé au séminaire <strong>de</strong> Chartres et à celui <strong>de</strong> St-Sulpice, à<br />

Paris, il sera ordonné prêtre le 19 septembre 1840, par Mgr Clausel <strong>de</strong> Montals. Il exercera son ministère à Chartres, où il sera curé<br />

<strong>de</strong> St-Aignan. MLP. écrira souvent à cet ami intime. (aux ASV, copie <strong>de</strong> 60 lettres).<br />

47


ma complète abnégation? Suffira‐t‐elle pour soutenir mon ar<strong>de</strong>ur dans une œuvre quʹen<br />

moi‐même, je nʹaurai plus droit <strong>de</strong> dire mienne? Malgré ma confiance sans borne en votre<br />

délicatesse, en votre générosité même, ne craignez‐vous pas quʹen quelques heures mau‐<br />

vaises cette pensée décourageante ne se glisse en moi: ʺici nulle autorité directe, nul droit<br />

pour toi, <strong>de</strong>main tu pourrais trouver porte close et ce serait bien, ton foyer nʹest pas làʺ.<br />

Gar<strong>de</strong>z‐vous <strong>de</strong> croire, mon ami, que ces réflexions ten<strong>de</strong>nt à vous faire changer<br />

dʹavis; nullement, je désire seulement y tourner un instant votre attention; si vous êtes as‐<br />

sez sûr <strong>de</strong> moi pour quʹelles ne vous préoccupent pas je suis trop fier <strong>de</strong> votre confiance<br />

pour mʹy arrêter moi‐même; autrement si vous pensiez quʹaprès tout il ne faut point trop<br />

présumer <strong>de</strong> ses forces ni <strong>de</strong> celles <strong>de</strong>s autres, sans changer en rien au fond votre proposi‐<br />

tion, peut‐être serait‐il possible que par quelques paroles verbales ou écrites, mais sans<br />

nulle valeur légale, nous puissions rétablir plus dʹéquilibre, créer entre nous quelque obli‐<br />

gation plus précise, moralement du moins et religieusement. Vous me direz à ce sujet vo‐<br />

tre avis définitif, puis il nʹen sera plus parlé.<br />

Je nʹai pas besoin <strong>de</strong> dire que jʹai vu M. Dufour 56 ; dans une première visite, je le<br />

trouvai absent; jʹy suis retourné et nous avons conféré quelque temps ensemble. Il paraît<br />

absolument dans la même disposition où vous lʹavez vous‐même trouvé, lʹavis <strong>de</strong> son<br />

évêque <strong>de</strong>vait seul régler définitivement sa détermination, quant au moment précis <strong>de</strong> sa<br />

retraite, mais lʹannée qui va commencer en serait, a‐t‐il dit le terme le plus éloigné dans<br />

tout état <strong>de</strong> choses. Je ne dois pas vous dissimuler que cette année, au moins, lui paraissait<br />

désirable pour ses dispositions <strong>de</strong> départ, cela serait subordonné cependant, je lʹentrevois,<br />

aux offres quʹon lui ferait pour un emploi plus ou moins prochain dans son diocèse. Il doit<br />

partir <strong>de</strong>main; dans peu, sʹil tient sa promesse, il <strong>de</strong>vra mʹécrire.<br />

Je nʹomettrai pas <strong>de</strong> vous communiquer poste pour poste sa lettre, afin <strong>de</strong> concerter<br />

<strong>avec</strong> vous la réponse. Son retour ici est fixé au commencement dʹoctobre ou même fin sep‐<br />

tembre. Il repartirait pour visiter quelques unes <strong>de</strong>s familles qui lui confient leurs fils. Il<br />

nʹa pas paru croire que mon ai<strong>de</strong> lui fût nécessaire en son absence; le répétiteur <strong>de</strong> droit<br />

actuel continue provisoirement <strong>de</strong> veiller sur sa maison.<br />

Quant au bail, il a objecté nombre <strong>de</strong> difficultés dans son intérêt et dans le nôtre<br />

pour le prolonger durant 3 ans. Jʹai insisté toutefois, le priant <strong>de</strong> son<strong>de</strong>r au moins le terrain<br />

et <strong>de</strong> sʹassurer précisément quʹil y aurait impossibilité ou désavantage grave à lui donner<br />

une durée moins longue. Je ne sais ce quʹil aura fait et si la promesse que jʹavais pour cela<br />

obtenue <strong>de</strong> lui aura été suivie. Je vous mets toutes ces choses, mon ami, bien sommaire‐<br />

ment et fort en hâte, jʹy reviendrai, le temps et lʹespace me manquent à la fois.<br />

56 L'abbé Dufour est directeur d'une institution <strong>de</strong> jeunes gens que MLP. envisage <strong>de</strong> reprendre.<br />

48


Rue Saint-Sulpice et rue <strong>de</strong>s Cannettes<br />

« …ce mo<strong>de</strong>ste restaurant <strong>de</strong> la rue <strong>de</strong>s Cannettes où nous prenions nos repas <strong>avec</strong> les futurs fondateurs <strong>de</strong> la Société<br />

<strong>de</strong> Saint‐Vincent <strong>de</strong> Paul : Ozanam, Lallier, et les autres » Chanoine Levassor au Père Leclerc, 12.11.1889.<br />

L’admission <strong>de</strong> M. Levassor se situe en novembre 1833. P. <strong>de</strong> La Perrière affirme aussi que MLP. fut admis<br />

en novembre. C’est sans doute à la fin <strong>de</strong> ce mois qu’il commence vraiment à travailler <strong>avec</strong> les jeunes confrères.<br />

Nous sommes installés près <strong>de</strong> nos jeunes prisonniers 57 , je vous entretiendrai dʹeux<br />

plus au long quand jʹaurai mieux vu ce quʹil en faut attendre, au premier abord, jʹen ferais<br />

volontiers autant <strong>de</strong> petits saints: pauvres enfants, tant sʹen faut! Un dʹeux, dʹexcellente<br />

famille, séparé <strong>de</strong>s autres, <strong>avec</strong> lequel je causai hier assez longuement, est enfermé pour<br />

avoir battu son père, il a 19 ans passés, près <strong>de</strong> 20. Cʹest le seul que je connaisse; par lui,<br />

jugez du reste. Plusieurs ne savent pas lire, on leur montre mal ou point, nous allons nous<br />

en occuper. Adieu, mon ami, jʹai visité vos pauvres protégées, tout le mon<strong>de</strong>, là, languit,<br />

vous êtes leur vie, la charité et la grâce y viennent par vous, revenez donc pour elles et<br />

aussi quelque peu pour votre ami dévoué en J.C.<br />

L. Le <strong>Prevost</strong>.<br />

57 Au cours <strong>de</strong> ses visites charitables, MLP. avait eu l'occasion <strong>de</strong> découvrir, près du Panthéon, rue <strong>de</strong>s Grès, aujourd'hui rue Cujas,<br />

une maison <strong>de</strong> correction pour jeunes gens. Il conçut le projet <strong>de</strong> soutenir et <strong>de</strong> catéchiser ces jeunes détenus. Grâce à l'intervention<br />

<strong>de</strong> son ami avocat Levassor, MLP. en obtint la permission le 8 juillet 1834. Avec Ozanam et d'autres confrères, MLP. commença<br />

l'œuvre en août 1834. Les visites se poursuivront jusqu'en 1836. A cette date, les détenus seront transférés à la prison <strong>de</strong> la Roquette,<br />

à l'autre extrémité <strong>de</strong> Paris. La Société <strong>de</strong> Saint-Vincent-<strong>de</strong>-Paul se tournera alors vers les Apprentis-orphelins.<br />

49


25 à M. Levassor<br />

Accord <strong>de</strong> M me Le <strong>Prevost</strong> pour lʹassociation projetée. Confi<strong>de</strong>nces sur les premiers mois <strong>de</strong> son mariage. Détails<br />

pratiques sur lʹorganisation <strong>de</strong> lʹœuvre future. Bien à faire à ces étudiants. Démarches charitables.<br />

Paris, ce 29 août 1834<br />

Je me pique dʹhonneur, mon ami, et pour aujourdʹhui du moins, vous nʹaurez pas à<br />

vous plaindre <strong>de</strong> ma négligence, si tant est quʹune première fois jʹai mérité ce reproche.<br />

Hier, à 9h. du soir, votre cousin mʹapportait votre lettre et ce matin me voilà vous répon‐<br />

dant; jʹeusse pu réclamer son obligeance pour vous remettre ma lettre, mais il était incer‐<br />

tain, sʹil ne serait pas déjà parti au moment où je la lui eusse envoyée; elle ira donc par la<br />

voie commune, ne lʹen traitez pas moins bien, je vous prie. Je réponds dʹabord, mon cher<br />

ami, au point le plus essentiel <strong>de</strong> votre lettre, à celui que M. votre père et vous, <strong>avec</strong> une<br />

délicatesse <strong>de</strong> conscience que jʹapprécie, avez désiré dʹéclaircir nettement, je veux dire lʹas‐<br />

sentiment <strong>de</strong> ma femme à notre projet. Je dois le faire remarquer en premier lieu, mon cher<br />

ami, votre tendre sympathie pour tout ce qui me touchait si vivement ne vous a pas per‐<br />

mis <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r, en ces rapports <strong>de</strong> confiance et dʹeffusion qui se sont établis entre nous, au<br />

sujet <strong>de</strong> mon intérieur, la froi<strong>de</strong> raison, le jugement calme quʹun étranger, par exemple, eût<br />

maintenu en lui; ainsi, quand jʹarrivais vers vous accablé par ma peine pour la verser en<br />

votre sein, ami dévoué, avant tout, vous avez bien plutôt songé à en prendre moitié, quʹà<br />

lʹanalyser rationnellement, à comparer ma situation <strong>avec</strong> dʹautres positions analogues, et à<br />

former <strong>de</strong> tout cela une prévision nette, une espérance précise au moins pour lʹavenir. Au‐<br />

trement, je le crois à présent que je suis un peu rassis moi‐même, vous eussiez pensé peut‐<br />

être que ces premiers troubles survenus au commencement <strong>de</strong> mon mariage étaient un ef‐<br />

fet presque inévitable <strong>de</strong> la position exceptionnelle quʹil comportait. Lʹharmonie et lʹintel‐<br />

ligence ne pouvaient, sans choc et sans froissement, sʹétablir entre gens que tant <strong>de</strong> dis‐<br />

proportion dʹâge, <strong>de</strong> nature, <strong>de</strong> goût séparait, mais après cette première épreuve, après ce<br />

premier heurt si douloureux, on a <strong>de</strong> part et dʹautre cette expérience, cette conviction: cʹest<br />

quʹà tant résister on se brise, cʹest quʹil faut cé<strong>de</strong>r plutôt, fléchir un peu et, quʹà la longue,<br />

on peut ainsi rendre sa vie plus facile et plus douce. Nous en sommes là chez nous et <strong>de</strong>‐<br />

puis les <strong>de</strong>rnières explications faites entre nous et qui, je pense, jetèrent quelque jour salu‐<br />

taire sur notre position, aucune affliction nouvelle nʹest venue nous troubler. Dieu aidant,<br />

je lʹespère, il en sera toujours ainsi, et nous aurons, sinon le bonheur que nous nʹavons ja‐<br />

mais espéré, du moins quelque repos et un peu <strong>de</strong> calme pour marcher dans le bien.<br />

Tout cela est bien long, mon ami, patience, jʹarrive au but. Dʹaprès cette nouvelle<br />

disposition, lʹassentiment <strong>de</strong> ma femme dont je nʹavais jamais douté, <strong>de</strong>venait la chose du<br />

mon<strong>de</strong> la plus simple aussi lʹa‐t‐elle donné, non seulement volontiers, mais <strong>avec</strong> joie et <strong>de</strong><br />

plein cœur. En <strong>de</strong>ux mots, voici comme je lui ai présenté la chose: ʺNotre position est au‐<br />

jourdʹhui, dans le mon<strong>de</strong>, honnête et supportable; nous avons quelque bien, vous vos tra‐<br />

vaux, moi mon emploi. Mais dans quelques années, le temps du repos sera venu pour<br />

vous, puis‐je compter assez sur les chances dʹavancement dans ma carrière pour subvenir<br />

seul aux charges <strong>de</strong> notre maison? Plus tard, si nous désirons lʹun et lʹautre nous retirer en‐<br />

tièrement, aurons‐nous accru suffisamment nos ressources pour nous assurer, même en<br />

province la situation qui vous convient? Il est à craindre que non. Or, une occasion se pré‐<br />

sente dʹoccuper utilement le temps dont je puis disposer, lʹactivité qui me tourmente au‐<br />

jourdʹhui, et dont je ne sais que faire, ne pensez‐vous pas quʹil faut saisir cette occasion?ʺ<br />

50


La réponse <strong>de</strong> toute femme sensée à pareille question ne pouvait être douteuse,<br />

aussi a‐t‐elle pleinement applaudi à notre projet et y a‐t‐elle donné entière adhésion. Pour<br />

ce qui la concerne personnellement, comme une entreprise du genre <strong>de</strong> la nôtre est étran‐<br />

gère à ses goûts, à ses habitu<strong>de</strong>s, incompatible <strong>avec</strong> les arts quʹelle tient à cultiver par <strong>de</strong>s‐<br />

sus tout, il est convenu quʹelle nʹinterviendra en aucune façon dans nos affaires, cette<br />

convention, qui, sans doute, est <strong>de</strong> votre goût est essentiellement aussi nécessaire pour<br />

elle. Seulement nous avons arrêté aussi que pour rendre mes communications <strong>avec</strong> elle<br />

habituelles et même <strong>de</strong> tous les jours, nous rapprocherions autant que possible sa <strong>de</strong>meure<br />

<strong>de</strong> lʹétablissement dirigé par nous. Ainsi, il nʹy aurait entre nous nulle séparation, nulle<br />

cause dʹétonnement pour le <strong>de</strong>hors, mais simple arrangement très habituel et très ordi‐<br />

naire entre époux pour lʹexercice respectif dʹoccupations différentes.<br />

Cette difficulté levée, je passe au reste, bien plus aisé encore à démêler, puisquʹil ne<br />

concerne que nous gens <strong>de</strong> facile accommo<strong>de</strong>ment. Vous désirez, mon ami, que je précise<br />

plus nettement ce que jʹentends par quelque obligation à créer entre nous. Voici ma pen‐<br />

sée. Nous allons, si notre projet sʹexécute, créer un établissement ou le réformer, ce qui est<br />

presque tout un. A cette œuvre nous mettrons notre intelligence, notre jeunesse, notre ac‐<br />

tivité, tout ce qui est en nous enfin, et, je lʹespère, nous aurons plein succès; mais si, dans<br />

<strong>de</strong>ux ou trois ans, grâce à nos efforts réunis, la maison est <strong>de</strong>venue selon nos vœux et plei‐<br />

nement florissante, vous semblerait‐il, mon ami, juste et bon <strong>de</strong> me dire: à cette heure tout<br />

va bien, je puis tout mener seul, adieu?<br />

La maison que nous prendrons est peu étendue et représente une valeur (je parle <strong>de</strong><br />

lʹétablissement) <strong>de</strong> 20.000f. à peine; si, dans six ans, grâce à nos efforts réunis, cette valeur<br />

sʹest considérablement accrue, vous semblerait‐il juste et bon que le fruit <strong>de</strong> nos travaux<br />

<strong>de</strong>meurât le fruit dʹun seul?<br />

Or, mon ami, votre titre <strong>de</strong> propriétaire unique vous donnerait ces droits qui, je le<br />

sais, dʹavance, vous répugneraient trop à exercer. Je <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rai donc que pour établir<br />

plus nettement notre position respective, vous reconnaissiez (mais je le répète, sur simple<br />

parole ou écriture sans valeur légale):‐1° Que notre association quoique non fondée sur<br />

une valeur matérielle <strong>de</strong> ma part, nʹen est pas moins réelle et ne <strong>de</strong>vra être rompue que<br />

fraternellement et à lʹamiable; ‐2° Que la plus‐value <strong>de</strong> lʹétablissement au moment <strong>de</strong> la<br />

rupture <strong>de</strong> lʹassociation ou <strong>de</strong> la cession <strong>de</strong> la maison, cette plus‐value, dis‐je, étant lʹœuvre<br />

<strong>de</strong> tous les <strong>de</strong>ux, serait aussi le profit <strong>de</strong> tous les <strong>de</strong>ux.<br />

Quant au mobilier, jʹinterviendrai dans le prix dʹacquisition pour ce que vous trou‐<br />

verez bon et sʹil sʹaccroît <strong>avec</strong> le temps, jʹy participerai proportionnellement. Du reste tout<br />

cela, mon ami, je le dis encore, tout ce qui est intérêt nʹest que misère, facile, on ne peut<br />

plus facile à arranger entre nous.<br />

Je songe <strong>de</strong> plus en plus <strong>avec</strong> satisfaction, à notre établissement futur, à voir plus<br />

nettement la chose, je me convaincs mieux encore quʹ<strong>avec</strong> <strong>de</strong> la bonne volonté il y a là<br />

beaucoup <strong>de</strong> bien à faire; cʹest vraiment un point critique que ce moment <strong>de</strong> transition<br />

pour les jeunes gens <strong>de</strong>s collèges, à lʹentière liberté et émancipation. Sʹemparer <strong>de</strong> ce mo‐<br />

ment pour les initier, autant quʹil se peut à la science du mon<strong>de</strong> et plus encore à la science<br />

dʹen haut, occuper leur intelligence, leur ar<strong>de</strong>ur, leur montrer un bon emploi <strong>de</strong> ces fa‐<br />

cultés dans lʹétu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la philosophie, <strong>de</strong> la littérature, <strong>de</strong>s arts, préparer toutes ces voies<br />

pour eux, leur ouvrir la vie, en un mot, leur en bien indiquer le vrai chemin; cʹest là une<br />

œuvre vraiment bonne, utile à la société, et selon le cœur <strong>de</strong> Dieu. Si nous en sommes di‐<br />

51


gnes, mon ami, cette œuvre sera notre lot, sinon, je lʹespère, nous le lʹentreprendrons pas.<br />

Je prie chaque jour pour cela <strong>avec</strong> vous.<br />

Jʹai voulu voir M. Gar<strong>de</strong>t, il est à la campagne et ne doit revenir que <strong>de</strong>main; à son<br />

retour je prendrai près <strong>de</strong> lui lʹinformation que vous désirez avoir. Sa jeune sœur, je pense,<br />

va être admise aux Oiseaux; les bonnes D lles Bidard sʹen occupent <strong>avec</strong> lʹactivité que vous<br />

leur connaissez pour tout ce qui est charité. Jʹemploierai, selon vos instructions, les fonds à<br />

moi remis et vous en rendrai compte. Adieu, mon cher ami, écrivez‐moi bientôt, jʹétais si<br />

fort accoutumé à vos visites que jʹai besoin <strong>de</strong> vos lettres pour mʹen tenir lieu.<br />

Puisque me voilà maintenant présenté à M. votre père, veuillez lui offrir mes senti‐<br />

ments bien respectueux; si <strong>de</strong>s relations plus intimes sʹétablissent comme je lʹespère, entre<br />

vous et moi, jʹy trouverai sans doute quelque occasion <strong>de</strong> rapprochement <strong>avec</strong> votre fa‐<br />

mille et jʹen serai vraiment bien flatté.<br />

Adieu, mon ami, à vous <strong>de</strong> cœur bien sincèrement en J‐C.<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

P.S. Recrutez chez vous <strong>de</strong>s jeunes gens dans la supposition dʹune création, nous les<br />

aurions toujours provisoirement, en cas contraire, chez M. Dufour, où vous seriez à même<br />

<strong>de</strong> les diriger, cela nous mettrait dʹailleurs en terrain un peu plus ferme pour traiter <strong>avec</strong><br />

lui, si nous pouvions gar<strong>de</strong>r lʹalternative dʹune fondation par nous mêmes.<br />

Il est dommage que peu <strong>de</strong> temps nous reste, cependant <strong>avec</strong> <strong>de</strong> lʹactivité, on pour‐<br />

rait, je pense, réunir dès cette année quelques sujets et préparer plus <strong>de</strong> moyens pour la<br />

suivante. Examinez et nous déci<strong>de</strong>rons. Je verrai M. Gar<strong>de</strong>t.<br />

26 à M. Levassor<br />

M me Levassor fait obstacle au projet dʹassociation. Lʹéducation quʹil faudrait donner à ces jeunes gens. Place <strong>de</strong>s<br />

institutions privées <strong>de</strong>puis la Révolution. Convictions chrétiennes <strong>de</strong> MLP.<br />

Paris, le 3 septembre 1834<br />

Les peines que vous éprouvez, mon très cher ami, me toucheraient vivement, lors<br />

même quʹelle ne mʹatteindraient pas aussi personnellement par quelque point, ma tendre<br />

et sincère amitié pour vous serait bien suffisante pour mʹy faire prendre part, votre lettre<br />

mʹa donc affligé et je vous écris sans retard pour que cette peine, bien mise en commun,<br />

sʹallège, sʹil se peut, pour lʹun et pour lʹautre. Du reste, quant au fond <strong>de</strong> la chose, je lʹai<br />

dʹavance si complètement abandonné à la volonté <strong>de</strong> Dieu que quelque solution qui ad‐<br />

vienne, je saurai, je lʹespère, mʹy résigner. Je <strong>de</strong>vrais peut‐être, mon cher ami, me borner à<br />

ces assurances <strong>de</strong> sympathies et <strong>de</strong> volonté conforme à la vôtre; vous conseiller dans la si‐<br />

tuation grave où vous êtes me semblerait du moins hasardé et peu pru<strong>de</strong>nt je me bornerai<br />

donc à examiner <strong>avec</strong> vous lʹobstacle que rencontre aujourdʹhui notre projet et les moyens<br />

quʹil pourrait y avoir chrétiennement <strong>de</strong> le faire cesser.<br />

Lʹextrême répugnance que manifeste Madame votre mère pour le genre dʹétablis‐<br />

sement que nous nous proposons dʹentreprendre me paraît tenir à ce quʹelle nʹa pas une<br />

idée assez précise <strong>de</strong> la nature <strong>de</strong> cet établissement, <strong>de</strong>s <strong>de</strong>voirs quʹil impose, <strong>de</strong> la situa‐<br />

tion quʹil donne dans la société, ni avant tout <strong>de</strong>s moyens et facilités quʹoffre Paris pour la<br />

direction dʹune pareille entreprise. Je ne mets pas en doute que suffisamment éclairée sur<br />

ces divers points Madame votre mère ne vous vît en toute sécurité et même <strong>avec</strong> joie sui‐<br />

52


vre la voie qui semblait sʹouvrir si naturellement <strong>de</strong>vant vous. Elle objecte la responsabili‐<br />

té, mais cette responsabilité est bien moindre que celle <strong>de</strong>s instituteurs, puisquʹil ne sʹagit<br />

pas ici dʹenfants, mais <strong>de</strong> jeunes gens ayant déjà force et raison presque suffisante pour se<br />

diriger. Le chef dʹétablissement chez nous nʹest pas père, il est ami, frère, il ne prescrit<br />

plus, mais conseille, un conseil ne donne point responsabilité, ou du moins nʹest une<br />

charge que pour la conscience. Il y a donc peu ici à démêler <strong>avec</strong> les hommes, on traite<br />

<strong>avec</strong> Dieu et le compte est plus facile. Un jeune homme mis sous nos yeux, malgré nos avis<br />

se dérange et sʹégare, mais sa famille en est par nous avertie et prend dès lors toute res‐<br />

ponsabilité, sʹil y en a. Nous ne promettons pas <strong>de</strong> tenir les jeunes gens constamment sous<br />

nos yeux, détenus et surveillés, nous promettons <strong>de</strong> les suivre du regard, autant quʹil se<br />

peut, dʹinformer leurs familles <strong>de</strong> la direction quʹils prennent, <strong>de</strong> leur assiduité et progrès<br />

dans lʹétu<strong>de</strong>, nous promettons affection et conseil; cela fait (et nous le ferions) notre tâche<br />

est remplie, nulle responsabilité ne nous reste. Quant à la maladie, nous ne reculerions ni<br />

vous ni moi <strong>de</strong>vant le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> soigner un être souffrant, <strong>de</strong> lʹassister, <strong>de</strong> lʹencourager à<br />

lʹheure <strong>de</strong> la mort.<br />

La direction dʹun grand ménage effraie Madame votre mère. Cʹest quʹelle ignore<br />

peut‐être quelle immense différence offre Paris à cet égard sur la province, où il faut tout<br />

voir, tout indiquer, tout suivre, tout faire même au besoin, à tout mettre la main. Ici, rien<br />

<strong>de</strong> pareil, les gens <strong>de</strong> service sont dressés autrement, les facilités pour les productions et<br />

objets <strong>de</strong> consommation sont multipliées <strong>de</strong> telle sorte que tout va, tout marche, sinon<br />

seul, du moins <strong>avec</strong> une simple impulsion, une simple surveillance et direction. Ainsi, un<br />

ecclésiastique ici comme lʹabbé Dufour, par état, par goût, étranger à tout soin du ménage,<br />

mène sans difficulté, sans beaucoup <strong>de</strong> temps ni <strong>de</strong> soins, un intérieur qui effraierait 4 <strong>de</strong>s<br />

meilleurs ménagères <strong>de</strong> province. Mais, je le sais, tout cela se persua<strong>de</strong> difficilement, il le<br />

faut vérifier, il faut lʹavoir vu longtemps et en cent endroits et en cent positions différentes<br />

pour le croire, pour nʹen plus douter. Cʹest aussi vous le savez, une inquiétu<strong>de</strong> bien peu<br />

fondée que celle dʹêtre mis avant, désigné comme carliste et Jésuite. Qui s’occupe ici <strong>de</strong>s<br />

Institutions privées, à peine si, parmi les gens intéressés, lʹéminente et si religieuse maison<br />

<strong>de</strong> M. Poiloup 58 est connue; moi qui <strong>de</strong> tout temps, ai suivi les choses dʹinstructions, il y a<br />

trois mois à peine que je sais son existence. Qui, sous la Restauration, fut plus mêlé aux<br />

choses <strong>de</strong> parti, fut plus mis en avant que M. Bailly, directeur <strong>de</strong>s Bonnes Étu<strong>de</strong>s, âme <strong>de</strong>s<br />

Congrégations. Eh bien! M. Bailly a‐t‐il été inquiété après la Révolution? et nous étrangers<br />

à tout cela, faisant le bien selon nos forces, en quelque humble coin, nous serions signalés,<br />

tourmentés, je ne le saurai croire; et, pour dire vrai, en tous cas, je ne verrai là pour <strong>de</strong>s<br />

hommes, pour <strong>de</strong>s chrétiens, nullement une raison <strong>de</strong> reculer <strong>de</strong>vant une résolution bonne<br />

et prise <strong>de</strong>vant Dieu. Je nʹinsisterai pas sur les mille raisons que je pourrais ajouter, elles<br />

seraient superflues, car vous et moi avions déjà envisagé <strong>de</strong> près tout cela, nous avions vu,<br />

nous avions conversé <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s hommes chargés <strong>de</strong> pareils établissements, qui ne parais‐<br />

saient ni accablés, ni effrayés par la responsabilité, les chances mauvaises, les craintes <strong>de</strong><br />

suspicion; aussi la vraie difficulté nʹest pas en nous, ce nʹest pas nous qui <strong>de</strong>vons être<br />

convaincus, mais bien Madame votre mère, et, je lʹavoue, la convaincre me paraît difficile,<br />

parce que lʹesprit ne prend que peu <strong>de</strong> lumière à la fois, et quʹici sur tous ces points, il en<br />

58 L'abbé Poiloup dirigeait une institution religieuse qui s'installa à Vaugirard en 1830. L'établissement, repris par les Jésuites en<br />

1852, <strong>de</strong>viendra le fameux collège <strong>de</strong> Vaugirard, où le p. Olivaint, futur martyr <strong>de</strong> la Commune <strong>avec</strong> le p. Planchat, fut professeur<br />

et supérieur <strong>de</strong> 1857 à 1865.<br />

53


faudrait par masses, il en faudrait à flots. Que Madame Levassor se relâchât un peu, on<br />

pourrait lʹespérer, mais quʹelle cédât absolument dʹaprès ce que jʹentrevois, il nʹy faut pas<br />

compter. Quant à la décision à prendre définitivement, je pense, mon ami, comme vous<br />

quʹil faut prier beaucoup, ne pas froisser votre mère, lʹéclairer peu à peu, sʹil se peut, sinon<br />

abandonner absolument ce sujet dʹentretien. Madame Levassor, mʹavez‐vous dit, est fort<br />

pieuse, les ecclésiastiques qui lʹapprochent et en qui elle a confiance ne pourraient‐ils la<br />

conseiller utilement, réduire à leur juste valeur à ses yeux les objections quʹelle oppose,<br />

dépouiller enfin sa résistance <strong>de</strong> toute exaltation, <strong>de</strong> toute intervention dans cette résis‐<br />

tance <strong>de</strong>s causes secondaires, étrangères à la raison pure, à la tendresse chrétienne et éclai‐<br />

rés dʹune mère pour son fils. Jʹespère en ces moyens, jʹespère en Dieu surtout, prions‐le et<br />

comptons sur sa grâce. Voyez M. Lecomte 59 ou votre confesseur, le consentement <strong>de</strong> votre<br />

père, <strong>avec</strong> calme et rationnellement donné, me paraît dʹun grand poids.<br />

Adieu, votre ami dévoué.<br />

<strong>Léon</strong> Le <strong>Prevost</strong><br />

Jʹai vu M. Gar<strong>de</strong>t, il compte toujours sur le jeune homme. Nous allons assez bien<br />

rue <strong>de</strong>s Grès.<br />

27 à M. Levassor<br />

M. Levassor abandonne le projet dʹassociation. Proposition dʹune place <strong>de</strong> greffier. Sʹils <strong>de</strong>vaient se séparer, rester<br />

unis en Jésus, lʹami commun. Espérance <strong>de</strong> voir fructifier lʹœuvre <strong>de</strong>s Jeunes détenus. Dames assistées par la<br />

Conférence.<br />

Paris, le 17 septembre 1834<br />

Je ne pourrais dire <strong>avec</strong> vérité, mon cher ami, que votre lettre ne mʹait donné quel‐<br />

que peu <strong>de</strong> chagrin. Jʹavais mis mes pensées, mes espérances dans ce projet et ce nʹest pas<br />

sans quelque désappointement que je vois dʹun souffle le château renversé; mais, je le<br />

peux dire aussi, je nʹavais désiré la réalisation <strong>de</strong> nos <strong>de</strong>sseins quʹautant quʹils seraient<br />

dans la volonté <strong>de</strong> Dieu et quʹils se concilieraient pleinement <strong>avec</strong> vos propres désirs, <strong>avec</strong><br />

vos <strong>de</strong>voirs, vos intérêts. Si tout cela et avant tout lʹappel <strong>de</strong> Dieu vous entraînent ailleurs,<br />

que sa volonté soit faite, suivez votre voie, mon ami, et soyez assuré que mes vœux bien<br />

ar<strong>de</strong>nts, ma bien vive sympathie vous y accompagneront constamment. Je nʹai point écrit à<br />

M. Dufour dont jʹignore lʹadresse. Jʹai fait <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r chez lui si une lettre nʹétait pas venue<br />

pour moi <strong>de</strong> sa part, mais je ne crois pas bon <strong>de</strong> la provoquer directement dans la plus<br />

quʹincertitu<strong>de</strong> où votre situation met désormais nos arrangements <strong>avec</strong> lui. Sʹil mʹécrit, se‐<br />

lon sa promesse, je concerterais <strong>avec</strong> vous la réponse, si au contraire, ce que je ne présume<br />

pas, son avis a changé, je pense quʹil vaut mieux lui laisser lʹinitiative <strong>de</strong> la rupture.<br />

M. Gar<strong>de</strong>t, venu ces jours‐ci chez moi où il ne mʹa pas rencontré, a laissé quelques<br />

lignes pour me prier <strong>de</strong> vous faire en son nom une communication. Un greffier attaché au<br />

Tribunal <strong>de</strong> 1 ère instance à Paris offre <strong>de</strong> lui faire gagner 600f. et au‐<strong>de</strong>là chaque année pour<br />

un très léger et bien facile travail; cependant M. Gar<strong>de</strong>t, décidé à ne sʹoccuper nullement et<br />

quelque peu que ce soit <strong>de</strong> pratique, va refuser cette proposition, mais il pense quʹelle<br />

pourrait vous agréer, en ce cas, il accepterait, sauf arrangement <strong>avec</strong> vous, pour le partage<br />

du travail, sʹil en peut prendre partie. Dans le cas où vos ouvertures pour Orléans nʹau‐<br />

59 Directeur spirituel <strong>de</strong> M. Levassor.<br />

54


aient pas succès, peut‐être cela serait‐il à votre convenance. Je craindrais seulement, quoi‐<br />

que M. Gar<strong>de</strong>t nʹait rien ajouté sur cela, quʹil nʹy eût inconvénient à trop ajourner la ré‐<br />

ponse à faire au greffier en question.<br />

Merci, mon cher ami, du bon souvenir que vous mʹaccor<strong>de</strong>z dans vos charmantes<br />

excursions, <strong>de</strong> la part que vous mʹy voulez bien souhaiter, ma pensée a <strong>de</strong>s ailes, mais mon<br />

corps a <strong>de</strong>s chaînes. A défaut <strong>de</strong> lʹun, je mets au moins lʹautre à votre suite pour vous faire<br />

fidèle compagnie. Jʹaurai bien <strong>de</strong> la joie à vous revoir à votre passage ici, ce sera pour bien<br />

peu <strong>de</strong> temps, pour une longue absence ensuite, et, qui sait, peut‐être pour toujours. Mon<br />

Dieu! que les liens terrestres durent peu, et quʹil nous faut bien, nʹest‐il pas vrai, mon ami,<br />

faire amitié, établir fraternité <strong>avec</strong> J.C. frère, ami quʹon a toujours là, qui nous suit en tous<br />

lieux et quʹon retrouve encore au mon<strong>de</strong> où nous tendons. Si le temps nous sépare, nous,<br />

mon ami, puissions‐nous là, du moins, nous retrouver entier <strong>avec</strong> cet ami commun.<br />

Votre bien dévoué en J.C.<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

M me Delatre part ou est partie pour Rouen, vous lʹy trouverez peut‐être. Nos en‐<br />

fants, rue <strong>de</strong>s Grès, vont assez bien, cette œuvre vous intéresserait vivement, vous avez<br />

beaucoup semé <strong>de</strong> ce côté, si nous recueillons un peu, nous <strong>de</strong>vrons vous en rendre grâce.<br />

La bonne M me Meslin 60 ne mʹavait rien dit, mais je tiendrai compte <strong>de</strong> lʹavis.<br />

28 à M. Levassor<br />

Suites <strong>de</strong>s démarches pour lʹemploi proposé à M. Levassor. Activités charitables <strong>de</strong> MLP. Il confie à Dieu son ul‐<br />

time espoir quant à leur association.<br />

Paris, le 3 octobre 1834<br />

Le retard quʹa souffert notre correspondance, mon cher ami, ne tient à aucune rai‐<br />

son <strong>de</strong> négligence, ainsi que votre ingénieuse charité vous lʹa fait dʹavance présumer, mais<br />

simplement à cette persuasion où jʹétais que vous <strong>de</strong>viez passer ici aux <strong>de</strong>rniers jours <strong>de</strong><br />

septembre. Jʹimaginais que cʹétait en allant à Rouen et non à votre retour que vous traver‐<br />

seriez Paris. Si je ne me trompe, votre lettre mʹavait dʹabord présenté ainsi la chose; dès<br />

lors il me paraissait inutile <strong>de</strong> vous écrire à la veille <strong>de</strong> votre arrivée. Je me réservais <strong>de</strong> ré‐<br />

pondre verbalement aux diverses questions que vous mʹaviez adressées et je mʹétais mis<br />

en mesure pour cela. Votre <strong>de</strong>rnière ne me prend donc point en faute ni au dépourvu; si<br />

ma réponse nʹest point partie poste pour poste, afin <strong>de</strong> vous trouver encore à Chartres,<br />

cʹest quʹil mʹa été impossible hier dʹobtenir lʹadresse <strong>de</strong> M me Delatre. M me Pianet mʹa prié <strong>de</strong><br />

retourner pour cela aujourdʹhui chez elle et mʹa mis ainsi en retard obligé dʹun jour.<br />

M. Gar<strong>de</strong>t que jʹai questionné <strong>de</strong> nouveau, selon votre désir, sur la nature <strong>de</strong>s oc‐<br />

cupations quʹil offrait <strong>de</strong> vous procurer, mʹa répondu quʹil nʹavait aucune donnée précise à<br />

cet égard, quʹil présumait seulement, dʹaprès les propres paroles que lui avait transmises<br />

son père, que ces occupations étaient douces et faciles; peut‐être pourrait‐on présumer que<br />

ce sont quelques affaires <strong>de</strong> palais; il attend, du reste, votre réponse impatiemment pour<br />

donner lui‐même décidément la sienne. Il mʹa répété que <strong>de</strong> temps en temps dʹautres affai‐<br />

60 Membre <strong>de</strong> la Conférence, M. Levassor visitait, rapporte M. Maignen, "trois pauvres vieilles femmes [Delatre, Meslin et Dorne]<br />

dont il payait régulièrement le loyer à chaque trimestre. La Conférence venait chaque fois à son ai<strong>de</strong> pour une petite part. Nous appelions<br />

cette œuvre l'œuvre <strong>de</strong>s trois vieilles femmes, et leur histoire a duré longtemps dans la Conférence". M. Maignen ajoute<br />

qu'une fois entré au séminaire, M. Levassor n'en continuait pas moins ses aumônes. Cf. VLP.,I, p.107.<br />

55


es lui étaient offertes encore, quʹil les refusait dʹordinaire à cause <strong>de</strong> sa répugnance pour<br />

la pratique, mais quʹil vous les transmettrait si vous vouliez y donner vous‐même quelque<br />

peu <strong>de</strong> votre temps. Il pourrait vous sembler singulier que M. Gar<strong>de</strong>t nʹeût pas pris <strong>de</strong><br />

renseignements plus précis sur le sujet dont il sʹagit; voilà lʹexplication quʹil mʹa donnée<br />

sur ce point: le greffier qui a fait offre pour lui à son père est un ancien ami <strong>de</strong> sa famille<br />

qui lui a montré à lui personnellement beaucoup <strong>de</strong> bienveillance durant son enfance,<br />

mais dont ses occupations lʹont éloigné <strong>de</strong>puis plusieurs années; or, économe comme il<br />

lʹest <strong>de</strong> son temps, M. Gar<strong>de</strong>t ne voudrait pas renouer <strong>avec</strong> le greffier en question ni re‐<br />

prendre <strong>de</strong>s relations qui lʹobligeraient ensuite à un commerce suivi, si ces relations ne<br />

doivent être profitables à lui ou à vous. Ainsi, si votre réponse est affirmative, il ira voir le<br />

greffier, si elle est négative il le fera remercier obligeamment par son père et se tiendra coi<br />

lui‐même. Tâchez <strong>de</strong> vous contenter <strong>de</strong> cela.<br />

Je nʹavais point négligé non plus lʹaffaire <strong>de</strong>s loyers, bien que je ne comprisse pas<br />

pour quelle raison vous désiriez que le vôtre fut payé si longtemps avant la fin du terme.<br />

Je suis passé chez votre portière pour lui remettre lʹargent, le propriétaire était pour quel‐<br />

ques jours à la campagne et nʹavait point laissé la quittance, à son retour on <strong>de</strong>vait me<br />

lʹapporter et en toucher le montant. On nʹest pas venu, jʹy repasserai.<br />

Je nʹai point vu <strong>de</strong>puis quelques jours M me Meslin, je la verrai aussi avant lʹéchéance<br />

du terme. Il mʹa fallu lui donner jusquʹici 25f pour vivre, mais elle mʹa promis que durant<br />

tout le mois dʹoctobre, grâce à la générosité <strong>de</strong> votre frère, elle nʹaurait point besoin <strong>de</strong> re‐<br />

courir à votre bonté. La bonne M me Dorne me vient voir <strong>de</strong> temps en temps, elle a été bien<br />

<strong>de</strong>s semaines sans travail, mais enfin elle en a maintenant. De plus je lui ai procuré un pe‐<br />

tit ménage <strong>de</strong> 8f par mois qui lʹai<strong>de</strong> un peu. Le jeune artiste ne mʹa point remis jusquʹici les<br />

10f qui doivent subvenir à son loyer. Jʹéprouvais quelque répugnance à lʹaller voir tout ex‐<br />

près pour lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r cet argent, mais si vous le jugez bon jʹirai. Vous me direz cela dans<br />

votre réponse. Il me resterait à répondre à toutes les bonnes et graves choses que contient<br />

votre lettre dʹhier, mais outre que lʹespace me manque, je craindrais quʹune matière aussi<br />

sérieuse ne vînt mal à point au milieu dʹune noce, je me borne donc pour vous tranquilli‐<br />

ser au moins <strong>de</strong> ce côté, à vous dire, mon bien cher ami, que je nʹentendrais nullement que<br />

votre association <strong>avec</strong> moi pût vous priver dʹaucun avantage à venir, encore moins vous<br />

empêchât <strong>de</strong> réaliser quelque résolution sainte, quʹen tous les cas les choses sʹarrangeraient<br />

entre nous <strong>de</strong>vant Dieu, selon la charité et la justice et <strong>avec</strong> dʹautant moins <strong>de</strong> peine, je<br />

lʹespère, que les sentiments si affectueux qui nous unissent rendraient <strong>de</strong> part et dʹautre les<br />

sacrifices doux et faciles. Ayez donc, mon cher Adolphe, lʹesprit en repos pour tout ce qui<br />

me concerne, je désire bien sincèrement en <strong>de</strong>venant votre associé, ne pas cesser dʹêtre en<br />

même temps votre ami et votre frère. Ces titres réunis sauront tout aplanir et concilier en‐<br />

tre nous, jʹen ai la pleine conviction.<br />

Adieu, à bientôt, je vous embrasse cordialement et suis tout à vous en J.C.<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

56


29 à M. Levassor<br />

Les tractations pour reprendre lʹinstitution <strong>de</strong> jeunes gens pourraient finalement aboutir. Bonnes dispositions <strong>de</strong><br />

M. Bailly à leur égard.<br />

Paris, mercredi 29 octobre 1834<br />

Je suis assez pressé <strong>de</strong> travaux en ce moment, mon cher ami, je vous dirai donc en<br />

hâte ici, seulement quelques mots.<br />

Jʹai suivi ponctuellement vos instructions, samedi jʹai déposé votre lettre chez M.<br />

Dufour et dimanche je suis passé pour connaître sa réponse. Il adhère à tout et consent à<br />

tout, il doit ou même a dû déjà vous en informer lui‐même par écrit. Ses dispositions<br />

mʹont paru extrêmement favorables; il est évi<strong>de</strong>mment dans un <strong>de</strong> ces moments où les<br />

moyens dʹarrangement doivent être faciles <strong>avec</strong> lui. M. Bailly que jʹai vu hier vous<br />

conseille <strong>de</strong> ne pas tar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> saisir vite cette heureuse veine et moi‐même je vous y en‐<br />

gage. Si vous persistez à penser que cette carrière puisse vous convenir. Je vous attends au<br />

plus tôt, mon cher ami, vous savez quel plaisir jʹaurai à vous recevoir ici, à voir votre sé‐<br />

jour sʹy prolonger pour quelques mois au moins.<br />

Venez donc et croyez à la constante affection <strong>de</strong> votre tout dévoué ami en J.C.<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

M. Bailly paraît aussi pour nous dans les plus obligeantes dispositions.<br />

30 à M. Levassor<br />

Confirmation <strong>de</strong> lʹaccord <strong>de</strong> lʹabbé Dufour. Patience et prières dans les contrariétés suscitées par cette affaire <strong>de</strong><br />

cession.<br />

Vendredi 31 octobre 1834<br />

Je ne sais, mon cher ami, si ma <strong>de</strong>rnière lettre vous a suffisamment assuré <strong>de</strong>s dis‐<br />

positions <strong>de</strong> M. Dufour, en tout cas pour vous complaire je suis retourné hier chez lui et<br />

lui ai fait connaître lʹincertitu<strong>de</strong> où vous restiez encore et le désir que vous aviez dʹune ad‐<br />

hésion plus complète à vos propositions, afin <strong>de</strong> ne laisser rien dʹindécis dans votre posi‐<br />

tion respective. M. Dufour mʹa répondu: M. Levassor a mal saisi le sens <strong>de</strong> ma lettre elle<br />

donne et je réitère ici adhésion complète à la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> qui mʹa été faite, cʹest‐à‐dire que M.<br />

Levassor pourra dès aujourdʹhui établir <strong>avec</strong> moi les conditions <strong>de</strong> la cession, sauf à ne ra‐<br />

tifier définitivement et exécuter ces conditions quʹaprès lʹépreuve <strong>de</strong> 6 mois quʹil désire<br />

faire. Tout ce que contenait dʹailleurs ma lettre dʹexplications et réflexions sʹadressait à<br />

Madame Levassor plutôt quʹà son fils.<br />

M. Dufour a trouvé naturel et juste que toute disposition pour renouvellement <strong>de</strong><br />

bail ou autre vous restât étrangère jusquʹà lʹexpiration <strong>de</strong>s 6 mois. Quant à lʹadmission <strong>de</strong><br />

M. Gar<strong>de</strong>t, il fera, je pense, selon votre désir, cela, du reste, sera à régler amiablement.<br />

M. Dufour vous désire pour le 10 ou 12 au plus tard.<br />

Je prends part, mon ami, aux contrariétés que vous suscite cette affaire; prenez‐les<br />

en patience, priez, je prierai aussi. Dieu est si bon et la vie est si courte.<br />

Tout à vous <strong>de</strong> cœur en J.C.<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

57


Je viens <strong>de</strong> chez M. Gar<strong>de</strong>t, il est absent pour tout le jour, je nʹai pu le voir.<br />

A bientôt. Adieu.<br />

31 à M. Pavie<br />

Très sollicité, MLP. nʹa pas eu le temps dʹécrire. Sa vie domestique ne doit pas donner le change. Le fond <strong>de</strong> sa na‐<br />

ture est lʹespérance. Confi<strong>de</strong>nces sur les épreuves <strong>de</strong> sa vie conjugale. Sa force dʹâme pour tenir son engagement.<br />

Paris, le 24 novembre 1834<br />

Je serais bien inquiet en présence <strong>de</strong> tout autre, mon très cher Victor, dʹun silence<br />

aussi bien gardé que le mien; mais <strong>avec</strong> vous jʹarrive aussi confiant et aussi libre que ja‐<br />

mais, parce que ma tendre affection nʹa pas changé et que, jʹen suis profondément sûr, cʹest<br />

tout ce que vous me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>z. Le reste est subjectif, acci<strong>de</strong>ntel et partant excusable ou <strong>de</strong><br />

facile oubli. A défaut <strong>de</strong>s faits vous recourez à lʹintention et lʹintention défaillant elle‐<br />

même quelque chose vous reste qui vous est personnel et propre, cʹest une vue intelligente<br />

et large <strong>de</strong> tout ce qui est humain, une foi implicite aux possibilités vagues, une perception<br />

réelle <strong>de</strong> lʹimperceptible, une vue transcendante <strong>de</strong> lʹinvisible. Il y aurait bien du malheur,<br />

si <strong>avec</strong> tout cela, vous nʹaviez découvert que ces temps <strong>de</strong>rniers je mʹétais, comme à plaisir,<br />

laissé encombrer <strong>de</strong> mille choses jusquʹà en perdre respiration; ma tête passait au‐<strong>de</strong>ssus<br />

un moment, puis, tout aussitôt, jʹétais encore envahi. Vous avez dû, quelquefois aussi,<br />

vous donner pareil amusement. Ne savoir à quoi courir, auquel entendre la fatigue,<br />

lʹétourdissement, puis quand on laisse tout dʹépuisement, voir tout au hasard du Bon<br />

Dieu, nʹen aller que mieux et arriver sans vous au but. Si vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>z sur quoi tout cela<br />

opérait, je ne le sais trop, en vérité. Lʹaffaire Levassor et quelques écrivasseries sont ce que<br />

jʹen puis tirer <strong>de</strong> plus clair. Pour vous qui faites dix tours contre moi un, il y aurait eu bien<br />

du loisir et <strong>de</strong> lʹespace, mais, vous le savez, le verre dʹeau a ses tempêtes et la nullité son<br />

infini.<br />

Lʹaffaire Levassor dont je parlais reste provisoirement dans cette heureuse indéci‐<br />

sion qui va si bien à la quiétu<strong>de</strong> <strong>de</strong> notre ami. Il a obtenu <strong>de</strong> sa famille, pour tout résultat,<br />

permission <strong>de</strong> se mettre six mois en pension chez Monsieur Dufour, pour examiner <strong>de</strong><br />

près la chose et sʹassurer quʹelle lui convient. Malgré le ton dont je parle, je trouve cela<br />

sensé et nʹen ai pas ressenti la moindre contrariété. Dʹailleurs moi aussi, à certains mo‐<br />

ments que je tâcherai <strong>de</strong> convertir en jours, puis en années, je vois presque <strong>avec</strong> indiffé‐<br />

rence tout ce qui fait la trame matérielle <strong>de</strong> notre vie. Cʹest découragement et faiblesse bien<br />

souvent, quelquefois résignation, ar<strong>de</strong>nt espoir en Dieu. Ce <strong>de</strong>rnier sentiment est et reste‐<br />

ra, je lʹespère, le fond <strong>de</strong> ma vie, ma note sensible, le reste nʹest que vibration consonante<br />

ou simple accompagnement. Tant que je pourrai parler ainsi, mon ami, ne me plaignez<br />

pas; ma vie extérieure peut‐être bizarre, monotone et triste, il nʹimporte, il est <strong>de</strong>s heures<br />

qui ravivent, qui comblent lʹâme et consolent <strong>de</strong> tout; il est <strong>de</strong>s heures qui rayonnent et qui<br />

chantent, <strong>de</strong>s heures où lʹon entend au loin lʹécho <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière heure répondant à lʹéterni‐<br />

té.<br />

Nʹallez pas prendre au grand sérieux toutes ces phrases romantiques; cʹest un coin<br />

<strong>de</strong> la chose, mais pas lʹabsolu, je suis dʹailleurs un fort bon vivant, me portant bien, cou‐<br />

rant tout à lʹheure à merveille, mangeant buvant bien, querellant parfois ma femme qui va<br />

58


maintenant beaucoup mieux, enfin votre digne ami [sauf la pipe] 61 et presque aussi tapa‐<br />

geur que vous.<br />

Ma femme, mon cher Victor, sans en vouloir convenir, est beaucoup plus forte et<br />

moins souffrante, elle travaille un peu et marche, je lʹespère, à un mieux définitif. Entre<br />

nous, je ne saurais dire que la santé la ren<strong>de</strong> meilleure, mais je vaux si peu moi‐même que<br />

cʹest chez nous à bon chat bon rat 62 . Nous ne faisons pas pourtant mauvais ménage, si le<br />

Bon Dieu nous ai<strong>de</strong>, nous pourrons arriver à bien. Cʹest une étrange chose, vous verrez,<br />

que le ménage, et rien ne saurait dʹavance en donner une idée. Jʹen ris quelquefois tout<br />

seul ou bien jʹen pleure. Car cʹest également comique et triste; il y a aussi un beau côté.<br />

Jusque‐là on mène sa vie plus ou moins à distance <strong>de</strong>s autres vies; union <strong>de</strong> société, <strong>de</strong> fa‐<br />

mille, union dʹamis, union <strong>de</strong> frères, tout cela va côte à côte, et pourtant pas sans peine; en<br />

ménage, cʹest bien autre affaire; <strong>de</strong>ux vies en une ou bien dualité acharnée, lutte à mort, il<br />

faut choisir. Le beau côté, cʹest quʹà force <strong>de</strong> se combattre soi‐même, on se mâte à la fin<br />

quelquefois et lʹon en sort meilleur. En voie contraire, si lʹon cédait, le mal irait bien vite. Je<br />

ne vois que quatre pas: injure, violence, assassinat, suici<strong>de</strong>. Or, cʹest là, mon ami, une ef‐<br />

frayante idée, il nʹy a que le premier pas qui coûte, on franchirait les autres en moins <strong>de</strong><br />

rien et sans presque y songer. En longeant parfois les abords du chemin, jʹai entrevu à la<br />

dérobée tout cela! Jʹai vite reculé, vous mʹen croirez, car sʹil faut vaincre ou briser pour<br />

mettre ici lʹharmonie, il est plus facile et meilleur <strong>de</strong> briser et dompter en soi quʹen autrui.<br />

Jʹy veux travailler <strong>de</strong> toute mon âme; priez Dieu, mon meilleur ami, <strong>avec</strong> moi, pour quʹil<br />

me soutienne et me conduise au but.<br />

Jʹaurais presque envie <strong>de</strong> vous faire reproche <strong>de</strong> ne mʹavoir pas écrit, mais vous<br />

avez fait aussi pour le mieux sans doute; écrivez‐moi bientôt et à cœur débordant sur tou‐<br />

tes choses et sur la meilleure en particulier. Jʹentends celle que vous avez si courtement<br />

touchée dans votre <strong>de</strong>rnière lettre. Embrassez votre bon père, mon ami Théodore et ceux<br />

qui sont encore là‐bas connus ou à connaître.<br />

Jʹai vu Gavard, pas M. Boré encore; je lʹespère; pas encore le jeune C. Je me suis oc‐<br />

cupé <strong>de</strong> lui. Je suis allé au collège; mais sans le voir; au plus tôt, je le verrai et lʹaimerai<br />

pour vous et pour Dieu. Votre ami et frère,<br />

<strong>Léon</strong> Le <strong>Prevost</strong><br />

Gavard vous a écrit; il va bien.<br />

32 à M. Pavie<br />

Dans lʹépreuve, MLP. sʹabandonne à la volonté <strong>de</strong> Dieu. Il fréquente toujours ses amis. Fidélité indéfectible à Pa‐<br />

vie: tant que son fil dure, il veut quʹil se tisse <strong>avec</strong> le sien.<br />

31 décembre 1834<br />

Bien que je vous doive pour votre excellente lettre mon cher Victor, une longue et<br />

gran<strong>de</strong> réponse, vous êtes homme à vous contenter <strong>de</strong> quelques lignes qui viendront, du<br />

moins au premier jour <strong>de</strong> lʹan, joindre mes tendres affections aux effusions qui pleuvront<br />

sur vous tant aimé et aussi tant aimant. Je marche donc et vite pour arriver à temps.<br />

61 Le texte porte: "à cela près <strong>de</strong> la pipe", c'est-à-dire sauf la pipe : si V. Pavie était grand fumeur, MLP. ne l'était pas du tout.<br />

62 La défense, la réplique, vaut mieux que l'attaque.<br />

59


La première partie <strong>de</strong> votre lettre me contriste vivement et mʹaffligerait plus encore,<br />

si je nʹétais accoutumé à <strong>de</strong>s retours contre toute espérance et si, presque malgré moi, je ne<br />

gardais quelque confiance en lʹavenir. Pour parler vrai, cependant, je ne suis pas bien cer‐<br />

tain quʹune scission définitive me parût un malheur réel; dʹentraînement, <strong>de</strong> dévouement<br />

absolu à tout ce que vous voulez, je me suis livré à corps perdu dans cette idée; mais<br />

cʹétait, je le sentais, en certains moments, par abnégation et foi aveugle, plutôt que par<br />

conviction. Une vie tout entière résumée en un moment, cʹest trop dʹambition peut‐être,<br />

cʹest le martyre et ici, mon ami, serait‐ce bien ici le martyre pour Dieu? Moi, je nʹen sais pas<br />

dʹautre que je puisse approuver et je le sais bien, les heures <strong>de</strong> fièvres passées, vous ne<br />

sauriez vous‐même penser et vouloir différemment. Quoiquʹil en soit la Provi<strong>de</strong>nce est là,<br />

elle a tant fait pour vous sur tout le reste, quʹil y aurait criante injustice à ne pas espérer<br />

aussi en elle pour cette gran<strong>de</strong> affaire. Cʹest ma <strong>de</strong>rnière ressource quand ma pauvre tête<br />

se lasse et ne voit plus clair aux choses. Reposez‐vous aussi là, mon cher Victor, et prenons<br />

confiance que lʹissue, quelle quʹelle soit, sera la meilleure.<br />

Il serait cruel, cher ami, quand vous cherchez à vous reprendre un peu au bonheur<br />

qui me concerne, par compensation <strong>de</strong> ce qui vous en manque, il serait vraiment lâche à<br />

moi <strong>de</strong> mʹy refuser: pourtant cher Victor, ne faites pas trop compte, je vous le dis, sur ce<br />

frêle appui, il pourrait vous manquer. Jamais avenir fut moins assuré que le mien et cet<br />

avenir ne compte pas par années, mais par jour: la veille ne saurait dire où me trouvera le<br />

len<strong>de</strong>main, ici ou bien loin; il en est qui ont une <strong>de</strong>meure, un foyer transmis <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s sou‐<br />

venirs et <strong>de</strong>s espérances, qui sʹy casent et sʹy assoient en disant: je mourrai là; moi, je<br />

mourrai assurément, mais où? Je ne sais. Cette incertitu<strong>de</strong>, qui me tient toujours en alerte,<br />

nʹaurait rien qui répugnât à mes sentiments, si elle provenait <strong>de</strong> simple abandon <strong>de</strong> cœur,<br />

<strong>de</strong> résignation confiante et calme, mais je ne puis dire quʹil en soit ainsi. Lʹaccepter telle<br />

quelle, cʹest peut‐être le mieux. Jʹy tends, jʹy arriverai, je lʹespère, ce sera là mon bonheur.<br />

Je tiens cordialement à tout ce que vous mʹavez donné et nʹen lâcherai miette; Mar‐<br />

ziou et moi nous voyons fidèlement, Gavard aussi, Godard même, puisquʹil est un peu<br />

frotté <strong>de</strong> vous. Soyez tranquille, ami, tout ce que vous avez touché mʹest cher, choses et<br />

gens, rien nʹen sera perdu.<br />

Je vois le petit C. je vais tâcher quʹil vienne aux Rois chez nous. Il sort dʹailleurs tant<br />

quʹil veut, mʹa‐t‐il dit, chez un correspondant. On en est très content au collège. Je lʹai re‐<br />

commandé à lʹabbé Buquet, directeur, que je connais et aussi à son professeur que je me<br />

trouve connaître aussi particulièrement. Ce <strong>de</strong>rnier le regar<strong>de</strong> comme un <strong>de</strong> ses meilleurs<br />

élèves et sʹy intéresse beaucoup. Ce <strong>de</strong>rnier le regar<strong>de</strong> comme un <strong>de</strong> ses meilleurs élèves et<br />

s’y intéresse beaucoup. Etes‐vous content, mon maître?<br />

Adieu, très cher ami, luttez, bataillez le mieux quʹil se pourra cette année <strong>avec</strong> les<br />

jours, <strong>avec</strong> les heures, le temps passe et lʹon arrive au bout. Mêlez‐moi toujours un peu à<br />

tout. Tant que mon fil dure, je veux quʹil se tisse <strong>avec</strong> le vôtre. Quand il cassera, allez tou‐<br />

jours, mais encore aimez‐moi.<br />

<strong>Léon</strong> Le P.<br />

60


33 à M. Pavie<br />

La sphère religieuse est la seule capable <strong>de</strong> procurer le vrai bonheur. Consolations et conseils à son ami. Il est touché<br />

<strong>de</strong> lʹestime que lui porte Edouard Guépin. Difficultés à sʹoccuper dʹun petit pensionnaire. Nouvelles <strong>de</strong>s amis an‐<br />

gevins. V. Pavie sʹest éloigné momentanément <strong>de</strong> la Gerbe. Lacordaire chargé <strong>de</strong>s conférences <strong>de</strong> Carême à Notre‐<br />

Dame <strong>de</strong> Paris.<br />

5 février 1835<br />

Votre précé<strong>de</strong>nte lettre, cher Victor, mʹavait laissé sur votre situation <strong>de</strong>s inquiétu‐<br />

<strong>de</strong>s et jʹen gardais une impression vague <strong>de</strong> tristesse que je parvenais mal à dissiper.<br />

Jʹavais lu vos lettres à Gavard, Marziou, Godard, car, à défaut <strong>de</strong> communications directes<br />

à vous, jʹen quête effrontément par toute voies, mais nulle part je ne trouvais réponse en‐<br />

tière à ma sollicitu<strong>de</strong> sur votre état <strong>de</strong> cœur. Aussi trouvai‐je que vous tardiez bien à<br />

mʹécrire. Je suis maintenant, je ne dirai pas plus tranquille, cela vous effaroucherait, seu‐<br />

lement, cher ami, je suis moins tourmenté. Je me sens, comme vous lʹavez été vous‐même,<br />

soulagé par cette effusion qui vous a été permise, en détour sans doute et non immédiate,<br />

mais qui nʹaura pas été, je mʹen assure, sans quelque écho pour cette jeune âme. Que je re‐<br />

viens vite à tout ce que vous voulez et que cʹest <strong>de</strong> bon gré que je vous livre et mon cœur<br />

et ma tête à tout vent soufflé par vous. Je voudrais tant vous voir heureux que pour vous<br />

au moins je reprends foi au bonheur! Pourtant, soit étroitesse dʹesprit, soit vieillesse <strong>de</strong><br />

cœur, soit, jʹaime mieux le croire, ferme, inébranlable, exclusive conviction, je ne puis voir,<br />

idéalement ou au réel, aucun bonheur, hors la sphère religieuse, et si je ne vous y savais,<br />

cher ami, à tout jamais enfermé, si je ne vous voyais si scrupuleux, si inquiet aux limites,<br />

jʹaurais beau faire, vous auriez mes tendres sympathies, mais <strong>de</strong> confiance en lʹavenir et<br />

repos au présent, impossible. Je ne saurais. Aussi, est‐ce <strong>avec</strong> une joie infinie que <strong>de</strong>puis<br />

longues années déjà je vous ai suivi sur ce point. Je vous ai vu et mʹen souviens, presquʹen‐<br />

fant encore, à force <strong>de</strong> can<strong>de</strong>ur, <strong>de</strong> naïve franchise, à travers lʹart, la poésie et les brillants<br />

rêves <strong>de</strong> nos philosophes, vous démêler, vous faire jour et toujours aller au but. A votre<br />

<strong>de</strong>rnier voyage toutefois, vous me sembliez changé; mais cʹétait transformation simple, je<br />

le vis bientôt; au lieu <strong>de</strong> 19 ans, vous en avez 25, voilà tout. La lutte nʹétait plus toute au<br />

<strong>de</strong>hors, elle se faisait à lʹintérieur, mais là encore vous étiez maître. Votre front essuyé et la<br />

poussière abattue, vous vous retrouviez en face <strong>de</strong> Dieu. Cela dure encore aujourdʹhui,<br />

cher ami, mais je nʹai pas peur. Jʹai lu les premières pages du livre. Jʹen <strong>de</strong>vine et pressens<br />

les <strong>de</strong>rnières. Tout passé attentivement étudié porte indice <strong>de</strong> lʹavenir; le vôtre, cher ami,<br />

est rassurant et bon; il est tout dʹor, disait Marziou, à tels pieds on nʹimpose point tête<br />

dʹargile. Cela mʹexplique, et mon ar<strong>de</strong>ur à suivre tous vos projets et ma confiance sans<br />

bornes à toutes vos vues sur votre propre avenir; vous avez une règle, un point dʹépreuve;<br />

bien certain que vous y rapportez tout par volonté expresse ou dʹirrésistible instinct, que<br />

pourrais‐je craindre et quʹai‐je <strong>de</strong> mieux à faire quʹà vous abandonner aveuglément tout ce<br />

qui est en moi <strong>de</strong> sentiment pour être à votre gré conduit et maîtrisé. Ainsi, en arrive‐t‐il<br />

toujours et je lʹai senti en cette occasion surtout. Ce nʹest pas toutefois que vos affaires me<br />

semblent définitivement amenées à mieux, mais la persévérance, la persistance <strong>de</strong> volonté,<br />

en pareille matière me paraissent presque décisives et si vous voulez opiniâtrement, vous<br />

obtiendrez. Quant à lʹheureuse application <strong>de</strong> ce ferme vouloir, quant au jugement du<br />

choix, je vais <strong>de</strong> foi en vous comme pour tout le reste. Allez donc ami; suivez votre voie et<br />

gar<strong>de</strong>z bien notre loi, à moi si chère, <strong>de</strong> me donner part à toute cette œuvre si intime et si<br />

personnelle pour vous.<br />

61


Ce que vous me dites <strong>de</strong> votre ami Ed. Guépin 63 me touche beaucoup. Je lʹaime ten‐<br />

drement et le voudrais <strong>de</strong> toute mon âme, heureux comme il mʹen semble digne; il me<br />

montre aussi quelque confiance, il y a en nous <strong>de</strong>s points souffrants qui sʹenten<strong>de</strong>nt. Ce se‐<br />

rait une gran<strong>de</strong> joie pour moi que nous puissions arriver à complète sympathie; assurez‐le<br />

encore <strong>de</strong> mon dévouement sans bornes; jʹavais mis au bas <strong>de</strong> ma lettre mon adresse<br />

comme invitation <strong>de</strong> mʹécrire encore. Dites‐lui cela, il a du loisir, et lui, dans les miens,<br />

peut hardiment prendre et choisir les meilleurs.<br />

Vous me remerciez plus quʹil ne faut, cher ami; mon intimité <strong>avec</strong> le jeune C. est<br />

moins avancée que vous ne le pensez et que je ne le voudrais. Lʹabbé Buquet, directeur du<br />

Collège était à la campagne aux Rois, lorsque je me présentai pour faire sortir cet enfant;<br />

les autres chefs me connaissant peu nʹont point dû faire, en ma faveur, exception à cette<br />

règle qui défend <strong>de</strong> confier les élèves à toute personne du <strong>de</strong>hors qui nʹest point autorisée<br />

par les parents directement et en forme. Lʹabbé Buquet a levé lʹobstacle pour lʹavenir, mais<br />

les mercredis (jour <strong>de</strong> sortie) ma femme est au <strong>de</strong>hors tout le jour pour affaires; moi à mon<br />

bureau, comment promener le pauvre enfant? Cela ne se peut. Je le vois, pour <strong>de</strong>s raisons<br />

analogues, très peu à son collège. Je redoublerai <strong>de</strong> volonté pour vous complaire, sʹil y a<br />

lieu, cher ami.<br />

Jʹai rappelé hier à Gavard le projet <strong>de</strong> portrait par M. Ménard. Pour sa femme cʹest<br />

déjà chose jugée impraticable; pour lui, il ne sait; mais du possible au réel, cʹest abîme à<br />

franchir, en lui surtout. Jʹy compte peu. Il voyait hier une occasion <strong>de</strong> faire obtenir un tra‐<br />

vail mince et peu lucratif il est vrai, à notre ami. Jʹy ai poussé cependant ar<strong>de</strong>mment et sa<br />

femme et lui, mais... mais la volonté, je le crains, faillira ici encore. Je verrai Marziou au<br />

plus tôt. Jʹétais absent lorsquʹil mʹa apporté votre lettre. Je suis toujours absent. Je vois<br />

Marziou toujours et lʹaime cordialement. Nous sommes, je lʹespère maintenant pris lʹun à<br />

lʹautre par vous surtout qui nous servez <strong>de</strong> lien. Nʹest‐ce pas ainsi entre tous vos amis?<br />

Nʹest‐ce pas ainsi en tout? Nʹêtes‐vous pas le maître toujours, bien quʹhumble et défiant <strong>de</strong><br />

vous, vous cherchiez en haut vos élèves, quand il les faudrait découvrir en bas. Moi, no‐<br />

tamment, ne subsiste que <strong>de</strong> vos restes. Je me surprends à toute heure vous copiant pâle‐<br />

ment et vis parfois quinze jours sur un mot tombé <strong>de</strong> vous, sur quelque souvenir qui me<br />

revient ou que Dieu me rend plutôt comme aliment et soutien. Nʹenviez donc plus les<br />

prodigues et quelques larmes dont le père les baigne au retour: fili, omnia mea tua sunt 64<br />

cʹest là la part <strong>de</strong>s fils aînés, la vôtre, ami; gar<strong>de</strong>z‐la bien.<br />

Vous prenez mal, ami, et par mauvais côté, votre retraite <strong>de</strong> La Gerbe pour cette an‐<br />

née; ce nʹest pas trahison à vos amis, ce nʹest pas renier lʹâme aimante et vivante en vous;<br />

cʹest, ami, en recueillir un peu sur vous‐même les rayons quʹon ne savait pas chez vous ré‐<br />

fléchir, laissez faire le temps. Ne livrez pas plus <strong>de</strong> vous quʹon en peut comprendre à la<br />

fois; notre maître disait aux siens: jʹaurais bien <strong>de</strong>s choses encore à vous apprendre, mais<br />

lʹheure nʹest pas venue, vous ne sauriez me comprendre 65 , et il se taisait. Lʹheure vint pour‐<br />

63 Ami d'enfance <strong>de</strong> V. Pavie, lui aussi du groupe <strong>de</strong>s Angevins <strong>de</strong> Paris, Edouard Guépin avait subi l'ascendant <strong>de</strong> MLP. En avril<br />

1835, il l'écrira à V. Pavie: "Merci, mille fois merci, pour l'ami que vous m'avez donné en MLP. Quels trésors inépuisables d'amitié<br />

il possè<strong>de</strong>! S'il y avait quelque chose <strong>de</strong> plus sacré que ces noms d'ami et <strong>de</strong> frère, je les lui donnerais, car il est plus que tout<br />

cela, dans l'idée la plus étendue, la plus favorable, qu'ils puissent représenter. Ce n'est pas un homme <strong>de</strong> notre temps, c'est un saint.<br />

Tous les jours, et quoi qu'il fasse pour cacher ce qu'il fait <strong>de</strong> bien et <strong>de</strong> beau, j'apprends sur lui, et quelquefois il me laisse involontairement<br />

<strong>de</strong>viner, <strong>de</strong>s choses à honorer un Fénelon, un Vincent <strong>de</strong> Paul". (VLP., I, p.51). MLP. le ramènera à la foi et le soutiendra<br />

dans l'épreuve <strong>de</strong> sa maladie. (cf. <strong>Lettre</strong> 43).<br />

64 Cf. Lc 15,31.<br />

65 Cf. Jn 16,12.<br />

62


tant. Pour vous aussi, ami, dans lʹhumble sphère <strong>de</strong> votre humanité, lʹheure viendra, ayez<br />

patience, gar<strong>de</strong>z seulement votre âme et votre cœur, gar<strong>de</strong>z votre foi, votre pureté, votre<br />

ar<strong>de</strong>ur, on y puisera largement quelque jour, cʹest le trésor rare et quʹon ne dédaigne point.<br />

Mais si, par impossible, une part intime, la meilleure peut‐être, restait ici‐bas méconnue,<br />

oh! grâces en soient rendues à Dieu qui se la réserve et la gar<strong>de</strong> pour lui cette part. Don‐<br />

nez‐la lui bien vite, n’est‐ce pas là le charme indicible, la secrète joie du mystique disce<br />

nesciri 66 Adieu, ami, je vous aime, vous suis et vous comprends.<br />

Tout à vous <strong>de</strong> toute âme<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

M. Lacordaire est chargé officiellement par lʹArchevêque <strong>de</strong>s<br />

Conférences <strong>de</strong> Notre‐Dame pour le Carême. 67 Nous aurons aussi<br />

lʹabbé Cœur. Dites cela à Ed. Guépin qui me lʹavait <strong>de</strong>mandé. Res‐<br />

pects, souvenirs, amitiés autour <strong>de</strong> vous.<br />

Mgr <strong>de</strong> Quelen<br />

34 à M. Pavie<br />

Exhortation à se tourner vers Dieu. MLP. voudrait lui exprimer plus chaleureusement son amitié, mais ses propres<br />

souffrances nʹy prêtent pas.<br />

3 mars 1835<br />

Que <strong>de</strong> tribulations et <strong>de</strong> peines. Combien je vous plains, cher ami. Votre <strong>de</strong>rnière<br />

lettre mʹétait dʹun meilleur augure et jʹavais contenu, par simple obéissance les empresse‐<br />

ments et la joie que je croyais désormais pleinement justifiés; mais voilà encore un revire‐<br />

ment, ce ne sera pas le <strong>de</strong>rnier, cher ami, espérons‐le. Les antécé<strong>de</strong>nts exigent une autre<br />

fin, et quelle quʹelle soit dʹailleurs, je ne puis penser quʹelle se résume en tout à quelque<br />

conseil pris dʹune glace, à lʹenivrement dʹune valse après un soir <strong>de</strong> bal. Lʹexpérience et<br />

dʹamères révélations, mais quelles quʹelles fussent pour vous, jʹen ai la confiance, la main<br />

<strong>de</strong> Dieu, qui vous fut si douce jusquʹici, saurait encore les adoucir. Elle vous a doué dʹune<br />

imagination riche et dʹun cœur confiant. A <strong>de</strong> pareils dons qui pourraient <strong>de</strong>venir si funes‐<br />

tes, elle a dû joindre un entourage et <strong>de</strong>s points <strong>de</strong> défense; quels ils sont, je ne sais, mais il<br />

vous les faut, ami, et jʹy compte, ils ne vous manqueront pas. Jʹaime à penser dʹailleurs que<br />

votre ar<strong>de</strong>ur trop vive a pu sʹexagérer beaucoup la valeur <strong>de</strong> quelques circonstances expli‐<br />

cables et peu significatives peut‐être en soi. Jʹattends à ce sujet une nouvelle lettre que<br />

vous ferez courte, si votre disposition lʹexige, mais que je désire prompte, vous le croirez<br />

aisément, cher ami.<br />

Prenez courage, cher Victor, ce nʹest peut‐être quʹune épreuve, ou bien, je le croirais<br />

plutôt une leçon. Subissez‐la doucement et tout sʹapaisera. Qui sait ce quʹune ar<strong>de</strong>ur<br />

comme la vôtre pourrait entraîner dʹhumiliation et dʹoubli pour un autre amour qui veut<br />

le <strong>de</strong>ssus toujours et ne souffre point dépression. Je ne crains pas cher ami, à tout hasard,<br />

<strong>de</strong> ramener toujours votre pensée <strong>de</strong> ce côté, parce que je connais profondément votre âme<br />

et quʹen bonheur comme en peine, il ne lui faudrait point dʹautre remè<strong>de</strong>, lʹusage variant<br />

66<br />

Apprends à être ignoré.<br />

67<br />

Ce fut grâce à F. Ozanam que Mgr <strong>de</strong> Quélen offrit à Lacordaire la chaire <strong>de</strong> Notre-Dame <strong>de</strong> Paris. La première conférence aura<br />

lieu le 8 mars 1835.<br />

63


seulement, mais <strong>de</strong>vant à lʹun comme à lʹautre appliquer un calme rafraîchissant et modé‐<br />

rateur.<br />

Je prierai plus ar<strong>de</strong>mment Dieu pour vous, cher ami, durant ces jours <strong>de</strong> tourmente,<br />

quelle que soit votre propre situation, tâchez <strong>de</strong> vous échapper aussi un peu par là. Ce se‐<br />

ra au moins un instant pour reprendre haleine et vous en serez plus fort. Je voudrais, très<br />

cher ami, trouver <strong>de</strong>s accents plus ar<strong>de</strong>nts, plus sympathiques <strong>avec</strong> lʹétat <strong>de</strong> votre âme,<br />

mais ma vie y prête si peu! Pardonnez‐moi, cher Victor, et si vous ne me trouviez pas la<br />

voix assez émue, assez pénétrante, croyez bien, du moins, que cʹest du plus profond <strong>de</strong><br />

mon cœur quʹelle vient pour arriver à vous.<br />

Votre frère et ami.<br />

<strong>Léon</strong> Le <strong>Prevost</strong><br />

35 à M. Maillard<br />

Invitation à une exposition du musée du Louvre.<br />

[12 mars 1835]<br />

Samedi, à 10h. précises, je serai vous attendant à la première salle du musée. Ma<br />

compétence est, cher ami, plus que contestable, ce nʹest donc point comme conseil, mais<br />

bien comme simple compagnon quʹil faut me prendre, autrement vous seriez en mé‐<br />

compte. Adieu, et comme toujours à bientôt.<br />

Votre tout affectionné<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

Jeudi, 6h.<br />

36 à M. Maillard<br />

Changement du jour du ren<strong>de</strong>z‐vous.<br />

[13 mars 1835]<br />

Un billet que vous allez recevoir par la poste vous propose dʹaller <strong>de</strong>main samedi<br />

au Louvre, mais je me rappelle, à lʹheure même, que lʹexposition est fermée le samedi. Si<br />

vous voulez aujourdʹhui même, à 10h., je puis être rendu à la première salle du musée et<br />

vous y attendre. Autrement, il faudrait remettre à mardi, le lundi étant jour réservé.<br />

Vendredi 8h. du matin.<br />

37 à M. Maillard<br />

Heure et lieu du ren<strong>de</strong>z‐vous pour se rendre à lʹexposition.<br />

[13 mars 1835]<br />

On ira définitivement au Gavard ce soir, et pour cela on se trouvera à 6h. précises à<br />

St‐Sulpice, à la chapelle <strong>de</strong> la Vierge, <strong>de</strong>rrière le chœur.<br />

Jusque‐là, on continuera dʹêtre gentil et bon enfant.<br />

Vendredi matin, 10 h.<br />

64


38 à M. Maillard<br />

Invitation à une promena<strong>de</strong> dans les bois. Visite à Edouard Guépin, mala<strong>de</strong>.<br />

[Dimanche 15 mars 1835]<br />

Demain, entre 10h 30 et 11h nous pourrons, si vous voulez, aller prendre un peu<br />

lʹair, sans bruit ni tapage, nous <strong>de</strong>ux seuls, en promena<strong>de</strong> dʹétu<strong>de</strong> et <strong>de</strong> santé.<br />

Je <strong>de</strong>scendrai vous prendre à lʹheure dite, après avoir fait une petite visite à<br />

Edouard.<br />

39 à M. Maillard<br />

La promena<strong>de</strong> en pleine nature est annulée.<br />

[15 mars 1835]<br />

Une circonstance que je nʹavais pas remarquée dʹabord, me privera, mon cher ami,<br />

du plaisir <strong>de</strong> vous accompagner <strong>de</strong>main à Robin <strong>de</strong>s Bois. Excusez‐moi et croyez à tous<br />

mes regrets.<br />

Votre tout aimé<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

Dimanche au soir.<br />

40 à M. Levassor<br />

Le projet <strong>de</strong> Maison dʹétudiants fait long feu. MLP. examine <strong>avec</strong> sa femme dʹautres solutions proposées par M.<br />

Levassor. Deux confrères <strong>de</strong> la Société <strong>de</strong> Saint‐Vincent‐<strong>de</strong>‐Paul sʹintéressent aussi au projet.<br />

Paris, le 17 mars 1835<br />

Il paraît maintenant bien certain, mon cher ami, que Dieu ne vous veut pas dans la<br />

situation que nous avions désirée, lui qui tient les cœurs en sa main, pouvait aisément<br />

nous rendre favorable celui <strong>de</strong> votre mère, il ne lʹa pas fait, plus tard, peut‐être, il nous<br />

laissera voir pourquoi. Aujourdʹhui, cher ami, ayons confiance et soumettons‐nous en at‐<br />

tendant son heure. Quelque regret que me puisse causer cette issue <strong>de</strong> nos projets, je sens<br />

bien quʹelle vous est ru<strong>de</strong> encore plus quʹà moi; vous lʹaviez moins prévue peut‐être et<br />

dʹailleurs elle dérange plus essentiellement lʹordre <strong>de</strong> votre vie.<br />

Mais quʹimporte cela? Pour tous <strong>de</strong>ux nʹy a‐t‐il pas cette pensée consolante quʹune<br />

vie, réellement et <strong>de</strong> cœur donnée à Dieu, nʹest jamais inutile, quʹil sait bien, lui, en tirer<br />

parti et y donner un noble emploi.<br />

Pour vous, ô mon ami, il vous ferme cette voie, cʹest quʹil vous appelle dans une<br />

meilleure, pour moi, sans doute, cʹest que la tâche quʹil mʹa donnée déjà, suffit à ma fai‐<br />

blesse, si peut‐être elle ne la dépasse. Ainsi quelque affligée et triste que me paraisse votre<br />

âme, je suis en repos sur elle, elle saura ou se plaindre ou se consoler, nʹayez pas trop <strong>de</strong><br />

regret non plus pour moi, cher ami, comme vous je prierai et comme vous, je retrouverai la<br />

paix.<br />

Il va sans dire que je nʹai point omis <strong>de</strong> tenter ou dʹexaminer les différents moyens<br />

que vous mʹindiquiez dans votre lettre, pour empêcher lʹentière <strong>de</strong>struction <strong>de</strong> nos projets.<br />

65


Malgré la gravité <strong>de</strong>s considérations dont je vous ai entretenu plusieurs fois tou‐<br />

chant mes ressources personnelles et les raisons qui mʹempêchent dʹen disposer librement,<br />

jʹai une <strong>de</strong>rnière fois examiné lʹétat <strong>de</strong>s choses et consulté aussi ma femme. Vous savez,<br />

mon ami, comme la maladie nerveuse <strong>de</strong> ma femme la préoccupe douloureusement <strong>de</strong><br />

pensées tristes et <strong>de</strong> craintes heureusement non fondées; mais je dois, vous le savez aussi,<br />

pour son repos, en tenir compte et ne lui donner aucun sujet dʹinquiétu<strong>de</strong>. Mes années,<br />

mʹa‐t‐elle dit, sont comptées, si encore jʹen dois avoir; durant ce peu <strong>de</strong> jours je voudrais<br />

du repos, nʹengagez donc ni vous ni moi dans aucun embarras, je me sens incapable <strong>de</strong><br />

rien soutenir <strong>de</strong> tel. Que tout cela ne fût point fondé en raison, il nʹimporte, nʹest‐il pas vrai<br />

mon cher ami, il est <strong>de</strong> mon <strong>de</strong>voir dʹy donner une valeur absolue et <strong>de</strong> ne point passer<br />

outre. Ma femme trouvait bon toutefois, pour ne pas me refuser tout, que je prisse la res‐<br />

ponsabilité du loyer <strong>de</strong> la maison pendant les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rnières années du bail et quʹimmé‐<br />

diatement je donnasse 1000f ou 1200f, moitié en meubles pour suppléer à lʹinsuffisance <strong>de</strong><br />

ceux <strong>de</strong> lʹétablissement, moitié en argent pour les autres besoins. Mais cela ne comble rien,<br />

nʹaplanit rien, il faut une somme ron<strong>de</strong>, un peu plus ron<strong>de</strong> même que vous ne le paraissez<br />

croire. Dʹabord 4.000f <strong>avec</strong> vos 2.000f présumés <strong>de</strong> bénéfice en fin dʹannée, pour compléter<br />

le payement à faire à M. Dufour. De plus, pour assurer le loyer <strong>de</strong> la maison durant la pre‐<br />

mière année, 4.000f encore; pour la remise en état du mobilier 1500f., pour premières<br />

avances et dépenses courantes 2.000f. En tout, cela donne 11.500f et nous nʹavons pour y<br />

pourvoir que 1000f, à prélever peut‐être sur votre pension et autant que je puis offrir; reste<br />

toujours, à prendre au mieux les choses, un déficit <strong>de</strong> 8 à 9000f. Vous remarquerez que ce<br />

calcul repose sur la prévision, je lʹavoue peu admissible, dʹun non succès absolu.<br />

Je suis allé voir M. Marziou <strong>avec</strong> lʹintention <strong>de</strong> lui offrir 1/3 dans le bénéfice, sʹil<br />

voulait avancer cette somme, afin quʹune large chance lui fut donnée en avantage, si quel‐<br />

que chance pouvait être à courir en perte. La proportion était basée dʹailleurs, comme nous<br />

lʹavons dit, et sur lʹâge et sur le caractère <strong>de</strong> M. Marziou qui nous obligeait, tout en<br />

contractant un engagement <strong>avec</strong> lui, à lui donner appui et force contre nous‐mêmes. Les<br />

<strong>de</strong>ux autres tiers du bénéfice <strong>de</strong>vaient, dans ma pensée, appartenir, lʹun à vous, lʹautre à<br />

moi, et servir à compléter le payement <strong>de</strong> lʹétablissement.<br />

M. <strong>de</strong> la Noue 68 sʹest trouvé là au moment <strong>de</strong> ma visite à M. Marziou et jʹai pu faire<br />

ma proposition à ce <strong>de</strong>rnier <strong>avec</strong> dʹautant plus dʹassurances quʹil pouvait avoir un conseil<br />

tout naturel dans un ami entièrement désintéressé. Sur simple exposition <strong>de</strong>s faits lʹun et<br />

lʹautre ont pris feu et <strong>de</strong>mandé ar<strong>de</strong>mment la réalisation <strong>de</strong> notre projet, sʹoffrant à lʹenvie<br />

à y concourir comme à chose sainte et utile pour tous nos amis chrétiens. Mais, en <strong>de</strong>rnier<br />

résultat, ni lʹun ni lʹautre nʹont actuellement disponible la somme quʹil nous faudrait et ne<br />

peuvent assurer expressément quʹà temps fixe ils pourraient la présenter. M. Marziou est<br />

appelé en ce moment par sa famille pour reddition <strong>de</strong> comptes, mais cela peut durer un<br />

certain temps; sa majorité dʹailleurs nʹest point encore sonnée, enfin il serait à craindre que<br />

sa famille dans une légitime sollicitu<strong>de</strong> pour la gestion <strong>de</strong> sa fortune nʹen réclame la direc‐<br />

68 Un article du Bulletin <strong>de</strong> la Société <strong>de</strong> St Vt-<strong>de</strong>-P., intitulé Les origines <strong>de</strong> la Société <strong>de</strong> St-Vincent-<strong>de</strong>-Paul, relate l'épiso<strong>de</strong> <strong>de</strong> la<br />

réunion au cours <strong>de</strong> laquelle les membres fondateurs <strong>de</strong> la Société se retrouvèrent pour prendre une grave décision: <strong>de</strong>vait-on, oui<br />

ou non, accueillir au sein du groupe un nouveau membre, en la personne <strong>de</strong> Gustave Colas <strong>de</strong> la Noue? Dès la 3 e ou 4 e réunion,<br />

soit le 7 ou le 14 mai 1833, G. <strong>de</strong> la Noue fut admis dans le petit cercle et considéré comme le 7 e membre, puisque Bailly n'était<br />

pas à proprement parler membre du petit groupe. Un premier tournant est pris ce jour-là, car ce ne fut pas sans hésitation que le petit<br />

noyau fondateur se décida à admettre un membre supplémentaire, craignant, en s'étendant, <strong>de</strong> rompre le charme <strong>de</strong> leur intimité<br />

première. De la Noue fera partie <strong>de</strong>s commissions constituées en décembre 1834 et janvier 1835 pour examiner la proposition<br />

d'Ozanam <strong>de</strong> scin<strong>de</strong>r la Conférence en plusieurs sections (Positio, p.81-82).<br />

66


tion <strong>avec</strong> assez dʹinstance pour lier les mains à notre ami. Il partira donc sous peu et il es‐<br />

père pouvoir nous donner réponse dans un délai assez court; mais vous et moi savons as‐<br />

sez les choses pour ne pas asseoir une détermination et conclure arrangement sur <strong>de</strong>s ba‐<br />

ses aussi peu assurées. Je ne vois dʹautre part aucune voie ouverte, la pensée <strong>de</strong> lʹopposi‐<br />

tion si énergique <strong>de</strong> votre mère mʹafflige dʹailleurs et ne me permet pas <strong>de</strong> rechercher aussi<br />

librement que je lʹeusse voulu les ressources qui pourraient par hasard exister encore. Je<br />

nʹai même pas par volonté expresse tenté celles que vous mʹaviez indiquées, car il vous<br />

appartient et non à moi dʹapprécier le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> liberté légitime qui vous reste sans man‐<br />

quer au respect et à la soumission que vous <strong>de</strong>vez à votre famille. Je me borne donc et me<br />

bornerai à la simple exécution <strong>de</strong> vos instructions. Il me reste à voir M. Dufour. Je nʹai pu<br />

le rencontrer. Jʹy retournerai ce soir. En tout état <strong>de</strong> cause, jʹoffrirai vous et moi à son choix<br />

pour surveiller la maison gratuitement durant tout le temps quʹil voudrait sʹen absenter.<br />

Ce sera un bien faible dédommagement <strong>de</strong> lʹincertitu<strong>de</strong> où nous lʹavons tenu jusquʹici. Il<br />

ne faut pas dʹailleurs espérer quʹil se prête à aucune conciliation du genre <strong>de</strong> celle que<br />

vous lui aviez déjà proposée, cʹest‐à‐dire <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r la propriété <strong>de</strong> lʹétablissement. Je le<br />

crois donc, mon cher ami, je puis consigner ici, bien assurément, la rupture absolue <strong>de</strong> nos<br />

projets et dire adieu <strong>avec</strong> vous à cet agréable rêve.<br />

Je puis lʹécrire, en toute vérité, ce que jʹen regrette le plus cʹest vous, cʹest lʹappui<br />

chrétien que jʹespérais trouver dans notre association. Dieu y pourvoira et me soutiendra<br />

lui‐même peut‐être, priez‐le pour cela, je vous en conjure, mon ami, restons unis par la<br />

prière au moins, si nous <strong>de</strong>vons autrement être séparés. Mais jʹy songe, abandonnez‐vous<br />

donc Paris? Et pourquoi? On ne peut guère étudier aisément que là! Nʹy passerez‐vous<br />

donc point au moins une partie <strong>de</strong> votre temps? Votre lettre semble dire non, revenez sur<br />

ce sujet dans votre prochaine lettre. Adieu. je vous dirai mon entretien <strong>avec</strong> M. Dufour.<br />

A vous <strong>de</strong> cœur en Jésus‐Christ<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

Deman<strong>de</strong>z pour nous <strong>de</strong>ux les prières <strong>de</strong> M. Lecomte.<br />

41 à M. Levassor<br />

Réactions <strong>de</strong> lʹabbé Dufour. Malgré son échec, le projet a accru lʹunion fraternelle <strong>avec</strong> M. Levassor.<br />

Mercredi 18 mars 1835<br />

Comme il était facile <strong>de</strong> le prévoir, mon cher ami, le pauvre M. Dufour a paru bien<br />

mortifié <strong>de</strong> la conclusion <strong>de</strong> notre affaire. Jʹai eu beau faire, préparer la chose, lʹadoucir,<br />

lʹatténuer, le coup était ru<strong>de</strong> et il lʹa vivement ressenti. Je dois ajouter toutefois que cette<br />

impression est <strong>de</strong>meurée personnelle en lui et que, tout en regrettant lʹincertitu<strong>de</strong>, les dé‐<br />

lais fâcheux que tout cela entraînait pour lui, il nʹa montré ni amertume ni aigreur contre<br />

nous. Dieu, il faut lʹespérer, qui pèse et compense toutes choses, acceptera le sacrifice quʹil<br />

a eu ici à lui offrir et lui en rendra le prix. Du reste, aucun arrangement autre que celui dé‐<br />

jà préparé entre vous et lui ne lui a paru acceptable; il veut, <strong>avec</strong> raison, en retournant au<br />

S t Ministère, y vaquer libre <strong>de</strong> tout soin étranger et <strong>de</strong> seule responsabilité en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> ses<br />

<strong>de</strong>voirs ecclésiastiques. Il paraissait désirer votre prompt retour et craignait en particulier<br />

que la conférence <strong>de</strong> droit ne fût encore interrompue vendredi. Vous jugerez bon, sans<br />

doute, mon ami, <strong>de</strong> lui écrire au plus tôt pour vous entendre <strong>avec</strong> lui sur tout point.<br />

67


Voilà tout ce que jʹai à vous dire aujourdʹhui sur cette gran<strong>de</strong> affaire, si longtemps<br />

objet <strong>de</strong> nos entretiens et méditations; il y a peu dʹapparence quʹelle y tienne désormais<br />

une large place; et pourtant, je ne saurais trop dire pourquoi jʹattends toujours, comme sʹil<br />

<strong>de</strong>vait survenir quelque péripétie, quelque retour inattendu; mais jʹai bien soin <strong>de</strong> ne pas<br />

voir là un pressentiment, mais un simple effet <strong>de</strong> lʹhabitu<strong>de</strong>, jusquʹici prise, <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r la<br />

situation comme arrêtée et presque certaine. Dans quelques jours cette <strong>de</strong>rnière impres‐<br />

sion sʹeffacera aussi et il ne restera plus trace en notre vie <strong>de</strong> tout ce beau plan dʹavenir.<br />

Quʹil en reste, cher ami, une union plus intime entre nous, quelques doux souvenirs<br />

dʹépanchement et dʹamitié, une fraternité plus sainte en J.C. et pour ma part ces <strong>de</strong>rniers<br />

mois ne seront pas perdus.<br />

Adieu, écrivez‐moi au plus tôt<br />

Votre ami, frère en J.C.<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

42 à M. Pavie<br />

Encouragements, après lʹéchec <strong>de</strong> son projet <strong>de</strong> mariage, à tirer les leçons du passé. Leur ami Gavard a perdu sa<br />

mère. Eloge du jeune Edouard Guépin. Lacordaire à Notre‐Dame. MLP. exhorte son ami à donner à La Gerbe une<br />

note plus catholique.<br />

2 avril 1835<br />

Où en êtes‐vous, mon cher Victor, votre pauvre cœur, si ulcéré, a‐t‐il retrouvé un<br />

peu <strong>de</strong> calme et <strong>de</strong> repos. De toutes vos lettres, la <strong>de</strong>rnière que vous mʹavez écrite est la<br />

plus triste et celle qui mʹa le plus tourmenté. Cependant, le premier moment passé, je nʹai<br />

pu trouver en moi le moindre regret pour le fond <strong>de</strong> cette chose. Votre vie nʹallait pas par<br />

là dans sa véritable voie, tout votre être nʹeût pu ressortir et avoir sa valeur. Les années<br />

dʹar<strong>de</strong>ur et dʹimagination passées, vous ne vous seriez pas, comme il vous le faut, trouvé<br />

au centre dʹune vraie famille <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s <strong>de</strong>voirs tout naturellement déduits dʹune situation<br />

bonne et simple. Gar<strong>de</strong>z la voie commune, allez, mon ami, cʹest la meilleure. Cʹest une<br />

gran<strong>de</strong> audace <strong>de</strong> se faire exception et si les motifs ne sont alors pleinement purs et justi‐<br />

fiés <strong>de</strong>vant Dieu, il en résulte une vie constamment tiraillée <strong>de</strong> droite et <strong>de</strong> gauche, pénible<br />

à suivre et dont la fin reste incertaine. Vous avez <strong>de</strong> pleines et larges facultés, regar<strong>de</strong>z<br />

bien quel meilleur et plus parfait emploi vous en pouvez faire, non pour vous seul, mais<br />

pour tous, et faites‐le pendant que le choix vous reste ouvert et libre. Dieu est venu à votre<br />

ai<strong>de</strong> pour cette fois, il arrache violemment à vos mains dʹenfant un jouet terrible qui pou‐<br />

vait vous briser; mais lʹexpérience mûrit et rend homme. Dieu vous laissera maître peut‐<br />

être désormais, la responsabilité <strong>de</strong> vous‐même vous restera, pensez‐y. La volonté est un<br />

ru<strong>de</strong> far<strong>de</strong>au à porter. Ecrivez‐moi bientôt, mon ami, pour mʹassurer que vous êtes au‐<br />

jourdʹhui plus rassis, que le côté défectueux <strong>de</strong> tout ce passé vous apparaît maintenant<br />

clairement, que vous y renoncez <strong>de</strong> cœur et ne voulez plus laisser désormais à lʹimagina‐<br />

tion part si gran<strong>de</strong> dans lʹordre <strong>de</strong> votre avenir. Pardonnez‐moi <strong>de</strong> prendre si exclusive‐<br />

ment les choses dʹun seul côté. Je nʹétais que trop disposé, vous le savez, à les voir favora‐<br />

blement tant quʹil y eut moyen <strong>de</strong> le faire; la situation me semble aujourdʹhui tranchée du<br />

côté négatif et jʹy appuie dʹautant plus fortement que votre intérêt, comme ma propre in‐<br />

clination, mʹy poussait <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux parts à la fois.<br />

68


Vous avez appris sans doute <strong>de</strong> notre ami Gavard la perte quʹil a faite <strong>de</strong> sa mère. Il<br />

a veillé près dʹelle trois jours et trois nuits pour avoir un <strong>de</strong>rnier regard ou un mot dʹadieu,<br />

mais il nʹy avait plus regard ni parole et notre pauvre ami nʹa rien obtenu. Où va donc<br />

lʹâme, en quel réduit se cache‐t‐elle alors, et par quelle voie secrète passe‐t‐elle <strong>de</strong> ce<br />

mon<strong>de</strong> au mon<strong>de</strong> meilleur? Partir ainsi à la dérobée, cʹest bien triste, et pour qui sʹen va et<br />

pour qui reste, nʹest‐ce pas ami, que vous ne choisiriez pas <strong>de</strong> mourir ainsi?<br />

Jʹai revu notre ami Ed. Guépin, cette âme est, je lʹespère, bien acquise à Dieu. Je nʹai<br />

vu en aucune autre un abandon si naïf, une volonté si simple et si ouverte pour la vérité. Je<br />

crois que Dieu et lui sʹaimeront tendrement.<br />

M. Lacordaire, vous le savez, fait merveille à Notre‐Dame et cela est dʹautant plus<br />

consolant que lʹempressement <strong>de</strong> lʹauditoire dépasse <strong>de</strong> beaucoup le mérite <strong>de</strong> lʹenseigne‐<br />

ment et montre quʹil y a disposition provi<strong>de</strong>ntielle dans les esprits. Il y a ici vraiment bien<br />

<strong>de</strong>s motifs dʹespérance. Jʹespère que cela vous gagne et quʹil est <strong>de</strong> même autour <strong>de</strong> vous.<br />

Vous, ami, foyer, là‐bas, <strong>de</strong> toute union, poussez donc un peu dans cette voie <strong>de</strong> charité<br />

tous ceux dont Dieu vous a fait le chef. Transfigurez votre Gerbe, ami, cela serait beau et<br />

digne <strong>de</strong> vous. Lʹaffaire Levassor aujourdʹhui tuée sans retour. Adieu, mon très cher Vic‐<br />

tor, aimez‐moi, je vous aime tendrement.<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

43 à M. Pavie<br />

Maladie dʹEdouard Guépin. Piété et confiance du jeune mala<strong>de</strong>. A son chevet, MLP. a le sentiment <strong>de</strong> la présence<br />

<strong>de</strong> Dieu. Il exprime à V. Pavie sa joie <strong>de</strong> le savoir à nouveau fiancé.<br />

25 mai 1835<br />

Mon cher Victor,<br />

La situation <strong>de</strong> notre pauvre Edouard ne semble pas sʹaméliorer; elle se maintient<br />

seulement. Je ne sais si cʹest avantage, car lʹétat est bien grave; il y a, disent les mé<strong>de</strong>cins,<br />

<strong>de</strong>s cavernes dans le poumon, et en effet <strong>de</strong>s vomissements à peu près périodiques <strong>de</strong> ma‐<br />

tières muqueuses annoncent que ces creux intérieurs se remplissent et se vi<strong>de</strong>nt constam‐<br />

ment. Cʹest à cela quʹon attribue lʹinflammation et la fièvre continue. Les mé<strong>de</strong>cins es‐<br />

sayent <strong>de</strong> cicatriser le mal, mais en tâtonnant et comme doutant dʹeux‐mêmes et <strong>de</strong> leurs<br />

remè<strong>de</strong>s. Béni soit Dieu en qui lʹespérance nous reste, quand tout se trouble et défaille au‐<br />

tour <strong>de</strong> nous. Ainsi pense le pauvre mala<strong>de</strong> dont la piété et la confiance vont croissant en<br />

<strong>de</strong>gré admirable. Voilà, dit‐il, en montrant le Christ, mon seul et véritable mé<strong>de</strong>cin! Aussi<br />

prie‐t‐il presque à toutes les heures <strong>avec</strong> une simplicité, une can<strong>de</strong>ur qui ravissent. Hier, il<br />

a lui‐même <strong>de</strong>mandé à son confesseur que la communion lui fût donnée, et ce matin le S t<br />

Viatique <strong>avec</strong> lʹExtrême‐onction quʹon ne sépare pas, lui ont été conférés. Comment en<br />

pleine connaissance, sans lʹombre <strong>de</strong> soupçon sur le danger <strong>de</strong> sa position, le mala<strong>de</strong> a dé‐<br />

siré ce remè<strong>de</strong> suprême, comment le bon père, que cela terrifiait, ne sʹy est pas opposé?<br />

Comment les gens dʹéglise ont traversé inaperçus, cette maison, ont trouvé près du lit le<br />

père et moi tout seuls, sans amis étrangers et importuns, sans survenue <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins ni au‐<br />

tres pour interrompre la sainte cérémonie? Comment? Faut‐il le <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r? Dieu le vou‐<br />

lait, tout était dit. Cʹest pour moi une gran<strong>de</strong> responsabilité <strong>de</strong> moins, cher ami, que le<br />

pauvre enfant, en ce mon<strong>de</strong>, soit remis aux mains <strong>de</strong> son père, et pour lʹautre, aux mains<br />

<strong>de</strong> Dieu, que ce dépôt regar<strong>de</strong> à cette heure et qui saura bien y veiller. Nous avons <strong>de</strong>s<br />

69


heures bien tristes près <strong>de</strong> ce lit <strong>de</strong> souffrance, mais ce quʹil nʹappartient quʹà Dieu dʹopé‐<br />

rer, il en est <strong>de</strong> bien calmes et <strong>de</strong> bien douces. Celle‐là certes est du nombre. Nous pleu‐<br />

rions mais sans effort et parce que lʹâme pleure en se sentant si près <strong>de</strong> Dieu; quʹil fût là,<br />

aucun doute pour nul <strong>de</strong> nous, car il parlait à chacun <strong>de</strong> nous, au mala<strong>de</strong> surtout qui visi‐<br />

blement sʹentretenait bouche à bouche <strong>avec</strong> lui. Que nʹétiez‐vous là, ami, vous que les<br />

gran<strong>de</strong>s choses touchent si fermement. Que nʹêtes‐vous là encore à dʹautres instants. Lors‐<br />

que nous sommes seuls tous trois, Edouard, son père et moi, et cela se trouve presque cha‐<br />

que soir, à la tombée du jour, le pauvre ami <strong>de</strong>man<strong>de</strong> quʹon lui récite une dizaine <strong>de</strong> cha‐<br />

pelet. Alors lʹun <strong>de</strong> nous commence, lʹautre répond, le mala<strong>de</strong> suit et le Ciel <strong>de</strong>scend sur<br />

nous. Cʹest à ce moment un calme, une paix dont nul, sʹil nʹest chrétien comme vous, ne<br />

saurait comprendre la douceur et tout cela pourtant au lit dʹun mourant, entre père et<br />

frère, près <strong>de</strong> se quitter peut‐être pour toujours. Oh, non, dʹautres nʹont point un Dieu<br />

comme le nôtre et qui traite ainsi ses enfants.<br />

Je passe sans aucune peine <strong>de</strong> ce sujet à un autre qui vous touche personnellement,<br />

cher ami, et moi, par contrecoup, comme il est juste. Les larmes <strong>de</strong> joie et les larmes <strong>de</strong> tris‐<br />

tesse nʹont‐elles pas même source, et quand elles coulent sur notre joue, qui donc pourrait<br />

leur donner un nom? Donc, cher ami, voilà lʹordre et la paix revenus en vous. Je nʹen vou‐<br />

drais dʹautre preuve que votre lettre <strong>de</strong> si doux, <strong>de</strong> si facile épanchement. Jamais, ami, je<br />

nʹen reçus <strong>de</strong> vous qui fut plus simple, plus fraîche, plus naïve. Il y avait émanation et re‐<br />

flet évi<strong>de</strong>nt, il y avait eu déjà communication <strong>avec</strong> la noble et franche nature que vous<br />

aviez approchée et ce seul contact avait déjà son effet. Entouré que vous êtes <strong>de</strong> bons et<br />

sages conseils, guidé dʹailleurs dʹen haut bien sensiblement, vous nʹavez que faire, ami, <strong>de</strong><br />

mon assentiment, mais librement, pleinement pourtant, je vous lʹénonce ici pour ma pro‐<br />

pre joie, cette chose me plaît, me charme sans restriction, elle est dans le vrai, dans lʹordre,<br />

dans le véritable amour. Jʹaime tendrement et en sœur cette jeune fille, et, tenez‐le pour<br />

certain, à notre première rencontre, nous nous tendrons la main et seront amis pour la vie.<br />

Cʹest une contre‐épreuve aussi, qui se trouve en une affection profon<strong>de</strong> et vraie comme la<br />

nôtre; et si, dans un sentiment, il nʹy avait pas accord et sympathie pour tous <strong>de</strong>ux, il y au‐<br />

rait juste doute à prendre sur ce sentiment. Ici pleine unité. Marchez donc vite, ami, et par‐<br />

lez‐moi tout en marchant. Vous me faites vraiment tort dʹailleurs, en supposant que jʹeusse<br />

aimé le sacrifice insensé que vous aviez rêvé. Je nʹentends pas ainsi le sacrifice; rien nʹest<br />

beau à mes yeux <strong>de</strong> ce qui nʹest pas bon, et nʹest pas bon ce qui ne rend lʹâme ni plus belle,<br />

ni meilleure, ni plus fructueuse, qui la remplit <strong>de</strong> vi<strong>de</strong> seulement et la laisse flottante à tout<br />

vent; non, tout sacrifice à mes yeux, doit avoir son principe en <strong>de</strong>hors du moi, et ici, quel‐<br />

que noble et généreux que voulût être le moi, cʹétait le moi toujours, partant point <strong>de</strong> vrai<br />

sacrifice.<br />

Vous <strong>de</strong>vez pensez, la chose prise ainsi, tout ce que votre bonne nouvelle a dʹheu‐<br />

reux et <strong>de</strong> consolant pour moi. Dites mʹen donc beaucoup <strong>de</strong> choses encore, je respire si li‐<br />

brement par là que jʹy prends plaisir.<br />

Adieu, respect et affection à tous. Vous ai‐je chargé <strong>de</strong> dire à Cosnier toute ma joie<br />

<strong>de</strong> son retour à nous; jʹy ai pensé bien <strong>de</strong>s fois et senti mon affection pour lui doublée.<br />

Cʹest peut‐être mal, mais je ne puis me le dissimuler, jʹaime tout le mon<strong>de</strong> autant que je le<br />

puis, mais une irrésistible sympathie mʹentraîne, presque malgré moi, vers tout vrai catho‐<br />

lique. Priez Dieu pour Edouard. Adieu.<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

70


44 à M. Pavie<br />

Félicitations pour son mariage. Guépin, leur ami mala<strong>de</strong>, va mieux.<br />

12 juin 1835<br />

Il ne me reste plus cher ami quʹà vous féliciter, puisque la gran<strong>de</strong> chose dont vous<br />

mʹaviez dit le projet touche maintenant à sa réalisation. Cʹest une pleine joie pour moi <strong>de</strong><br />

voir votre vie si bien commencée jusquʹici, se rester fidèle à elle‐même et sʹouvrir un large<br />

passage dans lʹavenir. Mes vœux vous ont suivi dès longtemps pas à pas; ils vous accom‐<br />

pagneront, cher ami, surtout aux jours solennels qui se préparent pour vous 69 . Peu dʹheu‐<br />

res se passeront sans quʹune prière, un souvenir, un muet regard à Dieu nʹappelant sur<br />

vous sa bénédiction sainte, et vous ne courez guère risque <strong>de</strong> mécompte si, à tout instant<br />

heureux ou grave pour vous, vous dites: et lui aussi là‐bas, il pense à nous, il prie pour<br />

nous.<br />

Nʹoubliez pas <strong>de</strong> me dire bientôt le jour et ensuite lʹheure, afin que jʹy sois présent<br />

par lʹâme, et que vous‐même me sentiez près <strong>de</strong> vous.<br />

Je crois, cher ami, que pour don <strong>de</strong> noces Dieu vous accor<strong>de</strong>ra <strong>de</strong> serrer encore la<br />

main à notre Edouard. Depuis quelques jours une apparence <strong>de</strong> mieux nous laissait un<br />

peu dʹespérance. Tout en y donnant confiance moi‐même je nʹosais vous lʹécrire, car être<br />

déçu après est si amer! Mais pourquoi ne pas vous associer à un sentiment si doux quʹil<br />

commence à poindre pour que rien nʹen soit perdu pour vous; espérez donc un peu, ami,<br />

et si jamais vous revoyez le pauvre mala<strong>de</strong>, criez en bien haut grâce à Dieu. Je vous le dis,<br />

moi qui lʹai constamment vu, ni les mé<strong>de</strong>cins, ni les soins ne lʹont guéri. Un mois durant,<br />

les mé<strong>de</strong>cins ont renié leur art, disant: il mourra; mais Dieu, que mille voix à la fois invo‐<br />

quaient chaque jour, répondait: Non, il ne mourra pas. 70 Dieu aura dit vrai. Jʹy compte. Les<br />

mé<strong>de</strong>cins auront menti.<br />

Mais cʹest assez parlé souffrance et mort, à qui <strong>de</strong>vant soi sent tant <strong>de</strong> force et <strong>de</strong><br />

vie; les parts sont bien inégales en ce mon<strong>de</strong>. Faites, ami, que la vôtre soit la meilleure,<br />

quoique la plus douce. Offrez votre bonheur à Dieu pour quʹil lʹépure et quʹil nʹen soit<br />

point jaloux. Comparez votre sort à celui dʹEdouard, ou plutôt, ô mon ami, éloignez tout<br />

ceci. Aimez, aimez ar<strong>de</strong>mment. Vivez en plénitu<strong>de</strong>, mais toujours, toujours bénissez Dieu.<br />

Votre frère et ami Le <strong>Prevost</strong><br />

45 à M. Maillard<br />

Remerciements <strong>de</strong> sa lettre écrite après le mariage <strong>de</strong> V. Pavie. Leur ami Gavard lui a fait, <strong>de</strong> vive voix, le récit <strong>de</strong><br />

lʹinoubliable journée.<br />

12 août 1835<br />

Je vous sais bien bon gré, très cher enfant, <strong>de</strong> mʹavoir si vite donné quelques signes<br />

<strong>de</strong> souvenir, malgré les joies dʹun retour, le tumulte enivrant dʹune fête et les mille affec‐<br />

tions dont on vous entoure; la part que vous mʹavez faite au milieu <strong>de</strong> tout cela mʹen <strong>de</strong>‐<br />

vient plus précieuse; votre chère petite lettre ira <strong>avec</strong> mes mieux aimées, mes plus choisies,<br />

69 C'est le 12 juillet 1835, un mois après, jour pour jour, qu'en l'église <strong>de</strong> Saint-Melaine, près d'Angers, Victor Pavie épousera Louise<br />

Vallée.<br />

70 Car il a reçu le sacrement <strong>de</strong>s mala<strong>de</strong>s. L'amélioration <strong>de</strong> sa santé va lui permettre <strong>de</strong> regagner Angers et d'y prolonger sa vie, une<br />

dizaine <strong>de</strong> mois encore, jusqu'en mai 1836.<br />

71


<strong>avec</strong> celles que je nʹai pas besoin <strong>de</strong> relire que je regar<strong>de</strong> seulement parfois parce que les<br />

regar<strong>de</strong>r me satisfait.<br />

Notre ami Gavard nʹa trompé ni votre attente, ni la mienne; dès lʹarrivée il mʹa<br />

conduit sous les arbres au frais et là, mʹayant fait asseoir, sans désemparer trois heures du‐<br />

rant, il mʹa minutieusement raconté faits paroles et gestes. Que notre très cher Victor fût le<br />

sujet presque unique <strong>de</strong> cette longue causerie, cʹétait <strong>de</strong> droit, mais les autres non plus<br />

nʹont été oubliés, vous surtout, cher ami, et votre si bonne famille y avez eu la place qui<br />

vous appartenait, cʹest dire gran<strong>de</strong> et <strong>de</strong> prédilection comme nos sentiments pour vous.<br />

Jʹai su ainsi le succès <strong>de</strong> vos vers; je lʹavais bien prévu, ce sont les meilleurs, les mieux ins‐<br />

pirés que vous ayez jamais faits: que vos larmes soient venues <strong>avec</strong> comme double hom‐<br />

mage à notre bien‐aimé Victor, rien <strong>de</strong> plus simple, le tout venait <strong>de</strong> même source. Il mé‐<br />

rite bien dʹêtre aimé ainsi, et vous, cher ami, le plus jeune, le plus candi<strong>de</strong> <strong>de</strong> tous ses amis<br />

vous étiez bien digne <strong>de</strong> nous servir dʹorgane; votre voix parlait pour nous tous; oh! tel<br />

que je le sais, le cœur <strong>de</strong> notre ami a dû vibrer bien haut à pareille harmonie! le beau, le<br />

ravissant souvenir pour vous, cher enfant, bénissez Dieu, car à <strong>de</strong>s millions dʹautres dans<br />

toute leur vie, il nʹen concè<strong>de</strong> point un pareil! Et savez‐vous, ami, pourquoi à vous plutôt<br />

quʹà eux telle faveur est accordée; cʹest dʹabord parce quʹil vous aime par‐<strong>de</strong>ssus les autres,<br />

car son amour est libre, puis à vingt ans votre cœur est pur encore, cela explique tout, per‐<br />

sévérez, cher enfant, et le présent vous est un gage <strong>de</strong> lʹavenir.<br />

Je vous écris à la fin dʹune longue et fatigante séance <strong>de</strong> bureau, et si mon cœur, à<br />

défaut du reste, ne poussait ma plume, je nʹeusse pas tenté <strong>de</strong> vous écrire. Je tenais à vous<br />

dire au plus vite et par la première occasion, quelques mots au moins en acompte sur les<br />

autres lettres que je pourrai, jʹespère, vous écrire.<br />

Cʹest <strong>Léon</strong> qui sʹen charge: pauvre garçon, <strong>de</strong>puis quelque temps il était un peu dé‐<br />

laissé. Angers sans doute lui gar<strong>de</strong> compensation. Je pense sans cesse à notre Edouard, di‐<br />

tes‐le lui, je voulais lui écrire 71 aussi, mais je ne puis même mener ce billet à fin. Quand je<br />

ne pouvais ici, durant ses souffrances, lui parler <strong>de</strong> peur <strong>de</strong> le fatiguer, je lʹembrassais, em‐<br />

brassez‐le pour moi.<br />

Gavard mʹa fait aimer tendrement votre famille, jʹaimerai ne lui être pas étranger<br />

entièrement; dites en particulier mille choses amicales à votre jeune frère, nous sommes<br />

déjà, vous savez, un peu amis.<br />

Adieu, très cher enfant, à bientôt, tenez‐moi bien près <strong>de</strong> vous, je vous ai moi tou‐<br />

jours ici.<br />

<strong>Léon</strong> Le <strong>Prevost</strong><br />

46 à M. Levassor<br />

Excuses pour avoir trop insisté sur lʹavenir <strong>de</strong> son ami. Nouvelles <strong>de</strong>s pauvres dont sʹoccupait M. Levassor. Voca‐<br />

tions du Séminaire dʹIssy‐les‐Moulineaux. La fête <strong>de</strong> la Société <strong>de</strong> St‐Vt‐<strong>de</strong>‐P., le 19 juillet, a été une belle réussite.<br />

18 août 1835<br />

Mon cher ami,<br />

Vous paraissez bien décidé, mon cher ami, à ne point donner <strong>de</strong> vos nouvelles, ce‐<br />

pendant il me serait bien doux dʹen recevoir. Je crains que lʹar<strong>de</strong>ur, peut‐être indiscrète, <strong>de</strong><br />

71 E. Guépin reparti pour l'Anjou, c'est <strong>Léon</strong> Cosnier qui va porter à Angers cette lettre <strong>de</strong>s tinée à A. Maillard.<br />

72


mes instances au sujet <strong>de</strong> votre avenir, ne vous ait, pour plus <strong>de</strong> sûreté, fait prendre ce rôle<br />

silencieux à mon égard; mais, cher ami, un simple avertissement <strong>de</strong> votre part eût suffi<br />

pour me donner plus <strong>de</strong> réserve, et la présente, en particulier, vous prouvera que je puis,<br />

quelque intérêt que mʹinspire cette question, mʹabstenir entièrement <strong>de</strong> lʹabor<strong>de</strong>r.<br />

Je pense que ce point réglé, vous ne serez pas fâché dʹentendre un peu parler <strong>de</strong><br />

tous ceux que vous laissez ici et dont vous gar<strong>de</strong>z, jʹespère, encore quelque souvenir. Je<br />

puis vous tenir au courant, car, <strong>de</strong>puis peu, jʹai vu à peu près tout votre mon<strong>de</strong>. M me<br />

Courbe, quʹun coup <strong>de</strong> soleil avait, vous savez, rendu<br />

assez sérieusement mala<strong>de</strong>, est pleinement rétablie.<br />

Dimanche jʹy ai passé la soirée, jʹy conduisais un jeune<br />

homme fraîchement débarqué et quʹon désire<br />

maintenir en ses bons principes. Jʹai pensé quʹil<br />

nʹétait pas pour cela <strong>de</strong> plus sûr moyen que <strong>de</strong> le faire ami<br />

<strong>de</strong> notre bon Emile. On fêtait ce jour là M me Courbe<br />

(Marie) toute la famille était réunie à table; ces excellentes<br />

gens ne nous ont pas trouvés <strong>de</strong> trop et nous ont ac‐<br />

cueillis <strong>de</strong> leur mieux, la soirée a été fort joyeuse, et<br />

mon Lyonnais est sorti enchanté. Jʹai promis <strong>de</strong><br />

rappeler à votre souvenir toute cette bonne famille qui<br />

vous aime, mon cher ami, dʹune façon bien rare et bien<br />

digne dʹenvie. Une nouvelle: notre ami Marziou est ici <strong>de</strong>puis quelques jours, il vient faire<br />

ses emplettes pour son mariage qui a lieu dans quinze jours. Pauvre enfant! et vraiment à<br />

le voir fatigué, maigri, changé, je ne puis mʹempêcher <strong>de</strong> croire quʹil a raison <strong>de</strong> bien rem‐<br />

plir sa vie, car elle ne semble guère promettre longue durée. Il avait peur <strong>de</strong> moi; le cher<br />

ami me savait donc bien mal; je lʹai embrassé <strong>avec</strong> toute lʹeffusion possible et lʹai vite ras‐<br />

suré.<br />

Connaissiez‐vous, mon ami, M. lʹabbé Dombrée, vous mʹen aviez du moins entendu<br />

parler souvent: à vingt‐huit ans à peine il vient <strong>de</strong> nous quitter. Le jour <strong>de</strong> lʹAssomption,<br />

nous étions tous à St‐Sulpice autour <strong>de</strong> son cercueil. M. lʹabbé Didon, saint prêtre vous sa‐<br />

vez, suivait à pas lent le convoi, lʹabbé Dombrée était son condisciple: ils se reverront bien‐<br />

tôt, il ne paraît pas possible que cela tar<strong>de</strong> même jusquʹà lʹautomne. Cʹétait, je vous lʹas‐<br />

sure, un triste spectacle, mais Dieu parlait aussi dans tout cela, et plus dʹun dans la foule,<br />

enviait le sort <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux prêtres, du premier surtout qui possè<strong>de</strong> au lieu dʹespérer.<br />

M. Cherruel ajourne son projet <strong>de</strong> Séminaire, M. Roger nʹa pas vu sans joie lʹépoque<br />

<strong>de</strong>s vacances lui ouvrir les portes <strong>de</strong>s beaux jardins dʹIssy. Il en est sorti si vite, si vite que<br />

je crains presque du retard pour sa rentrée. Ainsi donc débâcle <strong>de</strong> tous côtés, heureuse‐<br />

ment il reste toujours à Dieu <strong>de</strong>s paysans, <strong>de</strong>s pêcheurs, ceux là nʹayant à quitter que leurs<br />

filets se détachent plus aisément; je commence à comprendre ce mystère. Ce nʹest pas en<br />

temps mauvais seulement, comme ceux dont nous sortons, que le Seigneur recrute là sa<br />

milice, mais toujours. Oh! mon Dieu, vous lʹavez dit: bienheureux les pauvres. M me Meslin<br />

va bien, nous nous occupons <strong>de</strong> lui faire obtenir les 5f <strong>de</strong>s 74 ans; je ne sais encore si nous<br />

aurons succès. M mes Delatre et Dorne passablement aussi.<br />

Nous avons eu une fête admirable le jour <strong>de</strong> la fête patronale <strong>de</strong> notre petite Société.<br />

Lʹarchevêque officiait, 4 Evêques lʹentouraient, lʹEvêque <strong>de</strong> Moulpen a prêché. Le soir ré‐<br />

73


union <strong>de</strong>s frères chez M. Bailly et joie complète. A lʹéglise comme à la soirée, nous étions<br />

plus <strong>de</strong> 100. Cela a dignement clos lʹannée.<br />

Mon pauvre ami Edouard Guépin se trouve encore en ce mon<strong>de</strong>!<br />

Adieu, cher ami, écrivez‐moi et croyez toujours à lʹaffection toute fraternelle <strong>de</strong> vo‐<br />

tre dévoué<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

47 à M. Maillard<br />

Sʹinquiète <strong>de</strong> la santé dʹEdouard Guépin. Il veut savoir si V. Pavie est vraiment heureux et être au courant <strong>de</strong> ce<br />

que fait et lit son jeune ami Maillard.<br />

17 septembre 1835<br />

Cher ami,<br />

Depuis bien longtemps je nʹai point <strong>de</strong> nouvelles <strong>de</strong> notre ami Edouard: je lui ai<br />

écrit bien <strong>de</strong>s fois sans quʹil lui ait été possible, ainsi que je le pensais bien dʹavance, <strong>de</strong> me<br />

faire aucune réponse; mais, en <strong>de</strong>rnier lieu, je le priais <strong>de</strong> recourir à vous et, par votre in‐<br />

termédiaire <strong>de</strong> me tenir au courant <strong>de</strong> sa situation et <strong>de</strong> tout ce qui peut lʹintéresser. Je ne<br />

reçois rien non plus <strong>de</strong> ce côté. Ce silence mʹinquiéterait si je nʹavais dʹailleurs lʹassurance<br />

que vous mʹinformeriez <strong>de</strong> vous‐même, cher ami, <strong>de</strong> tout inci<strong>de</strong>nt nouveau dans la posi‐<br />

tion <strong>de</strong> notre cher mala<strong>de</strong>; jʹespère donc que son état se soutient, mais à défaut <strong>de</strong> chan‐<br />

gement notable et décisif je ne laisserais pas dʹapprendre <strong>avec</strong> un grand intérêt quelques<br />

détails sur sa vie ordinaire et la disposition <strong>de</strong> son esprit. Mes lettres se ressentaient <strong>de</strong><br />

mon absolue ignorance à cet égard, ne sachant sur quel ton lui parler, je me suis tenu dans<br />

une entière insignifiance. Tirez‐moi <strong>de</strong> peine, cher Adrien, dites‐moi ce que jʹaurai à faire<br />

pour distraire un peu notre ami et lui complaire; je le ferai sans retard.<br />

Edouard nʹest pas le seul dont jʹaimerais avoir <strong>de</strong>s nouvelles; Victor, que <strong>de</strong>vient‐il?<br />

Cʹest à peine sʹil faut le <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r, il est heureux, mais toutefois <strong>de</strong> sa nature notre âme est<br />

si inquiète quʹelle veut, même en plein repos, être encore rassurée; dites‐moi donc, très<br />

cher enfant, quʹil est heureux, bien heureux, autant que nous le voulions, autant quʹil faut<br />

pour nous faire envie sur ce point, comme sur tant dʹautres.<br />

Vous, enfin, cher ami, que jʹai gardé pour le <strong>de</strong>rnier, dites‐moi, oh! dites‐moi bien<br />

<strong>avec</strong> cette confiance si gentille et à moi si douce, tout ce que vous êtes à cette heure, corps<br />

et âme, amour et pensée; jʹai sur tout cela <strong>de</strong>s droits dʹami, presque <strong>de</strong> père; vous mʹen <strong>de</strong>‐<br />

vez compte, enfant, contez‐moi bien au long tout ce qui vous occupe et vous plaît, vos loi‐<br />

sirs, vos heures choisies, votre vie enfin, pour que je me mire en cela comme dans un rêve<br />

et retrouve dans ces effusions quelque trace confuse <strong>de</strong> mon passé. Ce que jʹaurai en retour<br />

pour vous, cher ami, hélas! je ne saurais le dire! une tendre sympathie et beaucoup dʹaffec‐<br />

tion, cʹest tout ce qui me reste; vous en prendrez, cher ami, tant quʹil faudra et jusquʹà<br />

compte quitte; jamais je ne dirai: cʹest trop.<br />

Vous êtes‐vous souvenu, cher Adrien, <strong>de</strong> quelques livres que vous <strong>de</strong>viez lire en<br />

mémoire <strong>de</strong> moi: <strong>de</strong> Maistre (Soirées) 72 , Lamennais, ou mieux si vous vous y sentez inspiré.<br />

72 Les Soirées <strong>de</strong> Saint-Pétersbourg (1821), ouvrage posthume <strong>de</strong> Joseph <strong>de</strong> Maistre, (1753-1821), homme politique et philosophe<br />

français, adversaire <strong>de</strong> la Révolution française. Dans les Soirées, ou Entretiens sur le gouvernement temporel <strong>de</strong> la Provi<strong>de</strong>nce, sa<br />

réflexion porte sur le mystère du mal, "cet écueil <strong>de</strong> la raison humaine", reconnaît la nécessité <strong>de</strong> la réparation par le sacrifice, et<br />

s'achève par la découverte du mystère <strong>de</strong> la Croix. (9 e entretien).<br />

74


Jʹy tiens fort, si ce nʹest fait, hâtez‐vous, cher ami, afin que nous ayons un sujet dʹentretien<br />

<strong>de</strong> plus à votre retour. Jʹeusse tant aimé, mon Dieu! que la belle et gran<strong>de</strong> voie où dʹautres<br />

nʹentrent quʹen détour, sʹouvrît droite <strong>de</strong>vant vous! Mille et mille nʹont presque pas le<br />

choix; quand vingt ans sonnent pour eux, pauvres égarés, ils sont déjà si loin; le passé les<br />

précipite et les pousse; mais vous, votre choix est libre encore; oh! ami, je ne vous souhaite<br />

quʹune chose, cʹest <strong>de</strong> bien regar<strong>de</strong>r avant <strong>de</strong> choisir.<br />

Adieu, cher enfant, pardonnez‐moi ce petit bout dʹoreille qui se montre, quoique<br />

jʹen aie; adieu, aimez‐moi, écrivez‐moi, puis revenez bientôt. Embrassez Victor, Théodore,<br />

Edouard, <strong>Léon</strong>, tous nos amis, Godard, Cosnier, Nerbonne et dʹautres encore, le plus pos‐<br />

sible. Jʹaime là‐bas chez vous beaucoup dʹamis.<br />

Votre dévoué <strong>de</strong> cœur<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

48 à M. Levassor<br />

La vocation sacerdotale <strong>de</strong> M. Levassor se <strong>de</strong>ssine. Mariage <strong>de</strong> leur ami Marziou. La santé dʹEd. Guépin décline.<br />

Nouvelles <strong>de</strong>s pauvres visitées par la Conférence St‐Sulpice.<br />

23 septembre 1835<br />

Mon très cher ami,<br />

Vous ne pouviez me causer une joie plus vive quʹen me donnant la nouvelle conte‐<br />

nue dans votre <strong>de</strong>rnière lettre. Vous avez remis votre sort aux mains <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux saints prê‐<br />

tres, cʹest admirable, mon ami, <strong>de</strong> cette sorte le sacrifice est déjà fait; si, contre mon vœu,<br />

Dieu ne lʹacceptait pas, il ne vous en tiendrait pas moins compte et tout votre avenir, jʹen<br />

suis sûr, en serait mieux selon le cœur du Maître. Ce grand pas fait, il en reste un autre en‐<br />

core difficile à franchir, la volonté peut‐être opposante <strong>de</strong> votre famille; mais Dieu encore a<br />

les cœurs en main, je suis en paix, tout sera pour le mieux. Nʹoubliez pas, mon ami, le vif<br />

et tendre intérêt que mʹinspire cette gran<strong>de</strong> affaire et si quelque inci<strong>de</strong>nt plus décisif sur‐<br />

vient, ne manquez pas <strong>de</strong> mʹen informer.<br />

Il y aura <strong>de</strong>main 8 jours que notre ami Marziou a dû sʹengager en <strong>de</strong>s liens bien du‐<br />

rables pour un esprit si mobile, bien forts, pour une âme si tendre. Pauvre enfant! Un beau<br />

rêve dʹamour, <strong>de</strong> douces joies au foyer est passé <strong>de</strong>vant ses yeux, vite il lʹa voulu saisir;<br />

mais le rêve passé ne lui reste‐t‐il nul regret? Dieu lʹaime, ceci me console. Il était en lutte<br />

pourtant durant son séjour ici, concilier lʹar<strong>de</strong>nte piété quʹil avait eue <strong>avec</strong> les joies mon‐<br />

daines lʹembarrassait un peu, la piété avait forcément fléchi, mais il en restait assez pour<br />

donner bonne espérance à ses amis. Deux jours avant son mariage, il mʹécrivait: ʺOh! mon<br />

ami, quʹil y a loin <strong>de</strong> la sublimité <strong>de</strong>s fonctions que jʹavais choisies au misérable état où je<br />

vais entrerʺ. Prions beaucoup pour lui, mon cher ami, il lʹa <strong>de</strong>mandé et il en a besoin. Il y a<br />

quelques mois, il sʹest consacré à la Ste Vierge, en prenant le St Scapulaire, elle le gar<strong>de</strong>ra<br />

comme son enfant; je ne comptais guère ce jour‐là (jʹétais <strong>avec</strong> lui à la chapelle <strong>de</strong>s Carmes)<br />

que sitôt il faudrait invoquer pour lui lʹai<strong>de</strong> <strong>de</strong> notre sainte patronne.<br />

Jʹai reçu récemment <strong>de</strong>s nouvelles <strong>de</strong> notre pauvre Ed. Guépin. Il se trouve toujours<br />

faible, maigre, toussant, ne dormant pas; cʹest une ombre, et pourtant, pauvre enfant! il ne<br />

parle que dʹavenir. Il est pieux toujours; Dieu lui payera ses souffrances, je crois que main‐<br />

tenant elles ne peuvent durer longtemps.<br />

75


Je vais mʹoccuper <strong>de</strong> remettre nos petites ressources pour le loyer; mais il manque<br />

toujours 27f et je le dis à regret, mon ami, je ne vois aucun moyen dʹy pourvoir. Avisez.<br />

M me Meslin se rappelle à votre souvenir; elle a fait courageusement toutes les démarches<br />

pour obtenir les 5f du bureau, elle a un certificat dʹâge, mais je ne sais si on voudra lʹad‐<br />

mettre.<br />

Adieu, mon cher ami, je me recomman<strong>de</strong> toujours à vos prières; pas un seul jour<br />

vous nʹêtes oublié dans les miennes; invoquez aussi pour moi le vénérable M. Lecomte.<br />

A vous en J.C.<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

48‐1 à M. Bailly<br />

M. Bailly est indisposé. Les Confrères ont chargé MLP. <strong>de</strong> lui écrire. Activités <strong>de</strong> la Conférence.<br />

Paris, le 23 septembre 1835<br />

Monsieur et ami,<br />

Jʹavais appris à votre porte où je me suis présenté plusieurs fois pour avoir <strong>de</strong> vos<br />

nouvelles, lʹacci<strong>de</strong>nt qui vous retient loin <strong>de</strong> nous; ce nʹétait pas sans regret, je vous assure,<br />

quʹà chaque réunion, je me voyais contraint dʹannoncer que, pour cette fois encore, nous<br />

serions sans vous, car, jugeant du cœur <strong>de</strong> tous par le mien, je savais dʹavance leur peine.<br />

Les fronts hier encore se sont rembrunis à cette annonce, aussi me suis‐je hâté, pour les<br />

épanouir, dʹajouter que, mardi sans faute, la Société retrouverait son prési<strong>de</strong>nt. Votre ex‐<br />

cellente lettre a été lue alors presque tout entière pour fortifier cette espérance.<br />

A lʹunanimité on mʹa prié <strong>de</strong> vous écrire, <strong>de</strong> vous remercier dʹun souvenir si aima‐<br />

ble et surtout <strong>de</strong> lʹaffection tendre et vraiment paternelle quʹelle respire pour nous. Tous<br />

ces enfants sentent, je vous jure, ce que vous valez pour eux ils en sont vivement pénétrés,<br />

et ce sentiment ne sera pas sans force pour les gar<strong>de</strong>r bons et dignes <strong>de</strong> vous. Nous avons<br />

pensé que les grâces les meilleures à vous rendre étaient la prière, aussi nʹavons‐nous pas<br />

clos la séance sans recomman<strong>de</strong>r vous et les vôtres à la miséricor<strong>de</strong> du Seigneur. Puisse‐t‐<br />

il sʹen souvenir et vous gar<strong>de</strong>r précieusement.<br />

Nous sommes bien peu nombreux, cela va sans dire; pourtant nous ne laissons pas<br />

<strong>de</strong> visiter encore une soixantaine <strong>de</strong> familles, lʹargent jusquʹici nʹa pas manqué et le zèle<br />

encore moins. MM. Louis et <strong>de</strong> Lalice visitent la prison <strong>avec</strong> beaucoup <strong>de</strong> persévérance<br />

sans préjudice dʹautres œuvres, on les peut compter désormais parmi les membres les plus<br />

fermes <strong>de</strong> la Société. Tout est resté dans les formes accoutumées; jʹai tenté <strong>de</strong> suivre vos er‐<br />

rements, <strong>de</strong> prendre un peu <strong>de</strong> votre douceur et patience, <strong>de</strong> mʹeffacer humblement et <strong>de</strong><br />

laisser part suffisante à tous. Mais tout cela est en bien petite échelle, comme dix à <strong>de</strong>ux<br />

cents, la proportion est ici bien gardée.<br />

Pour satisfaire sur tout point votre sollicitu<strong>de</strong>, jʹajoute que les santés sont bonnes et<br />

que les absents, au moins pour ceux que je sais, prospèrent et sont en bonne voie. M. Le‐<br />

vassor mʹécrit <strong>de</strong> Chartres, ses affaires tournent bien, il a remis la décision à <strong>de</strong>ux saints<br />

prêtres qui le dirigent là‐bas <strong>de</strong>puis <strong>de</strong> longues années; un autre (M. Decaux, dʹAngou‐<br />

lême) me prie <strong>de</strong> voir M. lʹabbé Buquet pour lui, il désirerait faire à Stanislas une première<br />

année <strong>de</strong> théologie, bien secrètement, sa famille est opposante.<br />

76


Adieu, Monsieur et ami, je nʹai pas besoin en finissant <strong>de</strong> me dire tout vôtre, vous<br />

me savez bien, jʹespère, déjà tout acquis. Faites <strong>de</strong> moi ce que vous voudrez, vos vues en<br />

tout sont si pieuses et si bonnes quʹy concourir me semblera toujours aussi heureux que<br />

sûr.<br />

Je présente à M me Bailly mon hommage, à vous les sentiments respectueux et dé‐<br />

voués <strong>de</strong> Votre très humble et très obéissant serviteur<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

Un petit groupe se réunissait dans une sorte <strong>de</strong> cercle d’étu<strong>de</strong>s appelé « Conférence dʹhistoire ». Les réunions<br />

avaient lieu chez M. Emmanuel Bailly, professeur <strong>de</strong> Philosophie et Directeur du journal « La tribune catholique ». Parmi<br />

les habitués <strong>de</strong> ce cercle, se trouvaient Ozanam, Lamache, Letaillandier, <strong>Léon</strong> Le Prévost, Lallier ... et quelques autres.<br />

Un camara<strong>de</strong> leur lança un jour ce défi : « ... Vous qui vous vantez dʹêtre<br />

catholiques, que faites‐vous? » Cette interpellation fit réfléchir le groupe .. Lʹun<br />

dʹeux proposa : « Fondons une Conférence <strong>de</strong> Charité ». Cette idée plut à tous ;<br />

mais ils avaient besoin dʹun gui<strong>de</strong> M. et Mme Bailly connaissant bien Sœur Rosalie,<br />

les envoient à la rue <strong>de</strong> lʹEpée <strong>de</strong> Bois. Sœur Rosalie leur enseigne à visiter<br />

lʹindigence à domicile. Ils apprennent <strong>avec</strong> elle à voir Notre Seigneur dans les<br />

pauvres. Leur indiquant les familles à visiter, elle leur donne <strong>de</strong>s avis sur la<br />

manière chrétienne <strong>de</strong> les abor<strong>de</strong>r, <strong>de</strong> les respecter, <strong>de</strong> les considérer comme <strong>de</strong>s<br />

frères, riches en humanité.<br />

Fondée à St Étienne du Mont le 23 avril l833, la Conférence <strong>de</strong> Charité<br />

<strong>de</strong>vint, en février 1834, la Conférence <strong>de</strong> Saint Vincent <strong>de</strong> Paul, qui fut choisi<br />

comme maître et modèle. Le nombre <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> la<br />

Conférence augmenta rapi<strong>de</strong>ment. En 1835, Monsieur Le Prévost<br />

proposa <strong>de</strong> la dédoubler pour en créer une à St Sulpice, et dʹautres<br />

suivaient. Il y eut discussion : les avis étaient très partagés !<br />

Lʹunanimité se fit lorsque celui qui lʹavait proposée dit que lʹidée<br />

venait <strong>de</strong> Sœur Rosalie. Les Conférences se multiplièrent<br />

rapi<strong>de</strong>ment à Paris et en province... Frédéric Ozanam rêvait «<br />

dʹenserrer le mon<strong>de</strong> dans un réseau <strong>de</strong> charité. »<br />

(Cf. : www.filles‐<strong>de</strong>‐la‐charite.org)<br />

49 à M. Pavie<br />

MLP. rend grâce pour le bonheur dont jouit son ami. Lui se voit comme un ʺpauvre vase briséʺ. Nouvelles <strong>de</strong><br />

Montalembert et <strong>de</strong> Lacordaire.<br />

8 octobre 1835<br />

Laisser quinze jours entiers sans réponse une lettre aussi tendre, aussi affectueuse<br />

que la vôtre, cher ami, cʹest bien peu mʹen montrer digne; mais il nʹest pas mal en ce sens<br />

que mon insuffisance témoigne ainsi contre les exagérations <strong>de</strong> votre amitié et me ramène<br />

à ma véritable place; nous y gagnerons tous <strong>de</strong>ux, vous en voyant plus juste, moi en étant<br />

prisé comme je vaux. Je fais réserve bien entendu pour votre confiance en mon dévoue‐<br />

ment à vous et aux vôtres; sur ce point, cher Victor, donnez‐leur carrière, il y a <strong>de</strong> lʹespace;<br />

allez toujours et encore, vous nʹaurez point le bout.<br />

Jʹai senti cela surtout en ces <strong>de</strong>rniers temps, à propos du bonheur qui vous est venu<br />

<strong>de</strong> tant <strong>de</strong> côtés à la fois; ce bonheur, je lʹai goûté comme mien. Je lʹai savouré ici en paix et<br />

ce ressentiment 73 <strong>de</strong> votre vie, cette influence <strong>de</strong> votre étoile sur la mienne ne sʹest point<br />

73 Non pas au sens <strong>de</strong> rancune, mais <strong>de</strong> bonne influence, <strong>de</strong> sentiment éprouvé en retour.<br />

77


démentie; puisse ce parallélisme durer jusquʹà la fin, le mystère <strong>de</strong> la réversibilité nʹaura<br />

pas été sans fruits pour moi.<br />

Vous me paraissez bien pénétré, cher ami, du grand don que le Ciel vous a fait.<br />

Grâces lui en soient rendues. Cʹétait mon grand, mon plus cher vœu à cette heure solen‐<br />

nelle, quʹelle fut bénie <strong>de</strong> Dieu et quʹil vous gardât sous sa main; cette épreuve passée, on<br />

peut le dire en confiance, votre vie entière aura été une, vous la rapporterez sans brèche ni<br />

fêlure au Souverain Créateur. La belle œuvre, ami, quʹune vie ainsi remplie; que je vous<br />

lʹenvie, ou plutôt que jʹaime mon Dieu <strong>de</strong> vous lʹavoir ainsi faite! Que les œuvres dʹart et<br />

les merveilles du génie sont pâles et frêles ombres auprès <strong>de</strong> cette radieuse création! Et<br />

vous voulez que je vous conseille, cher ami, moi, pauvre vase brisé, <strong>de</strong> pièces et <strong>de</strong> mor‐<br />

ceaux. Comparez, ami, et tirez vous‐même le conseil. Que la fin répon<strong>de</strong> au commence‐<br />

ment. Tout sera bien, noble et beau! Dieu sera satisfait!<br />

Continuez, très cher Victor, <strong>de</strong> me faire une petite place à votre foyer, <strong>de</strong> mettre<br />

quelquefois mon souvenir entre votre Louise et vous, je me sens si heureux ainsi; vous êtes<br />

riche, soyez hospitalier; comme le pauvre aussi moi, en recevant cette aumône, je dirai:<br />

ʺDieu vous les ren<strong>de</strong>!ʺ Quʹil vous le ren<strong>de</strong>, oui, en douce paix, en amour pour votre<br />

Louise, en amour pour ceux qui naîtront dʹelle, en amour pour tous, et près et loin; cela<br />

seul est nécessaire et bon, cela seul est digne <strong>de</strong> vous. Ne vous effrayez pas trop <strong>de</strong> quel‐<br />

ques petits froissements inévitables dans une union intime et confiante, cela passe. Le fond<br />

reste quand il est bon, les saillies trop accusées sʹeffacent à la longue et le travail même qui<br />

en résulte reçoit son prix.<br />

Je nʹai guère <strong>de</strong> nouvelles à vous donner <strong>de</strong> nos amis. M. <strong>de</strong> Montalembert est en‐<br />

core en voyage jusquʹà lʹhiver. Il songe beaucoup à se marier; il a une gran<strong>de</strong> carrière à<br />

courir, il y subviendra, je lʹespère. La volonté va chez lui un peu trop ar<strong>de</strong>mment, cʹest ri‐<br />

chesse exubérante et je pense quʹil nʹy a rien à redouter.<br />

M. Lacordaire a quitté sa retraite <strong>de</strong> la Visitation pour plus libre étu<strong>de</strong>, dit‐on, je le<br />

regrette. Il y avait tant <strong>de</strong> calme et <strong>de</strong> paix dans ce couvent <strong>de</strong> pauvres religieuses, leur dé‐<br />

tachement était dʹun si bon conseil, mais M. Lacordaire aura fait pour le mieux. Il est tou‐<br />

jours pieux et humble, comme vous le savez. Au carême il reprendra sa chaire. Nous lʹen‐<br />

tendrons <strong>de</strong> nouveau.<br />

Voilà tout ce que je sais: les choses marchent et se font ici; mais provi<strong>de</strong>ntiellement<br />

et sans que les hommes semblent y avoir gran<strong>de</strong> part; ce nʹest que plus beau; seulement,<br />

on le remarque moins. Cʹest comme une sorte <strong>de</strong> parabole vivante, ceux qui ont <strong>de</strong>s oreil‐<br />

les enten<strong>de</strong>nt, les autres, non!<br />

Mille tendresses au pauvre Edouard, je lui ai écrit il y a peu <strong>de</strong> temps. Jʹessayais ti‐<br />

mi<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> tourner ses yeux vers son vrai avenir. Jʹai craint dʹavoir fait trop ou trop peu;<br />

<strong>de</strong> loin et pas présentement ces choses se font mal. Suivez‐le, ami, jusquʹà la fin.<br />

Souvenir aussi à M. Il tourne très bien, sinon immédiatement, au moins en un<br />

temps il sera <strong>de</strong>s nôtres; son affection pour vous lui est dʹun grand appui. Votre nom pro‐<br />

noncé le remonte <strong>de</strong> cent pieds. Jʹespère par là.<br />

Je ne sais quelle expression assez respectueuse et assez tendre trouver pour votre<br />

bien‐aimée femme. Cherchez pour moi, ami, et parlez, je prononce mot à mot après vous.<br />

Adieu, Votre frère et ami<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

78


Votre bon, très bon père et<br />

Théodore aussi, ne mʹoubliez pas<br />

près dʹeux.<br />

Je vous recomman<strong>de</strong> un beau<br />

livre: La douloureuse Passion <strong>de</strong><br />

N.S.J.C. traduit <strong>de</strong> lʹallemand par M.<br />

Cazalès.<br />

50 à M. Pavie<br />

Son amitié pour lui est désintéressée. Discrète ouverture sur ses relations <strong>avec</strong> sa femme. MLP. homme <strong>de</strong> foi et <strong>de</strong><br />

prière. Nouvelles <strong>de</strong> quelques amis <strong>de</strong> Paris.<br />

2 janvier 1836<br />

Que vous êtes bon, cher ami, dʹinterrompre la douce monotonie <strong>de</strong> votre bonheur<br />

pour me le venir conter; toute la part quʹon en pourrait avoir par la sympathie, je lʹai prise<br />

et la prends à toutes les heures, et je vous sais bien gré, cher Victor, <strong>de</strong> nourrir ce foyer<br />

dʹincessantes effusions; il en a toujours été ainsi <strong>de</strong>puis que nous sommes unis, jʹai tou‐<br />

jours reçu, vous avez toujours versé et ce nʹest pas votre faute si, à la fin, le vi<strong>de</strong> en moi nʹa<br />

pas été rempli. Dans cette <strong>de</strong>rnière lettre, par exemple, il y a <strong>de</strong>s joies à combler un abîme,<br />

<strong>de</strong>s joies à enivrer ma tête, à me navrer le cœur, et pourtant rien <strong>de</strong> tout cela, grâce à Dieu.<br />

Une satisfaction vive, tendre et reconnaissante, cʹest tout ce que je me sens, tout pour vous<br />

et à cause <strong>de</strong> vous. Cʹest bien, nʹest‐il pas vrai, en fait dʹamitié, ce quʹon pourrait dire le pur<br />

amour, sans intérêt aucun ni retour à soi‐même, il y a <strong>de</strong>s grâces dʹétat.<br />

Jʹévite dʹordinaire <strong>de</strong> vous parler <strong>de</strong> moi ou plutôt lʹidée ne mʹen vient pas, nʹayant<br />

rien qui mʹémeuve le plus souvent à ce sujet; que ces quelques mots venus par hasard<br />

vous rassurent donc une fois pour toutes; ma vie peu à peu arrive à la pleine et parfaite in‐<br />

signifiance qui <strong>de</strong>vait être ma part. Je nʹen ai nulle amertume, dʹordinaire même peu <strong>de</strong><br />

peine. Dieu mʹai<strong>de</strong>, les jours se passent, ainsi la fin viendra. Une chose pourtant me donne<br />

quelque regret, cʹest que lʹair où je vis est peu respirable pour mes amis; ils nʹy tiennent<br />

guère; ils viennent tard et sʹen vont vite; encore, voyez‐vous, cʹest là faible inconvénient; je<br />

sais bien courir après, les rejoindre et me remettre à leur pas. Ma femme, cʹest par elle que<br />

jʹaurais dû commencer, comme la plus intéressée ici, a gagné beaucoup sur plusieurs<br />

points; sa santé est infiniment meilleure: elle a repris <strong>de</strong> lʹactivité, <strong>de</strong> la vie; son humeur est<br />

moins irritable, sa susceptibilité moins vive; je lui fais le soir habituelle compagnie; cepen‐<br />

dant elle nʹest pas sans ennui; le mon<strong>de</strong> quʹelle suivrait, à défaut <strong>de</strong> mieux, lʹattire peu;<br />

puis, je mʹy sens, moi, trop forte répugnance; elle irait seule; elle reste donc le plus sou‐<br />

vent. Une gran<strong>de</strong> chose pourrait occuper sa pauvre âme, la foi; hélas! elle arrive, peut‐être;<br />

je lʹattends toujours, car nuit et jour je la <strong>de</strong>man<strong>de</strong>; mais elle nʹest pas là encore. Priez, ami,<br />

priez ar<strong>de</strong>mment pour nous; songez que cʹest là lʹœuvre, la seule, que le ciel ait donné à<br />

votre ami, et que cela même, sa faiblesse nʹa pu lʹaccomplir; priez bien; il me semble que,<br />

cela fait, ma tâche serait finie. Jʹentonnerais: nunc dimittis, le bon Dieu me prendrait.<br />

Savez‐vous bien que vous êtes le seul au mon<strong>de</strong> à qui je parle ainsi: ce sont vos<br />

étrennes. Puis, vos lettres sont si confiantes et si bonnes, jʹai voulu faire pendant et rivali‐<br />

79


ser <strong>avec</strong> vous. Je viens dʹécrire à Edouard avant vous; <strong>avec</strong> lui tout est pressé; mais ma<br />

mère ici ne vient quʹaprès vous. Je ne lui ai pas encore écrit, je vais le faire. Adieu. Aimez<br />

votre femme pour moi. Je ne vois pas autant Théodore que je le voudrais. Je lui vais peu, je<br />

pense; Godard lui réussit mieux. Il étudie beaucoup. Je vois en lui un frère toutefois,<br />

croyez‐le bien. Je serai à lui tant que je pourrai et quʹil y consentira.<br />

Respect et tendresse à votre Père et encore une fois à votre femme.<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

M. <strong>de</strong> Brentano 74 est lʹauteur <strong>de</strong> la Vie <strong>de</strong> Marie Emmerich. Auteur aussi du livre.<br />

51 à M. Levassor<br />

Sa santé se maintient, mais son âme est désorientée. La Conférence St‐Sulpice se languit un peu; une section a été<br />

constituée au Faubourg St‐Germain. Lacordaire a prêché à N.D. <strong>de</strong> Paris pour les orphelins du choléra. Les Jésuites<br />

<strong>de</strong> Place et <strong>de</strong> Ravignan commencent à se faire connaître. La vocation <strong>de</strong> son ami est entre les mains <strong>de</strong> la Provi‐<br />

<strong>de</strong>nce.<br />

6 janvier 1836<br />

Mon bien cher ami, ce nʹest pas, je vous assure, par représailles que ma réponse<br />

vous arrive si tardivement, cʹest par simple et pure insuffisance <strong>de</strong> ma pauvre tête qui, du‐<br />

rant ces jours nébuleux, surtout, ne conçoit et ne produit rien, pas même lʹacte le plus fa‐<br />

cile et le plus doux, quʹ<strong>avec</strong> peine, lentement, et à gran<strong>de</strong>s distances. Je ne souffre pas, ma<br />

santé est même passable, mais ma vie est si chétive, si pauvre, que cʹest pitié; cʹest comme<br />

un tout petit filet dʹeau coulant sur les sables, encore un peu il sʹy perdrait tout à fait. Avec<br />

cela, qui rafraîchir ou désaltérer, un oiseau ou bien une fourmi, mais, gens <strong>de</strong> votre sorte,<br />

ami, ils nʹauraient du tout, pour un seul déjeuner. Je<br />

parle ici, bien entendu, <strong>de</strong> la vie spirituelle et morale;<br />

quant à la vie <strong>de</strong>s jambes rien nʹarrête son activité<br />

triomphante, toujours courant, toujours pressé, il ne me<br />

manque à cet égard quʹune chose, savoir où je vais,<br />

pourquoi je cours, ce qui en revient ou pour moi, ou pour<br />

dʹautres. Voilà mon histoire en quatre mots: corps et âme.<br />

Vous voyez quʹil nʹy avait pas presse à vous la<br />

raconter. Quant au reste, je ne sais si, comme dans la<br />

jaunisse, je vois tout jaune, mais rien autour <strong>de</strong> moi ne<br />

me semble mériter attention, hors un seul fait qui peut‐<br />

être est déjà vieux pour vous. Quelques jours après la<br />

Toussaint, notre ami, M. Estève, nous a fait ses adieux et<br />

est entré au Séminaire dʹIssy; il sʹy trouve à merveille et<br />

nʹen veut sortir que pour rentrer lʹan prochain au grand<br />

Séminaire <strong>de</strong> Paris. Je dois lʹaller voir prochainement<br />

<strong>avec</strong> lʹami <strong>de</strong> Montrond 75 qui semble lui, se diriger définitivement dans une carrière diffé‐<br />

rente. Notre petite société subsiste, mais ne sʹaccroît pas; il y a, en ce moment, un peu dʹhé‐<br />

74<br />

Clemens Brentano, (1778-1842), poète romantique allemand, qui se convertit au catholicisme sous l'influence <strong>de</strong> la visionnaire<br />

Anna Katharina Emmerich, dont il transcrivit et publia les visions, en 1833.<br />

75<br />

Maxime <strong>de</strong> Montrond, premier biographe <strong>de</strong> MLP. Un homme <strong>de</strong> bien, ami <strong>de</strong>s ouvriers, le Père <strong>Jean</strong>-<strong>Léon</strong> Le <strong>Prevost</strong>. Il fréquentait<br />

les soirées Montalembert où il remarqua Ozanam et MLP. Futur membre <strong>de</strong> la Conférence <strong>de</strong> Charité, il écrira dans La<br />

80


sitation; une section sʹest formée au faubourg Saint‐Germain, elle a peine à prendre vie,<br />

nous avons grand besoin <strong>de</strong> lʹai<strong>de</strong> <strong>de</strong> Dieu et <strong>de</strong> nos saints patrons, grand besoin aussi <strong>de</strong>s<br />

prières <strong>de</strong> nos amis, priez donc pour nous vous qui nous aimez.<br />

Je suis parvenu à réunir encore pour cette fois quelques fonds pour vos loyers; jʹau‐<br />

rai en tout 38f, il me manquera, par conséquent, 37f dont je ferai lʹavance. M. <strong>de</strong> Persan dé‐<br />

sire ne pas vous payer ici les 15f quʹil vous doit, il mʹa dit avoir écrit à lʹabbé Teissier (je<br />

crois) pour cet argent vous fut remis à Chartres.<br />

Vos pauvres protégées sont toujours en même état, spirituellement très bien, jʹen ai<br />

la confiance, temporellement fort éprouvées par le bon Dieu. Il prend soin, du reste, <strong>de</strong> les<br />

consoler lui‐même; M me Delatre a communié chez elle ces jours <strong>de</strong>rniers.<br />

M. Lacordaire a prêché récemment à N.D. pour les orphelins du choléra; il nʹa pas<br />

été heureux, son discours a paru généralement mauvais; il se relèvera; dʹailleurs, la Provi‐<br />

<strong>de</strong>nce a pris cela comme bon, le but a été atteint, on a recueilli à la quête beaucoup dʹar‐<br />

gent.<br />

Un jeune Jésuite, M. <strong>de</strong> Place, commence à se faire ici une gran<strong>de</strong> réputation que je<br />

trouve pour ma part fort méritée; un autre, M. <strong>de</strong> Ravignan, ancien procureur du Roi, dé‐<br />

bute, dit‐on, <strong>avec</strong> un éclat extraordinaire; au Carême, vous le pourrez entendre; ce <strong>de</strong>rnier<br />

doit prêcher à Saint‐Roch.<br />

Vous laissez, cher ami, votre vocation se prononcer peu à peu et vous faites bien, je<br />

pense, la Provi<strong>de</strong>nce, si vous laissez faire, vous portera où elle veut; je prie pour cela sans<br />

y manquer un seul jour, gar<strong>de</strong>z‐moi, <strong>de</strong> votre côté, un pieux souvenir près <strong>de</strong> notre divin<br />

Maître; ma situation est assez calme, mais, vous le savez, tant que cette paix nʹaura pas<br />

pour base <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux côtés, la foi, la charité, il nʹy faut guère compter.<br />

Je mʹassocierai <strong>de</strong> toute mon âme aux prières pour votre frère; dites‐moi, je vous<br />

prie, lʹadresse du prince <strong>de</strong> Hohenlohe, peut‐être recourrai‐je à lui pour notre pauvre<br />

Guépin dont lʹexistence, toute misérable et languissante quʹelle soit, est un premier mira‐<br />

cle. Jʹai lu récemment un ouvrage du prince <strong>de</strong> Hohenlohe précédé dʹune notice écrite par<br />

lui‐même sur sa vie. Lʹouvrage est nul, mais on y trouve foi, piété fervente, cʹest assez. Tâ‐<br />

chez <strong>de</strong> vous procurer la Douloureuse Passion <strong>de</strong> Jésus‐Christ par Sœur Emmerich, cʹest un<br />

merveilleux ouvrage.<br />

Tout à vous en Jésus‐Christ<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

Je me recomman<strong>de</strong> instamment aux prière <strong>de</strong> M. Lecomte pour la conversion <strong>de</strong> qui<br />

vous savez, surtout.<br />

Tribune Catholique. Ami intime <strong>de</strong> MLP., il décrira <strong>avec</strong> émotion, la première messe <strong>de</strong> celui qu'il appelle "l'humble serviteur <strong>de</strong><br />

Dieu", "docile instrument aux mains du Seigneur".<br />

81


52 à M. Maillard<br />

Visite à effectuer chez un ami, orateur pour la Sainte‐Famille.<br />

Samedi 23 avril [1836]<br />

Cher enfant,<br />

Il faudrait bien pourtant nʹêtre pas plus longtemps gascon et tenir la promesse que<br />

vous aviez faite <strong>de</strong> visiter M. <strong>de</strong> St Chéron. Demain, à 7h.½, je vous attendrai sans remise et<br />

nous irons. Il a maintenant un piano, et comme il ne sait pas sʹen servir, il aime beaucoup<br />

que quelquʹun le fasse pour lui; du reste, nulle toilette, tout est permis, y compris bas bleus<br />

et cravate jaune; point <strong>de</strong> frais dʹesprit non plus, on est là comme dans sa chambre.<br />

Adieu, enfant, soyez sage et aimez toujours<br />

Votre affectionné Père<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

53 à M. Maillard<br />

Invitation à dîner.<br />

Mardi [3 mai 1836]<br />

Cher enfant, je reçois <strong>de</strong> Normandie une assez grosse volaille; il faut venir <strong>de</strong>main à<br />

5h. Vous nous ai<strong>de</strong>rez à la manger.<br />

Votre bon vieux père<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

Je nʹose inviter Théodore qui, je le crains, nʹest pas libre. Si pourtant il lʹétait, il serait<br />

bien venu.<br />

54 à M. Maillard<br />

Visite culturelle annulée.<br />

[4 mai 1836] 76<br />

Ne me cherchez pas à la galerie vitrée, mon cher ami; jʹai dû aller hier matin chez M.<br />

Gavard et nʹy puis retourner aujourdʹhui.<br />

Vous mʹavez promis <strong>de</strong> me venir voir ce soir, ne lʹoubliez pas; notre ami Ed. Guépin<br />

vous accompagnera, je lʹespère.<br />

Adieu, à bientôt. Votre tout ami<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

Mercredi matin<br />

76<br />

De toute évi<strong>de</strong>nce, cette lettre doit être datée avant 1836: elle mentionne en effet Ed. Guépin, qui, à cette époque, se meurt en Anjou<br />

(cf. supra lettre 45 et infra lettre 60).<br />

82


55 à M. Maillard<br />

Invitation à dîner <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> la famille Pavie.<br />

[Jeudi 5 mai 1836]<br />

A 5h. très précises, samedi, cher enfant, le bon Père Pavie vient <strong>avec</strong> Théodore dî‐<br />

ner. Venez aussi, nʹest‐ce pas?<br />

A vous <strong>de</strong> cœur et encore<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

56 à M. Théodore Pavie<br />

Invitation à une exposition.<br />

Vendredi [6 mai 1836]<br />

Mon cher ami,<br />

Ma femme a pour <strong>de</strong>main samedi un billet pour la galerie <strong>de</strong> M. du Sommerard,<br />

elle se fait une fête dʹy conduire vous et Maillard. Avertissez aussi, si vous voulez, le bon<br />

Godard qui désirait aussi voir cette galerie.<br />

Il faudrait être à midi ½ précis, Chapelle <strong>de</strong> la Vierge à St ‐Sulpice, on se rejoindra là.<br />

Ma femme avertit Maillard quʹon va là en <strong>de</strong>mi‐toilette; partant, point la grosse cra‐<br />

vate jaune dont un caprice <strong>de</strong> femme lui fait méconnaître le mérite.<br />

Votre ami dévoué<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

57 à M. Maillard<br />

Prêt <strong>de</strong> livres auxquels tient MLP.<br />

Paris, samedi [7 mai 1836]<br />

Lire, communiquer, puis rendre après et pas perdre. Etre toujours bien sage et tou‐<br />

jours aimer ses amis.<br />

58 à M. Maillard<br />

Invitation à rencontrer Maxime <strong>de</strong> Montrond.<br />

Mercredi [11 mai 1836]<br />

Votre ami M. <strong>de</strong> Montrond, que vous nʹavez pas encore vu <strong>de</strong>puis votre retour, me<br />

vient voir ce soir. Tâchez donc <strong>de</strong> venir aussi.<br />

A vous <strong>de</strong> cœur.<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

83


59 à M. Maillard<br />

Venu saluer ses amis angevins au passage du Commerce, MLP. nʹa trouvé personne.<br />

16 mai [1836]<br />

Adieu, mon cher Adrien, adieu aussi mon cher Emile; vous nʹétiez pas là hier ni<br />

précé<strong>de</strong>mment, quand je suis venu; mon Dieu, quʹon se voit peu ici‐bas.<br />

Embrassez‐vous lʹun lʹautre en mon intention; je vous aime en frère, ainsi vous ne<br />

recevrez ni lʹun ni lʹautre rien <strong>de</strong> trop.<br />

A vous bien affectueusement.<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

Ci‐joint un mot pour Beauchesne.<br />

60 à M. Pavie<br />

Amitié réelle, mais sans affinité <strong>avec</strong> Théodore, frère <strong>de</strong> Victor. MLP. pense quʹil nʹa plus ni influence ni action au‐<br />

près <strong>de</strong> ses amis. Mort <strong>de</strong> son ami Guépin; il laisse parler son cœur et sa foi. Comment vont ses amis angevins <strong>de</strong><br />

Paris. Que V. Pavie soit patient <strong>avec</strong> la Provi<strong>de</strong>nce: elle veillera sur son premier enfant.<br />

18 mai 1836<br />

Tout dʹabord, cher ami, et avant même tout remerciement pour votre bonne et fra‐<br />

ternelle lettre, je dois faire justice, disculper Théodore que vous accusez à tort et sur lequel<br />

je me serai aussi exprimé inexactement. Je nʹai nullement à me plaindre <strong>de</strong> lui, tant sʹen<br />

faut. Il mʹa montré en toute occasion pleine confiance et amitié, expansion autant quʹelle<br />

est possible en lui, recherche autant quʹelle se concilie <strong>avec</strong> ses travaux et habitu<strong>de</strong>s. Ce<br />

que jʹai voulu dire, cher ami, et ce que je répète, cʹest que toute influence sur lui <strong>de</strong> ma part<br />

est impossible, par cette raison que lʹaffinité manque non à nos âmes, mais à nos natures;<br />

vous‐même cher, bien cher Victor, <strong>avec</strong> votre vie emportée et tourbillonnante, vous mʹeus‐<br />

siez entièrement laissé hors <strong>de</strong> vous, si je ne sais quel coin faible et tendre en vous ne mʹeût<br />

raccroché et lié intimement à vous. A part cela encore, ne savez‐vous pas, par expérience,<br />

ce quʹil faut <strong>de</strong> puissance corporelle, outre celle du cœur, pour cultiver les affections. Cʹest<br />

à la sueur <strong>de</strong> son front quʹon gagne son pain aussi dans cet ordre <strong>de</strong> sentiment; il faut mille<br />

soins, mille courses, mille assiduités et moi, mes jambes défaillent plus encore que ma cha‐<br />

rité. Je <strong>de</strong>meure loin, la moindre course mʹépuise; <strong>de</strong> découragement, je laisse tout échap‐<br />

per, les liens se relâchent ou manquent à se former, je le sens, je le regrette, mais quʹy faire?<br />

Lʹâme va et le corps reste; alors je ramène lʹâme aussi. Je prie un peu et me console, son‐<br />

geant que la prière est un lien aussi, invisible peut‐être sur terre, mais puissant en haut et<br />

qui nous rattache au sein <strong>de</strong> Dieu. Voilà mon histoire, cher ami; <strong>de</strong> jour en jour, ma place<br />

<strong>de</strong>vient moins gran<strong>de</strong>. Je mʹatténue, je mʹefface dʹinfluence et dʹaction. Je nʹen saurais avoir<br />

aucune. Théodore, Godard, Maillard et nos chers angevins, tout cela vit, court, se répand,<br />

marche au bien, je lʹespère, mais sans que jʹy fasse rien, ni que jʹy puisse rien.<br />

Lʹâme <strong>de</strong> notre pauvre Edouard à <strong>de</strong>mi vacillante, déjà au‐<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> son corps<br />

épuisé, était seule vraiment unie à la mienne, mais ce nʹétait point dʹaffection humaine;<br />

aussi ne lʹai‐je presque point retenu. Je ne <strong>de</strong>mandais <strong>de</strong>s jours encore quʹautant quʹils<br />

compteraient pour le salut. La mesure étant pleine, je bénis Dieu qui lʹa reprise et délivrée.<br />

Jʹavais pleuré Edouard ici, parce que je le voyais beaucoup souffrir et que la partie sensible<br />

en moi sʹen émouvait. Mais ensuite, presque <strong>avec</strong> calme, je regardais <strong>de</strong> loin ce merveil‐<br />

84


leux dégagement <strong>de</strong> lʹesprit qui sʹépure et sʹenvole. Tant quʹil vivait, cʹétait convention en‐<br />

tre nous, nous prions lʹun pour lʹautre, maintenant la convention dure encore, je prie ici,<br />

lui là‐haut.<br />

Je nʹai vu Bruneau quʹune seule fois. Cette surdité me déconcerte plus que je ne sau‐<br />

rais dire. Jérôme que je ne vois point, que je rencontre seulement, est heureux, je pense; lui<br />

et quelques amis vivent en communauté chrétienne, presque monastique. Si cela se sou‐<br />

tient, cela tournera à bien pour eux. Marziou nʹavance point. Godard tourne toujours sur<br />

lui‐même. Gavard imagine et déraisonne. <strong>Léon</strong> argumente et dispute. Maillard se cache et<br />

fuit toujours. Vous, tout seul, mon cher ami, pouviez pétrir tous ces éléments, les fondre,<br />

en faire un ensemble; moi, même séparément, je nʹen saurais manier aucun.<br />

Ce ne peut être sérieusement, cher Victor, que déjà vous grondiez, parce que vous<br />

nʹêtes que <strong>de</strong>ux encore chez vous. Atten<strong>de</strong>z donc un peu, la Provi<strong>de</strong>nce prépare lentement<br />

et <strong>avec</strong> amour lʹâme <strong>de</strong> votre enfant. Ne troublez pas son œuvre par votre impatience.<br />

Priez tous <strong>de</strong>ux doucement, <strong>avec</strong> confiance et volonté résignée. Dieu aime votre famille,<br />

jʹose presque lʹassurer et veut vous bénir encore dans vos enfants. Jʹai une Vie <strong>de</strong> Tobie, pe‐<br />

tite brochure, en allemand, <strong>avec</strong> quelques vignettes. Cette histoire est si touchante, si bien<br />

appropriée à toute famille chrétienne que je vous lʹenvoie, malgré son peu <strong>de</strong> mérite. Je<br />

lʹavais achetée à votre intention, réalisez‐la en songeant à moi; il y a là dʹadmirables et<br />

doux conseils pour votre position.<br />

Votre excellent père est resté ici longtemps, et, pourtant, je ne lʹai presque quʹentre‐<br />

vu. Il était introuvable. Je lʹaime toutefois ainsi; il me rappelle vos courses essoufflées, vos<br />

visites haletantes. Je songeais quʹil courait ainsi pour vous rejoindre plus vite et je le<br />

concevais bien; à sa place, moi, votre frère, je courrais bien aussi.<br />

Adieu, cher ami, causez toujours <strong>de</strong> moi <strong>avec</strong> votre chère petite femme; aimez‐moi<br />

à vous <strong>de</strong>ux. Etre marié, cʹest aimer à <strong>de</strong>ux, au lieu dʹaimer tout seul.<br />

Votre dévoué ami<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

61 à M. Levassor<br />

MLP. encourage son ami, quelque peu irrésolu, à suivre lʹappel <strong>de</strong> Dieu qui le pousse à quitter le mon<strong>de</strong>; il lui dé‐<br />

peint le bonheur dʹune vie pauvre et détachée <strong>de</strong> tout. Il exprime lʹespoir que son siècle verra en France un grand<br />

mouvement religieux. Détails édifiants sur <strong>de</strong>s réfugiés polonais dont la vie <strong>de</strong> communauté attire fort MLP. Zèle<br />

<strong>de</strong>s confrères <strong>de</strong> St‐Vincent‐<strong>de</strong>‐Paul.<br />

Paris, 28 juin 1836<br />

Jʹai rendu grâces à Dieu, mon très cher ami, <strong>de</strong>s bonnes et saintes choses que<br />

contient votre <strong>de</strong>rnière lettre: jʹy trouve, sous quelques réserves dʹhumilité et <strong>de</strong> sage dé‐<br />

fiance, une fermeté <strong>de</strong> vouloir que vous nʹaviez pas encore montrée. Peu à peu lʹhorizon<br />

sʹéclaircit et bientôt vous lirez au grand jour dans votre avenir. Je me sens plus fort main‐<br />

tenant pour vous encourager, en voyant le bon M. Lecomte et vos autres conseillers si fer‐<br />

mes dans leur avis; jʹose dire après eux que tout, en cette grave affaire, tournera en bien<br />

pour vous et pour les vôtres, parce que vous nʹavez rien voulu que selon le cœur <strong>de</strong> Dieu<br />

et que son cœur qui vous aime vous veut heureux.<br />

Par ma propre expérience, je puis attester que jamais chose entreprise en intention<br />

pieuse et droite nʹa eu mauvaise fin; si le succès nʹétait pas selon mon espérance cʹest quʹil<br />

85


la dépassait trop pour que ma prévision y eût atteint. Courage donc, mon bien cher ami,<br />

encore un léger effort et lʹœuvre sera consommée; une vie toute dʹabnégation et dʹamour,<br />

toute perdue en Dieu, tel sera ici‐bas votre partage et au bout: Deus meus et omnia! Cela ne<br />

vaut‐il pas un peu dʹincertitu<strong>de</strong>, quelques douleurs <strong>de</strong> cœur, quelques larmes peut‐être,<br />

que la Vierge sainte essuiera en tendre compassion. Je vous en conjure, mon cher Adolphe,<br />

mon cher frère, ne reculez pas, lʹheure est venue, Dieu vous appelle, vous nʹen pouvez<br />

douter, criez donc <strong>de</strong> toute votre force, me voici ecce venio; faites le sacrifice du cœur, pour<br />

le reste, il sʹen charge, il disposera tout; du jour où, en effusion dʹâme, vous lui direz: oui,<br />

je suis vôtre, oui, je suis à vous, prenez‐moi, à lʹheure même il vous emportera.<br />

Je ne sais, je me trompe, mais il me semble que notre temps fera quelque chose <strong>de</strong><br />

grand pour la cause <strong>de</strong> Dieu. Il me semble quʹil y a <strong>de</strong>s signes, que la grâce fait germer une<br />

œuvre <strong>de</strong> régénération; je vois en tant <strong>de</strong> cœurs une ferveur ar<strong>de</strong>nte, une aspiration dʹave‐<br />

nir si gran<strong>de</strong>! Oui, Dieu veut ramener notre France à Lui. Alors que dʹouvriers il <strong>de</strong>man<strong>de</strong>‐<br />

ra pour sa sainte moisson, et vous <strong>de</strong>s premiers, ami, vous serez là sous sa main, détaché<br />

<strong>de</strong> tout, prêt à tout, lʹEsprit vous armera <strong>de</strong> force, vous inspirera divinement. Oh! ne vou‐<br />

driez‐vous pas tout cela? Que <strong>de</strong> regrets vous en auriez!<br />

Vous souvient‐il <strong>de</strong> notre pauvre Marziou, il a voulu le bonheur <strong>de</strong> la terre; il est ri‐<br />

che, marié, à une femme quʹil aime, et pourtant il pleure amèrement les biens quʹil a per‐<br />

dus; ne mʹimitez pas, écrit‐il à notre ami Lambert, allez à Dieu, lui seul est aimable, lui seul<br />

est doux; pour lʹatteindre, prenez la voie la plus courte, les autres sont ru<strong>de</strong>s et pleines<br />

dʹennuis. Je nʹai pas besoin <strong>de</strong> vous recomman<strong>de</strong>r ici le secret, ceci a été écrit presque<br />

comme confession, le cas seul peut mʹautoriser à vous le révéler.<br />

La Provi<strong>de</strong>nce semble vous ménager un entourage aussi agréable quʹédifiant dans<br />

la retraite où vous <strong>de</strong>vez entrer à la fin <strong>de</strong> cette saison. Outre quelques uns <strong>de</strong> nos amis<br />

que vous savez déjà, jʹen sais dʹautres encore dont lʹintimité vous sera bien douce. De ce<br />

nombre sont quelques jeunes Polonais réfugiés que Dieu appelle à Lui. Pauvres exilés, di‐<br />

sent‐ils, nous nʹavons plus <strong>de</strong> patrie, plus <strong>de</strong> parents ni dʹamis, mais voilà que le Seigneur<br />

veut nous tenir lieu <strong>de</strong> tout, Il nous recueille en sa maison; là sera pour nous le foyer, la<br />

famille, la patrie; oh! nous nʹavons rien perdu! Aussi sont‐ils <strong>de</strong> la plus admirable piété;<br />

<strong>de</strong>main, <strong>de</strong>ux dʹentre eux et bientôt un troisième vont à Stanislas; mais ils passeront <strong>de</strong> là à<br />

St‐Sulpice: vous les y trouverez. Depuis quelque temps réunis à quelques autres <strong>de</strong> leurs<br />

compatriotes, ils vivent en communauté, dirigés par un supérieur pris parmi eux, <strong>avec</strong> une<br />

règle chrétienne rigoureusement observée; ils se servent eux‐mêmes. Du reste, la prière,<br />

lʹétu<strong>de</strong>, les œuvres saintes, surtout la conversion <strong>de</strong> leurs frères exilés, font toute leur vie;<br />

jʹai vu lʹintérieur <strong>de</strong> cette communauté; rien <strong>de</strong> plus édifiant, cʹest toute charité, toute paix<br />

en Dieu. Un crucifix énorme, placé dans la pièce dʹentrée, est là comme pour vous recevoir<br />

et vous avertir <strong>de</strong> lʹair <strong>de</strong> la maison; les gens sont à lʹavenant, chacun vous salue et vous<br />

sourit, cʹest la fraternité <strong>de</strong>s premiers temps. Ils ne sont que 8, je crois, ils ne prennent que<br />

ceux <strong>de</strong> leur pays. Ils sont très pauvres; lʹaumône que leur fait le Gouvernement, 500f à<br />

chacun, est leur seule ressource à peu près, mais ils sont austères et sobres, il reste encore<br />

la part <strong>de</strong>s pauvres. Je nʹembellis rien, cʹest vérité toute simple. Nʹaurez‐vous pas gran<strong>de</strong><br />

joie à compter parmi vos frères <strong>de</strong>ux ou trois <strong>de</strong> ces pauvres réfugiés ? Les <strong>de</strong>ux que je<br />

connais, et dont je parle ici surtout, sont fort instruits et <strong>de</strong> lʹesprit le plus distingué; ils<br />

sont très jeunes (22 ou 24 ans) dʹune figure noble; lʹun est balafré; ce seront <strong>de</strong> magnifiques<br />

prêtres, je vous assure, mais aussi pieux, aussi humbles que beaux; lʹun <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux surtout<br />

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ne cesse <strong>de</strong> prier, même en parlant, en agissant, on sent que son âme voit Dieu toujours et<br />

ne le perd jamais; je sais dʹun pauvre mala<strong>de</strong> quʹil gardait la nuit, que sans cesse il était à<br />

genoux, sʹentretenant <strong>avec</strong> son Dieu, y revenant dès quʹil pouvait; il trouvait ainsi la nuit<br />

courte. Durant cinq semaines aussi, il a veillé à lʹhôpital un <strong>de</strong> ses compatriotes, jeune<br />

étourdi blessé en duel; à force <strong>de</strong> soins il lʹa sauvé, et lʹâme <strong>avec</strong> le corps, il lʹa fait chrétien.<br />

Voilà comme Dieu, mon cher ami, traite <strong>de</strong> pauvres exilés, n’en soyons pas jaloux; tous<br />

aussi ne sommes‐nous pas exilés. Oh! comme eux, nous avons nos droits, nous nʹavons<br />

quʹà les réclamer. Dieu nous sera doux et miséricordieux. Si vous mʹen croyez, nous nous y<br />

mettrons <strong>de</strong> tout cœur, notre misère, notre faiblesse seront nos titres et, peut‐être, <strong>avec</strong> la<br />

grâce, <strong>de</strong>viendrons‐nous fervents et bien aimés du Seigneur.<br />

Adieu, nʹoubliez pas <strong>de</strong> me prêcher dans votre réponse, je ne mʹen fais pas faute ici<br />

à votre égard, prenez votre revanche; je serai docile et bon auditeur.<br />

La conférence se soutient; M. Housset est <strong>de</strong>s plus zélés, non par mon fait; je nʹai pu<br />

l’aller voir, Dieu lʹy aura conduit; il semble aimable et bon. Vos bonnes dames vont comme<br />

toujours. Priez <strong>avec</strong> redoublement pour moi, votre frère en Jésus‐Christ. je nʹy manque ja‐<br />

mais <strong>de</strong> mon côté pour vous.<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

Souvenirs <strong>de</strong> respect à M. Lecomte, je me recomman<strong>de</strong> à lui.<br />

62 à M. Maillard<br />

Diplôme dʹétu<strong>de</strong>s juridiques <strong>de</strong> son jeune ami. Exhortation à mener une vie droite et chrétienne, ainsi quʹà faire<br />

fructifier les dons quʹil a reçus.<br />

1 er août 1836<br />

La difficulté assez gran<strong>de</strong> pour moi, très cher ami, <strong>de</strong> quitter mon bureau afin <strong>de</strong><br />

remplir votre petite commission, a retardé plus que je ne lʹaurais voulu ma réponse: je suis<br />

en mesure maintenant et jʹaccours. Votre diplôme nʹest plus au Ministère où je suis allé le<br />

chercher, on mʹa renvoyé à la Faculté qui nʹa pas jugé suffisante lʹautorisation que vous<br />

mʹaviez envoyée. Une procuration semblable serait bonne, mais en prenant soin <strong>de</strong> faire<br />

légaliser votre signature par le Maire dʹAngers. Vous aviserez donc aux moyens <strong>de</strong> satis‐<br />

faire Dame Faculté.<br />

Vous savez bien, cher Adrien, si jʹeusse aimé vous gar<strong>de</strong>r ici; jʹavais quelquefois du<br />

remords dʹinsister trop sur cette douce idée qui pouvait nʹêtre pas dans les vues <strong>de</strong> votre<br />

famille, et pourtant, cédant à lʹentraînement, jʹarrangeai <strong>avec</strong> vous tout un avenir bien loin<br />

dʹAngers, auprès <strong>de</strong> nous et sous mes yeux <strong>de</strong> père et dʹami. Que voulez‐vous, le vent<br />

lʹemporte; quoique bien jeune, beaucoup <strong>de</strong> rêves déjà ont passé ainsi pour vous, bien<br />

dʹautres encore passeront; le mieux peut‐être serait <strong>de</strong> nʹen plus faire, mais vous nʹen êtes<br />

pas là, cher enfant, et vous pleurerez souvent encore vos douces chimères envolées.<br />

Tout bien calculé, si vous <strong>de</strong>vez être avoué, mieux vaut Angers pour vous y prépa‐<br />

rer que Paris. Ici vous eussiez assurément pris cette carrière en dégoût; vos yeux sʹouvrant<br />

<strong>de</strong> plus en plus vous eussent montré les graves difficultés dʹune voie si généralement mal<br />

hantée: chez vous cela doit être moins mauvais; <strong>avec</strong> une ferme volonté, on y peut, je le<br />

crois, gar<strong>de</strong>r encore honneur, délicatesse, conscience, et concilier tout cela <strong>avec</strong> un bénéfice<br />

raisonnable et <strong>de</strong> légitimes prétentions. On ne saurait rester dans les nues, force nous est<br />

87


<strong>de</strong> prendre pied; si cʹest en place nette, pays et lieux nʹimportent guère. Malgré ma tendre<br />

affection pour vous, je tiendrai comme secondaires ces acci<strong>de</strong>nts si divers, si lʹessentiel, si<br />

lʹunique nécessaire, la droiture, la sainte honnêteté <strong>de</strong> votre cœur peuvent <strong>de</strong>meurer saines<br />

et sauves.<br />

Ces conseils <strong>de</strong> morale sans principe et sans but me vont bien mal, cher ami, je suis<br />

bien gauche à les articuler. Jʹaimerais vous parler un langage plus vrai et plus haut, mais<br />

lʹentendriez‐vous, ne vous lasserait‐il pas, ne viendrait‐il pas à contre temps? Combien <strong>de</strong><br />

fois cette crainte mʹa retenu ici, quand voyant en vous mille facultés nobles et précieuses,<br />

je disais en moi‐même: tous ces trésors pourtant, on les pourrait assurer pour lʹavenir!<br />

Dieu qui les a faites ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pour les accroître et les grandir quʹun seul regard <strong>de</strong><br />

confiance et dʹamour; ce regard, Il le sollicite et lʹattend; oh! ne lui sera‐t‐il donc pas donné!<br />

Quʹune parole religieuse et croyante mʹeût réjoui le cœur alors, si vous lʹeussiez laissée<br />

tomber, cher ami, mais enfant, vous nʹy songiez pas, lʹheure passait et je partais.<br />

Vous voilà loin maintenant, vous <strong>de</strong>venez homme, vous aurez la volonté plus ferme<br />

et moins flexible, le cœur moins tendre, lʹinspiration moins facile, cela fait bien <strong>de</strong>s raisons<br />

dʹinquiétu<strong>de</strong> et <strong>de</strong> doute sur vous; et cependant, cher enfant, jʹespère toujours: toute votre<br />

vie est libre encore; nul engagement <strong>avec</strong> le mal, nul tiraillement du passé ne compromet<br />

votre avenir; il est encore à vous, bien à vous; mais lʹheure du choix est venue, les premiers<br />

pas que vous ferez peuvent être décisifs; oh! que nʹai‐je assez dʹar<strong>de</strong>ur et <strong>de</strong> puissance<br />

pour vous bien dire tout ce que cet instant a <strong>de</strong> solennel et dʹimmense pour vous! Un<br />

gui<strong>de</strong> sûr, éclairant pour vous le mon<strong>de</strong>, vous y tracerait les <strong>de</strong>ux routes, vous dirait les<br />

peines, tourments et ennuis <strong>de</strong> lʹune, la paix, la sûreté, la gran<strong>de</strong> fin <strong>de</strong> lʹautre, entraînerait<br />

votre volonté, vous pousserait bon gré mal gré dans la vraie voie, et vous forcerait à y<br />

marcher: je nʹai, moi, ni force, ni mission pour cela, je nʹai que mes vœux les plus tendres,<br />

mes prières les plus ferventes; vous les aurez, cher ami, je vous en assure: puissent‐ils,<br />

comme un souffle heureux, tourner vos voiles au meilleur avenir. De ce côté encore, est<br />

votre seul refuge pour gar<strong>de</strong>r votre poésie si chère, votre amour <strong>de</strong> lʹart, vos étu<strong>de</strong>s les<br />

plus aimées; à Angers surtout, loin du foyer qui ranime et soutient tout, vous aurez bien<br />

vite épuisé vos ressources, le mon<strong>de</strong> du beau se fermera pour vous; si Victor a gardé sa<br />

haute vue, sa noble et généreuse pensée, cʹest à la foi quʹil le doit; interrogez‐le, il vous le<br />

dira; sans elle, son esprit comme son cœur fussent <strong>de</strong>venus ari<strong>de</strong>s, la foi même en ce sens,<br />

la foi seule lʹa sauvé. Mettez donc en cet abri les précieux dons <strong>de</strong> votre âme; ailleurs, tout<br />

est perdu, tout se gar<strong>de</strong> par là.<br />

Adieu, cher enfant, lʹautomne mʹalourdit, cette lettre vous en fera foi, mais laissez la<br />

forme, prenez seulement le fond, cʹest‐à‐dire, ma tendre et vive sollicitu<strong>de</strong> pour vous, <strong>avec</strong><br />

mes plus affectueux sentiments.<br />

Embrassez Victor, je lui dois une lettre, et Théodore et Cosnier, Beauchesne. Souve‐<br />

nir à notre cher Emile.<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

88


63 à M. Maillard<br />

MLP. se résigne à le voir quitter définitivement Paris pour Angers. Loi du détachement quotidien <strong>de</strong> ce que lʹon<br />

aime. Ce que le temps use et détruit, la charité le répare. Il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong>s nouvelles <strong>de</strong> ses amis dont lʹabsence lui<br />

coûte.<br />

30 septembre 1836<br />

Vous mʹaccusez bien, cher enfant, tout bas, peut‐être même tout haut, <strong>de</strong> négliger<br />

vos affaires; je nʹai pourtant pas mis votre commission en oubli: jʹai votre diplôme <strong>de</strong>puis<br />

assez longtemps déjà; je guettais quelque occasion <strong>de</strong> vous le faire parvenir, mais cette sai‐<br />

son nʹen fournit guère, je lʹenvoie donc, comme vous lʹaviez <strong>de</strong>mandé, par la poste tout<br />

simplement.<br />

Je me flattais encore un peu que la décision nʹétait pas irrévocable quant à votre sé‐<br />

jour définitif à Angers: votre <strong>de</strong>rnière lettre ne laisse plus <strong>de</strong> doutes à cet égard: cʹest donc<br />

un nouvel article pour le chapitre <strong>de</strong>s résignations. Jʹen ai beaucoup en ce genre <strong>de</strong>puis<br />

quelque temps: <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> mes plus chers amis 77 vont au Séminaire: Dieu les <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, je ne<br />

puis les lui refuser; dʹautres, et vous êtes <strong>de</strong> ce nombre, sont réclamés par les exigences <strong>de</strong><br />

carrière et position dans le mon<strong>de</strong>: ceux‐là, je les perds encore plus, il me semble; les pre‐<br />

miers prieront pour moi et ainsi me gar<strong>de</strong>ront bon souvenir, mais les seconds, combien <strong>de</strong><br />

temps compterai‐je pour eux, combien <strong>de</strong> temps le mon<strong>de</strong> et ses mille soins, soucis, vœux<br />

tourbillonnants, laissera‐t‐il place pour moi dans leur pensée et quelque affection dans<br />

leur cœur? Je nʹose guère y songer. Cʹest une <strong>de</strong>s plus tristes choses <strong>de</strong> notre nature que<br />

cette impuissance <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r empreintes en nous <strong>de</strong>s images toujours vives, <strong>de</strong>s souvenirs,<br />

<strong>de</strong>s sentiments toujours frais. Commençons donc, cher enfant, cʹest la loi, commençons dès<br />

ce moment à nous oublier chaque jour un peu, jusquʹà épuisement entier du trésor; je ne<br />

sais qui me dit que le mien aura plus longue durée, que je le gar<strong>de</strong>rai mieux et, qui sait, si<br />

ma vie nʹest pas trop longue, jusquʹà <strong>de</strong>rnière fin? Ce nʹest pas en moi confiance présomp‐<br />

tueuse, voici ma raison: votre nom, <strong>de</strong>puis longtemps, est inscrit tout au long dans ma<br />

prière, il y restera; <strong>de</strong> la sorte, si le temps use et détruit, la charité réparera; chaque jour,<br />

sans se lasser, elle refera la trace, et tant quʹelle‐même subsistera, ne laissera point lʹoubli<br />

prévaloir. Tâchez, <strong>de</strong> votre côté, <strong>de</strong> trouver quelque biais ou industrie pour suppléer à<br />

cette ressource, si mieux vous nʹaimez lʹadopter aussi vous‐même; ce serait le plus cher <strong>de</strong><br />

77 Ses amis Levassor et Lambert, tous <strong>de</strong>ux Confrères <strong>de</strong> Saint-Vincent-<strong>de</strong>-Paul.<br />

89


mes vœux et désormais je serai sans crainte sur la durée et lʹavenir <strong>de</strong> notre intime affec‐<br />

tion.<br />

Dites bien encore à notre cher Victor que je vais lui écrire au plus tôt; je suis <strong>de</strong>puis<br />

quelque temps dans <strong>de</strong>s lan<strong>de</strong>s si tristes, si désolées, que je ne me sens propre à rien: cʹest<br />

effet dʹautomne, sans doute, jʹen sortirai et je payerai mes <strong>de</strong>ttes arriérées. Si jusque‐là Vic‐<br />

tor ou quelque autre âme dévouée mʹécrivait, je <strong>de</strong>man<strong>de</strong> en grâce <strong>de</strong>s nouvelles <strong>de</strong> M.<br />

Bruneau qui a quitté Paris mala<strong>de</strong> et dans un état qui me semble inquiétant. Je lʹai vu <strong>de</strong>ux<br />

jours avant son départ, et cette <strong>de</strong>rnière entrevue nous a enfin faits amis.<br />

Parlez <strong>de</strong> moi à Théodore, à Cosnier et à Beauchesne et à lʹami Godard: lʹabsence <strong>de</strong><br />

tout ce mon<strong>de</strong> à la fois mʹest dure, jointe encore à la vôtre, cher enfant, cela mʹexplique<br />

mon abattement: exils du cœur, dit le petit livre que je vous ai donné, et que vous ne lisez<br />

pas, indocile enfant!<br />

Adieu, respect comme toujours à votre bon père et souvenir amical à Emile.<br />

Votre tout affectionné.<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

64 à M. Levassor<br />

MLP. le stimule dans sa vocation. Il voit dans les épreuves et les obstacles quʹelle rencontre une marque <strong>de</strong> bénédic‐<br />

tions divine; la vocation est ʺbienheureux échangeʺ.Tristesse <strong>de</strong> leur ami Lambert qui entre au séminaire. Pour sa<br />

future incardination, que son ami sʹabandonne à la Provi<strong>de</strong>nce.<br />

Paris, 7 octobre 1836<br />

Je nʹai point été jusquʹà la fin <strong>de</strong> votre lettre, mon cher ami, sans remercier Dieu,<br />

dans toute lʹeffusion <strong>de</strong> mon âme, <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s grâces quʹil vous a faites. Que vous lui ap‐<br />

partenez bien et quʹil vous voulait fortement! Sa conduite à votre égard est divinement<br />

provi<strong>de</strong>ntielle, pleine dʹune économie merveilleuse et dʹune miséricor<strong>de</strong> toute aimable. Les<br />

ru<strong>de</strong>s épreuves que vous venez <strong>de</strong> traverser sont le plus sûr témoignage <strong>de</strong> votre vocation;<br />

je nʹen ai point vu, dans tout ce qui mʹentoure, <strong>de</strong> réelle et bien certaine, qui nʹait été aussi<br />

fortement éprouvée; cʹest le van du Seigneur, bienheureux ceux qui, comme vous mon<br />

ami, <strong>de</strong>meurent parmi le bon grain! Ne prenez dʹailleurs nulle inquiétu<strong>de</strong> <strong>de</strong> votre trouble,<br />

<strong>de</strong> votre émotion, du <strong>de</strong>rnier regard que vous jetez sur le mon<strong>de</strong>; quand on va le quitter,<br />

quelque misérable quʹil soit, on le trouve beau, on oublie le mal quʹil nous a fait et celui<br />

quʹil nous voudrait faire encore; cela est naturel et inévitable, jʹose même dire que cela est<br />

dans lʹordre <strong>de</strong> Dieu et selon son cœur. Comme Il a éprouvé votre fermeté, votre foi par les<br />

difficultés, Il éprouve votre amour et votre désir par les sacrifices que vous semblez lui<br />

faire; que vous semblez, oh! oui, simple apparence du sacrifice, car vous échangez le néant<br />

contre la vie, lʹerreur contre la vérité, les passions vaines contre lʹamour; bienheureux<br />

échange, mon ami, dont Dieu permet quʹà cette heure tout le prix vous échappe, afin que<br />

vous ayez le mérite <strong>de</strong> donner quand cʹest lui qui réellement vous donne. Que Dieu est<br />

bon, mon ami, et quʹil vous a aimé, cela me revient encore et je lʹen veux remercier encore<br />

pour vous! Jʹen suis ému jusquʹaux larmes, tant je vois <strong>de</strong> douceur dans ses procédés, tant<br />

je vois aussi <strong>de</strong> promesses pour lʹavenir dans ses bienfaits présents. Oui, Il a <strong>de</strong> grands<br />

<strong>de</strong>sseins sur vous, sinon pour faire aux yeux du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s œuvres (ceci est son<br />

secret), au moins pour vous sanctifier hautement, si vous persévérez dans lʹhumilité et la<br />

douceur, dons quʹIl vous a faits et quʹIl vous laisse à cultiver. Je dois oublier au milieu <strong>de</strong><br />

90


ces graves événements le chagrin que me cause humainement votre perte. Jʹavais compté<br />

sur votre séjour ici et, je vous le dirai, jʹai été durement frappé en apprenant que Dieu vou‐<br />

lait autrement.<br />

Le soir <strong>de</strong> votre venue ici, jʹallais en hâte chez M me Delatre qui mʹapprit la décision.<br />

Que la sainte volonté du Seigneur soit faite, à chacun sa part <strong>de</strong> sacrifice. Il y a eu aussi un<br />

peu en ceci pour notre ami M. Lambert récemment revenu et qui, entrant lundi à St‐<br />

Sulpice, espérait marcher côte à côte <strong>avec</strong> vous.<br />

Pauvre enfant, malgré la fermeté <strong>de</strong> sa vocation, à ce <strong>de</strong>rnier moment il est, comme<br />

vous, un peu triste et abattu; sa douce vie, sa liberté, ses amis, tout cela lui arrachait hier<br />

quelques larmes, la main <strong>de</strong> Dieu les essuiera, Il paiera tout ce quʹIl prend et au centuple,<br />

Il lʹa promis et sa parole ne trompe point. A moi aussi, mon cher ami, il faudra quʹIl me<br />

paye ces <strong>de</strong>ux âmes bien‐aimées quʹIl m’avait données comme appui et consolation et qu’Il<br />

me re<strong>de</strong>man<strong>de</strong> maintenant; je ne les ai point refusées, Il le sait, priez‐le pour quʹIl sʹen<br />

souvienne et que son amour mʹen récompense!<br />

Jʹai vu votre ami Courbe, comme vous le désiriez, et sans aucun retard; vous avez sa<br />

réponse et toutes vos malles et paquets sont partis, je nʹai donc rien à ajouter sur ce point.<br />

M. <strong>de</strong> Mollevaux veut que vous vous donniez sans restriction au diocèse <strong>de</strong> Chartres et<br />

surtout que vous jetiez au sein <strong>de</strong> Dieu toute préoccupation et tout souci dʹavenir; il af‐<br />

firme que le Seigneur qui vous a si provi<strong>de</strong>ntiellement mené, fera encore <strong>de</strong> même désor‐<br />

mais, et que sʹil vous désirait en autre lieu vos liens <strong>avec</strong> le diocèse <strong>de</strong> Chartres nʹauraient<br />

nulle force contre sa main. Allez donc en paix, mon bien cher frère, où Dieu vous mène,<br />

que sa grâce vous gui<strong>de</strong>, que sa lumière vous éclaire et quʹIl vous réchauffe en son amour,<br />

cʹest ce que chaque jour mes vœux et mes prières vont lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r pour vous.<br />

Votre frère en J.C.<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

Jʹarrangerai lʹaffaire <strong>de</strong>s loyers, nous aurons lacune encore <strong>de</strong> la conférence absente<br />

en ce moment, jʹy pourvoirai pour cette fois. Je verrai M. Aniche et je vous rendrai compte<br />

du résultat.<br />

65 à M. <strong>de</strong> Montrond<br />

Sevré dʹamitié, MLP. se réjouit du retour <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Montrond. Vocations <strong>de</strong> Levassor, Lambert, Estève.<br />

Paris, ce 15 octobre 1836<br />

Mon cher ami,<br />

Jʹapprends <strong>avec</strong> une vive satisfaction que vous <strong>de</strong>vez habiter bientôt notre voisi‐<br />

nage. Nous étions au temps passé bien isolés: tous nos amis nous avaient quittés. Leur ab‐<br />

sence et la vôtre en particulier, mon cher ami, nous laissaient un grand vi<strong>de</strong>. Hâtez‐vous<br />

<strong>de</strong> revenir et restez <strong>de</strong>s nôtres le plus longtemps quʹil se pourra.<br />

Notre ami Levassor a consommé son sacrifice, malgré les nombreux obstacles que<br />

lʹennemi lui a suscités, surtout au <strong>de</strong>rnier moment; sa fermeté a été admirable ou plutôt,<br />

Dieu, dans sa bonté, lʹa soutenu et lʹa rendu fort. Mais ce nʹest point ici quʹil doit rester; par<br />

concession aux vœux <strong>de</strong> sa famille, il doit rester au séminaire <strong>de</strong> Chartres. Ses Supérieurs<br />

ont été unanimement dʹavis quʹil <strong>de</strong>vait accor<strong>de</strong>r à ses parents cette consolation. Priez<br />

pour lui: je crois que Dieu lʹappelle à une gran<strong>de</strong> perfection, car il est doux et humble. Je le<br />

91


egrette vivement, mais Dieu le saura mieux gar<strong>de</strong>r et mieux aimer que moi qui le lui<br />

abandonne, quoiquʹil mʹen coûte. Puisse‐t‐il le tenir bien près <strong>de</strong> lui!<br />

M. Lambert est aussi hors du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>puis lundi <strong>de</strong>rnier; il est à St‐Sulpice <strong>avec</strong><br />

notre ami M. Estève. Nous les retrouverons là lʹun et lʹautre.<br />

Adieu, mon cher ami, revenez bientôt. Je me sens un grand besoin dʹêtre <strong>de</strong> nou‐<br />

veau entouré <strong>de</strong> quelques âmes bonnes et aimantes. Le cercle sʹest tant éclairci autour <strong>de</strong><br />

moi que jʹen suis parfois un peu découragé. Vous me relèverez, vous mʹédifierez comme<br />

toujours par vos paroles et vos exemples. Jʹen ai, en ce moment, un pressant et grand be‐<br />

soin.<br />

A bientôt. Votre tout dévoué ami et frère en J.C.<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

66 à M. Pavie<br />

Son état <strong>de</strong> santé, toujours inférieur à la tâche que son zèle voudrait entreprendre. Devant le bien à faire, la pensée<br />

<strong>de</strong> son insuffisance le poursuit: ʺJe ne suis pas en proportion juste <strong>avec</strong> cette énorme villeʺ.<br />

17 novembre 1836<br />

Mort, mala<strong>de</strong> ou endormi, en tout état <strong>de</strong> cause, vous désespérez <strong>de</strong> moi sans<br />

doute, mon bien cher Victor; votre indulgente amitié nʹaura pu y tenir pour cette fois, vous<br />

aurez été démonté; il y a <strong>de</strong> quoi, je lʹavoue. Pourtant, je veillais, je pensais à vous et je<br />

vous aimais toujours. Pourquoi cet obstiné silence? Je ne saurais le dire au juste. Je suis<br />

souvent si mal disposé, quant au corps, que lʹesprit manque dʹinstrument. Cʹest guerre et<br />

lutte perpétuelle entre lʹun et lʹautre; au milieu <strong>de</strong> tout cela, ma vie sʹuse et sʹécoule sans<br />

profit ni résultat pour moi, non plus que pour les autres. La soumission passive est le seul<br />

mérite possible et je ne lʹai pas toujours. Pardonnez‐moi donc, mon très cher ami, en vérité,<br />

mon cœur nʹa nul tort. Je suis toujours vôtre, toujours disciple et frère pour vous. Si je le<br />

dis à Dieu plus quʹà vous, cʹest quʹil est là tout près et que vous, vous êtes loin. Puisse‐t‐il<br />

vous le redire et me gar<strong>de</strong>r en union <strong>avec</strong> vous.<br />

A mʹentendre, vous me croiriez impotent, roulant dans un fauteuil, cacochyme et<br />

crachotant; point, ce nʹest pas cela. Je suis faible seulement <strong>de</strong> corps et dʹesprit, je ne suis<br />

pas en proportion juste <strong>avec</strong> cette énorme ville, <strong>avec</strong> cette prodigieuse activité, cette ani‐<br />

mation puissante quʹelle exige pourtant. Je suis toujours en retard, toujours à court <strong>de</strong><br />

temps, dʹhaleine, <strong>de</strong> pensée, <strong>de</strong> vie en un mot. Jʹen ai une étincelle quand il faudrait un<br />

grand foyer. Conclusion: indulgence et pardon, mon frère Victor, amitié quand même et<br />

paix constante entre nous.<br />

Je songe parfois que nous eussions dû changer, vous et moi, <strong>de</strong> lieu; cela vous allait<br />

si bien à vous, <strong>avec</strong> vos infatigables jambes et votre ar<strong>de</strong>ur éternelle, dʹarpenter nos pavés,<br />

<strong>de</strong> servir cent <strong>de</strong>voirs et cent amis à la fois, suffisant à tout, rendant à tout raison; et moi, la<br />

vie routinière et monotone dʹune petite ville serait mon fait! Mais, jʹy pense aussi, on peut<br />

se reposer sur vous pour remuer tout, faire danser la routine et mettre les gens à votre pas.<br />

Cela est‐il ainsi, mon cher ami, avez‐vous fait là‐bas votre vie à votre guise, ou bien vous<br />

a‐t‐on un peu rompu et dompté? Une lettre que mʹa montrée Gavard fait déjà réponse.<br />

Vous êtes le Victor dʹautrefois sans rien <strong>de</strong> moins. Tant mieux, ami, car le cœur aussi est le<br />

même assurément. Tout est bien tant qu’il en est ainsi.<br />

92


Cela me fera grand bien dʹavoir une lettre <strong>de</strong> vous à moi adressée toute fraîche et <strong>de</strong><br />

nouvelle date. Par ma faute, je nʹen ai plus que dʹanciennes et bien que toutes elles soient<br />

gardées <strong>avec</strong> respect, je ne les relis point. Vous mʹavez donné là‐<strong>de</strong>ssus vos répugnances.<br />

Je nʹaime guère à prendre la vie à reculons. Faites‐moi donc bientôt une épître où je vous<br />

retrouve, cela me rajeunira et me remettra sur pied. Nʹoubliez pas dʹy faire gran<strong>de</strong> part à<br />

votre bien‐aimée femme; il me semble quʹelle était autrefois implicitement en vous, et que<br />

par là elle est pour moi connue et aimée, comme sʹil nʹeût jamais été autrement. Théodore,<br />

que fait‐il, ne vous revient‐il pas bientôt? Je ne sais ce que lui veut ma femme, elle me le<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> tous les jours. Pressez‐le un peu <strong>de</strong> partir. Le Chaldéen, le Syriaque et lʹArmé‐<br />

nien, et je ne sais combien dʹautres, le réclament aussi et moi <strong>avec</strong>, quoiquʹindigne et infé‐<br />

rieur. Affections à lui, à Maillard, Cosnier et tous, car tout angevin, voyez‐vous, <strong>de</strong> près ou<br />

<strong>de</strong> loin, mʹest toujours un peu parent.<br />

Adieu, mon cher Victor, par‐<strong>de</strong>ssus tout, respect à votre bon père et vive affection à<br />

votre chère femme.<br />

Tout à vous <strong>de</strong> cœur.<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

67 à M. Levassor<br />

MLP. encourage son ami à répondre à lʹappel du Seigneur. Il lui transmet les conseils <strong>de</strong> son propre directeur spiri‐<br />

tuel, lʹabbé <strong>de</strong> Malet. La Conférence <strong>de</strong> St‐Vincent‐<strong>de</strong>‐Paul se développe. Nomination <strong>de</strong> MLP. comme prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong><br />

la section St‐Sulpice. La petite maison <strong>de</strong>s orphelins. Deman<strong>de</strong> <strong>de</strong> prières pour sa femme.<br />

Paris, 24 décembre 1836<br />

Votre bonne et longue lettre, mon cher ami, mʹa consolé <strong>de</strong> lʹattente, trop prolongée<br />

à mon gré, qui lʹavait précédée; je nʹétais pas il est vrai, absolument sans nouvelle sur votre<br />

situation; <strong>de</strong> divers côtés, jʹavais recueilli, ici quelques mots, là quelques autres, et lʹen‐<br />

semble suffisait pour me tranquilliser, mais jʹavais besoin <strong>de</strong> communications plus directes<br />

pour pénétrer dans ce qui vous touche, aussi intimement que mon cœur le veut. Votre let‐<br />

tre remplit pleinement ce vœu, vous y avez mis votre âme tout entière et jʹai pu y lire en<br />

liberté. Je me hâte <strong>de</strong> vous le dire, mon cher ami, lʹimpression qui mʹen reste, livre fermé,<br />

est <strong>de</strong> satisfaction et <strong>de</strong> joie parfaite. Dieu continue son œuvre en vous <strong>avec</strong> la même bonté<br />

et la même miséricor<strong>de</strong>, <strong>de</strong> votre côté, vous le laissez faire sans résistance, tout est bien; Il<br />

vous dépouille, Il vous prend une à une toutes les choses que vous croyez vôtres; bénissez‐<br />

le, ce voleur sublime, comme lʹose appeler Bossuet; quand Il aura tout pris, que vous serez<br />

bien à sa merci, du fond <strong>de</strong> votre dénuement, vous le verrez revenir les mains pleines,<br />

rapportant tout, mais changé, purifié, sanctifié: foi, amour, espérance, ferveur, force et lu‐<br />

mière, votre âme en sera comblée et criera: Seigneur, cʹest assez.<br />

Si donc lʹépreuve continue, si votre misère sʹaccroît encore, soyez en paix, souriez<br />

doucement en vous‐même et dites: mon Dieu, je vous comprends, vous vous cachez en<br />

vain, je le sais bien, vous nʹêtes pas loin.<br />

93


Ces paroles rassurantes, ce nʹest pas moi, mon cher frère, qui<br />

vous les donne, cʹest un pieux et savant ecclésiastique 78 consommé<br />

dans lʹétu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s consciences, qui me les remet pour vous. Lʹépreuve,<br />

vous dit‐il expressément, est la mesure <strong>de</strong>s grâces que Dieu veut<br />

faire après, et lʹindice aussi <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>sseins sur une<br />

âme; quand un arbre doit pousser haut et étendre au loin ses bran‐<br />

ches, le vent lʹébranle en tous sens pour que les racines prennent<br />

profondément la terre; cʹest la marque <strong>de</strong> pré<strong>de</strong>stination, les saints<br />

ont tous passé par là. Votre lettre que jʹai communiquée à cet homme<br />

vénérable, lʹa confirmé dans sa pensée, il veut que vous suiviez tranquillement votre route<br />

comme si tout ce qui se passe en vous ne vous regardait pas. Si les secousses <strong>de</strong>venaient<br />

trop fortes, il vous conseillerait le recours aux Sacrés Cœurs, si vénérés par vous, et à S t Jo‐<br />

seph tout‐puissant contre les peines intérieures. Les litanies <strong>de</strong> ce Saint pendant neuf jours<br />

si cela se peut seulement et vous convient, car, je le répète, quant à présent, tout lui plaît et<br />

lui semble parfait. Je nʹai rien à ajouter à ces excellents conseils, moi, pauvre ignorant, sans<br />

titre, ni mission, je ne pourrais que vous fourvoyer. Je nʹai que mes prières à vous offrir, et,<br />

pas un seul jour, je ne manque dʹen adresser quelquʹune au Seigneur pour vous; puisse‐t‐il<br />

mʹentendre et vous gar<strong>de</strong>r toujours parmi ses enfants les<br />

plus aimés!<br />

Je vais être contraint, mon cher ami, <strong>de</strong> tourner<br />

court ici, mes travaux me pressent dans cette saison dont<br />

les jours sont si courts; jʹajoute seulement un mot en<br />

réponse à vos questions. Nos amis Estève, Lambert, L.<br />

sont à St‐Sulpice heureux et satisfaits; la santé <strong>de</strong> M.<br />

Lambert souffre un peu, cʹest là son épreuve à lui; M. <strong>de</strong><br />

Galambert chez les Jésuites, heureux aussi; M. <strong>de</strong><br />

Montrond marié, heureux dans sa voie, les épreuves<br />

viendront, il y peut compter. Le catéchisme <strong>de</strong> Mannat<br />

prospère. Notre petite conférence vit toujours et compte 5<br />

sections, on parle dʹune sixième pour St‐Roch. Elle tend à<br />

<strong>de</strong>venir <strong>de</strong> plus en plus paroissiale, et restant laïque, à se<br />

mettre <strong>de</strong> plus en plus sous la main <strong>de</strong>s Curés. Le Roule<br />

et Bonne‐Nouvelle sʹassemblent au presbytère, St‐Merry<br />

à la sacristie, St‐Sulpice dans un local dépendant <strong>de</strong><br />

lʹéglise, locale commo<strong>de</strong> et définitivement acquis que nous a concédé le Curé. La prési‐<br />

<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>rnière section 79 mʹest échue après essais pour faire mieux qui nʹont pas<br />

78 "Vers 1835-1836, une lecture attentive <strong>de</strong> la correspondance <strong>de</strong> MLP. signale un changement notable dans le style <strong>de</strong> ses lettres: il<br />

semble que la religiosité s'efface pour faire place à la doctrine spirituelle la plus soli<strong>de</strong>". (M. Maignen). MLP. avait trouvé un gui<strong>de</strong><br />

expérimenté dans les épreuves <strong>de</strong> la vie et éclairé sur la conduite <strong>de</strong>s âmes: l'abbé comte <strong>de</strong> Malet. Officier sous Napoléon, blessé<br />

en 1807 dans un engagement <strong>avec</strong> les Cosaques qui le blessèrent au visage (MLP. parlait souvent <strong>de</strong> la "balafre glorieuse" <strong>de</strong> son<br />

directeur spirituel), il se maria, mais peu après, perdit et sa femme et son unique enfant (1816). Ordonné prêtre, il fonda une communauté<br />

<strong>de</strong> religieuses, les Sœurs <strong>de</strong> Ste-Marie-<strong>de</strong>-Lorette, qu'il installa à Paris, au 16 <strong>de</strong> la rue du Regard. Grand connaisseur <strong>de</strong><br />

la spiritualité salésienne, ce fut lui qui fit goûter à MLP. les écrits <strong>de</strong> saint François <strong>de</strong> Sales. MLP. savait ce qui lui <strong>de</strong>vait: "C'est<br />

lui qui m'a fixé dans la voie <strong>de</strong> la confiance en Dieu". Il meurt le 16 août 1843, avant la fondation <strong>de</strong> l'Institut.<br />

79 A l'assemblée du 8 décembre 1835, les Sections <strong>de</strong>vinrent <strong>de</strong>s Conférences: St-Etienne-du-Mont (présidée par Ozanam), St-<br />

Sulpice (par Chaurand). Et pour la première fois dans les procès-verbaux, on parle <strong>de</strong> la "Société <strong>de</strong> Saint-Vincent-<strong>de</strong>-Paul, dont<br />

Bailly est prési<strong>de</strong>nt et MLP. vice-prési<strong>de</strong>nt (du 8.12.1835, jusqu'au moins en 1839). Mais il était difficile aux Conférences <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r<br />

longtemps leurs prési<strong>de</strong>nts: leurs étu<strong>de</strong>s terminées, ces jeunes universitaires retournaient dans leur ville d'origine. Le 11 décembre<br />

1836, il est donc décidé que MLP. assumera la prési<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> St-Sulpice. Il y restera jusqu'au 24 avril 1849.<br />

94


éussi; légère pour bien dʹautres, cette tâche mʹest far<strong>de</strong>au; je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> expressément<br />

<strong>de</strong> prier pour que jʹy trouve occasion <strong>de</strong> faire quelque bien à nos frères et à moi et que cela<br />

tourne à la gloire <strong>de</strong> Dieu. Notre petite maison va bien, grâce au dévouement <strong>de</strong> M. <strong>de</strong><br />

Kerguelen 80 , et il y a 12 et tout à lʹheure 13 enfants.<br />

Vos pauvres femmes vont passablement, mes confrères et moi nous visitons quel‐<br />

quefois M me Delatre. Les loyers vont éprouver déficit et je ne vois aucun moyen <strong>de</strong> le com‐<br />

bler. M me Delatre désire quʹon ne recoure pas à Manille, elle craint que les légers secours<br />

quʹil lui obtient ne tournant au loyer, nʹaccroissent dʹautant sa misère déjà si gran<strong>de</strong> et si<br />

dure à porter. Dʹautre côté, M. Daubigny va quitter Paris; il va dans le midi, à lʹextrémité<br />

<strong>de</strong> la France; je lʹai vu, à partir du prochain terme il ne faudra plus compter sur lui. Pour<br />

cette fois, jʹaurai encore en tout 33f, mais au prochain terme il ne restera que 18f. Je regrette<br />

vivement que vos charges sʹaccroissent ainsi, malheureusement, je ne vois pas comment<br />

les alléger.<br />

Jʹai vu hier la famille Courbe en votre nom; Emile nʹy était pas; on fait beaucoup <strong>de</strong><br />

démarches dont on attend le résultat; M. Bailly mʹa promis <strong>de</strong> faire tout ce qui serait en lui<br />

près <strong>de</strong>s gens quʹil connaît; cependant le succès reste douteux. Adieu, mon bien cher frère,<br />

gar<strong>de</strong>z‐moi souvenir <strong>de</strong>vant Dieu et écrivez‐moi quelquefois, voilà désormais les seules<br />

ressources dont puisse disposer notre amitié, elles sont gran<strong>de</strong>s encore, si nous en usons<br />

bien et souvent.<br />

Votre frère en J.C. Le <strong>Prevost</strong><br />

80 Arsène <strong>de</strong> Kerguelen (1804-1887), membre <strong>de</strong> la Conférence en 1834, petit-fils <strong>de</strong> l'amiral qui donna son nom aux îles qu'il avait<br />

découvertes dans les mers australes. Ce confrère avait été chargé d'enseigner l'arithmétique à quelques apprentis-orphelins pris en<br />

charge par la Société <strong>de</strong> St-Vt-<strong>de</strong>-Paul en 1836. L'Œuvre s'installa rue Copeau, (aujourd'hui rue Lacépè<strong>de</strong>), près <strong>de</strong> St-Etienne-du-<br />

Mont. MLP. prêta son concours à cette petite Œuvre. Il rédigeait les procès-verbaux du Conseil <strong>de</strong> l'Œuvre, rendait visite aux orphelins<br />

tous les soirs, malgré sa fatigue et ses infirmités, et surtout il s'en occupait spirituellement. M. <strong>de</strong> Kerguelen <strong>de</strong>vant rentrer<br />

en Bretagne à la fin <strong>de</strong> 1838, MLP. accepta <strong>de</strong> le remplacer. Au cours <strong>de</strong> son mandat, MLP. annonça, non sans fierté, à l'assemblée<br />

générale <strong>de</strong> juillet 1839, la réalisation d'un projet qui lui tenait à cœur, la parution <strong>de</strong> la Vie <strong>de</strong> Saint Vincent <strong>de</strong> Paul par Abelly,<br />

dont l'impression (6000 ex.) fut confiée aux orphelins-apprentis. En 1841, l'Œuvre fut confiée aux Frères <strong>de</strong>s Ecoles Chrétiennes,<br />

qui s'en occuperont jusqu'en 1845. La Société <strong>de</strong> St-Vt-<strong>de</strong>-Paul conservant encore le patronage externe <strong>de</strong>s apprentis, c'est à continuer<br />

cette petite Œuvre <strong>de</strong>s orphelins-apprentis que l'Institut allait donner ses premiers soins (cf. in fine P.V. du Conseil <strong>de</strong>s orphelins-apprentis,<br />

le 1 er mars 1845.)<br />

95


Mardi, je termine une neuvaine commencée à lʹintention <strong>de</strong> ma femme. Cette lettre<br />

vous arrivera assez à temps pour que vous unissiez au moins une fois vos vœux aux<br />

miens, vous savez combien la grâce que je <strong>de</strong>man<strong>de</strong> me serait précieuse, priez donc avi‐<br />

<strong>de</strong>ment pour nous.<br />

68 à M. Levassor<br />

MLP. réconforte son ami dans lʹépreuve qui touche sa famille. Exhortation à lʹespérance. ʺDieu nʹefface que pour<br />

écrire et ne reprend que pour donner encore plus.ʺ Communion <strong>de</strong>s saints.<br />

Paris, 10 mars 1837<br />

Mon bien cher ami,<br />

Jʹapprends par notre ami Emile Courbe, quʹun grand sujet dʹinquiétu<strong>de</strong> et <strong>de</strong> peine<br />

est donné à votre famille, quʹune perte douloureuse vous menace et que les soins et les<br />

vœux <strong>de</strong> vos amis vous sont désirables. Je veux être <strong>de</strong>s plus empressés et vous témoigner<br />

sans nul retard la vive et tendre sympathie que je me sens pour cette nouvelle affliction.<br />

Peut‐être nʹest‐ce encore quʹun avertissement, un appel envoyé par la divine miséricor<strong>de</strong><br />

pour se concilier décidément un cœur qui, sans cela, languirait encore longtemps dans sa<br />

triste incertitu<strong>de</strong>; vous le savez, mon cher ami, ce moyen est familier à notre Père Céleste,<br />

Il frappe, et bien fort parfois, lʹhomme est renversé et se croit perdu, mais dès quʹil crie<br />

grâce la main du Seigneur le relève, lui accor<strong>de</strong> <strong>de</strong>s jours et conduit à perfection lʹœuvre<br />

<strong>de</strong> sa conversion.<br />

Je me plais à penser que telle est en ce moment lʹépreuve subie par votre bon père,<br />

et que la consolation <strong>de</strong> le possé<strong>de</strong>r vous sera encore laissée; mais sʹil en était autrement, je<br />

gar<strong>de</strong>rai néanmoins vive et ferme confiance; le bon M. Lecomte vous a promis que votre<br />

sacrifice serait bénédiction pour votre maison; cʹétait au nom <strong>de</strong> Dieu quʹil parlait Dieu ne<br />

le démentira point; quelque chose qui advienne, la grâce du salut me semble acquise à vo‐<br />

tre bon père, et, sʹil plaisait au Maître dʹabréger les temps, jʹose espérer <strong>de</strong> son amour infini<br />

quʹil nʹy aurait point préjudice pour lʹâme <strong>de</strong> son serviteur, Il accumulerait les grâces, Il les<br />

verserait à mains pleines, et, dans un instant peut‐être, ferait lʹœuvre <strong>de</strong> beaucoup dʹan‐<br />

nées. Tâchez, mon cher ami, <strong>de</strong> mettre profondément en votre cœur cette espérance; outre<br />

quʹelle vous consolera à tout événement, elle sera, si jʹose le dire, une obligation <strong>de</strong> plus<br />

pour notre bon Maître dʹy donner satisfaction; Il ne voudrait point, pour la détruire, déchi‐<br />

rer une âme si confiante en sa bonté, Il vous fera selon que vous aurez cru, et votre foi<br />

exercera violence sur sa volonté divine. En repassant dans mon souvenir ce que je sais <strong>de</strong><br />

votre famille, je me dis que ce nʹest point sans <strong>de</strong>s vues <strong>de</strong> miséricor<strong>de</strong> que le Seigneur lʹa<br />

frappée déjà douloureusement; votre pauvre père nʹa‐t‐il pas déjà pleuré <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ses fils<br />

qui lui ont été pris, lʹun pour le ciel, lʹautre pour la maison <strong>de</strong> Dieu? Nʹest‐il pas aussi lan‐<br />

guissant, privé <strong>de</strong> santé, <strong>de</strong> repos, <strong>de</strong> joie, <strong>de</strong>puis bien <strong>de</strong>s années! Il y aura pour cela com‐<br />

pensation dans les justices éternelles, Dieu nʹefface que pour écrire et ne reprend aussi que<br />

pour donner encore plus. Prions néanmoins, ainsi que vous le <strong>de</strong>man<strong>de</strong>z, mon cher ami,<br />

prions instamment; nos prières, quoique imparfaites et misérables, doivent avoir poids<br />

dans sa balance, heureux si nous contribuons à lʹentraîner vers la miséricor<strong>de</strong>. Un jour<br />

aussi cela nous sera rendu; dʹautres, à leur tour, <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ront grâce pour nous; car, cʹest<br />

ainsi que tout se lie et sʹenchaîne dans la sainte communion <strong>de</strong>s âmes!<br />

96


Je serai fort empressé dʹapprendre la suite <strong>de</strong> lʹépreuve où vous êtes engagé en ce<br />

moment, vous et ceux qui vous sont chers; tâchez <strong>de</strong> mʹen tenir informé, si quelque loisir<br />

vous reste; disposez dʹailleurs <strong>de</strong> moi pour tout ce que vous croiriez <strong>de</strong>voir entreprendre<br />

<strong>de</strong>vant Dieu. Je coopérerai, selon ma faiblesse, à vos prières et à vos œuvres afin dʹêtre<br />

vraiment, comme je me plais à me dire<br />

Votre frère en J.C.<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

68‐1 à M. Bailly<br />

Lʹabbé T. Combalot, prédicateur <strong>de</strong> renom, vient visiter la Conférence Saint‐Sulpice. La présence <strong>de</strong> M. Bailly est<br />

souhaitée.<br />

Dimanche 26 mars 1837<br />

Monsieur et ami,<br />

M. Combalot a promis <strong>de</strong> venir visiter la section St‐Sulpice mardi au soir; nous se‐<br />

rions bien heureux si vous vouliez y venir vous‐même afin <strong>de</strong> le recevoir. Tous nos amis<br />

vous en auraient une sincère reconnaissance et en particulier celui qui vous renouvelle ici<br />

les assurances <strong>de</strong> son respectueux dévouement.<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

69 à M. Levassor<br />

Décès <strong>de</strong> M. Levassor père. Comment son ami, ʺélu du Seigneurʺ, doit supporter cette épreuve. Visite <strong>de</strong>s pauvres.<br />

Persévérance <strong>de</strong>s séminaristes.<br />

12 avril 1837<br />

Mon bien cher ami,<br />

La part aussi gran<strong>de</strong> que sincère que jʹai prise à vos peines vous était si assurément<br />

acquise quʹil nʹétait guère besoin <strong>de</strong> vous le dire par écrit; je nʹy eusse pas manqué, toute‐<br />

fois, si quelques occupations et embarras ne se fussent mis à la traverse. On aime, dans ces<br />

tristes circonstances, à sʹentendre répéter ce quʹon sait déjà; il est doux aussi et consolant<br />

dʹêtre alors entouré <strong>de</strong> toutes les affections qui restent, afin <strong>de</strong> moins sentir le vi<strong>de</strong> <strong>de</strong> cel‐<br />

les quʹon vient <strong>de</strong> perdre. Aussi étais‐je <strong>de</strong> cœur auprès <strong>de</strong> vous, croyez‐le bien, mon cher<br />

frère; par la pensée je suivais tous vos pas; je voyais les scènes douloureuses quʹil vous fal‐<br />

lait traverser, les soins, les <strong>de</strong>voirs qui vous <strong>de</strong>vaient accabler; je vous plaignais et je priais<br />

pour vous. Mais je nʹoubliais pas en même temps que vous êtes élu du Seigneur, lʹenfant<br />

bien‐aimé <strong>de</strong> la Mère <strong>de</strong> Dieu; lʹun et lʹautre le gar<strong>de</strong>ront, me disais‐je, ils adouciront sa<br />

peine et porteront <strong>avec</strong> lui le far<strong>de</strong>au. Hâtez‐vous, je vous en conjure, <strong>de</strong> mʹassurer que je<br />

ne me suis point trompé; que vous avez, dans ces jours dʹamertume, reçu la visite du Sei‐<br />

gneur, que son ai<strong>de</strong> vous a été présente ainsi quʹaux vôtres, et que ces douloureuses<br />

épreuves ont été pour sa divine miséricor<strong>de</strong> comme un prétexte à <strong>de</strong> nouvelle grâces, à <strong>de</strong>s<br />

dons plus abondants. Il est aussi dʹautres détails quʹil me sera précieux <strong>de</strong> connaître sur les<br />

<strong>de</strong>rniers jours et la fin <strong>de</strong> votre bien‐aimé père. Je me plais à me figurer dʹavance toutes<br />

choses dans le sens le plus heureux, mais jʹaimerais pourtant, mon cher ami, que vous<br />

confirmiez mes espérances. Je nʹai point épargné mes faibles prières, et avant, pour obtenir<br />

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que sa fin fût sanctifiée, et <strong>de</strong>puis, pour que le but <strong>de</strong> notre vie entière reçut ici accomplis‐<br />

sement, cʹest‐à‐dire pour que la paix, le repos, lʹunion éternelle <strong>avec</strong> Dieu fût acquise à<br />

lʹâme qui vous fut ici‐bas si chère.<br />

Enfin, mon bien cher ami, je désire ar<strong>de</strong>mment apprendre que ce douloureux évé‐<br />

nement nʹaura rien <strong>de</strong> contrariant pour votre carrière, que vous la voulez suivre comme<br />

Dieu aussi le veut, je pense, sans que les événements humains, quelque graves quʹils soient<br />

dʹailleurs, puissent vous en détourner. Ne tar<strong>de</strong>z pas, je vous en prie encore, mon cher<br />

ami, à satisfaire sur tous ces points ma sollicitu<strong>de</strong> dʹami et <strong>de</strong> frère, je vous en serai vrai‐<br />

ment reconnaissant.<br />

Je ne veux pas finir sans vous dire quelques mots <strong>de</strong> vos bonnes dames. Cʹest tou‐<br />

jours même position, mêmes souffrances, mêmes besoins, et même instance aussi à votre<br />

charité. On attend <strong>avec</strong> impatience une lettre <strong>de</strong> vous. Nos amis sont aussi à peu près tels<br />

que vous les avez laissés; notre petite société se soutient assez bien; priez pour elle, tou‐<br />

jours elle vous gar<strong>de</strong> bon souvenir. Ceux du Séminaire persévèrent et correspon<strong>de</strong>nt aux<br />

grâces <strong>de</strong> Dieu; faites comme eux, mon cher frère, cʹest le vœu le plus cher <strong>de</strong><br />

Votre tout dévoué ami en J.C.<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

70 81 à M. Levassor<br />

70‐1 au Ministre <strong>de</strong>s Cultes<br />

Deman<strong>de</strong> <strong>de</strong> congé temporaire au Ministère <strong>de</strong> la Justice et <strong>de</strong>s Cultes (Division du Culte catholique‐2 e Bureau 82 )<br />

afin <strong>de</strong> se rendre à Duclair, auprès <strong>de</strong> sa sœur, M me Salva, très éprouvée dans son mariage.<br />

Paris, le 23 mai 1837<br />

Monsieur le Ministre,<br />

Une affaire qui intéresse gravement ma famille rend ma présence nécessaire pour<br />

quelque temps en Normandie.<br />

Je viens en conséquence solliciter <strong>de</strong> votre bienveillance un congé <strong>de</strong> trois semaines.<br />

Lʹassiduité que je mʹefforce dʹapporter à mes travaux, la bienveillance <strong>de</strong> mes chefs<br />

et surtout, Monsieur le Ministre, vos dispositions favorables pour les employés placés sous<br />

vos ordres, sont les titres dont sʹappuie ma <strong>de</strong>man<strong>de</strong> et les motifs sur lesquels jʹose me<br />

fon<strong>de</strong>r pour en attendre le succès.<br />

Je suis <strong>avec</strong> respect, Monsieur le Ministre,<br />

Votre très humble et très obéissant serviteur<br />

Le <strong>Prevost</strong>, rédacteur.<br />

81 Se reporter, infra, à la lettre 75-3.<br />

La lettre 70, adressée à M. Levassor et portant la date reconstituée <strong>de</strong> mai 1837, contient une allusion à un événement qui doit la<br />

faire déplacer d'une année. MLP. annonce à M. Levassor le mariage d'Auguste Le Taillandier, l'un <strong>de</strong>s premiers confrères <strong>de</strong> St-<br />

Vt-<strong>de</strong>-Paul. "à la fin du mois". Or, Le Taillandier se marie le 7 juin 1838, à Rouen (cf. S. Grandais, Biographie <strong>de</strong> MLP., p.53).<br />

c’est manifestement en mai 1838 et non en mai 1837 que MLP. écrit cette lettre à M. Levassor.<br />

82 La permission ne fut accordée que pour 15 jours. On lit en effet dans la marge :<br />

1° - Du chef du 2 e Bureau: la multiplicité et l'urgence <strong>de</strong>s affaires qui restent à traiter actuellement dans le 2 e Bureau exigent la présence<br />

presque continue <strong>de</strong>s employés qui le composent. Je suis donc d'avis <strong>de</strong> limiter à quinze jours seulement, le congé <strong>de</strong>mandé<br />

par M. Le <strong>Prevost</strong>, congé qui ne lui serait encore accordé qu'à raison <strong>de</strong> l'assiduité et du zèle <strong>avec</strong> lesquels il remplit ses <strong>de</strong>voirs.<br />

2° - Du M. <strong>de</strong>s Requêtes, Chef <strong>de</strong> la Section du Culte catholique: proposé à Monsieur le Gar<strong>de</strong> <strong>de</strong>s Sceaux d'accor<strong>de</strong>r le congé <strong>de</strong><br />

15 jours sans retenue, vu sa brièveté, mais sous condition que la retenue sera imposée en cas <strong>de</strong> prolongation d'absence non justifiée.<br />

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71 à M. Pavie<br />

Effusions <strong>de</strong> son cœur. Nouvelles <strong>de</strong> sa mère, et <strong>de</strong> sa sœur dont le mariage est un échec. MLP. dresse un bilan <strong>de</strong><br />

son propre mariage: <strong>de</strong>puis trois ans, malgré une estime réciproque, ʺcʹest une marche pénibleʺ. Dieu toujours pré‐<br />

sent dans lʹépreuve.<br />

17 juillet 1837<br />

Que votre amitié, mon cher Victor, est généreuse et fidèle, quʹelle fait honte à ma<br />

négligence et à ma lâcheté. Vous aviez trop bien présumé <strong>de</strong> moi; non, Théodore nʹempor‐<br />

tait rien pour vous que lʹhumble confession dʹune torpeur stupi<strong>de</strong> dont on ne peut rien ar‐<br />

racher. Il y avait, <strong>avec</strong>, pourtant, force tendresses et affections, car jʹaime quand même,<br />

dormant ou éveillé, mais cʹétait tout. Point <strong>de</strong> reproches, ils seraient retombés sur son nez,<br />

point dʹexcuses, je nʹétais pas en droit <strong>de</strong> pardonner. Vous, mon aimé ami, dont la fécondi‐<br />

té ne se lasse point et dont le cœur nʹa point <strong>de</strong> repos en ses effusions, vous prenez lʹinitia‐<br />

tive, vous me parlez le premier <strong>de</strong> cette douce joie quʹil mʹa fallu retrouver pour quelques<br />

instants, aux rayons <strong>de</strong> votre chaleureuse affection. Vous me parlez <strong>de</strong>s bénignes influen‐<br />

ces dʹune affection plus suave encore peut‐être, <strong>de</strong> la douce intervention <strong>de</strong> votre femme,<br />

blanche clarté <strong>de</strong> nuit après les splen<strong>de</strong>urs du jour. Que cela est bien à vous, ami, <strong>de</strong> pro‐<br />

voquer mon âme et dʹy remuer ces tendres souvenirs, je mʹen sens tout rafraîchi, cʹest une<br />

rosée sur lʹherbe ari<strong>de</strong>, béni en soyez‐vous. Il est vrai, cher ami, que cette douce âme, <strong>de</strong>‐<br />

venue moitié <strong>de</strong> votre âme, mʹa naïvement et fortement entraîné. Jʹallais à elle par pente et<br />

attrait, sans nulle réflexion ni pensée, comme autrefois je mʹétais laissé aller à vous; cʹétait<br />

floraison nouvelle <strong>de</strong> notre vieille affection. Je vois cela en cette heure, mais je nʹavais<br />

gar<strong>de</strong> dʹy penser alors, et je me sens tout surpris dʹimpression si naïve, vieux que je suis<br />

déjà et si accoutumé aux analyses. Dites‐lui, cher ami, que mon cœur est tendrement re‐<br />

connaissant du bien quʹil a reçu; que par là, nous <strong>de</strong>meurons attachés, elle, pour mʹavoir<br />

été si aimable, moi pour lʹavoir dignement aimée!<br />

Théodore vous a dit, à cette heure sans doute, quʹau jour où il me vit un bouquet en<br />

main, cʹétait double fête pour moi; le matin, je suivais le père qui est aux cieux; le soir jʹal‐<br />

lais retrouver la mère quʹil mʹa laissée sur la terre. Je lʹai revue, mon ami, meilleure encore<br />

et plus sainte; ces trois ans lʹont bien grandie et, cʹest merveille divine vraiment, quʹen pays<br />

si mauvais, si dépourvu <strong>de</strong> toute ressource pour la culture <strong>de</strong>s âmes, la sienne, par ri‐<br />

chesse propre du fonds, par soins directs <strong>de</strong> la grâce, ait ainsi cru dans le bien et mûrisse<br />

pour les greniers du Seigneur; dʹelle‐même, elle me conduisait chez ses pauvres pour les‐<br />

quels elle travaille aujourdʹhui presque uniquement, puis, quand le matin, revenant <strong>de</strong> la<br />

messe <strong>avec</strong> elle, elle sʹappuyait sur moi, elle pressait mon bras, me disant: ʺOh! que nous<br />

nous entendons bien!ʺ Elle a 73 ans, elle marche bien encore, mais un appui lui plaît. Je lui<br />

en servais. Quʹil me serait doux quʹil en fût ainsi jusquʹà la fin! Mais non, nous voilà sépa‐<br />

rés. Elle est bien loin, et serai‐je là quand Dieu la reprendra? Oh! que ne mʹest‐il donné<br />

plutôt, pour comble <strong>de</strong> tous mes vœux, dès aujourdʹhui <strong>de</strong> courir à lʹavance, là‐haut, à<br />

lʹombre <strong>de</strong> la sainte <strong>de</strong>meure, lʹattendre, ami, et quelques autres encore. Voilà <strong>de</strong> bonne et<br />

douces pensées, mais ne croyez pas quʹil mʹait été donné <strong>de</strong> mʹy livrer en paix là‐bas.<br />

Cʹétaient là fleurs croissant sur le fumier <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s afflictions! Ma pauvre sœur plie sous<br />

un far<strong>de</strong>au <strong>de</strong> peines toujours plus accablant, sans quʹaucun allégement semble possible<br />

par voie conciliante et paisible; dix ans <strong>de</strong> ménage nʹont pu faire encore <strong>de</strong> sa vie et <strong>de</strong><br />

celle <strong>de</strong> son mari une seule vie, et humainement, la fusion semble impraticable, à cause <strong>de</strong>s<br />

éléments vraiment dissociables <strong>de</strong> lʹune <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux parties, quelque explosion peut sʹatten‐<br />

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dre dʹheure en heure. Je nʹai donc point eu <strong>de</strong> repos là‐bas, pas un jour dʹépanouissement.<br />

Jʹai rapporté le cœur triste et fermé que jʹavais au départ, <strong>avec</strong> inquiétu<strong>de</strong> <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> ce cô‐<br />

té. Union, paix, charité, indulgence tendre et miséricordieuse, vertus absentes autour <strong>de</strong><br />

moi, où donc cela se trouve‐t‐il? chez vous, je lʹespère, cher ami, car, <strong>avec</strong> les mots, Dieu<br />

nous donne ici‐bas aussi quelque peu <strong>de</strong>s choses.<br />

Pourquoi me presser encore, ami, pour nʹavoir que <strong>de</strong>s redites? Les trois ans qui<br />

viennent <strong>de</strong> passer nʹont été quʹune suite dʹamertumes, <strong>de</strong> froissements douloureux, et<br />

parfois dʹangoisses désespérées; tout cela, jʹy compte fermement, a été mesuré pour la vie<br />

meilleure; mais le temps y a été pleinement sacrifié. Jʹai lutté autant que cela était en moi,<br />

par affection et douceur, par volonté et empire, mais tout cela, dans la proportion insuffi‐<br />

sante <strong>de</strong> mes forces, <strong>de</strong>meurait inférieur à la position. Je me flatte quʹà lʹheure quʹil est une<br />

phase est accomplie <strong>de</strong> cette marche pénible. Tout semble inoffensif et, en un certain point,<br />

bienveillant entre nous. Qui sait ce que ménage lʹavenir? Dieu est là, dʹailleurs, après nous<br />

avoir bien convaincus <strong>de</strong> notre impuissance, peut‐être interviendra‐t‐Il? ou plutôt, Il nʹa<br />

jamais cessé dʹintervenir. Je lʹai senti dans les plus mauvais jours, comme soutien et conso‐<br />

lation, ou bien comme aiguillon et frein, me pourchassant à lʹœuvre, malgré mes plaintes<br />

et mes cris; sans lui, je nʹeusse point été jusquʹici; <strong>avec</strong> lui, je poursuivrai, ignorant <strong>de</strong>s<br />

moyens qui me restent cachés, mais confiant dans la fin. Cʹest une merveille quʹen pareil<br />

naufrage quelque chose ait échappé. Lʹestime mutuelle a surnagé pourtant. Priez ar<strong>de</strong>m‐<br />

ment, mon cher frère, quʹ<strong>avec</strong> ce mince appui, la charité revienne aussi sur lʹeau.<br />

Adieu, mille affections aux vôtres qui sont miens aussi, à votre femme bien‐aimée<br />

surtout, puis le père et votre frère Théodore. Adrien à qui je veux écrire et à qui je le dois<br />

bien et les autres aussi. Je verrai Gavard, mais il est fortement prévenu; je ne crois pas quʹil<br />

y ait faute volontaire <strong>de</strong> ma part; jʹy ferai <strong>de</strong> mon mieux. Adieu.<br />

Votre ami et frère<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

72 à M. Pavie<br />

Un ami commun, Ménard, sʹen retourne à Angers. Désir <strong>de</strong> recevoir <strong>de</strong>s nouvelles <strong>de</strong> son ami. Avec M me Le Pre‐<br />

vost, cʹest ʺpaix et toléranceʺ, plutôt que sympathie et affection. Peines ici‐bas, repos là‐haut.<br />

27 novembre 1837<br />

Mon cher Victor,<br />

Nous vous renvoyons votre petit Ménard; il faut que vous le couviez encore un peu<br />

avant <strong>de</strong> le laisser sʹenvoler; il nʹa guère <strong>de</strong> plumes encore, le nid lui convient pour un<br />

temps; nous le reprendrons lʹan prochain. Sérieusement, je suis bien aise quʹil retourne à<br />

vous; on ne saurait voir sans inquiétu<strong>de</strong> une chère petite âme si fraîche, si gentille, sʹaven‐<br />

turer dans notre immense mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> Paris, sans gui<strong>de</strong> et sans appui. Plus il est enthou‐<br />

siaste, confiant, illusionné, plus il serait aisément trompé ou séduit. Lʹexpérience lui don‐<br />

nerait bien quelque ru<strong>de</strong> leçon, mais cʹest un triste moyen, quand il vient sans gradation et<br />

trop brusquement. Je nʹai, du reste, vu cet enfant que <strong>de</strong>ux fois, sans autre expansion <strong>de</strong><br />

part et dʹautre que dans lʹordre <strong>de</strong> généralités banales, mais il nʹest pas difficile à pénétrer,<br />

il me semble; je lʹaimerai bien aisément. Je crois seulement que je ne lui suffirais pas et que<br />

dʹautres auraient bien plus <strong>de</strong> prise que moi sur lui.<br />

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Vous mʹavez promis une lettre, cher ami, je lʹattends. Depuis bien longtemps, nʹest‐<br />

il pas vrai, rien dʹintime ne sʹest écoulé <strong>de</strong> vous à moi; quoiquʹen dise Gavard, lʹimplicite<br />

ne suffit pas, la forme est essentielle aussi; nous ne saurions ici‐bas nous en passer. Vous<br />

avez <strong>de</strong>s ennuis sans doute. Quelques mots me sont arrivés en lʹair là‐<strong>de</strong>ssus, assez pour‐<br />

tant pour me faire comprendre quʹune âme faite comme la vôtre a dû être péniblement<br />

froissée. Cʹest un anneau <strong>de</strong> plus à la chaîne que tous il nous faut traîner, cher ami, et qui<br />

sʹallonge à chacun <strong>de</strong> nos jours. Que cela doit être lourd à la fin, et que le repos doit sem‐<br />

bler doux quand on lʹa déposée. Vous nʹavez guère souvent pensé ainsi, ne vous plaignez<br />

donc pas trop. Dieu, en somme, a été tendre pour vous. Que je me gar<strong>de</strong> bien aussi <strong>de</strong> me<br />

plaindre pour ma part; tant dʹautres méritaient plus et ont bien moins obtenu.<br />

Jʹai à peine entrevu Théodore <strong>de</strong>puis son retour, quoique nous ayons été assez lon‐<br />

guement réunis; les occasions <strong>de</strong> se parler autrement quʹen phrases ayant cours sont rares<br />

ici. On gagne pourtant quelque chose à sʹentendre dʹun peu plus près, quand <strong>de</strong> part et<br />

dʹautre, on a quelque droiture et bonne intention.<br />

Dites‐moi, mon cher Victor, bien <strong>de</strong>s choses <strong>de</strong> votre intérieur, <strong>de</strong> votre chère petite<br />

femme surtout; je désire bien gar<strong>de</strong>r toujours ma petite place au coin <strong>de</strong> votre feu, bien<br />

que je ne puisse guère vous promettre la pareille, nʹayant, à vrai dire, presque ni maison,<br />

ni feu. Je dois vous dire pourtant, cher ami, à vous qui prenez si tendre intérêt à nous, que<br />

la paix règne <strong>de</strong>puis un long temps chez nous. Paix <strong>de</strong> tolérance, il est vrai, plus que <strong>de</strong><br />

sympathie et dʹaffection; mais nʹest‐ce pas beaucoup déjà. On espère si aisément que par‐<br />

fois je me surprends à y chercher quelques indices dʹun mieux bien établi pour lʹavenir. La<br />

main <strong>de</strong> Dieu est nécessaire pour cela; ne vous lassez donc pas, cher Victor, <strong>de</strong> Le prier<br />

<strong>avec</strong> moi. Ce lien, et <strong>de</strong> foi et <strong>de</strong> prières, nʹest‐il pas dʹailleurs entre nous le plus sûr gage<br />

<strong>de</strong> la durée <strong>de</strong> notre fraternelle affection.<br />

Votre dévoué frère et ami<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

73 à M. Levassor<br />

Dévouement et zèle <strong>de</strong> MLP. auprès <strong>de</strong>s pauvres. Une bienfaitrice est mala<strong>de</strong>, acceptation chrétienne <strong>de</strong> la maladie.<br />

Deman<strong>de</strong> instante <strong>de</strong> prières pour sa femme, quʹil a convaincue <strong>de</strong> porter une petite médaille.<br />

Paris, le 29 décembre 1837<br />

Mon bien cher ami et frère en J.C.,<br />

Jʹai reçu votre lettre <strong>avec</strong> les 30f pour le loyer <strong>de</strong> vos pauvres femmes; je tâcherai <strong>de</strong><br />

réunir le reste et jʹespère que la Provi<strong>de</strong>nce y pourvoira pour cette fois comme par le passé.<br />

Je suis, à lʹoccasion <strong>de</strong> ces pauvres dames, chargé dʹune commission pour vous <strong>de</strong> la<br />

part <strong>de</strong> M me Houdan. Elle vous avertit quʹelle nʹa plus possibilité désormais <strong>de</strong> gérer les<br />

petits intérêts que vous lui aviez confiés et quʹelle sera remplacée dans ce soin par M elle<br />

Montvoisin (actuellement <strong>de</strong>meurant <strong>avec</strong> M elle Dumay) à qui vous ferez bien dʹenvoyer<br />

<strong>de</strong>s fonds, attendu que les ressources laissées par vous sont entièrement épuisées.<br />

Vous savez peut‐être déjà, mon cher ami, pourquoi la bonne M me Houdan vous<br />

donne cet avertissement; cʹest parce que sa santé est tellement altérée <strong>de</strong>puis plusieurs<br />

mois que toute occupation extérieure lui <strong>de</strong>vient impossible. Jʹignorais le triste état <strong>de</strong> cette<br />

excellente dame et jʹai été douloureusement frappé <strong>de</strong> sa position; elle est telle, mon cher<br />

ami, que quelques semaines semblent le terme <strong>de</strong> sa carrière. Depuis un certain temps, sa<br />

101


poitrine sʹest affectée <strong>de</strong> la manière la plus grave, et les soins et la science ont échoué pour<br />

y porter remè<strong>de</strong>. Sa résignation et sa patience sont telles quʹon les pourrait attendre dʹune<br />

âme si généreusement donnée à Dieu, et Dieu, à son tour, lʹen récompense par <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s<br />

consolations spirituelles. M gr <strong>de</strong> Nancy lui vient dire la S te Messe fréquemment dans son<br />

appartement et tous les cinq jours la S te Communion lui est donnée par autorisation <strong>de</strong> M gr<br />

lʹArchevêque <strong>de</strong> Paris.<br />

Jʹajoute, mon cher ami, et cʹest un point essentiel, que du 3 au 12 janvier, le Prince<br />

Hohenlohe doit faire une neuvaine à son intention. La mala<strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> le suffrage <strong>de</strong> vos<br />

prières les plus ferventes; les pratiques sont laissées au choix <strong>avec</strong> simple recommandation<br />

<strong>de</strong> dévotion et souvenir aux Sacrés Cœurs <strong>de</strong> Jésus et <strong>de</strong> Marie.<br />

M me Houdan espère beaucoup <strong>de</strong> cette pieuse intercession et attend par là son réta‐<br />

blissement. Sans cela, mon cher ami, cʹest‐à‐dire hors le cas <strong>de</strong> miracle, la guérison est im‐<br />

possible. Du reste, le sacrifice est consommé par la pauvre mala<strong>de</strong>. Vous aimez Dieu assez,<br />

lui disais‐je, pour le bénir encore, si au lieu <strong>de</strong> la santé, Il vous accor<strong>de</strong> surcroît <strong>de</strong> grâces<br />

spirituelles. Oh! oui; a‐t‐elle répondu, sa très sainte volonté soit faite! Assurément, mon<br />

cher ami, on ne peut se défendre dʹémotion en la voyant si faible, si épuisée; mais pourtant<br />

nous ne saurions la plaindre, nʹest‐il pas vrai? Mourir ainsi est un sort bien digne dʹenvie<br />

et puisse le Seigneur accor<strong>de</strong>r à nos vœux une telle mort, fût‐elle bien prompte, fût‐elle<br />

aussi pénible et douloureuse.<br />

Adieu, mon cher ami, cʹest tout ce que jʹai le temps <strong>de</strong> vous dire aujourdʹhui, je vous<br />

enverrai bientôt <strong>de</strong>s renseignements sur les cours <strong>de</strong> St‐Sulpice.<br />

Votre frère en J.C.<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

(priez pour moi)<br />

P.S. Ma femme a consenti à prendre une petite médaille, priez pour moi, cher frère,<br />

bien instamment pour elle.<br />

74 à M. Levassor<br />

Renseignements sur les cours du Séminaire St‐Sulpice. Activités <strong>de</strong> la Société <strong>de</strong> St‐Vt‐<strong>de</strong>‐Paul et <strong>de</strong> lʹœuvre <strong>de</strong>s<br />

Apprentis. Décès <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux confrères, dont G. <strong>de</strong> la Noue. La conférence St‐Sulpice essaime à St‐François‐Xavier‐<br />

<strong>de</strong>s‐Missions.<br />

Paris, le 19 février 1838<br />

Mon bien cher ami et frère,<br />

Il est grand temps <strong>de</strong> tenir la promesse que jʹavais faite <strong>de</strong> vous écrire; peut‐être<br />

même jugez‐vous quʹil nʹest plus temps et que pour arrêter une détermination sur le point<br />

dont vous mʹaviez parlé, il vous fallait plus à lʹavance avoir <strong>de</strong>s renseignements. Les voilà,<br />

mon cher ami, il vous restera encore tout le saint temps du Carême pour y réfléchir et pour<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r conseil au bon Dieu. St‐Sulpice étudiera après Pâques le dogme <strong>de</strong> la Grâce, en<br />

morale, les Contrats. On ne saurait trouver plus importante matière et jʹespère bien que<br />

vous voudrez venir ici la travailler. Vos confrères Estève, Lambert, <strong>de</strong> Goy et autres en ont<br />

aussi un sincère désir; tâchez <strong>de</strong> les satisfaire, si cʹest dʹailleurs la volonté du Maître su‐<br />

prême à qui vous appartenez.<br />

102


Je ne sais si vous avez eu <strong>de</strong>s nouvelles <strong>de</strong> notre pauvre M me Houdan; elle languit<br />

encore toujours sʹaffaiblissant et déclinant <strong>de</strong> jour en jour. Le Seigneur accomplit en elle<br />

lʹœuvre dʹune purification entière; espérons quʹaprès tant <strong>de</strong> souffrances, Il la jugera digne<br />

du ciel. Son fils aîné est arrivé et se trouve près dʹelle. Il sera là pour lui fermer les yeux; il<br />

est bien jeune, mais cʹest une leçon bien gran<strong>de</strong> aussi et bien solennelle que celle <strong>de</strong> la mort<br />

dʹune mère et d’une mère si chrétienne. Le souvenir lui en restera et influera sans doute<br />

utilement sur son avenir. Puisque nous parlons <strong>de</strong> sujet si grave, je dois vous dire que<br />

nous avons, ces jours passés, perdu notre cher confrère Gustave <strong>de</strong> la Noue, le poète,<br />

lʹécrivain! Il est mort dans les sentiments les plus touchants <strong>de</strong> piété et <strong>de</strong> résignation. Un<br />

autre membre aussi <strong>de</strong> notre section St‐Sulpice est mort le même jour et a été enterré à la<br />

même heure. Il a été enlevé en 24 heures par une fièvre cérébrale, et si inopinément quʹau‐<br />

cun secours religieux nʹa pu lui être donné; heureusement, il vivait en saint. Jʹespère que la<br />

mort ne lʹaura point surpris.<br />

Notre petite Société qui vous intéresse toujours va jusquʹici assez bien. Outre plu‐<br />

sieurs sections nouvelles qui se forment en province, trois sʹétablissent en ce moment à Pa‐<br />

ris; à St‐Nicolas , à St‐Germain‐<strong>de</strong>s‐Prés et aux Missions. Cette <strong>de</strong>rnière est une colonie <strong>de</strong><br />

St‐Sulpice. Elle sʹassemble chez les Lazaristes, près <strong>de</strong>s reliques <strong>de</strong> notre bienheureux pa‐<br />

tron saint Vincent <strong>de</strong> Paul. Nous espérons que cela lui portera bonheur et que lʹesprit <strong>de</strong><br />

charité sera au milieu dʹelle. Je la recomman<strong>de</strong> ainsi que toutes les autres, à vos prières.<br />

Nos apprentis vont bien, nous en avons 15; le bon M. <strong>de</strong> Kerguelen ne les a point encore<br />

quittés. Une loterie est en action pour soutenir et agrandir cette petite œuvre. On parle<br />

aussi d’un sermon. Si tout cela va bien, nous essayerons dʹavoir une nouvelle série dʹap‐<br />

prentis qui seraient ciseleurs en bronzes. Priez bien pour que Dieu nous bénisse et que tout<br />

cela soit purement pour sa gloire.<br />

Vos bonnes femmes vont passablement. Le bon M. Urvoy 83 ici pour quelque peu <strong>de</strong><br />

temps, sʹoccupe <strong>de</strong> la chère M me Delatre. La fille <strong>de</strong> cette pauvre dame languit tristement et<br />

marche, je crois, à une fin peu éloignée. Que <strong>de</strong> morts et <strong>de</strong> mourants! mon cher ami, cette<br />

courte lettre en est toute pleine; mais, jʹen parle sans tristesse et vous mʹécouterez <strong>de</strong><br />

même, car tous meurent dans le Seigneur et nous ne pouvons quʹenvier leur sort. Adieu,<br />

mon bien cher frère, je vous attends bientôt, votre présence me fera du bien et mʹencoura‐<br />

gera à aimer Dieu que je sers <strong>avec</strong> un certain mouvement, mais je le crains, sans beaucoup<br />

avancer... Adieu, je prie toujours pour vous, priez constamment pour moi.<br />

Votre dévoué frère en J.C.<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

83 Olivier Urvoy <strong>de</strong> Saint-Bedan (1812-1861), né près <strong>de</strong> Nantes, avait étudié à Paris et connut MLP. à la Conférence <strong>de</strong> St-Sulpice.<br />

Son père s'étend opposé à sa vocation religieuse, ce n'est qu'en 1859, à plus <strong>de</strong> 46 ans, qu'il sera reçu dans l'Institut. "Par le désir, il<br />

est le premier <strong>de</strong> tous nos Frères, à avoir voulu, bien avant 1845, s'unir à notre Fondateur pour se dévouer aux œuvres charitables."<br />

(G. Courtin, Nos premiers frères autour <strong>de</strong> leur père, 1974, ASV). MLP. écrira qu'il "était le plus saint parmi nous; il pratiquait les<br />

vertus religieuses à un <strong>de</strong>gré bien rare <strong>de</strong> notre temps", (lettre 747).<br />

103


75 à M. Levassor<br />

A cause dʹun surcroît dʹoccupations, retard dans la correspondance. Cours du Séminaire St‐Sulpice. M. Levassor<br />

<strong>de</strong>vra y prolonger, <strong>de</strong> six mois, ses étu<strong>de</strong>s.<br />

[mars 1838]<br />

Mon bien cher ami,<br />

La loterie que nous avons faite ces jours<br />

<strong>de</strong>rniers pour nos petits orphelins a pris, et au‐<br />

<strong>de</strong>là, tout le temps dont je pouvais disposer;<br />

littéralement, je nʹai pas trouvé une minute<br />

pour vous écrire; maintenant je suis en retard<br />

sur tout, et en particulier, pour mes travaux<br />

dʹadministration; je vous dirai donc seulement<br />

<strong>de</strong>ux mots en hâte.<br />

Le premier: jusquʹà la fin <strong>de</strong> lʹannée,<br />

comme je vous lʹai déjà dit, on doit voir dans<br />

les cours du Séminaire les Contrats et la Grâce;<br />

lʹan prochain, les Sacrements en général et en<br />

particulier, lʹEucharistie, la Pénitence, lʹOrdre<br />

et le Mariage.<br />

Ce nʹest pas tout néanmoins, car, à moins <strong>de</strong> volonté expresse <strong>de</strong> votre Evêque,<br />

vous <strong>de</strong>vriez, si vous veniez ici, éprouver un retard <strong>de</strong> 6 mois pour votre ordination, et<br />

prolonger ainsi <strong>de</strong> 6 mois votre séjour à St‐Sulpice. Ces 6 mois, me dit M. Lambert, seraient<br />

employés à <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s très utiles et très attachantes; je ne saurais trop vous en donner le<br />

détail; il me semble, entre autres, quʹil a parlé dʹun cours <strong>de</strong> diaconat. Cette <strong>de</strong>rnière partie<br />

<strong>de</strong>s renseignements (pour les 6 mois) mʹest venue par intermédiaire et nʹest pas, quant au<br />

détail, suffisamment précise pour moi; si vous y teniez spécialement, je reviendrais moi‐<br />

même et directement à la charge près <strong>de</strong> nos frères Estève et Lambert.<br />

M. Urvoy sʹest chargé, à mon défaut, <strong>de</strong> voir Emile Courbe. Il avait fait votre com‐<br />

mission; mais sans donner pourtant au prisonnier <strong>de</strong> secours d’argent que sa santé ni son<br />

état ne paraissaient exiger.<br />

Ceci, mon bien cher ami, ne compte pas pour une lettre; j’espère mieux agir pro‐<br />

chainement et mʹentretenir plus à loisir <strong>avec</strong> vous; en attendant écrivez‐moi et si vous avez<br />

besoin <strong>de</strong> nouveaux renseignements, <strong>de</strong>man<strong>de</strong>z et vous recevrez.<br />

Votre ami et frère en J.C.<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

104


75‐1 à M. Ozanam 84<br />

Sollicite un accueil fraternel pour un membre <strong>de</strong> la Conférence St‐Sulpice.<br />

11 avril 1838<br />

Mon bien cher ami et frère,<br />

Je nʹai que le temps <strong>de</strong> vous écrire <strong>de</strong>ux mots pour vous <strong>de</strong>‐<br />

man<strong>de</strong>r accueil favorable <strong>de</strong> votre part et <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> nos amis <strong>de</strong><br />

Lyon, pour M. Cauvain, membre très fervent <strong>de</strong> la section <strong>de</strong> St‐<br />

Sulpice. Bien quʹil ne soit que <strong>de</strong>puis peu au milieu <strong>de</strong> nous, je lʹai as‐<br />

sez vu pour vous assurer quʹil est plein <strong>de</strong> zèle, fort pieux et très ami<br />

<strong>de</strong>s pauvres. Avec cela il ne saurait manquer <strong>de</strong> se trouver à lʹaise près<br />

<strong>de</strong> nos amis <strong>de</strong> Lyon qui ne le cè<strong>de</strong>nt à personne sur tous ces points.<br />

Je me rappelle instamment à leur souvenir et en particulier à celui <strong>de</strong> mon bien cher M.<br />

Chaurand, <strong>de</strong> M. La Peyrière et autres tous, car en vérité je me sens pour tous un cœur <strong>de</strong><br />

frère.<br />

Nous allons bien ici, nous espérons Mgr <strong>de</strong> Paris à notre prochaine réunion générale;<br />

soyez par la pensée au milieu <strong>de</strong> nous.<br />

Je me recomman<strong>de</strong> à vos excellentes prières et suis <strong>avec</strong> une tendre affection<br />

Votre dévoué confrère<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

75‐2 à M. Bailly<br />

Démarches effectuées pour mieux loger lʹOeuvre <strong>de</strong>s orphelins‐apprentis. MLP. cherche un successeur à M. <strong>de</strong><br />

Kerguelen, lʹactuel directeur.<br />

1838<br />

Monsieur et ami,<br />

Ma femme a visité hier lʹappartement <strong>de</strong> la Rue dʹEnfer; elle ne peut sʹaccoutumer à<br />

lʹidée dʹaller là, et comme il nous faut marcher ensemble, je nʹy pourrai moi‐même prendre<br />

<strong>de</strong>meure. Du reste, en quelque lieu que soit lʹétablissement, jʹoffre volontiers dʹy aller 3 fois<br />

par semaine si nos amis jugeaient que cela fut <strong>de</strong> quelque utilité.<br />

Il me paraît que si lʹon pouvait simplifier les moyens, cela nʹen serait que mieux. Si,<br />

par exemple, après nouveaux renseignements on jugeait M. Corman réellement propre à<br />

remplacer M. <strong>de</strong> Kerguelen, trouver un local <strong>de</strong> 12 à 1500f pour les enfants seulement et<br />

pour lui, serait peut‐être <strong>de</strong> plus facile exécution.<br />

Dʹautre part, jʹai visité la maison Poiloup, elle conviendrait, à certains égards, très<br />

bien. Deux petits bâtiments <strong>avec</strong> une cour séparée, situés au fond <strong>de</strong> la cour principale suf‐<br />

firaient parfaitement pour les enfants. Le corps <strong>de</strong> bâtiment sur la rue pourrait être mis en<br />

84 C'est la seule lettre connue <strong>de</strong> MLP. à F. Ozanam. Ce <strong>de</strong>rnier cite plusieurs fois MLP. dans sa volumineuse correspondance. La<br />

lettre 505 du 27 juillet 1843 à son cousin Henri Pessonneaux témoigne <strong>de</strong> la confiance qu'il avait en lui: "…je remettrai l'affaire<br />

aux mains <strong>de</strong> M. Leprevost, c'est assez dire qu'elle sera mieux placée que dans les tiennes". Mais l'estime réciproque n'empêchait<br />

pas les différences <strong>de</strong> points <strong>de</strong> vue. Dans une lettre du 27 avril 1840 à Joseph Artaud, Ozanam, précisant les activités <strong>de</strong> la Société,<br />

écrit : "Il y a ensuite beaucoup <strong>de</strong> réunions sous les toits <strong>de</strong>s sacristies; mais cette disposition cléricale s'efface un peu, en même<br />

temps que diminue l'influence <strong>de</strong> MLP. On a obtenu la démission <strong>de</strong> son titre <strong>de</strong> vice-prési<strong>de</strong>nt général, ce qui est beaucoup, car ce<br />

fonctionnaire est presque désigné pour succé<strong>de</strong>r au prési<strong>de</strong>nt." En fait, MLP. resta vice-prési<strong>de</strong>nt jusqu'en mai 1844, où il fut remplacé<br />

par Cornu<strong>de</strong>t (cf. Foucault, La Société <strong>de</strong> Saint-Vincent-<strong>de</strong>-Paul, 1932 p.76).<br />

105


location dʹappartements bourgeois et se prêterait à telles dispositions quʹon lui voudrait<br />

donner. On voudrait <strong>de</strong> tout cela (par adjudication) 3000f.<br />

Si vous jugiez à propos <strong>de</strong> prendre renseignement sur M. Corman, il a été présenté<br />

par M. Bouvier.<br />

Je clos en hâte ce brouillon presque aussi, jʹallais dire, mal écrit que vos propres let‐<br />

tres; puisse‐t‐il nonobstant être, comme elles le sont toujours, favorablement accueilli.<br />

Je suis, <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s sentiments respectueux<br />

Votre dévoué serviteur et ami<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

Vendredi matin<br />

75‐3 à M. Levassor<br />

Se séparer du mon<strong>de</strong> nʹentraîne pas la rupture <strong>de</strong>s liens <strong>de</strong> charité. Félicitations à son ami pour la fidélité à sa<br />

vocation, malgré les épreuves. Obstacles que lʹon rencontre dans le mon<strong>de</strong>. Affirmer <strong>avec</strong> saint François <strong>de</strong> Sa‐<br />

les:ʺNos imperfections sont instruments <strong>de</strong> salutʺ. Mariage dʹun confrère <strong>de</strong> St‐Vt‐<strong>de</strong>‐Paul, Le Taillandier.<br />

[mai 1838]<br />

Mon cher ami et frère en J.C.,<br />

Je suis dʹautant plus sensible aux reproches <strong>de</strong> votre amitié que je ne saurais trouver<br />

refuge dans ma conscience, jʹy rencontrerais un juge encore plus sévère pour gourman<strong>de</strong>r<br />

ma paresse et ma négligence. Je fais donc humblement mon mea culpa et mʹen remets à<br />

votre indulgente charité pour me trouver quelque bonne excuse. Jʹaurais bien toutefois ceci<br />

à alléguer que vous êtes désormais en si saint lieu, sous si bonne gar<strong>de</strong>, que mon affection<br />

rassurée peut déposer toute sollicitu<strong>de</strong>; mais cela ne fait point excuse: est‐il si saint asile<br />

que notre faiblesse ne sʹy laisse surprendre, gar<strong>de</strong> si vigilante que le démon, complice <strong>avec</strong><br />

nous, ne sache lʹélu<strong>de</strong>r? Dʹailleurs, pour être hors du mon<strong>de</strong>, vous nʹavez point rompu<br />

<strong>avec</strong> lui les liens <strong>de</strong> charité; comme les saints continuent <strong>de</strong> chérir dans le ciel ceux quʹils<br />

ont aimé sur la terre, dans votre pieuse retraite vous avez encore souvenir <strong>de</strong> nous, vous<br />

priez pour nous, vous nous désirez en bonne voie, vous pleurez <strong>de</strong> nos peines et vous<br />

vous réjouissez <strong>de</strong> nos joies. Oh! que je me gar<strong>de</strong> bien, mon cher ami, dʹinterrompre <strong>de</strong>s<br />

relations si précieuses; jʹen ai trop grand besoin, et si jamais ma mollesse les négligeait, re‐<br />

prenez et gron<strong>de</strong>z, la charité le veut, entrez en sainte colère et Dieu vous en bénira.<br />

Jʹai été singulièrement édifié, mon cher ami, <strong>de</strong> la noble fermeté <strong>avec</strong> laquelle vous<br />

mʹavez répondu quand jʹémettais quelques craintes sur les suites, pour votre vocation, <strong>de</strong>s<br />

événements survenus dans votre famille, le sacrifice nʹa point été fait à <strong>de</strong>mi; Dieu vous a<br />

paru définitivement la meilleure part, vous lʹavez choisie et vous ne la laisserez point re‐<br />

prendre; ainsi se confirme, à lʹépreuve et par les faits, et <strong>de</strong> plus en plus, votre vocation.<br />

Oh! oui, Dieu est la meilleure part, et bienheureux ceux qui peuvent lʹembrasser unique‐<br />

ment! Dans le mon<strong>de</strong>, quoi quʹon fasse, en tendant les bras au Seigneur, on étreint avant<br />

Lui ce qui se trouve à la traverse, et si, dans une ar<strong>de</strong>ur sainte, on veut écarter ces obstacles<br />

importuns, on nʹen a pas le droit, tous crient et réclament, par la chair, par le sang, le sen‐<br />

timent, la convenance, tous ont propriété sur vous; il faut plier, se soumettre, ce nʹest quʹà<br />

travers cela quʹon peut à <strong>de</strong> rares moments, et bien imparfaitement, pénétrer jusquʹà Dieu.<br />

Ainsi, cher ami, en est‐il pour moi; dʹautres font mieux, je le sais, et je mʹen réjouis pour la<br />

106


gloire <strong>de</strong> notre divin Maître; mais le grand nombre est comme moi, le mon<strong>de</strong> les oppresse,<br />

ils ne sauraient le vaincre ni sʹen dépêtrer.<br />

Cʹest triste chose, cher ami, <strong>de</strong> marcher toujours sans avancer jamais, et en sʹaperce‐<br />

vant souvent quʹaprès bien <strong>de</strong>s jours on a reculé, on est plus loin du but! Mais à qui donc<br />

vais‐je faire pareille doléances, ne le savez‐vous pas aussi, cher ami, nʹavez‐vous point tra‐<br />

versé ces épreuves autrefois, et même aujourdʹhui, pourquoi ne lʹavouerais‐je pas: nʹavez‐<br />

vous pas vos luttes aussi? Oh! oui; en vain je feins que le parfait repos est pour ceux qui<br />

vous ressemblent, le parfait repos nʹest quʹau ciel. Partout, lʹEsprit‐Saint lʹa dit,. la vie <strong>de</strong><br />

lʹhomme est mauvaise, partout, excepté au sein du Seigneur, du Père qui est dans les<br />

cieux, du Maître divin qui veut tous là‐haut nous recueillir sous ses ailes. Oh! sʹalléger<br />

pour y courir plus vite, cʹest beaucoup déjà, cʹest tout ce qui nous est permis, cʹest ce que<br />

vous avez fait, cʹest ce que je nʹai pas eu le courage <strong>de</strong> faire; cʹest pourquoi je vous envie et<br />

vous dis bienheureux. Cʹest pourquoi, quand vous vous plaignez, je vous trouve injuste et<br />

je dis: Dieu nʹa donc point quelques créatures sans plaintes ni gémissements, le bénissant<br />

toujours, contentes <strong>de</strong> la part quʹil leur a faite. Je murmure ici et mʹafflige <strong>de</strong> ma misère;<br />

ailleurs, cʹest même chose: les plus saints seulement compriment leur douleur et gémissent<br />

dans le cœur <strong>de</strong> Jésus! Armons‐nous <strong>de</strong> courage, mon ami, gardons nos faiblesses, tour‐<br />

nons‐les même à profit, en nous humiliant, en acceptant notre abjection et disons <strong>avec</strong><br />

saint François <strong>de</strong> Sales: ʺOh! bienheureuses et chères imperfections, vous me serez instru‐<br />

ments <strong>de</strong> salutʺ.<br />

Vos comptes, cher ami, sont faciles à régler pour le passé et pour le présent. Sur les<br />

60f que jʹai reçus il y a trois mois, jʹai donné 30f à M me Houdan et 30f à moi; quant aux 60f<br />

que votre lettre mʹannonce, je nʹai vu encore ni eux, ni le parent qui les <strong>de</strong>vait apporter.<br />

Tout ici comme toujours, les saints persévèrent, dʹautres lan‐<br />

guissent et je suis <strong>de</strong> ceux‐là; nos petites œuvres se soutiennent.<br />

Notre ami Le Taillandier se marie à la fin du mois 85 ; il va au Mans et<br />

prend un établissement industriel (fabrique <strong>de</strong> sucre).<br />

Jʹoublie peut‐ être dʹautres pareilles nouvelles, mais sʹil en est<br />

ainsi, vous rectifierez le compte à votre passage ici. Tâchez que ce<br />

soit au plus tôt. Adieu, mon bien cher frère, priez pour nous, pauvres<br />

pécheurs, priez notre Mère bien aimée et son divin Fils; je les prierai<br />

<strong>de</strong> mon mieux aussi pour vous.<br />

Souvenir <strong>de</strong> vénération au bon M. Lecomte et à vous, tendre affection.<br />

Votre frère en J.C.<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

Jʹoubliais <strong>de</strong> vous dire pour M. Lecomte que le début <strong>de</strong> M. Joseph <strong>de</strong> Mirebeau,<br />

son élève, a été très brillant. Il nʹa point prêché (je mʹexplique) au <strong>de</strong>hors, mais seulement<br />

<strong>de</strong>vant sa Communauté. Les juges sévères qui lʹentouraient ont été émerveillés. Du reste,<br />

sa régularité, sa piété fervente sont également édifiantes, on le regar<strong>de</strong> comme un homme<br />

<strong>de</strong> gran<strong>de</strong> espérance.<br />

85<br />

Le mariage aura lieu le 7 juin. Ce qui nécessite <strong>de</strong> retar<strong>de</strong>r d'un an la lettre 70 (cf. supra note 81), datée initialement du mois <strong>de</strong><br />

mai 1837.<br />

107


76 à M. Pavie<br />

Vivre et aimer, cʹest tout un. MLP. se plaint dʹavoir trop dʹactivités; cependant, ce quʹil fait, il le fait pour Dieu.<br />

Sa vraie vie est toute entière à Dieu. Marcher ferme malgré les obstacles du chemin.<br />

Paris, 1 er juin 1838<br />

Savez‐vous bien, mon très cher Victor, quʹà force <strong>de</strong> compter lʹun sur lʹautre, nous<br />

finissons par nous endormir; ce sommeil, oh non! ne serait pas la mort, loin <strong>de</strong> nous une<br />

pareille pensée, mais il suffit que cela en ait lʹimage pour que cela semble bien triste; ré‐<br />

veillons‐nous, cher ami, et que nos cœurs battent bien fort pour témoigner que nous vi‐<br />

vons ou que nous aimons, car cʹest tout un. Jʹai sous les yeux votre <strong>de</strong>rnière lettre qui date<br />

<strong>de</strong> cinq grands mois, et qui pourtant après si long espace est encore si chau<strong>de</strong> dʹexpansion<br />

quʹà ce moment je mʹen sens tout ravivé. Je vous en conjure bien, mon cher Victor, soyez<br />

comme toujours le plus généreux et le plus fidèle <strong>de</strong> mes amis; écrivez‐moi quand même<br />

et jamais, jamais ne cessez <strong>de</strong> compter sur moi <strong>avec</strong> cette assurance qui mʹhonore et me re‐<br />

lève un peu aux heures dʹabattement. Il faut bien vous dire, pourtant, cher ami, que mon<br />

silence ne provient pas, comme vous le semblez croire, dʹune disposition trop contempla‐<br />

tive, ni <strong>de</strong> lʹenvahissement toujours croissant <strong>de</strong>s exercices pieux, tant sʹen faut. Ce serait<br />

une belle excuse près dʹun cœur aussi chrétien que le vôtre, je le sais; mais je ne puis me<br />

lʹapproprier; il y a, au contraire, cher Victor, trop <strong>de</strong> menus actes dans ma vie, trop dʹacti‐<br />

vité extérieure, trop <strong>de</strong> concessions aux choses du moment; chaque jour en ramène un<br />

nombre plus que suffisant pour remplir toutes les heures. Chaque matin une mesure nou‐<br />

velle se présente, jʹy satisfais tant bien que mal, mais cela nʹa point <strong>de</strong> bout. Est‐ce le résul‐<br />

tat du trop plein <strong>de</strong> cette ville monstrueuse où nous sommes? Est‐ce faiblesse et insuffi‐<br />

sance en moi? Je ne sais, mais cʹest ainsi et je dis vrai. Il sʹen suit, très cher ami, que tout ce<br />

qui ne crie pas autour <strong>de</strong> moi <strong>avec</strong> autant dʹactualité, tout ce qui nʹest quʹau fond du cœur<br />

intime, tendre, doucement remuant: Dieu, ma mère et vous, est négligé trop souvent et ne<br />

se fait pas entendre. Pourtant, tout mon amour est là, toute ma vie, tous mes vœux.<br />

Jʹélance çà et là quelques regrets ar<strong>de</strong>nts vers ces objets délaissés, vers Dieu surtout; lui qui<br />

son<strong>de</strong> les reins, il sait bien quʹau fond je donne aux exigences quotidiennes mes pas, mes<br />

actions, mes pensées même et mes préoccupations, mais que ma vie, ma vraie vie, celle qui<br />

est à moi et que le mon<strong>de</strong> extérieur ne me prend pas, elle est à lui, toute entière à lui. Vous,<br />

mon bien‐aimé Victor, dont lʹindulgence, dont la pénétration confiante a toujours ressem‐<br />

blé envers moi à celle <strong>de</strong> la Provi<strong>de</strong>nce, imitez‐là. Sous ce mouvement machinal, cet en‐<br />

traînement <strong>de</strong>s choses, sachez <strong>avec</strong> votre œil <strong>de</strong> frère démêler votre part. En vérité, elle y<br />

est, je la sens et cʹest la meilleure, je vous lʹassure. Que jʹaimerais à persua<strong>de</strong>r en ce sens<br />

tous ceux, à leur <strong>de</strong>gré, qui ont droit aussi <strong>de</strong> ma part à une affection manifestée, incarnée,<br />

comme vous le dites. Oh! je ne nie point la <strong>de</strong>tte, <strong>avec</strong> le temps peut‐être je paierai tout,<br />

quʹil aient seulement patience; puis, si cette vie nʹy suffit, nʹen aurons‐nous pas une autre<br />

où aimer, aimer tous et toujours, sera lʹunique affaire; là, je paierai <strong>avec</strong> usure. Je crains<br />

bien, toutefois, <strong>de</strong> nʹobtenir merci <strong>avec</strong> <strong>de</strong> pareilles raisons que <strong>de</strong> vous seul, mais cʹest dé‐<br />

jà beaucoup.<br />

Et vous, mon cher Victor, passons à vous, cela vaut mieux, et vous, à quel point<br />

êtes‐vous <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> échelle où nous grimpons tous, si lestement les uns, si lour<strong>de</strong>ment<br />

les autres, si ridiculement ceux‐ci, si noblement ceux‐là? Vous êtes dans ces <strong>de</strong>rniers, je<br />

suis sûr, vous poursuivez comme vous avez commencé, vous ren<strong>de</strong>z heureuse la chère et<br />

bonne petite âme que Dieu a unie à la vôtre, vous encouragez et maintenez dans le bien<br />

108


vos amis et dʹautres encore: travail, étu<strong>de</strong>, amour saint, prière, voilà tel que je vous vois,<br />

cher ami, le fond <strong>de</strong> votre vie; voilà comme je vous veux et comme je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à<br />

Dieu chaque jour.<br />

Cʹest une gran<strong>de</strong> tâche assurément <strong>de</strong> marcher ferme en pareille ligne, malgré les<br />

obstacles, les circonstances <strong>de</strong> lieux, <strong>de</strong> temps et <strong>de</strong> tout ce qui fait scandale à nos pieds,<br />

mais cʹétait la seule chose qui vous convînt et, jʹai bonne confiance, vous la tiendrez inva‐<br />

riable jusquʹau bout. A ce plan général que je sais déjà, ne manquez pas, cher ami, dans<br />

une toute prochaine lettre, dʹajouter quelques détails et indications plus précises qui me<br />

permettent, <strong>avec</strong> cette familiarité affectueuse que vous mʹavez toujours concédée, <strong>de</strong> sui‐<br />

vre jusquʹaux plus petits sentiers cette vie qui mʹest si chère.<br />

Je nʹai point vu Théodore <strong>de</strong>puis quelque temps, il était sorti quand je lʹai cherché<br />

<strong>de</strong>rnièrement. A une visite précé<strong>de</strong>nte, jʹai trouvé chez lui Nerbonne, mais je ne lʹai guère<br />

entrevu. Gavard aussi y était, et cʹétait fête pour nous <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> nous revoir après si longue<br />

absence. Nous en sommes là, malgré la volonté très cordiale, je le crois, <strong>de</strong> part et dʹautre,<br />

<strong>de</strong> nous rapprocher, nous nʹy arrivons quʹà <strong>de</strong>s temps qui font date et époque. Autour <strong>de</strong><br />

vous, cher ami, cela doit être plus mouvant, on se voit tous les jours presque. Notre cher<br />

Adrien et quelques autres encore que je vous sais, vous sont si assidus que vous avez<br />

peine à ne nous pas prendre en pitié, ici, nous qui courons toujours sans jamais arriver.<br />

A propos <strong>de</strong> visites trop rares et bien souhaitées, à quand la vôtre, cher ami; voilà<br />

une gran<strong>de</strong> année passée et point <strong>de</strong> Victor; venez, sʹil se peut, vous serez comme jadis no‐<br />

tre point dʹunion, et, pour quelque temps les beaux jours reviendront, sans compter encore<br />

le bon souvenir que cela laisse et tous les relâchements que cela renoue! Cʹest vraiment une<br />

œuvre morale, sinon mieux encore, qui vous appartient là. Jʹai quelque envie <strong>de</strong> dire que<br />

cʹest un <strong>de</strong>voir et vous viendriez, car jamais en vain le mot a‐t‐il frappé lʹoreille <strong>de</strong> notre<br />

Victor?<br />

Adieu, bien cher ami, mille amitiés et <strong>de</strong>s meilleures à votre chère âme, à tous ceux<br />

que vous aimez.<br />

Votre ami et frère<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

P.S. Je dois une lettre à Adrien. En attendant embrassez‐le pour moi.<br />

77 à M. Levassor<br />

Démarches pour <strong>de</strong>s livres. A Notre‐Dame‐<strong>de</strong>s‐Victoires, MLP. fait prier pour sa femme.<br />

Jeudi 6 septembre 1838<br />

Mon cher frère,<br />

Dʹaprès les renseignements que je me suis procurés, il paraît que vous pourrez avoir<br />

dans les prix fixés dans votre esprit les ouvrages <strong>de</strong> saint François <strong>de</strong> Sales et la Bible. Je‐<br />

nʹai point vu seulement le premier <strong>de</strong> ces livres relié en <strong>de</strong>ux volumes. Il existe sans doute<br />

en dʹautres magasins que ceux où mes indications ont été puisées. Adieu, mon bien cher<br />

frère, je me recomman<strong>de</strong> toujours à votre bon souvenir <strong>de</strong>vant Dieu.<br />

109


Jʹai fait recomman<strong>de</strong>r aux prières <strong>de</strong> la pieuse confrérie du Saint Cœur <strong>de</strong> Marie, à<br />

la paroisse <strong>de</strong>s Petits Pères 86 , une personne que vous savez et dont la conversion me ren‐<br />

drait bien heureux. Joignez vos vœux aux nôtres, mon cher ami; le Seigneur est si bon! Il<br />

nous exaucera enfin. Allez‐y donc <strong>de</strong> tout cœur, je vous en conjure, en vous adressant au<br />

Saint Cœur <strong>de</strong> notre Mère.<br />

Je nʹoublierai pas <strong>de</strong> prier pour votre frère.<br />

Votre dévoué frère en J.C.<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

78 à M. <strong>de</strong> Montrond<br />

A son ami qui rentre dʹun séjour en Suisse, MLP. avoue que, cette année, la vie sé<strong>de</strong>ntaire lui a pesé. Mais la pré‐<br />

sence <strong>de</strong> Dieu ne lui a pas fait défaut. M. Levassor sʹapprête à venir à Paris.<br />

Paris, 20 octobre 1838<br />

Mon cher ami,<br />

Jʹai été vraiment heureux, après votre si longue absence, <strong>de</strong> recevoir <strong>de</strong> vous une<br />

lettre qui mʹapportait directement <strong>de</strong> vos nouvelles. Quand on laisse, comme vous un peu<br />

<strong>de</strong> son âme dans tout ce quʹon écrit, on est bien sûr <strong>de</strong> réjouir le cœur dʹun ami, en sʹentre‐<br />

86 C'est la paroisse <strong>de</strong> la Basilique Notre-Dame-<strong>de</strong>s-Victoires, place <strong>de</strong>s Petits-Pères. Le 3 décembre 1836, l'abbé Desgenettes avait<br />

consacré sa paroisse au Très Saint et Immaculé Cœur <strong>de</strong> Marie, refuge <strong>de</strong>s pécheurs. Ce fut l'une <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s dévotions mariales<br />

<strong>de</strong> MLP. et il y emmenait régulièrement son "cher troupeau <strong>de</strong> la Sainte-Famille". Une fois l'Institut fondé, la communauté ira<br />

souvent en pèlerinage à Notre-Dame-<strong>de</strong>s-Victoires remercier la Vierge pour toutes les grâces reçues, mais surtout la prier pour obtenir<br />

les vocations dont elle avait un urgent besoin.<br />

110


tenant <strong>avec</strong> lui, même à distance, et par lʹintermédiaire dʹune lettre, quelquʹinsuffisant que<br />

soit dʹordinaire ce moyen.<br />

Je vous en remercie donc beaucoup, mon très cher ami, et viens vous répondre <strong>avec</strong><br />

un empressement qui vous prouve combien me sont précieux les témoignages <strong>de</strong> votre af‐<br />

fection. Nous nʹavons point chez nous, comme vous, la joie dʹaller un peu respirer le grand<br />

air <strong>de</strong>s montagnes, pas même celui <strong>de</strong>s bois, ni <strong>de</strong>s champs. Nous avons gardé le logis<br />

toute cette saison, non sans gémir parfois à travers les barreaux <strong>de</strong> la cage, non sans se‐<br />

couer aussi la chaîne qui nous semblait, dans ces <strong>de</strong>rniers jours surtout, bien lour<strong>de</strong> à traî‐<br />

ner. Tout le mon<strong>de</strong>, <strong>de</strong> tout étage et condition, les saints comme les mondains, les riches et<br />

ceux qui voudraient lʹêtre, tous sʹenvolaient, cʹétait une vraie désertion.<br />

Heureusement, Dieu est partout et <strong>de</strong>meure <strong>avec</strong> ceux qui restent, en même temps<br />

quʹil est <strong>avec</strong> ceux qui sʹen vont. Nous ne pouvions donc pas nous plaindre ni nous dire<br />

délaissés. Là où est Dieu, tout est bien, puisquʹIl était <strong>avec</strong> nous, le lieu nʹimportait plus.<br />

Malheureusement, cʹétait nous peut‐être qui nʹétions pas <strong>avec</strong> Lui! Vous quʹIl aime et quʹIl<br />

écoute, nʹoubliez pas, mon cher frère, <strong>de</strong> lʹinvoquer souvent pour nous.<br />

Vous apprendrez <strong>avec</strong> joie, jʹen suis assuré, que notre bon ami Levassor sera bientôt<br />

dans notre voisinage. Il doit, me dit‐on, arriver ici prochainement, pour achever son Sémi‐<br />

naire. Il a, ces jours <strong>de</strong>rniers, marié son frère en Normandie, à la satisfaction <strong>de</strong> tous.<br />

Jʹai fait votre commission, pour le tableau, selon votre désir, etc. etc.<br />

Adieu, mon bon ami, ne mʹoubliez pas <strong>de</strong>vant Dieu, et croyez à la cordiale affection<br />

<strong>de</strong> votre ami et frère.<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

79 à M. Pavie<br />

Il se réjouit <strong>de</strong> la future naissance chez les Pavie. Lʹenfant, don <strong>de</strong> Dieu. MLP nʹa pas eu ce bonheur familial. Ac‐<br />

ceptation <strong>de</strong> ce sacrifice. Il cherche du travail pour ses petits orphelins.<br />

Paris, 12 novembre 1838<br />

Mon bien cher Victor,<br />

Vous serez père; jʹen ai béni Dieu du plus profond <strong>de</strong> mon âme. Oui, Dieu <strong>de</strong>vait à<br />

sa divine bonté <strong>de</strong> ne point laisser votre bonheur imparfait. Il se <strong>de</strong>vait dʹajouter une <strong>de</strong>r‐<br />

nière faveur à toutes celles quʹil vous a déjà faites, afin que vous ne puissiez dire que <strong>de</strong><br />

tous les dons que sa main <strong>de</strong> père peut verser, il vous en ait manqué un seul. Maison,<br />

foyer, famille, cercle nombreux dʹamis, santé, riche aisance, dons dʹesprit, dons du cœur et<br />

par <strong>de</strong>ssous tout, don <strong>de</strong> la foi, joie <strong>de</strong> connaître lʹauteur <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> biens, <strong>de</strong> lʹaimer dʹun<br />

cordial amour, <strong>de</strong> lui rapporter tout, <strong>de</strong> lui faire hommage <strong>de</strong> tout, oui <strong>de</strong> tout, <strong>de</strong> vous‐<br />

même et plus que vous‐même, <strong>de</strong> votre bien aimée femme et <strong>de</strong> lʹenfant quʹelle a conçu.<br />

Oh! oui, vous serez heureux, mon très cher Victor, et Dieu est immensément bon, et je<br />

veux que vous et moi nous lʹaimions à cause <strong>de</strong> tout cela encore davantage. Voyez aussi<br />

quelle grâce tout aimable il a mis en son procédé envers vous. Il vous a laissé souhaiter<br />

pour un temps cette faveur pour quʹelle fut mieux appréciée, mieux <strong>de</strong>mandée aussi par<br />

vous. Il vous a ainsi procuré le bonheur <strong>de</strong> prier, <strong>de</strong> prier ensemble et <strong>avec</strong> larmes, dʹobte‐<br />

nir enfin par <strong>de</strong>s vœux, <strong>de</strong>s pèlerinages, <strong>de</strong> saintes promesses faites à vous <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>vant<br />

lui, votre Père, <strong>de</strong>vant la Vierge sainte, votre Mère, dʹobtenir par tout cela ce que vous<br />

étiez venu à considérer comme le plus grand bien du mon<strong>de</strong>. Autrement, cet enfant nais‐<br />

111


sant naturellement, vous lʹeussiez pris comme votre œuvre. Mais Dieu vous a permis <strong>de</strong><br />

voir que cʹétait Lui qui donnait la vie et non pas vous, et Il grave aussi profondément dans<br />

votre esprit cette sainte vérité que cet enfant lui appartient, que du jour <strong>de</strong> sa naissance, il<br />

doit être consacré et offert non seulement comme votre premier‐né, mais encore comme<br />

lʹenfant Dieu‐donné, fruit <strong>de</strong>s entrailles <strong>de</strong> la divine miséricor<strong>de</strong>.<br />

Je nʹai pas, mon très cher Victor, lʹintention, croyez‐le bien, <strong>de</strong> vous rappeler tout ce‐<br />

la; mon cœur me dit que tout cela était dans le vôtre, et jʹabon<strong>de</strong> en ce sens par cette tendre<br />

et intime sympathie qui me fait entrer en vous, comme vous entrez en moi. Ainsi votre<br />

joie, je vous le dis, est ici bien comprise, bien partagée. Je goûte par ma vive affection le<br />

bonheur quʹil nʹa pas plu à Dieu <strong>de</strong> me donner directement. Cʹest une sorte dʹadoption<br />

pour lʹenfant qui naîtra: Rachel, dans lʹancienne loi, était tenue comme mère <strong>de</strong>s enfants<br />

nés dʹune femme <strong>de</strong> son choix; quʹil en soit ainsi entre nous. Jʹaurai par là une prospérité et<br />

ma stérilité sera consolée. Jʹai admiré, du reste, votre délicate bonté, qui vous fait presque<br />

me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r pardon dʹun bonheur qui accroît encore votre supériorité sur moi. Soyez en<br />

paix, cher ami, mon âme nʹa pas été un seul instant troublée, ma joie a été sans mélange,<br />

sans retour intéressé sur moi‐même. Quand le Seigneur exige un sacrifice, il ai<strong>de</strong> aussi à le<br />

consommer; il mʹa donné la force dʹaimer et dʹadorer sa sainte volonté.<br />

Je nʹai point encore vu Théodore, sans doute il nʹest point encore ici; je lʹattends <strong>avec</strong><br />

double impatience, et pour lui que jʹaime cordialement et parce quʹil mʹapportera <strong>de</strong> vos<br />

nouvelles à tous. Jusque là adieu, mon bien cher ami, mille affections bien dévoués à votre<br />

chère amie, à votre père et à tous, Adrien en particulier.<br />

Votre ami et frère<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

Je vous remercie <strong>de</strong> votre zèle à placer les lithographies pour nos petites orphelins.<br />

Je ne sais si on vous a dit quʹune partie dʹentre eux sont occupés à fondre <strong>de</strong>s caractères<br />

dans lʹimprimerie <strong>de</strong> M. Bailly: ils manquent quelquefois <strong>de</strong> travail, cʹest un chagrin pour<br />

nous. Je désirerais donc que vous prissiez, si cela se peut, sans préjudice dʹaucun arrange‐<br />

ment, vos caractères à cette fon<strong>de</strong>rie; si cela vous semble praticable, dites‐le. Je vous ferais<br />

parvenir le spécimen <strong>de</strong> tous les caractères que nous pourrions vous fournir. Je nʹai pas<br />

besoin <strong>de</strong> dire que ces enfants ne sont que les ai<strong>de</strong>s dʹhabiles ouvriers et que les produits<br />

ont toute la perfection quʹon peut souhaiter.<br />

79‐1 à M me Bailly<br />

Invitation à la promena<strong>de</strong> <strong>de</strong>s orphelins à Meudon.<br />

Vendredi 26 juillet 1839<br />

Madame,<br />

Nos petits enfants, que nous <strong>de</strong>vons conduire à la campagne dimanche prochain,<br />

seraient doublement heureux si M. Bailly et sa famille étaient <strong>de</strong> la partie et voulaient bien<br />

se joindre à nous pour cette petite fête87 ; je viens donc solliciter en leur nom cette faveur et<br />

87 L'un <strong>de</strong>s fils <strong>de</strong> M. Bailly, Vincent <strong>de</strong> Paul, plus tard Assomptionniste et fondateur du journal la Croix, se rappelait avoir vu MLP.<br />

<strong>avec</strong> les orphelins-apprentis. "Le premier souvenir que nous avons conservé <strong>de</strong> MLP. nous reporte vers 1838; il était au milieu d'un<br />

petit peuple d'apprentis, les premiers qui aient formé une œuvre à Paris, place <strong>de</strong> l'Estrapa<strong>de</strong>. Dans quel abandon était l'enfance ouvrière<br />

alors"! Vt-<strong>de</strong>-P. Bailly, Pieux souvenirs, in Bulletin <strong>de</strong> l'Union, 7.11.1874, cf. Boissinot, Un autre saint Vincent <strong>de</strong> Paul,<br />

1991, p.112.<br />

112


vous prie dʹemployer votre crédit près <strong>de</strong> M. Bailly que mes instances nʹont pas entière‐<br />

ment déterminé.<br />

Nos enfants, qui ont la mémoire <strong>de</strong> leur âge, ont dʹailleurs le souvenir encore tout<br />

frais dʹun pâté très appétissant dont vous leur avez fait don, il y a <strong>de</strong>ux ans, pour pareille<br />

fête; ils nʹoseraient assurément <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r la même grâce pour cette fois mais moi, je serai<br />

moins honteux et je parlerai pour eux, sachant, Madame, lʹintérêt si bienveillant que vous<br />

portez à nos orphelins et lʹempressement que vous mettez en toute occasion à vous rendre<br />

à leurs vœux.<br />

Le but <strong>de</strong> notre promena<strong>de</strong> sera Meudon <strong>avec</strong> retour par St‐Cloud; le bateau à va‐<br />

peur aura place pour nous, je lʹespère; il nʹy aurait donc point trop <strong>de</strong> fatigue pour vous si<br />

vous consentiez à faire cette petite excursion.<br />

Agréez, Madame, lʹhommage du sentiment respectueux <strong>avec</strong> lequel je suis<br />

Votre très humble et très dévoué serviteur<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

80 à M. Pavie<br />

Joies <strong>de</strong> la paternité. Encouragement à développer la Conférence St‐Vt‐<strong>de</strong>‐Paul dʹAngers. Esprit dʹhumilité dans<br />

les œuvres: ʺDieu ne trouve pas dignes <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s choses ceux qui se trouvent trop haut pour les petitesʺ. Diffu‐<br />

sion du livre édité par ses soins , Vie <strong>de</strong> saint Vincent <strong>de</strong> Paul<br />

1er septembre 1839<br />

Mon cher Victor,<br />

Vous avez maintenant tant et <strong>de</strong> si chers objets pour occuper vos affections que<br />

vous seriez peut‐être excusable <strong>de</strong> nous oublier un peu, nous qui sommes loin et moi sur‐<br />

tout qui vaux si peu. Jʹatteste pourtant quʹil nʹen est rien; nous nous sommes promis autre‐<br />

fois que rien ne prévaudrait contre notre affection et ce nʹest pas vous assurément qui<br />

manqueriez le premier <strong>de</strong> fidélité. Je voudrais seulement que vous mʹécriviez un peu plus<br />

souvent, je vous répondrais et jʹen aurais le cœur plus satisfait.<br />

Jʹai eu <strong>de</strong> vos nouvelles toutes fraîches ces jours <strong>de</strong>rniers: jʹai rencontré Théodore,<br />

que je ne savais pas revenu et qui mʹa parlé <strong>de</strong> vous tous, y compris le neveu dont, contre<br />

sa propre attente, il est fort enchanté. Cʹest une merveilleuse chose que le sang et lʹaffinité<br />

quʹil met entre nous a bien <strong>de</strong>s secrets que notre courte vue ne pénètre pas. Je me plais à<br />

mʹimaginer, quelquefois autant que je puis et en procédant du connu à lʹinconnu, quelles<br />

doivent être à vous vos joies paternelles, à vous que les sentiments naturels entraînent si<br />

ar<strong>de</strong>mment, à vous qui saviez déjà si bien aimer le reste; comment donc aimez‐vous cet<br />

enfant qui marche, qui parle, qui vous appelle et vous serre <strong>avec</strong> ses petits bras, je crois<br />

bien que je nʹai quʹune faible idée <strong>de</strong> tout cela; en Dieu pourtant toute affection doit se<br />

comprendre. Si je savais au moins <strong>de</strong> ce côté fermement me rattacher, je resterais au ni‐<br />

veau <strong>de</strong> tout. Jʹy tâcherai, ne fût‐ce que pour rester uni à vos affections les plus intimes et<br />

comme toujours en prendre ma part.<br />

Je suis allé pour voir votre bon père quʹon mʹa dit être ici. Je nʹai pu le rencontrer, il<br />

est constamment en course, arrangeant tout, veillant à tout <strong>avec</strong> sa provi<strong>de</strong>nce paternelle.<br />

Il aplanit les chemins pour son fils Théodore et tâche sans doute que rien ne puisse heurter<br />

son pied dans cette longue course quʹil va fournir. Tant <strong>de</strong> sollicitu<strong>de</strong> et <strong>de</strong> soins sont bien<br />

113


touchants; cela console et rend heureux <strong>de</strong> voir cela. On aime mieux lʹespèce humaine en<br />

la trouvant capable dʹun dévouement si généreux.<br />

Jʹespère que vos travaux ne vous auront pas empêché <strong>de</strong> prêter assistance à la petite<br />

Société <strong>de</strong> St‐Vincent‐<strong>de</strong>‐Paul qui sʹest formée chez vous 88 ; ne vous découragez point, je<br />

vous en conjure, si cela est bien petit et dʹune simplicité un peu enfantine dans son com‐<br />

mencement, je crois que les œuvres <strong>de</strong> Dieu se produisent ainsi pour lʹordinaire, afin <strong>de</strong><br />

servir dʹépreuve à lʹhumilité. Dieu ne trouve pas dignes <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s choses ceux qui se<br />

trouvent trop haut pour les petites. Cette Société a fait ici et en beaucoup <strong>de</strong> lieux encore,<br />

un bien très réel. Jʹaurais une joie véritable à ce quʹelle prît racine tout à fait chez vous, et je<br />

vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> votre coopération cordiale pour y parvenir. Vous verrez que la récompense<br />

ne vous manquera pas dans la suite.<br />

Je fais mettre chez M. Th. Leclerc un ballot <strong>de</strong> 25 exemplaires <strong>de</strong> notre Vie <strong>de</strong> saint<br />

Vincent (2 vol. in‐8) Le prix <strong>de</strong> librairie est <strong>de</strong> 7f 50; mais vendus par nous, ils ne se payent<br />

que 6f sur lesquels 1f. est encore retenue par la Conférence <strong>de</strong> Paris ou <strong>de</strong> la Province qui<br />

fait les placements, <strong>de</strong> sorte quʹon nʹa à nous tenir compte que <strong>de</strong> 5f pour chaque exem‐<br />

plaire. Sur les 25 que je vous envoie, 12 (les couvertures pâles) ont <strong>de</strong>s portraits un peu<br />

plus soignés que les autres. Vous les donnerez à qui vous voudrez. Du reste, au premier<br />

envoi que vous me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rez après celui‐ci, toutes les gravures seront également bon‐<br />

nes. Tâchez <strong>de</strong> pousser un peu cette petite affaire, qui nʹest pas sans intérêts pour la Socié‐<br />

té.<br />

Adieu, mon bien cher Victor, cʹest lʹami Hubert qui vous remettra cette lettre. Cʹest<br />

un honnête garçon.<br />

Mille souvenirs affectueux pour votre chère femme et aussi mille tendresses pour<br />

son cher petit enfant.<br />

Votre dévoué ami et frère<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

Gar<strong>de</strong>z‐vous bien <strong>de</strong> mʹoublier près <strong>de</strong> mes bons amis Adrien et son frère. Gavard,<br />

Bruneau, Nerbonne, <strong>Léon</strong>.<br />

81 à M. Pavie<br />

La foi et ses richesses. Les petites œuvres <strong>de</strong> charité ne rebutent pas V. Pavie. Mérite <strong>de</strong> ces humbles et petites œu‐<br />

vres. Lʹamitié selon lʹexemple du Christ.<br />

6 janvier 1840<br />

Mon cher Victor,<br />

Vous mʹécriviez au jour <strong>de</strong> Noël, je vous réponds au jour <strong>de</strong> lʹEpiphanie, nous<br />

sommes quittes. Car, si Noël est la fleur, lʹEpiphanie est le fruit. Quʹil mʹest doux, mon cher<br />

Victor, que toutes ces bonnes et pieuses pensées, inspirées à votre excellente âme par le<br />

grand mystère <strong>de</strong> notre foi, sʹépanchent tout naturellement vers moi; non pas que jʹen<br />

prenne <strong>de</strong> lʹorgueil et que je mʹen croie digne, mais parce que cela me prouve toujours <strong>de</strong><br />

plus en plus que lʹunion <strong>de</strong> nos cœurs fondée sur une pareille base est à tout jamais assu‐<br />

88 Elle avait été fondée vers la fin <strong>de</strong> l'année 1838 par Florestan Hébert qui, pendant ses étu<strong>de</strong>s à Rennes, avait participé à la conférence<br />

qui venait <strong>de</strong> s'y fon<strong>de</strong>r. C'est rue St-Laud, chez V. Pavie, que la Conférence angevine se réunit. Autour <strong>de</strong> Hébert, il y a<br />

Paul Beauchesne, Joseph d'Andigné, Victor Godard, J.B. Renier et Clément Myionnet, futur Frère <strong>de</strong> St-Vt-<strong>de</strong>-Paul. Le 1 er décembre<br />

1839, V. Pavie en <strong>de</strong>viendra le trésorier. (Cf. Positio, p. 131-132)<br />

114


ée, tant que la base elle‐même nʹaura pas branlé. Or, qui <strong>de</strong> nous nʹespère, malgré sa fai‐<br />

blesse permanente, rester jusquʹau bout sur cette pierre <strong>de</strong> la foi; nous lui <strong>de</strong>vons nos plus<br />

pures joies et nous savons que, hors <strong>de</strong> là, il nʹy en aurait plus pour nous <strong>de</strong> véritables dé‐<br />

sormais, parce que qui a goûté celles‐là a le cœur trop grand pour les autres. Je me réjouis<br />

aussi bien vivement à cause <strong>de</strong> vous en particulier. Vos <strong>de</strong>rnières lettres sont pleines dʹune<br />

ar<strong>de</strong>ur fervente qui me prouve que votre âme va sʹexaltant <strong>de</strong> plus en plus; que ni les af‐<br />

faires <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong>, ni les joies du ménage, causes trop ordinaires <strong>de</strong> lʹaffaiblissement <strong>de</strong>s<br />

nobles inspirations, nʹont <strong>de</strong> prise sur vous, la flamme tend en haut et surmonte tout obs‐<br />

tacle; ainsi fait lʹélan sublime <strong>de</strong> votre cœur. Jʹen bénis Dieu et lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> quʹil me fasse<br />

pareille grâce pour que nous marchions côte à côte et gagnions ensemble le but. Nos peti‐<br />

tes œuvres <strong>de</strong> charité ne seront pas sans influence pour nous y ai<strong>de</strong>r réciproquement; mon<br />

cœur a bondi <strong>de</strong> joie, je vous lʹavoue, quand jʹai reconnu que la simplicité <strong>de</strong> ces petits tra‐<br />

vaux ne vous rebutait pas. Dieu mʹa montré quʹil a dʹimmenses grâces pour ceux qui, en<br />

son nom, acceptent dʹhumbles et petites entreprises et les trouvent gran<strong>de</strong>s, parce quʹelles<br />

se font à cause <strong>de</strong> Lui.<br />

Persévérez, mon bien cher ami, notre affection déjà gran<strong>de</strong> par là sʹen accroîtra en‐<br />

core et ce ne sera point le moindre <strong>de</strong>s heureux fruits qui en viendront. Non, certes, notre<br />

bien‐aimé Maître nʹa point proscrit les doux et tendres sentiments pour les âmes qui sont<br />

siennes: Il usait <strong>de</strong> caresses pour les petits enfants, <strong>de</strong> vives effusions pour ses amis et <strong>de</strong><br />

prédilections intimes pour quelques‐uns. Il veut que nous lʹaimions avant tout et cʹest <strong>de</strong><br />

droit, mais quʹà cause <strong>de</strong> lui nous aimions aussi tous les autres, non uniformément, mais<br />

en ordre et <strong>de</strong>grés, selon lʹaffinité <strong>de</strong> nos âmes. Celles‐là doivent nous être les plus chères<br />

qui nous attirent le plus 89 Dieu a mis en elles ce quʹil nous faut, ce qui doit nous soutenir,<br />

nous élever au‐<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> nous‐mêmes et doubler nos forces pour avancer vers lui. Ceci, je<br />

lʹai trouvé en vous dès lʹabord, cher ami, et à cette heure, je lʹy trouve encore. Saint <strong>Jean</strong><br />

sʹappuyait ainsi sur le sein du Maître bien‐aimé; que je vous sais gré <strong>de</strong> rappeler cet aima‐<br />

ble souvenir. Saint <strong>Jean</strong> est mon patron. Que <strong>de</strong> fois lʹai‐je prié <strong>de</strong> mʹenhardir et <strong>de</strong> me<br />

conduire lui‐même jusquʹau cœur <strong>de</strong> notre divin ami! Je lisais dans une Vie <strong>de</strong> S te Thérèse<br />

(par M. Leboucher, curé <strong>de</strong> St‐Merry que vous lirez tout <strong>de</strong> suite, si vous mʹen croyez, <strong>avec</strong><br />

une autre vie plus rare du même auteur, la Vie <strong>de</strong> la Bienheureuse Marie <strong>de</strong> lʹIncarnation,<br />

fondatrice du Carmel en France) je lisais ceci: elle priait pour une âme droite, mais égarée<br />

pourtant, et, dans un élan <strong>de</strong> sublime familiarité, elle disait: ʺAttirez‐le à vous, ô mon Jé‐<br />

sus, vous le voyez, il serait digne dʹêtre <strong>de</strong> nos amis!ʺ Cʹest ainsi que nous <strong>de</strong>vons traiter<br />

<strong>avec</strong> lui et par retour, aussi, <strong>avec</strong> ceux quʹil nous a donnés. Allons en cette voie, cher ami,<br />

jʹy marcherai à grands pas, je vous assure, car je croirais suivre ainsi lʹexemple et la volonté<br />

<strong>de</strong> notre Dieu.<br />

Dites bien à votre douce amie quʹelle sera <strong>de</strong> moitié en tout cela. Je la crois aussi,<br />

comme vous, bien chère à Dieu et bien digne <strong>de</strong> lui.<br />

Mille choses affectueuses à tous nos amis, à Bruneau en particulier qui mʹaccuse, je<br />

le crains, <strong>de</strong> négligence, quoiquʹil nʹy ait vraiment rien <strong>de</strong> tel en moi à son égard. Affection<br />

aussi à tous les autres, à Adrien, à Godard et à ceux encore qui veulent bien se souvenir <strong>de</strong><br />

moi.<br />

Merci <strong>de</strong> votre zèle pour le débit <strong>de</strong> S t ‐Vincent, je vous serai obligé <strong>de</strong> me faire tou‐<br />

cher aussitôt quʹil se pourra lʹargent reçu. (5f par exemplaire seulement).<br />

89 MLP. parle ici d'un attrait tout surnaturel et spirituel. Ce qui suit précise et complète sa pensée sur l'amitié chrétienne.<br />

115


Adieu encore, cher ami, unissons nos prières, nos actes et toute notre vie; les meil‐<br />

leurs comme vous paieront pour les autres et tous ensemble arriverons au but.<br />

Votre dévoué frère en J.C.<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

P.S. Tendre respect à votre bon père.<br />

81‐1 à un Confrère <strong>de</strong> St‐Vincent‐<strong>de</strong>‐Paul.<br />

Rapport sur la Conférence St‐Sulpice.<br />

29 avril 1840<br />

Mon cher confrère,<br />

Jʹai lʹhonneur <strong>de</strong> vous adresser ci‐joint les notes qui mʹont été remises par le secré‐<br />

taire et le trésorier <strong>de</strong> la Conférence <strong>de</strong> St‐Sulpice.<br />

Je nʹai rien à y ajouter, la situation <strong>de</strong> cette Conférence étant à peu près la même en<br />

ce moment quʹelle était lors <strong>de</strong> notre <strong>de</strong>rnière assemblée générale.<br />

Je suis, <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s sentiments bien affectueux<br />

Votre tout dévoué confrère<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

RAPPORT SUR LA CONFERENCE DE ST‐SULPICE 90<br />

15 décembre 1835 M. Chaurand Prési<strong>de</strong>nt<br />

M. Le <strong>Prevost</strong> i<strong>de</strong>m<br />

Section <strong>de</strong> St‐Sulpice <strong>de</strong> 1836 à 1840<br />

7 avril 1840<br />

Lʹorigine <strong>de</strong> la Conférence St‐Sulpice se confond <strong>avec</strong> celle <strong>de</strong> la Société <strong>de</strong> S t ‐Vincent. Elle a eu une<br />

existence séparée dès que le nombre <strong>de</strong>s associés a été assez considérable pour exiger leur répartition entre<br />

plusieurs sections différentes. Les séances régulières <strong>de</strong> la section <strong>de</strong> St‐Sulpice ont commencé le 15 décem‐<br />

bre 1835, sous la prési<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> M. Chaurand, qui a été remplacé par M. Le <strong>Prevost</strong>, prési<strong>de</strong>nt actuel <strong>de</strong> la<br />

Conférence.<br />

ŒUVRES DE LA CONFERENCE ‐ Conformément au bien général <strong>de</strong> la Société, la section <strong>de</strong> St‐<br />

Sulpice sʹest proposé la visite et le soulagement <strong>de</strong>s familles pauvres <strong>de</strong> la paroisse, dont chacun <strong>de</strong>s mem‐<br />

bres visite régulièrement quelques‐unes. Afin dʹen rendre compte, non seulement <strong>de</strong> lʹétat matériel, mais<br />

aussi <strong>de</strong> lʹétat moral et religieux <strong>de</strong> ces pauvres, la Conférence avait coutume, dans lʹorigine, <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à<br />

chacun <strong>de</strong>s membres un rapport spécial et détaillé sur chacune <strong>de</strong> ces familles. Cette mesure qui produisit<br />

dʹabord les meilleurs résultats, dut cependant être abandonnée quand le grand nombre <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> la<br />

Conférence permit dʹaugmenter considérablement celui <strong>de</strong>s familles; on chargea alors, une fois par an, un<br />

certain nombre <strong>de</strong> membres <strong>de</strong> faire une inspection <strong>de</strong> toutes les familles <strong>de</strong> la paroisse et <strong>de</strong> rendre à la<br />

Conférence un compte général <strong>de</strong> leur situation. Cette mesure nouvelle nʹa pas encore paru suffire pour<br />

donner à la Conférence entière, aux membres, au prési<strong>de</strong>nt et au secrétaire, une connaissance habituelle et<br />

approfondie <strong>de</strong>s besoins <strong>de</strong>s pauvres, et la Conférence a décidé, en 1840, que 10 membres seraient chargés<br />

dʹune manière permanente, <strong>de</strong> la surveillance dʹune section <strong>de</strong> la paroisse pour obtenir, aperçus dans lʹocca‐<br />

sion, tous les renseignements nécessaires sur les familles visitées.<br />

La Conférence <strong>de</strong> St‐Sulpice nʹa jamais mis dʹinterruption complète dans ses séances ni dans la visite<br />

<strong>de</strong>s pauvres. Seulement la première année, lʹextrême diminution <strong>de</strong> ses membres lʹa obligée <strong>de</strong> recourir pour<br />

quelques semaines à la section <strong>de</strong> St‐Jacques. Durant les vacances suivantes, les membres restant à Paris se<br />

sont efforcés <strong>de</strong> remplacer leurs Confrères en redoublant dʹassiduité; on nʹa abandonné, momentanément,<br />

que les familles les moins nécessiteuses.<br />

90 Ce document joint n'est pas <strong>de</strong> la main <strong>de</strong> MLP.<br />

116


La Conférence, sans se borner absolument à la visite <strong>de</strong>s pauvres, sʹest occupée activement <strong>de</strong> procu‐<br />

rer <strong>de</strong>s places ou du travail aux personnes <strong>de</strong> la classe ouvrière qui lui ont été recommandées, jusquʹà lʹéta‐<br />

blissement <strong>de</strong> la Commission du placement qui sʹoccupe maintenant <strong>de</strong> satisfaire aux <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s adressées<br />

<strong>de</strong> toutes les sections.<br />

La Conférence <strong>de</strong> St‐Sulpice, surtout <strong>de</strong>puis quʹelle est présidée par M. Le <strong>Prevost</strong>, a toujours eu sous<br />

son patronage direct la Maison <strong>de</strong>s Orphelins; cʹest elle qui, la première, a organisé la loterie qui se tire an‐<br />

nuellement au profit <strong>de</strong>s jeunes apprentis.<br />

Dans ses différents travaux, la Conférence a toujours trouvé un grand secours dans la bienveillance<br />

<strong>de</strong> M. le Curé <strong>de</strong> St‐Sulpice qui vient <strong>de</strong> temps à autre visiter et prési<strong>de</strong>r ses séances.<br />

PERSONNEL ‐ La section <strong>de</strong> St‐Sulpice a toujours été, à peu près, lʹune <strong>de</strong>s plus nombreuses <strong>de</strong> la<br />

Société <strong>de</strong> St‐Vincent. Formée dʹenviron quarante membres au commencement <strong>de</strong> 1836, elle en comptait plus<br />

<strong>de</strong> cent à la fin <strong>de</strong> cette année ‐ cent cinquante au moins étaient inscrits sur ses registres en 1837, 1838. Mais<br />

la formation <strong>de</strong> plusieurs Conférences voisines, que celle <strong>de</strong> St‐Sulpice a dû soutenir, à leur naissance, en<br />

leur envoyant un certain nombre <strong>de</strong> ses membres, a peu à peu diminué son personnel; elle est composée, en<br />

1840, dʹenviron cent vingt membres dont quatre vingts ou quatre vingt dix sʹoccupent activement <strong>de</strong> la visite<br />

<strong>de</strong>s familles. Le nombre <strong>de</strong>s familles visitées a suivi les variations du nombre <strong>de</strong>s membres; il est, en 1840, <strong>de</strong><br />

210 à 220.<br />

NATURE DES SECOURS ‐ Les secours qui sont distribués aux familles consistent en bons <strong>de</strong> pain,<br />

<strong>de</strong> bouillon, <strong>de</strong> vian<strong>de</strong> ou <strong>de</strong> pommes <strong>de</strong> terre. Des secours extraordinaires en argent sont accordés pour les<br />

besoins urgents.<br />

Le vestiaire fournit un assez grand nombre dʹobjets dʹhabillement <strong>de</strong> tous genres, aux pauvres. Enfin<br />

<strong>de</strong>s draps et <strong>de</strong>s couvertures acquises par la Conférence sont prêtées aux pauvres pendant leurs maladies ou<br />

pendant les froids <strong>de</strong> lʹhiver.<br />

RESSOURCES ‐ Pour subvenir à toutes ces différentes dépenses, la Conférence nʹa aucune ressource<br />

régulière: aucun sermon <strong>de</strong> charité, aucune loterie particulière nʹa rempli sa caisse pour quelque temps à<br />

lʹavance. Une seule fois, un legs <strong>de</strong> lʹun <strong>de</strong> ses membres lʹa mise à même <strong>de</strong> faire une distribution générale <strong>de</strong><br />

secours pécuniaire aux pauvres les plus nécessiteux. Ses revenus consistent dans le produit <strong>de</strong>s quêtes faites<br />

à chaque séance, ou les dons faits, <strong>de</strong> temps à autre, par M. le Curé ou quelques personnes étrangères.<br />

Elle a cherché à y joindre quelques accessoires comme le placement <strong>de</strong> billets <strong>de</strong> souscriptions, soit<br />

perpétuelles, soit bornées à la durée <strong>de</strong> lʹhiver, ou mieux <strong>de</strong> billets payables en une seule fois, sans engage‐<br />

ment ultérieur. La vente <strong>de</strong>s exemplaires <strong>de</strong> la Vie <strong>de</strong> S t Vincent, sur laquelle chaque Conférence avait un petit<br />

bénéfice, lui a fourni pendant quelque temps un supplément <strong>de</strong> revenus. Quelquefois, elle a eu recours à la<br />

vente <strong>de</strong> quelques objets donnés par <strong>de</strong>s membres. Mais la régularité <strong>de</strong> ses faibles ressources lʹoblige à vivre<br />

au jour le jour, sans avoir même <strong>de</strong> caisse remplie pour les besoins du len<strong>de</strong>main, ou plutôt à se fier entière‐<br />

ment dans la bonté <strong>de</strong> la Provi<strong>de</strong>nce qui jusquʹà présent ne lui a pas manqué. 91<br />

RECETTES ET DEPENSES ‐ Chaque année a amené une augmentation dans le chiffre <strong>de</strong>s recettes et,<br />

par conséquent, a permis dʹétendre les dépenses.<br />

Recettes Dépenses<br />

1836 1 569,50 1 495,55<br />

1837 2 218,60 2 112,60<br />

1838 3 429 3 509<br />

1839 4 302,80 4 234<br />

7 avril 1840 1 115,25 1 153,95<br />

12 635,15 12 505,10<br />

La Conférence ne sʹest pas bornée à procurer aux pauvres un soulagement matériel; les exhortations<br />

<strong>de</strong> son prési<strong>de</strong>nt, celles <strong>de</strong> M. le Curé <strong>de</strong> St‐Sulpice et <strong>de</strong> tous les ecclésiastiques qui, <strong>de</strong> temps en temps, sont<br />

venus la visiter, ont eu pour objet constant <strong>de</strong> graver dans lʹesprit <strong>de</strong>s jeunes gens la nécessité dʹexercer une<br />

action morale sur les indigents, <strong>de</strong> les ramener à la religion à lʹai<strong>de</strong> <strong>de</strong> la charité, ‐ et, au grand nombre <strong>de</strong>s<br />

membres <strong>de</strong> la Société <strong>de</strong> St‐Vincent, quʹils sʹétaient fait à eux‐mêmes un bien spirituel ineffable en travail‐<br />

lant au salut <strong>de</strong> lʹâme comme au salut du corps <strong>de</strong> ceux qui leur sont confiés.<br />

91 Le prési<strong>de</strong>nt n'aime guère voir la caisse pleine. "Jamais nous n'y laissons amasser <strong>de</strong> l'argent, notre habitu<strong>de</strong> est d'aller au jour le<br />

jour. Nous attribuons fréquemment <strong>de</strong>s secours en argent; il y a telle misère qu'on ne peut secourir par <strong>de</strong>s bons. Mais la plupart du<br />

temps, la Conférence vote <strong>de</strong>s secours sur les fonds qu'elle n'a pas encore; la Provi<strong>de</strong>nce y pourvoit." Assemblées générales <strong>de</strong> la<br />

SSVP., 21 juillet 1839, f.45.<br />

117


SEANCES ‐ Les séances <strong>de</strong> la section <strong>de</strong> St‐Sulpice se tiennent, <strong>de</strong>puis le 13 décembre 1836 dans une<br />

salle attenant à lʹéglise même. Les séances sʹouvrent <strong>avec</strong> une lecture pieuse qui <strong>de</strong>puis 1838, se fait dans la<br />

Vie <strong>de</strong> S t Vincent: il a semblé que nulle part on ne trouvera <strong>de</strong>s exemples plus beaux et plus pratiques <strong>de</strong> cha‐<br />

rité que dans la vie <strong>de</strong> ce grand patron <strong>de</strong> toutes les bonnes œuvres, qui est aussi le Patron <strong>de</strong> notre Société<br />

entière. 92<br />

La distribution <strong>de</strong>s secours en nature, les propositions et les <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s <strong>de</strong> places occupent la plus<br />

gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> la séance qui se termine par la prière, ainsi quʹelle a commencé.<br />

82 à M. Pavie<br />

V. Pavie, âme <strong>de</strong> la Conférence dʹAngers. Ce zèle vient <strong>de</strong> Dieu. Vie <strong>de</strong>s Conférences: conseil dʹordre pratique. Ce<br />

quʹévoque le prénom <strong>de</strong> Joseph, que son ami a donné à son fils aîné.<br />

18 mai 1840<br />

Mon bien cher Victor,<br />

Que je vous sais gré <strong>de</strong> me prendre ainsi pour intermédiaire <strong>de</strong> vos communica‐<br />

tions <strong>avec</strong> notre petite Société centrale. Jʹy gagne <strong>de</strong>s lettres plus fréquentes <strong>de</strong> vous et aus‐<br />

si la joie <strong>de</strong> me trouver en participation directe <strong>avec</strong> ce que nos amis dʹAngers et vous sur‐<br />

tout, mon cher frère, faites <strong>de</strong> bon et <strong>de</strong> charitable pour nos pauvres protégés. Je me<br />

rappelle maintenant <strong>avec</strong> quelque honte que je nʹosais, durant le temps que vous habitiez<br />

encore ici, vous parler <strong>de</strong> cette Société, ni vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r dʹen faire partie. Je craignais<br />

quʹelle ne fût trop petite pour vous; je vous faisais grand tort <strong>de</strong> vous croire si peu humble.<br />

Et dʹailleurs, tout ce qui regar<strong>de</strong> Dieu et la charité est grand, et quoique rapetissé trop sou‐<br />

vent par nos faibles mains, <strong>de</strong>meure assurément bien plus haut et plus digne dʹun cœur<br />

généreux que les grands intérêts et les soins prétendus tels qui nous occupent si générale‐<br />

ment. Vous êtes lʹâme, me dit‐on, <strong>de</strong> la Société dʹAngers, jʹen bénis Dieu <strong>de</strong> bien bon cœur,<br />

mais sans aucun éloge pour vous, car lʹar<strong>de</strong>ur pure et sainte qui est en votre âme, pour<br />

tout ce qui est noble et bon, ce nʹest pas vous qui lʹy avez mise, ni conservée, ni épurée <strong>de</strong><br />

plus en plus <strong>avec</strong> lʹâge. Il ne faut donc louer que Dieu qui vous aime et à qui seulement<br />

vous le ren<strong>de</strong>z <strong>de</strong> votre mieux.<br />

Le Conseil (pardon dʹun si gros mot) ne sʹest réuni quʹhier. Je lui ai soumis votre<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>. Par une répugnance peut‐être exagérée <strong>de</strong> tout ce qui ressemble aux signes <strong>de</strong><br />

ralliement et tendraient à nous produire au <strong>de</strong>hors comme une société se posant, ayant ses<br />

insignes et ses moyens dʹaffiliation, la majorité <strong>de</strong>s membres assemblés a pensé que mieux<br />

valait peut‐être sʹabstenir <strong>de</strong> délivrer parmi nous <strong>de</strong>s diplômes, titres ou cartes dʹadmis‐<br />

sion, que pour nous, du moins, nous nʹen sentions pas ici le besoin et que si chez vous,<br />

comme à Nancy ou ailleurs, on trouvait ce moyen utile, on <strong>de</strong>vrait y pourvoir sans que la<br />

Société centrale y intervint aucunement. On mʹa chargé expressément, toutefois, <strong>de</strong> vous<br />

dire que cette opinion ne comportait aucun blâme <strong>de</strong> votre projet et que liberté tout entière<br />

vous restait dʹy donner telle suite que le besoin <strong>de</strong> votre action locale vous paraîtrait ré‐<br />

clamer. Après cela, jʹajoute que le portrait placé en tête <strong>de</strong> notre Vie <strong>de</strong> St Vincent est la pro‐<br />

92 Dans une lettre à son ami intime, François Lallier, F. Ozanam écrivait <strong>de</strong> Lyon, le 17 mai 1838, à propos <strong>de</strong>s réunions <strong>de</strong> la Conférence<br />

<strong>de</strong> Lyon : "…nous lisons maintenant, au lieu <strong>de</strong> l'Imitation, la Vie <strong>de</strong> saint Vincent <strong>de</strong> Paul, pour mieux nous pénétrer <strong>de</strong> ses<br />

exemples et <strong>de</strong> ses traditions. Un saint patron n'est pas en effet une enseigne banale pour une Société comme un saint Denys ou un<br />

saint Nicolas pour un cabaret. Ce n'est même pas un nom honorable sous lequel on puisse faire bonne contenance dans le mon<strong>de</strong><br />

religieux: c'est un type qu'il faut s'efforcer <strong>de</strong> réaliser, comme lui-même a réalisé le type divin <strong>de</strong> Jésus Christ. C'est une vie qu'il<br />

faut continuer, un cœur auquel il faut réchauffer son cœur, une intelligence où il faut chercher <strong>de</strong>s lumières; c'est un modèle sur la<br />

terre et un protecteur au ciel; un double culte lui est dû; d'imitation et d'invocation." (L. 175, t.1, p.309).<br />

118


priété <strong>de</strong> lʹœuvre <strong>de</strong> nos apprentis et que, sʹil vous convenait pour vos cartes projetées, en<br />

pourrait en tirer telle quantité que vous en désireriez sur <strong>de</strong>s feuilles que vous imprime‐<br />

riez ensuite à votre gré. Ces gravures vous seraient données à 15f le cent sur papier grand<br />

in‐8° ou petit in‐4°.<br />

Des règlements vont aussi vous êtes<br />

envoyés. Assez <strong>de</strong> Société. Dites‐moi vite<br />

maintenant quelques nouvelles <strong>de</strong> vous et<br />

<strong>de</strong>s vôtres. Votre chère petite amie est <strong>de</strong><br />

moitié au moins dans tout ce que vous<br />

faites, jʹen suis sûr, et Joseph y mettra aussi<br />

un peu la main. Jʹaime ce cher enfant rien<br />

quʹà cause <strong>de</strong> son nom. Cʹest un nom qui<br />

signifie simplicité, humilité, obéissance, âme<br />

droite, naïve, patiente, courageuse, âme<br />

intérieure et saintement recueillie.<br />

Que votre Joseph sera aimable, cher à<br />

Dieu, à Jésus, à Marie et aux Anges, sʹil est<br />

beau et bon comme son nom! En attendant,<br />

je suis sûr quʹil crie et pleure, <strong>de</strong> la manière<br />

la moins angélique possible. Je lʹaime pour‐<br />

tant, cher ami, pour toutes sortes <strong>de</strong> raisons;<br />

je nʹai pas besoin nʹest‐ce pas, <strong>de</strong> vous les<br />

expliquer toutes?<br />

Adieu, mille affections autour <strong>de</strong><br />

vous, au cercle intime et ensuite plus loin, en<br />

allant toujours grandissant.<br />

Votre ami et frère<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

83 à M. Pavie<br />

Nouvelles <strong>de</strong>s familles Pavie et Salva. MLP. résume sa vie. Son amitié <strong>avec</strong> Gavard.<br />

Paris, 28 septembre 1840<br />

Très cher Victor,<br />

Je profite du départ pour Angers du confrère Macé pour vous griffonner en hâte<br />

quelques lignes. Je comptais vous écrire pour votre bon père, mais suivant la louable habi‐<br />

tu<strong>de</strong> <strong>de</strong> mes jambes boiteuses, elles sont arrivées chez Mme Ladame93 , tout juste au moment<br />

où M. Pavie venait <strong>de</strong> monter en voiture: faites‐lui, je vous prie, mes excuses et dites‐lui<br />

bien aussi tous mes regrets. Je nʹai vu personne <strong>de</strong>puis quelque temps qui vous approche.<br />

Jʹignore donc si votre chère amie a donné une petite sœur au petit Joseph, sœur ou frère,<br />

pourtant, car il nʹimporte, Dieu ne laissant pas le choix, fait la place <strong>de</strong> lʹune ou bien <strong>de</strong><br />

lʹautre en ce mon<strong>de</strong> et dans le cœur <strong>de</strong> ceux qui <strong>de</strong>vront accueillir le petit être nouveau‐né.<br />

93<br />

Propriétaire <strong>de</strong> la pension du même nom, sise au Quartier Latin, passage du Commerce, 1, rue St-André-<strong>de</strong>s-Arts, où logent ses<br />

amis angevins.<br />

119


Ma sœur bien‐aimée est enceinte aussi en ce moment et bien près dʹaccoucher. Jʹaurai donc<br />

à faire <strong>de</strong>s vœux pour les <strong>de</strong>ux chères créatures ensemble; puisse le bon Dieu les bénir<br />

lʹune et lʹautre et les accueillir <strong>avec</strong> un tendre amour.<br />

Je voudrais avoir bien <strong>de</strong>s choses à vous dire sur mon compte, car je sais, cher ami,<br />

combien vous intéresse tout ce qui me regar<strong>de</strong>; mais, en vérité, il nʹy a point dʹhistoire<br />

moins curieuse que la mienne; par suite <strong>de</strong> mes goûts paisibles et <strong>de</strong> mes habitu<strong>de</strong>s routi‐<br />

nières, je tourne toujours et toujours dans le même rond, sans faire le moindre zigzag, ni à<br />

droite, ni à gauche. Cʹest peut‐être bon en quelque sens; mais pour le récit, cela nʹy prête<br />

pas le moins du mon<strong>de</strong>. Il faut donc, cher Victor, que vous vous contentiez <strong>de</strong> ce som‐<br />

maire général. Rien <strong>de</strong> très bon, rien <strong>de</strong> très mauvais, santés médiocres, fortune aussi,<br />

cœurs assez paisibles, désir du ciel et confiance en Dieu. Voilà tout.<br />

Votre vie à vous, cher ami, est moins insignifiante, vous vous gar<strong>de</strong>rez donc bien<br />

dans votre réponse <strong>de</strong> nʹinscrire ainsi que <strong>de</strong>s têtes <strong>de</strong> chapitre; dʹailleurs, jʹai, vous le sa‐<br />

vez, lʹesprit un peu lent, je ne développe rien, je prends tout et sans plus, comme on le<br />

donne; comptez là‐<strong>de</strong>ssus et détaillez bien. Cʹest ce quʹil me faut; ceux que jʹaime à mon<br />

gré ne sont jamais trop longs.<br />

Il y a un temps considérable que je nʹai vu Gavard. Il me semblait quʹil avait si peu<br />

dʹempressement à me rechercher que cela mʹa ôté la confiance <strong>de</strong> le poursuivre moi‐même.<br />

Il est pourtant toujours aimable et bon quand nous nous voyons; mais, à tort ou à raison, il<br />

me regar<strong>de</strong> comme un être dont la puissance est bien bornée et ne peut étreindre que ce<br />

qui est tout près <strong>de</strong> lui. Cela est vrai, au fond, je lʹavoue; seulement, je crois quʹil nʹavait<br />

pas cessé dʹêtre près <strong>de</strong> moi et quʹil entrait bien dans la sphère quʹil mʹest donné dʹembras‐<br />

ser. Cela ne veut pas dire, cher ami, que je me reconnais comme un esprit exclusif. Jʹespère<br />

quʹil nʹen est rien. Jʹaime assurément par le cœur tout ce que mes facultés si restreintes ne<br />

peuvent atteindre, jʹadmets seulement, quant aux effets, que je nʹatteins pas bien loin. Vous<br />

mʹacceptez ainsi, vous, mon cher Victor, mais tous ne sont pas si généreux et si indulgents.<br />

Adieu, mille amitiés à tous nos amis autour <strong>de</strong> vous; ce nʹest pas ma faute, si je nʹai<br />

pas vu Adrien Maillard lors <strong>de</strong> son <strong>de</strong>rnier voyage. Dès que je le sus à Paris, je courus chez<br />

M me Ladame, mais elle lʹavait à peine vu et ne connaissait point son adresse. M. Sainte‐<br />

Beuve mʹa donné <strong>de</strong>s nouvelles <strong>de</strong> Théodore mais un peu vieilles déjà. Jʹen aimerais bien<br />

<strong>de</strong> plus fraîches. Je suis <strong>de</strong> cœur au milieu <strong>de</strong> votre petit cercle intérieur et me dis comme<br />

toujours en vous embrassant, cher Victor,<br />

Votre ami et frère en N.S.<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

84 à M. Levassor<br />

Excuses pour nʹêtre pas allé à son ordination sacerdotale. ʺPauvre laïc très indigneʺ, MLP. a gardé <strong>de</strong> la nostal‐<br />

gie pour cet état <strong>de</strong> vie auquel il nʹa pu accé<strong>de</strong>r.<br />

9 octobre 1840<br />

Mon bien cher frère,<br />

Jʹai regretté infiniment <strong>de</strong> ne mʹêtre pas trouvé à la maison lors <strong>de</strong> votre rapi<strong>de</strong> pas‐<br />

sage à Paris, regretté aussi <strong>de</strong> nʹavoir pu au moins vous voir à la voiture, regretté enfin<br />

surtout <strong>de</strong> ne mʹêtre pas rendu à Chartres, comme je lʹaurais tant désiré, pour votre ordi‐<br />

nation. Jʹai prié du moins mal quʹil était en moi dans la chapelle du bon saint Vincent à qui<br />

120


vous êtes si cher et à qui vous allez, jʹen suis sûr, <strong>de</strong> plus en plus ressembler. Cela a été ma<br />

seule consolation et cʹest aussi ma ressource ordinaire dans toutes mes impuissances dʹes‐<br />

prit, <strong>de</strong> volonté et <strong>de</strong> jambes tout ensemble.<br />

Jʹattendais <strong>avec</strong> une vive impatience une lettre cœur à cœur, où vous me direz, cher<br />

ami, autant que Dieu vous le permettra, tout ce que ce divin Père a fait pour vous dans ce<br />

grand jour <strong>de</strong> votre consécration définitive, et aussi dans ce très adorable sacrifice quʹil<br />

vous a été donné dʹoffrir <strong>avec</strong> notre Sauveur. Oh! vous ne me direz pas tout, je le sens<br />

bien; qui pourrait tout dire, en pareil cas? Mais jʹen verrai assez pour que mon âme soit<br />

édifiée et mon cœur rempli <strong>de</strong> joie à cause <strong>de</strong> votre bonheur.<br />

Dites‐moi aussi, cher abbé, que vous avez prié pour moi, pauvre laïc très indigne, et<br />

que vous mʹavez mis dans le sein <strong>de</strong> notre Dieu <strong>avec</strong> tous ceux qui vous sont chers et que<br />

vous aviez droit, ce jour‐là surtout, <strong>de</strong> recomman<strong>de</strong>r à son amour.<br />

Il faut que je finisse vite cette lettre, cher ami, bien quʹil me fût si doux <strong>de</strong> la prolon‐<br />

ger. Je vous lʹécris particulièrement pour vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r ce que vous voulez faire désor‐<br />

mais pour le loyer <strong>de</strong> vos pauvres protégées. Le terme est échu, elles crient misère; que<br />

vais‐je faire? Dites‐moi cela, bien promptement, je vous prie.<br />

Mille tendres sentiments en N.S.<br />

Votre frère dévoué<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

85 à M. Levassor<br />

Deman<strong>de</strong> <strong>de</strong>s instructions pour ses trois pauvres protégées. Le mon<strong>de</strong> et Dieu.<br />

Paris, 28 octobre 1840<br />

Mon cher ami,<br />

Votre silence prolongé mʹinquiéterait un peu si je ne songeais quʹau milieu dʹune si‐<br />

tuation nouvelle, vous avez dû vous trouver bien à court <strong>de</strong> temps. Je me borne donc à ré‐<br />

clamer le premier instant <strong>de</strong> loisir que vous pourrez me consacrer et vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> seu‐<br />

lement, en attendant, quelque souvenir <strong>de</strong>vant Dieu, car cela ne prend guère <strong>de</strong> temps et<br />

coûte bien peu; Dieu pourtant sʹen contente et nous en tient grand compte. Je voudrais<br />

bien aussi <strong>de</strong>ux lignes, <strong>de</strong>ux seulement, si vous nʹen pouvez mettre trois, pour me dire vos<br />

intentions au sujet <strong>de</strong> vos bonnes protégées. Notre Conférence étant obérée nʹa pu rien<br />

faire ce trimestre, tout ce que jʹai pu réunir sʹest réduit à 10f. Je les ai donnés à Mme Meslin<br />

et jʹen ai fait autant pour Mme Delatre, mais lʹune et lʹautre sont désespérées dʹune pareille<br />

réduction, Mme Delatre surtout. M. Hanicle qui lʹaidait un peu, vient dʹêtre appelé à la cure<br />

<strong>de</strong> St‐Séverin et ne pourra plus lʹai<strong>de</strong>r, tout lui manque à la fois. Voyez, mon cher ami, si<br />

avant <strong>de</strong> prendre là‐bas <strong>de</strong> nouveaux engagements, le bon Dieu ne préférerait pas que<br />

vous continuiiez à faire ici un peu du bien quʹil vous a conseillé <strong>de</strong> faire durant tant dʹan‐<br />

nées.<br />

Tout va ici passablement pour notre petite Société. Le mon<strong>de</strong> autour <strong>de</strong> nous nʹest<br />

pas beau, mais Dieu nous gar<strong>de</strong>, nous nous remettons entre ses mains.<br />

Votre ami affectionné et frère en N.S.<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

121


85 bis à un Confrère <strong>de</strong> St‐Vt‐<strong>de</strong>‐Paul<br />

Comptes <strong>de</strong> la maison <strong>de</strong>s Orphelins‐apprentis.<br />

Le 22 juin 1841<br />

Mon cher confrère,<br />

Je vous envoie la note que vous désiriez sur les dépenses et recettes <strong>de</strong> la maison <strong>de</strong><br />

nos Apprentis; elle suffira, je lʹespère, pour remplir votre but.<br />

Jʹai examiné si je pouvais vous donner <strong>de</strong>s détails plus explicites et je me suis assuré<br />

que sans un travail très long pour le dépouillement du registre, mois par mois, <strong>de</strong>puis plus<br />

<strong>de</strong> cinq années, cela ne saurait être exact.<br />

Croyez à mes bien affectueux sentiments.<br />

Le <strong>Prevost</strong><br />

86 à M. dʹAssonville94 Félicitations pour la naissance <strong>de</strong> son fils. La piété mariale dans les familles. Dieu et son amour, fin <strong>de</strong> toute exis‐<br />

tence humaine. Confrérie <strong>de</strong>s artistes. Dieu et lʹart.<br />

[23 juillet 1841]<br />

Mon bien cher confrère,<br />

Que vous êtes aimable <strong>de</strong> nous avoir fait part au plus