par quinte-curcë. - Notes du mont Royal

Notes du mont Royal
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MISTO1RE
D'ALEXANDRE
LE GRAND,
PAR QUINTE-CURCË.
T O M £ I h

3-
HISTOIRE
LE GRAND,
PAR QUINTE-ClTOCEj
Traduhe Far M. B *jt w rir r de ? Académie
Wmnçmft &de celle délia Crufca ; des Académies
r&ya&s de Rouen f de Meiir&d°Arras;
Profeffcur royal entérite de l'École militaire;
& Secrétaire-mietprète de MVWSEIGMEUR
COMTE D'ARTOIS*
TOME. IL
^" F A- JT I 5V
Chez B'AH&O'U » Tmprimeur-Lifirairev?
rue des.Mathurins»
JC ZJCC LXXXL

i
Baytrfscti©
Staatsbfbliothek
Mûnchen

QUINTE-CURCE.
Tome IL

QUINTI CURTII
LIBER SEPTIMUS.
/. Alexaiîder Lynceftem, majeflatls reurn, interfici
curât : deinde in Amyntam & Simmiam,
Philotae • amicos ,. inqulrk ; qui luam
innocentiam gravi oratione tuentur.
IL Atnyntâ & fratribus in gratiam receptïs ,"
Polydamas , à rege juffus, in Mediam celériter
profeftus, Parmenionem interfici curât :
unde indignatio & feditio, qu» tandem exftinguitur.
M. Varios populos fub Jûgum mittit Alexaiîder,
ac ieptêmdecim diebus ciun exercita
Caucafum raperat.
'IV, BelTus de,bello adverstis Alexandram , inter
epulas 3 confultat, fapientique Cobaris confdio
minime adquielcit. Intérim rex Baôra
pervenit; ubi de graecoram defe^Hone , &
Satibarzane fingulari certamine ©ccifo , advenif
ei nuncius.
V. Exercitus Alexandri, fitî liberatus, Oxum
amnem induftriè trajicit. BelTus , dolo captus,
ad Alexandram adducitur, à quo &
Darii fratri Oxathii craci affigendus traditur.

QUINTE-CURCE,
LIVRE SEPTIÈME.
!• Alexandre ordonne la mort *ie Lyncefle* cour
pabk du crime de lèfe~ma)efté : puis u fait informer
contre Amyntas & Simmias, amis de
Philotas ; mais ils défendent leur innocence par
un difcours plein de vigueur*
II. Après qu Amyntas & fes frères font rentrés en
grâce, Poly damas, par ordre du roi, fe rend
promptement en Médie & fait mer Parménion :
ce qui caufe un fouUvement & - une mutinerie 9
qui eft enfin appaifée.
HL Alexandre Jubjugue différents peuples, &pa£e
en dix-fept jours le Caucafe avec fou armée.
IV. Bejfus , dans un fefl'm, délibère fur la guerre
contre Alexandre , & n'a garde d*aquiejcer au
fage confeU de Cobarès* Cependant Alexandre
arrive dans la BaBriane ; où il apprend la nou

4, LIBER FIL CAP. I.
VL Bârbaroram & macedonum benevolentiâ
varias expugnat urbes Alexander : fed &
, Alexandriam ad Tanaïm condit amnem, breviffimoqoe
temporis abfblvit fpatio.
VIL De bello fcyihis inferendo Alexander ,
seger ex vulnere , cum fuis init confilium.
Ariftander, vates , régis voluntati extorum
accommodât fignifîcata. Menedemus à Spitamêfie
per infidias, cum duobus peditum millibus
& trecentis equitibus, à dahis interficitur
; quod caJEdè admodum diffimulat Alexander.
VIII Dum exercitus ad beHnm accingitur J
fcytharam legad adyeniunt ac de pace prorsùs
egregîam ad Alexandram orationem habent.
IX Alexander, legatis dimiffis, Tanaïn trajicit
; bellum fcytnis infert, & cum viftis bénigne
agit.
'X. Sogcuanoram nobilium inviâus animus. Befli
fùppucium. Novo milite auôus Alexandri
exercitus.
'XL Petram, urbem ampliffimam, fitu naturaque
locï ferè inexpugnabilem, ad deditionem
cogit Alexander.
L MM ILOT AN fient,. Têcmâbus feekris 'ejus
vefiiffis y jure ajfe&um jupplicio cenjuerant milites;
ita , pojlquam défier aï ejfe quem odifient, iwidis
in mijericordiam vertit. Moverat & claritas
juvenis, & patris ejus feneBus aique orbhas : primas
Afiam aperuerat régi, emnium penculorum

LIVRE Fil. CHAP. I. 5
VI. L'affeÛion des barbares & des macédoniens fait
prendre différentes villes â Alexandre : il fonde
aujji Alexandrie fur le fleuve Tandis, & achève
cet ouvrage en tres-peu de temps.
VIL Alexandre, malade d'une blejfure , projette
avec les fiens de porter la guerre che^ les fcy~
thés. Le devin Ariftandre accommode aux intentions
du roi les prêfages des entrailles. Menédème,
furpris dans une embufcade par Spitamènes,
eji majfacripar les dahés , avec deux- '
mille hommes de pied & trois-cents chevaux ;
mais Alexandre diffimule adroitement cette défaite»
.VIII. Tandis que l'armée fe difpofe à la guerre, des
ambajfadeurs des"fcy'thés arrivent & adreffent
' à Alexandre un très-beau difcours fur la paix.
IX. Alexandre, après avoir congédié les ambaf
fadeurs, pajfe le Tandis ; il porte la guerre chc{
les fcy thés , & les traite avec bonté après la
viéloire.
X. Courage invincible de la Nobleffe fogdienne*
Supplice de Beffus. Surcroît de nouveues troupes
dans l'armée d'Alexandre.
XL Pétra , ville très-grande, que l s avantage & la
I . nature de fa fituation rendoit prefque imprenable
, eft forcée de fe rendre à Alexandre*
I. 1 HiiOTAS, lorfque les traces de fon crime
étoient encore récentes s avoit paru aux foldats digne
du fuppîice qu'il avoit fubi ; mais après la mort de
celui qui étoit l'objet de leur reflentiment, leur haine
lit place à la eompaffion. Ce qui les avoit touchés ,
c*étoit d'un côté la gleire du fils , & de l'autre la vieilleffe
du père & l'extinéHon de toute fa famille : i! étoit
d'ailleurs le premier qui eût ouvert FAfîe au roi, en
 iij

6 LIBER FIL CAP. L
ejus particeps ; femper akerum m acie cornu deftndtrat
; Philippo quoque ante omnes amicus , &
ipfi Ahxandro tant fidus , ut occidendi Atialum
non dio miniftro uû maUet. Rorum cogitaiio fi*—
bibat exercitum, fediûosaque voces referehantur
ad regem ; quibus ille haud fané motus, fatisque
prudens oui vida mgotio difcuû 9 tdicit ut omnes
in veflibulo regia prafio adjfbrent ; quos ubi fréquentes
adejfe cognovit, in concionem proceffit*
Haud dubiè ex compofito Apharias poftulare
€œpits ut Lymet fies-Akxamder, qui, multo ante
quant Phïïotas, regem voluijfet occidere , exhibe-*
retur : à duo bus indicibus, ficut fupra diximus ,
delatus, tertium jam annum euftodiebatur in vin-
€uiis ; eumdem in PhiUppi quoque cadem conju~
rajfe cum Pmfaniâ, pro comperto fuit : fed quia
primus Akxandrum regem falutaverat » fupplicio
magis quant crimini perat exemtus ; tum quoque
Antipatri , foceri ejus , preces jufiam régis iram
morabantur, Ceterum recruduit foporatus doior,
quippe veteris periculi memoriam pmfentis cura
renovabat. Igitur Alexander ex euftodiâ educitur i
juffusque dicere quant toto triennio meditatus erat
defenfiontm, hefitans & trepidus, pauca ex Us
qum compofuerat 'protulit ; ad ulûmum, non memoria
foium, fed etiam mens eum deftituit. NuUi
erat dubium qum trepidatio confcient'm indicium
effet, non memoria viûum ; itaque ex Us qui pro~
ximi adfliterant 9 obiuâamem adhuc obtwwm p
hncêis confoderunL
î. Cujtts c&rpore fublato, rex introdml jufpz.
Amyntam & Simmiam ; mm Poiemon , minimus

LIVRE VIL CMAP. L 7
partageant tous fes périls; il avoit toujours commandé
une des ailes dans les combats ; il avoit été auïfi le plus
cher confident de Philippe , & Alexandre même compîoit
fi fort fur fa fidélité, qu'il n'avoit voulu fe fervir que
de lui pour fe défaire d'Attalus. Le fou venir de tout
cela occupoit l'armée, & les propos féditieux qu'on y
tenoit revenoient au roi ; mais fans en être aucunement
inquiet, & fâchant affez que les écarts de l'oifiveté
m'ont plus de lieu dans f occupation, il convoqua une
affemblée générale à la porte du palais ; & quand il
la vit nombreufe , il y entra. Apharias , de concert fans
doute avec lui s débuta par demander qu'on repréfentât
£ynceftês-Alexandre , qui, long temps avant Philotas 9
avoit attenté à la vie du roi : ayant été dénoncé $ comme
Je l'aï dit ci-devant *f par deux accufateurs, il y avoit
déjà trois ans qu'il étoit détenu dans les fers ; il étoit
suffi avéré qu'il avoit trempé avec Paufanîas dans la conjuration
qui avoit fait périr Philippe : mais parce qu'il
étoit le premier qui eût falué Alexandre roi, on f avoit
plus tôt dérobé au fupplice que déchargé de Paccufation ;
& les prières d'Antipater » fon beau-père , fufpendoient
encore la jufte colère du roi. Mais fon reffentiment fe
réveilla , lorfque les inquiétudes du danger préfent lui
rappelèrent le fouvenir de celui qu'il avoit couru autrefois.
On tira donc Alexandre de fa prifon; & quand on
lui eut ordonné de déduire fes défenfes qu'il avoit méditées
pendant trois années entières, il héfita, il trembla,
& dit peu de chofe de ce qu'il avoit préparé; à la fin
il perdit & la mémoire & le jugement. Perfonne ne
doutoit que cet embarras ne vint des remords de fa
confcience, plus tôt que d'un défaut de mémoire ; de
forte que, tandis qu'il fefoit encore des efforts pour
fe rappeler ce qu'il avoit oublié, ceux qui étoient les
plus proches de lui le percèrent à coups de lances.
î. Après qu'on eut enlevé fon corps, le roi fit amener
Amyntas & Simmias ; car Polémon , le plus jeune
* C'était dans f un des deux prera, liv. qui font perdus.
A iv

8 LIMER FIL CAP. I.
ex fiatrièus, quum Phkhtan torqueri comperiffet »
profitgerat. Omnium PkUom amkorum hi carijjzmi
filtrants ad maffia & honorata minifteria itlius'
maxime fitffragatione produBi ; memmeratque rex
fummo fiudio ah eo conciliâtes fibi, mec duhitabat
hujus quoque ukimi confiai fiuiffe participes*
Igitur, ottm effe fibi fufpeBos matr'u fum litcrîs,
quibus effet admonitus ut ab his fidutem fiuam
tueretur : ceterum fie, mvitum détériora credeniem ,
nunc manifieftis indiciis viBum , jvffffè vinciri ;
mon pridie quant detegeretur Phïïom Jcelus quim
in fieereto cum ipfio fuiffent, non pojfe dubitarî ;
fiatrem ver® 9 qui profugerit 'quum Philotas torqueretur
, aperuiffe fugœ caufiam : nuper prmer
confuetudinem 9 ofRcii fpecie, amotis tongiks ceteris
, admoviffe jemetipfos lateri fiuo nullâproba-
Vûi caufâ ; fieque 3 mirantem quoi non vice fiua
tali fungerentur ojficio » & ipfiâ trepidationt eorum
perterritum , firenuè ad armigêros qui prox'mi fie~
quebantur recejfiffe : ad hoc accedere, qued, quum
Aniiphames 9 feriba equitum , Amyntœ, dmunciaffet
pridie quam PkUom fcdus deprehenfum effet,
mi ex fuis equis more fiolito daret ils qui amifif- •
fient fiuos, fuperbè refipondiffe , nifi incepto defifi
itret, brevi ficiturum quis ipfie effet : jam lingum
violentiam, temtritatemque verborum qua infemet-*
îpfium jacularentur , nihil aliud effe quam fcekfli
animi indicem ac tefiem : qum fi ver a ejfent%
idem meruiffe eos quod Phihtan ; fi fialfia , exigère
ipfium m repliant» Produéus deinde Asti*»

LIVRE VIL CMAP. L 9
des trois frères » avoit pris la fuite quand il avoit fu que
Philotas étoit à la qpeftion. Ils avoîent été fes plus chers
amis , & par fon crédit ils avoient obtenu des emplois
importants & honorables j le roi fe fouvenoiî de la
chaleur qu'il avoit mife à leur procurer fes bonnes
grâces s & il ne doutoit pas qu'ils n'euflent en revanche
été complices de cette dernière conjuration. 11 alléguoit
donc qu'ils lui étoient fufpeâs depuis long temps,
la mère l'ayant averti par lettres d'affûrer fa vie contre
leurs attentats : qu'au refte, naturellement porté à ne
pas croire le mal aifément, il ne venoit enfin de les
faire arrêter que fur les indices les plus manifeftes ;
qu'en effet il étoit certain que, Sa veille du jour où
Se crime de Philotas fut découvert, ils avoienî eu avec
lui un entretien fecret ; que d'un autre côté leur frère »
. ayant pris la faite pendant que Philotas étoit à la queftion,
avoit affez fait voir ce qui le fefoit fuir : que
quelque temps auparavant, fous préteste d'affection, ils
avoient, contre la coutume, écarté les autres & s'étoîent
attachés à fes côtés fans aucun motif apparent ;
& qu'étonné de les voir dans ces fondions hors de leur
tour, effrayé même de leur empreffement inquiet, il
s'étoiî jeté prômptement au milieu des gardes qui le
fuivoient de plus près : qu'il fallolt ajouter à cela, que
la veille du jour qu'on découvrit l'attentat de Philotas,
Antiphtnes s fecrétaire de la Cavalerie, ayant fait favoir
à Amyntas qu'il eût à fournir de fes chevaux , félon Fufage,
à ceux qui avoienî perdu les leurs, il avoit répondu
avec hauteur que, fi Antiphanes ne fe défiftolt de cette
prétention , il lui apprendroit bientôt à qui il avoit
affaire : qu'enfin leurs difcours violents, & l'indifcrétion
des propos qu'ils affectaient de tenir contre luimême
, ne pouvoient être que l'indice & le témoignage
d'une dlfpofition criminelle: que, û ces précomptions
étoient fondées, ils méritolent le même traitement
que Philotas; & II elles ne l'étaient pas, il voulait
qu'ils les détruififlciit» Là-deffus Antiphanes, ayant
A V

io LIBER FIL CAP. L
phanes, de eqms non tradiûs & adjeBis tuant
fuperèè mims indicat.
3. Tum Amyntas , faËâ dlcendi poteftate , Si
nîhilj inquît, intereft régis , peto ut, dura dico 9
vinculis libérer. Rex folvi utrumque jubet ; défideranùque
Amynm m habitus qmqm redderemr
armigeri, tanceam dari JuJpL Quam ut lava corn»
prehendit, evîtato eo bco in quo Alexandri corpus
pauloanie jacuerai, Qualifcumque , induit,
exitus nos manet, Rex ; confitemur profperam
eventum tibi debituros , triftiorem Fortunae imputaturos.
Sine praejudicio dïcimus caufàm »
liberis corporibus animisque 1 habitum etiam in
quo te comitari folemus reddidifti : caufam 9
non poffumus ; fortunam timere definemus.
Te qusefo, permittas mihi id primum defendere
quod à te ultimum objeétum eft Nos ,
Rex, fermonis adversùs majeftatem tuam habiti
nullius confcii fumus nobis : dicerem jam
pridem viciffe te invidiam, nifi periculum effet
ne alia, maligne diâa, crederes blandâ oratione
purgari. Ceteram , etiamfi milids toi, vel
in agmine deficientis & fatigati , Tel in
acie periclitantis , vel in taberaaculo aegri &
vulnera curantis , aliqua vox alperior effet
accepta ; meraeramus , fortibus fac*Hs, ut malles
ea tempori noftro imputare quam animo. Quum
quid accidit triftius, omnes rei font ; corporibus
noftris, quae utique non odimus, infeftas
admovemus manus ; parentes liberis , fi occurrant,
& ingrati & invifi finit : quum donis ho*
noramur, quum prsemiis onimi revertimur ;
qu'* ferre nos poteft î quis illam animoram

LIVRE FIL CHAP» 1. ït
été introduit, atîefta la vérité du refus des chevaux &
des menaces hautaines qui L'avoient accompagné.
3. Alors Amyntas, ayant eu permiffion de parler #
Si la chofe, dit-il, eft indifférente au roi Je le prie de me
frire ôier mes chaînes tandis que je parlerai» Le roi les leur
fit ôter à tous deux ; & Amyntas ayant encore demandé
qu'on lui rendît l'accoutrement de garde s il lui fit
donner une lance. Il la prit de la main gauche, & s'écartant
du lieu où le corps d'Alexandre venoit d'être vu,
Quelque fort qui nom attende , dit-il, nous avouons,
Seigneur, que, s'il efi heureux, nous vous en aurons
l'obligation , & s'il eft malheureux, nous ne l'imputerons
qu'à U Fortune. Vous ne kigeifur notre caufe aucun
préjuge, puifque vous mettei nos corps & nos ejprus en
liberté; vous nous avei mime remis dans Vétat où nous
avons coutume de vous accompagner: nous ne pouvons
nous défier de notre caufe , & nous m'en craindrons plus
h fuccès*
Trouvei bon, je vous prie, que notre apologie commencé
par votre dernière objection. Notre confeience, Seigneur,
ne nous reproche aucun difeours contraire au refpeB qui eft
dû à votre Majeftéije dkois qu'il y a long temps que vous
êtes m deffus de Venvie.fi je ne craignois de vous donner
Hem de penfer que je cherche à couvrir par des propos flatteurs
d'autres propos diâés par la malignité. Au refte,
quand o» aurait relevé quelque parole trop peu mefurée
échappée a vosfoldats, ou pendant la fatigue d'une marche,
&u dans le péril d'un combat, ou dans k temps d'une maladie
& dupanfement de leurs bleffures ; mus avions mérité,
par nos fermées, que vous imputajfiei cuu indl f
crétion aux conjonctures plus tôt qu'à nos difpofitions
réelles. Quand il arrive quelque événement fâcheux, tout
le monde devient criminel ; nous portons des mains violentes
fur nos propres corps, qu 9 ajfiirementnous'ne haïffons
pas; ks pères & mères mêmes, fi ks enfants ks
trouvent dans kur chemin, leur font défagréabks & odieux:
quand nous fommes honorés par des préfents , quand nous
revenons chargés de récompenfts ; qui peut durer avec nous ?
A yj

n LîBER. FIL CAP. 1.
alacrîtatem continere ? Militantium ntc aid*gnatio
nec laetitia môderaîa eft ; ad omnes rfieftus
impetu rapimur ; Yrtuperamus, laudatmis ,
fniferemur, iralcimur, otcumqoe praefees movir
affeâlo ; modo Indtam adiré & Oceanuf»
libet, modo conjugum & liberoram patrïaeque
memoria occurrït : fed fias cogitatfones 9 Ras
înter fe colloquentïum voces % fignum tuba da—».
tum finit ; ïn fuos ordines quisque currimus ; 6c
quidquid ïrarum in tabernaculo conceptum, eft r
in hoftium eflunditur capka. Utinam Philotas
quoque intra verba peccaffet l
Proinde ad id revertar propter quod ret fer—
mus. Amiciiiam qu« nobis cum Philotâ fait
adeo non inficior , ut expemTe quoque nos
magnosque ex eâ fractus percepilïe confîtearv
An vero Parmenionis , quem tibt proximum
effe voluifti, filium % omnes penè amicos tuos
dïgnatione vincentem » cultum à nobis effe mi -
raris ? Tu f Hercule ! fi verum audire vis, Rex 9
bujus nobis periculi caufa es ; quis enim alinseffeck,
ut ad Philotan deçurrerent qui placere
relient tibi ? ab illo tradïti, ad hune gradum
amieitia tua afeendimus ; is apud te fuît, cujus
gratiam expetere & iram timere poffemus. An
non propemodum in tua verba , tuï omnes f te
praeunte , juravimus eosdem nos înimicos amicosque
habkuros effe quos tu haberes ? hoc
facramento pietatis obftriôi, averfaremur fcilicet
quem tu omnibus praferebas ? Igitur fi hoc
crimen eft, tu pauebs innocentes habes , immo,
Hercule l nemtnem ; omnes enim Phiîota amici
effe yoluerant, fed tottdem quot volebant effe
non poterant : ita, fi à confciis amicos non

LIVRE FIL CHAP* 1. IJ
§mi peut modérer la joie que ces /accès jettent dam nos
cmurs ? Ni Vemportement ni Vallégreffe dufoldat ne con»
moijent aucune borne ; toutes les pajfions nous entraînent
avec violence ; nous nous livrons au blâme, à la louange 9
i la pitié, à la colère f au gré, de lapaffion qui nous do»
mine dans h moment ; tantôt nom nous fefons une fête
de gagner les Indes & l'Océan, tantôt nous ne penfins
fu'à nos femmes , à nos enfants , à notre patrie : mais toutes
ces penfées 9 tous ces propos, h fignal de la trompette y
met bientêt fin ; chacun de mous court prendre fin réagi
& tout ce qu'on awoit conçu de colère fous la tente 9vafi
décharger fur la tête de l'ennemi. Eh ! plut aux dieux qu€
Philotas n'eût eu à fi reprocher que des paroles !
Ceci me ramène au véritable chef de Vaccufition intenté*
contre nous. Loin de nier iamitié qui a été entre Philotas
& nous, j'avouerai au contraire que nous Pavons recher»
thée & que nous en avons tiré de grands avantages. Mais
trouvez-vous étrange que nous ayons fait notre cour mt
fih de Parménion, le premier homme de tÉtat après
vous, à un homme que vous honoriez de la faveur ls
plus dijUnguée} Certes , c'eji vous, Seigneur, fi vous
permettez qu'on vous difi la vérité, qui nous avez i eiê ^
dam ce péril; car quel autre que vous a fait courir à Phi-*
Votas ceux qui cherchoient à vous plaire ? c'efi pour vêus
avoir été préftntés de fi main , que nousfimmes parvenus
au grade que nous tenons de votre bienveillance ; ce qu'il
itoit auprès de vous pouvoit nous faire défirer fi faveur &
redouter'fa colère, Neft-ce pas en quelque firtê fur votre
parole t que tous tant que nous fimmes avons juré, qu'à
votre exemple 9 nous aurions les mêmes amis & les mimes
ennemis que vous ? Liés par un ferment fi ficré9 nom
ferions~nous déclarés contre un homme que vous préfériez
à tous les autres ? Si c'efi donc là un crime s vous trouverez
peu d'''innocents f je jure même que vous n'en trou*
verez point; car tous ont cherché â être des amis de
Philotas ; mais n'y réufiijfoit pas qui vouhit : ainfi, fi
tous m mutez point de dijfkcncc'entre fis complices &

14 LIBER VIL CAP. 1.
dtvidis, nec ab amicis quidem feparaMs îffo*
qui idem effe voluerant. .
Quod îgitur confcientise affertur indichun i
ut opinor 9 quia pridie familiariter & fine arl>I—
tris loquutus eft nobifcum. At ego purgare non
poffem, fi pridie quidquam ex vetere vitâ ac
more mutaflem : nunc vero, fi , ut omnibus
diebus, illo quoque qui fiifpeâus eft fecimus 9
confuetudo diîuet crimes.
Sed equos Antiphani non dedimus, & pridîe
c|uam Philotas detêôus eft haec mihi cum Andphane
res erat ! Qui fi nos fufpeclos facere vult »
quod illo die equos non dederimus ; {èmetipfiim 9
quod eos defideraverit, purgare non poterit : anceps
enim crimen eft inter retinentem & exigentem
: nifi quod melior eft caufa fiium non tradentis
5 quam pofcentis alienum. Ceterum , Rex,
equos decem habui, è quibus Antiphanes ofto
jam diftribuerat iis qui amiferant fiios ; omnino
duos ipfe habebam : quos quum vellet abducere
homo fuperbiffimus , certè iniquilîimus ; nifi pedes
mHitare vellem, retinere cogebar. Nec inficias
eo liberi hominis animo loquutum effe me
cum ignavîflimo, & hoc unum militiae fuse ufurante
ut alienos equos pugnaturis diftribuat ;
E
uc enim malorum ventum eft, ut yerba mea
eodem tempore & Alexandre escufem & Antiphani.
At , Hercule ! mater de nobis inimicis tuis
fcripfit ! Utinam pradentiùs effet folicita pro
filio , & non inanes quoque fpecies anxio animo
figuraret ! Quare enim non adfcribit metûs
fui caufam ; denique non oftendit auftorem,
cpio faûo diitove noftro mota tam trépidas

LIVRE FIL CM A P. I. iy
fes amis, vous n'en mettrc\ pas non plus enire fis ami*
& ceux qui ont difiri de l'être.- '
Quel efi donc l'indice qu'on allègue de noire complicité?
€ % eft9je penfe, que la veille il nous a entretenus familière*
ment & fans témoins. Je ne pourrois au contraire mejufti»
fier s fi ce jour-là j'avois changé quelque chofe à ma ma*
nière ordinaire & â mon ufage : au lieu que f fi nous n'a*
wons fait , le jour même qui efi fufpeB , que ce que nous fi*
fions tous les jours $ notre coutume fira notre juftification.
Mais nous n'avons pas donné de chevaux à Ântipha>*
mes , & cette difiujfiom efi prêcifêment de la veille dm
jour que Philotas fut découvert ! Je réponds que f fi An»
tiphanes prétend nous rendre fufpeâs , parce que c'efi
ce jour~ là que nous lui avons refufé dès chevaux j.
il ne pourra fi jufiifier lui - même de les avoir dtmanautrui.
Au reftet Seigneur, je n'ai jamais tu que dix chevaux »
dont Ansipkanes en avoit déjà difiribué huit à ceux qui
avoitnt perdu ks leurs ; il m'en reftoit donc que deux pour
moi : & cet homme voulant avec hauteur > ou du moins
avec la plus criante injuftice , me les enlever ; j'étois biem
forcé de les retenir, â moins de me réfoudre â faire mon fervice
à pied. Je ne nie pas que j'ai parlé avec la fermeté
d'un homme libre â un homme de la plus grande lâcheté,
quif pour tout firvice militaire, fi borne â l'emploi de
difiribuer les chevauxd f autrui â ceux qui doivent combattre;
car mon malheur me force â rendre en même temps raif&n rfr
mes difcours & fur Alexandre & fur Antiphanes,
Mais quelque chofi de plus grave ! la reine votre mère a
parlé de nous dans fis lettres comme de vos ennemis ! Plût
aux dieux qu'elle eut pour fin fils une follicitude plus éclat»
rée9 & qu'elle ne nourrit pas fis inquiétudes par de vai&çs
imaginations ! Car pourquoi n'articule-t-clle pas le motif
de fa crainte ; & n'indique t-elle pas fin auteur, ainfi que
k fait ou le propos qui Va engagée à vous écrire fur notre

i"6 LIBER*FIL CAP. Il
tibi litteras fcripfit ? O ! miferam condirioflern
meam , cui forfitan non periculofius eft tacere
quant dicere ! Sed utcumque ceiTura res eft,
: malo tibi defenfionem meam difpîicere quant
caufam. Agnofces autem quae diôurus mm :
i quippe meminifti , quum me ad perducendos
ex Macedoniâ milites mitteres, dixiffe te multos
integros juvenes in- domo tua matris abf
condi ; pracipifti ieitur mihi , ne quem prêter
te intuerer, fed detreôantes mîlidam perducerem
ad te : quod equidem feci, & liberiùs
quam expediebat mihi exfequutus fiim imperium
tuum ; Gorgian, Hecateum , & Gor-
atan, quorum bona ©péri uteris , inde per-
fa
uxi. Quid igitur iniquius eft , quam me, qui,
fi tibi non paraiflem, jure dateras foi pcenas,
nunc perire quia "parai ? neque enim ulla alla
matri tua perlequendi nos cauia eft, quam quod
utilitatem tuam muliebri praepofuimus gratia? ;
fex millia macedonum peditum & DC équités
adduxi, quorum pars fequntura me non erat,
fi militiam detreclantibus indulgere voluiflem.
Sequitur ergo ut, quia ilîa propter banc caufam
iralcitur nobis, tu mitigés matrem , qui ira ejus
nos obtulifti.
IL Dum hmc Amyntas agît, forte fupervenerunt
qui fratrem ejus Pokmonem f de quo ante
diBum eft, fugicntem confequuù , vin&um rtdutebant.
Infefta concio vix inhiberi potuh , qu'm
prdtinhs, fuo more , faxa m eum jacerei : atque
Uk, fane intemtus f Nihil, inqult, pro me deprecor,
modo ne fratrum innocentiae foga hn- '
putetur mea : haec fi defendi non poteft, meum
crimen fit ; horam ob id ipfum melior eft

LIVRE VIL CMAP. IL 17
mvmpte d'urne manière fi inquiète fO ! que mafaustiom tjf
éipî&rabU , puifqm je ne ri/que peut-être p&s plus à me
Maire qu'à parler ! Mais quelle qu'en pmffe être l'iffue, j'aime
wdeux vous déplaire en me défendant qu'en demeurant fif*
pect Fous rêconnoîtrei mifément la vérité de ce que je vas
dire : car vous vous rappek\fam doute que » quand vous
m'envoyâtes lever des troupes en Macédoine, vous me dites
que beaucoup de jeunes gens vigoureuse fe tenoient caché»
dans le palais de votre mère; vous m 9 ordonnâtes en confia
qumee de n'envifager que votre fervice s & de vous les
amener, quelque difficulté qu s ils fiffent de prendre le parti
des armes : je l'ai fait, & j'ai exécuté vos ordres avec
plus de rigueur qu'Une convenoit â mes intérêts ;je vous ai
amené de la Gorgias 9 Hécatée, Gorgatas f qui vous fervent
bien. Qu'y a-t-il donc déplusinjufie,puifque j'aumis mérité
d'être puni fi je ne vous euffe obéi, que de me faire périr
aujmrdhui pour l'avoir fait } car la reine votre mère n'a
aucune autre raifon de nous perfêcuter f que parce que nous
avons préféré votre fervice à fes bonnes grâces ; & que je
vous ai amené de Macédoine fix~mille hommes d'infanterie,
&fix-cmts chevaux, dont une partie ne m'auroit pas fuivi 9
fi j f euffe voulu écouter ceux qui fe refufoient au fervice» Il
s'enfuit donc t puifque c'eft M le motif qui irrite la reine
contre nous, que c'eft à vous à lui infpirer des éUfpofitions
plus favorables f puifque c'eft vous qui nous ave^ expofés à
fou reffmêimestm
IL Pendant qu'Amyntas fe défendoît aînfi , lî arriva
que ceux qui avolent atteint dans fa fuite fon frère t
Poiémon f dont on a fait mention ci-devant 9 îe ramenèrent
chargé de liens, L'affembiée s'anima fi fort,
qu'on eut peine à l'empêcher de lapider fur l'heure ce
malheureux félon îa coutume : & lui, fans s'effrayer , Je
ne demande point grâce pour moi, dît-il, pourvu qu'on ne
faffe point à mes frères un crime de ma, fuite : fi on la juge
mxcufable 9 que la faute n'en retombe que fur moi g leurcaufe

18 LIBER FIL CAP. IL
caufa, qood egojf qui profiigl, fulpeélns fini*.
Ai hœc eloquuto unlverfa concio affenfa eft : lacrima
de'mde omnibus manare caperunt, adeà in
comrarmm repense mutath , ut folum pro eo effet
quod maxime Utferat. Juvenis erat, primo mtatis
flore pubefcem 3 quem, huer équités tormentis
Philotm conturbatos , alienus terror abfttâerat ;
defertum eum à comitibus & kmjkantem huer revenendl
fugiendique confilium , qui fequuti erant
occupaverunt, Is tum flere capit & os fuum com»
verberare , maftus, non fuam vicem , ftd pmpter
ipfum periclitantium .fiatrum. Moveratque jam regem
, non concionem modo ; fed unus erat hnplacabilis
frater, qui 9 terribïli vultu intuens eum :
Tum, ait, démens, lacrimare debueras , quum
equo calcaria fubderes, fratram defertar & defêrtonim
cornes* Mifer l que* & unde fagiebas ?
Effecifti ut, reiis capkis , accufatoris uterer verbis.
Ilk , peccajfe /e, fed gravies m fratres quant
in femetipfum , fatebatun
5. Tum vero neque lacrïmis neque acclamant)*
nibus, quibus Jiudia fua multitudo profitetur , temperaverunt;
uns, vox erat pari emiffa cohfenfu ,
ut htfontibus & forûbus viris parceret : amici quoique
, data mifericordm occafione 9 confurgunt flentesque
regem deprecantur. Ilk , filentio faBo, Et
ipfe, inquit, Âmyntam meâ fèntendâ fratres»
que ejus abfolvo. Vos autem, Juvenes f malo
fcçneficii meï oblivifci quam.pericult Yeftri meminiffe
: eâdem fide redite in gratiam mecum %
quâ ipfe vobifeum ' revertor. Nifi qose delata
cfient oreuffiffem, valdè diilmuktio mea firf-

LIVRE VIL CMAP. IL 19
tfl d'autant plus favorable f qm ma faite m*a tmiu fuf>
pe3. L'affemblée applaudit à ce difcours : îous verfèrent
enfuite des larmes , les fentiments étant fi fort changés},
' qu'on n'expliquoit en fa faveur que ce qui d'abord
avoit le plus choqué. C'était un jeune homme, à la
fieur de fon âge , qui y au milieu des officiers de cava»
ierie épouvantés de la queftion de Phiîotas, s'étaient
biffé emporter par fa terreur des autres ; abandonné
enfuite par fes compagnons, tandis qu'il délibérait s'il
reviendrait fur fes pas ou s'il continueroit de fuir, ceux
qui le pôurfuivoïenî l'arrêtèrent. 11 fe mît alors à pieu*
rer, àfe frapper le vifage , profondément affligé, non de
fon propre fort, maïs de celui de fes frères que luimême
avoït jetés dans le péril. Déjà le roi lui-même 9
suffi bien que toute l'affemblée , étoit ému de compaffion
; mais il n'y eut d'inflexible que fon frère, qui s îe
regardant d'un air furieux s lui dit i Le moment de pleurer 9
infenfit éloit quand tu montas fi vivement à cheval, pour
abandonner tes frères &Jmwe ceux qui Us abandonnoient.
Malheureux ! ou aihit'tu ? d'où fayois - tu ? Tu m'as
réduit, q&oiqu'aecmfë d'un crime capital ^ a prendre moimême
le ton d'accufttew* Polémon avouoit qu'il avoit
manqué, mais plus à ce qu'il devoit à fes frères qu'à ce
qu'il fe devoit à lui-même.
5. Perfo-nne alors ne put retenir fes pleurs & fes
acclamations, par où la multitude fait connoître fes
affe&ioîîs ; ils demandèrent tous d'une voix, que le roî
Ht grâce à ces hommes également innocents & courageux:
les courtifans mêmes, profitant d'une conjoncture
fi favorable à la compaffion, fe levèrent & demandèrent
avec larmes cette grâce au prince. Celui-ci , ayant
fait faire filence, Cefl ûU£î mon avis, dit-il, de renvoyer
abfûuts Amyntas & fes frères* Pour vous, jeunes Guer~
riers, je dlfire que vous mettie\ en- oubli ta grâce que je
wmfds% plus têt que de conferver h fouvenir du danger
que vous ave\ couru : revene\ à moi avec autant de confiance
#ne je reviens à vous* Si je n*avois iclairei les rapports
su'on m % * avoit faits tma difjimulation amoitpu paroîtrefort

20 LIBER FIL CAP. IL
pefta effe potuiflet ; fed fatius eft purgatos elle
quam fufpeftos : cogitate neminem ablblvi
poffe nifi qui dixerit caufam. Tu, Amynta ,
ignofce firatri tuo ; erit hoc fimpliciter etiain
mihi reconciliati animi tui pignus. Concione
demie dimijfâ 3 Polydamanta vocarï jubet. Longe
acceptifflmus Parmenioni erat, proximus lateri in
acte ftare folitus : & quanquam confcienûâ fretus
m regiam venerat ; tamen ut juffiis efi fratres fu&s
exhibere , admodum juvenes & régi ignotos ob œta*»
iem , fiduciâ m folîcitudînem versa , trepidare
cœpit, fzpius qum nocere pojjcnt quam qu'eus
duderet reputans. Jam armigeri quibus imperatum
erat produxerant eos, quum êxfanguem metu Po~
lydamanta propius accedere jubet ; fubmotisque
omnibus, ocelere, inquity rarmenionis omnes
pariter appetiti fumus ; maxime ego ac tu , quos
amicitiae fpecie fefellit. Ad quem perfequendum
punïendumque, ( vide quantum fidei tuae
credam ) te miniftro u'ti ftatui : obfides, dum
hoc peragis , - erunt fratres tui. Proficifcere in
îîîediam, & ad praefe£los meos literas feriptas
manu met perfer. Velocitate opus eft , quâ
celeritatem famae antecedas : noàu pervenire .
illuc te volo , poftero die qua feripta erant
exfequi. Ad Parmenionem quoque epiftolas feres
•; unam à me , alteram Philotae nomine
feriptam : fignum anuli ejus in mei poteftate
eft ; fie pater credens à filio impreffum , quum
te viderit, nihil metuet.
6. Polydamas, tanto ' liberatus metu, impen*
fus ctiam quam txigebatur promkth opérant. Colhudatusque
& promiffs oneratus , depofitâ vefie
quam habebat, arabica induitur ; iuu arabes f

LIVRE FIL CM A p. IL ti
fufpecle i mais il vous efiplus Avantageux d'être juftifiés que
foupçonnés : fonge\ qu'on ne peut être déchargé qu'après
une procédure régulière. Et toi, Amyntas , pardonne â ton
frère ; je me demanderai que ce gage du retour de ton ajfec-don
pour moi. Ayant enfuite congédié Faffembîée , il fit
appeler Polydamas. Cétoit l'ami îe plus chéri et Parménion
f & dans Paétion il étoit ordinairement le plus
proche de Ca perfonne : quoiqu'il fût Tenu au palais fur
le témoignage de fa confcience ; cependant ayant reçu
©rdre de repréfenter fés frères , fi jeunes encore qu'ils
n'étoient point connus du roi $ il commença à s'inquiéter,
fe rappelant plus Couvent ce qui pou?oit lui nuire que
ce qui pouYoit le tirer d'affaire. Lorfque les gardes qui
«a a¥oient reçu Fordre les eurent amenés, Alexandre
fit approcher Polydamas à demi mort de peur; & après
a?oir renvoyé tout le monde, L f attentat de Parmérûon 9
M dit-il, porte également fur noms tous ; mais plus pafti*
cuUèremem fur vous & fur moi, puifqu 9 il nous a trompés
fous ombre d'amitié, C'eft pour en pourfuivre la vengeance
& le punir » ( voye\jufqu 9 oè va ma confiance en vous) que
j'ai réfih d'employer votre mimftère Ltant que durera cette
commiJfîoBf vos frères feront ici en otage. Parte\pourla
Médie , & porte\ à mes lieutenants des kttres écrites de
ma main. Il vous faut faire diligence f afin de prévenir
selle de la renommée-i mon intention efl que vous y
mmvie\ de muit 9 & que le lendemain vous exécutie\ les
ordres que vous trouvere\ écrits. Vous pomre\ aujfi des
lettres à Parménien 9 une de moi & une autre de la part de
PMlotas; j'ai h cachet defon anneau; le père croyant em.
conféqmemce qu'il aura été appofépar fom fils, me prendrai,
aucun ombragé quand il vous verra*
6. Polydamas f revenu d'une fi grande frayeur, fit des
promefles de fervice au delà,même de ce qu'on lui demaodoit.
Il fut comblé de louanges c% de promefles,puis
il quitta les habits pour prendre un habillement arabe ;
©a M é#amt , pou* raccompagner » deux arabes 3 dont y es

12 _ LIBER FIL CAP. IL
quorum intérim conjuges ac liberl, vinctdum fidei,
obfides apud rêgem erant 9 dan comités. Per deferta
etiam ob ficcitatem loca, camelis undecimâ
die quo deflinaverat pervemunt ; & prias quarn
ipfius nunciaretur adventus , mrsùs Polydamas
veflem macedonkam fumit , & in tabernaculum
Cteandri ( pmmr Me regius erat ) quarto, vigUiâ
pervertit* Redditk deinde literis 9 conftituerunt prima
luct ad Parmenionem coïre ; namque ceteris
quoque literas régis attulerat. Jam ad eum venturi
erant-, quumParmenioni Polydamanta venijfe
mmeiaverunt : qui , dum latatur adventu amici ,
Jtmulque nofeendi qum rex agent avidus ( quippe
longo intervallo nullam ab eo epiflolam acceperat),
Polydamanta requiri jubet* Diverfiria rcgmnis'
illius magnas recejfus habent , amoenosque
nemoribus manu confitis ; ea pmcipuè regum faêraparumque
voluptas erat. Spatiabatur in nemore
Parmenion, médius inter duces quibus erat imperatum
literis régis ut occidertnt ; agenda, autem
rei conflkuerant tempus , quum Parmenion à Polydamante
literas traditas légère capijfet.
7. Polydamas , procul veniens , ut a Parmenione
confpeBus vultu latitia fpeciem prafirente,
ad complecTendum eum cucurrk ; mutuaque gratu**
hthme junêi, Polydamas epiflolam ab rege fcrip~
tam ei traiiiiu Parmenion , vinculum epiflola
folvens, quidnam rex agent requirebat ; Me ex
ipfis literis cognkurum ejfe refpondit : quibus Parmenion
leffis, Rex, inquit, expeditionem parât
in arachofios : ftrenuum hominem & nunquam
cefiantem ! fed tempus faluti fuae, tantâ jam
parti gloriâ , parcere. Alteram deinde epiflolam,
Pbihm nomine feriptam-, Imtus $ quod ex

LIVR-E FIL CM A P. IL 2}
attendant, les femmes & les enfants relièrent près du roi
pour gage de leur fidélité. Malgré de vaftes déferts d'une
fècherefle horrible, des chameaux les portèrent en
onze jours à leur deftination ; & avant de donner avis de
fon arrivée, Polydamas reprit l'habit macédonien f & fe
rendit à la quatrième veille à la tente de Cîéandre, Fus
ées lieutenants du roi. Ayant alors remis les lettres dont
il étoit chargé, on réfolut de s'aflfembler au point du jour
chez Parménion, car il avoit auffî apporté des lettres du
prince aux autres officiers. Ils alloient s'y rendre, quand
on apprit à Parménioa la venue de Polydamas : charmé
de l'arrivée de fon ami, & empreffé d'apprendre des
nouvelles du roi, de qui il n'avoit eu aucune lettre
depuis long temps, iî fit chercher Polydamas. Dans ce
pays les maifons de pîaifance tiennent à de grands enclos
embellis par des plants d'arbres allignés ; c'étoit un des
principaux pîaîfirs des rois & des fatrapes. Parménion fe
promenoit dans ua de ces bois , au milieu des officiers
qui aroient reçu du roi Tordre de le tuer ; & ils en
avoient fixé l'exécution f au moment où il auroit commencé
la leâure des lettres qui lui feroïent remifes pat
Polydamas,
y. Celui-ci, «Tauffi loin qu'il apperçut Parménion dont
la joie éclatoit fur fon vifage, accourut pour fembrafler ;
& après les compliments réciproques f il lui donna la
lettre que le roi îuiavoit écrite. Tout en en rompant le
fceau, iî demanda ce que fefoit le roi ; & Polydamas lui
répondit qu'il alloit le favoir par fa lettre : après l'avoir
lue, Le fùi9 dit Parménion, fi prépare à une expédition,
tenue les orsckefiems :quel'cmmge ! quelle oBwhé-ï mais
il eft temps enfin 9 après avoir aquis tant de gloire, de
penfir à fi ménager. Il fe mit enfuïte à lire fa féconde
lettre f écrite de la part de Philotas , laquelle s à en jugée

14 LIBER FIL CAP. IL
vulm notari poterat, legebat:^ îum ejus lotus g^dlo
haunt Cleander9 demie juguium ferk; céleri
txanïmem quoque confediunt. Et armigeri , qui ad
Mhum nmoris afitérant, cognka cmde 9 cujus
caufa ignorabatur9 in cafira pervenlunt s & tumultuojb
mmcio milites couchant. Mi armati ad nemus
m quo perpetrala cmdes irai co'èunt ; & » ni
Pofydamas ceterique ejusdem noxa participes dedanmr,
murum àrcumdatum nemori everfuros de~
munc'um9 omniumque fanguine duci^ parentaturos.
Cleander primons eorum imromhti jubet, Iherasque
régis fcriptas ad milites rechat, qu'eus infidm
Parmemonis in regem precesque ut ipfum vutdicarent
conûnebantur : ighur cogmtâ régis volumtate,
non quldem indignatio , fid tamen fedk'w
comprejja eft. Dilapfa plurlbus 9 pauci remanfemut,
qui faltem ut corpus ipfius Jipdire permutèrent
precabantur : diu id negatum eft, Cleandri
metu ne .ojftnderet regem ; pertinaciùs deinde pre*>
cantibus, materiem confternationis fubtrahendam
ratus, capht decifo , truncum humart pemijk $
ad regem çaput mijfum eJL
8. Hic exilas Parmemonis fuit, mÏÏhîa inmïque
clari virl Mata fine rege, profperè ; rex
fineUk nUiil magna rei gtjfcrat : fiUciJpmo regi9
& omnia ad fortuna put exigerai modum, fathficu
: LXX natus armas ; juvems, ducis & frpe
tûam gregarig mllhis munm explevh : acer confdmt
mam ftremsus, carus prmcipéus , wdgo
..par

Ltruâ FIL CHAP. IL 15
|»r fan air, lui fefoit grand plaifir : ce fut alors que
Cléandre lui plongea fon épée dans le flanc, & lui porta
auflitôt un fécond coup à îa gorge; les autres le percèrent
même après fa mort. Cependant les gardes qui
étoient arrêtés à l'entrée du bois , ayant appris ce
metirtre, dont ils ignoroient la caufe, fe rendent an
camp, & y répandant tumultuairement cette nouvelle f
ils foulèvent l'efpritdes foîdats. Ceux-ci s'attroupent es
armes à l'entrée du bois où le meurtre s'étoit fait, de •
menacent, fi on ne leur livre Poîydamas & les autres
qui ont pris part au même attentat, de renverfer les
murs du parc # & de répandre indiftin&ement le fang
de tous pour venger leur Général. Cléandre fait entrer
leurs principaux officiers, & leur fait lefture de la
lettre du roi aux foîdats, dans laquelle il leur êxpofoït
la conjuration de Parménion contre fa perfonne , & lés
prioit de le venger : fi cette connoîflance de la volonté

26 LIBER FIL CAP. 111.
milltum acception Mac impukrint illum ad regnî
xupiditatem, an tantum fufpeBum fecerint, ambigi
potejl ; quia Philotas , uliîmîs crucîatibus
vi&us 9 verane dixerk quœ faÛa probarî non poterant,
an falfis wrmentorum petierh finem, rc
quoque recenii quum magis poffet liquere, dubîtatum
eft. Alexander 9 quos mortem Parmtnmnis
€onquefi&s ejfe compererat feparandos a cetera exerchu
ratus , in unam cohortem fecrevit ducemque
bis Leonidam dédit, & îpfum Parmenioni quondam
intima famïïîaritate conjunËum : ftrh îidem
erant quos aîioqui rex habuerat invifos. Nam
quum experiri vellet militum animos , admonuit »
qui literas in Macedoniam ad fuos fcripfiffet9 Us
quos ipfe mittebat perlaturis cum fide traderet :'
fimplîcUef ad neceffarîos fuos quisque fcripfêrat
-qum ftnûebat ; aliïs gravis erat, plerisque non
îngraîa militia : ita & agentium gratîas & querentium
Utero, excepta funt ; & qui forte tmdium
laboris per literas erant queftî , hanc feorsàm
cohortem à ceteris tendere ignominie caufâ jubet,
fortitudinê ufurus in bello, Ubertatem lîngum ab
auribus credulis remsturus. Et confilium s tenterarium
forfitan ( quippe fortijjimi juvenes coutumeim
hritati erant -) , fient omnia ~ alia , félicitas
régis excepit : nihil illis ad bella promtîus fuit ;
inckabat virtutem & ignommim demenda cupidot
& quia firtiora- faBa 'm paucis latere non poutant.
UL His îta compofiûs, Alexander* arianorum
fairape conjiituto , iter pronunciari jubet m agriaf*

Lir-RE VIL C'MAP. 111. 27'
agréable aux gens de guerre. Que ces chofes lui ayeat
ùfpiré renvte de régner, ou qu'elles Pen ayent feulement
fait foup-çonner., on peut douter de l'un comme
Je l'autre; pirifque, la ohofe étant encore récente &
pouvant être plus aifément éclaircle, il demeura dou*
teux fi Pkilotas , vaincu par îa violence des tourments,
•avoua des vérités dont il ne pouvoit y avoir aucune
-preuve de fait, ou s'il chercha par de faux aveux à faire
ceffer la torture. Alexandre, croyant devoir féparer du
refte de l'armée ceux qu'il fa voit avoir murmuré de k
mort de Parmémon, en fit un corps à part & leur donna
four chef Léonidas » qui autrefois avoit été lui-même '
an des plus intimes amis de ce Général : c'étaient à peu
près les mêmes envers qui le roi étoit déjà îndifpofé
•d'ailleurs. Car voulant un jour éprouver l'efprit des foldats»
il les fit avertir que , quiconque voudroit écrire
^aux (iens en Macédoine, peurroit avec confiance remettre
fes lettres à ceux qu'il y envoyoit lui-même :
-chacun ' avoit écrit fans détour à fes amis ce qu'il pen-
•foit; quelques-uns s'ennuyoient du fervice, la plupart
se s'y déplaifoient point : il intercepta par ce moyen les
lettres, & de ceux qui fe félicitaient de leur état, & de
ceux qui s'en plaignoient ; & ceux qui avoient eu le
malheur de marquer dans leurs lettres du «Jégoût pour les
fatigues de la guerre f il les fit camper dans un quartier
féparé pour les couvrir d'ignominie., réfolu de tirer
parti de leur bravoure dans foccafion, mais auffi de
dérober les oreilles trop crédules à la licence de leurs
difeours. Cette conduite, téméraire .peut-être, puifqu*
c'était outrager une Jeuneffe pleine de valeur, tourna ,
•comme tout le refte f à l'avantage du roi : pet(onue ne
montra plus d'intrépidité dans la guerre que ces braves
gens; ce qui animoit leur courage, c'étoitPenvie qu'ils
«voient d'effacer cette tache ignominieufe^ & la certitude
qu'étant en petit nombre leurs 'belles suions nt
pouvoient être ignorées.
IIL Les chefes aisfi réglées * Alexandre, iprèi avoir
donné un fatrape auxarians -, fit publier fa marche contre
B ij

'28 LIBER FIL CAP. 111.
pas , quos jam, tune mutato nomïtu, evergetas *
appellabant, ex quo frigore viBûsque penuriâ Cyri
exercitum affeBum teBis & commeatibus juverant.
Quintus dies erat ut in eam regionem pervenerat 3 m
cognofeit Satibar^anem , qui ad Beffum defecerat
, cum equitum manu irrupiffe rursus in arios :
itaque Caranum & Erigyium 3 cum Artaba^p 9
& Andronico, & fex millibus gracorum peditum,
DC équités fequebantur. Ipfe Lx ditbus geniem
evergetarum ordinavit , magna pecurùâ ob
egregiam in Cyrum fidem donatL ReliBo dein~
de, qui Us praeffet, Amenide ( feriba is Darii
fuerat ) 3 arachofios 9 quorum regio ad ponticum
mare pertinet, fubegit : ibi exercitum qui fié Parmenione
fuerat occupavit ; fex millia macedonum
erant, & CC nobiles 3 & quinque millia gracorum
cum equitibus ducentis, haud dubiè robur omnium
' virium régis : arachofiis datus Menon pmtor9 IV
millibus ptditum & uc equitibus in pmfidium
reliais.
10. Ipfe rex nationem , ne finitimis quidem
fatis notam, quippe mdh commêrc'm volentem
mutuos ufus , cum exercim intravit ; parapamifadae
appellantur , agrefle hominum genus &
ïnter barbaros maxime inconditum. Locorum afpe*
' ritas hominum quoque ingénia duraverat : gelidijjimum
Septentrionis axem ex magna parte fpec~
tant ; baBrianis ad Occidentem conjuncli funt ;
* Evtrgitm. eùepyéTIjç , beneficm ; du verte
ëyêpyêréù! » betuficio, corapofé de ev , bmt, & da
verbe èpydÇofÀotl $ fado f dérivé lui-même du nom
ipyop coptes. Au refte c'eft le mot par lequel les grecs

LIVRE FIL CHAP, III. 29
les agriafpes, dont on avoit alors changé le nom en
celui é'évergèiês, depuis que l'armée de Cyrus fouffrant
des rigueurs du froid & de la difette, ils lui avoient
offert des logements & des vivres. îl y avoit cinq jours
qu'il étoit arrivé dans ce pays , lorfqu'il apprit que Satibarzanes,
qui avoit pris le parti de Beffus, venoit de
faire , avec un corps de cavalerie, une nouvelle irruption
fur les arians : c'eft pourquoi il y envoya Caranus
& Érigyius, avec Artabaze, Andronique, & fix-mille
liommes d'infanterie grèque, fuivis de fix-cents chevaux.
De fon coté , il régla en foixante jours les affaires des
évergètes., & leur fit préfent d'une fomme confidérabîe
à caufe de leur fidélité diftinguée envers Cyrus. II leur
laifla pour gouverneur Aménides, qui avoit été fecrétaire
de Darius, & alla enfuite foumettre les arachofiens
, dont le pays touche à la mer pontique ; c'eft là
qu'il reçut l'armée qui avoit été aux ordres de Parme *•
Bion ; elle étoit compofée de ux-mîlle macédoniens , de
deux-cents hommes'de la plus haute naiffance , de cinq»
mille grecs avec deux-cents chevaux, & fefoit fans contredit
la force de toutes les troupes du roi : il donna le
gouvernement des arachofiens à Ménon, & lui laiffa en
garnifon quatre-mule hommes d'infanterie & fix-cents
chevaux.
10. Pour lui, il pénétra avec fon armée chez une
nation connue à peine de fes voifins, parce qu'elle ne voûtait
avoir avec eux aucun commerce d'échange ; c'eft la
nation qu'on appelle des parapamlfaits 9 nation agrefte,
& la plus fauvage des nations barbares. L'afpérité- des
lieux avoit encore contribué à îa rudefle du caraftère :
ils font, pour îa plus grande partie, expofés au froid
aigu du Septentrion; ils font bornés à l'Occident par la
traduifoient le nom perfan , qui, félon Hérodote ( 8.
gj. ) donnoient à ces peuples , dans le même feus 9 le
p©m à'Orûfîmges*
B ilj

30 LIBER VIL £AP. III.
mendiana regto ad mare mdkum vergit. Tugurîa
latere primo Jiruuni ; & quia fterUis efi terra materm
in nudo ttiam montis dorfo, ufque ad fum~
mum adificiorum fafligium eodem laterculo utunîur
: ceterum ftruBura, iatior ab ïmo ,, paulatïm
mcrementô operis in arBius cogitur, ad ultimum
in carines maxime modum coït £ ibi foramine re-~
UBo , fupernè lumen acàpiunt ad médium». Vues
& arbores, fi quœ. in tanto terra, rigore durarc
potuerunt* obruunt : penitus hieme defoffk latent £
quum , nive difcuffâ, aperiri -humus capit r cœlm
jfblique redduntun Ceterum adeb alm nives pre~
munt terram 9 geïk & perpétua pêne rigore conftriBm
y ut ne avium quidem fermée uïlius vefiï~
gium txfitu Obfcura cali veriàs umbra quam lux *
noBi fimilis , premii terram i vix ut qua propc
fimt confpici pojpnt».
- il* In hac tanta omnîs humant cuttûs folitu-
'Une deftitmus exercitus * qmdquid malomaitoUrark
pote fi permit, înopiam , fiigus , laffêud'mem • „
defperationem. Multos exanimavit rigor infolitus
nivis, multorum aduffitpedes, plunmorum oculis
fmcipuè pemkiabïlu fuit : fatigaîi quippe in ipfitgelu
defickntia corpora flernebant ; qum , quum
moveri defiffent, vis frïgorïs ita aflringebat ut rur-*
sus ad furgendum connid non poffent. A commi-
Btonibus torpentes excitabantur : neque aliud re»
médium irai, quam ut ingredi cogerentur ; mm
demum vitali adore moto, membris aliquis redibat
vigor. Si qui tuguria barbarorum adiré potue~
mnt, cekrker refeBi fitnt: fed tanta caligo erat9
ut adificia nuila alia res quam fumus oftenderet*
MU 3 nunquam ante in terris fuis advenâ vifo 9

LITRE FIL CHAP. 111. 31
BaAriane , & au Midi par la mer des Iodes, lis conûrui-»
Cent leurs cabanes avec des brique* crues ; & comme le
bois manque dans ce pays, même fur le haut des montagnes
, ils emploient la même brigue depuis le fondement
jufqu'au comble : au furplus leurs édifices , plus
larges par en bas, fe rétréchTent peu à peu en s'èle-»
Tant f & fe terminent enfin précifément comme îe fond
d'un vaiffeau ; ils y Saiffent un trou vers le milieu, par
ou ils reçoivent d'en haut la lumière* SI quelques ceps
de vigne ou quelques arbres ont pu tenir contre la
ligueur du climat f on les couvre de terre : enfouis ainfi
pendant Thtver, ils font entièrement cachés; lorfqu'â
la fonte des neiges la terre commence à fe découvrir, on
les remet au grand air &-au foleil. Du refte la terre y eft
chargée de tant de neiges, qui y font perpétuellement
glacées,qu'on n'y apperçoit pas le moindre veflige d'oi-feaux
ou de bêtes, Ceft plus véritablement, une ombre- .
©bfeure que la lumière, c'eft un jour femblabîe à la nuit
qui éclaire cette contrée; de forte qu'à peine peut-on
iiflinguer les objets les plus proches.
11. Dans cette folitude dépourvue de tout fecôurt
luroain f l'armée effuya tout ce qu'on peut fouffrir de
maux, la difette, le froid, la fatigue, le défefpoir. Un
grand nombre périrent par le froid extraordinaire de la
neige, plufieurs en eurent les pieds brûlés, elle fut furtout
pernicieufe à la vue de la multitude : car lorsqu'ils
étoient excédés de fatigue, la foibleffe les fefoit tomber
fur îa glace ; & ceffant une fois de fe mouvoir, la violence
du froid les engourdiffoit tellement qu'ils ne pou-
• oient plus faire aucun effort pour fe relever. Leurs camarades
les tiroient de cet engourdiffement : & il n'y
avoit point d'autre remède que de les contraindre de
marcher ; alors le mouvement ayant ranimé la chaleur
naturelle 9 leurs membres reprenoient qnelque vigueur.
Ceux qui purent atteindre les cabanes des barbares $
furent bientôt rétablis : mais Pobfcurité étoit fi grande,
qu'on n'appercevoiî les habitations qu'à la fumée. Ces
malheureux* qui n'avoieat jamais vu d'étrangers chez
B iv.

32 LIBER VIL CAP. IV.
quum armatos repente confpicerent, exanimati mttu »
quidquid in tuguriis erat afferebant, ut corporibus
ïpforum parceretur orantes. Rex agmen circumibat
pedes, jacentes quosdam erigens 9 & alias,
quum agrè fequerentur , adminiculo corporis fui
excipiens : nunc ad prima figna , nunc in médium*
mine in ukimo agmine, itineris multiplicato labore 9.
adtrau Tandem ad eultiora pervêntum loca eft *
commeatuque largo recreatus êxercitus ;. fimul 6*
qui confequï non potuerant, m illa caftra vene~
runt.
12. Inde agmen procejfit ad Caucafum monêem *
cujus dorjum Afiam perpetuo jugo dividit ; hinc
fimul mare quod Cûiciam fubit, Mine cafpium
fretum % & amnem Araxen,. attaque regionis Scy-
Ma deferta fpe&at : Taurus , fecundm magnitudi-
- mis mons x committiiur Caucafo ; a Cappadociâ fe
attolkns, Cîliciam pmterit Armeniaque montibus
jungitur* Skmter fe tôt juga veiut ferie cohœreruia
perpetuum habent dorfum, ex quo Afia omnia ferè
fium'ma, alia in rubrum, alia in cafpium mare-,
ait a-in hyreanum & ponticum decidunu Septemdecim
dierum fpatio Caucafum fuperavît êxercitus r rupes
in eo x in circumitu ftadia comple&itur, quatuor
in alutudinem excedit, in quâ vinBum Promethea
fuijfe Antïquitas tradiu Condenda in radicibus
montis urbi fedes ele&a eft ; Vil mittibus
feniorum macedonum, & pmter-ea inutilibus quorum
opéra un defiffet, permifium in. novam urbem
confidere : banc quoque Alexandrian* incohz ap>
ftllaverunu
' IV. At Sejfits, Alexandri cehritate perterritus,
dus patriis facrificio rite fa&o, ficut Ulk
genlibus mos eft9 mm amick ducibusque cop'mrum

LIVRE VIL CMAP.. IV. 35
eux, demi-morts de peur eo y voyant tout à coup des
gens armés , leur apportoient tout ce "qu'ils avoient dans
leurs cahutes , en Ses priant de ne point les maltraiter,
le roi parcouroit à pied toute l'armée, relevant quelques-uns
de ceux qui étoient couchés, & en foutenant
lui-même d'autres, lorfqu'iîs ivoienî peine à fuivre : il
fe portoit avec des peines infinies, tantôt à la tête,
tantôt au milieu , & tantôt à la queue. On arriva enfin
fur des terres plus* cultivées , & l'abondance des vivres
remit l'armée en bon état ; ce fut auffi à ce campement
^ue rejoignirent ceux qui n'avoient pu fuivre le gros du
même pas.
1 î. L'armée s'avança de là vers le mont Caucafe, dont
les Commets par une chaîne continue partagent l'Afie en
'deuxi d'un côté Ton voit la mer de Cilicie , & de l'autre
la mer Cafpienne , îe fleuve Ataxe, & le refte des défera
de la Scythie : le Taurus, montagne prefque auffi
grande, fe joint au Caucafe ; il s'élève de la Cappadoce,
traverfe la Cilicie, & fe réunit aux montagnes de l'Arménie.
Tant de montagnes comme enchaînées de fuite préfentent
alïifî une longue élévation non interrompue, d'où
partent prefque tous les fleuves de l'Afie , qui fe déchargent,
ceux-ci dans la mer rouge, ceux-là dans la mer
cafpier.ne, d'autres dans la mer d'Hyrcanie & de Pont.
En dix-fept jours l'armée paffa le Caucafe : c'eft là qu'eft
ce rocher de dix ftades de circuit & de plus de quatre de
hauteur, fur lequel l'Antiquité a cru que Prométhée
avoit été attaché. On choifit un emplacement pour y
bâtir une ville au pied de la montagne ; on permit de s'y
établir à fept-mille macédoniens des plus âgés, & en
outre aux invalides dont on ne tiroit plus de fervice :
cette ville reçut encore de fes habitants le_ nom
^Alexandrie,
W. Cependant Beffus, effrayé de la célérité d'Alexandre
, après avoir fait aux dieux du pays un facrifice
folemnel, félon Fufage de ces peuples, confulta-fur
B Y

|4 LIBER VIL CAP. IV.
imtr epuîas de belb confidtabat* Graves mero ,
fuas vires extollere, hofi'mm nunc temeritattm nunc
paucitatem Jpernere. Pmcipuè Beffus 9 firoxverbis %
& parto per fcelus regno% fuperbus , ac vlx potens
mentis, dicere, focordia Darii creviffe hofiium famam
; occurriffe enim m Cilicim angufiiffmis Jaucibus,
quum retrocedendo poffet perducere incauios in
ioca nature fim invia 9. tôt fluminièus ohje&is- r
tôt montium latebris 9 inter quas deprehenfus hoftis
ne fuga quidem 9 nedum refifiendi 9 occafionem
fuerit habiiurus ; Jibi placere in fogdianos rece~
dere ; Oxum amnem 9 velus murum 9 objeBurum
hofii, dum ex finiîimis gentibus valida auxilia conentrèrent
; venturos autem chorafmios 9 & dakas r
facasque9 & indos 9 & ultra Tanaïn amnem colentes.
fcytkas, quorum neminem adeo kumilem effè ut
humen ejus non poffent macedonis milkis verticem
mquare* Conclamant temulenti, unam kartc
fententiam falubrem tffe } & Beffus circumfirri
merum largiks jubit % debellatums fuper menfam
AUxandrum*
14. Erat in eo convivïo Cabans, aatîone me~
dus 9 fed magie m artis (/? modo* ors efi 9 non va~
niffmi cujusqme lud'érîum ) magis profiffone quam
feientim celeber 9 alioqum moderatus & probus. Isquum
prmfatus effet 9 feire fervo utiûus parère
SËo quam afferre confilium j. quum illos qui panant
idem qmd ceteros maneat ; qui veto Juaieant
9 proprium perieulum : poculum ei quoi ha~
bebat m manu tradidït* Quo accepte 9 Cobares f

LITRE VIL CHAP. IK 35cette
guerre fes amis & les chefs de fes troupes au
milieu de l'appareil d'un feftin. Echauffés par le ¥În, ils
fe mirent à exalter leurs farces » à parler avec mépris
tantôt de la témérité tantôt du petit nombre des ennemis.
Beffus furtouty brave en paroles, fier d'une couronne
aquife par un parricide, & ne pouvant plus fe
contenir, dïfoit que c'était à fa lâcheté de Darius* que
les ennemis dévoient les progrès de leur réputation ;
qu'en effet il étoit venu à la rencontre d'Alexandre dans
les gorges les plus étroites de îa Cilicte r au lieu de
_ l'attirer par une retraite , comme il le pouvait r dans des
endroits naturellement impraticables, coupés par tant de
fieuves, embarraffés par les détours fecrets de tant de
montagnes > où l'ennemi une fols engagé, loin de pou-
¥oir faire aucune réfîflance, n'auroit pas même trouvé le
moyen de fuir : que pour lui f il étoit d'avis de fe retirer
dans la Sogdiane ; qu'il oppoferoit ainfi à l'ennemi le
fleuve Oxus commeun mur, jufqu'à ce qu'il eut réuni
les fecours des nations voinnes ; 8c que de fait on alloît
Toir arriver les chorafmrens, les dahés t les faces,. le*
Indiens, & les fcythes d'au delà du- Tanaïs f dont le plus,
petit Tétait (i peu que le fbtnmet de îa tète d'un- foldat
macédonien ne lui allait pas aux épaules. Çans ï'ivreffe
tout le monde s'écrie r que voilà le feul parti- falutaire ;
& Beffus, pour achever fur fa table fa défaite d'Alexandre
, fait verfer du vin à la ronde avec une nouvelle
. abondance»
14. Il y avoiî à ce feftin un mède nommé Cobarës »
plus renommé par la profeflton qu'il fefoit de la Magie
que par fa fcience dans cet art ( fi toutefois c*eft un art,
& non un charlataeifiwe plein dlmpofture), homme
d'ailleurs racommandabîe par h conduite & par fa profeité.
Il commença par dire, qu'il favoit très-bien qui!
étoit plus expédient à un -ferriteur d'obéir que de
donner confeit; parce qu'en obéiffânt,. a ne court quela
fortune des autres ; & qu'en- donnant fon avis, il
s'expofe perfonaellement: & fur cela Beffus luipréfenta
la coupe qu'H tenoifr Cobarès la prit & ajout» : La co»~

36 LIBER VIL CAP. IV.
Natura , înqnit, mortalium hoc quoque nomme
prava & fimftra dici poteft, quod in fuo

LIVRE VIL CHAV. IV. 57
iiùon des hommes eft miférable & fâcheufe, fpéciaUment
eh ce que chacun d'eux voit moins clair dans fes propres
affaires que dans celles d'autrui. On voit trouble dans Jes
féfiluûons, quand on ne prend confeil qutr de foi-mime :
on € fi °ff M fl^ tante t par la crainte, tantôt parla cupidité9
quelquefois par F amour qu f il efi fi naturel d'avoir pour
fes propres ftntiments ; car je ne prétends pas vous imputer
une orgueilleufe préfompùon ; mais vous ave^ appris par
expérience, que chacun juge uniquement bon ce qui vient de lui
ou le croit du moins meilleur que tout le refle. La couronne
tfifur votre tête un pefant fardeau : il vous U faut porter
avec circonfpeBion ; ous ce dont le Ciel vous préferve , il
vous accablera. De la figeffe, point de précipitation, voilà
ce qui importe. Il ajouta enfui te, ce que les baclriens
difent en proverbe ; qu'un chien timide aboie plus qu'il
ne mord, & que ies fleuves les plus profonds font ceux
dont ie cours eft îe moins bruyant : citations que je
rapporte , pour donner quelques caractères de la fagefle
dont ces barbares étoient capables. Après avoir mis
par ces propos tous les convives en fufpens fur ce
qu'il aîloit dire, il ouvrit un avis plus utile pour Beflus
qu'il ne lui fut agréable : Vous ave\^ dit-il, à la porte
de votre palais un ennemi bien hfte : il fera mouvoir fort
armée plus aifément, que vous ne fere\ enlever cette table.
Vous parle\ maintenant défaire venir une armée des bords
du Tandis, & d f oppofer des rivières à fes armes : V'ennemi
ne peut-il donc pas vousfuivre partout ou vous fuire\ ? h
chemin eft ouvert pour l'un comme pour l'autre t mais c*eft
pour h vainqueur qu'il y a plus de sûreté'; quelque agilité
que vous penfie\ que donne la crainte, l'efpérance en donne
encore davantage. Que ne recherchez-vous les bonnes grâces
du plus puijfant ? que ne vous rendc^vous% étant ajfûré t
quoi qu f il arrive, qu'il vous fera, plus avantageux de
vous" foumettre que d'être fin ennemi ? Ceft le royaume
d'un autre que vous poffêde^, & il vous fera d'autant plus
facile d'y renoncer : peut-être eft-ce pour vous le moment de
devenir légitimement roi, quand vous aure\ reçu le feeptre
de celui qui peut vous h donner & VQU$ Voter, h vous donna

3» LIBER FIL CAP. IK
ConfiBum habes fidèle r quod diutiùs exlequï
fopervaciium eft : nabilis equus umbrâ quoque
vlrgae regitur; ignavus'ne calcari auidem conci—
tari poteft. ÈeJ/us , & ingenio &' mulm mer&
firox , adeà exarftt, ut vix ab- armas, quo mi"
nus occident eum % ( nom ftr'mxerat quoque acinacem
) contineretur ; certè h convivio profilivii
kaudquaquam potens mentis. Cobares , inter lumultum
etapfus , ad Ahxandrum transfugit.
15. OBo nullla BaËrïanorum habebat armata
Me/fus, qua s quamdiu propter cedi mtemperkm
Indiam potihs macedonas petituros crediderant ,
ebedienter imperdta ficerunt ; poftquam adventare
Alexandrum compertum eft , in Juos quisque vicosdilapfi,
Bejfum reiiquerunt* Mie , cum cÛentium
manu qui non mutaverant fidem Oxo amm fupe~
rato 9 txuftisque navigiis quibus tranfierat, m
iisdem hoft'u uttrttur, novas copias in fogdianis
€ontrahebat* Akxander Caucafum quidem , utfupm
di&um eft9 tranfierat ; fed inopiâ jrumenti prope al
famem ventum erat. Succo exfefama expreffo 9 hauà
fecus quant oho y artus perungebant ; fid hujus
fucci ducenis quadragenis denar'ûs amphom Jmgula
; meUis , denariïs* trecenis nomgenis ; trecenis
vini aftimabantur. Tritici nihil aut admodum exiguum
reperiebatur : firos vocabant barbari r quos
ita /alerter abfcondunt 9 m , nifi qui defoderunt p
invenire non poffint ; in Us conditœ fiuges eranu
In quarum penuriâ, milites fluviatili pifce &• herbis
fuftinebantur : jamque hac ipfa alimenta de-
* VAmphore étott ira vafe à deux arrfes, d'où vient
le nom d'Amphore , en grec àpqoçtùç îjtycofê de

LIVRE VIL CHAP. IV. 3?
m avis fiâUt, mais à Vexécution duquel il ne faut patfenfer
trop iardi un cheval généreux s'anime s, Vombremime
d'une baguette; un eheral ind&lent efi infenfibleè
Véperon mime. Eeffus P brutal par tempérament & pour
avoir trop bu, entra dans une colère fi bouillante , que
fes amis eurent peine à empêcher qu*il ne le tuât, car il
avoit déjà tiré fon cimeterre-; mais il fortit de table ne .fe
.po-ffédant plus. Cobarès s'échapa dans i'e tumulte, &
pafla dans îe camp d'Alexandre.
15. Befliis avok en. armes huit-mille baâriens , qui
exécutèrent fes ordres tant qu'ils crurent qu'à caufe de
fa rigueur du climat les macédoniens tourneraient phi*
tôt vers l'Inde ; mais ayant fu qu'Alexandre approchait „
Hs fe retirèrent infenfiblement 9 chacun dans fa bourgade
r & abandonnèrent Beffus. Pour lui » il paflà POxus
avec la poignée d'amis qui lui étoient reftés- fidèles r
brûla les batteaux qui lui avorent fervr à ce paflage de
peur qu'ils ne ferviffent auffi à l'ennemi, & fit de nouvelles
levées dans la Sogdiane. Alexandre avoit à ïa.
vérité paffé le Caucafe, comme je l'aï déjà dit ; maisle
manque de blé ironaçoit d'une famine prochaine.
On tiroit de la jugoîine ua fuc, qu'on» employoit
comme de l'huile à fe frotter le corps-j mais unr
amphore * de ce jus coûtait deux-cents quarante de»
siers ** ; celle de miel,, trois-cents quatre-vingt-dix ; fit
celle de via, trois-cents. On ne trouvoit que peu ou
point de froment : les barbares creufent desfoffes 9 qu'if»
appellent S ires t & qu'ils cachent fi adroitement r qu-'il n'y
a que ceux qui les ont faites qui- puiflfent les décauvrir ;
c'efl là qu'ils avoieat caché leurs- récoltes. Dans cette
difette, les foldats ne fe foutenoient qu'avec du poiflbî*
de rivière & des herbes 1 dé}» même, cette reffoutee
ifAtylOfeùç : RR* âpQÏ r utrînqut r & $£pu r f*rm
L'Amphore contenok environ 36 pintes de Paris.
** Le denier valait à peu près- huit fols de note*

40 LIBER VIL CAP. IF.
fecerant, quum jumenta qu'eus onera portabatu
cadere juffi funt ; korum carne, dum 'm ba&r'mnos
ptrvmtum , traxire vitam*
16. BaBrlanct terra multiplex & varia natura
efl. Alibi muha arbor & vit'is largos mitefque
fruBus ait; folum pingue crebri fontes rigant ;
quœ mitiora funt frumento conferuntur , cetera
armentorum pabulo cedunt. Magnam deinde partem
ejusdem terra fleriles arenm tenent ; fqualida
ficchate regio non hominem , non frugem alit :
quum vero vend a pontico mari fpirant , quidquid
fabuli in campis jacet convenant ; quod ubi
cumulatum efl, magnorum collium procul fpecies
efl, omniaque priflini hineris veftigia intereunt :
haque qui tranfeuni campos 9 naviganûum modo
noBu fidera obfervant , ad quorum curfum iter
dirigunt, & propemodum clarior efl noBis umbra
quum lux ; ergo intérim invia efl regio, quia
me veftigium quod fequantur inveniunt , & nitor
fidèrum caligine abfconditur : ceterum, fi quos iïïe
yent'us qui a mari exoritur deprehendit , arena
obruit, Sed qui mitior terra efl , ingens hominum
equorumaue multitudo gignitur. Ipfa BaBra, regionis
ejus caput, fita funt fub monte Paropami-
Jf : BaBms amnis praterit mania ; is urbi &
regwrâ dédit nomen._ Hic régi flativa habenti
nunciatur ex Gracia peloponnenfium laconumque
defeBio ; nondum enim viBi erant, quum proficis*
cerentur tumultus ejus • principia nunciaturu Et
alius prafins terror affertur, jcythas qui ultra Ta*
naïn amnem colunt adventare Bejfo ferentes opem.

LIVRE Vit. CHAP. IV. 41
leur manquoit» & ils eurent ordre de tuer les chevaux
qui portoient les bagages ; c'eft avec la chair de ces
animaux qu'ils vécurent jufqu'à leur arrivée dans îa
Ba&riane.
16. II y a dans cette province dès terroirs de bien des
natures différentes. En certains endroits, tout eft couvert
d'arbres & de vignes, qui portent en abondance des
fruits excellents ; un fol gras par lui-même y eft arrofé
par une infinité de fourcesi dans les terres les plus
légères on fème du froment, les autres fournirent du
pâturage aux beftiaux. D'un autre côté, une grande
partie du pays eft enfevelie fous des fables ftériles;
une horrible fècherefle rend ces lieux inhabitables &
inanités : quand les vents de îa mer du Pont viennent
à fouffler, ils bouleverfent tout le fable des plaines ; &
lorfqu'il eft amoncelé s il montre au loin comme de
grandes collines, & toutes les traces de l'ancienne route
difparoiCTent : suffi quand on traverfe ces plaines, on
©bferve la nuit, comme dans une navigation , le cours
des aftres pour diriger fa route , & l'on voit en quelque
forte mieux dans l'ombre de la nuit qu'à la fplendeur
du foleil ; cfou vient que de jour on n'y fauroit
voyager, parce qu'on n'y rencontre aucun veftige qu'on
puiffe fuivre, & que l'éclat des étoiles eft alors offufqué :
d'ailleurs, fi ce vent de îa mer furprend quelques voyageurs
j il les enfevelit dans le fable. Mais dans les contrées
plus fertiles, la population des hommes & des
chevaux y eft abondante. Baélres, capitale de la province
, eft fîtuéê au pied du mont Paropamifus : la rivière
de Baûre coule le long des murs ; & c'eft elle qui donne
fon nom i la ville & au pays. C'eft là que le roi f pendant
le féjour qu'il y fit, reçut delà Grèce la nouvelle de îa
révolte des péloponnéfîens & des îacédémoniens ; car
ils n'étoient pas encore vaincus; au départ de ceux
qui vinrent lui apprendre îes commencements de cette
émeute. Il reçut aufli l'avis d'un danger plus préfent,
favoir que les fcythes d'au delà du Tamis arrivoient au
fecoursde Beflus*

42 LIBER FIL CAP. IV.
17. Ëodem tempore , qua in genre arïorwm
Caranus & Erigyius gejferant perfiruntur. Com~
miffiim erat pralium inter macedones arïosque ;
iransfuga Satibar\ants harbaris praerat : qui ,
quum pugnam fêgnem mrimqm aquis viri&us Jiare
vidijfei , in primos ordines adequkavk, demtaque
galed, inhibkk qui tela jackbant, fi quis viritim
dimkare vellet provocavk ad pugnam r nudum fi
caput in certamine habkurum : non tulit ferocmm
Barbari dux exercitûs Erigyius , gravis quidem
atate 9 fed & animi & corporis robore nuui juvc~
ttum poflferendus ; is , gakd demtâ canithm ojtentans
, Venit, inquit, aies qiio 9 ant viâoriâ aut
morte honeiliffimâ , quales amicos & milites
Alexander habeat oftendam ; me plura eloquuius r
equum in hofiem egiL Crederes imperatum ut actes
utraque tela cohiberent : prot'mùs certè recejferunt
data libero fpaûo , intenti in evemum , non
duorum modo, fed etiam put finis , quippe alienum
diferimen fiquuturL Prior barbarus tmifit
haftam , quam Erigyius modicâ copias dccBnatione
vitavk : at ipfe infeflam farijfam, equo calcaribus
concito , in med'w barbari gutture ita fixk, ut per
tervicem emmeret ; pracipkatus ex equo barbarus
adhuc tamen repugnabat9fed ille extraéam exvulnere
kaftam rursits in os dirigit : Saàbar\anes , haftam
manu complexus, quo maturités intérim iBum
hoflis adjuvîL Et barbari, duce amiffb , quem
magis necejjïtate quam fponte fequuti erant', tune
haud immemores meriwrum Alexandri, arma Erh~
gyio tradunt* Rex, his quidem lattis , de fpartank
haudquaquam fecurus , magno tamen animo
defiéBomm eorum tulit * dicens non ante au fis

LIVRE FIL CM A p. IV. 45
17. Dans îe même temps il fut inftruit de la conduite
ée Caranus & d'Érigyius dans le pays de» arrans. Le
combat étoît engagé entre les macédoniens & les-arians ;
& îes barbares avoient à leur tête le transfuge Satibarlanes
: celui-ci, voyant qu'on ne s'anirooit point &
qu'on fe foutenoit de part & d'autre à forces égales %
courut à cheval aux premiers rangs >. ôta fon cafque » ÔC
fefaht ceffer de tirer , il offrit le duel à quiconque vouerait
l'accepter contre lui f avec promette de fe battre
tête nue : cette infolence du barbare piqua Érigyius p
qui commandoit l'armée macédonienne, homme déjà âgé t
mais en fait ée courage & de vigueur ne îe cédant à
aucun des plus jeunes ; iî ôta donc pareillement fon.
cafque r & fe fefant gloire de montrer fes cheveux blancs »
Voici, dit-il j h jour auquel, ou par la victoire eu par une
mon hmoraMe, je ferai vair quels font les hommes qu % Alexanire
honore de fa confiance &• dont il fi fert -r & fans e»
iire davantage , iî pouffa à l'ennemi. On auroit dit que
Tordre avoit été dorme aux deux armées de ne plus tirer ;
car elles fe retirèrent auflkôt pour laifter le champ libre r
uniquement attentives à un événement qui alîoit décider
du fort j îKMI des deux chefs feulement , ma£§xmêmê des
deux partis, qui dévoient partager leur fortune. Ce fut
le barbare qui le premier lança fon javelot, & Érigyius
l'évita en détournant un peu la tête : mais- piquant auffitôt
fon cheval % il enfonça fi vivement fa pique dans la
gorge du barbare, qu'elle lui fortit par le derrière da
cou; renverfé cïe fon cheval il ne laiflott pas de fe défendre
encore t mais le macédonien retira fa pique &
la lui enfonça dans le vifage : Satibarzane, pour
être plus tôt expédié , la faifit lui-même & féconda le
coup que lui portoit Ion ennemi» Les barbâtes, aprèsa?oir
perdu leur chef, qu'ils avaient fuivi par néceffîté
plus que par choix t n'ayant pas encore oublié l'es grandes
qualités d'Alexandre, rendirent les armes à Érigyius. Le
foi, dans la joie de ce fuccès, quoique les lacédémoniens
rinquiétaftent, fupporta néanmoins leur révolte avec
courage » & dit qu'ils n'avaient eu garde de faire con-

44 LIBER FIL CAP. F.
confilia mudare quam ipfum ad fines Ind'm pervemjje
copwviffent. Ipfe, Beffum perfequtns, copias
movit ; cm Erigyius fpolia barbari , ceu opimum
beïïi decus, pmfirens occurrk.^
V. Igittir baËrianorum regione Artaba^p ira-
'ikâ, farcinas & impedimenta ibi cum pmfidia
reliquk : ipfe, cum expedko agmine , hca déferla
fogdianorum inirai , noêurno kintre exercitum
ducens. j4quarum3 ut ante diBum efts penur'm ,
prias defperaùone quam dêfiderio bibendi, fitim
accendit : per cccc ftadia ne modicus quidem hur
mor exfiftk ; arenas vapor mfiivi folis accendit,
qum ubi fiagrare cœperunt, haud fecus quam contksenti
incendio cunBa torrentur ; caligo deinde 9
immodico terra fervore exckata , lucem tegit ;
çamporumque non alia quam vafli & profundi
œquoris fpecies efi, NoBumum iter tokrab'de videbatur,
quia rare & matutino frigore corpora leva"
bantur : ceterum cum ipsa luce aftus oritur , om»
nemque naturakm abforbet humorem ficcitas ; ora
vifceraque penitès uruntur. Itaqut primum animi,
deinde corpora deficere cœperunt ; pigebat & confiftere
& progredi Pauci, à peritis reg'wms admoniti
9 pmpararant aquam ; hac paùiifper reprejjît
fitim ; deinde, crefcente mftu , rursum defidtrium
humoris accenfum efi : ergo quidquid vinl oleique
irai, homimbus ingerebatur ; tantaque duicedô
bibendi fuit, m in pofierum fins won timeretur.
Graves deinde avide haufto humore, non fuftimre
arma , non ingredi poterant ; & feliciores vïie~*
bantur qum aqua defecerat, quum ipfi fine modo
mfufam vomitu cogerentur egcrcre*

LIVRE FIL CMAP. V. 45
nottre leurs deffelns avant qu'ils le fuffent engagé aux
extrémités de î'Inde. 11 mit enfuite fes troupes en mouvement
s pour achever de pourfuivre Beffus ; & Érigyius
vint au devant de lui s précédé des dépouilles du barbare f
comme d'un riche trophée.
V, Après avoir donc donné à Artabaze îe gouvernement
de la Baftriane, il y laiffa le bagage & tout l'attirail
avec une garnifon : pour lui, avec une armée légère
il entra dans les déferts de la Sogdiane, où il ne'mar*
choit que la nuit. La difette d'eau, dont j'ai déjà parlé,
allumoit la foif par le défefpoir de pouvoir la fatisfaire
plus tôt que par le défir réel de boire : dans l'efpace
de quatre-cents ftades il n'y a pas une goûte d'eau;
l'ardeur du foîeiî pendant l'été embrâfe les fables, &
alors tout eft brûlé comme fi ie feu avoit gagné de proche
en proche ; d'ailleurs un brouillard t qui fort des entrailles
trop ardentes de la terre, offufque la lumière ; & les campagnes
ne paroiffent autre chofe qu'une vafte & profonde
mer. La marche pendant la nuit y étoit tolérable, parce
que les corps trouvoient du foulagement dans la rofée
& dans la fraîcheur du matin : au relie la chaleur commence
avec îe jour, & la fèchereiTe confume bientôt
tout ce que la nature donne d'humidité j en forte qu'on
brûle au dehors & jufqu'au fond des entrailles. Tout
cela abattit d'abord le courage, & enfuite les forcest
aux foldats ; ils trouvoient également pénible de s'arrêter
& d'avancer. Quelques-uns, avertis par ceux qui
connoîiToîent le pays,. avoient fait provifion d'eau :
ce fut un petit foulagement contre la foif; mais la chaleur
croiffant encore t l'altération devint auffî plus
ardente : on leur livra donc tout ce qu'il y avoit de
mn & d'huile ; & ils eurent tant de - pîaifir à boire ,
qu'ils ne prirent aucun fouci de la foif i vetair. Appefantis
enfuite pour avoir bu avec trop d'avidité f ils ne
pouvoient plus ni porter leurs armes ni faire un pas en
avant ; & ceux qui avoient manqué d'eau paroiffoient
bien plus heureux , puifque les autres étoient contraints
de rejeter avec de pénible»- efforts celle qu'ils avoient
avalée avec excès»

46 LIBER VIL CAP. V.
- 19. Anxhm regem tamis maïis, circumfuji
mnici ut meminijfet fui orabant9 animïfui magnitudinem
unicum remedium deficknûs exercitus êffe;
^uum ex iis qui pmcejferant ad capiendum locum
cabris , duo occurrunt, utrihus aquam geflantes »
ut filiis fuis, quos in eodem agmine ejfe & agrè
pati fiùm non Imorabam, occurrerent. Qui quum
in regem incidiffènt, alter ex iis,, utre refoîuto ,
•vas qu&d fimul firebat implet, porrigtns régi z
Mie accipit ; percontatus quibus aquam portarent,
filiis ferre cognpfch ; tune poculo phno , ficut
eblatum efl, reddito, Nec foins, inquit 9 bifeere
luftirieo , nec tam exlgoum dividere omnibus
poffum : vos currite , & Hbêris veferis quod
propter illos attuliftis date. Tandem ad flumen
ûxum ipfe pervenit prima firè vtfpem ; fed exercitas
magna pars non potuerat confequi : in édité
mome ignés jubetfieri, ut H qui agrè fequebantur
àaud procul caflris fe abeffe cognofcertnt • ; eos
autem qui primi agminis erant , mature cibo ac
potione firmatos, implert alios utres , alios va fa
-quibufeumque aqua poffit portari » juffit, ac fuis
•opem ferre.. Sed qui intemperantius hauferant,
ïnttrclufo fpiritu, exflin&i Jfunt ; mulîoque major
korum numerus fuit quam ullo amiferat pmlia.
At ille , thoracem adhuc indutus nec aut cibo
refi&us autpotu3 quâ veniebat txercitus conJlitits
me ante ad curandum corpus receffit, quam pmterkram
qui agmen fequebantur ; totamqut eam
Moëemy cum magno ariimi motu, perpetuis vigilus
egit. Nec pofiero die latior erat9 quia nec
navigia habebat, nec pons erigi poterat, circum
€tmnem nudo folo & materm maxime fterilL Con-

LIVRE FIL CHAP. V. 47
i^Lescourtifans environnoient îe roit & le prioient9
dans l'affli&ion où le jetaient ces fâcheux contretemps s
de ne pas s'oublier lui-même, & de penfer qu'ii n'y
avoit que îa grandeur de fon courage qui pût fauver
fon armée dans cette déîreffe; îorfque deux de ceux
qui étaient allés en avant afin de reconnoîîre un polie
avantageux pour camper, revinrent chargés d'outrés
pleines cfeau, à îa rencontre de leurs fils, qui étaient
dans l'armée & qu'ils favoient expofés au tourment de
la foif. Ces gens s'étant trouvés près du roi, l'un d'eux
ouvrit fon outre , remplit un vafe qu'il portait suffi,
& le lui préfenta : le prince le prit; mais ayant demandé
à qui ils portaient cette 'eau, iî fut que c'était
à leurs fils ; alors leur rendant la coupe pleine, comme
«aîa lui avoit préfentée ; Je ne peux , dit-il « ni me ri~
foudre â boire fiul 9 ni partager fi peu de chofe entre tous ;
€omt\ donc donner à ros enfants ce que vous ave\ apporté
p&ur eux, 11 arriva enfin au fleuve Oxus vers le foir ;
mais une grande partie de Parmée n'avoit pu le fuivre :
il fit donc allumer des feux fur une montagne élevée f
pour faire connoitre à ceux qui avoient peine à fuivre
qu'ils n'étoient pas loin du camp ; & quant à ceux qui
éîoient de l'avant-garde, il leur ordonna de boire & de
manger promptement f de ' remplir enfuite «Teau des
outres & tous les autres vaiffeaux ou l'on pouvok en
, porter, & d'aller ainfi au fecours de leurs camarades.
Mais iî arriva que ceux qui burent fans difcrétion t
moururent d'étouffement ; & il en périt de cette manière
beaucoup plus qu'en aucune bataille. Cependant le
roi, toujours.revêtu de fa cuiraffe , fans boire ni manger,
Ce tint fur le chemin par oùvenoit l'armée, & ne fe
retira, pour prendre quelque rafraichiflement, qu'après
avoir vu arriver les traineurs ; & il paffa cette nuit dans
«ne grande agitation & fans fermer l'cil. Il ne fut pas
plus faîisfait îe lendemain s parce qu'il n'avoit ni batteaux
ai moyen de conftraîre un pont, les environs du fleuve
étant défertf & dénués principalement de bois. Il prit

4« LIBER FIL CAP. V.
filium igitur quod unum necefftas fubjecerat mit:
utres quam plurimos firamentis refertos dividit ;
his incubantes transnavere amnem , quique pr'mâ
tranfitrant in fkatione trant dum trajicerent ceteri:
hoc modo fexto demum die in ulteriore ripa totum
exercitum expo fuit.
20. Jamquê ad perfequendum Beffum flatturat
progredi, quum ea qum in fogdianis erant cognofciL
Spitamenes erat inter omnes amicos prœcipm
honore cultus à Beffo : fed nullis meritis perfidie
mitigari poteft ; quœ, tamen jam minus in eo inr
vifa effe poterat , quia nihil ulli nefaftum m
Beffum, interfeBorem régis fui, videbaîur: tint
lus facinoris fpeciofus pmferebatur, v'mdi&a Da*
rii ; fed fortunam, non fcelus , oderant BeJJi*
Nam ut Alexandrum flumen Oxum fuperajft
cognovit, Dataphernen & Catenen 3 quïbus a Bejfo
maxima fides habebatur, in focietatem rei adfâf
cit ; iUi promtms adeunt quam rogabantur, affumr
tisque oBo fonijfimis juvenibus, tdem dolum intendunt
: Spitamenes pergit ad Beffum 6», remous
arbitris, comperijfe aitfe, infidiari ei Datapher"
ntn & Catenen ; ut vivum Alexandro traderent
agitantes, à ftmtt occupatos effe & vinBos tentru
Beffus, tanto merito , ut credebat, obligatus ,
psrtim gratias agit9 par dm avidus explendi fup~
plicii adduci eos jubet, IUi, manibus fuâ fponte
nligaùs, à participibus confilii trahebantur ; quos
Beffus truci vultu intuens, confurgit, manibus
non temperaturus : at Mi 3 fimulatione omiffd $
circumfifiunt eum & frujîra repugnantem vinciuni9
• dîrepto ex capte regni infigni, laceratâque vefte
** donc

LIVRE VIL CMAP, F. 49
è&nc le feul parti que la néceflité avoir laiffé à fa difpolition
: il fit diftribuer un grand nombre d'outrés remplies
de paille ; les foldats traverfèrent le fleuve en
nageant fur ces peaux # & les premiers paffés fe formoient
en bataille pendant que les autres fuivoient :
de cette manière ii vint à bout de transporter en £m jours
toute fon armée fur l'autre rive.
20. Ii fe préparoit déjà à 'pourfuîvre Beffus, quand"
îî apprit ce qui fe paffoît dans la Sogdiane. Spitamènes
était, -de tous les amis de Beffus f celui qui en avoit
reçu les plus grandes diÛmûions : mais il n'y a point de
bieafaits capables d'apprivoifer la perfidie ; & l'on pou»
•oit toutefois dans cette occafion la juger moins ©dieufe#.
parce que perfonne ne îrouvoit rien d'illicite contre.
Beffus, meurtrier de fon propre roi : ce qu'on attentait,
contre lui fe couvroit du fpécieux prétexte de la vengeance
de Darius ; mais c'était la fortune-de Beffus., &•
non pas fon crime , qui le Cefoit "haïr. En effet dès -que
Spitamènes eut appris qu'Alexandre avoit paffê le fleuve
Oxus , fl s'affock Dataphernes & Catènes ; ceux-ci s'y
prêtèrent avec plus d'empreffement qu'ils n'en avoient
été priés t & s^unt affûrés de huit jeunes 'hommes des'
f lus vigoureux,, voici le ftratagême qu'ils préparèrent s
Spitamènes alla trouver Beffus, écarta tous les témoins *
& lui dit avoir découvert que Dataphernes & Catènes.
confpiroient contre lui ; &. que lerfqu'ils preaoient desmefures
pour le livrer vif à Alexandre, il les avoît
prévenus & faits prîfonniers. Beffus f pénétré d'une recoimoïffance
qu'il croyoit jufte, fe répandit d'une part
en aôions de grâces,' & cf autre part défirant avec paf-
€on de fe venger des traîtres par. leur fuppKce , il les*
fit amener. Ils avoient les mains liées à leur gré, & leurs
propres complices les conduifoient ; auffiîôt Beffus f
Jetant fur eux un regard furieux, fe leva dans tîntestion
4e fe faire juftice par fes propres mains i mais ceftant
alors de feindre r ils l'environnèrent, le lièrent
malgré 4a réliftance, lui arrachèrent le diadème,. &
mirent en pièces la robe dont il s'était revêtu après
Tome IL C

jo LIBER. FIL CAP. F.
quant fpolus occifi régis induerat, llle deés fé
fcéleris ukores adeffe confeffus, adjedt non Dario
iniques fuiffe , quem fie ulcifeerentur •; fed Akxandro
propitios , cujus viBoriam femper etiam
hoftis adjuviffeL Multitudo an vindicatura Bef
fum fuerit incenum eft, nifi Mi qui vinxerant,
juffu AUxamdri feciffe ipfos ementiû, dubios adkuc
mùmi temuffenu In equum impofiîum Alexandm
îradimri ducunt. Inter hac rex, qu'eus maiura
trot mijjio eleËis aongentis ferè9 equiû bina
talenta dédis , pediti tema denariûm miiiia ; mo~
nitosqm ut- lièeros generarent, remifit domum :
ceteris grat'm aBa, quod ad reliqua beUi navatur&s
operam pollicebdntur.
21. Perventum erat in parvuium , oppidum ,
branchida ejus incola, erant ; Mileto quondam ,
juffu Xerxis quum è Gracia redireè , tranfitrant
6* in eâfede conftiterant, quia templum quoi
Didymeon * appellatur in gratiam Xerxis violatirant*
Mores patrii nondum exolevemm ; fed
jam bilingues erant 9 paulaùm à domejiico extermoque
fermone dégénères : magno igitur gaudh
regem excipiunt, urbem feque dedentes. Ille mik~
fios qui apud ipfum militarent convocari jubet :
vêtus odium milefii gerebant in branchidarum gen*
tem ;proditis ergo , five injuria five originis meminiffe
mallent, liberum de branchidis permittit
srbkrium : varianûbus demie fententïu, feipfum
* Ce temple étoit eonlàcré à Apollon, furnonuaé
Didymc s du grec èiàuf&oç ( gtmmm ) : les païens,
feîon Macrobe t "défignolent aiafi les deux manières
êgat ce dieu éclairoit l'unirere, de jour par la lumière

LIVRE FIL CMAP. V. 51
es avoir dépouillé le feu roi. Il reconnut que c'était
une punition du Ciel, & ajouta que les dieux n'avoient
point été Indifpofés contre Darius, puifqu'ils le vengeoient
de cette manière ; mais qu'ils étaient bien favorables
à Alexandre, puifque fes ennemis mêmes avoienî
toujours contribué à fes vi&oires. On n'eft pas sûr quela
multitude n'eût pas pris la défenfe de Beffus, fi
ceux qui l'avoient arrêté , fefant accroire qu'ils ea
avoient reçu Tordre d'Alexandre, n'eufient jeté l'épouvante
dans les efprits encore flottants. Ils le mirent en
•effet fur un cheval, pour aller le remettre à ce prince.
Cependant le roi, ajant choifî environ neuf-cents
hommes qui étaient au terme de leur congé, leur accorda
une gratification, de deux talents pour chaque
cavalier, & de trois-mille deniers pour chaque fantaflin ;
il les ' renvoya chez eux, après les avoir exhortés à
donner des enfants à l'État ; il remercia les autres de
l'offre qu'ils avoient faite de fervir tout le refte de la
guerre.
21. On était arrivé à une petite ville, habitée par
les branchîdes. Ils étaient venus anciennement de .Milet
& s'étaient établis en cet endroit, par ordre de Xerxès
à fon retour de la Grèce, parce qu'ils avoient, en fa
faveur, profané le temple nommé Didymeoo. Ils n'avoient
pas encore oublié les moeurs de leur pays j mais
ils avoienî déjà deux patois, ayant un peu gâté & leur
ancien langage & le nouvel idiome étranger : ils reçurent
donc le roi avec joie & lui fournirent leur ville
& leurs personnes. Il convoqua à ce fujet les miléfîens
qui fervoient dans fon armée : ils avoient une haine
invétérée contre la race des branchîdes -, en conféquence
le roi laiffa à la difcrétion des offenfés de décider du
fort des branchîdes, ou à raifon de l'injure qu'ils ea
avoient reçue, ou par la confidération de leur origine
«llrêûe du foleil » & de nuit par la lumière réfléchie
de la lune. m
Cij

5t, LIBER VIL CAP.-V.
confideraturum quod optimum faBu effet ofleniit
Poftero die occurrenlibus, branchidas fecum procedert
jubet : quumque ad urbem ventum -effet,
ipfe cum expedkâ manu portam mirât ; phaianx
mmnia oppUi circumire juffà 9 & dato fimo £ripere
urbem proditorum receptacuium, ipjosque ai
unum cœdere. IWi înermes paffim trucidantur ;
nec s ont commercio l'mgum , aut fuppUcum vehmentis
preclbusque 3 inhiberi crudelitas pote fi. Tandem
ut dejkerent fundamenta murorum , ab imo
maliuntur, ne quod urbis vefiigium exftaret : nec
mora » lucos quoque facros non cmdunt modo, fed
ttum exfiirpant, ut vafta folitudo & fterilis humus,
excufiis etiam radicéus, linqueretun Qm
fi in ipfos proditionis au&ores txcogitata effent,
jufia uitio effe 3 non crudelitas vîderetur : mme
cuîpam majorum poÊerî luire , qui ne videront
.quidem MUetum , adeb Xerxi non potuerant pro*
âere*
22. Inde procejfit ad Tanam amnem , quo pet"
duBus efl Beffus , non vinBus modo , fed etiam .
*mni vtlamenm corporis fpoiiatus : Spitamenes
eum tenebat coUo infini catenâ 9 tant barbant
•quam mscedonibus p-atum fpeëacuhm* Tum Spitamenes
, Et te ? înquit, & Darium , reges
meos* ukus , interfeftorem domini fin addexi,
to modo captum cujus îpfe fecit exemptant.
Aperiat ad hoc fpeÛaculiim ©culos Darius !
exfiftat àb inferis , qui illo fupplkio indignus
&it & hoc folatio digmis eft ! Akxamder,
mukum collamdato Spitamene, converfus ad Bef
fmm, Cujus, inquk 9 fera rabies occupavit animum
tuum, quum regem de te optimè meritum
priiis vkcire, deinde occiiiere fiiftinuifti ?

LIVRE VIL CM A p. V. 55
.commune : les opinions s'étant alors partagées, ïi leur.lie
entendre qu'il aviferoit lui-même à ce qu'il y auroit de
mieux à faire. Les mlléfiems venant îe lendemain à fa
rencontre , il leur ordonna de le - fuivre chez les branchides
: arrivé près de la ville, il y entra avec une •
troupe choilie ; la phalange eut ordre dlnveftir les remparts
, &, au lignai qui feroît donné , de faccager ce
repaire de traitres & deîes maflacrèr tous jufqu'au der*
nier* Ces malheureux fans défenfe fiïrent égorgés partout
où ils fe trouvèrent ; il n'y eut ni communauté de
langage , ni fupplications f ni marques de deuil, ni
prières , qui puflent -arrêter le cours de cette barbarie.
Enfin on détruifit jufqu'aux fondements des murs, pour ne
laifler fubfîïler aucun veftige de ville : & tout de fuite t
non feulement on coupa, mais, on arracha les bois
facrésf afin qu'il ne reliât qu'une vafte folitude & un
fol ftérile où il ne fe trouverait même plus de racines*
Si toutes ces horreurs avoient été Imaginées contre les
auteurs de la trahifon, on auroit jugé que c'étoit
une juftê vengeance, & non une cruauté : mais alors
c'étoient les defeendants qui payoient pour leurs ancêtres
y & qui n'ayoient jamais vu la ville de. Milet
loin d'avoir été à portée de la livrer à Xerxès,
ai. Alexandre fe porta de là vers le Tanaïs , où fut
mené Beflus, non feulement lié, mais même abfof ornent
su : Spitamènes îe tenoit attaché avec une chaîne au
cou , fpeftacîe également agréable aux barbares & aux
macédoniens. Pour venger vous & Darius , mes rois, dit
alors Spitamènes, je vous ai amené ce meurtrier de fan
mdiêre, après l'avoir pris de la manière dont il a lui-*
même donné l'exemple* Puijfe Darius ouvrir ks ieux pour
'jouïr de ce Jpe&acle ! puijfe-z-il pour cela revenir des en- '
fers 9 lui fi peu digne d'une fin fi malheureufe, mais biem
digne de cette cmfolation ! Alexandre , après avoir comblé
Spitamènes d'éloges , fe tournant vers Beflus, Quelle
rage de bête féroce avois~tu dans le cœur, lui dit-il > quand
tu ojas premièrement enchainer un roi qui t f avqit comble
4( bienfaits , & V&ffaffinzt enfuite ? Mais tu t'es procuré
C iij

S4 LIBER FIL CAP. VL
Sed hiîjus parriridi! mercedem falfo régis nomïne
perfolvifti. Bi iik, facinus purgare non aufus
9 régis ûtulum fe ufurpare dixit ut gentem
fuam tradere îpfi poffit ; qui fi cejfaffit, almm
fuijfe regnum occupaturum. At Alexander Oxa,-*
thren, fratrem Darii, quem inter corporis cuftodes
habebat , propius jujfit accedere ; tradique
Bejfum ei , ut cruci affixum, mutiiatis auribus
naribusque , faghtis configerent barbari , afiervarentque
corpus ut ne aves quidem contingerent.
Oxathres cetera fibi cura fore pollicetur, aves
non ab aiio quam à Catene pojfe prohibera adjicït,
exîmiam ejus artem cupiens ofiendere : rmm~
que adeb certo i&u deftinata feriebat, ut aves quo~
que excipertt ; nam etfi forfitan faghtandi tam
celebri ufu miniis admirabilh videri kmc ars pof>
fit, tamen ingens vifentibus miracuium magnoque
honori Catenï fuit. Doua demie omnibus qui Bes~
fum adduxerant data funt : ceterum fupplicîum
ejus dîfluik, ut eo bco m quo Darium ipfe occidirai
necaretur.
VL ' Interea macedones , ad petendum pabuhm
mcompofito agmine egrefiî, a barbaris qui de proximis
montibus decurrerunt opprimuntur, plures*
que capti funt quam occifi : barbari autem , capth
' vos prm fe agentes , rursùs in montem rectjferunt;
XX miUm iatronum erant ; fundis fagittisque pw*
gnam invadunt. Qmos dum obfidet rex , inter promtijfimos
dimicans , fagittd Mus eji, qua in média
crure fixa reliquerat jpiculum. luum quidem mœfii
& attoniti macedones in caflra referebant ; Jed
nec barbaros fefellit fubduÊus ex acie rex , quippe
ex edito 'monte cun&a profpexerant : itaque poflero
die misère legatos ad regem , quos iik prothés

LIVRE VIL CM A p. Vh 55
toi-même le prix de ce parricide en ufurpant famffement h
titre de mi. Sur cela Beffus, n'ofant fe difcuîper de cet
attentat, répondit qu'il avoit pris le titre de roi afin
de pouvoir lui remettre à lui-même fa nation ; & que, s'il*
ne l'eût fait, un autre fe feroit emparé de la couronne»
Cependant Alexandre fit approcher Oxathrès, frère de'
Darius , qui fervoit dans fes gardes ; & lui remit Beffus p
pour le faire mettre en croix, lui faire couper les
oreilles & le nez, &* le faire enfin tuer à coups de
flèches par les barbares, qui garderoient fi bien fott
corps que les oifeaux mêmes n'en puffent approcher.
Oxathrès promit de fe charger de tout le refte, mais il
ajouta que perfonne ne pouvoit écarter plus fûrement
les oifeaux que Catenes , dont il vouloit par là faire
connoitre fadreffe : en effet il frapoit au but avec tant
fie jufêeffe,, qu'il perçoit même les oifeaux au vol; car
quoique, l'ufage de tirer de Tare étant devenu fi commun ,
cet art paroiffe peut-être aujourd'hï moins admirable, il
me laifîoitpas de paroltre alors une efpèce de prodige
à ceux qui en étoient témoins, & il fit beaucoup d'honneur
à Catenes. Après cela on diftribua des préfents à
tous ceux qui avoient amené Beffus : du relie on différa
fon ftappiiee, afin de le faire mourir au même lieu où
Il avoit tué Darius.
VL Cependant les macédoniens, s'étant écartés en
défordre pour fourrager, furent chargés par des barbares
defeendus des montagnes voifines, & il y en eut
plus de pris que de tués : les ennemis , fefant marcher
leurs prifonniers devant eux, regagnèrent la montagne |
Ils étoient au nombre de vingt-mille ; & ces brigands
combattent avec la fronde & avec des flèches. Le roi
les inveftit* & comme il combattoit parmi les plu»'
avancés, il fut bleffé à la jambe d'une flèche qui y laiflâi
fa pointe. Les macédoniens confternés & affligés le
reportèrent au camp à la vérité ; mais les barbares ne
s'y trompèreat point, parce que du haut de la montagne
ils avoient obfervé tout ce qui fe paffoit en bas s
jtts-enroyèrent donc le leademain des députés au roi, qui
C iv

56 LIBER FIL CAP. FI.
juffit admkû ; fohàsque fafciis magnitudmem
vulneris diffimuhns, crus barbaris oftendit* IMi 9
jujji confidire , affirmant non macedonas quam
ipfos fiujfe triftwres cognito vuhere ipfius ; cujms
fi auBorem rtperijfent, iedhuros fuifft ; cum dus
mîm pumare facritegos tantum : cettrum fe genttm
infidem dedère, fuptratos -virtute illius. Rex %
fide data & capùvis rtctpûs % gentem m dedïtî&~
mem accepit*.
%4. Cafiris înle mous , leBicâ militari fereBaiur,
quam pro fe quisque , eques pedesque , fubire
ttrtabant : équités 9 cum quibus rex praUa mire
foiïtus erat, fui muneris id ejfe cenfebant ; pedites
contra , qmum faucios commUitênes ipfi geftare
étffueviffhnt 9 eripi fibi proprium. -officium tum po~
tijfimum quum rex gefiandus effet querebantur. Rex,
m tanto utriusque partis certamine, & fibi dijfici-»
km & prMeritis gravem ekBiomm fuiuram ratus ,
îrwicem fubire eos juffit. Hinc quarto die aê
mrbem Maracanda perventum eft] ; zxx' fladia
. murus urb'u ampleBitur*. arx nuilo cinghur muroz
. prafidio urbi reliBo % proximos vicos depopulatut
atque mit, Legati demie abiorum fcytharum Juper~
veniunt, liberi ex quo decefièrat Cyrus p tum, imperata
faBuri : jufîijfîmos barbarorum conftabat ;
srmis abfiinebant, nifi laceffiti ; libertath 'medico*
& aquali ufu p pr'mcipibus humiliores pares fecerunt.
Hos bénigne albquutus, ai eos fcythas qui
Muropam incolunt Penidam quemdam mifit ex
amicis, qui demmeiaret eis ne • Tanatn x amnem
regionis, injuffu régis tranfirent ; eidem manda"
tum , ut contemplaretur tocorum fitum, & Moi
quoque fcythas qui fuper B'ofphoro incolunt
ri/èret.

LIVRE VIL CM A p. VI. 57
lis ftfrentrer fur le champ ; & fefant enlever Fappareil de
fa plaie, pour leur en cacher le danger, il leur fit ¥dlr,
fa jambe. Quand il les eut fait affeoir, ils Faflurèrent
que les macédoniens n'avoient pas été plus touché*
qu'eus lorfqu'ils furent qu'il éfoit Meffé \ que s'ils ea
«voient pu connoitre Fauteur f ils le lui auroienî livré ;
k qu'il n'appartient qu'à des facrilèges de combattre
contre les dieux : qu'au relie ils remettaient leur nation
à fa difcrétion, s'avouant vaincus par fa valeur. Le roi
leur donna fa foi, retira fes prifonràers, & reçut tout
ce peuple à fon obéiffance.
24. Quand il eut décampé, on le mît fur un brancard
, que chacun à l'envi,' cavalier & fantaffin, vouloit
porter : les cavaliers pkwec qui il avoit coutume de
combattre, prétendoient que c'étoit un attribut de leur
état ; les fantaffins de leur côté, étant dans Fufage de
porter leurs.camarades bleffés, fe plaignoient que, précifément
quand il fallait porter le roi, on les privoit cf une
fonftion qui leur apartenoit en propre. Le prince, dans
Me contêftation fi vive, jugeant qu'un choix Fembarraf-.
feroit& feroit de la peine à ceux dont il ne fe ferviroit
pas, décida que les uns & les autres le porteraient tour
à tour. On arriva de là en quatre jours à la ville de Maracande
; l'enceinte de fes murailles eft de foixante &
dix ftades, mais la citadelle n'eft point fermée de murs :
après avoir laiflfé une garnifon dans la ville > il ravagea &
brûla les bourgades voifines. il arriva enfuite une am-
-baflâde des fcythes abiens, qui, libres depuis la mort de
Cyros, venoient fe foumettre à l'empire du vainqueur :
ils étoient reconnus pour les plus juftes des barbares;
ils ne prenoient les armes , que quand on les attaquoit;
Fufage modéré & équitable qu'ils fefoient de la liberté s
avoit égalé les moindres d'entre eux aux chefs. Le roi,
les ayant traités avec bonté, envoya Pénidas, Fun.de
fes courtifans, fignifier aux fcythes d'Europe de ne point
paner fans fes ordres le Tanaïs, fleuve^du pays ; il le
chargea auffi d'obferver la utuation des lieux,, & de re~
co/moitre pareillement ces autres fcythes qui habitent
futow du Bofphore, C v

j8" -LIBER FIL CAP. FL
2,5. Condendm urbis*'fedem fuper rîpam Tanatf
ikgerat, claujimm & jam perdomitorum fi* quos
dêïnde adiré decrevcrat. Sed conplîum diftulii fogdianorum
mmeiata defeBio$ qum baBrianos qtmque
traxh ; vu miiiia equimm tram ,^quorum auBo~
ritatcm ceteri fequebantm. Alexander Spitamenem
& Catenen , à quibus ei tradims erat Beffus »
haud dubius quin eorum opéra redigi poffent m
potefiatem[coërcendo eos qui novaverant res, jujjit
àccerfiri, At illi, defeBioms ad quam coërcendam
evocabantur auBores, vulgaverant famam, ba&rianos
équités À rege omnes ut- occiderentur àccerfiri »
ïdque • imperatumipfis ; non fuftinuijfe tamen exfequi,
ne mexpiabile in populares fac'mus admkte*
rent ; non magis Alexandri fstvitiam quam Bejfi
parficidium ferre potuifiè : itaque fuâ [ponte jam
motos , me tu pmna haud difficuiter comitaveruM
ad arma. AUxander, ironsfugarum defeBione cornperte,
Cratemm obfidere Cyropolim jubet : îpfe
édiam urbem regionb ejusdem coronâ tapit ; fignûque
ut pubères interficerentur dato , reiiqui in pra-*
dam cejpre viBoris. ; urbs diruta eft , ut ceteri
cladis exempio continerentur. Memaceni, valida
gens , obfiÂonem , non ut honeftiorem modo fed
etiam ut îutiorem, ferre decreverant : ad quorum
pertinaciam mitigandam rex L équités pramifit ,
qui clemenûam ipfius in deditos fimulque inexorar
biltm animum in deviBos oftenderent; illi nec de
fide nec de pottnttâ régis ipfos dubitare refpohr

LTVRE Vit. CHAP. VI. tf
aj. Il'avoit cnoifi un emplacement fur îe bord du
Tanaïs pour y bâtir une ville , qui tiendroit en refpeél
les peuples déjà vaincus &, ceux qu'il fe propofoit
encore d'attaquer. Mais l'exécution de ce projet fut di£«*
férée par la nouvelle de la révolte des fogdiens, qui entraîna
aufli celle des ba&riens ; ils étoient fept-millo
hommes de cheval, dont les autres fuivoient l'étendard.
Alexandre manda Spitamènes & Catènes, qui lui
avoient livré Beffus , ne doutant pas que par leur moyen
on ne pût établir entièrement fa puiflance en réprimant
ceux qui avoient voulu innover. Maïs c'étoient euxmêmes
, qui, étant les auteurs de la révolte qu'on les
chargeoit d'appaifer, avoient fait courir le bruit que le
roi fefoit venir toute îa cavalerie baôrienne pour la
tailler es pièces , & qu'ils en avoient eu la commiffion ;
que néanmoins ils n'avoientpu fe réfoudre à l'exécuter,
pour ne' pas fe rendre coupables envers leurs compatriotes
d'un crime impardonnable ; qu'ils n'avoienî pas
•vu avec moins d'horreur la barbarie d'Alexandre que le
parricide de Beffus : cette crainte, infpirée à des gens
déjà difpofés par eux-mêmes à la (édition, les porta
aifément à prendre les armes. Alexandre, Inftruit de la
trahifon des transfuges, chargea Cratère de faire le liège
de Çyropolis : & il alla de fon côté Invertir une autre
ville de la même contrée, qu'il prit ; après qu'il
eut fait tuer à un certain 'lignai tous ceux qui étoient
en état de porter les armes, le relié fut la proie du
vainqueur ; il fit rafer la ville, pour contenir les autres
par cet exemple de févérité. Les mémacéniens, peuple
puiflfant, avoient réfolu de foutenïr le liège, regardant
ce parti non feulement comme le plus honorable, mais
encore comme le plus sûr : mais pour leur faire rabattre
quelque chofe de leur obilination, le roi commença par
leur envoyer cinquante cavaliers, chargés de leur faire
connoltre fa clémence envers ceux qui fe rendoient, &
en même temps fa rigueur inexorable à l'égard de ceux
qu'il foumettoit par la force; ils répondirent qu'ils ne
dôutoient ni de la bonne foi ni du pouvoir du.roi, & ils
. C vj

6o LIMER FIL CAP. VI.
dent, equkesque tendere extra munïmemm urbîs
jubent ; hojpitaliter deinde exceptas gravesquc
tpulis & fomno , intempejid noEk adora, interfe-
€eruni.
26. Alexander, kaudfecus quam par emt moins r
urbem corona circumdedu 9 mwâtïortm quam ut primo
impetu capipoffet : haqm Mekagrum & Perdiceau
in objîdione * [ ejus retinqvk; ipfe3 cum reli—
quss projmus, Crattrï quoque copias fuis J jungit %
Cyropoïim, Etante dïkum efl9 ohfidentes. Statuerat
autem parcere urbî condim a Cyro 1 quippe.
non alium gentium iUarum magis admïratus efl quam
•âunc regem & Senâramin , in quibus & magnkudmem
ëfumi & claritatem rerum longé emicuijfe créditât
: cettrum pertmac'm. oppidamorum ejus iram
accendii ; itaque captam urbem diripere juffit dekilos,
macedones , haud injuria- infifios, & ad
Mdeagrum & Perdiccan redit. Sed non: alia urbs
fortius obfidionem tulit ? quippe & milîtum. promthffimh
cecidêre , &• ipfé rex ai ultïmum ptricuhm
venît i. namque cervix ejus faxo ita Ma efl\ utr
ocutis • caligine ojJusa9 coUaberetur ne mentis quïdim
compos. : exerckus certè veïut erepto eo ingemuit..
S.êd ïnviBus advenus, ea qua ceteros terrent,
nondum percurato vulnere,. acrius- obfidions infti"
tit y naturalem. eeleritatem ira couchante- Cumaâo
ergo fubfbffa msmia ingens nudavere _fpatium ,
ptr quod irrupit ; viBorque urbem dïrui juJJPt*
27. Mine Menedemum, cum m mïllïbus peditum
& DCCC' equitibus ,. ad' urbem Maracanda,
mifit. Spitamenes transfuga, prœfidio macedonum
inde dejeêd , mûris urbis ejus ïncluferat fe 3 haud
oppïdan'u conJÏÏium dèfiQioms approbantibus ;
* Supplément de Freinshémius»

LIVRE FIL CHAP. VI. 61
«ilgèrenî des cavalier* de camper hors des fortifications
de la ¥iîîe ; ils les traitèrent enfuite avec honnêteté, &•
quand après un grand repas ils les virent enferelis dansun
profond fommelî, ils les attaquèrent au milieu de la
Huit & les maflacf èrent*
26. Alexandre , indigné comme il devoir Titre de cet
outrage s inveftit k ville, qui étoit trop bien fortifiée
pour être prife cf emblée : il laifla- donc Méléagre êc Perficcas
à ce liège ; & emmenant les autres il Joignit fes
forces à celles de Cratère, qui, comme il a été dit 9
affîégeoit Cyropolis. Or il avoit réfolu de ménagercette
fille en confidération de Cyrus qui en étoit le fondateur;
car il n'y avoit perfonne parmi ces peuples pour
. qui il eut plus d'admiration que pour ce prince & pour
Sémiramis , qu'il jugeoit les plus magnanimes & les plus'
illuftres de tous : d'autre part l'opiniâtreté des habitants
Fenflamma de colère; de forte qu'après la prife de la
yille, il en abandonna le pillage à l'élite des macédoniens t
qui avoient contre elle un jufte reflentiment, èc rejoignit
enfuite Méléagre & Perdiccas. Jamais ville ne four
tint un fiège avec plus de vigueur : les plus braves des
afliégeants y périrent, & le roi lui-même y courut un
extrême danger ; car il fut fi rudement bleffé d'une
pierre à la tête, que fa vue s'obfcurcit & quli tomba
fans connoiffance : il efl sûr que fon armée le pleura
comme mort. Maïs toujours inébranlable contre tout ce
qui épouvante les autres , il n'attendit pas la guérifon de
fa hleflure pour pteflerle fiège avec plus d'ardeur, la
colère animant encore fon activité naturelle. Les mu» -
railles| renverfées tout à coup par une mine, ouvrirent
une grande brèche, par où il fe Jeta dans la ville j &
quand il en fut maître, il la lit rafer.
27. Il envoya de là, à la ville de Maracande , Menédème
avec trois-mille hommes de pied & huit-cents
chevaux. Le transfuge Spicamènes, après en avoir chaffé
la garnifon macédonienne, s'y étoit enfermé, quoique
les habitants n'approuvaient pas fon projet de révolte;
ils parurent tout à fait7 foufçrîre, parce qu'ils pe pou-^

6% LIBER VIL CAP. Vil
fequî tamen videbantur, qtua prohibere non pote~
rant. Intérim Alexander ad Tanaïn amnem redit,
& quantum foli occupaverant caftris muro circumdédit;
LX fiadwrum urb'u murus fuit, hanc qm-_
qut urbem Àkxandriam appeUari juffit : opus
tantâ celeritate perfeftum eft , ut, decîmo fepùmo
die ex quo munimenta excitata erant, teëa qw>que
urbis abfolverentur. Ingens militum certamen
inter ipfos fuerat, ut fuum quisque munus ( nam^
divifumerat) primus oJUnderet. Incola novm urbl
daù captivi quos reddito pretio dominh liberavù ,
quorum pofleri 'nunc quoque nondum apud eos
tant longâ mtate propter memoriam Alexandri ex&~
leverunt.
VII. Rex fcytharum cujus tum ultra Tanaïn
imperium erat, ratus eam urbem quam in ripa
amnis macedones condiderant fuis impofitam ejfe
ctrvicibus , fratrem9 Cartafim nomme, cum magnâ
equitum manu mifit ^ ad diruendam eam proculque
amne fubmovendas macedonum copias. Ba&rîa*
nos Tandis ab fcythis quos europaos vocant dividit;
idem Afiam & Europam finis interfluh. Ceterum
fcytharum gens haud procul Thraciâ fita ab
Oriente ad Septentrionem fe vertu ;^ farmatarumque,
ut quidam credldêre, non finitima, fedpars
ejl : reBâ deinde regione Alamum ultra Iflrum
jacentem ultima Afi* » qui Baëra funt, flringit *
qua Septentrioni proxima funt ; profundœ, inde
filva vaftaque folitudines excipium ; rursks qua
ad Tanaïn & Baëra fpeBant , humano cultu haud
difparia funt. Primum cum hac gente non provifum
bellum Alexander gsfturus , quum in conf
peêu ejus obequitaret hoftis, adhuc ager ex vu!mre,
pmcipuè voce deficiens , quam & modicus

LIVRE VII. CHAP. VII. 63
voient l'empêcher. Cependant Alexandre regagna îe
Éeuve Tanaïs, & ferma de murs tout l'efpace qu'avoit
.occupé fon camp ; cette nouvelle ville eut foixantë
ffades de tour, & il la fit encore nommer Alexandrie :
fouvrage fut pouffé avec tant de célérité 9 que, dix fept
jours après que îes fortifications furent conflruites, îes
maifons furent auffi achevées. Il y avoit entre les foldats
une grande émulation à qui mootreroit le premier
fa tâche faite, car on avoit partagé Fouvrage entre eux.
Il peupla fa nouvelle ville des prifonniers qu'il racheta
de leurs maîtres f & dont la poftérité, après un fi long
efpace de temps, conferve encore .quelque diftinéHon
parmi ces peuples à caufe de la mémoire d'Alexandre*
VIL Le roi des fcythes qui régnoit alors au delà du
Tanaïs, jugeant que cette ville bâtie par îes macédoniens
fur la rive du fleuve étoit pour lui un véritable
joug,' envoya fon frère, nommé Cartafis, avec un
corps confidérable de cavalerie, pour la détruire
& repoufîer loin du fleuve les troupes macédoniennes.
Le Tanaïs fépare les baftriens des fcythes
d'Europe ; il fépare de même l'Europe & l'Afie. Au refte
la nation fcythe voifine de la Thrace s'étend en tournant
de l'Orient vers le Septentrion 5 & eîîe ne confine pas ,
comme quelques-uns font cru, avec îes farmates, mais
ils en font partie: de là ils-vont directement fe joindre
au pays d'Alaune de l'autre côté du Danube & jufqu'aux
extrémités de l*Afie dans le voifinage de la BaAriane, la
plus feptentrionaîe de ces contrées ; au delà ce font
d'épaiffes forêts & de vafles foîitudes ; mais les terres
qui regardent le Tanaïs & la Baclriane reffembîent à des
pays cultivés de main d'homme. Alexandre fur le point
d'avoir affaire avec cette nation pour îa première fois &
tans l'avoir prémédité , voyant l'ennemi caracoler en fa

64 LIBER VIL CAP. FIL
cibus :& cervkis" exiemmbat dobr, amlcos in cou?
filium advôcari jubei, Terrêbai eum , non hoftis,
fed imquitas temporis : baënanî defecerant ; fcythœ
eûam lacefftbant ; ipfe non infiflere in terra,
non equo vehi, non docere , non hortari fuos paierai
: ancipiti periculo implicitus, deos quoque
mcufans, qmrebatur fe jacere fegmm, cujus vélocitatem
nemo antea valuiffèt ejfugere ; -vix fuos
credere non fimulari vaktud'mem. Itdque qui poft
Darium vi&um ariolos & vates confulere défierai,
rursùs adfuperflkionem, humanarum meniium ludîbria,
revolmus , Ariflandrum , euh. credulitatem
fuam addbcerat, explorare- éventant rerum fœcri*
fiais jubei.
2,9. Mos erai arufpkibus exia fine rege fpe&are,
• & qua poîtendertntur referre. Inier kac rex , duM
fibris pecudum explorantur eventus latemlum rerum,
propiàs ipfum confidere amicos. jubei , ne
conientione voeïs cicatrïcem infirmam adhuc mmperet
: Hephaflion » . Craterus , & Erigyïus erant
eum euftodibus in tabernaculum admiffï. 'DIfcrimeo ,
inquit, me oecupavit meliore hoftium, quam
meo tempore ; ied neceflitas ante rationem
eft 5 'maxime in bello , quo raro permittîtur
tempora eligere. Defecêre baélriani , in quorum
cervicibus itamus ; & quantum in nobis animi
fit , alieno Marte experiuntur. Haud dubîè, fi
omiferimus fcythas ultro arma inferentes , contemti
ad illos qui defecerant revertemur : û
yero Tanaïn tranfierimus & ubiquç inviâos effe

LIVRE VU. CHAP. FIL 65
ptéfence, quoiqu'il fût encore malade de fa bleffure, &
qu'il eût la voix très-affoiblie tant par la diète que par
fes douleurs de tète 9 convoqua (ou Confeil. 'Ce qui lut
donaoit de l'inquiétude étoit, non l'ennemi qu'il avoit en
tète f mais le malheur 'des conjon&ures : les ba&riens
étoient révoltés.; les fcythes le harceloient ; & lui-même
ne pouvoit ni fe tenir fur fes pieds, ni être à cheval; ni
donner fes ordres, ni encourager fes troupes : fe trouvant
embarraffe' des deux côtés , il s'en prenoit aux dieux
mêmes f & fe plaignoit d'être fans aftioa dans un lit,
lui à la diligence de qui perfonne jafque là s'avoit pu
fe dérober; & de voir fes propres foidats réduits à
douter fi fa maladie n'étoit pas feinte. Quoiqu'il eût donc
ceffé de confuîter les charlatans & les devins depuis la
défaite de Darius, revenant alors à cette fuperftition t
qui n'offre que des illufions à l'efprit humain, il ordonna
a Ariftandre, pour qui il avoit le foible de la crédulité , '
de chercher par des facrifîces quel feroit le fuccès dtr
fesaffaires.
29. C'était l'ufage des. arufpices d'examiner les entrailles
des vi&imes en l'abfence du roi, & de lui faire
rapport de ce qu'elles préfageotent. Pendant ce temps,
• tendis qu'en interrogeoit les parties internes des bêtes
fur l'événement des chofes cachées, k roi fit aflcoir fes
confidents près de kit, pour ne pas rouvrir, en parlant
trop haut, fa plaie encore mal affermie ; c'étaient
HépheHion, Cratère , & Érigyius, qui avoient été admis
dans fa tente avec fes gardes du" corps. Je fuist leur
dit-il, dans une conjoncture plus favoralle à mes enne*»
Mis qu'à moi ; mais la nécejfité l'emporte ~Jkr la raifom
mime, fur mut à la guerre , où Von n'efi pas toujours
| naître de choifir les moments. LES èaâriens f lorjque mous
fournies près de les foumettre, viennent de fe révolter; &
ils veulent apprendre aux dépens d 9 autrui ce que nous
valons. Il n f efipas douteux que, fi nous ne puniffons pas
les fcythes de nom avoir attaqués de gaieté de cœur, nous
ferons miprifés des révoltés quoique nous tournions nos
smes contre eux : mais fi nous pajfons le Tanaïs, & que

66 LIBER Fil. CAP. FIL
nos fcytharam pernicie ac faegelne ©ftenderîmus
, quis dubitabit patere etiam Enropam
vicloribus ? FalBtur, qm tenninos gloriae noftrse
metitor fpatio quod tranfituri fumns : unus amnis
interfluit ; quem fi trajicimus, in Europam
arma proferimus. Et quanti «ftimandum eft ,
dum Afiam fpbigimus , in alio quodammodo
orbe tropaea ftatuere ; & quse tam longo inter-
Tâllo natura Yidetur diremifle , unâ vicloriâ
fiibito committere ? At, Hercule ! fi paululum
celTaverimus, in tergis nollris fcytha* haerebunt;
an foli fumus qui flumina tranfnare poffumus ?
multa in nofmetipfos rccident, quitus adhuc
vicimus ; fortuna belli artem viâos quoque docet
: utribus amnem trajiciendi exemplum fecimiis
nuper ; hoc ut fcythse imitari nefciant ,
baôriani docebunt. Prseterea unus gentis EUJUS
adhuc exercitus venit, ceteri exïpeetanfur. Ita,
kellum, vitando , alemus ; & quod inferre pot
femus, accipere cogemur. Manifefta cil confilii
mei ratio-: fed an permiffuri fint macedones animo
uti meo dubito ; quia , ex que vulnus accepi,
non equo veâus fiim, non pedibus ingreffus. Sed fi
me fequi vultis, Yak©, Amici : fatis virium eft
ad toleranda ifta ; aut fi jam adeft vitse meae
finis, in quo tandem opère meliiis exllinguar ?
30. Hâte quaffa adhuc voce , fubdeficiens, vlx
proximb exaudkntîbus, dixerat ; quum omnes à
tam pmcipid confiïïo regem dettrrere emperunt :
Erigyîus maxime, qm9 haud fané auëorkate proficiens
apud obftinatum animum 9 fuperftitionem,
cujus poiens non erat rex, incutere tentavit,

LIVRE VIL CHAP. VIL 67
par la défaite entière des fiythes nom faffions voir qm
nous fommes invincibles partout 9 qui pourra douter que
l'Europe après cette viBoire ne nous/oit ouverte ? C'efifi
tromper t que de mefurer notre gloire fur l'tfpace que nous
étvons à parcourir : nous n'avons qu f un fleuve à travtrfer 1
mais fi nous le pajfons , nous portons nos armes en Europe*
Mt de quel prix doit nous paroître, en fubjuguant l'Afie ,
davantage d'élever nos trophées comme dans un autre
monde; & d'unir tout d'un coupf par une feule viBoire,
des objet% que la nature femble avoir fiparéî par une fi
grande diftance ? Mais affûriment 9 pour peu que nous diffif*
rions, nous aurons les fiythes en queue : fimmts-nous les
ftuls qui puifjions tmverfir les fleuves ? nous verrons fi
Mêumer contre nous plufieurs expédients qui jufqu f ici nous
ont aidés à vaincre ; les événements- apprennent Part de la
guerre aux vaincus même : nous venons de donner l'exemple
de pajfer un fleuve fur des outres ; les fiythes ont beau
l'ignorer, les baBriens le leur montreront. D'ailleurs cette
nation n % a encore fur pied qu'une armée, elle en attend
d'autres. Ainfi , en évitant la guerre, nous la fomenterons £
& pouvant être aggrejfeurs9 nous ferons réduits à la défen*
five, La preuve de ce que j'avance efl évidente : mais je
doute que ks-macédoniens me permettent de me livrer à mon
courage; parce que9 depuis ma blejfure, je n'ai encore
ejfayé ni de monter à cheval ni de marcher» Mais fi vous
€onfinte\ à me fuivre, mes Amis, je fuis en état : j f ai
ajfe\ de force pour fupporter la fatigue de ces expéditions ;
ou fi je touche au terme de ma vief dans quelle entreprifi
pourrsi-je trouver une plus belle mort ?
30. îl avoît parlé ainfi d'une ¥olx encore foible, du
ton d'un homme mourant t & pouvant à peine fe faire
entendre de ceux qui Pécoutoient de plus près ; îorfque
tous fe mirent à îe détourner d'une entreprïfe fi brufque :
Érigyius furtout, ¥©yant qui! ne gagnoit rien fur fou
efprit par Faurorité de la raifon, chercha à Fébranler
par la fuperftition, qui étoit le foible du roi, & lui dit
que les dieux mêmes s'oppofoient à fon deffein, & qu'il
étoit menacé d'un grand péril, s'il paffoit le fleuve.

68 IiJUTA VIL CAP. FIL
Erigyio iabemaadmm régis Ariftander QccurrerM'3
iriftm exta fuiffe fgniftcans ; hac ex vaie c&m*
perta Erigyius nunciabat: quo inhibito, jilexën?
der3 non ira folum $ ftd etiam pudore confufus 9
quoi fuperftitio , quant celaverat , detegebatur $
Ariftandrum vocari jubei. Qui ut venii, miuens
eum, Non rex, inquit, fed prïvatus fum : facrïficium
ut faceres mandavi j quid eo portenderetnr
cur apud alium quam apud me profelïus
es ? Erigyius arcana mea & fecreta , te prodente
, cognovit : quem certom, me Hercule I
habeo extoram interprète uû mete fuo ; tibi
autem , quam poteft , denuncio ipfe mihi indices
quid ex extis cognoveris, ne poffis infi-
•ciari dixifle quae dixeris. llk exfanguis attonkoqtM'âmiiis
ftabat , ptr metum etiam voce fujh
prejfd ; tandemque % eodem metu ftimulante, ne
régis exfpeBaûomm moraretur , Magni, inquit,
Jaboris, non irriti , difcrlmen inftare praedîxl ;
nec mea ars, quam benevolentia me perturbât
: infirmitatem Yaletudinis tuae yideo, &
quantum in uno te fit fcio ; yereor ne non
praefenti fortunse tuae fuificere poffis. Rex juf
fum conftdere félicitait fuœ jemijit ; fibi emm du
md gloriam concedere dtos. Confuhanti deinde cum
sisdem quonam modo ftumen tranfireni, fupervemt
Ariftander, non alias latiora exta vidiffefe affirmant
, utique prioribus longé diverfa ; tum Jolicitudinis
caufas appamijfe, num prorsus egregiè
litatum ejffh.
31. Cetemm, qua fubinde nunciata funt regi$
continua feticitati rtrum ejus impofuerani labem*

LIVRE VIL CHAP. VII. 6$
Comme Érigyius entroit dans la tente du roi, iî avoitrencontré
Ariftandre ; qui lui avoit dit que les préfages
des entrailles avoient été fâcheux; & c'étoit cette dépofition
du devin qu*Érigyius fefoit valoir : mais Alexandre
lui. ayant fermé la bouche, non feulement indigné,
mais encore honteux qu'on -découvrit une foiblefle
fuperûitieufe dont il avoit fait inyftère, ii fit
venir Ariftandre. Dès qu'il parut, Ce»'eft pas comme roi9
lui dit ii en le regardant, c'efl comme homme privé, que
J€ vous mi chargé défaire un facrijke ; pourquoi ave^vous
déclaré à un autre qu J à moi ce qu'il préfage ? Ceft par
votre inâifcrition qu % 'Érigyius a eu conmiffance de mes
fenfées fecrètes : mais, par Hercule ! je fuis sûr qu 9 il inter»
frète les préfages d'après fa propre crainte; c % eft à vous que
j* ordonne , autant qu'il eftpojfible, de me déclarer vous»
même ce que vous ont appris les entrailles des viBimes 9
Afin que vous ne puijfiei pas nier ce que-vous aure\ dit»
Ariftandre demi-mort étoit tout interdit, & la crainte
lui avoit même oté la parole ; mais enfin la même
crainte lui fêlant appréhender de trop retarder la fatiffaftion
du roi, C'efi la grande difficulté', lui dit-il, fi»
mon 1''inutilité de votre emtreprife, que j'ai prédite; & ce
m'eft pas tant mon art que mon tendre 'attachement qui
jette mon ame dans le trouble : je vois le mauvais état de
votre famé f & je fais combien eft importante une vie feule
€omme la vôtre; je crains que vous ne puiffîe{pas fuffire à
terni ce qu 9 exige tétai prifent de votre fortune» Le roi le
renvoya, en l'exhortant à fe fier à fon bonheur, & i'afsftranc
que les dieux lui accorderoient encore d'autres
fticcès pour fa gloire. Pendant qu'après cela il délibéroit
avec les mêmes confidents fur la manière de pafler le
fleuve, Ariftandre revint, & aftiira que jamais il navoit
YU d'entrailles plus favorables, & qu'elles étaient bien
différentes des premières ; que celles-là n'avoient donné
que des fujeîs d'allarme, maïs qu'enfin le facrifice venoiî
É'aveir le fuccès le plus agréable.
31. Aurefte les nouvelles que le roi eut bientôt après ,•
éreat une elpèce de tache au cours de fes continuelle!

70 LIBER FIL CAP. VIL
Menedemum , ut fupra dMum eft, mlferat ai
obfidendum Spitamemn, baBrianm defeBionls auBorem
; qui , compeno hoftis advemu 9 ne mûris
urbis includeretur, fimul frems excipi pofje , qui
venturum fciebat confedit occultus. Silveftre iter
»
aptum infidiis tegendis , trat ; ibi dahas condïdit:
equi binos armatos vehunt, quorum imvicem
finguli repenti defiliunt, tqueftr'u pugnœ ordmem
turbant ; equorum velocitaâ par eft hominum pernichas.
Hos Spitamenes, faltum circumire juffbs9
parittr & à lateribus , & à fronte 9 & â tergo
hofti oftendiL Menedemus , undique inclufus , ne
numéro quidem par , diu tamen reftitit, clamiions
nihil aliud fupereffe locorum fraude deceptis,
quam honeftm mortis folaûum ex koftium cetde,
Ipfum pmvaiens equus vehebat , quo fœpiùs m
tuneos barbarorum effufis habenis eveBus , magna
ftrage eos fuderat ; fed quum unum omnes pétèrent
, multis vuineribus exfanguis, Hypfiden quemdam
ex amicis hortatus eft ut in equumfuum afcenderet
& fe fugâ eriperet : hmc agentem anima déficit
9 corpusque ex equo defluxit in terrant, Hypfides
poterat quidem effugere ; fed 9 amijfo amico ,
moriftatuit : una erat cura ne inultus occident ;
itaque fubditis calcaribus equo, in medios hoftes
fe immifits & memorabili édita pugnâ obrutus telis
eft. Quod ubi vidire qui acdi fupererant, tunuir
lum pauh quam cetera editiorem captant ; quos
Spitamenes famé in deditiomm fubaBurus obfeditm
Ctcidirc eo pmiio peditum il miUia9 CCC equi*

EIFME FIL -CHâP. FIL 71
prof pérîtes. 11 avoit, comme on Fa dit ci-devant, envoyé
Ménédème pour affiéger Spitamènes , auteur de îa révolte
des baûriens ; celui-ci, fur l'avis de l'arrivée de
l'ennemi t ne voulant pas demeurer enfermé dans des
murailles, & fe flattant aufli de pouvoir le furprendre s fe
pofta fecrètement fur la route par où il étoit sûr qu'il
wiendroit. C'étoit un chemin couvert de bois , propre à
dreffer une embufcade, où il cacha les dahés : chaque
cheval porte deux hommes armés, qui tour à tour fe
jettent à terre tout à coup , & mettent le défordre dans
la cavalerie pendant le combat; l'agilité des hommes
égalé celle des chevaux. Spitamènes, qui leur avoit ordonné
d'environner îe boisf les fit paroître en même
tems en flanc, en tête, & en queue aux ieux de l'ennemi.
Ménédème t quoiqu'enfermé de toutes parts &
Inférieur en nombre , ne laifla pas, de faire une longue
réfîftance, criant à fes gens , que les difpofitions trompeufes
du local .les ayant fait tomber dans le piège, il
ne leur reftoit point d'autre confolation que celle de
mourir glorieufement en répandant le fang des ennemis.
II montoit un cheval vigoureux t au moyen duquel il
«voit pîulieurs fois pénétré à bride abattue dans les
bataillons des barbaresf & y avoit porté le défordre &
le carnage ; mais comme ils ne tiroienjt tous que fur lui 9 .
lorfqu'il eut perdu tout fon fang par fes blefliires, il
pria Hypfides, un de fes amis, de monter fon cheval &
& de prendre la fuite : tandis qu'il s'occupoit de ce foin,
il expira, & fon corps tomba du cheval par terre. Hypfides
à la vérité pouvoir encore s'échaper; mais , après
la perte de fon ami, il préféra la mort : il fongea feulement
à ne pas mourir fans vengeance ; c'eft pourquoi
il piqua des deux au milieu des ennemis , & après avoir
combattu d'une manière diftinguét il fut accablé de
traits. Ceux qui étoient reftés de cette défaite f le voyant
mort, fe portèrent fur un tertre un peu plus élevé que
le refte ; mais Spitamènes les invertit pour les forcée
par la faim. Il périt dans'cette a&ion "deux-mille hommes
d'infanterie & trois-cents de cavalerie ; mais Alexandre

7* LIBER Fil. CAP. FIJI.
ies : quam cladem AUxander folerti confilio texkl
morte dcmtnciatâ. ïu qui ex prâdio vtmrant f fi
•s&a vulgaflent.
VIII. Ceterum, quum animo difparem vuïium
diuùus ferre non pojfet » in tabernaculum , Jhper
ripam fiumkûs de induftnâ hcatum, ftceffzt : îbi
Jim arbitris fingula ammi confulêa penfando , noo>
iem vigiliis extraxh, fitpe pellibus tabernaeuH
mllevatu m confpicefet hofiium ignés, è qmibus
tonjeëare poterat quanta hominum multitudo effet,
Jamque lux apparebat, quum , thoractm indutus,
procedit ad mUites mm primum pofi vulnus' proxir
me acceptum : tanta erat apud eos vencratio
régis, ut facile periculi quod korrebant cogitation
nem pmfintia ejus excuteret ; lad trgo & manontibus
pm gaudb lacrimis confalutant eum , &
quod ont* rccufavcrant hélium féroces depôfcunL-
Elle fe ratibus equitem phalangemque tranfportaturum
effe pronunciat9 fuper turcs jubtt narc levihs
armatos : plura nec dici res defideravit^ ntc rex
dïcere per vaUtudincm potuit. Ceterum, tanta ala»
tritate miïïtum rates junâa futit , • 'ut in triduum
ad xn milUa cffc&a fint : jamque ad tranfeundum
omnia aptaverant , quum legati fcytharum,
xx mort gemtis, per caftrn equis vccU »
uunciari jubent régi veïïe ipfos ad eum mandata
perfirre* Admiffi in tabernaculum juffique confidere3
in vulm régis defixcrant oculos ; credo,
quia, magnitudine corporis animum mflimantibus,•
modicus , kaudquaquam /omet par videbatur. $cy«
this autem non , ut cettris barbarïs , rudis & inconditus
finfus efi ; quidam eorum fapunùam car
père dicuntur , quantamcumque gens capit fempir
srmata. Sicque bqmttos'effè apuJ regem mcmorie
eut

LIVRE VIL CHAT. VI IL 73
mut Fadreffe de cacher cette perte, ayant défendu fous
peine de mort, à £inx qui avoient échapé* 9 d'en publiée
la nouvelle.
Vlîl. bailleurs., ne pouvant lui-même diffirauler plus
long temps les peines intérieures, il fe retira dans (a
tente, placée à deffein fur le bord du fleuve:.là repaf*.
faut feul dans fou efprit tous fes projets, i! paffa la nuit
fans dormir, & leva fouvent les peaux de fon pavillon f
pour ob'ferver les feux des ennemis & conjecturer ainfi
i quel nombre ils pouvoient aller. Déjà le jour commençoit
à paroltre, Iorfque revêtu de fa» cuiraffe il f*
•montra à fes foldats pour la première fois depuis fa blefiure
: ils avoient tant de vénération pour Se roi, que fa
.préfence leur lit aifément oublier le péril qu'ils redoutoient
; ils lui préfestèrent4onc unanimement leur hom-
-mage avec des tranfports & des larmes de joie, & demandèrent
avec empreffement qu'pn les menât à •cette
.guerre à laquelle rls-s'étoient d'ahord refufés. Le roi leur
dit qu'il feroit pafîer fur des radeaux la cavalerie & la phalange,
& fur'des •outres* ceux qui étoient armés plus
légèrement : un plus long cKfcours ne convenait, ni à la
-chofe , ni à ffndifpofitfon du roi, qui ri*aurait pu en dire
davantage. -Du rcrfte., Us foldats travaillèrent aux radeaux
-avec tant d'ardeur, qu'en trois jours il y en eut douze-
•nûile d'achevés : & déjà tout étoit prêt pour le paflage.,
Iorfque des ambaffadeurs fcythes, au nombre de'vingt
félon l'ufage de cette nation, traverfèrent le camp à
cheval & firent dire au roi -qu'ils défiroient lui communiquer
ce dont on les avoit chargés. Quand ils eurent été
introduits dans fa tente & invités à s'affeoir., ils fixèrent
long temps fon vifagef parce que ces peuples jugeant,
je penfe , de la grandeur de l'ame par celle-du corps, le
TOI s qui étoit petit, leur parouToh au deffous de fa réputation.
Mais les fcythes n'ont pas t comme les -autres
-baubates * fcfprit greffier &fans culture ; on dit qu'il
y en a parmi eux qui s'appliquent à la philofophie t
autant que le peuvent des gens toujours armés* Voici,
' félon la tradition hiftorique, comment "ils parlèrent au
Tome 11 D

74 LIBER VIL CAP. VllL
prodkum eft : abhorrent forfitan moribus mûris,
& tempora & ingénia cuhiora Jortitis ; Jed ut
pqffit oratio torum fperni , tamem fiées nofira MU
débet, qui » utcumqut tradka, incormpta perferemus.
Igimr unum ex hiss maximum rmtus m liquutum
accepmtus :
33. SI dil habîtum corporis tui avldîtati anîlîii
parem effe volnjfTent, orbis te non caperet :
altéra manu Orientent, altéra Occidentem coatlsgeres
; & hoc affequetus, fcire velles ubi
tantl nummls fulgor conderetur. Sic quoque concupifcïs
qu« non capïs : ab Europl petis Afiam,
ex Afiâ tranfis in Êuropam ; deinde, fi humanum
genus omne fuperaverîs, cum filvis, &
nivibus , & fluminibus , ferisque beftiis gefturus,
es bellum. Quid , tu Ignoras arbores magnas
diu crefcere , uni horâ exftirpari ? ftultus eft,
qui fructus earum fpeftat s altitudlnem non metitur.
Vide ne, dum ad cacumen pervenke
contenais , cum ipfis ramis quos comprehei*deris
décidas. Léo quoque aliquando minimarum
avium pabulum mit, & ferram rubigo confiimit
: nihil tam firmum eft » eui periculum non
fit etiam.ab invalido.
•Quid nobis tecum eft ? nunquam terram tuam
attigimus. Qui fis , unde venias , Iicetne ignorare
in vaftis filvis viventibus ? Nec fervire ulli
poffumus , nec imperare defideramus. Dona
nobis data fiint, ne icytharum gentem Ignores,
jugum boum, aratrum , & fagitta, & patent-:
his utimur & cum amicis & adverses inimicos;
fruges amicis damus boum labore quaefitas
, paterâ. cum his yinum diis libamus j inimi-

LIVRE VU. CHAT. Vllh 7^
roi : leur difcours cil peut-être bien éloigné de nos
ufages, parce que nous vivons dans un fiècie plus écltirl
le avec des efprits plus cultivés ; mais quand on dédaignèrent
leur éloquence, il ne doit pas en être de même
de notre fidélité à rapporter Uns altération les chofes
de la manière dont elles nous ont été tranfmifes. Nous
avons 4onc trouvé que le plus ancien d'entre eux parlt
aliîfi:
33. S 3 il avoit-phi aux dieux de proportionner ton corps
i l'ambition de ton âme $ le monde emtkr me pomwmk te
cornent : m touchemis d'une mmn l'Orient t de toutre
Weeident ; & à ce point mime , t& voudrois/avoir §m quel
lies U divin mmemr du jour va cacher fa fplmdewm Tel que
ta u% tu ne laijfes pas d 9 afpirerà des chojès qui font hors
ii ta portée : de l'Europe tupajes en Afie , de l'Afis tu nfaffes
en Europe ; puis, quand tu aurasfuhjuguê'tout le genre
humain, tu feras encore la guerre aux forêts 9 aux neiges 9 aux
fleures, aux b êtes féroces. Quoi, ignores-tu que les grands
erbres font long temps à croître t & qu 9 en une feule heure
Us font déracinés ? c % efi une foUe de fe promettre d'en
cueillir les fruits & de n'en pas mefurer la hauteur* Prens
garde f en voulant t'ikver jufqm*à la cimt t de tomber avec
les branches que tu auras Jaifies. Le lion mime a quelque*fitis
été la pâture des plus puits oifeams 9 & le fer eft ensfumé
far la rouille : rien de fi fort qui n*aà à redouter
l'injirument même le plus foibU»
Qu f avons-nous à démêler avec toi ? jamais nous n f avons
mis le pied dans ion pays. N'eft-il pas permis, â des
hommes qui vivent dans de vaftes forets, d'ignorer qui tu
es s d f @u tu viens ? Nous ne pouvons obéir 9 & nous ne
fûulons commander à perjônme» Le Gel a fait préfeM à
chacun de nous, afin que m fâches À quoi t*m tenir fur la.
motion fcythe, d''une paire de èmufs, d'une charme 9 d'un
javelot B & d f une coupe : nous enfefons nfagç & avec nos
MMU & contre nos ennemis j avec soi amis nous parta»
gtons les fruits du travail de nos bœufs, avec eux nous
offrons du vin aux dieux dans notre coupe $ nos ennemis 9
nous les combattons de loin avec la flèche, de près avec
Dij

j6 LIBER FIL CAP. VllL
cos faglttâ eminiis , haftâ cominîis petimus. Sic
Syrise regem, & poftea perfaram medorumque
"fuperavimus ; patuitque nobis iter ufque. in
JSgyptum. At tu, qui te gloriaris ad latrones
perfequendos venire , omnium gentiutn quas
adifti latro es : Lydiam cepifti, Syriam occu»
pafti 5 Perfidem tenes , baélrianos habes in poteftate
, indos petifti ; jam etîam ad pecora
•jioftra. ayaras & inftabiles manus porrïgis.
Quid tibi dsyitus opus eft , quas te efurire
cogoîît ? primus omnium fatietate parafH famem,
ut 3 qu© plura haberes , acriùs quse non habes
aiperes. Non fiiccurrit tibi quamdiu circum Battra
lisereas t dum ïHos fùbigts, fogdiani beliare
cœperant : bellum tîbi ex Yiftoriâ naicitur ; nam
ut major fortîorque fis quam quisquam 3 tamen
alienigenam domûaum pati nemo vult. Tranfi
modo Tanain; fcies quam latè pateant, nunquam
tamen confequêris feythas : paupertas
noftra velocior erit quam exercitus tuus , .qui
pmdam tôt nationum vehit : rarsiis quum procul
abeffe nos credes, videbis in tuîs caftris ;
èâdem velocitate & fequimur & fitgimus. Scytharam
folitudines graeçis etiam proverbiis SLVH
dio eludi : at'nos deferta & humano çultu vacua
, magis quam urbes & opulentos agros , fequimur.
, Proinde Fortunam tuam preffis manibus tene ;
lubrica eft, nec invita teneri poteû : faîubre
conflltum -fequens quam praefens tempus oftendet
' meliiis. Impone felkitati tu» fraenos , faci-
Kus illam reges. Noftri fine pedibus dicunt effe
Fortunam, quae mamis & pennas tantum habel
; quum manus porrigit, pennas quoque

LIVRE VIL CHAP. VIII. 77
ht pique. C*eft ainfique nous ayons vaincu le mi de Syrie'¥
tnfuite celui des perfes & des medes, & que nous neuf
fommes ouvert le chemin jufqu'm Egypte» Mais toi t qui
fais gloire de venir à la peurfuite des brigands f tu es le
èrigand de tous les pays oè tu es entré: tu as pris la Lydie ,
te as envahi la Syrie , tu es maître de la Perfi, tu as la"
Ba&riane en ta pmijfance, tu as été aux Indes ; & aujouri
% hui tes mains avares & jamais fatisfaites s'étendent
jufqmesfur n&s troupeaux*
Qu*as-tu befom de richeffts f qui te fendent mfadabte t
Tu es le premier en qui la fatiété ait produit la faim 9
fuifque, plus tu m s plus tu dêfires ardemment ce que tu
S'OJ pas. Ne vois~tu pas depuis combien de temps tu es
arrêté devant BaBres ? pendant que tufoumets'les baSriens f
les f&giiens fe foulèrent : la viâ&ire n f efl pour toi qu*ume
nouvelle fourec de guerre | car m as beau être le plus grand
& h plus puijfmt prince du monde , on ne veut pas d'un*
étranger pour maître» Paffe aujourdhui le Tandis, tu verras
combien les fcy thés font étendus, néanmoins tu n f arriver as
jamais jufqu'à eux : notre pauvreté fera plus agile que ton*
armée, qui traîne après elle les dépouilles éL% tant de nations } •
dans un autre moment où tu nous croiras bien loin f tu nous
verras dans ton camp; c f efi avec la menu agilité que nous
pourfuivons & que nous fuyons» Pemends dire que des
pkifmteries fur les folitudes des fcy thés ont paffé enpro-*
nrbe che\ les grecs : mais ces déferts, ces plaines incultes ,
mus les aimom mieux que les villes- & les plus riches
tmpagnes,
Embraffe donc bien étroitement ta Fortune j elle échape
mfiment %&onne peut la retenir malgré elle» La fuite mieux
eue Upréfent te fera voit combien ce confeil efl falutaire*
Mets un frein â ta profpêritét il te fera plus facile de Ix
diriger à ton gré. On dit parmi nous que ta Fortune eftfans
fîtes, & quelle n f a que des mains & des ailes ; quand elle
Uni ks mains à quelqu'un, elle ne fe laiffe pas prendre em
D iij

78 LIBER VIL CAP. IX.
compfehendere non finit. Deniqoe fi deus es 9
tribuere mortalibus bénéficia debes , non fiia eripere
: fin autem homo es, id quod es femper
effe te cogita; ftultum eft eoram meminiffe 9
propter'quae tui oblivifceris.
Quibus bellum non intuleris , bonis amkis
poteris uti ; nam & firmiffima eft inter pares
amicitiâ, & videntur pares qui non fecerunt
inter fe periculum virium. Quos Ykeris, amicos
tibi effe cave credas : inter dominum &
férvum nulla amiciria eft-; etiam in pacef belli
famen jura {èrvantur. Jurando gratïam fcythas
fancire ne credideris ; colendo fidem, jurant :
gracorum ifta cautio eft, qui acla confignant
& deos invocant ; nos religionem in ipsà fide
noYJmus : qui non reyerentur bomines 9 falhint
deos ; nec tibi amico opus eft , de etijus bene-
Tolentia dubîtes. Ceteram , nos & Afiae & Europe
cuftodes habeMs : Baâra 9 nifi dividat
Tanaïs, contingimus ; *ultra Tanaïn usque ad
Thraciam colimus ; TEracise Macedoniam COH-
|unôam effe fama eft : utrique Imperio. tuo finifimos
, hoftes an amicos yelis effe confidera.
Hac barbants.-
IX. Contra rex formnâ fua & confiais eorum
'fe ufiirum ejfe refpondet ; nam & fommam, cul
confidat, & confilium fuadentium, ne quid iemerè
& auda&er faciat, fequuturum : dimiflîsque kga°*
fis, in pmparatas raies exerchum impofiiit. h
proris ctypeatos locaverat, jttffbs m gmua fubfidere
quo maures effent advenus îBus fagiuarum ;
poft hos % qui tormenta intenderent ftabant, & ab
utroque latert & a fronte circumdaû armatis ;
reliqui, qui poft ïormema cohftiterant » remigem^

LIVRé VIL CM A p. IX. 79
mime temps par ks ailes. Enfin fi tu es mm dieu 9 m dois
faire du bien aux hommes, & non pas leur rarir ce qui eft à
eux : fi au contraire tu n 9 es qu'un homme, fonge fans ceffe
à ce qut tu es ; car e'eft une folie d'occuper ton efprit de
ehofis , qui font que tu t'oublies toi-même»
Ceux à qui tu ne feras point la guerre, tu pourras
trou-ver en eux de bons amis ; car d % une part Vamitié la plus
folide eft entre des égaux f & d'autre part on regarde comme
égaux ceux qui n % 'ont pas fait l'un contre Vautre teffai de
leurs forces» Ne vas pas compter fur F amitié de ceux que
tu auras vaincus : entre le maître & Vefclave point d'ami-*
iié; jufques dans la paix , on eonferve les droits aquis par
la guerre» Ne crois pas que ce fait par des ferments que les
fcythes afférent leur amitié; garder leur parole , c'efi. kut
manière de jurer ; cette précaution convient aux grecs, qui
fignent leurs traités & prennent les dieux à témoin ; pour
nous, nous nous fefons urne religion de la bonne foi ; qui ne.
refpeëe pas ks hommes, ne fe fait pas fcrupuk de tromper
ks dieux ; & îu n'as pas befo'm d'un ami, dont l'attachement
te finit fufpeâ. Au refte % nous ferons pour toi ks
gardiens de VA fie & de VEurope: il n'y a que le Tandis
qui nous empêche de toucher à la B'aBriane; au delà de
ce fleuve nous occupons tout jufqu'à la Thrace ; la Thrace,
dit-on B confine à la Macédoine i vêifirn de tes dense
Empires , examine fi tu veux que nousfoyons tu ennemis
ou tes amis. Tel fut îe difcours du barbare,
IX. Le roi répondit de fon côté, qu'il feroit ufage de
fa fortune & de leurs confeiîs ; de fa fortune, en s'y
confiant, de leurs confeiîs, #n n'entreprenant rien témérairement
& avec trop d'audace ; & ayant congédié les
ambaffadeurs , il embarqua fon armée fur les radeaux
qu'on avoit préparés, lî avoit placé à la proue des foldats
armés de boucliers, avec ordre de fe tenir fur les
genoux pour être moins à là portée des flèches 5 der*
fière eux étoient debout ceux qui fefoient jouer les ,
machines de guerre, foutenus en devant & fur les flancs
par des gens armés; les autres , qui avoient leur poftt
derrière les machines, fefoient la tortue avec leurs bon-
D iv

80 LIBER FIL CAP. IX.
loricâ indutum fcutorum teftudme armait protège*
haut* Idem ordo in îllts quoque ratibus qua equitem
vehebant fervatm- eft. ; major pars a puppe.
mantes equos hris trahebai : at Ulos quos utres
ftramento repleti vehebant objeBa rates tuebantur*
Ipfe rex, cum dsleéBs , primas ratem folvit &
in ripam dirigi jujjit ; eut fcytha admoms ordî~
mes equitum m primo ripa margine opponunt, ut
ne appïïcan quiiem terra rates pojfent. Ceterum 9
prater hanc fpeciem ripis prafidentis exerckûs >
ingens navigantes terror invaferat : namque cur~
fum gubematores, quum oblique flumine imptïïerentur,
regere non poterant ;• vacillantesque milites,
& ne- excuterentur foliciti, nautarum mimfte~
ria mrbavtrant ; m tda quidem 9 conati9 nixu
vibrare poterant, quum prmr ftandi fine periculor
quam hôftem incejfendi cura effet, Tormenta faluiï
fueruma quibus in confertos ac temerè fe ojerentes
haud fruftra excujja funt tela : barbari quoque
ingentem vim fagtttarum infudêre ratibus ; vix~
que ullum fiât feutum, quod non pluribus ftrmd
fpictdu perforaretur*
35. Jamque terra rates appUcahantur, quum
acies dypeata tonfurgit s & haftas certo iâu r
utpote libero nixus mittit i ratibus ; m territos'
recipientesque equos vidêre > alacres mutuâ adhor~
tatione m terram defiliere : turbatis acrittr pedem
infirre çaperunt; equitum ieinde turma , qua fm~
natos habebant equos, perfregêre barbarorum aciem ;
intérim ceteri, agmine dinûcantiup, teili3 aptavêrt
fe pugna. Ipfe rex quod vigoris, agro adhuc cor-

LIVRE FIL CHAP. IX. 81
cîiers pour couvrir le» rameurs, armés feuleuftot do
©orfeîets. Cétoit encore la même difpofition far les
radeaux qui portoient la cav^Af I la plupart tenoien*
les rênes de leurs chevaux ^a%ageofent derrière la
•poupe : quant à ceux qui paffoient fur des outres rempiles
de paille, ils étorent couverts par les radeaux
C|*M les devançoient. Ce fut le roi lui-même qui îe premier
détacha le fien & cingla vers l'autre rive ; mais Us
fcythes lui oppofèrent leurs efcadrons qu'ils avoient
fait avancer jufqu s au b@rd de l'eau, de manière que les
radeaux ne pouvoient prendre terre. D'ailleurs, outre
cette vue d'une armée en bataille qui étoit maitreffe
^u rivage, les foldats eurent bien de la frayeur dan»
leur navigation : car les conducteurs dts radeaux, pouffes
«n flanc avec ïmpétuonté par îe courant du fleuve f
xt'étoient pas les maîtres de leur manœuvre ; les foldats
chancelants, & craignant fans ceffe d'être jetés dans
l'eau, troubloient le fervice des matelots-, ils ne posaient
même dans cet état r malgré tous leurs efforts9
lancer leurs traits, parce qu'ils fongeoient plus tôt à fe
tenir ferme qu'à attaquer l'ennemi. Leur falut tint des
machines , d'où partirent des coups meurtriers contre '
ceux qui s'avancèrent trop témérairement ; les barbares
de leur côté décochèrent far les radeaux une quantité
prodigieufe de flèches ; & à peine y eut-il un bouclier
fâ ne fut percé en plufieurs 'endroits*
35. Déjà Ses radeaux touchoient au rivage, Iorfqne
ceux qui étoient armés de boucliers fe levèrent tous?
ënfemble s & lancèrent de deffut leurs vaiffeaux leurs
javelots , qui frappoient d'autant plus fût émeut, qu'ilsavoient
alors la liberté d'ajufter; & dès qu*ils virent
la cavalerie ennemie s'épouvanter & tourner bride, ris .
fautèrent gaînfent à ferre en s f encouragea»t mutuelle- .
ment: dans ce défordre ils îes pouffèrent vivement;,
enfuite les efcadrons, qui avoient leurs chevaux tour
bridés, rompirent l'armée des barbares ; & cependant les
autres ,couverts par ceux qui étoient aux mais», fe difp#*
foient au combat. Le roi lui-même « malade encore rfi*f->

8i LIBER VIL CAP. IX.'
pore, deefat anlmi firmhate fuppîebat : vox âdhofi»
tands non poterat arim , nondum bene obiuBi
cicatrice cervkis ; fe^^nicantem cunBi vidéant:
kaque ipfi quidem ducum fungebantur offiào *
aliusque alium adhortati, in hoflem , falutis immemores
, ruere cœpemnt. Tum vero non ora, nom
arma» non clamorem hoflium barbari tolerarepatuerunt
; omnesque ejRifis habenis, namque equtf»
tris actes erat, capeffunt fugam. Quos rex, quartquam
vexaûonem invalidi corporis pati ndn poterat,
per ixxx tamenftadia infequi perfeveravit :
jamque linquente anlmo, fuis pmcepit ut » domc
lucis aliquid fuperejfet, fugientium tergis inharerent
; ipfe , exhauftis etiam animi virïbus , in Cétf
ira fe recepit, reliquum JubfiitiL Tranfierant jam
Liberï patris termines, quorum monumenta lapidts
erant crebris intervallis difpofiti, arboresque proara
quorum ftipites hedera c&ntexetat : fed macedonas
ira longius provexit ; quippe média ferè
noËe in caflra ridierunt, muitis interfetHs , pluribus
captïs ; equosque MDCCC abegere. Ceciierunt
autem macedonum équités zx, pedites c
ferè ; mille faucii foerunt»
36. ffac ixpiditio deficientem magna êx parte
Afiam, famâ tam opportuna vi&oria ,* dommt :
inviBos fcythas effe crediderant ; quibus fraêis,
nuttam gentem macedonum amas parem fore con*
fitibantur. Itaque faca mifere legatos , qui pollicerentur
gentem mandata faËuram : moverat eos
régis non virtus magis quam clemenûa m deviBos
fcythas ; quippe captivos omnes fine pretio remi"
ferat, ut fidem faceret fibi cum femcijpmis 'gên-

LIVRE VIL CHJP. IX. %
pli oit à ce qui lui manquoit de forces par la fermeté de {encourage
: fes exhortations ne poûvoient être entendues,
parce que fa plaie encore mal fermée l'empêchoit d'élever
la voix ; mais on le voyoît combattre : aînfi les foldats
fefoient eux-mêmes les Confiions de chefs; & Ranimant
les uns les autres , ils fondirent fur l'ennemi fans
fonger à fe ménager. Les barbares alors ne purent foutenir
les regards des ennemis » ni réfiller à leurs armes »
ni tenir contre leurs clameurs ; & tous s'enfuirent à
toute bride, car leur armée n'étoit que de cavalerie.
Quoique le roi fût par fa foibleffe hors d'état de apporter
la fatigue, il ne laifla pas de s'attacher à les pourfuivre
l'efpace de quatre-vingts ftades: mais alors manquant
de forces, il commanda à fes gens de les ferrer-de
près tant qu'il refteroit du jour ; & fon courage même
étant épuifé, il fe retira dans fon camp, & y attendit le
relie de l'expédition. lis avoient déjà paffé les bornes de
Bacchus, qui étoient marquées par des pierres à petite
diftance les unes des autres $ & par de grands arbres dont
il aYoit couvert les troncs de lierre : mais l'emportement
mena les macédoniens plus loin ; fi bien qu'ils revinrent
au camp vers le milieu de la nuit, après avoir tué beaucoup
d'ennemis, & fait prifonniers un plus grand nombre ;
ils emmenèrent aufli dix-huit-cents chevaux. Là perte
des macédoniens fut de foixante cavaliers, d'environ cent
fantaflins, outre mille bleffés.
36. Cette expédition, par l'éclat d'une victoire remportée
fi à propos, fournit entièrement l'Afie qui étoit
prefque toute révoltée : car on avoit cru jufqu'alors ks
fcythes invincibles ; mais après leur défaite, on avoua
qu'aucune nation ne pourrait rééfter aux armes des
macédoniens. Les faces envoyèrent donc une Ambaffade
à Alexandre 9 pour lui promettre obéiffance : ils
avoient été touchés également, & de fa valeur, & de
îa clémence dont il avoit ufé envers les fcythes après
fa viôoire ; car iî leur avoit renvoyé tous leurs prifonniers
fans rançon, pour faire voir que c'étoit par
pure émulation de brayoure, & mon par animofité,
• D vj

?4 LIBER FIL CAP. X
tium de forûtudlm , non de ira, fuiffe cerêamerL
Bénigne igituf excepûs facarum legutis, comïtem
Excip'mum dedk, admodum juvenem atatis flore
concUiatum fibi, qui * qaum fpeck eorporis igquaret
Hephaft'wmm , iepore haud fané Mit par erat.
tpfe 9 Cratero cum majore parte exerckûs modki*
kineribus fequi juffb , ad Maracanda urbem pervenk,
ex'qui Spkamenes % cognito ejus adventu*
BaËra perfugerau Itaqut quatriduo rex ïongum
itineris Jpat'mm emenfus ,. ptrvenerat ïn eum locum.
in quo, Menedemo duce,. n millia pedïtum &"
çcc équités amifirat;. horum offa tumuïo conteg*
juffit, & mferias mors patrio dedk, Jam Craterus,
cum phalange fubfequi juffus, ad regem pervemrat
; kaque, ut omues qui defecerant parïter
belli clade premerentur , copias dwidk urique agro*
& mterficî pubères jujfiu
X. Sogdiana regio majori ex parte ieferta eft ;
offîngenta -ferè ftadia in tatitudinem vaftœ fotitudines
tenent ; ingens fpatium re$£t regionis eft ,
per ' quam amnis ,. Polytimetom vocant incoie »
fertur torrens ^ eum ripa in îenuem alveum cogunt,
deinde caverna Mcipk & fub terram rapit ;
cursus abfcondki indicium eft aqum meantis fonus T
quum ipfum folum fub quo tantus amnis ftuk ne
modico quidem refudet humore. Ex • captivés Jbgdianorum
ad regem xxx nebUiffimi > coYporum
robore eximiof perduM erant-; qui, ut per imterpretem
cognoverunt juffh régis ipfos ad fupplicium
trahi j carmen ÎMantium more canere, tripudiïsque
& lafcivïori eorporis motu gaudium quoddam
animi oftentare cœperunt* Admiratus rex tara£
magnkudine animi oppetert mortent,. revocari eo£
juffit » caufam tam ejfufm Imit'm ,. quum fuppli~

-LIVRE FIL CHAP. X. gy
ejulr en étoit •enu aux mains avec les plus- Taillante»
mations, Il reçut donc avec bonté les envoyés des
laces,.& les fit accompagner parEscipme r jeune homme
k la ieur de fon âge qui lui étoit fort agréable f auffi beau
qu'Hépbeftion, mais n'ayant pas les mêmes grâces. Pour
lui, après avoir îaiffé Tordre à Cratère- de- îe fuivre à*
petites journées- avec la plus grande partie de fonarméer
il fe rendit à Maracaadc r d'où Spitamènes-, fur la nou~
* Telle de fon arrivée, s'étott enfui dans la Baélriane..
après avoir donc fait beaucoup de chemin en quatre
}ours > le roi étoit arrivé au lieu où il avoit perdu deux»
mille hommes de pied & trois-cents cavaliers fous la.
conduite de Ménédème: iî fit enterrer leurs oflements,.
& célébra leurs funérailles à fa manière de fon pays»
Déjà iî avoit été rejo-int par Cratère, qui avoit eu ordre
de le fuivre avec la phalange ; & alors % pour châtier
également tous cens qui s'étaient révoltés r il partage»
fes troupes & leur commanda de brûler les campagne»
&de tuer ceux qui feraient en âge de porter lésâmes..
X. La SogcRane eft déferte dans (a pfus grande partie 5
3 y a près de huit-cents ftades en largeur qui ne font que
.de valles folitudes : on avance tout droit dans une partie
fort étendue » traverfée par un fkuve auffi rapide qu'un,
totrent, que l'es habitants nomment Poijiimke i fes*
mes Ce refljerreat dans un canal étroit % puis il entre
d'ans une caverne & fe précipite fous terre; fon courscaché
se fe fait connaître que par îe bruit que font fes
eaux en- roulant, la ^terre foui laquelle pafle- un» fi grand'
ieuve n l en reflentant.pas la moindre humidité» Entre-:
les prifonniers fog^iens il- en fut amené au roi trente
des plus diftiagués & des plus Tig,oureux, qui » ayant fu»
par un-interprète qu'on le» menoit aufupplice par Iecom~
mandement du roi h fe mirent a entonner un chant d'al»
légreflcr, & à montrer par des fauts & des treffaillements.
une forte de fatïsfaétion intérieure. Le roi, étonné qu'ilsallauent
à fa mort aviec tant de réfolutio», les fit rêve- '
akv Ôc leur demanda ce qui leur çaufoit une joie fi

86 LIBER FIL CAP. X
cium antt oculos haberent, requïrem : Mi 3 fi ah
aiio occiderentur, îrifles moruuros fuiffe refpondent;
nunc à tanto rege, viBore omnium gentium,
majoribus fuis redditos , homflam mortem , quam
fonts viri voto quoque expeterent $ carminibus fui
moris Imtitiâqwe celcbrare. Tum rex 9 Quxro itaque
9 inquit, an ¥i¥€re velitls non inimici mihî,
cujiîs bénéficie viôuri èftis ? EU nunquam fi ini- '
micos ci, fed, bclh laceffitos, hofles fuiffe refpondent
; fi qms ipfos bmeficio quam injuria experiri
maluiffet , certaturos fuiffe ne vincerentur
officio. Interrogantique quo pignon fidem obligaturi
efftnt ; vitam quam acciperent pignori futuram effe
dixêrum , reddituros quandoque repetiffet* Nec
promiffum .fefellerunt : nam qui remiffi domos
krant , in fide continuere populares ; quatuor -,
inter cuftodes corporis retenti , nulli macedonem
inregem caritate cefferunL
38. In fogdianis Peucoîao, cum tribus mïïlibus
peditum 3 neque enim majori prafidio indige~
bat, reliBo, BaBrapervenit : inde Beffum Ecbatana
duci juffit , interfiBo Dario pmnas capite
perfolutuntm* lisdem ferè diebus , Ptokmmus &
Menidas peditum tria mMia & équités mUle adduxerunt
mercede militatums ; Âltxander quoque ex
Lyciâ, cum pari numéro peditum & n equitibus,
venit ; totidem è Syriâ AfcUpiodorum fequcbantur
; Antipater gracorum VI il milita, in quibus
t> équités erant, miferat, Itaque exercitu auBo 9
ad ea quœ defeBione turbata erant componëndd
procejfit 9 uiterfetiisque conflcmatfGnis auBoribus 9

* LIVRE VIL CM A p. X 87
TWC à îa vue du fupplice : ils répondirent que f fi leur,
mort étoit ordonnée par un autre 9 ils en feroient affligés
; mais qu'allant être réunis à leurs ancêtres par le
commandement d'un fi grand roi9 vainqueur de toutes
les nations s ils célébroient par des chanfons de leur
pays & avec joie une mort honorable, digne d'être
défîrée par les plus vaillants hommes. Je vous demande
donc f leur dit alors le roi, fi pour prix de la vie que je
vous donnerai vous €onfente\ à n'être plus mes ennemis?
lîs répondirent qu'ils n'avoient jamais été les ennemis de
fa perfonne, mais qu'ayant été attaqués en guerre ils
s'étoient défendus par des hoftilités; que, fi on avoit
effayé de les gagner par l'honnêteté plus tôt que de les
provoquer par la violence, ils auroient tâché de ne fe
pas laifler vaincre en bons procédés. Comme il leur
demanda quel gage ils lui donneroient de leur fidélité,
ils répliquèrent que îe gage le plus fur feroît la vie
même qu'ils tiendroient de lui, & qu'ils lui rendroient
quand il Pordonneroit. Et ils tinrent parole : car ceux
qui furent renvoyés chez eux, continrent leurs concitoyens
dans Fobéiflance; & quatre, qu'il retint dans
Ces gardes du corps, ne le cédèrent en affe&ion à aucun
des macédoniens.
38. 11 IaiHa Peucolaus dans Ja Sogdiane avec trois*
mille hommes de pied , car il n'avoit pas befoin de plus
grandes forces ; & il vint à BaTires : de là if fit conduire
Beffus à Ecbatane, pour lui faire payer de fa tête le
meurtre de Darius. A peu près dans le même temps,
Ptolémée & Ménidas amenèrent au roi trois - mille
hommes de pied & mille chevaux de troupes merce-%
naires; un officier nommé Alexandre vint auffi de la
Lycie avec pareil nombre de fantaflins & cinq-cents
cavaliers ; il en arriva autant de la Syrie à la fuite
d'Afcîépiodore ; & Antipater avoit envoyé huit-mille
grecs , dont cinq-cents étoient à cheval. Son armée ainfi
augmentée , le roi marcha pour réparer les troubles
occafionnés par la révolte, & après avoir puni de mort
les auteurs du défordre, il arri?a en quatre jours m

§8 LIBER FIL CAP. XI
quarto du ad ftumen Oxum perventam eft, Hk9
quia limum vehit, îurbidus femper & Infdubris
eft potu : haqu€ putees miles cmperat fodere }
nec tamen, humo akè egeftd , txjjflebat humor ,
quum m ipfo tabernaculo régis confpeBus eft fins ;
quem, quia tarde notaverant, fubtto exftitijfe finxerunt,
rexque îpfe credi voluit donùm dti id
fuijfc. Superatis de'mde omnibus Ocho & Oxo s
ad urhem Marginiam pervenit. Çircâ eam VI oppidis
condendis eleâa fedts eft ; duo ad Meridiem
ver fa , quatmr fpeÛanûa Orientem, modicis intcr
fet fpaûis diftabmt f ne pracui repeiendum effet
mutuum auxilium ; hmc omnia fia font in editis
collibus: mm velutfmnï domitarum gentium; nunc,
Qriginis fom oblita -, ferviunt quibus imperaverunt.
XL Et cetera quidem pacagerai rex. Una erat
petra% quam Arima^es fogdianus cum xxx miïïibus
armatorum obûnebat, alimentis ante coneeftis
qua tanta multhudini, vd per biennium , Juppéterent
: petra in aîtitudinem xxx emineî ftadia 9
circumitm £ & £ compleBitur ; undique abfciffa
& abrupta , femitâ peranguftd aditur» In medi&
altitudinis fpatio habet fpecum3 cujus es arBum
& ôbfcurum eft ; paulatim deinde ulteri&ra panéuntur
, ultima eùam akof recejfus habent : fontes
per totum ferl fpecum manant, è quibus colhta
aqum per prona montis ftumen emittunt. Rex%.
toci dijficultdte fpe&atd % ftatutrat inde abire ; eupido
deinde incejpt animo naturam quoque fadgandL
Prias tamen quam fortunam obfidionis experiretur
, Çophan , Artaba^ hic filius trot* mi fit
ad barbares y qui foaderet ut dedermt rupem :
Arima^es % loco fretus ,-foptrbè' multa refpondit;

LIVRE VIL CHAP. XL 89
fleuve Oxus. Comme il entraîne beaucoup- de limon*
Feau en eft toujours trouble & mauvaife à boire : les
foldats fe mirent donc à creufer des puits; & quoiqu'on
eût déjà creufé fort avant, on n'avoitpas encore'
uae goûte d'eau» lorfqu'on découvrit une fource dans
la tente même du roi; mais ayant été apperçue un"
peu tard , on mît en fait qu'elle Tenoit de foordre tout
à coup, & le iroi lui-même larffa croire que c'étoit-une
faveur de îa Divinité. Ayant eafuite paffé les 'rivières
d'Ochus & d*Oxus, il arriva à la ville de Marginie. On»
choifit aux environs de cette ville des emplacement»
convenables- pour en bâtir lis autres ; os en conftruifit
deux.vers le -Midi,. & quatre vers l'Orient, à peu de
diftance les unes des autres, pour les mettre à portée
de fe fecourir mutuellement; elles furent toutes placées
fur des collines élevées : c'étoient alors comme
autant de freins pour contenir les peuples conquis j
aujourd'hui, quelles ont oublié leur origine, elle*
obéiftent à ceux à qui elles ont dfobord commandé.
XL Le roi avoit mis fe calme partout ailleurs. If
n'y aroiî qu'un rocher qu'occupok le fogdien-Arimaze r
avec trente-mille hommes de troupes, & les provifions
séceffaires à tant de monde, même pour deux,'ans : ce
rocher a trente ûades d'élévation t & cent cinquante de
tour; coupé à pk 8c efcarpé de tout côté, il n'eff abordable
que par un fentier. À la moitié" de la hauteur eft
une caverne f dont Fentrée eft étroite & obfcure ; l'intérieur
s'élargit peu à peu, & H y-a dans le-fond d'im~
menfes retraites : prefque toute la caverne eft remplie
de fourres, dont les eaux raffemblées forment us fleuve
fur le penchant des montagnes. Le roi %. ayant reconnu,
fa difficulté d ? empotter ce polie, avoit réfolu de paffer
outre ; puis il lui prit envie de lutter contre la nature
même. Néanmoins avant de s'expofer au hafard d'un
liège, il envoya Cophas, fils d'Àrtabaie, aux barbares %
pour leur perfuader de rendre leur pofte : Arimaze, qui
$y ceafîoit, fit: plusieurs réponfes hautaines ; ©c à la fin,

90 LIBEM FIL CAP. XL
md dîimum, a m Akxander volare pojjit ÎMtrrogœt*
Qua nunciata régi fie accendêrê animum, ut »
ûdhïbitu cum quibus confultare trot folitiu, indicaret
infolcnûam barbari , dudentis ipfos quiapennos
non haberent ; ft mitent proximâ noBe ege&U"
rum ut crederet macedoms etiam volare. Trecen—
tos , mquit, perniciffimos juvenes , ex fuis quisque
copiis, perducitê ad me, qui per calles &
& penè invias ropes domi pecora agere confueverint.
40. llli pmflantes & levkaie corp&rum & ariore
animorum ftrermè adducunt ; qms intuens rtx 9
Vobifcum, inquit 9 o ! Juvenes & mei aequales ,
ûrbium inviûarum ante munimenta fuperavi ,
monterai juga perenni nive obrata emenfus
fiim , anguftias Ciliciae intravi, ïndise fine la£*
fitudine vim fngoris ïUHî perpeffus : & mei documenta
vobis dedi5 & veftri habeo. Petra
quam yidetîs unran aditpiri habet, qiiem barbari
obfident ;• cetera negligunt : nulls vigiliae font,
lîifi quae caftra noftra fpeâant. Invenietis viam?
û folerter rimati foerîtis aditus ferentes ad cacumen.
Nihil tam altè Natura conftituit, quo
virtus non poflit enitî : experiendo qua ceteri
defperaverant , Afiam habemus in poteftate.
Evadite in cacumen ; quod quum ceperitis,
candidis velis fignum mihi dabitis : ego, copiis
a-dmotis, boftem in nos à vobis conTertam.
Prsemium erit ei qui primas oceupaverit veiticem
, talenta X ; uno minus accipiet qui proxîmus
ei yenerit, eademque ad decem nommes
fervabitur portio. Certum autem habeo , vos
non tam liberalitatem intueri meam quam voluntaîem.
His animis regem audierunt , ut jam

LITRE FIL CHAP. XL 91
il demanda fi Alexandre' avoit ïe pouvoir de voler*
Ces propos rapportés au roi l'irritèrent fi fort f qu'ayant
affetublé ceux qu'il avoit coutume d'appeler à fou confeîl
, il leur déclara que le barbare avoiî l'infoîence d«
les railler parce qu'ils n'avoienî point cTailes ; mais que
dès la nuit fuivante il lui prouveroiî que les macédoniens
fa voient auffi voler. Amenei~moif dit-il, trou»
cents jeunes hommes bien difpos, que mus choifirei dams
les corps que chacun de vous commande, du nombre de ceux
fui ont été accoutumés che\ eux à mener des troupeaux par
d^s/entiers étroits & de* rochers prefque impraticables 9
40. Ils îul amenèrent bientôt des jeunes gens agîtes
& pleins de feu ; & îe roi les regardant, Ceftavec vous,
mes jeunes Camarades, leur dit-il, que j'ai forcé des
places jufque-là imprenables, que j'ai franchi des mon~
ttgnet couvertes de neiges éternelles, que je fuis entré dans
les gorges de la CHicu, que j'ai fupponé fans décourage*
ment la rigueur du froid de finit : je vous ai montré de
quoi je fuis capable, & je fais et que vous vaU\. Le roc
que vous voye\ n'efi abordable que par un endroit, que lu
barbares défendent ; ils négligent tout h refte : point defen*
tutelles que du coté de notre camp. Si vous cherchei bien les
moyens de parvenir au fommet, vous trouverez "quelque
chemin, La Nature n'a rien place fi haut, que la valeur
ne pui§e y atteindre: c'tft en fefant.des tentatives qui
avoientfait h défefpoir des autres , que nous nous fommes
rendus les maîtres de l'Afie. Gagne^ h fommet ; & quand
vous y fere\ établis, donnez-m'en h fignal avec des dra~
peaux blancs : je ferai alors avancer mes troupes, & em
fixant fur nous Vattention de l'ennemi » je la détournerai
de deffus vous. Je donnerai dix talents de récompenfi a*
premier qui fera parvenu au fommet ; le fécond em aura
un de moins f & la même proportion fera obfervée jufqu'au
dixième. Je fuis sur au refit > que vous envifage^
moins ce que je vous prom'ets que ce que je défire* Ils écoutèrent
le roi avec tant de.difpofition à le fervir-, qu'il

9i LIBER FIL CAP. XL
ctpiffe verticem viderentur ; dimiffique ferreos cu~
mos ^ quos inier [axa defigertnt, validosque fîmes
parabant. Rex y circumveBus petram, quâ mimnâ
afper ac pmruptus aditus videbatur , fecundâ vi~
giliâ, quod bene verteret, ingredi jubeL
41. Mi, atiminth In tiduum fumûs, gtadiis
modo atque hafiis armaû, fubire cœperunt, Ae
primo pedibus ingreffi funt : -débute, ut in pmrupîa
perventum eft3 atii, mambus embtentia/axa
complexi 3 tevavire [émet, alii adjeBis funium
laqueis evasêre ; quum cuneas inter faxa defige-*
rent quitus gradus fubinde infifterent, diem inter
metum labortmque confumferunt. Per afpera eni"
xis duriora reftabant, & crefcere altitudo petra
videbatur. Elu vero miferabiiis erat faciès, quum
ii quos infiabilis gradus fefellerat ex pmcipiû
dtvolverentur ; mox eadem in fe paûenda alienl
cafûs ofiendebat exemplum. Per has tamen dijfir
cultates tnituntur in verticem montis , omnts fatigatione
contimmti taboris affeéli, quidam multaû
parte membrorum. Pariterque eos & nox & fcmnus
oppreffit : ftratis pajfim corporibus in inviis
& in afperis faxorum, periculi inflanîis obliù,
M tucem qtdevemnt ; tandemque velut ex dm
fopore txcitati , occultas fubjeêasque ipfis vattes
rimantes, ignari in qui parte petra lanta vis
koftium eondita effet 3 fumum fpecûs mfra fe
îpfos evoîutum notaverunt ; ex quo intetleâum ejl
tltam hoftium iatebram effe. Itaque hafiis impofuirt
quod convenerat fignum i totoque è mmem

LIVRE FIL CMAP. XL 9}
leurfembloit déjà être au Commet; & quand ils eurent
été congédiés , ils firent provifion de coins de fer, pour
les enfoncer entre les pierres , & de bonnes cordes. Le
roi, ayant fait ie tour du rocher, ieur commanda, en
leur fouhaitanî un heureux fuccès, de fe mettre en*
marche à îa féconde veille par l'endroit qui paroiflbit le
moins rade & le moins efcarpé.
41. Ils prirenr des vivres pour deux jours , & armés
feulement d'épées & de javelots, ils fe mirent à monter.
t Ils ne fixent ufage d'abord que de leurs pieds : enfuite îa
montée étant devenue plus roide, les uns s'élevèrent
en fe prenant aux pierres Caillantes , les autres j'en
tirèrent en y attachant les cordes par des nœuds coulants;
occupés à enfoncer leurs coins entre les pierres
pour en faire de fois à autre des points d'appui, ils
payèrent tout le jour dans les tranfes & dans le travail.
Après avoir* franchi avec beaucoup de peine des
endroits difficiles, il'en reftoit de plus rudes encore,
& le rocher fembloit croître perpétuellement en hauteur.
C'étoit d'ailleurs ua fpeôacle digne de compailion f
de voir précipités ceux à qui le pied venoit à manquer;
le malheur des uns montrait aux autres ce qui pouvoit
leur arriver dans le moment. Ils ne îaiffèrent pas f à travers
toutes^ces difficultés # de parvenir par leurs efforts
au fommeî de la montagne, tous excédés de la fatigue
d'an travail long temps foutenu, & quelques-uns eftçppiés
d'une partie de leurs membres. La nuit & le fommeil
les furprirent tous en même temps : étendus çà &
là fur des pierres raboteufes d'où Ton n'avoit jamais
tpproché, ils oublièrent le -danger où ils étoient &
dormirent jufqu'au jour ; enfin revenus comme
l'une profonde léthargie 9 examinant les fonds dérobés
fil étoient fous leurs pieds, fans favoir en quelle
partie du rocher s'étoient cachés un fi grand nombre
d'ennemis, ils remarquèrent une fumée qui fortoit de
la caverne au deffous d'eux ; ce qui leur fit conclure
que «fétoit là leur retraite, lis arborèrent donc fur leurs
javelots le 'fignal ionî ûà était convenu ; & ils recon-

94 LIBER FIL CAP. XL
duos & xxx in afcenfy interiiffe cognofcunt*
Rex, non cupidlne magis poûundi loti, quam
vicem eorum quos ad tam manifeftum perkukm
miferat folkïms , toto die cacumina montu in~
iums reftitit ; noBu demum , quum obfcuritas conf
peBum oculorum ademijfet # ad curandum CQrprn
f9€t£iL
41. Pojlero die, nondum faits clarâ lace §
primus pela s fignum capti véniels, conjpexit :
fed ne falkremr acies dubiiare cogebat varietas
€œli9 nunc intermttnte lucis fulgore , nunc cortr
dito ; verum ut liquidior lux apparut ado, dur
bitatio exemta eft. Vocatumque Cophan, perqutm
èarbarorum animos tentaverat, mlltlt ad eos, qui
moneret nunc faltem falubr'ms confdîum mirent ;
fin autem fiduciâ bel perfeverarent , oflendi à
tergo jujffit qui ceperanî verticenu Cophas admif
fus fuadere cœpit Arimatf petram tradere , gratiam
régis inituro 9 fi tantas res molientem'in
umus rupis obfidione harere non co'égiffet : Uie%
. ferocius fuperbiusqm quam antea bquutus , abirt
Cophan jubeL Àt is prehenfmn manu barbarum
rogat ut fecum extra. Jpecum prodeat; qwo impetrato
, juvenes m cacumine oftendit9 ejusque fuper~
but kaud immérité illudens , pennas ait habert
milites AlexandrL Jamque è macedonum caftris
fignorum concernas &- toûus exerckfis elamor au*
diebatur. Ea res, ficut pkraque belli vana & uu*
nia, barbares ad deditiomm traxit ; 'quippe occupati
metu » ' paucitatem eorum qui À tergo erant
mfiimare non poterant : kaqpt Cophan, nom tre~

LIVRE F H. CMAP. XL 95
tarent que de tout ce qu'ils étaient, trente deux s'étoieat
tués en montant. Le roi y également tourmenté f & pat
le défit d'emporter la place s & par fon inquiétude, fur
k fort de ceux qu'il avoit expofés à un danger fi ma*
8îfeftef pafla tout le jour à ©bfenrer les pointes du
rocher ; enfin ïorfque , la nuit venue, l'obfcurîté l'empêcha
de voir, il fe retira pour prendre du repos.
42. Le lendemain t avant que le jour permît de bien
diftinguer, il fut le premier qui apperçut les fignaux
de la prife du Commet : mais il craignoit encore que fa
•ûe ne'le trompât à caufe des mouvements variés du
ciel , la fpleodeur de la lumière fe montrant & difpatoifiaet
tour à tour ; mais quand le jour fut plus décidé,
fes doutes s'évanouirent* Ayant alors fait appeler
Cophas g dont il s'étoit fervi pour fonder les difpofic ions
des barbares , il le leur renvoya, avec ordre de les engager
à prendre du moins dans ce moment un parti plus
sûr | & s'ils s'obftinoient par confiance au pofte qu'ils
ôccopoieat» de leur montrer derrière eux ceux qui
s'étoieat rendus maîtres du Commet, Cophas introduit
effaya de perfuader à Arimase de livrer fou rocher,
lui promettant les bonnes grâces du roi, s'il ne le forçait
pas de fufpendre le cours de fes grands defleins
pour faire le fiège d'un miférablç rocher : mais celui-ci
parla avec encore plus de fierté & d'orgueil cp'auparavant
f & lui commatda de fe retirer. Cophas , le prenant
par la main, levpria de for il/ avec lui de la caverne;
quand il l'eut obtenu f II lui montra la Jeunefle
quioccupoit la cime, &-fe .moquant avec raifon de fou
orgueil, il lui dit qu'en effet les foldats d'Alexandre
avoïent des ailes. Déjà l'on enîendoit dans le camp des
macédoniens la mufique des instruments & les cris de
toute l'armée. Cela, comme il en eft ordinairement à
la guerre de plufieurs chofes vaines & miférabîes , décida
les barbares à fe rendre; parce que, préoccupés
par îa frayeur, ils ne purent faire attention au petit
nombre de ceux qui étoient derrière eux; il fe hâtèrent
4ênç de rappeler Cophas, qui les ayoit quittés dans

96 LIBER VIL CAP. XL
fidantes reïïqwrat 3 ftrenuè wvocam.; & cum a
'xxx principes mittunt, qui petram tradam & m
incolumïbus abire 'liceat pacifcantur. lUe qumt
quam verebatur ne, conjpe&â juvtnum paucitatt,
deturbareni eos barbari ; tamen, & fortunafm
confifus & Arîma^i fuperbm infenjus , mâkm
fe conditionem dediûonis accipere refpondit* Art
maçes , defperaûs magis quam perdais réus 9
€um pwpinquis nob'diffimisque gémis fim defasdit
in caftra ; qms omnes verber'éus ajfeâos fé
épfis radkibus petm cmcibus juj/it affigL Mulît
tudo dediûûomm incolis novarum urbium cum pe*
€uniâ capta dono data efl ; Artabaqus m ptif£
regionisjuc qua appofita effet ei tutelâ reliBm*
leur

LIVRE VIL CHAP* XL 97
leur effroi j & ils envoyèrent avec lui trente des'principaux,,
pour.livrer le .pofte & pour ftipuîer que les
a&égés fe retireraient la vie fauve» Quoîqu'Alexandre
craignit qu'à la vue du petit'nombre de ceux qui étoient
montés, les barbares ne les .précipttaffent ; plein de
confiance dans fa fortune & indigné de Finfolence
d'Anniaze , il ne laiffa pas de répondre qu'il n'entendolt
à aucune condition..Arimaze, fans efpoir plutôt que fans
leffoarccj defcendit au camp avec fes proches & les
plus diftingués de fa -nation ; le roi les fit tous -battre
de verges et attacher enfuite à des croix au pied même
iâ rocher. La multitude qui s'itoit rendue fut donnée
a?ec tout l'argent du butin aux habitants des nouvelles
ïùk$i & Artabaze demeura pour être gouverneur tl«
TMaer & de tout le pajs d'aleatous.
Tome II

LIBER OCTAVUS.
L Maffagêtis , dahis , & fogdîanis fubaâls,
• Icythae lui régis filiam Alexandre conjugem
ofterant : qui, leone interfefto & quatuor
" millibus feraram in venatione dejeétis, Cîiîum,
folemni eonvivio adhibitum & liberiùs
loquentetn , interficit.
//• Sera Alexandri pœnitenâa, quam-fequuntur
bellicse expeditjones adversus baclrianos transfuga's
& Syfimithren. Philippi item, ftrenuiffimi
juvenis , &Erigyii, clariflkm decis,
obitus. '
III. Spitamenis uxorem, interfeôi mariti caput
adferentem, Alexander caftris excedere jubet.
Provincias quafdam à prsefeâoram fiiorum
injuriis vindicat.
IV. Frigoris nimiâ.vi penè opprimitur exercitus,
Gabazam.- aditurus. Alexandri confiante
& erga gregarium miBtem humanitas ; ejusdemque
eum Roxane • matrimonium,
V* Cogitationibiîs in bellum indicum vêrfis,
adulatoram fraude nimiâ fuperbiâ eîatus,
Alexander Joyis filins 'voit falutari ; quoi
CalHfthenes gravi oratione improbat.
VI. Ex igeomïnia Hermolao 5 nobili puera ,
ïnlatâ nafcitur in caput Alexandri conjuratio i
quâ deteâà, inter auâores fceteris , innoeens*
CalEfthenes conjicitur*

LIVRE HUITIÈME,
IL Apres la fiumiffion des majfagites , des dahès f
& des figdiens, les fcythes offrent la fille de leur
roi en mariage a Alexandre : ce prince me9 dans
une chajfe , un lion & quatre-mille bêtes, &
dans an fiftin folennel, Clitus 9 qui y parlok
avec trop de liberté',
IL Regrets tardifs d'Alexandre , fuivis de fes ex»
feintons contre les transfuges baBriens & contre
Syfîmithrès, Mort de Philippe, jeune homme
plein -de courage , & d'Érigyius, capitaine
très-difl'mguL
III. La femme de Spkamènes apportant la tête de
fon mari .qu'elle avoit tué, Alexandre lui commande
de finir du camp. Il venge quelques pro*
. vinces des injuflices de fis lieutenants,
Vf, L'armée , prenant la route de la Gabaçe,
faillit â périr par la violence exceffive du froid.
Confiance d'Alexandre & fon humanité pour k
fimple fildat ; fin mariage avec Roxane.
V. Tandis qu'il s'occupe du projet de l'expédition
des Indes , Alexandre 9 enivré d'orgueil par
la fèduBion des flatteurs 9 veut qu'on l'honore
comme fils de Jupiter ; ce que Calliflhènes condamne
par un dîfcours plein de 'gravité.
VI. Un outrage fait a Hcrmolaus , jeune homme
de qualité , donne naiffance a une conjuration
contre Alexandre : quand on Fa découverte »
Calliflhènes , quoi qu'innocent, efl englobé parmi
les auteurs de l'attentat*
E îj

ioo LIBER VIIL CAP. I.
VIL Hermolaï, Callifthenen juftnm cffe affeverantis
, adversùs cradelem Alexandri fuperbiam
înveâiva.
VIIL Alexandri ad Hermolaï inveâivam ret
ponflo : eonjuratorum item atque innocen-
-tis CaUifthenis fiipplicium.
IX. Indi , Gangis 9 Dyardenis , Indiae , ejns
incolarum, luxu diffluentium regum, ac'fapientium
luculenta defcriptio.
X Varies Indiae populos mira felicitate, son
tamen fine fanguine, Alexander fiibjicit.
XL Aornus, petra & nrbs inaeceffa, ab "Alexandre
oppugnatar ; & ab ©bfeflis reliâa,
capitur.
XIL Ompbis, rex potentiffîmus, fe regnumque
fuum Alexandre pennittit, à quo in integrum
r eftituitur ; unde mutua doua regia.
XIII. Poram regem , Ompbis fiiafii, Alexander
ancipiti qoidem & fub initia periculofiflimo
aggreditur bello.
XIV. Indorum & macedonum infignis & cruenta
pugna. Pori, captivi, magnanimitas ; &
Alexandri regia clementia.
1. ALEXANDER* majore fama quam glariâ m
dithnem rciaBâ petra, quum propter vagum hoftem
fpargendœ, manus e£ent, in ires panes divi-
J.t ixerckum : ffepkœflionem uni , Cœnon akeri
iuces dederat; ipfe ceteris pmeraL ' Sednon taâtm

LIVRE yIII. Cm A p. I. 101
VIL Hermolaus 9 foutenant que Callifthènes eft ,
innocent, inve&ive contre la cruauté & l'orgueil
d'Alexandre,
#VIIL Réponfe d'Alexandre a FinveBive d'Hermolaiïs
: fupplice des • conjurés & de Callifthènes
quoiqu'innocent.
IX. Excellente defcripdon de F Indus , du Gange 9
. du Dy ardent, de l'Inde 9 de fis habitants, dit
luxe prodigieux de fis rois , & de fis figes,
X. Alexandre fiumet différents peuples de F Inde
avec un bonheur furprenant, non toutefois fans
ver fer dufang.
XL Aorne, rocher & place inaccejfible, eft attaqué
par Alexandre; & les affiégés l'ayant abandonné
, il s'en rend maître.
XII. Omphis, F un des plus puiffmts rois de Finie,
remet fa perfonne & fis Etats a Alexandre, qui
lui rend tout fans réfirve ; préfints mutuels que
fe font ces rois en conféquence.
XIII. Alexandre, à la perfuafion d f Omphis, fait
au roi Porus une guerre vraiment hajardeufe &
dans les commencements très-périlleufe.
XTV. Bataille mémorable & fanglante entre les
indiens & les macédoniens. Grandeur d'ame* de
Porus , quoique prifonnkr ; clémence d % Alexandre
9 digne d'un grand roi.
L APRèS la prife de ce rocher, plus avantageuse
par le bruit qu'elle fit que par la gloire du fuccès ,
Alexandre, voyant qu'il falloit faire beaucoup de déta*
chements contre un ennemi difperfé s partagea fon armée
en trois corps : il donna le commandement de l'un à
Hépheftion, celui d'un autre à Cénus ; & il fe mit à
la tâte du relie. Mais les barbares ne furent pas tous
£ iij

IOI LIBER VIII. CAP. L
mens omnibus barbarîs fiât : armis quidam fiéaB'i
; plures ante certamen imperata fecerunt, quibus
eorum qui in defeBione perfeveraveranî urbes
agrosque jujfit attribut. At exules baBriani cum
DCCC equiùbus majfagetarum proximos vicos va fi
îaverunt : ad quos coërcmdos, Atûnas, regmtâs
ejus prmfe&us» ccc équités, infidiamm qum para*
èantur ignarus , eduxit ; namqut ho fis m filvis ,
quœ erant forte campo junBm 9 armatum militera
€ondidit, paucis propelkntibus pecora ut impr&>*
vidum ad infidias prada perduceret : itaque s incompofito
agmine foiut'uque ordinibus, Atûnas
pmdabundus fequebatur; quem , pmtergrefium fil*
vam , qui in ed confederant ex improvifo adora ,
cum omnibus interemerunt. Ceieriter ad Craterum
hujus cladhs fama perlata efi , qui cum omm eqniiam
fupervenit ; & majfagem quidemjam refiigerant :
dahm mille oppreffi funt , quorum claie totïus
regionis fimta 'defeBio, Alexander quoque , Jog-
4ianis rursàs fubaBis , Maracanda repetit.
a. Jbi Berdes , quem ad fcytkas fuper Bofpko*
rum cokntes miferat, cum legatis gentis occurrit :
Phratapkernes quoque 9 qui chorafmus pmerat,
mafiagetis & dahis regionum confira® adjunBus,
miferat qui faBurum imperata pollicerentun $cy~
ika petebant ut régis fui filiam matrinwmo fibi
jungeret ; fi dedignaretur affinitatem , principes
macedonum cum primoribus fua gentis connubio
coin pateretur : ipfum quoque regem vemurum ai
eum poUicebantur. Utrâque legatione bénigne au~
dhâ , Hepkafiionem & Artaba^um operiens 9

LIVRE VUL.CHAP. L 103
d« «ême avis : quelques-uns ne cédèrent qu'à la force
des armes; îe pîus grand nombre obéirent avant d'en
venir aux mains, & il leur fit donner en propriété les
villes & les terres de ceux qui s'étoient opiniâtres dans
la révolte. Cependant les ba£triens échapés de leur
pays défoîoient les bourgadts voifines avec huit-cents
chevaux maffagètes : pour réprimer leur audace , Attinas,
gouverneur de cette contrée , détacha trois-cents
cbevaux, fans avoir la moindre notion du piège qu'on
lui préparoit; l'ennemi ayant caché des foldats bien
armés dans un bois qui touchoit à la plaine f & ne fefant
paraître que quelques gens qui conduifoient des troupeau,
afin que l'appât du butin lit tomber Attinas dans
le piège : il pourfuivit en effet fa proie, marchant fans
précaution & en défordre ; mais il n'eut pas pîus tôt
paffé le bois, que ceux qui y étoient embufqués, l'ayant
attaqué à l'improvifte , le maffacrèrent avec toute fa
troupe. Bientôt la nouvelle de cette défaite fut apportée
à Cratère, qui accourut avec toute fa cavalerie ; mais
les maffagètes avoient déjà fait retraite : en revanche
iî défit mille dahés, ce qui mit fin à tous les mouvements
de la province, Alexandre de fon côté, après
avoir fournis une féconde fois les fogdiens s retourna
à Maracande.
2. Ce fut là que Berdès, qu'il avoit envoyé vers
les fcythes qui habitent fur les rives du Bofphore, vint
îe trouver avec les ambaffadeurs de ce peuple : de
fon côté Phrataphernes , gouverneur des chorafmiens,
fe voyant engagé dans le voifinage des maffagètes &
des dahés, avoit auffi envoyé des députés pour promettre
obéiffance à Alexandre, Les fcythes lui propofoient
d'époufer la fille de leur roif & s'il dédaignoit
cette alliance, de permettre au moins que les
chefs des macédoniens s'alliaffent par des mariages avec
les Grands de leur nation : & ils promettoient que leur
roi lui-même viendroit le trouver. Après avoir donné
Une audience favorable à ces deux Ambaffades, il féjourna
dans cet endroit en attendant Hépheftion &
E iv

104 'LIBER Kl IL CAP. t.
flaûva habuit ;• quibus adjunBis, in regionem %*fée
appellatur Bazaria pervertit. Barbara opukntîdt
in Mis locis haudulla Junt majora indïcia 9 quant
magnis nemoriBus fakibusqm noBilium ferarum
grèges claufi: fpaûofas adhoc efigunt filvas, créons
perennium aquarum fonùBus amœnas ; mûris
nemora cmguntur y êurresqœ haBent venantium receptacula*
Quatuor continuas mtatibus intaBum
fatum fuijfz cqnflabat $. quem Alexanètr cum
toto exercitu ingreffus ,. agitari linéique feras )uf—
fit. Inter quas quum ko magnkudinis mm ipfum
regem invafums incmreret, forte £yfimachusf qui
pofka regnavk, proximus Alcxandro » vtnabtdum
objicere fera cœperat ; quû rex repulfo & abire
jujfo , adjecit tam à femet uno quam a Lyfimacho
ieonem interfici poffe : Lyfimachus enim quondam K
quum venaretur in Syriâ , occiderat tximm ma-,
gnitudinis feram folusj fed lavo humero ufque ad.
ôjfa laeeratus , ad ultimum pericuti pervenerat. îâ
ipfum exprobrans ei r rex fortiks quam bquuîus
ifl fecit ; nam feram non cxcepit modo , ftè
etiam mm vulnere occidiL Fabulam qum obje&unt
Uonï à rege Lyfimachum temerè vulgavk, ab.ea
cafu quem fupra diximus ortam ejfe creëderim-
Ceterum macedones s quanquam profpero eventu
dtfunBus erat Alexander, tamen fcivire,. gentis
fuœ more y ne pedes venaretur aut fine dekBis
principum amicorumque. Me , iv mUl'éus: ferarum
dêjeBis , in eodem faim cum mm exercitu eptda-,
tus eft»
3. Inde Maracandareikum eft ,- acceptâque am~
tis excufatwne ah Artabaçp, provinciam ejus def
tinat Clito. Hic erat qui apud ùranicum amntm
nuda capite regem dimicantem clypeo fuo texit% fr

LIVRE FUI. CHAP, L 105
Àrlabaze ; & quand ils eurenA-ejoinî, il fe rendit dans
Je pays qu'on appelle Salarie» Les monuments les plus
marqués de l'opulence des barbares font des troupeaux
de bêtes fauves enfermés dans des forêts & de grands
bois : ils choififlent pour cela de vaftes forêts agréablement
arrofées par beaucoup de fontaines ; ils enferment
les parcs de murailles s & ils y conftruifent des
tours pour fervir de retraites aux chaileurs. Il étoit
tenu pour confiant que depuis quatre fiècles entiers on
n'avoit point chaffé dans l'un de ces bois , où Alexandre
entra avec toute fon armée & fit faire une battue
générale. Un lion entre autres d'une grandeur extraordinaire
venant droit au roi, il arriva que Lyfimaque t
qui régna depuis, fe trouvant près d'Alexandre, fe mit
en devoir de préfenter fon épieu à la bête § mais le
roi, l'ayant tepouffé & lui ayant dit de fe retirer,
ajouta qu'il pouvoiî auffi bien que Lyfimaque tuer tout
feul un lion : Lyfimaque en effet, chaffant un jour en
Syrie , avoit véritablement tué feul un lion d'une grandeur
énorme -, mais ayant eu l'épaule gauche déchirée jufqu'aux
©s, il fe trouva dans un extrême danger. En lui fefant
ce reproche, le roi montra plus de courage encore
dans l'aétion que dans.le propos; car non feulement il
Contint l'attaque de la bête $ 'mais il la tua même d'un
feul coup* La fable qu'on a fait courir fans fujet,
. que le roi aroit expofé Lyfimaque à un lion, je crofrois
volontiers qu'elle a fa fource dans cette aventure.
Au reftes quoiqu'elle eût réufli à Alexandre, les macédoniens
arrêtèrent, Celon leur coutume, que le roi
ne chafferolt plus à pied ou fans une efcorte cholfie
parmi les Grands Bt fes courtifans. Pour lui, après
avoir fait abattre quatre-mille bêtes, il fit un feftîn a
toute fon armée dans le même bois.*
3. Il retourna de là à Maracande ; il y agréa îa démiffion
d'Artabaze à caufe de fon grand âge, & pourvut
Clitus de fon gouvernement. C'étoit lui qui à la journée
du Granique couvrit de fon bouclier le roi qui y combattait
tète aue, & qui de fon cimeterre abattit U
E ¥

io6 LIBER FUI. CAP. L
Rhofacïs manum eapid régis imminentem ghd'm
amputavit ; vêtus Philippi miles multisque belli-
£is operibus clams : Mellanice , qua. Alexan»
drum educaveraî , foror ejus , haud fecus quam
mater à rege Jiligcbatur. Ob has caufas vatidiffimam
Imperii partem fidei ejus tutelstque corn*
mifet. Jamque iter par are in poflerum juffus , fokmni
& temptftivo adhibetur convivio ; in qm
rex , quum multo % imaluiffet mero , immodicus
œftimator fui, celcbrare qum gefferat cmpit, gravis
etiam eorum auribus qui fentiebant vera me»
moraru Silentium tamen habucre feniores, donec,
Philippi res or fus obterere , nobilem apud Çhœroneam
viéhriam fui operis fuijfe ja&avit , ademtamque
fibi malignitate & invidia patris tanta rei
gloriam : illum quidem, feditione inter maadonis
milites & grœcos mercenarios and , debUitaîum
vulnere quod in eâ confternatione açceperat , jacuiffe
s non alias quam firmdaàone mortis tuûorem;
fe corpus ejus protexijfe clypeo fuo , ruentesque
in illum fud manu occifos ; qua patrem nunquam
aquo animo effe confeffum , invitum filio debenr
tem fahtem fuam : itaque pojl expediàonem quam
fine eo feciffet ipfe in iUyrios , viBorem fcrmfijfe
fe patri fufos fiigatosque hofles ; nec adfui£e un»
quam Philippum : laude dignos effe , non qui
famothracum initia viferent quum Afiam uri vaftarique
oporteret » fed eos qui magmtudmê nrum
fidem antece£ïj[ent«
4. Hmc & his fîmilîû ktti audiire juvmes ; mgrata
fenioribus erant, maxime propter PhiUppum,
fub quo dïuÊiàs vixtranu Tum Clitus, m

LITRE FI IL CM A p. 1. ïôJ
tnaSn de Rhofaces déjà levée pour frapper la tête
du prince | il avoit fenri long temps fous Philippe, &
s'étoiî diftingué par beaucoup de belles sciions de
guerre : Heiîariice f fa fœur , qui a voit nourri Alexandrey
étoit aimée de ce prince comme fi eïle eût été fa
propre mère. Ce fut par tous ces motifs qu'il confia à
fa fidélité & à fes foins une portion très-confidérabîe de
fon Empire. Clitus, qui avoit déjà reçu ordre de fe préparer
à partir le lendemain, fut invité à un feftin folen*
ne! & qui étoit d'étiquette; après y avoir bien*bu, le
roi fe louant fans mefure, fe mit à faire réloge de fes
exploits, jufqtt'à fatiguer les oreilles de ceux-mêmes
qui reconnoiflbient la vérité de fon dire. Les plus
anciens fe turent néanmoins, jufqu'à ce qu'ayant commencé
à déprifer les aôions de Philippe, il fe vanta
que la fameufe viftoire de Chéronée étoit fon ouvrage,
& que c'étoit la malignité & l'envie de fon père qui lui
avoit dérobé la gloire d'une fi grande aérien : que, dans là
fédition qui s'étoit élevée entre les foldats macédoniens &
les grecs foudoyés, Philippe, affoibli par une bleffure qu'il
avoit reçue dans l'émeute 9 s'étoit couché par ferre f
perfuadé que le plus sûr parti qu'il eût à prendre étoit
de faire le mort; qu'en cet état il l'avoit ceuvert de fon
bouclier, & avoit tué de fa main ceux qui venoient
fondre fur lui; mais que fon père n'avoit jamais aimé
à en convenir, parce qu'il avoit regret de devoir la
vie à fon fils : que pareillement dans l'expédition qu'il
avoit faite fans lui contre les illyriéns, il avoit après
fa vicloire mandé à fon père que les ennemis avoient
été défaits & mis en fuite ; & que jamais Philippe ne
l'y étoit trouvé : que fon fe rendok digne de louange ,
non en allant voir les initiations des famothraces lorfqu'ii
falloit mettre l'Ane à feu & à fang, mais en furpaûant
la croyance ordinaire par la grandeur de fes
exploits. .
4. Ces propos & autres femblabîes furent entendu*
avec plaifîr par les jeunes gens; mais ils déplurent aux
ancie»*, fpécialemeot à caufe de Philippe, fou$ qui il*
E v)

IOS LIBER-FUI. CAP. K
ipfe quidem fatb fobrkis, ad e&s qui înfra ipfiam
cubahant çomerfus , Euripidis rendit carmew ,ha
m fanus magis quant ferma exaudiri pojfet percontari proximos cœpit
quid ex Clito audiffem ;. & Ulis adfilmûum obftinatisyClitus
paulatim majore voce PhUippi aBa belLiqui
in Gracia gefta commémorât, orània prœfentibus
profèrent* Mine inter jimions femsqut 'ortar
eontenûo efi : & rex r vel ut patienter audïret
quh CUtus obterebat Liudes ejus , ingentem iram
eonceperaL Ceterum t quum animo videretur imperaturas
fi finem proeacïter orto fermoni CUtus
împoneret- , rùhit eo rémittente r magis exafperabatur
: jamque CUtus etiam Parmenionem defendere
audebat , & PhUippi de athenienfibus viBoriam
Thebarum pmferebat excidio, non vino modo
, fed etiam animi pravâ comentione provec~
$us».
5". Ad'ulûmum , SF mon'endum*, ïnquït, eff
pro te j Clitus eft primus ; at quum yiâoriae
arbitrram agis , prxcipuum ferunt prœmîum qui"
procaciiEmf patris toi mémorise: illudunt.. Sogr
dianam. regionem mihi attribuis , tories rebtlkm,
& non modo indomitam*,. fed qux ne
fubigi. 'quidem poflit \ mittor ad feras beftias ,
praacipitia ingénia fbrritas i fed quae ad me pertinent
tranfeo. Philippi milites fpernis , oblitus- y
nifi hic Atharias fenex junïores pugnam detrectantes
revocaflet % adhuc nos circa HaHcaxnaf-

LIVRE VIIL CBAP, 1. 109
*f0îemt long temps fervi. Alors Clîtus, qui fe reffentoit
lui-même d'avoir bu, fe tournant vers ceux qui
Itoient au deflbus-de M, leur cita, de manière que le
roi dîftingua plus tôt fa voix que f@s paroles % un vers
d'Euripide dont le fens étoît, que c'étoit un ufage'
mal entendu des grecs de nlnfcrire fur les trophées
que les noms des rois, vu que c'étoit leur approprier
une gloire cimentée par le fang des autres : le roi 9
foupçonnant donc qu'il y avtôt de la malignité dans fore
difeours, demanda àfes volfins ce qu'ils avoienî entendu,
dire à Clîtus; & perfonne ne répondant, Clîtus hauffa
la voix peu à peu t £t le récit des allions & des guerres
de Philippe dans la Grèce, & les mit au deffus de tout
€e qui fe paffoit alors. De là un débat entre les jeunes
& les anciens : & le roi, quoiqu'il parût entendre avec
patiesce ce que difoit Clitus au détriment de fa gloire r
étoii pourtant agité d'une violente colère. Au furplus ,
comme iî fembloït dtfpoféà fe modérer fi Clitus mettoic
Un à un difeours commencé trop infolemment, la fuite
continuant fur le même ton l'irrita auffi davantage r
Clitus ofa mêm« prendre la défenfe de Parménion, Se
mettre la vic*lôîre de Philippe fur les athéniens an
deffus du fac de Thèbes , animé , non feulement pas
Ses vapeurs du vînf mars encore par fon malheureux
caractère de contrariété.
5. S'il s'agit de mourir pour vous, dit-il enfin t Clitus
eft le premier ; mais lorfque vous décide^ des prix aprèr
là victoire, tes meilleurs font pour ceux qui font fur Iœ>
mémoire de votre père les pUifanteries les plus infukantzs.
Vous me donne\ le gouvernement de la Sogdiane, qui s'eft
révoltée tant de fois , & qui, loin d*itre aujourd'hui fou-»
mifef ne peut même jamais Pitre; c'efi m* envoyer parmi
des bêtes féroces f d'un naturel violent & emporté : mais
je pajfefur se qui me regarde. Vous faites peu de cas des
foldats de Philippe t & vous oublie^ que , fi le vieux
Atharias qui eft devant vous n'avoit ramené au combat
vos jeunes gens^qui lâehoient le pied% nous ferions encore
icymu Hâlicarnajpg ; comment eft-ce donc swee cette.

• no LIBER VI IL CAP. L
fum hsefuros. fofffe ; quornodo ergo Afiartt
etiam cum iftïs junioribus fubjecifti i Verum eft ,
ut opinor , qiiod avuncalum tuum in Italiâ
dîxifiê confiât ; iplûm in viros inctdiffe, te in
feminas. Nihil9 ex omnibus inconfultè ' ac temerè
jaclis , regem magis moverat quam Parmenioms
cum honore menûo Mata* Dolorem tamen nx
preffit, contentas juffiffe ut convivio excédent';
nec quidquam aliud adjeck, quam fbrfitan cum $ fi
diut'ms ioquutus foret , exprobraturum fibï fiiijje
vïtam à femetipfo datam , hoc enim fuperbè fmpe
ja&affe. Atque illum cunÉantem adhuc furgere,
qui proximi ei cubuerant, injeBis manibus, yargantes
monentesque conabantur abducere. Ciitus,
quum abftraheretur 9 ad priftinam violenûam m
quoque adje&d, fuo pe0ore tergum iliius effe dejenfum
; nunc , poflquam tanti meriti prateriit
tempus , etiam memoriam invifam effe, proclamât:
Attali 'quoque cadem objiciebai ; & ad ultimum,
Jovis, quem patrem fibi Alexander afférent,
craculum eludens 9 veriora fe régi quam patrem
ejus refponiiffe dicebat,
6. Jam tantum ira conceperat rex quantum vîx
fobrius ferre pomiffet : enïmvero, olim mero fenfbus
vitTis 9 ex le'éfo repente profiluït j attoniû
amici, ne pofiùs qmdem fed abje&is poculis 9 confurgunt,
in eventum rei quam tanto impetu aBurus
effet inteniu Alexander , raptd lanceâ ex minibus
armigeri 9 Clitum 9 adhuc eâdem lingua in'
temperanûâ furentem, percutere conatus, à Pto*
lemceo & Perdiccâ inhibetur ; médium compltxi
& obhBari - perfeverantem morabantur ; • Lyfimachus
& Leonnatus etiam lanceam abûulerant i ille,
militum fidem implorans , comprehendi fe à proz

LIVRE VIIL CHAP. L 111
Jeuneffe que vous avt\ fuhjsgui' VAfit ? La vérke efif je
fcmfe, ce qm f il efi certain que votre oncle a dit en Italie ;
qu'il a rencontré des hommes t-& vous des femmes» De
tous ces propos inconfidérés & audacieux, aucun ne
lit plus de peine à Alexandre que ce qui fut dit à l'honneur
de Parménion. Le roi n'en îaiffa cependant rien paroitre t
& fê borna à lui commander de fortîr de table ; îa feule
chofe qu'il ajouta f c'eft que f s'il eût parlé pîus long,
temps , il lui auroit peut-être reproché de lui devoir
à lui-même la vie , comme il avoit fouvent eu l'orgueil
fie s'en vanter. Mais Clxtus ne fe hâtant point de fe
lever t ceux qui étoïent près de lui le faifirent, &, employant
reproches & remontrances, firent tous leurs
efforts pour remmener.' Comme il fe voyoit entraîné T
la colère algriffant encore fon. caractère violent s ri
s'écria qu'il avoit expofé fa vie pour fauver le roi d'un
coup qu*on lui portoit par derrière; & qu'actuellement,
que le moment d'un fervice fi fignalé étoit paffé, le
fouventr même lui en étoit odieux : il lut reprocha auffi
le meurtre d'Attalus*; & pour dernier trait, fefant une
maligne allufion à l'oracle de Jupiter, dont Alexandre
fe difoit Je fils, il fe vanta d'avoir dit au roi des chofes
plus vraies que fon père.
6. La colère du prince en étoit alors au point que „
même fans avoir bu f il lui auroit été difficile de fe
contenir : 'mais le vin l'ayant déjà mis hors de fens r
il s'élança tout à coup de fon lit; les courtifass étonnés
fe hâtent, sonde pofer , mais de jeter leurs coupes 9
fe lèvent précipitamment, & attendent quel événement
résultera d'une û grande vivacité» Alexandre enlève
le javelot des mains d'un de fes gardes ; veut en fraper
Clitus , qui avoît la fureur de parler toujours avec la
même indiferétion, & eft retenu par Ptolémée & Perdiccas
; ils l'avoient faifî par le milieu» du corps , &
ï'arrétoient malgré fes efforts ; Lyfimaque & Léonna-f
tus de leur côté lui avoient ôté fon arme : cependant il
invoque la foi de fes foldats f & s'écrie que ceux de fa
cour qui l'approchent de pks près lui font violence,

ni LIBER FUI. CAP. Il
ximis amicomm , quod Dario nuper accidijfet ;
exclamât ; fimumque tuba dan ut ad reparti
armati coïrent jubct. Tum vero Ptolemaus & Pcrdiccas
, genibus advolud, orant ne m tam praripiti
ira perfeveret, fpadumque poîiàs animo itt ;
omnia poflero die jufliùs exfequuturum. Sed claufit
iront aures, obftrepente ira : itaque impotem animi
5 percurrit in regim veflibulum ; & vigili excubanti
haflâ ablatâ, conflith in aditu quo nectffe
erat us qui fimul cœnaverant egredi. Aburant
cettri 9 Clitus ultimus Jim luminc exibat : quart
rex j quisnam effet, interrogat : eminebat, ttiam
m voce , [céleris quod p'arabat atrocitas : &
ille, jam non fum fed régis ira- mentor 9 Clltum
effe & de convivio exire, refpondit. Mate dicmih
latus hafld transfixit ; morienùsque fanguiru af
perfus, I nœiCç inquit, ad Philippum , & Parmenionem,
& Attaliwu
H. Malè humants ingeniis natura confuluit f
quod plemmque , non futura , fed tranfaka perpendimus
: quippe rex y poflquam ira mente dtctfferat
9 etiam ebrietate difcujfâ, magnitudinem fa*
cinoris fera œflimatione perfpexh ; videbat, tune
immodicâ libertate abufum, fed alioqui egrtgium
bello virum , & , nifi erubefeeret fateri, fervatorem
fui occifum. Detejiabile carnificis minifterium
occupaverat rex ; verborum Ucemiam , qua vin®
poterat împutari , nefandâ cœde ultus, Manabat
toto vefiibulo cruor paulo ante convivœ ; vigiles
9 attonid & ftupendbus fimiks, procul (iabant;
Uberiorcmque panitentiam foïiiudo exciebat. Erg?

LIVRE FIIL CHAP, IL I-îJ
o&miwe on venoit de faire à Darius, & donne Tordre
de donner Sa trompette pour les aflembler en armes près
de fa perfosne. Là-deffus Ptolémée ck Perdiccas, fe
Jetant à fes genoux, le prient de revenir de cette
colère fi violente, de prendre le temps de îa réflexion %
parce que le lendemain il feroit sûr de faire tout avec
plus de juftice. Mais il avoit îes oreilles bouchées , & if
îî'entendoit que les confeHs de la colère : ne fe poffédant
donc plus , il s'élance jufqu'au Teftibuîe de foa
palais | & arrachant le javelot au garde qui fefoit fentinelle,.
il fe met au paffage par où dévoient nécefîai»
Bernent fortir ceux qui àvoient foupé avec lui. Les
autres étoient partis, Clitus fortort le dernier fansîumière
: le roi lui demande qui iî eft ; & îe ton même
de fa voix îenoit de ^atrocité du crime qu'il méditoit r
celui-ci, qui, revenu de fa colère, ne fe fouvenoit
plus que de celle.de fon martre, répond qu'il eft Clitus
& qu'il vient de fouper chez le roi. A ces mots Alexandre
lui enfonce le javelot dans la poitrine ; & tout couvert
de fon fang, Va 'maintenant, lui dit-il,. trouver
& Philippe, & Parménien, & Aîtalus,
II. La nature a mal fervi Fefpsit humain , en ce que
nous avons coutume de fixer notre attention, non fur
l'avenir, mais fur le paffé : en effet îe roi, revenu do fa
colère , & les vapeurs du vin étant diffipées, apprécia ,
mais trop tard 8 îa grandeur de fon forfait ; ii voyoit
qu'il avoit tué un homme, qui avoit abufé fans doute
de îa liberté exceffive qu'if îuî mvoit aî@rs donnée ,,
mais d'ailleurs guerrier d'un rare mérite s à qui il n'y
avoit qu'une mauvaife bonté qui l'empêchât de reconnoitre
qu'il tfevoit la vie. C'étoit une fonftba abominable
de bourreau qu'H venoit de faire quoique roi,
ea puniffant par na meurtre affreux des propos trop
libres fc qu'on pouvoit imputer au via. Le veftibule étoit
inondé du fang de celui avec qui il venoit de manger ;
fes gardes , faifis d'effroi & comme pétrifiés, fe tenoient
dans réloignement ; & cette efpece de folitude IailToit
à fes remords- un cours bien plus litre. Dans cet

ii4 LIBER VIII. CAP. IL
haftam , ex corpore jacentis evulfam, retorfit ht
femet ; jamque admoverat peBorï , quum advolantvigiles,
& repugnanti è manibus extorquent*
alkvatumquê in tabernaculum deferunt. Me humi
proftraverat corpus, gemitu ejulatuque miferabilï
totâ perfonante regia ; laniare deinde os unguibus,
& circumftantes rogare ne fe tanto dedecori fuperftkem
effe paterentur : in kas preces tota nox
exaBa eft. Scrutantemque num ira deorum ad tantum
nefas aBus effet, fubit anniverforum facrificium
Libero patri non effe redditum ftaîuto tem~
pore ; itaque , inier vinum & epulas cœde corn*
miffâ% iram deifuiffe manifeftam*
8. Ceterum 9 magis eo movebatur, quoi omnium
amicomm animos vidtbat attonitos ; mminem
cum ipfo fociare fermonem pojlea aufurum ;
vivendum effe in folitûdim velue fera beft'm, terrend
allas, alias timentL Prima deinde luce tabernaculo
corpus , peut adhuc cruentum erat,
juffit inferri ; quo pofito ante ipfum , lacrimis
obortis, Hanc , inquit , nutrici meae graîiam
retuli 3 CUJUS duo nlii apiîd Miletum pro meâ
gloriâ occubuêre mortem ! hic frater , unlcum
orbitatis folatlum , à me inter epulas occifus
eft ! Quo nunc fe conferet mifera? Omnibus
ejus unus fuperfum, quem folum aequis oculb
yidere non poterit. Et ego, fervatôram meorum
latro 9 revertar in patriam , ut ne dextram
quidem nutrici fine memoriâ calamitatis ejus
©fferre poffim ? Et quum finis lacrimis querelisque
non fieret , juffu amicomm corpus ablatum

LIVRE VIII. CHAP. IL 115
accès il tire le javelot du corps étendu à fes pieds,
pour s'en percer îuï-même ; iî en avoit déjà porté la
pointe fur fa poitrine , lorfque fes gardes volent à fou
fecours , lui enlèvent ce fer malgré fa réfiftance, le
prennent entre leurs- bras , & îe portent fous fon pavillon.
Là il fe jeta par terre f & fit retentir tout le
palais de fes gémiflements & des plus frittes lamentations;
puis iî fe décîiiroit îe vifage.avec les onglesp
& prioit ceux qui étoient autour de lui de ne pas le
laiffer furvivre à une aftion Iî honteufe : iî pafla toute
la nuit à répéter cette prière. Examinant enfuite fi ce
n'étoit pas prfr un effet de îa colère des dieux qu'il
avoit été pouffé à un fi grand crime, iî lui vint dans
l'efprit qu'il n'avoit pas fait l'anniverfaire d'us facrifice
à Bacchus dans le temps marqué ; & il en conclut
que, le meurtre ayant été commis dans une débauche
de vin & de bonne chère , c'étoit une preuve évidente
de îa colère de ce dieu.
8. Au refte j il étoit encore plus touché de voir que
tous fes courtifans étoient dans la confternation ; que
déformais perfonne n*ôferoit entrer en converfatioîi
avec lui ; & qu'il lui faudrait vivre dans îa folitude
comme une bête fauvage, qui tantôt répand la terreur, &
tantôt eft elle-même dans Perïroi. Dès îe point du jour iî
fit apporter dans fa tente le corps encore tout fanglant : &
îorfqu*on l'eut placé devant lui, Voilà donc , dit-il ers
fondant en larmes , la reeonnoiffanee que j'ai témoignée à
ms nourrice, dont deux fils ont trouvé la mort devant
MiUt en travaillant à ma gloire ! fon frère que voici, fon,
unique confolation après la perte de fes enfants s c*efi moi
qui lui ai été la vie à ma table même ! Que deviendra
maintenant cette m&lheursufe femme ? De tous ceux à qui
elle étok attachée il ne refit que moi, & je fuis le fiul
qu'elle ne pourra voir de bon miL Vrai brigand envers ceux
qui m'ont fauve la vie , retournerai-je dans mm patrie 9 ou,
je ne 'pourrai mime préfenttr la main à ma nourrice fans
lui rappeler le fouvenir de tous fes malheurs ? Et comme
fes larmes & fes plaintes ne finiffoîent pas, fes courti-

né LIBER VIII. CAP. IL
tjl* Rex triduum jacuit inclufus : quem ut armi*
geri corporisque cuflodes ad moriendum obftinatum
effe cognovtrunt, univerfi m tabernacuhm
irrumpunt, diuque precibus eorum relu&atum agd
vicerunt ut cibum caperet ; quoque minus cedu
puderet, jure interfe&um Clitum macedoms àcernunt,
fêpuiturd quoque prohibhuri, ni rtx
kumari jujfijjht. Igitur decem diebus maxime ad
confirmandum pudorem apud Maracanda cott*
fumûs, cum parte exercitûs Hêphœflionem m rtgionem
ba&rianam mifit , commeatus 'm hiemm
paraturum ; quam Clito auîem dejiinaverat prth
vinciam, Amynm dedm
9. Ipfe Xenippa pervertit : ScytAm confias
§ft regio , habitaturque pluribus ac frequentibus
vicis ; quia uhertas terrm , non indigenas modo
deùnet, fed etiam advenas invitât. Ba&rianomm
exulum qui ah Alexandro deftcerant receptaculum
fuerat ; fed poftquam regem adventart compertum
efl , pulfi ah incolis, 11 millia ferè &
ducenti congregantur. Omnes équités erant-, etiam
in pace latrociniis ajfueti ; tum ferocia ingénia,
non bellum modo , fed etiam veniœ defptrath
efferaveraL Itaque ex improvifo adorti Amy.ïtam
, pratorem Alexandrie diu anceps prahm
•ficerant ; ad ultimum DCC fuorum amifps, quorum
CCC hoftis ceph, dédire terga viébribus ,
àaud fane snuki ; quippe ixxx macedonum in-
terfecerunt, prmterque eos ccc & £ faucii faBi
funt. Veniam tamen, etiam pofl )0
fi alteram defeêl'w- defeBiQ*
nem , impetraverunt ; his in 'fidem Idem
acceptis, in ngionem
quam Naura appellant rex cum toto extrchu
venu. Satrapes erat Syfimhkres, duobus ex

LIVRE F1IL CMAP. IL 117
km firent cnîeYer le corps. Le roi demeura couché
& enfermé pendant trois jours : enfin fes écuyers & fes
gardes, le voyant ©bâillement réfolu à mourir f fe jetèrent
tous enfemble dans fa tente, & à forces de prières
ils l'engagèrent, avec bien'de la peine & après de grandes
réfîftances, à prendre de la nourriture ; & pour affoi«
blir la honte du meurtre qu'il avoit commis t les ma*
'cédoniens déclarèrent par un décret que Cîitus avoit
été tué avec juftice, voulant même le priver de fépulture,
fi le roi ne l'eût fait enterrer. Après avoir donc
paffé dix jours devant Maracande principalement pour
raffûrer (a contenance, il envoya Hépfaeftion dans la
Baôriane avec une partie de l'armée pour y faire les
provifîons d'hiver; & îe gouvernement qu'il avoit deftioé
à Cliîus j il le donna.à Âmyntas.
9. Pour lui, il fe rendit dans la Xénippe : c'eft une
Contrée qui confine à la Scythie , & qui eft remplie d'un
grand nombre de villages peu diftaats les uns des autres ;
parce que la fertilité du pays, non feulement y'fixe
les naturels , mais y attire même les étrangers. Elle
avoit été la retraite des baôriens fugitifs qui avoient
quitté le parti d'Alexandre ; mais fur la nouvelle de
l'arrivée du roi, ayant été chaffés par les habitants #
ils s'aflemblèrent au nombre d'environ deux-mille deuxcents.
C'étoïent tous des cavaliers, accoutumés à vivre
de brigandage même en pleine paix ; & alors non feulement
la guerre, mais encore le défefpoir du pardon
svoit ajouté à leur barbarie naturelle. Etant donc venus
fondre fubitement fur Amyntas, lieutenant d'Alexandre f
ils tinrent long temps la viftoire en fufpens : à la fia
ayant perdu fept- cents des leurs, dont trois-cents furent*
faîts\prifonniers, ils prirent la fuite, non fans être
vengés j car ils tuèrent quatre-vingts macédoniens, outre
• trois-cents cinquante qui furent bleffés. Ils ne laiffèrent
past même après une féconde'révolte, d'obtenir,grâce;
& après avoir reçu leur ferment, le roi paffa avec
toute fon année dans une province qu'on appelle Maure.
La Satrapie étoit eatre les mains de Syfîmittires t

n8 LIBER FUI. CAP. Il
fuâ matre filiis genitis ; quippe apud ws parut'
tibus flupro coïre cum iiberis fas eft. Duobus
millibus armatis popularibus, fauces regionis, qui
in arBiJpmum cogimr , vdido munimtnto fepf* j
rant ; prmerflutbat torrens amnis , à tergo petrs 1
claudebat : hanc manu perviam incohz ficeram ;
fed aditus fpecûs. JKcipit lucem , interiora nijt.
illato iumine. obfcura funt ; perpétuas cunkuku
uer prmbet in campos , ignotum nifi indigems. Aï
'Alexander , quanquam anguftias , naturdi fitu
munitas ac validas , manu barbari tuebantur,
lamen arieîibus admoûs munimenta quai manu
adjunéh erant concujpt, fundisque & fagitth pr(h
pugnanùum plerosque dejecit ; quos ubi difptrfos
fugavit, ruinas munimentorum fupergréffus , d
pëtram admovit exercuum.
10. Ceterum, înterverûebat fiuvius , coeuntibm
mquîs ex fuperiore fafiigio in valhm ; magmqm
operis videbatur tam vaftam voraginem expiera
Çœdi tamen arbores & faxa congerî jujpt : in*
gensque barbaros pavor rudes ad, talia opéra cour
cuffèrat » . excitatam molem fubito cémentes* lu?
que rex, ad dedidonem metu pojfe compeUi ra*
tus,9 Oxarten mifit9 nationis ejusdem fed dtiioms
fuœ , qui fuaderet duel ut traderet petram ; «terim,
ad augêndam formidinem , & tunes adm&>
vcbanmr 9 & exeuffa tormentis tela emicabant:
itaque verticem petm , omni alio prafidio dam'
nato, petiverum. At Oxartes trepidum -di$dar
unique rébus fuis SyfimUhrem empit hortari, ut
fidem quam vint maçedonum maiki exptriri, mu

LIVRE FUI. CHAP. IL 119
truî avoit deux fils de Ca propre mère ; car chez ces
peuples ïi eft permis aux enfants d'époufer ieurs mères
fans manquer à l'honnêteté. On avoit puiffamment fortifié
, par deux-mille hommes de troupes du pays, rentrée"
de cette province, à l'endroit ou la gorge eft fa
plus étroite ; un: fleuve impétueux iraverfoit ce paffage
par devant, & un rocher îe fermoit par derrière : les
habitants avoienî pratiqué à force de bras un chemin à
travers cette roche; l'entrée de cette caverne reçoit
•de la lumière, mais l'intérieur n'eft éclairé que quand
on y porte des flambeaux ; ce fouterrain offre un chemin
qui fe rend directement dans la plaine & qui n'eft connu
que de ceux du pays. Quoique les barbares défendirent
les armes à îa main ce détroit, fortifié d'ailleurs par
fa fituation naturelle, Alexandre fit approcher les béliers,
abattit les fortifications que Fart avoit ajoutées
à îa nature, &à coups de frondes & de flèches écarta
ceux'qui les défendoient ; quand il les eut mis en fuite ,
il pafla par deffus les décombres & fit approcher fon
armée du rocher»
10. Au relie, il rencontra entre deux cette rivière,
formée de la réunion des eaux qui tomboient d'en haut
dans îa vallée ; & il jugea bien que c'étoit une grande
.entreprife que de combler un ravin fi profond. Il fit
pourtant couper des arbres & amaffer des pierres : &
'les barbares n'entendant rien à de pareils ouvrages,
furent faifis d'un grand étonnement quand ils virent
tout à coup cette chauffée au deffus de Feau. Le roi,
fe promettant donc de pouvoir par la crainte les amener
*à fe rendre, leur envoya Oxartes, qui étoit de leur
aation mais de fon obéiffance, pour perfuader à leur
•chef de livrer fon rocher; cependant, pour augmenter
-Pépouvante, il fefoit avancer, les tours & une grêle
.de traits étoieat lancés parles machines : c'eft pourquoi
Ils gagnèrent le haut du rocher & abandonnèrent toute
autre défenfe. De fon côté Oxartes, voyant Syfimithres
allarmé & inquiet du fuccès de fa défenfe, l'exhorta à
mettre à l'épreuve la bonne foi des macédoniens plus

no LIBER VIII. CAP. IL
moraretur' feflinationem vtihris exerckûs In I»
diam tendentis9 cui quisquis femet offerret 9 m
Jhum caput alienam cladem ejfe verjumm. Et
ipfe qtâdem Syfimithres deditionem armuebat : cesérum,
mater eademque conjux 9 morituram fi
Mtite demmcmns quant in uUius veniru poteftatem,
barbari anmmm .ad hômftiora quam tutiora convtfferai;
pudebatque llbertatis majuseffe apudfeminas
•quam apud vires pmium. Itaque dimijfo mtermnm
pacis, obfidionem ferre decrtvemt : fed quûm hops
•vires fuasque penfaret, rursiis muiiebris confilii, quoi
praceps 'mag'u quam neceffarium ejfe credebat s
femîtere eum cœpit ; revocatoque ftrenuè Oxartt 9
futurum Je "m régis potefiate refpondk 3 unum prexatus,
ne voluntaum é* confilium matris fu&ptQr
dent 9 qm facOiàs venia illi quoque impetrsrt*
£ur. Pramijfum igitur Oxarten. 9 cum matre Bt
risque & tetius cognationis grege 9 fequebatur, m
•exjpe&ato quidem fidei pignore quoi Oxartes pro*
miferaL
11. Rex 9 tqtute prmmiffo qui revertï eosjube*
ret opperirique pmfentiam ipfius, fupervenit ; &f
viëimis Minervm ac VMor'm cœfis , imperkm
Syfimithri refiituit 9 fpe major'is etiam provinciâ
fskâ, fi cum fide amicmam ipfius cobuffetz dws
MU juvenes pâtre tradente 9 fecum milUaturos fequi
juffit. ÈeliéM demie phalange , ad fubiget*
dos qui defeceram cum équité pmceffit. Ardum»
& mpeditum faxis iter primo mtcumque toléra*
bant : mox equorum nom ungtdk modo attritis $
fed corporibus etiam faùgaàs , fequi pleriqm
non poterant ; & rarius fubinde agmen fabat *
pudonm 9 ut ferè fit , immodico labore vioceate.
tôt

LIVRE FUI. CHâP* IL ni
tôt que leur valeur, & à ae plus mettre d'obftade à
l'empreflement d'une armée viftorieufe qui dirigeoit fa
marche vers l'Inde, puîfque perfonne ae pourrait fe
préfenter devant elle fans attirer fur fa propre tête la
Foudre qu'elle portoit ailleurs- Pour Syfimithres, il
n'étoit pas éloigné de fe rendre : mais fa mère f qui
êtoit auifi fon époufe, déclarant qu'elle mourroit plus
tôt que de tomber au pouvoir de qui que ce fût9
avoit déterminé te barbare à préférer îe parti le plus
honorable au plus sûr; &, il avoit honte de voir IQS
femmes faire plus de cas de la liberté que ks hommes.
Il renvoya donc l'entremetteur de la paix & réfolut
de foutenir le liège : mais venant à apprécier les forces
de l'ennemi & les fiennes, il fe repentit une féconde
fois d'avoir déféré à un confeil de femme, qu'il jugeoit
plus dangereux que néceffaire $ & ayant rappelé promptement
Oxartes, il promit de fe rendre au roi, &
te pria feulement de ne pas lui révéler l'intention &
le confeil de fa mère, afin qu'elle pût auffi plus aifément
obtenir -grâce. Oxartei étant donc parti le premier
, H le fuivit de près avec fa mère, fes enfants,.
& toute fa parenté, fans attendre même aucun gage
des promeffes de cet envoyé.
j i. Le roi dépêcha un homme à cheval pour leur dire
de s'en retourner & d'attendre fon arrivée ; il ne tarda
pas, & après avoir facrifié à Minerve & à la Viftoire,
ft rendit le gouvernement à Syfimithres, & lui en promit
même un plus confidérable, s'il lui demeurait fidèlement
attaché : il reçut fes deux fils de la main de leur
père même, pour, les mener avec lui à la guerre. Il
hiffa enfuite fa phalange, & s'avança contre les rebelles
avec fa cavalerie. Le chemin étant difficile &.
pierreux , ils s'en tirèrent d'abord paflablement : ^
mais bientôt les chevaux ayant la corne des pieds ufée
& le corps même haraffé, plufieurs cavaliers furent,
hors d'état de fuivre ; & de moment en moment la,
troupe s'éclairciflbit, l'excès de la peine remportant,
comme c'eft aflfez l'ordinaire, fur la honte de refter en
Tome IL F

in LIBER FUI. CAP. III
Rex tamen, fubindé equos mutons, fine intemîf
fione fugientes infequebatur.- Mobiles juvenes comitari
eum foliti defecerant, prœter Philippum ; Ly*
fimachi erat fiater , mm' primum adultus,&9
quod facile appareret, indolis rarœ. Is pedes ,
incredibile HBu , per D Jiadia veBum regem cemitatus
efl , fmpe equum fuum afférente Lyfima~
cko ; nec tamen ut digrederetur à rege effici po*
mit, quum loricâ indutus arma geflaret : idem ,
quum perventum effet in faltum in quo fe barbon
abdiderant, nobilem edidit pugnam, regemqu
continus 'eum hofte dimicantem protexit, Sed poft~
quant barbari, in fugam effufi, deferuêre filva$3
animus, qui in ardore pugna corpus fuflentavt'
rat, liquit; fubitoque ex omnibus membris pro->
fufo fudore , arboris proxima ftipiti fe appUcmt;
deinde ne Ulo quidem adminkulo fuflineme 3 OTJnibus
régis exceptas efl, inter quas collapfus e&
flinguhur. Maftum regem alius haud levis dokf
excepit : Erigyius inter claros duces fuerat ; quem
exflinêum effe, pauh ante quant reverterem in
Caflra cognovit. Utriusque fimus omni apparatu
otque honore celebratum efl.
m. Dahds deinde flatutrat petere 9 ibi nom*
que Spitamenen effe cognoverat ; fed hanc qusque
txpedkiontm, ut pleraque dia 9 Fortuna , indul'
gendo el nunqmm fatigata , pro abfente -trait
Jegit* Spitamenes uxor'u immôdico [amore ftagra*
bat ; quam , agrè fugam & nova fubinde ex'û'm
tolerantem , in omne difcrimen comitem trahebah
Illo , malis fatigata, idemidem muliebres
adhibert bhmditias , ut tandem fugam fifleret,

LIVRE VIII. CHAP. III. 123
Arrière. Le roi ne laifla pas., en changeant fréquemment
de chevaux, de pourfuivre fans relâche les fuyards.
La jeune Nobîeffe qui avoit coutume de raccompagner
avoit ceffé de le fuivre, excepté Philippe ; c'étoit ua
frère de Lyfimaque f qui ne fefoit que de fortir de
l'adolefcence, & qui étoit d'un mérite rare, comme
il y parut aifément. Il fuivit à pied, chofe incroyable 9
l'efpace de cinq-cents ftades, le roi qui étoit à cheval,
malgré les offres réitérées que Lyfimaque lui fit du lien;
& rien ne put l'engager à fe féparer du roi s quoiqu'il
fût chargé de fa cuirâffe & de fes armes : ce. jeune
homme, quand on fut arrivé à un bois où les barbares
s'étoient cachés 9 combattit d'une manière diftin*
guée t & tira le roi d'une affaire qu'il avoit corps à corps
avec un ennemi. Mais lorCque les barbares ,"mis en fuite,
eurent abandonné les bois, ce courage , qui l'avoit foutenu
dans l'ardeur de Fattion, lui manqua entièrement 5
& une fueur s'étant répandue fubiîemenî par tout foa
corps , il s'appuya contre le tronc du premier arbre
qu'il rencontra ; & cet appui même ne fuffifant pa*
pour le foutenir f il fut reçu entre les bras du roi 9
où il expira. Le prince déjà accablé de cette douleur t
en effuya encore une autre qui a'étoit pas médiocre z
Érigyius avoit été du nombre de fes officiers les plus*
diftingués ; & un peu avant qu'il retournât au camp, il
reçut la nouvelle de fa mort. 11 lit faire à l'un & m
l'autre de magnifiques & honorables funérailles.
IIL 11 s'étoit propofé d'attaquer enfuite les dahés r"
parce qu'il favoit que Spitamènes y étoit ; mais la
Fortune , qui ne fe laffoiî jamais de lui être favorable P
termina encore cette affaif e en fon abfence, comme elle
en avoit terminé bien d'autres. Spitamènes aimoit exceflïvement
fa femme ; & quoiqu'elle ne fouffrît qu'à regret
d'être toujours fugitive & de paffer fans ceffe d'exil
en exil t il la trainoit après lui dans tous les périls où il
s'expofoit. Excédée de fes malheurs, elle recouroit
fouvenî aux careffes ordinaires des femmes pour l'engager
à Cufpendre fa fuite, & à faire fon poffîble pour
F ij

124 LIBER VI1L CAP. III.
viBorisque Alexandri ckmmtiam expertus, plaçai'
ret que m ejfugere non pojftt : très adulû iront
liberi ex ' to genhi, quos quum peBori patris admovijfet,
ut faltem eorum mifereri velht orabat;
& quo efficacbres ejfent preces , haud procul trat
Alexander* Ilk 9 fe prodi, non moneri, ratas ,
'& format profeBb fiduciâ cupere eam quamprimum
dedi Akxandro 9 acinacem ftrinxit, percuflitrus
uxorem , nifi prohibltus effet fratrm
ejus occurfu : ceterum , abire confpeBu jubet,
ûddîto metu mortis fi fe oculis ejus êbtulijfet ;
6» ad defiderlum levandum , noBes inter peUlcts
agere cctpit. Sed peniths hœrens amor fajiiâo
pmfentium accenfus eft ; itaque rursùs uni à
deditus, orare non définit ut tali confilio abpr
neret, patereturque fortem quamcumque eis For*
tuna feciffht ; fibi mortem deditione ejfe Uvforan.
At illa purgare fe, quodqum utilia efie cenfebat,
pudiebriter forfitan, fed fidâ tamen mente fuafif*
fet ; de cctero futuram in viri poteftate*
13. Spkamenes, fimulato captus ebfequio, de
r dk convivium apparari jubet ; v'môque & epulis
'gravis È femifomnus in cubiculum fertur. Quém
m alto & gravi fomno fopitum ejfe. fenfituxor,
ghdium quem vejle ocadtaverat ftringit, caputque
ejus abfcijfum , cruore refperfa, firvo fuo
tenfcio facinoris tradit ; eodem comptante, ficut
trat cruentâ vefte, m macedonum cafira pervenit,
•mnciariqui Alexandro jubet, ejfe qua ex ipfd
deberet cognofiere. Ilk protinhs barbaram jujpt
admitti ; quam ut afperfam cruore confpcxit ,

LIVRE FUI. CHAP. IIL 115
ippaifer Alexandre, dont iî avoit éprouvé la clémence $
d'autant qu'il ne pouvoit lui échaper : elle avoit eu de
lui trois fils, qui étoient déjà grands, & qu'elle fit venir
dans les bras de leur père , en le priant d'avoir au moins
pitié d'eux ; & ce qui devoit rendre fes prières plus
efficaces , Alexandre n*étoit pas loin. Le mari, perfuadé
que fa femme le trahiflbit au lieu de le confeilîer, &
que fefant fonds fur fa beauté elle brûîoit d'envie d'être
Inceffamment livrée à Alexandre, tira fon cimeterre
avec intention de îa tuer, s'il n'en eût été empêché
par la rencontre des frères mêmes de fon époufe r'asrfurplus
ï il lui ordonna de fe retirer de fa préfence, en»
la menaçant de mort fi elle paroifloit devant fes ieux ;
6c pour adoucir le regret de fon abfence f il fe mit à
palier les nuits avec des courtifanes. Mais fon amour r
profondément enraciné , fe ralluma par le dégoût même
des femmes qu'il avoit fous îa main : auffi s'attacha-t-il
de nouveau à fon époufe feule, 6c ne cefla de la conjurer
de ne plus lui donner un ferablable confeil, & de
fe réfigner patiemment à telle fituation où il pîairoit
à la Fortune de les mettre ; ajoutant que pour lui, tr *
aimoit mieux mourir que de fe fendre. Elle allégua ,*
pour fe juftifier, que ce qu'elle croyoit utile , elle
î'aroit confeîllé , peut-être avec l'indifcrétion d'une
femme , mais avec des intentions droites ; qu'au furplus
elle feroit toujours foumife aux volontés de fon mari.
13. Spitamènes, ravi de cette apparence de foumiffion
, fit préparer en plein jour un feftin ; & quand il eut
bien bu & bien mangé., on l'emporta dans fa chambre
à demi endormi. Dès que fa femme fut affûtée qu'il
dormoit profondément, elle tire un coutelas qu'elle'
avoit caché fous fa robe, lui coupe îa tête, & couverte
de fon fang elle îa remet à un «efcîave complice de
fon crime ; fa ro^e encore fangîante 9 elle fe rend avec
lui au camp des macédoniens, & fait dire à Alexandre
qu'elle a ï lui apprendre elle-même des chofes Importantes.
11 îa fit entrer fur le champ; & la voyant
toute enfanglantée, iî crut qu'elle venoit fe plaindre
F lij

ii6 LIBER FUI CAP. 111.
ratus. ad dephrandam conmmeliam veniffe, dken
qua vettet jubet. At Ma fervum quem fiare in
veftibuh jujferat introduci defideravit ; qui, quia
caput Spitamenis vefte teSum habebat fufmBus
fcrutantibus 9 quid occuleret ofiendit : conjuderat
oris exfanguis notas pallor 9 nec quis effet nofci
fatis poterat. Ergo rex certior faBus humamim
caput afferre eum, tabernaculo excefft ; percontatusque
quid rei fit, Mo profitente cognofeit. Varia
hinc cogitationes invicem animum dfaerfa
agitantem commoverant : meritum imgens m femei
effe credtbat, quod transfuga & proditor, tantii
rébus, -fi vixiffet, injcBurus moram , interfeBus
effet ;' contra facinus ingens averfabatur , quuM
opthnè meritum de ipfd , communium parentem
liberorum 9 per infidias interemiffet, Vick tamen
gratiam meriâ fceleris atrochas , denunciarique
juffit ut êxcederet caftris , neu licentiœ barbam
ixemplar m grmeorum mores & mitia ingénia
transferreL Dahm , Spitamenis code çompertd ,
Dataphernen, defeBionis ejus participem, viniÊum
Alexandro fequt dedunt. lik , maximâ pmfentium
curarum parte iiberatus , convertit animum
ad vindicandas injurias eorum quibus à protonbus
fuis avare ac fuperbè imperabatur : ergo
Phratapherni Hyrcaniam & mardos cum tapuris
tradidit, mandavitque ut Phradaten , cui fuccedébat,
ad fe in euflodiam mhteret; Arfani*
dramarum pmfeBo , fubfthutus efi Stafanor ; Af*
faces in Mediam miffus, m Oxydâtes inde difetderet.
Babyloma , mormo Ma$ao, Deditamtnt
fubjeBa ejl.

LIVRE VIII. CMAP. III. 127
de quelque outrage t & l'engagea à dire ce qu'elle fou*
hattoit. Elle le pria de faire entrer l'efckve qu'elle
«voit laiffé à la porte; mais comme il cachoit fous fa
robe k tête de Spitamènes.» il devint fufpeâ à ceux
qui y prirent garde , & fut obligé de leur montrer ce
qu'il cachoit : une pâleur horrible avoit défiguré î*
vifage, & il n'étoit guères poffîble de îe reconnoitre.
Le roi, étant donc averti qu'il apportoit la tèt€ d'un
homme, fortit de fa.tente; & l'ayant queflionné fut
cette affaire, il fut par fes réponfes ce qui en étoit. D*
là une foule de penfées différentes, qui lui infpirèrent
fucceffivement différentes réfolutions : il jugeoit qu'on
lui avoit rendu un grand fervice, en tuant un déferteur
& un traître, qui, s'il eût vécu f n'eût pas manqué
de mettre quelque retard à fes grands projets; d'autre
part il déteftoit le crime énorme de cette femme, qui
avoit infidieufement ôté la vie à l'homme qui avoit îe
plus de droit à fa. reconnoiffance, au père de leurs enfonts
communs. Mais l'atrocité du crime l'emporta fur
ta confidéraîion du fervice, & il lui fit dire de fortir
du camp, de peur que l'exemple d'une fi exceflive bar*
barie n'influât fur les mœurs des grecs & fur leur carac*
tère naturellement bon. Les dahés, inilruits de la mort
de Spitamèncs, fe faifirent de Dataphernes, complice
de fa révolte, l'amenèrent lié à Alexandre , & fe rendirent
à lui. Délivré par là des foins les plus preffants
pour lors, iî fongea à venger les injures de ceux qui
avoient effuyé les coneuffions & les hauteurs de ies
lieutenants : il donna donc à Phrataphernes le gouvernement
des hyreaniens, des mardes, & des tapyriens, &
lui ordonna de lui envoyer fous bonne garde Phradâtes,
à qui il fuccédoit ; Arfanes , gouverneur des
drances, fut remplacé par Stafanor; Arfaces fut envoyé
«n Médie , pour en retirer Oxydâtes. La Babylenie 9
après la mort de Mafée, paffa fous les ordres de Dédi->
lâmènes.

12*8 LIBER FUI. CAP. IF.
IV. Mis œmpojkis, ttrtio menft ex hikrms
moviê ixercitem, regionem qua Gabaia appeUatur
aditurus. Primus dits quittum iter pmbuït ;
prôximus ei9 nondum quîdem proceUofus & trïffis,
obfcurior tamen priftino 3 non fine minis
crefcentis mail prmeriit i tertio, ah omni parte
ccdi emicare fulgura s &, nunc inurnittntt lace
nunc conditd, non oculos modo meantk exerctlis
5 fid etiam animas terrere cœperunt : erat
prope conêinuus cmli fragor, & pajfim cadendum
fulminum fpecies vifebatur, attonitisque auribus ,
ftupens agmen nec progredi nec confiftere aude*
bat ; mm repente imber , grandinem incutiens",
îorrentis modo ejfunditur. Ac primo quidem armis
fuis tefli exceperant : fed jam nec retinere arma
lubricœ & rigentes manus poterant ; nec ipfi def
îinare in quam regioaem obverterent corpora»
quum undique tempefiatis violentia major quam
yhabatur occurrereL Ergo ordinibus folutis per
totum faltum errabundum agmen fertbatur ; multique
5 prias metu quam iabore defatigati , prof"
traverant humi cerpora , quanquam imbrem vis
frigoris concreto gelu adftrinxerat ; aiii fe flipitibus
arbomm admoverant : id plurimis & admi"
niculum & fuffugium erat , nec falltbat ipfis
mord iocum elïgere % quum immobiles vitalis calor
linqueretj fed grata erat pigritia corporum
fatigatis , nec ncufabant exflingui quiefcendo :
quippt non vehemens modo , fed etiam perûnax
vis mali infiftebat ; lucemque , naturale folar
• tium , pmter tempejiatem haud difparem mB ?
filvarum quoque umùra fupprefferat.

LIVRE FI IL CMAP. IV. 129
IV. Après ces difpofitions, 11 tira fon armée au bout
de trois mois de fes,quartiers d'hiver, pour fe rendre
dans un pays appelé Gaba^e, Le premier jour ne troubla
point la marche j le fécond, fans être orageux ni trille f
fut néanmoins plus obfcur que la veille, & ne fe paffa
pas fans quelques menaces d'un plus mauvais temps ;
le troilième jour, il fit de toute part des éclairs , qui9
fefant fiiccéder une lumière éclatante à une profonde
obfcurité , non feulement éblouïfloient les ieux de
l'armée pendant fa marche , mais répandoient même
îa terreur dans les coeurs : le bruit du tonnère étoiî
prefque continuel , on voyoit tomber la foudre de
tout côté , & l'armée aflourdie n'ofoit dans fon étQn» '
nernent ni avancer ni s'arrêter 5 lorfque tout 4 coup il
tomba comme un torrent de pluie mêlée de grêle. Les
foîdats s'en garantirent d'abord avec leurs armes :' mais
bientôt ils ne purent plus les tenir » leurs mains ne pouvant
plus les ferrer parce qu'elles étoient engourdies de
froid | ils ne favoient eux-mêmes où fe tourner, parce
que la tempête leur paroiffoit toujours plus violente'
du côté qu'ils cherchoient que de celui qu'ils évitaient.
Ayant donc rompu les rangs, ils fe répandirent dans le
bois fans tenir de route certaine ; & plufieurs, excédés
de frayeur encore plus que de travail, s'étaient
céuchés par terre, quoique l'eai} de pluie fût glacée
par la violence du froid ; d'autres s'étoient appuyés
contre des troncs d'arbres : tel fut l'appui & Fafile du
plus grand nombre t & ils ne fe trompoient pas jen choïfiffant
un lieu pour mourir, puîfque par la ceffation du
mouvement îa chaleur naturelle les abandonnoit ; mais
cette inaction plaifoit à des corps accablés de 1 attitude,
& ils ne fe foucioient pas de mourir pourvu qu'ils fe
repofaflent : la tempête en effet était & violente êe >
perfévérante ; d'ailleurs indépendamment de Forage
affez approchant de la nuit, Fobfcurité du bois leur
avoît dérobé la lumière, naturellement propre à donner
de la confolation,
F v

130 LIBER VIIL CAP, IV.
. 15. Rex, mus tanti mali patkns , cïrcumre
milites, contrahere-difperfis, allevare proftratos,
oftendere procul evolutum ex tumriis fiimum ,
hortarique ut proxima qumque Juffugia occuparent.
Nec ulla res magis faluti fuit, quam quods
multiplicato labore fufficientem malis quibus ipfi
ceffirant , regem defirere erubefiebant. Ceterum f
tffcacior in adverfis necejjitas quam ratio, fri*
gûris remedium invenit ; dolabris enim fdvas'fier*
mre aggreffi 9 pajfm acervos firuesque accendêrunt
; continenû mcendio ardere crederes fakum »
& vix inter flammas agminibus reliBmn bcum :
hic caler flupentia mènera commovit ; paukîimque
fpiritus, quem continuerat rigor, meare libéré
cœpit* Excepêre aiios teBa barbarorum, qua, int
ultimo faim abdita , necejjitas invejligaverat ;
aiios caftm , quœ m humido quidem 9 fed jam
cali mite fiente fœvitiâ ,. locaverunt. Mille nùli~
tum atque lixarum calonumque peftis Ma confumpfit.
Mémorise proditum eft , quosdam appUr
catos arborum truncis , & non folum viventibus
fed & inter fi colloquentibus fimiles , effe confpeBos,
durante adhuc habim m quo mors quem"
que deprehenderat. Forte macedo , gregarius miles ,
fique & arma fuftentans, tandem in Caftra pervenerat
; quo v'îfi , rex , quanquam ipfi tune maxime
admoto igné refovebat artus , ex filld fia
exfihit, torpentemque militent & vix compotem
mentis, demiu armis , in fia fide jujjit confidere.
Mie diu mç mbi requiefieret nec a quo effet
exctptm agn&vit ,* tandem recepto -adore vitaii9

LIVRE FUI. CHAP. IF. IJI
• ï 5. Le roi » réfiftant féal avec patience à une II horrible?
tourmente , alloit & venoit autour des foldats, rallioit
ceux qui étoient écartés, relevoit ceux qui étoient cou^
chés, leur montroit au loin la fumée des cabanes , & les
exhortoit à gagner les retraites les plus prochaines. Rien,
ne fervit tant à les fauver, que la honte d'abandonner
le roi, qui, nonobstant les peines multipliées qu'il fe
• donnoit, réfiftoit encore aux fouffrances auxquelles ils
avoient fuccombé. Au relie, la néceffité, plus induftrieufe
dans la détreffe que-la raifon même, leur fournit
un remède contre le froid ; car s'étant mis à abattre
du bois à coups de hache, ils en allumèrent .de toute
part des monceaux ; on auroit dit que tout le. bois
étoit en feu, & qu'à peine y avoit-il place pour l'armée
au milieu des flammes : cette chaleur rendit le mouvement
à leurs membres engourdis ; & leur refpiration
, fufpendue par la rigueur du froid t devint infenfî^
bîement plus libre. Les uns fe réfugièrent dans les
cabanes des barbares f que la néceffité leur fit découvrir
quoique cachées dans le fond du bois ; les autres dreffèrent
leurs tentes fur un fol humide à la vérité, mais 1
fous un ciel au moins qui reprcnoit de la férénité. Cette
horrible tempête emporta' mille hommes, tant foldats
que valets & vivandiers. On raconte d'après une tradition
qu'on en trouva quelques-uns appuyés contre des
troncs d'arbres, qui fembloient, non feulement vivre
encore, mais même s'entretenir les uns avec les autres 9
dans la même pofture où la mort les a?oit furpris. Il
arriva qu'un macédonien, fimpîe foldat > foutenanf avec
peine fon corps & le poids de fes armes, gagna enfin
jufqu'au camp -, dès que le roi le vit t quoiqu'il fur
alors près du feu avec un .très-grand befoin de fe réchauffer,
il quitta promptement fon fiège, fît ôter les
armes à ce foldat tout engourdi & prefque hors de
fens, & le fit affeoir à fa place. Ce malheureux fut
long temps fans reconnoltre ni en quel lieu il prenoit
du repos ni par qui il avoit été accueilli 5 ayant -enfin
recouvré la chaleur naturelle, dès qu'il diftingua le
F vj

131 LIBER FUI. CAP. IF.
ut regmm fedem rtgtmque vidk , territus furgh :
qmm intuens Altxandtr 9 Ecquid inteiligis,- Mi-*
les 5 inquit, qiianto meliore forte, quam perfae
, fiib rege vivatis ? illis enim in fellâ régis
confediffe capitale foret, tibi faluti fuit. Poftero
die convocatis amicis copiarumque ducïbus, pro*
nunciari jujfit , ipfum omnia qum amiffa ejfent
redditurum ; & promijfo fides exfikit : nom Syfimkhres
muka jumenta & camehrum duo millia.
mdduxk, pecoraque & armenta, qua9 diflributa,
pariter militent & damno & famé liberavertmL
Mex$ grat'mm fibi relatam a Syfimkhre prafatus,
fex dierum coBa cibaria ferre milites jujfît, facas
petens : totam hanc regionem depopulams, xxx
milita pecorum ex prœdâ Syfimithri dono dat.
16. Inde pervertit in regionem cui Cokortanus*
fatrapes nohilis , prœerat, qui fe régis poteflati
fideique permifit : Me, imperio ei reddko, àaud
amplius quam ut duo ex tribus filïu fecum miliîarent
exegit ; fatrapes etiam eum qui pênes ipfum
relinquebatur tradit. ... [ Oxartes] * barbard opvr
lentii cowivium quo regem accipkbat inftruxeraL
Id quum multâ comitate celebraret, introduci xxx
imbiles virgims juffit, inter quas erat fiHa ipfius ,
Roxane nomme , eximiâ corporis fpecie , o» décore
habitas in barbar'u raro. Quœ, quanquam
inter ekBas s procefferat, m omnium tamen oculos.
convertit m je 9 maxime régis , minus jam cupi-».
* Il cft évident qu'il manque Ici quelque chofe»
Roxane, dont iî va être parlé t n'était point fille de.
Cofaortane : fon père étoit cet Oxartes dont il a été
queftion ci-deflus ( vin. //. ) ; le témoignage d'Arrien»
de Strabon, de Diodore de Sicile , y eft formel. C'eft.

LIVRE VIII. CMAP. IV. 131
fiège du roi & le. roi lui-même, ii fe leva tout épou«vanté
: mais Alexandre le regardant f Compnns - tu f
Soldat f lui dit-il, combien. s fous un mi tel que moif~
votre condition efi meilleure que celle des perfes ? car ce
ferok pour eux un. crime capital d? avoir été affis fur le
fiège du roi% & c f efi ce qui a été ton falut. Le lendemain
ayant convoqué fes courtifans & les chefs des
troupes, il fit publier qu'il rendroit tout ce qui avoit
été perdu ; & il tint parole : car Syfimithres lui amena
quantité de bêtes de charge & deux-mille chameaux,
avec des troupeaux de gros & de menu bétail, qui,
ayant été répartis entre les foldats, les dédommagèrent
de leur perte,& fubvinrent à,leurs befoins. Le
roi fit réloge de la reconnoiflànce de Syfimithres , puis.
il ordonna aux foldats de porter des vivres tout cuits
pour .fix jours , voulant paffer chez les faces : iî fit le
dégât dans tout leur pays, & fur le butin il fit préfent
à Syfimithres'de trente-milie bêtes.
16. 11 alla de là dans une province où commandok
lllluftre fatrape Cohortane f qui fe remit au pouveir
& à la difcrétion du roi : ce prince lui rendit fon gouvernement
, & n'exigea de lui rien autre chofe, que de
lui donner deux de fes trois, fils pour l'accompagner àla
guerre; le fatrape lui donna même celui qu'on lui
laiflbit.. • Oxartes avoit préparé avec toute h magntfi- .
cence des barbares le feftin qu'il donnoit au roi. Voulant,
y mettre la galanterie la plus complette, il fit entrer •
dans lafaîîe trente jeunes filles de qualité, parmi lef-'
quelles éîoit fa propre fille , nommée 'Roxane, d'une
excellente beauté , & d'un maintien" plein de grâces qui
eft bien rare parmi ces peuples. Quoiqu'elle n'eût paru
qu'au milieu d'une troupe d'élite, elle ne laiffa pas de
fixer tous les regards, & furtout ceux du roi, qui ne
«fonc Oxartes, & non Cohortane, qui traitoit îe roi ;
& c'eft apparemment ce qui étèit expliqué dans ce qui
manque. J'ai du moins fuppléé fon nom, pour complet- •
ter la phrafe qui commence par barbare»

jj4 LIBER VllL CAP. V.
diuaûhm fuis imperamis inter obfequia Fortuna §
contra quant non fatis cauta mortâlkas efl. Itaque
Me, qui uxorem Darii, qui duos filias vir*
g'mes , qulbus forma prctttr Roxamn comparait
nuila pottrat, haud dm animo quam parentis
afpexeraî, tune in amorem virgunculœ, fi régla
ftirpi comparetur, ignobilis , ita cffufus eft, ut
diceret ad ftabiliendum regnum pertinere, perfas
& macedones connubîo jungi ; hoc uno modo &
pudorem viBis & fuperbiam viBoribus detraki
pqffè : Ach'dkm quoqut , a quo gênus ipfe dedu*
cent, cum captiva coiffe ; ne inftrri nef as arh'v
trarentur, ita matrimonii jure velle jungi* Info*
rato gaudio latus pater fermonem ejus excepit :
& rex , medio cupiditatis ardore 9 juffit afferri
pairio more pamm : hoc erat apud macedonu
fanBiffimum coëumium pignus ; quem , divifum
gladio , uterque. libabat ; credo eos qui genâs
mores condiderunt, parco & parabili viBu oflendere
vôluijfe jungentibus opes , quantuh contenu
ejffè deberenL Hoc modo rex Afim & Europe
introduBam inter convivahs bidos matrimomo fibï
adjunxk, è captiva geniturus, qui viBoribus imperaret
: pudebat amicos fuper vinum & epéas
focerum ex dedititiis effe eleBum ; fed poft CM
cœdem libertatt fublatâ , vultu 9 qui maxime ftr*
vit, affhntiebantur.
; V. Ceterum, Indlam & ïnde Oceanum peùnt
rus, ne' quid à tergo quod deftînata imptârt

LIVRE VllL CHAP. F. 135
commandoit plus fi bien à fes paffions depuis qu'il étorr
comblé des faveurs de la Fortune, contre laquelle les
mortels ne font pas allez en garde. Celui donc qui
n'avoit vu qu'avec des ieux de père Fépoufe & les '
deux filles de Darius, à qui nulle autre que Roxane
n'étok comparable en beauté ? fe livra alors avec fi peu
de retenue à l'amour d'une petite fille de baffe n m lance f
fi Fort en fait comparaison avec le fang royal, qu'il
foutint qu'il étoiî néceffaire à l'affermiffement de foa
Empire d'allier les perfes & les macédoniens par des
mariages; que c'étoit le feul moyen d'ôter la honte
aux vaincus & l'orgueil aux vainqueurs : qu'Achille
même , de qui il tiroit fon origine , avoit époufé une
prifonnière ; & que par conféquent on ne devoit pas
croire qu'il ï&t polfible de lui faire un crime , de vouloir
contracter un pareil mariage. Le père répondit à ce
difcours du roi avec toute la joie que lui infpiroit cet
honneur inefpéré : & le roi, au fort de fa paffion, fit
apporter du pain félon l'ufage de fon pays : c'étoit
parmi les macédoniens le gage le plus facré des parties
contractantes 1 on le coupoit en deux avec une
épée , & chacun des deux époux en goûtoit un morceau :
je crois que, par cet aliment fimple & peu difpendieux
j les mftituîeurs des ufages de la nation ont voulu
faire entendre aux nouveaux mariés qui affocient leurs
fortunes, de combien peu ils dévoient fe contenter,
C'eft ainfi que le roi de l'Âfie & de l'Europe prit pour
époufe une fille qu'il apperçut parmi les jeux & la licence.
d'un feftin , au rifque d'avoir de cette captive un fils
deftiné à être le maître des vainqueurs : fes courtifans.
étoient honteux que dans une débauche de table il eût
choifi un de fes prifonniers pour beau-père ; mais
depuis le meurtre de Clitus perfonne n'ofant plus dire
librement fa penfée, ils applaudiffoient par l'air du
vifage, qui fe prête merveilleufement aux baffeffes de
la fervïîude.
K Au relie, fe propofant d'aller dans PInde & de Sa
jufqu'à l'Océan, pour prévenir derrière lai tout mou-

136 LIBER FUI. CAP. F.
pojfit moveretur , ex omnibus provinciïs XXX
millia juniorum legi jujjit & ad fie armata perduci,
obfides fimul habiturus & milites. Craierum
auiem ad perfiquendos Hauftanen & Cate*
nen , qui ab ipfi defiecerant t
mifit ; quorum
• Hauftanes capius eft f Catents in pralio occifis :
Polyperchon quoque regionem qum Bubacene ap»
pellaîur in ditionem redegit. Itaque , omnibus
compofitis, cogitatiônes in bellum indicum vertu,
Dives reglo habebatur, non auro modo s fid gemmis
quoque margarïtisque, ad luxum magis quam
ad magnificentiam exculta ; clypei militâtes auro
& ebore fiulgere dkebantur : itaque, necubi vinceretur
quum ceteris praftaret 9 /cutis argenteas
laminas s equis frmnos aureos addidk ; loricas quoque*
alias auro , alias #rgentof adornavit, Centum
viginti millia % armatorum - erant , qum regtm
ad id bellum fiquebantur. Jamque omnibus pmparatis,
ratus quod olim prava mente çonceptrat
tune ejfi maturum, quonam modo caleftes honores
ufurparet cœpit agitare* Jovis filium , non dici
tantumfie , fid etiam credi volebat, tanquam perinde
animis imperare pojfit ac Bnguis ; itaque,
more perfarum , macedonas venerabundos ipfim
falutare proftementes humi corpora. Non deerat.
talia concupifienti pemkïofa adulatio 9 perpemum
malum regum, quorum opes fiepiès ajfentatio quam
hoftis evertk : nec macedonum hac erat cidpaf
nemo enim illorum quidquam ex patrio more'hb are
fuftinuit ; fid gmcorum, qui profejponem fane fi
tarum artium malis corruperant morilnis.

LIVRE VIII. CM A p. F. 137
•ement capable de faire ©bftack à fes defleins, il
ordonna dans toutes les provinces la levée de trente
mille jeunes gens d'élite f qu'on lui amèneroit en armes,
& qui dévoient lui fervir tout à la fois d'otages & de
foldats. Cependant il envoya Cratère à .la pourfuite
d'Hauftanes & de Carènes, qui s'étoîent révoltés; le
premier fut fait prifonnier, & le fécond fut tué en
combattant i Polypercbon fournit auffi la province qu'on
nomme Buh&ccne* Après avoir pris ainfi tqutes fes mefures,
il tourna toutes fes penfées vers îa guerre de
l'Inde. Ce pays riche, non feulement en or, mais en
pierres précieufes & en perles, étoit regardé comme
un théâtre de luxe plus tôt que de magnificence ; on
difoit que les boucliers des foldats y étoient ornés d'or
& d'ivoire : c'eft pourquoi Alexandre, pour ne pas
céder en un point lorfqu'il l'emportoit en tout le refte,
fit garnir les boucliers de fes foldats de lames d'argent,
& mettre des mors d'or aux chevaux ; il fit auffi décorer
les cuiraffes, les unes en or, les autres en argent»
L'armée qui devoit fuivre le roi pour cette expédition ,
étoit compofée de cent-vingt»mille hommes. Lorfquetous
les préparatifs furent faits , perfuadé que le projet crimir
nel qu'il avoit conçu depuis long temps étoit alors à
fon point de maturité , il fe mit à examiner comment
il pourroit fe faire rendre les honneurs divins. Non
content d'être appelé fils de Jupiter, ii vouloit même
qu'on le crût, comme s'il avoit eu autant de pouvoir
fur les efprits que fur les langues ; il exigea donc que
les macédoniens s à la manière des perfes, fe proflernaffent
en terre pour l'adorer. De pareilles prétentions
ne manquoient pas d'être encouragées par la
flaterie, malheur éternel des princes, dont les États
ont plus fouvent été renverfés par les perfidies de
l'adulation que par les armes de l'ennemi : & ce n'étoît
pas la faute des macédoniens, puifqu'aucun d'eux n'endura
jamais qu'on portât îa moindre atteinte aux ufages
de fon pays, ce fut celle des grecs* qui avoient avili
par leurs mœurs la profeffion des beaux arts»

138 LIBER FUI. CAP. V.
18. Agis quidam , argivus f pejfimorum cafmirmm
poft Chœrilum conditor ; & ex Sicilid
Cleo , hic quidem t non ingenii folum 9 fed etiam
nationis vitio , adulator ; & cetera urbium fuarum
purgamema , qua propinquis etiam maxime
rumque exercituum ducibus a rege pmferebantur :
ai tum ceelum illi aperiebant , Herculemqut , &
patrem Liberum , & cum PoUuce Caflorem , novo
numini cejfuros ejfe jaBabant. Igitur feflo die omni
ûpuieniid convivium exornari jubet, cui , non maci*
dones modo & grstci principes amicorum, fed etiam
barbari nobiks adhiberentur ; cum quibus quum
difcubuijfet rex, paulifper epuhtus, convivio tgr*
ditur. Cleo , ficut pmparaverat , fermonem cum
admiratione laudum ejus inflituit. Mérita ieinâe
percenfuit, quibus uno modo refera gratta pojjct;
fi, que m intelligerent deum ejfe , confiterentur $
exigud thuris impensâ tanta bénéficia penfaturi:
perfas quidem, non piè folum, fed etiam prude*
ter reges fuos inttr deos colère ; majefiatem enim
"tmperii falutis ejfe tutelam : nec Herculem quidem
& patrem Liberum prias dicatos deos * quant vi-
•cijfent fecum viventium invidiam ; tantumdem quoque
pofteros credere , quantum prafens œtas fpopondijfet
: quod fi ceteri dubitent % femeûpfum,
quum rex inijfet convivium , profiraturum humi
corpus ; debere idem facere ceteros 9 & in primis
fapjenûâ pmditos, ab illis enim adîûs in regem
ejfe prodendum exemplum*
19. Haud perplexe in Callifihenen dirigehatur
oratio ; gravitas viri & promta libertas invifi

LIVRE V1I1. CHAP. K jjg
- 18. Un certain Agis f de îa ville d'Argos, le plus
mauvais des poètes après Chérile; le ïicilîen Cléon,
infigne flatteur, & par fon caractère perfonnel, & par
le vice de fa nation ; & d'autres pareils fujets , rejetés
avec horreur de leurs villes, dont le roi fefoît plus de
cas que des princes de fon fang & des Généraux de
les plus grandes armées : voilà ceux qui lui ouvraient
le ciel, qui difoient effrontément qu'Hercule , que Baechus,
que Caftor & Poîlux cèderoient le pas à ce nouveau
dieu. Il prit donc un jour de fête, & fit préparer
un feftin de la plus grande magnificence, afin d'y inviter,
non feulement les Grands de fa cour macédoniens
& grecs, mais encore les perfes les plus diftingués ;
& s'étant mis à table avec eux, il en fortit après avoir
un peu mangé. Alors Cléon entama le difcours qu'il
avoit préparé, avec les plus grandes marques d'admiration
fur les qualités louables de fon héros. Puis il entra
dans le détail des droits qu'il avoit far leur reconnoîffaaee,
dont ils n'avoient qu'un moyen de s'acquitter,
qui étoit f après les preuves qu'ils avoient de fa divinité,
d'en faire publiquement l'aveu, & de lui payer
par us peu d'encens les grands bienfaits qu'ils en avoient
reçus : il ajouta que ce n'étok pas feulement par un
motif de piété, que c'étoit encore par un principe de
fageffe, que les perfes adoroient leurs rois comme des
dieux 1 parce que la majefté du trône fait la fureté
publique : qu'Hercule même ni Bacchus n'avoient obtenu
fa confécration de l'apothéofe , qu'après avoir furmonté*
l'envie de leurs contemporains ; & que la poftérité ne
croyoiî fur le compte des hommes, que ce qui avoit été
garanti par leur fîècle : que, quand tous les autres en
feroient difficulté, il étoit réfolu de fe profterner devant
le roi îoffqu'il rentreroit; mais que tous dévoient en
faire de même, & principalement ceux qui fefoient
profeffîon de fageffe, puifque c'étoit à eux-de donner
l'exemple de la vénération due au roi.
19. Ce difcours portoiî d'une manière non équivoque
fur Çailtâhènes| fa.gravité & &-£ranchife trop libre -

140 LIBER Vllh CAP. V.
erat régi, quaji folus macedonas , parâtes ai
idk obfequium9 moraretur. 1s, tum filenûo Jafb,
unum illum intuentibus ceteris s Si rex , inquk,
fermoni tuo adfuiffet , radlius profeftb VOï
refponfuri tibi defideraretur ; ipfe enim peteret,
ne in peregrinos ritus degenerare fe cogères,
neu rébus feliciffîmè geftis invidiam tali adulatione
contraheres. Sed quoniam abeft, ego tibi
pro illo refpondeo , nullum effe eumdem &
draturaum & pracocem frudum ; caeleftesque
honores non dare te regi5 fed auferre : intervallo
' enim opus eft ut credatur deus , femperque
hanc gratiam magnis viris pofterî reddunt
Ego autem feram immortalitatem : precor rçgi»
ut vîta diuturna fit & aeterna majeftas. Hominem
confequitur aliquando , mmquam comitatur
divinitas. Herculem modo & patrem Libeîum
confecratae immorraiitatis exempta referebas
: credisne illos unius convivii decreto deos
faftos ? priés ab oculis mortalium amolita natura
eft quam in cœlum fama perveheret. Scilicet
ego & tu 3 Cleo , deos facimus ? à nobis
divinitatis fuae auâoritatem accepturas eft rex?
Potentiam tuam experiri libet : fac aliquem
regem , fi deum potes facere ; faciiius eft Imperium
dare quam caelum. Dii propitii fine invidiâ
quse Cleo dixit audierint* eodemque curfu
quo fluxêre res ire patiantur ! Noftris moribus
velint nos effe contentos ! Non pudet patris ;
nec defidero ad quem modum rex mini colendus
fit à viols diicere , quos equidem viôores
effe confiteor, fi ab illis leges quts vivamus
accipimus.
Z0n Mquu auribus Callifthcnes > 'vduti vindcx

LITRE FUI. CHAP. V. 141
déplaifoit au roi, comme fi les macédoniens, tout difpofés
à iul rendre un pareil hommage, n'étoient arrêtés
que par lui. Le filence étant alors générai , & tous
les regards fixés fur lui feul, Si le roi, dit-il, eût été
prifent à ton difcours, on ne fouhakeroit certainement
Vorgane de perfonne pour ie répondre ; car il te prieroit
lui-mime de ne pas l'engager à fe dégrader en adoptant
des coutumes étrangères , & de ne pas flétrir la gloire de
fis heureux fuccès 9 en provoquant contre eux, par cette
adulation , les fureurs de l'envie."'Mais puifquil efi abfent 9
je te répands pour lui 9 qu'il n'y a point de fruit qui
fok tout à la fois précoce & de garde ; & que, loin d'affurer
au roi les honneurs divins, tu les lui ravis ; car il faut
du temps pour qu'on le croye dieut & cette marque de
reconnoiffance efi toujours donnée aux grands hommes par
la pofiérité. Pour moi, je nefouhaite que bien tard l'immortalité
au roi , de manière qu'il jouïffe & d*une longue
vie & d'une étemelle gloire. Quelquefois la divinité eft
à la fuite de l'homme, jamais avec l'homme. Tu viens de
nous citer l'exemple de Vapothéofe d f Hercule & de Bacchus
: crois-tu que ce n'ait été qu'une décifion de table
qui leur ait ajfûri la divinité ? leur nature avoit difparu
aux ieux des hommes avant que la renommée les plaçât dans
le ciel. Efi-ce à m@if efi-ce à toi9 Cléon, à faire des
dieux ? eft-ce de nous que le roi tiendra le titre de fa,
divinité? On peut mettre ta puijfance à l'épreuve : fais feulement
un roi, fi tu peux faire un dieu ; car il efi plus aifé
de difpofer d'un Empire que du ciel. Puijfent les dieux
propices avoir entendu fans indignation ce que Cléon vient
de dire3* & laiffer aller nos affaires comme elles ont été
jufqu'ici l Qu'ils daignent c&nfentir que nous nous en
tenions à nos ufages ! Je ne rougis point de ma patrie ; &
fur la manière dont je dois honorer le roi f je ne veux pas
Papprendre des vaincus s que je reconnais dès â préfent
pour les vainqueurs, fi c'eft d'eux que nous recevons
des loix pour régler notre façon de vivre,
- 20, On écoutoit volontiers Callifthènes, comme le

i4* LIBER VllL CAP. VI.
publicm libertatis , aud'ubatur ; exprefferat, non
affenfionem modo , fed etiam vocem feniorum pr&»
cipuè,. quitus gravis erat mveterati moris externe
mutatio : nec quidquam eorum qum invicem jaBata
trant rex ignorabat, quum poft auhzam qua, kcios
obduxerat ftaret. Igitur ad Agin & .Ckomm
mifit, ut, fermant finito 9 barbares tantum quum
intrajfet procumbere fuo more paterentur ; & pauk
poft , quafi potiora quadam egiffet , convhnm
repetit. Quem veneranùbus perfis 9 Polyperchon,
qui cubabat fuper regem, unum ex lis mémo contingentem
humum per iudibrium cœpit kortari, ut
vehementiàs id quateret ad terram ; elicuitque iram
Alexandrie quant olim animo capere non poterat:
itaque rex9 Tu autem % inquit, non veoeraberis
me ? an tibi uni digni yidemur effe ludibrio l
Elle , née regem ludibrio nec fe contemtu

LIVRE FUI. 'CHAP. FI. 143
défendeur de la liberté publique; il avoît rendu, non
feulement ce que penfoient, mais même ce que difoient
les plus anciens furtout, qui ne pouvoient fouffirir qu'on
fubftituât à leur ancien ufage cette mode étrangère : &
le roi n'ignoroit rien de ce qu'on avoit dit pour & contre f
parce qu'il étoit derrière une tapiflerie qui environnoit
les lits du feftin. 11 envoya donc dire à Agis & à Cléon
de ne pas infiller davantage , & de fe contenter que les
étrangers fe profternaflent félon leur coutume quand il
rentreroit ; & un peu après il rentra dans la falle du
feftin, comme s'il venoit de terminer quelque affaire
importante. Pendant que les perfes l'adoroient, Polyperchon
, qui étoit au deffus de lui, voyant que l'und'eux
touchoit la terre de fon menton, lui dit en raillant
de frapper encore plus forti ce qui fit éclater la colère.
d'Alexandre, qui depuis long temps avoit peine à fe
contenir : Eh quoi! dit le roi, tu ne m'adoreras pas? feras-m
donc lefeul qui nous jugeras dignes de rifée ? Polyperchon.
répondit que ni le roi n'étoit digne de rifée ni lui de mépris.
Alors le roi le tira de deffus le lit & le jeta par
terre » & comme il étoit tombé fur le vifage , Vois-tu 9
dit-il, que tu as fait toi-même ce qui vient dans un autre
d'être l'objet de tes plaifanteries ? & l'ayant fait mettre
en prifon, il congédia Faffemblée. 11 eft vrai que depuis
il pardonna à Polyperchon f après l'avoir tenu long temps
dans les fers.
VI. A l'égard de Caliiftkènes, dont l'efprit de contra*
di&ion lui étoit fufpeél depuis long temps, fon reffentiment
fut plus durable ; mais il trouva bientôt l'oecafion
dé le fatisfaire. C'était » comme je l'ai dit plus haut 9
la coutume des Grands de Macédoine, dès que leurs
enfants étoient adultes, de les placer auprès des rois y
pour y remplir des fonctions approchantes des emplois
les plus ferviles. Ils paffeient la nuit tour à tour à la
porte de la chambre ou couchoit le roi ; c'étoient eux
qui y fefoient entrer les concubines par une autre porte
que celles des gardes ; c'étoient eux encore qui rece»
voient les chevaux de la main des palfreniecs pour les

144 LIBER VI IL CAP. VI.
ios ah agafonibus equos , quum rex afcenfurus
effet, admovebam , comitabanturque & venantem
& in praliis ; omnibus- artibus ftudiorum libéra-
Hum excuki : pmcipuus honor habebatur, quoi
licebat fedentéus vefci tum rege ; caftigandi verèeribus
tos mdlius poteflas pmter ipfum trot,
ffac cohors velut fiminarium ducum pmfiëorum-
, que apud macedonas fuit ; hinc habuêre pojleri
reges, quorum ftirpi, pofl mutas mates, romani
-opes ademenmt. ïgitur Hermolaïïs, puer nobiîis
ex regid cohorte, quum aprum telo occupajfet
quem rex ferire dejlinaverat, juffu ejus verbirlbus
affeBus tft; quam ignominiam agrè ferens, àflere
apud Softratum cœpit. Ex eddem 'cohorte
erat Softratus , amore ejus ardens : qui quum
l'aceratum corpus, 1*12 quo deperibat , intueretur ;
forfitan olim ob aliam quoque caufam régi infeflus,
juvtnem , fuâ fponte jam motum, data fia
acceptâqut perpulit ut occidendi rtgem amfdium
fecum inireu Nec puerili impetu rem exfequutt
funt ; quïppe foierter. legerunt quos in focietatem
[céleris afcifcerent : Nicoftratum, Antipatrum,
Afclepiodorumque, & Philotan placuit affumi i
per hos • adjeBi funt Anticles 9 Elaptonius , &
t£pimenes«
a a. Ceterum , agenda reî haud fane facilis fa*
tebat via, Opus erat eddem omnes conjurâtes
noBe excubare, ne ab expertibus conflit impeê'
rentur; forte autem alias ai ai noBe excubâbat :
îtaque, in ptrmutandis flationum vicibus ceteroqut
apparatu exfequenda reî, triginta & duo dies éfumti
funt. Aderat nox qua conjurati excuban
tkbebant, mutuâfide lad, eu)as documentum tôt
amener

LirtLE FI IL CHâP. VI. 145
amener au roi quand il devoit monter à cheval, Se ils
Faccompagnoient à la diaffe & dans les combats ; ils
étoient d'ailleurs inftruits dans tous les arts néceffalrei
à une éducation honnête : la diïiin&ion la.plus hono»
rable dont ils jouïffoient, étoit de pouvoir s*afieoir 8t
manger à la table du roi ; & nul autre que lui n'a voit
droit de les châtier à coups de fouet. Ce corps étoit
chez les macédoniens comme une pépinière de Généraux
& de gouverneurs ; de là font fortts enfuite ces rois#
dont les defeendants, plufieurs fiècles après, furent
dépouillés de leurs États par les romains. 11 arriva donc -
^u'Hermolaus » l'un «des jeunes feigneurs de cette troupe
du roi y ayant frappé le premier de fon data un fanglier
que îe prince vouloit tirer, iî lui fit donner îe
fouet; mais ne pouvant digérer cet affront, il s'en.plaignit
avec larmes à Softrate. Ce Softrate, qui étoit de la
même compagnie, avoit pour lui une paffion extrême :
quand il vit déchiré de coups ce corps qu'il aimoit éperdûment;
peut-être indifpofé de longue main contre Se
roi pour quelque autre fujet s il détermina aifément fon
j-eune camarade, déjà ému par lui-même% à former avec
lui fous un ferment réciproque le projet de tuer le roiv
Et ils n'y procédèrent p0int en jeunes gens, puifqu'iis
choifirent avec efprit les complices dont ils avoient
befoin: Nicoftrate# Ântipater, Afclépiodore, & Philotas,
furent ceux qu'ils jugèrent à propos de s'àflbcier
; ceux-ci y firent entrer enfuite Anticlès, Eîap.
îonius, & Épimènes.
ai. Au relie, il n'étoit pas aifé de mettre le projet
à exécution. 11 falloit que les conjurés funent tous de
fervice dans la même nuit, de peur que ceux-qui
n'étoient pas du complot n'y apportaient empêchement
; & il fe rencontroit que l'un fervoit use nuit, &
l'autre une autr« : c'eft ce qui fit que, pour changer
Tordre des fervices 8c pour concerter les autres préparatifs
néceflfaires à l'exécution ? il fe païfa trente deux;
jours. La nuit étoit arrivée ou les conjurés dévoient
être de garde enfembte, bien contents de leur mutuelle
Tome IL G

i46 LIBER ri IL CAP. V [.
dits fuerant : nem'mem metus fpesvt mutaveraî;
tanta omnibus , vel in regem ira, vel fiies inter
îpfos , fuit ! Stabant igitur ad fores mdls ejus
in quâ ' rex vefcebatur , ut cônvivio egrejfum in
cubiculum deducerenu Sed fortuna ipfius fwudque
epulmâum tombas provexit omnes ad largms vinum
» ludi etiam. convivahs extraxire tempos ;
nunc hztis cènjuratis quoi fopitum aggre£uri ef
fent , nunc folicitis ne in lucem convivium extra*
heretur : quippt alios m ftationem oportebat prima
hct fuccedere , ipforum poft vu dies redkurâ
vice ; nec fperare poterant in illud tempus omnihis
duraturam fidem. Ceterum, quum jam lux
àppeteret , & convivium folvitur , & conjuraù
txceperunt regem, Imti occafionem exfequendi [céleris
admotam ; quum mulier, attonim , ut credimm
eft , mentis , converfari in regiâ folita quia
Mjlin&u videbatur futura pmdicere, non occurrit
modo abeunti, fed etiam femet objecit, vtdtuque
& oculis motum pmftrems animi , ut rediret m
convivium monuit: & Me ^ptrludum, bene deos
fuadere refpondit; revocatisque amicis, in horam
diei fermé fecundam convivii tempus extraxiu
23. Jam dit ex cohorte in ftationem fuccejferant,
ante cubiculi fores excubituri : adhuc UP
mm conjuraù ftabant, vice officii fui cxpUtâ ;
àdeb ptrtinax fpes eft , quam humana mentes ',
uam ingentes concupifcentra devoverunt ! Rex ,
Î enigniàs quam alias alloquutus, difcedere eos ai
çuranda corpora 9 quonmm totâ noBe. perftitijftni h

LIVRE VIIL CHAS. VI. 147
fidélité» éprouvée par une fuite de tant de jours: ni
crainte ni efpérance n'avoit fait changer perfonnej
tant ils étoieat tous , ou animés contre îe roi 9 ou
fidèles à leurs engagements réciproques ! Ils attendoient
donc à la porte de la faite où le roi ma®geoit,
pour îe conduire au fortir de table dans fa
chambre à coucher. Mais fa bonne fortune & l'agrément
de la compagnie fit que tout le monde but davan*
tage, & les propos de table prolongèrent encore le
temps ; de forte que les conjurés d'une part prévoyoient
avec plaifir qu'ils auroient affaire à un homme chargé
de^vin, & d'autre part Ils craignoient qu'on ne tint
table jufqu f au jour : ils dévoient en effet dès le point
du jour être relevés par d'autres, pour ne rentrer au
fervice que fept jours après; & ils ne pouvoient pas
fe promettre que la fidélité de tous fe foutînt jufqu'à ce
terme. Au relie, un peu avant le jour le feftin finit f
& les conjurés joignirent le roi, ravis de voir enfin le
moment favorable pour exécuter leur deffein criminel ;
tfuand une femme, qui avoit s croyoit-on, l'efprit troublé
, & qu'on voyoit habituellement à la cour parce
qu'elle paroiffoit prédire l'avenir par une forte d'inf»
tinft, non feulement vint à fa rencontre comme il
s'en alîôit, mais fe préfenta même devant lui pour
^'arrêter, & lui fefant connottre par fon air & par fes
regards ce qu'elle vouloit, elle lui confeilîa d'aller fe
remettre à tabie : il répondit, en plaifantant, que l'avis
des dieux étoit bon; & ayant fait rappeler la compagnie
, on fe remit à table jufqu'à près de deux heures
de jour.
23. Déjà d'autres jeunes gens'de îa même troupe
étoient yenus relever les premiers, pour faire îa garde
à la porte de la chambre à coucher : cependant les conjurés
reftoient, quoique leur garde fût finie ; tant eft
durable Pefpérance, que le cœur humain, que les grandes
pallions ont conçue ! Le roi, leur parlant avec plus dé
bonté qu'à l'ordinaire, leur dit d'aller prendre du repos f •
puifcju'iis avoient veillé toute' k nuit ; il leur fit donner.
G ij

148 LIBER VIII. CAP. VI.
jubet : data funt fingulis quinquagmta- feftertîa ;
collaudatisque quod, itiam aliis traditâ vice, tamen
cxcubaré perfeveraffenu Mi, tantâ fpe deftir
mû, domos abeunt : & ceteri quidem exfpeBâboM
ftationis fua. noBem ; Epimenes , five comitate
régis qua ipfum inter conjurâtes txceperat repente
mutants , five quia cœptis deos obftare credebat,
fratri fuo Eurylocho , quem antea expertem ejfe
confia vojuerat y quid pararetur aperit. Omnibus
Pkilota fupplic'wm m midis erat : itaque , protinus
injicit fratri manum & in regiam pervertit ;
ixcitatisque cuftodibus corporis s ad faiutem reps
perûnere qua afferret affirmât. Et tempus quo ve->
nerant 9 & quitus * haud fane fecuri animi index
, & mœflitïa è duobus altérais, Ptolemmm
ac Leonnatum $ excusantes ad cubiculi limen ,
excitaverunt ; itaque 9 apertis foribus & lumine
'îUato9 fopitum mero ac fomno excitant regem.
Me, paulatim mente colleBâ , quid afferrent mterrogat.
Nec contatus Eurylochus, non ex toto
domum fuam averfari deos dixit, quia • frater
ïpfius , quanquam impium facinus aufus foret,
tatnen & pœnitentiam ejus ageret3 & per fe po»
tiffimum profiteretur indicium : in eam ipfam noc~
tem qum decederet infidias comparatas fkiffe ;
auBores fcelefti confUii ejfe quos minime crederet
rex. Tum Epimenes cunBa ordine, confclorvm-
. que nomma exponït.
24. Callifihenen , non ut participem facinoris 9
ttommatum ejfe conflabat, fed folitum puerorum
fermombus vituperantium crimmantiumque regem,
faciles aures prmbere : quidam adjiciunt , quum
Mermolaus apud eum .quoque verberatum fe à regt
quereretur 9 dixijfc Callifihmen , memimffe debere

LIVRE VI IL CMAP. VI. 149
a chacun cinquante -fefterces ; & il les loua tous de et
que, d'autres les ayant relevés, ils -n'en étoienî pas
moins reftés à leur polie. Quand ils virent une fi belle
feccâfiôîi manquée , ils fe retirèrent chacun chez eux :
•& tous les autres remirent leur projet à la nuit ©ù ils
fe trouveroient de garde ; mais Épimènes , foit que le*
témoignages de bonté dont le roi l'avoit honoré parmi
fes complices l'euffent changé fout à coup t foit qu'il
crût que les dieux s'oppofoient à leur deffetn, découvrit
le projet à fon frère Euryloque } à qui auparavant il
n'avoit pas voulu qu'on en fît part. Le fupplice de Phi*
îotas étoit connu de tout le monde : aufli Euryïoqut
arrête fon frère fur le champ, le mène chez le roi,
éfêille les gardes du corps, & leur déclare qu'il vient
révéler des chofes d'où dépend la vie du roi. L'heure ou
Ils fe préfentoient, l'air de leur vifage qui annonçoit de
l'effroi, la profonde trifteffe de l'un des deux, frappe*
rent Pcolémée & Léonnatus, qui étoient en faftion à la
•porte de la chambre à coucher; ils l'ouvrirent donc,
firent apporter de la lumière , & réveillèrent le roi que
le vin & le fommeii avoient profondément àflbupi.
Quand il eut peu à peu rappelé fa préfonce • d'efprit,
il demanda quelle nouvelle ils apportoienî. Auflitot
Eury loque lui dit, que les dieux n*avoient pas entièrement
pris fa famille en averfion, puifque fon frère t
quoique coupable d'un projet criminel, non content de
s'en repentir, le dénonçoit lui-même par fon entremife s
4jue la nuit même d'où l'on fortoit on avoit pris des me»
fures pour l'exécuter ; & que les auteurs de cet exécrable
defleîn étoient ceux que le roi devineroit It
moins. Alors Épimènes expofa par ordre tout le plan
de la conjuration, & nomma les complices.
24.11 étoit certain que Callifthènes n'avoit point été
nommé, comme ayant part au projet, mais qu'il avoit
coutume d'entendre volontiers les jeunes "gens blâmer
& cenfurer le roi dans leurs difeours : quelques-uns
ajoutent'qu'Hermolaus fe plaignant à lui d'avoir été
fouetté par ordre du roi, Callifthènes avait dit, que
• G

150 LIBER FI IL CAP. VIL
eos jam viras effe ; tique, an ai confilaniam
patitntiam verberum , an ad tncitandum juvenmm
dolorem, diëum effet in ambiguo fuïffe» Rtx,
animi corpomque fopore difcujfo, quum tarai pi"
riculi quod evaferat imago oculis oberraret, Eury>
hchum L talenûs & cujusdam Tyridatis opulmti
bonis donat proiinus ; fratremqut, anêequam pr&
faime ejus precarttur, refiituh : feekris sutem
auêores 9 imerqwe eos Catliflhenen, vinBos affervari
jubet ; quibus in rtgiam addu&is , toto die
& noBeproximâ » mero ac vigiîiis gravis, acquitvit.
Poftero autem frequens confilmm adMbuit,
eui patres propinquique eorum de [quibus agàatur
intereront, ne de fud quidem faiute fecuri ; quip»
pe , macidonum more ,. perire debebam * ommum
devoùs çapkibm $mi fangumt contigiffent t®s»
Rex mtroduci conjuratos , pmter Caliiflhemnf
jujjit ; atqut qwz agkavtrant fine cunBatwnt ton*
fiffi funê : incrêpantibus demde urùverfis eos s iptt
rtx quo fuo merito tantum in [émet cogitaj/eM
facinus intcrrogat.
VU. Stupentïbus ctterïs , Hermolaûs \ No*
Yêro, inquit, quoniam quafi nefcias quaris f
occidendi te confilium inivimus, quia non ut
ïngênuis imperare cœpiffi , fed quan in manci*
pia dommaris. Primus tx omnibus pater ipfius,
Sopolis , parrkidam etiam parenûs fui' clamhans
effe , çpnfurgk ; &, ad os manu ohjeââ, fie*
1ère & maiis infanienttm ultra ntgat audkndum»
Rtx , inhibito pâtre, dicere Hermolaum jubet qua
ex magiftro didiciffet Callijlhene. Et Hermolaûs »
Utor, inquit % bénéficie tuo , & dico qu« nof*

LIVRE VI IL CHAP. FIL 151
le roi devait penfer qu'ils étoîent déjà des hommes;
& qu'il étoit incertain fi cela avoit été dit pour îe
confoler d'avoir effuyé cette correftion, ou pour animer
le reffentiment de cette Jeunefle. Le roi, réveillé &
rappelé à lui-même, fe repréfentant la grandeur du
péril auquel il avoit échapés donna fur l'heure à Eury
loque cinquante talents avec les biens d'un certain
Tyridates qui étoit très-riche; & lui rendit fon frère
avant qu'il lui eût demandé fa grâce : quant aux auteurs
de la conjuration, il donna ordre de les arrêter & de
les garder , ainfi que Calliilhènes avec eux ; & lorf*
qu'ils eurent été amenés au logis du roi ? comme il étoit
encore excédé d'avoir bu & d'avoir veillé, il pafla tout
le jour & la nuit fuivante dans le repos. Mais le lendemain
il convoqua une grande affemblée, ©û fe trouvèrent
les pères & les proches des aceufés, pleins
d'inquiétude fur leur propre fureté ; car, félon l'ufage
des macédoniens, ils dévoient périr t puîfque tous ceux
qui tenoient par le fang aux criminels étoient en pareil
cas dévoués à la mort. Le roi lit entrer les conjurés t
i la réferve de Calliilhènes ; & ils firent fans héfiter
l'aveu de leur projet: chacun alors les accablant de
reproches,. le roi leur demanda lui-même comment il
avoit mérité qu'ils formaffent contre lui un deJTem fi
criminel,
VU. Les autres demeurant Interdits r Ce qui mus a
déterminés à vous âter la vit f dit Hermolaus % puifque
vous le demande^ comme fi vous ne lefavie^ pasf c*ej§
que vous &ve[ entrepris, non de nous gouverner comme
des hommes libres, mais de nous traiter comme des
efclaves. Sopolis, fon père, fe lève le premier de
tous, l'appelant parricide de fon roi & de fon père ;
& lui portant la main fur la bouche f II dit qu'il ne
faut plus écouter us forcené à qui fon crime & îa vu»
du fupplice ont tourné la tète. Le roi fait retirer le
père, & ordonne à Hermolaus de déclarer ce qu'il a
appris de fon maître Cailifthènes. Je profite, dit-il t de
votre permijpon^ & je vas dire ce que j 3 ai appris à nos
G iv

152 LIBER VIII. CJP. FIL
tris mails dldkL Quota pars macedonum fsrviti«
tuae fupereft ? quotusquisque non è viKffimo
fanguine ? Attalus, & Philotas, & Parmenio,
& Lynceftes-.Alexander, & Clitus, quantum
ad boites pertinet, vivunt, ftant in acie, te
clypeis fois protegunt, & pro gloriâ tnâ, pro
viftoriâ vulnera accïpiunt : quibus tu egregiam
gratiam retulîfti ; alius menfam tuam fanguine foo
afcerfit, alius ne fimplki quidem morte defanctus
eft ; duces exercituum tuoram , in equuleum
impofiti, perfis quos Yicerant foere fpeétacul©;
Parmenio indiââ causa trucidatus eft, per quem
Attakm occideras ; inyicem enim miferoram
uteris manïbus ad expetenda fopplicla, & quos
paulo ante mimftros caedis habuifti fobito ab
aliis jubes tracîdari. Obflrepunt fuhînde cmBi
HermolaQ : pattr fupremum flrinxerat ferrum p
percuffurus haud dubiè ni inhlbltus- effet à rege ^
qiàppt Hermolaum die en juj/tf, peûkque m cm^
Jas fuppUcu- augeniem patienter audkens».
%6. Mgrè ergo coercitis, rursès Hermoïaus l
Quam liberaliter, inquit, pueris rudibus ad dicendum
agere permittis ! at Callifthenls vos carcere
inclufa eft, quia fblus potell dïcere : cur
enim non producitur , quum etïam confeiîî
audiuntur ? nempe quia fiberam vocem inno-
-centis audire metuis , ac ne vultum quidem pateris.
Atqui nihil eum fecHIe contendo : font
tic qui mecum rem pulcherrimam- cogitave^
runt ; nemo eft qui confeium fuiffe nobis Callifthenen
dicat, quum morti olkn deftinatus lit
à juftiflimo & pattentiffimo rege. Haec ergo
font macedonum praemia , quorum, ut foper-

LIVRE FUI. CHAP. FIL x5>
iipens. Combien refte-t-il de macédoniens échapés à voire
cruauté? combien ont été facrifiés %.qui n'étaient pas des
perjqmtages vulgaires ? Aualus, & P M loi as, & Parme"
mon , & Lynceftes, 6» Clitus t ne craignent rien pour leur
vie de la part même des ennemis, ils fe Jbutienneni au
milieu de la mêlée, ils vous couvrent de leurs boucliers t
ils fe chargent de bleffures pour votre gloire, pour lefuccès
de vos armes : mais vous les en ave\ magnifiquement
récompenfés ; l'un m arrofé votre propre tabh de fonfang%
Vautre n % en a pas été quitte pour une fimple mort j les
Généraux de vos armées , mis à la torture, ont été donnés
enjpeciacle aux perfis qu'ils avoient vaincus ; vous ave\
fait égorger fans forme de procès P arménien, par le mi"
niftere de qui vous vous étie\ défait d f Aualus ; car pour
ûjfouvir vos vengeances vous employe\ fuccejfivemeni les
mains de ceux qui ont le malheur d'être à vos ordres f
& au moment qu'ils viennent d*itre les minières de votre
cruauté, vous les faites maffacrer par d f autres. Il s'eîèva
alors un murmure général contre Hermolaiis : fon père
a¥oit déjà tiré îe haut de fon épée, & alloit le percer
fans doute fi îe roi ne l'en eût empêché ; mais il commanda
à Hermelaus de continuer, & pria l'aflemblée
d'écouter patiemment un homme qui combloit la mefure
de Ces crimes.
26. Quand on eut donc calmé tout le monde avec
affez de peine, Quelle gênérofité, reprit Hermolaiis , de
permettre à des enfants qui ne favent pas parler de plaider
leur caufe î cependant la voix de Callifthenes eft captive,
parce qu'il eft le feul qui fâche parler ; car pourquoi ne le
montre~t-on pas ici, puifqu'om y entend ceux mêmes qui
eut tout avoué ? c'eft que vous redoute^ l'éloquence Ubre
d'un innocem, & que vous ne pouve\ même en foutenir
ht vue. Or je maintiens qu'il n'a rien fait : tous ceux qui
font entrés* avec moi dans ce glorieux deffein font ici ;
il n'y en a pas un qui puiffe dire que Callifthenes ait
-été notre complice, quoiqu'il fait depuis long temps def
tiné à la mon par le plus jufte &le plus patient des rois»
Voilà dmc Us ficompenfes des macédoniens, dont VQBS
G ¥

ij4 LIBER FUI. CAF. V11I.
vacuô & fordido. , abnteris iangnme ! At ûhl
xxx millia muloram captivum auram vehunt,,
quum milites nihil domum praeter gratuitas cicatrices
relâturi fint. Qua* tamen omnia tolerare
potuimus, antequam nos bârbaris dederes 6L,
novo more, viaores fob jugum mitteres. Perfaram
te veftis & difciplina deleâat y ptrios
mores exofus es : petfarum ergo , non macedo-
Bum y regem occidere voluimus ; & te transfogam,
belli jure 9 perfequimer. Tu maeedonas
voluifti genua tibi ponere venerarique te ut
deum : tu Phiîippum patrem averfaris ; & fi
quis deorum ante Jovem fiaberetur , fafttdîres
etiam Jovem. Mirans fi Jiberi homines fuperbiam
tuam ferre non poffumus? Quid fperamus
ex te , quibus aut infontibus moriendum
cft, aut5 quoi triftius morte eft , in fervitote
vivendum \ Tu quidem , fi emendari potes t
multum ^rnihi debes ; ex me enim fcïre cœpiiti
quod ingenui hommes ferre non poflimt. De
cetera parentum orbam leneôutem fiippHciis
ne oneraveris : nos jubé duci, ut quod ex ma
morte petieramus ccwfequamur ex noftrâ. Mac
ffermolaiés.
- VIII. At rsx , Quam felfi. fint, 'înqub9 qast
ifte , tradita à magiftro fuo ,. dixit 9 patientîa
imea oftendet : fcconteflum enim ultîmum fecinus
9 tamen ut vos quoque 9 non folum ipfe,
audireris expreffi 9 non imprudens, quum permififfem
bwc ktroni dicere, ufurum eum rabie

LIVRE VIII. CHAP. FI IL r^
9trps\ abufivemeni le fang$ comme fuptrfiu & méprifable f
Cependant trcnte+milU mulets font à votre fuite t chargés
de l'or enlevé aux ennemis t tandis que vos foldats n'ont
à rapporter ehe^ eux que des bleffures dont il ne leur tfi
tenu aucun compte» Nous n'avons pas laiffé d'endurer
toutes ces chofes avec patience, ayant que vous nous.
livrajfîei à la difcréti&n des barbares & que, par une
fantaifie nouvelle, vousfubjuguaffie\ les vainqueurs. L'habillement
& la manière de vivre des perfes font vos dé"
lices, les ufages de votre pays vous font en averfion r
t'efi donc h roi des perfes 9 & non celui des macédoniens f
à qui nous avons voulu mer la vie ; & puifque vous êtes
déferteurt iefi par h droit de la guerre que nous vous
pourfuivons. Vous ave\ voulu que Us macédoniens fiéchiffeat
le genou devant vous & vous adoraffent comme
un dieu i vous défavoue\ Philippe pour votre père j & .fi
quelqu'un des dieux étoit su dejfus de Jupiter, vous dé**
daignerie^ Jupiter même. Comment êtes-vousfurpris qu'étant' .
mes libres nous, ne puijfions, fupporter votre orgueil f
Qu'avons-nous à attendre de vous,, nous qui n'avons
plus que l'alternative, eu d'être mis à mort fans Vavoir
mérité $ ou de vivre dans la fervitude ? Pour vous, s'il
ëflpojfible que vous vouscorrigie\%vous m'aure\ une grande
obligation ; car je vous ai appris le premier quelles font
les chofes que des hommes libres ne peuvent endurer, Àm
te fie , ne condamne^ pas à des fuppUces nm pères, déjà
trop malheureux de perdre leurs fis; faites-nous exécuter. f
afin que nous recueillions de notre mort le fruit que nous
nous étions promis de la. votre. Tel fut le di&aurs ,
tTHermolaûs.
VOL // ne vous faudra que ma patience ,, reprit
Alexandre» pour vous convaincre de lafaufieté de ce que
eet imp&fteur vient de dire d'après les inftruBions de fon
maître : car après l'aveu même de -fin crime affreux ,. je'
m'ai pas voulu Ventendre feut, & j'ai exigé- que vous
i'entendijjiei comme moi^ ne doutant'pas,fi'/# donnois à
ce malheureux; laptrmijfim de parler t fu. 9 U et U fit-mec
G Tf

i^ LIBER V11L CAP.-VIIL
qui compulfus eft utme, quem pareîitts loca
colère débet, vellet occidere.
Nuper qiium procaciùs fe in venatione eeffif»
fet, more patrio & ab antiquiffimis Macedonia?
regibus ufurpato eum caftigari juffi : hoc &
oportet fieri ; & feront à tutoribus pupillî, à
maritis uxores ; fervis quoque pueros nujus aetatis
verberare concedimus. Haec eft fevitia in
fum mea , quam impiâ csede voluit ulcifci :
im in ceteros , qui mihi permittunt uti ingénie»
meo , quam mitis fim non ignoratis, &
commemorare fupenracuum eft.
Hermolao parricidaram fùpplicia non probari
, quum eadem ipfe meruerit , minime ,
Hercule ! admirer ; nam quum Parmenionem &
Philotan laudat, iuae fervit caufae : Lynceften
vero Alexandrum , bis infidiatum capiti meo,
à duobus indicibos lib :ravi ; rursùs conviftum,
per biennium tamen diftuli, donec vos poffalaretis
ut tandem debito fupplicio feelus lueret :
Attalum antequam rex effem hoftem meo capiti
iiiifte meminiftis : Clitus ùtinam non coëghTet
me'fibiirafci ! eu jus temerariâm linguam, probra
-dicentem mini & vobis , diutiùs tuli quam
ille eadem me dicentem tuliflet. Regum ducumque
clementia, non m ipforam modo, fed eîiam
in illorum qui parent ingeniis fita eft : obfequio
mitigantur imperia ; ubi vero reverentia exceflit
animis & fumma imis confundimus , vi opus eft
ut vim repellamus.
• Sed quid ego mirer iftum crudelitatem mihi
Qbjecifle, qui avarkiam exprobrare aufus fit ?
N0I01 ; lingues veftrûm excitare , ne invifam 1

LIVRE VI1L CHAP. VIII. 157
la Mme fureur qui iavoit porté à attenter aux jours d'un
roi , qu'il devoit refpe&er comme un pire.
Comme il ofa dernièrement à la chaffe fe comporter
avec infolencc t je h fis châtier félon la coutume dm
pays & Fufage immémorial des rois de Macédoine : e'eft
un droit nêceffaire j les tuteurs Vexercent fur leurs ptspiles »
les maris fur leurs femmes ; nous autorifons même les
efdaves à fouetter- les enfants de cet âge» Voilà la sruauté
que j'ai eue à fou égard f & dont il a voulu fe venger pat
un parricide : car à l'égard des autres, qui me laiffent la
liberté defuivre mon penchant naturel, vous n*ignore\pas
combien je fuis indulgent f & il eft inutile de vous h
rappeler,
Qu'Hermolaus n 9 approuve pas les fupplices des par»
ricides, lorfqtiil s'en eft lui même rendu digne, certes
je n*m fuis point furpris ; puifquen fefant l'apologie de
Parménion & de Philotas, il plaide fa propre caùfe: quant
à Alexandre-Lyncefies, qui a deux fais attenté â ma vit9
je lui ai fait grâce une première fois après deux dênoncia»
ûms ; quand il a été convaincu d'avoir récidivé, j'ai
encore temporifé pendant deux ans , jujqu'au moment ou
vous ave\ follicité vous-mêmes la jufte punition de fort
crime ; Âttalus avoit juré ma perte dès avant que je
montaffe fur le trône, vous vous en fouvene\ bien: pour
Clitus 3 plût au Ciel qu'il ne m'eût pas pouffé à bout !
Mais quand il eut la témérité de nous injurier, vous
auffî. bien que moi, je l'endurai de fa part plus long temps
qu'il ne l'auroit enduré de la mienne fi je l'avois traité
de même, La clémence des rois & de ceux qui commandent
ne tient- pas feulement à leur caractère s elle tient encore â
celui des hommes fournis a leur puijance : c'eji ïobéiffance
volontaire qui adoucit la rigueur du commande"
ment; mais quand le refpeâ n'eft plus dans les cœurs &
que l'on méconnoît toute fubordination , nous femmes .
obligés d'oppofer la force à la force.
Mais comment ferois~je étonné qu'il m'aceufi de
cruauté, puifqu'il a ofê me reprocher de Vavarice f Je
n 3 invoquerai pas le témoignage de chacun de vous en par*

158 LIBER VIII. CAP. VIII.
liberalitatem meam faciâm fi pudori rtûf®
gravem fecero : totum exercitum afpicite ; qui
paulo ante nthil praeter arma habebat 9 mine
argenteis cubât lecKs , menfas auro onerant ,
grèges fervoram ducunt , fpoKa de hoftibus
luftmere non poflunt.
At enim perfae , qoos vicîmus , in magno hore
font apud me ! Equidem moderationis mex
certiiîitnnm indicium eft, quod ne' viâis qoidem
fuperbè imper© : veni enim in Àfiam ,
non ut fonditùs everterem gentes nec ut dimidiam
partem terraram Iblitudinem facerem, kà
ut illos quoque quos bello fubegiffem Maoris
meas non pœniteret ; itaque militant voMfcum ,
pro imperio veftro fanguinem fundunt, qui,
fuperbè habiti , rebellaient. Non eft diuturna
poffeflio in quam gladio inducimur, bénéficiemm
gratia iempiterna eft : fi habere Allais 9
non tranfire , volumus, cum fus communicandat
eft noftra clementia ; horum fides ftabile &
aetemum faciet imperium. Et fané plus habemus
quam capimus : infatiaMis autem avariti»
eft, adhuc imptere velle quod jam drcumfluit
Veramtamen eoram mores in macedonas
transfundo ! In multis enim gentibus effe video 9
quae non erabefcamus imitari ; nec aliter tantum
Imperium apte régi poteft , quam ut qsaedam
& tradamus illis & ab iifdem difcamus.
• lîlud penè dignum rifu fuit, quod Hermolaus
poftuïabat à me ut averfarer lovent y cujus oraculo
agnofcor ; an etiam quid dii refoondeant
m meâ poteftate eft ? obtulit nomen nlii mihi ;
recipere ipfis- rébus quas agïmus haud afiemmt
fiât : utmam MMU quoque deum eflÈ me ers-

LIVRE vill. CHAP. VI IL 159
tkuUer, peur me pas rendre mes bienfaits odieux m vous
forçant d'en rougir: confidére\feulement Varmée en gêné"
ml; tels qui n'avoient que leurs armes il y a peu de
temps, rtpofent aujourdhui fur des lits d'argent ; leur*
tables font firvies en vaiffelle d'or , ils traînent à leur
fuite des troupes d'efc laves t ils font fur char gis des dë~
fouilles des ennemis.
Mais en objecte que les ptrfis, que nous avons vaincus P
font en grand honneur auprès de moi ! C'efi fans contredit
la plus forte preuve de ma modération t que de commander
fans orgueil aux vaincus mêmes ; car je fuis venu en Afie^
nom pour en exterminer les nations ni pour faire un. défert
it la moitié de ta terre p mais pour mettre ceux mêmesque
je foumettrois par les armes dans le cas de n f avoir
pas regret à ma victoire ; & de là vient qu f 'ils combattent
avec vous, qu'ils, vcrfcnt leur fang pour affermir votre
empire % au lieu qu 9 en les traitant avec hauteur on les
aur&it révolté*;. Ë*es conquêtes de répit ne font pas durables t
la reconnoiffaece des bienfaits efi éternelle : fi nous vow~
Uns jouir de tAfie pour toujours & non en paffant, it
faut qu'ils éprouvent comme vous la douceur de mon gou~
vememtnt ; e'efi leur f délité qui affermira à jamais notre
empire. Véritablement nous regorgeons de biens ; 6» il ne
convient qu'à une- avarice infattable de vouloir verfer
encore dans un vafe qui déborde déjà.
On objech encore que j'introduis leurs ufages parmi lèsmacédoniens
! C 9 efi que je vois che^ plufeeurs peuples des
ehofes que nous ne devons pas avoir honte d'imiter j &
qu'il n'tfi pas poffible de gouverner d'une'manière con."
vtnaMe un fi grand Empire %fans leur faire prendre quelque,
thofe de nous & recevoir d'eux quelque chofe en échange»
Citoit une càofè prefque rifibk , qs*Hg-rmoîaàh mt de~
mandât de défavouer Jupiter; fuh-je donc auffi le maître
de régler les oracles des dieux ? il m'a de lui-même honoré
du nom de fin fils 1 & j'ai cru qm'ilferoU avantageux au
fueds de nos affaires de Vaccepter : plût au Ciel que lesindiens
me regardaient auffi comme un dieu l car dam k*

160 LIBER FUI. CAP. Vlll.
dant ! famâ enim bella confiant, & faepe emm
quod falfo creditum eft veri vicem obtiniiit.
• An me luxuriae indulgentem putatis arma
.vellra auro argentoque adornaffe ? Affuetis nihil
vilius hâc videre materiâ yolui oftendere , macedonas,
inviftos ceteris, nèc auro quidem vinci :
oculos ergo primum eoram, fordida omnia &
humilia exfpeâantium , capiam ; & docebo
nos, non auri aut argentï cupldos , fed orbem
terraram fuba&uros veniffe. Quam gloriam tu ,
Parricida , intercipere vokifti, & macedonâs,
rege ademto , devic*Hs gentibus dedere.
At mine mones 'me ut veftris parentibus parcam
! Non oportebat quidem _ vos fcire quid de
bis ftatuiffem , quo triftiores periretiss fi qua
vobk parenîum memoria & cura eft ; fed oËm
ïftum morem occidendî cum fcelelHs infontes
propinquos parentesque folyi, & profiteor m
eodem honore futuros omnes eos in quo fiierunt.
Nam tuttm Callifthenen , cm uni vir videris
quia latro es ,. fcio cur produci velis ; ut corain
his probra qua modo in me jecifti, modo audifti,
illks quoque ore referantur : quem, fi
macedo effet , tecum introduxiffem, digniffîmum
te difcipulo magiftram ; nunc olyathio
non idem juris eft.
Pôft hstc confilhm dmifit, tradlque damnâtes
hominibus qui ex eodem cohorte erant juffit ; itti, '
ut fidem fuam fzvitiâ régi approbarent 3 excrucîatos
necaverunt. Calliflhenes quoque tortus inte~
rut, imti confilii in caput régis innoxius, fed

LIVRE VIII. CHAP. Vllh 161
guerres la réputation fait tout f & fouvent une fauffeîi
§m*&n a crue a eu l'effet de la vérité»
Penfe^vous que ce fois pour favorifer le luxe que f ai
enrichi vos armes d f or & d'argent ? J'ai voulu feulement
faire connoitre a des peuples accoutumés â ne rien voir de
plus commun que ces métaux s qu'on ne peut pas mime
l'emporter'par l'or fur les macédoniens f invincibles d'ail»
leurs à tous autres égards : je furprendrai donc d'abord
leurs ieux, qui ne s 9 attendent à voir fur nous que des
€hefes viles & de peu de valeur ; '& js leur apprendrai que
noms femmes venus f non psfur envahir de Vor ou de
l'argent, maif pour foumetm toute la terre. Voila , mal»
heureux Parricide, la gloire que tu as voulu nous dénier;
& m allois 9 en étant la vie à leur roi, livrer les macl»
dtmiens à la merci des nations vaincues.
Mais tu me pries maintenant de faire grâce a vos
parents ! Il auroit été convenable fans doute que vous
~ignoraffîei ce que j'ordonnerai d'eux t afin que vous mou>
ruffîei avec plus de regret, fi vous avt\ encore pour vos
pères quelque fouvenir & quelque fenfihilité; mais il y m
long temps que j'ai aboli, l'ufage de faire périr avec les
coupables leurs parents & leurs proches quoiqu'innocents 9
& je déclare hautement qu^iLs confirveront tous le même
rang où ils étaient.
Quant i ton Calliflhènes f qui ftul te juge homme de
cœur parce que tu as l'audace d'un brigand , je fais bien
pourquoi tu voudrois qu'on l'entendit ; ce feroit afin qu'il
répétât â /on tour en préfence de cette affemblée les mimes
injures, ou que tu m'as dites, ou que tu lui as entendu
dire : s'il itoit macédonien, j % aurois fait entrer avec mi
un maître fi digne de t'avoir pour difciple ; fiujourdkui
un olymiem ne jouît pas du mime privilège.
Il congédia enfuite l'afTemblée, & fit remettre les
coupables entre les mains de leurs propres camarades ;
ceux* ci, pour prouver au roi leur fidélité par une
rigueur Impitoyable, les firent expirer dans diîorribîes
fuppîices. On fit auffi mourir dans la torture Callifthènes,
Innocent à la vérité de l'attentat contre la per»

i6% LIBER VIII. CAP. IX.
kaudquaquam aulm & ajfentantium accommodants
ingenio : haque , nuiiius cèdes majorêm apud
gracos Alexandro excitavît invidiam ; quod pmditum
optimh moribus artibusque , a quo revocatus
ad vitam eraî quum , interfeBo Clito, mon
perfeveraret, non tantum occident 9 fed eûam torferit
indiBa quidem causa, Quam crudditatcm
fera pmâunûa confequuta efi.
IX. Sed ne oûum 9 ferendss rumoribus natum l
aleret, in Indiam movit, femper bello quam pofl
viBoriam clarior. India tota ferme JpeBat Orientem
, minus in latitudinem quam reBa régime
fpaùofa : qum AuJIrum accipiunt, in aitius um
fzftigium excédant ; plana funt cetera , muk'uqm
inclytis amnibus , Caucafo monte orûs, placiém
per campos iter pmbenu Indus gtUdior efi qmm
ceteri ; aquas vekit à colon maris kaud mulmm
abhorrentts. G'-anges , amnis ab ortu eximius3 ai
' meridianam regionem decurrit, & magnorum mon*
tium juga recto aiveo firingit ; inde eum oèjeëa
rupes inclinant ad Oriêntem ; utque rubro mari
accipitur, findens ripas 9 mukas arbores cum ma-
•gnâ Joli parte exforbet : faxis quoque impeditus,
crebro reverberatur ; ubi moilius folum rtptrit,
Jiagnat mfidasque molitur : Ace fines eum augtt ;
Ganges decurfurum in mare intercipit, magnoqm
motu amnis uterque collidimr ; quippe Ganges
afperum os influenû objicit, nec repercuff® aqué
cedunt, Dy ardents minus celtber auditu eft, quiâ
fer ultima India currit ; ceterum9 non crocodiles
madù9 mi Nilus , fed eûam delphims ignMasqm

LIVRE VI1L CHâP.IX. I6J
fonne du roi, mais d'un caractère peu convenable à la
cour & au milieu des flatteurs : aufli nulle autre mort
ne rendit Alexandre plus odieux aux grecs j parce que
fans forme de procès, non content de faire mourir, il
fit même périr dans les tourments un homme de probité .
& d'un grand fa voir, qui l'avoit comme rappelé à la vie
lorfqu'il s'obftinott à y renoncer après le meurtre de
Cîitus. Il fe repentit, il eft vrai, de cette cruauté, mais
lorfqu'il n*etoit plus temps.
IX. Mais pour ne pas fomenter foifiveté, qui n'eft
bonne qu'à faire naître des murmures, ce prince, dont
Sa conduite étotî toujours plus glorieufe • pendant la
guerre qu'après la viàoire , prit la route de 11n.de* Ce
pays f plus étendu en longueur qu*en largeur f eft prefque
entièrement tourné vers l'Orient : îa partie méridionale
eft exceffivement élevée; tout le relie eft plaine, £c
plufîeurs fleuves célèbres, qui ont leur fource fur le
Caucafe s y ont un cours paiftble. L'Inde eft plus froid
que les autres ; la couleur de fes eaux n*eft pas fort
différente de celle de la mer. Le Gange, confidérable
dès fa fource, prend fon cours vers le -Mtéi, & coule
directement le long d'une chaîne de hautes montagnes ;
des rochers qu'il rencontre le détournent enfuite vers
POrienî ; & lorfqu*!! eft fur le point de fe décharger
dans la mer rouge, il partage fon lit en deux branches >
qui enveloppent quantité d'arbres & un terrain affez.
étendu : des pierres qui font obftaçle à fon cours font
fouvent bondir fes flots ; quand il roule fur un fonds
plus uni s il s'étend & forme des îles: TAcéfine le groffit;
le Gange en le recevant l'empêche de continuer fon cours
vers la mer f & les deux fleuves à leur confluent s'entrechoquent
avec un grand bruit ; c'eft que la rapidité
du Gange repouffe l'Acéfine à fon embouchure, & que
les eaux de celui-ci réagiffent pour ne point céder. Le
Dyardène eft moins renommé , parce qu'il arrofe l'extrémité
de llnde; d'ailleurs il nourrit dans fon fein'f
non feulement des crocodiles, comme le Nil » mais encore
ées dauphins & d'autres animaux inconnus ailleurs.

164 LIMER* FUI. CAP. IX
édiïs gentibus belluas alit» Erymanthus, créé
flexïbus fub'mdi curvatus , • ab accolis rigant'ém
carpitur ; ea caufa eft cur tenues reliquias jam
Jim nomme m mare emittau Multis , pmter ho$s
amnibus tota regio dividitwr , fed ignobilibuss
quia non adtb interftuunu
29. Ceterum, qua propiora funt mari aqmhnés
maxime deurunt ; û , cohibïû jugis mont'ium,
ad imeriora non pénétrant, ita alendis fiugièus
mitia, Sed adeè in Ma plagâ mundus Jïatas tew
porum vices mutât , ut, quum aiia fervore folis
exaftuant, Indmm nives obruant ; rursàsque di
. cetera rigent , illic intokrandus aftus exfiftat :
' me cur, ulli fe naturm caufa ingeffit* Mari certè
quo allûkur ne colore quidem abhorret à cturis;
ab Erythrâ rege * inditum eft nomen, propttr qwd
ignari rubere aquas credunt. Terra Uni fersx 9
undt plerisque Jimt veftes. Libri arborum ternit
haud fechs quam charte llterarum notas capiunt.
.Aves ad imitandum humanm vocis fonum doit
ks funt : animalia mufitata ceteris gentièus *
rùfi inve&a ; eadem terra & rhinocerotas alit, non
•générât ; elephantorum major eft vis quam quo s in
Africâ domitant, & viribus magnitudo refpondet.
• Aurum ftumina vehunt, qua Uni modicoque lapfu
fegnes aquas ducunL Gemmas margaritasque mare
Iktoribus infundit : mque dis mis major oput
* Ab Erythrâ rege. Les grecs îraduifirenî en leur langue
le furnom d'Efaii, qui ( G ta* xxv. 30.) fut Édom,
• en latin Rufus f & en grec Ëpvôpàç* De îà le nom de
mer reuge donné au goîphe arabique, fur les rives duquel
s'établirent les iiumêtns ou descendants â'Éd&m ; tes
grecs îa nommèrent en leur langue mer e'rythréwnèi

LIVRE Vlll. CHAP. IX. 165
L*Érymanthe,' qui coule en ferpentant, eft affoibîi dans
fon cours par des faignées que les habitants y font pour
l'arrofement 'des terres ; de là vient que îe peu qui
relie de fes eaux eft à peiné connu à fon embouchure
dans la mer..Outre ces fleuves, tout îe pays eft arrofé
par quantité d'autres rivières, mais qui font peu connues
, parce qu'elles ne le traverfent pas dans un û
grand efpace,
29. Du refte, les plages qui avoîfînent la mer font
ftériles à caufe des orages qui y font fréquents ; les
terres de l'intérieur, qui en font garanties par les montagnes
, font en conféquence propres à la culture. Mais
dans cette contrée îa nature change tellement l'ordre
des faifons, que, quand les autres font brûlées par le
foleil, l'Inde eft couverte de neige ; & que réciproquement
il y fait une chaleur ïnfupportabîe » pendant que
l'hiver règne ailleurs : & la raifon de ce phénomène ne
s'eft encore préfentée à perfonne. 11 eft certain que îa
mer qui baigne les côtes n'a pas une couleur différente .
de celle des autres mers.; fon nom lui vient du roi
Érythras t & c'eft ce qui a fait croire aux Ignorants que
fes eaux étoient rouges. Il y croît beaucoup de lin,
& la plupart des habitants en font vêtus. Il y a des
écorces d'arbres fi tendres, qu'on écrit deffus comme
fur des feuilles de papier. Les oifeaux y apprennent
aifément à imiter îa voix humaine : on y trouve des
animaux Inconnus dans les autres pays , fi on ne les
y tranfporte ; on y élève auffi des rhinocéros f. mais ils
n'y naiffent point ; les éléphants y font plus vigoureux
que ceux que fon apprivoife en Afrique t & leur grandeur
eft proportionnée à leur force. Il roule de l'or
dans les rivières, dont les eaux lentes ont un cours paifible
& modéré. La mer jette fur fes bords des pierres
précieufes & des perles : & les habitants n'ont pas une
& ce nom s'étendit à toutes les mers qui environnent
l'Arabie.

166 LIBER FIII. CAP. IX.
hntim caufa tft, utique poflquam viùorum «»•
mercium vulgavêre in êxtêras gentes ; quippe ap"
mantur purgamenta afluantis frai pretïo fuoi
libido conftituit. Ingénia hominum, ficut ubique,
npud illos locorum quoque fitus format : corpôra
ufque pedes carbafo vêlant ; foieis pedes, capita
linteis v'mciunt; lapilli ex auribuspendent, buthia
quoque & lacertos aura colunt, quibus inter
populares aut nobilitas aut opes emineni ; capillum
pcQunt fapiàs quam tondent ; mentum femptr
intonfum eft 9 reliqumn oris cutem ad fpeckm ievitatis
exœquanL
30. Regum tamen luxuria » quant îpfi mâgmfitentiom
appeUant, fupra omnium gentium vitùu
Quum rexfanè in publico eonfpici paiitur, thuribuk
argentea minïfiri ferunt 3 totumque iter per quoi
ferri deftinavit odoribus, complent : aured këici,
margaritis circumpendenûbus, recubat ; dift'mêa
funt auro & purpura carbafa qum indutus efi ;
leBicam fequuntur armait corporisque cufiodes,
inter quos ramis avts pendent", quas cantu férus
rébus obftrepere docuerunt. Regia auratas columms
habet ; totas eas vitis auro azlata percurrit ;
aviumqucy quarum vifu maxime gaudent, argcni.eœ
effigies opéra diftinguunt. Regia adeuntibus par
Ht, quum capillum peB.it atque ornât ; tune ref
ponfa legationibus , tune jura popularibus redàu
Demtis foieis 9 odoribus iïïmuntur pedes. Vemîûs
maximus labor efi inelufa vivario ammalia, inter
vota cantusque pellicum, figete* Binûm cubitomm
fagitm funt, quas tmittum majore nixu quam ef

LIVRE VIIL CHAP. IX. 167
fource plus abondante de richeffe, furtouî depuis que
par ie commerce ils ont infeâé de leurs vices ies
nations étrangères ; car ces fuperfluïtés dont îa mer fe
débarraffe dans fes agitations fe vendent au prix qu'il
plaît au luxe de leur affigner. Là , comme partout, les
caraêères des hommes fe reffentent de l'influence du
climat : ils fe couvrent de robes de lin qui descendent
jufqu'aux talons ; ils ont des fandales aux pieds t & s'envelopent
la tête avec des morceaux de toile § ils portent
des pendants d'oreille de pierreries, & des bracelets-d'or
aux bras & aux avant-bras , qui diftinguent parmi eux la
aobieffe & l'opulence ; ils ont plus de foin de peigner leur
chevelure que de la faire aux cifeaux ; jamais ils ne fe rafentle
menton, mais ils rafent le poil du refte du vifage.
30. Cependant le luxe de leurs rois, auquel ils
donnent le nom de magnificence, furpaffe ce qu'il y
a de plus exceffif parmi toutes les nations. Quand le
toi a la ceraplaifance de fe lakTer voir en public f fes
officiers portent des encenfoirs d'argent, & parfument
tous les chemins par où il doit paffer : il eft couché for
une litière d'or garnie de perles fufpendues tout autour ;
fes robes de lin font enrichies d'or & de pourpre ; (a
litière eft fuivie de gens armés & de gardes du corps,
parmi lefquels on porte fur des branches d'arbres, des
oifeaux inftruits à dîftraire par leur chant de l'occupation
des affaires férieufes. Le palais eft orné de colonnes
dorées | une vigne cifelée d'or rampe autour ; & l'ouvrage
eft bigarré par des figures d'argent repréfentanî
des oifeaux, dont la vue leur fait le plus grand pîaifir.
Le palais eft ouvert à ceux qui fe préfentent, pendant
que l'on peigne & que Ton accommode la chevelure
du roi ; c'eft alors qu'il donne audience aux ambaffa*
fleurs, & qu'il rend la juftke à fes fujets. On lui ôte
fes fandales , & on lui frotte les pieds avec des parfums.
Son plus violent exercice eft de tirer à la chafle des
animaux enfermés dans un parc, pendant que fes'concubines
chantent & font des voeux pour le fuccès. Les
Sèches, longues de deux coudées s fe tirent avec p!u$

168 LIBER FIIL CAP. IX.
fiBu ; quippe telum9 cujus in levitate vis otmh
eft, inhabili pondère oneratur. Breviora itinera
equo confiât; longior ubi expeditio eft 9 ekphanti
vehunt currum , & tantarum belluarum corpora
iota contegunt auro : ac ne quid perditis moribus
défit, kBicis aure'u pellicum longus &rdo feqmtar;
feparatum à reginm ordbu agmen eft 3 aqmtqm
iuxurià\ Feminm epuias parant ; ab Hsdem vinm
miniftratur, cujus omnibus indis largos eft ufus :
regem mero fomnoque fopitum in cubictdum pellicts
fejerunt 9 patrio carminé noBium invocantes dm*
31. Quls credat ïnter hmc vida curam effef&
fkntm ? Unum agrefte & horridum genus efl *
quos fapientes votant : spud hos occupare fââ
diem pulchrum , & vivos fe cremari jubent quitus
aut fegnis mas aut incommoda valetudo efl ;
txfpêBatam mortem pro dedecore vita Habent 9
nec ullas corporibus qum feneBus folvit honot
redditur ; inquinari putant igmm, nifi qui fpiranr
tes recipit, Êli qui in urbihus 9 publias moribus t
degunt, fiderum motus fcitè fpeBare dicuntur &
futura pmdiœre ; nec quemquam admovere leti
diem credunt, cui ex fpeBare interrito liceat. Deos
putant quidquid colère cœperunt '; arbores maxi*
me , quas violare capitale eft. Menfes-in quims
denos defcripferunt dies ; anni plena fpatid fermant
: luna curfu notant tempora, non, ut pkri*
que , quum orbem fidus impkvit , fed quum fe
curvare cœpit in cornua ; & idcirch breviores
. habent menfes , qui fpaûum eorum ad hune haut
d'effort

LIVRE- FUI. CUAP. IX. 169
4'eftort que d'effet; parce qu'un dards dont la légèreté
fait la force t devient Inutile .par l'excès et fa pefanteur.
Il fait à cheval les petits voyages; maïs s'il eft queftion
daller loin , ce font des éléphants qui traînent fon char,
& ces grands animaux font entièrement"couverts d'or:
afin qu'il ne manque rien à la dépravation des mœurs , il
à derrière lui une longue fuite de courtifanes dans des
litières d'or ; ce train eft féparé de cçlui de la reine,
mais il l'égale par fa pompe. Ce font les femmes quipréparent
à manger ; ce font elles aufli qui fervent le
vin f dont tous les indiens^font grand ufage : lorfque le
roi eft ivre & endormi, fes concubines l'emportent dans
fa chambre, & invoquent par des cantiques à l'ufage
du pays les dieux qui pr-^fident aux nuits.
31. Qui croiroit qu'au milieu de. ces vices on fit
quelque cas de la fageffe } Il s'y trouve une efpèce
d'hommes fauvages & greffiers, qu'ils appellent fages :
c'eftt félon eux,! une belle chofe de prévenir le jour
de fa mort, & ils fe font brûler vif dès qu'ils fe fentent
appefantis par l'âge ou affaiblis par une mauvaife fanté;
-'Us tiennent qu'il eft déshonorant d'attendre la mort9
& ne rendent aucun honneur à ceux qui font morts de
vieillefle ; ils penfent que c'eil fouiller le feu du buchers
que dê*nejpâs y entrer tout vif. Ceux qui vivent dans
ks villes conformément aux ufages publics, font habiles
s dit-on, à_obferver les mouvements des aftres &'
i prédire l'avenir ;'& ils croient qu'on n'avance pas le
jour de fa mort, quand on a le courage de l'attendre
fans effroi. Ils regardent comme des dieux tous les
©bjets auxquels ils ont d'abord adreffé leurs hommages,
mais les arbres furtout, qu'il eft défendu fous peine de
mort de profaner. Ils ont corapofé leurs mois de quinze
jouri* pais leurs années font entière! : ils marquent
Les temps par le cours de la lune, non pas , comme la
plupart des peuples, par la révolution entière de cet
aftre t mais par fon croiffant & fon déclin ; & voilà
pourquoi les mois font plus courts pour ceux qui en
déterminent l'étendue par cette manière de compter les
Tome IL H

170 LIBER FUI. CAP. X
modum dirigtmt* Muka & alla traduntur, quibw
morari miment rerum haud fané opéra viddatur.
X. Igitur Alexandro fines India ingrejfo gen*
ûum fuarum remdi occurrerunt, imperata faltuii ;
illum tenium Jove genitum ad ipfos perveniffê memorantes
, patrem Liberum atque Merculem fam
cognitos ejfe , ipfum coram adeffe cernique. Rex
bénigne exceptas fequi juffit,. usdem itinerum ditabus
ufurus, Ceterum , quum amplihs nemo oecurreret,
Hephafllonem & Perdiccan cum copkrm
parte pramifit, ad fubigendos qui averfarenmr
imperium; jujfîtque ad flumen Indum procêàrt,
& navigia facëre quîs m ulteriora transportari
poffet exercitus» Mi 3 quia plura flumina fupe*
randa erant, fie junxêre naves, ut fbluta plouf
tris vehi poffent rursksque conjungL Poft fi Cratère
cum phalange jujfo fequi s equïtatum ac hvem
armaturam eduxit , eosque qui occuperont
levi pmlio in urbem proximam compulit, Jam fu*
pervenerat Craterus : ïtaque , ut pfmcipio terrorem
incuteret genti nondum arma macedonum experts
9 prmùpit ne cul parceretur , munimmm
urbis quam obfidebat incenfis. Ceterum ,. dum ehequitabat
mœnibus 9 fagitta Mus efi ; cepit tamen
oppidum, & 9 omnibus incolk ejus trucidâtu,
etiam in teBa fitvitum efi. Inde, domkâ igmb'â
gente, ad Nyfam urbem perveniL Forte caftris
suie marna ipfa in filvefiri loco pofitis , noBur*
num frims vehementius quam alias horrort cm*
pora affècit, opportumtmque remedium ignis obk'
mm efi : cmfis quippe JÛyis ftammam exàtavt-

LIVRE VIII. CMAP. X 171
lanatfoas. On rapporte encore de ces peuples beaucoup
•d'autres chofes, par lesquelles je n'ai pas jugé à propos
d'interrompre le fil de cette hifloire.
X* Alexandre étant donc entré fur les frontières de
Plade, les petits rois de différentes peuplades vinrent
au devant de lui pour recevoir fes ordres ; ils difoient
qu'il étoit le troiûeme fils de Jupiter qui étoit venu chez
eux, que Bacchus & Hercule ne leur étoicnt connus que,
par îa renommée, mais que lui étoit préfent en personne
& fous leurs ieux. Le roi les accueillit avec
bonté & leur propofa de le fuivre, ayant intention-qu'ils
lui ferviffentde guides. Perfonne enfuite ne^venarit plus
au devant de lui, il détacha en avant Hépheftion &
Perdiccas avec une partie des troupes, pour réduire
ceux qui refiiferoient de fe foumettre; il leur enjoignit
d'avancer jufqu'au fleuve d'Inde, & de faire fabriquer
des batteaux pour paffer l'armée au delà. Comme il y
avoit plufieurs rivières à traverfer, ils les firent construire
de manière qu'on pût en détacher les pièces t
les tranfporter fur des chariots, & les raffembler enfuite.
Alexandre, ayant donné ordre à Cratère, de le fuîvre
•avec la phalange f prît les devants avec la cavalerie &
îes troupes légères,, ÔC-mena "battant-fans gran4eeeine
jufqu'à la première ville.ceux"qui av.oient ofé,venirà fa
rencontre. Cratère étoit déjà arrivé : dès lors, pour imprimer
de la terreur à une nation qui n'avoit point
encore expérimenté îes armes des macédoniens, il commanda
qu'on brûlât les fortifications & qu'on ne fît point
de quartier. Au relie, comme i! fefoit à cheval 'je tôuk
des murailles t il reçut un coup de flèche : il ne klffa
pas de prendre la ville», dont on. paflâ .tous les. habïr
faiîts au fil de l'épée, M l'on. n¥pargna pas fékmm
îes maifons. Après îa défaite de ce peuple 'peu connu,
ïî fe rendit à la fille de Nyfe. 11 arriva que,'fêtant
campé près des murs mêmes dans un lieu couvert de
bois, il fit la nuit un froid d'une violence plus,grande
qu'on ne l'avoit encore éprouvé s mais le feu y remécfia
à propos : les foldats en effet coupèrent du bois 6c
Hij

lyi LIBER Vllh CAP. X.
mm, qua , igni alita , oppidanorum fipulckra
compreèendit ; vetuflâ cedro faBa erant, conaptumque
ignem latè fudêre domc omnia foîo
œquœia funu Et ex urbe primum canum latratuss
ddnde etiam hominum fremitus auditus eft ; tum
& oppidani hoflem, & macedones ipfos ad urbsm
venijfk cognofcunt»
33» Jamque rex eduxerat copias & mœnia ohfi*
débat, quum hoflium, qui difcrimen tentavtrant,
obruti telis funt ; diis ergo deditionem , dûs
fugnâm experiri placebat : quorum dubitatione
compertd, circiimfideri tanium eos & abfmn
cadihus jujjit ; tandemque obfidionis malis fati-
•ga$i>t dedidêre fe. A Libero pâtre conditos fe ejfe
dicebant, & vera hmc origo erat : fita eft fub
radicièus montis quem Meron * incola apptUÔM ;
inde grœci mentiendi traxêre ïicentiam , Jovis fi'
mine Liberum patrem èffi celatunu • Rex, fou montis
"cognito ex incolis 9 cum toto txercim, pm*
s miffiS commeatibus, verticem ejus afcendit* Mes
"Mdera vit'uque toto gignitur monte ; multa pereiï
nest aqua manant ; pomorum quoque varii fahpresque
fuçci funt, fuâ fponte fortuitorum fminuM
fruges humo marie me ; lauri baccaque* &
multa in iUis rupihus agreftis efifilva. Credo eqwdem.
, non divino inftinBu , fed lafcivid effê pro*
yeêk® m pajjim hedera ac vitium filia dtctrpe*
'- * Miron* Le nom grec Mqpèç, qui corfcfpond ms-
'téçjelfement à ce nom, appatamment indien, %n«fi*
'Fémur ( cuiffe }.

LIVRE VI IL CMâP. X. 175
en allumèrent, & la flamme gagna les tombeaux des
habitants qui étoient très-combuflibles ; comme ils
étoient faits de vieux cèdrt, iîs prirent aifémeat feu B£
l'incendie s'étendit au loin jufqu'à et que tout fût confamé.
Alors on entendit d'abord les aboiements des
chiens dans la ville, puis les mouvements 6c le bruit*
des hommes ; ce qui fit connoître aux habitants que
Tennemi étoit à leur porte, & aux macédoniens qu'ikétoient
arrivés près de la ville.
33. Le roi avoit déjà fait avancer fes troupes 8c Inveftiffoiî
les murs , îorfque les affiégés, ayant tenté une
fortie, fe virent accablés des traits des ennemis ; les
uns en conféquence étoient d'avis de fe rendre, & les
autres d'en venir à une aâioa : Alexandre, ayant eu
connoîffance de leur irréfolution » fe contenta de les
bloquer & défendit qu'on leur fît aucun autre mal ;
fatigués enfin des incommodités du liège, ils prirent le '
parti de fe rendre. Ils fe difoient fondés par Bacchus, 8c
cette origine étoit hors de doute : leur ville eft fituée '
au pied d'une montagne que les gens du pays appellent
Méros ( Cuïffe); & les grecs en ont pris occafîon
d'imaginer la fable, que Bacchus avoit été caché dans la
cuiffe de Jupiter. Le roi, ayant fu des habitants quelle
étoit la pofitios de cette montagne, monta jufqu'au
Commet avec toute fon armée, après avoir eu la précaution
d'y envoyer des vivres. Il croît fur toute la mon- '
tagne quantité de lierre & de vignes ; elle eft p'arfemée
de fources qui coulent fans ceffe ; il y a auffi des fruits
de différentes efpèces d'un foc excellent, îa terre fefant
d'elle-même fruftifier les femences que le hafard y difperfe
: ces rochers abondent en lauriers avec leurs
graines, & font couverts de beaucoup de bois. Les foldats
s pouffes f je crois , non par une infpiration divine,
mais par un fimple mouvement de belle humeur s fe
mirent à cueillir du lierre & du pampre, & tout couverts
de ces feuilles, à courir de toutes parts dans la '
forêt , comme agités d'une fureur bachique ; de forte
que cette débauche , qui n'ayoït commencé que par un
H iij

174 LIBER FUI. CAP. X.-
rent, redimîûque fronde 9 toto nemore finales hoc»
ckantièus vagarenmr : vocibus ergo tôt millmm,
prafidem nemoris ejus dtum adorantium , juga
montis colksque refonabant, quum orta lictnûa a
paucis, ut firè fit, in omnes fe repente vulgaffet:
quippe j velut in média pace , per kerbas congefiamque
frondem proflraverant corpora. Et rtx,
fortuitam licentiam non avtrfatm , large ad epdas
omnibus pmbitis , per decem dies Utero patri &ptmtwh
habuit exerchum. Quis neget eximiam qv&>
que gloriam feepiès Fortuna quam virtutis ejfe
hemficium ? quippe ne epulantes quidem & fopitos
mero aggredi aufus efl hofi'ts , haud ficus
bacchantium uluhmtiumque fremitu perterritus qmm
fi prœliantium clamor effet auditus : eadem félicitas
ab Qceano reverttntes, temulentos comeffaniesque
inter or a hofiium9 texit,
34. Hinc ad remonem qua Daedala vocâtur
perventum efi ; defiruerant incolm fedes, & in
avios filveftresque montes confugerant : ergo Aca~
dira tranfitj mque mfia & defikuta mcolenikm
fugL Itaque, rationem beïii neceffitas mutavit :
divifis enim copiis, pluribus ferma locis arma
oflendit; opprejfique , & qui exfpeËaverant hof
tem 9 omni clade perdomiti feint. Ptolemaus pluri*
mas urbes , Alexander maximas cepit ; rursùsqw
quas * diftribuerat copias junxit* Superato dtmde
Choafpe amne 9 Canon 'm obfidione urèis opu*
ienta, Beziram incola votant, reliquit ; ipfe ad
ma{agas venit* Nuper Affacano, cujus regnm
fuerat, demortuo, regioni urbique prmerat mater
ejus Cleophes. Triginta millia peditum tueèmtur
urbem , non fitu folum 3 fed etiam opère mumtam:

LIVRé Vllh CMAP. X 175
petit nombre, comme c'eft fordinalre, ayant gagné
bientôt toute l'armée, les montagnes & les valons retentîflbient
des voix de tant de milliers d'hommes, qui adoroient
le dieu tutélaire de ce bois : ils fe rouîoient tous t
comme en pleine paix f fur l'herbe & fur le feuillage -
qu'ils avoient amaffé. De fon coté le roi, loin de défapprouver
cette faillie de divertiffement, fournit fi abondamment
aux troupes de quoi faire bonne chère , que
l'armée fut occupée dix jours entiers de cette fête de
Bacchus. Qui peut contefter que la gloire même lapins
fublime ne foit plus Courent une faveur de la Fortune
que l'effet du mérite ? car dans îe temps même
que les foidats étoient livrés à la bonne chère & enfeveiis
dans l'ivrefle ; l'ennemi n'ofa pas les attaquer, &
fut au contraire auflî effrayé des hurlements de ces
ivrognes effrénés, qu'il auroit pu l'être des cris d'une
armée dans la chaleur du combat : ce fut encore le
même bonheur, qui, à leur retour de l'Océan, les fauva
de leur perte au milieu de la débauche où ils fe plongé- ,
rent fous les ieiix des ennemis.
34. 11 pafla de là dans un canton nommé Dédale; lés
habitants avoient abandonné leurs demeures , & s'étoient
réfugiés fur des montagnes inacceffibies & cou*
vertes de bois : il alla donc à Acadère, qu'il trouva
également tout ruiné par le feu, & les habitants en
fuite. Cela le mit dans la néceffïté de changer le plan
de fes opérations militaires: car il partagea fes troupes,
afin de porter la guerre tout à la fois en différents
lieux ; de forte qu'il défit complètement, & ceux qui
furent furpris, & ceux qui eurent la hardieffe d'attendre
Fennemï. Ce fut Ptolémée qui prit le plus de villes , &
Alexandre qui emporta les plus grandes; après quoi
Il réunit les troupes qu'il avoit difperfées. Ayant en-'
fuite paffé le fleuve Choafpes, il laiffa Cénus au liège
d'une ville opulente, que les gens du pays nomment
Bé\in ; & pour lui, il fe porta chez les mafages.
Affacane f leur roi, étant mort depuis peu, Cléophès,
h. mère, commandait dans le pays & dans la ville.
H iv

IJ6 LIBER FI IL CAP. X.
tiéim qui fpe&at Orientent* àngitttramnt totrenù*
qui pmruptu utrimque rip'u adimm ad urbem im~
pedit : ad Ocàdentem & â Mendie, 'vekt de indufiriâ
rupes prmakas admolka namra efi, mfra
quas eavemm-hvoragines, longd vemfiate in almm
cavata, jaccnt ; quaque definmt, foffa ingtntis
operis objeëa eji : xxxv fiadia muras urbis cornpUBkur,
cujus inferiora faxo , fuperiora crues
latere funt ftruËa ; lateri vincuhm lapides fiait,
quos imerpofuêre ut duriori materm ftagiUs incmberet$
fimulque terra humore diluta ; ne taném
univerfa confident, impofim ernnt trabes valida,
quibus injeHa tabulata muros & tegebant & perv'm
ftserant»
3f. Hétc mummenta mntemplantem Akxmt-
'drum , eonfiluque incertum , quia net cavenm
nifi aggere poterat implere , nec tormenta aliter
mûris admovere 9 quidam i muro fagittd pemf
fit : mm forte in furnm incidk tehtm ; CUJïïS /piculo
evuîfo , admoveri equum jujfit9 quo veiks,
ne obligato quidem vutnere, haud fiegnius défi*
mata exfequebatur. Ceterum, quum crus faucium
pendent & 9 cruore ficcato , frigefcens vulnm
aggravant dolorem ; dixiffe fertur f fe qmàm
Jovis filium dici , fed corp&ris œgri vida fentire :
non tamen ante fe recepit in caflra , quam cunBa
profpexk & qum fieri veUet edixk. Ergo, fiait •
imperamm erat 9 alii extra urbem teila démolie*
bantur, mgentemqm vim materim faekndo aggen

LIVRE VIII.-CHAP. X, 177'
Trente-mille hommes de pied défendoient cette place s
forte, non feulement par fa foliation , mais encore par
• les ouvrages qui la couvraient : car du côté de l'Orient,
elle eft environnée d'un fleuve très-rapide,. dont les
rives font efcarpées, & qui empêche par là les approches
de la ville : du côté de l'Occident & du Midi, la
nature femble avoir préparé exprès de - très - hauts
rochers, au pied defquêis font des cavernes & des
abîmes, que le temps a creufés à une grande profondeur;
où Unifient ces fortifications naturelles, Part y
a fuppléé par un foffé d'un travail immenfe ; la ville eft
enceinte d'un mur de trente cinq ftades de tour» dont
le bas eft en pierre, & le haut en brique crue; la
brique eft liée par des pierres placées d'efpace en efpace
afin que le fort foutienne le foible, & en même temps
par du mortier fait de terre graffe 8c d'eau ; & de peur
que le tout ne vint à s'écrouler, on avolt mis par
de (Tus de fortes poutres recouvertes d'un plancher f
qui fervoit tout à la fois &. à garantir le mur & à
former un chemin par deffus.
35. Tandis qu'Alexandre obfervoit ces fortifications »
h. qu'il étoit en doute fur le parti qu'il prendrait ,
parce qu'il ne pouvoit combler les cavernes qu'à force
de matériaux, & qu'autrement il ne pouvoit appro
cher les machines des murs , un indien lui décocha une
flèche de deffus la muraille : la pointe lui piqua le gras
de la jambe; mais il arracha le fer, fit approcher fon
cheval, le monta fans même bander fa plaie, & ne
continua pas avec moins d'activité ce qu'il s'étoit pro-*
pofé de faire. Toutefois comme il portoit la jambe
pendante, & que , le fang s'étant figé, îa plaie en
Ce refroidiffant devenoit plus douloureufe ; ©n rapporte
qu'il dit, qu'on avoiî beau le faire fils de Jupiter, il.
n'en fentoit pas moins les incommodités de la maladie :
il ne rentra .néanmoins dans le camp, qu'après avoir
tout vu & donné fes ordres. En conféquence, les uns
démolirent les maifons qui étoient hors' de la ville , &
cnlevèrçnt force décombres pour remplir les cavités;
HT '

îyg LIBER VIII. CAP. XL
ietrahebant; dii magnarum arborum fljpitts cur
midis ac moles faxorum in cavernas dejkiebant:
jamquê agger aquaverat fummœ faftigium terra,
itaque turres erigebantur; qum opéra , ingenû militum
ardore, intra nonum diêm abfoluta funt. Ai
ea vifenda rex , nondum obduÊâ vulneri cicatrice
» procejjit ; landaus que militibus 9 admoveri
machinas jufftt , è quibus ingem vis telorvm m
propugnatores effufa eft. Pracipuè , rudes taBum
operum , terrebanî mobiles tiares ; tantasqm moles
, nullâ ope qum cerneretur addutlas, deomm
numine agi credebant : pila quoque muralia & ex-»
cuffas tormentis prmgraves haflas negabant convenir*
mortaUbus. Itaque , defperatâ urbis tuttlâ concêffere
in arcem ; inde , quia nihïl obfejfis prêter ieiitioncm
placebat, legaû ad régent defcenderunt , ventant
petituri. Qud impetratd 9 regina , cum magno
nobiUum feminarum tpregt auras pateris vins
libamûum, procejfk : ipja , genibus régis parva
fiBo admoto , non vemam modo, fed etiam prifiima
fortunm impetravit decus ; quippz appêilata
Résina cft > & credidire quidam plus forma, quam
miferaûoni datum: puero quoque, certè poftea ex
ed utcumque genito , Alexandre» fuit nomen.
XL Hinc Polyperchon 9 ad urbem Qram cum
exercitu mijfus 9 inconditos oppidanos pmlio vïcît;
intra munimmta compulfos fequutus, urbem in àùonem
redegit. Mulm ignobilia oppida , deferta a
fuis , venêre in régis pôteftatem; quorum incofa
armatt pttram, Aarnoa * nomine , occupavtruni :
** , ÂfffWç ( fans otfeaux ); mot compo-fé de Va privatif
& du -nom SfVlÇ ( oifeau ). CTeft un nom hyperbolique
, qui lignifie que cette roche étoit fi haute que
les ©ifeaux même ne pouvoient s'élever jufqu'aufommeti

LIVRE VIIL CMâP. XL ifç
îts autres, y entaffolenî des-troncs de grands arbres &
des mafles énormes de rochers : déjà l'ouvrage étojt
au niveau de la terre, & on y; établiffoit les tours; &
tous ces travaux, tant les foldats s'y prêtèrent avec
ardeur, furent achevés en moins de neuf jours. Le roi
vint les vifiter avant que fa bleffure fût cicatrifée j Ôc
iprès avoir donné des éloges aux troupest il fit avancer
les machines, d'où Ton fit pleuvoir une grêle de traits
fur ceux qui défendoient les murailles. Ce qui eflfrayoit
furtout les barbares , qui n'entendoient rien à de pareils
ouvrages, c*étoient ces tours mobiles ; & ils étoient
perfuadés que des maffes fi énormes, qui approchoient
fans aucun agent vifible, tenoient leur mouvement de
la puiftance des dieux : ils croyoient aufli que les béliers
qui ébranloient les murs & les redoutables jâveîots que
lançoîent les instruments militaires furpaffoient les
forces humaines. Défefpérant donc de pouvoir défendre
îa ville s ils fe retirèrent dans la citadelle ; mais rien né
pouvant encore être plus avantageux aux afliégés que
de fe rendre, ils envoyèrent des ambaffadeurs au roi
pour lui demander grâce. Il y confentit, & la reine
Tint le trouver avec une grande fuite de dames qui lui
firent des libations de vin dans des coupes d*or: la reine,
ayant mis à fes genoux ibn fils encore enfant f obtint,
outre fa grâce, toute îa fplendeur de fa première fortune
; elle fut même traitée de Reine, & ©n crut qu'elle
en fut plus redevable à fa beauté qu'à la commifération
du vainqueur : au moins eft-il vrai qu'un fils qu'elle eut
dans la fuite > quel qu'en ait été le père, fut aufli nommé
Alexandre.
XL De là Pôfyperehon ayant été envoyé avec une
armée contre la ville d*Ore, il défie les habitants qui fe
préfentèrenî en défordre ; & les ayant repouffés jufque
dans leurs fortifications, il les^yfuivit, & fe "rendit
maître de la place. Le roi fournit_à fon pouvoir plufieurs
petites villes défertes , dont les habitants s'étoient retirés
en armes fur une roche nommée Aome : c'étoit u»
H v)

iSo LIBER V11L CAP. XL "
•hmc ab Hermk fruftra obfeffam effe, terrmqnt
moiu coaBum abfifiere, fama vulgavcrat. Inopem
confilii Alexandrum » quia undiqut pmceps &
abrupta rupes erai, fenior quidam , peritus locê*
rum, cum duobus filiis adiit, fi preûum operi effet,
aditum fe monflraturum effe promhtem: Lxxxtâtenta
conflituit daturum Alexandtr ; & dtero ex
juvenibus obfede retento , ipfum ad exfequenda qm
ehuierai dimifit : leviter armatis dux datas eji
Mullinus, fcriba régis ; hos erûrn circumhu, qm
jallèrent hoftem , in fummum jugum placebat eva*
dere. Petra, non, ut plermque, modicïs ac molli'
bus clivis, in fublime fafligium crefcit ; fed in
meta maxime modum ereëa eft : cujus ima fpatiofiora
funt , altwra m arÛius coè'unt, fumma in
acutum cacumen exfurgunt. Radiées ejus Indus
amnis fubït, pmaltus utrimque afperis ripis ; d
altéra parte voragines eluviesque pmruptœ fiait ;
nec alia expugnandi patebat via, -quam ut repie*
rentun Ad manum filva erat, quam rex ha cadi
juffit, ut nudi fiipitesJacerentmr ; quippe ram
fronde vefliti impediffent ferentes : ipfe primas
iruncam arborem jecit; clamorque exercitûs, index
alacritatis y fequutus efî , nulh detreBante mmus
quod rex occupaffeL
37. Intra feptïmum dkm cavernas fxpleverant3
quum rex fagittarios & agr'mnos jubet per srduâ
niû, juvenesque pmmtiffhmos -ex fui cohorte xxx
iekgit; duces his daû funt Chorus & Alexanéer
, quem rex mmbùs quod fibi cum eo commune
effet admomdt. Ac primo, quia tam manififlum •
pericuhm erat, ipfum regem difcrimen fubire non
placuit ; fed ut fignum tuba datum efi , vif sudd*

. Ltt>RE Vllî. CHAP. XL 1S1
Bruit commun, qu'Hercule en avoit inutilement formé le
fiège, & qu'un tremblement de terre l'avoit contraint de
le lever. Alexandre ne fâchant à quoi fe déterminer »
parce que cette roche étoit de toute part efcarpée &
environnée de précipices, un vieillard, qui connoiffoit le
local, vint îe trouver avec fes deux fils, Se lui offrit d#
lui montrer un chemin s'il lui accordoit quelque récora-penfe
: Alexandre lui promit quatre-vingts talents ; il
garda l'un île fes fils en otage, & le renvoya pour exécuter
fa promeffe : il lui donna des foldats armés à la»
légère fous les ordres de Mulîinus, fecrétaire des commandements
du roi | car on jugeoit convenable, pour
tromper l'ennemi, de les mener au fommet par des
détours. La roche n'a pas, comme la plupart des autres,,
une pente un peu fenfible & pratiquable qui conduife à la
cime ; mais elle s'élève prefque comme une pyramide :
le bas en eft la partie la plus large, les parties plus
élevées vont en s'étréciffant, le haut s'élance en pointe.
Le pied en eft baigné par îe fleuve d'Inde , dont les deux
rives font très-hautes &. coupées à pic ; de l'autre côté
font des abîmes & des ravins efcarpés : & il n'y avoit pai'
moyen de forcer la place f à moins de les combler. On
avoit fous la main une forêt, que le roi fit couper de
manière qu'on ne jetât que les troncs dépouillés dans
les fondrières ; parce que les branches avec leurs feuilles
en auroient rendu le tranfport difficile : il fut lui-même
le premier à y jeter un. tronc d'arbre ; auffitôt toute
l'armée pouffa un cri d'allégreffe, & perfonne ne refufa
de faire ce que le roi lui-même avoit fait.
37. Les foffes ayant été comblées en fept jours, ii
commanda aux archers & aux a grises de faire leurs'
efforts pour monter, & choifit trente jeunes hommesdés
plus leftes de fa compagnie ; il leur- donna pour,
chefs Charus & Alexandre, Se rappela à celui-ci le nom.
qu'ils portoient tous deux. D'abord on ne fut pas d'avis,
vu que îe péril étoit fi évident,^que le roi s'y exposât
en perfonne ; mais îa trompette n'eut pas plus tôt donné
le fignal, que ce prince s d'une audace impétueufe, fe

181 LîBER Vil!. CAP. XL
ciapromtm, converfus ad corporir cuftodes, feqû
fejubet, primusque uwad.it in rupem : me iêlnde
quifquam macedonum fubftith ; reliB'uqm fiatio*
n'eus , fui /ponte regem fequebanmr* Miâtonm
miferabiîis fuit eafus, quos ex pmruptâ rupe lap*
fis amnis pmterfluens haufit : trifie fpeBacukm
eûam non periclitantibus ; quum vero , aliène exh
tw , quid ipfis ùmendum foret admonerentur, m
metum mifcricordiâ versa , non exftinBos , fei
femeûpfos défichant. Et jam eo perventum tut
unde fine pernicie 9 nife viBores, redire non pofi
fent ; mgentia faxa in fubeuntes provolveMÏbus
barbaris, queis perculji, inflabili & lubrico gradu
pmeipites reeidebant* Evaferam tamen Alexandtr
& Charus , quos cum xxx deleBis pmmifirat
rex, & jam pugnare cominiis cœperant ; fedquum
fupernh teia barbari ingérèrent , fœpiks ipfi fine*
bantur quam vulnerabant. Ergo Akxander, &
nominis fui & promijji memor, dum acnus quam
cautjus dimicat 9 confoffus undique obrukur : qmm
ut Charus jacentem confpexit , mère in hofiem,
omnium prater ultionem immemor, cœpit $ multosque
haflâ 9 quofdam gladio interemit ; fed quuM
tôt imum incefferent manus , fuper amici corpus
procubuit exanimis* Haud fecàs quam par erat
prémûffimomm juvenum ceterorumque miiitum intérim
commotus 9 rex fignum receptui dédit : fa*
luti fuit, quod fenfim & intrepidi fe receperunt f
& barbari % hofiem depuUffe continu, mu infir
tire eedentibus.
38. Ceterum '9 'Àlexander, quum fiatuiffet defifiere
meepto (_ quippe nuUa fpes potiunda petr*

LIVRE FUI. CHAP. XL 185
tourna vers fes gardes du corps, leur commanda de
le fuivre, & fut le premier à grimper fur la roche : il
n'y eut plus alors un macédonien qui voulût refterj
Ils abandonnèrent leurs poftes , & de leur propre mouvement
ils fuivirent le roi. Il y en eut plulîeurs qui
périrent miféràblement, car tombant de deffus des rochers
efcarpés ils étoient* engloutis dans le fleuve qui
paftoit au pied : fpe&acle bien trille pour ceux mêmes
qui n'auroient pas été en danger ; mais le malheur des
autres leur fefant envifager ce qu'ils avoient à redouter
pour eux-mêmes, la pitié fit place à la crainte, ôc^ce ne
fut plus le fort de ceux qui avoient péri , ce fut le
leur qu'ils déplorèrent* Cependant on en étoit au point
qu'il falloit vaincre, ou périr en rétrogradant; parce:
que les barbares rouloi.ent, fur ceux qui montoient, des
pierres énormes, dont le choc, en leur fefant perdre
pied eu des lieux fi peu affûrés, les fefoient retomber
du haut en bas. Toutefois Alexandre & Charus, que le
roi avoit envoyés en avant avec trente jeunes hommes
d'élite % avoient gagné le haut & combattoient déjà de près
à près ; mais comme les barbares les tiroientde plus haut»
ils recevoient plus de coups qu'ils n'en portoient. Aie*
xandre alors, fe fouvenant de fon nom & de fa promeffe P
montre dans le combat plus d'ardeur que de précaution m
& eft accablé des traits qu'on lui décoche de toute part;
de fon côté Charus, le voyant renverfé, ne fonge plus
qu'à le venger, fe'jette à travers les ennemis, en tue
plufieurs avec le javelot & quelques-uns avec l'épée j
mais feul en bute à tant de coups, à la fin il tombe
mort fur le corps de fort ami. Touché comme il convenolt
de la perte de ces braves jeunes gens & de
les autres foîdats, le roi fit fonner la retraite : ce qui
les fauva, c'eft qu'ils la firent infeefiblement & en fefant
bonne contenance, & que les barbares, contents d'avoir
repouffé l'ennemi, ne l'inquiétèrent point lorfqu'il fe
retira.
38. Du relie, quoiqu'Àlexandre, ne voyant point jour
à fe rendre maître de cette roche * eût réfoluif en Lever

184 LIBEJL FUI. CAP. XIL
cfferebatur ) , tamen fpeckm often.dk in obfidiotu
perfeverantis ; nom & binera obfideri jujjit, &
îurres admoveri, & fatigatis aiios fuccedere. Cu*
jus pertinacid cognka , indi per biduum quidtm
ac duos noBes , cum oftentatione , non fiducia
modo , fed eîiam viBor'm, eptdati fiait, tympans
fuo more puîfimtes : ténia vero noBe tympamrum
quidem ftrepkus defeerat audiri ; ctterum,
ex totâ petra faces refulgebant, quas accenderant
barbari, ut tutior effet ipfis fuga9 obfcura mik
per invia [axa curfuris. Rex, Balaero, qui fpt~
cuiaretur9 pramijfo , cognofcit petram fiigd vw*
rum ejje defertam : tum dato figno ut univerfi con*
clamarent, incompofitè fugientibus me tum incuffit;
multique, tanquam adejfet hoftis , per hbricafaxâ
pèrque invios cotes prœcipuati , occiderunt; plur
res, aliquâ membrorum parte mulBati , ah mtegris
défera funt. Rex, locorum magis quam hof
tium viBor, tamen magna viBorm facrificiis &
cultu diis fatisfeck ; ara, in pétri locata funt
Minervm ViBoriaqut. Ducibus itmeris, quosfibirt
juffirat ievker armatos , et fi promiffis minora praf
titerant, pretium cumfide reddkum eft. Petra regiomsque
ei adjunBa Sifocofto tutela permiffa*
XII. Inde procejfit EcboUma; & quum anguf
lias itmeris obfideri xx millibus armatomm d
Eryce quodam comperijfet, gravius agmen exercitas
Cmno ducendum modicis kmeribus tradidit;
ipfe 3 pmgrejfus cum fundkore ac fagittario,

LIVRE VIIL CHAP. XII. 185
le fiège, il ne laiiTa pas de faire mine de s'y attacher ; il
fit en effet occuper les avenues ,'avancer les tours, 8e
relever les troupes fatiguées par de» troupes fraîches.
Les indiens $ voyant donc fon opiniâtreté, affeôèrcnf
auffi pendant deux jours & deux nuits, comme s'ils
étoient pleins de confiance & même affûrés de h victoire
, de faire bonne chère 8c de battre leurs tambours
à leur mode : mais îa troifîème nuit on n'entendit plus
le bruit de ces inltruments ; d'ailleurs toute la roche
étoit éclairée par des flambeaux, que les barbares
avoient allumés pour affûret leur fuite 8c diriger leur
marche pendant la nuk à travers les précipices. Le rot,
ayant envoyé- Baîacre en avant pour reconnoître l'état
des chofes , apprit que les indiens avoient pris la fuite
8c avoient abandonné la roche : ayant alors donné le
lignai pour pouffer un cri général, il mit l'épouvante
parmi ces barbares qui fuyoient en défordre ; & plusieurs
, comme fi l'ennemi étoit à leurs trouffes, fe
tuèrent en' fe précipitant de deffus des pierres ou ils ne
pouvoient fe tenir 8c des rochers inacceffibles ; le plus
grand' nombre, eftropiés de quelque membre , furent
abandonnés de ceux à qui il n'étoit point arrivé d'accident.
Alexandre, quoique vainqueur des lieux plus tèt
que des hommes, ne laiffa pas de remercier les dieux
par les mêmes facrifices 8c avec îe même appareil religieux
que s'il eût remporté une grande viftoire ; ot il
drefla fur le roc des autels à Minerve & à la Vi&oire.
Quant aux guides, qu'il avoït fait fuivre par des foîdats
armés à îa légère s quoiqu'ils n'euffent pas entièrement
rempli leurs promeffes, il leur donna fidèlement l'a ré*
compenfe convenue. It confia à Sifocofte la défenfe de
la roche 8c du pays adjacent,
XIL II pouffa de là vers Ecbolime; 8c comme il
apprit qu'un certain Éryce s'étoit faîfi avec vingt-mille
hommes en armes • des paffages difficiles, il laiffa à
Cénus le foin de conduire à petites journées le gros'
de fon armée"; 8c prenant lui même les devants avec
les frondeurs 8c les archers, il donna la chaffe aux

ï86 LIBER FUI. CAP. XII.
piis viam ficit. Indi, five odio ducis, five gratkm
viBoris régis inkuri , Erycem fugientem adorti,
interemerunt caputque ejus atque arma ai Ah-
'xandrum detulerunt ; ille faBo itnpunitatem deât3
honorem denegavit exempb. Hinc ad flumen Indum
fixas decumis caftris pervertit ; omniaque, utpr&ceperat,
ad trajichendum praparata ah Hephaf
tione reperiL Regnabat in eâ regione Omph'u, qm
patri quoque fuerat auBor dedendi regnum Aie»
xandro, & poft mortem partntis , legatos mifirM
qui confulerent eum , rignare fe intérim vdlet, M
privatum opperiri ejus adventum ; pemâffhque ni
regnaret , non tamen jus datum ufurpare fuflinuit.
Is Bénigne quidem exceperat Hephajlionem $
gratuitum frumentum copiis ejus admenfus ; non
tamen ei occurrerat , ne fidem ullius nifi reps
experireiur : itaque, venienti obviam eum arma»
exercitu egreffus eft ; ekphanti quoqm , per mo*
dica intervaUa miiitum agmini immixti , prscd
cafteUorum ficerant fpecienu
40. Ac primo Alexander, non focium , fed
hoftem adventare credebat ; jamque & ipfi arma
mdites capere & équités difcedere in cornua jujfe*
rat, paratos ad pugnam : at indus , cognho m*
cedonum errore, jujps fubfiflere ceterk, ipfi coït
citât equum quo vehehatur ; idem Alexander quoque
ficit, five hoflis five amicus occurreret, vd
Jfud virtute vel illius fide tutus, Cofoêre, quoi ex
utriusque vultu p'offet intelligi, amicis animis. Ce-
'urum 9 fine interprète non pote rat confiri firmo :

LIVRE VIII. CHAP. XII. 187
ennemis qui gardoïent le défilé, & ouvrit îe paffage
aux troupes qui'venoient après lui. Les indiens, foit
en haine de leur Général, foit pour gagner les bonnes
grâces du vainqueur, attaquèrent Éryce dans fa fuite »
le tuèrent, & portèrent fa tête & fes armes à Alexan*
dre | ce prince accorda Fimpunité à l'action, mais il
refufa l'honneur de la récompenfe à un exemple fi dangereux.
Il mit enfuite feize jours de marche pour
arriver de là au fleuve d'Inde ; & il trouva qu'Hépheftion
avoit, fuivant fes ordres, fait tous les préparatifs
Réceïïàires pour le, traverfer. Le roi dû pays étoitf
Omphis, qui, du vivant de fon père , lui avoiî confeillé
de remettre fes États entre les mains d'Alexandre f
& après fa mort, lux avoit envoyé des ambaffadeurs
pour favoif s'il lui permettoit de monter fur le trône
jufqu'à fon arrivée , ou slî l'attendroit en perfonne
privée ; & quoique le roi lui eût permis de prendre le
diadème , il n*ofa toutefois ufer du droit qu'on lui avoit
accordé. ÎI avoit traité Hépheftion avec beaucoup
d'égards , & avoit gratuitement diftîibué du grain en
abondance à- fes troupes : cependant il n'étoit point venu,
à fa rencontre s parce qu'il ne vouloit fe lier qu'à la per-
Conae du roi : auffi, à fon arrivée , vint-il au devant de
lui avec une armée toute équipée ; il y avoit répandu,
à peu de diftance les uns des autres, des éléphants s qui
de loin teffembloient à'autant de fortereffes.
40. Alexandre crut d'abord que c'étoit % non un allié,
mais un ennemi $ qui arrivoit ; & il avoit déjà commandé
aux foldats d'avoir leurs armes prêtes s à la cavalerie
de s'avancer^fur les ailes, à tous de fe difpofer
au combat : mais l'indien, s*appercevant de l'erreur des
macédoniens, fait faire halte à fes troupes & pouffe
fon cheval ; Alexandre en fit autant, parce qu'ami ou
ennemi, il trouvoit fa fureté ou dans fon courage ou
dans la bonne foi du barbare. Ils s'abordèrent, autant
qu*on en put juger par leur contenance, avec des difpofitions
amicales. Au relie , ils ne potfvoient entrer
en converfation fans truchement ; ils en prirent dôac un %

1S8 LIBER Vlll. CAP. X1L
kaque, adhibîto eo , barbarus occurriffe fi dbck
cum exercitu, totas imperii vires proûnùs tra£*
turum , net exfptBaffe dum per mmcios daremr
fides ; corpus fuum & regnum permhiere i//i, qmm
fciret 9 glor'w militanttm , nihil magis quam fi'
mam ûmere perfidim. Latus fimplichate barbari9
rex & dextram fidei put pignus dédît , & regmm
reftmâu Qu'mquagmia fix dephanti erant, quos iwdïdh
Alexandre, multaque pecora eximim magdmdinis;
tauros ad ni milita, pretiefum m eâ
regiene accepmmque animis regnanthtm armentim
Quarenti Alexandre , plures agricultures kaberet
an milites , cum duobus regibus beUanti fibi majore
m'ditum quam agreftium manu opus efft ref
pondit : Abifares & Porus erant , Jfed in Pore
eminebat auBorkas ; uterque ultra Hydafpen amnem
regnabat, & belli fortunam, quisqms mm
infirret, experm decreveraL
41. Ompkis 9 per minente Alexandre, & regmm
mfigne fumfit, & , more gentis fua, nomtmqwà
patr'u fuerat, Taxilen appellavere populares,
fequtnte nomine imperium in quemeumque tranfinu
Erge quum per triduum hofpkaliter Alexandmm
accepïffit, quarto die , & quantum frumenti c

LIVRE FUI. CMAP. XIL 189
& le barbare dit f qu'il étoit Tenu au devant du roi avec '
fon armée 9 pour lui remettre fans délai toutes les
forces de fon royaume s fans attendre qu'il lui eût
donné aucune sûreté par des ambaffadeuts ; qu'il livroitfa
perfonne & fes États à un prince, qu'il favoit ne faire la
guerre que pour la gloire & ne rien craindre plus que le
reproche de perfidie. Le roi f charmé de la candeur
du barbare , lui toucha la main en ligne d'amitié , & lui
rendit fon royaume. Il donna à Alexandre cinquante
fix éléphants , & plufieurs animaux d'une grandeur merveilleufe
;il y ajouta jufqu'à trois-mille taureaux, bétail
•précieux dans ce pays & qui y fait les délices des rois#
Alexandre lui demandant de qui il avoit le plus, laboureurs
ou foldats t il répondit qu'il lui fâlloit plus de foldats
que de cultivateurs, parce qu'il étoit en guerre
avec deux rois : c'étoient-Abifares & Porus, mais Porus
étoit le plus renommé ; tous deux régnoient au delà de
S'Hydafpe , & étoient réfolus de tenter les hafards de
la guerre contre quiconque les attaquer ©lu
41, Omphls, avec la permiflîôîi d'Alexandre, non
feulement prit le diadème, mais reçut encore de fes
fujets, félon Fufage de fa nation, le nom de TaxiU9
qu'avoit porté fon père ; & qui étoit affeâé à quiconque
montoit fur le trône. Ayant enfuite fait au roi pendant
trois jours les honneurs de FhofpitaUté , il lui fit voir
le quatrième, combien il avoit fourni de bled aux troupes
amenées par Hépheftion , & donna à lui & à tous fes
courtifans des couronnes d'or, & outre cela quatrevingts
talents d'argent monnoyé : mais Alexandre f extrêmement
fatisfait de la générofité de ce prince, lui
laifla tout ce qu'il lui avoit donné, Bc y ajouta mille
talents du butin qu'il fefoit mener après lui, avec beaucoup
de pièces de vaiffelle d'or & d'argent t quantité
4e robes à la perfienne, & trente de fts chevaux,
avec les mêmes harnois que pour fon fervice. Il eft vrai
que, fi cette libéralité obligea le barbare, elle choqua

190 LIBER FI IL CAP. XI IL
amicos tpfius vehementer ûffindk : è qmbm Me»
ieager, Juper cœnam, largiori vino ufus3 gratukd
fe Alexandro dixk ; quod faltem in Indid reperiffet
dignum tdUntis mille. Rex, haud obÛms
quant mgrè tiâiffet quod Clitum ob lingum ttmrttatem
occidiffet, îram quidem temùt, fed dixk,
învidos hommes nihil aliud quam ipforum effe
tormenta*
XIIL Poftero die legati Abifam adiere regem:
smnia diuoni ejus, ita ut mandatum erat, ptr~
mktebant ; firmatdque invicem fide , remkmntm
ad regem. Forum quoque nomims fui famâ rams
ad deditionem poffi compelli, mifit ad eum Ck(h
eharerij qui denunciaret ei, ut ftipendium pendent
& in primo finium fuorum aditu occurreret régi :
Parus aherum ex hh faêurum fefe refpondk, ui
întrami regnum fuum prmfto effet, fed armâtus.
Jam Hydafpen Alexander fuperare decreverat,
quum Bardentes, defi&wms arachofih auêor, v'wc*
tus, trigintaque ehphanû fimul capû, perducwt
tur ; opportunum adverses indos auxilium , qiàppe
plus in beUuis quam in exercim fpei ac virium
Mis erat : Gamaxusque, rex exigua partis indu'
mm t qui Banpnti fe conjunxerat, vinBus adhctus
eft. Ighur transfugâ & regulo in cuflûdmm»
ekpkantis autem Taxai traduis, ad amnem Hydafpen
pervenit 9 in cujus ulteriore ripa Porus
eonfederat, tranfitu prokibkums hoftem. OBogmts
quinque elephantos objecerat eximio corporum robôre;
ultraque eos , currus ccc 9 & peditum xxx firè
millia , m quibus erant fagittarii , ficuti mte
diBum eft 9 gravhribus telis quam ut apte excud
poffenL Ipfum vehebat elephantus, fuper auras
beilms eminens ; armaque auro & argento dif

LIVRE VllL CHAP. XIIL 191
beaucoup les courtifans d'Alexandre ; & Méléagre entre
autres, ayant bu largement, lui dit pendant le Couper,
qu'il le félicitoit de ce qu'il avoit au moins trouvé dans
l'Inde un homme digne de mille talents. Le roi, qui
a'avoit pas oublié le déplaifîr qu'il avoit eu d'avoir tué
Clitus pour des paroles indifcrètes, retint fa colère à la
vérité, mais il ne put s'empêcher de dire, que les
envieux ne favoient qu'être leurs propres bourreaux*
XIIL Le lendemain les ambaffadeurs d'Abifares fe
préfentèrent au roi : ils lui remirent, fuivant leurs
pouvoirs, tous les États de leur maître ; & ils lui furent
renvoyés après les ratifications réciproques. Penfant
que fa renommée pouvoit aùffi engager Porus à fe foumettre,
Alexandre lui envoya Cléochares, pour lui „
lignifier, qu'il eût à lui payer tribut & à venir au
•devant de lui à l'entrée de fon royaume : Porus répondit
qu'il exécuteroit le fécond de ces articles , qu'il le trouveroit
tout prêt fur fa frontière, mais en armes. Déjà
Alexandre étoit réfolu de paffer 4*Hydafpe, lorfqu'on
lui amena pieds & poings liés Barzentes, qui avoit
porté les arachofiens à la révolte, & trente éléphant;
qu'on avoit pris avec lui ; fecours venu à propos contre
les indiens , qui fondoient leurs efpérances & leurs
forces fur ces animaux" plus que fur leur armée : on lui
amena auffi également lié Gamaxus , roi d'un petit
canton de l'Inde, qui s'étoit joint à Barzentes. Il mit le
traître & ce petit roi fous bonne garde, donna la conduite
des éléphants à Taxile, & gagna enfuite les bords
de l'Hydafpe , où Porus s'étoit campé fur le rivage
oppofé , pour empêcher le paffage de l'ennemi. Il avoit
mis en avant quatre-vingts cinq éléphants d'une vigueur
prodigieufe, derrière eux trois-cents chariots & environ
trente-mille hommes de pied, parmi lefquels étoient
des archers, qui, comme on d'à déjà dit, fe fervoienî
de flèches trop pefantes pour pouvoir les bien ajufter.
Il étoit monté lui-même fur un éléphant qui furpaffoit
les autres es grandeur j 6c des armes enrichies d'or Ôe

191 LIBER FI IL CAP. XI IL
tinêla corpus mm magnimd'mis honeftabant. Put
ammus robori corporis , & , quanta inter mes
paierai e£h , fapientia.
43, Macedanas9 non confpe&us hoftium film,
fed etiam fluminis quad tranfeundum erat magetudo
tcrrebat. Quatuor in latitudinem Jiadia dijfi
fum, profundo alveo & nufquam vada aperknu »
fpeckm vafti maris fecerat ; ntc pro fpatio aqm*
rum laie ftagnantium impetum co'êrcebat ; fià%
quafi in arBum coè'unîibus ripis, torrens & eli*
jus ferebatur , occuttaque faxa ineffh oftenàbM
pluribus locis^ undm repercujjk* Terribilior erat fi*
eus ripa, quam equi virique compleverant; ftabant
ingénies vafiorum corporum moks , & de
indufirid irrkaùs horrendo ftridore auras fiûfpr
èant* Mine hoftis, hinc amnis, capacia qukkm
bonm fpei peBora & fiepe fe experta improvîfo
tamen pmore percujferant ; quippe inftabiles raies
net dirigi ad ripam nec tuto applicari pojfe credebanL
Erant in medio amne infulœ crebr'm,
in quas & indi &é macedones nantes , levatls
fuper capita armis 3 tranfibant : ibi levia pmlia
conferebant ; & marque rex, parva rei diferimme,
fummm experkbaiur eventum. Ceterum, in mace*
d&num exercitu temeritate atque audaciâ infignts
fuêre Symmachus & Nicanor 9 nobiks juvenes p
& perpétua parùum felkitate ad fpernendum omne
perkuium accenfi* Quibus duc'éus promu(pmi juve*
Mum, lanceis modo armati, tranfnavêre in info*
lam quamfrequens hoftis tenebat ; mmlt&sque indorum
, nullâ re magis quam audaciâ armati , interemerunu
Abirc cum gloriâ poterant, Jî u&quam
d'argent

LIVRE FUI. CMJP. XIII. 193
d'argent donnoïent encore du relief à fa ftature extraordinaire.
Son courage égaloit £n vigueur s & il avoit
autant de prudence que le comportoit la groïjièreti
êe ces peuples.
43 .Les macédoniens étaient effrayés, non feulement
•de la vue de l'ennemi f mais encore de celle du fleuve
qu'il leur falloit paffer. Large de quatre ftades, profond
à n'être guéable en aucun endroit s il reffembîoit i une
irafte mer : & quoique fes eaux occupaffent une grande
étendue, Se cours n'en étoit pas moins rapide : elles roulaient
au contraire 9 comme dans un canal fort étroit ,
avec toute l'impétuofité b?un torrent s & fes flots qui
ien placeurs endroits étaient repouffés avec bruit, ma- *
Bifeftoient les rochers cachés dont il étoit rempli. Une
chofe plus terrible encore étoit l'afpeâ du rivage> tout
couvert d'hommes &de chevaux ; on y voyoit les maffes
«normes des éléphants, qui., irrités à deffeio, fatiguoient
•les airs de leurs horribles cris. D'une part l'ennemi, de
l'autre le fleuve, quoique ces grands cœurs fuflent capables
de confiance & qu'ils fuffent à toute épreuve,
a'avôient pas laiffé d'abord de les étonner ; parce qu'ils
ne croyoient pas , avec leurs barques légères , pouvoir
gagner le rivage oppofé ni aborder en fureté. Le milieu
du fleuve étoit rempli d'îles, ou les indiens & les macédoniens
.pafloient à la nage portant leurs armes fur leurs
têtes : ils s'y iivroient de petits combats ; & les deux
foîs cherchoient à preffentir, dans ces efearmouches,
quelle pourroit être l'iffue d'une aôion générale. Au
Telle, il y avoit dans l'armée macédonienne deux jeunes
hommes, Symmaque & Nicanor s • d'une témérité &
d'une audace fignalée, & encouragés par le bonheur
continuel de leur parti à braver tous les dangers. Sous
leur conduite quelques jeunes gens des plus déterminés ,
uniquement armés de javelots, paffèrent à la nage dans
une île pleine d'ennemis ; & plus forts par leur audace
que par toute autre chofe , ils en tuèrent un grand
nombre. Ils pouvoient ehfuite faire une retraite glofieufe
f fi jamais une témérité heureufe favoit garder
tome IL I

194 LIBER VIII. CAP. XIII.
•temtruas felix invenîret modum ; fed dum fuper»
venientes contemtim & fuperbè quoque exfpe&am,
cïrcumvmti ab iîs qui occuid enataverant 9 emims
abruti telis fimt : qui effugerant hoftem , aut
impetu amnis ablati fimt oui vorticibus impRcitl
Eaqut puma mulium ftduc'mm Pari erexii , cunSa
cernentis t ripa.
44. Alexander, ïnops eonfilii , tandem ai
faUendum hoftem talem dolum intendît. Erat htfula
in ftumîne amplier ceteris , filveftris eadem,
& tegendîs infidiîs apta : foffa quoque praalta,
haud procul ripa quam tentbat ipfe , non pedkes
modo fed etiam cum equis viros poterat abftoft
dere. Igitur ut à cuftodiâ hujus opportumtâûs
Qcuks hoftium averteret ; Ptolemmum cum omnibus
turmis obtquitart jujjit procul ab infulâ, & fé*
inde indos clamore terrere, quafi flumen tranfna-
'tutus foret : per complûtes dits Ptolemaus ii
fecit , toque confilîo Forum quoque agmen fuum
eî parti quam fe petere fimulabat co'ègit adver*
ttrt. Jam extra confpeBum hoftis infula erat:
Alexander in diversa parte ripa ftatui fuum ta»
bernaculum juffit 9 affiittamqut comitari ipfum
cohortem ante id tabernaculum ftare , & onmtm
mpparatum regiœ, magnificent'm hoftium oedk à
induftriâ oftendi ; Attahm, & mqualem fibi, &
haud difparem habîtu or'u & corpork utique quum
procul viferetur, vtftt regiâ exornat, prabkurum
fpeciem ipfum regem illi ripa prafidere nec agi"
tare de tranfitu. Hujus eonfilii effeBum primo
morata tempeftas eft mox adjuvit, incommoda
quoque ad bonos eventus vertente Fortuné» Trajicere
amnem cum ceteris copîis in regionem infula
•de qui ante diêum eft parabat, averfb hoftt m

LIVRE Vlll. CHAP. XIII. 195
«jMCÎque raefure ; mais tandis qu'ils attendoient avec mé- '
pris & même avec hauteur ceux qui furvenoient, ib
furent enveloppés par une troupe qui étoit venue furti-
. wement entre deux eaux, & furent accablés de loin pat
une grêle de traits rceux qui avoient échapé à l'ennemi,
furent ou emportés par Fimpétuofité du fleuve ou
engloutis dans fes gouffres. Le fuccès de cette aûion
ranima beaucoup la confiance de Porus , qui voyoit
'tout du rivage.
44. Alexandre, qui ne favoit quel parti prendre,
s'avifa enfin de ce ftratagême pour tromper l'ennemi. Il
y avoit dans le fleuve une Ile plus grande que les
' autres , couverte de 'bois, & propre à cacher une embufcade
: il y avoit aufli, affez près du bord qu'occupoit
le roi, une foffe très-profonde t capable de cacher,
• non feulement des gens de pied, mais même des hommes
à cheyaî. Pour détourner donc les regards des ennemis
de deflus un polie fi avantageux ; Il commanda à Ptoiémée
de fe porter loin de cette lie avec toute la cavalerie
, & de donner de temps en temps L*allarme aux
indiens par des clameurs , comme s'il fe difpofoit à
pafler : Ptolémée le fit durant pfufieurs jours, & obligea
Porus par cette rufe à faire filer aulfi fon armée du
côté où il fefoit mine de vouloir aborder. Déjà l'île
étoit hors de la vue de l'ennemi : alors Alexandre fit
dreffer fa tente en un autre endroit du rivage, y fit
monter la garde qui avoit coutume de fuivre fa perfonne,
& déploya exprès fous les ieux des ennemis
tout l'appareil de la magnificence royale ; il fit prendre
les ornements royaux à Attalus, qui étoit de fon âge &qui
lui reffembloit affez par le vifage & par la taille furtout
à le voir de loin, afin de faire croire aux indiens
que le roi commandoit en perfonne fur cette rive & ne
fongeoit point à paffer. L'exécution de ce projet fut
retardée d'abord & fécondée enfuite par un orage , le
Fortune tournant les inconvénients mêmes à l'avantage
du roi. 11 fe difpçfoit à paffer le fleuve & à gagner l'île
4ont on a parlé avec ce qui lui reftolt de troupes,
I ij

ic^S LIBER FUI. CAP. XIF.
.tas qui cum Ptokmao ïnferiorem obfédérant ripam>9
quum praceiia îmbrem vïx fub teBis tolerabUem
tffudit ; obruûque milites nimba in terrant refugerunt,
navigiis ratibusque déferas : fed twmdtuantium
fremitus 9 oèflreptntibus ripis9 ab hofte non
poterat audiru Deinde, momento temporîs, repreffus
eji imber ; ceterum 3 adea JpiJ/a intendêre fe nur
les, ut conderent lucem- vïxque colloquentïum m*
ter îpfos- faciès nofiitaremr* Terruiffet al'mm obduBa
nox codo, quum imota amne navigandum
*£**» forfitan* hofte eam ipfam ripam , quant cetci
atque improvidi & ex periculo gloriam accerfentes
petebant , occupante : obfsuritatem, qum cetera*
terrebat, fuam occafionem ratus , dato figm
ut amnes filentio afcenderent in rates , eam qui
ipfe vehebatur primam juffit expellu Vacua erat
ab hoftibus ' ripa qum petêbatur , quippe adhuc
' Parus Ptalemaum tantum intuebatur : uni ergo
navi , quant petrm ftuËus illiferat, hmrente, cetera
evadunt ; armaque capere milites & ire m
ordmts jufpL
XIV. Jamque agmen in cornua divifum ipfe
'ducebat, quum Poro nunciatur armis virisque
ripam obtineri & rerum adeffe difcrimen, Ac primo,
humani ingenïi vitio fpei fum indulgens,
Abifaren, belli focium, ( & ita convenerat )
mdventare credebat : mox liquidiare luce- apcritnu
koftem » c quadrïgas & m miliia • equitum v&*
mienû agmird Parus objecit ; dux erat cop'mrum
quas pmmifk Mages, frater ipjius. Summa virium
m curr'ém : fenas ' viras finguli vehebant , ' dms

LIVRE FUI. Cn A P. XIV, 197
tandis que l*ennemi n'étoit occupé que de ceux qui avec
Ptolémée étoient poftés plus bas fur îe rivage, ïorfqu'il
tomba une pluie dont on auroit eu peine de fe garantir
même dans des maifons ; & les foîdats , cédant à la vio- .
lence de' îa tempête, furent contraints de quitter barques
& radeaux & de regagner la terre : mais le bruit qu'ils
fétaient dans ce défordre ne pouvoit être entendu des
ennemis ? à caufe de celui des flots qui fe brifoient
contre les rivages. Un moment après, îa pluie cefla 5
mais le ciel d'ailleurs fe couvrit de nuages fi épais »
qu'ils firent difpatottre la lumière & qu'on avoit peine à
fe reconnoître même en fe parlant. Tout autre eût été
effrayé de cette obfcurité, vu qu'il s'agiffoit de naviguer
fur un fleuve inconnu, l'ennemi occupant peutêtre
le rivage où Ils alloient en aveugles, fans précaution
s & n'ayant pour encouragement que la gloire de
fe tirer du péril : mais jugeant au contraire que cette
obfcurité, qui allarmoit les autres, liri fourniflbit une
©ccafion favorable, il donna ordre à tous par un fignal
de rentrer en filence dans leurs barques, & fit partir la
première celle qui le portoit. Il n'y avoit point d'ennemis
fur le rivage où Ton aborda, parce que jufqu*alors
Porus e*av@it eu l'œil que fur Ptolémée : toutes les
barques abordèrent donc beureufement f à la réferVe
d'une feule, que les flots firent échouer contre un roc ;
•& auflitôt il ordonna aux taldats de s'armer & de prendre
leurs rangs.
XIV, 11 avoit mis fon armée fur deux colonnes , &
lui-même à la tête elle marchoit déjà , lorfqu'on apprit
à Porus que le rivagelétoit couvert d'armes & d'hommes
%L que le moment critique étoît arrîyé. Se flattant dans
fes eipérances par un foible ordinaire «tux hommes,
il crut d'abord que c'étoit Abifares, tan allié , qui arri-
' voit félon leur convention : mais le ciel venant à s'éclaircir,
il ne taçda pas à reconnoître l'ennemi » & il envoya
4 fa rencontre cent quadriges & trois-mille chevaux
; le chef de ce détachement étoitHagès, fon frère.
Sa plus grande forée confiftoit dans les chariots : ils por-
1 iij

19? LIBER VIU. CAP. XIV.
clypeat&s , duos fagittarios ah mtroque taure dif>
pofitos ; ceteri auriga erant, haud fane inermes,
quippe jacula complura , ubi continus praMandum
erat, omiffis habenis in hoftem ingerebant. Ceicrum,
vix ullus ufus kujus aux'dii eo dit fuit :
namque, ut fupra diBum eft, imher , violehtiùs
quant alias fufus, campos lubricos & inéquitable
les fecerat ; gravesque & propemodum immobiles , •
currus Uluvie & voragmibus àarebant. Contra
Alexandtr. expedito ac levi agmine firenul inveéhs
eft. Scythœ & dahm primi omnium invafere indos ;
Perdiccan deinde cum equitibus in dextrum cornu
hoftium emifit.
46» Jam undique puma fe movtrat$ quumil qui
currus- agébant ; mua ultimum mixtlmm fuorum
mû, ejfufis habenis in médium difcrimen ruere
cmperunu Anceps id malum utrisque erat : nom &
macedonum pedites primo impetu obterebantur, &
per lubrica atque mvia immifii , currus excutie~
bant eos à quibus regebantur ; aliorum turbati
equi, non in voragines modo lacunasque , fed
etiam in amnem pmcipitavere curricuh* Pauci
tamen, hoftium ielis * exaili, penttravère adporum,
acerrimè pugnam cientem. Is, ut diffipatos
totâ ack currus vagari fine reEbrïbus vidit 9 proximis
amicorum diftribuk elephantos : poft eos po*
fuerat pedites , ac fagittarios , & êympana pulfare
folitos ; id pro cantu tubamm mdis erat 9 nec
Jirepitu eorum movebantur, olim ad notum finum
* Je mets telis au lieu de tenus s d'après îe P. Le Teîfier
f pour trouver dans cette phrafe_un feus raifoniiable.

LIVRE VllL CMAP. XIV. 199
toient chacun fix hommes s deux qui avoient des boucliers
, & deux archers, les uns & les autres partagés
fur les deux cotés ; les autres étoient conducteurs du
char-, mais n'étoicnt pas fans armes, pulfques quand il
falloit combattre de près s iîs quittoient les rênes &
lançoient quantité de dards contre l'ennemi. Au relié *
€e genre de fecours fut ce jour-là de bien peu d'ufage :
car la pluie extraordinaire qu'il y a¥©it eu f comme on
Fa dit, avoit rendu là campagne gliffante & impratîquable
pour les chevaux ; & les chariots, pefants & difficiles
à mettre en mouvement, demeuraient enfoncés
dans la boue & dans les fondrières. Alexandre au coa- '
traire, avec une armée lefte & fans embarras f chargea
vigoureufement. Les fcythes & les dallés furent les
premiers qui donnèrent fur les jndiens ; il envoya enfuite
Perdiccas avec de la cavalerie contre l'aile droit*
des ennemis.
, 46. Déjà l'aûion t'étoit échauffée dt toute part,
îorfque ceux qui avoient la conduite des chariots, les
regardant comme la dernière reffosrce des leurs, les
pouffèrent à toute bride au milieu de la mêlée. Cela-
Buïiït également aux uns & aux autres : car les gens de
pied macédoniens étoient écrafés du premier choc, &
les chariots pouffes dans des endroits g!îfiants & inabordables
renverfoient leurs propres conducteurs; les chevaux
de quelques autres chars, tout effarés, les cmpor*
toient, non feulement dans des fondrières & dans des
mares s mais dans le fleuve même. Quelques-uns néanmoins
1 pouffes vivement par les traits des ennemis,
pénétrèrent jufqu'au quartier de Foras , qui fefoit avec
courage les difpofitions de la bataille. Quand il vit fes"
chariots difperfés errer fans condufteurs fur tout le
champ de batailles il diftribua fes éléphants à ceux dé
fes courtifans qui étoient plus près de lui : il plaça
derrière eux les gens de pied t les archers, &ceux qui
avoient coutume de battre le tambour ; les indiens s'en
fervoient au lieu de trompettes, parce que les éléphants,'
accoutumés de jeuneffe à ce bruit, ne s'en effraient"
1 iv

200 LIBER FI IL CAP. XIK
auribus mkigatis. Herculis ftmtdaehrum agmini pedlmm
pmfirebatur : id maximum erat btïïantibus
mcitamentum , & defiruijfe geflantes mUUare flaglùum
habebatur ; capkis etiam Janxerant fctnam
iis qui ex acie nm retuli£ent% rnetu qutm ex Ufo
hofte quondam conceperant etiam in reâgwnem
vemrationemque converfo. Macedonas , non belluarum
modo , fed etiam ipfius régis afpeébss parumper
inhibuu : beliuœ , difpofim inter armatos ,
fpeciem turrium procul ficeram; ipfePoms hunmnœ
magnitudinis propemodum excejferat formam ;
magnitudini Pori adjicere videbamr bêlluâ qui
4 vehebatur , tantum inier ceteras emintns quanto
aiiis ipfe pmJiabaL
47. Itaque Akxander , eontempîatus & regem
& agmen indorum, Tandem , inquk, par anima
sneo periculum video : cum beftiis fimul & corn
cgregiis viris res eft. Intuensque Cœn&n, Quum
ego , inquk, Ptokmsco, Perdiccâque, & Hephaef
tione comitatus, in laevum hoftium cornu impetum
fecero, viderisque me in medio ardore
cettaminis ; ipfe dextram moye , & turbatis
£gna infer. Tu Antigènes , & tu Leonnate , &
Tauron, invebemini in mediàm aciem & urge^
bitis frontem. Hafta noftrae, praelonga & valida*
non aliàs magis cmiaiîi adversiis beliuas
^reôoresque earum uïui elle poterant ; deturbate
cos qui vehuntur, & ipïas confodite : anceps
genus atudlii eft, & in fiios acriùs furit ; in hoftem
enim imperio, in fuospayore zgtxLT.Hacjeloquuttts,
concitat equumprimus. Jamque, ut deftinatum erai,
invafirat ordines hojiium , quum Cœnus imgenti vi
iavo cornu imthitur £ pàaianx qu&que m mtdmm
\

LITRE FUI. CBAP. XIF. 201
point. On portoit la ftatue d'Hercule à la tête de l'infanterie
: c'étoit pour les gens de guerre le plus puiffaiit
encouragement, & félon les lolx militaires, c'étoit un
crime d'abandonner ceux qui en étaient chargés; on
encouroit même la peine dejnort s fi on ne la rapportait
pas de la bataille, la terreur que cet ennemi leur
avolt autrefois Imprimée s'étant changée depuis en vénération
& en culte religieux. Les macédoniens furent
un peu arrêtés, à la vue, non feulement des éléphants »,
mais de la perfonne même du roi ; ces animaux, rangés
parmi les troupes t reffemblolent de loin à des tours »
Poros lui-même était d'une taille au deffus de l'ordinaire
; & fa grandeur paroiffolt augmentée par celle de
Féléphant qu'il montait , & qui furpaffôit autant les autres
animaux de fon efpèce que lui-même furpaffôit îe relie
des hommes.
47. Aufli Alexandre , après avoir contemplé & le roi
& l'armée'des indiens, Enfin, dit-il, j*ai trouvé un péril
proportionné à mon courage : 'f&i aujourdhui affaire tout
à la fois & à des bêtes monfirueufes & à des hommes de
choix. Se tournant alors vers Cénus,- Quand j f aurai f
dit-il, attaqué l'aile gauche des ennemis avec Ptolémée ,-
Perdiccas, & Hépheftion 9 & que vous me vtrre\ engagé
chaudement au combat ;' chargé^ vous-même Faîle droite,
& profite\ du dé/ordre pour fondre fur eux. Vous Anth~
gènes, Leonnatus 9 & Tauron , vous prendre^ l 9 armée par
le milieu 9 & vous en attaquere\ U front» Nos piques,
qui font très'longues & fortes, ne pourront jamais nous
fervir mieux que contre les éléphants & contre leurs tondueieurs
; renverft\ ceux-ci 9 & perce\ les flancs de ceux-là :
£ss animaux font d'anfecours bien hafardeux, &fe tournent
même avec plus de furie contre ceux qui les emploient ;
parce que ce n'eft que l'obéiffance qui les mène à l'ennemi, mm
lieu que c f tft l f épouvante qui les emporte contre les leurs.-
Après ce difeours , il fut le premier à pouffer fon cheval.
Il avolt déjà rompu les rangs des ennemis, comme il avoit
projeté, quand Cénus partit contre eux avec vigueur de
•Faîle gauche i la phalange fondit auffi en même temps fur le
I v

201 LIBER VllL CAP. XIV.
inionm aciem uno impttu prorupit* At Parus qui
equhem ïnvehi finfirat beïïuas agi jujjît ; fid tar~
dum &• penè immobile animal equorum vehcitattm
square non poterat. Ne fagittarum quidem allas
erat barbaris ufus : quïppe langa & pmgravis ,
nifi prias in terra (latuerent arcum 9 haud fatis
apte & commode imponuntur ; tum humo lubricâ
& ob id impediente conatum, molientes iélus ce~
leritfltc hoflium occupabantun Ergo fpreto régis
ïmperio 9 quod ferè fit ubi turbatis acriits metus
quam dux imperare. cœpit$ tondent erant imperatores
quot agmina errabant : alius jungere aciem,
alius dividere s flare quidam, & nonnulli circum~
vehi terga hoftium jubebant; nih'd in médium con~
fulebatw* Parus tamen , cum paucis éuibus meta
potïor fuerat pudor , colligere difperfos s obvias
hofti ire pergit, elephantosque ante agmen fuorum
agijubêt* Magpum beUum injecêre terrorem; info*
litusque ftridor, non equos modo , tam pavidum
ad omnia animal 9 fid viras quoque ordmesqueturbaverat*
48. Jam 'Juga circumfpiciebant locum paulé
ante vlBores , quam 'Alexander agrianos & thracas
leviter armatos s meliorem concurfatione quam
mmimis militent 9 etmfit in beïïuas. Ingentem u
mm tilorum injecêre & elephantis & regentibus
eos ; phalanx quoque infiare conflanter territis
capit :-fed quidam, avidius perfiquuti $ beiiuas in
fimet irritavêre vulmribus ; obtriû ergo pedibus
earum \ ceteris $ ut parcius inftarent, fmêre do*
cumentum* Pmcipuè terribUis illa faciès 1 état,

LIVRé FUI. CHAP. XIK 203
Iront de bataille des indien*. Cependant Porus fit avancer
les éléphants du côté où il «voit vu donner la cavalerie ;
mais ces animaux lourds & difficiles à mouvoir ne pou»
voient égaler la légèreté des chevaux. Les barbares ne
fefoient même aucun ufage de leurs flèches : en effet
elles étoient fi longues & fi pefantes , qu'on ne pouvoit
les charger bien & commodément qu*en appuyant Tare
contre terre; mais alors la terre étant gîiflante &'
s*oppofant par là à leurs efforts, pendant qu'ils ajufîoient
leurs coups, les ennemis plus expéditifs les prévenaient.
Au mépris donc de l'autorité du roi, ce qui eft.
affez ordinaite dans le trouble, où- la crainte eft plus impérieufe
que le chef même, il y avoit autant de commandants
que de bataillons épars : l'un vo-uloit qu'on réunit
l'armée en corps de bataille ; l'autre, qu'on iadivifat;
quelques-uns, qu'on ût ferme; quelques autres, qu'on
envelopât les ennemis par derrière ; & nul avis d'une
utilité générale. Cependant Porus, avec un petit nombre
de gens plus fenfibles à l'honneur qu'à la crainte, continue
de rallier ceux qui fe débandoient, d'aller à
la rencontre de l'ennemi, & de faire'marcher les éléphants
à la tète. Ces animaux caufèrent une grande
épouvante; & leurs cris, auxquels on n'étoit point
accoutumé, mirent en défordre f non feulement les che»
vaux, que tout effraie fi aifément, mais les hommes
mêmes & les rangs, •
48. Déjà ceux qui un peu auparavant étoîent victorieux
cherchoi ent de tout côté par où ils fuiroient,
quand Alexandre envoya contre les éléphants les agriens
& les thraces, gens ' plus propres à faire un coup de
main en courant qu'à fe battre de près. Ils lancèrent
une grêle de traits fur ces animaux & fur leurs conduc*
teurs ; la phalange de fon côté les ferra de près dans
leur défordre ; mais quelques-uns , qui les pourfurorent
avec trop d'ardeur , les irritèrent contre eux-mêmes en
lesbleffant; & ayant été écrafés fous leurs pieds, ils
apprirent aux autres à les harceler avec plus de ménage*
ment. Ce qui caufoit le plus de terreur, c'étoit de leur
1 V

204 LIBER FUI. CAP. XIV.
quum manu arma vlrosqme corrïpermt, &, Japtr
Je , regentibus tradermL Anceps ergopugna, mmc
fequentium, nune fugknfmm elephanws 9 in mtdium
diei varium certamen txtraxiî ; donec fecu~
ribus ( id namque genus auxilii praparatum erai}
pedes amputare cœperunt. Copidas * vocant gladios
leviter curvat&s , fakibus finales , qmbus
appetebant belluamm manus : me quidquam ïnex~
pertum, non mortis modo, Jid eiiam m ipsâ
morte novi Juppluii timôr omhubat. Ergo th~
pkanti , vulmréus tandem faâgati 9 fuos impetu
fiemunt ; & qui rexerant e&s, pmcipiiati in ter~
ram, ab ipfis obterebantun Jtaque, pecorum mû*
do, magis pavidi quant infifti% ultra aciem exigebantur
; quum Porus, deftkutus à phribus, tela
multo ante pmparata in àrcumfufos ex elephanto
Juo cœpit ingerere ; mulûsque eminès vulneraûs P
expofitus ipje ad Mus, undique petebatur. Eovem
jam vulnera, hinc tergê % iUinc peêore , exceperat;
muitoque fanguine profilfo, hnguidis manibus msgis
elapfia quam excmjfa tela mittebai : nec fegniès
ïellua , mftmBa rabie , nondum faueis , învekebatur
ordinibus ; donec re&or hélium regem coup*
pexit, Jtuentibus membris omijjtsque armis , vîx
compotem mentis. Tum belluam m Jugam concltat%
Jequente Alexandro : fed equus ejus , multîs vuU
neribus conjbjfus deficiensque , procubuit M pofito
* Cepii&s ; de eopis, Mis : en grec KOTTIç , dérivé
de scôwla (c*do ). Copis lignifie donc littéralement
tompoir ou couperet % ( mots qui Tiennent probablement
de la même fource, mais dont Pufage a rellrelnî le
Cens général par des idées acceffoires particulières }•

LIVRE ^FllL CM A p. XIV. tof
voir faifîr avec leur trompe hommes & armes, & le»
livrer par deffus leur tête à leurs conducteurs. Ils paffèrent
donc une grande partie du jour, avec de grands
périls & des fuccès variés, tantôt à pourfuivre, &
tantôt à fuir les éléphants; jufqu'à ce qu'ils prirent le
parti de leur couper les jambes avec des haches, dont
ils s'étoient pourvus à cette fin. Ils donnent le nom de
Cupides à des coutelas un peu courbés en forme de
faux , dont ils fe fervoienî pour trancher les trompes de
ces animaux : & il n'y eut rien dont ils ne s'avifaffent,
par la crainte qu'ils avoienî , non feulement 'de la mort F
mais encore du nouveau genre de fouffrances qu'ils
redoutoient dans la mort même. A la lin les éléphants ,
tourmentés par les bleffures qu'ils avoient reçues P
pouffent & renverfent les leurs j & foulent aux pieds
leurs propres .conducteurs, après les avoir jetés par
terre. Plus tôt épouvantés que furieux, on les chafloit
alors comme des moutons hors du champ de bataille ;
lorfque Por us , abandonné de la plupart des fiens, fe mit
à lancer, du haut de fon éléphant, furies ennemis qui
l*envîronnoient, les dards qu'il tenoit prêts de longue
main ; il en Mefla de loin plufieurs, mais il étoit luimême
expofé de toute part aux traits des ennemis»
11 avoît déjà reçu neuf bleffures, les unes par devant, les
autres par derrière; & à force de perdre du fang, fes
mains languiflantes laiffoient tomber les dards plus tôt
qu'elles ne les décochoient : fon éléphant, qui n'étoit
point encore bleffe*, n'enfonçoit pas les rangs avec
moins de fureur ; jufqu'à ce que fon conduûeur s'apperçueque
le roi chanceïoit de foibleffe, laHtok échaper
fes armes, & avoit â peine encore quelque connoiffance.
11 fit alors prendre la fuite à la bête, qu'Alexandre
fuivoit de près : mais fon cheval, percé de coup»
& ne pouvant plus fe fouteair, tomba de manière à
Cette arme tiroit fon nom de fa deïlinatlon, parce,
qu'elle ne frapok que de taille, & non d'eftoc

io6 LIBER VllL CAP. XIV.
magis régi quam effufo ; itaque, dum iqwm Mtê

LIVRE VIII. CHAP. XIV. 107
mettre le roi à terre plus tôt qu'à l'y jeter; ainfî, l* 1
«éceffité de changer de cheval rallentit fa pourfoite.
49. Cependant le frère de Taxiîes , roi des indiens ,
envoyé exprès par Alexandre 9 invita Poruss à ne pas
s'obftiner jufqu'aux dernières extrémités & à fe fou*
mettre au vainqueur. Mais celui-ci, quoique fes forces
fuffent épuifées & qu'il eût perdu beaucoup de fang,
fe ranimant à cette voix qui lui étoit connue, /'««tends
, dit-il, le frère de Taxiîes, ie cet infâme qui a
trahi FEmpim & fin propre Royaume} & là-deffus il lui
préfente la pointe du feul dard qui par hafard lui reftoit,
& le lui enfonce de part en part dans la poitrine.
Après ce dernier afte de vigueur ,il fe remit à fuir avec
plus d'ardeur: mais (on éléphant, qui avoit reçu pluliêurs
bleflures , perdoit aufli fes forces 1 il cefla donc
de fuir, & oppofa feulement quelque infanterie à l'ennemi
qui le pourfuivoit. Alexandre, l'ayant joint &
Yoyant fon opiniâtreté, défendit de faire quartier à ceux
qui fe mettroient en défenfe ; alors on tira dt toute paît
fur l'infanterie & fur Porus même, qui, enfin fuccombant
fous les traits, fe laifla aller de défias fa monture :
l'indien condufteur de l'éléphant le fit agenouiller félon
la coutume, parce qu'il crut que le prince vouloit descendre
; mais dès qu'il fut baifle", les autres, qui étoienî
dreffés à cela, fe mirent, aufli à terre ; & c'eft ce qui
livra Porus & fa fuite aux vainqueurs.
50. Le roi, le croyant mort, ordonna qu'on le dépouillât,
& l'on courut a l'envi pour lui ôter fa cuiraffe
& fon vêtement; mais l'éléphant prit la défenfe de fon
maître, maltraita ceux qui vbuioient le dépouiller, &
le relevant avec fa trompé le remit fur fon dos : on l'accabla
donc alors de traits , & quand il fut hors de
combat, on mit Porus fur un chariot. Le roi, lui voyant
entr'ouvrir les ieux, lui dit par un mouvement, non
de haine , mais de compauion : Malheureux, quelle manie
t f a pouffé, nonohfiant la connoiffance que tu avois de mes
fu€€èsf à tenter la fortune de la guerre f quoique Taxiîes

so8 LIBER VIII. CAP. XIV.
Taxiles effet in deditos clementiae mea tam
propiîîqnuiïi tibi exemplum ? At Mie , Quortiam
, inquit, percontaris , rdpondebo ea iibertate
quam interrogando fecim. Neminem me
fortiorem effe ceiïfébam ; meas enlm noveram
Tires, nondum expertus tuas < fortiorem eflt te
belli docuit eventus ; fed ne fie quidem parum
feHx fum % fêCHndus tibi. Rursks mterromms
quid ipfi vMorem fiatuere debere cenferet, yuod
hic , inquit 9 dies tibi fiiadet 5 quo expertus es
quam caduca félicitas effet Plus monendê pm~
Jecit, quam fi precatus effet : quippe magnimdinem
animi ejus, interritam ac ne fortunâ quiâon
infiaBam, non miferkordid modo , fed eiiam honore
excipere dignatus eft ; agrum curavit haui
fecùs quam fi pro ipfo pugnajfet ; confirmatum
contra fpem omnium 9 in amicorum numerum recepu
9 mox donavit ampliore regno quam tenait*
•Nec fané quidquam mgenium ejus folidius aut
conftantius hâtait, quam admirationem ver a, taudis
& gloria : fimpliciès tamen famam mfiimabat
m hofle quam m cive ; quippe â fuis credehat
magnitudinem fuam deflrui pojffe, eamdem ctario~
rem fore quo majores juijfcnt quo s ipfe yiciffet»

LIVRE Vlîl. CH A P. XIV. 209
fût fom tes ieux une preuve de ma démenée envers ceux qui
fefoumettent ? Puifque tu veux 1e favoir % répliqua Perus p
je répondrai avec la liberté que tu antorifes- m me fcfant
cette queftion» le ne croyois pas que perfonne fût plus vail~
lantquemoi; car je connoijfois mes forces, & je n*avois
pas encore éprouvé les tiennes : le fucces de cette bataille
vient de m f apprendre que iu remportes fur moi; mais em
cela mime je ne m'ejiime pas peu heureux % puifque je tiens
le premier rang après toi» Alexandre lui ayant encore
demandé que! parti il jugeoit lui-même que dût prendre
le* vainqueur à fon égard. Celui, répondit-ii, que t'in-
Jînue cette journée, où m viens de voir par expérience
combien le bonheur eft fragile, II gagna plus par cette
leçon que par des prières : car cette grandeur d'ame,
que rien n'étonnoit & que fon malheur même n'avoit
point abattue , parut au vainqueur digne , non feulement
de compaffion, mais encore des plus grands honneurs; il
le fit traiter comme s'il eût combattu pour lui ; lorfque,
contre toute efpérance, il eût recouvré la fanté » il
fadmît au nombre de Ces amis9 & lui donna bientôt
un royaume plus grand que celui qu'il avoit auparavant.
Et certainement il n'y avoit dans le caractère d'Alexandre
' rien de plus vrai & de plus confiant % que fon admiration
peur îe vrai mérite & pour îa folide gloire : II eft vrai
toutefois qui! l'eftimoit avec plus de franchife dans un
ennemi que dans un concitoyen ; parce qu'il croyoit que
les liens pouvoient faire tort à fa propre grandeur, au
lieu que fa réputation ne pouvoit que gagner par la gras»
cleur des ennemis qu'il auroit vaincus*

LIBER NONUS.
L Deviôo Poro, in ïndiam pénétrât Alexanderf
variasque gentes & urbes , quaram mores
deferibuntur , fibi fubjicit.
IL Gangaridas"& pharrafios aggreflurus, milites
9 fatigatos & beUum detreftantes, prolixâ
oratione ad perfeyerantiam hortatur.
///. Ccenus, militum nomine , Alexandre rrfpondet
; & paulo poft morbo exftinguitur.
IV. Sobiis & aliis expugnatis , regionem oxydracâram
& maHoram ingreditur. Oratione
ad milites habita, barbaros fogat, eorumque
oppidum , contempto Demophonte yate,
obfidet.
V» Praecipiti faku in oxydracâram oppidum fe
immittens, graviter vulneratur ; & » fordffimis
quibufdam ducibus defideratis , oppidoque
poft aliquot dies expugnato , fibi fuisque
reftituitur.
VL Ab amicis rogatus ut faluti fuae publicaeque
parceret , generosè refpondet, in inftituto
ïuo de domando orbe perfeyerans.
VII* Gracorum quorumdam in Baftris dêfeâio
repreffa. Dum indoram lêgatos.convivio excipit
Alexander, inter Horratam & Dioxippum,
qui tandem imparibus armis & duello
certant, rixa oritur. Paulo poft Dioxippus,

LIVRE NEUVIÈME.
I. Après avoir vaincu Ponts, Alexandre s'avance
dans rindè, & yjbumet à fon empire différent
tes nations & différentes villes, dont on décris
les coutumes»
IL Sur le point d'attaquer les gangarides & les;
pharrafiens , il adrejfe à fes foldats , -excédés
de fatigue & rebutés de la guerre , un long dif*
cours pour les exhorter a la perfévérance.
TEL Cénus , au nom des foldats, répond a Alexandre;
&. bientôt après il meurt de maladie.
IV. Après avoir fournis les fobiens & d'autres
peuples, Alexandre entre dans le pays des oxydraques
& des malliens. Il harangue fes foldats,
met les barbares en fuite, &, fans égard pour
le devin Démophon, il affiège leur ville.
V. Ayant fauté dans la ville des oxydraques, Uy
eji grièvement bleffé ; & après avoir perdu quelques
capitaines des plus braves , & forcé la
ville en quelques jours , il efi enfin rendu à
-lui-même & aux fiens.
VI. Ses, courtifans rayant prié de prendre foin
de fes intérêts & de ceux du Public , il leur
fait une rêponfe gênéreufe, fans fe départir dit
deffem qu'il a de conquérir toute la terre.
Vil. La révolte de quelques grecs- dans la Bactriane
eft appaifée. Pendant . un feftin que fait
Alexandre aux ambaffadeurs indiens, il s'élève
une querelle entre Horratas & Dioxippe, qui en.
viennent enfin a un duel à armes inégales. Peu de

212 LIBER IX. CAP-. I.
inimicorum calumniis ultra modura irritatas,
femet ipfîim interimk.
VI1L Doras à legatis Indoram acceptis, fabracas
f muficanos , - praeftos , aliosque populos
dèbellat. Ptolemaeiis venenatâ plagâ euratur
ope cujufdam herbae, cujus fpecies in fomnis
Alexandre eft oblata.
IX Cupidine vifendi Oceanï corr eptos, non
Une periculis propter nautaram imperitiam ,.
tandem voti fui compos redditur.
X Ab Oceano in arabitaram , gedrofioram, &
indoram fines revertitur ; ubi cum famé &
peftilentiâ luôatur exercitus, deinde liberater
planèque reftitultur. Inde fequutus eft probrolîis
bacchantium lufiis, fupplicio AfpafHs (àtrapis
cmentatus.
1.A.LEXANDER, tam memorabill viSbrialatus,
quâ fibi Orknùs fines aperms effe cenfebat, SoBviëimis
Cmfis 9 milites quoque , quo promtwribus
animis nliqua belli munia obirent, pro conc'wne
laudatos dûcuk, quidquid indïs virium fidffei UM
éimkatione profiratum ; cettram opimam prmdam
fore 9 akbraiasque opes in em repont eminere
quam peterent ; proinde jam vilia & obfoleia effe y
fpolia de perfis ; gernmh $ margaruisqut, & aur&
9 aique eb&re Mactdomam Gmàamqut 9 mm

LIVRE IX.'CMAP. t. 113
temps après 'Dioxippe, outré des calomnies defes
ennemis, fe tue de fa propre mœm.
VIII. Après avoir reçu les préfents des ambajfa**
deurs indiens, Alexandre dompte les fabraques3
• -les muficains* les preftes , •& d*autres peuples.
Ptolémée efl guéri d'une bkffkre empoifonnée
par le moyen d'une herbe , dont Alexandre vit
lImage -en fonge.
IX. Alexandre brûle du difir de voir l'Océan, &
fe srowe enfin au comble de fon défir, non
fans courir de grands périls par Fimpériùe des
pilotes.
X. // revient de l'Océan dans le pays des ara."
bites, des gédrofiens , & ,des indiens ; • oh fon
armée a À lutter contre la famine & contre la
pefte , dont elle efl enfuite délivrée & entièrement
remife. Il fit enfuite une fête infâme à l'imitation
des bacchantes, mais qui fut enfanglantét
par le fupplice du fatrape AJpaJies*
i. J\ LEXANDRE, ravî d\me viltoîre fi mémorable
, qu'il jugeoit lui- avoir ouvert les portes de
l'Orient, immola des viftimes au Soleil ; puis afin d'engager
fes foldats à faire encore plus courageufemest
leurs devoirs durant le refte de la guerre, après les
avoir publiquement comblés de louanges, il leur dit,
que toutes les forces des indiens venoient d'être ruinées
dans cette bataille ; que le refte étoit pour eux
un butin excellent, & que rien n'étoit'plus renommé
que les richeffes dont regorgeoit le pays où ils alloient
entrer ; qu'ainfi les dépouilles des perfes o'étoient plus
•de valeur ni de mife; & qu'il alloit être en état de
remplir, -non feulement leurs maifons , mais même la
Macédoine ÔC la Grèce, de pierreries t de perles s d'or f
& d'ivoire. Les foldats # avides de richeffes 8c de gloire,

21-4 LIBER IX. CAP. 1.
faas tantum domos, rtpUturum. Avidl milites &
pecunim & ghr'w, fimul quia nunquam affirmaÛQ
ejus fefêlkrat eos , pollicmtur optram ; dimiffisque
cum bond fpt 9 navigia mdificari jubet, ut f
quum totam Afiam percurrijftnt, fintm terrarum
mare inviftrtu Muha mater'm navalis in proxhnis
montibus irai ; quam cadert aggrtffi 9 magnitudinis
mufitatm reperêre ferpcntes ; rhinocerotes
quoque, rarum alibi animai, in iifdem montibus
tram : ceterum 9 hoc nomen belluis eis mdkam
s grœcis ; fermonis ejus ignari alîud lingua fuâ
ujurpant. Rex , duabus urbïbus conduis in mtrdque
fiummis quod fuperaverat ripa , copiarum duces
€oronis & mille aureis finguhs donai ; ceteris
quoque , pro portione , aut gradés quem m mUi-*
tiâ obtinebant, aut navam opéra, honos habittu
eft. Abifarts, qui 9 prias quam cum Poro dimi~
carttur , legatos ad Akxandrum miferat, rursàs
olios mifit, pollicentes omma faBurum qum impe»
raffit, modo ne cogeretur corpus fuum dedert ;
neque enim aut fine regio imperio viBurum, aut
regnaturum tfft capùvum : cul Alexander mm

LIVRE IX. CMAP. 1. ai y
& qui d'ailleurs n'avoient jamais été trompés par les
affûrances du roi, promirent de le bien fervir ; & après
qu'il les eût congédiés pleins des plus belles efpé-
'rances , il fit conftruire des vaiffeaux, afin qu'après
avoir parcouru toute l'Afie, il pût aller voir la mer
i l'extrémité du globe terreftre. îl y avoit fur les montagnes
voifines beaucoup de bois de conftru&ion ; mais
-quand on eût commencé à en couper s on trouva des
ferpents d'une grandeur extraordinaire ; il y avoit aufli
dans ces montagnes des rhinocéros, éfpèce rare partout
ailleurs : au refte, c'eft le nom que les grecs ont
donné à ces animaux ; ceux qui ignorent cette langue
leur donnent un autre nom dans la leur. Le roi, après
avoir élevé deux villes fur les deux rives du fleuve
qu'il avoit paffé, donna à chacun des chefs de fes
troupes une couronne & mille pièces d'or ; il accorda
suffi aux autres des honneurs proportionnés , ou à
leur grade dans les troupes, ou aux fervices qu'ils
avoient rendus. Abifares , qui avoit envoyé une ambaffade
à Alexandre avant qu'il en fût venu aux mains
avec Porus ? lui en envoya une féconde, pour lui pro*
mettre de faire tout ce qu'il exigeroit, à îa réferve
de livrer fa perfonnef ne pouvant vivre fans régner,
ni régner fans être libre : mais Alexandre lui fit dire s
que, s'il fe fefoit peine de venir le trouver% il iroit
lui-même le chercher.
a. 11 alla de là avec Porus vers FAcéfîne ; & après
avoir paffé ce fleuve, il s'enfonça dans l'intérieur de
l'Inde. ïl y avoit des forêts d'une étendue prefque infinie,
ombragées par de grands arbres d'une hauteur
prodigieufe : la plupart des branches, greffes comme
des troncs , courbées jufqu'en terre, fe redreffoient
enfuite, de manière qu'elles ne reffembloient plus à des
branches qui fe relevoient, mais à des arbres crus fur
leurs racine«..L'air y eft fain; d'autant que la fraîcheur

itâ LIBER IX. CAP. I.
rata. Cœli temperies fahbrîs ; 'quippe & vim fib
umbrm levant, & aqua largœ manant è fbntibm.
"Ceterum, hîc quoque ferpentmm magna vis erat,
fquamis fiilgorem ami reddentibus : virus haud
ullum magis noxïum efl ; quippe morfum pm-
Jens mors Jequebatur,9 donec ai mcolis remedium
oblatum eft. Mine pet deferta ventum efi ad ftumen
Hyaroten ; juniium eratfiumini nemus, opacum
arboribus alibi inufitatis, agreftiumque pavth
Mum multkudine frequens, Caflris mde motis, oppidum
9 haud procul pofitum , coronâ capit;
obfidibusqw acceptis , flipendium imponit. Ai
magnam deinde 9 ut in eâ regione, urbem pervenit
s non muro folum., fid etiam pdudê mumtam.
Ceterum , barbari „ vehiculis inter fe junBis
dimicaturi, occurreruni : dus tela , aliis haflœ,,
aliïs fecures erant ; tranfilUbantque in véhicula
firenuo fol tu » -quum fuccurrere laborantibus fuis
velknt» Ac primo injbtitum genus pugnm mace*
donas termit3 quum eminès vuherarentur : deinde
, fpreto -tant incondito auxilio , ab utroque
latere veMcuîis circumfufi , repumantes fodere
cœperunt ; & vincula quibus confina erant juJjSt
imidi, quo facilïùs fingula lircumvenirentur* Itaque,
vin millihus fuorum amijfis, in oppidum
refugerunL Poftero die , [colis undique admotis,
'mûri occupantur : paucis pemicitas fahti fuit ;
• qui , cognito urbis excidio , paludem transnavire
s & in vicina oppida ingentem inmlire terro»
'rem , inviBum exercimm & deorum profeBb adve*
nijfe mtmorantes.
3. Alexander , ad vaftandam tam regionem
Perdkcâ cum txpcditd manu mijfo , partem codes

Lir.RE 1X.-CH.AP-. I. 117
des bols y tempère l'ardeur dufoleil, &que des fources
y fournirent de feau en abondance. Au refte, il y avoit
aufli une grande quantité de ferpents, dont les écailles
avoient le brillant de l'or : il n'eft point de venin plus
dangereux que celui de ces animaux -, leur morfure caufoit
la mort*fur le champ, jufqu'à ce que les habitants
en euffent indiqué le remède. On pafla de là par des
-déferts jufqu'au fleuve Hyarôtis ; il étoit bordé d'une
forêt épaïflfe * d'arbres inconnus ailleurs , & remplie de
paons fativages. Il décampa de là, & ayant fait le blocus
d'une ville peu éloignée, il s'en rendit maître j il
s'aflfûra par des otages-d'un tribut qu'il lui impofa. Il
s'avança enfui te vers une autre grande ville, comme
elles font dans ce-pays , défendue, non feulement par
une muraille, mais encore par un marais. Au relie , les
barbares vinrent à fa rencontre , pour le combattre de
deflTiis des chariots attachés enfembîe: ils étoienî armés,
les uns de flèches, les autres de piques , & d'autres de
haches ; & ils fautoient tellement de chariot en chariot,
quand ils vouloient porter dufecours à eeu* qui
en avoient befoin. Cette nouvelle manière de combattre
étonna d'abord les macédoniens , parce qu'on Ses bleffoit
de. loin : -puis, venant à méprifer une .troupe fi
mal ordonnée, ils fe répandirent des deux côtés des
chariots, & parvinrent à percer les barbares malgré
leur réfîftance ; mais afin d'inveftir plus aifément chacun
des chariots, îe roi.commanda que l'on coupât les
Kens qui les tenoient attachés. Les indiens , ayant perdu
ainfi huit-mille des leurs , fe retirèrent dans la 'ville.
Le lendemain, les échelles ayant été plantées de tous
côtés , on emporta la place ; un petit nombre d'habitants
trouvèrent leur falut dans une prompte fuite ; mais
témoins du défaftre de leur ville , ils pafsèrent le marais
à la "nage ; 8c portèrent l'effroi dans les villes voifines,
publiant qu'apurement il étoit arrivé dans le pays une
armée, invincible, une armée de dieux.'
3. Alexandre , après avoir donné à Perdiccas un camp
vêlant pour faire le dégât dans cette contrée, donna '
Tome IL s K

2i,8 LIBER'IX. CAP. 1.
piarum Eumem tradit , m is queque barbams ai
deditionem compelliret ; ipfi cettros ad urbtm validant
, in quam aliarum quoque confugerant incola,
duxit. Oppidani, mijffîs qui régent deprecarentur,
mhilominus belhm parabant : quippe
orta.fedkio in- diverfa confûia diduxerat vuigum;
alii, omnia dcdkione pot'wra , quidam 9 mdkm
opem in ipfis ejfe, ducebant : fed dum nihU m
commune confulitur , qui deditioni immmcbant,
apertis portis , hoflem recipiumt. Alexandert qurnquam
belli auBor'éus jure paierai ira/ci, tamn
omnibus veniâ data & obfidibus aceeptis, adproximam
deinde urbem caftra movit. Obfides duobantur
ante agmen ; quoi quum è mûris agnovijfent.,
uipote gémis ejufdem, in colloqiàum
convocavcrunt : Mi , clementiam régis fimidjue
vim commemorando , ad deditionem, eps çompit
1ère; ceterafque urbes , fimiii modo deditass in
fidem aecepit* Him in regnum Sopkhis pervatr
îum cft. Gens , m barbari, fapitnùâ exceUk bonisque
wwribus regkur : genètos- liberûs,- nm par
rentum arbitrio 9 tottunt aluntqut „ jèd- eormn
quibus fpeêandi infantium habitum cura mandata
efi ; fi quos infignes aut aliquâ memhtorûm parte
mutiles notaverunt, necari jubent ; nuptiisl eoeunt,
non génère ' ac nobilitate conjunBis y fed ekâd
corporum fpecie 9 quia eadem mfiimatur m lièeris*
. 4. Hujus gémis oppidum > cui Alexander adm^
verat copias 3 ah- ipfo Sopithe obtinebatut. Claufa
trant portm, -fed nutti in mûris 'turriHusque Je J a>
niati oflendebant, dubkabantqm macedones dfftfmf

LIVRE IX. CMAP. L 219
- Eumènes une partie de Farinée, pour réduire de fon
côté les barbares j & il mena le refte contre une ville
forte , où s" ê toit ni auffi retirés les habitants des autres
places» Ceux de cette ville, après avoir député au
TOI pour lui foire des proportions, ne biffèrent pas de
fe mettre en état de défenfe : c'eft qu'il s'étoit èîevé
parmi îe peuple une fédition f qui avoit partagé les efprits
; les uns* étoieift d'avis qu'il faîloit s'expofer à tout
plus tôt que de fe rendre, & les autres, qu'ils étoient
fans reifource : mais tandis que les avis fur le bien
commun demeuroient partagés, ceux qui opinoient pour
fe rendre ouvrirent les portes & introduifirenf l'ennemi.
Quoiqu* Alexandre fût fondé à faire reffentir fa
colère à ceux qui vouloient îa guerre, il accorda une
amniftle générale, prit des otages, & alla de là camper
près d'une autre ville voifoie. On menoit les otages
à fa tête de l'armée; & ceux qui parurent fur les
murs les ayant reconnus, parce qit'ils étoient de la
même nation, s'abouchèrent avec eux : ceux-ci, en
les inftruifant de la clémence & des forces du roi, h$
déterminèrent à fe rendre ; & les autres villes. fe fou»
mettant.de la même manière, il reçut leur ferment.
11 pafla de là dans les états de Sopithes. C'eft un peuple
diftingué entre les barbares par fa fagefle, & qui fe
gouverne par de bonnes coutumes : les enfants qui leur
naiffent font nourris & élevés, non au gré de leurs
parents , mais félon la décifion des perfonnés chargées
par état d'examiner îa conftitutiôn de ces petits êtres j
s'ils leur trouvent quelques membres notablement dif*
formes ou inutiles s ils ordonnent leur mort : quand ils
fe marient, ils font attention, non à l'état ou à la
noblefle, mais à la plus belle forme des corps f pat et
que c'eft ce dont on fait cas dans les enfants.
4. La capitale de ce peuple, dont Alexandre avoit
fait les «proches , étoit défendue par Sopithes luimême.
Les portes étoient fermées , mais perfonne ne
paroiffoit en armes ni fur les murs ni fur les tours,
& les macédoniens ne favoieat fi les habitants avoient
Kij

220 'LIBER IX. CAP. /.".
' 'fintne urbem incola an fraude ft ûtculerenï ;
quum 9 fubifo patefaBa porta , rex indus- cum
duobus adultis plus occurrit, multum inter omnes
barbaros eminens corporis fpecie : "peftis erat auro
purpuraque diftincla , qua etiam crura velabat ;
-aure'u foltis mferuerat gemmas ; lacera qwquc
& brachia margariûs ornata erant ; pendebant ex
auribus infignes candore & magnitudine lapilli:
'bacutum aureum berylli diftinguebant ; qw tra-
"dito , precatus ut fofpes acciperet, ft libemsqm
'& gentem Juam dtdidit. Nubiles ad venanàm
canes in ea regione funt ; latralu abftinere dicmtur
quum videre feram, leonibus maxime infifli.
Morum vim ut oftenderet Alexandre*, in. confpeSu
leonem eximia magnitudinis juj/Jit emitti, & IV
omnino admoveri canes 9 qui celeriter occupavtrunt
feram : quum, ex us qui • affuevtrant tdieus
mmifteriis unus , carâs Uonï cum dus mkcrends
crus aveUere & 9 quia non fequebatur, ferra
amputare capit ; nec fie quidem pertinaciâ viéld s
rursus aliam partent fecare inflitit ; & demie
non fegniùs inharentem ferro fubinde c&debatî
die in vulnere fera dentés moribundus quoqut
çnfixerat ; tantam in illis animalibus ad venandum
cupiditatem ingeneraffe naturam memor'm
proditum eft. ./ Equidem plura tranfcribo quant
trtdo ; nom nec affirmare fuftinto de quibus duiito
, nec fubducerexquœ acctpi, ReliBo igïtui
Sopkke in fuo regno, • ad ftuvium Hypafin procefpt,
'Mephœftîont, qui diverfam regionem fub-.
egtrat, conjunfh. Phegelas erat gentis proxima
rex 9 qui 9 popularibus fuis colère : agros m affût-*

Lir-KE IX. CHAP. l.m 111
abandonné leur ville ou s'ils Ce tenoient cachés par
ftratagême ; îorfque tout à .coup une porte s'étant ouverte
, on vit venir, avec deux de fes fik déjà grands,*
le roi indien , qui furpaflfoit en grandeur & en beauté
tous les autres barbares : il portojtune robe chamarrée
d'or & de pourpre,.qui iui couvroit auffi les jambes;
il avoit des fandales cfor enrichies'de pierreries-; des
bracelets de perles lui couvroient les poignets & les
bras ; & à fes oreilles pendoient deux groffes -pierres
précieufes de la plus belle eau : fon feeptre d'or étok
garni de bérylles ; il l'offrit à Alexandre, en fefant
des vœux pour fa fanté, & remit à fa diferétion, lui9
tes enfants s & fon peuple. II.y a dans ce pays des chiens
de chafle admirables j on dit qu'ils n'aboient plus dès
qu'ils ont vu la bête, & qu'ils en veulent furtouî aux
lions. Pour faire voir à Alexandre le courage de ces
animaux , Sopithes fit lancer en fa préfence un lion
d'une grandeur extraordinaire , & lâcher en tout quatre"
chiens f qui eurent bientôt faifi la bête : l'un-des ve->
neurs accoutumés à ces fortes d'emplois prit par la,
euiffe un de ces chiens , attaché avec les autres, à fa
proie ; comme il n'obéit pas quand il voulut l'arracher,
il lui coupa la jambe ; n'ayant pu par cela même vaincre,
£on opiniâtreté, il lui en coupa une autre; & comme
il n'en demeuroit pas moins' acharné t il continua de
lui couper de temps en temps' quelque morceau : le
chien, même en mourant s enfonça les dents de plus'
en plus dans la morfure qu'il avoit faite au lion ; tant,
la nature a donné , dit-on, à ces animaux d'ardeur pour
la chatte ! J'avoue que j'en-écris plus que je n'en crois ;
farce que je ne peux me réfoudre, ni à aflurer les
chofes dont je doute, ni à fupprimer celles qu'on m'a
tranfmifes. Ayant après cela laiffé Sopithes dans/fes
tLtats s Alexandre s'avança vers le fleuve Hypafis, après
qu'il eut été rejoint par Hépheftion, qui avoit fournis
une autre contrée. La nation dont on approchoit avoit
pour roi PhégéSas, qui commanda à fes fujets de cultiver
leurs ferres comme à l'ordinaire, 6c vint lui-même
K in

221 LIBER IX. CAP. IL
virant juffis, Alexandro cum dams occurrit * MîâII
qmd imptraret dttreBam*
II. Bîduum apud eum fubftkk rex ; tertio
die amnem fuperare dccnvtrat , tranfku diffici—
km , non Jpatio folum aquarum , fed tuant. Jaxis
impedtmm, Percontatus igitur Pkegelam qtm na/^
cenda erani, XI dltmm ultra fiumm per vafia*
folitudines iter effè cognofiit ; excipere dtinde
Gangen , maximum toùus Indim fluminum ; ukc—
riorém ripam colère génies gangaridas & pharrafias
; eorumque regem effè Aggrammen, xx
miUibus equkum ducmtkque pedSum obfidentem
v'ms ; ad hac quadrigarum duo miiim trahere,
&, pmcipuum terrorem , ekphantos quos trium
milhum numerum explere dicebat. IncredibïBa
régi omnia vMebantur ; igitur Porum ( nam cum
eo erat\percontatur an ver a ejfent qum dkerenmr.
Eh vires qmdem gends & regni haud falfb
jaêarï affirmât : ceterum » qui regnaret » nom
modo ignobilem effè , fed tûam ultimm forùs ;
quippe patrem ejus 9 tonforem vix diurno qumftm
propulfantem famem , pwpter habkum haud indecorum
cordi fuiffè regma ; ab ed m propiorem
ejus qui mm regmaffèt amckim hcum admot&m ;
mterjefto eoper infidias, fut fpeck tùtela liberum
ejus învafifft Regnum ; necansque pueris, hune
qui nunc régnai generaffè, mvifum vilemque popu~
laribus, magis paternm fortunm quant fua mémo»
rem. Affirmaûo Pori multïpïicem anlmo régis in~
jecerat euram* Moflem betluasque fpernebat, fitum
locorum & vim fluminum extimefeebat % relegatos
_i

LIVRE IX. CHAP. IL 113
avec des préfents au devant d'Alexandre t pour l'aflurer
de fon ©béiflance.
U. Le roi féjouraa deux jours auprès de lui ; & le
troifième t il avoit réfolu de paffer la rivière, quoique
difficile à traverfer, non feulement à çaufe de fa largeur
, mais encore à'caufe des écueils dont elle étoit
pleine. Ayant donc pris auprès de Phégéîas ' les informations
néceflaires, il fut qu'après avoir paffé le fleuve
il y avoît onze purs de marche à travers de vaftes
déferts ; qu'on trouvoit enfuite le Gange, le plus grand
fleuve de toute FInde ; qu'au delà habitoient Ses gangârides
& les pharrafiens ; qu'ils avoient pour roi
Aggrantmes, qui défendoit l'entrée de fes États avec
vingt-mille hommes de cavalerie & detuc-cent-millf
d'infanterie ; qu'en outre il avoit deux-mille quadriges,
&, ce qui étoit encore plus terrible, des éléphants qu'il
portoit jufqu'à trois-mille. Tout cela paroiffoit incroyable
au roi ; fi bien qu'il voulut favoir de Porus, qui
étoit encore avec lui, fi tout ce qu'on difoit étoit vrai.
Ce'prince Paflura qu'on ne lui en impofoit pas en exaltant
les forces de ce peuple : mais qu'au refte le prince
régnant , loin d'être d'un fang illuftre f étoit -de la plus
baïfe naiflance; que fon père, qui vivait avec bien
de la peine de ce qu'il gagnoit chaque jour dans la
profeffion de barbier, avoit touché le cœur de la reine;
par fa bonne mine % qu'elle l'aroit pouffé à la première,
place de confiance auprès du roi qui régnoit alors ;
•qu'après s'être défait de ce prince en trahifon, il étoit
parvenu, fous lé prétexte de la tutelle d© fes enfants ,
à fe rendre maître du royaume \ qu'il les avoit aufll
fait mourir, & avôit eu depuis le fils aftuellement
régnant, prince haï & méprifé de fes fujets , -fit fe reffentant
bien plus de la condition de Ion père que de
k dignité de la fienne. Ce téimoignage de Porus en
confirmation du premier rapport mit dans le coeur du
roi bien des inquiétudes. Il fe fouci.oit peu de l'ennemi
& de fes éléphants, mais il redoutoit l'alfiette
des lieux & l'impétuofité des rivières, & il regardoit
K iv

224 LIBER IX CAP. IL
in tdûmum penè rerum humanarum perfiqui termlnum
& eruere arduum vïdebatur -: rurshs avaritia
ghr\tz & . îhfatiabilis cupldo famœ mhil
invium , nihil remqtum videri finebat ; & interdum
dubitabat an macedones , tôt emenfi /paria
terrarum, in acïe & in cajlris [eues fa&i 3 per
obje&a flumîna, per tôt nature obfiantes dhfficultatts
fequuturi e/fent ; abundantes onuflosque praidâ,
magis parti fini velle quam acquirendâ farigari
: non idem fibi & mUitibus animi effè : fi,
totius orbis imperium mente complexùm, adkuc
in operum fuorum primordio flare ; miiitem , labore
defaûgatum, proximum quemque fiuéhtm finito
tandem periculo expeterc*
* 6. Vicit ergo cupldo raùonem ; & ad concîomm
vocatis mUitibus , ad hune maxime modum
di/feruit : Non ignoro, Milites f multa quse terrere
TOS poffent ab incolis Indise per hos
.dies de induftriâ elle jaâaia ; fed non eft improvifa
vobis mentientium 'vanitas : fie 'Glïciae
îauces, lie Mefopotamiae campos-, Tigrin &
Euphraten, quorum alteram Yado tranfivimus
alterum ponte , terribilem fecerant perfae. Nunquam
ad Kquidnm fama perducitur ; omnïa ,
illâ tradente, majora font vero : noftra quoque
gloria, quum lit ex foîido , plus tamen
habet nominis quam operis. Modo quis belluas
offerentes jnœnium fpeciem , quis . Hydafpen
amnem , quis cetera àuditu majora quam
vero fuftieere poffe credebat ? Olim , Hercule
! fogiffemus ex Afiâ, û nos fabula debellare
potuiffent. Creditisne ekphantoram grèges
majores effe quam usquam armentoram font ;

LIVRE IX CIIAP. IL 225
comme très -difficile de pourfuivre & de foumettre des
gens relégués au bout du monde : d'un autre côté fon
avidité pour la gloire & fon défir infatiable de renommée
ne lui permeîtoit pas de rien regarder comme
inabordable ou comme trop éloigné ; & quelquefois il
doutoit fi les macédoniens, après avoir traverfé tant
de pays & vieilli fous les armes, voudraient encore
le fuivre au delà des fleuves qu'il failoit franchir & i
travers tant d'obftacles formés par la nature ; que ie
butin-les'.ayant comblés de richeffes, ils aimeraient
mieux jouir de.celles qu'ils polfédoient que de fe fatiguer
pour en aquérit de nouvelles : que lui & fes foldats
n'avoient pas ie même deffein : que pour lui, qui
embraffoit dans fes vues l'empire de toute la terre, il
en étoit encore au commencement de fes travaux ; mais
que le foldat, excédé de fatigue, né demandeit qu'à en
recueillir inceffamment le-fruit à couvert enfin de tout
péril.
6. Sa paffîon après toutes ces penfées l'emporta fur
la raifon même ; & ayant aflemblé les troupes , il leur
parla à peu près de cette manière ; Je n'ignore point t
Soldats, que depuis quelques jours les indiens ont affecté de
répandre des propos capables de vous intimider ; mais vous
n'êtes pas dupes de tillufion de ces menfonges : e'efl ainfi
que les perfes vous repréfentoient comme quelque chofe de
'terrible Us d ;'filés de la Cilicie , les plaines de la Méfopotamie
, le Tigre & l'Euphrate , ces fleuves que nous avons
pourtant pajfês , 'l'un à gué & l'autre fur un pont. Jamais
la renommée ne préfente nettement la vérité; tout, dans fes
rapports f efl exagéré : notre gloire même, quoique folide-.
ment établie, a plus d'éclat qu'elle ne nous a conté de
peines. Tout récemment qui fe feroit flatté de pouvoir faire
face à ces animaux femblables à des tours, -su fleuve Hy*
dafpe, à tant d'autres chofes portées dans les propos fort atç
icla de la vérité? Il y a certes long temps que nom aurions
fui de VAfie f s'il n'avait fallu que des 'contes po.ur 'nous
'vaincre. Croyc^vous que les troupeaux â T êléphants foienï
'flur grands dans l'Inde fut ne font-ailleurs ceux- des btfe
K y

n6 LIBER IX. CAP. IL
quum & raram fit animal, nec facile capiatar*
mulîoque difficiles mitigetur ? Atqui eadein
vanitas copias peditum equitumque numeravit,
Nam flumen , quo latiùs fufum eft 9 hoc placidiùs
ftagnat : quippe anguftis ripis coërcita

LIVRE IX. CHAP. IL 217
tUauf ordinaires ; quoique ce foie um animal rare , difficile
à prendre, 6» plus difficile encore à apprivoifer? Eh bien.
€ % tfl avec auffi peu de fondement qu'on multiplie l'infante»
rie & la cavalerie des indiens. Quant au fleuve , plus il efl
étendu en largeur, plus il eft paifibk dam fon cours : car
etux que des bords rejferres tiennent emprifonnés & qui font
contraints dans un lit trop étroit t roulent leurs eaux avec
la rapidité d'un torrent ; & au contraire dans un lit fpa-
€ieux le cours en eft plus' lent. D'ailleurs tout le péril eft
fur la rive, ou l'ennemi nous attend à la defcente de not
vaijfeaux; dès lors, quelque grand que fait le fleuve d'un
bord à l'autre, ce fera toujours le même péril pour prendre
terre»
Maisfuppofons vrais tous ces propos : eft-ce la grandeur
des éléphants, eft'ce le nombre des ennemis f qui
vous effraie ? Ce qui en eft des éléphants, nous venons de
l'éprouver; ils fe font importés avec plus de furie contre
leurs maîtres que contre nous, &• ces corps énormes ont
été mutilés à coups de haches & de faulx : & qu'importe
qu'il n'y en ait qu'autant qu'en avoit Porus 9 on qu'il y
gn ait trois-mille; puifque nous voyons que dès qu'ôM
en a bleffé un ou deux, les autres prennent la fuite ? Jft
plus , ce n'eft pas fans peine qu'on en gouverne même um
petit nombre; tant de milliers raffemblés ne peuvent donc
que s'écrafer les uns les autres » ces lourdes majfes m pouvant
alors ni tenir ferme ni prendre la fuite. Et véritable »
suent j'ai fait fi peu de cas de ces animaux, quet quoi"
que j'em euffe f je ne les ai pas mis en avant, fâchant
affei qu'ils font plus à craindre pour ceux qui les emploient
que pour leurs ennemis»
Mais peut-être que cette prodigkufe Multitude d 9 hommes
& de chevaux vous étonne ! car vous n'me\ coutume êpps»
ramment de combattre que contre-um poigmée-de gens 9 6*
voici la première rencontre ou vous aun^.affiùre à une:
multitude confufe d'ennemis : témoin le Granique , qui.s
vu la valeur invincible des macédoniens centre une armée
innombrable ; témoin la Cilicie , inondée du fang dis
perfes ; témoin Arbèla , dont lés plaines font couvertes
K vj

n8 LIBER'IX. CAP. 11. "
"font. Sero hollium legiones numerare ceepifHs'5
poftquam foîîtudinem in Asiâ vincendo feciftis !•
quum per Hellefpontum navigaremus* de paucitate
noftrl cogitandum tum fuit. Nunc nos
fcyth» fequnntur, baftriana auxilia praefto font,
dahae fogdianique inter nos militant ; nec tamen
Illi turbae confido : veftras manus intueor,
veftram virtutem reram quas geftums fom.vadêm
prsedemque habeo : quamditi vobiscum in
acie ftabo , nec meos nec hoftium exercites
numeraver© ; vos modo animes mihi plenos
alacritatis ac fideciae adhibete.
Non in limine operam laboromque noftrcrum
, fed in exitu fiamus : pervenimus ad folis
ortum & Oceanum , nifLofcftat ignavia ;. inde
viftoies 5 perdomito fine terraTum, revertêmur
In patriam. Nolite , • quod pigri agricolae faciunt
, maturos fruftus per inertiam amïttere •
è manibus. Majora font periculis pramia , dives
cadem & imbellis eft regio ; itaque non tam ad
gloriam vos duco quam ad praeaam : digni cftis
qui opes quas illud mare litoribus invertit referatis
in patriam ; dïgni qui nihil inexpertum y
nihil metu omiffum relinquatis.
Per vos gloriamque veftram 9 quâ humanum.
faftigium exceditis ; perque & mea in vos & in
me veftra mérita, quibus invifti contendimus ;*
oro quaefoque, ne humanamm rerum terminos'
adeuntem alumnum commilitoneinque veftrum,
ne dicam regem, defèratîs. Cetera vobis imperavi,
hoc unum debitums fom ; & is vos rogo 9
qui nihil ^unquam vobis praecepi quin primiis'

LIVRE IX. CMAP. FL 229,
des offemenu des viincus. € f efi vous avifer bien tard de
n&mbrer ks légions ennemies, après avoir fait par vos
victoires mm diftrt de VA fie : c'étoit au paffage de VHtU
le/pont, qu'il fallait penfer au petit nombre de nos trompes,
Aujourdhui les fcythes fuirent nos drapeaux, les bac»
triens font prêts a nous fecourir, ks dahés & ksfogditns
fervent avec nous; mais ce n 9 tfi pas fur ces troupes ra~
maffées que je compte : c*eft le ficours de vos bras que
fenvifage, c'efi votre 'valeur qui me garantit h fucces du
refis de-mes entreprifis : tant que j'aurai à combattre avec
vous $ je ne compterai ni mes' troupes ni celles des ennemis;
montre^ moi feukment que vous êtes pleins d'ardeur & de
confiance» ' •
Nous ne fommes plus au commencement de nos travaux
& de nos fatigues, nous touchons au terme : nous voici
près d'arriver au point oàfe levé lefokil &jufqu 9 à l'Océan,
à moins qu*une honteufe lâcheté ne nous arrête; & c'efi
de là, qu'après avoir tout fournis jufqu'aux extrémités
' de la terre, nous retournerons triomphants dans notre
patrie* N'allé^ pas, comme font les laboureurs pareffeux 9
laijfer perdre par négligence des fruits parvenus à matL~
rite. Les avantages qui vous attendent font bien plus grands
que les dangers 9 vous aure\ affaire à, une nation opulente
& lâche tout à la fois ; ce n'efi donc pas tant à
la gloire qu 9 au pillage que je vous conduis : vous êtes
dignes de remporter dans votre patrie les richeffes dont cette
mer couvre [es rivages ; vous êtes dignes aujfi de tenter
tout s & de ne renoncer à rien par un motif de crainte
Je vous prie donc par vous-mêmes & par votre propre
gloire , qui vous élève au deffus de l'humanité ; par les
bons offices que nous noms fommes rendus mutuellement *
moi à vous & vous à moi, fans avoir.pu l'emporter ks
vus. fur ks autres ; je vous prie, dis»je, 6» vous coujure
9 au moment @à je touche aux extrémités du monde p
de ne point abandonner, je ne dirai pas votre roi, mais^
votre élève , votre compagnon d'armes. Pour tout le reftè
je vous ai donné des ordres, aujourdhui c'efl une obligation
unique que je vous aurai; & c'efi moi qui vous- de*»

230 LIBER IX. CAP. IL
me periculis obtulerim , qui fsepe aclem clypeo
meo texi : ne infregeritis in minibus meis palmam
, quâ Hercuîem Liberumque patrem, fi
invldia abfuerit, aeqiiabo. Date hoc precibus
meis f & tandem obftinatum filentium erampite.
Ubi eft ille clamor , alacritatis veftrae index
? ubi ille meoram macedonum vultus ? non
agnofco vos , Milites , nec agnofci videor à
'Tôbis ; furdas jamduduin. aures pulfo f averfos
• animos & infra&os excitare conor.
7. Cumqut Uli y in terram itmijjis caphibus i
tacere perfeverarent ; Nefcio quid , ïnquiî, impradens
in vos deliqui -, quod me ne intueri
quidem vultis. In folitudine mihi videor effe ;
nerno refpondet, nemo faltem negat. Quos alloquor
? quid autem pdftulo ? veftram glorjam.
& magnitudinem vindicamus, Ubi font illi quorum
certamen paulo ante vidi conteedentium
qui potiffîmum vulnerati régis corpus exciperent
? defertus, deftitutus fom , hoftibus deditus ;
fed folus quoquê ire perfeverabo. Objicite me fin*
minibus , & belluis9 & illis gentibus quarom nomina
horretis : inveniam qui defertum à vobis
fequantur ; 'fcythse baârianique erant mecum ,
hoftes paulo ante, nunc milites noftri. Mori praef
tat quam precario imperatorem effe. Ite reduçes
domos ; ite, deferto rege , ovantes : ego hîc à
vobis defperatae viftotbe. aut honeftae mord
focum inveniam. Ni fie quidem mils miikum vo%
exprimi potuît ; exfptBabam m dates principes*
qui ad regem ptrfirrent , vutmribus & commua
labort militm fatigatos , non detreËare mmûa\
fedfujtincre non pojfe ; ecterum 9 i//i, metu aîto-

LIVRE IX. CM A p. Il 231
momie cette grâce, moi qui me vous ai jamais rien, commandé
fans m'expafer le premier à tous les périls t &
qui vous ai fauvent couvert de mon bouclier ; ne brift\
pas entre mes mains cette palme, qui me rendra l'égal
d'Hercule & de Bacchus 9 fi je peux le dire fans les offert
fer» Accorde^ celte grâce â mes prières 9 & rampe\ enfin
ce fihnce obfiiné. Ou font ces cris, témoignages affurés
de votre libre difpofitéom ? ou efi cet air gai de mes
fidèles macédoniens ?' Je ne vous reconnais plus, Soldats,
& il femble que vous me méconnoiffie\ vous-mêmes % il y
m long temps que je parle à dis fourds9 6» que je tâche
de rappeler des murs aliénés & abattus^
7. Et comme ils gardoient conftamment le fiîence,
tenant toujours îa tête baiffée ; Je ne fais9 dit-il, en
quoi je vous ai offknfés fans le vouloir, que vous ne dai»
gne\ pas mime me regarder, il me femble être dans un
défert.; pas un mot de réponfe s pas un refus du moins,
A qui parlê-je ? & qu*efi

231 LIBER I X CAP. III.
mû, in terrram ora defixerant. Ergo primo frémi*
tus juâ fponiê , deinde gemitus quoque oritur ,
paulatimque liberiiis dolôr erigi cœph, manantitus
laûrimis ; aieb ut rêx, ira in mlfericordîam versa,
ne ipfe qu'idem , quanquam cuperet, temperare
oculïs potuerit. Tandem, universâ concione effufiîis
fiente, Cornus au fus efi , cun&antibus ce te ris,
propiàs' tribunal accedere , fignificans fe loqui
velle ! quem ut vidêre milites detrahentem galeam
capiti ( ha enim regem alloqui mos efi ) *
hortari cœperunt ut 'Caufam exerehûs ageret. .
'. III. Tum Ccmus , Dii prohibêant? inquh, à
nobis. impias mentes ! & profeâo prohibent.
Idem animus eft tais qui fuit femper , ire quo
jufferis, pugnare , .periclitari , fanguine noftro
commendare pofteritati tuum nomen : proinde
fi perfeveras , inermes quoque & nudi & exfangues
, utcumque tibi cordi eft , fequimur vel
aritecedimus. Sed û audire vis non fi£tas tuorum
militum voces , verum neceffitate ultimâ
expreflas ; praebe , quaefo, propitias aures imperium
atque aufpicium tuum conftantiffimè fequutis,
& quocumque pergis fequuturis.
Vicifti, Rex9 magnimdke reram , non hoftes.
"modo , fed etiam milites. Quidquid mortalitas
çapere poterat, implevimus : emenfis-maria ter««-
_'rasque % meliùs nobis quam incolis' omnia .nota
'font ; penè in ultimo mundi fine confiflimus. In
alium orbem paras ire, & Indiam quaeris indis
Huoque ignotam \ inter feras ferpentesqué d£

LIVRé IX.-CHàP. 1IL 23}
fatigues : au fur plus , ils étaient Immobiles de crainte ,
& aYoient les ieux fixés à terre. Il s'éleva donc naturellement
f d'abord un murmure, puls-des. gémiflements f
enfin peu à peu la douleur éclata avec moins de retenue
& jufqu'aux larmes ; de manière que,, la colère du roî
fe changeant en compaffion, il ne'put lui-même, malgré
tous fes efforts, retenir les fiennes. Enfin, comme toute
Faflembîée fondoit en larmes, Cénusprit fur îui, au défaut
des autres , d'indiquer en s'approcbant du tribunal, qu'il
Toulott parler ; & dès que les foldats le virent ôter fon
cafquede deffus fa tête, comme II eft d'ufage pour parlée •
au roi, Ils l'engagèrent à plaider la caufe de l'armée. ,
III. Nous préfervent les dieux , dit alors Cénus, de
ces fentiments abominables ! & grâces au Ciel, nous en
fommes affûrément bien éloignés» Vos foldats font encore
dans la difpojitioa oà ils ont toujours été 9 d'aller par~
tout ou vous voudre\% de combattre , d f affronter tous
les périls t de va fer tout leur fang pour faire pajfer à la
poftérité la gloire de votre nom 7 fi vous perfifit\ donc dans
votre deffein f fujfions-nous fans armes, fms habits ffans
forces, quoi -qu'il vous plaàfe d'ordonner 9 mous vous fuirons
ou nous vous devançons. Mais fi vous daigne\ en-»
tendre les repréfentaûom de vos foldats , quitte font point
anifcUufcmenê préparées par le menfonge, mais qui leur
font arrachées par la ' nécejjué la plus prenante ; écoute^ .
favorablement, je vous en conjure % des hommes qui ont
été & qui , partout ou vous ire\, feront conftamment atta»
chés à vos ordres & â votre fortune.
Vous ave\ vaincu, Seigneur, par la grandeur de vos
exploits, non feulement vos ennemis, mais vos foldats
même. Tout ce que pouvait l'humanité r ûOMS l'avons e%é~
iuii : tîous avons parcouru les mers & les terres, &
toutes les parties sous m font mieux connues qu'è-Jeum
propres habitants ; nous voici prefque au boue du monde»
Vous vous difpofe\ cependant à paffer dans un autre uni-»
vers f & vous cherche\ une nouvelle Inde inconnue aux.
indiens mêmes ; vous voule\ arracher de leurs cavernes s_ de'_
kur's tanières s des barbares qui vivent parmi les firptnti

234 LIBER IX. CAP. 111.
gentes eraere ex latebris &' cubiiibus fuis expetis,
ut plura quam fol videt viâoriâ Iwftres :
digna prorsùs cogkatio animo tuo, fed- altior
. noftro ; -virtus enim tua femper in incrément©
crit, noftra vis in fine jam eft.
Intuere corpora exfanguia, tôt perfofla vulneribus,
tôt cicatrlcibus putria. Jam tela hebetia
font , jam arma deficiunt ; veftem perficam induimu$9
quia domeftica fubvehi non poteft;
in externum degeneravimus cultum. Quoto cuique
lorica eft ? quis equum habet ? jubé •quasri,
quam multos fervi ipforam' perfeqirati font,
quid cuique fûperfit ex pradâ : omnium viôores,
omnium inopes femus ; nec luxuriâ laboramus,
fed bello inftrumenta belli conïiimfimus.
Hune tu pulcherrimum çxercitum nudum objicies
belhiis, quaram, ut muMtudinem augeant
de induftriâ barbari, magnum tamen effe niimerum
etiam ex mendacio intelligo ?
Quod fi adhuc penetrare in Indiam certum
eft , regio à Meridie minus yafta eft ; quâ fubactâ,
licebit decurrere in ilktd mare quod rébus
humanis terminum voluit effe'natura, Cur cir-,
cumitu petis gloriam quae ad manum polita
eft? bk quoque occurrît Qceanus ; nifi mavis
erraxe , pervenimus quo tua fortuna ducit. Hac
tecum quam fine te cum his loqui malui ;
non uti inirem circumftantis exercitus gratiam ',
fed ut vocem loquentktm potiùs, quam ut gémitum
murmurantium audires.
9. Ut ftnem orationi Cœnus împofuit 9 clamor
undique cum ploratu oritur regem, patrems dominnm
, confujïs appellamium vocibus. Jamque &

LIVRE IX. CHAP. 111. 235
& les Bêtes firoces 9 afin d'illuftrer par vos victoires plus
de Ueux que m'en éclaire le foleil : projet digne fans
doute de votre courage, mais Bien au deffus du nôtre; car
voire valeur fera des progrès continuels, au lieu que notre
vigueur eft prtfque éteinte*
Confidérei ces corps exténués , percés de tant de coups,
hideux par tant de cicatrkes. Nos javelots font enfin êm&uf»
fés, les armes nous manquent ; nous avons pris l'habillement
des perfes f parce que nous ne femmes plus à portée
d'en, tirer de notre patrie \ & nous avons été contraints
de dégénérer par ces modes étrangères» Qui de nous- a
encore fa cuiraffe ? qui a un cheval ? faites demander,
combien, il y en a que leurs efc laves ayent fuivis jufqu'ici 9
ce qui refie à chacun du Butin qu'on a fait; nous ayons
tout vaincu. & nous manquons de tout ; & ce n'efi point
À nos excès que nous pouvons l'imputer, c'eft la guerre
qui a confumé les inftruments de la guerre. Cette Belle
armée , Seigneur t ire\>vous Vexpofer nue & fans défenfe
à des animaux furieux , dont le nombre , quoiqu* exagéré
à deffeim par les Barbares, peut toutefois, d'après ce
mmf&nge même 9 être emeore jugé fort eonfidérahlt ?
Mais fi vous avt\ irrévocablemem réfobi de pénétrer
plus avant dans tlnde, la contrée vers le Midi eft moins
étendue ; après l'avoir Jbumife t vous fere\ le maître de
vous porter jufqu 9 à cette mer que la nature a donnée
pour borne aux poffeffwns humaines. Pourquoi chercherie^-vous
par un long détour une gloire que vous ave^fous
la main } l'Océan fe prêfeme également ici; & fi vous
n*aime\ mieux errer inutilement, noms touchons MM terme
où vous conduit votre fortune. J'ai mieux aimé vous faire à
vous-même ces oBfermtions que de m*en entretenir fans vous
avec ces Braves gens-i dans la. vue, non de captiver la
Bienveilhmct de Formée qui nous entoure, mais de vous
faire entendre des remontrances raifonnaBhs , plus têt qu§
des gémijfements & des murmures.
9. Dès que Céans eut ceffé de parier, il s'éleva de
tout côté des cris mêlés de pleurs, & des YOîX confufes
qui appeioienî le roi, leur père t leur feigneur. Auffitôt

236 LIBER IX. CAP.'1 IL
étliï duces 3 pracipuèque ferlions, quibus ob ma*
tem & excufatio 'honeftior erat & auBoritas major
, eadem precabantur.. Me net caftigare obflina-^
tos nec mitigare poterat iratos ; itaque , inopi
confilii, defduit è trïbundi claudique regiam juffit,
omnibus, pmter affuctos, adiré prokéitis* Biduum
ira datum eft : tertio die proceffit, erigique xil
aras ex quadrato faxo , monumentum expedkionis
fua ; munimenta quoque caftromm juffit extindi ,
'cubiliaque amplioris forma quam pro corporuM
habitu relinqui, ut fpeciem omnium augerets pofte-
' ritati failax miraculum praparans, Hinc repetens
quœ emenfuserat, ad ftumen Acefinem locat caftra*
Ibi forte Camus morbo exftinBus 'eft,: cujus morte
ingemuit rex quidem ; adjecii tamen , propter
paucos dies longam orationem eum exorfum ,
tanquam folus Macedoniam vifurus effet» Jam m
aqua ciaffis quam œdificari jufftrat ftabat. Inteç
hœç Mernnon ex Thraciâ in .fupplementum eqtdtum
fex millia, pmter eos9 ab Harpalo pedâum
feptem millia adduxerat ; afmaque xxv millia
auro & argento calata pertulerat , quibus diftrh*
butis, vetera cremari juffit. Mille navigus aditurus
Oceanum , difcordes & vetera odia retraBantes
Forum & Taxilen, India reges , firmatâ per affinitatem
gratiâ , reliquit in fuis regnis, fummo m
mdificanda claffie amborum ftudio ufus* Oppida
quoque du© condidit, quorum alterum Nicaeam *
appellavk, alterum Bucephalon , equi quem ami*
"PI r
erat memoria ac nomine dedicans urbem. Ele~
fa
* Nkéta s du grec N/Kftâ? ( nneo ). Cette ville fut
ainfi nommée, à caufe de la victoire remportée fur Po«
rus.

LIVRE IX. CBAP, UL 237
les autres diefs * & principalement les plus anciens f
à qui l'âge donnoit un prétexte plus honnête & une
autorité plus grande, lui firent la même fupplication.
Il ne pouvoit ni châtier Tes troupes à caufe de leur réfifêartce
opiniâtre, ni fe réfoudre à vouloir calmer leun
reffentiment 't ne fâchant donc que! parti prendre, iî
defccn'dit précipitamment de fon tribunal f fit fermer fa
tente, & en défendit feutrée à tout le monde f excepté!
aux gens de fa maifon. Il donna deux jours i fa colère :
le troifième jour il fortit, & fit dreffer douze autels de
pierres quarrées en mémoire de fon expédition ; il commanda
auffi qu'on donnât plus d'étendue à Penceinte de
fon camp, & qu'on y laiflàt des lits - d'une forme plus
grande que pour la taille ordinaire des corps, afin dé
laifler à la poftérité, par ces préparatifs impofants , des
idées prodigieufes & exagérées de toutes ebofes. Retournant
de là fur fes pas, il vint camper fur les rives de
l'Àcéfine. C'eft là que Cénus mourut de maîadie : &
cette mort affligea véritablement le roi ; mais il ne
biffa pas de remarquer, qu'il lui avoit fait, il y avoit
peu de jo.urs., une longue harangue, comme s'il .eût été
le feul qui eût dû revoir îa Macédoine. Déjà la lotte
qu'il, avoit fait conftruire éîoit à l'ancre. Sur ces entrefaites
Memnon lui amena de Tbrace une recrue de
fix-mille chevaux, & en outre, fept-mille hommes
d'infanterie de la part 'd'Harpaîus ; iî apporta auffi vingtcinq-milfe
armures garnies d'or & d'argent, qu'il difttibua
aux foldats, après avoir fait brûler les vieilles.
Comme il étoit prêt i s'embarquer fur l'Océan avec une
flotte de mille voiles, un différend s'étant élevé entre
Foras & Taxiles, rois de PInde, qui alîoient renouveler*'
leurs anciennes querelles, il les réconcilia folidement
par un traité d'alliance, & les laiffa -dans leurs États j
après avoir, tiré de. tous deux les plus grands fecours
pour la conftru&on de fa flotte. 11 bâtit auffi deux
villes, dont "il nomma Tune-Nicée, & f autre Muci*
filait^ du nom même & en mémoire de fon cheval qu'il
avoit perdu, Enfuite fe fefsmt fuivre pat terre désolé-

238 -LIBER IX. CAP. IF.
phantîs deinde & impedimentis terra ftqui juffis 9
fecundo amne defluxit, quadraginta ferme ftadia
fingulis ditbus proctdens, ut opportums heu exponi
fub'mde copia, pofienL
IV. Perventum erat in regionem m qui Jfydafpes
amnis Actfini committitur ; kinc decmrrit
in fines fobiorwn : hi de extreitu Merculis ma"
près fuos ejfe commémorant, agros reliihs effe,
cepiffè fedem quant ipfi obtinebant : pelles ferarum
pro vefte, clava pro telo erant ; multaque etiam ,
quum graci mores exolevijfent, ftirpis oftendebant
veftïgia* Hic exfcenjione fa&d s CC & L fladia
procefik ; dep&pulatusque regionem, oppidum capui
ejus corona cepit* Quadraginta peditum miUia gens
in ripdfluminHm oppofutrat ; quant, amnefuperato ,
in fagam cempulit, inclufosque memibus expugnat :
pubères interfeëi font, ceteri venkrunt. Altérant
deinde urbem expugnare adortus, magnâque
vi defendentium pulfus, multos macedonum amifit
: fed quum in obfidione perfeveraffet , oppidani,
defperatâ Jalute s ignem fubjecêre tetHs , fe
quoqm ac liberos conjugesque meendio cremant,
Quod quum ipfi augerent, hofies examinèrent 9
nova forma pugnm erat : dehbant inculm urbem 9
koftes defendebant ; adeè etiam natum jura bellum
in contrarium mutât ! Atx erat oppidi inta&a,
in qui prœfidaim dereliquit : ipfi mœvigio
circumveêlus efi arcem : quippe 111 flumina mtâ
Indid prêter Gangen maxima munimento arcis
applicant undas, à feptentrione Indus alliât, â
ptendie, Acefines ' Hydafpi confunditur.
• 11. Çëterum, amnium coïtus markimis fimMes

LIVRE 1X..CHAP. IF. 239
pliants & des bagages , il descendit le fleuve f avançant
environ quarante «ades par jour, afin de pouvoir de
temps en temps faire prendre terre à fes troupes en

240 LIBER IX. CAP. IV.
fluBus movent ;• muîtoquê ac ' turbido îimo , quoi
aquarum concurfu fubinde turbatur, lier qui meant
navigia in tenuem alveum cogitur. Itaque , quum
crtbri fluBus• fe inveherent, & navïum h'mc proras
, h'mc laterapulfarcnt ; fubductre nauta emparant
: fed minifleria eorum % h'mc me m, hinc
pmrapidd celeritate flum'mum , occupantur. In.
oculis duo majora omnium navigia fubmerfa.
funt ; leviora -, quum & ipfa mquirent régi, in
ripam ' tamen innoxia -expulfa funt, Ipfe rex in
rapidifpmos vortices incidit, quibus intorta navis,
obliqua , &gubernacidi impatiens, agebatur : jam
veft.em ietraxerat corpori, projeBurus femet in fiumen
; amicique s ut exciperent mm , haud prociâ
nabant; apparôbatque' ancepspericulum9 tamnatamri
.quam navigare perfeverantis. Ergo ingaiâ
certamine comitant remos, quantaque vis hunuam
tjje poterat admota */? , ut - fluBus qui fe invthebant
everberarentur ; findi 'crederes undas- & retm
gurgites cedere : quibus tandem navis trepta, nom
tamen ripa applicabatur, fedinvroximum-vadum
illiditur, Cum 'ainne beilam faijfe crederes : ergo
ans pro numéro flum'mum pojitis facrîficioque
'fa&o , xxxfladia. procejfit. .
* 12. Inde^ ventum efl in reghnem oxydmearum
maUommqui, quos > alias beuare inter fe folkos3
'tune periculi focietas junxerat : nonuginta milite
juniorumpeditumin armis erànt; pmterkos3equitum
x niillia nongentœque quadrigœ. At macedones % qui
omni diferimine jam defunëôs fe ejfe crediderant f
pojtquam intégrant bellum cumferocijjimis India gen«»
s'élère

LIVRE IX. CHAP. IV. .241
s'élève des Ilots ferablables à ceux de la mer ; & la
grande quantité de limon que le concours des eaqx agite
& trouble fréquemment t réduit à un canal allez étroit
le paflàge des vaifleaux. Comme il arrivait donc fouvent
des montagnes de vagues s & qu'elles battoient les
navires , les uns en front & les autres en liane ; les
pilotes fe mirent en devoir de les fouftraïre à cette
tourmente : mais d'un côté la peur, de l'autre Tescefliveimpétuofité
des fleuves, nutfirent fort i leurs ferviees.
Deux de leurs plus grands navires furent fubmergés
fous leurs ieux ; & les plus légers, quoiqu'il fût également
difficile de les gouverner, furent toutefois jetés
à bord fans dommage. Le roi lui-même fut jeté dans
des tournants très-rapides, où fon vaifleau, penchant
d'un côté, ne pouvant plus obéir au gouvernail, rfavoit
plus qu'un mouvement violent de rotation : il avoit
déjà quitté fes "habits , pour fe jeter dans'le fleuve ; fes
officiers , pour le recevoir, s'étoient mis à la nage à peu
de diftance \ & le péril paroiffoit égal pour lui, foit
qu'il voulût fe fauver en nageant,foit qu'il demeurât fur
fon vaifleau. Les rameurs à l'envi redoublèrent donc
d'efforts, & l'on fit tout ce qui étoit humainement poffible
pour rompre les vagues qui s'èlevoient fans ceffe^
il fembloit que Fon fendoit les eaux $ & que les gouffres
s'éioïgnoieût : le vaifleau du roi s'en trouva ..enfin
dégagéf mais ne pouvant arriver jufqu*au bord, il échoua
fur un bas fond qui en étoit peu éloigné. Comme fi
c'étoit avec les eaux qu'il eût eu la guerre, il fit
drefler autant d'autels qu'il y avoit de fleuves, leur fit
un facrifice, & s'avança enfuite de trente ftades. •
1 2. 11 pafla de là dans le pays des oxydraques &
«les mailiens , peuples habituellement ennemis en tout
autre temps , mais réunis alors à caufe du danger commun
: ils avoieat armé leur Jeuneffe au 'nombre de
quatre-vingt-dix-mille hommes de pied, outre dix-mille
chevaux & neuf-cents quadriges. Mais les macédoniens f
qui s'étoient crus quittes de tout danger, voyant qu'il
leur reftoit à recommencer la guerre contre les nations
Tome IL L

24* LIBER IX. CAP. IF.
t'eus fupertjfe cognoverunt, improvifo metu ter*
riti, rursiis fediùofis vecibus regem imrtpare cœperunt
: Gangen amnem & qua ukra tffent non
coaBos tranfmitîere, non tamen finijje fed mutaffe
hélium; indomiûs gtntibus fe objeBos, utfanguine
fup aperirtnt ei Oceanum ; trahi extra fidera &
folem , cogiqut adiré qua mortalium ocuiis na~
tura ,fubduxcrit ; novis idenùdem armis novos
hoftes exiflere ; qtms ut omîtes fundant fugentque,
quod pmmium ipfos manert ? ealiginem, ac tene*iras
9 & perpetmm no&em profimdo incubanttm,
replètum immanium bettuarum gregibus frétant,
immobiles undas in quibus emorkns natura
defecerit^ Rex, non fuâ , fed militum folicitu—
dine anxius, concione advocatâ , docet, imbel~
les ejffe quos me tuant ; nihil deinde, prœter-has
gentes, obflare quo minus , terrarum fpatia emenjî %
adfinem fimul munit laborumqm perveniant ; ctffiffe
lïïu mementibus Gangen & tmâtitudinem na~
tionum qum ukra amnem- ejfent ; decknaffe iter eo<
ubi par gloria, minus perkulum effet ; jam profpicen
je Oceanum, jam perflare ad ipfos auram'
mark ; ne inviderent ftbi laudem quam peteret ;
Herculis & Liberi patris terminas tranfituros illos,
régi fuo , parvo impendio % immortalitatem famm
daturos ; paterentur fe ex Jndid redire , non fu~
gère.
r 13. Omnls muldmdo, & msximè militarisa
mobilï impem fertur; m, fedit'wnis non remédia

LIVRE IX. CHAP. IF. 243
les plus bellîqueufes de flnde, furent frappés d'une
épouvante loudaine , & recommencèrent à tenir contre
1e roi des propos féditieux : qu'à la vérité iî ne les «voit
pas forcés de palier le Gange & d'aller encore au delà,
mais que la guerre n'étoit pas finie pour cela Ht qu'elle
n'étoit que changée ; qu'il les expofoit contre des
nations indomptables, pour s'ouvrir, au prix de leur
fangj une route vers FOcéan; qu'il les trainoit hors
des limites des ailres & du foleil, & les forçoit d'aller
en des lieux que la natute a voulu dérober aux regards
des mortels ; que Iî de temps en temps il renouveloit
leurs armes, il fe rencontroït iîe nouveaux ensemis
; nais quand ils feroient venus à bout de les diffiper
& de les mettre tous en fuite, quel profil leur
«n fevieedroit-il ? des brouillards, des ténèbres, une
suit perpétuelle qui couvre la face de la mer, un gouffre
-rempli de moaftres énormes 9 des eaux croupies où îa
sature expirante ne peut plus agir. Le roi, moins agité
de fa propre inquiétude que de celle de fes foîdats , les
affembia & leur remontra, que les peuples qu'ils redoutoient
tant n'étaient point agguerris ; qu'au delà rien
n'empêcheroit plus qu'après avoir traverfé toute la terre,
ils ne touchaient aux extrémités du monde & à k Un
de leurs travaux; qu'il avoit bien voulu céder à la
crainte qu'ils avoient eue du Gange & des nations nombreuses
fituées par deîa ce fleuve ; qu'il avoit pris une
route éilféreîife f où la gloire étoit égale & le péril
moindre ; que POcéan étoit déjà fous fesïeux, & qu'euxmêmes
fentoient déjà le vent de la mer ; qu'il les prieit
dt ne pas lui envier k gloire à laquelle il afpiroit ;
qu'ils auroient celle de pafler les bornes d'Hercule & de
Bacehus, &. d'aflïîrer à leur roi, fans qu'il leur en
coûtât beaucoup, une réputation immortelle ; qu'ils
euffeat au moins la patience de fe retirer de l'Inde avec
honneur 9 au lieu d'en fortir en fuyant*
1.3 • Toute multitude, & principalement la foldatefque,
fekiffçiiffipeatemporter an - changement; aufli ne fau>
L ïj

244 LIBER IX. CAP. IV.
quam principia majora funt : non alias tam alacer
clamor ab exerdtu eft redditus 9Jubentium ducerei
dus fecundis , & œquaret gloriâ quos amularetur.
Latushis acclamationibus, ad hoftes protima caftra
moviu Vaïïdiffime indorum génies erant 9 & bellum
impigrè parabant ; ducemque ex natione .oxy~
dracarum fpeclata virtutis tkgerant, qui fub radicibus
montis caftra pofuit , laùque ignés , ut
fpeciem multitudinis augeret, oftendh ; clamore
quoque ac fui moris ululatu idtmtidem acquiefcentes
macedonas fruftra terrere conatus. Jam lux appetebat,
quumrex 9 fiducie acfpeiplenus, alacres milites
arma capere & exire in aciemjubet. Sed, metunei
An feditione obortâ inter ipfos , fubito profugerunt
barbari ; cerù avios montes & impeditos occupaverunt
: quorum agmm rex fruftra perfequutus ,
impedimenta cepit.
14. Perventum delnde eft ad oppidum oxydra-
'tarum , in quod plerique confugerant, haud majore
fiduciâ mctnium quam armorum, Jam admovebat
rex 9 quum vates montre eum cœpit, ne commit"
teret aut cerù differret obfidionem, vitm ejus péri-
,€ulum oftendh Rex, Demophoonta ( is namque
vates erat ) intuens, Si quis, inquit, te arti tua
intentom & exta fpeftantem fie interpellet, non
dubitem quin incommodus ac moleftus videri
tibi poffit : & quum Me ita prorsus futurum
refpondiffet ; Ceniefîie , inquit, tantas res? non
pecudum fibras, ante ©cwlos habenti, ulluni efle

LIVRE IX. CHAP. IF. 245
a pas de plus grands"moyens pour calmer fes mouvements
féditieux que pour Ses exciter ; jamais l'armée
a'avoit pouffé un cri de joie plus vif, tous prièreni
le roi de les mener fous la protection des dieux, &
foufaaitèrent qu'il égalât la gloire de ceux qu'il prenok
pour modèles. Charmé de ces acclamations, il marcha
fans délai contre les ennemis. C'étaient les peuples les
plus vaillants d'entre les- indiens, & ils fefoient de
grands préparatifs de guerre ; ils avoient choifî parmi
les oxydraques un Général d'une valeur éprouvée, qui
s'était campé au pied d'une montagne, & avoit fait
allumer au loin quantité de feux pour faire paroftre
fon armée plus confidérabïe ; il effaia aufli de temps en
temps, mais fans fuccès, par des cris & des hurlements
qui leur font ordinaires, d'épouvanter les macédoniens
pendant le repos de la nuit. -Le jour commençoit
à poindre, quand le roi s plein de confiance &
d'efpoir, voyant fes gens en bonne difpofition, leur
commanda de prendre les armes & de fortir en bataille.
Mais les barbares, foit que la peur les faisît ou que
la divifion fe mit entre eux, prirent tout à coup la
fuite; au moinf gagnèrent-ils des montagnes écartées
& d'un accès difficile : le roi les ayant pourfuivis en
Yain, fe faifit pourtant de leur bagage.
14. Il pouffa alors jufqu'à la ville des oxydraques ,
où la plupart s'étoient réfugiés, quoiqu'ils ne comptaient
pas plus fur leurs murailles que fur leurs armes.
Il fefoic déjà fes aproches, quand un devin lui donna
avis, de ne pas commencer ou au moins de différer le
fiège, parce qu'un préfage annonçoit que fa vie y feroit
en danger. Le roi, regardant Démophoon ( c'était le
nom du devin), Si quelqu'un, lui dit-il, lorfqut tu es
lien attentif aux règles de ton an & occupé de l f examen
des entrailles des animaux, venoit t % interrompre de cette
manière, je ne doute pas que tu ne le tinjfes pour un
homme fâcheux & importun ; & celui-ci en étant convenu
de bonne foi; Crois* tu $ ajouta le roi f que, tandis que
je fuis occupé d'affaires fi grandes 9 & non d f entrailles
L iij

246 LIBER IX. CAP. F.
majut impedimentum qnam vatem fuperffitïoiîe
captum ? Nec dimiks quam refp&ndit moratms ,
admoveri jubet fcdas , cunëantibusqm céleris
evadh in murum. Angufia mûri corona erai ; non
pinmt fieut alibi faftigban ejus aWmxerant , fei
perpétua brica obduBa tranfitum ftp ferai : kaque 9
rex hmrebat magis quant fiabat in margîne , clypeo
undique ïncidenûa tela propulfans 9 nom undi-*
que eminus ex tumbus petebatur; net fubtre m'dius
poterant, quia fupemi m îehrum obruebanmr*
Tandem magnkudmem perkuii pudor vicit » qmppe
cernebant cun&Mwne fuâ dedi kofiibus regem* Sed
fiftmando nmrabantur amcMia : nam dum pm ft
quisque certat evadere, oneravêre fealas , qui"
bus non fujficientibus devohd , unkam fpem régis
ftftllenmt ; fiabat enim in confpeBu tami exerch
tus 9 vehu m foûtedme defiimus*
V. famque lavam 9 qui clyptum ad Mus cït**
cumferebat, laffamrat, chmantibus amkis ut ad
ipfos defâbret, ftabantqm excepturi ; quum Mie
rem au/us mcredibUem atque ïnauHtam , tmdtoque
magis ad famam temerkaûs quum gbrim infimem :
namque in urbem àojiium plenam pmcipiit faim
femeàpfe ïmmifit $ quum vix fperare pojfet dimicantem
cerû & non mdtum efft tmritumm 9
qmppe amequam, affumeret opprbm poterat & capi
vivus. Sed forte ita Iwraverat corpus 9 ut fi pedibus
exciperet : itaque 9 fians mit pugnam, 6» ne
eircumiri poffht Fortuna provider au Vetufia arbor,
haud procul muro, ramos muM fronde veftitos

LIVRE IX. CHAP. V. 247
de bèîêi, rim puiffe m*arriver plus à contnumps qu*un
devin fuperfikkuss ? Sans larder plus long temps après
cette réponfe $ il fait planter les échelles t &' pendant
que les autres temporifent il gagne le haut de la mu*
raille. Le couronnement en étoit étroit; elle n'étoit
point partagée en créneaux comme on le fait ailleurs",
mais un (impie cordon qui régnoit tout autour en défendoit
l'accès : de manière que le roi étoit plus tôt accroché
qu'affermi fur le bord, parant avec le bouclier
les traits qu'on lui iançoit de toutes parts , car on
l'ajuiteit de loin et deffus• les tours ; d'un autre côté
(es gens ne poavoient le fuivre, parce que d'en haut
on les accabloit aulli de traits. Enfin la honte l'emporta
fur la grandeur du péril, parce qu'ils virent que leur
lenteur livrait le roi*aux ennemis. Mais leur empreflement
même retarda le fecours dont il avoit befoin ; car en
s'efforçant tous à l'envi de parvenir en haut, ils chargèrent
fi fort les échelles f qu'elles ne purent réflfter,
& la chute des foldais enleva au roi L'unique efpérance
qui lui refîolt ; de manière que t fous les ieux d'une fi
puiffante armée f il fe voyoit aulli complètement abaa-»
donné que s f ii eût été feul.
K Déjà il ae pouvoit plus s'aider du bras gauche f
qui jufques là lui avait fervi à parer Ses coups de tous
côtés en préfentant le bouclier $ & fes officiers y lia
criant de s'élancer vers eux t fe piétoient pour le rece-
•oir ; quand il ofa prendre une réfolution incroyable 6ç
' fans exemple, beaucoup plus propre à immortalifer fa
témérité que fa valeur : car il fe précipita lui-même de
plein faut dans une ville pleine

248 LIBER IX. CAP. V:
vilut de induftriâ regem protegentes objecerat j
hujus fpatiofo flipiti corpus, ne circumiri pojjct9
applicuit, clypeo tela quœ ex adverfo ingenbanîur
excipiens : nam quum unum procui tôt manus*
petertnt, nemo tamen audebat propiùs accélère ;
mjjilîa ramis plura quam clypeo incidèbant. Pugnabat
pro rege primum cekbrati nomïnis fama %
deinde defperaùo ,. magnum ad honeftè morimdum
incîtamtntnm : fed quum fuhinde hofiis affinera »
jam ingentem vlm ttlorum exceperat clypeo, jam
gakam ' faxa perfregerant , jam contimio labore
gravia genua fuccideranL Itaque contemptim &
incautè qui proximi Jlêterant incurrerunt : è quibus
duos gladio ha excepit ut ante ipfum exanïmes
procumberent ; nec cuïquam deinde propiùs incef
fendi eum animus fuit % procui jacula fagittasque
mittebant*
16. Ille 3 ad omnes iBus expofitus 9 mgrè jam
exceptum poplhibus corpus tuebatur ; douée indus
duèrum 'cubitorum fagittam ( namque 'mats , ut
antea diximus, hujus magnitudinis fagitm erantj
ha excujfit, ut per thoracem paulum fuper latus
dextrum infigeretur : quo vulnere affiiBus, magna
vi fanguinis emicante , remifit arma moribundo
fimilis, adeoque rêfolutus ut ne ad, vellendum quidem
telum fufficeret dextra. Itaque , ad exfpolian~.
dum corpus . qui vulneraverat, alactr gaudio ,
accurrit ; quem ut injicere corpori fao manus fen*
fit, credo , ultimi dedecoris indignitate commotus #
iinquentem revocavit animum & nudum hoflis latus
fubjeBo mueront haufit. Jacthant circa regem triai
corpora, procui ftupentibus ceteris : Me ,ùt9 antequam
ultimus fpiritus deficeret, dimicans jam ex*

LIVRE IX. CMAP. V. 149
fêmbloîent s'étendre exprès pouf couvrir îe roi ; afin
4e n*être pas enveîopé, il s'appuya contre îe tronc,
fui étoit fort gros, recevant dans ion bouclier tous les
traits qu'on lui lançoit par devant : car quoique tant
d'ennemis n'en voulurent qu'à lui de loin, aucun n'ofoit
f approcher ; & il tomboit plus de traits fur les branches
que fur fon bouclier. La grande défenfe d'Alexandre
étoit premièrement la gloire de fon nom répandue partout,
puis le défefpoir, ce puiflant encouragement à
chercher une mort glorîeufë : mais le nombre des ennemis
ne fefant que croître à chaque moment, fon bouclier
étoit,déjà ,chatgé* d'une quantité prodigieufe dé
traits, fon cafque avoit été brifé par les pierres qu ? on
lui a voit lancées , & excédé de la^ fatigue d'une
fi longue défenfe il étoit tombé fur fes genoux. Alors
ceux des. barbares qui étoient les plus proches coururent
fur lui .fièrement & fans précaution : mais il en
reçut deux fi-vigbureufement avec fon épee , qu'ils tom«
bèrent - morts devant lui;'6c de ce moment perfonne
ffôla plus rapprocher de fi près, on fe borna à lui décocher
«M; loin des'dards & des flèches.
- . 16» Expofé à tous les coups, il aroit déjà bien de la
peine à fe défendre fur fes genoux; lorfqu'un indien
lui tira fi jufte une flèche de deux coudées (car c'eft,
comme je l'ai dit, la longueur que les indiens donnent
à leurs flèches ) f qu'à travers fa cuiraffe elle le perça
lin peu au deffus du côté droit : abattu de ce coup &
toerdant beaucoup de fang s>il îaiffa aller fes armes comme
ril eût été mort, & véritablement fi affoibli que fa main
ne ptit tirer le dard de la plaie. Celui qui l'avoit bleffé
'accourut donc, plein dé joie, pour le dépouiller; mais
•dès qu'il fentit mettre la main fur lui," outré, je : n'en
doute point, de l'indignité de ce'dernier opprobre, 11 fe
ranima & plongea fon épée dans le flanc de fon ennemi
qui étoit à découvert. Trois corps étendus autour da
roi tinrent les autres éloignés dans le plus grand étonnement
: cependant, avant de perdre tout à fait conooiffaaçe,
voulait faire effort pçur mourir en combat-
L Y

ifû LIBEM IX. CAP. V.
ftingueretuf | ttype& fi éUevare eonatus -eft j &
poftquam êd connhmdum tûhll fupiremt vinum9
dextrd impendentes ramas Complexées , tentaèai
affurgere : fid % ne fie quldem potens eorporis% rur»
sus in gtnua procumbks manu provocant ho fies 9
fi quu congredi*audereh
17» Tandem Peuiejtas * pet aliam oppi£ par*
tem deturbaûs propwgnatoribus mûri % vefligka pet*
fiquens* régi fupervenk ; quû confpeBo 3 Akxam
der È jam non vit* fudt fid môrtis fitatium fuper*
venijje ratui , cfypeo jaûgatum torpus exceph !
fubit inde Timmus ^ & paulo pofi Èeonmtus j kuk
Ariftonus fupervenk* Indl qûoque 9 qUum intrd
mœnia rtgem efie eomperifient » omijfis cetiris t
iiiuc concurrtrunt urgebantque protégeâtes i.. ex qui*
eus Timetus * multis adverfo iorp&re ^mÈnedbai
accepûs egregidque édita pugnd, cecidk; Ptuctfi
ms quoque 3 tribus jatuiis confbjffus, non fi ta*
men /but» » fid regem tuebatur ; Zeonmtus t dum
avide mentes barbaros fubmovet, cervict graviter
iêd, fimianimis procubuk ante régis pedes, Jant
& Peuccftas , vuineribus faûgalûs % fubmiferat
ilypeum : in Arifiono fpes ultima hœrebat ; hic
quoque 3 graviter faucius * tantam vim hofiium
ultra fuftintre non poterat* Inttr hmc ad macedo*
nos regem eeàdiffi fama ptriata efi* Terruifiet
miiês iquod-Uiôs meitavk ; namque perituB omnis
immemores 9 dohéris perfiegert murum, & quâ
moiitè étant aditum hrruptre m mrbem^ mdosqui
phres fiigkmtes quam congredi aufos ceàderunt ;
êon fimbusÈ non fiminis * non infantibus pareil
fur; qukqnis occurterat* ab illo vulmratumregem

LIFRê IX CMAP. F, 25t.
tant s il effaya de. fe. relever «s s'aidant de fou bon*
clier; & n'ayant plus trouvé de forces pour y parvenir*
il fe prit aux branches qui penchoïent vers lui pour
tâcher de fe relever: mais se pouvant même avec ce
fecours fe difpofer à fon gré, il retomba fur fes genoux,
fefant ligne de îa main aux ennemis,, &'dé fiant quiconque
©feroit venir îe Combattre.
iy. Peuctfte , après avoir forcé pat'un autre côté de
la place ceux qui défendaient la muraille , cherchant
à fuivre le roi de près -, le joignit enfin ; &• à fa-vue ,
Alexandre, jugeant qu'il étoit arrivé à temps, tien peur
lui fauver la vie, mais pour être, fa coiifolatiôa à Im
mort, céda à la fclbleffe & fe biffa aller fur fon bou*
clier : un moment après fument Timée, & bientôt Léon*
natus t qui eft fuivi de près pat Ariftone» Les .indiens
de leur côté, ayant appris que le roi étoit dans la ville s
•Ibandonnent le relie, accourent tous à l'endroit où il
eft, & preffent vivement ceux qui îe défendent : Timée,
l'un d'eux, après avoir reçu par devant plufieurs bief*
fûtes 8c fait une belle défenfe, demeura fur îa place ;
«l'autre part Peucefte, quoique percé de trois dards jcoutroitdê
fon bouclier, non fa propre ptrfonne } mais
«elle du roi ; Léonnatus s en repouffant les barbares
*qui fondoient de toute part avec ardeur, reçut à la tête
un coup violent qui l'étendit à demi mort aux pieds de
fon maître. Déjà Peucefte t afbibli par fes bleffures f
«voit baiffé fon bouclier : il n'y avoit plus d'efpéranee
•qu'en Ariftonef mais bleffé lui-même grièvement, il ne
pouvoit plus foire face à tant d'ennemis. Cependant lé
ferait fe répandit parmi les macédoniens que îe roi étoit
mort. Ce qui en eut étonné d'autres, ne fit que les
•mimer : car fans faire aucune attention au péril, ils.
«battirent la muraille à coups d'inftniments de fer, &
entrant .en foule par la brèche, ils. 'tuèrent us - grand •
nombre d'indiens plus empreffés, de fuir que de «fe défendre
ï vieillards, femmes, enfants, rien se fut épar?
gné ; quicaoque fe trouvoit fous leur main, ils- le-regat»
tloieAt comme ayant frappé le reii en"un mot ils maflfa-*
L vj

iji LiffER IX. CAP., V. '.
tffe sredebmt ; 'tandemque mternecwne Boftîum
jufl* ïm r partMatum eft. Ptdlemaum, qui poftea
regnavit, kuk pugnœ adfuijfe au&or eft Clitarchus
& Timagenes ; fed ipfe % fcilicet gtor'w fu& fpiculo evulfa , • mgens vis fanguims
Manare cœpit , Imquique. animo rex & , caligrue
oculis offufâ , veluti moribundus extendi £

lîFME 'IX CM-A'P. K It­
érèrent touice'qu'ils purent d'ennemis, qu'ils immolèrent
à leur jafte .reffentiment. Ptolémée, qui régna depuis, Ce
trouro.dans cette mêlée, s'il en faut croire Clitarque &
Timagènes ; mais lui-même , qui n'a rien ©ublié de ce
qu^pouiroit contribuer à fa gloire, a écrit qu'il n'y
étoit point, ayant été détaché pour une autre expédition
: tant a été grande l'impudence, ou, ce qui n'eft
pas un moindre vice, la crédulité de ceux qui ont raffem-
Wé les monuments anciens de l'Hiftoire !.
^18. Quand on eut reporté le roi dans .fa tente f les.
médecins coupèrent fi' adroitement le bois de îa flèche
qui lui étoit entré dans îe corps, qu'ils n'ébranlèrent pas
le fer : puis quand on l'eut déshabillé, ils ©bfervèrent
que la flèche étoit dentelée, & qu'on ne pouvoit-, fans
danger, la tirer autrement qu'en coupant les chairs pour
élargir la plaie; on craignoit d'ailleurs que cette opéra-
. tfon ne caufàt une hémorragie, parce que c'étoit une
flèche confidérable, profondément enfoncée, & qui
fembloit avoir pénétré jufqu'aux parties nobles, Critobuie
, médecin diftingué, mais embarraffé dans une occafion
fi périlîeufe, n'ofoit entreprendre cette cure, de
peur qu'on ne rendit fa tête refponfable du fuccès peu
favorable qu'elle pourroit avoir. Le roi s'étoit aperçu
de fes^larmesKde fa crainte, & de la pâleur que lui
donnoit fon inquiétude: Qu f attende{~vous9 lui,dit-il,
pourquoi diffêre^vous % & ne me dilivrc^vous pas promp*
tentent de ce que je foùffre, pulfque 'je m'ai plus qu'à
mourir ? Dcvei " vous craindre qtfon ne vous Vimpute f
'quand il efi conftati que ma bhffure efi incurable ? Mats
enfin Critobule, raffûré ou feignant de l'être, l'engagea
àfe lâifler tenir pendant qu'on tireroit le fer delà plaie ,
parce que îe moindre mouvement de fon corps pouvoit
être très-nuifible : le roi l'affûra qu'il n'étoit befoin de
^ ferfonne pour îe tenir t & tint en effet fon corps fans
aucun mouvement dans la fituaîion qu'on lui avoit prefcrite.
L'incifion fe fit donc , & îe fer fut tiré -, mais iî y
eut-une hémorragie confidérable, îe roi fe trouva ma!,
jfe$ ieux sWçurçirent, &"il fe iaiflk aller çomine s'il

i?4 LîBëR IX CAP. VL
qmumqm proftwwM medkàmtnàs fiufifd mhik«
nnt, clamer fimul atque ptoratus amcorum ori*
iurÈ rtgem exjpîraffi erêdenhum l tandem confiai
fangms* pamaûmque animum recepit* & c'ircum*
Jiantes capit agnofcere» Toto io die ac noBt quS
fequuta efi, armatus exerckus regmm obfedk »
confeffiu omnes umus fpiritu vivtre ; me priés
recefferunt > qmam compemm eft fomno paujifper
mcqukfctre : hinc cermrtm jptm fakîu ejus m
caflra rttuhmmt*
VI. ' Rex , feptem iîehus carato vulntre s me
mbduBâ cicatrice È quum auSffet convaluiffi apui
barbares famam mortis fiuz % duobus navîgus junc*
tis » fiatui in médium undique confpkuum taber»
nacuhmjujjït % ex qim fe ofienderet periiffe cre*
dentibus ; confpeêusque ab incolk * fpem •hofihm
falfo mmem cmceptam inhibait* Secundo demde
amne defiuxk^ aûquantum intervaUi à cetera claffi
prkcipkns > m quks 5 corpori invalide adhuc ne~
teffaria > pulfm remorum impedketur. Quarto pofi*
quant navigare emperaî dit , pèrveml in regionem *'
defertam 'quidem ab incolu, fedfiumento & peco»
ribus aèundantem; placuit u locus & adfuam &
sd milkum requkm. Mos tral pr'mcipïbms amko~
rum & cuftûdièus corporu $ excubart ante pmto*
tiumqmtks régi adverfa valetudo incidiffht ; hoc
ium more qmoque fervato * nmverfi embiadum ejm
entrant* Ilù9 folk tus ne quidmm affsrrems quia
fimul vénérant , percontatur num kojiimm recette
nttnciaretur adventus*
ftQ. At Craterus> cui manddtum état ut amico*

LtrMM IXïCHAP. VI. 155
étoit près de mourir ; tout les .remèdes fe trouvant
Inutiles contre l'hémorragie, Tes officiers f perfuadét
qui! étoit mort, fe mirent à crier 6c à veffef des
jpîeurs t le 'fang enfin s'arrêta f le roi revInt peu à peu f
& commença à reconnottre ceux qui étoient autour de
lui. Pendant toute cette journée & la nuit fuivante s
Farmée relia fous les armes autour de fa tente $ con«
feuant que la ivi«. d'eux tdus se dépendait que de la
fiertne ; cl ils rie fe" retirèrent que quand on fut alTârd
fu f ii prenoit-un pctr.oVfoiBmeU & de repos t cela lm
fit retourner au-camp avec plus d'efpérance de voit
fon rétablitTement. -,
VL Au bout de fept jours, fa plaie étant, en bon 1 état*
quoiqu'elle ne fût pas encore cicatrisée, comme il fut
que îe bruit de fa mort atoit pris crédit parmi le*
barbares-, il fit attacher enfemble deux• talffeaux, &
drefler fa tente au \ milieu pour être -vue de tout lé
monde, afin de fe montrer à ceux qui le "croyoient
mort; & ce fpeûacle mis fous les ieun dea habitant*
ruina l'efpérance que cette fauffe nouvelle avôit .donnéi
aux ennemis. 11 defcendit enfuite le fleuve % après avoir
ordonné au relie de la flotte de biffer entre elle Ôt
lui quelque diftancé , de peur que l'agitation des rames
ne fût un ©bftacle au repos qui lui étoit néccflàire dans
Pétst de foibleffe où }1 étoit encore. Le quatrième jour
depuis fon embarquement! il arriva dans'un pays fVI'»*
titablement abandonné par les habitants, mais où abon»
doit le bled & le bétail ; cet endroit M parut favorable
& à fon propre repos & à celui des troupes. C'itolt
Fufage que les principaux de la' cour & les gardes du
corps filent la garde pendant la nuit devant la tente du
toi toutes les fois qu'il étoit malade j comme on fe
confotmoif escôre jffors à cet ufage , ils entrèrent tous
dans- fa chambre à coucher. Le roi, craignant quelque
nouvelle fâcheufe, parce qu'ils étoient venus tous éç*
femble , leur demanda avec empreffement s'ils venoient
lui apprendre une nouvelle apparition des ennemis. *
ao* Mais Cratère 9 qui a?o}t charge de lui porter Hr***

156 : LIBER IX: CAP-.^Î."
mm precès. verfertet'ad eum r Cfecfisflé , inquif}
adyentir in'agis hc^Hùm f ut Jam in yallo confit
terent, quam cura falutis tuae $-. ùt mine éft tibi
vilis, nos effe folicites ? Quantalibet vis omriium
gentium 'confpiret in nos » impleat armis-,
virisque totum ©rbem, claffibus .mark-xonfter-nat,
inufitaîas beHuas inducat $ -ta' nos praeftabk
Snvtâosi Sed- qtùs deofitm hoc Maœdonia colutnen
ac fidûs ;diuturtîûlfî" , fôre' i poIlkéîi poteft i
quîim'tàm 1 aVidèWiiifèllis jîéricuîis oflferas cforpus
, oblitus tôt ciyium animas Vrahe're te itt
cafum ? quîs enim tîbi fuperftes ' atit optât efle
aut poteft ? ' êo pervenimus , aufpicium. atque
imperium, feguutï tuum:, unde, nifi: te reduce *§_
vmi -ad; pénates fuos iter eft. . '.
.r..Qui-fi: adhiic de Perfidis* regnd ctim.Daria
«Umicares r> etfi ' mémo vellet, tamën ne admi-
Tari qiââem'- poffet tam promt» effe te ad ornue
diferimén -audacia : nam ubi paria funt ; - pericuium
ac praemium , & fecundis 'rébus ampHor
fraôus eft , & adverfis folatium majus. Tuo>
yero capite ignobilem vicum emi quis ferat,
jççn tuorum modo militum , _ fed ullius etiam
gentis'c%î:barae civis qui tuam magnîtudinem
jjovit ? Horret animus -cogitatione ,.rei quam
•paulo.antê vidimus* £loqui timeo invij&i corporis
fppliis inertiiîimos manus fuiffe'injecliiros ,
•nifi te interceptum mifericors in nos Fortuna
-fenraffet. • •
'•' ' Totidem proditores , totidem defertores ûh
Sfnus , quot te non potuimus perfequi : univer-
"fqs licet milites ignominiâ notes ; nemo recu-
Tabk luere id, quod ne admitteret praeftare non
•potuit. Patere nos , jquaefo, allô modo effe viles

LIVRE IX. CHAP. VI. 257
prières de toute la cour, lui dit : Croyez-vous que l'arrivée
des ennemis, fiijfent-ils déjà dans nos retranchements 9
nous donnât plus d'inquiétude que le foin de votre conservation
, dont vous faites maintenant fi peu de cas ? Que
toutes les nations confpirent contre noust avec telles forces
'qu'elles •voudront, qu'elles rempliffent Vunivers entier de
leurs armes & de leurs foldats, qu'elles couvrent la mer
de leurs flottes f qu'elles amènent des monflres contre nous ;
avec vous, nous ferons invincibles. Mais quel dieu peut
mous répondre que cet appui, cette lumière de la Macédoine
, fubfiflera long temps, lorfque vous expofe\ avec
tant d'ardeur votre ptrfonne à des périls évidents , & que
vous oublie^ que votre perte tntraîneroit celle de tant
de citoyens-? car qui de nous voudroit ou pourroit vou?
furvivre ? en fuivant vos aufpices & combattant fous vos
ordres f nous en fommes venus au point que perfonnt ne
penfe à retourner dans fa patrie tfi vous n'y retourne^ vous*même»
. Si vous en étîe\ encore à difputer a Darius l'Empire
de la Perfe, quoiqu'on ne vit pas fans peine votre bouil*
lante ardeur â affronter tous les dangers, on la trouveront
toutefois moins étrange : car dès que le péril & la récom~
penfe vont de pair, un heureux fucces eft plus avantageux ,
6» Von fe confole plus aifément d'un malheur. Mais que
votre tête devienne le prix d'une bicoque f qui pourroit le
fouffrir f je ne dis pas feulement d'entre vos foldats 9
mais même dans aucune nation barbare qui aura la moindre
connoijfance de votre grandeur ? Je frémis d'horreur s quand
je penfe à ce que nous venons de voir. Ce n'eft qu'em
tremblant que je rappelle que les dépouilles d'un héros
invincible alloient pajfer dans les mains des hommes les
plus lâches s fi la Fortune s prenant pitié de nous % ne vous
eût heureufement confervé*
Nous fommes autant de traîtres s autant de diferteurs ,
que nous fommes de malheureux qui n'avons pu vous fuivre
jufqu'où vous ave^ été : vous ave^ droit de noter d'infamie
toute votre armée ; perfonne ne refufera d'expier cette faute %
quoiqu'involontaire. Mais fou'ffrei, je vous en conjure, que

258 LIBER IX. CAP. FI.
fibi : quocumque jufferls ibimus ; obfcur a beHa
& ignobiles pugnas nobis depofcimiîs ; temetipfum
ad ea ferra pericula quae magnitudinera
tuam capiunt. Cito gloria obfolefcit in fordidisboftibus
; née quidquam indignios eft, quam
eon&mi eam obi non poflk oftendi. Eadem
firè Pmkmmus, & fimUia us ceteri ! jamque eoufufis
vocibus mm orabant ut tandem exfatiam
laudi msdmm faceret, ae faluti put, id eft , pu-»
blica , panent.
ai. Grata trot régi pietas amicorum : haque i
fingubs familiariàs amplexus ,, confidtre jubet ;
nMksquî fermone repetito , Vobis quidem , inquit^
ô fidiffimi piifEmique dvium aîque amicorum %
grates ago habeoque , non folum eo nomine
quod hodie falutem meam veftra prseponitis ,
fed quod à primordiis belli nulhim erga me
benevolentiae pignus atque indicïum omififtis ;
adeo et confitendum fit nenqeam mihi Titam
meam ftûffe tam caram , qeam effe coepit ut
vobis din frai poffim. Ceteram , non eadem çft
cogitatio eoram qui pro me mori optant &
mea, qui quidem banc benevolentiam Yêftram
virtute tneruiffe me jndico : YOS enim dioternum
fruâum ex me, forfitan etiam perpetuum*
percipere cepitis ; ego me métier, non aetatis
lpatio, fed gloria. Iiadt paterais opibus contento
intra Macedonia terminos per otium corporis
exfpeôare obfcuram & ignobUem feneflutem
; quanquam ne pigri quidem fibi fata dit
ponunt, fed unicum bonum diuturnam Yitam

LIVRE IX. CHAP. VI. x^
Vhumiliation dont vous meus jugere\ dignes prenne une
autre forme : nous irons partout où vous voudrei : nous
demandons pour nom ces expéditions obfcures , ces aUions
fans éclat j & rêferve\ votre perfome pour ces occafions
de marqua qui répondent a votre grandeur» On voit bientôt
fe ternir une gioire qu'on n f squiert que fur des ennemis mi»
prifables ; & il n'eft rim de plus indigne que de la prodiguer
, dès qu'on ne peut pas s'en faire honneur. Ptolémée
lui dit à peu près la même chofe t & les autres parler
rent dans le même fens ; à la fin tous indiftinôement
le prièrent d'apporter quelque modération à ce défir
de gloire qui devoit enfin être fatisfait, & de fonger
à fa conferTation , c'eft-à-dire , à celle du bien public.
21. Ce témoignage de FatfeÔIen de fes courtifans
fut agréable au ro! : auffi , les ayant embraffés l'un
après l'autre avec plus de îendreffe qu'à l'ordinaire f
il les fit affeoir; & reprenant le difcours de plus haut.
Je vous rends grâces , leur dit-Il, & vous ai de grandes
obligations t 6 les phs fidèks des citoyens & Us plus
tendres des amis s non fmUmtnt -de ce que vous préférer
muj&mrdhm ma conferv&twn à la vêm » mais de ce que 9
des les cotmmenctmmu de la guerre f il n 9 y a point d'affûtance
& de marque d'attachement que vous ne m 9 ayez
donnée. ; de fine que je fuis contraint £ avouer que la vie
m m'a jamais été fi chère qu'en ce moment , par le
défit de .jouir long temps de vous» Au refte 9 nous n'avons
pas la même manière de penfer, moi & ceux qui
fouhaitent de mourir pour moi, dent je me flatte d i 'avoir
mérité la bienveillance par ma valeur mime : car vous
voudrie\ goâter long temps \ & peut-être étemeMemmt t
h plaifir de m'avoir avsc vous ; & moi , je mefmte mou
exifttnee, non fur la longueur de ma vie, mmis fur
l'étendue de ma gloire. Je pou-vois , content de t héritage
de mes pires, me renfermer dams les bornes de la Macédoine
& y attendre dans l'inaction une obfcure & honteufi
vieillejfe ; quoiqu'à dire vrai s les princes oififs nt
difpofent pas à leur gré de leur deflinée, & que , tandis
qu'ils m font cas que d'urne longue vie , fouvent

i6o LIBER IX. CAP. VI.
«Aimantes faepe acerba mors occupât : verum
ego f qui 5 non annos meos, fed viôorias numéro
, 'fi munera Fortunae bene computo , diu
vixi.
Orfus à Macedoniâ imperium , Graciant
teneo ; Thraciam & illyrios fubegi ; tribailis
medifque imperito ; Afiam , quâ Hellelponto ,
quâ rabro mari alluitur , poiîideo ; jamque
haud procul abfum à fine mundi, quem egreffus
, aliam naturam , alium orbem aperire
mihi ftatuî. Ex Afiâ in Europx termines moment©
unius horse tranfivi : victor utriusque regionis
poil nonum regni mei, poft vigefimum
' atque o&avum aetatis annum , videorne vobis
in excolendâ gloriâ, cui me uni deyovi, poffe
ceffare ? Ego vero non deero , & ubicumque
.pugnabo, in theatro terrarum orbis effe me credam
; dabo nobilitatem ignobilibus locis ; aperiam
cunâis gentibus terras quas natura longé
fubmoverat : in his operibus exftingui me , fi
fors ita feret, pulchrum eft ; eâ ftirpe fiim.
genitus 9 ut multam priùs quam longam vitam
oebeam optare. '
Obfecro vos , cogkate nos perveniffe in terras
quibus feminae ob virtutem celeberrimum
nomen eft. Quas urbes .Semiramis condidit !
xjuas gentes redegitin •poteftatem !. quanta opéra
molîta eft I nonduni feminam aequavimus gloriâ ,
& jon nos laudis fatietas 'cepit ? Diï faveant !
majora adhuc réftânt ; fed -ita noftra erant qua
nondum attigimus , fi nihil parvum duxerimus
in quo magnae gloriae locus eft. Vos modo m.e
ab inteftinâ fraude & domefticoram infidiis pr«£
tate fecuram \ belli Martisque diferimen impa-

LIVRE IX CHAP. VL 261
ils font furpris par une mort cruelle : mais moi s qui
tiens compte , non de mes années , mais de mes victoires
, fi j 9 apprécie bien Us faveurs de la Fortune, j'ai
beaucoup vécu*
Simple roi de Macédoine en commençant, /« /«ii au*
jourdhui maître de la Grèce ; j'ai fournis la Tkrace &
l'IUyrie ; je commande aux triballes & aux mèdes; je
tiens en ma puiffanct VAfie depuis VHellefpont jufqu'à la
mer rouge ; je ne fuis pas loin maintenant du bout dm
monde, &de la j'ai réfolu de m*ouvrir un chemin vers une
autre nature , vers un autre univers. Dans le court efpact
d'une heure j'ai paffé de l'A fie aux frontières de l f Europe :
vainqueur de 'ces deux parties du monde 'dans la dixième
année de mon règne & la vingt-neuvième de mon âge,
vous femble-t-il qu'il me fbit poffible de m*arrêter dam là
carrière de la gloire , à laquelle je me fuis uniquement
dévoué ? Non, je ne lui manquerai point 9 & partout ou
j'aurai â combattre, je me croirai fur le théâtre du monde ;
j'illufirerai les lieux les moins connus ; j'ouvrirai à toutes
les nations des pays que la nature avoit placés loin £ elles :
mourir, fi le defiin h veut ainfi, au milieu de ces travaux
, c'eftpour moi une belle defiinée ; -je fuis d'un fang ?
qui m'impofe l'obligation de préféra une vit remplie à une
vit longue,
Pmft\ , je vous prie , que nous voici arrivés dans des
contrées qui doivent la plus grande célébrité à la valeur
d'une femme. Quelles villes a battes Sémiramis ! quelles
nations elle afoumifes à fa puiffanee. ! quels ouvrages elle
a exécutés ! nous n'avons pas encore égalé la gloire d'une
femme, & nousfommes déjà raffafiés de gloire? Que les
dieux nous foitnt en aide ! ce font les plus grandes chofes
qui nous refient â faire ; mais nous ne nous rendrons
maîtres des pays que nous n f avons pas encore vus, qu'en
ne regardant -comme petit rien de ce qui peut procurer beau»
coup de gloire» GarantiJf€\-moi feulement des trahifons
mttfi'mes f des trames domeftiqùts -, quant aux kafards de
la guerre & des armes f je m'y expoferai fans crainte ;

iéi LIBER IX. CAP. Fil.
iricbs fùbibo : PMlippus in acte tutior qoam m
theatro fait ', hoftïum manus fepe vitavit, faorum
elïiigere non valuit : aliorum quoqoe regmm
exitus fi reputaveritis , pliures à fuis quam ab
boîte intereintos numerabitis.
Ceteram, quoniam oKm rei agitateîn anime»
me© nunc promenda occafio oblata eft ; mihi
majdmus laboram atque operum meoram erit
fra&Bj fi Olympias mater immortaEtati confecretur
, quandocumque excefferit vitâ: fi liaient
, ipfe prseftabo hoc ; fi me praeceperït
fatum 5 vos mandaffe mementote. Ac tum quidêm
amkos dimifit ; ceterum , ptr compluret dits
ibijlativa âabuiL ,
Vil. H&c dum in Indiâ geruntur, gmci milites-
nuper in cohmas à rege deduRi cires Boita +
ortâ ïnter ipfos [édition* , deficerant , non tam,
AUxandro infenfi quam metu [uppBcii : quippe
oçcifis quihusdam popuiarium, qui vaiidiôres erant
arma fpe&are cœperunt ; & baBrianâ arce; qua.
cafu négligentes ajfervata erat 9 . occupatâ , barbaros
quoque in Jbcietatem defiéîionis impuleranf.
Athenodorus erat princeps eorum , qui régis quo^
que nomen ajfumferat, non tam imperii cupidine ,
quam in patriam revertendi cum ils qui attiforitâtem
ipfius [equebantur. -Huic Bicon quidam , nationis
ejusdem 3 [ed ob mmulat'wmm inftfius , comparavit
mfidias ; invitatnmque ad epulas , ptr Boxum
quemdam margianum * in eonvivio occidit. Pojiero
die concione advocatâ , Bicon ultro mfidiatum fib%
* M&etrimum. Je mets margianum : h Marglant
étoit dans le voifimge de la Baékîane; elles font partie

LIVRE IX. CHAP. VU. iéj
Philippe a trouvé plus de fïïreté dans ks champs de ba~
taille qu'au théâtre ; il a fouvtnt évité ks mains de fis
ennemis , il n'a pu échaper à celles de fes fujets ; fi
vous vous mppek\ la fin des autres mis s vous en trou~
vere\ d*affaffinés par leurs fujets beaucoup plus que de tués
par leurs ennemis.
Au refte, puifque Foccaftom fi 'préfente mujourdhui
de vous déclarer une chofe qui m'occupe depuis long
temps ; k fruit le plus important que je puijfe recueillir
de mes travaux & de mes victoires f fera que ma mère
Olympias foit mife au rang des dieux f des qu'elk aura
quitté la vie : j'y pourvoirai moi-même , fi j*en ai le
pouvoir ; mais fi k defiin m*enlevé avant ce temps, /©«vme\"Vous
que je vous en ai chargés» Là-deflus il congédia
fes courtifans ; & au furpîus f iî demeura campé
plufîeurs jours au même endroit.
VIL Pendant que ces chofes fe paffoient dans l'Inde t
les foldats grecs qu'Alexandre avoit récemment diftriktés
par colonies dans les environs de Ba£tres , s'étant
mutinés entre eux, fe révoltèrent enfuite t moins par
haine contre Alexandre que par la crainte du châtiment :
car après avoir tué quelques-uns de leurs compatriotes ,
ceux qui étoient les plus forts fongèrentà recourir aux
armes; & s'étant faifis de la citadelle de Ba&res, ou
par hafard Ton fefoit affez mauvaife garde, ils entraînèrent
les barbares mêmes dans leur révolte. Ils avolent
pour chef Athénodore , qui avoit même pris le titre
de roi t moins par l'ambition de régner , que pour
retourner dans fa patrie fous l'efcorte de ceux qui
reconnoiffoient fon autorité. Un certain Bicon , de là
même nation , mais fon ennemi par jaloufie , lui dreffa
use embûche ; il l'invita à manger , & pendant le feftin
il s'en défit -par les mains d'un nommé Boxus de la
Margiane. Dans une affemblée qui fut convoquée le
lendemain , Bicon perfuada au grand nombre que c'étoic
l'une & l'autre du pays qu'on nomae aujourdhul Çhoram
fan ou Korafan9 '

164 LIBER IX. CAP. VIL
Athenodorum plerisque perfuaferai: fed'aiiis fuf
peBa fraus erat Bïconïs , & paulatim m plures
cœpitmanare fufpïcio ; itaque, grmci milites arma

Liras IX CMAP. FIL 165
Àthénodore qui le premier aroît voulu le peidre: mais
les autres, fe doutèrent de nmpofture de Bicon, & peu
à peu ce foupçon gagna le grand .nombre ; de forte
que les feldats grecs prirent les armes * pour tuer
Bkoîî fi Foccafion s'en pré'fentoit. Au celle , les
chefs appaifèrenî cette multitude, Bicon , dérobé
contre fon attente à un danger fi imminent 9 ne tarda
pas à machiner la perte de ceux à# cfui il deyoic la
'fie : mais fa trame ayant -été découverte , on arrêta
lui & Boius; du relie f on condamna Boxus à mourir
fur le champ * & Bicon à périr- par la violence. des
tourments* On fe difpofoit déjà à le mettre à la torture
, lorfque Its Toldats grecs , on ne. fait pourquoi ,
coururent aux armes comme des forcenés; -effrajés
de ce bruit , ceux qui étoient chargés du iuppiice de
flicon le biffèrent là s -dans la crainte que ces foîdats
en défofdre -ne vinffent par leurs clameurs empêcher
l'exécution : ee malheureux, nud comme il étoit s
vint fe jeter dans les bras, des grecs ; le pitoyable
état où il étoit, parce qu'on le mefloit au fupplke ^
leur infpira tout à coup des fentiments tout dppofés t.
& ils commandèrent qu'on le laiflat aller. Échappé
deux fois.de cette manière au châtiment de fes crimes »
il retourna dans fa patrie avec les acccef qui abandonnèrent
les colonies, où le roi les avoit placés. Voilà
ce qui fe paffa aux environs de Barres & des frontières
4e la Scythie.
23. Cependant le roi reçut cent ambaffadeurs des
deux peuples dont on a parlé puis haut. lis étoient tous
montés fur des chars, "hommes -d'une riche taille & de
bonne mbe ; ils portoient des robes de lin , brodées '
d'or & enrichies de pourpre : ils lui déclarèrent qu'ils
lie rendoient à lui, eux f leurs villes , & leurs terres ;
qu'après avoir confenré inviolableraent leur liberté
pendant tant de fiècies 9il étoit le premier qu'ils aUoient
en rendre, dépofitaire; que t*étoîent les dieux qui leur
avoient infpiré de fe foumettre, Ôt non la crainte»
puisqu'ils le fefoient ayant encore toutes leurs forces.
Tome IL M

266 LIBER IX CAP. VIL*
eus jupon txcipere* Rex f Confiio habite , ieikm
in fidem accepit, ftipendio quod arachojus utraqm
natio penfitabat impofito • ; pmterea, Il miiim &
S) équités imperat : & omnia obedienter- a barbaris
ficld. Invitaûs deinde ai ipuias kgatis gemium
reguiisque 9 exornari convivium jujpt : centum aurei
ïeiB modiàs intervaUis pofiti erant, kBis circumdederat
aulaa purpura auroque fulgemia ; quidquid
aut apud perfas vetere îuxu aut apud mace*»
donas nova immutaûom corruptum erat3 confufis
Mrmsque gémis vitiis, in itto convivio ojèendens,
Intererat epulis Dioxippus, aîhtnienfis, pugil no**
bilis, & ab exîmiam virtutem virium régi permh
' tus & gratus* Invidi maiignique increpabant, per
feria & iudum , faginati corporis ftqui inutilem
beiiuam; quum ipfipmlium imrent, oko madentem
pmparare ventrem epulis. Eaient igitur in
convivio Horratas, maceao 9 jam temukntus, exprobrare
ei empit , & poftuîare ut, fi vir effet9
poftero die ftcum ferré decemertt ; regem tandem
vel de fuâ temeritate vel de iUius igmvid judica*turum
: & a Dioxippo, comemptim militarem eludeme
ferociam, accepta conditw eft*
24. Ac poftero Me rex , quum etiam aerms
certamen exportèrent, quia deierrere non poterat 9
'' deftinata exfequi paffus eft. Ingens hic militum ,
imer quos erant graci , qui, Dioxippo ftudebant,
convtnerat mukuudo, Mactdo jufta arma fumfe~
rat, etreum clypeum, haftam quam iariflam vacant
hzvâ tenens, dextrâ ianceam, gladioque cinc~
~tus , velut cum pluribus fimui dimkatums* Dio~_

LIVRE IX. CMAP. FIL 267
Le roi, ayant tenu Confeîl, les reçut ea fou ©MIffasce 9
«fi leur impofant le même tribut que ces deux peuples
payoîent aux arachofiens ; Il exigea d'eux , en outre ,
deux-mille cinq-cents chevaux : & les barbares fatisfirent
à tout ponctuellement. Ayant enfuite invité ces
ambafladeurs & les petits rois qui étoient à fa fuite 9
il leur fit préparer un magnifique feftin : cent îits «Ter f
placés à peu de diftance les uns des autres, étoient environnés
de tapifferies toutes brillantes de pourpre &
d'or ; tout ce que Fancien luxe des perfes ou le nouveau
goût des macédoniens avoir introduit de plus exceffif
, le roi le déploya dans cette occafion , tirant
parti indiftinâement des ufages vicieux des deux peu*
pîes. 11 y avoit à ce feftin un athénien , nommé Dioxippe
# athlète fameux, qui étoit particulièrement
connu & chéri du roi à caufe de fa force extraordinaire.
Des envieux & des méchants , tantôt d'un ton
férieux & tantôt en plaifantant 9 lui reprochotent
qu'il n'étoit à la fuite du roi qu'un animal chargé de
graiffe & de nulle utilité ; & que f pendant qu'ils alloient
au combat, il fe frottoit le ventre cfhuile pour le
préparer à la bonne chère. Le macédonien Horratas f
déjà pris de vin , s'avifa donc de lui faire dans ce
feftin les mêmes reproches f & lui propofa , fil étoit
homme de coeur s de fe mefurerle jour fuivant avec lui
l'épée à la main ; ajoutant que le roi jugeroit enfin ou
de la témérité de l'un ou de la lâcheté de Fautre : & Dioxippe
, tout en plaifantant dédaigneûftment cette bra-
'vade militaire $ accepta le défi.
24; Le lendemain, comme ils étolent encore plus
échauffés à demander le combat , le roi f ne pouvant
les en difluader, leur permit d'exécuter leur deflein.
Il y accourut une grande multitude de foldats, & entre
autres les grecs y partifans de Dioxippe. Le macédonien
s*étoit pourvu d'une armure complette, ayant à la main
gauche un bouclier d'airain & îa pique qu'ils appellent
fmiffe, à la droite la lance, & l'épée au côté f comme
s'il eûtdûavûic affaire à plufiewri perfonnes. Dioxlp-
M ij

2 6 8 L I é E R I X . C A P . F I L •
jcippms, oleo nkens & coronatus, lava pumceum
amiadum , dextrâ validum nodofumque ftipkem
pmferebat: ea ipfa res omnium animas cxfpe&atione
fufpenderat ; quippe armato congredi nudum
dementia , mon ameutas, vidtbatun Igkur mace~
do3 haud dub'ms eminks interfici pofle , lanceam
tmifit ; quant Dioxippus quum exiguâ corporis
dtclmaûene vitaflit, antequam ille haftam transferrei
in dextram , ajjiluk & ftipke medîam eam
fiegk.Amiffb utroque telo, macedo gladium cœperai
ftringere ; quem 9 occupamm complexu , pedibus
repente fubduBis 9 Dioxippus arietavu m terram ;
ereptoque gladio, pedem fuper cervkem jacentu
hnpofuk, ftipkem intentons elifurusque eo viêum,
ni prohibkus effet à rege* Triftis fpeëaculi eventus ,
non macedonibus modo, 'fed etiam Alexandre fuît,
maxime quia barbari adfuerant ; quippe celebraiam
macedonum fortkudinem ad ludibrîum recidijfc
verebatur* Mine ad crim'mationem invidorum
adaperta Jum aures régis : &poft paucos dits inter
epulas aureum poculum ex comppfito fubduckur ;
wûmftrique , quafi omijfifftni quoi amoverani 3
regem adeunt. Sape minus eft conftamiœ in rubore]
quam in culpa : conjeihim oculorum, quibus m fur
deftmabatur, Dioxippus ferre nonpotuk; & quum
exceffiffet convivio, ikerk conferiptts qua régi
redderentur, ferro fe imeremk. Graviter mortem
ejus iulk rex9 exiftimans indignatîonb ejffi 9 non
peenkentia teftem , utique poftquam falfo infimulatum
eum tùmium invidorum gaudium oftendk.

LIVRE IX. Cm A p. VIL 269
pe, îe corps tout reîuifant d'huile & la tête couronnée,
portoit à la main gauche un manteau rouge; & à la droite
une maffue vigoureufe & pleine de nœuds : cet appareil
jeta tout le monde dans l'étonnement 6c dans Fattente
de l'événement ; car fe préfenter nud contre un
homme armé fembloit être' une pure folie, non une
fimple témérité. Le macédonien, fe tenant dose affûré
de le tuer de loin, lui darda fa lance ; mais Dioxippe »
l'ayant efquîvée en fe détournant un peu, s'éîança avant
que l'autre eût paffé la fariffe .de la gauche à la droite ,
& la rompit par le milieu d'un coup de maffue. Ayant
perdu fes deux armes de trait, le macédonien fe met«i
toit en devoir de tirer l'épée, lorfque Dioxippe, le
faififlànt à travers le corps, lui fit tout à coup perdre
pied & d'un choc le renverfa par ferre ; après lui avoir
irraché fon épée, il lui mit îe pied fur la gorge s &
hauffant fa maffue il alloit en écrafer la tête du vaincu,
fi le roi ne l'en eût empêché. Ce fpeftacle eut t non
feulement pour les macédoniens , mais pour Alexandre
même, une iflue d'autant plus défagréable, que les barbares
y avoient affilié ; car il craignoit que la valeur
des macédoniens, qui étoit fort en réputation, ne tombât
dans le décri jufqu'à devenir matière à plai&nterie*'
C'eft ce qui le difpofa davantage à prêter l'oreille aux
calomnies des ennemis de Dioxippe : & peu Ae jours
après, dans un feftin t on détourna à deflein une coupe
d'or ; & les officiers vinrent en parler au roi, comme
s'ils avoient effectivement perdu ce qu'ils n'avoient que
mis à l'écart. Un innocent que l'on fait rougir a fouvent
moins de fermeté qu'un criminel impudent : Dioxippe,
fe voyant défigné par des coups d'oeil comme Fauteur
du larcin , ne put fupporîer cet outrage ; il fe leva de
table f alla écrire une lettre pour être remife au roi f
& fe tua d'un coup d'épée. Le roi eut du chagrin de fa
mort, qu'il prit pour un effet de fon indignation, &
non pour une preuve de fes remords s fur-tout quand la
joie exceffive de fes ennemis lui lit connottre clairement
sut c'étoit à faux qu'on l'avok acculé.
M iij

270 LIBER IX CAP. Vllh
VIII. Indorum kgaii , dimiffi domos, pauch
pofl ditbus cum donu revertuntur : trecenti eram
currus quos quadrijugi equï ducebant, linem veflis
aUquantum , mille feula indka, & ferri candide
iaknta centum ; konesque ram magnkudims &
tigres- , utrumque animal ad manfuemdmem do-*
miium ; hcertarum quoque ingmtium pelks , &
dorfa tefludinum* Cratero deinde imperat rex, haud
procul amne per quem erat ipfe navigaturus copias
duceret ; eos autem qui comitari eum folebant im»
ponit m naves , & in fines maUorum fecwnd®
amne devehkun Inde fabracas adiii , vaïïdam
Jndia gentem , qua popuR 9 non regum , imper'm
regebatur : fexaginia millia pedstum habebant 9
equitum fex millia , has copias currus quingtnû
fequebanmr ; très duces fpeBatos virtute bellica
tlegerant. At qui m agris erant proximi flumïm
(fréquentes autem vic&s , maxime m ripa9 habeiam
) ut vidire totum amnem, qua profpki pote*»
.rat, navigiis conftratum & toi mUl'mm arma Jid»
gentia ; territi nova facie , deomm exerckum &
édium Liberum patrem , célèbre m Mis gentibus
momen, adventare credebant* H'mc militum clamer,
Mnc remomm pulfits , variaque nautarum voces
kortantium, paviias aures impleveranL Ergo uni*
verfi ai eos qui m armis erant currunt, furere
clanàtantes 9 cum dus pmBum imturos ; navigm
non poffè numerari qua inviUos vehtrent : tanmanque
in exerckum fuorum intulere terroris , ut
legaêos mkterent gentem dedkurm.
26. Hh in fidem accepûs , ad aftas deinde
gentes quarto die pervenk ; nihU& plus animi hk

LIVRE IX. CMJP. FUI. 271
VIII. Les ambafladeurs indiens, qu'on avoit renvoyés
ches eux , rtriment peu de jours après avec des
préfenîs : c'étaient trois-cents chariots attelés à quatre
chevaux de front , quelques robes de lin, mille
boucliers indiens, & cent talents de fer blanc ; en outre
des lions d'une grandeur peu commune & des tigres t
les uns & les autres apprivoifés jufqu'à être doux; il
y avoit aufli des peaux de grands lézards} 6c des écailles
de tortues. Le roi commanda enfuiîe à Cratère de mener
l'armée en côtoyant la rivière fur laquelle il déçoit
s'embarquer ; il fit embarquer aufli ceux de fa fuite
ordinaire t & defcendit jufqu'aux frontières des mal*
liens, 11 paffa de là chez les fabraques s nation puiflànte
de l'Inde t dont le gouvernement étoit populaire 6c non
dans la main des rois : ils avoient fur pied foixantemille
hommes d'infanterie f fix-milie de cavalerie s &
à la fuite de cette armée cinq-cents chariots ; ils avoient
choifi pour chefs trois hommes d'une valeur difttnguée.
Ce pays avoit beaucoup de villages, principalement au
bord de la rivière : ceux donc qui avoient leurs habitations
aux champs dans ce voifinage, voyant, aufli loin
que la vue pouvoir porter, le fleuve tout couvert de
vaifleaux & l'éclat des armes de tant de milliers d'hommes
; épouvantés d'un fpeôacle nouveau pour eux 9 ils
crurent voir arriver une armée de dieux & un autre
Bacchus, nom célèbre dans ces contrées. Leurs oreilles
effrayées n'entendoient que les clameurs des foldats f
le bruit des rames en mouvement 8 & les différents
cris des matelots dont les avis dirigeoient la manoeuvre,
lîs coururent donc tous vers leur armée, criant qu'il y
auroit de l'extravagance à vouloir combattre les dieux ;
qu'il étoit Impoflîbie de nombrer Ses vaifleaux qui portaient
ces ennemis invincibles : & ils répandirent ainfî
dans leur armée une telle épouvante , qu'ils envoyèrent
des ambafladeurs pour offrir l'obéiflance de toute
la nation.
26. Ayant reçu leur ferment, le roi alla quatre jours
après chercher d'autres peuples , qui n'eurent pas plus
M iv

272 LIBER IX. CAP. FUT.
fait quam céleris fuerai : itaque, oppidè ihi con*
dito, quod Alexairdriam appeliari jujfcrat, finef
'torum qui muficani apptllantur intravk. Hîc de
Terlolte fatrape, quem paropamifadis praficerat,
iisdem arguentibus cognovit ; multaqut avare ac
fuperbè fecifie conviBum interfici juffiu O'xathres,
prator baBrianorum » non abfolutus modo , fed
eiiam jure amplioris imperii danatus efi. Fimbus
Muficani demie m ditionem redaSis,. urbi eorum:
fmftdmm impofuit. Inde prafios, & ipfam India-
^gemtem:•, perventum efi. Oxycanm rex erat, qui fi 1
munitœ urbi cum magna manu popularium mch»ferai
: hanc Alexander, ienio Se quam caperai
obfidere, expugnavit ; & Oxycanus, quum in arcem
confugiffet 9 îegatos de condiûone deditionis mifit
ad regem : fed anîequam adirent eum 9 duo. iurres
cum ingenti fragore prociderant 9, per quarum ruinas
macedbnes evafêre in arcem ; qui capta Oxy~
canus cum paucis répugnons occiditur. Dirutâ
igitur.arce & omnibus captfais venumdatis *. Sabi
.régis fines ingrefius efi ; muitisque oppidis mfidem
accepûs, validijfimam gémis urbem cuniado ce*
pit : barbaris fimile monfiri vtfum efi, rudibus ml*
Utarium operum 9 qnippe in média ferme urbe è
terra exfiftebant, nullo fuffojfi fpecûs ante veftigio
fàéb. Oiiog'mta millia indorum in ta regtone
cafa Clitarchus efi auébr,. multosque captivas fub
coronâ * venîjfe*
* Sub torona. On mettait une mauvaife couronné
fur la tête des efcîaves qu'on expofoit en vente f com*
me nous mettons aujourdhui un lien de paille à la queue
.des chevaux qui font à vendre; à îa vue de cette couronae
, les aquéreurs venoient choifir t faire leurs offres^,

LITRE IX. CHâP. FI IL 273
(te courage que les premiers : Il y bâtit donc une ville f
qu'il fit encore nommer Alexandrie , & pafla enfuit*
dans le pays de Mufican, Ce fut là que , fur les plaintes
des paropamifades contre Térioltes, qu'il leur aYoiî
donné pour gouverneur , il prit connoiffance de l'affaire
; & comme il fut convaincu de plufieurs concuffions
& de plufieurs abus d'autorité, il le condamna à la mort*
Quant à Oxathrès , fatrape des baÔriens , non feulement
il fut renvoyé abfout s mais on étendit encore fon
pouvoir. Après avoir fournis le pays de Mufican, il
mit garnifon dans la ville. 11 pafla de là chez les preftes,
• autre peuple de l'Inde. Oxycan , qui en étoit roi f
s'étoit enfermé dans une place forte avec un corps confidérable
de fesfujets : Alexandre f emporta après trois
jours de liège ; & Oxycan , s'étant retiré dans la citadelle
, envoya au roi des arabaffadeurs pour capituler :
mais avant leur arrivée, deux tours étoient tombées
avec un bruit affreux, & les macédoniens s'introduit*rent
par cette brèche dans la fortereffe ; quand ils en
forent maîtres , ils tuèrent Oxycan, qui s'étoit mis eh
dëfenfe avec quelques-uns des liens. Cette fortereffe
rafée & les prisonniers vendus , Alexandre entra dans
les États du roi Sabus ; & après y avoir pris plufieurs
places par compofitioo 9 il emporta la plus forte au
moyen d'une mine : ce fut pour les barbares , qui n'ei^
tendoient rien aux ouvrages de la guerre , une efpècfi
de prodige s de voir fortir des hommes de la terre au
milieu de leur ville, fans qu'ils euffent montré auparavant
la moindre trace de cette excavation fouterraine.
Clitarque avance qu'il y eut quatre-vingt-mille indiens
tués dans cette contrée, outre un grand nombre de prifonniers
vendus à l'encan.
& mettre leur enchère : de là venumdare ou ventre-fûb
coroni ( vendre ou être vendu fous la couronne ) f pour
dire vendre ou im rend» à l'encan* . s . ^
M v " '

274 LIBER IX.- CAP. VIIL-
%

'LIVRM IX. CM A p. FUI. 275
±7. Les fujets de Mufican fe foulevèrent encore ;
nais Python t envoyé pour les châtier , prit leur prince
, qui les avoit portés à !a révolte. , & l'amena au
roi : Alexandre le fit mettre en croix , puis regagna,
le fleuYe où il avoit ordonné à fa flotte de l'attendre.
En quatre jours il defcendit jufqu'à une ville à l'entrée
des États de Sabus. Il s'étoit fournis depuis peu f mais
le* habitants de cette ville refufoient d'obéir & avoient
fermé leurs portes : Alexandre , méprifant le peu qu'ils
étaient, lit approcher des murailles cinq-cents agrieas
avec ordre de reculer peu à peu afin d'attirer'au dehors
l'ennemi v qui apparemment ne manquerait pas de les
pourfuivre s'il crojoit qu'ils priffent la fuite. Les
agriens, conformément à ces ordres, après avoir provoqué
l'ennemi f tournèrent le dos tout à coup § & les
barbares, les pourfuivant avec ardeur, donnèrent dans
une autre troupe, où le roi étoit en perfonne 1 le cens*
bat ayant donc recommencé s de trois-mille qu'étoient
les barbares il y en eut cinq-cents de tués , mille de
pris, & le refte fe renferma dans ia ville. Mais cette vietoire
9 fi heureufe au premier afpeét , ne le fut pis
autant par les fuites, parce que les indiens avoient
empoifonné leurs épéest : ©n voyoit donc mourir coup
fur coup- ceux qui avoient été Méfies ; & les médecins
ne pouvoient imaginer la caufe d'une mortfi promte,
les plus légères bleflures même fe trouvant incurables.
Les barbares de leur côté avoient efpéré que le roi f
qui ne s'en'doutoit pas & qui s'expofoit volontiers,,
pourrait y être pris ; mais, quoiqu'il combattît parmi
les plus avancés f il s'en étoit tiré fans aucun accident.
a8. Ptolémée fur-tout, quoique légèrement bîeffé à
l'épaule gauche, mais d'une manière plus dangereufe
que la plaie ne l'annnonçoît* a voit fixé toute l'inquiétude
du roi. M étoit-du même fang , & quelques-uns le
croyoient fils de Philippe ; du moins étoit-il fur qu'il
étoit né d'une de fes maitreffes. Attaché à la perfonne
du roi, guerrier plein d'ardeur, plus grand encore .&
plus diftingué dans la paix que dans ia guerre , vêtu
M vj

ij6 LIBER IX. CAP. IX.
modko civUlque cidm , liber ails m primis-, aSûf
que fac'dls , mhil ex faftu regio affumfirat ; oi
hmc régi an popularibus carior effet dubitari p&~
terat : mm cerâ primum exfpertus fuorum arâmosi
adeè m Jbnunam in quant poftea afcendk in 'dk
periculo macedones ominati eue videantur, Quippe
non levior illis Ptokmmi put cura quam regk ;
qui, & pmlio & folickudïne faûgatus 3 quum Ptohmmo
ajpderet , leBum in qmipfi acqukfiertt
juffit infini. In quem ut fi recepit , promms
alt'wr infiquutms eft fomnus : ex qm exckatms, pet
quktem vidijfi fi exponit fpeciem draconis oblor
ta m herbam ferentis ore, quam veneni remedium
ejfe monftrajfèt ; colorem quoque kirbm refirebat*
agmturum , fiquis reperijfit, affirmans. Inventant*
que deinde 9 quippe à tnultis erat requifita , vulneri
impofidt ; protinèsque dolore finito, intra brève
fpatium cicatrix quoque obduBa eft. Barbares ut
prima fpes fifillerat , fi ipfos urbemque dedide»
mm* Mine m proximam gentem pataliam per~
ventum eft ; rex erat Mœris, qui, urbe défini ,
in montes profugerat : kaque, Alexander oppido
potitur agrosque popuïamr ; magna inde prada
aBœ funt pecorum armentorumque , magna vis reperta
frumentL Ducibus deinde fumtis amnis perit'ts,
defiuxit ad infidam medio fermé alveo. enatam»
IX. Ibi diutiàs fubfiftere coa&us, quia émets,
focordims affervaû , profugtrant ,• nufit qui conr
jwrertnt alios •; nec repertu , pervicax cupide
imcejfit vifindi Oceanum adeundique termînos mundi
, ut, fine regionis perkis 9 fiumini ignoto capui

LIVRE IX. CHIP: IX. 177
«odeftemeiit & comme un fimptecitoyen, d'une libéralité
peu commune , & d'un abord facile , il n'avoir
rien du fafte de la royauté ; tous ces titres laiffoient m
doute de qui il étoit îe plus chéri, ou "du roi ou de la
nation : mais ce fut alors qu'il reçut les premiers témoi*
gnages de l'affection de fes concitoyens , au point que '
les macédoniens femblent avoir préfagé dans ce moment
périlleux la haute fortune où il parvint dans la
fuite. En effet ils ne prirent pas moins d'intérêt à fa
fanté qu'à celle du roi même ; & ce prince , tant pour
fe repofer de la fatigue du combat que pour fatisfaire
fon inquiétude, ne voulant pas quitter Ptolémée, fk
apporter fon propre lit auprès du fien. Dès qu'il y fut •
couché , il s'endormit profondément : à fon réveil il
conta qu'il avoit vu en fonge un dragon portant dans
fa gueule une herbe, qu'il lui avoit' montrée comme
un fpécifique contre îe poifon ; il dépeignoit même la
couleur de l'herbe, affûrant qu'il la reconnoitîôitbien,
fi on potwoit la trouver. On la trouva bientôt, parce
que plufieurs fe mirent à la chercher j le roi lui-même
l'appliqua fur la plaie , & auflitôt la douleur s*appaifa
& la plaie fe cicatrifa en peu de temps. Les barbare» f
voyant leur première efpérance déçue , fe rendirent •
eux & leur ville. On paflà de là chez les pataîiens,
nation voifine ; Mceris , qui en étoit roi, avoit abandonné
la ville & s'étoit enfui dans les. montagnes^ •
Alexandre, en conféquence , prit la ville & fit le dégât
dans la campagne ; on y fit un butin Confidérabîe dé
gros & de menu bétail, fit ony trouva quantité de
bled. Il prit enfuite des guides qui connoiffôient le
fleuve , & descendit jufqu'à une île qui s'étoit formé©
Yers le milieu du canal.
IJC, Il fut contraint d'y féjourner quelque temps ,
parce que les guides , 'que l'on gardoit avec négligence,
s'étoient enfuis ; on en envoya chercher d'autres , mais
ne s'en étant point trouvé , le défir invincible qu'il
avoit de voir l'Océan & d'aller jufqu'au bout du monde
le détermina i expofer , fans conducteurs f à la merci

' ijK LIëMR IX. CAP. IX
fuum totque fortiffimorum virorum fduttm permit*
tertu NavigabaM ergo, omnium per qum fertban*
tur ignari : quantum êide abeffkt mare , quét gentes
colerent, quam placidum amnis os , quam
pdîkm hngamm nav'mm effet , anceps & caca
œjiimatio augurabaîur : unum erat temtritatls foiatium
perpétua félicitas, Jam cccc fiadia pro~
cefferant, quum gubematores , agnofcere ipfos auram
maris & haud procul videri fibi Oceamm
abeffe, mdkant regL Lmtus Me hortari nauticos
capit, incumberent remis ; adeffe finem laboris
omnibus vous expetitum ; jam nihil glor'm dceffe 9
nihil obftare virtuti ; fine ullo Martis difcrimine ,
fine fangume orèem terra ab 'Mis capi ; ne nattiram
quidem hngiks poffe procedere ; brevl incognita,
nifi immortalibus, effe vifuros. Paucos tamen
navigio emifit in ripam qui agrefies vagos excipe~
rem, è qmbus certiora nofci poffe fperabat : Ûli9
fcmtati omnia tuguria , tandem latentes reperêre 9
qui, interrogati, quam procul abeffet mare 3 ref- .
ponderunt nullum ipfos mare, ne famâ quidem ,
accepiffè ; ceterum , tertio die perveniri poffe ad
squam amaram qua corrumperet dulcem. Intellectum
eft mare deflinari ab ignaris natum ejus :
ïtaque t ingenti alacntatt nautici remigam , &
proximo quoquo die , quo propiiis fpes admove**
batur, crefcebat ardor animorum. Tertio jam die
mixtum flumini fubibat mare , km adhuc aflu
confundente difpares undas, Tum aliam inftâam^
medio amni fitam, eveBi paulo lemiiis, quia cur*
fus afiu reverberabatur, applicant claffem ; & ad

LIVRE IX. CMAP. IX. 279
d'un fleuve inconnnu , fa perfonne fie k vie de tant de
brades gens. Ils voguoient donc , fans favoir par où ils
paflbient : à quelle diftance ils éîoienfde la mer, quels
peuples habitoient les côtes e à quel point étoit navigable
l'embouchure du fleuve, comment les flûtes $'y
trouToient| ils le préfumoienî par une eftime douteufe
& fans fondement : leur unique confolation dans
cette entreprise téméraire étoit le bonheur continuel
du roi. Ils avolcnt déjà fait quatre-cents faites ; quand
les pilotes lui annoncèrent qu'ils reconnoiffoiest l'air
de la mer & que l'Océan ne leur paroiffoit pas éloigné.
Treflàillant de joie .à cette nouvelle, il exhorte le*
matelots à ramer de toutes leurs forces- 5 il leur repréfente
qu'ils font à la fin de leurs travaux f comme ils
l'ont tant défiré ; que rien ne manque à leur gloire ,
ni ne s'oppofe à leur valeur ; que fans coup férir &
fans répandre de fang ils deviennent maîtres de toute
la terre ; que la nature même ne va pas plus loin ; &
qu'ils vont voir des chofes qui ne font connues que
des immortels. 11 ne laiffa pas- de mettre des gens à
terre pour attraper quelques payfans égarés ,' dans
i'efpérance d'en recevoir des informations plus précités
: après avoir fouillé toutes les cabanes , ils en découvrirent
enfin quelques-uns qui fe cachoient, & qui f
quand on leur demanda combien on étoit loin de la
mer, répondirent que jamais ils a'avoîent entendu
parler de mer ; qu'au fbrplus , on pouvoit arriver en
trois jouis à une eaa amère qui gâtoit l'eau douce. Ou
comprit qu'ils défîgnoient la mer fans en connoltre fa
nature: les matelots fe mirent donc à ramer avec joie,
& chaque jour, à mefure que le terme de leur efpéîance
approchoit, leur ardeur fe raitimoit. Le troifîème
jour la mer commençoit à fe mêler avec le fleuve,
la marée encore peu fenfible confondant peu à peu ces
différentes eaux. Ils abordèrent alors à une autre île p
fituée au milieu du courant, mais en avançant plus lentement
, parce que la mer repoufloit les eaux du fleuve;
& auffitôt ils coururent aux provifions, n'ayant t dans

2§o LIBER IX CAP. IX.
commeatus ,petendo$ difcurrunt, fecuri casas ejùs
qui fupervenu ignaris*
30. Tertia ferme h&ra erat 9 quum ftatd vice
'Oceanus exmftuans invehi cmpit & rétro flumen
-urgere ; quod, primo coërcitum , demie vehemem*
tihs puifum 3 majore impem adverfum agebatur
quam torrentia prmcipiti alveo incurrunt. Ignora
vulgo freti natura erat, monftraque & ira deum
indicia cernere videbantun ïdenûdem ÎMumefcere
mare , & in campos paulo ante ficcos defcendere
fuperfufum. Jamqm levaiis navigiis & totâ clajfc
difpersâ, qui expojki erant , undiquê ad naves ,
trepidi & improvifo malo attoniti, recurrunt : fed
in mmulm feftmaûo quoque tarda efl*. Mi contis
mavigia appeilebant ; ht, dum conjidertnt , rems
aptari prohibebant : quidam, enavigare properart*
tes 9 fed non txfpeâaûs qui fimul ejfe dcbebant,
clauda & inhabilia navigia languide moliebantur ;
alia^uvium inconfuite mentes non receperant; pariurque
& multitudo & paucitas fermantes morabatur.
Clamor* hineexfpe&are, hinc irejubentium , dijfonmque
voces nusquam idem ac unurn tendentium , non
ûculomm modo ufum fed etiam aurium abftukrant
: ne in gubernatoribus quidem qmdquam opis
erat, quorum nec exaudiri vox a tumultuant'éus
poterat'$ nec imperium à territis incompofiûsqut
fervarL Ergo' collidi inter fe naves, abflergerique
invicem remi, & alii aliorum navigia urgere car
perunt : crederes , non unius exercitûs clajjem
yehi, fed duorum navale inijfe certamen ; incuùe-*

LITRE IX. CMAP. IX. %Ét
leur ignorance, aucun, preffentiment de l'accident qui
leur arriva bientôt.
jo. 1! étoit environ trois heures , lorfque félon- la
révolution ordinaire les eaux de l'Océan commencèrent
à monter &, à faire reculer celles du fleuve ; il
ne fut d'abord qu'arrêté , mais repouffé enfuite avec
plus de violence il rebrouffa avec plus de rapidité que
n'en ont les torrents qui fe précipitent dans des vallées.
La multitude ifcvoît aucune- conooHTance de cette'
propriété de la rarer, & ils ne voyoient en cela

i§2 LIMER IX.. CAP. IX.
bantur puppibus prom , premebantur a fequemibus
qui antécédentes turbavirant, jurgantium ira pervtniebat
etiam ad mmms.
31. Jamqm mftus totos art a flumm camp&z
îmmiaverat, ttamâh duntaxat eminentibus vektt
infidb parvis, in quos phrique trepidi , omijfis
navigiis, enart cmperunu Difperfa ctaffis parûm
m prœdtâ aquâ ftabat, qud fubfédérant voiles 9
parûm in vado âarebat, utcumqm mmquah terrm
faftigium occupaverant unda ; quum fubitê nmius
&priftino major terrer mcutkur ; reciprocare eeepk
mare, magno tra&u aquïs m fuum fietum recurrentibus
, reddebatque terras pauh amie pro«*
fundo faîo merfas. Igitur deJUtuta navigia » aBs
pmcipitantur m pmras, aua in laêera procurn**
bunt ; ftrati erant campi farcinis, amis , avuU
farum tabularum remommque fiagmemis ; miles
nec egredi in terram nec in naves fubjiflere aude*>
bat, identidem prmfemibus gravwra qum feque*
rentur exfpe&am : vbc quœ perpetmbamw viderc
ipfos credcbaru, inficco naupragm , m amni mare*
Nec finis mabrum : quipm mfiumpamh pofi mare
rehturum que navigia atkvartmm ignari, famem
& ultima fibimet emmabantut ; belhm qwoqut
fiuêibus deftitum terribiles vagabamtur, Jamqm
nox appetebat, & regem qttoque defperaÛQ falutk
agritudine affecerat : non tamen invi&um ammum
curas obruunt, quïn totâ noêe pmfideret in Jpecu»
ils equitesque pmmitteret ad os amnh9 mt$ quum
mare rursùs exmfiuart fenfijfem, procédèrent 1 m*

LIVRE IX. CM A P. IX. 18$
incommodités qu'on avoit caufées à ceux de devant p
& dans ces débats la colère alloit même jufqu'à en venir
aux mains.
31. Déjà la marée avoit Inondé toutes- les Campagnesaux
environs du fleuve, ne laïffant plus paroître que
quelques éminences femblables à de- petites îles, où.
pîufieurs dans leur effroi fe fauvoient à îa nage, après
avoir abandonné leurs vaïffeaux. Une partie de la flotte
difperfée étoit en pleine eau au deffus des vallées, une
autre partie étoit échouée f félon Pinégaîité des lieux
couverts par les eaux ; lorfque- tout à coup on fut faifi
d'une frayeur nouvelle & plus grande que la première :
la mer commença à fe retirer , les eaux retournant
avec ïmpétuofité dans fon baffin , & laiffoit à découvert
les terres qu'elle avoit fubmergées un peu auparavant.
Ainfi , les vaïffeaux demeurés à fec tomboienî , les uns
fur la proue s les autres fur le coté ; les campagnes
étoient jonchées de bagages , d'armes s de planches détachées
, & de rames brifées ; les foldats n'ofoient ni
prendre terre ni relier à bord, s'attendant à effuyer
d'un moment à l'autre quelques contre-temps encore
plus fâcheux : à peine pouvoient-ils en croire leurs
ieux for ce qu'ils éprouvoient, des naufrages hors
de l'eau , la mer dans un fleuve. Ce n'étoit pas encore
la fin des maux dont ils fe croyoient menacés : car ne
fâchant pas-que dans peu la marée remonterait & relèverait
leurs vaïffeaux s ils avoient en perfpeftive la
faim & les dernières extrémités ; ils voyoïent d'ailleurs
de tous côtés des roonftres marins que la mer avoit
laiffés, & qui redoublaient leur terreur. Cependant la
nuit approchoit, & le roi,- défefpérant auffi de s'en
tirer , étoit dans une profonde affliétion : fon courage
invincible ne fe laïffa pourtant pas fi fort accabler par
fes inquiétudes , qu'il ne paflat toute la nuit en vedette
à donner fes ordres, & n'envoyât vers l'embouchure
du fleuve des gens à cheval pour venir prompîement
donner avis dès qu'ils s'appercevroient du retour de là _
siarée ; 11 fit suffi radouber le» vaïffeaux qui avoieat

284 LIBER IX. CAP. IX.
vigia quoque lacerata refici & everfa fluBibus erîgi
jubet, paratosque effe & imentos quum rursks marr
terras immdaffet.
32. Totâ eâ noue inter vigilias adhortaûonesqm
eonfiimtâ , cehriter & équités ingenti cursu refitgêre
; & feqmtus eft aftus , qui primo , aquis.
Uni traBu fubeuntibus, cœpitlevare navigia, mox,
totis campis inumdans 3 etiam impulit ciajfem ;
plaufusque mUitum nauticorumque, infperatam falutem
immodico celebrant'mm gaudio , Utonbus
ripisque refonabat : unde tantum rediffet fubito
mare 9 quo pridie refugiffet ; quanam effet ejufdem
elementi natura, modo difcors, modo impc-'
rio temporum obnoxia , mirabundi requirebant.
Rex, quum ex eo quoi acciderat conje&aret, poft
folis ôrtum ftamm tempus ejfe ; média noBe, ut
aftum occuparet, cum paucis navigiis fecundo
amnt defluxit : eveBusque os ejus, quadrimgenta.
ftadia proceffit in mare , tandem voti fui com~
pos ; pmfidibusque maris & locorum dits facrifitio
faBo 9 ad claffem redih. Winc adverfum fiu*
men fubiit clajjis 9 & akero die appulfa eft haud
procul heu falfo , eujus ignota natura plerosque
decepit, temerè mgrejfos aquam ; quippe feabies
corpora invafit, & contagium morbi etiam m alim
vuîgatum eft : oleum remedio fuit» Leonnato demdc
pramiffb , us pmees foderet qua terreftri kmere
duBurus gxercitum videbatur ( quippe fieca erat
regio), ipfe cum copiis fubftititf vemum tempus
exfpeBans* Inêerim & urbes portusqûe condidit.
Neareho atque Oneficrito , nautiœ rei peritis ,
imperav'u ut yaUdiJpmas navium deiuçmnt m

LIVRE IX. CMAP. IX. 185
fouffert & redreffer cens que les flots avoient renver*
• fés f & commanda qu'on fe tint prêt & attentif au moment
où la mer recommenceroit à inonder les terres.
3 2. Toute cette nuit s'étant paffée à faire îe guet & à
prodiguer les encouragements , on vît revenir les cavaliers
à toute bride ; la marée les fulvoit de près,, qui f
avançant d'abord doucement, commença par relever
les navires , & bientôt après inondant toute la campagne
, remit la. flotte en mouvement ; les côtes & les
rivages retentiffoient des acclamations des foldats & des
matelots , qui étaient dans une joie exceflive de fe voir
fauves contre leur attente : ils demandoient dans leur
étonnement > d'où revenoit tout à coup cette mafle
«Teau .de mer, ou elle s'était retirée la veille ; quelle
était la nature de cet élément, tantôt déréglé & tantôt
affujettî à Tordre des temps.. Le roi, conj courant par
ce qui étoit arrivé f que îe moment du retour de la '
Marée étoit après le lever du foleiî, prit, pour le prévenir
i le parti de descendre le fleuve au milieu' de la
nuit avec un petit nombre de vaiffeaux : & cinglant
il ors de l'embouchure, il avança jufqu'à quatre-cents,
Itades fur l'Océan pour être enfin au comble de fes
défirs ; & après avoir facrifié aux dieux protecteurs de,
la mer & des lieux adjacents , iî regagna fa flotte. Elle
remonta enfuite le fleuve f & le fécond jour elle mouilla
l'ancre près d'un îac faSé, dont la nature inconnue
trompa bien des gens , qui eurent l'imprudence de s'y
baigner; car leurs corps fe couvrirent de gaîe , & cette
maladie contagieufe gagna même tes autres : ce fut.
l'huile qui en fut le remède. 11 envoya enfuite Léon-,
nains en avant 9 pour creufer des puits fur la route de.
terre par ou il y avoit apparence qu'il conduirok l'armée
s parce que îe pays étoit fort fec ; & cependant
iî s'arrêta avec fes troupes, en attendant le printemps.
Dans cet intervalle H s'occupa à conftruire- des villes
& des ports. 11 chargea Néarque & Onéficrite , qui entendoient
bien la navigation t de monter fes meilleurs
vaifleaux , de s'avancer fur l'Océan auffi loin qu'ils

a86 LIMER IX. CAP. X
Oceamm, progreftîque qmad tuto pojfent , naturam
maris nofcerent ; vel eodem amne vel Eu*
phrate fuèire cospqffc, quum reverd ad fe veUenu
X. Jamque mhigatâ hleme, & navibus qum
mutiles videbantw crematis 9 terra dmcebat exer*
citum* Nonis caftris, in regionem arabitarum;
mde tondent diebus, m gedrofiorum regionem per~
ventum eft : liber hic popuhs , Confilio habko 9
dedidit je ; mec quidquam déduis M pmter commeatus
, imperatum eft. Quinto func die venit ad
fismen, Arabum incola appellani : regio deferm
' & aquarum inops excipit ; quam emenfus 3 in
àoritas tranftt ; M majorem exercitûs partent Htphaftioni
traâidit $ levem armamramcum Pwlemœo
Leommîoque pardtus eft. Tria fimul agmina populabantur
indos 9 magnmque prada aBa fitnt ; ma'
rkimos Ptokmmus , ceteros îpfe rex & ab dii
parte Leonnams urebanu In hoc quoque regione
urbem condidit, dtduBique funt m eam araâofih
Hinc ptrvenit ad maritimos indos : defertam vaf>
tamque regionem latè tenenty ac ne mm ftmùmis
•quidem uuo commerça jure mifcenmr ; ipfa filh>
tudo mturn quoque immiùa ejfèravit ingénia ;
prominent tmgues mmquam recifi, coma fdrfutm
& intonfa funt ; tuguria conchis & ceteris pur*
gamentis mark inftrmmt ; ferarmm pell'éus te&i ,
pifcibus file duratis 9 6» majorum quoque beUuarum
quas ftuÉus ejicit carne vefcuntur. Confumiis
igitur alimentis3 macedones primo inopiam, de mde
Md uldmum famem fensire capemnt, radiées-palmarum
( mmqmfola -m arb&r gignitur ) ubique

LIVRE IX. CMAP. X 287
peurroient le faite fans danger y pour prendre une
•xaâe connoiflance de cette mer ; & quand ils voudraient
revenir , de remonter, comme il éîoït p©ffîbîef
en par le même fleure ou par l'Euphrate»
X La rigueur de l'hiver étant enfin diminuée 9 il
brûla les vaifleaux qui paroiffoient inutiles, & fit prendre
à Farroée la route de terre. En neuf jours il arriva
dans le pays des arabites , & en autant de jours dans
celui des gédrofiens : ce peuple libre , après avoir
tenu Confeil, fe rendit; & le roi, peur gage de leur
foumiffion , ne leur demanda que des vivres. Il arriva
de là en_cinq jours au-bord d'un fleuve que les gens
du pays nomment Arabe : on trouve enfuite un pays
défert & fans eau; Alexandre le traverfas & paflà
chez les bontés ; il y remit à Hépheftion la plus
grande partie de fes troupes, & partagea les troupes
légères -avec Pcolémée & Léonnatus. 11 y avoit donc
tout à la fois trois corps qui fefoient le dégât chez les
indiens, & qui y firent des prifes confidérables ; Ptolémée
pilloit les contrées maritimes f le roi de fon côté
& Léonnatus du fîen défoloient le relie. 11 y bltit aufit
une ville , & il-y fit palier une colonie d'arachofiens. 11
alla de là chez d'autres indiens qui habitent le long de -
la mer : ils occupent une grande étendue dans un vafte
défert v 8c n'ont avec leurs volfîns aucune liaifon à titre
même de commerce ; cette folitude même a encore
ajouté à la dureté naturelle de leur caractère ; ils biffent
croître leurs ongles qu'ils ne rognent jamais, Ôe
portent une chevelure hériffiêe qu'ils ne coupent point;
ils f e conftruifent des cabanes avec des coquilles & d'autres
immondices de la mer ; ils s'habillent de peaux d«
bêtes v & fe nourrirent de poiffons féchés au foleil 9
ainfî que de la chair des montres marins que les Ilots
jettent fur le rivage. Les macédoniens , ayant donc confunté*
toutes leurs provifions s commencèrent d'abord
par être dans la difette f & éprouvèrent à la fia une
telle famine , qu'ils, cherchaient partout des racines de
palmiers 8 ce pays-là ne prodwfant aucun autre arbre ;

488 LIBER IX. CAP. X
rimantes : fid quum hac quoque alimenta defice*
rant , jumenta cmdere aggre]fi9 m equis qtàdem.
abjlbubant; & quum deejfcnt qua farcinas véhément,
fpolia de hoftlbus , propter qum ultima
Orimtis pemgravemnt , cremabant -incendia.
34. Famem delnde peflilentla fequula efi'; qulppemfalubrium
ciborum novi fucci 9' ad hoc itineris
labor & mgritudo animi » vulgaverant morbos : &
me manere fine clade -, ntc progredi paieront 1
manentes famés, progrefibs acnor pefiilenûa urgebat.
Ergo ftrati trant campi pêne pluribus femivivis
quam cadaveribus : ac ne teviks quidemmgri
fequi poterant 1 quippe agmen raptim agebatut,
tantum fingulis ad fpem falutis ipfos profit
cere credentéus quantum itineris fefiinando prariperenL
Igitur qui defecerant notos ignotosque 9 ut
allevarentur , orabant : fed me jumenta erant
qmbus excipi poffent, & miles vhc arma portabat,
bnmmenùsqut etiam ipfis faciès maii ante
Qctdos €rat ; ergo fepihs revocaû 9 ne refpicerequidem
fims fuftinebant, mifericordiâ m Jbrmidtmem
versa. Mi , reliBi, deos te fies, facra communia
-, repsque implorabant opem; quumque fmf*
ira furdas aures fatigarent, in rabiem dejperationeverfi,
paremfuo exitum fimilesque ipfis ami- -
cos & contubernales precabantur.. Rex s dolo're
fimul ac pudore anxms, quia caufa tardât cladis
ipfe effet, ad Phrataphemm § parthomm fatrafem
, mifit, qui juberet €ameîis co&a cibaria
mais

LIVRE IX. CMAP. X. i$p
mais cette nourriture même Tenant encore à leur
manquer , Us tuèrent les bêtes de fomme , & ne ménagèrent
pas même les -chevaux ; & quand I! n'y en
eut plus pour porter les bagages, ils furent contraint!
de mettre îe feu à -ces dépouilles des ennemis f pour
Mquelles ils avoient parcouru les contrées Ses plus résiliées
de l'Orient.
34. La famine fut bientôt fume de la pelle; la mauvaife
nourriture à laquelle ils n'étoienî point faits 9 la
fatigue de la marche, & les peines d'efprit, avoient
multiplié Ses maladies : ils ne pouvaient ni s'arrêter ni
avancer fans -s'expofer à périr -s s'ils demeuraient f
c'étoit la faim , s'ils avançaient, c'étoit Se redoublement
de la maladie qui les tuoit. La campagne étoit
donc couverte de morts t & prefque d'un plus grand
nombre de mourants : & ceux même qui étoient les
moins malades ne peuvoieiït fume 5 parce que 1'atmée
hâtait fa marche f -chacun s'imagioant que , plus il fefoit
de chemin en avant, plus il aflïïroit Fefpérance d'échaper
au danger. Ceux donc «gui manquoient de forces de*
mandaient du fecouts à ceux qu'ils coanohToient & 1
ceux qu'ils ne connoiffoient pas •: mais on manquoit de
bêtes de charge qui auroient pu les porter, à peine
le foldat étoit-il en état de foutenir le poids de fes
armes , & il ne vqyoit que Pimage du mal dont il étoft
lui-même menacé ; on avoit 'donc Tseau l'appeler, îl
sfayoît pas le courage de jeter même les ienx fur fes
camarades , la compaÂton .ayant fait place à la crainte*
Ce* malheureux, ainfi abandonnés , prenotent les dieux
à témoin , réclamoient la religion qui leur étoit c©m« -
mune , imploroient le fecours du roi ; mais comme
c'étoit en vak qu'ils fatiguoieat des fourds de leurs cla- •
meurs 4 paffant du défefpoir à la rage f ils leur fouhaitoient
une fia comme la leur, des amis & des camarades
qui leur reffemblaffent, Le roî f accablé tout à "la
fois de douleur & de honte , parce qu'il étoit lui-même
la caufe d'une fi grande défolation t envoya à Pfarataphemes,
fatrape des parthes , l'ordre d'amener fut
Tome IL N

290 LIBER IX. CAP. X
éffcrre ; atios quoque finkimarum regionum prœ~
fiâos certiores neceffitatis fum feciu Nec ceffœtumefi
ab his : itaque 9 famé duntaxat vindicatus, .
txercitus tandem in Gedrofiai fines perducitur }
omnium rtrum Jbla firtilis regio efi , in qui fla-~
tiva habuit ut vexatos milites quiète firmareu-
Hîc Leonnati Useras acâpk, confiixiffe ipfum
cum 0Ë0 millibus peditum & quingentis equitibus
horîtarum, profpero eventu. A Cratero quoque
mandas venit, O^ntn & Zariajpen, mobiles per~
fas defiËionem moUentes, opprtflbs à fe , in vmadis
effc.
35. Pmpofito iptur régions Sibyrùo ( namque
Menon pmfeâus ejus mœer interierat morbo ) , m
Carmaniam ipfi procejfit : Afpafles trat fatrapes
gémis y fufpeëus res novare voluiffi dum in Indiâ
rex effet ; quem occurrentem , diffimulatâ ira, comiter
aUoquutus, dum explorant qua delata
trant 3 in eodem honore habuit. Quum India prmfeBi,
Jicut imperatum erat, equorum jumentorum^
que jugalium vim ingentem ex omni qum fub imperio
erat regione mififfènt, quibus deerant impedimenta
refikuk : arma quoque ad prifiinum refiela
fiait ctdtum ; quippe haud procul a Perfide
obérant , non pacatâ modo , fed etiam opulento.
Igitur, m fupra diifam efi 9 amulatus patris Lièeri9
non gloriam folum quam ex illis gentièus
deportaverat, fed etiam famam ( five Ulud trium»
phus fuit ab eo primum inflkutus, five bacchan**
êium lufus ), ftatuit imitari » animo fuper humanum
fâfligium elaw* Vicos per quos iter erat ftonbm
cor&nisque fiemi jubés ; Ummibus adium

LIVRE IX. CMAP. X 291
des chameaux des vivres tout cuits ; ii lit suffi favoir
•aux autres gouverneurs des provinces voifines îa détrèfle
ou il étoit. lis ne perdirent point de temps :
«infî f l'armée , affranchie au moins des foîîicitudes
de îa lamine , arri?a enfin fur les frontières de la Gédrofie
î c'eft îe feu! canton qui abonde en toutes fortes
de productions f & ie roi y campa pour procurer aux
foldats quelque repos après tant de tourments. Là ii
îeçut de Léonnatus des dépêches qui lui apprenoient ,
«qu'il avoit combattu avec fuccès contre huit-mille hommes
de pied & cinq-cents chevaux -des hontes. Il eut
aufli nouvelle de Cratère , qu'il avoit furpris & mis
dans les fers Orines & Zariafpes , deux feigneurs perfans
qui tramoient une révolte.
3 j. Après avoir donné le gouvernement du pays à
Sîbyrtius, à la place de Ménon , qui venoit de mourir
•de -maladie , il tira vers la Carmanie : Afpaftes , fatrape
de cette province, étoit foupçonné d'avoir voulu
«xciter des troubles pendant que le roi étoit dans l'Inde ;
étant venu au devant de lui, ce prince diffimula fon
reffentimest , lui parla d'une manière obligeante , &
le lai (Ta dans fa charge jufqu'à ce qu'il'eût éclairci les
rapports qu'on lui avoit faits. Lorfque les gouverneurs
de l'Inde lui eurent envoyé, fuivant fes ordres , quan*
cité de chevaux & de bêtes d'attelage tirées de tous les
cantons fournis à fon obéifTance , il remonta ceux qui
tnanqaoient d s équipage : on refit auffi des armes aufli
Belles que les anciennes ; parce qu'on n'étoit pas lois
de la Perfe f qui jouïffoiî, son feulement d'une grande
tranquilité , mais encore d'une heureufe opulence.
Après cela f Alexandre, qui-, comme on l'a déjà dit 9
f'étoit propofé Bacchus pour modèle, non content de la
gloire d'avoir fournis les mêmes nations , voulut encore
s par un mouvement d'ambition qui l'èlevoit au deffus
de la fphère de l'humanité f l'imiter dans ce qui
avoit rendu fon nom immortel t foit que ce fût une fête
établie par Bacchus même pour confacrer la mémoire de
fon triomphe, ou use repréfentatton imaginée par les
N ij ,

291 LIBER IX. CAP. X
traîtres vino repletos & alla eximke magniîudims
vafa dîfponi ; véhicula deinde conftrata ta plures
capere milites poffent in tabemaculorwm modum
ornari, aTm candidis velis 9 alla -vefte pretîosd,
Primi ibant amici, & cohors regia varïis redimka
fioribus corômsque; alibi tibicinum camus, alibi
lym fonus Mudkbatur ; item in vehiculis, pro
copia cujusque adormaûs , comejfabundus exercitus
3 artnis qum maxime décora erant circumpen-
Âmt'éus : ipfum comivasque currus vehehat, crateris
aureis ejufdemque materim ingemibus poculis
pmgravb. Hoc modo per dies feptem bacchabutt*
dum agmen incejjit ; parta pmda 9 fi quid vï&is
faltem advershs comejfantes arûmi fuijfet ! miUe 9
Hercule ! viri modo & fobrii, feptem diemm
trapulâ graves in fuo triumpho capere potueruntz
fed Fortuna 9 qum rébus famam pretiumque conftimit,
hk quoque imliim probrum vertit m glo~
riam ; & pmfens mas & pofterkas deinde mh~
rata eft per gentes nondum fiais domitas inctjfijft
iemuknms s barbaris quod temeritas erai fidut'rnm
ejffi credentibus. Hune apparatum carnifix
fequebatur; quippe fatrapes Afpaftes, de quo ante
di&um eft, interftà juffus eft : adeè nec hsxurim
quidquam crudelitas 9 nec crudeUtati luxuria obftat !
-m-

* LIVRE IX. CMAP. X. 195
prêtres de ce dieu. Il fit donc joncher de fleurs & d«
guirlandes la route qu'il devoit tenir; ii ordonna qu'aux
portes ée$ ntaifons on- tînt prêtes- des- coupe» pleines
de vin , avec d'autres vaifleaux d'une grandeur extraordinaire
; & qu'il y eût des chariots couverts capables
de contenir beaucoup de foldats, & qui feroient décorés
comme des tente», les uns d« Toiles blancs y
les autres d'étoffes ptécieufes. A îa tête nmrchoient
•les Grands de la Cour ôc la Maifon du .roi, ornés» de
.différentes fleurs & de guirlandes * ici l'on «ntendoit
des airs de flûtes, là les fons harmonieux de la lyre ;
enfuite fur des chariots f parés félon les facultés de"
ceux qui y étoient, fuivoit toute l'armée fefant bonne
chère, & dont les plus belles armes étoient fufpendues
autour des chariots : celui' qui" portoit Te roi & fes
convives, étoit furchargé de coupes d*or & d f autres
grands vafes à boire de même matière. Ceft ainfr que
fe promena durant ffept ]ours cette armée proftituée à
l'ivrognerie ; conquête aifée , s'il fût refté aux vain-

LIBER DECIMUS.
L Cleander & aBi duces deBâoram venïaix»
impétrant , dum nonnulli minus facmoroft
pimiuntur.- Alexandri confilium de occidentali
Europa parte kftrandâ ; Mberalitas erga
Abifaris fiMum, & in Orfinem cradeBtas.
IL Turbatum Grasciae ftatem pacare ; ex militibus,
aère alieno liberatis , alios remittere
domum, alios retinere dum cogitât; mca£tris
oritur feditio : quam gravi orarione 6c
regiâ auftoritate eompefciî.-
IIL Séditions fiippKcio adfeâis » totius exetci—
tus dHfipat confilia, & perfis crédit corporis
fui ctiftodiam.
IV, Oratio macedonis miBtis vinâi. Conjuratio
in Akxandrum » qui veneno interfici—
tur.
V. Diâa & gefta ejus ante obitum» Quantumà
fuis fuerit defideratus ; praecipuèque à Darit
matre, quse, dolori fuccumbens , paula poft
exIKnàa eft. Alexandri elogium.
VL De mcceffore Alexandri inter Magnâtes
confultatio & varia fèntentiae.
VIL Aridaeus , Philippo genitus , Meleagro
promovente , à quibufdam rex falutatur 'y un*
de civiBs beHi femina.
VIIL Primarii duces Meleagri artîbus occurrunt.
Aridaeus autem, pacis ftudiofus , tumul~

LIVRE DIXIÈME.
L CUandre & d'autres capitaines obtiennent le
pardon de leurs fautes 9 tandis que d'autres
moins coupables font punis. Projet d'Alexandre
de vifiter la partie occidentale de F Europe ;
fa libéralité envers le fils d'Abifares,&fa cruauté
a l'égard d'Orfims. :
II. Tandis qu'il penfe a pacifier les troubles de la
Grèce; & que des foldats, quil a déchargés de
leurs dettes , il fonge a renvoyer les uns che^
eux & à retenir les autres; il s s élève une -féa%
• thn 'dans le camp : mais U Fappaifepar un dïf
cours févère & par F autorité royale.
HI. Par la punition des féditieux § • il fait ' évanouir
les dejfeins de toute F armée, & U confie
aux perfes la garde de fa perfonne.
IV. Difcours d'un Jbldat macédonien dans les fers.
Conjuration contre Alexandre, qui meurt em-
• poifonné.
V. Ce quil dit & fit -avant fa mort. Combien
il fut regretté- des fiens ; & principalement de
la mère de Darius, qui, fuccombant à fa douleur,
mourut peu de temps après. Éloge d'Alexandre.
VI. Confeil & avis divers des Grands fur le fuc*
ceffeur d'Alexandre.
VII. Aridée, fils de Philippe, eft falué roi par
quelques-uns, fur F avis de Méléagre ; de là
des femences de guerre civile.
VIII. Les principaux capitaines préviennent ies
• artifices de Méléagre. De fin côté-Aridée , qui
N iv

x$6 LIBER-X. CAP. L
mm compotiere mediâ quâdam ratione' co^
natur»
IX. Perdiccâs Melèagnmt,. & treccntos fecè
aHos qui eum fequuti fherant, dolo opprimit.
'X Àlexandri Impêrîum în partes dhrifûm *
cujus fumma Aridaeo tributa , provinciae autem
Magnatibus. DeftinéH corpus ab amicïs
curatum , & tandem Alexandriam JEgyptl
tranflatum e(L
hllSJ}£M firl dkbms Glt&ndtr & Sitdcts ,
& cum Agathont Heracon fupervmiunt, qui Parmenionem
jujfu reps- occidemnt ; quinque millm
pedimm aim equhMms mille. Sed & accufatores
eos, è prov'mciâ euh prApurant, fequebantur ;
mec tôt facinora quot admiferant compenfare potet-
MM , cisdis perquam patm régi minijlerfa. Quippe
quum omnia profana fpolia£ent, ne facr'u quidem
abflimurant ; 'virginesque & principes ftnïih
narum flupra perpejfa , corporum ludibria defle~
tant* Invifum macedonum nomen avaritia eorum
ac libido barbaris fecerat^ Inter omnes tamen emimebat
Ckandri furor p. qui nobikm virpntm conflwpratam
fervo fuo pellicem déderat, Pkrique ami-*
worum Aîexandri non tam crimmum qum palam
sbjiciebanmr atrocitatem 9. quam memoriam occifi
per eos Parmenionis , quod tacitum prodejfe reis
apud rtgtm poterat , intuebantur ; lad recidijfjz
iram m ira, nûniflros *. me ullam poîemism jfç-

LIVRE X. CHAP. 1. 197
-' veutlâpabe% tâche happai fer les troubles par
. -quelque voie de conciliation.
IX. Perdkcas fe défait par mfe de Méléagre, &
• d'environ trois - cems hommes de fin parti »
X. Partage de l'Empire d'Alexandre , dont la-
• fouverainefé eft donnée à Aridèe, & les provinces
diftribuêes' aux Grands. Les courtîfans
• prennent foin du -corps du roi mort, qui enfin
- tfi porté à Alexandrie d'Egypte.-
$.\JE fur à peu prés dans ce temps qu'arrivèrent Cléât*
tire, Sita1ces,fuivis d'Héracon &d*Agathon, qui avoient
tué Parménjon.par ordre du roi ; & Us amenoient avec
eux cinq-mille hommes'de pied & mille chevaux. Mais
ils avoient suffi à teur fuite des députés-de la province
qu'ils avoient gouvernée , qui venoient pour les accu*
éer ; & il n'étoit pas pofliMe q-ue tant de crimes qu'ils
«voient commis Riffent compensés par la part qu'ils
avoient eue .au-meurtre de ce Général, quoique très»
agréable au roi. En effet îom d'avoir ménagé peu de
profane » ils n'avoient pas même épargné les chofesfacrées
;. les filles & les femmes du premier rang dés.*
honorées*, déplororent les'Honteufes infultes qu'on- leur
avoit faites. L'avance & la licence effrénée de ces fcélérats
avoient rendu odieux aux barbares- ie nom- même
'des macédoniens* Parmi tant de fureurs néanmoins f
rien n-'égaîort celle de Cl.éandre r qur* après.avoir déshonoré
une fille de qualité, Pavait donnée pour' concubine
à ÎW dé fes efclaves. La plupart-des courtis
fans d'Alexandre ne coafidéroient pas tant l'atrocité
'des forfaits qu'on leur rçprochort publiquement, que
le fôuvenir du meurtre de Parménion ». qui pouvoit
lourdement rendre l'e roi* favorable aux accufés ; & ils
Itoient bien aîfes que ceux qui avoient été les. miniftres
de la- colère du prmce en fuffent à leur tour les"
èbjets» 8c que-perfonne se pât fe flatter ..de joui*
N Y

ig8 LIBER X CAP. h
kre quafitam cuiquam effe dhtturnam* Rex, eagni~
ta causa 9 pronunciavit, ab accufatoribus unum ,
6» id maximum 9 crimen effe pmteritum , defpera-*
îionem falutis fit* ; nunquam enim talia aufitros 9
qui ipfum ex Indid- fojpuem. aut optaffent reverii
aut credidiffent rêverfurum : igitur hos quidem vinxit
9 fexcentos autem militum qui fmvitm eorum
tm'miflrï fmrant interfici jufftt. Modem die fummm
fuppikium de ils quoque quoi, œuBores de*
fia Honis perforum , Craferus adduxerat»
2. Haud tmtlto pofl Nearchus & Oneficritus,
quos longiiis in Oceanum procedere jufferat, fuperveniunu
Nunciabant autem quœdam audita, alm
comperta : infuiam oflla amnis fubjeBam aura
abundare, inopetn equorum effe ; finptlos equos , aBils
qui ex continenti trajicere auderent-, fingulis ta*
hntis %mi ; plénum effe belluarum mare ; mftu fi»
. cundo eas fini, magnarum navium eorpora aquanîes
; truci cantu deterritas fequi cùffem , cum
magna aquoris firepku, velut demerfa navigia »
fubiffe aquas. Cetera mcolis crediderant : inter quse.
rubrum mare, non a colore undarum % ut plerique
crederent, fed jib Erythrâ rege appellari ; effe
haud procul a continenti infuiam- palmis jrequentibus
confitam , & in medio firè nemore co~~
lumnam eminere , Erythrée régis monumentum x
literis gémis ejus .feriptam. Adjiciebant, navigia
quis lixas mercatoreique vexiffent , Jamam ami
fiquutis gubematorïbus , in infuiam effe tranfmiffm
nec deinde ab his poflea vifit. Rex, cognôfcendi
plura cupid'me aecenjus , mnus eos terram legerç

LIVRE X. CMAP.'L 299*
long temps d'une puiflance acquife par un crime. Le
foi, ayant pris connoiflancé de toute l'affaire , déclara
que les accufateurs avoient oublié un chef d'accufatton
, même le plus confidérable, qui étoit d'avoir défefpéré
de fa vie % parce que jamais ils n'auroient ofé
commettre de tels forfaits , s'ils avoient défiré ou cru
qu'il revînt de llnde fain & fauf : en conséquence il
les fit mettre aux fers , & condamna à mort fix-cenîs
foldats qui avoient été les inftruments de leur barbarie.
Le même jour on exécuta auffi les auteurs de la révolte
des perfes, que Cratère avoit amenés.
2. Peu de temps après arrivèrent Néarque & Onéficrite
, qui avoient eu ordre de s'avancer le plus qu'ils
pourroient fur l'Océan. Ils en racontoient ce qu'ils
avoient ouï dire, ou ce qu'ils favoient par eux-mêmes:
que dans une île qui eft à l'embouchure du fleuve
, il y avoit beaucoup d'or & point de chevaux y
que ceux qui avoient la bardieffe d*y en mener du
continent, les vendoient un talent la pièce ; que cette
mer étoit remplie de grands animaux j que, fembîables
à de- grands vaiffeaux f ils fuivoient l'impulfion de li
marée ; qu'à force de cris perçants les ayant -empêchés"
de fuivre îa flotte , ils les'avoient vus fe plonger avec
un bruit horrible , comme des vaiffeaux que ' les eaux
auroient engloutis. Quant au refte 9 - ils difoient fur la
foi des habitants , que la mer rouge ne tire pas ce nom»
comme bien des gens le penfent, de la couleur de fes
eaux, mais qu'elle le tient du roi Erythras j qu'aflez
près du continent il y-avoit une île plantée de palmiers ,
& que vers le milieu de ce bois s'èîevoit une colonne f
qui étoit le tombeau de ce roi, où l'on voyoit des caractères
du pays. Ils ajoutent, que dervaiffeaux envoyés
dans cette île par des vivandiers^ & des marchands
, fur la parole des capitaines que le bruit commun
fefoit courir après l'or, aucun n'avoit depuis reparu
à leurs ieux. Le roi, délirant d'en apprendre davantage
, leur commanda de retourner en mer, de côtoyer
la terre jufqu'à ce que leur flotte arrivât à Tem-
N vj

3OJ - LïBEM X CAP. Il
jubet êôMC ad Euphraten appetterent ctaffem 9 mde
adverfa amne Babylonem fubituros. Ipfi* animé
mfinita eomplexus, fiatuerat, omni a£ Orientem
maritimâ regione perdomitdv ex Syriâ peter e Afri~
cam â Carthaginî infinfus ; ïnde > Numidia Joli»
îudimhus peragratis s eurfum Gades dirigere ( i££
mamque columnam Htrculis ejfe famavulgaverat)^
Hifpanias deinde ,. quas. Iberiam grmei à fiunùné
Ibtra vocobanê, adiré ; & prmtervehi Alpes Ita*
liaque oram , unde in Epirum brevb curfus ejh
Jgitur Mefopotamiœ pmtoribus imperavit, materiâ
in Lïbano monte cafd deveBâque ad urbem Syrie
Thapfaeum x ingmtïum carïnas navium poutre *
feptiremes omnes ejfe , dtducique Sabylonem : cy~
priorum. regibus imperatum. % ut as fiuppamque &
vêla, prabcrcnt* Mme agmti Pori 6* Taxais rtgum
Uttm traduntur > Abifarem morbo * Philip*
pum > prafeihm ipfius, ex vulwtre ïnteriffe 9. op~
prefibsque qui vulneraffem eum : igitur Philippa
fiibfikuiê Eudmmonem, dux erat thracum £ Ab't*
farts regnum- filio ejus attribut».
3. Venmm..efi deinde Pafargadas ; perfica efi
gens 9 cujus fatrapes Or fines erat % nobilkate. ac
divkiis inter omnes barbaros. eminens :. genus.
ducebat a Cyro , quondam rege perfanon ;. opes
& â majoribus traditas habibat * & ipfe longâl
impem poffejjwne cùmulaverat. Is- régi,. eum om~
nis generis donis,. non ipfi modo ea, fisd et'mm
Mmieis ejus daturus-, oecurrk .- equorum domki
grèges fequebantur , eurrusqm argento- & auro
adomati, prêtions fupdlex , &• nobÏÏes gemma-,
aurea magni ponderis va fa , veftesque purpurea-,
& Jîgnati argenti talmtûm quatuor millia* Cetc^

VIVR-E X. CHAP.'l. JOt
fronchiire de PEuphrate, pour fe rendre à Babyîoae en
temontant ce fleuve. Pour lui, fon efprit formant à-la
fois une Infinité de projet*, II a¥oit réfolu r après, avoit
fubjugué toute k région maritime du coté de l'Orient,
de paffer de la Syrie en Afrique , parce qu'il en vou^
îoit à Carnage ; de là > après avoir traverfé les déferts
de îa Numidfe , de prendre la roule de Cadis , ou
Ta renommée puMioit qu'étofent Tes coTonnes cPHercu-»
le; d'entrer enfuite dans Tes Efpagnes, que Tes grecs
appeîoient îbirie du nom du fleuve Ibères ( ou Èbre ) §
& de longer les Alpes & la côte d'ItaKe , d*où le trajet
en Épire eft fort court. Il commanda donc aux gouverneurs
de la Méfopotamie, de faire ^couper du bois an
mont Liban, de le faire conduire à Thapfaq4ie, ville de
Syrie, pour y construire des corps de galères , toute?
à fept rangs de rames ,.& de les faire paffler à Babylone s
les rois de Chypre eurent ordre de fournir le métal »
Fétoupe, & les voiles néceffaires. Pendant qu'il s'occupoit
de ces projets , iï apprit par des lettres- des rois
Porus & Taxiles , qu*Abifares étoh mort de maladie f
& que PhHippe, fon lieutenant, ayant été afiaffiné',
ks meurtriers a voient été punis : il donna donc le gou«
vernemeot de Philippe à Eiidémon 9 qui commaadolt
les thraces , &" le royaume d'Abifares à fon fils.
3. Il alla enfuite à Pafargades ; c'eft oee ville de
Perfe , qui avoit pour fatrape Orfines, feigneur difîingué
dans le pays par fa nahîanee & par fes ricBeffes z.
îl defcendolt de Cyrus , anciennement roi de Perfe ;,
il avait hérité de fes pères èes biens considérables , &
il avoit amaffé lui-même de grands tréfors depuis le
long temps qu'il jouiffoitde fon gouvernement. Ir'vint
au- devant du roi avec des préfents de toute efpèce*
tant pour lui que pour fes courtifans : il amenoit des
troupeaux entiers de chevaux.toufcdreffés, des chariots
enrichis d'or & d'argent, des meubles précieux., de^
pierreries démarque » des vafes d'or d'un grand poids-,
des robes de pourpre , & quatre-mille talents d f argent
monaoyé* Au refte % cette générofité lui coûta, la vie l

3oi LIBER X CAP. 1.
mm$ tanta bem^àtas barbaro tau fa monts fuit s
nam quum omnes amlcos nés doms fuper ipfo~
mm vota coluiffet, Bagoa Jpadoni, qui Alexan~
drum obfequio corporis devinxerat fibi, nuttum
honorem habuh ; admonimsque à quibufdam quant
Akxandro cordi effet9 refpondit amicos régis , non
fcotta, fe colère, nec moris effe perfis mares ducere
qui fiupro effeminarentur.. His-auditis , fpado
potentiam, flagitio & dedecore qumfitam , m ca~
put nobiliffimi & mfontis exercuit ; namque gémis
ejusdem levijjîmos falfis- crim'mibus adflruxit, monitos
tum demum ta déferre quum 'ipfe juffiffet ;
intérim , quoties fine arbitris erat , creduias régis
aures implebat9 diffimulans caufam ira , quo gravior
crimlnantis auBorkas effet. NondumfufpeBus
erat Orfints, jam tamen vilior : reus enim in fecreto
agebatûr , Utentis periculi ignarus ; & importwuffimum
fconum, ne in fiupro qmdem fi*
dedecoris patienûâ fraudis oblitum, quoties amo~
rem régis in fe accenderat, Orfinen, modo avari-*
$m, interdum •etiam.defe&onis, arguebat*
4. Jam matura erant in pemiciem Innacemh
wundacia ; & fatum, cujus inevitabilis fors efi ,
Appitebat. Forte enim fepulchrum Cyri Alexander
jujfit aperiri-, in quo erat conditum ejus corpus,
cui dare volebat inferias : • auro argentoque replctum
effe crediderat, quippe ha famâ perfz vuigaverant
; fed prater clypeum ejus putrem, & arcus

LIVRE X.-CHAP. 1. . JOJ
Car quoiqu'il eût donné à tons ceux de îa Cour 'des témoignages
de conftdération par des préfents qui furpaffoient
même leurs défirs, il ne fit aucune politefle
à l'eunuque Bagoas , qui par une honteufe profêitutioa ^
s'étoit fait tendrement aimer d'Alexandre ; & quelque»
perfonnes lui ayant dit combien il étoit cher au roi , il
répondit qu'il honoroit les feigneurs de fa Cour, mai»
non pas fes concubines , & que les perfes n'avoient
pas coutume de fe fervir des hommes à cet ufage. L'eunuque
f ayant appris cette réponfe , employa tout foi»
crédit j qu'il devok à l'infamie & à l'opprobre f pour
perdre un homme refpeâable par la nobleffe de fon fang,
& par fon intégrité i pour cela il fuborna quelques fcélérats
de la ville même , à qui il donna un plan de faufles
accufations , en les prévenant de ne fe rendre dénonciateurs
que quand il le voudroit ; cependant, toutes
les fois qu'il étoit feul avec le roi t il abufoit de fa crédulité
pour lui remplir l'efprit de mille idées fauffes>
mais il ne Iaiflbit pas appercevoir qu'il .eût quelque motif
de reffentiment, afin de donner plus de poids à fes discours
malins. Orfines n'étort pas encore fufpeft, mais
il étoit déjà moins confidéré : car on le noirciflpit en
fecret, fans qu'il fe doutât du danger caché où il étoit ;.
& cet infâme eunuque obftrnément attaché à fon projet P
& toujours occupé de fa fourbe dans le temps même de
fes complaifances les plus criminelles & les plus honîeufes
, ne manquoit pas, lorfque le roi étoit dans l'ardeur
de fa paffioo, de jeter fur Orfines des foupçons
d'avarice , quelquefois même de trahifon.
4. Enfin les calomnies étoient à leur point de maturité
pour opprimer l'innocence ; & elle alloit céder an
deftin, dont les décrets font inévitables» Ea effet ïe
hafard voulut qu'Alexandre fit ouvrir le tombeau oà
repofoit le corps de Cyriis , dans l'intention de rendre
à fes cendres des honneurs funèbres : il avoit cru »
conformément au bruit qu'en avoient fait courir îés
perfes, le trouver rempli d'or & d'argent; mais il n'y
' trouva que fon bouclier tombant en pourriture » deux

'^04 LîBER X CAP. t
duos fcythîcos, & acmacem, tâhïl reperif. Cèfé*>
mm, • coronâ aureâ impofitâ , amiculo eut affue*
Virât ipfe foïium In qua corpus jac'ebat vtïavït 9
miratus tanti nomims regem » tamis pœdkum opïbus
, haud pretiofiiss fepultum elp quam fi_ fuijfct
è plèbe. Proximus trat lateri Jpado, qui g régent
intuens, Quid miram r.inquitf
eft. mania fcpul-
•chra effe regem 5 quum fatraparam. domus au*»
•nim mde egeftum capere non poffint i Quod
ad me attinet, ipfe hoc buftum antea- non vi~-
•deram ; fed ex Daria ita accepï , tria millia
talentûm condita effe cum Cyro : hinc illa benignitas
In te ; ut , qood impunè hahere non
.poterat Orfines donando % etiam gratiam iniret.
Concitaverat jam animum m iram 9 quum il
qu'eus negtnium idem dedtrat fuptrvenmnt r kïnc
JBagoas., hinc,ah e& fubomaù9 falfis crimimbus
•occupant aures ; anuquam accufan fe fufpicaretur
' Or fines 3 in vincula eft traditus* Non contentm
'fupplicio infontis , Jpado ipfe morhuro manum
'trijecit ; quem Orfines intuens 9 Audkram , mquitf
•in Afiâ oîim regnaffe femmas ; hoc vero no*
vum eft ,' regnare caftratum. Hic fuit exitus
nob'dijfimî perfarum , nec Infontis modo, fed exïmia
quoque benignitatis. in regem*
• - 5. Eodem tempore, Pbradâtes,. regnum affeStaJft
fufpeSus , occiditur. Cmperat effe prœceps ad u~
prafentanda fupplkia , idem aê détériora credenda
: feilicet res fecunda valent commutait
naturam , & raro quisquam erga bona fun fatiscautus
eft. Idem en:m paulo ante' Lynceften-Alexandrum
T detatum à duobus ïndicibus'V damnart

LIVRE X. CMAP. t. joy
arcs fcythieBs >. & un cimeterre. Du telle, il y plaça
une couronne d'or > couvrit de fon propre manteau
le cercueil où repofoit le corps » & parut fort étonné
qu'un roi fi illuftre & Il puiffant n'eût pas été enfevelî
avec plus de pompe que fi c'eût été un nomme'du commun.
Il avoir à côté de lui fon eunuque > qui en l'envi»
fageant lui dit : Qu'y a-t-il d'étonnant que les tombeaux
des misfaient vides, put/que tes maifonr des fatrapes re->
gorgent de l'or qu'Os en ont iiré? Pour moi f je n'avoi*
jamais vu ce fépulae ; mais j'ai fu de Darius , qu'on y
avait enfermé trois-mille talents avec le corps de Cyrus :
de là ces largejfes qu'on vous a faites ; afin qu'en vous
donnant ce qu'il ne pouvait garder impunément f Orfines
s'en fit du moins un titre pour fe meure en faveur» Il
avoit déjà fort aigri le roi, quand ceiix qu'il avoit apo£tés
pour le féconder vinrent à la charge : d'un côté
Bagoas > de l'autre les délateurs qu'il avoit fubornés »
lui firent entendre mille calomnies ;• Orfines ne fe doutoit
pas encore qu'on l'eût aceufé r qu'il étoit dans le»
.fers. Non content de faire trâiner au fuppliœ ua homme
qui le méritait fi peu, l'eunuqne eut mémo, l'impudence
de mettre la main fur lui au moment qu'il alloLt
mourir; mais Orfines lui dit en le regardant en face:
Pavois bien ouï dire qu'anciennement des femmes avoient
régné en Afie f; mais c'eft une nouveauté, d'y voir régner
nn refie d'Homme., Telle fut la fin du* plus ifluftre des
perfes 9 qui non feulement n'étoit point coupable, mais
qui avoit comblé le- roi de préfents avec une prodigalité
extraordinaire.
j. Dans le même temps oe-fiî mourir Phradates , fur
le foupçon qu'il avoit afpiré à la couronne. Alexandre
étoit devenu bien prompt à ordonner des Supplices fans
délai , auffi bkn qu'à prêter l'oreille aux .plus mauvais
rapports. : tant la bonne fortune eft capable de gâter le
naturel % & tant il eft rare d'être affez en garde contre
fon propre bonheur î Car ii n'y avoit pas encore long
temps qu'il n'avoit pu prendre fur lui de condamner
Alexandre - Lynceftes , quoique dénoncé par deux acciw
fateucs i ii avoit mitue conCenti que des çrimiaels d'un?

306 LIBER X. CAP. I.
non fuftinuerat ; humilions quoqm reos , contrm
fuam voluntattm, quia ctttrïs videbantur infontes
, paffiis abfolvi ; hoftibus viêis régna reduxerat
: ad ukimum, à femetipfo degeneravit usque
adeb , ut, advenus libidinem animi , arbitra*
fcorti, dits régna daret , aliïs adimeret vitanu
Jifdem firè diebus literas accepit , de rébus in
Europâ & Àfiâ gefl'u dum ipfe Indiam fubigk.
Zopyrio , Thracm prapofims , dum expeditionem t
in getas faceret , tempeftatibus proceïlisqme fubito
coorûs , cum toto exercim oppreffus erat ; qui
cognitd clade , Seuthes-Odryfas populares fims ad
defêSionem compulerat. Amiffâ propemodum Thracid
, ne Gracia quidem * [ tumultibus inconcujpt
manfiL Nam Alexander, punkâ fatraparum quo~
rumdam infolentiâ, quam, dum in extremo orbe
indorum armis attinetur, per fumma fcetera atque
flagkia in provinciales exercuerant, ceterorum me*
tum intenderat : qui , in paribus ddiBis , idem
admijfbrum pmmium exfpeBantes , in mercenario*»
rum mïlkum fidem conpigiebant , ilhrum manï*
bus , fi ad fupplicium pofcerentur, fahtem fuam
tutaturi ; aut pecuniâ, quanta poterat, coaëd,
fugam inibant, Eâ re cognitd, Ikera ad omms
Afia pmtores miffafunt, quibus infpeËis , è vef~
tigio omnes peregrinos milites qui ftipendia Jub
ipfis facerent •dimittere jubebantur* Erat inter
tos Harpalus, quem Akxander , quoi ob ipfims
amickiam olim a Philippo ejeffus folum vertiffet,
inter fidiffimos habebat , & pofl Ma^œi mortem
fatrapiâ Babylonia donaverat thefaurorumque cufto*
dm pmfeceraL Is igkur, quum fiduciam quam
* Supplément de Freinshémii» jufqu'au fécond cro*
chet.

LIVRE X CM A p. L 307
condition moins- relevée fuffent renvoyés abfouts , fefant
en cela le facriâce de fa volonté à l'opinion des
autres qui les jugeoient innocents; il avoit rétabli dans
leurs États des ennemis qu'il avoit vaincus : à la fin il
dégénéra fi fort de ce qu'il avoit été, que,. contre fou.
propre fentiment & au gré' d'un infâme proftîtué* , il
diftribuoit des royaumes aux uns & fefoit perdre la vie
aux autres. Ce fut a peu près dans ces entrefaites qu'il
apprit par des lettres, ce qui s'étoit paffé en Europe
& en Aile pendant qu'il fefoit la conquête de l'Inde.
Zopyrion , gouverneur de k Tbrace, dans une expédition
contre les gètes , furpris par des tempêtes & des
tourmentes furieufes, avoit péri avec toute fon armée »
fur cette nouvelle, Seuthès^Odryfas avoit fait révolter
fes compatriotes. Indépendamment de cette perte
de prefque toute la Thrace 9 h Grèce même [ n'étoit
pas reliée tranquile. Car Alexandre s en châtiant l'info-
Sence de quelques fatrapes s qui, pendant qu'aux ex*
trémkés de la terre il fefoit la guerre aux indiens ,
«voient commis contre îesfujets de leurs provinces les
forfaits & les crimes les plus grands , avoit infpiré de la
crainte aux autres : coupables en effet des mêmes attentats
& ne pouvant en attendre qu'un pareil châtiment
s ils fe confioient aux foldats mercenaires , pour
mettre leur vie en fureté par leur moyen, fi on les
mandoit pour les punir ; ou bien, après avoir amaffé
tout l'argent qu'ils pouvoient > ils prenoient la fuite. La
chofe ayant été fuef des lettres furent adreffées à tous
les gouverneurs de l'Afie, pour leur enjoindre de congédier
fur le champ, dès qu'ils en auroient pris lecture B
tous les foldats étrangers qui étoient à leur folde. Un
d'eux étoit Harpalus'.Philippe l'avoit autrefois exilé à caufe
de fon attachement pour Alexandre ; & en reconnoiffance
ce prince l'avoit pris en une affe£tion particulière t
& après la mort de Maxée l'avoit fait fatrape de Babylone
& garde du tréfor. Comme il avoit ruiné par Ténormité
de fes crimes toute k confiance qu'il aurait pu avoit

308 LISEM X CAP. IL
in propenfijfimâ régis gratid habere paierai , mat
gnitudine flagiâorum confumfijfei , quinque iakn«~
iorum millia ex ga^a regiâ rapïi 9 condu&âque
fex mïïlium mercenariorum manu , in E'urapam
evadit : jampridem enim , luxu & libîdinibus m
praceps traBus defperataque apud regem venid ,
adverses iram ipfius m d'unis opibus fubfidium'
circumfpicere taperai-; & athemenfes , quorum
non contemnendam potentiam & apud ceîeros gracos
auBoniaum , ium ocaâtum in Macedonas
odium norat, fedulo cohurat. Itaque jpem fuis
faciebat, athénienfes, advenm fito CBgmta copiis**
que & pecuniis quas adduceret coram infpcfGs 9
protinès arma conJUiaque fbciaturos ejfe ; nam
apud populum imperitum & mohikm s per hommes
improbos & avariùâ vénales, omnia fi muneribus
confequuturum exiftimàbat. ] Igitur triginta navi~
bus Sunium iranfmiiiuni ; promontorium eft Mîkm
serra» unde portum urbis petere decrcveram»
H. M's cojmiih, rex, Marpalo athenïenfibus^
que juxta injtflus , claffem parari jubet, Athtnas
promus petiturus* Quod confilium dum agiiat
clam , litera ei reddumur, Harpalum întraffe qui»
dem Athenas ; pecwûâ conciliajjh fibi principum
animos ; mox * concilia pkb'u babito , juffum
urbe excedere f ad gratos milites pcrveniffc ; à
qu'eus interfeâum, Thymbrone quodam auéore 9
per infidias. Mis lattis, in Europam trajicienêi
'confilium omifit : fed exfuies, prater eorqmi civiB
fanguine afperfi erant, recipi ab omnibus graco*mm
civitatibus quibus pulfi erànt jujfit^ & gracr*

LIKKM X. €EAP« IL 309
tlans 4'affection & îa faveur du roi, il enleva cinq-milie
talents du tréfor royal, prit à fa folde un corps de
fix-mille hommes, & s'enfuit en Europe : car abîmé par
fon luxe & par (es «débauches & défefpérant d'obtenir
fon pardon -du roi, il y avoit déjà long temps qu'il cberçhoit
de tous côtés à fe mettre i l'abri de fon indignation
•n s'aflurant de quelque fecours étranger ; & il avoit
cultivé avec foin l'amitié des athéniens f dont il favoit
que la puiffance n*étoit point à méprifer, qu'ils avoient
beaucoup de crédit auprès des autres grecs , & qu'ils
JiaïfToient fecrètement les macédoniens. Il fêtait donc
efpérer à fes taldats , que les athéniens, dès qu'ils le '
fauroient arrivé & qu'ils verroient de leurs ieux les
troupes & l'argent qu'il avoit avec lui, ne manqueroient
pas auffitôt -de joindre kurs armes aux Hennés & de
l'aider de leurs coofeiîs; carii étoit perfuadé qu'auprès
d'un peuple imprudent • & léger s par l'entremife de
quelques hommes pervers dont l'ame vénale ne fonge»
roit qu'à fatisfaire leur avarice , il obtiendrait tout .par
des largeiTes.] Ils paffièrent -donc à Sunium fur une flotte
. de trente vaiûeaux ; c'eft un promontoire de PAttique,
d'où ils avoient réfolu de gagnée le port d'Athènes.
llm SUT îa nouvelle qu'il en eut, Alexandre, égale-
•ment irrité contre Harpalus & contre les athéniens, fit
équiper une flotte , dans le deffein d'aller inceflamment
i Athènes. Mais pendant qu'il étoit fecrètement occupé
de'ce projetf il eut avis par lettres, qu'Harpalusi la
•ériîé étoit entré dans Athènes ; qu'il avoit ga-gné les
principaux à force d'argent ; mais que bientôt après §
le peuple affemfelé lui ayant fait commandement de vider
la ville t il s'étoit retiré vers les troupes grèques 1 &
que, fur les iaftances d'un nommé Thymbron , elles
l'avoient tué en trahifon. Ces nouvelles lui furent
agréables , & lui firent abandonner le deffein de pa-ffer
en Europe : mais il ordonna , qu'à la réferve de ceux
qui s'étoient fouillés du fang de leurs citoyens, les
autres exilés rentreraient dans toutes les villes de la
Crées» Ôcles grecs # n'o&nt contrevenir à cette ©rdoa-

jio LIBER X CAP. IL
àaud aufi impêrium afpernari, quanquam folvut>
darum legum id pr'mcipium ejfe cenfebant, bom
quoque qua exflarent reflimire damnatis. Soli âtht~
menfes , non fua modo fed etiam publiœ vind*
ces libertatis , coUuvîonem hominum qma £§rèt
ferebant-, non regio imperio^ fed iegibus moribus»
que paîrïis régi ajfmti, prohibuêrt finibus ; &nmk
poùus toleraturi» quant purgamenta quondam urbis
Jua, tune eiiam exfilii9 admhterenu Akxander,
fenioribus militum in patriam remifiis tredecim
milita pedimm & -duo mHlia equitum , qua in
Afiâ rtûnertt , eligi juffît ; exiftimans modkù
txercku continere pojfe Afiam , quia piuribus loris
prafidia difpofmffet, nuperque condiias urbes ,

LIVRE. X.CHAP. IL 3.11liante
, quoiqu'ils jiigeaflent que c'étoit un premier coup
qui tendoit au renverfement des lois, allèrent jufqu'à
rendre aux bannis ceux de leurs biens qui étoient encore
en nature. Les feuls athéniens , protecteurs de la
liberté publique autant que de la leur , accoutumés
«Tailleurs à être gouvernés f non par des rois, mais par
leurs lois & leur coutumes, défendirent l'entrée de leurs
terres à ce vil ramas qu'ils ne pouvoient fouf&ir ; &
ils fe réfolurent à tout endurer plutôt que de recevoir
cette canaille , autrefois la featine de leur ville , &
alors la lie même des exilés. Alexandre fit faire un
choix de treize-mille hommes d'infanterie & de deuxmille
de cavalerie, pour les retenir en Afîes après avoir
renvoyé les vieux foldats ; croyant qu'avec les garnirons
qu'il avoit mifes en différents - poftes 9 cette petite
armée étoit fuffifante pour affûrer.fes conquêtes, &
que les villes nouvellement fondées & peuplées de fes
colonies tenoient en bride ceux qui feroieat tentés de
remuer.
y. Aa refte, avant de faire choix de ceux qui de-
Yoïent relier, il exigea de tous les foldats un état de
leurs dettes : il favoit. que plufieurs en étoient écrafés ;
& quoiqu'elles vinffent de leur mauvaife conduite s il
avoit pourtant réfolu de les aquiter. Les foldats,. ayant
imaginé que c'étoit un piège pour diftinguer ceux qui '
n*étoient point obérés d'ayec ceux qui auroient fait de
folles dépenfes f tirèrent pendant quelque temps- en
longueur : mais le roi s affez fur que c'étoit îa honte
de faire cette déclaration f & non un motif de défobéiffance,
qui îes.arrétoit, établit des bureaux par
tout le camp & y lit porter dix-mille talents. La confiance
étant enfin établie parla, ils firent leurs déclara»
tions ; & d'une fi grande fomme il n'y eut de refte que cent
trente talents : ainfi, cette armée , vïftorieufe de tant
de nations très-riches, remporta de l'Afie plus de gloire
que de butin. Mais quand ils furent que l'on coogédioit
les uns & que Ton retenoit les autres ; penfant que le
roi alloit fixer à perpétuité dans l'Afie le liège de fon
Empire , ils devinrent furieux , rompirent les liens de

3fi LIBER X. CAP. IL
taftra comptent , regemque firociàs quam alias
ndorti, omnes fimul mijfimem poftulare cœperunt,
ieformia ora cicatricibus caniûemque capitum often»
tantes ; me aut pmfeBomm caftigatione aut vert*
cundid régis deterriti, tumultuofo clamort & mi"
Utari videntii voknttm loqui inkibebant-j palàm
profeffi nus quam inde nifi in patriam veftigium
effè moturos» Tandem filenûo faBo magis quia
motum effe credebant quam quia ipfi moveri pote*
rant, quidnam aëurus effet exfpeêabant. Me ,
Quid haec , 'inquit, repens confternatio & tam
procax atone efinfa licentia demandai ? Eloqui
timeo : palàm certè rupiftis imperium, & precario
rex fum ; cal non alloquendi , non nof-'
cendi monendique , . aut intuendi vos jus reliquiftis.
Equidem quum alios dimittere in patriam
, alios mecum paulo poft deportare ftatuerim
; tam illos acclamantes video qui abkuri
font, quant hos cum quibus prœmiflbs fobfequi
ftatui : quid hoc eft rei ? difpari in causa idem
omnium damor eft 1 pervelim feire utram qui
difeedunt 3 an qui retinentur, de me querantur,
8. Crederes uno vre omnes fuftulijfe clamorem ,
ha pariter ex miâ condone rejponfum tft omnes
querl Tum Me, Non, Hercule ! inquit, poteft
èeri ut adducar^ querendi fimul omnibus hanc
caufam effe quam oftenditis, in qui major pars
cxercitûs non eft , utpote quum plures dimir
ferim quam retentnnis fum. Subeft nimiram
aîtius malum, quod omnes avertit à me : quando
enim regem univerfus exercitus déferait.? ne
fervi quidem uno grege profogkrat dominos f
la

LIVRE X CMAP. II. 315
la ffifciplme militaire , 'remplirent le camp de cris féditieux,
abordèrent îe roi d'un air plus-fier'que jamais, &
demandèrent tous enfémble à être licenciés f ea lui montrant
les cicatrices de leurs" Yifages & leurs chevenas
blancs ; &fans être retenus^arles réprimande* des chefs
ou par le refpeâ qu'ils dévoient au roi, lorfqu'H vouîoit
parier ils Finterrompoient par des clameurs tumultueu»
Ses & avec tout l'emportement de la foldatefque, "jurant
hautement qu'ils ne partiroient de là que pour retourner
chez eux.-Enfin iîs firent filence, plus tôt parce qu'ils
-crureat le roi ébranlé que pour avoir pu eux-mêmes
changer de .fenîimcnt f & ils voulurent voir quel " parti
il alloit prendre. Quefegnifie, dit-il alors , ce mécom*
tentement fondai* t cette licence infolente & effrénée ?
le ne parle qu'en tremblant : car il eft y rai que vous vene\
éefec&uer ouvertement le jjoug de l'autorité 9 & que je ne
fuis puis roi que -de nom ; pujfque .vous ne m'avez laiffé le
droit ni Me VûUS parler , ni de conn&itre vos intentions t ni
de vous infiruire des miennes, ni mime de vous regarder en
face* En effet quoique j*aye rîfolu de renvoyer Us uns dans
ieur patrie , & d'y remener dans peu les autres avec moi ;
j'entends également les clameurs de ceux qui font près de
partir & de ceuxAVit qui je me fuis propofé -de hs fuivrti
^u'efl~ce qu'un pareil procédé ? quoi, les .mimes cris damsdes
pofitiom fi différentes ! je voudrois Bien favoir fi ce
Jont ceux qui partent , ou ceux jqui font retenus 9 qui fi
plaignent de moi,
8. On eût dit que le cri de tous ne fortoit que d'une
bouche s tant ils's'accordèrent à répondre de toutes parts
qu'ils fe plaignoient tous. Non certes, repritalorsle roi f
'Û n'eft pas p&JfMe que je croye que cette plainte générale •
-vienne dufujetque vous prétexte\, auquel la plus grande
spartie de l'armée ii*a aucun intérêt, puisque j'en ai ïïcen*- •
*€té plus que je ne -veux en retenir. Il y a fans doute dam
v$.cœurs -quelque'levain plus ancien qui vous détache dt '
moi .£ car vit-on jamais une armée tnfière abandonner
fou roi ? des efclavts mime m défment jw tous enfenéle3
' Tome II ' O

•314 LIBER X. CAP* IL
fed eft quidam in illis piidor à cetcris deffitutos
relinquendi.
Veram ego , tam fariofae confternationis oblitus,
remédia infanabilibes conor adhibere ! Omnem,
Hercule ! fpem quam ex vobis conceperam
damno ; nec ut eum miBtibus meis, jam
ensm effe deftitiftis , fed et cum mgranilmis
©porfet , agere decrevi. Secundis rébus qua»
ciraftnfluunt vos infanire eœpiftis3 obliti ftatûs
ejus quem benefici© exuiftis meo ^ digni f Hercule
! qui in eodem coafenefcafis.f quoniam
facilius eft. vobis adverfam quam iftcundam regere
fortunam. "*>•
•*
En tandem illyrîorum paulo ante & perfarum
tributariis Afia & tôt gentium fpolia faftidio
finit ! modo fub Philippo feminudis ami-
•cula ex purpura fordent* aurum & argentum
©culi ferre non pofTunt ; Bgnea enim vafa defiderant,
& ex cratibus fcuta, rabigkemque
gladioram. Hoc cultu nitentes vos accepi, &
quingenta talenta «ris-alieni ( quum omnis regia
rapcHex haud amplius -quam fexaginta tafentorum
effet ), meorum operam fandamenta;
quibus tamen ( abfit invidia ) imperium
'maximse terraram partis impofui
Afisene pertaefum eft, que vos gloriâ rerum
geftarum diis pares fecit ? in Europam ire pro-
.peratis , rege deferto, quum pluribus veftrûm
iefotumm viaticum fuerit, ni ses alienum luit-'
•ièm , nempe in afiatkâ pradâ. Nec pudet ,
•profundo ventre deviftaram gentium fpolia cif-
€umferentes , xeverti vcllc amliberos conjuges*

LIVRE X CM A p. IL 315
Ht ont une forte de honte de quitter des maures que les
maires abandonnent.
Mais quoi ! j'oublie que votre mécontentement va jufq
u f â la fureur # & je cherche à guérir des cœurs incurables I
le me reproche, j'en jure^ toutes les idées avantageufes
que j'avois de vous ; & je fuis réfolu de vous traiter t non
€omme mes folâats % car aujôurdhui vous ave\ renoncé à
l'être , mais comme on doit traiter les plus ingrats des
hommes. L'excès de la profpérité vous a tourné la t ! tc ,
é> vous âvei^ubUé l'état d'où ma bienfefance vous a tirés j
vous êtes , m vérité s bien dignes d'y croupir juf qu'à
•la vieilleffe* puifque vous fave\mkux vous gouverner dans
Padverfiti ç t dans la profpéritém
Voilà dont enfin ces hommes, qui étoient s il n'y a pas
long temps f tributaires des illyriens & des perfes , dégoûtés
aujôurdhui de l'Empire de l'Afie & des dépouilles de
tant de nations ! Prefque nudsfous le règne de Philippe f
ils dédaignent aujôurdhui des manteaux de pourpre t l'qr
& l'argent leur bleffent les ieux , ils regrettent ' leur vaiffelle
de bois f leurs boucliers d'ofier, leurs épéts couvertes
de rouille. Tel efi .en effet -le brillant équipage où je
vous trouvai en montant fur le trône , outre une dette de
cinq-cents talents s quoique toutes les richejfes de la Coutonne
ne montaient pas à plus de foixanie; voilà tous les
fonds avec lefquelsj'ai mis la main a mer vafles entreprïfes
, 6» avec lefquels 9 je peux'le dire hardiment, je
m'ai pas laijfé de faire la loi à la plus grandéfpartie de
la terre»
Quoi ! vous vous emuye\ fi fort de l'Afie f où la
gloire de voé exploits vous a égalés aux dieux ? vous
hrûle\ de retourner en Europe f aux dépens de la fidélité
que vous deveià votre roit quoique plufieurs d'entre vous
eujfent été dans le cas de manquer du nécejfairt pour faire
cette route , fi je n'euffe payé leurs dettes , au milku mi»
*me des riches dépouilles de l'Afie» Vous ne rougiffei pas ,
en ne portant partout que la honte d'avoir englouti par vos
débauches ks dépouilles des nations vaincues, de vouloir
utQurntr vers vos femmes & vos wfants , à qui bien peu
Oij .

3'i'S 'LIBER X. CAP. 111.
que f quibus paucl praemia viftorias poteftk
t>ftendere ; nam cêterorum , dum etiam fpei
-veftr-ae obviam HHs , arma quoque pignon font.
Bonis ¥er© militibus carituras fum, pellicum
'iiiatum concubinis , quibus hoc folusn ex taiitls
-opibus fupereft qwod impendkur !
Ptoinde fugtentibus me pateant limites ; fecefiite
Mnc ocyus, ego cum périls abeuntium
terga tutabor : neminera teneo ; liberâte oculos
meos 9 ingratifllmi Cives. Laeti YOS excipient
parentes liberïque fine veftro rege redeuntes !
ebviam ibunt defertoribus transfiigisqiie 1 Triumphabo
f me Hercule ! de fugâ yeftrâ, & ubicuinque
ero expetam pœnas , hos cum quibus
me relinquitis colendo 'praeferendocpie Yobis.
Jara autem fcietis, & quantum fine rege valeat
«erdtus , & quid ©pis in me uno fit. Défiluit
deinde frendens de tribunali & in médium '
srmatorwn agmenfe immifit ; notatos quoque qui
ferocijfinû .obhquuû erant , finguios manu corri-
.fuit ; nec aufos repugnare , tredecim, affirvandos
£uftod3us corpoj'u tmdMfa.
III. Quk eredem Jkvam paido- ante œncwnem
cbtorpwjfih fubito metu ; & quum ad fupplkium
vident trahi nihil aufôs graviora quant ceteros 3
[ * tam effufam 'antea licem'mm atque fidkiofam
militum vioîentiam ha -comprejfam, ut ', non -modo
nuiius ex omn'éus irmenti régi refliterit, verum
etiam eunËi3 pMvore exanimaû , attonitis. finales,
quid de ipjis quoque rex flatuendum cenferet fufpensa
mente exfpeBarint? Itaque^ , five nommis ,
* Ce ^m eft ici entre deux crochets 'manque dans
plufîeurs manuferits pu iditfcns ^imprimées, &fe UQum
dms d'autres»

LIVRE X. CUAP. 111. 317
d'entre vous feront m état de faire voir desfruks de kurs
viBoires; car pour les autres % tandis mime que vous vous
occupiez de Vefplrance i>un retour prochain 9 «m déjà
engagé jufqu'â leurs armes, O Us Braves foldats que je
vas perdre ,. dignes compagnons des femmes d'ébauchées #
avec îefqmelles Es achèvent de diffiper le peu qui kur
refte de tant de richeffes t
Que les chemins foient donc Hères pour ceux qui reu**
lent me fut ; rettre^-rous promptement d 9 ieit j*affûrerai
'même votre retraite avec les perfes ; je ne retiens ptrfome *m
déUvre\mes ieux de votre préfenct,. Citoyens ingrats. Que
vos parents & vos enfants feront enchantés de vous revoir
fans votre roi ! comme ils accourront pour embraffer des
défcrttms 9 des transfuges ! Je triompherai > n'en 'doute\
pas f de votre fuite, & partout ou je ferai je vous en ferai
repentir f en comblant de biens s en vous préférant ces
étrangers avec qui vous me laifft\. Mais bientôt vousfaure\
ce que peut une armée fans fon roi , & combien, il y. A ifreffource
dans ma perjbnne feule* Là-deffos H descendit
brafquemeot de fou tribunal dans un accès de foreur ,
& fe jeta au milieu de cette foidatefque armée ; il y
remarqua ceux qui avoient parlé airec îe plus d'infoience
, Ses faifit lui-même Pun après Tautre , & fans
qu'ils ofaflent faire îa moindre réfiftance, H en remit
treize entre les mains de fes gardes du corps.
1IL Qui croiroit que cette multitude , un peu auparayant
agitée de fureur, demeura tout à coup immobile
d'effroi ; & que f qeoiqu f iIs Giflent mener au fupplice
leurs camarades f qui n'étoient pas plus criminels que le»
autres f cette licence effrénée , cet emportement féditieus
f que les foldats Yenoient de montrer % fe calma
au point, que non feulement aucun cl*eux ne réMa au
roi quand iî fe jeta au milieu d'eux, mais que tous au
contraire t interdits & à demi morts de peur, attendirent
en tremblant ce qu'il lui plairoît d'ordonner de
chacun d'eux } Soit donc que cela vint de la réYérence
fdieleufe que les fujett des rois ont pour leur dignité f
O iij

3i3 LIBER X. CAP. 111.
quod gentes qum Jub regibus fiait inter deos «?—
Iunt, five propria ipfius veneratio , five fiducia
tantâ vi exercentis imperium contenait eos : fin-'
guiare cerû ediderunt patientm exemplum ; adedque
non fiait, accenfi [upplicio commUitonum 9
quum Jub noEkm interfeBos effe noffent, ut nihil
omiferint quod finguli magh qbedienter ac piè fa»
gèrent, fïam quum pofiêro die, prohibai aditu m
reniffcnt, afiaticis modo militibus adtmjps, lugubrem
tous caflris edidêre ciamorem , denundanteS'
fi protinus effe morkuros , fi rex perfeverareê
' irafci. At Me 9 pervieacis ad omnia qua agitaffètanimi
, peregrinorum mUitum concionejn advocarî
jubet, macedonièus intra caftra cohihkis ; & quum
fréquentes coiffent, adhibka interprète , totem orar*
tfanem àaèuk:
10. Qiram ex Enropi trajieerem in Àfiam »,
militas nbbiles gentes 5 magnam vim fiomlnum
ïmpario meo me addituram effe fperabam :
nec deceptus Iran, quod de his credidi fam» ;
fed ad illa hoc qooque acceflit, quod video
fortes vifos , erga reges fùos pietatis înviétae.
Luxu omnia fluere credideram 9 & nimiâ felicitatë
mergi in voluptates : at Hercule ! munis
militiae hoc animorum corpontmque robore
àquè impîgrè toleratis; & quum fortes virî
fitis , non fortitudinem magis quam fidem co
litis. Hoc ego nunc primum profiteor, fed olim'
fcio ; itaqiie & deleôum è vobis junioram habui
, & vos meoram militum corpori immiiV
cui : idem habitus, eadem arma iunt vobis ;
©bfequium vero & patientîa imperii longé

LIVRE X. CMAP. 111. 319
©n du refpeû que ceux-ci avofent en particulier pouf
la petfonne d'Alexandre , foit que la hardiefle avec laquelle
iî ufa fi vigouteufement de fon autorité les eût
épouvantés : ii eft certain qu'ils donnèrent un exemple
fignalé de patience ; & loin de montrer aucun reffentiment
de la mort de-leurs camarades» quand ils appri*
rent qu'ils avoient été exécutés fur le foir t il n'y eut
rien au contraire qu'ils ne fiffent chacun en particulier
pour marquer à l*envi leur obéiffance & leur attachement
inviolable. Auffi le lendemain s'étantpréfentés
chez le roi, quand ils virent qu'on leur refufoit
la porté & qu'on ne laiffoit entrer que les foldats afiatiques,
ils remplirent le camp de cris douloureux f &
déclarèrent qu'ils n'avoient plus qu'à mourir, Ii la colère
du roi perfiftoit. Mais ce prince f opiniâtre dans fes réfolutions
1 mit les macédoniens aux arrêts dans leur camp t
lit appeler les foldats écrangers, & quand ils furent
affemblés en grand nombre , il leur parla ainfî par l'en- %
îremife d'un truchement :
I o. Quand je pajfai d'Europe en Afie, je me promtttois
d* ajouter à mon Empire plufieurs nations célèbres & ungrand
nombre d'hommes : je ne me fuis point trompé furce
que j 9 ai prifumé d'eux d'après la renommée ; mais ce
à quoi je ne m'étois pas attendu, c*eft que je vois des hommes
pleins de courage, dont l'amour pour Imr roi eftinvio*
table, J'avois cm que h luxe itok exceffifcn tout s 6» que
trop de profpérité vous ampliffoit dans les délices : mais
tertes vous fupporte\les fatigues de la guerre avec une fer*
meté que vous tene\également de la vigueur du corps & de la
grandeur du courage ; & tout vaillants que vous êtes f vous
m*êtes pas moins fidèles que courageux* C'efi sujourdhui
là première fois que j f en fais la déclaration , mais il y.
m long temps que je h fais ; & c'eji pour cela que j'ai
choifi parmi vous l'élite de la Jeuneffe , & que je vous ai
incorporés dans mes troupes : vous ave\ h mime habit &
les mimes armes que les autres 9 mais par votre obéijfanct
& votre foumijfion à la difciplme vous l'emporte^ de beau-*
coup fur eux* Cift par ces confidératmns que j f ai épovfi
O iv

32o LIBER X CAP, IV.
praftantior eft quant ceteris. Ergo Ipfe Oxartb-^
perfa , filiam mecum In matrimonio junxi 9
non ckdignatus ex captiva liberos tolkre : mox:
demde, quum ftirpem generis mei latiùs pro

LIVRE X CMAP. IK 321
îéifilk d'Oxartu, qui efi perfe, fins me faim une peine
d'mvmr des enfants d'une captive : ài.mtSt après, difirant
donner à ma Maifen une plus nombreufe poftirki f j'ai
pris m mariage la fille de Darius ; & j'ai engagé ceux
de ma, Cour qui me touchent de plus près à faire de pa~
reilles alliances avec des captives , afin défaire difpamîtrt
par ce lien facri toute différence de vaincu & de vainqueur*
Regarde\*vous donc comme mes foldats.naturels > & non
€omme intrus dans mes tr&upts ; . l'A fie & l'Europe ne
font qu'un feul royaume : je vous arme comme ks macé»
doniens ; j'ai affermi pour jamais cette nouv$auté extraordinaire
, vous êtes mes citoyens & mesfoldals : tout prend
aujourdkui la mime couleuri il n'efimefféamé % ni aux perfes
de copier Us ufages des macédoniens , ni aux macédoniens
d'imiter ks perfes ; il ne faut qu'une coutume à des peuples
qui doivent vivre fous un mime roi. Après ce difcours,
iî fit des perfes fe$ gardes du corp*, les nsiniftres
de fa juftke f les porteurs de fes ordres : ce fut,
lorfqu'ils traînèrent an fupplice les macédoniens enchainés
qui avoient excité la fédition, qu'un de ces malheuteus,
dit-on , homme eftimé & refpeâable par fou
Ige s dit au roi :
IV, Jufqu'â quand fongere^-v&ms à vous fitisfihe par
desfûpplices , & desfuppUees en ufage che\ les étrangers'?'
Vos Jbldats , vos citoyens , font menés à la mon fans
forme de procès ! fi vous juge\ qu f ik Vont mitket, don**
ne^leur fa moins d'autres exécuteurs, C'étok un. avis faluraire
, s'il eût pu entendre la vérité ; mais fa- celèr#
étoit montée jufqu'à la fureur , de forte qm h les exécu*
leurs ayant paru héfîter un peu » il leur ordonna upe
féconde fois de jeter ces malheureux dans la rivière enchaînés
comme ils étoient. Cette rigueur même ne fouleva
point les foldats : ils allèrent au contraire par compagnies
trouver les chefs & Us feigneurs de ia Cour,
pour demander par leur entremife, que, fi-le- toren
jugeoit encore quelques autres coupable*,de quelque
O v

32i LIBER X. CAP. IK
adhuc prîftind noxa judicaret cffi contaËos , jubéreî
interfici ; ojferre fe corpora km, trucidaret,
* [ Tandem pm dolore vïx mentis compotes , uni*»
ver fi concummt ad regiam, armuque ante fores
projetas, mnkad adftantes , nuda & obnoxia.
pmms corpora admitti fientes orabant ; non Je
deprecari, quin fupplkiu fonùum expiarentur qum
per contumaciam ddimàffent ; régis kacundmm
fibi morte triftwrem ejfè. Quumqut, dus noBesque
ante regiam perfiftentes, mirabiii ciamore habttuque
panitenûam juam approbarent, biduum tamem
adverses humiiiimas fuorum preces iracundia ejus
duravk : tertio dk, viBus conftantiâ Jupplicum »
procejfit ; incujatdque kniter exercitûs immodefiia,
mon fine muku utrimque lacrùms , m gratiam fe
eum ipfis redire profijfus eft» Digna tamen res
vif a eft qum majoribus koftik expiaretur; itaque ,
facrificio magnifiée perpetrato , macedonum fimul
perfarumque primores ïmitavh ad epulas : novem
miîlia eo convivio excepifie proditum eft mémo*
rim ; eosque omnes , invitante rege , ex eodem
cratère ÏÏbaviffe , grack barbarisque vatièus , tum
aKa faufta vota pmeumtibus 9 tum imprimu ut ta
utriusque Imperii in idem corpus coaUta focietas
perpétua foret.
Maturata deinde efi mififio , & infirmij/Èmus
quuque exauBorad : amicorum quoque femorum
quibusdam commeatum dedk ,* ex quibus Clkus
cognomento Aibus , Gorgiasque , & Poiydamas %
& Antigènes fuêre. Abeuntibus non modo prnte*
riù tempom ftipendia xum fide perfolvit » verum
• * Ce qui fuit jn£qis s »i chap» V. a été fuppléé par
fffissMîaîiit*

'LIVRE X. CHAP. IF. 315
ancienne faute y il les fit mourir ; qu'ils abandonnoient
leurs perfonnes à fa vengeance, & qu'il n'avoit qu'à
fraper. Enfin ne pouvant plus tenir contre l'excès de
leur douleur, ils coururent tous enfemble à la tente
du roi, jetèrent leurs armes devant fa porte , & vêtus
amplement de leurs tuniques , ils follicitèrent la permiffion
d'entrer nuds & en état de fubir toutes fortes de
châtiments ; qu'ils ne demandoient pas que leurs défobéiflances
ne fuffent point expiées par les fupplices dûs
aux plus grands criminels ; mais que la colère du roi
les affiigeoit plus que la mort Quoiqu*iîs reftaffent constamment
jour & nuit devant la tente du roi, & que par
leurs gémïffements & -leur maintien ils donnaffent éts
preuves étonnantes de leur repentir » la colère de ce
prince ne laiffa pas de tenir deux jours entiers contre
les plus humbles fupplications de fes foldats : il fortît
enfin le troifième jour, vaincu par la perfévérance de
leurs prières; & après qu'il fe fut]plaint avec douceur
de la licence «de l'armée , non fans qu'il y eût beaucoup
de larmes répandues de part & d'autre , il déclara qu'il
leur rendoit fes bonnes grâces. On crut néanmoins que .
la chofe méritoit bien d'être expiée de la manière la
plus folennelie ; ainfi 9 Ton lit un facrifice magnifique s
& le roi invita enfuite à un même feftis les plus confîdérables
des macédoniens & des perfes : on tient par
tradition qu'il y eut à ce repas neuf-mille convives ;
que tous, fur l'invitation du roi f burent dans la même
coupe ; & que cependant les devins grecs & barbares 9
entre les autres vœux dont ils prononçaient la formule
les premiers , fouhaitèrent furtout que cette union des
deux Empires en un feul corps fût perpétuelle.
On expédia enfuite les congés , & on licencia tous
ceux que leurs infirmités mettoient hors d'état de fer-
Tir : il permit aufli de fe retirer à quelques-uns des plus
anciens de fa cour, entre autres à Clitus furnommé Le%
blanc , à Gorgias, à Polydamas , 8t à Antigènes. A leur
• départ, outre qu'il leur paya fidèlement toute leur folde
pour le paffe , il donna à chaque foldat un talent fous le
O vj

324 LIBER X CAP. IV.
etiam talentum adqeek m finguhs mîtes viatici
momsnt. Fd'ws §x afiatkïs uxoribus fujbsptos ( aê
itctm milita fiàffe tradkur ) apud fe relinquî
pijfit 9 ne 9 in Macedoniam cum parentibus trnnfgreffi
&• conjugibus liberisque prioribus permixti m
famttias fmgulorum conttnûonïbus & difc&rdiis
împlerent ; Jîbi cura fore poWicitus. m x patria
mort inftituti, mÏÏhm artes edocerenatr. Ita , Jupra
decem veteranorum miliia dimijfa funt, addi-*
iusque tft Craterus, qui tos deductrtt, ex pmci-*puis
rtgis amlck ; ifti fi quid humankàs conti-gijftt
, Polyptrchonû partre jsffi fiait. Lkeri*
êùam ad Amipatrum fcriptk, honortm emeritis
habtri pmcepk, ut, quoties àtdi atque certaminaeierentur
%,m prïmis ordmibus coronaû fpeâarent £
mtque fato fiin&àrum libtà , etiam impubères x in
paterna ftipendîa fucctderenu
Çratemm Macedomm contmentitusque regwnir
bus cum impcr'w prmejfe phcuit , Antïpatrum
mm Jkppitmento. juniorum maceabnum ad regem
pergtre. Vertbatur mim m , per difiordiam prêt*'
fiai cum Olympiade- » gmvk aequo, chies- acciperetltr
: nam midtas ai Alexandrum epifioLss
w^ater , multas Anûpater miferat; vïàjjimqut altefalterum
arroganttr & acerbe' pitraque ficere criminabantur
,. quœ ai deitcus aut detrimentum regiaz
inajeftatk ptrtimerent. Pojtquam-enim rumor occifi
rtgis, ttmert vulgatus, in Macedoniam pénétra-*
viffèt, mater ejus fororq^e Chopatra mtmdtMatm
futrant; & hm qu'idem patemum reftmm, Olym»
pias Kpirum invaferat,. Forte dum ejusmodi literm
Ttddumw , Hephaftion, affuttus omnium arca—
mrttM fe pamcipem kaberi, refignatas ab Alc~
xmiro Jimuï'mfpickbat$ mqut vttmt tum. rtx %

LIVRE X. CMAP. IV. j2f
prétexte de* frais' du voyage- Il voulut qu* o» lui laiflat
les enfants qu'ilsavoient eus- des femmes afiatiques, dont
®n dk que le nombre monîoit jufqu'à dix-mille, de peur
que > paffaat avec leurs pètes dans- îa Macédoine , ÔC
fe mêlant avec leurs premières femmes & leurs enfants p
ils ne devînffent d'ans chaque famille des fujeîs de divifions.
& de difconfe ; & il promit d'avoir foin qu'ils reçuflent
l'éducation nationale , & qu*on les formât dan*
les exercices militaires. Ainfî , H congédia plus de dixmille
vétérans, & leur donna , pour les conduire, Cra«
tère, Pun des premiers de fa tour ; & s'il lu* arrivoit
de payer le tribut de l'humanité > ijs eurent ordre d'obéir
i Polyperchom 11 manda auffi. à Antipater 9 par
des lettres particulières* de traiter honorablement les
foîdats émérites ; que % toutes les fois qu'il y auroit ie&
jeux fit des exercices "publics r ils y fuffent placés avec
des couronnes aux premiers rangs des fpe&ateurs ; &
qu'après leur mort, leurs enfants , même avant Pige de
puberté t fuccédaflent pour la foîde à leurs pères.
11 jugea à propos de donner à Cratère te gouverne*
ment de la Macédoine & des provinces contiguës, & défaire-venir
près de lui Antipater avec un renfort de jeunes
macédoniens» Car il appréhendok que la mauvaife'
intelligence de ce gouverneur avec Olyiepias n'occafionnit
quelque grand- malheur : en effet Alexandre
avoit reçu plufieurs lettres fit de fa mère fie d'Asfipater
; ils s'accufoîent Tus Pautre de procédés hautains fit
violents » qui commettoient l'honneur ou les intérêts.
de la majefté royale. Principalement lorfque fe bruit
fe répandit par hafard dans îa Macédoine que îe roi avoit
été tué, fa mère8c fa Cœur Cléopatreavoieat excité
des troubles; Cléopatre s'étoit emparée du royaume'
de fes pères, fie Olympias de PÉpke. Un- jour qu'Aie- '
landre reçut de- pareilles lettres fie les- ouvrit p Hé* -
piueftion , accoutumé à fe voii communiquer tous le*
fecrets f y jeta les ieux en même temps ; le roi se l'en
empêcha pas 9 mais il tira Panneau de fon doigt fie lui
en mit le cachet fur la bouche , pour lui faire entendra

ji6 LIBER X CAP. IF
fed detraikm digito anmdum *@ri hmm\s ainmvit
, ràhil eorum qum perfcripta ejfent in alios
efferendum fignificans : incufafje autem ambos fer*
iur , & matris infolentia permomm exciamajfe,
tam pro habkatione decem menfium quam m utero
fibï prmbuijfet gravent mercedem exigere ; Amipatrum
vero fufpeBum habuiffè, quafi parti ex
fpartams viSoria toUentem animas , & imperio
tôt jam m armas prorogam fupra pmfeiB modum
elatum* Itaque, quum ejus gravita* atque inîegrkas
à quibusdam prmdicaretur ; Jubjecit, ex-*
terius faidera album videri, fed 3 fi pemtus ïnm->
fpkiatur, ta tara effepurpureum : prejjit tamen fuspkionem
fuam, nequt uliara manifeftius abdknâû
animi iadkiura pratuUt. Credïdire tamen pierique,
Antipatrum, evocari fe fupplicii causa râtum $
impiis machmaûombus regim mortu9 qua.pauk
poft fequuta tft, auBorem exftitijfe»
lnterea rex, ut immmùù exercitus detrimtnta
farciret 9 optimum-quemqtu perforum in macedonicos
ordines allegit ; mUk itiam prœfiantiffimos
fegrègavit' ad propiorem fui corporis cufioéam ;
aliam haftatorum manum 9 haud pandores decem
miUibus 3 cïrca regïum tabernaculum êxcubias agere
juJJiL Hmc agenti Peucejles fupervenit cum vigmii
fagktariorum funditorumque miliibus , quos ex fui
provinciâ coëgerat : his per exercitum diflribuds ,
profeBus eft Sufis , Tigrique amne tranfmiffo ,
apud Carrhas cafirametatus efl ; inde quatriduo ,
per Sittacenen 'du0k copiis , Sambana procejpt,
ubi per feptem dus qukmm agmên tenuit : tridtd
demie ïtinere emenfo , Cebnas perventum tfi. Oppidum
hoc tenent Bœotid profiêB , quos Xerxes ,
fedibus fuis excitos 9 in Orientent tranfiulit : fervâbamque
argumtnmm originis peculiari fermant ,'

LIVRE X. CBAP. IF. 327
qu'il ne falloit rien répandre du contenu de ces lettres :
mais on prétend qu'il fe plaignit de l'un & de l'autre »
& qu'indigné dès prétentions , exorbitantes de fa mère t
il s'écria qu'elle vouloit fe faire payer bien cher la re«
traite qu'elle lui avoir donnée pendant dix mois dans
fon fein ; & qu'Antipater lui étoit devenu fufpect t
comme ayant fondé de hautes efpérances depuis la victoire
qu'il avoiî remportée fur les lacédémonlens , &
abufant de la continuation de fon gouvernement pendant
tant d'années pour élever fes prétentions au deffus de
l'état d'un Ample gouverneur. Auffî, comme quelquesuns
fêtaient un jour l?éloge de fa fermeté & de fon intégrité
; il répliqua qu'à la vérité il paroiflbit blanc an
dehors, mais que, fi on l'examinoit au dedans , on le
trouveront tout "de pourpre : il cacha néanmoins fes
foupçons, & ne îaifla échaper aucun autre indice de
fon indifpofition envers lui. Plufieurs ne biffèrent pas
de croire , qu'Antipater, perfuadé qu'on ne le mandoit
que pour le perdre, avoit, par d'abominables intrigues %
caufé là mort du roi, qui arriva peu de temps après.
Cependant le roi , pour recruter fon armée, choifit
les meilleurs hommes d'entre les perfes, qu'il incor»
pora avec les macédoniens ; il en mit àufll à part mille
des plus beaux pour être fes gardes du corps ; il defêina
en outre un autre corps de piquiers, qui n'étoient pas
moins de dix-mille , à monter la garde autour de fon
pavillon. Pendant .qu'il s'occupoîtde cet arrangements »
Peuceftes arriva avec vingt-mille hommes » archers &
frondeurs , qu'il avoit levés dans fa province : il en. fit.
la répartition dans fon armée s puis il partit de Suze *
paffa le Tigre , & alla camper près de Carrhes j de là ,
conduifant fes troupes à travers la Sittacène f il fe rendit
en quatre jours à Sambane, où il fit repofer fon
armée durant fept Jours : puis après 'une marche de
trois jours , il arriva à Célones. Cette ville éû habitée
par des gens venus .de Béoîïe , que Xerxès fi| tartir
de leur pays & transféra en Orient : ils gardoient même
dans leur langage particulier s prefque tout coîapoCé

328 LIBER X. CAP. 1K
ex grach pkrumque vocibus confiante ; cetemmi
ob commrciorum necejfitatem, finitimorum barbarorum
imgud utebantw* Inde Éagiftamn mgreffus
ejl, regionem opulentams & abundantem arborant
amœno & fecundo fatu , ceterisque ad vita, non
ufum modo » verum eûam dehëatwnem perûnemï*
bus.
Gravis inter bac Eumeni cum Hephœftioœ
fimultas inciderat : nam fervos Eumenis diverforio
quod pro hero fuo antecepetant Mepkaftio
proturbavit, ut Evius ûbken eo reciperetur ; neque
diu pofl, quum jam Jbpita odia viderentur nova
exoria contenûone adeb recruduerunf, ut eûam m
atrox jurgium & acerba utrimqme convicia prorumperent,
Std AUxandri intervenus imperioque
inimicitm faltem m fpeckm abollm funt ; quum
iiie quMem Hephmfiiom eûam mînatus effet, qui %
m flagrantijjimâ régis gratia pofitus , quanquam
cupidum conciUaiionis, Eumenem perùnaciks averfabatur,
Pervenmm deinde eji in Media campos,
mbi maxima eqwrum armenta pafiebantur, Niïàeosappeïïanî
9 magmmdint & fpecte infignes ; fupm
qumquaginta millia îbi reperta, quum Alexander
s
'to tranfiret ; a eomiûbus illius annotatum efl „
oKm tripla plures fui£e9 fed inter bellorum turias
maximam eorum partem. pradones abegïjfè. Ad
triginta dies ibi fubflitii rex. Eo Atropaies, Media
fatmpa , centum barbaras mulieres adduxit >
equitandi peritas , mlt'uqm & fecuribus armatas £
unde quidam eredidemnt ama^onum ex génie reliquias
fiùjjh. Septimis deinde caflris Ecbatana. atti-
* , Media caput : ibifolemnia diis facrificia fecit,
vsque edidiê & in convivia feflosque dies laxayfe _
S

LIVRE X CM A p. IF. J29
ik mots grecs , une preuve de leur origine ; car du.
reffe, la néceffité du commerce les forçoît d'employer
l'idiome des barbares leurs voifins. Le roi entra enfuite
dans le Bagiftan, pays riche , & abondant en arbresagréables
& d'un, grand rapport , & en toutes les autres
chofes qui'importent à, la vie-, non feulement pour
le befoin , mais même pour le pîàrfîr.
Sur ces entrefaites il étoit furrenu entre Eumènes
6c Hépheftion us différend eonfidérabîe : car les efclaires
d'Eumènes ayant retenu d'avance un logement
pour leur maître , Hépheftîon les en chaffa pour y mettre
un Joueur d'inftruments nommé Évius ; & peu de
temps après, que les reffentiments fembloient déjà
aflbupis , une nouvelle conteftatios les. ranima, au
. point qu'on, en vint des deux côtés i une querelle fort
vive & à des injures groflleres. Maïs par îa médiation
& le commandement d'Alexandre leurs dmiions cefferent
au moins en apparence; ce prince alla même jufcfu'à
faire des menaces a- Mépheftion, qui, étant dans,
la plus'haute faveur auprès de'lui r n'en témoignoit que
plus d'awerfion. contre Eumènes-, quoique celui-ci dé*
firât de fe réconcilier. On arriva enfuite dans les plaines
de la Médie, où paiflbient de grands troupeaux de
chevaux ; on tes appelle Nifitns ,.& font d'une grandeur
& d'une beauté remarquables : on y en trouva plus de
cinquante-mille à ce paflâge d'Alexandre j.ceux qui l'accompagnoient
remarquèrent qu'autrefois il y en avoir
trois fois autant, mais que pendant les défordres des
guerres des brigands en avoient emmené la plus grand»
partie. Le roi y féjourna-trente Jours..Ce furiàqu'Aîro»
pâtes 9 fatfape de Médie % lui amena cent femmes »
habiles à monter à cheval , Ht aimées de boucliers
échancrés & de haches ; ce qui a faut croire à quelques-uns
que c'étoient les relies de la nation des amazones.
11 alla de là en fept- Jours de marche à Ecbatane, capitale
de la Médie : il y fit aux dieux des facrifices folennels
, y donna des jeux , & y prit quelque récréation
dans des feftins 8e dans des fctes >. pour Ce netue

330 LIBER'X. CAP. IF.
ammum , ut mox in novorum operum curam^ atone
minifleria validbr intenderetun
Sedifla volventem, velut injeËâ manu, fatum
aUo traxit, vkamque cariffimo amkorum ejusneque
mulio poft ïpfi quoque régi extorfit. Pueros inftadia
certantes fpeËabaî % quum nuwàâtur deficere Hé*
pkaftionem, qui, morbo ex crapule comtraBo 9
feptimum jam dkm decumbebat : exterrkus amki
psriculo , flaûm confurgit & ad hofpkmm ' îttîns
cderiter pergit ; neque tamen prias eo pervenk
quam illum mors occupajfet. Id régi omnium qum
in vitâ peruâerat adverforum lu&uofjffimum accidijfe
certum habetur ; eumque , magnkudine doloris
in hcrimas & lamenta vi&um, multa anima de
gradu dejecH argumenta edidijfe ; fed ta quidem
varié traduntur» Illud huer omnes confiât 9
quam decemiffimas exfequias ei duceret, non voluijfe
Ecbatarûs fepeliri : fed Babylonem , quo
ipfe concejfurus erat, à Perdiccâ defirri curajfe ;
ibique funus 3 inaudito antehac exemplo, duodecim
takntûm millibus locavijfe. Per univerfum certè
Imperium lugeri eum jujjit ; & ne memoria ejus
in exercitu exolefceret, equitibus quitus profiterai
rmUum pmfeck duetm , fed -Hephaftionk alam
appellari volait-9 & qum iUe^ figna inflituijfct ea
non immutari* Funebria certamina ludosqw qmtdes
nunquam edki fuijfent medkatus , tria • snifiçum
milita coëgit, qui non multo'poft in ipfius exfe**
quiis certaffe feruntur. Nec amki tam effufo affeêu
ad conciliandam ejus gratiam fegnker ufi3 certa*
dm reperire per qum memoria defim&i clarior ho~
noratiorque fiereu Igkur Eumenes , quum fe, ob
ut

LirRE X CMAP: IF. 331
plus en état de méditer & d'exécuter de nouvelles en«#tre
prifès.
Mais tandis qu f ll fe livrait à ces projets , le deftln 9
comme avec îa main, l'entraîna d'un autre côté , termina
la vie du plus cher de fes amis , & bientôt après
celle du roi même» 11 regardoit des jeunes gens qui
s'exerçoient à îa courfe, quand on vint lui apprendre
qu'Hépheftion étoit à toute extrémité , d'une maladie
qui duroit depuis fept jours & qui venoiî d'une débauche
de table : effrayé du danger de fon ami, iî fe lève
auffî tôt & Ce rend à fon logis ; mais il ne put y arriver
avant fa mort. De tous les accidents qui traverfèrent
la vie d'Alexandre , on tient pour certain que ce fut
celui-ci qui l'affligea le plus ; & que s'abandonnant à
l'excès de fa douleur jufqu'à répandre ies larmes &
pouffer ies cris , il donna beaucoup de preuves d'une
. aliénation d'efprit : mais on parle de cela diversement*
Ce dont tout le monde convient, c % eft que 9 pour lui
faire les plus magnifiques obfèques , il ne voulut pas
qu'elles fe fiflîent à Ecbatane : mais il chargea Perdiccas
de foire porter le corps à Babyfone , où il devoit luimême
aller ; & , ce dont on n'avoiî jamais eu d'exemple
s il dépenfa douze-mille talents pour les frais des
funérailles, 11 ofdonna qu'on en prit le deuil dans toute
' l'étendue de fon Empire; &afin qu'on ne l'oubliât jamais
dans fon armée , -il ne donna point de chef au corps de
cavalerie qu'il avoït commandé f voulut qu'on l'appelât
U Régiment â'Hiphefti&m, & qu'on ne^ changeât pas
les enfeignes que ce favori y avoit établies. S'étant pro«*pofé
de faire faire des exercices & des jeux funèbres
qui furpaflaffent tout ce qu'on avoit jamais vu dans ce
genre, il fit aflembler trois-mille hommes experts, quipeu
de temps après furent employés , dit*on, dans les
jeux célébrés à fes propres funérailles. Les courtifans
ne manquèrent pas de profiter de cette paffion fans bornes
pour capter la faveur du roi, & recherchèrent 4
l'envi les moyens d*aflïïrer à la mémoire du mort plut
d'éclat & de vénération. Dans cette v&e Eumènes f

33^ LIBER X. CAP. IF.
fimukaiem mm Hcphapiont, régis mdignationeM
mcurriffe fenpffet, nadûs auBor fuit fique &
arma fus Éephmftkmi confccrandi , pccumasque
ad cohonepandum fimus large conêulk : koc exemplum
imkati funt ceteri ; toque mox pmceffk
affentatwnum impudtnûa, ut régi, majore & de*
fiderio defunBi mpmienti, perfmfum tandem fuerk
deum ejfi Hephafiionem. Quo quidem tempore ex
copiarum ducihus Agatocles famius ad extremum
periadi verni, quod iÏÏms tumvlum prmteriens Ula~
crmaffe vifus effet : ac nïp Perdiccas , venanti
phi Hephœpionem apparulffe ementitus, per deos
omnes ipfumque Hephœpionem dejeraffet ex ipfa
fe cognoviffe , Agathoclem non ut mortuum &
vanm divbûtath titulis fruflra omatum peviffe 9
werum ob memoriam prift'mœ fodalhatu lacrimas
non tenmffe ; vir finis & de rege bene meritus
pktatis m amkum graves pœnas kmoxio capte
pependiffej.
Ceterum f ut paulijper â hËu avocaret animum 9
lm cojptorum gentem expeduiomm fufcepit. Juga
Â^dkt vicina coffki tenent, ajperum & acre gemts
& pradando vitam tohrare folitum : ab his
per forum reges amtuo tributo pacem redimere cour
fueverant, ne % m fubje&a decurrentes, infipam
latrocmiis regionem facerent ; nam vim tentantes
ptrfas facile repulerant , afperitate hc&rum defenp,
m quœ Je recîpkbant quotks armis fupera-*
bantur : iidtm muueribus quotannu placabantur,
ut régi, Ecbatanis p ubi apiva fokbat agere , Ba~
bylonem remigrami 9 tutus per ea hca tranptus
effet. Hos igitur Akxander, Uparîim agmine
sggreffus9 mira quadraginta ^dks perd&muk £ nam

LIVRE X CHAP. IV. 331
liftant apperçu qu'il avoit encouru la difgrlee-du roît
à caufe de fa broaillerie avec Hépheftion , confeilla à
plufieurs 4e «•nfacrer à -ce mort leurs perfonnes &
leurs armes , & fit une dépenfe prodigietûfe pour honorer
fes funérailles : les autres fuivirent cet exemple;
& bientôt l'impudence de l'adulation alla fi loin f qu'enfin
, dans l'égarement où la douleur & 1« regret ave-ient
jeté le roi, ©n lui perfuada qu'Hépheftion étoit un Dieu.
Ce fut «n effet dans ce temps , qu'AgalhocIes de Satnos
courut le plus grand danger , parce qu'on favoit
vu pleurer «n paffant près du tombeau d'Héplieftion :
"& fi Perdiccas, feignant qu'Hépheftion lui avoit apparu^
à la chaffe , n'eût juré , par tous les dieux "& par Hépheftioa
même , qu'il favoit de fa propre bouche, que
ce n'étoit point comme mort & comme revêtu vainement
des titres de la divinité qu'Agathocles l'avoit pleuré
, mais qu'au fouvenir de leur ancienne amitié il
.n'avoitpu retenir fes larmes; ce lirave hommej qui
avoît bien fervi le roi, eût, fans autre crime , payé
rigoureutement de Ta tête k preuve d'attachement qu'il
avoit donnée à fon ami.
Au relie f pour fe diftraire un peu de fa douleur, il
entreprit une expédition contre ït$ colTéeni. C'eft un
peuple qui occupe les montagnes voifines de la Médïe f
nation fauvage & vaillante , accoutumée à vivre de pillajp
: c'étoît i'ufage des rois de Perfe d'acheter d'eus la
paix par un tribut annuel t pour les empêcher de descendre
dans la plaine &

134 LIBER X, CAP. IV. •
#b ipfi rege & Ptokmao » qui partent exerçais
ducebat , jape cmfi, ut capûvos fuos reciperent
permifcre Je viBori : ilk validas urbes opporiums
locis exftrui juffit » ne , abduBo exercitu 9 fera
«gens obeduntîam exueret. Motis mde caftm, ut
. militem 9 expeditione recenti feffum , reficeret 9
lento agmine BabylônemprocedebaL Jamque vix tri*
'ginta ab urbe ftadiis obérât, quum Nearckus occwrit,
quem per Oceanum & Euphraûs oftia Babylomm
pmmiferat ; orabaîque ne fatakm fibi
jurbern vellet ingredi ; compertum id fibi ex chai"
émis 5 qui mukis jam pmdiBionum eventibus arûs
fua certitudinem abundè probaviffent. Rex , famâ
eorum hominum conftantique afftveratione motus 9
dimifjk in urbem amicorum pkrisque, alid via
' prater Babylonem ducit ac ducentis inde ftadiis
ftativa locat : fed ab Anaxarcho perfuafus,- contenais
chaldœomm mônhis , quorum difciplbmm
manem aut fupervacuam arbitrabatur 3 urbem intraL
Legatïones m ex unlverfo ferme orbe conftuxe*
'tant ; quibus per camphres dies ftudi&sè auditis %
deinceps ad Hephmftionis exfequias adjecit animum^
qua fummo omnium ftudio ita celebrata
funt, ut nullius ad id tempus régis feralia , magnitudine
fumtuum.apparatusque cekbritate , non vice*
rinL Poft km cupido inceffit régi per PaUacopam
amnem ad arabum confinia navigandi; quo de**
iatus, urbi condendm commodâ fede reperta, gr.œ~
corum Mate aut vulmribus invalidas, & fi qui
fponte remanferant, ibi collocat. Quibus ex feu*

LIVRE X. CMAP. IV. -335
fhbjtigua | car après avoir été battus plusieurs fois , &
'par îe roi en perfonne, & par Ptoiémée qui coramandoit
une partie des troupes s ils fe rendirent au vainqueur
pour retirer à ce prix leurs prifonnïers: le roi fit *
- bâtir des villes fortes dans les endroits propres à empêcher
cette nation intrépide de fecouer le joug de
. ï'obéîflance après le départ de Ton armée. 11 décampa
en effet, & pour refaire le foldat de la fatigue de cette
.dernière expédition, il s'avança à petites journées vers
• Babylone. Il n'étoit plus guères qu'à trente ftades de
la viile , lorfque Néarque , qu'il avoit envoyé d'avance
"à Babylone par l'Océan &. les bouches de l'Euphrate f '•
'vint au devant de îui, & le pria de ne pas mettre le
"pied: dans cette ville, qui devoit lui être fatale; il déclara
qu'il le favoit des chaldéens,' qui avoient donné
•des preuves fans fin de la certitude de leur art par
nombre d'événements qui avoient fiûvi leurs prédications.
Le roi * ébranlé par la -réputation de ces devins
& par les affûtantes qu'on se ceffoit de lui en donner^
laiffa entrer dans la ville la plupart de fes courtifans »
.mena fes troupes par une autre route au delà de Babylone
, & s'arrêta à deux-cents -ftades de cette ville :
mais fur les infinuations d'Anaxarque , il fe moqua des
avis des chaldéens, jugeant leur fcience vaine & fans
utilité f & entra dans la ville.
Il y étoit arrivé des ambanadeurs de prefque tous
les coins de la terre ; il pafla plulieurs jours à leur don-
"ner audience avec beaucoup d'attention, puis il s'occupa
des funérailles d'Hépheftion , à la célébration defquelles
tout le monde concourut avec tant de zèle, que
celles d'aucun roi ne-les avoient jamais égalées , foit par
la grandeur de la dépenfe foit par la magnificence de
J'appareiL Après cela il lui prit envie d'aller par le fleuve
Pallacope jufqu'aux frontières de l'Arabie ; quand il
y fut arrivé s ayant trouvé un emplacement commode
pour y bâtir une ville s il y établit ceux des- grecs que
'l'âge ou leurs bleflures avoient mis hors d'état de fervir
, & en outre tous ceux qui demandèrent à s'j nxert

3^5 LIMER X 'CM p. K
tetinâ perfeiBs, jam Juturi Jecurrn , chaldmos irn~
débat,, qwd Mabyhnem non imreffus tanium effet
inmlumis + venm etiam txctjpffcu 'Mnhnvem re~
venendpir pafades quas Euphrates m Païïa€0~
pam ejfufus effick, fmdum ^ornen .oUatum efl $
-quippe rami defuper impendenies detraBmm capiû
regio dkdema projecerunt m 'fluëus : quum dànde
•Mm fuper aBa prodigiofa & mïnacia nunciarerttur
, procurandis iis gmco finud bafbamqm
rku continua facra fa&a funt ; nequt tamen
'•expian pmterquam morte régis potuêrc. Qui 9
quum Nearchum excepiffet convivio jamque cubh*
mm imrus efet, Medii iariffai obnixis precibus.
Jedk m ad mm comejfamm veniret : ubi peft-
^uam totâ noBe perpotaffet, maU habite empit ;
jngravefcens deinde. morèus adeè omnes vires intra
Jextum diem exhaufit^ m -ne vocisquidem poteftas
*efftt. îmtrea -milites * foBckuSm defiderioque ejus
anxii, -quanquam obtefiantibus ducibus ne valem-*
dintm régis onerarent 9 exprefferunt ut in €®njpeç

LèVRE X GHAP. K 337
Toutes tes chofes exécutées à fon. gré, fe croyant dès
lors affûré de l'avenir, il fe mit à fe moquer des chaldéens
% parce que non feulement il étoit entré fain &
fauf dans Baby lone, mais qu'il en étoiî forti de même. Cependant
comme il y retournoit par des marais que forme
ï'Euphrate en fe répandant dans le Pallacope , il fe présenta
un événement de mauvais augure ; des branchei
d'arbre qui defcendoient bas lui enlevèrent fon diadème
de deffus la tête & le firent tomber dans l'eau : comme
bn ne parloit enfuîte que de prodiges menaçants accumulés
les uns fur les'autres $ on fit, pour en détourner les
effets , des facttfices fans fin félon les rits réunis des
* grecs & des barbares ; mais le Ciel, auteur de ces
fréta ges 9 ne put être fatisfait que par la mort du roi.
Étant, près de fe coucher , après avoir donné un grand
repas à Néarque ? il fe rendit aux inflances de Mëdius
de Larifle, qui le pria de venir prendre part à un feftin
qu'il donnoii chez lui : mais y ayant paffé la nuit à
Boire, il commença par fe fentir indifpofé ; le -mal
empirant enfuite i'épuifa tellement dans l'efpace de fix
jours j qu'il ne pouvoit pas même parler. Cependant les
foldats f inquiets & brûlant du défir de le voir , firent
tant, malgré les prières que leur firent les chefs de ne
pas aggraver fon mal par leur importùnité, qu'ils, obtinrent
la permiflion d'être admis en fa préfence.
Vm Les larmes qu'ils répandirent en le voyant aanonçoient
t non des troupes fous les ieux de leur roi f
mais une armée témoin de fes obfèques ; la douleur
néanmoins de ceux qui environnoient le lit étoit encore
plus marquée ; auffi le roi, ayant jeté les ieux
fur eux j Trouvere\*vous après ma mon , leur dit-il, um
mi digne de cemmmder i de panUs hommes ? Ceft une
«chofe incroyable i dire & à entendre, que ce prince
demeura .contaminent dans la fituation où . il s 1 étoit
mis pour recevoir fes foidats , jufqu'à ce que tous fans
.exception lui euflent fait leur révérence $ & quand la
foule fut fortie, comme s'il n'eût eu plus rien à faire
idans 1a vie s il fe rejeta fut fon Et accablé de fatigue.
Tome IL P-

33"8 LIBER'X. CAP. K
fejeciL Propiksque adiré jujfis amicis , nam &
vox deficere jsm cœperat , deiraBum annubtm
digïto Perdkca tradidit , adjeëk ^ mandaûs ut
corpus fuum ad Hammonem ferri juberet. Qu&rentibus
his cui relïnquefet regnum refpon£t9 eî
qui effet optimus ; ceterum, providere jam, ob
ii certamen, magnos funèbres ludos parari fibu
Rursàs Perdkca ïnterrogante quando cale/les honores
haberiféi vellet , dixit mm veÛe quum
ipfi ftlices effenu Suprema hmc vox fuit régis #
& pado pofl exÊmguimr. Ac primo $
pbram^
lamemisque & planBibus tota regia perfonabat ;
mox , velut in vaftâ foiimdme, omnia trifti fiientio
muta torpebant, ad cogitaàones quid de'mde
futurum effet doïore converfo. Nob'des pueri cuftodia
corporis ejus affueù, nec doloris magnitudinem
capere nec fe ipfos intra veftibulum regia
rtùnere potuerunt ; vapque & furentibus finales 9
têtam urbem luBu ac mœrore compkverant, mdlis
quefiibus omiffh quos m tali cafu dobr fuggem.
13. Ergo qui extra regiam aftiterant , macedones
pariter barbarique , concurrunt; necpoterant
viBi à viBoribus in communi dobre difcerni •:
perjk jupffmum ac mitiffmum dominum^ , ma»
cedones optimum ac forùffmum^ regem invocantes-,
certamen qwoddam mœroris edebant. Nec
mœfiorum folum , fed etmm indignantium voces
exaudiebantur , tam viridem & in flore mtatis
fortunaque , invidiâ deûm ereptum effe^ rébus
humanis. Vigor ejus & vultus educentis in pm*>
lium milites, obfidentu urbes , evadentis in muros9
fortes viros pro çoncione donantis, occurrebant
ocuUs. Tum macedones divbws honores negaffe et

LIVRE X. CHAP. V. 339
Alors aymt fait -approcher davantage fes courîifans s
parce que la voix commençoii à lui manquer , il tira
l'anneau qu'il avoit au doigt, Se rémit à Perdiccas, &
lui commanda de faire porter fon corps au temple
d'Hammon, On lui demanda à qui il laifloît l'Empire :
êc il répondit que c'était au plus digne ; mais qu'il pré-
¥oyoiî déjà , qu'à • l'occanon de ce débat, on lui préparait
de grands jeux funèbres» Perdiccas lui ayant encore
demandé en quel temps il vouloit qu'on lui décernât
les honneurs divins , il dit qu'il ne. le vouloit
que quand ils feroient heureux. Ce fut là fa dernière
parole , &" il mourut quelques moments après. D'abord
tout le palais retentit de pleurs, de gémiffements , de
cris douloureux ; "bientôt » comme au milieu d'une vafte
folitude t tout fut dans un trifte & profond fîtence f•
îes réflexions de fa douleur s'étant tournées vers î'âve-nir,
La jeune Noblefle de la garde ordinaire du corps
fie put tenir costre l'excès de*fon affli&ion ni demeurer
à l'entrée du palais ; mais courant ça & là comme
des forcenés, ils remplirent la ville de deuil & de
consternation t par toutes les plaintes que la douleur
fuggère en pareil cas.
13. Là-deffus ceux qui étaient hors du palais, macédoniens
& étrangers indiftinôement f accourent en
foule _; & dans leur commun défefpoïr il n'était pas poflible
de 'difceraer les vaincus & les vainqueurs*: les
perfes lui adreffoient la parole , en l'appelant le plus,
jufte & le plus doux, des maîtres ; les macédoniens , le
meilleur & le plus vaillant des rois ; c'étok à qui donne*
roit les plus grands témoignages d'affllftion. Ce n'était
pas uniquement par les gémiffements de la douleur, c'était
encore par des cris d'indignation, qu'ils reprochoient
aux dieux de l'avoir-, par envie f enlevé à la terre à la
fleur de foh âge & dans le moment le plus beau de fa
fortune. Sa vigueur infatigable f l'air qu'il avoît â mener
l'es foldats au combat, à affiéger les villes , à efcalader
les murs , à récompenfer publiquement la valeur, tout
cela fe reprlfentaiî à leurs îeux» Alors les macédoniens
Pi;

340 LIBER X CAP. V.
pœnkebat, impiosque & ineratos fiâffe ftf confite*
bannir quoi âmes ejus débita, apfellatiom fraudaffint.
Et quum diu % nunc "m veneraùone % nunà^
in, defiderio régis hafiffènt ; in ipfos ver fa mîferatio
efi. • Macedonia profeSi % ultra Euphraten »
mediis hoftibus novum impermm afpernàht'éus ,
deftimtos fe éjfe cernebant ; fine certo rems heredt,
fine herede regni , pubUcas 'vires ad Je quemque
traBurum : beUa deinde civilia , que fequuta
funt , menûbus augurabanmr; kerum, non de
rjepio Afm , fed.de rege , if fis fanguinem ejfe fimdendum
, novis vulneribus veteres rum^endas cicatrices
; fenes,-débiles , modo fetïta mijfione à
juftorege, nunc mrituros pro potentid forfitam
fatillias alkujus ignobilis.
• 14. Has coghathnes vohenâbus i mx fuper»
venit ttrroremque- auxit. Milites in amis vigilahant;
babylonii, alius èmûris, dius culmine fui
masque teêi, profptBâbant, quafi certwra vifuni
nec quuquam lumina audebat accendere ; & quia
oeubrum ceffabat ufus, fremitus vocesqueaunbus
'captabant ; ac plerumque vano metu ternit, per
Qbfcuras-femitas alius atd^ ocCurfantes f tnvicem
fufnecH & folkiti, ferebantun Perfa , comts fuo
mire detonfis , in lugubri vejle , cumconjugibus
ne 4iberis, non ut vUbrem & modo âojiem, Jed
m gentil fm juftifmum regem vtro defidem-

'LêVREX. CUAF. V. 341
le repeaioleni de lui avoir réfuté Ses honneurs divins t
& s'avouoient coupables d'ingratitude & d'impiété,,
pour l*avoir privé de ia fatisfaftion de s'entendre .donr.
ner un nom qui lui étoit dû. Enfin après s'être long
temps occupés , tantôt des fentiments de ieur vénéra*
tion , tantôt des regrets-que leur eaufoif îa mort du roi J
Ils jetèrent -fur eux-mêmes des regards de compaffion»
Venus du fond- de ia Macédoine jufqu'au delà de l'Euphrate
, ils confidéroient qu'ils étoient fans reffource
au milieu de'leurs ennemis , qui fouffroient avec peine
une nouvelle • domination' ; qu'au défaut d'un héritier
ineonteftable iJTu du roi , d'un fuccefleur Légitime à
l'Empire y chacun alloit tirer à foi les forces _ publiques
: puis leurs réflexions leur fefoient conjeôurer
les guerres civiles f qui fuivirerit en effet} qu'il leuV
faudrait encore répandre leur fang & r'ouvrir leurs anr
demie* plaies-par de nouvelles bleffures , non pour
conquérir l'ACie , mais pour faire un roi ; que 'malgré
leurvieilleffe, leurs infirmités, le congé qu'ils venoieht
d'obtenir de leur roi légitime, ils alioient mourir peutêtre
pour établir la puiflance de quelque vil fubalterne..
- 14. Pendant qu'ils s'occupoient de ces penfées > la
nuit furvint & augmenta encore leur crainte. Les fbldats
'la paffe-rent fous Jes armes ; 6ç les babyloniens montés
, les uns fur les murs* les autres au'faîte de leurs
.'maifoas f étoient au guet, comme pour être mieux informés
de ce qui fe pafferoit : perfonne toutefois n'ofoit
fe pourvoir de lumière ; & comme on ne pouvoît plus
Voir, ils prétoient l'oreille au moindre bruit-, au moindre
mot ; prenant même quelquefois de fauffes allarmes,
ils couroient par des détours obfcurs, s'entre»
choquoient les uns les autres, & fe donnoient réciproquement
des foupçons & des inquiétudes. Les perfes
fe firent couper les cheveux félon leur ufage, paru»
jent en habits de deuil avec leurs femmes & leurs enfants
, & pleurèrent fîncèreroeni Alexandre t non corngne
un prince vi&Qrieux & qui venoit d'être leur enliem]
f mais comme le roi le plus légitime de la na-
P iij

34* LIBER X CAP. V.
•hgebanî* Ajfueti fié ' régi vhere , non afium qui
mperaret ipfis dignwrem fidffe confitebaniur* Nec
mûris urbis hBus continebatur ; fed proxsmam
regiomm ab ta, deinde magnam partent Afia cis
Eupkraten, îanti maâ fama pervaferat» Ad Dam
quoque matrem cekriter perlata efi : abfcififâ ergo
vefle qui induia trat, iugubrem fianfit, laceratisqui
cruàbus humi corpus abjecit. AJfidebat et
altéra ex neptibus , tmper amffkm Hephmftionem
, ad nupferai, îugens ; propriasque eau fias
iolom m commuta meefiiùâ retra&abat. Sèd omr
nmm fimrum maia Sisygambis uns capkbaê ; Mis
fimm , Ma meptium vlcem flebat ; recens êolor
eûam pmttrïta rtvocaverat : crederes modo ami fi
fium Darium, & pariter miferm duorum fiUorum
exfiquias effe ducendas. Flebat mortuos fimul vives»
que : quem emm puettarum a&urum -efie curam ?
quem aliurn fiutumm Ahxandrum ? kerum fe cap»
tas, kerum exddijfe reguo ; qm mortuo Darik?
ïpfias meretur nperijfe, qtd poft Akxandntm refi
piceret uiique non teperturas. Subibat mier bac
animum , oBogmta fiatres fiuos eodem die ab
Ocho , fimviffifM regum , trucidatos, adjeihmqut
firagi tôt filiorum patrem ; è fieptem Téeris quos
genuijfiet ipfa umm fiuperejfe; ipfum Darium fio~
ruiffe pauiifper , m crudeiius pojfet exflinguL A4
uhimum doiori fiuccumbiê ; obvolutoque capta %
àccidemtei geûibus fuis' neptem nepotemque aver

Il KME X-. CM A F. V. 343
tloii. Accoutumés au gouvernement .monarchique, ils
avouoient que jamais ils n'avoient eu un roi plus digne
de les commander. Le deuil ne Ce renferma pas dans
l'enceinte de la viîîe ; mais la nouvelle d'un accident
û funefte paffa bientôt dans le voifinage, & de îà fe
répandit dans ' cette grande partie de l'Afie qui eu e*n
deçà de l*Euphrate. Elle ne tarda pas à parvenir aufll
à la mère de Darius : dès qu'elle l'apprit, elle déchira
la robe qu'elle porsoit, en prit une de deuil , & fe
jeta par terre en s'arrachant les cheveux. Elle avoit
.près d'elle l'une de fes petites-filles., fleurant la perte
qu'elle venoit de faire d'Hépheftion , fon mari ; & dans
le deuiî général elle fe rappeloit les motifs particuliers
qu'elle avoit de s'affliger. Mais Sifygambis raffembioiî
feule dans fon cœur tous les malheurs de 'fes proches ;
elle dépîoroit fon fort, elle déplorok celui de fes petites-filîes
; fa nouvelle affliôion lui avoit rappelé le
fouvenïr de fes anciens maux ; il fembloit que Darius
ne fefoit que de mourir, & que cette pauvre princeffe
avoit à faire cette fois les obfèques de fes deux fils.
Elle pleuroit tout à la fols les morts. & les vivants :
tar déformais 'qui prendroit foin des jeunes princeffes ?
quel autre Alexandre îrouveroient - elles } qu'elles
étoient une féconde fois captives , qu'une féconde
fois elles venoient de perdre leur royaume ; qu'après
la mort de Darius elles avoient trouvé un protecteur
, mais qu'après ceîîe d'Alexandre elles ne trouveroient
perfonne pour les recevoir Au milieu de ces
réflexions elle fe fouvenoit que fes quatre-vingts frères
avoient été maffacrés le même jour par Ochus , le
plus cruel des tyrans, & avec eux le père de cette
grande famille ; que de fepî enfants qu'elle avoit eus
elle-même , il ne lui en reftoit qtfun; que Darius même
n'a voit profpéré quelque temps , que pour périr enfuite
d'une manière plus cruelle. Elle faccomba- enfin *
fa douleur ; elle s'envelopa la tête, & fans vouloir
regarder fa petite-fille & fon petit-fils qui étoient à fes
genoux, elle renonça également à toute nourriture &
P iy

544 LIBER X CAP. K
quam mari flatuerat die exûinëa eft. Magnum
profeëb , Àlcxandro , indulgentm in eam juftir
tiœque in omnes captivas documentum eft mors
kujus , quœ, quum Juftinmffet poft Darium vivef€
$ Alexandre ejfe juperftes embuit*
ïÇ. Et, Hercule l jufti œftimantïbus regem
lïquet , boria natum e'jus fuiffe ; viûa , vel forum®
vel œtatis* Fis incredibilis animi ; laboris
paûenùa propemodum nimia ; fortitudo non inter
reges modo excellent, fed inter illos quoque quorum
hac fila virtus fuit•; liber-alitas fape majora,
tribuentis quam a dus petuntur; chmentia m de-*
viËos; tôt régna, aut reddita qu'eus • ea demfe*
rat bcllo , aut dono data ; mords, cujus metus
ceteros exanimaî , perpétua contemûo ; glorm
laudisqûe m jufto major cupido, ita m juveni
& in tantis admimnda rébus ; jam pietas erga
parentes , quorum Olympiada immortalhaû canfecrare
dêcreverat , PMUppum ultus erat ; jam
in omnes firè arnicas bemgnitas 3 erga milites benevolentia
; conjilium par magnitudini animi, &
quantam vix poterat atas ejus capere filertia ;
modus immodicarum cupiditatum , Veneris • intra
naturale defider'mm ufus, née ulla nifi ex permijfo
voluptas : ingentes profeBo dotes erant* Illa fortune
: diis aquare fe 3 & cœleftes honores accerfere3 &
talia fuadentibus oraculis credere , & dedimantibas
venerati ipfum vehementiiis quam par effet irafci;
in extemum habitum mut are corporis culmm, imitari
deviBarum gentium mores quas ante vi&oriam

LIKRM X. CMAP..V. 345
1 la lumière ; elle mourut enfin cinq jours après en
avoir pris la résolution. C'eft affûrément, en faveur
d'Alexandre, une grande preuve.de fa bonté pour Sifygambis
& de fa juftice envers tous les prifonniers, que
la mort de cette princefle, qui f après avoir pu furvivre
à Darius, eut honte de furvivre à Alexandre.
15. Et certes , fi Ton veut apprécier ce prince avec
juftice , il eft évident que fes bonnes qualités lui venoient
de la nature ; & fes vices, de la fortune o\i
4e l'âge. Une force d'efprit incroyable ; dans les travaux
une patience pouffée prefque à l'excès ; un courage
diftingué , non feulement entre les rois s mais
entre ceux même qui n'ont eu que cette qualité ; une
libéralité qui fouvent donnoit plus qu'on ne demande
aux dieux? une clémence foutenue envers les vaincus ;
tant de royaumes, 00 rendus à ceux fur qui il les avoit
conquis , ou donnés en pur don ; un mépris perfévërant
de-la mort, qui glace de crainte les autres hommes
; une paffion pour la gloire & la célébrité, dèmefurée
'fans doute, mats bien pardonnable à un jeune
prince & dans des circonftances fi brillantes ; d'un côté
ton refpeél filial, juftifié par la réfoîution qu'il avait
. prife de mettre Olympias au rang des immortels , & par
la vengeance de la mort de Philippe ; de l'autre , (a
bonté pour prefque tous fes courtifans, fon affeôion
pour les foldats ; un jugement égal à fa grandeur d'amè,
& un efprit de reffource prefque au deffus de fon âge' ;
de la modération dans les pafliorîs même qui en font le
* moins fufceptibîes, une continence qui ne s'abandon-
• noit pas à tous les défirs de la nature & qui ne vouloit
que des plaifirs permis : voilà fans doute de grandes
qualités. Voici ce qu'il îenoit de la fortune : de s'égaler
' aux dieux , de vouloir ,fe faire rendre les honneurs
divins , d'en croire là-deflus les oracles , & 'de s'emporter
outre • mefure contre ceux qui refufoient de Padorer
; de prendre dans fes vêtements les modes étrangères
, & d'adopter les ufages des nations vaincues
qu'il avoit méprifées avant la victoire : -car pour ce qui
P Y

346 LIBER X CAP. VI.
fpreverat : nam iracmtdiam & cupMhtem vïm
ficuti Juvenia irrkaveral ,- ka fene&us mkigare
pMuiffet. Fatendum efl tamm, quum phrimum
virtuti démrk, plus debuiffe Fortunm'r quam
folus omnium mortalium in poteflate habuit : quoties
illum à morte revocavk ? qwties temere in
pericula veBum perpétua felkitate protexit ? vkm
quoque finem eumdem mi quem glorim flattât;
exfpeëavêre eum fais, dum , Oriente ptrdomkm
aditoqut Oceano , qmdqmi mortalitas capiebat
impleret. Huic régi duciqut fuceeffor quœrebâtur
; fid major moles erat quam ut unus fubire
eam pofftt : itaque , nomen quoque ejus & fama
rerum "m totum propemodum orbem reges ac régna
dijfudk ; clarijpmique funt habiti , qui etiam
mmïmm parti tanta fortunée adhaferum*
VI. Ceterum Babylone(inde erâm divertit oraûo
) , cêrpor'u ejus cuflodes m regiam principes
amicorum ductsque copiarum adv&cavêre ; fiquuta
efl miluum turba, tupientmm fcire in quem Aiexandri
firtmta effet tranfitura : multi duces , frequent'm
militum exclufi$ regiam intrare non poteions,
quum prmco , exceptis qui nominatim cita*
rentur , adiré proMbuit ; fed precarium fpemebân
tur knpermm. Ac primum ejîdaêus ingens pl&rar
nuque rénovants eft ; demie futuri exfpe&at'm 9
inhibais hcrimis , filentium ficit. Tune Perdk*
cas regid felM m c&nfpeBum vulgi data , in quâ*
diadema veflisque Alexandri cum armb eranf,
anmâum fibi pridie tradkum à rege in eadem feie
poftdt ; quorum afpeëu rursùs oborta, omnibus
lacrima mtegravem luBum^ Et Perdkcas, Ego

LIVRE X. CM A p. VI. 347
cft de la colère & de la païBon du vin, comme la jeu*
nèfle en avoit augmenté l'ardeur , la vieillefle auroit
pu suffi la calmer. 11 faut pourtant avouer que, s'il
dut beaucoup à fon propre mérite, il eut encore plus
d'obligation à la Fortune, que lui feul de tous les hommes
a eue à fa difpofition : combien de fois l'a-t-elle
dérobée à la mort ? combien de fois , conftamment heureux
, l'a-t-elle protégé dans les périls où il s*étoit
engagé témérairement ? elle a été jufqu'à donner les
mêmes limites à fa vie & à fa gloire ; les deftins Font
attendu, jufqu'à ce qu'ayant dompté l'Orient & pénétré
jufqu'à l'Océan , il eût exécuté tout 'ce dont l'humanité
eft capable. C'étoit à un tel roi, à un tel Général,
qu'il falloit chercher un fucceffeur; mais c'étoit
un fardeau trop pefant pour une feule tète : auffi le nom
feul d'Alexandre & îa gloire de fe$ exploits a fait des
rois & des royaumes prefque par toute la terre ; & Ton .
a regardé comme de très-grands princes , ceux même
qui fe font approprié la moindre portion d'une fi grande
fortune.
VL Cependant à Babylooe, que cette digreffion a
fait perdre de vue , les gardes du corps convoquèrent
au palais les Grands de la Cour & les chefs des troupes
; ils y furent fuivis par un grand nombre de foldats,
curieux de favoir dans. les mains de qui alloi-t
paffer la fortune d'Alexandre : plufieurs Généraux, empêchés
par la foule , ne pou voient pénétrer jufqu'au
palais , lorfqu'un héraut défendit d'entrer à tous ceux
qui ne feroient pas appelés nommément ; mais on fit
peu de cas de ce commandement fans autorité. D'abord
©n recommença à fe lamenter & à verfer des larmes ;
puis le foin de l'avenir arrêtant les pleurs f le filence
s'établit. Alors Perdiccas « ayant expofé aux ieux de
tous le liège royal , fur lequel étoient le diadème , le
manteau , & les armes d'Alexandre, il y mit aufli l'anneau
que le roi lui avoit donné la veille ; à cette vue
©n répandit de nouvelles larmes & les gémiffements
recommencèrent. Pour moi3 dit enfuite Perdiccas > jt
P VJ

348 LIBER X CAP. V-L
quidam, mquk, annulum quo ille regni atcf&ë
Imperii vires obligfîare erat folitns , traditum ab
ipfo mihi, rêddo vobis. Ceteram , qûanquam
nulla clades huic quâ affe£li fumus" par ab iratis
diis excogitari poteft ; tamen magnitudinem
reram quas egit intuentibus credere ucet * tantum
virum deos accommodaffe rébus humanis
3 quaratn forte compléta cito répétèrent
eum fus ftirpi Proinde , quoniam ninil aliud
'ex eo fupereft quam quod femper ab immor- r
talkate ïubducitur , \:orpori nominique quam
primum jufta folyamus ; haud obliti 9 in qui
urbe 9 inter' quos fimus , quali rege ac pfaefide
fpoliati. Tractandum eft, CommiKtones , cogitandumque
ut viftoriam partam, inter nos de
quibus parta eft, obtînere poffîmus. Capite opus
eft ; ho eue uno an pluribus, in veftrà poteftate
eft : illud feire debetis, militarem fine duce turbam
corpus efle fine fpiritu. Sextus menfis eft
ex quo Roxane praegnans eft ; optamus ut marem
enitatur : ejus regnum , diis approbantibus
f foturum quando adoleverit ; intérim à quibus
régi velitis defHnate. Hœc Perdkcas*
17. Tum Ncar chus, AUxandri modo fanguimm
ac flirpem regm majefiati convenir*, nemimm
aitpojfe mirari ; ceterum, exfpeëari nondum
onum regem & qui jam fit pmteriri, me animis
macedonum convenirt me tempori rerum ; ejfe è
Bar fine filium régis , huic diadema dandum, NulB
placebat oratio : itaque , fuo mort haflis /buta
quatitntes, obftrepere per/tverabant ; jamqut prope
feditionem pervenerani, Nearcho pervkacius mente
fensentiam. Tum Ptohmaus, Digna prorsùs eft

''LîrRB "X CHAP-. VU 549
Atott* fêmtu l'anneau, avec hqutl le rolfcellùk les ordres
méceffaires au èku du Gouvernement & au maintien, de
l'Empire, & qu'il m'a lui-même confié. Au refit, quoique
U Ciel dans fa colère ne puijfe nous affliger d'une calamité
égale à celle que nous éprouvons ; à en juger cependant
par la grandeur de fes exploits , il efi permis de croire que
ks dieux m 9 aw oient que prêté au monde un fi grand homme-,
•pour y remplir leurs vies , & le retirer aujptêt à eux , de
qui il defcendok» Put/qu'il ne nous refit donc de lui que
ce qui n'a jamais de part à l'immortalité f aquitons-nous
inceffamment de ce que nous devons a fa dépouille mortelle
& à fa mémoire ; & n'oublions pas dans quelle ville , parmi
•quels hommes nous nous trouvons , quel roi & quel con*
du&eur nous avons perdu. Ce qui doit nous occuper , mes
chers Camarades, c'efi d'avifer aux moyens iaffûrer la
jouïjfancû de notre victoire parmi ceux que nous avons
vaincus* Il nous faut un chef; que la puiffance réfiée
dans unfeul 'ou dans plufitursf c'efi à vous â en décider:
• ee que vous deve\ [avoir, c'efi qu'une armée fans chef
efi un corps fans ame* Roxane efi groffe defix mois ; nous
.devons Jbuhaker qu'elle nous donne un prince: ce fera â
lui 9 fous le bon plaifir des dieux f a régner quand il fera
en âge; décide^ en attendant à qui vous voule^ confier les
rênes du gouvernement» Tel fut le difcçmrs de Perdiccas.
17. Là-deffus Néarque reprit, que perfonne ne poiîvoit
trouver étrange que îe fang & la poftérité d'Alexandre
eût le droit exclufif de fuccéder à îa Couronne :
mais que d'attendre un roi qui n'étoit pas encore né &
d'en lalffer un qui exiftoit déjà , c'étoit une chofe qui
ne convenoit ni aux difpolitions des macédoniens ni
• à l'état aânel des affaires ;,que Bar fi ne avait donné un
.fils au roi, & que le diadème lui étoit dû. Cette pro-
. pofition ne plut à perfonne : auflî frappant de leurs
javelots contre les boucliers , félon leur coutume,
tous firent un bruit qui dura long temps ; & Néarque
défendant fon opinion avec trop de chaleur » on touchoit
au moment d'une fédition. En vérité, dit alors
Ptolémée, c'efi une met bien digne de commander ûUM

3jo LIBER X CAP. VI.
foboles, inquit, qu» macedonum imperet gentr,
Roxanes vel Barlinae filins, cujus nomen quoque
Europam dicere pigebit , majore ex parte
captivi ! Cur perfas vicerimiis ut ftirpi eoram
•ferviamus ; craod jufti Illi reges, Darius &Xerxes
, tôt miliium agminibus tandsque claflibus
nequidquam petiverunt? Mea fententia haec eft,
ut 9 fede Alexandri in regiâ pofitâ , qui eonfiliis
ejus adhibebantur coëant quoties in commune
con&îto opus fiierit, eoque quod major pars
eoram decreverit ftetur, auces prafeâique copiarum
his pareant. Ptolemdo quidam , potions
Perdkcm affentkbantur* Tum Arifionus orfus eft
dkêre, Alexandrum , confidtum cm retinqueret
regnum , vohdffc optimum deligi : judkatum au-
Um ab ipfo optimum Ptrdkcan , cui anmdum
iradidiffet ; ntque enim unum eum affediffe mo~
rienû, fed circumftrentem ocuhs ex turbâ amkomm
delegijfe cm trader et : p lacère igkur, fummam
imperu ad Perdkcm deferrL Nec dubitavere quin
vera cenferet ; haque univerfiprocedere in médium
Perdkcan & régis mmàum tottere jubebont. H%rebat
inter cupiditatem pudoremque ; & quo mo~
deftiks quod exfpe&abat appeteret , pervkaciàs
oblaturos ejfe credebat : haque contatus diuque
quid ageret mcertus, ad ulûmum tamtn recejfît &
pofl eos qui fédérant proximi confiait. At Meleager,
unus è ducibus , confirmato animo , quem
Perdkœ contatio erexerat, Nec dii fiverint ,
inquit, ut Alexandri fortuna tantique regni faftigium
in iftos numéros ruât ; hommes certè non
ferent : nihil dico de nobilioribus quam, Me eft;

LIVRE X CBAP. VI. 371
macédoniens 9 que le fils de Rox&me ou celui de Surfine »
des demi-efclaves, «feu* ©n n'êferoit mime prononcer le
nom en Europe ! Pourquoi, aurions-mus vaincu les perfes
ppur nous afftrvir à leurs enfants ; ce que Darius & Xtr*
xès f leurs rois légitimes f ont tenté en vain avec tant de
milliers d f hommes & de fi grandes flottes ? Mon avis efl 9
qu'autour du trâne d'Alexandre, drejfià cette fin dans h
palais , tous ceux qui étoient défis confiils Je réuniffeut
pour délibérer en commun toutes les fois qu p il fera nécefi>
faire, -qu'on s'en tienne à ce qui aura été réfolu à la pluralité
, & que ks Généraux & les commandants des corps
foiemt fournis à ces décifions» Quelques-uns goûtoient
L'avis de Ptolémée f mais les plus apparents étoient
pour celui de Perdiccas. Alors Àriftone représenta,
que 9 quand on avoit demandé à Alexandre à qui il la iffoi
i l'Empire , il avoit ordonné qu'on fît, le choix du
plus digne : que cependant il avoit regardé lui-même
Perdiccas comme îe plus digne , puifqu'il lui avoit remis
fon anneau ; & que ce n'étoit pas • que Perdiccas
fût feul préfenî à fa mort, mais qu'après avoir jeté
les ieux autour de lui il l'avoit choie dans la foule
des courtifans pour lui confier ce dépôt : qu'il étoit
donc d'avis qu'on déférât la fouveraineté â Perdiccas.
On ne douta point qu'il ne dît vrai ; tous en coofécmence
invitèrent Perdiccas à s'avancer & à reprendre
1 anneau du roi. Il étoit en fufpens entre le défit
& la honte ; & il penfoit que moins il marqueroit
d'empreflement pour ce qu'en effet il fouhaitoii fort,
plus on le prelferoit de l'accepter : de forte qu'après
avoir long temps balancé, incertain du parti qu'il devait
prendre, il prit pourtant à la fin celui de fe retirer
s & fe tint debout derrière ceux qui d'abord avoienî
pris des fièges auprès de lui. Mais Méléagre 9 l'un des
chefs , prenant avantage de l'îrréfolution de Perdiccas ,
Aux dieux ne plaife 9 dit-il t que la fortune d f Alexandre
& le fais d'un fi grand Empire tombe fur de pareilles
épaules -; les hommes du moins ne le foujp-iront pas : je ne
parle pas de ceux qui font plus dijimgués que Perdiccas i

3 ça LîBER X CAP. Vil.
.fed de vins tanmm , .quitus invitis nihil permet!
lîeceiTe eft. Nec vero intereft , Roxanes niram,
quandoque genitus erit, an Perdiccan regem habeatis
; quum ifte , fub tutelae fpecie » regnu'm
occupaturas fit : itaque nemo ei rex placet',
nifi qui nondum natus eft; & in tantâ omnium
Feftinatione f non juftâ modo fed etiam necef-"
fariâ, exaftos menfes folus exfpeôat, & jam
divinat marem elle conceptum ; quem vos dubitatb
paratum effe vel fiîbdere i Si, me dius
Fidius ! Alexander hune nbbïs regem pro fe
reliquiffet, id folun* ex iis quae imperaflet non
faciendum effe cenferem. Quin igitur ad diripiendos
thefauros difeurritis ? harum enim opum
regiaram utique populus eft hères. Mac êhquutus,
per medios armatos êrupk ; & qui abeunti viam
dedêrant 3 ipfum ad pronunc'mtam pradam fequebantur.
VIL Jamque armatorum circa Mekagrum fieqmns
globus traî,. in ftdkionim ac difeordiam
versa concione, quum quidam, pler'uque macedonum
ignotus, ex infimâ plèbe, Quid ©pus eft ,
inquk, armis civilique bello , habentibus regem
quem quaeritis ? Âridaeus , Philippo genitus,
Âlexandri paulo ante régis frater, facrorum
caeremoniarumque çonfors modo* nunc folus
hères , prseteritur à vobis : quo merito fuo ?
quidve Fecit cur etiam gentium communi jure
fraudetur ? Si Alexandro fimilem quaeritis , nun-
.quam reperietis ; fi proximum, hic -folus eft.
jais auditts, eoncio primo fiknt'mm velut juffa
habuit ; conclamant 'deindt parker, 'Aridœum vocandum
ejje 9 mortemque meritos qui cûnc'wnem

'L'ir-RB X. CM A p. FIL 373
Je m défigne que les gens de caur,t que rien .né ptut forr
mer à endurer une chofe qu'ils dé/approuvent» Et certes il
vous eft égal et avoir pour toi le fils deRoxane , en quel»
fue temps qu'il naijfe > ou Perdiccas ; puifquê , fous h
prétexte de la régence , il ne manquera pas de fe rendre
maître du royaume : c'efl pour cela que perfonne ne lui
agrée pour être roi , que celui qui n'eft pas encore né ;
& lorfque tout le monde défire un roi avec un emprejfe*
ment, je ne dis pas feulement jufte, mais néceffaire s // a
•feul la patience d'attendre l'expiration des mois d'une grofi
feffe, s il devine déjà que ce fera un garçon ; & doutez-vous
^u 9 il ne foit difpofé mime à en fuppofer^ un? Sur mou
honneur, fi- Alexandre nous eut laijfé un pareil fucceffeur p
ce feroit, de fes commandements , le feul auquel je fcrois
d'avis qu'on n'obéit pas. Que ne courez-vous donc piller
les tréfors du roi ? car c'eft véritablement le peuple qui
eft V'héritier des richejfes qu'il laijfe. Après ce difeours ,
il traverfa bruCquement ies troupes ; elles s'ouvrirent
pour, le. îaifler pafler, & le fuivirent pour îe pillage
qu'il îeor avoit hautement confeillé.
VIL Méléagre avoit déjà autour de lui un-gros considérable
de foldats en armes, 1'efprit de fédition & de
difeorde ayant-gagné la multitude , lorfqu'un particulier
de la lie du peuple , inconnu à la plupart des macédoniens
, s'écria : A quoi bon en venir aux armes & à une
guerre civile , puifque vous*ave\ le roi que vous cherche^ ?
Vous laiffei là Aridée tfils de Philippe , frère d'Alexandre
t que vous vene^ de voir fon collègue dans les facrî~
fices & les cérémonies religieufes s & qui eft aujourdkui
fon unique héritier : comment l'a~t~il mérité ? qu 9 a-t-'d
fait pour être privé d f un droit généralement reconnu che\
tous les peuples? Si vous -cherche^ un roi fimblable à
, Alexandre, vous ne h trouverez pas ; fi vous vouU\ fon
plus proche héritier,. celui-ci eft le feuL Sur cette propofition
, il y eut d'abord un filence général comme fi on
l'eût ordonné ; puis tous s-'éceièrent unanimement ^ qu'il
falloit appeler Aridée, & que ceux qui avoient convoqué
L'aflemblée fans lui étaient dignes de mort, Ajtos

354 -LIBER X. CAP. VIL
fine eo habuiffent. Tum Pithon , phnus lacrimarum9
orditur dkere, nunc yel maxime mifierabUem
effe Alexandrum, qui tam bonorum civîum militumque
firuBu & prafientid fraudatus effet ; rmmen
enim memorlamque régis fui tantum intuentes 9 ad
cetera caligafe eos. Éaud ambiguë in juvenem cui
regnum deftinabatur impenfa probra, qum magis
ipfi odium quam Aridao contemtum attukrunt ;
quippe dum mifierentur, etiam favere cœperunt*
Igitur non alium fie quam eum, qui ad hanc fipem
genitus effet, regnare paffuws perthmci acclamatione
déclarant : vocarique Aridœum jubent ;
quem Mekager , infieftus invifiusque Perdicca ,
ftrenuè perduck in regiam ; & milkes 9 PMlippnm
confialutatum , regem appellanL
19. Ceterum, hmc vulgi erat vox , principum
mîm fiententm : • è qmbus Pithon confilium Perdicca
exfieqm cœpk , tutoresque deftinat filio ex Ro»
xane fiuturo Perdkcan & Leomtatum , ftirpe regiâ
genkos ; adjeck ut in Europe Cratems & Ami*
pater res admimftrarent ; tum jusjurandum à fingulu
exa&um » fiuturos in poteftate reps genid
Akxandro. Meleager, haud injuria metu fiuppUcii
Hrritus , cum fuis fecefferat. Rurshs, Phâippum
trahens fiecum, irrupk regiam 9 clamkans fiuffragari
fipei publkm, de novo rege paulo ante concept®.
, robur ettatis ; experirentur modo ftirpem
Philippi , & filium ac fiatrem remm dmorum ;
fibimetipfis potiJRmmm crederenL Nulkm proftm

#
LIVRE X. CBAP. VIL 355
Pithon f tout en Igrmes , fe mit à dire f que c*étoit furtout
dans ce moment qu'Alexandre étoit à plaindre ,,
d'être priyé du pîaifir de voir tant de bons citoyens
& de braves foldats & de. recueillir le fruit de leur
affection 5 puifqu'ils n'envifageoient que îe nom & la
"mémoire de leur roi , & qu s ils s'aveugîoient fur tout
le relie. lî lança fans équivoque, fur le jeune prince
•qu'on appelait an trône f des traits injurieux, qui attirèrent
plus de haîne à Pithon même que de mépris à
Aridée ; parce que la compaflion qu'ils firent naître
commença aulfi à lui affûrer la faveur de l'aflemblée*
- Tous en- effet s'écrièrent obftinément, qu'ils ne fouffriroient
point fur le trône un autre que celui dont la
Baiffance autorifoit cette prétention : ils firent appeler
Aridée 1 & Méléagre f qui haiffoit Perdiccas & qui en
'étoit haï » mena fur l'heure ce prince au palais, où t
Tous îe nom de Philippe s il fut proclamé roi par les
foldats.
19. Au refte,c*éîoît là îa voix du peuple,mais les Grands
êtmtnt d'un, autre avis : Pithon, entre autres, commençant
à mettre à exécution celui de Perdiccas, nomma *
pour tuteurs de l'enfant qui de voit naître de Roxane ,
Perdiccas lui-même & Léonnatus , tous deux du fang
t©yal ; & il donna en outre à Cratère & à Antipater îa
régence de l'Europe ; enfuite on fit prêter ferment par
chacun de reconnoirre pour roi ce fils d'Alexandre, Méléagre
j craignant avec raifon de fubir la' peine qu'il
mériîoit, s'étoit retiré avec fes partifans* Mais il re-»
tint bientôt au palais, traînant Philippe à fa fuite &
«riant,-que la force de lige confirmok Tempérance que
-Je Public-; aveit conçue -peu auparavant de ce nouveau
•loi ; qu'ils eflàyaflent au moins du gouvernement d'un
descendant de Philippe, fils & frère de deux rois ; &
qu'ils ne. s'en rapportaffenî qu'à eux-mêmes. Aucun
détroit, aucune mer, quelque profonde % quelque vafte %
quelque orageufe qu'elle foit f n'élève des vagues pa«
reilîes aux -mouvements qui agitent la multitude f fur»
"t'eut dans Vivreffe de îa première jouïffaace d'une libef»

3ç6 -LIBER X. CAP. VIL
luxurîaL Pauci Perdkcœ modo eleËo , pbtres
Philippo quam fperaverat, imperium dabant : nec
veïïe nec nolle quïdquam dm poterant ; pcmitebat-*
que modo confilii , modo pœnitentia ipfius ; ad
uLùmum tamen m ftirpem regiam inclinavere ftudiis*
Cejferat ex concione Aridmu, wrmcipum
suBoritate conte rritus ; & ,- abeunte ulo , conùr
cuerat magis quam languerat mUitaris favor :
uaque revocatus 9 veftem fratris, eam ipjam qum
>im felid pofita fuerat 9 induitur ; _ & Mekager',
thorace jumto, tapit arma novique régis fatelles
• fequitur. Phalanx , haftis clyptos quatiens , expieturam
fe fanguine ittorum qui ' affeBaverant nihil
ad ipfos pertinent regnum mïnabatur : in eâdem
démo familiâque Imperiï vires remanfuras e£e gaudebant
; hereditarium imperium ftirpem regiam
vindicaturam ; affuetos fe nomen ipfmm colère
menerarique , nec qmemquam id capere mfi genkum
#t regnaret»
20. Igitur Perdiccas territus conclave in qu&
AUxandri corpus jacebat obferari jubet : fex~
cmti cum ipfi erant fpeBatm virtutis ; PtoUr
mmus quoque fe adjunxerat ei, puerorumque regiacohors.
Cemmm haud difficultés â .tôt • miiëim
srmatorum clauftra perfraBa /uni; & rtx qmQquc
irruperat § ftipatus fateUitum iurbâ, quorum prm*
ceps erat Mekager, îratusque Perdiccas' âos qui
Ahxandri corpus tueri vtlltnt fevocat : fed qui
irruperant eminus tela - in ipfum jaciebant ; mut"
tisque vulneraûs, tandem feniores , demtb galels
quo- ficiliàs nofci poffent , prccari qui cum Pet*

LirAE X.CHâP. VIL 357
té* à laquelle elle n'èft point accoutumée & qui lui
échapera bientôt. Cétoit le petit nombre qui ctéféroit
l'autorité à Perdiccas qu'on venoit d'élire , & Philippe
avoit plus de partifans qu'il n'en avoit efpéré : vouloir,
ne vouloir pas s rien ne pouvoit être fiable; tantôt on
fe repentoit du parti qu'on avoit pris, & tantôt du
repentir même ; à -la lin pourtant les vœux fe décidèrent
pour le fang royal. Aridée , redoutant l'autorité
des Grands s s'étoit retiré de l'affemblée ; & fa retraite
avoit plus tôt fermé!a bouche aux foldats qu'aifoibli leur
affection r on le rappela donc , & on le revêtit de iâ
robe de fon frère, celle même qu'on avoit placée fur le
trône ; & Méléagre endoffa la cuiraffe s prit fes armes t
& fe mit à la fuite du nouveau roi comme -capitaine de
fes gardes. La phalange , frapant des javelots contre
les boucliers s menaçoit de fe baigner dans le fang de
ceux qui' avoient ofé prétendre à une Couronne qui ne
leur appartenoit en aucune manière : tous étoient charmés
que les forces de l'Empire reftaffent dans la même
maifon f dans la même branche ; que ce royaume héréditaire
fût déféré de droit au fang royal ; qu'ils étoient
d'ailleurs accoutumés à avoir pour le nom même de
Philippe du refpeft & de la vénération f & que perfonne
ti'ofoit le prendre s'il n'étoît deftiné au trône par
fa naiffance.
20. Perdiccas, effrayé de cette révolution , fait fermer
la. falîe où étoit le corps d'Alexandre : il avoit
avec lui fix-cents hommes d'une valeur éprouvée; Ptolémée
s'étoit aufl?joint à lui, ainfi que la compagnie
royale de la jeune Nobîeffe. Mais tant de milliers de
gens armés enfoncèrent les portes faas difficulté ; le
roi lui-même fe jeta en dedans, environné d'une troupe
de gardes à la tête defquels étoît Méléagre. Perdiccas
indigné appela en particulier ceux qui étoient réfohis
de mettre le corps d'Alexandre à couvert de toute in-»
fuite : mais ceux qui avoient forcé l'entrée fe mirent à
tirer fur lui ; & après qu'ils eurent bleffé bien du monde,
enfin les plus anciens d'entre eux f ©tant leurs çaf*

358 LIêER X. CAP. Vîlî.
iiccâ iront empire, ut ah finirent beïïû rtgiqui &.
plmïbus cédèrent, Prïmus Perdieeas arma dtpo*
fuit* ceterique idem fecêre ;' Mekagro deinde fuadentt
ne a corpore Akxandri difcédèrent, infidus
heum qumri rati, dïversâ regim parte ad Euphra-
Un fagam intendant. Equkatus^ -qui ex nobiHJpmis
juvenum confiabat f Perdkean & Ltonnatum.
frequms fequebatur ; plaeebatque excedere urbe &
teniere in campo : fed Perdkcas m -pedkes quiitm
fequuturos ipfum defperabat ; itaque 9 ne abdu~
cendo équités abrupijfe a cetera exerchu videretw9
m urbe fubfikk.
VUL Al Meleager regem montre non • deflitk »
jus imperii Perdkca morte fanciendum efie ; m
eccupetur impotens animus 9 res novaturum ; me-*
minifie mm quid de rege • meruiffet, ntminem au*
tem ei fatis fidum efie quem metuat. Rex pâlit*
èatur magk quam affentiebatur : itaque Meltager
filentium pro imperio habuit, mifitque , régis
nomme9 qui Perdkean arcefferent ; iudem mondatum
ut occiderent, fi venire dubkaret. Perdkcas
y nunciam fatellkum adwentu 9 fexdccim
ùmminè punis rtgim cohortis mmkatus % .in /£mine
damas fum confiait ; caftigatosqm , & Me*
kagri mancipia idtmttdtm appelions , fie animi
vuïtûfque conftantiâ terruk 9 ut v'ac menas compotes
figèrent. Perdkcas pueras èquos jujfit con*
feendere, & cum panels amkorum ad Leommtum
pervenk, jam firmwre pmfidio vim propulfaturus
fi quis mftrrtu Pofiero die indigna res macédoniens

LITRE X- CH-AP. VI IL 359
ques pour être plus alfément connus , prièrent ceux de
îa fuite de Perdiccas de ceffer toute hoftilité & de céder
au roi & au parti le plus fort. Perdiccas fut Se premier
à mettre bas les armes , & les autres fuivirent foa
exemple : mais enfuite Méléagre ¥©uîant leur pet fuader
de ne pas quitter le corps d'Alexandre s ils «'imaginèrent
qu'on leur tendoit un piège , & fortant par les derrières
du Palais ils s'enfuirent-vers I'Euphrate. Un corps
confidérable de cavalerie » compofee des jeunes gens
les plus diftingués de la Nobiefle, fuivoit Perdiccas &
•Léonnatus ; & ils étoïent d'avis de fortir de la ville &
de camper dans la pîaine : mais Perdiccas ne défefpéroit
pas que l'infanterie même ne le fuivît ; c'eft pourquoi
il voulut relier dans la ville > pour ne pas donner
lieu de croire , qu'en emmenant îa cavalerie, il eût
voulu rompre ayec le relie de l'armée.
VIII. Cependant Méléagre ne ceffoit de dire au roi »
qu'il fallolt'affermir fon droit à la Couronne par la
mort de Perdiccas ; que, fi l'on ne prèvenoit ce brouillon
s il cauferoit quelque trouble ; qu'il n'oublioit pas
comment il avoit agi envers le roi, & qu'on n'eft jamais
d'une fidélité exaéle à l'égard d'un prince que Ton redoute.
Le roi laiflbit plus tôt dire qu'il n'approuvoit : cela
donna lieu à Méléagre de prendre fon filence pour un
commandement, & il envoya chercher Perdiccas de
la part du roi , avec ordre de îe tuer, s'il fefoit difficulté
de venir. Perdiccas , averti de l'arrivée de ces
fateîlites , prit uniquement avec lui feize jeunes nobles
de la compagnie royale t & attendit à la porte dé fon
logis ; il fit 'des reproches fanglants aux envoyés » les
appela de fois ' i autre efcîaves de Méléagre f & les
étonna fi fort par îa fermeté de fon courage & l'affûrance
de fon maintien , que tout éperdus ils., prirent la
fuite, Perdiccas fit monter à cheval la jeune Nobiefle,
& accompagné d'un petit nombre d'amis il fe rendit
près de Léonnatus, bien plus fur alors de pouvoir repouffer
la force par la force fi'on vouloît lui faire violence*
Le lendemain les macédoniens trouvèrent indi-

360 - LIBER X CAP. Fit!.
videbatur Perdiccan admorûs periculum addu&umi
& Mekagri temtritatem armis ultum ire decreve»
ranu Atqut ille, fiditume provisd 9 quum regem
ndiffint , interrogare eum cœpit an Perdiccan corn*
frehmdi ipfi jujffîjfet : Oie MeUagsi in/linSu fe
juffijfi refpondit ; ceterum , non debere tumukuari
vos, Perdiccan enim vivere* Igitur concione iimiffa
9 Mekager, equitum maxime dtfi&iom per*>
territus, inopsque confilii ( quippe m ipfum péri-*
culum reciderat 'quod inimico paulo ante intenderat)
, triduum ferè confumfit incerta conplia volvendô»
Et priftina qu'idem regm fpecies manebat ;
nom & hgaù gentium regem adibant, & copia"
mm duces aderant, & veftibulum fatellites armatique
compUverant. Sed ingens fuâ fponu mœftkia
ultimm defperationis index trot : fuspe&ique invicem
, non adiré propiks, non colloqui audebant 9
fecreîas eoptationts intra fi quoque volventes ; &
ex compaiatione régis novi defiderium excitabatur
amijfi : ubi ///* effet 3 ,cujus imperium, cujus AU fi
picium fiquuti erant 3 requirebant ; deflitutos fi
huer infijias indomitasque gentes, txpetkuras tôt
cl-adkm fuarum pœnas quandocumque obiata effet
occajio. Mis coghationibus animas extdebant 9
quum annunciatur, ' équités qui fub Perdiccâ efi*
fine , occupatis circa Babylonem campis , fiur
mentum quod in urbem invehebatur ret'muiffi : ita

LirRM X CB'AP. VïlL 361
pie que la ¥Îe de Petdiccas eût été en-danger, cktéfoîu»
rent de le venger de la témérité de Méléagre. Quand
ils eurent abordé le roi f Méléagre 9 qui prévoyoit
l'orage f lui demanda lui-même fi c'étoit lai qui avoit
commandé qu'on arrêtât Perdiccas : le prince répondit
•fju'il en avoit donne* Tordre par le confeilde Méléagre;

$6% LIBER X CAP. VIlU
p&pulatîonem vlllarum vkôrumque veriti, confitgèrent
in urbtm ; oppidani, quum ipfos alimenta
deficerent, urbt excédèrent ; fy utrique generi tutior
aliéna fedes ' quam fua viderttur : quorum confternat'wnem
macedoms veriti 9 in regiam çoëunt
qu&que ip forum fententia effet exponunt ; placebat
auiem legatos ad équités mitti dêfinienda difcordid
armisque ponendh* Igitur à rege legatur Pafas
theffalus, & Amiffas megalopolitanus , & Peri-~
laits ; qui, quum mandata régis edidiffent, non
aliter pofituros arma équités quam fi rtx difcordia
au&ores dedidijfet tulêre refponfum* Mis rcnun*
ciatis fua fponte milites arma capiunt ; quorum
tumultu è resta PhUippus excitus, 'Nihil, inquit^
feditione eu opus ; nam inter fe certantium
praemia qui quieverint occupabunt. Simul me*
mentote rem effe cum civibus, quibus fpem
gratiae cito abrampere ad bellum civile propeperaatinm
eft.. Altéra legatione an mitigari pot
îînt experiamer ; & credo, nondom reps corpore
fepulto, ad praftanda ei jufta omnes effe
coïturos. Quod ad me attinet, reddere hoc impêrium
malo quam exercere civium fangnuie ;
& fi nulla alîa concordis ipes eft , oro quaefoquç
, eligite potiorem. Obortis débute îacr'b*
mis , diadema detraMt capiti 9 dextram qui
m id tenebat protendem 3 ut , fi quis fe digniorem
profiteretur , acciperet, Jngentem fpem indolis ,
ante eum diem fratris chritate fupprejfam, ta moderata
excitavit oratio : itsque cum&i inflare cet"
perunt ut qua agitaffet exfequi vellet. Eosdem
fdrsus légat, petituros ut Meleagrum tertium du* ••
çem itccipçrent* Maud tegri id impetrmum eft ;

LIVRE X. CHJP. VllL 363
«gagnant qu'on ne vînt dévafter leurs «îétames & leurs
ïiourgades, s*étoieat retirés à la ville 1 & que les habitants
de la ville en étoient fortis , parce qu'ils y man-
^uoient de vivres ; les uns & les autres croyant être
f lus en fureté ailleurs ^ue chez eux : mais les macédoniens
, craignant les fuites de îeur mécontentement >
s'affemMèreiît au palais & y proposèrent leur avis ;
c'étoit d'envoyer des députés à ia cavalerie pour terminer
les diflenfîons & renoncer à îa voie -des armes*
Le roi députa en conféquence le theffalien Pafas ,
Amîffas de Mégaiopolis, & Périîaûs ; & quand ils eu»
'f ent expofé ce dont îe roi les avoit chargés, ils eurent
pour réponfe, que îa cavalerie ne défarmeroit qu'autant
que le roi lui livreroit les auteurs de la dlvifion.
Le rapport en ayant été fait f les foîdats coururent aux
armes de leur propre mouvement ; & fur le bruit qu'ils
firent, Philippe fortant, de fon palais 9 Ce mouvement+
•dit-il, n'efl pas néceffaire j car le prix du combat fers,
pour ceux qui fe feront tenus en repos, D'ailleurs fouve;
ne^vous que vous ave\ affaire à des citoyens , & que de
leur Ster d'abord toute efpérance de grâce , c'eftfe précipiter
dans une guerre civik. Egayons de ks calmer par
mne féconde députation $ & je me perfuade que t les obfè*
•ques du roi n'étant pas encore faites, onfe réunira volon~
tiers pour lui rendre ces derniers devoirs» Pour ce qui efi
Je mon intérêtperfonnel, j'aime mieux renoncer à la puif*
fana fiuveraine que d'en ufer au prix du fan g de nos citoytns
; & s'il n'y a pas d'autre moyen de conciliation f
je vous prie & vous conjure d f en élire un autre qui convienne
mieux, Là-deffus f les larmes lui tombant des ieux, il
èu de fa tête le diadème, & avançant la main droite
dont il le îenoit f il le préfenta à quiconque s'en croiroit
plus digne que lui. Ce difeours plein de modération lit
concevoir de foncara&ère une efpérance , que l'éclat de
la gloire de fon frère avoit jufqu'alors empêché de naître
: fi bien que tous le prêtèrent de mettre fon projet
à exécution. Il chargea les mêmes députés d'aller demander
aux deux chefs de recevoir Méléagre pour tr©I«

564 ' Lis EU X. CAP.''IX.
nam & abducete Melëagrum Perdiccas i rege eupiebat,
& unum duobus imparem futurum effe
ctnfebat : igkur Meleagro cum phalange obviam
tgrejfo , Perdiccas , equitum turmas antécédent,,
occurrit ; utrumque agmen 9 mutuâ falutationc fa&â,
coït, in perpétuant* ut arbkrabantur, concordid
& pace firmatâ.
IX. Sed jam fais admovebantur macedonum
genti bella civilia ; nam & infociabile eft regnmm ,
& â pluribus expetebatur. Prïmum ergo colkgire
vires , deinde difperfemnt : & quum pluribus corpus
quam capiebat oneraffent, cetera membra de~
ficere eœperunt ; quodque imperium fub uno ftare
potuiffet, dum à pluribus fuftinetur, mit* Proinde
jure mer i toque populus 'romanus falutem fe principe
fuo debere profitetur , cui noëis quam pcnè
fupremam habuimus novum fidus illuxit * : hujus 9
Hercule ! Mon folis ortus lucem caligand reddidit
mundo, quum fine fim capite difcordia mem*
bra trepidarent ; quot ille tum exftinxk faces !
quot condidk gladios ! quantam tempeflatem fubitâ
ferenitate difcuffit ! Non ergo revirefck fa
lum , fed etiam floret Imperium : abfit modo invi*dia,
excipiet hujus fizcuU tempora ejufdem Do~
mus, utinam perpétua ! certè d'mtuma pojlerkas.
Çeterum , ut ad, ordinèm â quo me contemplatio
publias felickatis averterat redeam, Perdiccas
unicam fpem fahûs fat in Mekagri morte de

LITRE X CNAP. IX. 365"
fième..On l'obtint fans difficulté j car Perdiccas étoffe
}>ien aife de tirer Méléagre d'auprèt du roi, &ii étoit
alîûré que ce chef ne balancerait pas feul les deux au*
très : Méléagre étant donc forti avec Sa phalange f
Perdiccas, à îa tête de la cavalerie , vint à fa rencontre 4
les deux corps f après îe faîut de part & d'autre, fe
réunirent, perfuadés que k concorde & îa paix étoient
aflurées pour jamais.
• IX. Mais le moment spproehoit où les deftinées des
macédoniens dévoient jeter cette pation dans les horreurs
des guerres civiles ; car on ne fouffre point de
compagnon fur le trône , &plufieursyprétendoient. lis
réunirent donc d'abord leurs forces, Ils les divifèrent
cnfuite : en furehaçgeant le corps, ils jetèrent les autres
membres dans îa langueur ; & l'Empire , qui fous un
feul maître pouvoit fe foutenif , tomba en décadence ^
dès que plufieurs -y mitent la main. Ceft dont avec
grande raifon que le peuple romain reconnoit hautement
qu'il doit fon falut à fon prince, qui, comme un nouirel
aftre s lui apparut pour dlffiper les ténèbres de cette
nuit qui fut prefque pour BOUS une nuit de mort: c6
fut îe leTcr de cet aftre certainement f non celui du
foleil 9 qui rendit la lumière au monde, plongé dans
de véritables ténèbres 9 puifqu f au défaut de chef les
membres divifés étoient livrés aux horreurs de la difcorde
; que de flambeaux il a éteints ! que d'épées il a
fait remettre dans le fourreau ! quelle tempête il a
écartée en ramenant tout à coup la férénité ! Auffî eftil
vrai f non feulement que l'Empire reprend de la vi*
gueur , mais même «gu'il eft dans un état floriflànt : & £
le deftin n'en eft jaloux, nos neveux jouiront long
temps, &puiflent«ils en jouïr éternellement î du bonheur,
de vivre fous les defcendants de cette augufte Matfon*
Mais pour reprendre la fuite , qu'un coup d'oeil (m la
félicité publique m'a fait interrompre } Perdiccas fefoit
dépendre toutes fes efpérances de la mort de Méléagre
; il le connoiffoit fourbe & fans foi, toujours prêt
à remuer, & fon ennemi mortel » il failoit donc le
Qiij

j66 LIBER X CAP. IX.
dum effi : fed altâ dîffmmUihm confShtm pre*»
mebat* ut opprimeret incautum E'rgo dam quofi
dam ex copiis quibus praerat fubornavit 9 ut r
quafi ignorant ipfe 9 conquererentur palâm Meleagrum
aquatum effi Perdiccœ ; quorum fermant *
Mekager, ad fi relato 9 fûrens ira , Perdiccût
qua comperijfet exponiu Me 9 veht nova re ex~
terrhus , admirari , queri T. doterais que fpeciem
oftentare. ei cetpït ; ad ukimum convenu mt com°»
prekenderentur tam fiaïtiofa vocis auêùrts: Agit
Mekager grattas,, ampkxusque Perdkccan rfidem
ijus in fi ac benevokntiam collaudat,- mm corn*
muni confitio rationem- opprimendi noxios- ineunt z
_ placet exerchum patrio more lufirari , ^&> probarêiiis
cauja videbamr prateràa. difcordia*
±4». MacedcmuM' reges- aa- îupratt JbSti erant
milites f ut difcijfm cams vifiera uksmo in camp»
in quem deducerêmr exerdtus ab utrique abjice**untur
parte / intrâ M fiatmm armati omnes flairent
,. hmc équités, illinc phalanx. Itaque eo die
quem huic ficro deflinaverant,. rex cum cquitiïus
ekpkandsque- confiiterat contra pedites s. qui-bus
Mekager praerat» Tam equefire agmem move~batur
; & pedîtes , fubitâ formidine ob recentem
difcordiam » haud fane pacati quidquam exfpec*
tantes > parumper addubitavére-an in urbem fub~
ducerent copias * quippt pro equitibus plankies*
erat ; ceterum, veriti ne temtrè' commiiitomtm j£—
dem damnarent, fiéflitêrt, praparatis addimicandum
anim'ufi quis vim inferreu Tam agm'ma co%~bant
, parvumque bitervallum erat quoi aciem
utramqut divideret :. itaque rex x cum. un£:dâ. %. okt^

LIVRE X. CKA-PI IX. j6j
f reveifif ; tuais II cacfaoit fon defiein fous îe voife d-yfl'i
profonde diffimulation f afin de le ftirprendre lorfigu'il
s'y attendrolt ie moins. Dans cette vue il difpofa finement
quelques particuliers des troupes qu'il eontmart-*
doit ,*à fe plaindre hautement ; mais comme à Ton infu $
qu'on eût mis Méléagre au niveau de Perdiccas | & ces
propos étant revenus à Méléagre s il vint tout furieux
en rendre compte à Perdiccas. Celui-ci, comme effrayé
de cette nouvelle t affeftt d'en paroitre furpris-, d*ert
faire des plaintes * d'en témoigner fou dépiaiftr j à fa
fin il eft arrêté qu'on fe faifira des tuteurs de et s pro*.
fos féditieux. Méléagre "fait dt grands remerdments
Perdiccas, l'embrafle 9 fe loue extrêmement defafran*
chife & de fon affection; puis ils conviennent en corn*
,mun de la manière de furprendre les coupables : ils
concluent que fon purifiera l'armée félon le cérémo*
niai du pays, & ladtvifion paffée en fournifibit us pré*
texte bien plaufible*
14* La manière dont les rois de Macédoine fefoienf
cette purification des troupes, coafiftoit à jeter, au*
deux extrémités du champ où Ton devoit conduire
l'armée, les entrailles d'un© chienne éventrée ;- &-tou*
tes les troupes en armes dévoient fe placer entre ces
deux extrémités, la cavalerie d'un côté & l'infanterie
de l'autre. Au jour marqué pour cette cérémonie, le
roi s'étoit mis à fa tête de la cavalerie & des éléphantsf
vis à vis de l'infanterie que commandoit Méléagre. La
cavalerie étoit déjà en mouvement , lorfque les-gène"
de pied, frapés d'une frayeur (budaine au fouvenîr du-dernier
démêlé, & n'en augurant rien de pacifique f
furent quelque temps en doute s'ils ne dévoient pas
fe mettra en fureté dans la ville f doutant que la plaine
étoit favorable à la cavalerie j. du f elle t craignant de*
condamner trop légèrement labonne foi de leurs compagnons
d'armes} Ils demeurèrent, mais dans la réfoJutioit
de fe bien battre fi on leur fefoit quelque violence.- Lei
deux corps s'approehoient déjà, & il n'y avoit plus entre
deuxqu*ua>petit intervalle :• alors le roi, avec un feul
Q ir

368 LIBER X CAP. X
quitare peditibus cmpit,' difcordim ouStères ,- qmos
meri îpfe debebat9 inJfmHu Perdue» ad' fuppûcia*
iepôfcens ; mînabaturque omnes turmas eum ele~pkantis-
induBurum. fe m reeufantes* Stupebant
improvifi mah pedites 9 me plus in ipfo MeUa-.
gro erai ouï conftlù aut ammi ; tutijfimum ex.
pmfenùbus vïdtbatur exfpeBare potims quam modère
fortunam. Tum Perdiccas » ut torpentes &
gbnpxios vïdit P ecc ferè , qui Mekagrum erumpentem
ex coneiont qum prima habita efi poft
mortem AUxandri fiqtmti erant, a eeteris dijcre~
tos, elephantis in emJpeêÊu totius exercitâs obji~
eu ; omnesque belluarum pedibus obtriû fknt, nec
prohibéme Philîppo nec auQùre : apparebatque id]
modo pro fuo vmdieaturum quod approbajfet eventus.
Hoc bellorum cïvUmm macedombus & orner*
& principkm fuit. Meleager, fero "mtelkBâ fraude
Perdicca , tum

LIVRE. X CMJP. X j6$
tfctdron » t'avança vers l'infanterie ^ & à i'inftigatioft
de Perdkcat , demanda qu'elle lui remit les auteurs de
la fédition pour les envoyer au fupplice , quoiqu'il eût
dû- les protéger ; & il menaça même , il on les lui refitfoît,
de faire paffer fur le ventre des gens de pied
foute la cavalerie avec les éléphants. Ils demeurèrent
interdits de ce coup imprévu, & Méîéagre lui-même
ne montra ni plus de jugement ni plus de réfolution
que les autres ; il leur parut feulement qu'en pareilles
cireonftances il étoit plus- fût d'attendre l'événement
que de tenter la fortune. Perdiccas alors, les voyant
éperdus & à fa difcrétion-f fit fortir des rangs environ
trois-cents .nommes t qui avoient fuivi Méiéagre quand
il fe retira de la première aiemblée tenue après la mort
d'Alexandre , & à la vue de toute l'armée il les expofa,
aux éléphants ; ils furent tous écrafés fous les pieds de
ces animaux , fans oppofitlon comme fans ordre de la
part de Philippe : il paroiffoit feulement qu'il n'avouefoit
que ce que l'événement juftifieroit. Ce fut là pour
les macédoniens le préfage & le commencement des
guerres civiles. Quant à Méiéagre, après avoir reconnu»,
mais trop tard $ la fourberie de Perdiccas^ il ne laiffa
pas de fé tenir à fon pofte f parce qu'on n'entreprit
rien contre fa perfénne : mais condamnant bientôt l'efpérance
qu*U avoit eue d'échaper , quand il vit'fes ensemis
abufer» pour le perdre f du nom de celui qu'il
avoit lui-même fait roi, il fe réfugia dans un temple ;'
mais îa (ainteté du lieu ne lui'fervit de rien, & il y fut'
maffacré.
JT. Perdiccas', ayant remené l'armée à îa ville, tînt
avec les principaux feigneurs un Confeii, où , la fouveraineté
réfervée au roi, fon jugea à propos de partager
l'Empire de cette manière. Ptolémée fut fait fatrape
d'Egypte & des provinces- d'Afrique qui en relevoient
; on donna à Laomédon la Syrie avec la Phénicie
; on aflïgna la Cilicie à Philotas ; la Lycie avec la
Pamphilie & la grande Phrygie fut le partage cFAntigone
ï on envoya Caffandre dans la Carie t & Mé^

370 LIBER X. CAP. X.
mnorem HeÏÏêjfonto adjun&am Lterumû provh**
àam ejfe jufferunt. Cappadocia Eumem cum Pa~
fhlagoniâ cejfit ; pmceptum efl ut regionem eam
usqui ad Trapt{unta défendent , hélium cum Ar*
bâte gertret ; folus hic detreêabat imperium *.
Pithon Mediam, Lyfimachus Thraciam appofitas**
que ThraciéC ponticas génies obdnere jufli. Qui
Jndia 3 quique Ba&ris & fogdianis eeterisque aut
Oceani ami rtsbri maris accoiis prêteront, quibus
quisque finibus habuiffet impeni etiam jus obûneret
decretum; fi» m Perdictas cum rege effet, copiis*
quepmejfeiquœ regemfequebantur. Credidire quidam
tefiamento Akxandri diftributas effe provîncias ;fed
famam ejus rei 9 quanquam ab auBoribus tradita
tft , vanam fuiffe comperimus *** Et quidem fuas
quisque opes , divifis Imperu partibus, îutbanturf
quas ipfi fundaverant, fi unquam adverses immo*
éieas eupidkaus temwuM fiaret : quippe paulê
aatt régis miniftri9 fpecie imper u dimi pracurandi,
fingul'i ingemia mvaftrdst regm ; fuèêatis certaminum
caufis, quum & amnes ejufdem gentis effent,
fi* a ce te ris fui quisque imperii regione difcretL Sid
dijfïcik erat e§ contentas effe quod obtukrat occa~
fio ; quippe ftrdent prima quaque, quum majora
fperantur : kaque omnibus expeditius videbamr au-*
gère régna, quam fiùffèt accîperc.
* Cum Ârb&tê* Juffii* * Plutarcfoe , Diodore de Sicile,
s'accordent tous à donner le nom è % Ânmrmhe , à ce roi
de Cappadoc® qui refufoit de fe foumettre à l'empirt de*
macédoniens ,. & cpie Q. Curce nomme Aréate»
** Vmemjjuijfe comperimus» Q. Cutcm paroi* tYOÎr
été maf inftruk,. car on lk es propres tenues' au I livre
des Macchabées (}, 6,7.): Etpeft kmc décida in faim
( 'Alexander ) „ & cegnovitquia nmrtremr 1 & r«m^

LIVRE X. CMAP. X. 371
ftandre dans la Lydie ; la petite Pfcrygre réunie aux
terres que baigne l'Hellefposit forma îe Gouvernement
de Léonnatus. La Cappadore avec la Paphîagonie échut
à Eumènes : il fut chargé de la défenfe de cette contrée
fufqu r à Trébizonde, & de la guerre contre Arbate;,
c'étoit le feuî qui refuflt de fe Soumettre a l'enpire
des macédoniens. Pithon eut en partage la Médie , &
, Lynmaque îa Thraceavec les- peuplades maritimes con*tigues
à la Thrace. 11 fut arrêté que Tes gouverneurs défi
nde f de la Ba£lriane , de la Sogdiaae, & des autrespays
qui touchent à l'Océan ou à la mer rouge , continueroient
de commander dans les mêmes dépaftements-
^u'iis avoient eus jufques là ; & que Perdiccas demeu-reroit
auprès du roi t & coramanderoit les troupes qui
étaient à la fuite de ce prince» Quelques-uns ©at cruv
qu'Alexandre avoit fait par fon teflament ce partage des
provinces ; mais nous avons vérifié que c'eft une tradi-tion
fans fondement, quoique rapportée par quelquesécrivains..
Ctft use chofe certaine , qu'après ce partagede
l'Empire t chacun des.copartageants pouvoit par luimême
foutenir l'établtflement qu'il s'étoit fait , s'il yavoit
des bornes capables de réïifter au torrent des paf-
Ions : car d'abord Simples minières du roi * fous prétexte
d'affermir une puiflânce qui n'étoit pas à eux , ils-,
avoient % chacun de fon côté, envahi de grands r©yau~
«es;: &il n'y avoit entre eux aucune câuSe d'en venir
aux mains , puifqu'rîs étoient tous de la même nation t
çk que leurs États refpeôifs étoient bien nettement distingués
les uns des autres. Mais il étoit difficile qu'ils
le contentaflent de ce que îe hafard leur avoit offert ^
parce qu'on fait peu de cas de ce qu'os- a d'abord obtenu
; quand oa peut efpérer mieux : & en conféquence
M parut à tous plus aifé d* augmenter -leurs États h qu'ils
ne l*avoit été d'en, faire la première aqniution.
vit puiros fms mobiles % qmfecum erant msiriêi 4* juvem
mat. i & divifit iiUs mgmim.fuitm h quum. adhuç vi-ueret*

37* -LISMR X CAP. X.
%6. Sipâmuniies erat ex quo Corpus régis jaci*
bat in folio, -curis omnium. ai formanduM puhB*
cum ftaium à tam fokmni munere averfis. Et non
aiiis quam Mefopotamia régions fervidior aftus
txifth, aiei ut pleraque animalia qua in nudû
folo deprthendit exftinguat ; tantus eft vapor fûlïs
& cmli, quo cunBa veht igné torrentur ! fontes
aquarum & rari fitnt, & incoientium fraude ceiantur
; ipjîs ufus patet, ignotus eft advenis. Ht
tandem curare corpus exanimum amic'u vacavit $
nulld taie , ne minimo quidem lïvore 'cormptum
vidêre qui intraverant ; vigor quoqm qui confiât
ex fpiritu non deftituerat vultum ; itaque œgypt'd
chaMmique, jufft corpus fuo more curare , primo
non funt aufi admovere , veîut fpiranti , manus ;
deinde precati ut jus fasqué effet mortalibus attrec-*
tare eum , purgavire corpus ; repletumque eft odo~
riius aureum fblium, & capiti adjeëa fbrtunm ejus
inftgnia. Veneno necatum effe credldere plerique •;
ftlium Antipatri , inter m'miftros , lollam nomine ,
patris juffu dediffh. Sape certè audka erat vox
Akxaniri, Anûpatmm regium affeéhre faftigium ;
majoremque effe pmfeëi opibus ; ac titulo Spartana
viBorm inftatum , omnia à ft data afferentem
fibi : credeiant etiam Cratemm cum veterum
militum manu ad interficiendum eum miffum. Vint
autem veneni quod in Macedoniâ gignitur takm
effe confiai , ut ferrum quoque exurat, ungulm
jumenti duntaxat patiens ; Stygem appellent fom-*

LrrRE X CM A p. X 371
l6* ïry avoit déjà fept jours que le corps d'Alexandre *
ètoit. dans le cercueil, & que le/ 'foins néceffaires
pour donner aux affaires publiques un* forme de gouvernement
affûrée avoient empêché tout le monde de
penfer à la eéfémonie des funérailles. Or il n'y a
point de région où la chaleur foit plus vive qu'en Mésopotamie
, au point qu'elle fait périr la plupart des
•nimaux qu'elle furprend en rafe campagne ; tant eft
grande l'ardeur du foleil & la-chaleur du climat, qui
brûle tout comme fi îe feu y paflbit ! d'ailleurs les
fources d'eau y font Tares s & les habitants emploient
toutes fortes de rufes pour en dérober la connoiffance ;
lis favent où en prendre pour leur ufage, les étrangers
l'ignorent. Néanmoins lorsqu'on fut libre enfin de s'occuper
du cadavre, ceux qui étoient venus le trouvèrent
fans corruption , & même fans la moindre tache ;
êc il avoit encore fur le vifage cet air vermeil qui annonce
la vie : a ta il les égyptiens & les chaldéens 9 qui
avoie*nt charge de l'embaumer à leur manière, n'ofèrest
d'abord y mettre la main, comme s'il refpiroit
encore ; puis après l'avoir prié de permettre i des mor- "
tels de le toucher , Us tirèrent les entrailles ; on le mit
dans un cercueil d'or rempli de parfums , avec les ornements
de fa dignité fur la tête. Bien de gens ©lit cm
qu'il étoit mort de poifon ; & que c'étoit lollas , l'un
de fes ©liciers f fils d'Antipater, qui le lui avoit donné
par ordre de fon père. Il eft du moins certain qu'on
avoit fouvent ouï dire i Alexandre, qu'Antipatet por-
_ toit fes vues jufqu'au trône ; qu'il étoit plus puiflant
qu'il ne eonvenoit à un fimple gouverneur; & qu'enorgueilli
de Sa viftoire qu'il avoit remportée fur Sparte ,
il prétendoit ne devoir qu'à lui tout ce qu'il tenoit du
roi : on penfoit même que Cratère avoit été envoyé
avec un corps de vieux foldats pour .lui ôter 1a vie.
Pour ce qui eft du poifon que produit la Macédoine f
©n le dit fi violent qu'il coofume le fer même , & qu'il
ne peut fe garder que dans un fabot de cheval : on
appelle Stjss la fontaine d'où découle ce poifon mor-

* 374 LIBER X CAP. X
te m tx quo wêftifemm virus émanai; koc per_
Cdffandrum aîïamm., traditnmque fratri ïolhz3 &
ab eo /uprenut régis potioni inditum. Hac 3 uttunique
jitnt tradka , eorum quos rumor afperferai
mox potentîa exftinxit s regnum enim Mace~
i dorim Antipater & Graciam quoque invafit ; fo-
Mes deinde excepit 9 interfiàis omnibus quicum~
. que Alexandrum etiam longinquâ côgmmone cou-*
tigerant. Ceterum , corpus ejus à Ptokmmo, cui
• Mgyptus cejfemt, Memphim, & ïnde, paucis poft
.*nnis, Alexandriam tranfiatum efi ; omnisque me-*
mono, M nomîni honos hahetur*
FINIS.

LIVRE X. CMAP. X. 375
tel; ce fat Caflasdre qui l'apporta, qui le remit à fon •
frère loîlas , & celui-ci le jeta daet^ïdernière coup©
que but le roi. Quoi qu'il en foitde cê&£ruits, ils furent
bientôt étouffés par la puiflance de ceux qu'ils défîgnoient
: car Antipater s'empara de la Macédoine &
«le la Grèce ; & fa poflériîé lui fuccéda, après avoir
exterminé tous ceux qui tenoient à Alexandre au degré *
même le plus éloigné. Du reûe > Ptolémé.e-, qui eut
l'Egypte en partage, fit porter Se corps à Memphis i
puis , quelques années après , à Alexandrie, où l'on
cend toutes fortes d'honneurs à (a mémoire &. à foji
00m. •
F LN.

APPROBATION.
J'AI lu par tdre-de Moafeigneur le Garde
des Sceaux, un Ouyrace intitulé : Qtàntc-Cwrce 9
iatm & français, par M. Beauzée ; & cette traduction
, auffi intéreflante par Féîégance du ftile,
que par fon exaâitude & fa fidélité, m'a paru
ûCYoir confirmer à fon favant Auteur , la réputation
qu'il s'eft acquife aux plus juftes titres s
par fes autres productions littéraires.
..Donné à Paris, ce 31 Mars 1781.
LOURDET , Profefleor Royal.
Le Privilège fe trouve AU Livre intitulé Hiftoires
choifies des Àuteilrs profanes.