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#<strong>31</strong><br />

magazine professionnel cinéma et tv<br />

Traduire ce que veut<br />

un réalisateur...<br />

Vincent Jeannot, directeur de la photographie<br />

sur le plateau de “Un homme et son chien”<br />

© Arnaud Borrel<br />

3€<br />

automne 2008<br />

www.kodak.fr/go/cinema


<strong>Kodak</strong> réalise des avancées dans le domaine<br />

des pellicules de tirage :<br />

<strong>Kodak</strong> s’est lancé depuis 2005 dans un programme destiné à renforcer<br />

encore davantage la robustesse physique de ses pellicules de<br />

tirage de cinéma.<br />

Afin de mieux s’adapter aux différentes variables de la chaîne d’image<br />

et des exploitants de salles, nos équipes techniques et de recherche<br />

ont non seulement revu en détail et amélioré l’équilibre des niveaux de<br />

gélatine de l'ensemble de la gamme de tirage KODAK, mais aussi<br />

ajusté plus finement la répartition des couleurs en suspension dans<br />

ces différentes couches de gélatine.<br />

Les résultats permettent aujourd’hui d’obtenir une cohésion interne et<br />

une adhésion au support encore plus élevée.<br />

Mouvement dans l'équipe<br />

Gaëlle TREHONY devient le nouveau directeur<br />

Marketing Communication <strong>Kodak</strong> Cinéma et<br />

Télévision France et Benelux en remplacement<br />

de Fabien FOURNILLON.<br />

Gaëlle sera assistée de Régine PEREZ.<br />

Gaëlle TREHONY : 01 40 01 42 41<br />

Erratum<br />

Une "plongée dans le temps" nous a fait écrire dans l'article consacré<br />

à la série "L'hôpital" que son directeur de la photographie Martin<br />

Legrand avait utilisé la pellicule Eastman EXR 50D 7245, une émulsion<br />

qui n'est plus sur le marché depuis près de deux ans. Nos professionnels<br />

de lecteurs auront bien entendu rectifié d'eux-mêmes en comprenant<br />

qu'il s'agissait de la pellicule <strong>Kodak</strong> Vision2 50D 7201.<br />

Précision<br />

2<br />

<strong>actions</strong> <strong>31</strong><br />

Toujours au sein de la Division Cinéma et<br />

Télévision, Fabien FOURNILLON, de son<br />

côté, assumera de nouvelles fonctions plus<br />

européennes en tant que manager<br />

Marketing Communications pour la région<br />

Europe, Afrique et Moyen - Orient<br />

Fabien FOURNILLON : 01 40 01 <strong>31</strong> 85<br />

Une ambiguïté dans l'article consacré aux "Animaux amoureux" a pu<br />

laisser croire dans "Actions" n°30 que Jacques Perrin n'était pas uniquement<br />

le producteur de "Microcosmos". Rappelons pour mémoire<br />

que ce film cinq fois primé aux César est l'œuvre de Claude Nuridsany<br />

et Marie Perennou. Nos excuses aux auteurs-réalisateurs.<br />

Une petite nouvelle est attendue<br />

dans le courant du dernier trimestre !<br />

En avant-première, vous découvrirez en fin d’année la dernière de nos<br />

pellicules négatives : la 500T 5260 (disponible uniquement au format<br />

35 mm). Cette nouvelle négative couleurs offrira la même saturation<br />

de couleurs et le même contraste que la 79 avec cependant une granularité<br />

améliorée.<br />

Issue de la technologie Vision2, cette nouvelle pellicule permettra<br />

également une amélioration du comportement en sous-exposition et<br />

une légère augmentation de latitude d’exposition en haute lumière.<br />

<strong>Kodak</strong> et les festivals :<br />

Retrouvez notre équipe :<br />

23ème Festival européen du film court de Brest<br />

Du 8 au 16 novembre 2008<br />

Camerimage (Pologne)<br />

Du 29 novembre au 6 décembre 2008<br />

Festival Images en régions de Vendome<br />

Du 5 au 12 décembre 2008<br />

Festival du Film Publicitaire de Méribel<br />

Du 12 au 17 décembre 2008<br />

Zoom sur<br />

Les professionnels de la fiction TV étaient<br />

réunis en juin dernier autour de Judith<br />

ZAYLOR, Vice Présidente de Warner Bros<br />

TV. Avant son départ vers de nouveaux<br />

horizons, Judith ZAYLOR avait accepté<br />

l'invitation de <strong>Kodak</strong> à venir faire le tour<br />

exceptionnel des capitales européennes<br />

pour faire un état des lieux de la production<br />

des fictions TV aux USA.<br />

Automne 2008 - N°<strong>31</strong><br />

Une publication de la Division Cinéma et Télévision <strong>Kodak</strong><br />

Directeur de la publication : Nicolas Berard<br />

Rédacteur en chef : Fabien Fournillon<br />

Conception et réalisation :<br />

Bonnecarrère et Associés : 01.56.79.26.26<br />

Dépôt légal : novembre 2005 - ISNN 1271 - 1519<br />

KODAK 26, rue Villiot 75594 Paris Cedex 12<br />

Tél. : 01.40.01.46.15 - Fax : 01.40.01.34.63<br />

cinema@kodak.com www.kodak.com/go/cinema


À la pointe de la technologie.<br />

HDV, DVC-PRO, HD Cam, HD SR, 2K, 3K, 4K, Raw,<br />

35mm 4, 3 ou 2 perfs, S16, MPEG2, MPEG4,<br />

JPEG2000,… jamais autant de formats argentiques<br />

ou numériques n'ont co-existé. Certes, ils<br />

démultiplient les possibilités techniques et créatives,<br />

mais il demeure parfois difficile de se repérer<br />

dans cette jungle technologique.<br />

Parmi toutes les innovations, certaines retiennent<br />

plus que d’autres l'attention et l'intérêt des<br />

professionnels. C’est le cas des nombreux nouveaux formats numériques,<br />

mais également celui du format 35mm 2 perfs qui suscite à<br />

la fois beaucoup d’interrogations et d’enthousiasme.<br />

Si l’idée n’est pas nouvelle, les technologies actuelles et notamment<br />

l’amélioration des pellicules, des caméras et des outils de post-production<br />

numérique rendent ce format compatible avec les exigences<br />

d’aujourd’hui, notamment celles des productions de fiction TV destinées<br />

à une diffusion HD. Le parc de caméras 2 perfs reste encore<br />

insuffisant pour répondre pleinement à la demande, mais l’offre<br />

devrait rapidement évoluer avec l’arrivée toute prochaine de la nouvelle<br />

et très séduisante caméra AATON Pénélope.<br />

Si le 35mm 2 perfs ne peut, en ce qui concerne les productions cinématographiques,<br />

rivaliser avec les pleins formats 35mm 3 ou 4 perfs,<br />

il apporte néanmoins une solution très attractive sur le plan économique.<br />

Il offre en effet de réelles possibilités par rapport aux formats<br />

HD (résolution 2 fois supérieure) ou au S16 (62% de surface sensible<br />

en plus et jusqu’à 22’ de tournage avec un magasin de 305m) en fournissant<br />

le rendu cinématographique du 35mm fort apprécié dans les<br />

séries TV américaines.<br />

Dans ce numéro, Judith Zaylor - ancienne Vice-Présidente de la<br />

Fiction TV de Warner Bros - nous explique pourquoi le 35mm reste de<br />

loin le format le plus utilisé dans la production audiovisuelle américaine.<br />

En conjuguant les exigences de qualité et de longévité (grâce à<br />

la conformation systématique des négatifs), ce format permet à<br />

Warner Bros de se retrouver aujourd’hui à la tête du plus gros catalogue<br />

mondial "remasterisé" en HD.<br />

Ceux qui se sentiraient un peu à l’étroit entre 2 perforations ne sont<br />

pas oubliés. Ils pourront se régaler avec la projection du dernier long<br />

métrage de Christophe Barratier, "Faubourg 36" dont le laboratoire<br />

Arane-Gulliver a tiré quelques magnifiques copies 70mm et les laboratoires<br />

Eclair toutes les copies de série.<br />

Si le numérique progresse incontestablement, la pellicule n’est pas en<br />

reste et elle continue d’innover. A ce titre, <strong>Kodak</strong> annoncera très prochainement<br />

d’autres bonnes nouvelles sur le front des films de prises<br />

de vues et de post-production.<br />

À suivre…<br />

Nicolas Berard<br />

Directeur Division Cinéma & Télévision<br />

© Sylvie Biscioni<br />

04. Reportage<br />

“Un homme et son chien”<br />

photographié par le<br />

chef-opérateur Vincent Jeannot.<br />

08<br />

11. Rencontre<br />

Pour le réalisateur-illustrateur<br />

Yoann Lemoine et son directeur<br />

de la photographie Mathieu<br />

Plainfossé, la collision visuelle<br />

au service du clip.<br />

14<br />

17. Technique<br />

Le 35mm 2 perfs,<br />

avenir des fictions TV ?<br />

18<br />

20. Rencontre<br />

Defiance, le pari du directeur<br />

de la photographie<br />

Eduardo Serra, AFC, ASC.<br />

04<br />

08. Rencontre<br />

La série américaine<br />

en "prime time"<br />

avec Judith Zaylor,<br />

Vice President Production<br />

de Warner Bros Television.<br />

11<br />

14. Rencontre<br />

Le prix de la CAMÉRA D’OR,<br />

label d'excellence.<br />

17<br />

18. Rencontre<br />

Chez Carlito, le court-métrage<br />

se conjugue en argentique.<br />

20<br />

<strong>actions</strong> <strong>31</strong><br />

3


Au service du remake d'un chef-d'œuvre<br />

du néo-réalisme italien, le directeur de la photographie<br />

Vincent Jeannot choisit la nouvelle pellicule<br />

<strong>Kodak</strong> Vision3 5219 500T.<br />

Avec " Un Homme et son chien ", remake du film "Umberto D" réalisé en 1952<br />

par le cinéaste italien V ittorio de Sica et une nouvelle fois porté à l'écran par<br />

Francis Huster, le directeur de la photographie Vincent Jeannot fête ses trente<br />

ans de cinéma.<br />

Juillet 2008. Dans la salle flambant neuve de la société Digima ge-Cinéma récemment<br />

inaugurée à Montrouge, Laurent Desbruères, directeur "Qualité Image" du<br />

groupe CMC/LVT/Digimage et le directeur de la photogra phie Vincent Jeannot travaillent<br />

sur un Lustre Incinera tor à l'étalonnage numérique du film " Un Homme et<br />

son chien". Leur collaboration ne relève pas du hasard.<br />

"Les outils sont tellement puissants et les possibilités d’intervention sur l'image tellement<br />

illimitées , explique en effet Vincent Jeannot, qu'étalonneur est devenu<br />

aujourd’hui un poste-clé dans la chaîne de l’ima ge d’un film. Pour un chef-opérateur,<br />

il fait partie de l'équipe au même titre que le chef électricien.Le jour où Philippe<br />

Schwartz, le directeur de production, a accédé à mon souhait d'étalonnage numérique,<br />

j’ai appelé Laurent a vec qui je sa vais que nos compétences ne s'additionneraient<br />

pas, mais se multiplieraient. Il donne tellement de relief à l'ima ge qu'on en<br />

oublierait presque que le film est tourné en 2D ! ".<br />

L’étalonnage de "Un Homme et son chien" compte parmi les tous premiers à permettre<br />

d'évaluer, dans le cadre d'une chaîne de post-production numérique, le<br />

potentiel de la nouvelle pellicule <strong>Kodak</strong> Vision3 5219 500T. "C'est une pellicule, analyse<br />

d'emblée Laurent Desbruères, qui se prête à l'étirement dans les deux sens. A<br />

l'étalonnage, on peut assombrir ou éc laircir une partie de l'ima ge en la dessinant<br />

sans qu'aucun défaut de bruit ou de grain n'apparaisse et ceci dans une latitude très<br />

large. Par rapport à la Vision2 5218 500T, la Vision3 5219 présente un "plus" très<br />

net dans les hautes lumières. C'est vraiment une pellicule que l'on peut étirer et étirer<br />

encore. Même en "montant" très haut, ce que nous a vons fait avec Vincent en<br />

multipliant les essais, elle "tient" parfaitement, cela prouve sa grande qualité. C'est<br />

une pellicule idéale pour la post-production numérique. Je parle dans le cadre d'un<br />

scan noble, avec les consoles et les outils de solution qui respectent ce que donne<br />

l'argentique, pas d'un simple TC HD avec les limites qu’il peut comporter . Un scan<br />

noble, c'est lorsque tout le spectre d'exposition de la pellicule est respecté, lorsqu'il<br />

n'y a pas d'interprétation du négatif et que le scan devient transparent ".<br />

"Par rapport à la Vision2 5218 500T,<br />

la Vision3 5219 500T présente un "plus" très net<br />

dans les hautes lumières. C'est une pellicule idéale<br />

pour la post-production numérique".<br />

4<br />

<strong>actions</strong> <strong>31</strong><br />

Laurent Desbruères.<br />

Un homme et sa lumière<br />

Le directeur de la photographie Vincent Jeannot<br />

Vincent Jeannot débute sa carrière en 1977 a vec des documentaires et des films<br />

industriels au Conser vatoire Na tional des Arts et Métiers. "Je suis entré dans le<br />

cinéma par la petite porte, aime-t-il à dire, avec tout de suite une attirance marquée<br />

pour l'argentique et les grands forma ts". Très vite, il cumule les expériences qui<br />

marquent la vie d’un amoureux de l’ima ge en devenant le premier assistant du<br />

directeur de la photographie Carlo Varini, AFC sur premiers films de Luc Besson, "Le<br />

Dernier Combat", "Subway" et "Le Grand Bleu".<br />

Curieux de tout, il se retrouve, après vingt ans de cinéma et de télévision, à aider au<br />

déménagement du laboratoire Arane-Gulliver et participe à l'installation sur site du<br />

département 65/70mm. "En Imax, au côté d'Henri Alekan sur un film de Pierre Etaix,<br />

c’était le bonheur ! Cela m’a amené, en 2000, à décider de m'éloigner deux ans des<br />

plateaux pour me consacrer à la découverte du métier d’étalonneur Imax 70mm<br />

15 perfs. Prenant autant de plaisir en projection qu’en tant que chef-opéra teur, je<br />

me demandais à l'époque si j’allais un jour revenir à la "vie civile" sur les plateaux".<br />

De retour aujourd’hui, Vincent Jeannot vient d’achever l’étalonna ge numérique<br />

de "Un Homme et son chien " réalisé par Francis Huster. Il se consacre en ce<br />

moment à un tournage en 70mm autour du monde.<br />

© photos "Un homme et son c hien" : Arnaud Borrel


Jean-Paul Belmondo et Hafsia Herzi<br />

dans une scène du film.<br />

Février 2008. Flash-back. Le jour de la Saint Valentin coïncide avec l'exacte<br />

moitié du tournage prévu sur neuf semaines. Ce jeudi-là, l'équipe du réalisateur<br />

Francis Huster investit un hôpital désaffecté en grande banlieue parisienne.<br />

Dans la pénombre d'un matin qui peine à s'éveiller, l'endroit est glacial<br />

avec ses fauteuils roulants qui jonchent le hall d'accueil, ses couloirs déserts et<br />

ses portes de salles ouvertes sur le néant. Seule une pièce donnant sur un parc<br />

avoisinant et aménagée en chambre double pour les besoins du scénario dégage un<br />

peu d'humanité.<br />

"Un Homme et son chien" - produit par Jean-Louis Livi ("F comme film") - raconte<br />

l'histoire d'un retraité rejeté par la société qui se retrouve à errer en fin de vie a vec<br />

son chien pour seul compa gnon. Le drame est en place. En 1952, l'image était<br />

signée du grand chef-opérateur italien G.R. Aldo. "La vraie force du sujet, c'est qu'il<br />

est intemporel, explique Vincent Jeannot sur le plateau. S'il existe des "remake" qui<br />

ressemblent à des "copiés-collés" de l'œuvre originale , ce n'est pas notre cas<br />

même si l'on retrouve quelques analogies avec le film de De Sica en noir et blanc.".<br />

Aux commandes de ce long-métra ge qui marque le grand retour de Jean-P aul<br />

Belmondo au cinéma, il y a l'omniprésent F rancis Huster. "Traduire et décoder ce<br />

que veut un réalisa teur est une part importante de notre métier , explique le directeur<br />

de la photographie. Pour travailler avec Francis, il faut être cinéphile et ne pas<br />

craindre de réviser ses c lassiques. C'est quelqu'un qui aime a voir des noirs et des<br />

blancs, pas des gris. Avec lui, il faut aller à l'essentiel, éliminer les fioritures, toucher<br />

au dépouillement. Sur ce film, il veut une image… à la "Kubrick", une image forte<br />

et contrastée". La nouvelle <strong>Kodak</strong> Vision3 5219 500T se prête-t-elle à l'exercice ?<br />

"C'est une pellicule que j'ai fréquemment utilisée à la limite de ses possibilités,<br />

poursuit Vincent Jeannot. Avec la Vision2 5218, j'avais pris l'habitude de poser les<br />

faces deux dia phs en dessous. Avec la Vision3 5219, c’est plus délica t car elle<br />

accuse un peu de dureté dans le bas de courbe.Au niveau de la sensibilité des noirs<br />

par exemple, elle ne possède pas la pente douce de la 18, ce qui m'a amené à ne<br />

pas réaliser à la prise de vues les effets de pénombre que souhaitait Francis. Parfois,<br />

j'ai volontairement exposé certaines scènes au Key Light pour pouvoir ensuite les<br />

"redescendre" et préserver ainsi l'information dans le noir. Cela a été le cas, entre<br />

autres, pour le noir du pardessus que porte Belmondo dans l'histoire. Il m'est arrivé<br />

aussi d'utiliser la 5219 en Daylight, notamment pour une longue<br />

scène dans la gare de l'Est où l'on se trouve quasiment en situa tion<br />

d'extérieur jour. Pour conserver la tonalité froide de l'ima ge, j'ajoute<br />

à ce moment-là un 85 ou un 81EF. Ce qu'il faut, c'est toujours avoir un<br />

négatif "plein". Concernant la finesse, la Vision3 5219 500T est une<br />

pellicule incomparable qui possède le grain d’une 200 Asa".<br />

"Ce qu'il faut toujours avoir, c'est un négatif "plein".<br />

Concernant la finesse, la Vision3 5219 500T est une pellicule<br />

incomparable qui possède le grain d'une 200 Asa".<br />

Vincent Jeannot, directeur de la photographie<br />

<strong>actions</strong> <strong>31</strong><br />

5


"Avec la Vision3 5219 500T, les couleurs primaires<br />

ou secondaires ne dérivent pas, elles restent en place<br />

vectoriellement dans une sphère de 360°".<br />

Laurent Desbruères.<br />

Retour chez Digima ge-Cinéma pour suivre Vincent Jeannot et Laurent Desbruères<br />

adoucir la couleur orange d'un wagon de la SNCF qu'ils jugent un peu trop agressive.<br />

Le moment opportun pour s'interroger sur la fiabilité des couleurs apportée par<br />

la Vision3 5219. "Jusqu'à présent, reprend Laurent Desbruères, la couleur avait tendance<br />

à se décomposer et à ne pas rester pure dans sa valeur si on étirait une pellicule<br />

de 20 ou 30%. Avec la Vision3 5219, on peut tra vailler séparément sur les<br />

couleurs primaires ou secondaires, elles ne dérivent pas et restent en place vectoriellement<br />

dans une sphère de 360°.Qu'un jaune reste en place jusqu'au bout de<br />

son étirement sans partir vers le rouge ou le vert est chose rare :c'est le grand point<br />

fort de cette pellicule. Cela veut dire par exemple qu'un directeur de la photographie<br />

peut désormais mettre des gélatines de couleur au moment du tournage en sachant<br />

qu'il pourra toujours revenir au "neutre " s'il le désire plus tard. Selon qu'il souhaite<br />

une couleur froide ou chaude, il pourra ultérieurement tout modifier pour tenir<br />

compte de l'opposition de teintes qu'il veut obtenir en lumière du jour ou en lumière<br />

artificielle. Dans la mesure où la 5219 tient en place dans son étirement, on peut à<br />

loisir décider de "partir vers autre chose" car elle autorise de très grands écarts.<br />

C'est exceptionnel. Sur ce film, quand il nous est arrivé avec Vincent de passer une<br />

séquence fin de jour en nuit (ou inversement), la pellicule a toujours "tenu". Avec<br />

des captures HD, ce serait différent, on serait en mode inversible, c'est-à-dire avec<br />

une latitude plus limitée et un spectre colorimétrique réduit. Désormais, un chefopérateur<br />

pourra donc plus facilement compenser les lieux où il subit une contrainte<br />

indépendante de ses mo yens de lumière. L'outil est un complément qui vient<br />

appuyer la valeur artistique souhaitée. Entre la Vision3 5219 500T et la<br />

Vision2 5205 250D qui sont les deux pellicules utilisées sur ce film par<br />

Vincent, il existe une vraie continuité et on ne trouve notamment aucune<br />

différence de balance des couleurs ou de nuances obtenues au niveau des<br />

visages. C'est révélateur car ce sont, on le sait, les carnations qui sont les plus<br />

délicates à étalonner. La 19 et la 05 sont deux émulsions qui se marient très<br />

bien".<br />

6<br />

Située au centre de P aris, l'église Saint-Merri - jadis surnommée "Notre-<br />

Dame la petite" - peut se targuer d'une longue histoire. Saint-Saëns y fut<br />

organiste et l'on raconte que Boccace fut l'un de ses paroissiens. Avec un<br />

énorme ballon à hélium de 4,8Kw HMI suspendu à la coupole de la voûte<br />

céleste, nul besoin de croire en Dieu pour vérifier que la lumière tombe<br />

bien du ciel ! En plus de cette lumière qui n'a rien de surna turel, trois<br />

18Kw et qua tre 12Kw HMI sont répartis dans l'édifice, utiles à l'ambiance<br />

ou pour travailler les chapelles latérales. "Certains décors réclament<br />

des mo yens, d'autres, non. Un jour, il en faut beaucoup, le lendemain,<br />

rien, chuchote Vincent Jeannot dans l'intimité du lieu. Rester dans le<br />

raisonnable, c'est sa voir s'ada pter. Ce qui est très important pour moi,<br />

c'est de créer une pla ge de lumière suffisamment grande de manière à<br />

laisser le plus de liberté de mouvement possible aux comédiens et au réalisateur".<br />

<strong>actions</strong> <strong>31</strong><br />

Producteur : Jean-Louis Livi ( F Comme Film )<br />

Réalisateur : Francis Huster<br />

Directeur de la photographie : Vincent Jeannot<br />

Post-production numérique : Digimage-Cinéma<br />

Étalonneur argentique : Michel Zambelli<br />

Étalonneur numérique : Laurent Desbruères<br />

Laboratoire : Arane-Gulliver<br />

Caméras : Arricam ST & LT, objectifs Cooke S4 (Bogard Caméras)<br />

Pellicules : <strong>Kodak</strong> Vision2 250D 5205 et <strong>Kodak</strong> Vision3 500T 5219<br />

“Ce sont les carnations les plus délicates à étalonner”<br />

Laurent Desbruères<br />

Son cha peau à la main, son chien collé à lui et sa valise aux pieds, Jean-Paul<br />

Belmondo se tient droit sur sa chaise, face au chœur. Avec son costume sombre et<br />

ses cheveux blancs, il émane de sa silhouette une noblesse qui n'est pas sans rappeller<br />

celle de Vittorio de Sica en personne. Le tableau respire l'élégance et la grandeur.<br />

Le moins que l'on puisse dire, c'est aussi que l'acteur occupe sacrément bien<br />

le cadre. "La main sur ton visa ge, Jean-Paul ! … Emmanuelle (Riva), tu te lèves et<br />

tu sors !" Sans broncher, les comédiens acceptent une direction d'acteurs “au cordeau”<br />

qui n'est pas sans ra ppeler quelques grands noms du cinéma français, de<br />

Raymond Rouleau à Claude Autant-Lara. "Francis est quelqu'un qui dirige ses<br />

acteurs pendant la prise , commente Vincent Jeannot. Sans jamais couper , il peut<br />

faire répéter une même phrase plusieurs fois de suite. Dans son cas, travailler en 3<br />

perfos lui offre une plus grande liberté de tourna ge".<br />

Dernière chose déterminante sur ce film pour Vincent Jeannot :pouvoir travailler son<br />

image dans une véritable salle de cinéma a vec un écran de neuf mètres de base.<br />

"C’est d'autant plus important qu'a vec la projection numérique de Digima ge-<br />

Cinéma, termine-t-il, il n'y a pas de ba ttement et donc beaucoup moins de fa tigue<br />

oculaire". "L'Incinerator, corrobore Laurent Desbruères, est un formidable accélérateur<br />

de particules couleurs qui permet de faire du vrai 2K en temps réel avec la<br />

bonne définition. Plus on inter vient dans l'ima ge, plus cela nécessite de calculs,<br />

c'est pourquoi nous avons choisi de mettre la puissance qu'il faut pour obtenir<br />

un résultat maximal en temps réel. En bout de chaîne, on offre à<br />

chacun la possibilité de découvrir son film en 35mm dans la même<br />

salle, ce qui est très important pour la perception ".<br />

Article rédigé par Dominique Maillet.<br />

Chez Digimage-Cinéma, Laurent Desbruères et Vincent Jeannot à l’étalonnage.


“Le cinéma, c'est une image argentique,<br />

une matière, un relief d'âme.”<br />

Francis Huster<br />

Après plus de vingt ans de silence comme réalisateur, Francis Huster signe<br />

coup sur coup deux films, "Le vrai coupable" pour TF1 et "Un homme et son<br />

chien" pour le cinéma avec le même directeur de la photographie, Vincent<br />

Jeannot.<br />

A : Vous avez demandé à votre directeur de la photographie Vincent Jeannot de faire sur<br />

“Un homme et son chien” une image "à la Kubrick". Que faut-il comprendre par là ?<br />

Francis Huster : Chez Kubrick, tout se trouve dans le cadre et dans l'ima ge. On a<br />

l'impression que chez lui, tout est clos jusqu'à son nom qui commence et se termine<br />

par la même lettre. Il y a de la cruauté dans sa photographie. C'est un cinéaste chez<br />

qui l'ombre me parle davantage que la lumière, où rien n'est jamais ouaté, où il n'y<br />

a pas de coquetterie. Pour moi, la photographie n'a rien à raconter du lieu ou de<br />

l'heure durant laquelle se déroule une scène, pas plus qu'elle n'a à traduire la vérité<br />

de la lumière. La lumière ne peut pas être en parallèle de l'action car elle est l'action<br />

et elle doit raconter ce qui se passe. Pourquoi, pendant longtemps, ai-je privilégié<br />

le théâtre au cinéma ? Le théâtre, c'est le verbe et la parole alors que le<br />

cinéma, c'est l'image et devant cette ima ge, je suis longtemps demeuré perplexe<br />

quant aux possibilités de tra vail qu'elle m'offrait, soit que le temps manquait, soit<br />

que les sujets ne s'y prêtaient pas. Au théâtre, la lumière a fait des progrès considérables<br />

à tel point qu'on lui décerne maintenant des récompenses. Grâce à deux<br />

ou trois éc lairagistes sublimissimes, j'ai beaucoup a ppris dans ce domaine et si<br />

aujourd'hui, on enlève la lumière de mes spectacles, c'est quatre-vingt pour cent de<br />

mon travail qui ne veut plus rien dire. Si je reviens au cinéma comme réalisa teur<br />

après vingt ans d'absence, c'est parce que mon producteur Jean-louis Livi est à<br />

mon côté dans une même conception du cinéma et cela concerne autant la cruauté<br />

de l'image que la cruauté des ra pports humains. Je ne demande pas à mon directeur<br />

de la photogra phie de faire la lumière du film, mais la lumière dans le film.<br />

Chaque scène se veut une colora tion humaine du décor et jamais l'inverse qui<br />

consisterait à éc lairer un endroit pour y fondre des personna ges. C'est ce qui fait<br />

que nous sommes toujours au bord du précipice et c'est ce qui rend parfois difficile<br />

le travail du photographe de plateau à qui il arrive de manquer de lumière (il travaille<br />

en argentique). Chez moi, les acteurs sont "impressionnés"<br />

(le mot est on ne peut plus juste). D'un côté, on impressionne<br />

la pellicule, de l'autre, on est "impressionné" par<br />

l'osmose qui réunit la lumière et les acteurs.<br />

"Silence" et "lumière" sont pour moi deux<br />

mots qui vont ensemble. Si mon clap se trouve<br />

toujours en fin de prise et jamais au début, c'est<br />

pour que la lumière imprègne les acteurs au mot "action" et<br />

ceci, avant qu'ils ne se mettent à jouer . Mettre un c lap en<br />

début de plan, c'est les plonger dans l'obscurité et les laisser<br />

partir à la "va-comme-j'te-pousse". Le premier partenaire d'un<br />

acteur, c'est la lumière. Au théâtre, il m'arrive souvent de commencer<br />

par faire les lumières du spectacle de manière à ce que l'acteur<br />

saisisse dans quelle a tmosphère humaine se trouve son rôle. Je ne me<br />

vois pas comme un réalisateur, mais comme un commandant de na vire ou un chef<br />

d'orchestre en charge de diriger des acteurs. Il ne s'a git pas de me mettre à leur<br />

place, mais de leur donner le r ythme exact, le temps de silence exact, la mesure<br />

exacte de leur rôle et du film. Si on dit "je t'aime" à quelqu'un, on ne le dit pas de<br />

la même façon dans un tunnel ou dans un salon éc lairé à la bougie. Le metteur en<br />

scène doit mesurer à quelle hauteur d'âme sont les acteurs au même titre qu'un<br />

directeur de la photogra phie prend la mesure de la lumière a vec sa cellule.<br />

Réalisateur est un métier extrêmement humble dans l'exercice duquel il faut toujours<br />

être à l'écoute de ce qu'il est possible de faire et jusqu'à quel point, en acceptant<br />

de prendre sur soi tous les risques.Dans le cinéma de Kubrick - j'y reviens pour<br />

conclure - tout ce qui se trouve dans le cadre touche à l'idéal de ce qu'un metteur<br />

en scène rêve d'obtenir . Ce que K ubrick obtient dans le cadre, tout comme ce<br />

qu'Hitchcock faisait avec sa caméra, touche à la perfection.<br />

A. : Avez-vous à un moment quelconque envisa gé de tourner " Un homme et son<br />

chien" en numérique ?<br />

F.H. : Jamais. L'argentique est au cinéma ce que Mozart, Mahler ou Beethoven sont<br />

à la musique classique. Cela n'empêche pas le jazz d'exister et c'est très bien ainsi,<br />

mais il était impensable pour moi de tourner le film autrement qu'en argentique.<br />

Avant d'être le remake d'un des vingt chefs-d'œuvre du cinéma néo-réaliste, c'est<br />

un cinéma dans lequel, comme dans un jeu de Mikado, tout est tellement choisi et<br />

précis que l'ensemble s'écroule si vous retirez quoi que ce soit. L'élégance de<br />

Kubrick, d'Hitchcock, de Vittorio de Sica et je dirais presque de Renoir, c'est ce que<br />

j'appelle du cinéma. La "vraie vie" à l'ima ge, c'est plutôt celle des Rossellini,<br />

Pasolini… et je dirais même de Fellini. Dans "Un homme et son chien", il n'est pas<br />

question de la "vraie vie", mais d'un film de cinéma dont l'histoire, je l'espère, va<br />

emporter le spectateur. Ce qui est montré, c'est ce que voit le héros du film.<br />

A. : Quelle est la définition du "votre" cinéma ?<br />

“…être “impressionné” par l’osmose<br />

qui réunit la lumière et les acteurs.”<br />

Francis Huster<br />

F.H. : Celle que met en œuvre Vincent Jeannot. C'est une ima ge argentique, une<br />

matière, un relief d'âme. Dans ce film, il n'était en tout cas pas question de sortir<br />

des limites d'un cinéma strict et rigoureux.<br />

A. : Pourquoi avoir confié le rôle principal à Jean-P aul Belmondo ?<br />

F.H. : Pour incarner le personnage imaginé par le scénariste Cesare Zavattini, il fallait<br />

son humanité, sa vérité humaine, sa pureté et sa clarté d'âme.<br />

Propos recueillis par Dominique Maillet<br />

<strong>actions</strong> <strong>31</strong><br />

7


Vice President Production de Warner Bros Television après des débuts chez Lorimar Home Video devenu<br />

Lorimar/WBTV, Judith Zaylor est associée depuis plus de vingt-cinq ans au succès international de<br />

séries majeures comme "Dallas", "Urgences", "FBI, portés disparus" ou bien encore "Cold Case".<br />

Le 3 Juin dernier, sur l'invitation de <strong>Kodak</strong>, elle a délivré à P aris une "master class" pour faire profiter<br />

de son expérience les professionnels de l'audiovisuel.<br />

8<br />

La série américaine<br />

en “prime time”<br />

avec Judith Zaylor,<br />

vingt-cinq ans<br />

d'expérience<br />

à la télévision.<br />

Question : Sur quels types de programme tra vaillez-vous ?<br />

Judith Zaylor : Depuis peu, ce sont les comédies dramatiques qui recueillent le plus<br />

de succès aux Éta ts-Unis. Le format est de plus en plus populaire et a pprécié. De<br />

janvier à avril, nous produisons entre vingt et vingt-cinq films-pilotes de série pour<br />

des chaînes qui nous passent commande dans un genre ou dans un autre. La décision<br />

de programmation des saisons se prend à New York durant la deuxième semaine de<br />

mai. C'est à ce moment-là que nous sa vons quelles histoires vont devoir être tournées<br />

en Juillet pour une livraison au diffuseur dès septembre. Nous ne disposons<br />

que de deux mois pour développer les scripts. En général, l'accord d'un pilote par le<br />

diffuseur permet d'engager douze épisodes d'une série. Si la chaîne prolonge, c'est<br />

pour neuf épisodes. L'année dernière, nous avons produit dix-neuf séries.<br />

Q. : Quelle est votre position vis-à-vis des sitcoms ?<br />

J.Z. : Ce n'est pas un format qui nous intéresse. Le sitcom est devenu trop prévisible<br />

et cela affecte son image. Souvent, le spectateur sait à l'avance à quel moment<br />

va arriver la blague ou les applaudissements. "Mon oncle Charlie" est une exception<br />

dans le genre. Le forma t est à la fois amusant et ina ttendu parce que les<br />

auteurs ont intégré et transgressé les difficultés dont les autres sitcoms pâtissent.<br />

Cela reste un format trop cher.<br />

Q. : Avez-vous l'impression que la télévision ait changé ces dernières années ?<br />

J.Z. : Le public attend davantage de nous - c'est vrai notamment en ce qui concerne<br />

les jeunes - et les coûts de production s'en ressentent. Notre avantage par rapport<br />

à l’Europe vient du fait que nos programmes durent 43 minutes en moyenne contre<br />

52 chez vous.Il n'y a pas si longtemps,il fallait trois à quatre pages de scénario pour<br />

développer une scène, aujourd'hui, c'est une page, voire moins. "Dallas" était filmé<br />

avec une caméra unique, "Mon oncle Charlie" est tourné à qua tre caméras. Le<br />

public a besoin d'être stimulé en permanence au risque de voir son intérêt décroître.<br />

La plupart des épisodes de nos séries sont filmées en huit jours.S’il y a des scènes<br />

d'action, on accorde une journée supplémentaire.<br />

<strong>actions</strong> <strong>31</strong><br />

“Pour vendre aujourd'hui une série<br />

comme "Pushing Daisies" qui représente<br />

un gros défi en terme de production,<br />

la qualité du 35mm est indispensable”.<br />

Q. : Comment s'organise la production des pilotes ? Qui propose les sujets, comment<br />

sont structurées les équipes ?<br />

J.Z. : Quatre à cinq personnes elles-mêmes ca pables d'écrire sont en charge du<br />

développement chez nous et nous comptons aussi sur les rela tions de longue date<br />

que nous entretenons avec des scénaristes indépendants. Toutes les idées doivent<br />

être collectées entre juillet et fin août, période durant laquelle notre équipe répertorie<br />

ce que souhaitent les chaînes, tire un enseignement des éventuels échecs du<br />

passé, analyse ce qui risquerait de se retrouver en concurrence avec d'autres séries<br />

ou bien cible ce qui serait capable de faire baisser un concurrent sérieux, type<br />

"Lost". C'est le moment où il faut être convaincant pour donner envie aux chaînes<br />

d'acheter nos pilotes. Financièrement, il y a quand même des plafonds que les chaînes<br />

ne dépassent pas. Si tout va bien, le pilote devient le premier épisode de la<br />

série. Les films-pilotes sont déterminants mais il est de plus en plus difficiles de<br />

compenser leur déficit s'ils ne déc lenchent pas une commande de la série car le<br />

coût d'un pilote peut représenter à lui seul jusqu'à 50 % du budget de la série. Cela<br />

explique notamment que les épisodes suivants soient plus courts. Il faut à tout prix<br />

éviter que le public soit déçu et abandonne la série après le film-pilote.Tous ensemble,<br />

nous faisons en sorte que la diffusion de la série suive au plus près celle du<br />

pilote. Le réalisateur et le directeur de la photogra phie sont ceux qui, dès le filmpilote,<br />

déterminent la manière dont la série va être tournée. Avec le producteur, ils<br />

parlent de l'humeur, de la lumière. Le réalisateur a par ailleurs toujours la possibilité<br />

d'introduire ses propres éléments, il n'existe aucun interdit. Aujourd'hui, on ne<br />

peut plus être producteur de série sans un point de vue créa tif. Il faut être capable<br />

de faire évoluer une série sans modifier son messa ge tout en réduisant les coûts.


"Il faut à tout prix<br />

éviter que le public<br />

abandonne la série<br />

après le film-pilote".<br />

Q. : Votre période d'activité la plus forte se situe donc en début d'année…<br />

J.Z. : Oui, dans la mesure où en même temps que nous produisons les pilotes,nous<br />

assurons le suivi de nos séries "Urgences", "FBI, portés disparus", "Nip Tuck" et<br />

les autres. Une année, nous nous sommes retrouvés avec un total de soixante films<br />

en même temps, c'est vous dire combien nous avons besoin de coordonner nos différents<br />

départements. Aujourd’hui, nous pouvons savoir à l'heure près tout ce qui se<br />

passe sur chacune de nos productions.<br />

Q. : Comment faites-vous évoluer le contenu créa tif d'une série ?<br />

J.Z. : Une fois le pilote réalisé, nous connaissons le profil des personna ges, nous<br />

savons ce qui va leur arriver et nous pouvons en parler a vec le diffuseur. La commande<br />

étant de douze épisodes, il faut faire vite car nous a vons très peu de temps<br />

pour réagir. Des groupes sont par conséquent chargés de comprendre pourquoi certains<br />

personnages ne sont pas aimés ou pourquoi certaines situations ne fonctionnent<br />

pas. Selon les ré<strong>actions</strong> du public, une série est modifiée. Au départ, le personnage<br />

de Julianna Margulies devait par exemple se suicider dans " Urgences", mais<br />

après le visionnage du pilote, cela nous a semblé à tous une chose impossible. Nous<br />

avons alors tourné un second pilote et au final, le personnage est devenu un pilier de<br />

la série. Un autre exemple de ce que nous a pprenons en cours de production a eu<br />

lieu sur la série " Cold Case" dans laquelle une jeune femme tente d'élucider des<br />

assassinats commis il y a cinq,dix ou trente ans et non encore résolus à ce jour. Nous<br />

n'arrivions pas à saisir d'où venait l'insatisfaction finale du public… jusqu'au jour où<br />

nous avons compris qu'il avait besoin qu'on l'aide à se sentir soula gé après chaque<br />

enquête. A l'insu de l'inspectrice, nous avons alors décidé de faire apparaître à la fin<br />

de chaque épisode la personne disparue sous forme d'ombre ou de fantôme comme<br />

si "il" ou "elle" venait remercier l'héroïne d'a voir fait éc later la vérité. A la longue,<br />

c'est devenu un moment-clé de la série.<br />

Q. : Qui finance les études qualitatives menées au moment de la diffusion du pilote<br />

ou des premiers épisodes : le diffuseur ou le producteur ?<br />

J.Z. : Le petit jeu entre les chaînes de télévision et nous consiste à se faire croire<br />

que personne n'a effectué de tests, mais ce n'est pas vrai. Chacun fait sa propre<br />

enquête car nous avons l'un et l'autre besoin de nos propres informations. Avant de<br />

soumettre un film à un diffuseur, nous devons connaître en amont les problèmes qui<br />

risquent de surgir pour savoir quoi répondre le moment venu. Nous rectifions et clarifions<br />

les confusions. Et si l'on se rend compte que les specta teurs détestent un<br />

acteur, on peut aller jusqu'à le changer. Quand la série pose problème, elle est testée<br />

plusieurs fois en cours d'année et en fin de diffusion pour sa voir comment la<br />

faire évoluer la saison suivante. Ces tests sont effectués par des groupes de trente<br />

personnes maximum. Par session, ce type de réunion ne coûte pas loin de vingt<br />

mille dollars.<br />

cold case / diffusion France 2<br />

nip/tuck / diffusion m6<br />

Q. : Les studios ont annoncé qu'ils réfléchissaient à une réduction des coûts de production.<br />

Cela concerne-t-il les films-pilotes ou bien les séries elles-mêmes ?<br />

J.Z. : La qualité coûte cher. Sans compter scénaristes et post-production, nos équipes<br />

comptent soixante-dix personnes a vec quelquefois neuf personna ges principaux<br />

et donc neuf acteurs à payer . On ne peut pas continuer à ce niveau de<br />

dépense. Il y a encore deux ou trois ans, on attribuait l'augmentation des coûts d'une<br />

année sur l'autre aux scénaristes ou aux acteurs qui demandaient une augmentation,<br />

mais ce sont bien des coûts de production globaux dont il est maintenant question<br />

et qu'il faut changer.<br />

Q. : Pourquoi ne pas "cross-boarder" davantage les tournages pour réduire les coûts<br />

de production ?<br />

J.Z. : Dans l'absolu, ce serait une solution, mais difficile à appliquer dans la mesure<br />

où, pour répondre à l'insatisfaction éventuelle du public ou des chaînes de télévision,<br />

les informations visant l'amélioration des séries nous parviennent au fur et à mesure<br />

de la diffusion des épisodes.Notre réactivité est donc progressive.À partir du moment<br />

où rien dans l'écriture n'est jamais définitif,nous ne pouvons pas "cross-boarder" nos<br />

tournages comme il serait souhaitable de pouvoir le faire économiquement.<br />

smallville / diffusion M6<br />

<strong>actions</strong> <strong>31</strong><br />

9


Q. : Quel est le coût moyen d'un épisode ?<br />

"Le réalisateur et le directeur<br />

J.Z. : Il faut compter plus de deux millions de dollars la première année parce que<br />

c'est celle où nous cherchons à déterminer la manière la plus efficace de tourner .<br />

Cette somme inclut la post-production et les droits musicaux. Pour information, un<br />

scénariste coûte entre 75 et 100 000 euros par épisode. La musique doit être identifiable<br />

mais si nous parlons des années 60, nous n'avons pour autant pas les<br />

moyens d'aller puiser chez les Rolling Stones parce que c'est trop cher. Dans le cas<br />

où une musique est composée pour une série,le compositeur touche jusqu'à 20 000<br />

dollars par épisode, mais il nous cède tous ses droits. Pour les droits d'auteur qui<br />

comprennent la diffusion du programme sur internet, les DVD et les produits dérivés,<br />

il faut ajouter environ 50 000 dollars.Notre priorité reste évidemment de vendre nos<br />

programmes au plus grand nombre de marchés différents pour couvrir nos coûts.<br />

Q. : Utilisez-vous le crédit d'impôt comme source de financement ?<br />

de la photographie sont ceux<br />

qui, dès le film-pilote,<br />

déterminent la manière<br />

dont la série va être<br />

tournée".<br />

J.Z. : Il existe aux Etats-Unis des exonérations d'impôts, mais elles concernent New<br />

York et le Nouveau Mexique (où il est difficile de tourner hormis dans le désert) et<br />

pas du tout la Californie. Or, c'est là que nous travaillons car les comédiens refusent<br />

de s'éloigner neuf mois de leur famille.<br />

Q. : À partir de quel moment vous intéressez-vous au marché étranger ?<br />

J.Z. : Dès que nous pouvons annoncer les pilotes des séries choisies par les canaux<br />

de distribution, nous sommes en mesure de proposer nos produits aux marchés<br />

européen, asiatique et sud-américain qui sont très importants car nos diffuseurs ne<br />

nous fournissent souvent que la moitié des sommes nécessaires à la production<br />

d'une série. L'autre moitié, c'est notre risque. Nous misons donc sur la longévité de<br />

nos séries et leur exploita tion sous forme de DVD (pour l'instant, nous n'avons pas<br />

trouvé le moyen de vendre sur l'Internet). C'est l'un des points soulevés par les scénaristes,<br />

mais il est trop tôt pour sa voir ce que représente ce marché. Pour l'amortissement<br />

d'une série comme " Smallville", il faut compter cinq ans. Après, tout<br />

dépend du nombre d'épisodes, mais en deçà de douze, il y a déficit. Heureusement,<br />

des succès comme ceux de " Urgences", "Mon oncle Charlie" ou "Friends" permettent<br />

de compenser. Tout ce que produit Warner Bros (émissions, dramatiques,<br />

comédies…) prend en compte une longévité possible. Aux Eta ts-Unis, une très<br />

vieille série comme " I lo ve Lucy" continue de se vendre. Depuis 1990, tous les<br />

négatifs montés (c'est la même chose pour les chutes néga tives) sont archivés et<br />

prêts à être remastérisés dans n'importe quel format le moment venu. Nos archives<br />

comptent parmi les plus importantes au monde dans le domaine de la télévision.<br />

tournages<br />

nos de<br />

10 <strong>actions</strong> <strong>31</strong><br />

"70%<br />

se font sur film".<br />

fbi portés disparus / diffusion France 2<br />

Q. : Sur quels supports les tournages ont-ils lieu ?<br />

J.Z. : Quand Warner Bros a racheté Lorimar en 1998, nous avons reçu comme instruction<br />

de tourner en 35mm. 70% de nos tournages se font sur film. Depuis 1989<br />

ou 1990, Panavision a modifié les caméras pour que nous puissions tourner en<br />

35mm "trois perfs". Il nous arrive quelquefois de "mélanger" les forma ts comme<br />

sur la série "Chuck" dont le pilote est à la fois composé de Super16mm et de 35mm<br />

(pour les scènes d'action). Nous sommes capables de tourner dans tous les formats<br />

mais ce n'est pas le diffuseur qui décide du choix du support. Sur "Chuck" par<br />

exemple, NBC souhaitait que l'on utilise de la HD, mais pas le producteur qui trouvait<br />

les caméras trop lourdes à déplacer . Quand j'ai démarré dans le métier , je ne<br />

connaissais, ni ne comprenais pas bien ce qu'était le film car à l'époque, je travaillais<br />

sur des émissions "live" qui n'étaient par définition pas concernées par la longévité.<br />

Pour vendre aujourd'hui une série comme "Pushing Daisies" qui représente<br />

un gros défi en terme de production, la qualité du 35mm est indispensable.<br />

Q. : Quelle a été pour vous l'incidence de la dernière grève des scénaristes ?<br />

J.Z. : Nous avons perdu beaucoup d'argent pendant cette grève car des séries<br />

comme "Urgences" ou "FBI, portés disparus" ne sont rentables qu'au moment de<br />

leur diffusion. De plus, la grève a été déclenchée au moment où les auteurs devaient<br />

nous présenter leurs programmes. Comme elle a duré trois mois et demi, elle nous<br />

a empêché de beaucoup produire. Sur sept propositions de pilotes, nous en avons<br />

tourné quatre (dès qu'un quota de 50 % des pilotes est mis en production,on considère<br />

qu'il s'a git d'une bonne année). Avec l'exemple un peu particulier de cette<br />

année, nous sommes parvenus à quelque chose de raisonnable car produire vingtcinq<br />

pilotes par saison était devenu un risque trop gros en matière d'investissement.<br />

Le bénéfice non prévu de la grève des scénaristes est donc qu'en ayant tourné cette<br />

année moins de pilotes et des films moins longs, on s'est aperçu que cela fonctionnait<br />

quand même. Peut-être est-on en train de changer et va-t-on moins a ttendre<br />

des pilotes à l'avenir, ce qui serait très bien !<br />

urgences / diffusion France 2<br />

Propos mis en forme par Dominique Maillet


Pour le réalisateur-illustrateur Yoann Lemoine<br />

et son directeur de la photographie Mathieu Plainfossé,<br />

la collision visuelle<br />

au service du clip.<br />

Après avoir suivi une formation en dessin d'animation à l'école Emile Cohl<br />

de Lyon, c'est au Swindon College près de Londres que Yoann Lemoine, un<br />

jeune illustrateur très tôt reconnu dans son domaine, apprend la sérigraphie.<br />

"En fait, pose-t-il d'emblée comme une évidence, mes parents sont<br />

graphistes et j'ai toujours baigné dans un univers d'image. Que ce soit à<br />

travers le dessin ou depuis peu la réalisa tion, j'ai toujours eu envie de<br />

créer des images". Est-ce à dire qu'il est un enfant de la bande dessinée ?<br />

"Pas du tout, je dessine trop lentement pour cela. Je n'ai même jamais<br />

compris comment on pouvait dessiner aussi rapidement et produire autant".<br />

Cinéphile, alors ? "Pas tant que cela non plus.En fait, je ne suis exhaustif dans<br />

aucun domaine. Je me fie au hasard des rencontres et je puise partout,que ce<br />

soit dans la mode, la peinture, le cinéma, la photographie ou l'illustration".<br />

Le réalisateur-illustrateur Yoann Lemoine<br />

À droite, le directeur de la photographie Mathieu Plainfossé<br />

Sa première expérience sur un tournage de film, Mathieu Plainfossé<br />

la doit au producteur Eric Névé ("La Chauve-Souris") qui lui permet<br />

en 2004 d'accéder au poste de stagiaire caméra sur le film "Agents<br />

secrets" que réalise F rédéric Schoendoerffer. Pour tout<br />

bagage, Mathieu Plainfossé possède à ce moment-là<br />

un BTS audiovisuel vidéo. "C'était pour moi la meilleure<br />

formation avant l'école Louis Lumière ou la<br />

Femis. J'ai très tôt été orienté vers l'ima ge, mais<br />

l'expérience sur ce long-métra ge m'a définitivement<br />

décidé à faire de la caméra ". En guise d'a pprentissage,<br />

il ne néglige aucun corps de métier de la partie<br />

technique et devient, au gré des opportunités, machiniste<br />

ou électricien.Aujourd'hui directeur de la photographie<br />

sur des courts-métra ges, il continue de tra vailler<br />

comme assistant, notamment au côté du chef-opéra teur<br />

Laurent Tangy, lui-même ancien assistant de Tetsuo Nagata, AFC.<br />

C'est la productrice exécutive Hélène Ségol qui opère le rapprochement de ces deux<br />

jeunes talents très vite repérés par Wanda Productions en leur proposant le premier<br />

clip (tourné en pellicule) de la chanteuse Orly Cha p.<br />

"En terme de définition, il n'y a aujourd'hui rien de mieux que le film , s’est réjoui<br />

de cette proposition Mathieu Plainfossé. Même si je suis convaincu que la vidéo<br />

finira par le remplacer, je fais partie d'une génération qui doit utiliser les deux formats<br />

de manière complémentaire. De nos jours, le scope reste ce qu'il y a de plus<br />

performant en ma tière de définition. La latitude d'exposition que nous offre le film<br />

est par ailleurs de loin la plus souple. Peut-être parce que je suis encore un jeune<br />

opérateur, mais c'est vrai que j'ai envie d'exploiter la pellicule au maximum et le<br />

plus longtemps possible".<br />

<strong>actions</strong> <strong>31</strong><br />

11


“Beaucoup de nostalgie,<br />

pas mal de romantisme<br />

et une approche<br />

très graphique de l’image.”<br />

Comment, dans le cas de Yoann Lemoine, passe-t-on de l'anima tion à la prise de<br />

vues réelles ? " Dans une parfaite fluidité , s'exclame-t-il. Pour moi, il n'y a aucune<br />

différence. C'est comme de me demander si le passa ge de la mine de plomb à la<br />

gouache m'a posé problème. C'est une histoire de médium et pas davantage. Dans<br />

le dessin, on peut se sentir frustré si on ne possède pas les ca pacités techniques<br />

nécessaires à l'aboutissement de son désir. L'avantage de la prise de vues réelles,<br />

c'est que la palette est plus large. Mes images naissent de concepts et de fantasmes,<br />

peu m'importe que cela se traduise sous forme d'illustration, de photographie<br />

ou de film. Ma façon de composer mes ima ges ou de cadrer mes illustra tions sont<br />

très cinématographiques. Adolescent, j'aimais beaucoup les films de Wim Wenders.<br />

Aujourd'hui, je m'intéresse à des gens comme Gus van Sant ou Larr y Clark ou à la<br />

manière de filmer de Lars von Trier (encore que j'ai assez peur du "kidna pping des<br />

émotions" dont il peut faire preuve. Ce n'est pas un hasard si tous les réalisa teurs<br />

que je cite traitent de l'enfance. Ma culture a été progressive, elle s'est développée<br />

lorsque j'ai commencé à produire moi-même et à me nourrir du tra vail des autres.<br />

C'est l'envie d'apprendre et de découvrir toujours da vantage qui m'a certainement<br />

poussé vers le métier que je fais aujourd'hui ".<br />

Réalisé en Super16 avec une caméra Arri SRII équipée d'une série Zeiss GO. le clip<br />

d'Orly Cha p a été tourné sur pellicule K odak Vision2 500T 7218. "Sur un courtmétrage,<br />

se souvient Mathieu Plainfossé, j'avais été angoissé par le rendu de la 18<br />

sur les parties un peu sombres a vant de m'a percevoir qu'elle "encaissait" finalement<br />

extrèmement bien. Comme Yoann voulait une ima ge assez dure et contraste,<br />

je l'ai utilisée à nouveau en décidant d'aller plus loin encore dans des zones carrément<br />

sombres. C'est une pellicule que je connais bien maintenant ".<br />

La définition du "style Yoann Lemoine" ? "Beaucoup de nostalgie, pas mal de romantisme<br />

et une approche très graphique de l'image", répond l'intéressé tout en soulignant qu'il<br />

en est au stade où il modèle encore son œil et sa sensibilité."J'essaie encore de comprendre<br />

qui je suis, analyse-t-il, de distinguer ce qui appartient à mes fantasmes, à<br />

mes visions intimes et ce qui continue d'être le produit de mes influences extérieures.<br />

Je suis en quête d'identité, en quête de recherche et d'expérimentation personnelles,<br />

pas en quête de succès.Si les gens aiment ce que je leur propose,c'est qu'ils m'aiment<br />

vraiment en tant que personne et alors, c'est gagné ". À défaut de style bien en place,<br />

peut-on néanmoins dégager une spécificité ? "La curiosité ! C'est même un fondement<br />

de la fabrication de mes films. Si quelque chose m'interpelle dans une œuvre, je vais<br />

chercher à savoir comment cela s'est fait. Non pour le refaire, mais pour anticiper le<br />

jour où j'aurai une problématique de construction analogue. Ce qui est insoutenable<br />

pour moi, c'est que des gens accomplissent sur mes propres films des choses que je<br />

ne comprends pas ". Son évolution dans le<br />

cinéma ? " J'irai vers des films largement<br />

post-produits, non dans le sens hollywoodien<br />

du terme, mais dans la mesure où je veux<br />

avoir la liberté d'utiliser dans l'anima tion en<br />

prises de vues réelles, la 3D ou l'effet spécial<br />

nécessaire à créer un choc visuel. Ce qui me<br />

définit le plus, c'est la collision qui existe<br />

entre les éléments réels et l'ima ginaire.<br />

Pourquoi suis-je particulièrement sensible à<br />

un physique, à une manière de bouger, à une<br />

lumière, à un détail ? On s'a pproche de la<br />

psychanalyse et je n'ai pas d'explica tion, ce<br />

qui me ravit car cela m'évite d'avoir à me justifier<br />

et c'est bien de ne pas tout maîtriser ".<br />

12 <strong>actions</strong> <strong>31</strong><br />

Yoann Lemoine<br />

“Pour la nature morte, j’ai travaillé<br />

un clair-obscur à la Rembrandt et de la Tour…<br />

Le clip d'Orly Chap a été tourné en une journée à la Cartonnerie dans le 10 ème arrondissement<br />

de P aris. "Ce qui m'intéressait dans ce décor , indique Yoann Lemoine,<br />

c'était la pâtine sur le mur qui ressemblait vraiment à celle que l'on peut voir dans<br />

certains tableaux de référence que j'ai utilisés". Quelle est sa conception du clip en<br />

tant que mo yen d'expression ? " Ce qui m'intéresse n'est pas l'exercice de narration,<br />

mais le défi qui consiste à trouver un concept et à l'exploiter de manière<br />

exhaustive. Pour Orly Cha p, j'ai mis en collision l'univers de la peinture flamande<br />

avec un code volontairement très pop et très moderne qui consiste à introduire en<br />

post-production des boulettes de mousse multicolores et fluos. La rencontre de ces<br />

deux univers qui ne vont à priori pas du tout ensemble me correspond assez bien.<br />

Mes visions sont souvent oniriques, je subis l'influence de Da vid Lynch. Ce que je<br />

veux éviter à tout prix, c'est la gratuité. Il est important de donner du sens à ce que<br />

l'on fait. Même si ce n'est pas lisible à la première lecture, une symbolique justifie<br />

nécessairement mon propos. Ici, c'est une manière nouvelle - ni niaise, ni "déjà<br />

vue" - de concrétiser l'intrusion de l'amour dans un environnement austère ".<br />

Le décor du c lip et le costume d'Orly Cha p une fois déterminés - dans une tenue<br />

bleue de chasse à courre, la chanteuse est assise devant une nature morte où l'on<br />

trouve faisan, homard et argenterie - le cahier des charges devient c lair pour le<br />

directeur de la photogra phie. "Toutes les références de Yoann étaient picturales ,<br />

explique Mathieu Plainfossé. Pour la nature morte, j'ai travaillé un clair-obscur à la<br />

Rembrandt et de la Tour et sur Orly Chap, la lumière du Caravage. Yoann voulait jouer<br />

sur la désaturation. Dans un projet comme celui-là, il s'agit moins d'être inspiré que<br />

de copier. Ce qu'il faut déterminer, c'est la direction de lumière. Yoann est extrèmement<br />

précis en terme d'image et se comporte comme un véritable directeur artistique<br />

pour la composition de la couleur et du cadre.Mon rôle consistait à mettre l'ensemble<br />

en valeur ". "Le clip est assez austère dans la façon dont il est filmé , analyse<br />

le réalisateur, c'est frontal sur un mur et rigide<br />

dans le cadre. Cette fixité rejoint l'illustra tion et la<br />

photographie, c'est ce qui me rassure encore.<br />

Progressivement, j'irai vers le mouvement".<br />

… et sur Orly Chap, la lumière du Caravage.”<br />

(Mathieu Plainfossé, directeur de la photographie)


"Avec quelqu'un d'aussi pointilleux jusque dans le détail, il devient facile d'éclairer,<br />

commente le chef-opérateur avec recul. J'ai travaillé avec un 5Kw tungstène<br />

comme source principale et des Kinoflos en "contre" tout autour de la<br />

chanteuse pour adoucir l'image. Je me sens en fait très inspiré par le travail<br />

de Tetsuo Nagata. Le plus difficile pour moi,c'était le décor qui était<br />

petit et présentait pas mal de contraintes : on était sous les toits au<br />

milieu d'une charpente et entre deux poutres porteuses. Au final, je<br />

n'ai quand même pas vu beaucoup de c lips comme celui-ci et j'en<br />

suis fier . C'est vraiment un tra vail que j'ai envie de montrer ".<br />

"L'image de Ma thieu est assez incro yable, termine Yoann Lemoine.<br />

Même si je ne connais pas encore grand-chose au film,je sais<br />

poser une demande sur ce que je veux et je suis sidéré de<br />

voir à quel point il est parvenu à reproduire cela. C'est très<br />

satisfaisant pour un premier film en prise de vues réelles et<br />

un premier exercice en équipe. Ce qui demeure encore<br />

aujourd'hui incroyable pour moi, c'est que des gens répondent<br />

de cette manière à mes demandes sans les discuter .<br />

Peut-être la domina tion est-elle le vrai fantasme du réalisateur<br />

(rires) ? Si mon ra pport à l'ima ge est pour l'instant<br />

égoïste, c'est que je cherche à définir ma personnalité. En<br />

fait, ce métier est terriblement contradictoire : on essaie<br />

tous d'être différents des autres,mais on a tous besoin de<br />

se rassurer en tra vaillant avec des gens de même sensibilité.<br />

Ce qui me plaît dans le clip - même si ce n'est pas le<br />

domaine dans lequel il circule le plus d'argent - c'est qu'il<br />

reste un joli terrain de jeu pour un réalisa teur. Même si le monde<br />

du clip m'a toujours paru ina tteignable, il m'a aussi toujours fait rêver . C'est<br />

peut-être le fantasme d'un enfant qui voulait rencontrer des stars ".<br />

Alors, Yoann Lemoine, un artiste dans l'air du temps ? " Être dans "l'air du temps"<br />

voudrait dire que je le recherche. Non, je suis un résultat de mon époque". Une époque<br />

qui, au passage, abolit les distances. "Si je vis un quart du temps à New York, c'est<br />

que je trouve là-bas une énergie et une folie artistique qui n'existent plus à P aris.<br />

C'est une chose que je ressens jusque dans ma façon de m'habiller . En France, les<br />

gens sont tristes et raisonnables… et je n'aime pas les gens raisonnables ".<br />

“Mes visions sont souvent oniriques, je subis l’influence de David Lynch.” Yoann Lemoine<br />

Article rédigé par Dominique Maillet<br />

Fiche technique :<br />

“Le clip reste un joli terrain de jeu pour un réalisateur”<br />

Yoann Lemoine<br />

Production déléguée : Hélène Ségol pour Wanda Productions<br />

Réalisateur : Yoann Lemoine<br />

Directeur de la photographie : Mathieu Plainfossé<br />

Laboratoire traditionnel : Cinédia<br />

Télécinéma : Vidéomage<br />

Etalonneur numérique : Mickaël Belin<br />

Pellicule : <strong>Kodak</strong> Vision2 500T 7218<br />

“En France,<br />

les gens sont<br />

tristes et<br />

raisonnables…<br />

et je n'aime<br />

pas les gens<br />

raisonnables”<br />

Yoann Lemoine<br />

<strong>actions</strong> <strong>31</strong><br />

13


Le prix de la CAMÉRA D'OR,<br />

label d'excellence.<br />

Créé en 1978, le prix de la CAMÉRA D’OR dont <strong>Kodak</strong> est le partenaire privilégié "a pour objet de révéler et de mettr e en valeur un premier film présenté lors du Festival<br />

de Cannes et dont les qualités paraissent de nature à encourager son réalisateur à entreprendre un second film". Peuvent concourir les films présentés en sélection officielle,<br />

à la Semaine de la critique et à la Quinzaine des réalisateurs. Nombre de réalisateurs ont déjà été révélés par la CAMÉRA D’OR : Jim Jarmusch, Jaco Van Dormael,<br />

Pascale Ferran, John Turturro, Jean-Pierre Denis…<br />

Mais comment un "premier" film trouve-t-il aujourd'hui sa place au sein de l'industrie cinématog raphique ? De quelle communication peut-il se prévaloir ? Un "premier<br />

film" est-il plus "risqué" ? Ce sont quelques interrogations par mi d'autres auxquelles deux sociétés de distribution ont bien v oulu répondre : Pyramide Distribution qui<br />

compte deux prix de la CAMÉRA D’OR à son palmarès, ("Bord de mer" de Julie Lopès-Curval en 2002 et "Les méduses" de Etgar Keret et Shira Geffen en 2007) et MK2<br />

Distribution dont le film "Hunger" de Steve Mac Queen est le tout der nier lauréat en date.<br />

Après une maîtrise de lettres, une licence de cinéma et un 3ème cycle de communication, Eric Lagesse débute sa carrière<br />

en tant qu'assistant aux ventes internationales chez Pyramide en 1992, département qu'il finira par diriger pendant 10 ans.<br />

En 2002, il devient Directeur Général de Pyramide Distribution et Pyramide International puis Président-Directeur Général<br />

en rachetant en juin dernier la société à sa fondatrice F abienne Vonier qui a choisi de se consacrer à la production.<br />

Actions : Pyramide Distribution compte parmi les sociétés les plus actives dans la<br />

catégorie "premiers films". Quelle est votre analyse ?<br />

Eric Lagesse : En 2006, nous avons distribué sept "premiers films" sur un total de douze<br />

ou treize sorties dans l'année et en 2007, le ratio était de huit sur quatorze. Cela s'explique<br />

a ssez f acilement p ar d es ra isons à l a fo is é conomiques e t a rtistiques. En t erme<br />

d'économie d'abord, un premier film est souvent moins cher qu'un autre à distribuer et<br />

d'un point de vue artistique, notre envie a toujours été de "découvrir des auteurs". Notre<br />

démarche est cohérente. Nous sommes dans le cinéma par passion. Etre "découvreur de<br />

talents" est un rôle qui nous convient parfaitement et qui nous comble.<br />

A. : Votre intervention sur un "premier film" s'exprime-t-elle dès la lecture du scénario ?<br />

E.L. : Très souvent oui, car le système économique est fait de telle sorte que les partenaires<br />

du producteur, notamment les chaînes de télévision, s'engagent difficilement<br />

sur un film - surtout un "premier film" - s'il n’a pas déjà un distributeur . Ils veulent<br />

s'assurer que le film sera distribué et a priori, bien distribué. Nous sommes un maillon<br />

important de la chaîne de fabrication d'un film. De mon côté, peu importe que se<br />

profile ou non la présence d'une chaîne de télévision,ce qui motive ma décision reste<br />

le projet. Si je trouve le scénario d'un "premier film" formidable, je m'engage.<br />

A. : Existe-t-il, hormis le scénario, d'autres facteurs déterminants dans vos choix ?<br />

E.L. : Il y a la capacité de l'auteur - qui est en général le réalisateur - de me faire ressentir<br />

à l'écrit ce qu'il veut traduire à l'ima ge. Ce qui est essentiel, c'est que je ressente<br />

dans son projet quelque chose de vital car il faut beaucoup d'énergie pour faire<br />

un film. Je viens par exemple de m'enga ger sur un premier film belge " La<br />

Régate" qui raconte l'histoire d'un adolescent qui trouve refuge dans l'aviron,<br />

une manière pour lui de "dépasser" la maltraitance de son père. Je n'ai pas<br />

besoin de lire la note d'intention pour sentir que le réalisa teur raconte une<br />

histoire qui lui est personnelle. La question est juste de savoir s'il va<br />

réussir ou non à "driver" sa souffrance. Ce que je recherche dans<br />

un film, c'est l'émotion sinon je m'enga ge sur une comédie pure<br />

dont l'enjeu n'est pas le même.Avant de m’engager sur un premier<br />

film, je regarde aussi les courts-métrages du réalisateur en question.<br />

Il faut se sentir en phase sur les deux plans a vec un<br />

metteur en scène : l’image et l’écrit.<br />

14 <strong>actions</strong> <strong>31</strong><br />

Éric Lagesse<br />

Pyramide Distribution<br />

A. : Comment se répartit le travail au sein de Pyramide ?<br />

E.L. : Une personne lit les scénarii en langue anglaise et je lis tout ce qui est français,<br />

c'est-à-dire environ 200 scripts par an. C'est dire que je ne pars jamais en<br />

vacances les poches vides! Savoir lire un scénario est un métier avec sa part de feeling<br />

et de sensibilité. Plus on lit de scripts, mieux on sait choisir, "sentir". Notre travail<br />

est ponctué de ratages et de succès, et même si les insuccès sont toujours difficiles<br />

à vivre, il faut continuer de croire à ce que l'on fait et suivre ses intuitions.<br />

D’ailleurs, les films ne sont pas forcément responsables de leurs échecs. Cela peut<br />

venir de la conjoncture ou d'un public moins à l'affût des découvertes ou bien<br />

encore d'une presse moins curieuse.<br />

A. : Sortir un "premier film" est-il plus risqué ?<br />

E.L. : Honnêtement, cela ne l'est pas da vantage que de sortir le troisième ou le quatrième<br />

film d'un auteur . Nos plus grosses pertes ont été sur des films devenus trop<br />

chers à cause du casting ou bien dans le cas de "gros" films qui n'étaient pas à la hauteur<br />

de notre a ttente. Quand on distribue un "premier film", on ne part pas sur l'optique<br />

de faire 300.000 entrées et comme personne ne met la barre trop haute, le pari<br />

s'avère moins risqué. Beaucoup de "premiers films" font entre 20 et 50.000 entrées.<br />

A. : Votre intervention sur les "premiers films" se fait-elle a vec "à-valoir" ?<br />

E.L. : Nous intervenons avec des "à-valoir" sur pra tiquement 90% de tout ce que<br />

nous distribuons. Il est rarissime que nous prenions un film sans à-valoir . Quand<br />

c'est le cas, nous sommes plus à l'aise sur les frais de sortie et cela peut permettre<br />

au producteur de nous imposer des commissions de rémunération plus en sa faveur.<br />

Un producteur qui est financé n'a aucun intérêt à demander un minimum garanti à<br />

un vendeur ou à un distributeur. Les producteurs ont généralement besoin d'argent,<br />

mais ils recherchent aussi un label et c'est ce que nous leur a pportons au même<br />

titre que d'autres sociétés de distribution comme "Haut et Court" ou "Dia phana".


“Hunger”, la révélation d’un talent absolu dès le pr emier film.<br />

Laurence Gachet.<br />

A. : Comment vend-on un "premier film" ?<br />

E.L. : On part souvent de zéro a vec un premier film. Notre travail consiste alors à<br />

faire participer le film à des festivals importants et à en parler très tôt à nos acheteurs.<br />

C’est la meilleure façon de le faire exister parmi tant d’autres. Vis-à-vis du<br />

public, c'est un travail différent dans la mesure où les repères se trouvent plutôt du<br />

côté de la presse et des exploitants. Un public fidélisé s'informe facilement auprès<br />

des exploitants, surtout en province, dans les salles d’art et d’essai, qui deviennent<br />

pour l'occasion de véritables "relayeurs". Quand un film sort dans le réseau Utopia<br />

par exemple, on sait qu'il sera mis en avant, qu’ils en parlerons dans leur gazette et<br />

on connaît l'importance du travail de fond qui sera enga gé.<br />

A. : En quoi le prix de la CAMÉRA D’OR participe-t-il à la notoriété d'un film ?<br />

E.L. : Le prix de la CAMÉRA D’OR permet à un<br />

film de sortir du lot et quand on sait combien le<br />

lot est vaste, c'est une très bonne chose. En ce<br />

qui concerne " Les méduses " qui a obtenu la<br />

CAMÉRA D’OR l’année dernière, il est évident<br />

que l'aide financière de Metrobus, partenaire de<br />

la CAMÉRA D’OR, qui a accompagné la sortie du<br />

film a été un soutien considérable. La CAMÉRA<br />

D’OR est une récompense que l'on met en avant<br />

dans la communica tion autour d'un film même<br />

si le public ne sait pas toujours très bien en quoi<br />

consiste exactement ce prix. Peut-être faudraitil<br />

d'ailleurs réfléchir à une formula tion plus<br />

explicite, du type "meilleur premier film" ?<br />

A. : Le prix de la CAMÉRA D’OR représente-t-il un "plus" pour les acheteurs étrangers ?<br />

E.L. : Oui, car c'est un prix qui "pointe" l'œuvre pour des gens très sollicités par une<br />

multitude d’autres films. Si le film se retrouve sélectionné au festival de Toronto au<br />

mois de septembre, on s'appuie aussitôt sur le fait que les acheteurs n'ont "pas le<br />

droit de le rater". Ils ne l’achèteront peut-être pas mais s’il ne l’ont pas vu à Cannes,<br />

ils le découvrirons à Toronto grâce à la notoriété que lui a valu ce prix. C'est une<br />

deuxième chance pour le film.<br />

A. : Après avoir aidé à faire reconnaître des "premiers films" et donc de nouveaux<br />

réalisateurs, comment conserve-t-on les talents ?<br />

E.L. : Ce n'est pas évident de conserver des auteurs talentueux. Il y a des talents qui<br />

restent chez nous envers et contre tout et puis d’autres qui s’en vont voir ailleurs<br />

parce qu’ils reçoivent des propositions plus a ttractives. Puis certains nous reviennent<br />

parfois. Chacun doit faire sa propre expérience et il n’y a pas à juger cela. Il<br />

arrive aussi que des metteurs en scène prennent des directions qui ne conviennent<br />

plus à notre ligne, alors on se quitte bons ou mauvais amis. C'est la vie, on fait un<br />

bout de chemin ensemble, il est forcément plus ou moins long.<br />

Propos recueillis par Dominique Maillet.<br />

Après des études d'économie et de cinéma, Laurence Gachet s'oriente vers la<br />

distribution. Elle débute chez AFMD en 1995 av ant de participer à la mise en<br />

place de la structure SND et de se retrouver quatre années durant à la tête de<br />

la distribution au sein de Gémini Films. Après cinq années passées chez<br />

Pyramide, elle rejoint finalement MK2 Diffusion comme directrice de la distribution<br />

en octobre 2007.<br />

Actions : Comment définir la spécificité d'un premier film ?<br />

Laurence Gachet : En ce qui concerne le cinéma d'auteur , c'est l'émergence d'un<br />

nouveau talent qui fait preuve d'un univers original et particulier. Les premiers films<br />

commerciaux avec stars et gros budgets n'a ppartiennent pas à la même ca tégorie<br />

car trouver des acteurs très connus dans un premier film reste relativement rare. Le<br />

vrai problème, c'est qu'aujourd'hui il sort de quinze à vingt films par semaine et qu'il<br />

est de plus en plus difficile pour un premier film de trouver sa place sur le marché<br />

quand on n'a pas les moyens de couvrir Paris d'affiches ou de le placer dans toutes<br />

les émissions de télévision.<br />

A. : L'affichage reste un moyen de communication important ?<br />

L.G. : En s'appuyant sur des études menées auprès des spectateurs sur<br />

les raisons qui les poussent à aller voir tel ou tel film, on s'aperçoit que<br />

si l'affiche participe de la notoriété d'un film, elle n'est pas prescriptrice<br />

en ce sens qu'elle ne donne pas à elle seule envie d'aller voir<br />

un film. Une affiche, c'est juste une informa tion. Une bandeannonce<br />

réussie est très importante, mais rien ne remplace les<br />

moyens presse et internet qui donnent du sens et du contenu au<br />

film tout en sachant qu'une bonne presse ne suffit pas à faire des<br />

entrées. Chez Paulo Branco, les films de Manoel de Oliveira ou de João<br />

César Monteiro a vaient trois pa ges dans Le Monde et cinq dans Les<br />

Cahiers du cinéma… mais faisaient très peu d’entrées en salles.<br />

Avoir une presse volumineuse et élogieuse n'est pas une garantie de<br />

succès, mais ne pas en a voir, c'est ne pas exister . Tout cela<br />

demeure assez subtil car il faut aussi tenir compte de la manière<br />

dont les journalistes parlent des films. Trop de critiques élogieuses<br />

sur des films jugés trop difficiles par le public peut<br />

vite décourager certains spectateurs.<br />

A. : Qu'est-ce qui détermine votre investissement<br />

sur un premier film ?<br />

L.G. : On peut inter venir à n'importe quel<br />

moment de la production, mais il est<br />

assez rare que les premiers films soient<br />

acquis sur scénario car la part de risque<br />

est énorme. Nous mesurons nos<br />

dépenses en fonction de ce que l'on<br />

imagine être le potentiel commercial<br />

du film et c'est bien<br />

entendu ce qui est le plus<br />

délicat à déterminer.<br />

Laurence Gachet<br />

MK2 Distribution<br />

<strong>actions</strong> <strong>31</strong><br />

15


A. : Quelle peut être alors votre motiva tion pour sortir un premier film ?<br />

L.G. : Sortir un premier film peut résulter d'un coup de cœur, c'est aussi une manière<br />

de souligner la découverte d'un auteur dont on se dit que le travail, même imparfait<br />

ou inabouti pour l'instant, révèle un vrai talent. C'est l'envie d'entamer un travail sur<br />

la durée. "Hunger", c'est différent, c'est vraiment la révéla tion d'un talent absolu<br />

dès le premier film. Nathanaël Karmitz connaissait depuis des années le tra vail de<br />

vidéaste de Steve Mac Queen et il était au courant du projet. Dès que le film a été<br />

montré, il s'est précipité et positionné. Sortir un premier film est quelque chose de<br />

plutôt excitant. Humainement, il se produit parfois de belles rencontres et puis c'est<br />

important de travailler avec des gens qui portent un regard neuf sur notre métier.<br />

Cela peut amener des idées.<br />

A. : Que représente pour le distributeur un prix comme celui de la CAMÉRA D’OR ?<br />

L.G. : Les films lauréa ts de la CAMÉRA D’OR sont tous très différents les uns des<br />

autres et c'est normal car c'est la propriété d'un premier film d'être unique et original.<br />

Sachant que le palmarès du festival de Cannes couronne moins d'une dizaine<br />

de films sur des centaines présentés, toutes sections confondues, être primé<br />

comme "meilleur premier film" de toutes les sélections est un immense coup de<br />

projecteur. C'est très prestigieux. A Cannes, les exploitants vont en priorité voir les<br />

films de la compétition et les autres films en fonction de leur temps. Obtenir le prix<br />

de la CAMÉRA D’OR fait que l'on parle d'un film et cela donne envie à ceux qui ne<br />

l'ont pas vu de le découvrir. Créer de la notoriété en amont d'une sortie salles est un<br />

énorme atout.<br />

A. : De quelle manière "utilisez-vous" ce label auprès du public ?<br />

L.G. : On l'annonce dans notre publicité, on le fait a pparaître sur l'affiche, il figure<br />

sur la bande-annonce. Mais nous a vons besoin que la presse relaie l'informa tion,<br />

car je ne suis pas certaine que le public sache exactement de quel prix il s'a git.<br />

A. : Avez-vous l'impression que sortir un premier film aujourd'hui est devenu plus<br />

compliqué qu'au moment de votre entrée dans le métier ?<br />

L.G. : Ah oui ! D'un côté, il y a davantage de concurrence et de l'autre, j'ai le sentiment<br />

que l a c uriosité d u p ublic s 'est u n p eu é tiolée d epuis un e q uinzaine d' années. Il e st<br />

devenu plus difficile de créer un événement avec un premier film. Quand j'étais étudiante<br />

ou même quand j'ai commencé à travailler au début des années 90, nous allions voir de<br />

manière presque systématique les premiers films. Cette spontanéité dans la découverte<br />

n'existe plus, la cinéphilie a changé. C'est vrai aussi que les films restent moins longtemps<br />

en salles et que le bouche à oreille n'a plus le temps de s'installer. L'avantage et<br />

l'atout d'une société comme MK2, c'est précisément de posséder ses propres salles et<br />

de p ouvoir t ravailler s ur l a l ongueur l 'exploitation d e c ertains f ilms u n p eu d ifficiles.<br />

Quand on leur laisse une chance, on s'aperçoit d'ailleurs qu'ils peuvent faire une carrière.<br />

A. : Proportionnellement, combien distribuez-vous de premiers films par an ?<br />

L.G. : Il n'y a pas de règle, mais c'est à peu près 20% de nos sorties. Cette année, nous en<br />

sortons deux. Avant "Hunger", il y a eu au mois d'a vril un documentaire réalisé par Rob<br />

Stewart, un jeune biologiste qui prenait la défense des requins,"Les seigneurs de la mer".<br />

En 2009, nous distribuerons un premier film israélien, "Zion et son frère" de Eran Merav.<br />

16 <strong>actions</strong> <strong>31</strong><br />

A. : Quelle stratégie allez-vous développer pour la sortie de " Hunger" ?<br />

L.G. : Le réalisateur Steve Mac Queen est très connu des ama teurs d'art contemporain,<br />

ce qui est une chose sur laquelle nous allons nous a ppuyer. A l'occasion d'une<br />

exposition de ses œuvres en octobre dans la galerie parisienne qui suit son travail<br />

depuis des années, nous allons annoncer la sortie du film. La presse va être extraordinaire<br />

car le film est un choc, c'est un un chef-d'œuvre. C'est un film radical et sans<br />

complaisance. Dès Cannes, il a tout de suite été positionné comme le film majeur qu'il<br />

est. Le sujet est presque documentaire, mais son traitement est très cinématographique,<br />

certaines images sont presque purement graphiques. Le film fait preuve d'une<br />

réflexion sur l'image, le son, la narration, le cadre. Notre stratégie va être de le montrer<br />

le plus possible en amont de sa sortie et de participer au maximum de festivals<br />

et d'avant-premières en région. Sa sortie sera "maîtrisée" dans la mesure où la violence<br />

du sujet peut déranger certains specta teurs. Il est même possible que le film<br />

reçoive une interdiction aux mineurs, nous ne le savons pas encore à l'heure qu'il est.<br />

A. : A quelle hauteur idéale mettez-vous la barre de ses entrées ?<br />

L.G. : 150 000 entrées, c'est déjà une barre haute. Faire 150 000 entrées aujourd'hui<br />

avec un film d'auteur , c'est ambitieux… mais possible. Le film sortira sur une<br />

soixantaine de copies dont une dizaine à P aris.<br />

Lauréat 2008 du prix<br />

de la CAMÉRA D’OR<br />

“Hunger”<br />

réalisé par Steve Mac Queen<br />

image de Sean Bobbitt, BSC.<br />

Propos recueillis par Dominique Maillet.<br />

Dans la prison de Maze en Irlande du Nor d, les prisonniers politiques de l'IRA<br />

entament en 1981 le "Blank et and No-W ash Protest" pour témoigner de leur<br />

colère. Le jour où la dir ection de la prison propose aux détenus des vêtements<br />

civils, l'émeute éclate. La rébellion est matée dans le sang , mais la violence fait<br />

tâche d'huile. Pour que les prisonniers politiques de l'IRA obtiennent un statut à<br />

part, le leader Bobby Sands déclenche alors une grève de la faim…<br />

""Hunger" a des résonances contemporaines, explique le réalisateur Steve Mac<br />

Queen. Mon but est de susciter le débat chez les spectateurs et de bousculer nos<br />

repères moraux. Je voulais que la pr emière partie du film donne l'impr ession<br />

qu'on entre dans une pièce et qu'on éteint la lumièr e pour se repérer au toucher :<br />

on s'imprègne de l'architecture et de la topographie du lieu. Je voulais qu'on ressente<br />

l'atmosphère qui régnait là-bas à cette époque . J'avais envie, en quelque sorte,<br />

de créer un effet de loupe et d'isoler ces éléments du r este - comme sur une<br />

photo noir et blanc où on distingue mieux l'ar chitecture et la for me des objets.<br />

Quand on r egarde un tableau de Velasquez ou de Go ya, on est stupéfait par la<br />

composition qui suscite à la fois attirance et interrogation. Ce qui semble attirant<br />

peut aussi pro voquer de la répugnance . On a tour né en 35mm 2 perfs for mat<br />

2:35:1, ce qui crée toujours un r apport entre deux éléments au sein du plan et<br />

qui, du coup, raconte une histoire. Je voudrais que l'écran nous tende un gigantesque<br />

miroir : en regardant l'écran, on se regarde soi-même."


©Thomas Favel<br />

Le 8 octobre à l'espace Pierre Cardin, Panavision organisait une soirée autour du<br />

Format 35 mm 2 perfs. Pour l’occasion, Patrick Leplat avait convié Jean-Pierre<br />

Beauviala, le créateur des caméras Aaton, ainsi que de nombreux témoins de la<br />

chaîne de production d’images… Tests exhaustifs, extraits de films et dialogue<br />

a vec la salle ont accompagné la présentation de la nouvelle<br />

caméra Aaton « Penelope ».<br />

La renaissance du procédé 2P n’a rien de révolutionnair e en ter me<br />

de prise de vues.<br />

Comme l’a rappelé Jean Pierre Beauviala en préambule , le procédé<br />

Techniscope date de 1970. Depuis les westerns spaghettis, il est<br />

même devenu l’un des symboles de cet âge d’or où le cinéma européen<br />

était capable d’enflammer les salles du monde entier.<br />

En fait, la vraie avancée technique réside plutôt dans les bouleversements qu’ont<br />

connu depuis la chaîne de post-production et les pellicules : grain ultra fin, télécinéma<br />

très haute définition, chaîne d’étalonnage numérique où tout est presque<br />

possible… Un fossé par rapport à ce que Sergio Leone et ses opérateurs avaient<br />

alors à leur disposition !<br />

Utilisée dans le cas du téléfilm,cette filière numérique à partir de prise de vues 35 mm<br />

2P prend alors toute son ampleur , surtout comparée au tour nage tr aditionnel<br />

super 16 ou plus récemment à celui en HD. Le gain en surface d’image négative<br />

(62 % plus grande que celle du super 16 en format 16/9) a deux répercussions<br />

principales :<br />

- La réduction importante de la profondeur de c hamp avec une image qui fait<br />

“cinéma” et non plus “télé”.<br />

- La pure définition qui se r approche d’une prise de vues 35mm 3P , le standard<br />

actuel de toutes les séries venues d’Hollyw ood.<br />

Sans parler du c hoix d’optiques sur la camér a qui n’est désor mais plus limité<br />

(comme en super 16), ou la possibilité d’utiliser à peu près n’importe quel accessoire<br />

fait pour le 35 mm…<br />

En terme de postproduction, il semblerait que les principaux pr estataires soient<br />

parfaitement prêts et opérationnels dans le domaine. Les échanges ont démontrés<br />

que le fait de tourner en 2P ne changeait absolument rien dans la chaîne de<br />

postproduction numérique<br />

Et surtout, les métr ages<br />

de pellicule négative<br />

baissent (120m en 2P ,<br />

c’est environ 9 minutes de<br />

film à 24 im/s).<br />

Enfin, la souplesse en terme<br />

d’étalonnage est au rendez<br />

vous. Bruno Priv at, l’un des r ares opérateurs<br />

à a voir déjà pu tour ner en 2P (la série<br />

Maupassant 2e Aaton Penelope<br />

saison) explique : “La marge de manoeuvre au télécinéma, puis à<br />

l'étalonnage final est considér ablement étendue. Surtout comparée à ce qu'on<br />

peut faire à partir d'un Master HDCam directement issu d’une caméra de téléfilm<br />

à capteur 2/3 pouce.”<br />

À la fin de cette soirée, vu les tests effectués par José Ger el (photos ci dessous) et<br />

les extraits de la série “Rencontre avec un tueur ”, on sort avec la sensation d’un<br />

rendu d’image pouvant être un très bon compromis au 35 3 perfs . La solution pour<br />

toutes les fictions et les documentaires qui veulent se démarquer de l’image “télé”.<br />

Source Panavision<br />

Article rédigé par François Reumont<br />

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Créée en 2002 par Olivier Gastinel et le directeur de la photographie<br />

Arnaud Potier, la société Carlito (ex-Carlito Films) s'est imposée en<br />

quelques années dans le petit monde du court-métrage. Nonobstant la fragilité<br />

reconnue du marché, elle a choisi de produire en argentique, et principalement<br />

en 35mm, des films ambitieux qui sont aujourd'hui projetés dans les<br />

festivals du monde entier.<br />

A. : Produire des courts-métrages est rarement une voca tion. Comment avez-vous<br />

appris le métier ?<br />

Olivier Gastinel : Sur le tas et sans trop savoir où je mettais les pieds. Après avoir<br />

ouvert un restaurant à dix-huit ans, travaillé un temps dans l'immobilier et surtout,<br />

fait de la musique, je me suis retrouvé seul un jour face à une équipe de tourna ge<br />

sans chef-opéra teur (ce dernier était parti un peu "précipitamment" tourner une<br />

publicité). Par la force des choses,je me suis intéressé à tous les postes et j'ai questionné<br />

tout le monde. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé régisseur, directeur<br />

de production et même gardien de camion. C'est un grand souvenir.<br />

A. : Quelle est la définition qui convient le mieux à votre fonction de producteur ?<br />

O.G. : Ce qui me plaît, c'est d'être à la fois, mais pas totalement non plus, dans la<br />

vraie vie. La magie, c'est de mener un projet du début à la fin en accompagnant un<br />

réalisateur venu un jour vous raconter une histoire. Ma politique n'est pas celle du<br />

producteur-banquier. J'ai déjà perdu de l'argent sur des courts-métra ges, il m'est<br />

arrivé de devoir mettre la main à la poche pour finir un film, mais je considère que<br />

c'est aussi mon rôle. Il faut payer ses frais généraux, mais ce qui m'importe a vant<br />

tout, c'est de rêver.<br />

A. : Comment mobilise-t-on des techniciens et des acteurs sur le court-métra ge<br />

dont l'économie reste, toute proportion gardée, assez pauvre ?<br />

O.G. : On les intéresse au projet. En ce qui me concerne, j'insiste par exemple pour<br />

que tous les techniciens (y compris ceux qui ne sont a priori pas concernés par l'artistique),<br />

lisent le scénario. Le court-métrage reste pour tous une économie parallèle<br />

qui permet de découvrir le cinéma. La meilleure école, c'est le terrain. Produire<br />

un film qui ne coûterait pas cher juste pour ga gner un peu d'argent ne m'intéresse<br />

pas. Je voudrais insister sur le fait que sans les techniciens et les presta taires, les<br />

films ne se feraient pas. On ne les remercie jamais assez.<br />

18 <strong>actions</strong> <strong>31</strong><br />

A. : Chaque court-métrage prend-il nécessairement des allures de challenge ?<br />

O.G. : Un court-métra ge n'est pas un challenge, c'est une œuvre. L'exigence du<br />

court-métrage, c'est la plupart du temps de devoir travailler dans l'urgence et dans<br />

ce contexte, il est des réalisa teurs qu'il faut accompa gner plus que d'autres parce<br />

que c’est leur premier film, qu’ils ont un tempérament particulier ou tout simplement<br />

parce que le film est porteur de contraintes spécifiques.<br />

A. : Etes-vous un producteur interventionniste ?<br />

Olivier Gastinel<br />

O.G. : L'interventionnisme du producteur est souvent synonyme de frustration, c'est<br />

le propre de celui qui s'octroie le "final cut" parce qu'il n'ose pas franchir le pas de<br />

la réalisation. Ce n'est pas mon cas. Ce qui m'intéresse, c'est l'univers des gens qui<br />

viennent me voir. Je vais rarement sur les tournages, je n'ai pas envie d'assister aux<br />

engueulades, ni de voir les scènes ratées. Je ne veux pas casser mon rêve.Le débat<br />

d'idées avec le réalisateur, c'est autre chose.<br />

A. : Malgré un rythme de production assez soutenu, vous sentez-vous toujours dans<br />

la peau d'un artisan ?<br />

O.G. : Nous recevons près de 500 scenarii par an. Tous sont lus, même ceux - et ils<br />

sont nombreux - qui sont mal écrits ou sans intérêt.Nous n'avons aucune ligne éditoriale<br />

bien précise, c'est l'éclectisme qui nous caractérise. En 2007, nous avons<br />

produit près d'une dizaine de courts-métrages, une série de 26 fois 10 minutes pour<br />

la chaîne TPS, le clip de Ma thieu Chedid et Sean Lennon… mais je me sens toujours<br />

artisan, oui. Mon approche reste familiale, c'est ce qui explique par exemple<br />

que je travaille pratiquement toujours avec les mêmes techniciens.


A. : Pourquoi demeurez-vous attaché depuis toujours au support film et notamment<br />

au 35mm ?<br />

O.G. : Beaucoup de films se tournent "à l'arrache", en DV et entre potes, mais ce<br />

n'est pas ma politique. Le premier court-métrage que j'ai produit, "Courtes histoires<br />

de trains" méritait déjà d'être tourné en pellicule et en 35mm. Il s'agissait de<br />

l'adaptation d'une nouvelle de Nabokov qui se déroule dans les années 30 a vec<br />

Micheline Presle et Stanislas Merhar. Comme l'a très justement dit un jour Claude<br />

Berri, "on ne met pas du 40 si l'on chausse du 42 sous peine d'avoir mal aux pieds".<br />

Tous les films que nous avons produits à ce jour - sauf un - ont été tournés en pellicule.<br />

Cela correspond à notre culture cinématographique, mais fait aussi partie de<br />

la première demande des réalisateurs qui viennent nous voir.<br />

A. : Cela participe-t-il selon vous à la synergie qui est propre au court-métra ge ?<br />

O.G. : En 35mm, c'est vrai, les gens s'associent plus aisément aux projets. En<br />

16mm, leur motivation est déjà un peu moindre,en HD, elle l'est encore moins et en<br />

DV, il n'y en a carrément plus du tout. Que le producteur et le réalisateur défendent<br />

l'image argentique et le grain qu'elle génère, c'est une chose évidente pour moi,<br />

mais pourquoi des machinistes se flatteraient-ils de venir sur un projet en 35mm ?<br />

Pour eux, cela ne devrait rien changer et pourtant,c'est le cas.Je crois vraiment que<br />

le 35mm est un support gra tifiant pour tout le monde.<br />

A. : Quels sont vos goûts en ma tière de cinéma ?<br />

O.G. : Ils rejoignent ma politique de production, ils sont assez éc lectiques. Cela va<br />

du cinéma de Despleschin à celui de Michael Mann ou Clint Eastwood. Ce qui<br />

m'agace un peu, c'est le cinéma français qui se veut à tout prix intelligent, une attitude<br />

qui existe aussi dans le court-métrage. Pour faire un bon film, certains auteurs<br />

se croient parfois obligés de parler de choses extrèmement graves comme la maladie,<br />

la souffrance ou la perte d'un parent. Même si l'univers du court-métrage reste<br />

un terrain d'expérimentation, je ne partage pas cette approche.<br />

A. : Comment voyez-vous l'avenir de Carlito Films ?<br />

O.G. : J'ai envie de produire les films que j'aimerais voir en salles. Carlito Films est<br />

en passe de devenir "Carlito" a vec François Aunay comme nouvel associé. Nous<br />

développons trois films de longs-métra ges. "Farniente", le premier, devrait voir le<br />

jour fin 2008 (les deux autres seront un thriller et une comédie).Le secteur du courtmétrage<br />

est dorénavant dirigé par Michael Proença.<br />

A. : Comme producteur, quelle image aimeriez-vous conserver ?<br />

O.G. : Celle d'un homme impliqué et passionné, celle de quelqu'un qui aime vraiment<br />

le cinéma. Cela peut sembler bizarre, mais le meilleur moment pour moi, c'est<br />

quand la lumière s'éteint dans la salle juste a vant la projection d'un de nos films.<br />

L'attention des gens venus découvrir une œuvre sur laquelle nous a vons travaillé<br />

une année est ma récompense, c'est un moment magique.<br />

Propos recueillis par Dominique Maillet.<br />

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Defiance<br />

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le pari du directeur de la photographie<br />

Eduardo Serra, AFC, ASC.<br />

Deux années a près leur première collabora tion en Afrique du Sud et au Mozambique (" Blood diamond"), le directeur<br />

de la photographie Eduardo Serra, AFC, ASC ("Unbreakable", "La jeune fille à la perle") retrouve le réalisateur<br />

Edward Zwick ("Le dernier samouraï", "Légendes d'automne") pour une histoire qui traite de la Résistance en<br />

Biélorussie durant la seconde guerre mondiale.<br />

Quatre frères juifs polonais, les Bielski - dont l'aîné, Tuvia, est interprété par Daniel Craig - ont fui la ville de<br />

Navahrudak devenue un ghetto sous occupa tion allemande pour se réfugier dans les forêts a voisinantes.<br />

Progressivement rejoints par une communauté juive de plus en plus nombreuse, ils finiront par constituer une poche<br />

de résistance.<br />

Au côté de Daniel Craig (" Casino Royale", "Quantum of Solace "), deux autres frères Bielski sont interprétés par<br />

Liev Schreiber ("The Omen") et Jamie Bell ("Billy Elliot", "Flags of our fathers").<br />

"C'est une histoire vraie, explique le directeur<br />

de la photogra phie Eduardo Serra, qui<br />

m'a énormément surpris car je ne connaissais<br />

pas cet épisode de l'Histoire contemporaine.<br />

Dans les années 40, la Biélorussie<br />

regroupait des zones à faible densité de<br />

population difficiles à contrôler . Quand on<br />

dit que les Allemands occupaient la région,<br />

cela ne veut pas dire qu'ils étaient partout<br />

comme en France ou ailleurs en Europe de<br />

l'Ouest. Sur le terrain, ils ne pouvaient pas<br />

contrôler en permanence ces immenses<br />

étendues de forêt. Ce que le film raconte,ce<br />

sont les conditions dans lesquelles le<br />

groupe Bielski s'est constitué et comment il<br />

s'est ra pidement développé à grande<br />

échelle. C'est un groupe qui a comba ttu<br />

pendant trois années, on est loin du récit<br />

d'une petite aventure individuelle".<br />

Pour un chef-opéra teur, la question est<br />

récurrente : entre ima ges documentaire et<br />

images de fiction et a près des cinéastes<br />

comme Steven Spielberg ou Clint Eastwood,<br />

quelle ima ge peut encore rendre compte<br />

aujourd'hui de la guerre ?


"Dès<br />

le départ, je ne trouvais<br />

pas judicieux de viser un traitement "normal"<br />

de l'image pour traiter d'une histoire qui s'est réellement produite<br />

et parler de gens qui ont réellement existé , analyse Eduardo Serra. Il fallait conserver<br />

à cette histoire sa part de réalité, il n'était pas question ici de simple fiction. Je<br />

me suis donc beaucoup interrogé. Avec le DI, je pouvais bien entendu pousser les<br />

noirs et désaturer les couleurs, mais cela me paraissait trop simple, trop évident et<br />

en quelque sorte trop facile. J'avais à cœur d'éviter l'aspect trop mécanique de la<br />

technologie moderne.Alors, j'ai regardé beaucoup de documents d'archives et aussi<br />

la façon dont les situa tions de l'époque étaient rendues par le procédé Sovcolor<br />

qu'utilisaient les Russes.<br />

Ils ne travaillaient évidemment pas avec la <strong>Kodak</strong>,<br />

mais avec un dérivé de l'Agfacolor qui produisait un rendu<br />

de couleurs assez différent du nôtre, lequel tirait souvent sur le rose.<br />

Cela ne m'a pas paru la bonne solution. Alors, pour toutes les situa tions de<br />

guerre, j'ai eu l'idée de revenir vers la pellicule la plus dure et la plus ancienne<br />

existant chez K odak, la Vision 500T 5279. Pour certaines scènes d'action, il<br />

m'était déjà arrivé de l'utiliser, mais jamais comme la principale pellicule d'un film.<br />

C'est une pellicule très contraste que j'ai prise en extérieurs en la poussant de deux<br />

diaphs au développement et sans le filtre 85. Au lieu de contrôler mon ima ge et de<br />

la finaliser au DI, j'ai ainsi choisi de la “tordre” et de la plonger volontairement dans<br />

des configurations où elle ne pourrait pas se comporter normalement. J'ai sciemment<br />

décidé de provoquer des anomalies dans son rendu.Avec Edward Zwick, nous<br />

avons été tellement contents des premières scènes ainsi tournées que finalement,<br />

je l'ai utilisée beaucoup plus que prévu. Ni pour les hommes, ni pour les femmes, il<br />

n'y a non plus de maquilla ge dans le film. Au final, le rendu est assez difficile à<br />

décrire, il y a du grain et du contraste a vec des couleurs qui ont parfois des comportements<br />

étranges (les courbes ne sont pas tout à fait parallèles).Elles sont d'une<br />

grande beauté, mais définitivement non équilibrées. Techniquement, ce n'est pas<br />

parfait, il y a à la fois un peu de désa turation et du contraste a vec une ima ge qui<br />

bascule parfois dans le bleu. Ce "déséquilibre" nous a énormément plu, le résultat<br />

surprend ".<br />

“j’avais à cœur d’éviter l’aspect<br />

trop mécanique de la technologie moderne”<br />

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Choisir de ne pas maîtriser totalement son ima ge pour rendre compte du quotidien<br />

de personnages dont le destin est lui-même incertain prend forcément des allures<br />

de pari audacieux et a typique pour un directeur de la photogra phie maintes fois<br />

primé de par le monde et déjà deux fois nominé aux Oscar pour " Les ailes de la<br />

colombe" en 1998 et "La jeune fille à la perle" en 2004. C'est aussi un enjeu totalement<br />

assumé par son auteur.<br />

"Ma démarche d'aujourd'hui ne surgit pas de nulle part. Dans "Blood diamond",<br />

j'avais commencé à me diriger vers ce procédé, mais seulement dans des scènes<br />

de guerre avec un montage rapide alors que dans "Defiance", le cœur de l'histoire<br />

est filmé ainsi". Pour aller aussi loin dans une démarche de ce type, il faut bien<br />

entendu la complicité et le soutien absolu du réalisa teur avec lequel on tra vaille.<br />

"Avec maintenant deux films à notre actif, Edward Zwick et moi-même nous<br />

connaissons bien. C'est quelqu'un d'extrèmement c lair dans ses demandes et qui<br />

sait écouter. Il n'y a ni ambiguïté, ni hésitation dans ses choix. Il a une vision globale<br />

de son travail et fait en sorte que chacun aille dans son sens. C'est un très grand<br />

chef d'orchestre".<br />

Dans une configuration visuelle aussi spécifique, la caméra peut-elle demeurer en<br />

reste ? Doit-elle se contenter d'enregistrer les images ? "Il faut lui accorder comme<br />

à l'ima ge sa part d'imprévu , confirme le directeur de la photogra phie Eduardo<br />

Serra. En nous inspirant du travail des reporters de guerre,il s'agissait en l'occurrence<br />

d'empêcher la caméra de tout contrôler dans les moindres<br />

détails sans la faire spécialement bouger pour faire chic ou moderne.<br />

Dans la vraie vie,un reporter essaiera toujours de filmer la scène le mieux<br />

possible, mais il ne pourra pas y par venir. Nous nous sommes comportés<br />

de la même manière en nous forçant à placer la caméra dans des positions<br />

inconfortables - sur un sac de sable plutôt que sur une tête normale<br />

par exemple - pour rendre impossible la perfection technique qui ne<br />

nous paraissait pas appropriée. Pour éviter à la caméra toute forme de<br />

confort, nous n'a vons par exemple jamais utilisé de Steadicam. Le<br />

cahier des charges des cadreurs était de faire de leur mieux en s'interdisant<br />

les outils leur permettant de le faire. En encadrant leur travail, nous<br />

avons ouvert une seconde porte à l'imprévu ".<br />

22 <strong>actions</strong> <strong>31</strong><br />

Le directeur de la photographie Eduardo Serra, AFC, ASC.<br />

Donniez-vous personnellement le ton en prenant les commandes d'une caméra ?<br />

"Non, je cadre rarement. Dans la gamme de films que je tourne le plus souvent, je<br />

le ressens comme une perte de temps.Beaucoup de mes confrères font leur lumière<br />

en étant à l'œilleton, moi pas du tout. Peut-être parce qu'assistant sur tellement de<br />

films par le passé, j'ai pris l'habitude de regarder les choses à côté de la caméra.<br />

Mais il n'y a pas de règle, chacun a sa manière".<br />

L'essentiel du film se déroule en forêt. Lorsque le printemps fait son a pparition ou<br />

pour les intérieurs en ville, c'est à la <strong>Kodak</strong> Vision2 500T 5218 qu'Eduardo Serra a<br />

laissé le soin de faire exister une ima ge plus "propre" face à la 5279 un peu<br />

charbonneuse. "Pour choisir une pellicule plutôt qu'une autre ,<br />

poursuit-il, il m'importe de disposer d'une palette très large<br />

et c'est ce que m'offre la gamme K odak. "Defiance"<br />

n'est pas seulement un film de guerre, c'est aussi la<br />

découverte d'un microcosme avec ses conflits internes<br />

et ses luttes de pouvoir".<br />

“Dans la vraie vie,<br />

un reporter essaiera<br />

toujours de filmer<br />

la scène le mieux<br />

possible, mais il ne<br />

pourra pas y parvenir”


Comme dans " Blood diamond ", la<br />

nature joue ici un rôle considérable. "En<br />

Afrique du Sud, sa dimension et sa<br />

présence étaient extraordinaires, se souvient<br />

Eduardo Serra, elle était envahissante,<br />

désordonnée et omniprésente.<br />

Dès que vous tourniez le dos, quelque<br />

chose se mettait à pousser . En<br />

Biélorussie, (comme en Lituanie,où nous<br />

avons tourné) c'est un peu le contraire.<br />

Dans le film, la forêt est divisée en deux<br />

grands décors a vec d'un côté ses bouleaux<br />

et leur verticalité, de l'autre, ses<br />

pins et leur aspect touffu. Ce qu'il était<br />

important de faire ressentir , c'était le<br />

passage des saisons et du temps en utilisant<br />

entre autres les abris à demi<br />

enterrés dans les collines que les résistants<br />

construisaient et qu'il fallait modifier<br />

au fur et à mesure de leur progression.<br />

Comme l'hiver se situe au milieu du<br />

récit, on utilise également dans le film de<br />

la vraie et de la fausse neige. La neige<br />

"installée" n'est pas compliquée à travailler,<br />

ce qui est délicat, c'est celle qui<br />

tombe".<br />

Tourné d'Août à Novembre 2007 a vec<br />

des caméras Arriflex équipées d'objectifs<br />

Master Primes et de zooms<br />

Angénieux Optimo, "Defiance" a été<br />

filmé en forma t 1.85 normal. "Nous<br />

n'avons pas choisi de tra vailler en<br />

scope, explique Eduardo Serra, pour<br />

éviter de "tailler" les arbres et profiter<br />

au maximum de la forêt. C'est aussi un<br />

film sur lequel j'ai utilisé très peu de<br />

lumière. Les projecteurs étaient principalement<br />

des K5600 qui ont une plage<br />

très large et que j'utilisais en réflection<br />

ou derrière de grandes toiles près ou<br />

dans l'axe de la caméra. Mon souci<br />

principal était de contrôler - voire de<br />

couper - le soleil. Heureusement, nous<br />

avions avec nous une partie de l'équipe<br />

sud-africaine qui a vait tra vaillé sur<br />

"Blood diamond ". Ce sont des machinistes<br />

formidables habitués à tra vailler<br />

en forêt et qui installaient les toiles<br />

gigantesques dont je me servais comme<br />

d'immenses rideaux".<br />

Reste que les nuits en forêt demeurent<br />

un véritable casse-tête pour tous les<br />

directeurs de la photogra phie qui cherchent<br />

à éviter le traditionnel contre-jour<br />

bleuté ! " Je n'ai pas de solution, c'est<br />

sans issue , avoue Eduardo Serra. La<br />

meilleure piste est sans doute ce qu'a<br />

réussi Emmanuel Lubezki dans<br />

"Children of Men ", mais en forêt, cela<br />

ne marche pas. Pour moi et pour l'instant,<br />

c'est encore une configura tion<br />

insoluble. Comme il faut nénamoins<br />

éclairer, j'ai opté sur " Defiance" pour<br />

des ballons à hélium tout en espérant<br />

que le DI pourra m'aider à améliorer les<br />

choses. Dans "Blood diamond", c'était<br />

pire, les acteurs étaient la plupart du<br />

temps dissimulés derrière les feuillages.<br />

Je me souviens que pour l'aire de la<br />

mine, le producteur avait imaginé un<br />

éclairage à base de Musco light alors<br />

que j'ai utilisé cinq P ARS et quelques<br />

praticals, ce qui n'est évidemment pas la<br />

même chose. Outre-atlantique, il faut<br />

être absolument certain de ce que l'on<br />

fait. En ce qui me concerne, j'ai d'autant<br />

moins droit à l'erreur que mes recherches<br />

et ma manière de fonctionner sont<br />

assez différents du standard américain.<br />

Il faut aussi savoir résister aux pressions<br />

qui peuvent être nombreuses".<br />

Avec autant de récompenses et de collaborations<br />

prestigieuses à son palmarès,<br />

quelle significa tion Eduardo Serra<br />

accorde-t-il aujourd'hui encore au mot<br />

"carrière" ? "Il faut espérer que quelques-uns<br />

des films seront vus et aimés<br />

dans longtemps, mais à chaque fois, il<br />

faut repartir de zéro…", conclut-il.<br />

Propos recueillis par Dominique Maillet.<br />

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