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PARTITIONS URBAINES - Artishoc

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l’indisciplinaire<br />

des arts vivants<br />

cahier special<br />

<strong>PARTITIONS</strong><br />

<strong>URBAINES</strong><br />

COMPOSER AVEC LA VILLE<br />

CAHIER SPÉCIAL CORÉALISÉ AVEC LIEUX PUBLICS -<br />

CENTRE NATIONAL DE CRÉATION DES ARTS DE LA RUE


En couverture : Photo : Peter Coffin, (Free Jazz Mobile), 2007. Photo : Anthony Bonnin/Le Confort Moderne.<br />

CAHIER SPÉCIAL / mouvement n° 44 (juillet septembre 2007). Réalisé en coédition avec LIEUX PUBLICS, CENTRE NATIONAL DE CREATION DES ARTS DE LA RUE, avec l’aide de la SACEM. Coordination : Jean-Marc Adolphe. Conception<br />

graphique : Jean-Michel Diaz, Mytil Ducomet/Chevalvert. Edition : Julie Broudeur, Benoît Laudier, David Sanson. Partenariats/publicité : Cyril Musy. Ont participé : Jean-Marc Adolphe, Julie Bordenave, Julie Broudeur, Camile Guynemer, Fred<br />

Kahn, Anne-Laure Lemancel, Stéphane Malfettes, Jean-Philippe Renoult, David Sanson.<br />

Mouvement, l’indisciplinaire des arts vivants / 6, rue Desargues / 75011 Paris / Tél. 01 43 14 73 70 / Fax 01 43 14 69 39 : www.mouvement.net<br />

Mouvement est édité par les éditions du Mouvement, SARL de presse au capital de 4 200 €, ISSN 12526967 - Directeur de publication : Jean-Marc Adolphe. © mouvement, 2007.<br />

Tous droits de reproduction réservés. Cahier spécial Mouvement n° 44. NE PEUT ETRE VENDU.<br />

QUAND LES OREILLES<br />

PRENNENT L’AIR<br />

EDITO Sous nos latitudes, depuis quelques siècles déjà, les affamés de<br />

musique ont inventé des espaces vierges de tous bruits extérieurs, des<br />

lieux dont l’acoustique est à la fois suffisamment réverbérante pour<br />

amplifier le message musical, mais pas trop, afin qu’il reste intelligible.<br />

Opéras, auditoriums, salles de concert, tout est fait pour dégager<br />

la musique de ses obligations militaires, religieuses ou sociales, et<br />

pour la donner à entendre pour elle-même. Et, révolution du siècle<br />

dernier, la reproduction mécanique a mis la musique à la portée de<br />

toutes les oreilles. Enfin, elle peut accéder au statut d’« art pour l’art ».<br />

Mais depuis quelques dizaines d’années, du renouveau actuel des<br />

fanfares aux installations sonores en milieu urbain, des concerts déambulatoires<br />

aux ingénieux « bricophonistes », certains inventeurs de musique<br />

conçoivent des œuvres pour l’espace public. Ils se nourrissent des<br />

bruits ambiants, leur répondent ou les embrigadent comme nouveaux<br />

instruments. Ils font entendre les couleurs sonores de la ville, en tirent<br />

des timbres inexplorés. Ils jouent avec l’espace comme paramètre<br />

supplémentaire de l’œuvre. Ils renouent avec les fonctions de lien<br />

social qui donnaient aux orphéons d’antan des saveurs singulières. Ils<br />

écoutent les musiques mi-savantes mi-populaires jouées dans les rues<br />

des pays pauvres de la planète.<br />

Peut-être reviennent-ils tout simplement à l’étymologie du mot<br />

« composer ». Le compositeur, avant d’être un auteur, un inventeur,<br />

c’est celui qui « fait avec », qui se débrouille avec les contraintes, et<br />

qui, confronté à un contexte, saura en faire surgir le matériau musical<br />

et sonore pertinent.<br />

Pour Lieux publics, dirigé par un compositeur, et en partenariat avec<br />

la Sacem, le sujet est au cœur même de sa spécificité artistique.<br />

Et Mouvement est depuis toujours attentif aux nouveaux courants<br />

musicaux qui s’affranchissent des querelles de chapelles.<br />

Après avoir exploré les nouvelles écritures urbaines, la question de la<br />

gratuité, les repérages urbains et l’échelle européenne, Lieux publics<br />

et Mouvement se retrouvent pour donner un coup de projecteur sur ces<br />

nouvelles écritures musicales dédiées à la ville, pour explorer un des<br />

mouvements artistiques les plus novateurs de cette décennie.<br />

Jean-Marc Adolphe / Pierre Sauvageot<br />

(Jean-Marc Adolphe est corédacteur en chef de Mouvement.<br />

Pierre Sauvageot est compositeur, directeur de Lieux<br />

publics, Centre national de création des arts de la rue)


Festival des fanfares, Montpellier, 2005. Photo : David O.<br />

L’ART DES FANFARES<br />

« Du bruit, du mouvement, voilà ce que réclament les populations. »<br />

Revue La France Chorale, 1863<br />

C’est un fait, les fanfares font fureur. Depuis plus de 200 ans<br />

elles défient les règles du bon goût, aiguillonnées par une ferveur<br />

inaltérable. De multiples initiatives témoignent aujourd’hui<br />

de la vivacité de ces traditions populaires qui s’accordent à nos<br />

sensibilités contemporaines.<br />

UN GRAND BRASSAGE D’INFLUENCES<br />

Parlez fanfares, évoquez les orchestres d’harmonie,<br />

prononcez les termes brass band entre gens cultivés et<br />

il vous reviendra une kyrielle d’expressions aussi enthousiastes<br />

que convenues : « liens intergénérationnels exemplaires<br />

», « ambiance bon enfant », « célébration de la joie<br />

de vivre », « comme dans les films de Kusturica », « vous<br />

avez vu Les Virtuoses ? », « l’esprit du carnaval », « j’ai une<br />

nièce majorette »... Autant de formules qui trahiront<br />

quelques approximations concernant les traits définitoires<br />

du genre et un manque de discernement à l’égard des<br />

différentes traditions qui le composent. Il faut dire que l’art<br />

des fanfares a connu, aux quatre coins du monde, une<br />

forte diversification de ses formes et de ses ambitions<br />

esthétiques. Même si les cuivres constituent toujours leur<br />

marque unmistakable, les familles instrumentales mobilisées<br />

font preuve d’une déconcertante flexibilité (voir le<br />

lexique). Autre signe distinctif fort, le costume explore tous<br />

les registres disponibles, de l’uniforme d’inspiration Garde<br />

républicaine, avec médaille et bannière, au patchwork<br />

Grand-Guignol. Les modes d’intervention dans l’espace<br />

public sont quant à eux plus ou moins orthodoxes, qu’il<br />

s’agisse d’un ensemble fixe dans un kiosque, d’une parade<br />

équestre collet monté, d’une retraite aux flambeaux<br />

décatie, d’un marching band survolté, d’un défilé sous un<br />

préau ou d’une bousculade débraillée sur un parquet de<br />

bal. Ce n’est pas non plus l’étude des répertoires musicaux<br />

qui permettra de faire advenir un semblant d’unité, tant le<br />

spectre est large entre les œuvres pour cuivres de compositeurs<br />

prestigieux (Gounod, Berlioz, Milhaud, Roussel,<br />

Koechlin), les pièces de l’époque révolutionnaire (Méhul,<br />

Gossec), les grandes musiques militaires (Saint-Saëns),<br />

les transcriptions d’airs célèbres d’opéra (Verdi) ou de<br />

mouvements symphoniques (Ravel), les musiques de<br />

film (les hymnes de John Williams pour Star Wars), les<br />

détournements de standards funk ou jazzy (big bands de la<br />

Nouvelle-Orléans), les tubes de pop music (de ABBA à<br />

ZZ Top), les trames musicales régionalistes (espagnolades,<br />

viennoiseries, musiques tropicales et autres polkas). Les<br />

musiques du monde contribuent activement à l’étoilement<br />

de ses multiples influences : fanfares du Radjasthan<br />

(Jaipur Kawa Brass Band), des Balkans (Fanfare Ciocarlia),<br />

d’Afrique (Gangbe Brass Band), d’Amérique latine (La<br />

Banda de Santiago de Cuba). Le documentaire Cuivres<br />

débridés à la recherche du swing (1993) de Johan van der<br />

Keuken propose à lui seul un foisonnant tour d’horizon, du<br />

Népal à l’Indonésie en passant par le Surinam et le Ghana.<br />

Ne serait-ce qu’en France, la typologie des sociétés musicales<br />

est également radicalement hétéroclite : formations<br />

officielles (gardiens de la paix, sapeurs-pompiers), fanfares<br />

de chasseurs, fanfares post-universitaires et des beauxarts<br />

(tendance potache), harmonies municipales et<br />

associatives. Nés dans l’euphorie républicaine du XIX e<br />

siècle, les orchestres d’harmonie perpétuent un modèle<br />

historique hérité des « orphéons », terme tombé en désuétude<br />

qui désigne une chorale ou un ensemble instrumental<br />

qui emprunte ses manières musicales à l’élite<br />

(l’orchestre symphonique) en les simplifiant pour les<br />

mettre à la portée de tous dans des espaces autres que<br />

des salles de concerts.<br />

UNE DÉMOCRATISATION<br />

CULTURELLE AVANT L’HEURE<br />

Les dates sont des points de repère indispensables dans<br />

le déroulement de l’histoire de l’art et il est admis de<br />

choisir la Révolution comme point de départ officiel de la<br />

tradition des harmonies et fanfares. L’origine de ces<br />

sociétés instrumentales populaires est éminemment<br />

martiale. Dès 1764, les gardes françaises avaient pris<br />

l’habitude de se déplacer flanquées d’un orchestre dont<br />

le rôle était de mettre en musique les rendez-vous protocolaires<br />

: présentation du drapeau, défilés et autres<br />

convois de dignitaires. La puissance de galvanisation des<br />

musiques régimentaires sur le moral des troupes a rapidement<br />

été mise au service de l’élan révolutionnaire des<br />

citoyens. Dans la rue, les jardins et sur les places<br />

publiques, les orchestres ont scandé à qui mieux mieux<br />

les grandes étapes de la Révolution, fussent-elles funestes<br />

ou festives. « Point de République sans fêtes nationales,<br />

pas de fêtes nationales sans musique », selon le credo<br />

du fondateur, en 1792, de l’Institut national de musique<br />

(ancêtre du Conservatoire).


Jeremy Deller, History of the World, 1996, collection du Frac Nord-Pas-de-Calais. Photo : D. R.<br />

Armés de l’idée que la musique n’est pas condamnée à être le passe-temps des oisifs et<br />

le délassement des aristocrates, quelques philanthropes ont encouragé, à la fin du XVIII e ,<br />

la formation des premières sociétés musicales civiles, dites orphéoniques. Cette Nuit du<br />

4 août musicale permet ainsi de sortir la musique des salles de concert, des églises et<br />

des salons privés. Comme le résume Philippe Gumplowicz, auteur d’un ouvrage sur les<br />

orphéons qui fait désormais référence : « L’idée qui émerge ici est le fruit mêlé des<br />

Lumières (version Schiller “l’éducation esthétique de l’homme”), des fêtes de la<br />

Révolution, des incantations romantiques sur “le peuple” et de l’idéologie saint-simonienne.<br />

» (1) Parallèlement, les facteurs d’instruments à vent amplifient l’échelle sonore des<br />

cuivres en faisant évoluer tubes, pistons et pavillons pour mieux affronter le plein air.<br />

A partir des années 1850, cette conquête de l’espace public est relayée par l’émergence<br />

des kiosques à musique avec lesquels l’art des jardins consacre un vaste mouvement<br />

de démocratisation de la musique. La musique va à la rencontre du peuple dans ses lieux<br />

de sociabilité et de détente.<br />

Cette mission éducative est aussi menée en direction des musiciens amateurs. Les<br />

harmonies déclenchent des vocations en favorisant l’accès à des formes artistiques plus<br />

consacrées. « La “carrière” des souffleurs est étroitement liée au monde amateur et aux<br />

formes musicales populaires. Quelqu’un comme Maurice André a découvert la trompette<br />

au sein des bandas qui animent les corridas dans le sud de la France. Il fait partie de ces<br />

générations spontanées de musiciens. » La propédeutique qu’il décrit, Guy Dangain en est<br />

lui-même un parfait exemple, ayant découvert la clarinette dans les rangs de l’Harmonie<br />

de Nœux-les-Mines (Pas-de-Calais) avant de rejoindre ceux de l’Orchestre national de<br />

France. Juste retour des choses, il est désormais président du conseil national artistique<br />

de la Confédération musicale de France, qui compte 700 000 musiciens amateurs.<br />

Des parcours similaires sont repérables dans d’autres univers musicaux, tels le jazz ou<br />

la musique contemporaine. Il faut en effet se rappeler que des grands noms comme<br />

Sidney Bechet ou Louis Armstrong ont fait leur apprentissage en défilant dans la rue avec<br />

des brass bands. Le compositeur et metteur en scène allemand Heiner Goebbels n’a-t-il<br />

pas, quant à lui, embrassé une carrière musicale en fondant au milieu des années 1970<br />

une fanfare d’agit-prop au nom aussi imprononçable (Sogenanntes Linksradikales<br />

Blasorchester) qu’intraduisible (« orchestre de cuivres soi-disant d’extrême gauche ») ?<br />

L’HARMONIEUX TÉLESCOPAGE DU SAVANT ET DU POPULAIRE<br />

Il ne manque pas d’esprits supérieurs pour stigmatiser les prodromes de la soumission de<br />

l’Art à l’idéologie de l’entertainment, et le commerce qu’entretiennent les orchestres<br />

d’harmonie avec la « grande musique » peut prêter le flanc à de tels jugements. Comme<br />

le simili par rapport au cuir ou le mousseux par rapport au champagne, ils ne proposeraient<br />

finalement que des substituts au rabais de formes plus élevées. La vérité est que<br />

l’art des fanfares a toujours lié son sort à d’autres pratiques artistiques : musique savante,<br />

opéra, danse, théâtre, etc. Les musiciens y puisent de nouvelles ressources expressives<br />

sans se soucier de la distinction entre haute culture et ce<br />

qui, selon les contextes, est qualifié d’art populaire, de<br />

culture de masse, de formes mineures, de pur divertissement.<br />

En ce début de XXI e siècle, un souffle de renouveau<br />

vient notamment des musiques actuelles, avec Youngblood<br />

Brass Band, Soul Rebels ou Pinettes Brass Band,<br />

groupes américains champions des fusions inventives avec<br />

le funk et le hip-hop. En Europe, les Allemands de Mardi<br />

Gras Brass Band slaloment allègrement entre blues, soul,<br />

funk et rock pendant que l’Autrichien Werner Puntigam<br />

s’essaie à l’électro-fanfare avec son Rave Orchestra.<br />

La rencontre la plus fameuse entre fanfare et musique<br />

techno s’est accomplie il y a dix ans à la faveur d’un projet<br />

de Jeremy Deller, artiste britannique qui jouit de l’estime<br />

générale du monde de l’art grâce à l’œuvre originale et<br />

cohérente qu’il élabore à partir des paradigmes de la<br />

culture populaire (voir Mouvement n° 43). Son intérêt pour<br />

les modes de représentation produits par les groupes sociaux<br />

« dominés » l’a conduit à faire interpréter des transcriptions<br />

de « standards » de la house music (808 State, Kevin<br />

Saunderson, KLF) par la fanfare d’une cité ouvrière de<br />

Manchester, The Williams Fairey Brass Band. Sous le nom<br />

d’Acid Brass, cette formation amateur a enregistré un<br />

album puis enchaîné les concerts dans les festivals les<br />

plus en vue (Transmusicales de Rennes, Festival de<br />

Reading). La mise en relation des composantes sociales<br />

et musicales de l’univers des fanfares et de celui de l’acid<br />

house a ainsi donné lieu à une œuvre sur « tableau noir »<br />

que Jeremy Deller a intitulée The History of the World.<br />

De telles confrontations avec la création artistique pluridisciplinaire<br />

sont de nature à renouveler le périmètre d’action<br />

des fanfares en leur offrant des perspectives d’émancipation.<br />

Il n’est ainsi plus rare désormais qu’elles fassent<br />

irruption sur une scène de théâtre. En 1994, le comédien<br />

Jean-Pierre Bodin a créé, avec la complicité de François<br />

Chattot, un spectacle au succès retentissant, Le Banquet<br />

de la Sainte-Cécile, dont le protagoniste n’est autre qu’une<br />

harmonie. En 2004, Jean-Louis Hourdin et la Fanfare du<br />

Loup se sont associés pour créer au théâtre Saint-Gervais<br />

de Genève Le Tribun, 10 marches et 9 contretemps pour<br />

manquer la victoire de Mauricio Kagel (œuvre écrite et<br />

composée en 1978). En Bretagne, la fanfare Zébaliz est<br />

devenue un partenaire artistique régulier des spectacles<br />

programmés par Le Quartz, scène nationale de Brest. En<br />

quelques années, ses musiciens ont eu l’occasion de<br />

participer à La Folle journée ou le mariage de Figaro de<br />

Jean-François Sivadier (2000), Urlo de l’Italien Pippo<br />

Delbono (2006), des concerts de Pascal Comelade (2006<br />

et 2007) et A Situation for Dancing de la performeuse<br />

canadienne Antonija Livingstone, invitée du festival<br />

Antipodes (2006). Ce dernier exemple rappelle, s’il en<br />

était besoin, que l’art des fanfares peut collaborer aux<br />

aventures scéniques les plus contemporaines, au croisement<br />

de la danse et des arts plastiques.


LA BANDE-SON DE LA CITÉ<br />

Compendium de toutes les musiques festives, les harmonies et fanfares ont néanmoins<br />

toujours été profondément liées au monde du travail et à l’encadrement des masses<br />

laborieuses exercé par les employeurs. Synonymes de divertissement et de culture pour<br />

l’ouvrier, les sociétés musicales riment, pour l’entreprise, avec paix et cohésion sociales.<br />

Ce n’est pas un hasard si 700 des 3 000 harmonies recensées aujourd’hui en France sont<br />

en activité dans le Nord-Pas-de-Calais, territoire marqué par un lourd passé industriel.<br />

Jusqu’à leur fermeture récente, chaque puits de mine et chaque usine de textile de la<br />

région possédait son harmonie. Entre terrils, chevalements et corons, elles exprimaient<br />

au cœur des cités minières la joie de se réunir autour d’une même passion musicale ;<br />

elles préservent désormais un lien social mis à mal par une reconversion économique<br />

douloureuse. Dans le bassin minier comme partout ailleurs, la musique est une manifestation<br />

du désir d’échapper à la solitude.<br />

Sans pour autant faire l’éloge de l’incompétence, l’art des fanfares ne s’encombre pas<br />

des artifices de la virtuosité individuelle. Musiciens du dimanche aux capacités parfois<br />

limitées, tous accèdent à une forme de réalisation artistique dans une expérience hautement<br />

collective. Forgée en fonction des propriétés perceptives de la rue, qui demeure sa<br />

scène privilégiée, la musique des fanfares mise sur l’effet de groupe. Dans cette perspective,<br />

cacophonie et excès sonores ne sont pas considérés comme des tares, bien au<br />

contraire. Sans dissiper les énergies des uns et des autres dans la routine de répertoires<br />

étriqués, les développements musicaux se limitent néanmoins à quelques motifs simples<br />

pour s’adonner au plaisir de la répétition. Des déflagrations de sons fantasques et<br />

imprévisibles viennent renforcer le caractère catatonique et enfiévré des interprétations.<br />

Seuls les stimuli somatiques semblent importer. Pour évoquer une qualité que John<br />

Lennon attribuait au rock, la musique de fanfare « vous atteint sans passer par le<br />

cerveau ». Pyrotechnie sonore et démesure rythmique contribuent à la puissance cathartique<br />

de l’ensemble. D’une certaine manière, l’art des fanfares consiste à s’exagérer pour<br />

réactiver le substrat dionysiaque de la vie. Le plaisir de jouer ensemble va d’ailleurs de<br />

pair avec celui de boire, de manger, de voyager et de se rassembler en grand nombre dans<br />

l’espace public. Toutes les occasions sont bonnes pour organiser des événements musicaux<br />

qui succombent parfois au gigantisme. Depuis le XIX e siècle, il existe en effet une<br />

tradition de rassemblements orphéoniques aux proportions pharaoniques : l’ouverture de<br />

l’Exposition universelle de 1878 a par exemple réuni 18 000 musiciens dans les jardins<br />

des Tuileries. Des célébrations plus récentes, comme celles qui ont marqué le passage à<br />

l’an 2000, ont donné lieu à des concerts hyperboliques. A Poitier, l’ensemble Ars Nova<br />

dirigé par Philippe Nahon a interprété, avec plusieurs centaines d’instrumentistes d’harmonies<br />

de la région Poitou-Charentes, Accordo ou mille musiciens pour la paix de Luciano<br />

Berio, ainsi qu’une création d’Andy Elmer, Pas de 2000 mesures.<br />

Pleinement intégrées dans la vie de la cité, les harmonies et fanfares ne cessent de<br />

régénérer l’idéal d’une musique faite par tous et pour tous. Au moment où chacun appelle<br />

de ses vœux un décloisonnement entre pratiques amateur et professionnelle, une réorganisation<br />

de l’éducation artistique et de nouvelles formes de participation des publics,<br />

l’art des fanfares mérite un peu plus qu’une bienveillante attention.<br />

Stéphane Malfettes<br />

1. Philippe Gumplowicz, Les Travaux d’Orphée. 150 ans de vie musicale amateur<br />

en France. Harmonies, chorales, fanfares, Aubier, 1987.<br />

Stéphane Malfettes est programmateur à l’Auditorium du Louvre et chargé de la<br />

préfiguration de « la Scène », auditorium du Louvre-Lens (ouverture en 2010). Dans<br />

ce cadre, il organise « En fanfare aux Tuileries ! » (15 et 16 septembre 2007), événement<br />

qui fera dialoguer tradition des fanfares et création artistique, avec notamment<br />

de grandes parades constituées de 300 musiciens issus d’harmonies du bassin minier<br />

(mise en scène d’Oskar Gómez Mata) et des œuvres contemporaines (de Pascal Dusapin,<br />

Marc Monnet, etc.) pour ensembles de cuivres interprétées par l’ensemble Ars Nova.<br />

Auteur de plusieurs articles sur les relations entre création contemporaine et culture<br />

populaire, il a publié en 2000 un essai intitulé Les Mots distordus. Ce que les musiques<br />

actuelles font de la littérature (éditions M. Seteun/IRMA).<br />

LEXIQUE<br />

Orchestre d’harmonie (ou tout simplement<br />

Harmonie) : Ensemble musical le plus complet de la palette<br />

orphéonique, regroupant les instruments dits de « petite<br />

harmonie » de l’orchestre symphonique (flûte, hautbois, basson),<br />

les instruments à anches (clarinette, saxophone), les cuivres clairs<br />

(trompette, cornet à pistons, clairon), les saxhorns (bugle,<br />

alto, baryton, basse) et les percussions (tambour,<br />

caisse claire, cymbales).<br />

Orchestre de fanfare (ou tout simplement<br />

Fanfare) : Groupe de vingt à soixante musiciens dont<br />

les instruments sont des cuivres clairs, des saxhorns et<br />

des percussions, auxquels peuvent s’ajouter quelques bois.<br />

Batterie-Fanfare : Ensemble qui s’en tient à l’héritage<br />

des instruments d’ordonnance et de vénerie : instruments dits<br />

« naturels » (sans piston, clef ou coulisse), comme les clairons,<br />

les trompettes de cavalerie, les cors de chasse et les tambours.<br />

Brass band : Un orchestre est dit brass band lorsqu’il est<br />

composé uniquement d’instruments de la famille des cuivres,<br />

ainsi que de percussions.<br />

Marching band : Tradition américaine de fanfares dont<br />

les prestations sont à la fois musicales et chorégraphiques (sous<br />

forme de parades). Les marching bands se produisent notamment<br />

à l’occasion d’événements sportifs (football américain),<br />

de parades de rue pour les fêtes nationales et les carnavals.<br />

Banda : Orchestre de musique de fête composé de bois,<br />

de cuivres et de percussions. Fanfares bardées de couleurs vives,<br />

parfois accompagnées de danseurs. Tradition originaire<br />

du Sud-Ouest de la France, d’Italie, d’Espagne et du Brésil.<br />

Pascal Comelade et la fanfare Zébaliz au festival Fanfares! de Brest<br />

2006. Photo : D.R.<br />

LA BANDA EUROPA<br />

DE JIM SUTHERLAND<br />

Parmi l’abondante production musicale conçue pour<br />

l’espace public, le projet imaginé par Jim Sutherland se<br />

situe à contre-courant d’une tendance actuelle qui ne jure<br />

que par les dispositifs high-tech avec liaisons satellite et<br />

retransmissions simultanées sur téléphones portables.<br />

Compositeur, producteur et muti-instrumentiste d’origine<br />

écossaise, il est l’auteur d’une partition qui fait jouer<br />

ensemble un effectif de fanfare (cuivres et percussions)<br />

avec des instruments anciens issus de différentes traditions<br />

européennes : vielle à roue, nyckelharpa (instrument<br />

à cordes frottées d’origine scandinave), duduk (flûte à<br />

anche double jouée en Arménie), dulzaina (hautbois traditionnel<br />

espagnol), cornemuses écossaises et galiciennes,<br />

tambours catalans. Baptisé « Banda Europa », cet ensemble<br />

international rétro-futuriste est constitué de 35 instrumentistes<br />

qui font autorité dans leurs domaines respectifs,<br />

comme en témoigne la participation du joueur de<br />

vielle à roue Pascal Lefeuvre. Un premier concert « spatialisé<br />

», Before the Wolf, a été créé en extérieur à Newcastle<br />

Gateshead (Angleterre) les 22 et 23 avril 2007 avec la<br />

participation d’une chorale amateur et d’un ensemble de<br />

tambours écossais. La dimension européenne du projet<br />

artistique est également à l’œuvre au niveau de sa logique<br />

de production dans le cadre d’IN SITU, plate-forme de<br />

soutien à la création d’œuvres à l’échelle européenne<br />

pilotée par Lieux Publics. Loin de toute tentation folkloriste,<br />

Jim Sutherland orchestre des ressources instrumentales<br />

éloignées les unes des autres pour donner<br />

à entendre un patrimoine musical européen émancipé de<br />

tout repère spatio-temporel. A une époque où la quête de<br />

modernité peut s’identifier à une forme de servitude, un<br />

tel recours au passé peut ouvrir de nouvelles perspectives.<br />

S. M.


Eryck Abecassis, Saint Ferreol [Waves], Marseille, rue Saint-Férréol, 9 mai 2007. Photo : Vincent Lucas.<br />

DE LA VILLE SCÈNE<br />

À LA VILLE INSTRUMENT<br />

L’ESPACE LIBRE, MALGRÉ ET GRÂCE À SES POLLUTIONS SONORES, APPARAÎT COMME LE LIEU LE PLUS<br />

PROPICE À L’INVENTION D’UN NOUVEL ART SONORE. LA PRISE EN COMPTE DE L’ESPACE COMME<br />

PARAMÈTRE D’UNE ŒUVRE, ET L’IMPORTANCE DONNÉE AU CONTEXTE D’ÉCOUTE OUVRENT UN CHAMP<br />

D’INNOVATION À PEINE EXPLORÉ.<br />

L’ART SONORE EN ESPACE LIBRE N’APPARTIENT PAS AUX GENRES MUSICAUX ET AUTRES<br />

SOUS-CLASSIFICATIONS. IL N’EST PAS SEULEMENT DE LA « MUSIQUE », MAIS BIEN UNE « ÉCOUTE »<br />

DU MONDE QUE LE CRÉATEUR PROPOSE AU PUBLIC, ET QUI LAISSE SON EMPREINTE DANS NOTRE<br />

PERCEPTION DU MONDE.<br />

IL PERMET À DES INVENTEURS VENUS D’HORIZONS DIFFÉRENTS — COMPOSITEURS, IMPROVISATEURS,<br />

LUTHIERS, PLASTICIENS, « PERFORMEURS », METTEURS EN SCÈNE, DÉCORATEURS SONORES, INGÉNIEURS<br />

DU SON, INFORMATICIENS… — DE CONFRONTER DES APPROCHES TRÈS DIFFÉRENTES, COMPLÉMENTAIRES,<br />

ET D’ABORDER UN ART TRANSDISCIPLINAIRE.<br />

EN PLUS DES OUTILS TRADITIONNELS DE LA MUSIQUE (HAUTEUR, DURÉE, TIMBRE, INTENSITÉ), IL INTÈGRE<br />

DANS LE TEXTE MÊME DE L’ŒUVRE UNE SÉRIE TOTALEMENT OUVERTE DE PARAMÈTRES : SPECTRE, IMAGE,<br />

ESPACE ACOUSTIQUE, DYNAMIQUE, MOUVEMENT SPATIAL, IMPLICATION SOCIALE, OBJET, SOURCE,<br />

SUPPORT… SANS HIÉRARCHIE D’AUCUNE SORTE.<br />

LE CONTEXTE D’EXÉCUTION EST L’OBJET DE SOINS AU MOINS ÉGAUX À CEUX PORTÉ S AU TEXTE, ET PEUT<br />

MÊME ALLER JUSQU’À EN CONSTITUER L’ÉLÉMENT ESSENTIEL.<br />

ART « VIVANT » PAR EXCELLENCE, IL SE MODIFIE EN PERMANENCE EN FONCTION DES CONDITIONS<br />

DE REPRÉSENTATION OU DE PERCEPTION.<br />

IL REMET EN QUESTION LA NOTION D’AUTEUR, QUI PEUT ÊTRE MULTIPLE, COLLECTIF ET VARIABLE, ET<br />

NE SAURAIT SE RÉDUIRE AU RESPONSABLE D’UN THÈME PRINCIPAL OU D’UN TEXTE MUSICAL SOLFIÉ.<br />

HORS DES CONTEXTES D’ÉCOUTE PRÉTENDUMENT NEUTRES (LIEUX ET HEURES « DE CONCERT »,<br />

STÉRÉOPHONIE DOMESTIQUE, RAPPORT FRONTAL, « ROBINET À MUSIQUE » RADIOPHONIQUE…), IL PEUT<br />

SURVENIR DANS TOUT ESPACE — REQUALIFIÉ DE « LIBRE » —, UTILISÉ POUR SES QUALITÉS PROPRES.<br />

L’ART SONORE EN ESPACE LIBRE RENCONTRE DE NOUVEAUX AUDITOIRES, EXIGEANTS ET PROFANES,<br />

IL RÉINVENTE LES RELATIONS ENTRE LA MUSIQUE — LES SONS ÉCOUTÉS POUR EUX-MÊMES — ET NOTRE<br />

ENVIRONNEMENT SONORE.<br />

EN FAISANT DE LA VILLE L’OBJET, LE SUJET ET L’ESPACE D’INVENTION, EN SE NOURRISSANT DE L’ACTION<br />

OU DES SONORITÉS DES ÉLÉMENTS NATURELS, DES BRUITS NATURELS OU INDUSTRIELS, DES SITUATIONS<br />

D’ÉCOUTE OU DE NON-ÉCOUTE, IL REPLACE LA CRÉATION MUSICALE AU CŒUR DES PROBLÉMATIQUES<br />

POLITIQUES ET ARTISTIQUES D’AUJOURD’HUI.<br />

MANIFESTE POUR UN ART SONORE EN ESPACE LIBRE<br />

Manifeste rédigé en 2000 et signé à l’époque par Pascal Dores et Riké (Métalvoice),<br />

Rémi Dury et Serge de Laubier (Espace musical), Christophe Rappoport (les Grooms),<br />

Gilles Rhode (Transe express), Michel Risse et Pierre Sauvageot (Décor Sonore)


SITUATIONS D’ÉCOUTE<br />

De Times Square, à New York, œuvre en mouvement perpétuel<br />

de Max Neuhaus, aux Audio Walks de Janet Cardiff, certains<br />

artistes travaillent sur l’environnement urbain et mettent en jeu<br />

d’un « art sonore en espace libre ».<br />

Au cœur de Times Square, à New York, à l’angle de<br />

Broadway et de la 7 e Avenue, là où les néons publicitaires<br />

dominent la foule grouillante, se cache un des secrets les<br />

plus étranges de la ville. Les piétons qui s’y ruent ne remarquent<br />

souvent rien, mais si l’on est moins pressé, où tout<br />

simplement si l’on a les oreilles mieux entraînées, on<br />

distingue un ronronnement curieux, un lointain brassage<br />

mécanique. Ceci n’est pas un piège acoustique particulier,<br />

comme les recoins des villes en comptent beaucoup si l’on<br />

se donne la peine de les découvrir. Ici, il s’agit bien d’un<br />

process, une œuvre en mouvement perpétuel élaborée à<br />

partir de 1974 et définitivement construite et produite de<br />

1977 à 1992 par Max Neuhaus. Elle se nomme tout<br />

simplement Times Square. Demandant un constant monitoring,<br />

elle ne dut son interruption qu’au départ de Max<br />

Neuhaus pour l’Europe. Après une première vie étalée sur<br />

une génération presque entière, Times Square manquait<br />

aux riverains. Elle fut recommissionnée en 2002 par le très<br />

sérieux Time Square Street Business Improvement District,<br />

et aujourd’hui encore, elle émet 24 heures sur 24.<br />

Neuhaus, consentant à révéler quelques secrets de fabrication,<br />

nous dit que « le son doit juste paraître plausible ».<br />

Il est difficile d’en déterminer l’agent, et les auditeurs qui<br />

n’en trouvent pas la cause pensent que le son vient du<br />

métro. Ils n’ont pas tout à fait tort, puisque les fréquences<br />

d’origine se logent dans un entrelacs de tunnels qui se<br />

croisent entre les 42 e et 46 e Rues. Les résonances y sont<br />

particulièrement importantes. Neuhaus, lui, les amplifie et<br />

les module pour les distribuer depuis son dispositif. « J’ai<br />

passé des mois à écouter ces résonances, il n’y a pas<br />

d’autres sons que ceux déjà existants, c’est pourquoi je<br />

préfère parler de mon travail comme d’une “construction<br />

sonore” et non d’une “composition”. »<br />

Times Square est bien plus qu’une sensation auditive. Elle<br />

est un art sonore en espace libre qui doit autant au regard<br />

qu’à l’écoute. Il n’y a pas d’autres composants plastiques<br />

que le décor qui l’insuffle : « Des néons, des centres d’affaires,<br />

des théâtres, des boutiques porno, des salles de<br />

jeux. Et aussi, des touristes, la clientèle de Broadway, des<br />

commerçants, des maquereaux, des dealers et des<br />

employés de bureau. Quand l’un d’eux découvre mon environnement<br />

sonore, il cesse d’être observé pour devenir<br />

observateur. Il pense que le phénomène qu’il écoute est sa<br />

propre découverte. » Alors, le plus peuplé des espaces<br />

publics new-yorkais devient un espace privé. Une expérience<br />

personnelle partagée par tous.<br />

ART SONORE EN ESPACE LIBRE<br />

La formulation d’un « art sonore en espace libre », que l’on<br />

doit au compositeur électroacoustique français Michel<br />

Risse (1) , appelle une relecture des relations entre la musique,<br />

les sons écoutés pour eux-mêmes et l’environnement.<br />

Instrument/Monument est un projet qu’il inaugure à Paris<br />

en 1997. Risse commence par exploiter les potentialités<br />

sonores réelles d’un site, d’une structure, d’un lieu public.<br />

Postulant que toute forme et tout matériau ont un son, il<br />

stipule : « Il ne manque que des musiciens pour leur donner<br />

un statut d’instrument et, bien entendu, les moyens de se<br />

faire entendre. » Ceci est accompli par la pose de microphones<br />

de contact. Grâce à eux, les vibrations ne sont plus<br />

captées dans l’air mais directement sur la matière, avant<br />

d’être amplifiées. « L’espace défini par le site est exploité<br />

comme scénographie naturelle, avec un apport extérieur de<br />

structures et d’éléments techniques limité au minimum. »<br />

Ainsi le Tambour-Beaubourg, performance d’ouverture des<br />

2 e Rendez-Vous Electroniques, pour laquelle trois percussionnistes<br />

explorent les ascenseurs et parcourent les structures<br />

du Centre (garde-corps, rampes, haubans). Dans un<br />

ordre calculé et suivant un système d’écriture précis, ils<br />

font résonner le verre, le métal et l’espace.<br />

Avec des procédés similaires, le New-Yorkais Stephen<br />

Vitiello s’est aussi fait une spécialité des enregistrements<br />

de structures. Sa plus célèbre réalisation a aujourd’hui<br />

valeur de symbole puisqu’elle fut conduite dans, ou plutôt<br />

sur les Twins Towers en 1999. Le 91 e étage des tours était<br />

alors réservé à des artistes en résidence. L’objectif premier<br />

de Vitiello était d’enregistrer les événements sonores qui<br />

entouraient les tours – ballets d’hélicos, cris d’oiseaux et<br />

autres sonorités naturelles. Mais devant l’impossibilité<br />

d’ouvrir les fenêtres scellées par une triple épaisseur de<br />

verre, il oriente son dispositif différemment et propose une<br />

Michel Risse, Instrument/Monument « Dehors/Dedans », pour le Manège de Reims, septembre 2004. Photo : Alain Julien. www.lefourneau.com/decorsonore.


Michel Risse, Instrument/Monument « In Cage », au Square de la Roquette, Paris, juin 2004. Photo : Pierre Schwartz. www.lefourneau.com/decorsonore.<br />

écoute interne du building réalisée à partir de fins micros de contact et de cellules<br />

photoélectriques apposées à l’extérieur. Les capteurs agissent alors comme un stéthoscope<br />

sur l’édifice. Au lendemain d’un ouragan, ils révèlent ainsi des plaintes quasi<br />

organiques, et l’audience découvre alors des crissements d’outre-tombe pareils à ceux<br />

d’un rafiot de bois nonchalamment balloté par l’océan après la tempête. Difficile de ne pas<br />

faire l’analogie avec les ruines gémissantes de l’après 11 Septembre.<br />

World Trade Center Recordings: Winds After Hurricane Floyd est maintenant une installation<br />

sonore en multipoints qui fait partie de la collection permanente du Whitney Museum.<br />

Elle a suscité quelques controverses, et Vitiello lui-même souhaitait ne pas donner suite à<br />

l’œuvre. Puis, à Paris, en janvier 2003, à la demande de l’urbaniste Paul Virilio, curateur<br />

de l’exposition Ce qui arrive à la Fondation Cartier, un prolongement inédit est venu introduire<br />

son concert avec l’Anglais Scanner. Il s’agissait du « silence » d’une cérémonie<br />

commémorative enregistrée le 11 septembre 2002 à Washington. Seuls les crépitements<br />

des flashes des photographes y venaient discrètement troubler la pesante rémission. Au<br />

même moment, au cœur de l’installation géante en forme de mikado de métal qui habite<br />

la salle principale, des mini haut-parleurs continuent à diffuser en temps réel les enregistrements<br />

de traces éclairs laissées par les visiteurs à l’entrée du hall, lorsque leurs<br />

mouvements sont saisis par des cellules photoélectriques, puis automatiquement amplifiées<br />

et équalisées par un dispositif électronique.<br />

AUDIO WALKS<br />

« La musique est un art du temps, tandis que l’art sonore en est un de l’espace », déclarait<br />

Stephen Vitiello, la veille de cette performance, sur France Culture. L’artiste canadienne<br />

Janet Cardiff, initiatrice du concept des Audio Walks, marie les deux avec une rare originalité,<br />

superposant l’art de la dérive urbaine (au sens situationniste du terme) avec celui,<br />

plus narratif, de la dramatique radiophonique.<br />

En 1999, je me dirige dans une bibliothèque publique de Whitechapel, à l’Est de Londres.<br />

Au guichet, on me remet un baladeur CD et des écouteurs en échange de ma carte de<br />

crédit que je laisse en caution, ainsi qu’un plan du quartier. J’appuie sur la touche « Play »<br />

du baladeur et j’entends pour la première fois la voix de Janet Cardiff, douce et grave, peutêtre<br />

triste aussi. Elle me guide vers les étagères du rayon « Polars » de la bibliothèque. Je<br />

m’y rends et j’entends les pas de gens qui marchent sur le parquet et des murmures indistincts.<br />

Je suis intrigué. Comment savoir si ces bruits proviennent du CD enregistré ou s’ils<br />

sont là, vivant autour de moi ? Cardiff m’oriente dans l’escalier, deux étages plus haut,<br />

jusqu’à une salle austère aux murs gris. Elle est vide, mais en son centre trône une table<br />

sur laquelle est posé un livre ouvert. « Quelqu’un vient de le signer… Il faut le suivre »,<br />

m’enjoint-elle prestement à l’oreille. Je ne demande pas pourquoi, je suis maintenant dans<br />

ses mains, dans sa voix. Janet Cardiff me presse maintenant de sortir. « Nous » arrivons<br />

au marché de Spitalfield en passant par les cantines indiennes de Brick Lane. L’activité y<br />

redouble. « Attention aux voitures ! », me dit Cardiff tandis que le moteur d’un véhicule<br />

traverse mes écouteurs. Touche « Pause » sur le Discman. Je traverse, retrouve le récit<br />

après être entré dans une église. Janet m’y parle sur le ton de la confession. Je ne suis<br />

pas sûr de comprendre la « mission » qu’elle me confie. J’exécute les mêmes regards<br />

qu’elle a posés avant moi sur les balcons verts et fleuris. Ils<br />

le sont bien. A force de détailler chaque espace urbain<br />

comme une pièce à conviction, je perds toute chronologie<br />

du récit et me heurte au terre-plein dominant Liverpool<br />

Station. Dans la cathédrale de verre ultramoderne construite<br />

à l’orée de la City, le cliquetis du tableau d’affichage<br />

des horaires des trains vient se mêler à une douce musique<br />

symphonique préenregistrée. Tout d’un coup, Janet me<br />

prévient, « notre » homme est là, en bas, vêtu d’un costume<br />

sombre et une mallette à la main. Cet homme existe<br />

bien, il en existe plus d’une centaine par jour comme lui<br />

dans le hall de Liverpool Station qui ne désemplit pas.<br />

Il monte dans un train. Je ne le retrouverai jamais.<br />

Ainsi s’achève la promenade audio The Missing Voice (Case<br />

Study B) de Janet Cardiff. Mais s’agit-il d’un dénouement ?<br />

En retournant vers la bibliothèque, on se rend compte qu’il<br />

faut moins de quinze minutes de marche pour y parvenir,<br />

tandis qu’au cours de la promenade, cela nous a pris plus<br />

d’une heure. Chaque lieu stratégique évoqué auparavant<br />

défile comme sous l’impulsion mécanique du retour<br />

accéléré d’une bande magnétique. Chacun garde la même<br />

intensité sonore et dramatique. Le scénario n’était donc<br />

pas dans les écouteurs, mais bien dans le paysage urbain<br />

qui l’entoure.<br />

A ce jeu sans règle apparente de l’écoute en espace libre,<br />

Akio Susuki, pour Oto-date 2004, choisit de gommer si<br />

ce n’est tout repère, du moins tout dispositif d’audition au<br />

profit d’une déambulation subjective au départ du musée<br />

Zadkine à Paris. Oto signifie « son » en japonais, et date est<br />

la contraction de nodate, nom donné à la cérémonie du thé<br />

en plein air. En divers endroits de Montparnasse et de<br />

Saint-Germain-des-Prés, Akio Susuki repère une cinquantaine<br />

de points d’écoute susceptibles de faire entendre un<br />

endroit, ses habitants, et peut-être une partie de leur<br />

histoire. Ces spots sont signifiés par un marquage au sol<br />

qui représente une paire d’oreilles en forme de pieds et ils<br />

sont ici les seules preuves tangibles d’un process artistique.<br />

Le long d’un immeuble Art nouveau de la rue<br />

Campagne-Première, face à un chantier en friche de la rue<br />

de Vaugirard, derrière le Jardin Atlantique où le vent s’engouffre<br />

en sifflant, sur le parvis de l’église Saint-Sulpice<br />

dont les cloches ne sonnent plus pour cause de réparations,<br />

et jusqu’aux chaises du Luxembourg qui frottent le<br />

sol et s’entrechoquent, la ville n’est plus que l’écrin à sons<br />

dont rêvait Xenakis. Mais cet écrin est entièrement partial.<br />

Plus l’on marche et plus l’expérience devient nôtre. Susuki<br />

n’est là que comme déclencheur et prétexte à l’écoute. Il<br />

est ce non-compositeur qui donne à entendre au chaland<br />

une symphonie urbaine qui l’a toujours entouré mais qu’il<br />

n’a peut-être jamais écoutée. L’instrument le plus emblématique<br />

de nos sociétés modernes serait donc celui-là :<br />

l’urbanité ? Un instrument, il est vrai, toujours accordé sur<br />

la façon dont les gens vivent.<br />

Jean-Philippe Renoult<br />

1. Voir le Manifeste pour un art sonore en espace libre,<br />

http://www.lefourneau.com/artistes/decorsonore/<br />

manifeste.htm


CONCERTS SINGULIERS<br />

POUR OREILLES PASSANTES<br />

En faisant irruption dans l’espace urbain, les musiciens,<br />

tour à tour performeurs et inventeurs, réenvisagent leur pratique<br />

et la transmission de celle-ci.<br />

« Quand je veux écouter de la musique, j’ouvre ma<br />

fenêtre… » : la maxime de John Cage est connue ; elle a<br />

inspiré des générations de compositeurs qui la rendent de<br />

plus en plus tangible en se frottant à d’autres disciplines,<br />

tels les arts de la rue. Mais avant de donner naissance à<br />

une recherche contextuelle sur l’environnement sonore,<br />

l’histoire de la musique en espace urbain s’est d’abord<br />

nourrie d’une réflexion sur la spatialisation du son. Un<br />

champ investi par la musique expérimentale dès les<br />

années 1950, des premières performances multimédia<br />

décentralisant l’espace physique et musical – happenings<br />

du Black Mountain College aux Etats-Unis, ateliers du<br />

Jikken Kôbô et de Gutai au Japon – à la nécessité de créer<br />

des dispositifs inédits générant de nouveaux réflexes<br />

d’écoute – mélangeur à cellule photosensible de Frédéric<br />

Rzewski (1965), Pavillon Philips de Varèse, Xenakis, Le<br />

Corbusier (1958), auditorium sphérique de Stockhausen<br />

(1970), Acousmonium du GRM pour L’Expérience acoustique<br />

de François Bayle (1974), etc. En France, des<br />

compagnies telles que Décor Sonore, menée par Pierre<br />

Sauvageot et Michel Risse, ou Espace Musical (futur Puce<br />

Muse) de Serge de Laubier poursuivent ces investigations<br />

au début des années 1980, donnant naissance aux<br />

premiers spatialisateurs octophoniques ou au Méta<br />

Instrument - interface homme-machine mobile développée<br />

par Serge de Laubier dès 1989, autorisant la manipulation<br />

simultanée et indépendante de 54 variables continues à<br />

l’aide de capteurs placés au niveau des coudes, poignets<br />

et doigts, permettant par exemple de mettre en sons et en<br />

images des façades de monuments (Traverse de façade,<br />

mis en scène par Roland Auzet, 2004).<br />

La rencontre de l’art sonore et des arts de la rue se<br />

cristallise en 1994 autour du Cinématophone, avec la<br />

confrontation de Décor Sonore et d’Oposito : « C’était<br />

l’époque des tout premiers CD et MD portables, se souvient<br />

Pierre Sauvageot. On a mis au point avec Jonathan<br />

McIntosh un système de synchronisation des sources<br />

numériques, puis fabriqué des haut-parleurs portés sur la<br />

tête des musiciens pour obtenir une fanfare électronique,<br />

mais ça n’intéressait pas grand monde. Jean-Raymond<br />

Jacob nous a alors proposé d’utiliser ce dispositif pour un<br />

déambulatoire d’Oposito ; le Cinématophone a été une<br />

grosse réussite dans le domaine des arts de la rue ! Cela<br />

m’a conduit au constat suivant : on peut être radical dans<br />

des propositions artistiques d’espace public, mais si on<br />

n’est pas généreux, on se plante. »<br />

Réflexion sur le mode de transmission, intégration de l’auditeur<br />

en tant que paramètre supplémentaire : une dimension<br />

sociale et politique déjà présente dans les<br />

performances de Fluxus (pièces pour public de La Monte<br />

Young, 1960) ou du Scratch Orchestra, fondé en 1969 par<br />

Cornelius Cardew, Michael Parsons et Howard Skempton,<br />

réunissant musiciens professionnels et amateurs autour<br />

de compositions écrites ou improvisées pour des représentations<br />

en salles, mais aussi dans des églises, universités,<br />

parcs, sur un lac ou au bord de la mer. Plus récemment,<br />

c’est aussi en pensant ses compositions insolites par et<br />

pour l’auditoire – « Concert de haine » sur les marches du<br />

Palais de justice, « Concert de baisers » dans la cour du<br />

Palais Royal… – que Nicolas Frize a amené une certaine<br />

musique concrète en espace libre, entraînant l’adhésion<br />

d’un public qui n’aurait pas forcément poussé la porte des<br />

salles de concert. Une démarche identique est menée par<br />

d’autres artistes auprès de l’opéra : tandis que Pierre<br />

Sauvageot s’attelle à une relecture d’Homère en place<br />

publique avec sa toute récente oXc, l’association Opéra<br />

des rues propose de faire venir l’opéra dans la ville, les<br />

champs ou les halls d’immeubles ; et depuis vingt ans, les<br />

La Cie Déviation aux Tombées de la Nuit 2006. Photo : Nicolas Joubart.<br />

Grooms portent le chant lyrique dans la rue, adaptant leurs<br />

propositions (La Flûte en chantier, La Tétralogie de quat’sous…)<br />

au contexte urbain – investissement de places,<br />

apparitions aux fenêtres des immeubles, etc. Comme le<br />

constate Michel Risse, « il est difficile d’envisager le son<br />

dans la ville sans le raccorder à tout ce qu’il y a autour » ;<br />

l’art sonore s’est peu à peu fondu avec l’environnement<br />

urbain lui-même.<br />

INSTRUMENTARIUM URBAIN<br />

Prenant le contre-pied des bruitistes et des précurseurs de<br />

la musique concrète, qui invitaient les sons de l’environnement<br />

quotidien dans les salles de concert – à l’image de<br />

la Living Room Music de Cage (1940) –, l’utilisation et le<br />

recyclage des déchets sonores de la ville se jouent bientôt<br />

en plein air. En France, si les premières expérimentations<br />

des Tambours du Bronx, nées dans la rue en 1987, ont fini<br />

par faire entrer la poésie industrielle en espaces semifermés<br />

(avec la fondation de la compagnie Métalovoice)<br />

ou dans les salles, l’instrumentarium urbain à ciel ouvert<br />

ne cesse d’inspirer les compositeurs : des œuvres<br />

symphoniques de Pierre Sauvageot conviant klaxons,<br />

marteaux-piqueurs et musiciens – amateurs (Allegro<br />

barbaro, 1997) ou professionnels dans des nacelles<br />

(L’Orchestre de chambre de ville, 2000) – aux déambulatoires<br />

vocalo-percussifs des cinq Instr’humains des Piétons<br />

(Rue de l’attribut, 2003), en passant par des formes plus<br />

légères (impros sur objets de récupération des deux<br />

jazzmen d’Urban drum’n’bass). Les artistes se servent de<br />

l’environnement urbain comme source musicale, allant<br />

jusqu’à utiliser l’auditoire lui-même (Concert de public de<br />

Pierre Sauvageot, 2003) ou les contraintes sonores préexistantes<br />

(dispositif Sirènes et Midi net initié par Lieux<br />

publics, invitant des artistes à proposer une performance<br />

incluant la sirène de la ville chaque premier mercredi du<br />

mois à Marseille).<br />

Se servir des sons déjà présents dans la ville ou les inventer<br />

en remplaçant les éléments tangibles d’un décor classique<br />

de théâtre par de simples évocations sonores, c’est<br />

le credo de la compagnie de L’Eléphant Vert : à l’aide de<br />

dispositifs invisibles (enregistrements numériques diffusés<br />

par des enceintes dissimulées sous un costume, dans une<br />

brouette ou une valise, reliées à un baladeur de poche<br />

permettant la mise à feu sonore), les comédiens captent<br />

La Cie Deviation 2 aux Tombées de la Nuit<br />

2006, à Rennes. Photo : D. R.


Sensazione, Cies Laika et Time Circus,<br />

aux Tombées de la Nuit 2006, à Rennes. Photo : D. R.<br />

la mémoire fictive de leur environnement, restituant les pensées fantasmées du mobilier<br />

urbain, des arbres ou des voitures (Faunèmes, 1994) ou créant des situations saugrenues<br />

sur la seule sollicitation sonore, laissant libre cours à l’imagination du spectateur<br />

(passagers d’un bus attaqué par une horde de moustiques imaginaires dans Bi, 1995).<br />

La mise en relation d’un texte et d’un contexte trouve son apogée au cœur de<br />

l’Instrument/Monument de Décor Sonore (2003-2004), création in situ, avec repérages<br />

en amont et travail avec la population locale. On prend des micros et on va capter le son<br />

des objets, explique Michel Risse, pour poser la question : comment cet endroit est-il vécu<br />

par les gens, à quoi sert-il, quelle est sa mémoire ? « Monument » vient de monere –<br />

témoigner, attester, se souvenir, et enseigner.<br />

LES BRICOPHONISTES<br />

De la mémoire des monuments à celle des objets, il n’y a qu’un pas, que Décor Sonore<br />

a franchi avec sa dernière création, Le Don du son – ou comment extirper une musicalité<br />

d’objets usuels apportés par le public à l’issue d’une campagne de sensibilisation.<br />

Détourner les objets de leur fonctionnalité première ou inventer de nouveaux instruments :<br />

une fascination nourrie par Michel Risse envers la créativité musicale tous azimuts déjà<br />

explorée dans Les Monstrations inouïes (2001), où l’artiste, reconverti en conférencier<br />

bonimenteur, présentait les instruments les plus étonnants de l’histoire électronique.<br />

L’épopée des Géo Trouvetou de la musique est en effet une histoire à rallonge, qu’elle<br />

concerne les champs d’investigation électronique ou mécanique. Emergeant depuis une<br />

quinzaine d’années – notamment dans le Nord de l’Europe –, le mouvement des bricophonistes<br />

trouve une résonance sans limites en espace libre : le temps d’un parcours, à<br />

travers ville ou jardins, le public peut fureter d’une installation à l’autre, à la rencontre du<br />

concert hydraulique des Cubiténistes, du Pendule du collectif H.A.U.T., des installations<br />

organiques et percussives de Pierre Berthet ou encore des improbables machineries<br />

sonores de Frédéric Le Junter – inénarrables tourniquette à faire la vinaigrette et autres<br />

pistolets à gaufres en hommage à Boris Vian, présentés récemment au festival Musiques<br />

de rues de Besançon : « Ce qui me plaît, c’est de proposer une sorte de parcours de visite<br />

musicale, comme on peut le faire pour des expositions d’art contemporain ; c’est le public<br />

qui va à la rencontre de musiciens », commente François-Xavier Ruan, directeur du festival.<br />

L’alliance de la recherche mécanique et de la composition classique, c’est aussi le propos<br />

de Franz Clochard. Sept ans de recherches au cœur de sa structure Mécanique Vivante<br />

ont été nécessaires pour dompter le mécanisme des sirènes d’alerte et en faire un instrument<br />

capable de jouer des mélopées déchirantes à l’échelle d’une ville : « La notion de<br />

détournement est omniprésente et à double sens : produire de la musique avec une<br />

sirène d’alerte pour créer un chant unique et envoûtant. On est vraiment très proche<br />

de la légende. » Fraîchement éclos, le sirenium – instrument<br />

de lutherie mécanique de 2 mètres de haut et 6 kg<br />

et demi, se tenant comme une contrebasse – autorise les<br />

musiciens à jouer de la sirène sur scène et en direct,<br />

permettant à la compagnie de s’implanter sur diverses<br />

architectures.<br />

MUSIQUES DE RUES, MUSIQUES DANS LA RUE<br />

Si Emmanuel Vinchon œuvre à la reconnaissance et au<br />

recensement de ces bricophonistes depuis de nombreuses<br />

années avec son association Kling Klang – et le festival Les<br />

Chants Mécaniques –, ce bouillonnement et ces ramifications<br />

de la création musicale en espace libre devaient logiquement<br />

se doubler de la création d’événements dédiés.<br />

Depuis 2003 et l’arrivée à leur tête de Claude Guinard et<br />

Philip Kaufman, Les Tombées de la Nuit à Rennes ont<br />

recentré leur propos sur « une dominante musicale et<br />

sonore », souligne Claude Guinard, afin de « réfléchir à<br />

d’autres espaces de représentation et à la place du spectateur<br />

par rapport à l’œuvre ». Ce nouveau rapport au<br />

spectateur fait l’objet chaque année de commandes ou de<br />

projets spécifiques en lien avec des habitants, tels que la<br />

Tombola d’artistes en 2004 (15 concerts, 15 cuisiniers et<br />

600 spectateurs dans 15 habitations d’un même quartier)<br />

ou encore Destiny’s car de Mathieu Delvaux et Digicay en<br />

2006, pour un orchestre de huit tuning cars.<br />

Le dernier venu, Musiques de rues, dont la première édition<br />

a eu lieu en octobre 2006 à Besançon, cherche quant<br />

à lui à placer la musique non pas en faire-valoir du spectacle<br />

d’arts de la rue, explique François-Xavier Ruan, mais<br />

bien au centre du projet. Trois volets structurent le festival<br />

pour tenter de dresser un panel représentatif de la création<br />

actuelle : machineries sonores, musiques du monde<br />

– parce qu’« en Afrique, en Amérique du sud, en Asie, la<br />

musique est rituelle, sacrée, populaire, dans la rue, tout le<br />

temps » –, mais aussi – retour aux racines mêmes de la<br />

musique dans la rue – fanfares. De plus en plus de jeunes<br />

font de l’intervention sonore en extérieur. On prend trop<br />

souvent les fanfares pour des amuseurs publics, or il y a<br />

un réel renouveau de la fanfare dans toute sa noblesse<br />

de création ! Ils peuvent très bien faire de la musique<br />

improvisée, du jazz, des choses extrêmement pointues,<br />

de la musique contemporaine, électroacoustique… tout<br />

est adapté à l’espace public.<br />

Julie Bordenave<br />

UN RÔLE D’ÉCOUTEUR<br />

Nicolas Frize ancre sa musique dans le réel.<br />

Aux côtés de son travail de compositeur et des projets qu’il mène<br />

avec son association, Les Musiques de la boulangère, il plaide<br />

pour que le musicien puisse exercer dans la ville son sens de<br />

l’écoute.<br />

Nicolas Frize, compositeur, a été l’élève de Pierre<br />

Schaeffer au Conservatoire national supérieur de Paris,<br />

puis l’assistant stagiaire de John Cage à New York en<br />

1978. Dès ses premières œuvres, il a cherché à ancrer sa<br />

musique dans le réel. Il a ainsi écrit des concerts de baisers,<br />

de peaux, de bébés, de pierres, de locomotives… Les<br />

compositions de Nicolas Frize répondent à une alchimie<br />

inexplicable, un mélange improbable de rigueur et de<br />

risque, d’instinct et d’intellect, de maîtrise et de lâcher<br />

prise : « J’aime dire que la musique n’existe pas parce<br />

qu’elle est écrite, mais parce qu’elle est entendue. Mon<br />

travail consiste donc non seulement à l’écrire, mais à la<br />

faire entendre. » D’où l’importance essentielle des lieux de<br />

représentation, qui ne sont jamais neutres, et toujours<br />

agissants : « Je ne commence jamais le travail d’écriture<br />

sans savoir où l’œuvre sera entendue. Je ne peux écrire<br />

une musique en soi, j’ai besoin d’être physiquement dans<br />

l’endroit où elle sera jouée, déjà en train de l’entendre. »<br />

Pour Nicolas Frize, l’art émerge de la vie et doit en retour<br />

la rendre plus intense. L’association Les Musiques de la<br />

boulangère, qu’il a fondée en 1975, met en œuvre des<br />

dispositifs de création « sur le terrain », dans des lieux<br />

publics très divers, associant la participation de musiciens<br />

amateurs ou d’interprètes non musiciens aux côtés d’interprètes<br />

professionnels. Dans ce cadre, elle a conçu et<br />

conduit des réalisations importantes en relation avec les<br />

institutions pénitentiaires (la prison), hospitalières (l’hôpital),<br />

scolaires (de l’école à l’université), urbaines (la ville,<br />

les espaces publics…), ainsi qu’avec le monde du travail<br />

(industries, tertiaire…), etc. Elle pilote par ailleurs des<br />

études (théoriques et pratiques) sur l’environnement<br />

sonore d’une part, sur la mémoire sonore d’autre part. A<br />

ce titre, il a notamment travaillé pour la Mission bruit du<br />

ministère de l’Environnement, a réalisé un audit sonore<br />

qualitatif de la vile d’Arras ou encore conçu un projet d’environnement<br />

sonore à Saint-Denis.<br />

Nicolas Frize : « Le musicien est face à une alternative :<br />

soit il écrit des objets de contemplation, qui seront entendus<br />

dans des lieux aseptisés aménagés dans la ville pour<br />

cela, espaces de recueillement, de contemplation, dans<br />

lesquels le musicien s’est autoritairement désigné pour<br />

s’exprimer (les autres n’y ayant pas accès – sauf pour<br />

écouter le musicien). Ces lieux sont bien isolés à tous les<br />

points de vue, stérilisés, protégés de tout ce qui se passe<br />

autour : au niveau de la lumière, du son, mais aussi au<br />

niveau du sens. Ce sont des lieux où la plupart du temps,<br />

il ne se passe rien. Des lieux où l’on paie une certaine<br />

somme pour s’asseoir dans le noir et où on attend de<br />

“recevoir”. […]<br />

Une deuxième attitude du musicien consiste à ce qu’il<br />

dise : “Je suis bruyant, je pense que mes bruits ont à voir<br />

avec le bruit des autres, j’ai envie de communiquer avec<br />

les bruits de tous les jours et pas seulement de m’exprimer.”<br />

Dans ce cas, le musicien participe à l’élaboration<br />

des bruits volontaires de la cité en proposant sa compétence<br />

éventuelle à celle-ci. Si l’on considère certains bruits<br />

comme importants, de plus inéluctables, alors autant<br />

qu’on ait les moyens de les penser. Les sonneries d’école,<br />

les sirènes de pompiers, les signaux divers qui sont<br />

partout, le son des jouets, etc. sont autant d’exemples. Il<br />

ne faudrait d’ailleurs pas parler que des sources mais<br />

aussi des volumes acoustiques, des résonances et des<br />

matités des lieux. Les musiciens ont un rôle à jouer<br />

comme les graphistes ou les peintres jouent un rôle dans<br />

le design depuis près de quarante ans. Il s’agit d’un travail<br />

de fourmi, d’un travail modeste.<br />

Ce deuxième travail du musicien est celui qui consisterait<br />

à se dire que le réel n’existe pas et que seule existe notre<br />

représentation des choses. Parfois, ces représentations<br />

d’une place publique, d’une usine, d’une école, sont des<br />

représentations très collectives, très partagées qui débouchent<br />

sur une idéologie, liée à des rituels, à des coutumes,<br />

à des enfermements mentaux divers. Ces choses-là, il peut<br />

être intéressant, indispensable de les “revoir”, de les<br />

penser autrement, c’est-à-dire de proposer d’autres alternatives<br />

à la perception du réel. Cela sous-entend par<br />

exemple monter des projets avec et autour de ce réel, pour<br />

qu’à un moment donné, celui-ci chancelle, se réfléchisse<br />

(non pas pour se regarder dans un miroir, mais plutôt pour<br />

faire réfléchir le monde). Là le musicien met en œuvre un<br />

processus de transformation de la réalité ; cela consiste à<br />

remettre en chantier la société : une mise au travail entre<br />

des personnes qui souvent ne se parlent pas et qui viennent<br />

à travers le projet du musicien réécouter autrement<br />

leur quotidien commun. Cette écoute, c’est le projet artistique<br />

qui la crée, questionnant le “réel”, jouant sur lui, le<br />

transformant radicalement. Le résultat artistique en l’occurrence<br />

n’est pas qu’un prétexte, sa qualité est capitale,<br />

la rigueur de son écriture déterminante. » (1)<br />

1. Extraits d’un entretien avec Nicolas Frize,<br />

« Musicien dans la ville », mis en ligne sur son site<br />

Internet : www.nicolasfrize.com


UNE VAGUE<br />

DANS LA VILLE<br />

Eryck Abecassis compose de la musique un peu comme un<br />

écrivain remplacerait les mots par des sons et la page blanche<br />

par de l’espace et du temps. A l’enregistrement et à la captation,<br />

il préfère le surgissement sonore et la vague déferlante…<br />

Eryck Abecassis a d’abord suivi des études de cinéma. En parallèle, il menait une activité<br />

de photographe et jouait dans des groupes de rock : « A un moment donné, la musique<br />

s’est imposée de façon très naturelle, comme une évidence. Curieusement, alors que<br />

j’étais interprète, c’est l’envie d’écrire de la musique qui m’a littéralement fasciné. »<br />

Il découvre Varèse et Ligeti, leur « musique à la fois extrêmement libre et pourtant soustendue<br />

par une pensée rigoureuse ». A mesure qu’il assimilera les conventions, il se sentira<br />

toujours plus attiré par les sonorités non domestiquées. « Depuis quelques années, mes<br />

influences sont plutôt du côté de la musique expérimentale et de la “noise music”,<br />

mouvement né au Japon à la fin des années 1980, avec des artistes comme Merzbow.<br />

Une musique dite sauvage, qui a pris le contre-pied de tout ce qui se faisait ailleurs. »<br />

Le bruit nous inquiète ? Il est pourtant une composante à part entière de notre environnement<br />

: « Je prête à ce mot deux acceptions, voisines, mais différentes. D’une part,<br />

il y a le bruit pur qui n’est pas une note de musique. De l’autre, cette notion renvoie<br />

à l’accident qui se produit dans un cycle régulier. En médecine, par exemple, les pics dans<br />

un électrocardiogramme régulier sont des bruits. Toute perturbation du signal original<br />

perçu comme norme, est un “bruit-accident”. »<br />

Eryck Abecassis a répondu à des commandes de Radio France, du Gmen, du GRM, de<br />

l’Etat français… Il a été joué dans des festivals : Présences, Les Musiques (Marseille),<br />

Musiques en scène à Lyon, Amplitude au Danemark, le Computer Art Festival à Padoue,<br />

etc. Il a aussi composé de nombreuses musiques de films. Mais c’est en travaillant pour<br />

le théâtre qu’il acquiert la certitude que « la musique ne peut devenir une créature<br />

de scène à part entière que si elle est véritablement mise en jeu. Par cette mise en performance,<br />

elle pénètre dans l’ici et maintenant d’une proposition en train de se faire. Il y a<br />

une fusion naturelle qui agit à cet endroit-là ».<br />

Pour Eryck Abecassis, la transformation ne doit pas s’exercer au détriment, mais à partir<br />

de ce qui est déjà là. Cette opération de synthèse s’effectue donc avec du temps et avec<br />

de la matière réels. Concrètement, il évite les effets de différés. Il collabore ainsi avec<br />

l’ensemble Kernel (initié par le compositeur Kasper T. Toeplitz avec Wilfried Wendling,<br />

Pierre-Alexandre Tremblay et Eryck Abecassis) qui interprète une musique pour ordinateur<br />

n’intégrant ni sample ni échantillonnage préenregistrés.<br />

Il compose indifféremment pour des instruments classiques ou électroniques. « Ma problématique<br />

de départ n’est pas de choisir un instrument pour son timbre. Tout part d’une<br />

idée musicale très précise. Je parle beaucoup de la texture de la musique, de son grain,<br />

de sa durée, de son articulation, de ses nuances… Il m’arrive parfois d’écrire des choses<br />

précises en termes de hauteurs et de couleurs sans savoir avec quels instruments je vais<br />

les réaliser. »<br />

La mise en forme sera d’autant plus puissante qu’elle n’aura pas été épuisée par anticipation.<br />

C’est la rencontre avec l’événement qui est difficile à provoquer. L’espace urbain<br />

n’étant pas conditionné pour recevoir de l’imaginaire, il est peut-être finalement plus<br />

disponible pour l’accueillir. « L’espace public est un laboratoire idéal pour tester de<br />

nouvelles formes de représentation et ainsi modifier nos codes d’écoute. »<br />

PROXIMITÉ ET ÉLOIGNEMENT<br />

« Ma première expérience dans l’espace public, Psychomuz II, a été une commande de<br />

Lieux publics. Ce travail pour trois trombones, trois trompettes et un dispositif électroacoustique<br />

spatialisé a été joué en mai 2003 sur le parvis de l’Opéra de Marseille. » (1)<br />

Quatre ans plus tard, avec Saint-Ferréol [Waves] (2) , il investit quatre cent cinquante mètres<br />

d’une rue très commerçante du centre de la cité phocéenne et y compose une longue<br />

vague musicale interprétée par deux cent cinquante musiciens. « Ce n’est pas une mince<br />

affaire que de faire travailler ensemble autant de musiciens. Mais c’est passionnant.<br />

D’autant plus à notre époque où les projets collectifs sont<br />

de plus en plus difficiles à mettre en œuvre… Le public<br />

n’est pas uniquement relié par un phénomène acoustique,<br />

il est aussi sensible à ce “faire ensemble”. »<br />

L’instrumentarium ne pourrait pas être plus éclectique :<br />

flûtes, cordes, guitares, voix, trompettes, saxophones,<br />

percussions, sons électroniques… A l’inverse, la scénographie<br />

est plutôt minimale puisqu’elle ne vise qu’à favoriser<br />

la fluidité de la circulation du public, donc de l’écoute :<br />

« Avec un dispositif trop complexe, on oriente et on focalise<br />

le regard sur des temps forts. » Ici, la vague déroule et<br />

c’est spontanément que l’auditeur relie les différents<br />

climats sonores. « Saint-Ferréol [Waves] est tout, sauf<br />

du zapping. J’ai essayé de construire une forme cohérente.<br />

Je pense qu’inconsciemment, l’auditeur a une connaissance<br />

globale de la pièce. Il perçoit des sons très lointains<br />

; il n’a peut-être pas conscience de les entendre et<br />

pourtant ils font partie de l’écoute. En tout cas, j’ai vraiment<br />

travaillé sur ces notions de proche et de lointain.<br />

La topographie des lieux, l’étroitesse de la rue et sa<br />

longueur permettaient de susciter cette impression à la<br />

fois de proximité et d’éloignement. »<br />

La proposition a touché près de deux mille personnes, un<br />

public qui, très majoritairement, n’écoute que les médias<br />

de masse et n’a jamais accès à ces sonorités : « Au départ,<br />

j’étais un peu inquiet. Cette rue est très commerçante le<br />

jour. Mais le concert s’est déroulé à 19h30, quand les<br />

commerces ferment et que la rue se vide un peu. Alors,<br />

une autre aura l’habite. En fait, cette rue possède une très<br />

belle acoustique. Tout espace qui a des qualités acoustiques<br />

est un espace de représentation musical en puissance.<br />

» Un territoire de plus à conquérir. C’est sans doute<br />

pourquoi, l’année prochaine, Lieux publics poursuivra<br />

l’investigation sensible de cette rue. La vague est passée,<br />

son onde continue à habiter les têtes.<br />

Fred Kahn<br />

1. Dans le cadre de Sirènes et Midi net, tous les<br />

premiers mercredis du mois, Lieux publics invite<br />

des artistes à présenter une performance incluant<br />

la sirène de la ville.<br />

2. Saint-Ferréol Waves a été présenté le 9 mai<br />

2007 par Lieux publics, dans le cadre de l’ouverture<br />

du festival Les Musiques, organisé par le Gmem.<br />

www.eryckabecassis.com<br />

Page de droite : Saint-Ferréol [Waves], carte/partition<br />

donnée aux participants, juste avant le concert.


LE JONGLEUR DE SON<br />

Cyril Hernandez a toujours dressé des ponts entre les autres arts<br />

et sa pratique de musicien pour l’inscrire « à la croisée du corps,<br />

du son et de l’espace ». Il envisage la musique comme un<br />

mouvement de vie nourri par toutes les vibrations du monde.<br />

Après une formation de percussionniste classique, Cyril<br />

Hernandez n’a pas tardé à bifurquer et s’est ouvert à bien<br />

d’autres influences… D’abord en temps qu’interprète.<br />

Les noms qu’il cite pêle-mêle ont, entre eux, comme un air<br />

de famille. Des musiciens bien sûr : « J’ai croisé la route<br />

de Benat Achiary, Bernard Lubat, Martha Argerich, Nicolas<br />

Frize, Jean-Pierre Drouet ». Mais on le trouve également<br />

sur le parcours de danseurs et de chorégraphes comme<br />

Loïc Touzé, Julia Clima, Olivia Grandville, Jean-Claude<br />

Wayak dans le hip-hop. Sa collaboration avec Thierry<br />

Bedard lui permet de s’initier aux conventions théâtrales.<br />

En 2003, il réalise un premier solo, un peu à la manière<br />

d’un danseur, pour définir son aire de jeu. « Soli mobile<br />

s’apparentait à un travail d’étude, au sens musical<br />

du terme. Mon idée motrice était de chercher à voir le son<br />

et à entendre le mouvement. Je voulais expérimenter<br />

cette articulation en jouant et en déjouant les attentes<br />

de la représentation. »<br />

Comme certains dramaturges, il travaille la musique à<br />

partir du plateau : « Je compose ensuite en fonction des<br />

paramètres que j’ai ainsi délimités en situation et par l’expérimentation.<br />

» Le travail de composition déborde donc<br />

très rapidement sur la scénographie, la chorégraphie et la<br />

mise en scène. « Pour Soli in situ, la suite de Soli mobile,<br />

j’ai fait appel à une chorégraphe et à un metteur en scène.<br />

Le travail se développe ainsi, en parallèle et en synergie.<br />

Je ne suis pas seul dans la conception. » Le solo ne<br />

renvoie pas à l’isolement : « C’est un travail collectif sur la<br />

perception individuelle. » L’espace intime et l’espace du<br />

monde deviennent alors consonants. Cyril Hernandez n’a<br />

plus qu’à chercher le rythme qui traduit le mieux cet état<br />

de coprésence : « Quand j’ai voulu mettre en mouvement<br />

le corps, la marche est venue comme une évidence. J’ai<br />

creusé ce rapport au mouvement, au rythme, à la perception.<br />

Le tout premier désir de Soli in situ prenait la forme<br />

d’une marche collective, à l’image des manifestations ou<br />

des processions… Je voulais jongler avec l’intimité qui<br />

se crée quand on chemine ensemble. »<br />

Son arrivée dans l’espace public devient une évidence.<br />

« Initialement, ce n’était pas l’espace public qui m’attirait,<br />

mais l’espace comme possibilité d’écriture. Je cherchais<br />

à proposer une musique où mon corps serait mis en jeu,<br />

et montré comme un des points de la composition, au<br />

même titre que la composition musicale. »<br />

D’autres désirs sont venus se superposer, notamment celui<br />

de « sortir du studio » : « Venu d’une musique qui n’est pas<br />

forcément très accessible au grand public, j’ai eu envie<br />

d’aller au contact de gens qui n’étaient pas familiarisés<br />

avec les codes de ce qu’on appelle la musique savante.<br />

Comment s’est effectué le passage d’un réseau à un<br />

autre ? « J’ai un pied dans plusieurs espaces, la difficulté<br />

consiste à faire le lien en terme de production. J’ai réalisé<br />

Soli mobile, grâce à la Muse en circuit. Ce centre de création<br />

situé à Alfortville m’a permis de tester mes désirs d’hybridation<br />

scénographique et technologique. Sortir ensuite<br />

de ce lieu privilégié correspondait à l’envie de m’ouvrir à<br />

d’autres champs esthétiques, non pas parce que je n’y<br />

étais pas bien, mais pour aller voir ailleurs. J’ai été<br />

extrêmement bien accueilli par les arts de la rue alors que<br />

je ne suis pas issu de ce milieu-là. Le monde de la<br />

musique contemporaine est sans doute moins ouvert. »<br />

Soli mobile a nécessité deux ans de réalisation. « J’ai pu<br />

monter mon projet par étapes. Le travail a commencé à<br />

Lieux publics en décembre 2005. Je me suis ensuite<br />

confronté progressivement au plaisir et aux difficultés de<br />

l’espace public. D’abord à Nice, en avril 2006, dans un<br />

lieu fermé, l’Acropolis. Puis dans les conditions très difficiles<br />

du Off de Chalon, pour voir si ça tenait le choc, même<br />

si le travail ne me satisfaisait pas encore complètement.<br />

La confiance renouvelée de Lieux publics, et le soutien<br />

de Chalon dans la rue m’ont alors permis de retravailler<br />

l’écriture et de rééquilibrer les différents moments. »<br />

Cyril Hernandez, Fusee Leger. Photo : D. R.<br />

Cyril Hernandez. Photo : D.R.<br />

L’UNIVERS À PORTÉE D’OREILLE<br />

Cyril Hernandez entend nous entraîner dans une conquête<br />

de l’espace, et ne propose rien moins qu’un voyage électrocosmique.<br />

Avec quel véhicule ? Le plus puisant de tous :<br />

l’imaginaire. Et de citer Yves Klein : « La réelle manière de<br />

visiter l’espace, plus loin, infiniment plus loin que notre<br />

univers solaire et autre univers, sera non pas des fusées,<br />

rockets, ou des spoutniks mais par imprégnation. »<br />

Cette déambulation comporte ses étapes et ses rites<br />

magiques. Le musicien-marcheur montre la voie. « Grâce<br />

à une interface dissimulée sous mes habits, je capte des<br />

résonances émanant des personnes et des objets que je<br />

croise et je les transforme en matière sonore. » Une fusée<br />

à son le suit de près : « C’est le symbole spatial de Soli<br />

in situ, à mi-chemin entre les chars des processions<br />

religieuses, et les géants des carnavals ». Mais cette fusée<br />

de six mètres de haut est aussi l’antenne de diffusion du<br />

spectacle, avec à son bord un ingénieur du son. « J’essaie<br />

de mettre en jeu et en scène les modes de production<br />

de la musique électroacoustique. Je voudrais rendre<br />

visible cette magie de la fabrication des sons, décaler<br />

ce matériau électroacoustique pour le transformer en<br />

matière dramatique. »<br />

La marche est ponctuée par cinq étapes, cinq stations,<br />

cinq moments concertants, autour d’installations plastiques<br />

et sonores : « Elles ont en commun un caractère<br />

sobrement monumental, fragile et gigantesque à la fois. »<br />

Cyril Hernandez a ainsi fabriqué un larsénophone, un cube<br />

vide de quatre mètres de côté pour faire chanter l’espace :<br />

« Cette installation s’inspire des expériences d’Yves Klein<br />

sur les zones de sensibilité picturale, dans lesquels l’artiste<br />

donne à voir la créativité qui habite le vide. » Dans un clin<br />

d’œil à Calder, il a aussi inventé un caldérophone. En<br />

faisant résonner ce mobile de cymbales, il provoque une<br />

cosmologie sonore et visuelle. Il joue, en outre, du marcellophone,<br />

un porte-bouteilles, réplique du ready-mades de<br />

Marcel Duchamp, mais agrémenté de tubes métalliques,<br />

qui se met à sonner comme les cloches des campaniles :<br />

« Sa rotation et son oscillation nous entraînent dans<br />

l’univers sonore des gamelans indonésiens. » Le dernier<br />

point de ralliement est totémique : une tour formée par<br />

cinq bidons superposés s’élevant à plus de quatre mètres<br />

de haut. Le musicien joue juché sur une balustrade.<br />

Il martèle ce tambour géant pour mettre la rue en transe.<br />

Ce dispositif est bien sûr évolutif et modulable. Cyril<br />

Hernandez peut décliner plusieurs étapes de Soli in situ,<br />

en fonction d’environnements et de contextes différents.<br />

Cet été, à Saint-Cirq-Lapopie, avec le soutien du Centre<br />

d’art contemporain Georges Pompidou de Cajarc, il va<br />

mettre entre les mains des spectateurs un calder de<br />

cymbales et abandonner à la fantaisie du vent un calder de<br />

haut-parleurs. Avec son association, La Truc, il propose<br />

des « Stations ImaginaSon » qui sont autant de performances,<br />

de concerts solos et d’occasion de rencontres<br />

avec d’autres artistes ou d’autres formations. Cyril<br />

Hernandez a également décroché une bourse de la Villa<br />

Médicis hors les murs qui l’emmènera au Brésil : « Je vais<br />

continuer à apprendre et échanger en rencontrant des<br />

artistes cariocas puis nordestins… » Ce mouvement musical<br />

n’est donc pas près de s’épuiser.<br />

Fred Kahn<br />

Soli in situ sera créé au festival Chalon dans la rue<br />

du 19 au 22 juillet. Trois installations sonores de<br />

Cyril Hernandez seront exposées tout l’été au village<br />

de Saint-Cirq-Lapopie.<br />

Renseignements : 05 65 40 78 19<br />

www.latruc.org


DE L’INTIMITÉ DU SON<br />

JUSQU’AU PAYSAGE<br />

L’art subtil de Pierre Berthet s’épanouit au croisement de<br />

plusieurs chemins. S’il invente des sons inouïs, il se préoccupe<br />

tout autant de leur mise en espace que de leur perception.<br />

Le « haut-parleur prolongé » est une installation que Pierre<br />

Berthet a construite autour de long fils d’acier reliés à des<br />

bidons servant de résonateurs. Un son émis d’un hautparleur<br />

fiché dans l’un d’eux met l’ensemble du réseau en<br />

vibration. Le son initial se transforme comme s’il passait<br />

au travers d’un prisme. Il se décompose en fragments<br />

colorés qui se mêlent, se superposent… Des harmoniques<br />

apparaissent, s’enfuient. Tout le réseau vrombit d’une<br />

musique mystérieuse. Mais surtout – et c’est sans doute<br />

le plus fascinant – la source vibratoire se déroule devant<br />

nous, autour de nous, immense. Lorsqu’une une corde de<br />

guitare vibre à un endroit précis de son manche, l’air transporte<br />

sa vibration jusqu’à notre tympan. Lui nous transporte<br />

au cœur même de la vibration. Habilement accroché<br />

à des murs ou à des branches, à des plafonds ou à des<br />

arbres, son dispositif éclaté dans l’espace nous enveloppe<br />

dans sa vibration essentielle.<br />

Histoire d’épurer le dispositif ou de rendre la source sonore<br />

plus abstraite encore, la membrane du haut-parleur, la<br />

source, peut être totalement enlevée. Seule l’impulsion<br />

vibratoire initiale subsiste. Elle suffit à animer le réseau<br />

tendu de ses fils et de ses bidons qui prennent<br />

harmonieusement le relais. Pour avoir le temps de provoquer<br />

leurs effets en toute quiétude, les sons insufflés par<br />

ses haut-parleurs, « démembranés » ou non, doivent durer,<br />

s’étendre. C’est pourquoi Pierre Berthet utilise des<br />

sonorités ambient, atmosphériques, électroniques ou sinusoïdales.<br />

Son système peut également s’auto-alimenter en<br />

captant ses propres sons et en les réinjectant dans son<br />

réseau vibrant. La musique qui résulte de ces dispositifs<br />

se déploie, mouvante, colorée dans un souffle ample. Elle<br />

fait plus penser à une aurore boréale qu’à autre chose.<br />

Pierre Berthet est capable de brancher ses fils d’acier et<br />

ses bidons métalliques sur des cadres de piano, sur des<br />

ressorts de locomotives ou au bout d’une longue trompe<br />

dans laquelle il souffle. Ses sources sont multiples, la<br />

prolongation, la transformation et la mise en espace sont<br />

à chaque fois plus étonnantes. Il construit également<br />

toutes sortes d’instruments : des « expirateurs » qui soufflent<br />

de l’air dans des tubes de différentes longueurs, les<br />

mettant en résonance, des « tambours tubulaires » qui font<br />

tomber des gouttes d’eau sur une fine membrane fixée au<br />

bout d’un tuyau. Mais le plus impressionnant reste sans<br />

conteste ses Cabanes à sons posées en 2005 dans un<br />

Pierre Berthet & Patrick Delges,<br />

Cabanes à sons Photo : D. R.<br />

parc de Neerpelt, en Belgique, en pleine nature. Faites de<br />

lames d’acier, elles sont connectées à un réseau de fils<br />

métalliques et à un haut-parleur qui diffuse des sons sinusoïdaux<br />

mixés à des bruits de nature pris sur le vif (oiseaux,<br />

frottements de feuilles, souffle de vent). On entre dans ces<br />

cabanes comme on entre dans le son. Tel est le geste<br />

fabuleux de Pierre Berthet.<br />

Accompagné de musiciens aventureux comme Xavier<br />

Charles, Frédéric Le Junter ou eRikm, jouant avec des<br />

danseurs ou en solo, on a pu entendre Pierre Berthet dans<br />

des hauts lieux de défrichages sonores : Instants Chavirés,<br />

festival Why Note de Dijon, Musique Action à Vandœuvrelès-Nancy,<br />

Festival Octopus à Beaubourg, etc. Il ne s’est<br />

jamais retenu de se produire dans des endroits aussi variés<br />

ou improbables que des galeries à Cologne, Marseille,<br />

Tokyo, New York, Hasselt ou Berlin, des bureaux abandonnés<br />

à Dortmund, un hangar de chemin de fer à Courtrai,<br />

une église à Metz ou à Caen, des ateliers à Lille, et bien<br />

sûr des parcs et des forêts comme à Dijon et à Reims.<br />

Dans les années 1970, Walter De Maria a installé de<br />

manière géométrique quatre cents paratonnerres de sept<br />

mètres de haut dans une plaine orageuse du Nouveau-<br />

Mexique. Pendant les orages, les éclairs bondissaient<br />

nerveusement des uns aux autres, formant un splendide<br />

tableau éphémère. Pierre Berthet développe exactement la<br />

même attention à provoquer et jouer avec un phénomène<br />

naturel élémentaire. Il prend surtout le même plaisir un<br />

peu fou et merveilleux à réaliser son désir d’expression<br />

dans l’espace.<br />

Camille Guynemer<br />

ENTRETIEN<br />

AVEC PIERRE BERTHET<br />

Comment en êtes-vous venu à la création de vos propres<br />

dispositifs instrumentaux ?<br />

« Parallèlement aux cours de percussions que je suivais au<br />

Conservatoire de Bruxelles, j’ai commencé à récolter des<br />

objets trouvés et à les écouter. J’avais un professeur qui<br />

s’appelait André Van Belle. Dans les années 1970, il s’est<br />

beaucoup consacré à constituer un groupe pour jouer sur<br />

le gamelan du musée des instruments de musique. Je suis<br />

malheureusement arrivé trop tard pour en profiter, mais<br />

André avait aussi formé un groupe qui s’appelait Fusion,<br />

dans lequel j’ai un peu joué. On interprétait sa musique et<br />

celle d’autres compositeurs sur un instrumentarium qui<br />

mélangeait des instruments exotiques et des objets trouvés.<br />

Il organisait des concerts chez lui, ce qui fut très<br />

enrichissant pour moi. Il a aussi composé deux morceaux<br />

pour carillon quand il a su que j’en jouais.<br />

Par ailleurs, au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, tous<br />

les premiers week-ends du mois, il y avait un festival<br />

gratuit de musiques expérimentales où j’ai vu beaucoup de<br />

gens qui jouaient avec autre chose que des instruments :<br />

Tom Johnson, Lloenç Barber, le groupe Zaj, Han Beninnk,<br />

Max Eastle, etc. Je trouvais tout cela plus excitant que<br />

la percussion “classique”, et j’ai commencé à explorer<br />

ce matériau. Puis, Garrett List, professeur d’improvisation<br />

au Conservatoire de Liège, et Frederic Rzewski, professeur<br />

de composition dans le même lieu, m’ont encouragé dans<br />

cette voie.<br />

Pierre Berthet & Patrick Delges, Cabanes à sons.<br />

Photo : D. R.<br />

Pierre Berthet, Un haut-parleur prolongé, installation réalisée<br />

pour Lieux Communs 2004, à Montreuil. Photo : Mélanie Desiron.<br />

J’ai sans doute aussi été influencé par des plasticiens<br />

ou des performeurs qui utilisaient des matériaux pas<br />

nécessairement prévus pour faire de l’art.<br />

Vous avez aussi découvert les travaux de Jim Burton, Alvin<br />

Lucier, Terry Fox, Paul Panhuysen, Ellen Fullman…<br />

« Oui, toutes ces personnes ont plus ou moins travaillé<br />

avec des longues cordes métalliques, ce qui est aussi mon<br />

cas ; mais je suis arrivé après, et j’ai beaucoup appris en<br />

les écoutant.<br />

Quels souvenirs gardez-vous de vos deux années passées<br />

à jouer du carillon ?<br />

« Un enchantement ! Tant dans le fait de jouer que dans<br />

celui d’être là-haut à écouter la rumeur de la ville, le<br />

marché, les pigeons, etc.<br />

Vous vous produisez souvent en extérieur. Qu’attendez-vous<br />

d’un environnement naturel ou urbain ?<br />

« Je me produis tout simplement là où on me le demande.<br />

Ce sont plus ou moins les mêmes principes qui sont mis<br />

en jeu, mais je les adapte aux circonstances. Je n’ai jamais<br />

une installation idéale en tête. Dans chaque lieu, quel qu’il<br />

soit, de nouvelles idées arrivent, d’autres sont abandonnées,<br />

reviennent plus tard.<br />

Le son est un phénomène multiple. Votre travail consiste-t-il<br />

à en simplifier la perception ?<br />

« Plutôt à essayer de l’affiner, d’entendre les dessous du<br />

son, de trouver des moyens relativement simples de<br />

voyager à l’intérieur du son et d’éveiller l’intérêt de l’oreille<br />

pour des zones sonores consciemment peu fréquentées. »<br />

Propos recueillis par Camille Guynemer<br />

Sélection discographique :<br />

Un cadre de piano prolongé (Sonoris/Orkhêstra) ;<br />

Two continuum pieces (Sub Rosa/Metamkine) ;<br />

Berthet Le Junter, avec Frédéric Le Junter<br />

(Vand’Œuvre/Metamkine).<br />

Pour en savoir plus : www.pierre ;berthet.be


LES APPRENTIS SORCIERS<br />

DE LUTHERIE URBAINE<br />

Faire musique des détritus de la ville ! Depuis 1999, Lutherie<br />

Urbaine fabrique des instruments merveilleux à partir<br />

d’objets jetés à la poubelle. L’idée, un peu « cinglée », a mené<br />

l’association bagnoletaise et ses Urbs jusqu’en Afrique.<br />

Une belle aventure racontée par son concepteur et directeur<br />

artistique, Jean-Louis Mechali.<br />

Le Lull (Lutherie Urbaine Le Local) s’est posé à Bagnolet en décembre<br />

dernier. A son bord : les Urbs, ces drôles d’oiseaux au chant bizarroïde, et<br />

leur fatras bigarré d’Objets Musicaux Non Identifiés – baignoires contrebasses,<br />

percussions bouteilles d’eau, batterie de cuisine. Si la base se localise<br />

dans la commune de l’Est parisien, l’aura généreuse de Lutherie Urbaine<br />

rayonne bien au-delà des frontières du « 9-3 ».<br />

L’aventure germe, il y a huit ans, dans la caboche de Jean-Louis Mechali,<br />

touche-à-tout musical, batteur de jazz, producteur, arrangeur et professeur<br />

au Conservatoire de Bagnolet. Refus de se limiter à la réalité donnée, envie<br />

passionnée de l’embellir et de s’en amuser, la recette favorise l’émergence<br />

de belles idées. Au milieu des tours fusent les doléances des gamins du<br />

quartier : batterie trop chère, conservatoire bourgeois, manque d’espace.<br />

« J’ai réalisé que je m’adressais uniquement à des jeunes qui fréquentaient<br />

l’établissement, note ce défenseur d’une certaine idée de la démocratie<br />

culturelle, à l’origine de projets réunissant solistes avertis et amateurs (spectacle<br />

Ciné-club à Banlieue Bleue en 1996). Il fallait toucher les autres. »<br />

Qu’à cela ne tienne. Et puis, au pied des immeubles, gisent ces encombrants,<br />

ces objets déglingués, inanimés, rebuts de la société de consommation.<br />

« Que pourrait-on bien construire avec ? », se demande l’artiste, revêtu<br />

des apparats du savant fou.<br />

Avec Alain Guazzelli, dessinateur industriel, il réfléchit à l’élaboration de ce<br />

projet loufoque. « Intellectuellement excité par l’idée de redonner vie aux<br />

objets, je ne savais pas comment les instruments chanteraient ; si une pure<br />

conception de l’esprit créerait du son et du sens. J’avais envie de jouer les<br />

apprentis sorciers. » Au fil des ans, ce travail d’« alchimiste avec la merde de<br />

la société » suscite des instruments féeriques, présentés lors des expositions<br />

Lutherie inouïe, des constructions aléatoires, fabuleux mécanos, juste pour<br />

le plaisir des yeux. Comme d’autres partent à la cueillette des champignons,<br />

les Urbs, ces « luthiers sauvages », écument les poubelles de la ville. Un coup<br />

sur une poêle à frire, un sifflement dans une canette : tout fait musique !<br />

Reste à assembler, coller, visser, souder. Un peu d’huile de coude, beaucoup<br />

d’imagination et de débrouille, et l’oreille pour juge : les instruments sonnent<br />

comme des vrais, mais clament leur différence. Polyphonie de velours<br />

métallique pour symphonie en perceuse majeure, syncopes de boîtes<br />

de conserve assaisonnées de doubles coups de marteau, les créations<br />

de Lutherie Urbaine vagabondent sur un terrain inouï. « L’instrument n’existe<br />

Lutherie Urbaine. Photo : Jérôme Panconi.<br />

pas. Il faut l’inventer, découvrir le corps sonore, sa matière,<br />

le geste qui produit le son, aller à l’encontre de cette<br />

“ethnologie musicale futuriste”. La modernité de Lutherie<br />

Urbaine réside dans cette utilisation de nouveaux mots. »<br />

Jean-Louis Mechali et son équipe partent donc d’un<br />

« vide », pour aboutir à un « plein » – emplir la musique<br />

et se remplir. Pas question, pour autant, de concocter,<br />

dans leur coin, leurs petites fabrications ! « Je voulais<br />

effectuer ce parcours avec les gens. Mon but n’était pas<br />

de créer un savoir et de l’exercer, mais de le partager et<br />

de l’élaborer en commun. » Des stages, des résidences,<br />

des ateliers dans les collèges, dans les classes défavorisées,<br />

en prison : Lutherie Urbaine sort la culture de ses<br />

murs institutionnels. « Nous autres, “artistes”, ne sommes<br />

pas détenteurs de la sensibilité. Pour sortir de l’“élitisme”,<br />

il faut donner à penser à ceux qui nous entourent, façonner<br />

la culture main dans la main. » Les acteurs participent<br />

donc à toutes les étapes : de la collecte à la fabrication<br />

des instruments, pour aboutir à la scène, où se retrouve<br />

parfois un prolifique ensemble de musiciens novices,<br />

susceptible d’interpréter un art compliqué. « Je m’intéresse<br />

à la transmission musicale du Steel Band et du gamelan :<br />

un apprentissage individuel de petites cellules rythmiques.<br />

J’aime la pratique villageoise de ce genre de musique,<br />

où chacun détient une place unique. »<br />

L’art de ne rien tenir pour acquis et le désir de rencontres<br />

ont d’ailleurs amené les Urbs à parcourir le monde. Un<br />

voyage au Congo, un autre au Mozambique à l’origine<br />

de deux CD/DVD : la musique audacieuse surgit entre deux<br />

cultures. « En Afrique, j’ai essayé de sortir des rythmes<br />

indigènes, comme des occidentaux. J’inventais du coup<br />

des métriques impossibles : un terrain vague où chacun<br />

essaie de perdre ses repères pour devenir expert d’un truc<br />

créé ensemble. Ils ne doivent pas savoir les choses, et moi<br />

non plus. Les Africains nous ont enseignés de magnifiques<br />

techniques d’assemblage. Et nous leur avons montré<br />

comment fabriquer des instruments avec des ordures ! »<br />

L’échange se révèle prolixe. Du vide émerge encore un<br />

plein d’émotion, renouvelé en 2007-2008 avec le projet<br />

Chap, chap ! dans la Province du Gauteng en Afrique du<br />

Sud. Cette vaste entreprise pluridisciplinaire, construite<br />

au gré de résidences croisées, mêle musique et danse,<br />

se dote d’un instrumentarium spécifique et doit aboutir à<br />

une création présentée fin 2008 dans les deux pays.<br />

Depuis le début, le succès de Lutherie Urbaine (nom<br />

déposé) tient à l’assise de l’association soutenue par<br />

nombre de partenaires publics. Forte de son nouveau<br />

local, de son label Métal Satin et des Urbs, ses sept musiciens<br />

attitrés, Lutherie Urbaine diversifie encore ses explorations.<br />

Au menu : la formation des Lullitiens, un orchestre<br />

déambulatoire ; la création d’un pianocktail géant (le<br />

fameux instrument de L’Ecume des jours) en partenariat<br />

avec « Quai Nord », dans le Pas-de-Calais ; ou encore la<br />

série des Zinsolistes, initiée par Simon Goubert et Franck<br />

Tortillier, durant lesquels des artistes renommés tâtent des<br />

instruments de Lutherie Urbaine.<br />

Comme ses constructions diffractées, la structure possède<br />

donc plusieurs ramifications : des axes culturels, pédagogiques,<br />

sociaux, une ambition citoyenne, une vocation<br />

plastique. « Créer quelque chose de beau pour soi à<br />

partager, y mettre un peu d’énergie, relève d’un élan<br />

enthousiaste et d’une transformation personnelle. » Jean-<br />

Louis Mechali a recueilli ce compliment d’une élève de<br />

Segpa : « Je suis comme ces objets. J’étais toute cassée.<br />

On m’a recollée pour faire quelque chose de plus beau. »<br />

Par-delà la musique, Lutherie Urbaine sert aussi à cela :<br />

réenchanter la ville. Et la vie.<br />

Anne-Laure Lemancel<br />

Pour en savoir plus : www.lutherieurbaine.com


LA MUSE<br />

À L’OREILLE<br />

Puce Muse, collectif fondé par Serge<br />

de Laubier et inventeur du « méta-instrument »,<br />

fête ses 25 ans.<br />

Au départ, Serge de Laubier pensait devenir ingénieur : c’est<br />

sa rencontre avec Nicolas Frize – « un musicien d’une ouverture<br />

et d’une disponibilité exceptionnelles » – qui a poussé<br />

ce « mauvais pianiste » à embrasser la carrière de compositeur,<br />

et à entrer au Conservatoire de Paris, où il suit en particulier<br />

l’enseignement de Pierre Schaeffer... Au départ, Puce<br />

Muse, créé par Serge de Laubier à la fin de ces études,<br />

n’avait vocation qu’à constituer un collectif de compositeurs<br />

(Philippe Leroux, Augusto Mannis...) désireux de faire entendre<br />

leurs œuvres, qui avaient en commun d’utiliser les techniques<br />

électroniques. C’était compter sans la rencontre,<br />

vers 1983, à l’occasion d’une collaboration avec des plasticiens,<br />

d’un monde que Laubier ignorait totalement, celui des<br />

arts de la rue : « Cette découverte magnifique m’a beaucoup<br />

troublé, et marqué. Dans les arts de la rue, le rapport avec<br />

le public est beaucoup plus libre, avec très peu d’intermédiaires,<br />

sans doute parce que mouvement a été initié et porté<br />

par des artistes, et non par des institutions. » Cette découverte<br />

place le compositeur face à un certain nombre de<br />

questions – à qui s’adresse-t-on ? et pourquoi ? – qui ont<br />

contribué à donner à Puce Muse son visage actuel : celui<br />

d’un « pôle ressource sur la M3V » (« Musique vivante<br />

visuelle virtuelle ») – en d’autres termes, une structure de<br />

référence dans le domaine de la recherche informatique liée<br />

à la création musicale. Sa dimension scientifique (Laubier<br />

a également étudié à l’Ecole Louis Lumière) a conduit à<br />

l’invention de plusieurs technologies – dont le « processeur<br />

spatial octophonique », breveté et commercialisé en 1986-<br />

87 – qui ont permis au collectif, outre d’assurer sa survie<br />

financière, de développer, à la fin des années 1990, le<br />

« méta-instrument » : une sorte de « super télécommande »<br />

permettant d’actionner, via un système de capteurs, des<br />

logiciels de son, d’image, des robots… Le « méta-instrument<br />

», qui en est aujourd’hui à sa troisième génération, a<br />

permis de donner lieu à de multiples créations véritablement<br />

interactives (ainsi La Main vide, créé en mai dernier à Radio<br />

France, sur une musique de François Bayle). Surtout, la<br />

« méta-mallette » permet de mettre cette technologie à la<br />

disposition du plus grand nombre, et de partager instantanément<br />

l’expérience de la musique – notamment avec des<br />

franges de la population (personnes handicapées, troisième<br />

âge, écoliers...) qui n’ont pas forcément accès à la création<br />

musicale. A Igny (Essonnes), où 70 « joueurs de joystick » se<br />

retrouvent le 23 juin pour créer ensemble un vrai spectacle<br />

multimédia, comme à Aurillac, Serge de Laubier n’aime rien<br />

tant que de faire découvrir « le plaisir fou de faire de la<br />

musique ensemble. Ce qui me touche le plus, c’est lorsque<br />

des gens qui n’ont rien à voir les uns avec les autres jouent<br />

côte à côte. » Puce Muse célèbre en 2007 ses vingt-cinq<br />

ans de partage.<br />

David Sanson<br />

www.pucemuse.com<br />

« LA MUSIQUE<br />

DES MÉMOIRES »<br />

En 2000, Claire Renard réalisait une composition en forme<br />

de triptyque musical qui a pris pour terrain de jeu Athènes,<br />

Helsinki et Lisbonne.<br />

« En tant que compositeur, il m’est apparu impératif d’aller à la rencontre du réel et du<br />

vivant sonore tels qu’ils se manifestent dans les lieux de vie aujourd’hui, à savoir l’urbain,<br />

en essayant, comme le dit le poète Yves Bonnefoy, “de ne pas obéir à un savoir qu’on a<br />

du monde”, mais de nouer un dialogue avec ce réel, d’en faire l’expérience physique et<br />

consciente, comme le peintre va “sur le motif”, pour tenter d’en saisir et d’en faire<br />

partager, dans une future composition, l’immanence virtuelle. » A travers La Musique des<br />

mémoires, Claire Renard interroge le rôle de la musique aujourd’hui, notre façon d’écouter<br />

et notre expérience du temps dans un monde « où tout, y compris l’art, est devenu objet<br />

de marché ».<br />

Pour la composer, elle a choisi trois villes portuaires, aux confins des frontières de<br />

l’Europe, pour leurs configurations particulières : « Vaste espace plat en pierre dense<br />

d’Helsinki, rues géométriques et bétonnées d’Athènes, ruelles tortueuses et étroites,<br />

tapissées de céramiques, nichées de collines pour Lisbonne ». Une expérience de plus<br />

de deux ans d’immersions répétées, « le corps en alerte, autant que l’oreille, dit-elle, pour<br />

repérer une sensation sonore spécifique ou se laisser envahir par le bruit permanent et<br />

mécanique de la modernité », menée avec un double parti pris : éprouver à la fois le<br />

temps et l’espace de ces trois urbanités.<br />

Equipée d’un simple baladeur DAT et un micro stéréo, comme une « antenne du corps »,<br />

elle capte les bruits, les souvenirs mais aussi la parole de l’autre « dans ce qu’elle porte<br />

de musical en tant que langue étrangère ». Au-delà du reportage, sa démarche tend à<br />

constituer un « corpus de mémoire vivante dans la chair des mots ». Elle ne s’intéresse<br />

pas tant au son, si volatil, même enregistré, qu’à l’expérience du son, qui, fondamentalement<br />

liée à la mémoire, accompagnant sa transformation en « mémoire de l’expérience<br />

» puis en création.<br />

Après cette collecte un peu particulière, vint le temps de « trier, ordonner, nommer, organiser<br />

dans une structure cohérente ». Composée en studio à l’aide du logiciel ProTools,<br />

cette œuvre utilise uniquement des sons dont la vie acoustique a été captée et pensée<br />

à la prise de son, afin de n’avoir recours à d’autres effets que les techniques traditionnelles<br />

de montage et de mixage. Déclinée en trois puis quatre villes portuaires (Saint-<br />

Nazaire), La Musique des mémoires interroge plusieurs espaces, entre parole concrète<br />

(« Du côté des mots », « Portraits ») et abstraction (« A propos du rythme », « A propos du<br />

temps », « Figures de l’Agora », « Air »). Chacun des pans du triptyque possède sa forme<br />

musicale propre, comprenant séquences musicales et récits-souvenirs.<br />

Sa diffusion a également été l’objet d’une réflexion spécifique menée avec la scénographe<br />

Esa Vesmanen : « Composer ce triptyque n’allait pas sans penser aux conditions dans<br />

lesquelles il pourrait être écouté et à l’expérience transmise. […] L’expérience de l’écoute<br />

urbaine avait été celle d’un corps aveugle mais résonant, d’une conscience intime orientée<br />

vers l’extérieur, vers ce dans quoi nounous mouvons sans le voir. Pour cette œuvre<br />

électroacoustique, un dispositif frontal scénique comme celui d’une salle de concert<br />

ne pouvait offrir des conditions d’écoute adéquates. […] Il fallait que chacun puisse<br />

se perdre intimement dans le son, pris au hasard de l’écoute mais aussi réécouté autant<br />

de fois que nécessaire pour entrer dans le temps de la contemplation ; il fallait un lieu<br />

où le visiteur aurait plaisir à rester, corps aveugle mais écoutant, où, comme dans une<br />

ville, on va, on vient à son propre rythme, on s’assoit, on passe et repasse à certains<br />

endroits pour retrouver un bonheur spécifique. »<br />

Julie Broudeur<br />

www.clairerenard-pimc.com<br />

DES AIDES INCITATIVES<br />

« La musique, toute la musique », proclame la Sacem, qui soutient<br />

des projets liés aux arts de la rue. Olivier Bernard, responsable de la<br />

Division culturelle à la Sacem, justifie le sens d’un tel engagement.<br />

Dans quel cadre la Sacem soutient-elle la création musicale<br />

liée aux arts de la rue ?<br />

Olivier Bernard : « La Sacem a développé dès les années<br />

1970, et même antérieurement pour certaines actions,<br />

une politique d’action culturelle. Ce qui a radicalement<br />

changé la donne, c’est la loi de 1985 sur la compensation<br />

du préjudice subi par les ayants droit avec la généralisation<br />

de la copie privée. Cette loi de 1985 a instauré au bénéfice<br />

des ayants droit, auteurs, interprètes et producteurs,<br />

une redevance dont 25% doivent être impérativement<br />

affectés à des opérations d’intérêt général dans le<br />

domaine de la création musicale, du spectacle vivant et<br />

dans celui de la formation et de l’insertion des jeunes<br />

et artistes. C’est dans ce cadre que la Sacem, comme<br />

d’autres sociétés civiles, dispose de moyens pour développer<br />

des actions.<br />

Mais pour nous, la prise en considération d’un territoire<br />

particulier autour des arts de la rue est relativement<br />

récente. A la fin des années 1990, nous nous sommes<br />

rendu compte qu’il y avait là une possibilité d’écriture<br />

musicale singulière, originale, inventive, transversale,<br />

parce qu’en dialogue avec d’autres disciplines du spectacle<br />

et différente des pratiques traditionnelles du concert.<br />

Cette prise de conscience a alors été facilitée par la<br />

rencontre avec Pierre Sauvageot, qui était alors responsable<br />

d’une compagnie d’arts de la rue avec une spécificité<br />

musicale forte. Sur la base de ces premiers échanges,<br />

nous avons peu à peu mis en place un certain nombre de<br />

dispositifs qui nous permettent d’apparaître comme partenaire<br />

de la création liée aux arts de la rue. Nos modes d’intervention<br />

peuvent être des aides à l’écriture ou encore<br />

des aides aux projets autour de spectacles bien identifiés.<br />

Une première convention a été signée voici quatre ans<br />

avec Lieux publics, Centre national de création des arts de<br />

la rue. Dans ce cadre, nous soutenons chaque année<br />

quatre ou cinq projets. Mais on pourrait fort bien être<br />

sollicités par d’autres lieux de fabrication et de production,<br />

mais aussi de compagnies, à condition que soient<br />

générées des commandes originales pour des projets à<br />

contenu musical fort.<br />

La Sacem peut-elle être directement sollicitée par des musiciens,<br />

des compositeurs ?<br />

« Bien sûr. Cette convention avec un Centre national a pour<br />

nous une fonction de facilitation et d’aide à l’expertise,<br />

mais la possibilité est offerte d’intervenir directement sur<br />

des projets qui nous sont adressés. Nous nous engageons<br />

également auprès d’un certain nombre de festivals ou<br />

d’événements avec lesquels nous avons multiplié des<br />

partenariats ces dernières années : Viva Cité, Chalon dans<br />

la Rue, la Nuit blanche parisienne, Musiques à la rue de<br />

Biarritz, les Tombées de la Nuit à Rennes, le festival de la<br />

Boule bleue à Amiens, etc.<br />

Il ne suffit pas de mettre une formation de rock, de jazz ou<br />

de musique classique sur une estrade ? Les projets qui vous<br />

sont présentés doivent donc comporter une dimension d’écriture<br />

spécifique ?<br />

« Bien sûr. Toutes les musiques de l’espace public ne sont<br />

pas concernées, sinon on aurait les bals, fanfares et<br />

autres… Nous ne confondons pas ce domaine traditionnel,<br />

que nous pouvons aider par ailleurs, avec le champ des<br />

arts de la rue tel qu’on le définit aujourd’hui.<br />

L’idée de soutenir la création musicale dans l’espace public,<br />

hors des espaces consacrés que sont les salles de concerts,<br />

est-elle facilement admise au sein de la Sacem ?<br />

« Absolument ! Quand on a commencé, à la fin des années<br />

1990, à réfléchir à ces perspectives qui étaient neuves<br />

pour nous, on a organisé à La Villette une grande rencontre<br />

professionnelle, où l’on avait conviés un certain nombre<br />

de responsables de compagnies et de festivals. On avait<br />

alors lancé l’information auprès d’un panel de compositeurs<br />

de différentes obédiences, et cela avait été pour<br />

nous un bon symptôme d’un réel intérêt de ces compositeurs<br />

pour ce type d’écriture et de création. Pour moi, ça<br />

a été le déclic qui nous a amenés à réfléchir plus loin et à<br />

dégager des moyens spécifiques. Il y a encore un travail<br />

d’information à mener, aussi bien en direction des acteurs<br />

du secteur que des créateurs, et des compositeurs en<br />

particulier. Nous avons une enveloppe budgétaire annuelle,<br />

pour les arts de la rue, qui est de l’ordre de 150 000<br />

euros. C’est relativement peu, parce que ces initiatives<br />

sont encore relativement marginales parmi les demandes<br />

et dossiers que nous recevons. Il y a encore un espace<br />

de progression dans ce type d’interventions, à condition<br />

que l’on aille vers l’exigence, la qualité et la création. »<br />

Propos recueillis par Jean-Marc Adolphe


ÉVÉNEMENTS<br />

VIVA CITÉ<br />

À LA NOCE<br />

Viva Cité atteint le cap<br />

de la majorité. Pour<br />

sa 18e édition, forte de plus<br />

de 70 compagnies (dont une<br />

cinquantaine dans le Off),<br />

le festival propose un « voyage<br />

de noces » avec, entre<br />

autres, les Alama’s Givrés,<br />

la compagnie 26 000 couverts<br />

et son shakespearien<br />

Beaucoup de bruit pour rien,<br />

les Transports exceptionnels<br />

de Beau Geste pour un<br />

danseur et une pelleteuse,<br />

les Noces de trottoir de Tango<br />

Sumo, le ballet acrobatique<br />

des Brésiliens du Circo Da<br />

Madrugada, et la compagnie<br />

anglaise Wildworks inspirée<br />

par l’histoire d’Orphée. Et,<br />

à l’Atelier 231, guinguette<br />

musicale avec la fanfare Bajka<br />

et un concert de musique<br />

énergique et métissée par les<br />

« saltimbanques infatigables »<br />

des Barbeaux truités.<br />

Viva Cité, du 22 au 24 juin<br />

à Sotteville-lès-Rouen.<br />

www.vivacite.com<br />

A RENNES, LA NUIT<br />

TOMBE BIEN<br />

Début juillet, à Rennes,<br />

les Tombées de la Nuit, pour<br />

leur 5e édition, « musardent<br />

avec gourmandise du côté des<br />

projets artistiques décalés, en<br />

poursuivant son interrogation<br />

sur le décloisonnement<br />

des genres comme son<br />

questionnement sur l’utilisation<br />

de l’espace public ».<br />

Une monumentale structure<br />

de bambou sur la place de la<br />

Mairie, un cabaret musical au<br />

Thabor ouvert aux installations<br />

sonores et plastiques,<br />

un déluge de fanfares sur<br />

la Place des Lices, et de<br />

multiples spectacles et<br />

déambulations, du Royal<br />

de Luxe à une création<br />

du Théâtre de l’Arpenteur,<br />

du « bras de fer mécanique »<br />

de la compagnie OPUS aux<br />

« tatoueurs de rues » et autres<br />

Histoires à dormir debout des<br />

TRASPHALT TP, le programme<br />

des Tombées de la Nuit est<br />

foisonnant, ludique et insolite.<br />

Les Tombées de la Nuit,<br />

du 3 au 8 juillet, à Rennes.<br />

www.tdn.rennes.fr<br />

Aurillac 360 (simulation de projection), « concert multimédia monumental<br />

et immersif » de Serge de Laubier, au festival d’Aurillac. Photo : D. R.<br />

Les Tatoueurs de rues de Trasphalt, en juillet,<br />

aux Tombées de la Nuit et, en octobre à Musique<br />

de rues, à Besançon. Photo : Olivier Masson<br />

CHALON DANS LA<br />

DIVERSITÉ<br />

Directeur de Chalon dans<br />

la Rue, Pedro Garcia salue<br />

ces « artistes multirécidivistes<br />

de la main tendue » qui<br />

inventent « des machines à<br />

produire de façon énigmatique<br />

des sons, du sens, de<br />

l’émotion, du feu, des<br />

interrogations, pour faire<br />

de cette œuvre urbaine<br />

une prodigieuse machine à<br />

réécrire nos espaces publics ».<br />

Le Théâtre de l’Unité, les<br />

artificiers de Xarxa Teatre,<br />

les chants de l’Odyssée<br />

transformés en opéra urbain<br />

par Pierre Sauvageot seront<br />

au rendez-vous du festival<br />

chalonnais, qui fait place<br />

à la diversité d’expressions et<br />

d’écritures qui irrigue les arts<br />

urbains. Le « spectacle »<br />

est parfois au plus près de<br />

soi, comme y invite le Safari<br />

intime d’Opéra Pagaï, mené<br />

par un soi-disant Observatoire<br />

des Comportements Humains.<br />

Les Trajets de vie/Trajets de<br />

ville des danseurs d’Ex Nihilo<br />

s’immiscent discrètement, dès<br />

le matin, tandis que Cyril<br />

Hernandez invite à suivre sa<br />

déambulation sonore, bardé<br />

d’instruments de son invention,<br />

aux rythmes d’un<br />

« carnaval décalé ».<br />

Chalon dans la Rue, du 19 au 22<br />

juillet, à Chalon-sur-Saône.<br />

www.chalondanslarue.com<br />

AURILLAC,<br />

FORTISSIMO<br />

Quelques-unes des plus<br />

fameuses troupes d’arts<br />

de la rue sont au rendez-vous<br />

d’Aurillac : 2 Rien Merci,<br />

l’Agence Tartar(e), Generik<br />

Vapeur, Ilimitrof’Compagny,<br />

Kumulus, Lackaal Duckric,<br />

Opera Pagaï, le Theatre<br />

Group’…, sans oublier<br />

les Chiliens du Colectivo<br />

La Patogallina, et le Teatro<br />

del Silencio, qui fera vivre dans<br />

toute la ville des Fragments<br />

de paradis. Il y aura donc fort<br />

à voir, mais aussi à entendre,<br />

notamment avec une création<br />

de la Compagnie Off, qui fête<br />

ses 20 ans : Paraboles est<br />

annoncée comme une « pièce<br />

électrolyrique pour soprano et<br />

dispositif vidéo interactif ». Le<br />

compositeur Serge de Laubier,<br />

associé aux électroacousticiens<br />

de Puce Muse (voir page<br />

précédente), déploie d’autre<br />

part, avec Aurillac 360, une<br />

création in situ où l’image<br />

et la musique sont jouées<br />

en direct. Grandeur nature<br />

(urbaine en l’occurrence),<br />

voici donc un « concert<br />

interactif multimédia<br />

monumental et immersif ».<br />

Festival d’Aurillac, du 22 au 25 août,<br />

à Aurillac. www.aurillac.net<br />

BESANÇON, VILLE<br />

SONORE<br />

Dès sa première édition, en<br />

2006, le festival Musiques de<br />

rues a su opérer le « mariage<br />

des sons populaires et<br />

savants ». Durant quatre jours,<br />

Besançon fera à nouveau<br />

corps avec ces aventuriers<br />

prêts à rendre la scène à la<br />

rue en occupant des espaces<br />

dans le centre historique de<br />

la ville pour créer de nouvelles<br />

atmosphères. Au menu :<br />

le Chant des sirènes de<br />

Mécanique vivante ; les<br />

Nocturnes électriques,<br />

installation sonore et<br />

lumineuse d’Arnaud Paquotte ;<br />

plusieurs créations, dont celle<br />

du Manège acousmatique<br />

de Motus et Monte-charge,<br />

un copieux melting-pot<br />

de nouvelles fanfares, et<br />

de nombreux parcours et<br />

installations sonores. A suivre<br />

tout particulièrement :<br />

les machines musicales<br />

de Jacques Rémus (avec,<br />

en prime, une symphonie<br />

pour 30 machines à laver),<br />

et la « lutherie sauvage »<br />

du Belge Max Vanderworst.<br />

Soit la promesse de belles<br />

dérives au cœur de la ville.<br />

Musiques de rues,<br />

Nouveau territoire des arts sonores,<br />

à Besançon, du 5 au 8 octobre.<br />

Tél. 03 81 50 00 10<br />

www.musiquesderues.com<br />

Les Trajets de vie/Trajets de ville des danseurs d’Ex Nihilo,<br />

à Chalon dans la Rue. Photo : D. R.<br />

indisciplinez-vous !<br />

Mouvement n° 44 (juillet-septembre 2007) en kiosque<br />

SPÉCIAL AVIGNON : FRÉDÉRIC FISBACH, VALÉRIE DRÉVILLE,<br />

KRZYSZTOF WARLIKOWSKI, RODRIGO GARCIA, ALEXIS FORESTIER...<br />

ET AUSSI MICHEL FRANÇOIS, JACK NITZSCHE/WILLY DEVILLE,<br />

TATANIA TROUVÉ/MAI-THU PERRET...<br />

Tous les 3 mois, l’actualité indisciplinaire des arts vivants<br />

www.mouvement.net

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