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Le débat sur la « mutation féodale » : état de la question.

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LE DÉBAT SUR LA <strong>«</strong> MUTATION FÉODALE <strong>»</strong> : ÉTAT DE LA QUESTION.<br />

Glosant le texte qui introduit cet article, nous dirons que pour les historiens qui persistent à<br />

penser qu’elle existe, mais aussi finalement pour les autres, <strong>la</strong> féodalité pose ainsi le problème ─<br />

réel pour les uns, imaginaire pour les autres ─ <strong>de</strong> sa naissance : y a-t-il eu une crise, ou au moins un<br />

moment manifeste <strong>de</strong> l'histoire à partir duquel on peut parler <strong>de</strong> féodalité, <strong>de</strong> féodalisme, <strong>de</strong> société<br />

<strong>féodale</strong> ? Ou, si l'on préfère, et avec les nuances que ce<strong>la</strong> peut impliquer chez tel ou tel auteur, y a-til<br />

eu une <strong>«</strong> <strong>mutation</strong> <strong>féodale</strong> <strong>»</strong> ? 5<br />

Deux opinions s’affrontent ainsi :<br />

<strong>Le</strong>s uns considèrent que l’instauration <strong>de</strong> <strong>la</strong> seigneurie châte<strong>la</strong>ine, à l’aube du XI e siècle,<br />

constitue une rupture. Ils p<strong>la</strong>i<strong>de</strong>nt <strong>la</strong> <strong>«</strong> <strong>mutation</strong> <strong>»</strong>, voire <strong>la</strong> <strong>«</strong> révolution <strong>féodale</strong> "<strong>de</strong> l'an mil" <strong>»</strong> 6 : Au<br />

changement du caractère <strong>de</strong>s sources, ils font correspondre un changement socio-politique <strong>de</strong> même<br />

ampleur, qui. tend à maintenir et renforcer <strong>la</strong> domination <strong>de</strong> c<strong>la</strong>sse <strong>de</strong> l’aristocratie. Cette opinion,<br />

qu’on peut dire <strong>«</strong> à tendance marxisante <strong>»</strong> en nuançant l’expression 7 , est celle <strong>de</strong> Georges Duby 8 et<br />

<strong>de</strong> ses émules, Pierre Bonnassie et Jean-Pierre Poly entre autres : ils pensent qu’une société <strong>de</strong> type<br />

antique a duré jusqu'en 980-1030 (Mâconnais) ou 1020-1060 (Catalogne, Provence) et datent du XI e<br />

siècle les grands débuts <strong>de</strong> tout ce qui fait <strong>la</strong> <strong>«</strong> société <strong>féodale</strong> <strong>»</strong> caractéristique : début du servage ─<br />

appelé plus souvent <strong>«</strong> dépendance <strong>»</strong> ─, début <strong>de</strong> <strong>la</strong> chevalerie, voire même, dans le Midi, début <strong>de</strong>s<br />

re<strong>la</strong>tions féodo-vassaliques. Pour mieux souligner le changement, le <strong>«</strong> <strong>mutation</strong>nisme <strong>»</strong> 9 est ainsi<br />

essentiellement lié à <strong>de</strong>ux soucis : prendre acte <strong>de</strong> <strong>la</strong> réinterpr<strong>état</strong>ion romanisante du haut Moyen<br />

Age qu’ont récemment faite certains historiens 10 et conserver <strong>la</strong> notion <strong>«</strong> marxisante <strong>»</strong> d'une<br />

opposition entre l'antiquité et le féodalisme 11 .<br />

5 D’après É. Bournazel et J.-P. Poly, loc. cit.<br />

6 <strong>Le</strong> concept <strong>de</strong> <strong>«</strong> révolution <strong>féodale</strong> <strong>»</strong> serait dû à G. Duby, qui l’aurait utilisé pour <strong>la</strong> première fois dans son ouvrage<br />

<strong>Le</strong>s trois ordres ou l’imaginaire du féodalisme (Paris, 1978, p. 183-205). L’expression se rencontre en fait déjà bien<br />

avant lui et même avant Marc Bloch : ainsi au début du siècle, sous <strong>la</strong> plume <strong>de</strong> l’historien M. Bou<strong>de</strong>t, dans son<br />

introduction au Cartu<strong>la</strong>ire du prieuré <strong>de</strong> Saint-Flour (Monaco, 1910) : au chapitre VII (p. CVII sq.) Il décrit le<br />

déchaînement <strong>de</strong>s violences seigneuriales <strong>sur</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nèze <strong>de</strong> Saint-Flour autour <strong>de</strong> l’an mil <strong>de</strong> manière on ne peut plus<br />

<strong>«</strong> <strong>mutation</strong>niste <strong>»</strong>. Il voit même une première <strong>«</strong> révolution <strong>»</strong> en Auvergne dans les années 950, ce qu’a montré à son tour<br />

l’auteur du présent article (L’Auvergne et ses marges…).<br />

7 Voir nos remarques <strong>sur</strong> <strong>la</strong> <strong>question</strong> infra.<br />

8 <strong>Le</strong>quel apporte <strong>de</strong>s vues nouvelles à <strong>la</strong> <strong>question</strong> en 1973 dans Hommes et structures du Moyen Âge, recueil <strong>de</strong>s<br />

nombreux articles qu’il avait écrits jusqu’à présent, et dans Guerriers et paysans (VII e -XII e siècle). Premier essor <strong>de</strong><br />

l’économie européenne (repris en 1988 dans les <strong>de</strong>ux volumes La Société chevaleresque et Seigneurs et Paysans).<br />

9 L’expression <strong>«</strong> <strong>mutation</strong>niste <strong>»</strong> ─ et son corré<strong>la</strong>t <strong>«</strong> anti-<strong>mutation</strong>iste <strong>»</strong> ─ servant à désigner <strong>la</strong> thèse <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>«</strong> nouvelle<br />

école <strong>»</strong> est due à D. Barthélemy. Comme le note si justement S. Carocci, <strong>«</strong> tant <strong>de</strong> dénominations historiographiques<br />

<strong>de</strong>venues ensuite canoniques ont été créées <strong>de</strong> l’extérieur, par <strong>de</strong>s critiques désireux <strong>de</strong> mieux qualifier leur cible<br />

polémique <strong>»</strong> (<strong>«</strong> Signoria rurale e mutazione feudale, una discussione <strong>»</strong>, Storica, 1997, p. 49-9).<br />

10 <strong>Le</strong>s <strong>«</strong> hyper-romanistes <strong>»</strong>. Infra.<br />

11 D. Barthélemy, <strong>«</strong> Encore le <strong>débat</strong> <strong>sur</strong> l’an mil ! <strong>»</strong>, Revue hist. <strong>de</strong> droit français et étranger (abrév. Rev. hist. <strong>de</strong><br />

droit), 73, 1995, p. 349-362 (ici p. 350) : <strong>«</strong> Qui peut nier <strong>la</strong> part prise par le marxisme à l’é<strong>la</strong>boration du <strong>mutation</strong>nisme<br />

sociologique, c’est-à-dire celui <strong>de</strong> G. Duby (1953 et 1978), <strong>de</strong> P. Bonnassie (1976) et du manuel <strong>de</strong> 1980 ? <strong>Le</strong> concept<br />

<strong>de</strong> “révolution <strong>féodale</strong>” est fait pour penser <strong>la</strong> transition brutale d’un “mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> production” à un autre ─ <strong>de</strong><br />

l’esc<strong>la</strong>vagisme “antiquisant” à <strong>la</strong> “seigneurie” médiévale. <strong>»</strong> Cf. à cet égard l’ouvrage majeur <strong>de</strong> P. Dockès, La libération<br />

médiévale, Paris, 1979.<br />

Nota : <strong>«</strong> Marxiste <strong>»</strong> est un mot fort polysémique (et certains marxistes pensent que d'autres marxistes ne le sont pas) :<br />

un élément minimal <strong>de</strong> définition est qu'être marxiste implique <strong>de</strong> se dire marxiste (même si c'est seulement un<br />

marxisme méthodologique). Or aucun <strong>de</strong>s <strong>«</strong> grands <strong>mutation</strong>nistes <strong>»</strong> ne se réc<strong>la</strong>me du marxisme : ce<strong>la</strong> est évi<strong>de</strong>nt pour<br />

J.-F. <strong>Le</strong>marignier, mais aussi pour J.-P. Poly et É. Bournazel, qui sont <strong>«</strong> a-marxistes <strong>»</strong> (il n'y a pas mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> production à<br />

l'in<strong>de</strong>x <strong>de</strong> La Mutation) et P. Bonnassie (dans son article <strong>sur</strong> l’esc<strong>la</strong>vage, les marxistes, ce sont visiblement les autres).<br />

Pour G. Duby, sa leçon inaugurale au Collège montre qu'il adhère à une conception, disons matérialiste et dialectique <strong>de</strong><br />

l'histoire, facilement traductible ─ il y a même <strong>de</strong>s emprunts manifestes ─ dans les termes du marxisme, mais qu'il<br />

n'adhère pas à ce qu'on appelle couramment <strong>«</strong> le marxisme <strong>»</strong>. D'autre part, <strong>la</strong> <strong>Le</strong>çon est une construction a posteriori :<br />

G. Duby n'est certainement pas marxiste dans <strong>Le</strong> Mâconnais. G. Bois, il est sans doute <strong>«</strong> marxiste <strong>»</strong> au sens<br />

vernacu<strong>la</strong>ire, mais ce n'est pas un <strong>«</strong> grand <strong>mutation</strong>niste <strong>»</strong>. Quant à M. Bou<strong>de</strong>t, il n'était marxiste à aucun <strong>de</strong>s sens<br />

possibles du mot.<br />

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